«Silence ! On décolonise…» Itinéraire politique et syndical d'un militant africain 2738412556, 9782738412553

Djibo Bakary, nigérien, fut secrétaire général du PPN (Parti progressiste nigérien, section nigérienne du RDA, Rassemble

126 25 118MB

French Pages [157] Year 1992

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«Silence ! On décolonise…» Itinéraire politique et syndical d'un militant africain
 2738412556, 9782738412553

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Collection «Memoires Africaines»

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DJIBO BAKARY

LE NIGER A L'HARMATTAN AGHALIZAKARA & DROUIN: Traditions touareg nigeriennes, 112p. DUCROZ & CHARLES: L'homme songhay tel qu'il se dit chez les Kaado du Niger, 244p. DUCROZ & CHARLES: Lexique songhay-frangais. Le parler kaado du Gorouol, 288p. GUILLAUMONT P. & S.: Ajustement structured ajustement informel — le cos du Niger en 1991, 31 lp. MAMANI A.: Sarraounia (roman), 159p. MAIGA K.S., MAHAMADOU M., DAGO S.: La calebasse renversee, roman, 166p. MARTIN R: Le Niger du President Diori 1960-1974,430p. MULLER J.-C: Du bon usage du sexe et du manage — structures matrimoniales du Haut-plateau nigerien, 285p. PENEL J.-D.: Le sage du quartier Yantala a mal aux dents, poemes, 85p. ROTHIOT J.-R: Ascension d' un chef africain au debut de la colonisation: Aouta le conquerant, 430p. VIDAL L.: Rituels de possession dans le Sahel, 303p.

« S I L E N C E

!

O N D E C O L O N I S E . . . »

Itineraire politique et syndical d'un militant africain Preface de N D I A Y E A. A B D O U L A Y E

Etc.

L'Harmattan 5-7, me de l'Ecole Polytechnique 75005 Paris

REMERCIEMENTS

AA.Ak. br

Je tiens a remercier mon ami, Toufic du Liban, qui m'a encourage a entreprendre et poursuivre ces memoires, avec beaucoup de determination. II m'a ouvert des perspectives qui m'ont convaincu d'achever ce livre — son souci 6tant de voir les futurs enfants d'Afrique porter avec fierte la culture de leurs parents. Je remercie egalement mon ami Issa DIOP de Dakar et Adamou SEKOU du Niger pour m'avoir incite a ecrire ce que souvent nous avions vecu ensemble. Au d6but de cet ouvrage, j'ai mis en exergue les souvenirs de mon regrette Abdoulaye N'DIAYE, surnomme «Albert». Les memes remerciements s'adressent aussi a mon collaborateur et conseiller Ali TALBA a qui je conseille tout simplement de poursuivre toujours avec plus de courage ses taches d'ecriture actuelles. Je n'oublie pas egalement les chefs d'Etat africains qui m'ont apporte assistance durant les quinze annees que j'ai v6cues en exil. Que Dieu les aide dans leurs taches et leur donne la clairvoyance de guider nos peuples vers le bien-etre. Couverture: Djibo Bakary intervient, le 25 juillet 1958 a la tribune du Congres du PR.A., a Cotonou (Dahomey): «Independance nationale d'abord, le reste ensuite».

L'Harmattan, 1992 ISBN: 2-7384-1255-6 ISSN: 0297-1763

A mon epouse, Aissata, qu'elle trouve en lisant ces memoires le reconfort qui lui fera oublier les moments difficiles que nous avons vecus sur le chemin de la liberation de notre peuple. A ma fille Aminata, et a tous mes enfants et petits-enfants d'Afrique, qu'ils puissent se souvenir du prix de la liberte et du tresor que constitue leur dignite.

PREFACE NDIAYE «ALBERT»

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DE ABDOULAYE

L'aventure commence a l'Ecole Normale William Ponty, cette ecole federate implantee d'abord a Saint-Louis du Senegal puis a l'lle de Goree et, a partir de 1937, a S6bikhotane sur la terre ferme, a cinquante kilometres de Dakar. Ponty recevait sur concours, apres l'obtention du Certificat d'Etudes Primaires Elementaires et trois ans d'6tudes dans une ecole primaire supeneure, les futurs cadres de l'administration coloniale: instituteurs (d'ou son nom d'Ecole normale), commis de l'administration generate, candidats a l'Ecole de m6decine et de pharmacie de Dakar, candidats a l'Ecole de Bamako. Ces jeunes gens, de toutes ethnies, et de confessions differentes, 6taient des ressortissants des huit territoires de l'Afrique Occidentale Francaise (AOF). Portant le meme uniforme, ils se retrouvaient dans les memes salles de classe, partageaient les memes repas, les memes activites sportives (athletisme, football) et culturelles (scoutisme, theatre, etc.). Les jours de sortie, il n'6tait pas rare que les S6negalais accueillent dans leur foyer ces amis venus des autres pays. Grace au brassage de Ponty, les futures elites africaines apprirent a s'estimer. Cest dans ces conditions que, en 1938, j'ai connu Djibo Bakary. Nous venions d'etre admis a Ponty. Nous avions sympathisd et noire amitie s'6tait renforc6e au cours des trois annees d'internat. Nous avions choisi de devenir instituteurs et nous 6tions dans la meme classe. Mtmbres du groupe local scout de Ponty-ville que dirigeait alors Ousmane Thiane Sar, notre brave «Sanglier Zel6», conseilte et soutenu par Edmond Favre, notre professeur de sciences naturelles, nous partagions les memes activites: veillees, feux de camp, decouverte du milieu... Avec toute la solennite inoubliable du cerdmonial scout, nous avions, comme tous les adherents au mouvement dans le monde, fait un jour, devant Dieu et devant nos compagnons, la promesse de «rendre service en toute occasion», de servir notre patrie, d'obdir a la loi de l'eclaireur: «Eclaireur un jour, eclaireur toujours...». Notre promesse explique, justifie un certain choix, notre itineraire. Pour mieux vivre notre ideal d'eclaireur engag6 au service de la mere Afrique, nous avions, le plus naturellement du monde, cre6 «le clan de la Grande Chaine», qui devait regrouper tous les anciens de Ponty devenus qui agents de l'administration gdnerale, qui instituteurs, qui m&lecins, pharmaciens et veterinaires. Le clan avait pour mission de maintenir entre ses membres les liens noues a Ponty et de les aider, par ailleurs, a poursuivre ensemble l'effort de reflexion engage a Sdbikhotane pour adapter le scoutisme aux besoins et aux r6alites de notre milieu: adapter les manuels techniques, les jeux, les contes et legendes, les chants, tous concus exclusivement a l'origine pour le mouvement metropolitain et qui, par la force des choses, etaient proposes tels quels aux associations d'Outre-Mer, sans aucune variante.

1941, 1942, 1943: la premiere promotion d'eclaireurs de Ponty a terming ses 6tudes. Elle fait partie de la province des Eclaireurs de France (EDF) de l'Afrique Occidentale Francaise. Les future medecins, pharmaciens et v6terinaires creent un clan de soutien dans chacun de leurs etablissements, a Dakar et a Bamako. La guerre a 6clat6. Certains de ces EDF, appetes sous les drapeaux, se retrouvent en Afrique du Nord et sur les champs de bataille d'Europe. Les autres EDF — commis et instituteurs — rejoignent leurs postes d'affectation dans les differents territoires de l'AOF. C'est la p6riode de la censure. Le routier scout, celui du clan de la Grande Chaine, n'y echappe pas. Gros 6moi et branle-bas de combat chez les autorit£s responsables — Surete, 2eme Bureau francais —, qui ne comprennent ni n'acceptent notre preoccupation de vouloir cr6er un scoutisme mieux adapte aux besoins des jeunes Africains. Enquetes, interrogatoires, menaces et brimades aussi absurdes que ridicules finissent par nous ecoeurer dans notre bonne foi et, en definitive, contribuent a accelerer une prise de conscience patriotique et un raidissement des pionniers de la Grande Chaine, que Ton retrouvera tout naturellement, apres la dissolution du clan, parmi les meilleurs responsables des organisations de masse, mouvements de jeunesse, partis politiques et syndicats, eclos au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Nous continuons, malgre tout, notre scoutisme en renforcant les structures de concertation, notamment dans le domaine de la formation des cadres. En 1957, soit trois ans avant l'accession de nombreux pays africains a la souverainet6 internationale, la province des Eclaireurs de France d'AOF s'eiige en association autonome des Eclaireurs d'Afrique (EDA) tout en gardant ses liens d'amitie et de cooperation fraternelle avec 1'association-mere de l'ancienne ntetropole. Les routiers de l'Universite de Dakar ont conserv6 le nom de «clan de la Grande Chafne» pour perpetuer le souvenir du clan de l'Ecole Normale William-Ponty. Le visionnaire Ouezzin Coulibaly, alors surveillant general de cet 6tabhssement federal et qui devint plus tard un des meilleurs dirigeants du Rassemblement Democratique Africain (RDA), nous disait, a l'occasion de la presentation des voeux du ler Janvier 1940: «Parce que vous etes une generation de transition, vous etes une generation sacrifice, mais faites en sorte que votre sacrifice ait un sens». Dans un Niger place en grande partie sous la botte de 1'administration militaire, Djibo Bakary, le frele instituteur, avait rdussi, par son courage, sa tenacite et sa lucidit6, a organiser les populations de son pays dans le cadre des mouvements d6mocratiques: association scoute, parti politique, syndicat, rehabilitation des associations traditionnelles de jeunesse: les samaria. Dans le meme temps, il ceuvrait avec ses pairs des autres territoires a l'ddification d'une Afrique libre et fraternelle. Djibo Bakary a vecu sa promesse; son itineraire d'homme politique et de syndicaliste est le t6moignage d'une vie toute de denouement au service des d£shent6s. C'est un exemple qui honore notre mouvement. NDiaye A. Abdoulaye Ancien Responsable du Clan de la Grande Chaine.

A mes enfants A tous les enfants de la Mere Afrique A mes compagnes et compagnons de route. Bien fid61emenL

«J'estime que notre devoir est de dire aux representants de la France ce que veut et ce que pense l'immense majority des populations que nous prdtendons reprdsenter. Servir la cause du plus grand nombre et non pas nous en servir comme tremplin pour assouvir des ambitions de jouissance et de puissance. Pour cela, il nous faut connaitre nos probtemes par nous-memes et pour nous-memes et avoir la volonte de les r£soudre par nos propres moyens d'abord, avec 1'aide des autres ensuite, mais toujours en tenant compte de nos realites africaines (...) Pour notre part, nous l'avons dit et rep&6: nous avons 6t6, nous sommes et demeurerons toujours pour et avec le "talaka" (paysan) nigerien» Djibo Bakary Editorial du Democrate du 4/2/1956

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EN GUISE

D'INTRODUCTION

Ce reck commence sur les bords du Lac Tchad, qui semble parvenu a son declin, mais qui contribuera encore durant de longues annees, et peut-etre des siecles, a porter temoignage de la determination des peuples d'Afrique, qui ne veulent pas ployer devant l'adversite et les souffrances que l'homme inflige a son prochain. Nous ecrivons d'abord a l'intention de nos propres enfants, de tous nos enfants, car il s'agit egalement des enfants de notre grande famille qui nous considerent comme leur pere, conform6ment a la tradition familiale. Que ceux d'entre eux qui ont perdu un pere, une mere ou un grand frere a la suite des sdvices infligds et subis pour avoir refus6 de trahir la tradition familiale soient assures que, pour eux, nous serons toujours un pere affectueux et attentionne. Nous dedions 6galement les pages qui suivent a tous les enfants de notre pays et du reste de 1'Afrique, a tous ceux et a toutes celles qui, pour une raison ou une autre, s'interessent a la vie publique qui fut la notre pendant de longues annees. Nous avons d6cid6 de relater ces souvenirs en entrant dans le troisieme age afin d'apporter notre modeste contribution a l'edification de tous ceux qui aspirent a la v6rit6 historique, pour qu'ils connaissent les raisons pour lesquelles nous avons deiiberement choisi le chemin du combat contre l'occupant Stranger, combat que nous poursuivrons jusqu'a notre dernier souffle parce que nous pensons qu'il est le seul qui nous permet de demeurer fidele au peuple nigerien et aux peuples de notre continent. Sans jamais c&ier devant l'injustice, la calomnie et les machinations de ceux qui ne revent que de diviser les dignes fils de notre Niger. II s'agit, pour nous, d'une determination et d'un engagement sans retour dont les raisons sont multiples et complexes. Ce qui est clair, en tout cas, c'est que tout cela se concr6tisa un jour d'octobre 1945 a Agadez, capitate de l'antique Air, ou nous nous trouvions par le hasard des mutations administratives, a une epoque ou les echos des bouillonnements politiques consecutifs a la fin de la Seconde Guerre Mondiale commencaient & atteindre les endroits les plus recutes d'Afrique. Nous avons alore pris la d6cision d'engager une action positive contre l'esclavage colonial et ses suppots locaux. Mais pourquoi une telle d6cision prise a ce moment precis dans ce lieu precis? Allah seul, le Tout Puissant, le sait! Pour notre part, encore aujourd'hui, nous ne distinguons pas nettement, parmi les multiples raisons qui ont pu nous y pousser, laquelle fut la principale. Etait-ce le fond de caractere faconng par l'education de notre famille? Etait-ce l'influence qu'exercent toujours sur nous les anciennes activites scoutes que nous avions pratiquees depuis l'Ecole Normale William-Ponty et poursuivies, (Source: L'Homme Songhay lei quit se da chez les Kaado du Niger, J-M DU- au Niger, dans le cadre de la Grande Chaine des Eclaireurs de France de CROZ & M-C CHARLES, L'Harmattan). 10

