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French Pages 320 Year 1974
PUBLICATIONS DE L'INSTITUT D'ÉTUDES FRANÇAISES ET OCCITANES DE L'UNIVERSITÉ D'UTRECHT SOUS LA DIRECTION DE
W. ZWANENBURG ET J. J. M. PLESSEN
III
STRUCTURES DE DEUX TESTAMENTS FICTIONNELS Le Lais et le Testament de François Villon
par
A. J. A. VAN ZOEST Université
d'Utrecht
1974
MOUTON THE HAGUE • PARIS
© Copyright 1974 in The Netherlands. Mouton & Co. N.V., Publisher, The Hague. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.
PROEFSCHRIFT VRIJE UNIVERSITEIT AMSTERDAM 1974
Printed in The Netherlands by Mouton & Co., Printers, The Hague
AVANT-PROPOS
Ist nicht ohnehin jedes Formulieren, auch von etwas tatsächlich Passiertem, mehr oder weniger fiktiv? Weniger, wenn man sich begnügt, bloss Bericht zu erstatten; mehr, je genauer man zu formulieren versucht? Und je mehr man fingiert, desto eher wird vielleicht die Geschichte auch für jemand andern interessant werden, weil man sich eher mit Formulierungen identifizieren kann als mit bloss berichteten Tatsachen? - Deswegen das Bedürfnis nach Poesie? PETER HANDKE ( Wunschloses Unglück)
Dans le Lais et dans le Testament, un testateur, qui se nomme Villon, distribue des legs. Mais personne ne s'y trompe: il le fait sur le mode fictionnel. Les deux textes ne sont pas des testaments; ce sont des poèmes. Leur auteur, que, lui aussi, nous connaissons sous le nom de Villon, les a «laissés» à ses lecteurs. Ces «légataires» du poète Villon ne cessent de s'émerveiller devant le «don» qu leur a été fait. De nos jours encore, l'œuvre de Villon est lue et savamment commentée. La présente étude, qui s'ajoute à la longue série des études villoniennes, est une analyse structurale. Elle vise à une compréhension approfondie du fonctionnement littéraire des poèmes. Une place importante est réservée, dans ce travail, à la notion de fictionnalité, parce que, implicitement, son introduction pose un problème fascinant: pourquoi y a-t-il des textes fictionnels? Pourquoi, en fin de compte, la poésie? Il ne serait pas de bonne méthode de chercher une réponse immédiate à une question de cette importance. Une procédure appropriée semble être la suivante : on isole un corpus limité, et on cherche à déterminer ce qui en fait une œuvre fictionnelle. Avant d'expliquer, il s'agit de décrire. On fait alors, sur le texte, un travail comparable à celui des archéologues pratiquant des fouilles «sur le terrain». Le compte rendu d'une pareille
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AVANT-PROPOS
opération est d'une lecture aride; j'en ai conscience et je m'en excuse auprès du lecteur. C'est le prix qu'on paie, quand on a des scrupules méthodologiques. Le bénéfice est - du moins, je l'espère - dans le caractère scientifiquement persuasif des résultats. Je tiens à remercier ceux qui m'ont épaulé dans mon entreprise. Elle n'aurait été entamée ni terminée sans le secours de M. L. Geschiere, de l'Université Libre d'Amsterdam. Il m'a ouvert les portes de son Institut, quand, après avoir obtenu les diplômes MO, j'ai eu l'idée de faire des études universitaires. Ses cours, exemplaires à tous points de vue, stimulaient la réflexion. Ayant accepté d'être mon directeur de thèse, il a suivi de près mes recherches, dont il s'est donné la peine de discuter de nombreux détails avec moi. Mme M. Van Willigen, MM. J. Kamerbeek Jr, J. Plessen et S. A. Varga ont bien voulu s'intéresser à mon travail et m'ont fait profiter de leurs connaissances; on se félicite, quand on trouve des conseillers aussi compétents. Mlle C. Hogetoorn, MM. B. Rekers et R. Wiarda m'ont aidé à corriger les épreuves; j'ai été sensible à l'amitié qu'ils m'ont manifestée en se chargeant d'un travail si ingrat. M. et Mme Kamp, M. et Mme Scheepmaker ont rendu possibles mes «retraites» à Dourbes et à Pingjum. La réalisation matérielle de ce livre a été consciencieusement assurée par Mme I. Samson, MM. G. J. Van den Berg, Berkhout et Kraayenbrink. Jeannette, Pepijn et Fransje ont été compréhensifs, patients, solidaires.
I. LES PROBLÈMES
0. INTRODUCTION Lorsque, en 1859, paraît la première étude sérieuse sur l'œuvre de Villon A. Campaux, François Villon, sa vie, ses œuvres - , une longue période de désintérêt pour le Lais et le Testament en tant qu'ensembles textuels est définitivement close. Désormais la composition des deux poèmes - ou si l'on veut, leur organisation interne, l'agencement de leurs éléments constitutifs - sera étudiée, commentée et discutée.1 Le Lais, jugé com1
Malgré le fait que, comparée aux autres textes médiévaux de langue française, l'œuvre de Villon semble avoir joui d'une grande faveur auprès des amateurs des belles lettres, sa facture n'a guère suscité d'intérêt avant le XIXe siècle. Plusieurs explications de ce phénomène sont possibles. Des difficultés d'ordre linguistique ont pu jouer un rôle, mais il est certain que les nombreuses allusions à la réalité historique du XVe siècle ont surtout empêché la compréhension et une juste appréciation du texte. Déjà Marot avait dit à ce propos: «Quant à l'industrie des lays qu'il feit en ses Testamens, pour suffisamment la congnoistre et entendre, il fauldroit avoir esté de son temps à Paris, et avoir congneu les lieux, les choses et les hommes dont il parle (...)» (1875:11, p. 267). On est en droit de supposer que c'est surtout l'obscurité de certains passages, difficiles à comprendre et a apprécier sans connaissances historiques, qui a conduit les lecteurs du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècles à les négliger, et, par conséquent à ne pas considérer l'œuvre dans sa totalité. Avant le XIXe siècle l'intérêt porté à l'œuvre de Villon a dû être fragmentaire, ce à quoi a sans doute contribué aussi une certaine dépréciation de passages considérés comme vulgaires et de peu de valeur esthétique. Marot a recommandé à qui voudrait prendre exemple sur Villon d'éviter de «telles choses basses et particulières» (1875:11, p. 267). Au début du XIXe siècle on trouve un écho de cette remarque chez Sainte-Beuve (cf. p. 38). L'exemple du manuel de Nisard, Histoire de la littérature française (la première édition date de 1844) illustre peut-être mieux que tout autre à quel point on a persisté à ignorer le texte de Villon dans sa totalité. Nisard consacre à Villon un chapitre qui est tout en éloges, et qui a certainement contribué à donner à notre poète la place qu'il mérite dans la littérature française, mais ce chapitre ne contient que des citations fragmentaires de deux ballades et de quelques huitains pris dans la première partie du Testament : aucune allusion n'est faite à l'ensemble des legs factices de ce poème, ni au Lais. C'est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que l'intérêt pour l'œuvre de Villon dans sa totalité commence à se manifester. Plusieurs facteurs ont probablement con-
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munément une œuvre mineure est le moins privilégié des deux: Bijvanck (1882) est le seul à lui consacrer une étude exclusive. C'est avant tout la composition du Testament qui retient l'attention des chercheurs, bien qu'il faille attendre l'année 1939 pour voir la publication de la première étude qui en fasse son objet unique : I. Siciliano «Sur le Testament de François Villon», Romania, LXV (1939), 39-90. Cet intérêt, jusqu'à nos jours, n'a pas diminué et la réflexion sur la composition des textes de Villon ne s'est pas encore arrêtée, bien que, voici déjà plusieurs décennies, un changement de vocabulaire soit survenu: on parle de structure plutôt que de composition. Si les études sur la composition, sur la structure du Lais et du Testament sont nombreuses, elles sont également de nature, de longueur, de valeur variées, de sorte qu'il n'est pas aisé de découvrir des lignes de force dans la discussion du problème, si discussion il y a. Quelques-uns des noms, des dates et des termes cités ci-dessus semblent toutefois marquer des étapes. La première est certes la publication de la thèse de Campaux, la seconde la publication de l'article de Siciliano, la troisième est l'avènement de la notion de structure. La première période, qui va de 1859 à 1939, connaît deux «courants», dont l'un est celui des examens descriptifs et objectifs de Campaux, de Bijvanck et de Gaston Paris, le deuxième celui des approches qui visent surtout à une évaluation de la composition du Testament (Bernard, Thuasne, Neri, Desonay). La seconde période comprend des réactions aux thèses proposées par Siciliano (de la main surtout de Grâce Frank, de Fox, de Dufournet, de Rychner); la discussion porte principalement sur des problèmes psychologiques, biographiques, de datation et de localisation se posant en rapport avec la composition du Testament. Il convient d'y intégrer des réflexions faites antérieurement par Cons (1936). La troisième période est caractérisée par l'utilisation de la notion de structure, telle qu'elle est faite dans les études de Weinert (1964), de Kuhn (1967) et de Togeby (1970).
vergés pour aboutir à une faveur des théoriciens qui s'est doublée d'une faveur publique (l'étude de N. Edelman [1936] est instructif à ce sujet). Le romantisme a mis en vogue le moyen âge; la philologie, en prenant l'essor qu'on sait, s'est efforcé à établir, à publier, à expliquer, à commenter des textes médiévaux. Et surtout : de savantes recherches historiques (on pense, par exemple à Longnon) ont permis de reconstruire le cadre référentiel indispensable à une bonne compréhension des textes. Des monographies sont consacrées à Villon, à l'homme et à l'œuvre (Nagel, Profillet, Campaux, Gaston Paris). Villon conquiert - définitivement, paraît-il - sa place dans l'histoire littéraire française.
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1. LES PREMIERS CHERCHEURS
Rendons aux chercheurs de la première heure, à Campaux, à Bijvanck, à Gaston Paris, l'hommage de constater qu'ils ont relevé et étudié les principaux problèmes qui se posent et qui ont fait l'objet de discussions ultérieures. Dans une étude ne présentant qu'un intérêt tout relatif, Profillet (1856) avait divisé le Testament en deux parties à peu très égales (p. 65). Campaux (1859) propose une articulation du Testament en trois parties, se distinguant par leur ton. Il considère la première partie (h. 1-79) comme grave, la partie centrale (h. 80-145) comme bouffonne, la dernière partie (h. 146 à la fin) comme mi-grave mi-bouffonne. A cette segmentation du texte il associe une réflexion sur la date et le lieu de sa création : «les trois inspirations bien distinctes (...) semblent correspondre à autant de dates et peutêtre même à autant de lieux divers où elles seraient successivement produites» (p. 247-248).2 Campaux semble, implicitement, admettre que les ballades enchâssées dans le Testament sont d'une création antérieure: «Rien n'est d'ailleurs plus ingénieux que l'art avec lequel il [Villon] a su rattacher soit aux plaintes soit aux confessions du début, soit aux legs de la seconde partie, les différentes ballades (...)» (p. 312). Voilà trois suggestions qui vont faire fortune: l'idée d'une tripartition globale du Testament, on la retrouvera, selon des critères légèrement ou sensiblement différents, chez maint autre commentateur; l'idée d'une création du Testament à des moments et à des endroits différents sera reprise et amplement discutée ultérieurement; l'idée d'une insertion artificielle des ballades dans le corps du Testament sera presque unanimement admise. Bijvanck, dans son Spécimen d'un essai critique sur les œuvres de François Villon (Leyde, 1882), ouvrage qui, malgré ce que son titre peut laisser croire, est exclusivement consacré au Lais, en vient au problème de la composition par une voie différente que Campaux. Cherchant une distri2
On retrouve l'idée des pièces insérées, celle de la création par étapes et celle de la tripartition dans une brève et très fine étude sur Villon par Montaiglon (1861), qui s'est sans aucun doute inspiré de Campaux. Il note: «On a remarqué justement que ce poëme, dans lequel Villon a certainement employé et encadré, selon l'usage de son temps, des pièces détachées, antérieurement écrites, n'est pas d'une seule venue, et offre de grands contrastes» (p. 452). Comme Campaux, Montaiglon divise le Testament en trois parties, se distinguant, selon lui, par leur «ton» ou leur «sentiment»: «Tout le milieu, où se trouve la cynique ballade à la grosse Margot, cette femme de mauvaise vie avec laquelle Villon a vécu pour avoir «son pain cuit», est ce que notre poëte a écrit de plus grossier; la fin, la plus légère et la moins brutale, est déjà d'un sentiment général plus élevé, et tout le commencement est presque tout entier du ton le plus grave» (p. 452).
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bution des éléments textuels «plus logique que celle qui a cours dans les éditions», et comparant à ce dessein, très scrupuleusement, les ordres de succession des huitains dans les manuscrits connus, il conclut que «ce petit poème (...) peut être divisé en trois parties distinctes: après l'introduction sentimentale après la bouffonnerie des legs, il contient le récit d'un songe ou plutôt d'un commencement de songe» (p. 129). Les points de départ de Campaux et de Bijvanck ont donc beau être dissemblables intuition chez l'un, examen philologique chez l'autre - , leurs conclusions sont similaires : tous deux aboutissent à une tripartition globale du texte. Cependant, ce n'est pas tant d'après leur «ton» que Bijvanck distingue les trois parties du Lais, mais d'après leur inspiration littéraire traditionnelle: dans la première partie Villon se serait inspiré de la tradition littéraire du thème de l'amant martyr, la deuxième serait un persiflage de la chevalerie, la dernière imiterait le Roman de la Rose et certaines œuvres ultérieures où le songe est un élément indispensable. Nuançant toutefois sa pensée, Bijvanck se refuse à trancher trop nettement le Lais en éléments distincts, car «ce serait reconnaître trop de suite au talent de Villon, ce serait voir une intention trop définie dans ce qui n'est peut-être qu'un effet de hasard de deux journées différentes vouées au travail poétique» (p. 126). Gaston Paris, dans son François Villon (Paris, 1901), ne se prononce pas sur la segmentation globale des poèmes de Villon, mais il s'arrête à certains groupes d'éléments textuels (les legs burlesques et les ballades enchâssées), dont il cherche à établir une catégorisation. Dans le Lais il fait une distinction entre les deux premiers legs et les 34 autres qui les suivent. Le premier legs, celui fait à Guillaume de Villon, est «sérieux»; le second, fait à la maîtresse, «est dans le goût conventionnel de la poésie d'amour imitée d'Alain Chartier» (p. 122). Tous les autres legs sont des plaisanteries. Afin de pouvoir classer les legs facétieux, dont le nombre, dans le Lais, est si important, Gaston Paris choisit un critère qui n'est pas celui du ton, ni celui de l'inspiration littéraire: il les départage selon la nature des objets légués. Trois catégories se laisseraient reconnaître, car les biens légués sont ou bien des enseignes, ou bien des objets appartenant à la soi-disant fortune personnelle de Villon, ou bien ils ne sont pas concrets mais d'ordre moral. Dans cette dernière catégorie entrent, par exemple, «la nomination» que Villon a «de l'université», le «gré» de Robert d'Estouteville, les bonnes grâces de la geôlière. Il y a cependant deux failles dans ce principe de catégorisation, car l'auteur se voit obligé d'admettre qu'il n'a pas pu faire entrer dans sa classification les trois coups d'étrivières légués à Moutonnier, ni le legs fait au seigneur de Grigny dex châteaux de Bicêtre et de Nijon.
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Les mêmes catégories de legs se laissent reconnaître dans le Testament, mais dans des proportions différentes. «Les facéties d'écolier sur les enseignes ont à peu près disparu: on ne retrouve plus que le Barillet et le Grand Godet (...)» (P- 130). Les deux autres catégories signalées dans le Lais occupent une place importante dans le Testament aussi : «Le poète continue à faire parade de sa prétendue richesse» (p. 130) et «Une autre série de legs, dans laquelle le poète prétend moins encore disposer de choses lui appartenant réellement, porte non sur des objets précis, mais sur des occupations, des fontions ou des privilèges» (p. 134). Une quatrième catégorie, importante, s'y ajoute : «la nouveauté la plus frappante des legs du Testament, c'est que plusieurs consistent en pièces de vers insérées dans le poème» (p. 135). Les pièces insérées, qu'elles soient oui ou non à considérer comme des biens légués se prêtent également à une catégorisation. Une seule se distingue, selon Gaston Paris, des autres. Il s'agit de la ballade écrite pour «l'âme du bon feu maistre Jehan Cotart». Pour des raisons chronologiques, Gaston Paris conclut qu'elle a été conçue «en même temps» que la partie encadrante du Testament, qu'elle n'est pas, comme les autres, «matériellement rattachée au texte du poème» (p. 115). Parmi les autres ballades, toutes considérées comme ayant été créées antérieurement, il lui semble possible de distinguer entre celles faites exprès pour être intégrées dans le Testament et celles conçues sans que l'auteur n'ait eu l'intention de les y insérer. L'idée d'incorporer ces dernières dans le texte ne serait venue qu'après coup et l'insertion se serait réalisée à l'aide de ligatures habiles. La catégorisation repose donc sur deux critères différents, l'un étant d'ordre chronologique, l'autre d'ordre intentionnel. Outre ces tentatives de classification partielle, le livre de Gaston Paris contient encore plusieurs remarques pertinentes concernant la composition du Lais et du Testament. Sans parler explicitement d'une division en deux parties, il attire l'attention sur la présence, dans les deux textes, d'une partie «personnelle» se distinguant d'une autre, plutôt «comique». Il constate que la fiction du testament est mieux développée dans le Testament que dans le Lais, parce que le premier est terminé, «comme l'était alors le testament de tout personnage de marque, par l'institution d'exécuteurs testamentaires et par l'ordonnance des funérailles» (p. 128). De plus, la présence des pièces insérées et des digressions (sur les justes de l'ancienne loi, sur les religieux mendiants, sur le caquet des Parisiennes, sur le charnier des Innocents) est évalué favorablement: «le poème présente ainsi dans sa marche, qui risquerait d'être monotone, une série de haltes adroitement ménagées qui reposent le lecteur et qui n'en sont pas le moindre attrait» (p. 136).
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Certes, Gaston Paris n'a pas donné, dans son livre, une place centrale au problème de la composition du Lais et du Testament et il n'en a pas entrepris l'étude systématique. Cependant, il y a lieu de constater que les observations qu'il a faites à ce propos sont précieuses dans ce sens qu'elles annoncent une discussion qui ne va s'ouvrir sérieusement que plus de trente ans après. Il peut sembler injuste que, dans cette discussion, les références aux remarques de Paris soient relativement rares. Par contre, il n'est pas facile de voir ce qui mérite d'être retenu d'une discussion sur la composition du Testament à laquelle ont pris part J.-M. Bernard, Thuasne, Neri et Desonay, et qui a été déclenchée par Petit de Julleville (1896). Celui-ci avait dit: «On peut analyser le Grant Testament, mais cette étude inutile sert à montrer seulement que l'œuvre n'est pas plus composée, à vrai dire, que Namoura d'Alfred de Musset. Villon l'a commencée sans savoir où elle le conduirait» (p. 389). Le Testament, pour lui, n'est qu'une «œuvre décousue» (p. 433). Le poète J.-M. Bernard (1918), lui, n'entend pas les choses de la même façon. Bien au contraire, il considère le poème comme «fort solidement construit et très logiquement ordonné», comme une «cathédrale littéraire». Il y reconnaît deux parties parallèles, équilibrées: «C'est, en somme, par un cri de haine que débute le Grant Testament; mais, tôt après, le poète s'interroge, se reconnaît coupable; car, sa propre aventure, il la généralise, Y humanise, en quelque sorte; c'est alors la destinée de l'Homme qui devient l'objet de sa méditation. Les admirables strophes sur la mort, suivies de la ballade des Neiges d'antan et de celle des Seigneurs du temps jadis, terminent la première partie du poème. Après quelques legs obligés par la forme même qu'il avait choisie, le poète poursuit ses réflexions morales sur l'inutilité des tentatives humaines et s'en vient achever sa songerie dans le charnier des Innocents. Ces deux parties du livre s'équilibrent d'une façon parfaite» (p. 103). Thuasne (1923) s'oppose également au jugement de Petit de Julleville, affirmant que le Testament est une «œuvre parfaitement composée, où rien n'est laissé au hasard», «un tout parfaitement ordonné et qui se développe d'après un plan mûri, arrêté dès le début» (p. 85). Et si, malgré tout, il arrive que le lecteur ne discerne pas, par exemple, la cohérence des legs entre eux, si «on ne saisit pas bien d'abord la corrélation des legs entre eux», Thuasne est d'avis que «le reproche ne saurait s'adresser à Villon, mais à notre ignorance des intentions secrètes de l'auteur et des allusions qui n'avaient de sens que pour le public spécial qu'il avait en vue» (p. 92). Neri (1923) a une opinion nuancée; il distingue dans le Testament une cohérence, mais une «coerenza sentimentale et fantastica», qui n'en fait pas une cathédrale, mais un tout
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organique, «la storia dello spirito di Villon». Et «questa storia non è un'elevazione, ma una decadenza e una fuga» (p. XIV). Est-ce là exprimer métaphoriquement ce que veut dire Desonay (1933), lorsqu'il note: «Il n'y a pas de plan, il y a une ligne»? «A mon sentiment», dit-il, «rien n'est moins «composé» que le Lais, que le Testament, si la composition suppose un plan préétabli, l'obéissance - ou l'asservissement - à un ordre logique» (p. 193-199). S'il divise toutefois le Testament en deux parties, une introduction et une série de legs factices, il ne manque pas d'être frappé par l'absence d'équilibre proportionnel, par «la longueur anormale et quasi monstreuse de l'introduction (792 vers sur les 2033 que comporte le poème)» (p. 194-95). Cette introduction, pour Desonay, c'est «une sorte de tumeur lyrique». Voilà beaucoup d'assertions péremptoires et bien peu d'arguments: dans cette discussion le souci d'évaluer a éclipsé le raisonnement. Tout bien considéré, on ne retiendra de ce débat que quelques formules heureuses.
2. SICILIANO
Jusqu'en 1939 les observations faites à propos de la composition du Lais et du Testament avaient été subordonnées à une réflexion plus générale sur les deux poèmes et leur auteur. Cette année-là est publiée la première étude entièrement consacrée à la composition du Testament; il s'agit de l'article de Siciliano, «Sur le Testament de François Villon», Romania, LXV. Le même auteur, dans son grand ouvrage François Villon et les thèmes poétiques du moyen-âge (Paris, 1933), avait déjà énoncé l'idée suivante : le Testament aurait été conçu dans des lieux différents et à des époques différentes, et, s'il est possible d'y reconnaître deux parties distinctes, une introduction personnelle et le testament proprement dit, la seconde aurait été créée avant la première.3 Dans un compte-rendu du livre, Mario Roques avait regretté que son auteur n'eût pas indiqué d'une façon détaillée comment il en était arrivé à cette conviction, et cette remarque a incité Siciliano a écrire son étude de 1939. Pour Siciliano - comme, par exemple, pour un J.-M. Bernard - la 3
«L'étude attentive de l'œuvre m'a amené non seulement à la conviction qu'elle a été composée en plusieurs lieux et à des époques différentes, mais aussi à la conviction que précisément l'Introduction est postérieure au véritable Testament, qui pour moi commence au vers 729 («Je congnois approcher ma seuf»), ou au vers 793 («Ou nom de Dieu, Père Eternel...»)» (Siciliano, 1934:451-52).
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fiction testamentaire, dans le Testament, n'est qu'accessoire; l'œuvre est une «anthologie littéraire», un «arrangement factice», où Villon a pu introduire des pièces antérieurement écrites, aussi bien qu'il a pu y ajouter des éléments créés ultérieurement.4 Si l'on admet généralement que le poème contient des ballades «intercalaires», pourquoi, se demande Siciliano, n'admettrait-on pas également que d'autres éléments, huitains ou groupes de huitains, y ont été incorporés ou ajoutés après coup? Il propose d'admettre que tel est effectivement le cas, et la proposition est sans aucun doute justifiée. Seulement, Siciliano ne s'arrête pas là; il croit reconnaître dans le texte des «soudures», des passages où, manifestement, des éléments textuels ont été insérés, et il fait de nombreuses suggestions à propos de la datation et de la localisation de leur création. Ainsi, par exemple, le huitain 102, dans lequel Villon dit à deux de ses légataires de prendre perdrix et pluvieurs chez la Machecoue, a dû être écrit, selon Siciliano, avant 1461 (la date que Villon a donné à son Testament), parce que, en cette année, la Machecoue était déjà morte. Et encore : Villon a dû être loin de Paris lorsqu'il écrivit le huitain 103, où il met au défi Robin de Turgis d'aller découvrir son logis. Si de pareilles considérations (son étude en comporte bien d'autres) amènent Siciliano à voir dans le Testament un poème composite, il ne le divise pas moins en deux parties se distinguant par leur ton : l'Introduction, confession personnelle, respire la vieillesse et la mort, tandis que la deuxième partie, la série des legs burlesques, respire la jeunesse et l'allégresse. A ces deux parties distinctes répondent deux âges, deux états d'esprit, du poète. La première partie, que Siciliano appelle «les Regrets», aurait été écrite après la seconde, par un Villon vieilli, malade et impotent, assagi et contrit; le poète s'y dit être le «povre Villon». La deuxième partie, le «testament burlesque» a été écrit par un Villon encore jeune et étourdi, le «bon follastre» s'entourant volontiers de filles de mauvaise vie et de «compaings de galle». Des considérations d'ordre psychologique viennent ici se mêler à celles d'ordre chronologique et elles prennent toute la place dans la conclusion de l'étude de Siciliano : il s'oppose à l'opinion de ceux qui soutiendraient que l'hémistiche «Je ris en pleurs» résume l'image psychologique de Villon; il se refuse à croire à la «double nature» du poète. Aux yeux de Siciliano celui-ci a créé les deux parties de son œuvre, la plaisante et la sérieuse, à des époques différentes, à des âges différents. 4 «A un moment donné il [Villon] fit l'inventaire de son bagage littéraire, il en tira les morceaux les meilleurs ou les plus célèbres(...). A ce moment-là Villon composait, d'après l'heureuse expression de M. Jeanroy (Oeuvres de François Villon [1934], p. XXXI), «sa propre anthologie»» (Siciliano, 1939:46).
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L'étude de Siciliano a provoqué quelques réactions, notamment de Grace Frank (1946), de Fox (1953, 1962), de Dufournet (1967) et de Rychner (1970), qui toutes réfutent un ou plusieurs de ses arguments, de telle sorte qu'il n'en reste guère un seul dont la faiblesse et le caractère conjectural n'aient été signalés. Sous le feu d'une artillerie savante l'argumentation de Siciliano s'est complètement effondrée. Grace Frank s'attaque surtout aux arguments d'ordre psychologique: rien ne prouve que Villon ait été un pécheur repenti; s'il se repent, ce n'est pas de ses forfaits, mais de son échec social - il regrette avant tout de ne pas avoir trouvé «couche molle».5 D'ailleurs, au milieu des réflexions sur la mort et la pauvreté, dans la partie «sérieuse», Villon ne cesse de plaisanter. De tels arguments enlèvent tout fondement à une bipartition psychologique du Testament.6 Fox et Dufournet ont surtout réfuté les arguments de Siciliano portant sur la datation et la localisation de certains fragments. Pour ce faire, ils utilisent, d'une façon générale, le même procédé : à telle ou telle hypothèse de Siciliano ils opposent une hypothèse non moins plausible, de sorte que l'argument perd toute force de preuve. Ainsi, par exemple, le huitain où il est question de la Machecoue n'est pas nécessairement antérieur à 1461 : il est possible que Villon n'ait pas été immédiatement au courant de sa mort (Fox), qu'il n'ait pas voulu laisser passer l'occasion de faire une bonne blague (Fox), que, la Machecoue morte, on ait continué à appeler sa boutique «chez la Machecoue (Dufournet). Et si Villon fait semblant d'être absent de Paris au moment d'énoncer son propos, ce peut bien être là une pure plaisanterie (Dufournet). Un autre exemple: Siciliano avait soutenu que dans le Testament burlesque Villon est entouré de ses «copains», dont, par contre, il regrette la disparition dans les Regrets. Mais, dit Fox, il n'est pas vraisemblable que les «gracieux gallans» des Regrets soient les mêmes que les «compaings de galle» du testament burlesque. Les premiers étaient sans doute les camarades d'étude de l'université de Paris, mais les seconds des «varletz et chamberieres», des «filles mignotes» des «cuidereaux d'amours transsis», etc., et il est peu probable que ce soient là d'anciens étudiants, car, note Fox, avec un humour bien britannique, «even in the fifteenth century study did not lead only to such ends, surely !» (1953: 313). Tous deux, Fox et Dufournet, 6 Tout le long de l'œuvre, dit Grace Frank, on trouve «a man who knew what was right but impenitently did what was wrong, a man who could jest at the pricks of conscience he ought to feel but did not feel, a man who regretted punishment rather than crime (...)» (1946:234). 6 «If the notion of a penitent Villon is abandoned, the essentiel psychological unity of the Testament becomes apparent» (Frank, 1946:233).
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jugent que Siciliano a tenu trop peu compte de l'aspect ironique du texte villonien et de son caractère fictionnel: avec quel droit prendre au sérieux tel ou tel passage chez un auteur qui aime à exagérer, possédant à merveille «l'art du mensonge» (Fox, 1953: 314)7, et dont il est difficile de prendre les propos pour argent comptant puisqu'on peut supposer que souvent il essaye «d'apitoyer ses lecteurs, de susciter leur indulgence» (Dufournet, 31). 8 7
L'expression est de Marcel Schwob. (Cité d'après Fox, 1953:314). L'argument le plus intéressant et certainement le plus original avancé contre les affirmations de Siciliano vient de Fox (1962). Cherchant à vérifier si la distinction de Siciliano entre une introduction sérieuse et une partie burlesque se laisse retrouver selon un critère formel, celui de la versification, il en arrive à la conclusion que, quand on considère la qualité de la rime, le Testament se distingue nettement du Lais, mais qu'il n'y a pas de parties distinctes à l'intérieur du Testament-. «A study of versification reveals close similarity between two parts of the Testament - if for the sake of argument we admit the existence of two parts - but a very considerable difference separating the Lais from both parts of the major work, from the second as much as from the first. The youthful exuberance of the Lais spills over into its rhymes, which throughout the poem are extremely rich» (1962:23). L'auteur précise: «Almost 30 per cent of the masculine rhymes [dans le Lais] are of the «léonines parfaites» (e.g. Villon : pavilion) and «léonines plus-que-parfaites» (e.g. Université : aversité) varieties ; the corresponding figure for the Testament is 12 per cent with no significant difference between the first and the second parts. 35.29 per cent of the feminine rhymes of the Lais are of the richest variety (e.g. grongniée : renfrongniée), 18.04 per cent only of the Testament, again with no significant difference between the two parts of the work. On the other hand, the poorest rhymes of all - the masculine «rimes assonantes» (e.g. blanc : banc) are not far from twice as common throughout the Testament as in the Lais, 15.74 per cent as against 9.89 per cent» (1962:23-24). (Remarquons, entre parenthèses, que l'auteur néglige de présenter, à propos de la rime pauvre, la contre-épreuve sur l'absence de distinction entre les deux parties du Testament.) Sans donner des chiffres, l'auteur constate encore que certains autres phénomènes tendent également à marquer «the unity of the Testament and the isolation of The Lais. In the earlier poem Villon deliberately pursues the longest masculine rhymes, more difficult to achieve than their feminine counterparts, whereas in the later one he is less interested in such rhyming exploits, just as he is less interested in farce purely for its own sake» (p. 24). 8
Si les observations de Fox sont exactes d'un point de vue statistique (il s'agit de vérifier et surtout de préciser), elles constituent des arguments convaincants: certaines caractéristiques formelles permettraient de distinguer nettement entre le Lais et l'ensemble du Testament, et n'offriraient aucune indication en faveur d'une division en deux parties du dernier texte. Des recherches sur le plan de la versification ne viendraient pas étayer l'hypothèse d'une pareille division et la laisseraient provisoirement pour ce qu'elle est: une spéculation. Il est, de plus, frappant que les différences de versification constatées coïncident avec une différence de date: on pourrait penser à l'existence d'un rapport entre ces deux faits et supposer que certains phénomènes formels qu'on constate dans un texte relèvent de l'époque où il a été conçu. On sait qu'à partir de cette hypothèse (certaines caractéristiques formelles seraient des «empreintes digitales» permettant d'identifier l'auteur d'un texte ou de le dater) des recherches intéressantes ont été faites, notamment par Fucks et Lauter (cf. par exemple Fucks und Lauter [1967], Lauter et Wickmann [1967], Fucks [1968], et Van den Boogaard [1967]) aussi. Par ses
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Il restait un argument de Siciliano, d'ordre plutôt stylistique, dont ni Frank, ni Fox, ni Dufournet ne s'étaient occupés; dans une étude profonde et scrupuleuse, Rychner (1970) se charge de sa réfutation. Il s'agit de l'argument de la «soudure facile». L'incipit de la plainte lyrique, appelée Regrets, le vers 89 (Or est vray qu'après plainz et pleurs), «permet», selon Siciliano, «de les placer n'importe où, sans besoin d'une soudure particulière» (1939: 72). Prenant à témoin des textes contemporains, Rychner démontre que la formule or est vray ... occupe dans un texte, qu'il soit littéraire ou non, une position bien précise (elle marque le passage du général au particulier) et que son emploi n'est donc pas arbitraire, ne permet pas une quelconque soudure. La discussion provoquée par l'étude de Siciliano est décevante. Certaines questions soulevées (Villon, à un âge plus avancé, a-t-il encore pu plaisanter? Étant à Paris, a-t-il pu ignorer ce qui s'y passait? etc.) sont d'une étonnante futilité. Bien souvent le fait qu'on parle d'un texte LITTÉRAIRE est perdu de vue. Et surtout : la discussion nous laisse sur notre faim, car, les arguments de Siciliano réfutés, ses conclusions ne sont pas remplacées par des suggestions plus pertinentes. Comment se fait-il que la discussion a été, grosso modo, infructueuse? Rappelons, à ce propos, qu'avant la publication de l'article de Siciliano, Cons (1936) avait déjà réagi aux suggestions faites par ce même auteur dans son livre de 1934. La contribution de Cons à la discussion aurait pu être importante, mais elle a été ignorée dans la suite, par Siciliano aussi bien que par ses critiques. Evaluant les considérations de Siciliano sur la datation du Testament, Cons (p. 130) lui reproche un «regard conjectural» et «une navigation hardie». 9 C'est une observation juste, et si l'on en avait observations, Fox a peut-être fait un premier pas dans la direction de pareilles recherches sur le Testament, recherchés qui pourraient éventuellement confirmer ou infirmer les hypothèses énoncées à propos de la datation des différentes parties du Testament. D'après cette première tentative d'application sur les poèmes de Villon d'une méthode de statistique littéraire, on peut provisoirement conclure que, si des phénomènes de versification semblent prouver que le Lais et le Testament ont été écrits à des dates différentes, rien n'indique que les éléments dont le Testament se compose ont été rédigés, eux aussi à des dates différentes. 9 Cons (1936) ne croit pas à une création postérieure de l'Introduction du Testament ; il se refuse même à la considérer comme une partie du texte qui, par son ton, se distinguerait nettement du reste : «L'interprétation du prologue du Testament comme signifiant un Villon qui aurait dépouillé le vieil homme - ou plutôt le jeune - ne nous parait pas s'imposer. D'abord il faudrait excepter de ce retournement moral les laisses haineuses par lesquelles s'ouvrent le poème. Et puis, dans le cours même de la première partie, il y a plus de vers qui ne marquent à aucun degré un divorce de ton et d'esprit avec la seconde» (p. 131-32). Cette prise de position est proche, comme on le voit, de celle de Grâce Frank. La critique à laquelle Cons soumet les conceptions de Siciliano
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tenu compte, o n aurait pu prévoir qu'une discussion qui prend son point de départ dans des conjectures s'enlise nécessairement dans l'invérifiable. Mais Cons fait plus; il signale que les problèmes de datation sont étrangers à celui de la composition : «On observera que le problème de la chronologie, la date de facture, demeure au fond indépendant du problème de l'unité» (p. 81). Il évite ici le m o t COMPOSITION et lui substitue celui d'UNITÉ. Sans doute a-t-il compris que le mot composition a l'inconvénient de désigner tout aussi bien «l'action de composer» que «le résultat de cette action». On peut admettre que cette polysémie d u m o t composition est à l'origine de la malencontreuse déviation où la discussion sur la composition des poèmes de Villon s'est engagée après l'intervention de Siciliano. Tout en s'intéressant au résultat de l'activité créatrice, on s'est posé des questions portant sur les circonstances dans lesquelles cette activité s'est déployée. Voilà ce qui explique le plus fondamentalement l'échec de l'entreprise de Siciliano. Cependant, on aurait tort de la considérer comme entièrement oiseuse. «We can learn from our mistakes», a dit Popper. 1 0 On peut tirer profit de
sur la composition du Testament n'empêchent pas qu'il témoigne de son admiration pour le livre du savant italien : «C'est un maître-livre» (p. 133). Signalons en outre, que Cons s'est occupé d'un aspect particulier de la composition du Testament, où il reconnaît des régularités de chronologie intérieure: «Qu'il y ait, dans la première tranche du Testament, c'est-à-dire les 79 premières laisses qui sont la longue introduction aux legs, un ordre de succession chronologique, cela ne fait guère de doute. Si on franchit l'évocation du présent immédiat, 1461, par laquelle Villon débute sous l'impression du mal que Thibaut d'Aussigny lui fait, on arrive à des événements suivis dans l'ordre du temps: les ancêtres et «l'extrace», le père, la mère, la jeunesse folle, les fausses amours... Vers la fin de cette première partie (laisse 73), le poète retourne à Thibaut qui est encore le présent, qui est la cause de sa mort ou du moins de sa moribonderie» (p. 139). Qu'une pareille chronologie interne se trouve dans la partie des legs ou non, cela ne se laisse plus vérifier: «Dans la seconde partie, la partie des legs, nous avons l'évocation des figures humaines qui ont jalonné la route de Villon. Ici nous ne saurions dire si ces personnages sont évoqués suivant leur ordre de parution dans la vie du poète, mais c'est peu probable» (p. 139). 10 Dans la préface à la première édition (1963) de Conjectures and Refutations, Popper note : «The essays and lectures of which this book is composed are variations upon one very simple theme - the thesis that we can learn from our mistakes. They develop a theory of knowledge and of its growth. It is a theory of reason that assigns to rational arguments the modest and yet important role of criticizing our often mistaken attemps to solve our problems. And it is a theory of experience that assigns to our observations the equally modest and equally important role of tests which may help us in the discovery of our mistakes. Though it stresses our fallibility it does not resign itself to scepticism, for it stresses the fact that knowledge can grow, and that science can progress - just because we can learn from our mistakes» (p. VII). Notons toutefois que Siciliano n'a pas été convaincu par les arguments avancés. Dans un livre récent (Siciliano, 1973), où il s'en prend à tous ses critiques - dont quel-
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s'être engagé dans un cul de sac, puisqu'on peut en tirer la conclusion que ce n'est pas dans cette direction-là qu'il faut chercher des issues. Les recherches de Siciliano et de ses critiques ont eu avant tout le mérite de montrer les pièges méthodologiques qui attendent ceux qui s'occupent de la composition du Lais et du Testament.
3. LES «STRUCTURALISTES»
Le mot structure ne présente pas l'ambiguïté sémantique du terme «composition»: qui dit «structure» ne désigne pas une activité créatrice. Cependant, son emploi soulève de nouveaux problèmes : De quoi parle-t-on en utilisant le terme «structure»? Le mot, dans l'esprit de ceux qui s'en servent, est-il synonyme du mot composition au sens de «produit d'une activité créatrice» ou a-t-il une signification différente? Afin de trouver des réponses à ces questions, il convient de considérer l'emploi qui en est fait dans des études portant sur la structure du Lais et du Testament, celles notamment de Weinert (1964), de Kuhn (1967) et Togeby (1970). Une distinction est à faire entre les entreprises de Weinert et de Togeby, d'une part, et celle Kuhn, d'autre part. Les pages où ce dernier se prononce sur la structure du Lais et du Testament s'intègrent dans une vaste étude sur la poétique de Villon. Les remarques sur la structure de l'œuvre s'éparpillent tout au long de l'étude de Kuhn et c'est à partir de passages épars que sa conception de la structure des poèmes de Villon se laisse reconstruire. Les études de Weinert et de Togeby n'ont d'autre objet que la structure des poèmes (celle de Weinert ne regarde que la structure du Testament). Leur objectif, plus restreint, est d'ordre didactique: des tableaux schématiques permettent de reconnaître un certain ordre dans le désordre apparent du texte. Weinert dit explicitement que son schéma est destiné à être un «aide-lecture» (Lesehilfe). La poétique de Villon, selon Kuhn, lui aurait été fournie par la philosophie de l'École de Chartres, et l'œuvre du poète aurait pour but de transmettre diverses vérités. Ainsi, le Testament est à considérer comme une œuvre didactique dans laquelle le poète invite ses lecteurs à devenir ques-uns ont été passés sous silence dans notre résumé de la discussion, qui ne veut donner que l'essentiel - , il reste sur ses positions. Une remarque faite à propos d'un problème spécifique (et futile) - Villon s'est-il senti vieilli sans être vieux? - montre que le savant italien se rend compte de l'impasse où le débat s'engage parfois: «Or le désaccord table sur le gratuit, s'amenuise, se réduit à de très simples hypothèses» (Sicilianô, 1973:148).
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comme lui ; Villon s'y compare avec le Christ : «le pauvre Villon est le Christ burlesque» (p. 458). Aussi son Testament est-il plus qu'un testament burlesque, le poème est également un testament au sens étymologique du mot: «Par son «testament» il prétend testifier de ce qui s'est passé» (p. 262). Par conséquent, c'est à deux niveaux différents qu'il s'agit, selon Kuhn, de discerner la structure de l'œuvre. Quand on la prend pour un testament au sens de «témoignage», on distingue deux parties, dont la seconde commence au huitain 85 : «Le Testament se déroule en deux temps. La première partie présente en termes dramatiques le passé d'un individu, la genèse de son poème, et une dialectique des valeurs dans les deux hiérarchies dont il est conscient. L'expérience de Mehun, et ce qui suit, a la fonction formelle d'enchâsser le poème dans la réalité extra-poétique. La deuxième partie du Testament est aussi explicitement un parler juridique qui vise au remaniement de tout un monde d'objets en désarroi» (p. 271). Lorsqu'on considère le texte comme un testament au sens de «acte juridique», on en arrive dit Kuhn, à la même division : «Cette forme possédait d'ordinaire une structure à deux temps. D'abord, une présentation du testateur, avec son état d'âme et sa condition matérielle, qui sont les justifications du document qu'il rédige. Ensuite, la disposition détaillée de ses biens, une série de gestes selon la loi et par la parole, qui donne chair et os à la «voulenté» du mourant, et qui opérera sans faute un réel règlement d'objets et de personnes, bien au-delà d'un règlement purement linguistique, voire conceptuel» (p. 276). Ces deux parties du Testament, qu'on peut distinguer d'après des critères différents, Kuhn les appelle «le volet sacré» et «le volet séculier» de l'œuvre. Kuhn attache une très grande importance à ce qu'il appelle les «raisons numérologiques» ; elles régiraient dans le détail les structures du Lais et du Testament, où l'on pourrait discerner d'étonnants systèmes, parallèles, symétriques, emboîtés, télescopiques, basés sur certains chiffres (par exemple sur les chiffres 3 et 5, et leur permutation [3 plus 5, 3 fois 5, 5 fois 8, etc.]). Il arrive, en effet, qu'une certaine régularité numérique se laisse reconnaître d'après un critère unique et assez bien défini. Tel est le cas dans la seconde partie de l'introduction du Testament. «La deuxième partie du premier volet du Testament», dit Kuhn, «se divise en deux sections, contenant chacune 23 strophes et trois pièces lyriques. Chaque section est subdivisée en un groupe de huit strophes, qui prépare et précède l'énoncé lyrique; ensuite un groupe de cinq strophes, qui fait transition avec deux groupes de cinq, liés par un seul trait de voix, qui constituent la discussion en illustratio de la proposition lyrique» (p. 282-283). A la vérification, cette assertion se trouve être consistante. Les
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trois ballades «Ubi sent?» sont effectivement introduites par 8 huitains, et il en est de même de la «Double ballade», suivie de quinze huitains qui la commentent. Avec de la bonne volonté on peut considérer les quinze huitains qui suivent les trois ballades «Ubi sunt?» comme un commentaire de cet «énoncé lyrique». Mais quel serait le critère unique et nettement défini qui permette, comme le veut Kuhn, de grouper très régulièrement par cinq les cent strophes constituant «l'héritage de Villon» dans le volet séculier? Lorsque Kuhn prétend que Villon a, consciemment, construit son œuvre entière à partir de «raisons numérologiques», il présente une pure conjecture que d'incidentelles régularités constatées ne suffisent pas à rendre plausible. Les études de Weinert et de Togeby ont ceci en commun qu'elles n'ont pour objet que la structure des textes de Villon, qu'elles sont toutes deux relativement succinctes et qu'elles aboutissent à l'établissement d'un tableau schématique représentant la structure traitée. Weinert est plus explicite sur ses présupposés et sur ses objectifs que Togeby. Le principe structurant fondamental, qui donne leur place aux éléments constitutifs et accordent une relative harmonie aux irrégularités formelles, est, selon l'opinion de Weinert, emprunté, comme le titre du Testament l'indique, aux constructions testamentaires telles qu'elles sont définies par des prescriptions juridiques et des habitudes religieuses. Ces prescriptions juridiques et habitudes religieuses conduisent à une tripartition : «Das Testament weist eine Präambel auf, in der nach frommer Sitte der Allerhöchste zum Äugen angerufen wird und die Erben aufgerufen werden; es enthält ferner eine grössere Zahl von Legaten, die den jeweils bedachten Empfangern ein bestimmtes Gut zuweisen, und endlich findet es seinen Ausklang mit der Regelung der Beisetzung, der Bevollmächtigung der Bürgen und Testamentsvollstrecker sowie einer Empfehlung des Erblassers an die Nachwelt» (p. 138). La tripartition répond en outre aux prescriptions de l'ancienne rhétorique, exigeant une partie centrale précédée d'un exorde et suivie d'une péroraison : «Jahrtausende Regeln der Redekunst verlangen eine Dreiteilung, die das Hauptstück (die Legate und Verfügungen) mit einer Einleitung (entsprechend dem Exordium einer Rede) und einem Schluss (gemäss der Peroratio) umgibt, an entscheidender Stelle, möglichst zu Beginn des Hauptteiles, einen Plan der wichtigsten Gesichspunkte (die Divisio) bekanntgibt und im übrigen Digressionen, Exkurse und Wiederholungen zulässt, wenn diese auf das Ganze bezogen bleiben und es bereichern» (p. 139). Togeby, lui, conclut également à une tripartition globale du Testament (et de même à une tripartition du Lais) sans, néanmoins, préciser selon quels critères il a fait cette division. Il
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n'indique pas non plus à quel dessein son tableau schématique est établi. Celui de Weinert, on l'a vu, est destiné à faciliter aux lecteurs non-initiés la compréhension du texte, de ses éléments isolés et de leur cohérence: «Villons Grosse Testament besitzt (...) eine Struktur, die eine kontinuierliche Lektüre nicht nur ermöglicht, sondern geradezu fordert, da sie den Teilen ihren Standort zuweist und die gehaltlichen wie formalen Diskrepanzen einer wenigstens relativen Harmonie zuordnet» (p. 138). Les deux schémas du Testament que proposent Weinert et Togeby sont les suivants (le schéma que Togeby a fait de la structure du Lais n'entre pas en considération, puisque Weinert ne s'est pas occupé de ce texte) : Weinert : Plan des «Grossen Testamentes» Prolog I. II.
Anklage gegen den Bischof von Orléans Dank und Gebet für Ludwig XI Erster Ansatz zum Testament: Str. 10 u. 11
1-6
7-11
Präludium Erstes Hauptstück: Meditationen I. II. III. IV. V.
Meditationen über das eigene Leben Exkurs über Alexander und Diomedes Meditation über die verspielte Jugend Meditation über Reichtum und Armut Erste Meditation über Vergänglichkeit und Tot Erste Ballade : Von den edeln Frauen Zweite Ballade : Von den edeln Herren Dritte Ballade : Von vergangnen Zeiten
12-16
17-21 22-29 30-36 37-46
Zweites Hauptstück: Satiren I. II. III.
Klagen der schönen Helmschmiedin Vierte Ballade : An die Mädchen Satire auf die Frauen Fünfte Ballade : Über die Liebestorheit Anklage gegen die treulose Geliebte
47-56 57-64 65-70
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Einleitung zum Testament I. II. III.
Todesahnung Erinnerung an das «Kleine Testament» Abfassung des Testamentes
71-74 75-77 78-79
Das Testament a) Religiöse Präambel Exkurs über die Hölle
80-84
b) Vermächtnisse I. II.
Erste legate : Seele, Leib und Bücher Legat für die Mutter Sechste Ballade : Gebut zur Muttergottes III. Legat für die Geliebte Siebte Ballade : An die Treulose IV. Legat für Ythier Marchant Erstes Rondeau : Über den Tod V. Verschiedene Legate an Weltliche VI. Verschiedene Legate an Geistliche VII. Legat an Jean Cotard Achte Ballade : Gebet für den Anwalt VIII. Vermischte Legate IX. Legat für Robert d'Estouteville Neunte Ballade: An Ambroise de Loré X. Legat für die Köche Zehnte Ballade: Über die Verleumderzungen XI. Legat für Andry Couraud XII. Legat für Mademoiselle de Bruyère Zwölfte Ballade : Von den Frauen von Paris XIII. Vermischte Legate XIV. Legat für Margot Dreizehnte Ballade : Von der Hurenliebe XV. Vermischte Legate XVI. Legat für die Vagabunden Lehre an die «verlorenen Söhne» : Str. 156-58 Vierzehnte Ballade : Über schlechten Lebenswandel XVII. Legate für die Blinden und die Toten
85-88 89 90-93 94 95-115 116-24 125 126-38 139 140-41 142-43 144 145-49 150 151-54 155-59
160-65
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XVIII. Legat für Jaquet Cardon Zweites Rondeau: Über die Wiederkehr XIX. Letzte Legate
166 167-72
c) Letzter Wille I. II. III. IV.
Testamentsvollmacht an Jean de Calais Beisetzwünsche «Epitaph» mit drittem Rondeau : über die ewige Ruhe Testamentsvollstreckung Bitte um Vergebung Fünfzehnte Ballade : Über das Erbarmen
173-75 176-79 180-86
Epilog Worte des Leichenbitters Sechzehnte Ballade : Villons Abschied von der Welt Togeby: Structure du Testament I.
Introduction: strophes 1-84 1. datation du testament: bilan de sa trentième année (1-37) 1° la prison de Meung (1-11) a. Thibault d'Aussigny (1-6) b. Charles VII (7-11) 2° a. b. c. d.
sa vie passée (12-37) confession des péchés (12-16) Alexandre et Diomède (17-21) regrets de la jeunesse (22-33) la pauvreté (34-37)
2. cause de l'établissement du testament (38-72) 1° la mort (38-42) 2° la décadence (43-57) 3° les malheurs de l'amour (58-72) 3. transition (73-84) 1° Thibault d'Aussigny (73-74)
+ 3 ballades + 1 ballade + 1 ballade
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2° Le Lais (75-78) 3° Firmin (79) 4° prière (80-84) II.
Distribution des legs: strophes 85-172 1. les intimes (85-94)
+ 3 poèmes
2. les forces de la société (95-143) 1° l'engrenage judiciaire (95-125) a. les hommes de la justice séculaire (95-114) b. les hommes de la justice ecclésiastique + 1 ballade (115-25) 2° les hommes riches (126-37) + 3 ballades 3° les «protecteurs» (138-43) 3. les pauvres malheureux (144-72) 1° filles et souteneurs (144-52) 2° la maladie et la mort 3° les amants martyrs (168-72) III.
