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French Pages 178 [177] Year 1997
CONFLUENCES Méditerranée
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Revue trimestrielle N°20 Hiver 1996-1997
La revue Confluences est publiée avec le concours du Fonds d'action sociale (FAS) Centre national du livre (CNL)
L'Harmattan 5-7, rue de l'École Polytechnique 75005Paris~F~CE
L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9
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CONFLUENCES Méditerranée Revue trimestrielle 5 rue Emile Duclaux 75015 Paris N° 20 River 1996-1997 Fondateur Ramadi Essid (1939 -1991)
Directeur de la rédaction Jean-Paul Chagnollaud Comité de rédaction Anissa Barrak (secrétariat de rédaction), Christophe Chiclet, Régine Dhoquois-Cohen, Bassma Kodmani-Darwish, Abderrahim Lamchichi, Bénédicte Muller, Jean-Christophe Ploquin, Bernard Ravenel, Martine Timsit, Faouzia Zouari Attachée de presse Sandrine Favre Comité de réflexion Adonis, Paul Balta, Elie Barnavi, Jean-Michel Belorgey, Christian Bruschi Mahmoud Darwish, Shlomo Elbaz, Thierry Fabre, Alain Gresh, Michel Jobert, Paul Kessler, Théo Klein, Madeleine Rebérioux, Edward Saïd, Mohamed Sid Ahmed, Baccar Touzani Correspondants Anna Bozzo (Rome), Carole Dagher (Beyrouth), Samya el Machat (Tunis), Jamila Settar-Roufaïdi (Rabat), Leïla Dabdoub (Jérusalem), Gema Martin Mufioz (Madrid), Prodromos Prodromou (Nicosie) Rabeh Sebaa (Alger)
Directeur
de la publication Denis Pryen
@L'Rarmattan, 1996 ISSN: 1148-2664 ISBN: 2-7384-4974-3
TERRORISMES ET VIOLENCE POLITIQUE
Dossier préparé par Christophe Chiclet
Sommaire N°20 Hiver 1996-1997
TERRORISMES ET VIOLENCE POLITIQUE Dossier préparé par Christophe Chic1et Terrorismes et violence politique (7) Jean-Paul Chagnollaud La FRA arménienne et la VMRO macédonienne (15) Christophe Chiclet Islamisme et violence (21) Abderrahim Lamchichi Algérie: terrorismes et guerre civile (33) Entretien avec Luiz Martinez Réflexion politique sur la tragédie algérienne (43) Lahouari Addi Italie: les années de plomb, une histoire dépassée? (51 ) Luigi Bonanate Les contradictions de Ramas (61) Wendy Levitt La vindicte américaine contre les Etats terroristes ne convainc pas les Européens (75) Jean-Christophe Ploquin Le terrorisme est une forme de pensée totalitaire (83) Jean-paul Lévy Le treizième mollah (87) Entretienavec Xavier Raufer
Actuel PROCHE-ORIENT Jeudi noir à Jérusalem (93) Jean-Christophe Ploquin Israël: une nouvelle donne (99) Dan Leon Appel: Raite à la guerre israélo-arabe! ALGÉRIE Un an après l'élection de Liamine Ahmed Rouadjia
Zeroual
(107) (109)
(123)
Des roses rouges et blanches pour le Cheikh Claverie Hassan Rémaoun Nanna Sabine, kabyle et chrétienne (127) Sadia Messaoui-BatTèche Une paix
Entre
BOS NIE fondée sur des principes erronés Entretien avec Nicola Kovac
(131)
BULGARIE tensions ethniques et influences islamistes Sadia Roumiana Ougartchinska- Vincenti
(137)
Confluences culturelles Taos Amrouche: La légende d'une femme (145) Faouzia Zouari Abraham B. Yéhoshua et Albert Camus: L'exil et le Royaume (157) Juliette Hassine Le cinéma égyptien (165) Bernard Lecat Les Jeux olympiques Mythe grec ou légende de Coubertin? (171) Alexis Krauss Pour
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176.
Nous dédions ce numéro, qui marque le cinquième anniversaire de Confluences, à la mémoire de notre ami Hamadi Essid.
Terrorismes et violence politique
Jean-Paul Chagnollaud
Le bassin méditerranéen n'en finit pas d'être traumatisé par la résurgence systématique de violences de toutes sortes qui ellesmêmes engendrent une terrible dynamique de la haine. L'Algérie tout particulièrement s'enfonce chaque jour davantage dans une spirale suicidaire dont personne ne voit la fin malgré les appels au retour à la paix civile qui se multiplient. Le Proche-Orient a basculé, à nouveau, dans le vertige de la violence avec les attentats du Ramas et les très graves affrontements survenus au cours du "jeudi noir". C'est pourquoi, il nous a paru utile d'ouvrir quelques pistes de réflexion dans un dossier consacré aux terrorismes et à la violence politique. Comme la notion même de terrorisme est extrêmement ambiguë, nous proposons ici quelques points de repères.
La première difficulté d'approche du teITorisme tient à son introuvable définition. Le terme se trouvant à l'interface des sciences sociales et de la politique, il est pratiquement impossible d'arrêter une définition qui soit à la fois pertinente et opérationnelle dès lors que cette appellation renvoie toujours à des connotations très négatives que les acteurs politiques peuvent utiliser pour disqualifier l'autre. D'une certaine manière, on peut toujours devenir le teIToriste de quelqu'un; c'est, en effet, un truisme que de rappeler que, dans certaines configurations politiques ou militaires, tel acteur sera terroriste pour les uns et héros ou résistant pour les autres. Comme cette qualification est un moyen de disqualification, elle devient une arme politique redoutable: l'adversaire traité de "teIToriste" n'a plus droit à la moindre considération; il est ravalé à un niveau infrapolitique d'où sont exclues toutes les règles du jeu politique. Avec un terroriste, il n'est pas question de discussion, de Hiver 1996-1997
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négociation ou a fortiori de compromis car cela signifierait une reconnaissance de nature politique qui est, par définition, exclue. Comme l'acteur qualifié de terroriste n'existe pas politiquement, il apparait légitime de tout tenter pour l'empêcher de nuire. Le registre de l'action glisse ainsi du politique au policier: dans cette logique, on ne discute pas avec un terroriste, on le combat. La méthode est sans appel puisqu'elle permet de faire condamner moralement celui contre lequel on se bat. Dans certains cas, elle correspond à une réalité quand, par exemple, le combat est mené contre des hommes prêts à tout parce qu'enfermés dans des systèmes idéologiques totalement sectaires. Mais, dans d'autres situations, le"terroriste" peut être, pour les siens, un vrai combattant voire un résistant qui se bat pour une cause légitime que l'adversaire entend, par tous les moyens, déconsidérer. La méthode relève alors de l'amalgame. Un amalgame d'autant plus facile à faire que les frontières entre ces différentes hypothèses sont extêmement floues. A certaines époques, des réseaux et des complicités ont existé entre des organisations très isolées et des mouvements beaucoup plus enracinés, entre certains groupes européens et des Palestiniens, par exemple. L'observateur extérieur peut bien tenter de démêler cet écheveau complexe formé de manière indissociable de faits et d'interprétations, il se heurte toujours en dernière instance à l'utilisation du terme "terrorisme" dans telle circonstance par tel ou tel acteur. Si la recherche d'une définition achevée parait donc vaine, cela n'empêche pas d'en repérer quelques éléments. En français, son étymologie remonte à l'époque de la Révolution où, après la chute de Robespierre, il fut employé pour désigner ceux qui avaient soutenu ou appliqué la politique de Terreur des années 17931794. Le terme "terreur", beaucoup plus ancien, désigne une peur extrême qui bouleverse, paralyse ou affole. Des formules comme "glacé de terreur" ou "muet de terreur" montrent bien, par les images auxquelles elles renvoient, ce qu'elles impliquent sur le plan psychologique. A partir de là, les définitions proposées privilégient tel ou tel aspect du phénomène. Ainsi pour Raymond Aron, "une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques" 1.Cette définition n'est pas séparable des circonstances historiques majeures auxquelles l'auteur se réfère principalement - la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie - puisqu'il ajoute aussitôt qu' "en ce sens, les attentats dits indiscriminés des révolutionnaires sont terroristes, comme l'étaient les bombardements anglo-américains de zones". L'essentiel tient donc pour lui dans cette dimension psychologique: l'acte commis impressionne et affecte fortement les esprits dans des conditions qui varient beaucoup selon les contextes. Les bombardements contre l'Allemagne avaient pour objectif d'affaiblir le moral de l'ennemi en faisant régner la peur; en Algérie, les actes terroristes aboutissaient à répandre la terreur dans la population européenne mais aussi, par l'effet de répression tout aussi indiscriminée qu'ils provoquaient, à casser toute possibilité de relation entre les deux communautés; comme l'écrit l'auteur, "tous ont peur et Confluences
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chacun
est seul".
Pensant à un contexte tout à fait différent, Benyamin Netanyahu avant qu'il ne devienne Premier ministre d'Israël - estime que le terrorisme est "le meurtre systématique et délibéré d'innocents pour inspirer la peur à des fins politiques". Il vise ici les attentats commis contre des innocents (qui implicitement sont des civils israéliens ou des citoyens juifs n'importe où dans le monde) en insistant sur le fait que, par de tels actes, la distinction entre combattants et non combattants est complètement gommée. Dans la mesure où les victimes du terrorisme n'ont rien à voir avec le conflit qui est à l'origine de ces actes, la formule parait pertinente; mais une telle approche paraît aussi fragile car, à l'évidence, bien des actes de guerre entrainent la mort de civils innocents; et surtout on voit bien pointer la subjectivité de l'auteur qui n'accepterait certainement pas, par exemple, que le bombardement du village libanais de Canaa par l'aviation israélienne qui a fait une centaine de victimes innocentes en avril 1996, soit considéré comme une action terroriste alors que, selon les propres termes de sa définition, cela est incontestable... La définition de Paul Wilkinson est plus précise puisque pour lui, le terrorisme est "l'usage systématique d'une violence politique par des petits groupes conspirateurs dont le but est d'influencer des positions politiques plutôt que de défaire matériellement l'ennemi. L'intention de la violence terroriste est psychologique et symbolique". On retrouve ici des éléments importants comme la dimension psychologique de l'acte, mais son analyse des acteurs paraît quelque peu réductrice puisqu'il n'envisage que des "petits groupes conspirateurs" en laissant de côté les mouvements de libération qui ont eu recours à des actions de ce type et les Etats qui peuvent aussi agir de cette manière. S'il n'est pas utile de poursuivre cet examen de définitions, on peut au moins retenir quelques-unes des questions qu'elles posent.