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la Region AOF? Le scoutisme qui nous avait d'autant plus marque que ce fut en son sein que nous avions trouve' nos meilleurs amis, notamment feu Ousmane Thiand Sar, dit «Sanglier Z6te», qui fut notre maitre en la matiere, et son digne successeur, Abdoualye A. NDiaye, dit «Chat Grognard», que nous appelions simplement Albert ou Grognard! Le scoutisme qui a insuffte en nous son indestructible credo, qui enracina en nous l'intime conviction que jamais un ancien de la Grande Chaine que nous avions crdee a l'Ecole Normale avant de nous separer, ne decevrait ceux auxquels il avait eu le bonheur d'inspirer confiance? Le scoutisme qui avait 6te introduit au Niger par nous, personnellement, en 1941, avec la creation de la troupe Monteil, a une epoque ou personne, dans ce territoire, n'avait encore vu un scout ou un 6claireur de quelque pays que ce soit et alors que l'6cole de la Mission n'existait pas encore? Mais revenons a l'engagement politique pour dire que son inspiration est peut-etre venue de l'environnement humain et historique de cet Air qui fut, dans les temps lointains, le berceau de tant d'ethnies du Niger qui y vivaient en grande harmonic Phase historique qui est sans doute a l'origine de ltetonnante pratique de ce «cousinage a plaisanterie»* qui se prolonge dans les pays avoisinants! C'est cela en tout cas qui explique la ferme croyance de tous les groupes d'hommes de notre pays qu'il avait toujours existe entre eux, depuis des temps imntemoriaux, des pactes de non-agression et d'entraide mutuelle; que Songhai' et Bella, Jerma et Gobirawa, Mawri et Fulbe, Beriberi et Kurfayawa, Katsinawa, Kabawa et Konnawa se considerent depuis des siecles comme d'authentiques cousins en d6pit de toutes leurs differences de langues et de pratiques. Quelle preuve plus evidente pourrait-il y avoir pour 1'unite originelle des habitants de notre cher pays et de la region dont il fait partie! Toujours est-il que ce fut la, sur cette vieille terre de l'Ai'r, qui a, encore ces dernieres annees, sauv6 miraculeusement notre pays du marasme economique grace a l'uranium qu'elle recele, que nous avions pris la determination de nous consacrer, avant toute autre preoccupation, a Taction positive pour la promotion des populations de notre pays soumises a l'oppression et a l'exploitation coloniales depuis des dizaines d'annees. Et cela, a Tissue d'une longue discussion avec le chef de bataillon Chapelle, qui commandait le «cercle militaire» d'Agadez devenu plus tard Tun des sept ddpartements du Niger. Cet officier superieur, qui se targuait d'etre un specialiste des tegions sahariennes, voulait nous persuader qu'il fallait appeler les populations de la r6gion et surtout de sa capitate Agadez, sur lesquelles il reconnaissait que nous avions une grande influence, a voter pour le colonel Montchamp — que nous connaissions a peine, et dont le seul «m6rite» 6tait d'etre le candidat des milieux colonialistes — a l'occasion des premieres consultations electorates qui al-

laient intervenir en Afrique noire d'obddience francaise pour designer ses premiers deputes du Palais Bourbon. L'officier francais semblait considdrer qu'il etait tout naturel que nous soutenions son candidat que nous avions a peine apercu de loin, au detriment de personnalites africaines bien connues qui avaient fait leurs preuves au service de T Afrique et de Thumanite. Encore aujourd'hui, nous nous souvenons nettement des arguments que le commandant Chapelle developpait ce jour-la et des propos tenus, qu'il considerait comme particulierement convaincants et que nous ressentions, personnellement, comme autant d'injures, tant ils dtaient reveiateurs du grand mepris que cet homme avait pour notre dignite d'homme et pour notre sensibilite nationaliste. Ctetait pour faire disparaitre, pour toujours, ce temps du ntepris qui avait fini par dresser une veritable muraille entre les hommes de difterentes couleurs, d'origines diverses ou de religions dissemblables, que nous nous sommes engagds definitivement dans le combat contre la domination de l'homme par Thomme, sans haine, mais 6galement sans treve ni faiblesse. Et nous avions concretis6 cette prise de position sans equivoque en appelant des le mois d'octobre 1945, les electeurs de l'Air (cercle d'Agadez) a voter respectivement en faveur de Maitre Sylvandre, que Maitre Lamine Gueye du Sen6gal nous avait recommande, s'ils faisaient partie du premier college (citoyens) ou pour Fily Dabo Sissoko s'ils etaient du deuxieme college (indigenes). Nos deux candidats, qu'aucun de nous ne connaissait physiquement, ont obtenu la majorite des suffrages exprimes aux elections d'octobre 1945. Quelques mois plus tard, Fily Dabo Sissoko, depute sonant du tandem Soudan-Niger, qui se reprdsentait aux elections de juin 1946, obtenait la totalite des suffrages exprimes moins une voix — son proprtetaire s'dtant simplement trompd de bulletin. Mais quand notre groupe d'action exigea Tapplication des rdformes, l'administration reagit brutalement. Le premier incident politique entre Tadministration coloniale et un groupe d'evolues africains dirigds par Djibo, se produisit a Agadez trois semaines plus tard...

* Pratique appelee aussi «Parent6 a plaisanterie». C'est une relation entre deux groupes allies ou deux individus qui permet d'echanger (a sens unique ou reciproquement) des insultes, des blagues, des plaisanteries plus ou moins salees autorisees seulement dans ce rapport. 12

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CHAPITRE I A L'ECOUTE DES SALVES DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE

AFRIQUE JARTE P0L1TIQUI Au lerm}il3SI fl 500 IG fl O 1500 km.

UNION

"^ffiiwSfSSs:

AFRICAINEy ItCap

1. PAYS INDEPENDANTS AVANT 1945: UNION CUD-AFRICAINE LIBERIA ETHIOPIE 2. PAYS DEVENUS INDEPENDANTS DE 1946 a 1959: GHANA (1957) GUINEE (1958) MO AU RO CN (1956) LIBYE E GYPTE(1951) (1954) S DA (1936) TUNISIE (1956) PAYS DEVENUS INDEPENDANTS EN 1960 ET 1961 (avant le 1r mai) : Faisant partie de la de la « Communaute « Hors Ex-britanniques Communaute i Ex-belges frangaise » NIGERIA CONGO GABON TOGO SIERRA-LEONE RUANDA-URUNDl CAMEROUN TCHAD (en fait reste sous SOMALIE NIGER MADAGASCAR (avec une partie tutelle) DAHOMEY CONGO ex-italienne) MALI SENEGAL MAURITANIE COTE D'lVOIRE HAUTE-VOLTA 4» PAYS RESTANT SOUS DOMINATION : frangaise britannique portugaise GAMBIE ALGERIE GUINEE PORTUGAISE K E N Y A COTE DES SGMALIS ANGOLA OUGANDA COMORES MOZAMBIQUE TANGANYIKA REUNION CABIN DA RHODESIES NYASSALAND espagnole B ETCHOUANALAND MAROC ESPAGNOL BAZOUTOLAND de t'Union Sud-Africaine 1FNI SOUAZI LAND GUINEE ESPAGNOLE AFRIQUE DU SUD-OUEST

Les tepercussions des salves de la Seconde Guerre Mondiale ont 6te d'autant plus grandes dans nos pays que les Africains dtaient directement engages dans les combats livres contre les forces fascistes et nazies. Bien plus qu'au cours de la Premiere Guerre Mondiale, TAfrique eiait prdsente pour liberer du joug hitterien une Europe totalement subjuguee ou placee sous la menace directe des forces d'occupations nazies. Mieux encore, les ntetropoles europeennes avaient trouv6, dans les empires coloniaux respectifs, des refuges sure pour repartir a Tassaut des bastions de Tadversaire. A cette 6poque, ceux qu'on appelait alors les «6volues» africains semblaient sincerement acquis a la cause des Allies contre les forces fascistes, et cela, malgre Toppression subie pendant des decennies par leurs peuples de la part des puissances europeennes. Bien stir, les propos selon lesquels les hitleriens voulaient transformer la peau des Negres en souliers pour leurs soldatesques etaient pour quelque chose dans une telle prise de position. Du reste, la guerre a outrance contre les racistes allemands 6tait 6galement la guerre des Noire contre ceux qui vouaient tant de mepris aux «races inferieures». Nous n'en voulons pour exemple que la petition signee en 1940, a l'Ecole Normale William-Ponty, cette «pepiniere des evolues», par Tensemble des eieves exigeant de la France la poursuite de la guerre contre TAllemagne nazie et demandant Tengagement global de toutes les promotions de Tecole dans Tarm6e francaise de liberation. L'idee etait de transformer Ponty en ecole premilitaire. Les diplomes monteraient au front avec le grade d'aspirant. Le gouverneur g6n6ral Pierre Boisson grand mutite de guerre, felicita les dteves, mais estima, selon les dires que les envoyer au front equivaudrait a faire faire a TAOF un recul de quelque cinquante ans. Pendant ce temps, les braves «Tirailleure senegalais», les mains nues, s'illustraient sur les champs de bataille d'Europe en se faisant ecraser par les tanks allemands pour la «defense de la France». Les echos de la Charte de TAtlantique, par laquelle, pour la premiere fois, les grandes puissances proclamaient non seulement que tous les peuples 6taient respectables, mais qu'en outre ils avaient droit a la liberte et a la dignite, ne pouvaient que soulever Tespoir enthousiaste des Africains. Ctetait egalement Tepoque ou le rideau de fumee, par lequel TEurope colonialiste cachait a ces derniers depuis de longues annees la realite sovietique, commencait a s'estomper a travers les salves des canons qui, de Moscou et de Leningrad, resistaient heroiquement a la soldatesque nazie avant de lui briser definitivement les reins sur les hauteurs de Stalingrad. La guerre se 15

poursuivait, certes, mais la victoire 6tait deja en vue. Et les Africains manifestaient une 6tonnante confiance dans les promesses de ceux qui, apres les avoir reduits a Tetat de sujets taillables et corveables a merci, venaient de les entrainer dans ce gigantesque «duel du Bien contre le Mal». C'etait, comme on le voit, les annees des grandes illusions, celles de 1944 et 1945. C'etait le temps ou les «6volues» africains placaient beaucoup d'espoir dans la libre Anterique, ou disait-on, les Noire accddaient a des grades d'officier superieur. Ctetait Tepoque ou la Conference de Brazzaville du Gdneral de Gaulle faisait illusion, alors qu'elle declarait sans ambages refuser aux pays africains toute velteite d'accession a Tautonomie, a plus forte raison a Tindependance nationale. II etait pourtant clair, que le courant liberateur qui balayait le monde au lendemain de la victoire sur le fascisme ne pouvait etre contenu. Aussi les puissances coloniales et les imperialistes se preoccupaient fievreusement de trouver les «jouets et les sucettes» qu'il fallait offrir a ces «grands enfants d'Africains» pour recompenser leur fidelite et nourrir leur naivete. Mais les illusions des uns et des autres ne tarderent pas a s'envoler comme f6tu de paille. Du cote des maitres, on commencait a soupgonner que les grands enfants, les «peuples du rire et de la danse», les «hommes de la sensation depourvus de raison», ne se contenteraient peut-etre pas, cette fois-ci, de sucettes. Du cote des Africains, on decouvrait progressivement que les promesses des maitres n'auratent pas de lendemain. Au demeurant, le reveil fut cruel et sanglant en maintes occasions. Dans le Nord, on massacrait par milUers, dans le Constantinois, nos freres d'Algerie qui avaient naivement cru qu'en volant au secours de la «mere patrie», a la liberation de laquelle ils venaient de participer, ils avaient quelque droit a leur propre liberation. A Thiaroye, sur le sol meme du «tres fidele Sen6gal», on mitraillait sauvagement les heroiques survivants de ces memes «tirailleurs senegalais» qui avaient offert leur poitrine a la mitraille des chars hitteriens pour la d6fense de la «mere patrie». Partout la liste s'allongeait de tous les «mauvais esprits», de ces «anti-europeens» qui osaient parler de liberte et de droit, et meme d'une pretendue «personnalite africaine»! Mais la rigueur meme de cette repression ne fit que systematiser et radicaliser les premieres tentatives africaines pour organiser des mouvements de masse: associations de jeunesse, partis politiques nationaux et syndicats. Ainsi, malgr6 les hecatombes d'Afrique du Nord, de Madagascar et du Kenya, malgr6 les emprisonnements et les assassinats en Cote d'ivoire, en Guinee, en Haute-Volta, au Niger et ailleurs, malgte la recente promotion, toute theorique, a une impossible citoyennete de seconde zone, Tinstitution de conseils generaux «croupions» et Tenvoi au Palais Bourbon d'une dizaine de deputes africains et malgaches, il 6tait devenu clair que Thomme d'Afrique n'accepterait plus de vivre comme par le passd et ne se contenterait pas de faux-semblants. En effet, si la liberation de Toccupation nazie etait une bonne chose pour les peuples d'Europe, elle ne T etait pas moins pour les «peuples sujets» qui avaient particip6 au grand combat libdrateur. Au surplus, les cerveaux africains, quoi qu'en pensent les tlteoriciens du racisme, 6taient parfaitement r6ceptifs et capabtes de tirer les dures lecons de la guerre.

Les contacts nes a Toccasion de celle-ci, aussi bien ceux qui avaient 6te 6tablis au cours des combats que ceux de Tapres-guerre, entre colonises de diff6rentes races et de diff6rents continents, les echos des luttes asiatiques pour la liberte, les sursauts latino-americains pour secouer le joug yankee et chasser les oligarchies a sa devotion, tout cela ne pouvait pas ne pas avoir des 6chos en Afrique Noire. Contre toute attente du colonisateur, une partie importante des «evolues africains», ces Smes minutieusement preparees pour servir d'instruments dociles a la colonisation au detriment de leurs propres peuples, se reveia particulierement sensible aux souffrances des populations opprimees et n'hesita pas a entrer dans le combat liberateur. Ainsi, les menaces et les solicitations allechantes du maitre europeen devenaient de moins en moins efficaces. D'autant qu'avec Tapparition des premieres organisations politiques et syndicates, les masses africaines allaient, a leur tour, entrer sur la scene politique. Desormais le grand tournant etait bien pris malgr6 les faiblesses inherentes a des dizaines, voire des centaines, d'annees de domination, d'oppression, d'humiliation, d'exploitauon et de depersonnalisation. Sans doute le colonisateur pouvait-il encore recruter des valets dociles pour tenter de perp6tuer son ceuvre criminelle, mais les masses africaines, desormais eveillees, de plus en plus organises et dotees de moyens de s'informer et d'informer le monde exterieur des evenements qui se d6roulaient sur le continent, etaient decidees a mettre en echec toutes les tentatives destinees a maintenir la domination inhumaine et sans partage exercee par les puissances coloniales. Elles renouaient ainsi avec Tepopee des R6sistants de la premiere heure, dans des conditions bien meilleures et avec des moyens autrement plus puissants et plus efficaces pour chasser de leur patrie Toccupant etranger.

