Respiration et photosynthèse: Histoire et secrets d’une équation 9782759810659

Nous connaissons la respiration (animale) et la photosynthèse (végétale). Mais sommes-nous vraiment capables d’en expliq

220 32 42MB

French Pages 609 Year 2013

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Respiration et photosynthèse: Histoire et secrets d’une équation
 9782759810659

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Respiration et photosynthèse Histoire et secrets d'une équation

Grenoble Sciences Grenoble Sciences est un centre de conseil, expertise et labellisation de l’enseignement supérieur français. Il expertise les projets scientifiques des auteurs dans une démarche à plusieurs niveaux (référés anonymes, comité de lecture interactif) qui permet la labellisation des meilleurs projets après leur optimisation. Les ouvrages labellisés dans une collection de Grenoble Sciences ou portant la mention Sélectionné par Grenoble Sciences (Selected by Grenoble Sciences) correspondent à : des  projets clairement définis sans contrainte de mode ou de programme, des  qualités scientifiques et pédagogiques certifiées par le mode de sélection (les membres du comité de lecture interactif sont cités au début de l’ouvrage), une  qualité de réalisation assurée par le centre technique de Grenoble Sciences.

Directeur scientifique de Grenoble Sciences Jean Bornarel, Professeur à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1 On peut mieux connaître Grenoble Sciences en visitant le site web : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr On peut également contacter directement Grenoble Sciences : Tél (33) 4 76 51 46 95, e-mail : [email protected] Livres et pap-ebooks Grenoble Sciences labellise des livres papier (en langue française et en langue anglaise) mais également des ouvrages utilisant d’autres supports. Dans ce contexte, situons le concept de pap-ebook qui se compose de deux éléments : un  livre papier qui demeure l’objet central avec toutes les qualités que l’on connaît au livre papier un  site web compagnon qui propose : −− des éléments permettant de combler les lacunes du lecteur qui ne possèderait pas les prérequis nécessaires à une utilisation optimale de l’ouvrage, −− des exercices pour s’entrainer, −− des compléments pour approfondir un thème, trouver des liens sur internet... Le livre du pap-ebook est autosuffisant et nombreux sont les lecteurs qui n’utiliseront pas le site web compagnon. D’autres pourront l’utiliser et ce, chacun à sa manière. Un livre qui fait partie d’un pap-ebook porte en première de couverture un logo caractéristique et le lecteur trouvera des sites compagnons à l’adresse internet suivante : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr/pap-ebooks Grenoble Sciences bénéficie du soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Région Rhône-Alpes Grenoble Sciences est rattaché à l’Université Joseph Fourier de Grenoble

ISBN 978 2 7598 0964 6 © EDP Sciences 2013

Respiration et photosynthèse Histoire et secrets d'une équation

Claude Lance

17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf - BP 112 91944 Les Ulis Cedex A - France

Respiration et photosynthèse – Histoire et secrets d’une équation Cet ouvrage, labellisé par Grenoble Sciences, est un des titres du secteur Evolution des idées scientifique de la Collection Grenoble Sciences (EDP Sciences), qui regroupe des projets originaux et de qualité. Cette collection est dirigée par Jean Bornarel, Professeur à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1. Comité de lecture Jack  Farineau, Chercheur retraité du CEA Saclay Yaroslav  de Kouchkovsky, Directeur de recherche honoraire au CNRS Régis  Mache, Professeur honoraire à l'Université Joseph Fourier, Grenoble I Jean  Pelmont, Professeur honoraire à l'Université Joseph Fourier, Grenoble I Gérard  Tremblin, Professeur à l'Université du Maine, Le Mans Cet ouvrage a été suivi par Laura Capolo pour la partie scientifique et par Anne-Laure Passavant du centre technique Grenoble Sciences pour sa réalisation pratique. Les portraits ont été réalisées par Caroline Delavault et les figures par Frédéric Dumas. L’illustration de couverture est l’œuvre d’Alice Giraud, d’après des éléments fournis par l’auteur, des dessins réalisés par A. Giraud, des illustrations de dispositifs expérimentaux (T. de Saussure. Recherches chimiques sur la végétation. Nyon, Paris, 1804 & Regnault et Reiset. Ann. Chim. Phys., 3e série, 1849, 26, planche III). Autres ouvrages labellisés sur des thèmes proches (chez le même éditeur) Science expérimentale et connaissance du vivant (P. Vignais) • Histoire de la science des protéines (J. Yon-Kahn) • La biologie des origines à nos jours (P. Vignais) • Rencontre de la sciences et de l’art (J. Yon-Kahn) • Physique et biologie (B. Jacrot) • Naissance de la physique (M. Soutif) • L’Asie, source de sciences et de techniques (M. Soutif) • En physique, pour comprendre (L. Viennot) • Éléments de biologie à l’usage d’autres disciplines (P. Tracqui & J. Demongeot) • Energie et environnement (B. Durand) • Gestes et mouvements justes (M. Gendrier) • La plongée sous-marine (P. Foster) • Le régime Oméga 3 (Dr A. Simopoulos, J. Robinson, Dr M. de Lorgeril & P. Salen) • Minimum Competence in Medical English (J. Upjohn, J. Hay, P.E. Colle, A. Depierre & J. Hibbert) • Radiopharmaceutiques (M. Comet & M. Vidal) • Abrégé de biochimie appliquée (A. Marouf & G. Tremblin) • Bactéries et environnement (J. Pelmont) • Bioénergétique (B. Guerin) • Chemogénomique (E. Maréchal, L. Lafanachère & S. Roy) • Cinétique enzymatique (A. Cornish-Bowden, V. Saks & M. Jamin) • Enzymes (J. Pelmont) • Enzymologie moléculaire et cellulaire, Tome 1 et 2 (J. Yon Kahn & G. Hervé) • Glossaire de biochimie environnementale (J. Pelmont) • Mathématiques pour les sciences de la vie, de la nature et de la santé (J.P. Bertrandias & F. Bertrandias) • Chimie organométallique (D. Astruc) • Description de la symétrie (J. Sivardière) et d’autres titres sur le site internet : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr

Table des matières Avant-Propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

Première Partie - Philosophie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Chapitre 1 - De l'Antiquité à la fin du Moyen Âge. . . . . . . . . . . . . . . . 11 1.1 - L’Antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 1.1.1 - La théorie des quatre éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 1.1.2 - Les atomistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 1.2 - Les alchimistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.3 - Le souffle et la respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1.4 - La situation à la fin du Moyen Âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Chapitre 2 - La fracture du système. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 2.1 - Des révolutions à foison. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 2.1.1 - Chimie : d’autres éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2.1.2 - Médecine : la circulation du sang. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 2.1.3 - Physique : le vide. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2.2 - La naissance des gaz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 2.2.1 - Un nouveau concept : gaz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2.2.2 - Les gaz sylvestres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 2.3 - La situation à la fin du xviie siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

Chapitre 3 - La découverte des gaz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3.1 - Les instruments du progrès. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3.1.1 - La manipulation des gaz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 3.1.2 - Les autres instruments de mesure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 3.2 - Le phlogistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 3.2.1 - La théorie du phlogistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 3.2.2 - Les problèmes du phlogistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 3.3 - Les nouveaux airs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 3.3.1 - L’air fixe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 3.3.2 - L’air inflammable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 3.3.3 - L’air déphlogistiqué. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 3.3.4 - L’air méphitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

II

Respiration et photosynthèse

Chapitre 4 - La révolution chimique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 4.1 - Antoine-Laurent Lavoisier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 4.2 - Combustion et calcination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 4.3 - La fin des éléments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 4.3.1 - La composition de l’air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 4.3.2 - La synthèse et la décomposition de l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 4.4 - Calorique et calorimétrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 4.4.1 - La théorie du calorique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 4.4.2 - La calorimétrie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 4.5 - La chimie des substances végétales et animales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 4.6 - La nouvelle chimie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 4.6.1 - La nouvelle nomenclature chimique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 4.6.2 - La chimie de Lavoisier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Chapitre 5 - La respiration. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 5.1 - L’évolution d’une idée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 5.1.1 - Les précurseurs lointains. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 5.1.2 - Les précurseurs proches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 5.1.3 - Les Chimistes d’Oxford . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 5.2 - Les modifications de l’air dans la respiration. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 5.2.1 - L’addition d’air fixe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 5.2.2 - L’addition de phlogistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 5.3 - La contribution de Lavoisier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 5.3.1 - La chimie de la respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 5.3.2 - L’absorption d’oxygène et le rejet de gaz carbonique. . . . . . . . . . . . . . . 103 5.3.3 - La formation d’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 5.3.4 - La libération de calorique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 5.3.5 - La physiologie de la respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 5.4 - Les fermentations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

Chapitre 6 - Comment le carbone vient aux plantes. . . . . . . . . . . . 117 6.1 - Le « rétablissement » de l’air vicié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 6.1.1 - La déphlogistication de l’air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 6.1.2 - L’émission d’oxygène. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 6.2 - La nécessité de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 6.3 - L’absorption du gaz carbonique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 6.4 - L’origine atmosphérique du carbone des végétaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 6.5 - La participation de l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 6.6 - Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

Table des matières

III

Deuxième Partie - Chimie et physiologie. . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Chapitre 7 - Atomes, molécules et énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 7.1 - Les lois de la chimie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 7.1.1 - Les lois des combinaisons chimiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 7.1.2 - La théorie atomique de Dalton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 7.1.3 - Une écriture symbolique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 7.1.4 - Une écriture quantifiée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 7.2 - L’énergie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 7.2.1 - Le concept d’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 7.2.2 - Les formes de l’énergie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 7.3 - Vues nouvelles sur la respiration et la photosynthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

Chapitre 8 - La fonction chlorophyllienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 8.1 - Un problème d’identité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 8.2 - Photosynthèse et respiration à la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 8.3 - L’assimilation du carbone. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 8.3.1 - La chlorophylle et les corps chlorophylliens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 8.3.2 - L’amidon et les sucres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 8.4 - À la recherche du composé primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180

Chapitre 9 - La respiration cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 9.1 - Le siège de la respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 9.1.1 - La respiration sanguine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 9.1.2 - La respiration tissulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 9.1.3 - La respiration cellulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 9.2 - Le transport des gaz respiratoires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 9.2.1 - Le transport des gaz par le sang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 9.2.2 - L’hémoglobine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 9.2.3 - Le transport des gaz chez les animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 9.2.4 - Le transport des gaz chez les végétaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 9.3 - Les combustibles respiratoires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 9.3.1 - Le Quotient Respiratoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 9.3.2. - La glycogenèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

Chapitre 10 - Chaleur et travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 10.1 - La chaleur animale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 10.1.1 - La température des animaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 10.1.2 - La température du sang. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 10.2 - La chaleur végétale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 10.3 - Le travail musculaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 10.3.1 - Le travail physiologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

IV

Respiration et photosynthèse

10.3.2 - La force vitale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 10.3.3 - Température et travail musculaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 10.3.4 - Le glucose, source de l’énergie animale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 10.4 - La machine animale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 10.4.1 - Thermochimie et calorimétrie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 10.4.2 - Le moteur humain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 10.5 - Le crépuscule des mythes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

Chapitre 11 - La capture de la lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 11.1 - La lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242 11.1.1 - La propagation de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242 11.1.2 - L’absorption de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 11.1.3 - L’énergie lumineuse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247 11.2 - Les pigments des végétaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 11.2.1 - Pigments verts et pigments jaunes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 11.2.2 - Pigments bleus et pigments rouges. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 11.3 - La capture de l’énergie lumineuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 11.3.1 - Photosynthèse et absorption des radiations lumineuses . . . . . . . . . . . . 254 11.3.2 - Photosynthèse et absorption de l’énergie lumineuse. . . . . . . . . . . . . . . 259

Chapitre 12 - La vie sans air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 12.1 - Fermentation et putréfaction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 12.1.1 - Les causes de la fermentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 12.1.2 - La levure n’est pas une substance chimique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 12.1.3 - La fermentation alcoolique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270 12.2 - L’air et la fermentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 12.2.1 - L’origine des causes de la fermentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 12.2.2 - Les fermentations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 12.2.3 - Aérobiose et anaérobiose. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 12.2.4 - L’anaérobiose chez les végétaux et les animaux 283 12.3 - La fermentation sans la levure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 12.3.1 - La dissymétrie moléculaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 12.3.2 - Ferments, diastases et enzymes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 12.3.3 - La zymase. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290

Troisième Partie - Biochimie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293 Chapitre 13 - Nouveaux concepts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 13.1 - La découverte de l’atome. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 13.1.1 - Le nombre d’Avogadro. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 13.1.2 - Les rayons et la radioactivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299 13.1.3 - La structure de l’atome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301 13.1.4 - Les isotopes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303

Table des matières

V

13.2 - Vues nouvelles en chimie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 13.2.1 - La liaison chimique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 13.2.2 - La dissociation des molécules. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 13.2.3 - L’oxydoréduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 13.3 - La quantification de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 13.4 - La théorie des processus vitaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315 13.4.1 - La théorie protoplasmique de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315 13.4.2 - La théorie enzymatique de la vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

Chapitre 14 - Les voies du métabolisme énergétique. . . . . . . . . . . 321 14.1 - La glycolyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 14.1.1 - L’impact de la glycolyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 14.1.2 - Cozymase et coenzymes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 14.1.3 - Les premières théories de la glycolyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325 14.1.4 - Les intermédiaires phosphorylés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326 14.1.5 - L’étape oxydative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328 14.1.6 - L’assemblage du puzzle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331 14.2 - Le cycle de Krebs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 14.2.1 - Les acides di- et tricarboxyliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335 14.2.2 - Le cycle de Krebs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339 14.2.3 - L’acétate actif et la synthèse du citrate. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340 14.3 - La dégradation des acides gras. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344 14.3.1 - Les corps cétoniques dans le diabète. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344 14.3.2 - Nature et destinée des fragments dicarbonés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 14.4 - La voie d’oxydation directe du glucose. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347 14.4.1 - La voie des hexoses monophosphates. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 348 14.4.2 - Le cycle des pentoses phosphates. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349

Chapitre 15 - Oxydations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353 15.1 - Méthodologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354 15.1.1 - Techniques d’analyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354 15.1.2 - La mitochondrie, siège de la respiration. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 15.2 - Théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362 15.2.1 - Premières théories sur les oxydations respiratoires 362 15.2.2 - Activation de l’hydrogène. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 15.2.3 - Activation de l’oxygène. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365 15.3 - Transporteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 15.3.1 - Transporteurs flaviniques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 15.3.2 - Transporteurs pyridiniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 15.3.3 - Les cytochromes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 15.3.4 - Autres transporteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 15.4 - La chaîne respiratoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379

VI

Respiration et photosynthèse

15.4.1 - Stratégies mises en jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380 15.4.2 - Organisation de la chaîne respiratoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383 15.5 - Rétrospectives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 390

Chapitre 16 - Phosphorylations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397 16.1 - Les réactions de phosphorylation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398 16.2 - Les transferts d’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399 16.3 - Les composés « riches en énergie ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402 16.3.1 - La liaison phosphate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403 16.3.2 - Liaison « riche en énergie » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405 16.3.3 - Le cycle métabolique du phosphate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410 16.4 - Phosphorylation liée au substrat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413 16.4.1 - La génération des liaisons riches en énergie (~). . . . . . . . . . . . . . . . . . 413 16.4.2 - La formation de l’ATP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415 16.5 - Phosphorylation oxydative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417 16.5.1 - Mise en évidence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417 16.5.2 - Le rapport P/O. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419 16.5.3 - Les sites de phosphorylation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421 16.5.4 - Théorie chimique de la phosphorylation oxydative . . . . . . . . . . . . . . . 426 16.5.5 - À la recherche de X~. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428 16.6 - Bilans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433 17.1 - Une lente évolution des concepts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433 17.2 - L’intervention de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436 17.2.1 - Le rendement quantique de la photosynthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436 17.2.2 - Réactions claires et réactions sombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439 17.2.3 - L’unité photosynthétique et les quantasomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441 17.3 - L’incorporation du dioxyde de carbone. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445 17.3.1 - Des révolutions technologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445 17.3.2 - Carboxylation et premiers produits de la photosynthèse. . . . . . . . . . . . 447 17.3.3 - Réduction de l’acide phosphoglycérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451 17.3.4 - Régénération de l’accepteur de CO2. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 454 17.4 - La source du pouvoir réducteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 456 17.4.1 - L’oxydoréduction photosynthétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457 17.4.2 - Le transport d’électrons photosynthétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461 17.4.3 - Le schéma en Z. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463 17.4.4 - Les photosystèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 466 17.4.5 - L’organisation du système de transport d’électrons . . . . . . . . . . . . . . . 472 17.5 - La photophosphorylation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 473 17.5.1 - Le besoin d’ATP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 474 17.5.2 - La synthèse d’ATP dans les chloroplastes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475

Table des matières

VII

Chapitre 18 - Membranes et force proton-motrice . . . . . . . . . . . . . 481 18.1 - Les membranes biologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482 18.1.1 - Ultrastructure cellulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482 18.1.2 - Constitution et organisation des membranes biologiques. . . . . . . . . . . 487 18.1.3 - Compartimentation métabolique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492 18.2 - La théorie chimiosmotique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 495 18.2.1 - Des preuves... élusives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 495 18.2.2 - Les prémisses d’une nouvelle théorie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 498 18.2.3 - La théorie originelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 500 18.2.4 - Des preuves... irréfutables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 506 18.2.5 - Topologie membranaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510 18.3 - La force proton-motrice. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513 18.4 - L’ATP synthase. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518

Chapitre 19 - Unité et Diversité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 525 19.1 - Unité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 526 19.1.1 - Les étapes d’une longue marche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 526 19.1.2 - Les secrets d’une équation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529 19.1.3 - Un mécanisme unitaire et universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 535 19.2 - Diversité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 539 19.2.1 - Les photosynthèses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 539 19.2.2 - Les respirations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545 19.2.3 - Les autotrophies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 548 19.2.4 - Les thermogenèses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549 19.3 - Épilogue : À l’ère de la biologie moléculaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 552

Annexes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561 Annexe A - Équations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 562 Annexe B - Glycolyse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 564 Annexe C - Cycle de Krebs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565 Annexe D - β-oxydation des acides gras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566 Annexe E - Voie des hexoses monophosphates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 567 Annexe F - Transporteurs d'électrons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 568 Annexe G - Cycle de Calvin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 569 Annexe H - Lipides membranaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 570

Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571 Index des auteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581 Index chronologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Maintenant il faut parler de la jeunesse et de la vieillesse, de la vie et de la mort. Et peut-être est-il nécessaire, en même temps, d’exposer la cause de la respiration, car c’est elle qui, pour certains animaux, fait qu’ils vivent et qu’ils ne vivent pas. Aristote (Petits traités d’histoire naturelle)

Avant-Propos Grâce aux progrès des sciences, on peut aujourd’hui considérer que la description des structures anatomiques et cellulaires des êtres vivants, la nature de leurs constituants biochimiques, de même que la connaissance des principaux mécanismes qui assurent leur existence, sont actuellement des faits acquis. Beaucoup sans doute reste encore à découvrir, mais les inconnues ne se situent plus au niveau des éléments ou de l’organisation de la machinerie vitale, elles résident désormais dans le contrôle et la régulation de son fonctionnement. Parmi les fonctions vitales, deux d’entre elles sont particulièrement importantes car elles concernent l’existence même de la vie au sein de la biosphère : l’une est la photosynthèse, qui n’est rien moins que la source de toute énergie et de toute matière organique, l’autre est la respiration, pourvoyeuse de l’énergie nécessaire au fonctionnement de la très grande majorité des êtres vivants. L’une, la respiration, nous est familière depuis toujours : respirer, c’est vivre  ; l’autre, la photosynthèse, ne nous est connue que depuis un peu plus de deux siècles. Leurs liens sont cependant indissociables : la respiration n’existe que par la photosynthèse, qui lui fournit son combustible et son oxygène. Vues de l’extérieur, elles semblent apparemment jouer des rôles opposés, l’une détruisant ce que l’autre produit, mais de cette confrontation dépend notre existence. Inverses l’une de l’autre, elles partagent néanmoins des éléments communs, le plus simple d’entre eux étant l’air de notre atmosphère : d’ailleurs, c’est grâce à la respiration d’un animal, une souris, que la fonction photosynthétique d’une plante, un pied de menthe, a été découverte. Car s’il est manifeste que les animaux respirent, ce qui se perçoit facilement par les mouvements du thorax, il n’est par contre pas du tout évident que les plantes respirent et encore moins qu’elle pratiquent la photosyn-

II

Respiration et photosynthèse

thèse : aucun signe extérieur ne vient, chez les végétaux, traduire l’exercice de ces deux fonctions. Celles-ci sont traditionnellement représentées par deux équations chimiques classiques, que l’on rencontre dans tout traité élémentaire de physiologie animale ou végétale. L’une : C6H12O6 + 6 O2 $ 6 CO2 + 6 H2O exprime la respiration sous la forme de l’oxydation d’une molécule de glucose en présence d’oxygène atmosphérique, avec libération de dioxyde de carbone et formation d’eau. L’autre : 6 CO2 + 6 H2O $ C6H12O6 + 6 O2 traduit la photosynthèse, sous la forme de la synthèse d’une molécule de glucose, à partir d’eau et de dioxyde de carbone, le tout s’accompagnant d’un rejet d’oxygène. On peut symboliquement, au moyen de deux flèches inversées, regrouper ces deux équations en une seule : C6H12O6 + 6 O2 @ 6 CO2 + 6 H2O concrétisant ainsi de façon évidente la nature opposée des deux phénomènes. En fait, une telle formulation ne traduit qu’imparfaitement la réalité  : tout d’abord, il ne s’agit pas d’une véritable équation chimique équilibrée au sens où l’entendent les chimistes ; ensuite, le glucose n’est pas nécessairement le combustible de la respiration ni le produit de la photosynthèse. Pour dire vrai, elle est même un peu fausse. C’est donc une équation phénoménologique traduisant chez les êtres vivants la synthèse ou la destruction de matière organique, en ne faisant intervenir que des corps minéraux eux-mêmes très simples  : eau, oxygène, dioxyde de carbone. Sa place se situe au cœur de cet ouvrage. Par empathie, on s’y référera sous le vocable de La belle Équation. Son élaboration fut une véritable épopée scientifique. Il fallut plus de deux mille ans, d’Aristote à Lavoisier et de Saussure – c’est-à-dire la fin du xviiie siècle – pour aboutir à une définition formelle des deux phénomènes. Il fallut tout le xixe siècle pour en décrire les manifestations externes et internes et en formuler les équations. Au début du xxe siècle, respiration et photosynthèse n’apparaissaient encore que comme des sortes de boîtes noires, dont la connaissance de ce qui se passe à l’intérieur ne reposait que sur le bilan des entrées et des sorties, sans aucune information sur le fonctionnement de la machinerie. Par vagues successives, la réponse fut apportée au cours du xxe siècle, au fur et à mesure que se développaient des techniques d’analyse d’une finesse inimaginable. Aujourd’hui respiration et photosynthèse sont devenues de nouveaux faits acquis, dont on peut suspecter qu’ils ne subiront plus de

Avant-Propos III

modifications essentielles. C’est donc l’histoire des idées et celle des progrès techniques et scientifiques qui leur sont liés qu’on se propose de retracer ici. Tout d’abord, on ne prétendra pas faire œuvre historique. Il sera d’ailleurs fort peu question, à une exception près, de la vie des hommes qui participèrent à cette aventure. La plupart des découvertes, souvent attribuées à un seul auteur, ont presque toujours subi un long temps de gestation, faisant l’objet de communications préliminaires ou d’échanges privés entre scientifiques, de telle sorte qu’il est parfois difficile d’attribuer une date précise ou un auteur unique à certaines d’entre elles. Sur ces sujets, qui font l’objet des travaux des historiens, on admettra l’opinion commune, soulignant au passage les difficultés, s’il en existe, sans prendre parti dans ces sujets délicats. De même, il ne s’agira pas non plus de faire œuvre scientifique, sous forme d’un traité de physiologie ou de biochimie, exposant le détail des mécanismes, leurs variantes ou leurs particularités chez certains organismes. On s’en tiendra au contraire aux grandes lignes, aux schémas directeurs, et surtout à la manière dont les idées sont apparues et ont évolué dans le temps. On attachera donc un intérêt particulier aux théories, fruits de la réflexion ou de l’observation, qui se proposent de susciter ou d’interpréter l’expérience. Mais on ne négligera pas pour autant l’instrument qui améliore la mesure, la péripétie qui ouvre la voie ou le détail obscur duquel jaillit la lumière. On ne s’interdira pas non plus, chemin faisant, d’exprimer quelque opinion ou de défendre quelque thèse et, en particulier, parmi les quatre participants de La belle Équation, de magnifier le rôle primordial, mais souvent laissé dans l’ombre, du plus commun d’entre eux : l’eau. Le propos est donc de narrer une histoire sans entrer dans les détails, mais sans occulter les difficultés ni altérer la rigueur des faits scientifiques, tout en essayant de rendre accessibles au plus grand nombre des concepts parfois arides. Il faut aussi, si l’on veut donner au lecteur le sentiment de participer à une aventure, se replacer dans le contexte temporel. Il y a donc lieu, à cet effet, d’éviter un double anachronisme, l’un, assez grossier, faisant usage d’un vocabulaire désuet pour expliquer les faits du présent, l’autre, plus subtil et très naturel, consistant à décrire les faits et les événements du passé à l’aide de nos mots actuels, à procéder par définitions et affirmations, comme dans un manuel scolaire. Priestley aurait été fort étonné, à la lecture de certains ouvrages, d’apprendre qu’un jour de 1771 il avait « découvert la photosynthèse » : le mot ne devait être créé que cent vingt ans plus tard. Tout au plus avait-il observé qu’un pied de menthe était capable de régénérer l’air d’une enceinte vicié par la mort d’une souris. Il avait interprété ce fait en avançant une hypothèse conforme aux connaissances de l’époque : la plante avait changé cet air vicié en un air « déphlogistiqué », qui restaurait l’exercice de la respiration et de la combustion. Mais il ne s’agissait pas de photosynthèse, tout au plus d’une « déphlogistication de l’air ».

IV

Respiration et photosynthèse

C’est donc l’histoire de cette équation, La belle Équation, qui résume à la fois les deux fonctions vitales que sont la photosynthèse et la respiration, que l’on se propose de rapporter ici, en usant des termes et des concepts de l’époque, en remontant le cours du temps, en suivant le progrès des techniques et l’évolution des idées. Il faudra souvent feindre de défendre avec un semblant de conviction des vérités qui s’avéreront ultérieurement... erronées. On évitera aussi d’anticiper sur l’avenir, pour maintenir l’intérêt de la découverte, chaque étape permettant d’aller plus loin, mais étant elle même l’aboutissement d’une révolution conceptuelle. Ainsi   Priestley n’aurait jamais «  découvert la photosynthèse  » si un autre précurseur, Van Helmont, un médecin alchimiste souvent ignoré, n’avait préalablement «  découvert les gaz  » en tant que fluides différents de l’air. Car l’air, à cette époque, n’était pas le mélange gazeux atmosphérique d’oxygène et d’azote que nous connaissons aujourd’hui, il était « l’air », un des quatre éléments constitutifs de toute matière. Et pour savoir en quoi consistait cet « air », il est alors nécessaire de faire retour aux sources et de se référer aux écrits des premiers philosophes grecs. Et, plus près de nous, comment pourrait-on comprendre les oxydations respiratoires ou l’action de la lumière dans la photosynthèse, si les chimistes n’avaient établi les notions de pH, de potentiel d’oxydoréduction ou d’enthalpie libre, si les physiciens ne nous avaient appris ce que sont un électron, un proton, un photon ? Ces notions sont elles-mêmes le fruit de décennies de spéculation et d’expérimentation. Y prêter quelque intérêt peut paraître éloigné du sujet qui nous préoccupe directement, mais sans elles respiration et photosynthèse seraient toujours des « boîtes noires ». Telle est donc la tâche que nous allons entreprendre, en nous engageant dans un long cheminement qui va nous conduire des quatre éléments et des premières observations sur la respiration des animaux d’Aristote (≈ 350 av. J.-C.) à la force proton-motrice de la théorie chimiosmotique de P. Mitchell (1961) et au fonctionnement de l’ATP synthase tel que P.  Boyer l’a établi (1997). Ces termes barbares, auxquels notre ambition est de donner accès sont l’aboutissement de siècles de réflexion et d’expérimentation qui ont permis, sur le plan énergétique, d’unifier ces deux phénomènes essentiels, et apparemment opposés, que sont la respiration et la photosynthèse.

Remerciements Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à toutes les personnes qui, à des titres divers, ont contribué à la parution de ce livre. En premier lieu, mes remerciements vont à Grenoble Sciences pour l’excellence de son expertise scientifique et les suggestions qui m'ont été faites par les référés en vue d’améliorer la qualité du manuscrit. En particulier, j’exprime toute ma reconnaissance à son Directeur scientifique, Jean Bornarel, dont les remarques ont été décisives pour la définition du cadre de cet ouvrage, ainsi qu'à Laura Capolo, en charge des contacts entre l'équipe éditoriale et l’auteur. Mes remerciements vont également à Anne-Laure Passavant et Sylvie Bordage pour leur travail de mise en forme de l’ouvrage, à Caroline Delavault pour la réalisation des portraits, à Laure Fasano pour la résolution de l’inextricable problème des autorisations de reproduction. Ma gratitude s’adresse également aux membres du Comité de lecture  : Jack Farineau, Yaroslav de Kouchkovsky, Régis Mache, Jean Pelmont, Gérard Tremblin, dont les jugements critiques ont fortement contribué à l’amélioration du niveau scientifique de l’ouvrage. Enfin, je tiens tout spécialement à exprimer ma reconnaissance à mes anciens collaborateurs, collègues universitaires et amis qui n'ont pas mesuré leur temps pour lire le texte de l’ouvrage au cours de son élaboration, notamment Jacques Dupont (in memoriam), Abdellatif Benbadis, Michèle Chauveau, Gilbert Dana, Jack Farineau, Jean-Paul Gallinet, Claude Hartmann, René Heller, François Moreau, Arlette Nougarède, Jean Roussaux, Pierre Rustin, Christiane Tuquet. L’intérêt qu’ils ont manifesté, leurs encouragements, leurs remarques avisées et pertinentes, généreusement prodiguées, m’ont évité bien des embûches et grandement contribué à la réalisation de la forme finale de ce livre. Enfin, je voudrais rendre un hommage tout particulier à celui qui m’a initié à la recherche et fut à l’origine de ce projet, Guy Camus. Il en a suivi avec enthousiasme les premiers pas. Respectueusement, cet ouvrage est dédié à sa mémoire.

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Première Partie Philosophie La période historique couverte dans cette Première Partie s’étend du vie siècle av. J.-C. jusqu’à l’année 1800 approximativement. Elle concerne donc plus de deux millénaires d’évolution de la pensée scientifique. S’il fallait l’illustrer par l’image de quelques personnages symboliques, on pourrait dire qu’elle a commencé avec Aristote, qui eut quelques précurseurs, et s’est achevée avec Lavoisier, accompagné de quelques contemporains illustres. Et s’il fallait caractériser d’un mot l’évolution du système de pensée ou donner un nom à la discipline qui guida alors le cheminement vers la vérité, à l’évidence celui de philosophie s’imposerait, de même que celui de philosophe pour ceux qui participèrent à cette aventure. Comment de tels mots peuvent-il assurer le lien entre Aristote et Lavoisier, et de plus dans un domaine qui concerne les manifestations de la vie chez les animaux et les plantes ? L’Histoire nous renseigne. Les premiers philosophes, ceux qui jetèrent les bases de cette nouvelle discipline, furent certains esprits curieux de la Grèce antique. Pour expliquer l’origine et la nature du monde qui nous entoure, ils tentèrent de substituer au merveilleux des légendes mythologiques les premières explications tirées des raisonnements que l’on pouvait porter sur le monde à partir de l’observation des faits de la nature. Pendant très longtemps cependant, cette pensée demeura essentiellement spéculative. Avec Aristote, la perception par les sens (sensation), l’observation et l’expérience devinrent les sources principales de toute connaissance. Tous les esprits éclairés de cette époque étaient donc des philosophes. La connaissance étant alors universelle, le philosophe était aussi quelque peu médecin, astronome, observateur de phénomènes naturels, voire poète ou homme politique. Peu  à peu cependant se réalisa une certaine disjonction : certains se consacrèrent plus spécialement aux choses de l’esprit, de l’âme, des sentiments, de la métaphysique, de la religion, et constituèrent un groupe spécifique, celui des vrais philosophes. D’autres  accordèrent leur préférence aux choses terrestres et matérielles. Ainsi naquit une nouvelle philosophie, la philosophie naturelle, Philosophia naturalis, dont le domaine avait été parfaitement cerné par le poète latin Lucrèce dans son De rerum natura. Le champ d’investigation de la philosophie naturelle était donc

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Respiration et photosynthèse

celui de la nature des choses, c’est-à-dire, par opposition aux choses de l’esprit, celles du monde réel de notre environnement : les astres, la Terre, les minéraux, les êtres qui vivent à la surface de la Terre, animaux et végétaux, les phénomènes qui les affectent ou les transforment, etc. Ainsi souleva-t-on nombre de questions. Au cours du temps, elles reçurent des réponses diverses, parfois très opposées, montrant au passage que toute vérité n’est pas par essence absolue et éternelle, mais au contraire relative et temporelle. Cependant, cette pensée pré-scientifique, même fondée sur l’observation, conservait encore un caractère très spéculatif. Les théories dominantes, telles celle des éléments d’Empédocle et d’Aristote ou celle des atomes de Démocrite et Lucrèce, étaient essentiellement des systèmes de pensée philosophiques, totalement déconnectés de l’emprise sur le réel. Il leur manquait une dimension, celle de l’expérimentation. Un tournant décisif fut pris à l’époque hellénistique avec l’apparition de l’alchimie. À la recherche de la pierre philosophale, de la panacée ou tout simplement de l’or, les alchimistes appliquèrent aux minéraux ou aux extraits animaux ou végétaux des traitements physiques dans le but de les transformer ou d’en extraire la quintessence  : ainsi naquit la chimie. En même temps, la variété des procédés utilisés (calcination, fusion, distillation, évaporation, etc.) mettait en jeu des phénomènes physiques (pression, attraction, gravité, chaleur, lumière, etc.), qui à leur tour devinrent l’objet d’études indépendantes : ainsi naquit la physique. Tous ceux qui s’adonnaient à ces études des phénomènes de la nature se rangeaient ainsi parmi les adeptes de la philosophie naturelle, dont Newton (1687) donnait même une définition assez restreinte : «  Toute la tâche de la philosophie semble consister en ceci : à partir des mouvements, rechercher les forces de la nature puis, à partir de ces forces, démontrer les autres phénomènes », où le terme de philosophie est pratiquement équivalent à celui de physique. Ainsi en était-il encore, à la fin du xviiie siècle, avec Priestley mentionnant « ce mode d’expérimentation introduit par cet excellent philosophe, M. Volta, qui enflamme l’air inflammable dans l’air commun par l’étincelle électrique  », ou avec Lavoisier recevant à sa table, pour discuter science, ses collègues académiciens, « l’élite des philosophes de cette ville ». De plus, il est à remarquer que certains des plus grands esprits scientifiques de l’époque (Bacon, Pascal, Descartes, ...) étaient aussi de vrais philosophes. D’où la floraison et la variété des traités de philosophie naturelle, le plus célèbre étant sans conteste l’incontournable Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) de Newton. Cette manière de voir débordera même très largement sur le siècle suivant : des propositions ou des synthèses fondamentales seront formulées dans la Philosophie botanique (1751) de Linné, le New system of philosophical chemistry (1808) de Dalton, la Philosophie zoologique (1809) de Lamarck, la Philosophie anatomique (1818) et les Principes de philosophie zoologique (1830) de Geoffroy Saint-Hilaire, ou

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encore les Leçons de philosophie chimique (1836) de Dumas. De nos jours encore, le Docteur ès sciences anglo-saxon est toujours un Ph. D. (Philosophiae Doctor, Doctor of Philosophy) et, à Londres, la Royal Society continue imperturbablement de relater les plus récents progrès des sciences modernes dans ses Philosophical transactions (The world’s first international science journal, vol. 1 (1665), vol. 368 (2013)). Mais au siècle des Lumières, la réciproque est également vraie, le vrai philosophe s’intéresse aussi aux sciences : Rousseau était un fervent amateur de botanique et les problèmes de la biologie et de la physique n’étaient pas étrangers à Voltaire. Le philosophe d’alors, c’était donc « l’honnête homme de sciences ». Rarement professionnel à plein temps, souvent polyvalent, pluridisciplinaire, il est universitaire, médecin, juriste, clerc, parfois noble, disposant de ressources ou de loisirs qui lui permettent d’assouvir en toute liberté d’esprit son penchant pour la philosophie naturelle. Ainsi, ces philosophes – adeptes de l’étude des Sciences de la Matière ou des Sciences de la Vie et de la Terre, selon notre vocabulaire moderne – vont-ils peu à peu caractériser la nature et les propriétés des éléments constitutifs de la matière, établir les lois qui régissent leurs interactions, reconnaître et décrire les principales fonctions vitales, supports de la vie animale et végétale. En particulier, ils définiront la nature des gaz, de l’air et de l’eau, qui, à leur tour, permettront de caractériser (ou de découvrir), sur des bases nouvelles et rigoureuses, ces deux phénomènes vitaux essentiels que sont la respiration et la photosynthèse.

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Chapitre 1 De l'Antiquité à la fin du Moyen Âge La période qui s’étend du vie siècle av. J.-C. au début de la Renaissance (fin du xve siècle) a vu fleurir et se succéder sur le pourtour de la Méditerranée plusieurs foyers de civilisation : grecque (Athènes), latine (Rome), hellénistique (Alexandrie), byzantine (Constantinople), arabo-musulmane (Bagdad, Cordoue), chrétienne et médiévale (Europe occidentale). Toutes ont été marquées par l’influence de la pensée grecque qui s’élabora sur les bords de la mer Égée lorsque certains philosophes avancèrent les premières explications rationnelles de l’univers. En dépit de différences profondes, les divers systèmes philosophiques qui s’étaient succédé depuis l’aube des temps historiques (Mésopotamie, Egypte, Chine, Inde, ...) avaient retenu un certain nombre de repères fixes. Ainsi en était-il de l’existence de deux mondes : un macrocosme, univers lointain, tourné vers le ciel, représenté par les astres et les planètes, et d’autre part un microcosme, univers proche, centré sur l’homme et son environnement immédiat, minéral, animal et végétal. Des causes motrices les animaient, chez l’un elles créaient le mouvement, chez l’autre la vie. Ces conceptions trouvèrent leur pleine expression, au vie siècle avant notre ère, dans les écrits des philosophes présocratiques. En particulier, la vie apparaissait alors comme le reflet et l’expression d’un souffle vital 1, le pneuma (πνεὖμα). Selon les domaines envisagés, le terme revêt des significations variées. Il pourra être le souffle qui pénètre et anime l’univers, sorte de respiration cosmique, mais il sera aussi le souffle qui apporte la vie. Il sera l’air inspiré par les poumons, réchauffé dans le cœur et distribué dans l’organisme par les artères. Sous des noms divers (pneuma, psyché, anima, spiritus, âme, esprit), il traversera les siècles, sera intégré dans les dogmes de la religion 2 et, dans le domaine scientifique, inspirera des théories (vitalisme) qui persisteront jusqu’à nos jours.

1 Voir D. Piperno. Histoire du souffle. La respiration dans l’Antiquité occidentale. 2 Dans les religions chrétiennes : ἅγιον πνεὖμα, agion pneuma, Saint-Esprit.

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1.1 - L’Antiquité C’est dans ce contexte philosophico-scientifique que s’est déroulée la longue quête qui, d’Aristote à Lavoisier et Priestley, a permis de mettre en évidence et de caractériser, au moins dans leurs manifestations externes, les deux fonctions vitales aujourd’hui connues sous les noms de respiration et de photosynthèse. De ces deux fonctions, une seule, la respiration, était accessible à la réflexion des philosophes antiques, mais encore faudra-t-il, avant qu’elle s’identifie avec la perception que nous en avons aujourd’hui, qu’elle se dépouille de celle de pneuma qui la suit comme son ombre, opération qui demandera des siècles.

1.1.1 - La théorie des quatre éléments Pour décrire l’état de la matière ou de l’univers, de l’Antiquité on retiendra surtout la théorie des quatre éléments, dont Aristote fut le principal vulgarisateur sinon le théoricien. Dès le viie siècle avant J.-C., à Milet, en Asie mineure, apparaissent les premiers éléments d’une pensée pré-scientifique. Ainsi, Thalès de Milet (viie-vie siècle av. J.-C.), découvreur de l’électricité statique, admettait l’eau pour principe de toutes choses. Pour Anaximène (550?‑480? av. J.-C.), c’était l’air qui jouait ce rôle. Héraclite (576?-480? av. J.-C.) considérait que l’élément fondateur était le feu. Pour Xénophane de Colophon (570?-475? av. J.-C.), c’est à la terre que ce rôle était dévolu. Par opposition à ces théories, dites monistes, de l’école de Milet, qui ne mettaient en jeu qu’un seul élément, Empédocle d’Agrigente (490?-435? av. J.-C.), fut le premier à proposer une explication pluraliste avec sa théorie des « quatre racines de toutes choses ». Ainsi s’établit peu à peu la théorie dite des quatre éléments, où terre, eau, air et feu étaient les constituants de l’univers : non seulement des astres, des planètes, du Soleil ou de la Lune (macrocosme), mais aussi de l’homme, des animaux, des plantes et des minéraux de notre environnement (microcosme). Pythagore (580?-500? av. J.-C.) et les disciples de son école établirent une doctrine basée sur deux notions très abstraites, le nombre et l’harmonie, seules capables d’exprimer la perfection des rapports et des formes. Aucun être, aucune chose, ne pouvait être conçu sans le nombre, et le nombre était une harmonie de qualités opposées, telles que : pair/impair, gauche/droite, courbe/rectiligne, etc. Il existait au total dix couples d’opposés. Aux éléments d’Empédocle, la doctrine pythagoricienne associait des formes géométriques. Platon (428-348 av. J.-C.), disciple de Socrate et créateur de la première école de philosophie, la célèbre Académie, formalisa ces concepts en reprenant certaines

Chapitre 1 - De l'Antiquité à la fin du Moyen Âge

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idées de l’école pythagoricienne. Platon enferme la matière  3 dans des volumes dont les faces résultent de l’assemblage de deux sortes de triangles (fig.  1.1(a)). Deux triangles rectangles isocèles permettent de former un carré, et avec six carrés on peut construire un cube. De même, six triangles rectangles dont la longueur de l’hypoténuse est le double de celle du petit côté permettent de construire un triangle équilatéral. Avec quatre triangles équilatéraux, on peut obtenir une pyramide dont toutes les faces sont égales (tétraèdre régulier). Huit de ces triangles permettent de même de construire un octaèdre régulier (figure à huit faces), et l’assemblage de vingt d’entre eux aboutit à la production d’un solide régulier à vingt faces (icosaèdre). Platon associe ces solides géométriques aux quatre éléments alors reconnus : le tétraèdre, figure la plus simple, est affecté au feu, puis, par ordre de complexité, l’octaèdre à l’air, l’icosaèdre à l’eau. Le cube, issu de triangles d’un autre type représente la terre, élément le plus stable. Un des intérêts de cette représentation, toute intellectuelle, était de permettre une certaine transformation des éléments (transélémentation). Par exemple : 1 air (8 triangles) $ 2 feu (2 × 4 triangles) 1 eau (20 triangles) $ 1 feu (4 triangles) + 2 air (2 × 8 triangles) WHUUH 1

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Figure 1.1 - La « chimie » au temps de Platon et d'Aristote (a) Représentation des éléments selon Platon : 1, construction basée sur le triangle rectangle isocèle. 2, constructions basées sur le triangle rectangle dont la longueur de l'hypoténuse est double de celle du petit côté. 3, transélémentation reposant sur la conservation du nombre de triangles : 1 air = 2 feu. (b) Les quatre éléments d'Aristote avec leurs qualités propres et leurs transformations réciproques par échange de qualités.

3 Platon. Timée, p. 431. À cette époque (et jusqu’à Descartes, p. 33), la matière (corps) était perçue par son étendue ou sa profondeur, c’est-à-dire par sa surface ou son volume. De nos jours, elle est plutôt perçue par son poids ou sa densité, c’est-à-dire par sa masse.

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Première partie - Philosophie

Cette théorie fut reprise par Aristote (384-322 av. J.-C.), disciple de Platon et fondateur d’une autre célèbre école de philosophie, le Lycée. Au lieu de figures géométriques, Aristote associa aux éléments des couples de qualités contraires, vieille notion héritée de l’école pythagoricienne (fig.  1.1(b)). Parmi ces couples, deux étaient très importants : le chaud et le froid, le sec et l’humide. Chaque élément recevait ainsi deux qualités appartenant à des couples différents : le feu était chaud et sec, l’air chaud et humide, l’eau froide et humide, la terre froide et sèche. Comme avec Aristote les triangles de Platon, ce système permettait de passer d’un élément à un autre, soit progressivement en altérant l’une des qualités, soit directement par la modification d’un couple de qualités. Les éléments se définissaient aussi par rapport au couple léger/lourd, d’après le sens de leur mouvement vers le haut ou vers le bas. Les éléments, représentés par des volumes, peuvent en effet êtres déplacés sans difficulté dans un plan horizontal. Il suffit pour cela qu’ils se substituent à un autre élément qui occupait déjà la place, le vide n’existant pas. Mais sur le plan vertical, c’est-à-dire dans la direction orientée de la Terre vers le ciel, il leur faut en plus disposer d’un autre couple de qualités, le lourd et le léger. Ainsi la terre est lourde et le feu léger et, entre les deux, se situent l’eau, moins lourde que la terre (car la terre tombe dans l’eau), et l’air, moins léger que le feu (car le feu monte dans l’air). On attribue aussi à Aristote la proposition d’un cinquième élément, l’éther  4, forme très pure du feu ou de l’air, constituant des objets célestes. À partir de ces éléments sont ainsi constitués tous les êtres du macrocosme et du microcosme. C’est en particulier le cas de tous les êtres vivants, animaux et végétaux. Ils ne diffèrent les uns des autres que par les proportions des éléments qui les constituent 5 : z Les uns sont constitués d’une plus grande quantité de terre, comme le genre des plantes, les autres d’une plus grande quantité d’eau, comme celui des animaux aquatiques. Quant aux animaux ailés ou terrestres, les uns sont constitués d’une plus grande quantité d’air et les autres d’une plus grande quantité de feu. Chacun a sa place dans le lieu qui lui est approprié. y

1.1.2 - Les atomistes Mais quelle était la nature intime de la matière ? Créée ou éternelle ? Continue ou discontinue ? Pour les penseurs grecs, la réponse à la première question ne faisait pas 4 Il était représenté par le dodécaèdre, autre volume constitué par l’assemblage de douze triangles équilatéraux. 5 Aristote. Petits traités d’histoire naturelle, De la respiration, p. 203.

Chapitre 1 - De l'Antiquité à la fin du Moyen Âge

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de doute : la matière était éternelle, comme le montre ce syllogisme de Mélissos de Samos 6 : z Ce qui était a toujours été et sera toujours. Car s’il était venu à l’existence, il aurait dû, de toute nécessité, n’être rien avant de venir à l’existence. Or, s’il n’était rien, rien n’aurait pu, de quelque manière que ce soit, sortir de rien. y

Les êtres, de tailles très diverses, occupent des volumes variés, mais qu’advient-il lorsqu’on les divise en fractions de plus en plus petites ? Cette question a préoccupé les philosophes grecs que l’on range dans la catégorie des atomistes. Les pères de la théorie atomique sont Leucippe (460?-370? av. J.-C.) et surtout DÉmocrite (460-370 av. J.-C.), mais la vulgarisation de cette conception est le fait du philosophe Épicure (341-270 av. J.-C.) chez les Grecs, et plus tard, de LucrÈce (98-55 av. J.-C.) chez les Romains, qui l’a exposée dans son œuvre la plus connue, De rerum natura. Selon les atomistes, la matière n’est pas divisible à l’infini. Par divisions successives en fragments de plus en plus petits on aboutit à des particules que l’on ne peut diviser davantage : c’est l’atome  7. Certains possèdent des excroissances (atomes crochus) dont les imbrications créent une structure très stable, c’est l’état solide. D’autres, au contraire, sont lisses et ronds. Ils peuvent glisser plus ou moins facilement les uns sur les autres, comme dans les états liquide (eau) ou gazeux (air). Corollaire de cette théorie atomique, en totale opposition avec les conceptions d’Aristote : l’existence du vide, milieu immatériel, dans lequel se meuvent les atomes, pleins et éternels. Telle était la « chimie » de cette époque, chimie réduite à quatre éléments (fig. 1.1), mais c’est à partir d’elle que tout va se construire. Ces conceptions n’avaient évidemment aucune assise expérimentale. Elles n’étaient que purs produits de spéculations philosophiques. Cependant, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles recélaient, à l’insu de leurs auteurs, quelque part de vérité. Ainsi, la théorie des quatre éléments (terre, eau, air, feu) trouve son expression moderne dans les trois états de la matière (solide, liquide, gazeux), auxquels vient s’ajouter la notion d’énergie (feu). Sous une autre forme, les figures géométriques de transélémentation de Platon, associées à la conservation du nombre des triangles, ne sont pas non plus sans évoquer nos modernes équations chimiques reposant sur le principe de la conservation de la matière. Quant aux atomes de DÉmocrite, leur version moderne est à la base de toute notre physique et notre chimie.

6 Mélissos de Samos. Cité par D. Piperno, Histoire du souffle. La respiration dans l’Antiquité occidentale, p. 76. 7 Du grec ἄτομος, atomos, qui ne peut être coupé, insécable.

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Première partie - Philosophie

1.2 - Les alchimistes Aux iiie-iie siècles avant notre ère, à Alexandrie, à partir d’un mélange de théories grecques sur la nature de la matière et de pratiques magiques des prêtres égyptiens du dieu Thot, l’alchimie  8 prit naissance. En 290, l’empereur romain DioclÉtien fit brûler tous les ouvrages de la bibliothèque d’Alexandrie traitant de la fusion des métaux, détruisant ainsi une somme immense de connaissances. L’alchimie se dispersa alors sur le pourtour de la Méditerranée, notamment à Byzance, capitale de l’Empire romain d’Orient. La conquête de l’Egypte par les Arabes (prise d’Alexandrie en 642) enrichit l’alchimie des pratiques astrologiques rapportées de l’Orient des Chaldéens et des Perses. C’est ainsi qu’une alchimie arabe, à laquelle les Juifs apportèrent aussi leur contribution, se développa de façon prospère. Son objet était de produire des parfums, des teintures, des émaux, des perles colorées et, but ultime, de changer les métaux en or. Vers le xe siècle, à la suite de la conquête de l’Espagne par les Arabes, l’alchimie gagna l’Occident, où elle atteignit son apogée vers les e e xiii -xv  siècles. Elle déclina ensuite peu à peu, victime des progrès de la chimie naissante qui allaient définitivement la condamner vers la fin du xviie siècle. Par rapport à la pensée spéculative des Grecs, l’alchimie se caractérisait par l’introduction de l’expérimentation et le souci d’agir sur la matière pour la transformer. Ce faisant, elle a contribué à l’invention de techniques et d’instruments encore utilisés de nos jours et préparé l’avènement de la chimie au cours du xviie siècle. Les alchimistes professaient l’unicité de la matière, substrat fondamental informe qui, par adjonction de qualités, se présente sous forme d’éléments pouvant se transformer les uns dans les autres. À cette époque, un certain nombre de métaux étaient connus, certains depuis la plus haute Antiquité (âge du bronze, âge du fer). On pensait alors que les métaux naissaient sous terre sous l’influence de deux principes, le mercure et le soufre (n’ayant rien de commun avec les éléments chimiques connus aujourd’hui sous ces noms). On connaissait ainsi sept métaux : fer, cuivre, plomb, étain, vif-argent 9, argent et or, classés selon leur degré de perfection (cf. fig. 1.2(b)). La perfection résidait dans la composition relative en soufre et en mercure mais aussi dans la qualité de ces principes, qui pouvaient être plus ou moins purs et fixes. L’état de fixité était d’ailleurs déterminé par l’action d’un troisième principe, le sel (parfois encore appelé arsenic), introduit assez tardivement dans la doctrine alchimiste, vraisemblablement par Paracelse. Ainsi l’or, métal le plus parfait et le plus noble, contenait-il beaucoup de mercure et peu de soufre. C’était l’inverse pour le fer, métal 8 L’étymologie de ce terme est incertaine : al est l’article défini arabe, quant à chimie (ou chymie selon l’orthographe ancienne), ce mot viendrait du grec χημία, chêmia, transcription d’un mot égyptien désignant l’Egypte, ou de χυμεία, chymeia (mélange, fusion), par référence aux techniques en usage chez les alchimistes. 9 C’était le nom de l’élément chimique que nous appelons aujourd’hui mercure.

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le plus imparfait et dégénéré. Formés des mêmes principes, ces métaux étaient donc susceptibles de se transformer. Ainsi que l’écrivait Albert le Grand (1193-1280) dans son traité De Alchemia : « Les métaux diffèrent entre eux par la forme accidentelle seulement, et non essentielle ». Il suffisait donc de faire varier les proportions (forme accidentelle) de ces principes (forme essentielle) pour les transformer les uns en les autres, comme pour les éléments de Platon et d’Aristote. Les alchimistes créèrent nombre de procédés dont l’usage, avec les adaptations nécessaires, a perduré jusqu’à nos jours. Ils introduisirent ainsi l’usage de la pesée. Comme on le sait, l’objectif premier des alchimistes était de transformer les métaux imparfaits en or (aurification), de les ennoblir, selon l’expression de l’époque. Si l’or se rencontrait à l’état natif dans la nature, ce n’était pas le cas des autres métaux. Ceux-ci sont en général présents dans des minerais, entourés d’une gangue d’impuretés. Les procédés des alchimistes dérivaient donc de ceux de la métallurgie, dont les origines remontent à l’âge de bronze. L’une des premières étapes dans l’obtention d’un métal consistait à soumettre le minerai à un chauffage intense (calcination). Ce traitement par le feu avait pour but de réduire 10 le minerai afin de l’amener à un état plus simple, de purifier le métal, en le débarrassant de son soufre. Les alchimistes procédaient ainsi à un certain nombre d’opérations dont les principales étaient : la calcination, la sublimation, la décantation, la solution (dissolution), la distillation, la coagulation (précipitation, cristallisation). Pour les réaliser, ils avaient à leur disposition des appareils divers : creusets, mortiers, cornues, etc., les deux principaux étant les fours pour la calcination et les alambics 11 pour la distillation.

1.3 - Le souffle et la respiration S’il est un terme que l’on rencontre dès les premières traces écrites de toute civilisation, c’est bien celui qui, sous des dénominations diverses, évoque la respiration. Mais le sens que, selon les points de vue, on reconnaît aujourd’hui à ce mot : mécanisme de ventilation pulmonaire pour l’anatomiste, absorption d’oxygène et rejet de gaz carbonique pour le physiologiste, oxydation de substrats organiques et source d’énergie pour le biochimiste, est bien éloigné de sa signification originelle.

10 C’est dans cette opération que se trouve l’origine du mot réduction qui, après bien des vicissitudes sémantiques, sera opposé à oxydation (p. 72) et fera fortune au xxe siècle dans l’expression oxydoréduction (p. 309). 11 Encore un terme qui montre bien la dualité de l’origine de l’alchimie : alambic, de al, article défini arabe, et du grec ἄμβιξ, ambix, vase.

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Première partie - Philosophie

Le mot respirer 12 a toujours été associé à la vie : respirer, c’est d’abord être en vie. D’ailleurs, expirer c’est mourir. Chez l’homme et les animaux terrestres, la respiration, c’est-à-dire l’absorption et l’exhalaison de l’air, associées aux mouvements de la cage thoracique, a toujours été considérée, au même titre que les battements du cœur ou la chaleur du corps, comme un caractère fondamental qui sépare l’état de vie de celui de mort. L’association du poumon avec la respiration n’a pas toujours été reconnue, loin s’en faut. C’est un fait qui ne s’est imposé que très progressivement, car pendant très longtemps, c’est au cœur, et non au poumon, qu’a été associée la respiration. Le mot est en effet lourd de signification. Il transcende la simple notion de ventilation pulmonaire pour acquérir le sens de souffle vital qui confère la vie aux êtres qui le possèdent. C’est ce que nous ont appris les premiers philosophes grecs avec le pneuma, mais aussi les premiers versets de la Bible, où la notion de souffle vital préside à la création de l’homme. Au sixième jour, en effet, Dieu créa l’homme à son image 13 : z L’Eternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. y

Souffle de vie dans les narines, en trois mots sont évoqués les aspects à la fois mécanique, vital et anatomique de la respiration. Les pythagoriciens furent les premiers à proposer une explication des mouvements de l’air dans la respiration. L’homme est le siège d’une chaleur innée (critère de vie) dont le site est le cœur. La respiration introduit dans le cœur un air froid qui en ressort réchauffé. Tel sera, pendant des siècles, le rôle dévolu à la respiration : refroidir le cœur.

Hippocrate

De tous les médecins de l’Antiquité, le plus célèbre est Hippocrate de Cos (460?-377? av. J.-C.). Son influence, reliée ensuite à Rome par Galien, s’est exercée jusqu’à nos jours. Il est à l’origine d’une médecine, dite hippocratique, faisant appel à l’observation clinique et à l’utilisation de méthodes rigoureuses, qui peu à peu se substituèrent aux pratiques empiriques et magiques de la médecine des sanctuaires (Esculape). Il adhérait à la théorie des quatre éléments et fut à l’origine de celle des quatre humeurs qui parcourent le corps humain (p. 23). D’autre part, la dissection de cadavres humains ou d’animaux lui avait permis de rassembler quelques données d’anatomie assez précises.

12 Le mot respiration vient du latin respiratio, de respirare, renvoyer en soufflant, reprendre haleine, lui-même dérivé de spirare, souffler. 13 Genèse, 2,7. (traduction L. Segond)

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Pour le sujet qui nous occupe, Hippocrate était un tenant du pneuma. Le cœur était le siège d’un feu inné, ayant besoin de la respiration pour être refroidi. Le poumon exerce donc un rôle réfrigérant. Par l’inspiration, l’air passe dans les poumons, puis dans le cœur. Par les artères, cet air réchauffé, devenu pneuma, est envoyé dans tout le corps où il distribue la vie, sous ses diverses manifestations : l’intelligence au cerveau, le mouvement aux membres, la voix au larynx, etc. À cette époque, on fait déjà une certaine distinction entre veines et artères 14, en se basant notamment sur la texture de leur paroi. Pour Hippocrate, les veines transportent le sang. Quant aux artères, elles sont considérées comme le lieu de circulation du pneuma, c’est-à-dire de l’air réchauffé par son passage dans le cœur. Dans une de ses œuvres, les Petits traités d’histoire naturelle  15, Aristote, le père de la biologie, a consacré toute une section à la respiration. C’est le premier traité de physiologie respiratoire. Aristote résume, en les critiquant, les conceptions de ses devanciers sur ce sujet. Lui-même procède à de nombreuses dissections d’animaux. Comme Hippocrate, Aristote pense aussi que le cœur est le siège de la chaleur innée qui confère la vie, et dont la disparition signifie la mort. Ce feu vital peut être détruit de deux manières 16 : z Par ailleurs, le feu peut être détruit, comme nous l’avons dit précédemment, par extinction et par consomption. L’extinction se produit sous l’effet des contraires. C’est pourquoi le feu s’éteint en masse sous l’effet de la froideur du milieu environnant, et plus rapidement encore lorsqu’il est dispersé (...) Quant à la consomption, elle est due à une grande quantité de chaleur. Si, en effet, le chaud environnant est excessif, et si le feu interne ne peut plus s’alimenter, celuici est détruit, non pas en se refroidissant, mais en se consumant, de sorte qu’il est nécessaire qu’il y ait un refroidissement si sa sauvegarde doit être assurée. y

L’augmentation de la chaleur dans le cœur fait naître la respiration. Le poumon se gonfle à mesure que la poitrine se soulève, et l’air froid qui vient de l’extérieur 14 La distinction entre veine et artère se faisait surtout sur des critères morphologiques. Les artères ont des parois épaisses et ne contiennent pas de sang mais du pneuma, qu’elles distribuent dans le corps. Les veines sont chargées en sang et on leur attribue une fonction nourricière vis-à-vis des organes. En ce temps là, le courant circulatoire apparaît donc comme dirigé du cœur vers les organes pour les veines (sang) comme pour les artères (pneuma). Le retour de ces fluides vers le cœur n’est pas envisagé : ces flux nourriciers se perdent dans le corps comme l’eau des canaux d’irrigation se perd dans les champs. La circulation sanguine devra attendre près de deux millénaires avant d’être découverte (1628). 15 Petits traités d’histoire naturelle est la traduction de Parva naturalia, une série de neuf textes, écrits indépendamment les uns des autres, et regroupés sous ce titre au xiiie siècle par Gilles de Rome, un disciple de Thomas d’Aquin. L’un de ces opuscules, Περί ἀναπνοἦς (péri anapnoês, De la respiration), traite de la respiration de l’homme et des animaux. 16 Aristote. Petits traités d’histoire naturelle. De la respiration, p. 195.