La diversité des acteurs La diversité des acteurs susceptibles de recourir à des actes terroristes est très grande: du petit groupe d'individus voire d'un individu isolé jusqu'à de puissants services spéciaux qui relèvent d'un Etat. En s'inspirant notamment de l'analyse de Gérard Chaliand 2 on peut distinguer au moins trois types principaux: les mouvements de libération, les sectes politiques et les Etats. Les mouvements de libération ont été au cœur. des combats pour l'autodétermination dans toute la phase de décolonisation aujourd'hui pratiquement achevée. Avec beaucoup de différences selon les situations, ces mouvements étaient, pour la plupart, plus ou moins bien implantés, dans la population au nom de laquelle ils prenaient les armes; qu'il s'agisse, parmi bien d'autres, du FLN en Algérie, de l'OLP en Palestine, du FNL au Sud-Vietnam, du PAIGC en Guinée-Bissau ou encore du FPLE Hiver 1996-1997
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en Erythrée. Certains rassemblaient de nombreux combattants d'autres beaucoup moins, mais l'essentiel n'était pas leur nombre - même s'i] constituait un facteur d'importance - mais bien leur représentativité et leur capacité à s'enraciner dans la population qui ainsi pouvait les reconnaître comme fondamentalement à leurs côtés. Compte tenu du rapport de forces toujours défavorable dans lequel ils évoluaient, et même lorsqu'ils disposaient d'éléments constitutifs d'une armée, ils avaient surtout recours à la guérilla sous toutes ses formes, c'est-à-dire à des actions de harcèlement contre des objectifs militaires et économiques de l'ennemi évitant toute opération frontale dans laquelle ils n'auraient eu aucune chance. Même si ces actions étaient presque toujours qualifiées de "terroristes" par l'adversaire, elles relevaient d'abord d'une volonté globale de se battre contre une occupation ou une répression subie par toute la population ou, en tout cas, une très grande majorité de cette population. Mais, en même temps, il est clair qu'à certains moments de ce combat, ces mouvements pouvaient aussi avoir recours à des actions de type terroriste. Le terrorisme devient alors souvent un substitut à la guérilla quand celleci devient impraticable parce que le déséquilibre des forces est trop important comme ce fut le cas, par exemple, pour les Palestiniens à la fin des années soixante. Evoquant les détournements d'avions par le FPLP de
Georges Habache, Régis Debray 3 écrit "ce genre d'opérations n'est pas la
poursuite de la guérilla par d'autres moyens, mais un substitut publicitaire à son absence, pour compenser l'incapacité d'une organisation à faible base populaire à faire le coup de feu sur le terrain.
Alors, on transplante dans l'ubiquité spectaculaire - l'écran de télé un combat localement impossible ". Les sectes politiques sont des organisations sans base populaire, complètement obsédées par leur vision déformée du monde. Bien qu'elles soient sans doute parfois manipulées par certains acteurs politiques et qu'elles puissent séduire quelques fragments désemparés de la société, elles ne représentent qu'elles-mêmes. Elles sont cependant très dangereuses car elles sont prêtes à tout pour traduire par la violence une réthorique dogmatique dont le contenu idéologique apparaît presque secondaire puisque seule compte l'action qu'elles mènent avec toute la détermination dont est capable le fanatisme. L'Europe de la fin des années soixante-dix a ainsi connu des groupes comme les Brigades rouges en Italie, la Fraction armée rouge en Allemagne ou Action directe en France. Aujourd'hui ce type de sectes arcboutées sur des thématiques révolutionnaires n'existe plus mais d'autres groupes ont brutalement surgi ailleurs pour fomenter des attentats meurtiers, notamment sur le sol français. Leurs caractéristiques sont très différentes de celles des groupes européens que je viens d'évoquer, mais elles ont au moins en commun cette haine de l'autre qui conduit à l'assassinat indiscriminé. La notion d'Etat terroriste a été plusieurs fois utilisée pour désigner notamment plusieurs pays du Moyen-Orient soupçonnés d'avoir commandité des attentats contre des biens et des personnes en Occident: ce fût le cas de la Syrie, de l'Iran, de la Libye et de l'Irak. S'il ne fait aucun doute que ces Etats ont eu recours à ce type de pratiques à certains moments, la décision de leur désignation comme Etats terroristes renvoie Confluences
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à de multiples motivations qui, pour l'essentiel, relèvent beaucoup plus des intérêts des Etats qui la prennent que d'une situation spécifiquement liée à l'utilisation de certaines formes de violence. Cette désignation qui vaut condamnation et donc sanctions est le fait des Etats-Unis ou/et de l'Europe qui entendent ainsi réagir contre des actes meurtriers totalement inacceptables mais aussi déstabiliser un acteur particulièrement gênant pour les politiques qu'ils veulent conduire comme pour les intérêts qu'ils veulent défendre. La condamnation, une fois encore, n'est donc pas d'ordre éthique - même si on cherche à s'en prévaloir - mais bien politique au sens le plus machiavélien du terme. L'attitude à l'égard de la Syrie est très révélatrice à cet égard: pendant plusieurs années - placée sur la liste des Etats terroristes - elle fut l'objet de sanctions internationales, mais dès qu'elle a choisi le "bon côté" dans la guerre du Golfe, elle est devenue un Etat fréquentable d'autant qu'il a bien fallu admettre l'importance de son rôle au Proche-Orient. La notion d'Etat terroriste est donc aussi vague que le terme "terroriste" puisqu'elle renvoie à plusieurs formes de recours à la violence dans le champ spécifique des relations internationales qui se caractérise d'abord par l'absence de toute véritable régulation permettant de l'évacuer. Certains auteurs comme Ted Robert Gurr 4 utilisent d'ailleurs le terme dans une acception plus globale: l'Etat terroriste ne serait pas seulement celui qui commandite des actions de terrorisme international (qu'il faudrait d'ailleurs péciser) mais surtout celui qui utilise massivement la violence à l'intérieur de son propre territoire. Cette utilisation systématique de la violence a pour but de faire régner la terreur non seulement chez tous les opposants potentiels mais aussi à l'égard de tous ceux que le régime en place considère comme dangereux. On pense ici à la distinction que faisait Hannah Arendt entre "l'ennemi objectif" et "le suspect"; le premier étant désigné comme tel par le pouvoir sans qu'il n'ait rien entrepris, le second ayant effectivement agi contre le régime 5. On voit bien que cette forme de terreur prend ici un sens bien différent: elle ne concerne pas seulement quelques individus mais bien des catégories entières de la population; elle n'est pas seulement une menace mais bien un processus organisé dont l'objectif est de broyer physiquement toute opposition qui s'affirme comme telle ou qui est considérée comme telle. Il ne s'agit pas uniquement d'impressionner mais dans bien des cas de détruire. Ces analyses renvoient en fait à des formes d'Etats totalitaires et à des types d'Etat autoritaires qui, au sein de l'appareil d'Etat, ont fait une place centrale aux moyens de répression et à la police scrète. Cette dimension psychologique essentielle n'a cependant que bien peu de rapports avec celle qui fonctionne dans des attentats terroristes car ici l'acte n'est ni erratique ni aléatoire, il est systématique et constant. Par ailleurs, toute publicité est bannie car tout doit être feutré, rampant et insidieux. Dans ce type de régimes, la déportation, l'emprisonnement ou le meurtre se font en silence surtout lorsqu'ils sont massifs. Le silence, l'oubli et l'occultation sont les vecteurs privilégiés de l'angoisse qui étreint tout individu puisque rien ne peut le mettre à l'abri d'une soudaine et brutale répression. Un des fondements de ces régimes Hiver 1996-1997
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est d'organiser un total émiettement social (là encore parfaitement décrit par Hannah Arendt) dans lequel l'individu ne peut plus trouver ni le moindre repère ni le moindre soutien. Il se retrouve isolé à la merci de la toute-puissance du pouvoir d'Etat. Personne n'ose ainsi se manifester même pour prétendre savoir ce qui a pu arriver à ceux qui ont disparu. Ces Etats ont évidemment en commun de n'être en rien des Etats de droit même s'ils cherchent à se dissimuler derrière les oripeaux de la démocratie formelle en organisant des scrutins complètement vérrouillés. Quand l'Etat n'agit pas directement, il le fait au moyen de groupes clandestins qui agissent alors en toute impunité; ainsi dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en Amérique latine ou dans des pays comme l'Afrique du Sud, les régimes disposaient "d'escadrons de la mort" dont la mission consistaient à terroriser et à assassiner les opposants. Ce sont aussi ces types d'Etat qui pratiquent, souvent systématiquement, cette forme extrême de terreur individualisée qu'est la torture. Il serait cependant erroné de croire que ces Etats auraient le monopole de l'action terroriste internationale sous réserve évidemment de l'inépuisable débat sur la qualification des actes. Comment, en effet, analyser l'action de services spéciaux d'Etats démocratiques qui vont tenter des opérations de déstabilisation d'un régime ou qui enlèvent voire assassinent tel ou tel acteur politique étranger jugé dangereux. A cet égard, il serait utile de distinguer les Etats terroristes et le terrorisme d'Etat. L'utilisation de la première formule enferme l'analyse dans certaines catégories en laissant croire que ces pratiques ne seraient que de leur seul fait alors qu'en réalité bon nombre d'Etats qui n'entrent pas dans cette classification ont eu recours à ce types de pratiques. Ainsi au Proche-Orient, Israël a pratiqué un véritable terrorisme d'Etat en utilisant les moyens les plus divers et les plus sophistiqués. Le massacre de civils lors du bombardement de Canaa en avril 1996 est un exemple récent mais il y en a eu beaucoup d'autres comme les assassinats de nombreux responsables palestiniens dans les années soixante-dix ou encore celui d'Abou Jihad au début de l'Intifada. L'Algérie n'est pas considérée comme un Etat terroriste mais personne ne peut douter un instant que le régime n'ait mis en place un véritable terrorisme d'Etat.
