Rites et pratiques de l'hospitalite: Mondes juifs et indiens anciens (Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beitrage) (French Edition) 9783515096898, 3515096892

English summary: In his comparative study of texts from the ancient Jewish and ancient Indian worlds (rabbinic literatur

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Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
PRÉAMBULE
1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE
2. RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE
3. RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE BRAHMANIQUE
4. PERSPECTIVES COMPARATIVES ET CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES PASSAGES CITÉS
INDEX GÉNÉRAL
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Rites et pratiques de l'hospitalite: Mondes juifs et indiens anciens (Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beitrage) (French Edition)
 9783515096898, 3515096892

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Philippe Bornet Rites et pratiques de l’hospitalité

POTSDAMER ALTERTUMSWISSENSCHAFTLICHE BEITRÄGE (PAwB)

Herausgegeben von Pedro Barceló (Potsdam), Peter Riemer (Saarbrücken), Jörg Rüpke (Erfurt) und John Scheid (Paris) –––– Band 31

Philippe Bornet

Rites et pratiques de l’hospitalité Mondes juifs et indiens anciens

Franz Steiner Verlag Stuttgart 2010

Gedruckt mit Unterstützung des Fonds des publications der Université de Lausanne

Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek: Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über abrufbar. ISBN 978-3-515-09689-8 Jede Verwertung des Werkes außerhalb der Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist unzulässig und strafbar. Dies gilt insbesondere für Übersetzung, Nachdruck, Mikroverfilmung oder vergleichbare Verfahren sowie für die Speicherung in Datenverarbeitungsanlagen. Gedruckt auf säurefreiem, alterungsbeständigem Papier. © 2010 Franz Steiner Verlag, Stuttgart Druck: Bokor Offsetdruck, Bad Tölz Printed in Germany

PRÉAMBULE Le présent ouvrage constitue une version remaniée de ma thèse de doctorat, soutenue en février 2007 en Faculté des lettres de l’Université de Lausanne. Il n’est pas exagéré de dire que cette étude n’aurait pas été possible – et ce n’est nullement là un artifice rhétorique – sans l’encouragement constant, la patience et la générosité de Maya Burger (Université de Lausanne), José Costa (Université de Paris III) et Alois Payer (Universités de Tübingen et Zürich). Maya Burger a dirigé ce travail de son début jusqu’à son achèvement : elle m’a communiqué sa passion pour l’histoire comparée des religions, m’a encouragé à décentrer mes perspectives, et a inlassablement relu et commenté les textes que je lui ai soumis. Au cours de passionnants échanges, José Costa a commenté mon texte avec un regard aiguisé et une patience à toute épreuve, et m’a introduit aux complexités de la logique rabbinique. Enfin, Alois Payer m’a accordé une hospitalité autant intellectuelle que matérielle, en me recevant à de nombreuses reprises en son domicile afin de démêler par son érudition sans faille les problèmes rencontrés dans l’étude et l’interprétation des traités brahmaniques de dharma. La nature même du présent travail a engendré de multiples difficultés que je n’aurais pu surmonter – et encore, de manière bien imparfaite – sans l’aide de nombreux érudits rencontrés sur mon parcours. L’étude des sources dans leur langue originale et l’établissement de traductions littérales a nécessité un effort majeur. Sur ce point, j’ai bénéficié du conseil avisé de collègues spécialistes et ai consulté les traductions existantes des textes, tout en m’efforçant de conserver une distance critique à leur égard. Le recours aux traditions de recherche propres à deux disciplines académiques qui ne sont pas usuellement appelées à collaborer présentait une seconde difficulté. L’interdisciplinarité encouragée par le département interfacultaire d’histoire et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (au niveau tant de la recherche que de l’enseignement), ainsi que la bienveillance des érudits qui y collaborent m’ont aidé à dépasser cette difficulté. La nature controversée de la démarche comparative en histoire des religions représentait un troisième écueil. Les réflexions de plusieurs collègues – et en particulier l’organisation à l’université de Lausanne d’un colloque sur le sujet en 2004 – m’ont cependant encouragé à poursuivre sur cette voie et à développer une approche comparative originale dans un esprit d’expérimentation. À la manière d’un voyageur qui reçoit l’hospitalité sur son chemin, j’ai contracté de multiples dettes tout au long de mon parcours. Je dois donc mentionner ici mes créanciers, sans qu’il ne soit question de les associer d’aucune manière aux imperfections et erreurs subsistant dans le travail, pour lesquelles je conserve évidemment l’entière responsabilité.

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Préambule

Je tiens donc à remercier chaleureusement le professeur Johannes Bronkhorst (Université de Lausanne) pour ses remarques portant autant sur des points techniques de détail que sur un questionnement théorique relatif à l’étude des religions, Yvan Bubloz (Université de Lausanne) pour avoir pris la peine de relire l’ensemble du texte et pour ses réflexions stimulantes sur la nature de l’histoire des religions comme projet intellectuel, le professeur Burkhard Gladigow (Université de Tübingen) pour sa relecture de la partie introductive du texte et ses suggestions éclairantes, la professeure Ute Heidman (Université de Lausanne) pour m’avoir introduit à l’analyse comparée des discours, la professeure Silvia Mancini (Université de Lausanne) pour ses conseils méthodologiques précieux sur le volet « réflexif » de l’étude des religions, la professeure Kathryn McClymond (Georgia State University) pour m’avoir communiqué son expérience des tenants et aboutissants d’un travail comparatif sur les contextes juifs et indiens et le professeur Heinrich von Stietencron (Université de Tübingen) pour de passionnantes discussions sur les rituels domestiques de l’Inde ancienne. Le docteur François Voegeli m’a enfin fait l’amitié et l’honneur d’une dernière relecture du manuscrit avant sa publication. Que tous les membres du corps intermédiaire affiliés au département d’histoire et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (en particulier Alain Bühlmann, Séverine Desponds, Bogdan Diaconescu, Philippe Gilbert, Nicola Pozza) trouvent également l’expression de ma profonde gratitude, pour leurs remarques constructives, leur amitié, et l’environnement intellectuel extrêmement stimulant qu’ils ont contribué à créer. Le Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique m’a permis de poursuivre mon travail dans le cadre très privilégié de l’université de Tübingen. La bibliothèque centrale et les bibliothèques du Seminar für Indologie und vergleichende Religionswissenschaft et des Facultés de théologie de l’université de Tübingen m’ont fourni l’indispensable accès aux éditions de référence des sources examinées dans ce travail. Les ultimes travaux d’édition du texte ont enfin été achevés à la faveur d’un séjour postdoctoral à l’Université de Chicago soutenu par la Société Académique Vaudoise. Je remercie vivement le Fonds des publications de l’Université de Lausanne ainsi que le comité éditorial de la collection des Potsdamer altertumswissenschaftliche Beiträge (et en particulier le professeur Jörg Rüpke) qui a bien voulu accueillir la présente étude dans la série des Potsdamer Altertumswissenschaftliche Beiträge. Last but not least, ce travail n’aurait pas vu le jour sans le soutien permanent et l’encouragement de mes parents tout au long de mon parcours de recherche. Chicago, août 2010

1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE 1.1 L’HOSPITALITÉ COMME SUJET D’HISTOIRE DES RELIGIONS Une littérature récente et relativement abondante explore les différentes facettes de la notion d’hospitalité dans l’histoire et les cultures, ce qui témoigne au moins de l’intérêt suscité aujourd’hui par cette notion1. Contre les théoriciens du « choc des civilisations », il apparaît que l’hospitalité pourrait constituer une modalité d’interaction sociale favorisant les échanges et les relations pacifiques entre différents groupes sociaux2. Le présent ouvrage place lui aussi la notion d’hospitalité en son centre, et examine son déploiement au sein de deux sociétés anciennes dans une perspective d’histoire comparée des religions. À première vue, l’hospitalité apparaît comme une valeur défendue par la plupart des religions3, et l’on peut souligner avec la sociologue Anne Gotman la « place indélogeable de l’hospitalité dans les textes de sagesse4 ». La Bible hébraïque comporte effectivement de nombreux récits encourageant – de manière plus ou moins explicite – la pratique de l’hospitalité, comme celui de Genèse 18– 19, ou le récit du livre des Rois (2 Rois 4). Similairement, la tradition grecque antique place volontiers l’hospitalité sous la protection des dieux, et en particulier, de Zeus xenios. Le respect des règles d’hospitalité relève alors d’un devoir sacré. Le Nouveau Testament chrétien comporte quant à lui de nombreux textes faisant la recommandation instante de l’hospitalité. On pense notamment au texte de Matthieu 25, 33 sqq., aux passages de la Lettre aux Romains 12, 13 ou de la Lettre aux Hébreux 13, 1–2. Les Pères de l’Église eux-mêmes ont amplement traité de l’hospitalité, en en faisant l’une des vertus caractéristiques du bon Chrétien. Dans le judaïsme rabbinique, l’hospitalité fait l’objet d’un développement très conséquent. Les thèmes bibliques de l’hospitalité d’Abraham, Loth, etc. sont abondamment réélaborés et sont globalement considérés comme des exemples qu’il convient d’imiter. Les codes normatifs médiévaux (par exemple, ceux de Maïmonide) réservent également une place de choix à l’hospitalité. Le Coran évoque quant à lui à de nombreuses reprises le souci des étrangers5, et les ণadîth prônent

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On pense à Gotman (1997), Montandon (1999), Montandon (2001), Gotman (2001), Montandon (2004), etc. Cf. ainsi Gandhi (2006). Pour un aperçu des questions relatives à l’hospitalité dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, cf. Reeber (2000). Voir aussi récemment le travail de Monge (2006). Gotman (2001), p. 19, qui relève cependant aussi les ambiguïtés de l’hospitalité dans ces mêmes textes. Par exemple, Coran II 177, II 215, IV 36–37, XXX 38 etc.

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1. Introduction et méthodologie

de manière très explicite une pratique assidue de l’hospitalité6. Les traditions indiennes ne font pas exception : les textes fondateurs du bouddhisme recommandent vivement de pratiquer l’hospitalité, en particulier pour ce qui concerne l’accueil des moines7. De nombreux textes de l’hindouisme prescrivent la pratique de l’hospitalité jusqu’au point, dans certains cas, d’exiger le dénuement complet du maître de maison pour son invité8. Ce tableau général pourrait laisser penser que l’hospitalité est unanimement soutenue par les « grandes religions ». On pourrait en conclure que les différentes traditions religieuses évoquées ici défendent une sorte d’humanisme avant la lettre au sein de leurs textes fondateurs et prônent la pratique d’une hospitalité « inconditionnelle ». Au risque de compliquer cette image, un tel constat est problématique pour toute une série de raisons. D’abord, parce qu’un examen plus détaillé des textes montre que si l’hospitalité constitue bien un devoir important au sein des diverses traditions évoquées, celle-ci connaît également des limites9. Ensuite, parce que la notion même d’hospitalité émane d’un contexte culturel précis (romain, puis chrétien), et qu’il n’est pas sûr que l’on puisse la transposer sans autre à d’autres contextes. Enfin, parce qu’il n’est pas correct de passer de manière transparente du niveau des textes à celui de « religions », puisque les textes reflètent avant tout des conditions socio-historiques particulières, et ne sont pas nécessairement déjà solidaires d’une « religion », au sens moderne du terme. Pour ces différentes raisons, notre objectif consiste à procéder à un examen précis des sources, en considérant aussi bien les textes recommandant la pratique de l’hospitalité que ceux qui en traitent comme d’un problème. Il s’agira de prendre conscience des enjeux souvent complexes mobilisés par cette notion, au sein de contextes socio-historiques et discursifs précis. De cette manière, l’étude de situations concrètes mettant en jeu l’hospitalité, même consignées au sein d’anciens textes, permet d’aborder des enjeux actuels, dans la conviction que de nombreuses questions de l’actualité se sont posées d’une manière similaire en d’autres contextes, en d’autres époques. En bonne méthodologie, il convient tout d’abord de définir le terme central de notre étude, celui d’« hospitalité ». Nous proposons la définition suivante : « l’accueil temporaire d’un ‘étranger’ au sein d’un domicile10 ». Cette définition est intentionnellement large, afin de ne pas projeter a priori un trop grand nombre conceptions sur les faits ainsi désignés. Nous évitons par exemple de relier la notion d’« hospitalité » à celle de « charité », pour des raisons qui seront explicitées plus loin. Le terme d’« accueil » peut désigner des réalités fort distinctes. Nous le limitons toutefois à des pratiques domestiques, s’articulant généralement autour 6 7 8 9 10

Par exemple ণadîth 1.75 sqq. du ‫܇‬a‫ۊ‬Ư‫ ۊ‬de Muslim. Par exemple MahƗassƗroha JƗtaka (JƗ, vol. 3, p. 6–8), ou Nimi JƗtaka (JƗ, vol. 6, p. 62). Par exemple, Mhbh 13.2.41 (éd. critique, vol. 17, p. 20–21). Cf. Reeber (2000), p. 26–27. Cette définition est conforme à celle de Pezzoli-Olgiati (2000), p. 474 : « Unter Gastfreundschaft versteht man die Sitten, welche die zeitweilige Aufnahme eines Fremden in eine bestimmte Gruppe regeln. »

1.2 Généalogies de la notion « hospitalité »

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d’un repas, et pouvant impliquer l’hébergement pour la nuit. Ces pratiques peuvent être plus ou moins complexes, plus ou moins ritualisées. Nous ne traiterons pas du tout des emplois métaphoriques de la notion (comme l’« hospitalité » d’un État politique ou l’« hospitalité » réservée à une communauté considérée dans sa globalité) pour la simple raison que les équivalents indigènes du terme « hospitalité » au sein des contextes étudiés se limitent généralement à désigner des pratiques domestiques. Quant à lui, l’« étranger » peut se définir de plusieurs manières, en fonction de différents « marqueurs identitaires » : les pratiques, l’appartenance « religieuse », le pays, un village, la famille etc. Bien que certains de ces critères soient élaborés en fonction d’enjeux collectifs, ils comportent certainement une incidence sur une relation d’hospitalité « privée ». Symétriquement, le domicile peut se caractériser par rapport à des critères tels que la famille, l’appartenance « religieuse », l’appartenance « nationale », etc. À nouveau, ce n’est que dans la mesure où ces facteurs ont un impact sur la sphère domestique – et sur les relations privées d’hospitalité – qu’ils sont significatifs pour notre projet. Les différents éléments de cette définition laissent entrevoir plusieurs possibilités d’interactions sociales, tout en esquissant aussi les grandes lignes d’une problématique, que nous posons provisoirement sous la forme de la question suivante : pourquoi l’hospitalité fait-elle tantôt l’objet d’une recommandation, et tantôt l’objet de restrictions ? Cette question nous mettra sur la piste de quelquesunes des motivations liées aux discours sur l’hospitalité. Il conviendra donc de dégager et d’expliquer les différents facteurs faisant varier le sens de l’hospitalité, la rendant impérative, possible ou impossible. Pour plusieurs raisons qui seront précisées plus loin, cette étude porte sur des textes issus de deux contextes précis et distincts : le judaïsme rabbinique et le brahmanisme. 1.2 GÉNÉALOGIES DE LA NOTION « HOSPITALITÉ » Nous avons livré plus haut une définition du terme « hospitalité » tel que celui-ci est entendu au sein de ce travail. Il n’est toutefois pas possible de faire abstraction de l’héritage sémantique de la notion, non pour en trouver l’origine, mais afin de prendre conscience des réseaux de sens qui lui sont historiquement liés. Cela est nécessaire afin de préciser la nature de notre tertium comparationis, et, dans la foulée, pour préparer l’évaluation des éléments implicites véhiculés par le terme. Quelques éléments relatifs aux emplois des termes latins hospitalitas / hospitium s’imposent donc, en se penchant d’une part sur leur héritage gréco-romain, et d’autre part sur leur reprise chrétienne. Notons en préalable que l’étymologie du terme fait apparaître une racine commune entre l’hôte (hospes) et l’ennemi (hostis), ce qui témoigne par excellence de la sensibilité et de l’ambiguïté de l’hospitalité11. Cette sensibilité se retrouve dans l’histoire des emplois du terme. 11 Cf. Benvéniste (1969), vol. 1, p. 87–101.

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1. Introduction et méthodologie

1.2.1 Conceptions gréco-romaines En Grèce comme à Rome, l’hospitalité représente une institution importante, bien attestée, et respectivement désignée par les termes xenia et hospitium12. La littérature grecque traite à de très nombreuses reprises de l’hospitalité, placée sous l’égide de Zeus hospitalier, et associée à l’idée d’un contrat, plus ou moins explicite, entre deux partenaires. Évoquée presque continuellement dans l’Iliade et l’Odyssée13, l’hospitalité est aussi un thème particulièrement prisé de la littérature postérieure14. Elle est volontiers décrite comme l’une des caractéristiques de la civilisation : seuls les barbares restent indifférents à son égard, à l’image de l’accueil pour le moins inhospitalier que Polyphème réserve à Ulysse15. L’hospitalité accordée à des visiteurs qui s’avèrent être des dieux (théoxénie) constitue un motif important et récurrent de la littérature grecque et latine16. À noter par ailleurs que le grec emploie le même terme, xenos, pour désigner l’hôte (reçu) et l’étranger. L’hospitalité ne saurait toutefois se réduire à une démonstration désintéressée d’altruisme. Elle possède également une dimension politique et économique, dans la mesure où elle facilite ou rend possible des déplacements de représentants politiques ou de marchands. Elle permet l’établissement de réseaux d’alliance indépendants de l’appartenance à une cité et se prolongeant sur plusieurs générations ; cela est évidemment précieux pour le commerce ou le maintien de relations diplomatiques entre différentes régions. Dans ses différentes fonctions, la pratique de l’hospitalité s’accompagne enfin d’une série de codes qui reflètent précisément la nature de l’interaction sociale17. Dans le contexte romain, l’hospitalité se présente d’une manière similaire, mais, semble-t-il, sous une forme plus institutionnalisée. Une différence marquée est établie entre l’hospitium publicum – l’hospitalité « officielle » – et l’hospitium privatum – l’hospitalité « privée » que se proposent les particuliers entre eux. Par l’hospitalité publique, contrôlée par le Sénat, le représentant d’un État étranger peut séjourner à Rome afin d’y accomplir des tâches de nature politique18. Quant à elle, l’hospitalité privée est une alliance librement consentie entre deux partenaires privés. L’alliance ainsi instaurée est susceptible de s’étendre sur plusieurs générations et est parfois symboliquement marquée par l’échange de la tessère hospitalière – une tablette, sans doute à l’effigie de Jupiter hospitalis, que l’on brise en deux et dont chaque partenaire emporte une partie, en signe de reconnaissance pour de futures rencontres19. L’alliance elle-même implique, pour l’hôte 12 13 14 15 16

Pour un exposé général sur cette thématique, cf. Gauthier (1973). Cf. Reece (1993). Par exemple, Hérodote 6.86.5, ou Platon, Lois XII, 953a–e. Homère, Odyssée, 9.250 sqq. Cf. par exemple Ovide, Métamorphoses 8, l’histoire de Philémon et Baucis. Sur ce récit, voir le commentaire de Prescendi (2007), p. 128–130. 17 Cf. par exemple Homère, Odyssée 4, 48–58. 18 Sur l’hospitalité publique et l’alliance politique, voir notamment Tite Live, Histoire Romaine 9.41.20 et 30.13.8–11. 19 Cf. Plaute, Poenulus, 5.2.87.

1.2 Généalogies de la notion « hospitalité »

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(recevant) le devoir d’accueillir son allié quand il voyage et de le protéger, physiquement et légalement. D’une manière générale pour le contexte gréco-romain, on peut affirmer que l’hospitalité a contribué à constituer des « réseaux d’alliance personnelle » qui facilitent les échanges commerciaux, politiques et intellectuels entre des partenaires lointains. Dans cette mesure, le propos suivant qui fait de l’hospitalité une institution centrale de la société gréco-romaine nous semble tout à fait opportun : Les sociétés grecques et romaines étaient liées par un réseau d’alliances de pseudo-parenté qui dépassait largement les limites de chaque communauté spécifique. Une telle suggestion serait un lieu commun si, après l’étude des pratiques associées à xenia et hospitium, nous n’avions pu constater à quel point celles-ci se répétaient indéfiniment, au niveau de l’individu, puis de la famille, jusqu’à celui des structures et de la dynamique de toute la société, via la ville, la province et l’empire20.

1.2.2 Conceptions chrétiennes On assiste, au sein du christianisme primitif, à une intégration progressive de l’hospitalité dans les valeurs chrétiennes. Les Évangiles évoquent ainsi de nombreux récits d’hospitalité, notamment dispensée à Jésus par des personnages tels que Marthe21 ou Zachée22. Il s’agit bien d’un motif récurrent du Nouveau Testament23 même si, comme nous le verrons, la thématique n’est pas absente de la Bible hébraïque. Dans la littérature paulinienne, l’hospitalité est explicitement thématisée et présentée comme un devoir pour le Chrétien vertueux24. Il est fort probable que l’hospitalité chrétienne porte la marque de l’influence conjointe de son héritage hébraïque et d’éléments empruntés aux institutions gréco-romaines de la xenia / hospitium25. L’hospitalité se colore cependant rapidement d’une conception universaliste, finalement liée à la problématique de la mission et à la notion d’Ecclesia : la communauté de croyants caractérisée (au moins dès le Symbole de NicéeConstantinople en 381) par les attributs de l’unité, de la sainteté, de la catholicité (c’est-à-dire l’universalité) et de l’apostolicité. Dans cette optique précisément, Steffek montre qu’un passage des Actes des Apôtres26 a peut-être pour but 20 21 22 23 24 25

Herman (1997), p. 1337. Lc 10, 38 ; Jn 12, 1–2. Lc 19, 1–10. Pour un traitement de cette thématique, voir Koenig (1985). Par exemple, Rom 12, 13 ; Heb 13, 1–2. 1. C’est précisément la thèse défendue par Herman (1997) qui suggère que l’expansion du christianisme aurait bénéficié de la présence préalable de réseaux d’hospitalité. À notre sens, c’est sous cet angle qu’il convient d’envisager d’éventuelles similitudes entre des récits d’hospitalité de la littérature gréco-romaine et du Nouveau Testament. Taylor (2007) poursuit cependant une voie différente, en relevant des motifs narratifs similaires au sein des deux traditions. Voir la recension critique de Stevens (2008). 26 Ac 8–15.

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1. Introduction et méthodologie

d’étendre la mission chrétienne, par l’intermédiaire de l’élargissement de la commensalité27. Sans surprise, les Pères de l’Église recommandent instamment la pratique de l’hospitalité. Ils s’attardent notamment sur les passages scripturaires évoquant l’hospitalité, et en tirent des leçons édifiantes28. L’hospitalité est ainsi volontiers associée à l’aide prodiguée aux démunis et à la charité. En même temps, l’hospitalité contribue avant tout à créer des réseaux d’alliance entre Chrétiens. En ce sens, elle ne s’adresse certainement pas à tous indifféremment et elle demeure une institution permettant la multiplication des liens entre Chrétiens. Il y a là une sorte de tension, qui demeure non résolue, entre une hospitalité à visée universelle s’apparentant à la charité et une hospitalité « restreinte » visant à faciliter les contacts entre Chrétiens29. Cette tension se retrouve dans la question de l’hospitalité « eucharistique ». Le dernier repas de Jésus en compagnie de ses disciples30 correspond en effet clairement à un récit d’hospitalité qui, dès les Pères de l’Église, sert de fondement mythologique à un rite central : celui de l’Eucharistie. Dans les discours chrétiens, ce rite est directement associé au sacrifice et est fortement marqué d’un aspect identitaire. La possibilité de participer ou non à l’Eucharistie – la question donc de l’hospitalité eucharistique – est une question délicate, sujette à débat. Seuls sont en effet supposés y prendre part ceux qui reconnaissent appartenir à la « famille des croyants ». Sous la réserve des tensions signalées plus haut l’hospitalité demeure jusqu’à présent une importante valeur du christianisme. Le devoir d’hospitalité occupe d’ailleurs une place significative au sein de plusieurs ordres monastiques, et apparaît fréquemment au sein de codes réglant la vie monacale31. Tout porte à croire que la notion moderne d’hospitalité reste dépendante de ces différentes conceptions antiques, puis chrétiennes. Nous serons amenés à évaluer cet héritage dans la partie conclusive du travail. 1.3 MÉTHODOLOGIE En préliminaire, il convient d’exposer un certain nombre d’hypothèses de travail quant au sujet que nous nous proposons de traiter, d’expliquer ensuite la méthode que nous avons suivie, avant de réfléchir sur la délimitation des contextes sur lesquels portera notre travail, en évoquant notamment quelques éléments de l’histoire des études comparatives.

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Steffek (2005). Par exemple, Ambroise, dans son commentaire de Gn 18. Cf. Gal 6, 10. Mt 26, Mc 14, Lc 22, Jn 13. Voir par exemple la règle de St Benoît, chapitre 53.

1.3 Méthodologie

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1.3.1 Hypothèses de travail et démarche Au moins depuis Durkheim32, les sciences des religions ont privilégié un modèle de groupement religieux construit sur une notion d’Église (Ecclesia) foncièrement héritée de la tradition chrétienne. Cette notion nous paraît éminemment problématique pour l’étude de traditions extra-européennes ou anté-chrétiennes, comme d’ailleurs pour l’étude de développements contemporains. En prenant de la distance par rapport à cette notion, nous nous proposons de montrer l’intérêt pour l’histoire des religions de l’étude de groupements sociaux se nouant de manière temporaire dans le cadre de la sphère domestique – comme l’hospitalité. L’étude des différents « marqueurs culturels » que constituent les pratiques de l’hospitalité est susceptible de nous renseigner sur certaines dynamiques sociales, tout comme, par jeu de miroir, sur les valeurs particulièrement prisées par le groupe des rédacteurs des textes. Cela nous conduit à une première hypothèse, selon laquelle les règles d’hospitalité révèlent des éléments du monde idéal que les auteurs de textes à caractère normatif appellent de leurs vœux. Dans ce cadre, nous proposerons quelques éléments examinant pourquoi l’hospitalité – une pratique domestique qui pourrait paraître secondaire à première vue – fait l’objet d’une attention particulière au sein des textes. Depuis le fameux Essai sur le don de Marcel Mauss33, le sujet de l’hospitalité s’est régulièrement vu associé à la question de l’échange et du don. Poursuivant dans cette direction, il semble judicieux de s’interroger sur les logiques de l’échange impliquées par nos textes. Nous nous demanderons donc dans quelle mesure l’hospitalité peut être considérée sous l’angle d’un rituel d’échange, et proposons, dans cette perspective, que les logiques de l’échange à l’œuvre dans l’hospitalité visent à actualiser le système social « idéal » visé par les auteurs des textes. La question des contacts entretenus aux limites d’un groupe nous paraît également centrale dans le cadre des discours traitant de l’hospitalité. Nous proposons sur ce dernier point une troisième hypothèse selon laquelle l’hospitalité, en tant que relation sociale temporaire, favorise l’intégration de personnes se trouvant aux « limites » d’un groupe. Similairement, la question de l’institutionnalisation d’une tradition comporte certainement des conséquences pour les discours traitant de l’hospitalité. Nous faisons ainsi l’hypothèse selon laquelle les enjeux liés à l’hospitalité sont d’autant plus critiques qu’un mouvement religieux n’est pas bien institutionnalisé. Afin d’évaluer ces différentes propositions, il est nécessaire de distinguer trois facteurs principaux : le type de discours (son mode d’énonciation, son inscription historique), les deux protagonistes à l’œuvre dans l’hospitalité (le « donateur » et le « donataire », dans les termes de Mauss) et la « nature » de l’hospitalité (les services proposés, tout comme le cadre que composent les gestes, et les facteurs 32 Voir ainsi sa fameuse définition de la religion : Durkheim (1960), p. 65. 33 Mauss (1985 [1924]).

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1. Introduction et méthodologie

temporel et géographique). En ce sens, l’hospitalité forme un système à trois dimensions, intégrant le discours, l’hôte et son invité, et les pratiques associées. Ces éléments sont interdépendants et toutes les configurations imaginables ne sont pas possibles. Il est donc essentiel (1) de présenter les textes – ce qui exige une attention quant au contexte historique de leur composition, ou du moins à ce que l’on peut en supposer – et de se poser la question de leur « genre » ; (2) de faire précéder l’étude des textes par une brève description des différentes catégories sociales caractérisant les acteurs de l’hospitalité dans la langue originale ; (3) d’observer enfin, pour chaque cas, de quels rites et pratiques se compose la relation d’hospitalité. La prise en compte de ces différents facteurs devrait nous permettre de commencer à comprendre pourquoi, en certains cas, l’hospitalité est recommandée, et pourquoi, en d’autres occasions, elle est découragée ou proscrite. En raison du choix des textes, la question du genre discursif ne sera pas le facteur le plus important dans l’explication de ces différences : nos textes appartiennent en effet approximativement à un même genre, « normatif », qu’il conviendra bien sûr de décrire. La démarche proposée ici consiste à emprunter tour à tour les points de vue « interne » (émique) et « externe » (étique). Dans la définition d’une problématique et d’un cadre méthodologique, j’ai adopté une posture « externe ». Dans les deux études auxquelles nous allons procéder, le point de vue sera plutôt « interne » : il s’agit de retracer au plus près la logique propre des documents. Après une présentation des principales catégories sociales employées au sein des deux corpus de textes, l’hospitalité sera tour à tour considérée sous l’angle d’un devoir, et sous l’angle d’un problème – le tout dans l’optique des rédacteurs des textes. Nos deux séries de textes seront ainsi analysées de manière indépendante, dans leur propre système de référence. Ce faisant, il conviendra, et ce n’est pas la moindre des difficultés, de recourir aux outils guidant la recherche dans chacun de ces domaines. Il sera enfin possible, dans un dernier temps, de revenir sur un plan interprétatif plus large afin d’évaluer la problématique générale exposée ici à l’aune des résultats de chacune des études particulières34. Dans cette dernière partie, nous adopterons un point de vue essentiellement « externe », et nos explications ne seront pas tenues de correspondre aux interprétations « internes » préalablement étudiées. Pour complexe qu’elle puisse paraître, cette démarche est légitime pour un travail d’histoire comparée des religions : l’analyse serrée de deux contextes (étudiés dans leur singularité, et autour d’une problématique précise) devrait per34 On le voit, il convient de bien distinguer deux plans de recherche : celui (1) des faits et de leur interprétation au sein d’un contexte donné, et celui (2) de l’élaboration des faits dans un but explicatif. Sur le premier niveau, les sources constituent l’ « explicandum », et leur contexte (historique) propre ainsi que la littérature secondaire l’« explicans » ; sur le second plan, l’« explicandum » est une problématique et l’« explicans » les résultats de l’étude des sources. Ce n’est que sur ce second niveau qu’une tentative de comparaison est possible.

1.3 Méthodologie

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mettre de développer, sous la forme d’esquisses, l’évaluation et/ou la formulation de propositions théoriques. Comme le dit Jonathan Z. Smith : L’un des buts de l’étude des religions consiste à proposer des généralisations comparatives basées sur une description scrupuleuse de données, qui toutefois, demeurent fermement situées ; des généralisations qui sont mises au service d’un objectif intellectuel préalablement défini35.

En ce sens, l’histoire des religions articule de manière dialectique l’étude de données particulières, géographiquement et historiquement situées, à un questionnement plus général, théorique ou « réflexif ». Notre démarche implique précisément une articulation de ce type, tout en reconnaissant que celle-ci s’accompagne d’un certain nombre de tensions. Le sujet de la comparaison est le lieu à la fois de cette articulation et de ces tensions. 1.3.2 La comparaison discursive et contrastive pour méthode On l’aura compris, la présente étude comporte deux volets : il s’agit dans un premier temps d’étudier dans leur contexte de production propre (et donc, de manière indépendante) des textes ressortissants à une problématique spécifique. En second lieu, il s’agira de faire usage des résultats de nos deux études particulières dans une optique comparative36. Le présent travail n’est donc pas entièrement comparatif, dans la mesure où il s’agit d’abord de présenter des résultats au terme de l’étude de chaque série de textes. Parce que notre étude est conçue en vue de cet objectif comparatif, et au regard des éléments problématiques qui souvent opposés à un tel objectif, il est cependant nécessaire de considérer dès à présent un certain nombre d’enjeux méthodologiques. Quel type de comparaison souhaitonsnous mettre en œuvre, et en vue de quel objectif intellectuel ? Considérons différentes options avant d’exposer notre propre vision d’un travail comparatif. En tout premier lieu (1), il est possible de rechercher des similarités au sein des contextes étudiés, tout en minimisant la question des divergences. Une telle démarche peut revêtir un caractère « rassurant », dans la mesure où la présence d’éléments similaires a pour effet de confirmer le bien-fondé du projet comparatif37. Une objection majeure nous a cependant retenus de procéder de la sorte : l’option épistémologique sous-tendant une telle approche revient presque inévitablement à une position phénoménologique reconnaissant la permanence d’instances non démontrables, comme « la religion » ou « le sacré » – ce qui explique naturellement les similarités « constatées ». La présupposition d’entités ontologiques que la comparaison aurait pour but de mettre à jour et qui forme35 Smith (2004b), p. 31, ma traduction. 36 On ne parlera pas de « la méthode comparative » : la comparaison en tant que telle n’est pas une méthode. Pour en faire une méthode, il convient d’en préciser les modalités et le contexte d’emploi. Sur ce point, cf. les remarques d’Uehlinger (2006), p. 368. 37 C’est souvent ainsi que procèdent de nombreux ouvrages comparant les doctrines enseignées par les fondateurs de « religions », comme Jésus et Bouddha.

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1. Introduction et méthodologie

raient l’objet même de l’histoire des religions n’est aujourd’hui plus défendable. Nous reconnaissons donc que le rapport entre les contextes comparés relève essentiellement d’une construction théorique de la part du chercheur. Dans cette mesure, il s’agira plutôt de contraster le résultat des deux études, que d’y rechercher de mystérieuses correspondances. Cela n’empêchera pas de constater certaines affinités, qui répondent peut-être à des conditions socio-historiques similaires de part et d’autre38. En second lieu (2), il pourrait sembler que la comparaison permet d’extrapoler des lois universelles à partir de l’étude de deux cas, dès lors considérés comme suffisamment représentatifs pour autoriser une telle extension. Comme le montre l’étude des textes à laquelle nous allons procéder, même au sein d’un contexte donné, les questions posées par une problématique ne trouvent pas de réponse univoque. C’est dire que les conclusions ne peuvent viser que l’explication provisoire d’un problème sur un plan général, et non la découverte de principes universels. Dans cette mesure, il n’est pas nécessaire de réserver une explication au moment où tous les faits sont connus – principe qui aboutirait logiquement à l’abandon de toute tentative d’explication. La reconnaissance du caractère incomplet et hypothétique des propositions explicatives doit permettre l’amendement ou le rejet d’une explication, mais non empêcher toute sorte d’explication39. Ce point est essentiel : il n’est pas correct de récuser la comparaison et la visée explicative qu’elle comporte en raison de son caractère nécessairement hypothétique. Un tel point de vue s’assimile à l’ancienne vision essentialiste ou « onto-théologique » qu’il entend pourtant dépasser, car il subsiste en ce cas la nostalgie d’un idéal inaccessible40. D’autre part (3), il aurait pu paraître approprié de sélectionner soigneusement des extraits de texte, en les lisant de manière indépendante et en s’évitant le travail de contextualisation (ce qui aurait conduit à une structure différente du travail, plutôt organisé par « thèmes » que divisé selon les deux contextes étudiés). Une telle méthode comporte cependant un risque de tautologie, dans la mesure on l’on procède alors en sélectionnant et en interprétant les sources selon une thèse préalablement énoncée41. Dans la mesure du possible, il a paru préférable d’étudier les 38 Cf. sur ce point Heidmann (2003), p. 50 : « Je propose d’abandonner cette comparaison universalisante pour adopter un type de comparaison que j’appelle différentielle. La comparaison différentielle exige la reconnaissance et l’examen de la différence fondamentale et irréductible des énoncés singuliers à comparer, en relation avec tout ce qu’ils peuvent avoir en commun, notamment sur le plan thématique. Elle exige aussi la reconnaissance du fait qu’il faut construire les comparables avant de procéder à la comparaison proprement dite. » (l’auteur souligne) et Segal (2001), p. 349–350. 39 Segal (2001), p. 351 : « It is a rudimentary fallacy of explanation – the so-called Baconian, or inductivist, fallacy – to oppose drawing conclusions until all the knowable facts are ‘in’. Because generalizations are recognized as tentative, the comparative method does not generalize prematurely. » 40 Cf. Popper (1959), p. 288. 41 Ainsi Roscoe (2006), p. 44 : « To choose cases simply because they happen to corroborate a pet hypothesis is indefensible no matter what one’s epistemology. »

1.3 Méthodologie

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textes dans leur propre contexte de production. On pourra rétorquer que du coup, la comparaison elle-même est restreinte : elle ne porte effectivement que sur le résultat des deux enquêtes et non sur les textes eux-mêmes. Cette manière de procéder nous semble toutefois plus prudente, même s’il sera parfois nécessaire d’exposer des éléments de chaque contexte discursif sans les mettre directement en relation. Enfin (4), on pourrait penser que la comparaison de documents qualifiés de « religieux » vise de facto à comparer entre elles des religions. Soulignons ici que la comparaison ne porte « que » sur deux séries de textes, qui représentent un mouvement particulier et historiquement délimité des traditions concernées par notre étude. À notre sens, et en dépit de plusieurs tentatives relevant de la comparative religion, on ne peut comparer des ensembles conceptuels aussi complexes que des « religions » ou des « cultures » considérées dans leur ensemble42. Insistons sur ce point : dans l’optique de ce travail, la problématique de la comparaison se pose en des termes essentiellement discursifs. Ce qui importe dès lors, c’est que les documents soient globalement comparables. Dans cette mesure, notre approche comparative peut volontiers être qualifiée de « discursive43 ». Il ne s’agit pas de contraster ou de comparer des « religions » ou même un sujet, comme « l’hospitalité », au sein de deux « religions », mais seulement le résultat de l’étude de documents, eux-mêmes considérés comme des productions historiques. Tout en rendant l’ensemble du projet plus modeste, cette constatation lève de fait les objections spécifiquement adressées à la comparaison de « religions ». Il reste à expliquer quel intérêt il y a à étudier sous un même angle deux séries de textes issus de contextes culturels éloignés. Le travail comparatif, tel qu’envisagé au sein de ce travail, vise essentiellement trois buts : (1) une évaluation contrastée des processus historiques et sociologiques solidaires de la composition des textes, à partir de la thématique de l’hospitalité ; (2) la formulation de propositions théoriques relatives à la problématique de l’hospitalité, à partir des textes étudiés mais susceptibles de servir à l’étude d’autres contextes culturels ; (3) un regard critique sur la notion d’hospitalité et plus généralement sur certains termes du vocabulaire analytique de l’histoire des religions. Développons brièvement ces trois points avant de justifier notre choix de textes à la lumière de ces objectifs. Un travail sur les processus historiques (1), bien que délicat, comporte l’intérêt d’un questionnement croisé : pourquoi, dans certaines conditions, un même problème trouve-t-il des solutions différentes, ou au contraire similaires ? La comparaison permet de mieux saisir – pour un problème donné – le choix d’une solution culturelle spécifique en la mettant en regard avec d’autres réponses

42 Cf. sur ce point précisément Neusner (1992), p. 11, n. 5. 43 C’est une démarche de ce type que Neusner met en œuvre dans son étude en parallèle du canon Pahlavi zoroastre et du Talmud de Babylone, Neusner (1993a). Plus récemment, voir l’étude de Freiberger (2009) qui compare des discours brahmaniques à des discours chrétiens sur le sujet des pratiques ascétiques.

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1. Introduction et méthodologie

culturelles possibles mais non réalisées44. Ce premier volet s’inscrit assez bien dans le cadre de la comparaison contrastive de processus historiques telle que la conçoit Marcel Detienne45 : il s’agit d’éviter de se focaliser sur un événement ou sur une tradition qui serait tenue pour « incomparable » – le cas des historiographies nationales dont traite Detienne est à cet égard parfaitement exemplaire – tout en soulignant les particularités de chacun des contextes étudiés. L’approche comparative permet ainsi de se rendre compte que pour un problème culturel donné, plusieurs solutions sont possibles, et non une seule que l’on érigerait fallacieusement en norme culturelle46. De manière plus spécifique, la comparaison de processus historiques comporte un intérêt tout particulier dans les cas où l’on ne dispose que de renseignements fragmentaires pour une reconstruction historique. Dans cette situation, qui est précisément celle des textes que l’on va étudier, il peut s’avérer intéressant de rechercher les conséquences sociales et économiques possibles d’un sujet donné – étudié au sein d’un ensemble restreint de textes – avant d’imaginer à quelles conditions historiques le système décrit serait éventuellement susceptible de répondre. Pour cette tâche, l’étude de cas issus de contextes différents s’avère fort utile, car on enrichit ainsi la liste des scénarios des possibles47. Sur le second point (2) – l’idée de la formulation de propositions relatives à la problématique de l’hospitalité – nous estimons que la comparaison permet d’abstraire un terme employé en des contextes particuliers afin d’en faire un « concept » doté d’une dimension théorique48. Un tel résultat peut s’avérer utile à une réinterprétation des textes étudiés, ou à une interprétation de discours émanant 44 Sur cette idée, cf. Neusner (1983a), p. 234 : « Only when we take account of the things people might have done are we able to make sense of the things they actually did do. Confronting the range of choices, we make sense of the chosen. » Similairement, cf. Neusner (1979b), p. 24. 45 Cf. le champ élargi que Detienne préconise pour l’exercice de la comparaison : Detienne (2000), p. 42–43 : « Le comparatisme constructif dont j’entends défendre le projet et les procédures doit d’abord se donner comme champ d’exercice et d’expérimentation de l’ensemble des représentations culturelles entre les sociétés du passé, les plus distantes comme les plus proches, et les groupes humains vivants observés sur la planète, hier ou aujourd’hui. » Pour un argument similaire dans le cadre des recherches en histoire globale, Barkey (2007), p. 97– 100. 46 On peut en ce sens souscrire à la formule (un peu lapidaire, peut-être) de Lincoln (1989b), p. 172 : « [T]he only alternative to comparison is one brand of parochialism or another : That is, the stance of those who privilege the data with which they happen to be familiar while ignoring, and thus remaining ignorant of, the rest. Among the most prevalent brands are ethnocentrism, androcentrism, Eurocentrism, and the other centrisms as yet unnamed (e.g., those of class, temporality, and genre), all of which yield generalizations of a highly prejudicial nature – and not accidentally so. » 47 Il s’agit là de la comparaison « heuristique » de Borgeaud (1986), p. 68. 48 Cf. Baumann (1997), p. 185 : « Mit Blick auf die Religionswissenchaft soll es darumgehen, den Begriff [Diaspora] innerhalb der Disziplin als Allgemein-, also Theoriebegriff nahezulegen. Die bislang religionsgeschichtlich eingeschränkte Verwendung soll aufgehoben werden zugunsten einer generalisierenden Perspektive. Methodisch erfolgt dieses über den Vergleich. »

1.3 Méthodologie

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d’autres contextes culturels, y compris contemporains, ce qui est d’autant plus important que le sujet même de l’hospitalité n’a pas fait l’objet de nombreuses investigations49. Enfin, et c’est le troisième point (3), l’étude empirique de phénomènes distants devrait également permettre de saisir l’écart séparant certaines catégories de l’histoire des religions de la « réalité » que présentent les sources. Il s’agit là de l’un des objectifs poursuivis par Holdrege dans son étude comparée de la catégorie d’« écriture » (« scripture ») au sein des contextes juif rabbinique et brahmanique50. La confrontation à des contextes non-chrétiens (pour autant que ceux-ci soient abordés dans leur langue originale, au travers de sources originales) rend possible l’examen critique de certains concepts analytiques de l’histoire des religions, le plus souvent forgés au contact du christianisme, et plus particulièrement, de la tradition protestante51. Quelques éléments d’explicitation sur ce dernier point seront utiles à une bonne compréhension de notre projet. Comme le montre Fitzgerald (à la suite de plusieurs autres auteurs52), la catégorie même de « religion » est problématique quant à un usage « analytique ». L’auteur insiste sur la prétendue spécificité de la notion de « religion » par rapport celle de « culture », qui ne relève à ses yeux que d’une illusion théologique53. À l’appui de sa thèse, il évoque des exemples de travaux déformant l’explication de faits culturels par l’adoption tacite d’une définition christiano-centrée du terme de « religion54 ». Si la critique est probablement excessive55, il faut reconnaître que la notion de « religion » est chargée d’un lourd héritage sémantique qui rend nécessaire une révision de certaines catégories qui lui sont associées, souvent tenues pour évidentes et volontiers employées de manière transculturelle. Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas de faire le 49 C’est ainsi que Burke (1992), p. 22–28 envisage l’usage de la comparaison. Cf. de même Pezzoli-Olgiati (2002), p. 271 dans le cadre de son étude comparative de la notion de « ville » au sein de textes (notamment juifs, chrétiens et grecs) de l’Antiquité. 50 Holdrege (1996), p. ix. Cf. aussi Holdrege (2000), p. 105. 51 Sur l’influence déterminante du protestantisme sur le discours académique, cf. les remarques de Neusner (1968), p. 37 et de Smith (1990b), notamment p. 34–35. Pour une démonstration historique de la construction chrétienne du terme « religion » et des thèmes qui lui sont généralement associés, cf. l’ouvrage de Balagangadhara (1994). 52 Cf. par exemple Bernand et Gruzinski (1988), p. 240, qui se demandaient dans leur étude de la colonisation de l’Amérique : « Ne continue-t-on pas à s’interroger à perte de vue sur la définition, l’origine, la persistance, le déclin, le besoin, les fonctions de la religion, sans guère se demander si après tout cette catégorie – culturellement construite et historiquement datée – n’exprimerait pas une découpe et une approche du réel, susceptibles d’être remises en question, comme on l’a fait pour la notion d’ordre, ou plus près de nous pour celles de fétichisme ou de totémisme ? » (les auteurs soulignent). 53 Fitzgerald (2000), p. 50–51 ; 222 et passim. Cf. également Wiebe (1999), p. 236–237. 54 Pour quelques exemples, cf. la critique véhémente de Fitzgerald (2000), p. 73–97 de l’ouvrage de Sutherland (1988) et des articles qui le composent. Pour des remarques du même type au sujet de l’étude académique des textes rabbiniques, cf. Neusner (1986a), en particulier p. 16–17 et 103. 55 Cf. la recension de Von Stuckrad (2000).

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1. Introduction et méthodologie

procès systématique des catégories employées en histoire des religions, mais de traiter ces dernières avec prudence, en se demandant, à partir d’exemples concrets et en ne présumant pas de la réponse à apporter à cette question si elles sont ou non adaptées à l’analyse des faits considérés. Il s’agit donc de contribuer – d’une manière certes bien modeste pour ce qui concerne ce travail – à une réévaluation des grilles de lecture « canoniques » de l’histoire des religions. Dans notre cas, il est probable que la focalisation sur des pratiques domestiques nous amène par exemple à reconsidérer l’idée classique d’Église ou de communauté religieuse. À cet égard, le choix de documents issus des aires culturelles juive et indienne comporte indéniablement un avantage, car ceux-ci présentent un ensemble de conceptions a priori étrangères à des grilles de lectures marquées d’un héritage chrétien. Ces deux contextes sont d’ailleurs souvent considérés comme des figures archétypiques de l’« altérité » dans l’histoire de la pensée européenne56. Cela ne revient cependant pas à dire que l’étude de contextes non-chrétiens permet de « neutraliser » le discours de l’histoire des religions – un objectif bien illusoire57. Il s’agit plutôt d’échapper à un regard unidimensionnel ayant pour effet de déformer unilatéralement les faits étudiés. La mise en contact artificielle d’éléments fondamentalement différents contribue à la déstabilisation de grilles de lecture traditionnelles, au descellement de conceptions profondément ancrées dans une tradition historiographique particulière. Ainsi comprise, la comparaison permet l’enrichissement critique du vocabulaire « savant » dont fait usage le chercheur dans l’explication des phénomènes qu’il étudie. Ce faisant, nous souscrivons volontiers au principe du « triangle comparatif » développée par Calame : un travail comparatif peut être assimilé à un triangle « dont le sommet est occupé par le regard décalé que l’érudit porte en alternance vers les deux termes indispensables à toute comparaison58 ». De la sorte, les catégories employées par le chercheur (dans notre cas, la notion d’hospitalité, et d’autres termes qui lui sont associés) sont soumises à une réévaluation constante par l’étude de deux contextes éloignés. Loin de nier la position du chercheur et le caractère élaboré de sa démarche, cette sorte d’étude comparative comporte au contraire un but fondamentalement réflexif. Avant d’en venir à notre sujet proprement dit, exposons encore quelques raisons ayant orienté notre délimitation des corpus de textes. Un élément important est celui du genre discursif59. Le genre des textes au travers desquels les informations nous sont transmises influence en effet indéniablement leur teneur. S’il est 56 Cf. Holdrege (2000), p. 85 et Melamed (2006), p. 299–300. 57 L’ouvrage de Dubuisson (1998) n’est peut-être pas complètement étranger à un projet de ce type (la « neutralisation » du discours savant) : après une critique radicale de la notion de « religion », l’auteur propose de remplacer le terme par un concept à son avis plus neutre, « formation cosmographique ». 58 Calame (2006), p. 231–232. 59 La notion de genre est cependant compliquée et il faut être conscient qu’il ne s’agit pas là d’entités réifiées, mais d’ensembles de caractéristiques se (re-)définissant au contact des textes (cf. Maingueneau (1976), Todorov (1978) et Heidmann (2006)). Sur la question des genres littéraires en Inde, cf. Balbir (1994).

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ardu de comparer un « motif » ou un « problème » au sein de textes appartenant à un même genre, il l’est plus encore dans le cas où les textes appartiennent à des genres complètement différents. Une étude portant sur des textes de genres variés devrait idéalement s’accompagner d’une théorie des genres. Pour donner un exemple concret, il me paraît délicat – dans une étude de la position des Ğnjdra dans l’« Inde ancienne » – de mêler des exemples issus de pièces de théâtre à des témoins empruntés aux traités de dharma, sans expliciter l’impact que comporte le genre du document (pièce de théâtre, traité normatif) sur sa portée60. Le fait que nos deux contextes d’étude possèdent une tradition « légale » (halakha, traités de dharma) nous est donc très précieux. Nous serons ainsi en mesure de nous appuyer sur des textes approximativement comparables dans leur genre : nos textes comportent tous une visée prescriptive, ce qui facilite le travail comparatif61. Pour le but théorique visé par ce travail, il est finalement adéquat de choisir deux ensembles de textes indépendants sur le plan historique. Comme le montre une étude comparative de cultures éloignées, il est fréquent de retrouver des éléments (apparemment) similaires dont la ressemblance ne s’explique pas par une logique de la diffusion, mais plutôt par le fait qu’en raison des caractéristiques de la nature humaine, un problème donné trouve un nombre fini de « solutions » culturelles. Face à un problème donné, il n’est somme toute pas très surprenant que deux cultures choisissent des solutions apparentées62. Il y a dès lors un avantage en faveur de l’étude de discours qui ne sont pas historiquement reliés : on sait à l’avance que les éléments « similaires » ne sont pas le fait d’un emprunt, alors que dans le cas contraire, il peut s’avérer très délicat de distinguer ce qui relève d’une influence de ce qui n’est que coïncidence culturelle. Ce problème est en fait crucial, car les deux cas (diffusion / développement indépendant) entraînent des démarches radicalement différentes (histoire des influences entre deux cultures / étude anthropologique des cultures, menée au travers d’une problématique commune)63. Notre position est donc parfaitement claire quant à ce point méthodolo60 L’ouvrage de Sharma (1980) procède fréquemment de cette manière et semble considérer que l’« Inde ancienne » forme un ensemble culturel synchronique dont les traces apparaissent au sein des différents textes (de quelque provenance que ce soit) nous étant parvenus. 61 Cf. Cave (2006) qui montre l’avantage que présentent les textes « normatifs » (« authoritative ») pour une étude comparée. Pour une application concrète, cf. l’ouvrage de Neusner et Sonn (1999), qui travaille de manière comparative sur les corpus normatifs du judaïsme rabbinique et de l’islam. 62 Comme le montre Lincoln (1991), p. xvi, à la suite de Grottanelli, des problèmes similaires s’expliquent avant tout par la présence de situations socio-historiques similaires, et la simple apparition d’un même « motif » en deux contextes différents ne suffit pas à conclure à un lien « génétique ». Sur ce point, cf. aussi Eilberg-Schwartz (1990), p. 95. 63 Cette question se rapproche du problème soulevé par F. Galton au sujet des travaux de E. B. Tylor : une île malaise doit-elle être considérée comme « une culture », ou doit-on supposer que la même culture s’est diffusée au sein de plusieurs îles ; et dans ce dernier cas, jusqu’où la diffusion s’est-elle produite ? Cf. Roscoe (2006), p. 35–37. Ainsi, l’étude de Sharma (1980) évoquée supra à la note 60 ne problématise pas la question des relations historiques entre les différents documents cités, et il n’est pas évident a priori que ceux-ci se rapportent à un même contexte culturel : cela devrait être préalablement démontré.

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1. Introduction et méthodologie

gique et nous ne chercherons jamais à interpréter des « similitudes » en termes d’influences historiques. Ces différentes raisons font de la sélection de textes « normatifs » rabbiniques et brahmaniques un choix particulièrement intéressant : les textes partagent des affinités au niveau de leurs caractéristiques discursives et émanent de contextes indépendants. Répétons finalement qu’il ne s’agit pas de comparer deux traditions religieuses « en général », mais seulement les résultats de l’étude de textes, qui ne sont représentatifs que d’un mouvement particulier et non d’une tradition ou religion en général, sous l’angle d’une problématique commune. La comparaison elle-même porte sur des documents historiquement situés, et vise la mise en évidence de contrastes au niveau des processus socio-historiques. C’est en ce sens précisément que notre démarche comparative peut être qualifiée de discursive et contrastive. Ce projet n’a donc rien du grandiose caractérisant de nombreuses entreprises comparatives des XIXe et XXe siècles. Afin de mieux percevoir encore les enjeux d’un travail évoquant les contextes indiens et juifs, il convient d’évoquer brièvement quelques éléments de l’histoire de ces études comparatives. 1.3.3 Mirages de l’Inde L’idée d’une mise en relation des domaines indiens et juifs n’est pour le moins pas nouvelle. Déjà Mégasthène (env. 350–290 avant notre ère), dans ses écrits sur l’Inde, comparait incidemment les brahmanes de l’Inde aux « philosophes » juifs64. Au moins dès le XVIIe siècle, les domaines de l’« Orient » et de l’« Occident » sont régulièrement réifiés en une paire de civilisations symétriquement opposées et font l’objet de comparaisons visant à mettre en évidence des similarités et des différences65. Un thème récurrent de ces travaux comparatifs est celui de la recherche d’une origine révélée commune à toutes les religions, et des marques concomitantes de la dégénérescence des civilisations non-chrétiennes66. De la comparaison avec les traditions païennes, qui représentent une corruption du message révélé, le christianisme ne saurait qu’en ressortir grandi, car il est demeuré fidèle à la révélation originaire. Il s’agit dès lors de prouver les origines hébraïques de la tradition indienne – en démontrant par exemple que le sanscrit trouve son origine dans l’hébreu. 64 Megasthène, cité par Clément d’Alexandrie, Stromateis I, 15, 72, 5 (Jain (1972), p. 103) : « toutes les opinions exprimées par les anciens au sujet de la nature se retrouvent chez les philosophes étrangers à la Grèce, les unes chez les brâhmanes de l’Inde, les autres en Syrie chez ceux qu’on appelle les Juifs. » Sur ce passage voir Schmidt (1988), p. 39–40. 65 L’ouvrage étonnant de La Crequinière (1704) vaut mention dans ce cadre. Le texte établit une série de correspondances entre des pratiques indiennes et des pratiques juives ou de l’Antiquité, et y voit des traces de la simplicité typique de civilisations antiques, sans pour autant postuler d’héritage commun. 66 Voir à ce propos Schmidt (1987) et Weinberger-Thomas (1987).

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Bien évidemment, la recherche de liens directs entre les deux aires culturelles, fondée sur une simple comparaison de textes isolés de leur contexte historique, est pour le moins risquée, car il suffit de peu de chose pour renverser le sens de l’interaction. Ainsi, pour des libres penseurs de la fin du XVIIIe siècle comme Holwell67ou Langlès68, il faut postuler que c’est la tradition judéo-chrétienne qui provient de l’Inde, et non l’inverse. Langlès défend même l’idée que la tradition indienne, en raison de sa grande antiquité, ne serait rien moins qu’à l’origine de la sagesse humaine. Cette position pour le moins iconoclaste n’a pas manqué de susciter un débat animé entre théologiens et « humanistes », idéalisant la place de l’Inde dans l’histoire de la culture humaine. L’ouvrage du presbytérien britannique J. Priestley (1733–1804), A Comparison of the Institutions of Moses with those of the Hindoos and Other Ancient Nations (1799), vise précisément à contrer l’admiration portée par certains Occidentaux aux écrits indiens en général et à la thèse de Langlès en particulier69. Dès la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, on assiste au développement de des projets comparatistes de grande envergure70. Sir W. Jones sera ainsi l’un des premiers à évoquer la thèse de correspondances linguistiques indo-européennes. Il sera suivi de F. Bopp, W. von Humboldt (avec l’objectif d’une « anthropologie comparée »), ou encore Max Müller. Comme l’observe Halbfass71, de nombreux projets comparatifs voient également le jour en Inde dès le début du XXe siècle, le plus souvent dans le cadre d’essais de « philosophie comparée ». Le but déclaré est de comparer des courants de pensée ou des philosophes indiens à un équivalent occidental, comme le VedƗnta à Spinoza. Tout comme les travaux des théologiens ou des savants occidentaux, les tentatives indiennes de comparaison comportent fréquemment une visée apologétique, tendant à défendre les valeurs de la tradition indienne contre les prétentions européennes72. Il faut enfin évoquer un courant intellectuel mené par l’indianiste Sylvain Lévi, qui s’est opposé de manière très critique à plusieurs des thèses centrales de Max Müller, tout en reconnaissant l’intérêt de travaux comparatifs. Lévi contestait, et à bon droit, une certaine lecture idéalisante et romantique, minimisant le

67 Holwell (1779). 68 Louis Mathieu Langlès (1763–1824) est un indianiste français qui a notamment publié une traduction du Pañcatantra. L’ouvrage en question, Langlès (1790) comprend une notice introductive où l’auteur observe : « Je regarde donc le Pentateuque comme l’abrégé des livres égyptiens dont les originaux existent encore dans l’Inde » (p. xiv–xv). 69 Cf. Priestley (1972 [1799]), p. 140. 70 Sur la recherche de l’origine des religions et leur classification à la fin du XVIIIe siècle, voir Lincoln (2002), en particulier, p. 8 et 16. 71 Halbfass (1988), p. 422. 72 Ainsi de l’ouvrage de Seal (1899) au sujet duquel Halbfass (1988), p. 424, déclare : « It is obvious that B. N. Seal’s proclamation of comparative studies has an apologetic function. It is a device for defending the dignity of the Indian tradition against the challenges of the Western thought and its claims of superiority and domination. »

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1. Introduction et méthodologie

lien aux rituels, que faisait Müller des textes védiques. Selon Strenski73, une partie de la démarche de Lévi peut se comprendre comme une tentative visant à contrer l’évolution de l’indologie allemande du début du XXe siècle instrumentalisée par un nationalisme et un antisémitisme croissants. De la sorte, chez Lévi (et par lui, chez Durkheim, Hubert et Mauss), la question de la comparaison entre les cultures juive et indienne, le plus souvent implicite, a pu contribuer à contrecarrer une lecture des textes indiens effectuée au détriment de la tradition juive. Notons au passage que Lévi lui-même s’est risqué à rédiger quelques notes dans lesquelles il évoque – avec toutes les précautions d’usage – la possibilité d’influences linguistiques entre le sanscrit et l’hébreu74. À quelques exceptions près (comme S. Lévi), ces différentes approches comparatives – tout comme d’ailleurs, d’une certaine manière, les études indoeuropéennes du XXe siècle – ont pour conséquence d’inscrire des civilisations au sein d’une histoire téléologique, en leur assignant une place et un rôle bien précis dans l’histoire mondiale75. Il s’est bien souvent agi d’identifier des familles de ressemblances (entre cultures d’origines indo-européennes, par exemple) et de tracer des oppositions (celle, à la tragique destinée, entre « aryens » et « sémites », par exemple76). Notre projet se démarque radicalement de tels postulats dans la mesure où le choix des contextes n’est pas informé par une quelconque théorie de la diffusion, en lien ou non avec une hypothèse linguistique. Nous espérons au contraire parvenir à montrer que les similitudes ou les différences résultent avant tout de conditions socio-historiques particulières, propres à chaque contexte, et non de similarités ou de différences « essentielles ». Cela implique bien entendu que nos contextes puissent être considérés comme « indépendants ». Afin d’éclaircir ce point, il est encore nécessaire de se pencher un bref instant sur la question d’éventuels contacts entre nos deux contextes. 1.3.4 Inde – Proche-Orient : des contacts historiques ? La première attestation historique d’une présence juive en Inde remonte au début du XIe siècle de notre ère. Il s’agit de plaques de cuivre qui font état de privilèges accordés par l’autorité indienne à un certain Joseph Rabban, probablement alors à la tête de la communauté de Cranganore, sur la côte de Malabar. Sans doute les premières communautés juives dans le sous-continent s’établirent-elles dans cette région. Par ailleurs, la forte présence du judaïsme dans l’empire sassanide et les 73 Voir Strenski (1997), p. 121–148, qui observe notamment, p. 125 : « It was natural for Sylvain Lévi to associate Israel and India because a previous generation of scholars had already done so by opposing the two countries – to the consequent detriment of Israel. » 74 Lévi (1926). 75 Pour une discussion de certaines typologies globalisantes spécifiques au domaine religieux, voir Bornet (2009). 76 Sur tout ce courant intellectuel et ses dérives, voir l’ouvrage d’Olender (1989).

1.3 Méthodologie

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contacts commerciaux très réguliers entre Asie et Europe au moins à partir de cette époque – on pense notamment à la route de la soie – ont également contribué à la création de plusieurs communautés juives en Asie77. Dans le contexte de l’Inde, il est possible de distinguer trois communautés juives différentes selon leur origine : les Bene Israël, la communauté de Cochin, et les communautés d’origine européenne78. L’origine des Bene Israël est controversée. Selon une tradition indigène rapportée par les missionnaires chrétiens, les Bene Israël seraient les descendants de 14 personnes ayant survécu à un naufrage au large de la côte de Konkan. Selon Kehimkar79 cette communauté aurait fui la Galilée en raison des persécutions du roi séleucide Antiochos IV Épiphane (175– 163 avant notre ère). L’absence de sources historiques (indiennes ou juives) sur la question rend toutefois difficile l’évaluation de cette thèse. Quoi qu’il en soit, cette communauté est forte d’une longue histoire sur le sous-continent et s’est bien intégrée à la population indienne. Certaines traditions se sont perdues alors que d’autres (comme le Shabbat, la circoncision et la cashrout) se sont perpétuées. La communauté de Cochin, qui parle malayƗۜam, conçoit son origine dans la diaspora qui a fait suite à la destruction du Temple en 70 et qui aurait cherché refuge au Sud de l’Inde, à Cranganore. Ici aussi, aucune attestation historique ne peut malheureusement corroborer cette hypothèse. En 1524, cette communauté fut attaquée par les Maures, et la plupart de ses membres durent fuir à Cochin où ils purent se mettre sous la protection d’un gouvernement hindou. Pendant l’occupation portugaise de Cochin, la communauté juive fut régulièrement persécutée jusqu’à l’arrivée de l’occupation hollandaise, plus pacifique. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Cochin a attiré des marchands juifs du Moyen-Orient, du Nord de l’Afrique et de l’Espagne. D’importantes communautés juives d’origine européenne (issues entre autres de l’Espagne, de la Hollande, et du Portugal) s’établirent plus tard, dès la fin du e XVIII siècle, notamment à Goa et à Calcutta, principalement en raison de contacts commerciaux. Lors de la seconde guerre mondiale, la communauté juive de Calcutta comptait plus de 5000 membres, conséquence des réfugiés fuyant l’avancée japonaise en Birmanie. À l’issue de la guerre toutefois, le nationalisme indien s’est répercuté de manière négative sur les communautés juives, souvent associées à l’occupant britannique. Beaucoup de Juifs indiens ont alors émigré vers Israël, l’Angleterre et les États-Unis. En dépit de la très forte probabilité de contacts culturels entre les mondes hébraïques et indiens dès l’époque ancienne par l’intermédiaire de la Perse, aucun témoignage historique fiable ne permet d’établir avec sûreté des influences directes entre nos documents. Il ne sera donc pas possible d’interpréter nos résultats dans les termes d’une interaction culturelle. 77 Cf. Foltz (1999), p. 30–36 et Pollock (1980) au sujet des communautés juives en Chine. Pour une étude historique des conceptions juives sur l’Inde, voir Melamed (2006). 78 Cf. l’article « India » in EJ, vol. 8, p. 1349–1359. 79 Kehimkar (1937), p. 10. L’auteur se fonde sur une analyse des fêtes célébrées par les Bene Israël pour déterminer l’époque de leur immigration en Inde.

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1. Introduction et méthodologie

1.4 SOURCES 1.4.1 Réalité historique et réalité discursive Les textes dont nous ferons l’étude n’appartiennent pas à une seule « œuvre » mais sont empruntés à un nombre restreint de documents issus d’un même contexte discursif (respectivement à chaque tradition), et comportent une « visée normative ». Il est clair que nos sources ne reflètent pas fidèlement et directement l’histoire ou la réalité de leur époque de composition. Il est en revanche incontestable que ces textes ont été composés à partir d’une réalité historique particulière à laquelle ils font écho, d’une manière ou d’une autre. Il convient donc de distinguer soigneusement le simple constat que nos textes ne retranscrivent pas fidèlement l’histoire du fait indéniable que ces mêmes textes sont le fruit d’un travail de composition, lui-même nécessairement inscrit dans un contexte historique. C’est en ce sens précisément que nos textes sont d’abord à considérer comme des discours, témoignant d’une situation d’énonciation qu’il s’agit, dans la mesure du possible, de reconstruire. Dans cette optique, nous souscrivons volontiers à la proposition suivante – qui concerne certes spécifiquement les traités indiens de dharma, mais qui peut tout aussi bien s’appliquer, mutatis mutandis, aux textes rabbiniques : L’ingrédient manquant dans toutes les « histoires » des dharmaĞƗstra, c’est le contexte historique, social, politique et économique de la production textuelle au sein de cette tradition. […] Pour le chercheur et l’historien contemporains, il serait erroné de supposer qu’une telle absence de référence signifie que ces textes ont été produits dans un vide social ; l’absence de référence doit être reconnue pour ce qu’elle est : un point de vue théologique voire un stratagème visant à faire paraître ces œuvres comme éternelles et transcendant leurs contextes sociaux et historiques. La tâche de l’historien consiste à lever ce voile théologique afin de voir dessous et au-delà, et pour découvrir les conditions historiques réelles dans lesquelles les textes ont été produits80.

Le manque de renseignements historiques fiables sur le contexte rédactionnel des textes rend évidemment un tel programme bien ardu. La visée herméneutique, cependant, nous paraît parfaitement valide. Il est ainsi possible d’examiner les conséquences sociales et économiques des prescriptions d’hospitalité consignées dans les textes. Cette tâche représente une première étape en direction d’une interprétation socio-historique des sources et permet d’émettre des hypothèses. En dépit du fait que nos sources entretiennent un rapport ambigu à l’histoire événementielle, notre approche sera donc plutôt « historico-critique » que structurale ou théologique, et nous prêterons attention à l’ordre chronologique de composition des textes, même si celui-ci ne peut être que supposé. Dans la même optique, le recours aux principaux commentaires peut s’avérer utile : les commentateurs ont presque toujours une connaissance encyclopédique des textes de leur domaine. Ils n’ignorent pas le réseau dans lequel s’insère un 80 Olivelle (2006), p. 188, ma traduction.

1.4 Sources

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passage et ne manquent pas de signaler des parallèles, des contradictions avec un autre passage ou des arguments renforçant la thèse défendue dans le texte commenté. Il peut donc être intéressant, sur quelques points précis, de consulter un commentaire afin de voir quels enjeux sont mobilisés, dans une perspective relevant de la Wirkungsgeschichte. Il est évident cependant que le commentaire représente en lui-même une nouvelle interprétation et qu’il convient de le considérer dans son propre contexte historique, et non comme une explication du « sens réel » d’un texte. Il convient enfin de relever que dans l’étude des textes, la nécessaire prise en compte du contexte textuel se heurte à certaines limites : pour nos deux corpus, et pour des raisons diverses, il peut arriver que le texte bifurque abruptement, passe d’un argument à l’autre, d’un sujet à l’autre sans en avertir le lecteur. Selon les cas, le contexte textuel peut être ou non déterminant pour la compréhension d’un passage. 1.4.2 Sources rabbiniques et mode d’approche La composition des textes rabbiniques « majeurs » et considérés comme « canoniques » par la tradition ultérieure s’étale approximativement de 200 à 600 de notre ère81. Les textes « normatifs » qui retiendront notre attention sont la Mishna et les deux Talmuds, de Palestine et de Babylone. Il convient de présenter brièvement ces textes ainsi que quelques éléments du contexte historique de leur rédaction, tel que celui-ci peut approximativement être reconstruit. Selon Schwartz, jusqu’à 135 (fin de la sédition de Bar Kokhba), il est possible de parler d’une « société juive », variée et complexe, mais soudée autour d’un certain nombre de valeurs communes82. Le même auteur propose que la société juive a durement accusé le choc de l’échec de la sédition de Bar Kokhba : « Ma thèse consiste à dire que l’idéologie centrale du judaïsme […] a cessé de fonctionner en tant que force intégrative dans la société juive palestinienne après les deux révoltes. Les intermédiaires de la Torah ont perdu non seulement leur autorité légale, mais aussi leur statut d’idéaux culturels83. » Dès cette période, il semble bien que les rabbins ne constituaient qu’une minorité, relativement à l’écart de la majorité de la population juive84. Selon Shaye Cohen, jusqu’à la fin du second siècle, la corporation rabbinique aurait représenté un groupe parmi d’autres, ne se

81 Pour une présentation concise du « canon » du judaïsme rabbinique, cf. Neusner (2000a). 82 Schwartz (2001), p. 99 : « [T]here is ample evidence for Judaism’s success in creating a Jewish society, loosely centralized and frayed at the edges though it was. » 83 Schwartz (2001), p. 103, ma traduction. 84 On accepte ici la thèse centrale de l’ouvrage de Schwartz (2001), qui vise à dire que le mouvement rabbinique s’est institutionnalisé relativement tardivement. On souscrit également à la thèse d’un mouvement rabbinique plutôt « décentralisé » (au moins dans le contexte palestinien), soutenue par l’ouvrage d’Hezser (1997).

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1. Introduction et méthodologie

confondant pas avec l’ensemble de la population juive85. Pour Schwartz, une situation de ce type se serait même poursuivie jusqu’à la christianisation de l’Empire romain : La plupart des Juifs semblent avoir principalement vécu comme des païens et considéraient l’Etat romain et les conseils de leur ville comme leurs autorités légales et leur idéal culturel. […] Avec la Christianisation de l’empire, le caractère de la vie juive changea radicalement86.

Il n’est certes pas évident d’indiquer une date précise correspondant à l’institutionnalisation du mouvement rabbinique et à la reconnaissance de son autorité par la population juive, et sans doute ces deux processus doivent-ils être examinés séparément. Pour autant, il semble assez sûr qu’après la destruction du Temple et la défaite de Bar Kokhba, le groupe des rabbins n’a pas invariablement disposé de l’influence qu’il revendique pourtant au travers de ses textes. La Mishna serait issue de ce milieu bien particulier et représenterait d’abord la législation d’une société imaginée et souhaitée par le groupe des Sages87. Compilée autour de 200 par Rabbi Yehuda Ha-NaĞi, elle rapporte les propos de maîtres appelés tannaim, actifs dans les deux premiers siècles de notre ère. Elle est organisée en six ordres, qui regroupent eux-mêmes les traités proprement dits (Zera`im « semences », Mo`ed « fêtes », Našim « femmes », Nezikin « litiges », Qǂdašim « choses sacrées » et ܑǂhǂrot « choses pures »). Le traité ´Avot de la Mishna paraît plus tardif (env. 250), et refléterait, selon Neusner, la volonté des Sages de légitimer leur autorité en se présentant comme les porte-parole autorisés de la Torah orale88. Le texte des ´Avot de-Rabbi Nathan – qui se présente comme un commentaire du traité ´Avot – semble relativement tardif, même si sa datation reste fort peu sûre89. La Tosefta dont la date de compo-

85 Cohen (1992), p. 157 et p. 168 : « In sum, the rabbis were an easily differentiated element within second-century Jewish society. They had their own organisations (‫ۊ‬avurot), modes of piety, and way of life. They could be recognized in the market-place ‘by their walk, their speech, and their dress’ (Sifre Dt 343, éd. Finkelstein p. 400). They were distinct from the masses of the Jews and looked down upon all those who did not share their outlook and follow their observances. » 86 Schwartz (2001), p. 176, ma traduction. 87 Neusner qualifie volontiers la Mishna de « code légal philosophique » d’une société utopique (cf. par exemple Neusner (1981), p. 41–44). Cette thèse est débattue par Sanders (1990), p. 309 sqq. 88 Neusner (2000b), p. 201 : « In Abot, Torah is instrumental. The figure of the sage, his ideals and conduct, by contrast, forms the goal, focus and center. To state matters simply: Abot regards study of Torah as what a sage does. The substance of Torah is what a sage says. » Cette interprétation est critiquée par Sanders (1990), p. 327, qui conteste notamment la datation du traité ´Avot par Neusner. 89 Strack et Stemberger (1992), p. 247 indiquent les III–IVe siècles. Cf. Neusner (1989), p. 178 sqq., qui place le texte dans le contexte babylonien du VIIe siècle et qui discute de la forme littéraire mettant fréquemment en scène des figures de Sages. Hezser (1997), p. 45 estime de son côté qu’ARN date de l’époque amoraïque, mais qu’il faut compter avec une rédaction « finale » à une époque plus tardive. Elle fait toutefois usage du texte comme reflétant une situation palestinienne.

1.4 Sources

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sition est également incertaine (sans doute dans le courant du IVe siècle)90 s’articule selon les mêmes ordres que la Mishna, et se compose des mêmes traités. Il s’agit, selon la tradition, de la compilation de propos tannaïtiques qui n’ont pas été retenus dans la Mishna (baraitot). D’un point de vue historique, il est clair que la nature de la relation entre Mishna et Tosefta est loin d’être évidente91. Le Talmud de Palestine se compose quant à lui de la Mishna et d’un ensemble de propos attribués à des maîtres nommés amoraim, la Gemara. Cette dernière comprend également des portions de textes attribuées à des tannaim ne figurant pas dans la Mishna (baraitot). Elle ne porte que sur 4 des 6 ordres de la Mishna (Zera`im, Mo`ed, Našim, Neziqin)92 et aurait été compilée vers la fin du IVe siècle, mais le lieu et les protagonistes de ce processus sont mal connus93. Les discussions relatives aux règles agricoles à observer spécifiquement en terre d’Israël (les traités de l’ordre Zera`im) y sont particulièrement développées. Dans le contexte babylonien, le mouvement d’institutionnalisation de la corporation rabbinique aurait débuté dès l’époque des amoraim (au début du e III siècle), même si l’on doit reconnaître le manque (quasi total) d’informations sur les circonstances historiques de ce processus. Le Talmud de Babylone proviendrait toutefois d’un contexte « plus institutionnalisé », et aurait « réellement » pour but d’organiser la vie d’une communauté religieuse94, rôle qu’il a de toute manière fini par remplir. La Gemara babylonienne se compose elle aussi de propos relatifs à la Mishna attribués à des maîtres des époques tannaïtique (baraitot) et amoraïque. Selon la tradition, elle aurait été compilée par Rav ´Ashi et Ravina II ben Huna, deux maîtres babyloniens actifs à Sura (Perse, sur les rives de l’Euphrate), à la fin du Ve siècle95. Pour Rubenstein, la rédaction du Talmud de Babylone se serait cependant poursuivie jusque dans le courant du VIe siècle et les rédacteurs du texte, les « Stammaim96 » (ainsi nommés en raison de l’expression désignant la « voix anonyme » du Talmud : setam ha-talmud) auraient accompli un travail considérable de réélaboration du matériel plus ancien97. C’est à eux que l’on devrait une grande partie de l’articulation dialectique du texte du Talmud de Babylone. La question de la mise par écrit du texte reste compliquée. Selon le témoignage de Sherira Gaon (Xe siècle), celle-ci serait imputable à des persécu90 91 92 93

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Strack et Stemberger (1992), p. 176. Sur ce point, cf. par exemple les remarques de Schäfer (1986), p. 147–149. À quoi l’on doit ajouter le traité Nidda (appartenant à l’ordre ܑǂhǂrot). L’ensemble du Talmud palestinien n’a sans doute pas été compilé en même temps : les traités de Neziqin, par exemple, se singularisent par l’absence de mention d’amoraim plus tardifs et par la présence de termes archaïsants. Sur la question de la composition de l’ordre Neziqin par l’« académie » de Césarée, cf. Hezser (1993) et Hezser (1997), p. 201. C’est du moins l’avis de Neusner (1992), p. 9. Pour Lightstone (1993), p. 175 (et passim) l’institutionnalisation du mouvement rabbinique est un fait tardif, remontant au début du e VI siècle : « The emergence […] of large, well-structured academies of rabbinic learning did not emerge in Babylonia until sometime after the close of the 5th century C.E. » Strack et Stemberger (1992), p. 212. L’expression est d’Halivni (1986), p. 76–92. Cf. Rubenstein (2005), p. 3.

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1. Introduction et méthodologie

tions datant de la même époque, forçant les communautés juives à conserver leur tradition sous forme écrite. Les commentaires principaux du Talmud de Babylone sont ceux de Rashi (1040–1105) et des Tosafot, qui proviennent d’écoles rabbiniques en France et en Allemagne, entre les XIIe et XIVe siècles. Mentionnons encore brièvement les Midrashim, qui se présentent comme des « commentaires » du texte biblique et dont on ne fera qu’un usage restreint. Il existe des Midrashim sur la plupart des livres de la Bible, mais ils n’ont en commun ni leur époque de rédaction, ni un auteur, ni encore un même lieu d’origine. Le corpus du Midrash Rabba comprend aussi bien les traités composés durant l’époque amoraïque98 que ceux plus tardifs qui complètent la série des commentaires sur le Pentateuque et les Megillot99. Il existe d’autres corpus de Midrash : ceux qui ont un contenu plus largement « halakhique100 », apparemment compilés vers le début du Ve siècle et ceux qui forment des compilations d’origine tardive (XII–XIIIe siècles)101. Évoquons enfin les traités non « canoniques », mais souvent insérés dans le corpus talmudique, qui détaillent les règles de savoir-vivre, de « derekh ´ere‫܈‬102 », comme Derekh ´Erets Rabba et Derekh ´Erets Zuta. Leur composition remonte sans doute à l’époque des ge´onim (VI–Xe siècles), mais certaines portions de ces textes semblent plus anciennes, et de nombreux propos y sont prêtés à des rabbins des premiers siècles de notre ère. Pour presque l’ensemble de la littérature rabbinique, on peut distinguer deux genres discursifs définis au sein de la tradition elle-même : la halakha et la ´aggada. La halakha désigne généralement un texte à portée prescriptive, alors que les textes relevant de la ´aggada sont des récits, narrations ou anecdotes qui visent le plus souvent l’édification de l’audience en illustrant un point de halakha. Les passages de la ´aggada, bien qu’enseignant la plupart du temps des « leçons », ne doivent pas être interprétés de manière aussi littérale que les passages halakhiques : ils comportent souvent un caractère hyperbolique. Même si cette distinction (halakha / ´aggada) apparaît assez clairement dans les textes, il convient de noter qu’il ne s’agit que d’un critère distinguant un genre littéraire, et non d’une « fonction » : rien n’indique que les passages de la halakha aient une visée « plus pratique » que les textes narratifs103.

98 Toutes les indications de dates sont conformes aux hypothèses émises par les auteurs des articles correspondants dans EJ. Gn Rabba, Ve siècle, Lv Rabba, Ve siècle, Cant Rabba, e e e VI siècle, Esther Rabba, VI siècle, Lam Rabba, V siècle. e e 99 Nb Rabba, XII siècle, Ex R, X siècle, Qo Rabba, VIIIe siècle, Ps Rabba, XIIIe siècle. 100 Sifre Nb et Dt, Sifra sur Lv, Mekhilta de-Rabbi Ishmael, etc., appartenant à la catégorie de Midrash Halakha (par opposition à Midrash ´Aggadah). 101 Comme Yalkut Shim`oni ou Midrash Ha-Gadol. 102 Pour une discussion du terme derekh ´ere‫܈‬, lit., « la voie de la terre / du monde », cf. Van Loopik (1991), p. 2–6. 103 Il ne faut, en ce sens, pas confondre la halakha en tant que genre discursif, et la halakha en tant qu’ensemble de prescriptions réglant différents aspects de la vie juive (comme concept générique abstrait).

1.4 Sources

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Situons notre approche des textes rabbiniques par rapport à d’autres types de démarches104. Pour l’approche traditionnelle halakhique, la littérature rabbinique forme un ensemble de lois qui devraient être, au moins idéalement, concrètement applicables. Les commentateurs traditionnels s’inscrivent directement dans cette perspective, et cherchent le plus souvent à résoudre d’éventuelles contradictions constatées au sein de la littérature rabbinique de manière à rendre l’ensemble du corpus cohérent d’un point de vue légal. L’approche académique « classique » des textes rabbiniques part quant à elle du présupposé que la littérature rabbinique en son entier reflète l’organisation d’une société spécifique. Cette perspective tend à relativiser le fait que la composition des textes rabbiniques s’échelonne sur plusieurs siècles, et qu’elle fait certainement écho à des situations sociales, économiques et politiques variées105. Bien que problématique à certains égards, cette perspective n’est pas dépourvue d’avantages : de nombreux propos tannaïtiques, par exemple, ont fait l’objet de débats et de discussions bien après leur intégration dans un corpus tel que celui de la Mishna. Des sources d’origine ancienne ont très bien pu être reformulées ou modifiées sans que la trace du changement n’ait été conservée dans les traditions ultérieures dont dépendent toutes les versions des textes à notre disposition (textus receptus106). À l’opposé de cette approche, se trouve le courant, dont Neusner est l’un des plus éminents représentants, visant à étudier les différents documents de la littérature rabbinique de manière indépendante. Une telle approche considère avec un scepticisme sain les attributions des propos rabbiniques (« Rabbi x a dit ») et se fonde sur l’époque présumée de la clôture rédactionnelle d’un document pour dater un texte particulier. Neusner a poussé cette démarche documentaire très loin, et déclare par exemple : « Nous proposons seulement de décrire les documents élément par élément, en renvoyant à plus tard le travail de recherche de connections ou même de continuités jusqu’à ce qu’il soit rendu compte de tous les éléments, un par un107. » Cette perspective comporte clairement des avantages : elle prend en compte le travail rédactionnel qui a indéniablement joué un rôle déterminant dans l’élaboration des textes tels qu’ils nous sont parvenus, est critique par rapport aux attributions traditionnelles des propos rabbiniques, et évite de considérer l’ensemble de la littérature rabbinique comme un tout uniforme108. Pour autant, comme l’a montré Schäfer, cette manière de procéder n’est ellemême pas exempte de problèmes : le processus éditorial des « compilations » sur 104 Sur la distinction même de plusieurs types d’approches, cf. Schäfer (1986), p. 139–145. 105 Il s’agit notamment de l’approche adoptée par Urbach (1987). 106 Cf. Stern (1994), p. xxvi–xxvii, qui conclut : « In this sense, the Mishna as we now have it may be just as representative of the Judaism of the Amoraic or of the later Talmudic period. » 107 Neusner (1987), p. xiii, ma traduction. 108 Pour ces différentes raisons, l’approche « biographique » classique, consistant à retracer la personnalité historique d’un rabbin en collectant les propos qui lui sont attribués dans la littérature rabbinique est méthodologiquement problématique (cf. Schäfer (1986), p. 142–143 et Hezser (1997), p. 9–14).

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1. Introduction et méthodologie

lequel se fondent les analyses de Neusner est mal connu d’un point de vue historique. Il est problématique de s’appuyer sur la date de clôture de la composition des textes tels qu’ils nous ont été transmis, car rien ne permet de s’assurer que leur état actuel correspond à la forme que leur ont donnée leurs compilateurs. Il faudrait idéalement remonter aux seuls témoins dont on dispose : les manuscrits109. Cette position n’est à son tour pas dénuée de difficultés, si l’on songe au fait qu’aucun manuscrit connu des textes rabbiniques ne précède le premier millénaire110. Ce simple fait relativise fortement l’avantage du recours aux manuscrits pour reconstruire une histoire du judaïsme rabbinique. Selon ce raisonnement extrême, le seul type de connaissance possible sur le judaïsme rabbinique serait une histoire de ses effets à partir des premiers manuscrits connus. En définitive, il semble raisonnable d’adopter une position médiane : il est en effet possible de suivre une troisième voie, qui prend en compte la réalité de l’existence de documents distincts, tout en reconnaissant que ceux-ci entretiennent des liens (malheureusement souvent obscurs d’un point de vue historique) les uns avec les autres. La méthode finalement retenue par Sacha Stern dans son étude sur l’identité juive nous paraît appropriée à notre sujet : une approche plutôt synchronique des sources, tout en prêtant attention, pour certains points, à la chronologie des documents111. Cela ne revient bien sûr pas à nier l’importance de chercher à discerner des développements ou des évolutions d’un document à l’autre. Cette option implique cependant de reconnaître le caractère nécessairement hypothétique de toute interprétation historique produite à partir de sources rabbiniques112. Nous prendrons comme référence la séquence chronologique suivante : Mishna, ´Avot, Tosefta, Talmud de Palestine, ´Avot de-Rabbi Nathan, Talmud de Babylone, comme Derekh ´Erets Rabba / Derekh ´Erets Zuta. Ce point de méthode représente une difficulté inhérente à l’usage des sources rabbiniques que l’on ne peut résoudre de manière simple. Ce problème n’affecte pas de la même manière les différents objectifs poursuivis par ce travail : il nous conduira à relativiser nos observations relatives à des « processus historiques et sociologiques ». Il sera moins gênant quant à une interprétation plus générale des pratiques de l’hospitalité. Il ne concerne enfin qu’indirectement le travail sur certaines catégories de l’histoire des religions.

109 Schäfer (1986), p. 151–152. 110 Cf. Strack et Stemberger (1992), p. 199–203 (TY) ; p. 227–231 (TB). 111 Stern (1994), p. xxix : « In this work, I have generally adopted a global synchronic approach, though I would not negate entirely the value of an alternative, diachronic outlook. » 112 Ainsi Stern (1994), p. xxix : « No one approach to early rabbinic writings can satisfy the critical historian. » Schäfer (1989), p. 89 opte finalement pour une position radicalement opposée à celle de Neusner, en déclarant : « I understand rabbinic literature as an open continuum in which the process of emergence is not to be separated or distinguished without further ado from that of transmission, and the process of transmission from that of redaction. Emergence, transmission and redaction overlap in various ways and overflow into one another. »

1.4 Sources

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1.4.3 Sources brahmaniques et mode d’approche Du côté indien, les textes auxquels nous nous référerons sont les dharmasnjtra et dharmaĞƗstra, dont l’étude se heurte à des difficultés sensiblement similaires à celles grevant le travail sur les textes rabbiniques, en raison notamment de la carence de renseignements historiques fiables sur le contexte de production des textes. Les traités de dharma visent avant tout à prescrire des comportements à des individus, en différentes circonstances de leur vie113. Dans ce contexte particulier (et non en général), le terme même de dharma peut être défini de la manière suivante : Dharma inclut tous les aspects d’un comportement individuel et social approprié, tel que celui-ci est requis par le rôle joué dans la société, et en fonction de l’âge, du genre, de la caste, du statut marital, et de l’étape de la vie. Le terme dharma peut être traduit par « droit », si l’on ne se limite pas à la définition moderne étroite des lois civiles et criminelles, mais que l’on y comprend également toutes les règles de comportements, y compris le comportement religieux et moral, dont une communauté exige le respect de la part de ses membres114.

Les dharmasnjtra appartiennent théoriquement à une branche védique particulière (ĞƗkhƗ), et font en principe partie d’une série (kalpasnjtra) de traités (aux côtés des traités de g‫܀‬hya, Ğrauta et Ğulba). De manière schématique, les g‫܀‬hyasnjtra concernent la pratique des rites domestiques, les Ğrautasnjtra détaillent les règles relatives à l’exécution de rituels dits « solennels », plus élaborés que les rituels domestiques, et les Ğulbasnjtra exposent la manière correcte de construire un « autel sacrificiel » (vedi), indispensable à la pratique des rites consignés dans les Ğrautasnjtra. Les dharmasnjtra, enfin, regroupent les règles relatives à la vie d’un Ɨrya (c’est-à-dire, dans ce contexte, un membre de l’un des trois var۬a supérieurs) en fonction de situations déterminées. Les dharmasnjtra sont en prose mais incluent parfois des citations en vers115. Les textes « principaux » sont traduits de longue date dans la collection des Sacred Books of the East de Max Müller116 : il s’agit des dharmasnjtra d’Ɩpastamba, de Gautama, de BaudhƗyana et de Vasiৢ৬ha. Il est nécessaire de donner quelques indications quant aux tentatives de datation des principaux textes. Les traités d’Ɩpastamba et de BaudhƗyana présentent des points communs et pourraient provenir de branches différentes de l’école TaittirƯya, qui relève du Yajurveda noir. Olivelle estime que le traité d’Ɩpastamba, à l’instar des autres dharmasnjtra, provient plutôt du Nord de l’Inde, mais peut-être d’une région « périphérique » : À mon sens, tous les Dharmasnjtra ont probablement été composés dans la région que nous appelons aujourd’hui l’Inde du Nord, principalement pour la raison qu’il semble que c’est la région de l’activité littéraire brahmanique dans les siècles précédant notre ère. […] Il est pos113 Pour une introduction générale aux traités de dharma, cf. Rocher (2003). On n’évoque ici que les éléments les plus importants. 114 Olivelle (2000), p. 1, ma traduction. 115 Olivelle (2000), p. 7 en fait un indicateur relatif à la datation des textes : ƖpDhS ne comporte que 2% de vers cités, BDhS 22% et VDhS 28%, ce qui refléterait leur chronologie relative. 116 Bühler (1969 [1879]), Bühler (1969 [1882]) et Bühler (1975 [1886]).

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1. Introduction et méthodologie

sible que certains [documents], comme Ɩpastamba, proviennent plutôt d’une région limitrophe que du centre, ce qui pourrait expliquer certains archaïsmes linguistiques et les formes en prakrit du texte117.

Kane propose de dater le traité de BaudhƗyana entre 500 et 200 avant notre ère118. Olivelle situe quant à lui le texte au milieu du deuxième siècle avant notre ère. Il remarque d’autre part (à la suite de Bühler) que les deux derniers praĞna de BaudhƗyana semblent plus tardifs que le reste du traité, et propose de nommer cette section Deutéro-BaudhƗyana119. Le traité d’Ɩpastamba possède de nombreux passages identiques avec BaudhƗyana, sans que l’on puisse réellement déterminer lequel des deux est antérieur120. Avec beaucoup de prudence, Kane propose la fourchette de dates de 600 à 300 avant notre ère121 pour Ɩpastamba. Olivelle pense qu’il s’agit du plus ancien traité de dharmasnjtra, et le situe au début du IIIe siècle avant notre ère, avant Gautama et BaudhƗyana. Le traité fait notamment l’objet d’un commentaire (nommé « UjjvalƗ ») composé par un certain Haradatta qui, selon Kane, aurait vécu entre 1100 et 1300 de notre ère122. Pour Kane, Gautama aurait été composé entre 600 et 400 avant notre ère123. Les traités de BaudhƗyana et de Vasiৢ৬ha semblent faire des emprunts directs à Gautama, ce qui en impliquerait l’antériorité (mais il n’est évidemment pas aisé de déterminer dans quel sens s’est produit l’emprunt). Quelques signes plaideraient toutefois pour une datation plus récente, comme la langue, peu archaïque et respectueuse des règles de PƗ৆ini, ou l’emploi du terme yavana124, qui pourrait évoquer les Grecs. Olivelle est d’avis que la présence de ce terme doit référer « à un peuple d’origine grecque en nombre suffisant pour attirer l’attention125 », ce qui ne peut avoir été le cas qu’après les conquêtes d’Alexandre – on pense notamment au royaume gréco-bactrien – à une époque contemporaine ou postérieure au cinquième édit sur rocher d’AĞoka à Dhauli qui comporte le terme yona126, et qui remonte vraisemblablement à 256 avant notre ère. S’il est probable que le traité ne soit pas le plus ancien des dharmasnjtra, il convient toutefois de relativiser 117 Olivelle (2000), p. 5, ma traduction. 118 HistDh, vol. 1.1, p. 51. Mais en HistDh, vol. 1.1, p. 52, Kane donne les dates de 600 à 300 avant notre ère. 119 Olivelle (2000), p. 191 : la fin du traité, à partir de BDhS 2.(10).17–18 est une interpolation. 120 Kane (HistDh 1.1, p. 50–51) rapporte et critique 3 raisons avancées par Bühler pour démontrer l’antériorité de BDhS sur ƖpDhS (BDhS est mentionné avant ƖpDhS dans certaines énumérations, ƖpDhS est plus strict que BDhS, et le style de BDhS paraît plus archaïsant que celui de ƖpDhS). 121 HistDh, vol. 1.1, p. 73. 122 HistDh, vol. 1.2, p. 746. 123 HistDh, vol. 1.1, p. 36. 124 GDhS 4.21. 125 Olivelle (2000), p. 9 (ma traduction). Sur l’usage de yavana pour déterminer un terminus post quem, cf. Bühler (1969 [1879]), p. lvi, qui émet des doutes quant à sa pertinence pour dater GDhS. Cf. aussi Parasher (1991), p. 226–227. 126 AĞ, vol. 1, p. 87.

1.4 Sources

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l’argument de la langue : rien n’empêche qu’un texte récent comporte des archaïsmes – à dessein, en raison de citations plus anciennes, ou simplement par le style de son auteur (idiosyncrasie) – ou inversement qu’un texte ancien ait été normalisé par après afin de le faire correspondre aux règles de PƗ৆ini. En définitive, la datation de Gautama est tout particulièrement problématique, et l’on trouve autant d’arguments appuyant l’ancienneté du traité que de preuves en faveur de la thèse contraire127. Dans son édition et traduction des dharmasnjtra, Olivelle propose que ce traité date de la moitié du IIIe siècle avant notre ère128 ; dans une déclaration plus récente, il semble pencher pour une datation moins ancienne : l’absence suspecte de citations versifiées pourrait refléter une volonté délibérée de composer un texte « à l’ancienne129 ». Le traité a fait l’objet d’au moins deux commentaires « anciens » : l’un de Maskarin (entre 900 et 1100) et l’autre d’Haradatta130. La datation du traité de Vasiৢ৬ha est elle aussi délicate, en raison du manque de sources historiques et du problème de réélaborations plus tardives du texte. Des ressemblances de forme et de contenu avec Gautama, BaudhƗyana et Ɩpastamba tendent à ne pas trop éloigner temporellement la rédaction de Vasiৢ৬ha. Le texte comporte cependant des particularités thématiques (comme la question de la nonviolence) qui le rapprochent de MƗnava DharmaĞƗstra. Un consensus semble se dessiner parmi les chercheurs pour dire que ce texte est plus récent que les autres traités de dharmasnjtra. Kane avance les dates de 300 à 100131 avant notre ère, et Olivelle évoque le Ier siècle avant notre ère (éventuellement le tout début du Ier siècle de notre ère)132. Contrairement aux autres traités de dharmasnjtra, ce document ne possède apparemment pas de commentaire « ancien », qui aurait contribué à fixer une version déterminée du texte : ce simple fait pourrait laisser penser que le traité, tel qu’il nous est parvenu, intègre de nombreux ajouts plus ou moins récents. Les dharmaĞƗstra sont pour leur part entièrement rédigés en vers (Ğloka, 4 x 8 syllabes par stance) et sont organisés de manière plus systématique. Ils ont finalement supplanté les dharmasnjtra les plus anciens et revendiquent surtout une autorité plus générale133. Parmi ceux-ci, il faut mentionner MƗnava DharmaĞƗstra, YƗjñavalkya DharmaĞƗstra, NƗrada Sm৚ti et ParƗĞara Sm৚ti, qui occupe une place quelque peu marginale. 127 Cf. Kangle (1968), qui cherche à démontrer (à la suite de Meyer (1927), p. 53) que le traité de Gautama est l’un des plus récents. De son côté, Kane affirme : « One solid fact is that Gautama’s is the earliest of the extant Dharmasnjtras » (HistDh, vol. 1.1, p. 29). 128 Olivelle (2000), p. 9. 129 Olivelle (2003), p. 31 : « It [Gautama] is trying to present a real archetypal snjtra. So in a sense it is not old, but it could be later and imitating an older style. » 130 Kane (HistDh, vol. 1.2, p. 746–747) estime que c’est le même Haradatta qui a rédigé les commentaires sur ƖpDhS et sur GDhS. Olivelle (2000), p. 116 pense au contraire qu’il s’agit de deux auteurs distincts. 131 HistDh, vol. 1.1, p. 105. 132 Olivelle (2000), p. 10. 133 Cf. HistDh, vol. 1.1, p. 21.

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1. Introduction et méthodologie

Le dharmaĞƗstra le plus célèbre, MƗnava DharmaĞƗstra134, est particulièrement difficile à dater. De très nombreuses hypothèses ont été émises sur la filiation du texte et sur sa date de rédaction. Longtemps, le traité de Manu a été considéré comme très ancien135. Aujourd’hui au contraire, il paraît postérieur à presque tous les traités de dharmasnjtra. Kane date le texte tel qu’il nous est parvenu entre le IIe siècle avant notre ère et le IIe siècle de notre ère136. De son côté, Olivelle fait l’hypothèse qu’il s’agit d’un texte cohérent, composé d’un seul tenant par un auteur plus ou moins contemporain de l’époque des KuৢƗ৆a (env. 100–200 de notre ère), marquée par des invasions étrangères : le rédacteur du traité aurait œuvré durant une époque relativement troublée, qui aurait vu s’établir une domination étrangère sur une partie des territoires du Nord et du centre de l’ancien empire Maurya137. Dans tous les cas, le texte ne se rattache à aucune branche védique particulière et revendique de ce fait une visée plus large que les dharmasnjtra. Les commentaires majeurs de MƗnava DharmaĞƗstra sont ceux de BhƗruci (VIIe siècle)138, de MedhƗtithi (IX–Xe siècles)139 et de Kullnjka (vers le XIIIe siècle)140. Le YƗjñavalkya DharmaĞƗstra constitue jusqu’à aujourd’hui (avec ses commentaires, comme la MitƗkৢarƗ141) l’une des bases du droit indien. Kane note que l’ouvrage est mieux organisé (notamment, les divisions entre ƗcƗra, qui regroupe les règles de conduite « coutumières142 », vyavahƗra, qui concerne les « procédures légales », et prƗyaĞcitta, qui traite des « peines ») et plus concis que Manu143. Sur la base de plusieurs arguments (comparaison avec la NƗrada Sm৚ti, occurrence du terme nƗ۬aka144 qui désignerait une pièce de monnaie ayant eu cours sous les KuৢƗ৆a), Kane situe l’origine du texte entre les Ier et IIIe siècles de

134 Le texte est également connu sous le nom des Lois de Manu ou de la Manusm৚ti. Nous le désignerons ci-dessous par « Manu ». 135 Jones (1794) faisait remonter le texte de 1280 à 880 avant notre ère, et Loiseleur-DesLongchamps (1833), p. v, au XIIIe siècle avant notre ère. 136 Cf. HistDh, vol. 1.1, p. 344. Olivelle (2005), p. 25, propose l’intervalle de 100 à 200. 137 Olivelle (2005), p. 24–25 ; 39. Cf. également Witzel (2003), p. 99–101, et Kulke et Rothermund (1998), p. 74–81, qui observent de manière laconique (p. 81) : « After the breakdown of the Maurya and Shunga empires, there must have been a period of uncertainty which led to a renewed interest in traditional social norms. » 138 Derrett (1975), vol. 1, p. 10 et 14, propose l’intervalle de 600 à 650, en se fondant principalement sur des considérations stylistiques (alors que Kane, HistDh, vol. 1.1, p. 565–571 évoquait les VIII–IXe siècles). 139 HistDh, vol. 1.1, p. 573–583. 140 HistDh, vol. 1.2, p. 759. 141 Œuvre du théologien VijñƗneĞvara, autour du XIe siècle de notre ère. Le premier commentaire connu sur YƗjñDh est celui de ViĞvarnjpa (autour de 800–825). Cf. HistDh, vol. 1.1, p. 425. 142 Sur ce terme, cf. les remarques de Davis Jr. (2004), p. 814 (« ƖcƗra has attached to it a sense of behaving according to a certain set of well-known standards. ») 143 Cf. HistDh, vol. 1.1, p. 430. 144 YƗjñDh 2.240–241.

1.4 Sources

37

notre ère. Olivelle pense quant à lui que le texte est plus tardif : il le fait remonter aux IIIe–IVe siècles de notre ère145. Selon Kane, la ParƗĞara Sm৚ti pourrait être plus récente que les autres traités normatifs (I–Ve siècles)146, mais la question de sa datation demeure quelque peu obscure : les arguments de Kane (citation du traité au sein de commentaires plus tardifs, comme la MitƗkৢarƗ) sont relativement faibles, et n’établissent pas de manière certaine que le texte est plus ancien que le début du IXe siècle. Le texte traite plus spécialement des domaines des « coutumes » (ƗcƗra) et des « peines » (prƗyaĞcitta), et revendique s’appliquer spécifiquement au Kaliyuga. Sur plusieurs points, comme sur la question du remariage des veuves, il se montre plus « souple » que les autres codes147. Nous ne traiterons pas, au sein de ce travail, de la NƗrada Sm৚ti, pour la raison que le traité ne porte que sur les « procédures légales » (vyavahƗra) et ne comporte pas de section sur les « règles coutumières » (ƗcƗra) dont relève l’hospitalité. Nous ne travaillerons pas non plus sur le traité de Viৢ৆u Sm৚ti, qui – au moins pour ce qui concerne l’hospitalité – reprend fréquemment des passages de Manu. La plus grande partie du texte semble particulièrement tardive, et composée à partir d’un point de vue vishnouïte148. D’une manière générale, pour ce qui concerne la chronologie des textes, nous retenons principalement le principe basique – qui semble faire l’objet d’un consensus – que les dharmaĞƗstra sont postérieurs aux dharmasnjtra, eux-mêmes postérieurs à la « littérature védique ». Sur le rôle même des dharmasnjtra et dharmaĞƗstra, il convient d’adopter une attitude modérément sceptique : il est clair que les textes n’ont pas fait l’objet d’une mise en application systématique, mais on ne peut pas non plus nier qu’ils représentent une vision du monde « possible », ou au moins souhaitable aux yeux de leurs rédacteurs. Sans doute l’emploi « réel » de ces textes a-t-il varié selon les époques, oscillant entre un simple répertoire de souhaits émanant du milieu brahmanique et une liste de règles appliquées, de manière plus ou moins stricte, par un roi. Au vu du contenu souvent peu pragmatique des textes, il est improbable que ceux-ci aient été composés à partir de l’observation concrète de coutumes, qui auraient été créditées a posteriori d’une autorité normative149. 145 HistDh, vol. 1.1, p. 443 et 447 ; Olivelle (1993), p. 142, n. 31. 146 HistDh, vol. 1.1, p. 464. 147 On ne dispose pas, à ma connaissance, d’une étude détaillée de ce traité qui est pourtant fort original, puisqu’il adopte des positions contrastant radicalement avec les traités « classiques » de dharma. 148 HistDh, vol. 1.1, p. 126. 149 C’est la thèse de Rocher (2003), p. 115 qui estime que ces textes représentent avant tout un « monde idéal », ce qui n’exclut pas qu’ils aient pu faire l’objet d’une application plus ou moins rigoureuse selon les époques. Cependant, Larivière (1997), p. 109 déclare : « It seems very reasonable to conclude, then, that dharmaĞƗstra does represent ‘law’ in a very real sense ; that of practices recorded in dharmaĞƗstra did represent the law of the land and are of very real value in constructing the history of Indian society since these texts tell us how – alas, not where and when – people actually lived. » Pour des positions intermédiaires, cf. Oli-

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1. Introduction et méthodologie

Pour l’étude de nos textes, la somme érudite de Kane, History of DharmaĞƗstra, se révélera fort utile, ce qui ne veut bien sûr pas dire que l’on doit s’abstenir de tout point de vue critique à son égard : le travail de Kane comporte parfois un but apologétique, cherchant à défendre la tradition indienne savante par rapport à la tradition de recherche occidentale. Par ailleurs, il arrive que Kane reconstruise une image de l’Inde ancienne au moyen de documents issus de contextes très différents, ce qui, dans certains cas, est méthodologiquement problématique. 1.4.4 Mise en regard des corpus Les deux ensembles de textes choisis comme sources présentent plusieurs points communs déterminants, mais aussi, bien entendu, de très nombreuses différences de forme et de contenu. Contentons-nous de relever les aspects qui concernent directement notre projet en commençant par énumérer les principales différences. Mentionnons en premier lieu la notion d’auteur : un corpus comme le Talmud de Babylone est réputé provenir de plusieurs auteurs ; il s’agit d’une compilation de propos rapportés au nom de différents rabbins. Même si l’historicité de ces attributions n’est pas fiable, on ne peut nier qu’un tel document se compose de multiples couches rédactionnelles. De leur côté, les traités indiens de dharma se présentent comme les œuvres d’auteurs uniques (ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils le soient réellement), composées à une époque particulière. Il faut aussi évoquer la question de la structure littéraire des textes : dans la littérature rabbinique, et en particulier dans les Talmuds, les rabbins commentent fréquemment une question précise et y apportent plusieurs solutions qui ne sont pas toujours compatibles entre elles. Inversement, les textes indiens privilégient un style concis (ce qui est tout particulièrement vrai pour les snjtra), et ne se présentent pas comme les commentaires d’un autre texte. Les prescriptions consignées au sein de ces textes visent donc une certaine univocité, même si sur plusieurs points, les avis divergent d’un traité à l’autre. Cette caractéristique se répercute sur la taille respective des deux corpus : la littérature rabbinique est plus ample que les traités de dharma. De même, alors que la littérature rabbinique comprend plusieurs parties narratives (´aggada), les traités indiens de dharma sont plus « sobres » : ils ne présentent que des règles et non leur mise en application au sein d’exemples concrets. De tels exemples, visant à édifier leurs destinataires, se trouvent cependant en d’autres corpus de la littérature indienne, comme le MahƗbhƗrata. D’innombrables points de divergence pourraient encore être évoqués, comme, par exemple, l’organisation du contenu (par traité, par sujet, etc.).

velle (2006), p. 176–177 et Wezler (2004), p. 641 (le contenu même des traités se serait en partie élaboré à partir de l’observation de pratiques coutumières).