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C H A P I T R E II DES PREMIERS RESISTANTS AUX COMBATTANTS DE LA LIBERATION NATIONALE

Apres Thorrible saignee que lui avait infligde la «traite des Negres», TAfrique Noire 6tait entree dans le cycle infernal de Toccupation coloniale. Depuis longtemps, les grands empires du continent, dont certains 6tatent bien plus puissants et bien mieux organises que les monarchies europeennes contemporaines, avaient pratiquement disparu: Ghana, Soso, Mali, Songhai a TOuest; royaume du B6nin, empire du KanemBornou, royaume haoussa au centre ouest; loanga, kongo au centre; Monomotapa, Zimbabwe et tant d'autres a TEst. Autant de grandes unites etatiques qui ntetaient plus, a Theure des invasions europeennes, que souvenirs glorieux ou pales copies morcelees de ce qu'elles avaient ete aux siecles precedents. Le rayonnement de ces empires et royaumes fut pourtant considerable. Ils etaient glorieusement enttes dans le processus normal de d6veloppement multiforme des regions et peuples qui en faisaient partie. Avant eux, TAfrique s'honorait deja d'avoir 6t6 le berceau de maints grands Etats puissants et bien organises: empires des diverses dynasties pharaoniques d'Egypte, royaume de Kouch et de M6roe\ royaume d'Axoum etc. Apres la disparition ou plutot la dislocation des empires du Moyen-Age et des royaumes qui en dtaient issus, d'autres Etats, plus ou moins 6tendus, plus ou moins puissants, apparurent sur le continent; mais ils 6taient deja marques par les cons6quences de la «traite des Negres» entreprise par TEurope contre TAfrique noire et dont Taspect le plus funeste avait 6te de semer la haine et la division entre les peuples freres d'Afrique. Pourtant ces derniers s'efforcerent laborieusement et courageusement, sans interruption, de batir de nouvelles unites etatiques sur les mines et sur les traces des anciens grands empires et royaumes disparus. D'ailleure, certains de ces premiers Etats monarchiques, comme Tempire des Mossi, n'avaient pas tout a fait disparu, mais etaient tout simplement devenus stagnants, sans grande vitalite, pour ainsi dire. Au Centre-Est apparurent des Etats fortement organis6s, notamment dans les actuels Etats de TOuganda, du Burundi, du Rwanda et de la Tanzanie. En Afrique de TOuest, des nouveaux Etats se construisaient ou se maintenaient vaille que vaille, tels les royaumes du Macina, d'Ashanti, du Djolof, du Dahomey, du Yoruba, du Fouta-Djallon, Tempire theocratique d'Usman Dan Fojo, unificateur des pays Hawsa; celui d'El Hadj Omar Tall et, de Tautre cote de TAfrique, Tempire Zulu du prestigieux Chaka. Et deja se profilait a Thorizon la grande figure de TAlmamy Samori Tou-

te, qui allait devenir le symbole de la resistance a Toccupation dtrangere. Notre propos 6tant de nous limiter a Invocation rapide de la resistance africaine, nous ne nous dtendrons pas davantage sur le passe des anciens empires d'Afrique Noire. Nul n'ignore cependant qu'apres avoir perdu des dizaines de millions de ses enfants dans la tourmente de la traite des Negres notre continent fut assez facilement teduit a un veritable tegime d'esclavage collecuf par ceux-la memes qui furent les beneiiciaires de la grande saignee criminelle infligee par les n6griers d'Europe. Economiquement mieux developpees grace aux profits de la traite et au travail des esclaves exportes, les puissances europeennes occuperent progressivement, grSce a des troupes d'invasion et mercenaries militairement mieux equipes et abondamment fournis en armes perfectiomtees, le continent, que leurs ptedecesseurs n6griers avaient rendu exsangue en le vidant de ses richesses materielles et humaines et en favorisant Tanarchie sociale. La conference de Berlin, qui d6buta en novembre 1884 et se poursuivit en 1885, allait consacrer le partage definitif de TAfrique en zones d'occupation entre les principales puissances europeennes de Tepoque, notamment de la France, de la Grande Bretagne, de TAllemagne, du Portugal, de la Belgique, de TEspagne, de TItalie et d'autres pays. On comprend que, des cette epoque, TAfrique avait virtuellement perdu tout espoir de sauvegarder son independance. Elle opposa, neanmoins, une resistance farouche aux puissances ptedatrices coalisees ou complices. Un peu partout, des hommes prestigieux et courageux se placerent a la tete de leurs peuples pour tenter d'arrSter et d'expulser les envahisseurs etrangers. Aux cris des guerriers Zulu de Chaka, dresses contre le viol de leur patrie au Sud du continent, repondaient a TOuest ceux des soldats d'El Hadj Omar Tall, de Behanzin, de Mamadou Lamine, de Lat-Dior et des intrepides sofas de TAlmamy Samori Toure. A L'lteroi'que resistance des hommes places sous la direction des descendants d'Usman Dan Foojo face aux troupes de TAnglais Frederick Luggard faisait pendant celle de Tarntee de Rabah face aux mercenaires des commandants Fourreau et Lamy. A la determination des Ashanti de sauvegarder Tind^pendance de leur royaume faisait echo la vaillance des forces d'El Mahdi face aux soldats du commandant francais Marchand et a ceux de TAnglais Kichner. A Tarmee de Tempereur Menelik mettant les Italiens en deroute apres la bataille d'Adwa, tepondait le succes des Sofa de TAlmamy Samori Toute sur les forces francaises d'invasion de TOuest africain. Au Niger, egalement, il y eut des tesistants de la premiere heure dont les falsificateurs colonialistes et neocolonialistes pretendent nous faire oublier jusqu'aux noms: tels les guerriers dirig6s par Oumarou Karma pendant la tevolte des populations du fleuve de Sansane Haoussa a Goudel, les vaillants combattants Djerma de Koptitanda, qui vainquirent les troupes du lieutenant Tailleurs; les vaillantes populations de TArewa, dirigees par Saraounia contre les sanguinaires troupes de Voulet et Chanoine; les braves Konnawa resistant contre ces ntemes troupes; ou encore les guerriers d'Amadou du Damagaram face aux envahisseurs francais; enfin

les patriotes des regions nomades, invaincus jusqu'en 1916, sous la conduite de Firoum dans TAzawak et de Kaocene dans T Air. Aux chefs prestigieux de ces heroiques resistants comme a tous ceux qui combattaient avec eux dans les rangs des heros anonymes, nous devons, ainsi que les generations montantes d'Afrique, demeurer eternellement reconnaissants. Leur exemple constitue la meilleure source d'inspiration pour tous ceux qui aspirent a faire retrouver a notre mere Afrique toute sa dignite et a participer effectivement a Tedification de nations africaines dignes de ce nom. Toutes les regions de notre continent et toutes les ethnies ont produit de tels hommes que nous avons le devoir de classer, au-dela des falsifications de venues d'usage courant, dans la «grande lignee des indomptables de notre Afrique». Qu'y a-t-il de plus glorieux pour nous, du Niger, par exemple, que de figurer parmi les dignes continuateurs des grands batisseurs de Tempire Songhai, de Tempire du Kanem-Bornou, des royaumes Haoussa ou, plus pres de nous, d'hommes prestigieux comme Amadou Kourandaba, Oumarou Karma, Firoun des Aoulimidens, Kaocene et bien d'autres? Tous avaient lutte courageusement pour defendre et magnifier le patrimoine tegue par nos ancetres. Sans doute, la lutte etait trop inegale pour avoir quelque chance de succes durable en raison des rapports de force reels de Tepoque dans tous les domaines. En effet, les forces d'invasion pouvaient profiter de toutes les faiblesses inherentes aux grandes saignees infligees a TAfrique par les rafles des negriers, de Tanarchie qui en decoulait dans maintes regions, de la division entretenue par les luttes fratricides et de T6crasante superiorite technique de leurs armes. II etait aise pour les envahisseurs de combattre les Africains d'une region avec des troupes de mercenaires recrutes dans les regions voisines. Grace a cela, ils parvinrent a submerger et a conquerir successivement tous les Etats africains organises a

nialisme europeen, avec son cortege de miseres physiques et morales, d'humiliations et d'oppression sociale, d'exploitation economique, d'obscurantisme et d'alienation, de mortalite infantile enorme, d'assassinats et de genocide. Cependant, durant cette periode, egalement, les peuples africains ne sont pas demeutes dans une attitude de totale resignation, comme Tesperaient leurs bourreaux coloniaux. Apres la resistance heroique des ancetres parmi lesquels nous avons evoque quelques nobles figures, ce fut celle des intellectuels de ltepoque: les lettres traditionalistes, les marabouts, les grands chefs teticheurs, en un mot, les elements les plus 6claires qui, conscients des effets nocifs de la domination etrangere, tenterent de s'y opposer. Les forces d'oppression leur livrerent une guerre sans merci. De grands lettres musulmans, a la fois chefs religieux et temporels, furent brutalement eiimutes par Tassassinat, la prison ou Texil. Ailleurs, le colonialisme frappa durement les teformateurs Chretiens qui tentatent de sauvegarder, a travers TEvangile, la personnalite africaine: Matswa et Kimbangu aux Congo, le Liberien Harris subirent les memes persecutions de la part du pouvoir colonial pour avoir voulu instaurer une Eglise africaine. Apres les religieux, ce fut le tour des intellectuels formes a T ecole occidentale d'entrer dans Tarene pour tenir le flambeau du combat de TAfrique contre ses oppresseurs. John Chilembwe du Nyassaland (Malawi), Maacauley du Nigeria, Africanus Norton de la Sierra Leone, Josie Caseley et le Dr Aggrey de la Gold Coast (actuel Ghana), autant de patriotes qui lutterent, par la plume et le verbe, pour la patrie africaine subjuguee, mais decidee a ne jamais accepter la resignation. Et cela dura jusqu'a la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui coincida avec Tentree en lice de nouvelles forces de contestation.

ltepoque. Ce fut ainsi que la resistance africaine arntee finit par etre totalement ecrasee par des troupes de mercenaires africains encadtes par des officiers europeens. Et la longue nuit coloniale tomba sur le continent avec toute son opacite ecrasante. Elle ne fut traverser que par de rares lueurs sporadiques allumees, de temps en temps, par quelque chef traditionnel, quelque chef religieux, quelque lettre musulman, quelque intellectuel moderne prestigieux ou quelque soulevement de groupes desespetes, sans grande consequence sur ltechiquier du colonialisme triomphant. Pour les peuples d'Afrique, Thorizon semblait bouche definitivement, et cela, dans tous les domaines. Ainsi, la verite historique nous amene a constater qu'a la veille du declenchement de la Premiere Guerre Mondiale TAfrique etait presque totalement occupee par les Etats europeens, a Texception de TEthiopie, qui allait succomber un peu plus tard, a son tour, sous le poids des armees fascistes du sinistre Mussolini, avec la complicite passive d'une Soctete des Nations qui s'est tristement deshonoree a cette occasion. Conformement aux stipulations de la Conference de Berlin, les grandes puissances europeennes se taillerent done chacune un grand morceau du continent africain. Ce fut, pour de longues annees, la domination directe du colo20

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CHAPITRE

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L'AFRIQUE NOIRE ENTRE EN LICE

Dans Timmense empire britannique, il y avait un roi ou une reine et ses sujets. Dans Tancien empire frangais, il y avait tous les citoyens francais et leurs sujets. La seule difference etait que le souverain britannique n'avait, comme aujourd'hui, qu'un pouvoir honorifique sur ses sujets, mais que les citoyens francais exercaient un pouvoir absolu sur les leurs, pratiquement sans limitation ni distinction sous les plis d'un drapeau tricolore qui ptetendait symboliser «liberte, egalite, fratemite» entre les hommes et les peuples. Les citoyens etaient tout naturellement de la race «superieure» des conquerants et venaient de France. Les sujets etaient des «indigenes», c'est-a-dire de la race «inferieure» et natifs des pays conquis par les premiers. Ceux-ci avaient tous les droits et les autres, taillables et corveables a merci, n'avaient aucun droit de quelque nature que ce soit. Mais, comme la doctrine coloniale francaise est basee sur Tassimilation, il arrivait parfois a de tres rares individus de percer, pour «services rendus a la mere patrie» frangaise, jusqu'a atteindre la situation des citoyens de deuxieme zone, c'est-a-dire celle accordee aux natifs des «quatre communes du Senegal»: Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Goree. Au Niger, il n'existait pas une seule famille du genre, mais seulement deux ou trois fils d'anciens militaires — on disait «tirailleurs senegalais» — que le hasard des deplacements de service avait fait naitre dans Tune ou Tautre des communes ptecitees. Pour le reste, on appliquait le tegime de Tindigenat jusqu'a la promulgation de la loi accordant, en 1946, aux ressortissants des colonies francaises une citoyennete de troisieme zone puisque, contrairement aux beneficiaires de la deuxieme zone, ils ntetaient pas inscrits au premier college des eiecteurs, mais demeuraient toujours au second jusqu'a T unification intervenue au milieu de la decennie 1950, et surtout a partir de Tinstauration du suffrage universel dans les territoires d'Outre-Mer en 1956. L'indigenat, ctetait, avec la negation du droit moderne le plus etementaire et la defiguration du droit coutumier pour Tadapter aux desseins et au bon vouloir de Toccupant blanc, la consecration d'un regime judiciaire particuher pour les indigenes des colonies francaises. II permettait a ceux de la race de cet occupant de faire envoyer tout indigene, soit de sa propre autorite, soit en le demandant a ceux qui en avaient le pouvoir, en prison pour quinze jours au maximum, sans motivation bien etablie, sans avoir besoin d'invoquer un temoignage quelconque et sans appel. Durant cette periode, le «deiinquant» etait astreint au travail force comme les autres detenus. II m'est arrive personnellement, a ltepoque ou jtetais a Tecole primaire superieure, de trouver mon pere, age de pres de 22

soixante ans, dans une rue de Niamey, en train de casser des cailloux pour teparer une route avec d'autres attetes a la meme tache. II ne savait meme pas le motif pour lequel on Tavait fait venir du village dont il etait le chef pour Tastreindre a ce travail. On appelait cela les «peines de Tindigenat». Au-dela, il y avait les «tribunaux indigenes», qui connaissaient des delits et crimes commis (ou imagines) par cette categorie de personnes. II m'est arrive a Agadez d'avoir ete charge par les autorites comrtetentes d'assurer la defense d'un nomade, denomnte Sidi Mohamed, devant un de ces tribunaux toujours presides par les commandants de cercle ou leurs adjoints, flanques d'assesseurs africains complaisants choisis generalement parmi les marabouts supposes bien connaitre les us et coutumes des populations locales. Apres plusieurs entretiens avec mon client, accuse de meurtre, que le commandant Chapelle (Agadez etait un cercle militaire) m'avait ptesente comme un dangereux criminel, j'avais acquis la conviction qu'il s'agissait d'une des machinations montees par maints notables fortunes, avec la complicite des pereonnalites detenant une parcelle de pouvoir ou simplement proches de celles qui en detenaient, contre leurs adversaires, concurrents ou ennemis pour des raisons qui n'avaient rien a voir avec les motifs apparents de la detention. II n'y avait ni preuves, ni temoins pour materialiser ou confirmer la culpabilite" de mon client. Mieux encore, il m'avait indique des faits concrets, verifiables, qui prouvaient le contraire et que j'avais soigneusement consignes dans mon memoire de defense. Mais je n'avais aucune experience de ce genre d'affaire et, quand le president du tribunal m'a indique qu'il avait besoin de connaitre mes convictions sur Taffaire avant de fixer la date de Taudience, je n'avais pas Itesite a lui en parler brievement. U avait ete convenu que Taudience aurait lieu dans un mois apres la fin de Tinstruction. Quel ne fut mon etonnement d'etre convoque, deux jours plus tard, par le commandant de cercle et de Tentendre dire qu'il avait avance la date, que le tribunal siegerait dans dix jours, faute de quoi, ce criminel endurci, qui avait pu abuser de la bonne foi d'un homme aussi intelligent que moi, serait purement et simplement acquitte par manque de preuves et de temoins! En effet, ajoutait-il, «Ie decret instaurant les nouveaux tribunaux prevus par les teformes Outre-Mer sur le plan judiciaire avait ete recemment pris et serait applique a partir du ler juillet 1946», soit dans dix jours. Elle eut effectivement heu a la date fixee par le commandant Chapelle. Aprfes lecture de mon memoire de defense, les membres du tribunal se retirerent pour «deiiberer» et revinrent pour annoncer que Sidi Mohamed, qui aurait du Stte condamne a mort, avait vu sa peine fortement teduite «pour tenir compte de la bonne tenue de son defenseur», dont le president fit un veritable eioge, avant d'annoncer que mon client etait condamne a vingt ans de travaux forces. Dire que trois semaines plus tard il aurait eu toutes les chances d'etre relaxe! Cet homme, je Tai revu, douze ans apres, au camp penal d'Agadez, ou j'avais tenu a lui rendre visite lore de mon passage dans la region comme chef du gouvernement semi-autonome du Niger. J'ignore ce qu'il est devenu, bien que j'ai demande aux autorites de revoir son cas pour