Puissance de l'impact psychologique Dans nos systèmes démocratiques qui ont construit des chemins d'accès au politique fondés sur l'exclusion de la violence, la brutale irruption d'actes terroristes, le plus souvent incompréhensibles, est absolument inacceptable sur les plans éthique et politique. En définitive, l'acte terroriste constitue toujours une atteinte à l'intégrité de la vie humaine qu'il s'agisse de prises d'otages, d'attentats indiscriminés ou a fortiori d'assassinats, dont sont victimes le plus souvent des personnes totalement étrangères au conflit et donc "innocentes". Compte tenu de sa logique globale, l'acte terroriste provoque presque toujours une très forte individualisation de la victime que les médias font Confluences
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aussitôt très largement connaître. En raison de cette très forte médiatisation, chacun devient alors une sorte de spectateur engagé directement confronté à une situation concrète à laquelle il ne peut pas rester indifférent. L'odieux chantage à la vie humaine pénètre si profondément dans l'univers intime que chacun s'y trouve impliqué. C'est sans doute ce processus d'intense personnalisation des victimes qui provoque cette forte émotion d'autant plus prégnante que l'acte menace d'être répété; ainsi quand un attentat se produit quelque part en plein Paris et que la télévision donne à voir, dans tous ses détails, les circonstances de l'événement et l'identité des victimes, chacun se sent d'autant plus concerné que cela peut lui arriver demain ailleurs. Lorsqu'à Jérusalem, une bombe explose en plein centre ville dans un autobus, le simple fait de monter le lendemain dans un autre devient une épreuve angoissante. La puissance de l'impact psychologique est donc une dimension absolument capitale du terrorisme. Il n'est d'ailleurs jamais vraiment proportionnel au nombre de victimes même si bien entendu cet aspect est essentiel. Ce qui compte d'abord est cette relation intime qui s'établit entre la victime d'un acte terroriste et l'opinion. Sans cette personnalisation multidimensionnelle, l'émotion ne s'exprime pas ou peu. Il suffit pour s'en convaincre de constater le considérable décalage émotionnel qui existe sur ce plan entre les réactions à des opérations terroristes et d'autres situations qui sont pourtant intrinsèquement plus tragiques. Quand on apprend ainsi que telle guerre fait des milliers de morts ou que la famine dans le Sahel provoque un désastre humanitaire, l'attention est beaucoup plus relâchée quand cela ne confine pas à l'indifférence totale. Ici le danger est lointain et les victimes inconnues; cette double caractéristique de la distance et de l'anonymat empêche l'émergence de la moindre émotion sauf pour les quelques personnes qui ont des raisons de se sentir concerné. Ce qui s'est passé en Bosnie est assez typique à cet égard: en trois ans, les pires exactions - tortures, viols, exécutions sommaires, massacres de civils - ont été commises à une grande échelle sans que l'opinion publique européenne n'en ait été vraiment bouleversée même au moment des massacres perpétrés par les Serbes à Srebrenica en 1995. A l'inverse de ces situations, l'acte terroriste fait entrer "le spectateur" dans le drame sans qu'il puisse s'en détourner en raison de l'ampleur que lui confère les médias. Cet élément lui donne sa force et, dans une certaine mesure, son efficacité à court terme; mais à court terme seulement. Il est incontestable que certaines causes oubliées ont été "redécouvertes" par l'action terroriste; une fois encore, l'exemple palestinien s'impose: réduits dans les années cinquante à la dimension squelettique de réfugiés, le long chemin qui les a conduits vers une reconnaissance internationale est donc passé par le terrorisme d'affirmation. Mais dans le même temps, la logique de cette forme de terrorisme, comme de toutes les autres, porte en elle sa propre négation. Elle s'inscrit dans un mouvement qui enclenche aussitôt sa propre remise en cause. Elle ne peut guère résister ni à la répétition ni à la durée. Dès l'instant, qui arrive vite, où les effets négatifs l'emportent en raison de Hiver 1996-1997
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l'intensité de la réprobation que l'acte a suscité, le gain politique est nul. Ainsi alors que les Palestininens voulaient se faire entendre, ils se sont faits condamner et pendant longtemps ils ont été répertoriés comme des terroristes avec toutes les conséquences que nous avons évoquées. Dans d'autres cas qui renvoient notamment à diverses formes de marchandage par un groupe ou un Etat, il est clair que si des concessions sont faites dans une première phase ceux qui ont eu recours à ces méthodes finissent souvent par le payer très cher. C'est vrai pour les groupes qui tôt ou tard sont repérés et détruits ou en tous cas complètement disqualifiés et pourchassés. Quant aux Etats qui ont pu commanditer ce type d'opérations, ils ne s'en sortent que s'ils sont puissants et stratégiquement incontournables. Si la Syrie, inscrite sur la liste des Etats terroristes, n'a plus trop de soucis à se faire dans ce domaine c'est qu'elle a su s'imposer au Proche-Orient grâce notamment à sa capacité d'adaptation tactique qui l'a même conduite à se ranger dans la coalition dirigée par les Américains pendant la guerre du Golfe en 1991. Par contre la Libye du colonel Khadafi qui ne pèse guère sur le plan géopolitique et qui a cru pouvoir jouer sur ces registres (notamment dans les explosions en vol de deux avions), est aujourd'hui dans une situation d'isolement international qui la pénalise gravement. De manière générale, l'action terroriste finit souvent par renforcer celui qui était visé: étant considérée comme foncièrement illégitime, il est donc légitime d'utiliser tous les moyens pour la combattre. Le consensus est assuré. L'erreur serait cependant de considérer que seule une réponse répressive suffirait à son éradication dans une configuration politique donnée. Le tonitruant sommet de Charm-el Cheikh d'avril 1996 qui a rassemblé tant de chefs d'Etat pour condamner le terrorisme sous toutes ses formes et coordonner la lutte contre ses auteurs apparaît tragiquement insuffisant au regard des véritables défis que ces violences expriment. S'il est, en effet, absolument indispensable de prendre toutes les mesures contre le terrorisme, celles-ci ne sont pas seulement d'ordre sécuritaire. Les initiatives d'ordre économique, sociale et politique sont bien plus fondamentales car elles seules permettent d'arracher les racines de ces violences aveugles. Jean-Paul Chagnollaud
1 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962. 2 Gérard Chaliand, Terrorismes et guérilla, Flammarion, 1985. 3 Régis Debray, Loues soient nos seigneurs, Gallimard, 1996. 4 Rapport présenté à l'Association internationale de science politique, Paris juillet 1985. 5 Hannah Arendt, Le système totalitaire, Seuil 1972,
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La FRA arménienne et la VRMO macédonienne Christophe Chi clet
"Nous en sommes venus au temps où l'humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d'un peuple assassiné. " Jean Jaurès
C'est sur les bords de la Méditerranée qu'a été inventée la forme contemporaine du "terrorisme publicitaire". Plus exactement entre Egée et Bosphore, des révolutionnaires arméniens et macédoniens ont voulu secouer le "joug" ottoman. Pour ce faire, ils ont eu recours au terrorisme pour faire entendre leurs voix auprès des puissances occidentales. En août 1896, des Arméniens occupent la banque ottomane de Constantinople. En septembre 1901, des Macédoniens inventent le rapt d'otages occidentaux puis, en avril 1903, multiplient les attentats au cœur de Salonique.
Il existe un parallélisme entre la tragédie du peuple arménien et celle du peuple macédonien. Le réveil des nationalités les a touchés sur le tard, après les Grecs, les Serbes, les Roumains, et les Bulgares. L'existence de ces deux peuples a été longtemps niée. Les Arméniens ont été victimes d'un génocide" les Macédoniens ont été oubliés. Leurs diasporas sont importantes et, ironie de l'Histoire, ils ont accédé à l'indépendance au même moment, fin 1991, avec l'effondrement du bloc communiste. Le terrorisme moderne des Fédaïs (combattants arméniens) et des Komitadjis (membres des Comités indépendantistes macédoniens) est lié à la Question d'Orient, à l'agonie douloureuse de "L'homme malade de l'Europe", l'Empire Ottoman à l'époque du sultan Abdul Hamid, surnommé le sultan rouge en raison de sa férocité. Après la guerre russoturque de 1877-78, la Russie étend son influence dans les Balkans et dans le Caucase. Au traité de Berlin, l'Angleterre s'oppose à l'avancée russe vers les mers chaudes, récupère Chypre au passage et impose des réformes au sultan au sujet des chrétiens de l'Empire, en particulier les Arméniens et les Macédoniens, situés aux deux extrémités de la Sublime Porte: articles Hiver 1996-1997
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23 et 61 du traité de Berlin prévoyant un sJatut d'autonomie. Mais malheureusement pour eux, ils n'ont aucun Etat protecteur, ni mère patrie. Au contraire, tous deux sont la proie des ambitions territoriales de leurs voisins. Ce parallélisme se traduit en Europe par un rapprochement des milieux arménophiles et macédonophiles qui publient ainsi une 'brochure au titre évocateur de Pour l'Arménie et la Macédoine, éditée à !I>aris en 1904 avec les contributions, entre autres, de Georges Clémenceau, Anatole France, Jean Jaurès, Marcel Sembat 1. Mieux organisé, le mouvement arménien, bien implanté en Anatolie orientale, en Cilicie, à Constantinople et dans les grandes villes de la Turquie d'Europe (Salonique, Andrinople), sert d'exemple au jeune mouvement révolutionnaire macédonien. Les Arméniens créent leurs propres partis politiques: Armenakan en 1885, Hentchak en 1887 et Fédération Révolutionnaire Arménienne-Dashnaktsioutioun (FRA) en 1890. Le 23 octobre 1893, six intellectuels macédoniens fondent à Salonique l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (VMRO). A Constantinople, Salonique et Sofia, FRA et VMRO tissent même des liens, d'autant que les deux organisations ont vite compris que les réformes de 1878 imposées par les Puissances ne seront jamais appliquées par le sultan. Face à cette impasse, FRA et VMRO font le même constat à la fin du XIXème siècle. Pour réveiller les Puissances et les allier à leur cause, il faut agir violemment et de manière symbolique. Ne pouvant lancer une insurrection nationale dans les campagnes arméniennes et macédoniennes, FRA et VMRO optent pour le "terrorisme publicitaire" .