1.4 Sources

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Essayons cependant de relever quelques éléments de convergence. Un premier point commun nous semble consister en la visée normative des textes. Ceuxci ont en effet la prétention – et c’est ainsi qu’ils ont été interprétés par la tradition ultérieure – d’organiser la vie d’une société et des individus qui la composent. Il s’agit de textes décrivant un ensemble de normes et de coutumes caractérisant une conduite correcte, dans l’optique de leurs rédacteurs. Bien évidemment, et pour nos deux séries de textes, le lien avec la société « réelle » est complexe. Il est toutefois raisonnable de penser que, puisque nos textes ont été retenus par le processus éditorial qui a fixé les documents, ils représentent une vision du monde possible et souhaitable aux yeux de leurs éditeurs150. C’est la situation que décrit Neusner : Les ouvrages provenant d’un monde ancien, distant du nôtre, ne nous enseignent pas ce qui s’est passé à cette époque, mais ce que les gens qui ont composé ces ouvrages souhaitaient que leurs contemporains et leurs successeurs retiennent des événements. Ce type de connaissance sur la religion nous conduit profondément dans l’imagination, relativement à la société et au monde social, de ceux qui ont composé un texte donné, et de ceux qui ont valorisé et préservé ce corpus et l’ont intégré à d’autres corpus afin de former un canon de vérité : le schéma d’un monde social tel que celui-ci devrait être151.

Nos deux séries de textes correspondent exactement à cette description. Il y a donc une similarité de genre (qui n’est certes pas absolue), et surtout, une visée commune, relative à l’organisation concrète d’une société. Selon un vocabulaire classique d’historien des religions, et avec les précautions qui s’imposent, nous pouvons affirmer que les textes normatifs étudiés ici présentent une vision du monde particulière, un cosmos en quelque sorte : ils sont des « cartes » de référence qui organisent le monde d’une certaine manière, en lui conférant sens et cohérence152. Nous essayerons de prêter attention au fait que des documents différents d’une même tradition (par exemple, Mishna et Talmud de Babylone) sont susceptibles de composer des mondes distincts, mais sans doute apparentés. Un second point commun, particulièrement important, réside dans le fait que les deux ensembles de textes proviennent à la base d’une « élite instruite », d’une « communauté textuelle » (textual community153). Même si la notion d’auteur diffère de part et d’autre, les textes émanent d’un milieu relativement similaire : les rabbins et les brahmanes. Les membres de ce milieu, des « virtuoses du reli150 Pour les textes rabbiniques, cf. par exemple Stern (1994), p. 129 : « [R]abbinic writings account for the life of Israel only as it should be in an ideal world. » 151 Neusner (1989), p. 31, ma traduction (je souligne). 152 On pense aux mots de Smith (1978a), p. 292 : « [A] map of the world which guarantees meaning and value through structures of congruity and conformity. » Pour une discussion de ce principe dans le cadre du judaïsme d’après la destruction du Temple, cf. Neusner (1979a) Pour un exemple d’interprétation de la Mishna dans cette perspective, cf. Neusner (1975a). 153 Sur ce concept, cf. Stock (1983), notamment p. 90–91, et le commentaire de Green (1985), p. 53 : « In Stock’s exposition, a textual community consists of a relatively small group of literati whose fellowship and communal life is based not on ethnic heritage or doctrinal confession, but on a shared devotion to – perhaps an obsession with – an authoritative text or set of texts. »

40

1. Introduction et méthodologie

gieux », fondent principalement leur autorité sur la possession de textes révélés (respectivement, la Torah et les Veda). Précisons que la notion de « texte » n’implique pas nécessairement l’écriture. Dans nos deux contextes, le texte est d’abord un savoir conservé et transmis par oral par les membres instruits de l’élite religieuse154. Les gardiens de la tradition disposent par ailleurs d’outils exégétiques élaborés, permettant de réinterpréter les textes, et de prouver une proposition par le recours à la tradition. Pour cette raison, nos textes reflètent nécessairement les intérêts de leurs « gardiens ». Notons aussi que dans la limite de nos textes, les membres de cette « communauté textuelle » sont exclusivement masculins. Ce simple fait ne peut manquer d’orienter substantiellement la nature et la visée des documents, ce qui a certainement des répercussions sur les développements relatifs à l’hospitalité. La question du milieu d’où sont issus les textes a nécessairement part liée à celle de leur audience. Ce point n’est malheureusement pas facile à préciser en raison du peu de renseignements historiques à notre disposition. Il est cependant assez probable que par le simple fait de leur complexité, nos textes (que ce soit sous forme écrite ou orale) s’adressaient prioritairement à un public instruit, à des maîtres et à leurs disciples155. Les règles consignées au sein de nos textes n’étaient sans doute pas, « à l’origine », destinées à être lues ou entendues par un grand public, ce qui n’empêche bien sûr pas que les discours sur l’hospitalité concernent fréquemment le cas de « laïcs » ou de personnes extérieures à la « communauté textuelle ». Cela nous conduit à un troisième point commun : les sociétés dont parlent nos textes sont similairement organisées en différentes « classes », qui, même si elles sont purement théoriques, comportent indéniablement une incidence sur les discours traitant d’une institution sociale comme celle de l’hospitalité. Dans cette catégorisation, l’« identité » est toujours du côté de la « communauté textuelle » formée par les gardiens des textes, et l’« étrangeté » augmente à mesure que l’on s’éloigne de ce milieu. Comme le dit Green, « à partir de l’intérieur d’une communauté textuelle, l’altérité peut être tracée sur un continuum que l’on pourrait appeler ‘proximité textuelle’ – à ne pas confondre avec la proximité géographique

154 Holdrege (1996), p. 2. Comme le dit Olivelle (2000), p. 17, le principe selon lequel les Sm৚ti sont fondés sur des textes védiques constitue en soi une « fiction mythologique » qui vise à conférer de l’autorité à ces traités. L’affiliation de la littérature rabbinique (la Torah orale) à Moïse (M ´Avot 1.1–4) relève d’un principe similaire. 155 Cf. ainsi Hezser (2001), p. 470, qui montre que la Mishna s’apparente à de la littérature d’école : « Like philosophical texts the Mishnah must be considered ‘school’ literature, meant to be primarily read/heard and discussed by rabbis and their disciples. » Il est plus délicat de formuler des propositions au sujet de la littérature postérieure. Cf. cependant Hezser (2001), p. 494 : « The difficulties involved in the understanding of rabbinic texts, whether the Mishnah or the Talmud, necessitated the assistance of the senior scholar or scholar-friend with whom the texts could be discussed orally. » Sur les traités de dharma, Olivelle (2000), p. 11 écrit quant à lui : « The principal audience of these texts was undoubtedly Brahmin males […]. »

1.4 Sources

41

– et calculée en termes de caractéristiques littéraires et textuelles156. » Cela est vrai pour nos deux contextes, même si l’appartenance à une « classe » se définit différemment de part et d’autre. Relevons encore une autre caractéristique commune : celle du contexte socioreligieux. Bien que nos sources ne présentent en elles-mêmes pas de caractère historique, on ne peut nier qu’elles sont issues d’époques ayant vu l’émergence et l’expansion de mouvements religieux « hétérodoxes ». L’époque de la composition de nos textes correspond à une période « charnière » des traditions concernées, qui se transforment en profondeur sous l’impulsion – notamment mais pas seulement – de la présence de mouvements concurrents. Ce phénomène est peutêtre même l’un des facteurs ayant conditionné la composition et/ou la mise par écrit des textes « normatifs157 ». Arrivés au terme de cette partie introductive, résumons les principaux objectifs de cette étude : (1) par l’étude diachronique de certains textes, nous espérons être en mesure de contraster des processus historiques et d’apporter un éclairage différent sur des faits déjà étudiés ; (2) notre étude devrait permettre de dégager un certain nombre de problèmes transculturels, relatifs au sujet spécifique de l’hospitalité ; (3) l’étude « empirique » de textes usuellement considérés comme « religieux » devrait enfin nous conduire à reconsidérer certaines catégories et problématiques de l’histoire des religions sous un angle critique.

156 Green (1985), p. 54, ma traduction. 157 Cf. ainsi l’hypothèse d’Olivelle (2006), p. 171 : « The hypothesis I want to propose is that once dharma had become a central concept in the religious discourse of Buddhism, and once it had penetrated the general vocabulary of ethics, especially through its adoption by the Maurya emperors, certainly by AĞoka and possibly also by his predecessors, in developing an imperial theology, Brahmanical theologians had little option but to define their own religion, ethics, and way of life in term of dharma. Indeed, the scrutiny of the early meaning of dharma within its DharmaĞƗstric use suggests that it was not the Veda but the ‘community standards’ prevalent in different regions and communities that were taken to constitute dharma. »

2. RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE Les descriptions d’invitations, de visites et de relations sociales se nouant autour des repas abondent dans la littérature rabbinique. Ainsi que le montre Krauss, l’hospitalité apparaît comme une caractéristique remarquable des communautés juives du début de notre ère : « Les maîtres rendent visite à leurs disciples, les disciples rendent visite à leur maître ; le métayer rend visite au propriétaire terrien, le pâtre à son employeur, l’épouse à une voisine, etc.1 » Dans la mesure où ces différents contacts impliquent le plus souvent la commensalité, il s’agit même d’un sujet particulièrement sensible. Comme le note Baumgarten, [l]es conséquences sociales de la commensalité sont de la plus haute importance. Ceux de qui l’on accepte de la nourriture préparée, ou ceux avec lesquels on est prêt à partager sa nourriture sont ceux avec lesquels on s’identifie au plus haut degré. Si de la nourriture correctement préparée provenant d’une source acceptable n’est pas disponible, la seule alternative sera de la nourriture non préparée, directement prise dans la nature, sans intervention humaine. Les règles de commensalité indiquent donc qui l’on considère comme insiders et outsiders2.

Pour autant, le sujet spécifique de l’hospitalité dans le contexte du judaïsme rabbinique n’a pas fait, à notre connaissance, l’objet de nombreuses études. En dehors des articles d’encyclopédie, les quelques travaux existant comportent bien souvent une visée moraliste et ne peuvent être réellement considérés comme de la littérature secondaire3. L’un des objectifs de ce travail consiste à comprendre pourquoi l’on doit donner l’hospitalité dans certaines situations plutôt que dans d’autres, à certaines personnes plutôt qu’à d’autres, ce qui revient à montrer que les règles d’hospitalité jouent le rôle d’indicateurs « identitaires », et révèlent les limites entre insiders et outsiders, tout en favorisant aussi une redéfinition de certaines de ces limites – car aucun des textes n’évoque des catégories aussi tranchées et exclusives que celles d’insiders et outsiders. Notre travail vise également à mieux 1 2 3

Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 24–25, ma traduction. Baumgarten (1998), p. 388 (ma traduction), qui traite plutôt du judaïsme ancien (période du second Temple), mais dont le raisonnement peut se transposer pour une époque plus tardive. Il faut relever l’exception notable de Samuel Krauss, l’un des promoteurs de la Wissenschaft des Judentums, qui consacre un chapitre complet à l’hospitalité dans sa Talmudische Archäologie (Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 2–63). Bien que certaines sources soient parfois sorties de leur contexte et que l’approche méthodologique soit datée, l’ouvrage demeure une référence utile. Strack et Billerbeck (1924–1928), vol. 4.1, p. 565–571 ont eux aussi consacré quelques pages au sujet de l’hospitalité. Hezser (1998) a enfin traité du sujet de l’hospitalité dans son article sur le rapport entre domaine privé et domaine public dans le Talmud de Palestine. Cf. en particulier les p. 551–566. Pour un exposé sommaire du sujet dans la littérature rabbinique, cf. Bornet (2004).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

comprendre des éléments du « symbolisme rituel » associé à l’hospitalité et aux règles de commensalité. 2.1 VOCABULAIRE HÉBRAÏQUE DE L’HOSPITALITÉ Il convient, avant d’en venir aux textes, de se pencher sur la terminologie hébraïque qualifiant les protagonistes de l’hospitalité. Même si les distinctions socioreligieuses décrites par les textes rabbiniques ne reflètent pas fidèlement la réalité (elles sont le plus souvent des catégories construites servant à la discussion de cas théoriques), elles sous-tendent de nombreux discours relatifs à l’hospitalité consignés dans ces mêmes textes. Pour cette raison, il est indispensable de passer en revue, même de manière sommaire, ces différentes catégories4. Ajoutons une importante mise en garde : certains textes évoquant la position rabbinique sur « les autres » – ce qui concerne aussi la définition de nomenclatures servant à catégoriser « les autres » – ont été instrumentalisés à de bien tristes fins. Comme le montre Stern dans un avertissement similaire placé au début de son ouvrage sur l’identité juive5, il serait absurde de généraliser un point de vue à partir de ces textes et de l’attribuer « au judaïsme » en général. L’association de caractéristiques négatives aux « autres » n’est pas unanime au sein de la littérature rabbinique, et n’est surtout absolument pas spécifique à cette tradition. Les attitudes négatives attribuées aux « autres » s’expliquent aussi par un contexte historique et politique tendu, en grande partie hostile aux communautés juives. N’oublions enfin pas que les textes ne reflètent jamais fidèlement la réalité sociohistorique. Dans plusieurs cas, ils laissent transparaître une réalité bien différente du point de vue idéal et théorique qu’ils représentent. 2.1.1 Groupes diversement reconnus par le mouvement rabbinique Bien que le terme soit omniprésent dans le corpus rabbinique, la signification même de rabbi n’est pas triviale. Bien qu’il ait été employé avant 70, avec le sens de maître de la Torah, il semble que le terme entendu comme un titre n’apparaisse qu’après la destruction du Temple6. Le titre de rabbin s’obtient par la semikha – « l’imposition des mains » par d’autres rabbins conviés pour l’occasion – ou performativement, par une simple déclaration7. Cette pratique est au moins théoriquement liée au territoire sur lequel elle est effectuée : les deux parties (le 4 5 6 7

La nécessité de ce travail préalable est bien exprimée par Stausberg (2006), p. 51–55, qui présente les résultats d’une recherche de termes correspondant à la notion « occidentale » de « rituel » au sein de plusieurs idiomes. Stern (1994), p. 4 sqq. Hezser (1997), p. 55 : « At least from the early century C.E. onwards students and adherents called particular Torah teachers ‘Rabbi’. » Cf. Rothkoff, Aaron, « Semikhah » in EJ, vol. 14, p. 1140–1147.

2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

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postulant et le groupe d’hommes lui conférant le titre de rabbin) doivent se trouver simultanément sur la Terre d’Israël. Pour cette raison, les amoraim babyloniens ne détiennent pas le titre de rabbi, mais sont appelés rav, ce qui les distingue de leurs confrères palestiniens. Comme nous le verrons, le rang de rabbi ou rav possède une importance déterminante au niveau des relations sociales. Le terme talmid ‫ۊ‬akham, littéralement le « disciple de sage », désigne lui aussi un Sage, au sujet duquel il est rappelé par euphémisme qu’il fut lui-même un disciple avant de devenir un Sage (‫ۊ‬akham). Le terme fonctionne volontiers en synonyme de rabbi8. Dans les textes, le terme yiĞra´el (et bene yiĞra´el, les « enfants d’Israël ») peut référer soit au peuple d’Israël en son ensemble, considéré à partir de son origine commune, soit à l’individu « juif9 ». Le terme ne doit pas être confondu avec yehudi, qui apparaît plus rarement dans les sources, et généralement dans le cadre de controverses avec des « païens ». Ce dernier terme apparaît en effet le plus souvent dans la bouche de non-Juifs10. Ajoutons que la distinction Juif / non-Juif n’est pas nécessairement évidente dans l’optique des textes11 et qu’il serait simpliste d’identifier « le » judaïsme avec le courant représenté par les rabbins. Pour Oppenheimer, dans la définition de la notion de « Juif » et à l’époque de nos textes, le critère « ethnique » ne comporte pas une importance absolue12 : il ne s’agirait pas d’un facteur décisif dans la définition de la frontière entre insiders et outsiders. Le caractère « ethnique » du judaïsme semble en effet s’être développé sous l’impulsion de contraintes exté-

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Dans la citation des noms de rabbins, R. abrège systématiquement rabbi (jamais rav), et b. ben/bar : « fils de ». 9 Cf. Bernasconi (2006), p. 216 : « Nel giudaismo rabbinico ‘Israele’ si riferisce alla communità di fede unità dalla comune discendenza da Abramo e Sara e dall’alleanza stretta con Dio sul Sinai. » Je remercie vivement M. Bernasconi pour m’avoir autorisé à consulter son travail. 10 Sur ce point, cf. Stern (1994), p. 10–11 qui dégage trois sortes d’emplois du terme yehudi : (1) dans les textes rabbiniques se rapportant au livre d’Esther, le terme désigne « ‘confessor’ (of the true religion) or ‘singled out’ (i. e. who has singled out God as the only One) » (p. 10) ; (2) dans les conversations rapportées avec les non-Juifs, les Juifs se désignent par le terme yehudim et les non-Juifs les désignent par le même terme ; (3) dans des conversations de la vie courante, à l’exclusion de passages à tonalité légale. Cf. également Cohen (1999), notamment p. 104, qui montre que, jusqu’à la fin du IIe siècle de notre ère, « ‘Judaean’ is an ethnic-geographic term : a Judaean is a member of the Judaean people (ethnos) and hails from Judaea, the ethnic homeland. In the diaspora a ‘Judaean’ is a member of an association of those who hailed originally from the ethnic homeland. » 11 Sur cette question en général, cf. l’ouvrage de Schiffman (1985). 12 Oppenheimer (2005b), p. 172 : « [I]t is clear that during the period of the Mishnah and the Talmud the sages did not attach any importance to ethnic origins. Whenever the sages come to rule on whether a person belonged to or was connected with the Jewish community, whether a non-Jew could be converted, and what his status was vis à vis the status of a Jew, they attribute only secondary importance to questions of origin, language, culture or place of residence. » Pour l’époque amoraïque tardive, ce propos nous paraît cependant un peu extrême.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

rieures, comme le développement du christianisme13, même s’il est difficile de se faire une opinion définitive sur la question. La signification de ‫ۊ‬aver, « le compagnon », n’a rien d’évident. Le terme semble désigner le membre d’un groupe attesté dès l’époque de composition de la Mishna et réputé pour son respect très scrupuleux des dîmes et des lois de pureté14. Lieberman observe que le cercle des ‫ۊ‬averim constituait une société (‫ۊ‬avura) exigeant une initiation (devant des représentants du groupe), et que l’accès au statut de ‫ۊ‬aver n’était pleinement reconnu qu’après une durée minimale de 30 jours15. À l’époque amoraïque toutefois, le terme désigne plus généralement des gens ayant étudié la Torah et sympathisant avec le mouvement rabbinique16, ou un membre de la corporation rabbinique. Le terme est aussi attesté dans le sens d’« ami » ou de « voisin ». Sans entrer dans les débats fort complexes relatifs à la signification du terme (et aux réalités historiques qu’il aurait pu qualifier), le plus important est de constater que les pratiques des ‫ۊ‬averim (quels qu’ils soient) rencontrent toujours l’approbation des rabbins, et qu’elles ont pu être « réactualisées » dans le cadre de la pratique domestique des Juifs « laïcs17 ». Par contraste, l’expression `am ha-´are‫܈‬, « le peuple de la terre », qualifie le mauvais Juif, qui se montre peu scrupuleux dans le respect des commandements, et pour qui l’étude de la Torah ne relève pas d’une priorité absolue18. De manière 13 Cf. Neusner (1995), qui estime (p. 304–305) que c’est notamment Paul qui a contribué à forger en négatif le caractère « ethnique » du judaïsme. 14 Cf. Lieberman (1952), p. 202, qui note que les ‫ۊ‬averim craignent spécialement l’impureté des liquides. 15 Lieberman (1952), p. 200 : « Even a learned and pious Jew who could be trusted in his own home in regard to both tithes and ritual purity did not count as an official member of the ণaburah until he obligated himself in the presence of the ‫ۉ‬aburah. » Cf. encore, sur les ‫ۊ‬averim (et leur possible lien avec les Esséniens), Schiffman (1983), en particulier, les p. 191–210, et Neusner (1972) ; sur les banquets, et sur la notion de ‫ۊ‬avura comme « communauté de sages mishniques », impliquant une initiation et des rituels précis, cf. Schiffman (2003), p. 116–117. 16 Hezser (1997), p. 316 : « It seems that in amoraic traditions the terms ʸʡʧ and ʠʩʩʸʡʧ refer to all those who were ‘friends’ with particular rabbis, who sympathized with their teachings, wether they were rabbis themselves, sages who were not rabbis, or students. » 17 Par convention et pour désigner la « population juive », visée par les textes rabbiniques, mais ne faisant pas partie de la corporation rabbinique (à savoir, les différentes catégories mentionnées sous le point 2.1.1, à l’exception des termes qualifiant de manière univoque les rabbins), on emploiera le terme de « laïcs ». 18 Jaffé (2002), p. 3–5 relève plusieurs opinions relatives à l’identité des `amme ha-´are‫ ܈‬: pour Büchler (1968 [1906]), les propos véhéments relatés à l’encontre des `amme ha-´are‫ ܈‬dans le Talmud se rapportent à des Juifs galiléens peu soucieux de l’étude et de la pratique religieuses, et émaneraient de la période ayant immédiatement suivi la révolte de Bar Kokhba (136). Pour Zeitlin (1932), p. 56–58, les `amme ha-´are‫ ܈‬de la fin du Ier siècle sont principalement des fermiers et des paysans. Ils auraient reconnu Jésus comme le Messie et composeraient l’un des groupes de judéo-chrétiens. Ils auraient enfin refusé de prendre part à la révolte de Bar Kokhba. Pour Alon (1984), vol. 2, p. 678–680, les `amme ha-´are‫ ܈‬se seraient sciemment opposés aux Sages (en refusant leur autorité), et se seraient distingués par leur comportement peu vertueux. Enfin, Lieberman (1952), p. 204–205 estime que les propos rapportés au sujet

2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

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relativement constante, le `am ha-´are‫ ܈‬est stigmatisé pour trois raisons principales : le non-respect des dîmes (et pour cette raison, sa nourriture est dite dema´y, « douteuse19 »), son manque d’intérêt pour l’étude de la Torah20, et son laxisme en matière des règles de pureté. Dans la littérature rabbinique, le terme fait l’objet d’emplois assez variés : les `amme ha-´are‫ ܈‬sont tantôt très sévèrement critiqués21, tantôt considérés avec une certaine clémence. Les implications halakhiques de la catégorie de `am ha-´are‫ ܈‬varient manifestement d’un document à l’autre et d’une époque à l’autre. Ainsi, à l’époque tannaïtique – et spécialement au sein de la Mishna – les `amme ha-´are‫ ܈‬sont fréquemment opposés aux ‫ۊ‬averim, et sont particulièrement critiqués pour leur peu d’empressement à respecter les règles de dîmes et de pureté. C’est ce qui apparaît au sein du propos suivant, prêté à R. Me´ir22 : « Qui est un `am ha-´are‫ ? ܈‬Quiconque ne mange pas sa nourriture non consacrée (‫ۊ‬ulaw) selon [les règles de] pureté. Paroles de R. Me´ir23. » La consommation de nourriture non consacrée selon les règles de pureté évoque l’adoption dans les cercles rabbiniques de prescriptions qui ne s’appliquaient jadis (et selon le texte scripturaire24) qu’à la consommation par les prêtres de la teruma – la part de la récolte qui leur est dévolue. Le respect scrupuleux de ces règles, qui ne sont pas obligatoires mais auxquelles on se soumet volontairement, a pu contribuer à caractériser le statut même de rabbin ou de Juif partisan du mouvement rabbinique dans les premiers siècles de notre ère. Le propos prêté à R. Me´ir se montre plutôt sévère : il est fort probable qu’une application à la lettre de ce principe aurait conduit à considérer la plus grande partie des « laïcs » comme `amme ha-´are‫܈‬25.

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des `amme ha-´are‫ ܈‬se réfèrent tous à l’époque précédant la destruction du Temple, et ne font que répéter la distinction entre les ‫ۊ‬averim et les `amme ha-´are‫܈‬. Sur ce sujet, cf. Oppenheimer (1977), p. 69–79. Sur la signification même du terme dema´y, qui fait l’objet de plusieurs hypothèses, cf. Bernasconi (2006), p. 91, n. 77. Cf. Oppenheimer (1977), p. 83–96. Ainsi R. ´El`azar, dans un propos rapporté en TB Pes 49b (peut-on blesser un `am ha-´are‫ ܈‬un jour de Shabbat ?). Le tanna du IIe siècle, qui joua un rôle important dans plusieurs discussions halakhiques et qui se distingue souvent par une position conservatrice. T `AZ 3.10 (=TB Ber 47b, TB Gi৬ 61a). À noter qu’un autre propos prêté à R. Me´ir définit a contrario le bon pratiquant, en TY Sheq 3:3, 47c : celui-ci est installé sur la terre d’Israël, parle l’hébreu, mange ses produits en état de pureté et fait la récitation du Shema` matin et soir. Cf. par exemple Lv 22, 10–14. Dans la suite du texte, l’opinion de R. Me´ir est modérée par celle des « Sages », qui définissent le `am ha-´are‫ ܈‬comme celui qui ne s’acquitte pas correctement du devoir des dîmes. Pour une discussion de la différence entre ces deux avis, cf. Bernasconi (2006), p. 115–119. La structure même du passage, introduit par la formule ´ezeh hu´ donne en tout cas l’impression que la définition n’est pas univoque : Moscovitz (2002), p. 101–102 montre que cette formule est rarement suivie d’une définition stricte, mais précède souvent une énumération d’exemples (ou de caractéristiques appartenant aux membres du groupe ainsi « défini »).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

D’autres propos se montrent plus cléments à l’égard du `am ha-´are‫܈‬. Ainsi du texte suivant, qui présente une opinion modérée assignant une place concrète aux `amme ha-´are‫ ܈‬au sein de la « société juive » : R. Shim`on b. Laqish26 dit : ce peuple peut être comparé à une vigne, les ceps sont les maîtres de maison, ses grappes sont les Sages, ses feuilles sont les `amme ha-´are‫܈‬, ses brindilles sont les gens vides (reqanim). C’est en ce sens qu’ils nous envoient [le propos suivant] de là-bas : « Que les grappes aient de la compassion pour les feuilles, car sans les feuilles, il n’y aurait pas de grappes27. »

La métaphore de la vigne reprend un thème biblique28, réélaboré de manière à décrire (de manière certes idéale) la structuration de la société juive, sans doute à époque tardive (malgré la mention de R. Shim`on b. Laqish29). Il est difficile, selon nous, de déterminer une évolution claire de la position du `am ha-´are‫ ܈‬dans la littérature rabbinique, et à plus forte raison, dans la réalité sociale de la composition des textes30. Pour notre sujet, ce point ne constitue cependant pas un problème démesuré : nous essaierons seulement de montrer – sans visée exhaustive ou systématique – quelques exemples des questions que suscite, aux yeux des textes, une relation d’hospitalité avec un `am ha-´are‫܈‬. Notre dernier texte mentionnait la catégorie des « maîtres de maison », les ba`ale ha-bayit. Dans ce contexte particulier, ces derniers désignent certainement des membres de l’aristocratie. Mais le terme peut aussi qualifier le pater familias, l’homme qui est à la tête d’un foyer31. Neusner montre que le concept de « maître de maison » – c’est-à-dire, dans les faits, le propriétaire terrien – représente, au moins pour l’époque de la Mishna, la plus petite unité sociale présupposée par les

Amora palestinien du IIIe siècle. TB ণul 92a (cf. aussi le parallèle en Lv R 36.2 (éd. Margulies, p. 838–839)). Ainsi, le chant de la vigne en Is 5 (cf. par exemple Is 5, 7). Sur ce texte précisément, cf. Rubenstein (2005), p. 128, qui estime que le passage est à rapporter à une stituation babylonienne : « The point seems to be that the amei ha’arets work to provide food and other necessities, allowing the sages to spend their time engaged in the study of Torah. » Comparer avec Jaffé (2005), p. 369 (cf. aussi Jaffé (2002), p. 31–34), qui écrit sur le même texte : « De nombreux passages mettant en scène des Amoraïm de la fin du IIIe siècle exprimeront le fait que la société juive doive être constituée de ces différentes composantes afin que puisse se réaliser une véritable communion. » 30 Ainsi, pour Jaffé (2005), p. 342 sqq., les propos violents émis à l’encontre des `amme ha´are‫( ܈‬notamment le passage de TB Pes 49 évoqué supra, p. 47, n. 21) témoignent de plusieurs crises ayant affecté la société juive au cours du IIe siècle. Pour Rubenstein (2005) au contraire, les mêmes propos sont à remettre dans le contexte babylonien des V–VIe siècles (qu’il nomme la « période stammaïtique »), ce qui lui fait dire (p. 141–142) : « It is quite possible, even likely, that relations between rabbis and nonrabbis in the Stammaitic period were no different from those of earlier periods or those of Palestine. The sources, in my opinion, express the self-promoting snobbery of the private discussions of the rabbis, intended solely for an audience of other rabbis, not unlike ethnic jokes today. » 31 Cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 168 qui donne les sens de « owner, landlord ; host ; private man, opp. to trader, artisan &c. » Il renvoie aussi à M Shab 1.1 où le terme apparaît dans le sens de « donor, opp. ʩʰʲ, the recipient. » 26 27 28 29

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2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

textes32. Il peut donc s’agir de l’acteur « par défaut », sous-entendu, mais non explicitement formulé par les textes. Selon des études récentes, la notion de foyer, apparentée à celle de « maître de maison », comporte une importance capitale dans le cadre du développement du mouvement rabbinique33. Nous allons montrer que cette notion est presque inévitablement liée à l’idée d’hospitalité. Résumons de manière schématique les différentes catégories évoquées ici : rabbi (rav, talmid ‫ۊ‬akham)

yiĞra´el

‫ۊ‬aver

`am ha-´are‫܈‬

le « maître » (dont les propos sont rapportés dans la littérature rabbinique)

le Juif, faisant partie du « peuple juif » compris comme entité chargée d’une valeur symbolique

le « compagnon », membre de la corporation rabbinique, ou simplement « l’ami »

le Juif laxiste et peu scrupuleux quant aux dîmes, aux règles de pureté et à l’étude de la Torah

2.1.2 Le dissident Plusieurs termes peuvent désigner les dissidents du judaïsme, membres de communautés en marge de la tradition juive rabbinique. Mentionnons : min (« l’espèce », puis « l’infidèle », « le sectaire », terme qui donne lieu à plusieurs dérivés, comme minut : « l’hérésie »), mumar (forme hof`al de mur, « échanger », « substituer », qui signifie « converti » et par extension, « apostat »), mešummad, à peu près synonyme de mumar (du verbe šamad, « détruire » au pu`al, « celui qui est détruit », « le converti au paganisme »), ‫܈‬eduqi (dérivé du nom de Tsadoq, fondateur présumé du mouvement des Sadducéens, et, au sens strict, désignant un membre des Sadducéens) et no‫܈‬ri (« habitant de Nazareth », donc « chrétien34 », ou, selon une autre hypothèse « nazoréen », « observant35 »). Tous ces termes ajoutent à l’idée de « dissident » une nuance particulière qui qualifie le type de différence. La question du min est extrêmement controversée et l’on doit se limiter ici à quelques indications minimales : dans la littérature rabbinique, le terme ne désigne pas un groupe particulier mais peut qualifier plusieurs types d’hérétiques ou de « sectaires » en fonction du contexte. Le terme de min désigne presque exclu32 Neusner (1990), p. 50 sqq. : À l’époque de la Mishna, le terme ne qualifie pas systématiquement le membre d’une classe économique aisée, mais plutôt « a landholder engaged in agriculture, essentially a subsistence farmer, but one with some relationships to a sheltering market beyond. » (p. 55). 33 Cf. par exemple Sivertsev (2005), en particulier, p. 211 sqq. 34 Sur cette étymologie, cf. Schiffman (1985), p. 60. Le terme apparaît rarement : il accompagne le nom de Jésus en TB Sanh 43a, TB Sanh 103a–b et TB Ta`an 27b. Sur la distinction entre min et no‫܈‬ri, cf. notamment Schiffman (1985), p. 59–60 et Kimelman (1981), p. 241–244. 35 Sur cette étymologie, cf. Tassin (2000), p. 178.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

sivement des Juifs adeptes de courants « hérétiques » aux yeux du mouvement rabbinique. Il peut s’agir, dans certains cas (mais sans doute pas de manière systématique), du judéo-chrétien36. En règle générale, le min est considéré comme plus dangereux que le « païen37 » qui ne fait que poursuivre la tradition idolâtre de ses ancêtres : il agit avec une volonté déclarée de nuire38. Pour cette raison, les contacts avec les minim sont le plus souvent perçus comme tout particulièrement problématiques39. Le terme mumar (tout comme le terme voisin mešummad) désigne originairement celui que l’on a contraint à se détourner du judaïsme, donc le converti de force à un courant « hérétique ». La signification aurait ensuite évolué : mumar en vient à désigner celui qui néglige des pratiques du judaïsme et ne respecte pas les commandements de la Loi40. Le tableau suivant tente de récapituler les principales caractéristiques des différentes catégories de dissidents : min

mumar, mešummad

‫܈‬eduqi

nǂ‫܈‬ri

celui qui subvertit activement le judaïsme « de l’intérieur », l’« hérétique », le « judéo-chrétien »

celui qui a été forcé de se détourner du judaïsme, puis « le mauvais pratiquant », à comparer avec `am ha-´are‫܈‬

le Sadducéen, remplace parfois min dans les textes censurés

habitant de Nazareth, le Chrétien ; le nazoréen, « l’observant »

36 Pour de bons exposés de la question fort complexe du judéo-chrétien, cf. Kaestli (1996) et Mimouni (2004), p. 60–71. 37 L’emploi du terme « païen » est évidemment sujet à caution. On en fera toutefois usage afin de traduire l’idée hébraïque de l’étranger « idolâtre » (désigné par exemple par nokhri au sein des textes). 38 Cf. par exemple TB Gi৬ 45b : un rouleau de la Torah écrit par un min doit être mis au feu, contrairement à celui d’un païen. 39 Cf. Mimouni (2004), p. 66–67 : « [D]ans la littérature de Palestine, tant à l’époque des Tannaïm qu’à celle des Amoraïm, le terme min a été utilisé pour désigner des juifs ‘sectaires’, c’est-à-dire des opposants au judaïsme pharisien/tannaïte, mais jamais des non-juifs, alors que dans la littérature de Babylonie, ce même terme est utilisé pour désigner parfois des nonjuifs. » 40 Cf. Petuchowski (1959), p. 180 qui rapporte aussi la distinction de Maïmonide entre le mumar à l’égard d’une simple transgression et le mumar à l’égard de la Torah (Maïmonide, MT, Hilkhot Teshuvah 3.9) : le premier cas est moins grave que le second, qui implique le reniement de toute la Torah, et l’assimilation avec les Gentils.

2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

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2.1.3 Le non-Juif D’une manière générale, l’idée de l’étranger peut s’exprimer par le terme ger, ou par zar, l’« autre ». Le terme qualifie d’abord un étranger durablement installé sur la Terre d’Israël (ger tošav) qui bénéficie pour cette raison d’un traitement particulier. Le terme ger peut aussi désigner – et c’est le cas autant dans le corpus biblique que dans le corpus rabbinique – « le prosélyte » ou « le converti » (ger ‫܈‬edeq). Dans cette dernière acception, il bénéficie d’une égalité de traitement avec un homme d’origine juive41. Pour désigner le non-Juif en tant qu’il n’appartient pas à la nation d’Israël, c’est généralement le terme goy qui est employé, signifiant littéralement « la nation » (et même, incidemment, « la nation d’Israël42 »). De même, le terme ben noa‫ «( ۊ‬fils de Noé ») qualifie usuellement l’étranger n’entretenant pas d’autre lien avec le peuple juif que celui d’être « fils de Noé », c’est-à-dire membre de la même humanité, descendant également de Noé. Dans un second registre, liant l’identité à la pratique « religieuse », on trouve le terme `oved `avoda zara, « le serviteur d’un culte étranger », donc également « l’idolâtre, le païen ». Le `oved kokhavim, « le serviteur des astres », évoque similairement l’idée du païen ou de l’idolâtre43. Relevons également le terme `akkum, abréviation de `oved kokhavim umazzalot « le serviteur des astres et des planètes », qui qualifie – tout comme `oved kokhavim – « l’idolâtre ». Le terme nokhri qui apparaît fréquemment dans nos sources désigne lui aussi l’« étranger non-Juif » par sa différence « religieuse ». Le terme kuti (proprement, « l’habitant de Cutah » en Mésopotamie, puis « le Cuthéen ») désigne quant à lui le Samaritain, dont le statut, au sein de la littérature rabbinique, est chargé d’ambivalence44. D’un point de vue légal, ce groupe est tantôt assimilé aux Juifs, tantôt exclu et relégué en marge de la société juive. Le plus souvent, il est opposé au terme yiĞra´el, ce qui en fait bien un outsider45. Le problème du Samaritain est fort complexe, et son traitement excède largement les

41 Cf. notamment l’article de Magonet (1995), p. 415 sqq., qui ne distingue toutefois pas les différents types de gerim. 42 Par exemple en Gn 35, 11. 43 Le problème de la censure complique significativement l’acception de certains de ces termes. Cf. Stern (1994), p. 9, qui estime que le `oved kokhavim est très certainement une invention des censeurs afin de qualifier par euphémisme le non-Juif ou le dissident (à l’origine, désigné par min). Cf. aussi Strack et Stemberger (1992), p. 241–244. 44 Pour une présentation générale des Samaritains, cf. Macchi (1994). Pour le point de vue rabbinique, cf. M Ber 7.1 et TB ণul 6a. 45 Cf. Bernasconi (2006), p. 15 et 220, qui résume ainsi le changement d’attitude à l’égard des Samaritains : « Tuttavia, come osservato da numerosi studiosi, sembra possibile tracciare uno sviluppo cronologico dell’atteggiamento rabbinico ; si passa infatti dal riconoscimento del loro status di sinceri convertiti e quindi di israeliti (negli strati più antichi delle fonti tannaitiche) fino alla virtuale equiparazione ai gentili all’epoca della redazione della Mishnah e in periodo talmudico. » (p. 220, l’auteur souligne).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

limites de ce travail. Nous allons cependant montrer que l’ambivalence caractérisant les relations portées au Samaritain se retrouve dans l’hospitalité. Le tableau suivant résume les quatre cas évoqués ici : ger

goy, ben noa‫ۊ‬

nokhri, `oved `avoda kuti zara / kokhavim

l’étranger « résident » sur la terre d’Israël (ou à Jérusalem), puis le « prosélyte »

le Gentil des Nations, qui n’est pas membre du peuple d’Israël

le « païen », qui poursuit la coutume idolâtre de ses ancêtres

le Samaritain, considéré selon les textes à pied d’égalité avec un Juif ou au contraire considéré comme un étranger

Soulignons une fois encore que ces différents statuts correspondent avant tout à une réalité discursive qui ne coïncide pas nécessairement avec la réalité sociohistorique. Comme tous nos textes traitant de l’hospitalité relèvent du même type de réalité, la question ne pose pas un problème démesuré. Il convient aussi de relativiser le caractère systématique de la terminologie : bien que des catégories soient définies selon des critères apparemment précis, leur acception connaît des flottements, et dans certains cas, seul le contexte est éventuellement en mesure de donner des indications quant au sens exact d’un terme. Enfin, la censure chrétienne de différents textes de la littérature rabbinique a parfois substitué certaines catégories sociales à d’autres – comme ‫܈‬eduqi ou kuti qui viennent parfois remplacer min – sans prendre garde aux logiques sémantiques propres de l’emploi de ces termes46. Pour conclure ce bref exposé, nous pouvons distinguer, dans le cadre d’une relation d’hospitalité, et en simplifiant, six cas principaux : l’hôte (qui reçoit ou qui est reçu) peut être un rabbin (rabbi, rav, ‫ۊ‬aver), un Juif « laïc », un Juif « ignorant » ou « mécréant » (`am ha-´are‫܈‬, mumar), un adepte d’un courant en marge du judaïsme rabbinique (min, ‫܈‬eduqi, kuti), un non-Juif païen (nokhri, `oved `avoda zara / kokhavim). Ces différences comportent, on s’en doute, d’importantes répercussions sur les relations d’hospitalité décrites par les textes. 2.1.4 La pureté La question de la pureté est doublement liée à celle de l’hospitalité : d’une part parce que l’hospitalité implique le plus souvent un repas « en commun », et que ce dernier est soumis au respect des règles de pureté ; d’autre part, parce que l’hospitalité sous-entend le rapport à autrui, ce qui constitue également un sujet sensible eu égard à la problématique de la pureté.

46 Sur ce problème, voir Mimouni (1997), p. 291, n. 45.

2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

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Le terme même de « pureté » (‫ܒ‬ǂhǂra) est susceptible, dans la littérature rabbinique, de désigner des réalités fort distinctes, qui ne trouvent pas toujours de correspondant dans la législation biblique. Il convient notamment de distinguer, avec Klawans, la pureté « rituelle » de la pureté « morale ». Ces deux catégories sont discernables autant dans le corpus biblique qu’au sein de la littérature rabbinique. La catégorie de « pureté rituelle » se réfère aux différents types d’impureté décrits dans les livres du Lévitique et des Nombres47 : il s’agit d’impuretés « naturelles », plus ou moins évitables, qui ne sont pas considérées comme des « fautes » et qui impliquent un état contagieux temporaire. La catégorie de « pureté morale » se réfère quant à elle à des comportements délibérés, comme des pratiques sexuelles réprouvées ou un crime48. Cette sorte d’impureté est généralement plus sévèrement condamnée que l’impureté « rituelle ». Les règles de pureté (rituelle) régissant le service du Temple de Jérusalem (et se limitant originellement à l’espace du Temple et au groupe social des prêtres) semblent s’être progressivement transposées à l’espace domestique des particuliers. Neusner estime que cette transposition (de l’espace du Temple vers l’espace domestique) se serait produite avant la destruction du second Temple, et qu’elle aurait d’abord concerné la classe des Pharisiens49. La période historique de cette transposition reste malheureusement difficile à déterminer, principalement en raison de la nature des documents. Il est toutefois indéniable que ces règles se sont finalement étendues à l’espace domestique des « laïcs », comme en témoigne par exemple leur reprise dans des textes tardifs comme Derekh ´Erets Rabba ou Derekh ´Erets Zuta. Dans un dernier temps, les règles se seraient simplifiées, et certaines d’entre elles auraient fini par disparaître. Ce processus peut s’expliquer de plusieurs façons : les règles étaient simplement trop complexes, ou impossibles à respecter dans le contexte social de la vie en diaspora50. Il est aussi possible d’invoquer la volonté des rabbins de rendre leur mouvement plus « abordable », de manière à sensibiliser un plus grand nombre de sympathisants51.

47 Lv 11–15 et Nb 19. 48 Klawans (1998), p. 392–394. Klawans critique par ailleurs l’idée de Neusner selon laquelle la catégorie de la « pureté morale » relève seulement de la métaphore. 49 Cf. Neusner (1973), p. 64–71 : « The Pharisees held […] that even outside of the Temple, in one’s home, a person had to follow the laws of purity in the only circumstance in in which they might apply, namely, at the table. They therefore held one must eat his secular food, that is, ordinary, everyday meals, in a state of purity as if one were a Temple priest. […] The table of every Jew in his home was seen to be like the table of the Lord in the Jerusalem Temple. The commandment, ‘You shall be a kingdom of priests and a holy people,’ was taken literally. » (p. 65–66, l’auteur souligne). Sur ce point précis, cf. la critique de Sanders (1990), p. 173 sqq., notamment : « Numerous post-pharisaic passages show that it had not already been decided that lay people should observe the priestly laws of purity. Even the secondcentury haverim passages do not maintain that position in detail. » (p. 183). 50 Cf. Oppenheimer (1977), p. 66. 51 Cf. Schwartz (2001), p. 174, qui fait ce raisonnement à propos des lois relatives à l’idolâtrie. Les rabbins se seraient vus contraints de les assouplir afin de ne pas s’isoler complètement de la société juive.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

L’autre source d’impureté susceptible de déranger l’hospitalité tient au rapport à l’« étranger52 ». Le problème est ici relativement complexe. Il faut tout d’abord noter que si le « païen » n’est pas lui-même sujet aux règles de pureté rituelle53, il est susceptible d’engendrer une contamination. Alors que l’impureté morale des « païens » est déjà évoquée dans le texte biblique54, il semble que l’idée selon laquelle le contact avec un « païen » rend rituellement impur n’ait pas été développée avant la Tosefta55. Dans les prescriptions ultérieures (reprises à l’époque amoraïque), l’idolâtre est réputé transmettre de manière congénitale l’impureté du zav. Cela exige en théorie une importante prise de distance : les règles relatives au zav sont en effet nombreuses et contraignantes, et rendent théoriquement problématique le partage d’un repas56. Il faut cependant insister ici sur l’aspect théorique de certaines de ces prescriptions : il est possible que certaines d’entre elles, bien que fort anciennes, aient simplement fait office d’outils rhétoriques aux mains des Sages, leur permettant de régler les contacts sociaux avec certains groupes57 et d’intervenir sur la sphère privée, ce qui ne nous renseigne guère sur leur portée concrète. Selon Oppenheimer les règles de pureté ont précisément joué le rôle de barrières socio-religieuses, ayant pour principale conséquence de segmenter différents groupes58. Le principe général est que tous les membres d’un groupe respectent les mêmes règles de comportement. Du coup, le partage de la table avec des gens n’observant pas ces règles – et catégorisés pour cette raison comme « impurs » – est problématique. On doit aussi constater que le problème de l’impureté « morale » des « païens » n’empêche manifestement pas tout contact, puisque plusieurs textes décrivent sans s’en inquiéter des repas où Juifs et « païens » sont attablés ensemble59. Peut-être faut-il voir avec Klawans que cette idée relève d’une vision plutôt extrême, à tendance séparatiste, qui coexiste avec d’autres opinions plus modérées dans la littérature rabbinique60. Il est aussi possible que la question du lieu d’application de ces règles (ou au moins de certaines d’entre elles) soit dé52 53 54 55 56 57

Cf. Klawans (2000), p. 134–135. Klawans (1995), p. 302. Klawans (1995), p. 311–312. T Zav 2.1. TB Shab 13a. Cf. Mimouni (1998), p. 486 : « Les Sages ont imposé un certain nombre de règles dans le but de restreindre au minimum non seulement les rapports entre juifs et païens mais entre juifs de leur tendance et juifs des autres tendances. » 58 Oppenheimer (1977), p. 61. 59 Klawans (1995), p. 307 donne l’exemple de M `AZ 5.5 : un Juif et un païen mangent à la même table, ce qui a des conséquences sur le vin se trouvant sur la table, mais présuppose surtout qu’un tel contact est possible. Il faut cependant prendre garde au fait qu’un texte évoquant un contact entre Juifs et païens ne signifie pas systématiquement que les païens ne sont pas considérés comme « impurs ». 60 Klawans (1995), p. 311 : « [T]he notion of Gentile impurity was motivated by a separatist tendency. »

2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

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terminante. Comme le rappelle Sanders, l’espace est volontiers organisé en cercles concentriques à partir du centre que constitue le Temple de Jérusalem : « La Palestine est plus pure que les contrées des Gentils ; Jérusalem est plus pure que le reste de la Palestine ; et le Temple est encore plus pur. À l’intérieur du Temple, il y avait encore cinq degrés de pureté (Gentils, femmes israélites, israélites ordinaires, prêtres, le grand prêtre du Jour du Grand Pardon61). » Cette perception de l’espace peut expliquer que certains écarts aux règles de pureté soient d’autant mieux tolérés que ceux-ci sont commis à distance de Jérusalem. Notons encore une problématique apparentée à celle de la pureté : celle des interdits alimentaires. Tout comme les règles de pureté, il peut s’agir là d’un puissant moyen de restreindre les relations sociales entre groupes différents, même si, pour la plupart, ces règles sont d’origine biblique et qu’elles semblent avoir été également respectées par toutes les mouvances juives du second Temple. Il convient par ailleurs de prendre garde, dans cette question, à bien distinguer le point de vue théorique que présentent des textes qui ne sont bien souvent pas neutres d’un point de vue idéologique, de la réalité sociale qui reste difficile à cerner62. Quoi qu’il en soit, la question de la pureté est bien liée à plusieurs titres à celle de l’hospitalité : (1) du point de vue rabbinique, l’hospitalité privée implique l’observation de règles (relatives aussi bien au cadre du repas qu’à la nourriture elle-même), qui ne concernaient autrefois (i. e. avant la destruction du Temple) que le cercle des prêtres. (2) L’impureté est aussi caractéristique de l’« étranger » : à l’époque de nos textes, le « païen » est réputé être affecté de manière permanente par l’impureté du zav. Or l’hospitalité pourrait justement, dans certains cas que l’on examinera plus loin, favoriser le contact avec des « étrangers ». (3) Enfin, la question des interdits alimentaires est susceptible de compliquer les rapports sociaux impliquant le partage de nourriture, ce qui est précisément le cas de l’hospitalité. 2.1.5 L’hospitalité, l’hôte L’hébreu biblique ne connaît pas de terme consacré pour dire l’hospitalité63, ce qui fait écho au fait que l’hospitalité ne s’y trouve pas réellement thématisée, en dépit de la présence de nombreux récits d’hospitalité. En revanche, plusieurs termes référant à l’hospitalité coexistent en hébreu rabbinique. L’un des plus fréquents est hakhnasat (ha-)´ore‫ۊ‬im, syntagme désignant littéralement l’« accueil des voyageurs », « l’accueil des hôtes ».

61 Sanders (1990), p. 191, ma traduction. Sur cette structuration concentrique de l’espace, cf. notamment le célèbre texte de MTa, Lv, Qedoshim 10 (éd. Warschau, p. 33). 62 Cf. la mise en garde pertinente de Sanders (1990), p. 282. 63 Le terme ´orea‫ ۊ‬est rarement employé en hébreu biblique et n’apparaît jamais dans le Pentateuque. Even-Shoshan (1985) dénombre 4 occurrences du terme : Jg 19, 17 ; 2 Sam 12, 4 ; Jr 9, 1 et Jr 14, 8.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

Le terme ´orea‫ۊ‬, du verbe ´ara‫ۊ‬, « voyager », signifie à la fois (1) « le voyageur », et (2) « l’hôte (la personne hébergée) » en général64. L’identité de l’hôte n’est donc pas spécifiée par ce terme qui peut désigner aussi bien l’hôte juif que l’hôte « étranger ». Une distinction peut être effectuée entre les termes ´orea‫ ۊ‬et porea‫ۊ‬65 (ou pare‫ۊ‬a, araméen). Le premier désigne l’hôte reçu « en général » (il désigne à l’origine celui qui voyage) alors que le second qualifie l’hôte épisodique, qui passe « en coup de vent », « qui vole » (de para‫ۊ‬, « voler »). Le terme araméen ´ušpiza (peut-être calqué sur la racine latine hospes / hospitium66) renvoie à l’endroit où l’on séjourne pour une durée limitée (en principe pour la nuit) et peut par conséquent s’appliquer aussi bien à l’hospitalité domestique qu’à l’hébergement au sein d’une auberge publique. Le terme se décline en plusieurs noms dérivés : ´ušpez, « l’auberge », ´ušpizkhan et ´ušpizkhana, « l’hôte (qui reçoit) », ´ušpizakhta, « l’hôtesse » et ba`ale ´ušpizin, « les aubergistes ». Le terme ´ušpiza peut être employé en synonyme à hakhnasat (ha)´ore‫ۊ‬im, pour désigner « l’hospitalité » comme nom générique. Le terme ´akhsanya est le correspondant hébraïque transparent du grec xenia : il signifie donc « l’hospitalité », « l’auberge » mais aussi « l’hôtesse » et, selon Jastrow, « un rassemblement de sages reçus par une personne hospitalière du lieu67 ». Comme nous le verrons, cette dernière acception fait écho à une situation fréquemment évoquée par les textes, qui fait l’objet d’une recommandation instante. Le substantif ´akhsena´i, « l’hôte » (correspondant direct de xenos) dérive du terme ´akhsanya. Au niveau de l’hospitalité strictement publique et institutionnalisée, il faut encore relever une série lexicale basée sur la racine pundaq68, transcription du grec pandokeion, « l’auberge ». Krauss note qu’il s’agit habituellement des auberges se trouvant sur les routes romaines, et prioritairement destinées aux voyageurs – sortes de « caravansérails69 ». Outre pundaq et pundeqa (araméen), existent également les dénominatifs suivants : pundaqi (hébreu) « l’hôte », « celui qui tient une auberge70 », pundaqit, « l’hôtesse » et pundeqita (araméen), « celle qui tient une maison publique ». Les termes appartenant à cette série n’apparaissent que rarement au sein du corpus talmudique. Il est concevable que les pundaqot, ou64 Cf. Ben Yehuda (1940–1959), vol. 1, p. 118, qui mentionne un troisième sens, figuré : « les règles d’une femme ». 65 Cf. Ben Yehuda (1940–1959), vol. 10, p. 5158 pour un exemple de l’emploi de ce participe. 66 Ainsi Even-Shoshan (1968), vol. 1, p. 171. Jastrow (1996 [1971]), p. 35 fait étrangement dériver ce nom du verbe našaf, « souffler, respirer ». Krauss (1910–1912), vol. 2, p. 327 estime quant à lui que le terme est d’origine persane, et qu’il désigne en premier lieu les auberges perses (cf. aussi p. 673, n. 102). 67 Jastrow (1996 [1971]), p. 65, ma traduction. 68 Cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 1143 et Sokoloff (2002), p. 231. Pour une comparaison entre l’espace de l’auberge publique et celui de la maison privée, cf. Ps R 16.3 et le commentaire de Hezser (1998), p. 530–531. 69 Krauss (1910–1912), vol. 2, p. 327. 70 M Gi৬ 8.9 évoque le cas d’un homme divorcé contraint de séjourner avec son ex-femme dans une auberge.

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2.1 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité

vertes à tous et correspondant aux tabernae romaines, ne présentent aucune garantie en matière de moralité ou de respect des lois de pureté, et que c’est là l’une des raisons encourageant l’hospitalité « privée » entre pairs ou coreligionnaires71. 2.1.6 Incidence des catégories sociales et des règles de pureté sur l’hospitalité Bien que les questions de la classification rabbinique des étrangers et de la pureté soient des sujets fort complexes dont un traitement approfondi dépasse les limites de ce travail, ces quelques éclaircissements nous ont paru s’imposer. Nous allons précisément montrer ici que les discours sur l’hospitalité n’évoquent jamais un étranger « en général », mais toujours une personne caractérisée selon son rang social (« interne » ou « externe » au mouvement rabbinique dont les textes sont l’expression), de quoi dépend l’ensemble de la relation. La question de la pureté possède également un impact sur la pratique de l’hospitalité, et peut servir à justifier la marginalisation de certains groupes de personnes en restreignant la portée de l’hospitalité. Essayons à présent de rapporter ces différentes catégorisations sociales à la problématique de l’hospitalité, afin d’envisager plusieurs types de relations sociales qui vont structurer la suite de notre enquête. Distinguons donc différents cas de figure faisant intervenir l’hôte recevant et le visiteur, en nous plaçant du point de vue des documents. 72

rabbins

Juifs « laïcs »

étrangers / « païens »

rabbins

(2.2)

(2.3)

(4)

Juifs « laïcs »

(2.4)

(2.1), (2.4)

(4)

(3)

(3)

lAccueillant

~ Reçu

non-défini

étrangers / « païens »

non-défini (1)

©

73

71 Cf. Gorge (1925), p. 143–145, qui souligne la mauvaise réputation des tabernae dans le contexte chrétien du IVe siècle, et spécialement à Jérusalem, et qui suggère (p. 147) que c’est là l’une des raisons ayant conduit, chez les Chrétiens, à la création d’un réseau d’hospitalité, officiellement institué par le Concile de Nicée (325). Notons, dans ce contexte, l’existence du terme araméen pundaqta´, attesté dans le sens de la « maison close » (Targum Ps Jon ad Gn 42, 6). 72 La catégorie « non-défini » pose évidemment un problème méthodologique : l’absence de mention explicite des protagonistes de l’hospitalité signifie-t-elle que l’identité de ceux-ci est indifférente, ou au contraire que leur identité est sous-entendue et trop évidente pour être mentionnée ? Sur ce problème, cf. notamment Burke (1992), p. 41. 73 © indique que le cas n’est pas décrit par les textes, pour la raison évidente de leur audience présumée.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

(1) L’identité des protagonistes n’est pas exprimée. Dans ce premier cas, l’hospitalité est souvent désignée par des termes génériques comme hakhnasat (ha)´ore‫ۊ‬im ou ´akhsanya, sans mention plus précise de la nature des protagonistes. Les textes faisant recours à ces catégories traitent soit de l’hospitalité de manière générale (et le plus souvent, idéalisée), soit de l’hospitalité en tant qu’elle s’adresse de manière évidente aux membres connus d’un groupe spécifique. Notre travail visera précisément – par l’étude comparative d’autres textes du corpus – à montrer quels groupes sont implicitement concernés par des passages de ce type. (2) L’hôte recevant et l’hôte reçu sont tous deux juifs. Dans ce cas les discours relatifs à l’hospitalité sont plutôt prescriptifs, et concernent la gestion de rapports sociaux internes à la société souhaitée par les rabbins. Il faut cependant distinguer des cas particuliers : (2.1) L’hôte recevant et l’hôte reçu sont deux Juifs « laïcs ». Les textes évoquent un certain nombre d’occasions (une fête, le Shabbat etc.) où l’hospitalité entre Juifs est coutumière, et se soucient d’éventuelles transgressions de la loi pour la cause de l’hospitalité. (2.2) Les invitations mutuelles de membres de « groupes élitistes » ou de rabbins entre eux. Certains textes décrivent des repas « communautaires » au sujet de groupes particuliers, difficiles à définir précisément, comme les ‫ۊ‬averim. Même limitées à ces groupes, ces pratiques reçoivent toujours l’approbation des rabbins. La plupart des règles évoquées à propos de ce type de relations semble avoir été reprise et volontiers transposée à la sphère domestique des « laïcs » dans la tradition halakhique ultérieure. D’autres textes décrivent, avec plus ou moins de précision, des réunions menées entre rabbins. (2.3) L’hôte reçu est un rabbin, celui qui le reçoit est un Juif « laïc ». Cette situation fait généralement l’objet de vives recommandations de la part des rabbins eux-mêmes. De telles rencontres sont par ailleurs souvent comparées – ou même assimilées – à l’exercice d’un rituel. (2.4) L’hôte reçu est un `am ha-´are‫܈‬, l’accueillant est un Juif (et inversement). Dans ce cas particulier, et contrairement aux situations évoquées plus haut, on se situe dans le cadre de l’hospitalité envisagée comme un problème. L’un des facteurs déterminants pour cette situation réside dans la mauvaise influence qu’est supposé exercer le `am ha-´are‫ ܈‬sur les personnes avec lesquelles il est en contact.

2.2 Pratiques de l’hospitalité

59

(3) L’hôte reçu est un non-Juif (goy) ou un païen (nokhri), l’accueillant est un Juif. Dans ce cas, il convient de convoquer la problématique des rapports entre Juifs et non-Juifs. Différents facteurs peuvent intervenir ici : l’appartenance à une autre mouvance « religieuse », des relations avec le pouvoir non-juif, mais aussi l’amitié ou la nécessité de préserver de bonnes relations sociales entre voisins. (4) L’hôte reçu est un Juif, l’accueillant est un non-Juif (goy) ou un païen (nokhri). Quand l’invitation provient d’un non-Juif, l’hospitalité peut s’avérer plus problématique que dans le cas précédent, car l’ensemble du cadre est alors « païen ». Le repas et la raison de sa tenue constituent en ce cas des facteurs déterminants. Précisons une fois encore que le système que nous venons de décrire ne vise pas à représenter fidèlement une réalité sociale et historique : il ne vise qu’à organiser sous la forme d’un panorama des discours « théoriques » sur l’hospitalité autour de certains critères. 2.2 PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ Il s’agit à présent de préciser quelques règles d’hospitalité, qui décrivent de manière générale un ou plusieurs « socio-codes » auxquels autant le maître de maison que son invité doivent se conformer. Elles contribuent à définir les limites d’une communauté au travers de pratiques et de gestes partagés. Ces règles sont consignées au sein de documents palestiniens et babyloniens et sont relativement stables sur l’ensemble de la période considérée. Certaines d’entre elles s’inspirent très probablement de coutumes qui ne sont pas spécifiquement juives. 2.2.1 Du bon usage de l’hospitalité pour celui qui reçoit Commençons par décrire les rôles généralement assignés aux protagonistes de l’hospitalité. Si le contexte social possède un impact sur l’hospitalité, inversement, un rapport d’hospitalité suppose de fait deux rôles : celui qui donne l’hospitalité et celui qui la reçoit. Contrairement à ce que pourrait suggérer l’ambivalence du terme français « hôte », ces deux rôles ne sont nullement interchangeables et comportent des implications différentes. Le « maître de maison » n’est ainsi pas seul maître de l’hospitalité qu’il prodigue. Il doit respecter une série de règles par rapport à ses invités, qui seront en principe d’autant plus contraignantes que les invités sont « prestigieux ». Dans une situation formelle, l’invitation constitue un préalable nécessaire à l’hospitalité. Une première règle enseigne qu’il ne faut pas proposer – pour paraître un hôte généreux – une invitation à une personne dont on sait par avance qu’elle devra refuser : « R. Me´ir avait coutume de dire : un homme ne pressera pas son ami (la-

60

2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

‫ۊ‬avero) pour qu’il vienne manger chez lui en sachant qu’il ne [pourra] pas [venir] manger »74. Cette règle est liée à plusieurs problèmes. En premier lieu, elle vise la générosité factice dont témoigne celui qui invite, et qui pourrait lui valoir faussement l’estime de son ami, contraint de refuser l’offre qui lui est faite. L’hypocrisie est dénoncée à de nombreuses reprises au sein de la littérature rabbinique. D’autre part, le refus d’une invitation, bien que légitimé par les textes, reste délicat eu égard aux règles de savoir vivre consignées dans les mêmes textes75. Forcer quelqu’un à refuser une invitation représente donc une erreur de savoir-vivre. Quand l’invitation a été faite, et est acceptée, l’arrivée de l’invité et son entrée dans la maison constituent des étapes « critiques », socialement qualifiées, qui doivent se dérouler conformément à certains usages. Ainsi, au moment d’entrer dans la maison, le maître de maison va le premier, et le visiteur après lui ; de même, en quittant la maison, l’hôte va le premier et le maître de maison après lui76. Cette prescription est liée à une question fondamentale : celle de la femme, qu’il serait malséant de laisser seule, ne serait-ce qu’un instant, avec l’invité77. Mais dans le cas d’une relation entre maître et disciple, si le disciple invite son maître, celui-ci entrera le premier et sortira le dernier de la demeure78. Quant à l’hospitalité proprement dite (une fois l’hôte entré), celle-ci consiste au moins en un repas, ce qui n’exclut nullement la possibilité pour le maître de maison de loger son invité pour la nuit. Les textes ne donnent pas d’indication précise sur la durée pendant laquelle un maître de maison est tenu d’entretenir ses invités. Celle-ci varie en fonction de la situation et n’est pas déterminante pour le sens dont se charge l’hospitalité. Un texte midrashique laisse toutefois entendre que l’hôte peut progressivement diminuer la valeur de ce qu’il présente à son invité, jusqu’à ce que ce dernier parte79. Cette même idée est reprise par d’autres textes qui sont conformes au principe que l’hospitalité ne se prolonge pas : il n’est jamais question que de séjours limités, ce qui signifie aussi que le visiteur – fût-il un rabbin – n’a pas tous les droits, et notamment pas le droit de rester aussi longtemps qu’il le souhaiterait80.

74 T BB 6.14 (éd. Zuckermandel, p. 406). Textes parallèles : TY Dem 4:6, 24a, TB ণul 94a, DER 8.5 (éd. Higger, p. 226, les mss. ʣ) 75 Cf. infra, p. 64 (la question du refus) et p. 114 (l’hypocrisie). 76 DER 4.6 (éd. Higger, p. 179). 77 Cette idée apparaît en TB Ta`an 23b. Sur la place de la femme dans le cadre de l’hospitalité, cf. infra, p. 108 sqq. 78 Cf. infra, p. 99 : lors d’un repas réunissant un maître et son disciple, ce dernier doit lui céder la meilleure place et écouter religieusement ses paroles. 79 Ps R 23.3 (éd. Buber, p. 198) : le premier jour, l’hôte doit se voir proposer un veau ; le second jour, un agneau ; le troisième, un poulet ; le quatrième, des graines ; et le cinquième, encore moins. 80 Le texte de Nb R 21.25 commente la diminution du nombre de taureaux sacrifiés au fil des jours, à compter de Sukkot : le second jour, 12 taureaux (Nb 29, 17), le troisième jour, 11 taureaux, (Nb 29, 20), le quatrième jour, seulement 10 taureaux (Nb 29, 23) etc. Cf. aussi Ps R

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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Le repas lui-même, qui forme le centre de l’hospitalité, doit se dérouler selon un protocole dirigé par le maître de maison, et incluant notamment les bénédictions de début et de fin de repas, ainsi que l’ablution des mains. Nous examinerons en détail quelques-unes de ces pratiques en nous penchant sur la problématique de la bénédiction81. Après le repas, le maître de maison a normalement pour obligation de raccompagner son hôte. Selon les textes, la négligence de l’escorte est considérée comme un grave forfait et relèverait presque de l’homicide involontaire82, même s’il s’agit sans doute là d’une exagération rhétorique, à visée homilétique83. Le principe est qu’aussi longtemps que l’invité se trouve sur le territoire de son hôte, il bénéficie de sa protection. Du point de vue de l’invité, le fait de se laisser raccompagner est tout aussi important : peut-être doit-on penser que sur un plan légal, refuser d’être raccompagné reviendrait à faire prendre un risque au maître de maison84. Cette pratique est largement attestée dans la tradition : un texte midrashique85 souligne similairement l’importance du devoir de raccompagner son hôte. Du verset de Genèse 18, 16 (« Et les hommes se levèrent d’où ils étaient, et regardèrent en direction de Sodome. Et Abraham vint avec eux pour les accompagner sur leur chemin. ») est inférée une leçon générale : « Le proverbe dit : ‘Quand tu as donné [à ton hôte] à manger et à boire, escorte-le (´okhelete ´ašqet lawwe(t)86)’, d’où ‘Abraham [vint avec eux pour les raccompagner87]’. » Le fait de raccompagner son hôte joue bien un rôle déterminant : on pourrait y voir un rite de « séparation » (au sens de Van Gennep88), tout comme une mesure de protection bienvenue dans un espace géographique ressenti comme hostile et majoritairement

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4.3 (éd. Buber, p. 42) : l’assertion de R. Ze`ira sur un visiteur venant jour après jour, et que l’on fait asseoir sur des sièges de qualité décroissante. Cf. infra, p. 70 sqq. TB So৬ 46b : « R. Yoতanan dit au nom de R. Me´ir : quiconque ne raccompagne pas [ses invités] et ne se laisse pas raccompagner – c’est comme (ke´illu) s’il versait le sang » Cf. Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 17. Le ke´illu marque fréquemment une telle intention. Cf. Hayes (1997), p. 160 : « [T]he phrase […] ‘Scripture attributes it to them as if’ […] never expresses a literal equation but is used for statements of ethical suasion. » Bien que notre passage ne présente pas la formule complète (le texte ne dit que ke´illu), la remarque de Hayes peut sans doute s’y appliquer (il ne s’agit manifestement pas d’une « équation » à entendre dans un sens littéral). Cf. aussi TY So৬ 9:6, 23d (et TB So৬ 38b), se référant à Dt 21 : la mort d’un homme ayant séjourné dans une cité, et qui n’a pas été raccompagné sur le chemin du retour (ce qui est un ajout rabbinique par rapport à la règle biblique), implique l’accomplissement du rite de la génisse égorgée (`egla `arufa) par les responsables de la cité qui ont manqué à leur devoir. Maïmonide, en MT, Hilkhot ´Evel 14.2 relève que l’escorte est plus importante que la réception d’hôtes. Gn R 48.20 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 496). Lit. « Tu [lui] as donné à manger, tu [lui] as donné à boire ; escorte[-le] ! » Gn 18, 16. Van Gennep (1909), p. 51–52.

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peuplé par des non-Juifs89. Dans les deux cas, cette pratique contribue indéniablement à définir une limite sociale. Enfin, le Talmud de Babylone évoque une formule de prise de congé : il convient de souhaiter au visiteur qui part d’« aller en paix » (lešalom), mais non « dans la paix » (bešalom90). Le même texte ajoute que cette dernière formule conviendrait plutôt au cas du dernier adieu formulé à l’attention d’une personne décédée. D’autres règles concernent encore le rôle du maître de maison dans le cadre d’une relation d’hospitalité. Comme celles-ci dépendent bien souvent des protagonistes cités dans les textes et de situations concrètes, il nous paraît cohérent de les aborder plus tard, au fur et à mesure de notre développement. 2.2.2 Du bon usage de l’hospitalité pour celui qui est reçu Penchons-nous à présent sur les comportements attendus de la part de l’invité, dans le contexte de l’hospitalité domestique. L’acceptation d’une invitation s’assimile le plus souvent à un vœu (neder), de sorte qu’une fois qu’une invitation est acceptée (c’est-à-dire que le « vœu » de venir manger auprès d’un « maître de maison » est formulé), seul un cas de force majeure légitime une annulation (c’est-à-dire que le vœu soit rompu91). Ce principe peut donner lieu à d’intéressants dilemmes. Une invitation est ainsi susceptible d’interférer avec d’autres vœux, comme celui de pratiquer un jeûne : dans un tel cas, est-il préférable de refuser l’hospitalité ou de rompre un vœu ? Un petit récit illustre cette question92. Le texte évoque le cas d’hôtes (invités) obéissant en tous points à un maître de maison. R. Shim`on b. Antipatros (fin du Ier siècle) avait convié chez lui des hôtes et ceux-ci avaient accepté son invitation malgré leur vœu de ne pas manger et de ne pas boire. À leur départ, ils furent fouettés par R. Shim`on b. Antipatros. Ces agissements parvinrent aux oreilles de Rabban Yoতanan b. Zakkai (selon la tradition, chef de la communauté de Yavneh dès après la destruction du second Temple), qui fit envoyer R. Yehoshu`a (b. Hyrcanus) afin de tester l’hospitalité de Shim`on b. Antipatros. Ce dernier reçut chaleureusement son nouvel hôte, le logea, étudia la Torah avec lui et lui offrit à manger. Quand R. Yehoshu`a souhaita partir, il le raccompagna sans le fouetter. Comme l’explique R. Shim`on b. Antipatros à R. Yehoshu`a étonné de ne pas avoir subi le même traitement que les autres invités, les coups de fouet ne se justifiaient qu’en raison que les hôtes avaient rompu leur vœu. Selon le texte scripturaire93, quiconque commet une action négative – telle que celle consistant à rompre un vœu – doit effectivement recevoir 40 coups de fouet et Shim`on b. 89 Sur ce point, cf. Hezser (1997), p. 158. 90 TB Ber 64a. 91 TB Ned 24a. Notons qu’il est toujours question, dans la sugya de TB Ned, du ‫ۊ‬aver, à traduire par « l’ami », ou « le voisin ». 92 DER 6.1. Éd. Higger, p. 193–200. Cf. Van Loopik (1991), p. 104–105. 93 Dt 25, 2–3.

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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Antipatros ne faisait que respecter à la lettre ce commandement. En découle la morale : une personne doit refuser une invitation afin de rester fidèle à un vœu. Le principe du vœu constitue une preuve assez forte du réseau relationnel que l’hospitalité peut contribuer à former : le vœu renforce indéniablement la solidité des liens sociaux tissés en les plaçant sous une garantie « symbolique » dont la violation ne saurait rester sans conséquences. L’invitation elle-même peut être en principe acceptée ou déclinée. C’est la leçon qui est tirée du passage suivant, qui réinterprète l’épisode biblique de la femme shunamite : « Et plaçons ici pour lui un lit, une table, une chaise et un chandelier94. » ´Abbaye95, pour certains, R. Isaac96 [a dit] : celui qui désire profiter [de l’invitation de quelqu’un], qu’il profite comme Élisée ; celui qui ne désire pas profiter, qu’il ne profite pas comme Samuel le Ramatite ainsi qu’il est dit : « Et il revint à Ramah car c’est là qu’était sa maison97. » Et R. Yoতanan98 dit : en tout lieu où il se rendait, il avait sa maison avec lui99.

Le texte biblique rapporté évoque l’invitation de la femme shunamite, préparant un logement pour son hôte, le prophète Élisée. Le propos d’´Abbaye (ou de R. Isaac) part de cet exemple pour enseigner que l’on est libre d’accepter l’hospitalité (comme Élisée, qui a effectivement accepté l’invitation de la femme shunamite) ou de la décliner. Ce dernier point est établi à partir d’une exégèse biblique qui confère un sens bien particulier au verset de 1 Samuel : Samuel ne restait pas chez les gens qu’il visitait, mais revenait chaque fois « chez lui ». Mais peut-on vraiment concevoir que Samuel revenait chaque fois chez lui, à Ramah ? En ce cas, il n’effectuait pas une « tournée100 » mais plutôt des allers-retours. D’où le recours à l’interprétation de R. Yoতanan qui lit le šam (« là ») du texte biblique comme se rapportant aux trois localités mentionnées plus haut, et non pas seulement à Ramah. Cette lecture suggère que Samuel préférait ne rien devoir en retour de l’hospitalité des habitants qu’il allait juger et qu’il logeait sur place, par ses propres moyens, par exemple sous une tente101. La leçon enseignée par ce texte peut être actualisée de la manière suivante : les rabbins, susceptibles de se comparer à la figure de Samuel, sont parfois appelés à voyager, par exemple pour exercer des activités associées à leur fonction (juridiques, etc.102). Le rabbin venu pour une raison professionnelle doit rester libre de choisir s’il acceptera l’invitation qu’on lui propose ou non. L’acceptation 94 2 R 4, 10. 95 Amora babylonien (278–338) actif à Pumbeditha, connu pour ses nombreux débats avec Rava. 96 Apparemment le tanna de la seconde moitié du IIe siècle. 97 1 Sam 7, 17. 98 R. Yoতanan b. Nappaতa, amora palestinien (env. 180–env. 279), actif à Tibériade. 99 TB Ber 10b. 100 Ainsi que le laisse entendre le texte de 1 Sam 7, 16 qui relate le voyage de Samuel en trois villes pour y juger les habitants. 101 Rashi, ad loc. explique précisément qu’il avait une tente avec lui, afin de ne pas « profiter » des habitants qu’il venait « juger ». 102 Cf. Hezser (1997), p. 170–171.

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d’une invitation pourrait en effet compromettre son impartialité dans certaines de ses tâches, et spécialement si celles-ci ont part liée avec la personne qui l’héberge. Le liberté de choix dans l’acceptation ou le refus d’une invitation est cependant conditionnée par la position sociale celui qui la propose. Cette leçon apparaît bien dans le passage suivant, qui mobilise les figures bibliques d’Abraham et de Lot, le premier étant évidemment considéré comme supérieur au second. Ainsi : Pourquoi y a-t-il une différence entre Abraham, au sujet duquel il est écrit (Gn 18, 5) : « Tu feras donc ainsi que tu as dit » et Lot, au sujet duquel il est écrit [87a] (Gn 19, 3) : « Et il les pressa vivement » – R. ´El`azar dit : [cela enseigne que l’]on peut opposer un refus à un homme inférieur mais non à un grand homme (legadol)103.

Le raisonnement attribué à R. ´El`azar, sans doute l’amora palestinien du IIIe siècle104, repose sur une comparaison de deux versets, montrant que dans une même situation, les invités se comportent différemment à l’égard d’Abraham et de Lot. Le verset cité quant à l’hospitalité d’Abraham laisse entendre que les invités ont immédiatement accepté sa proposition, alors que dans le cas de Lot, ils se « font prier ». S’ils n’ont pas hésité à accepter l’offre d’Abraham, c’est qu’à la différence de Lot, il est un « grand homme » (gadol)105. Cette comparaison conduit R. ´El`azar à une conclusion générale : on ne saurait refuser une invitation de la part d’un homme important. En filigrane de ce texte se trouve peut-être l’idée selon laquelle les membres des différentes « classes » composant la « société juive » ne sont pas égaux entre eux : selon le point de vue des rabbins, certains sont manifestement plus « grands » que d’autres106. Ces inégalités (par exemple, les relations maître / disciple, « laïc » / rabbin, rabbin / `am ha-´are‫)܈‬, que l’on va étudier de manière plus précise dans la partie suivante, se répercutent nécessairement dans la pratique de l’hospitalité. Nous pourrions même dire que les relations d’hospitalité décrites et prescrites par les textes révèlent de manière particulièrement frappante ces rapports de hiérarchie. Mentionnons encore quelques règles de bienséance (derekh ´ere‫)܈‬, qui décrivent des comportements réglant les modalités de la relation entre le maître de maison et son invité : quand l’invité a accepté l’invitation et qu’il se présente au domicile de son hôte, il est d’usage d’apporter un cadeau, comme une corbeille de 103 TB BM 86b–87a. Cf. aussi PdRE 25 et Gn R 50.4 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 520). 104 R. ´El`azar ben Pedat, actif à Tibériade de 260 à 280. 105 Le même principe explique pourquoi, selon certaines traditions rabbiniques (TB BM 86b, Gn R 48.14 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 491)), les « anges » de Gn 18 se seraient forcés à manger (ou auraient fait semblant) : ils ne voulaient pas déshonorer Abraham en refusant son repas. Le texte d’ER (12) 13 (éd. Friedmann, p. 59, éd. Braude, p. 176) indique que pour la même raison (honorer Abraham) les anges auraient vraiment mangé, même si cela est contraire à leur nature. 106 Sperber (1990), p. 68 : « ‘Seniority’ itself […] can be defined according to different criteria, such as age, importance or function. » Cf. aussi, Hezser (1997), p. 255 sqq. (et p. 282–283 et 301–302), qui donne plusieurs critères qui distinguent les rabbins entre eux : l’étude de la Torah, la classe socio-professionnelle, l’appartenance à une famille de prêtres, l’exercice d’une fonction « publique », etc.

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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fruits107. Après être entré dans la maison de son hôte, il ne doit pas se montrer impatient, ou réclamer quelque chose (le repas, par exemple) avant qu’on ne le lui propose108. Selon sa relation avec le maître de maison, l’invité n’aura pas nécessairement accès à toutes les pièces de la maison. Il semble à cet égard que la chambre à coucher demeure l’espace le plus « privé » de la maison109. Il ne doit pas non plus imposer un autre invité à celui qui l’a convié chez lui110. Par ailleurs, le visiteur ne doit pas donner de sa propre initiative le plat qu’il a reçu aux enfants de son hôte. Dans le cas où le maître de maison ne disposerait pas de suffisamment de nourriture pour tout le monde, un tel comportement serait en effet extrêmement gênant. Cette règle est bien exprimée par le passage suivant : « Les hôtes (ha-´ore‫ۊ‬in) ne sont pas autorisés à donner ce qui est devant eux au fils ou à la fille du maître de maison, à moins qu’ils n’aient reçu la permission du maître de maison111. » Si cette prescription peut paraître curieuse prima facie, la suite du texte relate l’histoire d’un homme n’ayant pas assez de provisions pour sa famille et ses trois invités. Partant d’une bonne intention, les invités donnent chacun l’œuf qu’ils avaient reçu dans leur assiette au fils du maître de maison. Mais les œufs en question constituaient l’intégralité du repas proposé par le maître de maison112 et ce dernier, couvert de honte, s’en prend de rage à toute sa famille, avant de se suicider du haut du toit de sa maison113. Tout en illustrant une règle relative au comportement des invités, cette histoire soulève plusieurs éléments cruciaux de l’hospitalité : la responsabilité du maître de maison par rapport à ce qu’il offre, la honte qu’il éprouverait à n’avoir pas assez pour satisfaire ses hôtes et l’injonction adressée aux invités de ne pas prendre une initiative (même apparemment charitable) qui pourrait gêner l’hôte. Pour Rubenstein, l’idée de la honte serait assez caractéristique du contexte rédactionnel du Talmud de Babylone, en raison de la structure sociale du groupe des

107 Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 17–20. Le cadeau peut s’adresser au maître de maison ou au visiteur : selon TB Pes 104b, il était d’usage qu’un rabbin domicilié dans une cité (en l’occurrence, Rav Isaac b. Rav Yehuda, fin du IIIe siècle, à Pumbeditha en Babylonie) reçoive un collègue nouvellement arrivé (en l’occurrence, R. `Ulla, amora palestinien de la fin du IIIe siècle, qui faisait partie des na‫ۊ‬ote et qui voyageait fréquemment en Babylonie) en lui faisant envoyer une corbeille de fruits. 108 DER 8.1 (éd. Higger, p. 222, tr. Van Loopik (1991), p. 121) : « Celui qui visite une maison ne doit pas leur dire : ‘Servez-moi, que je mange’, jusqu’à ce qu’ils le lui proposent. » 109 Cf. par exemple Sifre Dt 29 (éd. Finkelstein p. 48) et le commentaire de Hezser (1998), p. 531–532 qui montre que cette hiérarchie de l’espace privé (et plus particulièrement, de la villa) se rencontre également au sein de sources romaines. 110 DEZ 8.9 (éd. Higger, p. 129–130) et Sperber (1990), p. 169–170. Cf. aussi TB BB 98b. 111 TB ণul 94a. 112 Remarquons au passage que l’expression « maître de maison » (ba`al ha-bayit) ne s’applique ici manifestement pas à un riche aristocrate, puisque l’homme n’a rien d’autre à offrir que trois œufs (cf. supra, p. 48, n. 31). 113 Le suicide du haut du toit constitue un topos de la littérature rabbinique (cf. TB Ber 19a, TB Ket 30b, TB Ket 104a, TB ণul 87a, etc.).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

rédacteurs du texte114. Si ce dernier point est difficile à vérifier, la thématique de la honte semble effectivement occuper une place importante au sein du Talmud de Babylone115, même si l’on peut se demander si le sujet est réellement absent des documents antérieurs, comme le Talmud de Palestine. Dans tous les cas, il est tout à fait usuel de rencontrer la thématique de la honte et de l’honneur dans le cadre de l’hospitalité. Pitt-Rivers a bien montré de quelle manière les « lois de l’hospitalité » et leur caractère contraignant s’articulent à une logique de la honte et de l’honneur en contexte méditerranéen116, et il n’est somme toute pas très surprenant que cette thématique apparaisse dans nos textes. La leçon enseignée par notre dernier texte fait écho à une autre recommandation relevant du registre des règles de bienséance et s’adressant au convive : Nos maîtres ont enseigné : un homme ne doit pas donner sa portion au serveur pendant que la coupe [de vin] est dans la main [du serveur] ou dans la main du maître de maison (ba`al habayit) : un incident (devar qalqala) pourrait se produire dans le repas117.

Pour ce texte, il convient de ne pas déranger le serveur (šammaš118) en lui proposant du pain, alors que celui-ci ou le maître de maison ont une coupe de vin en main. Ce cas ne concerne évidemment que la situation d’un repas réunissant plusieurs convives auprès d’un maître de maison fortuné. S’il s’agit à l’origine d’une règle relative à un repas réunissant les membres d’une élite – les ‫ۊ‬averim – celleci semble avoir été reprise et réinterprétée dans un cadre plus large, et étendue au domaine spécifique de la maison (un repas entre rabbins, un repas entre « laïcs »119). Sur ce texte, Rashi explique que le maître de maison pourrait s’énerver et boire de travers, ou se fâcher contre le serveur qui prendrait alors peur et renverserait du vin. L’énervement du maître de maison peut se comprendre de deux manières : (1) il pense que son invité n’apprécie pas ce qui a été servi ; (2) il craint que si tous ses invités se mettent à donner leur part aux domestiques, il n’aura pas de quoi nourrir tout le monde et se couvrira de honte. De son côté, le domestique, apostrophé par son maître, pourrait laisser tomber le plat ou verser du vin sur le pain120. Ces règles ne sont pas complètement triviales : elles témoignent 114 Cf. Rubenstein (2005), p. 73 : « What explains the Bavli’s heightened focus on shame ? The answer relates to […] the highly structured academy, dialectical argumentation, and verbal violence. » 115 Cf., entre autres, les exemples de TB Sanh 11a, TB Shab 156b, TB BB 81a–b, étudiés par Rubenstein (2005), p. 67–79. 116 Pitt-Rivers (1997), p. 171–172. 117 TB ণul 107b. 118 Sur la figure du serveur, cf. Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 48–50. Dans le contexte propre du texte, le šammaš semble correpondre au servus triclinarius romain, à la différence cruciale qu’il est censé connaître les lois de pureté relatives à la consommation de nourriture, puisqu’il devra lui-même les respecter et les faire respecter. Pour un exemple (dans le contexte de l’Afrique du Nord) concernant le servus triclinarius, dont le rôle est très codifié, à l’image de l’ensemble des repas se déroulant dans l’espace du triclinium, cf. Thébert (1985), p. 367. 119 Comme en témoigne son adoption en Sh´Ar, Oণ, 170.18. 120 Cf. Van Loopik (1991), p. 134–135, sur le passage parallèle de DER 9.6 (éd. Higger, p. 238– 239) et Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 50.

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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du caractère cérémoniel ou rituel du repas qu’un incident pourrait venir déranger et donc « souiller ». Pour clore cette partie générale, évoquons encore plusieurs règles de bienséance s’appliquant autant à l’hôte recevant qu’à l’invité, et décrites dans le cadre de l’invitation d’un Sage par un autre Sage. Le texte suivant, qui est placé dans un contexte babylonien, et qui n’est peut-être qu’une simple fiction mettant des règles dans la bouche de Rav Huna b. Nathan121 afin de leur conférer de l’autorité, tend à montrer que les rabbins se considèrent volontiers comme les maîtres du savoir-vivre, et qu’ils sont pour cette raison des modèles à suivre. Il vaut la peine de faire une lecture suivie du texte : Rav Huna, le fils de Rav Natan passa par la maison de Rav Naতman b. Isaac. – On lui dit : quel est votre nom ? – Il répondit : Rav Huna. – Ils lui dirent : Que le Maître s’asseye sur le lit ! Il s’assit. Ils lui offrirent un verre. Il l’accepta à la première invitation et il le but en deux fois, sans détourner son visage122.

Même lors de ce qui semble être une simple « visite de courtoisie », qui ne comprend pas de repas, un protocole strict est respecté. Rav Huna commence par décliner son nom, en mentionnant son titre de Rav, puis s’assied et boit le verre qu’on lui tend. Bien que cette attitude semble normale, il faut observer que du point de vue de ses hôtes, le comportement de Rav Huna peut paraître étrange, voire orgueilleux, puisqu’il accepte immédiatement ce qu’on lui propose, ou répond à ce qu’on lui demande sans faire mine d’hésiter. L’attitude attendue de la part d’un rabbin est par excellence celle de la modestie123. Ce trait de comportement est même caractéristique de l’attitude recommandée en général par les textes rabbiniques, et pas seulement s’agissant d’un Sage. Il s’agit, selon Stern, d’un élément fondamental de l’identité juive telle que décrite par les textes rabbiniques124. Rav Huna aurait donc dû faire preuve d’hésitation dans son comportement, et doit s’expliquer sur ses gestes. Ainsi : – Ils lui demandèrent : pour quelle raison vous êtes-vous appelé « Rav Huna » ? – C’est mon nom125.

121 Amora babylonien de la fin du IVe siècle – début du Ve siècle, qui exerça la fonction d’exilarque (cf. EJ, vol. 8, p. 1075–1076). 122 TB Pes 86b. 123 Cf. Sperber (1990), p. 116–118. 124 Ainsi Stern (1994), p. 226 (et passim) : « The relevance of tzeniut to Jewish identity lies in the fact that it is considered a distinctive quality of Israel. » 125 Lit. « Je suis le possesseur de ce nom. »

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

Tout comme un rabbin ne doit pas s’enorgueillir de son savoir, il ne doit pas non plus proclamer son titre (dans le cas présent, « Rav ») à tout bout de champ. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre la réponse de Rav Huna à la question de Rav Naতman b. Isaac, que Rashi commente126 en expliquant que dans son cas, Rav est comme un nom propre : il n’a pas exhibé son titre par vantardise, mais a simplement décliné son nom. La suite du texte enseigne un autre comportement devant être respecté par l’invité : – Pour quelle raison vous êtes-vous assis quand on vous a dit « qu’il s’asseye sur le lit » ? – Il leur dit : tout ce que le maître de maison (ba`al ha-bayit) te demande, fais-le [excepté « sors ! » (‫ۊ‬u‫ ܈‬mi‫܈܈‬e´127)].

Rav Huna explique pourquoi il a immédiatement accepté la place sur le lit, certainement une place de choix. Peut-être aurait-il dû, dans l’esprit de ses hôtes, décliner la proposition et, toujours par modestie, s’asseoir sur une place moins prisée (par terre, sur une chaise128). Rav Huna explique cependant qu’il n’a fait qu’obtempérer à l’ordre qu’on lui a donné. Cela relève d’une règle générale (en hébreu, contrairement au reste du texte, en araméen), selon laquelle l’invité doit obéir à toutes les injonctions de son hôte129. Un problème textuel se situe au niveau de l’incise finale (« excepté ‘sors !’ ») qui ne figure pas dans toutes les versions du texte et qui est sans doute une interpolation d’origine tardive130. Or cette clause peut comporter un sens bien précis, important pour l’explication du texte. Plusieurs commentaires expliquent cette incise en la reliant aux règles de savoir vivre131. Relevons brièvement deux de ces commentaires : (1) Le maître de maison n’a d’autorité que pour ce qui concerne le domaine de la maison. Il ne peut exiger de son hôte qu’il sorte, et le charger par exemple de faire les courses au marché. (2) Si l’hôte est prié de partir, il peut s’exécuter, mais non immédiatement (ce qu’implique l’impératif, ‫܈‬e´) : cela serait humiliant. Un commentaire récent132 rattache ainsi ces deux mots à l’incident de Bar Qamৢa, qui 126 Rashi : « ‘Je suis le maître de ce nom’ : On m’a appelé ainsi depuis ma jeunesse, ‘Rav Huna’. » 127 TB Pes 86b. La règle se trouve aussi exprimée (sans l’ajout final) en DER 6.1 (éd. Higger, p. 193) et reprise dans le Sh`Ar, Oণ, 170.5 : quand on entre dans une maison, il faut se conformer en tous points aux instructions du maître de maison. 128 Rashi relève précisément qu’il ne s’assied ni par terre ni sur une chaise. Sur l’importance sociale du siège, cf. infra, p. 237. 129 Cf. DER 6.1 (éd. Higger, p. 193) qui relativise cependant le fait d’obéir à toute injonction de la part de son hôte : un vœu (celui du jeûne, par exemple) doit être observé malgré l’invitation de l’hôte à manger. 130 Le Me´iri (1249–1316, Provence), cité dans TB, éd. Steinsaltz, Pes, `Iyyunim, p. 373 attribue cette incise à des le‫܈‬anim (« des plaisantins »). Cf. Rabbinovicz (1960 [1867–1886]), Pes, p. 262 qui indique plusieurs versions du texte desquelles la clause finale est absente. 131 DER 6.1 (éd. Higger, p. 193), TB, éd. Steinsaltz, Pes, `Iyyunim, p. 373 et Van Loopik (1991), p. 104. 132 Sefat Emet, commentaire composé d’homélies de Judah Aryeh Leib, Rebbe তassid polonais né en 1847, cité en TB, éd. Steinsaltz, Pes, `Iyyunim, p. 373.

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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associe la destruction du Temple à une erreur de savoir-vivre133. Une idée proche se trouve dans un autre traité134 qui explique que c’est seulement au moment où il est battu par le maître de maison qu’un homme doit se résoudre à quitter la maison qui l’hébergeait135. Poursuivons la lecture : – Pour quelle raison, quand je vous ai tendu le verre, l’avez-vous accepté à la première invitation ? – Il leur dit : on montre de la réticence à un « petit » homme, mais non à un grand homme136.

À nouveau, le comportement de Rav Huna pourrait sembler présomptueux : il accepte immédiatement le verre qu’on lui tend. Bien que cette attitude puisse s’expliquer par la règle que l’on vient d’évoquer (l’invité doit se conformer en tous points aux instructions de son hôte), Rav Huna invoque un autre principe à sa décharge : celui, déjà mentionné, concernant l’invitation faite par un « grand homme » que l’on ne saurait refuser. Dans la perspective de Rav Huna, Rav Naতman b. Isaac est donc un grand homme (ou peut-être veut-il ainsi le flatter), ce qui le force à accepter son invitation sans faire mine d’hésiter. Rav Huna s’explique enfin sur sa manière de boire : – Pourquoi l’avez-vous bu en deux fois ? – Il leur dit : parce qu’il est enseigné. Celui qui boit son verre en une fois, c’est un glouton (gargeran) ; en deux fois, c’est le derekh ´ere‫ ; ܈‬en trois fois, il a un esprit hautain. – Pourquoi n’avez-vous pas détourné votre visage ? – [Nous avons appris :] Une épouse détourne son visage137.

Il s’agit là d’une règle de derekh ´ere‫ ܈‬: il convient de ne boire ni trop rapidement (signe manifeste et déplacé de « gourmandise138 »), ni trop lentement (ce qui témoigne d’une trop grande estime de soi), et sans détourner le visage. L’argument

133 Il s’agit du fameux épisode de TB Gi৬ 56a : fâché et humilié du fait qu’on l’ait prié de partir d’un banquet, Bar Qamৢa se venge en déclenchant une réaction en chaîne qui finira par causer la destruction du Temple. 134 TB `Arak 16b. 135 Les autres explications rapportées par Steinsaltz sont plus fantaisistes, et sont des réinterprétations bien ultérieures, qui comprennent le terme ‫܈‬e´ comme une abréviation (ce qui n’est nullement suggéré par le texte). Ainsi, (3) l’hôte peut refuser d’exécuter un ordre le poussant à transgresser une prohibition, (4) il ne serait pas forcé d’obéir à un maître de maison sadducéen ou « épicurien » ; (5) il ne devrait pas s’occuper des affaires de la femme du maître de maison. 136 TB Pes 86b. 137 TB Pes 86b. 138 Cf. DEZ 6.4 (éd. Higger, p. 119), TB Beৢ 25b et Sperber (1990), p. 85–86. Le terme gargeran peut, en général, se rapporter aussi bien au fait de manquer de mesure dans la consommation de boisson que de nourriture (Cf. T So৬ 13.7).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

cité par Rav Huna à l’appui de cette dernière règle est un extrait de la Mishna139, réinterprété dans un sens bien particulier : de même que dans le contexte du repas du Seder pascal, seule la femme est tenue de détourner son regard d’une compagnie (masculine) attablée – c’est le sens général du passage cité de la Mishna – de même est-elle seule concernée par la pratique de détourner son visage en buvant une coupe de vin. Bien que ces règles puissent sembler mineures, elles sont volontiers considérées comme reflétant le degré de civilisation140 et font partie des éléments contribuant à définir une culture. Ainsi, selon un texte de la Mishna, celui qui ne connaît pas les Écritures, est ignorant dans les matières de la Mishna et ne respecte pas les règles de bienséance (derekh ´ere‫ )܈‬ne fait pas partie du monde civilisé et habité (yiššuv141). Le fait même d’enseigner un protocole relatif au déroulement d’une réception témoigne bien du double aspect rituel et social des pratiques associées à l’hospitalité, qui sont d’abord la marque des Sages eux-mêmes142, avant de s’inscrire dans le cadre de la définition d’une culture, d’une communauté, voire d’une « religion143 ». 2.2.3 La bénédiction des repas La question de la bénédiction des repas concerne l’hospitalité à au moins deux titres : puisque la tenue d’un repas en commun exige la récitation d’au moins deux bénédictions, une avant le repas, et l’autre après, il s’agit de savoir (1) qui peut « participer » à ces bénédictions, et donc qui est inclus dans la « tablée » ; et (2) qui peut dire ces bénédictions. La première question peut concerner la possibilité de partager une même table ; la seconde est liée au rapport entre le maître de maison et ses invités.

139 M Pes 7.13, qui concerne un cas différent : une jeune femme peut détourner la tête, par modestie, de manière à ne pas faire face à une « tablée » d’hommes attablés pour la consommation de l’agneau pascal. 140 Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 2 : les règles de bienséance sont des indicateurs de la « civilisation », de l’ « humanité ». Cf. également, sur cette même idée, Wolowelsky (1977b), p. 93. 141 M Qid 1.10. 142 Sur ce point, cf. Neusner (1970), p. 3 : « Everyone ate. Rabbis did so in a ‘rabbinic manner’. That is to say, what others may have regarded as matters of mere etiquette, formalities and conventions intended to render eating aesthetically agreable, rabbis regarded as matters of ‘Torah,’ something to be learned. » 143 Sur l’idée générale de l’influence du milieu rabbinique sur la population juive, cf. Schwartz (2001), p. 103 : « [S]ome Jews, probably a very small number (among them were the rabbis) still insisted on the importance of the Torah, of Judaism, in their symbolic world, and these Jews, convinced of their elite status, tried to insinuate their way into general Palestinian society. » Sur l’idée que cette influence a pu s’exercer au travers de règles domestiques, cf. Sivertsev (2005), p. 214 : « Rabbinic ‘household codes’ represent a complex mix of fantasy and reality precisely because they seek to project non-familial holiness constructs back onto real families. »

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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La bénédiction effectuée au début d’un repas, appelée ha-mo‫܈‬i144, porte plus spécifiquement sur le pain – elle en précède la fraction – et consiste à peu près en « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers qui fais pousser (ha-mo‫܈‬i) le pain de la terre (le‫ۊ‬em min ha-´are‫܈‬145) ». Celle qui fait suite au repas est une bénédiction de « remerciement », la birkat ha-mazon (lit. « la bénédiction de la nourriture146 »). Un minimum de trois personnes est en principe requis pour « former une tablée » : il s’agit du quorum nécessaire au zimmun147, « la convocation », donc « l’appel à réciter la bénédiction » de la birkat ha-mazon en fin de repas. Si le quorum n’est pas atteint, la birkat ha-mazon sera en principe récitée de manière individuelle. La formule de bénédiction change pour une compagnie de plus de 10 personnes, ou selon l’événement célébré (s’il s’agit par exemple d’un repas de funérailles, d’un repas de Shabbat ou d’un repas de fête148). Selon la Mishna, toute personne ne compte pas pour le quorum (de trois personnes, nécessaire au zimmun) : un « païen » (nokhri), les esclaves, les enfants mineurs et les femmes en sont en principe exclus, mais non un serviteur (šammaš) et un Samaritain (kuti149) qui sont considérés comme convives (et qui comptent donc pour le quorum), pour autant qu’ils consomment une quantité de pain correspondant (au moins) au volume d’une olive150. Pour Klawans, la simple mention de ces catégories de personnes, et notamment du non-Juif, suggère qu’il n’est pas exclu que celles-ci partagent la table d’un Juif, même si elles sont écartées de la bénédiction151. Pour un texte sans doute plus tardif152, il convient avant tout d’éviter les mélanges : les groupes de femmes, d’esclaves et d’enfants mineurs ont la possibilité 144 Sur la raison de cette bénédiction, cf. TB Ber 35a. 145 Cf. M Ber 6.1. 146 Cf. le texte de la birkat ha-mazon dans Baer (1868), p. 554–562. La prescription est d’origine biblique : cf. Dt 8, 10. 147 Il s’agit en quelque sorte de l’équivalent du minyan (le quorum de 10 hommes adultes nécessaire à la tenue d’un service religieux) pour la tablée. M Ber 7.3 : « Si trois personnes mangent [ensemble], elles sont tenues de dire la bénédiction. » Cf. sur ce sujet l’article d’Heinemann (1962), qui observe que la formule pour une compagnie de 10 personnes attestée dans les repas communautaires de la secte de Qumran (nombre minimal pour former une ‫ۊ‬avura à Qumran : cf. 1Q Sa, col. II, l. 21–22, tr. Carmignac (1963), p. 26–27) est peut-être plus ancienne que la formule concernant trois personnes, qui s’applique par excellence au repas familial ordinaire (p. 28) : cela confirmerait l’idée d’une adoption (partielle et remaniée) de certaines pratiques de Qumran (ou des ‫ۊ‬averim) dans le contexte domestique et familial. 148 Cf. TY Ber 7:4, 11c. 149 M Ber 7.1. Le cas du kuti a évolué sur la période de composition du corpus talmudique. Cf. infra, p. 120 sq. 150 Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 36. M Pes 8.7, TY Ber 7:2, 11b, TB Ber 45b. Une baraita en TB Ber 47b exclut en outre le `am ha-´are‫܈‬. 151 Klawans (1995), p. 307. Cf. cependant TB Ber 47b, qui réinterprète le texte de la Mishna : dans l’optique de ce dernier texte, il est évident que le nokhri ne compte pas, et qu’il s’agit seulement du cas spécifique du prosélyte circoncis qui n’a pas encore pris le bain du miqveh. 152 TB Ber 45b sur M Ber 7.1.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

de former chacun une tablée à part, au sein de laquelle ils pourront accomplir un zimmun entre eux153. D’après un auteur moderne, cette séparation (tablée des hommes / tablée des femmes) doit se comprendre en vertu d’un degré inférieur d’obligation154. Le passage suivant, qui met à nouveau en scène la figure d’Abraham, présente un récit d’hospitalité et justifie la bénédiction de la fin du repas (birkat hamazon) : « [Et il planta un tamaris à Beer-Sheva] et il invoqua (wayyiqra´) ici le nom du Seigneur, le Dieu de l’univers (´el `olam155) ». Resh Laqish dit : ne lis pas « et il invoqua (wayyiqra´) » mais « il fit invoquer (wayyaqri´) » ce qui enseigne qu’Abraham notre père faisait invoquer le nom du Saint, béni soit-Il à toute personne passant [par là]. Comment ? Après qu’ils avaient mangé et bu, ils se levaient pour le bénir, il leur disait : est-ce que vous avez mangé de ce qui est à moi ? Vous avez mangé de ce qui est au Dieu de l’univers (´elohe `olam) ! Remerciez, louez et bénissez celui qui parla et fit advenir le monde156!

Resh Laqish, l’amora palestinien du IIIe siècle, s’interroge certainement sur le lien que semble effectuer le verset entre la plantation de l’´ešel et l’invocation du Seigneur (le ´el `olam157). Pour éclairer cette association, on suppose que l’arbre désigne une auberge158 et que l’invocation est en fait une bénédiction. Afin de soutenir cette interprétation, Resh Laqish joue sur la vocalisation du texte biblique : il faut lire le causatif, « il fit invoquer » (wayyaqri´) et non « il invoqua » (wayyiqra´159). Abraham laissait donc le soin à ses invités de prononcer la bénédiction en fin de repas. Dans ces conditions, la bénédiction a pour but de marquer l’appropriation de la nourriture, qui appartient originellement à Dieu160.

153 Cf. TB `Arak 3a. 154 Ainsi Wolowelsky (1977a), p. 80, qui (dans le contexte d’une discussion sur la place de la femme dans le zimmun) donne la règle générale suivante : « At first glance, it would seem that the original purpose of birkhat hazimmun was to have everyone present fulfill his obligation in birkhat hamazon by answering ‘amen’ to the leader’s berakhah. This is possible only if the leader has at least the same degree of obligation as the participants. » (l’auteur souligne). 155 Gn 21, 33. 156 TB So৬ 10a–b. 157 Si le terme `olam signifie habituellement l’« éternité » en hébreu biblique (et donc dans la citation de Gn 21), il désigne le plus souvent le « monde » en hébreu rabbinique. Le ´el `olam, réécrit ´elohe `olam signifie donc volontiers le Dieu à qui appartiennent le monde, les choses, et en particulier, les aliments. Dans ce contexte, le terme peut aussi évoquer l’idée du Dieu universel, ce qui implique que tous les hommes doivent le remercier. 158 Cf. le raisonnement attribué à Rabbi Neতemya dans le texte qui précède notre passage, et le commentaire de Rashi sur Gn 21, 33 : selon eux, l’´ešel désigne effectivement une « auberge ». 159 Cette interprétation rejoint celle du Targum Ps Jon ad Gn 18, 5 « … et réconfortez vos cœurs, et rendez grâce au nom du Seigneur. » Selon le Maharsha, le changement de vocalisation du verbe se justifie par le sens du texte tel que compris dans l’interprétation figurée du contexte : il serait illogique d’imaginer Abraham faire une invocation dans une auberge. C’est donc qu’il la faisait faire à ses hôtes. 160 Le texte de Ps R 16.1 (éd. Buber, p. 120) sur Ps 24, 1 développe précisément ce processus d’appropriation au moyen de la bénédiction, et en conclut logiquement que celui qui ne bénit

2.2 Pratiques de l’hospitalité

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Peut-être le terme wayyiqra´ / wayyaqri´ comporte-t-il aussi une dimension prosélyte : la proclamation du nom du Seigneur peut revenir à le faire connaître aux Nations. Dans l’optique rabbinique, le repas d’Abraham aurait ainsi permis, en invitant le convive non-Juif à dire la bénédiction, de commencer à en faire un prosélyte, ou au moins, de le sensibiliser au monothéisme161. Zeitlin estime que la problématique du prosélytisme juif constitue effectivement une préoccupation majeure de la part des rabbins à l’époque talmudique162. La Mishna enseigne par ailleurs qu’il est permis de réciter la birkat ha-mazon dans une langue étrangère163 et plusieurs formules de bénédiction ont une tournure universalisante, susceptibles d’intégrer un invité non-Juif. S’il est exclu que le non-Juif conduise le zimmun, il est peut-être possible qu’il réponde à la bénédiction (par ´amen164). Les aspects de l’appropriation et du prosélytisme apparaissent également dans un passage midrashique qui indique avec ironie que ceux qui ne rendaient pas grâce au Seigneur étaient contraints par Abraham de rembourser ce qu’ils avaient consommé. La bénédiction à laquelle le texte fait allusion représente une partie de la birkat ha-mazon (tout comme dans le passage que l’on vient d’évoquer). Du verset « car j’ai voulu le [Abraham] connaître afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie du Seigneur, en pratiquant la droiture (‫܈‬edaqa) et la justice (mišpa‫ܒ‬165) » est inférée la discussion suivante : R. `Azarya166 dit au nom de R. Yehuda167 : d’abord ‫܈‬edaqa et ensuite mišpa‫ܒ‬, qu’est-ce à dire ? Abraham avait coutume de recevoir ceux qui allaient et venaient. Une fois qu’ils avaient mangé et bu, il leur disait : Faites la bénédiction. – Que devons nous dire ? – Sois béni Dieu du monde dont nous avons mangé [la nourriture]. Si la personne acceptait de faire la bénédiction, elle mangeait, buvait, et s’en allait. Mais si elle n’acceptait pas, [Abraham] lui disait : « Paye ce que tu dois. »

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pas la nourriture est un voleur. L’idée que les aliments appartiennent à Dieu apparaît aussi clairement en TY Ber 7:1, 11a. Ainsi, PdRE 25 (éd. Warschau 59b) : Abraham proclamait l’unicité de Dieu à quiconque mangeait et buvait chez lui. Cf. Zeitlin (1965), p. 878 : « Jews were zealous to make proselytes and regarded them as superior to natives. » De même, Bamberger (1968 [1939]), p. 297 conclut, d’une manière probablement exagérée : « The Rabbis throughout the Talmudic period were more than favorable to proselytization. » Sur les procédures concrètes du prosélytisme juif, cf. Porton (1994). M So৬ 7.1. Cf. Tassin (1999), p. 85–86. Le passage de TB ণul 87a présente Rabbi attablé avec un païen (selon les versions, un min) dans une auberge. Rabbi propose au païen d’entendre une bénédiction sur une coupe de vin, puis d’y répondre par ´amen. Bien que l’interprétation du texte soit complexe, le noyau de l’histoire (Rabbi attablé avec un païen) témoigne de la possibilité de la « participation » d’un païen à une bénédiction conduite par un Juif. Gn 18, 19. Amora palestinien du début du IVe siècle. Il s’agit apparemment de l’amora palestinien R. Yehuda b. R. Shim`on b. Pazi (290–350).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

– Pourquoi ? Que te dois-je ? répondait-elle. – Une mesure de vin coûte 10 follaria [, une livre de viande coûte dix follaria ; une miche de pain coûte 10 follaria. Qui te donnera du vin dans le désert ? Qui te donnera de la viande dans le désert ? Qui te donnera du pain dans le désert ?] Se voyant ainsi acculé, il disait : « Sois béni Dieu du monde dont nous avons mangé [la nourriture]. » Ainsi, ‫܈‬edaqa est écrit au début, et mišpa‫ ܒ‬à la fin168.