+ 2 ballades + 2 poèmes
Conclusion: strophes 173-86 1. interprétation du testament (173-75) 2. l'enterrement (175-80)
+ 1 rondeau
3. exécuteurs du testament (181-86)
+ 2 ballades
Quand on compare les deux schémas, on constate qu'ils offrent des ressemblances globales. Dans les deux cas il y a tripartition du texte entier, tripartition aussi de l'introduction et de la partie centrale, et certains petits ensembles textuels sont groupés de la même façon: l'accusation contre Thibault (h. 1-6), le remerciement de Louis XI - ou Charles VII? - (h. 7-11), la confession des péchés - ou méditation sur la vie passée? - (h. 12-16), la digression sur Alexandre et Diomède (h. 17-21), etc. Il y a cependant aussi de nombreuses différences de détail. Dans les deux schémas, la césure entre l'introduction et la partie centrale n'intervient pas
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au même endroit: pour Weinert l'introduction se termine après le huitain 79, pour Togeby après le huitain 84. Le premier incorpore dans la partie centrale les huitains 80 à 84 («Exkurs über die Hölle»), que Togeby - en les appelant «prière» - intègre dans l'introduction. Le décalage est encore plus net quand il s'agit de la transition entre la partie centrale et la conclusion, qui pour Togeby se fait après le huitain 172, pour Weinert sensiblement plus tard, après la «Ballade de Mercy». La catégorisation des legs dans les deux tableaux offre l'image de la discordance la plus complète: là où Togeby croit pouvoir les distinguer, d'après la nature des légataires (leur relation avec le testateur, leur état social), en trois groupes principaux - les intimes, les forces de la société, les pauvres malheureux - , Weinert renonce à les grouper selon un critère précis: il les distingue tantôt selon les noms propres des légataires, tantôt selon la qualité sociale des légataires («Geistliche», «Köche», etc.), tantôt selon la nature des biens légués («Seele, Leib und Bücher»), mais il en groupe aussi un grand nombre ensemble sous le titre passe-partout de «Vermischte Legate». Les tentatives de Weinert et de Togeby appellent un grand nombre de questions. Ainsi, par exemple, on se demande comment il se fait que, ni dans l'un ni dans l'autre tableau, on ne retrouve comme telle la belle digression sur le cimetière des Innocents, mais qu'il faut la deviner sous les chapitres «Legate für die Blinden und Toten» et «la maladie et la mort». A Weinert on aimerait demander pourquoi il considère que le pressentiment de la mort («Todesahnung») se limite aux huitains 71 à 74, à Togeby s'il croit vraiment que les légataires du huitain 138 sont des «hommes riches». Ce ne sont là que quelques exemples. Toutes ces questions mériteraient d'être discutées, et ce n'est pas le moindre intérêt des entreprises de Weinert et de Togeby que de les soulever. Cependant, ce n'est pas ici le lieu d'entamer une pareille discussion. Ce qui, dans le cadre de la présente étude, nous intéresse, c'est de savoir comment les décalages et différences signalés peuvent se produire dans deux tentatives similaires. Aurait-on pu s'attendre à ce que Weinert et Togeby en arrivent à des articulations et à des catégorisations identiques? La réponse à cette question est affirmative, car, si Weinert dit explicitement que c'est la structure du testament réel qui préside à son classement, le schéma de Togeby a, lui aussi, été établi en fonction de la fiction testamentaire. Les différences dans les deux tableaux ne sauraient donc être que la conséquence d'un manque de précision ou du caractère trop implicite des critères d'après lesquels la classification est faite. Togeby, en effet, observe un silence complet sur les critères qui l'ont amené à faire son articulation
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du texte, telle qu'il la présente. Et Weinert, bien qu'il affirme que le Testament se laisse diviser en trois parties d'après l'exemple des prescriptions juridiques exigeant la tripartition, reste, en se limitant à cette constation, trop vague pour pouvoir expliquer pourquoi, par exemple, «la digression sur l'enfer» s'intègre dans la partie centrale et non pas dans l'introduction. En l'absence de critères explicités et précisés, dépendant de présupposés nettement circonscrits, des tentatives comme celles de Togeby et Weinert aboutissent à des résultats qui doivent trop à l'intuition pour pouvoir servir de point de départ à une discussion fructueuse. Il reste à trouver une réponse aux questions posées au début de ce paragraphe : Kuhn, Togeby et Weinert, de quoi parlent-ils, quand ils se servent du mot «structure»? Le terme est-il, oui ou non, synonyme de «composition»? Aucun des trois auteurs ne définit la notion, ni ne précise pourquoi il s'en sert au lieu du mot «composition». Au contraire, chez Kuhn et chez Togeby, on constate qu'ils remplacent parfois le mot «structure» par «composition», sans qu'il y ait changement de signification.11 La notion de «composition», on le sait, est associée à celle d'un plan préexistant, préétabli par l'auteur (voir ci-dessus la remarque de Desonay [p. 13]). Or, Kuhn admet que la structure qu'il discerne dans le Lais et dans le Testament est celle que Villon leur a donnée intentionnellement, et Togeby, lui aussi, paraît supposer la même chose. De même Weinert, en présentant son «plan» du Testament, semble admettre implicitement que ce plan a été préconçu sciemment par Villon. Tous les trois, Kuhn, Togeby et Weinert, ne distinguent donc pas nettement entre «composition» et «structure», et on peut avoir l'impression que s'ils se servent de ce dernier mot plutôt que du premier, ils obéissent ou bien à une certaine mode qui en a généralisé l'emploi ou bien à un besoin d'éviter l'ambiguïté sémantique, signalée ci-dessus, qu'entraîne presque inévitablement l'emploi du mot «composition». Car - il est intéressant de le signaler - leurs études sont exemptes des éléments accessoires qu'on trouve dans les études antérieures sur la composition ; à rencontre de celles-ci, elles ne s'étendent pas sur des questions de datation, de localisation ou de psychologie. L'utilisation de la notion de «structure» a l'avantage de rendre moins confuse la discussion sur la composition. Cependant, les études de Kuhn, de Weinert et de Togeby ne permettent pas de préciser quel est le sens donné au mot 11
Par exemple: «Une continuité parfaite relie l'avènement du Christ à la composition d'une poésie (le Testament)» (Kuhn, 1967:234); «La composition du testament a été liée par cette volonté de Villon d'y renommer tous ses légataires du Lais» (Togeby, 1970:319).
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structure, ni en quoi ce terme ne serait pas synonyme de composition au sens de «résultat de l'action de composer». Que des recherches sur «la structure» des deux poèmes de Villon tendent à remplacer les études sur «la composition» des deux textes, cela n'a rien d'étonnant à une époque où la notion de «structure» a été élaborée, définie, divulguée par des disciplines telles que la linguistique et l'anthropologie culturelle. On sait que la linguistique surtout - qu'on pense à l'école de Prague ou à l'école de Copenhague - a fondé sur la notion de «structure» une méthodologie importante. Dans les études de Kuhn, Weinert et Togeby on ne trouve guère de traces de cet acquis méthodologique; on y cherche en vain quelque référence à ce qui est le propre de l'analyse structurale, à ce qui la distingue des recherches traditionnelles qui n'avaient pas encore intégré la notion de «structure» dans leur outillage conceptuel. Et ce qui concerne Togeby surtout cela peut paraître surprenant, mais on peut admettre que sa brève étude a été écrite dans un but avant tout pédagogique : probablement le souci méthodologique a été sacrifié au besoin d'établir une sorte d'«aide-lecture».
4. LE BILAN
Quand on considère les éléments de la discussion, telle qu'elle a été conduite jusqu'ici, on est frappé par le caractère contradictoire des conclusions (le Testament, qui est une «œuvre décousue» aux yeux des uns, est un poème «fort solidement construit et très logiquement ordonné» pour les autres) et par la variété surprenante des questions soulevées, questions de chronologie (Villon a-t-il écrit les «regrets» avant le «testament burlesque»?), de localisation (était-il à Paris en faisant telle strophe?), de psychologie (a-t-il été un pécheur contrit?), de création littéraire (a-t-il écrit telle ballade exprès pour l'insérer dans le Testament?). On est amené à se poser la question : comment est-il possible que, en face du problème de la composition du Lais et du Testament, problème relativement limité, les chercheurs en soient venus à des approches et à des solutions si diverses? Nous chercherons à trouver une réponse à cette question avant d'entreprendre une nouvelle étude sur la structure des testament de Villon. Les principales causes de l'imbroglio sont, nous semble-t-il, du nombre de trois. La première consiste dans une certaine hésitation concernant l'objectif des recherches, hésitation qui résulte sans doute de l'ambiguïté signalée
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des mots «composition» et «structure». La seconde cause est l'introdution dans la discussion de problèmes accessoires, qui sont, au fond, extralittéraires et étrangers au problème structural proprement dit. La troisième, c'est le caractère implicite ou trop vague des critères selon lesquels les analyses ont été faites. Or, ces critères sont choisis en fonction d'une vue générale que le chercheur a sur l'œuvre entière. Leur sélection a un rapport étroit avec le choix de ce qu'un pourrait appeler l'ensemble phénoménal à étudier. Quand cet ensemble n'est pas précisé, les critères sont forcément trop vagues. Ces trois causes différentes de la confusion à laquelle ont conduit les recherches sur la composition du Lais et du Testament sont interdépendantes. L'imprécision concernant l'objectif de la recherche, la confusion terminologique conduiront presque nécessairement à l'introduction dans la discussion de problèmes accessoires; l'inverse peut également se produire. De même, l'hésitation sur les objectifs entraînera un flottement dans les critères choisis.
5. COMPOSITION ET STRUCTURE
On peut admettre qu'étudier la composition d'un texte, c'est chercher à y reconnaître un certain ordre que l'auteur a voulu y introduire. Cet ordre est le reflet du plan selon lequel l'auteur aurait «construit», «arrangé», «composé» son œuvre, selon lequel il aurait donné à chaque élément textuel sa place propre dans l'ensemble. Cette acception de la notion de «composition» se reflète dans des remarques faites par Petit de Julleville, pour qui le Testament est une œuvre manquant de composition, parce que «Villon l'a commencée sans savoir où elle le conduirait»; par J.-M. Bernard, qui considère le Testament comme «fort solidement construit et très logiquement ordonné»; par Thuasne, qui parle d'une «œuvre parfaitement composée, où rien n'est laissé au hasard»; par Desonay, qui affirme que «rien n'est moins «composé» que le Lais, que le Testament, si la composition suppose un plan préétabli»; par Siciliano, qui signale «l'arrangement factice» des éléments du Testament-, par Kuhn aussi, lorsqu'il prétend que Villon a construit son œuvre à partir de raisons numérologiques. La notion de «composition» est donc liée à celle d'«intentionnalité», et les études sur la composition sont des tentatives pour retrouver une intention, une volonté de l'auteur. Cette intention pourrait être connue, au cas hypothétique où l'auteur se serait prononcé lui-même sur le plan qu'il avait établi avant la rédaction de son texte, ou au cas
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où il l'aurait publié. On le sait, tel n'est pas le cas de Villon, de sorte que, à propos de l'intention qui a pu préexister à son œuvre, on n'en arrive forcément qu'à des suppositions qui sont plus ou moins plausibles, mais jamais vérifiables. Il se peut que dans un ensemble textuel l'intention de l'auteur soit manifeste, mais également - comme dans le cas de Villon qu'elle ne le soit pas du tout: Thuasne, qui croit dur comme fer à un «plan mûri, arrêté dès le début» parle toutefois des «intentions secrètes» de Villon, et même Togeby, qui arrive à établir un tableau schématique du Lais et du Testament, évoque la difficulté de «dégager l'architecture secrète» de l'œuvre (1970: 317). Mais, malgré cette difficulté indiscutable, l'objectif des recherches sur la composition des poèmes de Villon est de tirer au clair l'intention secrète, la volonté inavouée, le plan inconnu, le dessein caché, qui sont à la base du texte tel que nous le connaissons. De par son objectif même l'étude de la composition a donc un handicap considérable : en l'absence de données fournies par l'auteur lui-même, elle ne saurait aboutir qu'à une hypothèse invérifiable. Cela n'est pas grave, quand il s'agit d'un texte qui trahit le plan préexistant, mais c'est un inconvénient, lorsque le texte le cache derrière des apparences chaotiques (quoique, bien entendu, il soit plus fascinant de découvrir l'ordre dans le désordre que dans une belle symétrie toute classique). Car plus l'intention de l'auteur est cachée, plus le résultat de la recherche sur la composition est discutable : il n'est guère plus qu'un échafaudage d'hypothèses. De plus, certains facteurs peuvent faire dévier l'étude de la composition de son objectif principal. La polysémie du mot composition risque de mettre le chercheur sur la voie de l'activité créatrice elle-même et des circonstances qui l'accompagnent (date, lieu, etc.) et peut lui faire oublier, entièrement ou partiellement, que sa recherche portait sur le résultat de cette activité, le plan préconçu. Combien ce risque est réel, cela se manifeste surtout dans l'étude de Siciliano et la discussion qu'elle a entraînée; mais n'oublions pas que, bien avant Siciliano et ses critiques, Campaux et Gaston Paris s'étaient déjà posé la question de la datation et de la localisation des éléments constitutifs du Testament. Le changement d'objectif n'est pas uniquement le résultat de cette double signification du mot composition. En s'intéressant au plan préexistant à l'œuvre, on en vient facilement à s'intéresser à la nature du talent préexistant à l'établissement du plan; témoin la remarque de Bijvanck, qui hésite à segmenter trop nettement le Lais, parce que «ce serait reconnaître trop de suite au talent de Villon». C'est que l'étude de la composition, au-delà du plan, vise le pouvoir créateur du poète : évaluer l'ordre discernable dans l'œuvre, c'est évaluer le talent de Villon, et, si Bernard et Thuasne se sont faits les
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champions de la rigoureuse composition du Testament, c'est qu'ils ont voulu prendre la défense du talent de Villon, que Petit de Julleville, à leurs yeux, avait déprécié à tort en le disant l'auteur d'une «œuvre décousue». Mais, si l'étude de la composition glisse vers une discussion sur le talent du poète, elle conduit à des affirmations ressemblant aux pseudoarguments qu'utilise une critique d'humeur. 12 Tous ces pièges peuvent être évités si l'on renonce à reconnaître dans le texte un ordre qui s'y présenterait en fonction d'une intention, cachée ou non, de son auteur. Il est possible que le chercheur introduise un certain ordre dans le désordre apparent qu'offre le texte sans prétendre, en ce faisant, reconstruire le plan qui a dû être arrêté par l'auteur avant la rédaction de l'œuvre. L'analyse structurale est une pareille opération ; la structure du texte étant l'ordre que le chercheur discerne dans le texte en dehors de toute référence à une éventuelle volonté de l'auteur. Définie ainsi, la notion de «structure» se distingue nettement de celle de «composition»; le risque de les prendre l'une pour l'autre dans des significations identiques ou similaires peut ainsi être éliminé. Comme la notion de «structure» n'implique pas une intentionnalité (de la part de l'auteur), l'analyse structurale ne cherche pas à émettre d'hypothèse concernant le plan qui aurait préexisté à la création de l'œuvre, mais qu'elle produit une construction théorique dépendante exclusivement des points de départ que le chercheur, à la recherche d'un certain ordre, s'est choisi. Et comme ces points de départ peuvent être multiples, il est, au fond, incorrect de parler de LA structure d'un texte, puisqu'un nombre indéterminé de structures peuvent y être discernées. La structure d'un 12
A ce propos il est amusant de voir comment, dès le XVIe siècle, une sorte de «critique d'humeur» en est arrivé à énoncer des opinions diamétralement opposées. Henry Estienne (1566) voit en Villon «un des plus éloquens de ce temps-là» (II, p. 28). Du Verdier (1585) note : «Je m'émerveille que Marot a osé louer un si goffe ouvrier & ouvrage & faire cas de ce qui ne vaut rien» (III, p. 688). Au XVIIe siècle les critiques sont unanimes pour juger favorablement notre auteur. Ainsi Patru remarque: «Je n'en trouve point d'exemple dans Villon qui pour la langue a eu le goût aussi fin qu'on pouvoit l'avoir en son siècle»(Remarquessur Vaugelas ± 1650, cité d'après Cons, 1936:32). Le témoignage le plus célèbre est - on le sait - celui de Boileau (Art poétique, v. 117-18): Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers, Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers. A propos de ces vers, Cons (1936:33) suggère : «C'est Patru qui a probablement soufflé à l'oreille de Boileau l'idée de mentionner Villon dans son Art poétique», et il se pose la question : «Mais Boileau l'a-t-il lu?» Citons encore Du Cerceau, qui, dans son introduction à l'édition Coustelier de 1723, se déclare persuadé que La Fontaine «pour la gentillesse et la naïveté, (...) en avait plus appris de lui [Villon] que de Marot même» (p. 11).
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texte, c'est toujours telle ou telle structure, décrite en fonction de tel ou tel présupposé sous-entendu. Les tentatives faites par Gaston Paris, Weinert et Togeby de catégoriser les legs burlesques du Testament offrent un bon exemple de la diversité des structures discernables dans le même corpus textuel. (Remarquons, entre parenthèses, que c'est peut-être Gaston Paris qui est le plus «structuraliste» des trois, parce qu'il ne donne nullement à entendre que la classification qu'il propose est voulue comme telle par l'auteur; Togeby est moins «structuraliste», puisqu'il fait coïncider sa catégorisation avec une segmentation linéaire du texte, suggérant ainsi qu'il a tracé «une architecture secrète» et intentionnelle.) Gaston Paris groupe les biens légués selon leur nature : enseignes, prétendues richesses, legs abstraits, legs littéraires (vers insérés). Weinert articula le texte selon des critères variés, tantôt selon la nature des biens légués («Seele, Leib, Biicher»), tantôt selon l'état social des légataires («Verschiedene Legate an Geistliche»). Le classement de Togeby repose sur la nature des légataires, mais le critère qui les départage est quelque peu flottant: ils sont distingués par leur état social («les hommes de la justice séculaire», etc.), mais aussi par la relation qu'ils ont avec le testateur («les intimes»). Et que penser d'une catégorie indiquée par les termes «la maladie et la mort»? Le critère n'est-il pas là plutôt thématique? Uhe catégorisation des legs est impliquée aussi dans l'admirable définition, succincte et quasiment complète, qu'a donnée Champion dans son Histoire poétique du XVe siècle, 2 vols (Paris, 1923): «C'est un assez long soliloque, parodiant la forme d'un testament réel, dans lequel le poète, obsédé par l'idée de la mort, nous fait une sorte de confession, laisse des dons fictifs et ironiques à des gens qu'il connaît en fait ou de réputation, des dons poétiques aussi, compositions antérieures qu'il enchâssa dans son Testament» (II p. 108). Selon cette définition deux structures se discernant dans la série des legs fictifs et ironiques: les biens légués sont des dons poétiques ou des dons non-poétiques, les légataires sont des gens que Villon connaît en fait ou de réputation. Comme on le voit, la série des legs du Testament n'a pas une structure unique, mais elle en a plusieurs, dépendant du point de départ choisi pour permettre leur classement. Il est clair que d'autres présupposés sont concevables et que, par conséquent, d'autres structures sont imaginables. Cependant, toutes les structures imaginables, tous les présupposés concevables ne sont pas équivalents, quand on admet que le but de l'analyse structurale est l'introduction, dans le désordre apparent du texte, d'un ordre EXPLICATIF. Les legs du Testament pourraient être catégorisés selon les initiales des légataires ou le nombre d'adjectifs que
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les éléments textuels comportent, mais on ne voit pas quelle serait l'utilité d'un pareil classement. Car, bien entendu, la classification n'est pas un but en soi: elle vise à une certaine compréhension du phénomène littéraire, et c'est dans cette perspective que les points de départ seront choisis. Si l'étude de la composition s'oriente vers une compréhension du travail créateur de l'auteur, la recherche structurale s'oriente vers l'interprétation par le lecteur, et finalement peut-être vers son appréciation esthétique. Une importante différence entre les deux entreprises, c'est que l'étude de la composition est empirico-inductive - elle prend son départ dans l'observation des faits, dans notre cas surtout des données textuelles, pour arriver à un résultat hypothétique, plus ou moins plausible - , tandis que l'analyse structurale est hypothético-déductive - elle prend son départ dans une hypothèse ou ensemble d'hypothèses confrontées ensuite avec les données textuelles pour aboutir à un résultat falsifiable. C'est le principal avantage de l'analyse structurale que de permettre cette falsification finale et, par conséquent, une discussion sérieuse de ses résultats. Elle a aussi ses inconvénients, dont certes le manque d'élégance de sa démarche laborieuse (le lecteur de la présente étude ne laissera pas de la constater). Les deux entreprises ont aussi des points communs et qui sont d'importance : toutes deux elles cherchent un ordre là où il n'y en a pas à première vue, et toutes deux elles n'ont à leur disposition (du moins c'est le cas dans l'étude de l'œuvre villonienne) que les seules données offertes par le texte.13 Sans ces points de contact, la confusion dans l'emploi des termes «composition» et «structure» n'auraient pu se produire. Il nous paraît que les deux entreprises sont également légitimes. Seulement, beaucoup de problèmes auraient pu être écartés comme non-avenus si, dans les recherches dont il a été question ci-dessus, les points de départ et les objectifs avaient été explicités, si lest ermes «composition» et «struc13
La plus importante des caractéristiques communes de l'étude de la composition et de l'analyse structurale est peut-être l'attitude mentale qui commande à leur mise en marche: toutes deux ne sauraient démarrer que sur un acte de foi. «On peut analyser le Grant Testament», a noté Petit de Julleville (1896:389), «mais cette étude inutile sert à montrer seulement que l'œuvre n'est pas plus composée, à vrai dire, que Namoura d'Alfred de Musset». L'étude de la composition serait inutile, et ne mériterait pas d'être entreprise, si, par avance, on est, comme Petit de Julleville, convaincu que ce que cette étude chreche ne sera pas trouvé. Pour chercher, il faut croire à la possibilité de trouver ce qu'on cherche. Au départ de l'étude de la composition d'une œuvre, il y a cet acte de foi: l'œuvre est effectivement «composée», elle dérive d'un plan préconçu. L'étude vise à préciser autant que possible quel a été ce plan, dont on devine l'existence. De même, l'analyse structurale ne saurait être entreprise sans un acte de foi semblable ; il s'agit notamment d'admettre que les phénomènes textuels à étudier forment un système, de supposer qu'ils ont des relations dont il est possible de rendre compte. Sans ce présupposé tacitement admis, l'analyse n'a pas de sens.
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ture» (ce dernier bien entendu, à partir du moment où il pouvait être utilisé par rapport à l'œuvre de Villon) avaient été définis avec quelque précision. Le double emploi de la notion de «composition» aurait pu être constaté, mais aussi les glissements de signification qui ont eu lieu dans celui des mots composition et structure. Comme on l'a vu, ceux qui se sont servis du deuxième - Weinert, Togeby et surtout Kuhn - l'ont fait dans une acception très proche de celle du premier mot, mais il est arrivé aussi qu'un Gaston Paris, en faisant abstraction d'une éventuelle intention de l'auteur, a fait une analyse structurale avant la lettre. La discussion sur la composition ou la structure du Lais et du Testament aurait gagné en clarté si les concepts utilisés avaient été définis avec plus de précision.
6. LES PROBLÈMES ACCESSOIRES
L'étude de la composition d'un texte conduit facilement et souvent imperceptiblement à des problèmes accessoires, qui sont, au fond, étrangers au problème qu'on s'était posé. Nous avons déjà signalé le rôle que joue la polysémie du mot composition. La signification secondaire «action de composer» fait entrer en ligne de compte des considérations historisantes (datation, localisation) dont l'intérêt est tout relatif, si l'on prend ce mot au sens de «produit de l'action de composer». De même, on s'écarte du problème central en se posant des questions portant sur les desseins qu'a pu avoir l'auteur en créant son œuvre. Une question analogue est celle de savoir si une certaine ballade a été écrite exprès ou non pour être insérée dans l'ensemble textuel (voir ci-dessus p. 14) ou celle de savoir dans quelle intention Villon a pu avoir composé tel ou tel fragment. Un autre exemple : les commentateurs sont presque unanimement d'accord pour soutenir que Villon a écrit son Lais pour que le poème puisse servir d'alibi. S'il y déclare quitter Paris à cause d'un chagrin d'amour, il cache le véritable motif de son départ, sa complicité au vol du collège de Navarre. Ce sont surtout Fox et Dufournet qui affirment que chaque passage, dans le Testament, doit son existence, d'une façon comparable, à quelque événement dans la vie privée du poète, à quelque «fait-divers» extra-littéraire.14 Même le «structuraliste» Togeby termine son exposé sur cette assertion : «(...) le Lais et le Testament ne sont donc pas irréductiblement des structures poétiques, mais aussi des poésies de circonstances, comme l'est au 14
Par exemple: «Comme l'ont bien montré J. Fox et H. Lang, les œuvres les plus longues de Villon répondaient à un certain dessein, et étaient liées à l'origine à une situation concrète» (Dufournet, 1967:1, 35).
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f o n d tout ce qu'a écrit Villon» (1970: 322). Que cela soit vrai ou non, il ne s'agit pas d'en discuter ici ; ce qu'il importe de constater, c'est que, par rapport au problème de la structure des poèmes, la question est accessoire. Le problème accessoire qui supplante peut-être le plus souvent celui qui devrait occuper la place centrale dans l'étude de la composition o u de la structure, c'est le problème biographique. Si, d'une façon générale, l'intérêt porté à la biographie de l'auteur risque d'étouffer l'intérêt pour ce qui devrait occuper la première place, l'étude du texte même, ce risque est sans aucun doute extrêmement grand dans le cas de Villon. Il y a pour cela deux importantes raisons. La première est la suivante: o n ne sait presque rien de Villon, l'homme, l'auteur. Pendant quatre siècles, après la parution de l'œuvre de Villon, o n n'a disposé à son sujet que de quelques références vaguement «mythologiques» dans des ouvrages tels que les Repues franches, o u chez Rabelais, 1 5 et l'idée qu'on se faisait du personnage se fondait sur une légende plutôt que sur une réalité historique. 1 6 En 15
Thuasne (1911:105) suppose que «Rabelais connaissait bien Villon. On peut assurer qu'il en avait fait une étude assidue, et l'on voit par l'examen attentif de son roman jusqu'à quel point il s'était assimilé ses procédés, tout en les accomodant à son goût propre.» Les arguments que Thuasne allègue en faveur de cette opinion ne sont pas toujours convaincants. Certains parallélismes qui se laissent distinguer entre les deux œuvres peuvent être le résultat d'autre chose que d'une «étude assidue»: transmission de bribes de texte par des tiers, fonds linguistique commun, etc. Thuasne en a conscience quand, en constatant que la locution «Car la dance vient de la pance» (T 200) revient chez Rabelais sous une forme presque identique [«Mais de la panse vient la danse» (I, p. 32)], il note que «Villon n'avait fait là que citer un proverbe courant» (p. 118). Ce proverbe se retrouve en effet dans un recueil de proverbes de Miélot de 1456. D'autres ressemblances entre Villon et Rabelais, si elles ne sont pas l'effet du hasard, s'expliqueraient peutêtre par un pareil appel à un fonds linguistique commun, si nous étions capable de le retrouver. Il ne semble pas improbable que certains mots de Villon qui seraient de son invention soient, déjà avant Rabelais, passés à l'état de proverbe. Ainsi, le fait que Rabelais écrit (II, p. 14) «Mais où sont les neiges d'antan?» ne prouve pas nécessairement que Rabelais ait lu Villon, même s'il ajoute: «C'estoit le plus grand soucy qu'eust Villon, le poete parisien.» 18 On sait que Rabelais a intégré dans son Pantagruel deux anecdotes sur un Villon légendaire, qui apparaît d'ailleurs encore dans plusieurs textes: le Testament de Ragot, La vie et trespassement de Caillette, Les Motz dorez du grand et sage Caton, La légende de Maistre Pierre Faifeu. A quel point la légende de Villon, tout au long du siècle, a dû être présente aux esprits, est prouvé par le titre d'un pamphlet, anonyme, publié à Paris en 1584: «Avertissement, antidote & remède contre les piperies des pipeurs, auquel sont deduictz les traictz & finesse de un nommé Anthoine d'Anthenay, lequel, outrepassant les finesses de Villon, Pathelin, Ragot & autres infinitz affronteurs, a emporté cent mil escus & plus». Etienne Pasquier (1665) confirme l'existence de cette légende, en notant dans Les Recherches de France (p. 751-52): «(...) la postérité a nommé un Villon, celuy qui eshontément se meslait du mestier de trompeur, dont aussi nous fismes Villonner & Villonnerie».
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1872, Longnon publie son Étude biographique sur François Villon, où il donne le texte de deux lettres de rémission traitant de la même affaire, du meurtre du prêtre Sermoise ou Chermoye. Dans l'une de ces lettres le meurtrier s'appelle François des Loges, autrement dit de Villon. Dans l'autre il se nomme Françoys de Monterbier. Or, dans un registre des procureurs de la nation de France pour la Faculté des Arts, nous rencontrons à plusieurs reprises le nom de Dominus Franciscus de Montcorbier. On admet qu'il s'agit là de l'auteur du Lais et du Testament, puisque celui qui y dit «je» est nommé Villon. Et c'est là précisément la seconde raison expliquant la très grande place accordée aux considérations biographiques : dans les deux poèmes, et surtout dans le Testament, le «je» fournit au sujet de sa propre personne une foule de données plus ou moins claires, plus ou moins cohérentes, et qui semblent permettre la reconstitution d'une biographie, ou du moins incitent certains chercheurs à entreprendre une telle reconstruction. Il n'y aurait aucun mal à cela, si la reconstruction de la vie du «je» du Lais et du Testament, disons la biographie du «testateur» Villon, n'était pas mélangé avec la reconstruction faite de la vie de l'homme Villon, grâce aux données extratextuelles trouvées dans des documents historiques. Le résultat de ce savant mélange est que toutes les éditions et tous les manuels fournissent des biographies plus ou moins conformes et assez élaborées, qui prétendent être des biographies du poète, mais qui sont en réalité des combinaisons de deux biographies, l'une du Villon historique, l'autre du Villon fictionnel qui dit «je» dans l'œuvre. A l'unanimité les biographes de Villon ont tacitement admis que celle-ci est autobiographique; il n'y a que P. Guiraud qui ait posé la question: «Et si le Testament n'était pas une autobiographie?» (1970: 9). La question est certes pertinente. On sait l'emploi fréquent fait de l'ironie, de l'antiphrase dans le Testament. Quand le testateur dit que son «ayeul» s'appelle Orace, dit-il vrai? Peut-on en conclure que quelque bisaïeul de Villon, l'homme, s'appelait effectivement ainsi? Si des doutes peuvent exister sur ce point, il est difficile de voir pourquoi il n'en existerait pas également sur tous les autres éléments «biographiques» empruntés à la fiction du Lais et du Testament. L'honnêteté scientifique exige que, lorsqu'on présente une biographie de Villon, on indique quels y sont les éléments apportés par la recherche historique et quels sont les éléments qui ont été ajoutés, parce qu'on a admis que le testateur Villon est identique au Villon historique. C'est donc une affaire hasardeuse que de considérer les poèmes de Villon comme des instruments biographiques. C'est une faute méthodologique que de mélanger la biographie historique et la biographie fictionnelle. Mais c'est encore une erreur d'importance que d'associer le problème
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de la biographie à celui de la structure de l'œuvre, car il n'y a pas de rapport entre les deux. Importe-t-il, pour une compréhension de la structure du Lais, de savoir que le poème a été écrit juste avant ou juste après le vol du collège de Navarre? Se demander si la «Ballade de la grosse Margot» raconte une expérience personnelle ou si elle est une «sotte chanson», une sorte de gageure poétique faite par un poète qui n'a pas nécessairement été souteneur lui-même, voilà une question qui n'a rien à voir avec le problème de la composition du Testament.11 Pourtant des questions de ce genre ont été soulevées par ceux qui ont participé à la discussion sur l'œuvre de Villon, surtout par Siciliano et, sur les traces de celui-ci, par Dufournet. Plus que tout autre probablement, ces savants ont été tentés d'introduire dans l'étude de la composition du Testament un autre problème accessoire, intimement associé au problème biographique. Ce problème, c'est celui de l'évolution psychologique de Villon (l'auteur? le testateur?), celui de «l'itinéaire spirituel». On se rappelle que l'étude faite par Siciliano sur la composition du Testament aboutit à une conclusion d'ordre psychologique: Villon n'a pas «ri en pleurant». L'étude de la psychologie de Villon est également soumise à une temporalité : il a ri d'abord, pleuré ensuite. Et pour pouvoir en arriver à cette conclusion, un tour de force méthodologique a dû être exécuté : le raisonnement suivant, doublement circulaire, a été suivi : (a) à partir du texte une biographie est créée; (b) à partir de cette biographie une segmentation du texte est établie ; (c) à partir de cette segmentation la biographie est complétée; (d) à partir de cette biographie plus complète «l'itinéraire spirituel» est retracé. Il suffit de considérer cette représentation schématique de la procédure suivie par Siciliano (et par Dufournet, par exemple) pour se rendre compte de son caractère circulaire. Non seulement les problèmes biographiques et psychologiques sont accessoires par rapport à l'étude de la structure de l'œuvre, mais encore ils risquent d'entraîner les chercheurs à des erreurs méthodologiques. Il semble que l'analyse structurale a l'avantage d'éviter 17
Que Villon ait été réellement souteneur ou non, c'est là une question qui a beaucoup préoccupé les esprits. Dufournet suggère que la ballade est tout simplement une fanfaronnade, un exercice poétique, qui ne reflète en rien, ou qui reflète assez peu, la vie et les sentiments de notre auteur. «Si, dans la strophe précédente, on lit «Qui la trouvera d'aventure,» (T 1589), il n'y a pas là nécessairement d'allusion à un éloignement», dit Dufournet (1967:1, p. 27). «Le poète ne veut-il pas suggérer qu'on ne la rencontrera pas, car elle n'existe pas en tant que femme: c'est soit une enseigne, comme le croyait A. Longnon, soit plutôt un type littéraire, un personnage de soie chanson, un rêve nauséeux du poète.»
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plus aisément de tels pièges que l'étude de la composition, qui même au sens de «produit d'une activité créatrice» comporte toujours l'idée d'une intentionnalité (de l'auteur) et risque, par conséquent, de faire dévier la recherche vers les problèmes accessoires signalés. L'analyse structurale, faisant pour ainsi dire abstraction de l'auteur et de ses éventuels desseins, ne s'occupe de Villon qu'en tant qu'élément textuel - un des éléments constitutifs parmi d'autres - et ce Villon, c'est bien entendu, celui qui dit «je» dans l'œuvre. L'analyse structurale aura à distinguer entre l'auteur et le testateur (fictionnel), si elle ne veut pas répéter certaines erreurs commises avant elle.
7. LES CRITÈRES
Comme les critères à partir desquels les tentatives de structuration ont été faites sont d'une grande variété, leurs résultats sont très divers et parfois apparemment incompatibles. La tripartition du Testament que propose Campaux se fonde sur le critère du «ton», de la «disposition d'esprit» de l'auteur. La division de Siciliano en deux parties, les «Regrets» du «povre Villon» et le testament burlesque du «bon follastre» repose, au fond, sur un critère semblable. Bijvanck distingue dans le Lais trois parties différentes - une première dans la tradition littéraire du thème de l'amant martyr, une deuxième qui est un persiflage de la chevalerie, et une troisième étant une imitation d'une œuvre comme le Roman de la Rose - ; sa tripartition se fonde sur le choix d'un critère bien différent, d'ordre thématique. La catégorisation des legs fictifs du Testament est différente selon qu'elle est faite selon le critère de la nature des bien légués (Gaston Paris) ou celui de la nature des légataires (Togeby). Parfois deux critères différents se combinent: Gaston Paris distingue les pièces insérées selon un critère chronologique et un critère intentionnel (voir ci-dessus p. 11). Champion, comme on l'a vu, suggère que les legs du Testament peuvent être considérés comme des dons poétiques ou non-poétiques à des légataires que le testateur connaît de fait ou de réputation (cf. p. 32). Les critères de structuration peuvent être si divers, grâce au fait qu'il est possible d'avoir sur l'œuvre des vues générales diverses. On peut, par exemple, la considérer comme une œuvre d'art, un objet esthétique. Et, la considérant ainsi, on pourra y reconnaître des phénomènes qui se différencient selon un critère esthétique. C'est probablement en concevant ainsi l'œuvre de Villon que Sainte-Beuve a pu en arriver à noter que «en remuant son fumier, on y trouve plus d'une perle enfouïe» (1876; I, p. 22)
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et «J'en suis toujours à choisir dans Villon et à ne m'arrêter complaisamment que sur quelques-unes des choses exquises qui se détachent aisément du cadre artificiel où il les a placées» (1858: 292). Le critère de SainteBeuve est d'ordre esthétique; s'il a distingué entre «fumier» (éléments esthétiquement non-satisfaisants) et «perles» (éléments esthétiquement satisfaisants, où le critique s'arrête «complaisamment»), c'est que l'œuvre entière a été considérée comme un ensemble de phénomènes plus ou moins satisfaisants du point de vue esthétique. Car, et c'est là une vérité dont il s'agit de se rendre compte, LES CRITÈRES DE STRUCTURATION SONT SÉLECTIONNÉS EN FONCTION DE L'ENSEMBLE PHÉNOMÉNAL QU'IL EST LOISIBLE AU CHERCHEUR DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION DANS LE TEXTE ÉTUDIÉ. LES
divisions de Campaux et de Siciliano sont toutes deux le résultat de leur décision de voir dans le Testament l'expression d'une certaine disposition d'esprit de son auteur. Bernard discerne dans le même texte une bipartition symétrique, architecturale, en fonction de sa conception selon laquelle l'œuvre est l'expression d'une réflexion sur la destinée humaine. Kuhn, par contre, y reconnaît deux ensembles phénoménaux à la fois; l'œuvre est l'imitation d'un testament au sens de «acte juridique», mais elle est aussi un testament au sens de «témoignage», l'expression d'une pensée philosophique. Les critères différents dérivant de cette double conception permettent une segmentation identique, mais c'est - même si le fait est remarquable - au fond une pure coïncidence. 18 Les critères numérologiques de Kuhn dépendent, d'ailleurs, d'une toute autre conception globale de l'œuvre : les faire entrer en ligne de compte, c'est considérer le texte comme le reflet d'un désir de l'auteur d'introduire une secrète texture arithmétique. 19 Quand on se rend compte de toutes ces diversités, diversités de vues générales sur l'œuvre étudiée et diversités des critères choisis en fonction de ces perspectives globales, on ne s'étonne pas que les études sur la composition ou sur la structure des poèmes de Villon aient pu produire des résultats d'une grande hétérogénéité. Pourtant, ce n'est pas la variété des points de vue et des critères qui a constitué l'entrave la plus sérieuse à une véritable discussion, mais leur caractère non-explicite. La nature diverse des questions traitées est restée pour ainsi dire voilée en l'absence de lignes 18
Notons à ce propos que, si deux critères différents permettent une segmentation identique, on a affaire, à l'échelle macrostructurale, à un «couplage» (coupling), phénomène défini par S. R. Levin et, selon lui, susceptible d'être considéré comme un fait essentiellement poétique (Levin, 1964). 19 La texture arithmétique de l'œuvre de Villon fait l'objet de la réflexion du médiéviste néerlandais J. P. Th. Deroy (1967; 1970) et de Michel Butor (1973).
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de démarcation nettement tracées. Pour y remédier il importe d'être explicite en ce qui concerne les critères choisis et de définir l'ensemble phénoménal qu'on a en vue d'étudier. L'importance d'une telle exigence méthodologique devient manifeste aussi, quand on constate les divergences dans les résultats des recherches qui prennent leurs points de départ dans des présupposés identiques. Kuhn, Weinert et Togeby considèrent, tous trois, le Testament comme un testament fictionnel, mais les trois structures trouvées ne sont pas les mêmes. Kuhn estime que la structure du testament réel prescrit une bipartition, tandis que Weinert, en revanche, nous assure qu'elle demande une tripartition. Rien que le contraste entre ces deux assertions incompatibles sur la structure globale du testament réel suffirait pour souligner la nécessité d'être explicite sur ce qu'on entend par structure testamentaire, quand on se propose d'analyser le Testament selon des critères «testamentaires». Encore ne s'agit-il, en l'occurrence, que d'une segmentation globale. Il est évident que, lorsqu'on cherche à pousser plus loin l'articulation du texte - comme le font Weinert et Togeby - , il est indispensable d'être explicite aussi sur la microstructure des testaments réels. Sans quoi l'articulation détaillée n'est pas moins conjecturale que celle faite en l'absence de tout critère, témoin les diverses catégorisations qui ont été proposées des legs du Testament: elles sont faites selon des critères variés, et on comprend que ceux-ci n'ont pas été choisis en fonction d'éventuelles prescriptions qui existeraient pour l'établissement d'un testament réel. L'analyse structurale, comparée avec l'étude de la composition, offre donc certains avantages évidents20 - elle aboutit à un résultat falsifiable, 20
L'avantage que présente l'analyse structurale est d'ordre méthodologique; elle ne garantit pas une meilleure compréhension de l'objet littéraire ni n'élimine le rôle de l'intuition dans l'interprétation et l'évaluation. Harris (1963), Ruwet (1964), Jakobson (1967) ont fait des analyses structurales de quelques textes littéraires (de Thurber, de Louise Labé, de Baudelaire). Nous avons, nous-même, analysé selon les principes exposés dans ce chapitre et le chapitre suivant un poème de Prévert (Van Zoest, 1970). La première analyse structurale - et peut-être la plus célèbre - a été celle faite du sonnet Les Chats de Baudelaire par Jakobson et Lévi-Strauss (1962). Une analyse structurale intéressante est encore celle de Luce Baudoux (1964) d'un poème de Louise Labé. On aurait tort, croyons-nous, de considérer comme des analyses structurales les études dites structuralistes de Roland Barthes. Bien que Barthes préconise la procédure déductive (cf. Barthes, 1966: 2), les modèles hypothétiques qu'il propose sont infalsifiables. Le discours de Barthes est un discours littéraire, non pas scientifique selon la définition popperrienne. Précisons qu'il n'y a pas de «méthode structurale» (cf. Boudon, 1968: 213-17); il y a seulement des théories structurales particulières. Le mot «structuralisme», qui, malencontreusement, suggère qu'il existe effectivement une telle méthode (d'aucuns croient
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elle écarte le risque de susciter des problèmes accessoires - mais elle ne les offre que sous des conditions méthodologiques assex strictes, dont la principale est sans doute celle-ci : les présupposés de l'analyse et les critères sélectionnés sont à expliciter. Ce caractère explicite des points de départ, c'est sa force et sa faiblesse. Sa faiblesse dans ce sens que c'est grâce à lui que la démarche de l'analyse et ses résultats peuvent être falsifiés, critiqués, corrigés, rejetés. Sa force dans ce sens que par le fait même que la consistance du raisonnement peut être mis à l'épreuve elle permet une discussion objective. L'analyse structurale permet de parler du fait littéraire d'une façon scientifique. Elle n'est certes pas l'unique approche possible du phénomène littéraire et ne prétend pas l'être, mais, vu les avantages qu'elle présente, elle mérite d'être entreprise, surtout là où d'autres méthodes ont conduit à des impasses. Ceci est précisément le cas pour l'étude de la structure du Lais et du Testament de Villon ; les études antérieures ont soulevé bien des problèmes, mais n'ont guère proposé de solutions satisfaisantes. Il nous a semblé qu'il était légitime d'entreprendre une nouvelle tentative.
même à l'existence d'une doctrine «structuraliste») peut tout au plus se référer à des préférences méthodologiques que certains chercheurs ont en commun. Les premiers «structuralistes» ont été des linguistes (Saussure, Jakobson, Hjelmslev). On se trompe en appelant Lévi-Strauss le «père du structuralisme».
II. LES PRÉSUPPOSÉS
1. L'ANALYSE STRUCTURALE, SA DÉMARCHE
La présente étude se veut une analyse structurale du Lais et du Testament considérés comme des testaments fictionnels. A partir de certains présupposés, elle cherche à produire des constructions hypothétiques visualisées sous des formes aussi succinctes et «maniables» que possible et qui sont destinées à permettre une compréhension approfondie des procédés littéraires utilisés dans les deux textes en fonction de la fiction adoptée. Certes, l'analyse structurale n'est pas la seule voie qui puisse mener à une pareille compréhension, mais elle a le privilège de s'inscrire dans une certaine conception du travail scientifique, celle notamment préconisée en 1934, dans Logik der Forschung, par Popper; elle demande qu'il prenne son point de départ dans l'établissement d'une théorie qui, confrontée avec les faits, tels que les présente la réalité, permette qu'on la falsifie. (En mathématiques le procédé est courant depuis longtemps.) La falsification des présupposés ou d'un ou plusieurs éléments du raisonnement conduiront au rejet total ou partiel de la théorie. S'il y a rejet partiel, le profit scientifique obtenu consiste dans la possibilité créée de perfectionner la théorie. S'il y a rejet total, le profit consiste dans le fait qu'une voie où la recherche pourrait être tentée de s'engager est définitivement close. Le résultat d'une recherche exécutée selon les principes de Popper peut être considéré comme valable aussi longtemps qu'il n'est pas falsifié. Il ne l'est donc jamais définitivement, ne cherche pas à l'être,1 mais, au contraire, invite, pour ainsi dire, à faire le test de la falsification, car le progrès scientifique est à ce prix. Sans la mise à l'épreuve, il y aurait stagnation, et la théorie serait comme un athlète qui se serait préparé à une course 1 «I do not demand any final certainty from science (...)» (Popper, 1968: 80). Nous ne citons pas le texte allemand (Logik der Forschung [1934]), mais la traduction anglaise (première édition: 1959), parce que celle-ci, préparée par l'auteur lui-même, peut être considérée comme une édition revisée et augmentée.
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qui n'a jamais lieu : il ne saura jamais sa valeur, le résultat de ses efforts. Au début de l'analyse structurale il y a un acte de foi, sans lequel elle ne saurait prendre son départ : on admet que, dans l'objet étudié, se laisse reconnaître un système, un ensemble d'éléments interdépendants. Ainsi, la présente étude se fonde sur l'assomption que le Lais et le Testament contiennent un ensemble cohérent d'éléments textuels qui permettent de les considérer comme des éléments fictionnels, certains éléments affirmant le caractère testamentaire des poèmes, d'autres, au contraire, soulignant leur fictionnalité.2 C'est sur ces phénomènes-là, à l'exclusion d'autres également présents (les textes contiennent probablement aussi des éléments grâce auxquels on peut y reconnaître l'expression d'une certaine vision du monde, une confession personnelle, un persiflage de genres littéraires traditionnels, etc.), que porte notre analyse. Les phénomènes «testamentaires» en question sont ce que Boudon (1968), dont nous avons adopté, dans les grandes lignes, les conceptions sur la notion de «structure», a appelé «les caractéristiques apparentes du système» (p. 115 et s.). En l'occurrence, ces «caractéristiques apparentes du système» sont les données matérielles du texte qui en font un testament fictionnel. Quand l'analyse structurale a délimité son objet, elle demande l'établissement de ce que Boudon appelle une «axiomatique» : un ensemble de postulats et de propositions. Cette axiomatique définit les termes premiers de la recherche. S'il est évident que le nombre d'axiomatiques qu'il est possible d'établir est extrêmement grand, peut-être illimité, il est évident 2 C. Mêla (1970), analysant le Testament dans un article où il suit de près le fil du texte - son exposé pourrait être considéré comme une sorte d'explication littéraire prend, comme nous, son point de départ dans la même assomption: il considère le Testament comme un testament fictif. «Villon respecte l'articulation générale d'un testament réel et utilise à plusieurs reprises les formules en usage, quitte à en donner la réplique parodique, indice de son projet véritable (ainsi les vers 74 et 76 par rapport aux vers 73 et 75). On l'a souvent remarqué, mais sans toujours en tirer conséquences ni en faire le seul point de départ légitime de l'analyse (...). Le cadre formel où s'ordonnent les diverses intentions du poète lui était fourni par les testaments réels de son époque et par leur utilisation littéraire: la tradition du testament fictif. Il s'agit d'un cadre triparti, comme nous le montre l'édition d'Alexandre Tuetey : En premier lieu, la désignation civile et professionnelle du testateur et un certain nombre de considérants d'ordre moral (cf. Lais, v. 2); suit une série des legs; enfin, l'ensemble des dispositions relatives à l'exécution du testament, à la sépulture et aux funérailles. Il est inutile de chercher «le plan» du Testament ailleurs que dans cet ordre formel (...)» (p. 778). Le renvoi aux testaments du recueil de Tuetey et à la tripartition qui s'y laisse discerner montre à quel point le point de départ de Mêla est identique au nôtre. On constatera aussi que l'identité des présupposés ne s'associe pas nécessairement à des procédures analytiques similaires.
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aussi que telle axiomatique, dans la perspective de l'objectif de l'analyse une compréhension approfondie du fonctionnement littéraire de certains phénomènes textuels - promet plus de résultats significatifs que telle autre. Aussi l'axiomatique qui préside à l'analyse structurale n'est-elle pas choisie à l'aveuglette: si l'analyse structurale dans sa démarche, est hypothético-déductive, le choix de l'axiomatique est le résultat d'un travail empirico-inductif. Le chapitre III de la présente étude illustre cet état des choses : il contient l'élaboration de l'axiomatique sur laquelle les analyses structurales du Lais et du Testament se fondent, mais cette élaboration se fait à l'aide d'observations faites à propos de testaments réels et l'induction y précède la déduction. L'axiomatique une fois élaborée est confrontée avec les «caractéristiques apparentes du système», c'est-à-dire, en l'occurrence, avec les données matérielles du texte susceptibles d'être considérées comme les éléments du testament âctionnel qu'on reconnaît dans le Lais ou dans le Testament. Cette confrontation entre l'hypothèse de départ et les réalités que le texte présente conduit à des résultats qu'on peut grouper ensemble, qui sont sujets à des opérations de dénombrement et de classement, opérations auxquelles Boudon a donné le nom de «calcul». Et c'est finalement ce «calcul» qui conduit à la mise au point de cette construction artificielle qu'on appelle «structure». La démarche ainsi définie - confrontation de l'axiomatique avec les «caractéristiques apparentes du système», «calcul» des résultats de cette confrontation et mise au point de la «structure» constitue le moment analytique de la recherche structurale. Boudon l'a visualisé par la formule suivante:
A + App(S)
calcul •
Str(S)
Dans cette formule, A représente l'axiomatique, App(S) les apparences phénoménales du système, et Str(S) la structure du système. Elle symbolise, comme le dit Boudon (1968:155), «la démarche par laquelle le chercheur, placé devant un objet dont il considère les éléments comme interdépendants, formule certaines hypothèses destinées à expliquer cette interdépendance». Telle sera la démarche de l'analyse structurale du Lais et du Testament entreprise dans la présente étude. L'axiomatique sera établie au chapitre III : elle consistera dans la construction du modèle hypothétique d'un testament réel (de l'époque de Villon). Ce modèle, comportant une énumération des éléments constitutifs du testament réel, des précisions sur l'ordre dans lequel ils se présentent, sur leur éventuelle présence ou
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absence, sur leur fréquence, et sur leur proportion, sera confronté avec les éléments textuels du Lais au chapitre IV, avec ceux du Testament au chapitre V. C'est dans les chapitres IV et V qu'on trouvera donc les résultats de cette confrontation, les constructions dites les structures du Lais et du Testament. Cependant, la démarche de l'analyse, dans la présente étude, n'est pas un calque pur et simple du schéma de Boudon. Elle ne saurait l'être, du fait que le Lais et le Testament sont considérés comme des testaments fictionnels, ce qui implique que dans les deux poèmes deux sortes de phénomènes sont à prendre en considération : ceux qui constituent leur caractère testamentaire et ceux qui constituent leur fictionnalité. Or, la confrontation des éléments textuels avec le modèle du testament réel ne produit que la structure des textes en tant qu'imitation des testaments réels (chapitres IV et V), de sorte que les phénomènes qui en font des testaments FICTIONNELS restent à être traités ultérieurement, et à part. Ce sera fait au chapitre VI.