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refroidit le cœur. La diminution de la chaleur fait alors se contracter la poitrine et le poumon, causant ainsi l’expulsion d’air chaud 17 : z Quand cet organe se soulève, nécessairement l’air extérieur, qui est froid, s’introduit comme dans les soufflets et, en refroidissant, atténue l’excédent de feu. Toutefois, de même qu’avec l’augmentation de la chaleur cette partie s’est soulevée, ainsi elle s’affaisse nécessairement quand cette chaleur se consume et, en s’affaissant, elle fait ressortir l’air qui était entré. L’air est froid en entrant mais chaud en sortant, à cause du contact avec la chaleur qui réside dans cette partie, et cela se produit surtout chez ceux dont le poumon est irrigué de sang. y

Tous les êtres vivants respirent-ils ? Si nous suivons Aristote, la réponse est non. Seuls respirent les animaux qui ont des poumons, et encore faut-il faire une distinction entre ceux qui vivent sur terre et ceux qui peuvent vivre temporairement dans l’eau 18 : z Que tous les animaux qui ont des poumons respirent, c’est manifeste. Cependant, tous ceux dont le poumon est dépourvu de sang et spongieux ont moins besoin que les autres de la respiration. C’est pourquoi ils peuvent demeurer longtemps dans l’eau, tant que leur corps est en force. Tous les ovipares, comme l’espèce des grenouilles, ont le poumon spongieux. En outre, les tortues d’eau douce, et les tortues en général, restent longtemps dans l’eau. En effet, le poumon contient peu de chaleur, car il est pauvre en sang. Ainsi, lorsqu’il est gonflé, il produit le refroidissement par ce mouvement même et permet à l’animal de demeurer longtemps dans l’eau. Toutefois, si on les maintient de force trop longtemps sous l’eau, ils s’asphyxient tous. Aucun de ces animaux, en effet, ne supporte l’eau comme les poissons. Les animaux qui ont les poumons irrigués de sang sont ceux qui ont le plus besoin de la respiration, à cause de la quantité de leur chaleur. Quant aux autres, ceux qui n’ont pas de poumon, aucun ne respire. y

Les poissons, qui n’ont pas de poumon, ne respirent donc pas, comme le prouve d’ailleurs l’absence de mouvements semblables à ceux que présente la cage thoracique des animaux terrestres 19 : z Nous voyons en outre se produire, chez tous les animaux qui respirent et attirent le souffle, un certain mouvement de la partie qui attire. Or, chez les poissons, ce n’est pas le cas. Ils ne montrent en effet aucun mouvement dans la région du ventre, à part le seul mouvement de leurs branchies, et cela aussi bien dans l’eau que lorsqu’on les rejette sur la terre ferme et qu’ils se débattent. y

17 Aristote. ibid., p. 215. 18 Aristote. ibid., p. 183. 19 Aristote. ibid., p. 185.

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Mais n’oublions pas que la raison d’être de la respiration est le refroidissement de la chaleur innée. Les poissons parviennent à ce résultat par un autre moyen 20 : z Tous les animaux qui ont seulement un cœur, mais aussi des poumons, produisent le refroidissement par l’intermédiaire de la respiration. Ceux qui ont un cœur mais pas de poumon, comme les poissons, étant donné leur nature aquatique, produisent le refroidissement grâce à l’eau, par l’intermédiaire des branchies. y

Et il en est de même pour les animaux de petite taille et les insectes, qui contiennent peu de chaleur. Celle-ci est dissipée par le milieu ambiant 21 : z Pour les animaux qui sont très petits et les non sanguins, le refroidissement produit par le milieu environnant, eau ou air, suffit à les préserver de ce mode de destruction. En effet, ceux qui contiennent une petite quantité de chaud n’ont pas besoin de grandes quantités pour être préservés. y

À Alexandrie, sous le règne de PtolÉmÉe ii (265-247 av. J.-C.) se développa une célèbre école d’anatomie, car ce roi avait autorisé la dissection de cadavres humains. Les deux représentants les plus illustres en furent HÉrophile et Érasistrate. HÉrophile (340?-300? av. J.-C.) nia le rôle du cœur dans les mouvements des poumons et les attribua aux mouvements du thorax. Un de ses successeurs, Érasistrate (304?-245? av. J.-C.) assimila le cœur à une pompe et découvrit les valvules cardiaques. Il fut le premier à montrer la présence de sang dans les artères. Il expliquait ce phénomène en supposant qu’à la suite de ruptures accidentelles le pneuma s’échappait des artères et que le vide ainsi créé était comblé par du sang provenant des veines. En dilatant le thorax, la motricité thoracique créait un vide, répercuté sur le poumon et comblé par l’inspiration. Aux variations de température d’Aristote, causes du mouvement des poumons, Érasistrate substitua donc des variations de pression. Lorsque la Grèce fut conquise par Rome (146 av. J.-C.) et que celle-ci eut établi son empire sur toutes les rives de la Méditerranée, les médecins grecs (c’est-à-dire de culture hellénique), très renommés alors, se transportèrent naturellement à Rome où ils importèrent la médecine hippocratique. Deux médecins grecs, Celse, mais surtout Galien, dominèrent la médecine romaine. Celse, qui vécut au premier siècle après J.-C., observe que la rupture du diaphragme, considéré alors comme une simple séparation entre la partie haute et noble du corps et une partie basse moins noble, conduit à une mort subite, mais il n’établit pas de relation avec les mouvements des poumons. Un autre médecin grec, ArÉtÉe de 20 Aristote. ibid., p. 206. 21 Aristote. ibid., p. 195.

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Cappadoce (qui vécut au i-iie siècle), a très bien résumé les idées de cette époque sur la respiration 22 : z Il y a deux principes premiers, la nourriture et l’air, qui font vivre les vivants ; mais le plus puissant de beaucoup parmi eux est la respiration. En effet, si quelqu’un la retient, il ne subsistera pas longtemps mais mourra aussitôt. Les organes en sont multiples, le point de départ en est les narines, la voie est la trachée-artère, le lieu le poumon, et le thorax est la cuirasse et le réservoir du poumon. Tous les autres sont utiles au vivant seulement en tant qu’organes. Mais le poumon possède également la cause de l’attraction. Car en son milieu est établi un viscère chaud, le cœur, qui est le principe de la vie et de la respiration. Celui-ci procure aussi au poumon le désir d’attirer l’air froid, étant donné qu’il l’enflamme. Mais c’est le cœur qui attire. y

Gallien

Galien (131-200), né à Pergame, en Asie mineure, formé à Alexandrie, a laissé quelque trois cents manuscrits. Son apport à la médecine, même entaché de nombreuses erreurs, est considérable. Sans aller jusqu’à la notion d’appareil, il fut le premier à montrer l’existence de relations étroites entre certains organes et certaines fonctions. Pour Galien, le poumon est l’organe de la respiration et de la voix. Ses mouvements sont liés à ceux du thorax, car il n’a pas de mouvements propres. Il se dilate et se contracte, créant ainsi l’inspiration et l’expiration.

Galien identifie aussi les muscles respiratoires (intercostaux) qui interviennent dans les mouvements de la cage thoracique. Avec lui, le cœur cesse définitivement d’être la cause des mouvements du poumon 23 : z La faculté psychique fait mouvoir le thorax et celui-ci fait mouvoir le poumon qui suit ses mouvements, produisant l’inspiration lorsqu’il se dilate, l’expiration lorsqu’il se contracte (...) y

Galien s’intéresse aussi à la vascularisation pulmonaire qui établit le lien entre le cœur et le poumon. Le cœur n’aspire pas directement l’air ambiant, la preuve en est le manque de synchronisme entre la fréquence des inspirations (15-20 par minute) et celle des pulsations cardiaques (70-80 par minute), répercutées dans les artères (pouls). Pour Galien, l’air aspiré par les poumons refroidit le feu du cœur, une partie de l’air est expirée sous forme d’air chaud et l’autre passe dans les artères sous forme de pneuma. Galien reconnaît et identifie les liaisons entre le cœur et le poumon :

22 Arétée de Cappadoce. Cité par D. Piperno, Histoire du souffle. La respiration dans l’Antiquité occidentale, p. 187. 23 Galien. Cité par D. Piperno, ibid., p. 194.

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la « veine artérieuse » [artère pulmonaire] 24 à partir du ventricule droit, apporte au poumon un sang riche et nourricier. On ne reconnaissait alors que deux cavités au cœur, appelées ventricules et communiquant entre elles. D’un autre côté, « l’artère veineuse » [veine pulmonaire] apporte au cœur à la fois l’air des poumons et le sang issu de la veine artérieuse (cf. chap. 5, note 12). Ce sang et cet air se mélangent dans le ventricule gauche et constituent le pneuma qui, par les artères, va gagner toutes les parties du corps, y transportant le souffle de vie.

1.4 - La situation à la fin du Moyen Âge Durant les douze siècles qui suivront la mort de Galien (200), c’est-à-dire jusqu’au début de la Renaissance (xve siècle), on assistera en Occident à une stagnation généralisée des idées. Peu de progrès seront réalisés en médecine par défaut de dissection de cadavres humains, les religions chrétienne et musulmane s’y opposant. L’alchimie se développa sans pour autant donner naissance à la chimie. L’astrologie prospéra. Certains philosophes se consacrèrent plus particulièrement à l’étude des mouvements des astres et des planètes et, petit à petit, l’astronomie s’individualisa. Îlot de lumière dans la pénombre médiévale, Cordoue fut le carrefour de la confrontation pacifique de quatre modes de pensée, grec, musulman, chrétien et juif. Les écrits d’Aristote imprégnaient toujours la pensée philosophique. Des savants lettrés du monde arabe ou juif, tels Avicenne (980-1037) et AverroÈs (1126-1198) ou Maïmonide (1135-1204), en donnèrent des interprétations que le dominicain Thomas d’Aquin (1227-1274), le plus grand philosophe et théologien de son époque, réfuta, s’efforçant de son côté de faire cadrer les enseignements de l’Église avec les principes de la philosophie d’Aristote. Avec la création des universités, le Moyen Âge vit s’épanouir la philosophie scolastique. Le système de pensée philosophique, religieux et « scientifique » de l’époque formait alors un tout extrêmement cohérent, centré sur les quatre éléments d’Aristote, les trois principes et les sept métaux des alchimistes, les sept planètes des astrologues et les dogmes de la religion. En fait, aux quatre qualités (chaud, froid, sec, humide) définissant la nature des éléments se rattachaient beaucoup d’autres domaines (fig. 1.2(a)). En médecine prévalait la théorie d’Hippocrate sur les quatre humeurs qui parcourent le corps humain : sang, phlegme, bile jaune et bile noire (atrabile), chacune associée à un organe bien défini 25. Leur équilibre déterminait la 24 [   ], ces parenthèses entre crochets donnent des précisions (en italique) destinées à faciliter la compréhension du texte ou à apporter des informations complémentaires. 25 Le sang dans les veines, la bile jaune dans le foie (vésicule biliaire), la bile noire (atrabile ou mélancolie) dans la rate. Quant au phlegme, encore nommé pituite, sa localisation et son origine sont plus délicates. Il devait correspondre à un écoulement nasal provenant du cerveau (cf. rhume de cerveau) ou à des expectorations provenant de la trachée.

24

Première partie - Philosophie

bonne santé, leur déséquilibre la maladie. Il existait ainsi quatre types de maladies : sanguine, phlegmatique, cholérique et mélancolique, auxquelles étaient associés quatre complexions ou tempéraments du même nom. Les quatre saisons de l’année s’inscrivaient tout naturellement dans ce système : l’été (chaud et sec), l’automne (chaud et humide), l’hiver (froid et humide) et le printemps (froid et sec). Même les signes du Zodiaque, où évoluent le Soleil, la Lune et les planètes, étaient affectés aux quatre éléments. De la même manière, les sept métaux des alchimistes et les sept planètes (incluant la Lune et le Soleil), à l’origine désignés par les mêmes symboles (fig. 1.2(b)), étaient spécifiquement reliés à certains signes du Zodiaque, ce qui illustre bien les rapports existant alors entre l’alchimie et l’astrologie. Comme pour les éléments, chaque métal ou planète était aussi associé à un organe du corps particulier, le cœur au Soleil, le cerveau à la Lune, etc. Terre

Eau

Qualités

froid et sec

Humeur

Bile noire

froid et humide Phlegme

Tempérament Cholérique

Air

Feu

chaud et humide Sang

chaud et sec Bile jaune

Phlegmatique Sanguin

Bilieux

Maladie

Mélancolique Phlegmatique Sanguine

Bilieuse

Saison

Printemps

Hiver

Automne

Eté

Zodiaque

Taureau Vierge Capricorne

Cancer Scorpion Poissons

Gémeaux Balance Verseau

Bélier Lion Sagitaire

(a) Fer

Cuivre

Plomb

Etain

Vif-Argent

Argent

Or

Planète

Mars

Vénus

Saturne

Jupiter

Mercure

Lune

Soleil

Symbole















Zodiaque Bélier Taureau Capricorne Sagitaire Gémeaux Cancer Organe

Rein

Testicule

Estomac

Foie

Vessie

Lion

Cerveau Cœur

(b) Figure 1.2 - Les rapports des éléments (a) et des métaux (b) avec la médecine, l'alchimie, l'astrologie, les saisons

Cet ensemble de rapports entre éléments, métaux, planètes, saisons, organes, humeurs, maladies, tempéraments, signes du Zodiaque, constituait donc un formidable système de relations en vase clos, assez bien résumé par Paracelse 26 :

26 Cité par O. Lafont, D’Aristote à Lavoisier, p. 41.

Chapitre 1 - De l'Antiquité à la fin du Moyen Âge

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z La nature comprenant l’univers est une, et son origine ne peut être que l’éternelle unité. C’est un vaste organisme dans lequel les choses naturelles s’harmonisent et sympathisent réciproquement. Tel est le Macrocosme. Toute chose est le produit d’un effet de création unique. Le Macrocosme et le Microcosme ne font qu’un. Ils ne forment qu’une constellation, une influence, un souffle, une harmonie, un temps, un métal, un fruit (...) y

À cela s’ajoutait, sous forme d’obligations, de permissions ou d’interdictions, la soumission aux dogmes de la religion. Il n’était pas bien vu de s’opposer à un faisceau de croyances aussi bien établies. De plus, sur beaucoup de sujets, l’opinion courante était que tout avait été dit : Aristote pour la philosophie et la constitution des êtres de l’univers, Galien pour la médecine, Thomas d’Aquin pour la théologie et la morale, étaient des monuments de certitudes. Il était inconvenant de mettre en doute leurs idées. Intervenait alors l’argument d’autorité : la célèbre formule Aristoteles dixit (Aristote a dit...). Ce système hermétique possédait toutes les qualités requises pour tourner en rond sur lui-même. Tout était au point pour accompagner au mieux l’individu dans son existence : les philosophes expliquaient la nature des choses et la place de l’homme dans l’univers, les théologiens veillaient au salut de l’âme, les médecins à la santé du corps en rétablissant l’équilibre des humeurs, les alchimistes recherchaient la pierre philosophale et l’élixir de longue vie, et les astrologues façonnaient les destinées humaines en regardant le ciel. De telles conditions étaient idéales pour assurer une longue hibernation : après la mort de Galien, vers l’an 200, celle-ci devait durer plus de douze siècles. Et les plantes dans tout cela ? Elles n’étaient alors principalement considérées que sous leur angle symbolique ou utilitaire, c’est-à-dire pour leurs propriétés médicinales, culinaires ou toxiques. Dans son Histoire des plantes, le père de la botanique, Théophraste (372?-287? av. J.-C.), introduit pourtant les premiers rudiments d’une science des plantes, permettant de décrire leur structure, leur reproduction, leur croissance, leur nutrition, et même d’établir une esquisse de classification. Cependant force est de reconnaître que la place des plantes est alors des plus modestes. Aristote les avait déjà dotées d’une nature particulièrement « terreuse » (p. 14). Il leur accorde aussi une âme peu performante 27 : z En effet, les êtres qui ne bougent pas et ne changent pas de place, mais qui sont doués de sensations, nous les appelons des animaux et pas seulement des vivants. Or le fondement de la sensation, dévolu à tous, est le toucher. Et de même que la fonction nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, de la même façon, le toucher peut l’être des autres sensations.

27 Aristote, De l’âme, p. 142.

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Première partie - Philosophie Mais nous appelons nutritive cette sorte de parcelle de l’âme que même les végétaux ont en partage, alors que manifestement les animaux possèdent tous la sensation tactile (...) Et, pour l’instant, on se bornera simplement à dire que l’âme est principe des manifestations qu’on vient d’évoquer et qu’elle se définit par les fonctions nutritive, sensitive, cogitative et par le mouvement. y

Aristote n’accorde donc aux plantes qu’une sorte de parcelle d’âme, leur déniant trois des quatre qualités qui caractérisent l’âme humaine ou animale. Seule leur reste l’âme nutritive, qui gouverne les fonctions de nutrition et de génération, impliquant naissance, croissance et mort. Il refuse aux végétaux la pensée – ce qui peut se comprendre – mais aussi toute fonction sensitive ou motrice. Et pourtant... les plantes perçoivent le sec et l’humide, le chaud et le froid, le lourd et le léger (pesanteur), la lumière et l’obscurité. Leurs organes sont animés de mouvements, certes très lents. Certaines ont même une sorte de sens du toucher, percevant le contact de corps étrangers (enroulement des vrilles et des lianes). Comme les animaux, elles respirent, et de plus... elles pratiquent la photosynthèse. De toute évidence, à l’horloge de l’excellence et de la performance, leur heure n’avait pas encore sonné.

Chapitre 2 La fracture du système À la longue période moyenâgeuse qu’on vient d’évoquer va succéder une ère nouvelle qui s’étendra approximativement de la seconde moitié du xve siècle à la seconde moitié du xviie siècle. Elle vit remettre en cause presque toutes les conceptions scientifiques, philosophiques et religieuses des siècles passés. Ce fut le temps de la Renaissance, caractérisée par un renouveau des lettres et des arts. En fait, ce renouveau avait débuté plus tôt dans la péninsule Italienne. C’est au-delà des Alpes aussi qu’éclatèrent les premiers coups de tonnerre annonçant le début de l’écroulement du système aristotélicien.

2.1 - Des révolutions à foison On considère généralement que trois grandes découvertes ont révolutionné le paysage intellectuel et social de l’époque : l’imprimerie (1434), par l’utilisation de la presse à papier inventée par Johannes Gutenberg (1400-1468), favorisa la diffusion des connaissances en se substituant au patient travail des copistes dans les monastères ; la boussole, en facilitant la navigation, fut à l’origine de la découverte de terres inconnues et de civilisations nouvelles ; enfin, la poudre à canon, mélange de salpêtre, de soufre et de charbon, révolutionna l’art de la guerre, provoquant aussi des blessures d’un type nouveau qu’il fallut apprendre à soigner. Parallèlement, on assista également à de spectaculaires changements en astronomie, en médecine, en « chymie » et en physique. Sous leur action, le système si bien organisé qui avait régi toute la vie intellectuelle et matérielle des siècles passés allait peu à peu se lézarder, et finalement s’effondrer. Néanmoins, le changement le plus révolutionnaire – hors de notre centre d’intérêt – concerne sans conteste l’organisation de l’Univers. Au système géocentrique d’Aristote, repris par PtolÉmÉe (90-168), qui faisait de la Terre le centre du monde se substitua un système héliocentrique. La démonstration que la Terre était ronde, qu’elle tournait sur son axe mais aussi autour du Soleil, comme les autres planètes, avait sérieusement ébranlé l’autorité d’Aristote et celle de l’Église, du moins en matière d’astronomie.

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2.1.1 - Chimie : d’autres éléments La cosmologie ne fut pas seule à faire les frais de l’émancipation des connaissances. Les quatre éléments d’Aristote, les sept métaux et les trois principes des alchimistes eurent aussi maille à partir avec les idées nouvelles. Tout d’abord, on découvrit que les métaux étaient plus nombreux que les sept (nombre parfait) connus jusqu’alors. D’autres métaux 1 firent leur apparition, notamment le zinc, l’arsenic, l’antimoine et le bismuth. Comme on ne pouvait associer ces nouveaux venus aux planètes, la place étant déjà prise (fig. 1.2(b)), Libavius (Andreas Libau) (1550?-1615), auteur probable du premier traité de chimie (1597) résolut le problème en leur accordant un statut inférieur, celui de demi-métaux. Un autre alchimiste, Agricola (Georg Bauer) (1494-1555), dans son traité De re metallica (1546), décrivit en détail les procédés métallurgiques utilisés dans la préparation des métaux. Il fit aussi une curieuse observation, dont l’importance n’apparut que bien plus tard. Esprit pratique, il avait été frappé par la nécessité de renforcer la charpente des toits recouverts de plomb. En effet, au cours des ans, ceux-ci s’alourdissaient considérablement, mais il ne proposa aucune explication du phénomène. À ces « chymistes » on se doit de rattacher le médecin allemand Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim, plus connu sous le nom de Paracelse (1493-1541). C’était un tenant des trois principes des alchimistes, et notamment du sel, dont il est probablement l’inventeur. Il est aussi le créateur de l’iatrochimie (ou chimie médicale), c’est-à-dire l’art de soigner par des produits chimiques les maladies dont la nature était reconnue comme chimique. C’est à cette époque aussi que la technique de fabrication du verre fit des progrès sensibles, aux conséquences insoupçonnées. Les meilleurs verriers des Pays-Bas ou d’Italie (Murano) étaient alors capables de produire des plaques de verre blanc d’une grande homogénéité, exemptes de bulles d’air. À partir de ces plaques, on pouvait tailler et polir des lentilles capables de concentrer ou de disperser la lumière. On eut l’idée de les assembler. Dès 1608, Galilée fut un des premiers à construire une lunette (dite lunette de Galilée) qui, associant une lentille objectif plan-concave à un lentille oculaire planconvexe, permettait des observations jusqu’alors impossibles. À peine en possession de sa lunette (1610), Galilée la pointa vers le ciel et observa la présence de montagnes sur la Lune. Il aperçut aussi des milliers d’étoiles nouvelles, découvrant au passage les quatre principaux satellites de Jupiter. Quelque temps plus tard (1676), à Paris, l’étude des éclipses de ces satellites permit au Danois Claüs Römer (1644-1710) de mesurer pour la première fois la vitesse de la lumière : « 48 203 lieues de France et 377/1141 parties d’une de ces lieues » par seconde, soit environ 215 000 km/s. 1 Le mot métal n’avait pas à cette époque le sens précis qu’il a aujourd’hui, où les éléments se répartissent en métaux et non-métaux (métalloïdes).

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En fait, microscope et télescope naquirent presque en même temps, car avec la lunette de Galilée on pouvait aussi observer de petits objets. Peu à peu, la lunette de Galilée et le microscope, autre produit de l’amélioration de la qualité du verre, se perfectionnèrent. Un siècle plus tard, l’utilisation du microscope devait révolutionner les connaissances sur la structure des êtres vivants. Grâce à l’art des verriers, l’infiniment grand et l’infiniment petit étaient devenus accessibles à l’œil humain.

2.1.2 - Médecine : la circulation du sang Durant tout le Moyen Âge, la médecine, et notamment les connaissances anatomiques, avait peu progressé, car les dissections du corps humain étaient tout juste tolérées. Avec la Renaissance intervint un changement d’attitude. À Padoue, se créa une célèbre école d’anatomie, fréquentée par les plus grands médecins de l’époque. La figure la plus marquante de cette école fut le Belge Vésale (Andreas Vesal) (1514-1564). En 1543, il publia un traité, De humani corporis fabrica, où, introduisant de nombreux termes d’anatomie, il donna en particulier des descriptions très précises des organes du thorax et de l’appareil circulatoire, corrigeant les nombreuses erreurs de Galien. Il montra en particulier l’absence de communication entre les deux ventricules du cœur. Cependant, la découverte majeure de cette époque fut sans conteste celle de la circulation du sang par le médecin anglais William Harvey (1578-1657). Quelques précurseurs avaient déjà suggéré un tel mouvement du sang au niveau des poumons, comme l’Égyptien Ibn al-Nafis au xiiie siècle et surtout le théologien et médecin espagnol Michel Servet (1509-1553), brûlé vif à Genève en 1553. Dès 1537, vraisemblablement au courant des écrits d’Ibn al-Nafis, dans quelques pages d’un ouvrage de théologie, Christianismi restitutio, Servet avait décrit les principaux caractères de la circulation pulmonaire. Le mystère résidait alors dans le passage du Harvey sang de la partie droite du cœur dans sa partie gauche 2 : z Cette communication ne se fait pas à travers la paroi médiane du cœur comme on le pense communément, mais le sang subtil est produit, après un long détour qui débute dans le ventricule droit du cœur, et passe par un long chemin à travers les poumons. Il y est épuré et devient plus clair et passe par la veine artérieuse dans l’artère veineuse. Ainsi le ventricule gauche attire tout ce mélange pendant la diastole pour produire l’esprit vital et l’envoyer dans les artères du corps entier (…) La couleur vive est conférée à l’esprit sanguin par les poumons et non par le cœur. y 2 M. Servet, Christianismi restitutio, 1553. Cité par F. Boustani, La circulation du sang, p. 153. Veine artérieuse, artère veineuse : voir chap. 5, note 12.

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Quelques années plus tard, à l’école d’anatomie de Padoue, qui joua un grand rôle dans l’élucidation de la circulation sanguine, les dissections de Realdo Colombo (1515-1559) précisèrent ces descriptions. Andrea Cesalpino (1524-1603) reconnut le rôle des valvules cardiaques, connues depuis Érasistrate, et Girolamo Fabrizi d’Acquapendente (1537-1619) celui des valvules veineuses qu’il venait de découvrir. Toutes ces observations suggéraient que le mouvement du sang dans le cœur et les veines devait s’opérer dans une seule direction, les valvules agissant comme des clapets empêchant le retour du sang. Cette conclusion fut magistralement exprimée par Harvey dans un petit ouvrage de 72 pages, Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, paru en 1628. L’observation capitale est l’affirmation que la cause du mouvement du sang réside dans la systole (contraction du cœur) et non dans la diastole (relâchement), alors que jusque-là cette opinion prévalait. Du statut de pompe aspirante, le cœur passa à celui de pompe foulante. Harvey décrit ainsi le fonctionnement de la pompe cardiaque 3 : z Il est donc évident que les choses se passaient tout autrement. On pensait qu’au moment où le cœur choque la poitrine, choc qu’on sent à l’extérieur, les ventricules se distendent, et le cœur se remplit de sang, tandis qu’au contraire, en réalité, le choc du cœur correspond à la contraction et à sa vacuité. Ainsi ce qu’on pensait être la diastole est réellement la systole et le cœur est réellement actif, non dans la diastole mais dans la systole. y

Par des expériences de ligatures plus ou moins lâches au niveau des membres (fig. 2.1), Harvey démontre que 4 : z De même qu’une compression étroite fait battre et gonfle les artères placées au-dessus, arrête le pouls de celles qui sont au-dessous, de même une compression incomplète gonfle et fait saillir les veines et les petites artères placées au dessous, mais non pas celles qui sont au-dessus. Ce passage du sang dans les artères quand la compression est incomplète, et ce gonflement des veines placées au-dessous, nous démontrent que le sang va des artères dans les veines et non en sens contraire, et qu’il y a des anastomoses entre les vaisseaux ou des porosités dans les tissus qui permettent le passage du sang.

Un seul point échappe donc à Harvey  : le mode de passage du sang des artères aux veines dans les tissus. La réponse viendra quelques années plus tard, quand le microscope aura atteint un certain degré de perfection (grossissements de 30 à 100). Cet instrument devenant de plus en plus courant, on se lança dans l’observation d’êtres vivants de plus en plus petits. En 1665, l’Anglais Robert Hooke (1635‑1703), dans un ouvrage, Micrographia, or some physiological descriptions of minute bodies 3 W. Harvey, La circulation du sang (traduction C. Richet), p. 69 et 74. 4 W. Harvey, ibid., p. 129.

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made by magnifying lenses, avait montré que les tissus des végétaux étaient constitués de petites logettes qu’il baptisa cellules (cellula, petite chambre).

Figure 2.1 - Expérience de Harvey montrant l’effet d’un garrot peu serré sur la circulation du sang dans l’avant-bras Le gonflement des valvules et des veines indique que le sang ne peut retourner vers le cœur (Figura 1). Une pression du doigt fait disparaître le gonflement en aval du point de pression (Figura 2) [d’après Guilielmi Harvei, Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus, Francofurti, 1628]

En 1669, Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), examinant son propre sang, remarquait la présence de petites particules rouges en forme de disques, découvrant ainsi les globules rouges (1674). Il devait aussi observer la circulation du sang dans les veines des branchies de têtards, puis découvrir les spermatozoïdes (1677), les levures (1680) et les bactéries (1683). Parallèlement, l’Anglais Henri Power (1623-1668) avait observé dans les tissus la présence d’un réseau de canaux, fins comme des cheveux, auxquels il donna le nom de capilLeeuwenhoek laires (1649). Et finalement, le médecin italien Marcello Malpighi (1628-1694) découvrit de la même manière des vaisseaux capillaires au niveau des alvéoles du poumon (1661). Le cercle était ainsi bouclé : c’était au niveau des vaisseaux capillaires des poumons et des tissus que le sang des artères passait dans les veines. Malpighi montra aussi que les tissus de certains viscères étaient compartimentés en petits territoires (utricules ou petites outres), disposés comme « dans un gâteau de miel ». Comme Hooke pour les végétaux, Malpighi avait reconnu la structure cellulaire des tissus animaux.

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Vers le milieu du xviie siècle, les rôles respectifs du cœur et du poumon étaient donc clairement identifiés. Le cœur n’était plus la cause de la respiration ni le distributeur du pneuma, le poumon avait perdu son rôle de réfrigérant du feu inné. L’un était devenu le moteur de la circulation du sang, l’autre le lieu où, en présence de l’air inspiré, le sang se régénérait, passant du brun sombre au rouge vif, sans que l’on comprenne la signification d’un tel changement de couleur.

2.1.3 - Physique : le vide La question « le vide existe-t-il ? » a toujours revêtu un caractère métaphysique et passionnel. Dès l’origine, il fut un sujet de controverse. Les philosophes grecs de l’école atomiste (Leucippe, Démocrite) en étaient les défenseurs : c’était le vide qui permettait le mouvement des atomes. Aristote n’était pas de cet avis : tout au contraire, son univers était plein. Le mouvement des corps consistait à faire occuper, par déplacement, un volume déjà occupé par un autre corps. Une grande partie du livre iv de la Physique d’Aristote est consacrée à démontrer que le vide ne peut exister 5 : z Nous voyons, en effet, que les choses qui ont la plus grande impulsion, soit de lourdeur, soit de légèreté, les autres choses restant semblables, sont transportées plus vite sur une distance égale, et cela dans la proportion qui est entre ces grandeurs. Ainsi en serait-il à travers le vide ; mais c’est impossible. Pour quelle cause, en effet, un corps serait-il transporté plus vite ? Cela est, en effet, nécessaire dans les milieux pleins, le corps plus grand divisant le milieu plus vite par sa force, car ce qui est transporté ou ce qui est projeté divise soit par sa force soit par son impulsion. Donc dans le vide tous les mobiles auraient une vitesse égale ; mais c’est impossible. y

L’argument d’Aristote (tiré de l’observation courante 6) ne prouvait pas que le vide n’existait pas, mais seulement qu’à l’endroit de l’observation, il n’y avait pas de vide. Quoi qu’il en soit, Aristote l’ayant dit (Aristoteles dixit...), pendant 2 000 ans la nature eut horreur du vide (Natura abhorret vacuum), jusqu’à ce jour de 1640 où des puisatiers florentins, essayant d’alimenter les fontaines des jardins du Grand Duc de Toscane en pompant les eaux de l’Arno, constatèrent que l’eau refusait de s’élever dans le corps des pompes au-delà d’une hauteur de 31 pieds [environ 10 m]. On pensait alors que c’était le vide créé dans le corps de la pompe par le mouvement du piston qui était la cause (horror vacui) de l’ascension de l’eau. On soumit le cas à Galilée qui, perplexe, déclara qu’il existait peut-être une limite à l’horreur du vide et repassa le problème à son élève Evangelista Torricelli (1608-1647). Celui-ci pensa alors que si l’eau pouvait monter jusqu’à cette hauteur, c’était peut-être à cause du 5 Aristote, Physique, p. 239. 6 Chacun sait, comme Aristote, qu’une boule de métal et une pelote de laine de mêmes volumes, lâchées d’une certaine hauteur, n’atteignent pas le sol en même temps !

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poids de l’air qui « pesait » sur la surface libre du liquide. Il en fit la démonstration en remplaçant l’eau par un liquide plus dense, en l’occurrence du mercure (fig. 2.2). Ayant rempli un tube de mercure et l’ayant retourné sur une cuve à mercure, il constata que le niveau du mercure dans le tube atteignait une hauteur de « 1 brassée ¼ plus 1 pouce », alors que dans un tube plus long, le niveau de l’eau atteignait 18  brassées. Étant 13,6 fois plus dense que l’eau, le mercure équilibrait la même pression exercée sur sa surface libre par une hauteur environ 14 fois plus faible. L’élévation de la colonne de mercure dans le tube n’était donc pas le résultat d’une aspiration exercée par le vide interne, elle traduisait l’effet d’une pression externe exercée par l’air sur la surface libre du mercure. Torricelli venait de découvrir l’existence de la pression atmosphérique (1644), et le moyen de la mesurer à l’aide d’un appareil qui devint le baromètre. Figure 2.2 - Baromètre de Torricelli [d’après Lezioni accademiche d'Evangelista Torricelli, Florence, 1715]

Blaise Pascal (1623-1662) en donna une confirmation quelques années plus tard (1648) : si Torricelli avait raison, la pression barométrique devait être plus faible en altitude qu’au niveau de la plaine, car la hauteur de la colonne d’air exerçant sa pression sur la surface d’un liquide y est moindre. Il fit donc exécuter par son beau-frère une mesure de la pression atmosphérique entre le sommet du Puy-deDôme, en Auvergne, et le couvent des Minimes dans la ville de Clermont-Ferrand, située dans la plaine. L’expérience était si concluante et la différence si importante que Pascal put la répéter à Paris entre le pied et le sommet de la tour Saint Jacques, haute de 48 m. Signalons qu’un illustre contemporain de Pascal, René Descartes (1596-1650), niait l’existence du vide, ne concevant pas qu’il puisse exister de l’espace (de « l'étendue ») sans la présence de matière (corps) 7 : z Pour ce qui est du vide, au sens que les philosophes prennent ce mot, à savoir, pour un espace où il n’y a point de substance, il est évident qu’il n’y a point d’espace en l’univers qui soit tel que, parce que l’extension de l’espace ou du milieu intérieur n’est point différente de l’extension du corps. Et comme, de cela seul qu’un corps est étendu en longueur, largeur et profondeur, nous avons raison de conclure qu’il est une substance, à cause que nous concevons qu’il n’est pas possible que ce qui n’est rien ait de l’extension, nous devons conclure de même de l’espace qu’on suppose vide : à savoir, que, puisqu’il y a en lui de l’extension, il y a nécessairement aussi de la substance. y

7 R. Descartes, Œuvres et lettres, Les principes de la philosophie, Gallimard, Paris, 1953, p. 620.

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Mais le vide qui s’installait dans le tube barométrique, au-dessus de la colonne d’eau ou de mercure (vide de Torricelli), n’était pas un vrai vide : il était occupé par la vapeur saturante du fluide manométrique. La véritable démonstration – du moins la plus spectaculaire – de l’existence du vide fut faite par l’Allemand Otto von Guericke (1602-1686). S’inspirant de la pompe hydraulique, alors d’usage courant pour élever l’eau des puits, il inventa la pompe pneumatique (1650), qui permettait d’obtenir un vide assez poussé à l’intérieur d’enceintes étanches (fig. 2.3(a)). La démonstration la plus éclatante fut réalisée par Guericke lors de la célèbre expérience des hémisphères de Magdebourg (1654). Deux  hémisphères métalliques de grand diamètre (1,2 m), maintenus accolés par un joint de cuir humide sous l’action d’un vide réalisé à l’aide de la pompe pneumatique, ne purent être séparés l’un de l’autre par deux attelages de huit chevaux tirant en sens opposés. La pompe pneumatique fut ensuite perfectionnée par les Anglais Hales et Boyle (fig. 2.3(b)).

(a)

(b)

Figure 2.3 - Machines pneumatiques (a) Machine pneumatique de Guericke [d’après J.H. Fabre, Les inventeurs et leurs inventions, Champion-Skatine, Paris, 1986, p. 54] (b) Pompe pneumatique de Boyle [d'après Robert Boyle, New Experiments PhysicoMechanical, touching the Spring of the Air, and its effects, Oxford, 1660]

À cette époque aussi, en faisant varier la pression exercée sur un volume d’air emprisonné dans un tube, l’Anglais Robert Boyle (1627-1691) établit qu’à température constante le volume de l’air variait en raison inverse de la pression exercée. C’est la célèbre loi de Boyle (1662), formulée de nos jours par la classique relation  : P.V  =  cte. Ignorant les travaux de Boyle, un Français, l’abbé Edme Mariotte

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(1620?-1684), étudia lui aussi la compression de l’air et retrouva quelques années plus tard (1679) la même relation qui, en France, fut longtemps connue sous le nom de loi de Mariotte.

2.2 - La naissance des gaz Des faits d’observation courante, comme l’ébullition de l’eau, les bulles qui naissent dans un liquide pétillant, se dégagent de l’eau des sources, remontent du fond des eaux stagnantes ou éclatent à la surface des cuves de fermentation lors de la fabrication du vin ou de la bière, avaient inconsciemment soulevé la question de la nature de ces sortes d’air qui s’échappaient de milieux naturels et se fondaient dans l’air environnant. Ces émanations que, faute d’un meilleur terme, on appellera pour l’instant aérifères, avaient en apparence les propriétés essentielles de l’air : il était en effet impossible de les matérialiser sous une forme solide ou liquide. On s’aperçut toutefois qu’on pouvait les capturer en plaçant une cloche de verre au-dessus de la surface du liquide où elles se dégageaient. Quelle était la nature de ces fluides aérifères ? Les tests pour la déterminer étaient peu nombreux. L’air, auquel ils s’apparentaient, était évidemment l’un des quatre éléments d’Aristote, mais il était aussi, comme la terre et l’eau, une réalité concrète. Certes, il échappait à la plupart de nos sens, ne se manifestant indirectement que par la force qu’il peut opposer, comme par exemple quand le vent souffle avec violence. L’air était donc tout à la fois une entité philosophique (élément d’Aristote), mais aussi un corps doté d’un certain nombre de qualités, dont deux paraissaient essentielles. D’une part, il entretenait le feu, c’est-à-dire la combustion : si on supprimait son accès, la combustion cessait, si au contraire, à l’aide d’un soufflet, on favorisait son approvisionnement, comme dans les forges ou les fourneaux des alchimistes, on renforçait la combustion. D’autre part – et cela se passait de démonstration – il entretenait aussi la vie, sa privation causant une mort immédiate. Entretien de la combustion et de la vie, tels étaient les deux tests facilement accessibles et utilisables pour caractériser ces émanations. Sur le plan pratique, après les avoir recueillies, il suffisait d’approcher la flamme d’une chandelle ou un fragment d’étoupe, dont on avait amorcé la combustion, pour constater que la combustion cessait ou qu’elle était ravivée. Dans le second cas, on introduisait un petit animal (souris, moineau, canari) dans l’atmosphère recueillie et on observait le résultat, dont l’issue était simple : la vie ou la mort. Et c’est ainsi que la souris entama une prodigieuse carrière d’animal de laboratoire, qui dure toujours ! Muni de ces trois instruments : cloche, chandelle et souris, on était alors à même de répondre à la question, alors redoutable, tant sur le plan de la philosophie que sur celui de la constitution de l’univers : existe-t-il un air ou des airs ? Mais avant de pouvoir

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Première partie - Philosophie

caractériser les propriétés de ces différents airs, il fallait d’abord démontrer leur existence. Ce fut le mérite, trop souvent méconnu, du médecin flamand Van Helmont de briser le concept aristotélicien d’air, en tant qu’élément constitutif de la matière.

2.2.1 - Un nouveau concept : gaz

Van Helmont

Joan Baptista Van Helmont (1577-1644), né à Bruxelles, médecin, alchimiste et érudit, pratiquait aussi l’iatrochimie, administrant à ses patients les remèdes qu’il concoctait dans ses cornues. Van Helmont rejetait en bloc toutes les doctrines établies par Aristote, Hippocrate, Galien ou Paracelse. Pour lui, l’eau était la source de tous les corps, comme il en administra d’ailleurs une preuve irréfutable à l’occasion d’une expérience célèbre. Il avait planté un pied de saule dans un pot et avait eu l’idée de faire, à l’aide de la balance, instrument qui faisait son entrée dans les laboratoires des alchimistes, un bilan de la croissance de cet arbuste. Voici le récit de cette expérience 8 :

z Que toutes les plantes proviennent directement et réellement du seul élément eau, je l’ai appris de l’expérience suivante. J’ai pris un pot de terre dans lequel j’ai mis deux cents livres de terre desséchée dans un four, que j’ai arrosée d’eau de pluie. J’y ai planté une tige de saule pesant cinq livres. Au bout de cinq ans, elle s’était développée en un arbre pesant cent soixante neuf livres et trois onces environ. Rien d’autre que de l’eau de pluie (ou de l’eau distillée) ne fut ajouté. Je n’ai pas pesé les feuilles qui sont tombées au cours des quatre automnes. À la fin, j’ai de nouveau desséché la terre du pot et j’ai retrouvé les mêmes deux cents livres, à deux onces près. Ainsi, cent soixante quatre livres de bois, d’écorce et racines ont été produites à partir de la seule eau. y

En l’occurrence, l’eau s’était transformée en matière végétale, c’est-à-dire en « terre », élément solide. L’air toutefois posait problème car, comme on vient de le voir, des exhalaisons diverses lui ressemblaient. On savait aussi que, par évaporation, l’eau pouvait être convertie en un fluide aériforme, qu’on appelait vapeur, et que celle-ci pouvait facilement faire retour à l’état liquide. C’est en fait ce que l’on observait dans les alambics au cours de la distillation. Mais il remarqua aussi que, dans les cornues, certaines réactions libéraient des émanations qu’on ne pouvait confondre ni avec l’air ni avec les vapeurs, car elles étaient plus subtiles, plus permanentes et ne se transformaient pas en liquides. À ces exhalaisons, différentes de l’air, plus légères 8 J.B. Van Helmont, cité par W. Pagel, Joan Baptista Van Helmont, Reformer of science and medicine, p. 53 (traduction de l’auteur).

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que les vapeurs, et qui ne retournaient pas à l’état liquide, Van Helmont donna le nom de gaz (1648). Voici d’ailleurs l’acte de naissance de ce terme 9 : z Carbo ergo, et universaliter corpora quaecumque non abeunt in aquam, necessario eructant spiritum silvestrem. Hunc spiritum, incognitum hactenus, novo nomine gas voco, qui nec vasis cogi, nec in corpus visible reduci (...) In nominis egestate, habitum illud gas vocavi, non longe a chao veterum secretum . (Donc le charbon, et généralement tous les corps qui ne se résolvent pas en eau, exhalent un esprit sylvestre. Cet esprit, inconnu jusqu’ici, je l’appelle du nouveau nom de « gaz », lequel ne peut ni être retenu dans un récipient, ni réduit en un corps visible (...) Par manque d’un nom, j’ai appelé gaz cette manière d’être, pas très éloignée du chaos des anciens.) y

En dépit de sa modestie, il s’agissait là d’une avancée majeure dans le progrès des connaissances : un nouveau concept était né, il allait détruire la « chimie » d’Aristote. Un brin de sémantique paraît ici nécessaire pour appréhender le sens de ce nouveau terme gaz, qui se substitue à spiritus silvestris, esprit sylvestre. Spiritus, c’est, souvenons-nous en, le pneuma des philosophes grecs, mais aussi le souffle, en particulier l’air qu’on respire. Si on le traduit ici par esprit, c’est par référence aux émanations volatiles, tel l’esprit-de-vin [alcool éthylique] ou l’esprit-de-sel [acide chlorhydrique] des alchimistes. Quant à silvestris, il a peu de rapport avec les senteurs des sous-bois, mais se réfère au contraire aux animaux sauvages qui vivent en liberté dans les forêts et ne se laissent pas capturer aisément  10. Il a donc le sens de sauvage, d’indomptable, d’incoercible. Cette expression fait manifestement référence à la difficulté de saisir ou d’emprisonner ces fluides, et surtout à l’impossibilité de les matérialiser sous une forme solide (terre) ou liquide (eau), comme on le ferait, par exemple, d’une vapeur. L’usage a retenu l’expression gaz sylvestre. Cette expression n’est pas spécifique, bien qu’elle s’applique préférentiellement à un gaz particulier. Elle est au contraire générique et, sous la plume de Van Helmont, il existe, comme on va le voir, différentes sortes de gaz sylvestres, tous incoercibles.

2.2.2 - Les gaz sylvestres Van Helmont était parvenu à cette conclusion à la suite d’observations concordantes, ayant recueilli un grand nombre de gaz dans les conditions les plus diverses : 9 Trésor de la langue française, 1971-1994, CNRS, Paris. Mot créé à partir du grec χάος, chaos, masse confuse d’éléments répandus dans l’espace. Cette étymologie est suggérée par le texte de Van Helmont lui-même. C’est Lavoisier, semble-t-il, qui a transformé gas en gaz, sans doute pour des raisons d’euphonie. 10 Taurus silvestris, taureau sauvage (Pline l’Ancien).

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gaz qui se forme dans les caves où fermentent les jus qui donneront le vin, la bière ou l’hydromel ; gaz qui résulte de la combustion du charbon (gaz carbonum) ; gaz qui s’accumule au fond des mines profondes ou dans les grottes (Grotte du Chien, à Naples) ; gaz qui se forme par effervescence quand on verse du vinaigre sur de la craie ou des carapaces de crabes ou d’écrevisses ; gaz qui se libère des sources de Spa, célèbre station thermale des environs de Bruxelles. Tous ces gaz, qui n’entretenaient ni la combustion ni la vie, ont hérité du nom de gaz sylvestre sensu stricto : il s’agissait manifestement du gaz carbonique [dioxyde de carbone, CO2]. Mais il existait d’autres gaz sylvestres : celui, de couleur rouge [peroxyde d’azote, NO2], qui se dégage quand on verse de l’eau-forte [acide nitrique, HNO3] sur de l’argent ; celui qui se forme quand on fait brûler du soufre [anhydride sulfureux, SO2] ; celui qui se produit quand on verse de l’eau-forte sur du sel marin [acide chlorhydrique, HCl]. À l’air, aux vapeurs et aux gaz sylvestres venaient encore s’ajouter rots et vents, fluides aérifères générés à l’intérieur du corps humain. Avec les tests de l’époque, Van Helmont en fait la subtile distinction 11 : z Tout vent qui se produit en nous par la digestion des aliments ou par les excréments est du gaz sylvestre. Les gaz de l’estomac éteignent la flamme d’une bougie. Mais le gaz stercoral, qui se forme dans le gros intestin et sort par l’anus, s’allume en traversant la flamme d’une bougie et brûle avec une teinte irisée.  y

Comme on le voit, en termes de chimie contemporaine, Van Helmont a manipulé une assez grande variété de gaz : dioxyde de carbone, oxydes d’azote et de soufre, chlorure d’hydrogène, sulfure d’hydrogène, méthane, etc., sans qu’on puisse toutefois lui attribuer la paternité de la découverte d’un seul de ces gaz particuliers. Ceuxci ne seront identifiés et caractérisés que dans la seconde moitié du xviiie siècle.

2.3 - La situation à la fin du xviie siècle Que de chemin parcouru durant ces deux cents ans qui nous séparent de la fin du Moyen Âge. Des cassures profondes se sont produites avec les anciens systèmes de pensée, même si des îlots de résistance tenaces subsistent encore. La médecine de Galien a été mise à mal par l’iatrochimie de Paracelse, qui récuse la théorie des quatre humeurs et prône l’utilisation de remèdes chimiques tirés des minéraux. La découverte de la circulation du sang a donné au cœur et au poumon leurs véritables rôles, réfutant par là-même la théorie du pneuma. La cosmologie d’Aristote a été bouleversée : la Terre tourne désormais sur elle-même et autour du Soleil, et quant à ses quatre éléments, deux au moins ont subi de sérieuses atteintes, du moins en ce qui concerne leur unité : la terre s’est résolue en un nombre accru de nouveaux 11 J.B. Van Helmont. Cité par O. Lafont, D’Aristote à Lavoisier, p. 54.

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métaux et l’air a perdu sa prééminence, n’étant devenu qu’un gaz parmi les autres. Et pour ne rien arranger, la nature n’a plus horreur du vide. Mais c’est en chimie que les progrès ont été les plus spectaculaires, avec l’apparition de corps nouveaux, dont le phosphore, découvert en 1669 par Brand à partir d’un résidu obtenu par chauffage de l’urine. En 1661, dans The Sceptical Chymist, Boyle avait créé la notion moderne d’élément : corps indécomposable capable d’entrer en combinaison avec d’autres corps. C’est aussi durant cette période que fleurissent les traités de « chymie » : Traité de chymie raisonnée (1660) de Nicaise Le Febvre (1610-1669), insistant sur les cinq principes recueillis au cours des opérations de distillation : phlegme, esprit, huile, sel et terre, selon la volatilité ou la consistance des produits obtenus. Et surtout, en 1675, le Cours de Chymie de Nicolas LÉmery (1645-1715), vraisemblablement le premier traité de chimie en langue française. Il reprend les cinq principes de Le Febvre, mais distingue aussi les acides et les alcalis. Il différencie aussi la chimie des minéraux de celle des animaux et des végétaux, qui sont sujets à la corruption, pressentant ainsi l’existence d’une chimie organique. Tous ces traités sont autant de ruptures avec l’alchimie. Cependant le progrès capital a été la découverte des gaz : on sait les recueillir, les transvaser, mesurer leur pression, les caractériser sommairement. C’est à partir d’eux que va se construire au siècle suivant la « chimie pneumatique », ou chimie des gaz, qui ouvrira la porte de la révolution chimique de Lavoisier. Et les plantes dans tout cela ? Ici encore, il faut bien reconnaître qu’aucun fait marquant, comparable à la circulation du sang chez les animaux, n’est survenu. On doit cependant rappeler que, sur le liège, Leeuwenhoek a découvert la structure cellulaire des tissus végétaux, ultérieurement étendue aux tissus animaux par Malpighi. Mariotte, esprit assez universel, dans De la végétation des plantes (1679), avait de son côté décrit de fins conduits (vaisseaux) dans lesquels il supposait qu’une sève circulait, comme le sang dans les veines. La contribution principale demeure cependant l’expérience de Van Helmont citée plus haut prouvant (!) que toute matière végétale dérive de l’eau, élément primordial. Boyle avait aussi réalisé une expérience similaire, utilisant comme matériel la courge, qui demande moins de temps pour sa croissance. Il en avait conclu que la masse végétale résultait principalement de l’absorption des poussières de l’air ! L’origine de la matière végétale apparaissait donc très incertaine. Pourtant Bernard Palissy (1510-1589), ayant analysé des cendres de végétaux, avait conclu qu’une partie des éléments minéraux de la terre se retrouvait dans le végétal. Il venait ainsi de faire la première observation sur la nutrition minérale des végétaux, clé de l’agriculture. Comme on le voit, la moisson était pauvre, mais l’heure des plantes n’allait plus tarder à sonner, avec l’expérience mémorable de Priestley (1771).

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Chapitre 3 La découverte des gaz Si les deux siècles qu’on vient de parcourir marquent le début de l’écroulement des conceptions aristotéliciennes, la brève période qui va suivre, c’est-à-dire le dernier tiers du xviiie siècle, le Siècle des Lumières, va être le théâtre de véritables révolutions. Sur le plan politique, c’est d’abord la Révolution française. Mais 1789 est aussi l’année de la parution du Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, symbole de la Révolution chimique 1 qui, au xixe siècle, sera le moteur de l’essor des sciences expérimentales. Cependant, avant d’en arriver là, un long chemin doit encore être parcouru. Il sera d’abord caractérisé par le développement de méthodes quantitatives. Le  xviiie siècle fut en particulier l’époque où furent mis au point des instruments de mesure performants. La notion de gaz établie par Van Helmont va permettre d’isoler, d’identifier et de caractériser les plus importants d’entre eux. Une théorie va naître, celle du phlogistique, dont la contestation puis la négation contribueront à établir les bases de la chimie moderne, telles que Lavoisier les exprimera.

3.1 - Les instruments du progrès Jusqu’à présent la description du monde extérieur avait été surtout qualitative. En ce qui concerne les sciences expérimentales, le handicap était profond, les seuls appareils existants étaient ceux que l’ingéniosité des alchimistes avait produits. Même en ce domaine, le quantitatif était peu présent, se bornant au respect de proportions en poids ou en volume de matières à utiliser. Pour cela, des instruments courants : balances en usage dans les transactions commerciales, récipients, flacons et poteries, étalonnés en unités locales, suffisaient largement pour ajuster les proportions des ingrédients. Tout change avec la découverte des gaz par Van Helmont. Immédiatement naissent des techniques de manipulation des gaz : récupération, transvasement, mélange en proportions définies génèrent des appareils nouveaux. GalilÉe, à l’origine de la lunette astronomique, est aussi l’inventeur du thermomètre. Torricelli, le père du 1 Révolution chimique est le titre d’un ouvrage (1890) de M. Berthelot consacré à l’œuvre de Lavoisier. 

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baromètre, est à l’origine du manomètre pour mesurer la pression des gaz. Mais l’instrument-roi de l’époque, à la source de la Révolution chimique, fut la balance.

3.1.1 - La manipulation des gaz Remplaçant la cloche de verre de Van Helmont, un nouvel appareil fit son apparition, la cuve à eau, parfois pompeusement nommée appareil hydropneumatique (fig.  3.1(a) et (b)). C’est à l’Anglais Stephen Hales (1677-1761) qu’est attribuée cette invention, ou du moins l’addition d’un certain nombre d’améliorations qui en firent un accessoire absolument indispensable. Il en fit la description dans un ouvrage, Vegetable Statics, paru en 1727. La trouvaille de Hales fut de séparer le système de collection du gaz de celui de sa production, le lien entre les deux étant assuré par le col recourbé de la cornue où se produisait la réaction, ou par un tube de verre reliant les deux enceintes.

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Figure 3.1 - La manipulation des gaz (a) procédé utilisé par Hales pour extraire les gaz des substances les plus diverses. (b) cuves à eau utilisées par Cavendish pour la manipulation des gaz [d’après J.R. Partington. A history of chemistry, Macmillan, Londres, 1962, vol. 3, p. 115 et 312]

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Toutefois, la cuve à eau présentait un inconvénient : le contact avec la surface de l’eau favorisait la dissolution des gaz, ce qui pouvait entraîner des erreurs dans le cas d’un gaz soluble (gaz sylvestre). La solution vint, apportée par Boyle, qui substitua le mercure à l’eau, et peu à peu la cuve à mercure (encore nommée cuve hydragyropneumatique) supplanta la cuve à eau. Cavendish l’utilisa dès 1766 et Priestley à partir de 1772 (cf. fig. 6.1). Quand il fallait initier une réaction de combustion à l’intérieur d’une enceinte renfermant un gaz, on procédait en introduisant un très petit fragment (un atome) de phosphore. On l’enflammait soit en focalisant sur lui les rayons du soleil à l’aide de lentilles convergentes, verres ardents, dont certains avaient de grands diamètres (jusqu’à 3 pieds), soit en établissant un contact avec un fil de fer recourbé, chauffé au rouge et introduit à travers le mercure. Quand cela devint possible, on provoqua la combustion des mélanges gazeux à l’aide d’une étincelle produite par une machine électrique. Cependant l’opération de mesure des volumes n’en était pas moins fastidieuse et assez peu précise. La perfection en ce domaine fut atteinte par Lavoisier qui fit construire des enceintes métalliques de grand volume (plusieurs pieds cubiques), nommées caisses pneumatiques (fig. 3.2). Avec de tels appareils, qu’on appelait aussi gazomètres  2, on pouvait, après sa préparation, stocker des quantités importantes d’un gaz particulier et, si l’on disposait de plusieurs gazomètres, injecter à l’intérieur d’une même enceinte des volumes connus de deux gaz différents pour les faire réagir. C’est ainsi que Lavoisier réalisa la synthèse de l’eau. Figure 3.2 - Caisse pneumatique de Lavoisier [d’après A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793]

3.1.2 - Les autres instruments de mesure La connaissance des pressions existant à l’extérieur et à l’intérieur d’une caisse pneumatique était une condition nécessaire pour connaître les volumes gazeux mis 2 Les gazomètres de Lavoisier, de même que ses balances et son calorimètre, sont conservés au Musée du Conservatoire National des Arts et Métiers, à Paris.

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en jeu. La mesure de la pression atmosphérique s’effectuait avec le baromètre à mercure de Torricelli, que l’on perfectionna, notamment pour améliorer la précision des lectures. Une règle graduée en pouces et en lignes  3, dont l’origine coïncidait avec le niveau du mercure de la cuve, permettait d’évaluer la hauteur barométrique. La précision était de ½ ligne, soit sensiblement 1 mm de mercure. On s’était ainsi aperçu – ce fut même une des premières observations de Torricelli – que la pression atmosphérique n’était pas constante et présentait, en fonction du temps qu’il faisait, des écarts assez sensibles, oscillant entre 27 et 29 pouces 4. Quand une branche de l’instrument était directement connectée à une enceinte, celuici se transformait en manomètre et indiquait la pression à l’intérieur de l’enceinte, relativement à la pression atmosphérique. La pompe pneumatique de Guernicke avait été perfectionnée par Hales et Boyle (fig. 2.3). On pouvait, à l’aide de cet appareil, produire un vide appréciable, de l’ordre du centimètre de mercure (≈ 1/100 de la pression atmosphérique). Autre instrument devenu indispensable pour l’exactitude des mesures de volumes gazeux : le thermomètre, car il était bien connu que les gaz, fluides très élastiques, sont très dilatables. Cependant, la relation liant volume et température (loi de GayLussac) n’était pas encore connue. Au tout début du xviie siècle, GalilÉe avait inventé le premier thermomètre, constitué d’un vase sphérique, rempli d’un liquide coloré et surmonté d’un tube assez fin enroulé en spirale. Il repérait la position du ménisque du liquide qui se dilatait en fonction de la température. Cependant cet instrument était très rudimentaire car il ne possédait pas de repères fixes. La nature des repères ainsi que celle du fluide thermométrique ont posé problème. Comme liquide, on employait généralement de l’eau teintée par un colorant (orcanette) ou de l’esprit-de-vin [alcool éthylique], qui avait l’avantage de ne pas se solidifier aux températures trop basses. Pour être exploitable, il fallait aussi que le mouvement de la colonne thermométrique, causé par la dilatation du liquide, s’effectue par rapport à une échelle arbitrairement graduée. Comme « point froid », on adopta la température d’un mélange de glace et de sel [nitrate de potassium ou d’ammonium], ou celle de la glace fondante, du corps humain, des caves de l’Observatoire de Paris, de la fusion du beurre, de la cire, etc. Le « point chaud » était généralement celui de l’ébullition de l’eau. Cet état de fait entraînait les pires difficultés, car il interdisait aux scientifiques de l’époque, dispersés dans des pays différents, de faire des comparaisons de températures au sujet des phénomènes qu’ils étudiaient. La nécessité d’une échelle de 3 Unités de longueur utilisées à cette époque (F. Cardarelli, Scientific unit conversion) : 1 toise = 6 pieds = 1,949 m 1 ligne = 12 points = 2,25 mm 1 pied = 12 pouces = 32,48 cm 1 point = 0,188 mm 1 pouce = 12 lignes = 2,71 cm 4 Soit 731 et 785 mm de mercure (Hg). Pression atmosphérique standard : 760 mm Hg.