L'affaire de la banque ottomane Refusant de mettre en pratique les réformes demandées par le traité de Berlin, le sultan rouge acculé décide de régler le problème arménien à sa façon. De septembre à décembre 1895, se déroulent les prodromes de la solution finale. De Erzéroum à Adana, de Mersine à Trébizonde, de Sivas à Kharpout, plusieurs centaines de milliers d'Arméniens sont massacrés, répétition générale du génocide de 1915. Malgré les télégrammes de leurs représentants diplomatiques en poste dans l'Empire, les Puissances empêtrées dans leurs querelles, ne bougent pas. Devant cette passivité, les militants de la FRA veulent relever le défi de la violence pour secouer l'indifférence des gouvernements occidentaux. Pour l'époque, ils préparent un acte étonnant, une première. Ils décident de prendre, les armes à la main, la Banque ottomane de Constantinople, symbole des liens économiques et financiers entre les Puissances et la Porte. En s'emparant de cette bâtisse, les hommes de la FRA étaient sûrs d'attirer l'attention du monde occidental. Le 26 aOllt 1896 à 13 heures, une trentaine de Fédaïs de la FRA tuent les gardiens et se rendent mat"tre du bâtiment. Le chef de l'opération, Babken Suini est tué dès le début de l'opération. Il est remplacé sur le champ par Armen Garo, alors âgé de 23 ans, qui organise la défense de la Confluences
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banque occupée et qui conduit les négociations avec les représentants européens qui s'étaient immédiatement interposés pour défendre les intérêts de leur propre pays. Armen Garo, de son vrai nom Garéguine Pasdermadjian, est né en 1873 à Erzeroum. Membre de la FRA, il réchappe de l'occupation de la banque ottomane puis poursuit ses études en Suisse. En début du XXème siècle, il rejoint l'Arménie russe pour lutter contre la russification du pays et les massacres des Azéris. En 1908, ~Jf{èsla révolution Jeune Turque, il est élu député d'Erzéroum. En 1914, il rejoint la Russie, où il organise les légions de volontaires arméniens contre les Ottomans. En 1918, il est ambassadeur de la jeune République d'Arménie à Washington et participe à la conférence de la paix à Paris. En 1921-22, il est un des dirigeants de l'opération Némésis qui assassine de par le monde les principaux responsables turcs du génocide. Une fois dans la banque, l'équipe d'Armen Garo qui a pris en otage les employés et les clients, fait parvenir aux ambassadeurs une proclamation destinée à attirer l'attention sur la question arménienne ainsi qu'une liste de réformes à appliquer sous contrôle européen: "Nous ne sortirons pas d'ici avant deux jours. Nos exigences sont: - Assurer la paix partout dans le pays par une intervention internationale. - Accepter les demandes du Comité Central de la FRA. - Ne pas se servir de la force contre nous. - Garantie complète de la vie de tous ceux qui se trouvent dans la banque et de ceux qui ont pris part aux troubles dans la ville. Le mobilier et le numéraire de la Banque seront intacts jusqu'à l'exécution de nos demandes. Dans le cas contraire le numéraire et tous les papiers d'affaires seront détruits, et nous autres, avec le personnel, trouverons la mort, sous les ruines de la Banque. Nous sommes obligés de prendre ces mesures extrêmes. C'est l'indifférence criminelle de l'humanité qui nous a poussés jusqu'à ce point... " 2 A minuit, les négociations reprennent avec le directeur adjoint de la Banque et des représentants de l'ambassade russe. Ces derniers apportent aux terroristes la promesse d'une amnistie garantie par les Puissances. Le 27 ao-ot à 3 heures du matin, le commando quitte la banque et rejoint le yacht de l'ambassadeur britannique qui conduit les 18 rescapés à Marseille. Emprisonnés en France, ils seront expulsés vers l'Amérique du sud. Ce premier exemple de terrorisme publicitaire a été entendu par les Puissances, mais sur le terrain, il a eu l'effet inverse. A peine l'affaire réglée, les troupes turques se livrent à de nouveaux massacres dans les quartiers arméniens de Constantinople.
Rapts et attentats en Macédoine Après la fondation de la VMRO à Salonique le 23 octobre 1893, est Hiver 1996-1997
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fondé à Sofia en mars 1895, le Comité Macédonien. Comme les Arméniens avant les massacres hamidiens de l'automne 1895, les dirigeants du Comité macédonien placent tous leurs espoirs dans la diplomatie européenne et tentent d'obtenir une solution à la question macédonienne en l'associant aux événements d'Arménie et aux milieux arménophiles déjà influents en Europe occidentale. Comme les Arméniens, les Macédoniens vont se lancer dans la prise d'otages liés aux intérêts occidentaux. Moins urbains que les cadres de la FRA, les hommes de la VMRO préfèrent s'enfoncer dans leurs villages de montagne. En juin 1899, ils enlèvent Louis Chevalier, directeur français des mines d'Isvoro. Deux semaines plus tard le Français est libéré contre 15000 livres turques. En effet, la VMRO, prévoyant une insurrection populaire, organise ses premiers kidnapping pour financer sa lutte. Ce n'est que deux ans plùs tard que la VMRO va utiliser le rapt comme arme de terrorisme publicitaire. Ce sont Gotse Deltchev (1872-1903) et Gueortche Petrov (18621921) qui font basculer la VMRO dans le terrorisme. Il s'agit désormais de provoquer les Turcs par n'importe quels moyens pour entraîner une répression sanglante et, l'espèrent-ils, une intervention des Puissances. A l'automne 1899, ils fondent les Tchetas (bandes) appelées ensuite Compagnies de la mort 3. Ces commandos de choc formé de 7 à 10 hommes, souvent des repris de justice, sont encadrés par des officiers de l'armée royale bulgare. En 1900, les Tchetas font systématiquement sauter les voies et moyens de communications. En 'même temps, elles exécutent des "traîtres" chrétiens, souvent des commerçants grecs ou valaques, mettant ces meurtres sur le compte des irréguliers turcs. En 1901, la dérive terroriste publicitaire de la VMRO se traduit par l'enlèvement d'Ellen Stone, une missionnaire protestante américaine. C'est Jane Sandanski (1872-1915) qui organise le rapt. L'affaire fait sensation dans la presse occidentale. La VMRO réclame 25 000 livres turques. Ellen Stone reste captive pendant près de six mois dans les montagnes autour de Bitola (Monastir). A sa libération, elle s'attache à la cause de ses ravisseurs et donne plusieurs conférences aux États-Unis sur la question macédonienne. C'est en avril 1903 que la terreur s'intensifie pour atteindre son point culminant du 28 au 30 avril lors d'une série d'attentats à Salonique. Ces actions sont le fait d'un groupe anarchiste macédonien: Les Bateliers, composés d'une dizaine de jeunes hommes: Jordan Pop Jordanov, Dimitri Metchev, Ivan Kirkov, Milan Arsov, Pavel Chatev. Le 28 avril 1903, vers midi, ce dernier dissimule onze kilos de dynamite à bord du Guadalquivir, un vapeur français ancré dans le port de Salonique. Dans la nuit, alors que le bateau brûle encore, Arsov et Metchev font sauter la voie ferrée entre l'ancienne et la nouvelle gare. Le 29 au soir, les conduites de gaz de l'éclairage urbain sautent, plongeant Salonique dans l'obscurité. Ayant creusés un tunnel sous la Banque ottomane, les Bateliers la font exploser, détruisant le Club allemand mitoyen. Arsov, quant à lui jette des bombes contre un théâtre et un café. Pop Jordanov fait de même contre un hôtel et un autre café. Réfugiés dans des maisons, Confluences
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les anarchistes font le coup de feu avec la police turque. Le 30, Pop Jordanov est tué en lançant sa bombe contre un détachement de policiers. La plupart des Bateliers sont tués, les autres condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Près d'une centaine de personne sont mortes durant ces trois jours 4. Mais comme pour les Arméniens, les résultats escomptés ne sont pas atteints. Les Turcs en profitent pour réprimer brutalement les quartiers chrétiens de Salonique et les affrontements interethniques commencent dans la ville. Le terrorisme publicitaire des Arméniens et des Macédoniens a certes secoué les chancelleries occidentales, voire ému une partie de "l'opinion publique" mondiale, mais il n'a pas résolu les questions arménienne et macédonienne. Dans un premier temps la répression a redoublé contre ces deux peuples. Et, in fine, le terrorisme n'a pas empêché le génocide arménien de 1915, ni le partage de la Macédoine en 1913. Christophe Chiclet IPour l'Arménie et la Macédoine; Manifestations franco-anglo-italiennes, Paris, 1904, Société nouvelle de librairie et d'édition. 2Voir Les mémoires d'Armen Garo, in Haïrenik Amsaguir, Boston juillet-septembre 1923. 3 A noter que la devise de la VMRO est: Sloboda ili smert, La liberté ou la mort. 4Voir La République de Macédoine, dernière venue dans le concert européen, à paraître en 1997 aux éditions L'Harmattan, collection Les Cahiers de Confluences.
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Islamisme et violence politique Abderrahim Lamchichi Le rapport que les mouvements islamistes entretiennent avec la violence peut prendre des formes différentes selon la nature du courant considéré, son implantation, son ancrage social et les milieux de recrutement, selon le profil et la trajectoire de ses dirigeants ainsi que leurs objectifs prioritaires, selon l'évolution des institutions et du contexte socio-culturel et politique du pays concerné, etc.