2. L'ANALYSE STRUCTURALE, SON RÉSULTAT
L'analyse structurale aboutit à l'établissement d'une structure. UNE structure et non pas LA structure de l'objet étudié: comme il est concevable qu'on y reconnaisse plus d'un système, qu'on choisisse - en fonction du même système - un nombre indéterminé d'hypothèses de départ, le nombre de structures qu'il est possible d'élaborer d'un seul et même objet est quasiment illimité. Au sujet, par exemple, du Testament de Villon cette diversité de structures possibles a déjà été signalée (cf. ci-dessus, p. 32) : selon le système qu'on croit y reconnaître (expression d'une vision sur la condition humaine, expression d'une pensée philosophique, persiflage de genres littéraires traditionnels, «anthologie littéraire», confession personnelle, reflet d'un souci numérologique, etc.), on y introduira un ordre différent. Si l'on parle pourtant de LA structure du Testament, l'emploi de l'article défini est dû à un besoin de facilité; dans la présente étude, il s'agit de se rendre compte que, toutes les fois que l'expression «la structure du Lais et du Testament» revient, il faut comprendre «la structure du Lais et du Testament considérés comme des testaments fictionnels contenant les constituants énumérés aux chapitres IV et V, structure établie à partir du modèle du testament réel tel qu'il est proposé au chapitre III». Il est entendu que les hypothèses explicatives auxquelles l'analyse structurale aboutit ne prétendent pas rendre compte d'une éventuelle
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intention qu'a pu avoir le créateur de l'œuvre étudiée. Aucune intentionnalité n'entre dans l'entreprise, si ce n'est l'intention du chercheur d'introduire un ordre explicatif dans un désordre apparent. On se rappelle que c'est là la différence fondamentale avec l'étude de la composition d'un texte (voir ci-dessus, p. 29). Si l'étude de la composition est la recherche d'un trésor caché dans une forêt vierge, l'analyse structurale est une tentative d'y retrouver, à l'aide d'une boussole, son chemin. «L'intérêt le plus visible des méthodes «structuralistes», dit Boudon (1968: 205), «est d'introduire un ordre explicatif dans une incohérence phénoménale.» C'est dire que la recherche structurale ne saurait être autotéléologique; ses résultats demandent à être interprétés et évalués. Pour ce qui est de l'analyse du Lais et du Testament faites dans la présente étude, ses résultats seront interprétés au chapitre VII. C'est au lecteur d'évaluer cette interprétation; la valeur des résultats obtenus se mesure à ce moment-là. Le test de la falsification auquel l'analyse structurale invite peut être fait avant la fin de la démarche analytique. Ainsi, au début d'une analyse structurale du Lais et du Testament considérés comme des testaments fictionnels, on peut se demander si les textes peuvent effectivement être considérés comme tels, s'ils comportent en effet des systèmes «testamentaires». Si, ensuite, les éléments textuels qui constituent les «caractéristiques apparentes du système» sont énumérés, il est possible de vérifier si l'énumération est correcte et exhaustive. Il en est de même à propos d'une formalisation et d'un classement des constituants. L'axiomatique aussi est sujette à une éventuelle falsification: on se demandera si les postulats formulés sont conformes à ce que nous apprend notre connaissance du monde, si, dans la progression d'un postulat à une proposition, les inférences sont valides, si, finalement, l'édifice hypothétique entier est consistant. Quand l'axiomatique est confrontée avec les «caractéristiques apparentes du système» et le «calcul» exécuté, une nouvelle vérification est possible : certains faits pertinents n'ont-ils pas été dissimulés et d'autres, non-perinents, n'ont-ils pas été considérés, à tort, comme pertinents? Finalement, il est possible de vérifier si la théorie est compatible avec l'observation. Ce «moment de la synthèse», Boudon (1968: 155) l'a symbolisé à l'aide de la formule suivante :
A + Str(S)
calcul > App(S)
Cette formule, quand on la compare avec celle visualisant «le moment
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de l'analyse», montre que, entre l'analyse structurale et la vérification, il y a un mouvement de va-et-vient : la première va de la matérialité textuelle à la construction hypothétique, la dernière implique un retour indispensable au texte même. Le texte, c'est l'alpha et l'oméga de l'entreprise structurale.
3. L'ANALYSE STRUCTURALE, SA PRÉSENTATION
Un des plus importants problèmes de l'analyse structurale est celui de sa présentation. Il a une double origine, provenant, d'une part, de l'exigence d'en arriver à des résultats falsifiables, et, d'autre part, du désir d'aboutir à une «structure», représentation succincte, plus ou moins schématique, de l'ordre introduit dans l'ensemble apparemment désordonné. L'impératif de la falsifiabilité implique la présence d'une abondance de définitions précises et explicites, la discussion de certaines inférences, l'énumération complète des faits matériels distingués dans l'objet étudié. D'où la marche lente et laborieuse de l'analyse structurale, d'où son manque d'élégance. Deux facteurs limitent quelque peu le caractère fastidieux de l'analyse structurale. Le premier, c'est l'impossibilité où l'on est, dans toute entreprise qui a à tenir compte des données qu'offre la réalité, d'atteindre à une précision absolue. Donnons, à ce propos, un exemple concret. Dans la présente analyse du Lais et du Testament, les constituants «testamentaires» sont des éléments textuels, et la question se pose: comment définir un pareil élément? Or, dans l'impossibilité de donner une définition satisfaisante, nous avons renoncé à définir le terme «élément textuel», espérant que le lecteur voudra bien comprendre qu'il se réfère tantôt à un mot, tantôt à un groupe de mots, à une phrase entière ou à un ensemble de plusieurs phrases. Cette imprécision en entraîne une autre : le début ni la fin l'élément textuel ne sont pas toujours nettement déterminés. L'abandon d'une telle précision est possible grâce à l'objectif restreint de l'entreprise : si elle cherche à reconnaître dans le Lais et dans le Testament les constituants «testamentaires« et leur distribution (et, dans une certaine mesure, leurs relations et leur hiérarchie), elle ne prétend pas établir une segmentation complète et détaillée des deux textes. Bien que la localisation et la distribution dans l'ensemble textuel soit, dans cette perspective, indispensable, une délimitation nette de chaque élément n'est donc pas forcément nécessaire: on n'a pas besoin d'être plus précis ni plus exhaustif que ne le demande l'objectif de la recherche. Or, l'analyse
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structurale est, dans un certain sens, utilitaire : elle ne tient compte de ce qui l'intéresse. Voilà l'autre facteur qui restreint quelque peu le foisonnement des définitions. Donnons un exemple illustrant cette possibilité d'éviter des excroissances inutiles. Il existe deux types de testaments, ceux écrits à la première personne et ceux écrits à la troisième. Le Lais et le Testament sont on le sait, écrits, du moins dans leur quasi-totalité, à la première personne. Ceci permet de laisser de côté des phénomènes testamentaires ne se présentant que dans les textes rédigés à la troisième personne. Ainsi, ce n'est que dans les testaments rédigés à la troisième personne qu'on trouve (à l'époque de Villon, bien entendu) une formule du type «A tous ceuls qui ces lettres verront, (...) salut» (cf. Tuetey, 1880: 296). D'une pareille formule il ne sera pas question au chapitre III, où, en principe, ne seront signalés que les éléments indispensables, les éléments fréquents et les éléments rares qu'on retrouve dans les textes de Villon. Un autre problème de présentation est posé par le désir d'en arriver à une «structure», construction aussi accessible que possible permettant de reconnaître un certain ordre dans l'objet étudié. Comme on l'a vu, son établissement demande un certain «calcul» auquel on procède à partir de la confrontation de l'axiomatique choisie et des «apparences phénoménales» du texte. Ce «calcul» ne saurait s'exécuter d'une façon tant soit peu claire qu'après une certaine formalisation et par l'usage de symboles représentant les catégories textuelles relevées. Voilà ce qui explique l'emploi de formalisations et de notations symboliques dans les analyses structurales; il n'est pas nécessairement dû à une tendance à rivaliser en cela avec les usages courants en mathématiques. Contrairement à ce qu'on pourrait parfois penser, l'analyse structurale n'utilise pas les formalisations, les symboles et les sigles pour rendre «compliqués» des phénomènes qui sont simples en soi : leur usage, au contraire, se place au service de la lisibilité, de la concision. Il n'en reste pas moins que leur présence dans l'analyse structurale demande de la part du lecteur une certaine indulgence devant le caractère inédit et souvent rébarbatif des termes introduits pour désigner les catégories distinguées et une certaine activité intellectuelle consistant à s'approprier ces termes choisis ad hoc et les symboles (souvent des abréviations) qui les représentent. Par la force des choses l'analyste en appelle à la participation active de son lecteur, l'invitant à «traduire» le symbole usité chaque fois qu'il se présente; sans cela des définitions, des circonlocutions, des tournures longues et complexes viendraient alourdir l'analyse outre mesure pour en rendre l'abord encore plus rébutant. Il est inévitable, quand on cherche à donner un nom à des catégories
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qui n'ont pas encore été distinguées auparavant de la même façon, d'inventer, ad hoc, des termes. Ils peuvent choquer par leur nouveauté et par leur aspect artificiel; souvent ils détonnent par leur caractère étrange et peu habituel. Cependant, ils ont été choisis surtout parce qu'ils sont aptes à résumer, autant que possible, en un seul mot la fonction principale de la catégorie désignée. Cela n'a pas toujours été facile, et souvent le souci d'élégance a été sacrifié au besoin de compréhension directe, à la volonté aussi d'éviter la métaphore, dont le rôle, dans le discours scientifique, est à réduire au minimum. Si le terme barbare a été retenu, c'est qu'il était, à nos yeux, le plus propre à traduire la fonction de la catégorie à laquelle il donne son nom. Soulignons, en outre, qu'il n'a été créé que pour les besoins de la présente analyse et qu'il ne cherche pas à perpétuer son existence au delà de celle-ci. Un terme comme «semi-opératif» n'aspire pas à trouver sa place dans le patrimoine de la langue française; il ne veut être qu'un rouage - à l'aspect bizarre, peut-être, mais approprié - dans l'engrenage de cette analyse particulière, la présente. Dans le dessein de faciliter au lecteur l'interprétation (la «traduction») des symboles utilisés ultérieurement, une liste des sigles et abréviations est donnée à la fin de ce chapitre.
4. RESTRICTIONS
L'objet de la présente étude, c'est le texte du Lais et celui du Testament, non pas la réalité historique dans laquelle ces deux poèmes s'inscrivent, ni la biographie de leur auteur, ni son évolution spirituelle, ni son inspiration littéraire, ni ses sources, ni son «dessein», ni sa «légende», ni les circonstances (date, lieu, etc.) dans lesquelles les œuvres ont été écrites. Le villoniste s'intéressant à des questions psychologiques, philologiques, historiques n'y trouvera pas son compte. L'objectif de la présente étude, c'est une compréhension du fonctionnement littéraire du Lais et du Testament en tant que textes «testamentaires». Elle cherche une réponse à la question de savoir quel est l'usage fait dans ces deux poèmes des possibilités qu'offraient l'exemple des testaments réels de l'époque. La limitation dans l'objet et dans l'objectif a plusieurs conséquences. Une première est celle-ci : l'analyse peut choisir comme objet une édition des textes qui fait autorité, sans se poser des questions d'ordre philologique à son propos. Cette édition c'est celle de Longnon et Foulet, publiée dans la série des Classiques Français du Moyen-Age; toutes les références
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se rapportent à elle. Ce n'est que très incidentellement que (dans des notes) l'attention sera attirée sur des variantes non-adoptées dans cette édition. Elle n'est pas discutée. Une deuxième conséquence de la restriction que nous nous sommes volontairement imposée est l'absence de références à la personne de l'auteur, à sa personnalité, à sa vie, à son activité créatrice, à sa «vision du monde», etc. Cependant, comme il est inévitable qu'on NOMME parfois l'auteur, nous nous sommes efforcés de distinguer, au cours de l'analyse, entre le Villon qui est l'auteur du Lais et du Testament et le Villon qui dit «je» dans les deux poèmes. Le premier sera appelé «l'auteur» ou «le poète»; le second «le testateur». Nous avons fait cette distinction dans l'espoir d'éviter une confusion traditionnelle. Cette séparation stricte entre Villonl'auteur et Villon-le-testateur a précisément été rendu possible par le fait que la présente étude renonce à jeter quelque lumière que ce soit sur les problèmes biographiques ou psychologiques que l'œuvre de Villon (l'auteur!) pose aussi. Certes, l'aspect historique ne saurait être éliminé tout à fait, quand on analyse une œuvre médiévale. L'analyse ne peut se passer d'une interprétation des éléments textuels constitutifs, de certains mots, de certaines tournures, et cette interprétation n'est plus ou moins correcte que grâce à des références, historiques, qu'elles soient linguistiques ou extralinguistiques. Cela vaut d'autant plus quand il s'agit d'interpréter le sens des nombreux noms propres que contiennent le Lais et le Testament; sans une certaine connaissance des réalités historiques, des erreurs d'interprétation peuvent facilement être faites ou, à propos de tel détail, toute interprétation devient impossible. Des chercheurs comme Brunelli, Burger, Champion, Dufournet, Foulet, Frappier, Lecoy, Siciliano, Spitzer et d'autres (voir Brunelli, 1961, et les pages 154-159 de Le Gentil, 1967) ont contribué à la reconstruction des réalités historiques qui nous permettent d'être des lecteurs plus avisés de l'œuvre de Villon; sans leurs efforts une analyse comme la nôtre ne pourrait exister. Cependant, comme l'interprétation n'occupe, dans la présente étude, qu'une place secondaire, nous nous bornerons en principe 3
Voici ce que note, à propos de cette édition, P. Le Gentil (1967: 153) : «La plus importante et qui fait date a été procurée par Auguste Longnon en 1892, chez Lemerre. Elle a préparé celle que le même auteur a offerte en 1911 pour les Classiques français du m.âge. Revue par Lucien Foulet à plusieurs reprises, en 1914, 1923 et 1932, elle est actuellement la meilleure dont nous disposions, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit absolument définitive (...).» L'édition Longnon et Foulet citée dans notre étude est la quatrième, de 1967.
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à renvoyer au livre où les travaux historiques et philologiques préliminaires ont trouvé un aboutissement heureux et pratique, au Lexique de la langue de Villon, de A. Burger (1957). D'une façon générale, nous nous tiendrons aux «traductions» proposées par ce livre. D'une autre façon encore, l'historicité des textes villoniens ne saurait être ignorée. Ils sont considérés comme des testaments fictionnels et seront comparés avec des testaments réels. Avec des testaments réels de l'époque, bien entendu, établis d'après des usages courants au XVe siècle; bien que, fondamentalement, les «prescriptions» testamentaires n'aient pas changé, il n'aurait pas été très approprié de tenir compte d'autres considérations que celles de l'époque. Comme on le verra, le modèle testamentaire présenté au chapitre suivant est le modèle du testament dont Villon l'auteur a pu s'inspirer et que Villon, le testateur, a pu imiter. Si donc l'analyse structurale du Lais et du Testament en tant que testaments fictionnels est une étude a-historique, elle ne l'est que dans ce sens précis qu'elle est «synchronique», «non-diachronique».
5. LE TESTAMENT FICTIONNEL
Le Lais et le Testament sont des testaments fictionnels, voilà le premier des postulats sur lesquels se fonde notre analyse. Par un testament fictionnel on entend un texte dans lequel deux sortes de phénomènes, antinomiques, se présentent: il comprend des éléments identiques ou similaires à ceux qu'on trouve dans les testaments réels, mais on y trouve aussi des phénomènes qui sont incompatibles avec le caractère apparemment testamentaire du texte. Les premiers imitent la réalité et semblent apprendre au lecteur que le texte en question est un véritable testament, tandis que les seconds s'inscrivent en faux contre l'impression de «réalisme» créée par les premiers et semblent apprendre au lecteur que le texte en question n'est pas un testament réel. Des éléments textuels tels que les formules du type «Je (x) lègue L à Y», la formule «Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit«, le mot «Item», indispensables ou fréquents dans les testaments réels, sont des phénomènes de la première catégorie: des éléments «testamentaires», «réalistes». La forme versifiée, l'antiphrase, le don d'un bien sans valeur ou n'appartenant pas au testateur sont des phénomènes «fictionnels». On comprend pourquoi les deux groupes de phénomènes sont antinomiques : là où le premier tend à étayer la validité du texte en tant que testament, le deuxième fait tout pour l'invalider. Si l'on symbolise l'ensemble des éléments «testamentaires» par T, les phénomènes fictionnels ou
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LES PRÉSUPPOSÉS
«anti-testamentaires» pourraient être symbolisés par T, et la définition du testamentfictionnelse noterait, symboliquement, comme suit: testament fictionnel T, T Cette formule visualise ce qui constitue essentiellement le testament fictionnel: la présence d'éléments-T et de phénomènes-T est condition suffisante et nécessaire pour qu'il y ait testament fictionnel. Elle indique également la matière principale de la présente étude : les éléments-T du Lais et du Testament seront traités aux chapitres IV et V, les phénomènesT au chapitre VI. Mais la formule est, bien entendu, trop succincte pour rendre compte de certains faits qu'il importe de ne pas perdre de vue. Ainsi, le testament fictionnel peut comporter des éléments textuels qui, sans être T, ne sont pas nécessairement T. On se rappelle à ce propos les nombreuses digressions que contient le Testament, mais aussi les quelques «aphorismes» qui se présentent déjà dans le Lais.i II est d'ailleurs vrai que 4
Voici deux aphorismes que contient le Lais : Vivre aux humains est incertain Et après mort n'y a relaiz,
L 61-62
On ne doit des siens. Ne son amytrop tropprendre surquerir.
L 135-36
De tels éléments gnomiques se laissent reconnaître dans le texte grâce à deux particularités linguistiques: le verbe est au présent illimité, le sujet de la phrase a une portée générale (souvent c'est un terme générique). Le Testament en comprend un nombre important: Les mons ne bougent de leurs lieux, Pour ungpovre, n'avant n'arriéré.
T 127-28
(...) engrantpovreté (...) Ne gist pas grande loyauté.
T 150-52
Nécessité fait gens mesprendre Et faim saillir le loup du bois.
T 167-68
Qui n'a mesfait ne le doit dire.
T 192
(...) la dance vient de la pance
T 200
(...) a la mort tout s'assouvit.
T224
Mieulx vault vivre soubz gros bureau Povre, qu'avoir esté seigneur Et pourrir soubz riche tombeaul
T288
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LES PRÉSUPPOSÉS
de pareils éléments textuels peuvent obtenir une valeur-T grâce au contexte, tandis que d'autres ont une valeur-T intrinsèque. La formule ne nous permet pas non plus d'y lire une différence importante entre les éléments-T et les phénomènes-T : ces derniers sont impensables sans les premiers, mais l'inverse n'est pas vrai - un texte qui ne comprend que des éléments-T est concevable : ce ne serait pas un testament fictionnel, mais un testament réel. Un autre inconvénient de la formule, c'est qu'elle ne permet pas de se rendre compte de la différence existant entre un testament fictionnel et un testament fictif (pour la distinction fictionnalité/fictivité voir chap. VI, p. 239). L'étude du testament fictionnel commence nécessairement par celle des éléments-T: pour pouvoir parler de textes fictionnels, il n'y a d'autre possibilité que de les traiter d'abord comme s'ils ne l'étaient pas. Voilà ce qui explique pourquoi le Lais et le Testament seront traités comme des testaments réels, avant que l'attention soit attirée sur ce qui en constitue le caractère fictionnel. C'est dire que le lecteur est invité à être de connivence avec l'analyste pendant une certaine phase de l'étude (aux chapitres IV et Mort saisit sans exception.
T 312
Quiconques meurt, meurt a douleur
T 314
Tousjours viel cìnge est desplaisant.
T 439
Selon le clerc est deu le maistre.
T 568
Pour ung plaisir mille douleurs.
T 624
Vin pert mainte bonne maison.
T 1021
(...) bon droit a bon mestier d'aide.
T 1037
Il n'est bon bec que de Paris.
T 1522
A menue gent menue monnoye.
T 1651
Ce quifut aux truyesje tiens Qu'il doit de droit estre aux pourceaulx.
T 1818-9
Ces formules se détachent du cadre fictionnel dans lequel elles s'intègrent. On est en droit de supposer, semble-t-il, qu'elles traduisent une opinion de l'auteur, qu'elles ont ce qu'on appelle, en allemand, «Wahrheitsanspruch». Ceci admis, elles trahiraient plus que tout autre élément textuel les préoccupations morales de l'auteur et permettraient de se faire une idée des thèmes fondamentaux de l'œuvre. Les exemples cités (la liste n'est certainement pas exhaustive) font ainsi ressortir un thème que Siciliano (1934) passe sous silence: celui de la pauvreté, avec ses composantes navrantes - le sort du pauvre est immuable, la misère conduit facilement au crime, etc.
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LES PRÉSUPPOSÉS
V, notamment) : on parlera provisoirement du Lais et du Testament comme s'ils étaient de véritables testaments.
6. LE TESTAMENT AU XVe SIÈCLE
Le testament est «un acte dévolutif, c'est-à-dire consacré à la transmission des biens» (Vialleton, 1963: 178), ou comme le dit le dictionnaire (Robert) : «un acte unilatéral et solennel par lequel l'auteur dispose de tout ou partie des biens qu'il laissera en mourant». Du temps de Villon, la forme que cet acte est censé adopter ainsi que les circonstances textuelles ou extratextuelles qui en constituent la validité ne sont prescrites par aucun article juridique officiel. Paris, à l'époque, fut un «pays de droit coutumier», mais la Coutume de Paris n'avait pas encore été rédigée - elle ne date que de 1510. Avant cette date on ne disposait que d'un texte officieux que le Châtelet avait peu à peu rassemblé (cf. Martin, 1925: 12). Pour ce qui est de la forme du testament, rien n'était prévu, on s'en remettait, sur ce point, au droit canon, très libéral: «le testament canonique n'exige pour sa validité aucune observance de forme ni de solennité, il suffit que la volonté du mort soit prouvée, tout simplement» (Lepointe, 1945:154). On peut supposer que la preuve de l'authenticité du testament consistait surtout, sinon exclusivement, dans l'apposition d'une ou plusieurs signatures, celles, par exemple, du testateur, d'un ou plusieurs notaires ou d'un certain nombre de témoins, car plus tard la Coutume de Paris précisera, à l'article 289 : «Pour réputer un testament solennel, est requis qu'il soit escrit et signé du testateur, ou qu'il soit passé devant deux notaires, ou par devant le Curé de la paroisse du testateur ou son vicaire général et un notaire, ou dudit Curé ou vicaire et trois tesmoings, ou d'un notaire et deux tesmoings» (cité d'après Lepointe, 1945: 235). L'absence de prescriptions formelles strictes est probablement due à l'influence que les traditions germaniques ont exercé sur l'ancien droit français. Martin (1925: 69) note que «le droit germanique, peu raffiné, n'avait pas de règles détaillées sur l'acquisition des successions». Cependant, s'il y avait, en principe, la liberté la plus parfaite quant à la forme que pouvait adopter le testament, des habitudes existaient et le testament de l'époque avait, d'une façon générale, un caractère traditionnel. Citons à ce propos ce que dit Lepointe (1945: 162) des testaments du XlVe et XVe siècles : «Le testament a toujours son caractère chrétien, et cela résulte du texte de Beaumanoir dans la formule qu'il soumet en exemple aux «simples gens» qui n'ont personne pour les conseiller dans la
LES PRÉSUPPOSÉS
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confection de leur testament. Ce texte de Beaumanoir est ainsi conçu: le n° 425 annonce qu'il va donner un modèle de testament, et le n° 426 est ce modèle, accompagné de commentaires : «En nom du Père et du Fil et du Saint Espérit, amen. Je, Pierre, de tel lieu, fes assavoir à tous présens et à venir que je, pour le pourfit de m'âme, en mon bon sens et en mon bon mémoire, fes et ordène mon testament en la manière qui s'en suit: premièrement je vueil et ordène que toutes mes detes soient paiées et tuit mi torfet et amende, conneu ou prouvé par devant les exécuteurs ...» La pensée de l'éternité domine et anime l'acte tout entier (...) Les détails fourmillent de traces de cette pensée de l'éternité : réparation des injustices, paiement de dettes, legs pieux multiples en faveur d'églises ou d'oeuvres charitables, legs en faveur des domestiques et des inférieurs du testateur, etc....en sont des exemples frappants.» En l'absence de prescriptions officielles, seule l'étude des habitudes testamentaires permet de se faire une idée de ce qu'était, à l'époque de Villon, un testament réel et d'établir le modèle hypothétique qui pourra être confronté avec les données textuelles du Lais et du Testament. Les testaments du XVe siècle le plus facilement accessibles sont ceux qu'a publiés A. Tuetey dans ses Mélanges Historiques, Tome III (Paris, 1880), p. 241-704: «Testaments enregistrés au Parlement de Paris sous le règne de Charles VI». Ce recueil de textes, qui nous offre un instrument de travail éminemment approprié, présente 48 testaments enregistrés au Parlement de Paris et reproduits tantôt d'après le registre original faisant partie des archives du Parlement (Archives Nationales X1A9807), tantôt suivant les Tomes II et III, seuls existants, de la copie du même registre, se trouvant à la Bibliothèque Nationale, département des manuscrits (nos. 1161 et 1162 du fonds Moreau). Les testaments, numérotés par l'éditeur de I à XLVIII, sont reproduits par ordre chronologique; le premier date du 28 mars 1392, le dernier du 9 juin 1421. C'est dire que ces textes précèdent d'environ quarante ans la création du Lais et du Testament; on peut supposer que la forme qu'avaient les testaments du temps de Villon n'étaient pas sensiblement différents de celle de ces testaments du début un siècle. Il semble permis d'admettre que les testaments du recueil de Tuetey sont exemplaires pour les textes que Villon a dû avoir sous les yeux. Sur les 48 testaments du recueil de Tuetey, 9 sont écrits en latin, les autres en français. Il y a un testament français qui est suivi d'un codicille en latin. Il arrive que le texte français est encadré d'une introduction et d'une conclusion écrites en latin, mais l'inverse se présente aussi : parfois le texte latin est précédé et suivi de quelques phrases en français. La plu-
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LES PRÉSUPPOSÉS
part des textes sont rédigés à la troisième personne du singulier (vingthuit). Dix-huit testaments sont écrits à la première personne du singulier. Deux testateurs (des nobles) se servent de la première personne du pluriel (le nos latin et 1 s nous français) pour se désigner eux-mêmes. Les testaments sont de longueur inégale. Le plus long, celui d'un évèque d'Arras, comprend à peu près 8500 mots; le plus bref, établi par un chancelier de France, comprend environ 200 mots. La grande majorié des testaments portent une ou plusieurs signatures, le plus souvent celles de notaires; certains textes ne sont signés que du testateur, et il arrive aussi que le texte soit suivi seulement de signatures de témoins. Dans les testaments nonsignés (il y en a neuf), le texte comporte toujours une formule indiquant qu'un cachet ou sceau y a été apposé, qui est normalement celui du notaire ou celui de la «prevosté de Paris», mais qui peut être aussi celui de l'église et même celui d'une «chevecerie». Aucune signature n'est celle d'une femme. Pour ce qui est de la condition sociale des testateurs, la diversité est grande. «Toutes les conditions, depuis les plus humbles jusqu'aux plus relevées, se trouvent représentées; prêtres, magistrats, marchands, gens de loi, grands seigneurs, dames nobles, bourgeois et bourgeoises», note Tuetey (p. 252). Précisons qu'en effet il y a parmi les testateurs un évêque, un archidiacre, un prieur, deux curés, des chanoines, des présidents du Parlement, un président des enquêtes du Parlement, des procureurs du Parlement, un greffier du parlement, un conseiller au parlement, des avocats, un notaire, des comtes, des chanceliers de France, un chambellan du roi, des secrétaires du roi (de la reine), un amiral de France, un maître des comptes, un huissier du roi, un médecin du roi, des écuyers, des marchands, un épicier. Onze testaments ont été faits par des femmes, dont une chambrière et une marchande de poissons. (Il est curieux de constater que c'est parmi les femmes qu'on trouve deux fois une personne de condition vraiment humble.) Vu la diversité des testaments publiés par Tuety du point de vue de leur conception formelle et linguistique autant que du point de vue de l'état social des testateurs, cet ensemble de textes paraît offrir un échantillon satisfaisant et qui permet de tirer certaines conclusions sur les habitudes de l'écriture testamentaire au XVe siècle. Voilà ce qui justifie que le modèle du testament réel de l'époque de Villon tel qu'il est présenté au chapitre III se fonde sur le dépuillement du recueil de Tuetey. Les citations y seront suivies d'un chiffre romain renvoyant au numéro que Tuetey a donné au testament en question et d'un chiffre arabe renvoyant à la page dans son livre.
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7. DÉFINITION DU TESTAMENT
L'élaboration du modèle testamentaire prend son point de départ dans une définition du testament, qui en est ainsi le terme premier. Le testament est un acte dévolutif solennel. Il comprend nécessairement un ou plusieurs éléments textuels par lesquels le testateur exprime sa volonté de léguer tel bien à telle personne ou telle institution. Le testateur, s'il veut que la validité de ses dispositions testamentaires soit reconnue, aura soin de prendre des mesures pour qu'il puisse être identifié comme l'auteur du texte ou comme celui qui y exprime sa volonté; à ce dessein il précise dans le texte quel est son nom (et, pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, il ajoutera sa profession et son domicile) et il appose sa signature. Si le testament n'est pas de sa main (testament olographe), mais s'il a été dicté à un notaire en présence de témoins (testament authentique), d'autres signatures, cachets ou sceaux peuvent remplacer la signature du testateur. La disposition testamentaire proprement dite trouve son expression dans un énoncé du type «Je, X, lègue L à Y»,5 où X représente l'élément linguistique (un nom propre par exemple) désignant le testateur, où L représente l'élément linguistique désignant le bien légué et où Y représente l'élément linguistique (nom propre ou autre) désignant le légataire. La présence d'un énoncé de ce genre est condition suffisante poux que le texte soit reconnu comme testament; elle est aussi condition nécessaire, car c'est par cet énoncé seulement que le testateur peut manifester sa volonté de disposer d'une manière déterminée des biens qu'il laissera après sa mort. L'énoncé du type «Je, X, lègue L à Y», qui constitue, pour ainsi dire, le noyau de tout testament, sera appelé le CONSTITUANT PERFORMATIF du testament. Le terme de «performatif» est emprunté au philosophe anglais J. L. Austin (1962), qui l'a créé, comme on le sait, pour désigner les énoncés qui se distinguent d'autres - qu'Austin propose d'appeler «constatifs» en ce qu'ils ne constituent pas des déclarations (statements) susceptibles 5 L'énoncé central du testament est nécessairement du type «je, X, lègue L à Y» et non pas «je, X, donne L à Y», car, dans un testament, paradoxalement, on donne tout en ne donnant pas. Grotius, dans son Du droit de la guerre et de la paix, Liv. II, Chap. VI, par. 14 (cité ici d'après Ch. Jacot, 1899:99) note: «le testament n'est autre chose qu'une aliénation que l'on fait de ses biens en cas de mort, se réservant cependant avec la possession et la jouissance, le pouvoir de révoquer l'aliénation et de disposer de ses biens avant son décès.» La dévolution testamentaire est donc un don en suspens, ce qui explique sans doute que dans certaines actualisations de l'énoncé-type «je, X, lègue à Y» on peut trouver le verbe au futur; par exemple dans les énoncés du type «Y aura L». Dans le cas où le testateur se sert néanmoins du verbe donner au lieu de léguer (cf. le chap. III de la présente étude, paragraphe 1.0) le contexte peut obliger le lecteur à l'interprétation correcte, c'est-à-dire à la substitution je donne = je lègue.
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LES PRÉSUPPOSÉS
d'être considérées comme vraies ou fausses. Ainsi, la question «Est-ce vrai ou faux?», qui est pertinente à propos d'énoncés tels que «La terre est ronde», «Jean se rendit à la gare», «Pierre aime Madeleine», est oiseuse à propos d'un énoncé tel que «Je le promets», qui, prononcé sous des circonstances appropriées, n'est pas une description, ni une narration, ni une constatation, mais qui constitute un acte par lequel le locuteur, s'engage pour l'avenir. Dire «Je promets de ...», c'est effectivement promettre de ... : formuler l'énoncé, c'est effectuer (to perform) l'action dénotée. Pour motiver son choix du terme de «performatif», Austin note (p. 6-7) : «The name is derived, of course, from «perform», the usual verb with the noun «action»: it indicates that the issuing of the utterance is the performing of an action - it is not normally thought of as just saying something.» Il y a une certaine hésitation dans l'emploi que fait Austin du terme de «performatif» dans How to Do Things with Words: il est question d'énoncés performatifs, mais également de verbes usités au mode performatif, tandis qu'à la fin du livre une liste est dressée de verbes performatifs. Apparemment le mot performatif se laisse combiner avec les mots énoncé, mode et verbe, et l'on comprend que ce caractère ambigu du terme pose bien des problèmes. Austin a même renoncé à définir la notion avec netteté; il n'a pas eu la prétention d'offrir une théorie achevée («I could do no more than explode a few hopeful fireworks», dit-il (p. 155). Cependant, il a entrepris de circonscrire le sens de la notion de «performatif» en donnant un certain nombre de caractéristiques de l'énoncé performatif. Ainsi, dans l'énoncé performatif, le verbe se trouve normalement à la première personne de l'indicatif du présent actif, et il est entendu que ce présent n'est pas un présent limité (Je fume au sens de «je fume maintenant»), ni un présent exprimant une habitude (je fume au sens de «j'ai l'habitude de fumer»), mais qu'il est un présent qu'on peut appeler continu ou illimité ( celui qui fume nuit à sa santé). L'énoncé ne sera reconnu comme performatif qu'encadré de certaines conventions, contextuelles ou situationnelles : la phrase je proclame la mobilisation générale ne sera un énoncé performatif (autrement dit : n'aura de conséquences) que prononcé par qui de droit - le chef de l'état, par exemple - et encore faut-il que ce ne soit pas à table devant sa femme et ses enfants. Comme les caractéristiques signalées ici - parmi d'autres, qui, dans la perspective d'une recherche de nature littéraire, sont de moindre importance - se laissent retrouver dans l'énoncé «je, X, lègue L à Y», le terme de «performatif» semble être approprié pour désigner ce constituant central du testament. Notons, d'ailleurs, que le verbe bequeath «léguer» figure parmi les verbes performatifs qu'Austin énumère dans le dernier chapitre de son livre.6
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Outre les constituants performatifs, le testament comprend normalement d'autres énoncés qui en assurent le caractère solennel et qui ont pour fonction d'en étayer la validité par leur connotation «ce testament est écrit en bonne et due forme». Leur présence dans le texte n'est pas, comme celle des performatifs, indispensable, mais souhaitée, parce qu'ils constituent, à l'intérieur du texte, le cadre conventionnel que demande tout acte important centré sur un énoncé performatif dans le sens où Austin emploie le mot. Ces termes et locutions accessoires adoptent, d'une façon générale, une forme traditionnelle; ce sont, par exemple, les formules figées par lesquelles le testateur proteste de sa santé mentale ou par lesquelles il déclare avoir établi son testament en présence de témoins. Comme ces énoncés s'ajoutent aux constituants performatifs, ils seront appelés les CONSTITUANTS ADDITIFS du testament. Aucun des constituants additifs ne se trouve nécessairement dans tout testament, et un testament exempt de tout constituant additif est concevable ; cependant, l'usage veut que chaque testament comporte un certain nombre de constituants additifs. Si, donc, ils se laissent détacher du testament sans nuire à sa spécificité, ils n'en sont pas pour autant des éléments superflus. Il est possible, cependant, qu'un texte testamentaire comprenne d'autres énoncés, qui ne sont ni performatifs ni additifs, et qui font l'impression d'être des éléments superflus. Ainsi, Rice (1941: 10) cite Tacite et Suétone, qui signalent que certains testaments romains contenaient des passages où le testateur critiquait un personnage important ou une autre personne qu'il n'aurait osé attaquer de son vivant.7 Lepointe (1945: 145) 6 Les problèmes soulevés par Austin sont, sous différents aspects, extrêmement intéressants. Dans un compte-rendu (Foundations of Language, 3 [1967], 308-10), Z. Vendler note que «Austin's work (...) opens a new vista for the philosopher obsessed with meaning and truth». II est possible que dans l'analyse structurale des récits littéraires, la notion de performatif se laisse utiliser avec profit; Todorov (1967: 27) a fait une suggestion dans ce sens. Les idées d'Austin ont fait l'objet d'examens critiques; citons à ce propos R. Arbini (1967) et B. Siertsema (1972). Ce dernier auteur prend surtout à partie J. R. Ross, qui dans son article «Declarative Sentences» (in: Jacobs and Rosenbaum, Readings in English Transformational Grammar [Toronto, London, 1970], p. 222-77) suggère que toutes les phrases déclaratives sont implicitement précédées dans leur structure profonde par un énoncé performatif (cf. Siertsema, 1972:25). Si le terme de «performatif» est adopté dans la présente étude pour désigner un constituant essentiel du testament, ce n'est pas pour contribuer tant soit peu à la discussion sur cette notion. Il s'agit tout simplement de l'emprunt d'un terme approprié. Notons, en outre, qu'en poésie la notion de performatif, au sens austinien, perd sa portée originelle. Austin lui-même constate que «a performative utterance will (...) be in a peculiar way hollow or void if said by an actor on the stage, or if introduced in a poem, or spoken in soliloquy» (1967:22). 7 W. H. Rice [The European Ancestry of Villon's Satirical Testaments [New York,
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signale q u e les testaments de la période qui v a d u X e a u X H I e siècle avaient u n caractère essentiellement religieux; les prêtres y exhortent les malades à la générosité et aux œuvres de charité pour satisfaire à l a justice divine. Et Vialleton, parlant des testaments en général, s'exclame ( 1 9 6 3 : 1 7 8 ) : «Que de gens ne peuvent résister à l'attrait d'écrire d a n s leurs dernières v o l o n t é s les leçons de leur vie, les résultats de leur expérience et des exhortations pour leurs successeurs!» Et il ajoute: «Tout cela peut trouver place dans l'acte.» D e tels énoncés non-performatifs ne peuvent pas être considérés c o m m e des constituants additifs selon la définition donnée ci-dessus: ils n'ont en aucune sorte la c o n n o t a t i o n «ce testament 1941], p. 10) cite trois passages, deux dans Tacite, un dans Suétone. Les passages empruntés à Tacite sont pris dans l'édition de H. Furneaux, Cornelii Taciti Annalium ab excessu divi Augusti libri, 2nd ed. (Oxford, 1907), 2 vols: «(...) eo metu Fulcinius Trio, ingruentis accusatores haud perpessus, supremis tabulis multa et atrocia in Macronem ac praecipuos libertorum Caesaris conposuit, ipsi fluxam senio mentem et continuo abscessu velut exilium obiectando» (I, p. 641, lib. 6, cap. 38, 2). «Haud dispari crimine Fabricius Veiento conflictatus est, quod multa et probrosa in patres et sacerdotes composuisset iis libris quibus nomen codicillorum dederat. adiciebat Tullius Geminus aceusator venditata ab eo munera principis et adipiscendorum honorum ius. quae causa Neroni fuit suscipiendi iudicii, convictumque Veientonem Italia depulit et libros exuri iussit, conquisitos lectitatosque donee cum periculo parabantur: mox licentia habendi oblivionem attulit» (II, p. 294, lib. 14, cap. 50). Rice signale que Furneaux, dans une note accompagnant le mot codicillorum, écrit: «It was common for persons thus to vent in their will [sic] such attacks on the princeps or others as they dared not utter in their lifetime [fie].» Le passage emprunté à Suétone est le suivant: «Et tamen de inhibenda testamentorum licentia, ne Senatus quidquam constituerit, ihtercessit (Augustus)» (C. Suetonii Tranquilli Opera Omnia Quae Extant, ed. A.Babelonius [London, 1718],p. 169,cap. Ivi; dans l'éd. de 1684 (Paris): p. 176.) Rice suppose que ce sont ces éléments satiriques se présentant à l'intérieur de testaments réels qui constituent l'origine des testaments burlesques. Ainsi, il note (p. 10): «The reasons for the satirical testament are obvious. Furneaux brings this out in the above-cited note, although the statement refers to satire in actual wills rather than in fictious pieces. But the use of the form as a literary vehicle is only a short step from such a practice, and would almost certainly be taken sooner or later.» Selon cette conception, l'élément satirique dans le testament réel et le testament satirique assurent à leurs auteurs une certaine impunité. On trouve un écho de cette idée dans le vers suivant du Testament: Qui meurt, a ses loix de tout dire.
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Il y aurait donc une sorte de transfert d'impunité du testateur réel au testateur fictionnel. Rice (p. 10) suggère qu'un transfert similaire a eu lieu de l'immunité des fous du roi aux sots et aux fous des anciennes comédies: «The immunity from political reprisai implied in the idea of the last will and testament might naturally have carried over the literary works of purely fictious character in much the same way that the immunity of court jesters seems to have carried over to the satires of such groups as the sots and the fous of the comic drama of French medieval literature.» L'idée nous semble parfaitement plausible.
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est écrit en bonne et due forme». Des énoncés de ce genre, qui semblent être de trop dans un testament et dont on pourrait dire qu'ils sont «en supplément» dans le texte, c'est-à-dire ajoutés à un ensemble qu'on peut considérer comme étant déjà complet, seront appelés les CONSTITUANTS SUPPLÉMENTAIRES du testament. Il va sans dire que, leur présence dans le testament n'étant ni indispensable, ni même souhaitée, il est rare qu'on les y trouve. Compte tenu des définitions données des trois sortes de constituants qu'on doit ou peut trouver dans le testament, celui-ci se laisse définir comme suit: le testament est un texte comportant nécessairement un ou plusieurs constituants performatifs auxquels s'ajoutent traditionnellement des constituants additifs; il peut éventuellement comporter des constituants supplémentaires. Cette définition se laisse visualiser sous une forme succincte par la formule suivante :
(1) Testament
/Perf «Testament» (titre)
Dans le recueil de Tuetey trois testaments sont pourvus d'un titre ; ce sont les testaments VII, Vili et IX. Dans chacun des trois figure en tête du texte le mot Testamentum suivi d'un génitif: Testamentum magistri Johannis de Nuilly (VII, 304), Testamentum magistri Johannis Sallecii (VIII, 320), Testamentum prioris Sancii Eligii Parisiensis (IX, 331). Le constituant contractuel peut se trouver également à l'intérieur du texte. Il se composera alors du mot testament, ou un synonyme, précédé d'un pronom déictique, qui est normalement un pronom possessif renvoyant au testateur, et accompagné du verbe faire ou un verbe synonyme. Normalement l'énoncé se termine sur des mots tels que «en la maniere qui s'ensuit». (3b)
Contr
> «je fais mon testament en la maniere qui s'ensuit»
Dans tous les testaments du recueil de Tuetey, également dans ceux qui portent un titre, figurent un Contr de ce genre. Parfois ils sont assez longs, comme c'est le cas au testament XXXII: (...) testamentum meum ultimum nuncupativum, seu ultimam meam voluntatem, quod et quam in hiis scriptis presentibus redigi facio ad futuram rei geste memoriam, condo, facio et ordino in modum qui sequitur infra scriptum: (...) (XXXII, 512). Parfois ils adoptent une forme très simple : (...) fais mon testament en la maniere qui s'ensuit (...) (XL, 576). Il n'est pas nécessaire qu'un énoncé servant de référence contextuelle à un autre énoncé se trouve en rapport de concaténation avec ce dernier; en effet, dans les testaments réels, les deux constituants Contr et Op ne sont pas toujours avoisinants. De plus, il ne serait pas nécessaire non plus
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MODÈLE D U TESTAMENT RÉEL
que le Contr précède le premier Op, mais on constate que dans les testaments publiés par Tuetey le constituant contractuel se présente toujours avant la première apparition dans le texte d'un constituant opératif, de sorte que la substitution je laisse/donne = je lègue peut se faire dès que cet élément se présente. Il arrive que le texte comprend des énoncés qui renvoient à un Contr du type (3b). Ces énoncés, qui sont, pour ainsi dire, des Contr réitérés et qui réfléchissent le premier Contr paru dans le texte, seront appelés des CONSTITUANTS RÉFLEXIFS.2 Tels sont les énoncés comprenant le substantif testament, ou un synonyme, précédé d'un pronom déictique, normalement le démonstratif ce. (3c)
Contr
Réfi
> «ce testament»
Les testaments du recueil de Tuetey ne comprennent que rarement des Réfl. On en trouve un exemple au testament XXXIV: (...) révoqué tous austres testamens ou ordenances de derreniere voulenté, faiz par moy par avant ce present testament (XXXIV, 528). La rareté de ce constituant dans les testaments réels s'explique par le fait qu'il est un constituant dépendant et nullement constitutif. Son intérêt théorique, cependant, c'est qu'il introduit dans le texte un élément de métalangage testamentaire: en se servant d'un énoncé de ce genre, le testateur prend, pour ainsi dire, conscience de l'acte de tester qu'il est en train d'accomplir. 1.2 Les constituants opératif s C'est en formulant les énoncés qui seront appelés les constituants opératifs du testament que le testateur dispose des biens qu'il laissera après sa mort. Ces énoncés se laissent distinguer en trois groupes. Premièrement, il y a les énoncés du type «je laisse L à Y». (4a)
Op
> «je laisse L à Y»
C'est en effet par l'énoncé du type «je laisse L à Y» que dans les testa2 Les énoncés de ce genre sont appelés RÉFLEXIFS, parce qu'on peut admettre que, dans un passage pareil, le texte fait un mouvement de retour sur lui-même. Todorov, dans Littérature et signification, fait un emploi analogue du terme: «(...) l'énoncé réflexif, si on donne ce nom aux énoncés qui traitent d'eux-mêmes. Ainsi Valmont peut écrire: «Je me sens plus calme depuis que je vous écris». Il parle donc, à l'intérieur de l'énoncé, d'un des éléments du procès d'énonciation de ce même énoncé, de son acte d'émission» (Todorov, 1967:26).
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ments du recueil de Tuetey la grande majorité des legs s'effectuent. Ce n'est que rarement qu'on trouve une expression synonyme, telle que «je donne L à Y» - (...) je donne à l'eglise de Saint Innocent ce qu'il plaira à mes executeurs (XV, 382) - , «je quicte Y de L» - (...) je quicte Pierrette, ma suer, de dix escuz (...) (XXXIV, 538) - ou «je ordonne L à Y » - (...) je ordonne à chascune des quatre ordres Mendions trois frans (...) (XLVII, 623). La combinaison «je donne et laisse L à Y» se présente également: (...) je donne et laisse à Jaquin, mon frère, deux de mes petites tasses d'argent (...) (XLIV, 600). Un autre type d'énoncé qui est à considérer comme un constituant opératif est celui qui présente une forme de vouloir ou ordonner suivie d'une subordonnée comprenant une forme du verbe donner ou d'un synonyme. (4b)
Op
> «je vueil/ordonne qu'on donne L à Y»
Les testaments du recueil de Tuetey présentent plusieurs exemples d'énoncés pareils: (...) je vueil que on donne et distribue aux povres de VOstel Dieu de Paris (...) en baillant à chascun povre un blanc de IIII deniers pour une fois, et qu'il soit continué jusques à ce que on ait donné L frans (II, 274), (...) je ordonne que aux héritiers de maistre Jehan de Ruit soit baillée la somme deXXXfrans (...) (XLII, 588). Finalement, dans le contexte testamentaire, est également à considérer comme un constituant opératif l'énoncé du type «Y aura L», dont, cependant, les testaments du recueil de Tuetey n'offrent pas d'exemples. (4c)
Op
> «Y aura L»
Dans les testaments qu'a publiés Tuetey, il y a peu de variation dans l'emploi des constituants opératifs : c'est presque exclusivement l'énoncé du type «je laisse L à Y» qui véhicule la disposition testamentaire. Toujours est-il que le verbe, dans une construction elliptique, est le plus souvent supprimé après avoir paru une ou plusieurs fois dans le texte. On constate que, si les notaires dans d'autres parties du testament ont eu souvent tendance à alourdir le texte d'éléments redondants, ils ont cherché à éviter une pléthore de formes identiques, notamment une répétition trop fréquente de la forme «je laisse».
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1.3 Les constituants identificatifs Dans les testaments rédigés à la première personne, le testateur est celui qui dit «je» dans le texte, autrement dit, celui qui est le sujet de l'énoncé. Dans les testaments rédigés à la troisième personne, le testateur est celui désigné par le substantif testateur ou par le pronom anaphore il. Le constituant identificatif (Id) est l'élément textuel qui permet d'identifier le testateur, disons, en nous limitant aux textes rédigés à la première personne, d'identifier celui qui dit «je».3 La présence d'un pareil élément identificatif, sans lequel il serait impossible de savoir qui est celui qui exprime sa dernière volonté, est évidemment indispensable. Cependant, cette identification, à elle seule, ne suffit pas. Il est évident qu'un testament fait au nom de X, mais qui ne serait pas écrit ou dicté par X, ne serait pas à considérer comme le testament de X. C'est dire que non seulement le sujet de l'énoncé, (X), doit être identifiable, mais que le texte doit, en outre, comporter un élément permettant d'identifier X comme celui qui est le sujet de l'énonciation, celui qui a écrit ou dicté le texte, celui qui est le destinateur, (D), du message testamentaire. Le constituant identificatif, (Id), se compose donc nécessairement de deux constituants, dont le premier identifie X, l'autre D : (5) Id C'est la présence de ces deux constituants dans un testament qui permettra à ceux qui sont chargés d'en constater la validité de vérifier si X = D, si le testateur et l'auteur du testament sont la même personne. L'identification du sujet de l'énoncé peut se faire de deux façons. Le testateur sera identifié, si le texte porte un titre du type «Testament de X», où X est normalement un nom propre suivi d'un complément déterminatif qui enlève tout doute à propos de la personne dénotée. (6a) IdX
3
> «(Testament) de X» (titre)
Les éléments linguistiques qui dans les énoncés du type «je donne L à Y» identifient le légataire, Y, et précisent la nature du bien légué, L, auraient également pu être appelés des éléments IDENTIFICATIFS. Ils ont en effet une fonction identificative, mais dans la présente analyse ils seront considérés comme faisant partie du constituant opératif et non comme des constituants à part. Cela pour la simple raison de ne pas trop compliquer la terminologie.