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températures standard, acceptée par tous, s’imposait donc. Hooke fut le premier à proposer comme points de repère fixes les températures de fusion de la glace et d’ébullition de l’eau. L’Allemand Daniel Fahrenheit (1686-1736) choisit comme point bas la température d’un mélange d’eau, de glace et de sel ammoniac [chlorure d’ammonium, NH4Cl], la plus basse [– 17,7  °C] que l’on savait alors produire, et comme point chaud celle du sang humain, auxquelles il attribua arbitrairement les valeurs de 0° et 96°. Dans ces conditions 5, la température de fusion de la glace était de 32° et celle de l’ébullition de l’eau de 212°. Le Français René-Antoine RÉaumur (1683-1757), utilisant l’esprit-de-vin comme liquide thermométrique, fixa d’abord la température de la glace fondante à 0° et celle de l’ébullition de l’alcool à 80°, ce qui donnait approximativement une valeur de 100° pour l’ébullition de l’eau. Par la suite, ce fut 80° qui fut retenu pour la température d’ébullition de l’eau 6. Dans les deux systèmes, la distance séparant les deux points de repère fut divisée en un certain nombre de parties égales (180 et 80, respectivement) pour constituer les échelles des degrés Fahrenheit (°F, 1709) et des degrés RÉaumur (°R, 1730). On aboutit ainsi à la coexistence de deux systèmes de référence, le système Fahrenheit, adopté en Hollande, en Angleterre, dans les pays anglo-saxons, et le système RÉaumur en France et dans les pays latins. L’usage du mercure comme liquide thermométrique fut adopté par Fahrenheit en 1711 et par RÉaumur en 1731. La précision de ces thermomètres, longs de 60 cm à 1 m, était de l’ordre du 1/5 ou du 1/10 de degré. À la même époque (1742), l’astronome et physicien suédois Anders Celsius (1701-1744) proposa une échelle de températures curieusement basée sur les valeurs de 100° pour la glace fondante et de 0° pour l’ébullition de l’eau. Ce fut finalement cette échelle, inversée par LinnÉ, qui l’emporta. L’usage du système métrique s’étant généralisé, l’échelle de Celsius avait l’avantage, sur celles de Fahrenheit et de 5 Dans l’échelle des températures Fahrenheit toutes les températures étaient positives. À l’origine cette échelle ne comportait que 12 degrés de chaleur. Ultérieurement, pour améliorer la précision des mesures, Fahrenheit fractionna ces degrés en 8 parties égales, soit au total 96 divisions. Dans ces conditions, 32 °F et 212 °F correspondaient respectivement aux températures de fusion de la glace et d’ébullition de l’eau. Des erreurs de mesure ayant été constatées, l’échelle des températures Fahrenheit fut redéfinie par rapport à ces deux températures de référence. La température du corps humain (37 °C) devint alors 98,6 °F. 6 À la suite d’une regrettable erreur de communication, due à Réaumur lui-même, les artisans qui construisaient les thermomètres de Réaumur ont cru que 80 °R était la température d’ébullition de l’eau (alors qu’elle correspondait à celle de l’esprit-de-vin). Les thermomètres étant ainsi gradués, à l’usage 80 °R devint la température d’ébullition de l’eau. En fait, pour définir son échelle de température, Réaumur avait procédé ainsi : un certain volume d’esprit de vin, contenu dans un tube, voit son volume se dilater dans la proportion de 1 000 à 1 080 (juste avant son ébullition), quand on le transfère d’un récipient contenant de la glace fondante (0 °C) à un récipient contenant de l’eau bouillante (100 °C). D’où la confusion.

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RÉaumur, d’être centésimale 7. On put ainsi disposer d’un système de référence pour la comparaison des volumes gazeux, en les exprimant par rapport à des conditions de température et de pression arbitrairement mais parfaitement définies (conditions standard). On adopta généralement les valeurs de 28 pouces [758 mm Hg] pour la pression atmosphérique et de 10 °R [12,5 °C] pour la température. Cependant l’instrument emblématique de cette période fut la balance, à laquelle on apporta de nombreux perfectionnements. Déjà, au début du xviie siècle, Van Helmont, Hales et Boyle s’étaient démarqués de leurs collègues par un usage systématique de cet instrument. Sur ce terrain d’ailleurs les alchimistes les avaient précédés. Des balances de types divers étaient employées depuis les temps les plus anciens pour assurer les transactions commerciales. Généralement, elles étaient constituées d’un fléau suspendu à un crochet. Au xviie siècle, les modèles les plus perfectionnés étaient ceux en usage chez les changeurs, les orfèvres et dans les « Monnaies » des différents pays. Pour le commerce, Gilles Roberval (1602-1675) perfectionna le système, créant en 1669 la balance à double fléau qui porte son nom. Pour les pesées plus précises, on eut l’idée, au lieu de le suspendre, de faire reposer le fléau sur une surface très dure (acier, agate) par l’intermédiaire d’un couteau, dont la forme, d’abord arrondie, devint ensuite une arête triangulaire. Ainsi naquit, dans les années 1760-70, la balance dite de précision. Les plus grands savants de l’époque, du moins ceux qui, comme Lavoisier, Cavendish ou Ramsden, disposaient de moyens financiers personnels assez conséquents pour les faire construire par leurs « balanciers » attitrés, possédaient des balances de grande précision. Lavoisier possédait ainsi trois balances (fig. 3.3) : z Celles dont je me sers ont été construites par M. Fortin ; leur fléau a trois pieds de long et elles réunissent toutes les sûretés et les commodités que l’on peut désirer. Je ne crois pas que, à l’exception de celles de Ramsden, il en existe qui puissent leur être comparées pour la justesse et pour la précision. Indépendamment de cette forte balance, j’en ai deux autres, l’une pèse jusqu’à 18 ou 20 onces 8 à la précision du dixième de grain [environ 600 g à 5 mg près], la troisième ne pèse que jusqu’à un gros, et les 512es de grain y sont très sensibles 9 [environ 3,8 g à 0,1 mg près]. y

Outre ces quatre instruments : baromètre, manomètre, thermomètre et balance, dont l’usage s’imposait dans la majorité des expériences de chimie et de physique, d’autres 7 Pendant très longtemps, la centième partie de l’échelle de températures de Celsius s’est appelée degré centigrade (°C). La dénomination degré Celsius, exprimée par le même symbole (°C), n’est officielle que depuis 1948. 8 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 333. 9 Unités de poids utilisées à cette époque (F. Cardarelli, Scientific unit conversion) : 1 livre (de Paris) = 16 onces = 489,51 g 1 gros = 72 grains = 3,824 g 1 once = 8 gros = 30,594 g 1 grain = 53,1 mg

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instruments ont aussi contribué à l’avancement des sciences de cette époque. L’un des plus importants pour les sciences d’observation, qui commençaient à se développer, fut le microscope, dont il existait plusieurs types. Le microscope simple (utilisé par Leeuwenhoek) ne comportait qu’une seule lentille, enchâssée dans un support en bois ou en laiton. Le microscope composé (utilisé par Hooke), beaucoup plus perfectionné, comprenait deux systèmes optiques, oculaire et objectif, montés sur deux tubes, en carton ou en bois, coulissant l’un par rapport à l’autre. Ces microscopes possédaient des grossissements allant de 30 à 150.

Figure 3.3 - Grande balance de précision de Lavoisier par Fortin [© Musée des arts et métiers-Cnam, Paris, photo J.C. Wetzel, Studio Cnam]

La mesure du temps avait, elle aussi, fait des progrès considérables. Faut-il rappeler que Galilée découvrit les lois du mouvement uniformément accéléré en étudiant la « chute des graves », c’est-à-dire des corps pesants, en mesurant le temps à l’aide d’une sorte de clepsydre : un seau rempli d’eau, percé d’un fin orifice. II recueillait et pesait le liquide qui s’écoulait. Il avait aussi démontré l’isochronisme des petites oscillations (inférieures à 20 degrés) du pendule simple. Des horloges mécaniques, actionnées par des poids ou des ressorts, avaient remplacé les instruments anciens : sablier, clepsydre, horloges à eau, mais elles étaient peu précises, mal adaptées à la mesure de courtes durées. Le Hollandais Christiaan Huygens (1629-1695) eut l’idée de réguler le mouvement du balancier ou du ressort spiral par un mécanisme d’échappement. D’un seul coup, la mesure du temps devint mille fois plus précise. Lavoisier possédait aussi plusieurs machines électriques. La science de l’électricité, ou du moins l’électrostatique, avait en effet fait quelque progrès depuis la première expérience en ce domaine effectuée par ThalÈs de Milet au vie siècle avant J.-C. Ayant frotté un morceau d’ambre jaune 10, ThalÈs avait constaté qu’il était devenu 10 En grec, ambre jaune : ἤλεκτρον, êlectron.

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capable d’attirer des fétus de paille. En 1660, Guericke, l’inventeur de la pompe pneumatique, avait construit la première machine électrostatique, simple boule de soufre tournant sur son axe, que l’on frottait avec un chiffon de laine. Cette machine avait été considérablement perfectionnée (1776) par Ramsden (1735‑1800). Elle  recueillait, à l’extrémité de pointes métalliques, les charges électriques produites par un disque de verre tournant entre deux coussinets (fig. 3.4). Ces charges s’accumulaient sur une sphère à l’extrémité d’un support. Une étincelle en jaillissait si on approchait un conducteur (métal, corps humain). On parvenait ainsi, avec les meilleures machines, à produire des étincelles de trois pieds de long, simulant la foudre. C’est à la même époque (1752) que Benjamin Franklin (1706-1790), à Philadelphie, reconnaissant la nature électrique de la foudre, inventa le paratonnerre.

Figure 3.4 - Machine électrique de Ramsden [d’après A. Libier, Traité élémentaire de physique, 1801, t. iii, planche 10]

Outre leur succès de curiosité, ces machines électriques avaient aussi une application très pratique. Lavoisier utilisait une telle machine pour enflammer les mélanges gazeux qu’il composait à l’aide de ses gazomètres. On utilisait aussi la bouteille de Leyde, ancêtre de notre moderne condensateur. Inventée en Hollande vers 1746 par Pieter van Musschenbroek (1692-1761), elle était à elle seule une sorte de

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révolution : à une époque où le courant électrique n’existait pas (la pile de Volta ne verra le jour qu’en 1800), elle permettait de mettre en bouteille une certaine quantité d’électricité statique produite par une machine électrique, puis de la transporter en un autre lieu pour y générer, par contact, une étincelle électrique et enflammer par exemple un mélange gazeux renfermé dans une cuve à mercure. Lavoisier avait aussi inventé le calorimètre, dont on reparlera en détail (§ 4.4.2), pour mesurer les quantités de chaleur dégagées par les combustions.

3.2 - Le phlogistique Telle était la panoplie instrumentale à la disposition des philosophes s’efforçant de pénétrer les mystères de la nature, mais qu’en était-il de leur équipement conceptuel ? Au début du xviiie siècle, le fond des connaissances, en dépit des critiques ou des accommodements, reposait encore fondamentalement sur les écrits d’Aristote, Hippocrate, Galien et Paracelse. D’autre part, tous ceux qui pratiquaient « l’art du feu », c’est-à-dire la chimie, étaient aussi des alchimistes. Ceux qui vont réaliser la découverte des gaz devront d’abord se débarrasser des contraintes des éléments, principes et humeurs. Tous n’y parviendront pas. Van Helmont n’avait retenu que deux des quatre éléments d’Aristote et, concentrant son intérêt sur ces seuls éléments, avait attribué un rôle fondamental à l’eau pour sa capacité à se transformer en terre et, à partir de l’air, avait extrait le concept de gaz. Le feu jusqu’alors avait été un élément quelque peu négligé. Sa nature apparaissait d’ailleurs fort complexe (chaleur, flamme, lumière). Au début du xviie siècle, il va prendre une importance particulière avec l’avènement d’une théorie, celle du phlogistique, première tentative d’explication des mécanismes des réactions chimiques. Elle fera aussi la synthèse de nombreuses autres conceptions grâce à l’étendue de ses applications. Au cours du xviiie siècle, cette théorie va naître, se transformer, s’adapter pour tenir compte de ses contradictions et des obstacles de toute nature qui s’y opposeront. Elle sera finalement vaincue et ne disparaîtra que vers la fin du siècle, tout simplement parce que, grâce aux progrès réalisés dans l’étude des gaz et de la combustion, on n’avait plus besoin d’elle. Elle fut cependant le ferment, utile et controversé, qui permit d’accéder aux connaissances positives qui la supplantèrent. C’était une théorie obscure et compliquée, car elle traitait du feu (qui est également chaleur et lumière), des échanges de chaleur, du poids, de la masse des corps, de leurs densités, etc. En somme, tout un ensemble de notions qu’il était parfois très difficile de faire cohabiter. Nous allons donc, autant que faire se peut, tenter d’en dresser une présentation simplifiée, limitée aux seuls aspects concernant notre sujet.

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3.2.1 - La théorie du phlogistique À cette théorie, deux noms sont associés, ceux des Allemands Johan Jaochim Becher (1635-1682) et Georg Ernst Stahl (1660-1734), tous deux médecins et chimistes. Becher est connu pour avoir, entre autres, publié un ouvrage, Physica subterranea (1667), où il traite de la nature des composés minéraux du sous-sol. Pour lui, tous ces composés, y compris les métaux, résultent de l’union d’une substance de nature « terreuse » et de l’eau. Ils ne sont pas constitués, comme le prétendaient les alchimistes, de proportions variées de soufre, mercure et sel. L’analyse praStahl tiquée par le feu y décèle au contraire trois sortes de terres : −− la terre vitrifiable, principe de la fixité et de la solidité, rencontrée dans les roches du sol, les minerais, les cristaux, leur donnant un caractère presque inaltérable ; −− la terre inflammable, principe de la combustibilité, présente dans les corps combustibles, mais conférant aussi les odeurs, les couleurs et les goûts ; −− la terre liquéfiable, principe de la volatilité, présente dans les corps liquides, fusibles, volatils ou malléables. Ces différentes terres sont également désignées par de nombreux synonymes, selon la tradition hermétique des alchimistes, qui usent volontiers de mots différents pour désigner la même chose. Ces terres constituaient aussi trois sortes de soufres et, en particulier, la terre inflammable était parfois qualifiée de sulphur adustibile ou sulphur phlogiston, expressions signifiant toutes deux soufre inflammable : telle est l’origine du mot phlogistique 11. Les idées de Becher furent reprises par certains de ses contemporains, dont Stahl, qui s’intéressa surtout à la terre inflammable. Sur elle il bâtit une théorie qui connut un très grand succès pendant trois quarts de siècle. Stahl a écrit de nombreux ouvrages dont l’un (Zufällige Gedänken...), publié en 1717, fut traduit en français en 1766 par le Baron Holbach sous le titre Traité du Soufre. Remarques sur la Dispute qui s’est élevée entre les Chymistes au sujet du Soufre, tant commun, combustible ou volatil, que fixe. Stahl fait du phlogistique le principe de la combustibilité : tout corps combustible est constitué de l’union d’une terre et du phlogistique. Quand un corps brûle, le phlogistique s’en échappe et réagit avec l’air. Il devient alors visible sous la forme du feu ou de la flamme. Le phlogistique (Φ) est donc une sorte de feu fixé dans la matière, nom sous lequel il est parfois désigné. Après la combustion, il subsiste un résidu terreux, déphlogistiqué, en présence d’un air qui, lui, s’est phlogistiqué. L’opération de la combustion peut donc être représentée ainsi : 11 Du grec φλογιστός, phlogistos, inflammable.

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(terre + Φ) + air =

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terre

+

(air + Φ)

corps corps air combustible déphlogistiqué phlogistiqué

Dans une telle opération, le phlogistique passe du corps combustible à l’air, dont il modifie les propriétés : l’air phlogistiqué devient alors impropre à l’entretien d’une nouvelle combustion. Fait très important, la production de chaleur, associée à la combustion, résulte de l’union du phlogistique à l’air. Il en est de même lorsque, dans un four, en présence d’air, on calcine un métal, corps riche en phlogistique. Après calcination, celui-ci laisse un résidu terreux que l’on nomme chaux ou chaux métallique, le phlogistique étant passé dans l’air : métal + air = chaux + (air + Φ) On peut aussi effectuer l’opération inverse en fournissant du phlogistique à une chaux à partir d’un corps qui en est très riche. On régénère alors un métal. Parmi les corps très riches en phlogistique figurent ceux qui sont très combustibles, comme le charbon, l’huile, le bois, etc. Le phlogistique se transfère ainsi du charbon à la chaux : charbon (≈ Φ) + chaux = métal Cette réaction est à la base des procédés de la métallurgie. Elle représente ce que l’on appelle alors une réduction : production d’un corps plus simple à partir d’un matériau plus complexe, en l’occurrence ici production d’un métal à partir d’un minerai (p. 17). De ces considérations résulte probablement la formulation implicite de la première réaction chimique de l’histoire de la chimie : un métal qui perd son phlogistique donne une chaux, une chaux qui gagne du phlogistique redonne un métal (éq. 3.1) : métal @ chaux + phlogistique (Φ) 12 (3.1) Mais la théorie du phlogistique ne s'appliquait pas seulement à la chimie, c’est-àdire, à l’époque, à la combustion, la calcination ou la distillation, elle concernait aussi l'environnement naturel. On connaissait d’expérience l’analogie qui existe entre respiration et combustion : toutes deux exigent absolument la présence d’air, et l’on savait depuis longtemps « qu’un animal ne peut vivre là où une flamme ne peut brûler ». Mais on pouvait maintenant aller plus loin : l’atmosphère d’une enceinte close dans laquelle une combustion s’est éteinte ou un animal a expiré devient impropre à l’entretien d’une nouvelle combustion ou au maintien de la vie. Dans le cas de la combustion, cela s’explique par la présence d’air phlogistiqué : saturé de phlogis12 On ne peut éviter de penser que cette équation 3.1 préfigure nos modernes réactions d’oxydoréduction. Certaines équations, particulièrement importantes et destinées à être réexaminées par la suite, sont référencées par rapport au chapitre où elles apparaissent pour la première fois : ici éq. 3.1. Ces équations sont regroupées dans une annexe à la fin du livre (Annexe A).

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tique, l'air ne peut plus accepter de phlogistique venant d’une nouvelle combustion. Par analogie, cette explication s'étendit à la respiration : elle aussi, puisqu'une nouvelle respiration ne pouvait plus être entretenue, produisait un air phlogistiqué. On imagine alors la suite du raisonnement : la production d’air phlogistiqué par la respiration est le résultat du passage du phlogistique du sang veineux dans l’air au niveau des poumons. Le rôle de la respiration est alors d’éliminer le phlogistique présent dans le sang veineux, qui change d’ailleurs de couleur, et c’est dans l’union du phlogistique à l’air dans le poumon que se situe la source de la chaleur animale. De plus, si le phlogistique est présent dans le sang, c’est à la suite de la digestion des aliments, qui sont des matières riches en phlogistique, comme le démontre le fait que leurs résidus desséchés, notamment les résidus végétaux, sont très combustibles. Il est clair alors que le phlogistique du sang des animaux ne peut provenir que des végétaux, puisque les animaux sont soit des herbivores, soit des carnivores (qui mangent des herbivores). Le rôle des végétaux est donc de puiser le phlogistique dans l’air afin de le concentrer dans la matière végétale pour servir de nourriture aux animaux qui, eux, le rendront à l’atmosphère par leur respiration. On se trouve ici en présence d’un véritable cycle biologique du phlogistique (cf. § 6.2). Comme on le voit, cette théorie, résumée ici de manière très simplifiée, permettait de relier et d’ordonner des processus chimiques et biologiques fondamentaux. Elle n’était cependant pas sans faille, surtout quand on commençait à s’interroger sur la nature du phlogistique 13.

3.2.2 - Les problèmes du phlogistique Apparemment, défini comme principe de combustibilité, le phlogistique devait être –  ou aurait dû être – une entité immatérielle, comme le feu, dont il était, par la flamme, l’expression visible. Cependant, certains, dont Stahl, lui reconnaissaient une nature matérielle, mais très subtile, très peu dense. Or un grave problème se posait. Lors de la calcination d’un métal selon la réaction : métal = chaux + Φ, si on pèse le métal de départ et la chaux qui en résulte, on devrait obtenir pour la chaux un poids égal ou inférieur à celui du métal, suivant que l’on reconnaît au phlogistique un caractère immatériel ou matériel. Le résultat était pire : en toutes circonstances, le poids de la chaux était supérieur à celui du métal initial ! Ainsi, un métal, en perdant du phlogistique, donnait naissance à une chaux plus lourde que lui. Non seulement le phlogistique n’était pas immatériel, il avait même un poids [masse], et ce poids était négatif ! 13 Pour un traitement exhaustif de la théorie du phlogistique, voir J.R. Partington, A history of chemistry, vol. 2, chap. 17 et 18, ainsi que J.R. Partington et D. Mckie, Historical studies on the phlogiston theory.

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Cette situation paradoxale était à rapprocher d’observations anciennes. On se souvient des toitures de plomb qu’il fallait renforcer parce qu’elles s’alourdissaient au cours du temps, ainsi que l’avait noté Agricola (§ 2.1.1). Un chimiste et médecin français, Jean Rey (1583-1645), avait aussi conduit quelques expériences sur la calcination de l’étain et du plomb. Dans ses Essays sur la recherche de la cause pour laquelle l’estain et le plomb augmentent de poids quand on les calcine (1630), il avait observé que, lors de la calcination du métal, il se forme une chaux plus lourde que le métal lui-même et avait attribué l’augmentation de poids de la chaux à l’air « espessi, appesanti, par la véhémente et continuée chaleur du fourneau ; lequel air se mêle avec la chaux et s’attache à ses plus intimes parties ». Il était donc envisageable de rapporter l’augmentation du poids de la chaux à un autre facteur que le phlogistique, en particulier à une fixation de l’air sur le métal. D’autres explications concernant cette augmentation de poids furent aussi proposées, comme celle de la fixation de corpuscules pesants du feu (Boyle, BÉrault), mais cette hypothèse fut réfutée quand le médecin et chimiste hollandais Hermann Boerhaave (1668-1738) eut démontré qu’un métal en fusion a exactement le même poids que le même métal à la température ordinaire : le feu n’était donc pas pesant ! Certains allèrent alors jusqu’à attribuer au phlogistique une masse négative. Conclusion étrange, mais qui avait en fait un fondement philosophique tout à fait justifié. N’oublions pas que les idées d’Aristote jouissaient toujours d’un grand crédit. Comme on l’a vu (p.  14), les éléments d’Aristote étaient dotés de qualités opposées dont, parmi elles, le couple lourd/léger. Le mouvement naturel des corps lourds (graves) était d’aller vers le bas, à cause de leur lourdeur, ou mieux de leur pesanteur, tandis que celle des corps légers était d’aller vers le haut, comme le feu, à cause de leur légèreté. Lourdeur et légèreté, qualités intrinsèques, agissaient donc en sens inverse. C’était précisément ce qui se passait dans le cas d’un métal, composé binaire, fait de l’union d’une terre lourde et d’un phlogistique léger. Quand, dans la calcination, le phlogistique s’échappait, la chaux, issue du métal, devenait automatiquement plus lourde (pesante), puisque la force qui tirait vers le haut avait disparu ! Pour venir à bout de cet imparable raisonnement aristotélicien, il ne fallut pas moins que l’action conjuguée des deux plus grands esprits de ce temps, Newton et Lavoisier. Isaac Newton (1642-1727), dans son traité Philosophiae naturalis principia mathematica, paru en 1687, avait d’une part clairement établi la différence entre la masse (quantité de matière, invariable) et le poids (force s’excerçant sur la masse, variable selon le lieu, en fonction de l’intensité de la pesanteur) 14 : z Je désigne la quantité de matière par les mots de corps ou de masse. Cette quantité se connaît par le poids des corps : car j’ai trouvé par des expériences très exactes sur les pendules, que les poids des corps sont proportionnels à la masse. y 14 I. Newton. Philosophiae naturalis principia mathematica, p. 3.

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Newton avait d’autre part formulé la loi de l’attraction universelle, établisant que deux corps s’attirent en raison directe de leurs masses et en raison inverse du carré de leur distance. Pour un corps situé à la surface de la Terre, l’énorme disproportion de masse entre celle du corps et celle de la Terre fait que la force résultante est dirigée vers le centre de la Terre, c’est la pesanteur. La lourdeur n’était donc pas, comme le pensait Aristote, une qualité intrinsèque des corps, elle résultait au contraire de l’action à distance d’une cause extérieure. La légèreté, au sens d’anti-pesanteur, n’existait donc pas. Quant à Lavoisier, grâce à ses balances, il démontrera tout simplement que l’augmentation de poids observée lors de la calcination d’un métal est due à la combinaison du métal avec l’oxygène de l’air pour former un oxyde métallique. Ainsi disparut le phlogistique. Mais, en attendant, en cette fin du xviiie siècle, le phlogistique est bien présent. Il règne sur les esprits, le vocabulaire et la chimie.

3.3 - Les nouveaux airs La découverte des nouveaux airs ne sera ni simple ni très logique, compte tenu de la diversité des opinions qui régnaient alors. Ainsi, les découvreurs de l’oxygène et de l’hydrogène, Priestley et Cavendish, demeureront jusqu’à leur mort de fervents tenants du phlogistique. De même, la plupart des scientifiques de cette époque, notamment les Anglais, se refuseront à employer le mot gaz, pourtant créé un siècle plus tôt. Ils lui préféreront de très loin le mot air, débarrassé de sa signification aristotélicienne d’élément premier et revêtu de celle de gaz, telle que l’avait proposé Van Helmont. Lavoisier utilisera encore ce terme, mais le remplacera petit à petit par celui de gaz. Conséquence logique de cet état de fait : pour désigner l’air ordinaire, celui que nous respirons, il faudra lui affecter un qualificatif particulier, il deviendra l’air commun ou l’air atmosphérique. Autre problème très épineux, celui des priorités. À cette époque, l’information circulait lentement. Les découvertes se communiquaient dans des correspondances privées, à l’occasion de voyages et de visites, mais aussi officiellement au cours des réunions des nombreuses sociétés savantes qui naquirent à cette époque  15. Certaines de ces communications étaient publiées dans les journaux de ces sociétés, d’autres ne l’étaient pas, ou bien étaient consignées dans des comptes-rendus de séances qui n’étaient diffusés qu’à un petit nombre de personnes, membres de ces sociétés. Souvent plusieurs personnes travaillaient sur le même sujet sans le savoir. Certains gaz eurent ainsi plusieurs découvreurs, dont la priorité ne peut être démêlée que par un patient travail d’étude d’archives et de documents personnels. Il est aussi parfois difficile de fixer une date précise à certaines découvertes, selon que l’on considère la date de la communication orale à l’occasion d’une séance d’une société savante 15 La Royal Society fut fondée à Londres en 1660 et l’Académie royale des Sciences à Paris en 1666.

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ou sa date de parution dans une publication officielle : des écarts de un ou deux ans, parfois plus, peuvent ainsi se produire. C’est aux historiens des sciences de clarifier ces situations parfois délicates. Faisant abstraction de ces aspects liés aux personnalités ou aux habitudes du temps, nous allons donc essayer de relater, dans l’ordre de leur apparition, la découverte des nouveaux airs impliqués dans l’étude de notre sujet : l’oxygène et le gaz carbonique, mais aussi l’hydrogène et l’azote, c’est-à-dire, dans le vocabulaire de l’époque, l’air déphlogistiqué et l’air fixe, l’air inflammable et l’air méphitique.

3.3.1 - L’air fixe

Black

On se souvient du gaz sylvestre (spiritus silvestris) de Van Helmont (§ 2.2.2). Ce gaz [dioxyde de carbone, CO2], qui n’entretient ni la combustion ni la respiration, se dégage des liquides en fermentation, de certaines eaux de source, et s’accumule dans les grottes. Il se dégage aussi lorsqu’on fait réagir un acide sur la craie ou le marbre. Lors d’études sur la calcination de la magnésie blanche 16 (Experiments upon magnesia alba, quicklime and some other alcaline substances, 1756), l’Écossais Joseph Black (1728‑1799), médecin et chimiste, professeur à l’université de Glasgow, redécouvrit ce gaz, caractérisant quelques-unes de ses propriétés.

Par calcination, en effet, ce minéral donne une chaux, la magnésie calcinée, en même temps qu’un air est dégagé. Black donna le nom d’air fixé à cet air emprisonné dans la roche sous une forme condensée, solidifiée, inélastique, et dont l’élasticité était recouvrée sous l’action de la chaleur. Ainsi 17 : magnesia alba = magnésie calcinée + air fixe 18 De la même manière, en calcinant des roches calcaires, comme la pierre à chaux [carbonate de calcium, CaCO3], on obtient de la chaux vive avec dégagement d’air fixe : pierre à chaux = chaux vive + air fixe 19 16 Carbonate basique de magnésium (x MgCO3, y MgO, z H2O), par opposition à la magnésie noire (pyrolusite, bioxyde de manganèse, MnO2). 17 Notons que cette manière de décrire et de présenter les faits sous forme d’équations, même purement qualitatives, n’existait pas à l’époque. Les faits étaient simplement relatés. Les premières véritables équations n’apparaîtront qu’à la fin du siècle, avec Lavoisier. 18 MgCO3 $ MgO + CO2 19 CaCO3 $ CaO + CO2

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À cette époque, on connaissait plusieurs types d’alcalis : l’alcali végétal (potasse), l’alcali marin (soude), l’alcali volatil (ammoniac). Ces alcalis existaient sous deux formes, douce [carbonate] ou caustique [oxyde]. Black montra par exemple que la chaux vive (alcali caustique) en présence de soude (alcali doux) se transformait en pierre à chaux (alcali doux) et en soude caustique (alcali caustique) : chaux vive + soude = pierre à chaux + soude caustique 20 Il expliquait ce fait en disant que la chaux vive avait plus d’attraction (affinité) pour l’air fixe que n’en avait la soude et, en conséquence, le déplaçait. C’est ainsi qu’il justifiait le terme d’air fixe 21 : z La chaux vive n’attire pas l’air sous sa forme ordinaire, mais elle est capable de se joindre à une espèce particulière d’air auquel j’ai donné le nom d’air fixé, et peut-être très improprement ; mais j’ai pensé qu’il valait mieux employer un mot déjà très familier à la philosophie que d’inventer un nom avant que nous ne soyons mieux informés des propriétés de cette substance. y

La grande affinité de la chaux vive pour l’air fixe a conduit Black à l’élaboration d’un test simple de mise en évidence de ce gaz : en présence d’air fixe 22, l’eau de chaux (solution saturée de chaux éteinte) se trouble par suite de la formation d’un alcali doux très peu soluble [carbonate de calcium]. Cette propriété est à l’origine de deux observations capitales : l’eau de chaux se trouble quand on y fait barboter l’air expiré des poumons ou un courant d’air ayant traversé du charbon en combustion. Ainsi, respiration et combustion, toutes deux dépendantes de l’air commun, produisaient toutes deux de l’air fixe. Deux autres propriétés spécifiques de l’air fixe furent également mises en évidence : sa densité et son acidité. En «  renversant  » sur une chandelle allumée un flacon contenant de l’air fixe, Black montra que celle-ci s’éteignait, indiquant par là que l’air fixe était beaucoup plus lourd que l’air commun (Grotte du Chien, §  2.2.2). Cavendish trouva qu’il était 1,57 fois plus lourd que l’air [valeur exacte : 1,531]. D’autre part, dès 1772, Priestley écrivait 23 : 20 CaO + Na2CO3 $ CaCO3 + Na2O Dans le vocabulaire de l’époque, la soude est le carbonate de sodium (Na2CO3) et la soude caustique l’oxyde (Na2O) ou l’hydroxyde (NaOH) de sodium. La pierre à chaux est le carbonate de calcium (CaCO3), la chaux vive l’oxyde de calcium (CaO) et la chaux éteinte l’hydroxyde de calcium (Ca(OH)2). En solution étendue, elle constitue l’eau de chaux (chap. 5, note 7). 21 J. Black. Experiments on magnesia alba... Cité par J.R. Partington, A history of chemistry, vol. 2, p. 139 (traduction de l’auteur). 22 Ca(OH)2 + CO2 $ CaCO3 + H2O 23 J. Priestley. Expériences et observations sur différentes espèces d’air, 1777, tome 1, p. 39 (cf. chap. 6, note 5).

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z Il peut se faire que l’air fixe lui-même soit un acide d’une espèce faible et particulière. M. Bergman, d’Upsal, qui m’a fait l’honneur de m’écrire à ce sujet, l’appelle l’acide aérien, et entr’autres expériences qu’il rapporte pour prouver que c’est un acide, il dit qu’il change en rouge le suc bleu de tournesol. M. Hey a trouvé que le fait était vrai, et il a découvert de plus que lorsque l’eau teinte en bleu avec le suc de tournesol, et ensuite en rouge avec l’air fixe, a été exposée à l’air libre de l’atmosphère, elle reprend sa couleur bleue. y

Ce qui montre que l’air fixe volatil s’échappe du liquide où il est à saturation. D’où le nom d’acide aérien qui lui fut donné par le chimiste suédois Torbern Bergman (1735-1784), et celui d’acide carbonique, que Lavoisier lui attribua, précisant en outre sa composition (p. 81).

3.3.2 - L’air inflammable

Cavendish

Henry Cavendish (1731-1810), un Anglais timide et excentrique, consacra dans l’isolement toute sa vie à des travaux scientifiques. Il fit des recherches sur l’électricité et la chaleur, notamment les chaleurs latente et spécifique, ce qui l’amena à construire des thermomètres d’une grande précision. Il publia peu (18 publications au total). Une de ses œuvres, On factitious airs (1760), est consacrée à l’étude des gaz. Par factitious airs (airs factices), il entend tout air contenu (fixé) dans un corps et pouvant être révélé par les effets de l’art, c’est-à-dire par l’expérimentation.

Cavendish observa ainsi qu’en présence d’huile de vitriol [acide sulfurique, H2SO4] ou d’esprit-de-sel [acide chlorhydrique, HCl] agissant sur des métaux comme le zinc, le fer ou l’étain, se dégageait un air, toujours le même et dans les mêmes quantités, quel que soit l’acide utilisé pour dissoudre un même poids de métal. Il appela cet air l’air inflammable des métaux, et conclut (faussement) qu’il provenait du métal, et non de l’acide. Comme il était un fervent partisan du phlogistique (Φ), il imaginait la réaction d’un acide sur un métal de la manière suivante :

métal + acide = sel + air inflammable 24

qu’on pouvait encore (éq. 3.1) interpréter ainsi : (chaux + Φ) + acide = (chaux + acide) + Φ D’où l’on pouvait conclure que l’air inflammable était du phlogistique pratiquement pur, ce qui fut fait.

24 Par exemple : Zn + H2SO4 $ ZnSO4 + H2. L’air inflammable est donc l’hydrogène.

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Par rapport à l’air fixe, cet air inflammable manifestait des propriétés très particulières : il brûlait avec vivacité dans l’air commun ; il était insoluble dans l’eau et les alcalis ; il formait un mélange détonant en présence d’air et d’une étincelle, l’explosion la plus violente se produisant pour une proportion de trois volumes d’air inflammable pour sept volumes 25 d’air commun. Cet air inflammable possédait encore une autre propriété très remarquable : quand il était emprisonné dans une vessie, celle-ci avait tendance à s’élever dans l’air. Cavendish détermina la densité de cet air inflammable par rapport à l’air commun, il le trouva 11 fois plus léger [valeur exacte : 14,3].

3.3.3 - L’air déphlogistiqué L’oxygène – puisqu’il s’agit de lui – a une double paternité. Traditionnellement, c’est Priestley qui est crédité de la découverte (1774). En fait, Scheele avait découvert l’oxygène deux ans plus tôt (1772), mais l’antériorité de son travail ne fut reconnue qu’en 1892, grâce aux efforts de son compatriote Nordenskjöld. Carl Wilhelm Scheele (1742-1786), pharmacien et chimiste suédois, est l’auteur de très nombreuses découvertes, notamment en ce qui concerne l’isolement de substances naturelles. Entre autres, il a aussi découvert l’oxygène. Ces recherches, effectuées entre 1770 et 1773, sont contenues dans son ouvrage Chemische Abhandlungen von der Luft und dem Feuer, qui ne parut avec grand retard qu’en 1777. Entre temps, Priestley avait publié les siennes (1774). Scheele avait remarqué qu’en présence de certains corps, le volume d’air commun à leur contact se contractait. C’était Scheele le cas, par exemple, du phosphore, du soufre, de l’huile de lin, des copeaux de fer en présence d’air humide. Dans tous les cas, l’air se contractait jusqu’à ne plus atteindre (approximativement) que les trois quarts de son volume initial. La fraction résiduelle de l’air commun apparaissait particulièrement inerte, n’entretenant ni la combustion ni la vie. La découverte se fit de la manière suivante : ayant fait brûler de l’air inflammable dans l’air commun à l’intérieur d’un flacon renversé sur une cuve à eau, Scheele vit l’eau de la cuve remplir progressivement le flacon jusqu’au quart. Il interpréta son expérience (l’air inflammable étant considéré comme du phlogistique pur) en supposant que le produit de la réaction n’était autre que la chaleur, qui s’était échappée à 25 1 volume d’air contenant 0,2 volume d’oxygène, la proportion était donc de 3 volumes d’hydrogène pour 1,4 volume d’oxygène. Selon la réaction : 2 H2 + O2 $ 2 H2O, la proportion exacte est de 3 volumes d’hydrogène pour 1,5 volume d’oxygène, soit 7,5 volumes d’air commun. L’observation de Cavendish était donc tout à fait remarquable.

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travers les parois de l’enceinte. À l’air qui disparaissait [oxygène] et réagissait avec l’air inflammable [hydrogène], Scheele donna la nom de Feuerluft (fire air, air du feu), à l’autre, celui qui restait [azote], le nom de verdorbene Luft (foul air, air vicié). La réaction pouvait être représentée ainsi : air du feu + air inflammable (≈ Φ) = chaleur Scheele essaya alors de décomposer la chaleur en ses deux constituants, phlogistique et air du feu, en soumettant à la chaleur des corps qui auraient une plus grande attraction pour le phlogistique que l’air du feu lui-même, qui serait ainsi libéré. C’est ainsi qu’il isola l’air du feu par calcination de chaux métalliques (avides de phlogistique pour donner un métal), séparant donc théoriquement l’air du feu du phlogistique : chaux + chaleur = métal + air du feu (air du feu + Φ) (chaux + Φ)

En particulier, Scheele prépara de l’air du feu à partir de chaux telles que le mercurius calcinatus per se [oxyde de mercure, HgO] ou la pyrolusite [bioxyde de manganèse, MnO2], et même à partir de méphite d’argent [carbonate d’argent, AgCO3], ce qui lui permit d’obtenir à la fois de l’air du feu et de l’air fixe : méphite d’argent = argent + air du feu + air fixe 26 Joseph Priestley (1733-1804) était un clergyman au savoir universel. Ses opinions en matière de religion, assez hétérodoxes, choquaient souvent ses ouailles, ce qui le conduisit à l’exil en Pennsylvanie, où il mourut. Dans la liste impressionnante de ses publications, il s’en trouve une cinquantaine qui traitent de sujets scientifiques variés (électricité, vision, chimie). La plus importante est son ouvrage Experiments and observations on different kinds of air, paru en 1774. Priestley, avec obstination, se refusa à employer le mot gaz, dont il ne voyait pas l’utilité. De même, jusqu’à Priestley sa fin il demeura un partisan convaincu du phlogistique. Ses deux derniers écrits, Considerations on the doctrine of phlogiston and the decomposition of water (1796) et The doctrine of phlogiston established and that of the composition of water refuted (1800), dirigés contre les idées de Lavoisier, furent le chant du cygne de la théorie du phlogistique. Priestley a étudié de nombreux airs, mais il est surtout connu pour sa découverte de l’oxygène. Celle-ci eut lieu le 1er août 1774. Dans sa recherche de nouveaux airs, il soumettait à la calcination des corps variés que ses amis lui faisaient parvenir. C’est ainsi qu’il soumit à la calcination un échantillon de précipité rouge, mercu26 2 AgCO3 $ 2 Ag + O2 + 2 CO2

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rius calcinatus per se, obtenu en chauffant du mercure en présence d’air pendant plusieurs jours. En condensant au moyen d’un verre ardent les rayons du soleil sur ce précipité, il constata le rapide dégagement d’un air qu’il recueillit sur la cuve à mercure. Voici le récit de cette expérience 27 :  z M’étant procuré une lentille de douze pouces de diamètre [32,5 cm], et dont le foyer est à la distance de vingt pouces [54,2 cm], je me mis avec ardeur à examiner, par le secours de cette lentille, quelle espèce d’air pouvaient fournir plusieurs substances diverses, tant naturelles que factices, en les mettant dans des vaisseaux, que je remplis de mercure, et que je tins renversés dans des bassins remplis de ce métal. Avec cet appareil, après nombre d’autres expériences dont on trouvera le détail en son lieu : le premier août 1774, je tâchai de tirer de l’air du mercure calciné per se [HgO], et je trouvai sur le champ que par le moyen de ma lentille j’en chassai l’air très promptement. Ayant ramassé de cet air environ trois ou quatre fois le volume de mes matériaux, j’y admis de l’eau, et je trouvai qu’elle ne l’absorbait point ; mais ce qui me surprit plus que je ne puis l’exprimer, c’est qu’une chandelle brûla dans cet air avec une flamme d’une vivacité remarquable (...) Mais comme je n’avais jamais observé de phénomène pareil dans aucune espèce d’air, je fus entièrement hors d’état d’expliquer ce phénomène. y

Ultérieurement, il observa qu’une souris vivait dans cet air bien plus longtemps que dans un égal volume d’air commun, et lui même, en ayant respiré, « se sentit la poitrine particulièrement légère, et très à l’aise durant quelque temps ». En disciple de Stahl, Priestley pensait qu’une chandelle, en brûlant, libère son phlogistique. Lorsqu’elle s’éteint dans une enceinte close, c’est parce que l’air, devenu saturé de phlogistique, ne peut plus en absorber davantage. Dans l’air commun, une bougie brûle avec sa flamme habituelle car cet air contient peu de phlogistique. Mais dans cet air nouveau, la flamme brûlait d’une manière très vive et très intense : ce qui prouvait manifestement qu’il ne contenait pas de phlogistique. Il pouvait donc en absorber une grande quantité. En conséquence, la fraction de l’air commun qui demeure après la combustion d’une chandelle est saturée de phlogistique : c’est de l’air phlogistiqué. L’air recueilli à partir du précipité per se était donc de l’air non phlogistiqué ou déphlogistiqué. Ainsi, Priestley et Scheele aboutissaient tous deux à la même conclusion : dans l’air commun coexistaient au moins deux airs différents : −− celui qui permet la combustion des corps combustibles et la respiration d’un animal : air déphlogistiqué (Priestley) ou air du feu (Scheele). −− celui qui ne permet pas l’exercice de ces processus : air phlogistiqué (Priestley) ou air vicié (Scheele). 27 J. Priestley. Expériences et observations sur différentes espèces d’air, 1777, tome 2, p. 41.

Chapitre 3 - La découverte des gaz

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3.3.4 - L’air méphitique Les airs isolés par Scheele et Priestley correspondaient-ils aux mêmes réalités chimiques ? La question semblait en principe résolue d’après ce qui précède : air phlogistiqué et air vicié étant des airs résultant d’une combustion et manifestant les mêmes propriétés. Une certaine ambiguïté demeurait cependant. Quand, dans l’air commun, Scheele faisait brûler de l’air inflammable [hydrogène], il observait une réduction du volume de l’air commun assez sensible (environ 1/4). Quand il y faisait brûler une chandelle, la réduction était à peine perceptible [du gaz carbonique s’était formé]. Ces expériences montraient clairement que, dans l’air commun, l’air vicié (phlogistiqué) résultant de la combustion d’une chandelle n’était pas tout à fait le même que celui provenant de la combustion de l’air inflammable. Scheele n’alla pas au-delà de ces observations. En fait, l’expérience cruciale fut réalisée par un élève de Black, Daniel Rutherford (1749-1819), professeur de botanique à l’université d’Edimbourg. Rutherford remarqua (1772) que l’air dans lequel avait expiré une souris (air phlogistiqué de Priestley) pouvait subir une contraction de volume quand on le mettait en présence d’une solution de potasse. Ce  traitement, comme on le sait, absorbait l’air fixe produit par la respiration de l’animal. Après ce traitement, il demeurait donc un air qui n’entretenait ni la combustion, ni la respiration, mais qui de plus ne troublait pas l’eau de chaux et n’était pas absorbé par les alcalis. Rutherford montra qu’un tel air se forme aussi lors de la combustion du soufre ou du phosphore (qui ne produit pas d’air fixe). Il lui attribua le nom d’air méphitique 28. Il pensait aussi que c’était lui qui se chargeait du phlogistique libéré dans la respiration ou la combustion. Rutherford établit donc clairement que : air phlogistiqué (Priestley) = air méphitique (Rutherford) + air fixe (Black) L’air phlogistiqué de Priestley était donc en réalité un mélange d’azote et de gaz carbonique, l’air méphitique de Rutherford sera nommé azote par Lavoisier (p. 71). Parallèlement à ces airs majeurs, dont on vient de relater en détail les découvertes, parce qu’ils sont importants pour la suite de notre histoire, nombre d’autres airs ont été découverts à l’occasion de ces opérations de combustion, de calcination ou de distillation. On  a déjà vu que Van Helmont lui-même avait mis en évidence différents gaz au milieu du siècle précédent. La plupart des auteurs dont on vient de parler ont étudié d’autres gaz, par accident ou de façon systématique. Ainsi, vers la fin du xviiie siècle, partant de l’air en tant qu’élément, la chimie pneumatique avait conduit à la découverte d’une assez grande variété de gaz, bien que le mot n’eût été que fort peu employé. 28 Qualificatif bizarre : Méphitique, se dit d’une exhalaison toxique, malfaisante et souvent pestilentielle, ce qui n’est pas le cas de l’azote, gaz inodore. Rutherford a vraisemblablement retenu le caractère toxique (repris par Lavoisier) de ce gaz qui ne permet pas la vie.

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Chapitre 4 La révolution chimique La seconde moitié du xviiie siècle n’aura pas seulement été l’époque de la découverte de nouveaux gaz, elle fut aussi celle d’une complète refondation des concepts de la chimie, concrétisée par la parution en 1789 du Traité élémentaire de chimie de Lavoisier. D’une part, par la découverte des nouveaux airs, les auteurs dont on vient de relater les travaux (Black, Scheele, Cavendish, Priestley) avaient contribué à soulever de sérieux doutes sur la nature des éléments d’Aristote. En même temps, des processus comme la calcination, la combustion, la distillation, avaient été disséqués, conduisant à considérer l’existence de relations complexes entre des éléments matériels, comme la terre et l’eau, et d’autres éventuellement immatériels, comme le feu, la chaleur et la lumière. Quelques tentatives d’explication avaient été avancées, la plus en faveur faisant du phlogistique le lien entre ces différents aspects. Le combat contre les éléments aristotéliciens et la théorie du phlogistique commença avec les premiers travaux de Lavoisier, lorsqu’il entreprit de réfuter la possibilité de transformer l’eau en terre. L’augmentation du poids des métaux lors de la calcination, curieusement associée à une perte de phlogistique, fit ainsi naître l’idée d’un mécanisme alternatif, basé sur la fixation d’une partie de l’air sur le métal. Elle s’exprima dans l’apparition d’une nouvelle théorie, dite antiphlogistique. En moins de quinze ans, cette théorie conduisit au renouvellement complet des concepts sur la nature des éléments, en même temps qu’à la création d’une nouvelle chimie et d’un nouveau vocabulaire dont l’essentiel a persisté jusqu’à nos jours. À l’inverse de la théorie du phlogistique, qui s’efforçait d’expliquer les faits, mais sans susciter de propositions nouvelles, cette nouvelle théorie alimenta la réflexion des chimistes. On vit alors de nouvelles découvertes lui apporter une justification définitive. Cette révolution fut, sur le plan des idées, l’œuvre d’un seul homme : Lavoisier. C’est donc à l’élaboration et à l’éclosion de cette nouvelle théorie chimique que nous allons accorder notre attention. Indirectement, elle conduisit à une nouvelle définition de la respiration, à la caractérisation des fermentations et à la découverte de la photosynthèse : à cette époque en effet, ces fonctions ne pouvaient être appréhendées que par leurs manifestations externes, c’est-à-dire par les mouvements des gaz qu’on venait de découvrir.

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Première partie - Philosophie

4.1 - Antoine-Laurent Lavoisier Le propos n’est pas de retracer ici la biographie d’un personnage, Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794), dont la vie et l’œuvre ont fait l’objet d’innombrables ouvrages, mais simplement de montrer le rôle central qu’il joua dans l’évolution des concepts scientifiques de son époque. Comme le soulignent nombre d’ouvrages, il y eut une « chimie avant Lavoisier » et une « chimie après Lavoisier  ». Ce rôle fondateur lui est universellement reconnu. Mais il en est un autre, relativement laissé dans l’ombre, dont l’impact fut tout aussi grand, dans un autre domaine, celui qu’on nomme aujourd’hui biologie. Après avoir puissamment contribué à résoudre les énigmes de la chimie, Lavoisier aborda l’étude des êtres vivants. Sa définition de la respiration, « une combustion lente », a été le point de départ d’une nouvelle physiologie. Pour mesuL avoisier rer les progrès accomplis, il suffit de mettre en parallèle le contenu de son Traité élémentaire de chimie (1789) et son premier travail scientifique : il portait sur la transformation de l’eau en terre (1770). Vingt ans à peine les séparent. Entre les deux, un abîme s’est creusé. Dans une expérience célèbre (p. 36), Van Helmont avait montré qu’un arbre pouvait se développer en ne recevant que de l’eau comme seul aliment. Une preuve plus actuelle était fournie par l’observation que l’eau, portée à ébullition pendant une longue période de temps, laissait toujours apparaître un dépôt terreux plus ou moins important. Dans un mémoire Sur la nature de l’eau et sur les expériences par lesquelles on prétend prouver la possibilité de son changement en terre, Lavoisier dévoile les premiers traits de la méthode qu’il utilisera constamment par la suite. Ayant distillé une certaine quantité d’eau pendant 101 jours, en circuit fermé, dans un appareil appelé pélican en raison de sa forme (fig. 4.1), il observa qu’un résidu solide s’était déposé au fond du pélican. À l’aide de ses balances, Lavoisier établit alors que le poids du dépôt terreux correspondait très sensiblement à la diminution de poids du pélican. Ainsi, l’eau ne s’était pas transformée en terre, c’était la paroi de verre du pélican qui avait été attaquée par l’eau au cours de cette distillation très prolongée. Ainsi, une mesure précise avait facilement eu raison d’une proposition erronée. Cette expérience est symbolique : c’est par l’usage de la balance que Lavoisier détruira la théorie du phlogistique. C’est par elle aussi qu’il montrera que la respiration d’un animal produit de l’eau.

Chapitre 4 - La révolution chimique

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Lavoisier était un expérimentateur extrêmement habile, précis et minutieux  1. Il est à l’origine du perfectionnement de nombreux appareils. Cependant, malgré une débauche d’instruments, dont certains se gaussaient, Lavoisier n’a pas fourni, même pour l’époque, les résultats les plus précis. En deux circonstances au moins, la composition de l’air et la synthèse de l’eau, Cavendish, avec des appareils moins élaborés, a donné des valeurs plus précises, étonnamment proches de celles retenues de nos jours. Figure 4.1 - Pélican [d’après J.R. Partington. A history of chemistry, Macmillan, Londres, 1962, vol. 3, p. 379]

On ne peut non plus passer sous silence les controverses sur les questions de priorité, qu’il a souvent provoquées lui-même, ou que ses détracteurs ont sournoisement entretenues durant tout le xixe siècle. L’origine de ces controverses tient au fait que lui-même, très informé de l’état de la science de son époque, répétait, avec des facilités accrues, les expériences de ses contemporains, décrivant ses propres résultats d’une manière très étudiée, qui pouvait parfois prêter à ambiguïté. Ainsi à propos de l’oxygène 2,3 :  z Cet air que nous avons découvert presque en même temps, M. Priestley, M. Scheele et moi (...) Cet air que M. Priestley a découvert à peu près dans le même temps que moi, et je crois même avant moi (...) y

Il ne fut pas non plus aidé en ce domaine par la déplorable habitude des libraires de l’époque, avec leurs délais d’impression interminables. Ainsi, la plupart des mémoires de Lavoisier (plus de 60), présentés au cours de séances officielles de l’Académie des Sciences, ne pouvaient être insérés que dans le tome à paraître l’année suivante, lequel en fait paraissait... trois ans plus tard. D’où cette particularité des publications de Lavoisier, qui possèdent presque toutes deux dates, celle de leur présentation à l’Académie, et celle de leur parution dans les Mémoires de l’Académie des Sciences. Alors, au cours des corrections d’épreuves, Lavoisier tantôt rectifiait une erreur grossière tantôt modifiait une formulation qui entre-temps était devenue incorrecte ou obsolète, ce qui lui valut l’accusation malveillante de falsifier ses résultats. 1 M. Daumas. Lavoisier, théoricien et expérimentateur. 2 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 38. 3 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 2, p. 423 (Un moyen d’augmenter considérablement l’action du feu et de la chaleur dans les opérations chimiques). Référencer avec exactitude les travaux de Lavoisier d’après les publications originales s’avère souvent une entreprise difficile. Pour y remédier, sur l’incitation du ministère de l’Instruction publique, les travaux de Lavoisier ont été rassemblés et publiés dans les Œuvres de Lavoisier, entre 1864 et 1893, par les soins des chimistes J.B. Dumas (tomes 1 à 4) et E. Grimaud (tomes 5 et 6).

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En fait, le véritable génie de Lavoisier fut de s’affranchir de la chimie que lui avaient enseignée ses maîtres ou qu’il avait apprise dans les traités de LÉmery ou de Macquer pour ne se fier qu’à la justesse de ses balances, à la précision de ses gazomètres et à la logique de ses interprétations. Lavoisier, Priestley et Cavendish ont, plus ou moins simultanément, réalisé les mêmes expériences sur la calcination et la combustion. Cependant leurs interprétations sont à des années-lumière : perte d’un hypothétique et philosophique phlogistique pour Priestley et Cavendish, fixation de l’oxygène de l’air pour Lavoisier. Il a d’ailleurs clairement résumé son apport à l’essor de la chimie 4,5 : z Je commencerai, avant d’entrer en matière, par prévenir le public qu’une partie des expériences contenues dans ce mémoire ne m’appartiennent pas en propre ; peut-être même rigoureusement parlant, n’en est-il aucune dont M. Priestley ne puisse réclamer la première idée ; mais comme les mêmes faits nous ont conduits à des conséquences diamétralement opposées, j’espère que si on me reproche d’avoir emprunté des preuves des ouvrages de ce célèbre physicien, on ne me contestera pas au moins la propriété des conséquences (...) On ne pourra pas me contester, j’espère, toute la théorie de l’oxydation et de la combustion ; l’analyse et la décomposition de l’air par les métaux et les corps combustibles ; la théorie de l’acidification, des connaissances plus exactes sur un grand nombre d’acides, notamment des acides végétaux, les premières idées de la composition des substances végétales et animales ; la théorie de la respiration, à laquelle M. Seguin a concouru avec moi. y

Dans ce texte, où il revendique la part qui lui revient, Lavoisier ne mentionne ni la découverte de l’oxygène, ni la synthèse de l’eau, ni même la décomposition de l’eau, seule découverte que ses détracteurs voulaient bien lui reconnaître. En dépit de quelques travers, Lavoisier occupe donc une place éminente dans l’évolution de sa discipline. C’est à partir de ses travaux que sont nés la chimie moderne, la chimie organique, les premiers rudiments de biochimie et de bioénergétique, la création de la nomenclature chimique, la calorimétrie, la formulation du concept de conservation de la matière et même de l’énergie, les premières idées sur la composition des matières animales et végétales, la signification profonde de la respiration et des fermentations, sujets qu’il aborda à la fin de sa carrière et qu’une fin tragique ne lui permit pas d’explorer plus avant.

4 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1776, p. 671 (Mémoire sur l’existence de l’air dans l’acide nitreux et sur les moyens de décomposer et de recomposer cet acide). 5 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 2, p. 104 (Détails historiques sur les causes de l’augmentation de poids qu’acquièrent les substances métalliques, lorsqu’on les chauffe pendant leur exposition à l’air).

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Lavoisier apparaît ainsi comme un personnage absolument central : il est à la fois l’aboutissement de deux mille ans d’interrogations sur la nature de la matière et le point de départ d’une nouvelle chimie et d’une nouvelle physiologie. Sa place est au centre de l’histoire racontée ici.

4.2 - Combustion et calcination Combustion et calcination sont deux phénomènes apparentés, toutes deux se déroulant en présence d’air et de feu. Ce qui les différencie, c’est l’importance du résidu subsistant après l’opération, mais surtout leur vitesse : la combustion est une opération rapide, intense, la calcination au contraire est lente, plus discrète. Les premières expériences sur la nature de la combustion remontent au siècle précédent, réalisées en Angleterre par ceux qui, par la suite, devinrent connus sous le nom de « Chimistes d’Oxford ». Dans son mémoire New experiments touching the relation betwixt flame and air (1673), Robert Boyle (1627-1691) montre que, dans une cloche où on a fait le vide à l’aide d’une pompe pneumatique (fig. 2.3(b)), des fragments de soufre émettent de la fumée (fument) si on les fait tomber sur une plaque de fer préalablement portée au rouge, mais si on fait rentrer de l’air, la combustion du soufre se produit alors avec flamme et vivacité. La flamme d’une chandelle, ou celle du gaz obtenu en faisant tomber de l’acide chlorhydrique sur des copeaux de fer [hydrogène] s’éteint lorsqu’on Boyle fait le vide. De ces études, Boyle conclut « qu’une flamme ne peut exister là où l’air est absent ». De même, la poudre à canon, qui contient du salpêtre [nitrate de potassium, KNO3], brûle lentement dans le vide, alors qu’elle explose dans l’air. Les corps combustibles peuvent aussi brûler dans le vide, si on les mélange avec du salpêtre. Dans ses New experiments to make fire and flame stable and ponderable (1673), Boyle observe aussi l’augmentation du poids d’un métal (étain) qu’on calcine dans l’air, et explique cette augmentation par l’absorption des corpuscules de feu ayant traversé les parois de l’enceinte. Il en conclut que le feu est pesant (matière du feu). L’assistant de Boyle, Robert Hooke (1635-1703) précisa la notion de combustion, y discernant deux aspects : le chauffage de la matière combustible et son exposition à l’air. Ainsi, dans une enceinte fermée où on a fait le vide, un morceau de charbon chauffé à haute température ne disparaît pas, il laisse un résidu noirâtre, mais si l’air est introduit, il brûle et se transforme alors en une cendre blanche. Il pense aussi que dans le salpêtre existe un élément qui, comme dans l’air, entretient la combustion.