Il est utile de s'intéresser à la sociologie des différents mouvements et groupes islamistes, car le milieu de recrutement peut jouer un rôle non négligeable dans le rapport à la violence chez les islamistes. En général, les mouvements qui réussissent à élargir leur assise sociale (jusqu'à influencer, ou se laisser significativement influencer, par une partie de l'intelligentsia) et qui sont dirigés par des individus eux-mêmes issus des secteurs modernes de la société (professeurs, avocats, médecins, ingénieurs. ..), appartenant aux couches moyennes en ascension... sont en rupture avec la violence et privilégient l'action politique et socioéducative pour atteindre leurs objectifs. En Turquie, par exemple, l'islamisme radical et extrémiste n'est pas significativement implanté, notamment parce que le Refah -parti islamiste le plus influent, qui représente le quart de l'électorat - recrute dans tous les milieux sociaux, en particulier les couches moyennes. et urbaines, et que ses dirigeants ont toujours gardé un contact avec l'intelligentsia de leur pays, voire avec certains cercles du pouvoir. Nekmetin Erbakan, le leader du Refah, vieux routier de la vie politique turque (il a 70 ans, et a participé à plusieurs coalitions gouvernementales), devenu récemment Premier ministre, islamiste d'un pays qui a son importance au Proche-Orient (allié des Etats-Vnis et membre de l'OTAN), n'est ni un doctrinaire de l'islamisme radical ni un théologien. Il est d'abord un homme politique soucieux de pragmatisme et de défense des intérêts stratégiques et commerciaux de son pays. Malgré la fréquence de Hiver 1996-1997
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la rhétorique islamiste dans son discours, c'est essentiellement à "la grandeur de la Turquie" et au nationalisme panturc qu'il est souvent fait référence. Il est vrai que l'armée - acteur incontournable et omniprésent de la vie politique - veille à ce que le parti Refah ne transgresse pas les règles fondamentales de la "laïcité turque", à laquelle, il ne faut pas l'oublier, nombre de citoyens, et une grande majorité de l'élite, restent profonqément attachés. En Egypte, les Frères musulmans - vieux parti islamiste à l'histoire tumultueuse, marquée par des phases de très grande radicalisation, notamment sous Nasser, où la répression était féroce - se sont progressivement acheminés vers un islamisme de compromis, orienté davantage vers l'action socio-culturelle et une pratique politique légale, renonçant à la violence. La Confrérie est également bien représentée à son sommet, car relativement bien implantée, dans une partie des couches moyennes ascendantes et de l'intelligentsia égyptienne. Elle n'hésite d'ailleurs pas, lors d'élections professionnelles et de compétitions politiques locales ou nationales, quand le pouvoir le permet, à faire alliance avec les milieux libéraux ou socialistes. En Tunisie, l'ancien parti islamiste Ennahda (aujourd'hui interdit) optait pour des positions plutôt modérées (en particulier le courant dit "15/21 "), et n'a pas (globalement) cédé à l'usage de la violence. Au Maroc aussi, après une phase de répression/radicalisation, les associations islamistes, aujourd'hui tolérées, sont dirigées par des intellectuels, et leur discours est absolument opposé à l'usage de la violence (certains dirigeants islamistes marocains n'ayant pas hésité, par exemple, à dénoncer la violence barbare des groupes GIA/AIS en Algérie). Mais, dès la fin des années 80, un net changement (vers la radicalisation) semble gagner bon nombre de mouvements islamistes à travers le monde arabo-musulman. En effet, on assiste en même temps à une modification sensible dans le recrutement de plusieurs groupes. Ce qui permet probablement d'expliquer - en partie, en tout cas l'émergence d'une attitude différente à l'égard de la problématique de la violence. La plupart de ces mouvements (plus radicaux que leurs aînés, voire extrêmement violents) recrutent essentiellement dans les milieux de la jeunesse urbaine marginalisée, en dérive sociale, en échec social, et dans une partie de la classe moyenne déclassée, en voie de "prolétarisation", à l'avenir professionnel bouché et dont les perspectives culturelles et politiques ne cessent de s'amenuiser. En réalité, cette radicalisation n'est pas tout à fait nouvelle. Dès les années 70, l'islamisme politique a donné naissance à des courant extrémistes, dont l'objectif affiché consiste à "réislamiser" des sociétés considérées en rupture avec les "vrais enseignements" de la sharî'a, donc vivant dans l'ignorance anté-islamique (djâhiliyya). Ces groupes estiment, en outre, que tous les gouvernements actuels du monde islamique sont "impies" (kuffâr); d'où leur recours à la violence et à la thématique de la lutte contre le "prince injuste" (tâghût), voire au tyrannicide. Mais ces groupes (tels le Djihâd islamique, al-Takfir wa-l-hidjra, etc.) rencontrent peu d'écho auprès d'une population majoritairement hostile à la violence; ce qui implique leur caractère sectaire, ainsi que la pratique de meurtres Confluences
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"incantatoires", tel l'assassinat du président égyptien Anouar al-Sadate en 1981. Ces groupes radicaux estiment que l'action violente est juste et salutaire. Apologie du martyre (shahâda) et du sacrifice de soi (fidâ'), leur idéologie glorifie la "guerre sainte" (conception très réductrice du concept de djihâd en Islam), parce qu'elle est, selon eux, un moyen d"'islamiser" la société et les esprits, d'étendre la Loi divine; elle peut inspirer, à leurs yeux, à la fois l'héroïsme individuel et la solidarité des membres de la umma. Exemple emblématique de ce radicalisme se référant à des normes pseudo-religieuses pour se justifier politiquement: les brigades du Hezbollah, le "parti de Dieu" proiranien, défilent ainsi chaque année dans Beyrouth, à l'occasion de la grande manifestation chiite qui commémore le martyre de l'imam Husayn. Des commandos suicides, le torse bardé d'explosifs, se joignent à cette marche, avec cette inscription en rouge sur leur teeshirt: "na'shaqu al-shahâda !" (nous adorons le martyre !). Le degré d'influence de ce radicalisme est variable selon le contexte national. Alors que la violence des groupuscules égyptiens, par exemple, reste limitée du fait de leur incapacité à se créer une véritable base sociale (contrairement aux Frères musulmans qui ont un certain impact populaire), le Hezbollah, de son côté, bénéficie d'une appréciable popularité, en partkulier au sein des populations chiites pauvres, doublée - aux yeux de beaucoup de Libanais - d'une légitimité de leur combat de résistance à l'occupant israélien. D'autres idéologues de l'islamisme extrémiste, non confronté.s à la même situation d'occupation étrangère de leur pays (dans l'Egypte actuelle notamment), ont cependant chanté les louanges de la révolte violente (voire du terrorisme aveugle) comme moyen d'abattre des régimes considérés comme "injustes" et de mettre fin à une société jugée "décadente" et éloignée des vertus du vrai Musulman. La violence politique et sociale est considérée ici comme une dynamique libératrice, tant sur le plan psychologique que politique. Elle permet, selon ses protagonistes, de développer le courage et la fierté ainsi que le sentiment d'émancipation et de vengeance. L'accent est également mis sur l'effet purifkateur et libérateur de la révolte violente contre cette autre figure de l'ennemi absolu qu'est l'Occident "mécréant" (kâfir) et "injuste" (tâghût). , Il faut donc bien distinguer la violence dirigée contre l'Etat (dont l'objectif est de renverser un ordre politique interne jugé injuste), de la violence dirigée contre une présence étrangère. Dans ce dernier cas, les idéologues de l'islamisme radical - chiite en l'occurence - n'hésitent pas à employer les thèse tiers-mondistes, notamment celle de Frantz Fanon qui avait exposé, dans le contexte de la guerre d'Algérie, les motis profonds - politiques et psychologiques - de mouvements, comme le FLN, qui s'efforcent d'obtenir la libération nationale, de réaliser le désir d'émancipation collective, mettant l'accent sur l'effet purificateur et libérateur de la révolte violente contre le colonialisme.
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Mutations de l'islamisme radical et montée de la violence Mais globalement, les années 90 marquent une nette radicalisation due essentiellement à la mutation de l'islamisme dans bon nombre de pays, en particulier dans ceux qui ont connu une exacerbation des conflits et des violences. Nous évoquions l'importance des facteurs de l'implantation sociale et des milieux de recrutement. Un phénomène général de déclassement affecte donc les milieux dans lesquels l'islamisme radical recrute, qu'il s'agisse, à la base, d'une jeunesse marginalisée des banlieues pauvres des grandes villes, ou au niveau des dirigeants, de couches contrariées dans leur ascension sociale, subissant elles-mêmes une précarisation de leur situation. Deux exemples intéressants permettent d'illustrer ce déclassement des militants et une propension inquiétante à un usage littéralement dément de la violence: les Gamâ'ât al-Islâmiyya, en Egypte, et les Groupes islamiques armés (GIA), en Algérie. En rupture avec l'intelligentsia de leur pays (laïque et francophone. en Algérie; anglophone ou arabophone m~s libérale et socialiste, ou proche des Frères musulmans modérés, en Egypte), ces deux mouvements entretiennent un rapport pathologique et hystérique avec la violence - une violence qui est devenue, au fil des événements (chaotiques en Algérie), leur raison d'être, sans finalité politique. Il est certain, dans un pays comme l'Algérie par exemple, que c'est la radicalisation de la situation politique globale qui explique un tel dérapage vers le terrorisme aveugle. L'interdiction du FIS a eu pour effet de renforcer sa branche armée (AIS), bientôt débordée par ses rivaux, les GIA, nébuleuse de groupuscules extrémistes, n'exprimant que haine folle et destructrice, sans objectif stratégique aucun, revendiquant meurtres horribles et assassinats, aussi bien de simples citoyens que d'intellectuels, journalistes et prêtres qualifiés de "croisés". Le cycle infernal de cette violence islamiste et d'une terrible répression militaire empêche l'émergence d'une solution autre que militaire; les extrémistes des deux bords s'efforçant de tenir en échec ceux qui à l'instar des participants au "contrat de Rome"souhaitent un vrai dialogue politique et la réintégration des islamistes modérés dans un jeu politique légal et démocratique. Hier, le FIS était un mouvement hétéroclite qui cristallisait diverses tendances de l'islamisme algérien autour de ses deux figures de proue: Abbâssî Madanî, le "sage modéré", titulaire d'un doctorat en Grande-Bretagne, qui représentait la frange politique de son parti, et Ali Belhadj, l'imam autodidacte, prédicateur fougueux, représentant des tendances les plus extrémistes, qui n'hésitait pas, avant même l'arrêt du processus électoral, à appeler les jeunes désœuvrés, sur lesquels il semblait exercer un certain charisme, à la lutte armée. Jeunesse désœuvrée des banlieues d'Alger, mais aussi intellectuels et techniciens, déçus par le
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système FLN (Hashanî, par exemple, ancien porte-parole du mouvement, était ingénieur en pétrochimie), commerçants, fonctionnaires, etc. Aujourd'hui, excepté le Hamas de Mahfoud Nahnah et la Nahda de Abdallah Djaballah - partis islamistes modérés implantés dans la petite bourgeoisie et représentant plutôt des cadres moyens ou des religieux très modérés - l'islamisme algérien a éclaté, et s'est radicalisé d'une manière effrayante. Le terrorisme, qui frappe aveuglément la population civile, utilise les moyens les plus inhumains et les plus dégradants: tueries horribles à l'arme blanche, viols, massacres collectifs, y compris de vieillards, de femmes et d'enfants, enlèvements, y compris de religieux, bombes dévastatrices dans les cafés, les marchés et autres lieux publics, règlements de compte entre groupes islamistes eux-mêmes. D'ailleurs ces groupes recrutent, à présent, moins parmi des militants islamistes convaincus que parmi la petite pègre (délinquants, drogués, récidivistes...). Le recours à des "imams", "cheikhs" ou autre "émirs" auto-proclamés pour légitimer "religieusement", par le biais des fatwas, cette sainte alliance du gangstérisme, du fanatisme pseudo-religieux et et du terrorisme prétendument politique, n'y change rien: ces mouvements sont sans foi ni loi. Mais ces événements ne cessent de nous interpeller: et si la situation algérienne n'était que la forme paroxystique d'une dérive, inquiétante et générale, de l'islamisme le plus radical? Car, en effet, cette dérive de la violence, cette alliance du banditisme, du racket et d'un islamisme désespéré, délirant et ultra-conservateur, ne concerne hélas pas la seule AlgérJe. On peut l'observer aussi bien en Afghanistan que dans une partie de l'Egypte. Ces situations manifestent une relation inédite entre des courants radicaux issus de l'islamisme politique (lecture révolutionnaire du Coran), une vision simpliste et rétrograde de la sharî'a propagée par des militants ou imams généralement ignorants en matière de théologie - l'acte le plus insignifiant comme le plus abject et le plus irrationnel devant être "sanctifié" au nom de l'Islam -, et une violence exacerbée par des traditions locales de vendetta et de banditisme... Il s'agit d'ailleurs, dans la plupart des cas, d'un néo-fondamentalisme extrémiste et réactionnaire (rétrograde ou ultra-conservateur) sans projet étatique ni programme pour la société ou idéologie précise, à la différence du radicalisme islamiste "révolutionnaire" des décennies précédentes, celui qui se référait, dans le monde sunnite, aux thèses de Sayyed Qotb par exemple. La perception et l'usage de la violence se sont donc profondéI!1ent modifiés. Alors que l'islamisme politique visait les emblèmes de l'Etat contesté ou de la puissance occupante, la violence qui s'exprime actuellement frappe aveuglément la société civile (attaques contre les femmes non voilées, les intellectuels laïcs, les artistes, les journalistes, etc.), souvent au nom d'un "ordre moral islamique", parfois sans autre objectif que de jeter l'effroi. Pire encore, la violence politicoreligieuse, la délinquance et le terrorisme international se trouvent de plus en plus intimement mêlés. Par conséquent, il devient de plus en plus difficile de définir avec précision les frontières de cet islamisme ou néofondamentalisme radical. Car, si certains groupes ont besoin d'utiliser les Hiver 1996-1997
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référents symboliques et juridiques d'une prétendue shart a, afin de donner une justification "islamique" à leur violence ou à leur adhésion à tel ou tel réseau de terrorisme international, d'autres se contentent, en quelque sorte, des codes traditionnels en vigueur pour justifier, ou du moins admettre et vivre cette violence (dérive des moudjahidines ou des Talibans afghans dans un pays où discours pseudo-théologiques, racket, vendetta, trafics de drogues et rapines semblent faire bon ménage !). La radicalisation de certains "beurs" des banlieues françaises est un autre exemple (l'affaire de Marrakech en août 1994, les attentats de l'été 1995, les nombreuses arrestations dans divers réseaux islamistes en Europe...) de ce lien entre violence expressive, tentations terroristes, délinquance et banditisme. Nous allons donc examiner rapidement les deux formes de terrorisme que l'islaq1Ïsme emprunte aujourd'hui: un terrorisme instrumentalisé par certains Etats qui se servent de militants et de réseaux d'islamistes activistes pour atteindre certains objectifs géopolitiques et un terrorisme plus diffus, plus mondialisé aussi, qui concerne une nébuleuse de petits groupes échappant le plus souvent à un contrôle étatique ou partisan.