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Ainsi les testaments VII et VIII du recueil de Tuetey sont précédés de titres comportant un nom propre suivi de termes désignant l'état social du testateur (VII : Testamentum magistri Johannis de Nuilly, quondam advocati in Parlamento et archidiaconi Suessionensis; VIII : Testamentum magistri Johannis Sallecii, magistri in medicina). Dans le testament IX, qui a pour titre Testamentum prioris Sancti Eligii Parisiensis, le mot Testamentum n'est suivi que de termes désignant l'état social du testateur; le nom propre le dénotant fait défaut. Cet inconvénient est compensé par le fait que le texte en question comprend un nom propre (Pierre Philipeau, p. 331), qui enlève tout doute sur l'identité du testateur. En effet, c'est ce dernier procédé qui est utilisé dans la majorité des testaments du recueil de Tuetey; dans les testaments rédigés à la première personne, le nom du testateur paraît immédiatement après le premier pronom personnel de la première personne. (6b)
IdX
> «(je,) X,»
Ainsi on trouve Je, Pierre du Chastel, arcediacre de Soissons, conseillier du roy nostre sire et maistre de ses comptes (II, 272); Nos, Inguerranus dominas de Couciaco, cornes Suessionensis (III, 280); Ego, Johannes Sallecii, presbyter Sancti Fiori dyocesis, magister in artibus et in medicina, curatus plebanus ecclesie parrochialis Ville Episcopi, Andegavensis dyocesis (VIII, 321). Après de tels énoncés la substitution Je = X peut être faite toutes les fois que le pronom anaphore je, ou un verbe à la première personne, se présente. Dans les testaments rédigés à la troisième personne, ce sont, d'une façon générale, les notaires qui font connaître le nom du testateur, permettant ainsi de faire la substitution Il = X dans le texte entier. On lit, par exemple, Savoir faisons que par devant Estienne Boileaue et Nicaise le Munier, clers notaires du roy nostre dit seigneur, de par lui establiz ou Chastellet de Paris, fu personnelment establi noble homme et sage, monseigneur Jehan de Poupaincourt, chevalier, seigneur de Lyencourt, premier président pour le roy nostre sire en son Parlement à Paris, (...) pensant et désirant (...) des biens et choses que nostre doulx Sauveur lui a donnez et prestez en ce monde mortel ordonner et disposer par ordonnance testamentoire ou derraine voulenté (X, 337). Dans cet exemple, la fin de l'énoncé est à prendre comme une périphrase pour testateur. La présence d'un seul constituant IdX suffit pour constituer la référence contextuelle nécessaire. Il se trouve en général au début du texte, comme, dans les testaments du recueil de Tuetey c'est toujours le cas, de sorte que la substitution je = Z s e fait au moment même où le premier je paraît dans
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le texte. Cependant, c o m m e cette substitution pourrait tout aussi bien se faire après coup, on peut admettre que la position de IdX est libre. Il s'en suit que ce constituant n'a pas besoin de se trouver dans un rapport de concaténation directe avec les autres constituants performatifs. L'étude des testaments réels nous apprend que souvent IdX est séparé du constituant contractuel par un certain nombre de constituants additifs. 4 Le constituant I d D , qui permet de vérifier si le destinateur du message est bien le testateur lui-même, est par excellence celui qui donne au texte sa validité en tant que testament. Il est o u bien la signature ou le cachet du testateur lui-même, o u bien la signature ou le cachet de témoins dignes de foi, notaires et autres, qui, par l'apposition de ces signatures ou cachets, déclarent implicitement que c'est bien X qui exprime dans le texte testamentaire sa dernière volonté. Il peut être aussi quelque sceau officiel, par exemple celui de la prévôté de Paris. 5 (7)
IdD
> signature/cachet/sceau
4 Parfois les procédés par lesquels le testateur est identifié sont légèrement différents, comme le montrent les passages suivants: Cest le testament ou derreniere voulenté que moy, R(obert) Maugier, conseillier du roy nostre sire, faiz et ordonne en la maniere qui s'ensuit (XLIY, 598) ; Fait son testament monseigneur Eustace de VAictre, chancellier de France, esleu de Béarnais (XLVI, 621). 6 Parmi les testaments rédigés à la troisième personne du recueil de Tuetey, 22 sont signés par des notaires nommés dans le texte. Deux testaments rédigés à la troisième personne sont signés par des notaires (XVIII, 425 et XXVI, 475). Trois textes par une personne non nommée auparavant et qui est sans doute un notaire (XLI, 586; XLVI, 622; XLVII, 625). Un testament, rédigé à la première personne, est signé par des témoins nommés dans le texte (II, 284). En général, les testaments rédigés à la première personne sont signés par le testateur lui-même; il y en a ainsi onze. Une fois le testateur signe avec son prénom seulement (XXV, 547). Parfois la signature du testateur est accompagnée de celles de témoins (XXXIII, 527 et XXXIV, 543) ou de celles de notaires (XXXIX, 575). Le plus souvent le texte est non seulement signé, mais encore cacheté et c'est le texte qui nous l'apprend: Et pour ce que je vueil que toutes les choses dessus dictes et chascune d'icelles soient parfaites, je, Pierre de Chastel, dessus nommé, les ratiffie et les approuve, tesmoing mon seel et saing manuel mis à ces présentes. Escript comme dessus. Ainsi signé: P. DE CHASTEL (II, 279). Dans le cas où une signature est absente (absence qui peut être due au fait que Tuetey ne dispose que d'une copie du testament original), le texte comprend une indication permettant de constater qu'un cachet ou sceau a été apposé: In cujus rei testimonium sigillum dicteparrochialis ecclesie presentibus litteris duximus apponendum (1,271); En tesmoing de ce, nous à la relacion des diz notaires avons mis à ces lettres le seel de la prevosté de Paris (...) (IX, 335); A la relacion duquel et en tesmoing des choses dessus dictes, nous avons mis à ces présentes le seel de nostre dicte eglise (...) (XXXVI, 553); A la relacion duquel, et en tesmoing des choses dessus dictes, nous avons mis à ces présentes le seel de nostre dessus dicte chevecerie (...) (XXVIII, 567).
Signalons, en outre, que parfois le copiste appose sa signature: Collatio facta est cum originali testamento defuncti magistri Pétri de Castro suprascripto. J. VILLEQUIN (II, 279).
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2. LES CONSTITUANTS ADDITIFS
2.0 Introduction Tous les testaments du recueil de Tuetey comportent, outre des constituants performatifs, un nombre considérable d'éléments textuels qui se relient aux performatifs et qui contribuent presque tous au caractère testamentaire du texte. Ces éléments, parce qu'ils s'ajoutent aux performatifs, sont appelés les constituants additifs. Leur présence dans le texte n'est pas, comme celle des performatifs, condition nécessaire ni suffisante pour en faire un testament. Ils se laissent détacher du texte, sans que celuici perd son caractère de testament. Cependant, quand on isole les additifs du contexte testamentaire, ils sont bien souvent encore reconnaissables comme des éléments testamentaires. Quand on considère par exemple des énoncés tels que «je vueil qu'on m'enterre à ...», «ne voulant pas mourir intestat», «Item», on est quasiment certain d'avoir affaire à des éléments d'un texte testamentaire. D'autres, par contre, qui n'ont pas cette vertu intrinsèque de se laisser reconnaître, isolés, comme des constituants additifs d'un testament, peuvent être reconnus comme tels par leur signification dans le contexte testamentaire. Les énoncés «je vueil que mes debtes soient payées», «considérant qu'il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle», «au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit» sont de tels constituants. Tous les additifs se relient de quelque façon, sémantiquement et/ou syntaxiquement, aux performatifs du testament. Ils ne donnent jamais l'impression d'y être des corpora aliéna. Un élément comme «afin qu'il prie pour moy» est un cas limite; il n'a aucune vertu testamentaire intrinsèque, mais est à considérer comme un constituant additif, quand il suit un énoncé du type «je laisse/donne L à X». Dans ce cas, le critère selon lequel on reconnaît l'additif est purement syntaxique. Il y a une catégorie de constituants additifs qui se distinguent nettement des autres. Ce sont les énoncés par lesquels le testateur exprime une volonté, par exemple concernant les circonstances de son enterrement, du type «je vueil qu'on m'enterre à ...», «je vueil que sur ma tombe soit escript». Le testateur exprime encore une volonté en notant «je ordonne mes executeurs Zi, Z2 ...» ou «je vueil que mes debtes soient payées». De tels éléments s'ajoutent aux opératifs du testament, mais ne s'y subordonnent aucunement, ni syntaxiquement, ni sémantiquement. On pourrait être tenté de les considérer eux-mêmes comme des opératifs, puisqu'ils ont en commun avec ces derniers leur grande autonomie sémantique et syn-
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taxique. Cela d'autant plus que certains énoncés de ce genre sont des performatifs au sens qu'Austin donne à ce mot: on ne peut désigner des exécuteurs testamentaires qu'en énonçant une phrase signifiant «je désigne Z comme mon exécuteur testamentaire». Cependant, de tels énoncés ne sont pas des performatifs (opératifs) au sens qui a été donné au terme dans le chapitre précédent; leur présence dans un testament n'est pas indispensable, et un texte qui compendrait des énoncés de ce genre («je vueil qu'on m'enterre à ...», etc.), mais qui serait exempt de tout énoncé du type «je laisse/donne L à X», n'est pas à considérer comme un véritable testament. Vu que les énoncés de ce genre, par leur autonomie dans le texte et par leur pouvoir de produire un effet voulu (Austin dirait : par leur pouvoir illocutionnaire),6 ressemblent à des opératifs, et vu que, par leur contenu et par leur caractère non-indispensable, ils ne le sont quand même pas, ils seront appelés constituants semi-opératifs (SemiOp). Les autres constituants additifs sont d'une nature bien différente. Ils ne sont jamais dans une relation d'autonomie sémantique avec les constituants performatifs du texte. Les uns se relient plutôt au constituant contractuel et forment, pour ainsi dire, le cadre conventionnel, traditionnel, dans lequel le «contrat» testamentaire s'établit normalement. Ce sont, par exemple, la datation du texte, les énoncés par lequel le testateur déclare être «sain de pensée» au moment de faire son testament, les énoncés par lesquels le testateur révoque les testaments faits antérieurement et les énoncés par lesquels le testateur, dans une formule traditionnelle, justifie l'établissement de son testament: «considérant qu'il n'est chose plus 6 Dans la seconde partie de son livre, Austin suggère une théorie générale, dans laquelle pourrait s'inscrire sa théorie des énoncés performatifs. Il propose de distinguer trois niveaux auxquels l'usage du langage peut être décrit: le niveau «locutionnaire» (quelque chose est dit), le niveau «illocutionnaire» (on fait quelque chose en disant quelquî chose) et le niveau «perlocutionnaire» (on fait quelque chose par le fait de dire quelque chose). Un exemple: Quand quelqu'un nous dit qu'un taureau va nous attaquer (acte locutionnaire), il peut, en le disant, nous avoir avertis (acte illocutionnaire) et, par le fait de l'avoir dit, nous avoir effrayés (acte perlocutionnaire). Austin conclut que «the doctrine of the performative/constative distinction stands to the doctrine of the locutionary and illocutionary acts in the total speech act as the spécial theory to the general theory» (Austin, 1967:147). Dans cette perpective, les énoncés performatifs sont considérés comme ayant un pouvoir illocutionnaire. (Cf. aussi le compte-rendu, par Z. Vendler, de How to Do Things with Words dans Foundations of Language, 3 [1967], 308-10.) Il va sans dire qu'une discussion de cette théorie générale n'entre pas dans le cadre de la présente étude. Signalons, cependant, que la catégorisation des actes linguistiques proposée par Austin n'est pas encore exploitée par la linguistique. Siertsema (1972: 29) note à ce propos : «pour ce qui est des tentatives de description contextuelle, les linguistes cèdent le pas aux philosophes» [in pogingen tôt kontekstbeschrijving zijn de filosofen de linguïsten vóór].
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certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle», «ne voulant pas mourir intestat», «pensant à la fin de ma vie», etc. Ces éléments textuels, qui se relient au constituant contractuel - le plus souvent au moyen d'un élément connecteur syntaxique - , seront appelés les constituants additifs contractuels (AddContr). Les autres additifs, qui se relient de toute évidence à un des opératifs seront appelés constituants additifs opératifs (AddOp). Ce sont, par exemple, des énoncés du type («je laisse/donne X à L»), «pour son mariage», «pour sa paine et travail et pour l'affection que j'ay à luy».
(8)
Add
( SemiOp AddContr ( AddOp
Parmi les constituants se reliant au constituant contractuel (AddContr) on distinguera deux catégories. Une première catégorie est celle des énoncés qui, sans être des éléments absolument indispensables à la validité du testament, semblent avoir pour fonction de l'étayer. Ainsi tous les textes publiés par Tuetey sont datés, et bien d'autres comportent des énoncés par lesquels le testateur déclare être «sain de pensée» ou d'avoir testé «de mon bon gré, sans contrainte», «en présence de témoins». De tels éléments tendent à produire la validation, l'homologation du texte en tant que testament. Vu cette fonction homologative qui leur est propre, ils seront appelés constituants homologatifs (Hom). Ce sont les constituants homologatifs qui forment, par excellence, le cadre conventionnel que demandent les constituants performatifs à l'intérieur du texte testamentaire; ils ont tous la connotation «ce testament est écrit en bonne et due forme». Cela vaut, dans une moindre mesure, également pour la deuxième catégorie de constituants AddContr, formée d'énoncés qui justifient l'établissement du testament. Dans ces énoncés le testateur déclare avoir fait son testament, «considérant que chaque jour l'homme approche de l'heure de sa mort», «voulant tester avant qu'il ne soit plus en état de le faire», etc. Ils ont sans doute une valeur qui est surtout traditionnelle; quand ils se présentent dans des testaments différents, leur contenu, et bien souvent même leur forme, ne varie guère d'un texte à l'autre. Quand un testateur justifie l'établissement de son testament, il le fait normalement dans plusieurs énoncés de ce genre, qui se succèdent dans le texte. L'ensemble textuel ainsi formé se relie toujours directement au constituant contractuel; il a toujours, globalement, une signification justificative. C'est pourquoi ces constituants additifs seront appelés des justificatifs.
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Pour les distinguer des justificatifs se reliant aux opératifs (et dont il sera question ci-dessous) ils recevront la notation JustContr. (9)
AddContr j® 0 ™, . (JustContr
Parmi les constituants additifs s'ajoutant aux constituants opératifs quatre catégories se laissent distinguer. Les opératifs sont toujours accompagnés d'un élément textuel, Item, qui adopte, sans exception aucune, la même forme et qui, malgré sa signification «de même», est pratiquement vide de sens dans le contexte testamentaire. Cet élément peut être considéré comme un pur ornement du texte testamentaire; c'est pourquoi il sera appelé constituant ornemental (Orn). Dans la catégorie des ornementaux on peut faire entrer également, semblet-il, le mot Premièrement, introduisant le premier legs du testament, ou la formule par laquelle le testateur recommande son âme à Dieu, et la formule Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit, qui n'ont guère d'autre connotation que de représenter un élément traditionnel du testament. (La formule «Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit» n'est certes pas vide de sens, mais on peut admettre que, dans les testaments, sa présence est traditionnelle et quasiment obligatoire; son aspect formel prévaut sur sa signification. Voilà pourquoi il nous semble permis de la désigner comme un constituant ornemental.) D'autres énoncés additifs ont une valeur justificative; ils ne justifient pas, cette fois, l'établissement du testament dans son ensemble, mais ils motivent le legs fait dans l'un des constituants opératifs. Ils seront appelés constituants justificatifs opératifs (JustOp). Dans la phrase suivante on en trouve quelques exemples : (Item, je lesse à messire Pierre Mercier, mon chappelain,) pour les bons services qu'il m'a fais et fait encores tous les jours et dont je me tieng content, (11° frans avecques ma robe de caignet,) et afin qu'il prie pour moy, et que je soye en sesprieres et qu'il luisouviengne de moy, (je lui lesse mon petit breviaire complet avec l'estuyàle mettre.) (II, 276). Le constituant opératif peut être accompagné aussi d'un énoncé qui en restreint ou en change la portée. La restriction peut consister dans une condition posée à l'égard du comportement du légataire; elle s'acconpagne, explicitement ou implicitement, d'une annulation du legs : (Item, je vueil que les deux laiz dessus nommez que à ma niepce et Jehanneton,) se aucunement ne se gouvernoient bien, ou que Hz ne se mariassent au gré de leurs amis, ou que ilz allassent de vie à trespassement, (je vueil que les diz lais ne vaillent riens.) (XLVII, 623). Comme le montre l'élément ou que ilz
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allassent de vie à trespassement dans cette phrase, la restriction n'est pas toujours de nature conditionnelle; elle peut être aussi une formule préventive pour le cas où certaines circonstances (le décès d'un légataire, par exemple) empêcheraient l'éxécution de la dernière volonté du testateur. Des énoncés pareils seront appelés des constituants restrictifs (Restr). Il arrive que, dans les constituants opératifs, les éléments substantivaux qui ont pour fonction de permettre l'identification sont accompagnés d'éléments adjectivaux non-distinctifs, qui, pour cette identification, ne sont nullement pertinents (et nous ne pensons pas aux éléments qui précisent la profession du légataire ou qui sont, comme par exemple l'apposition noble homme, traditionnels). De tels éléments adjectivaux sont, par exemple, qui est bien aisée dans sa dicte suer, qui est bien aisée (XIII, 369), et beau et qui est moult notable dans son beau livre Catholicon, qui est moult notable (XLV, 613). Ces éléments adjectivaux se reliant directement à l'élément représentant Y ou L ne sont pas indispensables à l'identification du légataire ou du legs, mais ils ne sont pas non plus redondants, puisqu'ils fournissent sur le légataire ou le bien légué un renseignement dont le lecteur ne dispose pas. Autrement dit, la valeur informative d'un pareil élément n'est pas nulle. Il est qualificatif dans ce sens qu'il sert à exprimer une qualité de ce qui est dénoté par le substantif auquel il s'ajoute. C'est pourquoi les éléments textuels de ce genre seront appelés constituants qualificatifs (Quai). (10) AddOp
Orn JustOp Restr Quai
Avant de procéder, dans les paragraphes suivants, à une catégorisation plus poussée des additifs définis ci-dessus, il est bon de s'arrêter un instant aux principes de catégorisation eux-mêmes. Comme on a pu le constater, les critères sur lesquels se fondent les procédures de reconnaissance permettant de départager les différentes catégories sont de triple nature : ils sont tantôt «logiques», tantôt sémantiques (connotatifs), tantôt relationnels. Par un critère «logique» nous entendons celui qui entre en ligne de compte quand, à propos d'un énoncé, la question se pose de savoir s'il est, oui ou non, indispensable au caractère testamentaire du texte. La distinction entre performatifs et additifs se fait principalement selon ce critère. Le critère sémantique regarde la signification, et souvent la
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connotation, des énoncés. Le contractuel se distingue de l'opératif par sa signification («ceci est un testament» vs «je laisse/donne L à Y») et par sa connotation («ceci est un contrat») vs «l'énoncé doit être suivi d'un acte [la transmission du bien légué après la mort du testateur]»). Les constituants homologatifs se distinguent des autres par leur connotation «ce texte est écrit en bonne et due forme». C'est exclusivement selon le critère relationnel que les constituants qualificatifs s'incorporent dans la catégorie des additifs; le même critère permet de départager les AddContr des AddOp. On peut regretter que la catégorisation ne se fasse pas selon un seul critère, mais force nous est de nous plier à cette évidence : à l'heure qu'il est, vu les limites de la technique analytique textuelle et de l'outillage conceptuel dont on dispose, un critère unique permettant de catégoriser, d'une façon satisfaisante, le texte testamentaire ne se laisse pas trouver (ou du moins, nous n'avons pas réussi à en trouver un). Le critère «logique» ne rend possible que des distinctions assez globales, bien que fondamentales (entre performatifs et additifs, entre semi-opératifs et autres additifs). Le critère sémantique donne trop souvent lieu à des cas limites, difficiles à classer, à des problèmes d'interprétation : il convient d'admettre que ne pas définir ce que nous entendons par connotation (et c'est à dessein que nous n'avons pas entrepris de définir la notion), c'est en appeler à la bonne volonté du lecteur, à un consensus, à des semantic assumptions implicites.7 7
Dans son discourse analysis d'un récit de James Thurber, Harris (1963: 57-73) tente d'en arriver à l'établissement d'une structure textuelle grâce à des transformations grammaticales et des opérations textuelles qui sont, autant que possible, non-sémantiques. Cependant, force lui est de recourir à des semantic assumptions, et d'introduire, ce faisant, un élément plus spéculatif dans son analyse structurale. Il regrette d'avoir à appliquer cette opération «which is based on semantic knowledge and judgement» et se propose d'en faire usage aussi rarement que possible : «We try to apply it sparingly, (...)» (Harris 1963:65). De même, nous aurions préféré réduire autant que possible le rôle du critère sémantique dans notre analyse, pour réduire la part de spéculation. Cependant, nous n'avons pas pu en éviter l'application ; il convient d'admettre que l'appel aux semantic assumptions est beaucoup plus fréquent dans notre analyse que dans celle de Harris. Il y a plusieurs faits qui expliquent cet état de choses : (1) La plus grande étendue du corpus textuel étudié rend l'établissement d'un scala complet de critères formels plus difficile que dans l'analyse d'un récit relativement bref comme celui de Thurber. (2) Vu le caractère assez lâche de la grammaire du français moyen, l'élaboration de critères formels pour tous les cas qui se présentent alourdirait notre analyse d'une façon quasiment intolérable. Ainsi, il y a peut-être moyen de distinguer, grâce à une description détaillée (et, par conséquent, très longue) entre les deux pour dans «je laisse L à X, pour sa paine et travail» et dans «je laisse L à X, pour son mariage», mais on évite un alourdissement de notre texte si l'on admet que le premier pour est causal et le second final.
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Ainsi, par exemple, la ligne de démarcation qui sépare les éléments «conventionnels» (Hom) des éléments «traditionnels» (JustContr) ne saurait être tracée avec netteté. Le critère relationnel nous place également devant des problèmes. Non pas, peut-être, quand il s'agit de constituants groupés à l'intérieur d'une même phrase: on peut, dans ce cas, utiliser des concepts syntaxiques pour marquer la relation entre les constituants. Mais la syntaxe n'est plus d'aucun secours quand il s'agit de rendre compte de relations interphrastiques; pour les marquer il ne reste alors que d'en appeler à la sémantique, et, cela va sans dire, les mêmes hésitations se manifestent que celles auxquelles conduisent les notions de signification et de connotation. Donnons deux exemples de ces hésitations. La datation, on l'a vu, est considérée comme un constituant AddContr, comme un élément se reliant au constituant contractuel. Cependant, la datation ne s'intègre pas, comme les autres AddContr, dans une phrase qui comprend le constituant Contr. Normalement, la date de la conception du testament est précisée dans une petite phrase à part, phrase qui ne comprend aucun élément susceptible d'être considéré comme un élément connecteur. Métaphoriquement parlant, on dirait que la petite phrase comprenant la datation est un «syntagme autonome» (dans le sens que Martinet a donné au terme).8 On comprend, cependant, que la date ne porte pas sur tel opératif à l'exclusion d'un autre, et que, par conséquent, il n'est pas un AddOp. Que la datation soit considérée comme un AddContr n'est donc pas tant le résultat d'une constatation positive (la relation avec les autres éléments textuels n'est pas nette), mais plutôt le résultat d'une élimination : si ce n'est pas un AddOp, on est tenté de le considérer comme un AddContr. Si à propos de la datation, la question de sa relation avec les autres éléments textuels peut être tranchée d'une façon satisfaisante, malgré l'hésitation qu'on puisse avoir sur sa relation sémantique avec ces éléments, le problème est plus délicat en ce qui concerne l'énoncé Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit, qui a été appelé un AddOp ornemental ci-dessus. Bien souvent, l'énoncé constitue une phrase à part; il est donc également un «syntagme textuel autonome». Sa position dans l'ensemble textuel varie d'un texte à l'autre. Le plus souvent il se trouve au début du testament, avant le Contr; parfois il précède la partie opérative. Il est certain qu'il ne se relie pas à un opératif spécial. Sa relation avec le reste du texte est donc On comprendra donc que c'est pour des raisons d'ordre pratique surtout que nous avons fait usage de la notion de CONNOTATION, dont nous nous serions volontiers passé. 8 Voir A. Martinet, Éléments de linguistique générale (Paris, 1963), 3e éd., p. 109 et s.
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assez vague, comme celle de la datation, mais, vu les considérations qui ont fait entrer la datation dans la catégorie des AddContr, on pourrait être tenté de considérer l'invocation de la Trinité également comme un AddContr. Cependant, sa fonction ornementale dans le texte n'est pas très différente de celle des autres constituants ornementaux, Premièrement et Item. Il faut même croire que les Item sont des éléments anaphoriques, qui répètent la formule Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit. Il semble donc inadmissible de ne pas grouper Item et l'invocation de la Trinité dans la même catégorie. Pour résoudre ce dilemme et pour ne pas trop compliquer le classement, nous sacrifions le critère relationnel sémantique à un autre critère, celui de l'analogie fonctionnelle, bien que ce soit - il convient de l'avouer - en «faussant la vérité», en introduisant ce paradoxe : un des constituants ornementaux (de la catégorie des A d d O p ) est plutôt un AddContr qu'un AddOp. Nous nous somme servis de l'expression critère de l'analogie fonctionnelle. En fin de compte c'est celui-là qui prime les autres critères. L a notion de fonction occupe une place importante dans la présente étude: nous cherchons à grouper ensemble des entités fonctionnelles. Cependant, comme précisément la notion de fonction est peut-être encore plus difficile à définir que celles auxquelles on fait appel en se reposant sur les critères «logiques», sémantiques et relationnels, ce n'est qu'en tout dernier lieu que la notion de fonction entrera en ligne de compte quand il s'agit de départager certaines catégories. D'ailleurs, la raison principale pour éviter autant que possible le critère fonctionnel dans la phase taxonomique de la présente étude, c'est à dire avant l'interprétation des faits structuraux obtenus, c'est que, ce faisant, on évite l'écueil de la pétition de principe : quand une étude veut conduire à des conclusions sur le fonctionnement d'éléments textuels à partir d'un classement de ces éléments, il est indésirable que le classement soit fait d'après un critère fonctionnel. Constatons que, heureusement, on n'est forcé d'y recourir qu'exceptionnellement. 2.1 Les constituants sémi-opératifs Les constituants semi-opératifs qu'on trouve dans les testaments du recueil de Tuetey sont des énoncés qui se laissent grouper en cinq catégories, selon les désirs que le testateur exprime. Ces catégories seront désignées par Fi, F2, F 3 , F4, et F 5 . Les énoncés ainsi classés portent respectivement sur le lieu d'enterrement, sur la pompe funéraire, sur l'inscription à faire sur le tombeau, sur la désignation d'exécuteurs testa-
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mentaires, sur le paiement de dettes éventuelles. Il reste une catégorie d'énoncés qui, selon les critères définis au paragraphe précédent sont à considérer comme des semi-opératifs (ils expriment une volonté du testateur, ils sont sémantiquement et syntaxiquement autonomes, mais ils ne sont pas un constituant performatif, n'étant pas indispensable au caractère testamentaire du texte), mais qui ne portent pas sur les circonstances de l'enterrement, ni sur l'exécution du testament ou sur le paiement des dettes éventuelles. Cette catégorie résiduelle comporte les énoncés par lesquels le testateur exprime un désir qui porte sur le comportement, après sa mort, d'une personne, légataire ou non. Ainsi, dans le recueil de Tuetey, plusieurs testateurs chargent certaines personnes de faire un pèlerinage. Un élément de ce genre, exprimant une volonté du testateur non définie antérieurement - à propos des opératifs ou des autres semiopératifs - sera appelé un constituant volitif (Vol).9
(H)
SemiOp
FI F2 F3 F4 F5 Vol
Dans la catégorie des SemiOp Fi entrent les énoncés au moyen desquels le testateur exprime sa volonté en ce qui concerne le lieu où il veut être enterré. La formule choisie comprend normalement une forme du verbe vouloir, ou d'un synonyme, accompagné de termes appartenant au champ sémantique «enterrement», tels que les mots enterrer, ensevelir, mettre en sepulture, cymetiere, fosse. L'énoncé suivant, par exemple, est un constituant Fi : Item, le dit testateur voult et ordena qu'après son trespassement feust enseveliz, enterrez et mis en sepulture ou cymetiere des Sains Innocens à Paris en la fosse aux povres (XXXVI, 549).10 9 Nous aurions aimé avoir eu à notre disposition un terme plus heureux pour désigner la catégorie résiduelle des «volitifs». Le mot risque de suggérer que ce n'est que dans les énoncés de ce genre que le testateur exprime une volonté, ce qui, évidemment, n'est pas le cas : les opératifs et les semi-opératifs sont tous des «volitifs». Admettons que c'est faute d'avoir trouvé un terme plus approprié que nous avons eu recours au mot volitif. Il en est d'ailleurs de même du mot semi-opératif, que nous aurions échangé de bon cœur pour un autre, plus heureux, si nous avions été capable de l'imaginer. 10 Si, dans les testaments du recueil de Tuetey, certains testateurs ne s'occupent pas du tout ou ne se soucient guère de leurs funérailles, d'autres, par contre, y attachent une
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Fi
> «je vueil qu'on m'enterre à ...»
Le SemiOp peut être également un énoncé par lequel le testateur prend des mesures concernant les circonstances accompagnant son enterrement: messes à dire, luminaires, dîner funéraire, etc. La formule choisie comprend normalement une forme du verbe vouloir, ou d'un synonyme, accompagné de termes appartenant au champ sémantique «pompe funèbre», tels que messes, luminaire, disner funéraire, etc. Un exemple de ce que peuvent être ces constituants dans un testament réel offre le passage suivant : {Item, je eslizma sepulture emprès ma compaigne Richarde, en Veglise parrochial de Coulommiers en Brye, et y vueil estre porté, en quelque lieu que je trespasse, se je ne ordene du contraire, et ne vueil pas que ce soit à grant pompe ne à grans frais, et vueil avoir autel service, autel enterrement, auteles commandacions comme elle, et comme il est acoustumé de faire en la dicte eglise pour gens d'estât, et autant de messes, de pseaultiers, et de sept pseaulmes, comme elle ot, c'est assavoir, dix huit basses messes, dix huit pseaultiers et trente six sept pseaulmes, et pour chascune messe je laisse huit blans, pour chascun psaultier six blans, et pour chascun sept pseaulmes deux blans, comme elle fist. Item, pour luminaire je vueil avoir au dit Coulommiers quatre cierges de seze livres de cire et huit torches de trente deux livres. Et ne vueil pas qu'il y ait point de disner général ne de donnée generale le jour de mon service ne de mon enterrement, mais seulement que on donne à mangier aux prestres et à ceulx qui auront travaillié pour moy et pour mon enterrement, et que on donne couvertement pour Dieu, en deniers Tournoiz ou Parisis, ce que on pourra faire, sans le faire publier et sans faire donnée generale (XXXIV, 529).
très grande importance. Dans le testament XLVIII, les trois quarts environ du texte sont consacrés à des mesures prises en vue de l'enterrement du testateur, qui y indique des lieux de sépulture pour toutes les villes ou paroisses où il pourrait éventuellement mourir : Item, il esleut sa sepulture en Veglise du Sepulcre à Paris, ou cas qu'il yroit de vie à trespassement en la dicte ville de Paris (p. 627); Se le cas avenoit que le dit testateur alast de vie à trespassement en la ville de Meaulx, ou plus près de Meaulx que de Paris, etc. (p. 629); et ou cas que il trespasseroit en autre parroisse que en celle du dit Saint Eustace (p. 628); et se le dit testateur trespasseroit à Paris ou à Meaulx, et que son corps ne peust ou osast estre porté ou mené au dit Sepulcre ne audit Saint Saintin, etc. (p. 631); et se il trespassoit en la parroisse ou près de la ville de Coully en Brie où il fu né, etc. (p. 631); et se il ne trespassoit à Paris, à Meaulx ne à Coully, etc. (p. 632). Ce testament présente un cas exceptionnel; la plupart des testateurs ou bien ne font pas allusion au lieu où ils désireraient être enterrés ou bien font savoir qu'ils s'en reposent sur ceux qu'ils ont désignés comme exécuteurs testamentaires.
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F2
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> «je vueil que ... messes/luminaire/disner funéraire . . . » n
C o m m e une catégorie à part de SemiOp est considéré l'énoncé du type «je vueil que sur ma tombe soit escript ...», tel qu'on le trouve au testament VII : ItemJ'ay disposé d'avoir une tombe pareille à celle defeu maistre Nicole de Rance qui est en l'Eglise de Paris devers le cloistre, que j'ay proposé à faire ordonner, et vueil que à la main de l'image soient joins et escrips ces deux vers: Vermibus hic donor et sic ostendere Qualiter hic ponor ponitur omnis et autour de la tombe ce qu'il appartient (14)
F3
conor
honor. à escripre (VII, 306).
y «je vueil que sur m a tombe soit escript ...» 1 2
L'énoncé par lequel le testateur désigne ses exécuteurs testamentaires est un constituant SemiOp; il comporte normalement une forme du verbe 11 Comme l'exemple emprunté au testament XXXIV le montre, le champ sémantique «pompe funèbre» est très vaste. Il comprend, outre les mots cités, les termes par lesquels le testateur exprime le désir qu'on fasse, après sa mort, une distribution d'argent aux pauvres, et qu'on rémunère ceux qui ont participé à son enterrement, prêtres et autres. Parfois le testateur combine l'organisation du luminaire avec la récompense de ceux qui assurent la pompe funèbre: il voult et ordonna son luminaire de neuf torches, chascune de trois livres, et IIII cierges, chascun de deux livres de cire, et XXXVI petiz cierges, c'est assavoir, XIII devant et XIII derriere, dont le dit curé de Saint Eustace, ou cellui de la parroisse où il trespassera, quant le dit testateur sera enterré et le service fait et accompli, afin qiiil consente les choses dessus dictes, aura la moitié des diz XXVI cierges, et le surplus demourra à la dicte eglise du Sepulcre (XLVIII, 628). C'est au luminaire et aux messes à dire que sont consacrés la plupart et la plus grande partie des constituants de ce type, dans les testaments réels. Le plus souvent les testateurs ne sont pas avares, quand il s'agit du salut de leur âme, et ils s'occupent parfois en détail du service funéraire. Au testament XLI, par exemple, on lit: (...) je vueil et ordonne deux mil messes estre dictes tantost après mon décès, au plus brief que bonnement se pourra faire, pour le remede et salut de mon ame, et que le tiers des dictes messes soit du Saint Esperit, l'autre tiers de Nostre Dame et l'autre tiers des Trespassez (XLI, 579). (La précision du testateur a dû poser un curieux problème d'arithmétique.) 12 Le testament XXXIV du recueil de Tuetey comporte un long passage (p. 542) où le testateur décrit l'aspect extérieur de sa tombe tel qu'il le désire, mais il n'y est pas question d'épitaphe. Nous avons renoncé à considérer un pareil élément textuel comme une catégorie à part. Quand on élargit la formule «je vueil que sur ma tombe soit escript...» à «je vueil que ma tombe soit faite comme suit ...», on peut grouper les énoncés du testament XXXIV et ceux du testament VII ensemble. La première formule a été préférée en vue de l'utilisation qui en sera faite au moment de l'analyse du Testament de Villon.
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ordonner au sens de «désigner», suivie du mot exécuteurs et de termes dénotant les personnes désignées, noms propres, etc. Souvent ce genre d'énoncé est précédé d'une adverbiale du type «pour faire et acomplir les choses dessus dictes». Dans le recueil de Tuetey on trouve, par exemple: Pro quibus premissis onibus et singuîis solvendis, complendis, exequendis et fine debito terminandis, prefatus testator fecit, constituit, ordinavit et elegit executores et fidei commissarios spéciales, videlicet, venerabiles et discretos viros, magistros Robertum de Acquigniaco, decanum Sancti Audomari, et prefatos Johannem Boyer et Gazel ac Bourguel (I, 270). Il n'y a, dans le recueil de Tuetey, guère de testament où le testateur ne désigne ses exécuteurs. (15)
F4
v «je ordonne mes executeurs Zi, Z2 ...»
L'énoncé par lequel le testateur exprime le désir que les dettes qu'il pourrait avoir au moment de sa mort soient payées est également à considérer comme un constituant SemiOp. Il est normalement du type «je vueil que mes debtes soient payées». Le testateur peut penser aussi à ses dettes morales (ses «torsfaiz»), comme il appert explicitement dans l'énoncé suivant: Item, je vueil et ordene que toutes mes debtes soient paiées et mes torsfaiz amendez (IV, 286). Une formule insistant sur le paiement des dettes du testateur se trouve dans presque tous les testaments du recueil de Tuetey, habituellement immédiatement avant la partie opérative du texte. (16)
F5
y «je vueil que mes debtes soient paiées»13
Comme des constituants volitifs (Vol) on peut considérer tous les autres énoncés par lesquels le testateur exprime une volonté. Cette volonté a généralement pour objet le comportement souhaité d'une personne, légataire ou non, sans qu'il s'agisse d'une condition ajoutée à un legs fait. Dans ce genre d'énoncés le verbe par lequel s'exprime la volonté du testa13
Un cas curieux présente le testament XL, dans lequel le testateur, après avoir insisté plus d'une fois pour que ses dettes soient payées - mes debtes premièrement payées, / Item, et ordonne que tous ceulx qui jureront que leurdoy, qu'il: soient payez (p. 576) - , rappelle à son ancien seigneur que celui-ci lui doit encore une certaine somme et les gages d'environ trois ans: Item, que monseigneur le Borgne, que Dieu pardonne, me doit environ vint escuz à lui prestez, et autrement deuement, sans ce que je n'oz oncques de lui aucuns gaiges d'environ III ans que je l'ay servi (XL, 577). Plus de cinq siècles et demi après l'établissement de ce testament, on peut encore être touché par le reproche du testateur, traité avec injustice.
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teur - vouloir, charger, ou un synonyme - est suivi d'un terme dénotant Y ou Z et d'un autre verbe qui n'est pas synonyme de ceux figurant dans les SemiOp précités. La catégorie des constituants volitifs est donc résiduelle. Les volitifs sont rares dans les textes du recueil de Tuetey. On y trouve l'exemple suivant: Item, mes freres sont chargiez de faire les testamens de mes pere et mere, que j'en charge de rechief (XL, 577). (Il n'est pas clair que signifie faire dans ce contexte. Serait-ce «établir», ou «exécuter»?) Dans le même testament on trouve encore : Item, charge mes freres ou l'un deulx de faire un voiage nuz piez aler et venir de Saincte Mergiere à Sainct-Estanche (XL, 577). Des énoncés au moyen desquels le testateur charge certaines personnes de faire un pèlerinage se trouvent dans plusieurs autres textes.14 (17)
Vol
s- «je charge Y/Z de ...»
Quoique la présence des SemiOp ne soit pas indispensable, tous les testaments du recueil de Tuetey comportent un ou plusieurs des constituants cités dans ce paragraphe. Le testament le plus court, XLVI, qui ne comprend que deux constituants opératifs, contient en outre les SemiOp Fi, F2, F4 et F 5 . Un autre testament de peu d'étendue, XL, comprend outre dix constituants opératifs, un constituant F 4 , cinq constituants F5 et deux constituants volitifs. Le constituant F3 ne se trouve qu'au testament VII. Les irrégularités proportionnelles du testament XLVI et du testament XL n'infirment pas notre point de départ hypothétique: c'est l'opératif (noyau du performatif) qui est l'élément indispensable dans un testament, non pas l'élément appelé semi-opératif. La proportion des SemiOp, surtout celle des F 2 , varie beaucoup d'un texte à l'autre. La position des SemiOp dans le testament est très libre. Il est, cependant, normal qu'ils se groupent ensemble pour former une partie semi-opérative précédant ou suivant la partie opérative. Lorsque la partie semi-opérative est longue, elle se place, en général, entre les parties contractuelle et opérative.
14
A propos des énoncés par lesquels un testateur demande que des pèlerinages soient faits après sa mort, on se demande s'ils ne se sont pas plutôt des énoncés du type Fz que des «volitifs». On peut supposer que le testateur, en prescrivant les pèlerinages, pense au salut de son âme. Il arrive qu'il précise la somme d'argent disponible pour le pèlerinage: Item, voult et ordonna un pelerinage estre fait de Paris à Saint Jaques en Galice par un homme à cheval, et pour ce il laissa quarante livres Parisis (XXXXVII, 556).
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2.2 Les constituants homologatifs Les constituants homologatifs (Hom) sont les énoncés qui sont des AddContr et qui étayent la validité du testament par leur connotation «ce testament est écrit en bonne et due forme». De tels énoncés sont la datation (Dat) et des formules par lesquelles le testateur déclare jouir de toutes ses facultés mentales (F6), avoir testé sans contrainte (F7), avoir établi son testament en présence de témoins (F8), révoquer tout testament établi antérieurement (F9) et, finalement, la formule par laquelle le testateur insiste pour que la validité de son testament soit reconnue (F10). (18)
[Dat F« Hom
l1 F8 F» F10
Tous les testaments du recueil de Tuetey sont datés, par des énoncés qui sont ou bien des phrases à part ou bien des circonstanciels s'ajoutant à une proposition principale. La datation indique toujours l'année de la conception du testament, mais le plus souvent également le jour et le mois de son établissement.15 Il est donc permis de conclure qu'il suffit, pour dater le testament, de donner l'année, mais que l'habitude veut qu'on précise encore plus le moment de l'établissement du texte. Dans le testament XXXIX, où le testateur ne donne que l'année, les notaires ont précisé le jour de l'ouverture du testament (p. 568). Le testament XLVI ne présente également que l'année de son établissement; c'est l'éditeur, Tuetey, qui pour le dater avec plus de précision, a choisi le jour de la mort du testateur (p. 620). Un seul texte précise même l'heure de la journée où le texte a été établi: (...) anno ejusdem Domini M°CCC II0, indictione IX1 et die Xa mensis novembris, hora quinta vel circiter post meridiem, ab electione domini Benedicti XIII1 ultimo in Papam electi anno nono (VIII, 320).16 Comme 15
II arrive que le lieu où le texte a été établi soit également indiqué : Ce fut fait en mon hostel claustral à Paris, le XXVIIle jour de juillet, l'an mil CCC ////** et quatorze (II, 279) ; Acta et facta in Bursia, décima sexta die mensis februarii, anno Domini M°CCC° nonagesimo septimo (III, 284). Nous avons renoncé à faire de cette localisation qui, si elle se présente, accompagne toujours la datation, une catégorie à part. 16 Le pontificat auquel le testateur se réfère dans ce passage est celui de Benoît XIII, pape de l'obédience avignonnaise (1394-1423).
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cet exemple le montre, la datation peut contenir une référence à l'année du pontificat du pape régnant. Ce genre de référence ne se trouve que dans les textes ou passages rédigés en latin. Lorsque la datation comporte cette référence au pontificat de l'époque, elle se trouve dans l'introduction du testament. Dans les autres cas, elle se place à la fin. Parfois la date est indiquée au moyen d'une référence aux fêtes chrétiennes: Datumanno Domini millesimo CCC" nonagesimo primo, die jovis post Sacros Cineres (I, 271); L'an de grâce mil 1111e et deux, le jour de feste Saint Denis en octobre (VII, 319). (19)
Dat — > «L'an ... (etc.)»
Dans la plupart des testaments du recueil de Tuetey, le testateur déclare être «sain de pensée» dans des énoncés dont la longueur varie d'un texte à l'autre. Ainsi, on trouve sain de pensée et d'entendement (XX, 432); sanus mente et intellectu, recte loquens et bene intelligens (I, 268); sain de pensée, et de bon et vray propos et entendement, si comme de prime face apparoit, combien que aucunement fust enferme de son corps (XIII, 363). Comme ce dernier exemple le montre, une déclaration sur la santé corporelle se joint parfois à celle sur la santé mentale : sain de corps et de bonne pensée et aussi de bon entendement (II, 273); sanus mente quamvis infirmus corpore (III, 280) ; enferme de corps mais toutesvoies sain de pensée, ayant en lui bon sens, memoire et entendement, si comme il disoit et par sa face et parole apparoit clerement (VI, 302). L'importance de la formule est expliquée dans le testament VII (p. 305), où le testateur déclare: (...) et est laraisonpour ce que aucunes fois l'en fait faire aux malades testament en temps qu'ilz sont si agrevez de maladie que à peu scèvent qu'ilz dient.11 (20)
Fe — > «sain de pensée»
L'énoncé par lequel le testateur déclare avoir testé «de son bon gré, sans force ou contrainte aucunes» (XXVI, 472) se trouve dans quelques-uns des testaments du recueil de Tuetey. Quand il se présente, il s'intègre, comme la formule F a , dans une série de compléments accompagnant le constituant IdX du testament. La forme de ce constituant peut varier, son 17
Dans son chapitre consacré aux incapacités de tester, Lepointe (1945: 1) note que l'éditeur des Coutumes du Beauvaisis, Beaumanoir, «en dresse la liste, qui contient les mineurs en bail ou en garde les fous, les muets, les condamnés à la confiscation ou au banissement, les moines». L'exclusion des fous explique l'importance de la formule F«.
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sens reste globalement le même: de son bon gré,propre mouvement (XXXI, 505), sans force, fraude, erreur, induction ou contrainte aucunes (XIX, 426). (21)
F7
«de mon bon gré, sans contrainte»
L'énoncé par lequel on fait entendre que le testament a été établi en présence de témoins se trouve en général dans les textes écrits à la troisième personne, qui sont dans la plupart des cas, des dernières volontés recueillies par un notaire accompagné de ses clercs : en la presence et par devant yceuix notaires (XIX, 426). Cependant la formule se rencontre parfois aussi dans les testaments écrits à la première personne: presens à ce (...) (XLVII, 625). Elle se présente à la fin du testament. (22)
Fg
> «presens à ce ...»
La formule par laquelle le testateur révoque tout testament établi antérieurement est assez rare dans les testaments du recueil de Tuetey. Quand elle se présente, elle suit immédiatement le constituant contractuel, auquel elle se relie par coordination: (...) et revoca, cassa et adnulla le dit testateur tous autres testamens, et codicilles, et ordenances de derreniere voulenté par lui faiz et passez par avant la date de ces présentes (XXXVI, 552). L'énoncé comprend, comme on le constate, un élément réflexif. (23)
F9
• «et je révoqué tous testamens faiz avant la date de ces présentes»
La formule par laquelle le testateur insiste pour que la validité du testament soit reconnue ne se présente que dans quelques-uns des testaments de Tuetey. En voici deux exemples: Et ceste présente ordenance testamentaire (•••), laquele il voult et manda tenir et valoir, et force et vertu avoir par droit de testament, ou par le droit des codicilles, et par le droit de chascune autre maniéré de derreniere voulenté, et autrement tous droiz et par toutes les voyes et maniérés par les quelz et queles il pourra et devra mieulx tenir, valoir, et force et vertu avoir, tant de droit comme de coutume (XXXVI, 552); et veulx qu'il vaille par maniéré de testament ou de codicille, comme raison et conscience le pourront souffrir (XLIV, 598). La formule suit le constituant contractuel, auquel elle se relie au moyen d'un élément connecteur, qui peut être un pronom relatif ou pronom personnel anaphore. Comme la formule F 9 , elle suppose la présence, explicite ou implicite, d'un constituant réflexif.
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Fio
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«je vueil qu'il [ = ce testament] vaille par maniéré de testament» 2.3 Les constituants justificatifs ( JustContr)
Les constituants justificatifs (JustContr) sont les énoncés qui se relient au constituant contractuel et qui justifient l'établissement du testament. On trouve un exemple de pareils énoncés dans le testament XXXV, dans la phrase suivante : Savoir faisons que nous, attendant et considérant qu'il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine que l'eure d'icelle, non voulant trespasser de cest siecle intestat, avons fait et ordené, faisons et ordenons nostre testament ou ordenance de derreniere voulenté (...) en la maniéré qui s'ensuit: (XXXV, 544-45). Comme cet exemple le montre, la justification peut être d'ordre général (il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine que l'eure d'icelle) ou d'ordre personnel (non voulant trespasser de cest siecle intestat). Selon cette distinction les JustContr seront catégorisés en deux groupes : celui des justificatifs d'ordre général (JustGén) et celui des justificatifs d'ordre personnel (JustPers). Ces deux sortes de constituants justificatifs, JustGén et JustPers, se subordonnent syntaxiquement au constituant contractuel au moyen d'un participe présent à valeur causale ou bien au moyen de la conjonction pour ce que ou d'une autre conjonction causale. Ils s'enchaînent, normalement, dans une longue phrase se terminant sur un énoncé qui est le constituant contractuel du testament. (25)
_ l JustGén JustContr T _ ( JustPers
Les énoncés qui sont des JustGén se distinguent de ceux qui sont des JustPers par ce qu'ils comprennent un sujet qui est un terme à portée générale: la vie, la mort, par exemple. Le sujet a une portée générale aussi quand il est un terme générique: l'homme, les hommes. La présence d'un sujet pareil, s'accompagnant de celle d'un verbe au présent illimité et qui est ou bien la copule être ou bien un verbe à l'aspect imperfectif - donne à l'énoncé un caractère gnomique; l'énoncé peut être considéré comme une sentence. Ainsi que le JustPers il est également une sorte de considérant. Le constituant JustGén est généralement une subordonnée précédée d'une proposition ayant la signification «le testateur considère que»,
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proposition qui se subordonne à son tour directement au constituant contractuel. Ainsi, le JustGén s'intègre normalement dans un cadre linguistique du type considérant que ..., y"établis ce testament. Quand on considère la signification des JustGén qu'on trouve dans les testaments du recueil de Tuetey, on constate qu'ils sont des lieuxcommuns qui, selon un critère d'équivalence sémantique globale, se laissent grouper en cinq catégories différentes. Ils portent sur la fatalité de la mort et l'incertitude qu'on a en ce qui concerne le moment où elle viendra (Fn), sur l'approche constante du moment de la mort (F12), sur la brièveté de la vie (Fis), sur l'égalité de tous les hommes devant la mort (F14), sur les caprices de la fortune auxquelles l'homme est sujet (F15).18 On peut admette que des considérations de ce genre justifient la décision de faire un testament. 19 (26)
JustGén
Fn Fi 2 F13 F14
Fis Le JustGén qui, dans les testaments du recueil de Tuetey, est le plus fréquent est F n , celui qui signifie «l'homme est certain de mourir, mais ignore à quel moment». Il adopte le plus suivent la forme suivante: «il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle» (Y, 296). Parfois des nuances s'ajoutent à cette formule: il n'est plus certain de la mort ne moins certain que Veure et la maniéré de la mort (VII, 305); pour le delict du premier pere chascune succession de Vumain lignage soit
18
On reconnaît dans ces formules justificatives certains thèmes sur lesquels Siciliano a attiré l'attention : celui de la fatalité de la mort, celui de l'égalité de tous devant la mort et le thème de Fortune (Siciliano, 1934, par exemple p. 229,231 et 281). 19 Dans certains textes la valeur justificative des formules JustContr est d'ailleurs manifeste par suite de la présence d'éléments connecteurs à valeur causale. Au testament II, les formules justificatives sont suivies d'un contractuel introduit par pour ce: (...) pour ce (...) j'en vueil ordonner, départir et laissier en maniéré de testament ou de derreniere volenté, par la manière qui ensuit (II, 273), et au testament V le rapport de causalité est exprimé par pour ces causes: pour ces causes et autres justes et loyaulx qui pour le sauvement de l'ame de lui à ce le meuvent (...) fist, ordonna et divisa son testament ou ordonnance de derreniere volenté (V, 296-97). Ce même exemple montre que d'autres motifs - «justes et loyaulx» - que ceux catégorisés dans la présente étude se laissent envisager.
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transitoire et mortele, et chascun soit ou doye estre certain de la mort et incertain de Veure d'icelle (XIV, 373).20 (27)
Fn
• «il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle»
Comme un JustGén F12 peut être considéré l'énoncé signifiant «chaque jour l'homme approche de l'heure de sa mort». On en trouve un exemple au testament XXVII (p. 476) : à toute créature humaine par le decours du temps approche le terme et fin de sa vie temporelle. Ce type d'énoncés, dont le sens est apparenté à celui de constituants F11, n'est pas très fréquent dans les testaments du recueil de Tuetey. (28)
F12
> «chaque jour l'homme approche de l'heure de sa mort»
Dans quelques testaments du recueil de Tuetey on trouve une réflexion sur la brièveté de la vie : briefs sont les jours d'omme et de femme (XXVII, 476). Ce type d'énoncés est considéré comme un JustGén F13. (29)
F13
«la vie est brève»
Quelques testaments comportent une formule accentuant l'égalité de tous devant la mort: n'est nul si riche ne fort qu'il ne convieigne passer par les destroiz de la mort et deceder de ce siecle (XXVII, 476). Les énoncés de ce genre sont à considérer comme des justificatifs, parce qu'ils donnent à entendre que le testateur, qu'il soit riche ou pauvre, considère sa mort comme certaine. Le sens de ces énoncés s'apparente donc à celui de F11. Ils s'incorporent, d'ailleurs, toujours dans l'élément textuel qu'on peut considérer comme la «partie justificative» du testament. Ces énoncés, signifiant «tous les hommes sont égaux devant la mort», seront appelés JustGén F14. (30)
F14
«tous les hommes sont égaux devant la mort»
20 Cette référence au péché originel («pour le delict du premier pere») introduit dans le testament une réflexion théologique. Un cas semblable se présente dans le passage suivant : tous comparons devant le siege du Juge eternel pour reçevoir mérité selon noz dessertes et rendre compte de noz propres faiz (XXXVII, p. 554). Villon, on le sait, a introduit une digression «théologique» dans son Testament (huitains81 à 83).
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Maint testament du recueil de Tuetey comporte un énoncé signifiant que l'homme est sujet aux caprices de la fortune, qui chaque jour peut l'entraîner vers la mort: (voulant [...] obvier de tout son povoir aux) cas fortuiteux que de jour en jour seurviennent et pevent survenir à toute creature humaine (XXI, 443); (voulant et désirant [...] prévenir aux) cas fortuneux qui de jour en jour aviennent (XXVII, 476). Comme les exemples cités le montrent, l'enchaînement de ce constituant JustGén (Fis) avec le contexte diffère de celui des autres JustGén: l'énoncé exprimant une vérité générale consiste dans un antécédent suivi d'une proposition relative; il est introduit par une subordonnée introduite par voulant obvier à ou un énoncé synonyme. Plus encore que celles des autres JustGén, la construction syntaxique du JustGén F15 fait comprendre que la considération d'ordre général justifie une décision personnelle, notamment celle de faire le testament en question. (31)
F15
> «l'homme est sujet aux caprices de la fortune»
La distinction sémantique entre les différents constituants JustGén nous permet de les grouper en catégories, mais il convient d'admettre qu'elle n'est pas toujours très nette. Au fond, les formules F n à F15 expriment toutes, avec des nuances, la même pensée: «l'homme se voit fatalement placé devant la certitude de mourir, et comme il ignore le moment où il mourra, il doit y être préparé à tout instant». Dans la même phrase où se suivent les justificatifs d'ordre général se trouvent également les justificatifs d'ordre personnel (JustPers). Ces énoncés se présentent le plus souvent sous la forme d'un participe présent, à valeur causale, du verbe vouloir ou d'un synonyme, dont le sujet implicite estje dans les testaments rédigés à la première personne du singulier, et qui est suivi d'un infinitif. C'est la présence implicite du pronom personnel et l'absence d'une portée générale de l'énoncé qui distingue le JustPers du JustGén: le JustPers ne prétend pas, comme le JustGén, présenter une vérité objective. Cependant, on aurait tort de croire que le JustPers introduise une note personnelle dans le testament : les justifications d'ordre personnel qu'offrent les testaments du recueil de Tuetey sont des stéréotypés. Selon un critère d'équivalence sémantique, les JustPers se laissent catégoriser en cinq groupes, qui se distinguent plus nettement que les JustGén. Dans différentes formules le testateur fait connaître qu'il ne veut pas mourir intestat (Fiô), qu'il désire mériter l'accès au paradis (F17), qu'il pense à la fin de sa vie (Fjg), qu'il pense à sa vie passée (F19), qu'il veut tester avant qu'il ne soit plus en état de la faire (F20).