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Ce constituant, commun à l’air et au salpêtre, Hooke l’appelle air nitreux [il deviendra plus tard oxygène, et non azote]. Le troisième chimiste d’Oxford, John Mayow (1641-1679), proposa lui aussi une théorie de la combustion. Il reconnaissait dans l’air deux sortes de particules : certaines, les particules nitro-aériennes, sont absorbées dans la combustion, les autres se retrouvent dans le volume gazeux qui subsiste après la combustion. C’est la première fois qu’il est fait allusion au fait que l’air pourrait être constitué de particules de nature différente, autrement dit être un mélange. Il remarque aussi que les chaux métalliques sont plus pesantes que le métal qui leur a donné naissance, mais, ayant calciné de l’antimoine en utilisant l’énergie solaire focalisée par un verre ardent, à la différence de Boyle, il attribue cette augmentation de poids à une absorption de lumière qui, elle aussi, comme le feu, est donc pesante (matière de la lumière). Mais surtout, il fut le premier à montrer que combustion et respiration sont deux processus apparentés : une souris vit beaucoup moins longtemps quand elle est enfermée dans une enceinte où brûle une flamme. Les deux premiers sujets d’étude de Lavoisier ont porté sur la calcination et la combustion en présence d’air atmosphérique. Dans un mémoire, présenté en 1774 (paru en 1778), intitulé Mémoire sur la calcination de l’étain dans des vaisseaux fermés et sur la cause de l’augmentation de poids qu’acquiert ce métal pendant cette opération, il montre, ayant soigneusement pesé l’enceinte avant et après l’opération, que le poids de l’ensemble n’a pratiquement pas varié. Cependant, au cours de l’opération, le poids de l’étain avait augmenté et une partie de l’air de l’enceinte avait disparu (quand on ouvrait le flacon, une violente rentrée d’air se produisait). Ainsi, l’augmentation de masse d’un métal se transformant en chaux correspondait à la fixation d’une fraction de l’air atmosphérique. Tout à la satisfaction de sa découverte, Lavoisier eut la désagréable surprise d’apprendre, à la suite d’une insidieuse réédition du travail de Jean Rey (p. 53), que ce dernier avait déjà, cent cinquante ans auparavant (1630), avancé l’hypothèse d’une augmentation de poids de l’étain, due à « l’air épaissi et adhésif qui s’y fixe ». L’année 1774 est capitale dans la carrière de Lavoisier, car un nouvel air [oxygène] fait son apparition (§ 3.3.3). À l’automne de 1774, Priestley rendit visite à Lavoisier et l’informa de sa découverte. Lavoisier répéta l’expérience de Priestley, vraisemblablement au printemps de 1775, et prépara, à partir de cet oxyde de mercure, de grandes quantités de cet air qu’il baptisait, selon les circonstances, des noms d’air pur, d’air vital, ou de partie éminemment respirable de l’air. Il était alors à même de reprendre ses études sur la calcination et la combustion en utilisant comparativement cet air pur et l’air atmosphérique. Ses premières expériences sur la combustion ont porté sur le phosphore et le soufre. Il constata qu’ils donnent naissance à des produits : acide sulfurique, acide phosphorique, dont le poids est très supérieur à celui du matériel de départ. Il étudia aussi la

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combustion de matières non minérales : ainsi, quand une chandelle brûle dans l’air commun, on n’observe pas de variation sensible du volume gazeux si on opère avec la cuve à mercure, mais avec la cuve à eau une certaine réduction de volume est observée [CO2 se dissout dans l’eau], qui devient beaucoup plus importante si on ajoute de l’alcali caustique. Le volume résiduel est une mofette atmosphérique [azote]. Dans son Mémoire sur la combustion en général (1777), Lavoisier décèle quatre aspects fondamentaux dans la combustion 6 : z Premier phénomène. Dans toute combustion il y a dégagement de matière du feu ou de lumière. Deuxième phénomène. Les corps ne peuvent brûler que dans un très petit nombre d’espèces d’airs, ou plutôt même, il ne peut y avoir combustion que dans une seule espèce d’air, dans celle que M. Priestley a nommé air déphlogistiqué, et que je nomme ici air pur [oxygène]. Non seulement les corps auxquels nous donnons le nom de combustibles ne brûlent ni dans le vide, ni dans aucune autre espèce d’air, mais ils s’y éteignent au contraire aussi promptement que si on les plongeait dans l’eau ou dans un autre fluide quelconque. Troisième phénomène. Dans toute combustion, il y a destruction ou décomposition de l’air pur, dans lequel se fait la combustion, et le corps brûlé augmente de poids exactement dans la proportion de la quantité d’air détruit ou décomposé. Quatrième phénomène. Dans toute combustion le corps brûlé se change en un acide, par addition de la substance qui augmente son poids : ainsi par exemple si on brûle du soufre sous une cloche, le produit de la combustion est de l’acide vitriolique [acide sulfurique] ; si on brûle du phosphore le produit de la combustion est de l’acide phosphorique ; si on brûle une substance charbonneuse, le produit de la combustion est de l’air fixe, autrement dit de l’acide crayeux [gaz carbonique]. La calcination de métaux est soumise exactement à ces mêmes lois, mais avec cette différence qu’au lieu de former un acide avec lui [oxygène], il en résulte une combinaison particulière connue sous le nom de chaux métallique . y

Conséquence de cette vue nouvelle sur la calcination des métaux : elle détruit le phlogistique de Stahl, en justifiant clairement et quantitativement l’augmentation de poids observée lors de la formation des chaux métalliques. En comparant l’équation : métal + air pur = chaux métallique que l’on peut dériver du texte de Lavoisier, avec celle (légèrement modifiée) proposée par la théorie de Stahl (éq. 3.1) : métal – phlogistique = chaux métallique 6 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 592 (Mémoire sur la combustion en général). Pour le sens du mot base, voir p. 77.

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on peut aisément déduire (éq. 4.1) que :

fixation d’air pur = perte de phlogistique

(4.1)

On mesure ici l’étendue de la révolution 7 apportée par Lavoisier : pour Stahl, le métal était un corps composé (mixte) et la chaux un corps simple, pour Lavoisier, c’est le métal qui est un corps simple et la chaux un composé. Le phlogistique est bien mort.

4.3 - La fin des éléments Ces réactions de combustion et de calcination indiquaient clairement que l’air atmosphérique se comportait, non comme un corps homogène, mais au contraire comme s’il consistait de deux parties au moins, conclusions auxquelles Priestley et Scheele étaient parvenus, mais sans les exploiter. Cavendish devait pousser plus loin l’analyse.

4.3.1 - La composition de l’air En chauffant dans un vaisseau (enceinte) du mercure en présence d’air pendant plusieurs jours, Priestley avait obtenu du précipité rouge et observé une contraction du volume de l’atmosphère de 1/4 à 1/5 au maximum. Réalisant la combustion du phosphore, Lavoisier montra que 8 grains [424,8 mg] de phosphore donnaient naissance à 14 grains [743,4 mg] d’acide phosphorique concret [anhydride phosphorique, P2O5], le tout s’accompagnant d’une réduction de 1/5 du volume de l’atmosphère. En faisant brûler de l’air inflammable [hydrogène] dans l’air commun, Scheele avait de même observé que la fraction qui disparaissait représentait environ 1/5 de l’air atmosphérique, et l’air vicié 4/5. Toutes ces observations menaient à une même conclusion : au cours de la combustion et de la calcination, une partie (environ 1/4) de l’air atmosphérique disparaissait. En 1781, Cavendish avait procédé à une étude exhaustive de l’air atmosphérique, en utilisant un test mis au point par Priestley pour mesurer la « bonté » (goodness, ≈ qualité) de l’air (cf. p. 126). Ce test consistait à introduire de l’air nitreux 8 [monoxyde d’azote, NO], produit par action d’acide nitrique sur un métal (cuivre), dans une atmosphère d’air enfermée dans une cloche sur la cuve à eau. Au contact de l’oxygène de l’air, il se forme alors des vapeurs rouges (vapeurs nitreuses) d’un gaz

7 Incidemment, l’équation 4.1 est la première expression de la dualité des phénomènes d’oxydation, telle qu’elle apparaîtra par la suite (p. 76, 310). 8 Cet air nitreux de Priestley n’est pas le même que l’air nitreux de Hooke (p. 68 et 95).

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[peroxyde d’azote, NO2] très soluble dans l’eau 9. Il devient alors facile de mesurer la contraction de volume, car celle-ci est très importante, et d’autant plus grande que la proportion d’oxygène dans l’atmosphère étudiée est plus élevée (d’où la « bonté » de l’air). Cavendish montra ainsi que la composition de l’air est constante, quelles que soient les conditions (température, saisons, lieu, élévation). Elle est de 20,83 % d’air déphlogistiqué et de 79,17 % d’air phlogistiqué : valeurs d’une remarquable exactitude [valeurs exactes : oxygène 20,09 %, azote 78,08 % (+ gaz rares)]. Les résultats de Lavoisier s’accordaient donc avec ceux de ses contemporains. Cependant le mérite de Lavoisier fut de formuler clairement que l’air atmosphérique était un mélange de deux gaz différents, l’air vital et la mofette atmosphérique, selon ses propres termes, ce que personne n’avait fait jusque-là. Cette proposition souleva un tollé général. À Berlin, par dérision, Lavoisier fut brûlé en effigie. Tous en effet étaient encore prisonniers de la théorie du phlogistique de Stahl et de celle des quatre éléments d’Aristote. Priestley, le découvreur de l’élément [oxygène] qui devait tuer le phlogistique, n’est en effet jamais parvenu à l’idée d’un mélange de deux gaz différents dans l’air. Pour lui existait un seul élément, « l’air », qui, selon son degré de « phlogistication », manifestait des propriétés différentes : privé de phlogistique (air déphlogistiqué), l’air entretenait des combustions très vives ; peu phlogistiqué (air commun), il entretenait les combustions telles qu’on les observe ordinairement ; saturé de phlogistique (air phlogistiqué), il n’entretenait plus les combustions. L’air était une entité dont les qualités variaient graduellement. Conception incompatible avec la rupture brutale que constitue le mélange de deux gaz différents. Ultérieurement, Lavoisier nomma ces deux gaz oxygène et azote 10 :  z Nous avons donné à la base de la portion respirable de l’air le nom d’oxygène, en le dérivant de deux mots grecs ὀξύς, acide, et γείνομαι, j’engendre, parce qu’en effet une des propriétés les plus générales de cette base est de former des acides, en se combinant avec la plupart des substances. Nous appellerons donc gaz oxygène la réunion de cette base avec le calorique : sa pesanteur dans cet état est exactement d’un demi-grain poids de marc, par pouce cube, ou d’une once et demie par pied cube [1,34 g/L], le tout à 10 degrés [12,5 °C] de température et à 28 pouces [758 mm] du baromètre (...) Les propriétés chimiques de la partie non respirable de l’air de l’atmosphère n’étant pas encore très bien connues, nous nous sommes contentés de déduire le nom de sa base de la propriété qu’a ce gaz de priver de la vie les animaux qui le respirent : nous l’avons donc nommé azote, de l’α privatif des Grecs et de ζωή, vie, ainsi la partie non respirable de l’air sera le gaz azotique. y

À partir de ce moment, l’air cessa d’être un élément pour devenir un mélange de deux gaz dans la proportion de 1/5 d’oxygène et 4/5 d’azote. Conséquence de cet état 9 2 NO + O2 $ 2 NO2. NO2 se dissout dans l’eau en se décomposant en acide nitrique et acide nitreux : 2 NO2 + H2O $ HNO3 + HNO2 (voir chap. 5, note 8). 10 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 55.

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de fait, deux termes nouveaux, promis à un bel avenir, firent leur apparition dans le vocabulaire chimique 11 : z Nous nommerons donc oxygénation la conversion du phosphore en un acide, et en général la combinaison d’un corps combustible quelconque avec l’oxygène. Nous adopterons également l’expression d’oxygéner, et je dirai en conséquence qu’en oxygénant le phosphore, on le convertit en acide. y

4.3.2 - La synthèse et la décomposition de l’eau Un sort semblable, aux conséquences encore plus importantes, devait être réservé à un autre élément d’Aristote, l’eau. Différents indices indiquaient en effet qu’elle n’était peut-être pas un élément indécomposable, ou encore qu’elle pouvait être le produit de certaines réactions. En 1775, en approchant une soucoupe de porcelaine de la flamme produite par de l’air inflammable brûlant dans l’air commun, Macquer et Sigaud de Lafont avaient observé que, sur le bord de la soucoupe, apparaissaient des gouttelettes d’un liquide qui semblait être de l’eau. Plusieurs observations du même genre furent relatées, mais on hésitait à conclure. Certaines opérations effectuées avec la cuve à eau permettaient en effet de trouver une cause à l’apparition de cette eau. Opinion confortée par le fait bien connu de la formation de gouttelettes d’eau sur une paroi froide quand on la met en présence d’une atmosphère d’air humide. Pour ces raisons pratiques, mais surtout pour des motifs plus philosophiques, il était donc difficile de concevoir que l’eau puisse être le produit de la combustion de l’air inflammable. Le 24 juin 1783, en présence du Roi, Lavoisier réalisa une expérience publique (fig. 4.2(a)) sur la synthèse de l’eau 12 :  z Ce fut le 24 juin 1783 que nous fîmes cette expérience, M. de Laplace et moi, en présence de MM. le Roi, de Vandermonde, de plusieurs autres académiciens, et de M. Blagden, aujourd’hui secrétaire de la Société royale de Londres ; ce dernier nous apprit que M. Cavendish avait déjà essayé, à Londres, de brûler de l’air inflammable dans des vaisseaux fermés, et qu’il avait obtenu une quantité d‘eau très sensible. y

Lavoisier obtint donc de l’eau... ainsi que Cavendish l’avait fait quelques mois avant lui. Dans des expériences ultérieures, Lavoisier montra que, dans leur plus grand degré de pureté, les deux gaz se combinent dans un rapport de 12 volumes d’air vital pour 22,924345 volumes d’air inflammable, le tout ramené aux conditions standard de température et de pression. Sur une base pondérale et rapporté à une 11 A. Lavoisier. ibid., p. 66. 12 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 2, p. 334 (Mémoire dans lequel on a pour objet de prouver que l’eau n’est point une substance simple, un élément proprement dit, mais qu’elle est susceptible de décomposition et de recomposition).

Chapitre 4 - La révolution chimique

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livre, en prenant pour masses spécifiques les valeurs de 0,47317 et 0,037449 grain par pouce cubique, respectivement pour l’air vital [oxygène] et l’air inflammable [hydrogène], la composition de l’eau  apparaissait ainsi : en poids :

air vital

0,86866273 livre 13

(86,86 %)



air inflammable

0,13133727 livre

(13,13 %)



eau

1,00000000 livre

(100 %)

en volume :

air vital

16919,17 pouces cubiques

(34,36 %)



air inflammable

32321,29 pouces cubiques

(65,64 %)

[valeurs exactes : 88,89 % et 11,11 % en poids ; 33,33 % et 66,66 % en volume]. L’eau est donc le produit de la combustion de 2 volumes d’air inflammable [hydrogène] en présence de 1 volume d’air vital [oxygène]. Résultat obtenu par Cavendish avec une meilleure précision (2,02 pour le rapport des volumes hydrogène/oxygène ; 1,91, selon Lavoisier). Cette expérience, comme on l’a vu, n’est pas originale. Sur ce terrain Cavendish avait précédé Lavoiser, mais il éprouvait quelque difficulté à interpréter le phénomène, prisonnier qu’il était de la théorie du phlogistique. Il fut ainsi amené à considérer que l’air déphlogistiqué était en fait de l’eau privée de phlogistique et l’air inflammable de l’eau saturée de phlogistique (n’oublions pas que cet air était alors considéré comme du phlogistique pur). Il expliquait ainsi la formation de l’eau :

air inflammable + air déphlogistiqué = eau

(eau + Φ)

(eau – Φ)

On réalise ici toute la perversité de la théorie du phlogistique. Pour Cavendish, la combinaison de l’air inflammable et de l’air déphlogistiqué ne crée pas de l’eau : celle-ci, au contraire, est un élément, au sens d’Aristote, qui préexiste dans les deux airs. La combustion la révèle. Ainsi, de même que Priestley avait découvert l’oxygène sans percevoir que l’air était un mélange, Cavendish découvre la synthèse de l’eau sur le plan expérimental, mais il ne la perçoit pas sur le plan conceptuel. Le processus de combustion se ramène pour lui à une redistribution du phlogistique. 13 Les valeurs données par Lavoisier comportent souvent un grand nombre de décimales, qui n’ont rien à voir avec la précision des mesures (souvent la seconde décimale n’est pas significative). Cela tient au fait qu’il effectuait ses calculs sur une base pondérale (multipliant les volumes par les masses spécifiques des gaz). Pour faciliter les calculs, Lavoisier avait décimalisé la livre. Un tableau de correspondances est d’ailleurs donné dans son Traité. La livre valant 9 216 grains (chap. 3, note 9), 1 grain vaut donc 0,000108507 livre. Comme ses balances permettaient de peser des poids de plusieurs livres et étaient, de plus, sensibles à une fraction de grain, pour additionner 1 grain à 1 livre, il fallait donc à Lavoisier au moins 4 décimales. Il en utilisait habituellement 6 à 8.

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D

E Figure 4.2 - Appareils utilisés par Lavoiser pour la synthèse (a) et la décomposition (b) de l'eau [d'après Antoine Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793, (a) planche IV (b) planche VII]

Si la synthèse de l’eau n’est pas le fait de Lavoisier, sa décomposition par contre lui appartient entièrement. Le Suédois Torbern Bergman (1735-1784) avait montré que la limaille de fer, abandonnée dans l’eau, se transforme lentement en ethiops martial [oxyde de fer noir, Fe3O4] avec libération de gaz inflammable. Lavoisier eut l’idée d’accélérer la réaction en la soumettant à une température élevée. Procédant comme pour l’air, par analyse et synthèse (décomposition et recomposition), au cours d’une expérience publique réalisée le 28 février 1785 devant trente savants et huit commissaires de l’Académie, Lavoisier fit passer de la vapeur d’eau dans un canon de fusil porté au rouge (fig. 4.2(b)). Il recueillit un gaz qu’il montra être « un gaz inflammable particulier » [hydrogène]. Il le recombina avec de l’air pur

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[oxygène] pour réaliser la synthèse de l’eau, confirmant son expérience du 24 juin 1783 (p. 72). La quantité d’eau recueillie fut de 3 188 grains [170 g environ]. Lors d’une expérience idéale, réalisée dans un tube rempli de 274 grains de copeaux de fer, il recueillit 416 pouces cubiques de gaz inflammable, alors que 100 grains d’eau avaient disparu. Quant au fer, il avait augmenté de 85 grains en donnant un oxyde par fixation de l’oxygène. Compte tenu de la masse spécifique du gaz inflammable (0,037449 grain par pouce cubique), cette expérience peut être résumé de la manière suivante :

fer + eau = gaz inflammable + oxyde

(274 gr) (100 gr)

(15 gr) (359 gr)

Lavoisier en a tiré les conclusions 14 : z Le résultat de cette expérience présente une véritable oxydation du fer par l’eau ; oxydation toute semblable à celle qui s’opère dans l’air à l’aide de la chaleur. Cent grains d’eau ont été décomposés ; 85 grains d’oxygène se sont unis au fer pour le constituer dans l’état d’oxyde noir et il s’est dégagé 15 grains d’un gaz inflammable particulier : donc l’eau est composée d’oxygène et de la base d’un gaz inflammable dans la proportion de 85 parties contre 15. Ainsi l’eau indépendamment de l’oxygène qui est un de ses principes, et qui lui est commun avec beaucoup d’autres substances, en contient un autre qui lui est propre qui est son radical constitutif, et auquel nous nous sommes trouvés forcés de donner un nom. Aucun ne nous a paru plus convenable que celui d’hydrogène, c’est-à-dire, principe générateur de l’eau de ὕδορ [en fait, ὕδωρ], eau, et de γείνομαι, j’engendre. Nous appellerons gaz hydrogène la combinaison de ce principe avec le calorique, et le mot d’hydrogène seul exprimera la base de ce même gaz, le radical de l’eau. y

Ainsi se trouvent justifiées la nature de l’eau, la proportion (en masse) de ses constituants, et l’origine du mot hydrogène. Certains termes peuvent paraître obscurs (radical, base, calorique, gaz hydrogène, etc.). Ils appartiennent au nouveau vocabulaire chimique créé par Lavoisier et seront explicités plus loin. Avec cette série d’expériences, et surtout avec l’interprétation qu’en donne Lavoisier, comparée à celle de Cavendish, empêtré dans son phlogistique, après l’air c’est l’eau qui cesse d’être un élément. Comme l’air, elle est formée de deux composants, mais la nature des liens qui les relient est radicalement différente. Pour l’air, il s’agit d’un mélange de deux gaz. Dans le cas de l’eau, la situation est tout autre. Les deux gaz ne s’unissent que dans des proportions rigoureusement définies, qui sont de 2 volumes d’hydrogène pour 1 volume d’oxygène. Dans ce cas, il s’agit, non plus d’un mélange, mais d’une combinaison entre deux corps simples (éléments) 14 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 94. (voir p. 77 pour le sens des mots base, radical).

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pour donner un corps composé (mixte), le tout étant de plus accompagné d’un dégagement de chaleur et d’un changement d’état physique. Comme le montre l’expérience de l’oxydation du fer par l’eau, pour équilibrer ses réactions, Lavoisier utilise le principe de conservation de la matière, qu’il énoncera plus tard à l’occasion d’études sur la fermentation des sucres (§ 5.4)  15 : z (...) car rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principes que dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications. C’est sur ce principe qu’est fondé tout l’art de faire des expériences en Chimie : on est obligé de supposer dans toutes une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu’on examine, et ceux qu’on en retire par l’analyse. y

Ce principe n’a en fait rien d’original. Il avait été exprimé antérieurement, et même depuis la plus haute Antiquité, sur des bases philosophiques il est vrai. Bien longtemps avant lui, Anaxagore avait déjà dit que « Rien ne naît, rien ne meurt, mais des choses se combinent et puis se séparent à nouveau  » et, beaucoup plus près de Lavoisier, Mariotte (1717) avait aussi écrit que « c’est une maxime ou règle naturelle que la nature ne fait rien de rien, et la matière ne se perd point ». Mais c’est Lavoisier qui, de cette maxime ou règle naturelle, a fait un principe universel qui gouverne la combinaison des corps entre eux. C’est la première fois que ce principe est vérifié par l’expérience, et c’est aussi la première fois que le mot équation, avec ses implications quantitatives, est utilisé dans le vocabulaire chimique. On a vu aussi plus haut (éq. 4.1) qu’une fixation d’air pur pouvait être considérée comme une perte de phlogistique. Sachant d’autre part que l’air inflammable était à cette époque considéré par certains comme du phlogistique pur (Scheele le désignait du nom de phlogisticon elasticum) et en faisant usage du nouveau vocabulaire créé par Lavoisier, on peut alors donner une autre formulation de l’équation 4.1. En passant par un relais intermédiaire : fixation d’air pur = perte d’air inflammable celle-ci devient (éq. 4.2) :

fixation d’oxygène = perte d’hydrogène (4.2)

Peut-être est-ce aller un peu vite en besogne, mais est-il interdit d’anticiper l’avenir ?

15 A. Lavoisier. ibid., p. 141. Ce texte est probablement à l’origine du fameux « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », qui, comme beaucoup de mots historiques, n’a jamais été prononcé ou écrit.

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4.4 - Calorique et calorimétrie Le feu, dernier élément d’Aristote à subsister, devait inévitablement attirer l’attention de Lavoisier. Support de la chaleur animale sous son aspect le plus discret, chaleur, flamme et lumière sous sa forme la plus perceptible, il symbolisait la chimie. Le feu faisait partie, sous forme de lumière ou de chaleur, des processus associés aux réactions chimiques. Scheele avait découvert l’air du feu, Cavendish l’air inflammable. Les airs se définissaient par leur propriété d’entretenir ou non la combustion, et Stahl avait fait du phlogistique le principe de la combustibilité. Ayant détruit le phlogistique en tant qu’entité participant aux réactions, Lavoisier n’en était pas moins confronté à la nécessité de prendre en considération le fait que – phlogistique ou pas – dans les réactions chimiques quelque chose était dissipé : la chaleur.

4.4.1 - La théorie du calorique Stahl avait proposé une théorie, celle du phlogistique, qui vécut approximativement de 1718 à 1785. Lavoisier lui en substitua une autre (tout aussi fausse), celle du calorique, qui dura de la parution de son Traité (1789) jusqu’au milieu du e xix  siècle. Bien qu’on ait accusé Lavoisier d’avoir tout simplement remplacé le phlogistique par le calorique, cette nouvelle théorie avait une portée beaucoup plus générale que la simple identification à un principe de combustibilité. En particulier, le calorique était mesurable. Lavoisier commença par établir une distinction très nette : il sépare le pondérable de l’impondérable. Ainsi, dans tout corps simple, existe une partie matérielle, pondérable, représentée par les molécules 16 ou atomes de la substance, c’est la base, ou radical, qui caractérise la nature du corps [élément]. À cette base est associé un fluide impondérable qui confère la richesse en chaleur, la température ainsi qu’un état physique déterminé, c’est le calorique. Base et calorique sont toujours associés, mais la quantité de calorique peut varier dans des proportions considérables. De plus, le calorique peut exister sous deux états, combiné lorsqu’il est associé à une base, ou libre lorsqu’il est libéré sous forme de chaleur ou de lumière. Dans un corps simple, la cohésion des molécules est maintenue par les forces d’attraction réciproque, qui sont d’autant plus fortes que les molécules sont plus proches, en application de la loi de l’attraction universelle de Newton. Les particules de calorique au contraire sont dotées de forces répulsives. Dans tous les corps simples ces deux forces coexistent, les particules du calorique s’insinuant entre les molé16 Lavoisier utilise ces termes (p. 78, 105) sans aucune référence à une quelconque théorie atomique sur la nature de la matière. Il s’agit, au sens étymologique (du latin moles, masse, molecula, petite masse), d’une infime partie d’un corps, aussi petite que l’on veut, mais sans relation avec le fait qu’elle soit sécable à l’infini ou non.

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cules. Selon leurs intensités réciproques, il en résulte différents états physiques de la matière :  z Il est difficile de concevoir ces phénomènes sans admettre qu’ils sont l’effet d’une substance réelle et matérielle, d’un fluide très subtil qui s’insinue à travers les molécules de tous les corps et qui les écarte. Cette substance, quelle qu’elle soit, étant la cause de la chaleur ; ou en d’autres termes la sensation que nous appelons chaleur, étant l’effet de l’accumulation de cette substance, on ne peut, dans un langage rigoureux, la désigner par le nom de chaleur ; parce que la même dénomination ne peut exprimer la cause et l’effet. Nous avons en conséquence désigné la cause de la chaleur, le fluide éminemment élastique qui la produit, par le nom de calorique 17 (...) Solidité, liquidité, élasticité sont trois états différents de la même matière, trois modifications particulières, par lesquelles presque toutes les substances peuvent successivement passer, et qui dépendent uniquement du degré de chaleur auquel elles sont exposées, c’est-à-dire, de la quantité de calorique dont elles sont pénétrées. 18 y

Au cours de cette accumulation de calorique, la température du système reste constante, car l’absorption de calorique sert alors uniquement à assurer le changement d’état physique. La quantité de calorique accumulée dans ces conditions correspond donc à ce que Black avait défini comme les chaleurs latentes de fusion et de vaporisation. Pour Lavoisier un corps simple, ou élément, consiste en une base, ou radical, à laquelle est associée une certaine quantité de calorique. Le corps simple renferme en lui-même la source de la chaleur qui sera échangée au cours des réactions. Dans le vocabulaire de Lavoisier, il existe ainsi une distinction très nette entre oxygène, la base, et gaz oxygène, la base plus le calorique. Le gaz oxygène est un fluide aériforme, riche en calorique. L’oxygène, lui, a plus ou moins perdu son calorique et son état élastique. C’est lui qu’on retrouve par exemple à l’état « solidifié » dans les oxydes ou chaux métalliques, ou, ayant perdu moins de calorique, à l’état « liquéfié » dans l’eau.

4.4.2 - La calorimétrie Auteur d’une nouvelle théorie sur la chaleur fondée sur le calorique, Lavoisier entreprit d’en mesurer la libération au cours des réactions chimiques. Il bénéficia en ce domaine de la collaboration du physicien et mathématicien Pierre-Simon Laplace (1749-1827), son collègue de l’Académie des Sciences. On s’était déjà dans le passé beaucoup intéressé à la mesure de la chaleur. Black, notamment, avait nettement dissocié les notions de chaleur et de température (1756). 17 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 4. 18 A. Lavoisier. ibid., p. 31.

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Ainsi, un corps pouvait recevoir de la chaleur sans pour autant augmenter sa température : c’est ce que l’on observait dans le cas de la fusion de la glace, observation qui conduisit à la notion de chaleur latente. Black avait clairement établi la distinction entre l’intensité de la chaleur, mesurée à l’aide du thermomètre (thermométrie), et la mesure de la quantité de chaleur, contenue dans la masse d’un corps ayant une certaine température (calorimétrie). Lavoisier et Laplace mesurèrent les quantités de chaleur en utilisant un changement d’état physique, la fusion de la glace, à l’aide d’un appareil, vraisemblablement conçu par Laplace, mais construit par Lavoisier. Cet appareil reçut le nom de calorimètre. Ce calorimètre (fig.  4.3), décrit dans le Mémoire sur la chaleur 19 (1780), consistait en une enceinte à double paroi, y compris le couvercle, contenant de la glace pilée, dispositif qui avait pour but de maintenir à l’intérieur une température de 0 °R [0 °C]. L’intérieur de l’enceinte était lui aussi entièrement rempli de glace, laquelle n’avait donc aucun contact avec l’atmosphère extérieure, puisqu’elle en était isolée par la double paroi de l’enceinte et du couvercle, eux-mêmes remplis de glace. Dans cet espace était ménagée une cavité, délimitée par une sorte de cage grillagée, à l’intérieur de laquelle on pouvait placer les matériels dont on voulait mesurer la production de chaleur : mesurer la chaleur libérée lors d’une réaction, réaliser la combustion d’une substance en présence d’air ou d’oxygène, ou même y placer un petit animal. La chaleur dégagée par le système faisait fondre la glace. L’eau était recueillie, et comme tout l’ensemble était à la température de fusion de la glace, la quantité de chaleur mise en jeu correspondait à la quantité de chaleur latente ayant provoqué la fusion de la glace et mesurée par la masse d’eau recueillie. Lavoisier et Laplace mesurèrent ainsi la chaleur dégagée par la combustion du carbone, du phosphore, et celle libérée par la respiration d’un cochon d’Inde. Voici les résultats :

Combustion d’une once de phosphore

Livre 6

Poids de la glace fondue Once Gros Grain [gramme] 4 0 48 [3 062]

Combustion d’une once de charbon

6

2

0

0

[2 998]

Respiration d’un cochon d’Inde (10 heures)

0

13

1

13,5

[402]

Compte tenu du caractère assez rudimentaire de l’appareil (un prototype, en quelque sorte), ces valeurs sont certainement très entachées d’erreur. Elles permettent néanmoins de calculer que la respiration d’un cochon d’Inde est équivalente à la combustion de 0,41 g de charbon par heure. Résultat assez extraordinaire pour l’époque, 19 A. Lavoisier et P. Laplace. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1780, p. 355 (Mémoire sur la chaleur).

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non seulement par sa valeur numérique, mais surtout par ce qu’il sous-entend : pour la première fois, l’activité physiologique d’un animal (sa respiration) est assimilée à une réaction chimique (combustion) et mesurée par l’emploi des mêmes critères et avec le même appareil.

D

E

Figure 4.3 - Calorimètre de Lavoisier et Laplace

[d'après Antoine Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793]

De cette série d’expériences, réalisées avec Laplace, est issu l’énoncé d’un nouveau principe, celui de la conservation de la chaleur 19 : z Si, dans une combinaison ou dans un changement d’état quelconque, il y a une diminution de chaleur libre, cette chaleur reparaîtra toute entière lorsque les substances reviendront à leur premier état, et, réciproquement, si, dans la combinaison ou le changement d’état, il y a une augmentation de chaleur libre, cette nouvelle chaleur disparaîtra dans le retour des substances à leur état primitif. Toutes les variations de chaleur, soit réelles, soit apparentes, qu’éprouve un système de corps, en changeant d’état, se reproduisent dans un ordre inverse, lorsque le système repasse à son premier état. y

C’est la loi fondamentale de la thermochimie (cf. p. 232).

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4.5 - La chimie des substances végétales et animales Fondateur de la calorimétrie et de la thermochimie, Lavoisier est aussi le promoteur de la chimie organique. Il fut en effet le premier à étudier la composition des matières animales ou végétales. À l’époque, prévalait encore la notion que végétaux et animaux étaient par essence différents, notion bien établie depuis Aristote (p.  14). Ils  formaient deux règnes ayant peu de choses en commun. Le fossé les séparant était aussi profond que celui qui les distinguait des minéraux. Il devait donc exister une matière végétale et une matière animale, dont les compositions devaient être spécifiques et assez étrangères l’une à l’autre. Lavoisier reconnut très rapidement que les matières végétales contenaient du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène. Il parvint à cette conclusion en procédant à des analyses par des expériences de combustion. Tout d’abord, il établit un résultat fondamental, souvent occulté par l’impact de ses autres résultats. En faisant brûler du charbon, ou mieux du diamant, dans l’oxygène, il n’obtint que de l’air fixe, absorbable en totalité par l’eau de chaux. Ainsi, l’air fixe, comme l’eau, se révélait être un composé binaire, fait de carbone et d’oxygène (1781). Lavoisier put en déterminer la composition pondérale 20 : 27,85 % de carbone et 72,15 % d’oxygène, le meilleur résultat quantitatif produit par Lavoisier [valeurs exactes : 27,27 % et 72,73 %]. À l’état dissous, ce gaz se comportait comme un acide, d’où le nom d’acide carbonique, que lui attribua Lavoisier. Connaissant les compositions pondérales de l’eau et de l’acide carbonique, les masses spécifiques de l’oxygène et de l’hydrogène, maîtrisant les techniques de mesure des volumes et des poids, et muni du principe de conservation de la matière, qui permettait d’équilibrer quantitativement les réactions, Lavoisier était alors en mesure de procéder à l’analyse des matières organiques (c’est-à-dire celles constituant les organes des animaux et des végétaux). Par distillation, les végétaux fournissent une grande variété d’huiles 21. Certaines sont très volatiles, comme celles recueillies à partir de nombreuses plantes, souvent odoriférantes, ce sont les huiles essentielles. D’autres au contraire sont grasses, comme l’huile d’olive. La combustion de ces substances dans l’oxygène se traduisait uniquement par la formation d’acide carbonique et d’eau. Or, l’un contient du carbone et l’autre de l’hydrogène, ce qui démontrait que ces deux éléments étaient contenus dans ces huiles, l’oxygène ayant été fourni par ailleurs. Lavoisier admet

20 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1781, p. 448 (Mémoire sur la formation de l’acide nommé air fixe ou acide crayeux, et que je désignerai désormais sous le nom d’acide de charbon). 21 « L’huile » était un des cinq produits obtenus au cours d’une distillation (p. 39). On sait aujourd’hui que ces substances contiennent aussi de l’oxygène, mais en proportion beaucoup moindre.

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que ces huiles ne sont constituées que de ces deux éléments, dont il peut déterminer approximativement les proportions (79 % de carbone, 21 % d’hydrogène). Les conclusions sont toutefois différentes si on procède avec le sucre de canne [saccharose, C12H22O11], dont Lavoisier étudia la fermentation 22 : z Une longue série d’expériences faites par différentes voies et que j’ai répétées bien des fois, m’a appris que les proportions des principes qui entrent dans la composition du sucre sont à peu près les suivantes : hydrogène 8 parties, oxygène 64, carbone 28 ; total : 100. y

Ces chiffres sont assez éloignés des valeurs réelles [hydrogène 6,4 %, oxygène 51,5 %, carbone 42,1 %] mais ils n’en établissent pas moins le fait que le sucre est un composé ternaire constitué de carbone, d’oxygène et d’hydrogène. Les matières animales renfermaient, elles aussi, ces trois éléments, mais elles apparaissaient d’une plus grande complexité. Berthollet, qui venait de déterminer la composition pondérale de l’ammoniac : 80,7 % d’azote et 19,3 % d’hydrogène [valeurs exactes : 82,3 % et 17,1 % ; NH3], avait montré que l’azote est présent dans l’acide prussique [acide cyanhydrique, HCN] et dans les matières animales. Il en était de même du soufre, la fermentation putride ne dégageait-elle pas du gaz hydrogène sulfuré ? Quant au phosphore, on l’avait découvert en partant de l’urine humaine, et il existait en abondance dans les os. Il était donc infiniment probable que, dans la matière animale, azote, soufre et phosphore venaient s’ajouter aux trois éléments décelés dans la matière végétale.

4.6 - La nouvelle chimie Le traité de chimie le plus célèbre du xviie siècle fut le Cours de Chymie (1675) de Nicolas LÉmery, onze fois réédité jusqu’en 1730. Il avait cependant fini par vieillir et d’autres traités l’avaient remplacé. Les plus connus au xviiie siècle étaient le Traité de chymie expérimentale et raisonnée (1773) d’Antoine BaumÉ (1728-1804) ou les Élémens de chymie théorique (1749) et les Élémens de chymie pratique (1751) de Pierre-Joseph Macquer (1718-1784), dans lesquels on avait procédé à quelques mises à jour. Ces traités demeuraient encore très imprégnés de phlogistique et assortis d’un vocabulaire pour le moins hermétique 23. Leur lecture est quasi impossible pour tout lecteur non familier de l’état de la chimie à cette époque. Moins de trente ans plus tard (1789) Lavoisier fait paraître son Traité élémentaire de chimie, pré22 A. Lavoisier.Traité élémentaire de chimie, p. 142 23 Ainsi, dans le Dictionnaire de chymie (1766) de Macquer, cette définition du phosphore : c’est une substance, non seulement lumineuse dans les ténèbres, mais de plus inflammable, c’est une combinaison de phlogistique avec un acide d’une nature particulière, c’est par conséquent une sorte de soufre (t. 3, p. 145).

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senté dans un ordre nouveau et d’après les découvertes modernes. Entre ces dates, le jour a succédé à la nuit.

4.6.1 - La nouvelle nomenclature chimique L’initiative de cette nomenclature n’appartient pas à Lavoisier mais à Louis Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), avocat général au Parlement de Dijon. Un petit cercle se forma, rassemblant les premiers transfuges de la théorie du phlogistique. Il réunissait outre Guyton de Morveau et Lavoisier, les chimistes Claude-Louis Berthollet (1748-1822) et Antoine Fourcroy (1755-1809). Le 18 avril 1787 fut présentée à l’Académie la Méthode de nomenclature chimique, par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. La nécessité d’une nouvelle nomenclature s’imposait en effet. Les corps chimiques étaient alors désignés par les noms les plus divers. Dans le meilleur des cas, ils possédaient quelque référence à leur origine géographique : sel d’Epsom [sulfate de magnésium, MgSO4], ou à celle de leur découvreur : sel de Glauber [sulfate de sodium, Na2SO4], sel digestif de Sylvius [chlorure de potassium, KCl]. Mais une floraison d’autres noms existait : nitre [nitrate de potassium, KNO3], sel de tartar [carbonate de potassium, K2CO3], précipité noir [oxyde mercureux, Hg2O], précipité rouge per se [oxyde mercurique, HgO], etc. Souvent un même sel était désigné par une abondance de synonymes (jusqu’à 12). Sans parler de termes aussi ésotériques que : poudre d’algaroth, sel alembroth, pompholix, eau phagédénique, turbith minéral, lune cornée, Kermès minéral, éthiops martial ou autre colcothar, tout droit sortis du cerveau ou des fourneaux des alchimistes. Certaines dénominations étaient un peu moins obscures : fleurs argentines d’antimoine, beurre d’arsenic, fleur de zinc, foie de soufre, etc., mais guère plus explicites. Sans la maîtrise d’un tel vocabulaire, il est bien difficile au profane d’aborder la lecture d’un traité de chimie antérieur à celui de Lavoisier. Les règles qui ont présidé à l’établissement de la nomenclature nouvelle ont été guidées par un souci de clarté 24 : z Le mérite de la nomenclature que nous avons adoptée, consiste principalement en ce que la substance simple étant nommée, les noms de tous ses composés découlent nécessairement de ce premier mot. y

Ainsi, si un composé contenait du soufre ou du phosphore, le nom créé devait faire clairement référence à ce constituant : par exemple, acide sulfurique, sulfate ; acide phosphorique, phosphate. Lavoisier et ses collègues imaginèrent donc, pour nommer les sels, une sorte de nomenclature binaire, un peu à l’instar de ce qu’avait fait LinnÉ pour la systématique des végétaux. 24 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 56.

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Certains corps pouvaient en plus se combiner avec l’oxygène dans des proportions différentes, c’était, entre autres, le cas du soufre, du phosphore, de l’azote. Plusieurs degrés d’oxygénation ou mieux d’oxydation (jusqu’à quatre) étaient ainsi connus. On imagina donc de distinguer ces différentes formes par des terminaisons appropriées. Par exemple, pour le plus faible degré d’oxydation, il y avait les acides nitreux, sulfureux, phosphoreux, auxquels correspondaient les sels : nitrites, sulfites, et phosphites, et pour un degré d’oxydation plus élevé, les acides nitrique, sulfurique, phosphorique, auxquels correspondaient les sels : nitrates, sulfates et phosphates. Depuis l’époque de Lavoisier, cette nomenclature a été améliorée, mais, fondamentalement, c’est elle qui aujourd’hui encore gouverne la désignation des composés chimiques. Une telle révolution dans la nomenclature chimique était en effet devenue absolument nécessaire. Malgré la profusion du vocabulaire et tout le travail des alchimistes et des chimistes du xviie siècle, le nombre de corps parfaitement définis était encore relativement restreint : quelques dizaines, en tout cas moins de cent. Or le système de nomenclature chimique mis en place par Lavoisier prévoyait, par la réaction d’un acide sur une base, l’existence d’un grand nombre de sels (1 152, pour être précis). Il était donc impératif de pouvoir nommer sans ambiguïté tous ces corps, dont beaucoup étaient encore à découvrir, en leur attribuant des noms qui, par leur simple énoncé, informent sur leur nature et leurs propriétés chimiques essentielles.

4.6.2 - La chimie de Lavoisier Jusqu’ici il a surtout été question de gaz, mais en fait, parallèlement à la chimie pneumatique, la chimie minérale s’était beaucoup développée. Des corps nouveaux avaient été découverts. Leur nombre était passé de 12 à la fin du xviie siècle à 32 à l’époque de Lavoisier. Ces corps constituaient les substances simples ou éléments, c’est-à-dire indécomposables par les procédés de l’analyse 25 : z Nous attachons au nom d’éléments ou de principes des corps l’idée du dernier terme auquel parvient l’analyse, toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen, sont pour nous des éléments ; (...) puisque nous n’avons aucun moyen de les séparer, ils agissent à notre égard à la manière des corps simples, et nous ne devons les supposer composés qu’au moment où l’expérience et l’observation nous en auront fourni la preuve. y

Lavoisier dresse le tableau de ces éléments (fig.  4.4). On remarque que lumière et calorique y figurent aux premières places. Viennent ensuite des substances dont Lavoisier pense qu’elles ont une distribution universelle (oxygène, azote, hydrogène), et qui sont la grande découverte de ce siècle, puis 6 substances, non métalliques, capables de donner des acides par oxydation. Apparaissent ensuite 17 subs25 A. Lavoisier. ibid., p. XVII.

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tances métalliques, oxydables et « acidifiables ». Figurent enfin 5 terres « salifiables » (chaux, magnésie, baryte, alumine et silice). On remarque surtout que les alcalis (soude, potasse) sont absents de cette liste. L’analyse n’avait pas encore pu déterminer s’il s’agissait de corps simples ou non. Parallèlement à ces composés minéraux, on connaissait aussi 13 acides extraits des végétaux (ac. acétique, citrique, malique, oxalique...) et 6 provenant des animaux (ac. lactique, formique...). Au total, Lavoisier se trouve en possession de 48 acides : 13 végétaux, 6 animaux, et 17 métalliques, plus ceux dérivés du soufre, du phosphore, de l’azote, du chlore et du carbone, certains possédant plusieurs degrés d’oxydation 26 :  z On voit que le nombre des acides est de 48, en y comprenant les 17 acides métalliques qui sont encore peu connus, mais sur lesquels M. Berthollet va donner incessamment un travail important. Le nombre des bases salifiables, c’est-à-dire susceptibles d’être converties en sels neutres par les acides, est de vingt-quatre, savoir : 

trois alcalis, quatre terres, et dix-sept substances métalliques.

la totalité des sels neutres qu’on peut obtenir dans l’état actuel de nos connaissances est donc de 1152 ; mais c’est en supposant que les acides métalliques soient susceptibles de dissoudre d’autres métaux, et cette solubilité des métaux, oxygénés les uns par les autres, est une science neuve qui n’a pas encore été entamé. y

Tel était le corpus chimique à la disposition de Lavoisier. On note en particulier que sa chimie n’est pas exclusivement minérale. Bien au contraire, près de la moitié de ses acides sont des acides organiques. On peut donc dire qu’il y eut une chimie avant Lavoisier et une autre après lui. Mais il serait injuste de ne pas mentionner les noms de ceux qui, en dépit de concepts parfois erronés, ont aussi puissamment contribué à l’éclosion de la nouvelle chimie, notamment Boyle, Black, Cavendish, Scheele et Priestley. Ainsi disparut définitivement, en même temps que la théorie stahlienne du phlogistique, la chimie des alchimistes. Auteur d’avancées spectaculaires, Lavoisier n’en est pas moins à l’origine d’erreurs qui perdureront pendant une bonne partie du xixe siècle. Il en va ainsi de l’idée que la combustion ne peut avoir lieu que dans l’oxygène (p. 69) (le fer brûle dans le chlore et le soufre dans l’hydrogène), que tous les acides ont l’oxygène comme principe acidifiant (p.  72) (les acides chlorhydrique, fluorhydrique, cyanhydrique, connus au temps de Lavoisier, n’en contiennent pas), ou de la notion de calorique, véhicule de la chaleur.

26 A. Lavoisier. ibid., p. XVII.

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Figure 4.4 - Tableau des substances simples de Lavoisier [d'après Antoine Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793]

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Une autre conséquence – la plus significative sans doute – émerge de cette nouvelle chimie, centrée sur l’oxygène. Un mot nouveau est né, qui désigne la fixation d’oxygène : c’est oxygénation, vite transformé en oxydation, puisque son produit est un oxyde. Ce nouveau terme, créé par Lavoisier, quand on lui aura associé celui de réduction, déjà connu des alchimistes, dominera toute la chimie, la physiologie et la biochimie des deux siècles à venir.

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Chapitre 5 La respiration À l'origine phénomène mystérieux indissociable de la vie, puis support d’un souffle vital (pneuma) entretenant un feu intérieur dans le cœur, enfin mécanisme de refroidissement en charge du contrôle de la chaleur innée, la nature de la respiration s’était peu à peu précisée avec l’identification des rôles respectifs du poumon et du cœur. Le cœur propulsait le sang dans l’organisme, dont il assurait la nutrition en y apportant les produits de la digestion. Cependant, la nature et l’origine de la chaleur animale qui lui était associée constituaient toujours de parfaits mystères. Cette chaleur devait à la fois être entretenue pour le maintien de la vie, mais aussi être évacuée afin d’éviter la consomption de l’organisme. Par le mécanisme de la ventilation pulmonaire, c’est au poumon que revenait cette dernière fonction. Agent de l’élimination de la chaleur, la respiration était devenue un phénomène physique. Un nouveau bouleversement va alors survenir. On avait remarqué depuis bien longtemps que la couleur du sang était variable, tantôt rouge sombre, noirâtre, tantôt rouge vif, écarlate. On s’aperçut qu’un tel changement se réalisait dans les poumons  : le sang y entrait rouge sombre et en ressortait rouge vif. Nul doute, dans le poumon, le sang se régénérait par quelque processus physique qui éliminait son excédent de chaleur, mais vraisemblablement aussi par l’effet de quelque opération chimique qui affectait sa couleur. D’ailleurs, le sang n’était pas le seul à être affecté au cours de ce passage dans les poumons, l’air atmosphérique était lui aussi modifié. Non seulement il en ressortait plus chaud, mais il acquérait des propriétés nouvelles. Insufflé dans l’eau de chaux, cet air la troublait, alors que dans des conditions similaires l’air commun ne le faisait pas. Les progrès accomplis dans le domaine de la chimie permettaient même d’affirmer qu’il s’était chargé d’air fixe. La situation s’était donc clarifiée : au niveau des poumons, au passage du flux sanguin, la respiration était le siège de réactions affectant à la fois la couleur du sang et la composition de l’air qui y entraient. D’abord concept plus ou moins philosophique, puis phénomène physique, la respiration devenait un processus chimique. Au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, la situation évoluera rapidement. À la fin du siècle, la respiration apparaîtra comme une sorte de combustion lente, sans feu

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ni flamme, intégrant à la fois l’utilisation de combustibles (les aliments), l’absorption d’oxygène et le rejet de gaz carbonique, le tout étant lié à une production de chaleur (libération de calorique).

5.1 - L’évolution d’une idée Au début du xviiie siècle, l’état de ce que l’on pourrait appeler la physiologie respiratoire était une sorte de compromis très vague, produit de l’évolution des idées d’Aristote et d’Hippocrate, corrigées par Galien, auxquelles étaient venues s’ajouter les découvertes anatomiques de Vésale et de Harvey. Sans revenir sur ce qui a été dit précédemment (§ 1.3), nous allons suivre l’évolution de ce concept.

5.1.1 - Les précurseurs lointains Des quatre humeurs d’Hippocrate, on retiendra surtout le sang en tant que liquide présent dans toutes les parties de l’organisme, des quatre éléments d’Aristote l’air et le feu, sous forme de chaleur innée, et enfin de Galien les premières données fiables sur la pénétration de l’air dans les poumons, grâce aux mouvements de la cage thoracique. Par les mouvements des poumons et les battements du cœur, sang, air et chaleur innée entraient donc en contact. Mais quand on s’interrogeait sur la finalité d’un tel processus, force était de reconnaître que rien de précis n’était véritablement connu. Les questions fondamentales portaient d’abord sur la nature même des intervenants : au fait, qu’étaient au juste le sang, la chaleur innée et même l’air, sans parler du terme qui les réunissait tous, la respiration ? On ne s’attardera pas sur l’air, dont on sait qu’il était loin d’être le mélange d’oxygène et d’azote qu’on décrira plus tard. Selon Hippocrate, la partie la plus pure de l’air (pneuma) passait dans les poumons et de là, par les veines, atteignait le cœur. Le sang, quant à lui, conservait encore un caractère mystérieux. Il était l’une des quatre humeurs du corps humain, probablement à l’origine des trois autres (bile, atrabile et phlegme), à la suite de transformations intervenant dans des organes spécialisés (foie, rate, cerveau ?). Sa couleur rouge et sa chaleur étaient dues au feu qu’il contenait. Une relation entre sang et digestion semble s’être établie très tôt. Selon Aristote, les aliments entrent dans les organes destinés à les recevoir (estomac, intestin), puis une « évaporation » se produit dans les veines, où ils sont transformés en sang qui est transporté vers le cœur. Plusieurs digestions se succèdent, la première dans l’estomac, la dernière dans le cœur, c’est là que le sang s’échauffe. Selon Érasistrate, les aliments sont triturés dans l’estomac, ils se mêlent au pneuma dans les artères, qui les transportent jusqu’au foie où ils sont changés en sang.

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La relation entre aliments et chaleur animale est, par contre, plus obscure. Et d’abord, la digestion des aliments et leur transformation en sang est-elle la cause ou la conséquence de la présence de cette chaleur ? La réponse est incertaine. Pour les premiers philosophes, la chaleur du corps est une qualité première, elle est innée, identifiable avec la vie. Le corps humain est par essence chaud selon les pythagoriciens. Pour les atomistes (Démocrite) au contraire, c’est l’air qui apporte des atomes de feu au corps. Dans les deux cas, la source de chaleur ne semble pas résider dans la digestion des aliments. Avec Aristote, le rôle de la respiration se précise : dans les poumons, sa fonction est de refroidir le sang, échauffé par son passage dans le cœur. Si les animaux meurent dans un trop petit volume d’air, c’est parce que celui-ci, devenu trop chaud, n’a plus la capacité de refroidir. Il en est de même pour les poissons dont le refroidissement est assuré par l’eau au contact des branchies. Ils meurent donc eux aussi dans un trop petit volume d’eau, insuffisant pour les refroidir. Au iie siècle de notre ère, les idées de Galien, exposées dans son traité De usu respirationis, ne marquent guère de progrès dans les connaissances sur la respiration. Au contraire, le système apparaît assez figé. D’après lui, le corps humain comporte trois sortes de composants : les solides (chairs et os), les liquides (les quatre humeurs) et les esprits (pneuma), dont il existe trois variétés : pneuma naturel, vapeur subtile émise par le sang, assurant la nutrition, la croissance et la génération ; pneuma vital, localisé dans le cœur et distribuant la vie et la chaleur dans le corps ; pneuma animal ou psychique, localisé dans le cerveau, responsable du mouvement et des sensations. Pour Galien, sous l’action de la chaleur innée, les aliments sont réduits en particules plus simples, lesquelles, par leur similitude (les semblables s’attirant), vont s’agréger à celles déjà présentes dans chacun des organes, assurant ainsi leur nutrition et leur croissance. Si les aliments sont à l’origine du sang, celui-ci doit ensuite subir des modifications plus ou moins profondes selon qu’il est destiné à produire des humeurs (liquides), des chairs peu consistantes, ou des structures solides comme les os. Pour parvenir à ce but, le sang doit subir différents degrés de « coction » 1, qui font varier sa consistance et sa chaleur pour l’adapter aux caractères spécifiques des organes qu’il doit former. Comme on le voit, la situation était loin d’être limpide. Le sentiment général était cependant que la respiration avait pour rôle d’entretenir la chaleur animale et de la maintenir à un degré approprié, sans défaut ni excès, comme une flamme maintenue 1 Coction, du latin coctio, cuisson, calcination, digestion. Ce terme d’alchimie et de médecine ancienne désigne d’une manière assez vague la transformation ou l’altération d’une substance. Sorte de cuisson, de fermentation, de digestion ou de maturation, elle aboutit toujours à un résultat concret : la coction des aliments dans le foie les transforme en sang, celle de l’air dans le cœur produit le pneuma.

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active par une juste quantité d’air, mais qui s’éteint par manque d’air ou dans un courant d’air trop intense.

5.1.2 - Les précurseurs proches Un saut de quinze siècles dans le temps, nous projetant aux abords du xviie siècle, va jeter quelque lumière sur cet amas d’obscurités. Deux faits marquants vont y contribuer : la découverte des gaz par Van Helmont (1648) et celle de la circulation du sang par Harvey (1628). Auparavant, Vésale, dans son traité De humani corporis fabrica (1543), avait décrit l’anatomie du cœur, y distinguant quatre cavités, deux ventricules et deux oreillettes, montrant surtout l’absence de communication entre les parties droite et gauche du cœur. Une idée commence alors à poindre, qui fera son chemin : seule une partie de l’air, et non sa totalité, serait impliquée dans la respiration. Idée déjà suggérée par Galien (p. 22), Paracelse la reprend. Comme dans la digestion, où une partie des aliments est utilisée et une autre rejetée, dans la respiration, seule une partie de l’air, modifiée dans les poumons, est absorbée, alors qu’une autre, chargée de chaleur et d’émanations abandonnées par le sang, est rejetée. C’est aussi à cette époque que l’on commence à rechercher des explications à la couleur changeante du sang. Hooke remarque que le sang noirâtre redevient rouge vif si on l’expose à l’air. Observation déjà faite en Italie par Frascati, qui avait conclu que la couleur rouge noirâtre du sang veineux n’était pas due à un excès d’atrabile, comme on le croyait alors, mais au contraire à l’absence de mélange avec l’air. Par des expériences assez cruelles réalisées sur des animaux vivants, l’Anglais Richard Lower (1631-1691) démontre (1667) que c’est dans le poumon que se produit un tel changement : en effet, si le sang de la veine cave est injecté directement dans le poumon (court-circuitant ainsi le cœur), il en ressort rouge vif si le poumon est insufflé artificiellement, mais il en ressort noirâtre, s’il n’est pas alimenté en air. De plus, dès la veine pulmonaire, le sang possède déjà sa couleur écarlate. Ce n’est donc pas dans le cœur que se déroule ce processus. Lower explique ce changement de couleur par l’absorption de particules de l’air. La chaleur animale fait aussi l’objet d’interrogations : est-elle innée ou produite par une coction des aliments dans le sang ? Les iatrochimistes privilégient la dernière hypothèse. Les phénomènes de digestion avaient déjà fait l’objet d’études assez poussées. Van Helmont, un spécialiste des ferments, y avait reconnu les rôles de la salive, de l’acidité gastrique et de la bile. Pour certains, la chaleur serait produite dans le cœur par le chyme acide (venant de l’estomac) agissant sur le sang alcalin. Les vapeurs émises dans cette effervescence seraient rejetées dans l’air expiré. Pour d’autres, c’est le chyme acide résultant de la digestion, mélangé avec la bile alcaline, qui, transporté dans le cœur par le sang, produirait la chaleur.

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La notion de chaleur innée a d’ailleurs de plus en plus de mal à se maintenir devant la variété des hypothèses se proposant de l’expliquer, la plupart d’entre elles en rapport avec la digestion des aliments. Avec Van Helmont, qui ne reconnaît ni la chaleur innée ni le rôle de refroidissement de la respiration, un tournant s’amorce. La finalité de la respiration, dit-il, n’est pas de refroidir le cœur, elle est au contraire de produire la chaleur animale : un ferment dans le cœur change le sang en esprit vital, c’est de la friction des particules salines et sulfureuses dans le sang, sous les battements du cœur, que résulte la chaleur. Un bon résumé des idées qui prévalaient sur ce sujet vers le milieu du xviie siècle nous est donné par René Descartes (1596-1650) dans un ouvrage posthume 2 : z Même il est ici à remarquer que les pores du foie sont tellement disposés, que lorsque cette liqueur [chyle] entre dedans, elle s’y subtilise, s’y élabore, y prend la couleur, et y acquiert la forme du sang : tout ainsi que le suc des raisins noirs, qui est blanc, se convertit en vin clairet, lorsqu’on le laisse cuver sur la râpe. Or ce sang, ainsi contenu dans les veines, n’a qu’un seul passage manifeste par où il puisse sortir, savoir celui qui le conduit dans la concavité droite du cœur. Et sachez que la chair du cœur contient dans ses pores un de ces feux sans lumière, qui la rend si chaude et si ardente, qu’à mesure qu’il entre du sang dans quelqu’une des deux chambres ou concavités qui sont en elle, il s’y enfle promptement, et s’y dilate (...) Et le feu qui est dans le cœur de la machine que je vous décris, n’y sert à autre chose qu’à dilater, échauffer, et subtiliser ainsi le sang qui tombe continuellement goutte à goutte, par un tuyau de la veine cave, dans la concavité de son côté droit, d’où il s’exhale dans le poumon ; et de la veine du poumon, que les anatomistes ont nommée l’Artère Veineuse [veine pulmonaire], dans son autre concavité, d’où il se distribue par tout le corps. La chair du poumon est si rare et si molle, et toujours tellement rafraîchie par l’air de la respiration, qu’à mesure que les vapeurs du sang, qui sortent de la concavité droite du cœur, entrent dedans par l’artère que les anatomistes ont nommée la Veine Artérieuse [artère pulmonaire], elles s’y épaississent et se convertissent en sang derechef ; puis de là tombent goutte à goutte dans la concavité gauche du cœur ; où si elles entraient sans être ainsi derechef épaissies, elles ne seraient pas suffisantes pour servir de nourriture au feu qui y est. Et ainsi vous voyez que la respiration, qui sert seulement en cette machine à y épaissir le sang, n’est pas moins nécessaire en l’entretènement de ce feu, que l’est celle qui est en nous, à la conservation de notre vie inanimés, (...) y

Telles étaient les idées, pour le moins confuses, qui prévalaient vers le milieu du xviie siècle. Dans la seconde moitié du siècle, une clarification va alors s’opérer avec les travaux des « Chimistes d’Oxford », Boyle, Hooke, mais surtout Mayow, dont on a déjà parlé à propos de la combustion (§ 4.2). 2 R. Descartes. Œuvres et lettres. Traité de l’Homme, p. 813. Veine artérieuse, artère veineuse : voir note 12.