une eventuelle liberation. S'il n'en a pas beneficte, il serait sorti de prison seulement en 1966. Mais Tindigenat, ce ntetait pas seulement Taspect judiciaire de cet odieux regime, c'etait aussi, dans tous les domaines, la discrimination raciale. Sur le plan politique, c'etait le double college, qui permettait a une poignee de ressortissants francais et assimites (moins de mille personnes aptes le jumelage Soudan-Niger) dtelire le meme nombre de reptesentants que neuf a dix millions d'Africains... et, encore seulement a partir d'octobre 1946, car auparavant, «Tindig6ne» n'avait aucun droit. Au sein des «conseils prives» qui entouraient gouverneurs et gouverneurs regionaux avant cette date, il n'y avait qu'un «indigene» pour quinze citoyens francais assimites, lesquels ne reptesentaient meme pas 0,5% de la population. Les «indigenes» ntetaient pas reptesentes au sein des chambres, la ou elles existaient, ni dans les entreprises, soctetes et autres groupements 6conomiques ou commerciaux autrement que comme main-d'oeuvre non specialisee. En fait, les populations d'Afrique Noire servaient surtout de reservoirs de travailleurs a bon marclte et de «chair a canon» en cas de guerre pour les pays colonisateurs, de la meme fagon que leurs pays servaient de debouches pour les affaires, commerciales et autres, des ntetropoles qui en ont profite, au cours des ans, pour devenir les puissances economiques et politiques qu'elles sont aujourd'hui. Elles subissaient toutes les formes de discrimination, y compris la discrimination religieuse, qui se traduisait par des restrictions, voire des interdits, dans la pratique de leurs croyances, notamment en ce qui concernait Tislam, car il mtetait arrive, durant toute la premiere periode de la lutte anti-coloniale, de me trouver sur les memes bancs d'accuses que des chefs religieux; meme pour le ravitaillement en vivres de premiere necessite on assistait, surtout sous le tegime du gouvernement de Vichy, a des pratiques effarantes consistant a Driver les populations africaines urbaines des denrees alimentaires produites par leurs freres paysans, auxquels on les arrachait par requisition pour les envoyer en France. D'ailleure, paysans ou citadins, les «indigenes» n'avaient rien qu'ils pouvaient considerer comme leur propre bien, pas meme leur famille, qui pouvait leur etre arrachee pour le service ou le bon plaisir des maitres tout-puissants. Leurs terres arables etaient considerees comme «terrains vacants et sans maitre» dont les colons pouvaient s'approprier. II en etait de meme pour le betail et autres biens, qui pouvaient, a tout moment, etre Tobjet de requisition. Et le peu qui restait risquait, a chaque instant, d'etre vendu pour payer Timpot de capitation, qui etait, avec le travail force, la grande hantise de la majorite — pour ne pas dire de la totalite de la population — car meme les plus demunis devaient s'en acquitter, pour eux et pour les membres de leur famille, en vendant une grande partie de leurs recoltes, dussent-ils mourir d'inanition quelques semaines plus tard. A cela s'ajoutait la fourniture obligatoire de denrees alimentaires et de betail non seulement au maitre blanc, mais egalement aux proches et aux nombreux intermediaires avides... sans parler de la dime (10%), preievee 24

sur les produits agricoles par les chefs hierarchiques et, surtout, des bottes de mil ou de sorgho destinees aux «greniers de reserve» imposes par les autorites administratives et qui n'ont servi qu'a gruger toujours davantage le paysan nigerien... autant que la taxe payee au litre de la «societe de ptevoyance» et qui n'avait servi qu'a alourdir le poids deja insupportable de Timpot de capitation. Au total, il ne restait plus a «Tindigene» des zones rurales que ses yeux pour pleurer. Pour ce qui est du sort des families, je pourrais citer de nombreuses histoires dont j'ai ete temoin; mais je me contenterai dtevoquer un aspect des exploits du «Seigneur Carbochi» cet adjudant-chef corse (dont le veritable nom etait Scarbonchi) qui sevissait dans TAir depuis plus de quinze ans. Chef de la «section montee», c'est-a-dire des gardes nomades nteharistes, dependant du commandant de ce «cercle militaire» qui lui laissait toute latitude dans cette grande etendue semi-desertique, il s'etait metamorphose en un tyranneau du genre dont on parte en evoquant les exactions de certains monarques d'Orient. Entre autres exces, il arrivait que ce sous-officier, qui avait adopte le genre de vie, la tenue vestimentaire, les habitudes et la langue de la region — qu'il parlait aussi bien que les natifs — debarque dans une communaute avec tout le ceremonial reserve aux monarques, le tout rehausse par une suite qui s'ajoutait a ses gardes. Sur son ordre, on rassemblait les plus belles femmes touareg, arabes ou bella, parmi lesquelles il choisissait celles qui devaient, a tour de role, egayer ses nuits orgiaques durant son sejour, sans consideration de ltetat civil des unes ou des autres. Les maris qui n'approuvaient pas ce droit de «cuissage» subissaient une punition corporelle devant leur famille. C'est ce qutetait venu me confier un matin un groupe d'anciens gardes nomades qui, inforntes qu'il y avait en ville un defenseur des talaka (hommes du peuple desherites), stetaient ptesentes a mon domicile, en compagnie d'une de leurs congen5res, ancienne «epouse» d'un des predecesseurs de Scarbonchi qui comprenait un peu le frangais et parlait hawsa. J'ai relate seulement un aspect, car il en a existe bien d'autres dont ont ete victimes les «indigenes» de TAir et auxquels j'ai tente avec mes premiers compagnons de lutte, de mettre fin . Ce fut tout cela qui avait ete a la base des incidents que nous evoquerons dans un instant II me reste a dire quelques mots sur les discriminations au sein de Tarmee coloniale contre ceux qu'on appelait indistinctement des «tirailleurs senegalais», contraints de porter «fterement» un accoutrement comprenant le Chechia rouge et une bande enroulee autour de la taille, tandis que les veritables soldats avaient un uniforme elegant et correct avec un casque ou un calot. Les grades «indigenes» touchaient une solde tres inferieure a celle du simple soldat citoyen, il arrivait mSme a celui-ci de pretendre exiger que les quelques rares «officiers indigenes» lui fassent le salut militaire! Cependant, de tout cela, ce fut sans doute Tassujettissement au travail force qui pesait le plus sur les «indigenes» des colonies de la mouvance 25

frangaise. Dans certaines regions, il fut la cause des milliers de morts par epuisement, sans parler des survivants devenus des handicapes pour le restant de leur vie. C'est notamment la construction du chemin de fer «Congo-Ocean» et d'autres entreprises similaires — toujours de TOcean — a Tinterieur des terres jugees vitales pour les colonisateurs; ou bien la main-d'ceuvre fournie aux colons planteurs de certaines colonies, a partir des conttees de Tinterieur devenues de veritables teservoirs, pour Texploitation des ressources africaines au seul benefice des colonisateurs et de la prosperite economique des ntetropoles, sans aucun profit pour les travailleurs africains, qui ne recevaient d'autres salaires que la prime ou la ration necessaire a leur entretien alimentaire. II y avait egalement Taspect routinier, qui n'etait pas moins penible pour les populations. En effet, tout comme la fourniture obligatoire de denrees, de betail ou meme de poulets, il y avait la main-d'ceuvre prelevee regulierement parmi les indigenes des zones morales et suburbaines. Aucune famille, aucun quartier, aucun village ntetaient a Tabri de cette institution qui fut a la base de trop d'abus pour que nos peuples puissent Toublier de sitot... et d'operations non moins fructueuses pour les auxiliaires de l'administration coloniale, qui n'ttesitaient pas a multiplier par dix le nombre de travailleurs reellement demandes par les autorites afin de monnayer le supplement ou de s'en servir a leur propre profit. Aussi ce ne fut pas un hasard si la premiere cible a laquelle les deputes africains stetaient attaques fut le travail force auquel Tapplication progressive de la «loi Houphouet Boigny» au cours des annees 19461947 mit definitivement fin. Auparavant les collectivites villageoises etaient tenues de fournir chaque mois un contingent de manoeuvres non temuneres aux autorites administratives pour assurer ce qu'on appelait les «travaux d'utilite publique»: construction ou reparation des batiments administratifs, des routes, des chemins de fer, extraction de materiaux dans les carrieres, corvees de diverses natures et de diverses importances, chantiers de difterentes dimensions, champs, jardins potagers, vergers ou plantations pour assurer des vivres frais en toute saison aux agents de service d'origine frangaise, travaux menagers dans les camps militaires ou meme dans les grands camps de detention, forages de puits et antenagements aux bords des cours d'eau ou des mares permanentes pour les cultures industrielles, etc. Ce fut ptecisement pour avoir exige Teradication de toutes ces pratiques en vertu de la nouvelle loi dans les regions serJentaires et la fin des abus les plus nuisibles aux personnes et a Tenvironnement que commettaient dans les zones nomades Tadjudant-chef Scarbonchi et sa «section montee» que notre groupe politique d'Agadez se trouva en conflit avec T Administration locale qui en etait responsable directement ou indirectement. Concretement nous venions d'obtenir que cessent toutes les fournitures obligatoires de main-d'ceuvre par la population des centres s6dentaires, y compris les corvees imposees tour a tour aux femmes des diff6rents quartiers d'Agadez obligees d'aller piler le mil ou le sorgho au camp militaire et au camp penal. Et nous avions entante des demarches 26

pressantes pour mettre fin a toutes les pratiques de punition corporelle, de violation des mceurs et des coutumes et de destruction massive du gibier a ltepoque abondant dans TAir. Visiblement mal a Taise depuis notre seconde demande pourtant parfaitement conforme a la lettre et a Tesprit de la loi, le Chef de Bataillon Chapelle qui commandait le cercle au plan civil et militaire a, peut-etre, pense que la coupe etait pleine. D'autant que nous avions egalement exige qu'a Toccasion du deroulement des ceremonies du 14 juillet 1946, les personnalites africaines prennent place cote a cote avec les Frangais et assimites, dans la tribune couverte, et non plus contraintes de participer a la fete en plein soleil comme ctetait jusque-la la tegle. L'officier superieur frangais n'a ni rejete, ni accepte tout a fait notre exigence puisqu'il fit construire deux tribunes dont Tune nous etait affectee. Commentaire de Thomme de la rue: «I1 y a desormais deux pouvoirs». Ce qui ne pouvait plaire a notre commandant, qui demanda ma mutation a Zinder et, des le lendemain des fetes, me convoqua a son bureau pour me notifier le tetegramme m'affectant aupres du directeur blanc de l'Ecole tegionale de Zinder comme «premier adjoint», histoire de me faire accroire qu'il s'agissait d'un avancement. Dans le meme temps le commandant m'apprenait qu'un camion particulier viendrait me prendre a Taube des le lendemain. D'ailleurs, me rendant directement de son bureau au domicile de «Papa Sidi Ka» qui etait notre commun pere spirituel a Agadez ou il arriva avec le premier contingent frangais dans la ville, celui-ci m'apprit que la rumeur circulant en ville indiquait qu'on allait m'expulser d'Agadez «cette nuit meme». Je compris que pour l'administration locale, me faire partir dans des conditions humiliantes afin de «faire perdre la face» au groupe que je dirigeais, etait sans aucun doute, plus important que la mutation elle-meme. Du coup toute la suite, allait tourner autour de la notion de dignite africaine que Toccupant entendait bafouer sans cesse. Je pris en mon for interieur, la decision de Taffronter sur ce terrain. Je revins done au bureau du commandant pour lui dire que je ne pouvais partir d'Agadez, ni demain matin, ni dans quelques jours mais tout juste a temps pour etre a Zinder avant la fin des vacances scolaires qui venaient tout juste de debuter. Et ce fut ainsi que debuterent les incidents d'Agadez que j'ai relates au debut du recit. Mais ce que je n'avais pas ptevu, ctetait Tampleur qu'allait prendre cette affaire qui decoulait directement de la decision que prirent a Tunanimite moins une seule personne — Tinterprete Mohamed Abdelkrim — tous les fonctionnaires et salaries de Tadministration locale qui envoyerent au gouverneur Toby un tetegramme demandant Tannulation de ma mutation, faute de quoi ils exigeaient leur depart par la meme occasion. II etait signe notamment de Joseph Akouete du BCTR, Issoufou Ghaly (facteur), Toussaint Akanny (meteo), Zanguina Karabinta (enseignant), Barmon Sahara (chauffeur) au nom de toutes les categories de salaries d'Agadez, a Texception des militaires et gardes de cercle qui s'y associaient plus discretement en raison de leur statut. Car, en fait, tous les Africains de la region etaient solidaires avec nous, y compris les deux chefs traditionnels de TAir les plus importants et cela les autorites en 27

etaient parfaitement informees d'autant plus que les gens n'ltesitaient pas a dire ce qu'ils avaient sur le cceur. Meme les citoyens des «quatre communes» du Senegal relativement privitegtes. L'atmosphfere de cordiale fraternite que nous avions teussi a creer les avait d'ailleurs amenes a faire cause commune avec nous a Toccasion des elections d'octobre 1945 et juin 1946 malgte Texistence de deux colleges. Au second college, nous avions vote pour Fily Dabo Sissoko a Tunanimite des suffrages exprintes dans la ville. Mais au premier qui leur etait reserve, avec les Frangais de souche, ce fut en accord avec nous et sur nos conseils que nos freres senegalais voterent pour Maitre Sylvandre, notaire antillais de Bamako qui nous avait ete recommande par le doyen des hommes politiques africains, Lamine Gueye. Ils avaient pour noms Tanor NDiaye, Samy Dieng, Mamadou Diop, Baba Camara, Fall et NDoye dont j'ai oublie le ptenoms, d'autres encore dont j'ai oublie les noms et prenoms mais dont je garderai toujours Timage fraternelle dans le cceur et dans Tesprit. Mais surtout le vieux Sidi Ka qui ntetait plus ni senegalais ni nigerien mais simplement africain parce que notre pere adoptif a tous et nous TappeUons tous Papa comme il se doit. Sidi Ka, fils de Gora Ka et descendant d'Ismael Ka, El Hadji Malick Ka, venu dans ce pays de Saint Louis avec la penetration frangaise et devenu grace a ses qualites d'homme Tun des notables les plus distingues de TAir et du Niger oil il a fait souche plus encore pour y avoir tepandu la semence d'amour et de solidarite entre les hommes, au point d'etre aureole par le titre de pere spirituel de tous ceux de ma generation qui ont eu le bonheur de passer a Agadez que du fait de son fils unique Amar Sidi Ka. Et surtout parce que, comme le vieil homme, natif de Tombouctou, que j'ai eu la chance de rencontrer, en juillet 1966, au pays du Mwalimu Julius Ny6tere, a Dar-El-Salam, il etait le symbole de cette antique Afrique, au cceur eternellement jeune, toujours prete a sacrifier genereusement le meilleur d'elle meme aux causes justes. Aux dernieres salves de la Deuxieme Guerre Mondiale, il etait devenu clair dans la conscience des Africains qu'une fois de plus, Thomme Blanc ne tiendrait pas les promesses, ni de la Charte de TAtlantique, ni des Conferences diverses ulterieurement tenues par les Puissances Alliens qui ptetendaient pourtant lutter pour liberer Thumanite de Toppression et de la misere. Des lors, une partie importante de ltelite africaine commenga a s'identifier avec les aspirations de son peuple pour exiger une amelioration substantiate du sort des peuples colonises. Un peu partout Thomme d'Afrique se dressait contre le retour pur et simple de Tarbitraire qui etait jusque-la la regie du jeu colonial. Les «evolues» africains comprirent de plus en plus que la reconquete de leur dignite d'homme exigeait leur retour, sans ambiguite, vers cette meme masse qu'ils avaient mission d'aider a opprimer et a exploiter en tant qu'auxiliaires du systeme. L'Africain n'acceptait plus de vivre comme par le passe. Le temps etait revolu ou il se laissait enfourcher comme bete de som-