Ce texte – qui se compose de plusieurs couches rédactionnelles et qui provient certainement du contexte de la Palestine du IVe siècle, en raison de la présence du terme follarion169 – se penche sur une fine distinction entre les termes ‫܈‬edaqa et mišpa‫ ܒ‬dans le texte biblique. L’histoire rapportée sur Abraham explique la distinction entre les deux termes, de même que leur chronologie dans le texte. Abraham est d’abord un homme de la ‫܈‬edaqa, et commence donc d’abord par offrir une hospitalité gratuite. Mais dans le cas où ses visiteurs se refuseraient à la pratique de la bénédiction, Abraham appliquerait alors le mišpa‫ܒ‬, la justice stricte, et demanderait le remboursement du repas170. Non sans humour, le texte décline la liste des prix pratiqués par Abraham171. La bénédiction est donc considérée comme le paiement de l’hospitalité, qui, dans cette perspective idéalisée, n’est pas réellement prodiguée par Abraham, mais par Dieu. Si les invités refusent d’effectuer la bénédiction, les hôtes doivent alors rétribuer Abraham. En rapport avec l’hospitalité, la question de la bénédiction et les différentes règles qui en régissent la pratique définissent ainsi nécessairement des rôles et des groupes. N’importe qui n’est pas en mesure de jouer tous les rôles. La bénédiction relève clairement d’une pratique communautaire qui pose inévitablement le problème des limites de la communauté et de la participation d’une personne « extérieure ». Ajoutons que suivant l’époque historique considérée, la « communauté » définie par ce type de rituels ne coïncide pas forcément avec « la communauté

168 Gn R 49.4 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 502–503). 169 Sur le follarion, cf. Sperber (1991), p. 53–54 : il s’agit apparemment d’une pièce de monnaire (d’une valeur de 5 denarii) ayant eu cours sous Dioclétien (284–305). Sur le ʨʩʱʷ (« mesure »), cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 1364, qui rapproche le terme du xéstês grec, qui est luimême un emprunt au lat. sextarius, à savoir un peu plus d’un demi-litre (cf. Bailly (1950), p. 1342). 170 La formule évoquée par le texte de Gn R fait effectivement partie de la birkat ha-mazon, telle que rapportée par Baer (1868), p. 554. La traduction de Maruani et Cohen-Arazi (1987), p. 518 indique cependant qu’il s’agit de la bénédiction du début du repas (« alors qu’ils s’apprêtaient à manger »), alors que l’hébreu dit ʥʩʤʹʮ, « une fois qu’ils avaient… ». Bien que la portion en araméen du texte puisse laisser entendre que la bénédiction précède le fait de manger et de boire (« si la personne acceptait de faire la bénédiction, elle mangeait, buvait, et s’en allait »), il est plus probable que les actions ne sont pas entendues chronologiquement mais simplement détaillées selon un point de vue logique : si le convive acceptait de faire la bénédiction, alors il mangeait, [faisait la bénédiction] et partait sans payer. 171 Les éléments entre crochets carrés de l’avant-dernier paragraphe de notre traduction sont des ajouts non retenus dans le texte principal de Theodor-Albeck, vol. 2, p. 503.

2.3 L’hospitalité comme devoir religieux

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juive », mais concerne plus sûrement le seul groupe des rabbins172. À notre sens, le propos suivant – bien que se rapportant à la prière chrétienne de bénédiction des repas – peut s’appliquer sans autre au contexte juif rabbinique : La prière [de bénédiction] ne sanctionne pas seulement la communauté entre Dieu et les hommes; elle sert également – et tout particulièrement quand elle est dite à haute voix – au renforcement de la communauté humaine formée autour du repas [Speisegemeinschaft173].

Le concept même d’une « Speisegemeinschaft » souligne bien l’idée que nous croyons retrouver dans nos textes : à savoir que la définition d’un protocole relatif au déroulement d’un repas et aux rôles qu’y jouent les convives a pour conséquence de renforcer des liens de socialité au sein d’une communauté. 2.3 L’HOSPITALITÉ COMME DEVOIR RELIGIEUX Après ces quelques éléments décrivant le déroulement général d’une relation d’hospitalité (indépendamment de toute une série de contingences, y compris historiques, que l’on étudiera plus loin), il est temps d’aborder le cas des discours présentant l’hospitalité comme un devoir « religieux ». 2.3.1 L’hospitalité : une mi‫܈‬wa ? Si, dans la liste des mi‫܈‬wot de Maïmonide, l’hospitalité n’est pas explicitement nommée, elle peut aisément se rattacher à d’autres devoirs174. Mais la question de savoir si l’hospitalité constitue une mi‫܈‬wa dans la littérature rabbinique est complexe, car aucun texte n’aborde explicitement la question. La meilleure manière de tenter une réponse consiste peut-être à examiner quelques cas conflictuels où l’hospitalité interfère avec d’autres prescriptions « religieuses ». Le texte suivant de la Mishna pose le problème de la pratique de l’hospitalité qui pourrait impliquer un travail incompatible avec la règle du repos shabbatique : [Pendant le Shabbat, il est permis d’enlever] même quatre ou cinq corbeilles de paille ou de grain en raison des hôtes (mi-pene ha-´ore‫ۊ‬in) et de l’indisponibilité (umi-pene bi‫ܒܒ‬ul) du bet ha-midrash, mais non le grenier entier (´aval lo ´et ha-´o‫܈‬ar175).

172 Ainsi Neusner (1970), p. 7 : « [W]hile ordinary people might have expressed their gratitude to the divinity for food they ate, they would not regularly have done so in the forms prescribed by the schools. Hence among the singular rites signifying whether a man was part of the rabbinical estate must have been those connected with eating. » 173 Schürmann (1994), p. 153, ma traduction. 174 La ‫܈‬edaqa est le commandement positif 195 et le respect du converti (ger) le commandement positif 207. L’hospitalité peut également être impliquée par le respect dû aux Sages (209). Notons que l’hospitalité est spécifiquement évoquée par le Sh`Ar et fait l’objet de presque l’entier du siman 170 de la partie Oণ. 175 M Shab 18.1.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

Notons tout d’abord que le déménagement de corbeilles constitue, aux yeux de la Mishna, un travail en principe interdit le jour du Shabbat176. Notre texte indique deux exceptions permettant de passer outre cette injonction : afin de faire de la place pour des hôtes ou pour accueillir des étudiants. Relevons au passage l’association de l’hospitalité à l’accueil d’étudiants, et surtout, la possibilité manifestement envisagée par le texte que l’espace domestique puisse se substituer à celui de la maison d’étude (bet ha-midrash). Sur un plan plus théorique, une pratique « domestique » comme celle de l’hospitalité semble donc bien justifier un léger écart au Shabbat, ce qui témoigne en retour du caractère « impératif » de cette pratique : puisque la dérogation à une règle du Shabbat peut se légitimer par l’observance d’un autre commandement177, l’hospitalité est donc bien reconnue de fait comme une mi‫܈‬wa. Si, selon la Mishna, il est exceptionnellement permis d’œuvrer durant le Shabbat, la dérogation n’est cependant pas totale : on peut travailler à évacuer quatre ou cinq paniers de paille, mais non un grenier entier178. Ce texte fait l’objet d’un commentaire prêté à R. Yoতanan, l’amora palestinien des IIe–IIIe siècles, qui souligne l’importance de l’hospitalité : R. Yoতanan dit : l’hospitalité (hakhnasat ´ore‫ۊ‬in) est plus grande que [le commandement] de la fréquentation matinale au bet ha-midrash, puisqu’on enseigne « en raison des hôtes et de l’indisponibilité du bet ha-midrash. » Et Rav Dimi de Neharde`a179 dit : [l’hospitalité est] plus [importante] que la fréquentation matinale du bet ha-midrash, puisqu’on enseigne « en raison des hôtes » et ensuite « en raison de l’indisponibilité du bet ha-midrash180 ».

Il faut commencer par relever le subtil glissement opéré par R. Yoতanan : la comparaison ne s’exerce plus entre « débarrasser un espace pour les étudiants » et « débarrasser un espace pour les hôtes », mais entre la fréquentation matinale de la maison d’étude et l’hospitalité. La discussion spécifique est élargie et le texte fait l’éloge de ces deux pratiques « en général ». R. Yoতanan met ainsi sur un pied d’égalité deux activités à partir de l’idée que les deux justifient pareillement une (légère) dérogation à la règle du Shabbat. Rav Dimi renchérit sur l’avis de R. Yoতanan et établit une hiérarchie (par l’argument de l’ordre des deux devoirs dans le texte de la Mishna) : l’hospitalité serait supérieure à la fréquentation matinale de la maison d’études181. Peut-être 176 Cf. M Shab 17.1–8. 177 Cf. aussi TB Beৢ 36a pour une discussion de la règle évoquée par M Shab dans le cas d’une autre fête religieuse. 178 La suite du texte explique (diversement) pourquoi il convient de ne pas débarrasser l’entier du grenier : on pourrait par exemple toucher à ses structures, ce qui s’apparenterait à un travail de construction, faisant partie des 39 travaux principaux. 179 Amora babylonien, actif à Pumbeditha à la fin du IVe siècle. 180 TB Shab 127a. 181 Cf., pour un autre exemple du même genre de comparaison, Costa (2004a), p. 211–213, le propos prêté à R. ´Abbahu en TB Ta`an 7a qui affirme que « le jour des pluies est ‘plus grand’ que celui de la résurrection des morts. »

2.3 L’hospitalité comme devoir religieux

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faut-il voir dans l’opinion de Rav Dimi une réminiscence du débat classique, dans le courant rabbinique, entre la valeur respective de l’étude et celle des « actes », dont Rav Dimi ferait l’apologie. Quoi qu’il en soit, il est remarquable que l’hospitalité soit ici évoquée « en général » sans qu’il ne soit précisé qui en sont les protagonistes. Le passage se poursuit et débat d’un autre dilemme similaire : la réception de la shekhina, la « présence divine », doit-elle l’emporter sur l’hospitalité ? Rav Yehuda dit au nom de Rav : l’hospitalité (hakhnasat ´ore‫ۊ‬in) est aussi grande que la réception de la face de la shekhina (pene šekhina), comme il est écrit (Gn 18, 3) : « Et il dit : mon Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas ton chemin182. »

Pour soutenir son interprétation, Rav Yehuda fait référence à une compréhension figurée du passage de Genèse 18 : Abraham reçoit d’abord la shekhina, puis en prend congé afin de recevoir les trois hommes (l’interjection « mon seigneur » devant être ici comprise comme s’adressant à Dieu, afin de lui demander de patienter le temps qu’il reçoive ses invités183). Dans cette exégèse, l’hospitalité d’Abraham se dédouble : il reçoit d’abord la shekhina, puis les trois hommes, ce qui n’est aucunement mentionné par le texte biblique. Abraham congédie donc la shekhina pour recevoir ses invités184. Lachs observe sur ce texte que la mise à l’écart de la shekhina n’est pas considérée comme un affront : au contraire, « c’est en servant l’homme créé à son image que l’on honore Dieu au mieux185 ». Mais le raisonnement que présente le texte relève avant tout d’un certain pragmatisme : l’hospitalité concrète, susceptible de se présenter dans le cadre de la vie quotidienne (et en particulier, dans le contexte de la composition du texte), vaut autant, sinon plus, que la réception « abstraite » de la shekhina, qui se produit sans doute moins fréquemment186. Dans ces différents sujets, les avis des rabbins se distinguent par un certain pragmatisme : il serait absurde de laisser des invités à l’extérieur, faute de pouvoir faire de la place en raison du Shabbat, ou de refuser un hôte en raison de la 182 TB Shab 127a. 183 Il faut donc comprendre le verset dans le sens de : « Mon Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne pars pas, mais patiente le temps que je reçoive mes invités. » 184 De nombreux textes rabbiniques discutent cette question : certains (comme notre texte de TB Shab) comprennent qu’Abraham s’est adressé à la shekhina afin de lui demander de patienter. Une autre tradition (évoquée en TB Shev 35b et DER 4.4) pense toutefois que l’invitation d’Abraham est « profane », et qu’il s’est donc adressé à l’un des trois hommes. Dans ce cas, Abraham demande à l’un des trois hommes venus le trouver (à Michaël, qui se trouvait au centre, d’après Rashi ad TB Shev) de bien vouloir patienter le temps qu’il prenne congé de la shekhina. Le verset de Gn 18, 3 doit alors être compris de la manière suivante : « Seigneur [Michaël], si j’ai trouvé grâce à tes yeux, patiente le temps que je prenne congé de la shekhina. » 185 Lachs (1993), p. 83, ma traduction. 186 Encore que la présence de la shekhina soit parfois associée à un repas concret auquel prendrait part un disciple de sage. Cf. infra, p. 97, le texte de TB Ber 64a : la participation à un repas où se trouve un disciple de sage est comparée à la participation à la « gloire de la shekhina ».

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

shekhina. Pour ces deux exemples, le fait de dispenser l’hospitalité constitue effectivement un important devoir, susceptible de légitimer de légers écarts à la norme. 2.3.2 Conséquences symboliques de l’hospitalité Il est intéressant de constater que, dans la théologie des rabbins, l’hospitalité est volontiers associée à un système rétributif, promettant un mérite – plus ou moins important – à qui la pratique. Commençons par distinguer plusieurs aspects dans cette question : d’un côté (1), l’hospitalité se présente comme un devoir qui entraîne des conséquences immédiates ou différées187. De l’autre (2), une pratique exceptionnelle de l’hospitalité (c’est-à-dire plus généreuse que ce qui est obligatoire) est déclarée produire un surcroît de conséquences bénéfiques, à la fois immédiates et différées. Enfin (3), la négligence de l’hospitalité entraîne une sanction (elle aussi immédiate et/ou différée). Prenons ces différents cas dans l’ordre, en commençant par la question de la simple pratique d’un précepte, récompensée de manière immédiate ou différée. Le passage suivant de la Mishna sous-tend un développement sur l’hospitalité, quelque peu technique, mais important pour notre thématique : Quiconque pratique un seul précepte, on lui prodigue le bien, on lui prolonge ses jours, et il lui échoit la terre en partage. Mais quiconque ne pratique pas un seul précepte, on ne lui prodigue pas le bien, on ne lui prolonge pas ses jours et il ne lui échoit pas la terre en partage188.

Pour ce texte, il semble bien que la pratique d’un précepte (mi‫܈‬wa) porte à conséquence dans le monde présent (« on lui prolonge ses jours189 ») et dans le monde futur (« on lui prodigue le bien » et « il lui échoit la terre en partage190 »). Ce texte invite presque naturellement à une question de sens commun : faut-il réellement comprendre que l’exercice d’un seul précepte (mi‫܈‬wa ´a‫ۊ‬at), à l’exclusion de tous les autres, entraîne les conséquences positives décrites par le texte ? S’agit-il par ailleurs vraiment de n’importe quel précepte ? La Gemara commentant ce passage pose cette dernière question en observant une apparente contradiction avec une

187 Précisons bien que le principe de base reste toujours que toute pratique d’un devoir est rétribuée. Les textes semblant dire le contraire (Cf. M ´Avot 4.2 : la récompense d’une mi‫܈‬wah est la pratique d’une autre mi‫܈‬wah) visent plutôt à faire en sorte que la récompense ne soit pas recherchée pour elle-même et prônent une attitude désintéressée dans l’accomplissement des actions. 188 M Qid 1.10 (TB Qid 39b). 189 On en trouve des exemples concrets dans la littérature rabbinique, comme l’histoire de Benjamin le Juste (TB BB 11a), responsable du fonds de charité, dont la vie fut prolongée de 22 ans en raison de ses actions exemplaires. Sur un texte voisin (TB Qid 40a), Costa (2004b), p. 134 note que « le bien terrestre le plus élevé dans la perspective biblique est la longévité », ce qui implique que le prolongement des jours se rapporte sans ambiguïté au monde présent. 190 L’héritage de la terre représente la récompense des Justes. Cette idée est d’origine biblique (Cf. Is 60, 21) ; elle est développée dans la mishna du pereq ‫ۊ‬eleq (M Sanh 10.1).

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liste spécifique de préceptes (ce qui constitue en soi un style très fréquent dans la littérature rabbinique) empruntée à la Mishna : On objecte à ce sujet : « Voici les choses dont l’homme mange les fruits dans le monde présent et dont le principal se tient pour lui dans le monde futur (la`olam ha-ba´) et les voici : le respect de [son] père et de [sa] mère, la gemilut ‫ۊ‬asadim, l’hospitalité (hakhnasat ´ore‫ۊ‬in), et le fait d’apporter la paix entre un homme et son prochain, et l’étude de la Torah correspond à toutes191 ».

La citation de la Mishna (entre guillemets) constitue précisément la cause de l’objection : si un autre passage de la Mishna précise quels sont les commandements attendant rétribution dans les deux mondes, comment comprendre une règle générale enseignant que la pratique non spécifiée d’un seul précepte permet l’obtention d’une rétribution ? Le principe rétributif est cependant le même : il s’agit d’actions positives entraînant une récompense à la fois dans le monde présent et dans le monde futur. Remarquons pour l’instant que la liste rapportée en tant que citation dans notre dernier texte mentionne cinq devoirs (que couronne l’étude de la Torah) parmi lesquels figure explicitement l’hospitalité192. Il est possible de dégager ici trois structures différentes : (1) la pratique de n’importe quel précepte entraîne une récompense (Mishna du traité Qiddushin) ; (2) la pratique de quatre préceptes entraîne une récompense (versions de la Mishna Pe´a sans l’hospitalité) ; (3) la pratique de cinq préceptes, y compris l’hospitalité, entraîne une récompense (traité talmudique Qiddushin). La place de l’hospitalité est par conséquent, dans ce schéma, quelque peu annexe. Il existe cependant d’autres listes comme celle du passage suivant, qui soulignent l’importance de 6 actions : Rav Yehuda b. Shila dit au nom de R. ´Assi, [qui] dit au nom de R. Yoতanan193 : il y a six choses dont l’homme mange les fruits dans ce monde et dont le principal se tient pour lui dans le monde futur, et les voici : l’hospitalité (hakhnasat ´ore‫ۊ‬in), la visite des malades, la concentration dans la prière, la fréquentation matinale du bet ha-midrash, l’éducation « religieuse » des enfants, et le fait de [ne] juger son voisin que selon son mérite194.

Cette nouvelle énumération, bien qu’entraînant à nouveau une rétribution dans les deux mondes, et en dépit d’une introduction quasiment identique, ne correspond absolument pas à la liste de la Mishna Pe´a. L’absence de la mention de l’étude de la Torah est remarquable, tout comme la présence explicite (en première place) de l’hospitalité, dont la portée est d’ailleurs discutée par l’ensemble du contexte du passage. Dans ce dernier cas, il est probable que l’hospitalité soit mentionnée en raison du contexte textuel : comme nous l’avons vu, il s’agit de montrer que l’hospitalité peut justifier un léger écart à la loi du Shabbat ; il est dès lors impor191 TB Qid 39b. 192 L’hospitalité n’apparaît toutefois pas dans toutes les versions de la Mishna Pe´a : les mss. de Munich (95) et de Parme (3173) ne mentionnent pas l’hospitalité. Elle n’est pas non plus mentionnée dans les mss. de Munich (95) et du Vatican (110–111). Par ailleurs, le commentaire de Rashi n’évoque pas le cas de l’hospitalité. 193 L’amora palestinien du IIIe siècle. 194 TB Shab 127a.

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tant d’affirmer que l’hospitalité occupe une place significative dans la hiérarchie des devoirs195. La présence de l’hospitalité dans le texte du traité Qiddushin est plus difficile à expliquer. Puisque d’autres versions du texte ne mentionnent pas l’hospitalité, il est raisonnable de voir là une interpolation ultérieure, éventuellement influencée par le texte de Shabbat. Quoi qu’il en soit de ces questions techniques, il est tout à fait remarquable que dans ces différentes listes relatives au mérite gagné par la pratique de préceptes, l’hospitalité apparaisse aux côtés de commandements aussi centraux que le respect de ses parents ou l’étude de la Torah. Penchons-nous à présent sur le second type de récompense – le cas (2) évoqué au début de cette section : celle qui résulte d’un surcroît d’assiduité dans la pratique des devoirs, c’est-à-dire le « mérite » lié aux actions relevant du bon vouloir de l’agent (et non de l’obligation). C’est le terme zekhut qui désigne volontiers ce genre de « récompense ». Comme le note Neusner, « le terme communément employé de mérite ne convient pas ici, parce qu’il comporte le sens d’une récompense pour l’accomplissement d’une obligation […] Zekhut par contraste réfère communément à des actes surérogatoires librement consentis, ce pourquoi, même s’ils sont méritoires dans le sens qu’ils sont vertueux (par définition), ce ne sont pas des actes que l’on doit faire, mais que l’on donne196 ». Dans ce registre, la figure d’Abraham est volontiers citée en exemple : celui-ci a non seulement respecté toutes les mi‫܈‬wot avant même leur formulation, mais a de plus fait preuve d’un scrupule exemplaire dans l’accomplissement de ses devoirs. Ainsi, dans de nombreuses listes197, chaque geste d’Abraham – et en particulier, ses gestes relatifs à l’hospitalité – est relié à une triple rétribution, (1) dans le désert (ba-midbar), (2) pour l’établissement en terre d’Israël (beyiššuv) et (3) dans le temps futur (le`atid lavo´198). La récompense n’atteint pas Abraham lui-même, mais concerne plus généralement l’ensemble du peuple juif – principe souvent nommé zekhut ´avot, le « mérite » des patriarches. Les textes distinguent également les gestes de l’hospitalité accomplis par le maître de maison lui-même (Abraham) de ceux exécutés par l’intermédiaire d’un serviteur (´Eli`ezer199). 195 Cf. supra, p. 75. 196 Neusner (1992), p. 281, ma traduction. 197 Cf. les listes de T So৬ 4.1–6 (éd. Zuckermandel, p. 298–299), Gn R 48.10, TB BM 86b (Rav Yehuda au nom de Rav), TB BM 86b (R. ণama b. ণanina), Qo R 11.1, Nb R 14.2, Ex R 25, MdRY Beshallaত intro. (éd. Horowitz, p. 81), etc. 198 Cf. Torat ‫ۉ‬ayim (de R. Abraham ণayyim Shorr, XVIIe siècle) ad TB BM 86b, « En récompense de ces trois choses : que l’on ne pense pas qu’il s’agisse du pain et de la viande, car cela est la règle habituelle en matière d’hospitalité, mais Abraham est rétribué en récompense du supplément [d’hospitalité], parce qu’il s’est comporté aux limites de la justice (lifnim mišurat ha-din). » (cité dans TB, éd. Steinsaltz, BM, `Iyyunim, p. 374). L’expression lifnim mišurat ha-din exprime généralement l’idée d’une action positive librement consentie, et effectuée en plus du strict accomplissement des devoirs. Pour une discussion de cette expression, cf. Newman (1989) et Touati (1990), p. 16. 199 Cette question rejoint la thématique du šalia‫( ۊ‬l’intermédiaire) qui joue un rôle important dans certains édits halakhiques (cf. par exemple M Me´ila 6.1).

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L’idée de la zekhut ´avot, prêchée par les rabbins, peut donc précisément viser à réassurer le peuple du soutien de Dieu, qui ne manquera pas à sa tâche en raison des actions effectuées par les patriarches in illo tempore. Au niveau pratique, on conçoit aisément que l’idée d’une rétribution placée dans le futur permet d’expliquer l’injustice constatée dans le monde présent. Le raisonnement vaut pour les deux sortes de « mérites », qui visent dès lors à encourager une pratique particulièrement assidue des devoirs (et en particulier, de l’hospitalité) même en l’absence de résultats visibles ou de réciprocité. Dans certains cas (mais cela n’est pas systématique), et comme l’observe Schwartz, des propos à tendance édifiante, comme ceux encourageant la pratique désintéressée d’actions « positives », pourraient aussi témoigner d’une réalité sur laquelle les rabbins n’ont justement pas prise et qu’ils essaient de ramener dans leur sphère d’influence. Les « actions positives » recommandées en ces passages pourraient alors être comprises comme à l’avantage du groupe des rabbins200. Quoi qu’il en soit, l’hospitalité est bien intégrée à un système rétributif complexe, qui en rend la pratique d’autant plus pressante. Penchons-nous à présent sur la question des conséquences venant sanctionner le manque d’hospitalité. 2.3.3 Sodome : conséquences de l’inhospitalité Les conséquences de l’absence d’hospitalité sont exprimées de manière exemplaire au sujet de l’épisode de Sodome. Contrairement à la réinterprétation chrétienne de l’épisode qui se focalise sur l’élément sexuel, la littérature rabbinique associe d’abord l’anéantissement des Sodomites à leur inhospitalité. Dans la version rabbinique de l’épisode, la sanction est d’autant plus sévère qu’elle est double : immédiate (la catastrophe relatée en Genèse 19, 24) et différée. Selon la Mishna, les Sodomites n’auront en effet pas leur place dans le monde futur. L’interprétation relative à l’inhospitalité part d’ailleurs du texte suivant de la Mishna : Les hommes de Sodome n’ont pas part au monde futur, comme il est dit : « Et les hommes de Sodome étaient mauvais et excessivement pécheurs devant le Seigneur201. » Mauvais, dans ce monde-ci, pécheurs, dans le monde futur202.

Ce texte présente plusieurs difficultés, mais est nécessaire à l’explication de la Gemara qui en fait le commentaire et qui se focalise précisément sur la question de l’hospitalité. Le texte de la Mishna aborde la question sous un angle eschatolo200 Schwartz (2001), p. 229 : « [M]oralizing may be an attempt to compensate for lack of real control. » Schwartz évoque aussi l’exemple des règles enjoignant d’aider les pauvres, dont certains rabbins ont peut-être été les bénéficiaires (p. 229) : « Indeed, the Mishnah may be legislating here primarily for groups consisting of rabbis and their close followers, who lived mainly in cities, and for them the distribution of charity may have been less a redistributive than a publicistic strategy. » 201 Gn 13, 13. 202 M Sanh 10.3.

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gique, en insistant sur les conséquences futures des actions des hommes de Sodome. Il est d’abord important de s’interroger sur l’identité des Sodomites dans l’optique du texte. Il semble assez clair qu’ils sont considérés comme des « païens », en marge donc d’Israël. Pour Schiffman, ce simple fait, en lien avec la formulation de leur exclusion du monde futur démontrerait que les « païens » ne sont précisément pas exclus a priori du « monde futur203 ». Mais cette interprétation ne va pas sans poser plusieurs problèmes, et l’on peut tout aussi bien comprendre que seuls les Juifs « authentiques » ont droit au monde futur, les Juifs « déviants » et les « païens » en étant exclus par principe204. Par ailleurs, l’expression « ne pas avoir part au monde futur » peut comporter deux significations : il peut s’agir soit (1) de l’impossibilité de participer au monde futur (les méchants n’y entrent pas du tout), soit (2) d’y entrer, mais de ne pas y trouver de récompense (ce qui implique peut-être qu’ils y trouveront une punition205). Ces deux points de vue représentent deux courants de pensée : le premier refuse tout accès du monde futur aux méchants et le second destine ces derniers à une punition dans le monde futur dont l’accès ne leur est pas refusé. Il semble que notre texte soutienne plutôt cette seconde interprétation. Bien que ces questions techniques puissent paraître de moindre importance, elles comportent un intérêt certain dans le cadre de l’étude de problématiques identitaires. Comme le note Costa, « [l]e plan eschatologique serait […] le révélateur des véritables conceptions identitaires des rabbins206. » Le lien effectué par la Gemara avec la thématique de l’hospitalité dans la suite du texte nous paraît confirmer ce point. L’inhospitalité est en effet le comportement qui caractérise éminemment la population sodomite, à tel point que c’est manifestement cet élément (qui relève cependant de lacunes plus profondes) qui entraîne leur perte – dans le monde présent comme dans le monde futur. Il nous paraît que la perspective eschatologique reflète, en négatif (le cas présent) comme en positif (les cas étudiés précédemment) les enjeux identitaires à l’œuvre dans les pratiques sociales. Le texte suivant effectue une description détaillée du comportement des hommes de Sodome : Nos maîtres ont enseigné : les hommes de Sodome ne se targuent que du bien que le Saint, béni soit-Il, leur a généreusement prodigué, et qu’est-il écrit à leur sujet ? « La terre de laquelle sort le pain, mais qui est détruite en son sein comme [par] le feu, ses roches sont le gisement du saphir et des poussières d’or ; le rapace n’en connaît pas le chemin, et l’œil du faucon ne l’a pas contemplée ; les animaux sauvages ne l’ont pas foulée, et le lion n’y a pas passé207. » Il dirent : puisque [nous avons] la terre de laquelle provient le pain et les poussières d’or, pourquoi [accepterions-]nous les manières des passants, qui ne viennent auprès de nous que

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Schiffman (1985), p. 45–46. Cf. la démonstration de Costa (2009), p. 351–353. Cf. Costa (2004a), p. 248–249. Costa (2009), p. 353. Jb 28, 5–8.

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pour nous priver [de notre argent] ? Venez et faisons oublier la loi du pied (torat regel208) de notre territoire, ainsi qu’il est dit209 : « Il détourne le flot loin de son cours normal [sur] ceux qui ont oublié [la loi] du pied, ils errent loin des hommes, ils sont bannis210. »

Il semble que le premier texte de Job cité ici soit compris comme décrivant le territoire de Sodome avant sa destruction : la terre y était prospère, mais a essuyé – en raison du comportement impie de ses habitants – le feu divin de la destruction. En ce sens, le texte convient bien à la situation de Sodome et constitue une sorte d’anticipation par rapport aux causes de la destruction évoquées dans la suite. Le verset de Job 28, 4 est compris comme référant effectivement à l’anéantissement de la ville : le flot (na‫ۊ‬al) qualifie le fleuve de souffre et de feu, détourné par Dieu de son cours céleste pour être déversé sur les habitants de Sodome, « qui ont oublié la [loi] du pied » (c’est-à-dire, inhospitaliers) et qui seront pour cette raison éradiqués de l’humanité211. Le texte reste vague quant à l’identité des voyageurs auxquels les Sodomites refusent leur hospitalité : ceux-ci sont manifestement étrangers à la ville de Sodome, mais ne sont pas caractérisés plus précisément. La suite du texte (en araméen) présente une narration illustrant les propos de la baraita (en hébreu) que l’on vient de citer. Au niveau du contenu, le texte présente une inversion presque totale des lois d’hospitalité qui sont, par contraste, scrupuleusement observées par Abraham212. Il vaut la peine de se pencher sur ce texte, ne serait-ce que pour la saveur du récit : Ils avaient des lits sur lesquels ils couchaient les voyageurs ; s’il213 était [trop] long – ils le coupaient ; s’il était [trop] court – ils l’étiraient. ´Eli`ezer, le serviteur d’Abraham se trouvait par là. – Ils lui dirent : « Viens, et repose-toi sur un lit. » – Il leur dit : « J’ai fait [ce] vœu depuis le jour de la mort de ma mère : je ne me couche pas sur un lit214. »

Première transgression des lois élémentaires de l’hospitalité : celle-ci a un prix. On n’offre un lit qu’au prix d’une mutilation physique. Les Sodomites se distinguent par l’hypocrisie de leur proposition avenante. Faisant mine d’inviter le 208 Sur l’expression, cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 1449 : « the law for the protection of travelers, permission to trade », qui évoque une autre occurrence en MTa, Ex, Beshallaত 12 (éd. Warschau, p. 88). 209 Jb 28, 4. 210 TB Sanh 109a. 211 Tout le passage de Job 22 semble aussi volontiers interprété comme se référant à Sodome, ainsi qu’en témoigne le commentaire de Rashi ad Job 22, 16 (« Ils furent écrasés avant leur temps ; un fleuve se déversa sur leurs fondations »), qui explique ainsi le terme de « fleuve » (nahar) : « Le fleuve du déluge ou [le fleuve] de cendres et de feu de Sodome : il l’a fait se déverser sur leurs fondations. » 212 Sur la réinterprétation rabbinique de l’hospitalité d’Abraham, cf. l’ensemble du passage de TB BM 86b–87a. 213 I. e. le voyageur. 214 TB Sanh 109b.

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voyageur à se reposer, ils souhaitent le violenter. Rashi précise que c’était avec un couteau que l’on coupait l’hôte trop grand et que l’on l’étirait jusqu’à l’écartèlement215. Cet épisode évoque évidemment le mythe de Procruste, qui, de même, avait coutume de raccourcir ou d’étirer les visiteurs de passage chez lui, afin de faire correspondre leur taille aux dimensions du lit sur lequel il les forçait à s’allonger216. ´Eli`ezer ne s’y trompe pas : il refuse l’hospitalité des Sodomites en arguant habilement d’un prétexte. S’il se trouvait qu’il y avait un pauvre chez eux, ils lui donnaient chacun un denier, et leur nom y était écrit, mais ils ne lui offraient pas de pain ; quand il était mort – chacun venait et reprenait le sien217.

En second lieu, les Sodomites font preuve d’une générosité feinte, puisqu’ils récupèrent l’objet de leur don quand le voyageur est mort218. Ils ne donnent donc pas de pain ou de nourriture et laissent le pauvre mourir de faim. Selon la suite du texte, cette attitude misoxénique fait l’objet d’une politique concertée : Il fut ainsi décidé entre eux : quiconque invitait un homme à un banquet – on lui enlevait sa tunique. Un banquet se tenait précisément, et il se trouvait qu’´Eli`ezer passait par là, et ils ne lui donnèrent pas de pain. Comme il était venu pour manger, ´Eli`ezer vint, et s’assit à l’extrémité [du banc] où ils étaient tous. – Ils lui dirent : « Qui t’a invité ici ? » – Il dit à celui-ci [qui était assis auprès de lui] : « Tu m’as invité. » – [Il219 [se] dit : peut-être ont-ils entendu que je l’ai invité et ils vont enlever son habit à cet homme-ci220]. Celui-ci, qui était assis auprès de lui, prit son vêtement et courut dehors. Il [´Eli`ezer] fit ainsi avec tous jusqu’à ce qu’ils sortent tous, et il mangea lui-même le repas221.

De même que les Sodomites exercent une générosité factice à l’égard des pauvres, de même n’interdisent-ils pas formellement l’invitation d’un hôte à un repas, mais humilient celui qui y aurait convié un invité extérieur. À nouveau ce n’est pas par leur absence d’hospitalité que se distinguent les Sodomites, mais par une pratique pervertie et intéressée de celle-ci. Plus astucieux que ses hôtes, ´Eli`ezer détourne leur propre règle et finit par obtenir le repas pour lui seul. Le texte se conclut sur une dernière action imputée aux Sodomites :

215 Rashi, ad loc. 216 Cf. Halevy (1972), p. 24, qui renvoie à Plutarque, Vie de Thésée 1.11, Diodore de Sicile, Bibliothèque historique 4.59.5 et Apollodore, Epitome, 1.4 (les trois textes relatent la mort de Procruste/Damastès, tué par Thésée qu’il avait essayé de « raccourcir »). 217 TB Sanh 109b. 218 Le même principe est évoqué par R. Yehoshu`a b. Qorতa, un tanna de la seconde moitié du IIe siècle en PdRE 25 (éd. Warschau, p. 58b). L’ensemble du passage (éd. Warschau, p. 58b– 59b) se focalise sur l’inhospitalité des Sodomites. 219 Le convive assis auprès d’´Eli`ezer. 220 Euphémisme signifiant « moi-même ». 221 TB Sanh 109b.

2.3 L’hospitalité comme devoir religieux

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Il y avait une certaine jeune fille qui avait coutume d’apporter du pain pour un homme pauvre dans un vase. Cela fut révélé par hasard. Ils l’enduisirent de miel et la placèrent sur le toit des remparts ; il vint des abeilles et elles la mangèrent. C’est ce qui est écrit : « Et le Seigneur dit : le cri contre Sodome et Gomorrhe est grand (rabba222). » Et Rav Yehuda dit au nom de Rav : en raison de la jeune fille (riva223).

Une jeune fille, manifestement encore épargnée par l’esprit pervers de ses aînés, donnant à manger à un pauvre, se trouve elle-même condamnée à mort et qui plus est, d’une manière particulièrement pénible224. Tout cela fait de Sodome une noncivilisation régie par des lois iniques. L’explication terminologique de la dernière partie du texte, proposée par Rav Yehuda au nom de Rav (IIIe siècle, babylonien), renforce l’idée que c’est pour leur cruauté que les Sodomites subissent la sanction divine : c’est par le cas de la jeune fille (riva) que Dieu constate que l’iniquité de Sodome est « grande » (rabba) et décide pour cette raison de détruire la ville. Il est difficile de tirer des conclusions sociologiques ou historiques à partir de ce texte : sans doute faut-il considérer les Sodomites comme externes au peuple juif. Dans ce cas la perversion des institutions sodomites – il s’agit d’une démarche concertée et non de comportements individuels – pourrait bien être associée à une grande nation (par excellence, Rome ou l’empire perse), dont l’immoralité serait annonciatrice, pour certains rabbins, de la fin prochaine. Le récit viendrait ainsi souligner, par le motif de l’hospitalité, le caractère barbare, voire « animal » de ces civilisations, signe indicateur de leur déclin. Dans le même ordre d’idée, un tel récit peut comporter un aspect étiologique : malgré les injustices du temps présent, Dieu finira par punir les méchants, qui se caractérisent – et c’est un fait remarquable – par leur manque d’hospitalité. Observons par ailleurs que la morale de l’histoire revient finalement à encourager la pratique de l’hospitalité d’une manière générale, ce qui pourrait constituer un argument adressé à des milieux anti-juifs, visant à contrer l’accusation récurrente de xénophobie lancée aux Juifs. Schäfer évoque ainsi un épisode relatif aux iniquités de Sodome, composé par Flavius Josèphe225. Il pense que ce passage représente « la réponse juive à l’accusation de xénophobie et de séparatisme et dit à ses lecteurs grecs et romains : non seulement les Juifs ne sont pas xénophobes et ne se mettent pas à l’écart des autres, mais ils désapprouvent fortement ce ‘péché cardinal’ du comportement humain et l’ont combattu depuis les débuts de leur histoire226. » Similairement (et malgré l’écart temporel), notre texte pourrait bien viser à montrer qu’au sein du judaïsme, on réprouve strictement la xénophobie. On ne peut enfin exclure que la notion même de ville soit en cause : Lot habite la ville, par contraste avec Abraham qui est présenté comme un nomade et qui 222 Gn 18, 20. 223 TB Sanh 109b. 224 Ce dernier épisode trouve une correspondance en Gn R 49.6 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 504) : l’histoire, rapportée au nom de R. Levi (amora palestinien de la fin du IIIe siècle), d’une jeune fille en aidant une autre, et périssant brûlée par les Sodomites. 225 AJ 1.194 sqq. 226 Schäfer (1997), p. 172, ma traduction.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

est systématiquement valorisé pour son hospitalité. Aux yeux des Sages, l’espace de la ville est en effet fréquemment associé à l’immoralité alors que des espaces plus reculés, comme le désert, semblent plus propices à l’exercice des vertus227. 2.4 CAS PARTICULIERS Nous allons à présent examiner un certain nombre de cas particuliers, relevant de l’hospitalité considérée comme un devoir « religieux » et déterminés par des protagonistes ou par une situation spécifiques. 2.4.1 Rites de commensalité et banquets de ‫ۊ‬averim Commençons par nous pencher sur un type particulier d’hospitalité : celle offerte par une personne à plusieurs autres, à l’occasion d’un événement particulier. Nous allons traiter ici de la difficile question des repas pris en commun (ou des « banquets ») auxquels prennent part plusieurs invités228. Avant de poursuivre, il est nécessaire de noter que la question des banquets pose d’assez graves problèmes méthodologiques. D’une part, la littérature rabbinique relate plusieurs types de « repas communautaires », mais ne précise pas toujours qui en sont les protagonistes. D’autre part, les problèmes de datation affectant les textes sont ici particulièrement handicapants : on trouve des textes apparemment tardifs discutant de pratiques révolues, ou complètement adaptées à la sphère domestique, tout en conservant le vocabulaire des « repas communautaires » (par exemple, des textes babyloniens traitant des ‫ۊ‬averim). Enfin, il est difficile de distinguer dans ces pratiques ce qui relève des usages proprement romains229 et ce qui est plus spécifique au contexte rabbinique. Pour notre part, nous nous contenterons d’examiner quelques aspects du processus de réinterprétation de ces pratiques originairement réservées à des groupes limités, en nous focalisant sur les gestes associés à l’hospitalité.

227 Cf. Safrai (1994), p. 312 : « The sages opposed not only business and commerce, but also life in general in the polis. The polis in their view is synonymous with sin. » La question du rapport à la ville est cependant complexe et a pu changer sur la période de composition des textes rabbiniques. 228 La question des banquets est complexe, et l’on ne prétend pas en proposer ici un traitement approfondi. On se contentera de relever les aspects les plus importants pour ce qui concerne notre problématique. Sur le sujet en général, cf. Strack et Billerbeck (1924–1928), vol. 4.2, p. 611–639. 229 Sur les usages romains, cf. Stein-Hölkeskamp (2007) qui développe des thèmes (invitation, déroulement du repas, identité des invités, pratiques élitistes, etc.) relativement similaires aux nôtres.

2.4 Cas particuliers

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Il convient tout d’abord de distinguer deux sous-catégories : (1) se`uddat rašut et (2) se`uddat mi‫܈‬wa230. Le premier type qualifie un repas facultatif, qui n’est pas lié à une occasion religieuse particulière231. Le second désigne un repas « religieux » et formel, comme celui faisant suite à une circoncision ou à un mariage232. Le premier type de repas est évoqué par le texte suivant : R. Isaac dit : quiconque prend part à un repas facultatif (se`udda ha-rašut) ira finalement en exil, car il est dit233 : « Ils mangent les agneaux du troupeau, et les veaux de l’étable » et il est écrit234 : « C’est pourquoi ils iront en exil, à la tête des exilés235. »

L’ensemble du passage entourant ce texte n’est pas très clair. Trois sortes de repas paraissent en effet y être distinguées : la se`udda šel mi‫܈‬wa et la se`udda še´ena šel mi‫܈‬wa, ainsi que la se`uddat ha-rašut. Les deux premières catégories s’opposent sur leur caractère rituel ou « quotidien ». La dernière catégorie doit sans doute être comprise dans le sens de « facultatif », comme on l’a indiqué plus haut. Cette dernière acception pose toutefois un problème quant à l’interprétation de notre texte : pour quelle raison la participation à un repas « facultatif » pourraitelle « conduire en exil » ? Comme hypothèse de lecture, il convient peut-être de comprendre qu’en raison de son caractère plus libre, ce type de repas ne présente pas le formalisme rituel qui devrait caractériser un repas pris en commun – ce qui correspond bien à l’esprit du passage d’Amos cité à l’appui de l’assertion de R. Isaac ; ou qu’un disciple de sage pourrait courir, à cette occasion, le risque de côtoyer un `am ha-´are‫܈‬, dont le cas est examiné dans tout le passage – mais le texte est très général et semble édicter la règle à l’attention de quiconque et pas seulement d’un disciple de sage. Si l’on retient cette dernière interprétation, le texte pourrait être lu comme une exagération rhétorique, destinée à un public de rabbins236. Quoi qu’il en soit, il est clair que la fréquentation de ce type de repas, en tant qu’invité, et tout spécialement pour un rabbin, n’est pas encouragée. Dans d’autres cas toutefois, quand le repas relève de la se`udda šel mi‫܈‬wa, la participation d’un Sage est au contraire vivement recommandée. Mentionnons, dans le registre des repas formels, deux sujets distincts : les « banquets » aristocratiques de riches citoyens juifs et les « banquets de ‫ۊ‬averim ». Ces deux cas impliquent une relation d’hospitalité, puisqu’il y a toujours un maître de maison et des invités. 230 Me´ir, Ydit, « Se`udah » in EJ, vol. 14, p. 1194 évoque ces deux sortes de repas, en précisant que la première est « non-religieuse » et la seconde « religieuse ». Strack et Billerbeck (1924– 1928), vol. 4.2, p. 611 notent cependant : « Bei den zahlreichen Benediktionen, die im Verlauf eines solchen freiwilligen Gastmahles zu sprechen waren, trug aber auch dieses [se`uddat rašut] ein starkes religiöses Gepräge an sich. » 231 Cf. Heinemann (1962), p. 26. 232 Pour des éléments comparatifs sur les raisons présidant à l’organisation d’un banquet dans le contexte gréco-romain et dans la littérature juive, cf. Hezser (1998), p. 556–557. 233 Am 6, 4. 234 Am 6, 7. 235 TB Pes 49a. 236 C’est ainsi que Rubenstein (2005), p. 135–137 lit l’ensemble de la sugya.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

À plusieurs reprises, le Talmud de Babylone et d’autres documents237 évoquent la question de banquets tenus par des aristocrates de Jérusalem. Pour Klein238, ces aristocrates seraient issus de riches familles patriciennes, aux goûts très raffinés, et non de cercles « ultra-orthodoxes » respectant à la lettre tous les commandements relatifs à la pureté : « Ils proviennent des bonnes familles et correspondent à la classe aisée du peuple, car on les appelle également les ‘précieux’ ou les ‘notables’239 ». Habituellement nommés neqiye ha-da`at (« les purs d’esprit »), en raison de leur respect scrupuleux des règles de savoir-vivre, ces gens semblent avoir occupé d’importantes fonctions – notamment légales240 – dans la vie publique. Ces réunions, menées entre membres d’une même aristocratie, seraient à rapprocher de pratiques correspondantes auprès des élites romaines241. L’une des caractéristiques de ces rencontres réside dans un protocole relativement élaboré : ces aristocrates ne se rendaient à un repas que si l’invitation leur était réitérée le jour du repas242 ; le jour même, ils indiquaient par une marque vestimentaire qu’ils étaient invités, afin qu’on ne leur propose pas une autre invitation qu’ils auraient été contraints de refuser243 ; le maître de maison devait leur présenter le menu à l’avance, de sorte qu’ils ne soient pas contraints de manger un mets qui ne leur aurait pas convenu. S’il est difficile d’identifier à quelle réalité socio-historique précise se rapportent ces éléments, il est remarquable que les pratiques de ces cercles aristocratiques aient été reprises dans la littérature rabbinique tardive244 et que des règles relatives à l’hospitalité des particuliers en aient été inférées, avec l’approbation des rabbins245, qui, à l’occasion, se projettent dans le rôle de ces aristocrates246. D’un point de vue sociologique, il est intéressant de remarquer qu’une distinction

237 TB Sanh 23a, DEZ 5.2 (éd. Higger, p. 113) et Lam R 4.2 (éd. Buber, p. 141). 238 Klein (1926), p. 75–77. Cf. aussi Finkelstein (1962 [1938]), p. 16, qui indique qu’il s’agit là de riches patriciens de Jérusalem. 239 Klein (1926), p. 77, ma traduction. 240 Cf. TB Sanh 30a. 241 Sur l’hospitalité et les banquets à Rome voir, entre autres, Veyne (2000), Scheid (2005) et Rüpke (2005) qui souligne en particulier l’aspect aristocratique de ces pratiques (p. 228 sqq.). 242 Lam R 4.2 (éd. Buber, p. 141). Cf. Sperber (1990), p. 25. 243 Cf. sur la « fibule » servant à marquer cette distinction vestimentaire Sperber (1982), p. 272– 273. 244 Ainsi Sperber (1990), p. 26 : « It appears, then, that the special practices of these ‘pureminded’ individuals were adopted as norms of cultural behaviour, and thus became, in later times, the hallmark of the scholar. » 245 On trouve une opinion discordante, apparemment isolée dans la littérature rabbinique, à l’égard de ces cercles aristocratiques : le texte de TB Shab 62b semble en effet critiquer avec véhémence l’excès de préciosité des aristocrates Jérusalémites. Il s’agit peut-être d’une critique, formulée à une époque ancienne, et émanant de cercles plébéiens considérant avec mépris les coutumes maniérées de leurs congénères patriciens (ou doit-on comprendre qu’il s’agit de deux groupes différents d’aristocrates, les uns jugés positivement, les autres critiqués ?). 246 On en verra un exemple plus bas, dans le cadre de la question du rapport à un `am ha-´are‫܈‬, infra, p. 119.

2.4 Cas particuliers

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de « classe sociale » (aristocrates / plébéiens) s’est finalement réalisée en une distinction plus strictement socio-religieuse (rabbins / laïcs). Ces coutumes aristocratiques doivent être distinguées de pratiques émanant de cercles plus restreints, dont les protagonistes sont souvent décrits comme des « compagnons » (‫ۊ‬averim), exclusivement masculins, et se caractérisant par un respect scrupuleux de règles rituelles contraignantes. La question de la « réalité » des repas communautaires de groupes comme ceux des ‫ۊ‬averim est compliquée et controversée. Neusner estime que les textes faisant état de ce genre de pratiques (et en particulier, ceux de l’époque tannaïtique) sont exclusivement « théoriques » et qu’ils enseignent des règles de commensalité s’appliquant en fait au domaine de la maison247. Cette position est malheureusement difficilement vérifiable et va à l’encontre d’une lecture littérale de plusieurs témoins textuels (tels que le passage de la Tosefta discuté plus bas248). En raison de la complexité du sujet, et parce que celui-ci ne concerne qu’indirectement les pratiques d’hospitalité, nous ne prendrons pas position sur le problème. Tout comme un repas « régulier », un banquet cérémoniel commence par l’ablution des mains, la fraction du pain et la récitation de la ou des bénédiction(s) (qiddush, ha-mo‫܈‬i). Une grande attention est portée à ces différents éléments et à leur ordre respectif, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs la discussion fort complexe entre Bet Hillel et Bet Shammaï sur les bénédictions249. Le passage suivant, tiré de la Tosefta, décrit (et prescrit tout à la fois) quelques éléments du formalisme rituel d’un tel repas : « Quel est l’ordre du repas ? Les invités entrent et s’asseyent sur des tabourets et sur des chaises jusqu’à ce que tous soient rassemblés250. » Première étape donc : faire attendre les premiers arrivés, désignés par ´ore‫ۊ‬in, un terme général, même s’il s’agit manifestement de ‫ۊ‬averim. Ils ne sont pas encore attablés, mais attendent simplement assis. Le texte poursuit : [Quand ils sont tous rassemblés] on leur donne [de l’eau] pour les mains ; chacun se lave une main ; [quand] on leur a servi la coupe [de vin] : chacun récite une bénédiction pour soi. [Quand] on leur apporte des amuse-gueules, chacun récite une bénédiction pour soi. [Quand] ils sont montés [sur les lits], se sont accoudés et que [de l’eau] pour les mains leur est apportée, même si chacun s’est [déjà] lavé une main – on se lave les deux mains. [Quand] on leur a servi la coupe – même si chacun a récité une bénédiction sur la première – on récite une bénédiction sur la seconde. [Quand] on leur apporte des amuse-gueules, même si l’on a déjà ré-

247 Cf. notamment Neusner (1982), p. 535 : « Why do we find no stories of how the haverim gathered to eat and so-and-so happened or was said ? […] These facts point to one conclusion : the Pharisaic groups did not conduct table-fellowship meals as rituals. The tablefellowship laws pertained not to group life, but to ordinary, daily life lived quite apart from heightened, ritual occasions. The rules applied to the home. » Cf. aussi Neusner (1960), p. 142. 248 Pour une critique de la position de Neusner sur ce point précisément, cf. Sanders (1990), p. 321. 249 Cf. M Ber 8. 250 T Ber 4.8 (éd. Zuckermandel, p. 10).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

cité une bénédiction sur les premiers, on récite une bénédiction sur les seconds. Et [l’]un d’entre eux récite la bénédiction pour tous251.

Alors que chacun reste à sa place, on apporte de l’eau, pour l’ablution d’une main – celle qui servira à tenir la coupe – et du vin, qui exige la récitation d’une bénédiction individuelle. L’ablution des deux mains sera encore effectuée à table (quand les convives seront « couchés »), en plus d’une bénédiction cette fois collective. Le fait de s’accouder à table est manifestement considéré comme naturel à l’époque de la composition de ce texte. Cette pratique, héritée des Romains, est effectivement bien attestée dans les textes de l’époque tannaïtique, mais disparaîtra progressivement et se réduira à la tradition (diversement observée) de prendre le repas du Seder couché252. Le repas est donc conduit selon un formalisme extrême et la question de l’identité des protagonistes a finalement peu d’importance, étant donné que la réception se déroule exclusivement entre membres connus d’un même groupe. Cela ne revient toutefois pas à dire que tous les membres du groupe sont mis sur un pied d’égalité : au contraire, certaines règles détaillées décrivent un ordre de préséance et favoriseront en principe le doyen du groupe, ou simplement un « Ancien » (zaqen), à qui l’on offrira la possibilité de se laver les mains, et surtout, de se servir du plat en premier253. Par ailleurs, les lits sont généralement groupés par deux ou trois, ce qui correspond respectivement au biclinium et au triclinium romains. Au sein d’un groupe, trois sortes de lits sont distinguées : lectus imus, lectus medius, et lectus summus. Le placement sur l’un ou l’autre de ces lits n’est pas arbitraire, mais reflète au contraire les différents rôles et positions au sein du groupe254. Notons au passage que l’exclusion de la femme n’a de raison d’être que dans le contexte public de ces « repas cérémoniels » : il s’agit sans doute de ne pas troubler les esprits de la compagnie. La femme est en effet fréquemment considérée comme un facteur de « distraction », et un homme instruit devrait éviter de converser avec une femme qui n’est pas la sienne255. Dans la réinterprétation de ces textes au sujet de l’espace domestique des « laïcs256 », il n’y a cependant pas de raison justifiant la mise à l’écart de la femme : celle-ci assurera normalement le service du repas. L’ambivalence caractérisant la position de la femme n’est pas spécifiquement juive : on trouve des traces d’un débat quant à la légitimité de sa 251 T Ber 4.8 (éd. Zuckermandel, p. 10). 252 Sperber (1990), p. 68–69. Cf. aussi Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 44–45 et Stein (1957), qui établit une série de correspondances entre la se`udda juive et le symposium gréco-romain. 253 Cf. TB Ber 46b qui compare, au sujet de repas « communautaires », les règles d’« urbanité » des Perses à celles des rabbins, et qui avantage systématiquement la figure de l’Ancien. Sur les zaqenim à l’époque rabbinique, cf. Hezser (1997), p. 277–286. 254 Cf. Sperber (1990), p. 67, sur DEZ 6.3 (éd. Higger, p. 118) et T Ber 5.5. Sur la place d’honneur, cf. encore Hezser (1998), p. 560. Sur la configuration classique du triclinium, voir Schmitt-Pantel (2002), p. 808. 255 Cf. Ilan (1995), p. 126–127. 256 Cette réinterprétation apparaît clairement dans un code tel que le Sh`Ar. Cf. par exemple Sh`Ar Oণ, 170.12 pour une réinterprétation de la question de qui doit se servir en premier.

2.4 Cas particuliers

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présence lors de repas collectifs en de nombreux passages de la littérature grécoromaine257. Sur la question des éléments ritualisés de ces repas formels, on pourrait suggérer, avec Shimoff258, que les « banquets hellénistiques » représentaient un intérêt populaire fort et que les Sages ont été contraints d’en prendre acte. Ils se seraient alors appliqués à définir des cadres garantissant le bon déroulement de ce genre de repas au sein de leur mouvement259. Pour Shimoff, les rabbins n’auraient ainsi pas seulement toléré la pratique des banquets, mais les auraient investis d’un sens nouveau et en auraient même instamment recommandé la pratique. En ce sens, la formulation de certaines règles de commensalité relatives à la sphère domestique des « laïcs » aurait aussi été motivée par la nécessité de « ritualiser » des coutumes culturelles importées, dont la pratique ne pouvait être empêchée260. Hasardons-nous à un schéma historique général : dans la littérature ancienne, sont décrits des repas pris en commun, se distinguant plutôt par leur faste et leur protocole élaboré (un peu sur le modèle de banquets « hellénistiques ») ; parallèlement, on trouve mention de repas communautaires, ne concernant que certains cercles d’« élites » (comme les ‫ۊ‬averim) et se caractérisant par un respect très scrupuleux des règles de pureté. Les règles caractérisant ces deux types de repas auraient finalement influencé les coutumes du cercle des rabbins, qui en auraient à leur tour recommandé la pratique auprès des « laïcs ». La datation de ces processus est extrêmement complexe et il convient de distinguer les éventuels changements constatés au sein des textes, de la réalité historique. Quoi qu’il en soit, les règles « domestiques » relatives au déroulement des repas pourraient bien être issues de la double influence des repas « communautaires » et des repas « aristocratiques ». L’esquisse historique que l’on vient de proposer, bien que difficile à vérifier (et qui demanderait, pour être étayée, un important travail du côté des sources non-juives), rend toutefois compte du fait que les rabbins semblent toujours considérer d’un œil favorable les pratiques des ‫ۊ‬averim et des aristocrates, même si elles n’ont plus cours à leur époque. De nombreux textes se réfèrent en effet au formalisme des repas menés au sein de ces cercles spécifiques (y compris aux règles de comportement s’appliquant aux convives) et en tirent des leçons applicables à la vie quotidienne des « particuliers ». Ces pratiques se sont nécessairement simplifiées, d’autant que certains textes présupposent un cadre complexe,

257 Cf. Hezser (1998), p. 553 (et ses références), et p. 561. 258 Shimoff (1996). 259 Cf. Shimoff (1996), p. 444 : « [N]o other hellenistic practice was at once so culturally-attractive and so religiously-reprehensible. » 260 C’est, dans les grandes lignes, le raisonnement de Shimoff (1996), p. 444–447. La suite de son développement nous paraît plus difficile à vérifier : elle suggère que les descriptions rabbiniques des repas eschatologiques intègrent plusieurs aspects des banquets « païens », de manière à les rendre attractifs. Sa référence à TB Ta`an 31a (« The rabbis also provided for entertainment, a central feature of the Greco-Roman banquet, in their eschatological feast » [p. 448]) ne concerne cependant pas explicitement un « banquet eschatologique. »

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

peu compatible avec un espace domestique ordinaire, comme la présence de nombreux « serveurs ». Ajoutons que le rapport de ces pratiques à l’hospitalité a également évolué : les repas « communautaires » ou « aristocratiques » impliquent impérativement la présence d’un organisateur et de plusieurs invités, en principe répartis en sousgroupes. Il s’agit donc bien de pratiques liées à l’hospitalité. Dans l’adaptation de ces pratiques à la sphère domestique, le « groupe » peut se restreindre à la famille. Il ne s’agit plus nécessairement de recevoir des gens « de l’extérieur », ce qui n’empêche pas que des règles inspirées de celles des repas formels régissent également le protocole de la réception d’un invité au sein de la sphère domestique. 2.4.2 L’hospitalité entre rabbins, et entre « laïcs » et rabbins Les rabbins étaient souvent amenés à voyager pour des raisons professionnelles, comme la définition d’une année embolismique, la collecte d’un impôt, ou la communication de décisions légales261. Lors de ces déplacements, ils faisaient volontiers recours à l’hospitalité de leurs pairs. Le passage suivant décrit précisément une situation de ce type : « R. ণiyya le Grand262 alla à Darom et fut reçu par R. Yehoshu`a b. Lewi […] Quelque temps plus tard, R. Yehoshu`a b. Lewi alla à Tibériade et fut reçu par R. ণiyya le Grand263. » On conçoit sans peine que pour un rabbin, l’hébergement par un autre rabbin ou par un Juif « sympathisant » présente des garanties – relatives au logement et à la nourriture, sujets éminemment délicats comme on l’a vu – que n’offrent pas nécessairement d’autres types d’hébergement (comme l’auberge publique). Hezser264 observe en outre que les rencontres entre rabbins, se nouant le plus souvent autour d’un repas pris en commun, ont pu jouer un rôle significatif dans le cadre de l’organisation même du groupe des rabbins : celles-ci auraient contribué à structurer un réseau, constitutif du mouvement rabbinique lui-même265. Sivertsev est du même avis, et relève plusieurs passages de la littérature rabbinique palestinienne évoquant clairement la pratique d’activités « légales » au sein de maisons de particuliers, sans doute membres de l’aristocratie266. Bien qu’il ne soit pas aisé de déduire des observations historiques à partir de ces textes, il faut reconnaître que la littérature rabbinique présente de nombreux exemples de réceptions d’un rabbin

261 262 263 264 265

Cf. Hezser (1997), p. 170–171. Tanna de la fin du IIe siècle. Lam R 3.6. Hezser (1997), p. 228–230. Cf. Hezser (1997), p. 230–231 : « While Torah study is only rarely mentioned explicitly as the purpose of a meeting, all of these meetings could serve as occasions for discussing Scripture and for arguing over legal issues. » Cf. par exemple TY ণag 2:2, 77d, qui rapporte que deux hommes pieux résidant à Ashqelon avaient coutume de manger, de boire et de faire ensemble l’étude de la Torah. 266 Cf. Sivertsev (2002), p. 174 sqq.

2.4 Cas particuliers

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par un autre, ou par un « laïc », sans que l’objet de la visite ne soit toujours explicitement précisé267. D’une manière générale, la littérature rabbinique crédite d’un mérite spécialement important celui qui donne l’hospitalité à un Sage. Plusieurs textes – autant de l’époque tannaïtique que de l’époque amoraïque268 – décrivent la situation dans laquelle un rabbin recourt, pour son hébergement, aux services d’un « laïc ». Un célèbre passage du traité ´Avot et son commentaire dans les ´Avot de-Rabbi Nathan défend précisément l’idée que les particuliers « laïcs » ont pour obligation de recevoir des rabbins (et leurs disciples) chez eux, leur maison pouvant jouer le rôle temporaire d’une maison d’étude. Ainsi, « Yose fils de Yo`ezer [de Zereda269] dit : que ta maison soit une maison de rassemblement pour les Sages270 », ce qui est commenté : « Comment ? Cela enseigne que la maison d’un homme doit être assignée aux Sages, à leurs disciples et aux disciples de leurs disciples271. » La recension B des ´Avot de-Rabbi Nathan souligne la conséquence positive résultant d’un tel emploi de sa maison : non seulement la maison est « bénie », mais le maître de maison bénéficiera de la sagesse qu’il aura acquise au contact de ses invités. Le texte ajoute l’idée que les particuliers pourvoient ainsi aux besoins des Sages quant à la boisson et à la nourriture : À chaque fois que les Sages et leurs disciples entrent dans la maison d’un homme, la maison est bénie par leur mérite (ha-bayit mitbarekh bizkhutan). […] Un Sage dit à son compagnon : un tel me donne à manger et à boire. Non seulement il me procure [ma subsistance] mais il m’en fait cadeau272 !

Ces textes affirment clairement l’importance que revêt l’accueil d’un Sage, ce qui tient certainement à son rapport privilégié à la Torah, voire à sa capacité à l’incarner273. De surcroît, sa familiarité avec la Torah vaut au Sage un rang supérieur qui se marque clairement dans l’hospitalité : il dispose du droit de précé267 Relevons ici quelques-unes des références données par Hezser : T Beৢ 2.13–16 (R. ´El`azar b. ৡadoq qui rapporte que son père, R. ৡadoq avait partagé un repas avec Rabban Gamli´el), TY Ber 6:5, 10c (R. Yonah et R. Yose auraient pris part à une fête organisée par R. ণanina de `Entanaya), TY Ber 7:3, 11b (R. Ze`ira, R. Ya`aqov b. ´Aতa, R. ণiyya b. ´Abba et R. ণanina auraient mangé ensemble), TY Ber 8:2, 12a (l’arrivée de R. Ze`ira auprès de R. ´Abbahu à Césarée, qui l’invite à manger), TY Shevi 6:4, 37a (l’arrivée de Rabbi et R. Yose b. Yehuda à Acco, invités par R. Mana). 268 Cf. Hezser (1997), p. 171 qui évoque T MSh 3.18 (l’hébergement de Rabban Shim`on b. Gamli´el, R. Yehuda et R. Yose à Kezib, auprès d’un « maître de maison ») et Lam R 3.6 (l’hébergement de R. Yose à Bosra par Yose Resha). Ajoutons l’exemple de TY Sanh 7:11, 25d : un groupe de rabbins arrive à Rome et cherche à se faire héberger par des habitants juifs du lieu. 269 Selon la tradition, un sage du IIe siècle avant notre ère. 270 M ´Avot 1.5. 271 ARN A 6 (éd. Schechter, p. 27). 272 ARN B 11 (éd. Schechter, p. 27–28). 273 Cf. l’image quelque peu idéalisée que présente Koenig (1985), p. 17 : « These teachers were not rich in material goods […] but they did have Torah wisdom to offer, and so it was common for them to be invited into the homes of people who wanted to learn. In exchange for food and lodging they taught members of the household and their friends. »

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

dence sur son hôte274. Sans doute est-ce là, suivant le contexte historique, une pratique utile à la cause rabbinique, dans la mesure où la présence de maisons d’étude et d’« académies » est mal attestée dans le contexte palestinien des premiers siècles de notre ère275. Cette même idée apparaît également, et à plusieurs reprises, dans un texte talmudique apparemment d’origine tannaïtique276. Le contexte du passage est celui d’un « synode » ayant fait suite à la guerre de Bar Kokhba et aux persécutions d’Hadrien et qui aurait réuni les figures les plus éminentes de l’époque (à l’exception du naĞi Shim`on b. Gamli´el qui, selon la tradition, fuyait les persécutions romaines), à savoir : R. Yehuda, R. Neতemyah, R. Me´ir, R. Yose, R. Sim`on b. Yoতai, R. ´Eli`ezer fils de R. Yose le Galiléen et R. ´Eli`ezer b. Jacob. Le contexte géographique est moins clair : selon le texte du Talmud, le rassemblement aurait eu lieu à Yavneh, mais un passage parallèle277 évoque plutôt la cité d’´Usha278. Le passage rapporte les propos des différents Sages faisant l’éloge de l’hospitalité. Il s’agit en quelque sorte d’une « bénédiction » de départ prononcée par le groupe des rabbins et visant à remercier les habitants (d’´Usha ou de Yavneh) pour leur accueil. Ces propos visent aussi à enseigner une leçon générale sur l’hospitalité. Ainsi : Nos maîtres ont enseigné : quand nos maîtres sont arrivés sur le vignoble de Yavneh, il y avait là R. Yehuda, R. Yose, R. Neতemya, et R. ´Eli`ezer fils de Yose le Galiléen. Ils parlèrent et interprétèrent tous [des textes] en l’honneur de l’hospitalité. R. Yehuda, le plus important des orateurs en quelque endroit que ce soit, parla en l’honneur de la Torah et expliqua le texte : « Alors Moïse prit la tente et la dressa en dehors du camp279 ». N’avons-nous pas là un raisonnement a fortiori ? De même que [sur] l’Arche du Seigneur qui n’était jamais à une distance plus importante que 12 mil, la Torah dit : « Quiconque voulait consulter le Seigneur venait sous la tente d’assignation280 », combien plus cela s’applique-t-il aux disciples de Sages qui vont de ville en ville et de province en province pour [y] étudier la Torah281 !

274 Hezser (1997), p. 211. 275 Hezser (1997), p. 185 sqq. 276 TB Ber 63b. Il s’agit d’une baraita. Bien que celle-ci ne trouve pas de parallèle dans les documents palestiniens, Hezser (1997), p. 178 en fait usage comme témoignant potentiellement d’une situation palestinienne. 277 Cant R 2.17–2.18. 278 Cf. Oppenheimer, A’haron, « Usha, synod of » in EJ, vol. 16, p. 18 : « The parallel tradition in the Babylonian Talmud (Ber. 63b) states that the convention took place in Jabneh and not in Usha, but this does not seem to be correct, either in the light of historical circumstances and the conditions in Judea at that time, or from the context in the Babylonian Talmud itself, according to which R. Judah, who lived in Usha, was the host of the convention. » Mais Hezser (1997), p. 178 est d’un avis contraire. Elle pense que le texte de TB Ber est le modèle de Cant R, et qu’aucune preuve historique autre que le texte de Cant R n’appuie la théorie selon laquelle le Sanhédrin se serait effectivement déplacé à ´Usha. Les deux textes sont cependant tardifs, et ne sauraient être considérés comme des sources historiques fiables. 279 Ex 33, 7. 280 Ex 33, 7. 281 TB Ber 63b.

2.4 Cas particuliers

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Notons tout d’abord que cette introduction fait plutôt l’éloge des talmide ‫ۊ‬akhamim, les « disciples de Sages », eux-mêmes que de leurs hôtes proprement dits à Yavneh. La comparaison opérée par la citation du texte biblique est assez frappante : de même que le peuple d’Israël allait consulter Dieu sous la tente qui protégeait l’arche et qui était en dehors du camp (ce qui implique un déplacement), de même les disciples de Sages vont-ils de ville en ville et de province en province pour y étudier (et enseigner) la Torah. Bien qu’il soit délicat de tirer des conclusions historiques à partir d’un texte comme celui-ci, il s’agit peut-être là d’une situation faisant écho à une certaine réalité. Le texte se poursuit sur plusieurs éloges de l’hospitalité qui procèdent par un argument a fortiori. C’est toujours une démonstration « amoindrie » d’hospitalité qui est associée à une conséquence positive. Du coup, enchaîne le texte à chaque reprise, combien plus méritoire est une pratique « véritable » de l’hospitalité, telle que celle prodiguée aux tannaim par leurs hôtes (« laïcs ») de Yavneh (ou d’´Usha) : Ouverture de R. Neতemya282 à la gloire de l’hospitalité (´akhsanya) ; il interpréta [le texte suivant] : « Et Saül dit aux Quénites : allez, détournez-vous et retirez-vous de chez le peuple amalécite afin que je ne vous détruise pas avec lui ; car tu as fait une faveur à tous les enfants d’Israël283. » Et ces paroles ne sont-elle pas un raisonnement a fortiori ? [Si c’est là] ce que Jethro [a reçu, lui] qui ne s’est approché de Moïse que pour son propre honneur, combien plus celui qui reçoit un disciple de sage en sa maison, lui donne à manger, lui donne à boire et partage avec lui [l’usage] de ses biens [recevra-t-il284] !

La référence biblique ne fait pas réellement état d’une démonstration d’hospitalité, mais d’un simple « échange de bons procédés » : les Quénites auraient gagné le droit de ne pas être détruits en échange de l’aide que Jethro a prodiguée aux Hébreux lors de leur sortie d’Égypte285. L’aide de Jethro est donc assimilée à de l’« hospitalité », puisque c’est un raisonnement a fortiori qui est appliqué. Jethro n’aurait agi que pour sa propre gloire et pourtant, malgré le caractère intéressé de son aide, les Quénites – ses descendants, selon la tradition – ont été récompensés par l’intermédiaire de Saül. Ainsi, et pour suivre le raisonnement attribué à R. Neতemya, si même l’acte intéressé de Jethro a trouvé une rétribution, combien

282 Tanna disciple de R. `Aqiva, actif au milieu du IIe siècle et ayant survécu à la sédition de Bar Kokhba. 283 1 Sam 15, 6. 284 TB Ber 63b. Dans le texte plus ou moins parallèle de Cant R, R. Neতemya évoque le cas des Ammonites et des Moabites : de même que leur inhospitalité a été punie, de même l’hospitalité des habitants d’´Usha sera-t-elle généreusement récompensée. 285 Jethro est le beau-père d’origine madianite ou quénite (le texte biblique n’est pas unanime) de Moïse. Sur les liens entre Moïse et les Quénites, cf. Jg 1, 16, Jg 4, 11. L’épisode évoqué par le texte est sans doute celui d’Ex 18, 5–6 : Moïse, Aaron et les Anciens d’Israël s’approchent de Jethro qui leur offrira son hospitalité (apparemment, selon l’interprétation rabbinique du texte biblique, sans autre raison que pour sa « propre gloire »). Dans l’interprétation rabbinique du texte de 1 Sam, Saül comprend manifestement cet épisode comme une action positive effectuée à l’avantage de tout Israël.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

plus méritoire est l’hospitalité (´akhsanya) désintéressée des habitants de l’endroit offerte aux Sages. Cette opposition (« charité » intéressée / désintéressée) masque peut-être l’argument principal du texte : il s’agit bien de prêter assistance aux talmide ‫ۊ‬akhamim eux-mêmes, qui se comparent à Moïse (ce qui est tout à fait usuel : le nom de Moïse est fréquemment apposé à l’épithète rabbenu, « notre maître ») ou au peuple juif en son entier. Les Sages se présentent volontiers comme les représentants autorisés d’Israël (et du peuple juif286), même s’ils n’ont pas invariablement rempli cette fonction sur un plan historique. Il faut aussi souligner, dans ce texte, la conception particulièrement généreuse de l’hospitalité. Celle-ci ne se réduit pas à un repas et à un logement mais s’étend au partage des biens (nekhasim). On conçoit aisément que ce service a pu revêtir une importance capitale dans le contexte de la diaspora287. Suivent deux autres éloges de l’hospitalité, toujours adressées aux habitants de Yavneh, et respectivement prêtées à R. Yose (comparaison avec l’hospitalité des Égyptiens) et R. ´Eli`ezer fils de Yose le Galiléen, qui effectue une comparaison entre l’entretien de l’arche (contenant les rouleaux de la Torah), qui ne mange ni ne boit, et l’accueil d’un Sage, qui pour sa part mange et boit288. Ce raisonnement témoigne bien du fait que les Sages se considèrent volontiers – dans un sens presque littéral – comme la Torah personnifiée, comme l’incarnation même de la Torah289. La morale de l’ensemble du passage souligne finalement l’important mérite promis à quiconque accueille un Sage en sa demeure. Il est peut-être révélateur que les Sages aient simplement ressenti le besoin de composer de telles homélies, comme s’il n’allait pas de soi qu’ils soient invités par les habitants du lieu. Quelques textes laissent effectivement entendre que les Sages n’étaient pas toujours les bienvenus290. Peut-être doit-on considérer ce genre de récit à la lumière de l’hypothèse selon laquelle la corporation rabbinique serait relativement restée en marge de la population, au moins au cours des pre-

286 Cf. Stern (1994), p. 132–135. 287 Cf. par exemple le cas des na‫ۊ‬ote, ces rabbins s’étant déplacés à plusieurs reprises entre les communautés de Palestine et de Babylonie (à partir du IIIe siècle et jusqu’au milieu du IVe siècle), qui jouèrent apparemment un rôle non négligeable dans la communication (entre autres) de halakhot (cf. TB Gi৬ 9b) entre les régions de diaspora. Cf. à ce propos l’article d’Oppenheimer (2005a). 288 Le texte de Cant R rapporte d’autres versions des discours de R. Yose et R. ´Eli`ezer fils de Yose le Galiléen tout en y ajoutant les interventions de R. Me´ir, R. Sim`on b. Yoতai et R. ´Eli`ezer b. Jacob. 289 Cf. Neusner (1970), p. 1–5, qui relève notamment : « [The rabbi] was Torah, not merely because he lived by it, but because at his best he constituted as compelling an embodiment of the heavenly model, as did a Torah scroll itself. » (p. 3, l’auteur souligne), Neusner (1985), p. 385–386 et infra, p. 107. 290 Ainsi TY Shab 6:9, 8c (concernant Bar Qappara) ou TB Ber 60b–61a (l’histoire de R. `Aqiva, qui se voit refuser l’hospitalité au sein d’un village).

2.4 Cas particuliers

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miers siècles de notre ère291. Un propos apparemment plus tardif, placé dans la suite du texte et prêté à l’amora R. ´Avin le Lévite292 relève de la même logique. Le partage d’un repas avec un talmid ‫ۊ‬akham s’assimile à la réception de la présence divine : Et R. ´Avin le Lévite dit : quiconque a partagé un repas auquel participe un disciple de sage, c’est comme s’il a partagé la gloire de la shekhina, ainsi qu’il est dit : « Aaron vint, avec toutes les personnes âgées d’Israël, pour manger du pain avec le beau-père de Moïse, devant le Seigneur293. » Ont-ils mangé devant le Seigneur ? N’ont-ils pas mangé devant Moïse ? Mais cela t’enseigne que quiconque a partagé un repas auquel participe un disciple de sage, c’est comme s’il avait partagé la gloire de la shekhina294.

Le principe de ce texte est très similaire à celui, déjà évoqué au traité Shabbat295, qui faisait de l’hospitalité accordée à un disciple de sage une action supérieure à la réception de la shekhina. Dans les deux cas, c’est la dimension pragmatique qui l’emporte : la présence du Seigneur est la conséquence de la présence de Moïse. De même, la présence du Sage (une fois de plus identifié à Moïse) au sein d’un foyer suffit-elle à « sanctifier » un repas. L’idée d’un mérite particulier gagné par l’invitation d’un Sage est confirmée par un autre passage de la Gemara qui pousse la même logique plus loin encore : Quand on lui envoyait un cadeau de la part de la maison du naĞi296, R. ´El`azar297 ne l’acceptait pas ; et quand on l’invitait à un repas, il n’allait pas, et disait : le maître ne veut pas que je vive, comme il est écrit : « Qui hait les présents vivra298 ». Quand on lui envoyait un cadeau, R. Ze`ira ne l’acceptait pas ; mais quand on l’invitait à un repas, il allait, et disait : « Ils sont honorés par ma présence299. »

Sur la question de l’invitation à un repas, les avis de R. ´El`azar et de R. Ze`ira300 diffèrent donc légèrement : la logique du premier est quelque peu surprenante. Il infère du verset tiré du livre des Proverbes (« Qui hait les présents vivra ») la leçon symétrique : celui qui accepte des présents se condamne lui-même, d’où l’explication de sa réticence à accepter les propositions du naĞi – le représentant de la communauté auprès des Romains. Quant à R. Ze`ira, s’il accepte l’invitation qu’on lui propose, c’est paradoxalement par esprit de générosité, afin de faire ga-

291 Cette conception du mouvement rabbinique, qui tranche avec l’image idéale (de chefs des communautés juives) que les rabbins ont tendance à donner d’eux-mêmes est notamment défendue par Schwartz (2001), p. 103 sqq. 292 Amora palestinien de la fin du IVe siècle. 293 Ex 18, 12. 294 TB Ber 64a. 295 TB Shab 127a. 296 Il s’agit ici de R. Yehuda (II) NeĞiah, petit-fils de R. Yehuda ha-NaĞi, actif environ de 230 à 270. 297 Il s’agit sans doute de l’amora palestinien R. ´El`azar b. Pedat, actif dans le courant du IIIe siècle. 298 Prov 15, 27. 299 TB ণul 44b–45a (par. TB Meg 28a). 300 Amora palestinien de la fin du IIIe siècle.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

gner du mérite à ceux qui l’invitent301. Dans les deux cas toutefois, la position de celui qui donne est tenue pour « plus avantageuse » que celle du récipiendaire, quand ce dernier est un rabbin. En ce sens, les rabbins (ou du moins, certains d’entre eux) considèrent leur présence même comme un présent offert à qui les reçoit. Si l’on suit le raisonnement jusqu’au bout, le texte postule que le naĞi n’a pas la même valeur que le rabbin : dans le cas contraire, et selon le schéma de la réciprocité s’exerçant entre membres d’un même groupe (entre rabbins, par exemple), il aurait suffi que R. ´El`azar ou R. Ze`ira offrent un autre cadeau en retour. Il s’agit manifestement d’une critique, relativement sévère, du naĞi (en l’occurrence, R. Yehuda (II) NeĞiah, mais le texte peut aussi être lu « en général », sans être rapporté à une figure particulière), sur laquelle on sera amené à revenir plus loin302. Bien que l’invitation d’un rabbin puisse revêtir un caractère impératif – et qu’inversement, le Sage puisse penser qu’il possède un droit à l’hospitalité – celui-ci ne doit pas non plus profiter indûment de sa situation, sous peine d’attirer sur lui plusieurs sortes de malheurs. Le propos suivant, apparemment d’origine palestinienne est approuvé et commenté par des maîtres babyloniens303 : Nos maîtres ont enseigné : un disciple de sage (talmid ‫ۊ‬akham) qui multiplie les repas en tout lieu – à la fin, il détruit sa maison, fera de sa femme une veuve304, fera de ses jeunes enfants des orphelins, son savoir sera oublié305, de nombreuses querelles s’abattront sur lui306, ses paroles ne seront pas écoutées et le nom des cieux, le nom de son maître et le nom de son père seront profanés ; et il sera la cause d’un nom méprisé pour lui-même, pour ses enfants et pour les enfants de ses enfants jusqu’aux dernières générations. Quel est-il ? ´Abbaye dit : on l’appelle le maître du chauffe-four ; Rava dit : celui-qui-dansedans-les-caves307 ; Rav Pappa308 dit : celui-qui-lèche-les-assiettes. Rav Shema`yah309 dit : celui-qui-s’est-étendu-sous-[son habit]-et-s’est-couché [pour y dormir]310.

301 Sur l’expression araméenne qui clôt le texte, cf. Sokoloff (2002), p. 541 qui traduit : « They are honoured by me [i. e. my presence]. » Dans ce cas, R. Ze`ira se retrouve bien dans la position de celui qui donne : il fait cadeau de sa présence. 302 Cf. Levine (1987), p. 12 (et infra, p. 113). 303 TB Pes 49a. 304 Rashi, ad loc. : « ‘Il fait de sa femme une veuve’ – car il désire les plaisirs auxquels il est habitué, et c’est impossible pour lui [en restant chez lui] ; il erre [de repas en] repas, et sa femme vit une vie de veuve. » 305 Rashi, ad loc. : « ‘son savoir sera oublié’ – parce qu’il n’est pas occupé à revenir sur son étude. » 306 Rashi, ad loc. : « ‘De nombreuses querelles s’abattront sur lui’ – en conséquence du fait qu’il a oublié son savoir, ou des dettes qu’il a contractées pour profiter de ces repas. » 307 Rashi, ad loc. : « ‘celui-qui-danse-dans-les-caves’ – à la manière des bouffons, qui font rire et qui dansent dans les tavernes, pour les faire boire de leur boisson. » 308 Amora babylonien (300–375 environ), disciple d’´Abbaye et Rava, actif à Naresh (à proximité de Sura). 309 Un amora babylonien. 310 Rashi, ad loc. : « ‘celui-qui-s’est-étendu-et-couché’ – il s’est enveloppé dans son vêtement, et est tombé endormi, à la manière de ceux qui ont trop bu ; il n’a pas pu rentrer à sa maison

2.4 Cas particuliers

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Le rabbin « déchu » dont il est ici question a pris goût à la multiplication des repas : il ne recherche plus l’hospitalité par simple nécessité, mais se plaît à profiter des repas des autres dans un but hédoniste. Il se comporte ainsi de manière contraire à ce que l’on attend de lui (à savoir, assurer le bien-être de sa maisonnée, s’occuper de ses enfants, cultiver sa connaissance de la Torah, être porteur plutôt de la paix que de la discorde, et préserver l’intégrité de son nom). Par rapport aux textes vus précédemment – qui édictaient une recommandation à l’attention des « laïcs » – ce passage s’adresse plus spécifiquement au groupe des rabbins. De manière similaire, le propos suivant prêté à R. Shim`on b. Yoতai condamne la participation d’un Sage à un repas dépourvu de « caractère religieux » : Il est enseigné que R. Shim`on a dit : tout repas qui n’est pas en lien avec une action « religieuse » (kol se`udda še´enah šel mi‫܈‬wa) un disciple de sage ne doit pas en profiter311.

La formulation même de pareilles mises en garde au sein de la littérature rabbinique fait sûrement écho à des cas concrets312, et relève de l’auto-critique rabbinique visant à préserver l’intégrité du rang de rabbin en dépit du comportement inconvenant de certains membres de la corporation313. 2.4.3 L’hôte reçu est un étudiant ou un voyageur Sur la question de l’accueil d’un « étudiant » (talmid), il convient de distinguer deux cas principaux, selon que (1) l’hôte qui reçoit est le maître de l’étudiant (ou un rabbin que l’étudiant est venu trouver), ou (2) si celui qui reçoit est simplement un laïc. Le premier cas est décrit par une autre interprétation du passage du traité ´Avot évoqué dans la section précédente. Dans cette situation particulière, bien que le Sage doive réserver un bon accueil à ses disciples, ces derniers sont tenus de témoigner ostensiblement de leur statut hiérarchiquement inférieur : ne s’asseoir que sur le sol, et écouter de manière recueillie les paroles de leur maître. Ainsi du texte suivant, qui s’adresse manifestement à un Sage (ou au moins, à une personne susceptible d’enseigner) : « Que ta maison soit une maison de réunion pour les Sages. » De quelle façon ? Quand un disciple de sage vient chez toi et te demande : enseigne-moi, s’il est en ton pouvoir de lui enseigner, enseigne-lui ; sinon qu’il parte immédiatement. Qu’en ta présence il ne s’assoie ni

pour se coucher sur son lit. Mais à la place, il s’est enveloppé dans son vêtement et s’est endormi. » 311 TB Pes 49a. 312 Mentionnons le cas de R. ´El`azar b. `Arakh (seconde moitié du Ier siècle de notre ère) qui, selon la tradition, aurait pris goût aux pratiques hédonistes des habitants de Perugitha et de Diosmith, et dont la connaissance de la Torah aurait disparu (TB Shab 147b). Voir aussi l’exemple de R. ´Elisha b. ´Avuya (IIe siècle), surnommé ´Aতer (« l’autre ») et examiné par Green (1985), p. 59–68. 313 Sur l’auto-critique juive, cf. les remarques de Siegert (1993), p. 38.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

sur un lit, ni sur un banc, ni sur un tabouret, qu’il s’assoie plutôt en ta présence à même le sol314.

Les disciples doivent par conséquent faire preuve par leur comportement d’allégeance à l’égard de leur maître. Des éléments simples, comme la qualité du siège, reflètent clairement l’asymétrie de la relation. Comme le note Hezser, il est probable que maîtres et disciples aient régulièrement partagé des repas, le plus souvent préparés par un disciple pour son maître : « Alors qu’ils préparaient sans doute des banquets ou symposia pour leurs disciples lors d’occasions particulières seulement, les maîtres ont certainement partagé leurs repas réguliers de manière relativement fréquente. Les disciples qui servaient à manger à leurs maîtres prenaient peut-être leur repas quand leurs maîtres avaient fini le leur315. » Hezser rapproche ce schéma de celui des relations de patronage, entre patronus (le rabbin) et clientes (les disciples) dans l’Antiquité : le prestige dont jouissaient certains rabbins a pu favoriser le développement de pareilles relations, avec des disciples ou avec des « sympathisants » du mouvement rabbinique316. Dans le second cas, quand l’accueillant est un « laïc », le rapport s’inverse : en raison de son savoir (ou au moins du désir d’apprendre qu’on lui suppose), l’étudiant doit être reçu avec des égards. Les devoirs de l’hospitalité et de l’étude – que l’on favorise en rendant possible le déplacement d’étudiants – se trouvent par conséquent « combinés ». Les textes envisagent usuellement ce cas dans le cadre du Shabbat317. Abordons-le donc également sous cet angle et commençons par relever un apparent paradoxe : selon la prescription biblique, le jour du Shabbat devrait en principe se célébrer chacun chez soi318, ce qui paraît exclure le cas d’une personne n’étant pas « chez elle », et partant, d’un étudiant ayant voyagé. Un argument faisant intervenir l’hospitalité (au moins le repas pris en commun) apporte une réponse à cette question : on sait que des foyers individuels peuvent être considérés comme appartenant à un même domaine de manière à élargir le territoire sur lequel il est possible de se déplacer et de transporter des objets lors du Shabbat. Un principe reconnaît en effet dans le repas pris en commun le centre de la sphère privée, quelles que soient les personnes participant au repas, qu’elles appartiennent ou non à la famille : c’est là le procédé du `eruv. Il est ainsi possible d’organiser un repas fictif auquel tous les habitants d’une communauté seront conviés, de manière à transformer l’ensemble du territoire concer-

314 ARN A 6 (éd. Schechter, p. 27). Le passage d’ARN B 11 (commentant le même texte) étend le principe en prescrivant le même comportement de modestie (s’asseoir par terre, écouter les paroles du Sage) au maître de maison recevant un Sage en sa maison. 315 Hezser (1997), p. 336, ma traduction. 316 Hezser (1997), p. 329 sqq. Sur les disciples servant leur maître lors d’un repas pris en commun, cf. aussi Hezser (1998), p. 562. En contexte romain, la relation d’hospitalité est déclarée similaire en importance à celle unissant cliens et patronus. Voir Aulu-Gelle, Nuits Attiques 5.13, qui place l’hospitalité directement après la relation de patronage. 317 Cf. par exemple TY Shab 16:4, 15d, qui laisse entendre qu’il est habituel et recommandé de recevoir des hôtes à sa table lors du Shabbat. 318 Ex 16, 29 : « Qu’aucun homme ne sorte de chez lui le septième jour. »

2.4 Cas particuliers

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né par la communauté en « espace privé319 ». Typiquement, un groupe de maisons comprenant une cour intérieure320 pourra être considéré comme un seul espace privé, ce qui aura notamment pour effet de permettre les déplacements d’objets dans cet espace321. Ce procédé est lié à une conception de l’espace « privé » perçu comme un espace sacré par excellence. En ce sens, l’hospitalité dispensée lors du Shabbat répond aussi à une nécessité d’ordre théologique : elle confère un foyer à un voyageur qui n’est pas chez lui. Le fait de l’inviter en fera un membre provisoire de la maisonnée. Comme le note Neusner, « des gens qui partagent un repas en commun – même en théorie – sont considérés comme une unité sociale, un foyer étendu, qui est composé des domaines de tous ses adhérents322. » La simple participation à un repas (et en particulier, l’hospitalité) a donc pour conséquence de déplacer la limite entre privé et public, et de faire temporairement des convives extérieurs les membres d’une même maisonnée323. Parallèlement à l’invitation d’un hôte chez soi, le cas de l’hébergement de voyageurs (peut-être des étudiants) dans une pièce de la synagogue324 est prévu par le Talmud. Cette pratique se trouve en filigrane du débat que présente le passage suivant : Ces gens qui ont fait le qiddush à la synagogue, Rav a dit : pour le vin – ils n’ont pas rempli leur devoir, [mais] pour le qiddush, ils ont rempli leur devoir. Et selon Samuel : pour le qiddush non plus ils n’ont pas rempli leur devoir. Mais selon Rav, pourquoi a-t-on besoin de réciter le qiddush dans sa maison ? – afin d’en acquitter ses enfants et les membres de sa maisonnée. Et Samuel [dit] : pourquoi ai-je besoin de réciter le qiddush dans la synagogue? Pour acquitter les hôtes de leur dette, car ils ont mangé, bu et dormi dans la synagogue. Et ainsi Samuel suit sa pensée, car Samuel dit : il n’y a de qiddush que dans un lieu [où l’on consomme un] repas325.

319 Neusner (2004 [1999]), p. 137 observe que ce procédé « gives a new definition for ‘household’, one that removes the household from the profoundly material framework in which it functions as the smallest whole building block of the social order ». 320 Il s’agit là d’un modèle architectural assez typique des habitations antiques : cf. « Architectures and Architects » in EJ, vol. 3, p. 336, « Most houses were built around a central courtyard that opened onto the street. » Ce type d’habitation peut certainement être rapproché des insulae romaines, plutôt destinées aux familles modestes, au contraire de la domus. Cf. Pauly (1894–1980), vol. 9.2, p. 1593–1594 et Hezser (1998), p. 506–507 ; 528–529 ; 533. 321 M `Er 3.1–8. Cf. Neusner (2004 [1999]), p. 138 (qui résume le principe au moyen de la formule ubi pane, ibi domus). Le procédé des `eruvin, détaillé dans le traité de la Mishna du même nom, est excessivement complexe. Les quelques indications données ici sont très simplifiées. 322 Neusner (2004 [1999]), p. 142, ma traduction. 323 Notons au passage que ce principe rappelle l’idée de la communitas de Turner (Turner (1997 [1969]), p. 132) : le Shabbat est l’occasion d’une communauté « spéciale », régie par des règles propres, ne correspondant pas au régime de la vie quotidienne. 324 Sur la question de la synagogue à l’époque talmudique, cf. Schwartz (2001), p. 215–239. 325 TB Pes 100b–101a.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

Pour Rav326, le qiddush – une prière de consécration du Shabbat – effectué à la synagogue suffit à s’acquitter de son devoir, ce qui pourrait laisser penser que l’on n’est pas tenu d’effectuer à nouveau le qiddush chez soi. Pour Samuel, au contraire, le qiddush effectué à la synagogue n’est d’aucune utilité pour le devoir « domestique » du qiddush. Il convient dès lors d’expliquer, dans l’optique de Rav, pourquoi il convient tout de même d’exécuter un qiddush chez soi ; dans l’optique de Samuel, en quoi le qiddush à la synagogue est nécessaire. Ces deux points sont développés par le texte : Rav explique que le qiddush doit être répété chez soi en raison des membres de la maisonnée qui n’ont pas été à la synagogue. L’explication symétrique de Samuel comporte un lien avec la problématique de l’hospitalité : s’il est important de réciter le qiddush à la synagogue, c’est pour en acquitter ceux qui y sont peut-être logés, selon le principe que le qiddush doit être dit dans un lieu où l’on consomme un repas. Cela implique que pour ce texte au moins, la synagogue n’est pas seulement conçue comme un lieu de rassemblement : on peut y loger un ou des voyageurs. Même si cet usage de la synagogue fait l’objet d’une interdiction dans la Tosefta327, il semble bien qu’il s’agisse là d’un fait historique, et peut-être l’interdiction de la Tosefta vise-t-elle justement à contrecarrer des pratiques « populaires » dont les textes plus tardifs n’ont pu que prendre acte328. Les recherches archéologiques entreprises à la synagogue de Dura-Europos (Syrie, autour du IIIe siècle) ont d’ailleurs mis à jour une pièce qui semble destinée à la réception de visiteurs de passage329. Il est concevable que les hôtes ainsi hébergés dans l’espace de la synagogue étaient des étudiants ou des rabbins voyageant dans l’exercice de leur fonction330. Les deux cas envisagés ici – la réception d’un étudiant ou d’un voyageur pour le jour du Shabbat et la possibilité de loger dans la synagogue – témoignent d’une perception particulière de l’espace, propre à la situation des communautés juives d’après 70 : l’espace extérieur, public, est par définition l’espace étranger, majoritairement occupé par les « païens ». L’espace « sacré » est par excellence l’espace domestique des particuliers, éventuellement l’espace de la synagogue331. Il est 326 Rav et Samuel sont deux amoraim babyloniens du début du IIIe siècle. 327 T Meg 2.18 (éd. Zuckermandel, p. 225) interdit de dormir et de manger dans une synagogue. 328 Cf. Levine (1987), 12–13. En TY MQ 2:3, 81b, R. Yoতanan est dit avoir mangé dans une synagogue. TY Ber 2:9, 5d (=TY Shab 1:2, 3a) rapporte par ailleurs que R. Yasa et R. Shmu´el b. Isaac auraient mangé dans une synagogue. 329 Kraeling (1956), p. 10–11. 330 Cf. toutefois Koenig (1985), p. 17 : « It is clear that in the Hellenistic world of the Diaspora at least they [the synagogues] functioned as houses of hospitality for Gentiles who wished to become proselytes or simply learn more about judaism. » Koenig renvoie notamment à Ac 13, 42–52 ; 14, 1 ; 16, 13–15 et 17, 1–4 qui semblent en effet témoigner de cet usage de la synagogue. 331 Cf. Stroumsa (2005), p. 157 qui montre ce point pour les communautés juives et chrétiennes, confrontées au paganisme romain : « Pour les Juifs comme pour les chrétiens, le domaine public est celui de la Rome païenne, alors que la religion vraie, fondée sur la conscience individuelle […] reste du domaine privé […] puisque les sacrifices sont abolis. »

2.4 Cas particuliers

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remarquable que ce soit la consommation d’un repas qui caractérise finalement l’espace « privé », à la fois dans le cas des `eruvin et dans le cas de la discussion sur le qiddush. Ces différents éléments confèrent à l’hospitalité une importante portée sociale. Celle-ci resserre les liens sociaux aussi bien au sein d’un foyer « domestique », qu’auprès d’une communauté « institutionnalisée ». 2.4.4 Hospitalité et sacrifices Achevons notre examen de différents cas particuliers de l’hospitalité en revenant sur une série d’analogies entre les règles relatives au service du Temple, et notamment aux sacrifices, et les règles s’appliquant au domaine de la maison. Peuton dégager un schéma similaire dans nos textes ? Est-il possible de discerner des liens entre la pratique des sacrifices au Temple et celle de l’hospitalité ? Les textes transposent-ils des pratiques d’un contexte à l’autre et confèrent-ils une portée rituelle à l’hospitalité ? Afin d’examiner ces questions, il conviendrait idéalement de se pencher sur les pratiques sacrificielles au temps du second Temple et de comprendre leurs différentes fonctions, avant de montrer comment celles-ci ont été réinterprétées par les Sages, et de se demander si l’hospitalité reprend ou non certaines de ces fonctions. Si un examen détaillé de la question des sacrifices dépasse largement le cadre de ce travail, il est utile de donner quelques indications sommaires. On peut distinguer en première approximation trois sortes de sacrifices332 : (1) les sacrifices d’expiation, visant à compenser les fautes involontaires (‫ۊ‬a‫ܒܒ‬a´t, ´ašam) ; (2) les sacrifices visant à établir et réaffirmer périodiquement le contact avec la divinité (comme `ola, min‫ۊ‬a333) – et dans cette catégorie peut aussi être rangé le sacrifice quotidien tamid, effectué matin et soir au Temple ; (3) les offrandes votives (nedava, šelamim, zeva‫( ۊ‬ha-)toda), facultatives. Tous ces sacrifices se pratiquent de manière exclusive au Temple de Jérusalem et se sont soudainement interrompus à sa destruction. C’est sur cette base que le mouvement rabbinique a dû élaborer des pratiques de substitution, en particulier pour le cas des sacrifices d’expiation dont l’absence pose un problème théologique crucial : n’est-il simplement plus possible d’expier les fautes involontaires du peuple d’Israël ? Dans le passage suivant des ´Avot de-Rabbi Natan, c’est la pratique d’actes charitables (gemilut ‫ۊ‬asadim) – au nombre desquels est comptée l’hospitalité – qui reprend le rôle expiatoire jadis assumé par les sacrifices. Le texte commente

332 Ces indications sont principalement tirées de Levine (1974) et de l’article collectif « Sacrifice » in EJ, vol. 14, p. 599–605. 333 C’est là l’interprétation de Levine (1974), p. 26.

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un célèbre passage du traité ´Avot, la déclaration prêtée à Shim`on le Juste334 au sujet des trois piliers sur lesquels repose le monde335 : Une fois, Rabban Yoতanan b. Zakkai336 sortit de Jérusalem et R. Yehoshu`a [son disciple] le suivit, contemplant le Temple détruit. Malheur à nous, s’écria R. Yehoshu`a, car le lieu où les fautes (`avonotehem) d’Israël étaient expiées est détruit ! [Rabban Yoতanan b. Zakkai] lui dit [alors] : mon fils, ne sois pas affligé, nous avons une autre expiation qui est comme celle [du Temple]. Laquelle ? C’est la gemilut ‫ۊ‬asadim, car il est écrit337 : « Car j’aime la générosité (‫ۊ‬esed) et non les sacrifices338. »

Sans doute ce texte est-il plus tardif que ce que la mention de Rabban Yoতanan b. Zakkai pourrait laisser penser339, et met dans la bouche du maître des mesures de substitution relevant d’une théologie rabbinique élaborée ultérieurement, peut-être afin de leur conférer une autorité supérieure. Quoi qu’il en soit, le texte défend l’idée qu’une pratique assidue de la gemilut ‫ۊ‬asadim, à laquelle peut être rattachée l’hospitalité, remplace les sacrifices d’antan. Un principe de substitution similaire apparaît au sein de plusieurs textes apparemment postérieurs, comme le passage suivant, qui met l’accent non pas sur les actions charitables, mais sur l’étude de la Torah : Resh Laqish dit […] : celui qui s’adonne à l’étude est considéré comme s’il avait offert un holocauste (`ola), une oblation (min‫ۊ‬a), un sacrifice expiatoire (‫ۊ‬a‫ܒܒ‬a´t) et un sacrifice de culpabilité (´ašam340).

Dans ce propos prêté à Resh Laqish (début du IIIe siècle), l’étude de la Torah341 constitue un moyen de substitution efficace des principaux sacrifices obligatoires qui étaient effectués au Temple (on remarquera l’absence des šelamim et de la zeva‫( ۊ‬ha-)toda, les sacrifices « volontaires », dans la liste de Resh Laqish). Pour ce texte, l’étude, aussi obligatoire que les sacrifices d’antan, représente un palliatif durable au problème des expiations. Mais il ne s’agit là que d’un point de vue qui ne fait pas l’unanimité au sein des textes. Le jour de Kippour, la mort d’un Juste, ou le fait même de l’Exil sont reconnus comme autant de moyens de substitution

334 Pharisien et grand prêtre, antérieur à la tradition des zugot (env. -300). Cf. Neusner (1971), vol. 1, p. 24–59. 335 M ´Avot 1.2 (tr. Smilévitch, p. 25) : « Siméon le Juste, un des derniers hommes restant de la Grande Assemblée, disait : Le monde tient sur trois choses : sur la Torah, sur le service [du Temple] et sur la prodigalité [gemilut ‫ۊ‬asadim]. » 336 Selon la tradition, Rabban Yoতanan b. Zakkai aurait joué un rôle important dans la réorganisation du judaïsme d’après la destruction du Temple et le transfert d’un certain nombre d’activités rabbiniques à Yavneh. 337 Os 6, 6. 338 ARN A 4 (éd. Schechter, p. 21). 339 Les ´Avot de-Rabbi Nathan sont en effet un document d’origine relativement tardive. Cf. supra, p. 28. 340 TB Men 110a. 341 Cf. aussi Stroumsa (2005), p. 121–123.

2.4 Cas particuliers

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valides342. Le passage suivant met à nouveau l’accent sur les actions charitables, et mentionne explicitement l’hospitalité : « Qui passe régulièrement (tamid) chez nous343. » R. Yose fils de R. ণanina dit au nom de R. ´Eli`ezer ben Ya`aqov : quiconque reçoit un disciple de sage (talmid ‫ۊ‬akham) en sa maison et lui fait profiter de ses biens – l’Écriture le lui compte en sa faveur comme s’il avait présenté les offrandes perpétuelles (temidin344).

Même si c’est la prière quotidienne, tefilla, qui est plus généralement tenue pour un substitut du sacrifice tamid345, ce propos prêté au tanna R. ´Eli`ezer b. Ya`aqov346 établit un lien manifeste entre l’hospitalité individuelle et le sacrifice, lien « prouvé » par la double signification du terme tamid : « constamment » ou « l’offrande perpétuelle ». Il ne s’agit cependant pas de l’hospitalité offerte à quiconque, mais seulement de la réception d’un disciple de sage versé dans l’étude de la Torah (qui est ici comparé au prophète Élisée dont il est question dans le texte biblique du second livre des Rois cité à l’appui du propos) : ce type d’hospitalité semble tout particulièrement important et il s’agit là d’un argument apparaissant au sein de nombreux autres textes, à commencer par plusieurs passages du traité ´Avot et des ´Avot deRabbi Nathan que l’on évoquera plus loin. L’idée que l’accueil d’un Sage équivaut à un sacrifice s’inscrit dans la correspondance établie par les rabbins entre le Temple et la maison des particuliers. Le passage suivant illustre clairement ce parallélisme : « L’autel en bois, haut de trois coudées et long de deux coudées, avait aussi ses coins en bois ; sa longueur et ses parois [étaient] en bois, et il [Dieu] me347 dit : voici la table qui est devant le Seigneur348. » Ce [verset] commence avec un autel et finit avec une table ! R. Yoতanan et Resh Laqish disent tous deux : aussi longtemps que le Temple existait, l’autel permettait l’expiation pour une personne ; à présent, c’est la table d’une personne (šul‫ۊ‬ano šel ´adam) qui permet l’expiation pour elle (mekhapper `alaw349).

L’interprétation de R. Yoতanan et de Resh Laqish part d’un étonnement quant au verset d’Ezéchiel, qui paraît illogique : ce qui est d’abord qualifié d’autel (mizbea‫ )ۊ‬est désigné, en fin de verset, par le terme de table (šul‫ۊ‬an350). Comment comprendre ce glissement ? L’argument des deux amoraim se fonde sur la suppo342 Cf. Lv R 7.3 (éd. Margulies, vol. 1, p. 155), TB Men 110a et TB Ta`an 27b, sur l’étude des sacrifices remplaçant leur pratique, Lv R 7.3 sur l’étude de la Mishna, M Shev 1.6 sur le jour de Kippour, TB MQ 28a et Ex R 35.4 sur la mort d’un Juste, TB Sanh 37b sur l’Exil. 343 2 R 4, 9. 344 TB Ber 10b. 345 Cf. par exemple TB Ber 26b, dans un propos attribué à R. Yehosu`a b. Lewi (l’amora palestinien de la première moitié du IIIe siècle). 346 Sans doute le tanna actif au IIe siècle, selon la tradition, disciple de R. `Aqiva et collègue des Sages de la génération d’´Usha. 347 À Ézéchiel, dont l’ensemble du passage constitue une vision. 348 Ez 41, 22. 349 TB ণag 27a. 350 La même réflexion apparaît en TB Ber 55a au nom de R. Yoতanan et R. ´El`azar.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

sition selon laquelle la succession des termes dans le texte biblique anticipe la chronologie historique : avant la chute du Temple, l’autel permettait l’expiation ; après la chute du Temple, c’est la table d’un particulier (´adam, à comprendre peut-être dans le sens du Juif « laïc ») qui reprend ce rôle. Si le raisonnement est clair, une question subsiste : dans quel sens convient-il d’entendre le terme de « table » ? Le contexte n’implique pas nécessairement que le terme soit compris comme la table d’un repas. Un premier commentateur explique qu’il s’agit là de l’ascèse alimentaire, faite en mémoire de la destruction du Temple351. De son côté, Rashi352 précise que l’expiation est rendue possible « par l’hospitalité (behakhnasat ´ore‫ۊ‬in) ». D’autres comprennent la « table » dans le sens du « repas à l’occasion duquel on échange des paroles de la Torah353 », en se basant sur le texte suivant du traité ´Avot (3.3) qu’il vaut encore la peine d’évoquer ici : R. Shim`on [b. Yoতai354] dit : si trois personnes ont mangé à une table et n’ont pas dit des paroles de la Torah au-dessus d’elle, cela est comme s’ils avaient consommé des sacrifices aux morts, car [de ce genre de personnes] il est dit355 : « Toutes les tables sont en effet couvertes de vomissures et d’immondices. Pas un coin n’y échappe356. » Mais, si les trois ont mangé à une table et ont dit des paroles de la Torah, [cela est] comme s’ils avaient mangé à la table du Lieu, béni soit-Il, comme il est dit357 : « Et il [Dieu] me dit : voici la table qui est devant le Seigneur358. »

Pour ce texte, le repas lui-même est un moment particulier, qui ne doit manifestement pas se réduire à sa fonction alimentaire. Le repas qui ne serait pas ponctué de « paroles de la Torah » (et qui n’aurait ainsi pas d’autre fonction que celle d’assurer sa propre subsistance) pourrait même s’apparenter à de l’idolâtrie, ce qui est très certainement une exagération due au caractère homilétique du texte359 : les sacrifices aux morts (ce que l’on doit comprendre comme les sacrifices exécutés à l’intention des morts) jouent volontiers le rôle d’archétypes des rites exécutés en l’honneur des dieux « païens360 ». Pour Hezser, le fait débattre de la Torah peut être, dans certains cas, l’équivalent des discussions philosophiques ponctuant un repas pris en commun parmi les élites intellectuelles gréco-romaines (par opposi351 352 353 354 355 356 357 358 359 360

Cité dans TB, éd. Steinsaltz, ণag, `Iyyunim, p. 116. Rashi ad loc. L’opinion est citée dans TB, éd. Steinsaltz, ণag, `Iyyunim, p. 116. Le tanna du IIe siècle. Is 28, 8. La seconde moitié du verset peut aussi être traduite par : « sans le Lieu » (beli maqom). Cette traduction serait en accord avec le passage de M ´Avot 3.6 qui explique que la shekhina est présente quand on débat au sujet de la Torah. Ez 41, 22. M ´Avot 3.3. On a déjà vu (p. 63, n. 83) que le terme ke´illu pouvait introduire un propos à visée édifiante, qu’il ne convient pas forcément de prendre à la lettre. Cf. Ps 106, 28 (les sacrifices aux morts sont évoqués à propos des peuples « idolâtres » de Ba`al Pe`or) ; cf. aussi Dt 26, 14.