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5.1.3 - Les Chimistes d’Oxford Que la respiration, ou mieux l’absorption de l’air, soit nécessaire à la vie, le fait était depuis toujours avéré, mais, avec les progrès réalisés dans le domaine des sciences, on se proposa d’en apporter des preuves expérimentales, irréfutables en quelque sorte. À la suite de l’invention de la machine pneumatique par Guericke, que Boyle et Hooke contribuèrent à perfectionner (fig. 2.3), il était en effet devenu possible de faire le vide dans une enceinte. On entreprit donc d’examiner l’effet de telles conditions sur la respiration des animaux et la combustion des matières inflammables (soufre, chandelles). Boyle montra ainsi que des abeilles, des insectes, des petits animaux (souris, oiseaux) meurent rapidement dans une atmosphère dont on a épuisé l’air. Hooke démontra positivement le rôle de l’air dans la respiration : un chien dont les poumons sont artificiellement alimentés en air par un soufflet peut survivre pendant une heure. De même, des bulles s’échappent d’une eau soumise au vide, ce qui prouve la présence d’air dans ce liquide. C’est cet air dissous qui sert à la respiration des poissons. Les poissons meurent d’ailleurs dans une eau qui a été bouillie, car elle est privée d’air.

Mayow

À l’aide de la machine pneumatique et de la cuve à eau, John Mayow (1641-1679) réalisa des expériences établissant définitivement les liens entre respiration et combustion (fig. 5.1). Comme une chandelle qui brûle, une souris qui respire fait légèrement contracter l’atmosphère de l’enceinte (cuve à eau) où elle se trouve [le gaz carbonique se dissout]. Un animal respire moins longtemps s’il est enfermé avec une flamme. À l’opposé, on ne peut enflammer, avec un verre ardent, un morceau de soufre placé dans une enceinte où un animal a expiré. Il existe donc une relation très évidente entre respiration et combustion. Mayow formula très clairement cette relation capitale, qui devait ouvrir la voie à la définition de la respiration de Lavoisier 3 :

z Il est donc manifeste que l’air est dépossédé de sa force élastique par la respiration des animaux, de la même manière que par une flamme qui brûle. Et on doit croire que les animaux et le feu retirent de l’air des particules de la même espèce, comme l’expérience le prouve. y

3 J. Mayow. Tractatus quinque, II, De respiratione, 1668, p. 107. Cité par J.R. Partington, A history of chemistry, vol. 2, p. 597 (traduction de l’auteur).

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(a)

(b)

Figure 5.1 - Dispositifs utilisés par Mayow pour montrer la contraction de l'atmosphère provoquée par la combustion d'une chandelle (a) ou la respiration d'une souris (b) [d’après J.R. Partington. A history of chemistry, Macmillan, Londres, 1961, vol. 2, p. 594]

Frappé par le fait que le nitre 4, comme l’air, fait brûler le soufre avec éclat, Thomas Willis (1621-1675), un autre Chimiste d’Oxford, fut un des premiers à proposer une théorie de la combustion basée sur cette analogie. Il postule ainsi l’existence d’un principe de combustion dans l’air : les particules sulfureuses [combustibles] du soufre ou des matières combustibles réagiraient avec des particules nitreuses présentes en abondance dans l’air, pour produire feu, flamme et chaleur. La chaleur du sang serait de même due à une telle combustion en présence des particules nitreuses de l’air, véhiculées par le sang. Il décrit aussi les différentes couleurs du sang, dont il attribue la couleur vermeille à la fixation des particules nitreuses de l’air. Hooke avait lui aussi sa propre théorie de la combustion : l’air est le « dissolvant » universel des corps soufrés [combustibles]. Cette dissolution produit une grande quantité de chaleur. Elle est due à une substance inhérente à l’air, la même que celle qui doit être présente dans le nitre, elle se mêle au corps combustible et s’échappe ensuite dans l’air. Mais Hooke a été incapable d’identifier et d’isoler cette substance, commune à l’air et au nitre, qu’il appelle air nitreux 5.

4 Le mot nitre [ou salpêtre, nitrate de potassium, KNO3] est généralement associé à l’idée d’azote. Cette manière de voir n’est pas très exacte, car le nitre contient aussi beaucoup d’oxygène, et à l’époque, avant même la découverte de cet élément, c’est plutôt à cette dernière idée qu’il doit être rattaché. Cela résulte du fait qu’il permet les combustions (p. 67) et même les explosions : c’est d’ailleurs un composant de la poudre à canon. Les « particules nitreuses » sont donc des particules riches en oxygène, et non en azote. 5 Ce terme peut prêter à confusion. Priestley a aussi isolé un air nitreux, mais celui-ci correspond au monoxyde d’azote NO (chap. 4, note 8).  

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En 1668, Mayow publia un traité en cinq volumes (révisé en 1674), Tractatus quinque medico-physici, où est exposé l’état le plus avancé des connaissances sur la respiration à cette époque. Dans le premier volume, Mayow montre que l’air est imprégné d’un esprit nitro-salin, inducteur de fermentation. Le nitre en effet est formé d’une partie saline (alcaline) et d’une partie volatile (acide), comme le démontre la présence des cristaux de salpêtre que l’on peut recueillir sur les murs des caves. Il est clair dans ce cas que la partie saline vient de la terre alors que la partie volatile ne peut venir que de l’air. Elle y retourne donc quand le nitre produit une combustion ou une déflagration. Dans le second volume, De respiratione, Mayow développe une idée déjà suggérée par Van Helmont : le rôle de la respiration est non de refroidir le cœur, mais au contraire de le réchauffer. Des particules de l’air, les particules nitro-aériennes, transmises au sang par les poumons, provoquent dans le cœur une fermentation qui produit de la chaleur, en totale opposition avec la notion de chaleur innée. Cette chaleur est le résultat de l’interaction des particules nitro-aériennes de l’air qui pénètrent dans le sang et y interagissent avec les particules sulfureuses (combustibles, provenant des aliments) qu’elles y rencontrent Une synthèse s’amorce ainsi peu à peu, faite d’un mélange d’expériences incontestables et d’hypothèses plus ou moins valables : pour enflammer les matières sulfureuses [combustibles], il faut leur fournir des particules nitro-aériennes (spiritus nitro-aeri), soit à partir du nitre, soit à partir de l’air. Et ce qui reste de l’air, quand ces particules sont extraites, est un fluide très différent de l’air : il éteint une flamme, n’entretient pas la combustion du soufre ou du camphre et ne permet plus la vie. Mayow a démontré tout cela par des expériences appropriées. Quand à la nature de ces particules de l’air qui interviennent dans la respiration, elle n’est pas facile à définir 6 : z Quant au rôle de la respiration, on peut affirmer que quelque chose dans l’air, quel qu’il soit, essentiel à la vie, passe dans la masse du sang. Et ainsi l’air, expulsé des poumons, ces particules vitales en ayant été retirées, n’est plus propre à une nouvelle respiration. y

Comme on le voit, bien avant qu’aucun gaz n’ait été clairement identifié, Mayow avait fait une analyse, assez exacte, des phénomènes de combustion et de respiration. Il  aurait suffi de substituer oxygène à particules nitro-aériennes pour que le tableau s’éclaircisse de lui-même. La découverte de Mayow montrant que « les animaux et le feu retirent de l’air des particules de la même espèce » (p. 94) est donc une étape essentielle sur la route 6 J. Mayow. Tractatus quinque, II, De respiratione, p. 299. Cité par J.R. Partington, A history of chemistry, vol. 2, p. 609 (traduction de l’auteur).

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qui mènera à la compréhension de la respiration. Un siècle plus tard, Lavoisier en fera la synthèse, identifiant ces particules à l’oxygène et faisant de la respiration une combustion lente.

5.2 - Les modifications de l’air dans la respiration Il est donc clair, d’après ce qui précède, que dans la respiration quelque chose est soustrait de l’air pour se fixer sur le sang, en changer la couleur et produire la chaleur. De façon assez paradoxale, durant la période qui nous sépare des découvertes de Lavoisier, l’explication de cette soustraction va se faire sous la forme d’une double addition. Par une expérience devenue classique, Black va établir qu’au cours de la respiration l’air se charge d’air fixe, et Stahl, mais surtout Priestley, vont aussi expliquer qu’il s’imprègne de phlogistique, chacune de ces opérations le rendant impropre à la respiration.

5.2.1 - L’addition d’air fixe Black, nous l’avons vu, est le découvreur de l’air fixe. C’est au cours d’études sur les alcalis (1756) qu’il fit ses observations les plus fondamentales (§ 3.3.1). Il avait ainsi remarqué que si l’on met de l’eau de chaux 7 au contact d’une atmosphère d’air fixe, il se forme rapidement à sa surface un voile blanchâtre, constitué de petits cristaux. Dans les mêmes conditions, l’air commun ne donne pas lieu à la formation d’un tel voile, sauf si on abandonne l’eau de chaux pendant un temps très long (plusieurs jours) à l’air libre. Cette observation montrait qu’une petite quantité d’air fixe devait être présente dans l’air commun, mais personne à l’époque ne conclut que l’air fixe était un constituant normal de l’air commun. D’ailleurs, celui-ci n’avait pas encore été séparé en ses deux constituants principaux. La découverte capitale de Black fut donc de montrer que l’air expiré des poumons trouble immédiatement et intensément l’eau de chaux, prouvant ainsi qu’il renferme des quantités importantes d’air fixe. Ce dernier devait être produit dans l’organisme par quelque phénomène analogue à la fermentation (digestion, coction des aliments) et la respiration avait pour rôle de l’éliminer. Mayow avait montré que respiration et combustion retiraient de l’air atmosphérique les mêmes particules, Black montre de plus que toutes deux produisent aussi de l’air fixe.

7 L’eau de chaux est préparée en laissant décanter et en filtrant un lait de chaux, luimême obtenu en mettant de la chaux éteinte (Ca(OH)2) en suspension dans l’eau. C’est un liquide parfaitement limpide qui se trouble en présence de CO2 par formation de cristaux insolubles de carbonate de calcium [CaCO3]. L’eau de chaux doit donc être conservée soigneusement à l’abri de l’air.

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5.2.2 - L’addition de phlogistique Pour les partisans de la théorie du phlogistique, la combustion s’expliquait facilement, puisqu’elle était liée à la définition même du phlogistique, principe de combustibilité (§ 3.2.1). Au cours de la combustion, celui-ci s’échappait du corps combustible pour s’unir à l’air, qu’il phlogistiquait, et de cette union résultaient feu et chaleur. La découverte de l’air déphlogistiqué [oxygène] par Priestley en 1774 vint poser de nouvelles interrogations sur les qualités de ce phlogistique. Résumons les faits de manière simplifiée : après avoir découvert l’air nitreux [monoxyde d’azote, NO], Priestley le mélangea à l’air commun [air atmosphérique]. Il observa alors une réaction assez vive donnant lieu à la formation de vapeurs rougeâtres, les vapeurs nitreuses [peroxyde d’azote, NO2], très suffocantes et très solubles dans l’eau (de la cuve à eau). Il en résultait une importante réduction du volume gazeux. Cette observation l’avait conduit à mettre au point un test 8 permettant de mesurer la qualité («  bonté  ») de l’air, d’après l’importance du volume résiduel. C’est d’ailleurs en utilisant le test de Priestley que Cavendish avait montré que la composition de l’air est constante (p. 71). Quand il eut produit cet air, qu’il appela « déphlogistiqué » pour les raisons qu’on va voir, en soumettant du précipité per se [oxyde rouge de mercure, HgO] aux rayons d’un verre ardent (p. 60), Priestley entreprit alors de mesurer la qualité de ce nouvel air. Une souris pouvait y vivre pendant une heure alors que dans un égal volume d’air commun elle expirait au bout d’un quart d’heure. Utilisant son nouveau test, il constata, à sa surprise, que cet air réagissait de façon beaucoup plus intense avec l’air nitreux. Or la réaction de l’air nitreux avec l’air commun, qui produit des fumées rougeâtres, s’apparentait à une combustion libératrice de phlogistique. Il apparaissait donc que ce nouvel air était doté d’une capacité d’absorption du phlogistique bien plus développée que celle de l’air commun. À volume égal, il était capable de réagir avec des quantités d’air nitreux bien supérieures, 4 à 6 fois selon les expériences [en fait 5 fois]. Ce qui voulait dire qu’au départ il contenait moins de phlogistique que l’air commun, puisqu’il pouvait en absorber davantage. En d’autres termes, c’était 8 Le test consistait à mélanger, en volumes égaux, l’air nitreux [NO] et l’air commun [20 % d’oxygène, 80 % d’azote]. La réaction étant la suivante : 2 NO + O2 → 2 NO2, un volume d’air, renfermant 0,2 volume d’oxygène, réagit donc avec 0,4 volume de monoxyde d’azote pour donner 0,4 volume de peroxyde d’azote, qui disparaissent par dissolution dans l’eau de la cuve à eau (chap. 4, note 9). À partir des 2 volumes initiaux, il reste donc 0,8 volume d’air commun (en fait, d’azote) et 0,6 volume d’air nitreux, soit 1,4 volume. Si on augmente artificiellement la proportion d’oxygène dans l’air, le volume résiduel devient plus faible : 1,25 volume pour 25 % d’oxygène ; 1,1 volume pour 30 % d’oxygène, etc. Le test de Priestley permettait donc de doser l’oxygène dans l’air (mesurer sa bonté) avant même que l’oxygène n’ait été découvert (cf. p. 126).

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un air dépourvu de phlogistique, un air non phlogistiqué ou air déphlogistiqué, nom qui lui fut attribué par Priestley. Il n’y avait plus qu’un pas à franchir pour étendre cette notion à la respiration. La similitude et la complémentarité des comportements de la combustion et de la respiration vis-à-vis de l’air commun fournirent l’argument recherché : toutes deux exigent sa présence ; toutes deux laissent un résidu gazeux qui ne permet l’exercice ni de l’une ni de l’autre ; une atmosphère où un animal a expiré ne permet pas une nouvelle combustion ; une atmosphère où une chandelle s’est éteinte ne permet pas la survie d’un animal. La conclusion s’imposa d’elle-même : la respiration, comme la combustion, se traduisait par une phlogistication de l’air, avec toutes les conséquences qui en découlent. Telle était l’interprétation de la respiration 9 selon la doctrine du phlogistique, à laquelle Priestley adhéra toute sa vie. Cependant des difficultés ne tarderont pas à apparaître : air fixe et air phlogistiqué ont les mêmes effets sur la respiration et la combustion, pourtant ils sont loin d’être identiques. L’air fixe pur est totalement absorbé par l’eau de chaux, alors que l’air phlogistiqué par la respiration d’un animal ne l’est que très partiellement. Il en demeure une fraction (4/5) insoluble dans l’eau de chaux, que Rutherford nomma air méphitique [il devint plus tard azote]. D’autre part, combustion et calcination produisent toutes deux de l’air phlogistiqué, mais seule la combustion produit de l’air fixe. C’était donc une première faille. L’air phlogistiqué de Priestley apparaissait comme quelque chose de mal défini (p. 61) car, selon son origine, il pouvait être décomposé en deux fractions différentes dans leurs réactions vis-à-vis de l’eau de chaux. Pour tenir compte de ce fait, Priestley tenta de réinterpréter tant bien que mal la célèbre expérience de Black. L’air devenait impropre à la respiration 10 : z (...) parce qu’il s’était surchargé de ce principe que les chimistes appellent phlogistique, qui décompose l’air commun et lui fait libérer l’air fixe qui est entré dans sa constitution. Quand on souffle dans l’eau de chaux, l’air fixe qui s’incorpore à la chaux ne vient pas des poumons, mais de l’air commun, décomposé par le phlogistique qu’ils ont exhalé et déchargé après avoir été extrait des aliments et ayant accompli sa fonction dans le système animal. y

Priestley avait aussi ses propres idées sur la couleur du sang. La couleur rouge, en effet, était un critère de déphlogistication, car c’est celle de nombreuses chaux métalliques : minium [oxyde de plomb, PbO], rouille, précipité mercurique per se, qui sont des métaux d’où le phlogistique s’est échappé. Il en était de même pour le 9 J. Priestley. Phil. Trans.,1776, 66, p. 226 (Observations on respiration, and the use of blood). 10 J. Priestley. Cité par J.R. Partington, A history of chemistry., vol. 3, p. 284 (traduction de l’auteur).

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sang : dans le poumon, le sang veineux, rouge noirâtre, phlogistiqué par la digestion des aliments, abandonnait son phlogistique pour devenir rouge écarlate au contact de l’air. La théorie du phlogistique, dont la souplesse n’était plus à démontrer, s’efforçait donc, moyennant quelque nouvelle contorsion, d’expliquer les différents aspects de la respiration, ainsi que le notait Lavoisier dans son Premier mémoire sur la respiration des animaux 11 : z Sans trop se rendre compte de ce qui se passait dans ce genre d’expérience, les chimistes sectateurs de la doctrine de Stahl essayèrent d’en expliquer les résultats ; ils y parvinrent avec cette facilité qu’on leur connaît, c’est-à-dire à l’aide de leur principe ordinaire, le phlogistique, qui, comme Protée, peut se prêter à tout, et prendre toutes les couleurs comme toutes les formes. y

Un médecin anglais, Adair Crawford (1748-1795), imagina alors que l’air, ou du moins la partie de l’air qui entretenait la combustion et la respiration, contenait une grande quantité de chaleur. Il put de cette façon formaliser la théorie : (sang + Φ) + (air + chaleur) = (sang + chaleur) + (air + Φ) Ainsi, dans le poumon, le sang veineux 12, chargé de phlogistique (Φ), abandonnait son phlogistique à l’air et lui empruntait sa chaleur pour se convertir en sang artériel, vecteur de la chaleur dans le corps, le tout s’accompagnant d’un changement de couleur. Tous les aspects de la respiration, selon la théorie du phlogistique, se trouvaient intégrés dans cette formule.

5.3 - La contribution de Lavoisier Les recherches de Lavoisier sur la respiration se sont déroulées en deux étapes. Dans la première, contemporaine de ses études sur la combustion et la calcination, il a établi que la respiration et la combustion sont deux phénomènes aux caractères 11 A. Seguin, A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1789, p. 185 (Premier mémoire sur la respiration des animaux). 12 Le sang veineux est le sang rouge sombre, chargé de gaz carbonique, qui revient au cœur. Le sang artériel est le sang rouge vermeil, chargé d’oxygène, qui part du cœur pour irriguer l’organisme. Mais n’oublions pas que, dans la petite circulation, le sang veineux est conduit au cœur par l’artère pulmonaire et que le sang artériel revient au cœur par la veine pulmonaire. D’où ces curieuses dénominations de veine artérieuse [artère pulmonaire] et artère veineuse [veine pulmonaire], employées par les anciens anatomistes (p. 29 et 93). Elles se justifiaient par la prise en compte de la structure très différente des parois des veines et des artères et du sens de circulation du courant sanguin : la veine artérieuse est une artère qui transporte du sang veineux, et l’artère veineuse une veine qui transporte du sang artériel.

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pratiquement identiques. Cette période s’est achevée peu avant la parution du Traité élémentaire de chimie (1789). Après cette date, mais le processus avait été amorcé depuis longtemps 13, Lavoisier dirige plus particulièrement son intérêt vers la chimie végétale et animale, et nul doute qu’il aurait accompli d’autres révolutions en ce domaine, si le temps ne lui avait été mesuré. Dans l’introduction du Premier mémoire sur la transpiration des animaux, Lavoisier présente en quelque sorte son thème et son programme de recherches 14 : z (...) la machine animale est gouvernée par trois régulateurs principaux : La respiration, qui, en opérant dans le poumon, et peut-être aussi dans d’autres endroits du système, une combustion lente d’une partie de l’hydrogène et du carbone que contient le sang, produit un dégagement de calorique absolument nécessaire à l’entretien de la chaleur animale. La transpiration, qui, en occasionnant une perte de l’humeur transpirable, facilite le dégagement d’une certaine quantité de calorique nécessaire à la dissolution de cette humeur dans l’air environnant, et empêche conséquemment, par le refroidissement continuel que produit ce dégagement, que l’individu ne prenne un degré de température supérieur à celui qu’a fixé la nature. La digestion, qui, fournissant au sang de l’eau, de l’hydrogène et du carbone, rend habituellement à la machine ce qu’elle perd par la transpiration et par la respiration, et rejette ensuite au dehors, par les déjections, les substances qui nous sont nuisibles ou superflues. y

Les événements, on le sait, ne permirent pas la réalisation de ce programme. Seule, la respiration recevra un traitement assez approfondi, la transpiration fera l’objet de deux mémoires, quant à la digestion elle ne sera qu’à peine effleurée. Par contre, un autre sujet, la fermentation, recevra quelque développement. Il y a donc lieu de considérer, dans l’apport de Lavoisier, d’abord la chimie de la respiration, puis la manière dont elle s’exerce chez l’homme ou l’animal, c’est-à-dire la physiologie. Dans ce qui va suivre, la parole sera souvent laissée à Lavoisier.

5.3.1 - La chimie de la respiration Partant de faits indiscutables, connaissant les propriétés des nouveaux airs, disposant du laboratoire de chimie le mieux équipé d’Europe, Lavoisier put introduire les mesures quantitatives et le calcul dans l’étude de ces phénomènes, et surtout établir

13 En fait, les principales conclusions auxquelles aboutira Lavoisier sont déjà annoncées dans le Mémoire sur la combustion en général (Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 592). 14 A. Seguin, A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1790, p. 77 (Premier mémoire sur la transpiration des animaux).

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des bilans. Les résultats de ces expériences l’amenèrent à formuler une théorie de la respiration aux antipodes de celle proposée par les tenants du phlogistique. Dans le Premier mémoire sur la respiration des animaux, en collaboration avec Armand Seguin (1767-1835), Lavoisier énumère d’abord les réquisits nécessaires à tout progrès futur  11: z Le retard de nos connaissances sur un objet aussi important tient à ce qu’il existe un enchaînement nécessaire dans la suite de nos idées, un ordre indispensable dans la marche de l’esprit humain ; à ce qu’il était impossible de rien savoir sur ce qui se passe dans la respiration avant d’avoir reconnu : 1-  Que le calorique (matière de la chaleur) est un principe constitutif des fluides, et que c’est à ce principe qu’ils doivent leur état d’expansibilité, leur élasticité, et plusieurs autres des propriétés que nous leur connaissons ; 2- Que l’air de l’atmosphère est un composé de deux fluides aériformes, savoir, d’un quart environ d’air vital, et de trois quarts de gaz azote ; 3- Que la base de l’air vital, l’oxygène, est un principe commun à tous les acides, et que c’est lui qui constitue leur acidité ; 4- Que le gaz acide carbonique (air fixe) est le résultat de la combinaison d’environ 72 parties en poids d’oxygène et de 28 parties de carbone (charbon pur) ; 5- Qu’il entre moins de calorique dans la composition d’un volume donné de gaz acide carbonique que dans un pareil volume d’air vital, et que c’est par cette raison qu’il se dégage du calorique pendant la combustion du carbone, c’est-à-dire pendant la conversion de l’air vital en acide carbonique par addition de carbone ; 6- Enfin, que l’eau n’est point un élément, n’est point une substance simple, comme le croyaient les anciens, mais qu’elle est composée [en poids] de 14,338 parties d’oxygène et de 85,668 parties d’hydrogène 15. y

Un peu plus loin, Lavoisier présente le résumé de ses conclusions 11 : z Les preuves de cette identité d’effets entre la respiration et la combustion se déduisent immédiatement de l’expérience. En effet, l’air qui a servi à la respiration ne contient plus, à la sortie du poumon, la même quantité d’oxygène ; il renferme non seulement du gaz acide carbonique mais encore beaucoup plus d’eau qu’il n’en contenait avant l’inspiration. Or, comme l’air vital ne peut se convertir en acide carbonique que par une addition de carbone ; qu’il ne peut se convertir en eau que par une addition d’hydrogène ; que cette double combinaison ne peut s’opérer sans que l’air vital perde une partie de son calorique spécifique, il en résulte que l’effet de la respiration est d’extraire du sang une portion de carbone et d’hydrogène, et d’y déposer à la place une portion de son calorique spécifique, qui, pendant la circulation, se distribue

15 Il s’agit là d’une erreur d’impression manifeste, il faut lire : 14,338 parties d’hydrogène et 85,668 parties d’oxygène (cf. p. 73 et 105).

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avec le sang dans toutes les parties de l’économie animale, et entretient cette température à peu près constante qu’on observe dans tous les animaux qui respirent. y

Comment Lavoisier est-il arrivé à ces conclusions sur la respiration ? Par la comparaison avec la combustion d’un composé naturel (chandelle) dans l’air commun et dans l’oxygène : le pendant du Premier mémoire sur la respiration des animaux est le Mémoire sur la combustion des chandelles dans l’air atmosphérique et dans l’air éminemment respirable 16, publié douze ans plus tôt, qui lui servit à défricher ce nouveau champ. Trois aspects sont à considérer dans l’apport de Lavoisier à la connaissance de la respiration : la formation d’air fixe à partir d’air vital, exprimée dans les échanges gazeux au niveau du poumon ; la formation d’eau, résultat essentiel (et passé totalement inaperçu par la suite) ; enfin, l’entretien de la chaleur animale par la libération de calorique.

5.3.2 - L’absorption d’oxygène et le rejet de gaz carbonique Le mode opératoire était bien rodé, même s’il comportait parfois des manipulations délicates, comme celle d’introduire, à travers le mercure, un animal sous une cloche. Il fallait en effet opérer avec la cuve à mercure, et non avec la cuve à eau, pour éviter que le gaz carbonique émis ne se dissolve dans l’eau. À la fin de l’expérience, après extraction de l’animal, le volume gazeux résiduel était mesuré avant et après addition d’alcali, ce qui permettait de calculer les volumes de gaz carbonique rejeté et d’oxygène absorbé. On pouvait aussi faire respirer l’animal (cochon d’Inde) dans l’oxygène pur. À l’aide de tels procédés, Lavoisier pouvait donc mesurer les quantités d’air vital et d’air fixe mises en jeu au cours de la respiration d’un animal. Ces résultats ont été rapportés dans le Premier mémoire sur la respiration des animaux 11 (1789), déjà cité, qui avait été précédé de deux autres mémoires : Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l’air en passant par leur poumon 17(1777) et Altérations qu’éprouve l’air respiré 18 (1785). On y relève en particulier l’expérience suivante : z Pour bien connaître le genre d’altération qui arrive à l’air, lorsqu’il a été respiré ainsi par les animaux, j’ai introduit un cochon d’Inde sous une cloche de cristal renversée sur du mercure ; elle contenait 248 pouces cubiques [4,92 L] d’air vital. Je l’y ai laissé pendant une heure et un quart ; au bout de ce temps, je l’ai retiré de la même manière qu’il y avait été introduit, c’est-à-dire en le faisant passer par le mercure. Je ne me suis pas aperçu que ces deux passages l’eussent aucunement incommodé. y 16 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 195. 17 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 185. 18 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 2, p. 676.

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Par commodité, Lavoisier rapporte les résultats de cette expérience à un volume théorique de 1 pied cubique (et non au volume réel de 248 pouces cubiques) d’air vital soit : 1728 pouces cubiques [34,277 L], correspondant en poids à 1 once 4 gros 12 grains [46,527 g]. Après retrait de l’animal, le volume s’était réduit à 1672 pouces 3/4, puis à 1443 pouces 1/4 après addition d’alcali. Lavoisier pouvait alors calculer que la consommation d’air vital avait été de 284 pouces 3/4 [5,65 L] et la production d’air fixe de 229 pouces ½ [4,55 L 19]. On remarque que les deux volumes gazeux ne sont pas égaux. Il en sera ainsi dans toutes les expériences réalisées par Lavoisier : le volume d’air fixe rejeté par la respiration de l’animal se situera toujours entre 80 % et 90 % de celui de l’air vital absorbé.

5.3.3 - La formation d’eau Cette même expérience permit aussi à Lavoisier de tirer une autre conclusion, d’une extrême importance pour l’avenir. En effet, à la fin de l’expérience, le volume gazeux (transcrit en équivalent pondéral) était ainsi constitué : Air vital Acide carbonique Total

1 once 1 once

2 gros 2 gros 4 gros

10 grains 2/3 15 grains 1/3 26 grains

[38,808 g] [8,462 g] [47,270 g]

Lavoisier remarque alors que le poids des gaz récoltés à la fin de l’expérience est supérieur de 14 grains [743 mg] à celui du gaz initial (1 pied cube d’air vital). Cette augmentation de poids provenait du fait qu’au cours de la respiration de l’animal du carbone s’était uni à l’air vital pour donner de l’air fixe. Par un calcul simple, connaissant la composition pondérale de l’air fixe (p. 81), Lavoisier put déterminer que les 229 pouces 1/2 d’air fixe émis correspondaient en fait à 41,43 grains de carbone et à 117,90 grains d’air vital, c’est-à-dire à un volume de 232 pouces 2/3 d’air vital. Ainsi, 232 pouces 2/3 d’air vital initial avaient été utilisés pour former de l’air fixe. Or l’expérience montrait qu’en fait c’était 284 pouces 3/4 de cet air qui avaient disparu. Où étaient donc passés les 52 pouces 1/12 [103 ml] d’air vital manquants ? Lavoisier nous en donne l’explication 18 : z Il est donc évident qu’indépendamment de la portion d’air vital qui a été convertie en acide carbonique, une portion de celui qui est entré dans le poumon n’en n’est pas ressortie dans le même état ; et il en résulte qu’il se passe de deux choses l’une dans l’acte de la respiration, ou qu’une portion d’air vital s’unit avec le sang, ou bien qu’elle se combine avec une portion d’hydrogène pour former de l’eau.

19 À partir de cette valeur (rapportée aux conditions réelles de l'expérience) on peut calculer que la respiration du cochon d'Inde est équivalente à la combustion de 0,28 g de carbone par heure, résultat tout à fait comparable à celui (0,41 g/h) obtenu dans l'expérience du calorimètre (p. 79)

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Je discuterai, dans d’autres mémoires, les motifs que l’on peut alléguer en faveur de chacune de ces opinions ; mais, en supposant, comme il y a quelque lieu de le croire, que la dernière soit préférable, il est aisé, d’après l’expérience ci-dessus, de déterminer la quantité d’eau qui se forme par la respiration, et la quantité d’hydrogène qui est extraite du poumon. En effet, puisque, pour former 100 parties d’eau, il faut employer 85 parties environ d’air vital et 15 de gaz hydrogène, il en résulte qu’avec les 52 pouces 1/12 d’air qui se sont trouvés manquer, il a dû se former 31 grains 1/9 d’eau [1,65 g], et qu’il s’est dégagé 20 du poumon du cochon d’Inde 4 grains 2/3 d’hydrogène. y

Lavoisier établit ainsi le fait capital que, dans la respiration, l’oxygène de l’air est utilisé pour former du gaz carbonique  21  mais aussi pour former de l’eau. Il se combine avec le carbone et l’hydrogène qu’il trouve dans le sang. Cette opération s’effectue dans le poumon, qui devient ainsi le site chimique de la respiration.

5.3.4 - La libération de calorique Au cours des temps, la chaleur animale a toujours été source d’interrogations : qu’elle soit associée à la vie était une évidence. Mais était-elle innée ou produite ? et dans cette éventualité, par quels moyens ? en quels lieux ? Et même, question plus métaphysique encore, quelle était sa nature ? Confronté à toutes ces interrogations, Lavoisier devait préalablement procéder à quelque clarification. À son époque, en effet, la question de la nature de la chaleur était loin d’être résolue. Lavoisier, dans son Mémoire sur la chaleur, réalisé en collaboration avec Laplace, a parfaitement résumé la situation 22 : z Les physiciens sont partagés sur la nature de la chaleur. Plusieurs d’entre eux la regardent comme un fluide répandu dans toute la nature, et dont les corps sont plus ou moins pénétrés, à raison de leur température et de leur disposition particulière à le retenir ; il peut se combiner avec eux, et, dans cet état, il cesse d’agir sur le thermomètre et de se communiquer d’un corps à l’autre, ce n’est que dans cet état de liberté, qui lui permet de se mettre en équilibre dans les corps, qu’il forme ce que nous nommons chaleur libre. D’autres physiciens pensent que la chaleur n’est que le résultat des mouvements insensibles des molécules de la matière. On sait que les corps, même les plus denses, sont remplis d’un grand nombre de pores ou de petits vides, dont le volume peut surpasser considérablement celui de la matière qu’ils renferment ; ces espaces vides laissent à leurs parties insensibles la liberté d’osciller dans tous les sens, et il est naturel de penser que ces parties sont dans une agitation continuelle, qui, si elle augmente jusqu’à un certain point, 20 C'est-à-dire combiné à l'oxygène pour former de l'eau. 21 On verra ultérieurement que cette conclusion, ici évidente, est en fait erronée : dans la respiration, l'oxygène de l'air ne participe pas à la formation du gaz carbonique. 22 A. Lavoisier, P. Laplace, Mémoires de l’Académie des Sciences, 1780, p. 335 (Mémoire sur la chaleur).

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peut les désunir et décomposer les corps ; c’est ce mouvement intestin qui, suivant les physiciens dont nous parlons, constitue la chaleur. Nous ne déciderons point entre les deux hypothèses ; plusieurs phénomènes paraissent favorables à la dernière ; tel est, par exemple, celui de la chaleur que produit le frottement de deux corps solides ; mais il en est d’autres qui s’expliquent plus simplement dans la première ; peut-être ont-elles lieu toutes deux à la fois. Quoi qu’il en soit, comme on ne peut former que ces deux hypothèses sur la nature de la chaleur, on doit admettre les principes qui leur sont communs ; or, suivant l’une et l’autre, la quantité de chaleur libre reste toujours la même dans le simple mélange des corps (...) La conservation de la chaleur libre, dans le simple mélange des corps, est donc indépendante de toute hypothèse sur la nature de la chaleur ; elle a été généralement admise par les physiciens, et nous l’adopterons dans les recherches suivantes . y

Lavoisier adopte donc ce principe, commun aux deux hypothèses, mais en ce qui concerne la nature de la chaleur, il a choisi son camp. Il suffit de consulter le tableau des éléments (fig. 4.4) de son Traité élémentaire de chimie : ceux-ci y sont rangés dans l’ordre suivant : lumière, calorique, oxygène, azote, hydrogène, ... Pour lui, la chaleur, ou mieux le calorique, est un fluide qui se lie, se déplace, s’échange, se libère, ... comme un élément. La chaleur est donc matière, mais matière impondérable, comme la lumière, l’électricité, le magnétisme. Grâce au calorimètre qu’il a construit, Lavoisier a fait une application de ces principes à l’étude de la combustion de diverses substances et l’a étendue à la mesure de la chaleur libérée par la respiration d’un animal. Par des méthodes variées, Lavoisier mesure ainsi la respiration de cochons d’Inde de même taille que celui ayant servi dans l’expérience du calorimètre (p. 79). Il obtient des résultats remarquablement constants. Exprimées en équivalents pondéraux d’air fixe libéré et rapportées à une durée de 10 heures, Lavoisier trouve ainsi, dans différentes expériences, des valeurs allant de 212,566 grains (atmosphère d’air vital) à 236,667 grains (atmosphère d’air commun) 22 : z En prenant un milieu entre ces expériences et quelques autres semblables, faites sur plusieurs cochons d’Inde, tant dans l’air déphlogistiqué que dans celui de l’atmosphère, nous avons évalué à 224 grains [6,04 L] la quantité d’air fixe produite en dix heures par le cochon d’Inde que nous avons mis en expérience dans une de nos machines pour déterminer la chaleur animale (...) On a vu précédemment que, dans la combustion du charbon, la formation d’une once d’air fixe peut fondre 26 onces, 692 de glace ; en partant de ce résultat, on trouve que la formation de 224 grains d’air fixe doit en fondre 10 onces. y

Or, dans l’expérience de calorimétrie réalisée sur le cochon d’Inde, celui-ci avait fait fondre 13 onces 1 gros de glace en 10 heures. Les deux valeurs se révèlent étonnamment proches. Lavoisier procède néanmoins à quelques ajustements 22 :

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z Cette quantité de glace fondue représente donc à peu près la chaleur renouvelée dans le même intervalle de temps par les fonctions vitales du cochon d’Inde : il faut peut-être la diminuer d’une ou deux onces, ou même davantage, par cette considération que les extrémités du corps de l’animal se sont refroidies dans la machine, quoique l’intérieur du corps ait conservé à peu près la même température (...) En diminuant de 2 onces 1/2 environ cette quantité de glace, on aura la quantité fondue par l’effet de la respiration de l’animal sur l’air (...) Ainsi l’on peut regarder la chaleur qui se dégage, dans le changement de l’air pur en air fixe, par la respiration, comme la cause principale de la conservation de la chaleur animale, et, si d’autres causes concourent à l’entretenir, leur effet est peu considérable. y

De cette expérience, Lavoisier tire alors cette célèbre conclusion 22 : z La respiration est donc une combustion, à la vérité fort lente, mais d’ailleurs parfaitement semblable à celle du charbon ; elle se fait dans l’intérieur des poumons, sans dégager de lumière sensible, parce que la matière du feu, devenue libre, est aussitôt absorbée par l’humidité des organes : la chaleur développée dans cette combustion se communique au sang qui traverse les poumons, et de là se répand dans tout le système animal. Ainsi l’air que nous respirons sert à deux objets également nécessaires à notre conservation ; il enlève au sang la base de l’air fixe [carbone] dont la surabondance serait très nuisible ; et la chaleur que cette combinaison dépose dans les poumons répare la perte continuelle que nous éprouvons de la part de l’atmosphère et des corps environnant. y

Avec cette série de recherches, la cause de la chaleur animale se trouvait élucidée : elle siégeait dans le poumon et résultait d’une libération de calorique associée à la formation d’air fixe, produit de la combustion du carbone présent dans le sang avec l’oxygène de l’atmosphère. Le calorique se libérait parce que, selon Lavoisier, il y avait moins de calorique dans l’air fixe que dans un égal volume d’air vital (p. 102).

5.3.5 - La physiologie de la respiration Cette question résolue, une autre surgissait aussitôt. Que faire de la chaleur ainsi produite, qui par son accumulation devrait provoquer la consomption des organismes (p. 19) ? Lavoisier se livre alors à une analyse de la physiologie de la respiration. Malgré leurs analogies profondes, une différence majeure sépare la respiration de la combustion 11 : z On sait que la combustion, toutes choses égales d’ailleurs, est d’autant plus rapide que l’air dans lequel elle s’opère est plus pur. Ainsi, par exemple, il se consomme, dans un temps donné, beaucoup plus de charbon ou de tout autre combustible dans l’air vital que dans l’air de l’atmosphère. On avait toujours pensé qu’il en était de même de la respiration ; qu’elle devait s’accélérer dans l’air vital, et qu’alors il devait se dégager, soit dans le poumon, soit dans le cours de la circulation, une plus grande quantité de calorique.

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Mais l’expérience a détruit toutes ces opinions, qui n’étaient fondées que sur l’analogie. Soit que les animaux respirent dans l’air vital pur, soit qu’ils respirent dans ce même air, mélangé avec une proportion plus ou moins considérable d’azote, la quantité d’air vital qu’ils consomment est toujours la même, à de très légères différences près. y

De plus, l’azote apparaît comme un gaz parfaitement inerte 11 : z M. Lavoisier avait déjà annoncé que le gaz azote contenu dans l’atmosphère n’éprouvait aucun changement pendant la respiration, et qu’il ressortait du poumon en même quantité qu’il y était entré. Nous avons cru devoir constater ce fait par des expériences très rigoureuses, et nous nous sommes assurés que réellement il n’y a ni dégagement ni absorption de gaz azote pendant la respiration. y

L’homme n’échappe pas au champ des investigations. Dans ce cas, c’est Seguin qui sert de cobaye 14 : z Quelque pénibles, quelque désagréables, quelque dangereuses même que fussent les expériences auxquelles il fallait se livrer, M. Seguin a désiré qu’elles se fissent toutes sur lui-même. Nous les avons répétées un grand nombre de fois, et la précision des résultats a presque toujours été au delà de nos espérances. y

Lavoisier et Seguin mettent ainsi au point un dispositif expérimental (fig. 5.2) permettant de mesurer les échanges respiratoires d’un homme. Les résultats sont très probants. Ainsi 11 : z Il résulte qu’un homme à jeûn et dans un état de repos, et dans une température de 26 degrés [32,5 °C] du thermomètre à mercure, divisé en 80 parties, consomme par heure 1210 pouces [24,00 L] d’air vital ; que cette consommation augmente par le froid, et que le même homme, également à jeûn et au repos, mais dans une température de 12  degrés [15 °C] seulement consomme par heure 1344 pouces d’air vital [26,66 L]. Pendant la digestion, cette consommation s’élève à 1800 ou 1900 pouces [≈ 37 L]. Le mouvement et l’exercice augmentent considérablement toutes ces proportions. M. Seguin étant à jeûn et ayant élevé pendant un quart d’heure un poids de 15 livres à une hauteur de 613 pieds [7,34 kg à 201 m], sa consommation d’air pendant ce temps a été de 800 pouces, c’est-à-dire de 3200 pouces par heure [63,45 L]. Enfin le même exercice fait pendant la digestion a porté à 4600 pouces [91,21 L] par heure la quantité d’air vital consommé. Les efforts que M. Seguin avait faits dans cet intervalle équivalaient à l’élévation d’un poids de 15 livres à une hauteur de 650 pieds [211 m], pendant un quart d’heure. Dans toutes ces expériences, la température du sang reste assez constamment la même, du moins à quelques fractions de degré près. Mais le nombre de pulsations des artères et celui des inspirations varient d’une manière très remarquable. y

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Figure 5.2 - Lavoisier dans son laboratoire Mesure de la respiration d'un homme exécutant un travail. Au premier plan, à droite, une «  machine électrique  » [d’après E. Grimaux. Lavoisier 1743-1794, Éditions Jacques Gabay, Paris, 1992, p. 119]

Le fait que, dans la respiration, le calorique soit libéré sans qu’il en résulte une augmentation de la température du sang circulant dans le corps a aussi profondément intrigué Lavoisier. Puisque de la chaleur est produite et que la température du corps est constante, il faut donc de toute nécessité qu’elle soit évacuée. On en revient ainsi à la question qui hante l’esprit des philosophes depuis des siècles : comment refroidir cette chaleur innée, mais que l’on sait maintenant être une chaleur produite par la respiration. Lavoisier trouve la réponse dans la transpiration, qui évacue sous forme de vapeur d’eau les humeurs de l’organisme, mettant en jeu précisément cette fameuse chaleur latente (p. 78) qui, à température constante, fait passer l’eau de l’état liquide à l’état de vapeur 14 : z Dans le plan que nous nous étions tracé, nous avions trois effets à examiner : ceux de la transpiration cutanée, ceux de la transpiration pulmonaire, ceux de la respiration ; et la méthode analytique, la seule qui puisse servir de guide dans ces expériences, exigeait que nous trouvassions des moyens de séparer ces trois effets, et interroger, pour ainsi dire, l’une après l’autre, les trois causes qui les produisent.

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Un habillement de taffetas enduit de gomme élastique, qui ne laisse pénétrer ni l’air ni l’humidité, nous a servi à séparer tous les phénomènes de la transpiration cutanée de ceux de la respiration. L’un de nous étant dans ce vêtement qui se fermait par dessus la tête au moyen d’une forte ligature, un tuyau qui s’adaptait à sa bouche et qui se mastiquait sur la peau, de manière à ne laisser échapper aucune portion d’air, lui donnait la liberté de respirer. Tout ce qui appartenait à la respiration se passait, par ce moyen, en dehors de l’appareil ; tout ce qui appartenait à la transpiration se passait au dedans. y

Si la mesure de la transpiration cutanée ne pose pas de problème particulier, celle de la transpiration pulmonaire est par contre plus délicate, car 14 : z Cette eau, comme on le voit, est de deux espèces : 1° celle qui suinte avec l’hydrogène carboné, c’est l’eau de la transpiration pulmonaire proprement dite ; 2° celle qui se forme par la combinaison de l’oxygène de l’air avec l’hydrogène du sang, c’est l’eau de la respiration. Il était important de connaître les proportions respectives de ces deux portions d’eau, et nous y sommes parvenus. y

Lavoisier a pu ainsi évaluer l’importance de chacune de ces pertes d’eau. En  moyenne, un individu éprouve une perte de poids de 18 grains [956 mg] par minute, soit 2 livres 13 onces [1376 g] en 24 heures. Dans ce total, la transpiration cutanée intervient pour 1 livre 14 onces [871 g]. Le reste est justifié par la transpiration pulmonaire, qui est de 5 onces 5 gros 62 grains [173 g] et, par la perte d’hydrogène associée à la formation d’eau par la respiration : elle est de 3 onces 3  gros 10 grains [104 g]. Dans ces études, Lavoisier a donc fait un tour assez complet de la respiration, ayant examiné l’influence des principaux facteurs qui feront l’objet de développements importants au siècle suivant. Il a ainsi considéré la nature et l’intensité des échanges gazeux, l’influence de la composition de l’atmosphère, de la température, de l’activité physiologique, volontaire (effort) ou naturelle (digestion), des déperditions d’eau. Il est donc en mesure de conclure 11 : z Et c’est ainsi que s’établit cette température à peu près constante de 32° [40 °C] (thermomètre de Réaumur), que plusieurs quadrupèdes, et que l’homme particulièrement, conservent dans quelque circonstance qu’ils se trouvent. Il existe de semblables compensations, qui permettent à l’homme de passer successivement, suivant ses besoins et sa volonté, d’une vie active à une vie tranquille. Se tient-il dans un état d’inaction et de repos ? la circulation est lente, ainsi que la respiration ; il consomme moins d’air ; il exhale par le poumon moins de carbone et d’hydrogène, et conséquemment il a besoin de moins de nourriture. Est-il obligé de se livrer à des travaux pénibles ? la respiration s’accélère; il consomme plus d’air, il perd plus d’hydrogène et de carbone, et, conséquemment, il a besoin de réparer plus souvent et davantage par la nutrition. y

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Même si cette théorie de la respiration renferme quelques erreurs fondamentales (mais pouvait-on faire mieux à l’époque ?), les idées générales sur la nature et la fonction de la respiration ont été fondées, discutées et justifiées : dans le poumon, l’oxygène de l’air s’unit à l’hydrogène et au carbone du sang pour donner du gaz carbonique, de l’eau et abandonner son calorique. Bien que Lavoisier n’ait pas écrit cette équation (éq. 5.1), toute sa philosophie sur la respiration aurait pu être résumée sous la forme suivante : (carbone, hydrogène)sang + oxygène = acide carbonique + eau + calorique (5.1)

Cette équation (noter le signe =) est qualitative : elle décrit le processus ; mais elle est aussi quantitative : la somme des masses des différents corps est identique dans les deux membres ; enfin elle prend en compte le bilan énergétique de l’ensemble. Elle repose à la fois sur les principes de la conservation de la matière et de la chaleur. On peut y déceler une première ébauche de La belle Équation, version respiration.

5.4 - Les fermentations On ne peut quitter le domaine de la respiration sans faire une brève incursion dans celui des fermentations. Lavoisier s’est en effet intéressé à la fermentation et l’avenir montrera qu’il existe des rapports très étroits entre les deux phénomènes. Trois chapitres du Traité élémentaire de chimie 23 y sont consacrés ainsi qu’un Mémoire sur la fermentation spiritueuse 24. Lavoisier a principalement porté son attention sur la fermentation spiritueuse, ou vineuse [alcoolique], mais il s’est aussi intéressé à la fermentation acéteuse [acétique] et à la fermentation « putride ». C’est d’ailleurs à propos de la fermentation vineuse qu’il a défini sa méthode de travail et clairement fait usage du principe de la conservation de la matière 24 : z J’ai déjà fait observer, dans de précédents mémoires, que la manière de raisonner était la même pour toutes les sciences ; que les chimistes, comme les géomètres, ne pouvaient procéder que du connu à l’inconnu, par une véritable analyse mathématique, et que tous les raisonnements en matière de sciences contenaient implicitement de véritables équations. J’ai donc fait mentalement une équation dans laquelle les matières existantes avant l’opération formaient le premier membre, et celles obtenues après l’opération formaient le second, et c’est réellement par la résolution de cette équation que je suis parvenu au résultat.

23 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 139-161. 24 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 3, p. 777.

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Ce raisonnement, dont le fil est si facile à saisir dans une opération simple, est le même dans les opérations les plus compliquées de la chimie, et je vais en faire l’application à la fermentation spiritueuse, une des opérations de la nature et de l’art qui ait été jusqu’ici la moins connue. y

À cette occasion, pour plus de généralisation, Lavoisier introduit le terme alcool, car le jus de raisin n’est pas le seul à fermenter 25 : z On sait que cette liqueur étant un résultat de la fermentation d’une matière sucrée quelconque suffisamment étendue d’eau, il aurait été contre les principes de notre nomenclature de la nommer plutôt esprit de vin qu’esprit de cidre, ou esprit de sucre fermenté. Nous avons donc été forcés d’adopter un nom plus général, et celui d’alkool qui nous vient des arabes nous a paru propre à remplir notre objet. y

Lavoisier applique alors ces principes à la fermentation vineuse 26 : z Ainsi puisque du moût de raisin donne du gaz acide carbonique et de l’alkool, je puis dire que le moût de raisin = acide carbonique + alkool 27. Il résulte de là que l’on peut parvenir de deux manières à éclaircir ce qui se passe dans la fermentation vineuse ; la première, en déterminant bien la nature et les principes du corps fermentescible ; la seconde, en observant bien les produits qui en résultent par la fermentation, et il est évident que les connaissances que l’on peut acquérir sur l’un conduisent à des conséquences certaines sur la nature des autres, et réciproquement. y

Lavoisier met donc au point un appareillage (le premier fermenteur ?) permettant de mesurer les produits de la réaction (fig. 5.3). Il s’adresse au sucre de l’époque, le sucre de canne [saccharose, C12H22O11], qu’il fait fermenter en présence de levure de bière et dont il recueille les produits 24 : z La fermentation complètement achevée, la quantité totale de cet acide [carbonique] se trouve être de moitié 28 du poids du sucre qu’on a employé : ainsi 1 livre [489,5 g] de sucre produit 8 onces [244,75 g] de gaz carbonique, c’està-dire près de 5000 pouces cubes [99,18 L] ou plus de 100 pintes, mesure de Paris. La liqueur vineuse qui s’est formée, analysée avec soin, n’est plus composée que d’eau, d’esprit de vin et d’un peu d’acide végétal dans un état fort approchant du vinaigre. y

25 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 140. 26 A. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, p. 141. 27 Il s'agit là vraisemblablement de la première écriture d'une véritable équation chimique. 28 Conclusion remarquablement exacte. Dans la réaction : C12H22O11 + H2O → 4 CO2 + 4 C2H6O, 342 g de saccharose donnent lieu à la formation de 176 g de gaz carbonique. On note qu'un début de fermentation acétique s'est amorcé.

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Figure 5.3 - Appareil utilisé par Lavoisier pour l'étude des fermentations

[d'après Antoine Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 2ème édition, Cuchet Librairie, 1793]

Dans cette étude, Lavoisier avait indirectement établi le fait que la fermentation vineuse ne consomme pas d’oxygène, ce qui n’était pas le cas de la fermentation acéteuse 29 : z La fermentation acéteuse n’est autre chose que l’acidification du vin qui se fait à l’air libre par l’absorption de l’oxygène. L’acide qui en résulte est l’acide acéteux, vulgairement appelé vinaigre : il est composé d’une proportion qui n’a point encore été déterminée, d’hydrogène et de carbone combinés ensemble, et portés à l’état d’acide par l’oxygène. Le vinaigre étant un acide, l’analogie conduisait seule à conclure qu’il contenait de l’oxygène ; mais cette vérité est prouvée de plus par des expériences directes. Premièrement le vin ne peut se convertir en vinaigre qu’autant qu’il a le contact de l’air, et qu’autant que cet air contient du gaz oxygène. Secondement cette opération est accompagnée d’une diminution du volume de l’air dans lequel elle se fait, et cette diminution de volume est occasionnée par l’absorption du gaz oxygène. y

Véritable défricheur, Lavoisier avait donc identifié les deux principaux types de fermentations que Pasteur reconnaîtra par la suite, selon qu’elles exigent ou non la présence d’oxygène [fermentations aérobies et anaérobies].

29 A. Lavoisier. ibid., p. 159.

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Quant à la fermentation putride, elle est beaucoup plus complexe, car, en plus du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène, elle fait intervenir d’autres éléments  : azote, soufre, phosphore, constituants typiques des matières animales ou de certaines matières végétales (p. 82) 30 : z Il n’en n’est pas de même quand la substance mise à fermenter contient de l’azote ; et c’est ce qui a lieu à l’égard de toutes les matières animales et même d’un assez grand nombre de matières végétales. Ce nouvel ingrédient favorise merveilleusement la putréfaction : c’est pour cette raison qu’on mélange les matières animales avec les matières végétales, lorsqu’on veut hâter la putréfaction (...) Mais l’introduction de l’azote dans les matériaux de la putréfaction, ne produit pas seulement l’effet d’en accélérer les phénomènes ; elle forme, en se combinant l’hydrogène, une nouvelle substance connue sous les noms d’alkali volatil ou ammoniaque (...) J’ai déjà annoncé plus haut que les corps combustibles étaient presque tous susceptibles de se combiner les uns avec les autres. Le gaz hydrogène a éminemment cette propriété ; il dissout le carbone, le soufre et le phosphore, et il résulte de ces combinaisons ce que j’ai appelé plus haut, gaz hydrogène carbonisé [méthane, CH4], gaz hydrogène sulfurisé [sulfure d’hydrogène, SH2], gaz hydrogène phosphorisé [phosphure d’hydrogène, PH3]. Les deux derniers de ces gaz ont une odeur particulière et très désagréable : celle du gaz hydrogène sulfurisé a beaucoup de rapport avec celle des œufs gâtés et corrompus ; celle du gaz hydrogène phosphorisé est absolument la même que celle du poisson pourri ; enfin l’ammoniaque a une odeur qui n’est ni moins pénétrante, ni moins désagréable que les précédentes. C’est de la combinaison de ces différentes odeurs que résulte celle qui s’exhale des matières animales en putréfaction, et qui est si fétide. Tantôt c’est l’odeur de l’ammoniaque qui est prédominante et on la reconnaît aisément à ce qu’elle pique les yeux ; tantôt c’est celle du soufre, comme dans les matières fécales ; tantôt enfin, c’est celle du phosphore, comme dans le hareng pourri. y

Lavoisier ne s’était donc pas intéressé qu’à la respiration. Sur la nature des processus fermentaires, il possédait des notions très en avance sur son temps. À la suite de ses travaux, on peut même préciser (éq. 5.2) l’équation de la fermentation alcoolique qu’il avait lui-même ébauchée (p. 112) :

sucre = acide carbonique + alcool (5.2)

Comme celle de la respiration, cette équation est à la fois qualitative et quantitative. On pourrait même s’étonner qu’à l’attention d’un esprit aussi subtil et perspicace ait échappé une fermentation qui, avec la fermentation alcoolique, devait un jour être appelée à jouer un rôle majeur, la fermentation lactique. L’acide lactique était pourtant l’un des 13 acides végétaux connus de Lavoisier, dont il savait précipi30 A. Lavoisier. ibid., p. 155-157.

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ter les sels à partir du petit lait. Mais son absence d’intérêt avait peut-être quelque excuse, car cette fermentation qui fait tourner le lait est une fermentation plutôt discrète : elle ne se traduit par aucun dégagement gazeux tumultueux, ne consomme pas d’oxygène, ne dégage aucune odeur ammoniacale, putride ou fétide. De plus, le lait, comme le sang, est une humeur naturelle de l’organisme. Comme lui, il caille, se résolvant en un sérum et un caillot gélatineux. Selon toute apparence, il devait s’agir dans ce cas d’un phénomène de coagulation, non de fermentation.

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Chapitre 6 Comment le carbone vient aux plantes Sous ce titre 1, volontairement désuet, se dissimule la découverte d’un processus biologique essentiel, la photosynthèse, pourvoyeur de la quasi-totalité du carbone organique 2 de la biosphère. Si la respiration s’est révélée jusqu’à présent être une fonction purement animale, avec cette découverte, on aborde une fonction exclusivement végétale. Aux trois critères : chaleur, mouvement et respiration, qui depuis toujours séparent les deux règnes, vient donc s’en ajouter un quatrième, mais, à l’opposé des précédents, c’est un caractère que les animaux ne possèdent pas. Le monde des plantes, longtemps négligé jusqu’ici, amorce enfin sa revanche ! Tout en effet sépare ces deux processus, et d’abord leur histoire. Il faut remonter à la nuit des temps pour retrouver l’origine du concept de respiration. Rien de tel pour cette nouvelle fonction : elle est née le 17 août 1771, ou bien en mai 1772 – date habituellement retenue – quand sa découverte fut officiellement portée à la connaissance du monde savant. La caractérisation du phénomène se déroula ensuite sur un espace de temps relativement court, une trentaine d’années environ, entre 1772 et 1804, pour être précis. Il avait fallu une vingtaine d’années (1756-1774) pour découvrir les nouveaux airs et une bonne quinzaine d’autres (1773-1790) pour définir la nature de la respiration. En cinquante ans, on fit donc plus de progrès dans la connaissance du fonctionnement des êtres vivants, animaux et végétaux, que depuis le début des temps historiques. Cet événement se produisit aussi deux ou trois ans avant la découverte de l’oxygène (1774), c’est-à-dire dans un environnement imprégné de phlogistique. Deux interrogations agitaient alors le monde des philosophes. Le phlogistique régnait en maître sur la chimie. On savait que la combustion et la respiration produisaient un 1 Le titre aurait dû être La photosynthèse, pour faire pendant au titre du chapitre précédent, mais comment user d’un mot qui n’existait pas pour désigner un phénomène encore inconnu ? 2 La chimiosynthèse, rencontrée chez certains groupes de bactéries, y contribue aussi, mais d’une manière tout à fait mineure.

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air phlogistiqué. La question se posait donc de la nature de cet air, question rendue encore plus ardue par le fait qu’il était connu que ces deux phénomènes libéraient aussi de l’air fixe. Pour concilier ces deux aspects, on allait donc devoir faire subir quelque nouvelle contorsion au phlogistique (p.  100). Mais une voie plus directe pour répondre à la question semblait exister : on aurait l’explication si, par quelque moyen, cet air vicié pouvait être rendu à nouveau respirable. En somme, il suffisait de le déphlogistiquer. Quelques années plus tard, quand Lavoisier eut établi que les matières végétales étaient essentiellement composées de carbone, d’oxygène et d’hydrogène (§  4.5), le problème de l’origine de ces éléments dans les végétaux se posa lui aussi. Il n’y avait apparemment pas de difficulté majeure pour l’hydrogène et l’oxygène, que l’on avait démontré être les constituants de l’eau, activement absorbée par les racines des végétaux. Mais d’où venait le carbone qui, dans la respiration comme dans la combustion, s’unissait à l’oxygène de l’air pour former du gaz carbonique ? A priori, il ne pouvait venir que du sol, car ni l’eau ni l’air [à cette époque] qui, avec le sol, constituent l’environnement des plantes, n’en contenaient. L’opinion la plus commune était donc qu’il provenait des matières animales et végétales qui se mélangent naturellement au sol (humus) ou qu’on apporte comme engrais (fumier) pour améliorer les récoltes. Cette opinion était cependant mise en doute, car il apparaissait aussi qu’il devait exister une source de carbone dans l’air, du simple fait des combustions industrielles ou domestiques et de la respiration des animaux. Mais cette quantité devait être infime, échappant aux procédés d’analyse de l’époque. Comment les plantes auraient-elles pu y avoir accès ? Il s’agissait là d’un problème d’importance, lié à la nutrition et à la croissance des végétaux. Il fallut une trentaine d’années pour résoudre la question, mais jusque vers le milieu du xixe siècle, ce que nous appelons aujourd’hui photosynthèse ne fut en fait perçu que sous l’angle de la « végétation » 3 des plantes. Pour conclure cette entrée en matière, on laissera le mot de la fin à Lavoisier. Sollicité par l’Académie de rendre un avis sur deux mémoires, aux conclusions opposées, sur l’origine du carbone chez les végétaux, présentés par Seguin et Hassenfratz, il écrivait dans son rapport 4 :

3 Au xviiie siècle, par végétation, il faut entendre : croissance ou développement d’une plante, production de matière végétale. De même, végéter (p. 121 et 134) a le sens de pousser, se développer, et même croître avec une certaine exubérance, et non celui de dépérir, être chétif. 4 A. Lavoisier. Œuvres de Lavoisier, tome 4, p. 536 (Rapport sur la végétation).