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me ou mener a Tabattoir comme bete a cornes. certes les premieres revendications formulees insistaient davantage sur les droits et libertes jusque-la reserves aux seuls citoyens des puissances coloniales que sur la reconnaissance globale aux peuples africains de leurs droits nationaux. A Paris, les deputes africains, recemment eius en vertu des nouvelles dispositions liberates par lesquelles le gouvernement frangais croyait pouvoir desamorcer la bombe nationahste, teclamaient surtout la suppression de Tindigenat avec toute sa cohorte d'iniquites dont TAfrique avait tant souffert. Suppression du code de Tindigenat qui permettait a n'importe quel Frangais d'infliger ou de faire infliger a n'importe quel Africain des peines d'emprisonnement. Suppression du travail force auquel etaient astreints les Africains sans aucune retribution et sans aucun recours. Suppression des requisitions obligatoires qui mettaient pratiquement tous les biens des Africains, y compris parfois leurs epouses, a la discretion des colonialistes et de leurs agents. Suppression des innombrables discriminations dont les Africains etaient victimes dans les domaines politique, social, judiciaire, professionnel, syndical, scolaire, etc. Telles etaient quelques unes des revendications formutees. Pourtant, d5s 1945 un courant nationaliste plus radical apparaissait. D'abord a travers les revendications essentiellement reformistes se profilaient celles davantage ax&s sur le respect de la dignite des peuples colonises. Ensuite Texigence de la reconnaissance de leurs droits nationaux etait formutee, avec une grande vigueur surtout dans les territoires sous domination britannique. En effet, des octobre 1945, des animateurs prestigieux du Pan-Africanisme tenaient a Manchester (Grande Bretagne) une reunion historique ou etaient convtees toutes les personnalites qui, en Afrique et ailleurs, se preoccupaient du sort de notre malheureux continent et se devouaient a la cause de TAfrique. II y avait a ce conclave, bien sur le pdre du Pan-Africanisme, le Docteur W.E.B. du Bois qui, apres Marcus Garvey, noir antericain comme lui et Willian Sylvester de Trinidad, etait alors, avec Georges Padmore, le principal porte-drapeau du courant panafricaniste. Mais il y avait egalement, a cette rencontre, des intellectuels et politiciens africains dont certains, tels Kwante N'Krumah et Jomo Kenyatta, devaient se reveler, un peu plus tard, comme de grands combattants pour la liberation de TAfrique, avant de devenir des chefs d'Etat prestigieux. Mais ce qui etait sans doute encore plus important, c'est que la conference de Manchester, qui etait la cinquteme en son genre, avait lance aux peuples d'Afrique un appel patltetique ou Ton peut lire: «Le cinquteme Congres panafricain invite les intellectuels et les travailleurs des colonies a prendre conscience de leurs responsabilites; la longue nuit est achevee. En luttant pour les droits syndicaux, le droit de former des cooperatives, la liberte de presse, d'assembiee, de manifestation et de gteve, d'imprimer et de lire la litterature necessaire a Tinstruction des masses, vous utilisez les seuls moyens que vous avez de conquerir et de preserver vos libertes. De nos jours, il n'y a qu'une fagon d'agir efficacement, c'est Torganisation des masses». 29

Comme bien on le pense, un tel appel ne pouvait pas ne pas avoir un grand retentissement dans une Afrique agitee par les sursauts consecutifs a la Deuxieme Guerre Mondiale. Mais le Congres de Manchester est alte plus loin encore en publiant un veritable manifeste comportant les passages suivants: «Nous affirmons le droit de tous les peuples coloniaux de controler leur propre destin. Toutes les colonies doivent etre liberies du controle de Timperialisme Stranger, qu'il soit politique ou economique. Les peuples des colonies doivent avoir le droit dtelire leurs gouvernements sans limitation de la part des puissances etrangeres. Nous disons aux peuples des colonies qu'ils doivent se battre pour ces objectifs par tous les moyens dont ils disposent. Le but des puissances imperialistes est d'exploiter. La reconnaissance du droit des peuples coloniaux de se gouvemer eux-memes fait echec a cet objectif. (...) C'est pourquoi, la lutte des peuples coloniaux et opprimes pour le pouvoir est le premier pas vers Temancipation sociale, economique et politique totale, et sa condition necessaire (...) Les travailleurs coloniaux doivent etre au premier rang de la bataille contre Timperialisme.» Et le manifeste concluait par une affirmation particulterement significative et un mot d'ordre directement tire de Tareenal de la grande lutte dtemancipation qui secoue le monde depuis des decennies: «Aujourd'hui, il n'y a qu'un moyen de mener une action efficace, c'est Torganisation des masses.» Et de pteciser: «Peuples coloniaux et opprimes du monde, unissez-vous!». Tout y est, comme on le voit. Bien au-dela des revendications exigeant la suppression des injustices multiformes subies par les populations africaines, etait ainsi formutee la seule revendication susceptible de sortir notre continent de sa situation de «chasse gardee» seculaire de tous les oppresseurs et exploiteurs, depuis les esclavagistes d'hier jusqu'aux imperialistes d'aujourd'hui: Taccession a Tindependance et a la souverainete. Malgre Tabsence de la plupart des hommes politiques «sujets frangais» a Manchester, le cinquieme Congres panafricain marqua un veritable tournant historique pour notre continent Que les animateurs de cette teunion aient ete plus loin dans leurs exigences que les deputes africains de Paris ou meme les dirigeants locaux des organisations politiques et syndicates de TAfrique sous domination frangaise, il n'y a la rien dtetonnant quand on sait que la politique frangaise d'assimilation, qui venait d'etre reaffirmee par de Gaulle a Brazzaville, avait eu pour tesultat une alienation nationale plus poussee chez les intellectuels et «evolues» d'obedience frangaise. D'ailleure, les faits devaient demontrer bientot Texistence de deux courants au sein du mouvement dtemancipation consecutif a la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le premier 6tait inspire par ceux qui n'allaient pas au-dela de la sa30

tisfaction de revendications garantissant une illusoire egalite de traitement et de conditions d'existence avec les ressortissants du pays colonisateur. Pour ce courant, Tindependance nationale etait une utopie qu'il fallait ecarter definitivement des perspectives africaines. D'aucuns allaient meme tres loin dans cette vote reformiste. Ainsi, ce n'est un secret pour personne qu'a Tinstigation de Felix Houphouet-Boigny le premier congres du Rassemblement Democratique Africain (RDA) avait 6\6 amene a «ecarter pour TAfrique frangaise toute idee d'autonomie politique*. Le second courant posait, des le depart, la revendication essentielle de Tindependance, condition premiere de toute amelioration dans les domaines politique, economique, social et culturel. En Afrique occidentale, on est tente de schematiser ces deux courants en se reterant au fameux pari fait par Felix Houphouet-Boigny, alors partisan achante de Tintegration a tout prix des territoires africains a la France, et au dirigeant ghaneen Kwame NKrumah, partisan de Tindependance nationale a tout prix. Sans doute, Thistoire a donne raison au Dr Kwame Nkrumah puisque tous les Etats d'Afrique occidentale, y compris la Cote d'lvoire «aux fleurs fanees sur le perron de la Communaute franco-africaine», sont devenus formellement independants; mais comme nous le verrons plus loin, les deux courants subsistent toujours, separes par des differences plus subfiles, certes, mais non moins teelles et pleines de consequences pour Tunite d'action des forces politiques du continent. Sur un autre plan, la rencontre de TAfrique noire avec TAfrique blanche du Nord ne pouvait que hater et renforcer la prise de conscience de nos difterents peuples, desormais engages dans Taction concrete pour une mutation politique ineluctable. Partout naissent des organisations politiques. Le debat lui-meme passait progressivement des salles de conferences et des assemblers legislatives ou territoriales a la place publique, ou le peuple avait enfin son mot a dire. En Afrique du Nord, les massacres du Constantinois (1945) n'avaient gufere brise ltelan des Iteroiques militants du Parti Progressiste Algerien (PPA), dont Taction obstinee devait deboucher sur la creation du Front de Liberation Nationale (FLN) aptes s'etre exprimee successivement ou simultanement par les initiatives legates du Mouvement pour le triomphe des libertes democratiques (MTLD) et clandestines de TOrganisation Speciale (OS). Aussi, Tinsurrection du ler novembre 1954 ntetait que Taboutissement ineluctable de Taction du nationalisme algerien, qui triompha en fin de compte du colonialisme frangais malgre les efforts titanesques de plus d'un million de soldats et de mercenaires. De meme, les sanglantes campagnes de pacifications menees au Maroc et en Tunisie n'avaient guere empeclte, un peu plus tot, les peuples de ces deux pays freres de recouvrer leur independance nationale usurrtee par la France coloniale. Du combat courageux du Neo-Destour tunisien a Taction Iteroique des nationalistes marocains de Tlstiqlal et de TArmee de liberation marocaine, ctetait la meme determination africaine pour la reconquete de la dignite et de la souverainete. 31

Pendant ce temps, en Afrique occidentale sous domination frangaise, les rassemblements politiques se multipliaient et, malgre la pusillanimite d'une partie des «eiites», Tentree en scene des masses populaires rendait parfaitement irreversible le courant liberateur qui balayait cette r6gion du continent. De la creation du Bloc Africain, en 1945, a Dakar, a la naissance du RDA, en octobre 1946, a Bamako, en passant par la floraison des groupements politiques territoriaux, ctetait le meme elan vers Tavfenement d'une Afrique nouvelle ou disparaitraient toutes les injustices et tous les maux subis depuis des siecles. Ailleurs, dans les contrees soumises a la domination britannique, le mouvement panafricain debarquait, enfin, en Afrique et impulsait la naissance d'organisations nationalistes, sans doute diverses, mais unies dans une meme volonte de recouvrer Tindependance des nations et des peuples africains. Comme on le voit, TAfrique entrait veritablement en lice en s'attaquant resolument au talon d'Achille de la colonisation et en brisant le carcan d'isolement dans lequel elle avait ete enfermee depuis des dizaines, voire des centaines, d'annees. Un autre probleme, fort heureusement situe sur le plan international de Tapres-guerre, allait ouvrir une breche non moins importante dans les «chasses gardees» du colonialisme. En effet la question des territoires sous tutelle (Cameroun, Togo, Tanganyika, Rwanda-Urundi, etc.), heritee de la Societe des Nations par TONU, ne pouvait qu'aider a briser la conspiration de silence qui, a la faveur d'un accord tacite entre les puissances colonisatrices, avait constiute un veritable rideau de funtee destine a cacher les actes criminels dont TAfrique fut et continuait a etre la grande victime. Comment admettre que le Togo avait droit a quelques egards nationaux ptevus par la Charte de TONU, mais que ni le Dahomey (Benin), ni la Gold Coast (Ghana) ne pouvaient y pretendre? Comment reconnaitre des droits nationaux au Tanganyika, au Rwanda-Urundi et au Cameroun et les refuser, dans le meme temps, a TOuganda, au Nigeria ou au Congo? Ce probteme etait d'autant plus important pour la prise de conscience des Africains que les nationalistes des territoires sous tutelle exigeaient, en meme temps que le droit a Tautodetermination, celui de Tunification des regions arbitrairement partagees entre plusieurs pays colonisateurs. A cela, il convient d'ajouter T apparition sur la scene intemationale d'un puissant camp socialiste, que le rideau de fum6e imperialiste ne parvenait plus a cacher aux peuples opprimes d'Afrique et dont Tinfluence grandissante ne pouvait qu'exercer un effet favorable a lteveil de conscience de tous les opprimes de la terre. Au surplus, un autre fait, consequence heureuse de la victoire sur le nazisme hitterien, allait reveler aux Africains Texistence — au sein meme des puissances coloniales — d'une categorie de Blancs progressistes dont les options politiques et le comportement differaient totalement de ceux des milieux imperialistes et de leurs agents dans les colonies. II serait, bien sur, exagete de pretendre que la contribution de ces progressistes europeens a lteveil des peuples colonis6s etait totalement

desinteressee. En effet, dans bien des cas, ils aspiraient a trouver chez les colonies un appoint pour les luttes que leurs organisations menaient contre les oligarchies et les opulentes bourgeoises de leurs pays respectifs. Cependant, la conjonction de ce courant progressiste, stimute par la victoire sur le fascisme, et des organisations «indigenes» engagees dans Taction contre la domination coloniale ne pouvait avoir qu'un effet salutaire pour le developpement impetueux des mouvements africains de liberation. D'autre part, les echos des dure combats de liberation qui, sous des formes diverses, se deroulaient en Inde, en Indonesie, au MoyenOrient et au Vietnam avaient egalement des repercussions dans le continent africain. Ainsi, tous les courants politiques, philosophiques, religieux ou autres avaient necessairement des points d'impact sur notre continent des qu'ils s'inscrivaient dans la ligne generate de Taspiration des peuples a recouvrer leur liberte et leur personnalite. Du panafricanisme au panarabisme, du panislamisme a la floraison de nouvelles eglises noires chretiennes considerees comme hetetiques par les princes des eglises «blanches», de la doctrine gandhiste de la nonviolence a la lutte arntee, tout contribuait, plus ou moins, a frayer le chemin vers la restauration des droits des peuples opprimes. En tout cas, une chose etait claire, ctetait la commune volonte de faire retrouver a nos peuples cette personnalite et cette dignite dont ils avaient 6x6 prives pendant si longtemps. Au-dela, ctetait la rencontre des deslterites du globe qui se tendaient la main par-dela les milliere de kilometres qui les s6paraient, et malgte les immenses obstacles accumutes depuis des siecles, sur leur chemin, par les puissances exploiteuses. Rencontre tumultueuse, un tantinet desordonnee, certes, mais qui allait hater la prise de conscience des populations colonisees et aiguiser leur irreversible determination de ne plus accepter de vivre comme par le paste. Mais pour porter serieusement atteinte a la toute-puissance du colonialisme mondial, il etait xs.6cessaire de s'organiser. Ainsi divers groupements politiques et syndicaux avaient vu le jour en Afrique occidentale sous domination frangaise des la fin de la Seconde Guerre Mondiale, principalement au cours des derniers mois de Tannee 1945; c'est seulement a cette epoque que les Africains avaient commence a beneficier de droits politiques restreints. De plus, des le mois d'octobre 1945, les colonies frangaises d'Afrique avaient envoye une dizaine de deputes au Parlement frangais. Sans doute, ces eius etaient-ils, avant tout, des personnalites ne disposant pas encore d'une base populaire reellement organisee; mais certains d'entre eux incarnaient suffisamment Taspiration de leurs peuples a la liberte et de meilleures conditions de vie pour s'acheminer spontanement vers la seule voie susceptible d'obtenir pour eux une nette amelioration, a savoir Torganisation des masses. Ainsi naquirent un peu partout des organisations plus ou moins vastes, plus ou moins structurees. Au depart, leurs faiblesses etaient si grandes, leur isolement etait si bien planifte par les agents de la colonisation et les mirages dissolvants de Paris avaient un tel impact sur le comportement des 61us qu'il etait possible aux reptesentants du pays coloni33

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sateur de poursuivre allegrement leurs activites oppressives et de continuer a agir en maitres absolus. Pourtant les Africains cherchaient ftevreusement les voies et moyens qui leur permettraient d'etre plus forts face aux entreprises violentes ou subtiles par lesquelles les puissances coloniales tentaient de perrtetuer Toppression des masses africaines et Texploitation des ressources de nos pays. En effet, les rares concessions que la conjoncture internationale et locale obligeait les puissances occupantes a faire aux autochtones etaient, le plus souvent, videes de leur contenu dans Tapplication sur le terrain. Fort heureusement, la prise de conscience politique des populations d'Afrique noire, leur volonte de s'unir a Tappel des elements les plus eclaites ou les plus courageux de ceux que Ton appelait les «evohtes africains» aiderent puissamment, un peu partout a Teclosion d'organisations politiques et syndicates. Et ce fut ce courant liberateur qui suscita, en octobre 1946, la creation du plus grand mouvement politique que TAfrique Noire ait jamais connu: le Rassemblement Democratique Africain (RDA). Bien que limite aux seules colonies frangaises d'Afrique noire, ce mouvement allait marquer profondement ltevolution de la partie occidentale du continent et, a un moindre degte, celle de sa partie equatoriale et centrale.