2.4 Cas particuliers

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tion aux divertissements populaires361). Dans tous les cas, il s’agit là d’un exemple de la centralité absolue de la Torah, qui apparaît, selon Neusner, de manière particulièrement frappante au sein du traité ´Avot. La réinterprétation de ce motif pourra servir à défendre la figure du Sage, désormais considéré comme la personnification de la Torah362. Avec les différents textes évoqués ici, nous sommes à présent en mesure d’évaluer un schéma qui revient fréquemment dans certaines études se penchant sur la question des substituts juifs des sacrifices du Temple : que la table des particuliers remplace la pratique des sacrifices. Ainsi, bien qu’il soit possible d’observer quelques analogies entre les sacrifices et la commensalité, celles-ci ne doivent pas être exagérées. Dans le cadre du judaïsme rabbinique, le repas n’est pas le seul substitut de la pratique des sacrifices : l’étude ou la prière sont tenues pour tout aussi efficaces363. Le raisonnement vaut aussi pour l’hospitalité, qui n’est qu’incidemment mentionnée en tant que remplacement des sacrifices et seulement dans le cas particulier de l’accueil d’un Sage. Cette condition constitue selon nous l’élément déterminant de l’analogie : dans le discours rabbinique, c’est le plus souvent la Torah (et les activités qui lui sont liées) qui remplace les sacrifices, et le Sage est la personnification de la Torah. Au demeurant, la transposition au domaine privé de règles relatives aux sacrifices ne se limite pas à la seule commensalité, mais concerne également d’autres pratiques de la vie domestique. Selon nous, il s’agit là d’un processus plus général visant à créer un sentiment d’appartenance au sein d’un groupe particulier. Pour les mêmes raisons, il n’est pas non plus possible de conclure que la Cène chrétienne est préfigurée par les sacrifices juifs au Temple. Il peut s’agir là d’un schéma visant finalement à présenter Jésus comme l’instaurateur d’un nouvel ordre, reprenant sous une forme non-violente la fonction des sacrifices364.

361 Hezser (1998), p. 559. 362 Cf. Neusner (2000b), p. 201–206 et Neusner (1989), p. 202 : « The sage is now – in The Fathers According to Rabbi Nathan but not in The Fathers – not judge and teacher alone but also a supernatural figure. » 363 Ainsi Grappe (2004), p. 71 : « Pour pallier la disparition de l’autel, le judaïsme rabbinique se replia donc en quelque sorte sur la table au prix d’un mouvement dont il est simple de percevoir la logique. La communion avec Dieu avait eu pour lieu par excellence la commensalité. Le lieu saint détruit et le culte sacrificiel aboli, la table profane pouvait se proposer comme le lieu privilégié d’une communion qui perdure. » Les sacrifices du Temple ne sont cependant pas réductibles à une simple démonstration de commensalité, et les mesures de substitution ne se réduisent certainement pas à la « table profane comme lieu de la communion qui perdure ». Cf. aussi, sur ce point, la critique adressée à Neusner de Sanders (1990), p. 176–177, et la réponse de Neusner (1993b), p. 263–270. 364 Cf. récemment Levering (2005), largement fondé sur cette perspective. C’est, in fine, le schéma sur lequel reposent les thèses de Girard (1978), passim et en particulier, p. 205–209. Sur ce genre d’associations forcées, cf. la critique de Carmignac (1963), p. 27, n. 89.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

2.5 DIFFICULTÉS DE L’HOSPITALITÉ Dirigeons à présent notre enquête sur l’aspect des problèmes que l’hospitalité est susceptible d’engendrer. De manière remarquable, cet aspect de notre sujet, bien que crucial pour une compréhension des enjeux sociaux chers aux rédacteurs des textes, est parfois laissé de côté par certaines études365. 2.5.1 La figure féminine Il ne faut pas perdre de vue que la littérature rabbinique est une production exclusivement masculine et que les propos relatifs aux figures féminines sont inévitablement orientés366. Pour diverses raisons, la position de la femme dans une interaction sociale comme l’hospitalité est délicate. Comme le dit bien Tal Ilan : La manière dont les sources littéraires traitent des femmes rappelle l’attitude intellectuelle adoptée à l’égard d’autres groupes catégorisés comme « outsiders ». Cela s’explique par le fait évident que toutes les sources de cette période étaient composées par et pour des hommes juifs instruits367.

Pour autant, il convient de commencer par relever que la présence féminine est indispensable au bon déroulement d’une relation d’hospitalité. En effet, si c’est l’homme qui offre l’hospitalité (c’est-à-dire, qui encadre la relation au visiteur), c’est bien souvent la femme qui en est la principale artisane, car c’est à elle que reviennent les tâches domestiques368. Cela apparaît assez clairement au sein d’un passage de la Tosefta369 qui traite de l’hébergement d’un ‫ۊ‬aver par un `am ha´are‫ ܈‬dont la femme est, contrairement à son mari, « digne de confiance » (ne´eman). Le texte énonce qu’il est permis de profiter de l’hospitalité du `am ha´are‫܈‬, mais non de faire du commerce avec lui, pour la raison évidente que c’est la femme qui se chargera de toutes les tâches relatives à l’hospitalité, alors que la relation commerciale s’effectuera avec l’homme. La situation n’a apparemment pas significativement évolué sur la période de composition des textes : un passage talmudique décrète que la réception des hôtes et des visiteurs de passage fait partie des devoirs de la femme du maître de maison, même si celle-ci est entourée d’autres femmes à son service370.

365 L’article « Hospitality » de l’EJ, p. 1030–1033 n’évoque ainsi pas le cas des problèmes potentiels posés par l’hospitalité aux yeux de la littérature rabbinique. 366 Sur la place de la femme dans la littérature rabbinique, cf. les ouvrages d’Ilan (1995) et Ilan (1997). 367 Ilan (1995), p. 42, ma traduction. 368 Cf. Ilan (1995), p. 186 : « The rabbis’ very clear notion, then, was that the tasks to which women should devote themselves are all confined to the house. » 369 T Dem 3.9 (éd. Zuckermandel, p. 49). Cf. Bernasconi (2006), p. 169 qui relève que le principe sous-jacent est que l’homme s’occupe du commerce, et la femme de la maison. 370 TB Ket 61a.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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Du point de vue rabbinique, la figure de la femme – en tant que « maîtresse de maison » – est associée à un certain nombre de « clichés ». La femme est ainsi souvent dite ‫܈‬enu`a, c’est-à-dire « réservée » ou « pudique », ce qui est unanimement considéré comme une qualité371 : elle doit rester en retrait (et sans doute ne pas se mêler aux invités de son propre chef). En dépit de son attitude réservée, la femme est réputée être particulièrement attentive aux signes révélant la véritable nature des invités. Dans le texte suivant qui réélabore le récit biblique, la femme shunamite se serait aperçue du caractère divin de son invité : « Et elle dit à son mari : voici donc, je sais que c’est un homme saint de Dieu372. » R. Yose ben R. ণanina373 dit : de là, [on apprend] que la femme reconnaît les hôtes mieux que l’homme. « Il est saint. » D’où l’a-t-elle su ? Rav et Samuel374 [divergent sur ce point]. Le premier dit : parce qu’elle n’a pas vu une mouche passer sur la table ; le second dit : elle déplia un drap de lin sur son lit et n’y a pas vu de pollution nocturne375.

Pourquoi, dans le texte biblique cité par le passage, la femme shunamite précise-telle à son mari la nature de son invité ? Pour le propos attribué à Yose ben R. ণanina, c’est sûrement qu’elle partage une information que son mari n’avait pas : l’homme qui est chez eux est « saint ». D’où une règle générale quant au caractère de la femme : elle y voit plus clair dans la nature et le caractère des invités. La suite du texte, rapportant deux avis prêtés à Rav et Samuel, donne deux explications à sa « clairvoyance » : pour Rav, c’est l’absence de mouche sur la table qui témoigne assurément de la « sainteté » du visiteur376. Pour Samuel, c’est l’absence de pollution nocturne qui apporte la preuve de la sainteté de l’hôte. Dans tous les cas, les textes s’accordent sur l’idée que c’est avant tout la femme qui traite avec les invités. Dans la tradition rabbinique, c’est d’abord Sarah qui fait figure de modèle de la femme juive « idéale ». En raison du récit de Genèse 18, la figure de Sarah est souvent associée à la thématique de l’hospitalité, et le texte biblique est volontiers réinterprété de manière à soutenir certains jugements sur la figure de l’« hôtesse ». Ainsi, la femme serait plus parcimonieuse et plus critique que son mari. Dans l’exemple suivant, Sarah aurait proposé de la farine ordinaire pour la confection des pains destinés aux hôtes alors qu’Abraham aurait offert de la fleur de farine : 371 Cf. Sperber (1990), p. 123–126 et Stern (1994), p. 245 : « Tzeniut […] is a virtue which naturally pertains to women. » 372 2 R 4, 9. 373 Amora palestinien de la seconde moitié du IIIe siècle, disciple de Yoতanan, actif à Tibériade. 374 Amoraim babyloniens du début du IIIe siècle. 375 TB Ber 10b. 376 En TB Yoma 21a, il est expliqué (R. Yehuda au nom de Rav) qu’aucune mouche ne volait audessus de l’aire sacrificielle du Temple, en raison de la sainteté des sacrifices qui y étaient effectués (Maharsha, cité en TB, éd. Steinsaltz, Ber, `Iyyunim, p. 45). Cette comparaison (la mouche dans l’espace du Temple ; la mouche sur la table, sans doute celle du repas) relève manifestement de la doctrine rabbinique visant à rapprocher symboliquement l’espace domestique de l’espace du Temple.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

Il est écrit « de la farine [ordinaire] (qema‫ » )ۊ‬et il est écrit, « de la fleur de farine (solet377) » ! R. Isaac a dit : Cela montre qu’une femme est plus regardante qu’un homme quant aux invités (ba´ore‫ۊ‬im378).

Le texte biblique mentionne deux noms différents qui semblent qualifier la même chose : la farine. Comment comprendre cette répétition qui paraît inutile ? L’interprétation proposée par R. Isaac sous-entend que Sarah s’occupait de préparer les pains et qu’Abraham lui a demandé de prendre une qualité de farine supérieure à celle dont elle voulait spontanément faire usage379. Mais cette interprétation n’est pas claire : rien n’indique en effet un lien entre la farine ordinaire et Sarah, et l’enseignement contraire (qu’Abraham serait plus parcimonieux que Sarah) n’est pas moins plausible que l’assertion de R. Isaac. Un commentateur380 explique cependant qu’Abraham n’était certainement pas économe quant à la réception des hôtes, car on dit à son sujet qu’il disait peu et faisait beaucoup381. Pour cette raison, le terme qema‫ «( ۊ‬la farine ordinaire ») émane sans doute de Sarah et non d’Abraham, ce qui confirme la leçon générale enseignée par la Gemara. Si la femme est typiquement celle qui accueille les invités, les textes n’envisagent presque jamais le cas inverse : celui d’une femme recevant l’hospitalité. À notre connaissance, un seul passage évoque une figure féminine dans le rôle de l’invitée382, et encore, seulement dans la mesure où celle-ci est mariée. Le texte en question proscrit en effet toute relation sexuelle à un couple, qualifié de ´akhsena´i, qui aurait été invité à passer la nuit auprès d’un hôte. Ce silence provient certainement du fait que pour le point de vue rabbinique, la femme n’a simplement pas à voyager en dehors de chez elle383. Venons-en à présent au problème majeur relatif à la place de la femme : celui de son rapport aux visiteurs. Ce point touche immédiatement l’une des questions centrales de ce travail : comment la relation à l’étranger (entendu ici comme étranger au domicile conjugal) s’articule-t-elle à l’exercice de l’hospitalité ? Le texte biblique de Genèse 18, 9 suscite une longue discussion sur la place de la femme384. Lisons tout d’abord le verset : « 9 Et ils lui [Abraham] (´elayw) demandèrent : où (´ayyeh) est Sarah, ta femme ? Il répondit : dans la tente. » Pour comprendre le développement qui va suivre, il faut relever que dans la version 377 Gn 18, 6. 378 TB BM 87a. Le texte de Gn R 17.3 (éd. Theodor-Albeck, vol. 1, p. 153) affuble la femme de R. Yose le Galiléen du même trait de comportement. 379 Ainsi Torat ‫ۉ‬ayim qui explique que le verset (Gn 18, 6) est compris de la manière suivante par la Gemara : « Abraham dit : prépare en vitesse trois se´a ! Sarah demanda : [trois se´a avec de la farine] qema‫ ? ۊ‬Abraham lui répondit : [non, de farine] solet. », cité en TB, éd. Steinsaltz, BM, `Iyyunim, p. 376. 380 Maharsha, ad loc. 381 TB BM 87a. 382 TB Ket 65a. 383 Cf. Ilan (1995), p. 186. 384 Je remercie José Costa pour son aide dans l’explication de l’ensemble de cette discussion, fort complexe, que l’on a ici simplifiée à dessein.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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massorétique de la Bible, les lettres ´alef, yod et waw du mot ´elayw sont surmontées de points. Cette « anomalie » n’a pas manqué d’éveiller l’attention des rabbins dans le cadre de la recherche de règles de savoir-vivre. On trouve ainsi une première interprétation (1) dans la Gemara babylonienne : On enseigne au nom de R. Yose385 : pourquoi y a-t-il des points sur les lettres ´alef, yod et waw qui sont dans ´elayw ? La Torah enseigne les bonnes manières, à savoir qu’un homme s’enquerra sur son hôtesse. Mais Samuel386 n’a-t-il pas dit : on ne [doit] pas du tout s’enquérir de la santé d’une femme ! [Quand c’est] par l’entremise de son mari, cela est différent [et permis387].

Le texte part des signes diacritiques pointant les lettres ´alef, yod et waw et en déduit une règle de derekh ´ere‫܈‬. Les « anges » n’ont pas seulement demandé à Abraham où était Sarah, ils lui ont également demandé comment allait Sarah. La règle de savoir-vivre est la suivante : il est possible et même poli de s’enquérir de la santé de la femme de son hôte. L’amora Samuel ne partage toutefois pas l’avis de R. Yose, puisque dans un autre passage388, il interdit explicitement de s’enquérir de la santé d’une femme, question jugée par trop indiscrète. La Gemara de notre passage rétorque cependant que le problème ne se pose plus quand c’est par l’intermédiaire du mari389. Mais l’interprétation donnée par la Gemara – que les points du texte biblique signifient que les anges se sont adressés à Abraham afin de lui demander comment allait Sarah – n’est pas univoque. Une autre lecture est possible (2), comme cela apparaît en ce passage midrashique : « Et ils lui [Abraham] (´elayw) demandèrent : où (´ayyeh) est Sarah, ta femme ? » Les ´alef, yod et waw sont pointés, mais le lamed n’est pas pointé. […]390 [Ainsi, les anges demandèrent à Sarah], « où est Abraham ? ». R. `Azaryah391 dit : de même qu’ils ont dit à Abraham : « Où est Sarah ? », de même ont-ils dit à Sarah : « Où est Abraham392 ? »

Le sens de l’interprétation (et, conséquemment, la règle de savoir-vivre qui en découle) est ici différent : les points signifient que les anges se sont adressés à Sarah, afin de lui demander où était Abraham. Cette exégèse repose sur le mot formé par les trois lettres pointées : ´ayyo (´alef, yod, waw), « où est-il ? », donc « où est Abraham ? », question symétrique à celle qui est explicitement formulée 385 386 387 388 389

R. Yose ben Halaphta est un tanna, actif à Sepphoris entre 135 à 160. Amora babylonien actif à Neharde`a entre 220 et 254. TB BM 87a. TB Qid 70b. La réponse de la Gemara (qui réfute l’avis de Samuel) présente une logique inverse au texte TB Qid 70b, qui approuve au contraire l’opinion de Samuel : « On ne doit pas s’enquérir de la santé d’une femme. [Ou alors] par l’entremise de son mari. Ainsi dit Samuel : on ne doit pas du tout s’enquérir de la santé d’une femme. » 390 Le texte rapporte ici un principe prêté à R. Shim`on b. ´El`azar, selon lequel seuls les mots où le nombre de lettres pointées est supérieur (c’est le cas ici) au nombre de lettres non pointées doivent être interprétés au-delà de leur sens littéral. 391 Un amora palestinien du début du IVe siècle. 392 Gn R 48.15 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 492).

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

dans le texte biblique, ´ayyeh (« où est Sarah ? »). Les anges se seraient donc inquiétés d’Abraham auprès de Sarah. Ces deux interprétations, qui ne sont pas exemptes de problèmes de cohérence interne, ont fait l’objet de nombreuses discussions auprès des commentateurs médiévaux393. Le commentaire de Rashi sur le texte biblique de Genèse 18, 9, récapitule les deux interprétations évoquées ici : en fait, deux règles peuvent être déduites à partir de la ponctuation du texte biblique. On peut s’enquérir de l’hôtesse (par l’entremise de l’hôte) – c’est l’interprétation du traité talmudique – et, de manière symétrique, on peut s’enquérir de l’hôte par l’entremise de l’hôtesse – c’est l’interprétation du texte midrashique. Les points indiquent par conséquent à la fois qu’il ne faut pas se limiter à une lecture littérale du texte biblique (« où est Sarah »), et qu’il convient de déduire la question symétrique à celle qui est explicitement mentionnée dans le texte de base. L’interprétation résultante peut sembler quelque peu permissive pour un point de vue « normatif » : il est non seulement possible de s’enquérir de la santé de l’hôtesse auprès de son mari, mais on peut même s’adresser à elle sans recourir à un intermédiaire. Cette situation pose problème à un autre commentateur traditionnel, le Riaf394, qui fait le raisonnement suivant afin d’exclure l’idée d’une interaction directe entre l’invité et la femme de son hôte : les anges se sont en fait adressés au serviteur d’Abraham, en lui demandant, « où est-il », ´ayyo. Ils recherchent donc Abraham afin de lui demander comment va Sarah. Le Riaf en conclut qu’il est interdit de poser une question sur la femme à quelqu’un d’autre que le mari, et que l’on ne saurait s’adresser directement à la femme du maître de maison. Le tableau suivant récapitule les différents avis exprimés sur la question : Gemara TB BM

Midrash Genèse Rabba

Rashi sur Genèse

Il faut s’enquérir de l’hôtesse auprès de son mari.

On peut s’enquérir Il faut s’enquérir de du mari auprès de sa l’hôtesse auprès de femme. son mari, et de l’hôte auprès de sa femme.

Riaf sur TB BM Les anges se sont adressés au serviteur d’Abraham (« où est-il »), puis à Abraham auprès duquel ils se sont enquis de Sarah.

Toute cette discussion, suscitée par les seuls signes diacritiques pointant le ´elayw, témoigne de la grande prudence qu’il convient d’observer dans les rapports entre le visiteur et la femme de l’hôte. Si les avis concernant la possibilité de s’adresser directement à la femme varient d’une interprétation à l’autre, il reste une sorte de 393 Comme les Tosafot, qui essaient de montrer que la leçon de savoir-vivre enseignée par Gn R (« on peut s’enquérir du mari auprès de la femme ») peut également être déduite du texte de la Gemara. 394 R. Yoshia ben Joseph Pinto (1565–1648, Damas-Jérusalem), un commentateur de `En Ya`aqov.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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dialectique entre le souci d’éviter les rapports non désirables entre l’invité et la femme et celui de respecter les règles de politesse. Bien que jouant un rôle central dans l’hospitalité, la femme demeure dans une position ambivalente et – de manière similaire avec les rapports entretenus avec certains groupes d’outsiders – les interactions sociales auxquelles elle participe font l’objet d’un certain nombre de mesures de « précaution ». 2.5.2 Les rapports entre rabbins et naĞi Comme on l’a déjà vu, les rabbins ne forment pas une société parfaitement « égalitaire » : certains maîtres avaient manifestement plus d’importance que d’autres ou exerçaient une fonction par laquelle ils étaient singularisés395. C’est précisément le cas de la fonction délicate de naĞi, qui constitue un critère affectant la sphère des relations sociales396. Par la relation particulière entretenue avec l’autorité non-juive, le naĞi était autant susceptible de recevoir l’admiration de ses collègues que d’essuyer certaines critiques397. Le récit suivant fait apparaître, au travers d’une situation d’hospitalité, le rapport entre un rabbin et le naĞi comme un problème. Ce récit – que l’on prend ici dans sa version babylonienne – comporte deux parallèles dans le Talmud palestinien398. Sans doute la version babylonienne est-elle une amplification narrative du texte palestinien, qui est plus concis et qui rattache l’épisode à une divergence de vues entre R. Yehuda ha-NaĞi (surnommé « Rabbi ») et R. Pinতas b. Ya´ir sur l’observance de l’année sabbatique. Dans tous les cas, l’hospitalité constitue un motif narratif cristallisant une certaine tension dans les rapports entretenus avec le naĞi, même si le problème est sans doute devenu quelque peu théorique au moment de la composition du texte399. Comme il se doit, le rapport d’hospitalité s’initie par une formule d’invitation. Ainsi donc : « [Quand] il entendit [que R. Pinতas arrivait], Rabbi sortit à sa rencontre et lui dit : désires-tu manger chez moi (re‫܈‬onekha se`od ´e‫܈‬li) ? Il lui dit : 395 Cf. Hezser (1997), p. 255–306. 396 Pour Hezser (1997), p. 406–417, le premier naĞi, au sens propre du terme est Rabbi Yehuda ha-NaĞi. Les « patriarches » (Rabban Yoতanan b. Zakkai, Rabban Gamli´el II) qui l’ont précédé n’ont pas nécessairement détenu ce titre officiel, même si l’on peut supposer qu’ils occupaient une place importante au sein du mouvement rabbinique. Schwartz (1999) défend l’idée que le patriarcat n’était pas une institution bien établie, mais qu’au contraire, les différents patriarches ont dû lutter pour la reconnaissance de leur autorité à la fois contre les Romains et au sein des communautés juives elles-mêmes (p. 208–212). 397 Cf. l’exemple évoqué supra, p. 98. 398 TY Dem 1:2, 22a (= TY Ta`an 3:1, 66c). 399 Levine (1987), p. 12 fait l’observation suivante : « Criticism of the Patriarch by Palestinian sages was apparently sharper and more direct than that of the Babylonian sages against the Exilarch. » Cela laisse penser que notre texte représente plutôt une discussion théorique sur le problème de la relation entre rabbins et naĞi en Palestine qu’une critique à l’égard de la figure parallèle de l’Exilarque en contexte babylonien.

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oui. Le visage de Rabbi s’illumina400 ». C’est avec une grande satisfaction que R. Yehuda constate que R. Pinতas401 accepte son invitation, puisque ce dernier avait la réputation de ne jamais avoir partagé la table d’un autre. L’acceptation de l’hospitalité n’est manifestement pas un acte anodin, d’autant que la proposition émane dans le cas présent du naĞi. Le texte se poursuit : Et il [R. Pinতas] lui dit : il te semble que je me suis interdit (muddar402) de profiter d’un Juif (yiĞra´el) ? Le peuple d’Israël est saint. [Et pourtant], certains désirent [entretenir d’autres personnes] mais n’en ont pas les moyens ; alors que d’autres en ont les moyens mais ne le désirent pas, ainsi qu’il est écrit : « Ne mange pas le pain de [celui qui a] un œil mesquin, ni ne désire ses bons plats. Car comme il aura réfléchi en lui-même, ainsi est-il. Mange et bois, te dira-t-il, mais son cœur n’est pas avec toi403 », mais tu en as le souhait et tu as les moyens ; cependant, pour l’instant, je suis pressé car je [dois] m’occuper d’une affaire religieuse ; quand je reviendrai, je passerai et entrerai chez toi404.

R. Pinতas explique que son attitude ne découle pas d’un principe aveugle qui consisterait à refuser l’hospitalité de la part de tout Juif : le « peuple juif est saint », ce qui implique sans doute qu’il n’y a pas lieu de formuler un vœu à son encontre405. Le comportement de R. Pinতas ne résulte donc pas d’une gêne quant à l’idée d’accepter une invitation. C’est selon deux critères que R. Pinতas juge s’il peut accepter l’invitation d’un maître de maison : (1) il ne veut pas profiter de l’hospitalité d’un homme hypocrite qui ferait semblant d’être généreux – c’est l’esprit du texte du livre des Proverbes cité ici406 ; (2) il ne veut pas non plus gêner un maître de maison qui n’aurait pas les moyens de le recevoir. Cela n’est pas le cas de Rabbi : celui-ci est manifestement désireux de recevoir un invité et dispose des ressources nécessaires. Alors que ce protocole et ces réflexions préliminaires semblent présager d’une invitation réussie, un événement inquiétant vient troubler R. Pinতas au retour de sa quête407 : « Quand il revint, il arriva par hasard que près de cette porte se trouvaient des mules blanches ; il dit : l’ange de la mort est dans cette maison, et je devrais manger avec lui ?408 » Un signe néfaste pèse donc sur la maison de R.

400 TB ণul 7b. 401 Tanna de la fin du IIe siècle, beau-fils de Shim`on ben Yoতai, réputé selon la tradition pour son ascétisme et son refus du pouvoir : cf. Urbach (1987), p. 603. 402 Sur le sens du verbe nadar au hof`al, cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 880, qui indique notamment : « to be forbidden by a vow ; to be subjected to the influence of a vow. » 403 Prov 23, 6–7. 404 TB ণul 7b. 405 Ainsi Rashi ad loc. Sur cette expression, cf. Stern (1994), p. 129 et 133, qui montre qu’elle est volontiers employée par les rabbins pour désigner l’ensemble du « peuple d’Israël », quand bien même les attributs de la notion sont empiriquement inférés à partir de la position du Sage. 406 Cf. sur la même idée le texte de TB So৬ 38b : accepter l’hospitalité d’un homme mesquin revient finalement à commettre une faute. 407 Consistant à délivrer des prisonniers (TB ণul 7a). 408 TB ণul 7b.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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Yehuda : selon Rashi409, les mules blanches infligent des blessures qui ne guérissent pas et sont réputées dangereuses. Dans la suite du texte, Rabbi essaie d’arranger le problème en se séparant de ses mules. Mais R. Pinতas ne juge aucune des solutions proposées par Rabbi satisfaisante, sur quoi, dit le texte, une montagne s’éleva entre les deux410. R. Pinতas finit donc par refuser l’invitation, alors même que les règles de savoir-vivre enseignent de ne pas refuser la proposition d’un homme honorable. Selon la suite du texte, R. Pinতas est d’une exigence telle qu’il refuse même le partage de la table avec son père. Cette attitude extrême est clairement valorisée par le texte : R. Pinতas est loué pour sa piété exemplaire et sur un plan hiérarchique, est placé au-dessus de Rabbi. Il trouvera une récompense supplémentaire dans le monde futur. Hezser411, qui suit Baumgarten412, montre au sujet de textes parallèles413 que ce récit relève certainement d’une position critique de la part de certains rabbins à l’égard du naĞi, auquel il est reproché de transiger trop facilement sur plusieurs points de halakha414. Par conséquent, il n’est pas exclu de voir ici, sous couvert du problème des mules, et au travers du motif de l’hospitalité, un discret refus de l’autorité incarnée par le naĞi, ou une critique de son rapport au pouvoir romain415 au profit d’une piété religieuse poussée à l’extrême416. En ce sens, il est raison409 Rashi se fonde sur l’opinion de R. ণanina rapportée plus bas dans le texte. L’idée que la ruade d’une mule blanche peut mettre la vie en danger est exprimée en TY Yoma 8:5, 45b et Gn R 82.14 (éd. Theodor-Albeck, vol. 2, p. 995). Notons au passage que le texte de Gn R constitue un argument assez frappant en faveur de la thèse de Mary Douglas (Douglas (1981), p. 74 : « [S]euls sont purs les animaux qui sont entièrement conformes à leur classe ») : y sont dits dangereux les animaux issus d’un croisement (le serpent ‫ۊ‬akhina avec le lézard ‫ۊ‬ardon, d’où résulte le lézard ‫ۊ‬awarwar, et le cheval avec l’âne, d’où provient la mule). 410 La montagne peut représenter la mort (comme dans le cas d’un tumulus funéraire), ce qui annoncerait la suite du texte de la Gemara qui vante les mérites des Justes après leur mort. Selon la version de ce texte en TY (Dem 1:3, 22a) ce n’est pas une montagne mais un feu venu du ciel qui les sépare. De même que la montagne, le feu du ciel peut évoquer la mort d’un Juste (cf. 2 R 2, 11). 411 Hezser (1997), p. 432. 412 Baumgarten (1981), p. 164–166. 413 TY Dem 1:3, 22a, TY Ta`an 3:1, 66c. 414 Hezser (1997), p. 431 relève une possible opposition, sur ce plan, entre R. Me´ir (qui incarnerait un point de vue plutôt conservateur) et le naĞi. 415 Cf. Krauss (1910), p. 35–38 : des récits mettent en scène Rabbi et « Antonin » s’invitant mutuellement à des repas qu’ils faisaient préparer chez eux. Ainsi, TB Ber 57b, Gn R 11.4 (éd. Theodor-Albeck, vol. 1, p. 90) et Esth R 1.16. Une histoire similaire est relatée à propos R. ণiyya en Esth R 2.4. Sur l’historicité de ces récits, cf. Hezser (1997), p. 412, qui pense qu’il s’agit de fictions littéraires, tout comme Hadas-Lebel (1990), p. 185–186, qui explique : « Ces entretiens édifiants ne sont pas antérieurs au IIIe siècle et se situent dans une tradition de dialogues des morts illustres. Leur principal mérite historique est de refléter la détente qui marqua les relations judéo-romaines après le règne d’Hadrien. » 416 Urbach (1987), p. 603 note bien deux attitudes opposées face à l’autorité : « [T]hey [Sages giving recognition to the authority] came into conflict with scholars who adopted an extreme attitude in their criticism and refused to compromise with aspects that appeared negative to

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

nable de penser que ce récit est une création littéraire, une sorte de « parabole », mettant en scène deux figures paradigmatiques (Rabbi et R. Pinতas) afin de soutenir le principe d’un respect absolu des règles « religieuses » dans les relations sociales. L’élément narratif du refus d’hospitalité contribuerait ainsi à une critique de l’autorité du naĞi. Mais cette attitude critique à l’égard de Rabbi n’est de loin pas unanime : certains textes le décrivent volontiers comme un ascète, qui n’aurait tiré aucune jouissance du monde présent, et dont la souffrance même aurait contribué à l’expiation des péchés d’Israël417. Dans tous les cas, le motif du refus d’hospitalité singularise la place du naĞi, qui n’est manifestement pas unanimement loué par la littérature rabbinique. 2.5.3 Le cas du `am ha-are‫܈‬, qui reçoit et qui est reçu Comme on l’a suggéré plus haut418, le cas du `am ha-´are‫ ܈‬est chargé d’ambivalence, et cette ambivalence se reflète inévitablement sur la question de l’hospitalité. Le passage suivant de la Mishna prohibe explicitement de prendre part à un repas dans la maison d’un `am ha-´are‫܈‬. Le `am ha-´are‫ ܈‬n’est pas ici la cible des diatribes rabbiniques dont on a vu quelques exemples (plutôt caractéristiques de la littérature plus tardive), mais fait l’objet d’une volonté de mise à l’écart reliée à la problématique de la pureté et des dîmes : 2 Si un homme a décidé de devenir un ne´eman, il doit prélever la dîme sur ce qu’il mange et sur ce qu’il vend et achète. Il ne doit pas être l’hôte d’un `am ha-´are‫܈‬. […] 3 Si un homme a décidé de devenir un ‫ۊ‬aver, il ne doit pas vendre à un `am ha-´are‫[ ܈‬un produit] humide ou sec. Il ne doit pas non plus acheter de lui un produit humide. Il ne doit pas être l’hôte d’un `am ha-´are‫( ܈‬we´eno mit´area‫´ ۊ‬e‫܈‬el `am ha-´are‫)܈‬. Il ne doit pas l’héberger chez lui [quand il est revêtu] de son [propre] vêtement419.

Ce passage de la Mishna, bien qu’un peu technique, est important pour la compréhension des problèmes susceptibles de faire entrave à l’hospitalité, y compris dans les textes plus tardifs qui « actualisent » volontiers ce genre de problèmes. Notons tout d’abord que, pour ce texte, la prescription ne s’adresse pas à tous in-

them, to the point of forgoing all contact with the authorities. » Cf. aussi Alon (1984), vol. 2, p. 723 et Jaffé (2005), p. 105–106, qui évoque des tensions entre le pouvoir (héréditaire) représenté par le naĞi (notamment Yehuda ha-NaĞi, auquel on reproche peut-être une trop grande proximité avec les autorités romaines) et celui des rabbins. 417 Sur cette idée, cf. par exemple TB Sanh 98b : si le Messie ressemble à un homme, c’est sans doute à Rabbi (propos attribué à Rav), ce que Rashi commente : « Car il endurait des maladies et était parfaitement pieux. » 418 Supra, p. 46, en particulier n. 18. 419 M Dem 2.2–3.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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différemment, mais seulement à celui qui a fait le vœu de devenir ne´eman420 et au candidat ‫ۊ‬aver. Les deux mishnayot évoquent deux problèmes différents relatifs au contact avec le `am ha-´are‫܈‬. Dans le premier passage, il s’agit seulement du contact entre un `am ha-´are‫ ܈‬et un ne´eman : ce dernier ne doit pas être l’hôte (c’est-à-dire, participer à un repas) d’un `am ha-´are‫܈‬. Dans le cas où l’on comprend que le ne´eman représente un statut intermédiaire, relié à celui de ‫ۊ‬aver, le problème se situe dans le fait que le repas préparé par un `am ha-´are‫ ܈‬est « douteux » quant à la question des dîmes. La dîme n’a peut-être pas été retranchée de la nourriture avec laquelle le repas a été préparé. Du coup, la participation à un tel repas rendrait à son tour le ne´eman suspect de ne pas respecter l’obligation des dîmes et l’on ne pourrait dès lors plus le considérer comme authentiquement « digne de confiance ». La seconde mishna présente une conception plus stricte des choses : la prescription ne s’adresse plus au simple ne´eman mais au ‫ۊ‬aver postulant dont on attend, outre le scrupule en matière de dîmes, un respect sans faille des règles de pureté421. Dans ces deux registres, le comportement du `am ha-´are‫ ܈‬laisse à désirer, ce qui est absolument contraire aux règles du groupe des ‫ۊ‬averim : en plus de ne pas retrancher scrupuleusement la dîme de sa nourriture, le `am ha-´are‫ ܈‬ne respecte pas les règles de pureté caractérisant les repas des ‫ۊ‬averim422. En étant l’invité d’un `am ha-´are‫܈‬, le futur ‫ۊ‬aver se compromet donc doublement. Le texte de la Mishna évoque aussi brièvement la situation inverse : la réception d’un `am ha-´are‫ ܈‬chez un ‫ۊ‬aver postulant, mais ne dit rien du cas de la réception d’un `am ha-´are‫ ܈‬par un ne´eman, ce qui laisse penser qu’il n’y a pas là de problème. Étrangement, c’est la question du vêtement qui est problématique : un ‫ۊ‬aver postulant ne doit pas recevoir chez lui un `am ha-´are‫ ܈‬habillé. Par son vêtement, le `am ha-´are‫ ܈‬serait en effet susceptible de contaminer des objets dans le domicile du ‫ۊ‬aver postulant. Ce problème est cependant moins grave que celui de la pureté et des dîmes, qui empêche le ‫ۊ‬aver postulant de profiter de l’hospita420 La signification du statut de ne´eman ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs. Neusner (1960), p. 132–133 estime qu’il s’agit en quelque sorte du candidat à la candidature de ‫ۊ‬aver. Oppenheimer (1977), p. 151–156 est d’avis qu’il s’agit là d’un partenaire économique « digne de confiance » : « The connection of the ne´eman with the association derived not from his candidature but from the relation between them, a relation expressed by the ne´eman’s taking upon himself, in the presence of the association, the observance in all their details of the laws of the tithes, and hence a তaver could have unrestricted economic contact with the ne´eman in respect of tithes and could trade with him without any misgiving. » (p. 155). Il n’est pas dans notre propos de prendre position sur la question. Cf. aussi Bernasconi (2006), p. 134–136 et 141, qui donne la définition suivante : « Il termine ne´eman designa qui una persona che si impregna volontariamente ad osservare le norme relative alla raccolta delle decime e in questo senso si differenzia dal termine chaver che designa invece coloro che estendevano tale impregno anche alle norme relative alla purità rituale. » (p. 141). 421 Cf. Neusner (1960), p. 134, qui dresse la liste des devoirs respectifs s’appliquant au ne´eman, au ‫ۊ‬aver postulant et au « novice ». 422 La simple présence d’un `am ha-´are‫ ܈‬suffit aussi à rendre impurs des ustensiles de cuisine (cf. Neusner (1960), p. 138, qui renvoie à M ৫oh 8.1–3).

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lité du `am ha-´are‫ ܈‬: le `am ha-´are‫ ܈‬peut participer au repas d’un ‫ۊ‬aver postulant, à condition de revêtir des habits rituellement purs423. La logique de cette prescription réside sans doute dans le fait que le ‫ۊ‬aver postulant doit conserver la maîtrise du cadre de la relation afin de garantir que les règles qu’il est supposé observer ne seront pas enfreintes. À l’évidence, le problème est plus délicat dans le cas où le `am ha-´are‫ ܈‬est l’invitant que dans la situation inverse. Pour illustrer la question soulevée par la relation entre un ‫ۊ‬aver et un `am ha´are‫܈‬, on peut évoquer une histoire relative à R. Pinতas (dont on a déjà relevé la piété exemplaire dans le cadre du refus qu’il oppose au naĞi) et figurant dans le contexte du Talmud de Babylone424 : la rigueur religieuse de R. Pinতas se retrouve en effet dans le comportement de son âne. Séjournant dans une auberge (´ušpiza), l’âne refuse de consommer l’orge mis à sa disposition. L’aubergiste pensa que l’âne refusait de manger en raison de saletés se trouvant dans l’orge. Mais la raison véritable, dit le texte, résidait dans le fait que la dîme n’en avait pas été retranchée. Les aubergistes de R. Pinতas (des ‫ۊ‬averim, pourtant) reconnurent avoir acquis l’orge auprès de `amme ha-´are‫܈‬425. Outre la question des dîmes et de la pureté, le contact avec un `am ha-´are‫܈‬ pose de manière plus pragmatique le problème de la mauvaise influence, ou de la honte de partager un repas avec un ignorant. À vrai dire, cette question apparaît dans des textes plus tardifs, quand la problématique des dîmes et de la pureté a perdu de son importance, et en particulier dans le contexte de la diaspora – comme en témoigne la simple absence de Gemara babylonienne sur les traités de la Mishna traitant des dîmes, tout comme sur les traités de l’ordre ܑohorot à l’exception de Nidda. Aussi un rabbin ne doit-il pas dîner en compagnie de `amme ha-´are‫܈‬, car ces derniers pourraient l’entraîner sur leur voie426. C’est là un devar gena´y, une « chose honteuse » qui ne convient pas au « rang » d’un rabbin. Ce comportement figure d’ailleurs au sein d’une liste de six actions seulement déconseillées mais non strictement proscrites, comme le fait de marcher seul la nuit, de converser avec une femme sur la voie publique ou d’être le dernier à entrer dans le bet hamidrash. Une prescription du même type est rapportée au sujet des « aristocrates jérusalémites » (évoqués plus haut au sujet de la tenue de « banquets427 »), qui n’auraient pas accepté de prendre part à un repas sans savoir quels en seraient les 423 Sur le principe général, cf. Neusner (1960), p. 139–140, qui renvoie à T Dem 2.2–3 : « A fellow of the order could not in any case accept the hospitality of an outsider, or receive him into his own home unless he put on ritually clean garments. » 424 TB ণul 7a. 425 Si le problème des dîmes est fort complexe (et dépasse amplement le cadre de ce travail), le principe en est en revanche assez simple : de la nourriture achetée auprès de `amme ha-´are‫܈‬, et donc dema´y, peut normalement être consommée par un animal. Mais dans ce cas, explique la Gemara, l’orge était originellement prévu pour une consommation humaine, ce qui, d’un point de vue orthodoxe, l’a rendu définitivement « inconsommable », même pour un animal. 426 TB Ber 43b. 427 Cf. supra, p. 88.

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autres invités428, de même, poursuit le texte, qu’ils n’auraient pas signé un document sans savoir qui le contre-signerait. Rashi explique que l’invitation couplée à une information relative à l’identité des participants doit précisément éviter au rabbin la honte que lui causerait le fait de manger aux côtés de `amme ha-´are‫܈‬429. Krauss note de même que ces aristocrates veillaient scrupuleusement à ne partager la table que de gens de même rang430 : la mauvaise compagnie d’ignorants doit être évitée et spécialement quand il s’agit d’un repas431. Comme on l’aura constaté, Rashi tout comme les amoraim babyloniens qui réactualisent les coutumes de ces Jérusalémites (évidemment révolues à leur époque) ont en tête le cas du rabbin – éventuellement du « laïc » de bonne volonté – qui ne doit pas se mêler à des « ignorants » ou à des « mécréants ». Ils transposent donc de manière presque transparente des comportements associés à des groupes particuliers (comme ceux des aristocrates jérusalémites) à une pratique plus courante, concernant les rapports entre « laïcs » et rabbins. À considérer le nombre de textes rabbiniques évoquant le problème, la question du rapport aux ignorants constitue bien un souci majeur de la part du cercle des rabbins. La question de l’invitation chez soi d’un ignorant apparaît également dans un petit récit du Talmud de Babylone432 : lors d’une époque de famine, Rabbi Yehuda Ha-NaĞi avait invité les gens instruits de sa communauté à manger, à l’exception explicite des `amme ha-´are‫܈‬. Un homme se présente alors, souhaite obtenir une part, mais admet ne rien connaître de la Torah. Rabbi finit par céder, mais regrette presque immédiatement son geste : avoir donné du pain à un `am ha-´are‫܈‬. Mais l’histoire se dénoue : la personne en question n’était qu’apparemment ignorante, puisqu’il s’agissait en fait de R. Yonathan b. ´Amran433 qui avait dissimulé son savoir par modestie. Ce récit témoigne, par l’intermédiaire du motif de l’hospitalité, d’une attitude assez sévère à l’égard des `amme ha-´are‫ ܈‬: ceux-ci sont presque considérés comme des étrangers, dans la mesure où le naĞi – qui a pour rôle de soutenir la communauté – se défait de toute responsabilité à leur égard et conçoit même quelques scrupules à l’idée d’avoir malgré tout entretenu un ignorant434.

428 TB Sanh 23a. Hezser (1998), p. 558 relève une pratique exactement similaire décrite par Plutarque, au sujet d’un symposium philosophique. 429 Rashi ad TB Sanh 23a : « Et ils ne venaient pas à un repas etc. – en raison du déshonneur pour les talmide ‫ۊ‬akhamim d’être placés aux côtés d’un `am ha-´are‫ ܈‬dans un repas. » 430 Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 40 : « Wir werden sehen, daß Männer von Stande und von Ehre peinlich darauf achteten, dass sie nur ihresgleichen zu Tischnachbarn hätten. » Cf. aussi Hezser (1998), p. 559. 431 Le texte de Ps 26, 4 offre un support biblique à l’attention portée aux compagnons de table. Cf. aussi l’histoire célèbre de TB Gi৬ 56a (sur Qamৢa et Bar Qamৢa) et Sperber (1990), p. 56. 432 TB BB 8a. 433 Il s’agit d’un disciple de Rabbi, rarement mentionné dans la littérature rabbinique. 434 Sur ce texte, cf. aussi Rubenstein (2005), p. 132–135, qui effectue une comparaison avec le texte (d’origine palestinienne) de Lv R 9.3 (éd. Margulies, p. 176–178), et qui montre que l’attitude relative aux `amme ha-´are‫ ܈‬est plus sévère dans le texte babylonien.

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Ces différents textes soulignent la volonté rabbinique de construire une « société de Sages », principalement fondée sur l’observance de la Torah. C’est l’un des principes récurrents se trouvant en filigrane de nos textes relatifs à l’hospitalité : il s’agit finalement d’encourager l’établissement de liens sociaux (même provisoires) avec des personnes partageant cet idéal. 2.5.4 Le cas du Samaritain Dans la littérature rabbinique, le cas du Samaritain est tangent : celui-ci est tantôt assimilé à un Juif et tantôt considéré comme un « païen ». Cette ambiguïté se retrouve dans plusieurs pratiques associées à l’hospitalité et notamment dans la question des bénédictions. Ainsi, selon la Mishna435, si l’on a pris le repas avec un Cuthéen (kuti), c’està-dire un Samaritain, et que ce dernier se charge de la bénédiction, on ne doit y répondre par « Amen » que si on l’a entendue en entier. Cette prescription, un peu étrange à première vue, s’explique par la crainte que le Samaritain n’adresse sa bénédiction à un dieu étranger, et non au Seigneur. Cela explique l’importance de l’entendre intégralement afin de s’assurer qu’aucun contenu suspect n’y est inséré. En dépit de cette mesure de précaution, la seule éventualité que le Samaritain puisse prononcer une bénédiction témoigne d’une certaine tolérance. La règle émane clairement d’une période à laquelle les Samaritains ne sont pas considérés comme de complets idolâtres, et le texte présuppose non seulement que le fait de prendre un repas avec un Samaritain ne pose pas de problème (même s’il convient de prendre des précautions), mais également que celui-ci peut légitimement se charger de la bénédiction collective. La question de la place du Samaritain fait l’objet d’abondants développements dans la littérature rabbinique. Le débat que présente le passage suivant concerne assez directement l’hospitalité, puisqu’il s’agit toujours de la bénédiction du repas, et plus précisément de la question du zimmun : un Samaritain peut-il compléter un groupe (de deux Juifs) afin de réciter la bénédiction à l’issue du repas ? Selon la Mishna, cela est manifestement possible : « Trois personnes qui ont mangé ensemble sont tenues d’effectuer l’invitation du zimmun. […] Le serveur qui mangé le volume d’une olive, et le Cuthéen – on les compte dans le zimmun436. » Cette règle ne s’applique pas au cas du nokhri, explicitement exclu du zimmun dans la suite de la Mishna (ainsi que nous l’avons déjà vu437). Pour cette raison, et comme le note Bernasconi, le Samaritain est ici considéré comme un Juif à tous égards438, et l’attitude décrite par ce texte est parfaitement cohérente avec le passage évoqué plus haut439. 435 436 437 438 439

M Ber 8.8. M Ber 7.1. Supra, p. 71. Bernasconi (2006), p. 231. M Ber 8.8.

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Qu’en est-il de la réinterprétation de cette règle dans le corpus talmudique ? La voix anonyme de la Gemara palestinienne440 s’interroge sur la place du Samaritain et pose les questions suivantes : comment se fait-il qu’il soit inclus dans la prière ? Ne doit-on pas le considérer comme un `am ha-´are‫ ? ܈‬La suite du texte rapporte deux avis distincts : R. Shim`on b. Gamli´el considère le Samaritain à égalité avec un Juif, alors que Rabbi Yehuda Ha-NaĞi le traite comme un étranger (goy). Le texte de la Gemara ne résout pas réellement la contradiction, mais laisse penser que le contact au Samaritain est tenu pour problématique. Dans la Gemara babylonienne, le cas du Samaritain fait l’objet d’une discussion approfondie. L’extrait suivant présente quelques éléments du débat : Un Cuthéen : on le compte dans le zimmun. Pourquoi ? Il n’est [autre] qu’un [Cuthéen] `am ha-´are‫܈‬, et il a été enseigné : on ne compte pas un `am ha-´are‫ ܈‬dans le zimmun. ´Abaye répondit : [cela s’applique] à un Cuthéen qui est un ‫ۊ‬aver441.

L’étonnement de la Gemara montre bien que la situation décrite par la Mishna n’est pas considérée comme allant de soi. L’avis d’´Abaye restreint la clause permissive de la Mishna : il s’agit en fait d’un Samaritain ‫ۊ‬aver, à comprendre par opposition à un Samaritain `am ha-´are‫܈‬. ´Abaye met par conséquent en doute l’équivalence entre le Cuthéen et le `am ha-´are‫܈‬, afin de préserver la clause de la Mishna : il est possible d’être Cuthéen sans être `am ha-´are‫܈‬. La suite du texte compare le cas du Cuthéen et celui du `am ha-´are‫܈‬, et rapporte plusieurs définitions (divergentes) du `am ha-´are‫܈‬. Pour notre propos, ces questions techniques – fort complexes – sont cependant secondaires. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le noter, la bénédiction joue bien le rôle d’un marqueur identitaire : il s’agit d’un rite domestique qui implique nécessairement la définition de limites identitaires. Dans les deux Gemara (palestinienne et babylonienne), et contrairement à la Mishna (qui est claire), le cas du Samaritain oscille à cet égard entre l’assimilation et la marginalisation. Dans ce dernier cas, il faut sans doute se limiter à constater que les Samaritains sont seulement exclus de la bénédiction et non d’un repas pris en commun, même si ce point n’est jamais explicité par les textes (mais l’existence même d’un débat sur la bénédiction implique que ce n’est pas a priori impossible). 2.5.5 L’hôte reçu est non-juif (goy, nokhri) Un Juif peut-il recevoir chez lui un « païen » ? La réponse dépend nécessairement du contexte historique, mais aussi discursif, dans lequel s’insère un texte. Il semble qu’à l’époque des derniers jours du second Temple, certains courants du judaïsme (notamment sicaires et zélotes) aient adopté une ligne conservatrice dans la question des rapports aux « païens ». Cette attitude stricte contraste avec un point de vue plus pragmatique et conciliant, cherchant avant tout à préserver de 440 TY Ber 7:1, 11b. 441 TB Ber 47b.

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bonnes relations sociales442. Il y a apparemment là une dialectique entre un rigorisme visant à séparer de manière aussi nette que possible les Juifs des « païens » et un pragmatisme qui légitime certains types de contacts. Cette dialectique se retrouve assez régulièrement sur la période de composition de la littérature rabbinique, et conséquemment, dans les règles de la halakha. On trouve ainsi des courants prônant plutôt la conciliation à l’époque tannaïtique443 et l’on peut observer des propos à tendance « exclusiviste » à l’époque de Rabbi (ou par après444), et inversement. Peut-être faut-il voir que selon la période historique, les protagonistes mis en scène, et le genre discursif d’un texte, une attitude ou l’autre prend le dessus. En raison du grand nombre de textes liés à cette question, nous nous limiterons à traiter les exemples les plus représentatifs et concernant spécifiquement l’hospitalité. En préliminaire, il est utile d’évoquer brièvement la thématique des dix-huit mesures (selon la tradition, imposées par les Shammaïtes contre les Hillélites445) qui avaient pour but de restreindre au strict minimum les contacts entre Juifs et « païens446 ». Approuvées par les Shammaïtes, ces mesures auraient finalement conduit, selon Zeitlin447, au déclenchement de la première guerre de Judée. Bien que les textes rabbiniques divergent quant à la nature exacte de ces mesures448, plusieurs d’entre elles concernent apparemment la nourriture (notamment, l’interdiction de manger le pain des « païens », leur fromage, leur vin, leur saumure etc.), à côté de règles proscrivant d’accepter les présents des « païens » ou de fréquenter leurs filles. Sur un plan théorique, ces règles comportent donc certainement une incidence sur les pratiques d’hospitalité. Les dix-huit mesures, que la tradition présente déjà comme contestées par l’école d’Hillel, ne font cependant pas l’unanimité au sein des sources, comme en témoigne l’introduction à leur exposé dans les deux Talmuds : le jour où celles-ci furent promulguées est déclaré avoir été aussi néfaste au peuple d’Israël que le jour de la confection du veau d’or449.

442 443 444 445 446

447 448 449

Cf. Porton (1985), p. 335. Par exemple, M Gi৬ 5.8. Ainsi le propos prêté à R. ´El`azar en TB Pes 49b, évoqué plus haut, p. 49, n. 21. C’est l’épisode, décrit en TY Shab 1:4, 3c du conflit sanglant ayant opposé les Hillélites aux Shammaïtes en raison de divergences de vues quant aux dix-huit mesures. L’intransigeance de ces règles – et notamment le décret de l’impureté des sols – contraste avec une tradition parallèle, remontant au prophète Jérémie (Jer 29, 5–7) et se pousuivant dans la littérature rabbinique, qui relativise fortement les inconvénients de la résidence en terre de diaspora. Sur le décret de l’impureté des sols, cf. Hayes (2002), p. 199 sqq. ; sur la tradition remontant à Jérémie, cf. Touati (1990), p. 61–63. Cf. Zeitlin (1914), p. 36, qui pense que l’épisode des dix-huit mesures remonte à 66, à l’aube de la première guerre de Judée. Cf. aussi Hadas-Lebel (1990), p. 417–418, Mimouni (1998), p. 487–488 et Mézange (2003), p. 132–133. En l’occurrence, TY Shab 1:4, 3c. Plusieurs listes de mesures sont en fait évoquées et il n’est pas simple de retrouver quelle a pu être la liste originale. Cf. TB Shab 17a–b (qui est cependant moins explicite). TY Shab 1:4, 3c ; TB Shab 17a.

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Dans une perspective proche de celle des dix-huit mesures, et en rapport avec l’hospitalité, le texte suivant, attribué à un tanna, vise à limiter autant que faire se peut le contact avec les « païens », envisagés sous l’angle des dominants. R. Shim`on b. ´El`azar450 réactualise en effet un passage de l’histoire du roi Ézéchias en le rapportant à l’invitation de « païens » : Il a été enseigné : R. Shim`on b. ´El`azar a dit : en raison de « Et j’ai fait le bien à tes yeux451 », [il a été conduit à demander] : « Quel [est le] signe [que le Seigneur me guérira] ?452 » ; en raison de « quel [est le] signe », des nokhrim ont mangé à sa table453 ; en raison de nokhrim [qui] ont mangé à sa table, il a été la cause de l’exil de ses enfants454. Cela confirme [l’enseignement de] ণezeqia, car ণezeqia455 a dit : quiconque invite (kol hamezammen) pour un repas un païen (`oved `avoda zara) dans sa maison et le sert (umešammeš `alaw) – il est la cause de l’exil de ses enfants, ainsi qu’il est dit456 : « Et de parmi les enfants qui sortiront de toi, [que tu enfanteras], on en emmènera et ils seront eunuques dans le palais du roi de Babylone457. »

Ce texte fait allusion à la maladie miraculeusement guérie du roi Ézéchias, qui lui valut de recevoir une délégation de Babylonie (prétendument) venue saluer sa guérison. Plus tard dans la chronologie biblique, les Israélites seront exilés en Babylonie. Par la chaîne de conséquences (liée à l’attitude orgueilleuse du roi Ézéchias458) qu’expose le texte, l’exil résulterait indirectement de la réception faite, plus d’un siècle auparavant, à des représentants du pouvoir babylonien. L’analogie, associant l’hospitalité « officielle » d’Ézéchias à l’hospitalité personnelle (kol ha-mezammen : « quiconque invite… ») exhorte à ne pas recevoir des nokhrim (et l’on peut concevoir que ce sont les Romains qui sont ici visés) à sa table, sous peine de ruiner sa descendance (l’exil, qui est la conséquence classique d’un acte répréhensible). Il semble que pour l’amora ণezeqia, ce soit d’abord le fait de servir (mešammeš) un idolâtre qui pose problème : peut-être se place-t-on ainsi en situation d’infériorité, ce qui ne convient nullement dans le cas d’un rapport entre Juifs et « païens ». Il est intéressant de relever qu’un autre propos de R. Shim`on b. ´El`azar critique ses coreligionnaires de la diaspora pour prendre part, en tant qu’invités cette fois-ci, à des banquets préparés par des « païens »459. Une position bien différente apparaît au sein d’un autre texte qui présente plusieurs avis relatifs à l’invitation d’un « païen ». Le problème ne se situe plus dans 450 Tanna contemporain de Yehuda Ha-NaĞi, disciple de R. Me´ir, actif à Bet She`arim de 160 à 200 environ. 451 2 R 20, 3. 452 2 R 20, 8. 453 2 R 20, 12. 454 2 R 20, 17–18. 455 Un amora palestinien du début du IIIe siècle. 456 2 R 20, 18. 457 TB Sanh 104a. 458 Le fait de demander un signe constitue un comportement orgueilleux, considéré pour cette raison comme négatif. 459 ARN A 26, cf. infra, p. 129.

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une opposition de principe quant à la présence d’un « païen » chez soi ou quant à son « impureté ». Le texte vise la question très spécifique de savoir si l’on peut cuisiner pour lui un jour de fête, ce qui suppose que cela est possible pour un jour « normal ». Selon une règle (1) rapportée au nom de Rav Huna (apparemment l’amora babylonien de la fin du IIIe siècle), il est permis de cuire du pain un jour de fête (c’est-à-dire Pessaত, Shavu`ot, Sukkot, Ro´sh Ha-Shana, Yom Kippur, Purim ou ণanukka) pour subvenir aux besoins d’une armée (sans doute perse), pour autant qu’une partie en soit donnée à un enfant : On demanda à R. Huna : les habitants [juifs] de la communauté qui sont contraints de ravitailler les soldats en pain460 peuvent-ils le cuire un jour de fête ? – Il leur répondit : il faut voir. S’ils peuvent donner du pain à un enfant sans que les soldats ne s’en indignent, alors chaque [miche de pain] est vue [comme étant destinée] à l’enfant, et cela est permis. Dans le cas contraire, cela est interdit461.

D’un point de vue légal, le problème soulevé par les habitants du lieu s’assimile à l’invitation d’un « païen », car les soldats sont avant tout des « païens ». Pour R. Yehoshu`a b. Lewi (l’amora palestinien du début du IIIe siècle) dont le propos est rapporté dans la suite du texte, il est permis d’inviter un « païen » (nokhri) lors d’un repas de Shabbat mais non à l’occasion d’une fête. Il s’agit d’éviter que le maître de maison juif ne doive cuisiner en plus grande quantité en raison de la présence du non-Juif : Mais il [Rav Huna] est en désaccord avec R. Yehoshu`a b. Lewi, car R. Yehoshu`a b. Lewi a dit : on peut inviter un païen lors du Shabbat (mezammenin ´et ha-nokhri ba-šabbat), mais on n’invite pas un païen lors d’une fête, en mesure préventive (gezera) du fait qu’il devrait peutêtre [cuisiner] plus en raison de sa présence. Rav ´Aতa b. Jacob dit : pour le Shabbat non plus [on n’invite pas un païen], en raison de ce qui reste [au fond] des coupes. S’il en est ainsi, en est-il de même pour [les restes] de notre propre [vin] ? Le nôtre convient à la volaille. Le leur convient-il aussi à la volaille ? Tout usage en est interdit462.

Afin de comprendre ce texte, il est nécessaire de rappeler que toute activité, à l’exception des travaux nécessaires à la préparation d’un repas, est prohibée à l’occasion d’un yom tov, contrairement au Shabbat, lors duquel tout travail, y compris la préparation d’un repas est rigoureusement proscrit463. Il s’agit dès lors de déterminer si la présence d’un « païen » légitime un travail supplémentaire et en conséquence, si l’on peut inviter un « païen » pour l’une de ces occasions.

460 461 462 463

Lit. « en farine ». TB Beৢ 21a. TB Beৢ 21b. Cf. M Beৢ 5.2 : les travaux suivants sont autorisés lors d’une fête, pour la préparation de nourriture, mais interdits lors d’un Shabbat : malaxer, cuire du pain, abattre (un animal), dépecer, saler, couper, brûler et porter.

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Le texte exprime donc trois opinions à ce sujet : (1) celle attribuée à Rav Huna, (2) celle attribuée à R. Yehoshu`a b. Lewi, et (3) celle attribuée à Rav ´Aতa b. Jacob, l’amora babylonien du début du IVe siècle, disciple de Rav Huna. Ainsi, Rav Huna (1) autorise la préparation de pain pour les « païens » lors d’une fête, pour autant qu’une partie de ce qui a été préparé puisse être donnée à un enfant, ce qui entraîne que ce n’est pas le « païen », mais l’enfant qui sera compté comme à l’origine du travail supplémentaire. Pour sa part, R. Yehoshu`a b. Lewi (2) est d’avis que l’on peut inviter un « païen » au Shabbat, mais non lors d’une fête, en raison du travail supplémentaire que pourrait causer le « païen ». Enfin, Rav ´Aতa b. Jacob (3) pense qu’un « païen » ne peut être invité ni à une fête, ni lors du Shabbat, en raison de l’impureté du reste des coupes de vin. Cette dernière explication ne fait plus intervenir le problème du fait de cuisiner (qui est de toute manière interdit lors du Shabbat : aucun surcroît de travail ne peut donc être engendré le jour même par la présence d’un invité supplémentaire, car le repas est préparé à l’avance), mais celui de la quantité de vin subsistant dans les coupes des « païens » à la fin du repas. Pour Rav ´Aতa b. Jacob, ces restes sont impurs : ils ne sont pas seulement inconsommables (même par de la volaille, après que l’on y aurait trempé des bouts de pain464), mais ils seraient aussi « intouchables » et par conséquent, intransportables (muq‫܈‬eh). Le vin touché par un « païen » est en effet considéré par principe comme nesekh (« vin de libation »), ce qui explique l’état d’impureté des restes465. Les opinions (2) et (3), bien que divergeant sur la cause du problème, sont étayées par l’avis attribué à R. `Aqiva, dans le passage précédant immédiatement notre texte : il s’agit finalement d’une question d’obligation, qui se pose différemment s’il s’agit d’un « païen » ou d’un autre Juif. Un Juif n’a pas pour devoir d’entretenir un « païen » (ce qui ne veut pas dire qu’il n’en a pas la possibilité) et n’a donc pas à cuisiner spécialement pour lui lors d’une fête. Cette notion est particulièrement importante pour la question de l’hospitalité : il convient de distinguer entre ceux que l’on doit « entretenir » et les autres. Selon ce passage à tout le moins, le critère de l’appartenance « religieuse » (juif – païen) permet clairement de décider dans quel cas on se trouve, et donc, si l’on peut cuisiner plus, ou non. L’avis de Rav ´Aতa b. Jacob se heurte à l’objection que par l’intermédiaire de la coupe (du contenant), on peut débarrasser les restes de vin laissés par les « païens » sans les toucher466. Son avis est donc écarté et la règle générale est ré-

464 Coutume usuelle selon Rashi : « Les restes des coupes – [il s’agit] des coupes de vin. Car il y a trempé son pain. » 465 Cf. M `AZ 5.5 : la simple présence d’un païen dans une pièce, en l’absence d’un Juif, est susceptible de rendre impropre le vin qui s’y trouve. Originellement, le problème consiste en la crainte que le païen ne se serve du vin pour procéder à des libations idolâtres. 466 Le principe est soutenu par la halakha, notamment pour ce qui concerne l’ablution des mains : des mains sales ne contaminent pas le vin par l’intermédiaire d’une coupe (cette question fait l’objet d’un vaste débat entre Shammai et Hillel, en M Ber 8.1–7).

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pétée avec le soutien de Rava et de Mar Samuel : elle est conforme à R. Huna467. La suite du texte présente une application de cette règle (dans un contexte babylonien, mais cela ne change rien à la problématique) : Quand un païen (nokhri) rendait visite à Maremar et à Mar Zu৬ra468 le jour d’une fête, ils lui disaient : si vous vous satisfaites de ce que nous avons préparé pour nous-mêmes, très bien ; dans le cas contraire, nous ne sommes pas en mesure de nous donner plus de travail pour vous469.

La règle de R. Huna (on peut inviter un « païen » lors d’une fête) n’est donc pas appliquée à la lettre, mais sa logique est préservée : l’invitation du « païen » est possible, pour autant que sa présence n’engendre pas de travail supplémentaire. C’est bien ce dernier point qui pose problème, et non la simple présence du « païen470 », ou le fait de l’impureté dont il serait porteur de manière congénitale (question qui se reflète toutefois dans l’opinion de Rav ´Aতa b. Jacob). Cette discussion témoigne de manière exemplaire de l’ambivalence de l’hospitalité : bien que l’on ne soit par principe pas contraint de subvenir aux besoins du « païen », l’écarter complètement de toute interaction témoignerait d’une intransigeance incompatible avec la simple préservation des relations sociales – le « païen » est peut-être un ami du maître de maison. Le récit conclusif qui illustre la règle finalement retenue sauve le rôle social de l’hospitalité. Il s’agit là d’un bon exemple de compromis, souvent désigné par l’expression darkhe šalom, les « voies de la paix », la « paix sociale471 », qui vise peut-être aussi à éviter que les rabbins et leurs prescriptions ne soient complètement isolés de la société sur laquelle ils souhaitent avoir prise472. Dans tous les cas, l’opinion assez extrême de notre premier exemple (l’interdiction d’inviter un « païen » à sa table sous peine de causer « l’exil de sa descendance ») est fortement modérée dans ce second texte. Il est possible d’invoquer, pour expliquer une telle différence, soit un changement de contexte historique (par exemple, la Palestine du IIIe siècle vs. la Babylonie du IVe siècle), soit l’expression d’opinions idiosyncrasiques, soit encore une variation de genre discursif. La ´aggada se montre parfois plus extrême que la halakha et exagère certains aspects afin de renforcer sa portée homilétique. L’impression générale se dégageant de ces textes (et spécialement, celui du traité Beৢah) est toutefois celle d’un certain pragmatisme : il serait peu réaliste d’empêcher tout contact social avec les nǂkrim. Ce raisonnement contredit cer467 TB Beৢ 21b. « Rava accompagna Mar Samuel et interpréta : on peut inviter un païen lors du Shabbat, mais on n’invite pas un païen lors d’une fête, en mesure préventive du fait qu’il devrait peut-être [cuisiner] plus en raison de sa présence. » 468 Les deux sont des amoraim babyloniens, actifs de 375 à 425, collègues de Rav ´Ashi. 469 TB Beৢ 21b. 470 Remarquons au passage que le texte ne dit rien de l’invitation d’un païen lors d’une occasion autre qu’une fête ou le Shabbat. 471 Un certain nombre d’actions tolérées en raison de la « paix sociale » (comme l’aide aux pauvres des « païens ») sont décrites en M Gi৬ 5.8. Cf. également Touati (1990), p. 15. 472 Cf. Schwartz (2001), p. 174.

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tains édits (apparemment plus anciens) visant à séparer strictement les Juifs des « païens » dans leurs relations sociales et ne correspond pas à une application rigoureuse des règles de pureté. Le contact avec les « étrangers » n’est manifestement pas proscrit, ce qui serait pourtant la conséquence logique de l’assimilation halakhique du « païen » au zav. Peut-être doit-on aussi considérer le fait que le « groupe de référence » a varié sur la période de la rédaction des textes : il est vraisemblable que les dix-huit mesures émanent d’un groupe plus « délimité » – et en situation de concurrence avec d’autres groupes juifs – que le groupe des rédacteurs de textes postérieurs prônant plutôt une attitude conciliatrice. Cette différence entraîne inévitablement des conséquences quant à la gestion des relations avec le « monde extérieur ». Enfin, et comme le montre Neusner pour le contexte babylonien tardif, il faut compter avec un écart significatif entre les conseils donnés par l’élite rabbinique et la pratique populaire473. Cela implique que même le point de vue orthodoxe représenté par nos textes a dû prendre acte de certains écarts. 2.5.6 L’hôte recevant est un non-Juif On ne trouve à nouveau pas d’unanimité dans le traitement des questions que pose l’invitation à un repas (ou à un séjour) par un non-Juif. On peut concevoir, du côté « païen », plusieurs occasions lors desquelles il était possible ou souhaitable d’inviter des Juifs : des repas officiels (un général romain démobilisé conviait bien souvent tous les habitants de la ville où il avait été stationné à un repas en commun474) tout comme des repas « personnels » (l’ami « païen » d’un Juif l’invitant chez lui). Du côté rabbinique, il faut relever deux tendances générales, déjà rencontrées dans la question de l’invitation chez soi d’un « païen » : (1) celle qui consiste à limiter le plus possible les relations aux non-Juifs, pour plusieurs raisons, comme le contact avec l’idolâtrie, la mauvaise influence du « païen », l’impureté rituelle de sa maison475 ou de sa nourriture ; et (2) celle qui prône que le don d’autrui peut être accepté, pour des raisons telles que l’amitié ou la paix sociale. Le texte suivant évoque l’une des dix-huit mesures, qui va dans le sens de la première tendance et qui comporte un rapport indirect à l’hospitalité, dans la mesure où il est question d’une distinction entre la nourriture cuisinée et la nourriture non-cuisinée des « païens » : On dit en présence de R. ণiyya le Grand476 : R. Shim`on b. Yoতai a enseigné [que du verset] (Dt 2, 6) : « Vous leur achèterez de la nourriture contre argent et la mangerez, et vous leur achèterez de l’eau contre argent, et vous la boirez, etc. » [on tire cette déduction] : comme [on 473 Neusner (1965–1970), vol. 5, p. 26–29, qui cite précisément notre texte de TB Beৢ 21b. 474 La situation est par exemple évoquée en Dt R 10.4. C’est le cas 20) de Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 36 (cf. aussi p. 40). 475 Cf. M ´Oh 18.7 : « Les lieux de résidence (medorot) des goyim sont impurs. » 476 Tanna / amora de la fin du IIe siècle.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

peut acquérir] de l’eau, qui ne change pas de nature, de même [on peut acquérir] toute chose qui n’a pas changé de nature477.

Le propos de R. Shim`on b. Yoতai interprète donc le texte biblique d’une manière restrictive : on ne peut acquérir que les aliments qui n’ont pas été préparés ou cuisinés. Cette idée revient assez régulièrement : il est possible d’acheter (avec certaines précautions) les aliments non cuisinés des « païens », mais non ce qui a été préparé ou cuisiné478. Une application stricte de cette mesure comporte des implications pour l’hospitalité, dans la mesure où celle-ci suppose précisément le partage d’une nourriture cuisinée. Le passage suivant témoigne clairement d’une tendance similaire, celle d’une certaine intransigeance à l’égard du rapport aux nokhrim : Les disciples de R. Shim`on b. Yoতai lui demandèrent : pourquoi les ennemis des Juifs479 de cette génération-ci ont-ils été condamnés à la destruction ? – Il leur dit : répondez vous-mêmes ! – Ils lui dirent : parce qu’ils ont profité du repas de cet impie480.

Le contexte de ce passage traite de l’exil juif sous domination perse (à l’époque d’Esther) et dénonce la complaisance de certains Israélites à l’égard de l’autorité perse. Le fait d’avoir profité d’un repas du roi perse Assuérus conduira les Israélites à leur perte. Bien qu’apparaissant au sein d’un document babylonien, ce propos témoigne peut-être d’une situation ancienne : à l’époque de R. Shim`on b. Yoতai, lui-même profondément anti-romain, le rapport aux Romains est extrêmement tendu et la participation à un repas romain pose avant tout un problème politique. Il s’agit d’un comportement incompatible avec l’attitude que l’on attend de la part de résistants à l’oppression étrangère. On remarquera que la conséquence décrite ici (la destruction) est plus sévère que celle entraînée par l’invitation d’un nokhri dans le texte de R. Shim`on ´El`azar évoqué plus haut (« en raison de nokhrim [qui] ont mangé à sa table, il a été la cause de l’exil de ses enfants »). Il est assurément plus grave d’être l’invité d’un « païen », car on n’a pas de maîtrise sur le cadre de la relation (et en particulier, sur la question de la préparation du repas481). Mais la différence pourrait éga-

477 TY Shab 1:4, 3c. 478 Cf. par exemple TY Shab 1:4, 3c : le pain des païens est interdit, car il est cuisiné (contrairement au blé). 479 L’expression est en fait un euphémisme désignant, dans ce contexte, Israël (cf. Jastrow (1996 [1971]), p. 1537). 480 TB Meg 12a. Cf. aussi Cant R 7.8 (ils auraient mangé de la nourriture non juive) et Num R 21.20 (R. Dosta´y, tanna de la seconde moitié du IIe siècle, aurait assisté à un repas public non-juif). L’« impie » est le roi perse Assuérus. Cf. Esth 1, 5. 481 Ainsi Hayes (1997), p. 245–246 : « To have gentiles visit Jewish homes and consume Jewish food is no problem. Problems arise only when Jews visit Gentile home, where they may be served nonkosher food or food that is dedicated or sacrificed to an idol and thus impure and forbidden. »

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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lement s’expliquer par le changement de contexte, par la visée homilétique du propos ou par son caractère idiosyncrasique. Le passage suivant traite du cas plus spécifique et sans portée politique, de l’invitation personnelle d’un Juif par un « païen ». Le texte commence par distinguer les pratiques des Juifs d’Israël et de celles de leurs coreligionnaires de la diaspora. Ainsi : Il a été enseigné : R. Ishmaël dit : les Israélites qui [sont] en dehors de la Terre (yiĞra´el šebe‫ۊ‬u‫܈‬a la´are‫ )܈‬servent les idoles (`ovede `avoda zara), [même si cela est] en toute pureté482.

Il s’agit clairement d’une critique adressée aux Juifs de diaspora483, même si les deux clauses du texte semblent apparemment contradictoires : comment peut-on en effet « servir les idoles » tout en restant pur ? Afin de répondre à cette question, la suite du passage évoque l’exemple d’un Gentil invitant des amis Juifs à l’occasion du mariage de son fils. De quelle manière ? Un païen484 qui a fait un banquet [pour le mariage] de son fils (še-`aĞa mišteh livno) et [y] a invité tous les Juifs qui [sont] dans sa ville (wezimmen kol ha-yehudim še-be`iro), même s’ils mangent de ce qui est à eux, qu’ils boivent de ce qui est à eux, et que leur propre serveur se tient à leur disposition, l’Écriture le leur compte comme s’ils (ke´illu) avaient consommé des sacrifices aux morts (mi-ziv‫ۊ‬e metim), ainsi qu’il est dit485 : « Et il t’appellera et tu mangeras de son sacrifice486. »

Ce n’est manifestement pas la consommation de boisson ou de nourriture qui fait problème, mais la simple participation à un banquet non-juif. Même dans la situation, quelque peu étonnante, où chaque Juif se ferait accompagner d’un serveur juif et ne ferait que consommer de ce qui est à lui, la participation à un tel rassemblement demeure problématique. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre le « en toute pureté » du texte précédent : même avec ces précautions (qui anticipent précisément le problème de la pureté), un Juif de diaspora se compromet dans l’idolâtrie (les sacrifices aux morts, traditionnellement associés à l’idolâtrie487). Le propos ne légitime donc pas ce comportement, mais le critique. En fait, le problème réside avant tout dans le cadre cérémoniel du repas, ce qui est conforme à l’esprit du passage de l’Exode cité par le texte : le verset complet interdit la conclusion d’une alliance avec une Nation afin d’éviter la participation des Hébreux, même contre leur gré, à un culte étranger. La raison, religieuse ou non, qui préside au banquet organisé par le goy importe donc, ce qui se con482 TB `AZ 8a. Des parallèles se trouvent en ARN A 26 (éd. Schechter, p. 82) et T `AZ 4.6 (éd. Zuckermandel, p. 466) : le texte y est rapporté au nom de R. Shim`on b. ´El`azar. 483 Pour d’autres critiques du même type, cf. ARN A 28 (éd. Schechter, p. 85) : selon un propos prêté au même R. Shim`on b. ´El`azar, un Sage ayant habité en Israël et parti à l’étranger est moins respectable qu’un Sage resté en Israël. 484 L’édition de Vilna a `oved kokhavim, que Steinsaltz remplace par goy. Le texte d’ARN porte nokhri. 485 Ex 34, 15. 486 TB `AZ 8a. 487 La comparaison avec les sacrifices aux morts est déjà apparue dans le contexte d’une table autour de laquelle des paroles de la Torah n’auraient pas été échangées, supra, p. 106.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

firme dans la suite du texte : s’il n’y a pas de motif « religieux » ou de caractère rituel, la participation n’est pas interdite488. On peut évidemment se demander s’il existe réellement des repas non-juifs (a fortiori, des fêtes non-juives) dépourvus de toute connotation « religieuse ». La question ne doit bien sûr pas être posée de notre point de vue, mais de celui des rabbins. Apparemment, d’après notre texte, il existe effectivement des repas nonjuifs auxquels la participation n’est pas interdite et qui relèvent en quelque sorte de la se`uddat rašut juive. Selon la Mishna489, les fêtes religieuses et idolâtres des « païens » (´edehen) sont clairement définies : elles se limitent, pour les fêtes officielles, aux Calendes, aux Saturnales, à la Kratesis et aux fêtes impériales (investiture, anniversaire de la naissance ou du décès d’un empereur etc.). Pour les fêtes privées, sont mentionnés la cérémonie de puberté, la fête faisant suite à un voyage en mer, une fête consécutive à une sortie de prison et un banquet de mariage. Les autres « fêtes » ne semblent pas catégorisées comme intrinsèquement idolâtres, à moins que, de manière cependant peu probable, le texte de la Mishna ne mentionne que les cas les plus fondamentaux, sans s’attarder sur les « fêtes mineures » qui seraient également proscrites par voie d’analogie. À un niveau plus général, il est intéressant de constater qu’une distinction claire est effectuée dans le discours « émique » entre des critères « religieux » ou « rituels » d’un côté, et des critères « sociaux » de l’autre. Le caractère rituel ou non du « repas païen » est ainsi interprété par référence aux pratiques juives et les rabbins procèdent par comparaison : un mariage juif est une affaire rituelle, ce qui implique, par analogie, que le mariage « païen » relève lui aussi d’une question rituelle. Dans le cas présent d’une cérémonie non-juive de mariage, il est cependant probable que le critère proprement « religieux » ou « rituel » ne soit pas le seul problème : à l’occasion d’un mariage, certains convives pourraient faire des connaissances susceptibles de mener à un autre mariage, ce qui pose le problème décisif des unions mixtes490. Dans tous les cas, notre texte se montre relativement strict sur la question de la participation d’un Juif à un repas organisé par un non-Juif. Ce fait est remarquable s’agissant des pratiques sociales de particuliers évoquées dans le Talmud 488 TB `AZ 8a–b. Mais Krauss (1910–1912), vol. 3, p. 25 relève : « [W]as besonders hervorgehoben zu werden verdient, ist die ausdrückliche Versicherung, daß auch Heiden an ihren Hochzeits- und sonstigen Festen besucht werden. » Cet énoncé est en contradiction flagrante avec notre texte, qui indique que ces contacts sont précisément proscrits. De son côté, HadasLebel (1990), p. 331 relève au sujet des fêtes impériales, que « si ces fêtes n’avaient eu qu’un simple caractère civique, il eût été difficile de les assimiler à une forme quelconque d’idolâtrie. Du fait qu’elles possédaient à la fois un caractère civique et religieux, les autorités rabbiniques conseillaient de s’en tenir éloigné, évitant ainsi du même coup le contact de l’idolâtrie et la manifestation d’allégeance politique. » 489 M `AZ 1.2. 490 Ce risque constitue aussi l’une des raisons interdisant la consommation d’alcool auprès de païens : cf. TB `AZ 75b et Neusner (1965–1970), vol. 5, p. 26. Sur la question du mariage mixte en général, cf. Cohen (1999), p. 241–262 et Stern (1994), p. 159 sqq.

2.5 Difficultés de l’hospitalité

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de Babylone, qui témoigne souvent, au contraire, d’une position plus souple que la littérature rabbinique antérieure491. Les règles décrites par la Gemara sont en effet plutôt contraignantes et ne figurent pas dans les versions palestiniennes de ce texte492. Hayes suggère que la rigueur de cette prescription s’explique principalement par les circonstances de la vie de diaspora, qui auraient conduit les Sages à se montrer plus stricts sur le sujet des rapports aux non-Juifs493. Peut-être est-il possible de proposer une autre hypothèse de lecture : le début du texte comporte manifestement une visée homilétique (avec l’usage du « comme si », ke´illu494), et l’on pourrait voir ici une réaction des Sages face à une réalité qu’ils désapprouvent et qu’ils essayent d’empêcher en recourant à des exagérations rhétoriques. Comme le note Neusner, « la raison pour laquelle les rabbins étaient si empressés de renforcer les lois relatives à la manipulation de vin juif par les païens et l’hospitalité aux païens réside certainement dans la banalité des contacts quotidiens495. » De son côté, Vana remarque que la participation à un banquet tel que celui dont il est question dans notre texte comporte avant tout une portée sociale496, ce qui renforce l’idée d’une divergence de vues entre le groupe des « Sages » et les simples « laïcs ». Sanders oppose d’ailleurs l’ingéniosité de solutions pragmatiques aux problèmes théoriques consignés au sein des textes497. Neusner observe de même que « [l]es rabbins eux-mêmes rapportent des histoires qui indiquent occasionnellement qu’ils recevaient des non-Juifs et étaient reçus par eux498. » C’est ainsi qu’un passage du Talmud palestinien indique, sans que cela ne semble poser de difficulté, que l’amora Samuel résidait chez un Perse (ce

491 Hayes (1997), p. 164 : « The strictness of the Bavli on this matter of private feasts is quite remarkable, particularly in light of the Bavli’s trend toward greater leniency in laws that involve interaction with non-Jews. » 492 Comme le montre Hayes (1997), p. 160–163, après une étude des deux passages parallèles, « the Bavli, unlike the Palestinian sources, reads this text as providing a clear halakhic statement prohibiting attendance at a non-Jew’s feast. » (p. 163). 493 Hayes (1997), p. 168–170, notamment : « The Babylonians, as a minority in a land that was not their own in any political or religious sense, perceived themselves to be threatened by national and cultural assimilation to a greater degree than did Jews in Jewish communities in Palestine […]. » (p. 170). Cf. également Steinfeld (1977). 494 Cf. supra, p. 61, n. 83. 495 Neusner (1965–1970), vol. 5, p. 27. 496 Vana (1997), p. 152 : « Quel est donc l’intérêt d’une telle réunion ? S’agissant du plaisir de retrouver ses amis, de cultiver ses relations avec ses voisins en s’associant à leurs réjouissances familiales, l’intérêt d’une telle rencontre est essentiellement et exclusivement social. » 497 Sanders (1990), p. 282 évoque, dans le cadre d’une invitation « concrète » d’un Juif par un non-Juif, trois solutions possibles : (1) « All a Gentile would have to do to entertain a Jewish friend would be to buy meat and wine from a suitable source. » (2) « […] [D]o not enquire. Transgressions committed inadvertently are light, and it is probable that many people did not worry about them too much. » (3) « […] [B]ring your own food and wine, or eat vegetables and drink water. » 498 Neusner (1986b), p. 146. Comme on l’a vu, il faut toutefois prendre garde à bien distinguer le cas d’un Juif reçu par un non-Juif et la situation inverse, qui comportent des implications sensiblement différentes.

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2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

qui sert de base à une discussion quant à la possibilité pour un Juif de profiter ou non de la lumière qu’un « païen » a allumée chez lui lors du Shabbat499). Résumons finalement les questions apparues comme déterminantes pour le sujet de l’hospitalité donnée par un « païen » : (1) le rapport de pouvoir implicite dans l’hospitalité (accepter l’hospitalité revient à accepter le pouvoir du maître de maison et à se reconnaître redevable) ; (2) le cadre cérémoniel et la participation implicite à ce qui est perçu comme une pratique rituelle idolâtre. Une dernière question (3), incidemment évoquée ici, est celle du risque des unions mixtes. 2.6 CONCLUSIONS Bien que notre étude des textes rabbiniques n’ait pas de prétention à l’exhaustivité, nous disposons à présent de suffisamment d’éléments pour proposer quelques remarques de synthèse. Nous allons considérer nos résultats à la fois sous un angle socio-économique – en tant que nos textes nous renseignent sur les stratégies et les rapports de pouvoir à l’œuvre dans l’hospitalité – et sous un angle plus historique. 2.6.1 Conséquences d’ordre socio-économique Dans le contexte rabbinique, l’hospitalité est profondément reliée à plusieurs débats sur des sujets cruciaux, comme le sacrifice, le rapport à l’étranger, le rapport à l’autorité, la nourriture, la pureté, la politesse etc. Il s’agit clairement d’un sujet sensible, qui reflète toute la complexité des relations sociales, à la fois internes et externes à l’autorité rabbinique. Les différents gestes effectués dans le cadre de l’hospitalité peuvent volontiers être considérés comme des actes « rituels », qui garantissent le bon déroulement de la relation et qui l’inscrivent dans un cadre culturel. Comme en témoignent les règles consignées au sein des traités de derekh ´ere‫܈‬, l’existence même d’un protocole régissant les relations entre un maître de maison et son invité relève aussi de la définition d’une culture, et du coup, d’une « communauté ». On souscrit volontiers, sur ce point, aux analyses éclairantes du sociologue E. Goffman et à sa description des rites d’interaction500 : les rites d’hospitalité, tels que la salutation, l’arrangement des chaises ou les ordres de précédence, relèvent éminemment de pratiques garantissant et « validant » le bon déroulement d’une interaction sociale. Les textes que l’on a étudiés décrivent aussi tous une certaine logique de l’échange. Comme nous l’avions annoncé en introduction, il semble pertinent d’appliquer et de mettre à l’épreuve le modèle proposé par Mauss dans son Essai sur le don à l’aune de nos exemples. Nous tenterons ainsi de dégager quelques 499 TY Shab 16:8, 15d. 500 Goffman (2008 [1967]).

2.6 Conclusions

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conséquences sociales et économiques des pratiques de l’hospitalité, ce qui pourra donner des éléments potentiellement utiles à une reconstruction historique. Mauss distingue volontiers trois moments dans la pratique du don et de l’hospitalité : (1) l’hospitalité doit s’offrir ; (2) elle ne se refuse pas ; et (3) elle implique nécessairement une réciprocité, réelle ou « symbolique501 ». Dans quelle mesure un tel schéma rend-il compte des discours examinés ici ? La problématique de l’hospitalité se confond-elle, par ailleurs, avec celle du don ? De nombreux textes enjoignent effectivement aux particuliers de donner l’hospitalité. L’hospitalité peut alors s’assimiler à un commandement, qui permet à celui qui l’exerce d’acquérir des « mérites » et qui entraîne une sanction dans le cas contraire. Mais le devoir n’est pas aussi pressant selon que l’hôte reçu est un Sage, un étudiant, un simple « laïc » ou un ignorant. Dans ce dernier cas tout comme dans les relations portées aux non-Juifs, l’hospitalité entraîne avant tout un certain nombre de questions. Elle n’est pas nécessairement impossible, mais elle ne constitue – dans le système décrit par les textes – certainement pas un devoir d’ordre religieux. Le même raisonnement s’applique à la question de l’acceptation : celle-ci n’est de loin pas systématique. Elle dépend de nombreux facteurs, comme la position de celui qui reçoit (rabbin, « laïc »), la moralité du « donneur », son importance, sa fortune, et bien sûr, le contexte historique. On ne peut donc pas affirmer qu’il y a une réelle obligation, systématique, de recevoir : au contraire même, dans le contexte de la Mishna, un ‫ۊ‬aver a l’obligation de refuser une invitation qui lui serait faite de la part d’un `am ha-´are‫܈‬, et l’on se rappelle de la réticence de R. Pinতas quant à l’invitation du naĞi, réticence manifestement approuvée par le rédacteur du texte. L’idée de la réciprocité est aussi problématique pour le cas d’étudiants de passage, de Juifs pauvres ou de rabbins qui n’ont peut-être pas la possibilité ou la volonté de rendre l’invitation. La relation s’établit alors clairement sur un mode dissymétrique. On pourra cependant arguer que la réciprocité s’exerce de manière indirecte, par l’entremise d’une théologie des mérites, ou que des éléments immatériels – comme le contact avec la Torah, incarnée autant par le rabbin que par l’étudiant – suffisent à rétribuer le maître de maison pour ses services. Ce type d’explication est effectivement prévu dans le schéma de Mauss, qui souligne la possibilité que la réciprocité ne s’exerce pas de manière directe, mais par l’expédient d’un intermédiaire, réel ou symbolique502. Dans ces différents cas toutefois, il est indispensable que l’ensemble des protagonistes de l’interaction reconnaissent la validité du système faisant l’étiologie de l’absence de réciprocité directe. 501 Mauss (1985 [1924]), p. 161–162 ; 205. 502 Ce que relève Gotman (2001), p. 277 : « Dans le schéma de Mauss, le don et le contre-don ne circulent pas entre a et b mais entre a, b et c : a donne à b qui rend à c. Le donataire (b) ne rend pas au donateur, mais à un tiers (c). Ainsi s’enchaînent les dons à l’infini au lieu de revenir à leur point de départ. Ainsi l’hôte ayant bénéficié de l’hospitalité d’une personne ou d’une famille pourra-t-il s’acquitter de sa dette en offrant à son tour l’hospitalité à un tiers. »

134

2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

En revanche, du moment qu’une invitation a été acceptée et entre pairs, la notion de réciprocité « concrète » semble effectivement de mise, exactement comme dans le cadre de la tradition gréco-romaine de la xenia / hospitium. Dans le cas de l’hospitalité avec les « païens », cependant, les places de celui qui reçoit et de celui qui est reçu ne sont manifestement pas interchangeables. À tout prendre, et pour le point de vue orthodoxe représenté par les textes, il est préférable d’inviter un « païen » que de manger chez lui, ce qui complique la réciprocité. En tous les cas, il convient de distinguer la problématique de l’hospitalité de celle du don. L’hospitalité fait intervenir un certain nombre de facteurs supplémentaires propres à compliquer la relation, comme la prise en commun d’un repas, le fait même de cuisiner, le contact interpersonnel etc. Nous sommes dès lors contraints de constater que les exemples que nous fournit la littérature rabbinique ne confirment pas systématiquement le schéma de Mauss, mais soulignent le principe selon lequel la position des protagonistes détermine les discours sur l’hospitalité503. L’idée fondamentale de Mauss – que le don ne saurait jamais être complètement « gratuit », mais qu’il s’inscrit au sein d’un système rétributif plus ou moins complexe504 – n’est toutefois pas affectée par nos remarques. 2.6.2 Conjectures historiques Sur un plan historique cette fois-ci, il faut évidemment reconnaître la difficulté de reconstruire les conditions socio-historiques encadrant la formulation des propos ou la rédaction des textes que nous avons considérés. Quelques tendances générales peuvent toutefois être relevées, sous la forme de conjectures. Ainsi, il est concevable que l’institution gréco-romaine de la xenia / hospitium ait été réinvestie d’un sens nouveau par les rabbins, au moins depuis la destruction du second Temple. Dans ces conditions, nos textes viseraient avant tout à spécifier les modalités d’une institution existant par ailleurs et même parfaitement enracinée dans la vie quotidienne. Par cette « spécification », cette institution aurait été mise au service d’objectifs précis, à savoir le renforcement de la cohésion sociale de certaines communautés juives et de l’autorité des rabbins505. Comme le note Sivertsev, « [l]es foyers pourraient avoir joué un rôle crucial dans la transmission des traditions rabbiniques anciennes, exactement comme ils ont joué un rôle central dans la transmission et la dissémination d’autres traditions de

503 Firth (1967), p. 12 a précisément montré que Mauss n’avait peut-être pas suffisamment traité des différences de positions sociales entre le donataire et le donateur, qui affectent inévitablement l’ensemble du système du don. Cf. également Grottanelli (1981), p. 122 et Herman (1991), p. 123–124. 504 Cf. sur ce point les remarques de Douglas (1992), p. 156 sqq. 505 Il s’agit là d’un processus similaire et parallèle à celui que décrit Herman (1997) pour le cas du christianisme.

2.6 Conclusions

135

l’époque (y compris le christianisme506) ». Or l’importance de foyers domestiques pour la diffusion d’un mouvement implique nécessairement des contacts entre des représentants de ce mouvement et les foyers considérés comme des entités séparées. L’hospitalité constitue une institution idéale pour la réalisation de tels contacts, pour autant que celle-ci se déroule conformément à un certain nombre de règles. Cet aspect de l’hospitalité s’inscrit également très bien dans la situation décrite par Hezser. Si l’on adopte son schéma d’un « système d’alliance personelle507 » qui caractériserait le mouvement rabbinique dans le contexte palestinien, l’hospitalité favoriserait effectivement le déplacement des rabbins en l’absence d’une structure centrale organisée508. Afin de spécifier les modalités d’une institution aussi sensible que l’hospitalité, le groupe des rabbins semble avoir fait recours à différents procédés, comme la valorisation « théologique » (eschatologique, par exemple) de pratiques sociales ou leur association à des règles rituelles, notamment celles relatives aux sacrifices. C’est un mouvement similaire que nous avons cru percevoir dans le cadre de la transposition à l’espace domestique des particuliers de diverses prescriptions rituelles de commensalité, empruntées autant aux pratiques de groupes « aristocratiques » qu’à celles d’élites religieuses comme les ‫ۊ‬averim. Du point de vue rabbinique, un tel processus présente de nombreux avantages : il permet d’une part de valoriser l’hospitalité, en soulignant que celle-ci est tout aussi importante que d’autres pratiques dont l’autorité n’est pas mise en doute (les sacrifices, mais aussi l’étude, les actes charitables, etc.). Il contribue d’autre part à l’élaboration d’un certain nombre d’attitudes et de pratiques (le plus souvent liées à la Torah) de la vie quotidienne constitutives de l’identité d’une culture. Pour ces raisons, il ne paraît pas exagéré de dire que c’est à la réussite de cette transposition de pratiques rituelles sur la sphère privée que le mouvement rabbinique doit principalement son succès509. Au cours du temps, il semble que différentes règles régissant la pratique de l’hospitalité aient fait l’objet de compromis. On peut y voir plusieurs raisons. Si, comme nous le pensons, les règles d’hospitalité jouent bien un rôle dans le processus historique de la construction d’une communauté, il est somme toute raisonnable de penser que celles-ci sont d’autant moins importantes que la communauté en question est bien structurée. Un tel schéma nous semble relativement plausible pour ce qui concerne l’évolution historique du mouvement rabbinique. 506 Sivertsev (2005), p. 213 (ma traduction) dont le propos vise plus spécialement le judaïsme rabbinique des Ier et IIe siècles. 507 Hezser (1997), p. 238–239. 508 Hezser (1997), p. 325 : « Local as well as inter-regional alliances seem to have been established among small clusters of rabbis. Besides studying and discussing Torah together, these rabbis provided hospitality to each other, attended each other’s family occasions, supported each other in times of illness and bereavement, accompanied each other on their trips to baths, and may have occasionaly worked together. » 509 Cf. (entre autres) à ce propos, Sivertsev (2005), p. 274 : « Rabbinic Judaism grew out of an attempt to integrate the ‘utopian’ holiness of disciple circles and familial piety of Second Temple households. »

136

2. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature rabbinique

On peut toutefois interpréter le même phénomène d’une manière différente (ou complémentaire), en arguant que les compromis en question ont favorisé l’extension du cercle rabbinique. Plusieurs discussions enregistrées par la Gemara babylonienne, souvent teintées d’un certain pragmatisme, en témoignent bien : il serait vain d’empêcher toute sorte de contact (y compris donc l’hospitalité) avec la société environnante. L’exemple de certains naĞi, comme R. Yehuda (II) NeĞiah, démontre aussi clairement, et en contradiction avec des édits rabbiniques antérieurs, que toute interaction avec les « païens » n’est pas à exclure510. Dans ce contexte, c’est souvent l’argument de la « paix sociale » qui est invoqué. Il est nécessaire de trouver des compromis à la fois dans les relations portées aux étrangers et dans le respect des règles de pureté, ce qui est aussi indispensable à la perpétuation du mouvement rabbinique lui-même : une attitude par trop intransigeante aurait pour conséquence d’isoler les autorités rabbiniques de la société environnante511. En ce sens, les frontières entre les différents groupes de protagonistes évoqués au début de ce chapitre sont loin d’être parfaitement étanches. Il nous semble même correct de dire que l’hospitalité a joué un rôle d’intégration ou de communication entre plusieurs groupes, en dépit de problèmes spécifiques posés par ce type de contacts sociaux – le plus souvent négociés selon des modalités telles que celles que nous avons discutées. Ajoutons que le fait même que ces problèmes soient soulevés et discutés au sein de textes à caractère normatif témoigne certainement d’une réalité sociale « dynamique » et de la possibilité concrète de tels contacts sociaux. Pour autant, il est intéressant de relever qu’aucun texte n’évoque la situation du min (le Juif dissident). Bien qu’il soit toujours périlleux d’avancer un argument a silentio (d’autant que des textes nous ont peut-être échappé), on peut penser que la situation du min est, aux yeux des rabbins, claire et sans ambiguïté : le contact avec celui-ci est systématiquement déconseillé et le terme lui-même comporte indubitablement un aspect péjoratif. Pour cette raison, et dans l’optique des Sages, il n’est probablement pas nécessaire de débattre du sujet. Il n’y a pas là de doute, contrairement aux cas du `am ha-´are‫܈‬, du goy ou du kuti, qui sont, pour différentes raisons, chargés d’ambivalence. 510 Citons par exemple l’abolition par R. Yehuda (II) NeĞiah de l’interdiction de consommer de l’huile des païens, qui semble avoir été préalablement édictée dans le cadre des dix-huit mesures (TY Shab 1:4, 3c). 511 Sur cette évolution, cf. Urbach (1987), p. 586, qui note : « It seems that in the ancient period, when the associates were not numerous, their laws were stricter, but when the ways of the ণăvûrƗ became popular practice, the tendency towards leniency developed. » Il relève aussi deux attitudes distinctes au sein de la communauté des Sages du IIe siècle : « R. Me´ir wished to introduce greater stringency, whereas the Tannaim who disagreed with him preferred to proceed along the path of leniency. » Pour la période ultérieure, cf. Oppenheimer (1977), p. 66 : « The observance of the laws of purity and impurity apparently diminished progressively in the days of the Amoraim, undoubtedly due to the years and generations that had passed since the Temple was in existence and to the crystallization of Judaism around the world of learning and the world of the synagogue and of prayer. »

2.6 Conclusions

137

À une époque relativement tardive, il est peut-être possible de parler d’une « idéalisation » (ou « réification ») de l’hospitalité. On rencontre ainsi plusieurs occurrences de textes débattant de la valeur de l’hospitalité considérée sous un angle abstrait, dont la pratique est encouragée de manière « générale512 ». Cela pourrait bien être le signe qu’il s’agit désormais d’une valeur « morale », dont l’importance ne dépend plus (ou moins) d’intérêts socio-historiques contingents.

512 Peut-être l’ajout de l’hospitalité dans le texte de TB Qid 39b parmi les actions méritoires listées en Mishna Pe´a relève-t-il d’un tel mouvement d’« idéalisation » (supra, p. 79). Le travail de Berthelot semble appuyer l’idée d’une telle évolution. Berthelot (2004), p. 273 observe en effet : « D’un point de vue chronologique, […] cette étude suggère que l’éthique humaniste juive est le fruit d’un développement tardif, limité pour l’essentiel à la littérature rabbinique. En effet, à l’exception des Sentences et de l’Hénoch slave (dont la datation reste mal assurée), les textes témoignant d’une orientation humaniste datent des 2e–5e siècles, voire au-delà. » L’étude de Berthelot porte cependant principalement sur des textes de la littérature juive ancienne, et en appelle à un travail plus approfondi sur la littérature rabbinique.

3. RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE BRAHMANIQUE L’hospitalité constitue un thème important de la littérature indienne, ancienne comme moderne. Cela ne veut bien sûr pas dire que l’hospitalité soit invariablement louée comme une vertu. Au contraire, elle apparaît fréquemment comme un problème. Comme on le verra, l’hospitalité implique presque toujours le partage de nourriture, ce qui possède d’importantes implications sociales et en fait une pratique particulièrement sensible. Aussi Malamoud note-t-il : Dans l’hindouisme, la place d’un homme ou d’un groupe est révélée (et confirmée) notamment par la réponse apportée à ces questions : que mange-t-il, ou plutôt quels sont les aliments qu’il refuse de manger ? En compagnie de qui accepte-t-il de manger ? Des mains de qui accepte-t-il de la nourriture cuite ? (et la réponse à cette dernière question varie suivant la nature des aliments et le mode de cuisson). Le principe est que plus je suis élevé dans la hiérarchie des castes, plus je suis délicat, exclusif sur tous ces chapitres1.

Malamoud distingue bien trois facteurs principaux dans la délicate question de la consommation de nourriture cuisinée par autrui : (1) l’identité de l’invité, (2) celle de celui qui invite (et du cuisinier), et (3) la nature de ce qui est offert. Si l’on doit se garder de réduire le sujet de l’hospitalité à celui des repas, il n’est pas exagéré de dire que la question de l’hospitalité, tout comme celle des repas, est liée à l’ensemble du système social et « religieux » idéal consigné dans les textes. 3.1 VOCABULAIRE SANSCRIT DES CATÉGORIES SOCIALES ET DE L’HOSPITALITÉ Comme on l’a fait en préliminaire à notre étude des textes rabbiniques, il convient de commencer en précisant quelques éléments de terminologie. Il s’agit à nouveau de ne pas s’en tenir au concept générique de l’« étranger », mais d’examiner selon quels critères ce terme est spécifié au sein des textes qui nous occupent (et non dans « l’hindouisme » ou dans « le brahmanisme » en général). Bien que la problématique de l’étranger « extérieur » ne soit pas systématiquement liée à celle de l’hospitalité, il est indéniable que l’hôte reçu est en principe toujours étranger à celui qui le reçoit. Toute la question – qui régit la relation d’hospitalité – réside ici dans la distinction de différents types d’« étrangers », se définissant par contraste avec le modèle idéal que constitue le « maître de maison » (g‫܀‬hastha) brahmane. 1

Malamoud (1989), p. 37. Pour une vue d’ensemble de la thématique, voir Balbir (2001) et Balbir (2004).

140

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Afin d’être en mesure d’envisager, au moins théoriquement, le plus grand nombre de cas particuliers de relations d’hospitalité, il est donc impératif de passer préalablement en revue les termes indigènes désignant différentes sortes de catégories sociales. Empressons-nous d’ajouter que les catégories que l’on va détailler sont essentiellement des constructions théologiques émanant de la vision brahmanique du monde et qu’elles ne sont pas, même dans ce cadre particulier, univoques. Comme nos textes proviennent de la même perspective, cela n’est pas excessivement problématique : il convient seulement d’être conscient que l’on ne travaille pas sur une « réalité socio-historique », mais seulement sur un système, plus ou moins théorique2. 3.1.1 Var۬a et ƗĞrama Pour nos textes, l’identité d’une personne est d’abord déterminée par la position sociale3 à laquelle elle appartient de naissance. La division quadripartite des var۬a (brahmanes, k‫܈‬atriya, vaiĞya, Ğnjdra) est l’un des rares principes, d’origine védique, sur lequel s’accordent les textes, dont l’objet même est de décrire le « comportement correct » convenant à chacun des var۬a. Ces termes ne seront employés que dans la mesure où il s’agit de décrire le système présenté par les textes et parce que ce système, pour théorique qu’il soit, repose en grande partie sur cette terminologie. D’un point de vue strictement historique, en décalage avec la réalité discursive, il est clair que le simple emploi de ces termes pour décrire une société indienne ancienne est problématique4. D’une manière générale, les brahmanes sont placés au sommet de leur propre système5. Bien qu’inférieurs aux brahmanes, k‫܈‬atriya et vaiĞya sont reconnus indispensables au bon fonctionnement de la société idéale que les textes appellent de leurs vœux. Presque tous les traités de dharma s’accordent sur les tâches spécifiques devant être accomplies par chaque var۬a : pour le brahmane, l’étude, l’enseignement, le sacrifice en tant que commanditaire, le sacrifice en tant qu’officiant, le fait de donner, le fait de recevoir ; pour le k‫܈‬atriya, l’étude, le sacrifice 2 3

4 5

L’argument est précisément invoqué par Olivelle (1993), p. 33, dans le cadre de son étude sur les ƗĞrama : « Given that the ƗĞrama system is a theological construct, it is appropriate to use theological and normative sources in reconstructing its history. » On ne fait à dessein pas usage du terme « caste », qui n’est pas en mesure de bien éclairer une réalité indienne ancienne à laquelle il est fondamentalement étranger. Pour exprimer l’idée de « classe sociale », il est préférable d’employer la terminologie « émique » – par exemple les notions de var۬a, jƗti, gotra etc. Je remercie Johannes Bronkhorst pour avoir attiré mon attention sur ce point. Cette vision est évidemment le fruit de l’idéologie brahmanique. Déjà Fick (1972 [1897]) montrait que de nombreux textes bouddhiques décrivent une structure sociale sensiblement différente, à la tête de laquelle se trouvent le plus souvent les k‫܈‬atriya. Voir également la thèse de Hocart (1950), p. 7 qui montre que le roi peut remplir une fonction rituelle, et l’étude de terrain de Raheja (1988) qui décrit une organisation sociale villageoise bien différente de la vision « théorique » que présente nos textes.