Chapitre 6 - Comment le carbone vient aux plantes

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z Si l’on brûle du bois ou une matière végétale quelconque sous une cloche remplie d’air vital, la substance végétale, en se combinant avec la base de l’air, se convertit en acide carbonique et en eau ; mais si une substance végétale, plus de l’oxygène, forme de l’acide carbonique et de l’eau, il en résulte qu’en enlevant de l’oxygène à de l’acide carbonique et à de l’eau, on doit reformer une combinaison végétale, et, quoique l’art ne nous fournisse encore aucun moyen d’opérer cette merveille, il n’est pas sans vraisemblance, et l’analogie porte à le croire, que c’est la marche que suit la nature pour la formation des végétaux. y

Dans toute son œuvre, Lavoisier n’a peut-être écrit que ces quelques lignes sur la « photosynthèse », mais une fois de plus il avait vu juste. Comme on le voit, l’intitulé de ce chapitre aurait encore pu être amélioré pour répondre à cette double interrogation. Dans le style fleuri de l’époque, un titre comme : « De la déphlogistication de l’air, ou comment le carbone vient aux plantes », aurait été plus en harmonie avec l’esprit du temps.

6.1 - Le « rétablissement » de l’air vicié Les matières végétales, à l’état desséché, sont combustibles. Elles laissent donc, en brûlant, échapper du phlogistique : ce qui établit le fait qu’au cours de leur végétation les plantes doivent progressivement se charger de phlogistique. Étant lui-même une forme de feu fixé, il paraissait exclu qu’il puisse provenir d’une terre comme le sol, peu combustible, et certainement pas de l’eau. La source la plus probable devait donc être l’air atmosphérique. Dans la nature devait donc exister une sorte de cycle biologique du phlogistique : produit par la respiration des animaux, récupéré par les plantes, transmis de proche en proche aux herbivores puis aux carnivores, qui par leur respiration le rejetaient dans l’air (p. 52). L’air était donc le milieu assurant les mouvements du phlogistique entre les deux règnes. Mais il s’agissait là d’opinions non démontrées, plus philosophiques que scientifiques.

6.1.1 - La déphlogistication de l’air Il fallait donc trouver un moyen de déphlogistiquer cet air vicié. En fait, c’est la vérification de l’hypothèse inverse qui ouvrit à Priestley la voie de sa découverte. Les animaux vicient l’air quand on les place dans une atmosphère confinée, mais

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qu’en est-il des plantes ? Avec les moyens de l’époque (fig. 6.1), Priestley testa l’hypothèse. Le résultat ne fut pas celui qu’il escomptait 5 : z J’ai eu le bonheur de trouver par hasard une méthode de rétablir l’air altéré par la combustion des chandelles, et de découvrir au moins une des ressources que la nature emploie à ce grand dessein : c’est la végétation. Je conjecture que le rétablissement de l’air vicié s’opère au moyen de ce que les plantes absorbent le phlogistique dont l’air est surchargé par la combustion des corps inflammables. Que la conjecture soit fondée ou non, je crois que le fait est incontestable, (...) On serait porté à croire que, puisque l’air commun est nécessaire à la vie végétale aussi bien qu’à la vie animale, les plantes et les animaux devraient l’affecter de la même manière. Et j’avoue que je m’attendais au même effet, la première fois que je mis une tige de menthe dans une jarre de verre renversée sur un vaisseau plein d’eau. Mais après qu’elle y eut poussé pendant quelques mois, je trouvai que l’air n’éteignait pas les chandelles, et qu’il n’était pas nuisible à une souris que j’y exposai, (...) 6 y

Figure 6.1 - Appareillage utilisé par Priestley pour mesurer la purification de l'air par un pied de menthe [d’après J. Priestley. Philosophical transactions of the Royal Society, 1772, 62, p. 252]

5 J. Priestley. Expériences et observations sur différentes espèces d’air, 1775. La relation originale de ces faits fut faite dans les Phil. Trans. Roy. Soc. London (1772, 62, p. 147-264). Elle fut reprise ensuite dans Experiments and observations on different kinds of air (1774). Une traduction française par Gibelin exista dès 1775. Toutes les citations sont extraites de cet ouvrage. Une autre traduction (1777, 5 vol.) fut publiée deux ans plus tard. 6 J. Priestley. ibid., p. 63.

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Il était clair, d’après cette observation, que la présence d’une plante avait bonifié l’air de son environnement. Priestley poussa un peu plus loin l’interrogation : les plantes peuvent-elles rétablir dans son état originel l’air vicié par la combustion d’une chandelle 7 ? z Voyant que les chandelles brûlaient très bien dans l’air dans lequel les plantes avaient poussé pendant quelque temps, et ayant eu d’ailleurs quelque raison de croire qu’il y avait dans la végétation quelque chose qui rétablissait l’air vicié par la respiration, je pensai qu’il était possible que le même procédé rétablît aussi l’air altéré par la combustion des chandelles. D’après cette idée, le 17 août 1771, je mis un jet de menthe dans une quantité d’air, dans lequel une bougie avait cessé de brûler et je trouvai que, le 27 du même mois, une autre bougie pouvait y brûler parfaitement bien. Je répétai cette expérience sans la moindre variation de résultat, jusqu’à huit ou dix fois, pendant le reste de l’été. y

Le test était donc tout à fait positif. Il était même extrapolable à la respiration et à la putréfaction animales 8 : z Cette observation me conduisit à conclure que les plantes, bien loin d’affecter l’air de la même manière que la respiration animale, produisaient des effets contraires et tendaient à conserver l’atmosphère douce et salubre, lorsqu’elle est devenue nuisible en conséquence de la vie et de la respiration des animaux, ou de leur mort ou de leur putréfaction. Pour m’en assurer, je pris une quantité d’air rendue entièrement nuisible par des souris qui y avaient respiré et péri ; je le divisai en deux portions. J’en mis une dans une fiole plongée dans l’eau, et je mis un rejeton de menthe dans l’autre (qui était contenue dans une jarre de verre aussi plongée dans l’eau) : c’était vers le commencement du mois d’août 1771 ; et après huit ou dix jours, je trouvai qu’une souris vécut parfaitement bien dans la portion d’air dans laquelle le jet de menthe avait poussé, mais qu’elle mourut au moment qu’elle fut mise dans l’autre portion de la même quantité primitive d’air, que j’avais gardée dans la même exposition mais sans y mettre de plante à végéter. y

Cette expérience mémorable démontrait indubitablement que les plantes étaient capables de rendre à nouveau respirable un air rendu irrespirable à la suite de la combustion d’une chandelle ou de la mort d’un animal : il avait donc été déphlogistiqué. Mais quelle était la nature de cet air restauré ? Pour le moment, la réponse était assez vague : quelque chose avait été enlevé à l’air phlogistiqué, mais on ne savait quoi. Priestley n’a jamais été en mesure de préciser la vraie nature de ses airs phlogistiqué et déphlogistiqué (§ 3.3.4). On sait aujourd’hui que le premier contenait de l’azote, du gaz carbonique et, très vraisemblablement, une petite quantité d’oxygène 7 J. Priestley. ibid., p. 65. 8 J. Priestley. ibid., p. 112.

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résiduelle. Quant à son air déphlogistiqué, dépourvu de gaz carbonique, il renfermait de l’azote ainsi que de l’oxygène, mais dans une proportion bien supérieure à celle de l’air atmosphérique. C’est à cette dernière propriété qu’il devait sa qualité d’air déphlogistiqué. Priestley avait donc phlogistiqué et déphlogistiqué l’air atmosphérique, mais sans savoir en quoi cela consistait vraiment. Lavoisier, lui, le savait, car il s’était aussi penché sur la question et, à sa manière, avait déphlogistiqué l’air vicié par la respiration 9 : z (...) d’où il résulte que l’air vicié par la respiration contient près d’un sixième d’un acide aériforme, parfaitement semblable à celui qu’on retire de la craie. Loin que l’air qui avait été ainsi dépouillé de sa partie fixable par l’alcali caustique eût été rétabli par là dans l’état d’air commun, il s’était, au contraire, rapproché davantage de l’air qui avait servi à la calcination du mercure, ou plutôt il n’était plus qu’une seule et même chose ; comme lui, il faisait périr les animaux, il éteignait les lumières ; enfin, de toutes les expériences de comparaison que j’ai faites avec ces deux airs, aucune ne m’a paru laisser apercevoir entre eux la moindre différence. Mais l’air qui a servi à la calcination du mercure n’est autre chose, comme on l’a vu plus haut, que le résidu méphitique [azote] de l’air de l’atmosphère, dont la partie éminemment respirable [oxygène] s’est combinée avec le mercure pendant la calcination ; donc l’air qui a servi à la respiration, lorsqu’il a été dépouillé de la portion d’acide crayeux aériforme [gaz carbonique] qu’il contient, n’est également qu’un résidu d’air commun privé de sa partie respirable ; et, en effet, ayant combiné avec cet air environ un quart de son volume d’air éminemment respirable, tiré de la chaux du mercure, je l’ai rétabli dans son premier état, et je l’ai rendu aussi propre que l’air commun soit à la respiration, soit à l’entretien des lumières, de la même manière que je l’avais fait avec l’air qui avait été vicié par la calcination des métaux. y

Lavoisier avait tout simplement déphlogistiqué l’air vicié par la respiration en lui enlevant son gaz carbonique et en lui rajoutant la quantité d’oxygène qui lui manquait ! Comme il le rapporte plus haut, Priestley répéta son expérience huit ou dix fois durant la fin de l’été 1771. Aussitôt connue, on tenta de reproduire cette expérience dans tous les laboratoires d’Europe traitant de chimie pneumatique, mais avec des succès mitigés. Scheele, pourtant expérimentateur remarquable, en fut incapable. Priestley lui-même, poursuivant ses travaux, obtint des résultats douteux. Par exemple, dans le laboratoire, un pied de fraisier se révéla incapable de purifier

9 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 185 (Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l’air en passant par leur poumon).

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l’air vicié, alors que, dans le jardin, il s’était montré efficace. De telle sorte que, le moment d’enthousiasme passé, Priestley édulcora quelque peu sa pensée 10 : z Vers la fin de l’année, quelques expériences de ce genre ne me réussirent pas aussi bien qu’auparavant, et j’observai des cas où cet air rétabli retomba dans son premier état nuisible. Cela me fit suspendre mon jugement sur l’efficacité des plantes pour rétablir cet air nuisible, jusqu’à ce que j’eusse l’occasion de répéter mes expériences et de leur donner plus d’attention. Je repris les expériences dans l’été de l’année 1772 et j’eus d’abord la preuve la plus incontestable du rétablissement de l’air putride par la végétation . y

Selon toute vraisemblance, il faut attribuer les ratés de ces expériences (qui marchaient bien en été, mais pas en hiver) à un facteur qui avait échappé à l’attention de Priestley : la lumière. Selon qu’il opérait dans son jardin, devant une fenêtre ou au fond de son laboratoire, les résultats pouvaient être très variables. Il faut aussi noter que la découverte avait eu lieu en été (août 1771) et que c’est au cours de l’hiver qui suivit que Priestley commença à obtenir ses mauvais résultats. Il est donc plus que probable que les purées de pois de l’hiver britannique pour Priestley, ou les brouillards nordiques pour Scheele, ont privé ces expérimentateurs d’une alliée indispensable : la lumière solaire. Des circonstances qui, aujourd’hui, nous paraissent triviales, se révélaient capitales à cette époque. Ce n’est qu’en été que les chimistes pouvaient opérer leurs cristallisations avec succès. Lavoisier fut empêché par des hivers trop doux de poursuivre ses expériences de calorimétrie (il fallait disposer de glace !), et c’est aussi en été, trois ans plus tard, le 1er août 1774, que Priestley découvrit l’oxygène, un jour où, grâce à son verre ardent, il avait pu concentrer la lumière du soleil (p. 60).

6.1.2 - L’émission d’oxygène Découvreur du pouvoir des plantes de restaurer l’air vicié, Priestley fut aussi le premier à montrer que, dans cette opération, de l’oxygène était dégagé. Mais, une fois encore, le sens de sa découverte lui échappa. Il avait ainsi remarqué que sur les parois de ses flacons remplis d’eau, une matière de couleur verte (a green matter) se déposait lentement. Il constata aussi que de cette matière se dégageaient des bulles d’un air, qu’il identifia à de l’air déphlogistiqué. Le dégagement de ces bulles était d’autant plus intense que les flacons étaient plus éclairés. Priestley venait de découvrir le dégagement d’oxygène et l’action de la lumière, mais sans en apprécier la portée. Dans un premier temps, il assimila la matière verte à une substance minérale sui generis, et relia le phénomène à une libération d’air déphlogistiqué, comme le fait l’oxyde de mercure quand on le soumet aux rayons d’un verre ardent. Ce n’est que quelques années plus tard (1781), des

10 J. Priestley. Expériences et observations sur différentes espèces d’air, p. 112.

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botanistes ayant examiné cette matière verte au microscope, qu’il admit avec difficulté qu’il pouvait s’agir de sortes d’algues 11. On pense de même que Priestley aurait pressenti l’absorption de l’air fixe par les feuilles des plantes vertes. Il avait en effet noté 12 : z Puisque les plantes que j’ai employées croissent et profitent manifestement dans l’air putride ; puisqu’on sait que la matière putride fournit une nourriture convenable aux racines des plantes ; et puisqu’il est certain qu’elles reçoivent de la nourriture aussi bien par leurs feuilles que par leurs racines ; il paraît très probable que l’effluve putride est extrait de l’air jusqu’à un certain point par les feuilles des plantes, et qu’elles rendent conséquemment le reste plus propre à la respiration. y

à condition d’admettre que le terme effluve putride recouvre en partie l’air fixe. Priestley a donc mis en évidence les principales caractéristiques du phénomène que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de photosynthèse : la modification de l’atmosphère dans le sens d’une amélioration de ses qualités pour entretenir la combustion et la respiration, c’est-à-dire le rejet d’oxygène. Il a aussi vraisemblablement suspecté l’absorption de gaz carbonique et il a entrevu le rôle bénéfique de la lumière. Mais il lui a manqué de corréler ces faits, n’ayant sans doute jamais réalisé qu’il avait... « découvert la photosynthèse ». Des expériences de Priestley émergeait donc un résultat global assez confus, mais leur intérêt majeur avait été de révéler un phénomène nouveau, qui allait attirer l’attention de ses contemporains.

6.2 - La nécessité de la lumière C’est à Jan Ingen-Housz (1730-1799) qu’est due la démonstration du rôle de la lumière dans la purification par les plantes de l’air vicié par la respiration ou la combustion. Né à Breda, aux Pays-Bas, à l’opposé de Priestley ou de Senebier, qui étaient hommes d’Église, IngenHousz, médecin, spécialiste du traitement de la petite vérole (variole), était homme du monde, à l’aise dans tous les milieux et tous les pays, notamment la France, dont il maîtrisait parfaitement la langue. L’intérêt d’Ingen-Housz pour l’action de la lumière sur les plantes semble avoir été éveillé par une conférence donnée lors d’une réunion de la Société Royale de Londres, en 1773, au cours de laquelle on Ingen -Housz

11 Il devait probablement s’agir d’algues vertes unicellulaires du genre Chlorella, Chlamydomonas ou Scenedesmus, promises à un bel avenir au xxe siècle. 12 J. Priestley. ibid., p. 114.

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remettait à Priestley la médaille Copley, la plus haute distinction scientifique de l’époque, pour sa mise en évidence du rôle opposé des animaux et des plantes dans leur action sur l’air. Alors, au cours d’un de ses nombreux voyages en Angleterre, durant l’été 1779, il s’isola dans une résidence de la banlieue londonienne, réalisant plus de 500 expériences durant les mois de juin, juillet et août (donc en été). Il en publia les résultats, en octobre de la même année, dans un ouvrage au titre on ne peut plus explicite : Experiments upon vegetables, discovering their great power of purifying the common air in the sunshine, and of injuring it in the schade and at night. Il en assura lui-même la traduction française 13 l’année suivante. La méthode utilisée par Ingen-Housz consistait à placer des feuilles dans l’eau, à la lumière ou à l’obscurité, à en recueillir les bulles d’air [oxygène] qui s’en dégageaient et à mesurer le volume du gaz recueilli. Il plaçait aussi des plantes ou des organes végétaux dans des enceintes closes, sous diverses conditions et appréciait les modifications de l’air qui en résultaient. La technique d’analyse des mélanges gazeux s’était perfectionnée. Il n’était plus nécessaire de manipuler de grands volumes de gaz sur des cuves à eau ou à mercure. On pouvait pratiquer des analyses sur des volumes assez réduits (échantillons de quelques pouces cubiques) grâce à un appareil inventé par Priestley et dont l’emploi s’était généralisé, l’eudiomètre (fig. 6.2), instrument auquel Ingen-Housz porte beaucoup d’attention. 14

Figure 6.2 - Eudiomètre d'Ingen-Housz [d’après H.S. Reed, Chronica botanica, 1959, 11, p. 289 - Droits réservés]

13 J. Ingen-Housz. Expériences sur les végétaux, spécialement sur les propriétés qu’ils possèdent à un haut degré, soit d’améliorer l’air quand ils sont au soleil, soit de le corrompre la nuit, ou lorsqu’ils sont à l’ombre. Les citations sont extraites de cet ouvrage. 14 J. Ingen-Housz. Expériences sur les végétaux, ..., p. lvii 15 Eudiomètre, du grec εὐδία, eudia, beau temps, et μέτρον, metron, mesure. Dénomination assez inattendue, qui vient probablement du fait que les premières applications de cet instrument ont été consacrées à la mesure de la qualité (bonté) de l’air. 16 La mesure, « de quelque figure que ce soit », qu’utilisait Priestley était de deux pouces cubes (environ 40 mL).

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z Eudiomètre 15, ce mot grec est de nouvelle invention, et très bien adapté à un instrument ou une méthode également de nouvelle date, par le moyen de laquelle on peut juger exactement du degré de bonté ou de salubrité de l’air commun, ou d’un air quelconque. Nous devons la découverte d’un tel instrument, au docteur Priestley. Il consiste en deux parties détachées, dont l’une est un tube de verre divisé en parties égales, par exemple, en deux divisions égales chacune, chacune de ces divisions étant subdivisée en dix autres parties égales, chacune desquelles est subdivisée de même en dix autres égales. L’autre partie est une mesure, de quelque figure que ce soit, qui contient exactement ce qu’il faut pour remplir une des grandes divisions du tube. Le docteur Priestley commence par mettre dans un verre séparé une mesure 16 d’air commun, telle que je viens de l’indiquer et une d’air nitreux [monoxyde d’azote, NO]. Il laisse reposer ces deux airs dans le même verre durant un temps limité (employant toujours exactement le même intervalle de temps dans toutes les expériences), par exemple, durant une heure ; après quoi il fait monter ces deux airs ainsi incorporés ensemble, dans le tube divisé et observe d’abord l’espace que la masse de ces deux airs occupe. Il juge du degré de bonté de l’air, par la diminution que la masse des deux airs a subie après leur mixtion, de façon que l’air commun est censé d’autant plus pur ou plus salubre, que ladite diminution est plus grande  . y

Grâce à cette technique, en trois mois, Ingen-Housz a tout découvert des effets de la lumière sur les plantes dans leur rôle épurateur de l’air vicié. La simple lecture de la préface de l’ouvrage qu’il rédigea en donne un aperçu complet 17 : z À peine fus-je engagé dans ces recherches, que la scène la plus intéressante s’ouvrit à mes yeux : j’observai « que les plantes n’avaient pas seulement la faculté de corriger l’air impur dans l’espace de six jours ou plus, comme les expériences de M. Priestley semblent l’indiquer, mais qu’elles s’acquittent de ce devoir important dans peu d’heures, de la manière la plus complète ; - Que cette opération merveilleuse n’est aucunement due à la végétation, mais à l’influence de la lumière du soleil sur les plantes. - Je trouvai que les plantes possèdent en outre l’étonnante faculté de purifier l’air qu’elles contiennent dans leur substance, et qu’elles ont sans doute absorbé de l’atmosphère, et de le changer en un air des plus purs, et véritablement déphlogistiqué ; - Qu’il s’en faut beaucoup que cette opération soit continuelle, mais qu’elle commence seulement quelque temps après que le soleil s’est élevé sur l’horizon ; - Que les plantes ombragées par des bâtiments élevés ou par d’autres plantes, ne s’acquittent pas de ce devoir, c’est-à-dire, n’améliorent pas l’air, mais, au contraire, exhalent un air malfaisant, et nuisible aux animaux qui le respirent ; - Que la production du bon air commence à languir vers la fin du jour, et cesse entièrement au coucher du soleil ; - Que toutes les parties de la plante ne s’occupent pas de cet ouvrage, mais seulement les feuilles, et les tiges et rameaux verts qui les supportent ; - Que toutes en général corrompent l’air environnant, pendant la nuit, et même au milieu du jour, dans l’ombre ; y

17 J. Ingen-Housz. Expériences sur les végétaux, p. 30.

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- Que toutes les fleurs exhalent constamment un air mortel, et gâtent l’air environnant pendant le jour et pendant la nuit, à la lumière et à l’ombre ; et qu’elles répandent un poison réel et des plus terribles, dans une masse considérable d’air, où elles se trouvent enfermées ; - Que les racines récemment tirées de la terre ont la même influence malfaisante sur l’air qui les environne, que les fleurs, à l’exception cependant de quelques racines ; - Que les fruits en général conservent cette influence pernicieuse en tout temps, surtout dans l’obscurité, et que cette qualité vénéneuse des fruits est si grande, que quelques-uns, même des plus délicieux, telles les pêches, peuvent, dans une seule nuit, rendre l’air tellement empoisonné, que nous serions en danger de périr, si nous étions enfermés dans une petite chambre où se trouverait une grande quantité de fruits ». y

Il ressort clairement de cette préface que la purification de l’air par les plantes n’est pas le fait de l’organisme végétal tout entier : cette fonction est restreinte aux parties vertes, et à la condition qu’elles soient éclairées. Toute entorse à ces exigences se traduit par une efficacité moindre, la suppression du phénomène ou, pire encore, par l’effet inverse : la viciation de l’air. Bien plus, la nuit, les plantes vertes vicient l’air commun, et les organes non verts le font de jour comme de nuit. Il est donc manifeste que les plantes vertes durant la nuit, et les organes non verts en permanence, se comportent vis-à-vis de l’air comme le font les animaux. Mais on note aussi que le mot respiration n’est jamais employé à propos de ce comportement des plantes à l’obscurité. Toutefois, s’il fallait, comme pour la photosynthèse, dont le mérite de la découverte revient à Priestley, désigner un découvreur à la respiration des végétaux, c’est à Ingen-Housz qu’il faudrait accorder ce crédit. Non seulement il a parfaitement décrit le phénomène, de manière négative, il est vrai : c’est tout ce qu’on observe en absence de lumière ou de couleur verte, mais il est allé aussi loin – une espèce de respiration – qu’il était possible à cette époque pour le désigner 18 : z Il est fâcheux pour les physiciens, que l’air ne soit pas visible ; s’il l’était nous serions peut-être convaincus que les plantes ont une espèce de respiration, comme les animaux, que les organes de cette fonction sont les feuilles ; que ces organes, ou espèces de poumons, ont des pores absorbants et d’autres excrétoires, comme ceux des animaux, que la plupart des conduits absorbants sont placés à la surface supérieure des feuilles, et les excrétoires principalement à la surface inférieure. y

Bien qu’ayant fait réaliser des progrès considérables à la connaissance de l’influence de la lumière, Ingen-Housz, demeuré disciple de Stahl, avait sur la nutrition végétale – la végétation – des vues assez rétrogrades, même pour l’époque 19 : 18 J. Ingen-Housz. ibid., p. 42. 19 J. Ingen-Housz. ibid., p. 76.

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z Il semble que les végétaux tirent de la terre la plupart de leurs humeurs aqueuses pompées par les filaments nombreux des racines, et qu’ils prennent de l’atmosphère le phlogistique qui fait la principale partie de leur nourriture ; ils en absorbent l’air tel quel, c’est-à-dire, imprégné du principe inflammable. Cet air est digéré ou élaboré par les organes de la plante, de façon que le phlogistique y reste comme une de ses principales nourritures, et que le superflu, privé de phlogistique, et devenu un excrément pour la plante, est expulsé par les conduits excrétoires, et rendu à l’atmosphère : il entretient ainsi l’atmosphère dans le degré de salubrité nécessaire pour les animaux ; ceux-ci, à leur tour, en respirant cette impureté, en tirent ce qui est nécessaire pour la continuation de leur vie, et rendent le reste comme superflu et nuisible à leur constitution, mais devenu de nouveau salutaire aux végétaux. Cette théorie semble être fondée sur les lois de la nature, et répand de nouvelles lumières sur l’économie des végétaux, et sur la relation entre eux et le règne animal ; elle nous indique pourquoi les plantes végètent spécialement bien dans un air putride, où nous trouverions bientôt la mort, et pourquoi elles languissent dans l’air déphlogistiqué, dans lequel un animal devient plus vigoureux, et prolonge sa vie beaucoup plus longtemps que dans le meilleur air atmosphérique. y

Dans cette description du cycle biologique du phlogistique, le mot carbone n’est pas utilisé. C’est que la matière végétale trouve sa substance dans le phlogistique de l’air. Cette opinion – totalement erronée bien sûr – dissimule cependant une vérité qui mettra du temps à s’imposer, à savoir que la source du carbone des végétaux se trouve dans l’air et non dans le sol.

6.3 - L’absorption du gaz carbonique Né à Genève, Jean Senebier (1742-1809), pasteur de l’Église évangélique avant de devenir bibliothécaire de la ville de Genève, s’intéressa à la purification de l’air par les plantes. En 1782, il publia un ouvrage en trois volumes, Mémoires physico-chimiques sur l’influence de la lumière solaire pour modifier les êtres des trois règnes, surtout ceux du règne végétal. Ces travaux l’orientèrent définitivement vers l’étude du rôle de l’air fixe dans ce processus. La technique expérimentale consistait à plonger des feuilles dans l’eau, à les soumettre à la lumière ou à l’obsSenebier curité, et à mesurer le volume d’air pur [oxygène] dégagé (fig. 6.3(a)). Senebier utilise de l’eau de source, de « l’eau de pompe », en général assez chargée en gaz carbonique dissous ou en carbonates, ou encore de l’eau fraîchement distillée ou bouillie, donc dépourvue de gaz dissous. Parfois, il utilise de l’eau artificiellement saturée en air fixe. Grâce à cette technique et à l’usage de l’eudiomètre, Senebier va démontrer l’existence d’une relation de

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cause à effet entre la présence d’air fixe dans l’eau et l’émission d’air pur par les feuilles. Ce sujet est amplement développé dans un second ouvrage, publié en 1783, Recherches sur l’influence de la lumière solaire pour métamorphoser l’air fixe en air pur par la végétation. Dans cet ouvrage et celui qui suivra, Expériences sur l’action de la lumière solaire sur la végétation (1788), qui résume son œuvre, Senebier établit de façon indiscutable la nécessité de la présence d’air fixe [CO2] pour que la libération d’air pur [O2] puisse s’effectuer 20 : z Enfin, j’ai montré que l’air fixe, dissous dans l’eau, était la source de l’air pur que le soleil soutire hors des feuilles exposées sous l’eau à son action, puisque les eaux distillées ou bouillies ne deviennent favorables à l’émission de l’air pur hors des feuilles, lorsqu’on les y expose au soleil, que quand elles ont été imprégnées d’air fixe, et qu’elles favorisent d’autant plus cette émission qu’elles en sont plus chargées, ou qu’elles en dissolvent une plus grande quantité. y

Ayant saturé d’air fixe, en différentes proportions (100, 75, 50, 25 %), une eau dans laquelle il avait placé divers types de feuilles (pêcher, cerisier, joubarbe, graminées). Senebier met en évidence une relation directe, proportionnelle même, entre la concentration de l’air fixe dissous et le dégagement d’air pur 21 : z Ces expériences prouvent, 1°. qu’il y a trois plantes dont les feuilles exposées sous l’eau saturée d’air fixe au soleil, donnent plus d’air [oxygène] que dans une eau qui contiendrait moins d’air fixe ; 2°. que cette quantité d’air produite dans ces eaux différemment aérées, suit une certaine proportion avec la quantité d’air fixe contenue dans l’eau, quand on a trouvé celle que la feuille peut supporter ; 3°. que dans tous les cas il y a considérablement plus d’air produit par les feuilles exposées au soleil sous l’eau aérée que sous l’eau commune ; 4°. que dans l’eau distillée il y a eu peu d’air produit par les feuilles qu’on y exposait au soleil ; 5°. que les feuilles exposées dans l’eau bouillie au soleil n’ont point donné d’air ; 6°. enfin, que l’air fourni par les feuilles exposées au soleil dans l’eau aérée, a été si abondant, et son volume a surpassé si fort celui des feuilles qui l’ont fourni, qu’on est forcé de reconnaître que cet air fourni par la feuille est un air qu’elle a reçu de l’eau, et que le soleil lui a fait rendre, puisque cet air rendu par les feuilles est jusques à un certain point proportionnel à la quantité d’air fixe contenu dans l’eau, d’autant plus que cet air produit alors suit, dans quelques cas, cette proportion avec rigueur. y

20 J. Senebier, Recherches sur l’influence de la lumière solaire pour métamorphoser l’air fixe en air pur par la végétation, p. 6. 21 J. Senebier, Expériences sur l’action de la lumière solaire sur la végétation, p. 318. L’avenir montrera que cette affirmation doit être nuancée. Dans la photosynthèse, les volumes de CO2 et de O2 échangés sont effectivement égaux (p. 170), mais la présence de CO2 n’est pas nécessaire pour que l’oxygène soit dégagé (l’air fixe ne se métamorphose pas en air pur).

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(a)

(b)

Figure 6.3 - Appareils utilisés par Senebier (a) mesure du dégagement gazeux par une feuille immergée. (b) dispositif permettant d'étudier l'influence de la couleur de la lumière sur la modification de l'air atmosphérique par une plante [d’après J. Senebier. Mémoires physicochimiques sur l’influence de la lumière solaire pour modifier les êtres des trois règnes, surtout ceux du règne végétal, Chirol, Genève, 1782, vol. 3, planche 1)

Au cours du processus de purification de l’air vicié par les plantes, Senebier suppose donc une transmutation, une métamorphose de l’air fixe en air pur. Senebier considère que, dans les parties vertes des plantes, la lumière décompose l’air fixe pour en libérer l’air pur. Mais cet air fixe ne peut provenir que du sol, absorbé sous forme dissoute par les racines des plantes, car personne à l’époque ne pouvait raisonnablement envisager qu’il puisse provenir de l’air, même s’il y avait quelque interrogation sur ce point 22 : z Il me paraît certain qu’il y a de l’air fixe dans la partie basse de l’atmosphère, qu’il y en a toujours, et qu’il doit y en avoir, puisqu’une foule de causes constamment actives concourent à le répandre dans l’air ; il ne s’agit plus que de savoir s’il peut pénétrer par les feuilles : j’avoue bien que je suis persuadé que l’air fixe n’entre point dans les feuilles sous la forme aérienne ; toutes les raisons que j’ai données pour montrer la difficulté qu’il y avait d’introduire l’air en nature dans les feuilles s’y opposent ; Mais je crois que l’air fixe n’entre dans les plantes, qu’après avoir été dissous dans l’eau, comme dans les eaux gazeuses. Il y entre pendant le jour avec les eaux qui s’élèvent par les racines, et qui viennent se répandre dans tous les vaisseaux des feuilles : on sait combien est grande la succion des plantes exposées à l’action du soleil ; il y entre pendant la nuit par les feuilles elles-mêmes, qui ne transpirent plus dès que le soleil cesse de les éclairer ; (...)

22 J. Senebier. Expériences sur l’action de la lumière solaire sur la végétation, p. 428.

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l’air fixe répandu dans l’atmosphère vient se dissoudre dans l’eau qui est sur les feuilles, et augmenter la quantité d’air fixe qu’on trouve déjà dans la rosée ; alors les feuilles, en aspirant l’eau qui les baigne, aspirent l’air fixe qu’elle a dissous, et les feuilles se trouvent pénétrées d’une grande quantité d’air fixe qui est remplacée, après son élaboration, par celle qui est contenue dans l’eau, que les racines fournissent à toute la plante. y

En aucun cas donc, l’air fixe ne pénètre dans la plante sous la forme aérienne. En fait, la conclusion la plus importante qui aurait pu être tirée de ces expériences ne l’a pas été. Trop occupé à métamorphoser son air fixe en air pur, Senebier n’a pas vu que dans ce processus (et selon sa thèse) le carbone de l’air fixe, dont Lavoisier venait (1784) de déterminer la composition (28 parties de carbone et 72 parties d’oxygène, p. 81) demeurait dans la plante [CO2 – O2 = C]. Là se trouvait la véritable la source du carbone présent dans les matières végétales, ainsi que le montrera de Saussure. Au crédit de Senebier, il faut aussi rapporter une initiative intéressante. Il eut le premier l’idée d’étudier l’influence de la couleur de la lumière en plaçant des plantes sous des écrans colorés. Ceux-ci étaient des sortes de grosses bouteilles ventrues (dames-jeannes) dont le fond faisait profondément intrusion à l’intérieur du corps de la bouteille, de manière à y ménager un espace suffisant pour y placer des feuilles immergées dans l’eau ou même des plantes entières (fig. 6.3(b)). Senebier remplissait la bouteille avec des liquides diversement colorés et analysait les modifications de l’atmosphère où se trouvait la plante. Il colora ainsi l’eau de la bouteille en rouge par le carmin, en violet par la teinture de tournesol et en jaune par des extraits de curcuma. Il observa que le dégagement d’air pur par des plants de Sedum sempervivum était moindre en présence d’écrans colorés, mais l’intensité du dégagement était plus élevée dans le rouge que dans le violet. Avec l’apport de Senebier, le problème de la nature de la purification de l’air par les plantes s’est donc bien éclairci. Après celui de la lumière, les rôles du gaz carbonique et de l’oxygène y sont définitivement établis, même s’ils ne sont pas clairement reliés à la source du carbone dans les matières végétales. Cependant, toutes ces expériences, comme celles de Priestley et d’Ingen-Housz, souffraient d’un grave défaut. Même si on y mesurait systématiquement des volumes gazeux ou si on appréciait la qualité de l’air, seuls les aspects qualitatifs du phénomène étaient considérés. Ce sera le mérite de de Saussure d’introduire la mesure du bilan de ces échanges, ce qui le conduira à faire intervenir, en plus de la lumière, du gaz carbonique et de l’oxygène, un quatrième facteur : l’eau.

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6.4 - L’origine atmosphérique du carbone des végétaux

De Saussure

Nicolas-Théodore de Saussure (1767-1845), né à Genève comme Senebier, professeur de minéralogie et de géologie à l’université de Genève, a consacré la plus grande partie de son temps à l’étude de la nutrition des végétaux. Ces recherches se concrétisèrent en 1804 dans la publication d’un ouvrage, Recherches chimiques sur la végétation, que l’on peut considérer comme le premier traité moderne de physiologie végétale. En son domaine, cet ouvrage est comparable au Traité élémentaire de chimie de Lavoisier pour la chimie. Dans la préface, de Saussure écrit  :

z Les fonctions de l’eau et des gaz dans la nutrition des végétaux, les changements qu’ils font subir à leur atmosphère, sont les sujets que j’ai le plus approfondis. Les observations de Priestley, de Senebier, d’Ingen-Housz, ont ouvert la carrière que j’ai parcourue, mais elles n’ont point atteint le but que je me suis proposé. Si l’imagination a quelquefois rempli les vides qu’elles ont laissés, c’est par des conjectures dont l’obscurité et l’opposition ont toujours montré l’incertitude 23 (...) Mes recherches me conduisirent à montrer comment l’eau et l’air contribuent plus à la formation de la substance sèche des plantes qui croissent sur un sol fertile, que la matière du terreau qu’elles absorbent en dissolution dans l’eau par leurs racines. 24 y

De Saussure répéta donc, mais avec beaucoup plus de rigueur, les expériences d’Ingen-Housz sur l’action de la lumière et de Senebier sur l’influence du gaz carbonique. Mais il dénonça surtout deux erreurs tenaces qui depuis Van Helmont et Boyle, portaient sur l’origine de la matière végétale (p.  39). En dernière analyse, celle-ci se révélait être constituée d’eau, qu’on pouvait faire disparaître en desséchant les plantes, d’une matière carbonée qu’on pouvait détruire par la combustion, et enfin de cendres, résidu d’origine mystérieuse, qu’on pouvait solubiliser dans divers acides. Selon Van Helmont, toutes ces matières étaient censées provenir de la transmutation de l’eau en terre, proposition qu’avait réfutée Lavoisier. Mais il n’était pas exclu non plus qu’elles puissent venir du sol, comme le carbone d’ailleurs, dont la source était censée être la matière organique de l’humus 25. De Saussure détruisit 23 T. de Saussure. Recherches chimiques sur la végétation, p. iv. 24 T. de Saussure. ibid., p. v. 25 Humus, terme savant, tiré du latin (humus, sol, terre), créé vers 1765 pour désigner les matières organiques du sol, résultat de la décomposition des végétaux. Il devait donner son nom à une célèbre théorie, la théorie de l’humus, selon laquelle l’origine du carbone chez les végétaux se trouvait dans le sol, à la suite d’un recyclage permanent des matières animales et végétales.

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ces théories. Il montra, ainsi que Bernard Palissy l’avait suggéré longtemps auparavant (1563), que la source des matières minérales présentes dans les cendres des végétaux se trouvait dans la solution minérale qui imprègne le sol et celle du carbone dans l’air atmosphérique et non dans le sol. Mais surtout – et là réside sa contribution principale – de même que Lavoisier avait montré que de l’eau était produite dans la respiration, de Saussure démontra que de l’eau était utilisée, en association avec l’absorption de gaz carbonique et le rejet d’oxygène, dans ce processus qui contribuait, non seulement à purifier l’air vicié, mais surtout à faire augmenter le poids des plantes. Pour ce qui est de l’origine du carbone des végétaux, deux séries de faits avaient jusqu’à présent concouru pour éliminer l’air commun en tant que source du carbone : l’absence de gaz carbonique dans l’air, mais surtout la présence de carbone dans le sol. Avec la composition de l’eau, l’une des principales découvertes de la fin du xviiie siècle fut certainement celle de la composition de l’air. Des résultats assez exacts avaient même été obtenus, les plus précis étant certainement ceux de Cavendish : 20,83 parties d’oxygène et 79,17 parties d’azote (p. 71). Aucun autre gaz n’y avait été décelé. Et pourtant, ... quand Black préparait son eau de chaux, il était impératif, pour éviter qu’elle ne se trouble, de la conserver à l’abri de l’air, dans des flacons bien bouchés. Quand la combustion et la respiration libéraient du phlogistique, de l’air fixe était aussi libéré. Mais il était évident aussi que dans l’atmosphère, cette quantité devait être très faible, échappant à toute analyse. La  question était néanmoins posée. Certains entreprirent d’y apporter une réponse. L’un des premiers à produire des résultats fiables fut le grand voyageur et naturaliste allemand Alexander von Humbolt (1769-1859). Le premier (1798), il établit que l’air atmosphérique contenait de l’acide carbonique 26 : z Occupé depuis plusieurs années de l’analyse exacte de l’atmosphère (...) , le gaz atmosphérique sur lequel je travaillais contenait : 0,274 parties d’oxygène, 0,008 parties d’acide carbonique, 0,718 parties d’azote. y

Cette valeur de 0,8 %, extrêmement faible par rapport à celles des deux autres gaz, est en fait très éloignée de la valeur réelle que l’on enregistre aujourd’hui (0,0394 %, en 2012), mais elle avait le mérite d’établir, ou de confirmer, un fait indiscutable : constitutivement, l’air atmosphérique contenait une certaine quantité de gaz acide carbonique, source potentielle de carbone pour les plantes. Un obstacle venait d’être levé.

26 A. von Humbolt. Ann. chimie, 1798, 27, p. 141 (Mémoire sur la combinaison ternaire du phosphore, de l’azote et de l’oxygène, et sur l’existence de phosphure d’azote oxydé).

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La démonstration définitive vint d’études entreprises sur la nutrition des plantes. De Saussure utilisa un dispositif expérimental (fig. 6.4) consistant à maintenir en présence d’une atmosphère enrichie en gaz carbonique, pendant quelques jours, à la lumière et en vase clos, des plantes entières dont les racines trempaient dans de l’eau distillée. Les modifications produites dans l’atmosphère étaient mesurées, ainsi que le poids de la matière sèche des plantes, avant et après l’expérience, ce qui lui permettait d’établir des bilans : z J’ai employé pour mes épreuves eudiométriques soit de l’hydrosulfure de potasse, soit le phosphore. Ces procédés m’ont permis de mettre dans mes analyses une précision à laquelle l’eudiomètre à gaz nitreux employé par les auteurs qui m’ont précédé, ne pouvaient parvenir. 27 On peut juger si la substance sèche ou soluble des végétaux s’accroît par la fixation des principes constituants de l’eau, en faisant sécher à la température atmosphérique une plante semblable et égale en poids à celle que l’on doit faire végéter, en vase clos, à l’aide de l’eau pure et du gaz oxygène [de l’air atmosphérique], et en voyant si la plante qui vient de végéter dans ces circonstances pèse plus dans l’état sec que si elle eût été séchée avant l’expérience. Il est superflu d’ajouter que les deux plantes doivent être récoltées, au même degré de maturité, sur le même sol, et qu’elles doivent toujours être pesées aux mêmes degrés du thermomètre et de l’hygromètre. (...) Les expériences multipliées que j’ai faites par ces procédés, m’ont prouvé que les plantes qui végètent à l’aide de l’eau seule, en vase clos, dans l’air atmosphérique, dépouillé de gaz acide carbonique, n’y augmentent presque point le poids de leur substance végétale, dans l’état sec, et que si elles l’augmentent, c’est d’une quantité très petite, très limitée, ou, en d’autres termes, qui ne peut pas être augmentée par une végétation plus longtemps continuée. 28

Dans ces conditions, la croissance de la plante est donc insignifiante, mais si on introduit du gaz carbonique dans l’atmosphère, la situation devient tout autre 29 : z J’ai fait germer des pois à l’aide de l’eau distillée jusqu’à ce que chaque plante eût acquis une hauteur d’environ 1 décimètre (4 pouces) et pesât 1 gramme (20 grains). J’en ai placé alors trois pour chaque expérience dans un verre à pied plein d’eau, de manière que les racines seules plongeassent dans ce liquide, et je les ai introduites dans différents mélanges d’air commun et de gaz acide carbonique, dans des récipients fermés par de l’eau, qui était recouverte dans leur intérieur d’une couche d’huile, lorsqu’ils contenaient plus de la moitié de leur volume de gaz carbonique (...) y

27 T. de Saussure. Recherches chimiques sur la végétation, p. iv. 28 T. de Saussure. ibid., p. 220. 29 T. de Saussure. ibid., p. 29.

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Figure 6.4 - Dispositif utilisé par de Saussure pour mesurer l'influence d'une atmosphère enrichie en gaz carbonique sur la croissance pondérale d'une plante [d’après T. de Saussure. Recherches chimiques sur la végétation. Nyon, Paris, 1804]

L’expérience a duré 10 jours. Un pied de pois cultivé dans l’air atmosphérique s’est ainsi accru de 425 mg. Les teneurs en gaz carbonique de 100 à 50 % se sont révélées toxiques. La croissance fut de 265 mg à 25 %, de 371 mg à 12,5 %, mais de 583 mg à 8,3 %, très supérieure à celle observée dans l’air commun 30 : z Enfin, la moyenne de l’augmentation de chaque plante dans une atmosphère d’air commun dont le gaz acide occupait la douzième partie [8,3 %], a été de 583 milligrammes (11 grains). J’ai répété plusieurs fois cette expérience, et les plantes y ont constamment mieux prospéré que dans l’air atmosphérique pur. y

Cette expérience démontrait définitivement que la cause de l’augmentation de poids et la source du carbone de la matière végétale se trouvaient dans l’air atmosphérique, grâce au gaz carbonique qu’il contient. Ainsi fut établi le fait que la nutrition car30 T. de Saussure. ibid., p. 31.

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bonée des végétaux est assurée par les feuilles des plantes, à la lumière, à partir de l’acide carbonique de l’air atmosphérique comme unique source de carbone.

6.5 - La participation de l’eau De Saussure était un expérimentateur habile. Dans ses expériences, il introduisit, comme l’avait fait Lavoisier, la méthode des bilans. Aux mesures de variations de composition des volumes gazeux, il ajouta la mesure des variations de la masse de la plante au cours de sa végétation. C’est ainsi qu’il démontra la nécessité d’une participation de l’eau dans ce processus. L’approche expérimentale rappelle étonnamment celle de Lavoisier dans sa démonstration de la formation d’eau au cours de la respiration (§ 5.3.3). Procédant à la dessiccation de la plante, de Saussure mesura le poids de la matière sèche, puis celui des cendres qui persistaient après combustion. Il constata que, dans le poids de la matière sèche, la contribution des cendres était négligeable, le poids de la plante étant essentiellement représenté par celui du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène, constituants majeurs des matières végétales, ainsi que Lavoisier l’avait montré par des expériences de combustion. Établissant alors des bilans très précis, de Saussure s’aperçut alors que cette augmentation de poids ne pouvait s’expliquer en ne considérant que la seule absorption de gaz carbonique. En effet, ainsi que l’avait bien montré Senebier, les deux processus, absorption de gaz carbonique et rejet d’oxygène, sont intimement et proportionnellement corrélés. Les valeurs de l’intensité de ces échanges gazeux, même si elles étaient entachées d’erreurs ou d’imprécision, étaient assez bien connues : globalement, les volumes de gaz carbonique absorbé et d’oxygène rejeté étaient équivalents. L’air fixe se métamorphosant en air pur (selon Senebier), tout se passait comme si la plante absorbait le gaz carbonique, en extrayait l’oxygène pour le rejeter dans l’atmosphère, et conservait le carbone, qui contribuait ainsi à l’augmentation de sa masse. De Saussure pouvait donc établir le bilan de ces échanges de gaz : en théorie, pour chaque gramme de gaz carbonique absorbé 0,73 g d’oxygène 31 est rejeté, et donc seul un quart environ de la masse du gaz carbonique absorbé est retenu par la plante. De Saussure en vint ainsi à constater que la masse de carbone du gaz carbonique absorbé à partir de l’air était très insuffisante pour expliquer l’augmentation du poids de la plante, l’analyse montrant en fait que ce carbone n’y contribuait que pour 30 à 40 %. Quelle était donc la cause de ce défaut de masse inexpliqué ? Voici l’explication qu’en donne de Saussure 32 :

31 Pondéralement, dans le CO2 le carbone représente 27,27 % et l’oxygène 72,73 %. 32 T. de Saussure. ibid., p. 40.

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z J’ai composé avec du gaz acide carbonique et de l’air commun où l’eudiomètre à phosphore indiquait 21/100 de gaz oxygène, une atmosphère artificielle qui occupait 5,746 litres (290 pouces cubes). L’eau de chaux y dénonçait 7 ½ centièmes de gaz acide carbonique. Le mélange aériforme était renfermé dans un récipient fermé par du mercure humecté, ou recouvert d’une très mince couche d’eau pour empêcher le contact de ce métal avec l’air qui environnait les plantes ... J’ai introduit sous ce récipient sept plantes de pervenche : leurs racines plongeaient dans un vase séparé, qui contenait 15 centimètres cubes (3/4 de pouce cube) d’eau ; la quantité de ce liquide sous le récipient, était insuffisante pour absorber une quantité sensible de gaz acide, surtout à la température du lieu, qui n’était jamais moindre que + 17 degrés de RÉaumur [21,2 °C]. Cet appareil a été exposé pendant six jours de suite, depuis cinq heures du matin jusqu’à onze heures, aux rayons directs du soleil, affaiblis toutefois lorsqu’ils avaient trop d’intensité. Le septième jour j’ai retiré les plantes, qui n’avaient pas subi la moindre altération (...) Il résulte des observations eudiométriques énoncées ci-dessus, que le mélange d’air commun et de gaz acide contenait avant l’expérience : 4199 centim. cub. ou (211,92 pouces cub.) de gaz azote 1116 centim. cub. ou (56,33 ) de gaz oxygène 431 centim.cub. ou (21,75 ) de gaz acide carbonique Le même air contenait après l’expérience : 4338 centim. cub. ou (218,95 pouces cub.) de gaz azote 1408 centim. cub. ou (71,05 ) de gaz oxygène 0 centim. cub. ou (0 ) de gaz acide carbonique Les pervenches ont donc élaboré ou fait disparaître 431 centimètres cubes (21 3/4 pouces cubes) de gaz acide carbonique, si elles eussent éliminé tout le gaz oxygène elles en aurait produit un volume égal à celui du gaz acide qui a disparu ; mais elles n’ont dégagé que 292 centimètres cubes (14 3/4 pouces cubes) de gaz oxygène ; elles se sont donc assimilées 139 centimètres cubes (7 pouces cubes) de gaz oxygène dans la décomposition du gaz acide, et elles ont produit 139 centimètres cubes 33 (7 pouces cubes ) de gaz azote. y

Ainsi, les plantes absorbent le gaz carbonique atmosphérique, le décomposent en ses éléments, mais ne rejettent dans l’atmosphère qu’une partie de l’oxygène [selon ces résultats], une partie étant incorporée dans la matière végétale. Cependant, cette incorporation d’oxygène est encore insuffisante pour rendre compte de la totalité de l’accroissement de la matière sèche des plantes : il est donc nécessaire que l’oxygène

33 Conclusion erronée, probablement imputable aux imperfections du dispositif expérimental; ce volume ne représente d’ailleurs que 2,4 % du volume de l’enceinte, et se situe vraisemblablement dans les limites des erreurs expérimentales. De même, plus loin, 431 ml de CO2 correspondent en fait à 231 mg de carbone, et non 217.

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et l’hydrogène de l’eau y apportent aussi leur contribution. C’est ce que de Sausdémontre en faisant le bilan de l’expérience précédente 34 :

sure

z On a vu que sept plantes de pervenche qui avaient végété, à l’aide de l’eau pure, dans un mélange d’air commun et de gaz acide carbonique, s’étaient assimilées le carbone contenu dans 431 centimètres cubes (21 3/4 pouces cubes) de gaz acide carbonique, ou une quantité de carbone égale, suivant Lavoisier, à 217 milligrammes (4,2 grains) ; elles se sont approprié de plus, dans le même gaz, 139 centimètres cubes (7 pouces cubes) de gaz oxygène ; mais je dois négliger cette dernière assimilation, par ce qu’elles ont perdu, en revanche, une quantité égale de gaz azote. Les deux effets contraires se compensant à très peu près. Ces plantes pesaient, vertes, avant l’expérience, 8,955 grammes (168 3/4 grains) et elles contenaient 2,707 grammes (51 grains) de matière végétale sèche. Elles en ont fourni par leur dessèchement, après la décomposition du gaz acide, 3,237 grammes (61 grains). Elles ont donc augmenté leur matière végétale sèche de 531 milligrammes (10 grains) sur lesquels il n’y a que 217 milligrammes (4,2 grains), qui puissent être attribués au gaz acide. Les pervenches ont donc fixé ou solidifié, dans cette expérience, 315 milligrammes (5,8 grains) d’eau. y

De Saussure aboutissait ainsi à la conclusion – et fournissait la preuve – que « la substance sèche des végétaux s’accroît par la fixation des principes constituants de l’eau ». De même que l’émission d’oxygène était corrélée à l’absorption de gaz carbonique, il devient alors manifeste que ces deux processus sont eux-mêmes corrélés à une incorporation d’eau dans la matière végétale. En aucun cas, cette eau ne correspond à l’eau qui hydrate les végétaux et peut être facilement éliminée en les desséchant. Elle s’est en quelque sorte « solidifiée », par l’association de ses éléments (oxygène et hydrogène) avec le carbone provenant du gaz carbonique. Elle ne peut être extraite de la matière végétale par la dessiccation. On ne peut l’en retirer qu’en dissociant ses éléments par la combustion.

6.6 - Synthèse Quatre étapes importantes ont ainsi jalonné la découverte et la caractérisation du phénomène aujourd’hui désigné sous le nom de photosynthèse : sa découverte par Priestley (1772), la mise en évidence des rôles respectifs de la lumière par IngenHousz (1779), du gaz carbonique et de sa « métamorphose » en air pur par Senebier (1783), et enfin de l’eau par de Saussure (1804). En fait, les Recherches chimiques

34 T. de Saussure. ibid, p. 226. Résultat absolument remarquable, compte tenu de l’époque et de la méthode utilisée. Dans cette expérience, les plantes ont absorbé 431 ml de CO2 (soit 847 mg de CO2) et fixé 315 mg d’eau, soit un rapport CO2/H2O = 2,68. D’après l’équation de la photosynthèse (éq. 8.2, p. 182), ce rapport est égal à 2,44.

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sur la végétation représentaient la synthèse de tous ces travaux. Toute la contribution de de Saussure est résumée dans cette conclusion 35 : z Les plantes s’approprient l’oxygène et l’hydrogène de l’eau, en lui faisant perdre l’état liquide. Cette assimilation n’est bien prononcée, que lorsqu’elles incorporent en même temps du carbone (...) Mais les plantes, dans aucun cas, ne décomposent directement l’eau, en s’assimilant son hydrogène, et en éliminant son oxygène dans l’état de gaz ; elles n’exhalent du gaz oxygène, que par la décomposition immédiate du gaz acide carbonique (...) On ne saurait douter que la plus grande partie de l’hydrogène que les plantes annuelles acquièrent en se développant à l’air libre à l’aide de l’eau distillée, n’ait son origine dans ce liquide, qu’elles solidifient. On doit en dire autant de leur oxygène ; car on peut juger, soit par le gaz acide carbonique que ces plantes peuvent décomposer dans un temps donné, soit par le peu d’altération qu’elles font subir à l’air commun, que la quantité d’oxygène qu’elles puisent dans les gaz atmosphériques, n’est point suffisante pour rendre raison de celui qu’elles acquièrent dans le court espace de leur développement. y

Ainsi, en ce qui concerne la nutrition des végétaux, il est définitivement prouvé, à la suite des travaux de de Saussure, que leur carbone vient du gaz carbonique de l’air, et leur hydrogène de l’eau. Leur oxygène provient aussi de l’eau, et non du gaz carbonique, puisque, après « métamorphose », c’est la totalité de l’oxygène de ce dernier, et non celui de l’eau 36, qui est rejeté dans l’air. Dans le texte cité ci-dessus, il ne manque que la mention de l’action de la lumière pour que le panorama soit complet, mais celle-ci est implicite, n’étant plus à démontrer depuis les travaux d’Ingen-Housz. L’usage des équations chimiques, introduit par Lavoisier, ne s’est pas encore généralisé (par manque d’un mode d’expression adéquat, on le verra), mais tous ces faits auraient pu être aisément traduits et résumés dans l’équation suivante (éq. 6.1) : acide carbonique + eau + lumière = [matière végétale] + oxygène

(6.1)

On peut y déceler une première ébauche de La belle Équation, version photosynthèse. Et il n’y a aucune raison de ne pas lui appliquer le principe de conservation de la matière pour signifier que tout ce qui est présent dans le premier membre se retrouve quantitativement dans le second, même si le terme de matière végétale est des plus vagues, bien que représenté exclusivement et quantitativement par le carbone, l’oxygène et l’hydrogène provenant du gaz carbonique et de l’eau. Elle montre « qu’en 35 T. de Saussure. ibid, p. 236. 36 Comme on le verra ultérieurement, cette conclusion est erronée. L’oxygène émis dans la photosynthèse provient uniquement de l’eau.

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enlevant de l’oxygène à de l’acide carbonique et à de l’eau, on doit reformer une combinaison végétale », comme l’avait suggéré... Lavoisier (p. 119). L’équation  6.1 se révèle ainsi très comparable à celle qui décrit la respiration (éq. 5.1). Toutes deux mettent en jeu les mêmes acteurs : oxygène, gaz carbonique, eau. Seul diffère le sens de la réaction. L’une détruit de la matière organique, l’autre en fabrique. L’une produit de l’eau, l’autre en consomme. Leur histoire est la même. Elles sont le produit d’une même méthode : une confiance absolue dans la fiabilité et la justesse des instruments de mesure, un raisonnement rigoureux appliqué à un même type d’observation. Il avait suffi à Lavoisier (§  5.3.3) de constater un déficit inexpliqué de 52  1/12 pouces cubes d’oxygène, qui n’avaient pu se combiner qu’à de l’hydrogène pour produire 31 1/9 grains d’eau [1,65 g], pour conclure que la respiration s’accompagnait d’une formation d’eau. De même ici, un excédent de 315 mg [5,8 grains] de matière sèche avait amené de Saussure à conclure qu’il devait correspondre à une incorporation d’eau dans la matière végétale au cours de la « métamorphose » de l’air fixe en air pur sous l’action de la lumière. Rarement conséquences aussi importantes n’ont été tirées d’événements aussi mineurs. Elles consacraient le triomphe de la nouvelle chimie de Lavoisier et de la balance de précision, l’instrument emblématique de la révolution chimique. Ainsi, à la suite de la découverte des gaz, l’observation avait révélé que les animaux et les végétaux échangeaient de l’oxygène et du gaz carbonique avec l’atmosphère, ce qui avait conduit à la définition et à la caractérisation de la respiration et de la photosynthèse. Mais c’est par déduction que la participation de l’eau a été mise en évidence dans ces phénomènes. Modeste à l’origine, négligé par la suite, éclipsé par celui de l’oxygène et du gaz carbonique, le rôle de l’eau apparaîtra finalement comme un rouage essentiel des mécanismes de la respiration et de la photosynthèse. Lavoisier et de Saussure l’ignoraient, bien sûr, ... mais ils l’avaient vu. Il faut cependant reconnaître que nombre d’interrogations subsistent : cette nouvelle fonction, associée à la nutrition carbonée des végétaux, est liée aux parties vertes des plantes, mais la cause et la nature de cette couleur verte sont alors totalement inconnues. De Saussure lui-même ne la juge pas comme une condition absolument indispensable, puisque des plantes non vertes, par exemple une variété d’Atriplex hortensis, dont les feuilles sont d’un rouge vif 37, se comportent sous cet aspect comme des plantes normalement vertes. D’autre part, si ce nouveau phénomène est l’inverse de la respiration, quel est son comportement vis-à-vis de la chaleur que Lavoisier, sous le nom de calorique, a associée au gaz oxygène ? L’application du principe de

37 Chez ces plantes, la chlorophylle est bien présente, mais la couleur verte y est masquée par celle d’autres pigments.

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141

conservation de la chaleur (p. 80) voudrait que de la chaleur soit absorbée, puisque la respiration des animaux en dégage, mais comment le démontrer ? Autant de questions qui, pour le moment, restent sans réponses, et ce moment va se prolonger. Car, de façon assez inexplicable, après cette moisson de faits rassemblés dans un très court espace de temps, l’étude du phénomène va entrer en léthargie pendant une cinquantaine d’années. On découvrira la chlorophylle (1818), mais sans lui trouver de fonction particulière, autre que celle d’un pigment responsable de la coloration verte des feuilles. Sur le plan des échanges gazeux, il faudra attendre les travaux de Boussingault (1864) pour progresser de nouveau. Par contre, en 1845, un médecin allemand, Julius Robert Mayer (1814-1878), spécialiste de thermodynamique à ses heures, introduira une nouvelle révolution, qui donnera au phénomène découvert par Priestley sa véritable dimension. En effet, la fonction essentielle de ce processus n’est pas de purifier l’air atmosphérique vicié par les combustions et la respiration de l’homme et des animaux. Elle n’est même pas d’assurer l’approvisionnement en carbone des végétaux et, indirectement, celui de tous les êtres vivants. Ces aspects, même s’ils sont fondamentaux, sont en quelque manière secondaires, conséquences indirectes ou inéluctables de la fonction principale des végétaux verts qui est, énoncera Mayer, de convertir l’énergie solaire en énergie chimique. Mais en cette fin de xviiie siècle, le mot énergie n’a encore qu’une signification bien vague, et le mot photosynthèse n’existe pas.