C H A P I T R E IV LE MANIFESTE DU

RASSEMBLEMENT

DEMOCRATIQUE

AFRICAIN

On sait dans quel cadre des parlementaires africains stegeant a Paris avaient publie, en octobre 1946, le manifeste qui fut a la base de la creation du Rassemblement Democratique Africain. II etait signe par la presque totalite des eius d'Afrique Noire au Parlement frangais: ce manifeste semblait faire echo a la Conference panafricaine tenue un an plus tot a Manchester (Angleterre). II ntetait sans doute pas question, alors, d'independance nationale, ni meme de «self-government»; mais, a Manchester comme a Bamako, il s'agissait de rassembler les peuples d'Afrique et de les organiser pour faire face a la domination coloniale. Le manifeste du Rassemblement democratique africain posait concretement le probleme de la realisation immediate d'une organisation interterritoriale africaine permanente et structuree, dont il definissait quelques-uns des objectifs a court terme. En voici le texte integral: •KMANIFESTE D U

RASSEMBLEMENT DEMOCRATIQUE AFRICAIN La reaction agite devant Topinion un epouvantail: celui du mouvement des peuples d'Outre-Mer vers la liberte. Au lendemain de la victoire sur le fascisme, a laquelle ces peuples ont paye un lourd tribut, au nom de la liberte des peuples et de ltegalite des races, personne n'osait evidemment leur contester ltegalite des droits. La premiere Assembler constituante, entrain6e par ltelan democratique qui Tanimait, inscrivait done ces droits dans la Constitution et tous les partis prenaient Tengagement solennel de les respecter. Cependant, certains milieux capitalistes de la revue «Marches coloniaux» et du journal «TEpoque» langaient quelques calomnies aussi odieuses que ridicules contre les Africains, dont on louait la veille les vertus heroiques sur les champs de bataille. Au fur et a mesure que le souvenir de la lutte contre le fascisme s'estompait, les veritables sentiments, sous Taiguillon des interets de classe, poussaient d'autres milieux a adopter la meme attitude d'hostilite. Et c'est ainsi que, au lendemain des elections du 2 juin, le MRP prit la tete de la lutte dirigee contre les droits des peuples d'Outre-Mer. II poussait meme son hostilite jusqu'a «demissionner» de la Commission des T.O.M. Douala Manga Bell, le seul repte34

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sentant africain qui figurait dans ses rangs, pour le remplacer par le depute eurorteen du Soudan M. Lattes. Mais, de toutes parts, un soutevement spontane unissait en un front commun tous les peuples, toutes les races, tous les partis politiques, toutes les organisations ouvrieres, tous les mouvements culturels et religieux de TAfrique Noire. C'est grace a cette union de tous les Africains que les partis politiques frangais restes futeles a la parole domtee maintiendront dans la nouvelle Constitution les droits deja reconnus et conquis sur les champs de bataille du monde entier. egalite des droits politiques et sociaux; libertes individuelles et culturelles; assembtees locales democratiques; union hbrement consentie des populations d'Afrique et du peuple de France. C'est en s'appuyant sur cette unanimite des Africains que notre ami Pierre Cot, rapporteur general de la Constitution du 5 mai, defendait recemment encore ces droits devant TAssembtee avec la sympathie et Tamitte reelle qu'il n'a ceste de temoigner aux populations d'Outre-Mer. Le parti MRP a chercrte, cherchera encore a camoufler son attitude derriere certaines theses «federalistes», alors qu'il refuse de reconnaitre les droits les plus etementaires a ces Etats fantomes devant la fermete des eius d'Outre-Mer, il a meme appete a son secours le Parti radical en la personne de M. Herriot Le «tederalisme» du MRP ne peut tromper aujourd'hui aucun Africain. II n'est en effet que le masque d'un regime d'autorite comme Tassimilation, que nous rejetons formellement, n'est qu'une chape de plomb jetee sur Toriginalite africaine. Comme Tassimilation, il n'aboutirait qu'a figer TAfrique dans son etat d'organisation actuel, alors que la vie des peuples, comme celle des hommes, est un mouvement continu. En revanche, nous ne nous laisserons pas davantage tromper par le «sentiment autonomiste» qui se fonde sur une vue utopique des tealites africaines et se manifeste aujourd'hui par Topportunisme d'hommes qui n'ont pas su se defendre contre Tassimilation. Notre adhesion a TUnion frangaise, que nous proclamons solennellement, se justifie par une vue tealiste des probtemes politiques du monde, par une confiance dans le destin de TAfrique et par la certitude que, malgre la reaction, nous obtiendrons les conditions liberates, democratiques et humaines qui permettront le libre developpement des possibilites originates du genie africain. Des dizaines et des dizaines de milliers d'Africain fraternellement unis a des Frangais ayant un veritable ideal democratique se sont ainsi groupes en partis, mouvements ou unions democratiques, progressistes ou populaires, partout, en Cote d'lvoire, au Soudan, en Guutee, au Senegal, au Niger, au Togo, au Dahomey, au Cameroun, au Gabon, au Congo, en Oubangui, et au Tchad. 36

C'est pour completer cette ceuvre que, face a toutes les manoeuvres de la reaction, nous appelons a un grand rassemblement de toutes les organisations dont le developpement rapide est le signe certain qu'elles poursuivent la realisation de la democratic politique et sociale en Afrique Noire, dont nous avons expose les conditions dans le present manifeste. Nous avons decide de convoquer ce rassemblement les 11, 12 et 13 octobre prochain a Bamako, au centre de TAfrique occidentale, dans ce Soudan de la fermete et de Toriginalite africaine et ou convergeront de Guinee, du Cameroun, du Tchad, de TOubangui, du Gabon, du Congo, les hommes porteurs du message d'union et de fideiite des Africains». Ainsi, des sa naissance, en octobre 1946, a Bamako, le RDA stetait fixe pour tache essentielle de rassembler toutes les forces politiques des colonies frangaises d'Afrique Noire et d'agir pour obtenir du pouvoir colonial des reformes liberates en faveur des populations autochtones. Ces reformes etaient d'ailleurs rendues ineiuctables depuis Tecrasement des armees fascistes et nazies par les forces democratiques coalisees qui venaient de remporter une victoire eclatante a laquelle les peuples d'Afrique avaient contribue. L'action du Rassemblement democratique africain se situait sur le double plan parlementaire et populaire. D'une part, elle visait a obtenir des autorites coloniales, par le canal du Parlement frangais, la promulgation des textes favorables aux populations africaines. D'autre part, elle se proposait d'organiser celles-ci afin qu'elles pesent de tout leur poids dans la balance politique pour imposer Tapplication des reformes intervenues aux proconsuls coloniaux. L'action parlementaire contribua largement a hater Tinstauration en Afrique noire sous domination frangaise des reformes dont Tapplication loyale ne pouvait manquer d'apporter, aux populations opprimees, de reelles ameliorations et leur ouvrir la voie vers la conquete de leurs droits nationaux. Octroi d'un droit electoral limite a des categories de plus en plus larges d'Africains, accession theorique a une citoyennete de seconde zone, libertes syndicates, de reunion et d" association, tout cela apparaissait a ltepoque comme des conquetes capitales dont nos populations attendaient Tapplication avec espoir. Suppression des peines de Tindigenat, des tribunaux indigenes, du travail force, des requisitions et corvees obligatoires, autant de mesures attendues avec impatience par les peuples opprimes d'Afrique noire. Mais les populations concentees se rendirent rapidement compte que Tomnipotence des gouverneurs et des administrateurs n'aurait ete en rien entamee s'il n'existait pas des organisations populaires locales capables d'exiger Tapplication des reformes contenues dans les textes promulgues. Aussi, Tessentiel de Taction du RDA se situait surtout au niveau des sections territoriales, engagees dans Taction quotidienne pour transformer tout cela en realite concrete. Du reste, Tactivite des parlementaires troublait bien peu la sereine tranquillite des administrateurs fran37

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gais, qui pouvaient dans bien des cas, obtenir de leur «ami M. le depute» la promesse de freiner le zeie de tel responsable local qui «veut alter un peu trop vite» en exigeant Tapplication «hative» de tel texte tegislatif, ou la reparation de telle injustice pas trop criarde. Toujours est-il que, grace a son organisation interterritoriale et au dynamisme de ses sections, le Rassemblement democratique africain domina la scene politique ouest-africaine pendant toute la peiiode de l'administration coloniale directe. II serait, bien sur, faux et injuste de pretendre qu'il a effectivement atteint tous les objectifs qu'il stetait initialement fixes et rempli toutes les taches qu'il aurait pu accomplir; mais, tel qu'il etait, avec ses faiblesses et ses insuffisances, le Rassemblement democratique africain joua, cependant, un role revolutionnaire capital, particulierement dans les annees 1946-1951 et, grace a sa section guineenne, sous le tegime de la loi-cadre Defferre. C'est pour cela que Ton ne saurait evoquer ltevolution poUtique africaine de la decennie 1950 sans donner la premiere place au Rassemblement democratique africain. Nous Tavons dit et tertete, bien plus que dans son groupe parlementaire tesidant a Paris, c'est dans le dynamisme, Torganisation et la combativite de ses organismes a tous les echelons qu'il faut chercher les raisons qui ont fait du Rassemblement democratique africain de loin le plus important de la periode coloniale frangaise qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale.

CHAPITRE LES AUTRES PARTIS EN AFRIQUE

V POLITIQUES

«FRANCAISE»

Face aux sections du RDA, il existait dans chaque territoire un ou plusieurs partis politiques, d'importance plus ou moins notable. Beaucoup d'entre eux avaient ete plus ou moins suscites ou encourages par T Administration coloniale au detriment du RDA considete jusqu'en 1951 comme «le parti de la subversion*. Beaucoup plus tard, loreque certaines sections RDA furent devenues, a la faveur de la «nouvelle orientation*, encore plus «sages» qu'eux, plusieurs de ces partis s'unirent progressivement aux sections dissidentes du Rassemblement democratique africain pour constituer en juillet 1958 un second mouvement politique interterritorial d'importance sensiblement egale a celle du RDA: le parti du groupement africain (PRA) avec le meme nombre de sections territoriales que son homologue, a Texception du Tchad. Mais revenons aux annees 1945-1950 au cours desquelles furent cretees en Afrique sous domination frangaise une multitude de formations politiques dans les divers territoires. On se rappelle que les dirigeants politiques senegalais de Tepoque avaient refuse in-extremis de participer au congres constitutif du RDA dont ils etaient pourtant signataires du Manifeste, apparemment sous la pression du partit socialiste SFIO dont il etaient membres. Dans les autres territoires, egalement, des partis politiques non-RDA existerent des cette epoque avec des fortunes d'importance inegale. En nous excusant d'avance des lacunes et des inexactitudes dues a une insuffisance de documentation, nous allons dire quelques mots sur les diverses formations.

i 1. L E CAS DU SENEGAL Au cours des annees 1945-1950, le Senegal donna Timpression d'etre en marge des evenements politiques significatifs qui secouaient TAfrique «Frangaise» et Madagascar. Pourtant, au lendemain de la liberation de la France occupee, a la veille de Toctroi des droits politiques aux populations africaines, il etait normal que celles-ci tournent leur regard vers le «grand frere Senegalais* qui savait «ce que faire la politique voulait dire*.

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De fait, le premier mouvement populaire surgi de Tenthousiasme des foules africaines aviv6 par le souffle liberateur de TAptes-Guerre naquit au Senegal sous Tappellation significative de «Bloc Africain* avec Maitre Lamine Gueye, avocat de grande renomntee. D'aucuns pretendaient a ltepoque que sous le manteau de ce mouvement apparemment spontane qui enflamma tant de coeurs africains, couvaient des desseins bien moins desinteresses de certaines formations politiques extra-africaines qui esrteraient canaliser notre enthousiasme pour des fins qui avaient peu de choses a voir avec nos preoccupations. En ces temps-la, en effet, les composantes de la coalition tripartite qui gouvernait la France se livraient une sourde guerre pour rallier a leurs groupes respectifs les quelques deputes africains stegeant au Palais-Bourbon, dans Tespoir de se servir des organisations qui les soutenaient comme des prolongements Outre-Mer de leurs partis. Au Senegal precisement, le parti preponderant qui apparut sur la scene apres Tepltemere euphorie cteee par le Bloc Africain, ntetait en realite, qu'une succursale de la section frangaise de Tinternationale ouvriere (SFIO) autrement dit le parti socialiste de ltepoque dont M. Lamine Gueye etait membre du comite directeur. Voila qui semble mieux expliquer la defection des dirigeants senegalais aux assises du congres de Bamako. Pourtant les populations que representaient avec competence Lamine Gueye et Leopold Sedar Senghor ne difteraient en rien de celles des autres colonies, meme si ceux qu'on appelait les citoyens des quatre communes se ptevalaient d'une citoyennete de seconde zone mieux lotie que le sort des sujets frangais. D'ailleurs, des la seconde legislature de le PVe Republique Frangaise, la section SFIO du Senegal edata en faveur d'une nouvelle formation, le Bloc Democratique Senegalais (BDS) dirige par Senghor et Dia Mamadou. Demeure fidele a la SFIO dont il continuait a diriger la section locale, Maitre Lamine Gueye fut definitivement ecarte du Palais Bourbon au profit, d'abord du dirigeant syndicaliste Gueye Abasse, colistier de Senghor, ensuite de Dia Mamadou, secretaire general du BDS. Aussi la politique senegalaise allait durant de longues annees, etre domin6e par Tantagonisme entre le BDS et la section senegalaise de la SFIO. Des le depart, Tequipe du BDS etait partie gagnante en enlevant les deux sieges du Senegal au Palais Bourbon. Plus populaire et plus «Africain» le Bloc Democratique Senegalais ne tarda pas a eiiminer la SFIO dans la majorite des centres urbains et dans la presque totalite des campagnes senegalaises. Seuls le Cap-Vert (Dakar, Rufisque) et SaintLouis demeurerent des fiefs laministes, au moins jusqu'a Tavenement de la Loi-Cadre. Laissons la section SFIO du Senegal a son fatal isolement jusqu'a la naissance, fin 1956, du mouvement socialiste africain (MSA) et voyons quelle fut ltevolution du nouveau parti preponderant senegalais dirige par Iteopold Sedar Senghor et Dia Mamadou. Comme on pouvait s'y attendee, le BDS ne se resigna pas a son isolement initial par rapport au reste de TAfrique. Bien vite ses eius parlementaires parvinrent a consumer, avec la plupart des parlementaires africains non-RDA un groupe des 40