3.1 Vocabulaire sanscrit des catégories sociales et de l’hospitalité

141

en tant que commanditaire, le fait de donner, le gouvernement et le combat ; pour le vaiĞya, l’étude, le sacrifice en tant que commanditaire, le fait de donner, le commerce et l’agriculture6. Les Ğnjdra, quant à eux, sont destinés à servir les trois autres var۬a. Les membres des trois var۬a supérieurs sont usuellement qualifiés de dvija (« deux fois né »), en raison de l’« initiation » (upanayana) puis de la phase d’étude qu’ils doivent accomplir. Toutefois, comme le montre Olivelle7, le terme de dvija n’apparaît pas dans le sens de « membre des trois var۬a supérieurs » dans le vocabulaire védique non plus qu’au sein du traité d’Ɩpastamba. Il ne figure qu’à quelques reprises en Gautama et BaudhƗyana8. Les traités de Vasiৢ৬ha et de Manu, en revanche, en font un emploi fréquent. Ces derniers font également usage du terme dvijottama, le « meilleur des deux fois nés », donc le brahmane. Selon Olivelle, cette évolution de vocabulaire pourrait refléter une évolution de la théologie brahmanique, dans la mesure où l’obligation de l’« initiation » et de l’étude se serait progressivement imposée aux membres des trois var۬a supérieurs9. Quoi qu’il en soit, même si les textes n’emploient pas tous explicitement le terme de dvija, l’idée d’une initiation (et de l’étude subséquente) pour les membres des trois var۬a supérieurs y est clairement exprimée10. Selon la vision brahmanique « classique », les dvija sont susceptibles de vivre selon quatre « modes de vie » différents, les quatre ƗĞrama : brahmacƗrin (« étudiant »), g‫܀‬hastha (« maître de maison »), vƗnaprastha (« ermite ») et saۨnyƗsin (« renonçant »). À chacun de ces états correspondent des occupations spécifiques. Notons au passage que celles-ci sont susceptibles de comporter un impact sur une pratique domestique comme celle de l’hospitalité : l’étudiant, par exemple, ne saurait être en mesure de donner l’hospitalité, car il ne possède par définition pas de foyer. Avec le système des var۬a, la doctrine des ƗĞrama forme le second pilier de la société idéale imaginée et souhaitée par les compilateurs des textes. Le développement du schéma des ƗĞrama tout comme son articulation aux var۬a 6

Ainsi, ƖpDhS 2.(5).10.4–7 ; BDhS 1.(10).18.1–6 ; VDhS 2.13–20 ; MDh 1.87–92, MDh 10.73–80. 7 Olivelle (2000), p. 8–9, qui fait usage de cet argument pour suggérer l’antériorité d’ƖpDhS sur les autres dharmasnjtra. 8 Cf. les références d’Olivelle (2000), p. 8 : GDhS emploie explicitement le terme dans le sens de « membre des trois var۬a supérieurs » (cf. GDhS 10.1) ; les références à BDhS ne sont pas aussi explicites (il s’agit le plus souvent de citations de vers). 9 Cf. Olivelle (2000), p. 8 : « Clearly, this [the term dvija] must have been a neologism created at some point in the evolution of Brahmanical theology. » Pour Lubin (2006), p. 87–88, le terme n’aurait d’abord désigné que le groupe des brahmanes (seuls « initiés » au sens strict du terme) avant que la doctrine de l’étude obligatoire pour les trois var۬a supérieurs ne soit exposée au sein des g‫܀‬hyasnjtra. La prescription de l’étude obligatoire pour tout membre des trois var۬a supérieurs aurait visé à contrer la menace représentée par certains courants hétérodoxes : « The decision to expand the scope of Veda study by making it a common ideal for all male Ɩryas may have secured the social value of Sanskrit learning in a world being wooed by the austere charms of the heterodox movements » (p. 91). 10 ƖpDhS 1.(1).1.6–8 ; GDhS 1.5–14 ; BDhS 1.(2).3.7–9 ; VDhS 11.49–51.

142

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

(var۬ƗĞramadharma) sont des questions complexes dont le traitement dépasse largement le cadre de ce travail. Exposons cependant quelques aspects de ce débat, en formulant tout d’abord une remarque méthodologique : il convient de prendre garde, dans cette question, à bien distinguer le système des ƗĞrama (qui relève d’une élaboration relativement tardive) des différents modes de vie (comme le g‫܀‬hastha), dont la mention dans les textes ne témoigne pas nécessairement de la présence du système11. Olivelle estime que le terme d’ƗĞrama aurait d’abord désigné le lieu de résidence, puis le mode de vie de brahmanes « exceptionnels » pratiquant les rites et les austérités12, tout en étant mariés et possédant des enfants. Il ajoute que la théorie des ƗĞrama serait une invention brahmanique remontant approximativement au e V siècle avant notre ère et visant à répondre à des changements socio-économiques majeurs, comme le développement de centres urbains13. Si une telle thèse est difficile à vérifier, on doit bien constater qu’à l’époque des dharmasnjtra (notamment Ɩpastamba, Gautama, BaudhƗyana et Vasiৢ৬ha), les différents stades sont décrits comme des alternatives et non comme une succession d’états par lesquels tout dvija doit passer14. En revanche, à l’époque « classique » (notamment représentée par Manu), le système est présenté comme décrivant les étapes successives de la vie d’une seule personne, en principe selon la séquence brahmacƗrin, g‫܀‬hastha, vƗnaprastha et saۨnyƗsin. Il semble donc bien qu’il y ait évolution dans les conceptions sociales présentées par les textes. Nous ne prendrons pas position sur les raisons précises de cette évolution, mais essayerons d’en tenir compte dans notre étude des passages relatifs à l’hospitalité. Essayons de résumer la situation au moyen d’un tableau, en mentionnant la position adoptée par les plus importants de nos textes :

11 Cf. Olivelle (1993), p. 30–33, qui montre que plusieurs auteurs, comme Lingat (1967), n’ont pas prêté attention à cette importante distinction. 12 Olivelle (1993), p. 24. 13 Olivelle (1993), p. 60 : « Within BrƗhma৆ism itself, it was the urban Brahmins who, in all likelihood, were most influenced both by the dramatic socio-economic changes of urbanization and by the rising prestige and influence of non-BrƗhma৆ical religious movements. Most urban Brahmins probably remained within their tradition, but challenged and changed it from within. It is these changes, and not primarily the threat posed by non-BrƗhma৆ical groups as assumed by many scholars, that I believe were the catalysts for the creation of the ƗĞrama system. » 14 ƖpDhS et VDhS soutiennent la légitimité du système au contraire de BDhS et GDhS qui le critiquent (cf. Olivelle (1993), p. 24 sqq.).

3.1 Vocabulaire sanscrit des catégories sociales et de l’hospitalité

143

traité15

ƗĞrama

remarques

Ɩpastamba

brahmacƗrin – g‫܀‬hastha ^ brahmacƗrin ^ muni ^ vƗnaprastha16

Gautama

Un seul ƗĞrama, celui de g‫܀‬hastha

Le stade de brahmacƗrin est un prérequis pour les autres ƗĞrama17. Dans le développement, le muni est nommé parivrƗja. Le g‫܀‬hastha est cité en premier, sans doute pour la raison qu’il est considéré comme supérieur aux autres ƗĞrama18.

Point de vue rapporté d’un Le terme bhik‫܈‬u désigne un « mendiant ». Le contradicteur : terme de vaikhƗnasa est souvent employé en brahmacƗrin ^ g‫܀‬hastha ^ synonyme de vƗnaprastha. bhik‫܈‬u ^ vaikhƗnasa19 Un seul ƗĞrama, celui de g‫܀‬hastha20

Le g‫܀‬hastha a passé par une phase d’étude22.

Point de vue rapporté d’un contradicteur : brahmacƗrin ^ g‫܀‬hastha ^ vƗnaprastha ^ parivrƗjaka21

L’état de vƗnaprastha ne constitue pas un ƗĞrama mais plutôt une v‫܀‬tti (un « comportement23 »). Le vƗnaprastha se subdivise en deux types : les ascètes qui cuisinent et ceux qui ne cuisinent pas24.

Vasiৢ৬ha

brahmacƗrin – brahmacƗrin ^ g‫܀‬hastha ^ vƗnaprastha ^ parivrƗjaka25

Le mode de vie le plus élevé est celui de g‫܀‬hastha26.

Manu27

brahmacƗrin – g‫܀‬hastha – vƗnaprastha – saۨnyƗsin

Il s’agit ici de la formulation classique du système.

BaudhƗyana

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27

Abréviations : « – » succession ; « ^ » choix. ƖpDhS 2.(9).21.1–5. ƖpDhS 2.(9).21.3 et 2.(9).22.8–9. Bien que ƖpDhS 2.(9).21.2 déclare que n’importe lequel de ces modes de vie est légitime. Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 416. GDhS 3.2. Cf. aussi GDhS 3.1 et 3.35 qui affirment qu’il n’y a qu’un seul ƗĞrama. BDhS 2.(6).11.27–34. BDhS 2.(6).11.9–26. BDhS 2.(6).11.33–34. BDhS 3.2.18 (et 3.1.8). BDhS 3.3.1–22. VDhS 7.1–3. VDhS 8.14–17. MDh 3.2 ; 4.1 (le passage de brahmacƗrin à g‫܀‬hastha) ; 6.1 (le passage de g‫܀‬hastha à vƗnaprastha) ; 6.33 (le passage de vƗnaprastha à saۨnyƗsin).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

En somme, trois points de vue peuvent être distingués – qui se sont peut-être chronologiquement succédés : (1) celui qui considère le g‫܀‬hastha comme le seul mode de vie légitime (ou au moins, le plus important), (2) celui qui laisse libre le choix du mode de vie subséquent à une phase d’étude obligatoire, et (3) celui qui fait des ƗĞrama des stades successifs de la vie d’un dvija. Dans nos textes, tous les ƗĞrama semblent avoir été théoriquement accessibles aux trois var۬a supérieurs et l’usage a peut-être imposé la restriction de l’ƗĞrama de saۨnyƗsin aux seuls brahmanes28. En revanche, même si les Ğnjdra vivent le plus souvent une vie de famille, le statut « officiel » de g‫܀‬hastha ne leur est pas reconnu29. Ce n’est que plus tard que certains textes développent l’idée d’un seul ƗĞrama pour les Ğnjdra, celui, précisément, de maître de maison30. Quoi qu’il en soit, il est vraisemblable que l’acteur par défaut (le « il » des textes) représente le maître de maison ayant accompli l’initiation et appartenant par conséquent à l’un des trois var۬a supérieurs, le plus souvent celui de brahmane. Bien que ces questions puissent sembler annexes quant à notre problématique, elles présentent une importance certaine pour l’évaluation des protagonistes impliqués dans l’hospitalité. Les possibilités d’interaction sociale dépendent largement de la « catégorie sociale » et du « mode de vie » d’une personne. Il ne faut cependant pas exagérer le caractère systématique de ces classifications : même si, d’un point de vue théorique, tout énoncé prescriptif devrait concerner un var۬a et un mode de vie spécifiques, les textes ne sont jamais organisés de manière aussi systématique. 3.1.2 Aux marges du système des var۬a Il vaut encore la peine de donner quelques indications sommaires sur les catégories sociales situées aux marges du système des var۬a, puisqu’il n’y a pas de raison a priori que celles-ci soient exclues de la problématique de l’hospitalité. D’une manière générale, on peut distinguer trois classes d’exclus : ceux dont l’exclusion est liée à un comportement fautif ; ceux qui sont exclus en raison de leur naissance ; les étrangers « de l’extérieur ». Décrivons brièvement ces trois cas du point de vue des textes. Un passage de Manu31 évoque longuement le cas des descendants d’une union entre un (ou une) brahmane et une femme (ou un homme) de var۬a inférieur (res28 Cf. Olivelle (1993), p. 81 et 195, qui précise : « Even though Kৢatriyas and VaiĞyas are not excluded, the discussion nevertheless appears to center on the Brahmin. In this early period, however, there is no attempt to distribute the ƗĞramas among the social classes » (p. 81–82). 29 Ce point subsiste à l’époque de MedhƗtithi, qui décrète (ad MDh 6.97) que le Ğnjdra n’a pas accès aux ƗĞrama mais que le fait de vivre à la manière d’un maître de maison, tout en étant au service des dvija, peut lui assurer les mêmes mérites que ceux découlant d’un mode de vie au sein de n’importe lequel des ƗĞrama. 30 Par exemple dans le VƗmana PurƗ৆a (15.62–63) : les Ğnjdra ont accès à l’ƗĞrama de maître de maison. 31 MDh 10.6 sqq.

3.1 Vocabulaire sanscrit des catégories sociales et de l’hospitalité

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pectivement, anuloma / pratiloma). Par leur comportement fautif, les membres de ces groupes sont relégués à l’extérieur de la société des var۬a et tout contact avec eux est formellement proscrit. En fonction de la nature de ces « mélanges », Manu distingue de très nombreux statuts sans pour autant décrire de manière systématique et précise les possibilités d’interactions liées à ces catégories sociales. Il faut sans doute voir ici que le texte cherche à recadrer dans une optique normative la présence d’innombrables classes, corporations et ethnies – fait historique indéniable au moment de la composition d’un traité comme celui de Manu – à la lumière de la théorie des quatre var۬a32. Les statuts les plus problématiques et contractés de naissance sont ceux de cƗ۬‫ڲ‬Ɨla et de Ğvapaca (lit. « celui qui cuisine le chien33 »). Ces groupes sont spécialement mis à l’écart : leur foyer doit être à l’extérieur des villages34, ils ne peuvent pas s’enrichir, doivent porter des habits noirs et sont contraints au nomadisme35. Comme le montre White, les Ğvapaca représentent « the lowest of the low » et sont symétriquement placés à l’extrême opposé des brahmanes, y compris sur un plan symbolique36. En règle générale, toute relation sociale, et a fortiori, toute relation d’hospitalité avec des gens appartenant à ces catégories sociales est fortement réprouvée. Enfin, les « étrangers de l’extérieur », mleccha et yavana, ne sont curieusement que très occasionnellement mentionnés par les textes. Les mleccha désignent usuellement « les étrangers », alors que les yavana semblent avoir d’abord qualifié « les Grecs » avant de prendre un sens plus général37. Dans tous les cas, il est clair que ces catégories sont situées du côté impur de l’échelle sociale, aux côtés des autres catégories extérieures au système des var۬a. Les « étrangers de l’extérieur » sont réellement en dehors du système décrit par les textes38.

32 Manu ne cherche pas tellement à décrire tous les cas possibles de « dégradation » (à des fins « prophylactiques ») qu’à rendre compte a posteriori de tous les groupes dont l’existence même semble contredire la théorie des var۬a. Sur ce procédé de « rationalisation », cf. Halbfass (1988), p. 176. 33 Bien que selon la théorie de MDh, les Ğvapaca soient le fruit d’une union entre un homme k‫܈‬atriya et une femme ugra (MDh 10.19), le terme est souvent employé en synonyme de cƗ۬‫ڲ‬Ɨla. 34 La disposition géographique des habitations (souvent regroupées en îlots) reflète volontiers la logique des classes sociales. Cette correspondance subsiste jusqu’à aujourd’hui, ainsi que le note Burger (1985), vol. 1, p. 36. 35 MDh 10.51–52. 36 White (1992), p. 54–59 observe que cette symétrie se retrouve dans l’opposition entre la vache (associée au brahmane) et le chien (associé au Ğvapaca). 37 Sur les emplois de ces deux termes, cf. les remarques d’Halbfass (1988), p. 175–180. 38 Pour une étude du statut de mleccha dans les textes « classiques », cf. Parasher (1991).

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3.1.3 La pureté En lien avec ces différentes catégories sociales, il convient d’évoquer un principe régissant un grand nombre de comportements relatifs à l’hospitalité, celui de la pureté. Selon Dumont, la dialectique pur / impur est une opposition absolument centrale régissant l’ensemble du système social indien39. Si l’on peut souscrire à cette analyse pour ce qui concerne nos textes, il ne faut certainement pas exagérer le caractère bipolaire de cette opposition, une chose ou une personne pouvant très bien être « plus ou moins » pure. Dans certains contextes d’ailleurs, d’autres oppositions, telle que celle entre auspicieux et non-auspicieux ((a-)Ğubha) peuvent prendre le pas sur l’opposition pur-impur40. Pour ce qui a trait à la question des interactions sociales, les règles de pureté sont liées autant à la position sociale des protagonistes – dans ce cas la pureté ou l’impureté peut être « congénitale » ou temporaire – qu’aux objets ou aliments impliqués dans l’interaction. Le moment du repas est tout particulièrement sensible, peut-être parce que celui-ci implique l’ingestion, c’est-à-dire, le passage d’un aliment extérieur à un état « intérieur », opération délicate qui maximise les risques de contagion. Les règles relatives à la tenue d’un repas sont particulièrement strictes et visent notamment à éviter – autant que faire se peut – les mélanges entres var۬a et jƗti. En particulier, l’acceptation de la nourriture requiert la plus grande attention, comme le note Bächler : De qui peut-on accepter la nourriture et l’eau ? Sauf exceptions, les jƗti dont les Brahmanes acceptent la nourriture et l’eau sont honorables. Si les Brahmanes acceptent l’eau d’une jƗti, toutes les autres le font aussi. Toutes l’acceptent d’un Brahmane. Les tabous sont encore plus sévères pour la nourriture : non pas qui donne, mais qui cuisine. On peut toujours accepter la nourriture à l’intérieur d’une unité exogamique, et généralement entre unités qui se marient entre elles41.

Si la nourriture est un sujet plus compliqué que l’eau, c’est qu’elle implique un processus de préparation, qui comprend différents stades critiques : la manière dont on se la procure, sa préparation, son service et sa consommation. Il est ainsi à la rigueur permis de manger de la nourriture amenée par un Ğnjdra, mais non cuisinée par lui42. Le texte suivant, qui s’inscrit dans le cadre d’une discussion sur 39 Dumont (1980), p. 44 explique ainsi : « [I]t is by implicit reference to this opposition [pure/impure] that the society of castes appears consistent and rational to those who live in. » Cf. aussi Burger (1985), vol. 1, p. 39 qui observe (en évoquant le problème que pose le contact physique) : « [I]l faut éviter des mélanges non désirés, susceptibles de faciliter des contacts prohibés, et donc maintenir, en quelque sorte, des noyaux homogènes. » 40 Cf. Appfel-Marglin (1985), p. 68, Madan (1985), p. 24 et Raheja (1988), p. 37 sqq. 41 Bächler (1988), p. 16–17, qui n’indique malheureusement pas sur quelles sources il fonde ses observations. 42 ƖpDhS 1.(6).18.1–4. Notons une exception : celle d’ ƖpDhS 2.(2).3.4 qui semble autoriser la préparation de nourriture pour le vaiĞvadeva par un Ğnjdra sous la supervision d’un Ɨrya (c’est-à-dire, un membre des trois var۬a supérieurs). Sur ce passage, cf. Sharma (1980), p. 128, n. 8 qui indique que cette exception ne figure pas dans un ms. plus tardif d’ƖpDhS, ce qui laisse penser que cette dérogation a délibérément été supprimée, de sorte à exclure les

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l’hospitalité, est tout particulièrement éloquent pour ce qui concerne les précautions liées à la préparation de la nourriture : 2 Après avoir éclairé [la nourriture au feu], [qu’il procède à] l’aspersion de la nourriture qui est sur le feu, hors de la vue [de la personne à qui elle est destinée], 3 de même que celle des denrées achetées au marché. […]43 9 Mais le fait de laver les légumes, fleurs, fruits, racines et herbes [doit être effectué44].

La nourriture doit manifestement subir une « transformation » avant d’être offerte à un invité. Les aliments doivent en effet être aspergés tout en étant exposés au feu. Il s’agit bien d’un problème de « pureté » (et non pas seulement d’une question « sanitaire » relative au fait de laver les aliments), puisque l’eau et le feu sont deux principes reconnus pour leurs vertus « purificatrices ». Ce processus doit s’effectuer en dehors du regard de la personne intéressée : l’« impureté » de la nourriture peut se communiquer par le simple contact visuel. Cette pollution visuelle est clairement attestée par les textes, en d’autres contextes : le simple regard d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla est susceptible de souiller un lieu, des objets ou des personnes45. Dans le cas présent, ce n’est bien sûr pas l’invité qui est comparable à un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, mais la nourriture non lavée et non préparée, tout particulièrement « impure ». La consommation de la nourriture représente également un moment critique, et tout particulièrement quand le mangeur est un brahmane. La question de l’« impureté des personnes » et des compagnons de tablée est ici une préoccupation déterminante. Une situation de ce type apparaît dans le passage suivant : « 33–1 Quand un Ğnjdra touche [un brahmane] qui mange [, il doit cesser de manger46] ». Le contact physique pendant le repas représente ici un problème particulièrement grave. Dans le cas décrit par le texte, le brahmane doit cesser de manger, par quoi il faut certainement comprendre que s’il poursuivait son repas, il aggraverait son cas et accroîtrait l’impureté ainsi contractée. Cet exemple montre bien que le problème de la pureté est « relatif » : il est possible d’être « plus ou moins pur ».

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Ğnjdra de la préparation d’un repas. Sharma insiste sur le fait que la condition de Ğnjdra s’est progressivement dégradée. Il ajoute que dans la conception que présentent les dharmasnjtra, « the fact that a Ğnjdra could be permitted to prepare food even at a religious ceremony, in which the greatest degree of purity was expected, shows that ordinarily his food was accepted by the members of the higher var৆as, perhaps excluding the brƗhma৆a in some cases » (p. 116). Cette assertion est malheureusement difficilement vérifiable dans les textes et relève manifestement d’une construction historique tendant à valoriser la condition des Ğnjdra à époque ancienne. Les snjtra 4–8 concernent la question de la générosité et visent manifestement à rappeler que le respect scrupuleux des règles de pureté alimentaire ne saurait être suffisant : la générosité avec laquelle la nourriture est offerte est tout aussi importante. Sur ce point, cf. Michaels (1997), p. 250. BDhS 1.(5).10.2–3 ; 9. MDh 3.239, à propos de la tenue d’un ĞrƗddha. Le degré de contagion de l’impureté varie en fonction du statut des protagonistes : alors que le seul regard d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla rend impur, c’est par un contact physique que l’on est souillé par un Ğnjdra. ƖpDhS 1.(5).16.33–17.1.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Le texte poursuit en indiquant une autre restriction : « 2 [Il ne doit pas non plus manger] dans le même groupe que des personnes sans valeur47 ». Nous examinerons plus loin plusieurs cas particuliers relatifs à la question des convives. Remarquons pour l’instant que cette question relève clairement d’une problématique de la pureté. Les « personnes sans valeur » sont également porteuses d’une impureté contagieuse, qui rend le cadre du repas lui-même impur48. La pureté est précisément l’un des principes sous-tendant la notion de groupe ou de tablée (pa۪kti) : un groupe se compose en principe d’acteurs situés à une position similaire sur l’échelle de la pureté49. La théologie brahmanique a d’ailleurs développé une idée forte afin de renforcer cette prescription : la participation à un groupe pourrait impliquer le partage des mérites respectifs de chaque mangeur50. Il faut aussi relever quelques circonstances susceptibles de rendre excessivement problématique toute réception de visiteurs. Deux cas principaux transmettent leur impureté (aĞauca) à l’espace et aux personnes : la naissance et la mort51. Ainsi, lors d’une naissance, il convient de pratiquer un certain nombre de rites et de laisser s’écouler un certain laps temps afin que l’impureté se dissipe52. De même, suite à un décès, l’impureté peut durer plusieurs jours (au moins 10, en règle générale, mais la durée peut dépendre du var۬a53) et s’étend aux aliments préparés dans une maison frappée par un deuil54. La consommation de nourriture au sein d’une maison aĞuci est par conséquent impossible (ou, au mieux, passible d’un prƗyaĞcitta, une « expiation55 »). Par ailleurs, selon un code légal tardif56 la mort d’un chien, d’un Ğnjdra, d’un patita ou d’un mleccha dans la maison d’un brahmane provoque une impureté pour respectivement dix jours, un, deux ou quatre mois. Enfin, si un Ğvapaca est décédé dans la maison d’un brahmane, celle-ci, irrévocablement souillée, doit être abandonnée. Ce risque constitue sans doute une raison décourageant un maître de 47 ƖpDhS 1.(5).17.2. 48 Comme on le verra dans le contexte du ĞrƗddha (qui suppose un repas partagé par plusieurs convives), un hôte fréquentable est dit pa۪ktipƗvana en opposition à apƗ۪kteya. 49 Sur ce point, cf. MitƗkৢarƗ ad YƗjñDh 1.168 (éd. Shastri, p. 244, tr. Vidyarnava, p. 265) : les tablées peuvent être séparées par de l’eau ou de la cendre (ce qui a certainement pour effet de les rendre « indépendantes »). 50 Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 759 : « When several persons sit down to dinner in a continuous row, the sins one of them is guilty of attach to the others in the same row. » (il s’agit d’une citation de B৚haspati Sm৚ti). Ce principe apparaît déjà en ƖpDhS 2.(3).6.19–20. 51 Cf. par exemple MDh 5.58 sqq. 52 HistDh, vol. 4, p. 274–276. 53 Cf. YƗjñDh 3.22, qui indique les durées de 10, 12, 15 et 30 jours respectivement pour les 4 var۬a, et ƖpDhS 1.(5).16.18 (10 jours, sans précision). 54 HistDh, vol. 4, p. 267–333 (« ĝuddhi »). La pratique d’un ĞrƗddha (que l’on aborde plus loin, infra p. 187 sqq.) pour une personne décédée peut précisément se heurter au problème de l’impureté consécutive à un décès. Une solution consiste à organiser le ĞrƗddha après les 10 jours d’impureté, ou à déclarer le commanditaire exceptionnellement pur pour cette occasion spécifique : cf. HistDh, vol. 4, p. 519. 55 HistDh, vol. 4, p. 269. 56 Nir৆, vol. 3, p. 1842, cité en HistDh, vol. 4, p. 282 (il s’agit d’un traité datant du XVIIe siècle).

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maison de recevoir un hôte qui ne serait pas dvija. Il est remarquable que le cas du mleccha soit ici mentionné, ce qui correspond certainement à une situation fréquente au moment de la rédaction du code légal en question (le mleccha étant alors susceptible de renvoyer au Musulman ou à d’autres sortes d’étrangers). Mais, sur la période de composition de nos textes, seule apparaît l’idée que les étrangers « de l’extérieur » et les terres étrangères elles-mêmes sont impurs57 : la question des contacts aux mleccha n’est quasiment pas traitée58. On peut relever au moins six facteurs relatifs à la « pureté » et concernant directement la pratique de l’hospitalité : (1) le contact avec des personnes d’un autre rang, (2) la « valeur » et l’honneur des personnes avec lesquelles on est en relation, même si elles font partie de la même « classe », (3) la nourriture elle-même, (4) la manière de l’apprêter (préparation et cuisson, le cas échéant59), (5) le déroulement du repas (sur un plan spatial et temporel), et (6) un événement exceptionnel (mort, naissance) affectant la pureté de l’espace même de la maison. Enfin, comme le note Prakash60, le bon sens et des circonstances difficiles peuvent autoriser quelques écarts par rapport à la théorie, dont même les traités normatifs (qui représentent pourtant un point de vue conservateur) semblent avoir tenu compte. On en verra quelques exemples plus loin. 3.1.4 L’hôte reçu Il convient à présent de se pencher sur la terminologie relative à l’hospitalité. Le sanscrit connaît plusieurs termes désignant l’hôte reçu. Le plus courant est atithi sur la base duquel se forment de très nombreux dérivés. Plusieurs étymologies indiennes, plus ou moins fantaisistes, tentent d’éclairer la formation du terme61. Puisque la question de l’étymologie « véritable » n’est, aujourd’hui encore, pas tranchée62, il est intéressant de considérer quelques-unes de ces étymologies qui nous permettront de saisir quels aspects de l’hospitalité sont tenus pour particulièrement significatifs par la tradition. Selon les U৆Ɨdisnjtra63 (1), le terme atithi serait directement dérivé de la racine ¹at (« marcher, voyager ») à laquelle s’ajouterait un suffixe –ithin et désigne-

57 Cf. par exemple Mhbh 12.77.8 (éd. critique, vol. 13, p. 366) : les brahmanes entreprenant de longs voyages (mahƗpathika) sont qualifiés de « brahmanes cƗ۬‫ڲ‬Ɨla ». 58 Relevons l’exception de GDhS 9.16 (il ne doit pas converser avec des mleccha). 59 Pour Malamoud (1989), p. 37–38 et passim, c’est le critère cru / cuit qui est déterminant. La cuisson d’un aliment constitue effectivement un acte éminemment délicat qu’on ne peut confier à n’importe qui. Ce n’est toutefois pas la seule action problématique dans l’ensemble du processus de préparation de la nourriture, et a fortiori, dans l’hospitalité. 60 Prakash (1961), p. 49. 61 Sur ces différentes étymologies, cf. Balbir (2001), p. 378–379 et Balbir (2004), p. 373–375. Sur les caractéristiques des étymologies traditionnelles, cf. Bronkhorst (2001b), p. 148. 62 Cf. Mayrhofer (1992–2001), vol. 1, p. 57–58. 63 U۬Ɨdisnjtra 4.2, cité par Apte (1957–1959), vol. 1, p. 41.

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rait ainsi « le voyageur ». Le Nirukta64 propose quant à lui deux explications du terme : (2) celui qui vient auprès d’un foyer et qui voyage de place en place (¹at), et (3) celui qui vient pour une occasion particulière (¹i + tithi) auprès de familles étrangères à la sienne (parakula), ou de foyers « étrangers » (parag‫܀‬ha), à des moments déterminés, comme celui d’un sacrifice. Une autre étymologie, également basée sur le substantif tithi produit une signification sensiblement différente : atithi peut se décomposer en a-tithi avec un a privatif, signifiant proprement (4) « celui dont on ne sait pas le jour [d’arrivée] (tithi65) », ou (5) « celui dont le séjour ne se prolonge pas66 ». L’hôte se caractériserait ainsi par l’imprévisibilité de son arrivée ou par la brièveté de son séjour. Relevons encore une étymologie indienne étonnante, basée sur une acception particulière du terme tithi : (6) l’atithi serait celui qui se distinguerait par son refus de participer à des fêtes « profanes67 ». À ces explications traditionnelles, s’ajoutent quelques propositions « savantes » malheureusement difficiles à étayer au niveau de l’histoire du terme. Ainsi, dans un article récent68, Pinault fait dériver le terme de la racine ¹sthƗ et suggère qu’atithi signifierait d’abord « celui qui se tient auprès », à savoir auprès du maître de maison qui le reçoit, ou auprès du foyer dont il ne fait pas partie. Pinault préfère cette explication du terme à celle qui fait de l’atithi un voyageur, qui s’accorderait mal au statut social que représente l’atithi : l’hôte une fois reconnu comme tel n’est justement plus contraint de voyager, puisqu’il dispose d’une demeure temporaire. Selon Gonda69, il est possible de distinguer l’atithi de l’abhyƗgata (lit., « celui qui est arrivé auprès de quelqu’un »). Ce dernier terme qualifierait un hôte qui n’est pas invité, mais qui est personnellement lié au maître de maison (par exemple, par la famille ou par une relation d’amitié) et qui à ce titre peut compter sur l’hospitalité de ce dernier. Par contraste, l’atithi serait réellement inconnu du maître de maison.

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Nir 4.5 (76.17). Ainsi, la Padamañjari d’Haradatta sur KƗĞikƗv‫܀‬tti ad PƗ৆ini 4.4.104. MDh 3.102 : l’hôte s’appelle atithi, car il ne reste pas indéfininment (« anityaۨ hi sthito »). Ainsi Yama Sm৚ti, cité en VƯr, ƖhnikaprakƗĞa (éd. ĝarmƗ, vol. 3, p. 438) : « Parmi tous les êtres, l’atithi est celui qui dans sa sagesse se tient à l’écart de toutes les cérémonies astrales et lunaires ; on désigne les autres d’abhyƗgata. » Cette définition correspond étonnamment à une acception jaïn du terme, expliquée par Williams (1963), p. 150 : « The word atithi has in fact been specialized by Jainas to signify a sƗdhu on his almsround and is explained to mean ‘one who has no tithi’, i. e. who is unfettered by the fixed dates – the parvan days or festivals (utsava) – which are important in the secular life. » En dépit de son caractère manifestement peu orthodoxe, cette définition a été retenue par le compilateur du VƯramitrodaya : ce fait s’explique peut-être simplement par le souhait d’ajouter une nouvelle définition au répertoire. 68 Pinault (1998), p. 468. 69 Gonda (1980), p. 210, qui renvoie à BGS, ParibhƗৢƗ 2.4.14–20 (15, pour la définition de l’atithi, et 17, pour la définition de l’abhyƗgata). Cf. également le commentaire de Gonda (1977a), p. 186.

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On peut relever, dans ces différentes étymologies quelques traits sémantiques saillants que nous discuterons plus loin en détail : la notion de voyage, l’objet de la visite, la nature du lien unissant l’hôte à son invité, l’imprévisibilité de l’arrivée et la durée du séjour. D’autres termes coexistent pour dire l’hôte reçu, composés sur la base de la même racine (¹gam) que abhyƗgata, comme Ɨgantu (et Ɨgantuka), « celui qui arrive », et g‫܀‬hƗgata, « celui qui est arrivé à la maison » ; à mentionner encore le terme ƗveĞika désignant proprement celui qui s’installe (racine Ɨ-¹viĞ) et le terme abstrait ƗveĞika qui signifie théoriquement70 l’hospitalité. Avec un sens similaire, on peut aussi relever les substantifs praghnjr۬a / prƗhu۬a, « le visiteur ». Monier Williams évoque une occurrence du féminin prƗhu۬Ư (la « visiteuse71 »), qui ferait exception au masculin omniprésent (générique ou non) caractérisant le vocabulaire de l’hospitalité. Cette forme n’est toutefois pas mentionnée par Böhtlingk et Roth72 et n’apparaît pas dans le contexte des occurrences données pour prƗhu۬a73. Par ailleurs, ces différents termes ne sont jamais employés dans les traités de dharma. Mentionnons enfin le nom goghna, signifiant occasionnellement l’hôte (selon le grammairien PƗ৆ini, « celui pour qui on tue une vache74 »). Le terme émane d’un type particulier d’hospitalité, l’argha, qui prévoit qu’une vache peut être abattue afin d’honorer un visiteur prestigieux75. 3.1.5 L’hôte recevant L’hôte qui reçoit peut être désigné par les termes g‫܀‬hastha, g‫܀‬hin, ku‫ܒ‬umbin, dampati, « le maître de maison », g‫܀‬hamedhin, « celui qui pratique les rites domestiques ». Le terme g‫܀‬hastha signifie littéralement « celui qui se tient à la maison ». Le dénominatif g‫܀‬hin est quant à lui formé sur la base du même terme, g‫܀‬ha (« la maison »), et désigne littéralement celui qui possède la maison, ou qui en est le maître. Le g‫܀‬hamedhin est le maître de maison dans la mesure où il pratique les sacrifices (medha) domestiques. De son côté, ku‫ܒ‬umbin qualifie le responsable du foyer, de la maisonnée (ku‫ܒ‬umba76). Relevons encore, avec un sens très proche, le dampati, qui est celui qui règne (¹pat, « dominer, régner ») sur la maison (dam). Au duel, le terme désigne fréquemment le couple qui tient une maison : le maître de maison et sa femme. La « maîtresse de maison » est quant à elle désignée par le terme g‫܀‬hapatnƯ (« celle qui règne sur le foyer »). 70 71 72 73 74

Il n’est attesté que chez les lexicographes. MW, p. 709. PW, vol. 4, p. 1160. À savoir, Kaths, tara۪ga 8 et 10. PƗ৆ini 3.4.73 (Sharma (1987–2003), vol. 3, p. 643) indique que goghna, « l’hôte », signifie littéralement « celui pour qui l’on tue une vache », avec un sens datif (et non « le tueur de vache »). Cf. également Jamison (1996b), p. 170. 75 Cf. infra, p. 184 sqq. 76 Cf. MW, p. 288, s. v.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Formé de manière similaire, mais se rapportant plus explicitement à l’hospitalité, le terme átithipati désigne celui qui donne l’hospitalité. Le terme n’apparaît toutefois qu’en sanscrit védique77 et de manière relativement rare. Il faut relever l’ambiguïté du composé qui – en fonction de la manière dont on analyse le composé – peut désigner d’un côté « celui qui a l’hôte (reçu) pour maître », et de l’autre « le maître de l’hôte (reçu) »78. Les deux acceptions impliquent, on le voit, un rapport de pouvoir sensiblement différent entre celui qui donne l’hospitalité et son hôte. 3.1.6 L’hospitalité L’hospitalité elle-même est désignée par Ɨtithya et par plusieurs autres termes formés sur la même racine : atithikriyƗ, « l’hospitalité », « le fait de faire l’hospitalité » ou atithitva « l’état d’hôte, l’hospitalité ». Le sanscrit connaît une riche série de dérivés touchant l’organisation de l’hospitalité79. Par exemple, l’adjectif atithideva, « pour qui l’hôte est comme un dieu » et les noms atithidve‫܈‬a, « la haine de l’hôte », « l’inhospitalité », atithidharma, « le droit de / à l’hospitalité », atithisevƗ, « l’attention portée à un hôte » ou encore atithipnjjƗ, « l’honneur fait à un hôte ». La réception hospitalière elle-même peut également porter des noms particuliers, comme argha, désignant un rituel fastueux, consistant notamment en la présentation de riz, d’herbe, de fleurs et d’eau, dite arghya et exécuté en hommage à un visiteur particulièrement prestigieux80. 3.1.7 Incidence des catégories sociales et des règles de pureté sur l’hospitalité Il convient à présent d’envisager de quelle manière la distinction de différentes catégories sociales et les prescriptions liées à la pureté se répercutent sur les discours relatifs à l’hospitalité. Les dimensions du var۬a et de l’ƗĞrama, assorties des règles de pureté semblent bien être les plus importantes pour l’évaluation du déroulement d’interactions sociales – dans l’optique normative des textes, bien entendu. Nous avions proposé en introduction que les pratiques d’hospitalité pou77 Vishva Bandhu (1973–1992), vol. 1.1, p. 85 et 4.1, p. 80 donne les occurrences suivantes : MS 4.8.1, KS 30.1, Kapiৢ৬hala-Ka৬ha SaূhitƗ 46.4, AV 9.6.3, AV 9.6.18 et AV 9.6.53, AV PaippalƗda 16.111.3, 16.112.5, 16.116.9 et AtharvavedƯyab৚hatsarvƗnukrama৆ikƗ 9.6 (1;6). 78 Pour ce dernier sens, cf. Forssman (1998), p. 121 : « Ein átithipati ist wirklich ein ‘Herr über die Gäste’, nicht nur ein fürsorglicher Gastgeber, wie er in AVĝ 9.6 beschrieben wird. » Cf. de même Rau (1957), p. 50, qui relève : « Der Gastgeber [gebot] unumschränkt über den Gast. » Il ajoute que l’hôte reçu peut même, à l’occasion, servir d’animal sacrificiel (Rau cite MS 4.8.1 et KS 30.1). 79 Cf. Ghatage (1979), vol. 2, p. 985–991 pour une liste de l’ensemble des termes formés sur atithi et de leur emploi dans la littérature sanscrite. 80 Cf. infra, p. 181 sqq.

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3.1 Vocabulaire sanscrit des catégories sociales et de l’hospitalité

vaient s’analyser selon trois dimensions : celle du texte envisagé comme discours (qui décrit ou prescrit ces pratiques), celle des protagonistes, et celle du type d’hospitalité – ce qui inclut notamment les modalités de la réception. Cette triade peut théoriquement décrire un très grand nombre de situations. Relevons en quelques unes, tout particulièrement significatives pour le point de vue représenté par nos textes. Ces situations sont principalement organisées selon le var۬a des protagonistes qui semble bien constituer le critère le plus déterminant81, même si dans les faits, celui-ci est nécessairement spécifié selon d’autres facteurs que nous aurons l’occasion d’évoquer plus loin, au fil de nos lectures82. Essayons de résumer, sous la forme d’un panorama schématique, les principales possibilités de relations d’hospitalité envisagées par les textes, dans leur propre système de référence, et selon les protagonistes qui y sont impliqués. non-défini83

~ Reçu

dvija

{

lAccueillant

Ğnjdra, cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, mleccha

brahmanes

k‫܈‬atriya, vaiĞya

brahmanes

(2.1), (2.2), (2.3)

(2.1), (2.2), (2.3)

(4)

k‫܈‬atriya, vaiĞya

(2.2), [(2.3)]

(2.2), [(2.3)]

©

(3)

©

non-défini (1)

Ğnjdra, cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, mleccha

(3)

81 Cf. ainsi Derrett qui fait de la position par rapport aux var۬a le critère le plus important. Il distingue 6 catégories sociales : « 1. Orthodox, caste-Hindus, namely (i) the twice-born, and (ii) Cudras [sic], who were not fit for full association with the twice-born; 2. persons fallen from caste (patita) but potentially capable of full reintegration; 3. classes of degraded persons which were potentially capable of entry [in]to the Hindu system ; 4. mlecchas on the outer fringes of Hindu society; 5. mlecchas of non-Hindu and also non-Indian origin ; 6. chandâlas and similar out-caste tribes which, though occupationally connected with the Hindus, were incapable of integration with the Hindu society. » (Derrett (1958), p. 243). Cf. également Wilhelm (1996) qui estime similairement que le var۬a est le critère déterminant pour l’hospitalité. 82 Cf. Schreiner (1991), p. 307, qui distingue les facteurs suivants dans la détermination d’une interaction sociale : (1) le sexe (homme / femme), (2) la qualité d’intouchable, (3) une tendance ritualiste ou « dévotionnelle », (4) le var۬a, (5) le métier, (6) la distinction ermite / prêtre au service du roi, (7) la distinction laïc / renonçant, (8) l’appartenance à une « secte », (9) l’appartenance à une école ou à une branche védique. 83 Il convient évidemment de formuler ici la même remarque méthodologique que dans le cas du judaïsme rabbinique : l’absence de précision sur les protagonistes de l’hospitalité signifie-telle que l’identité de ceux-ci est indifférente ou qu’au contraire la chose est trop évidente pour être signalée ? Cette question doit être évaluée au fil de la lecture des textes.

154

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

(1) L’identité des protagonistes n’est pas exprimée. Sous cette catégorie peuvent être regroupés deux sortes de textes : ceux à caractère idéalisant, qui ne formulent effectivement aucune condition sur l’identité des protagonistes ; ceux à caractère « légal », qui n’explicitent pas ce point, sans doute parce qu’il est trop évident pour être mentionné. Dans ce dernier cas, il conviendra de préciser au moyen de lectures croisées quels groupes sont implicitement concernés par les textes84. Ce problème apparaît de manière récurrente au sein des textes, qui formulent souvent des règles à la troisième personne (« qu’il… ») sans préciser explicitement à qui s’adresse la prescription. (2) L’hôte recevant et l’hôte reçus sont dvija. Il s’agit de la situation majoritairement traitée par les textes. Il faut cependant distinguer des cas particuliers : (2.1) L’hôte reçu est un brahmane, l’hôte recevant est dvija. Ce premier cas semble concerner l’essentiel des prescriptions d’hospitalité consignées dans les textes, et correspond au schéma classique : le brahmane reçoit ; les trois var۬a supérieurs (y compris un autre brahmane) donnent. Il faudra cependant prêter attention à l’ambiguïté susceptible de caractériser une telle relation : il n’est pas nécessairement évident, pour un brahmane, de rechercher de la nourriture auprès d’un non-brahmane (k‫܈‬atriya ou vaiĞya). Par ailleurs, les textes sont rarement explicites sur l’identité de la personne qui reçoit. (2.2) L’hôte reçu est un invité « de marque ». Ce second cas renvoie à l’exécution d’une cérémonie particulière, dite argha, qui comprend le plus souvent l’abattage d’un animal à l’intention d’un invité tout particulièrement prestigieux. La distinction des var۬a n’est ici pas déterminante (pour autant, apparemment, que l’on reste entre dvija). (2.3) Le visiteur est un « mendiant ». Il s’agit ici d’un cas limite : le mendiant n’est pas réellement « hébergé » mais reçoit de la nourriture, ce qui comporte des implications relativement similaires à l’hospitalité. Par définition, le mendiant n’est pas en mesure de rendre ce qu’il reçoit. (3) L’hôte reçu n’est pas dvija, l’hôte recevant est un dvija. Le contact avec un non-dvija impliqué par cette situation est inévitablement problématique (et notamment en raison des règles de pureté évoquées plus haut). De manière attendue un rapport d’hospitalité avec un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla est plus problématique que dans le cas d’un Ğnjdra. 84 Pour ce qui concerne nos textes, l’absence de précision concernant les protagonistes peut relever d’une question de style : la formulation d’une idée au sein d’un snjtra se doit d’être aussi brève (et conséquemment, elliptique) que possible. Pour de tels passages, il s’agira d’indiquer des hypothèses de lecture sur la base de l’étude comparative d’autres textes.

3.2 Pratiques de l’hospitalité

155

(4) L’hôte recevant n’est pas dvija, l’hôte reçu est brahmane. Ce dernier cas est incidemment mentionné par les textes. Il pose évidemment de très nombreux problèmes, car le cadre de la « réception », nécessairement « impur » n’est pas maîtrisé par l’invité. 3.2 PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ On peut distinguer trois cas principaux parmi les textes traitant d’hospitalité au sein des traités normatifs : (1) l’hospitalité usuelle (éventuellement quotidienne) ; (2) l’hospitalité due à des invités de marque (argha) ; (3) l’hospitalité comme pratique strictement rituelle, faisant partie intégrante d’un rite, comme celui du ĞrƗddha. Avant d’aborder ces deux derniers cas en détail, il convient de décrire les aspects généraux du système, en se référant à la situation la plus courante, celle de l’hospitalité usuelle dans laquelle un maître de maison reçoit un atithi. 3.2.1 Qui est un atithi ? De nombreux textes se soucient de préciser la nature du visiteur désigné par atithi. Nous allons montrer qu’il ne s’agit en aucun cas d’un « hôte » ou d’un étranger en général, mais au contraire, d’un visiteur caractérisé de manière fort précise. Commençons par une définition apparaissant en Manu : 101 De la paille, de la place, de l’eau, et en quatrième, une conversation amicale, ces choses ne manquent jamais dans la maison des gens de bien. 102 Un brahmane qui reste une nuit (ekarƗtram) est appelé un atithi. Parce qu’il ne reste pas longtemps, il est appelé atithi. 103 On ne doit pas considérer comme atithi un brahmane qui habite dans le même village (naikagrƗmƯ۬am) ou une connaissance (sƗ۪gatikam), [même s’il] est venu dans une maison où [se trouvent] une femme et les feux85.

Le début de ce texte évoque un certain nombre de « lieux communs » – qui apparaissent également en d’autres textes86 – relatifs à ce qui est offert dans l’hos85 MDh 3.101–3.103. Une version très légèrement différente de ce texte se trouve en VDhS 8.78. 86 Cf. par exemple Hit 1.60, Mhbh 3.2.52 (éd. critique, vol. 3, p. 11) et Mhbh 5.36.32 (éd. critique, vol. 6, p. 162). Étrangement, ce Ğloka n’est pas pris en compte par Schulze (1966 [1918]), p. 197 (repris par Thieme (1938), p. 153), qui cherche pourtant à dégager les éléments fréquemment présentés à un hôte et qui cite l’interdiction de MDh 9.278 (« Ceux qui donnent du feu, de la nourriture, des armes ou un logement […] le roi doit les frapper comme des voleurs ») en commentant : « Dem Verbot steht ein entsprechendes Gebot der Gastlichkeit gegenüber : dem Fremden gibt man auf seine Bitte Feuer und Wasser. » Ce passage de MDh n’évoque cependant pas le cas de l’« étranger » au sens où l’entendent Schulze et Thieme, mais (comme le relève pourtant bien Schulze) se rapporte seulement au cas du voleur : il est à mon sens problématique d’en déduire une coutume relative à « l’étranger » ou à l’hospitalité, d’autant que l’hospitalité fait l’objet d’un traitement explicite au sein des passages de MDh étudiés ici.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

pitalité. Le statut d’atithi implique pour Manu de satisfaire à au moins trois conditions que l’on retrouve assez régulièrement dans les textes : (1) la brièveté du séjour, (2) l’appartenance au var۬a des brahmanes et (3) la provenance « étrangère », c’est-à-dire, de l’extérieur du village. Sur le premier point, le séjour est ici clairement décrit comme temporaire : l’atithi est supposé ne rester qu’une seule nuit (ekarƗtra), même si d’autres textes font mention de séjours légèrement plus longs. Le commentateur MedhƗtithi explique que la question de la prolongation de l’hospitalité est laissée à la discrétion du maître de maison. Il souligne la différence fondamentale entre la première nuit que passe le visiteur, qui relève de l’obligation (vidhi), et les nuits suivantes que l’hôte est libre de proposer ou non (vikalpa), et pour lesquelles il peut attendre une rétribution spécifique87. Un séjour qui se prolonge ne relève par conséquent pas d’un devoir d’hospitalité, mais plutôt d’une simple possibilité. La brahmanité de l’invité est une question fondamentale qui conditionne de très nombreuses prescriptions d’hospitalité. Pour Manu il est clair qu’un hôte nonbrahmane n’est pas un atithi au sens propre du terme, comme l’affirme sans ambiguïté le passage suivant : « 110 Mais un k‫܈‬atriya [qui vient] dans la maison d’un brahmane n’est pas appelé un atithi ; ni un vaiĞya, ni un Ğnjdra, ni un ami, ni des membres de la famille, et pas non plus le maître88. » La question tourne bien ici autour de l’atithi compris comme un statut particulier, ce qui n’épuise pas toutes les possibilités d’hospitalité entendue au sens large. Cette conception de l’atithi est en contradiction flagrante avec la situation que présentent d’autres traités, comme ParƗĞara Sm৚ti : « Qu’il soit désiré ou haï, stupide ou instruit, arrivé à la fin du vaiĞvadeva, c’est un atithi et il est un chemin vers le ciel89 ». Le même traité affirme encore : « Si un délinquant, un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, le meurtrier d’un brahmane ou un parricide est arrivé au moment du vaiĞvadeva, c’est un atithi et il est un chemin vers le ciel90. » Est ici réputé atithi quiconque – y compris le pire criminel – arrive au moment opportun et s’adjoint à un repas. ParƗĞara Sm৚ti provient à l’évidence d’un autre contexte que Manu91 : la conception irréaliste de l’hospitalité qui y est présentée (malgré l’aspect juridique que

87 Éd. Jha, vol. 1, p. 251 ; tr. vol. 4, p. 125. Le texte d’ƖpDhS 2.(3).7.16 détaille les mérites particuliers associés à une prolongation de l’hospitalité (cf. infra, p. 176). Sur la distinction entre vikalpa et vidhi, cf. HistDh, vol. 5.2, p. 1250 (et HistDh, vol. 4, p. 369 pour une application de ces termes au cas du ĞrƗddha). 88 MDh 3.110. Sur la traduction du terme guru (qui peut renvoyer aussi bien au maître qu’à un ancien), cf. la remarque d’Olivelle (2005), p. 71. On traduit ici par « le maître » dans la mesure où la réception du maître fait effectivement l’objet de prescriptions spécifiques. 89 ParSm 1.40. 90 ParSm 1.58. Cette même règle figure en Viৢ৆udharmottara (un purƗ۬a vishnouïte composé aux environs du VIIe siècle de notre ère), cité par Jha (1999 [1920–1939]), vol. 10, p. 205. 91 Notons au passage que le fait que ParƗĞara Sm৚ti soit cité en YƗjñDh (1.5) n’établit pas à coup sûr l’ancienneté du texte nous étant parvenu. Celui-ci peut avoir été composé tardivement, peut-être même afin de répondre à la mention d’un texte de ce nom apparaissant en YƗjñDh et inconnu par ailleurs.

3.2 Pratiques de l’hospitalité

157

revendique le texte) évoque un caractère dévotionnel, laissant penser que le traité pourrait provenir d’un milieu proche d’un courant de type bhakti92. Dans tous les cas, et en suivant le raisonnement inverse, la conception de l’hospitalité apparaissant dans ce passage indique clairement que Manu, bien que revendiquant une portée « universelle », n’est le témoin que d’un groupe particulier. Un passage de BaudhƗyana G৚hya Snjtra est lui aussi en contradiction avec Manu : il définit le meilleur des atithi comme celui qui se présente au moment opportun, quel que soit son var৆a93. Ajoutons encore que de nombreux textes du bouddhisme présentent une conception de l’hospitalité assez proche de celle de ParƗĞara Sm৚ti ou BaudhƗyana G৚hya Snjtra, idéalisant volontiers la figure de l’hôte reçu94. Selon le troisième critère, celui de l’« étrangeté », un « confrère » (sƗ۪gatika)95 ou un brahmane du même village (na … ekagrƗmƯ۬a) ne sauraient être considérés comme des atithi au sens propre du terme. La frontière géographique délimitant l’indigène de l’étranger se confond ici avec le périmètre du village. Celui-ci correspond à une limite (autant géographique que symbolique) qui, selon l’ArthaĞƗstra, est instituée par le roi96. Ajoutons que s’il est réputé provenir d’un endroit situé au-delà de cette frontière, l’atithi n’arrive certainement pas non plus de lointaines contrées. À nouveau, on rencontre ici des conceptions « idéalisées » qui se distinguent d’une perspective telle que celle de Manu. Dans certains cas, c’est en effet le caractère étranger de l’invité qui est souligné97. De même, plusieurs textes enjoignent au maître de maison de s’abstenir de poser des questions « inconvenantes »

92 Pour un exemple du traitement de l’hospitalité dans le cadre d’un texte relevant de la bhakti Ğivaïte du Sud de l’Inde (le Periya PurƗ৆a, XIIe siècle), cf. Velluppillai (2003), p. 115–117 : il s’agit d’être au service des serviteurs de ĝiva (i. e. les ascètes Ğivaïtes), fût-ce au prix du sacrifice de son foyer. Ainsi, « l’hospitalité est parfaitement définie dans un cadre codifié et ritualisé alors que la nature des offrandes dépasse les conventions, abolit les normes et atteint l’extrême : pour l’hôte qui incarne ĝiva tout est permis. Elle se présente comme une voie bhaktique, accessible et directe, vers la Libération. » (p. 117). 93 BGS, ParibhƗৢƗ, 2.4.16. 94 Cf. par exemple MahƗassƗroha JƗtaka (JƗ, vol. 3, p. 6–8), l’histoire d’un roi accueilli par un habitant du village, qui ignore l’identité de son invité (évoqué et commenté par Thieme (1938), p. 153 (§146)). Cf. aussi Nimi JƗtaka (JƗ, vol. 6, p. 62) : donner l’hospitalité (à quiconque) entraîne une récompense dans les cieux. 95 Olivelle (2005), p. 113, traduit par « on a social visit ». Jha (1999 [1920–1939]), vol. 9, p. 205, explique « Fellow-student, other than a friend ; or one who is in the habit of meeting all men on terms of equality, entertaining them with jokes and stories. » 96 Arthĝ 2.1.2. 97 Cf. Ghatage (1979), vol. 2, p. 985 (col. 2) qui relève une définition proposée en MƗnasollasa (XIIe siècle) 1.15.114 insistant sur le caractère étranger de l’atithi : « Les sages savent qu’un atithi est celui dont on ne connaît ni la famille, ni le nom, venu d’un autre endroit, ayant faim et dont les pieds sont couverts de poussière. » Cf. aussi la définition « courante » rapportée par Balbir (2001), p. 379, n. 20.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

à son hôte, et en particulier de ne pas lui demander de décliner son identité98. Les réponses à ces questions pourraient toutefois se révéler importantes, car elles concernent précisément des critères conditionnant la pratique de l’hospitalité (liés notamment au respect des règles de pureté). Il s’agit là de conceptions fortement idéalisées, qui tranchent radicalement avec le point de vue beaucoup plus strict et pragmatique que présentent Manu et les autres traités de dharma. Examinons deux autres définitions de l’atithi : Ɩpastamba

Gautama

4 Quand il a étudié la branche des Veda qui est 40 Un atithi [est] d’un autre village, il reste la sienne (ekaikƗm99) de manière réglementaire, pour une nuit, et arrive quand le soleil est auil est un Ğrotriya. 5 Quand [celui-ci], privilédessus des arbres101. giant la pratique de la loi, et sans autre raison, vient chez un maître de maison dévoué à la pratique de son devoir (svadharmayuktaۨ), il est un atithi100.

Le texte d’Ɩpastamba introduit deux nuances importantes par rapport à la définition de l’atithi en Manu. Il met d’une part l’accent sur l’« érudition » du visiteur brahmane : celui-ci est qualifié de Ğrotriya et est supposé avoir étudié les textes de la branche védique à laquelle il appartient. D’autre part, une condition supplémentaire est formulée, non pas sur l’invité, mais sur le maître de maison : celui-ci doit être respectueux de la loi, attaché à la pratique de son devoir (svadharmayukta). Cette condition relève de l’adhikƗra (l’« éligibilité » pour la pratique d’un acte rituel et le gain de mérites) indispensable à l’exécution d’un rituel. De même que quiconque n’est pas habilité à sacrifier, de même n’importe qui n’est pas en mesure de recevoir un atithi102 : seul un dvija marié possède cette habilitation. Cette même idée apparaissait également dans le texte de Manu (3.103) cité plus haut : l’atithi arrive dans une demeure où se trouvent une femme et les feux, qui consti-

98 Par exemple : ParSm 1.48 : « Qu’il ne demande pas son gotra et sa branche védique, sa connaissance du Veda et son éducation, qu’il le considère en son cœur [comme] un dieu, car il représente tous les dieux. » Ou Yama Sm৚ti, cité en ParMƗ, p. 357 : « Qu’il ne demande pas à un brahmane arrivé par la route et se présentant pour un repas, son gotra et sa branche védique (cara۬a), sa région (deĞa), son nom (nƗman), sa famille (kula) et son éducation (Ğruta). » 99 La forme ekaikƗm est comprise ici dans un sens distributif (« chacun les textes de sa branche »). Cf. cependant la remarque d’Olivelle (2000), p. 508 et sa traduction (p. 83) : « one branch of each of the Vedas. » 100 ƖpDhS 2.(3).6.4–5. 101 GDhS 5.40. 102 De même que tout le monde n’est simplement pas habilité à donner (cf. MDh 3.97 : le don présenté par un ignorant à un brahmane revient à jeter une offrande sacrificielle dans la cendre).

3.2 Pratiques de l’hospitalité

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tuent ensemble un prérequis pour l’activité sacrificielle103. Nous verrons que cette analogie rituelle est tout sauf fortuite. Quant à lui, le texte de Gautama reprend la même idée que Manu : l’atithi vient de l’extérieur du village et reste pour une nuit. Il mentionne cependant un critère supplémentaire : l’heure d’arrivée. L’arrivée d’un hôte serait idéale « quand le soleil est au-dessus des arbres », ce qui fait certainement référence au soir, moment du second repas de la journée. Il est utile de contraster ce passage avec la suite du texte de Manu évoqué plus haut, qui, pour reconnaître l’existence de moments favorables et défavorables, n’en fait pas une condition relative à la réception d’un atithi : 105 Au soir, un atithi apporté par le soleil ne doit pas être écarté par un maître de maison ; qu’il soit arrivé à un moment opportun ou à un moment inopportun, il ne doit pas séjourner dans sa maison sans y manger104.

Selon le commentateur MedhƗtithi, la période favorable correspondrait au moment où sont effectués le vaiĞvadeva (les oblations domestiques effectuées à l’intention des dieux) et le bali aux bhnjta (l’oblation de nourriture destinée aux « êtres105 »). Ces oblations domestiques doivent être effectuées avant la tenue d’un repas (matin et soir106) et, dans le monde utopique de Manu, précèdent la réception d’un atithi107. Le moment défavorable désignerait la soirée, quand le repas du soir est fini, ou le matin, après le déjeuner. Bien que la discussion du moment de l’arrivée d’un hôte puisse sembler de peu d’importance, ce problème peut aussi (mais pas seulement108) relever d’une question « rituelle » : pour la plupart des traités de dharma, le maître de maison ne devrait idéalement faire son repas que des « restes » laissés par ses atithi – nous y reviendrons – ce qui n’est évidemment possible que si ceux-ci se présentent avant l’heure de son repas – c’est sans doute la raison de la prescription de Gautama109. La question d’hôtes arrivant au mauvais moment représente donc une tension dans le système : d’un côté, l’obligation de l’hospitalité à l’égard d’un atithi se 103 Un homme veuf ou divorcé ne serait donc pas en mesure d’accueillir un atithi au sens propre du terme. Cette règle est à comparer avec les critères nécessaires à l’exercice du sacrifice. Comme le note Olivelle (1993), p. 41 : « The obligation to sacrifice […] implies the obligation to get married. » De même, Leslie (1989), p. 200 montre que l’importance de la présence de la femme dans un foyer « recalls the very similar rulings concerning the importance of the patnƯ at the fire ritual ». 104 MDh 3.105. 105 Éd. Jha, vol. 1, p. 252 ; tr. vol. 4, p. 127. 106 Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 742 et entre autres, MDh 3.121 (et infra, p. 173 sq.). Cette tradition perdure jusqu’à aujourd’hui : cf. Khare (1976), p. 76. 107 MDh 3.94. « Après avoir effectué cette oblation du bali, il doit tout d’abord nourrir un atithi. Qu’il donne aussi selon la règle l’‘aumône’ à un mendiant ascète et à un étudiant. » 108 D’un point de vue simplement pratique, il est plus agréable pour un maître de maison de recevoir des hôtes à l’heure du repas : cela lui évitera d’avoir à cuisiner une nouvelle fois par après. 109 De même, selon ƖpDhS 2.(3).7.15, l’invité donnera au maître de maison son autorisation pour l’exécution des sacrifices domestiques. Sur ce dernier passage, cf. Meyer (1927), p. 335.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

justifie par une analogie rituelle (l’hospitalité est un rituel et il convient de l’exercer sans faute, dans l’ordre prescrit) ; de l’autre, l’hospitalité représente un service « social » qui ne se saurait se réduire à sa simple composante rituelle. Pour ne pas imposer à l’atithi une contrainte difficile à remplir, comme l’heure d’arrivée, le texte de Manu témoigne manifestement du souci de ne pas être lu de manière trop littérale, et est contraint de reconnaître que même un atithi se présentant au mauvais moment doit être reçu – nonobstant le fait que, dans ce cas, l’action ne pourra pas revêtir pas la même portée rituelle110. Résumons dans le tableau suivant les principales définitions de l’atithi : Ɩpastamba

Gautama

BaudhƗyana

brahmane Ğrotriya

vient d’un village extérieur

vient chez un maître de maison vertueux

reste pour une nuit

ne définit pas le brahmane statut d’atithi, reste une nuit mais n’emploie jamais le terme pour qualifier un nonbrahmane

arrive « quand le soleil est audessus des arbres »

Vasiৢ৬ha

Manu brahmane reste une nuit vient dans un foyer possédant une femme et les feux

3.2.2 Du bon usage de l’hospitalité Commençons par exposer quelques obligations incombant aux deux protagonistes de l’hospitalité. Une fois le visiteur arrivé, le maître de maison le salue selon la formule de circonstance (l’abhivƗdana), dont la forme est susceptible de changer en fonction de l’identité du protagoniste. Le passage suivant précise que cette forme élaborée de salutation ne doit s’effectuer qu’une seule fois, à l’arrivée de l’hôte : « 1 Que celui par qui un atithi jouit d’un logement ne se lève pas ou ne descende pas [d’un siège] à sa rencontre, s’il [le maître de maison] a déjà été salué auparavant111 ». Il s’agit assurément de faire en sorte que l’hôte reçu se sente intégré à la maisonnée, « comme chez lui » : la procédure de la salutation s’adresse à une personne extérieure au cercle domestique et marque, avec les autres rites d’accueil (comme l’ablution des pieds), le passage de l’étranger à l’indigène. Pour cette raison, la salutation cérémonieuse ne peut être effectuée qu’une seule fois, au début de l’hospitalité. La procédure de l’abhivƗdana se décline en plusieurs formules selon la classe de la personne sa-

110 Ainsi MDh 3.108 : « Mais après que le vaiĞvadeva est fini, si un autre atithi arrive, il doit lui donner de la nourriture du mieux qu’il peut, [mais] qu’il n’offre pas [à nouveau] l’oblation du bali. » 111 ƖpDhS 2.(4).8.1.

3.2 Pratiques de l’hospitalité

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luée, et suppose, de la part de celui à qui elle s’adresse la connaissance de la formule de retour (pratyabhivƗdana112). Un passage d’Ɩpastamba décrit un protocole tout particulièrement complexe pour la réception d’un invité113 : (1) Le maître de maison part à la rencontre de son hôte. (2) Il le reçoit en fonction de son âge. (3) Il lui apporte un siège (Ɨsana), qui n’a, si possible, « pas peu de pieds » (na abahupƗda114). (4) Il (ou deux Ğnjdra) lui lave(nt) les pieds avec l’eau appelée pƗdya, apportée dans un récipient en terre ou en métal (les avis divergent sur ce dernier point). (5) Il lui apporte de l’eau, pour purifier sa bouche (l’eau ƗcamanƯya). (6) Il s’adresse à lui aimablement. (7) Il lui apporte des boissons et de la nourriture (mais au minimum, de l’eau). (8) Il lui proposera finalement de l’héberger, avec un lit, un matelas, un coussin et une couverture. Il s’agit là d’un accueil plutôt fastueux, qui s’adresse manifestement à un hôte prestigieux. Étonnamment, la liste reste silencieuse sur le moment du repas – peut-être parce que celui-ci est sous-entendu, et que notre texte ne fait que spécifier un cas particulier. Le repas se déroulera en principe en silence dans le cas où plusieurs personnes mangent ensemble115. Mais la règle générale est que l’invité mangera seul, ou du moins, en l’absence de celui qui le reçoit, qui mangera après. Comme le note très justement Nalini Balbir116, la commensalité elle-même ne revêt pas une importance particulière. Au contraire, une certaine distance doit être maintenue entre celui qui reçoit et celui qui est reçu. Dumont indique de même que « l’on peut à peine manger côte à côte avec quiconque n’est pas son égal, que l’hôte ne mange généralement pas avec ses invités, et que les repas ne sont pas ces moments plaisants de conversation avec lesquels nous sommes habitués117 ». Pour la plupart de 112 Sur la procédure en son entier, cf. MDh 2.119–130. Pour une discussion de ce rite, qui s’apparente à plusieurs égards à un processus de don – contre-don, cf. Michaels (1997), p. 253 sqq., et en particulier, p. 258. 113 ƖpDhS 2.(3).6.7–15 : « 7 Étant allé à sa rencontre, après l’avoir reçu selon son âge, il doit lui apporter un siège. 8 Dans la mesure du possible, disent certains, un siège qui n’a pas peu de pieds. 9 Il doit laver les pieds de l’hôte. Certains disent qu’une paire de Ğnjdra [peuvent le faire]. 10 Que l’un des deux s’occupe à verser. 11 Qu’il lui apporte de l’eau, dans un récipient selon certains. […] 14 Après s’être aimablement adressé à son hôte, le maître de maison doit le rafraîchir avec des boissons et de la nourriture, au minimum, avec de l’eau. 15 Qu’il lui offre un logement, un lit, un matelas, un coussin, avec une couverture décorée. » 114 Le terme Ɨsana désigne de manière générique toute place où l’on peut s’asseoir, et en général, une simple place recouverte d’une couverture sur le sol. L’expression na abahupƗda indique sans doute de manière emphatique qu’il convient d’installer son hôte sur un siège, et non à même le sol. Leslie (1989), p. 184 relève toutefois, en renvoyant au texte de MDh 3.99, qu’Ɨsana désigne plutôt un siège en bois, à pieds bas, permettant d’être confortablement installé. Dans tous les cas, et comme le montre Jamison (1996b), p. 159–160, il est clair que la nature du siège reflète l’importance du visiteur ou de la rencontre : cf. entre autres Mhbh 5.87.18, 5.89.8, 5.92.37, 5.92.45 etc. L’importance sociale du siège apparaît explicitement en GDhS 11.7 (cité par Rocher (1962), p. 130). 115 BDhS 2.(7).12.2 ; 2.(7).12.4. Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 764. 116 Balbir (2004), p. 383. 117 Dumont (1980), p. 139.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

nos textes, tout rapport d’hospitalité devrait se conclure par l’« escorte » de l’invité (anuvrajana) : 1 Au matin suivant, après l’avoir rassasié à l’envi, qu’il prenne congé de lui. 2 [Si l’hôte] possède un chariot [il doit l’accompagner] jusqu’au chariot. 3 [Il doit l’accompagner] aussi loin que celui-là ne le congédie pas. 4 Dans le cas où [l’hôte sur le départ] n’en aurait pas la présence d’esprit que [le maître de maison] s’en retourne depuis la limite [du village118].

Le passage semble décrire le cas où le visiteur est hébergé pour la nuit. Au matin, il convient donc de le raccompagner. Remarquons que c’est ici l’invité qui commande le « maître de maison » : ce dernier attend de son visiteur la permission de rentrer chez lui. Si l’invité oublie de congédier son hôte, celui-ci est « libéré » à la « limite », ce qu’il faut certainement entendre comme « la limite du village ». Cela correspond – on l’a déjà vu – à la limite territoriale séparant le plus souvent l’espace indigène de l’extérieur : l’atithi est précisément réputé ne pas provenir du même village119. Tournons-nous à présent du côté des obligations incombant au visiteur. Bien qu’il soit reconnu au brahmane un droit fondamental à bénéficier de l’hospitalité, celui-ci ne doit pas profiter indûment de son rang, et doit adopter un comportement exemplaire. Ainsi, le Ğloka suivant prévient : 109 Un brahmane ne doit pas se prévaloir de sa famille et de son gotra pour obtenir un repas. Celui qui se vante de ces deux choses pour obtenir un repas est appelé par les sages « mangeur de vomissure120 ».

Il s’agit manifestement là d’une mise en garde à l’égard de certains brahmanes, tentés d’afficher ouvertement leur rang afin de bénéficier d’un meilleur accueil. Le texte présuppose que les critères de la famille et du gotra ont une incidence sur l’hospitalité121 : le maître de maison redoublera d’empressement afin de satisfaire un brahmane de bonne famille, sans doute convaincu de gagner plus de mérite par l’intermédiaire d’un invité plus prestigieux. On peut penser que cet avertissement anticipe des critiques susceptibles d’être émises à l’égard de brahmanes profitant indûment de leur rang. Cette mise en garde renforce finalement la position brahmanique, qui démontre ainsi qu’elle est capable d’une auto-critique. De manière similaire, un brahmane ne doit pas activement rechercher à profiter d’un repas, et ne doit y prendre part que suite à une invitation irréprochable

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ƖpDhS 2.(4).9.1–4. Par exemple en MDh 3.103. MDh 3.109. De manière générale, la notion de gotra comporte cependant peu d’incidence sur l’hospitalité : celle-ci est principalement essentielle dans le choix d’un-e conjoint-e en vue d’un mariage (en règle générale, le mariage est endogame à un var۬a, mais exogame à un gotra). Pour l’hospitalité, seul le cas de l’invitation de brahmanes pour un ĞrƗddha doit prendre en compte ce critère (les brahmanes ne doivent précisément pas appartenir au même gotra que le commanditaire). Cf. Payer (2004a), #4.2 pour une vue d’ensemble de la question.

3.2 Pratiques de l’hospitalité

163

(anindyƗmantra۬a122). Comme on l’a déjà relevé, l’acceptation (pratigraha) constitue l’une des tâches traditionnelles associées au rang de brahmane. Il ne s’agit bien sûr pas d’une obligation systématique : le brahmane peut très bien refuser les dons qu’on lui fait ou une invitation (si celle-ci n’est pas irréprochable). Une proposition acceptable – faite en bonne et due forme, et émanant d’une personne convenable – sera toutefois le plus souvent acceptée123. Pendant la réception, l’invité s’abstiendra de parler « en vain » (c’est-à-dire d’être impoli ou de mentir) et évitera de gesticuler (mouvement des mains et des pieds, sauts etc.124). Dans le cas de repas réunissant plusieurs convives, un invité veillera tout particulièrement à se comporter d’une manière convenable. Ainsi, la suite du texte que nous avions évoqué dans le cadre de notre discussion sur le rôle de la pureté dans l’hospitalité prescrit un comportement particulier dans le cas où un incident viendrait troubler le repas : « 3 de même [il doit arrêter de manger si] parmi des gens qui mangent, [et] après s’être levée, [une personne] donne ses restes ou verse de l’eau125 ». La règle générale est donc que l’on ne se lève que quand tous les convives ont fini de manger. Si l’un finit son repas avant les autres (ce qu’indique le fait de donner ses restes, et de se verser de l’eau dans la bouche126), il convient de s’arrêter de manger. Apparemment mineures, ces règles soulignent le caractère formel et rituel du repas. Il s’agit de faire en sorte que l’interaction se déroule correctement et qu’aucun faux pas ne vienne troubler l’ordre établi. D’autres règles sont évoquées quant aux rôles respectifs de celui qui reçoit et de celui qui est reçu. Comme celles-ci sont liées à des situations particulières, il nous paraît cohérent de les aborder plus loin, au fur et à mesure de notre développement.

122 YƗjñDh 1.112 : « 112 Qu’il ne soit pas désireux du repas d’un autre sans une invitation irréprochable. Qu’il évite l’excès de parole, de mouvement des mains et des pieds, et le fait de trop manger. » 123 Cf. HistDh 2.1, p. 113–114 (cf. aussi Jamison (1996b), p. 200, qui montre que le refus a pour conséquence d’humilier l’invitant). 124 Commentaire sur YƗjñDh 1.112. Les termes de la MitƗkৢarƗ sont valgana (et non palyƗ۬a, « la selle ») et Ɨspho‫ܒ‬ana (etc.) pour les mains ; la۪ghana et utplavana (etc.) pour les pieds. Il n’y a là aucun rapport à l’équitation, comme semble le penser Vidyarnava (1974 [1918]), p. 231. 125 ƖpDhS 1.(5).17.3. Cf. aussi, avec la même idée, GDhS 17.19, et HistDh, vol. 2.2, p. 766– 767. Friedrich (1993), p. 105, comprend différemment ce passage en raison de sa lecture d’une corrélation yatra … tatra : quand un Ğnjdra touche quelqu’un qui mange, ou quand on mange avec des personnes sans valeur, alors (tatra) il convient de donner ses restes et de verser de l’eau. Mais l’ensemble du passage présente des alternatives séparées par vƗ, accompagnées de yatra ou d’un locatif, qui rendent improbable la lecture d’une corrélation. Le problème posé par le comportement inconvenant d’un convive est d’ailleurs explicitement cité par Prakash (1961), p. 49. À noter enfin que le texte d’Olivelle (2000), p. 52, retient yatra et non tatra. 126 Le commentateur Haradatta précise qu’une personne se comportant de la sorte est appelée un « trouble-repas » (bhojanaka۬‫ܒ‬aka). Éd. Shastri, p. 95, tr. Bühler, p. 61.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

3.2.3 L’ordre de priorité et les « hôtes » familiers Puisque les repas ne sont qu’exceptionnellement pris en commun, quel est l’ordre dans lequel les convives mangent ? Comme nous aurons l’occasion de le constater à plusieurs reprises, cette question, parfois liée à des considérations rituelles, est bien loin d’être secondaire. Considérons les textes suivants : Manu

Gautama

114 Sans hésiter, il doit nourrir immédiatement après les atithi, les personnes suivantes : les jeunes femmes (suvƗsinƯ‫)ۊ‬, les jeunes filles, les malades et les femmes enceintes127.

25 Qu’il nourrisse en premier lieu les atithi, les enfants, les malades, les femmes enceintes, les jeunes femmes (svavƗsinƯ), les personnes âgées, et enfin, les serviteurs. 26 Mais pour son maître, son père ou pour un ami, que l’on cuisine après les avoir invités128 !

Notons en premier lieu que le statut d’atithi se distingue clairement des autres catégories : les enfants, le malade, la femme enceinte, la svavƗsinƯ129, les personnes âgées et les serviteurs ne sauraient relever du statut d’atithi, bien qu’en quelque sorte, ils soient aussi les hôtes « familiers » du maître et de la maîtresse de maison130. Sur le texte de Manu, un commentateur explique que les personnes évoquées à la suite des atithi peuvent débuter le repas dès que ceux-ci ont commencé à manger, sans attendre comme les autres membres de la famille – non mentionnés ici131. Pour le texte de Gautama, on relèvera au surplus la mention de visiteurs « spéciaux », comme le maître132, le père ou un ami. La règle prescrite par le texte doit se comprendre comme un égard à leur attention : on les invite avant de cuisiner, ce qui n’est pas le cas des personnes décrites précédemment, qui arrivent après que l’on a cuisiné. Un commentateur ajoute qu’il s’agit effectivement de leur laisser le choix du menu : la préparation de nourriture doit recevoir leur approbation133. Dans ces différentes listes de préséance, les jeunes et les enfants sont souvent privilégiés, alors que les personnes âgées sont fréquemment reléguées dans le mi-

127 MDh 3.114. 128 GDhS 5.25–26. 129 Le terme suvƗsinƯ ou svavƗsinƯ n’est pas très clair. MedhƗtithi (éd. Jha, vol. 1, p. 255 ; tr. vol. 4, p. 133) explique qu’il s’agit des filles et belles-filles récemment mariées, mais habitant toujours à la maison. 130 Cf. également le texte parallèle de ƖpDhS 2.(2).4.11–12. 131 MedhƗtithi ad MDh 3.114 (éd. Jha, vol. 1, p. 255 ; tr. vol. 4, p. 133). 132 Sur l’accueil du maître par le disciple, une fois que celui-ci est rentré chez lui, cf. ƖpDhS 2.(2).5.4–7 : le snƗtaka prendra garde à se placer toujours en position d’infériorité, bien qu’il soit alors dans le rôle du « maître de maison. » 133 Haradatta ad loc. (éd. Pandey, p. 39) : « Leur ayant présenté la préparation de la nourriture, il doit faire la nourriture qu’ils désirent. »

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

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lieu ou à la fin de l’énumération134. Cela témoigne assurément d’un souci pragmatique de favoriser les membres de la famille qui en représentent l’avenir. Enfin, les cas du maître, du père ou d’un ami sont un peu particuliers : ceux-ci ont droit à des égards, même s’ils ne sont pas des atithi au sens propre du terme. Le statut d’atithi implique, on l’a vu, de venir de l’étranger (du moins, de l’extérieur de la famille et de l’extérieur du village), ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des catégories évoquées dans ces listes. D’une manière générale toutefois et dans tous les textes, c’est bien l’atithi qui dispose de la précédence chronologique et symbolique dans le déroulement des repas. Ce fait est certainement lié à la dimension éminemment rituelle de l’hospitalité qu’il nous faut à présent aborder. 3.3 L’HOSPITALITÉ COMME PRATIQUE RITUELLE 3.3.1 Le sacrifice solennel comme hospitalité L’hospitalité, et en particulier, celle dont bénéficie un atithi, apparaît bien souvent liée à la thématique du sacrifice. Inversement (ou symétriquement), certains types de sacrifices (ou des actions qui leur sont associées) sont eux-mêmes fréquemment décrits dans des termes relatifs à l’hospitalité135. Avant de nous pencher sur les analogies que l’hospitalité entretient avec les sacrifices, il convient d’examiner brièvement la correspondance inverse : dans quelle mesure la symbolique de l’hospitalité est-elle à l’œuvre au sein des pratiques sacrificielles ? Il est tout d’abord nécessaire de distinguer deux grandes catégories de rites : les rites solennels (Ğrauta) et les rites domestiques (g‫܀‬hya). Les rites solennels sont exclusivement exécutés par des officiants (‫܀‬tvij) et sont généralement organisés à l’occasion d’événements spéciaux. Ils sont ordonnés par un yajamƗna qui rémunère les prêtres pour leur service (dak‫܈‬i۬Ɨ, l’« honoraire rituel136 ») et qui récoltera, en échange, les fruits du sacrifice exécuté pour lui. Les gestes des rituels solennels font l’objet de prescriptions extrêmement détaillées consignées notamment au sein des Ğrautasnjtra. Les rites domestiques, quant à eux, ne requièrent pas la présence de spécialistes du rituel, et sont souvent prescrits dans le cadre

134 Cf. aussi Leslie (1989), p. 209, qui évoque ces listes et remarque que « […] the custom in the more traditional homes today is for the women to eat only after their menfolk, guests and children have been served. » 135 Cf. ainsi Jamison (1996a), p. 107 : « Classical Ğrauta ritual remains at heart a hospitality rite, with a set of divine guests who may always disrupt the feast if they are not properly entertained. » De même, Jamison (1996b), p. 173 note : « The clear model for the structure of Ğrauta ritual is the hospitable reception of guests: the gods come to the ritual ground, are offered a meal and entertained, and sent off at the end well-fed. » Cf. également l’article d’Hintze (2004), p. 28–30 et Thieme (1957), p. 90 « Das vedische Opfer ist durch alle wesentlichen Einzelheiten seiner Form und seines Verlaufs definiert als ein stilisiertes Gastmahl. » 136 Sur la portée de la rétribution des prêtres, absolument indispensable à l’efficacité du sacrifice, cf. Malamoud (1976), p. 163 sqq. et Gonda (1962), p. 273.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

d’une pratique quotidienne. Les pratiques rituelles domestiques sont détaillées au sein notamment des g‫܀‬hyasnjtra. Nous y reviendrons dans un instant. Les différents rites dits « solennels » (Ğrauta) peuvent atteindre une complexité extrême, et, selon les textes qui en prescrivent le déroulement, durer d’un jour à de nombreuses années. Quelque élaborées et variées que soient les procédures rituelles, presque tous les sacrifices exigent l’oblation (havis) d’une denrée ou d’un animal, consumé par le feu. Dans le système décrit par les textes, le sacrifice peut répondre au moins à deux sortes de motivations. Il permet d’une part de s’assurer d’avantages particuliers, matériels ou non, (comme dans le cas d’un sacrifice Ğrauta commandé par un yajamƗna). Il peut d’autre part simplement constituer un devoir, auquel cas c’est la non-exécution du rite qui entraîne une sanction. Dans ce contexte général, il est frappant de constater que plusieurs rites solennels entretiennent un rapport symbolique à l’hospitalité – pratique domestique par excellence. Un exemple particulièrement significatif de cette interaction symbolique apparaît dans le cadre d’une procédure rituelle liée au sacrifice du soma. Dans la partie précisément nommée Ɨtithya du rituel de l’agni‫ܒ܈‬oma, le soma est « reçu » sur le lieu de son sacrifice à la manière d’un hôte prestigieux137. Véhiculé sur un chariot vers le lieu du sacrifice, son accueil est rituellement marqué138, et il se voit proposer un siège et de la nourriture. La réception du soma est comparée en tous points à la réception d’un roi : le sacrifiant doit suivre (et non précéder) le soma, lui apporter de l’eau, et les membres de la maisonnée (comme la femme du sacrifiant139) doivent l’« entourer », en signe de respect. Les mantra (en particulier, des vers en gƗyatrƯ, tri‫ܒ܈‬ubh, et jagatƯ) récités lors du sacrifice sont comparés à la suite du roi reçu comme hôte140. Il semble bien que l’hospitalité constitue un « réservoir symbolique » extrêmement riche, permettant d’exprimer des idées centrales du sacrifice, telles que celles de la position respective des différents acteurs et des logiques complexes de l’échange. La structure de l’hospitalité se reflète à plusieurs niveaux dans le cadre 137 Pour les différentes descriptions de ce rite dans les Ğrautasnjtra (dont le développement dépasse le cadre de ce travail), cf. Caland et Henry (1906–1907), vol. 1, p. 53–60, et Dandekar (1958–1973), p. 145–165. 138 Caland et Henry (1906–1907), vol. 1, p. 53: le début de l’accueil est marqué par le détellement de l’un des bœufs qui véhicule le soma. On signale ainsi que le soma est arrivé (en détachant un bœuf), et on honore le soma-hôte (en conservant un bœuf attaché au char), sans interrompre le sacrifice (ce que signifierait le fait détacher les deux bœufs). Le passage de ĝatBr 3.4.1.5 précise que la pratique des hommes s’accorde à celle des dieux, et que « dans la pratique humaine, aussi longtemps que [le bœuf] n’est pas détaché, on ne lui [au visiteur] apporte pas de l’eau et on ne le traite pas avec respect, car il n’est pas encore arrivé ». Cela justifie que l’officiant ne se saisisse du matériel sacrificiel qu’après avoir libéré le bœuf, c’est-à-dire, reçu son hôte, le soma. À noter que la traduction d’Eggeling (1972 [1882– 1900]), vol. 4, p. 86 ne distingue pas la forme vimukta‫ «( ۊ‬détaché ») de ’vimukta‫ «( ۊ‬nondétaché »), ce qui complique la compréhension du passage. 139 Sur ce point, cf. Jamison (1996b), p. 127 sqq. 140 Sur l’ensemble de ce parallèle, cf. Heesterman (1993), p. 35–39.

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

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de l’exercice sacrificiel. Nous reviendrons sur ces points dans le cadre de l’étude détaillée d’un ĞrƗddha solennel. Pour l’instant cependant, nous ne développerons pas plus loin ce parallélisme qui nous conduirait à considérer des questions rituelles extrêmement complexes, bien étrangères à nos textes. Contentons-nous de noter à ce point la présence d’une « interaction symbolique » forte entre le sacrifice et l’hospitalité. Il est par ailleurs raisonnable de se garder de simplement assimiler l’hospitalité au sacrifice : il convient en effet de considérer plusieurs types d’hospitalités et plusieurs types de sacrifices. Continuons donc d’examiner l’interaction symbolique entre hospitalité et sacrifice, en nous penchant cette fois-ci sur l’association d’éléments sacrificiels aux gestes de l’hospitalité. 3.3.2 Hospitalité et sacrifices. Ɩpastamba 2.(3).7.1–11. Un hymne de l’Atharvaveda141 s’emploie à montrer que la pratique domestique de l’hospitalité récapitule de manière exhaustive celle d’un rituel sacrificiel solennel142 jusque dans les moindres détails, y compris la préparation de nourriture143. L’hospitalité se trouve ainsi associée au sacrifice, autant par les gestes que par sa fonction. De manière très similaire, un passage d’Ɩpastamba144 reprend des éléments figurant au sein du texte de l’Atharvaveda et élabore une série de correspondances entre les gestes hospitaliers et les gestes sacrificiels. Il vaut la peine de faire l’étude de ce passage de manière suivie. Celui-ci s’ouvre sur une comparaison générale : « 1 C’est le sacrifice à PrajƗpati qui est offert en permanence par le maître de maison145 ». Notons d’emblée qu’un tel énoncé valorise très fortement le rôle du maître de maison : celui-ci est en effet susceptible de sacrifier, sans faire recours à la présence de professionnels du rituel. Nous verrons que ce rôle est somme toute parallèle à celui du yajamƗna dans le sacrifice solennel : le maître de maison est comme celui qui ordonne un sacrifice – et, logiquement, son hôte est comme le prêtre qui officie dans le cadre d’un sacrifice.

141 AV 9.6. Je remercie vivement F. Voegeli pour son aide dans l’explication de ce passage. 142 À savoir, dans l’ordre de la réception (et de manière très résumée) : le fait d’apercevoir ses hôtes, qui correspond au fait de considérer l’emplacement du sacrifice (9.6.3) ; la salutation, qui correspond à la préparation du sacrifice (9.6.4) ; le fait d’amener de l’eau pour l’hôte, qui correspond aux eaux d’un sacrifice (9.6.4–5) ; la présentation de la nourriture pour satisfaire les invités correspond à un animal offert pour satisfaire les destinataires du sacrifice (9.6.6) ; la préparation du séjour, qui correspond à l’installation du matériel sacrificiel (9.6.7) ; un matelas, qui correspond aux remblais du feu sacrificiel (9.6.10), etc. (cf. encore AV 9.6.48–54). 143 Par exemple, le van servant à vanner le grain (en vue d’un repas) est comparé au dispositif servant à filtrer le soma, et la glume du grain est comparée au reste du soma après qu’on l’a pressé (9.6.16). 144 ƖpDhS 2.(3).7.1–11. 145 ƖpDhS 2.(3).7.1. Passage parallèle : AV 9.6.28.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

La suite du texte explique la nature du sacrifice offert par le maître de maison en développant une riche série de correspondances : « 2 Le feu des atithi, c’est le feu ƗhavanƯya, le [feu] en sa maisonnée est le feu domestique, [le feu] où il cuisine est le feu du sud146 ». Le texte fait donc correspondre des feux situés dans l’espace domestique d’un foyer aux feux sacrés d’un sacrifice solennel (tretƗ). Si le nombre des feux domestiques et leur nature exacte ne trouve pas de consensus au sein des textes147, un point est clair : le « feu des atithi » désigne le feu intérieur que possède un invité, par lequel il consommera la nourriture qui lui sera présentée. Ainsi, l’atithi – qui, on s’en rappelle, dans l’optique d’Ɩpastamba, est un brahmane Ğrotriya – et le feu ƗhavanƯya ont en commun de permettre la consommation/consumation du repas/sacrifice148. De manière un peu abrupte, le texte évoque la réception d’invités dans l’espace domestique, en formulant une règle à l’attention du maître de maison : « 3 Celui qui mange avant son atithi, mange la vigueur, la prospérité, la descendance, le bétail et les actions bienveillantes de sa maisonnée (g‫܀‬hƗ۬Ɨm149) ». Le maître de maison doit donc veiller à manger après son hôte, faute de quoi il « met en péril son foyer » – expression hyperbolique classique venant sanctionner une action désapprouvée. La question de la préséance de l’atithi sur le maître de maison rejoint celle du sacrifice dans la mesure où un maître de maison doit respecter la chronologie rituelle et se nourrir exclusivement du reste des sacrifices, après que les autres (les atithi, les dieux) ont mangé150. Il est possible que le contexte des correspondances de l’ensemble du passage vienne renforcer la portée de cette règle en insistant sur le fait qu’elle répond en fait à une logique rituelle. Les correspondent, d’ailleurs, se poursuivent : 4 En arrosant la nourriture de lait, celle-ci est égale à l’agni‫ܒ܈‬oma ; [en l’arrosant] de beurre, [elle] est égale à un sacrifice ukthya ; [en l’arrosant] de miel [elle] est égale au sacrifice

146 ƖpDhS 2.(3).7.2. Passage parallèle : AV 9.6.30. Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 677–678. 147 Cf. Hillebrandt (1897), p. 68–70 et 105–109. 148 Cf. aussi ƖpDhS 2.(3).6.3: « 3 Un atithi vient comme un feu qui brille. » Sur ce dernier snjtra, Bühler (1969 [1879]), p. 114 montre l’absolue nécessité de nourrir un hôte. S’il est offensé, ce dernier pourrait brûler la maison du g‫܀‬hastha avec les flammes de sa colère. De même, Leslie (1989), p. 187 note-t-elle : « [A] guest not honoured […] will destroy that household like a raging fire. » Friedrich (1993), p. 157, n. 46 observe que l’hôte doit être entretenu comme un feu pour toute la durée de son séjour. Dans nos textes, c’est cependant l’analogie avec le feu du sacrifice qui semble la plus forte. Cf. ainsi MDh 3.98, qui fait notamment usage du composé vipramukhƗgni, que Bühler (p. 93) et Jha (vol. 4, p. 120) traduisent : « the mouth-fire of BrƗhma৆as. » Cf. aussi MDh 3.212, qui part du cas d’école dans lequel il n’y aurait pas de feu (le cas n’est peut-être pas aussi théorique qu’il en a l’air : durant la saison de la mousson, le maintien constant du feu domestique peut s’avérer problématique pour de simples raisons pratiques) : la nourriture donnée aux brahmanes est alors consumée de la même manière que si elle avait été jetée en oblation dans le feu. 149 ƖpDhS 2.(3).7.3. Passage parallèle : AV 9.6.31. Rau (1957), p. 37 relève que le terme g‫܀‬ha au pluriel désigne la plus petite unité « territoriale » comprenant la maison et les terres ; les personnes qui y habitent constituent la « maisonnée », à savoir la plus petite unité sociale. 150 Sur ce point, cf. par exemple Malamoud (1989), p. 24, et MDh 3.285.

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

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atirƗtra ; par de la viande, elle est égale au sacrifice dvƗdaĞƗha ; [et] par de l’eau, [on obtient] un accroissement de la fertilité et une longue vie151.

Tous les sacrifices mentionnés ici entretiennent un lien aux pressurages de soma – ils sont tous des dérivés du sacrifice de base de l’agni‫ܒ܈‬oma152. L’agni‫ܒ܈‬oma est un sacrifice majeur effectué à l’attention d’Agni, requérant la présence de seize prêtres, s’étendant sur cinq jours et ponctué de trois pressurages de soma. L’ukthya est un sacrifice de soma très similaire à l’agni‫ܒ܈‬oma, à la différence près d’un nombre supérieur de récitations lors du pressurage du soir. L’atirƗtra est un sacrifice qui débute de jour et se prolonge la nuit, jusqu’à l’aube, et implique un plus grand nombre encore de récitations. Le dvƗdaĞƗha, enfin, est un sacrifice qui s’étend, comme son nom l’indique, sur douze jours et qui s’accompagne d’un sacrifice animal153. Il faut bien reconnaître que l’explication des correspondances n’est pas évidente, mais s’il semble que le texte procède dans un ordre croissant : le beurre emporte la préférence sur le lait, le miel l’emporte sur le beurre, et la viande, associée au sacrifice dvƗdaĞƗha, spécialement long et coûteux, l’emporte sur le miel. Poursuivons la lecture : « 5 Il est connu que les atithi agréables et désagréables conduisent au ciel154 ». À nouveau, le texte passe abruptement au sujet de l’hospitalité, témoignant ainsi d’un lien « évident » entre le sacrifice et l’hospitalité. Dans la comptabilité des mérites, l’intention de l’hôte (qui reçoit) importe ici tout autant que la valeur réelle de l’hôte reçu (qui pourtant, ne saurait être qu’un brahmane). La présence de cette clause est peut-être le signe que le texte s’adresse ici prioritairement aux maîtres de maison : c’est bien le caractère impératif de l’hospitalité due à un atithi qui est souligné, et non l’idée selon laquelle l’atithi doit lui-même se comporter d’une manière correcte, ce qui apparaît en d’autres endroits. Le texte d’Ɩpastamba poursuit l’analogie entre le sacrifice et l’hospitalité en comparant l’hospitalité quotidienne au déroulement des féries somiques d’une journée : « 6 Ce qu’il donne au matin, à midi et au soir, ce sont les savana155 ». Les savana désignent les trois pressurages de soma exécutés le matin, à midi et le soir à l’occasion des féries somiques d’une journée156, dans le cadre du culte védique solennel (Ğrauta). Bien que les textes ne fassent le plus souvent mention que de deux repas quotidiens, un troisième repas est ici ajouté (celui de midi) sans doute afin de préserver la logique des correspondances établies par le passage. La réception d’un hôte à des moments précis de la journée est ainsi associée aux féries somiques d’une journée. Notons que ce passage exclut ainsi de la liste des correspondances le séjour nocturne du visiteur. 151 ƖpDhS 2.(3).7.4. Passage parallèle : AV 9.6.40–44. 152 Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 1204–1205. Pour une description complète de l’agni‫ܒ܈‬oma, cf. Caland et Henry (1906–1907). 153 Cf. AitBr 4.24 (19.2) et AitBr 4.26 (19.4). 154 ƖpDhS 2.(3).7.5. 155 ƖpDhS 2.(3).7.6. 156 Hillebrandt (1897), p. 15.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Le parallèle continue : « 7 Quand il se lève après [son hôte], il conclut en cela un sacrifice. 8 Quand il [le maître de maison] s’adresse aimablement [à l’hôte], cet éloge [représente] la dak‫܈‬i۬Ɨ157 ». La conclusion du sacrifice évoquée ici renvoie à l’udavasƗnƯyƗ i‫ܒ܈‬i, qui consiste en une oblation de gâteaux de riz (ou d’orge), et qui a pour fonction de ponctuer les féries somiques d’une journée158. L’adresse à l’attention de l’hôte – à comprendre comme un mot aimable marquant la fin de la rencontre – correspond au paiement par le yajamƗna de la dak‫܈‬i۬Ɨ, l’« honoraire rituel » versé aux officiants, généralement à la fin d’un sacrifice Ğrauta. L’hôte reçu est ainsi, en quelque sorte, consacré dans le rôle du prêtre officiant d’un sacrifice et le maître de maison dans le rôle du yajamƗna. Une interprétation différente serait toutefois possible, en considérant l’hôte reçu comme le sujet du snjtra, ce qui rétablirait une logique « classique » voulant que l’invité remercie son hôte par un mot agréable à la fin de la réception. Le contexte immédiat rend toutefois cette lecture improbable : il semble bien que le maître de maison est le sujet de l’ensemble du passage, et qu’il remercie son (ou ses) invité(s) à l’issue du repas159. Dans ce contexte, la dak‫܈‬i۬Ɨ possède clairement une dimension performative, marquant l’achèvement d’un rituel et conditionnant son succès160. Il est concevable que dans l’image suggérée ici, les paroles aimables adressées à l’invité recueillent symboliquement les fruits de l’hospitalité. Comme le remarque Biardeau, le brahmane reçu cumule ainsi les rôles : il joue le personnage (1) du prêtre (‫܀‬tvij), qui manipule (pour les manger) ce que lui donne le maître de maison, en même temps qu’il incarne (2) le feu qui dévore les aliments, et (3) le ou les destinataire(s) (devatƗ) du sacrifice161. Le texte poursuit : « 9 Quand il prend congé [de son hôte qui part], ce sont les pas de Viৢ৆u162 ». En point d’orgue à l’hospitalité, il est nécessaire de raccompagner l’invité, et cette action est elle aussi mise en relation avec un geste effectué 157 ƖpDhS 2.(3).7–8. 158 HistDh, vol. 2.2, p. 1201. Cf. aussi Caland et Henry (1906–1907), vol. 2, p. 411–413 et Hillebrandt (1897), p. 134. 159 Ainsi Friedrich (1993), p. 161, qui précise (en relevant l’inverse chez Bühler) que c’est le maître de maison qui est en position de recevoir une rétribution : « Wenn [der Gast] gute Worte [über das Essen] verliert, ist das Lob der Opferlohn. » YƗjñDh 1.244 (et MitƗkৢarƗ, éd. Shastri, p. 306) indique par exemple explicitement que des brahmanes venus à l’occasion d’un ĞrƗddha se voient, à la fin du repas, gratifiés d’un présent – cette fois-ci bien réel – (dak‫܈‬i۬Ɨ) par le commanditaire. 160 Malamoud (1976), p. 167–168 distingue deux approches de la dak‫܈‬i۬Ɨ : (1) celle de Bloomfield et Max Weber (entre autres) qui soulignent l’avidité des brahmanes avantagés par la prescription de la dak‫܈‬i۬Ɨ, et (2) celle d’Heesterman et Gonda (entre autres) qui comprennent la dak‫܈‬i۬Ɨ comme part intégrante du sacrifice. Cf., à ce propos, notamment Gonda (1964), p. 30. 161 Biardeau (1976), p. 50. Malamoud (1976), p. 188 est d’un avis similaire : « On voit que pour ce yajamƗna qu’est l’invitant, l’invité est à la fois devatƗ en tant qu’il absorbe le repas et ‫܀‬tvij en tant qu’il reçoit ce supplément que sont les bonnes paroles. » Cf. aussi Leslie (1989), p. 196. 162 ƖpDhS 2.(3).7.9.

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

171

lors d’un sacrifice solennel : les pas de Viৢ৆u sont les trois ou quatre pas – chacun d’entre eux s’accompagnant d’un mantra commençant par « tu es le pas de Viৢ৆u » – intervenant à l’issue d’un sacrifice et effectués par le sacrifiant entre la vedi (l’autel) et l’ƗhavanƯya (le feu situé à l’est, faisant partie des trois feux brûlant lors d’un sacrifice163). Quand le maître de maison s’en retourne chez lui, après avoir raccompagné son hôte, c’est, indique le texte164, comme s’il effectuait le bain final et le nettoyage des récipients et ustensiles (avabh‫܀‬tha) qui ponctuent un sacrifice de soma165. Selon Malamoud, l’avabh‫܀‬tha correspond à un rite de sortie permettant la transition entre le sacré et le profane166, et c’est très certainement dans ce sens qu’il convient de comprendre l’analogie avec l’hospitalité. Le retour du maître de maison chez lui scelle ainsi la fin du « régime particulier » que constituait la relation hospitalière. Le passage se conclut ainsi : « 11 C’est [ce que rapporte] un BrƗhma৆a (brƗhma۬am167) ». Même si le BrƗhma৆a auquel se rapporte Ɩpastamba ne peut être identifié avec certitude, des correspondances similaires sont attestées au sein de textes apparemment plus anciens que notre traité. Il est donc vraisemblable que notre passage fasse ici allusion à un autre texte, plus ancien et sans doute perdu. Il est intéressant de noter que ce snjtra est interprété différemment par Bühler, qui comprend la forme brƗhma۬am comme un « accusatif de relation », et qui traduit en conséquence : « Ainsi [un brahmane doit traiter] un brahmane, [et un k‫܈‬atriya et un vaiĞya leurs compagnons de caste168]. » Tout comme Bühler, Olivelle estime que la forme brƗhma۬am est un accusatif, mais en limite le sens au cas du maître de maison brahmane, et traduit : « Cela est la procédure quand un invité vient auprès d’un brahmane169. » Cette interprétation est à notre sens peu probable : il n’y a pas de raison de penser que ce passage cherche à spécifier la « brahmanité » du maître de maison. L’idée de Bühler – que le terme s’applique à l’invité – serait à la rigueur plus logique, encore que ce point est tellement évident qu’il semble peu vraisemblable que le texte ait pris la peine de l’expliciter. La suite de l’extrapolation de Bühler est quant à elle pour le moins spéculative – nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour ce passage d’Ɩpastamba, l’hospitalité dispensée à un atithi est donc tenue pour similaire en tous points à l’exercice d’un sacrifice solennel. Il y a une double analogie fonctionnelle et formelle entre l’hospitalité et le sacrifice. L’atithi/le prêtre reçoit de la part de qui l’invite ; les dieux reçoivent de la part de l’atithi/du prêtre ; et l’invitant/le yajamƗna reçoit de la part des dieux. Dans une 163 164 165 166 167 168

Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 1083–1084. ƖpDhS 2.(3).7.10. Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 1198 et Caland et Henry (1906–1907), vol. 2, p. 393 sqq. Malamoud (1976), p. 195. ƖpDhS 2.(3).7.11. Bühler (1969 [1879]), p. 117, ma traduction. Cf. aussi Leslie (1989), p. 196–197 sur cette interprétation de Bühler. 169 Olivelle (2000), p. 85, ma traduction.

172

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

perspective « interne », le bon fonctionnement de ce cycle – qui implique que chacun respecte son rôle – est finalement lié à la bonne marche du monde conçu comme cosmos170. L’une des caractéristiques remarquables de ce parallélisme est de conférer à l’ensemble de la corporation brahmanique le rôle symbolique que jouent certains prêtres spécialisés employés pour l’exécution d’un sacrifice Ğrauta. De manière étonnante, cette série de correspondances concerne seulement l’hospitalité, et non d’autres pratiques rituelles domestiques. Sans doute cela est-il le signe que l’hospitalité cristallise des enjeux particuliers par rapport aux autres « grands sacrifices quotidiens » sur lesquels il convient à présent de se pencher. 3.3.3 L’hospitalité : l’un des cinq grands sacrifices Si l’hospitalité est symboliquement associée aux sacrifices de diverses manières, le rapport le plus étroit entre ces deux ensembles de pratiques se trouve certainement dans sa formalisation au sein du complexe rituel des « grands sacrifices » domestiques. Les traités d’Ɩpastamba, de BaudhƗyana, Gautama, Manu et YƗjñavalkya171 prescrivent la pratique obligatoire et quotidienne de cinq « grands sacrifices » domestiques (mahƗyajña). Cette prescription concerne en principe tout maître de maison dvija, une fois la phase d’étude achevée. Parmi ces cinq « sacrifices », l’hospitalité représente le rite exécuté pour les hommes : n‫܀‬yajña ou manu‫܈‬yayajña. L’idée des cinq « sacrifices domestiques » semble être d’origine ancienne : Ɩpastamba explique que la pratique des sacrifices domestiques est conforme aux BrƗhma৆a172, et le ĝatapatha BrƗhma৆a173 formule effectivement l’obligation de cinq grands sacrifices (élogieusement qualifiés de mahƗsattra, désignant habituellement les « grands sacrifices de soma174 »), qu’il convient d’effectuer de manière quotidienne (aharahar). Comme le montre Kane175, les sacrifices domestiques se distinguent des sacrifices Ğrauta par deux traits particuliers : (1) ils ne requièrent pas la présence d’un (ou de plusieurs) officiant(s) professionnel(s) et sont accomplis par le maître de maison lui-même ; (2) ils ne visent pas directement l’obtention d’un avantage particulier (comme la prospérité ou le ciel) mais représentent l’accomplissement d’un devoir quotidien176. Selon Kane, les sacrifices

170 Lincoln (1981), p. 158 sqq. 171 GDhS 5.3–10; ƖpDhS 1.(4).12.13–13.1 ; BDhS 2.(6).11.1–8 ; YƗjñDh 1.102. Curieusement, VDhS n’évoque pas (sous cette forme) l’obligation des 5 sacrifices domestiques. 172 ƖpDhS 1.(4).12.13. 173 ĝatBr 11.5.6.1–2. Cf. aussi TaiƖr 2.10 qui établit déjà une liste de correspondances entre les « grands sacrifices » et les « sacrifices solennels ». 174 Cf. Olivelle (1993), p. 54, n. 75. 175 Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 696–700. 176 Cela fait dire à Kane, HistDh, vol. 2.1, p. 697 : « Therefore the institution of the five sacrifices is morally and spiritually more progressive and more ennobling than that of the Ğrauta sacrifices. » Il s’agit bien sûr d’une interprétation moderne des sacrifices en question.

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

173

quotidiens permettent la perpétuation de la marche du monde et sont conséquemment utiles à tous les êtres « mondains177 ». Penchons-nous à présent sur la description de ces cinq grands sacrifices figurant dans le traité de Manu. Deux passages définissent la nature et les destinataires de ces « sacrifices domestiques » : Manu 3.70

Manu 3.80–81

70 Le sacrifice au Veda est l’enseignement (adhyƗpanam) ; le sacrifice aux ancêtres est le tarpa۬a, le sacrifice offert aux dieux est le homa ; l’oblation aux bhnjta est le bali et le sacrifice aux hommes est la réception d’atithi (atithipnjjanam178).

80 Les voyants, les ancêtres, les dieux, les bhnjta et les atithi ont des attentes de la part des maîtres de maison. Celui qui est conscient de son devoir doit le faire pour eux. 81 Qu’il honore, selon la règle, les ‫܈܀‬i par la récitation du Veda, les dieux par les oblations, les ancêtres par le ĞrƗddha, les hommes par de la nourriture et les bhnjta par le rite du bali179.

Concrètement, ces cinq « sacrifices » domestiques représentent donc (1) une oblation de nourriture cuisinée dans le feu (homa) à l’attention des dieux, (2) l’oblation sur le sol d’un peu de nourriture pour les bhnjta (les « êtres180 »), (3) un ĞrƗddha domestique, qui consiste en un tarpa۬a (en principe une libation d’eau181), (4) la récitation védique, et (5) le respect porté à un hôte brahmane (atithipnjjana, « le fait d’honorer un atithi », synonyme d’« hospitalité » quant à un atithi) ainsi que la présentation de nourriture182. Le second texte reprend donc – en en modifiant quelques aspects – les données du premier, en ajoutant la mention explicite des destinataires. L’hospitalité est ainsi assimilée au sacrifice fait à l’intention des hommes et consiste principalement, selon le second texte, en la préparation de nourriture. Soulignons ici qu’il s’agit, parmi ces cinq sacrifices, du seul rituel supposant la présence d’un représentant humain. Si ces procédures rituelles paraissent de prime abord plutôt fastidieuses pour une pratique quotidienne, elles représentent une simplification très conséquente des rituels solennels. D’ailleurs les gestes nécessaires à l’accomplissement de certains de ces rites peuvent se réduire à une simple expression, comme la récitation

177 Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 697 : « [I]n the five yajñas the central point is the discharge of duties to the Creator, to the ancient sages, to the Manes, and to the whole universe with myriads of creatures of various grades of intelligence. » 178 MDh 3.70. 179 MDh 3.80–81. 180 Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 763, qui indique que la pratique perdure jusqu’à l’époque moderne. 181 Cf. infra, p. 187 sqq. (sur le ĞrƗddha domestique et sa distinction du ĞrƗddha solennel), et Caland (1888), p. 10–11. En MDh 3.83, figure l’obligation pour le maître de maison de nourrir quotidiennement, à cette occasion, un brahmane qui représente les pit‫܀‬. Cette conception ne figure pas dans les traités de dharmasnjtra. 182 Cf. Hillebrandt (1897), p. 74–75. BDhS 2.(6).11.5 indique explicitement que ce « sacrifice » doit être présenté exclusivement à des brahmanes.