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(32)
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Fl6 Fit
Just Pers
Fis Fi
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F20 Dans bon nombre de testaments du recueil de Tuetey on trouve un énoncé par lequel le testateur déclare ne pas vouloir mourir intestat. Cette idée s'exprime fréquemment sous la forme suivante : non voulant de ce siecle deceder intestat (XXXVI, 548). (33)
Fi6
> «ne voulant pas mourir intestat»
Pour bien des testateurs du recueil de Tuetey, faire son testament c'est un des moyens pour préparer son salut. Ainsi un testateur déclare qu'il fait son testament, désirant avenir à la joye de Paradis (II, 273). Un autre écrit : non voulant de ce siecle deceder intestat, mais de son povoir pourveoir au salut et remede de son ame, et disposer et ordener de soy mesmes et de ses biens que Dieu lui avoit donnez et administrez (XXXVI, 548). Le dernier exemple cité nous permet de supposer que c'est le désir de «pourveoir au salut et remede de son ame» qui conduit le testateur à éviter de mourir intestat: il semble qu'il y a une relation de motivation entre les formules Fie et F 1 7 . Signalons que dans les testaments du recueil de Tuetey il arrive souvent qu'un testateur, lorsqu'il évoque les biens dont il dispose, ajoute une formule pareille à celle citée ci-dessus, «que Dieu lui avoit donnez et administrez». Le testateur du testament XIX parle des biens que Dieu lui a prestez et envoyez (XIX, 426). Cette conception de l'homme débiteur de son Créateur, qui lui a accordé de gérer temporairement certains biens dont, à sa mort, il est obligé d'«ordener et disposer» est très générale: désirant ordonner et disposer pour le salut de son ame des biens temporelz que Dieu de sa grâce lui avoit prestez en ce pelerinage mondain (XXXVII, 554). L'acte de tester, ainsi considéré, est un acte de reconnaissance envers Dieu. Cette idée est exprimée explicitement dans un énoncé comme le suivant: considérant les très grans biens, honneurs et grâces que mon doulx Createur m'a faiz en ceste mortel vie dont je lui rens grâces et mercis (XLI, 578). Des énoncés semblables peuvent être considérés comme des déterminants explicatifs du constituant JustPers F17.
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F17
> «désirant avenir à la joye de Paradis»
Dans quelques-uns des testaments du recueil de Tuetey on trouve un énoncé par lequel le testateur fait savoir qu'il pense à la fin de sa vie. Au testament XXXVI, par exemple on trouve: pensant de la fin de sa vie (XXXVI, 548). Comme et énoncé se trouve enchâssé dans une série de justificatifs, on peut admettre qu'il a lui-même également une valeur justificative (le participe présent pensant peut avoir une valeur causale) ; il est susceptible d'être considéré comme un constituant JustPers, qui sera appelé Fi 8 . La formule citée ci-dessus est précédée dans le texte de la conjonction pour ce; elle suit dans le texte un constituant JustGén FN («il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle») et on conclura, par conséquent que, en l'occurrence, il y a une relation de causalité entre Fi 8 et FN. Si, en ce cas, cette relation est évidente, grâce à la présence de la conjonction, il semble permis de supposer, que, dans l'autre cas, en l'absence de quelque conjonction, le rapport de causalité est implicite, mais cette supposition ne saurait être que conjecturale. (35)
Fig
> «pensant à la fin de ma vie»
Il arrive que le testateur déclare non seulement penser à la fin de sa vie, mais également à sa vie passée, dans des éléments textuels avoisinants. Citons, à titre d'exemple, le début du testament II (p. 272-73) : Ou nom de la sainte Trinité, le Pere, et le Filz et saint Esperit, amen. Je, Pierre du Chastel, arcediacre de Soissons, conseillier du roy nostre sire et maistre de ses comptes, sain de corps et de bonne pensée et aussi de bon entendement, considérant en condicion humaine qu'il n'est chose si certaine de la mort et de l'eure d'icelle si incertaine, pensant aux choses passées et aussi au derrenier jour de ma vie, désirant avenir à la joye de Paradis; et pour ce, des biens que Dieu mon createur m'a envoyez et prestez, je en vueil ordonner, départir et laissier par maniéré de testament ou de derreniere volenté, par la maniéré qui ensuit: .... On constate que dans ce passage l'énoncé pensant aux choses passées est entouré de constituants justificatifs : il est précédé de F n et suivi de Fis et de F17. Syntaxiquement, il est même intimement lié à la formule Fis, qui suit immédiatement: pensant aux choses passées et aussi au derrenier jour de ma vie. C'est par conséquent, grâce à cette analogie positionnelle, qu'il semble permis de considérer l'énoncé significant «pensant à ma vie passée» comme un constituant justificatif, malgré le fait
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qu'on est tenté de voir dans la réflexion sur la vie passée une conséquence plutôt qu'une justification de l'établissement du testament. 21 (36)
F19
>• «pensant à ma vie passée»
Quelques testaments du recueil de Tuetey comportent des énoncés par lesquels le testateur déclare vouloir tester avant qu'il ne soit plus en état de le faire : tandis que Dieu lui avoit donné temps et espace, et que raison gouvernoit sa pensée (XXXVII, 554). Par sa signification cet énoncé se rapproche de F« («sain de pensée»), mais il s'en distingue syntaxiquement (Fg est une apposition, l'énoncé en question une adverbiale) et par sa place à l'intérieur d'une «partie justificative». Il ressemble aussi à Fie («ne voulant pas mourir intestat»), mais l'allusion à un éventuel empêchement à l'établissement du testament (maladie? mort?) rend sa signification différente. On peut considérer un énoncé de ce genre comme un constituant JustPers à part : F20. (37)
F20
> «voulant tester avant que je ne sois plus en état de le faire» 2.4 Les constituants
ornementaux
A l'exception des testaments XLII et XLIV, tous les textes du recueil de Tuetey comprennent une formule du type «Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit»: ou nom de la sainte Trinité, le Pere, et le Filz et saint Esperit, amen (II, 272); In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti, amen (III, 280). On trouve quelques variantes, comme les suivantes : In nomine Domini, amen (I, 267), In nomine Patris, et cetera (XLVI, 620). Le plus souvent l'invocation de la Trinité se place, dans une phrase à part, au début du texte. Dans un certain nombre de testaments - toujours rédigés à la troisième personne - l'énoncé se place à la fin de la partie introductive, juste avant la partie opérative; il se relie, en ces cas, au constituant contractuel : fist, ordonna et divisa son testament ou ordonnance 21
Certes, il ne semble pas très «logique» de considérer le regard jeté sur la vie passée comme une justification de l'établissement du testament. La note précédente, cependant, suggère qu'il n'est pas inconcevable que les testateurs de l'époque aient vu une relation entre la réflexion sur le passé et l'acte de tester. Cette relation pourrait éventuellement être causale. C'est, en ce cas, l'analogie positionnelle qui nous a fait décider en faveur de cette hypothèse. L'avantage de considérer les énoncés de ce genre comme des JustPers, c'est que, ce faisant, on ne complique pas trop la classification des éléments textuels testamentaires.
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de derreniere volenté ou nom de la très sainte Trinité, le Pere, le Filz et le benoist saint Esperit, en la forme qui s'ensuit: (Y, 296-97). (38a)
Orn
«Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit»
Le mot premièrement (ou un synonyme : premier, primo, etc.) se présente dans tous les testaments du recueil de Tuetey, sauf dans XLII. Il introduit toujours le premier élément opératif, celui dans lequel le testateur recommande («lègue») son âme à Dieu, à la Vierge et aux Saints : Et premièrement, je recommande mon ame à Dieu mon createur, à la très douce glorieuse Vierge Marie sa mere, à monseigneur saint Michiel Varchange, à messeigneurs saint Pere et saint Pol apostres et à toute la benoîte court de Paradis (II, 273). On peut supposer que l'élément premièrement a surtout pour fonction d'accentuer l'importance que le testateur, par dévotion, attache à ce «legs» de son âme, auquel il donne la première place, dans son cœur et dans son texte. Comme l'invocation de la Trinité, l'élément premièrement est une sorte de confession de foi. Des variantes comme primo et ante omnia (III, 280), premièrement et avant toutes choses (XIX, 426) étayent cette supposition. Cependant, dans d'autres textes, la présence de certains éléments qu'on trouve au début du second opératif font croire que le testateur ne considère pas tant premièrement comme un élément textuel soulignant l'importance du premier opératif, mais plutôt comme un élément qui marque le début d'une énumération. Tels sont Deinde (testament I, II, XXIV), Postmodum (testament XXII) et Et après (testaments VI, IX, XVII, XIX, XXIII, XXVII, XXX, XXXVII). Au premier testament on trouve même Postea, introduisant le troisième opératif. 22 Cette hésitation sur le rôle de Premier (fonction de mise en relief ou fonction énumérative?) nous semble prouver qu'il a perdu son sens premier en faveur de sa fonction ornementale. Au testament XXXI (506), les deux premiers opératifs sont chacun introduits par Primo: le mot y paraît vidé de sa signification, et n'y est qu'un pur ornement.
22 Nous avons envisagé la possibilité d'appeler les éléments deinde, postmodum, et après, postea également des constituants ornementaux, mais y avons renoncé, vu le fait qu'ils n'ont guère perdu de leur signification première. Dans le Lais de Villon, cependant (cf. note 6 du chapitre suivant), on trouvera un terme similaire, de rechief, qui semble s'être vidé de son sens original et qui pourrait, par conséquent, être considéré comme un ornemental.
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(38b)
Orn
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> «Premièrement»
De nombreux Item se présentent dans tous les testaments du recueil de Tuetey; ils introduisent les constituants opératifs et semi-opératifs : Item, je lesse à Flandrine, femme de feu Colart le Borgne L frans (II, 275), Item, volumus quod per ordinacionem executorum nostrorum cor nostrum et ossa nostra portentur in Francia, ad sepeliendum in ecclesia et loco in testamento nostro alias per nos nominato (III, 283). Le mot est vide de sens; on peut supposer qu'il est, en principe anaphorique pour l'invocation de la Trinité, mais on le trouve aussi quand celle-ci fait défaut dans le texte (testaments XLII et XLIV). (38c)
Orn
s- Item
Comme on le constate, c'est le propre des constituants ornementaux de n'avoir, par rapport à la signification globale du texte ou par rapport à la signification particulière d'un de ses éléments, aucune signification pertinente. Le mot Item, à ce titre, est exemplaire : il est un élément formel, traditionnel, un «signal testamentaire», dépourvu de toute information, mais dont la présence dans un texte testamentaire est jugé, semble-t-il, quasiment indispensable. 2.5 Les constituants justificatifs (JustOp) Si le constituant JustContr se rattache au constituant contractuel pour justifier l'établissement du testament, le constituant JustOp se relie à un opératif et justifie le legs fait au moyen de cet opératif. Les JustOp peuvent renvoyer à un fait du passé et exprimer une relation de causalité. De tels énoncés seront appelés des justificatifs à valeur causale (JustCaus). Les JustOp peuvent également référer à l'emploi futur que le légataire fera de l'objet légué, et exprimer ainsi une relation de finalité. De tels JustOp seront appelés des constituants justificatifs à valeur finale (JustFin). (39)
(JustCaus T JustOp jJustF.n
Les JustCaus se relient à l'élément opératif par les conjonctions pour cause que, pour ce que ou par la préposition pour à valeur causale. Ils renvoient généralement à des services que le légataire a rendus au testateur ou à des sentiments d'affection que ce dernier a pour le légataire : pour sa
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paine et travail et pour Vaffection que j'ay à luy, (II, 278); pour les bons services qu'il m'afais etfait encores tous lesjours et dont je me tieng content (II, 276). (40)
JustCaus
> «pour ce que ...»
Les JustFin se relient au constituant opératif au moyen de la conj «si Y estoit mort...»/ «si Z mettoit aucun empeschement à ce testament...»/ «si L estoit perdus ...»/ etc.
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2.7 Les constituants qualificatifs Les constituants qualificatifs (Quai) sont les éléments adjectivaux nondistinctifs, non-déterminatifs, non-identificatifs et non-traditionnels qui s'ajoutent aux opératifs. Ils se relient à l'élément linguistique identifiant le légataire (QualY) ou à celui qui détermine le legs (QualL).
es Dans les testaments du recueil de Tuetey, les légataires sont généralement identifiés à l'aide de noms propres, éventuellement accompagnés d'éléments tels que ma fille, mon frère, etc., qui précisent l'identité du légataire.23 De tels éléments ne sont pas considérés comme des qualificatifs au sens qui a été donné au terme ici. Il en est de même des termes sire, maistre, cappitaine, ma demoiselle, etc., précédant le nom du légataire. L'apposition du type «honorable homme», très fréquent dans les testaments, n'est pas non plus considéré comme un constituant qualificatif, parce qu'il est traditionnel, plus ou moins vide de sens,24 et parce qu'il est entendu que le constituant qualificatif, sans être déterminatif, n'est pas sans valeur informative : il donne au lecteur un renseignement sur le légataire qui, pour lui, est INATTENDU. Les constituants QualY se relient au constituant opératif, et plus précisément à Y, le plus souvent au moyen d'un pronom relatif: (la fille Thomasse,) que Perrin sait bien (VII, 316); (sa dicte suer,) qui est bien aisée (XIII, 369); (maistre Jaques Phelippe) qui longuement l'a servi (XLV, 612). 23 II est curieux de constater qu'il arrive que le testateur déclare ignorer l'identité d'une légataire: Item, du testament de ma derreniere femme je doy encore à une femme, nommée au testament Jehanne la Barbiere, huit frans, mais je rCay peu savoir qui elle est (XXXIV, 542). Il arrive même que le testateur renonce à identifier avec exactitude l'objet légué: (...) ung autre livre dont je ne scay le nom (XLIII, 592). De tels énoncés ne sont pas, bien entendu, des qualificatifs. 24 Admettons toutefois qu'il est possible que l'élément du type «honorable homme» ne soit pas un pur ornement. Il est fréquent dans les testaments, mais on le trouve toujours en compagnie des noms propres désignant les exécuteurs testamentaires: venerabili et circumspecto viro, domino Petro Boschet (I, 270), noble homme, monseigneur Hervé le Coich (VI, 303), noble homme et sage, maistre Pierre Boschet (IX, 334) (ce Pierre Boschet est le président du Parlement de l'époque). L'élément «honorable homme» peut avoir eu pour fonction de soutenir que l'exécuteur est un citoyen solide, digne de confiance. Un cas limite présente l'élément par lequel s'exprime l'affection que le testateur a de son légataire: ma très chière dame et cousine, madame de la Rivière (XLI, 581). Nous avons renoncé à catégoriser de pareils éléments.
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Dans le cas du dernier exemple cité, on peut supposer que le testateur institue maistre Jaques Phelippe son légataire, PARCE Qu'il l'a longuement servi: le qualificatif en question a certainement une valeur justificative. Un pareil élément n'en est pas moins considéré comme un QualY, à cause de ses caractéristiques syntaxiques (élément adjectival, comprenant un pronom relatif) et non pas comme un justificatif, bien que, sémantiquement, il en ait l'apparence. (46)
QualY — > «(Y,) qui... »
Le QualL est un élément adjectival se reliant à l'opératif (à L), mais qui ne contribue pas à déterminer le bien légué. Ainsi, un énoncé qui précise l'endroit où l'objet légué peut être trouvé, n'est pas un qualificatif: (...) lesquelz seront trouvez en deux coffres qui sont en la chambre F où maistre Guillaume, mon frere, gisoit (XLIII, 592). Comme les QualY, les QualL sont généralement des propositions relatives se reliant à l'opératif à l'aide d'un pronom relatif. Il peut être aussi un adjectif non-distinctif. Dans l'exemple suivant on trouve les deux types de QualL: (son) beau (livre Catholicon,) qui est moult notable (XLV, 613). Parfois il y a, dans la subordonnée relative, répétition du substantif après le pronon relatif: (la somme de deux mil livres Tournois) (•••); laquelle somme de deux mil livres Tournois le dit testateur avoit promise au dit Andry au traictié de mariage de lui et de la dicte fille (XXI, 444). La qualification peut se prolonger dans une nouvelle subordonnée: (mon breviaire de Rome en deux volumes) qu'il me bailla pieça, sur quoy je lui baillay X escus d'or (VII, 315). (47)
QualL — • «(L,) qui...»
On a l'impression que les constituants QualL qu'on trouve dans les testaments du recueil de Tuetey ont tous, plus ou moins, une valeur justificative: le testateur lègue au légataire un certain bien, PARCE Qu'il est beau ou précieux, PARCE Qu'il a fait une promesse au légataire, PARCE Qu'il a déjà été en sa possession autrefois. 25 Un exemple instructif, à ce propos, offre l'énoncé suivant: le livre de Saint Augustin de la Cité de Dieu qui est en françois et en deux volumes, et lui supplie le dit testateur qu'il le vueille 25 Cependant, on trouve aussi des QualL dont la valeur justificative n'est à peine perceptible: Item, son Decret qui est assez bel (XVI, 393). Est-ce que, en ce cas, la qualification est en même temps une justification?
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prenre en gré, non pas pour la valeur mais pour sa plaisance, et qu'il y a moult de belles histoires (XVI, 397). Dans cet énoncé, le livre de Saint Augustin de la Cité de Dieu est l'élément L identifiant l'objet légué. L'élément qui est en françois et en deux volumes précise cette identification ; on peut supposer que cette subordonnée relative est déterminative (il est concevable que le testateur dispose d'une autre édition du livre, en latin par exemple, et en un seul volume). Mais le reste de la phrase nous fournit sur l'objet légué des renseignements qui ne sont pas indispensables à son identification: le livre fera probablement plaisir au légataire, parce qu'il contient «moult de belles histoires». Cet énoncé, on le constate, nous place devant un problème de classement quasiment insoluble: il donne au lecteur une certaine information sur l'objet légué, L, de sorte qu'on est tenté de le considérer comme un QualL, mais par suite de sa valeur justificative, par suite surtout de la présence de connecteurs syntaxiques à valeur causale (pour signifiant «à cause de» et dans la dernière subordonnée - que étant synonyme de parce que) il est plutôt un JustCaus. Une pareille hésitation (l'élément textuel est-il à considérer comme un QualL ou comme un JustCaus?) n'enlève pas toute utilité au travail de classification ; il n'est pas forcément décourageant de découvrir entre les différentes catégories des zones de transition. L'existence de ces zones de transition, cependant, soulève certains problèmes qu'il est utile de prendre en considération. En l'occurrence, le problème est le suivant: on peut avoir l'impression que certains testateurs ont, de temps en temps, senti le besoin d'ajouter à l'élément opératif un énoncé qui justifie le legs, énoncé introduit par une conjonction de causalité exprimant la relation de justification; mais parfois cette relation est purement sémantique, notamment là où le testateur a renoncé à l'emploi de subordonnées adverbiales et les a remplacées par des subordonnées relatives. On peut admettre que l'emploi de relatives à valeur justificative (considérées par nous comme des Quai) a ouvert la voie à l'introduction dans le texte testamentaire de relatives qui n'ont pas cette valeur. Ce sont surtout les énoncés de ce genre qui nous intéressent, puisqu'ils introduisent dans le testament un élément gratuit, qui donne sur le légataire ou sur le legs des renseignements non identiques à ceux que fournissent les JustCaus. Ainsi, quand un testateur dit d'une légataire qu'elle est «bien aisée» (XIII, 369), il donne sur elle une information que ne donnent pas les autres catégories de constituants testamentaires. On aurait là un QualY d'une espèce plus «pure» (c'est-à-dire se détachant plus nettement d'une autre catégorie de constituants) qu'un qualificatif à valeur justificative. C'est précisément pour ne pas avoir à
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négliger un énoncé de ce type que la distinction entre Quai et JustCaus a été tracée, malgré les problèmes de classification qu'elle soulève. On verra, aux chapitres suivants, l'emploi fait des qualificatifs dans le Lais et le Testament de Villon.
3. LES CONSTITUANTS SUPPLÉMENTAIRES
Le testament peut, théoriquement, contenir des énoncés qui ne sont ni des constituants performatifs ni des constituants additifs. De tels énoncés, qui sont, dans un certain sens «de trop» dans le texte, sont appelés les constituants supplémentaires (Suppl). On peut s'attendre à ce qu'ils soient rares dans les textes testamentaires. Ils le sont effectivement dans les testaments du recueil de Tuetey. Un énoncé susceptible d'être considéré comme un élément supplémentaire est, par exemple, le passage, déjà cité (p. 82), du testament XL où le testateur rappelle à son ancien maître que celui-ci lui doit encore vingt écus et les gages d'environ trois ans: Item, que monseigneur le Borgne, que Dieu pardonne, me doit environ vint escuz à lui prestez, et autrement deuement, sans ce que je rioz oncques de lui aucuns gaiges d'environ III ans que je Vay servi (XL, 577). Le passage suivant, où le testateur s'abandonne un instant à des réflexions et à des souvenirs, à propos de sa relation avec sa femme et les enfants qu'elle a eus d'un premier lit, peut également être considéré comme un constituant supplémentaire: Item, en tant que touche les quarante livres Parisis de douaire dont il a doué Jehannette, sa femme, et dont les lettres furent et sont passées par devant Jehan de Béarnais et Thomas Boynel, notaires du roy nostre dit seigneur ou dit Chastellet, le dit testateur veult qu'elle en joyssepaisiblement durant sa vie, se ses héritages y pevent souffire; si non, il lui avoit, avant qu'il Vespousast, autres foiz requiz et encores requiert qu'elle ait et vueille avoir ses povres parens et amis pour humblement recommandez, et prendre en pacience le dit douaire sur ses diz biens immeubles, tant qu'elle vivra, et des biens meubles, c'est assavoir, de leur part leur faire ou faire faire pleine délivrance sans empeschement, premièrement, pour paier et acomplir ce present testament par la dicte Jehanne, sa femme, et autres ses executeurs cy dessoubz nommez, et aussi qu'elle les vueille acquicter envers ses enfans, envers lesquelx le dit testateur n'est en riens tenu, si non à cause du mariage de lui et d'elle, durant lequel il leur a fait le moins de desplaisir qu'il a peu; et quelque chose qu'il soit, il supplie à elle et ses diz parens et amis d'estre amis et de non plaider ensemble, et que chascun se mette à raison et laisse
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aler du sien, car il disoit savoir quant il la print, qu'elle avoit bonne chevance en denrées de mercerie où s'est pou cogneu et entremis; aussi avoit elle pluseurs choses à expedier par procès qui au dit testateur ont cousté de peine, travail, soussi et chevance plus qu'elle n'a sceu ne sçet; et oultre que, quant il Vespousa, ses biens meubles valoient bien six cens livres Parisis et plus, sans les debtes qui lui estoient deues, qui montoient plus de IlPfrans, dont il n'est pas paié, et si avoit et a d'eritages qui valent 1111° livres Parisis et plus pour une fois, se le temps eust esté bon comme il sera au plaisir de Dieu, et tout compté et rabatu, elle avoit bien de quoy vivre, aussi avoit le dit testateur; et ce qu'il a dit cy dessus n'est mie pour reproucher, mais pour un pou sentir de l'estât de l'un et de l'autre, se mestier estoit de le dire et savoir, ce qu'il ne sera point de besoing (XLVIII, 636-37). Il est évident que les deux passages cités, bien qu'ils soient ou qu'ils comprennent des éléments non-performatifs non-additifs, ne sont pas des corpora aliéna dans le contexte testamentaire. Quand un testateur, comme le fait celui du testament XL, fait allusion à une somme qu'on lui doit, il prend le contrepied de ce qui s'exprime par le constituant SemiOp Fs, la formule par laquelle le testateur déclare qu'il veut que ses dettes soient payées. Le long passage emprunté au testament XLVIII comprend un regard jeté sur le passé du testateur: il n'est donc pas sans rappeler le JustPers F19 («pensant à ma vie passée») ; il a en outre, dans une large mesure, une fonction justificative. Ces caractéristiques des éléments supplémentaires cités nous permettent de supposer que le constituant supplémentaire, sans être lui-même un additif, adopte une fonction sembable à celle de quelque constituant additif sinon de plusieurs à la fois. Les deux passages cités ont encore en commun d'introduire dans le testament une note personnelle. Le testateur du testament XL se plaint du tort que lui a fait son ancien seigneur, «que Dieu pardonne»; le testament a pu lui sembler approprié à servir d'exutoire aux sentiments de frustration, de haine peut-être, et aussi d'impuissance, que l'injustice commise lui a inspirés. A ce propos, on se rappelle la présence de remarques critiques dans certains testaments romains (cf. p. 60). Le testateur du testament XLVIII, dans le passage cité, fait le modeste aveu des soucis qu'il s'est faits et fait encore à propos de sa femme et de ses enfants d'un autre lit. Il s'y montre un homme scrupuleux autant que débonnaire. On a, par conséquent, l'impression que les testateurs, en introduisant dans leurs testaments des éléments qui n'entrent pas normalement dans le «moule» testamentaire traditionnel, «se qualifient», implicitement, eux-mêmes. Or, plusieurs testaments du recueil de Tuetey comportent des éléments textuels que nous avons renoncé à catégoriser jusqu'ici et qui donnent un
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certain renseignement sur le testateur sans être nécessaire à son identification : comme bon et vray catholique (V, 297), comme bon catholique et en recognoissant devotement son doulx sauveur Nostre Seigneur Jhesu Crist (VI, 302 et X, 377). Ces éléments jouent à l'égard du testateur (X) le même rôle que les constituants qualificatifs QualY à l'égard du légataire: ils pourraient être appelés des QualX. La présence, dans quelques testaments réels, de QualX (non catégorisés comme additifs pour ne pas alourdir le classement) et la valeur qualificative implicite des constituants supplémentaires qu'on y trouve, nous conduisent à l'établissement de l'hypothèse suivante: le constituant supplémentaire peut, éventuellement, être un QualX. Nous aurons besoin de cette hypothèse pour pouvoir décrire certains phénomènes se manifestant dans les parties supplémentaires du Lais et du Testament. Elle nous semble plausible, car on connaît des testaments qui contiennent des supplémentaires qui sont des confessions de foi, individuelles et originales, par lesquelles le testateur se qualifie de chrétien. Ainsi, on trouve dans le testament de Saint Perpet, publié dans l'anthologie de G. Peignot (1829): scio quod redemptor meus non moritur, et in carne videbo liberatorum meum, amen (Peignot, I, p. 28). Un plus bel exemple offre encore le testament de Melanchton (Peignot, 1,204-11), qui commence ainsi : In nomine Dei Patris, et Filii, et Spiritûs sancii. Apparet, initio praecipuè condita esse testamento, propter hanc causam, ut patres relinquerent liberis certum testimonium suae sententiae de religione, quam volebant gravi auctoritate quasi obsignatam propagari ad posteros. Item, ut liberos ipsos ad eamdem sententiam retinendam et conservandam obligarent, sicut exempta ostendunt in testamento Jacob et Davidis. Et quia testamento continebant explicatas, certas, immutabilesque sententias de doctrinâ coelesti, rerum magnitudo auxit testamentorum auctoritatem. Quare et ego meorum liberorum et quorumdam amicorum admonendorum causa, volui initio in testamento, et meam confessionem recitare, et liberis meis praecipere prò officio patris, ut in eâdem sententiâ constanter maneant. Primùm autem ago gratias Deo patri domini nostri Jesu Christi prò nobis crucifixi, conditori omnium rerum, quòd me vocavit ad poenitentiam et ad evangelii agnitionem, ac oro, ut propter filium suum, quem pro nobis voluit esse victimam, mihi condonet omnia peccata, me recipiat, justificet, exaudiat, et à morte aeternâ liveret: sicut verè facturum esse. Nam ità jussit nos
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credere; et impietas est, pluris facere peccata nostra quam mortem filii Dei; hanc antefero meis peccatis.26 Certes, le testament de Melanchton n'est pas un testament au sens que le terme a dans la présente étude, il est un testament au sens de «témoignage» (du latin testari «prendre à témoin», «témoignen>), mais on constate que les rapports entre ce texte et ceux du recueil de Tuetey ne sont pas inexistants. On imagine que les déclarations de dévotion assez obligatoires se développent en véritable témoignage personnel sous la plume d'un être qui s'occupe à léguer des biens spirituels, non matériels; en ce cas, les parties performatives et additives deviennent superflues et le reste du texte, au lieu d'être «supplémentaire» est l'essentiel. Tel est le pouvoir virtuel du constituant supplémentaire. Résumons, pour finir, que le constituant supplémentaire semble se réaliser sous deux formes : (48a)
Suppl
y énoncé à fonction additive
(48b)
Suppl
• QualX
4. DISTRIBUTION DES CONSTITUANTS
4.0 Introduction Dans les paragraphes précédents une procédure de reconnaissance a été établie permettant de distinguer dans un texte testamentaire un certain nombre d'éléments constitutifs. Les constituants ont été départagés selon des critères appropriés, qui sont d'ordre «logique», sémantique, syntaxique. Les critères sont parfois relationnels et combinent un critère sémantique avec un critère syntaxique. Leur choix est le résultat de l'étude de testaments réels. L'objectif de cette sélection de critères a été l'établissement d'un ensemble hypothétique, qu'on pourrait appeler «axiomatique», 29 Le testament de Luther, dont Peignot (I, p. 198) publie un fragment et un résumé, contient un curieux passage, qui est une illustration de ce que peut être un QualX: Notus sum in coelo, in terrâ et in inferno, et auctoritatem ad hoc sufficientem habeo, ut mihi solo credatur, càm Deus mihi, homitti licèt damnabili et misero peccatori, ex paternâ misericordiâ Evangelium filii sui crediderit, dederitque ut in eo verax et fidelis fuerim, ita ut multi in mundo illud per me acceperint, et me pro doctore veritatis agnoverint, spreto banna papae, Caesaris, regum, principum et sacerdotum, imo omnium daemonum odio. Signalons que Luther met sur le même plan «la proscription du pape» et «la haine de tous les diables»; la combativité du réformateur s'étend au-delà du tombeau.
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propre à être confronté avec le Lais et le Testament de Villon, textes qui ont l'apparence d'être des testaments. Le fait que la procédure de reconnaissance des constituants a été établie en fonction d'une confrontation ultérieure avec les testaments fictionnels de Villon en limite sans doute la portée : elle ne permet pas de reconnaître tous les éléments textuels qu'on trouve dans un testament réel. Une description exhaustive de la structure des testaments réels demanderait un développement et un raffinement de l'appareil conceptuel proposé. Dans le cadre de la présente étude, cependant, une tentative d'atteindre une catégorisation aussi complète que possible n'est pas nécessaire; elle serait même indésirable, puisqu'elle alourdirait inutilement notre texte. C'est pour cette raison que nous avons tantôt négligé de catégoriser certains éléments, tantôt renoncé à introduire des distinctions dans des ensembles qui se prêteraient à une éventuelle subcatégorisation. Donnons quelques exemples de catégories négligées. Un ensemble textuel qui se serait prêté à une subcatégorisation est l'énoncé «je laisse/donne L à Y», le constituant opératif. Il comprend nécessairement des éléments permettant d'identifier le legs (L) et le légataire (Y), éléments qui auraient pu s'appeler respectivement IdL et IdY. On aurait pu, en les distinguant, étudier les réalisations différentes de ces identifications, mais l'objectif de notre étude ne nous a pas semblé nécessiter une pareille précision. (Voir aussi note 3.) Nous avons proposé de considérer comme des QualX les énoncés du genre «comme bon et vray catholique» (cf. p. 103), mais nous avons renoncé à les intégrer dans la catégorie des additifs contractuels, où ils auraient pu trouver une place. Nous avons relevé la présence, dans maint testament, d'appositions telles que mon frère, sire, maistre, honnorable homme (cf. p. 98), qui sont ou bien des éléments précisant une identité ou bien des ornements traditionnels; leur catégorisation ne nous a pas semblé indispensable. Nous avons entièrement passé sous silence l'existence d'énoncés ornementaux qui consistent dans une salutation adressée aux lecteurs, au prévôt de Paris, du type suivant: A tous ceuls qui ces lettres verront, Jehan, seigneur de Foleville, chevalier, conseiller du roy nostre sire, garde de la prévosté de Paris, salut (V, 296). On ne les trouve que dans les testaments rédigés à la troisième personne, et qui n'ont pas besoin d'être pris en considération dans une étude structurale de testaments fictionnels écrits à la première personne. Voilà les principaux exemples du lest que nous avons cru pouvoir jeter poux ne pas encombrer la liste déjà suffisamment longue des constituants
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MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
du texte testamentaire. Pour faciliter la lecture de cette liste, nous avons accompagné toute définition d'un constituant dans les paragraphes précédents d'une formule qui la visualise sous ime forme succincte. Quand on groupe ces formules ensemble, on obtient la liste suivante: (1) Testament
(2)
Perf Add .Suppl
Perf
Contr Op Id
(3a) (3b) (3c)
Contr Contr Contr Réfi
«testament» (titre) «je fais mon testament en la maniéré qui s'ensuit» «ce testament»
(4a) (4bi (4c)
Op Op Op
(5)
Id
(6a) (6b)
IdX IdX
-»• «Testament) de X» (titre) ->• «(je,) X,»
(7)
IdD
signature/cachet/sceau
Add
SemiOp AddContr AddOp
(8)
(9)
AddContr
(10) AddOp
-> «je laisse L à Y» -»• «je vueil/ordonne qu'on donne L à Y» «Y aura L» ridx IdD
(Hom I JustContr 'Orn I JustOp I Restr Quai
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
(11) SemiOp
107
FI F2 FA F4 F5 Vol
(12)
Fi
-»• «je vueil qu'on m'enterre à ...»
(13)
F2
-> «je vueil que ... messes/luminaire/disner funéraire ...»
(14)
F3
-*• «je vueil que sur ma tombe soit escript...»
(15)
F4
-y «je ordonne mes executeurs Zi, Z2 ...»
(16)
F5
-*• «je vueil que mes debtes soient paiées»
(17)
VOL
-> «je charge Y/Z de ...»
HOM
Dat F6 F7 F8 F» Fio
(19)
DAT
«L'an... (etc.)»
(20)
F6
-> «sain de pensée»
(21)
F7
-*• «de mon bon gré, sans contrainte»
(22)
F8
«presens à ce...»
(23)
F»
«et je révoqué tous testamens faiz avant la date de ces présentes»
(24)
FIO
«je vueil qu'il [== ce testament] vaille par maniéré de testament»
(18)
108 (25)
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
JustContr
(26)
(JustGén JustPers Fu Fl 2
JustGén
Fl3 Fl4
Fis (27)
Fu
->• «il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle»
(28)
Fu
-*• «chaque jour l'homme approche de l'heure de sa mort»
(29)
Fia
(30)
F 14
-*• «tous les hommes sont égaux devant la mort»
(31)
Fis
-> «l'homme est sujet aux caprices de la fortune»
(32) JustPers
«la vie est brève»
Fie F17 Fis FI 9 F20
(33)
Fi«
-> «ne voulant pas mourir intestat»
(34)
Fi,
-*• «désirant avenir à la joye de Paradis»
(35)
Fis
—> «pensant à la fin de ma vie»
(36)
Fis
-> «pensant à ma vie passée»
(37)
F 20
-> «voulant tester avant que je ne sois plus en état de le faire»
(38a) Orn (38b) Orn
-*• «Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperii» -> «Premièrement»
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
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(38c)
Orn
> Item
(39)
JustOp
j JustCaus I JustFin
(40)
JustCaus
(41)
JustFin
• «afin que ...»
(42)
Restr
I RestrCond j RestrPrév
(43)
RestrCond
• «si Y ...»
(44)
RestrPrév
s- «si Y estoit mort ...»/«si Z mettoit aucun empeschement à ce testament ...»/«si L estoit perdus ...»/ etc.
(45)
Quai
(QualY j QualL
(46)
QualY
-» «(Y,) qui...»
(47)
QualL
-» «(L,) qui...»
(48a)
Suppl
-> énoncé à fonction additive
(48b) Suppl
— > «pour ce que ...»
QualX
Dans le cadre de la présente étude cette liste de formules n'a d'autre but que de visualiser sous une forme succincte la catégorisation des constituants significatifs d'un texte testamentaire. Dans les formules, le crochet signifie «se compose de», l'accolade «se laisse catégoriser en», la flèche «se réalise sous forme de» ; l'énoncé placé entre guillemets est un énoncé type. Les caractères gras indiquent que le constituant en question est indispensable. La formule (1) doit donc être lue: un testament se compose nécessairement d'un ou plusieurs performatifs, éventuellement d'un ou plusieurs additifs et/ou supplémentaires; la formule (2): un performatif se compose nécessairement d'un ou plusieurs constituants Contr, Op et
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MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
Id; la formule (5): un identificatif se compose nécessairement d'au moins un constituant IdX et un constituant IdD. D'une façon générale, la liste ne rend pas compte de la forme définitive que les constituants adoptent dans le texte : les formules qui marquent la réalisation du constituant dans le texte (celles qui comportent une flèche) sont des formalisations, puisqu'elles n'indiquent pas les variantes qui peuvent se présenter (sauf dans la formule (38c)). Ajoutons encore qu'elle ne marque pas non plus la distinction entre réalisations indispensables et non-indispensables. Sachant qu'un testament comporte nécessairement un ou plusieurs performatifs, on comprend que les réalisations de certains constituants - formules (3a) ou (3b), (4a) ou (4b) ou (4c), (6a) ou (6b) ou (6b) et (7) - sont indispensables et que les autres ne le sont pas. Bien que nous ayons souligné que la liste n'a d'autre but que de visualiser la catégorisation, nous ne saurions nier que par sa forme elle rappelle les modèles dérivatifs qu'on trouve en grammaire générative. C'est en effet de pareils modèles descriptifs que nous nous sommes inspirés, en établissant cette liste de formules. Nous croyons même que la tentative d'une description, selon l'exemple du modèle génératif-transformationnel, d'un texte mérite d'être entreprise. (Van Dijk [1972] explore les possibilités d'élaborer le fondement théorique d'une pareille description.) Cependant, il nous semble aussi que le temps de le faire n'est pas encore venu, puisque l'outillage théorique d'une grammaire générative du texte n'est pas encore établi. A l'heure qu'il est, décrire un texte en termes génératifs, c'est parler en métaphores (cf. Van Zoest, 1971). C'est précisément pour faire comprendre que la liste ne prétend pas être une description générative que nous avons fait usage de crochets et d'accolades dans certaines formules, usage que ne connaît pas le modèle génératif-transformationnel. II n'en reste pas moins que la forme des formules et l'ordre dans lequel elles sont présentées ne sont pas sans rapport avec la perspective d'une éventuelle description générative du texte testamentaire; notre liste permet, nous semble-t-il, d'imaginer ce que serait à peu près une dérivation hypothétique d'un pareil texte. Les formules, modifiées formellement et complétées, deviendraient alors des «règles» (de catégorisation, de réécriture) décrivant ce qu'on pourrait appeler la «structure profonde» du texte. D'autres «règles», «transformationnelles» celles-ci, devraient s'y ajouter pour rendre compte de la forme qu'adopte en fin de compte le texte. C'est cette perspective qui explique pourquoi nous avons employé des numéros identiques suivis de lettres différentes pour marquer certaines réalisations, facultatives ou parallèles du même constituant.
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Notre liste de formules ne permet pas de se faire une idée de la distribution des constituants dans les testaments réels, de l'ordre dans lequel ils se présentent, de leurs présences et absences, de leur fréquence et de leur proportion. Voilà pourquoi on trouvera, dans les paragraphes suivants, des observations à ce propos. L'idéal aurait été de fonder ces observations sur des données numériques exactes, qui auraient résulté d'un dénombrement exhaustif de l'ensemble des textes publiés par Tuetey. Un inconvénient important s'est opposé à l'exécution de ce travail : le corpus des textes publiés est énorme, de sorte que l'opération est d'une envergure qui demande une étude à part. On peut d'ailleurs se demander si le travail qu'on fournirait serait proportionnel au résultat qu'on peut en attendre. Un autre inconvénient consiste dans le fait que, si l'on veut que le travail statistique soit fait avec précision, on se verra certainement placé devant certains problèmes de méthode. C'est pour ces raisons que nous nous limiterons, dans les paragraphes suivants, à faire des observations d'ordre général qui permettent de se faire une idée de la distribution des constituants dans les testaments. Pour un cas particulier - la fréquence des constituants - nous aurons recours à un procédé statistique : nous ferons le dénombrement non l'ensemble des textes mais d'un texte considéré comme caractéristique qui peut servir d'échantillon (sample). 4.1 Ordre dans lequel se présentent les constituants Constatons, pour commencer, que dans chaque testament du recueil de Tuetey une partie centrale est occupée par une série de constituants opératifs. Cette partie centrale est toujours précédé d'une partie, qu'on pourrait appeler l'introduction du testament, et suivie d'une autre partie, qu'on pourrait appeler la conclusion. Testament
(A) Introduction (B) Partie centrale/les opératifs (C) Conclusion
Dans l'introduction se trouvent toujours le constituant contractuel («je fais mon testament en la manière qui s'ensuit») et le constituant IdX («je, X»). Normalement il s'ouvre sur le constituant Orn «Au nom du Pere, du Fils et du Saint Esperit». Le constituant IdX vient ensuite, tandis que le Contr se trouve vers ou à la fin même de l'introduction. Les homologatifs (sauf la datation et F 8 («presens à ce») et les justificatifs contractuels, s'ils se présentent, s'incorporent dans l'introduction. Très souvent le consti-
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MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
tuant IdX est suivi du constituant homologatif Fa («sain de pensée»), et éventuellement d'un QualX du type «comme bon et vray catholique». Après ces éléments, les constituants JustContr se présentent, étant entendu que d'habitude les JustGén précèdent les JustPers. Si le texte comprend des JustContr, le testament en comporte en général plus d'un ; ils se présentent alors dans l'ordre donné dans la liste de formules du paragraphe précédent (Fn avant F12, etc.), mais cet ordre n'est pas fixe. Après la série des justificatifs se présente le constituant contractuel, qui peut être suivi, à son tour, des homologatifs F 7 («de mon bon gré»), F 9 («et je revoque tous testaments faiz avant la date de ces presentes») ou F10 («je vueil qu'il vaille par maniere de testament»). Orn IdX Horn F« QualX JustGén F n
JustGen F12 Just Gin F13 JustG&i F14 JustGdn F15 (A) Introduction JustPers Fie JustPers F17 JustPers Fig JustPers Fi 9 JustPers F20 Contr Horn F7 Horn F9 Horn F10
(«Au nom du Pere, du Filz et du Saint Esperit») («je, X») («sain de pensée») («comme bon et vray catholique») («considérant qu'il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle») («que chaque jour l'homme approche de l'heure de sa mort») («que la vie est brève») («que tous les hommes sont égaux devant la mort») («que l'homme est sujet aux caprices de la fortune») («ne voulant pas mourir intestat») («désirant avenir à la joye de Paradis») («pensant à la fin de ma vie») («pensant à ma vie passée») («voulant tester avant que je ne sois plus en état de le faire») («fais mon testament en la maniéré qui s'ensuit») («de mon bon gré, sans contrainte») («et je révoqué tous testamens faiz avant la date de ces présentes») («je vueil que ce testament vaille par maniéré de testament»)
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
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La partie centrale se compose des constituants opératifs du testament; on peut l'appeler également la partie opérative du testament. Le premier opératif est normalement précédé du constituant ornemental «Premier», les autres du constituant ornemental Item. Les opératifs peuvent être accompagnés d'un autre additif opératif, JustOp, Restr ou Quai. Dans la partie opérative peut également se trouver un constituant volitif.
(B) Partie centrale
Orn («Premier») Op(l) + JustOp/Restr/Qual/Vol Orn (Item) Op(2) + JustOp/Restr/Qual/Vol Orn (Item) L - O p ( n ) + JustOp/Restr/Quai/Vol
(Quand on compare cette représentation de la structure de la partie centrale avec celle de l'introduction, on peut avoir l'impression que celleci soit plus longue. On comprend toutefois que tel n'est pas nécessairement le cas : la longueur du crochet n'est aucunement iconique pour la longueur de la section textuelle représentée.) Dans la partie finale du testament, la conclusion, se trouve toujours la datation, suivie souvent du constituant homologatif Fg («presens à ce ...»). Elle se termine toujours sur le constituant IdD (signature, etc.). Normalement ces éléments sont précédés du constituant SemiOp F4, celui par lequel le testateur désigne ses exécuteurs. Parfois un constituant restrictif préventif, portant sur une éventuelle opposition à la validité du testament par Z, s'y intègre. Ce dernier énoncé, ainsi que la datation, comportent normalement un constituant réflexif, explicite ou implicite.
(C) Conclusion
RestrPrév/Réfl («si Z mettoit aucun empeschement à ce testament») SemiOp F4 («je ordonne mes executeurs Hom Dat/Réfl («Faitl'an...») Hom Fg («Presens à ce») IdD (Signé :X)
La position qu'occupent les constituants SemiOp est libre : on les trouve avant et après la partie centrale. Dans la majorité des testaments du recueil de Tuetey ils se présentent dans l'introduction du testament, formant ensemble une partie semi-opérative. Cependant, comme nous venons de le constater, le SemiOp F4 («je désigne mes exécuteurs») se détache souvent
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MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
de cet ensemble. La partie semi-opérative peut, elle aussi, comprendre un constituant volitif et même des additifs opératifs. A l'intérieur de la partie semi-opérative il n'y a aucune préférence pour un certain ordre dans lequel les éléments respectifs (Fi à F5) peuvent se présenter. On peut admettre que la position des constituants Suppl est également libre. 4.2 Présence et absence de constituants
Aucun des testaments du recueil de Tuetey n'offre l'exemple d'un texte où tous les constituants testamentaires se présentent. Il va de soi que tous les testaments comportent les constituants performatifs indispensables. Ils comprennent en outre au moins quelques constituants additifs. Le testament le plus succinct du recueil, celui d'Eustache de l'Aistre, chancelier de France (XLVI, 611-12), ne comporte que trois constituants opératifs, mais on y trouve, de plus, 7 constituants Orn, 3 constituants SemiOp (Fi, F4, et F5) et 2 constituants Hom (Dat et Fg). Un autre testament très bref et très simple, celui de Jean d'Escopres, écuyer de cuisine du duc de Guienne (XL, 576-77), comprend, outre 9 constituants opératifs, 19 Orn, 3 Hom (Dat, Fg et F 8 ), 2 Vol, 2 QualL, un RestrCond, un Suppl et même 4 SemiOp F5. Cette constatation vient confirmer ce que nous avons affirmé au chap. II (p. 59): les additifs constituent le cadre conventionnel et traditionnel que demande le testament, s'il veut être un performatif au sens qu'Austin a donné à ce terme. Peu importe, au fond, quels sont les constituants additifs qui adoptent la fonction de servir d'environnement solennel, pourvu que le texte en comporte un certain nombre. Signalons, toutefois, que, parmi les additifs, il y en a qui semblent, plus que les autres, appelés à remplir cette fonction. Ces additifs privilégiés sont les constituants homologatifs et les ornementaux : il n'y a, dans le recueil de Tuetey, aucun testament qui ne renferme au moins un de ces constituants. Dans une moindre mesure les constituants JustContr forment un cadre traditionnel considéré comme plus ou moins indispensable dans un testament. Il n'en est pas de même pour les JustOp, les Restr et les Quai : ils manquent dans de nombreux testaments. Les constituants Vol et Suppl sont rares dans les testaments réels. 4.3 Fréquence des constituants
Comme nous venons de le dire ci-dessus, il nous est impossible de donner
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
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ici des données statistiques complètes sur la fréquence des constituants testamentaires dans l'ensemble des textes publiés par Tuetey. Pour remédier à cette absence de données, nous avons recouru à un procédé qui se laisse exécuter sans trop de difficultés, celui, notamment, de choisir un texte représentatif, un «échantillon», dans lequel il est possible de dénombrer les constituants. Un pareil exemple représentatif permet de se faire une idée de la fréquence avec laquelle les constituants paraissent normale, ment dans un texte testamentaire. Le testament le plus approprié à servir d'échantillon nous a paru celui de Pierre du Châtel, maître des comptes, chanoine de Notre-Dame, (II, 272-79). Il n'est ni trop bref, ni trop long, et il n'oifre guère de particularités qui s'écartent de ce qu'on peut considérer comme un testament moyen. Ou nom de la sainte Trinité, le Pere, et le Filz et saint Esperit, amen. Je, Pierre du Chastel, arcediacre de Soissons, conseillier du roy nostre sire et maistre de ses comptes, sain de corps et de bonne pensée et aussi de bon entendement, considérant en condicion humaine qu'il n'est chose si certaine de la mort et de l'eure d'icelle si incertaine, pensant aux choses passées et aussi au derrenier jour de ma vie, désirant avenir à la joye de Paradis; et pour ce, des biens que Dieu mon createur m'a envoyez et prestez, je vueil ordonner, departir et laissier par maniere de testament ou de derreniere volenté, par la maniere qui ensuit : Et premièrement, je recommande mon ame à Dieu mon createur, à la tres douce glorieuse Vierge Marie sa mere, à monseigneur saint Michiel l'archange, à messeigneurs saint Pere et saint Pol apostres et à toute la benoite court de Paradis. Après, je requier que mon corps soit mis en terre benoite quant l'ame en sera hors, c'est assavoir en l'Ostel Dieu de Paris, en la chappelle séant sur le parvis de l'eglise Nostre Dame de Paris, en laquelle chappelle on dit les heures canoniaux tous les jours et en laquelle j'ay esleu et ordené ma sepulture devant le maistre autel, et que je soye mis si près du dit autel que le prestre qui vouldra dire messe soit sur ma tombe quant il dira son Confíteor. Après, je vueil que mes debtes et torfais soient paiez et amendez où ilz se pourront loyalment prouver, et vueil que ceulz à qui je devray et qui seront gens dignes de foy soient creux par leurs seremens jusques à la somme de LX solz Parisis et au dessoubz, et qu'ilz en soient paiez. Item, le jour queje seray anullié, je vueil que on face distribución à tous ceulz de l'eglise qui seront à mon dit anulliement II solz Parisis, et quant je seray alé de vie à trespassement, que je soye porté ou cuer de l'Eglise de Paris et que on face mon service ainsi qu'il appartient. Item, je vueil et ordene, que quant on fera mon obseque et service, que on face luminaire jusques à la somme de deux cens livres de cire ou plus, à l'ordenance de mes executeurs. Item, le jour que on fera mon dit obseque et service, et ausi pour l'endemain, je vueil que on face distribución aux chanoines et à ceulz qui prennent comme chanoine, pour chascune heure de vespres et de messe, VI solz.