«Independants d'Outre-Mer» (IOM) comprenant notamment des reptesentants du Cameroun, du Togo, du Dahomey (Benin), de Haute-Volta (Burkina Faso), du Gabon, du Niger et bien sur du Senegal. Nunteriquement ce groupe fut pendant longtemps le plus nombreux des groupes africains au Parlement Frangais et sa representative titeorique etait apparemment egale a celle des eius du RDA. A partir de 1951, la conscience de leur importance croissante, due en partie aux «coupes sombres* opetees contre la representation RDA incita les promoteurs des IOM a tenter la transposition de leur tendance du statut parlementaire sur le terrain africain, en cteant un parti federal ou plutot inter-federal. Ainsi, fut ctee a Bobo-Dioulasso (Haute-Volta) un nouveau mouvement qui prit le nom de «Convention Africaine* et dont le BDS du Senegal etait, sans conteste, le principal animateur et Senghor le grand ideologue. Bien entendu, cette nouvelle formation politique n'avait pas la meme influence, ni surtout la meme consistance dans les autres territoires qu'au Senegal. De plus, dans la plupart des cas, ces sections territoriales etaient suspectees de n'etre que des officines de TAdministration coloniale et, par consequent, peu susceptibles de capter la confiance des populations et des elites veritablement engagees du pays. Reconnaissons, cependant, que la convention africaine joua parfois un role utile pour TAfrique noire et que certains de ses dirigeants jouissaient d'un reel prestige dans les limites de leur pays et meme au dela. Ctetait notamment le cas de TAbbe Bartltetemy Boganda et Leopold Sedar Senghor. D'ailleurs, lorsque dans la deuxieme moitte des annees 50, la «nouvelle orientation* du RDA eut atteint «sa vitesse de croistere*, il etait devenu pratiquement impossible de savoir qui, des eius IOM (Independents d'Outre-Mer) de la convention et de ceux du «RDA nouvelle mantere*, jouissaient le plus des faveure de T Administration coloniale frangaise. Pour les veritables nationalistes africains, Toption pour Tun ou Tautre mouvement allait perdre toute signification au plan de Tengagement politique et patriotique. Mais revenons au Senegal pour constater que Tantagonisme BDSSFIO n'avait pas empeclte ce territoire de jouer souvent un role positif sur la scene politique africaine, notamment grace a la contribution de qualite de ses eius dans ltelaboration et la promulgation de textes tegislatifs favorables aux Africains. Telle, par exemple, la Loi Lamine Gueye qui accorda a certaines hautes categories de Fonctionnaires africains d'important avantages. «Bon enfant et sage* dans T appreciation de certains milieux coloniaux, le Senegal ne manquait pourtant pas d'intellectuels tres valables et de syndicalistes devoues qui ruaient de temps en temps dans les brancards d'une politique «tranquille» qui semblait faire du compromis avec le colonisateur sa base d'action. Et ce fut ce courant qui apporta dans les annees 56-58 un souffle vivifiant aux activites politiques senegalaises qui conduira, d'une part a Tunification des deux principales forces modetees du pays regroupees des 1956 en deux partis (le BDS et le MSA) qui fusionnerent pour constituer TUnion Progressiste Senegalaise (UPS) qui se baptisa plus tard sim41

plement: Parti Socialiste, et, d'autre part a donner naissance a un parti politique d'extreme gauche de type marxiste: le parti africain de Tindependance (PAI) anime principalement par la Federation des Etudiants d'Afrique Noire en France (FEANF) et dirige par Majhemout Diop. Concernant les fusions ou unifications intervenues au Senegal et dont nous avons personnellement eu Toccasion de souligner la necessite aupres des dirigeants concentes, notamment Lamine Gueye et Senghor auquel nous avions adresse une lettre ouverte conjointement avec Houphouet, et aupres de nos camarades de TUDS, elles, stetaient passees comme suit: Avant les eclteances des elections municipales de novembre 1956 et surtout celles, territoriales, de mars 1957, il y eut d'abord une premiere fusion entre le Bloc Democratique Senegalais (BDS), TUnion Democratique Senegalaise (UDS-RDA et les Socialistes Unitaires d'Abdoulaye Fofana pour constituer le Bloc Populaire Senegalais (BPS). Puis ce fut Tunification du BPS et de la Section Senegalaise du Mouvement Socialiste Africain (MSA) dont le congres constitutif avait ete tenu en Janvier 1957 a Conakry, sous la ptesidence du doyen des hommes politiques africains, Lamine Gueye. Au cours d'une premiere rencontre generate a Paris le representant du PAI avait cree un incident, notamment avec Sekou Toure, que Ton ne pouvait que deplorer, sachant que ce parti d'avant garde comprenait des hommes de grande valeur avec lesquels il fallait s'entendre pour alter vers la plus large unification possible. Mais nous etions surtout partisan d'aider a la realisation du possible et dans ce sens, unir ceux qui avaient convoque le congres federal de Cotonou, qui devait etre precede par le regroupement des formations dans chaque territoire, avant la rencontre generate. Ce fut done essentiellement la SFIO senegalaise, devenue, depuis le congtes de Conakry une section senegalaise du MSA et le BPS ne de la fusion BDS, UDS-RDA et S.U., qui allaient constituer bientot TUPS qui devint pratiquement le Parti de tous les Senegalais avant le congres du PRA convoque a Cotonou (Dahomey -Benin). A Texclusion des membres du PAI qui eut un accrochage avec Sekou Toure, porte-parole de la tendance houphouetiste du RDA a Toccasion de la premiere reunion de toutes les formations politiques africaines en tevrier 1958 a Paris. Mais a Dakar ctetait Tirresistible marche vers Tunification des Partis politiques senegalais a Tissue de laquelle il y eut un grand meeting le 27 juin 1957 au cours duquel prirent la parole Lamine Gueye, Senghor, Dia et Djibo Bakary, leur hote nigerien.

2. EN C O T E D ' l V O I R E Les annees 45-50 au cours desquelles s'implanta le RDA en Cote d'lvoire furent egalement celles ou l'administration coloniale, exploitant les tendances particularistes et tribales, usant de son pouvoir d'intimida42

tion et des immenses moyens de corruption, suscita et favorisa la creation de divers groupuscules destines a faire barrage au Rassemblement. II y avait deja les socialistes de Maitre Diop, greffier de son etat et senegalais d'origine. Son parti ne groupait, en tealite, qu'une infime minorite de privitegtes africains de la colonisation auxquels s'ajoutaient quelques socialistes d'origine ntetropolitaine. N'empeche, cependant, que par la grace du jeu alternativement brutal et subtil de Toccupant frangais qui tronait, Maitre Diop et ses amis accederent tres souvent a des fonctions pohtiques parfaitement hors de proportion avec leur veritable influence au sein de la population. Plus tard, i la faveur de la «Nouvelle Orientation*, cet ennemi acharne du RDA devint, au moins apparemment, un des amis du President du Rassemblement democratique africain qui lui fit occuper des postes plus importants. II y eut aussi divers groupes Agni (groupe Akan), anintes par les Kouakou Aoulou et autres Maitres Benzene et Yapobi qui se prevalaient d'une ptetendue superiorite raciale de leur propre ethnie pour contester a ce «Vulgaire Baoute* (Houphouet du groupe Akan egalement!), comme ils disaient, tout droit de direction en Cote d'lvoire. Tous ces gens etaient maniputes par le Gouverneur Pechoux, principal acteur de la repression contre le RDA. Apres des fortunes diverses et des ralliements achetes, les irreductibles de cette tendance allaient deboucher dans Taffaire du «Royaume Sanwi* qui defraya la chronique ivoirienne a Theure des independances en chaine. Cette douloureuse aventure met en plein jour le cynisme et la perfidie du tegime colonial qui, apres avoir incite ces hommes a combattre Houphouet avec un rare acharnement, allait les livrer poings et pieds lies, en violation des accords qui avaient ete signes avec eux. II y eut enfin la tendance de Bailly, Tirreductible adversaire du RDA qui pretendait soustraire les Bete de TOuest (peuple anarchiste que la France aura du mal a coloniser) a la suptematie des Baoute. De meme que celle precedemment citee, cette tendance devait persister jusqu'au seuil de Tindependance en depit de tous les efforts de persuasion et d'intimidation que pouvait desormais exercer le RDA devenu suffisamment ami du pouvoir administratif qui Taida naturellement a eiiminer de la scene politique, de gte ou de force, tous ses concurrents et opposants. Le tegionalisme devait d'ailleurs se prolonger au dela de Tindependance avec Maitre Camille Adam qui fit beaucoup parler de lui avant de monnayer, dit-on, son ralliement au moment precis ou la vieille garde RDA etait accusee de tentative d'assassinat contre la personne du President du PDCI-RDA. Bien avant cela, l'administration avait suscite en 1951 Texperience Sekou Sanago pour opposer les populations islamisees du Nord a celles du Sud de religion animiste ou chtetienne. Impose comme second depute de la Cote d'lvoire a la place du populaire Ouezzin Coulibaly, auquel on ne pardonnait pas son activite militante debordante, Sekou Sanago n'a jamais pu beneficier d'une assise politique serieuse, et finit lamentablement sa cantere politique dans un total oubli. 43

En fait, le RDA n'a jamais cesse d'etre preponderant en Cote d'lvoire, meme aux heures de la grande repression qui provoqua pourtant un grand desarroi chez Houphouet Boigny accuse a cette epoque d'etre Tinstrument du communisme international.

3. AU DAHOMEY (BENIN) En octobre 1946, au congres de Bamako, le leader du Dahomey de ltepoque, Sourou Migan-Apithy et son compatriote Emile Derlin Zinsou se distinguerent pour avoir ete les seuls a soulever le probleme de T autonomic politique des colonies frangaises. Ce fut un tolie general des autres signataires du Manifeste contre cette opinion qui devait etre stigmatisee par cette formule lapidaire contenue dans la declaration de Bamako. «Nous ne nous laisserons pas davantage tromper par le sentiment autonomiste qui se fonde sur une vue utopique des realites africaines*. Pourtant, le depute du Dahomey demeura membre du groupe parlementaire RDA jusqu'a fin 1948, date de son exclusion pour non-conformisme, disent les uns, de sa demission a la suite d'un desaccord, pretendent les autres. En realite, il ne devait exister au Dahomey une veritable section du RDA que bien plus tard quand vint Theure de la «Nouvelle Orientation* suffisamment agreable a Toccupant colonial pour que sa creation dans ce territoire repute turbulent ne souteve aucune difficulte. Mais en cette fin des annees 40, le Dahomey semblait se complaire dans ce particularisme bien connu dont il a, encore aujourd'hui, bien du mal a se defaire. De toute maniere le parti tepublicain du Dahomey (PRD) dirige par Apithy, n'ayant jamais adhere serieusement au RDA, on remarqua a peine le depart de son leader fin 1948. Cela ne veut pas dire, d'ailleurs, que le depute du Dahomey avait Texclusivite de la chose politique dahonteenne. II y avait naturellement d'autres personnalites dont certaines devaient se reveler de rudes adversaires pour Apithy. Ce fut le cas de Hubert Maga, Justin Amomadegbe, Emile Zinsou, etc. pour ne titer que les opposants ou les concurrents les plus notoires. Mais il y avait surtout le fait que sous le particularisme dahonteen, couvaient d'autres particularismes, ceux-la regionalistes, pour ne pas dire tribaux. Dans le Nord du pays considete comme «retardataire», les hommes de la savane supportaient de moins en moins la suptematie du Sud = S **r2.D= - 31 ~. S J Q, •& ?5ff™ 2-S 8 o •8 s i 1to c a. S ° ".§ 3

Interview realisee par IBRICHECK et M. KAKA * Celebre sans etre connu par une bonne partie des Nigeriens — notamment la jeune generation — Djibo Bakary, V autre «enfant terrible» des annees de V independance, V infatigable politicien qui a passe pres dun quart de siecle de sa vie eloigne de Vamour des siens, n'a rien perdu de sa verve, ni de ses convictions. Le leader du «Sawaba», qui a tente a plusieurs reprises de renverser par la force le regime Diori, ne se considere aujourd hui que comme un simple observateur de la scene politique. Mais un observateur vigilant. La democratic, le pouvoir militaire, le MNSD, la situation scolaire, la crise economique, les relations NordSud..., ici Djibo Bakary, a son habitude, dit sans embages, ce qu'il pense des defis d' aujourd' hui et de demain. (pp. 8,9,10)

HASKE: Monsies Djibo Bakary vous etes Tun des premiers pokticiens de notre pays, un rteros de Tindependance. Mais beaucoup de lecterns de «Haske» ne vous connaissent pas p o s la simple raison que la majorite est nee apres les annees 50. Voulez-vous preciser p o s eux votre itinerake politique? M. Djibo Bakary: Mon itkterake politique a debute en 1945, tres exactement en Octobre 1945. C'est a cette date que les Africains d'Afrique Noke ont pu, p o s la premiere fois, voter p o s eike des deputes a TAssemblee Nationale Frangaise, au Palais-Bosbon. A ltepoque, jtetais enseignant a Agadez el j'ai eu Toccasion de participer a ces consultations en qualite de mandatake d'un des candidats, M. Fili Dabo Cissoko. Je dois preciser que tout ceci se passait dans le cadre du jumelage Soudan-Niger; (le Soudan, c'est le Mali actuel). Dans le temps on regroupait deux colonies p o s ekre un depute: c'est ainsi que le Dahomey (Benin actuel) etait jumete avec le Togo, le Senegal avec la Mauritanie etc. M. Cissoko etait done le candidat du Soudan-Niger. En le representant au Niger, j'ai pu ainsi participer a des activites politiques. Notre candidat a ete eiu. Personnellement, je Tai choisi p s c e que ctetait la seule personnalite politique africaine de ltepoque qui avait un certain charisme. II etait connu dans tout le Soudan avec la reputation d'etre un p s africain qui affichait volontiers son africanite. II y avait d'autres candidats dont feu Diori Hamas — qui ntetait pas tres bien connu —, des Esopeens, notamment un colonel en retraite, M. Mschamp. A Agadez ou j'ai fait * Entrevue parue dans Haske, Bimensuel nigerien d'Information et de Reflexion, n°2, 15 juillet 1990. 289