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Deuxième Partie Chimie et physiologie La période que nous allons maintenant explorer couvre tout le xixe siècle. S’il fallait lui fixer quelque limite précise, on pourrait dire qu’elle s’ouvre avec la formulation de la théorie atomique de Dalton en 1808 et s’achève avec la découverte de la zymase par Buchner en 1897. Elle verra se préciser la signification de la respiration et de la photosynthèse. Les participants majeurs, les manifestations externes et les mécanismes physicochimiques élémentaires de ces processus seront décrits. Ces progrès ne seront rendus possibles que grâce au développement parallèle des sciences fondamentales. La chimie verra l’éclosion de la théorie atomique, l’établissement de ses lois générales, la création d’une nouvelle chimie, la chimie organique, adaptée à la description de la matière vivante. En physique, l’apparition d’une discipline nouvelle, la thermodynamique, permettra d’aborder l’étude des processus énergétiques chez les êtres vivants. Des progrès importants seront aussi réalisés dans la connaissance de la lumière et de l’électricité. Les sciences de la nature ne seront pas en reste : le microscope, désormais d’usage courant, permettra de décrire les structures intimes des organismes animaux et végétaux. D’autre part, les cloisons étanches qui isolaient les trois grands règnes de la nature vont peu à peu se lézarder. On va découvrir que de nombreux corps sont communs au règne animal et au règne végétal, la chimie organique unifie ces deux domaines. Bien plus, on verra que des molécules présentes chez les êtres vivants peuvent être produites par les chimistes à partir de composés exclusivement minéraux. Il n’existe donc pas deux sortes de chimie, celle des êtres vivants (chimie organique) et celle du monde minéral (chimie inorganique). Si on les distingue, c’est par raison de commodité. On verra même qu’il est possible de reproduire dans un tube, in vitro, des réactions que l’on croyait ne pouvoir se dérouler qu’au sein d’un organisme vivant, in vivo. Ainsi, petit à petit naît l’idée qu’il existe des lois générales s’appliquant aux trois règnes : ce sont les mêmes lois, physiques et chimiques, qui président à l’édification des constituants, au déroulement des réactions, aux échanges d’énergie, au fonctionnement des organismes. On observe certes une très grande diversité de manifestations et de comportements, mais il s’agit là de facteurs affectant les modalités, non les principes.

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Respiration et photosynthèse

En ce qui concerne la respiration et la photosynthèse, force est pourtant de reconnaître qu’en dehors de leur identification et de leur caractérisation, on ne connaît encore que fort peu de choses à leur sujet. Les acquis fondamentaux depuis le temps d’Aristote peuvent être aisément résumés dans quelques textes de base : le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, accompagné de quelques mémoires portant sur la combustion, la respiration, la fermentation, et les Recherches chimiques sur la végétation de de Saussure. C’est à partir d’eux que vont se faire les nouveaux progrès. Il apparaît ainsi que la première tâche à entreprendre est de parfaire la description de ces phénomènes, mais encore faut-il en avoir les moyens, et pour l’instant ceux-ci font défaut. Il n’est donc pas étonnant que fort peu de progrès aient été accomplis durant la première moitié du xixe siècle. Il fallait d’abord forger les outils intellectuels nécessaires à la description des réactions chimiques et de leur relation avec l’énergie. Aussi cette période ne comportera-t-elle que quelques avancées ponctuelles, dont l’importance échappera même à leurs auteurs et ne se révélera qu’ultérieurement, quand elles auront été intégrées dans des schémas plus généraux. C’est le cas de la chlorophylle, par exemple. Néanmoins, en termes de description chimique, l’essentiel sera acquis vers le milieu du siècle et les deux versions de La belle Équation bien établies dès cette époque. Entre alors en jeu l’étude des mécanismes sous-jacents. Deux disciplines vont principalement être mises à contribution : la chimie, dont la définition est désormais superflue, et la physiologie, « la science qui a pour objet l’étude des phénomènes des êtres vivants et de déterminer les conditions matérielles de leur manifestation » (Claude Bernard), ou dont le but est de « rechercher ce qu’il y a de physique et de chimique dans le vital » (Bergson). De même que le xviiie siècle avait été le siècle de l’avènement de la chimie, le xixe siècle sera celui de l’épanouissement de la physiologie. Le fonctionnement des animaux et des plantes devient le principal sujet d’étude et, ici encore, on a tendance à considérer que, malgré la diversité des manifestations, des lois générales s’appliquent, d’où l’idée d’une physiologie générale, plutôt que celle de deux physiologies, animale et végétale, strictement séparées. C’est ce qu’exprimera Claude Bernard dans ses célèbres Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux (1878). On assiste ainsi à l’avènement de la science expérimentale avec ses méthodes propres à chaque domaine, en même temps que change le profil de ses exécutants. Au philosophe de l’époque précédente, incarné dans l’alchimiste en robe de bure devant son fourneau, ou dans l’amateur de science, homme souvent fortuné, travaillant le plus souvent dans son cabinet particulier, va succéder le savant, dont l’image la plus symbolique est certainement celle d’un Pasteur dans son laboratoire, examinant avec attention un flacon rempli d’un bouillon de culture. La science quitte le domaine privé pour s’installer dans les laboratoires des universités ou d’instituts de recherche spécialisés, qui commencent à voir le jour. Dans leurs efforts pour démêler

Deuxième partie - Chimie et physiologie

145

le chimique et le physique du vital, ces savants resteront toujours quelque peu philosophes, se rangeant dans des écoles de pensée manifestant toutes les nuances, de l’athéisme matérialiste au vitalisme, modernes successeurs des antiques théoriciens de l’atome ou du pneuma. On peut désormais aborder l’examen des questions qui se posent à l’aube du e xix  siècle, même si ces interrogations peuvent nous paraître aujourd’hui dépassées ou appeler une réponse évidente. Ainsi, la respiration étant une combustion, quelle est la nature du combustible qui l’alimente ? Où se situe exactement le siège de cette combustion, que Lavoisier a localisé dans le poumon «  et peut-être aussi dans d’autres endroits du système » ? Des questions plus actuelles concernent le nouveau phénomène découvert chez les plantes : quel est le sort du gaz carbonique absorbé par les feuilles ? comment agit la lumière dans ce processus ? Existe-t-il une respiration végétale ? une chaleur végétale ? Des réponses partielles seront apportées, mais un siècle d’expérimentation et de réflexion ne suffira pas à épuiser le sujet. En fait, de façon tout à fait paradoxale, les résultats les plus riches d’avenir viendront de réponses apportées à une question qui n’était même pas posée, car on ignorait tout du phénomène : Par quel mystère la levure de bière est-elle capable de vivre en absence comme en présence d’air ? La réponse à cette question établira le lien entre respiration et fermentation, deux phénomènes dont l’étude avait été amorcée par Lavoisier. Les travaux de Pasteur et de Buchner ouvriront la voie à la biochimie du xxe siècle.

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Chapitre 7 Atomes, molécules et énergie « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement » a dit un auteur classique. Ainsi, vers l’année 1785, l’eau était très bien conçue : comme Cavendish et Lavoisier l’avaient montré, elle était constituée, en volume, de 2 parties d’hydrogène et 1 partie d’oxygène et, en poids, de 15 parties d’hydrogène et 85 parties d’oxygène. Pourtant, il faudra encore attendre de nombreuses années, une cinquantaine environ, pour qu’au terme d’un parcours malaisé on parvienne, vers 1835, à traduire ces propositions en un énoncé clair :

2 H2 + O2 = 2 H2O

À l’initié, cet énoncé dit non seulement que l’eau est un composé fait d’oxygène et d’hydrogène, que 2 molécules d’hydrogène s’unissent à 1 molécule d’oxygène pour former 2 molécules d’eau, mais aussi que 4 g d’hydrogène se combinent avec 32 g d’oxygène pour donner 36 g d’eau liquide, et même que, dans les conditions standard de température et de pression, 44,8 L d’hydrogène réagissent avec 22,4 L d’oxygène pour produire 44,8 L d’eau à l’état gazeux. Telle est l’information contenue dans ce simple énoncé. Avec le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, une nouvelle chimie était née, mais on n’en était qu’aux premiers balbutiements. Les éléments se combinaient entre eux pour donner des corps composés, dont certains étaient bien définis (eau, gaz carbonique), mais on n’avait que de vagues idées sur la composition des autres. Et que penser du calorique, associé aux états de la matière, et en particulier à l’oxygène, pour expliquer les mouvements de la chaleur observés au cours des réactions chimiques  ? Quelle  était sa vraie nature  ? Il avait certes remplacé le phlogistique mais, comme lui, il restait une sorte de feu fixé dans les éléments, s’échappant ou se transportant de l’un à l’autre au gré des réactions. Malgré les progrès accomplis, on se retrouvait donc dans une situation assez semblable à celle qu’évoquait Lavoisier au début de ses travaux sur la respiration (p. 102). Il fallait définir de nouvelles bases pour aller plus loin.

148

Deuxième partie - Chimie et physiologie

7.1 - Les lois de la chimie Il est hors de question d’exposer ici en détail le déroulement des événements qui peu à peu ont conduit à l’établissement des lois régissant la composition et la formation des corps chimiques. On évoquera seulement de façon concrète les problèmes qui se sont présentés et les réponses qui y furent apportées.

7.1.1 - Les lois des combinaisons chimiques Une première question, en apparence triviale, se posait d’abord : la composition d’un corps chimique est-elle fixe ? Réponse positive a priori évidente, mais dont la confirmation demanda une dizaine d’années (1801-1808). Elle fit l’objet d’une dispute franco-française mettant aux prises, d’un côté, Joseph Louis Proust (1754-1826), chimiste de renom, qui enseigna durant 20 ans à Madrid, et de l’autre, Claude Louis Berthollet (1748-1822), dont on a déjà évoqué la contribution à l’établissement de la nouvelle nomenclature chimique. Berthollet soutenait que la composition d’un corps peut manifester une évolution graduelle dans la proportion de ses différents éléments, comme le montrait la composition du sel obtenu par action de l’acide sulfurique sur le mercure 1. De l’étude des oxydes métalliques, Proust avait au contraire déduit que la composition des corps chimiques est constante. En 1797, il publia des conclusions qui devinrent connues sous le nom de loi des proportions définies ou des proportions constantes 2 : z Une combinaison, selon nos principes, c’est le sulfure d’argent, c’est celui d’antimoine, de mercure, de cuivre, c’est un métal oxydé, c’est un combustible acidifié, etc. ; c’est une production privilégiée à laquelle la nature assigne des proportions fixes ; c’est, en un mot, un être qu’elle ne crée jamais, même entre les mains de l’homme, que la balance à la main, pondere et mensura. Sachez donc que les caractères des vraies combinaisons sont invariables comme le rapport de leurs éléments. y

Cette loi s’appliquait aux corps chimiques isolés à l’état pur. Mais, de façon plus générale, comment les corps se comportaient-ils en réagissant les uns avec les autres ? Dans un travail peu connu 3, l’Allemand Jeremias Benjamin Richter (1762‑1807) avait déjà apporté une réponse partielle en montrant que les combinaisons entre les acides et les bases se faisaient aussi selon des proportions fixes. Richter énonça ainsi la loi des proportions réciproques. Ces rapports constants observés dans toutes 1 On obtenait en fait un mélange de deux sels : sulfate mercureux, Hg2SO4 ; sulfate mercurique, HgSO4. 2 J. Proust. J. Phys., 1806, 63, p. 364 (Sur les mines de cobalt, nickel et autres). 3 J. Richter. Anfangsgründe der Stöchyometrie oder Messkunst chymischer Elemente, 1792.

Chapitre 7 - Atomes, molécules et énergie

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les réactions chimiques conduisirent Richter à créer le terme de stœchiométrie 4 qui, plus généralement, traduit le rapport selon lequel les éléments et les corps chimiques, quelle que soit leur nature, réagissent entre eux. Une troisième loi vint parfaire les deux premières. On avait remarqué depuis longtemps qu’un même élément pouvait se combiner avec un autre élément dans des proportions différentes. Pour certains éléments Lavoisier avait déjà pu distinguer plusieurs degrés d’oxydation, générateurs d’acides différents pour lesquels avaient été créées des désignations appropriées (p. 84). Le cas de l’azote était exemplaire, on connaissait plusieurs composés oxygénés de l’azote. Dalton s’attacha à l’étude de ces composés et remarqua que les combinaisons entre les deux éléments se faisaient selon des rapports simples et multiples. C’est-à-dire que les poids d’oxygène se combinant avec un poids donné d’azote, pris pour unité, étaient les multiples d’un même poids d’oxygène. De telle sorte qu’en désignant par A et B les poids d’azote et d’oxygène entrant dans la combinaison la plus simple, on pouvait représenter la composition de tous les autres oxydes d’azote de la manière suivante 5 :

1 A + 1 B

1 A + 2 B 1 A + 3 B

1 A + 4 B

1A+5B

C’est la loi des proportions multiples. Elle conduisit Dalton à formuler sa théorie atomique.

7.1.2 - La théorie atomique de Dalton John Dalton (1766-1844), un Anglais autodidacte, consacra une très large part de son temps à des activités d’enseignement. Le début de sa carrière fut marqué par des recherches approfondies en météorologie, notamment sur l’état de la vapeur d’eau de l’atmosphère, qui devint ainsi le quatrième constituant de l’air atmosphérique. Le fait que les combinaisons entre éléments s’opéraient selon des rapports fixes, simples et multiples, suggérait fortement que les réactions chimiques devaient mettre en jeu des entités réagissant comme des unités de matière. Or, depuis les temps les plus anciens existait un terme pour désigner de telles particules matérielles, c’était celui d’atome (p. 15). Dalton le ressuscita, en lui donnant une nouvelle signification. La théorie atomique de Dalton, publiée en trois étapes (A new system of chemical philosophy, 1808, 1810, 1827), peut être résumée ainsi : 4 Du grec στοχεἶον, stoicheion, élément (non divisible), et μέτρον, metron, mesure. Le terme s’appliqua d’abord aux proportions pondérales, puis ultérieurement aux proportions volumétriques et moléculaires. 5 Ce qui fut ultérieurement traduit par : NO, NO2, NO3, NO4, NO5, qui se révélèrent être finalement : N2O (oxyde nitreux, oxyde de diazote), NO (oxyde nitrique, monoxyde d’azote), N2O3 (anhydride nitreux, trioxyde de diazote), NO2 (peroxyde d’azote, dioxyde d’azote), N2O5 (anhydride nitrique, pentaoxyde de diazote).

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Deuxième partie - Chimie et physiologie

−− les éléments chimiques sont faits de quantités de matière très petites et indivisibles, les atomes ; −− les atomes conservent leur individualité dans les transformations chimiques auxquelles ils participent ; −− les atomes d’un même élément sont identiques entre eux en tous points ; −− les atomes d’éléments différents ont des poids différents ; en fait, un élément est caractérisé par le poids de son atome ; −− les réactions chimiques consistent en l’union des atomes des différents éléments selon des rapports numériques simples (1 A + 1 B, 1 A + 2 B, ou encore, dans des cas plus complexes, 2 A + 3 B + 1 C, etc.). Muni de ces concepts, qui exprimaient la réalité sous une forme particulièrement simple, et vérifiaient en particulier toutes les lois de la combinaison des éléments, Dalton entreprit alors de déterminer le poids 6 des atomes. Évidemment celui-ci ne pouvait être qu’arbitraire, exprimé sur une base relative. Dalton adopta la valeur 1 pour l’élément le plus léger connu. Le poids de l’atome d’hydrogène devint ainsi l’unité de poids atomique. Connaissant les compositions pondérales des corps, notamment ceux de type 1 A + 1 B, on pouvait déduire le poids atomique de B : c’était la plus petite quantité de B se combinant avec l’unité pondérale d’hydrogène. Si un corps C ne se combinait pas avec l’hydrogène, on pouvait déduire son poids atomique d’après une de ses combinaisons avec le corps B, qui, lui, réagissait avec l’hydrogène. Procédant ainsi de proche en proche, Dalton put établir une première table de poids atomiques (fig. 7.1). Ces valeurs sont évidemment très éloignées 7 de celles retenues de nos jours. En appui à la théorie atomique de Dalton vinrent aussi s’adjoindre les arguments de Gay-Lussac et d’Avogadro. Joseph Louis Gay-Lussac (1778-1850) s’intéressa à la dilatation des gaz et en établit la loi 8. Ces études lui donnèrent aussi l’occasion d’étudier les combinaisons des gaz entre eux et de remarquer que celles-ci, comme pour les compositions pondérales, s’effectuaient aussi selon une loi volumétrique de proportions simples : par exemple, 2 vol. d’hydrogène pour 1 vol. d’oxygène (eau), 3 vol. d’hydrogène pour 1 vol. d’azote (ammoniac).

6 Poids sera utilisé encore très longtemps, au détriment du terme plus correct de masse. Ce n’est guère que dans la seconde moitié du xxe siècle que s’opérera le changement de vocabulaire. 7 Ces écarts sont dus principalement au fait que, pour les combinaisons binaires (eau, ammoniac), Dalton retenait a priori la formule la plus simple (1 A + 1 B), c’est-à-dire HO, NH, au lieu de H2O, NH3, comme le révéleront les études ultérieures. 8 V = V0 (1 + αt). V0, volume dans les conditions standard de température et de pression ; α, coefficient de dilatation des gaz (0,003661) ; t, température en degrés °C (cf. note 15).

Chapitre 7 - Atomes, molécules et énergie

151

Hydrogen

1,0

Azot

4,2

Carbone

4,3

Ammonia

5,2

Oxygen

5,5

Water

6,5

Nitrous gas

9,3

Gaseous oxide of carbone

9,8

Nitrous oxide

13,7

Sulphur

14,4

Nitric acid

15,2

Sulphuretted hydrogen

15,4

Carbonic acid

15,3

Sulphureous acid

19,9

Sulphuric acid

25,4

Figure 7.1 - Poids atomiques de Dalton [d'après J.R. Partington, A short history of chemistry, Macmillan, Londres, 1965, p. 172]

En 1811, cet ensemble de faits concordants conduisit un Italien, Amedeo Avogadro (1776-1856), professeur de physique à l’université de Turin, très modestement connu de son temps, à proposer une célèbre hypothèse – l’hypothèse d’Avogadro – selon laquelle des volumes gazeux égaux, pris dans les mêmes conditions de température et de pression, renferment le même nombre de molécules, quelle qu’en soit la nature. L’hypothèse d’Avogadro expliquait de façon simple pourquoi les combinaisons des volumes gazeux se faisaient dans des rapports simples : une particule (molécule ou atome) d’un gaz réagissait avec une ou plusieurs particules d’un autre gaz. Cette hypothèse avait aussi une autre conséquence pratique très importante : les masses des molécules devenaient proportionnelles aux densités gazeuses 9 : z En partant de cette hypothèse, on voit qu’on a le moyen de déterminer très aisément les masses relatives des molécules des corps qu’on peut avoir à l’état gazeux, et le nombre relatif de ces molécules dans les combinaisons ; car les rapports des masses des molécules sont alors les mêmes que ceux des densités des différents gaz, à pression et température égales, et le nombre relatif des molécules dans une combinaison est donné immédiatement par les rapports des volumes des gaz qui la forment. Par exemple, les nombres 1,10359 et 0,07321 exprimant les densités des deux gaz oxygène et hydrogène, lorsqu’on 9 A. Avogadro. J. Phys., 1811, 73, p. 58 (Essai d’une manière de déterminer les masses relatives des molécules élémentaires des corps et les proportions dans lesquelles elles entrent dans ces combinaisons).

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Deuxième partie - Chimie et physiologie

prend celle de l’air atmosphérique pour unité, et le rapport entre les deux nombres représentant par conséquent celui qui a lieu entre les masses de deux volumes égaux de ces deux gaz, ce même rapport exprimera dans l’hypothèse proposée, le rapport des masses de leurs molécules. Ainsi la masse de la molécule de l’oxygène sera environ 15 fois [16 fois, en réalité] celle de la molécule d’hydrogène, ou plus exactement, elle sera à celle-ci comme 15,0574 à 1 (...) D’un autre côté, comme on sait que le rapport des volumes de l’hydrogène à l’oxygène dans la formation de l’eau est de 2 à 1, il s’ensuit que l’eau résulte de l’union de chaque molécule d’oxygène avec deux molécules d’hydrogène. y

Les symboles et la symbolique font défaut, mais il s’agit bien là de la première description de la formule chimique de l’eau (p. 155). La théorie atomique reçut aussi l’appui d’une nouvelle science qui se développait, celle de l’électricité. En 1800, l’Italien Alessandro Volta (1745-1827) avait inventé la pile électrique qui porte son nom. On découvrit l’électrolyse, c’est-àdire la décomposition des corps chimiques sous l’action d’un courant électrique. Dès 1800, quelques mois après l’annonce de Volta, les Anglais Anthony Carlisle (1768-1840) et Williams Nicholson (1735-1815) décomposèrent l’eau en ses deux éléments, recueillant 2 volumes d’hydrogène au pôle négatif (cathode) et 1 volume d’oxygène au pôle positif (anode) de l’appareil. Enfin, l’Anglais Michael Faraday (1791-1867) établit les lois de l’électrolyse 10, montrant en particulier que le passage de quantités égales d’électricité dans une solution de sels minéraux fait déposer sur les électrodes reliées aux bornes de la pile des quantités de métal proportionnelles aux poids atomiques de ces éléments, ou dans des rapports simples avec eux. Avec Faraday, l’électricité, comme les atomes et les molécules, devient un participant des réactions chimiques.

7.1.3 - Une écriture symbolique En même temps qu’il formulait sa théorie atomique (1808), Dalton proposa un système de symboles pour représenter les atomes (fig.  7.2). L’atome de Dalton se présentait sous la forme d’une particule globulaire, agrémentée d’une singularité  :  l’hydrogène était un cercle avec un point central, le carbone un cercle noir, l’oxygène un cercle blanc, etc. Ce nouveau système avait l’avantage de donner une même forme à tous les atomes tout en individualisant chacun d’eux. Il permettait 10 Faraday est aussi le créateur des termes électrode (borne d’une pile), dont il existe deux types, anode (+) et cathode (–), ainsi nommées par référence au sens du courant électrique qui, par convention, dans le circuit extérieur, va de l’anode (en haut) à la cathode (en bas). De ces termes dérivent aussi électrolyte, substance qui en solution conduit le courant électrique, cation, corps chargé positivement qui se dépose sur la cathode, anion, corps chargé négativement, qui se dépose sur l’anode, auxquels s’ajoute ion, particule portant une charge positive ou négative.

Chapitre 7 - Atomes, molécules et énergie

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aussi de représenter des corps chimiques complexes en juxtaposant simplement les atomes qui les constituaient. On pouvait aussi de cette manière représenter des molécules complexes, comme l’acide sulfurique [sous la forme de son anhydride SO3], ou même très complexes, comme l’alun de potasse [sulfate double de potassium et d’aluminium]. Il faut mentionner de plus qu’à chacun de ces symboles était affecté un poids atomique (fig. 7.1). Il était donc facile de calculer le poids atomique d’un corps complexe en faisant simplement la somme des poids atomiques de ses éléments constitutifs.

Figure 7.2 - Symboles utilisés par Dalton pour désigner les éléments et les corps chimiques [d'après J.R. Partington, A short history of chemistry, Macmillan, Londres, 1965, p. 176]

Le système proposé par Dalton fut en fait très peu utilisé, car il souffrait d’une absence de relation évidente entre signifiant et signifié : pourquoi un cercle noir pour le carbone et un cercle blanc pour l’oxygène ? La solution logique, la plus simple (mais encore fallait-il y penser), vint un peu plus tard. Vers 1813, Berzelius proposa de symboliser les différents éléments chimiques par la première lettre (éventuellement associée à une seconde lettre) de leur nom latin ou de leur nom le plus commun s’il s’agissait d’un élément nouvellement découvert. On eut ainsi C pour le carbone et Cu pour le cuivre (cuprum), O pour l’oxygène, H pour l’hydrogène, etc. Mais il y avait parfois conflit d’intérêt, ainsi l’azote fut Az pour les Français (Lavoisier n’avait-il pas créé le terme ?) et N (nitrogen) pour le reste du monde. Un Anglais, Davy, avait découvert le potassium et le sodium, mais ce sont les lettres initiales (K, Na) des termes allemands (Kalium, Natrium) qui l’emportèrent. Finalement, on disposa d’un système simple et logique pour représenter les éléments et tous les corps chimiques. Par exemple, Berzelius proposa (on y reviendra) H2O pour la formule de l’eau, et CO2 pour celle du gaz carbonique, que Liebig, décrivant les mêmes corps, transposa en H2O et CO2. Exposant ou indice pour indiquer le nombre des atomes d’un élément présents dans une molécule ? Grave question ! Ce conflit germano-suédois se solda par le triomphe des indices sur les exposants,

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Deuxième partie - Chimie et physiologie

sauf en France (l’exception française ?) où les exposants furent maintenus dans les formules chimiques jusqu’en... 1945.

7.1.4 - Une écriture quantifiée On était désormais en possession d’une théorie atomique, d’un tableau de poids atomiques, d’un arsenal de lois réglant les combinaisons des éléments entre eux, et d’un système de symboles pour les exprimer, il devait donc être facile de décrire les corps chimiques. Grave illusion ! comme le montre le cas de la molécule d’eau (toujours elle !). Si l’on suit la théorie atomique de Dalton, en raisonnant sur les poids atomiques, s’agissant d’un composé binaire, dont le type le plus simple est 1 A + 1 B (fig. 7.2), l’eau pouvait être représentée par l’union d’un atome de chaque élément : H + O = HO, avec, pour poids atomiques, H = 1 (par convention) et O  = 8 (pour tenir compte de la composition pondérale de l’eau, p. 73). Mais une telle expression implique aussi que 1 vol. d’oxygène réagisse avec 1 vol. d’hydrogène, ce qui était contraire à l’observation courante de 1 vol. d’oxygène pour 2 vol. d’hydrogène. La difficulté pouvait être tournée en disant que 2 vol. d’hydrogène contenaient autant d’atomes d’hydrogène qu’en contenait 1 vol. d’oxygène. Mais alors on se trouvait en contradiction avec l’hypothèse d’Avogadro qui, elle, voulait que 2 vol. d’hydrogène contiennent 2 fois plus d’atomes que 1 vol. d’oxygène ! Si maintenant on suit l’hypothèse d’Avogadro, en raisonnant sur les volumes, la réaction de formation de l’eau peut s’écrire : 2 H + O = H2O. Formule acceptable, sauf que, la base des poids atomiques étant H = 1, pour tenir compte du rapport 1/8 entre les masses des deux éléments et du fait qu’un seul atome d’oxygène participe à la combinaison, le poids atomique de l’oxygène devient alors 16, un multiple de 8. Comment choisir entre 8 et 16 ? Deux lois providentielles vinrent alors au secours des chimistes. Deux physiciens français, Pierre-Louis Dulong (1785-1838) et Alexis Petit (1791-1820) établirent une loi selon laquelle les chaleurs spécifiques atomiques des éléments simples ont une valeur fixe. En d’autres termes, le produit de la chaleur spécifique d’un élément par son poids atomique est une constante 11. Il est alors aisé de déduire le poids atomique d’un élément quand on connaît sa chaleur spécifique, laquelle est assez facile à mesurer. Cette loi n’a pas de caractère absolu, mais les valeurs qu’elle fournissait permettaient de choisir facilement entre les valeurs multiples déduites pour les poids atomiques des éléments (entre 8 et 16 pour l’oxygène, par exemple). D’autre part, un chimiste allemand, Eilhardt Mitscherlich (1794-1863), à la suite d’études de cristallographie approfondies, établit une loi, dite de l’isomorphisme. Selon cette loi, des sels minéraux de nature très différente, mais précipitant sous des 11 6,2 cal par atome-gramme (p. 155).

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formes cristallines semblables, possèdent également des formules chimiques semblables. Le cas typique est celui des phosphates et des arséniates [Na2HPO4.12 H2O ; Na2HAsO4.12 H2O]. Des sels isomorphes peuvent ainsi cristalliser ensemble dans la même solution. La loi de l’isomorphisme permet donc, par la similitude des formules, de parfaire l’établissement d’une formule chimique encore mal connue, et d’avoir ainsi accès au poids atomique de l’élément étudié. Enfin, dernière conséquence de l’hypothèse d’Avogadro, qui veut que les poids atomiques soient proportionnels aux densités gazeuses (p. 152), les éléments gazeux (oxygène, hydrogène, etc.) se révélèrent être constitués de molécules biatomiques, c’est-à-dire comportant deux atomes. On s’aperçut de ce fait, qui porte le nom d’atomicité 12, par suite de l’observation d’écarts importants (du simple au double) dans les mesures de densités en comparant les valeurs théoriques, basées sur des poids atomiques, et les valeurs fournies par l’expérience. Cette nouvelle découverte modifia considérablement la façon d’écrire les réactions, puisque désormais on ne pouvait plus faire réagir ces éléments gazeux que sous forme biatomique (H2, O2). En conséquence, si on fait maintenant intervenir des unités de matière qui sont des molécules gazeuses biatomiques [dihydrogène, dioxygène] et non plus des atomes isolés, la réaction de formation de l’eau, selon l’hypothèse d’Avogadro, ne peut que s’écrire : 2 H2 + O2 = 2 H2O, qui est sa formulation exacte (p. 152). La conclusion définitive de cette longue histoire fut tirée par l’un des chimistes les plus influents de ce siècle, le Suédois Jöns Jacob Berzelius (1779-1848). Rassemblant les résultats des chimistes de son époque, il publia (1835) une table donnant les poids atomiques de 53  éléments, dont les valeurs sont très proches de celles admises aujourd’hui 13. Avec Berzelius s’achève donc la mise en place de la théorie atomique de Dalton. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette théorie ne fut pas acceptée avec enthousiasme. La première moitié du xixe siècle fut en effet le théâtre d’une sournoise lutte d’influence entre les atomistes et ceux qu’on appelait les équivalentistes. Par équivalent, on entendait la quantité d’un élément qui se combine avec une quantité unitaire d’oxygène, arbitrairement fixée à la valeur 100. Les équivalents furent utilisés pendant une bonne partie du xixe siècle, avant que la théorie atomique de Dalton ne l’emporte définitivement. Conséquence de la lutte entre équivalentistes et atomistes, ces derniers désignèrent à leur tour des quantités unitaires de matière, mais en conformité avec leur théorie. Ainsi naquirent l’atomegramme et la molécule-gramme, masse d’un élément ou d’un corps égale à sa masse atomique ou moléculaire, ainsi que le volume moléculaire, volume occupé 12 Cette notion d’atomicité permet aussi de mieux faire la différence entre élément et corps simple : ainsi l’élément oxygène (masse atomique 16) existe sous la forme de deux corps simples, l’oxygène ordinaire (dioxygène, O2) et l’ozone (trioxygène, O3). 13 J. Berzelius. Théorie des proportions chimiques et table synoptique des poids atomiques des corps simples et de leurs combinaisons les plus importantes.

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par une molécule-gramme d’un corps gazeux. Il se révéla être égal à 22,4 L dans les conditions standard de température et de pression (0 °C, 760 mm Hg). L’hypothèse d’Avogadro était devenue réalité.

7.2 - L’énergie Après bien des méandres, la chaleur innée, indissociable de la vie, avait trouvé son explication avec Lavoisier. Combustion lente, la respiration libérait du calorique, produit de la réaction du carbone et de l’hydrogène du sang avec l’oxygène (éq. 5.1). Comme on l’a vu (p. 107), l’enrichissement de l’air en oxygène, qui activait vivement les combustions, n’augmentait pas l’intensité de la respiration, ni la température du corps. De même, quand le malheureux Seguin, suant sous son masque, soulevait des poids de sept livres, la quantité d’oxygène consommé augmentait considérablement, mais la température du corps restait constante. Cette stabilité pouvait à la limite s’expliquer par l’augmentation de la fréquence respiratoire assurant un meilleur refroidissement. Mais était-ce bien la bonne explication ? Soulever des poids voulait-il dire que l’exécution d’un certain travail pouvait se substituer à la libération d’une certaine quantité de chaleur ? Existerait-il par hasard quelque relation entre chaleur et travail ? Cette question, posée ici à propos de la respiration, intriguait vivement les physiciens de cette époque. Elle reçut sa réponse dans la première moitié du xixe siècle, en débouchant sur un concept beaucoup plus général, celui d’énergie 14 : les physiciens montrèrent en effet que l’énergie, définie comme la capacité à produire un travail, est une propriété caractéristique de tout système, qu’elle est multiforme, se transforme et se conserve.

7.2.1 - Le concept d’énergie Indissociable du principe de l’inertie est la notion de force. Son absence est synonyme de repos ou de mouvement uniforme, sa présence d’accélération. Quand elle s’applique à une masse ou à une surface, engendrant un déplacement ou un volume, un force produit un travail. Les  «  mécaniciens  » du siècle précédent, Galilée, Newton, Descartes, Pascal, avaient établi les lois de l’action de ces forces qui régissent la statique et la dynamique des corps. Un travail pouvait résulter soit du franchissement d’une dénivellation, mettant en jeu la pesanteur (énergie potentielle), soit du mouvement d’un corps (énergie cinétique). L’intrusion de la température vint singulièrement compliquer la situation. Au début de la chimie pneumatique (1756), Black avait mesuré les quantités de chaleur de façon relative, par comparaison avec des systèmes de référence, eau ou air. Il avait 14 Énergie, du grec ἐνέργεια, énergeia, force en action, activité.

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ainsi défini la chaleur latente, associée à un changement d’état, et la chaleur spécifique [chaleur massique], associée à la capacité d’un corps à contenir de la chaleur. Les lois de Boyle-Mariotte et de Gay-Lussac sur la compression et la dilatation des gaz avaient exprimé la variation de volume d’un gaz en fonction de la pression et de la température. Pour les composés gazeux il fallait envisager deux types de chaleurs spécifiques, à pression constante (Cp) et à volume constant (Cv). En principe, elles ne devaient pas être égales : l’inégalité résultant du fait que, dans le cas d’un système à pression constante, sous l’action de la température le gaz se dilate et produit un travail contre la pression atmosphérique extérieure. Un médecin allemand, Justus Robert Mayer (1814‑1878), féru de physique, formula à partir de ces notions le principe de l’équivalence de la chaleur et du travail. La justesse de ce raisonnement fut reconnue par la suite. De nombreuses expériences furent alors réalisées pour tenter de mesurer le facteur d’équivalence entre chaleur et travail. Mayer (1842) en fournit une première estimation 15 : un poids de 1 kg chutant de 365 m provoquait une élévation de 1 °C d’une masse d’eau équivalente. Mais l’expérience la plus démonstrative, du moins celle que l’histoire a reteMayer nue, fut celle du physicien anglais James Prescott Joule (1818‑1889). Il observa que les frottements exercés à l’intérieur d’une masse d’eau contenue dans un calorimètre par les pales d’une hélice dont la rotation était entretenue par la chute d’un poids, provoquait une élévation de la température de l’eau. Faisant varier les paramètres, il montra que la quantité de chaleur recueillie ne dépendait que du travail produit par la chute du poids 16 : z L’absorption d’une force mécanique estimée par un poids de 715230 grammes tombant de 1 mètre, fut ainsi accompagnée par le dégagement de 2°,2568 dans 733,43 gr d’eau. Par conséquent, la chaleur capable d’augmenter la température de 1 gramme d’eau de 1 degré centigrade [1 calorie] est égale à une force mécanique capable d’élever un poids de 432,1 grammes à 1 mètre de hauteur [0,432 kgm]. y 15 Pour élever de 1°C la température de 1 g de gaz à la pression constante P0, il faut lui fournir une quantité de chaleur Cp (chaleur spécifique à pression constante). Son volume va augmenter de V0 α (note 8) et on récupérera un certain travail P0V0 α. Si on opère à volume constant, on fournit la quantité de chaleur Cv (chaleur spécifique à volume constant), mais on ne recueille aucun travail. La différence entre Cp et Cv est alors équivalente au travail recueilli. Le facteur d’équivalence J entre ces deux grandeurs est donc : J (Cp – Cv) = P0V0 α. C’est ce raisonnement qu’utilisa Mayer pour donner la première estimation de J. 16 J. Joule. C. R. Acad. Sci., 1847, p. 25 (Expérience sur l’identité du calorique et la force mécanique. Détermination de l’équivalent par la chaleur dégagée pendant la friction du mercure).

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Ainsi fut déterminé l’équivalent mécanique de la calorie 17. Au siècle précédent Denis Papin (1647-1714) avait inventé la machine à vapeur qui, par le moyen de la détente d’un fluide gazeux (vapeur d’eau), permettait d’obtenir un travail mécanique. Faisant usage du calorique par commodité, dans un ouvrage, Réflexions sur la puissance motrice du feu (1824), qui passa totalement inaperçu à son époque, Sadi Carnot (1796-1832), avait établi que, pour produire un travail, le calorique devait subir une chute de température entre ce qu’il fut convenu d’appeler une source chaude et une source froide. Ainsi naquit l’analogie entre le travail produit par la chute du calorique entre deux températures et celui produit par la chute d’une masse d’eau entre deux niveaux. La «machine à feu» devenait comparable au moulin à eau. Dix ans plus tard, le travail de Carnot fut redécouvert par Emile Clapeyron (1799-1864) qui le formalisa, établissant des équations, puis par Rudolph Clausius (1822-1888) qui en généralisa la portée. Ainsi naquit la thermodynamique, science qui traite de l’énergie et des modalités de sa conversion. Le progrès des connaissances dans la science de l’électricité vint aussi apporter sa contribution à cet aspect du problème. Les études de Joule montrèrent que de la chaleur apparaît aussi quand un courant électrique circule dans un conducteur : c’est l’effet Joule. La  quantité de chaleur produite est fonction de la quantité d’électricité transportée et de la chute subie entre deux valeurs de potentiel électrique 18. On retrouve de nouveau l’analogie avec la chute d’eau. Ainsi, vers le milieu du xixe siècle, se trouvait-on en présence de trois systèmes assez bien définis où un fluide (eau, calorique, électricité), subissant une chute entre deux niveaux de potentiel (dénivellation, température, potentiel électrique), se trouvait produire de la chaleur ou du travail, les deux étant liés par une relation d’équivalence.

7.2.2 - Les formes de l’énergie Combien de formes d’énergie peut-on distinguer ? À l’évidence, nous en connaissons déjà au moins trois : l’énergie mécanique (potentielle et cinétique), l’énergie calorifique ou thermique, et l’énergie électrique. Elles peuvent, au moyen de systèmes de transferts appropriés, se transformer les unes en les autres. 17 L’unité de travail était le kilogramme.mètre (kgm), travail produit par une masse de 1 kg chutant de 1 m. Le terme de calorie, pour désigner l’unité de quantité de chaleur (cal), fut employé pour la première fois en 1852 par Fabre et Silberman. Cette unité ne reçut sa définition officielle qu’en 1934 : quantité de chaleur nécessaire pour élever la température de 1 g d’eau de 1 °C entre 14,5 et 15,5 °C. Il existait un multiple, la grande calorie ou kilocalorie (1 kcal = 1 000 cal). Ultérieurement, la calorie et le kilogramme. mètre disparurent, remplacés par le joule (J), avec les équivalences : 1 cal = 0,426 kgm  =  4,1868 J. 18 Selon la formule bien connue : W(joule) = V(volt).Q(coulomb)

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Il est intéressant à cet égard de rappeler que l’invention de la pile électrique fut inspirée à Volta par l’organe électrique de la torpille, poisson qui paralyse ses proies par des décharges électriques, ce qui montrait aussi qu’une certaine énergie physiologique pouvait être convertie en énergie électrique. Bien avant Volta, on avait aussi observé que les muscles d’une grenouille se contractaient quand on les mettait en contact avec une pièce métallique, elle-même en contact avec un autre métal. On avait conclu à l’existence d’une électricité animale, baptisée électricité galvanique, du nom de son découvreur, Luigi Galvani (1737-1798). Dans ce cas, l’énergie électrique se transformait directement en énergie mécanique. Les applications de l’électricité avaient aussi montré (Faraday, p. 152) qu’un courant électrique traversant une solution saline provoquait sur les électrodes le dépôt des métaux en solution (électrolyse), transformant ainsi une énergie électrique en énergie chimique. D’autre  part, l’étude du fonctionnement des piles révéla peu à peu que ce n’était pas le contact entre des métaux différents, mais de véritables réactions chimiques dans le milieu conducteur reliant les différents éléments de la pile qui étaient à l’origine du courant électrique délivré par la pile. Ainsi, à l’intérieur de la pile, des réactions chimiques produisaient du courant électrique, et celui-ci, à l’extérieur dans un compartiment d’électrolyse, provoquait à son tour des réactions chimiques. Les énergies électrique et chimique se transformaient réversiblement l’une en l’autre. La lumière, et notamment la lumière solaire, n’échappait pas à ces interrogations. Cette lumière véhiculait de la chaleur, ce que chacun savait. William Herschel (1738-1822) montra que cette chaleur, qu’on appelait aussi énergie rayonnante, était concentrée dans une partie bien déterminée du spectre solaire, au-delà du rouge. Fait plus troublant encore, la chaleur, véritable lumière invisible, pouvait se propager comme un rayon lumineux : si on disposait deux miroirs paraboliques l’un en face de l’autre, en plaçant une source de chaleur (fer rouge) au foyer de l’un, on pouvait, à l’aide d’un thermomètre, observer une élévation de la température au foyer de l’autre. Une certaine forme d’énergie thermique, sous forme d’énergie rayonnante, était donc associée à la lumière. Telles étaient les conceptions auxquelles on était parvenu vers le milieu du xixe siècle. Les idées sur la chaleur s’étaient considérablement précisées et élargies : par l’intermédiaire du phlogistique puis du calorique, le feu d’Aristote, dernier élément à disparaître, était devenu énergie. Celle-ci était une propriété intrinsèque des systèmes, quelle qu’en soit la nature. Elle se définissait comme la capacité à produire un travail. Elle existait sous des formes multiples : mécanique, thermique, électrique, chimique, rayonnante. Selon  les situations et les systèmes, elle pouvait subir des transformations, de façon quantitative précise pour les unes (mécanique, thermique, électrique), moins bien définie pour les autres (chimique, rayonnante). Ces conceptions, hardies pour l’époque, seront confirmées et affinées au cours des ans.

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7.3 - Vues nouvelles sur la respiration et la photosynthèse Avec toutes ces idées nouvelles sur la structure de la matière, la chaleur, le travail, l’énergie, vers le milieu du xixe siècle il n’est plus possible de considérer de la même manière la respiration et la photosynthèse, telles qu’elles avaient pu être symbolisées par les deux équations (éq. 5.1 et 6.1) qui résumaient l’état de nos connaissances à la fin du xviiie siècle. L’apparition de ces concepts et modes d’expression nouveaux conduit donc à les reconsidérer sous un nouvel angle et à les exprimer dans un nouveau langage. Faisant usage de la nouvelle théorie atomique, de la biatomicité des molécules gazeuses (O2, dioxygène), appliquant le principe de conservation de la matière, désormais exprimé par la stœchiométrie, et en n’utilisant que des nombres entiers de molécules, les plus petits possible, pour traduire les phénomènes, l’équation de la photosynthèse (éq.  6.1) peut maintenant se retranscrire de la manière suivante (éq. 7.1) : CO2 + H2O + énergie lumineuse $ {COH2}19 + O2 (7.1) Cette nouvelle formulation appelle évidemment des remarques. L’intervention de la lumière est nécessaire, mais on ne peut encore préciser sous quelle forme. Dans cette équation nouvelle, la présence d’une flèche $ , substituée au traditionnel signe  =, se justifie par plusieurs raisons. Le signe d’égalité, introduit par Lavoisier (p. 113), traduisait l’application du principe de conservation de la matière. C’est désormais une évidence, le simple respect des règles de la stœchiométrie entre les deux membres de l’équation exprime ce principe. On quitte l’ère des bilans pour entrer dans celui des mécanismes. Berthollet avait découvert la loi d’action de masse montrant que selon l’importance de la masse des intervenants certaines réactions pouvaient s’effectuer dans un sens ou dans l’autre. L’emploi d’une flèche est donc plus approprié, car il indique le sens dans lequel va évoluer la réaction. En l’occurrence, la flèche montre ici que la réaction – même si on ne sait comment – est poussée vers la droite, vraisemblablement sous l’action de la « force » de l’énergie radiante, fournie en permanence par le soleil. Quant à l’expression entre crochets, imposée par l’application du principe de conservation de la matière, elle n’est pas sans mystère non plus. Elle symbolise la matière végétale produite, résultat de l’incorporation – quantitative – du carbone du gaz carbonique, de l’hydrogène de l’eau, et de l’oxygène, qui lui peut provenir à la fois du gaz carbonique et de l’eau. Elle traduit en équation la vision prophétique de Lavoi19 Ces formules « entre accolades » sont des formules brutes ne correspondant pas nécessairement à un composé particulier. Elles reflètent simplement des compositions pondérales exprimées en termes de composition atomique.

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sier suggérant qu’en « enlevant de l’oxygène à de l’acide carbonique et de l’eau, on

doit reformer une combinaison végétale » (p. 119).

Si maintenant on écrit cette expression sous la forme [CH2O], on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre un atome de carbone et une molécule d’eau : la matière végétale serait donc une sorte d’eau carbonée ou de carbone hydraté, en d’autres termes un hydrate de carbone. Si maintenant on l’écrit [HCHO], on y reconnaît la formule d’un des corps organiques les plus simples qui soient, le formol ou mieux l’aldéhyde formique, que la nouvelle chimie organique a parfaitement identifié. Hydrate de carbone et aldéhyde formique n’ont pas fini de faire parler d’eux ! C’est alors qu’intervient l’apport fondamental de Mayer, qui, avec Priestley, Ingen-Housz, Senebier et de Saussure, forme le groupe très restreint de ceux qui participèrent à la caractérisation de ce nouveau phénomène qu’on nommera plus tard photosynthèse. Comme on l’a vu, Mayer fut le premier, sur le plan théorique, à envisager l’équivalence de la chaleur et du travail. Il s’intéressa en particulier à l’énergie solaire et parvint à la conclusion que les plantes produisent la matière végétale en transformant cette énergie rayonnante en énergie chimique. Sur le plan expérimental, Mayer n’a en rien contribué à la démonstration de sa proposition, mais il est l’auteur de ce texte fondateur 20 : z La nature s’est donné pour tâche d’attraper au vol la lumière qui afflue vers la terre, et de stocker la plus mobile de toutes les forces sous une forme matérielle. Pour réaliser ce but, elle a recouvert la croûte terrestre d’organismes qui, en vivant, absorbent la lumière du soleil, et par l’utilisation de cette force [énergie] créent continuellement une somme d’énergie chimique. Ces organismes sont les plantes. Le monde des plantes forme un réservoir dans lequel se fixent les rayons fugitifs du soleil et où ils sont déposés d’une manière habile en vue de leur utilisation (...) Le temps n’est pas si éloigné où était débattue la question litigieuse de savoir si la plante au cours de sa vie transformait la matière chimique ou la créait entièrement. Des faits, des expérimentations semblaient vouloir l’affirmer, mais une étude plus exacte a montré le contraire. Nous savons que le poids que prend la plante en croissant et celui des substances qu’elle élabore est égal à la somme de la matière absorbée. L’arbre pesant des milliers de livres a pris chaque grain de matière dans son environnement. À l’intérieur de la plante a lieu seulement une transformation, et non une production de matière (...) Comme dans le cas de la matière, les mêmes raisons nous laissent maintenant supposer que les plantes peuvent seulement transformer, mais non créer une force. Les plantes absorbent une force, la lumière, et produisent une force : l’énergie chimique. y 20 J. Mayer, Die organische Bewegung in ihrem Zusammenhange mit dem Stoffwechsel, 1845. Cité par W.E. Loomis, Encyclopedia of plant physiology, W. Ruhland, Ed., 1960, vol. 5/1, p. 95 (traduction de l’auteur).

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Avec ce texte, la photosynthèse prenait sa vraie dimension : elle n’était plus seulement un processus chimique associé à la nutrition carbonée des plantes, elle entrait dans le domaine de la physique en posant le délicat problème du mécanisme de conversion de l’énergie lumineuse en énergie chimique. Si maintenant on se tourne vers l’équation de la respiration (éq. 5.1) en appliquant les mêmes principes et conventions, celle-ci ne peut être traduite que par la forme suivante (éq. 7.2) :

{C + 2 H2} + 2 O2 $ CO2 + 2 H2O + énergie (7.2)

Elle aussi appelle quelques remarques. Tout d’abord le mot énergie, plus général, doit être substitué à celui de calorique : en effet, la respiration, comme l’a montré Lavoisier, est en relation étroite non seulement avec la chaleur animale, mais aussi avec l’exercice d’une activité physique, comme l’exercice musculaire. Et nous savons que l’un et l’autre sont les manifestations d’une même énergie. La flèche qui unit les deux membres de l’équation pose aussi problème. Autant elle se comprenait dans le cas précédent, le soleil étant une source inépuisable d’énergie lumineuse, autant on perçoit mal ici quel est le « moteur » de cette réaction. A priori, il semblerait même plus aisé d’aller dans le sens inverse, en consommant de l’énergie, que dans le sens indiqué suggérant une production d’énergie. Et pourtant, c’est bien ce sens qu’on observe dans les conditions naturelles. Visiblement, quelques lacunes subsistent encore dans notre connaissance des mécanismes des réactions chimiques et des forces qui les dirigent. L’expression entre accolades, dans le premier membre de l’équation, pose plus de problèmes encore. Son écriture est guidée par des considérations de pure stœchiométrie, mais que représente-t-elle au juste  ? Stricto sensu, selon Lavoisier, c’est le carbone et l’hydrogène contenus dans le sang à la suite de la digestion des aliments (p. 107). Mais sous quelle forme sont-ils présents ? Certainement pas sous leur forme élémentaire : gaz pour l’hydrogène ; diamant, graphite, noir de carbone pour le carbone (!). Ils ne peuvent donc être présents que sous une forme combinée, mais laquelle ? On pourrait alors avancer une hypothèse assez hardie – ou prématurée – pour tenter de débloquer la situation. Puisqu’il est dans la nature des choses (de rerum natura) que « le soleil fait pousser les plantes que mangent les herbivores que mangent les carnivores », pourquoi ne pas introduire dans cette équation, comme source de carbone et d’hydrogène dans la respiration, cette matière végétale qui, directement ou indirectement, sert de nourriture à tous les animaux. Si on le fait, l’équation devient alors (éq. 7.3) : {COH2} + O2 $ CO2 + H2O + énergie (7.3) exactement inverse de celle de la photosynthèse (p. 160).

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Comme on le voit, nombre d’interrogations sont encore sans réponse, mais les considérations qu’on a dû faire pour y parvenir ont permis d’identifier les problèmes et de poser clairement les questions. Pour aller plus loin, deux points doivent être en priorité élucidés : connaître la nature de cette matière végétale produite par la photosynthèse, de même que celle du combustible utilisé dans la respiration.

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Chapitre 8 La fonction chlorophyllienne Au début du xixe siècle, le nouveau phénomène dont de Saussure vient d’achever la description est avant tout perçu comme le moyen dont dispose la plante pour incorporer dans sa substance le carbone du gaz carbonique de l’air. La situation n’en demeure pas moins des plus obscures, en raison notamment du comportement étrange des tissus verts à la lumière ou à l’obscurité. En particulier se pose cette question : est-ce que cette espèce de respiration, qu’Ingen-Housz a mise en évidence à l’obscurité, est une vraie respiration, semblable à celle des animaux ? Opère-t-elle aussi à la lumière ? Autrement dit, il est devenu impératif d’éclaircir les rapports entre respiration et photosynthèse. Autres sujets de préoccupation : la cause de cette couleur verte, indissociable des organes végétaux qui produisent de l’oxygène à la lumière, ou encore le sort de l’acide carbonique quand il est retenu dans la plante. Autant de questions, dont les réponses tarderont à venir. En fait, au cours de la première moitié du xixe siècle, seules la découverte de la chlorophylle (1818), celle de l’amidon dans les feuilles (1838) et la proposition de Mayer sur la conversion de l’énergie solaire en énergie chimique (1845), seront les faits marquants de cette période.

8.1 - Un problème d’identité Au cours des siècles précédents, des phénomènes nouveaux avaient été découverts, comme le mouvement du sang dans les veines et les artères, ou encore celui des liquides à l’intérieur de la plante. Des expressions avaient été créées pour nommer ces fonctions : circulation du sang, conduction de la sève. Rien de tel pour la photosynthèse. Priestley a bien creusé les fondations, Ingen-Housz et Senebier ont apporté les moellons pour élever les murs, de Saussure a parachevé la construction, mais aucun nom ne figure encore au fronton de l’édifice. Après bien des hésitations, se substituant à végétation, des termes comme nutrition, nutrition végétale, furent avancés pour désigner ce fait marquant : la fixation du carbone dans la matière végétale. Puis le terme d’assimilation fut de préférence retenu, probablement parce qu’il impliquait une incorporation d’éléments étrangers

Chapitre 8 La fonction chlorophyllienne Au début du xixe siècle, le nouveau phénomène dont de Saussure vient d’achever la description est avant tout perçu comme le moyen dont dispose la plante pour incorporer dans sa substance le carbone du gaz carbonique de l’air. La situation n’en demeure pas moins des plus obscures, en raison notamment du comportement étrange des tissus verts à la lumière ou à l’obscurité. En particulier se pose cette question : est-ce que cette espèce de respiration, qu’Ingen-Housz a mise en évidence à l’obscurité, est une vraie respiration, semblable à celle des animaux ? Opère-t-elle aussi à la lumière ? Autrement dit, il est devenu impératif d’éclaircir les rapports entre respiration et photosynthèse. Autres sujets de préoccupation : la cause de cette couleur verte, indissociable des organes végétaux qui produisent de l’oxygène à la lumière, ou encore le sort de l’acide carbonique quand il est retenu dans la plante. Autant de questions, dont les réponses tarderont à venir. En fait, au cours de la première moitié du xixe siècle, seules la découverte de la chlorophylle (1818), celle de l’amidon dans les feuilles (1838) et la proposition de Mayer sur la conversion de l’énergie solaire en énergie chimique (1845), seront les faits marquants de cette période.

8.1 - Un problème d’identité Au cours des siècles précédents, des phénomènes nouveaux avaient été découverts, comme le mouvement du sang dans les veines et les artères, ou encore celui des liquides à l’intérieur de la plante. Des expressions avaient été créées pour nommer ces fonctions : circulation du sang, conduction de la sève. Rien de tel pour la photosynthèse. Priestley a bien creusé les fondations, Ingen-Housz et Senebier ont apporté les moellons pour élever les murs, de Saussure a parachevé la construction, mais aucun nom ne figure encore au fronton de l’édifice. Après bien des hésitations, se substituant à végétation, des termes comme nutrition, nutrition végétale, furent avancés pour désigner ce fait marquant : la fixation du carbone dans la matière végétale. Puis le terme d’assimilation fut de préférence retenu, probablement parce qu’il impliquait une incorporation d’éléments étrangers

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pris dans le milieu extérieur. La même tendance s’était dessinée à l’étranger avec vegetable assimilation (assimilation végétale) en Angleterre et Kohlensäureassimilation (assimilation de l’acide carbonique) en Allemagne. Après la découverte de la chlorophylle, des expressions comme action ou fonction chlorophyllienne furent alors employées. Finalement, une sorte de consensus sembla s’établir pour assimilation chlorophyllienne, dont le mérite était de focaliser l’attention sur les aspects essentiels du phénomène : incorporation du carbone à la lumière par les plantes, couleur verte des tissus 1. Assimilation chlorophyllienne restera en usage jusqu’au milieu du xxe siècle. Le terme de photosynthèse n’est apparu qu’à la fin du xixe siècle, en 1893, forgé par l’Américain Charles Barnes (1858-1910) 2 : z Pour le processus de formation de composés carbonés complexes à partir de composés simples sous l’influence de la lumière, je propose que le terme de photosyntax soit employé (...) J’ai soigneusement pris en considération l’étymologie, la correction et la force d’expression du mot proposé. Je le considère préférable à photosynthèse, qui apparaît naturellement comme un substitut (...) Photosyntax est la synthèse de composés carbonés complexes à partir de l’acide carbonique, sous l’action de la lumière. y

On le voit, le terme de photosynthèse n’avait été avancé que pour être... récusé, mais c’est lui que la postérité a retenu. Le mot n’apparaîtra dans notre langue qu’en 1902, introduit par un Italien, à la suite d’un véritable passage de témoin, comme dans une course de relais. En 1901, un Français, Jean Friedel, avait publié une note à l’Académie des Sciences, intitulée : L’assimilation chlorophyllienne réalisée en dehors de l’organisme vivant, et dont la conclusion était 3 : z Ces divers résultats conduisent à supposer que l’assimilation chlorophyllienne est accomplie sans intervention de la matière vivante, par une diastase qui utilise l’énergie des rayons solaires, la chlorophylle fonctionnant comme un sensibilisateur. y

1 L’expression fonction chlorophyllienne, moins restrictive, inclut tous ces aspects, tout en ménageant un espace pour les manifestations extérieures du phénomène : intensité, échanges gazeux, action des facteurs externes, etc., d’où son choix pour le titre de ce chapitre. 2 C. Barnes. Bot. Gaz., 1893, 18, p. 403 (On the food of green plants) (traduction de l’auteur). Voir à ce sujet : H. Gest. Photosynt. Res., 2002, 73, p. 7 (History of the word photosynthesis and evolution of its definition). 3 J. Friedel, C. R. Acad. Sci., 1901, 132, p. 1138.

Chapitre 8 - La fonction chlorophyllienne

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Et un an plus tard, en 1902, l’Italien Luigi Marchetti publia à son tour une note à l’Académie des Sciences intitulée : Sur la photosynthèse en dehors de l’organisme, et dont la conclusion était 4 : z Mes recherches confirment indubitablement que l’agent principal de l’assimilation chlorophyllienne dans les plantes vertes, et de la photosynthèse en dehors de l’organisme est un ferment soluble (enzyme), et que le pigment chlorophyllien semble fonctionner comme sensibilisateur chimique. y

Marchetti semble même introduire une distinction entre assimilation chlorophyllienne et photosynthèse, l’une se déroulant in vivo et l’autre in vitro. De toute évidence, ces recherches avaient été inspirées par la découverte alors toute récente (1897) de la zymase (§ 12.3.3), qui permettait de reproduire les réactions de la fermentation alcoolique hors des cellules de la levure. Quant aux idées sur les rapports entre photosynthèse et respiration, l’état de confusion ne peut guère être mieux rapporté que par ces citations, tirées des œuvres de deux savants du siècle. En 1835, le botaniste suisse Alphonse de Candole (1806‑1893) écrivait 5 : z Les seuls organes qui présentent ce phénomène sont les parties de couleur verte, principalement les feuilles, les parties foliacées, et les jeunes tiges. Les racines, les troncs âgés couverts d’une écorce brune, les organes floraux et les fruits qui ne sont pas verts, les cryptogames qui sont autrement colorés, les parties blanches [étiolées] par l’obscurité, ne dégagent pas d’oxygène. Ce n’est pas que la couleur verte soit la cause de l’action chimique, elle en est au contraire l’effet. Il serait plus exact de dire que les plantes et les organes qui dégagent de l’oxygène sont de couleur verte ou le deviennent ; mais comme il est plus aisé de juger de la couleur que de l’action chimique, on se sert plutôt de la locution inverse : que l’oxygène est dégagé par les parties vertes. La couleur est un indice et un critère. La seule exception à cette règle est que les feuilles ou membranes colorées en rouge dégagent quelquefois de l’oxygène. y

Vingt ans après sa découverte, la chlorophylle n’a donc encore qu’un rapport très vague avec la photosynthèse, le terme n’est même pas mentionné. Quant à Henri Dutrochet (1776-1847), célèbre physiologiste, découvreur de l’osmose, il écrivait à la même époque 6 :

4 L. Marchetti. C. R. Acad. Sci., 1902, 135, p. 1128. 5 A. de Candolle. Introduction à l’étude de la botanique, 1835, vol. 1, p. 265. 6 H. Dutrochet. Cité par A. Davy de Virville dans Histoire de la botanique en France, A. Davy de Virville, Ed., 1954, p. 166.