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Item, à ceulz de la communauté qui seront aux dis services, II solz. Item, pour dire les sept pseaulmes, aux dis chanoines II solz, et à la communauté VIII deniers. Item, je vueil que on ordonne XXIIII chappellains et serviteurs de l'eglise et des plus povres qui diront le sautier, c'est assavoir, XII devant matines et XII après matines, et vueil que chascun des dis XXIIII aient pour distribución IIII solz. Item, je vueil et ordene que le jour de mon obseque et l'endemain, on face dire et celebrer mil messes par povres chappellains, et que on les quiere par les eglises de Paris, ainsi comme bon semblera à mes executeurs, et que à chascun chappellain soit baillié pour sa messe II solz. Item, je vueil et ordene que on face dire et celebrer pour l'ame de moy deux anuelz après mon trespassement, et qu'ilz soient faiz dedens la fin de l'an qui courra, et qu'il soit paié pour chascun anuel L frans; desquels deux anuelz je vueil et ordonne que messire Pierre Mercier, mon chappellain, en face l'un et qu'il en soit paié. Item, je lesse aux Celestins de Paris, pour augmentacion de ma chappelle et de maistre Robert de Jussy, afin que lui et moy soions en leurs prières, cent frans d'or. Item, je vueil que on donne et distribute aux povres de l'Ostel Dieu de Paris, par la maniere que je l'ay acoustumé à faire, en baillant à chascun povre un blanc de IIII deniers pour une fois, et qu'il soit continué jusques à ce que on ait donné L frans. Item, je lesse au dit Hostel Dieu de Paris mon meilleur lit et ma meilleure chambre de sarges avecques quatre peres de draps des meilleurs et des plus grans. Item, je lesse à tous les hospitaulz de Paris, où les povres trespassans sont receus et couchez, à chascun hospital IIII frans. Item, je lesse à l'ostel de Sainte Avoye, à la chappelle Estienne Haudry et aux Beguines, à chascun des dis hostelz deux frans. Item, je lesse IIIP frans d'or à donner et distribuer par l'ordonnance de mes executeurs, c'est assavoir, les deux pars à povres honteux mesnagiers et povres femmes vesves, et à povres orphelins et povres filles à marier, et la tierce partie à povres escoliers et povres estudians par les estudes de Paris. Item, je lesse à Jehan Goulet et à Jaquet le Viellart, mes cousins, tous mes héritages que j'ay à Chastel et à NeufTou et environ ou pais de par delà, lesquelz me sont escheuz par l'eritage de mon pere et de ma mere. Item, je lesse et donne au dit Jaquet le Vielart tout ce qu'il me puet devoir et en quoy il m'est tenuz, pour cause qu'il s'est entremis de mes besongnes de par delà. Item, je lesse à Jehannin le Vielart, mon cousin, escolier et estudiant aux escoles, tous mes autres héritages qui sont de mon conquest ou dit pays de Chastel et de par delà. Item, je lui lesse tous mes livres de droit canon et civil et toutes mes escriptures de la rue au Feurre, excepté les livres de medicine. Item, je lui lesse mon autre robe d'escarlate, après celles que Gilete de la Porte et maistre Oudart de Trigny auront choisy. Item, je lesse à chascun des enfans du dit Jaquet le Viellart qui ne sont point
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mariez, et aussi à Poncete et à la Boyteuse sa seur qui sont mariez, à chascun et à chascune vint frans. Item, je lesse à Perrinet, mon fillol, filz de feu Pierre de Soissons, dix frans. Item, je lesse à chascun et à chascune filol et fillole que j'ay, II frans. Item, je lesse à Marion, femme de Guillemin Boucher, toute ma robe de pers. Item, je lesse à Flandrine, femme feu Colart le Borgne, L frans. Item, à Jehannin, son petit filz, XX frans. Item, à Richard Barbelet, frere de la dicte Flandrine, L frans. Item, à Milet de Saint Leu L frans. Item, à Jehan de Justine, l'avugle, XX frans, par telle maniéré et condicion que la dicte Flandrine et les dis Jehanin son filz, Richart, Milet, et Jehanin et Jehan de Justine ne chascun d'eulz ne demanderont ou partiront en aucune maniéré aux héritages que j'ay lessiez aux dis Jehan Goulet et Jaquet le Vielart, mais y renonceront tout entièrement en prenant les lays que je leur fais; et ou cas qu'ilz ne vouldroient accepter, je les prive du dit lais et qu'ilz soient baillez aux dis Jehan Goulet et Jaquet. Item, je lesse à la dicte Flandrine mon sercot d'escarlate brune avecques les deux capperons de mesmes. Item, je lesse à maistre Oudart de Trigny mon autre meilleur robe d'escarlate, après ce que Gilete de la Porte aura choisi la robe que je lui lesse. Item, je lesse à Jenson Gaillart, mon clerc, IIIe frans, et si lui lesse ma robe de drap mabre rouget de Brucelles, c'est assavoir, manteaux, sercot et chapperon de mesmes. Item, je lesse à messire Pierre Mercier, mon chappellain, pour les bons services qu'il m'a fais et fait encores tous les jours et dont je me tieng content, IIe frans avecques ma robe de caignet, et afin qu'il prie pour moy, et que je soye en ses prieres et qu'il lui souviengne de moy, je lui lesse mon petit bréviaire complet avec l'estuy à le mettre. Item, je lesse à Raoulet Cabaret XL frans. Item, à Gieffroy, mon page, X frans. Item, je lesse à messire Guillaume du Chesne, chappellain en l'eglise Nostre Dame de Paris, pour prier pour l'ame de moy, XX frans. Item, je lesse à Gillete de la Porte 1111e frans, et si lui lesse ma meilleur robe d'escarlate, laquelle qu'elle vouldra choisir. Item, je lui lesse douze tasses d'argent blanches, et si lui lesse six autres tasses d'argent blanches dorées par dedens. Item, je lesse toute la vaisselle de ma cuisine, et tous mes autres liz et couvertures, et tout mon linge viel et nuef, avec mes toilles que je puis avoir, afin qu'elle en donne et distribue, pour prier pour l'ame de moy, à mes serviteurs et autres gens neccessaires, là où elle verra qu'il sera bien emploié, et par especial aux dessus dis Jenson et messire Pierre. Item, je lesse à la dicte Gilete, toute sa vie durant, toutes mes rentes et revenues que j'ay en la ville de Saint Denys en France avec ma maison que j'y ay, assise devant l'eglise de Sainte Croix, et aussi tout ce qui m'appartient, en quoy la femme qui fu Jenson du Chastel prent son doaire, et aprez le decez de la dicte Gilete, je les lesse au dit Jehannin le Viellart, mon cousin. Item, je lesse à la dicte Gilete ma maison qui est assise en la rue Saint Christofle, devant l'ostel maistre Regnaut Freron, tant comme elle vivra, et après
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son decez, je la lesse et donne au dit Jehannin le Viellart, mon cousin. Item, je lesse aux trois filles maistre Regnault Freron, c'est assavoir: à Ysabeau, à Jaqueline et à Perrette, à chascune mil frans pour leur mariage. Item, du résidu de tous mes biens meubles, héritages, maisons, moulin, rentes et revenues quelconques seans à Paris, à Pierrefite, à Bonneuil et à Eaubonne, avec toutes leurs circonstances et appartenances et toutes autres choses quelconques et en quelque lieu qu'ilz soient, j'en fois mon hoir et heritiere ma fille, damoiselle Jehanne, femme de maistre Regnault Freron, premier phisicien du roy nostre sire, à les succeder, prendre et avoir, et encores d'abondant les lui donne et lesse par maniere de lez en testament, ou par autre meilleur maniere et voye que je puis et doy faire, sanz ce que autres personnes quelconques y puissent ou doyent aucune chose demander; premièrement et avant toute euvre, toutes mes debtes, torfais, obseques et testamens paiés entièrement sans y aucune chose lesser, et aussi par telle maniere et condicion que le dit maistre Regnaut, mari de ma dicte fille, tiengne et soustiengne le dit Jehannin le Viellart, mon dit cousin, aux escoles d'an en an sans interrupción de temps, afin qu'il puisse acquerre science et qu'il prie pour moy, et aussi qu'il luy administre ses nécessitez qui lui appartiennent, toutes foiz que mestier en sera, jusques à la somme de Ve frans, lesquielz je lui donne et lesse, et vueil qu'ilz soient paiez à l'ordenance du dit maistre Regnaut, sans contredit aucun ou reffuz; et s'il avenoit que le dit Jehannin eust acquis son gré de science avant que les dis cinq sens frans feussent despenduz ou allouez, le dit maistre Regnault baillera le demourant des dis Ve frans au dit Jehannin pour vivre et aidier en ses neccessitez, nonobstant autres dons et lays à luy fais en ce present testament; et de ce je charge tout entièrement le dit maistre Regnault et qu'il accomplisse. Et pour faire et accomplir les choses dessus dictes et chascune d'icelles, je fais et ordonne mes executeurs especiaulz honorables hommes et saiges, le dit maistre Regnaut Freron, Jehan Goulet, mon cousin, maistres Jehan Creté et Adam Richeux, maistres de la Chambre des comptes, maistre Oudart de Trigny, clerc d'icelle Chambre, messire Pierre Mercier, mon chappellain, et Jençon Gaillart, mon clerc, et chascun d'eulz pour le tout, par telle maniere que, se tous ensemble n'y pevent ou povoient vacquer ou entendre, les V, IIII, III, II ou un puissent faire et parfaire et acomplir mon dit testament par l'ordenance du dit maistre Regnaut sans lequel je ne vueil estre fait. Auxquielz mes executeurs dessus nommez, oultre les lays à eulz en ce present testament, à chascun d'eulz, pour leur paine et traval qu'ilz auront en faisant l'execucion de mon dit testament, je lesse XL frans. Item, au dit Jehan Goulet, mon dit cousin, pour sa paine et travail et pour l'affection que j'ay à luy, oultre le lays à luy faiz, comme dessus est dit, II e frans, et aussi pour acomplir et parfaire toutes les choses dessus dictes et chascune d'icelles, je leur donne plain pouvoir et auctorité en les mettant en saisine et possession de tous mes biens quelconques, en submettant en tant comme je puis tout le fait de mon execucion à la court de Parlement, en déboutant tout autre juge. Lequel testament ou derreniere volonté dessus dictes, je vueil qu'il vaille et soit tenu par maniere de testament ou de derreniere volenté, ou par maniere de coudicile, ou par autre meilleur maniere que de droit ou de coustume mieulz valoir porra et devra, en renonçant à tout autre testament qui devant cestui seroit fait, et vueil que ce present testament vaille et ait son plain effect.
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En tesmoing de ce, j'ay ratifié et signé de ma propre main ce present testament et seellé de mon propre seel. Ce fut fait en mon hostel claustral à Paris, le X X V I I I e jour de juillet, l'an mil C C C I I I I " et quatorze. Et pour ce que je vueil que toutes les choses dessus dictes et chascunes d'icelles soient parfaites, je, Pierre de Chastel, dessus nommé, les ratiffie et les approuve, tesmoing mon seel et saing manuel mis à ces présentes. Escript comme dessus. Ainsi signé: P. D E C H A S T E L . Collatio facta est cum originali testamento defuncti magistri Pétri de Castro suprascripto. J. V I L L E Q U I N . (Archives Nationales, 1A 9807, fol. 43 r°.)
Voici la liste des constituants qu'on distingue dans ce testament. Les chiffres entre parenthèses renvoient à la liste des formules. Par «fréquence» est entendu: nombre de fois que le constituant en question se présente dans le texte. (Des éléments successifs qui ont en commun le[s] leg[s] ou le[s] légataire^] sont considérés comme un seul opératif. Le chiffre marquant la fréquence des additifs non-ornementaux indique le nombre de fois qu'un opératif est accompagné d'un tel constituant. Voir à ce sujet la note 13 du chapitre suivant.) Constituant
Fréquence
(3b) (3c) (4a) (6b) (7) (12) (13) (15) (16) (19) (20) (23) (24) (27) (34) (35) (36) (38a)
1 4 27 2 1 1 7 1 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1
Contr Refl Op IdX IdD SemiOp Fi SemiOp F 2 SemiOp F 4 SemiOp F 5 Horn Dat Horn F 6 Horn Ff> Horn F10 JustGön F11 JustPers Fx 7 JustPers Fig JustPers F19 Ora
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(38b) (38c) (40) (41) (43) (44a) (46) (47)
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
Orn Orn JustCaus JustFin RestrCond RestrPrév QualY QualL
1 43 2 7 2 4 3 1
Quelques observations qu'on peut faire à propos de cette liste de fréquences semblent significatives et caractéristiques pour la structure du testament «moyen» : (a) Sur un total possible de 16 constituants JustContr et Hom dans un testament «complet», ce testament en comprend 8. La moitié du nombre possible de constituants JustContr et Hom paraît constituer un cadre conventionnel acceptable. (b) Sur 27 constituants opératifs le testament contient 43 constituants Orn «Item». Que le nombre de Item soit plus grand que celui des Op est la conséquence du fait que les SemiOp sont, eux aussi, précédé de Item, et que les Orn «Item» se trouvent parfois à l'intérieur d'un seul Op. (c) Parmi les constituants SemiOp, celui qui porte sur les paroles à faire inscrire sur la tombe (F3) fait défaut. D'autre part, une place privilégiée est réservée au SemiOp par lequel le testateur prescrit les différentes messes à dire après sa mort: le testament contient 7 constituants F2. La lecture des autres testaments nous permet de conclure que cette fréquence est normale. (d) Sur 29 constituants Op le testament comprend 9 JustOp, dont 7 JustFin. Cette fréquence est plus grande que celle qu'on trouve en moyenne dans les autres testaments du recueil de Tuetey. (e) Le nombre de RestrCond (2) est modeste; celui des RestrPrév, sans être important, est deux fois plus élévé (4). (f) Le nombre de Quai est également modeste (4 en total), surtout celui des QualL. (g) Le testament ne contient pas de Vol ni de Suppl. 4.4 Proportion des constituants
Comme on peut s'y attendre, il existe une très grande liberté en ce qui concerne la porportion des constituants et des groupes de constituants.
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
121
Il est normal que c'est la partie centrale, opérative, qui occupe de loin la plus grande place dans le testament. Cependant, il y a quelques rares exceptions; le testament XLVI, celui d'Eutache de l'Aistre, en offre un exemple. Il arrive que le texte comprend une partie semi-opérative importante. Dans le testament XLVIII, le testateur, Jean Soulas, procureur au Parlement de Paris, prend de nombreuses mesures en vue de son enterrement et des messes à dire après son décès; la partie semi-opérative y occupe à peu près la moitié du texte. La longueur de chaque constituant pris à part varie également, mais elle est normalement restreinte. Il n'y a que les constituants opératifs et semi-opératifs que prennent parfois des proportions considérables, bien que ce soit là plutôt l'exception. Leurs proportions sont souvent fonction de l'importance du legs fait ou des mesures prévues, parfois aussi de la précision avec laquelle les legs ou les mesures sont décrits. Ce ne sont jamais les additifs qui allongent sensiblement les opératifs et semi-opératifs. Un exemple d'un opératif nettement plus long que les autres se présente dans le testament II, celui de Pierre du Châtel; l'opératif par lequel le testateur désigne sa fille unique comme sa principale héritière est à peu près dix fois plus long que les autres.
5. FONCTION DES CONSTITUANTS
C'est la fonction première du testament, dans sa totalité, d'exprimer une volonté, la dernière volonté, comme on dit, du testateur. Les verbes vouloir et ordonner sont fréquents dans les textes testamentaires. L'expression de cette volonté du testateur est assurée avant tout par les constituants opératifs et par les constituants semi-opératifs. La présence de constituants RestrCond dans un texte prouve à quel point un testateur peut chercher à imposer sa volonté, même après sa mort. Les RestrPrév, par lesquels sont prévus d'éventuels empêchements à une bonne exécution du testament, ont pour fonction de ne laisser aucune ambiguïté sur la façon dont le testateur désire que sa dernière volonté soit exécutée. Les constituants contractuels ont également une fonction d'interprétation au service d'une bonne exécution du testament : ils accordent aux constituants opératifs leur pouvoir performatif. Ce besoin de précision, ce souci d'ime bonne exécution du testament n'est pas l'expression pure et simple d'une volonté, mais il se veut l'expression d'une volonté qui se transforme en acte(s). Si la parole testamentaire n'était rien d'autre que l'expression d'une volonté, elle n'aurait, pour nous servir d'un terme
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MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
d'Austin, qu'un pouvoir locutionnaire. Or, le testament a plus qu'une simple fonction expressive. La parole testamentaire est elle-même un acte, un acte qui vise un résultat : elle a un pouvoir illocutionnaire. Les constituants contractuels et RestrPrév ont pour fonction d'assurer le caractère performatif du texte. Pour qu'un énoncé performatif soit reconnu comme tel, il faut, on l'a vu, qu'il soit entouré d'éléments conventionnels qui en soutiennent le caractère solennel. Le constituant contractuel a encore cette fonction: comme son nom l'indique, c'est grâce à sa présence dans le texte que celuici est considéré comme un contrat, qui engage celui qui l'a rédigé aussi bien que ceux qui en prennent connaissance. D'autres constituants ont également pour fonction de former le cadre conventionnel souhaité. Certains soulignent la validité du contrat, comme les constituants homologatifs. La signature qui termine le testament (IdD) est sans doute également à considérer comme un élément qui a cette fonction. D'autres constituants, les ornementaux, sont de purs éléments conventionnels. Les constituants JustContr, dont la forme est traditionnelle et non pas d'invention personnelle, ont la même fonction. Il va sans dire que le style testamentaire, qui n'a pas été pris en considération dans la présente étude, a, avec les lourdeurs qu'on lui connaît, surtout pour fonction de créer l'ambiance de solennité dont l'énoncé performatif est volontiers entouré. La bonne exécution du testament exige une grande précision dans l'identification du testateur, des légataires et des objets légués. Aussi n'est-on pas surpris de trouver dans le texte testamentaire des constituants dont c'est la fonction d'identifier X, L ou Y. Cependant, comme on a pu le constater, il arrive que le testateur donne sur X, L et Y des renseignements qui ne sont pas indispensables à leur identification : au moyen des constituants QualL et QualY. On peut supposer que ce sont là des énoncés qui ne sont pas des identifications objectives, mais des identifications personnelles. Ces constituants ne sont pas des éléments conventionnels; ils introduisent dans le texte un élément superflu, gratuit, mais personnel. Il en est de même des constituants qui ont une fonction justificative non-traditionnelle, les JustOp. C'est une hypothèse plausible que de supposer que c'est la présence des JustContr traditionnels dans les testaments qui a donné à certains testateurs l'idée de justifier quelques-uns de leurs legs. Cela vaut en premier lieu pour les JustCaus, car les JustContr ont tous une valeur causale. Dans les JustFin on sent encore bien souvent un désir du testateur d'imposer sa volonté, de prescrire au légataire à quoi il doit employer le bien légué. Une autre hypothèse, non moins plausible,
MODÈLE DU TESTAMENT RÉEL
123
consiste à supposer que c'est une sorte de nécessité psychologique que de sentir le besoin de justifications au moment d'établir un testament: est-ce un hasard si, en guise d'encadrement textuel traditionnel, on a adopté des énoncés comme les JustContr? Les principaux impératifs régissant les fonctions des constituants testamentaires sont donc les suivants : désir d'exprimer une volonté, d'assurer le pouvoir illocutionnaire du discours, de créer le cadre conventionnel que demande le performatif testamentaire, nécessité d'identification, besoin de justification. On comprend qu'un auteur dont les préoccupations fondamentales seraient analogues (besoin de justification, etc.) trouverait dans le modèle testamentaire un moule très approprié à son inspiration.
IV. STRUCTURE DU LAIS
0. INTRODUCTION
Le modèle hypothétique du testament non-fictionnel une fois établi, il peut être confronté avec les données textuelles que présentent le Lais et le Testament. Cette confrontation de «l'axiomatique» avec les réalités «phénoménales» aura lieu dans le présent chapitre en ce qui concerne le Lais, dans le chapitre suivant pour ce qui est du Testament; selon les principes exposés au chapitre II, elle permettra de reconnaître les structures des deux poèmes dans la mesure où ils se présentent comme des textes adoptant la forme testamentaire. La numérotation, identique, des paragraphes est destinée à faciliter une comparaison avec le modèle présenté. Cependant, la plupart des définitions proposées au chapitre précédent seront résumées au début des paragraphes du présent chapitre.
1. LES CONSTITUANTS PERFORMATIFS
1.1 Les constituants contractuels et réflexifs Le titre du Lais est un constituant contractuel, puisque lais est synonyme de testament.1 Le corps du Lais présente un constituant contractuel au huitain 8 : 1
Dans les manuscrits on trouve les titres suivants : Le Lais François Villon (A) Le testament de maistre François Villon (B) Le petit testament Villon (Ç) Le premier testament maistre François Villon (F) (S'ensuit) le petit testament maistre François Villon (I)
STRUCTURE DU LAIS
Si establis ce present laiz.
125 L 64
Ce constituant contractuel se présente avant l'apparition dans le texte du premier énoncé susceptible d'être considéré comme un constituant opératif. Les éléments cest intendit (intendit signifie, selon Burger (1957: 72), «acte juridique» = «le lais») et ce laiz seront considérés comme des constituants réflexifs, parce qu'ils sont synonymes de ce testament. Est également un constituant réflexif l'énoncé où se présente un élément dont le sens appartient au champ sémantique «écrire»; on peut admettre qu'un tel élément renvoie à l'acte d'écrire le Lais. Comme de pareils éléments on peut considérer escripvant, finer mon propos, ancre, cierge (à la lumière duquel on écrit) et aussi suspendis et y mis bonne, signifiant «je m'arrêtai d'écrire». Selon ces présupposés les constituants réflexifs du Lais se trouvent au huitain 27 : Soubz cest intendit contenus;
L 214
au huitain 35 : Finablement, en escripvant, (...) Dictant ce laiz et descripvant,2 (...) Si suspendis et y mis bonne
L 273-79
Si l'on suppose que l'auteur a pourvu son texte d'un titre et qu'on le prenne au sérieux, quand il note au huitain 75 du Testament (il faut encore admettre que c'est non seulement le testateur, mais aussi l'auteur qui s'y prononce) : Si me souvient bien, Dieu mercis, Que jefeis a mon portement Certains laiz, l'an cinquante six, Qu'aucuns, sans mon consentement, Voulurent nommer Testament;
T 753-57
on conclura que le titre du manuscrit A est conforme au désir de l'auteur. 2 Cette leçon {«ce laiz»), que donne l'édition de Longnon et Foulet, est celle du manuscrit A ; les manuscrits C, F et I donnent «ces laiz» et B donne «Ses laiz». Si l'on accepte ces dernières leçons, comme le fait Burger (p. 73), l'énoncé ne se rapporte pas à l'élément contractuel, mais à la partie opérative.
126
STRUCTURE DU LAIS
au huitain 39 :
Et ne peus autrement finer.
L 307-12
Le dernier vers cité est un constituant réflexif, parce que les mots ce testament peuvent être considérés comme étant sous-entendus. Il en est de même au huitain 40 : Fait au temps de ladite date Par le bien renommé Villon,
L 313-14
où un renvoi est également fait à la datation et au constituant identificatif du premier huitain, de sorte que le Lais y reçoit le caractère cyclique d'un texte qui se termine sur des éléments présents dans son commencement. U n constituant réflexif extratextuel du Lais se trouve au Testament: (...) je feis a mon partement Certains laiz, l'an cinquante six,
T 754-55
où la date et l'allusion au départ (pour Angers) précisent la référence. 3
3 Le constituant réflexif du huitain 75 n'est certes pas la seule référence au Lais que comporte le Testament. Fox (1953: 316) signale qu'il y a de nombreux parallélismes entre les deux textes. Précisons en disant que le Testament comporte plusieurs références explicites au Lais. Les passages où le testateur renvoie, en tous termes, à des legs faits dans le Lais sont les suivants : - au vers T 765 sont évoqués les trois gluyons de fuerre légués à Perrenet Marchant (L 180), - au vers T 971 le testateur dit d'Ythier Marchant qu'il est celui auquel mon branc laissai jadis (cf. L 83), - au vers T 991 le testateur déclare qu'il veut faire un autre nouveau laiz à Jehan le Cornu (cf. L 84-88), - les troispovres orphelins du vers T1275 étaient déjà désignés ainsi au Lais (L 196), - les povres clerjons du vers T 1306 sont les povres clers du Lais (L 213 et 219). Dans le même huitain du Testament (h. 131) sont rappelés les legs faits aux mêmes légataires dans le Lais; c'est pourquoi Foulet, dans son édition de l'œuvre de Villon, a remplacé les présents des manuscrits par des passés simples, car, dit-il (p. 118): «Ni les mss. ni I n'ont vu qu'il y a ici une allusion aux str. XXVII-VIII du Lais.» - une allusion à des legs faits au Lais (le Cheval Blanc et la Mulle, L 90) se trouve encore aux vers T 1011 et 1013.
127
STRUCTURE DU LAIS
A l'intérieur du texte, les constituants contractuels et réflexifs du Lais se localisent comme suit: Contr Réfl
h. h. h. h. h.
8 27 35 39 40
Comme on l'a vu, les huitains 35 et 39 contiennent plus d'un élément réflexif. Le Lais connaît encore des cas intéressants d'une réflexivité non-contractuelle, mais comme le phénomène se présente aussi, et dans une fréquence et une variation plus grandes, au Testament, il en sera question au paragraphe correspondant du chapitre suivant (p. 162). 1.2 Les constituants
opératifs
Comme constituants opératifs sont considérés les énoncés qui, après l'apparition dans le texte d'un constituant contractuel, sont susceptibles de signifier «je lègue L à Y». Tels sont dans le Lais les énoncés comprenant un élément comme (je) donne, laisse, ordonne, establis, feray ... laiz, ordonne qu'on baille, ordonne que ... soient pourveus, vendez ...et que Vargent soit emploié a acheter ..., accompagnés de compléments représentants legs et légataires. 4 Il y a également lieu de parler d'un constituant Une référence de nature plus générale et plus vague se présente au vers T 769-70: S'ainsi estoit qu'aucun n'eust pas Receu les laiz que je luy mande. Les nombreux retours dans le Testament de la plupart des légataires du Lais constituent des références implicites; les quatre premiers du Lais reviennent au début du Testament et exactement dans le même ordre. Il y a même des parallélismes stylistiques entre les deux textes: dans le Lais, comme dans le Testament, Robert d'Estouteville est désigné par une tournure périphrastique (cf. Fox, 1953: 316) et les huitains initiaux des deux œuvres constituent des anacoluthes. 4 Le constituant opératif, on le sait, doit comprendre un complément direct représentant le legs fait (L). La syntaxe plus lâche du XVe siècle rend possible certaines constructions que ne permettrait pas la syntaxe moderne. Ainsi le complément direct est un infinitif au huitain 28 : Je leur laisse cens recevoir
L 222
Peut-on encore parler de complément direct à propos de l'optatif qui constitue le legs au huitain 33 :
128
STRUCTURE DU LAIS
opératif lorsqu'on peut supposer qu'un des éléments précités est sousentendu. Au huitain 16 on trouve une combinaison de la première personne de laisser et de donner: Item, laisse et donne en pur don
L 121
Les énoncés comprenant (je) laisse sont fréquents; pour que ce texte ne soit pas surchargé de citations, nous nous limitons à signaler les passages où ils se présentent, le premier numéro renvoyant au huitain, celui entre parenthèses au vers: 9 (L 69), 10 (L 77), 11 (L 83), 12 (L 89 et L 96), 17 (L 129), 18 (L 138 et L143), 19 (L 146), 21 (L 162), 22 (L 173), 23 (L 180), 24 (L 186), 25 (L 193), 27 (L 211), 28 (L 222), 30 (L 233), 31 (L 241 et L 248), 32 (L 249), 33 (L 257), 34 (L 265). Il y a attribution d'un legs dans les passages suivants: au huitain 34: Quant au concierge de Gouvieulx, Pierre de Rousseville, ordonne, Pour le donner entendre mieulx, Escus telz que le Prince donne.
L 269-72
au huitain 22: Le Hëaulme luy establis;
De par moy saint Anthoine l'arde!
L 170
L 263
Le légataire est normalement désigné à l'aide d'un complément indirect, mais sur ce point aussi il y a quelques curieuses exceptions. Ainsi le légataire est introduit par la proposition pour au huitain 27 : Pour sedurre d'aversité Povres clers de ceste cité et par quant à au huitain 34: Quant au concierge de Gouvieulx,
L 212-13
L 269
Le Testament offrira encore quelques autres particularités (cf. la note 4 du chapitre suivant).
STRUCTURE DU LAIS
129
au huitain 13: J'ordonne principalement Qu'on luy baille legierement Mes brayes, estons aux Trumillieres,
L 100-02
au huitain 14: Qu'on lui baille l'Art de Memoire.
L 112
au huitain 15: Mes parens, vendez mon haubert, Et que l'argent, ou la plus part, Soit emploié, dedans ces Pasques, A acheter a ce poupart Une fenestre emprès Saint Jaques.
L 116-20
au huitain 25 : J'ordonne qu'ilz soient pourveus,
L 199
Au huitain 33, le vers Je ne luy feray autre laiz.
L 264
peut être considéré comme un constituant opératif du type «je lègue L à Y» dans lequel le legs que le testateur fait au légataire est nul. La présence de cet élément permet de considérer comme le véritable legs fait l'optatif qu'on trouve dans le passage précédent: A celluy qui fist l'avant garde Pour faire sur moy griefz exploiz, De par moy saint Anthoine l'arde!
L 261-63
Il en résulte que les vers 261 à 264 forment ensemble un seul opératif. Il y a ellipse d'un verbe signifiant «je lègue» au huitain 12: Et a Blarru mon dyamant
L 91
130
STRUCTURE DU LAIS
au huitain 17: Aussi a Jehan Raguier la somme De cent frans, prins sur tous mes biens.
L 131-32
au huitain 20: Item, a maistre Jehan Mautaint Et maistre Pierre Basanier, Le gré du seigneur (...) (...) Et a mon procureur Fournier, Bonnetz cours, chausses semelees,
L 153-58
au huitain 29: Item, et j'adjoings a la crosse Celle de la rue Saint Anthoine, (...) Aux pijons qui sont en Vessoine, Enserrez soubz trappe volliere, Mon mirouër bel et ydoine
L 225-31
au huitain 30: Et aux gisons soubz les estaux, Chascun sur l'œil une grongniee,
L 235-36
Le huitain 26 contient un opératif du type «Y aura L», mais le verbe y est sous-entendu: Premièrement, Colin Laurens, Girart Gossouyn et Jehan Marceau, (...)
Chascun de mes biens ung fesseau,
L 201-05
Les constituants opératifs s'échelonnent du huitain 9 au huitain 34. Si l'on considère comme un seul opératif des éléments opératifs successifs qui ont en commun ou bien le(s) légataire(s) (Y) ou bien le(s) legs (L), on constate que le Lais comprend 33 constituants opératifs différents, qui se localisent comme suit:
131
STRUCTURE DU LAIS
Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op Op
1) 2) 3) 4) 5) 6) 7) 8) 9) 10)
") 12) 13) 14) 15) 16) 17) 18) 19) 20) 21) 22) 23) 24) 25) 26) 27) 28) 29) 30) 31) 32) 33)
h. 9 h. 10 h. 11 h. 12 (L 89-90) h. 12 (L 91-92) h. 12 (L 93-96) h. 13-15 h. 16 h. 17 (L 129-30) h. 17 (L 131-32) h. 18 (L 137-40) h. 18 (L 141-44) h. 19 h. 20 (L 153-56) h. 20 (L 157-60) h. 21 h. 22 (L 169-70) h. 22 (L 171-76) h. 23 h. 24 h. 25-26 h. 27-29 (L 209-28) h. 29 (L 229-32) h. 30 (L 233-34) h. 30 (L 235-40) h. 31 (L 241-43) h. 31 (L 244) h. 31 (L 245-48) h. 32 h. 33 (L 257-60) h. 33 (L 261-64) h. 34 (L 265-68) h. 34 (L 269-72) 1.3 Les constituants identificatifs
Le premier constituant identificatif IdX se trouve au début du Lais, immédiatement après la datation : Je, Françoys Villon, escollier,
L2
132
STRUCTURE DU LAIS
Le testateur s'y identifie au moyen de la juxtaposition de son nom, en apposition, avec je, de sorte que tous les je du texte deviennent des pronoms anaphores pour lesquels la substitution je = «je, Villon» peut être faite. L'identité est précisée, comme c'est l'habitude, par l'adjonction d'un substantif dénotant l'état social du testateur. Un deuxième constituant identificatif IdX se rencontre au dernier huitain : Fait au temps de ladite date Par le bien renommé Villon,
L 313-14
Contrairement à celle du début, l'identification est faite ici à la troisième personne. 5 Dans ce huitain un nombre de qualifications s'ajoutent à l'identification: le testateur est présenté comme bien renommé, qui ne menjue figue ne date, sec et noir comme escouvillon, il ría mais qu'ung peu de billón, car il a tout laissié à ses amis. Si, dans ce huitain final, la forme testamentaire d'identification est plus impersonnelle qu'au début de l'œuvre, la qualification y est certainement plus personnelle. Dans le Lais, il n'y a pas de constituant identificatif IdD. La localisation des constituants identificatifs est la suivante: IdX
h. 1 h. 40
IdD
2. LES CONSTITUANTS ADDITIFS
2.1 Les constituants semi-opératifs Dans le Lais il n'y a pas d'énoncés susceptibles d'être considérés comme des constituants semi-opératifs Fi, F2, F3, F4, ou F5 (formules qui règlent l'enterrement, la nomination d'exécuteurs testamentaires, le paiement d'anciennes dettes). On n'y trouve, tout a plus, qu'un énoncé qui peut être un volitif, ce constituant au moyen duquel le testateur exprime un désir sans faire un legs proprement dit. Tel est le cas au huitain 21 : 5
Voici encore un parallélisme frappant - formel, cette fois - avec le Testament, qui, comme le Lais, est rédigé à la première personne, mais se termine également sur un passage où la référence au testateur est faite à la troisième personne.
133
STRUCTURE DU LAIS
(Et la Vache:) qui pourra prendre Le vilain qui la trousse au col, S'il ne la rent, qu'on le puist pendre Et estrangler d'ung bon licol!
L 165-68
2.2 Les constituants homologatifs Les constituants homologatifs sont la datation (Dat) et les formules qui étayent la validité du testament (Fe à Fio). Dans le Lais la datation est faite dès le début: L'an quatre cens cinquante six,
L1
Deux fois un élément réflexif renvoie à cette datation, au huitain 2: En ce temps que j'ay dit devant,
L 9
et au huitain 40: Fait au temps de ladite date
L 313
Comme il est d'usage dans la plupart des testaments du recueil de Tuetey, le testateur du Lais précise le moment de la conception de son testament. Au huitain 2 il fait connaître qu'il l'a fait sur le Noël (L 10) et au huitain 35 il précise même l'heure où il a terminé son travail, à savoir le soir, quand il entend la cloche de la Sorbonne, qui tousjours a neuf heures sonne (L 277). On se rappelle que le testateur du texte No. VIII du recueil de Tuetey fait de même (cf. p. 84). Le Lais comporte en outre le constituant homologatif Fe, la formule du type «sain de pensée» par laquelle le testateur déclare jouir de toutes ses facultés mentales. Au huitain 1 on lit: (...), de sens rassis,
L3
Au vers suivant on trouve: Le frain aux dens, franc au collier,
L4
ce qui, selon Burger (1957: 68) signifie «acharné au travail, plein de zèle». On pourrait considérer cette déclaration comme une attestation de santé
134
STRUCTURE DU LAIS
physique, et, par conséquent, comme une nuance personnelle que le testateur ajoute à la formule F«. Le Lais ne comporte pas d'autres constituants homologatifs, de sorte que la distribution de ces constituants se laisse noter comme suit: Dat Fe F 7 à F10
h. 1 h. 1
2.3 Les constituants justificatifs (JustContr) Quand un énoncé, au moyen duquel le testateur justifie l'établissement du testament, se relie à l'élément contractuel par une conjonction causale ou un participe présent (par exemple: «considérant que ...»), on a affaire à un constituant justificatif JustContr. Ces justifications peuvent être d'ordre personnel (JustPers) ou d'ordre général (JustGén) et trouvent habituellement leur expression dans des formules décrites au Chapitre III. Dans le Lais, un énoncé justificatif se relie au constituant contractuel au huitain 8: Et puis que departir me fault, Et du retour ne suis certain
L 57-58
La justification étant d'ordre personnel, cet énoncé est à considérer comme un constituant JustPers. Cependant, il n'entre pas, à première vue, dans l'une des catégories définies (Fie à F20); dans les testaments du recueil de Tuetey il n'arrive pas qu'un testateur déclare faire son testament parce qu'il part en voyage et qu'il n'est pas sûr de revenir. Comme le testateur du Lais donne à entendre qu'il est possible qu'il meure avant de revenir (voir aussi le reste du huitain), on peut rapprocher le sens de ses paroles de celui de la formule JustPers Fis, «pensant à la fin de ma vie». Que le départ suggère au testateur une réflexion sur sa mort éventuelle se trouve explicité dans une parenthèse ouverte après ce constituant justificatif : (Je ne suis homme sans desfault Ne qu'autre d'acier ne d'estain, Vivre aux humains est incertain Et après mort n'y a reîaiz, Je m'en vois en pays loingtain),
L 59-63
STRUCTURE DU LAIS
135
Dans ce passage on reconnaît une vérité générale, Vivre aux humains est incertain / Et après mort n'y a relaiz, qui rappelle les énoncés du type «il n'est chose plus certaine de la mort ne moins certaine de l'eure d'icelle» et qui, dans les testaments réels de l'époque, sont des constituants justificatifs JustGén F a . Le huitain 8 offre ainsi une double justification, d'ordre personnel et d'ordre général, dans des énoncés qui, par leur signification, ressemblent aux formules Fi 8 et Fn. Il semble certain que le testateur (l'auteur) a été au courant de l'usage de ces formules. Une autre preuve de la connaissance que le testateur a dû avoir des usages testamentaires de son époque se trouve au huitain 1, où l'on Ut: Considérant, (...) (...)
Qu'on doit ses œuvres conseillier,
L 3-5
Par le fait qu'il suit immédiatement le constituant IdX {Je, Françoys Villon, escollier) et par la présence du participe présent considérant, cet énoncé se présente comme un justificatif. La présence du pronom personnel on en fait un JustGén. Il est vrai que ce constituant n'est pas relié directement à l'élément contractuel du huitain 8, mais ce «défaut» peut être mis sur le compte de la rupture syntaxique intervenant après le premier huitain. Si, cependant, l'énoncé peut être considéré comme un constituant JustGén, il n'entre dans aucune des formules (Fn à Fis) définies au chapitre III; ici, de nouveau, le testateur a pris des libertés avec les traditions testamentaires de son époque. Le Lais comporte donc trois constituants JustContr, qui se localisent comme suit: JustGén (F ?) JustPers (Fis ?) JustGén (Fn ?)
h. 1) h. 8 j (avec infraction aux usages) h. 8 )
Les autres constituants JustContr - JustGén, F12 à Fis, et JustPers, Fi«, F17, F19, F20 - sont entièrement absents. 2.4 Les constituants ornementaux Le constituant Orn (a), l'invocation de la Trinité, se trouve au huitain 9 : Premièrement, ou nom du Pere,
136
STRUCTURE DU LAIS
Du Filz et du Saint Esperit,
L 65-66
au début du premier constituant opératif du texte. On constate qu'il est précédé du constituant Orn (b), Premièrement. Ce dernier constituant revient, assez curieusement, au début du huitain 26 (L 201); le fait qu'il se présente au milieu du vingt-et-unième opératif du Lais étaye l'opinion que le mot premièrement n'est considéré que comme un pur ornement. Il en est certainement de même de de rechief, qu'on trouve au début du huitain 25 ;6 bien que cet élément ne se trouve pas dans les testaments du recueil de Tuetey, il est à considérer comme un constituant ornemental. Les autres huitains de la partie opérative du Lais, à l'exception des huitains 13, 14, 19 et 28, commencent par Orn (c), Item? Les constituants ornementaux se laissent, par conséquent, localiser comme suit: Orn (a) Orn (b) Orn non-défini Orn (c)
h. h. h. h. h.
9 9 26 25 (de rechief) 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 29, 30, 31, 32, 33, 34.
2.5 Les constituants justificatifs
(JustOp)
Comme des constituants JustOp sont considérés les énoncés par lesquels le testateur justifie le legs fait dans un opératif ; ils peuvent avoir une 6 Burger (1957: 13) préfère Item à De rechief (que Foulet accepte d'après C), jugeant que de rechief n'est à sa place que devant un second legs, comme c'est le cas dans T 1094. Cependant dans les testaments, le mot Item s'est vidé, pour ainsi dire, de sa signification originale ; premièrement, dans L 201, également. Il est donc concevable que de rechief soit devenu un élément ornemental. 7 Les Item, dans le Lais, ne se présentent qu'au début des strophes. Dans dix huitains il y a plus d'un élément opératif; les opératifs qui ne se présentent pas dans la première partie d'une strophe ne sont donc jamais introduits par Item. On a, par conséquent, l'impression que Item, pour le testateur du Lais, est plutôt un ornement de versification qu'un ornement testamentaire, bien que le plus souvent le mot ait les deux fonctions à la fois. Il y a trois opératifs qui couvrent plus d'un huitain. Dans le premier, Item ne se trouve qu'au début du premier huitain (h. 13-15). Dans le second (h. 25-26), Item est absent, mais on trouve au début des strophes d'autres ornementaux (de rechief, premièrement). Dans le troisième (h. 27-29), Item se présente au premier et au dernier des trois huitains. Les opératifs dépourvus de tout constituant ornemental sont les suivants: Op (5), (6), (10), (12), (15), (18), (23), (25), (27), (28), (31), (33).
STRUCTURE DU LAIS
137
valeur causale (JustCaus) ou une valeur finale (JustFin). Habituellement ils se relient à l'énoncé opératif au moyen de conjonctions causales ou finales et au moyen de pour (causal ou final) suivi d'un infinitif. Dans le Lais, trois énoncés se relient à un opératif au moyen des conjonctions causales pour ce que ou puis que; ils sont donc ces JustCaus. Deux d'entre eux, qu'on trouve au huitain 14, se rattachent au même opératif : Pour ce qu'il est de lieu honneste, (•••) Puis qu'il n'a sens ne qu'une aulmoire,
L 105-10
L'autre se trouve au huitain 23 : Pour ce qu'il est très bon marchant, L 179 L'énoncé suivant, se présentant au huitain 25, peut être considéré comme un JustCaus à cause de sa signification : (De rechief,je laisse,) en pitié,
L 193
Il donne une valeur justificative aux éléments QualY de ce huitain et du huitain suivant, qui forment ensemble le même constituant opératif : Tous deschaussiez, tous desvestus, etc. Despourveus de biens, de parens, etc.
L 197 L 203
On peut, d'ailleurs, supposer que le QualY suivant, au huitain 11, a lui aussi une valeur justificative: (Item, a maistre Ythier Marchant,) Auquel je me sens très tenu, (Laisse mon branc d'acier tranchant,)
L 81-83
On peut encore considérer comme un JustCaus le passage suivant, au huitain 27, où le testateur explique pourquoi il se montre généreux envers ses légataires: Charité m'y a incité, Et Nature, les voiant nus:
L 215-16
138
STRUCTURE DU LAIS
Les énoncés introduits par pour (final) suivi d'un infinitif et par que (signifiant «pour que»") peuvent être considérés comme des constituants JustFin. On les trouve au huitain 12: (...) pour mettre sus.
L 96
au huitain 13: Pour coeffer plus honnestement S'amye Jehanne de Millieres.
L 103-04
au huitain 15: Item, pour assigner la vie Du dessusdit maistre Robert,
L 113-14
au huitain 16: (...), que trop rCengresse.
L 128
au huitain 20: Pour porter durant ces gelees.
L 160
au huitain(Et 21ung : tacon) pour esmouchier Le Beuf Couronné qu'on veult vendre,
L 163-64
au huitain 23 : Pour estendre dessus terre A faire Vamoureux mestier,
L 181-82
au huitain 27 : Pour Povressedurre clers ded'aversité ceste cité au huitain 33 :
L 212-13
STRUCTURE DU LAIS
Pour faire ung broyer a moustarde.
139 L 260
au huitain 34: Pour le donner entendre mieulx.
L 271
Les constituants justificatifs sont localisés comme suit: JustCaus
h. h. h. h.
14 23 25 27
Op (7) Op (19) Op (21) Op (22)
JustFin
h. 12 h. 13 h. 15 h. 16 h. 20 h. 21 h. 23 h. 27 h. 33 h. 34
Op (6) Op (7) Op (7) Op (8) Op (15) Op (16) Op (19) Op (22) Op (30) Op (33)
2.6 Les constituants restrictifs Tout énoncé qui restreint ou qui change la portée d'un ou plusieurs éléments opératifs ou semi-opératifs est un constituant restrictif. Lorsque le testateur fait dépendre un opératif d'une condition imposée au légataire, on a affaire à un restrictif conditionnel (RestrCond); quand il prévoit quelque empêchement à l'exécution de sa volonté et qu'il propose une solution alternative, l'énoncé est un restrictif préventif (RestrPrév). Dans le Lais se laissent reconnaître deux constituants RestrCond. Le premier, au huitain 11 : (Si vueil, selon le contenu, Qu'on leur livre,) en le rachetant.
L 87-88
L'énoncé en le rachetant peut être interprété «s'il le rachètent» (l'objet légué est le branc, qui est en gaige detenu). Inutile de dire que la con-
140
STRUCTURE DU LAIS
dition imposée ici est loin d'être orthodoxe. L'autre RestrCond se présente au huitain 22 : Voire, mais j'auray les Troys Lis, S'ilz me mainent en Chastellet.
L 175-76
Cet énoncé restrictif est également d'une nature très inhabituelle. Il peut être considéré comme un RestrCond, parce qu'on peut interpréter «les testateurs (les piétons qui vont d'aguet) entreront en possession de leurs legs à condition de ne pas me mener en prison». Cependant, il a aussi un aspect «préventif», puisque le testateur prévient ses légataires que, s'ils n'obéissent pas à la condition imposée, ce sera à eux de lui faire un legs. On a affaire, ici, à un jeu subtil avec les habitudes testamentaires, que le testateur connaît manifestement très bien, mais dont il se moque avec désinvolture. Le même mépris pour les usages en cours se montre dans trois autres passages, où le testateur ajoute à l'opératif un legs ou même un légataire alternatif. Dans le premier, se trouvant au huitain 26: Ou quatre blans, s'ilz Vayment mieulx.
L 206
il s'agit visiblement d'un RestrPrév, puisque le testateur envisage un éventuel mécontement des légataires avec le legs fait en première instance. Au huitain 29 il ajoute un legs alternatif sans explication : ou ung billart de quoy on crosse,
L 227
On est tenté de penser que par ce procédé le testateur exprime son mépris pour ses légataires (il peut avoir pensé: «peu importe ce que je leur donne»), mais avec de la bonne volonté on peut supposer que le RestrPrév est sous-entendu: «s'ilz l'ayment mieulx». Au huitain 11, un phénomène semblable se présente, mais cette fois il s'agit du légataire; le testateur y laisse son branc à Ythier Marchant, Ou a maistre Jehan le Cornu,
L 84
Le lecteur, s'il est disposé à y voir autre chose que de la malveillance de la part du testateur, peut admettre qu'un RestrPrév est sous-entendu: «si Ythier Marchant est mort ou introuvable». Les constituants restrictifs se répartissent sur le texte comme suit:
141
STRUCTURE DU LAIS
RestrCond RestrCond (?) Restr Prév RestrPrév sous-entendus (?)
h. 11 h. 22 h. 26 (h. 11) (h. 29)
2.7 Les constituants
Op Op Op Op Op
(3) (18) (21) (3) (22)
qualificatifs
Les constituants qualificatifs sont les énoncés qui s'ajoutent aux constituants opératifs et qui ont une fonction non pas identificative, mais qualificative. Ils donnent sur les légataires (QualY) ou sur les legs (QualL) des renseignements qui ne sont pas pertinents pour leur identification ; ils pourraient être supprimés dans le texte sans risque pour une bonne exécution du testament. Ce sont des éléments adjectivaux: adjectifs (nondistinctifs), appositions, propositions relatives (non-déterminatives) introduites par un pronom relatif o u par un participe, présent ou passé. Comme il a été admis que le qualificatif a une valeur informative particulière, les éléments traditionnels (par exemple: Y, ce noble homme),8 dont 8
Un pareil élément traditionnel se trouve au huitain 1S : (Item, je laisse a ce noble homme, (Regnier de Montigny), (...)
L 129-30
Grâce à ce qu'on sait de Montigny - affilié aux Coquillards, il a été pendu en 1457 - on comprend que l'énoncé est ironique et que l'élément ce noble homme a plus qu'une simple valeur stylistique (imitation du style testamentaire). Cependant, cette ironie n'est sensible que lorsque la référence à la mauvaise vie de Montigny est connue. Mais dans le présent chapitre le caractère référentiel du texte est placé entre parenthèses; le testateur y est pris au sérieux et ses intentions ironiques ne sont pas prises en considération. L'élément ce noble homme est donc aussi «pris au sérieux». Cela n'empêche pas d'admirer l'habileté avec laquelle l'auteur sait en faire un usage ironique dans son Lais. L'élément mon amy, dans le vers A mon amy Jacques Cardon,
L 123
a été considéré également comme un ornement et non pas comme un QualY. Il en est de même des éléments qui s'ajoutent aux noms des légataires pour préciser leurs professions: (Item, a Jehan Trouvé,) bouchier, (A Jehan,) l'espicier, (delà Garde,)
L 161 L 258
L'élément suivant : (Item, aPerrenet Marchant,) Qu'on dit le Bastart de la Barre,
L 177-78
142
STRUCTURE DU LAIS
la valeur est avant tout stylistique, ne sont pas considérés comme des constituants qualificatifs. Dans le Lais, les constituants QualY sont des propositions relatives, des appositions et des adjectifs, comme dans les testaments réels. On peut toutefois considérer comme un QualY également une proposition concessive (comme celle commençant par obstcmt ce que du vers L 108) qui fournit une information non-identificative sur le légataire. Il arrive aussi qu'un substantif est anaphorique - qu'il renvoie au nom propre identifiant le légataire - et nous renseigne sur le légataire; il est à considérer également comme un QualY. Tel est le cas au huitain 15, où le testateur, faisant un legs à Robert Valee, demande à ses parents de vendre son «haubert» pour que, avec l'argent obtenu, on achète à ce poupart «une fenestre emprès Saint Jaques». Les énoncés susceptibles d'être considérés comme des QualY se laissent reconnaître: au huitain 9 : Qui en Vonneur de son nom bruit,
L 71
au huitain 10: Qui si durement m'a chassié
L 74
au huitain 13: Povre (clerjot en Parlement), Qui n'entent ne mont ne vallee,
L 98-99
au huitain 14: Obstcmt ce qu'il est insensé;
L 108
n'est pas non plus un QualY, puisqu'il a pour fonction de préciser l'identité du légataire. Il arrive aussi qu'un élément permet de savoir où se trouvent des légataires : (Auxpijons qui sont en l'essoine,) Enserrez soubz trappe volliere,
L 229-30
Une pareille localisation facilite l'identification, ce qui conduit à rejeter l'idée que l'énoncé serait un QualY; les deux vers, pris ensemble, font comprendre que les légataires en question sont les gens qui se trouvent en prison.
STRUCTURE DU LAIS
143
au huitain 15: (...) cepoupart
L 119
au huitain 22: (Et aux piétons qui vont d'aguet) Tastonnant par ces establis,
L 171-72
au huitain 25 : Povres orphelins impourveus, Tous deschaussiez, tous desvestus Et desnuez comme le ver;
L 196-98
au huitain 26: Despourveus de biens, de parens, Qui n'ont vaillant Vance d'ung seau,9
L 203-04
au huitain 27 : Povres (clers de ceste cité)
L213
au huitain 28 : (Deux) povres (clers,) parlons latin, Paisibles enfans, sans estry, Humbles, bien chantons au lectry;
L 219-21
au huitain 30: Megres, velus et morfondus, Chausses courtes, robe rongniee, Gelez, murdris et enfondus. 9
L 238-40
La valeur justificative de ces QualY a été signalée (p. 137). On peut supposer que, lorsqu'un légataire est qualifié de povre (L 98, 213, 219), cet élément a également une valeur justificative, et qu'il en est de même de megres, gelez, murdris, etc. (L 238-40). Quand on fait abstraction du critère formel selon lequel les constituants se laissent (parfois difficilement) départager, la ligne de démarcation entre la justification et la qualification est souvent vague.