campagne, Fki Dabo Cissoko avait fait le plein des voix, la quasi-totalite du 2e College. Tout de suite aptes, j'ai cr6T des groupes d'action au niveau d'Agadez. Nous n'avions pas les memes moyens de communication et de relation. Nous n'avions pas egalement la possibUite de nous rencontrer. Chacun etait un peu isote dans son coin. Le 2e groupe de deputes partis aptes juin 1946, a obtenu quelques reformes utiles. Notamment la suppression du tegime de Tindigenat qui astreignait les africains a toutes les corvees tout en laissant la possibUite a tout Blanc d'envoyer n'importe quel negre en prison p o s une ds6T de 15 j o s s sans jugement et sans avok a rendre compte a personnel Avec la suppression de Tindigenat on a egalement mis fin aux travaux forces. C'est ainsi que le nom du president Ivokien M. Felix Houphouet Boigny a ete assocte a la loi contra ces travaux forces p s c e que c'est lui qui a ptesente la proposition qui supprimak ces travaux. De mon cote, j'ai demande Tapplication de ces reformes aux indigenes d'Agadez et du Niger en general. Apres quelques accrochages avec Tadministration coloniale, je fus mute a Zinder ou j'ai encore creT une section. Lorsque Fik Dabo Cissoko aida les nigeriens a former un parti politique, on jugea utile de me ramener a Niamey p o s m'occuper de Torganisation du parti: le PPN (Parti Progressiste Nigerien). Jtetais alors le Secretake General de ce parti qui deviendra plus t s d , le 19 septembre 1947, la section nigerienne du RDA. En ce temps-la, il y avait deja la Samariya (Sadagari en Djerma) bien que certains veulent fake crake aux gens que ce sont eux qui ont CT66 la Samariya. C'est ainsi qu'en 1948, les Sskin Samari de la region de Niamey et moi-meme, fumes traduits en justice. On nous accusait de fake des souscriptions en faves d'un journal Senegalais: «Le ReveU de Daks*. A partir de ce j o s , k n'y eut pas d'audience ou je ne comparus comme accuse: tantot sous Tinstigation du chef de canton, tantot sous celle de Tadministration. Tout cela mschait relativement bien jusqu'au j o s ou Houphouet Boigny detida de changer d'orientation au RDA. n y eut la grande repression contre le RDA dans les anneTs 49-50. Houphouet lui-meme, malgte son immunite pslementake, fut Tobjet d'un mandat d'arret! C'est aujosd'hui qu'on fait de la politique impunement et les gens croient que fake la politique c'est chercher une place de depute ou de ministre. A notre epoque, vous risquiez la prison a tout moment! Si vous aviez une place dans Tadministration, vous risquiez de la perdre, ou si vous aviez des affakes qui mschaient on vous les bloquait L'administration coloniale avait tous les moyens de se le permettrc En 1951 apres avok rompu mes relations avec tous ceux qui avaient la faveur de Tadministration notamment le tandem Diori-Boubou, nous avons creT TUnion Democratique Nigerienne, TUDN, communement appetee le Sawaba. Mon parti etait sstout soutenu p s des elements des villes, de la paysannerie et des jeunes. De nouveUes elections e s e n t lieu en 1956. Diori etait candidat avec comme adjoint Hsou Kouka. De mon cote j'avais comme adjoint Mamani Abdoulaye. II y avait d'autres candidats dont Issoufou Seydou Djermakoye et Zodi. L'administration avait 290

alors fausse les elections en faisant non seulement pression s s les populations p o s qu'elles votes p o s son protege, mais aussi traque les tesultats. Tous les tesultats du pays etaient en faves de mon psti TUDN, c s on affichait les chiffres au f s et a messe que les tesultats parvenaient a Tadministration centrale. Et un beau matin a 10 hemes, le gouvemes Ramadier fit suspendre Taffichage puisque son protege Diori semblait perdre; Niamey mtetait favorable. Dans la meme nuit, les tesultats fsent falsktes. Toutes les voix qui mtetaient favorables fsent transferees s s le compte de Diori, mais tout le monde fut infornte de la supercherie. Aux elections generates p o s eike les membres de TAssembieT qui devaient constituer le premier gouvemement autochtone, la egalement, j'ai ete eiu chef de gouvemement au titre de mon parti. Et avec quelques camsades j'ai cree le Mouvement Socialiste Africain. En juklet 1958, j'ai participe a la conference inter-africaine de Cotonou. Tous ceux qui ntetaient pas du RDA se sont reunis en un grand rassemblement le Parti du Regroupement Africain (le PRA). Je fus eiu a la tete de ce parti dans toute I'A.O.F. Voila p o s ce qui est de Taspect politique; mais je dois dke que c'est a cette epoque egalement que de Gaulle est revenu au pouvoir, et a preconise la Communaute franco-africaine. Avec son referendum, U a voulu la balkanisation contre laquelle nous avons lutte. D6ja a Cotonou, nous nous sommes prononces p o s Toctroi de Tindependance aux territokes frangais d'Afrique. Balkanises ou pas, nous voulions notre independance tout en acceptant la confederation avec la France. II y a done eu le Referendum. Au sein du RDA se trouvait un «enfant terrible* — comme on le designait a ltepoque — en la personne de Sekou Tose. Ainsi done, Tenfant terrible du RDA et celui du PRA (moi-meme), nous nous sommes rencontres; de sscroit nous etions tous les deux syndicakstes et avons ensemble ainsi dit non! au General. Ma situation etait plus precake que celle de Sekou T o s e c s ce demier etait sur de gagner. J'asais egalement gagne si on m'avait laisse face aux Africains comme moi. Mais comme Tadministration coloniale s'en est metee, je n'ai pu tenk... HASKE: A une certaine epoque, il etait admis que la lutte armeT pouvait etre un moyen p o s conquerir le pouvok. Pensez-vous toujoss que le Coup d'Etat puisse etre un moyen d'instaser la democratic? D. B.: Un coup d'Etat ne peut pas instaser une democratic dans un pays. Si les coups d'Etat ont eu lieu, c'est un peu la faute des chefs d'Etat qui nous dirigeaient p s c e qu'ils ont tekement commis d'exactions qu'ils sont devenus impopulaires. Qu'ils soient civils ou militakes, aujosd'hui encore, la plupart des chefs d'Etat commettent la meme e n e s . Lorsque ce sont les civils qui commettent des exactions ils donnent Toccasion aux militakes de s'empser du pouvoir. Ce qui est psadoxal, c'est que ce sont ces memes miktakes qui servaient des presidents qui brimaient l e s s populations qui prennent le pouvok. Les mkitakes qui le comprennent se sont dit: «posquoi le fake p o s Tautre et non pas p o s nbus-memes?» Une fois au pouvoir, ils font des discoss p o s promettre monts et mer291

r veilles au peuple. Et aptes un ou deux ans d'ltesitation, ils font pire que les civils. On ne peut pas penser a la democratic quand on fait un coup d'Etat. Qu'on dise que notre democratic est participative, qu'elle est jeune ou vieille, on peut le croire. Mais moi, je ne le crois pas. La democratic, il n'y en a qu'une seule. Celle qui consiste notamment a tenk compte de la penseT de tous les citoyens libres de s'exprimer et de choisk le parti qu'ils veulent ou la sensibilite qu'ils veulent sans Tintervention du pouvoir. Ce qui ne m'a pas empeche p s exemple, en rentrant au pays apres mon exil de tenter de rencontrer feu Kountclte p o s vok si on pouvait faire quelque chose. II avait promis de me rencontrer mais heias. Pourtant un peu moins d'un an aptes mon r e t o s au bercail, il a envoye sa gendsmerie, la nuit, me prendre p o s m'emprisonner a N'Guigmi pendant plus de neuf ans, sans explications. II savait tres bien que je ne faisais rien puisque ma maison etait surveilleT nuit et j o s . HASKE: Avec ce vent de democratic qui souffle a travers le monde notamment dans les pays de TEst, beaucoup de pokticiens qui se disent avertis pensent que TAfrique n'est pas mike p o s la democratic Et cela en raison des disparites ethniques, de ltetat general de lteconomie... On a meme coutume de dke «qu'un ventre vide n'a pas besoin de democratic*. Partagez-vous cette assertion? D. B.: J'ai entendu un klustre membra du Conseil Surteries d'Orientation Nationale (CSON) dire que p o s eux «les droits de THomme, c'est tout simplement donner a manger aux gens, l e s mettre quelque chose dans le ventre*. Et ce monsies voudrait se presenter comme un element indispensable au pays. Je dkais qu'il a raison c s sa penseT a lui n'est autre que: «U faut tout ananger p o s avoir la place qu'il faut et apres on fera ce que Ton voudra*. D'abord quand est-ce qu'il croit que nous serons mure? Dans mille ans peut-etre... Si nous ne sommes pas miirs p o s aimer la liberte quand on est opprinte alors quand est-ce qu'on sera libre puisque c'est le meme fsdeau? Si ce sont ces g e s e s de personnes qui decides, nos pays ne seront jamais libetes serieusement, c s U n'y aura pas de multipartismc En 1946 quand j'ai commence la politique, avec quoi avons-nous msche? N'est-ce pas le multipstisme? Plusiess pstis se sont creTs librement D'ailless sans cette democratic, avec Thostilite des EsopeTns contre moi, je n'asais jamais ete eiu Make de Niamey en 1956 k plus forte raison ler chef du gouvemement autochtone du Niger! Renseignezvous. Et depuis, aptes moi, la population de la Capitate n'a plus jamais eiu democratiquement son Make. On le lui a toujoss impose. Toutes les grandes villes du monde ont pourtant des makes 61us. Le president de la Republique Ta bien dit lors d'une conference administrative, que «toutes les grandes villes du monde ont des makes eius*. Les gens ont applaudi. Mais avant la fin des seances, j'ai entendu les comptes-rendus. Ah!... U y aura des makes eius... II ne faut pas se precipiter... Moi, je dkais tout simplement que lorsqu'un peuple est deja capable de fake quelque chose 292

en 1956 et qu'on imagine en 1990 que ce meme peuple n'a plus les memes qualities, et que lui donner la possibUite dtelke un make c'est precipiter les choses, c'est incroyable non! HASKE: Bien que chef d'un parti qui n'est pas reconnu, vous avez pris votre carte du MNSD. Est-ce p s c e que les projets du MNSD rencontres votre ideal poktique? D. B.: Je possede la carte du MNSD, mais je ne pense pas MNSD. On a choisi des personnes qui devraient decider d'une certaine fagon, creTr un certain mouvement qui va s'imposer comme parti unique et qu'on a prepse au depart p o s tous les nigeriens. On fera desormais tel que le Nigerien puisse se sentk libre dans son pays. Et mon premier entretien avec le president Ali Saibou m'a convaincu et j'ai eu confiance en lui. Je suis p o s celui qui veut que ce pays change. Mais celui qui ne veut pas qu'on aille de Tavant, que lui seul puisse jouir, eh bien celui-la va me briser peut-etre, mais il me retrouvera toujoss s s son chemin. Je n'ai pas change d'un iota. Beaucoup de gens dans ce pays viennent me voir et je l e s ai toujoss consekte d'appuyer le nouveau president, jusqu'au j o s ou ils ont tenu leur fameux Congres. J'ai vu la selection qui s'en est suivic On sait bien que ces personnes-la ne peuvent pas dkiger un psti, mais pourtant elles ont ete placeTs. Je savais qu'ils n'kaient pas loin. Qui a envoye le president du CND, les Mai-Maigana et deux autres hautes personnalites de ce pays me vok, me demander des conseils il y a quelques semaines? On est venu ici chez moi me poser la question de savoir posquoi le MNSD est en tethsgie, posquoi ga ne msche pas? Je sais tres bien que c'est le president de la Republique en personne qui les a envoyes. Comme j'avais decide de Taider, je leur ai dit les quatre verites. Vous voyez, je ne suis plus Thomme de Topposition comme on le croit. C'est que je ne msche pas avec les combines faites p o s s'arranger. Tout cela ne m'interesse pas c s je n'ai aucune ambition. La seule chose qui m'interesse, c'est d'aider les jeunes. Alors j'ai tepondu aux emissaries que si l e s mouvement ne mschait pas, c'est que des le depart U etait presque mort-ne. On a mis a la dkection de ce mouvement des gens qui ne connaissent meme pas ce qu'est un psti. Un parti, on y adhere p s conviction et jamais p s interet. Un chef de qustier qui devient president de sa section va profiter. Un sous-ptefet ou meme un ptefet qui devient president va egalement bouffer. Et dire que ce sont eux qui sauveront le pays? En tout cas moi Djibo, je n'y crois pas. HASKE: Qu'est-ce que vous pensez de la superposition de toutes ces structses politiques: BEN, CSON, MNSD, Assemblee Nationale et CND? Certaines ntemptetent-elles pas dans le domaine de Tautre? D. B.: Cette superposition de structses, on Ta faite p o s creTr des places aux copains et hommes de confiance. A quoi serves les 93 deputes sinon a rien puisqu'ils ne font qu'executor les ordres venus d'en haut. On ntelit pas une assembler de cette fagon, encore moins fait-on une liste de gens qu'on ptesente aux eiecteurs en meme temps que le president de 293

la Repubkque. De toutes fagons ils sont tres peu nombreux les deputes qui peuvent psler. Les autres, la majorite, sont des «instraments» d'un mouvement, d'un groupe ou d'un clan. HASKE: A votre avis que faut- U fake p o s redynamiser le MNSD? D. B.: P o s redynamiser le mouvement U faut fake appel a tous les fils du pays sans exception et sstout il ne faut pas essayer de barrer la route aux jeunes (forces vives de la nation). Le peuple est exigeant et travailles, mais ceux qui sont a la tete ne Tencosagent pas. On envoie des gens en reunion dans nos regions, un peu pstout, et on revient nous dke que tout va tres bien. Laissez-moi vous dke que ga ne peut pas toujoss alter tres bien. II y a des cadres competents dans ce pays. Si on les met dans les conditions p o s qu'ils soient utiles a l e s pays, Us le seront. Cette mentalite des jeunes, U faut en tenk compte. Si Tavenk ne s'arrange pas, ce sont eux qui vont souffrir, alors Us vont prendre conscience; et d'ailless dans une certaine m e s s e Us ont deja pris conscience. Qu'ils soient d'abord sure qu'on l e s ptepse un avenk radieux meme s'ils ne Tont pas aujosd'hui. Qu'Us s'asssent que ceux qui les diligent ont comme souci majes de rendre ce pays heseux demain. Bien sur dans les reunions on va applaudk, mais personne ne s'engage serieusement. II y a s a toujoss des probtemes tant qu'on ne se met pas a la disposition du peuple. Quelle que soit sa position, sans le peuple Ton n'est rien. Et d'ailless je Tai dit a Hubert Maga (ancien president du Dahomey de passage a Niamey et invite dans son pays pour la Conference nationale). Quand il est venu p o s me dke bonjos, il a trouve un Coran sur ma table, alors il m'a dit ceci: «Djibo, k faut prier pour nous parce qu'on nous appelle au pays, nous allons dans la gueule du loup et nous ne savons pas comment cela se passera*. Je lui ai repondu que ce n'est pas une question de priere, avant d'ajouter: «Si vous reussissez, cela va se T6percuter dans toute TAfrique et chez nous en premier lieu, p s c e que nous sommes vos voisins imntediats. Nous en profiterons. Mais si jamais vous echouez, nous recolterons egalement les pots casses, et adieu la democratic. En cas de reussite, ne prenez jamais les places aux jeunes*. L'histoke de toutes les fagons, ne s'est jamais limiteT aux frontieres, ce n'est pas possible. HASKE: Apres les evenements de Tchintabsaden qui ont fait en ce moment couler beaucoup d'encre, nos responsables, on s'en souvient, ont invite Amnesty International p o s venk enqueter s s place. Quelle est votre appreciation de la situation? D. B.: On a tecolte ce qu'on a seme. Qu'est-ce qu'on a promis a ces Tousegs une fois au pays? Ou est passer Taide promise? Allez chercher a le savok... C'est quand on donne Toccasion a ces nomades qu'ils font des teglements de comptes. Mais ga depend aussi de ceux qui gouvernent Si ces gens savaient que les reglements de comptes ne rapportent pas grand chose, ils ne se mangeraient jamais le nez. L'Homme Touseg est tres fin. Ils ont cette pratique de longue date. Moi j'ai gr;