Terrorisme d'État, radicalismes islamistes et conflits géopolitiques La violence islamiste est donc liée à des contextes locaux marqués par l'autoritarisme politique et l'exacerbation des conflits sociaux, en particulier dans des pays où n'existent pas des partis islamiste de masse modérés, privilégiant l'action socio-culturelle et le prosélytisme pacifique, et bénéficiant d'une certaine reconnaissance, même semi-officielle. Mais cette violence - y compris J'usage du terrorisme - est en grande partie liée aus~i aux conflits entre Etats et aux problèmes géostratégiques. Des Etats, comme la Syrie, l'Iran, l'Iraq, la Libye et le Soudan, ont ainsi utilisé des réseaux terroristes (tous ne sont pas islamistes, d'ailleurs), non comme l'expression d'une idéologie, mais comme pur instrument de "politique étrangère". Une telle violence demeurait donc limitée et pouvait même prendre fin, lorsque la pression internationale se fai~ait trop forte, lorsque les intérêts ou la position stratégique de l'Etat changeaient, ou encore lorsque l'usage du terror!sme risquait de se retourner, d'une manière ou d'une autre, contre cet Etat. Exemple: après 1989, le Hezbollah et le Djihâd islamique libanais ont cessé leurs a~tions terroristes contre les intérêts occidentaux, ceux de la France et des EtatsUnis en particulier. L'instrument~lisation de mouvements radicaux est loin d'être une pratique des seuls Etats considérés comme extrémistes. La Jordanie a donné refuge et ouvert des camps d'entraînement aux Frères musulmans syriens en 1980. Le Pakistan soutenait le mouvement radical Hizb al-Islâmî (les Américains ont armé ce mouvement dès le début des années 80) ; aujourd'hui, Islamabad soutient les Talibans pour défendre ses propres intérêts géostratégiques. L'Arabie Saoudite a largement Confluences
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soutenu, financé, impulsé divers mouvements islamistes radicaux à travers le monde, avant que certains d'entre eux ne se retournent, après la guerre du Golfe, contre elle. Les services secrets turcs ont encouragé la naissance d'un Hezbollah turc pour lutter contre le PKK, etc. D'autre part, les mouvements terroristes sont loin d'être exclusivement islamistes. La Syrie, l'Iraq ou la Libye ont soutenu pendant les années 70 et 80 le groupe palestinien dissident Abou Nidâl, responsable d'une série d'attentats meurtriers, de détournements d'avions et de plusieurs assassinats, y compris de dirigeants de l'OLP. Or, ce groupe ne se réclame pas de l'idéologie islamiste. L'Iran islamiste a donné refuge au groupa arménien Asala et, à un certain moment, au PKK turc; aujourd'hui, il soutient le mouvement kurde de Djalâl Talabânî qui n'est pas islamiste. Même le soutien de l'Iran au Hezbollah libanais ne saurait s'interpréter uniquement par des considérations d'ordre théologique ou par des affinités idéologiques: il convient d'y voir surtout le souci de l'Iran de jouer un rôle géopolitique dans la région, etc. Les groupes extrémistes sunnites sont soutenus" entretenus, protégés par l'Arabie Saqudite qui n'est pas, elle, classée "Etat terroriste" par le Département d'Etat américain (ni d'ailleurs, pour cause de négociations de paix au Proche-Orient, la Syrie, autre refuge de groupes terroristes, islamistes ou non). Il est vrai que depuis la guerre du Golfe, beaucoup de mouvements islamistes radicaux, auparavant financés par Riyad, ont rompu avec le royaume wahhâbite. Mais par l'intermédiaire de canaux privés ou sous couvert d'activités culturelles, l'Arabie Saoudite demeure une des sources de financement importantes du radicalisme islamiste. En effet, depuis la fin des années 80, on peut se demnader si l'on n'est pas en train ,de passer, en ce qui concerne les ré~eaux islamistes, d'un "terrorisme d'Etat" à un "terrorisme contre les Etats" financé par des hommes d'affaires, intermédiaires et financiers en tout genre. Illustration de cette "privatisation" du terrorisme islamiste: la personnalité d'Oussâma Ibn Laden, richissime saoudien, dont la fortune est estimée à quelque 300 millions de dollars et qui vit, depuis 1991, à une dizaine de kilomètr~s de Khartoum dans une résidence très protégée. Pour le Département d'Etat américain, j] est l'un des principaux financiers des mouvements islamistes dans le monde. En octobre 1995, les enquêteurs britanniques trouvent son nom dans les comptes bancaires d'Abou Farès, un des organisateurs des attentats qui ensanglantèrent Paris durant l'été de la même année. En novembre 1995, ce sont les services secrets américains qui s'intéressent à lui, après l'explosion qui a ravagé le camp d'entraînement de la Garde nationale à Riyad. Il pourrait être également impliqué dans la tentative d'assassinat perpétrée par des militants des qamâ'ât al-Islâmiyya égyptiennes contre le président Hosni Moubarak en Ethiopie. Grâce à son immense fortune, Oussâma Ibn Laden aurait ainsi financé aussi les auteurs de l'attentat contre le World Trade Center à New-York, des camps d'entraînement en Afghanistan et au Soudan, le Hamas Hiver 1996-1997
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galestinien, l'assassinat, par les Gamâ'ât al-Islâmiyya, de touristes en Egypte, des opérations terroristes au Yémen, des groupes d'opposition en Arabie Saoudite même et plusieurs attentats commis en Europe... Le royaume wahhâbite avait utilisé les "compétences" d'Ibn Laden, en tant qu'entrepreneur et organisateur, pour "professionnaliser" la résistance afghane contre les troupes soviétiques. Grâce à la manne de dollars en provenance d'Arabie Saoudite, mais aussi de Koweit et de Qatar, il a formé des dizaines de milliers de combattants (Peshawar, Dja}albad, Kaboul. ..). Beaucoup sont ensuite rentrés chez eux (Algérie, Egypte, Yémen, Arabie Saoudite...). Ce genre de "mécène" du terrorisme se multiplie, ce qui complique encore un peu plus la lutte anti-terroriste. Youssef Djamîl Abdelatîf, autre richissime financier saoudien et actionnaire important de Sony, aurait offert un million de dollars à Ahmed Simorzag, l'un des trésoriers du FIS algérien. C'est aussi l'argent des milliard,aires saoudiens qui a permis la construction de la grande mosquée d'Evry, dont les animateurs ne cachent pas leurs convictions néofondamentalistes et leurs tentatives de "communautarisation" de la population musulmane de France; mais ces activités sont pacifiques et n'ont rien à voir avec le radicalisme ou le terrorisme. Néanmoins, beaucoup de groupes islamistes radicaux profitent des dollars princiers (GIA, Gamâ'ât al-Islâmiyya égyptiennes, Hamas palestinien.. .). En ce qui concerne le Hamas par exemple, cet argent sert prioritairement à financer la gestion d'écoles, d'orphelinats, de facultés, de l'aide aux familles pauvres mais une partie est allée à la branche armée "Ezzedine al-Qâsim". Par ailleurs, la branche radicale du Hamas s'est considérablement développée aux Etats-Unis; les mosquées et autres organisations caritatives drainent les fonds collectés au nom de la "charité islamique" et reçoivent, de l'étranger, des dons d'un montant autrement plus considérable. Ainsi les réseaux de solidarité bâtis en Syrie, au Liban, en Jordanie, au Soudan, en Iran... recueillent des dons qui aboutissent directement, et par millions de dollars, à la direction américaine du mouvement, laquelle les répartit entre les chefs militaires à Gaza et en Cisjordanie. Mais il faut se ga,rder ici de toute diabolisation : si une partie des médias, le Département d'Etat américain et les responsables israéliens considèrent ce mouvement comme un groupe terroriste, la réalité est bien plus complexe: il convient, avant de poursuivre notre analyse, de s'arrêter un moment sur ce mouvement et de rappeler la complexité de sa situation, les clivages qui le traversent et la difficulté à le réduire simplement à un mouvement terroriste.