144
STRUCTURE DU LAIS
Pour ce qui est des constituants QualL, il n'est pas toujours aisé de savoir si un énoncé est à considérer comme tel, oui ou non. C'est que le contexte ne permet pas toujours de conclure, à propos d'un adjectif, s'il est distinctif ou non. Quand, par exemple, le testateur lègue à un légataire ses souliers vieulx, doit-on comprendre qu'il possède plus d'une paire et qu'il ne donne que les exemplaires usés? Ou l'épithète est-elle une simple épithète de nature, sans fonction distinctive? Si l'on admet qu'il n'a que de vieux souliers, l'adjectif est un QualL, sinon il ne l'est pas. Tant qu'on ne sait pas si le testateur est en possession d'une seule épée ou de plusieurs, on ignore si le complément, au vers où il lègue son branc d'acier tranchant, est distinctif ou non. Dans ces deux cas cités, l'intuition doit guider le lecteur; le texte du Lais, dans sa globalité, lui apprend que le testateur est un pauvre hère, et il est, par conséquent, probable que le testateur n'a que de vieux souliers, qu'il n'a pas plus d'une épée - on sera tenté d'appeler les éléments cités des QualL.10 Par contre, on supposera que, lorsque le legs consiste dans une grasse oye ou ung bon lopin, les adjectifs ont une valeur plutôt distinctive, puisque l'énoncé n'offre que l'élément adjectival pour déterminer plus ou moins le legs et pour compenser l'absence d'une identification plus précise. De tels éléments ne sont pas considérés comme des QualL.11 Un autre 10
Ainsi on peut admettre que le testateur ne possède qu'un seul miroir et qu'un seul lit, de sorte que dans les vers Mon mirouêr bel et ydoine
L 231
Mes chassiz tissus d'arigniee,
L 234
les éléments adjectivaux sont non-distinctifs et, par conséquent, des QualL. C'est le cas dans les vers suivants :
11
Et tous les jours une grasse oye Et ung chappon de haulte gresse, Dix muys de vin blanc comme croye.
L 125-27
Et couchier, paix et aise, es ceps.
L 144
(...) ung bon loppin, (...) Clos et couvert, (...)
L 148-50
Bonnetz cours, chausses semelees, Taillees sur mon cordouannier,
L158-59
Je leur laisse deux beaux riblis,
L 173
Savoureux morceaulx et frians, Flaons, chappons et grasses gelines,
L 251-52
145
STRUCTURE DU LAIS
problème se pose quand le testateur laisse à un légataire le decret qui articulle / Omnis utriusque sexus (L 93-94). L'énoncé identifie suffisamment le legs, mais le testateur ajoute: Contre la Carmeliste bulle. Ce dernier élément n'est pas indispensable, et aura certainement pour maint lecteur une grande valeur informative; on est donc tenté de le considérer comme un QualL. Cependant, il est, au fond, redondant; sa valeur informative objective est nulle. Balancé ainsi entre deux possibilités, on aura la prudence de ne pas appeler cet énoncé un QualL. Les énoncés suivants semblent, sans trop de scrupules, pouvoir être considérés comme des QualL: au huitain 10: (Je laisse mon cuer) enchassié, Palle, piteux, mort et transy:
L 77-78
au huitain 11 : (Laisse mon branc) d'acier tranchant,
L 83
au huitain 12: (Et l'Asne Royé) qui reculle.
L 92
au huitain 21 : (Laisse le Mouton) franc et tendre (...)
Dans tous ces cas les éléments adjectivaux contribuent à l'identification, si peu conventionnelle soit-elle, des legs. Comme une précision identificative est considéré aussi l'élément qui précise le lieu où le legs peut être trouvé: ( Mes brayes,) estons aux Trumillieres, A recouvrer sur Maupensé,
L 102 Llll
Une fenestre emprès Saint Jaques
L 120
La lanterne a la Pierre au Let
L 174
Quand un énoncé précise le lieu d'origine du legs, on le considérera comme déterminatif ; il n'est donc pas un QualL: (Je laisse [...] ung canari) Prins sur les murs, comme on souloit Envers les fossez, sur le tart,
L 186-88
146
STRUCTURE DU LAIS
(Le Beuf Couronné) qu'on veult
vendre,12
L 162-64
au huitain 29: (Mon mirouër) bel et ydoine
L 231
au huitain 30: (Mes chassiz) tissus
d'arigniee,
L 234
au huitain 31 : (...) (...) Que, Pour
(mes souliers) vieulx, (mes habitz) tieulx quant du tout je les délaissé, moins qvCïlz ne cousterent neufz
L 244-47
Les constituants qualificatifs du Lais se localisent comme suit: 1 3
12
Lorsque l'oDjet légué est une enseigne, on admettra que le nom propre (L'Asne Royé, Le Mouton, Le Beuf Couronné) suffit à l'identifier. L'élément adjectival ajouté est alors non-déterminatif, donc un QualL. 13 C'est surtout à propos des constituants qualificatifs que se pose le problème épineux de la délimitation des constituants. Non pas qu'il semble d'une grande importance, dans le cadre de la présente analyse, de déterminer avec précision où un constituant commence et où il se termine, mais il peut sembler important, dans un but statistique, de connaître le nombre de constituants qu'un huitain comprend ou de savoir combien de constituants se relient à un certain opératif. A propos de certains constituants il est possible d'établir un critère selon lequel on décide si l'on a affaire à un seul ou à plusieurs constituants. Tel est le cas, par exemple, des constituants JustCaus qu'on trouve au huitain 14: Pour ce qu'il est de lieu honneste,
L 105
Puis qu'il n'a sens ne qu'une aulmoire.
L 110
et
Les moyens de connexion à l'opératif sont ici formellement différents (conjonction causale pour ce que et conjonction causale puis que), et c'est selon un critère formel qu'on peut en arriver à conclure qu'on a affaire à deux constituants JustCaus différents. Pour les constituants qualificatifs Quai Y du huitain 13 on peut penser à une solution semblable, puisque dans : Povre (clerjot en Parlement,) Qui n'entent ne mont ne vallee,
L 98-99
STRUCTURE DU LAIS
147
les deux éléments adjectivaux sont syntaxiquement différents, le premier étant un adjectif, le second une proposition relative. La question se complique quand le critère formel ne permet pas de départager les éléments. Lorsque, au huitain 25 on trouve: Povres orphelins impourveus, Tous deschaussiez, tous desvestus Et desnuez comme le ver; -
L 196-98
on constate qu'il y a là quatre participes passés (impourveus, deschaussiez, desvestus, desnuez), qui sont autant d'éléments adjectivaux, mais identiques d'un point de vue formel. Est-ce qu'on va les considérer comme un seul constituant qualificatif, en stipulant que tous les déterminants se reliant au même déterminé et offrant, sur le plan syntaxique, les mêmes caractéristiques sont à considérer comme formant ensemble un constituant unique? Ou est-ce qu'on les considérera comme quatre constituants différents, puisque les mêmes caractéristiques s'offrent plus d'une fois, de sorte qu'on a affaire à quatre éléments appartenant à la même catégorie? Cependant, quand on admet la dernière possibilité, on admettra également que les éléments se distinguent sur le plan sémantique. Mais la question se pose de savoir si c'est en effet le cas. Est-ce que impourveus et desnuez comme le ver ne sont pas synonymes? Et est-ce que leur signification n'embrasse pas celle de tous deschaussiez et de tous desvestus? La question se complique et devient inextricable, quand on considère les vers suivants, au huitain 26, qui se rattachent au même opératif que les précités : Despourveus de biens, de parens, Qui n'ont vaillant Vanee d'ung seau,
L 203-04
Le premier de ces vers peut être considéré comme formant un seul constituant, mais aussi comme formant deux constituants, si l'on admet qu'il y a ellipse de despourveus après la virgule. Le second de ces vers, bien que formellement distinct de la première partie du premier vers, semble signifier la même chose qu'elle; les deux parties prises ensemble peuvent être des synonymes de certains éléments du huitain précédent ou même de la totalité des vers L 196-98. Ni le critère formel ni le critère syntaxique ni le critère sémantique ne permettant de départager décisivement les constituants, la question reste ouverte de savoir si l'opératif de huitans 25 et 26 s'accompagne finalement d'un seul, de deux, de trois, de quatre, de cinq, de six, de sept ou de huit constituants Quai Y? Enfermé dans ce dilemme, nous avons renoncé à dénombrer les constituants Quai accompagnant un opératif. La liste se trouvant à la fin du paragraphe 2.7 ne précise donc pas le nombre de Quai se trouvant dans le Lais. Sa portée est plus limitée: elle montre quels opératifs sont accompagnés d'un Quai (ou plusieurs), elle permet de départager les opératifs accompagnés de Quai de ceux non-accompagnés de Quai. On se demande si le manque de précision numérique sur la présence de certains constituants additifs, notamment des constituants qualificatifs, ne limite pas le pouvoir explicatif des données obtenues. C'est certainement le cas: plus on dispose dé données précises et détaillées, plus les conclusions tirées sont susceptibles d'être convaincantes. Mais lorsque la précision est impossible, il vaut mieux y renoncer que de ne l'obtenir qu'en apparence. Mieux vaut limiter la portée de l'analyse que de courir le risque de fausser éventuellement son interprétation. Qu'un dernier exemple concret illustre quels seraient les risques d'une décision forcée à tout prix. Au huitain 30 on lit: Megres, velus et morfondus, Chausses courtes, robe rongniee. Gelez, murdris et enfondus.
L 238-40
148
QualY
QualL
STRUCTURE DU LAIS
h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h.
9 10 13 ) 14 22 25 j 26 j 27 28 j 30
h. h. h. h. h. h. h.
10 11 12 21 29 30 31
15
Op(l) Op(2) Op(7)
j
Op (18) Op (21) Op (22) Op (25) Op(2)
Op Op Op Op Op Op
(3) (5) (16) (23) (24) (28)
3. LES CONSTITUANTS SUPPLÉMENTAIRES Les éléments textuels qui ne sont ni des performatifs ni des additifs sont appelés les constituants supplémentaires (Suppl). D e pareils éléments, qui n'étayent pas la validité du testament et qui ne sont pas des éléments testamentaires traditionnels, se présentent rarement dans les testaments réels publiés par Tuetey. Quand ils se présentent, ils occupent dans le texte une place modeste. Il n'en est pas de même dans le Lais, puisqu'une part considérable du texte peut être considérée comme n'ayant ni fonction performative ni
Un critère syntaxique conduirait à la conclusion qu'on a ici affaire à 8 QualY, tandis qu'un critère sémantique nous y ferait voir peut-être un seul (les légataires sont qualifiés de «misérables»). La différence est trop grande pour que le choix entre les deux possibilités ne risque pas de fausser une éventuelle interprétation du résultat numérique. L'application de ce que Peirce appelle the principle of vagueness s'impose, dans un cas pareil. L'absence de précision optimale n'enlève pas sa valeur à la liste de la fin du paragraphe 2.7: on peut, par exemple, conclure que sur les 33 opératifs du Lais, 13 sont accompagnés d'un ou plusieurs constituants qualificatifs. Il est certain que, comparé avec les testaments réels, c'est beaucoup.
STRUCTURE DU LAIS
149
fonction additive : les huitains 2 à 7 et les huitains 36 à 38 - c'est à dire 9 huitains sur un total de 40 - sont dépourvus de tout constituant performatif ou additif. 14 Comparée avec les testaments réels de l'époque, la présence d'éléments supplémentaires n'est pas une infraction aux usages, mais l'importance proportionelle relative est certainement une anomalie dont on peut se demander dans quelle mesure elle se laisse accorder avec la fiction testamentaire. D a n s la première partie supplémentaire (h. 2-7), le testateur, après avoir précisé le moment de l'établissement du texte (L 9-13), exprime le désir de rompre avec une femme pour qui il a un amour malheureux et expose les mobiles qui l'ont amené à prendre cette décision: la rupture doit se réaliser par le départ d u testateur. Les huitains en question comprennent donc une justification du projet d e partir. Or, c o m m e o n l'a vu
14
Deux autres passages, plus brefs, qui s'enchâssent dans la partie opérative du texte, échappent à la catégorisation en constituants performatifs ou additifs. Le premier se trouve à la fin du huitain 17 : On ne doit trop prendre des siens, Ne son amy trop surquerir.
L 13 5-36
L'autre à la fin du huitain 32: Carmes chevauchent Mais cela, ce n'est quettoz du voisines, mains.
L 255-56
N'étant ni performatifs ni additifs, ces énoncés, selon la définition proposée, devraient être considérés comme des Suppl. Cependant, il est évident qu'ils commentent des legs faits et qu'ils se relient à des constituants opératifs (resp. Op (10) et Op (29)). Si donc on considère des énoncés pareils comme des «constituants supplémentaires», il est clair qu'on a affaire à des constituants d'un genre inédit : d'une part, les testaments réels de l'époque n'offrent pas d'exemples de commentaires faits à propos de legs, et, d'autre part, leur fonction dans la fiction testamentaire est indiscutable. La question peut donc se poser de savoir si de tels «commentaires» sont à considérer comme une catégorie de Suppl à part. Il semble qu'il est préférable de ne pas catégoriser ces éléments du tout, et cela pour une raison d'ordre pratique: la ligne de démarcation qui les sépare des constituants additifs (JustOp, QualY, etc.) n'est pas toujours très nette. Il n'y a pas trop de mal à ne pas les prendre en considération, quand on cherche à catégoriser les éléments textuels des testaments fictionnels: en fin de compte ce n'est pas une segmentation complète, exhaustive, exacte, qui est l'objectif de la présente étude structurale. Une segmentation complète et précise demanderait une axiomatique infiniment plus détaillée que celle présentée au chapitre précédent. On peut même se demander si elle est possible. Remarquons que les deux énoncés cités trahissent un certain désir du testateur d'introduire dans son texte des «maximes», éléments textuels qui ont la prétention de contenir une vérité générale. Dans le Testament ces éléments gnomiques seront sensiblement plus nombreux.
150
STRUCTURE DU LAIS
(p. 134), dans un constituant JustPers du huitain 8 le testateur justifie explicitement l'établissement de son testament par l'obligation qu'il sent de partir pour un long voyage dont il est possible qu'il ne revienne pas. Le passage supplémentaire, dans son ensemble, peut, par conséquent, être considéré comme étant la justification du JustPers du huitain 8; il n'est pas entièrement gratuit ou superflu. Se servant de la terminologie créée pour la présente analyse, on dira que les huitains 2 à 7 constituent un JustPers d'un JustPers, autrement dit: un JustPers indirectement relié au constituant contractuel. De plus, dans une partie du passage supplémentaire en question, le testateur jette un regard sur sa vie passée, tout comme c'est le cas dans un des Suppl du testament réel cité au chapitre précédent (p. 102). Implicitement, le testateur fait connaître qu'il «pense à sa vie passée», de sorte que la portée du passage se laisse rapprocher du sens d'un des constituants JustContr définis : F19, «pensant à ma vie passée». Le passage en question offre encore un QualX, puisqu'au huitain 6, il note: Au fort, je suis amant martir Du nombre des amoureux sains.
L 47-48
Par le fait que, globalement, il justifie un JustContr, par sa ressemblance au JustContr F19 («pensant à ma vie passée») et par la présence d'un QualX (je suis amant martir), le passage supplémentaire qui va du huitain 2 au huitain 7 s'intègre dans le contexte d'une façon assez souple et il ne se détache pas trop de la fiction testamentaire adoptée. Le rapport entre la deuxième partie supplémentaire (h. 36 à h. 38) et le contexte testamentaire semble être beaucoup plus lâche. Il est vrai que ce passage est précédé d'un huitain contenant un Réfl : Finablement, en escripvant, Ce soir, seulet, estant en bonne, Dictant ce laiz et descripvant,
L 273-75
et qu'il est suivi d'un huitain comprenant également un Réfl qui porte sur l'acte d'écrire «ce testament» : Puis que mon sens fut a repos Et /'entendement demeslé, Je cuidé finer mon propos;
L 305-07
STRUCTURE DU LAIS
151
de sorte que l'enchâssenent du passage dans le contexte se fait, ici aussi, sans heurts ni artifices. Mais cela n'empêche qu'on ne voit pas trop bien quelle est la fonction, dans un testament, de la description que le testateur, dans les huitains en questions, donne du fonctionnement de son esprit en termes rébarbatifs (qui critiquent, sans doute, ironiquement le verbalisme de la scolastique «dépravée, caricaturale, moribonde», comme l'a dit Le Goff (1965: 172)). Ce passage, plus encore que le premier passage supplémentaire, se laisserait aisément enlever au Lais - avec les deux huitains environnants, d'ailleurs - sans nuire au caractère testamentaire de l'ensemble et sans nuire à sa cohésion. D'un point de vue de la fiction testamentaire, la présence de ce SuppI ne se justifie guère. Tout au plus, et avec un peu de bonne volonté, peut-on admettre que le testateur s'y qualifie, implicitement, de bon catholique (il prie comme le cuer dit - L 280), d'intellectuel (Je l'ay leu, se bien m'en souvient, / en Aristote aucunes fois - L 295-96), et, implicitement, de pauvre (mon ancre trouvé gelé / et mon cierge trouvé soufflé - L 308-09). Signalons que deux des énoncés qu'on pourrait éventuellement appeler des QualX implicites, «le testateur est bon catholique» et «le testateur est pauvre», se trouvent dans les huitains 35 et 39, qui contiennent des constituants Réfl. Il semble donc possible qu'un QualX puisse se trouver aussi dans une strophe comprenant un constituant performatif ou additif. On constate qu'il en est effectivement ainsi, car au huitain 40, où se présentent un Réfl et un IdX, on lit encore : (...) le bien renommé Villon, Qui ne menjue figue ne date, Sec et noir comme escouvillon, Il n'a tente ne pavillon Qu'il n'ait laissié a ses amis, Et n'a mais qu'ung peu de billón Qui sera tantost a fin mis.
L 314-20
On peut admettre que le testateur y est, implicitement encore, qualifié de maladif, de généreux, mais avant tout de pauvre. La carence de constituants supplémentaires dans les testaments du recueil de Tuetey rend impossible l'établissement de définitions qui permettraient de les segmenter avec quelque précision. Aussi ne peut-on faire autre chose qu'indiquer les passages où les Suppl du Lais se trouvent; on se contentera de signaler, sans localisation nette, la fonction «testamentaire» de certaines de leurs parties.
152
STRUCTURE DU LAIS
Suppl
h. 2-7
Suppl
(h. 35) h. 36-38 (h. 39) (h. 40)
Suppl
JustPers indirect (départ) (F19, «pensant à ma vie passée») QualX (amant martir) (QualX?) («bon catholique») (QualX?) («intellectuel») (QualX?) («pauvre») (QualX?) («pauvre») («mal portant») («généreux»)
4. DISTRIBUTION DES CONSTITUANTS
4.0 Introduction Les constatations faites aux paragraphes précédents permettent de faire un tableau de la localisation des constituants testamentaires du Lais: Contr Réfl Op IdX Vol Dat Hom F« JustGén F? JustGén F n (?) JustPers Fi 8 (?) Orn (Au nom du Pere...) Orn (Premièrement) Orn non défini (de rechief) Orn (Item) JustCaus JustFin RestrCond RestrPrév QualY QualL Suppl à valeur additive Suppl QualX
Titre, h. 8 h. 27, 35,39,40 h. 9-34 Titre (?), h. 1,40 h. 21 h. 1 h. 1 h. 1 h. 8 h. 8 h. 9 h. 9, 26 h. 25 h. 10-34 (sauf h. 13,14,19,25, 26,28) h. 14,23,25,27 h. 12,13,15,16,20, 21,23,27, 33, 34 h. 11,22(?) h. 11 (?), 26,29 (?) h. 9,10,13,14,15, 25,26,27,28, 30 h. 10,11,12,21,29, 30,31 h. 2-7 h. 2-7, h. 35-40
153
STRUCTURE DU LAIS
4.1 Ordre dans lequel se présentent les constituants Dans le Lais, la partie opérative est centrale, comme dans les testaments réels; elle est précédée d'une introduction, qui va du premier huitain au huitain 8, et suivie d'une conclusion, qui va du huitain 35 au huitain final : Introduction Partie centrale (opérative) Conclusion
h. 1-8 h. 9-34 h. 35-40
Dans l'introduction les constituants se présentent dans l'ordre suivant :
Introduction
"Dat IdX Horn Fe JustGén F? Suppl à valeur additive Suppl QualX JustPers Fig JustGén F u Contr
h. 1 h. 1 h. 1 h. 1 h. 2-7 h. 2-7 h. 8 h. 8 h. 8
La partie centrale (opérative) comprend 33 constituants opératifs, dont le premier est introduit par les constituants ornementaux Premièrement et ou nom du Pere, / Du Filz et du Saint Esperii et les autres par Item (sauf l'opératif (21), commençant par de rechief). Toutes les autres catégories d'additifs opératifs (JustOp, Restr, Quai, Vol) qu'on peut trouver dans la partie opérative sont effectivement présentes.
Partie centrale
Orn (Premièrement) Orn (Au nom du Pere,...) Op(l) + QualY Orn (Item) Op(2) + Q u a l Y + QualL .Op (3) à (33)+ Orn + JustOp + Restr + Quai + Vol
Dans la conclusion les constituants se présentent dans l'ordre suivant: "Réfi h. 35 Suppl QualX h. 35-39 h. 39 Réfi Conclusion Réfi h. 40 IdX h. 40 .Suppl QualX h. 40
154
STRUCTURE DU LAIS
Une certaine symétrie se laisse découvrir entre l'introduction et la conclusion. Si l'on appelle partie contractuelle le passage qui comprend un constituant contractuel, un constituant réflexif ou un constituant additif contractuel et que l'on appelle partie supplémentaire le passage qui comprend les constituants supplémentaires, on notera les structures de l'introduction et de la conclusion du Lais comme suit :
Introduction
"Partie contractuelle Partie supplémentaire .Partie contractuelle
h. 1 h. 2-7 h. 8
Conclusion
"Partie contractuelle Partie supplémentaire _Partie contractuelle
h. 35 h. 35-39 h. 39,40
Présentée ainsi, la structure de l'œuvre est d'un bel équilibre, d'une frappante symétrie. Signalons, cependant, que l'analogie structurale entre les deux parties qui se trouvent des deux côtés de la partie centrale n'est visible que dans la mesure où abstraction est faite de la nature spécifique des constituants. Dans la première partie, l'introduction, se trouvent des constituants AddContr, constituants qui sont absents dans la conclusion. Les parties supplémentaires aussi sont à peine comparables : la première peut être considérée comme un élément qui prépare le constituant JustPers du huitain 8, de sorte qu'elle s'intègre aisément dans la totalité du texte testamentaire, tandis que le rapport de la seconde partie supplémentaire, celle de la conclusion, avec le reste du texte est beaucoup plus lâche. La seconde partie supplémentaire, plus que la première, est un corpus alienum dans ce testament, dont elle se laisserait détacher sans que cette suppression nuise à la cohérence de l'ensemble. Un élément carrément asymétrique dans la structure du texte est, d'ailleurs, le passage à l'énonciation à la troisième personne au huitain 40. Globalement, la structure du Lais, du point de vue de l'ordre dans lequel les constituants se présentent, est conforme à celle du modèle établi au chapitre précédent. Une anomalie mineure est la place de l'ornemental «Au nom du Pere» au début de la partie opérative; dans les testaments du recueil de Tuetey écrits à la première personne il se trouve au début de l'introduction. 4.2 Présence et absence de constituants La présence, dans le Lais, de constituants supplémentaires est frappante :
STRUCTURE DU LAIS
155
on sait que dans les testaments réels, ils se présentent rarement. Remarquable est également la présence d'un énoncé susceptible d'être considéré comme un JustPers d'un type inédit, la justification de l'établissement du testament par la référence à un voyage que le testateur a l'intention d'entreprendre. On se rappelle que dans les textes du recueil de Tuetey les constituants JustPers sont tous de tradition. La plupart des constituants homologatifs et justificatifs contractuels définis au chapitre précédent font défaut. On ne trouve, dans le Lais, que Hom Fe et des énoncés comparables à JustGén F n et à JustPers F i 8 . Les autres additifs contractuels (F 7, F 8 , F b , Fi 0 , Fi 2 , F i 3 , Fi 4 , F15, Fi6, F17, F19, F20) sont absents. Ces absences, cependant, ne sont pas à considérer comme des anomalies. L'absence de tout constituant semi-opératif dans le Lais est plus frappant, car tous les testaments du recueil de Tuetey en comportent au moins quelques-uns. Cependant, vu que les SemiOp ne sont pas considérés comme indispensables pour faire un testament, leur absence dans le Lais n'est pas à considérer comme une infraction aux règles, postulées, de l'écriture testamentaire. L'absence d'un constituant IdD, par contre, est une infraction aux prescriptions postulées aux chapitres précédents: cette absence annule toute prétention à la validité du Lais, en tant que testament, que pourrait avoir la présence des autres constituants performatifs.
4.3 Fréquence des constituants Les constituants du Lais se présentent avec la fréquence suivante : 1 5 Op Orn QualY JustFin QualL JustCaus Réfl RestrPrév 15
33 22 10 10 7 4 4 3
x x x x x x x x
(27) (45) (3) (7) (1) (2) (4) (4)
Pour ce qui est des constituants additifs, par fréquence est entendue: nombre de fois qu'un opératif s'accompagne d'un ou plusieurs additifs (cf. la note 13 de ce chapitre). Qu'un opératif soit accompagné d'un seul ou de plusieurs additifs ne fait pas de différence pour le dénombrement. Ainsi le dilemme signalé dans la note 13 est évité. Pour les performatifs et supplémentaires, fréquence veut dire: nombre d'apparitions dans le texte.
156 Suppl RestrCond JustGén IdX Horn Contr JustPers Vol
STRUCTURE DU LAIS
2 2 2 2 2 1
x x x x x X (avec le titre: 2 x )
1 X
1 x
(-) (2) (1)
(2) (4)
(1) (3) (-)
Quand on compare la fréquence des constituants testamentaires du Lais avec celle du Testament II du recueil de Tuetey, choisi comme échantillon dans le chapitre précédent (les chiffres sont donnés ci-dessus entre parenthèses), il est possible d'en arriver à quelques conclusions intéressantes. Certes, les deux textes sont d'une nature bien différente : l'un est fictionnel, l'autre ne l'est pas. Le testament réel comprend, en outre, 11 constituants semi-opératifs, qu'on ne trouve pas dans le Lais. Mais le nombre de constituants opératifs dans les deux textes n'est pas trop différent, de sorte qu'une comparaison semble permise. On constate que, dans le Lais, le nombre de constituants ornementaux est inférieur à celui des opératifs. Dans le testament réel c'est le contraire qui se présente: tous les opératifs et semi-opératifs y sont précédés d'un ornemental (et on en trouve même à l'intérieur de certains SemiOp). Il y a là donc une infraction aux habitudes : dans le Lais les ornementaux ne se présentent qu'au début des huitains, et les opératifs amorcés à l'intérieur d'un huitain ne les ont pas. On peut supposer que placer les constituants ornementaux (les Item surtout) au début des huitains est un impératif de la structure poétique et que cet impératif l'emporte sur un impératif similaire de la structure testamentaire (placer les ornementaux au début des opératifs), si les deux entrent en conflit: quand il y a tension entre la structure poétique et la structure testamentaire dans le Lais, sur ce point, la première prime la seconde. Pour ce qui est des constituants Réfl, RestrPrév, RestrCond, JustGén, IdX, Contr et Vol, une comparaison des fréquences dans les deux textes ne conduit pas à la constatation de différences significatives. En ce qui concerne leur emploi, le testateur du Lais ne s'est pas écarté des fréquences habituelles. En ce qui concerne quelques autres constituants, il y a de légères différences. Le nombre de constituants JustOp, dans le Lais, est certainement plus élévé, même proportionnellement, que dans le testament réel (10 JustFin contre 7, 4 JustCaus contre 2). La présence de 2 constituants
STRUCTURE DU LAIS
157
Suppl est remarquable, car il n'y en a pas, normalement, dans le testament réel. Par contre, le testateur du Lais est avare - relativement - de JustPers et de Hom. On hésite pourtant à considérer ces différences comme significatives. Ce qui distingue la structure du Lais sans aucun doute de celle du testament réel, c'est la pléthore relative de constituants qualificatifs (10 QualY contre 3, 7 QualL contre 3). 4.4 Proportion des constituants Pour ce qui est des constituants performatifs du Lais, leurs proportions ne s'écartent pas de celles qu'on trouve dans les testaments réels. Il est vrai que les constituants opératifs du Lais sont de longueur inégale - elle va de 3 huitains, Op (7), à un seul vers, Op (28) - mais on constate les mêmes différences dans les textes du recueil de Tuetey. Ce qui, dans le Lais, est anormal par rapport à ce qui se présente dans les testaments réels, c'est que les différences de proportion entre les opératifs ne sont très souvent pas causées par l'abondance des objets légués, mais par la longueur des constituants AddOp, ou, pour être plus précis, de celle des constituants qualificatifs. La proportion des constituants JustOp et Restr est modeste; ni leur fréquence (voir le paragraphe précédent) ni leur proportion ne sont donc sensiblement différentes de celles des mêmes constituants dans les testaments réels. Quand, au contraire, on considère les opératifs qui sont nettement plus longs que les autres - les opératifs (7), (21) et (22) - , on constate que leur proportion relativement grande est l'effet de la présence des qualificatifs. Dans l'opératif (21) par exemple, qui couvre deux huitains (h. 25 et 26), 7 vers sur 16 contiennent ou constituent des éléments QualY. Si donc, après l'étude de la fréquence des constituants, on peut avoir l'impression que parmi les constituants AddOp c'est surtout le constituant qualificatif qui est favorisé dans le Lais, un coup d'œil jeté sur la proportion de ces mêmes constituants vient confirmer cette impression. On aurait tort, cependant, d'inscrire exclusivement sur le compte des constituants qualificatifs la longueur relative de certains opératifs. Il y a plus. Contrairement à ce qu'on trouve dans les testaments réels, où les légataires et les legs sont toujours désignés par des termes - noms propres, substantifs - les dénotant sans ambages, le Lais offre des cas où le légataire ou le legs est désigné au moyen d'une tournure périphrastique. Ainsi le nom propre du légataire est évité au huitain 10 :
158
STRUCTURE DU LAIS
Item, a celle quej'ai dit,
L 73
tandis qu'on trouve encore des périphrases au huitain 22 : Et aux piétons qui vont d'aguet
L 171
et au huitain 29 : Aux pijons qui sont en Vessoine,
L 229
Au huitain 18, un legs de neuf chiens est fait au moyen du vers suivant: Et six chiens plus qu'a Montigny,
L 139
L'exemple le plus frappant est peut-être le legs laissé au huitain 20, où la tournure périphrastique implique une antonomase qui évite au testateur d'appeler le prévôt de Paris, Robert d'Estouteville, par son nom : Le gré du seigneur qui attaint Troubles, forfaiz, sans espargnier;
L 155-65
Il va sans dire que de tels procédés allongent parfois les constituants opératifs. C'est d'ailleurs ce que font également des éléments tels que celui qu'on trouve au huitain 19 : Et qui voudra planter, si plante.
L 152
éléments textuels où le testateur, pour ainsi dire, commente le legs qu'il vient de faire. Du point de vue proportion, ce sont encore les parties supplémentaires qui attirent le plus l'attention. Les deux parties supplémentaires (h. 2-7 et h. 36-38) forment ensemble presque un quart du texte entier: 9 huitains sur 40. La première de ces deux parties a une certaine valeur justificative d'ordre personnel, puisqu'elle motive le départ du testateur, départ qui, à son tour, justifie l'établissement du testament. (La légère carence en JustPers dans le Lais est ainsi compensée.) Mais elle est aussi, en partie, un QualX: le testateur s'y qualifie d'«amant martir». La deuxième partie supplémentaire et certains vers du dernier huitain peuvent également être considérés comme des QualX. On constate, par conséquent, que l'autoqualification prend, proportionnellement, une place importante dans le
STRUCTURE DU LAIS
159
Lais. C'est, d'une façon générale, la qualification - de soi-même, des autres, des biens légués - qui dans le Lais, comparativement aux testaments réels, joue un rôle remarquablement grand.
V. STRUCTURE DU TESTAMENT
1. LES CONSTITUANTS PERFORMATIFS
1.1 Les constituants contractuels et réftexifs Le titre du Testament est un constituant contractuel.1 Dans le corps du texte un constituant contractuel se présente au huitain 10 : Tay ce testament très estable Faict, de derniere voulenté,
T 78-79
avant l'apparition de tout énoncé susceptible d'être considéré comme un élément opératif. Comme constituants réflexifs seront considérés les énoncés contenant le terme testament précédé d'un pronom réflexif, possessif ou démonstratif (mon testament ou ce testament), et également des synonymes comme ordonnance et dis, qui dans le contexte testamentaire signifient «testament». Les substantifs fait et entente précédés d'un pronom possessif (mon fait, mon entente) signifient «dessein d'écrire ce testament», et sont par là à considérer comme des éléments réflexifs. Est en outre un constituant réflexif l'énoncé où se présente un terme référant à l'acte d'écrire un testament, comme les verbes tester, detester (au sens de «rayer de ce testament» et escripre à la première personne du singulier. Ancre, plume, papier sont d'autres références à l'acte d'écrire, ainsi que le nom propre Fremin, 1
Parmi les manuscrits où se trouve le Testament (il est absent dans B), il y en a un où le texte figure sans titre: (A). Dans C on lit Le testament Villon modifié en Legrant testament Villon, dans F Le testament second de maistre François Villon (Foulet, 104). L'absence de titre dans un manuscrit, la diversité de titres dans les autres manuscrits, le fait aussi qu'une correction a été apportée, ce sont là autant d'indications qui font supposer que l'auteur lui-même n'a pas pourvu son œuvre d'un titre, mais que ce sont les copistes qui lui en ont donné un.
STRUCTURE DU TESTAMENT
161
puisque le texte nous apprend qu'il est celui à qui le testament est dicté (T 564-65, T 779). Selon ces postulats, on trouve des constituants réflexifs au huitain 11 : Escript Vay l'an soixante et ung,
T 81
au huitain 33 : En cest incident me suis mis Qui de riens ne sert a mon fait;
T 257-58
au huitain 57 : Enregistrer j'ay faict ces dis Par mon clerc Fremin Vestourdis,
T 564-65
au huitain 71 : Car poursuivre vueil mon entente. au huitain 78 : Car commencer vueil a tester: (...) (...) n'entenshommedetester En ceste présente ordonnance,
T 724
T 778-82
au huitain 79 : Fremin, sié toy près de mon lit, (...) Prens ancre tost, plume et papier; (...) Et vecy le commancement.
T 787-92
au huitain 84: Je me tais, et ainsi commence. au huitain 173:
T 832
162
STRUCTURE DU TESTAMENT
(...) tout ce testament (...)
T 1848
(aux huitains suivants - 174 et 175 - ce testament revient sous forme de pronoms anaphores et sous forme de ceste aumosne [T 1865]). Auhuitain 181: De cefait seront directeurs.
T 1926
auhuitain 184: (...) ceste ordonnance (...)
T 1949
auhuitain 185: De monfait n'aura quid ne quod;
T 1953
dans l'Autre Ballade : Icy se clost le testament Et finist du pauvre Villon.
T 1996-97
Les éléments contractuels et réflexifs du Testament se laissent ainsi localiser comme suit: Contr Réfi
h. 10 h. 11 h. 33 h. 57 h. 71 h. 78-79 h. 84 h. 173-75 h. 181 h. 184-85 «Autre Ballade»
Dans certains passages du Testament, qui ne sont pas des constituants réflexifs selon la définition donnée au chapitre II, on constate toutefois une réflexivité sur l'énonciation elle-même. Ce sont les énoncés dont les
163
STRUCTURE DU TESTAMENT
termes, comme c'est le cas dans les constituants réflexifs précités, présentent, pour ainsi dire, un moment métalinguistique à l'intérieur du texte. Comme de tels termes on peut considérer cest incident, ceste matiere, ce mot, ceste parolle, ce débat, ces sornettes [ = ces vers], ceste ballade, etc., et les formes des verbes dire, déclarer, escripre, parler, se taire mises en rapport avec le testateur-énonciateur. Ces éléments réflexifs non-contractuels, on les trouve un peu partout dans le Testament: au huitain 3 : Vecy tout le mal quej'en dis:
T 21
au huitain 4: Je vousdiray: (...)
T 31
au huitain 24: Je le dy et ne croy mesdire;
T 190
au huitain 26 : En escripvant ceste parolle, A peu que le euer ne me fent.
T 207-08
au huitain 33 : En cest incident me suis mis
T257
au huitain 34: Parlons de chose plus plaisante: Ceste matiere a tous ne plaist,
T 266-67
au huitain 37 : (...) Que dis?
T 289
au huitain 57 : Bien dit ou mal, vaille que vaille,
T 563
164
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 58 : Et qui me vouldroit laidangier De cemot (...)
T 571-72
au huitain 70: Je desclare que n'en suis mais.
T 720
au huitain 71 : De ce me tais doresnavant, (...)
Et s'aucun m'interroge ou tente Comment d'Amours j'ose mesdire, Ceste parolle le contente:
T 723-27
au huitain 78 : Somme, plus ne diray qu'ung mot,
T 777
au huitain 82: Qui me diroit: «Qui vous fait metre Si très avant ceste parolle,
T 809-10
au huitain 143 : Mais en ce débat cy nous sommes,
T 1467
au huitain 151: Dequoyjedis:
(...)
T 1634
au huitain 170: De tels éléments réflexifs se présentent généralement là où le legs fait est un Je luy envoie sornettes 1824 produit littéraire: cestecesleçon (h. 57), ceste ballade (h. 93), ce layT (h. 94),
STRUCTURE DU TESTAMENT
165
ceste oroison (h. 125), ce recipe (h. 141), ceste ballade (h. 150), ceste bergeronnette (h. 166). Parfois la fonction métalinguistique de l'énoncé ne se découvre qu'après son interprétation. Tel est le cas dans les passages où la réflexivité porte sur «l'intention» de l'énoncé, c'est à dire dans ceux où le testateur donne à entendre que pour un moment il abandonne le ton ironique : (...) bourde jus mise!
T 824
Une pareille remarque prouve que le testateur prend conscience du style dans lequel il écrit son texte et constitue pour ainsi dire un moment de réflexivité stylistique. On peut considérer comme un tel moment le passage où le testateur en vient à parler de l'Hôtel Dieu et des pauvres qui s'y trouvent (au huitain 153): Bourdes n'ont icy temps ne lieu,
T 1646
Et il en est peut-être de même au début de la digression sur le Cimetière des Innocents (au huitain 161) : Ici riy a ne ris ne jeu.
T 1736
Dans ces deux vers cités le mot icy semble pouvoir être interprété comme «à ce sujet», les deux vers signifiant alors «l'énoncé n'est pas à prendre ironiquement». Il arrive aussi qu'un élément textuel commente un énoncé précédent. Ainsi on trouve au huitain 3 : Et s'aucun me vouloit reprendre Et dire que je le mauldis, Non fais, (...)
T 17-19
et au huitain 134: Aucunes gens ont gratis merveilles Que tant m?encline vers ces deux;
T 1334-35
Dans ces deux huitains les verbes mauldire et s'encliner vers précisent une connotation que porte un élément textuel antérieur, respectivement les huitains 1-2, où Thibaut est invectivé, et les huitains 131-133, où le testa-
166
STRUCTURE DU TESTAMENT
teur s'attendrit sur les «povres clerjons» et leur laisse des legs précieux. En comparant les deux sortes d'éléments réflexifs, contractuels et noncontractuels, o n pourrait conclure que, si le constituant réflexif contractuel donne une certaine cohérence à longue distance à la structure testamentaire, le réflexif non-contractuel resserre la texture à petite distance. 2
1.2 Les constituants
opératifs
A considérer c o m m e des constituants opératifs sont les énoncés qui signifient «je lègue L à Y», c'est à dire ceux qui, après l'apparition dans le texte d'un constituant contractuel, comprennent un élément tel que (je) donne, laisse, ordonne, envoie, transféré, mande, baille, fais oblacion de, vueil que ...se vende pour en acheter ...,fais ce laiz: ..., payerai, accompagnés de 2 La réflexivité macrostructurale et la réflexivité microstructurale sont toutes deux des phénomènes assurant la cohérence du texte; leur étude s'impose lorsqu'on songe à l'élaboration d'une «grammaire du texte». Il y a, cependant, aussi une certaine réflexivité qui a avant tout une fonction stylistique et que, dans le Testament, on trouve dans les énoncés qui sont des réactions à des énoncés antérieurs. Ainsi le sens d'un énoncé est parfois précisé ou corrigé ultérieurement au moyen d'éléments tels que j'entens, je mens, qu'esse a dire:
J'entens le Bastart de la Barre,
T 1095
Thibault?je mens, il a nom Jehan;
T 1355
Qu'esse a dire? que Jehanneton Plus ne me tient pour valeton,
T 732-33
Le procédé qui consiste à poser une question à laquelle le testateur lui-même répond immédiatement après est utilisé dans bien d'autres passages: Mais quoy? ce sera donc par cuer,
T 35
Il ne s'en est a pié allé N'a cheval: helas! comment don? Soudainement s'en est voilé
T 173-75
Que m'en reste il? Honte et pechié.
T484
Qui !uy portera? Que je voye.
T 936
Qui sera l'autre? G'y pensoye:
T 1930
Dans les deux derniers vers cités la réponse n'est pas immédiatement donnée: le lecteur est, pendant un moment, «tenu en suspens». Cette espèce de réflexivité à très courte distance a pour effet de donner du naturel, de la vivacité au discours, puisqu'elle donne au lecteur l'impression que le testateur engage un dialogue avec lui, ou, du moins, que le testateur, en dialoguant tout haut avec lui-même, invite le lecteur à suivre de près les démarches de son esprit. C'est, on le sait, un des secrets du style de Villon que cet appel à la participation adressé au lecteur.
STRUCTURE DU TESTAMENT
167
compléments représentant legs et légataires. Comme constituants opératifs sont à considérer également les énoncés du type «je liray L à Y», «j'ai escript L pour Y», «qu'on lise L à Y», «Y aura L», «je change K (qui appartient à Y) en L», «Y sera ...» (attribution d'une promotion sociale). L'énoncé «je vueil que Y désormais gouverne mon change» est lui aussi un opératif, puisque le résultat de cette nomination peut être un profit financier. Il va sans dire qu'un énoncé où l'un des verbes précités est sousentendu est encore un constituant opératif. On trouve (je) donne, en contact avec des compléments directs et indirects susceptibles de représenter Y et L, aux huitains suivants: 76 (T 766), 85 (T 833),» 88 (T 857), 89 (T 865), 94 (T 972), 98 (T 1014), 99 (T 1022), 101 (T 1038), 102 (T 1048), 103 (T 1058), 105 (T 1070), 106 (T 1082), 107 (T 1087), 108 (T 1094), 110 (T 1110), 111 (T 1119), 112 (T 1128), 114 (T 1146), 115 (T 1150), 120 (T 1190), 121 (T 1200), 123 (T 1214), 124 (T 1226), 135 (T 1338), 136 (T 1348), 138 (T 1362), 139 (T 1370), 144 (T 1509), 146 (T 1553), 148 (T 1569), 151 (T 1630), 152 (T 1637), 154 (T 1652), 160 (T 1728), 167 (T 1796), 168 (T 1804), 169 (T 1814), et 171 (T 1829).4 (Les numéros des vers renvoient aux vers où la forme verbale se présente.) 3
Au huitain 85 nous nous en sommes tenu à la leçon de l'édition Longnon-Foulet : Premier, je donne ma povre ame A la benoiste Trinité,
T 833-34
C'est une retouche du manuscrit A: Premier je donne a ma povre ame La glorieuse Trinité Comme variante du vers 833 Foulet (p. 113) donne : Premier done de ma povre ame (manuscrit C) Mais Burger (1957: 21) suppose qu'il faut lire: doue, et préfère la leçon du manuscrit C: Premier, doue de ma povre ame La glorieuse Trinité La lecture de Burger n'est certes pas moins plausible que celle de Foulet, car dans les testaments de l'époque les testateurs commencent fréquemment la partie opérative de leurs testaments en vouant leur âme à la Trinité. Quoi qu'il en soit, que le testateur du Testament ait «donné» ou qu'il ait «voué» son âme à la Trinité, il semble permis d'admettre que l'énoncé en question est un constituant opératif. 4 Dans certains cas le complément direct (L) est un infinitif: Donne preschier hors l'Evangille
T 1509
168
STRUCTURE DU TESTAMENT
Donne tenir publique escolle
T 1630
Donne fiancer tant de femmes Qu'ilvouldra; (...)
T 1814-15
Au huitain 138 un tel complément direct infinitif se combine avec un complément direct substantif: Item, je donne a Basennier, (...) De giroffle plain ung pannier (...) Et, avec ce don de giroffle, Servir de cuergent etysnel Le seigneur qui sert saint Cristofle,
T 1362-69
Le complément direct (L) peut aussi être une subordonnée: Item, donne a maistre Lomer, (...) Qu'il soit bien amé(...)
T 1796-98
La subordonnée peut se présenter sous une forme elliptique, comme c'est le cas au huitain 121 : Donne, car homme est de valeur, Son seau d'avantage crachié,
T 1200-01
où un optatif qu'il ait est, selon toute probabilité, sous-entendu, vu surtout qu'un tel optatif est présent au vers suivant : Et qu'il ait le poulce escachié,
T 1202
Remarquons que dans ce huitain le complément indirect fait défaut; le légataire est identifié dans une causale, qui précède: Item, pour ce que le Scelleur Maint estroni de mouche a maschie,
T 1198-99
Au huitain 139 le complément indirect (Y) est un pronom relatif dont l'antécédent correspondant se trouve dans la strophe précédente : Auquel ceste ballade donne
T 1370
Cet opératif est, par conséquent, inséparablement lié à l'opératif qui précède. Au huitain 160 le complément direct (L) est une nouvelle phrase commençant par Ilz auront. Dans ce cas il y a contamination de deux formules opératives : Item, je donne aux Quinze Vings (...) Ilz auront, et je m'y consens, Sans les estuys, mes grans lunettes,
T 1728-33
169
STRUCTURE DU TESTAMENT
Pour ne pas surcharger ce texte de citations, nous nous limitons à donner quelques exemples des opératifs de ce genre : Je luy donne mes vieilles nates;
T 766
Premier, je donne ma povre ame A la benoiste Trinité,
T 833-34
Je luy donne ma librairie,
T 857
Item, donne a sire Denis Hesselin, esleu de Paris, Quatorze muys de vin d'Aulnis Prins sur Turgis a mes perilz.
T 1014-17
Item, donne a mon advocat, Maistre Guillaume Charruau, Quoy qu'il marchande ou ait estât, Mon branc; je me tais du fourreau.
T 1022-25
(Je) laisse se présente à trois endroits, aux huitains 86 (T 841), 90 (T 911) et 172 (T 1836) ; 5 (je) ordonne aux huitains 86 (T 841) et 152 (T 1642); 6 (je) envoie aux huitains 93 (T934) et 170 (T 1824); (je) transfere
5
Dans le Lais se trouvent beaucoup plus d'énoncés du type «je laisse L à Y» que ceux du type «je donne L à Y». Dans le Testament on constate le phénomène contraire: contre 38 énoncés comprenant «je donne» on ne trouve que 3 énoncés comprenant «je laisse». Nous ne voyons pas comment on pourrait expliquer le changement de préférence pour l'un des deux types d'énoncés d'une œuvre à l'autre. Dans P. Champion, François Villon, sa vie et son temps (Paris, 1933), Tome II, on lit, à la page 18: «Noter dans les Lais l'emploi de laisser; dans le Testament, Villon dira surtout j'ordonne.» Il s'agit là sans doute d'une coquille : j'ordonne, dans le texte de Champion, doit être remplacé par je donne, car j'ordonne, au sens de «je lègue» ne se trouve que deux fois dans le Testament. Champion ne suggère aucune explication du phénomène. 6 J'ordonne se présente encore à cinq autres endroits dans le Testament, mais dans aucun de ces passages l'énoncé n'est un opératif, car le verbe ordonner n'y est pas synonyme de donner ni suivi de donner ou d'un synonyme de ce verbe: J'ordonne qu'après mon trespas A mes hoirs en face demande. Item, a Jehan Raguier je donne, (...)
T 771 -72
170
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 95 (T 994); (je) mande au huitain 142 (T 1458) ;7 (je) baille au huitain 57 (T561); (je) fais oblaciort de au huitain 116 (T 1162). A ces cas il convient d'ajouter les passages où, dans une construction elliptique (je) donne, ou un synonyme, est sous-entendu. On les trouve au huitain 137: Que luy donray je, que ne perde? (...) Le Barillet, par m'orne, voire!
T 1356-59
au huitain 140: Item, a sire Jehan Perdrier, Riens, (...)
T 1406-07
au huitain 155: Item, riens aux Enfants Trouvez; Tant qu'il vivra, ainsi l'ordonne, Tous les jours une tallemouse,
7
T 1660 T 1070-73
J'ordonne, moy qui suis son miege, Que des peaulx, sur l'iver, se fourre.
T 1140-41
Item, j'ordonne a Saint Avoye, Et non ailleurs, ma sepulture;
T1868-69
Pour tout ce fournir et parfaire, J'ordonne mes executeurs, Auxquels fait bon avoir affaire Et contentent bien leurs debteurs. On trouve encore je mande au huitain 77 : S'ainsi estoit qu'aucun n'eust pas Receu les laiz que je luy mande,
T 1920-23
T 769-70
mais cet énoncé ne saurait être considéré comme un opératif, puisque le complément direct, les laiz que je luy mande, n'est pas susceptible de constituer un legs. Il est, au contraire, un élément réflexif. L'énoncé dans sa totalité est un constituant RestrPrév. Au même huitain on trouve encore : De moy, dictes que je leur mande, Ont eu jusqu'au lit ou je gis.
T 775-76
Dans ce passage le verbe mander, au lieu de signifier «transmettre», veut dire «faire savoir» (Burger, 1957:21).
STRUCTURE DU TESTAMENT
171
au huitain 166: Item, riens a Jacquet Cardon,
T 1776
Au huitain 129 on trouve: Si vueil que la moitié s'en vende Pour leur en acheter des
flans,
T 1295-96
vers qui sont à considérer comme le noyau d'un constituant opératif. Cette construction rappelle celle du huitain 15 du Law (L 117-20). Au huitain 165 se présente le vers suivant : Aux trespassezjefais ce laiz,
T 1768
où le terme trespassez renvoie aux mors nommés au huitain précédent (T 1760), qui sont les morts enterrés au cimetière des Innocents (cf. T 1734), légataires d'une prière que le testateur fait pour eux : Plaise au doulxJhesus les absouldre!
T 1767
C'est à cette prière que renvoie le pronom réflexif ce du vers 1768. Le même huitain 165 comporte encore un autre constituant opératif à partir des vers Et icelluy je communique A regens, cours, sieges, palaiz,
T 1769-70
Le legs, ici, est encore une prière : De Dieu et de saint Dominique Soient absols quant seront mors!
T 1774-75
Comme un constituant opératif on peut considérer aussi le huitain 103, où le legs est une «tournée posthume» : (...), jeluypaieray son vin;
T 1055
Dans deux passages du Testament une forme du verbe lire peut être considérée comme le prédicat d'un énoncé opératif. Le premier est celui où le
172
STRUCTURE DU TESTAMENT
testateur laisse une ballade à la Grosse Margot, au huitain 150: Item, a la Grosse Margot, (...) Qu'on luy lise ceste ballade.
T 1583-90
Le deuxième se présente au huitain 155 : Une leçon de mon escolle Leur liray, qui ne dure guere.
T 1664-65
Certes, il est surprenant de voir le verbe lire employé, pour ainsi dire, au mode performatif et la lecture d'un texte considéré comme un legs. C'est peut-être pour cette raison que le copiste du manuscrit C a noté lairay là où les autres manuscrits donnent liray; un besoin de «logique» a pu l'emporter sur la pensée qu'un produit littéraire ou même la lecture d'un texte puisse être un bien susceptible d'être légué. C'est également l'attitude de Burger, qui préfère la leçon C, parce que, dit-il, «liray n'est guère plausible» (Burger, 1957: 27). Cependant, c'est le caractère fictionnel du contexte testamentaire qui permet de considérer le verbe lire comme étant susceptible d'équivaloir à laisser. Un cas similaire présente le verbe escripre, qu'on trouve dans un constituant opératif au huitain 125 : Pour son ame, qu'es cieulx soit mise, Ceste oroisonj'ai cyescripte.
T 1236-37
Vu la présence du constituant ornemental Item au début du huitain 147, vu aussi la construction syntaxique du dernier vers de ce huitain, Jeleurramentoylejeud'asne.
T 1566
on est tenté de voir dans ce huitain aussi un constituant opératif. Ramentevoir signifie «remettre en mémoire» (cf. Burger, 1957: 98); avec la bonne volonté à laquelle le Testament nous invite, on peut admettre qu'un rappel à la mémoire constitue un don, ici un legs. Des constituants opératifs du type «Y aura O» se présentent au huitain 100:
Item, mon procureur Fournier Aura pour toutes ses corvees
STRUCTURE DU TESTAMENT
173
(:•)
En ma bouree quatre havees,
T 1030-33
au huitain 122 (où le legs est une action effectuée sur un objet que les légataires possèdent déjà) : Quant des auditeurs messeigneurs, Leur granché ilz auront lambroissee;
T 1206-07
au huitain 130 (où de nouveau le legs est une action ou le résultat d'une action) : Chaperons auront enformez Et les poulces sur la sainture,
T 1300-01
au huitain 133: Les bources des Dix et Huit Clers Auront; (...)