174

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

de la seule GƗyatrƯ comptant pour le sacrifice au Veda183. À strictement parler, ces rituels n’ont donc rien de « grands sacrifices ». Ils possèdent cependant l’avantage d’être « meilleur marché » et plus « démocratiques » que les cérémonies Ğrauta, excessivement complexes et coûteuses184. En somme, l’institution des sacrifices domestiques possède un triple avantage : (1) ceux-ci promulguent une pratique « universelle », rendue accessible à tout maître de maison, ce qui n’est pas le cas des rituels solennels ; (2) ils font l’objet d’une pratique quotidienne ; (3) ils impliquent enfin une obligation sociale au sein de laquelle les brahmanes ont un rôle à jouer. Ces différentes raisons font bien des mahƗyajña des « grands sacrifices » : non parce qu’ils représenteraient des rituels grandioses et élaborés, mais parce que leur visée « universelle » a pu jouer un rôle important pour le mouvement brahmanique185. On pourrait y voir un outil visant à étendre (éventuellement, regagner) l’influence de l’idéologie brahmanique auprès de certains groupes. Si l’on obtient, par la pratique des sacrifices domestiques, les mêmes effets que par un coûteux sacrifice Ğrauta, il faut bien constater, selon la logique des textes, que l’on fait une bonne affaire186 – ce qui rend le système attractif. Comme le note Biardeau187, le développement des mahƗyajña est apparemment solidaire du déclin des sacrifices solennels à l’époque de rédaction des textes normatifs. Il est possible que le changement de certaines conditions sociales ou religieuses, mettant en péril la position brahmanique, ait encouragé de telles mesures d’« adaptation » ou de « démocratisation188 ». Lubin évoque ainsi la cessation du « patronage » de la part des « rois », qui aurait appelé une réaction de la part des brahmanes, soucieux de préserver leur suprématie189. Il faut toutefois insister sur le fait que les rituels solennels n’ont pas pour autant cesser d’exister et que les rites domestiques sont eux-mêmes attestés dès l’époque ancienne. À la

183 Ainsi Hillebrandt (1897), p. 75, qui note : « Wenn er keine Speise hat, dann mit etwas anderem, wäre es auch nur ein Holzscheit für die Götter, ein Krug Wasser für die Manen und Menschen, ein Snjkta oder AnuvƗka als Brahmayajña. » 184 Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 697–698, Smith (1989), p. 169–170, Gonda (1977b), p. 549 et Bodewitz (1973), p. 217. 185 Cf. Smith (1989), p. 197. 186 Sur cette logique, cf. Alles (2000), qui évoque la variation de la valeur des biens offerts dans le cadre d’un sacrifice Ğrauta, et qui ajoute, p. 123 : « At other periods the quantity of economically significant goods presented to non-empirical beings diminishes, so that, in economic terminology, religious benefits are sold at a discount, sometimes a tremendous discount. » 187 Biardeau (1976), p. 47–48. 188 Cf. Lubin (2006), p. 86 et Lubin (2002), p. 451 : « On the basis of this admittedly circumstantial evidence I propose that the brahmin priesthood sought to consolidate and extend its support among the middle rungs of rural society by encouraging the study of Vedic texts by a wider range of classes, and by remodeling and standardizing household ritual in imitation of the Ğrauta priestly cult through the promulgation of codes of household ritual, the g‫܀‬hya snjtras. » 189 Lubin (2002), p. 451 ; 453.

3.3 L’hospitalité comme pratique rituelle

175

rigueur, il serait certainement plus correct de parler d’une diversification rituelle plutôt que d’une évolution linéaire190. 3.3.4 Conséquences symboliques de l’hospitalité De manière significative, la pratique de l’hospitalité s’inscrit à plusieurs titres au sein d’un système rétributif : (1) en tant que sacrifice (ou substitut de sacrifice), sa pratique est obligatoire (elle relève, on l’a vu, d’un devoir, vidhi), et celui qui s’y soustrait est dans le domaine de la faute. En ce sens, c’est plutôt l’écart au devoir d’hospitalité que son accomplissement qui entraîne des conséquences. D’autre part (2), en tant qu’action librement consentie, et « optionnelle » (vikalpa, c’est-àdire, excédant ce qui est simplement prescrit), l’hospitalité est susceptible de rapporter du « mérite191 ». Tous nos textes présupposent le principe que les actions d’un homme comportent des conséquences, pour cette vie ou pour l’avenir192. Mais le système rétributif apparaissant dans les traités de dharma, conçu ou non en lien avec la problématique des renaissances, est fort complexe. Le seul traité de Manu comporte visiblement plusieurs systèmes rétributifs distincts193. A fortiori n’est-il pas possible de dégager une structure qui pourrait s’appliquer à tous nos textes. Il est préférable d’examiner, de manière non systématique, quelques-unes des conséquences de la pratique, bonne ou mauvaise, de l’hospitalité, sans nécessairement les relier à une doctrine rétributive spécifique. Manu indique ainsi quelques conséquences d’une relation d’hospitalité réussie : « 106 Qu’il ne mange rien lui-même dont il ne ferait pas profiter [son] atithi. Le fait d’honorer un atithi procure la richesse, une bonne réputation, une longue vie et le ciel194 ». Le maître de maison doit donc éviter de préparer de la nourriture dont il serait le seul mangeur. S’il déroge à cette règle, des conséquences négatives pourront s’abattre sur lui. Dans le cas contraire, il acquiert des mérites. Ceux-ci sont bien évidemment placés dans un avenir lointain : dans l’immédiat, le 190 Il n’est en effet pas évident de retracer un schéma évolutif unilinéaire : Bühnemann (1988), p. 30, n. 11 évoque un développement qui aurait vu la réception argha se transformer en le « sacrifice domestique » correspondant à l’hospitalité. Il n’est cependant pas sûr que l’on puisse réellement discerner une telle évolution au sein des sources à notre disposition (la prescription de l’argha subsistant, dans un texte comme MDh, aux côtés de celle des sacrifices domestiques, qui sont eux-mêmes mentionnés au sein de textes manifestement plus anciens). Il est vraisemblable, toutefois, que la pratique ultérieure de la pnjjƗ ait emprunté des éléments de son formalisme rituel aux rites plus anciens d’hospitalité : cf. Thieme (1939), qui (p. 114) relie la racine ¥pnjj à l’honneur fait à un hôte, Bühnemann (1988), p. 30–31 et Ostor (1982). 191 Ces différentes catégories de la MƯmƗূsƗ doivent évidemment être employées avec prudence, car rien ne permet d’exclure qu’elles soient anachroniques pour la période de composition des traités. Cf. la remarque pertinente de Bronkhorst (2001a), p. 99, n. 42. 192 Rocher (1980), p. 82. Cf. par exemple ƖpDhS 2.(1).2.2–7. 193 Rocher (1980), p. 61–62. 194 MDh 3.106.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

séjour d’un brahmane Ğrotriya appauvrit plutôt qu’il n’enrichit un maître de maison ; mais à long terme, ce dernier peut s’attendre à récupérer (et de manière amplifiée) ce qu’il aura donné. Le même raisonnement s’applique aux autres éléments du texte : la bonne réputation, la longue vie et le ciel. Dans un passage d’Ɩpastamba, ce sont cette fois les conséquences favorables d’un « excès » d’hospitalité librement consenti par le maître de maison qui sont décrites : 16 Cela est connu : s’il fait séjourner des atithi pour une nuit, il acquiert (abhijayati) les mondes terrestres ; par une seconde [nuit, il acquiert les mondes] intermédiaires; par une troisième [nuit], les mondes [célestes] ; par une quatrième, les mondes éloignés ; par un nombre indéfini de nuits, il acquiert un nombre indéfini de mondes195.

Même si le maître de maison n’est pas tenu de prolonger la durée de l’hospitalité, cette action qui relève de sa libre volonté lui vaut donc un grand mérite, exprimé sous une forme qui diffère de ce qui était consigné dans le texte de Manu. C’est l’idée de pouvoir qui est ici centrale : par l’hospitalité, et dans un futur plus ou moins lointain dont la nature n’est pas précisée, le maître de maison acquiert du pouvoir (abhijayati) et les dieux se mettent à sa disposition, à la manière d’un cakravartin ou d’un ascète. Mais l’hospitalité n’entraîne pas que des conséquences positives ; dans le cas d’un refus ou d’une pratique fautive, un « démérite » est généré, ainsi que l’indiquent sans ambiguïté les textes suivants : Vasiৢ৬ha

Manu

6 Quand un brahmane qui arrive chez quelqu’un en demandant une place ne se voit pas offrir à manger, il part en emportant avec lui toutes les actions positives de l’homme196.

100 Un brahmane qui reste sans être honoré [dans une maison] emporte [avec lui] toutes les bonnes actions de même un homme qui ne vit qu’en glanant les épis ou offre des oblations aux cinq feux197.

Ces deux textes, remarquablement proches, mettent en avant les sanctions résultant du préjudice causé à un brahmane qui n’aurait pas été reçu de manière convenable, et s’accordent sur les effets : l’hôte repart avec les actions positives de celui qui lui a refusé l’hospitalité198. Le second texte présente une structure rhétorique a fortiori : si un homme se comportant par ailleurs de manière irrépro-

195 196 197 198

ƖpDhS 2.(3).7.16. VDhS 8.6. MDh 3.100. La même idée est exprimée en ĝƗGS 2.17.1. Un texte parallèle, Mhbh 14, éd. critique vol. 18, Ap. 1.4, p. 395, l. 971–974, indique une conséquence plus violente encore (qui constitue bien sûr une exagération rhétorique) : le maître de maison indigne se verrait immédiatement rétrogradé au statut de cƗ۬‫ڲ‬Ɨla (« il n’est pas douteux que celui qui ne donne pas l’hospitalité à un hôte arrivé à la fin du vaiĞvadeva acquiert sur le champ le statut de cƗ۬‫ڲ‬Ɨla »).

3.4 Cas particuliers

177

chable199 peut s’attendre à des sanctions pour n’avoir pas honoré comme il se doit un hôte brahmane, combien plus de représailles une personne ne se comportant pas d’une manière aussi parfaite doit-elle craindre. L’argument est d’autant plus fort que la sanction est présentée comme irréversible, contrairement à des erreurs rituelles qui peuvent le plus souvent être corrigées au moyen de procédures rituelles ad hoc. Par l’entremise du système des mérites, l’hôte reçu (sc. brahmane) détient le pouvoir d’influer sur l’avenir de celui qui le reçoit. Cette logique est bien évidemment à l’avantage des brahmanes se déplaçant qui, par l’autorité des textes, ne peuvent se voir refuser un accueil si lourd de conséquences200. Ce point est même central et relève clairement d’une prise de position « idéologique » pour ne pas dire apologétique : l’invité brahmane est incontestablement crédité d’un pouvoir symbolique sur son hôte pour l’ensemble du déroulement de l’interaction sociale. Notons au passage qu’il est remarquable que cette conception « en négatif » de l’hospitalité n’apparaisse pas au sein des autres traités de dharmasnjtra (Ɩpastamba, BaudhƗyana et Gautama), ce qui témoigne peut-être d’une différence dans l’audience supposée des textes. Les deux passages évoquant la question du démérite généré par une pratique fautive de l’hospitalité (Vasiৢ৬ha et Manu) pourraient en effet bien se servir de l’argument des représailles afin de rendre d’autant plus pressante cette obligation sociale au sein d’une audience qui n’est pas nécessairement acquise au point de vue de l’élite religieuse. Inversement, cet argument comporterait moins d’importance au sein de textes destinés au seul public instruit d’une École particulière. Notons enfin que tous les textes traitant des conséquences (positives et négatives) de l’hospitalité sous-entendent que l’hôte reçu est un brahmane. Les autres cas – même s’ils ne sont pas nécessairement écartés de toute logique rétributive – ne sont pas explicitement développés. 3.4 CAS PARTICULIERS Envisageons à présent des cas spécifiques de relations d’hospitalité en prenant cette fois-ci en compte la délicate question de l’identité des protagonistes et d’autres circonstances particulières.

199 C’est sans doute la raison de l’occupation de l’homme dont il est question dans le passage de MDh : le fait de vivre en glanant des épis constitue un comportement « correct », placé en première position dans la liste de MDh 4.5. Sur ce point, cf. Bronkhorst (1993), p. 47 et Leslie (1989), p. 191 qui conclut sur notre texte: « Manu’s point […] is that even so austere a brahmin householder, who has accumulated vast reserves of merit and ascetic power, loses all that merit if he fails to welcome a brahmin guest as he should. » 200 Cela est justifié explicitement en ƖpDhS 2.(3).7.17. Un abus de la part des brahmanes est cependant sévèrement sanctionné (cf. MDh 3.104 et 3.109). Kane, HistDh, vol. 2.2, p. 754, cite le texte de MDh 3.100 afin de souligner l’importance de l’hospitalité (en général) sans relever que dans ce contexte, l’invité est nécessairement un brahmane.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

3.4.1 Déclinaisons de l’hospitalité en fonction de caractéristiques identitaires Si les textes prennent le plus souvent la peine de préciser le profil de l’hôte qui est reçu, ils n’indiquent en revanche pas toujours clairement qui est l’hôte qui reçoit. Nous partons ici du principe que quand rien n’est mentionné, celui qui reçoit est au moins un dvija – le plus souvent un brahmane, en raison de l’audience spécifique de nos textes – tout en étant conscient de l’ambiguïté de la situation : d’un côté, le brahmane doit remplir sa fonction sacerdotale qui le pousse à accepter la nourriture qu’on lui offre, même quand celle-ci provient de non-brahmanes201 ; de l’autre, il se soucie en principe de ne prendre sa nourriture que de la part de cuisiniers brahmanes, ou de membres de sa propre famille202. Cette tension demeure non résolue, et donne lieu à des aménagements spécifiques qui ne font d’ailleurs pas l’unanimité parmi les différents traités normatifs : un dvija non-brahmane peut ainsi très bien disposer d’un cuisinier brahmane. Cette ambiguïté peut aussi être mise rhétoriquement à l’avantage des brahmanes : malgré le risque qu’ils encourent, ils sont prêts à accepter l’hospitalité d’un dvija non-brahmane203. À un niveau économique et non culinaire, les textes évoquent fréquemment la situation du k‫܈‬atriya qui donne et du brahmane qui reçoit. Il semble bien que ce schéma se répercute sur la pratique de l’hospitalité. Comme le relève Leslie, « le brahmane est l’invité idéal pour les foyers k‫܈‬atriya (comme ceux des cercles royaux) et pour certains, le seul invité acceptable pour l’hôte brahmane204 ». C’est une situation de ce type qui apparaît au sein de la stance suivante : « 12 Si un atithi vient auprès d’un roi, il doit lui faire honneur plus que pour luimême205 ». Le roi est donc tout particulièrement encouragé à honorer un visiteur brahmane206. Preuve que la question de la pureté demeure un souci dans ce cas particulier, le commentateur207 juge nécessaire d’ajouter que c’est par l’entremise de son purohita (c’est-à-dire, en ce contexte, son prêtre-intendant, dont la présence est indispensable à l’exécution des sacrifices) que le roi – décrit comme un k‫܈‬atriya investi du pouvoir royal (abhi‫܈‬ikta) – est supposé recevoir son hôte. Cela 201 Malamoud (1989), p. 37 : « Le brahmane est au sommet de la hiérarchie, il est le plus vulnérable à la souillure et donc le plus sourcilleux et le plus difficile sur le choix de ses commensaux et la sélection des personnes dont il accepte la nourriture cuite. » 202 Malamoud (1989), p. 38 (qui renvoie à HistDh, vol. 2.2, p. 789–790). 203 Ainsi Herrenschmidt (1978), p. 178 : « Le donneur par le fait même que son don est accepté, se déclare inférieur à celui qui le reçoit. Voilà pourquoi il est de la nature des brahmanes de recevoir des dons, comme c’est le privilège des donneurs que leurs dons soient acceptés de lui. » 204 Leslie (1989), p. 210, ma traduction. Cf. aussi Bodewitz (1976), p. 118 qui note de son côté : « Giving food to brahmins forms a substitution for the kৢatriya’s agnihotra […]. In fact there is offered into a brahmin who replaces the fire. » 205 ƖpDhS 2.(3).7.12. 206 On se rappelle que l’atithi était défini plus haut dans le traité (ƖpDhS 2.(3).6.4–5) comme un brahmane Ğrotriya. 207 Éd. Shastri, p. 206.

3.4 Cas particuliers

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implique que la relation se déroule entre brahmanes, puisque le purohita est précisément un brahmane au service du roi. Tournons-nous à présent du côté de l’invité brahmane et relevons une autre manière de « décliner l’hospitalité », cette fois-ci non plus en fonction du var۬a mais en fonction de l’érudition et de la conduite. Distinguons, avec les textes, trois cas principaux : l’invité peut être (1) instruit en science védique (Ğrotriya), (2) non-instruit (aĞrotriya), ou (3) de mauvaise conduite. Les pratiques de l’hospitalité vont varier en fonction de ces trois sortes de brahmanes. Ainsi : 16 Il doit donner un siège, de l’eau et de la nourriture à un brahmane qui n’a pas étudié le Veda, [mais] ne doit pas se lever [pour le saluer]. 17 Si l’homme est digne d’être salué, il peut quand même se lever pour le saluer208.

Le fait de se lever ou non, et de manière générale, l’ensemble des gestes de l’accueil compris sous le terme de svƗgata – qui constituent typiquement des marques d’honneur – dépendent par conséquent de la dignité et de l’âge de la personne que l’on salue209. Cette hospitalité se déclinant selon la qualité du visiteur se retrouve dans le passage suivant : 31 [Lors de la visite] d’un [brahmane] non instruit (aĞrotriyasya), [il doit offrir] un siège et de l’eau ; 32 mais pour un [brahmane] instruit (Ğrotriyasya), qu’il fasse préparer de l’eau pour l’ablution des pieds et de l’eau, ainsi que de la nourriture en abondance 33 ou [de la nourriture] ordinaire se distinguant quant à sa préparation210.

Même si le terme n’apparaît pas explicitement, il est évident qu’il s’agit bien ici d’un brahmane, qui, en principe, peut seul être Ğrotriya. Le Ğrotriya mérite, en raison de son érudition, une réception hospitalière de qualité – qui ne se confond toutefois pas tout à fait avec la cérémonie argha réservée aux hôtes de marque que nous examinerons plus loin211. Le commentateur ajoute que la réception de l’hôte Ğrotriya, idéalement fastueuse, dépend en fait des moyens du maître de maison, ce qui résout l’apparente contradiction entre les snjtra 32 et 33 : Pour un atithi brahmane Ğrotriya, qu’il fasse préparer un pƗdya, un arghya, une oblation de fruits, du bétel, etc. ; et des mets fins, un gâteau de riz et de lait etc., de qualité, s’il en a les

208 ƖpDhS 2.(2).4.16–17. 209 Le principe est clairement décrit en MDh 2.117–132. Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 335 sqq. et Gonda (1980), p. 64–65. On distingue notamment pratyutthƗna (le fait de se lever pour recevoir une personne), abhivƗdana (la salutation), upasaۨgraha۬a (la salutation en touchant les pieds de la personne saluée), pratyabhivƗda (la réponse de la personne saluée) et namaskƗra (se courber avec le mot namas). 210 GDhS 5.31–33. 211 MDh 4.31 exprime un point de vue similaire : « Ceux qui ont achevé leurs études védiques et les maîtres de maison Ğrotriya : il doit les honorer par des oblations aux dieux et aux ancêtres. » On notera que dans ce cas là, l’honneur particulier fait à ceux qui ont achevé leurs études consiste en la participation aux rituels domestiques effectués par le maître de maison pour les dieux et les ancêtres (alors que les hôtes sont normalement accueillis après le vaiĞvadeva). Cela est un honneur, car les rituels domestiques relèvent en principe de la sphère privée.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

moyens. Mais s’il n’en a pas les moyens, qu’il complète la nourriture ordinaire se trouvant dans sa maison, en la préparant spécialement avec du poivre, du cumin etc.212.

Le commentaire permet d’imaginer une mise en application concrète du texte : il s’agit soit d’offrir des mets de qualité, soit, à défaut, de soigner la préparation des mets ordinaires. À relever que le bétel – bien qu’il ne soit pas évoqué par les traités de dharma eux-mêmes – fait partie des dons usuels offerts à un hôte invité213. Notons par ailleurs que le commentaire est beaucoup plus explicite que le texte commenté quant à l’identité du visiteur : il s’agit très précisément de l’atithi brahmane Ğrotriya (les trois termes sont mentionnés dans le commentaire), alors que le texte de Gautama ne comporte que les termes Ğrotriya et aĞrotriya. Quant au brahmane non instruit, il mérite dans tous les cas un siège et de l’eau, et s’il est de bonne conduite, un repas, mais seulement de qualité « moyenne » : 34 Pour ce qui concerne [un brahmane] non instruit, [mais] de bonne conduite, que le don de nourriture [soit seulement] moyen ; 35 mais dans le cas contraire, seulement de la paille et de l’eau, et une place sur le sol, 36 et enfin, un mot de bienvenue214.

La conduite compense ainsi, en quelque sorte, le manque d’instruction. Dernier dans la liste, le brahmane aĞrotriya dont le comportement ne serait pas irréprochable ne doit pas jouir d’un accueil aussi agréable que son collègue ignorant mais de bonne conduite, ou instruit. Le texte favorise très clairement la valeur de l’instruction (védique), manifestement tenue pour plus importante que le comportement correct (qui n’en reste pas moins une qualité centrale). Cela est évidemment le signe que – contrairement aux souhaits de la norme théorique – tous les brahmanes ne sont pas également instruits, et que ce simple fait représente un danger pour la perpétuation de la tradition215. L’autorité des brahmanes étant liée à leur rôle de gardiens de la tradition scripturaire, on conçoit aisément que la préservation du savoir relève d’une nécessité quasiment absolue. Pour cette raison, il est clair que le Ğrotriya reste toujours favorisé, ce qui apparaît encore de manière particulièrement frappante dans le passage suivant : 113 [Le maître de maison] doit suivre l’atithi Ğrotriya satisfait jusqu’à la frontière. Le reste de la journée, il doit le passer en compagnie d’hommes instruits, amis et proches216.

Tout se passe ici comme si la venue d’un Ğrotriya était une occasion absolument exceptionnelle. L’expérience unique de la présence d’un hôte aussi savant exige de ne pas s’en retourner à ses tâches quotidiennes immédiatement après le départ

212 Haradatta ad GDhS 5.32–33 (éd. Pandey, p. 40, tr. Bühler, p. 203). 213 Cf. Rätsch (1998), p. 442, HistDh 2.2, p. 734–735 et Bühnemann (1988), p. 168–169. Voir également un mythe expliquant le lien entre l’hospitalité et le bétel chez Gupta (1991 [1971]), p. 78–79. 214 GDhS 5.34–36. 215 Sur cette hiérarchie conçue en fonction de l’érudition védique, voir également Mhbh 12.77.1–7 (éd. critique, vol. 13, p. 366). 216 YƗjñDh 1.113.

3.4 Cas particuliers

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du visiteur, mais de poursuivre la journée en bonne compagnie. De manière logique, un tel invité doit se voir présenter tous les honneurs : 109 À un brahmane Ğrotriya, qu’il prépare un grand bœuf ou un grand bouc, [qu’il le traite avec] honneur et considération, [et qu’il lui fasse] de la nourriture douce et une conversation agréable217.

L’abattage d’une tête de bétail et la consommation de sa viande sont à l’évidence considérés comme le témoignage d’un grand respect envers l’invité – ce qui présuppose évidemment que l’invité en soit digne. Ces éléments apparaissent usuellement dans le cadre de la cérémonie d’hospitalité argha dont il convient à présent d’entreprendre l’étude. 3.4.2 L’hôte prestigieux et la réception argha218 Comme on l’a déjà entrevu, deux sortes d’hospitalité peuvent être distinguées : celle « usuelle », prodiguée aux abhyƗgata ou aux atithi, et celle plus rare, nommée argha, réservée à des hôtes particulièrement prestigieux. Cette distinction apparaît clairement dans les textes : les deux sortes d’hospitalité constituent deux actions distinctes qui font (presque) toujours l’objet d’un traitement séparé. Tout laisse donc penser qu’il s’agit là d’un rituel fonctionnant selon une logique indépendante des autres pratiques ritualisées d’hospitalité219. D’ailleurs, dans nos documents, les invités d’une réception argha ne sont généralement pas qualifiés par le terme atithi220. Examinons quelques listes détaillant les personnes dignes de recevoir un tel accueil :

217 YƗjñDh 1.109. 218 Ce rite d’hospitalité est désigné aussi bien par les termes argha et arghya (cf. Apte (1957– 1959), vol. 1, p. 221 : argha désigne proprement la « valeur » et arghya « ce qui possède, ou qui mérite de la valeur »). C’est toutefois le terme argha qui apparaît le plus souvent dans nos textes pour qualifier la réception elle-même (arghya désignant soit, comme adjectif, la personne méritant une telle réception, soit, comme substantif neutre, l’eau « hospitale » offerte à l’hôte reçu). Sur la cérémonie en son entier, cf. Gonda (1980), p. 385–386, en particulier, n. 61, et Balbir (2004), p. 382. 219 Contrairement à ce que laisse entendre Wilhelm (1996), p. 523, l’argha ne fait pas partie des cinq sacrifices quotidiens. 220 Le rite est déjà évoqué en ĝatBr 14.9.1.7. À noter que l’ensemble du rituel argha semble spécifiquement apparenté à la cérémonie de l’accueil du soma dans le rituel védique : cf. Apte (1941), p. 39, qui observe que « the guest offering to Soma [is] the early model for the Madhuparka offering ».

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Ɩpastamba

Gautama

Manu

5 Celui qui a étudié le Veda est digne [de recevoir] une vache et le madhuparka, 6 [et de même] un maître, un ‫܀‬tvij, un snƗtaka, ou un roi attaché à la loi. 7 Une vache et le madhuparka [doivent être offerts] à un maître, à un ‫܀‬tvij, à un beau-père, et à un roi, qui se présentent après qu’une année s’est écoulée221.

27 Le madhuparka [est offert] lors de la visite d’un ‫܀‬tvij, d’un maître, d’un beau-père, d’un oncle paternel ou d’un oncle maternel. 28 [Cela n’est] répété [qu’]à une année d’intervalle ; 29 [mais] auparavant pour un sacrifice et un mariage. 30 À un roi et à un Ğrotriya, [il doit offrir le madhuparka222].

119 Qu’il honore avec du madhuparka un roi, un ‫܀‬tvij, un snƗtaka, un maître, un ami, un beau-père, et un oncle maternel, à nouveau après une année complète. 120 Un roi et un Ğrotriya [venus] pour l’exécution d’un sacrifice, doivent être honorés avec du madhuparka, sauf [si] le sacrifice n’est pas exécuté. Cela est établi223.

Même si les textes ne s’accordent pas exactement sur la liste des gens susceptibles de se voir proposer une réception argha224, les visiteurs suivants sont ceux qui sont le plus souvent évoqués : (1) le ‫܀‬tvij (le prêtre « officiant », venu pour un sacrifice), (2) le maître (ƗcƗrya), (3) un parent proche, (4) un roi, (5) un snƗtaka (l’étudiant ayant achevé sa phase d’études), et (6) des personnes particulièrement chères à l’hôte. Fait remarquable, la logique de ces listes ne se fonde pour une fois pas exclusivement sur le critère des var۬a. Rien ne spécifie en effet que l’argha ne devrait s’adresser qu’à des brahmanes ou se pratiquer entre brahmanes exclusivement : la prescription s’adresse théoriquement à tout dvija, pour les deux rôles de l’hôte qui reçoit et de l’hôte reçu225. Deux cas semblent distingués par les textes : celui d’une visite de convenance, et celui d’une visite dans le cadre d’un rituel. Dans la première situation, l’invité ne peut prétendre à l’argha plus d’une fois par année. Cette restriction vise sans doute à éviter les abus et à ménager la fortune du maître de maison, éprouvée par l’organisation coûteuse d’un argha, mais essentielle à la bonne marche du système considéré dans son ensemble. Dans la seconde situation, celle d’un rituel – sans doute un sacrifice Ğrauta – il est probable que l’invitation de nombreux invités relève d’une question de prestige. C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre la mention du roi : il peut s’agir du chef local (et non forcément le chef politique d’un « royaume ») invité en tant que « personnalité » publique. C’est dans le même sens que l’on peut interpréter la mention du prêtre officiant (‫܀‬tvij) qui est peut-être invité pour exécuter le rituel. 221 222 223 224

ƖpDhS 2.(4).8.5–7. GDhS 5.27–30. MDh 3.119–120. Seuls le ‫܀‬tvij, le roi et le maître sont en effet mentionnés par l’ensemble des textes. Le texte parallèle de BDhS 2.(5).6.35–36 indique la liste suivante : « Il honorera ces personnes devant être honorées : 36 un ‫܈܀‬i, un homme instruit, un roi, un fiancé, un oncle maternel, un beaupère, et un prêtre officiant. » 225 Cf. ainsi le passage de VDhS 4.8 qui fait sans doute référence à l’argha : « 8 De plus, à un brahmane, à un k‫܈‬atriya, ou à un visiteur de passage, il doit cuisiner un grand bœuf ou un grand bouc. C’est ainsi qu’on lui prodigue l’hospitalité. »

3.4 Cas particuliers

183

La mention du snƗtaka laisse penser que celui-ci se rend auprès d’un maître de maison pour en épouser la fille : la présentation de l’argha correspondra alors à la première entrevue du snƗtaka avec sa belle-famille – en particulier, avec ses futurs beaux-parents qui jugeront à cette occasion s’il est un parti valable pour leur fille226. Relevons encore l’élément commun aux différents textes traitant de l’argha, celui du madhuparka. Le terme madhuparka peut être compris stricto sensu, comme le plat préparé lors d’un argha, ou par synecdoque, comme la réception hospitalière elle-même. La recette, bien que variant légèrement d’un texte à l’autre, est décrite dans la suite d’Ɩpastamba : « 8 Le madhuparka est du caillé (dadhi) mélangé avec du miel, ou du lait mélangé avec du miel. 9 En l’absence [de ces ingrédients], de l’eau [mélangée avec du miel227]. » Une autre définition évoque les éléments suivants228 : l’eau (jala), le beurre (sarpis), le caillé (dadhi), le sucre blanc (sitƗ) et k‫܈‬audra, qu’il faut comprendre comme la fleur jaune de la plante campaka, souvent offerte à un invité prestigieux en marque d’honneur. Un dernier élément doit être souligné : comme on l’aura sans doute remarqué, le traité d’Ɩpastamba ajoute au madhuparka la présentation d’une vache. Les textes paraissent relativement divisés sur la question. Certains, comme Manu, prescrivent la préparation du madhuparka, sans préciser s’il convient ou non également d’abattre et de cuisiner un animal229. D’autres textes font de la préparation de nourriture carnée un élément incontournable230. Cette dernière conception ne va pas sans poser plusieurs problèmes qu’il convient à présent d’examiner de plus près.

226 C’est en tous les cas ainsi que la mention du snƗtaka est comprise par le commentateur NƗrƗya৆a ad ƖĞvGS 1.24.2 (éd. Sharma, p. 25, tr. Oldenberg, p. 197), et cela est cohérent avec les textes parallèles qui mentionnent souvent le fiancé. À noter toutefois que JGS 1.19 évoque la situation selon laquelle, à la fin de ses études, le snƗtaka aurait droit à un argha préparé pour lui par son maître. 227 ƖpDhS 2.(4).8.8–9. 228 Rapportée dans Apte (1957–1959), vol. 2, p. 1229. D’autres ingrédients sont évoqués en HirGS 1.12.10 : dadhi (le caillé), madhu (le miel), gh‫܀‬ta (le beurre clarifié), Ɨpas (de l’eau) et saktu (de la farine d’orge). Hillebrandt (1897), p. 79 indique que la composition du madhuparka peut se réduire à madhu et dadhi. 229 Comme l’indique HistDh, vol. 2.2, p. 779, MDh ne prohibe pas totalement la viande, mais en relativise l’importance (décrétant, par exemple en MDh 5.53 et 5.56, que le mérite cumulé d’un aĞvamedha – le sacrifice chevalin – annuel pratiqué sur 100 ans, et celui résultant du fait de s’abstenir durant toute sa vie de viande sont identiques). 230 Cette conception est fréquente dans les g‫܀‬hyasnjtra et dans la littérature épique. Cf. par exemple, Mhbh 1.54.10 sqq., Mhbh 5.35.30, Mhbh 5.87.19, Mhbh 5.89.9. Pour une discussion de ces passages, cf. Jamison (1996b), p. 158.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

3.4.3 Faut-il abattre une vache pour un hôte ? Le dilemme que nous souhaitons évoquer sous ce point peut se formuler de la manière suivante : d’un côté, le visiteur prestigieux doit être reçu avec les plus grands honneurs et tout doit être entrepris pour le satisfaire – y compris l’abattage d’un animal ; de l’autre côté, une vache représente un bien précieux et sa mise à mort peut comporter des conséquences « symboliques » majeures. Examinons de quelle manière ce problème se décline au sein de quelques traités. Dès les g‫܀‬hyasnjtra, la question ne fait pas l’unanimité : si certains traités sont sans ambiguïté (il faut abattre un animal dans le cadre de l’argha231), d’autres en revanche restreignent la consommation de viande aux deux seules occasions d’un argha organisé dans le cadre d’un sacrifice ou d’un mariage232. Même s’il convient dans tous les cas de présenter un animal à l’hôte reçu, on ne l’abattra pour le cuisiner qu’à l’occasion d’un sacrifice ou d’un mariage, le plus souvent sur la demande expresse de l’hôte invité233. D’autres textes234 déclarent que la vache doit être présentée puis libérée, et qu’à ce moment, un bouc ou un animal de la forêt sera abattu, en substitution à la vache235. Une autre solution consiste à simplement interpréter les textes sous un angle métaphorique. L’animal peut alors être remplacé par un laitage ou par un produit provenant d’une vache236. Pour ces textes, la question de la vache pose un problème spécifique que l’on peut contourner en autorisant une substitution par un autre animal. Dans ces différents cas, il n’est pas indispensable d’invoquer la doctrine de l’ahiۨsƗ (le principe de la non-violence237). Un argument pragmatique suffit en effet à rendre compte de la réticence d’un maître de maison à abattre une vache : il s’agit là d’un bien précieux dont les produits sont aussi indispensables à la vie courante qu’à l’exercice des rites. Il est dès lors bien compréhensible que l’on hésite à en faire le sacrifice pour la seule présence d’un invité, aussi prestigieux fût-il. Une tension similaire apparaît dans le cadre du texte suivant, déjà évoqué, qui prescrit de pré-

231 Par exemple, ƖĞvGS 1.24.26. 232 ĝƗGS 2.15.2–3. 233 Oldenberg (1964 [1886]), p. 88. Le passage de GobhGS 4.10.19–22 appuie cette interprétation, puisque la vache est présentée à l’hôte puis libérée, sauf dans le cas d’un sacrifice. 234 HirGS 1.13.14 et BGS 1.2.51–54. 235 Cf. aussi le commentaire de GadƗdhara ad PƗrGS 1.3.28 (cité par Stenzler (1876–1878), trad. de PƗrGS, p. 9) qui propose de substituer une chèvre à la vache, et MGS 1.9.22. 236 Cf. ainsi Sharma (1987–2003), vol. 3, p. 644, sur PƗ৆ini 3.4.73 qui explique (il s’agit sans doute de l’interprétation de l’auteur) que le terme goghna désigne l’hôte méritant le madhuparka, et que le fait de tuer une vache est inacceptable pour beaucoup. Du coup, le terme doit être compris comme signifiant « celui pour lequel on offre des produits de la vache », dont le beurre et le yoghourt, qui feraient partie de la recette du madhuparka. Stenzler (1876–1878), trad. de PƗrGS, p. 9, sur PƗrGS 1.3.29 prend acte de cette exception et traduit la règle par « Der Argha darf aber nicht immer ohne Fleisch sein » (je souligne), ce qui est toutefois une surinterprétation du texte sanscrit – justement notée par Oldenberg (1964 [1886]), p. 276 – qui ne dit que nƗmƗۨso ’rgha‫ ۊ‬syƗd (« que l’argha ne soit pas sans viande »). 237 Cf. ainsi la conclusion de l’article de Bodewitz (1999), p. 41, et son point 5.1, p. 35.

3.4 Cas particuliers

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parer un grand bœuf ou un grand bouc dans le cas de la visite d’un brahmane Ğrotriya : 109 À un brahmane Ğrotriya, qu’il prépare (upakalpayet) un grand bœuf ou un grand bouc, [qu’il le traite avec] honneur et considération, [et qu’il lui fasse] de la nourriture douce et une conversation agréable238.

Instillant une certaine ambiguïté dans un texte qui semble pourtant clair, un commentaire indique astucieusement que le maître de maison peut se contenter de présenter (upakalpayet) un bœuf ou un bouc à son hôte, afin de lui faire plaisir, mais qu’il ne saurait être tenu de l’offrir ou de l’abattre – avec la même intention que quand le maître de maison déclare à son hôte « tout cela est à vous239 ». Le commentaire poursuit en expliquant pourquoi il convient de procéder à une telle « mise en scène240 ». La raison est double : il n’y a pas assez de bœufs pour chaque Ğrotriya et il convient de ne pas pratiquer « ce qui est répugnant au ciel et abhorré par les gens » même si cela est conforme au dharma. Le commentaire propose donc une compréhension figurée de la règle de base241 qui réduit la possibilité de la mise à mort de l’animal à sa simple présentation. Un autre commentateur du même passage explique que dans le Kaliyuga – c’est-à-dire le yuga en cours – la mise à mort d’une vache à l’occasion de la réception d’un hôte n’a plus cours242. Cet argument présuppose la doctrine des quatre yuga (k‫܀‬ta, tretƗ, dvƗpara et kali), qui apparaît dès Manu (1.85) et qui est un puissant outil herméneutique permettant d’abroger des règles édictées au sein de traités antérieurs et devenues gênantes, en arguant qu’elles ont été formulées pour un autre yuga243. C’est de cette logique que relèvent les listes du Kalivarjya qui détaillent les actions désormais proscrites dans le Kaliyuga, au nombre desquelles figure l’interdiction de tuer une vache244. Pour d’autres traditions, c’est la mise à mort de tout animal, et non seulement de la vache qui est « théologiquement » problématique245. Une solution possible consiste alors en une justification symbolique de l’acte. C’est ce que propose le passage suivant : 5 Le traité de Manu dit que l’on ne doit tuer un animal (paĞum) que pour honorer les ancêtres, les dieux et les atithi. 6 Quand on offre le madhuparka, à un sacrifice et lors du rite des ancêtres et des dieux, c’est seulement là et non à un autre moment, comme l’a dit Manu (iti mƗnavam), que l’on peut tuer un animal. 7 Aucune viande ne s’obtient sans faire violence à

238 239 240 241 242 243 244

YƗjñDh 1.109. MitƗkৢarƗ, ad loc. Ce problème fait l’objet de l’article de Derrett (1976). Cf. Derrett (1976), p. 208–209. ĝnjlapƗ৆i, ad loc. Cf. Lingat (1967), p. 215. Cf. HistDh, vol. 3, p. 928, n. 1798 ; 945–946 et HistDh, vol. 5.2, p. 1269. Cf. aussi, sur les listes du Kalivarjya en rapport avec le problème de la violence sacrificielle, Houben (1999), p. 153–154. 245 Cf. HistDh, vol. 2, p. 777–782 et les références données par Derrett (1976), p. 211.

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des animaux ; et celui qui tue un être n’a pas sa place au ciel ; pour cette raison, lors d’un sacrifice, celui qui tue un animal [est considéré] comme s’il n’avait pas tué246.

L’argument est clair – il relève d’une figure de logique : si l’on tue un animal (paĞu, et non une vache de manière spécifique), on n’a pas de place au ciel ; or le sacrifice (et l’hospitalité) assure une place au ciel ; ergo il n’y a pas de mise à mort à cette occasion. La violence n’est donc pas comptée comme telle247. Au passage, relevons la mention d’un « traité de Manu » dans ce texte : bien que la citation de Vasiৢ৬ha ne figure pas exactement dans le texte de Manu tel qu’il nous est parvenu, le principe général (que les raisons d’un sacrifice aux dieux, aux ancêtres et de l’hospitalité justifient la mise à mort d’un animal) s’y trouve effectivement248. Nous ne prendrons bien sûr pas position sur la délicate question du rapport entre les deux textes. Il est toutefois possible que la sensibilité au problème de la violence, dans le texte de Vasiৢ৬ha, témoigne du caractère plus récent de ce texte – ou au moins d’un contexte de composition différent – par rapport aux autres traités de dharmasnjtra, qui n’expriment nullement ce souci. Plus sûrement que pour les premiers textes évoqués sous ce point, ces derniers cas témoignent probablement de l’importance progressive qu’acquiert le principe de l’ahiۨsƗ au sein de la doctrine brahmanique. Houben a bien montré que cette thématique connaît un développement majeur dans les textes brahmaniques contemporains de Manu – c’est-à-dire aux premiers siècles de notre ère249. Bien que la question de l’influence bouddhique sur la doctrine de la « nonviolence » soit âprement débattue, il est intéressant de constater que le bouddhisme connaît des dilemmes similaires, également liés à l’hospitalité. Un célèbre récit bouddhique, celui de SƯha, présente ainsi le Bouddha lui-même chargé d’arbitrer le dilemme suivant : un moine peut-il manger de la viande préparée à son attention ? La règle qu’enseigne le Bouddha est que si un maître de maison sacrifie expressément du bétail pour un moine, ce dernier ne doit pas en manger250 – ce qui ne revient bien sûr pas à interdire la consommation de viande. Le critère de l’intention du maître de maison est ainsi déterminant et n’est pas conciliable

246 VDhS 4.5–7. 247 Selon Prakash (1961), p. 3 la mise à mort d’un animal pour un hôte distingué n’est non seulement pas négative mais entraîne au contraire du mérite. Cf. aussi Meyer (1927), p. 46. 248 Cf. MDh 5.32 : « Celui qui mange de la viande, afin d’honorer les dieux et les ancêtres, ne commet pas de faute. » Les hôtes sont évoqués en MDh 5.41 (« madhuparke »). Bühler (1975 [1886]), p. xxxi, estime que ce passage constitue un indice tendant à prouver l’existence d’un texte en prose antérieur à MDh, MƗnava Dharmasnjtra. Kane, HistDh, 1.1, 102–103 objecte que ce passage (sous une forme très légèrement différente) se trouve précisément en MDh, et propose que VDhS a fait un emprunt soit à MDh, soit à une version plus ancienne du même MDh. 249 Houben (1999), en particulier, p. 129. 250 Derrett (1976), p. 212 et Vin 1.233 sqq., en particulier, 1.238 où le Bouddha édicte le principe selon lequel un moine peut consommer du poisson ou de la viande pour autant qu’il n’ait ni vu, ni entendu, ni ne suspecte qu’un animal a été expressément tué pour lui.

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avec l’idée védique du choix laissé à l’hôte de faire sacrifier la vache ou non251. Derrett estime qu’il s’agit là d’une raison supplémentaire ayant conduit à une interprétation figurée de l’injonction ordonnant de tuer une vache pour un hôte dans les traités brahmaniques252. Dans tous les cas, il semble bien que l’avis « populaire », représentant l’aversion quant à la mise à mort d’un animal, l’ait emporté sur la lettre de la prescription védique. De nombreuses justifications ou acceptions de la pratique ont ainsi été élaborées, et l’arrivée d’un hôte, aussi prestigieux soit-il, ne justifie pas toute sorte de sacrifice. Il en ressort une distinction entre trois sortes d’argha : celui qui comprend l’abattage d’une vache, celui qui lui substitue un autre animal, et celui, incidemment mentionné par certains commentateurs, qui est exempt de toute nourriture carnée. Ces trois conceptions de la réception d’un hôte de marque se sont très certainement succédé dans le temps, et l’abattage d’un animal ne rencontre plus aucun écho de nos jours253. 3.4.4 Les décédés pour invités : le repas du ĞrƗddha Tout comme la réception argha, le ĞrƗddha consiste, sans s’y réduire, en une manifestation très ritualisée d’hospitalité254. En revanche, contrairement à l’argha, les invités sont ici exclusivement des brahmanes, car ceux-ci ont un rôle rituel bien précis à jouer. Il faut commencer par distinguer deux genres de ĞrƗddha : (1) celui qui est intégré aux cinq mahƗyajña, et qui désigne l’oblation quotidienne aux ancêtres (c’est la version g‫܀‬hya du ĞrƗddha), et (2) la cérémonie solennelle (Ğrauta) correspondant au pit‫܀‬yajña et aux nombreux rituels qui en sont dérivés, directement ou indirectement reliés à la question des ancêtres255. Le premier type de ĞrƗddha est décrit par Manu dans la section consacrée aux cinq grands sacrifices, avant les descriptions de l’oblation aux dieux, aux bhnjta et aux hommes. Le maître de maison y est engagé à effectuer, sous forme d’une libation (tarpa۬a, « ce qui satisfait »), « jour après jour un ĞrƗddha au moyen de nourriture ou d’eau ; ou encore, au moyen de lait, de racines et de fruits, procurant [ainsi] du plaisir aux ancêtres256. » Selon la suite du texte, il s’agit, dans ce

251 Puisque l’animal serait non seulement expressément abattu pour le visiteur, mais qui plus est, par suite de son intention. 252 Derrett (1976), p. 212–213 : « In order to emulate the Buddhists the Hindus would have to deny the possibility that the guest should say ‘Do it (slaughter it)’, and therefore they would have to deny the guest the opportunity of exercising his ancient option. The only way in which this could be done would be to interpret YƗjñavalkya and Vasiৢ৬ha in a different sense. » 253 Cf. Derrett (1976), p. 211. 254 Cf. Jamison (1996b), p. 183 : « And this is precisely the point of the ĝrƗddha : naked hospitality. » 255 Cf. Caland (1893), p. 182. Sur les deux types de ĞrƗddha, voir Jolly (1896), p. 153–154 (§ 57). 256 MDh 3.82. La mention de ce pit‫܀‬yajña apparaît déjà en TaiƖr 2.10.1.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

ĞrƗddha domestique, à la fois d’exécuter le tarpa۬a et de nourrir un brahmane « pour les pit‫܀‬257 ». Notons au passage que dans la perspective de Manu, le maître de maison devrait quotidiennement nourrir deux hôtes : un brahmane pour les pit‫ ܀‬et un hôte (brahmane, lui aussi) « pour les hommes », dans le cadre du manu‫܈‬yayajña. Cette conception du ĞrƗddha domestique n’est pas partagée par les dharmasnjtra classiques qui ne prévoient qu’une libation d’eau, et non l’invitation d’un brahmane258. Une telle prescription a logiquement pour conséquence de renforcer l’utilité de la fonction rituelle du brahmane, dont la présence quotidienne est théoriquement rendue doublement indispensable à un maître de maison : afin de s’acquitter du sacrifice aux pit‫ ܀‬et du sacrifice aux hommes. C’est toutefois le second type de ĞrƗddha, solennel, qui présente le plus grand intérêt quant à l’étude des rites d’hospitalité. Bien que le sujet soit complexe, il est utile de l’examiner de manière assez détaillée : le ĞrƗddha met en en effet jeu des facteurs qui sont également centraux au sein d’autres discours sur l’hospitalité (relation invitant – invité, pouvoir « symbolique » des invités, le repas etc.). Dans cette cérémonie, il faut d’abord relever qu’un rôle central est assigné aux brahmanes invités. Pour cette raison, le choix de ces invités fait l’objet d’une procédure complexe ainsi annoncée dans le traité de Manu : 124 Je vais à présent expliquer dans le détail quels sont les brahmanes qui doivent être nourris, et quels sont ceux qui doivent être écartés, en quel nombre, et de quels mets ils feront leur repas259.

À cette occasion plus qu’à toute autre, l’identité des invités est donc déterminante. Il convient de convier des brahmanes dont la présence « sanctifie » l’ensemble du groupe – ils sont alors dits pa۪ktipƗvana, c’est à dire « favorables à une tablée ». Celui qui organise le ĞrƗddha est laissé seul responsable du choix des brahmanes invités, et c’est logiquement sur lui que retomberont les conséquences, positives ou négatives, du rituel. Aucun détail ne doit être laissé au hasard, et le nombre de brahmanes à inviter fait l’objet d’une prescription détaillée : 125 Qu’il nourrisse deux [brahmanes] lors du rite aux dieux, et trois lors du rite aux ancêtres, ou un seulement pour l’un et l’autre. Qu’un homme même très riche ne s’occupe pas d’un grand nombre [de brahmanes260].

Il convient manifestement de distinguer deux sortes de brahmanes invités : ceux qui représentent les dieux, viĞvedeva (V), et ceux qui représentent les ancêtres, les pit‫( ܀‬P). L’acte principal (ou du moins, central) du ĞrƗddha consiste à nourrir les

257 MDh 3.83. La distinction entre les brahmanes représentant les pit‫( ܀‬P) et ceux représentant les dieux (V) est importante pour la compréhension du déroulement d’un ĞrƗddha (solennel ou domestique). Sur la participation de ces deux groupes d’êtres, cf. la remarque de Dumont (1983), p. 3–4. 258 ƖpDhS 1.(4).13.1 ; GDhS 5.5 ; BDhS 2.(6).11.3. 259 MDh 3.124. 260 MDh 3.125.

3.4 Cas particuliers

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brahmanes invités pour l’occasion261. La relation paraît s’établir selon un schéma à trois dimensions : en donnant à manger aux brahmanes, l’organisateur du ĞrƗddha satisfait du même coup les exigences des viĞvedeva et des pit‫܀‬, et celle des brahmanes. Brahmanes, viĞvedeva et pit‫ ܀‬peuvent ainsi volontiers être considérés comme des « partenaires », qui collaborent au bon déroulement du rituel262. On peut se représenter la relation au moyen du schéma suivant263 : P/V

I

B(P) / B(V)

Figure 1 : Échanges symboliques et matériels à l’œuvre lors d’un ĞrƗddha

Le rôle symbolique dont sont chargés les invités explique l’importance de convier au moins trois brahmanes pour les ancêtres : ceux-ci correspondent aux trois générations célébrées dans un ĞrƗddha, celle du père, du grand-père et de l’arrièregrand-père264, auxquelles sont associées respectivement les figures de Vasu, Rudra, et Ɩditya265. Les textes ne sont cependant pas unanimes quant au nombre idéal d’invités. Le passage que nous venons de citer évoquait la présence nécessaire de deux brahmanes en lien avec les dieux. Un autre passage du même traité prescrit quant à lui le nombre minimal de trois brahmanes en lien avec les dieux et les ancêtres266. Sans doute faut-il voir que dans l’idéal et s’il en a les moyens, l’instigateur d’un ĞrƗddha conviera au moins deux brahmanes en lien avec les dieux et trois en lien avec les ancêtres. Si les moyens lui font défaut, un seul brahmane qui cumulera les deux fonctions peut suffire : le texte fait donc preuve d’un certain pragmatisme. Inversement, il ne faut pas non plus inviter un trop

261 Cf. ƖpDhS 2.(7).16.1–3. Cf. HistDh, vol. 4, p. 349. 262 Sur ce double rôle, cf. Biardeau et Malamoud (cités supra, p. 170, n. 161) qui montrent que le brahmane invité représente à la fois la/les devatƗ et le ‫܀‬tvij. Cf. aussi Wezler (1978), p. 84 : le maître de maison doit faire en sorte que ses invités se nourrissent du reste des sacrifices. 263 Je dois ce schéma à Alois Payer. I : Instigateur du ĞrƗddha ; P / V : pit‫ ܀‬/ viĞvedeva ; B(P) / B(V) : brahmanes en lien avec les pit‫ ܀‬/ brahmanes en lien avec les viĞvedeva. 264 Ou, selon MDh 3.220, si le père est toujours vivant, les générations du grand-père, de l’arrière-grand-père, et du bisaïeul. Le père du brahmane effectuant le ĞrƗddha peut, dans ce cas particulier, prendre part au repas. 265 MDh 3.284. Cf. HistDh, vol. 4, p. 348. 266 MDh 3.187. GDhS 14.7–8 évoque le nombre minimal de 9 brahmanes (ou « le plus qu’il peut »). Il semble que le nombre de brahmanes (P) soit toujours impair, et celui de brahmanes (V) toujours pair, à l’exception du cas où un seul brahmane remplit les deux fonctions (cf. YƗjñDh 1.227).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

grand nombre de brahmanes ou des ignorants267. Manu précise en effet que le fait de nourrir un seul homme vertueux est plus méritoire que celui d’entretenir une grande compagnie d’ignorants : la qualité prime donc la quantité268. L’invité idéal d’un ĞrƗddha est un brahmane ayant complètement étudié le Veda et provenant d’une famille où l’instruction védique est une tradition269. Théoriquement, les invités doivent également être étrangers à la famille. Ainsi, en raison de sa trop grande proximité avec la famille, un ami ne peut en principe pas être invité dans le rôle d’un brahmane pour le ĞrƗddha270. Soucieux que leurs prescriptions demeurent praticables, certains textes ajoutent cependant que si aucun brahmane étranger à la famille ne possède les qualifications requises ou n’est disponible, un membre de la famille (pour autant qu’il soit qualifié) pourra malgré tout prendre sa place271. Par ailleurs, il peut arriver qu’un brahmane qualifié refuse de participer au ĞrƗddha : le ĞrƗddha implique un certain contact (même indirect) aux morts, dont de pieux brahmanes pourraient craindre l’impureté272. Il ne saurait en aucun cas être question d’inviter un non-brahmane à un ĞrƗddha : les invités sont tous brahmanes – contrairement à l’instigateur du rite, qui peut très bien être k‫܈‬atriya ou vaiĞya. Inversement, si le commanditaire (yajamƗna) a le choix entre plusieurs brahmanes qualifiés, il conviendra (selon Ɩpastamba) de donner la priorité à un brahmane (relativement) âgé, et (relativement) pauvre273 : l’honneur de l’âge et la reconnaissance dont témoignera un brahmane pauvre rendent ces invités tout particulièrement porteurs de mérite pour

267 MDh 3.126. 268 MDh 3.129 et MDh 3.131 (nourrir un seul homme instruit est préférable à entretenir un grand nombre d’ignorants). Sur les conséquences négatives de l’invitation d’un ignorant, cf. MDh 3.133 : en tant que preta (donc, après sa mort) un homme devra ingérer autant de pointes, de lances brûlantes et de boules d’acier que de boulettes de riz consommées par une personne ignorante invitée lors des rites aux dieux ou aux ancêtres qu’il a organisés. 269 MDh 3.130. 270 Ce qui n’empêche toutefois pas sa participation au repas, mais non dans le rôle de l’un des brahmanes (P) ou (V). 271 ƖpDhS 2.(7).17.5–6. 272 HistDh, vol. 4, p. 387–388. Cette interprétation, selon laquelle la simple participation à un ĞrƗddha pourrait s’avérer porteuse d’impureté semble postérieure à la composition des traités de dharma. Elle apparaît en effet au sein de commentaires (par exemple MitƗkৢarƗ ad YƗjñDh 3.289) et dans un PurƗ৆a (VarƗha PurƗ৆a 189.14–15). Ce dernier passage, également cité par Kane, exprime un risque bien spécifique à la participation d’un brahmane à un ĞrƗddha : si, en cette occasion, le brahmane invité décède après avoir mangé, et conserve en son estomac, sans l’avoir digérée, de la nourriture destinée à un preta, il est promis à une existence « en enfer » pour la durée d’un kalpa. 273 ƖpDhS 2.(7).17.10. L’explication de Friedrich (1993), p. 183, n. 118 selon laquelle les brahmanes pauvres souhaiteraient accomplir « un vœu » ne convient pas bien au contexte du ĞrƗddha : il ne s’agit pas « d’accomplir le vœu » des invités. L’explication de Bühler, « who wish to come » est plus logique.

3.4 Cas particuliers

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l’organisateur. À noter enfin que le brahmane invité d’un ĞrƗddha n’est généralement pas qualifié d’atithi274. La longue liste de Manu275 détaille quels brahmanes sont dignes d’être invités et lesquels ne le sont pas. Le fait d’être atteint d’une déficience mentale ou physique, une conduite immorale, le fait d’avoir commis un crime, l’implication dans une doctrine hétérodoxe ou le fait d’habiter certains pays étrangers276 caractérisent des personnes dites apƗ۪kteya (ou pa۪ktidnj‫܈‬aka), « dont la présence nuit à une tablée ». Les brahmanes ne se comportant pas d’une manière conforme à leur rang sont aussi généralement exclus de la liste des invités277. Le commentateur278 indique par ailleurs que les caractères positifs des brahmanes à inviter se réduisent en fin de compte à cinq critères principaux : (1) être fils d’un Ğrotriya ; (2) être soi-même instruit ; (3) être de bonne conduite ; (4) provenir d’une famille renommée ; et (5) ne pas faire partie de la famille de celui qui exécute le ĞrƗddha279. Sur ce point précisément, Jamison souligne le fait que les invités sont des étrangers, et que le ĞrƗddha s’appelle ainsi en raison de l’acte de bienveillance (ĞraddhƗ) accompli par l’organisateur du ĞrƗddha à l’égard des étrangers : Les brahmanes qui sont invités à la cérémonie du ĞrƗddha […] sont fonctionnellement des étrangers, sans autre lien avec leur hôte que leur appartenance partagée à la communauté aryenne. Le devoir de ĞrƗddha, l’hospitalité sans condition, se manifeste de la manière la plus flagrante dans son rapport aux étrangers280.

Il faut prendre garde, cependant, à toute la série de conditions relatives aux caractéristiques des invités. S’ils sont bien étrangers à la famille, ils ne sont pas de parfaits inconnus, puisque l’organisateur du ĞrƗddha aura préalablement pris soin d’investiguer, et de manière fort minutieuse, la bonne moralité de ses invités. Il me semble excessif de voir ici un mouvement de « générosité » à l’endroit des « étrangers » en général. Le raisonnement de Jamison est lui-même quelque peu artificiel : le ĞrƗddha n’entretient qu’un lien indirect avec la ĞraddhƗ281, qui elle274 Certains textes évoquent le cas où un atithi – donc un hôte extérieur – se présenterait pendant le rite du ĞrƗddha, ce qui montre qu’il s’agit de problématiques distinctes. Cf. HistDh, vol. 4, p. 396–397 pour les références. 275 MDh 3.150 sqq. 276 HistDh, vol. 4, p. 396 (et 378–379) : un brahmane habitant à l’étranger ne serait pas habilité à participer à un ĞrƗddha (car le contact avec une terre elle-même souillée par les mleccha rend impur). Mais comme le note Kane: « It will be noticed that […] brƗhma৆as from half of modern India would have been ineligible for being invited at ĞrƗddhas if these passages were literally followed. This was probably a counsel of perfection prompted by the false pride and prejudices of the authors of those works. » 277 Cf. HistDh, vol. 4, p. 391–394, qui détaille les 93 personnes écartées de la liste des invités d’un ĞrƗddha. 278 MedhƗtithi ad MDh 3.147 (éd. Jha, vol. 1, p. 271 ; tr. vol. 4, p. 169). Cf. aussi HistDh, vol. 4, p. 386. 279 MDh 3.184–186. Selon Vi‫۬܈‬u Sm‫܀‬ti 83.19–20, les ascètes sont eux aussi tout particulièrement pa۪ktipƗvana. 280 Jamison (1996b), p. 183, ma traduction. 281 Sur le lien entre ĞraddhƗ (« la confiance, la générosité ») et ĞrƗddha, voir Köhler (1973), p. 49–51.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

même ne se rapporte qu’indirectement à l’hospitalité. À vrai dire, ce lien n’apparaît jamais de manière explicite au sein de nos textes, et semble plus caractéristique de la littérature dévotionnelle. Quand les brahmanes ont été désignés, ceux-ci doivent recevoir une invitation « officielle » un jour avant la tenue du ĞrƗddha282 ; selon Ɩpastamba, celle-ci est réitérée deux fois le jour même du ĞrƗddha283. Avant la cérémonie proprement dite, il convient encore de s’assurer que l’endroit choisi est convenable284, et que celui-ci n’est pas occupé par des êtres dont la présence pourrait polluer le rituel, comme des chiens ou des cƗ۬‫ڲ‬Ɨla285. Le jour et l’heure de l’exécution d’un ĞrƗddha font également l’objet d’une série de recommandations et de prescriptions consignées dans Manu. Dans le cas d’un ĞrƗddha de type optionnel (kƗmya), n’importe quel jour peut cependant convenir, si des brahmanes spécialement vertueux sont disponibles, ou si le commanditaire se trouve en un endroit particulièrement favorable286. En dépit de la possibilité théorique d’organiser un ĞrƗddha en tout temps, les textes accordent leur préférence aux jours de la seconde partie du mois (et si possible aux derniers jours du mois), dans l’après-midi287, mais non à la tombée de la nuit. Le symbolisme est assez clair : les jours de la seconde partie du mois correspondent à la lune descendante, et l’après-midi correspond à la partie de la journée où le soleil est sur le déclin. Dans les deux cas, c’est le domaine de la mort qui est évoqué. Idéalement, le soir (l’absence de soleil) serait symboliquement plus approprié à la célébration d’un ĞrƗddha, mais celui-ci est dangereux en raison des preta et autres bhnjta qui en profitent pour venir inquiéter les vivants288. Le jour de la nouvelle lune (amƗvƗsyƗ) et le huitième jour de la nouvelle lune (a‫ܒ܈‬akƗ) sont par ailleurs spécialement indiqués pour la pratique d’un ĞrƗddha289. Une fois les brahmanes invités arrivés au lieu du ĞrƗddha, il convient de les prier de prendre place à même le sol, sur de l’herbe kuĞa290, après leur avoir offert de se laver les mains. L’instigateur invoque alors l’ensemble des dieux en ayant 282 MDh 3.187. 283 ƖpDhS 2.(7).17.11–13 et le commentaire d’Haradatta (éd. Shastri, p. 254, tr. Bühler, p. 142– 143) qui donne une formule « officielle » d’invitation. Cf. HistDh, vol. 4, p. 406. 284 MDh 3.206–207 (l’endroit idéal est en pente en direction du sud, et ne doit pas être trop fréquenté) et YƗjñDh 1.227. 285 Cf. GDhS 15.25–28 et MDh 3.239–242. 286 Cf. YƗjñDh 1.217–218 (l’arrivée d’un brahmane spécialement vertueux) et GDhS 15.5. 287 ƖpDhS 2.(7).16.4–7 ; MDh 3.276–278. 288 MDh 3.280. 289 Il est même obligatoire (nitya) de pratiquer un ĞrƗddha à l’amƗvƗsyƗ (la nouvelle lune). Il s’agit précisément du pƗrva۬aĞrƗddha (GDhS 15.1). 290 MDh 3.208. Selon Bhatnagar (1948–1972), vol. 3, p. 43, s. v. desmostachya, l’herbe kuĞa (ou darbha), extrêmement fréquente et très résistante est à même de pousser sur un sol désertique, et n’est pas volontiers broutée par les animaux : elle présente l’avantage non négligeable d’être disponible partout et en tout temps (en toute saison). Cf. GobhGS 1.5.16–17 (qui explique comment cette herbe doit être récoltée), HistDh, vol. 4, p. 417–418, Gupta (1991 [1971]), p. 30–34 (pour une vue d’ensemble des différents récits traditionnels relatifs à la plante, souvent associée à l’immortalité) et Payer (2004b), #7.3 pour une illustration.

3.4 Cas particuliers

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préalablement pris soin de demander aux brahmanes invités leur permission : durant l’ensemble du rituel, ceux-ci sont dans une position dominante par rapport au maître de maison qui doit fréquemment recevoir leur aval avant de procéder au geste suivant. Les invités sont ensuite honorés avec des parfums et des guirlandes, en commençant par ceux qui représentent les dieux291. Avant que ne débute le repas, les brahmanes invités reçoivent encore de l’eau (l’eau arghya), du sésame292 et de l’herbe kuĞa. Le commanditaire met alors le couvert : il s’agit de tracer des ma۬‫ڲ‬ala à même le sol, de placer les assiettes et de délimiter des tablées au moyen de cendre (en veillant à distinguer les brahmanes en lien avec les dieux de ceux en lien avec les ancêtres). Le commanditaire versera ensuite de l’eau sur le sol avant d’y déposer des pi۬‫ڲ‬a, c’est-à dire des boulettes de riz. Après avoir salué les pit‫ ܀‬par la formule appropriée, il prélève de petites portions des boulettes, qu’il donne à manger aux brahmanes293. Suit alors un moment central et dangereux du rituel : le repas. L’organisateur du ĞrƗddha apporte depuis la cuisine le plat sur lequel se trouve le repas destiné aux brahmanes294. Les denrées « rares », difficiles à obtenir, chères et particulièrement nourrissantes – comme la viande de rhinocéros, celle de la chèvre rousse, le miel sauvage ou des légumes noirs (kƗlaĞƗka295) – sont spécialement recommandées : elles satisferont les ancêtres pour une période spécialement longue ou indéfiniment296. La préparation d’une nourriture rare permettra certainement d’espacer l’organisation des ĞrƗddha optionnels (ceux qui ne sont déterminés ni par un événement, ni par le calendrier), puisque les pit‫ ܀‬auront pu subsister sur une période plus longue grâce au mets nourrissant dont ils auront fait leur repas. La question de la « durée » est sans doute liée au fait que l’exécution d’un ĞrƗddha n’est pas aussi fréquente que celle d’un sacrifice quotidien. Si les dieux peuvent compter sur une alimentation quotidienne par l’exercice 291 MDh 3.209. 292 L’huile de sésame (tila) servait parfois à enduire le corps de riches défunts, car elle en ralentit la décomposition. Le sésame est aussi réputé écarter les esprits des défunts (ceux des preta) : cf. HistDh, vol. 4, p. 418–419. Le sésame et son huile sont enfin régulièrement associés à la vie, peut-être parce que l’huile de sésame, contrairement à la plupart des denrées alimentaires disponibles en Inde, se conserve sans se dégrader (cf. Bhatnagar (1948–1972), vol. 9, p. 291). 293 MDh 3.214–217. 294 MDh 3.224. Sur les différentes sortes de nourriture pouvant être cuisinées à cette occasion, et sur leurs effets respectifs, cf. MDh 3.256–272. 295 MW, p. 277 (à la suite de PW), identifie la plante à Ocimum Sanctum (le basilic), réputée pour ses propriétés médicinales. Cf. Bhatnagar (1948–1972), vol. 7, p. 89, Khare (2004), p. 335 (qui indique que la substance a notamment pour effet d’accroître l’endurance) et Gupta (1991 [1971]), p. 66–72 (pour l’arrière-fond « mythologique » relatif à cette plante). 296 Cf. MDh 3.266–3.272 pour une liste des plats associés à leurs mérites respectifs. En MDh 3.268, le poisson est déclaré nourrir les ancêtres pour deux mois, la viande de gazelle pour trois mois, l’agneau pour quatre mois et la viande d’oiseau pour cinq mois. Jamison (1996b), p. 181–182 montre bien qu’il s’agit de rassasier autant les brahmanes que les dieux et les pit‫܀‬ (elle renvoie d’ailleurs au texte de Mhbh 13.92.3, où dieux et pit‫ ܀‬sont repus au point de souffrir d’indigestion).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

du sacrifice, les pit‫ ܀‬ne bénéficient pas du même traitement et doivent « faire des réserves ». Comme nous l’avons vu, pour Manu, le madhuparka – à comprendre dans le sens de l’argha examiné plus haut – et le ĞrƗddha représentent les deux seules occasions lors desquelles l’abattage d’un animal n’exige pas la pratique d’une expiation297. Contrairement à la question de la possibilité d’abattre une vache pour un visiteur prestigieux, l’usage de la viande lors d’un ĞrƗddha ne fait pas l’objet de discussions approfondies. Peut-être le texte de Manu est-il ici (contrairement au passage traitant de l’argha) trop explicite pour chercher à en altérer la signification. Par ailleurs, et contrairement à l’argha, la viande possède dans le contexte de la relation aux morts une portée toute particulière : les ancêtres mangent volontiers de la viande, car celle-ci est « plus nourrissante » que les plats végétariens. Mais il est indéniable que, en contradiction avec les textes, l’usage de proposer de la viande aux brahmanes du ĞrƗddha s’est, tout comme pour l’argha, progressivement perdu298. Quand les plats principaux ont été apportés, le commanditaire dépose à terre les accompagnements tels que les soupes, les légumes, le beurre ou le miel, ainsi que les boissons, puis sert ses invités, en leur expliquant de quoi il s’agit299. La nourriture ne doit pas être touchée avec le pied ou être « agitée300 ». Le commanditaire est supposé ne pas manger lui-même du début (marqué par l’invitation des brahmanes) jusqu’à la fin du ĞrƗddha301, et ne doit se montrer ni triste, ni fâché. Il doit resservir à convenance ses invités, qui mangent en silence302, et relater des histoires en lien avec les Veda303. Il s’agit certainement de détourner l’attention des convives de la nourriture qui leur est servie : le repas doit rester secondaire par rapport à la raison rituelle qui préside à l’assemblée ; celle-ci ne doit en aucun cas se transformer en un banquet festif. À l’issue du repas, le commanditaire demandera à ses invités s’ils ont apprécié ce qu’on leur a servi, selon la formule adaptée au type de ĞrƗddha, et les brahmanes déclareront avoir mangé à satiété304. La nourriture non consommée est mélangée et répandue sur le sol (sur l’herbe kuĞa) devant les brahmanes, après que ceux-ci ont pu se rincer la bouche305. Cette nourriture, « dédiée » à ceux qui sont

297 MDh 3.271. Sur ce problème dans le contexte de l’argha, cf. supra, p. 186. 298 Cf. HistDh, vol. 4, p. 425 « Gradually, the offering of flesh in Madhuparka and in ĞrƗddhas came to be totally condemned in works of the 12th and 13th centuries and onwards as a matter prohibited in the Kali age. » 299 MDh 3.225–227. 300 MDh 3.229. 301 ƖpDhS 2.(7).17.24. 302 YƗjñDh 1.239. 303 MDh 3.231–233. Cf. HistDh, vol. 4, p. 444–445 sur les textes devant être récités par le commanditaire. 304 MDh 3.254. Cf. HistDh, vol. 2.2, p. 763. 305 MDh 3.234 et MDh 3.251.

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morts sans rituel adapté306 et aux femmes ayant abandonné leur famille, est en fait à disposition des fidèles serviteurs du maître de maison, mais non à celle des Ğnjdra en général307. Reste encore le second rituel à l’intention de tous les dieux, qui devrait, selon Manu, initier et clore tout ĞrƗddha. Le commanditaire verse de l’eau sur le sol, invoque les viĞvedeva et attend la réponse des brahmanes (« Que tous les dieux soient satisfaits »). Il adresse enfin des paroles plaisantes à l’attention de ses invités et les congédie en prenant garde que les brahmanes en lien avec les ancêtres308 partent avant les brahmanes en lien avec les dieux. Manu indique qu’après le repas, les brahmanes peuvent soit se reposer sur place, soit rentrer chez eux309. Quand ceux-ci sont partis, le commanditaire demande encore la « bénédiction » de ses ancêtres en direction du sud. Manu ajoute qu’il convient de procéder ensuite aux sacrifices quotidiens310. Il faut souligner avec Malamoud que le repas du ĞrƗddha « se présente comme une cascade de restes311 » : les brahmanes mangent le reste des pi۬‫ڲ‬a ; le reste du repas (ce qui reste dans les assiettes et les plats touchés par les brahmanes) est la part des personnes mortes sans crémation, et est à disposition des serviteurs ; enfin, le maître de maison mange en principe ce qui reste après que les brahmanes sont partis, c’est-à-dire, très certainement, ce qui reste dans les « casseroles » (mais non le reste des plats). Sans revenir pour autant à l’ancienne thèse de Frazer312, il semble bien que le lien reliant le reste à la masse de nourriture dont il est issu se transpose sur les acteurs ayant ingéré cette nourriture : par la consommation du reste d’un « sacrifice », le mangeur affirme son lien avec l’être auquel il a sacrifié313. Comme le montre Malamoud, le système des restes établit aussi un rapport hiérarchique

306 Malamoud (1989), p. 18, n. 21 explique qu’il s’agit des enfants de moins de deux ans. Ceuxci n’ont pas la possibilité d’être initiés, fût-ce post mortem, et ne bénéficient pas des rituels destinés aux morts. 307 MDh 3.249. 308 Et parmi ceux-ci, celui représentant l’arrière-grand-père avant celui représentant le grandpère, etc., selon HistDh, vol. 4, p. 447. 309 MDh 3.251 ; MDh 3.205. 310 MDh 3.255. 311 Malamoud (1989), p. 18. 312 Frazer (1911–19153 [1890]), vol. 2, p. 130 estime que les rites d’hospitalité constituent une mesure apotropaïque contre un étranger potentiellement dangereux. Il se fonde sur un exemple lié au ĞrƗddha emprunté à Caland (1908), p. 163. Frazer ne prend pas en compte que dans ce cas précis, il ne s’agit nullement d’un étranger virtuellement hostile, mais d’un brahmane dont l’identité est bien connue – puisque des qualités et de la vertu des brahmanes invités dépend l’efficacité de l’ensemble du rite. 313 Ce schéma est conforme à Mauss (1985 [1924]), p. 159 : « Ce qui, dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c’est que la chose reçue n’est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque chose de lui. » (cité par Gonda (1964), p. 15–16).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

entre celui qui mange « le principal » et celui qui mange les restes314. La question des restes dans le ĞrƗddha, tout comme celle de l’injonction faite au maître de maison de se nourrir de restes, relève donc d’une hospitalité à plusieurs niveaux dont le but est d’assurer l’efficacité de l’ensemble du rituel, de maintenir les liens familiaux et sociaux par delà la limite de la mort, et d’affirmer une structure hiérarchique au sommet de laquelle se trouvent les brahmanes Ğrotriya. Aussi le ĞrƗddha tel que décrit (théoriquement) par Manu représente-t-il une sorte d’hospitalité paradigmatique, qui partage de nombreux aspects formels et symboliques avec l’hospitalité régulière. Le brahmane est à tous égards considéré comme le récipiendaire légitime des dieux, des preta et des pit‫܀‬, tout en étant vénérable pour lui-même par le simple fait de sa condition. Il est en mesure de jouer plusieurs rôles en même temps, un peu à la manière d’un joker dans un jeu de cartes. Il y a, en ce sens, une distinction extrêmement marquée entre l’hospitalité dispensée à un brahmane, et celle prodiguée à un non-brahmane : par nature, ce dernier n’est en effet jamais en mesure de représenter d’autres êtres que luimême315. Le caractère contraignant du rite, et plus particulièrement, le besoin rituel qu’il crée ne peuvent manquer d’évoquer le soupçon que de telles règles ont aussi pour but de défendre la position brahmanique. Ce point est particulièrement clair dans la réinterprétation du rite quotidien figurant en Manu, qui rend nécessaire la présence d’un brahmane dans le rôle du récipiendaire du sacrifice domestique aux ancêtres, ce qui n’est jamais mentionné au sein des dharmasnjtra316. 3.4.5 Peut-on donner l’hospitalité si l’on n’a pas de foyer ? Penchons-nous à présent sur un cas très spécial : celui du vƗnaprastha considéré dans la posture de l’hôte qui reçoit. Même si, selon la théorie classique des ƗĞrama, celui-ci est à l’écart de son foyer, il possède toujours une demeure et perpétue la pratique des cinq sacrifices, dont l’hospitalité317. Le passage suivant de

314 Malamoud (1989), p. 20 : « Il semble bien, donc, que le reste soit toujours consommé par une classe d’êtres inférieurs à celle qui entame la masse d’aliments. » Pour une discussion élaborée de la consommation des restes, voir Wezler (1978). 315 Comme le dit bien Brian K. Smith (1990a), p. 191 : « The Brahmins, as ‘human gods’ (manu‫܈‬yadevas), are the exclusive visible eaters of sacrificial oblations, the divine cuisine. » Smith renvoie au texte d’AitBr 7.19 (34.1) : « The Brahmins are those creatures who eat sacrificial oblations ; the Kshatriyas, Vaishyas, and Shnjdras are those who do not. » (tr. Smith). Sur le caractère divin des brahmanes (et l’épithète deva qui leur est parfois associé), cf. Falk (1994), p. 314–318. 316 MDh est souvent cité en exemple pour son caractère ultra-brahmanique, comme le remarque par exemple Olivelle (2005), p. 39 : « Reading the MDh one cannot fail to see and to feel the intensity and urgency with which the author defends Brahmanical privilege. » 317 Ainsi MDh 6.7b reprend cette prescription : « Qu’il honore par de l’eau, des racines, des fruits et l’‘aumône’ ceux qui sont arrivés à son ermitage. »

3.4 Cas particuliers

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Gautama se rapporte précisément au cas du vƗnaprastha et récapitule l’obligation quotidienne des cinq sacrifices : 29 Il doit honorer les dieux, ancêtres, hommes, êtres et voyants. 30 Qu’il soit hospitalier à l’égard de tous, à l’exception de ceux qu’il convient d’éviter318.

Rappelons que le traité de Gautama considère de manière critique la théorie des ƗĞrama. Celle-ci est en effet présentée comme étant l’opinion d’un contradicteur, et les ƗĞrama y sont des options et non des stades successifs319. Le cas du vaikhƗnasa / vƗnaprastha y est malgré tout traité, peut-être pour la raison que celui-ci représente une réalité que l’auteur du traité ne peut nier, et qu’il préfère intégrer dans les prescriptions de son traité320. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de constater que pour ce texte, l’ermite (vƗnaprastha) est censé pratiquer les sacrifices domestiques, et en particulier, l’hospitalité. Similairement, BaudhƗyana321 évoque une obligation d’hospitalité pour le vƗnaprastha. À vrai dire, et de manière quelque peu curieuse, le texte distingue deux sortes de vƗnaprastha322 : ceux qui cuisinent et ceux qui ne cuisinent pas323. Puisque selon une opinion rapportée dans le même traité324, il n’y a qu’un seul ƗĞrama, celui de g‫܀‬hastha, le statut de vƗnaprastha est rattaché de manière plus ou moins artificielle à la catégorie de g‫܀‬hastha. Selon le texte, il s’agirait seulement d’un « comportement » possible (v‫܀‬tti, vanyƗv‫܀‬tti325) et non d’un ƗĞrama au sens propre du terme. Mais cette « inconsistance » tient peut-être aussi au caractère apparemment composite de BaudhƗyana326. Dans tous les cas, la description des deux types de vƗnaprastha de BaudhƗyana se conclut sur la citation d’un passage versifié, qui laisse entendre que ces ascètes aussi sont tenus d’exercer l’hospitalité327. Le vƗnaprastha qui ne 318 GDhS 3.29–30. Bühler (1969 [1879]), p. 195, traduit ce snjtra de la manière suivante : « He shall receive hospitably (men of) all (castes) except those (with whom intercourse is) forbidden. » (je souligne). Rien ne permet cependant de conclure, à mon sens, que le vƗnaprastha devrait accueillir des gens de tout var۬a. 319 Cf. Olivelle (1993), p. 76–77. 320 Pour des éléments de clarification sur l’identité de ce type d’ascète, cf. Bronkhorst (1993), p. 31, qui relève notamment que ce type de vaikhƗnasa n’est pas nécessairement marié, mais qu’il est légitimé à entretenir les feux. 321 BDhS 3.3.1–23. 322 BDhS 3.3.1 : « À présent [on va exposer] la double nature du vƗnaprastha. » 323 Remarquons au passage que les ascètes ne cuisinant pas sont explicitement qualifiés de brahmanes (BDhS 3.3.22). 324 BDhS 2.(6).11.27–34. 325 Cf. BDhS 3.2.1–19 pour une description des 10 v‫܀‬tti se rattachant à l’ƗĞrama de g‫܀‬hastha. Sur ce texte, cf. Olivelle (1993), p. 164. 326 Cf. Olivelle (2000), p. 191 : BDhS 3 serait une interpolation. Olivelle ne propose cependant pas de date quant à l’interpolation en question. Kane, HistDh 1.1, p. 43 estime de son côté: « [T]he interpolation must have taken place early enough. » Le traité tel qu’il nous est parvenu (textus receptus) a toutefois paru cohérent à son/ses éditeur(s), et ce dès l’époque ancienne. 327 BDhS 3.3.20a, qui semble s’appliquer au vƗnaprastha qui ne cuisine pas : « Qu’il honore (pnjjayet) d’abord les atithi arrivés à son ermitage à un moment approprié. »

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

cuisine pas servira ainsi des aliments crus à ses hôtes, comme de l’eau, des racines et des fruits. Dans le cas exceptionnel d’ascètes ne mangeant pas (par exemple, le vƗyubhak‫܈‬a, « mangeur de vent328 »), il faut sans doute penser que le visiteur sera simplement « honoré », au sens strict du terme, et qu’il aura peut-être l’opportunité de partager le tapas, l’« ascèse », de celui qui le reçoit329. Il est difficile d’expliquer de manière plus précise pourquoi l’hospitalité revêt, dans ce cas, une importance particulière. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une simple extension à partir du statut normal de « maître de maison », pour lequel, comme on l’a vu, l’hospitalité possède un caractère obligatoire : le vƗnaprastha devrait continuer d’exercer les rites quotidiens prescrits au g‫܀‬hastha. Mais notre texte n’expose pas la version classique du système des ƗĞrama et il n’est pas sûr que l’on doive nécessairement rattacher ces deux sortes de vƗnaprastha à la figure du maître de maison330. À titre purement spéculatif, on peut concevoir que la prescription de l’hospitalité, aux côtés de celle des sacrifices domestiques, vise à enseigner un comportement correct et « authentiquement » brahmanique à des catégories de personnes menant une vie ne correspondant justement pas à l’idéal du g‫܀‬hastha marié. Une telle mesure aurait pour effet d’intégrer certaines catégories sociales se trouvant aux limites du mouvement brahmanique, en exigeant de leur part le respect d’obligations sociales (comme l’hospitalité) à l’égard de représentants du courant brahmanique. 3.4.6 Mendicité et hospitalité Le sujet des « mendiants » est souvent abordé de pair avec celui de l’hospitalité331, ce qui s’explique peut-être par le fait que l’hospitalité et la mendicité sont volontiers associées dans la notion moderne et christiano-centrée de « charité ». Il convient toutefois de prendre garde à cette association, qui ne reflète pas nécessairement la situation décrite par nos textes : il se peut très bien que l’hospitalité ne constitue pas une forme de « charité », non plus que la mendicité332. Pour ce qui nous concerne, et en considérant la situation que présentent les documents, il est cependant possible de discerner un lien entre la problématique de l’hospitalité et celle de la mendicité dans la mesure où dans les deux cas, le donateur est lié au donataire par de la nourriture333. C’est sous cet angle unique328 329 330 331 332

BDhS 3.3.13. Le texte ne dit en effet que pnjjayet, « qu’il honore ». Cf. les remarques de Bronkhorst (1993), p. 47–48. Ainsi Jamison (1996b), p. 191 sqq. Gonda (1964), p. 10–11 fait une mise en garde similaire à propos de la notion de don et conclut (p. 10) : « [A] thoughtless use of common translations such as ‘gift’ for a word of similar sense in other languages may easily lead us astray if it comes to determining the finer shades of meaning conveyed by the foreign terms. » 333 Selon Williams (1963), p. 149, cette association (entre mendicité et hospitalité) est explicite au sein de la tradition jaïn, notamment dans le cadre de l’atithisaۨvibhƗgavrata prescrit aux laïcs, qui « recouvre l’élément isolé le plus important dans la pratique religieuse, car, sans

3.4 Cas particuliers

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ment (et non en général) que l’on va donner quelques indications sur ce sujet fort complexe. Distinguons d’abord deux thématiques complètement indépendantes : (1) celle des pauvres ; (2) celle des mendiants « religieux », et en particulier, des étudiants. Commençons par évoquer le premier cas, celui des « pauvres » qui n’ont pas choisi leur condition. Ceux-ci apparaissent fréquemment dans la liste des gens à nourrir dont on a vu quelques exemples plus haut. Ainsi : 5 Et ils citent aussi [ceci] : « Qu’il commence par nourrir les atithi, immédiatement après, les femmes enceintes, puis les enfants et les personnes âgées, et aussi les indigents (dƯnƗn) et spécialement les malades334 ».

En dépit des apparences, il ne faut pas voir ici l’invitation à une « charité » universelle : les personnes évoquées par ce passage (et notamment les indigents, dƯna) représentent assez sûrement les parents et amis du maître de maison qui habitent dans le voisinage – sans doute au sein du même village. Les indigents arrivent derniers dans la liste, ce qui témoigne de leur importance moindre dans l’optique poursuivie par le texte. Si le maître de maison ne dispose pas de suffisamment de nourriture pour tous ses hôtes, les indigents et les malades pourront donc être ignorés. C’est tout le contraire des mendiants « religieux », que l’on doit satisfaire de son mieux, et prioritairement à son propre foyer. Ainsi : « 108a En [les] traitant avec respect, l’‘aumône’ doit être donnée au mendiant et à celui qui a prononcé un vœu335. » Remarquons immédiatement que dans cette situation, il ne saurait être question de loger le récipiendaire de l’« aumône », qui n’a simplement pas la possibilité de séjourner chez quelqu’un d’autre que son maître (pour l’étudiant) ou autrement que seul dans sa retraite. Le mendiant n’est donc jamais un hôte (invité) au sens propre du terme, pour la raison qu’il est par définition « sans foyer », ce qui implique qu’il n’est pas possible de lui « prêter un foyer ». Le passage suivant évoque, en les distinguant clairement, l’obligation d’hospitalité, puis celle de l’entretien d’« étudiants » : 94 Après avoir effectué cette oblation du bali, il doit tout d’abord nourrir un atithi. Qu’il donne aussi selon la règle l’« aumône » à un étudiant qui mendie (bhik‫܈‬ave […] brahmacƗri۬e336). 95 Le maître de maison dvija obtient en ayant donné l’« aumône » de manière conforme le même mérite que celui que l’on obtient en ayant donné une vache à un homme pauvre de manière conforme337.

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aumône prodiguée par les laïcs, il n’y a pas d’ascète, et conséquemment, pas de transmission de la doctrine sacrée » (ma traduction). Pour la signification du terme atithi dans ce contexte, cf. supra, p. 150, n. 67. BDhS 2.(7).13.5. YƗjñDh 1.108a. On peut aussi comprendre : « à un mendiant et à un étudiant ». Cf. la remarque d’Olivelle (2005), p. 260–261. MDh 3.94–95. Sur le terme agu (« qui ne possède pas de vache », « pauvre »), cf. Olivelle (2005), p. 261.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

Rappelons tout d’abord que – selon la vision classique du système – les brahmacƗrin ont pour obligation de vivre de ce qu’ils mendient, et plus exactement, du reste de la nourriture qu’ils auront apporté à leur maître338. Ils doivent rechercher une maison « convenable » pour y mendier leur nourriture et doivent évidemment pouvoir compter sur une préparation « correcte », c’est-à-dire non souillée, de la nourriture qu’ils rapporteront à leur maître. Dans notre texte, le fait d’accéder à la demande d’un étudiant est intégré à la pratique des sacrifices domestiques quotidiennement prescrits au maître de maison, quand bien même aucun des cinq sacrifices ne concerne spécifiquement l’entretien des étudiants. Cet amalgame n’apparaît pas – à ma connaissance – dans les dharmasnjtra. Cela témoigne peut-être d’une volonté de systématisation que l’on peut parfois constater au sein du traité de Manu, ou de l’ajout presque « transparent » d’une prescription obligatoire à un complexe rituel bien établi. Dans ce dernier cas, le texte se serait servi de l’existence de la tradition des « grands sacrifices », dont le bien-fondé ne saurait être discuté, afin de légitimer par son entremise une pratique sociale devenue impérative en raison de nouvelles conditions historiques. Il semble dans tous les cas que l’attention portée au donateur soit accrue dans le cas d’un étudiant ayant achevé sa formation (snƗtaka339). Pour Ɩpastamba, celui-ci ne doit en effet rechercher sa nourriture que dans la maison d’un brahmane, à l’exclusion explicite des trois autres var۬a340, restriction qui n’est pas formulée à l’égard du brahmacƗrin. Peut-être cette situation s’explique-t-elle par le caractère intermédiaire du statut de snƗtaka : celui-ci n’est désormais plus directement lié à un maître, et il doit d’autant plus prendre garde à la nature de ses relations sociales qu’il n’est plus sous le contrôle de son guru. Il faut aussi remarquer que c’est généralement auprès d’une femme que l’étudiant vient mendier. Comme le note Jamison, la femme se retrouve ainsi dans la position de celle qui donne, ce qui lui confère un certain pouvoir symbolique341. Il y a là une tension entre le fait que la femme n’est normalement pas autorisée à posséder des biens, et le contrôle qu’elle peut (au moins théoriquement) exercer sur ce qui est donné aux mendiants. La possibilité laissée à la femme de refuser la demande d’un mendiant est d’ailleurs discutée par le texte suivant : 26 Quand des femmes refusent [de donner à] un étudiant dévoué, [celui-ci] leur enlève leurs sacrifices, leurs dons, leurs oblations, leur descendance, leur bétail, leur connaissance védique, et leur nourriture. Ainsi, il ne faut assurément pas refuser même un groupe d’étudiants

338 Cf. Malamoud (1989), p. 21, qui renvoie à ƖpDhS 1.(1).4.1. 339 Cf. HistDh, vol. 2.1, p. 412–415. 340 ƖpDhS 1.(6).18.9. Cf. Prakash (1961), p. 51. De manière similaire, le passage de YƗjñDh 1.130 interdit au snƗtaka de rechercher sa nourriture auprès des groupes de personnes (hypocrites, sceptiques, hérétiques etc.) que MDh 4.30 exclut de la liste des gens à « honorer » dans une relation d’hospitalité. 341 Cf. aussi Jamison (1996b), p. 195.

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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venu mendier : parmi ceux-ci, il pourrait en être un de cette sorte, agissant ainsi342. C’est [ce que rapporte] un BrƗhma৆a343.

Ce passage fort instructif montre clairement que le principe des conséquences associées aux actes n’est – ici au moins – pas une affaire strictement individuelle : si la femme ne possède pas vraiment les différents objets évoqués par ce texte (le sacrifice, le don, la descendance, le bétail etc.344), elle est en mesure d’influer négativement sur ce qui appartient au foyer (c’est-à-dire, à son mari). Le noyau de la famille forme donc, en quelque sorte, une communauté de mérites auquel tout membre de la maisonnée contribue, en bien comme en mal. Sans doute la pratique de l’hospitalité (suivant les textes) s’inscrit-elle aussi dans le cadre de cette communauté de mérites. Si dans ce cas particulier, la femme semble contrainte d’accéder à la demande qui lui est faite, le mendiant se retrouve lui aussi fréquemment dans une posture inconfortable, et court le risque d’être dominé dans l’interaction345. Si en effet il dispose du pouvoir de forcer quelqu’un à lui donner l’« aumône » (par la menace de représailles), il ne peut pas refuser ce qu’on lui donne (y compris des plats qui ne lui conviendraient pas). Pour cette raison, sa position dans l’interaction sociale est éminemment délicate. Il y a par ailleurs une certaine honte à recevoir plutôt qu’à donner, et l’exercice de la mendicité imposée aux étudiants vise aussi le but pédagogique de l’humilité. Soulignons enfin que la mendicité telle qu’évoquée par nos textes n’a que peu en commun avec les notions de « charité » et d’hospitalité. Cependant, tout comme l’hospitalité, elle révèle certaines tensions « sociales » constitutives du système idéal décrit par les textes, dans la mesure où elle implique la prise de nourriture provenant d’autrui et un contact provisoire entre des gens appartenant virtuellement à différentes « classes ». 3.5 DIFFICULTÉS DE L’HOSPITALITÉ 3.5.1 La figure féminine Le sujet de la mendicité nous conduit assez naturellement à évoquer la place des femmes dans le cadre de l’hospitalité. Cette question, bien que rarement thématisée par les textes – exclusivement composés par des hommes brahmanes à 342 I. e. punissant la femme pour son refus. 343 ƖpDhS 1.(1).3.26. 344 Comme le dit bien Jamison (2002), p. 69 : « ‘Giving’ something might seem to require ‘owning’ it first – though this perhaps is one of the issues that needs clarification » (l’auteur souligne). Les éléments mentionnés ici ne font pas partie du strƯdhana – ce qui appartient en propre à la femme, et qui fait par ailleurs l’objet de discussions fort complexes (notamment quant au problème de l’héritage). Cf. Leslie (1989), p. 276–280, HistDh, vol. 3, p. 770–802 et Derrett (1984), p. 185. 345 Cf. Jamison (1996b), p. 195–203.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

l’attention d’un public masculin – est cependant centrale, car l’hospitalité implique par définition un foyer, et le foyer implique la présence d’une femme. Cette question est envisagée ici sous l’angle d’un « problème », car la différence de genre (de manière très similaire à la différence de « catégorie sociale ») a pour effet de compliquer significativement les interactions sociales. Jamison a bien montré que la femme pouvait représenter un enjeu critique de l’hospitalité, et qu’en certains cas, la relation entre le visiteur et la femme du maître de maison pouvait s’avérer éminemment sensible346. Puisque Jamison a plutôt examiné des textes narratifs, il est intéressant de se demander si cette question apparaît également au sein de nos traités de dharma. Dans nos textes, la figure féminine est doublement associée à l’hospitalité : (1) en tant qu’elle incarne le foyer domestique, elle occupe une position faisant que c’est usuellement elle qui reçoit les invités (ce qui est le cas, on s’en souvient, dans la relation aux mendiants)347. Par ailleurs (2), les textes se soucient de la question de son propre repas, et de son articulation avec le repas des hôtes. Abordons ces deux points dans l’ordre. (1) Pour la pratique proprement dite de l’hospitalité, la femme est souvent tacitement impliquée par les textes prescriptifs, puisque ceux-ci s’adressent généralement à un g‫܀‬hasta, marié par définition348. Elle est donc un prérequis aussi nécessaire à l’exécution d’un sacrifice qu’à la réception d’un hôte. Sa présence relève de l’adhikƗra requis pour la pratique d’un rite349. Ce fait est aussi confirmé par la mention assez fréquente du couple qui tient un foyer, avec une expression au duel, qui apparaît – semble-t-il – plus volontiers au sein des dharmasnjtra que des dharmaĞƗstra350. Le rôle déterminant de la femme est souligné par une clause 346 Cf. Jamison (1996b), p. 153–174 qui emprunte ses exemples à la littérature védique et au Mhbh (notamment : MS 4.8.1, KS 30.1 et ĝatBr 1.1.4.14 ; Mhbh 13.2.41 (éd. critique, vol. 17, p. 20–21)). 347 Findly (2002), p. 17 relève également son association, dans la relation hospitalière, avec la maison (« [T]he wife is identified with the house ; it is her resting place and sanctuary, and she is the representative of the domestic fire »), et son rôle dans l’‘aumône’. Cf. aussi Jamison (1996b), p. 255 : « Within the system of hospitality itself, we saw the woman giving alms to beggars and treating guests with appropriately hostly behavior. But as we also saw, this is not just a matter of pouring tea and making up beds. In story after story, the wife is forced into humiliating behavior or a demeaning position by a demanding guest. Her endurance (and her husband’s endurance in watching it happen) brings each story to a happy ending. » 348 Une règle du MƯmS (6.1.1–21) enseigne que le genre féminin est inclus dans les prescriptions formulées au masculin, pour autant que rien ne soit spécifié dans le contexte. Mais ce principe ne va assurément pas sans souffrir de nombreuses exceptions. Cf. sur les implications concrètes de cette règle de la MƯmƗূsƗ en lien avec le principe de l’adhikƗra, l’article de McGee (2002). Bien évidemment, le fait que la femme soit souvent sous-entendue dans les prescriptions ne revient pas à dire qu’elle possède le même statut que l’homme. 349 Ainsi MDh 3.103 (évoqué supra, p. 155) : le maître de maison est supposé posséder une femme et les feux. 350 Leslie (1989), p. 185 note de son côté : « This is a faint echo of the ‘two sacrificers’ of Vedic times, the ideal of the married couple participating jointly in their religious obligations. If they behave as they should, both are rewarded in heaven. » Elle oppose cette vision à MDh :

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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du traité StrƯdharmapaddhati de Tryambaka (très tardif, autour du XVIIIe siècle, mais se fondant sur de nombreuses sources anciennes) : si le mari n’est pas au domicile, sa femme a la possibilité de s’occuper d’un hôte venu à la maison351. À ma connaissance, aucun texte n’envisage la femme dans la position de la personne reçue (atithi), et comme nous l’avons noté, aucun terme sanscrit n’est attesté pour qualifier l’invitée : ce rôle est exclusivement réservé à des acteurs masculins. (2) Penchons-nous à présent sur le délicat problème des relations entre les invités et la femme du maître de maison. Le passage suivant de Manu évoque cette question et semble autoriser une relation entre la femme et les amis de son mari : 113 Même d’autres, des amis personnels etc., venus à sa maison en raison de leur affection, après avoir préparé au mieux de la nourriture, il doit les faire manger en compagnie de sa femme (saha bhƗryayƗ352).

Même s’ils ne sont pas considérés comme des atithi à part entière, les amis personnels qui viennent par affection ne doivent pas être repoussés, et doivent se voir proposer des plats préparés avec un soin particulier353. La mention de l’épouse (bhƗryƗ) est intéressante : il pourrait s’agir de l’une des rares occurrences évoquant explicitement l’activité de la femme dans l’accueil d’invités. En ce cas, le texte doit être compris de la manière suivante : « Lui, avec sa femme, doit les faire manger… » Mais l’interprétation des commentateurs traditionnels354 tout comme le contexte du passage suggèrent une autre lecture, à laquelle correspond notre traduction : contrairement à l’accueil d’un atithi ou d’autres personnes extérieures à la famille évoquées par les Ğloka qui précèdent, la réception d’amis peut impliquer ou légitimer une plus grande proximité avec la femme du maître de maison. Bien que cette clause puisse paraître contredire une règle formulée ailleurs355 selon laquelle la femme et son mari mangent ce qui reste après que les hôtes ont mangé – et la femme après son mari – il s’agit sûrement, dans ce cas précis, d’éviter que l’hôte reçu ne mange seul. La femme ne mange par conséquent pas avec les invités, mais est seulement en leur présence. Son mari peut donc lui demander d’assister au repas des amis – non des atithi – qu’il a invités, ce qui est une marque d’honneur. En règle générale, la femme est donc au service des invités et de son mari. Si sa présence est sous-entendue dans le cas de la réception d’un atithi, le contact social avec elle n’est encouragé que dans le cadre moins formel de la réception d’amis personnels. Dans tous les cas, et en tant que « non-initiée », la femme est seulement légèrement supérieure à un Ğnjdra, et ne possède pas d’indépendance

351 352 353 354 355

« In contrast, Manu’s rulings are couched in the masculine, without reference to the wife even in the dual form. Although it is clearly assumed that the wife must take care of the practical aspects of feeding the guest (see Manu III.103 […]), the responsability for the ritual rests on the husband. » Leslie (1989), p. 199 (cf. également Wilhelm (1996), p. 525). MDh 3.113. Sur le fait d’une préparation particulière de la nourriture, cf. Leslie (1989), p. 184. Notamment MedhƗtithi, ad loc. (éd. Jha, vol. 1, p. 255 ; tr. Jha, vol. 4, p. 132–133.) MDh 3.116. La même règle apparaît également en YƗjñDh 1.105.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

quant à l’exercice du dharma356. Cela explique qu’elle reste à disposition de son mari, et qu’elle ne puisse être trop proche d’hôtes prestigieux. Cela explique également le fait qu’elle ne partage le repas ni avec les invités, ni avec son mari, mais qu’elle fasse ordinairement ses repas des restes de ce dernier. Force est enfin de constater qu’au sein des traités normatifs, la question de la femme n’est pas réellement considérée comme un problème, contrairement à d’autres textes de la littérature indienne, au genre plus narratif. Cela est sans doute dû au fait que du point de vue légal d’hommes brahmanes écrivant pour une audience masculine, la position de la femme est relativement insignifiante357. 3.5.2 L’hôte reçu est d’un autre var۬a que brahmane Dans l’optique des textes, une différence qualitative majeure sépare l’hospitalité s’adressant à un brahmane de celle prodiguée à un non-brahmane (quel qu’il soit, à l’exception du cas des intouchables). Les textes traitent généralement du premier cas, celui de l’hospitalité due à un brahmane, et restent très circonspects, voire silencieux quant au second cas. On peut concevoir plusieurs explications à ce fait : les textes recherchant souvent la concision, il n’est pas rare que seule la règle relative aux brahmanes soit donnée, les prescriptions concernant les autres var۬a en découlant par extension, mutatis mutandis358. Mais il est aussi clair que le sujet de l’hospitalité à un brahmane représente un enjeu particulier, plus important aux yeux des textes que les différentes situations d’hospitalité se déroulant entre membres des autres var۬a. La présence d’un brahmane rend l’hospitalité très similaire – formellement comme fonctionnellement – à un rituel ou à un sacrifice, ce qui en accroît le caractère impératif. En l’absence d’un brahmane dans le rôle de l’invité, l’hospitalité relèvera plus volontiers d’une simple possibilité, voire dans certains cas, d’un problème. Le var۬a demeure un principe récurrent selon lequel les textes distinguent les différentes situations d’interactions sociales. L’importance de ce critère est perceptible jusque dans les énoncés « phatiques », tels que la salutation, qui se déclinent de la manière suivante : 40 Un atithi [est] d’un autre village, il reste pour une nuit, et arrive quand le soleil est audessus des arbres. 41 [Il doit lui poser] la question [suivante : s’il est] en bonne forme, en bonne santé, ou sans maladie ; 42 la dernière [formule] est pour un Ğnjdra359.

Ces formules s’appliquent respectivement aux membres des quatre différents var۬a360. Le texte présuppose donc que ces contacts sont possibles et prévoit un 356 357 358 359 360

Cf. GDhS 18.1 et HistDh, vol. 2.2, p. 574–582. Ainsi Olivelle (1993), p. 186. Sur ce point, cf. Olivelle (2005), p. 12. GDhS 5.40–42. Ainsi Kane, HistDh, vol. 2.2, p. 753 : « Gaut. V.37-38 [=GDhS 5.41–42] says that guests of the brƗhma৆a, kৢatriya and vaiĞya castes should be respectively greeted with the words kuĞala, anƗmaya and Ɨrogya and the Ğnjdra also with Ɨrogya. »

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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protocole de salutation pour chaque situation. Plus important, il est également prévu de recevoir ces différents visiteurs avec de la nourriture : 11 Le soir et le matin, qu’il tienne à disposition de la nourriture, et qu’avec cette nourriture, il présente l’oblation aux viĞvedeva, et qu’il honore de son mieux les brahmanes, les k‫܈‬atriya, les vaiĞya et les Ğnjdra qui sont venus à lui (abhyƗgatƗn361).

Le maître de maison est donc encouragé à conserver chez lui de quoi nourrir des visiteurs, brahmanes, k‫܈‬atriya, vaiĞya ou Ğnjdra qui se présenteraient auprès de lui. La mention des Ğnjdra au sein des deux passages est étonnante : il est en effet assez inhabituel que les textes témoignent de prévoyance à leur égard. On remarquera que le terme atithi n’est ici pas employé362 : il s’agit seulement de « ceux qui sont venus », les abhyƗgata. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le relever, la terminologie est importante, et le statut d’atithi semble exclusivement réservé au brahmane. Ainsi du passage suivant, que nous avions déjà évoqué : « 110 Mais un k‫܈‬atriya [qui vient] dans la maison d’un brahmane n’est pas appelé un atithi ; ni un vaiĞya, ni un Ğnjdra, ni un ami, ni des membres de la famille, et pas non plus le maître363 ». Tout en restreignant l’emploi du terme atithi, le texte mentionne plusieurs sortes d’interactions sociales manifestement possibles. L’exclusion du statut d’atithi ne relève donc pas nécessairement d’un jugement dépréciatif, comme nous l’avions d’ailleurs constaté au travers de l’exemple de l’argha. Le texte poursuit : 111 Mais si un k‫܈‬atriya vient dans la maison [d’un brahmane] avec une prétention à l’hospitalité (atithidharme۬a), [le maître de maison] peut librement le nourrir (bhojayet), après que les brahmanes ont mangé364.

Rien n’empêche donc de recevoir un k‫܈‬atriya venu avec « une prétention à l’hospitalité » (atithidharma), même s’il ne s’agit nullement là d’une obligation. Cette possibilité ne doit cependant pas empiéter sur l’obligation de recevoir un atithi brahmane, qui a la priorité sur toutes les autres sortes d’invités. Soucieux de maintenir une distinction entre l’hospitalité due aux brahmanes et celle offerte aux non-brahmanes, le commentateur distingue le fait d’honorer un hôte et celui de lui donner à manger. Dans le cas présent, tout geste d’hospitalité autre que le fait de donner à manger est exclu par la mention explicite du verbe bhojayet, « qu’il le nourrisse365 ». Le texte poursuit :

361 BDhS 2.(3).5.11. 362 Le texte de GDh pourrait éventuellement être interprété comme élargissant le statut d’atithi au Ğnjdra. Le lien entre les deux snjtra est cependant relativement faible, car la partie évoquant les diverses formules de salutation ressemble à une citation. Ces différentes formules se retrouvent d’ailleurs en MDh 2.127, qui n’entretient pas de lien direct avec la thématique de l’hospitalité. 363 MDh 3.110. 364 MDh 3.111. 365 MedhƗtithi ad loc. (éd. Jha, vol. 1, p. 254 ; tr. vol. 4, p. 130–131).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

112 Même un vaiĞya et un Ğnjdra qui ont approché de son foyer avec une prétention à l’hospitalité (atithidharmi۬au), il doit les faire manger avec ses serviteurs, en leur témoignant [ainsi] sa compassion366.

De même que le k‫܈‬atriya, le Ğnjdra et le vaiĞya peuvent légitimement rechercher l’hospitalité auprès d’un maître de maison. Dans ce cas, ils pourront certes être reçus et nourris, mais après toutes les autres personnes à la charge du maître de maison (cependant avant le maître de maison et sa femme). Le fait de les recevoir ne relève donc pas d’un devoir ou du respect qu’on leur porte, mais d’une simple faveur367. Les vaiĞya et Ğnjdra évoqués dans ce dernier passage sont manifestement placés au-dessous du k‫܈‬atriya, puisqu’ils mangeront avec les serviteurs, et que ce n’est qu’en raison de la « compassion » du maître de maison qu’ils reçoivent à manger368. La suite du texte de Gautama examiné plus haut enseigne une règle tout à fait similaire à celle de Manu 3.110 : un non-brahmane n’est en principe pas considéré comme l’atithi d’un brahmane. Une exception est cependant évoquée : « 43 S’il est venu quand il n’y a pas de sacrifice, un non-brahmane n’est pas l’atithi d’un brahmane369 ». Un non-brahmane peut donc exceptionnellement être reçu en tant qu’atithi à l’occasion d’un sacrifice – ce qui relève probablement d’une question de prestige. De manière quelque peu surprenante, la suite du passage décrète : « 44 La nourriture du k‫܈‬atriya [doit être] de meilleure qualité que celle des brahmanes ; 45 [qu’il nourrisse] les autres avec les serviteurs, dans un esprit de ‘compassion370’ ». Pourquoi le k‫܈‬atriya devrait-il se voir proposer une nourriture de meilleure qualité que celle des brahmanes ? La réponse la plus simple à cette question consiste à supposer qu’en raison des tâches qui lui incombent, le k‫܈‬atriya a droit à un repas plus nourrissant que celui des brahmanes371. Cela n’implique pas nécessairement qu’il soit « mieux traité » qu’un brahmane, ce qui serait contraire à la logique générale du système décrit par nos textes. Par ailleurs, le texte laisse clairement entendre que les « autres » (c’est-à-dire, très certainement, les vaiĞya et les Ğnjdra) peuvent être nourris, pour la même raison que celle invoquée 366 MDh 3.112. 367 Sur ce texte, Wezler (1978), p. 89–90 cherche à montrer qu’il y a un souci à l’égard de l’ensemble des êtres vivants, peut-être influencé par le bouddhisme (« Im Hinblick auf zumindest einige dieser Zeugnisse wird man jedoch zu Recht einwenden, daß sie offensichtlich das Ergebnis einer sekundären und […] zusätzlichen Ethisierung darstellen, bei der entsprechende buddhistische Vorstellungen eine Rolle gespielt haben können », p. 90). Cf. Bodewitz (1980), p. 240 pour une critique de cette interprétation de Wezler. 368 Avec Wilhelm (1996), p. 524 on peut observer que « vaiĞyas and Ğnjdras belong closer together than the concept of the three aryan castes might suggest. » Notons cependant que cela n’est pas systématiquement le cas : en MDh 8.411, les k‫܈‬atriya sont placés aux côtés des vaiĞya (un k‫܈‬atriya et un vaiĞya pauvres doivent similairement se voir proposer du travail par un brahmane avant de recevoir l’hospitalité). 369 GDhS 5.43. 370 GDhS 5.44–45. 371 Cela est conforme au principe selon lequel la quantité de nourriture composant le repas d’un homme doit correspondre à son activité : ƖpDhS 2.(4).9.13, BDhS 2.(7).13.7 et VDhS 6.20.