L'Iran et le Soudan Malgré la crise que traverse le système des mollahs, l'État iranien aspire toujours à être le centre de l'islamisme radical chiite, voire d'une partie du radicalisme sunnite. L'Iran consacrerait ainsi une enveloppe annuelle estimée à plusieurs millions (100 millions 1) de dollars à la nébuleuse de groupes islamistes à travers le monde, y compris des Confluences
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groupes pratiquant le terrorisme et J'assassinat politique. L'Iran soutient le Hezbollah libanais, en tant que mouvement de résistance à J'occupation militaire israélienne du Liban sud (pays majoritairement chiite). Il joue les bai11eurs de fonds auprès d'organisations affiliées au réseau du Hezbo11ah international dans une quinzaine de pays. L'Iran soutient également le Djihâd islamique palestinien opposé au processus de paix avec Israël (les attentats antisémites de Buenos Aires et de Londres ont été attribués à ces groupes). L'Iran va même au-delà des problèmes géostratégiques de la région, puisqu'en avril 1996, par exemple, la police turque arrête Irfan Cagirici, auteur présumé du meurtre de deux intellectuels turcs libéraux et laïques en 1990 à Ankara; J'islamiste turc avouera que ces assassinats avaient été ordonnés et payés par Téhéran. L'Iran a également participé à J'armement de certains groupes combattants en Bosnie. Toutes ces opérations seraient montées par le ministère du Renseignement et par les commandos alQods qui bénéficient de la complicité active qes ambassades et consulats iraniens à J'étranger. Mais le terrorisme d'Etat iranien est avant tout aujourd'hui à double usage: usage interne (réprimer et briser toute contestation) d'un côté; élimination des opposants iraniens à J'étranger, de l'autre. Téhéran ne semble plus se fixer comme objectif prioritaire (il n'en a plus les moyens) d'exporter la révolution islamique et la pensée de J'imam Khomeyni. La faillite économique alimente toutes formes de contestation et les assassinats d'opposants, les disparitions, les emprisonnements arbitraires, les tortures et les exécutions se comptent par milliers. Le bilan des assassinats systématiques d'opposants exilés est également édifiant: une soixantaine, dont la moitié en Europe, Je dernier en date étant Reza Mazlouman, ancien vice-ministre de J'Education nationale du Shah, assassiné à Créteil en mai dernier. Tous ces meurtres ont été planifiés par le Conseil supérieur de la sécurité nationale où siègent le Président Rafsandjani et le "Guide de la révolution", Ali Khamenei. Figure emblématique de l'islamisme radical sunnite, Hassan alTourâbî, 66 ans, veut s'imposer depuis Khartoum, face à Téhéran, comme leader charismatique de l'islamisme. A,ncien ministre de la Justice du dictateur Numeyri, il soutient le coup d'Etat du général al-Bashîr en 1989 et devient le leader du Front national islamique. Il préside, depuis avril 1996, l'Assemblée nationale soudanaise et est chargé d'élaborer la future Constitution "islamique" du pays. Hassan al-Tourâbî exce11e dans l'art du double language. Avec son doctorat à la Sorbonne et son master's de J'Université de Londres, il tente (avec un certain succès parfois) de séduire ses interlocuteurs occidentaux: "Ce que veut le Soudan et l'islamisme en général, affirme-t-il, c'est chercher et expérimenter une voie originale d'accès à la modemi~é, dans le respect de la tradition". Depuis le coup d'Etat du 30 juin 1989, organisé par Hassan al-Tourâbî et le général Omar Hassan al-Bashîr, le nouveau régime a mis en place un système de terreur qui a mis brutalement un terme à toute vie politique, associative ou syndicale, dans un pays qui a pourtant connu, très tôt, un Hiver
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certain pluralisme confessionnel (confrérique), intellectuel et politique. Les Frères musulmans et le Parti national islamique, responsables de la situation désastreuse que connaît le Soudan depuis des décennies, imposent une économie corrompue et mafieuse et un système totalitaire: les droits de l'homme les plus élémentaires sont bafoués; on flagelle au nom de la sharla; l'administration est épurée; les opposants sont impitoyablement traqués et pendus; une guerre d'épuration éthnique et religieuse est menée contre les populations animistes et chrétiennes du sud; les femmes sont asujetties à un mode de vie avillissant; une "islamisation" forcée de la société est conduite par des comités populaires de quartiers, des gardiens des mœurs, ainsi qu'un appareil policier et sécuritaire omniprésent. De plus, Hassan al-Tourâbî entend jouer un rôle de nouveau leader de l'islamisme radical. Sur la scène internationale, le Soudan se signale, en effet, par ses liens étroits avec l'Iran dont il est en quelque sorte la tête de pont en direction ,du monde arabe, même s'il a reçu de l'aide de l'Arabie Saoudite et des Emirats du Golfe et soutenu l'Iraq pendant la guerre du Golfe. Le régime se signale également par l'entraînement de mouvements insurrectionnels islamistes (algériens, égyptiens, tchadiens...) et par la mise en place de réseaux d'activistes visant à faire pression, voire à déstabiliser, des gouvernements voisins. Le régime apporte un soutien sans faille à des mouvements islamistes très différents (Djihad et Hamas palestiniens, FIS algérien, Ennahda tunisienne...) qui se réunissent à Khartoum, depuis 1991, au sein de la "Conférence populaire islamique" créée et présidée par alTourâbî. Mais le pays abrite également des bases terroristes.
Néofondamentalismes
et réseaux transnationaux de terrorisme Quand on s'attache à l'étude du terrorisme islamiste international, il est très difficile de disposer de définitions, d'approches et d'appréciations très précises, tant les stratégies, les réseaux et les acteurs sont opaques, entremêlés, trop imbriqués et en constante évolution. Cependant, il n'est Ras faux (ni inutile) de distinguer le terrorisme instrumentalisé par les Etats (dans ce qui précède, nous avons tenté d'en donner un aperçu général et quelques exemples édifiants) et un terrorisme plus diffus, moins dépendant étroitement d'un centre de décision permanent, plus internationalisé... et autrement plus dangereux. Nous avons pu observer, précédemment, que les mouvements néofondamentalistes des années 80/90 étaient, d'une manière générale, moins orientés vers les dimensions étatiques et stratégiques du combat politique; la question d'une idéologie et d'un projet politique islamistes, même "révolutionnaires", ne les intéressent pas. Ils accordent plutôt la prééminence à la lutte contre l'''Occident mécréant et satanique" et à la question des "bonnes mœurs islamiques". Ce qui ne manque pas de les conduire à un ultra-conservatisme juridique et social, voire à la pratique Confluences
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d'une violence_extrême et destructrice (telTOrisme international, mais aussi terrorisme à usage interne, destiné à effrayer la population ou à éliminer, soit des adversaires politiques, soit tout simplement des Musulmans paisibles n'ayant pas la même conception qu'eux de ce qu'est la "loi islamique" ...). Ce qui, en outre, les différencie des mouvements islamistes classiques, c'est que le recrutement, l'implantation et la stratégie de ces derniers semblent indiquer une permanence des clivages nationaux. Or, les aires culturelles et les stratégies stato-nationales semblent plutôt absentes des groupes néofondamentalistes qui sont, soit cantonnés à des niveaux locaux (voire éthniques ou tribaux), soit s'attachent à porter leur intérêt au niveau de l'ensemble de la communauté-umma des Musulmans (dimension internationale de )eur combat). Autrement dit, pour les néofondamentalistes, les Etats musulmans actuels n'ont pas de légitimité; et à leurs yeux, être musulman, c'est d'abord (voire exclusivement) respecter un code juridique et comportemental minimum (sharî'a) ; les appartenances socio-culturelles, nationales, etc, n'ont, pour eux, que très peu de sens (les différentes attaches et les multiples appartenances de l'homo islamicus sont considérées par eux comme un redoutable facteur de "dissension", de "discorde" (fitna) entre Musulmans. Par conséquent, on voit se développer, de plus en plus, chez ce type de militants le besoin d'adhérer à des réseaux transnationaux, où le conservatisme social et l'action - surtout l'action violente, voire la pratique du terrorisme - semblent l'emporter sur l'idéologie et le programme politique, et sur les préoccupations partisanes et organisationnelles. Ces réseaux transnatio,nausx ne sont donc pas fondés sur une allégeance prioritaire à un Etat ou à un parti islamiste d'implantation nationale (sur le J!l0dèle des Frères musulmans dans les pays du Moyen-Orient arabe - Egypte, Syrie, Jordanie... - ou encore sur le modèle du Refah dans le monde turque, etc.). D'autre par,t, ces réseaux sont fondés sur la mobilité et la circulation des militants. A dire vrai, il n'y a pas d'organisation supranationale, mais une nébuleuse complexe et mobile qui ignore les frontières et utilise des individus souvent marginalisés, déracinés, coupés d'un milieu culturel d'attache (Kurdes, Palestiniens, jeunes "beurs" s'inventant une "identité islamiste" nouvelle, coupée des racines et de la culture des pays d'origine, en rupture avec la langue et la culture - religieuse notamment - des parents qui ne font plus vraiment sens pour eux). Les supports de circulation internationale de cet islamisme "cosmopolite et très activiste" sont moins les organisations politiques islamistes traditionnelles (trop marquées nationalement) que des organisations plus lâches, plus souples, telles que les "ONG islamiques". L'exemple type de cette nouvelle pratique, qui concerne une nouvelle génération d'activistes (voire de terroristes) islamistes, est celui fourni par les "moudjahidines" d'Afghanistan (ceux qu'on a pris l'habitude d'appeler les "afghans") qui n'ont cessé, depuis le départ des troupes soviétiques, de se déplacer au gré des crises et des "causes islamiques" à défendre: Algérie, sud Liban, Territoires occupés, Somalie, Bosnie, Tchétchénie, Philippines, etc. Ce qui Hiver
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complique singulièrement la connaissance de ce type de réseaux, c'est qu'on se trouve, en fait, en présence d'une nébuleuse où de petits chefs s'imposent, entraînant un groupe de partisans venus d'autres organisations, mais aussi des prêcheurs, rassemblant autour d'eux un noyau de disciples (l'exeJI1ple type de ces prêcheurs est le cheikh Omar Abderahmân, arrêté aux Etats-Unis parmi les responsables de l'attentat du World Trade Center en février 1993). S'agissant de cet attentat, les enquêteurs semblent s'orienter vers l'existence d'un réseau de complicités confus, tissé par plusieurs groupes (branche internationale du Hamas, Djihâd islamique, tout deux palestiniens; Front national islamique soudanais; mouvement al-Fuqra du Pakistan, etc.). L'artificier de l'attentat, Ramzî Ahmad Youssef, 28 ans, est représentatif de ce terrorisme "transnationaliste" islamiste nouveau. Véritable commis voyageur de cet islamisme extrémiste et sectaire, il a voyagé sous différents noms d'emprunt (Nagî Haddâd, Mahmoud Abdelkarîm, Ali Khan, Abdelbâssat Mahmoud...) à Karachi, à Bagdad, aux Philippines (où il a tenté d'organiser un attentat contre le Pape), à Bangkok, à New-York. Il est le principal inculpé dans l'explosion qùi a ravagé le World Trade Center de Manhattan (6 morts, plus de 1000 blessés) ; son procès a débuté fin mai à New- York. Originaire du Baloutchistan pakistanais, il a fait ses classes dans les commandos de moudjahidînes en Afghanistan et n'a cessé de voyager pour entrer en contact avec des réseaux plus ou moins importants qui opèrent de par le monde, avant d'être arrêté en février 1995 à Islamabad. Aux Philippines, Ramzî Youssef et son équipe (des "afghans" originaires de divers pays, tel Koweit, le Maroc ou le Pakistan...) s'appuient sur un autre groupe, dit Abou Sayyâf, implanté dans les îles musulmanes du sud de l'Archipel (les cadres de ce groupe et même son "émir", Abou Bakr Djandjalânî, sont des "afghans", familiers du camp de peshawar), et semblent avoir eu des contacts avec la guérilla des Moros. A New-York, Ramzî Youssef s'est appuyé sur une "association islamique", créée en 1989, qui accueille un an plus tard, l'imam égyptien a~eugle, recherché par la police égyptienne, aujourd'hui emprisonné aux Et!lts-Unis, Omar Abderahmâm ("guide spirituel du Djihâd islamique d'Egypte et auteur de la fatwa autorisant le meurtre du président Anouar al-Sadate). On le voit, à travers l'exemple emblématique de Ramzî Ahmed Youssef: l'islamisme violent actuel n'est pas véritablement structuré en organisations connues et centralisées; ce radicalisme fonctionne grâce à la circulation internationale de militants activistes en quête de "guerres saintes" à mener et d'une umma fantasmatique à reconstituer. Les réseaux transnationaux dont ils font partie sont aussi l'expr~ssion de la réalité nouvelle du monde, celle de la remise en cause de l'Etat comme acteur central de la vie politique internationale, et celle de l'hybridation, du déracinement, du nomadisme, des migrations et de la diffusion, à l'échelle planétaire, de flux de toutes sortes. Abderrahim Lamchichi
Confluences
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Algérie
Terrorismes et guerre civile
Entretien avec
Luis Martinez
Tous les circuits d'information étant étroitement pouvoir, il est extrêmement difficile aujourd'hui de passe vraiment en Algérie. Luis martinez a publié, le cadre du CERI, quelques études particulièrement la violence qui règne, dans ce pays, au quotidien. Il questions.