T 1322-23
au huitain 153: Aufort, ilz en auront les os: au huitain 160: Ilz auront, (...) Sans les estuys, mes grans lunettes,8
T 1650
T1732-33
Sont à considérer comme des constituants opératifs les énoncés du type 8 Au huitain 180, qui s'intègre dans la partie semi-opérative du Testament, on trouve encore:
Les sonneurs auront quatre miches
T 1912
Comme il ne s'agit pas là d'un legs, mais d'une récompense pour des services rendus aux funérailles du testateur, cet énoncé n'est pas considéré comme un opératif. Il n'y a pas de legs non plus - et donc pas d'opératif - dans les passages suivants : Pointriauront de contrerolleur. Des testamens qu'on dit le Maistre De mon fait n'aura quid ne quod;
T 1950 T 1952-53
174
STRUCTURE DU TESTAMENT
«je change K (qui appartient à Y) en L», se présentant au huitain 97 : Pour le Cheval Blanc qui ne bouge Luy chanjay a une jument, Et la Mulle aung asne rouge.
T 1011-13
et au huitain 109: Mais tous ses houstilz changier voise A une espee lyonnoise,
T 1105-06
Un constituant opératif du type «Y sera ...» (promotion sociale) se trouve au huitain 170: Item, sera le Seneschal, Qui unefois paya mes debtes, En recompence, mareschal
T 1820-22
Comme un constituant opératif on peut également considérer l'énoncé se présentant au huitain 126 : Item, vueil que le jeune Merle Désormais gouverne mon change,
T 1266-67
Quand on combine les données rassemblées, on constate que les formes verbales formant le noyau des constituants opératifs du Testament se trouvent aux huitains 57, 76, 85, 86, 88, 89, 90, 93, 94, 95, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 114, 115, 116, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 129, 130, 133, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 142, 144, 146, 147, 148, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 160, 165, 166, 167, 168,169,170,171, et 172. Certains huitains, sans comporter eux-mêmes des verbes au «mode performatif», déterminent ou qualifient le legs ou le légataire par la présence de substantifs ou pronoms anaphores: 87, 91, 92, 127, 128, 131, 132, 134, 143, 159, 161, 162, 163, 164. Les poèmes suivants constituent des legs: «Les Regrets de la Belle Heaulmière», «La Belle Heaulmière aux filles de joie», «Ballade pour prier Nostre Dame», «Ballade a s'amye», «Lay», «Ballade et oroison», «Ballade pour Robert d'Estouteville», «Les Contrediz de Franc Gontier», «Ballade de la Grosse Margot», «Belle leçon aux enfants perdus», «Ballade de bonne doctrine», «Chanson».
STRUCTURE DU TESTAMENT
175
D'autres huitains et poèmes s'ajoutent aux constituants opératifs en tant que commentaires sur le legs ou sur le légataire: 58-64, 96, 104, 113, 117-19, 141, 149, «Double Ballade», «Ballade des langues envieuses», «Ballade des femmes de Paris». Un pur commentaire du legs fait constituent le huitain 64 et la «Double Ballade», qui ne comprennent ni pronom anaphore ni référence explicite aux légataires (lesfillesde joie). Les constituants opératifs se laissent localiser comme suit : Op(l) Op(2) Op(3) Op(4) Op(5) Op(6) Op(7) Op(8) Op(9) Op(10) Op(ll) Op(12) Op (13) Op (14) Op (15) Op (16) Op (17) Op (18) Op (19) Op (20) Op (21) Op (22) Op (23) Op (24) Op (25) Op (26) Op (27) Op (28) Op (29) Op (30) Op (31) Op (32)
«Regrets» - «DB» h. 76 h. 85 h. 86 h. 87-88 h. 89-«ND» h. 90-93 - «Amye>: h. 94 - «Lay» h. 95-96 h. 97 h. 98 h. 99 h. 100 h. 101 h. 102 h. 103-04 h. 105 h. 106 h. 107 h. 108 h. 109 h. 110 h. 111 h. 112-13 h. 114 h. 115 h. 116-19 h. 120 h. 121 h. 122 h. 123 h. 124
176
STRUCTURE DU TESTAMENT
Op (33 Op (34 Op (35 Op (36 Op (37 Op (38 Op (39 Op (40 Op (41 Op (42 Op (43 Op (44 Op (45 Op (46 Op (47 Op (48 Op (49 Op (50 Op (51 Op (52 Op (53 Op (54
h. 125 - «Oroison» h. 126 h. 127-30 h. 131-34 h. 135 h. 136 h. 137 h. 138 h. 139 - «Estouteville»9 h. 140-41 - «Langues» h. 142-43 - «Contrediz» h. 144 - «Femmes» - 145 h. 146 h. 14710 h. 148-49 h. 150 - «Margot» h. 151 h. 152 h. 153 h. 154 h. 155 (T 1660) h. 155 (T 1661-67)-158 - «Enfants», «Doctrine» 159
9
Les légataires des opératifs (41) et (56) - respectivement Robert d'Estouteville et les morts du cimetière des Innocents - sont identifiés par des éléments se trouvant dans un constituant opératif précédent, éléments qui ont, par conséquent, une fonction dans deux constituants différents. 10 De tous les opératifs du Testament, celui du huitain 147 est peut-être le moins reconnaissable; on se demande si dans cette strophe le testateur fait réellement un legs. Qu'on puisse cependant la considérer comme contenant un constituant opératif, tient surtout à la position qu'elle occupe à l'intérieur de la partie opérative et à la présence de Item au début du premier vers. Nous avons suggéré (p. 172) de considérer Je leur ramentoy le jeu d'asne.
T 1566
comme un constituant opératif. Il est possible de penser que dans ce huitain le legs est plutôt fait dans les quatre premiers vers : Item, varletz et chamberieres De bons hostelz ( riens ne me nuyt) Feront tartes, flans et goyeres, Et gratis ralias a myenuit
T 1559-62
où le verbe laisser pourrait être sous-entendu: «je leur laisse de quoi faire tartes, flans, tartes au fromage et grands festins».
STRUCTURE DU TESTAMENT
Op (55) Op (56) Op(57) Op (58) Op(59) Op (60)
Op (61) Op (62) Op (63) Op (64)
h. h. h. h. h. h. h. h. h. h.
177
160 161-65 (T 1768) 165 (T 1769-75) 166 - «Chanson» 167 168 169 170 171 172
1.3 Les constituants identificatifs Bien que le testateur, au début du Testament, dans des énoncés qu'on peut considérer comme des constituants QualX, fournisse un grand nombre d'indications concernant sa personne - il a été dans la prison de Thibaut d'Aussigny, d'où il a été libéré, à l'occasion du passage à Meung de Louis XI, il a «amé», il est «de povre et de petite extrace», etc. - , de nombreux je se sont déjà présentés dans le texte avant qu'on puisse faire la substitution «je = je, Villon». C'est au huitain 75 qu'il déclare être l'auteur de «certains laiz» faits en 1456 (T 755), mais cette déclaration ne constitue pas une identification pure et simple. Le nom de Villon apparaît pour la première fois dans le texte lorsque le testateur fait des legs à son plus que père, Guillaume de Villon (T 850). Ensuite il se laisse distinguer en acrostiche dans la «Ballade pour prier Nostre Dame» (T 903-08) et dans la «Ballade de la grosse Margot» (T 1621-26), tandis que le prénom Françoys se lit en acrostiche dans «La Ballade a s'Amye» (T 942-49). Le Testament touche déjà à sa fin, lorsque le testateur ajoute à un legs la condition suivante: Pourveu qiCilz diront ung psauitier Pour l'ame du povre Villon.
T 1810-11
Toutes ces indications, cependant, ne permettent pas de déterminer avec le maximum de certitude possible l'identité du testateur. Cette certitude n'est obtenue qu'au moment où le testateur fait connaître l'épitaphe qu'il s'est choisie: CY GIST ET DORT EN CE SOLLIER, QU'AMOURS OCCIST DE SON RAILLON,
178
STRUCTURE DU TESTAMENT
UNG POVRE PETIT ESCOLLIER, QUI FUT NOMMÉ FRANÇOYS VILLON.
T 1884-87
Encore est-ce une façon indirecte de dire que celui qui dit je dans le texte s'appelle Villon ; on hésite à parler ici d'un constituant IdX. L'énoncé par lequel le testateur est identifié formellement, et qui est donc un constituant IdX, se trouve tout à fait à la fin du Testament, dans la ballade finale («Autre Ballade») : Icy se clost le testament Et finist du pouvre Villon.
T 1996-97
Dans le Testament, le nom de Villon ne se trouve à aucun moment en rapport direct avec le pronom personnel je. Ajuste titre, Siciliano (1934: 522) a qualifié de louvoyant le style de Villon dans le Testament. Le même adjectif semble approprié à qualifier la façon lente, prudente, dont le testateur y dévoile, pas à pas et avec combien de biais, son identité. Au nom du testateur s'associe une fois le mot escollier (T 1886), comme c'est le cas au Lais, et trois fois l'adjectif povre (T 1811, T 1886, T 1997). Il arrive aussi que le testateur parle de lui-même comme d'un povre mercerot de Rennes (T 417). Comme dans le Lais, un constituant IdD fait défaut dans le Testament. On pourrait cependant soutenir que, dans le Testament, l'auteur/testateur a cherché à se rapprocher de la tradition testamentaire en y insérant des acrostiches, qu'on peut considérer comme des signatures littéraires. La localisation des constituants identificatifs est la suivante: IdX IdD
«Autre Ballade»
2. LES CONSTITUANTS ADDITIFS
2.1 Les constituants semi-opératifs Après la grande partie opérative, qui va du huitain 85 au huitain 172, le Testament comprend une partie semi-opérative, qui va du huitain 173 au huitain 186. Les constituants semi-opératifs tels qu'ils ont été définis au chapitre III sont les suivants:
STRUCTURE DU TESTAMENT
179
Fi «je vueil qu'on m'enterre à ...» F2 «je vueil que ... luminaire, etc....» F3 «je vueil que sur ma tombe soit escript...» F4 «je ordonne mes executeurs Zi, Z2,...» F5 «je vueil que mes dettes soient payées» et les volitifs (énoncés au moyen desquels le testateur exprime une volonté, mais qui ne sont pas susceptibles d'être considérés comme des opératifs ni comme une des formules semi-opératives citées ci-dessus). Un constituant Fi se trouve au huitain 176: Item, j'ordonne a Sainte Avoye, Et non ailleurs, ma sepultare;
T 1868-69
Dans ce même huitain on trouve encore le mot tombel (T 1874), qui appartient au champ sémantique «enterrement». Un constituant F2 se présente aux huitains 179 et 180, où l'on trouve: Item, je vueil qu'on sonne a bransle Le gros beffroy, qui est de voirre;
T 1904-05
et le terme sonneurs (T 1912), qui, dans le contexte en question, peut être considéré comme appartenant au champ sémantique «pompe funèbre». Un autre constituant F2 se présente dans les quatre premiers vers du huitain 186: Quant au regart du luminaire, Guillaume du Ruj'y commetz. Pour porter les coings du suaire, Aux executeurs le remetz.
T 1960-63
Signalons que, dans le Testament, il n'est pas question de messes à dire ni de dîner funéraire, comme c'est fréquemment le cas dans les testaments réels. Une place importante est réservée au constituant F3. Le huitain 177 y est consacré, ainsi que le huitain suivant et le «Verset», ces deux derniers formant ensemble «L'Épitaphe». Le huitain 177 commence par ces vers : Item, vueil qu'autour de ma fosse Ce qui s'ensuit, sans autre histoire, Soit escript en lettre assez grosse,
T 1876-78
180
STRUCTURE DU TESTAMENT
tandis que «L'Épitaphe» s'ouvre sur ces vers : CY GIST ET DORT EN CE SOLLIER, QU'AMOURS OCCIST DE SON RAILLON,
T 1884-85
et se termine sur le vers suivant : REPOS ETERNEL DONNE A CIL.
T 1903
Une comparaison avec l'exemple qu'offre le recueil de Tuetey (cf. p. 81) porte à croire que l'épitaphe que demande le testateur du Testament est d'une longueur excessive. Les huitains 181-184 comportent le constituant F4, celui par lequel le testateur désigne ses exécuteurs testamentaires. Ce passage commence par les vers: Pour tout cefournir et parfaire, J'ordonne mes executeurs,
T 1920-21
Le testateur y désigne effectivement trois exécuteurs testamentaires et même encore trois autres, qui pourraient remplacer les premiers nommés au cas où ceux-ci se récuseraient. Ce qui manque dans cette partie semi-opérative, d'ailleurs assez complète, c'est le constituant F5, par lequel le testateur exprime le désir que ses dettes soient payées, constituant qui pourtant ne manque que rarement dans les testaments réels de l'époque. Que l'idée d'un acquittement de dettes n'ait pas été entièrement absent de l'esprit du testateur, se manifeste par la présence dans le Testament de deux vers où allusion est faite à un pareil acquittement : Devoye environ ungpatart,
T 1232
Et contentent bien leurs debteurs.
T 1923
La partie semi-opérative du Testament contient deux passages qu'on peut considérer comme des constituants SemiOp, bien qu'ils n'aient pas été définis comme tels au chapitre III (parce que le recueil de Tuetey n'en offre pas d'exemples). Le premier est celui qui va du huitain 173 au huitain 175, où le testateur désigne une sorte de «glossateur» de son testament, personne qu'il autorise à le gloser et commenter (T 1852) et à Yinterpreter
STRUCTURE DU TESTAMENT
181
11
et donner sens (T 1857). Le deuxième constituant SemiOp dont les testaments réels n'offrent pas d'exemple a une signification encore plus inattendue. Il s'agit du huitain 185, où le testateur prétend soustraire son testament à l'autorité de l'officier judiciaire de l'officialité qu'est le «Maistre des testamens»: Des testamens qu'on dit le Maistre De mon fait n'aura quid ne quod;
T 1952-53
Le même huitain contient, d'ailleurs, une sorte d'opératif au mode irréel : II eust de moy le Trou Perrete.
T 1959
Ce qui empêche le testateur d'effectuer ce legs hypothétique, c'est le fait que le légataire en puissance est apparemment incapable de jouer a ung tripot (T 1958). Le Testament comprend plusieurs énoncés qu'on peut considérer comme des constituants volitifs, et qu'on trouve au huitain 109 : Item, ne vueilplus que Cholet Dolle, tranche, douve ne boise, Relie broc ne tonnelet,
T 1102-04
au huitain 113: J'ordonne, moy qui suis son miege, Que des peaulx, sur l'iver, sefourre.
T 1140-41
au huitain 128: Sivueilqu'ilzwisental'estude;
T 1282
au huitain 129: Plus procéder je leur deffens. 11
T 1291
Cependant, si l'on se déclare prêt à entendre par gloser et commenter, diffinir et descripre, diminuer ou augmenter, canceller et prescripre (T 1852-55) «interpréter», le contenu du huitain 174 serait similaire de celui d'un passage qu'on trouve dans le recueil de Tuetey: (...) en donnant aus diz monseigneur Vevesque et maistre Phelippe puissance et auctorité de interpreter et de declairer, s'aucune chose y est trouvée tourble ou obscure à leur advis (VII, 319). On imagine sans peine que l'auteur du Testament, en écrivant le huitain 174, s'est inspiré d'un passage de ce genre.
182
STRUCTURE DU TESTAMENT
auhuitain 130: Et vueil qu'ih soient informez En meurs, quoy que couste bature;
T 1298-99
Admettons qu'à propos de ce genre de constituants se pose le problème du caractère fictionnel du Testament: il semble évident que les passages cités constituent des admonitions plutôt que des legs, mais dans un testament où tous les legs paraissent être possibles, peut-on jamais être certain qu'on n'a pas affaire à un legs? Aussi la catégorie des constituants volitifs estelle dans un sens une catégorie de résidus, de cas problématiques qu'on a de la peine à classer. Par prudence, elle ne sera guère prise en considération quand il s'agira de tirer des conclusions sur la présence des différents constituants. Les constituants semi-opératifs se localisent comme suit: SemiOp Fi SemiOp F2
h. 176 h. 179-80 h. 186 h. 177-78-«Verset» h. 181-84
SemiOp F3 SemiOp F4 SemiOp F5 SemiOp non définis h. 173-175 («glossateur») h. 185 (contre le Maistre des testamens) Vol h. 109 h. 113 h. 128 h. 129 (à l'intérieur du même Op) h. 130 2.2 Les constituants homologatifs Les constituants homologatifs définis au chapitre III sont les suivants: la datation (Dat) F e «sain de pensée» F7 «de mon bon gré, sans contrainte» Fg «presens à ce ...» F9 «je révoqué tous testamens faiz avant la date de ces présentes» F10 «vueil que ce testament vaille par maniéré de testament» Le Testament contient un constituant Dat au huitain 11 :
183
STRUCTURE DU TESTAMENT
Escript l'ay l'an soixante et ung.
T 81
Le premier vers du premier huitain est une sorte de datation personnelle: En l'an de mon trentiesme aage,12
T1
Un constituant homologatif Fe se trouve au premier huitain : Ne du toutfol, ne du tout sage,
T3
si l'on admet que par ces paroles le testateur laisse entendre qu'il est sain d'esprit. Remarquons que, si l'on accepte effectivement ce vers comme un constituant Fe, il présente, comparé avec ceux qu'on trouve dans les textes du recueil de Tuetey, l'anomalie structurale d'être éloigné du constituant IdX et du constituant Contr. Le Testament ne comporte pas d'énoncés susceptibles d'être considérés comme des constituants F7 ou Fg. Il ne contient pas non plus d'énoncé par lequel le testateur révoque quelque testament fait antérieurement (F9), mais on constate, au contraire, que le testateur insiste pour affirmer qu'il ne révoque pas le testament qu'il a déjà établi, puisqu'au huitain 76 on lit : Pour les revoquer ne le dis,
T 761
Cet énoncé peut être considéré comme une formule «homologative» de l'invention du testateur lui-même, qui, en la créant, pourrait s'être inspiré de la formule F9, dont il prend le contrepied. C'est dire que l'auteur du Testament n'a probablement pas ignoré l'usage, dans les testaments réels de l'époque, de la formule F9. Le Testament offre encore un autre passage où se présente un énoncé de ce genre, notamment au huitain 78 : (...) je vueilprotester Que rìentens homme detester En ceste presente ordonnance,
T 780-82
On peut supposer que, par ces paroles et celles du vers T 761, le testateur 12
Selon le doit impérial romain les impubères n'avaient pas la factio testamenti. Quand le testateur souligne qu'il a établi son texte en Van de son trentiesme aage, on pourrait croire qu'il ait voulu introduire une sorte de constituant homologatif signifiant «je suis majeur, donc en droit d'établir un testament», mais ce n'est pas plausible.
184
STRUCTURE DU TESTAMENT
donne à entendre que le Testament est à considérer comme une sorte de codicille, un complément au Lais. Que cette interprétation soit difficilement compatible avec la présence dans le Testament du vers qu'on trouve au huitain 10: Seul pour tout et irrévocable.
T 80
ne choquera que ceux qui cherchent dans ce testament fictionnel une logique impeccable. Le vers cité peut, d'ailleurs, être considéré comme un constituant homologatif Fi 0 . Au huitain 78 le testateur introduit un énoncé qu'on peut considérer comme un homologatif d'un genre qu'on ne trouve pas dans les textes qu'a publiés Tuetey; il y délimite géographiquement la validité de son testament: Et ne la vueil magnifester Si non ou royaume de France.
T 783-84
Voici où se trouvent les constituants homologatifs : Dat F6 F7 F8 F9
h. 11 h. 1
Fio
h. 10 h 76 J ' (formules «anti-Fa») h. 78 j h. 78 (délimitation géographique)
F non-définies
2.3 Les constituants justificatifs (JustContr) A l'élément contractuel, qui se trouve au huitain 10, se relie un énoncé, qui est une subordonnée introduite par une conjonction causale et qui peut, par conséquent, être considéré comme un constituant justificatif JustContr: Pour ce que faible je me sens
T 73
La justification étant d'ordre personnel, il s'agit d'un constituant JustPers,
185
STRUCTURE DU TESTAMENT
qui, cependant, n'adopte pas l'une des formes traditionnelles (Fie à F20) décrites au chapitre III. Si l'on s'en tient à la signification de ce seul vers, on est tenté de croire que le testateur, en faisant allusion à sa faiblesse physique, prévoit la fin de sa vie terrestre. Le sens de l'énoncé serait alors similaire de celui du constituant JustPers Fis, un énoncé du type «pensant à la fin de ma vie». Mais au vers suivant le testateur précise : Trop plus de biens que de santé,
T 74
ce qui annule plus ou moins la justification par la faiblesse physique et la remplace par une motivation inattendue: il établit son testament parce qu'il est «faible de biens», c'est à dire pauvre. On se rappelle que dans le Lais le constituant JustContr par lequel se justifie l'établissement du texte testamentaire est également un JustPers ressemblant à la formule traditionnelle Fis- Le motif premier y est cependant le départ en voyage, ce qui, comparé avec les testaments réels, est inorthodoxe. Dans le Testament se présente un phénomène comparable : la justification y est personnelle et fait penser à la formule Fig. La motivation explicite, cependant, est ici encore plus «fantaisiste».13 Le même huitain 10 comporte encore un autre constituant JustPers, qui est, cette fois, tout à fait traditionnel : Tant que je suis en mon plain sens,
T 75
Cet énoncé du type «voulant tester avant que je ne sois plus en état de le faire», est à considérer comme un JustPers F20. Signalons que le testateur, encore une fois, ne peut s'empêcher d'ajouter une nuance ironique et de saper la pertinence de ce qu'il vient de dire, puisqu'il ajoute : Si peu que Dieu m'en a presté,
T 76
Tout comme c'est le cas dans le Lais, dans le Testament le testateur, en justifiant l'établissement de son testament, adopte certains éléments traditionnels, mais il prend en même temps de grandes libertés avec les usages connus. 13
Quand on compare les infractions que le testateur fait aux usages testamentaires dans le Lais avec celles du Testament, on constate que les libertés prises dans le Testament sont à la fois plus grandes et plus raffinées.
186
STRUCTURE DU TESTAMENT
La localisation des constituants JustContr est la suivante : JustPers (Fis ?) _ 1, T JustPers F20
h. 10 ) , . . . . , , ,. (avec infraction aux usages) h. 10 |
Les autres constituants JustContr - JustGén, F11 à F15, et JustPers, Fie, F17, Fi 9 - sont entièrement absents. 2.4 Les constituants
ornementaux
On trouve un constituant Orn (a), l'invocation de la Trinité, au huitain 80 : Ou nom de Dieu, Pere eternel, Et du Filz que vierge parit, Dieu au Pere coeternel, Ensemble et le Saint Esperit, Qui sauva ce qu'Adam périt Et du pery pare les cieulx ...
T 793-98
Le testateur a élargi la formule traditionnelle, brève, de sorte à en faire le germe d'une sorte de confession de foi 14 . Après une digression «théologique», la formule se répète, mais c'est encore une fois sous une forme qui n'est pas traditionnelle. Au huitain 84 on lit: Ou nom de Dieu, comme fay
dit,
Et de sa glorieuse Mere,
T 825-26
Un Orn (b), du type «premièrement», se présente au début du huitain 85: Premier, je donne ma povre ame A la benoiste Trinité,
T 833-34
Au début du huitain 108 on retrouve de rechief; dans le Lais (L 193) cet élément s'est déjà présenté comme ornemental: De rechief donne a Perrenet, 14
T 1094
Rien qu'à comparer les invocations de la Trinité dans les deux textes, on se fait une idée des plus grandes licences que le testateur se permet dans le Testament. D'un texte à l'autre il y a une progression sensible dans la désinvolture avec laquelle le modèle testamentaire est exploité.
187
STRUCTURE DU TESTAMENT
Le constituant Orn (c), Item, se trouve au début de 57 huitains, nommés ci-dessous. Trois de ces constituants, ceux des huitains 176, 177 et 179, s'intègrent dans la partie semi-opérative, ce qui ne va pas à l'encontre des habitudes testamentaires de l'époque. 1 5 La localisation des constituants ornementaux est la suivante : Orn (a) Orn (b) Orn non-défini Orn (c)
h. h. h. h. h.
80 84 85 108 {de rechief) 86, 87, 89, 90, 94, 95, 97, 98, 99, 103, 105, 1 0 6 , 1 0 7 , 1 0 9 , 1 1 0 , 1 1 1 , 120, 121, 1 2 3 , 1 2 4 , 1 2 5 , 1 2 6 , 1 2 7 , 137, 1 3 8 , 1 4 0 , 1 4 2 , 1 4 4 , 1 4 6 , 1 4 7 , 152,153,154,155,160,166,167, 171, 1 7 2 , 1 7 6 , 1 7 7 , 1 7 9
2.5 Les constituants justificatifs
100,101, 102, 114,115, 116, 131,135, 136, 148,150,151, 168,169, 170,
(JustOp)
Les constituants JustOp, dans lesquels le testateur donne une motivation du legs qu'il fait, peuvent avoir une valeur causale (JustCaus) ou une valeur finale (JustFin). Dans le Testament, on peut considérer comme des constituants JustCaus les énoncés qui se relient à un opératif par une des conjonctions causales car, pour ce que, puis que, comme, ou par pour (causal) suivi d'un infinitif. On les trouve au huitain 94: 15
Sur les 64 constituants opératifs du Testament (cf. p. 175-76), 8 ne sont pas introduits par un constituant ornemental: deux - Op (1) et Op (2) - peut-être parce qu'ils s'écartent de la grande partie opérative, deux - Op (41) et Op (56) - parce qu'ils se relient, sémantiquement et syntaxiquement, aux opératifs précédents, deux - Op (54) et Op (57) - parce qu'ils commencent au milieu d'une strophe, et deux - Op (24) et (30) - sans raison apparente. Les opératifs du Testament sont en moyenne sensiblement plus longs que ceux du Lais; il est rare qu'ils ne s'ouvrent pas au début d'une strophe (cela n'arrive qu'aux opératifs (54) et (57), aux huitains 155 et 165). En ces cas, les constituants ornementaux sont absents, comme dans le Lais. Dans le Testament aussi, une exigence implicite de la versification (ne jamais placer un ornemental à l'intérieur de la strophe) semble primer une certaine habitude testamentaire (commencer un opératif par un ornemental). Sur un autre point, cependant, le testateur est beaucoup plus strict dans le Testament que dans le Lais: quand un opératif se compose de plusieurs strophes, il n'y a d'ornemental qu'au début de la première de ces strophes. A cet égard, le testateur du Testament s'impose, sur un plan purement formel, une rigueur que les habitudes testamentaires de son époque ne prescrivent même pas.
188
STRUCTURE DU TESTAMENT Pour ses anciennes
amours
T 975
au huitain 95 : Car il m'a tous jours secouru
T 992
au huitain 97 : (...)
pour ce que la
De maistre
Pierre
femme
Saint
Amant
(...) Me mist ou renc de cayement,
T 1006-10
au huitain 100: Car maintes
causes m'a sauvees,
T 1034
au huitain 102: Car vachiers
ne sont ne
Mais gens a porter
bouviers,
espreviers,
T 1049-50
au huitain 107: (...) car leur fait est honneste Et sont bonnes et doulces gens,16
18
T 1087-88
On n'aura pas de peine à distinguer dans chacun des huitains 107 et 110 deux constituants JustCaus différents. Ce qui justifie le legs du h. 107, c'est que les testateurs sont bonnes et doulces gens et, en outre, que leur fait est honneste. Au h. 110 deux justifications disparates sont réunies: le légataire est linget et flou, et Cholet, autre légataire à qui il est préféré dans cet opératif, est mal serchant. Au huitain 121, il est possible qu'il y ait également deux JustCaus; le légataire a maint estront de mouche maschié et il est homme de valeur. Cependant, il est possible aussi qu'il y ait ici subordination sémantique et que le deuxième élément sert d'explicative au premier: le testateur a su accomplir les exploits nommés, parce qu'il est homme de valeur. Interprété ainsi, ce passage ne comporte qu'un seul JustCaus. La question n'a pas besoin d'être tranchée, puisque dans la présente analyse on renonce à départager les constituants de la même catégorie qui se trouvent dans le même huitain et qui se relient au même opératif (cf. la note 13 du chapitre précédent, p. 146-48).
189
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 108 : Pour ce qu'il est beau filz et net,
T 1096
au huitain 110: Pour ce qu'il est linget et flou, Et que Cholet est mal serchant,
T 1112-13
au huitain 115 : Puis qu'a gaignier met telle paine. au huitain 121 : Item, pour ce que le Scelleur Maint estront de mouche a maschié, (...) car homme est de valeur,
T 1153
T 1198-1200
au huitain 123: Car, quant receut chevallerie, Il maugréa Dieu et saint George:
T 1218-19
au huitain 126: Car de changier envys me mesle,
T 1268
au huitain 129: Car jeunesse est ung peu friande.
T 1297
au huitain 144: (...) pour ce que scet sa Bible
T 1507
au huitain 148: Car j'ay tout donné aux servantes.
T 1570
au huitain 160: Car a eulx tenu je me sens;
T 1731
190
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 166: Car je îiay riens pour luy d'honneste,
T 1777
au huitain 167: Comme extraict que je suis de fee,
T 1797
L'élément en recompence, qu'on trouve au huitain 170 dans le passage suivant, peut, à cause de sa signification, être considéré comme un JustCaus : Item, sera le Seneschal, Qui une fois paya mes debtes, En recompence, mareschal Pour ferrer oes et canettes.
T 1820-23
Il est évident que le QualY du vers T 1821 (Qui une fois paya mes debtes) a également une valeur justificative, comme c'est assez souvent le cas quand un pareil constituant se présente. Citons, à titre d'exemple, le huitain 87, où le testateur désigne comme légataire Guillaume de Villon, dont il dit, dans des constituants QualY, qu'il a été
T 849-53 Voilà en l'absence de tout JustCaus, le legs bien justifié. Il n'est pas toujours aisé de savoir si l'on a affaire à un justificatif ou non, témoin le passage suivant, qu'on trouve au huitain 125: Item, a maistre Jehan Cotart, T 1230-32 Est-ce que le testateur veut nous faire comprendre que c'est à cause de cette ancienne dette qu'il «lègue» une ballade à l'âme de Cotart? C'est possible, mais ce n'est pas sûr.
191
STRUCTURE DU TESTAMENT
Il semble pourtant permis de considérer comme un JustCaus les vers qu'on trouve au huitain 137: Genevoys est plus ancien Et a plus beau nez pour y boire.
T 1360-61
Le testateur les ajoute à un opératif dans lequel il laisse à son légataire (Jehan de la Garde) l'enseigne du Barillet; on peut supposer que la relation entre les vers cités et cet opératif est asyndétique, qu'il y a ellipse d'une conjonction causale (par exemple : car). La présence d'une conjonction causale ne conduit pas nécessairement à la conclusion qu'on a affaire à un JustCaus. Il se peut que la causale se rattache au commentaire d'un legs, comme c'est le cas aux huitains 90-91 : (Mais pendu soit il, que je soye, Qui luy laira escu ne targe.) Car elle en a, sans moy, assez.
T 916-18
Dans deux passages du Testament des énoncés a valeur causale justifient Vabsence d'un legs: au huitain 172: Resigné luy eusse ma cure, Mais point ne veult de charge d'âmes;
T 1840-41
et au huitain 185: S'il sceust jouer a ung tripot, Il eust de moy le Trou Perrete.
T 1958-59
Signalons, en outre, que la partie semi-opérative elle aussi peut contenir un énoncé a valeur justificative et causale, puisqu'au huitain 173 on lit : Pour ce que scet bien mon entente
T 1844
Les constituants JustFin qu'on trouve au Testament se relient aux constituants opératifs au moyen des éléments de connexion affin que, que (signifiant «afin que») et pour (final) suivi d'un infinitif ; ils se présentent au huitain 76 : Bonnes seront pour tenir serre Et soy soustenir sur les pâtes.
T 767-68
192
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 89: Pour saluer nostre Maistresse,
T 866
au huitain 99 : (...) affin que sa bource enfle,
T 1027
au huitain 105: Pour bouter et fourrer sa motise,
T 1074
au huitain 107: Pour pendre a leurs chappeaulx de faultres;
T 1091
au huitain 110: Pour les mussier, qu'on ne les voye.
T 1117
au huitain 111 : Non pas pour accouppler ses boetes, Mais pour conjoindre culz et coetes, etc.
T 1121-22
au huitain 120: Que Detusca et ses gens d'armes Ne lui riblent sa caige vert.
T 1194-95
au huitain 121 : Pour tout empreindre a une voye;
T 1203
au huitain 124: Pour tous les matins les torchier; au huitainPour 144:retraire ces villotieres Qui ont le bec si affilié
T 1227
T 1511-12
193
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 154: Affin qu'a son ayse s'yverne.
T 1656
au huitain 160: Pour mettre a part, aux Innocens, Les gens de bien des deshonnestes.
T 1734-35
au huitain 170: Pour soy desennuyer; (...)
T 1825
On est tenté de considérer comme un constituant JustFin également le vers du huitain 139, où le testateur lègue à Robert d'Estouteville une ballade Pour sa dame, qui tous biens a;
T 1371
Pour, ici, n'est pas suivi d'un infinitif, mais on peut éventuellement imaginer qu'un verbe comme donner ou lire est sous-entendu. Au huitain 168 il y a aussi une préposition pour qui, bien que sa signification soit différente, peut faire admettre qu'on a affaire à un JustFin. Le testateur y lègue ung petit brain d'esglantier, / qui soit tout vert, (...) pour guipillon,
T 1809
Burger (1957: 91) traduit pour par «à la place de, comme» et on pense également à «en guise de». Mais il est possible aussi de penser à «pour qu'on s'en serve comme»; la valeur finale de l'élément devient alors visible. L'élément peut, semble-t-il, être considéré comme un JustFin. Quelques énoncés, bien qu'ils soient introduits par la conjonction consécutive si, peuvent, parce que leur portée est finale, être considérés comme des JustFin. On les trouve au huitain 114: Si aura mesnage parfait:
T 1148
et au huitain 146: Si ira maint bon chrestien Voir Vabbaye ou il n'entre homme.
T 1557-58
194
STRUCTURE DU TESTAMENT
Un cas problématique offre le vers qu'on trouve au huitain 117: Il faut qu'ilz vivent, les beaulx peres,
T 1170
Est-ce à dire que le testateur laisse aux «freres mendians» de grasses souppes jacoppines et des flans pour qu'ils ne meurent pas de faim? C'est possible, mais il est également possible que le vers cité serve d'excuse aux moines, s'Hz font plaisir a nos commeres. Vu cette ambiguïté, on se défendra de considérer ce vers comme un JustFin. La partie semi-opérative peut contenir des énoncés à valeur justificative et finale, comme on le constate au huitain 177: Au moins sera de moi memoire,
T 1882
et au huitain 181: Pour tout ce fournir et parfaire,
T 1920
Voici comment les constituants justificatifs se laissent localiser:17 JustCaus
h. h.
h. h. h. h. h. h. h.
h. h. h.
17
94 95 97 100 102 107 108 110 115 121 123 126
Op(8) Op(9) Op (10) Op (13) Op (15) Op (19) Op (20) Op (22) Op (26) Op (29) Op (31) Op (34)
Une comparaison des constituants justificatifs du Testament avec ceux du Lais conduit à quelques conclusions frappantes. Dans le Testament il y a, proportionnellement, beaucoup plus de JustCaus que dans le Lais : dans le Testament 20 opératifs sur 64 sont accompagnés de JustCaus, contre 4 sur 33 dans le Lais. Dans le Testament 5 opératifs sont accompagnés de JustCaus aussi bien que de JustFin, dans le Lais il n'y en a qu'un seul à avoir les deux types de justificatifs. Dans le Testament l'outillage syntaxique servant de connexion entre le justificatif et l'opératif est à la fois plus varié et plus conforme aux usages testamentaires que dans le Lais.
STRUCTURE DU TESTAMENT
JustFin
h. h. h. h. h. h. h. h. (h.
129 137 144 148 160 166 167 170 173)
Op (35) Op (39) Op (44) Op (47) Op (55) Op (58) Op (59) Op (62) (SemiOp)
h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. h. (h. (h.
76 89 99 105 107 110 111 114 120 121 124 139 144 146 154 160 168 170 177) 181)
Op(2) Op(6) Op (12) Op (17) Op (19) Op (22) Op (23) Op (25) Op (28) Op (29) Op (32) Op (41) Op (44) Op (45) Op (52) Op (55) Op (60) Op (62)
195
(SemiOp)
2.6 Les constituants restrictifs Les constituants restrictifs, qui limitent ou changent la portée d'un ou de plusieurs éléments opératifs ou semi-opératifs, peuvent être des conditions imposées aux légataires (RestrCond) ou un énoncé dans lequel le testateur prévoit quelque empêchement à l'exécution de sa volonté (RestrPrév). Dans le Testament, on peut considérer comme des constituants RestrCond les énoncés qui se relient à des constituants opératifs au moyen
196
STRUCTURE DU TESTAMENT
des conjonctions conditionelles si, pourveu que ou que (signifiant «pourvu que»). Il arrive aussi que le verbe soit au subjonctif et que la conjonction conditionelle soit sous-entendue. De pareils énoncés se présentent au huitain 94: (...) mais qu'il le mette en chant,
T 972
au huitain 101 : Pourveu qu'il paiera quatre plaques,
T 1040
au huitain 108 : (...) s'on Voyt vecir nepoirre, En oultre aura les fievres quartes.
T 1100-01
au huitain 122: Mais qu'a la petite Macee D'Orléans, qui ot ma sainture, L'amende soit bien hault tauxee:
T 1210-12
au huitain 126: Pouveu que tousjours baille en change, Soit a privé soit a estrange, Pour trois escus six brettes targes, Pour deux angelotz ung grant ange:
T 1269-72
au huitain 134: Or prient pour leur bienfaicteur, Ou qu'on leur tire les oreilles.
T 1332-33
au huitainPourveu 135: qu'ilz me salueront Jehanne, Et autant une autre comme elle. au huitain 136: Pourveu (...) Qu'il mette tres bien tout a point.
T 1344-45
T 1349-51
197
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 144: Mais que ce soit hors cymetieres,
T 1513
au huitain 167: (...) (mais d'amer Fille en chief ou femme coejfee, Ja lien ayt la teste eschauffee)
T 1798-1800
au huitain 168: Pourveu qu'ilz diront ung psaultier Pour l'âme du povre Villon.
T 1810-11
Les constituants RestrPrév ne se rattachent pas nécessairement à un constituant opératif ; ils peuvent également accompagner un constituant réflexif (et ainsi renvoyer à un groupe d'opératifs) ou un constituant semiopératif. Les éléments de connexion qu'on trouve dans le Testament sont les mêmes que ceux des testaments réels : les conjonctions conditionnelles si et ou cas que. Des énoncés susceptibles d'être considérés comme des constituants RestrPrév se présentent au huitain 77 : S'ainsi estoit qu'aucun rieust pas Receu les laiz que je luy mande, etc.
T 769-70
au huitain 98 : S'il en buvoit tant que péris En fust son sens et sa raison, etc.
T 1018-19
au huitain 113: S'ilz estoient prins a un piege, Que ces mastins ne sceussent courre, etc.
T 1138-39
au huitain 175: Et s'aucun, dont riay congnoissance, Estoit allé de mort a vie, etc.
T 1860-61
198
STRUCTURE DU TESTAMENT
au huitain 180: Et, se c'est peu, (...)
T 1913
au huitain 182: S'il luy plaist et il luy est bel,
T 1932
au huitain 183: Mais, ou cas qu'ilz s'en excusassent, etc.
T 1936
On constate que certains constituents RestrPrév, du point de vue de leur signification, suivent de près l'exemple des usages qui se manifestent dans les testaments du recueil de Tuetey : ceux des huitains 77 et 175 portent sur une éventuelle disparition des legs ou des légataires. Dans chacun des cas cités, le testateur propose en outre, comme il convient, une solution alternative dans les vers qui suivent le RestrPrév. Les infractions aux habitudes testamentaires qu'on trouve dans les autres constituants RestrPrév cités sont, d'ailleurs, relativement modestes : aux huitains 98 et 113, il s'agit d'éventuels contretemps que connaîtraient les légataires; aux huitains 180,182 et 183, d'un éventuel refus des sonneurs ou des exécuteurs testamentaires à donner suite à la dernière volonté du testateur. Quelques autres énoncés, cependant, qu'on peut également considérer comme des RestrPrév, offrent des particularités qui, quand on pense aux traditions testamentaires, sont très inusuelles. Ainsi, au huitain 136, un énoncé susceptible d'être considéré comme un RestrPrév accompagne un RestrCond (cité ci-dessus), ce qui ne se présente pas dans les testaments réels : (Pourveu,) s'uys y a ne fenestre Qui soit ne debout ne en estre, ( Qu'il mette très bien tout a point.)
T 1349-51
Au huitain 170, le testateur, au moyen d'un RestrPrév, permet au légataire de faire de son legs - ces sornettes [ = «ces vers»] ) un emploi peu approprié: S'il veult, face en des alumettes:
T 1826
STRUCTURE DU TESTAMENT
199
Au huitain 135, le testateur prévoit une question sur l'origine de l'argent légué (cent solz): (...) (s'ilz demandent: «Prins ou?» Ne leur chaille; ilz vendront de manne)
T 1340-41
Le caractère infractionnel prononcé de ces derniers cas rappelle celui des quelques rares constituants restrictifs du Lais. Deux autres énoncés peuvent encore être considérés comme des RestrPrév, car, malgré l'absence de conjonction conditionnelle, on comprend qu'ils ont pour fonction d'ajouter une restriction au legs fait et que le testateur prévoit qu'il pourrait ne pas s'effectuer. On les trouve au huitain 133: (Les bources des Dix et Huit Clers Auront); je rriy vueil travailler:
T 1322-23
et au huitain 150: Qui la trouvera 0 Contr — > 0 Op • 0 Id —• 0 IdX y 0 IdD • 0 Ces «transformations de suppression» (deletiori) s'inscrivent au niveau de la «syntaxe» textuelle: elles sont peut-être celles qui se laissent le plus facilement décrire. Mais comment rendre compte des éléments fictionnels dits référentiels? L'infraction, en ce cas, est d'ordre sémantique, et pour en rendre compte il faudrait qu'on dispose de quelque description sémantique du testament réel. On n'en est pas encore là. Pour ce qui est des indications fictionnelles extratextuelles, il n'est pas aisé de voir comment leurs caractéristiques sémiotiques se laissent traduire en termes syntaxiques ou sémantiques permettant de les confronter avec quelque description structurale du testament réel.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
309
Les problèmes se présentant à propos d'une description «générativetransformationnelle» du testament fictionnel sont donc légion. Sous ces conditions, est-il possible d'envisager qu'une analyse comme la nôtre offre des perspectives sur ce que pourrait être le modèle descriptif «génératif» d'un texte fictionnel en général? Nous croyons que la réponse à cette question peut être affirmative tant qu'on s'en tient à des généralités concernant les éléments strictement fondamentaux de la «base» de la description (la «règle» (O) formulée ci-dessus). Généralisant cette «règle», on dira que tout texte fictionnel comporte nécessairement des éléments «réalistes» (R) et des éléments «non-réalistes» (R) ou fictionnels (F) (R = F). La «structure profonde» du texte fictionnel aurait ainsi comme point de départ cette «règle»: Texte
fictionnel
> R, F
Une grammaire-R pourra être établie, dont la section syntaxique est peutêtre descriptible en termes «génératifs-transformationnels» : R
• Si, S 2 ... Sn, etc.
Parallèlement, une grammaire-F s'établira; elle consisterait dans un ensemble de «règles transformationnelles» d'ordre «syntaxique» et sémantique. Un rôle particulièrement important dans la grammaire-F incombe aux «règles» qui définissent la littérarité (la poéticité) du texte fictionnel. Si l'on admet que c'est surtout le caractère littéraire (poétique) du texte fictionnel qui le distingue du texte non-fictionnel, la littérarité (poéticité) est en effet un signal fictionnel capital. L'ensemble des règles qui définissent la poéticité d'un texte (s'il est possible de l'établir) constituerait un mécanisme de sélection (P) qui décide, à propos de tout «syntagme» textuel s'il est poétique ou non. L'établissement d'un pareil mécanisme s'inscrirait d'ailleurs dans l'opération, suggérée par Bierwisch, qui consiste dans l'élaboration d'une théorie générale de la poétique qui implique «eine exacte Charakterisierung von Typen poetischer Regeln und der Beziehungen zwischen ihnen, das heisst des möglichen Aufbaus van P» (Bierwisch, 1965: 64). Dans notre analyse, l'attention a été attirée de façon allusive sur le caractère littéraire (poétique) du Lais et du Testament, quand il s'agissait d'en signaler la fonction fictionnelle. La forme versifiée, l'ironie, les diverses figures stylistiques à fonction poétique, conative, etc., font partie de Y-Lais et de P-Testament et, par conséquent, des grammaires-
310
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
F des deux textes. Nous nous sommes limité à signaler leur présence, à en souligner le caractère infractionnel par rapport au modèle du testament réel, sans nous hasarder à préciser des «règles», sans tenter d'être exhaustif. Toute étude stylistique des poèmes de Villon est une contribution, non seulement à une prise de conscience sur le génie littéraire de notre poète, mais encore à l'élaboration de leurs mécanismes-P, qui, à leur tour, contribuent à en établir le statut de testament fictionnel.
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1967 Littérature et signification (Paris).
OUVRAGES CITÉS
315
TOGEBY, ( K . )
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1971 «Statistiek als hulpmiddel bij het onderzoek van lyrische poëzie», in: Handelingen van het 31e Nederlandse Filologencongres (Groningen), 88-101. V A N DDK, (T. A.) 1972 Some Aspects of Text Grammars (The Hague). V A N ZOEST, ( A . J . A . )
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1964 «Nachwort», in: François Villon, Das grosse Testament, FranzösischDeutsch (München) (trad. : Walter Widmer), p. 135-62.
INDEX DES DÉFINITIONS
Additif (Add), 59, 71 Additif (AddContr), 72-73 Additif (AddOp), 72-73 Analyse structurale, 43-45 Contractuel (Contr), 63-65 Datation (Dat), 84-85 Fi à F 5 , 79-83 F 6 à Fio, 85-87 F n à Fis, 88-90 Fie à F 20 , 91-93 Fictionnalité, fictionnel, 237, 298-300 Homologatif (Hom), 84 Identificatif (Id), 68 Identificatif (IdD), 70 Identificatif (IdX), 68-69 Identification, 282-83 Indication fictionnelle, 239 Infraction, infractionnel, 241-42 Justificatif (JustCaus), 95-96 Justificatif (JustContr), 73-74, 87 Justificatif (JustFin), 96 Justificatif (JustGén), 87-88 Justificatif (JustOp), 74, 95
Justificatif (JustPers), 87,90-91 Opératif (Op), 63-64,66-67 Ornemental (Orn), 74,93-95 Performatif (Perf), 57-58, 63-65 Qualificatif (Quai), 75, 98 Qualificatif (QualL), 99 Qualificatif (QualX), 102-03 Qualificatif (QualY), 98-99 Qualification, 282 Référentiel, signal fictionnel, 253 Réflexif (Réfl), 66 Restrictif (Restr), 74-75, 96 Restrictif (RestrCond), 97 Restrictif (RestrPrév), 97 Semi-opératif (SemiOp), 71-72, 78-79 Signal fictionnel, 239 Structure, 45-47 Supplémentaire(Suppl),59-61,101 Symptôme fictionnel, 239 Testament fictif, 239-40 Testament fictionnel, 51-53 Testament réel, 54, 57-61 Volitif, 82-83
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos
5
I. LES PROBLÈMES
7
0. Introduction
7
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Les premiers chercheurs Siciliano Les «structuralistes» Le bilan Composition et structure Les problèmes accessoires Les critères
9 13 19 28 29 34 38
I I . LES PRÉSUPPOSÉS
42
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
42 45 47 49 51 54 57 62
L'analyse structurale, sa démarche L'analyse structurale, son résultat L'analyse structurale, sa présentation Restrictions Le testament fictionnel Le testament au XVe siècle Définition du testament Liste des abréviations et sigles employés
I I I . MODÈLE D U TESTAMENT RÉEL
63
1. Les constituants performatifs 1.0 Introduction
63 63
318
2.
3. 4.
5.
TABLE DES MATIÈRES
1.1 Les constituants contractuels 1.2 Les constituants opératifs 1.3 Les constituants identificatifs Les constituants additifs 2.0 Introduction 2.1 Les constituants semi-opératifs 2.2 Les constituants homologatifs 2.3 Les constituants justificatifs (JustContr) 2.4 Les constituants ornementaux 2.5 Les constituants justificatifs (JustOp) 2.6 Les constituants restrictifs 2.7 Les constituants qualificatifs Les constituants supplémentaires Distribution des constituants 4.0 Introduction 4.1 Ordre dans lequel se présentent les constituants 4.2 Présence et absence de constituants 4.3 Fréquence des constituants 4.4 Proportion des constituants Fonction des constituants
65 66 68 71 71 78 84 87 93 95 96 98 101 104 104 111 114 114 120 121
I V . STRUCTURE D U LAIS
124
0. Introduction 1. Les constituants performatifs 1.1 Les constituants contractuels et réflexifs 1.2 Les constituants opératifs 1.3 Les constituants identificatifs 2. Les constituants additifs 2.1 Les constituants semi-opératifs 2.2 Les constituants homologatifs 2.3 Les constituants justificatifs (JustContr) 2.4 Les constituants ornementaux 2.5 Les constituants justificatifs (JustOp) 2.6 Les constituants restrictifs 2.7 Les constituants qualificatifs 3. Les constituants supplémentaires 4. Distribution des constituants 4.0 Introduction
124 124 124 127 131 132 132 133 134 135 136 139 141 148 152 152
TABLE DES MATIÈRES
4.1 4.2 4.3 4.4
Ordre dans lequel se présentent les constituants Présence et absence de constituants Fréquence des constituants Proportion des constituants
V . STRUCTURE D U TESTAMENT
319
153 154 155 157
160
1. Les constituants performatifs 1.1 Les constituants contractuels et réflexifs 1.2 Les constituants opératifs 1.3 Les constituants identificatifs 2. Les constituants additifs 2.1 Les constituants semi-opératifs 2.2 Les constituants homologatifs 2.3 Les constituants justificatifs (JustContr) 2.4 Les constituants ornementaux 2.5 Les constituants justificatifs (JustOp) 2.6 Les constituants restrictifs 2.7 Les constituants qualificatifs 3. Les constituants supplémentaires 4. Distribution des constituants 4.0 Introduction 4.1 Ordre dans lequel se présentent les constituants 4.2 Présence et absence de constituants 4.3 Fréquence des constituants 4.4 Proportion des constituants
160 160 166 177 178 178 182 184 186 187 195 200 211 224 224 225 228 229 232
V I . CARACTÈRE FICTIONNEL DU LAIS ET DU TESTAMENT
236
0. Introduction 1. Fictivité et fictionnalité 2. Le signal fictionnel est un élément infractionnel 3.1 Signaux fictionnels extratextuels 3.2 Signaux littéraires intrinsèques 4. Signaux fictionnels référentiels 4.0 Introduction 4.1 Les legs factices 4.2 Les faux légataires
236 239 241 246 249 253 253 255 261
320
TABLE DES MATIÈRES
4.3 Absurdités 264 4.4 Absence de signaux fictionnels référentiels dans les parties non-opératives 267 5. Les faits structuraux infractionnels 270 5.1 L'ordre dans lequel les constituants se présentent 270 5.2 Présence et absence de constituants 271 5.3 Fréquence des constituants 272 5.4 Proportion des constituants 273
V I I . CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
274
0. Introduction 1. La discussion de la composition/structure 1.1 Macrostructure 1.2 La texture du Testament 2. Interprétation des faits structuraux 2.1 A la recherche du sens général 2.2 Nature humaine et condition humaine 2.3 Le fonctionnement littéraire 3. Perspectives théoriques 3.1 La fictionnalité 3.2 Cohérence 3.3 Modèle descriptif
274 274 274 277 281 281 285 293 297 297 302 305
OUVRAGES CITÉS
311
INDEX DES DÉFINITIONS
316