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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dans le texte de Manu : la « compassion », ce qui ne revient pas à leur « faire honneur ». Ils doivent au contraire être traités comme les serviteurs du maître de maison, dans l’ordre de priorité du repas. Ce principe revient au sein de quelques passages parallèles, à l’image du texte suivant : 19 Qu’il emploie un Ğnjdra s’étant présenté pour un travail, et qu’il lui donne ensuite [la nourriture]. 20 Ou autrement, que les serviteurs honorent le Ğnjdra comme un atithi, après avoir apporté [des provisions appartenant] au foyer372 de leur maître (rƗjakulƗd373).

Le Ğnjdra doit ainsi gagner, par un peu de travail, la nourriture qui lui sera dispensée. On notera l’autre solution : l’hospitalité à un Ğnjdra peut être déléguée aux serviteurs (sans doute eux-mêmes Ğnjdra) de sorte que la relation se déroule entre membres d’une même classe. Dans ce cas, les serviteurs recevront le Ğnjdra comme un atithi, et mimeront une réception hospitalière « régulière » – mais factice – se déroulant entre un dvija et un visiteur brahmane. Il faut enfin relever une particularité concernant les Ğnjdra et la possibilité ou non de leur donner les restes (ucchi‫ܒ܈‬a). Deux textes de Manu semblent apparemment contradictoires : alors que Manu 4.80 prescrit de « ne jamais donner son avis, ses restes ou ce qui a été préparé pour une oblation à un Ğnjdra », Manu 10.125 décrète au contraire qu’un maître de maison doit donner ses restes de repas aux Ğnjdra374. Cette contradiction est relevée par un commentateur qui explique qu’il convient de distinguer plusieurs sortes de Ğnjdra ou plusieurs sortes de restes : la prohibition peut ainsi s’appliquer à un Ğnjdra qui n’est pas intègre, alors que l’autorisation (voire même la prescription) concernerait un Ğnjdra honnête ou un membre (serviteur) de la maisonnée375. Les deux passages pourraient également faire référence à différentes sortes, plus ou moins pures d’ucchi‫ܒ܈‬a, étant entendu que ceux-ci ne peuvent être donnés s’ils sont trop purs376. 372 Olivelle (2000), p. 81, traduit « from the royal store », ce qui est conforme à Kane (HistDh, vol. 2.2, p. 753) qui explique que si le maître de maison n’a pas de nourriture pour le Ğnjdra, il doit envoyer ses serviteurs en rapporter de l’« entrepôt royal », et qui relève l’interprétation du commentateur : « Haradatta makes the interesting remark that for honouring Ğnjdra visitors, the king should set apart in each village some paddy or other corn. » Mais cette interprétation est curieuse (pourquoi le « roi » devrait-il donner de ses provisions à des serviteurs venus d’une autre maison ?). Il est peut-être plus logique de comprendre rƗjan dans un sens figuré, en opposition à dƗsa : le maître (rƗjan) et son serviteur (dƗsa), d’autant que kula ne signifie usuellement pas l’entrepôt, mais bien la famille. 373 ƖpDhS 2.(2).4.19–20. Voir aussi le passage parallèle en BDhS 2.(3).5.14. 374 Ce qui apparaît aussi en MDh 5.140 où il est prescrit aux Ğnjdra de manger les restes des dvija. Cf. aussi VDhS 11.10 : il peut donner à manger au Ğnjdra. 375 MedhƗtithi ad loc. (éd. Jha, vol. 1, p. 359–360 ; tr. vol. 4, p. 374). Cf. ƖpDhS 1.(11).31.22 et Malamoud (1989), p. 15 : l’interdiction s’applique aux Ğnjdra qui ne dépendent pas du brahmane maître de maison. Il est cependant possible de laisser ses restes aux Ğnjdra appartenant à la maisonnée, pour autant que ceux-ci soient préalablement souillés, par exemple par l’ajout de fragments de nourriture restés crochés entre les dents. 376 Sur l’ambivalence de la notion d’ucchi‫ܒ܈‬a et sa distinction avec le terme voisin Ğe‫܈‬a, cf. l’article de Malamoud (1989), notamment p. 25 (n. 46 : Ğe‫܈‬a est plus général qu’ucchi‫ܒ܈‬a, mais les deux peuvent désigner les restes de nourriture, purs et impurs). PW, vol. I, p. 874 mentionne deux acceptions du terme ucchi‫ܒ܈‬a, en précisant pour le sens d’« impur » : « An

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

3.5.3 Le cas de l’« hérétique » Qu’en est-il d’un visiteur qui serait hérétique, c’est-à-dire en marge de la tradition brahmanique et / ou en marge du système des var۬a ? Peut-il être invité ? Le texte suivant donne une réponse claire, tout en rappelant le devoir d’hospitalité à l’égard d’un atithi : 29 Qu’aucun atithi ne reste dans sa maison sans être honoré du mieux qu’il peut par un siège, de la nourriture, un lit, de l’eau ou encore des racines et des fruits. 30 Qu’il n’honore pas (nƗrcayet), même par une simple salutation, les hérétiques (pƗ‫܈‬a۬‫ڲ‬inas), ceux qui poursuivent des activités illicites (vikarmasthƗn), ceux qui ont fait le « vœu du chat » (bai‫ڲ‬ƗlavratikƗn), les hypocrites (Ğa‫ܒ‬hƗn), les sceptiques (haitukƗn), et ceux qui agissent comme les hérons (bakav‫܀‬ttƯn377).

Tout atithi doit par conséquent être honoré, à l’exception stricte de certaines classes de personnes, à la fois exclues du statut d’atithi et écartées de la possibilité d’un simple contact. Il faut relever que cette mise en garde contre les courants hérétiques n’est pas formulée dans les listes apparaissant au sein des dharmasnjtra378. On ne doit pas nécessairement y voir la marque d’une évolution historique dans le contexte de la composition de ces traités. Il est peut-être préférable d’invoquer la question de l’audience respective des textes (ce qui n’exclut d’ailleurs nullement la possibilité d’un changement historique) : alors que les dharmasnjtra s’adressent à un public restreint, Manu revendique une portée plus large et vise un public se trouvant en contact avec des mouvements « hérétiques ». Le terme pƗ‫܈‬a۬‫ڲ‬in – traduit ici par « hérétique » – n’est pas explicité ou spécifié, et peut dès lors désigner toute sorte de mouvement hétérodoxe, comme les Bouddhistes, les Jaïns ou encore les ƗjƯvika. Le problème concerne bien le contact avec des gens adeptes de traditions hétérodoxes (donc situés « à l’extérieur » du courant brahmanique379). Les catégories mentionnées ensuite visent quant à elles plutôt le problème d’opinions ou de comportements douteux380. Ainsi des vikarmastha (« ceux qui

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dem noch ein Rest von Speise (im Munde, an den Händen) haftet, der nach vollbrachter Mahlzeit sich noch nicht den Mund gespült und die Hände gewaschen hat und sofern unrein ist. » Cf. aussi Olivelle (2000), p. 475, en référence au commentaire de MedhƗtithi ad MDh 4.80 qui évoque quatre acceptions d’ucchi‫ܒ܈‬a : le terme peut qualifier (1) le mangeur, la nourriture mangée et l’assiette, en raison du contact entre la nourriture et la bouche ; (2) ce qui reste dans le plat à partir duquel quelqu’un a été servi, car la nourriture du plat a été en contact avec la nourriture sur le point d’être mangée ; (3) ce qui reste dans la casserole ; (4) une personne après qu’elle a fait ses besoins naturels, et avant de se laver. MDh 4.29–30. Ainsi GDhS 15.16–21 et ƖpDhS 2.(7).17.4–10, qui dressent une liste de personnes à ne pas recevoir lors d’un ĞrƗddha, mais qui n’évoquent pas le cas des membres de courants hétérodoxes. Le problème n’est pas non plus évoqué en BDhS et VDhS. Olivelle (1993), p. 195 montre que les renonçants non légitimes (quelle qu’en soit la raison) forment une classe particulière aux yeux de l’orthodoxie brahmanique. Wilhelm (1996), p. 524 note : « We should notice that exclusions are not made on account of the caste system but with regard to moral standards : dissidents and wicked people must not be invited. » Il faut cependant prendre garde à ne pas confondre le critère de l’appartenance à

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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poursuivent des activités illicites ») qui désignent, selon le commentateur MedhƗtithi, ceux qui ne se comportent pas conformément à leur classe. Les bai‫ڲ‬Ɨlavratika (« ceux qui ont fait le ‘vœu du chat’ ») seraient ceux qui pratiquent les rites prescrits pour obtenir un avantage personnel381. Les Ğa‫ܒ‬ha (« hypocrites ») se rapporteraient, toujours selon MedhƗtithi, aux vrais hypocrites dont le discours et les actes ne s’accordent pas aux pensées. Les haituka (« sceptiques ») qualifieraient les « logiciens » ou les « sophistes », mettant par exemple en doute la nécessité de pratiquer les sacrifices382. Enfin, ceux qui se comportent à la manière de hérons (bakav‫܀‬tti) correspondraient à une autre sorte d’hypocrites, feignant la défaite pour prendre l’avantage383. La mise à l’écart de ces différents groupes sociaux est au surplus renforcée par la théologie des mérites : un principe énoncé ailleurs en Manu384 décrète précisément que le fait de donner à un bai‫ڲ‬Ɨlavratika ou à un bakav‫܀‬tti affecte négativement à la fois le donneur et le donataire après la mort. Relevons encore un élément du commentaire de MedhƗtithi. Celui-ci explique que faire honneur (arc) ne revient pas à donner l’hospitalité. En conséquence, il admet la possibilité de donner à manger ou à boire à un visiteur « hérétique » sans l’honorer. Il poursuit : même pendant la journée (et donc, pas seulement à l’heure des repas), la présence de certaines de ces personnes est inévitable. On ne peut simplement se soustraire à leur demande, car elles pourraient bien exercer des représailles385. Dans ces différents exemples, se reflètent clairement les ambiguïtés des rapports sociaux menés avec des groupes se situant aux limites du mouvement brahmanique. Les textes sont manifestement soucieux de réserver la relation domestique à des personnes issues d’un milieu relativement similaire.

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un mouvement hétérodoxe et celui de la « moralité ». La question de l’hétérodoxie ne saurait se réduire à une question de « moral standards ». Le terme est expliqué en MDh 4.195. Cf. MitƗkৢarƗ ad YƗjñDh 1.130 (éd. Shastri, p. 217, tr. Vidyarnava, p. 243) qui explique qu’il s’agit de celui qui met, par sa raison, tout en doute. Selon Doniger (1994), p. 48, les hérons sont souvent décrits comme feignant la passivité (ou l’invalidité) pour tromper le poisson (cf. Pt 1.5.198–221, l’histoire du héron et de l’écrevisse), et sont associés aux « rationalistes ». Le terme est aussi expliqué en MDh 4.196 : un dvija qui affiche tristesse et désespoir, mais qui en fait est de nature cruelle et ne poursuit que ses propres intérêts est un homme ayant fait le « vœu du héron ». MDh 4.193. MedhƗtithi ad MDh 4.30 (éd. Jha, vol. 1, p. 342 ; tr. vol. 4, p. 336). Falk (1994), p. 315, évoque une situation relativement similaire : le texte de KauĞS 104 et 105 (13.12–13) qu’il cite enseigne des mantra permettant de repousser un hôte (brahmane, dans ce cas précis) hostile ou agressif.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

3.5.4 Le donataire est un « intouchable » Sur le plan social et dans le système présenté par les textes, les plus défavorisés sont très certainement les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla (et les Ğvapaca) qui, en raison de leur mise à l’écart complète de la communauté, sont de facto exclus de toute possibilité d’interaction sociale. Manu prohibe explicitement toute sorte de relation d’hospitalité dans les deux sens (le cƗ۬‫ڲ‬Ɨla comme invité ou comme « maître de maison »)386 et détaille les conséquences funestes s’abattant sur quiconque s’associe avec un hors-caste. Les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla et Ğvapaca sont dès lors condamnés à vivre en autarcie, à l’écart du village, ainsi que le relève la stance suivante : 53 Un homme respectant le dharma ne doit pas rechercher un contact (samayam) avec eux [i. e. les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla et Ğvapaca mentionnés plus haut]. Leurs affaires [doivent rester] entre eux seulement, et le mariage [doit se conclure] avec leurs égaux387.

Le fait de donner à manger à un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla qui se présenterait comme un mendiant est donc inconcevable dans le système décrit par le texte. Le terme samaya, qui exprime l’objet de l’interdiction, désigne en effet d’une manière générale toute sorte de relation, personnelle ou contractuelle. Quand aucun contact personnel n’entre en jeu, le problème peut cependant se poser différemment, mais cela ne relève plus de l’hospitalité au sens où les textes la définissent, et au sens où nous l’avons définie au début de ce travail. Ainsi, dans Ɩpastamba388 : « 5 Qu’il fasse en sorte que tous aient leur part [à la fin du] vaiĞvadeva, jusqu’aux chiens et aux cƗ۬‫ڲ‬Ɨla. 6 Certains déclarent qu’il ne doit pas donner aux gens sans valeur389. » Cette règle figure également en Manu : « Il doit offrir délicatement sur le sol [de la nourriture] pour les chiens, les gens déchus, les Ğvapac, les malades, les oiseaux et les vers390. » Dans ces deux textes, il ne faut bien sûr pas voir un engagement général à la « charité » : c’est dans la seule mesure où ils sont des « êtres » – tout comme les oiseaux et les vers – que les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla sont susceptibles de bénéficier d’une part de nourriture à la fin du vaiĞvadeva. Selon le texte d’Ɩpastamba, cet avis ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, puisqu’il est contesté par « d’autres ». L’idée d’assister les « êtres » est parfois associée au principe de l’Ɨn‫܀‬Ğaۨsya (la « bienveillance »), qui consti-

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Par exemple, MDh 11.185 (cf. Olivelle (2005), p. 34). MDh 10.53. ƖpDhS 2.(4).9.5–6. Cf. aussi BDhS 2.(3).5.11 et Mhbh 3.2.57 (éd. critique, vol. 3, p. 11). Friedrich (1993), p. 164–165 estime que « Der Dat. Pl. ĞvƗ-cƗ۬‫ڲ‬Ɨlebhyo‫( ۊ‬sic) ist zum folgenden Verb im nächsten snjtra zu ziehen (na dadyƗt). […] Bühler beachtet den Wechsel vom Akk. zum Dat. nicht », ce qui soustrait les chiens et les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla de la prescription générale pour en faire des exemples de l’exception. Cette lecture (que ne partagent pas Bühler et Olivelle) est problématique pour deux raisons : (1) les passages parallèles (notamment MDh 3.92) confirment bien la pratique de laisser de la nourriture à disposition de ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, et (2) la grammaire ne pose aucun problème : il convient de suppléer un Ɨ (« jusqu’à ») avant la forme ĞvacƗ۬‫ڲ‬Ɨlebhya‫ ۊ‬qui n’est pas un datif mais un ablatif. 390 MDh 3.92.

3.5 Difficultés de l’hospitalité

211

tue une possibilité laissée au libre arbitre du maître de maison mais certainement pas une obligation. Cette prescription peut également se comprendre a contrario : il n’y a en effet qu’un nombre limité de solutions quant à la manière de traiter les restes subsistant après le repas du maître de maison, dont se compose en principe la nourriture laissée aux cƗ۬‫ڲ‬Ɨla et aux chiens. Ces restes ne peuvent être simplement jetés, en raison de la valeur intrinsèque de la nourriture ; ils ne sont normalement pas consommés par le maître de maison plus tard (mais il n’y a pas d’objection fondamentale à cette possibilité, sinon le problème sanitaire de la conservation des denrées alimentaires) et ils ne sont pas non plus volontiers donnés à des amis (ce qui serait perçu comme malpoli). Les laisser à disposition des démunis constitue donc une solution commode qui présente un désagrément moindre que les autres possibilités. Dans certains cas, le principe de l’Ɨn‫܀‬Ğaۨsya est compris d’une manière plus figurée : le terme peut évoquer la bienveillance des brahmanes, reconnus comme les véritables possesseurs de la nourriture, et la mettant gracieusement à disposition de tous les hommes. Dans cette perspective, les non-brahmanes sont considérés comme les destinataires de la bienveillance des brahmanes, exactement comme des cƗ۬‫ڲ‬Ɨla peuvent bénéficier de la bienveillance d’un maître de maison. C’est ce que décrète le Ğloka suivant : 101 Le brahmane ne mange jamais que ce qui est à lui (svam eva), s’habille de ce qui est à lui et donne ce qui est à lui ; c’est par l’Ɨn‫܀‬Ğaۨsya du brahmane que les autres personnes mangent391.

Ce dernier passage peut être compris de deux manières : soit le svam est restrictif (« il ne mange que ce qui est à lui, et par conséquent, ne mange pas ce qui ne lui appartient pas »), soit, de manière plus probable en raison du contexte, il faut comprendre que toute nourriture, tout vêtement et tout objet sont originellement possédés par les brahmanes. C’est bien l’interprétation qu’en livre Olivelle392, qui relève que quand un brahmane mange, en tant qu’invité, le repas préparé par une autre personne, il ne fait en somme rien d’autre que manger de sa propre nourriture. Dans cette perspective, le maître de maison ne donne pas mais ne fait jamais que rendre ce qui lui est généreusement prêté. Cette idée est aussi liée au principe selon lequel toute possession est destinée à être sacrifiée, et que ce sont les brahmanes qui réalisent cette transaction assurant la bonne marche du monde393. De manière similaire, le traité de Vasiৢ৬ha laisse entendre que le brahmane atithi est comme un feu : grâce aux rites sacrificiels pratiqués par son intermédiaire, on obtient la pluie ; et par la pluie on obtient la nourriture394. La nourriture serait donc indirectement dépendante de l’activité rituelle des brahmanes, et ces derniers 391 MDh 1.101. La première partie du Ğloka apparaît telle quelle en Mhbh 12.73.11a (éd. critique, vol. 13, p. 349). 392 Olivelle (2005), p. 242 ad MDh 1.101 : « [I]f the whole world belongs to the Brahmin de jure, then whatever he eats cannot but be his own. » 393 Olivelle (2005), p. 242. 394 VDhS 11.13.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

feraient preuve de « bienveillance » (Ɨn‫܀‬Ğaۨsya) dans l’accomplissement des tâches qui leur incombent. Cette « bienveillance » est en grande partie rhétorique et une application rigoureuse de ce principe – qui légitime le vol de la part des brahmanes395 – aboutirait à la désintégration de l’ordre social. Il s’agit là, comme le note Parasher396, d’un discours visant clairement à défendre la position des brahmanes en leur attribuant, et de manière très exagérée, une position de supériorité. Cela est peut-être le signe d’une réalité bien différente, plutôt défavorable à la corporation brahmanique, précisément contrainte d’élaborer de tels discours à tonalité apologétique afin de défendre sa position dans la société. Par ces différentes prescriptions, les textes prennent d’abord soin de séparer clairement la société idéale qu’ils décrivent de groupes marginaux – par là même confirmés dans leur marginalité. Les textes ne peuvent cependant pas nier le principe selon lequel les membres de ces mêmes groupes appartiennent à la classe plus générale des « êtres » – font donc partie du « cosmos » – ce qui implique qu’il est encouragé de manifester une certaine bienveillance à leur égard. Enfin, par une « homologie397 » fréquente dans le discours brahmanique, ce modèle de bienveillance peut être transposé à une autre échelle : de même qu’un maître de maison témoigne de bienveillance en laissant de la nourriture à l’attention de groupes marginaux, de même le brahmane témoigne-t-il de bienveillance à l’égard de tous les êtres, car c’est lui qui est le garant de la bonne marche du monde et qui est spécifiquement responsable de la production de nourriture. Dans tous les cas, c’est un principe hiérarchique fort qui est ici affirmé : celui qui fait preuve de bienveillance se déclare par là même supérieur à celui qui en est l’objet. Penchons-nous à présent sur un cas « limite » qui semble précisément contredire ce principe hiérarchique : le cas dans lequel l’hôte invitant n’est ni brahmane, ni k‫܈‬atriya, ni même vaiĞya. 3.5.5 L’hôte invitant n’est pas dvija Comme nous l’avons déjà vu, le brahmane est confronté à deux impératifs contradictoires : celui d’accepter les dons ; et celui de protéger son « intégrité » et sa pureté398. Évidemment, le problème est d’autant plus aigu que celui qui invite est situé au bas de l’échelle des var۬a, à partir de la catégorie de Ğnjdra399.

395 Cf. pour un exemple MDh 11.11–15 qui justifie le vol auprès de Ğnjdra ou de vaiĞya afin d’exécuter un sacrifice. 396 Parasher (1991), p. 27. 397 Sur ce principe « homologique », voir Lincoln (1986), p. 1–40. 398 Cf. Malamoud (1989), p. 38. 399 HistDh, vol. 2.2, p. 788.

3.5 Difficultés de l’hospitalité

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La règle générale est qu’un brahmane (en général) ne saurait recevoir de la nourriture d’un Ğnjdra400. Un traité normatif l’indique en effet clairement : un brahmane doit éviter la nourriture d’un homme « sans feu », ce qui est précisément le cas du Ğnjdra401. L’interdiction n’est pas seulement formulée d’une manière générale au sujet des Ğnjdra mais porte spécifiquement sur un certain nombre de métiers, traditionnellement occupés par des Ğnjdra (comme celui de tailleur ou de lavandier). À noter toutefois que la suite du texte autorise de recevoir de la nourriture de la part d’un nombre limité de Ğnjdra désignés en fonction de leur activité : un serviteur, un fermier, un ami de la famille, un coiffeur ou un homme pauvre se constituant serviteur du maître de maison. Toutes ces activités ont part liée avec le bon fonctionnement (agricole, économique ou domestique) du foyer, et ne sauraient impliquer la préparation ou la cuisson d’aliments. Le refus de nourriture est aussi incidemment évoqué au sujet d’un k‫܈‬atriya, qui devrait donc s’abstenir de manger de la nourriture qui lui serait proposée par un Ğnjdra402. Pour un texte du MahƗbhƗrata403, cependant, de la nourriture qui ne serait ni préparée ni cuite (comme de l’eau ou du lait) provenant d’un Ğnjdra est éventuellement acceptable404. Concernant le cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, la règle générale est que l’on ne peut recevoir de sa part aucune nourriture (cuisinée ou non) ou de l’eau. On trouve cependant en Manu une clause laissant entendre qu’il est concevable, dans certains cas extrêmes, 400 Sharma (1980), p. 283–286. Sharma voit une évolution négative de l’époque védique jusqu’aux Ve–VIe siècles de notre ère dans les possibilités de transactions avec les Ğnjdra. Bien que l’ouvrage de Sharma ne soit pas idéologiquement neutre, une telle évolution n’est pas complètement impossible : cf. HistDh, vol. 2.2, p. 789, qui montre que c’est plutôt dans les traités « récents » (VDhS, MDh, YƗjñDh) que les possibilités de transaction avec les Ğnjdra sont limitées au minimum. Mais cette question peut aussi simplement s’expliquer par les audiences respectives des textes. 401 YƗjñDh 1.160–165. 402 Ainsi Mhbh 13, éd. critique, vol. 17.2, Ap. 1.14a, p. 918, l. 1–12, qui compare la nourriture des Ğnjdra à des excréments humains. 403 Mhbh 14, éd. critique, vol. 18, Ap. 1.4, p. 434, l. 2436–2439. 404 Cf. HistDh, vol. 1.1, p. 256–259. Sur ce fait, les traditions jaïn et bouddhiste se distinguent très nettement du brahmanisme : les moines jaïns peuvent accepter de la nourriture de la part de familles de basse condition, comme celles d’ébénistes ou de couturiers (ƖcS 2.1.2.2) et un moine bouddhiste peut recevoir de la nourriture ou être invité à partager un repas auprès d’un foyer appartenant à n’importe lequel des var۬a. Selon Vin (3.184–185, 4.80, 4.177, 4.272), un moine peut rechercher sa subsistance auprès de quatre sortes de foyers : les familles nobles, les familles de brahmanes, les familles de marchands et les familles de la classe inférieure. Fick (1972 [1897]), p. 319 relève toutefois : « That the food left by a Ca৆ঌƗla is impure, is not a purely Brahmanical view. In the introduction to the Satadhamma JƗtaka (2.82), Buddha explains to the monks that for the followers of his doctrine the eating of food obtained in an unlawful manner is like eating the table leavings of a Ca৆ঌƗla. » Dans ce dernier cas, la fréquentation d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla ne relève pas tellement d’un problème « religieux » que d’une simple question de mœurs : la nourriture d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla est réputée dégoûtante. La question de l’élitisme brahmanique reste cependant un sujet classique de polémique entre brahmanes et bouddhistes. Pour des arguments relatifs à la critique bouddhique de la structure du système des var۬a, cf. Eltschinger (2000).

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

d’accepter de la nourriture de la part d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla. Ainsi : « Celui qui, en danger de mort, mange de la nourriture reçue d’une quelconque personne, n’est pas plus entaché de faute que le ciel par la boue405 ». Il s’agit là d’un procédé classique, visant à autoriser des actions autrement interdites, dans un temps de détresse (Ɨpaddharma). Le texte de Manu illustre ce principe en faisant allusion à un épisode que l’on rencontre par ailleurs dans le MahƗbhƗrata406, relatant l’entretien entre le ‫܈܀‬i ViĞvƗmitra407 et un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla. Dans le cadre d’une famine extrême, située dans un lointain passé entre les âges tretƗ et dvƗpara, ViĞvƗmitra, affamé et n’ayant trouvé de nourriture auprès d’aucune maison convenable, se trouve contraint de recourir aux services d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla. Plus exactement, il cherche à voler de la viande de chien appartenant à un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla afin d’en faire son repas408. Ce faisant, il est triplement en contradiction avec la loi : par le contact indirect avec un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, par l’action de voler, et par la consommation d’une nourriture intrinsèquement impure (la viande de chien). Ainsi, résume Manu (qui présuppose la connaissance de cet épisode auprès de son audience), « ViĞvƗmitra, sachant [pourtant] distinguer entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, tourmenté par la faim, en vint à manger une cuisse de chien, après l’avoir prise de la main d’un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla409 ». De manière assez piquante, et pour préserver son bien, c’est le cƗ۬‫ڲ‬Ɨla qui se fait l’avocat de la position brahmanique. Son « hôte » malgré lui, ViĞvƗmitra, ne devrait pas s’abaisser à manger de la viande de chien (qui plus est, préparée par un cƗ۬‫ڲ‬Ɨla) : cela est contraire en tous points à sa condition de Sage410. ViĞvƗmitra réplique, au grand dam du cƗ۬‫ڲ‬Ɨla, qu’il est prêt à faire une exception à la règle : ce n’est qu’en vivant que l’on peut accomplir la loi411. La sauvegarde de la vie passe donc avant le respect minutieux des prescriptions de la loi. Dans ce contexte discursif, qui présente certes une vision extrême, l’action de ViĞvƗmitra n’est donc pas considérée comme négative, pour autant que les pratiques expiatoires ad

405 MDh 10.104. 406 Mhbh 12.139.26–89 (éd. critique, vol. 14, p. 765–775). 407 Comme le montre White (1992), p. 64, la figure de ViĞvƗmitra est teintée d’ambiguïté : de naissance princière, il aurait acquis le rang de brahmane par la pratique d’austérités. En tant que rƗjar‫܈‬i, il est souvent opposé au brahmar‫܈‬i Vasiৢ৬ha dont le comportement représente un modèle absolu. Cf. ainsi l’épisode de Mhbh 5.104 (éd. critique, vol. 6, p. 407–408), qui est précisément lié à la problématique de l’hospitalité : Vasiৢ৬ha (brahmane) arrivé à l’ermitage de ViĞvƗmitra (k‫܈‬atriya) méprise les efforts consentis par ce dernier pour satisfaire sa faim. Portant sur sa tête la nourriture refusée par Vasiৢ৬ha, ViĞvƗmitra restera immobile durant 100 ans. À l’issue de cette épreuve, il acquiert le rang de brahmane, et Vasiৢ৬ha acceptera finalement de manger chez lui. Cf. aussi les remarques de Jamison (1996b), p. 164 sur ce passage et Deshpande (1995), p. 69 pour une attestation de cette même rivalité dans le contexte du »V. 408 Ce motif narratif se trouve déjà en »V 4.18.13 : le dieu Indra lui-même aurait cuisiné les entrailles d’un chien dans une période de détresse. 409 MDh 10.108. Cf. aussi GDhS 7.4, ƖpDhS 1.(6).18.6–7, 14–15. 410 Ainsi, Mhbh 12.139.55 (éd. critique, vol. 14, p. 769) : « Grand Sage, ne provoque pas la ruine de ton ascèse pour la convoitise d’[un bout de] viande ! » 411 Mhbh 12.139.61 (éd. critique, vol. 14, p. 769). Le même principe figure en MDh 10.104.

3.6 Conclusions

215

hoc soient exécutées – ce dont le pieux ViĞvƗmitra ne manquera évidemment pas de s’acquitter412. Dans ce dernier exemple, le problème de la pureté (et celui des contacts entre membres de différents statuts sociaux) est éventuellement susceptible d’être relativisé dans le cas de circonstances extrêmes : les textes témoignent ici d’un certain pragmatisme, qui vise sans doute l’adaptation à des situations concrètes413. 3.6 CONCLUSIONS 3.6.1 Conséquences d’ordre socio-économique Comme on l’a fait en conclusion de notre étude sur le judaïsme rabbinique, il est approprié d’évaluer ici quelques aspects des conséquences socio-économiques des pratiques que nous avons examinées. Il est pertinent de le faire en évaluant les analyses de Marcel Mauss, car l’Essai sur le don recourt précisément à de nombreux exemples issus de la tradition brahmanique et des traités de dharma. Mauss cite notamment le texte suivant – une prosopopée de la Nourriture – qui lui paraît exemplaire quant à la conception du don dans l’Inde ancienne : 18 Alors, sur le sujet, ils citent aussi deux vers chantés par la Nourriture : « Sans m’avoir donnée aux ancêtres, aux dieux, aux serviteurs, aux hôtes ou à un ami, [quand un homme] dans sa folie me mange, une fois que j’ai été cuisinée, il mange du poison : je le mange et je suis sa mort. Après avoir effectué l’agnihotra et le vaiĞvadeva et après avoir honoré ses atithi, quand un homme généreux et pur me mange – la nourriture restante après qu’il a nourri ses serviteurs – avec un esprit de générosité, je suis son ambroisie et il jouit de moi414 ».

Mauss note à propos de ce texte : « [C]omme dans tous les systèmes que nous avons étudiés précédemment, et même encore plus, [le donataire] est trop lié [au donateur]. Le donataire se met dans la dépendance du donateur415. » L’obligation de donner la nourriture serait solidaire d’un lien « de dépendance » entre le donataire et le donateur. On ne peut nier, on l’a vu à plusieurs reprises, que l’idée du partage de la nourriture présente une certaine importance, puisque de très nombreux textes en font explicitement mention416. Mais cette logique n’est pas absolue, et elle doit s’accommoder de certaines règles contraignantes. Bien que Mauss reconnaisse que ces textes représentent de manière unilatérale la position des 412 Mhbh 12.139.82 (éd. critique, vol. 14, p. 774). Cf. White (1992), p. 63 sqq. pour une étude de différentes actions, peu « orthodoxes », rapportées à la figure de ViĞvƗmitra. 413 Cf., avec la même idée, ƖpDhS 1.(6).18.6 : un brahmane peut éventuellement, dans des cas extrêmes, consommer la nourriture non-cuisinée ou « purifiée » (avec le feu ou de l’or) d’un ugra. 414 BDhS 2.(3).5.18. 415 Mauss (1985 [1924]), p. 249. 416 Ainsi, MDh 3.118, BDhS 2.(3).6.41–42, BDhS 2.(7).13.2, ƖpDhS 2.(4).8.2–4 qui évoquent tous la même idée : quiconque « mange seul » (par quoi il faut comprendre : ne partage pas sa nourriture) commet un acte répréhensible. Cf. Leslie (1989), p. 189 pour un commentaire du texte de BDhS.

216

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

brahmanes417, il ne prête pas réellement attention à la question de leur genre ou du contexte socio-historique au sein duquel ils s’inscrivent. Ainsi, dans le passage que l’on vient d’évoquer, c’est une perspective extrême et « moralisatrice » qui est présentée. Le texte lui-même est inséré comme une citation dans le traité et donne l’impression d’une « homélie ». La « morale » reste très théorique, et surtout, la question des protagonistes nommés par le texte pose problème : peut-on vraiment concevoir une situation dans laquelle le brahmane mangerait les restes laissés par ses serviteurs ? Cette idée est contraire à la conception – certes également utopique – apparaissant au sein des autres traités de dharma. Ce n’est pas là une objection majeure, mais une simple observation qui pousse à relativiser la portée générale de l’obligation de donner évoquée par Mauss. Pour ce qui concerne la perspective théorique et orthodoxe représentée par nos textes, il est correct de dire qu’il existe, pour un dvija, une obligation de donner à un brahmane. Les autres cas sont potentiellement problématiques et ne se laissent pas systématiser aussi vite que ce que souhaite Mauss. Selon Mauss, l’obligation de donner fait écho à celle de recevoir. Essayons d’évaluer cette proposition à la lumière du système décrit par nos textes. Dans les exemples que l’on a étudiés, les brahmanes ont bien pour fonction d’accepter les dons qu’on leur fait, mais ce principe est en tension avec certaines règles de pureté et de comportement : le brahmane n’est absolument pas contraint d’accepter tout ce qu’il reçoit, et le problème est d’autant plus prononcé dans le cadre de l’hospitalité. Celle-ci implique en effet le plus souvent la question de la nourriture, sujet éminemment sensible. Enfin, bien que la réciprocité puisse paraître importante dans certains textes – comme dans la formule dadƗmi te dehi me (« je te donne, donne-moi ! »), citée par Mauss lui-même418 et décrivant avant l’heure le principe du do ut des – celle-ci ne constitue pas un principe systématique au sein des textes normatifs419, pour diverses raisons sur lesquelles il vaut la peine de s’attarder quelque peu. En premier lieu (1), on peut se demander si la réciprocité est toujours recherchée. Heesterman note que « en fait, la réciprocité n’est pas valorisée, précisément parce que cela crée une chaîne d’échange de dons. Marcel Mauss avait déjà constaté qu’il en allait ainsi, et s’était senti forcé d’admettre que sur le point principal de sa démonstration, l’obligation de réciprocité, il n’avait trouvé que peu d’éléments […] dans la loi hindoue, ajoutant ‘même le plus clair consiste dans la

417 Mauss (1985 [1924]), p. 240–241. 418 Cf. Mauss (1985 [1924]), p. 169. La formule provient d’un texte du Yajurveda blanc, VƗjS 3.50 (=TaiS 1.8.4.1, éd. Sontakke, vol. 2, p. 338). 419 Ainsi Filliozat (1955), p. 231 observe, au sujet d’un enseignement sur « Les doctrines indiennes de la charité » donné au Collège de France : « On a examiné la théorie sociologique de Mauss supposant à la base de cette obligation [de rendre] un système de prestations totales comparable au potlatch nord-américain. On a souligné l’intérêt de cette théorie, mais remarqué, comme l’avait fait Mauss lui-même, que l’obligation de rendre est très mal attestée à côté de celles de donner et de recevoir, ce qui détruit une des principales analogies avec le potlatch, où la réciprocité est de rigueur. »

3.6 Conclusions

217

règle qui l’interdit420’. » Pour Heesterman, si la réciprocité est évitée, c’est qu’elle peut faire entrave au développement individuel. Cette proposition, bien qu’intéressante, ne doit elle-même pas être trop vite généralisée : le développement de l’individu ne constitue pas toujours un souci majeur au sein des textes421. Mais d’autres causes plus concrètes sont susceptibles de heurter le principe de réciprocité. Il se peut ainsi (2) que la réciprocité ne soit simplement pas possible. Considérons par exemple le système des ƗĞrama – ou du moins les différents « modes de vie » dans les cas où le système n’est pas thématisé : dans certains cas, il n’y a pas de réciprocité possible. Le brahmacƗrin ne saurait en effet rendre ce qu’il reçoit422, tout comme, en principe, le mendiant, qui n’a pas de foyer et qui ne cuisine pas. Il faut par ailleurs (3) que la réciprocité soit permise : si, à la rigueur, un brahmane peut laisser de la nourriture à l’attention d’un Ğnjdra, l’inverse n’est pas concevable. En raison d’une structure sociale essentiellement hiérarchique, les rôles de l’hôte et de l’invité ne sont pas interchangeables : cela se reflète aussi dans le fait que le « maître de maison » est censé consommer les restes de son invité. La question de la réciprocité comporte par conséquent plusieurs facettes, et les textes eux-mêmes ne mentionnent presque jamais d’obligation explicite, y compris quand aucun des problèmes évoqués plus haut ne se présente. Mauss apporte un début de réponse à cette question, en arguant que les « malins » brahmanes se seraient dispensés de l’obligation de rendre et l’auraient reportée sur les dieux. Les textes traitant des mérites associés à l’hospitalité pourraient en effet témoigner de ce fait : le maître de maison pieux est assuré de gagner, dans un futur plus ou moins lointain, une contrepartie « spirituelle » aux services bien concrets qu’il met à la disposition des brahmanes. Ajoutons que l’obligation de recevoir un brahmane va tellement loin que – dans la rhétorique brahmanique – le schéma est susceptible de s’inverser : pour certains textes en effet, le véritable don n’est pas le fait de prodiguer l’hospitalité, mais consiste en celui que font les brahmanes en gratifiant le maître de maison de leur présence, ce qui appelle de la part de ce dernier le contre-don réel ou symbolique de la dak‫܈‬i۬Ɨ, qui « valide » l’ensemble de la relation d’hospitalité.

420 Heesterman (2001), p. 247, qui note encore : « The absence of the need to reciprocate is clearly brought out, when the food he receives is not specially prepared for him. There is then no personal tie involved. » La citation de Mauss se trouve dans Mauss (1985 [1924]), p. 243, n. 3. Sur cette même note, voir également Michaels (1997), p. 242–246 et Parry (1986), p. 461, dont les conclusions sur l’absence de réciprocité sont peut-être un peu extrêmes. 421 Cf. aussi la critique de Raheja (1988), p. 251, qui porte sur le processus d’« individualisation du rituel ». 422 Cf. MDh 4.32.

218

3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

hôte reçu

brahmane

hôte qui reçoit

devoir dvija

pit‫ ܀‬/ deva dvija

possibilité Ğnjdra

Ğnjdra cƗ۬‫ڲ‬Ɨla cƗ۬‫ڲ‬Ɨla

Figure 2 : Devoirs et possibilités de l’hospitalité en lien avec les var۬a

La figure 2 essaie de décrire la logique des transactions relatives à l’hospitalité, en fonction des différents statuts sociaux. Évidemment, le schéma déforme nécessairement la réalité complexe présentée par les textes, puisqu’il ne prend pas en compte certains facteurs dont on a vu l’importance pour l’hospitalité, comme l’ƗĞrama, la richesse ou l’éducation. Comme indiqué plus haut, en tant que « grand sacrifice », les prescriptions d’hospitalité ont pu contribuer à renforcer la position des brahmanes au sein d’une société sur laquelle ils souhaitent (re-)gagner de l’autorité. L’insistance placée sur les sacrifices domestiques, qui sont – au sein du système présenté par nos textes – prescrits à tout dvija, pourrait refléter une situation historique au sein de laquelle la fonction même de brahmane aurait été contestée, rendant nécessaire une adaptation ou une « démocratisation » d’un système « élitiste » principalement construit autour de l’exécution de sacrifices complexes. L’apologie de la fonction de brahmane perceptible au sein des passages traitant de l’hospitalité, et tout particulièrement au sein de Manu, pourrait bien s’inscrire dans le cadre d’une volonté de « brahmanisation » de la société423. Dans ces conditions, le schéma de Mauss, bien que globalement confirmé, n’est pas en mesure d’éclairer l’ensemble des situations que l’on a rencontrées au sein des textes. À notre sens, ce décalage s’explique principalement par le fait que Mauss n’a pas considéré toutes les implications de la position des protagonistes jouant les rôles de donateurs et donataires dans son système, non plus que la question du genre discursif des textes auxquels il a emprunté ses exemples. 423 Les modalités historiques de l’expansion du brahmanisme restent évidemment difficiles à saisir. Sur l’expansion du brahmanisme vers l’Est de l’Inde, cf. Kulke et Rothermund (1998), p. 48–50 et Bronkhorst (2007), p. 1–3. Sur l’expansion brahmanique vers le Sud de l’Inde, cf. Kulke et Rothermund (1998), p. 91–92.

3.6 Conclusions

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3.6.2 Éléments de synthèse L’hospitalité, sous ses diverses formes, apparaît comme une institution importante de la tradition brahmanique. Contrairement à certaines apparences, les discours sur l’hospitalité visent à renforcer le schéma classique faisant du brahmane le receveur par excellence. De manière remarquablement continue, l’atithi est ainsi considéré comme le récipiendaire autorisé des dons. Dans le cadre de l’hospitalité considérée comme un rituel424, celui-ci remplit une fonction de représentation : il consomme ce qu’on lui offre, à la manière du feu sacrificiel. En principe, seul le brahmane est en mesure de jouer ce rôle425. C’est pour cette raison que l’on a pris garde à ne pas trop vite traduire atithi par « hôte » : ce terme ne s’applique le plus souvent, et dans la stricte limite de nos textes, qu’à un cas particulier, celui de l’hospitalité considérée dans son aspect « rituel » grâce à la présence d’un brahmane. La seule traduction par « hôte » (respectivement, « guest » ou « Gast ») pourrait induire en erreur. Elle entraîne inévitablement la perte de cette nuance qui est pourtant capitale, et confère artificiellement une intention plus « universaliste » aux textes426. Le fait que dans les dharmasnjtra, le terme atithi désigne un brahmane explique aussi pourquoi le maître de maison est souvent décrit comme symboliquement inférieur à son invité : pour de nombreux gestes (le vaiĞvadeva, l’abattage d’un animal pour l’arghya, les différentes étapes du ĞrƗddha, la fin de l’« escorte » etc.) il doit en effet recevoir l’approbation de son invité. Cela est la marque d’un rapport de hiérarchie, mis en jeu et renforcé dans le cadre de l’hospitalité. Par ailleurs, sur un plan historique, une variation dans l’usage même du terme atithi semble perceptible : dans les dharmasnjtra, atithi constitue en quelque sorte un terme technique désignant systématiquement, mais implicitement, le visiteur brahmane. Certains traités (BaudhƗyana, Gautama) ne prennent pas la peine de préciser que l’atithi doit être un brahmane, sans doute pour la raison que ce fait est trop évident pour être mentionné. Le traité d’Ɩpastamba part lui aussi du principe tacite que l’atithi est un brahmane, mais restreint la notion au seul cas du Ğrotriya. En revanche, en Vasiৢ৬ha et Manu, il est explicitement précisé que l’atithi est bien un brahmane427. Ces textes apposent en effet l’adjectif « brahmane » au terme atithi, ce qui laisse penser qu’il est au moins concevable, pour l’audience supposée des textes, que l’atithi ne soit pas un brahmane. Ceci pourrait constituer un 424 Sur ce point, cf. Jamison (1996b), p. 184 : « [Hospitality] is a duty owed to any guest (atithi). […] [R]itual and hospitality cannot be separated. On the one hand, Ğrauta ritual is the ultimate hospitality ceremony, offered to the gods; on the other, every guest can be a god in disguise, at least in theory. » 425 Ainsi Meyer (1927), p. 334 : « Gast ist der Brahmane. » 426 Comme on l’a vu, Bühler ne partage manifestement pas cette opinion, puisqu’à plusieurs reprises il associe les membres d’autres var۬a au statut d’atithi. Cf. supra, p. 171, n. 168 et p. 197, n. 318. 427 VDhS 8.7, MDh 3.102.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

argument en faveur de l’idée de l’élargissement du cercle des destinataires des textes. Les traités de Vasiৢ৬ha et Manu (entre autres) ne seraient plus destinés à l’usage interne d’un petit cercle, mais s’adresseraient à une audience plus large, non exclusivement composée de brahmanes. L’hospitalité exercée à l’égard d’un atithi (Ɨtithya) et l’argha sont manifestement deux institutions distinctes : alors que l’hospitalité concerne plus directement la classe des brahmanes, en raison de son caractère rituel, l’institution de l’argha renforce indéniablement certains liens sociaux, précisément définis par les textes – d’où les différentes listes que l’on a évoquées. Au reste, la réception d’un non-brahmane dans un cadre autre que celui de l’argha ne relève pas d’une obligation mais seulement d’une possibilité. Cela tient d’abord au fait que les nonbrahmanes n’ont, à strictement parler, pas de rôle rituel à jouer. Un Ğnjdra peut éventuellement se voir proposer l’« hospitalité » – à condition cependant qu’il s’acquitte préalablement d’un certain nombre de tâches. Enfin, les étrangers extérieurs (mleccha), les cƗ۬‫ڲ‬Ɨla tout comme les « hérétiques » sont exclus du système, dans la mesure où ils ne sont presque jamais évoqués, ni dans le rôle de celui qui donne l’hospitalité, ni dans le rôle de celui qui la reçoit. Dans ce cas – pour le point de vue orthodoxe représenté par les textes – même des raisons annexes comme la richesse ou le pouvoir ne sauraient justifier un quelconque contact. Le problème « idéologique » est alors trop important, si l’on excepte certaines situations très particulières, incidemment mentionnées. Il est tout à fait remarquable qu’aucun de nos textes n’évoque le cas de l’hospitalité avec un « étranger de l’extérieur », mleccha ou yavana. Cela s’explique sans doute par l’audience supposée des textes – destinés au public instruit d’une École – et par le fait que l’hospitalité ne saurait être conçue que dans le cadre de relations sociales internes à ce groupe, alors que les mleccha et yavana y sont absolument extérieurs428. On remarquera de là que les textes ne traitent jamais de l’étranger « en général ». Par conséquent, il n’est pas possible de déduire que la figure de l’étranger décrite par les textes est ambivalente, dans le sens où « l’étranger » serait à la fois menaçant et « fascinant ». L’ambivalence présumée de « l’étranger » découle à mon sens d’une analyse mélangeant différents types de discours, et ignorant les conditions le plus souvent très précises que les textes apposent sur l’exercice de l’hospitalité. Pour cette raison, on ne peut pas souscrire au propos suivant de Thieme qui déclare : Notre BrƗhma৆a montre clairement que le brahmane est plus qu’un hôte de rang élevé. Il est l’héritier de l’étranger dangereux, que l’on cherche à apaiser en l’accueillant de manière hospitalière et en satisfaisant ses souhaits429. 428 Cf. Parasher-Sen (2006), p. 426, qui relève notamment que le statut du mleccha n’est jamais relié à la doctrine des quatre var۬a, contrairement aux différentes catégories de patita. 429 Thieme (1938), p. 156 (§148), en commentaire de AitBr 8.24.6 (40.1) sqq., ma traduction. Thieme reconnaît bien que « [d]er hohe Gast im eigentlichen Sinne […] ist der Brahmane » (p. 155). Il cherche cependant à relier la brahmanité de l’hôte à la figure de l’étranger, ce qui nous semble problématique.

3.6 Conclusions

221

Sans nous prononcer sur la question de l’évolution de la notion d’hospitalité à partir du »gveda, le motif même de l’« étranger dangereux » (« der gefährliche Fremdling ») nous semble problématique, tout comme son association à la figure du brahmane. Il nous paraît en effet impératif de distinguer soigneusement les problématiques (1) de l’hospitalité, (2) de l’« étranger de l’extérieur » et (3) du danger représenté par certaines catégories de personnes : les textes étudiés ne confondent jamais ces différents sujets, mais les traitent au contraire de manière indépendante. L’idée de Thieme est finalement proche de celle de Frazer : l’« étranger » serait potentiellement dangereux, et il s’agit de s’en prémunir par le biais de rites encadrant la relation d’hospitalité430. Ce principe, on l’a vu, ne rencontre pas réellement d’écho au sein de nos traités. Il est vrai, cependant, que certains textes (qui n’appartiennent pas au corpus des traités « classiques » de dharma) tendent à idéaliser la figure de l’atithi, qui peut alors représenter un « étranger », susceptible d’appartenir à n’importe lequel des var۬a431 ou, de manière plus radicale, un étranger absolument inconnu, éventuellement hostile432. À l’évidence, ces textes témoignent d’un contexte de rédaction différent de celui de nos traités de dharma. Ce mouvement d’idéalisation peut aussi s’observer à l’époque moderne : la volonté du « politiquement correct » l’emporte parfois sur la réalité des textes. C’est le cas de l’analyse suivante, qui appuie la thèse selon laquelle l’hospitalité indienne se serait développée dans le sens de l’établissement d’un système de charité au cours du temps : L’hospitalité obligatoire apparaît entre la parenté et les membres de jƗti ; l’hospitalité sociale entre amis ; l’hospitalité charitable, entre personnes sans possessions, désavantagées et handicapées. La première est complètement institutionnalisée ; la seconde est temporaire et spontanée ; la troisième est optionnelle. Ces différents domaines forment également un système local d’hospitalité. L’ancien concept d’atithi (i. e. l’hôte qui reste pour la nuit ; c’était le feu dans le »gveda; chez Manu, c’était un « Brahmane » – une personne méritante) s’est libéralisé, tout en demeurant au centre du modèle coutumier. Il est à présent réinterprété afin d’accorder l’hospitalité à des hôtes de plus en plus variés – qu’ils soient invités ou non433.

Si Khare a raison de distinguer plusieurs « réseaux » d’hospitalité, la plupart de ses affirmations sont contestables pour l’époque ancienne. Comme nous l’avons vu, l’obligation d’hospitalité concerne avant tout la réception d’un brahmane. Renversant la situation présentée par les textes, il comprend le terme de « brahmane » comme une épithète laudative de l’hôte : si l’atithi est souvent qualifié de brahmane, ce n’est pas parce que celui-ci doit effectivement être un brahmane, mais au contraire, mais parce que l’« étranger » se présentant comme « hôte » se trouve ainsi mis en valeur. La notion même d’« hospitalité charitable » ne rencontre quasiment aucun écho dans nos textes : on ne trouve qu’une obligation prescrite au « maître de maison » à l’égard de « ceux qui ne cuisinent pas », sou430 431 432 433

Cf. supra, p. 195, n. 312. Cf. l’exemple de BGS, supra, p. 157. Cf. l’exemple de ParSm, supra, p. 156. Khare (1986), p. 280, ma traduction.

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3. Rites et pratiques de l’hospitalité dans la littérature brahmanique

vent brahmanes. Cela n’a pas de rapport avec la « charité » au sens occidental moderne du terme. Khare évoque enfin l’idée d’un développement de l’hospitalité indienne, qui aurait élargi sa portée et concernerait désormais des personnes de toute provenance. S’il n’est pas douteux que des pratiques indiennes contemporaines de l’hospitalité ne sont pas complètement étrangères à leur conception ancienne, il est tout aussi sûr que certains problèmes auxquels les textes apportent des réponses variées (la question des relations entre var۬a, par exemple) se sont également perpétués434.

434 Ainsi que le montre Burger (1985) pour ce qui concerne la régulation des contacts dans l’espace villageois (vol. 1, p. 48–51). Voir également les exemples tirés de la littérature indienne moderne évoqués par Balbir (1994) sur les pratiques d’hospitalité entre membres de castes différentes (p. 391–393) ou entre Indiens et Britanniques à l’époque coloniale (p. 393– 394).

4. PERSPECTIVES COMPARATIVES ET CONCLUSIONS Il est temps de revenir sur un terrain analytique et de tirer des conclusions à partir des résultats de nos deux enquêtes1. Il pourrait d’abord sembler que les spécificités culturelles, historiques et discursives sont telles que toute tentative de comparaison est impossible2. Nommons quelques-unes des raisons de cette difficulté sur laquelle il faudra revenir : (1) certains problèmes spécifiques ne trouvent aucun équivalent dans l’autre contexte ; (2) la question de la contextualisation historique se pose d’une manière différente dans un contexte et dans l’autre ; (3) le sujet spécifique de l’hospitalité n’est enfin pas également thématisé ou symbolisé dans les deux contextes. Pour ces différentes raisons, nous ne tenterons pas d’exercer ici une comparaison « rapprochée », qui n’aurait que peu d’intérêt. Bien plutôt, il s’agit de changer de niveau interprétatif : ce ne sont plus les textes qui demandent à être expliqués, mais une interrogation générale, à éclairer au moyen des résultats de l’étude des textes. Nos textes changent donc de posture épistémologique : ils passent de la place de l’explicandum à celle de l’explicans. Nous avions posé en début de travail une question générale et quelques hypothèses. Il est temps de les reprendre en ayant à présent en main les résultats de nos deux recherches. Notre question générale peut se formuler de la manière suivante : pourquoi l’hospitalité fait-elle tantôt l’objet de recommandations instantes et tantôt l’objet de mises en garde tout aussi pressantes ? Quelles logiques socio-historiques cette alternance sous-tend-elle ? Nous avions lancé, comme pistes de recherche, les hypothèses suivantes : la première hypothèse visait à dire que (1) les règles d’hospitalité révèlent des éléments du monde idéal que les auteurs de textes à caractère normatif appellent de leurs vœux. La seconde hypothèse était que (2) les logiques de l’échange à l’œuvre dans l’hospitalité visent à actualiser le système social « idéal » visé par les auteurs des textes. Une troisième hypothèse proposait que (3) l’hospitalité, en tant que relation sociale temporaire, favorise l’intégration de personnes se trouvant aux limites d’un groupe. Enfin, la dernière hypothèse stipulait que (4) les enjeux liés à l’hospitalité sont d’autant plus critiques qu’un mouvement n’est pas bien institutionnalisé. Nous allons évaluer ces différentes propositions en deux temps : en premier lieu (4.1), nous reviendrons sur nos deux études en essayant de faire apparaître certaines logiques socio-historiques liées aux discours sur l’hospitalité. Nous ten-

1 2

Par convention, on entend désormais par « contexte » les deux séries de textes précédemment étudiés, et non « le judaïsme » et « l’hindouisme » en général. Par ailleurs, l’ensemble de ce chapitre présuppose les résultats des deux chapitres précédents. Sur cette difficulté en particulier, cf. Tambiah (1990), p. 127.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

terons ainsi de contraster nos résultats sur un plan socio-historique, tout en les considérant dans leurs contextes respectifs3. Dans un second temps (4.2), nous relèverons des éléments anthropologiques spécifiques à la notion d’hospitalité. Nous distinguerons un certain nombre de cas – se rapportant à plusieurs types de discours sur l’hospitalité – selon les trois points principaux qui ont guidé la présente étude : les textes envisagés comme discours ; les protagonistes de l’hospitalité ; les pratiques relatives à l’hospitalité. Plusieurs pratiques ou comportements associés à l’hospitalité (qu’on pense par exemple à la question de la honte) possèdent une signification anthropologique « transculturelle » que l’on essaiera de dégager. Ces résultats sont présentés de manière provisoire et demeurent nécessairement limités aux textes étudiés. Ces derniers présentent cependant une variété d’opinions et de problèmes suffisante pour alimenter une réflexion générale. En dernier lieu (4.3), il sera possible – comme annoncé en introduction – de revenir sur quelques concepts fréquemment associés à la problématique de l’hospitalité, afin d’y porter un regard critique. 4.1 COMPARAISON DES PROCESSUS HISTORIQUES ET SOCIOLOGIQUES Bien que nos deux séries de textes soient solidaires de sociétés distinctes, ils témoignent d’« affinités » parfois frappantes : certains problèmes reçoivent en effet des réponses culturelles apparentées, et certaines logiques sociales sont remarquablement proches. Il vaut la peine de lister quelques-unes de ces affinités, qui sont liées d’une manière ou d’une autre aux problèmes discutés par nos textes. Reprenons les trois éléments déjà présentés en introduction : (1) la présence d’une littérature « normative » dont l’autorité repose sur un corpus de textes révélés ; (2) la présence d’un « clergé » représenté par les rabbins et les brahmanes ; (3) la présence d’un contexte historique ayant conduit à de profondes mutations à l’époque de composition des textes examinés. À l’issue de nos deux études, les éléments supplémentaires suivants – liés d’une manière ou d’une autre à l’exercice de l’hospitalité – nous semblent également remarquables : la centralité de l’étude des textes traditionnels ; la présence d’un système rétributif complexe ; l’importance des rites domestiques – dont l’hospitalité – avec une portée rituelle d’autant plus prononcée qu’un membre de l’autorité religieuse y est impliqué ; la présence de textes défendant les intérêts (notamment sociaux) de leurs gardiens ; des problèmes similaires engendrés par les contacts aux « outsiders » ; un développement particulièrement important des questions de « pureté » / « impureté » qui touchent évidemment de front l’exercice de l’hospitalité ; enfin, un processus historique général qui semble voir le modèle 3

La démarche est similaire à celle de Lubin (2002), p. 428 : « [I]t is not just an assortment of contextless phenomena that is being compared, but two instances of a complex hermeneutics viewed as it develops within their respective historical processes » (l’auteur souligne).

4.1 Comparaison des processus historiques et sociologiques

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idéal proposé par les membres de l’élite lettrée s’imposer progressivement au sein de la société dont ces derniers souhaitent former le sommet. En regard de ces convergences, il faut immédiatement noter des divergences tout aussi profondes : l’hospitalité n’est pas également « ritualisée » de part et d’autre – ce qui est principalement lié au fait que les textes brahmaniques ont tendance à rapporter l’hospitalité à l’exercice des sacrifices ; la société idéale supposée par les textes diffère aussi substantiellement d’un contexte à l’autre, et la tradition rabbinique traite de manière plus détaillée des problèmes causés par la présence de différents statuts sociaux ; les corpus de textes sont par ailleurs organisés de manière différente, et les textes rabbiniques ne traitent pas réellement de l’hospitalité de manière suivie. Après ces quelques remarques liminaires, nous pouvons tenter un essai de comparaison contrastive des résultats des deux études. Pour ce faire, deux niveaux doivent être distingués : celui représenté par les textes eux-mêmes (4.1.1), et celui que forme le contexte socio-historique présumé des textes (4.1.2). 4.1.1 Les textes et leur audience Avant toute hypothèse relative à des processus socio-historiques apparaissant au sein des documents, il est indispensable de se pencher sur la forme des textes euxmêmes. Si l’on ignorait ce point, le risque serait en effet grand d’interpréter en termes socio-historiques des facteurs qui ne sont peut-être que d’ordre discursif (et sans doute n’est-il pas possible d’éviter complètement ce risque). Il s’agit là de problèmes fort complexes et il conviendrait d’en proposer un traitement bien plus approfondi que ce qu’il est possible d’effectuer dans le cadre de cette étude. Distinguons cependant deux problématiques distinctes : (1) l’origine (rédacteurs) et la visée (audience) des textes influence la nature des discours sur l’hospitalité ; (2) au sein d’un même corpus, le genre discursif fait varier le sens des discours sur l’hospitalité. Prenons ces deux points dans l’ordre. (1) Le seul fait que tous nos textes (notamment Mishna-Talmud / traités de dharma) ne proviennent que de groupes restreints de « communautés textuelles » est un fait fondamental. Nos textes ne sont pas – d’abord – des corpus « normatifs » respectés par toute une communauté, mais des manuels reflétant un système, plus ou moins utopique imaginé par le groupe de leurs rédacteurs. L’origine des textes et leur visée respective peut expliquer le traitement ou l’absence de traitement d’un sujet donné. Cela apparaît clairement dans le cas des étrangers « de l’extérieur », qui font l’objet d’un développement relativement approfondi dans la littérature rabbinique (la catégorie de goy ou de nokhri y occupe en tous les cas une place importante), et qui sont quasiment ignorés par les traités de dharma. On peut se représenter la situation de la manière suivante :

226

4. Perspectives comparatives et conclusions

rédacteurs audience / monde supposé

rédacteurs audience / monde supposé dharmasnjtra

Talmuds

Figure 3 : Auctorialité et audience comparées des corpus considérés

On peut montrer que les deux cercles ont varié dans l’histoire de la composition des textes : ainsi, la Mishna est-elle un peu dans le cas décrit au sujet des dharmasnjtra, et ne s’adresse-t-elle en premier lieu qu’à un cercle restreint d’intéressés, qui n’est pas concerné par tous les problèmes apparaissant dans la littérature postérieure4. Inversement, un traité comme Manu possède une visée plus large que les dharmasnjtra, ce qui explique aussi que des sujets non traités par les dharmasnjtra y soient développés (comme, précisément, le cas des hérétiques). La nécessité de commentaires provient aussi (mais pas uniquement) de l’évolution du cercle des destinataires, qui implique un processus de réinterprétation de textes plus anciens. (2) Sur le second point (la question du genre discursif), on peut relever quelques tendances générales. Bien que tous nos textes possèdent une visée normative relativement similaire, certaines caractéristiques discursives permettent de distinguer des « sous-ensembles ». Ainsi, dans le contexte rabbinique, les textes strictement prescriptifs (les passages de la Mishna, par exemple) présentent souvent un point de vue mesuré – ce qui ne constitue nullement la preuve de la mise en application concrète de telles règles ! Inversement, dans les récits « homilétiques », qui mettent fréquemment en scène des personnages paradigmatiques (bibliques ou rabbiniques), il n’est pas toujours évident de préciser de quelle sorte d’hospitalité il s’agit, et certains traits sont souvent poussés à l’extrême. Peut-être est-ce le signe que ces récits s’adressent à un public non exclusivement composé de rabbins (au contraire des halakhot, les règles prescriptives, plutôt destinées à un usage interne). L’exagération parfois perceptible dans ces textes aurait donc un but pédagogique, et pourrait bien viser à critiquer des situations de la vie de tous les jours, comme celle de Juifs « laïcs » attablés aux côtés de « païens5 ». Une telle distinction est plus difficile à établir dans le cadre des textes indiens de dharma, qui sont d’abord à l’usage des brahmanes eux-mêmes et qui ne visent pas nécessairement une large audience6. Pour autant, il est indéniable que certains passages doivent être compris « à la lettre » et que d’autres comportent une di4 5 6

Cf. la remarque de Hezser, supra, p. 40, n. 155. Rubenstein (2005), p. 66 (et passim) estime cependant que le caractère hyperbolique de certains textes babyloniens reflète plutôt « the verbal violence and hostility that prevailed within late Babylonian academies. » Au contraire des grandes épopées, comme le MahƗbhƗrata ou le RƗmƗya৆a, qui ont sans doute une visée plus « populaire ».

4.1 Comparaison des processus historiques et sociologiques

227

mension hyperbolique : les citations en vers apparaissant dans les traités de dharma ne doivent manifestement pas être interprétées de manière aussi stricte que les snjtra7. Ces exagérations peuvent venir souligner la hiérarchie interne d’un certain nombre d’actions, comporter une visée pédagogique ou servir d’arguments dans le discours brahmanique afin d’exiger, auprès de leurs destinataires, le respect de leurs règles. 4.1.2 La « mise à demeure » de la religion Comme nous l’avions suggéré au début de cette étude, l’exercice comparatif peut favoriser un « questionnement croisé », ce qui est d’autant plus intéressant que le contexte historique de composition d’un texte est mal connu. Notre idée consiste à résumer quelques-unes des conséquences sociales et économiques découlant des pratiques examinées au sein des chapitres précédents, avant de se demander à quelles conditions historiques de tels processus pourraient éventuellement faire écho. Un processus historique nous paraît remarquablement similaire au sein de nos deux contextes : celui du transfert de fonctions rituelles spécialisées sur la sphère domestique des particuliers, ce qu’on peut qualifier de « mise à demeure » ou « domesticisation » de la religion8. Il s’agit là d’un motif récurrent de la littérature rabbinique, et les textes brahmaniques insistent de même sur l’importance des « sacrifices domestiques » et des pratiques de substitution aux rituels plus élaborés. On assiste ainsi à une sorte de ritualisation de pratiques domestiques, ou, de manière concomitante, à une « domesticisation » de pratiques rituelles. C’est tout le génie des « virtuoses du religieux » de présenter cette reconfiguration de telle manière qu’elle soit perçue comme « naturelle » ou « transparente ». On conçoit aisément, cependant, que le report d’activités rituelles sur la sphère domestique est tout sauf insignifiant ; celui-ci permet d’assurer la continuité d’une tradition et de créer auprès des particuliers un sentiment d’appartenance au sein d’un groupe plus large, combien même celui-ci est géographiquement dispersé. Ce processus apparemment paradoxal peut se comprendre de la manière suivante : il est, pour le point de vue de l’autorité religieuse, avantageux de formuler des règles simples, observables par un grand nombre dans l’espace domestique – tout en conservant, pour le domaine indien, la possibilité de rituels plus somptueux, susceptibles de répondre à des situations particulières. Dans le contexte juif rabbinique, on a proposé que les relations d’hospitalité ont contribué à renforcer – sur le modèle de la xenia – la cohésion interne des communautés juives et l’autorité du groupe des rabbins. Peut-être un raisonne7 8

On en a vu un exemple plus haut (p. 217) avec l’usage que fait Mauss d’une citation apparaissant en BDhS. Cf. Olivelle (2005), p. 33 sqq., notamment « That some texts fall into the literary genre of hyperbole is not merely a modern and anachronistic interpretation […]. » (p. 35) Ce qui se distingue d’un processus d’« individualisation » de la religion. Nous parlons ici de la sphère domestique du foyer et non de l’individu en tant que tel.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

ment du même type est-il possible au sujet du contexte historique de nos textes brahmaniques. Le fait d’édicter des règles domestiques contribue à compenser les effets négatifs de l’absence d’un centre autour duquel serait organisé le mouvement. L’hospitalité elle-même revêt ainsi une importance toute particulière dans le contexte d’une communauté dispersée sur un territoire. Un élément similaire supplémentaire nous semble confirmer cette analyse : celui de l’autorité religieuse dont se revendiquent les membres de l’élite religieuse. À l’époque de la composition de nos textes, il semble que le lien exclusif entre les dépositaires de la tradition et l’autorité révélée (la relation respectivement à la Torah ou à la tradition védique) se soit singulièrement renforcé – ce dont témoigne d’ailleurs simplement le fait de la composition de textes rabbiniques ou brahmaniques. Peut-être n’est-il pas inadéquat de parler, dans les deux cas, d’hommes « divins », pour décrire les brahmanes et les rabbins tels qu’ils apparaissent au sein des textes9. Le recentrement de l’autorité religieuse autour de ces figures nous semble d’ailleurs solidaire du processus de « mise à demeure » à l’œuvre au sein de nos deux contextes10. Après une étude comparée de certaines techniques herméneutiques brahmaniques et rabbiniques, Timothy Lubin en arrive à la conclusion suivante : J’ai essayé de montrer que les fortes similarités relevées dans les principes herméneutiques des traditions interprétatives rabbinique et brahmanique vont au delà des techniques rhétoriques elles-mêmes. En fait, elles relèvent d’une trajectoire exégétique largement parallèle, qui vise à expliquer un rite sacerdotal « élitiste » – et les textes qui y sont liés – à des communautés qui se définissent elles-mêmes en référence à ce rite. Au cours du temps, ces exégètes virtuoses, forts de l’autorité de la révélation, proposent une base permettant de transférer la sainteté et le pouvoir de l’activité sacerdotale – quand des circonstances historiques affectent la continuité de cette activité – sur la communauté élargie, en rendant l’étude des textes, la récitation, ou d’autres types de rituels domestiques équivalents aux rites sacerdotaux11.

Nos résultats semblent bien s’accorder avec les conclusions de Lubin : il est effectivement concevable que les outils exégétiques développés au sein des deux traditions aient répondu à un besoin d’adaptation, lui-même suscité par un changement historique dans la structure sociale de chacune des traditions. Empressons-nous cependant d’ajouter que cette correspondance ne doit pas masquer des différences substantielles. Il faut ainsi noter que – à la différence des sacrifices du Temple dans le contexte juif – la pratique des rites « solennels » administrés par des prêtres spécialisés n’a pas disparu soudainement, mais qu’elle 9

Neusner (1975b), p. 203 (« The authority of the rabbi is based upon the myth that the rabbi exemplifies God’s image, is holy like God. ») pour le contexte rabbinique, et Falk (1994) pour le contexte brahmanique. Il est par ailleurs intéressant de relever que la thématique de l’« homme divin » se développe au sein de plusieurs mouvements de l’Antiquité tardive (cf. l’article classique de Brown (1971) et Smith (1978b), p. 186–187) tout comme dans le contexte perse (Neusner (1966)). 10 Ainsi Holdrege (1996), p. 401 : « The brahmin priests and the rabbinic sages become the representatives of Veda and Torah, respectively, and they assume the authority to redefine the categories in accordance with the changing sociohistorical condition of their communities. » 11 Lubin (2002), p. 456–457, ma traduction.

4.1 Comparaison des processus historiques et sociologiques

229

s’est en partie poursuivie, et en partie réduite au profit de rites plus simples12. De même, les pratiques domestiques prescrites par les textes brahmaniques ne sont pas une invention particulièrement récente, mais sont déjà mentionnées au sein de textes anciens. Il faut concéder que les indications chronologiques relatives au développement des pratiques « domestiques » dans le contexte brahmanique sont extrêmement fragiles13. Une autre différence majeure réside dans les visions de la société idéale que les textes cherchent à actualiser. Les textes du judaïsme rabbinique prônent une égalité de principe entre Juifs, et encouragent l’étude de la Torah auprès de chacun. L’étude, valeur absolument centrale pour le judaïsme rabbinique, relève d’un choix personnel qui n’est pas dicté par la naissance. Par contraste, la tradition brahmanique est foncièrement inégalitaire, et les brahmanes qui doivent leur position à leur naissance en forment le sommet : leur rôle rituel les singularise par rapport au reste de la société. Ce point est fondamental : il conditionne deux sortes différentes de sociétés14. D’une manière schématique, ou peut parler de la « société brahmanique » comme d’une société essentiellement hiérarchique, ce qui n’est pas le cas de la société que les rabbins du Talmud appellent de leur vœux, que l’on peut plus volontiers qualifier d’égalitaire, puisque (au moins en théorie) chacun peut entreprendre l’étude de la Torah15. Cette distinction se retrouve, à notre sens, au niveau de l’hospitalité domestique. Significativement, les rituels domestiques – et en particulier l’hospitalité – sont apparus comme des miroirs de l’organisation sociale exposée au sein des textes. Ainsi, dans nos textes brahmaniques, le maître de maison ne partage usuellement pas la table avec un atithi : celui-ci est supposé manger seul, et avant celui qui l’invite. Comme nous avons eu l’occasion de le relever, cette priorité reflète clairement la supériorité de l’invité (brahmane). Ce principe est lié au système des restes qui témoigne d’une organisation sociale essentiellement hiérarchique. Inversement, dans les textes du judaïsme rabbinique, l’idée de commensalité est fondamentale, ce qui traduit une conception plutôt égalitaire de la société. Dans ce dernier cas, il est possible que la communauté « domestique » (y compris celle qui se forme autour d’une table) représente en quelque sorte une miniature de la communauté « idéale » prônée par les textes.

12 Cf. Lubin (2002), p. 450. 13 Cf. notre remarque, supra, p. 175, n. 190. 14 Soulignons que cet énoncé ne concerne que les sociétés idéales décrites par nos textes, et non « la société indienne » ou « la société juive » en général, ou même des communautés particulières de ces deux traditions. 15 Sur la distinction entre « sociétés hiérarchiques » et « sociétés égalitaires », cf. l’analyse classique de Dumont (1980), et notamment ses conclusions, p. 234–238. Nous ne partageons cependant pas son point de vue quant au caractère absolument spécifique du « système des castes » (dans sa formulation). Il s’agit seulement, selon nous, d’un système de stratification sociale qui, en dépit de ses particularités, n’est pas fondamentalement incomparable à d’autres systèmes de stratification sociale. Cf. Smith (1987), p. 151, n. 39 pour une critique similaire.

230

4. Perspectives comparatives et conclusions

Mais il ne faut pas non plus radicaliser cette différence. Le principe d’égalité globalement soutenu par les textes rabbiniques s’accorde mal avec la définition de plusieurs groupes, y compris au sein de la « société juive » : suivant les époques et les circonstances, il est tout à fait possible de discerner des hiérarchies16. La connaissance ou l’ignorance des textes traditionnels est l’un des critères selon lesquels s’établissent ces hiérarchies et cela est clairement perceptible dans les pratiques d’hospitalité. Par ailleurs, la structure familiale est assez similaire de part et d’autre : dans les deux cas, la famille s’organise autour de l’homme marié, qui possède la préséance sur les autres membres de la maisonnée. Enfin, certains rituels sociaux indiens, comme l’argha, ne sont pas strictement reliés à la hiérarchie des var۬a. Nous arrivons ici au terme de l’investigation spécifique aux deux contextes de recherche. Concluons sur quelques questions qui pourraient être développées par des spécialistes de ces deux champs d’études. Pour le domaine rabbinique, il serait intéressant d’explorer de manière plus détaillée l’idée de la progression de l’influence de l’autorité rabbinique sur la sphère domestique des particuliers. Il va de soi qu’un tel développement ne s’est pas fait du jour au lendemain (la destruction du Temple ne marque sans doute pas, à cet égard, un changement décisif) et que l’usage des sources rabbiniques pour démontrer une telle hypothèse demeure problématique. Il conviendrait d’appuyer notre proposition par une étude plus précise et plus exhaustive de tous les documents à notre disposition (y compris, bien entendu, des sources non-juives). D’autre part, un examen systématique des pratiques domestiques permettrait certainement d’éclairer sous un angle nouveau les sociétés juives contemporaines de la composition des textes17. Dans le contexte palestinien, l’étude de la réinterprétation juive d’institutions sociales de l’Antiquité – l’hospitalité, le patronage – nous semble tout particulièrement importante18. Dans le contexte perse, il serait certainement possible de préciser, par l’étude des pratiques domestiques, la nature des riches interactions – commerciales, religieuses etc. – caractérisant ces communautés19. Pour le domaine indien, c’est d’abord le contexte même des textes que l’on a étudiés qui demande à être précisé : à quels événements historiques la « diversification rituelle » (et notamment le développement des rites domestiques) que l’on a cru déceler fait-elle écho ? À quelle période de tels processus ont-ils pris place ? Pourquoi, toujours d’un point de vue historique, l’hospitalité est-elle chargée d’une dimension rituelle aussi importante ? Sans doute une étude de sources non16 Cf. Hezser (2005), p. 199, à propos de l’organisation sociale des rédacteurs (les « Stammaim ») du Talmud de Babylone : « In this world view society was hierarchically organized, with the exilarch at the top of the social pyramid. Below the exilarch stood rabbis who served as legal and communal authorities in the respective local centers. At least from the perspective of rabbis, ordinary Jews, even if they derived from aristocratic families, were clearly inferior to them. » 17 Cf. le dictionnaire de la vie quotidienne juive dans la Palestine romaine : Hezser (2010). 18 Hezser (1998), p. 551–566 traite déjà plusieurs aspects de cette problématique, en faisant recours à une riche documentation non-juive. 19 Cf. Foltz (1999), p. 33–34 et 64–65.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

231

brahmaniques (bouddhiques, notamment), croisée avec des éléments de recherche archéologique (par exemple sur les ustensiles et la vaisselle employés au sein des foyers), pourrait-elle apporter des éléments de réponse à ces différentes questions. Il serait enfin intéressant d’investiguer de manière plus détaillée les facteurs conditionnant les deux attitudes opposées que l’on a décrites : celle réservant le statut d’hôte (atithi) au brahmane et celle qui idéalise fortement la figure de l’étranger. Doit-on invoquer, pour expliquer cette différence, une influence historique (par exemple de la part de mouvements non-brahmaniques), une évolution « interne », ou une simple divergence dans la visée ou l’audience des textes examinés ? 4.2 L’HOSPITALITÉ COMME RITUEL SOCIAL Notre travail nous a permis d’examiner plusieurs pratiques ritualisées liées à des enjeux sociaux. C’est en ce sens qu’il est possible de parler de « rituels sociaux », dont l’exercice au niveau « individuel » ou « privé » génère des conséquences au niveau du groupe. En dépit de leurs irréductibles différences, les deux corpus étudiés détaillent les règles de « rituels sociaux » qui sont en interaction avec l’idée d’une communauté. D’ailleurs, sur ce point, il serait bien vain de qualifier une culture (ou une religion) d’« hospitalière » ou de « non-hospitalière ». Les hésitations et les ambiguïtés de l’hospitalité relèvent avant tout de logiques complexes, inhérentes à la vie en société et à la présence de groupes. Essayons de présenter quelques unes de ces logiques en nous servant des différents cas précédemment étudiés. Il ne s’agit plus de comparer les résultats des deux études, mais d’en faire usage afin de prendre conscience d’enjeux plus généraux liés aux discours « religieux » traitant de l’hospitalité. Ce travail est directement utile pour l’interprétation de discours ressortissant à d’autres contextes que ceux que l’on a étudiés. 4.2.1 Modèle des protagonistes de l’hospitalité Rappelons une fois encore qu’il est tout particulièrement important de prendre en compte le simple fait des documents, envisagés comme discours. Bien que les textes « religieux » aient souvent tendance à se présenter sans auteurs et sans histoire (ce qui tend d’ailleurs à accroître leur autorité), il est impératif – pour une étude d’histoire des religions – d’émettre des hypothèses sur ces deux dimensions. Il convient précisément de saisir la nature du travail accompli par les rédacteurs des textes au sein d’un contexte donné afin d’essayer de comprendre leurs inten-

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4. Perspectives comparatives et conclusions

tions. La production d’un discours doit être elle-même considérée comme un fait historique significatif20. Ainsi, même si le contexte historique de rédaction d’un texte est obscur, la présence d’une élite responsable du texte et de sa transmission peut certainement être postulée. D’une certaine manière, les textes reflètent nécessairement des intérêts liés au groupe social de leurs gardiens. Ce constat ne se limite évidemment pas au seul sujet de l’hospitalité. De nombreux thèmes traités en histoire des religions proviennent également de textes qui reflètent le plus souvent (à la base) les intérêts d’une communauté lettrée. Il faut distinguer ce fait particulier de toutes les interprétations ultérieures produites sur ces mêmes textes. En prenant en compte ces différents éléments, nous allons tenter d’abstraire quelques tendances générales en développant l’une des questions centrales de cette étude : qui invite qui et dans quel cadre21 ? À cette fin, il est possible de reprendre les modèles placés au début de chacune de nos études et d’en élargir la portée22 : « communauté textuelle »

ingroup

outgroup

« communauté textuelle »

(2)

(4)

(7)

ingroup

(3)

(5)

(7)

outgroup

(6)

(6)

lAccueillant ~ Reçu non-défini

non-défini (1)

Il semble que les catégories génériques de (a) la « communauté textuelle », (b) des autres classes internes à la tradition (ingroup) et (c) des outsiders (outgroup) permettent d’organiser approximativement les discours relatifs à l’hospitalité. Il faut bien sûr s’empresser d’ajouter que cette classification peut être altérée par certains des critères évoqués plus haut. Au surplus, la délimitation entre groupes « internes » et les outsiders n’est pas toujours nette, même dans l’optique des rédacteurs des textes. Les relations d’hospitalité peuvent précisément avoir pour fonction de redéfinir certaines de ces frontières. 20 Ainsi Lightstone (1993), p. 167 : « In the ancient world, the production of a text is overwhelmingly a social act of political significance which communicates shared meaning of a normative, or would-be normative, nature. » 21 Rüpke (2005), p. 236 montre que cette question permet de se pencher sur les aspects de processus et de communication à l’œuvre dans les rituels. 22 Cf. Schreiner (1991), p. 307. L’élaboration de critères significatifs pour les relations intra- et inter-groupes fait partie intégrante des recherches en psychologie sociale. Cf. par exemple Stephan (1987), p. 17–18 ou Hewstone et Brown (1986), p. 3, qui rapportent une liste de « facteurs » influençant les contacts interpersonnels.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

233

Distinguons, à partir de ce schéma, un certain nombre de cas particuliers. (1) L’identité de l’hôte n’est pas précisée. Il convient alors de se poser la question du genre de texte et de son audience, ou de proposer une hypothèse afin de lever le sous-entendu. (2) Les discours relatifs à l’hospitalité se déroulant entre membres de l’élite religieuse relèvent volontiers de descriptions de l’organisation du mouvement lui-même et peuvent avoir valeur d’exemple. (3) Les textes évoquant le cas d’un membre de l’élite recevant un « laïc » sont plutôt rares et concernent des situations très spécifiques, comme celui de la relation maître-disciple. La hiérarchie habituelle de l’hospitalité, réservant le plus souvent la place d’honneur à l’invité est alors susceptible d’être exceptionnellement inversée. (4) Les discours enjoignant aux « laïcs » de donner l’hospitalité aux membres des « élites » comportent le plus souvent un rôle important dans la structuration du mouvement religieux lui-même. Dans ces trois derniers cas, la présence d’un ou de plusieurs membre(s) de l’élite religieuse peut conférer un aspect rituel à l’interaction sociale. Cela est moins courant dans les cas suivants : (5) Les discours recommandant aux « laïcs » de se donner l’hospitalité visent souvent à renforcer des liens de solidarité au sein d’une communauté. (6) Les discours traitant de l’hospitalité donnée à un outsider sont fréquemment des mises en garde qui visent peut-être à répondre à des situations se présentant dans la vie courante. Ce cas pose virtuellement le problème symbolique de se mettre au service d’un invité provenant d’un groupe extérieur. (7) Enfin, les discours relatifs à la réception par un outsider visent le même objectif que le cas (6), mais de manière plus affirmée, puisque dans cette situation, le « laïc » doit se soumettre et accepter l’ensemble du cadre de la réception. Évidemment, ce modèle est directement inspiré de l’étude de nos deux contextes. Il porte donc la marque des spécificités et des affinités caractérisant les deux traditions étudiées – et en particulier, le fait de l’existence d’une élite instruite, d’une « communauté textuelle ». Sans doute une image différente émergerait-elle d’une étude portant sur d’autres genres de textes ou d’autres contextes. Un tel modèle reste toutefois pertinent pour l’approche de questions similaires émanant de contextes différents. L’hospitalité fait ainsi l’objet d’une codification très détaillée dans des textes jaïns, que l’on pourrait parfaitement analyser selon notre grille de lecture. La personne qui reçoit et celle qui donne déterminent largement la nature de l’interaction : le meilleur receveur est un ascète jaïn ; le laïc pratiquant est aussi méritant, mais pas autant que le premier, alors que l’homme dépourvu de qualités est déclaré apƗtra (« récipiendaire non valable23 »). Les contacts avec les outsiders sont quant à eux perçus comme éminemment problématiques: « [Une] interdiction rigoureuse est placée sur toute interaction avec les Bouddhistes, les CƗrvƗka, les ĝaiva, et les ƖjƯvikas24. »

23 Cf. Williams (1963), p. 151–154. 24 Williams (1963), p. 153.

234

4. Perspectives comparatives et conclusions

4.2.2 Logiques de l’échange Même si elles ne sauraient se réduire à une simple « transaction », les différentes situations décrites par le modèle que nous venons d’exposer impliquent plusieurs logiques de l’échange, et dans certains cas, il est possible de décrire les pratiques d’hospitalité comme relevant d’un « rituel d’échange »25. Il est utile de distinguer deux cas dont les implications nous paraissent sensiblement différentes : – –

L’hospitalité fait l’objet d’une réciprocité directe. L’hospitalité n’est pas reliée à une réciprocité directe, mais s’inscrit dans une logique rétributive globale.

Le premier énoncé présuppose une conception de l’échange au sein de laquelle les membres d’une communauté interagissent entre eux. Dans ce cas de figure, une personne ayant elle-même reçu l’hospitalité veillera sans doute à la réciprocité. En ce sens, on peut parler d’une « réciprocité restreinte26 » et concrète. Comme on l’a vu, cette conception rejoint certaines observations de Mauss relatives à l’échange non-marchand : le don appelle en principe un « contre-don ». Nos textes font fréquemment mention d’une relation de ce type, souvent fortement recommandée, et volontiers placée sous les auspices d’une garantie divine. L’élément crucial à remarquer ici est que cette réciprocité « restreinte » s’exerce en principe entre des acteurs appartenant à un même statut social. Elle peut être qualifiée de « conservatrice », car elle ne conduit pas à une redéfinition des hiérarchies ou des limites du groupe. La seconde proposition est plus intéressante : elle suppose une relation essentiellement dissymétrique, et une absence au moins apparente de réciprocité. Ce principe intervient fréquemment dans le cas de transactions entre hommes et entités supra-humaines, généralement dans un cadre rituel27. Il est significatif que dans plusieurs des cas examinés ici, les membres de l’« élite religieuse » reprennent la fonction des entités supra-humaines. Ainsi, l’hospitalité prodiguée à un Sage par un « laïc » constitue effectivement (pour les textes) un devoir spécialement important, qui n’attend pas nécessairement de contrepartie. On peut nommer cette relation « réciprocité généralisée », dans le sens où une transaction de ce type suppose l’acceptation d’un système général, visant à expliquer l’absence d’une réciprocité immédiate28. Comme le proposait déjà Mauss, l’apparente absence de réciprocité peut être compensée par l’élaboration d’une théologie des mérites : la réciprocité peut très bien transiter par plusieurs intermédiaires (humains comme divins). Le don fait à un Sage (ou à un représentant de leur mouve25 Sur la notion, cf. Grimes (1985), p. 10. 26 Cf. Alles (2000), p. 118 et Strenski (1993) qui relève : « In a scheme of restricted exchange […] a transaction can be completed (this is what we often call reciprocity). It operates between two parties, and essentially aims to achieve an equilibrium » (p. 142). 27 Cf. Alles (2000), p. 122. 28 Cf. Alles (2000), p. 118 et Gotman (2001), p. 276–277.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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ment, ou à un « étudiant ») sera donc rétribué par une instance tierce (ce qui n’exclut cependant pas par principe toute possibilité de « réciprocité concrète »). Cette idée vise à expliquer que, dans le système dont elle est solidaire, l’hospitalité, bien qu’apparemment sans retour, trouvera sa contrepartie dans un avenir plus ou moins lointain. Il ne faut pas immédiatement interpréter ce principe dans le sens d’un avantage économique pour le groupe des élites religieuses. Ce principe permet surtout l’élargissement d’une communauté et la redéfinition de hiérarchies, car il s’exerce par définition entre des acteurs inégaux qui participent ensemble à un certain nombre de pratiques (par excellence le partage d’un repas). Il comporte donc un caractère plus dynamique que dans le cas d’une réciprocité « restreinte ». Dans le même sens, il convient finalement d’insister sur le fait que les deux sortes de transactions sont toujours socialement qualifiées29. Sans doute certaines prescriptions relatives à la problématique de la pureté (en particulier, la pureté « morale », selon la distinction de Klawans30) peuvent-elles se comprendre de cette manière : il s’agit de justifier des comportements permettant la mise à l’écart de groupes avec lesquels le contact (et conséquemment, l’échange) est perçu comme désavantageux31. La doctrine des mérites contribue elle aussi à encourager certaines relations sociales plutôt que d’autres. Le constat de l’importance du statut social des protagonistes nous conduit à reprendre à notre compte, et pour la problématique de l’hospitalité, l’observation pertinente de Bruce Lincoln au sujet de l’économie du sacrifice telle que développée dans l’Essai sur le sacrifice d’Hubert et Mauss32 : Dans leur classique Essai sur le sacrifice, Henri Hubert et Marcel Mauss ont défendu l’idée que toute vie sociale est essentiellement une forme de sacrifice, par lequel des individus offrent des portions d’eux-mêmes pour le bien commun, mais récoltent en retour les avantages majeurs de la vie en société. Ce que ces maîtres de l’école sociologique n’ont pas réalisé, cependant – ici comme dans l’ensemble de leur œuvre – est que certains membres de la société ont à fournir des sacrifices bien plus importants que certains autres, et que ceux dont on exige le plus récoltent très souvent les récompenses les plus maigres33.

Cette remarque rejoint aussi nos considérations relatives aux complications sociales du système du don que l’on a exposées à l’issue de chacune de nos deux études. Ainsi, si la thématique de l’échange est en mesure d’apporter un éclairage renouvelé à certains faits considérés comme « religieux », il importe de prendre en

29 Sur ce point, cf. Strenski (1993), p. 143, qui montre bien (à la suite de l’étude classique de Spiro (1982 [1970])) toute l’ambiguïté des relations d’échange entre le sa۪gha bouddhique et les « laïcs » : « If no qualification were placed upon the exchange between sangha and laity, the sangha would soon become laicized. » 30 Klawans (1998), p. 392–394. 31 Ainsi Holdrege (1996), p. 3, parlant du judaïsme rabbinique et du brahmanisme : « These religions of orthopraxy have developed elaborate legal systems, sacrificial traditions, purity codes, and dietary laws that serve to inscribe and perpetuate the sociocultural taxonomies of their respective communities » (je souligne). 32 Hubert et Mauss (1929). 33 Lincoln (1991), p. 175, ma traduction.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

compte l’ensemble du cadre de la transaction – en particulier la position sociale de ses acteurs : les différents facteurs faisant de l’échange une transaction qualifiée34. Ces différentes distinctions permettent de prolonger la réflexion de Gregory D. Alles sur la thématique de l’échange en contexte religieux et rituel. Comme nous avons essayé de le montrer, la seule provenance des sources constitue un biais important qu’il s’agit de problématiser avant de procéder à une quelconque interprétation. Alles déclare ainsi : « D’une manière générale, le puissant bénéficie de l’échange plus que le moins puissant35. » Si cette affirmation ne pose pas de problème a priori, il faut toutefois prendre garde au fait qu’un texte décrivant une situation d’inégalité peut très bien se rapporter à un rapport de pouvoir inversé – les « élites religieuses » cherchant par exemple à (re-)gagner de l’autorité sur un pouvoir séculier. Dans nos deux exemples, les textes relatant ce type d’échange « inégalitaire » semblent précisément témoigner d’une situation historique au sein de laquelle le groupe des « élites religieuses » n’est pas nécessairement dans une position dominante. Dans ce cas, nous pourrions renverser la formulation, pour dire que c’est plutôt le moins puissant, qui par un certain nombre de stratégies, finira par bénéficier des logiques de l’échange qu’il met en place. Il convient donc de prendre garde autant à la question de la médiation discursive qu’à celle du type de pouvoir en jeu36. Nous partageons cependant volontiers l’avis d’Alles quant à l’utilité d’une étude des relations d’échange pour l’étude d’une société et de son développement historique37. 4.2.3 Pratiques de l’hospitalité Si un discours sur l’hospitalité dépend nécessairement des protagonistes qui y sont impliqués, inversement, les pratiques de l’hospitalité décrites par un texte sont aussi en mesure d’en déterminer le sens, en définissant par exemple les caractéristiques des rôles à jouer par le maître de maison et son invité. L’hospitalité ne se réduit certainement pas à la chose donnée et plusieurs gestes sont à mettre en relation avec les rapports de hiérarchie et de pouvoir à l’œuvre dans toute société. En ce sens, nous souscrivons volontiers au propos suivant de Bruce Lincoln, qui conclut, après l’étude des comportements associés au déroulement d’un banquet irlandais : 34 Bell (1997), p. 109 insiste précisément sur la dimension sociale de ces rites : « Ritual acts of offering, exchange and communion appear to invoke very complex relations of mutual interdependence between the human and the divine. In addition, these activities are likely to be important not simply to human-divine relations but also to a number of social and cultural processes by which the community organizes and understands itself. » 35 Alles (2000), p. 120. Dans sa discussion d’exemples concrets, Alles semble cependant plus sensible à cette dimension (cf. notamment Alles (2001) et Alles (2004), p. 284). 36 On pense par exemple à la distinction de Dumont, reprise par Smith (1987), p. 54–56, entre deux types de hiérarchies, selon le « rang » (que caractérise l’opposition pur/impur) et selon le « pouvoir ». Cf. également Holdrege (1990), p. 28–29. 37 Alles (2000), p. 122.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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La société se caractérise autant par la hiérarchie que par la solidarité. Ces hiérarchies ne sont pas seulement exprimées, mais aussi activement construites et régulièrement reconstruites dans les rituels de commensalité, au moyen des particularités de menu, portion, de l’arrangement des sièges, de l’ordre du service, etc.38

Ainsi, dans nos exemples, des énoncés « phatiques » adressés au visiteur pour le saluer ou pour le congédier peuvent servir à évaluer le rang et l’identité de l’arrivant. Ces énoncés se modifient en effet en fonction de la personne et attendent surtout une réponse déterminée, ce qui implique nécessairement – au moins selon le point de vue « orthodoxe » des textes – que l’allocutaire ait connaissance de la formule appropriée39. Les formules de salutation sont fréquemment chargées de motivations « religieuses » : il peut s’agir d’un moyen très efficace de reconnaître les membres d’un même groupe et de s’assurer que l’interaction qui suivra se déroulera au mieux40. La question du confort de la réception n’est qu’apparemment triviale : la qualité du siège (fait-on asseoir le visiteur à même le sol, sur une chaise, un « fauteuil », un lit ?) mis à disposition de l’arrivant peut être considérée comme un indicateur de sa position sociale41. Par ailleurs, la question de l’heure d’arrivée du visiteur n’est pas indifférente. Ce sujet est lié, dans nos textes indiens, au symbolisme rituel associé à l’hospitalité : si l’on admet que l’atithi est supérieur à celui qui le reçoit, il doit arriver avant que le repas ne soit servi afin d’être en mesure d’entamer la masse de nourriture. Le maître de maison pourra ainsi consommer les restes laissés par son visiteur. Comme on l’a vu, cette construction symbolique peut souffrir quelques exceptions : les textes s’accordent à reconnaître qu’un atithi se présentant à une heure « défavorable » doit tout aussi bien être reçu – ce qui évite d’imposer une condition difficile à remplir aux destinataires (brahmanes) de l’hospitalité. D’une manière générale, le fait de manger (ou de se servir) en premier comporte clairement une portée sociale, parfois légitimée par un rapport d’analogie avec des rituels pratiqués en dehors de la sphère domestique42. Cette question a 38 Lincoln (1989a), p. 88, ma traduction. 39 On se rappelle, en ce sens, des formules spécifiques relatives à la salutation (supra, p. 160), tout comme, dans nos textes rabbiniques, de la question délicate de la bénédiction du repas, parfois confiée au visiteur, ce qui implique qu’il en connaisse la formule (supra, p. 73). Sur ce point, Goffman (2008 [1967]), p. 41–42 et les remarques de Pitt-Rivers (1997), p. 154 : « En sait-il [l’étranger] assez sur la culture des gens chez qui il vient pour se comporter convenablement et interpréter comme il faut ce qui se fait ? Peut-il, en un mot, souscrire aux règles de leur culture ? » 40 Cf. les exemples de Schürmann (1994), p. 155–158, qui parle à cet égard d’une « Grußgemeinschaft » (p. 157). 41 Ainsi l’histoire de R. Huna (supra, p. 67 sqq.), ou les prescriptions relatives à la réception d’un étudiant (supra, p. 100) ; de même, la prescription enseignant de faire asseoir un atithi sur un siège (Ɨsana) et non à même le sol (supra, p. 161). 42 Ainsi de la théorie brahmanique des restes (supra, p. 195 sq.), tout comme de la prescription rabbinique enjoignant un invité particulièrement respectable (par exemple, un « Ancien ») de se servir en premier (supra, p. 90). Sur ce motif, cf. Grottanelli (1981), p. 153, qui estime qu’il s’agit là d’une question d’honneur (« Mangiare gli avanzi […] è dunque fonte di ono-

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4. Perspectives comparatives et conclusions

bien sûr part liée aux différents ordres de préséance dont on a vu quelques exemples : la personne la plus honorable mangera ou se servira en premier. Ce fait est aussi perceptible au sein des prescriptions relatives à la place réservée à l’invité au sein d’un groupe, ou au rôle qu’on lui attribue43. On peut encore évoquer, dans ce registre, le fait de cuisiner ou de préparer les aliments (et notamment, mais pas seulement, la distinction cru / cuit), de même que la nature des aliments. La préparation, plus ou moins élaborée (et coûteuse) de la nourriture est souvent le reflet de la « qualité » du visiteur44, tout comme le menu lui-même. La distinction entre aliments à l’état naturel et aliments préparés comporte clairement des conséquences sur l’interaction sociale. Cette dernière question (la préparation de nourriture pour un invité) est aussi liée à la problématique de la « pureté » : n’importe quelle action sur la nourriture ne peut pas être accomplie par n’importe qui. On se souvient que le Talmud de Palestine autorisait le commerce de denrées non-cuisinées avec les Gentils. Similairement, nos textes indiens autorisent certaines actions sur la nourriture par des personnes de statuts sociaux inférieurs, à l’exclusion de la cuisson45. En somme, plus un élément demande d’élaboration ou de contact, plus il est sensible46. Quant à la consommation des aliments, il est apparu que certaines denrées ne sauraient être consommées par un homme seul : elles doivent être partagées – ce qui témoigne par excellence de leur fonction sociale. D’autres éléments conditionnent aussi un rapport d’hospitalité, comme le nombre d’invités ou la durée du séjour (ne s’agit-il que d’un repas, ou l’hôte restet-il pour plusieurs jours47 ?). Souvent, la qualité (de l’invité, du repas) l’emporte sur la quantité. Ce fait s’explique assez aisément : dans l’optique édifiante des textes, il convient de faire en sorte que l’hospitalité – et en particulier, le moment

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re. »). Avec une idée similaire, cf. Smith (1982a), p. 60, qui montre qu’un animal tué sera cuisiné, servi et partagé « according to strict rules of rank and prestige so that its body becomes a social map of the camp ». Bien que cet exemple soit – on le concède volontiers – bien éloigné des cas traités dans notre étude, l’idée que des pratiques quotidiennes relatives au repas (et en particulier à l’hospitalité) dessinent la « carte sociale » d’un groupe donné nous semble digne d’intérêt. Cf. de même Baudy (1983), p. 144 sqq. Comme on l’a vu, c’est toujours l’invité qui détient le pouvoir symbolique pour tous les rites ponctuant le déroulement d’un ĞrƗddha : le commanditaire ne peut procéder qu’avec son aval (supra, p. 193). Ainsi de la question de savoir si l’on peut cuisiner un jour de fête pour un visiteur païen (supra, p. 124 sqq.) ; similairement, l’insistance des textes brahmaniques sur la préparation d’un repas d’une qualité proportionnelle à la dignité du visiteur reçu (supra, p. 179). Cf. supra, p. 128 et supra, p. 213. Sur l’importance sociale de la cuisine, cf. notamment Lévi-Strauss (1968), p. 411 : « [On peut] espérer découvrir, pour chaque cas particulier, comment la cuisine d’une société est un langage dans lequel elle traduit inconsciemment sa structure, à moins que, sans le savoir davantage, elle ne se résigne à y dévoiler ses contradictions. » Rappelons aussi les mots de Douglas (1972), p. 61: « If food is treated as a code, the messages it encodes will be found in the pattern of social relations being expressed. The message is about different degrees of hierarchy, inclusion and exclusion, boundaries and transactions across the boundaries. » Sur la durée de l’hospitalité, et la « règle des trois jours », cf. Gotman (2001), p. 189.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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du repas48 – ne soit jamais dépourvue d’un caractère cérémoniel, ce qui garantit que les règles régissant le bon déroulement de la transaction pourront être observées – cela est assurément plus ardu si le cadre est trop festif, si les convives sont nombreux ou si le séjour des invités se prolonge outre mesure. Mentionnons encore un point capital : le motif de la rencontre. Les implications seront très différentes selon que la réunion possède un motif rituel (ou religieux) ou non. De manière prévisible, il s’agit là d’un enjeu particulièrement cher aux rédacteurs des textes : de même que l’hospitalité entre « coreligionnaires », à l’occasion d’une célébration « religieuse », constitue une évidence, de même estelle sévèrement découragée quand il s’agit de participer à une fête tenue pour « hétérodoxe49 ». En dernier lieu, le facteur de l’espace est lui aussi socialement déterminé et exerce nécessairement une influence considérable sur les discours relatifs à l’hospitalité. Cette question doit être considérée à deux échelles géographiques : (1) celle du territoire, idéalisé ou non, auquel se réfèrent les textes ; (2) celle de la maison. Suivant les cas (1), le territoire supposé par les textes peut être doté de caractéristiques spéciales qui déterminent la possibilité et la nature des contacts qui s’y nouent. Cela porte à conséquence pour la définition des « étrangers » : les textes qui ne se déclarent valides que sur un espace particulier ignorent ce qui peut arriver en dehors de cet espace (et n’ont pour but que de régler les contacts au sein d’une société localisée sur un territoire donné). Inversement, les textes non limités à un territoire doivent prendre acte des nombreux problèmes (y compris théologiques) que pose la coexistence avec d’autres législations. La société idéale décrite au sein des textes dépend donc fortement (que cela soit explicite ou non) du territoire où celle-ci est censée se réaliser. D’autre part (2), l’espace domestique est lui-même fortement socialement codifié : au sein d’une maison, n’importe qui n’a pas accès à n’importe quelle pièce et l’agencement des convives – par exemple séparés en « tablées », ou répartis sur des lits eux-mêmes stratégiquement disposés – reflète des hiérarchies ou des rapports de pouvoir. L’espace domestique reproduit ainsi en miniature un ordre plus global50. En ce sens, la maison constitue volontiers un espace « sacré » (par contraste avec l’extérieur, qui est « profane »), comme cela apparaît en plusieurs exemples de la littérature rabbinique51.

48 Sur l’aspect rituel de repas « collectif », cf. Schürmann (1994), p. 66–73. 49 On a vu toute l’importance de cette question dans le contexte rabbinique : l’hospitalité envisagée dans le cadre d’une fête juive est recommandée, alors que l’hospitalité liée à une fête païenne est proscrite, avec plus ou moins d’insistance selon les textes (supra, p. 130). 50 Cf. ainsi Bourdieu (1980), p. 450 : « Microcosme organisé selon les mêmes oppositions qui ordonnent l’univers, la maison entretient une relation d’homologie avec le reste de l’univers. » Pour une application au contexte indien, cf. Burger (2000), p. 242. 51 On pense par exemple au système des `eruvin, supra, p. 100 sq. Cf. aussi Hezser (1998), p. 520–546 qui distingue plusieurs sortes d’espaces au sein même de la maison.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

Le passage du seuil d’une maison (et la question de qui entre le premier) peut représenter un critère décisif marquant l’entrée dans la sphère d’influence du maître de maison – ce qui n’implique bien sûr pas que ce dernier soit désormais tout puissant (au contraire, c’est le plus souvent l’invité qui dispose du pouvoir symbolique). Il s’agit simplement d’un changement de régime, entraînant le respect d’une série de droits et de devoirs pour chacun des protagonistes. La question du retour (« l’escorte ») relève de la même idée : le plus souvent, la distance sur laquelle il convient de raccompagner un visiteur témoigne de l’extension du territoire sur lequel le « maître de maison » exerce son influence, tout comme de l’importance du visiteur52. 4.2.4 Cui bono : les avantages de l’hospitalité Même si nous avons été contraints de nuancer certains propos de Mauss à la fin de chacune de nos études, il est indéniable que les discours encourageant à l’hospitalité relèvent d’une logique du don et que cette logique reflète le fonctionnement d’un groupe. La recommandation de l’hospitalité contribue ainsi à souder une communauté53, ce qui constitue précisément, dans les deux contextes examinés, un fait qui n’est pas nécessairement donné d’avance. Les textes présupposent une certaine idée de communauté – plus ou moins réelle, plus ou moins idéale, mais toujours souhaitée – articulée autour de valeurs (l’étude, le comportement correct, etc.) tenues pour spécialement importantes. En ce sens, les discours sur l’hospitalité que l’on a étudiés portent la marque de processus caractéristiques de « sociétés » en train de se construire ou de se reconstruire. D’une manière plus spécifique, les pratiques impliquant une logique rétributive globale (au sens indiqué plus haut) tissent des relations au sein d’une communauté et favorisent la diffusion d’une vision du monde. La force du procédé réside précisément dans le caractère « domestique » et « quotidien » de telles pratiques qui, en reproduisant à ce niveau un ordre plus général permettent au système de fonctionner de manière quasiment « transparente ». Ce procédé nous semble susceptible de décrire de nombreux cas – y compris contemporains – et l’on peut par exemple souscrire aux éléments d’analyse suivants, élaborés à partir

52 Ainsi Pitt-Rivers (1997), p. 169–170 : « Les rôles d’hôte (invitants, invité) sont soumis à une limitation territoriale. Celui qui invite n’est hôte qu’à l’intérieur du territoire sur lequel, à telle ou telle occasion, il affirme son autorité. En dehors, il ne saurait maintenir ce rôle. Celui qui reçoit l’hospitalité n’est hôte que sur le terrain où il a des droits et des responsabilités. C’est ainsi que le geste de courtoisie qui consiste à accompagner un invité jusqu’à la porte ou jusqu’à la grille souligne le souci que l’on a de son bien-être pendant tout le temps qu’il reste un hôte et, du même coup, définit le point précis à partir duquel son rôle d’hôte prend fin et le moment précis à partir duquel vous êtes déchargé de toute responsabilité à son égard. C’est le point où la validité des rôles vient à expiration. » 53 Cf. également, sur ce point, les remarques de Gotman (2001), p. 158 et p. 253 (sur les implications du milieu social pour l’hospitalité).

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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de l’étude des pratiques sociales de « visites », au sein d’une culture rurale dans l’Ontario : La communauté est créée et recréée par ses membres dans le cadre des déplacements dans et par delà les frontières dont ils sont les garants. […] La question de « qui rend visite à qui » relève non seulement d’un enjeu privé, mais également d’un intérêt public. L’importance des visites est nécessaire, et l’apparente obsession avec des détails mondains et « quotidiens » renvoie en fait aux actions et aux identifications les plus centrales : qui participe à la communauté et qui n’y participe pas ; et donc qui y appartient, et qui n’y appartient pas. Le caractère formel de ces prescriptions marque tout le sérieux du concept de visite sociale, sinon des visites elles-mêmes54.

Le principe selon lequel l’hospitalité construit et resserre des liens sociaux dans le cadre de « réseaux d’alliance qualifiés » se rencontre par excellence dans le cadre de repas tenus en commun à l’occasion de fêtes « religieuses » – l’exemple d’un repas de Shabbat est à cet égard tout à fait paradigmatique. Ce processus est également perceptible dans certains de nos textes indiens, notamment au travers de la thématique du ĞrƗddha, qui met en jeu et affirme différents types de relations : entre le commanditaire et les brahmanes invités (considérés dans leur statut de brahmanes) ; et entre le commanditaire et les pit‫( ܀‬et deva) représentés par les brahmanes. L’hospitalité se présente alors comme un rituel visant à réguler les relations sociales autant entre des acteurs bien humains, qu’entre les hommes et une ou des instance(s) supra-humaine(s). Dans ce cadre, l’hospitalité désigne la modalité de l’interaction entre des êtres participant d’un même cosmos55. C’est précisément l’avis de Jamison, qui déclare : L’oblation pour les ancêtres, semble-t-il, est une commémoration des liens verticaux / diachroniques qui rassemblent la communauté aryenne – la succession des générations – alors que le banquet d’hospitalité du ĞrƗddha célèbre l’extension horizontale / synchronique de la communauté aryenne, tous ceux qui sont liés par des obligations d’hospitalité ou d’amitié56.