contrôlés par le savoir ce qui se notamment dans intéressantes sur répond ici à nos
- Sur un sujet aussi délicat et aussi sensible, caractérisé par le secret, la manipulation et les difficultés convnent procédez-vous ?
d'accès
à l'information
sur place,
A partir d'interviews de personnes de différentes tendances et de différentes villes, je tire des analyses sans pour autant prétendre à une connaissance de la réalité algérienne. Tous ceux qui ont essayé d'y prétendre se rendent compte de la complexité de ce pays, en temps de paix, donc plus encore en temps de guerre. Pour moi, il s'agit de formuler des hypothèses construites sur des schémas capables d'expliciter cette situation de guerre. -
Sur quelles
données
vous fondez-vous?
Ce sont les interviews, l'observation sur place, la documentation écrite des islamistes et des militaires qui fournissent des informations et en même temps, permettent de voir comment la motivation des individus qui se lancent dans l'action armée s'inscrit dans la stratégie de guerre menée par le régime et les groupes armés. Hiver 1996-1997
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- Le travail universitaire n'est pas coupé du contexte politique dans
lequel vous évoluez et qui peut aussi vous imposer des contraintes. N'avez-vous pas quelques difficultés à travailler de manière sereine sur
ce sujet? Je construis un outillage théorique capable de me préserver de ma subjectivité sur le sujet. Il faut expliquer comment les protagonistes fonctionnent, quels sont leurs objectifs et comment s'inscrit, dans ce mécanisme de guerre, le conflit algérien.
- Vous étudiez le phénomène et son fonctionnement à partir d'une date que vous avez choisie ou qui vous a été imposée par le contexte, et vous étudiez le fonctionnement des groupes terroristes uniquement à l'échelle du GIA ou bien avez-vous aussi regardé du côté de l'AIS, la branche armée du FIS? Je travaille sur la guerre civile algérienne donc sur l'ensemble des protagonistes, leur environnement et les ressources présentes. Il s'agit de comprendre ce qui se passe en Algérie depuis 1992. De 1992 à 1995, j'ai réalisé des enquêtes sur ce sujet. C'était aussi le moment où s'est déclarée une guerre civile en Algérie, où émergent le GIA, l'AIS, une multitude de groupes locaux qui se sont constitués dans la grande banlieue d'Alger. Il faut aussi comprendre quel est leur ennemi, à qui ils s'opposent, qui sont les forces de sécurité en dehors de l'armée algérienne. Il faut comprendre l'institution militaire, les forces de gendarmerie, de police, aujourd'hui les milices. L'affrontement de ces protagonistes m'a amené à étudier la guerre civile. J'ai travaillé aussi sur la mobilisation islamiste entre 1990 et 1991, la gestion des municipalités par le FIS. On n'assiste pas au basculement d'un mouvement politique, mais au contraire àl'émergence de groupes marginaux dans la guerre civile. Aujourd'hui l'ensemble des responsables de l'ex-FIS dont une partie est en exil ou en liberté surveillée à Alger n'ont pas pris le maquis. Les rares qui l'on fait ont été éliminés en 1994-95 et depuis, il y a une multitude d'émirs autoproclamés ou spontanés qui sont en charge de la direction de la guerre et qui n'aspirent en aucun cas à un retour de la paix civile.
-
Et l'AIS?
Il Y a trois types de guérilla en Algérie. Une guérilla que l'on peut qualifier de révolutionnaire, menée par le Groupement islamique armé (GIA) et le Mouvement pour un Etat islamique (MEI) dont le but clairement affiché est le renversement du pouvoir par la guerre en utilisant tous les moyens possibles, y compris la terreur contre "le peuple" ou tous les éléments qui refusent leur légitimité. C'est là que se trouve l'explication à tous les assassinats d'enseignants, de fonctionnaires, d'étrangers; tous ces individus ne partagent pas leurs convictions ou les combattent. Deuxième type de guérilla, plus nuancée, plus politique, celle menée Confluences
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par l'armée islamique du salut (AIS) qui reprend le flambeau du Mouvement islamique armé recréé en 1990. C'est une guérilla politique qui aspire à la relégalisation d'un parti politique dissous et qui mène un djihad "militairement correct", Ses cibles sont précises: les militaires et seulement les militaires, de manière générale les forces de sécurité. Elle vise à blanchir le djihad pour en faire un djihad tel que la littérature islamique le présente avec des normes, des rites, des lois. Toutefois, la guerre civile étant ce qu'elle est, l'AIS n'a pas les moyens de sa politique. Lorsqu'on envoie des miliciens pro-gouvernementaux qui pratiquent une guérilla extrêmement brutale combattre l'AIS, les maquisards de l'AIS se croient obligés de répondre par les mêmes méthodes et sont donc en décalage entre leurs aspirations politiques et la pratique réelle de leur combat. Troisième type de guérilla, la plus visible, celle qui a empêché un grand nombre d'observateurs de voir réellement ce qui ce passe en Algérie, c'est la guérilla sociale. A savoir tous ces groupes armés spontanés qui se sont constitués dans l'Algérois où les individus n'avaient aucun lien avec le FIS et venaient en grande partie de ce que l'on nomme en Algérie le "hittisme", ces jeunes désoeu'::fés qui "tiennent les murs" se sont engagés non pas pour instaurer un Etat islamique, encore moins pour combattre un régime qu'ils détestent, mais tout simplement parce que dans leur quotidien, ils se sont sentis agressés par la présence des forces de sécurité. Ils ont été les premières victimes des arrestations arbitraires, de la torture. Ils ont préféré dès lors protéger leurs quartiers plutôt que de subir les descentes des forces de sécurité. Ceux-là apparaissent comme les plus visibles pour les journalistes, mais aussi pour certains analystes qui voient en eux la dérive d'un mouvement. Ces trois types de guérilla persistent. Le traitement militaire qu'applique le gouvernement à ces trois types de guérilla explique en grande partie sa stratégie. A savoir, d'une part la mise en avant de la guérilla révolutionnaire en essayant si possible de la laisser évoluer. On accorde au GIA un maximum de publicité pour discréditer la guérilla politique afin de montrer que l'ensemble des actions menées en Algérie le sont par les révolutionnaires là où en fait leur part n'est pas aussi importante qu'on l'imagine. Il y a donc un GIA qui apparaît hégémonique, une AIS ressemblant à l'arlésienne qui n'apparaît jamais médiatiquement malgré son importante activité de publication (communiqués, brochures, utilisation massive d'Internet). La guérilla sociale est aussi totalement occultée, ce qui fait dire que la jeunesse est contre le régime alors qu'en réalité elle est agressée dans son quotidien, dans son environnement, et aspire tout simplement à retrouver sa situation passée. Le régime pourrait, grâce aux ressources issues de la libéralisation du commerce, financer la paix sociale dans les quartiers et faire sortir les "hittistes" de la guérilla sociale du djihad à travers l'ensemble des activités criminelles. Il utilise les sociétés d'import-export pour blanchir l'argent accumulé grâce au djihad, afin que les grandes villes et communes de la périphérie d'Alger retrouvent un semblant de calme, et donc réinjecter Hiver 1996-1997
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des flux financiers dans ces communes, évitant ainsi la continuation de ce type de guérilla, voire permettre au Ramas, le parti de Mahfoud Nahnah d'obtenir des mairies et passer des contrats avec ces groupes spontanés en les transformant en police des mœurs.
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Ce serait la politique du régime?
C'est ce qui se dessine depuis deux ans: l'impossibilité militaire pour le régime de contrôler ces grandes zones urbaines qui entretiennent une guérilla locale qui ne veut en aucun cas sortir du quartier ou de la commune et qui utilisent simplement les ressources présentes en accumulant de l'argent par le biais du racket. Pour le régime, il s'agit de récupérer ce type de guérilla. La stratégie militaire a totalement échoué. dans ce domaine. La construction de casernes autour d'Alger n'a pas pu sécuriser ces zones. Les descentes ponctuelles des Ninjas (Groupe d'intervention et de surveillance-GIS) n'ont pas assuré un retour à la paix civile. Un marché politique peut être alors passé avec le parti Ramas, ce qui s'est déjà fait au niveau des mosquées des grandes banlieues d'Alger où les imams sont très proches du Ramas. Après les mosquées, le régime espère procéder de même avec les mairies.
- Le régime ne souhaite-t-il pas la persistance d'une logique de guérilla?
La pacification des grandes banlieues d'Alger, voire la coopération avec le Ramas, amènerait une crédibilité au régime qui a encore du mal à s'affirmer aujourd'hui. Avec des maires et des députés Ramas, le pouvoir pourrait dire que l'Algérie n'est pas une dictature d'impies mais simplement un régime militaire. - Mais le gouvernement ne souhaite-t-il pas interdire tout mouvement
à connotation
religieuse, dont le Hamas?
Aujourd'hui on n'a pas l'impression que le régime en veuille au Ramas. N'oublions pas que Mahfoud Nahnah a déjà pris le maquis en 1976 et a connu la prison. Il est un des premiers dans la mouvance islamiste à conna~e les limites de cette stratégie de lutte contre le régime pour instaurer un Etat islamique. Il a donc mis en place un scénario plus proche de l'Egypte, qui consiste plutôt en une collaboration qu'en une véritable opposition. En revanche, le régime pourrait avoir un intérêt dans la persistance de la guérilla révolutionnaire, car il est clair que le dénominateur commun