Comme on l’a déjà vu, les discours sur l’hospitalité peuvent également servir à établir et confirmer des hiérarchies sociales, ce qui se reflète dans la question des places respectives (notamment dans la qualité de l’accueil) assignées à l’hôte et à son invité. Un hôte peu instruit ne mérite ainsi pas d’être reçu avec les mêmes égards qu’un visiteur érudit : cette question indique par jeu de miroir quelles sont les valeurs prisées par le groupe définissant la nature du cosmos – dans le cas présent, l’étude et la transmission du savoir traditionnel de génération en génération. Pour la même raison (que les protagonistes décrits par les textes ne sont pas égaux entre eux), l’idée de réciprocité est plus ou moins souhaitable (interdite, permise ou obligatoire) en fonction des protagonistes impliqués. Il est par exemple nécessaire de modérer l’opinion de Jamison rapportée plus haut : le ĞrƗddha n’a pas

54 Greenhill (1989), p. 45, ma traduction. 55 Cf. à ce propos les conclusions de Lincoln (1986), p. 170 sur la « pensée homologique », que l’on peut probablement étendre au-delà du seul contexte indo-européen. 56 Jamison (1996b), p. 183, ma traduction.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

pour effet de renforcer les liens entre tous les Ɨrya57. Il souligne seulement l’obligation des dvija à l’égard des brahmanes qui ne sont, en la matière, nullement tenus à la réciproque. À plusieurs reprises dans le contexte rabbinique, l’argument de la « paix sociale » vient légitimer des contacts virtuellement problématiques. Dans cette situation, il ne s’agit plus de renforcer des liens sociaux au sein d’un groupe. Il s’agit plutôt d’un argument pragmatique légitimant une légère transgression de la norme religieuse afin de préserver de bonnes relations sociales, indépendamment de l’appartenance religieuse ou « ethnique ». Dans ce même cadre, l’hospitalité peut également être considérée comme une pratique intégrative dans la mesure où elle est susceptible de déplacer (au moins temporairement dans un premier temps, mais peut-être avec des effets durables) la place des limites sociales elles-mêmes, en intégrant une personne « étrangère » au sein d’une organisation spécifique58. Il s’agit ainsi d’un élément concourant à la création de nouveaux liens sociaux (au niveau domestique) et à la redéfinition des limites de la communauté. Similairement, mais de manière plus radicale, l’hospitalité peut constituer un outil visant la conversion de l’invité hébergé59. Il s’agit là d’un schéma fréquent et récurrent au sein de traditions à vocation missionnaire (par exemple christianisme / bouddhisme). Dans nos exemples toutefois, cette fonction de l’hospitalité est plutôt apparue comme secondaire60. Sur ces enjeux collectifs vient enfin se greffer une série de motivations individuelles : l’hospitalité peut gagner du prestige à qui la pratique (par exemple dans le cas d’un roi conviant un grand nombre de brahmanes à un sacrifice qu’il organise). Comme l’a bien vu Pitt-Rivers61, la logique de la honte et de l’honneur peut effectivement constituer une motivation de l’hospitalité62 : par ses dépenses somptuaires, un roi est susceptible de gagner en honneur et en prestige, ce qui à son tour peut comporter des répercussions sur la sphère politique ou économique.

57 Notons au passage que la notion même de « communauté aryenne » est problématique d’un point de vue historique et n’est pas thématisée par les textes. 58 Sur les stratégies permettant d’intégrer un élément ne respectant a priori pas un code culturel défini, voir Goffman (2008 [1967]), p. 19. 59 Sans doute le texte présentant Abraham exigeant la bénédiction du repas de la part de ses hôtes (TB So৬ 10a–b) renvoie-t-il ainsi à la problématique du prosélytisme dans le judaïsme rabbinique (du moins, à celle de la proclamation du monothéisme). 60 Voir cependant, pour des arguments relatifs au caractère missionnaire du brahmanisme, Lévi (1937), p. 127–128 et Sharma (1992). 61 Pitt-Rivers (1997), p. 168 : « Le maître de maison s’honore de la compagnie de son invité (et ce n’est pas qu’une formule de modestie : il gagne en honneur avec le nombre et la qualité de ses hôtes). L’invité est honoré par l’invitation qui lui est faite. » et Grottanelli (1981), p. 126 : « [I]l banchetto ospitale è insieme lo strumento e il teatro dell’onore e del disonore. » (l’auteur souligne). 62 Cependant, contrairement à Grottanelli (1981), p. 154, je ne vois pas de raison pour limiter la problématique de l’honneur et de l’hospitalité aux mondes méditerranéen et biblique.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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4.2.5 Cui malo : les dangers de l’hospitalité La portée « positive » de l’hospitalité évoquée dans la section précédente a nécessairement pour corollaire sa sensibilité : si l’hospitalité a pour effet de resserrer des liens sociaux, elle peut tout aussi bien compromettre une certaine vision d’une communauté. L’hospitalité suppose avant tout le partage d’un espace délimité, et conséquemment la possibilité d’un contact à la fois physique et intellectuel – ne serait-ce que par une conversation. Selon les circonstances, ces différents éléments peuvent s’avérer critiques. Il semble bien que cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les textes visent un public confronté à leur présence et que la position de leurs gardiens n’est elle-même pas solidement établie63. Ainsi, l’hospitalité à l’égard de membres de courants dissidents est généralement réprouvée, parce qu’elle va à l’encontre d’un principe de constitution identitaire qui procède par l’exclusion raisonnée d’individus ou de groupes ne partageant ni les mêmes convictions, ni les mêmes pratiques. Évidemment, les critères servant à déterminer l’« écart acceptable » ont pu varier dans le temps, en fonction de circonstances historiques bien précises. La place même des leaders, ou de ceux qui revendiquent cette position est significative dans la définition de cet « écart acceptable ». Le contact physique et le partage de nourriture reflètent bien la question de cet « écart acceptable ». Les diverses règles de pureté ont (notamment) pour but de régler cette question, et peuvent être considérées, comme le dit bien Jonathan Z. Smith, comme les marques de systèmes de référence organisant la société64. Dans plusieurs cas, la réprobation d’un contact physique au nom de la pureté peut être considérée comme une manière d’éviter une interaction « intellectuelle » perçue comme dommageable pour un idéal collectif.65 L’hospitalité peut également représenter un « danger » pour celui qui est reçu : celui-ci peut en effet mettre en péril sa propre position par des contacts jugés peu auspicieux, à l’image du brahmane pour qui la simple acceptation d’une invitation formulée par un non-brahmane est virtuellement problématique, ou à l’image du rabbin, qui doit prendre garde à ne pas fréquenter de trop près des ignorants. Un autre problème récurrent est celui des genres. Le fait que nos deux corpus de textes émanent de milieux exclusivement masculins implique que la femme est souvent ressentie comme « étrangère », en raison de sa différence de genre. Il faut distinguer ici trois situations principales. (1) La femme est placée du côté de son mari et assure le bon déroulement de la relation d’hospitalité. Presque tous nos textes reconnaissent que son domaine est celui de la maison : elle se charge fréquemment de préparer le repas, de recevoir les invités (ou les mendiants sur le pas 63 Cf. ainsi Lightstone (1988), p. 69 : « Boundary-crossers would have proven to be a danger to this emergent rabbinic organization, which lacked longstanding norms and institutions that established for them a clear social identity and role. » 64 Smith (1978a), p. 291–292. 65 Cf. Douglas (1981), p. 194.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

de porte) ou d’œuvrer au bon déroulement du séjour des hôtes. Cette perspective n’est pas très étonnante dans le cadre des sociétés majoritairement patriarcales desquelles sont issus nos exemples. En même temps (2), c’est parfois par la simple participation à un repas qu’une présence féminine peut s’avérer problématique : la différence des sexes se traduit alors en différence de « pureté », et finalement en hiérarchie sociale (cela est clair pour nos textes indiens : la femme mange après son mari et ce dernier ne saurait jamais – au moins selon le point de vue brahmanique orthodoxe – consommer les restes de sa femme). Certaines considérations pragmatiques jouent aussi un rôle quant à l’exclusion de la femme : une présence féminine pourrait distraire des convives et compromettre la raison rituelle ou formelle présidant à l’assemblée (comme dans le cas des « banquets » de ‫ۊ‬averim, essentiellement masculins). Enfin (3), dans le cadre du déroulement de l’hospitalité, le problème central se situe dans la relation entre un invité et la femme du maître de maison. La discussion relative aux points surmontant le ´elayw du texte biblique de Genèse 18, 9 en témoigne très bien : le rapport à la femme est éminemment délicat. Il s’agit de faire preuve de savoir-vivre, tout en évitant de malheureux malentendus avec le mari. Ce point n’apparaît pas clairement dans nos textes indiens de dharma : la femme y est en effet fréquemment ignorée, sauf quand elle permet à son mari d’assurer la fonction de « maître de maison » au sens légal ou rituel du terme66. Il convient finalement d’observer que les textes envisagent presque toujours67 le cas du visiteur de sexe masculin (un brahmane, un rabbin, un étudiant, etc.) et que la relation problématique vise systématiquement le rapport entre le visiteur et la maîtresse de maison et jamais entre une visiteuse et un maître de maison. Cela est certainement à mettre en rapport avec les différentes fonctions de l’hospitalité : dans les deux contextes examinés, par sa position sociale et « religieuse » inférieure et en raison de son association presque systématique au domaine domestique, la femme n’a nullement besoin des services de l’hospitalité68. Les différentes fonctions (et en particulier, celles assignées à un « dignitaire religieux ») auxquelles répond l’hospitalité sont exclusivement remplies par des hommes. En suivant le modèle proposé par Nancy Jay au sujet du sacrifice, on pourrait même suggérer que les rituels d’hospitalité ont aussi pour effet de perpétuer la barrière des genres d’une génération à l’autre69. Un manquement aux règles 66 Ce problème se pose toutefois avec acuité en d’autres corpus de textes indiens, ainsi qu’en témoignent les exemples de Jamison (1996b), notamment p. 153–157. Pour une discussion plus générale de cette question (et sur les règles plus ou moins tacites qui y sont liées), cf. Gotman (2001), p. 203 sqq. et Gotman (2001), p. 258 sqq. 67 On n’a trouvé qu’un seul texte rabbinique, TB Ket 65a, qui évoque le cas de l’hébergement d’un couple (supra, p. 110). 68 Cf. Bernand (1997), en particulier p. 70, qui réfléchit sur sa propre place de femme ethnologue en tant qu’invitée. On remarquera, à ce propos, l’asymétrie de la terminologie française : alors qu’« hôte » peut signifier à la fois « celui qui reçoit » et « celui qui est reçu », le terme « hôtesse » se limite à désigner « celle qui reçoit », « la maîtresse de maison ». Je remercie F. Voegeli d’avoir attiré mon attention sur ce point. 69 Cf. Jay (1992), p. 145.

4.2 L’hospitalité comme rituel social

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d’hospitalité pourrait conséquemment entraîner une remise en question des rôles attribués à chaque sexe. 4.2.6 Éléments à approfondir Avant de clore cette partie et en prolongement de ce travail, il semble opportun de suggérer quelques pistes d’investigation ultérieure sur le sujet de l’hospitalité. Il serait sans doute intéressant (1) de poursuivre l’enquête sur la manière dont des pratiques domestiques reflètent l’organisation sociale ou une vision du monde particulière, en se demandant par exemple si celles-ci sont adoptées de manière consciente ou non par leurs acteurs. La question des rituels domestiques nous paraît spécialement intéressante dans la mesure où par définition, ceux-ci mêlent les dimensions du « sacré » et du « profane », ainsi que celles de l’« individu » et de la « communauté70 ». Le sujet des pratiques rituelles effectuées au sein de la sphère domestique reste étonamment peu étudié en regard des résultats que cette recherche pourrait produire71. En second lieu (2), il serait fort judicieux de se pencher de manière plus précise sur la question de la perception des « autres » au travers des procédures de l’hospitalité, en élargissant (et sans doute, en corrigeant) le schéma proposé ici72 : avec qui l’hospitalité est-elle encouragée, possible ou proscrite, aux yeux de qui, et pour quelles raisons ? L’étude de cette question est susceptible de produire d’importants résultats sur la perception de l’« identité » au sein d’un groupe particulier et sur la (re-)définition des limites d’une communauté. Dans ce type de recherche, il s’agit évidemment de prendre en compte la question des différents statuts sociaux exprimés au sein du contexte, celle des genres de discours (qu’ils soient écrits ou oraux), ainsi que celle des rapports de pouvoirs et de hiérarchie. Une telle approche permet d’étudier de manière indirecte le fonctionnement de sociétés pour lesquelles les données historiques ou ethnographiques à disposition sont fragmentaires. Enfin (3), les discours sur l’hospitalité invitent presque naturellement à une réflexion de type économique sur l’échange de prestations. Bien qu’il faille prendre garde à ne pas idéaliser les situations que présentent les textes ou à projeter sur eux des problématiques anachroniques, une réflexion critique sur ces processus est certainement en mesure d’apporter une contribution à la compréhension des relations sociales et économiques constitutives d’une communauté, religieuse ou non. Une analyse « socio-économique » des sources faisant état de relations sociales peut constituer une aide précieuse pour le travail de contextualisation historique. 70 Je remercie vivement Kathryn McClymond pour avoir attiré mon attention sur ce point. Cf. ses conclusions, McClymond (2006), p. 19 sur l’étude du rituel. 71 C’est exactement le constat de Smith (1983), p. 221–222. Cf. aussi l’article de Cave (1996), en particulier, p. 164–165. 72 Supra, p. 232.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

4.3 RETOUR SUR LES CATÉGORIES ANALYTIQUES L’étude de nos textes nous a menés bien loin des pistes d’investigation traditionnelles en histoire des religions. Plusieurs catégories et/ou thématiques souvent tenues pour centrales, comme celles de « croyance » ou de « sacré » ne se sont en effet pas avérées d’une grande utilité pour notre travail. En revanche, d’autres sujets, comme les rapports de hiérarchie, les différentes logiques rétributives, l’aspect social des repas, le comportement « rituel » dans une action comme une salutation, nous sont apparus comme particulièrement importants. Cette impression provient sans doute d’une tradition de recherche elle-même teintée d’enjeux religieux. Comme le note Holdrege, dans un passage qu’il vaut la peine de citer in extenso : L’héritage protestant de l’étude académique des religions en Europe et en Amérique, et ses liens au discours des Lumières et aux projets colonialistes dans l’histoire de la modernité occidentale, est évidente dans la manière dont les paradigmes dominants tendent à privilégier certaines catégories en en marginalisant d’autres. Ces paradigmes mettent en valeur une série de dichotomies hiérarchiques entre des catégories telles que sacré et profane, croyance et pratique, doctrine et loi, individuel et collectif, universalisme et particularisme, ainsi que tradition et modernité. Cette hiérarchisation des catégories peut être observée, par exemple, dans plusieurs courants persistants dans l’étude des religions : premièrement, la tendance à insister sur la distinction entre sacré et profane, et, comme corollaire de la séparation de l’Etat et de l’Église, la tendance à faire de la religion quelque chose de distinct de la culture ; en second lieu, la tendance à définir la religion comme un « système de croyance », et à donner la priorité à des catégories comme la foi, la croyance, la doctrine et la théologie, tout en minimisant le rôle de la pratique, du rituel et de la loi ; en troisième lieu, la tendance à donner la précédence à l’individu plutôt qu’à la communauté en tant que lieu de la vie religieuse, et conséquemment, à conférer moins d’importance aux dimensions culturelles et sociales de la religion ; quatrièmement, la tendance à définir l’identité religieuse dans des termes qui privilégient l’universalisme sur le particularisme, et qui pour cette raison reflètent un modèle missionnaire de tradition religieuse. Bien que des développements récents dans les champs des ritual studies et des cultural studies aient fourni d’importants correctifs à ces tendances, l’héritage protestant subsiste encore – quoique inconsciemment – dans le travail de nombreux spécialistes de l’étude des religions73.

C’est dans cet ordre d’idée que l’on peut proposer, de manière constructive, les quelques réflexions suivantes. Nous avions annoncé, en début de travail, que la notion d’Église nous paraissait problématique pour un emploi comparatif. Dans nos deux études, la notion de « contacts sociaux temporaires » s’est effectivement avérée plus « maniable » que l’idée d’Église qui charrie avec elle un réseau sémantique riche et complexe (comme l’idée d’une structure organisée, celle d’une appartenance claire à cette structure ou celle des critères déterminant cette appartenance). Inutile de dire que la question de la présence historique de ces différents éléments au sein de nos deux contextes est pour le moins délicate. En revanche, la focalisation sur une pratique domestique telle que l’hospitalité s’est révélée fruc-

73 Holdrege (1999), p. 23–24, ma traduction. Cf. également Holdrege (1996), p. 6.

4.3 Retour sur les catégories analytiques

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tueuse pour une meilleure compréhension des dynamiques sociales dont témoignent nos textes. En second lieu, nos exemples permettent de revenir sur la notion même de « sacrifice ». Bien que les raisons diffèrent de part et d’autre, force est de reconnaître qu’au sein de nos deux contextes, la question des sacrifices perd progressivement de son importance ou du moins se transforme d’une manière radicale (soit que celui-ci est simplement impossible, soit qu’il est devenu trop complexe et trop coûteux pour conserver toute sa raison d’être dans une société en évolution). On a vu que l’on pouvait décrire au sein des deux cultures un mouvement visant à instaurer des rites domestiques, volontiers reconnus comme des substituts valables de la pratique sacrificielle. En rapport avec ce modèle, il est pertinent d’évoquer l’une des thèses de René Girard, qui articule la problématique du sacrifice à celle de la société, avec une visée transculturelle. Rappelons que pour Girard, la pratique du sacrifice vise avant tout à reporter la violence consubstantielle à la vie en société sur une « victime émissaire », destinée à être sacrifiée. Si l’on évalue cette proposition à l’aune des processus dégagés de l’étude de nos textes, les questions suivantes viennent à l’esprit : dans le cas du judaïsme rabbinique, contraint malgré lui de se passer du sacrifice, comment expliquer que la violence, désormais non prise en charge par le sacrifice (et pas non plus abrogée par un quelconque sauveur, comme dans le cas du christianisme) n’ait pas conduit à la désintégration par l’intérieur de la religion juive, en raison de la « violence mimétique » ? Dans le cas du brahmanisme, pourquoi le sacrifice solennel a-t-il décliné, s’il vise un rôle aussi capital que celui de la sublimation de la violence sociale ? Comment le système brahmanique a-t-il pu subsister et se développer en dépit du déclin du sacrifice ? On pourrait répondre, dans l’optique de Girard, que les rituels domestiques reprennent effectivement le rôle des sacrifices et qu’ils visent précisément à contenir la violence sociale. Mais dans ce cas, force est de reconnaître que l’élément de la victime, pourtant central dans la démonstration de Girard fait le plus souvent défaut. L’exemple indien de l’hospitalité en tant que l’un des cinq sacrifices domestiques, censé remplacer d’autres formes plus élaborées de sacrifices, se passe très bien d’une victime sacrificielle. En somme, la validation de la proposition de Girard se heurte à la définition même du terme de « sacrifice » : si celui-ci inclut les pratiques que l’on a évoquées dans nos deux contextes (et singulièrement, l’hospitalité), alors force est de constater que la « victime émissaire » en est le plus souvent absente, ce qui enlève l’un des arguments fondamentaux à la théorie ; si le sacrifice n’inclut pas ces pratiques, il est alors difficile d’expliquer, selon cette même théorie, comment ces deux traditions ont pu se perpétuer en l’absence d’une institution permettant la sublimation de la violence collective74.

74 Cf. Girard (2004), p. 124–125 qui explique que même si une tradition comme le jaïnisme s’est opposée au sacrifice, celle-ci n’a pas « changé le monde », contrairement au christianisme.

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4. Perspectives comparatives et conclusions

À vrai dire, la question de la violence n’est pas totalement absente des discours sur l’hospitalité que l’on a examinés. Le rapport à « l’étranger » qui forme le centre de l’hospitalité est en effet souvent ambigu et peut aisément se retourner en relation hostile. Les rapports hiérarchiques sont aussi à même de se révéler au grand jour dans l’hospitalité (relation dominant – dominé), ce qui peut inviter à des débordements. Mais cette violence potentielle n’est pas reportée sur une quelconque victime émissaire : elle est anticipée par le respect de règles communes, telles que celles que nous avons évoquées. En ce sens, la perspective de Norbert Elias (et sa notion de Zivilisationsprozeß) nous semble plus fructueuse que celle de Girard : les règles d’urbanité sont solidaires d’un contrôle social renforcé, qui empêche finalement des débordements de violence75. Les relations entre les individus sont ainsi réglées autrement que par le report des conflits sur une victime émissaire. Il semble que la théorie de Girard soit principalement conçue par référence au contexte chrétien, ce qui explique peut-être qu’elle ne s’applique pas bien à d’autres contextes76. McClymond a d’ailleurs très bien montré que la focalisation sur l’aspect de la violence dans le sacrifice procède manifestement d’une influence chrétienne et que celle-ci est même perceptible dans les concepts analytiques de l’histoire des religions : Le sacrifice, en tant qu’une forme de rituel, était compris à partir de la perspective protestante, comme un acte unique, dramatique et violent, déterminé par, et culminant dans la mort de la victime, dans le cadre d’un discours sotériologique plus général77.

C’est en ce sens précisément que le recours à la comparaison (qui se fonde sur une étude aussi « inductive » que possible des documents) s’avère nécessaire : celle-ci permet une critique des outils conceptuels et des modèles théoriques78. La tentative d’Hubert et Mauss, intéressante et audacieuse, mais souffrant d’une mise en 75 Cf. notamment les conclusions d’Elias (1978 [1939]), p. 214–217, qu’évoque aussi Le Bras (1997), p. 146 à propos de l’hospitalité. 76 Ainsi de la critique de Pierre Manent parue dans Contrepoint 14, 1974, « Une théorie qui a quelque chose à cacher », reproduite en Girard (1978 [1972]), p. 526–527, et en particulier : « Il faut que le Fils de l’homme soit mis à mort pour que les hommes puissent échapper à la réciprocité violente, au cercle terrestre de la violence. […] Le sacrifice du Christ ouvre à la réconciliation des hommes séparés par un chemin non sacrificiel » (p. 527). Bien qu’il ne soit pas explicite sur le sujet dans La violence et le sacré, Girard est beaucoup plus clair dans ses ouvrages postérieurs. La crucifixion de Jésus est perçue comme le dernier des sacrifices, qui annonce un ordre non-sacrificiel. Cf. par exemple Girard (2004), p. 123 (« Les Évangiles sont la vraie force qui permet la démystification moderne de la violence unanime »), p. 126– 129, ou encore sa stupéfiante réponse à Régis Debray qui lui reproche de mélanger les niveaux du religieux et de l’étude du religieux, in Girard (2004), p. 264. Cf. enfin la critique d’Hénaff (2002), p. 263, n. 94. 77 McClymond (2004), p. 364, ma traduction. Voir également les conclusions de McClymond (2007), p. 152 sqq. 78 Ainsi toute la démonstration de Girard procède à partir d’un lien évident entre la violence et le sacrifice. L’examen des textes ne peut que conduire à la remise en question du caractère systématique d’une telle association.

4.3 Retour sur les catégories analytiques

249

contexte insuffisante des sources, n’est pas bien parvenue à critiquer la notion même de sacrifice. Au contraire, celle-ci s’est vue confirmée dans certains des stéréotypes qui guidaient l’enquête79. Dans nos textes, il est aussi apparu que le thème de la « charité » était le plus souvent distinct du problème de l’hospitalité : l’aide aux « démunis » et l’hospitalité répondent à des logiques fort différentes. Le caractère universaliste et missionnaire du christianisme a certainement contribué au rapprochement sémantique des notions d’hospitalité et de charité, ce qui complique l’emploi de ces catégories pour l’étude de contextes non-chrétiens. Dans un autre registre, notre travail invite à critiquer l’emploi peu éclairant parfois fait du concept de « l’étranger80 ». Bien qu’il soit nécessaire de généraliser, une théorie qui entend traiter de l’« étranger » en général perd sa portée explicative : la question de l’« étranger » ne saurait en effet se réduire à une dichotomie simpliste. Aux yeux d’un texte donné, les caractéristiques sociales (« étranger » à la « religion », à la communauté des « élites textuelles », au village, à la région, par le statut socio-professionnel etc.) sont toujours déterminées et déterminantes, même au niveau de modèles théoriques81. Similairement, le concept d’« altérité » n’est, au moins dans notre cas particulier, pas opératoire : il est trop large et n’a pas de valeur empirique. La question de l’« altérité » est toujours relative, ce que montre bien Jonathan Z. Smith : L’« altérité » n’est pas une catégorie descriptive, la conséquence de la perception de la différence ou de la ressemblance. Ce n’est pas non plus le résultat de la détermination d’une ascendance ou affinité biologique. Il s’agit d’un projet politique et linguistique, d’un sujet de rhétorique et d’opinion. Pour cette raison, dans la réflexion sur l’« autre », on n’accomplit un réel progrès que quand l’« autre » cesse d’être une catégorie ontologique. Cela revient à dire que l’« altérité » n’est pas un état absolu. Quelque chose est « autre » seulement en relation avec quelque chose de « différent ». Comprise politiquement ou linguistiquement, l’« altérité » est une catégorie relative [situational82].

Notons enfin que la catégorie même de « religion » n’est pas apparue spécialement importante pour notre travail. Cela tient sans doute au fait que les textes étudiés ne distinguent pas réellement des pratiques spécifiquement « religieuses » de pratiques « culturelles ». Les pratiques associées à l’hospitalité excèdent évidemment la seule sphère « religieuse », entendue au sens classique du terme : elles relèvent autant du domaine rituel et « sacré » que du domaine « profane » de la 79 Cf. par exemple McClymond (2004), p. 358, sur l’idée, défendue par Hubert et Mauss (1929), du sacrifice en tant que processus destructif. Voir aussi la critique de De Heusch (1986), p. 15–21. 80 Cf. par exemple Van Gennep (1909). Pitt-Rivers (1997), p. 166, soulève cette question (« la manière dont on traite un étranger dépend beaucoup de son statut social »), mais n’en tire pas toutes les conséquences logiques. Hocart (1970 [1952]), p. 85 traite la question d’une manière réaliste et propose (après une recherche comparative) que l’idée du devoir d’hospitalité relève en dernière instance d’une obligation relative aux liens de parenté (réels ou symboliques). 81 Cf. ainsi notre critique de l’idée du « gefährliche Fremde » proposée par Thieme (1938), supra p. 220 sq. 82 Smith (1985), p. 46, ma traduction.

250

4. Perspectives comparatives et conclusions

vie quotidienne. Les règles de comportement, les rites et pratiques domestiques, les rapports de hiérarchie, les limites sociales des communautés, le rôle des élites gardiennes de la tradition constituent autant d’éléments susceptibles d’être intégrés à une définition heuristique de « religion ».

4.4 BILAN ET CONCLUSION Arrivés au terme de cette étude, il convient de tirer quelques conclusions d’ordre méthodologique. Il nous paraît tout d’abord nécessaire de revenir sur la problématique de la comparaison. 4.4.1 Difficultés et nécessité de la comparaison Sur la problématique de la comparaison, le sentiment de difficultés méthodologiques persiste. L’étude des textes envisagés dans leur contexte historique propre a en effet pour conséquence d’en souligner la singularité, ce qui va inévitablement dans le sens contraire de la construction théorique poursuivie au travers de la comparaison. Développons cinq problèmes majeurs rencontrés au cours de cette étude : (1) le genre et le style des textes ; (2) les éléments incommensurables ; (3) le problème de la contextualisation socio-historique ; (4) la thématisation d’un sujet au sein d’un contexte ; (5) la constitution de corpus de textes. Certains de ces problèmes se posent que l’on étudie deux contextes temporellement et / ou géographiquement contigus ou non (en particulier 1, 2, 3, 5), alors que le problème de la conceptualisation « interne » du sujet (4) est plus spécifique à l’étude de contextes culturels disjoints. (1) Le genre et le style d’un discours comportent nécessairement une incidence sur sa signification. Avant d’entreprendre un travail de comparaison, il est nécessaire de procéder à un examen de ces dimensions discursives : par principe, on ne peut présupposer que des documents émanant de contextes différents appartiennent à un même « genre ». Les genres discursifs sont spécifiques à un contexte textuel. Mais cette difficulté n’est pas insurmontable : on peut, comme dans notre cas, travailler sur des approximations, en considérant une fonction générique relativement similaire au sein de contextes distincts. (2) La présence de thèmes « incommensurables » est bien sûr inévitable. Il ne s’agit cependant pas là d’un inconvénient, car le but principal ne consiste précisément pas à rechercher des similarités qui témoigneraient d’une hypothétique unité. Il ne faut donc pas chercher à éliminer ou relativiser ces éléments. Il convient au contraire d’insister sur ces divergences et de se demander pourquoi ces

4.4 Bilan et conclusion

251

sujets sont « incommensurables »83 : répondent-ils par exemple à un problème inexistant dans un autre contexte ? Dans cette mesure, la comparaison a pour but de souligner la singularité d’une pratique culturelle. (3) La question du contexte socio-historique est elle aussi délicate. Les renseignements d’ordre historique disponibles pour un ensemble de textes sont parfois plus abondants pour un contexte que pour un autre84. Ce problème s’est posé au sein de cette étude : on a plus d’éléments à disposition pour la contextualisation des textes rabbiniques que pour celle des textes indiens. Par ailleurs, les textes rabbiniques peuvent (généralement) être datés à plus ou moins 100 ans près, ce qui n’est, et de loin, pas le cas pour le contexte indien. Ce constat force à une grande prudence dans toute tentative d’interprétation historique. Les éléments de contextualisation socio-historique ne sauraient être considérés autrement que comme des hypothèses, destinées à être rectifiées au fur et à mesure de l’avancement de la recherche historique. (4) Il peut arriver qu’un sujet ne soit pas également « thématisé » dans un contexte et dans un autre. Ce problème s’est partiellement posé dans notre travail : le sujet de l’hospitalité est exposé de manière relativement systématique par les textes brahmaniques, alors que la littérature rabbinique décrit plutôt des cas isolés qu’un système organisé. Rappelons dans ce cas que le chercheur n’est pas tenu, selon nous, de reprendre la perception « interne » d’un problème donné – au moins pour ce qui concerne la phase d’interprétation de ce phénomène. Il convient dès lors d’être conscient de la part plus ou moins importante du travail d’élaboration fourni par le chercheur. (5) Il faut enfin évoquer le problème de la constitution des corpus : la délimitation consiste nécessairement en une construction de la part du chercheur. Il y a inévitablement là une part d’arbitraire : pourquoi retenir un texte plutôt qu’un autre ? Cette difficulté ne peut être simplement levée en considérant les documents tels qu’ils ont été délimités par la tradition : le processus de constitution des documents est complexe et souvent bien plus tardif que les sources elles-mêmes. En fait, le choix des textes relève précisément du travail de l’historien des religions, qui doit construire son travail en choisissant des sources et en expliquant pourquoi il sélectionne certains textes plutôt que d’autres85. Dans notre cas, les textes ont été choisis en fonction du triple critère de leur appartenance à un genre « normatif », de la pertinence pour notre sujet et de leur provenance historique supposée. Ces différents problèmes témoignent bien de la fragilité de l’ensemble de la démarche comparative. Pour autant, si l’on reconnaît la légitimité académique de l’histoire des religions et si l’on critique comme il se doit l’idée positiviste ou essentialiste d’un objet « religion » autour duquel cette discipline s’articulerait, le 83 Ainsi de l’argha et du ĞrƗddha indiens, qui constituent des rituels d’hospitalité élaborés, et qu’on ne peut contraster avec aucun phénomène du contexte rabbinique (même si celui-ci connaît également la coutume de repas funéraires). 84 Ce problème est identifié par Lubin (2002), p. 429, n. 4. 85 Cf. Smith (1983), p. 218.

252

4. Perspectives comparatives et conclusions

recours à la comparaison discursive et contrastive est susceptible de dessiner un angle d’approche spécifique. Cela ne revient bien sûr pas à dire que seuls des travaux comparatifs ont leur droit de cité en histoire des religions, mais que même une étude monographique devrait permettre une confrontation avec des faits issus de contextes différents et une critique du vocabulaire « analytique » lui-même. Dans ces conditions, le travail de comparaison est d’autant plus nécessaire et urgent que la plupart des termes « analytiques » employés aujourd’hui dans l’étude des religions portent l’héritage de travaux du début du siècle passé ou antérieurs, critiqués à juste titre pour leurs a priori ethnocentriques, colonialistes, androcentriques, théologiques, etc.86. Ces catégories demeurent cependant fréquemment employées au sein de leurs réseaux sémantiques « traditionnels ». En ce sens, un travail visant un but contrastif, fondé sur une étude empirique des documents, est important : il rend possible la clarification de certaines conceptions implicites grevant le vocabulaire de l’étude des religions et contribue à doter celui-ci d’une dimension critique87. Il ne s’agit bien sûr pas de « réifier » ou de « neutraliser » le vocabulaire, mais d’être conscient de ses ambiguïtés : de même qu’il ne faut pas nécessairement associer l’idée de violence à celle de sacrifice, de même doit-on se garder d’associer systématiquement la thématique de l’hospitalité à celle de la morale ou de la charité. De nombreux « grands thèmes » de l’histoire des religions n’ont rien d’évident et demandent à être réexaminés à la lumière de données empiriques88. Notre approche plaide donc pour la construction d’énoncés (et de catégories) non-spécifiques à un contexte particulier de manière « inductive »89. Au niveau méthodologique, le travail sur deux contextes comporte un avantage subsidiaire : il conduit à se demander pourquoi, au sein d’une spécialité académique, on travaille d’une façon plutôt que d’une autre, et permet de prendre de la distance par rapport aux idiosyncrasies de chacune des disciplines considérées isolément. Par ailleurs, face à des problèmes similaires (par exemple l’approche des textes) certaines méthodes ou critiques développées au sein d’une spécialité peuvent comporter un intérêt pour un autre domaine. Enfin, par rapport à de nombreux travaux collectifs (actes de colloques ou projets collectifs), examinant un sujet donné au sein de plusieurs traditions, une démarche construite présente – en dépit des difficultés auxquelles elle est confrontée – un avantage quant à la cohérence générale du travail. La part d’arbitraire nous paraît ainsi réduite.

86 Cf. Fitzgerald (2000), p. 19–21. 87 Cf. Smith (1990b), p. 143 et Smith (2004a), p. 174–175. 88 Cf. par exemple l’ouvrage de Siran (1998), qui remet en question la notion de « mythe » à partir d’observations « empiriques ». L’article de Asad (1988) tente quant à lui une historicisation de la notion de « rituel ». 89 En ce sens, je partage le souci de Martin (2004), p. 38–39 : « Since postmodernism, like the comparative study of religion from its inception, has begun its inquiries from the ‘top down’, i. e., from the perspective of categories and ideologies prelabeled by cultural interests, perhaps it is simply time to consider a study of religion that proceeds scientifically, from the ‘bottom up?’ »

4.4 Bilan et conclusion

253

Pour conclure cette partie sur la problématique de la comparaison, le propos suivant de David Shulman me semble récapituler de manière exemplaire les ambiguïtés caractérisant une démarche comparative telle que celle tentée dans ce travail : Bénarès et Jérusalem appartiennent-elles réellement au même monde ? […] Peut-être, en fin de compte, la comparaison est impossible: les cultures vivent leurs vies organiques particulières et d’habitude, le plus que nous puissions faire consiste à comprendre une petite portion d’une seule d’entre elles, dans ses propres termes. Pourtant, sans la comparaison, la pensée elle-même est probablement impossible, et ni la taxinomie, ni l’histoire ne pourraient exister90.

4.4.2 En conclusion Résumons ici les principaux résultats de notre étude. Notre approche des textes a montré que le sujet de l’hospitalité (une fois défait de toute connotation moralisatrice, et considéré autant sous l’angle d’une prescription que d’un problème) constituait un outil, susceptible de révéler les dynamiques sociales au sein d’un groupe particulier et dans ses relations avec l’« extérieur ». Le souci manifeste exprimé par les textes au sujet de l’exercice de l’hospitalité montre qu’il s’agit là d’un sujet éminemment sensible, au sein duquel se joue l’identité d’un groupe. Comme l’avait bien montré Mauss, l’étude des structures sociales relatives à l’hospitalité (hôte / invité / don) permet d’aborder, à partir de données textuelles, de nombreux sujets cruciaux pour l’histoire des religions : l’organisation sociale, les hiérarchies et le rapport établi, par une tradition donnée, à une instance supra-humaine. On a vu que les contraintes imposées sur l’hospitalité pouvaient s’expliquer par une volonté d’éviter des mélanges allant à l’encontre d’un processus de constitution identitaire poursuivi par les « élites instruites ». Inversement, l’encouragement à l’hospitalité peut s’expliquer selon (au moins) deux manières : (1) l’hospitalité encourage les valeurs culturelles prônées par les membres de l’élite instruite ; (2) l’hospitalité constitue une pratique domestique et sa prescription vise à renforcer les liens sociaux entre les membres de la communauté. Ce dernier point est lié à un mouvement que l’on a cru retrouver (sous des formes évidemment différentes) au sein de nos deux contextes : la prescription d’une pratique comme l’hospitalité concerne avant tout la sphère domestique des « laïcs ». Ce processus, qui correspond à une sorte de prosélytisme appliqué au sein d’une société donnée et que nous avons appelé « mise à demeure » ou « domesticisation », est solidaire d’un mouvement de constitution ou de restructuration d’une « communauté religieuse ». L’importance conférée à l’hospitalité irait donc de pair avec l’élargissement ou la consolidation d’un courant « religieux ». Ce schéma socio-historique est certainement applicable en tant que modèle à d’autres contextes. 90 In Goodman (1994a), p. xii–xiii, ma traduction.

254

4. Perspectives comparatives et conclusions

Notre travail sur deux contextes a enfin rendu possible une évaluation critique de la démarche comparative elle-même. Bien que nécessaire, celle-ci se heurte à de nombreux problèmes qui ne trouvent pas de solution simple. L’idée d’une comparaison discursive et contrastive, défaite de toute ambition essentialiste et mise au service d’objectifs spécifiques nous semble cependant demeurer légitime. S’il revient évidemment au lecteur de juger de la pertinence de nos conclusions, il reste que les trois emplois de la comparaison tentés ici (le fait de contraster des processus historiques, l’explication d’un problème anthropologique « général » et la critique constructive de termes du vocabulaire analytique de l’histoire des religions) ont produit des résultats originaux et ouvert des pistes pour des investigations ultérieures.

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Sanh Shab Sheq Shev Shevi So৬ Suk ৫oh Ta`an Yev Yom Zav

Sanhedrin Šabbat Šeqalim Ševu`ot Ševi`it So৬ah Sukka ৫ǂhǂrot Ta`anit Yevamot Yoma Zavim

Traités de la Mishna `Arak ´Avot `AZ BB Ber Beৢ BM BQ Dem `Er Gi৬ ণag Hor ণul

`Arakhin ´Avot `Avoda zara Bava Batra Berakhot Beৢa Bava Meৢi`a Bava Qamma Dema´y `Eruvin Gi৬৬in ণagiga Horayot ণullin

Ket Mak Maksh MSh Meg Men MQ Ned Nid ´Oh Pe´a Pes Qid RH

Ketubbot Makkot Makhširin Ma`aĞer Šeni Megilla Menaতot Mo`ed Qa৬an Nedarim Niddah ´Ohǂlot Pe´a Pesaতim Qiddušin Ro´š Ha-Šana

256

Bibliographie, glossaire et index

B. SOURCES JUIVES Quand plusieurs éditions sont mentionnées, c’est le texte de la première qui est retenu. Les autres ont été consultées pour leur commentaire. Les titres sont donnés selon une translittération simplifiée. Abrév. AJ

Nom Flavius Josèphe, Antiquités Juives

ARN

´Avot de-Rabbi Natan

Bible

Bible hébraïque

Cant R

Midrash Shir HaShirim Rabba

DER

Derekh ´Erets Rabba

DEZ

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ER

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TaiƖr

TaittirƯya Ɩra৆yaka

TaiS

TaittirƯya SaূhitƗ

VƗjS

VƗjasaneyƯ SaূhitƗ

VDhS

Vasiৢ৬ha Dharma Snjtra

Vin

Vinayapi৬aka

ViP

Viৢ৆u PurƗ৆a

VƯr

VƯramitrodaya

YƗjñDh

YƗjñavalkya Dharma ĝƗstra

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GLOSSAIRE DES TERMES FRÉQUEMMENT EMPLOYÉS A. TERMES HÉBRAÏQUES ´aggada : Catégorie désignant les portions narratives de la littérature rabbinique, par opposition à halakha (q. v.). `am ha-´are‫( ܈‬pl. `amme ha-´are‫ )܈‬: « Le peuple de la terre », celui qui ne respecte pas les commandements de la Torah, le mécréant. amora (pl. amoraim) : Sage de l’époque talmudique, babylonien ou palestinien (début du e e III siècle–VI siècle). Se dit par opposition à tanna (q. v.), le Sage de l’époque mishnique. ba`al ha-bayit : Le maître de maison. baraita : Portion de texte attribuée à un tanna (q. v.) ou à une autorité tannaïtique figurant dans la Gemara (q. v.) palestinienne ou babylonienne. ben noa‫ ۊ‬: « Fils de Noé ». L’expression désigne généralement le groupe que forme l’humanité en son ensemble. bet ha-midrash : La maison d’étude. birkat ha-mazon : La bénédiction de grâce, qui fait suite à un repas. birkat ha-mo‫܈‬i : La bénédiction qui précède le repas. dema´y : Toute nourriture ou tout produit pour lequel il existe un doute quant au prélèvement de la dîme. Les produits des `amme ha-´are‫( ܈‬q. v.) sont fréquemment considérés comme dema´y. derekh ´ere‫ ܈‬: « Le chemin de la Terre », la règle de politesse, l’étiquette. Gemara : Commentaire de la Mishna composé de la compilation des propos des amoraim (q. v.) et formant, avec la Mishna, le Talmud. Il existe deux Gemaras : la Gemara palestinienne et la Gemara babylonienne. gemilut ‫ۊ‬asadim : L’action bienveillante, les actes charitables, qui ne sont en principe pas d’ordre pécuniaire. ge´onim : Nom des Sages de la tradition ayant succédé aux amoraim (q. v.), entre les VIe et Xe siècles. ger : L’étranger ; l’étranger durablement installé sur la Terre d’Israël (ger tošav) ; le converti (ger ‫܈‬edeq). goy : Le peuple, la nation, et par extension, les non-Juifs (goyim). ‫ۊ‬akham : Terme générique pour « le Sage », s’appliquant autant aux tannaim (q. v.) qu’aux amoraim (q. v.), palestiniens et babyloniens. halakha : Catégorie désignant les portions normatives de la littérature rabbinique, par opposition à ´aggada (q. v.). ‫ۊ‬aver : Le compagnon, membre d’un cercle respectant un certain nombre de règles rituelles strictes ; l’ami. kuti (pl. kutim) : Le Cuthéen, le Samaritain. midrash : Classe de textes se présentant en commentaires du texte biblique. Au sens abstrait, peut désigner tout énoncé interprétatif dans la tradition juive.

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Bibliographie, glossaire et index

min : L’hérétique, celui qui s’est délibérément écarté du judaïsme. miqveh : Un bassin (naturel ou non) rempli d’eau, servant à la purification des objets et des personnes. Mishna (pl. mishnayot) : Désigne l’ensemble de traités formant le socle de la loi orale, compilés par R. Yehuda Ha-NaĞi au début du IIIe siècle, et composés des propos des tannaim (q. v.). Par métonymie, peut aussi désigner une règle particulière du corpus de la Mishna (en ce cas, écrit avec une minuscule à l’initiale : une mishna). mi‫܈‬wa (pl. mi‫܈‬wot) : Le devoir « religieux », en particulier les 613 devoirs, « négatifs » et « positifs ». na‫ۊ‬ota (pl. na‫ۊ‬ote) : « Celui qui part », et en particulier, au pluriel, les rabbins ayant assuré le contact entre différentes communautés de la diaspora juive, notamment entre les communautés palestinienne et babylonienne à l’époque amoraïque. naĞi : Le représentant autorisé de la communauté juive dans le contexte palestinien. Son équivalent dans le contexte babylonien est l’Exilarque. ne´eman : L’homme de confiance. Dans le contexte de la Mishna, est souvent opposé au `am ha´are‫( ܈‬q. v.). Le ne´eman est réputé observer scrupuleusement les commandements liés aux dîmes et à la pureté, sans pour autant détenir le titre de ‫ۊ‬aver (q. v.). neder : Le vœu « religieux », placé sous garantie divine. nokhri : L’étranger, le « païen », l’idolâtre. qiddush : Prière de consécration du Shabbat, récitée sur une coupe de vin, en souvenir du commandement de Exode 20, 8. rabbi : Le maître, le « rabbin ». Titre porté par les tannaim (q. v.) et les amoraim (q. v.) palestiniens. rav : Le maître, le « rabbin ». Titre porté par les amoraim (q. v.) babyloniens. ‫܈‬edaqa : La « justice », l’aumône obligatoire, donnée sous forme pécuniaire. ‫܈‬eduqi : Le Saducéen, membre du courant saducéen, l’un des courants majeurs du judaïsme au début de notre ère. shekhina : La résidence royale, puis la manifestation mondaine de la « présence divine » (en particulier, au Temple de Jérusalem). En contexte kabbalistique, l’aspect féminin de la divinité. Shema` : Lit. « écoute [Israël] ! », prière dérivée du verset de Deutéronome 6, 4, récitée quotidiennement, et affirmant le lien entre le peuple d’Israël et le Dieu unique. talmid ‫ۊ‬akham (pl. talmide ‫ۊ‬akhamim) : Littéralement, « disciple de sage ». L’expression désigne usuellement le Sage lui-même, dont on relève par euphémisme qu’il a été un disciple avant de devenir un Sage. Talmud : Ensemble formé de la Mishna et de la Gemara. La Mishna et la Gemara palestinienne composent le Talmud de Palestine. La Mishna et la Gemara babylonienne composent le Talmud de Babylone. tamid : Le sacrifice « perpétuel », l’un des sacrifices pratiqués quotidiennement au Temple de Jérusalem, visant l’expiation des fautes. tanna (pl. tannaim) : Sage de l’époque mishnique (environ les deux premiers siècles de notre ère). Se dit par opposition à amora (q. v.), le Sage talmudique, babylonien ou palestinien (début du IIIe siècle–VIe siècle). ‫ܒ‬ǂhǂra : La pureté. Torah : Au sens strict, les cinq livres de la Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. Dans un sens plus large, l’ensemble de la Bible Hébraïque (Tanakh). Le terme peut également désigner la « loi orale », la « Torah qui est sur la bouche » (Torah she-be`al peh), ou, de manière abstraite, la notion de « loi ».

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Glossaire des termes fréquemment employés

yiĞra´el : Le membre de la communauté d’Israël ; collectivement, le peuple d’Israël ; le territoire d’Israël. zaqen : L’« ancien », une personne particulièrement respectable au sein d’un groupe, par son âge et / ou son érudition. zav : Personne en état d’impureté rituelle, généralement en raison de l’écoulement de fluides sexuels. zimmun : « La convocation », donc « l’appel à réciter la bénédiction » de la birkat hamazon (q. v.) en fin de repas. zugot : Les « paires » : selon la tradition, paires de Sages à la tête de la communauté juive dans la période précédant la destruction du second Temple, comme Hillel et Shammai.

Translittération de l’hébreu

ʠ ´ ʡ/ˎ v/b ʢ / ˏ g ʣ/ː d ʤ/ˑ h/h ʥ w ʦ z ʧ ত

ʨ ৬ ʩ y ʪ ʫ / ˗ kh / k ʬ l ʭ ʮ m ʯ ʰ n ʱ s ʲ `

ʳ ʴ / ˝ f / p ʵ ʶ ৢ ʷ q ʸ r ˇ š ˈ Ğ ʺ / ˢ t



Pour des raisons de clarté, le déterminant (ha-) et le relatif (še-) sont retranscrits avec un trait d’union et sans le redoublement subséquent. Le he et le ´alef finaux ne sont en principe pas retranscrits.

284

Bibliographie, glossaire et index

B. TERMES SANSCRITS ƗcƗra : La tradition, la coutume. L’une des subdivisions du droit, et l’une des sources reconnues du dharma (q. v.). adhikƗra : L’autorité, la qualification rituelle faisant qu’une personne est apte à la pratique rituelle. argha : Une réception hospitalière élaborée réservée à un hôte de marque. arthavƗda : Catégorie de la mƯmƗۨsƗ (q. v.) qualifiant une portion de texte à entendre dans un sens figuré, par opposition aux portions de textes réputées normatives, vidhi (q. v.). ƗĞrama : La retraite ou l’ermitage, mais aussi un stade de la vie. atithi : L’hôte reçu, le plus souvent brahmane. bhik‫܈‬u : Le mendiant, considéré en principe comme interne à la tradition brahmanique. brahmacƗrin : L’étudiant des Veda. Selon la formulation classique du système des ƗĞrama, celui qui se trouve dans sa première phase de vie. brƗhma۬a (1) : Classe d’ouvrages se présentant en commentaires des saۨhitƗ (q. v.) védiques, et précisant notamment le contexte d’emploi des mantra (q. v.) en les mettant en scène au sein d’épisodes narratifs. brƗhma۬a (2) : Brahmane, membre de la classe des « prêtres » par opposition aux membres des autres var۬a (q. v.). cakravartin : L’empereur, « celui dont le chariot roule partout sans obstruction ». cƗ۬‫ڲ‬Ɨla (aussi ca۬‫ڲ‬Ɨla) : L’« intouchable », se trouvant en marge du système des var۬a (q. v.). darĞana : Système philosophique ou École de pensée. Traditionnellement, les six darĞana suivants sont reconnus comme orthodoxes : mƯmƗۨsƗ, vedƗnta, nyƗya, vaiĞe‫܈‬ika, sƗۨkhya et yoga. dharma : La « loi » au sens large. L’ensemble des prescriptions normatives régissant la vie et les rites d’une personne réputée vertueuse. dharmaĞƗstra : Classe de textes versifiés traitant du dharma. Les dharmaĞƗstra sont en principe postérieurs au dharmasnjtra (q. v.). dharmasnjtra : Classe de textes « en prose » traitant du dharma. Les dharmasnjtra sont en principe antérieurs aux dharmaĞƗstra. dvija : « Deux-fois né » : selon les textes, le terme peut désigner soit le brahmane, soit le membre des trois var۬a supérieurs qui ont accès à l’initiation védique. gƗyatrƯ : Usuellement, formule versifiée du »gveda (3.62.10) récitée quotidiennement (matin et soir) dans le cadre des sacrifices domestiques. g‫܀‬hastha : Le « maître de maison ». Selon la version classique du système des ƗĞrama (q. v.), celui qui est entré dans la seconde phase de sa vie, après avoir achevé ses études et s’être marié. g‫܀‬hyasnjtra : Classe de textes relatifs aux procédures rituelles domestiques. guru : Le maître qui accompagne un brahmacƗrin (q. v.). jƗti : Littéralement, « naissance », position sociale découlant de la naissance, du travail, de la famille, etc. karman : L’acte, et en particulier, l’acte rituel effectué dans l’espoir d’une rétribution future. k‫܈‬atriya : Membre de la classe des rois / guerriers, le second des quatre var۬a (q. v.). mahƗyajña : Un « grand sacrifice », en particulier la classe des cinq sacrifices domestiques dont la pratique quotidienne est prescrite à tout dvija (q. v.), et qui sont : (1) la

Glossaire des termes fréquemment employés

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récitation du Veda (brahmayajña), (2) l’oblation aux dieux (devayajña), (3) l’oblation aux ancêtres (pit‫܀‬yajña), (4) l’oblation aux hommes (manu‫܈‬yayajña) et (5) l’oblation aux êtres vivants (bhnjtayajña). mantra : Formule récitée dans un ordre prescrit, avec un but rituel. mƯmƗۨsƗ : L’un des darĞana (q. v.) classiques, qui s’intéresse plus particulièrement aux problèmes d’interprétation des textes védiques et à leur mise en pratique rituelle. mitƗk‫܈‬arƗ : Commentaire traditionnel de YƗjñavalkya DharmaĞƗstra, composé par VijñƗneĞvara, autour du XIe siècle de notre ère. mleccha : L’étranger « de l’extérieur », qui n’est pas intégré au système des var۬a (q. v.). nitya : Désigne une prescription obligatoire et récurrente, par opposition à ce qui est considéré comme optionnel (kƗmya). pƗ‫܈‬a۬‫ڲ‬in (aussi pƗ‫܈‬Ɨ۬‫ڲ‬in) : L’hérétique, le membre de groupes ou « sectes » en marge du courant brahmanique. pit‫ ܀‬: L’ancêtre, celui qui est décédé et pour lequel tous les rites funéraires requis ont été exécutés. pravrajita : Le mendiant, celui qui a abandonné sa maison pour devenir un mendiant. prƗyaĞcitta : L’« expiation », classe de pratiques visant à remédier à une erreur préalablement commise. Subdivision du droit traitant des « expiations ». preta : Etat provisoire d’une personne décédée récemment, et qui n’a pas encore acquis le statut d’« ancêtre » (pit‫܀‬, q. v.). purƗ۬a : Genre littéraire qualifiant des textes narratifs mettant en scène diverses figures « mythologiques ». purohita : Le chapelain, le brahmane préposé aux rituels engagé par un roi. ‫܈܀‬i : Le « chantre », celui qui, selon la tradition, a médiatisé, en des temps immémoriaux, une révélation védique. saۨhitƗ : Classe de textes désignant les collections védiques de mantra (q. v.). saۨnyƗsin : Le renonçant, celui qui est dans la quatrième phase de sa vie et conduit une vie d’ascète, selon la formulation classique du système des ƗĞrama (q. v.). snƗtaka : Celui qui a fait ses ablutions, et spécifiquement, le brahmacƗrin (q. v.) qui a pris le bain rituel marquant la fin de sa phase d’études, et qui est sur le point de devenir g‫܀‬hastha (q. v.). ĞrƗddha : Classe de rituels directement ou indirectement liés aux morts et aux ancêtres, et impliquant fréquemment l’invitation d’un ou plusieurs brahmanes. Ğrautasnjtra : Classe de textes relatifs aux procédures rituelles « solennelles » (Ğrauta), par opposition aux procédures rituelles « domestiques » (g‫܀‬hya, q. v. g‫܀‬hyasnjtra). Ğrotriya : Celui qui est instruit dans les Veda, un brahmane particulièrement savant. Ğnjdra : Membre de la quatrième classe du système des var۬a, qui n’est en principe pas légitimé à entreprendre l’étude védique, et qui pour cette raison ne peut prétendre au statut de dvija (q. v.). Ğvapaca : « Celui qui cuisine le chien », une classe d’« intouchables » similaire à cƗ۬‫ڲ‬Ɨla (q. v.). upanayana : Cérémonie marquant le début de l’étude védique auprès d’un maître. vaiĞvadeva : Rituel domestique consistant en une oblation de nourriture à l’intention « des dieux », et effectué en principe avant un repas. vaiĞya : Membre de la classe des « artisans », le troisième des quatre var۬a (q. v.). vƗnaprastha : Celui qui s’est retiré dans la forêt. Selon la formulation classique du système des ƗĞrama (q. v.), celui qui est entré dans la troisième phase de sa vie, après brahmacƗrin (q. v.) et g‫܀‬hastha (q. v.).

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Bibliographie, glossaire et index

var۬a : Classe sociale, et en particulier les quatre classes que sont brahmane, k‫܈‬atriya, vaiĞya et Ğnjdra. Veda : Nom générique des textes tenus par la tradition pour avoir été révélés par l’intermédiaire des ‫܈܀‬i (q. v.). On dénombre traditionnellement quatre Veda : »gveda, Yajurveda, SƗmaveda et Atharvaveda. vidhi : Catégorie de la mƯmƗۨsƗ (q. v.) qualifiant une portion de texte à entendre dans un sens littéral et normatif, par opposition aux portions de textes réputées figurées, arthavƗda (q. v.). vikalpa : Catégorie de la mƯmƗۨsƗ (q. v.) qualifiant une pratique ou un rite optionnels. vyavahƗra : Subdivision du droit relative aux « procédures légales ». yajamƗna : Le « sacrifiant », celui qui ordonne le sacrifice et en récolte les fruits, par opposition au prêtre officiant qui effectue le sacrifice proprement dit. yajña : Toute sorte de sacrifice, qu’il soit solennel (Ğrauta), ou domestique (g‫܀‬hya). yavana : Le « Ionien », donc le Grec, puis l’étranger extérieur au système des var۬a (q. v.). yuga : L’ère temporelle. Quatre yuga sont habituellement distingués : k‫܀‬tya, treta, dvƗpara et kali.

Translittération du sanscrit ‚ ‡ ˆ ¦ « ° µ º ¿ Ä y

a nj ৚ ka ca ৬a ta pa ya Ğa ’

ƒ Œ ’ § ¬ ± ¶ » À Å

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ড় kha cha ৬ha tha pha ra ৢa

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ৄa ña ৆a na ma ত ূ

INDEX DES PASSAGES CITÉS A. TEXTES RABBINIQUES Bible Gn 13, 13 18 18, 3 18, 5 18, 6 18, 16 18, 19 18, 20 19, 3 21, 33 35, 11 Ex 16, 29 18, 12 33, 7 Lv 11–15 22, 10–14 Nb 19 29, 17 29, 20 29, 23 Dt 2, 6 8, 10 21 25, 2–3 26, 14 Jg 1, 16 4, 11 19, 17 1 Sam 7, 16 7, 17 15, 6 2 Sam 12, 4

2R 81 12, 64 77 64, 72 110 61 73 85 64 72 51

2, 11 4, 9 4, 10 20, 3 20, 8 20, 12 20, 17–18

115 105, 109 63 123 123 123 123

Is 5, 7 28, 8 60, 21 66, 24

48 106 78 82

1, 5

128

9, 1 14, 8

55 55

Esth 100 97 94 53 47

Jr Ez 41, 22

105, 106

Os 53 60 60 60 127 71 61 62 106 95 95 55 63 63 95 55

6, 6

104

24, 1 26, 4 106, 28

72 119 106

15, 27 23, 6–7

97 114

22 22, 16

83 83

Mishna Berakhot 6.1 7.1 7.3 8 8.1–7 8.8

71 51, 71, 120 71 89 125 120

Ps

Prov Job

Dema´y 2.2–3 Šabbat 1.1 17.1–8 18.1 `Eruvin 3.1–8 Pesaতim 8.7 Beৢa 5.2 Gi৬৬in 5.8 8.9 Qiddušin 1.10 So৬a 7.1 Sanhedrin 10.1 10.3 Ševu`ot 1.6 `Avoda Zara 1.2 5.5 ´Avot 1.1–4 1.2 1.5 3.3 3.6 4.2 Me´ila 6.1 ´Ohǂlot 18.7 ৫ǂhǂrot 8.1–3

116 48 76 75 101 71 124 122, 126 56 70, 78 73 78 81 105 130 54, 125 40 104 93, 99 106 106 78 80 127 117

288 Tosefta Berakhot 4.8 5.5 Dema´y 2.2–3 3.9 Ma`aĞer Šeni 3.18 Beৢa 2.13–16 Megilla 2.18 So৬a 4.1–6 13.7 Bava Batra 6.14 `Avoda Zara 3.10 4.6 Zav 2.1

Bibliographie, glossaire et index

89, 90 90 118 108

Mo`ed Qa৬an 2:3, 81b ণagiga 2:2, 77d So৬a 9:6, 23d Sanhedrin 7:11, 25d

102 92 61 93

93 93 102 80 69 60 47 129 54

Talmud Yerushalmi Berakhot 2:9, 5d 102 6:5, 10c 93 7:1, 11a 73 7:1, 11b 121 7:2, 11b 71 7:3, 11b 93 7:4, 11c 71 8:2, 12a 93 Dema´y 1:2, 22a 113 1:3, 22a 115 4:6, 24a 60 Ševi`it 6:4, 37a 93 Šabbat 1:2, 3a 102 1:4, 3c 122, 128, 136 6:9, 8c 96 16:4, 15d 100 16:8, 15d 132 Šeqalim 3:3, 47c 47 Yoma 8:5, 45b 115 Ta`anit 3:1, 66c 113, 115

Talmud Bavli Berakhot 10b 63, 105, 109 19a 65 26b 105 35a 71 43b 118 45b 71 46b 90 47b 47, 71, 121 55a 105 57b 115 60b–61a 96 63b 94, 95 64a 62, 77, 97 Šabbat 13a 54 17a–b 122 62b 88 127a 76, 77, 79, 97 147b 99 156b 66 Pesaতim 49a 87, 98, 99 49b 47, 122 86b 67–70 100b–101a 101 104b 65 Yoma 21a 109 Beৢa 21a 124 21b 124–127 25b 69 36a 76 Ta`anit 7a 76 23b 60 27b 49, 105 31a 91 Megilla 12a 128 28a 97

ণagiga 27a 105 Mo`ed Qa৬an 28a 105 Ketubbot 30b 65 61a 108 65a 110, 244 104a 65 Nedarim 24a 62 So৬a 10a–b 72, 242 38b 61, 114 46b 61 Gi৬৬in 9b 96 45b 50 56a 69, 119 61a 47 Qiddušin 39b 78, 79, 137 40a 78 70b 111 Bava Meৢi`a 86b 64, 80 86b–87a 64, 83 87a 110–112 Bava Batra 8a 119 11a 78 66 81a–b 98b 65 Sanhedrin 11a 66 23a 88, 119 30a 88 37b 105 43a 49 98b 116 103a–b 49 104a 123 109a 83 109b 83–85 Ševu`ot 35b 77 `Avoda Zara 8a 129 8a–b 130 75b 130 Menaতot 110a 104, 105

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Index des passages cités

ণullin 6a 7a 7b 44b–45a 87a 92a 94a 107b `Arakhin 3a 16b

51 114, 118 114 97 65, 73 48 60, 65 66 72 69

Midrash Bereshit Rabba 11.4 115 17.3 110 48.10 80 48.14 64 48.15 111, 112 48.20 61 49.4 74 49.6 85 50.4 64 82.14 115 Midrash Shemot Rabba 25 80 35.4 105 Midrash Vayyiqra Rabba 7.3 105 9.3 119 36.2 48

Midrash Bamidbar Rabba 14.2 80 21.25 60 Midrash Tehilim Rabba 4.3 61 16.1 72 16.3 56 23.3 60 Midrash Shir Ha-Shirim Rabba 2.17–2.18 94–96 7.8 128 Midrash ´Ekhah Rabba 3.6 92, 93 4.2 88 Midrash Qohelet Rabba 11.1 80 Esther Rabba 1.16 2.4 Sifre Deutéronome 29 343

115 115 65 28

´Avot de-Rabbi Natan A 4 104 6 93, 100

26 28

123, 129 129

´Avot de-Rabbi Natan B 11 93, 100 Pirqe de-Rabbi ´Eli`ezer 25 64, 73, 84 Midrash Tan‫ۊ‬uma Beshallaত 12 Qedoshim 10

83 55

Derekh ´Erets Rabba 4.4 77 4.6 60 6.1 62, 68 8.1 65 8.5 60 9.6 66 Derekh ´Erets Zuta 5.2 6.3 6.4 8.9

88 90 69 65

Flavius Josèphe, Antiquités Juives 1.194 sqq.

85

290

Bibliographie, glossaire et index

B. TEXTES INDIENS ƖcƗrƗৄga Snjtra 2.1.2.2

213

Aitareya BrƗhma৆a 4.24 (19.2) 4.26 (19.4) 7.19 (34.1) 8.24.6 (40.1)

169 169 196 220

Ɩpastamba Dharma Snjtra 1.(1).1.6–8 141 1.(1).3.26 201 1.(1).4.1 200 1.(4).12.13 172 1.(4).12.13–13.1 172 1.(4).13.1 188 1.(5).16.18 148 1.(5).16.33–17.1 147 1.(5).17.2 148 1.(5).17.3 163 1.(6).18.1–4 146 1.(6).18.6 215 1.(6).18.6–7 214 1.(6).18.9 200 1.(11).31.22 207 2.(1).2.2–7 175 2.(2).3.4 146 2.(2).4.11–12 164 2.(2).4.16–17 179 2.(2).4.19–20 207 2.(2).5.4–7 164 2.(3).6.3 168 2.(3).6.4–5 158, 178 2.(3).6.7–15 161 2.(3).6.19–20 148 2.(3).7.1 167 2.(3).7.1–11 167 2.(3).7.2 168 2.(3).7.3 168 2.(3).7.4 169 2.(3).7.5 169 2.(3).7.6 169 2.(3).7–8 170 2.(3).7.9 170 2.(3).7.10 171 2.(3).7.11 171 2.(3).7.12 178 2.(3).7.15 159 2.(3).7.16 156, 176

2.(3).7.17 2.(4).8.1 2.(4).8.2–4 2.(4).8.5–7 2.(4).8.8–9 2.(4).9.1–4 2.(4).9.5–6 2.(4).9.13 2.(5).10.4–7 2.(7).16.1–3 2.(7).16.4–7 2.(7).17.4–10 2.(7).17.5–6 2.(7).17.10 2.(7).17.11–13 2.(7).17.24 2.(9).21.1–5 2.(9).21.2 2.(9).21.3 2.(9).22.8–9 Artha ĝƗstra 2.1.2

177 160 215 182 183 162 210 206 141 189 192 208 190 190 192 194 143 143 143 143 157

ƖĞvalƗyana G৚hya Snjtra 1.24.2 183 1.24.26 184 Atharvaveda SaূhitƗ 9.6 167 9.6.3 152, 167 9.6.4 167 9.6.4–5 167 9.6.6 167 9.6.7 167 9.6.10 167 9.6.18 152 9.6.28 167 9.6.30 168 9.6.31 168 9.6.40–44 169 9.6.48–54 167 9.6.53 152 Aৢ৬ƗdhyƗyƯ 3.4.73 4.4.104

151, 184 150

BaudhƗyana Dharma Snjtra 1.(2).3.7–9 141 1.(5).10.2–3 147 1.(10).18.1–6 141 2.(3).5.11 205, 210 2.(3).5.14 207 2.(3).5.18 215 2.(3).6.41–42 215 2.(5).6.35–36 182 2.(6).11.1–8 172 2.(6).11.3 188 2.(6).11.5 173 2.(6).11.9–26 143 2.(6).11.27–34 143, 197 2.(6).11.33–34 143 2.(7).12.2 161 2(7).12.4 161 2.(7).13.2 215 2.(7).13.5 199 2.(7).13.7 206 2.(10).17–18 34 3.1.8 143 3.2.1–19 197 3.2.18 143 3.3.1 197 3.3.1–22 143 3.3.1–23 197 3.3.13 198 3.3.20 197 3.3.22 197 BaudhƗyana G৚hya Snjtra ParibhƗৢƗ 2.4.14–20 150 ParibhƗৢƗ 2.4.16 157 1.2.51–54 184 Gautama Dharma Snjtra 1.5–14 141 3.1 143 3.2 143 3.29–30 197 3.35 143 4.21 34 5.3–10 172 5.5 188 5.25–26 164

Index des passages cités

Gautama Dharma Snjtra 5.27–30 182 5.31–33 179 5.32–33 180 5.34–36 180 5.40 158 5.40–42 204 5.41–42 204 5.43 206 5.44–45 206 7.4 214 9.16 149 10.1 141 11.7 161 14.7–8 189 15.1 192 15.5 192 15.16–21 208 15.25–28 192 17.19 163 18.1 204 Gobhila G৚hya Snjtra 1.5.16–17 192 4.10.19–22 184 Hira৆yakeĞin G৚hya Snjtra 1.12.10 183 1.13.14 184 Hitopadeৢa 1.60

155

Jaimini G৚hya Snjtra 1.19

183

JƗtaka 2.82 3.6–8 6.62

213 8, 157 8, 157

KƗ৬haka SaূhitƗ 30.1 152, 202 KathƗsaritsƗgara taraৄga 8 et 10

151

KauĞika Snjtra 104–105 (13.12–13)

209

MahƗbhƗrata 1.54.10 sqq. 183 3.2.52 155 3.2.57 210 5.35.30 183 5.36.32 155 5.87.18 161 5.87.19 183 5.89.9 183 5.104 214 12.73.11 211 12.77.1–7 180 12.77.8 149 12.139.26–89 214 12.139.55 214 12.139.61 214 12.139.82 215 13.2.41 8, 202 13.92.3 193 MaitrƗya৆Ư SaূhitƗ 4.8.1 152, 202 MƗnava Dharma ĝƗstra 1.87–92 141 1.101 211 2.117–132 179 2.119–130 161 2.127 205 3.70 173 3.2 143 3.80–81 173 3.82 187 3.83 173, 188 3.92 210 3.94 159 3.94–95 199 3.97 158 3.98 168 3.99 161 3.100 176, 177 3.101–103 155 3.102 150, 219 3.103 162, 202 3.104 177 3.105 159 3.106 175 3.108 160 3.109 162, 177 3.110 156, 205 3.111 205 3.112 206

291 3.113 203 3.114 164 3.116 203 3.118 215 3.119–120 182 3.121 159 3.124 188 3.125 188 3.126 190 3.129 190 3.130 190 3.131 190 3.133 190 3.147 191 3.150 sqq. 191 3.184–186 191 3.187 189, 192 3.205 195 3.206–207 192 3.208 192 3.209 193 3.212 168 3.214–217 193 3.220 189 3.224 193 3.225–227 194 3.229 194 3.231–233 194 3.234 194 3.239 147 3.239–242 192 3.249 195 3.251 194, 195 3.254 194 3.255 195 3.256–272 193 3.266–272 193 3.268 193 3.271 194 3.276–278 192 3.280 192 3.284 189 3.285 168 4.1 143 4.5 177 4.29–30 208 4.30 200, 209 4.31 179 4.32 217 4.80 208 4.193 209 4.195 209

292

Bibliographie, glossaire et index

MƗnava Dharma ĝƗstra 4.196 209 5.32 186 5.41 186 5.53 183 5.56 183 5.58 sqq. 148 5.140 207 6.1 143 6.7 196 6.33 143 6.97 144 8.411 206 9.278 155 10.6 sqq. 144 10.19 145 10.51–52 145 10.53 210 10.73–80 141 10.104 214 10.108 214 11.11–15 212 11.185 210

ParƗĞara Sm৚ti 1.40 1.48 1.58

156 158 156

»gveda SaূhitƗ 4.18.13

214

ĝƗৄkhƗyana G৚hya Snjtra 2.15.2–3 184 2.17.1 176 ĝatapatha BrƗhma৆a 1.1.4.14 3.4.1.5 11.5.6.1–2 14.9.1.7

202 166 172 181

TaittirƯya Ɩra৆yaka 2.10 2.10.1

172 187

TaittirƯya SaূhitƗ 1.8.4.1

216

MƯmƗূsƗ Snjtra 6.1.1–21

202

VƗjasaneyƯ SaূhitƗ ĝukla 3.50 216

Nirukta 4.5 (76.17)

150

Pañcatantra 1.5.198–221

209

Vasiৢ৬ha Dharma Snjtra 2.13–20 141 4.5–7 186 4.8 182

6.20 7.1–3 8.6 8.7 8.7–8 8.14–17 11.10 11.13 11.49–51

206 143 176 219 155 143 207 211 141

YƗjñavalkya Dharma ĝƗstra 1.5 156 1.102 172 1.105 203 1.108 199 1.109 181, 185 1.112 163 1.113 180 1.130 200, 209 1.160–165 213 1.168 148 1.217–218 192 1.227 189, 192 1.239 194 1.244 170 2.240–241 36 3.22 148 3.289 190

INDEX GÉNÉRAL Les termes précédés d’un astérisque (*) sont explicités dans la partie « Glossaire », p. 281–286. ablutions de la bouche 161, 163, 194 des mains 61, 89, 90, 125, 192 des pieds 160, 161, 179 voir aussi : eau Abraham 7, 61, 64, 72–74, 77, 80, 83, 85, 109–112, 242 acceptation (des dons et de l’hospitalité) 43, 60, 62–64, 97, 114, 122, 132–134, 139, 146, 147, 163, 178, 212–214, 216, 243 voir aussi : refus Alles, Gregory D. 174, 234, 236 *`am ha-´are‫ ܈‬46–50, 52, 58, 64, 71, 87, 88, 108, 116–121, 133, 136 altérité 20, 40, 249 ancêtres (*pit‫ )܀‬173, 179, 185–197, 215, 241 anthropologie 21, 23, 224, 254 antisémitisme 24, 85 *argha 151, 152, 154, 155, 175, 179, 181– 184, 187, 194, 205, 220, 230, 251 aristocratie 48, 65, 87–89, 91, 92, 118, 119, 135, 230 voir aussi : neqiye ha-da`at ascétisme 17, 114, 116, 143, 157, 159, 176, 177, 191, 196–199, 233 *ƗĞrama 140–144, 152, 196–198, 217, 218 *atithi brahmanité de l’ 155, 156, 158, 160, 168, 171, 176–181, 205, 219–222, 231 caractéristiques de l’ 155–160, 162, 191 dérivés construits sur le terme 152 étymologies traditionnelles 149, 150 non-brahmane 157, 205–207 précédence de l’ (sur d’autres invités ou membres de la famille) 164, 165, 199, 229, 237 réception d’un 160, 161, 176, 178–181, 237 rôle masculin 203 rôle rituel de l’ 158, 159, 167–172, 196, 219, 220 auberge 56, 72, 73, 92, 98, 118

audience 30, 40, 48, 57, 177, 178, 204, 208, 213, 214, 219, 220, 225–227, 231, 233 autorité de l’élite politique ou religieuse 27, 28, 113, 115, 134, 180, 218, 224, 227, 228, 230, 236 de l’invité 162, 177, 238 des textes 35, 37, 40, 228, 231 du maître de maison 68, 152, 240 *ba`al ha-bayit 48, 49, 65, 66, 68 voir aussi : maître de maison banquets 84, 100, 118, 194, 236, 241 de *‫ۊ‬averim 46, 86–92, 244 « païens » 87, 88, 91, 123, 129–131 Bar Kokhba (sédition de) 27, 28, 46, 94, 95 bénédiction 61, 70–75, 89, 90, 94, 120, 121, 237, 242 *bet ha-midrash (maison d’étude) 75, 76, 79, 93 bétel 179, 180 Bodewitz, Henk W. 174, 178, 184, 206 bœuf voir : vache bouddhisme 8, 140, 157, 186, 206, 208, 213, 231, 233, 235, 242 *brahmacƗrin 141–143, 199–201, 217 voir aussi : étudiant brahmanique élitisme 213 mouvement 174, 198, 209, 218, 221 Bronkhorst, Johannes 149, 175, 177, 197, 198, 218 Burger, Maya 145, 146, 222, 239 Calame, Claude 20 Caland, Willem 166, 169–171, 173, 187, 195 *cƗ۬‫ڲ‬Ɨla 145, 147, 149, 153, 154, 156, 176, 192, 210, 211, 213, 214, 220 voir aussi : Ğvapaca charité 8, 12, 78, 96, 198, 199, 201, 210, 216, 221, 249, 252 voir aussi : gemilut ‫ۊ‬asadim

294

Bibliographie, glossaire et index

christianisme 7–9, 11–13, 17, 19, 20, 22– 23, 25, 28, 46, 49, 50, 52, 57, 75, 81, 102, 107, 134, 135, 242, 247–249 commensalité 11, 12, 43, 44, 54, 86–92, 107, 135, 161, 229, 237 voir aussi : repas communauté textuelle 39, 40, 224, 232, 233 comparaison des processus socio-historiques 224–231 difficultés de la 15–17, 223, 250–253 discursive et contrastive 17–22, 248, 252–254 historique de la 22–24 congé (prise de) 62, 162, 170, 195, 237 voir aussi : escorte Costa, José 76, 78, 82 cuisine 124–128, 134, 139, 143, 146, 159, 164, 168, 173, 183, 184, 193, 196–198, 213–215, 217, 221, 238 ustensiles de 117, 195, 208 culture(s) comparaison de 17–19, 21, 23, 24, 250, 251, 253 et religion 19, 246, 249 identité d’une 27, 28, 70, 91, 132, 237 *derekh ´ere‫ ܈‬30, 64, 69, 70, 111, 132 voir aussi : politesse Derrett, John Duncan Martin 36, 153, 185– 187, 201 Detienne, Marcel 18 *dharma 33, 41, 185, 204, 210 dîme(s) 46, 47, 49, 116–118 voir aussi : idolâtrie dix-huit mesures 122, 123, 127, 136 don 13, 84, 127, 132–134, 158, 161, 163, 178, 180, 198–201, 212, 215–219, 234, 235, 240 Douglas, Mary 115, 134, 238, 243 Dumont, Louis 146, 161, 188, 229, 236 Durkheim, Emile 13, 24 *dvija 141, 142, 144, 149, 153–155, 158, 172, 178, 182, 199, 207, 209, 216, 218, 242 eau 89, 90, 127, 128, 146–148, 152, 155, 161, 163, 166, 167, 169, 173, 179–181, 183, 187, 188, 193, 195, 196, 198, 208, 213 voir aussi : ablutions échange 7, 11, 13, 132, 166, 189, 195, 197, 216, 223, 234–236, 245 Église 13, 20, 246 Elias, Norbert 248 élites (gréco-)romaines 86, 88, 106

rabbiniques 70, 127 religieuses 39, 40, 66, 91, 135, 177, 224, 228, 232–236, 249, 250, 253 eschatologie 81, 82, 91, 135 escorte (au départ de l’invité) 61, 62, 162, 170, 171, 219, 240 voir aussi : congé (prise de) espace 61, 102, 148, 162, 243 de l’auberge publique 56 domestique 53, 56, 65, 66, 76, 90, 92, 101–103, 109, 135, 149, 168, 227, 239 de la ville 86 du Temple 53, 55, 109 étranger(s) 7–9, 57, 110, 119, 121, 132, 136, 155, 190, 191, 220, 222, 225, 231, 237 espace 102, 156, 157, 191 et pureté 54, 55, 127, 149 hostile 195, 220, 221, 248 intégration de 13, 136, 223, 242 terminologie de l’ 10, 51, 52, 56, 139, 144, 145, 149, 239, 249 voir aussi : ger, goy, mleccha étude de la Torah 46–49, 64, 77, 79, 80, 92, 94, 95, 98, 100, 104–107, 135, 229 des sacrifices 105 védique 140, 141, 143, 144, 172, 179, 182, 183 étudiant 76, 99–102, 133, 182, 199–201, 235, 237, 244 voir aussi : brahmacƗrin femme 55, 56, 69, 98, 118, 164, 199, 243, 244 et mendiants 200, 201 et qualification rituelle 158–160, 202 place de la 60, 70–72, 90, 108–113, 200–204 Frazer, Sir James George 195, 221 *gemilut ‫ۊ‬asadim 79, 103–105, 135 genre discursif 14, 20, 30, 122, 126, 218, 225, 226, 245, 250 *ger 51, 52, 75 voir aussi : étranger et prosélytisme Girard, René 107, 247, 248 Goffman, Erving 132, 237, 242 Gonda, Jan 150, 165, 170, 174, 179, 181, 195, 198 gourmandise 69 *goy 51, 52, 59, 121, 127, 129–132, 136, 225 voir aussi : étranger

Index général

*g‫܀‬hastha 139, 141–144, 151, 168, 172, 197, 198 *g‫܀‬hyasnjtra 33, 141, 166, 183, 184 Gruzinski, Serge 19 hakhnasat (ha-)´ore‫ۊ‬im 55, 56, 58, 76, 77, 79, 106 Halbfass, Wilhelm 23, 145 *‫ۊ‬aver 46, 47, 49, 52, 53, 58, 66, 71, 86–92, 108, 116–118, 121, 133, 135, 244 = l’ami / le voisin 46, 60, 62 Heesterman, Johannes Cornelis 166, 170, 216, 217 hérétiques 41, 49, 50, 136, 141, 191, 200, 208, 209, 220, 226, 239, 243 voir aussi : idolâtrie Hezser, Catherine 27–29, 31, 40, 43, 44, 46, 56, 62–65, 87, 90–94, 100, 101, 106, 107, 113, 115, 119, 135, 226, 230, 239 hiérarchie 64, 99, 115, 139, 178, 180, 195, 196, 212, 217, 219, 229, 230, 233–239, 241, 244–246, 248, 250, 253 voir aussi : rang Holdrege, Barbara 19, 20, 40, 228, 235, 236, 246 honneur 66, 90, 149, 151, 152, 175, 178, 179, 181, 183–185, 190, 203, 207, 209, 233, 237, 238, 242 honte 65, 66, 69, 84, 118, 119, 163, 201, 202, 224, 242 hospitalité comme rituel 86–92, 129, 130, 132, 155, 165–175, 181–183, 187–196, 233–240 comme sujet d’histoire des religions 7–9 comme fait social transculturel 18, 19, 32, 41, 231–245 définition de l’ 8, 9 durée de l’ 56, 60, 151, 176, 238 et autorité politique 113–116, 123, 128, 130, 182 et problématique du genre 108–113, 201–204, 243–245 et pureté 52, 54, 117, 118, 125, 127, 129, 136, 146–149, 213–215 réseaux d’ 11, 12, 57, 63, 92, 135, 221, 241 terminologie 9–12, 17, 20, 55–57, 152, 249 hospitium 9–11, 56, 134 hôte (invitant) comme *`am ha-´are‫ ܈‬108, 116, 117

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comme dignitaire religieux 62, 63, 67– 70, 92, 93, 99, 100, 113–116 , 126, 183, 233 comme non-juif 127–132 comme non-*dvija 155, 178, 210, 212– 215 comme *yajamƗna 167–172, 174, 190 dénuement d’un 8, 157 devoirs incombant à un 59–62, 114, 156, 160–162, 168, 173, 175, 176, 178–181, 187–189, 207 fille de l’ 183 fortuné 66, 87, 88, 188 richesse d’un (éprouvée par l’hospitalité) 179, 182, 184, 185, 189 rôle de l’ 229, 236, 237, 240, 242 terminologie de l’ 56, 151, 152 voir aussi : ba`al ha-bayit et g‫܀‬hastha hôte (invité) comme *`am ha-´are‫ ܈‬58, 87, 117– 119, 121 comme dignitaire religieux 58, 67–70, 92–100, 105, 107, 113–116, 176, 179, 180, 181 comme femme 110, 244 comme non-brahmane 154, 190, 196, 204–211, 220 comme non-juif 59, 121–127 comme prêtre officiant 167, 170–172, 182 comportement inconvenant d’un 98, 99, 162, 163 devoirs incombant à un 60, 62–70, 99, 100, 162, 163 prestigieux 59, 152, 154, 161, 162, 166, 179, 181–184, 187, 194, 204 terminologie 56, 149–151 voir aussi : atithi hôtesse 56, 63, 108–112, 151, 164, 200, 202, 244 Houben, Jan 185, 186 idéalisation (de l’hospitalité) 58, 74, 137, 154, 156–158, 221, 222, 231 idolâtrie 50–54, 106, 120, 123, 125, 127, 129, 130, 132 voir aussi : hérétiques Ilan, Tal 90, 108, 110 impureté 46, 53–55, 117, 122, 124–128, 136, 145–149, 155, 190, 191, 207, 213, 214, 224, 236 voir aussi : pureté

296

Bibliographie, glossaire et index

individualisation (processus d’) 217, 227 inhospitalité 10, 81–84, 95, 152 intouchables voir : cƗ۬‫ڲ‬Ɨla et Ğvapaca invitation 59, 60, 62–64, 84, 86, 88, 97, 113–115, 119, 133, 162, 163, 192, 243 jaïnisme 150, 198, 208, 213, 233, 247 Jamison, Stephanie 151, 161, 163, 165, 166, 183, 187, 191, 193, 198, 200–202, 214, 219, 241, 244 Jay, Nancy 244 Jérusalem 52, 53, 55, 57, 88, 103, 104, 112, 118, 119, 253 Jones, Sir William 23, 36 Kane, Pandurang Vaman 34–38, 172, 177, 186, 190, 191, 197, 204, 207 Klawans, Jonathan 53, 54, 71, 235 Krauss, Samuel 43, 56, 61, 65, 66, 70, 71, 90, 115, 119, 127, 130 *k‫܈‬atriya 140, 144, 145, 153, 154, 156, 171, 178, 182, 190, 204–206, 212–214 Leslie, Julia 159, 161, 165, 168, 170, 171, 177, 178, 201–203, 215 Lincoln, Bruce 18, 21, 23, 172, 212, 235– 237, 241 Lingat, Robert 142, 185 lit 63, 67, 68, 83, 84, 89, 90, 100, 109, 161, 208, 237, 239 loi(s) de l’hospitalité 66, 83 fonction des Sages relativement à la 27, 88, 92, 230 religieuses 21, 28, 31, 36, 37, 45, 50, 58, 79, 131, 158, 182, 204, 214, 216, 235, 246 voir aussi : dharma, mi‫܈‬wa et Torah Lubin, Timothy 141, 174, 224, 228, 229, 251 madhuparka 181–185, 194 maître de maison voir : ba`al ha-bayit, hôte (invitant) et g‫܀‬hastha maître-disciple (relation) 60, 64, 99, 100, 156, 164, 200, 233 maîtresse de maison voir : hôtesse Malamoud, Charles 139, 149, 165, 168, 170, 171, 178, 189, 195, 196, 200, 207, 212 *mantra 166, 171, 209 Mauss, Marcel 13, 24, 132–134, 195, 215– 218, 227, 234, 235, 240, 248, 249, 253 McClymond, Katherine 245, 248, 249 mendicité 143, 154, 159, 198–202, 210, 217, 243

mérite(s) 78–81, 93, 96–98, 133, 144, 148, 156, 158, 162, 169, 175–177, 183, 186, 190, 193, 199, 201, 209, 217, 234, 235 Michaels, Axel 147, 161, 217 Mimouni, Simon Claude 50, 52, 54, 122 mission 11, 25, 242, 246, 249 voir aussi : ger et prosélytisme *mi‫܈‬wa 75–78 *mleccha 145, 148, 149, 153, 191, 220 Moïse 40, 94–97 monothéisme 73, 242 mythe 12, 40, 84, 180, 193, 252 *naĞi 97, 98, 113–116, 118, 119, 121, 133, 136 neqiye ha-da`at 88, 118, 119 voir aussi : aristocratie Neusner, Jacob 17–19, 21, 27–29, 31, 32, 39, 46, 48, 49, 53, 70, 75, 80, 89, 96, 101, 104, 107, 117, 118, 127, 130, 131, 228 Olivelle, Patrick 26, 33–38, 40, 41, 140– 142, 144, 156–159, 163, 171, 172, 196, 197, 199, 204, 207, 208, 210, 211, 227 paix sociale (darkhe šalom) 126, 127, 136, 242 Perse 24, 25, 56, 85, 90, 124, 128, 131, 228, 230 Pitt-Rivers, Julian 66, 237, 240, 242 politesse 70, 111, 113, 132, 163, 211 voir aussi : derekh ´ere‫܈‬ précédence 94, 132, 165, 246 prière 75, 79, 102, 105, 107, 121 prosélytisme 45, 49–52, 71, 73, 75, 102, 242, 253 voir aussi : ger et mission pureté 52–55, 115–118, 129, 132, 146–149, 163, 178, 207, 212, 215, 224, 235, 236, 238, 243, 244 règles de 46, 47, 49, 52–55, 57, 66, 88, 91, 117, 127, 136, 146, 147, 152, 154, 158, 216, 243 voir aussi : impureté rang 57, 93, 99, 118, 149, 162, 163, 191, 214, 220, 236, 237 voir aussi : hiérarchie refus (des dons et de l’hospitalité) 60, 62– 64, 84, 88, 114–116, 118, 133, 139, 150, 163, 190, 201, 213 voir aussi : acceptation religion 7, 8, 13, 15, 17, 22, 23, 39, 41, 45, 70, 102, 130, 227, 231, 235, 246, 247, 251 notion de 19, 20, 249, 250

Index général

repas aspect rituel du 53, 70–75, 106, 107, 109, 163, 239 « communautaire » et formel 58, 71, 86–92 déroulement d’un 61, 75, 86, 90, 91, 149, 161, 164, 165, 207, 236, 239 du Seder 70, 90 et sacrifice 168–170, 193–195 heure du 159, 160, 169, 209, 237 partage d’un (entre personnes de groupes différents) 43, 54, 55, 70, 71, 93, 97, 100–102, 114–121, 123, 128, 139, 148, 204, 213, 215, 229, 235, 238, 243 préparation du 124–126, 128, 211, 243 sans cadre cérémoniel convenable 98, 99, 129, 130, 163 voir aussi : commensalité, restes, ĞrƗddha restes de vin 124, 125 de repas 159, 163, 195, 196, 204, 207, 208, 211, 216, 217, 229, 237, 244 rite d’échange 13, 234 d’interaction 132 de séparation 61, 171 de la génisse égorgée 61 domestique 33, 121, 151, 159, 165, 172–175, 179, 187, 188, 195–198, 200, 218, 227–230, 245, 247 du bali 159, 160, 173, 199 voir aussi : argha, sacrifice, ĞrƗddha roi 37, 123, 128, 140, 153, 155, 157, 166, 174, 178, 179, 182, 207, 242 romain(es) armée 127 autorités 28, 97, 113, 115, 116, 122 contacts 93, 115, 128 culture et pratiques 56, 57, 65, 66, 86, 88, 90, 100, 101 déclin de la civilisation 85 hospitalité 8, 10, 11, 88, 134 paganisme 102, 123 persécutions 94 Rüpke, Jörg 88, 232 sacrifice « aux morts » / idolâtre 106, 128, 129 conditions pour l’exercice du 140, 141, 159, 178, 202, 204 du Temple 103–107, 109, 135, 228

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économie du 174, 189, 211, 212, 234– 236 et Eucharistie 12, 107 *mahƗyajña (« grand sacrifice ») 172– 175, 181, 187, 188, 195–197, 200, 218, 247 notion de 247–249, 252 solennel 165–174, 182, 187–196, 219 salutation 132, 160, 167, 179, 204, 205, 208, 237, 246 Samaritain (*kuti) 51, 52, 71, 120, 121, 136 Schäfer, Peter 29, 31, 32, 85 Schwartz, Seth 27, 28, 53, 70, 81, 97, 101, 113, 126 Segal, Robert A. 16 serveur (šammaš) 66, 71, 92, 120, 129 comme intermédiaire 80, 112 serviteur 164, 195, 206, 207, 213, 215, 216 Shabbat 25, 47, 58, 71, 75–77, 79, 80, 97, 100–102, 124–126, 132, 241 *shekhina 77, 78, 97, 106 siège 61, 68, 100, 132, 161, 166, 179, 180, 208, 237 Smith, Jonathan Z. 15, 19, 39, 228, 229, 236, 238, 243, 245, 249, 251, 252 Sodome 61, 81–86 soma 166, 167, 169, 171, 172, 181 * ĞrƗddha 147, 148, 155, 156, 162, 167, 170, 173, 187–196, 208, 219, 238, 241, 251 *Ğrotriya 158, 160, 168, 176, 178–182, 185, 191, 196, 219 Stern, Sacha 31, 32, 39, 44, 45, 51, 67, 96, 109, 114, 130, 233 Strenski, Ivan 24, 234, 235 Stroumsa, Guy 102, 104 *Ğnjdra 21, 140, 141, 144, 146–148, 153, 154, 156, 161, 163, 195, 203–207, 212, 213, 217, 218, 220 *Ğvapaca 145, 148, 210 voir aussi : cƗ۬‫ڲ‬Ɨla synagogue 101, 102, 136 tablée 70–72, 147, 148, 188, 191, 193, 239 *talmid ‫ۊ‬akham 45, 49, 95–98, 105, 119 voir aussi : Sages Temple (de Jérusalem) 53, 55, 69, 103–107, 109, 136, 228, 230 tessère hospitalière 10 théologie brahmanique 26, 41, 140, 141, 148, 209 chrétienne 19, 23, 246, 252 rabbinique 78, 103, 104, 133, 135

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Bibliographie, glossaire et index

Thieme, Paul 155, 157, 165, 175, 220, 221, 249 Torah connaissance ou ignorance de la 99, 119 et bonnes manières 70, 111, 135 observance de la 120 orale 40 paroles de la 106, 129 rouleau(x) de la 50, 96 Sage comme incarnation de la 28, 93, 96, 107, 133, 228 voir aussi : étude triclinium 66, 90 unions mixtes 130, 132 vache (ou bœuf) 145, 151, 166, 181–187, 194, 199 *vaiĞvadeva 146, 156, 159, 160, 176, 179, 210, 215, 219

*vaiĞya 140, 141, 144, 153, 154, 156, 171, 190, 204–206, 212 Van Gennep, Arnold 61, 249 *vƗnaprastha 141–143, 196–198 Veda 40, 41, 141, 158, 167, 173, 174, 179, 182, 190, 194, 216, 221, 228 ville 11, 19, 28, 83, 85, 86, 127, 129, 142 vin 54, 66, 70, 73, 74, 89, 90, 101, 122, 124, 125, 131 vœu 62, 63, 68, 83, 114, 117, 190, 199, 208, 209 voyageur (et voyages) 11, 55, 56, 63, 65, 83, 84, 92, 99–102, 110, 130, 149–151 Wezler, Albrecht 38, 189, 196, 206 xenia 10, 11, 56, 134, 227 xénophobie 85 *zaqen 90, 237 Zeus (hospitalier) 7, 10

TABLE DES MATIÈRES Préambule ................................................................................................................ 5 1. 1.1 1.2 1.2.1 1.2.2 1.3 1.3.1 1.3.2 1.3.3 1.3.4 1.4 1.4.1 1.4.2 1.4.3 1.4.4

INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE................................................. 7 L’hospitalité comme sujet d’histoire des religions ...................................... 7 Généalogies de la notion « hospitalité » ...................................................... 9 Conceptions gréco-romaines ...................................................................... 10 Conceptions chrétiennes ............................................................................ 11 Méthodologie ............................................................................................. 12 Hypothèses de travail et démarche............................................................. 13 La comparaison discursive et contrastive pour méthode ........................... 15 Mirages de l’Inde ....................................................................................... 22 Inde – Proche-Orient : des contacts historiques ? ...................................... 24 Sources ....................................................................................................... 26 Réalité historique et réalité discursive ....................................................... 26 Sources rabbiniques et mode d’approche................................................... 27 Sources brahmaniques et mode d’approche ............................................... 33 Mise en regard des corpus.......................................................................... 38

2.

RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE RABBINIQUE ............................................................... 43 Vocabulaire hébraïque de l’hospitalité ...................................................... 44 Groupes diversement reconnus par le mouvement rabbinique .................. 44 Le dissident ................................................................................................ 49 Le non-juif.................................................................................................. 51 La pureté .................................................................................................... 52 L’hospitalité, l’hôte .................................................................................... 55 Incidence des catégories sociales et des règles de pureté sur l’hospitalité................................................................................................. 57 Pratiques de l’hospitalité ............................................................................ 59 Du bon usage de l’hospitalité pour celui qui reçoit ................................... 59 Du bon usage de l’hospitalité pour celui qui est reçu ................................ 62 La bénédiction des repas ............................................................................ 70 L’hospitalité comme devoir religieux ........................................................ 75 L’hospitalité : une mi‫܈‬wa ? ........................................................................ 75 Conséquences symboliques de l’hospitalité ............................................... 78 Sodome : conséquences de l’inhospitalité ................................................. 81 Cas particuliers ........................................................................................... 86 Rites de commensalité et banquets de ‫ۊ‬averim ......................................... 86

2.1 2.1.1 2.1.2 2.1.3 2.1.4 2.1.5 2.1.6 2.2 2.2.1 2.2.2 2.2.3 2.3 2.3.1 2.3.2 2.3.3 2.4 2.4.1

300

Table des matières

2.4.2 2.4.3 2.4.4 2.5 2.5.1 2.5.2 2.5.3 2.5.4 2.5.5 2.5.6 2.6 2.6.1 2.6.2

L’hospitalité entre rabbins, et entre « laïcs » et rabbins............................. 92 L’hôte reçu est un étudiant ou un voyageur ............................................... 99 Hospitalité et sacrifices ............................................................................ 103 Difficultés de l’hospitalité ........................................................................ 108 La figure féminine .................................................................................... 108 Les rapports entre rabbins et naĞi ............................................................ 113 Le cas du `am ha-are‫܈‬, qui reçoit et qui est reçu ..................................... 116 Le cas du Samaritain ................................................................................ 120 L’hôte reçu est non-juif (goy, nokhri) ...................................................... 121 L’hôte recevant est un non-juif ................................................................ 127 Conclusions .............................................................................................. 132 Conséquences d’ordre socio-économique ................................................ 132 Conjectures historiques ............................................................................ 134

3.

RITES ET PRATIQUES DE L’HOSPITALITÉ DANS LA LITTÉRATURE BRAHMANIQUE........................................................ 139 Vocabulaire sanscrit des catégories sociales et de l’hospitalité ............... 139 Var۬a et ƗĞrama ....................................................................................... 140 Aux marges du système des var۬a........................................................... 144 La pureté .................................................................................................. 146 L’hôte reçu ............................................................................................... 149 L’hôte recevant ........................................................................................ 151 L’hospitalité ............................................................................................. 152 Incidence des catégories sociales et des règles de pureté sur l’hospitalité............................................................................................... 152 Pratiques de l’hospitalité .......................................................................... 155 Qui est un atithi ? ..................................................................................... 155 Du bon usage de l’hospitalité ................................................................... 160 L’ordre de priorité et les « hôtes » familiers ............................................ 164 L’hospitalité comme pratique rituelle ...................................................... 165 Le sacrifice solennel comme hospitalité .................................................. 165 Hospitalité et sacrifices. Ɩpastamba 2.(3).7.1–11. .................................. 167 L’hospitalité : l’un des cinq grands sacrifices .......................................... 172 Conséquences symboliques de l’hospitalité ............................................. 175 Cas particuliers ......................................................................................... 177 Déclinaisons de l’hospitalité en fonction de caractéristiques identitaires 178 L’hôte prestigieux et la réception argha .................................................. 181 Faut-il abattre une vache pour un hôte ? .................................................. 184 Les décédés pour invités : le repas du ĞrƗddha........................................ 187 Peut-on donner l’hospitalité si l’on n’a pas de foyer ? ........................... 196 Mendicité et hospitalité ............................................................................ 198 Difficultés de l’hospitalité ........................................................................ 201 La figure féminine .................................................................................... 201 L’hôte reçu est d’un autre var۬a que brahmane ...................................... 204

3.1 3.1.1 3.1.2 3.1.3 3.1.4 3.1.5 3.1.6 3.1.7 3.2 3.2.1 3.2.2 3.2.3 3.3 3.3.1 3.3.2 3.3.3 3.3.4 3.4 3.4.1 3.4.2 3.4.3 3.4.4 3.4.5 3.4.6 3.5 3.5.1 3.5.2

Table des matières

301

3.5.3 3.5.4 3.5.5 3.6 3.6.1 3.6.2

Le cas de l’« hérétique » .......................................................................... 208 Le donataire est un « intouchable » ......................................................... 210 L’hôte invitant n’est pas dvija.................................................................. 212 Conclusions .............................................................................................. 215 Conséquences d’ordre socio-économique ................................................ 215 Éléments de synthèse ............................................................................... 219

4. 4.1 4.1.1 4.1.2 4.2 4.2.1 4.2.2 4.2.3 4.2.4 4.2.5 4.2.6 4.3 4.4 4.4.1 4.4.2

PERSPECTIVES COMPARATIVES ET CONCLUSIONS .................. 223 Comparaison des processus historiques et sociologiques ........................ 224 Les textes et leur audience ....................................................................... 225 La « mise à demeure » de la religion ....................................................... 227 L’hospitalité comme rituel social ............................................................. 231 Modèle des protagonistes de l’hospitalité ................................................ 231 Logiques de l’échange ............................................................................. 234 Pratiques de l’hospitalité .......................................................................... 236 Cui bono : les avantages de l’hospitalité.................................................. 240 Cui malo : les dangers de l’hospitalité ..................................................... 243 Élements à approfondir ............................................................................ 245 Retour sur les catégories analytiques ....................................................... 246 Bilan et conclusion ................................................................................... 250 Difficultés et nécessité de la comparaison ............................................... 250 En conclusion ........................................................................................... 253

Bibliographie ....................................................................................................... 255 A. Abréviations .................................................................................................... 255 B. Sources juives.................................................................................................. 256 C. Sources indiennes ............................................................................................ 259 D. Littérature secondaire...................................................................................... 263 Glossaire des termes fréquemment employés ...................................................... 281 Index des passages cités ....................................................................................... 287 Index général........................................................................................................ 293

P O T S DA M E R A LT E RT U M S W I S S E N S C H A F T L I C H E B E I T R ÄG E

Herausgegeben von Pedro Barceló, Peter Riemer, Jörg Rüpke und John Scheid.

Franz Steiner Verlag

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ISSN 1437–6032

Christoph Batsch / Ulrike Egelhaaf-Gaiser / Ruth Stepper (Hg.) Zwischen Krise und Alltag / Conflit et normalité Antike Religionen im Mittelmeerraum / Religions anciennes dans l’espace méditerranéen 1999. 287 S. mit 18 Abb., kt. ISBN 978-3-515-07513-8 Ulrike Egelhaaf-Gaiser Kulträume im römischen Alltag Das Isisbuch des Apuleius und der Ort von Religion im kaiserzeitlichen Rom 2000. 668 S., 20 Taf., geb. ISBN 978-3-515-07766-8 Christiane Kunst / Ulrike Riemer (Hg.) Grenzen der Macht Zur Rolle der römischen Kaiserfrauen 2000. X, 174 S., kt. ISBN 978-3-515-07819-1 Jörg Rüpke (Hg.) Von Göttern und Menschen erzählen Formkonstanzen und Funktionswandel vormoderner Epik 2001. 200 S., kt. ISBN 978-3-515-07851-1 Silke Knippschild „Drum bietet zum Bunde die Hände“ Rechtssymbolische Akte in zwischenstaatlichen Beziehungen im orientalischen und griechisch-römischen Altertum 2002. 223 S. mit 23 Abb., geb. ISBN 978-3-515-08079-8 Christoph Auffarth / Jörg Rüpke (Hg.) ¨(SLWRPKYWKCaRLMNRXPHYQKa Studien zur römischen Religion in Antike und Neuzeit. Für Hubert Cancik und Hildegard Cancik-Lindemaier 2002. 284 S. mit 11 Abb., kt. ISBN 978-3-515-08210-5 Ulrike Riemer / Peter Riemer (Hg.) Xenophobie – Philoxenie Vom Umgang mit Fremden in der Antike 2005. XI, 276 S., geb.

ISBN 978-3-515-08195-5 Patricia Just Imperator et Episcopus Zum Verhältnis von Staatsgewalt und christlicher Kirche zwischen dem 1. Konzil von Nicaea (325) und dem 1. Konzil von Konstantinopel (381) 2003. 251 S., kt. ISBN 978-3-515-08247-1 9. Ruth Stepper Augustus et sacerdos Untersuchungen zum römischen Kaiser als Priester 2003. 275 S., kt. ISBN 978-3-515-08445-1 10. Alessandro Barchiesi / Jörg Rüpke / Susan Stephens (Hg.) Rituals in Ink A Conference on Religion and Literary Production in Ancient Rome held at Stanford University in February 2002 2004. VIII, 182 S., kt. ISBN 978-3-515-08526-7 11. Dirk Steuernagel Kult und Alltag in römischen Hafenstädten Soziale Prozesse in archäologischer Perspektive 2004. 312 S. mit 6 Abb., 26 Plänen und 12 Taf., kt. ISBN 978-3-515-08364-5 12. Jörg Rüpke Fasti sacerdotum Die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdischchristlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr. Teil 1: Jahres- und Kollegienlisten Teil 2: Biographien Teil 3: Beiträge zur Quellenkunde und Organisationsgeschichte / Bibliographie / Register 2005. 3 Bde. mit insg. 1860 S. und CD-ROM, geb. ISBN 978-3-515-07456-8 8.

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in Vorbereitung Dorothee Elm von der Osten / Jörg Rüpke / Katharina Waldner (Hg.) Texte als Medium und Reflexion von Religion im römischen Reich 2006. 260 S., kt. ISBN 978-3-515-08641-7 Clifford Ando / Jörg Rüpke (Hg.) Religion and Law in Classical and Christian Rome 2006. 176 S., kt. ISBN 978-3-515-08854-1 Corinne Bonnet / Jörg Rüpke / Paolo Scarpi (Hg.) Religions orientales – culti misterici Neue Perspektiven – nouvelles perspectives – prospettive nuove 2006. 269 S. mit 26 Abb., kt. ISBN 978-3-515-08871-8 Andreas Bendlin / Jörg Rüpke (Hg.) Römische Religion im historischen Wandel Diskursentwicklung von Plautus bis Ovid 2009. 199 S., kt. ISBN 978-3-515-08828-2 Virgilio Masciadri Eine Insel im Meer der Geschichten Untersuchungen zu Mythen aus Lemnos 2007. 412 S. mit 6 Abb., kt. ISBN 978-3-515-08818-3 Francesca Prescendi Décrire et comprendre le sacrifice Les réflexions des Romains sur leur propre religion à partir de la littérature antiquaire 2007. 284 S., kt. ISBN 978-3-515-08888-6 Dorothee Elm von der Osten Liebe als Wahnsinn Die Konzeption der Göttin Venus in den Argonautica des Valerius Flaccus 2007. 204 S., kt. ISBN 978-3-515-08958-6 Frederick E. Brenk With Unperfumed Voice Studies in Plutarch, in Greek Literature, Religion and Philosophy, and in the New Testament Background 2007. 543 S. mit 39 Abb., kt. ISBN 978-3-515-08929-6 David Engels Das römische Vorzeichenwesen (753–27 v. Chr.) Quellen, Terminologie, Kommentar,

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historische Entwicklung 2007. 877 S., geb. ISBN 978-3-515-09027-8 Ilinca Tanaseanu-Döbler Konversion zur Philosophie in der Spätantike Kaiser Julian und Synesios von Kyrene 2008. 309 S., kt. ISBN 978-3-515-09092-6 Günther Schörner / Darja Šterbenc Erker (Hg.) Medien religiöser Kommunikation im Imperium Romanum 2008. 148 S. mit 15 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09188-6 Helmut Krasser / Dennis Pausch / Ivana Petrovic (Hg.) Triplici invectus triumpho Der römische Triumph in augusteischer Zeit 2008. 327 S. mit 25 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09249-4 Attilio Mastrocinque Des Mystères de Mithra aux Mystères de Jésus 2008. 128 S. und 7 Taf. mit 15 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09250-0 Jörg Rüpke / John Scheid (Hg.) Bestattungsrituale und Totenkult in der römischen Kaiserzeit / Rites funéraires et culte des morts aux temps impériales 2010. 298 S. mit 64 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09190-9 Christoph Auffarth (Hg.) Religion auf dem Lande Entstehung und Veränderung von Sakrallandschaften unter römischer Herrschaft 2009. 271 S. mit 65 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09347-7 Pedro Barceló (Hg.) Religiöser Fundamentalismus in der römischen Kaiserzeit 2010. 250 S. mit 26 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09444-3 Christa Frateantonio / Helmut Krasser (Hg.) Religion und Bildung Medien und Funktionen religiösen Wissens in der Kaiserzeit 2010. 239 S. mit 8 Abb., kt. ISBN 978-3-515-09690-4