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z Le mode normal de la respiration des végétaux verts consiste dans la production de l’oxygène sous l’influence de la lumière et de son introduction dans les organes pneumatiques [feuilles]. C’est ce mode normal de la respiration végétale qui seul est apte à entretenir la vie des végétaux. La respiration par l’absorption de l’oxygène atmosphérique, comme elle a lieu chez les animaux, ne constitue pour les plantes qu’un mode subsidiaire, mode imparfait de respiration, lequel, à lui seul, ne peut suffire longtemps à l’entretien de la vie. y

Qu’il s’agisse d’animal ou de végétal, de végétal chlorophyllien ou non, d’oxygène ou de gaz carbonique, tout échange gazeux est donc respiration. La photosynthèse entre dans ce cadre, elle constitue même le mode normal de respiration pour les végétaux. Tel est l’écheveau de contradictions qu’il s’agit maintenant de démêler.

8.2 - Photosynthèse et respiration à la lumière Vers le milieu du siècle (1851), un pharmacien français, Lazare Garreau (1812‑1892), fit preuve d’audace en osant proposer un article intitulé : De la respiration des plantes. Sa publication fut assortie, de la part de la direction de la revue, d’une sérieuse mise en garde au lecteur, qui résume bien les réticences de l’époque à admettre l’existence d’une véritable respiration chez les plantes 7 : z En publiant les observations très intéressantes de M. Garreau, et les considérations très justes à beaucoup d’égard dont il les fait suivre, qu’il nous soit permis cependant de faire quelques restrictions à la manière générale dont il considère la respiration des plantes. Depuis longtemps on a reconnu qu’il y a, dans la respiration des végétaux, c’est-à-dire dans les relations chimiques de leurs organes avec l’air atmosphérique, deux genres de phénomènes tout à fait différents, et l’on peut dire inverses. L’un, commun à tous les organes des végétaux, mais qu’on avait considéré comme n’ayant lieu dans les parties vertes que pendant l’obscurité, est celui qui consiste dans l’absorption de l’oxygène de l’air, et dans l’exhalation d’une quantité toujours moindre, mais plus ou moins considérable d’acide carbonique ; son résultat final est la décarbonisation du végétal ; c’est ce mode de respiration que M. Garreau désigne toujours comme la respiration des végétaux (...) Mais ce mode de respiration animale, ou respiration nocturne des végétaux, constitue-t-il à lui seul la respiration des végétaux et pourrait-il leur suffire comme il suffit aux animaux ? Non, certainement. Une plante soumise d’une manière prolongée à cette respiration animale et décarboxylante s’étiole, c’est-à-dire que son accroissement exagéré amène un état maladif qui, prolongé, rend la plante faible, pâle et impropre à la reproduction. La respiration diurne, ou soumise à l’insolation, qui produit un phénomène inverse, c’est-à-dire la fixation dans la plante du carbone de l’acide carbonique de l’air ambiant, ou contenu dans l’eau qui l’arrose, est, au contraire, indispensable au développement parfait de ses organes et à leur fonction à l’état adulte. y 7 L. Garreau. Ann. Sci. Nat., 3e série, 1851, 15, p. 5 (De la respiration des plantes).

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Dans cette publication et d’autres qui suivirent, Garreau démontre que les feuilles et les parties vertes des plantes font des « inspirations d’oxygène le jour à l’ombre et par temps sombres » et que l’oxygène ainsi inspiré « se transforme en acide carbonique qui est partiellement expiré ». Au terme d’une longue série de travaux, Garreau peut ainsi conclure 8 : z De l’ensemble de faits qui viennent d’être relatés il est permis de conclure : 2) que les feuilles pendant le jour au soleil et à l’ombre expirent de l’acide carbonique et que ce gaz est expiré en quantité d’autant plus grande que la température est plus élevée. 4) qu’il existe dans les feuilles, à l’ombre et au soleil, deux actions simultanées et inverses, l’une comburante, l’autre réductrice, et que c’est à la prédominance de l’effet de la seconde sur celui de la première qu’est due l’accumulation de carbone dans les plantes. 5) qu’en raison de la simultanéité de ces deux actes opposés, on doit considérer le premier comme constituant la respiration des plantes, et le second comme faisant partie des fonctions plus spécialement nutritives. y

Garreau affirmait ainsi très clairement l’existence simultanée, chez les plantes, de deux fonctions distinctes, respiratoire et photosynthétique. Il avait de plus observé que les échanges gazeux de la photosynthèse sont très supérieurs à ceux de la respiration, un fait qui sera toujours vérifié.

Boussingault

Le père de l’agronomie française, Jean-Baptiste Boussingault (1802-1887), s’intéressa aussi à la question. Il aborda le problème en le prenant à rebours, démontrant par un test très sensible que la fonction chlorophyllienne ne s’exerce pas à l’obscurité 9 :

z Durant la vie végétale, l’oxygène par son apparition, révèle l’assimilation du carbone ; or, dans les conditions que je viens de mentionner, ce gaz ne saurait être produit qu’en proportion extrêmement limitée ; aussi n’est-ce plus à l’analyse qu’il faudrait recourir pour le reconnaître et le doser, mais à un agent capable d’en accuser la moindre trace. Le phosphore était tout naturellement indiqué, puisque, en devenant lumineux dans l’obscurité, en répandant des vapeurs à la lumière, il donne dans l’un et l’autre cas un indice certain de la présence de l’oxygène. y

Boussingault put ainsi démontrer que l’acide carbonique n’est absolument pas décomposé quand une plante est placée à l’obscurité complète dans une atmosphère 8 L. Garreau. Ann. Sci. Nat., 1851, 3e série, 16, 171, p. 232 (Nouvelles recherches sur la respiration des plantes). 9 J.B. Boussingault. Agronomie, chimie agricole et physiologie, tome 5, p. 1.

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d’hydrogène et d’acide carbonique (fig. 8.1). Le phosphore ne devient luminescent que lorsqu’on procure un éclairement, même de très faible intensité. Ainsi, l’assimilation chlorophyllienne, étudiée par le déclenchement de ses échanges gazeux, est une fonction strictement contrôlée par la lumière. C’est également à Boussingault que l’on doit les premières déterminations précises du rapport des volumes des deux gaz échangés au cours de la photosynthèse [Quotient assimilateur ou Quotient photosynthétique, QP = O2/CO2 10: z Sur 41 expériences, il en est 15 dans lesquelles le volume de l’oxygène apparu a été plus grand que le volume de l’acide carbonique disparu. Dans les autres, c’est le contraire qui a eu lieu. Dans treize seulement, il y a eu à peu près égalité entre les deux volumes de gaz, du moins la différence n’a pas dépassé 5/10 de centimètre cube (...)  Si on considère l’ensemble des résultats comme ayant été fournis par une observation unique, on trouve qu’il est disparu 1339,38 cc de gaz acide carbonique, et qu’il est apparu 1322,61 cc de gaz oxygène mêlé à 16,20 cc de gaz azote, et que, par conséquent, 100 volumes de gaz acide carbonique ont fourni 98,75 volumes de gaz oxygène. y

ce qui correspond à un quotient photosynthétique de 0,9875, valeur très proche de l’unité. Vers 1865, à la suite des travaux de Boussingault, la nature des échanges gazeux des plantes à la lumière avait, sur le plan qualitatif et quantitatif, reçu une solution définitive.

Figure 8.1 - Mise en évidence du dégagement d'oxygène dans la photosynthèse en présence de phosphore [d'après J.B. Boussingault. Agronomie, chimie agricole et physiologie, Gauthiers-Villars, Paris, 1874, tome 5, p. 3]

10 J. B. Boussingault. ibid., p. 379.

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Cependant, au cours de ces études, Boussingault n’avait pas pris en compte une éventuelle contribution perturbatrice de la respiration nocturne des végétaux. Or  différents indices suggéraient que les deux phénomènes pouvaient coexister à la lumière. Dans un de ses derniers travaux 11, l’éminent physiologiste Claude Bernard (1813-1878) apporta une information intéressante. En faisant agir des anesthésiques (chloroforme, éther) sur une plante aquatique (Potamogeton) ou une algue d’eau douce (Spirogyre), il put montrer qu’en leur présence on n’observait à la lumière qu’un faible dégagement gazeux, et il s’agissait de gaz carbonique. Si on éliminait les anesthésiques, un abondant dégagement gazeux se produisait alors, et il s’agissait d’oxygène. La fonction chlorophyllienne se révélait être beaucoup plus sensible à l’action des anesthésiques que la fonction respiratoire. L’action de la température fut également utilisée pour tenter de départager les deux phénomènes. Là encore, on put démontrer l’existence d’une sensibilité différentielle entre respiration et photosynthèse. L’élévation de la température, qui accélère les deux processus, exerce une action plus marquée sur la respiration, de sorte qu’à des températures assez élevées (40-45  °C) les échanges gazeux respiratoires peuvent égaler ceux de la photosynthèse. La lumière exerce aussi un effet similaire. Si on réduit progressivement son intensité, les échanges photosynthétiques diminuent, et, à partir d’un certain niveau d’éclairement, les échanges respiratoires deviennent prépondérants. Ces évolutions progressives et réversibles des échanges gazeux étaient donc de forts indices de la coexistence des deux activités à la lumière puisque, par la modulation des conditions externes qui les contrôlent, on pouvait à volonté favoriser la manifestation de l’une ou de l’autre. C’est dans ce contexte que deux botanistes français, Gaston Bonnier (1853-1922) et Louis Mangin (1852-1937), entreprirent le délicat travail d’évaluation de l’importance des deux phénomènes à la lumière. Bonnier et Mangin consacrèrent d’abord une très importante étude à la respiration des champignons, organismes non chlorophylliens, donc a priori dépourvus de photosynthèse. Ils répondent d’abord à des questions qui étaient alors d’actualité (en 1884) 12 :

11 C. Bernard. Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, 1878, 1, p. 278. 12 G. Bonnier. L. Mangin, Ann. Sci. Nat. Bot., 6e série, 1884, 17, p. 265 (Recherches sur la transpiration et la respiration des Champignons).

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z Nous pouvons conclure que chez tous les Champignons étudiés : 1- La respiration normale est une absorption d’oxygène et une exhalaison d’acide carbonique. 2- Il n’y a ni dégagement ni absorption d’azote. 3- Il n’y a pas de dégagement d’hydrogène. 4- Le rapport des volumes de l’acide carbonique émis au volume d’oxygène absorbé est plus petit que l’unité. Il y a donc une oxydation des Champignons par la respiration. y

S’adressant ensuite à des organes non chlorophylliens de nature très variée (racines, fleurs, graines en germination, plantes étiolées, plantes parasites), Bonnier et Mangin aboutissent aux conclusions suivantes 13 : z – L’intensité de la respiration augmente avec la température. – Pour les mêmes individus, le rapport CO2/O du volume de l’acide carbonique émis au volume de l’oxygène absorbé est le même à la lumière et à l’obscurité. y

Ces préalables résolus, Bonnier et Mangin peuvent alors s’attaquer au cœur du problème : la séparation de la respiration et de la photosynthèse dans les tissus chlorophylliens. Soustrayant alors la respiration mesurée à l’obscurité (respiration nocturne) des effets observés à la lumière, ils aboutissent à la conclusion que respiration et photosynthèse coexistent à la lumière 14 : z Les recherches dont il vient d’être rendu compte font voir que la séparation de l’action chlorophyllienne et de la respiration peut être opérée par plusieurs méthodes, qui donnent des résultats suffisamment concordants. Il est donc possible maintenant d’étudier la fonction chlorophyllienne seule chez les tissus verts exposés à la lumière et, d’autre part, la respiration seule chez ces mêmes tissus. Quant aux résultats obtenus dans les expériences qui précèdent pour le rapport des gaz échangés par l’action chlorophyllienne seule, comparé à celui de la respiration pendant le même temps, il est difficile de formuler des conclusions générales. y

Le bilan de tous ces travaux était donc assez mitigé : les échanges gazeux photosynthétiques semblaient mettre en œuvre des volumes équivalents d’oxygène libéré et d’acide carbonique absorbé (QP = 1), comme l’avait montré Boussingault, mais il était bien difficile de séparer quantitativement les contributions respectives de la 13 G. Bonnier, L. Mangin, Ann. Sci. Nat. Bot., 1884, 6e série, 18, p. 380 (Recherches sur la respiration des tissus sans chlorophylle). 14 G. Bonnier, L. Mangin. Ann. Sci. Nat. Bot., 7e série, 1886, 3, p. 43 (Recherches sur l’action chlorophyllienne séparée de la respiration).

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photosynthèse et de la respiration à la lumière 15. En fait, confirmant et explicitant la découverte d’Ingen-Housz (p. 126), le résultat le plus positif de toutes ces études fut la démonstration définitive de l’existence d’une respiration végétale, ayant tous les caractères de la respiration animale, et qui de plus se manifestait à la lumière comme à l’obscurité, mais sans qu’on sache vraiment si elle conservait la même intensité. Au terme d’une étude où il fit le bilan nutritionnel de plantes soumises à un long séjour à la lumière ou à l’obscurité, Boussingault résuma ainsi ses conclusions 16 : z Ainsi, sous les seules influences de l’air et de l’humidité, pendant la végétation à la lumière, il y a eu assimilation de carbone, en même temps que fixation d’hydrogène et d’oxygène dans le rapport voulu pour constituer de l’eau. À l’obscurité, dans des conditions de température peu différentes et sous les mêmes influences, il y eut élimination de carbone, élimination d’hydrogène et d’oxygène dans les proportions pour former l’eau. y

Associées aux mouvements du carbone, Boussingault confirmait ainsi directement ce que Lavoisier et de Saussure avaient établi à grand peine : une élimination d’eau dans la respiration, une fixation d’eau dans la photosynthèse (p. 141). Les progrès accomplis par la chimie depuis Dalton permettaient même à Boussingault d’affirmer que, dans la respiration comme dans la photosynthèse, le mouvement d’une molécule de CO2 s’accompagnait toujours de celui d’une molécule d’eau, dans le même sens. Événement banal, mais lourd d’implications.

8.3 - L’assimilation du carbone Que devient l’acide carbonique après son absorption par la plante ? En principe, n’ayant fait que préciser la « métamorphose » de l’air fixe en air pur de Senebier, la réponse avait été apportée par de Saussure. Les deux éléments du gaz carbonique se dissociaient, l’oxygène était rejeté dans l’atmosphère, le carbone était incorporé dans la matière végétale, après combinaison avec deux autres éléments, l’hydrogène et l’oxygène, provenant de l’eau. On admettait donc implicitement que tout l’oxygène libéré provenait du gaz carbonique. Corrélativement, tout l’oxygène de 15 En fait, il est même étonnant que ces auteurs aient pu parvenir aux conclusions qu’ils ont formulées, car à l’influence éventuelle de la lumière pour modifier l’intensité de la respiration nocturne, venait encore s’ajouter l’action perturbatrice de la photorespiration. Ce phénomène, de découverte assez récente (≈ 1960), est lié à la photosynthèse, mais il est caractérisé par des échanges gazeux reproduisant ceux de la respiration (p. 544). 16 J.-B. Boussingault. Ann. Sci. Nat. Bot., 5e série, 1864, 1, p. 318 (De la végétation dans l’obscurité).

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la matière végétale provenait alors de l’eau (§ 6.6). Toutefois cette manière de voir pouvait être contestée. Une partie de l’oxygène de la matière végétale aurait pu provenir du gaz carbonique, mais alors une partie équivalente de l’oxygène de l’eau aurait dû être rejetée, afin de respecter la valeur du quotient photosynthétique égale à l’unité. En fait, le débat était purement académique, car à l’époque on ne disposait ni du support théorique ni des moyens expérimentaux pour répondre à une telle interrogation. Une réponse provisoire à cette question – mais dont la durée de vie s’étendra sur trois quarts de siècle – sera cependant apportée, issue de l’assemblage des pièces d’un puzzle, dont les éléments, apparemment sans rapports, seront découverts et étudiés indépendamment les uns des autres : il s’agit de la chlorophylle et des corps chlorophylliens, de l’amidon et de la diastase.

8.3.1 - La chlorophylle et les corps chlorophylliens Étant donné l’importance du rôle de la chlorophylle, sa découverte est certainement un événement majeur de la chimie. En réalité, elle fut anecdotique et passa pratiquement inaperçue. Dès 1682, le pigment vert des plantes avait été solubilisé dans l’alcool par un botaniste anglais, Nehemia Grew (1641-1712). Reprenant cette étude, 130 ans plus tard, deux pharmaciens français, Pierre-Joseph Pelletier (1788-1842) et Joseph Caventou (1795-1877), tous deux professeurs à la faculté de pharmacie de Paris, s’intéressèrent, entre autres, à cette matière verte qui colore les feuilles, comme à l’une de ces nombreuses substances qu’ils avaient l’habitude d’extraire des matériels végétaux les plus divers. Ils préparèrent donc un extrait alcoolique de feuilles, procédèrent à des solubilisations dans des solvants variés, étudièrent l’action de quelques réactifs, notamment du chlore et de l’iode, et produisirent au sujet de cette nouvelle substance une courte note technique (une page), dont voici la conclusion 17 : z Il suit des faits contenus dans cette notice, que la matière verte des végétaux, improprement appelée fécule ou résine, est une substance particulière qui doit être classée parmi les substances végétales très hydrogénées, qu’elle doit être séparée des résines, qu’elle se rapproche de plusieurs matières colorantes, telles que celles de l’orcanette, du curcuma, du santal rouge, et qu’elle mérite, par ses propriétés et le rôle qu’elle joue dans l’économie végétale, d’être considérée comme un principe immédiat des végétaux. Nous proposons de lui donner le nom de chlorophyle. y

17 P.-J. Pelletier, J. Caventou Ann. Chim. Phys., 1818, 9, p. 194 (Sur la matière verte des feuilles). Chlorophylle, du grec χλωρός, chloros, vert, et φύλλον, phyllon, feuille. Un principe immédiat (= qui est sans intermédiaire) est un produit de l’analyse immédiate. Il correspond à une substance isolée dans un état de pureté suffisant pour qu’on puisse procéder à son analyse élémentaire, afin de déterminer sa composition pondérale en éléments et d’établir sa formule brute.

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Un vrai diagnostic de chimiste des substances naturelles ! On pourrait même s’étonner, à son propos, de voir apparaître des termes comme fécule ou résine. Ainsi identifiée, maladroitement baptisée (-phyle avec un seul l), la matière verte des végétaux tomba rapidement dans une sorte d’anonymat, sauf sous la forme d’un adjectif savant, qui peu à peu se substitua à vert pour caractériser certains tissus des plantes. Le terme ne refit vraiment surface qu’avec la fonction ou l’assimilation chlorophyllienne. Si la nature de cette matière verte était encore mal définie, sa localisation par contre était beaucoup mieux connue. En effet, depuis la découverte des cellules végétales par Hooke en 1665, de grands progrès avaient été réalisés. On savait maintenant que ces petites logettes (cellules) découvertes chez les plantes n’étaient pas vides, mais qu’elles étaient remplies d’une substance fondamentale, de nature azotée, qui avait toutes les apparences de celle observée dans les cellules animales. Elles renfermaient donc un protoplasma, représentant la partie vivante de la cellule, la paroi de la logette n’étant qu’une structure inerte – les murs, en quelque sorte – contribuant à donner aux tissus végétaux leur forme rigide et ferme. On notait aussi certaines disparités morphologiques entre les cellules animales et végétales : ces dernières contenaient en particulier un grand territoire central [vacuole] renfermant un suc [suc vacuolaire] pouvant se charger de matières colorantes. Le protoplasma était donc rejeté contre la paroi de la cellule, où il ne formait qu’une mince pellicule, contrairement aux cellules animales où il constituait la quasi-totalité du volume cellulaire. Mais en plus, dans les tissus verts, c’est-à-dire dans le protoplasma des cellules des feuilles, existaient de petits corpuscules singuliers, les grains de chlorophylle ou corps chlorophylliens [chloroplastes 18], dans lesquels était concentrée cette matière verte. Le premier à avoir observé des chloroplastes dans les tissus verts fut probablement l’Anglais Nehemia Grew, utilisant le microscope construit par Hooke. En 1837, le botaniste allemand Hugo von Mohl (1805-1872) donna la première description de ces éléments cellulaires qu’il appela grains de chlorophylle (Chlorophyllkörner). Un autre botaniste allemand, Julius von Sachs (1832-1897), précisa ces observations 19 : Sachs

18 Les grains de chlorophylle de von Mohl furent ensuite rebaptisés plastes (Plastiden) par un autre botaniste allemand (A. Schimper) avant de devenir des chloroplastes, terme apparu vers la fin du xixe siècle. 19 J. Sachs. Traité de botanique conforme à l’état présent de la science, p. 62.

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z La matière colorante verte, si généralement répandue dans le règne végétal, la chlorophylle, est toujours liée à de certaines parties de la masse protoplasmique de la cellule, douée d’une forme particulière. Ces parties de protoplasme colorées en vert peuvent, eu égard à la matière colorante qui les teint, être désignées sous le nom général de corps chlorophylliens ; sous leur forme la plus commune on les appelle des grains de chlorophylle. Tout corps chlorophyllien renferme donc au moins deux substances : la matière colorante et son support protoplasmique ; si l’on extrait la première par l’alcool, l’éther, le chloroforme, la benzine, l’huile grasse ou essentielle, le second demeure incolore. y

Les corps chlorophylliens apparaissent structurés. Ils contiennent leur propre substance fondamentale où est localisée la chlorophylle. Ils sont généralement de forme ovoïde (fig. 8.2), mais peuvent affecter des formes très élaborées, notamment chez certaines algues (Spirogyre). Leur nombre varie de quelques dizaines à une centaine par cellule, mais certaines cellules ont un corps chlorophyllien unique. En plus, ces corps chlorophylliens contiennent parfois, sous forme de petits granules, une substance étrangère, apparaissant ou disparaissant selon les circonstances et dont on ne perçoit pas très bien la signification : les grains d’amidon.

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Figure 8.2 - Chloroplastes des cellules végétales (a) chloroplastes ovoïdes d'une mousse (Funaria) (b) Chloroplastes spiralés d'une algue (Spirogyra) [d'après J. Sachs. Vorlesungen über Pflanzenphysiologie. W. Engelman, Leipzig, 1887, p. 379]

8.3.2 - L’amidon et les sucres L’amidon est un corps connu depuis la plus haute antiquité, puisqu’on le trouve dans la farine extraite des graines des céréales et que c’est avec lui qu’on fabrique le pain.

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On le rencontre aussi dans de nombreux tubercules, notamment dans la pomme de terre, dont l’introduction en Europe était de date assez récente (fin du xviiie siècle). L’observation de l’amidon au microscope avait révélé qu’il était constitué de petits granules, simples ou composés, formés d’une matière striée concentrique, comme si leur édification s’était réalisée par apposition de couches successives (fig. 8.3(a)). von Mohl fut le premier (1838) à remarquer dans les feuilles de certaines plantes la présence de grains d’amidon à l’intérieur des grains de chlorophylle 20 : z Enfin, il y a quelques années, en examinant le Chara flexilis, un nouveau point de vue inattendu vint s’offrir à moi. J’employai l’iode, si souvent déjà mis en usage dans cette plante remarquable, et je reconnus dans chaque grain de chlorophylle depuis un jusqu’à quatre grains nettement séparés, qui prirent une belle couleur bleue, et qui par conséquent étaient des grains d’amidon. En continuant mes recherches sur ce sujet, je reconnus que les grains de chlorophylle de différentes plantes présentent certaines anomalies dans leur structure. Ainsi un certain nombre de grains de chlorophylle ne contiennent par grain qu’un seul noyau de substance amylacée (...) Une seconde espèce de grains de chlorophylle qui se place à côté de celle que je viens de décrire, et qui a en commun avec elle les contours nets et précis des grains, ne s’en distingue que par la présence de plusieurs grains amylacés, qui sont ordinairement au nombre de deux ou quatre (...) Je n’ai considéré jusqu’ici que la grandeur relative des grains amylacés contenus dans ceux de chlorophylle, je ne puis dire que peu de choses sur leur grandeur absolue parce qu’elle varie infiniment. J’ai rencontré les grains amylacés les plus grands dans les grains de chlorophylle du Tradescantia discolor et du Vallisneria spiralis, le diamètre en était généralement de 1/800 à 1/500 de ligne [2,8 à 4,5 μm] et s’élevait dans quelques cas jusqu’à 1/300 de ligne [7,5 μm] ; les plus petits ne me semblent pas avoir une grandeur de plus de 1/5000 de ligne [0,5 μm]. Dans les circonstances les plus favorables, j’ai pu reconnaître la teinte bleue à des grandeurs de 1/1000 de ligne. y

Cette observation fut largement confirmée par la suite, mais c’est Sachs qui en donna l’interprétation correcte, à la suite d’une série d’élégantes expériences (1862). La question qui intriguait était le côté aléatoire de la présence des grains d’amidon dans les corps chlorophylliens. Sachs démontra que des plantes privées de lumière pendant une durée assez prolongée ne montraient pas la moindre trace d’amidon dans leurs feuilles. Par contre, si on exposait ces plantes à la lumière, l’amidon apparaissait très rapidement dans les corps chlorophylliens. Sachs réalisa alors des expériences, devenues classiques, en disposant des écrans opaques sur une partie de la feuille. Il pouvait alors constater que seule les parties éclairées contenaient de l’amidon. Outre l’observation microscopique, on disposait aussi du test à l’iode pour mettre en évidence la présence d’amidon. Il suffisait donc, après exposition à la 20 H. von Mohl. Ann. Sci. Nat., 2e série, 1838, 9, p. 151 (Recherches anatomiques sur la chlorophylle).

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lumière, de débarrasser la feuille de sa chlorophylle en la traitant par un solvant organique (alcool, éther), puis de réaliser ensuite une coloration à l’iode. Une belle coloration bleue se développait aussitôt aux endroits qui avaient été éclairés (fig. 8.3(b)). Si cette expérience était réalisée dans une atmosphère dépourvue de gaz carbonique, la formation de grain d’amidon n’était jamais observée. Il était donc clair à la suite de telles expériences que l’amidon, sous l’action de la lumière, était le premier produit visible de l’incorporation de l’acide carbonique dans la feuille. Ces résultats, obtenus dans les années 1860-65, posaient cependant problème car, entre temps, l’analyse des substances naturelles, notamment celle des sucres, et la chimie organique avaient fait de grands progrès. Mais surtout, en 1833, une découverte capitale avait été réalisée par les Français Anselme Payen (1795-1871) et JeanFrançois Persoz (1805-1868), tous deux professeurs au Conservatoire national des Arts et Métiers à Paris, à l’occasion d’études sur la germination des grains d’orge pour la fabrication de la bière.

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Figure 8.3 - L'amidon (a) Différents types de grains d'amidon dans le tubercule de pomme de terre (b) Synthèse de l'amidon restreinte à la partie de la feuille ayant été exposée à la lumière [d'après J. Sachs. Vorlesungen über Pflanzenphysiologie. W. Engelman, Leipzig, 1887, p. 379]

Comme on le montra par la suite, au cours de cette germination, l’amidon est progressivement dégradé, donnant lieu à la formation de corps plus simples, les dextrines. En présence d’iode, elles produisent des réactions colorées (violettes, mauves), différentes de celle obtenue avec l’amidon, ce qui permet de suivre la progression de la dégradation. On  aboutit ainsi à un sucre simple, qui ne donne plus de réaction colorée, le maltose (analogue au saccharose, sucre de canne), qui se résout lui-même

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en un sucre plus simple encore, le glucose. Payen et Persoz montrèrent que ces réactions se produisent sous l’action d’une substance particulière qu’ils parvinrent à caractériser. Par des séries de précipitations par l’alcool et de redissolution dans l’eau, ils isolèrent ainsi une poudre blanche, floconneuse, à laquelle ils donnèrent le nom de diastase 21 : 22,23 z Cette substance, que nous sommes parvenus à isoler possède les propriétés suivantes : elle est solide, blanche, amorphe, insoluble dans l’alcool, soluble dans l’eau et l’alcool faible, sa solution aqueuse est neutre et sans saveur marquée ; abandonnée à elle-même, elle s’altère plus ou moins vite suivant la température atmosphérique, et devient acide ; chauffée de 65° à 75° avec de la fécule, elle présente le pouvoir remarquable de détacher promptement les enveloppes de la substance intérieure modifiée, la dextrine, qui se dissout facilement dans l’eau tandis que les téguments insolubles dans ce liquide surnagent ou se précipitent, suivant les mouvements du liquide. Cette singulière propriété de séparation nous a déterminé à donner à la substance qui la possède le nom de diastase 22, qui exprime précisément ce fait. L’opération, convenablement ménagée, donne la dextrine plus pure qu’elle n’avait été préparée, aussi y retrouve-t-on le grand pouvoir de rotation 23 qui la caractérise, et qu’on obtient à un degré égal par aucun autre procédé, toutefois la solution de diastase en présence de dextrine, convertit cette dernière substance graduellement en sucre [glucose], qui n’est précipité ni par la baryte ni par le sous-acétate de plomb. Il faut que la température soit maintenue durant le contact de 65° à 75°, car si on chauffe jusqu’à l’ébullition la solution de diastase, elle perd la faculté d’agir sur la fécule et sur la dextrine. y

Toutes ces observations firent naître un doute : si l’amidon était bien le premier produit visible de l’action chlorophyllienne, cela ne signifiait pas pour autant qu’il était le premier corps formé, puisque à partir de lui on pouvait obtenir des produits plus simples, comme le montrait l’action de la diastase. Le fait qu’il apparaisse à la lumière et disparaisse à l’obscurité donnait aussi à penser qu’il pouvait représenter une sorte de réserve temporaire. Les tentatives pour résoudre cette question furent nombreuses, fournissant des réponses indécises, tantôt en faveur de la formation d’un composé complexe qui se dégradait, tantôt – hypothèse plus plausible – en faveur

21 A. Payen, J.-F.Persoz. Ann. Chim. Phys., 1833, 53, p. 73 (Mémoire sur la diastase, les principaux produits de ses réactions, et leur application aux arts industriels). 22 Du grec διάστασις, diastasis, action de séparer, d’écarter. 23 On avait découvert, notamment grâce aux travaux du physicien français Jean-Baptiste Biot (1774-1862), que les sucres sont capables de faire dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée (p. 286). On pouvait ainsi suivre facilement la transformation de l’amidon en dextrines (ainsi nommées parce qu’elles dévient le plan de polarisation vers la droite) puis en sucres plus simples en observant l’évolution de la rotation du plan de polarisation de la lumière.

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d’un composé simple qui se condensait. Ainsi expliquait-on la présence d’amidon et de sucres divers dans les tissus des feuilles. Malgré toutes ces incertitudes, une conclusion apparaissait certaine : dans tous les cas, le premier produit de l’incorporation de l’acide carbonique était un sucre. L’analyse des tissus végétaux les plus divers avait révélé l’existence de nombreux composés appartenant à cette classe de substances. Tous, au moins pour leurs représentants les plus simples, révélaient des compositions pondérales identiques, correspondant à une formule qui, sous sa forme la plus générale, pouvait être représentée par CnH2nOn – ou encore Cn(H2O)n – c’est-à-dire que tous appartenaient à la famille des hydrates de carbone (p. 161). En conséquence, l’équation (éq.  7.1) de la fonction chlorophyllienne des plantes pouvait maintenant être précisée et s’écrire (éq. 8.1) :

n CO2 + n H2O + énergie lumineuse $ Cn(H2O)n + n O2

(8.1)

car la nature chimique de cette mystérieuse matière végétale résultant de l’incorporation de l’acide carbonique de l’air était maintenant élucidée. Une telle équation justifiait aussi a posteriori la valeur de 1 pour le quotient photosynthétique (QP = O2 / CO2) qui, il faut bien le reconnaître, n’avait pu être déterminée qu’assez approximativement et moyennant un certain nombre d’accommodements. Mais le problème n’en était pas pour autant résolu, car il restait maintenant à déterminer la valeur de n pour connaître l’identité du premier corps, le composé primaire, formé dans la photosynthèse.

8.4 - À la recherche du composé primaire L’hypothèse la plus commode consistait à postuler la formation d’un composé très simple qui, par condensation sur lui-même (polymérisation), pourrait conduire jusqu’aux formes les plus élaborées, telles qu’on les rencontre à l’état visible dans le grain d’amidon. Par conséquent, le plus simple était de supposer au départ une valeur de 1 pour n. Une telle hypothèse paraît avoir été avancée pour la première fois par Boussingault, mais sans recevoir beaucoup d’attention, avant qu’elle ne soit reprise, en 1870, par le chimiste allemand Adolf von Baeyer (1835-1917), dans une théorie, celle de l’aldéhyde formique, qui survécut jusqu’aux années... 1940-45. Une première théorie de l’incorporation du carbone avait été proposée par le chimiste et agronome allemand Justus von Liebig (1803-1873). Il avait suggéré que les premiers produits de la photosynthèse pouvaient être des acides organiques, proposition basée sur le fait que les fruits verts sont souvent très acides, avant de devenir suaves

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ou sucrés au cours de leur maturation. Baeyer réfuta cette théorie (1870) et en proposa une autre 24 : z On admet généralement, en ce qui concerne la formation dans les plantes des sucres et des corps analogues, que dans les parties vertes le dioxyde de carbone est réduit sous l’action de la lumière et, par une suite de réactions, transformé en sucre. Des étapes intermédiaires ont été recherchées dans les acides organiques : acide formique, acide oxalique, acide tartrique, qui peuvent être considérés comme des produits de réduction du dioxyde de carbone. Selon cette opinion, quand les parties vertes des plantes sont les plus intensément soumises à l’action des rayons solaires, une forte accumulation d’acides organiques devrait avoir lieu, qui devraient progressivement être remplacés par des sucres. Autant que je sache, cela n’a jamais été observé, et si on se souvient que dans la plante les sucres et leurs anhydrides se rencontrent en toutes circonstances, alors que la présence des acides varie selon le type de plante et son âge, alors l’opinion déjà souvent avancée que le sucre est formé directement à partir du dioxyde de carbone devient plus probable. La découverte de Butlerow donne la solution, et on peut s’étonner en effet qu’elle ait été jusqu’à présent si peu utilisée par les physiologistes végétaux. La similitude qui existe entre le pigment sanguin et la chlorophylle a souvent été signalée. Il est probable que la chlorophylle, comme l’hémoglobine, se combine au dioxyde de carbone. Alors quand la lumière solaire frappe la chlorophylle entourée de CO2, le dioxyde de carbone semble subir la même dissociation, l’oxygène s’échappe et le monoxyde de carbone demeure lié à la chlorophylle. La forme de réduction la plus simple du monoxyde de carbone est celle de l’aldéhyde de l’acide formique, il suffit simplement d’absorber de l’hydrogène : CO + H2 = COH2 Cet aldéhyde est ensuite transformé, sous l’influence du contenu cellulaire, comme sous celle des alcalis, en sucre. y

On le voit, il s’agit là d’un langage de chimiste : on y parle de réduction et le gaz carbonique (CO2) est correctement désigné (dioxyde de carbone), pour le distinguer de son homologue, le monoxyde de carbone (CO), qui constitue, il est vrai, un élément central dans cette théorie. Le processus fait ainsi intervenir la formation d’un complexe intermédiaire mettant en jeu la chlorophylle et une réaction de dissociation de la molécule de CO2. Dans cette théorie, contrairement à tout ce qui avait été admis jusqu’à présent, on note que seulement la moitié – et non la totalité – de l’oxygène de l’acide carbonique est libérée, ce qui pose le problème de la source d’oxygène qui vient compenser ce déficit. Il est superflu, et pratiquement impossible, de passer en revue les multiples mécanismes qui pendant 70 ans furent proposés pour expliquer cette réaction. L’Histoire montre qu’il y eut à peu près autant d’arguments pour que d’arguments contre, dont le résultat le plus clair fut que, faute d’une meilleure expli24 A. Baeyer. Cité par M. Florkin, Comprehensive biochemistry, vol. 32, p. 147 (traduction de l’auteur).

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cation, la théorie de l’aldéhyde formique fut enseignée dans les universités jusqu’au milieu du xxe siècle. En faveur de la théorie militaient surtout des arguments chimiques. Il y avait d’abord l’observation de Butlerow montrant que le chauffage, en présence d’alcalis, d’un produit de condensation de l’aldéhyde formique [trioxyméthylène] donnait un composé sirupeux ayant certaines des propriétés des sucres. Ensuite existaient des observations plus ou moins pertinentes indiquant que le dioxyde de carbone pouvait être réduit en présence de magnésium par des décharges électriques ou sous l’action des rayons ultraviolets. De même dans des systèmes contenant de l’eau et de la chlorophylle, la réduction du CO2 pouvait être obtenue à la lumière. Contre la théorie étaient avancés des arguments principalement biologiques : tous les efforts accomplis pour mettre en évidence la présence d’aldéhyde formique dans les tissus verts se soldaient par des échecs ou, au mieux, par la détection de traces infimes. De plus, l’aldéhyde formique se révélait très toxique pour les végétaux. Le problème n’était pas moindre quand il s’agissait de passer de ce composé primaire à des formes plus élaborées, dont les plus simples et les plus communes contenaient 6 atomes de carbone, comme le révélaient les compositions des sucres alors connus : glucose, fructose, galactose, sorbose. Là encore, la chimie était sollicitée. Les chimistes organiciens avaient en effet observé que les aldéhydes se prêtaient facilement à des réactions de condensation. Baeyer était lui-même un spécialiste de la chimie des colorants, très en vogue à cette époque. Il les obtenait par la condensation de corps possédant des fonctions aldéhyde ou phénol. D’après cette théorie (fig. 8.4), la molécule d’aldéhyde formique se condensait sur elle même pour former des molécules de tailles de plus en plus élevées, et présentant toujours une fonction aldéhyde libre, susceptible de donner lieu à une nouvelle réaction de condensation. Ainsi, deux molécules d’aldéhyde formique donnaient naissance à une molécule d’aldéhyde glycolique, qui, combinée avec une nouvelle molécule d’aldéhyde formique, donnait de l’aldéhyde glycérique. La condensation de deux molécules d’aldéhyde glycérique conduisait à un produit à six atomes de carbone (C6H12O6). Ainsi expliquait-on la synthèse du glucose. En tirant parti de ces considérations, il devenait alors possible, en explicitant l’équation 8.1, d’écrire la véritable équation de la photosynthèse (éq. 8.2) :

6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse $ C6H12O6 + 6 O2

(8.2)

Naturellement, la nature exacte de ce C6H12O6 n’était pas connue avec certitude.

Chapitre 8 - La fonction chlorophyllienne

– – – –

2 aldéhyde glycérique

– –

H OHOHOH OHOH

–O HO–C–C–C–C–C–C–C–– H H H H H H H – – – – – –

– – – –

H OH H OH ––O –O HO–C–C–C– + HO–C–C–C–– H H H H H H

aldéhyde glycérique (C3H6O3)

– – – – – –





aldéhyde glycolique (C2H4O2)

H OH –O HO–C–C–C–– H H H – –

H –O –O HO–C–C–– + H–C–– H H H

–O –O H–C–– + H–C–– H H aldéhyde formique (CH2O)

183

glucose (C6H12O6)

Figure 8.4 - Synthèse du glucose d'après la théorie de l'aldéhyde formique

Qui, le premier, a écrit une telle équation ? Sachs (parfois Liebig) est généralement crédité du fait, bien que [à la connaissance de l’auteur] on n’en trouve aucune trace dans ses œuvres. Toutefois, parce qu’il a écrit 25 : z Dans l’Allium Cepa [oignon], la chlorophylle ne forme pas d’amidon, mais il se développe dans les organes verts de cette plante, et en grande quantité, une substance analogue au sucre de raisin [glucose], substance qui se répand ensuite dans tous les tissus. y

Sachs est probablement à l’origine du fait que C6H12O6 ait été considéré comme étant du glucose, bien que celui-ci soit en fait fort peu représenté dans les tissus chlorophylliens. La théorie de l’aldéhyde formique ne disparut définitivement qu’en 1955, quand fut déterminée de façon indiscutable la nature du composé primaire de la photosynthèse, ... qui n’était pas un sucre (!). Néanmoins, toutes les théories, même les plus fausses, renferment toujours une part de vérité. On se souvient du phlogistique. Malgré son caractère fantasque et erroné, il renfermait pourtant cette vérité première que la source de la substance végétale, c’est-à-dire son carbone, se trouvait dans l’air atmosphérique phlogistiqué et non dans la matière organique du sol, comme la théorie de l’humus l’enseigna pendant plus d’un demi-siècle. Il en fut de même pour la théorie de l’aldéhyde formique. Le mécanisme proposé par Baeyer (à l’exception de l’élimination de la moitié seulement de l’oxygène du CO2), de même que la nature de son composé primaire, l’aldéhyde formique, étaient totalement erronés, mais il n’en demeure pas moins que ce mécanisme impliquait fondamentalement (on y reviendra) la réduction de la molécule d’acide carbonique par l’hydrogène provenant de la molécule d’eau comme le décrit l’équation suivante (éq. 8.3) : 25 J. Sachs. Traité de Botanique conforme à l’état présent de la science, p. 830.

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Deuxième partie - Chimie et physiologie

H O ––C –– O + H–O–H $ O –– C–– + O2 H

(8.3)

tout en laissant planer une ambiguïté sur l’origine de l’oxygène dégagé. Mais cette réaction peut tout aussi bien s’interpréter comme une oxydation de la molécule d’eau par l’oxygène de l’acide carbonique. Elle représente l’oxydation et la réduction réciproque d’un couple de composés chimiques 26 : en somme, il s’agit là d’une réaction d’oxydoréduction. Tel était l’état d’avancement des connaissances sur la photosynthèse à l’aube du e xx   siècle : le phénomène était bien décrit, mais on ne connaissait rien de son mécanisme.

26 Dans le cas qui nous est soumis, on peut considérer en effet que 1 atome d’oxygène de l’acide carbonique a été remplacé par 2 atomes d’hydrogène de l’eau : il s’agit donc d’une réduction, ou bien encore que 2 atomes d’hydrogène de l’eau ont été remplacés par 1 atome d’oxygène provenant de l’acide carbonique : il s’agit alors d’une oxydation. Le tout est donc une oxydoréduction.

Chapitre 9 La respiration cellulaire Pendant que chez les végétaux se démêlaient les intrications de la photosynthèse et de la respiration, des progrès significatifs s’opéraient parallèlement dans la connaissance de la respiration animale. À la suite des travaux de Lavoisier, la respiration était devenue un phénomène chimique, mais son interprétation demeurait sommaire : réduite à une combustion lente, son siège était le poumon ; elle mettait aux prises l’oxygène de l’air avec le carbone et l’hydrogène du sang, produisant de l’acide carbonique et de l’eau, le tout s’accompagnant d’une libération de calorique, c’està-dire d’énergie. Cette nouvelle vision des choses suscitait des interrogations. En particulier, cette combustion avait-elle lieu exclusivement dans le poumon, ou bien dans quelque autre partie de l’organisme (p. 101), le poumon n’étant alors qu’un lieu d’échange où l’acide carbonique se substituerait à l’oxygène ? Lavoisier avait envisagé cette possibilité 1 : z Je me trouve, à cet égard, conduit à deux considérations également probables, et entre lesquelles l’expérience ne m’a pas encore mis en état de prononcer (...) En effet, d’après ce qu’on vient de voir, on peut conclure qu’il arrive de deux choses l’une par l’effet de la respiration : ou la portion d’air éminemment respirable [O2], contenue dans l’air de l’atmosphère, est convertie en acide crayeux aériforme [CO2] en passant par le poumon ; ou bien il se fait un échange dans ce viscère : d’une part, l’air éminemment respirable est absorbé, et, de l’autre, le poumon restitue à la place une portion d’acide crayeux aériforme presque égale en volume. y

La recherche du siège de la respiration occupera toute la première moitié du xixe siècle, suscitant inéluctablement d’autres interrogations, notamment sur la nature des combustibles respiratoires, qui jusqu’à présent ne sont représentés que par le carbone et l’hydrogène du sang. L’étude du bilan des échanges gazeux respiratoires, chez l’homme et les animaux, conduira à l’identification de ces combustibles. 1 A. Lavoisier. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1777, p. 185 (Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l’air en passant par leur poumon).

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Deuxième partie - Chimie et physiologie

Mais peut-on extrapoler ces conclusions à l’ensemble des êtres vivants, et notamment aux végétaux ? Et comment se distribuent chez des organismes aux formes multiples les moyens d’accès de l’oxygène aux tissus et organes qui respirent  ? Là encore, la diversité des réponses fera que la ventilation pulmonaire (le souffle), considérée autrefois par les Anciens comme l’essence même de la respiration, apparaîtra alors comme une manifestation accessoire, ayant de nombreux substituts.

9.1 - Le siège de la respiration Dès sa formulation par Lavoisier, l’hypothèse d’une respiration fondée sur une combustion principalement localisée dans le poumon fut controversée. Aux yeux de beaucoup, il apparaissait en effet que, dans ce cas, le poumon aurait dû être le siège d’une élévation de température considérable, incompatible avec la vie. Dès 1791, une telle opinion avait été exprimée par le mathématicien Joseph Louis de Lagrange (1736-1813) et rapportée par son secrétaire Jean Henri Hassenfratz (1755-1827) 2 : z M. de la Grange, réfléchissant que si toute la chaleur qui se distribue dans l’économie animale se dégageait dans les poumons, qu’il faudrait nécessairement que la température des poumons fût tellement élevée que l’on aurait continuellement à craindre leur destruction, et que la température des poumons étant si considérablement différente de celle des autres parties des animaux, il était impossible qu’on ne l’ait point encore observé. Il a cru pouvoir en conclure une grande probabilité, que toute la chaleur de l’économie animale ne se dégageait pas seulement dans les poumons, mais bien dans toutes les parties où le sang circule. y

Ces craintes étaient injustifiées. Personne n’avait jamais observé une température des poumons nettement supérieure à celle des organes environnants. Bien des années plus tard (1873), Marcelin Berthelot devait d’ailleurs faire remarquer que, de toute manière, cette augmentation de température n’aurait pu être qu’insignifiante 3 : z D’après les recherches de MM. Andral et Gavarret, la quantité moyenne de carbone exhalée par un homme, sous forme d’acide carbonique, est comprise entre 10 et 12 grammes environ par heure, soit 0,167 à 0,200 g par minute. En admettant que les matières qui ont fourni cet acide carbonique aient dégagé à peu près la même quantité de chaleur que du carbone pur, ce qui n’est pas très éloigné de la vérité, cette chaleur serait capable d’élever de 1 degré par

2 J. Hassenfratz. Ann. Chim., 1791, 9, p. 261 (Sur la combustion de l’oxygène avec le carbone et l’hydrogène du sang, sur la dissolution de l’oxygène dans le sang et sur la manière dont le calorique se dégage). 3 M. Berthelot. C. R. Acad. Sci., 1873, 77, p. 1063 (Remarques sur un point historique relatif à la chaleur animale).

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minute la température de 1,300 kg à 1,600 kg d’eau. En admettant seize inspirations par minute, chacune d’elles produirait donc, en moyenne, une quantité de chaleur capable d’élever de 1 degré 100 grammes d’eau, ou moins. Cette quantité de chaleur, répartie entre toute la masse des poumons, qu’on peut évaluer à 2 kilogrammes ou 2,500 kg environ, ne saurait en élever la température que d’une très petite fraction de degré (un vingtième à un vingt-cinquième de degré) par chaque inspiration. La circulation incessante du sang, dans les vaisseaux pulmonaires, sang dont le poids ne paraît pas éloigné de 300 à 400 grammes entre deux inspirations, jointe à l’influence du contact des parties voisines, absorberait d’ailleurs à mesure la chaleur produite, de façon à empêcher ses effets de s’accumuler (...) Les conclusions de Lagrange n’en étaient pas moins conformes à la réalité. Mais ce n’est pas la seule fois dans l’histoire des sciences qu’un argument sans valeur est devenu l’origine de découvertes importantes. y

De telles considérations jetaient effectivement un doute sérieux sur l’idée émise par Lavoisier, aussi s’orienta-t-on assez rapidement vers une autre hypothèse, beaucoup plus plausible : le sang, qui par sa masse (environ 8 % de celle du corps) représente un réservoir bien plus important que le poumon pour l’accumulation de la chaleur. De plus, en circulant, il peut la répartir et la diluer dans l’organisme.

9.1.1 - La respiration sanguine Une telle opinion fut mise en forme par Hassenfratz dans une étude qui l’amena à cette conclusion 2 : z Il suit des observations et des expériences contenues dans ce mémoire, 1°. que la couleur rouge du sang est le résultat de la dissolution du gaz oxygène avec le sang ; 2°. que la couleur brune et même noire est occasionnée par la combinaison de l’hydrogène et du carbone du sang avec l’oxygène qui y était dissous ; 3°. que les poumons ne sont pas le foyer où se dégage tout le calorique nécessaire à entretenir la chaleur animale ; 4°. que le calorique nécessaire à entretenir la chaleur animale se dégage pendant la circulation du sang, par la combinaison de l’hydrogène et du carbone du sang avec l’oxygène qui y était mélangé. y

On fit alors une découverte étonnante. Si la combustion respiratoire avait lieu dans le sang, tout l’oxygène présent dans le sang artériel aurait dû se retrouver sous forme d’acide carbonique dans le sang veineux. En d’autres termes, le sang artériel n’aurait dû contenir que de l’oxygène et le sang veineux que de l’acide carbonique. Or, on dut le constater : l’un et l’autre renfermaient ces deux gaz. Les premières mesures précises ne furent réalisées qu’au début du xixe siècle. L’Allemand Gustav Magnus (1802-1870), par des méthodes faisant appel au vide ou à l’entraînement par un courant gazeux, parvint à extraire tous les gaz du sang.

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Par des mesures précises, il put montrer que le sang artériel était toujours plus riche en oxygène et plus pauvre en acide carbonique que le sang veineux 4 : z Ces expériences eurent pour but de savoir d’une manière générale quels étaient les gaz contenus dans le sang, s’ils existaient dans le sang veineux comme dans le sang artériel et si les proportions en étaient les mêmes dans l’un comme dans l’autre. Elles me prouvèrent : 1° que l’acide carbonique n’était pas le seul gaz contenu dans le sang veineux, que l’azote et l’oxygène y existaient également ; 2° que le sang artériel contenait ces trois gaz comme le sang veineux, mais que les proportions n’y étaient pas les mêmes (...) On remarquera de plus que le sang artériel contient plus d’oxygène proportionnellement à son acide carbonique que le sang veineux. En effet, l’oxygène contenu dans ce dernier équivaut tout au plus au quart ou au cinquième de son acide carbonique, tandis que celui qui se rencontre dans le sang artériel équivaut au tiers ou approche même de la moitié. y

Pour Magnus, l’acide carbonique était produit au niveau des vaisseaux capillaires, c’est-à-dire à l’endroit où le sang artériel est converti en sang veineux. C’est aussi à cet endroit qu’il situait la production de chaleur. Le sang participait à cette fonction, qui très vraisemblablement devait aussi concerner les autres parties de l’organisme. Petit à petit, le siège de la respiration, après avoir quitté le cœur, transité par le poumon puis par le sang, glissait insensiblement vers les tissus des organes.

9.1.2 - La respiration tissulaire En fait, il y avait bien longtemps qu’on savait que les tissus des animaux, même isolés de l’organisme, respiraient. Il suffisait pour cela de remonter aux travaux de l’abbé Lazzaro Spallanzani (1729-1799), professeur d’histoire naturelle à l’université de Pavie, découvreur de la fécondation chez les animaux. Les travaux de Spallanzani sur la respiration ne furent publiés (1803) qu’après sa mort par son ami Jean Senebier. À l’aide de l’eudiomètre, Spallanzani mesura la consommation d’oxygène des animaux les plus divers. Il en vint ainsi à la conclusion que la présence d’un poumon n’est pas une condition indispensable à l’exercice de la respiration. Certains animaux, comme les grenouilles ou les crapauds, paraissaient même respirer par la peau. Spallanzani opéra aussi sur des parties d’animaux, vers coupés en morceaux, organes prélevés sur des animaux et par conséquent privés de tout renouvellement des gaz respiratoires par la circulation sanguine  :

4 G. Magnus. Ann. Sci. Nat., 2e série, 1837, 8, p. 79 (De la présence d'oxygène, de l'azote et de l'acide carbonique dans le sang, et sur la théorie de la respiration).

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z En parlant des mammifères, j’ai fait a dessein plusieurs expériences sur quelques unes des parties de leur corps, comme les muscles, les tendons, les os, le cerveau, la graisse, le sang, la bile. Chacune de ces parties détruit le gaz oxygène en diverses proportions, à l’exception de la bile ; mais le sang n’est pas, de toutes les parties animales, celle qui est le plus propre à la destruction du gaz oxygène, quoique d’abord j’eusse cru qu’elle l’emportait sur les autres ; en la jugeant d’après ce qu’on a écrit sur le sang, relativement à la décomposition de l’air 5 (...) Avec un ordre nouveau d’êtres respirants, il se présente un nouveau genre d’expérience à tenter ; avec l’homme et les quadrupèdes on ne saurait se servir des ressources employées pour les animaux plus petits (...) Il ne restait donc qu’à examiner par la voie de l’expérience, l’influence de quelques organes de l’homme et des animaux quadrupèdes sur l’air qu’ils peuvent toucher. Il résulte de ces expériences que : – la peau et la chair de l’homme absorbent le gaz oxygène et produisent de l’acide carbonique ; la chaleur augmente ces effets ; – le poumon de veau absorbe le gaz oxygène et produit l’acide carbonique ; – la chair et le foie de veau fournissent les mêmes résultats ; – la chair de bœuf absorbe plus d’oxygène que son sang 6 ; y

Ainsi, dès le tout début du xixe siècle, il ne fait guère de doute que la respiration, définie et mesurée par ses échanges gazeux, est une fonction distribuée dans toutes les parties des organismes et qu’elle peut se réaliser indépendamment de tout système respiratoire organisé. L’idée d’expérimenter sur des parties d’animaux se développa rapidement dans la première moitié du xixe siècle. On procéda à des mesures de la capacité respiratoire des organes et des tissus les plus divers. On constata ainsi que l’intensité du processus n’était pas uniforme, qu’elle présentait même des variations assez importantes d’un organe à l’autre. Cependant l’idée d’une respiration tissulaire mit beaucoup de temps à s’imposer. En 1859, malgré toutes ces évidences, Claude Bernard demeurait encore persuadé que la respiration avait son siège dans le sang, convaincu qu’entre le sang et les tissus ne s’effectuaient que des échanges de liquides, et non des échanges de gaz 7 : z Mais ce carbone ne paraissait pas avoir été cédé à l’état d’acide carbonique par le tissu, il est infiniment probable que l’acide carbonique du sang veineux résulte d’une oxydation qui s’est effectuée dans le globule sanguin lui-même. Lorsque le sang traverse les capillaires, il y aurait entre lui et les tissus non échange de gaz mais peut-être échange de liquides. Par suite des conditions nouvelles que créerait cet échange, l’oxygène du globule serait en partie employé à oxyder le carbone du globule lui-même. y 5 L. Spallanzani. Mémoires sur la respiration, p. 86. 6 J. Senebier. Rapports de l’air avec les êtres organisés ... , p. 28 et 34. 7 C. Bernard. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations pathologiques des liquides de l’organisme, vol. 1, p. 342.

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9.1.3 - La respiration cellulaire Peu à peu l’idée finit ainsi par s’établir que le siège de la respiration résidait dans les tissus des organismes, et que cette conclusion avait une portée tout à fait générale. En effet, quelle différence pouvait-on maintenant faire entre des fragments d’organes isolés d’un organisme animal par Spallanzani et des parties de plantes utilisées par Ingen-Housz pour mettre en évidence la respiration nocturne des végétaux ? À ce niveau, il n’était plus possible de distinguer les matériels par leurs caractéristiques animales ou végétales : la respiration était une fonction générale de tous les tissus et pouvait même s’exercer en l’absence de tout appareil respiratoire organisé. L’analyse pouvait encore être plus finement poussée, car, entre tous ces tissus animaux ou végétaux, aux formes si disparates et aux fonctions si diverses, existait un dénominateur commun : la cellule. Depuis les premières observations de Hooke et de Malpighi un siècle et demi plus tôt, l’utilisation du microscope avait grandement fait progresser la connaissance de la structure des organismes vivants. Cette somme d’observations s’était traduite en 1839 par la formulation de la théorie cellulaire, valable pour les deux règnes, par deux naturalistes allemands, le botaniste Mathias Jacob Schleiden (1804-1881) et le zoologiste Theodor Schwann (1810-1882). Vers le milieu du xixe siècle, il était définitivement établi que la cellule, sous des aspects multiformes, constituait l’unité morphologique de base de tout tissu, organe ou individu. Unité structurale, la cellule devint aussi unité fonctionnelle, car c’est par elle et ses propriétés spécifiques qu’on expliquait les différentes fonctions des organismes : sensibilité, motricité, sécrétion, etc. Chez les végétaux, on savait depuis longtemps que la photosynthèse avait son site dans les cellules chlorophylliennes. Avec les progrès de la physiologie, la cellule va alors acquérir une nouvelle fonction : elle devient le site de la respiration. C’est le physiologiste français Paul Bert (1833-1886) qui, le premier (1870), a le mieux exprimé cette opinion. Pour lui, la respiration est un processus global, résultant de l’activité des « particules constituantes » des tissus 8 : z L’être vivant est un agrégat de particules vivantes, comme le corps brut est un agrégat de particules brutes. Or, de même que ce corps ne possède aucune propriété physico-chimique qui ne se retrouve dans toutes ses parties constituantes (s’il est homogène), ou dans un certain nombre d’entre elles (s’il est hétérogène), de même toutes les qualités physico-chimiques ou vitales de l’être vivant, considéré dans son ensemble, doivent avoir leur origine dans une qualité similaire d’un certain nombre de ses particules constituantes. Ce que nous appelons fonctions n’est qu’une somme, somme algébrique, de ces propriétés élémentaires (...) La respiration de l’animal n’est donc que la manifestation de la respiration de ses divers tissus, de ses divers éléments ; c’est la somme, la somme algébrique de ces respirations élémentaires qui constitue sa respiration. y 8 P. Bert. Leçons sur la physiologie comparée de la respiration, p. 30.

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Sans explicitement les nommer, ces «  particules vivantes  », «  particules constituantes  », «  éléments  », ne pouvaient que faire référence aux cellules. Ce pas fut franchi par le physiologiste allemand Eduard Pflüger (1829-1910). Il établit définitivement (1872) que la respiration est une fonction cellulaire, commune aux animaux et aux végétaux. De plus, affinant les observations de Lavoisier, c’est à la cellule qu’il accorde le rôle premier dans le contrôle de l’intensité respiratoire 9 : z Ici se trouve le secret capital de la régulation de toute la consommation de l’oxygène par l’organisme ; cette quantité est entièrement déterminée par la cellule elle-même, et non par la teneur du sang en oxygène, ni par la pression à l’intérieur du système aortique, ni par la vitesse du courant sanguin, ni par le type de débit cardiaque, ni même par le type de respiration (...) C’est la cellule vivante qui contrôle l’intensité de la consommation d’oxygène. y

Vers les années 1870-75, le processus chimique pulmonaire de Lavoisier était définitivement devenu un processus chimique cellulaire.

9.2 - Le transport des gaz respiratoires L’affectation du site de la respiration aux cellules de l’organisme révolutionnait les conceptions anciennes, mais soulevait des d’interrogations. Évidemment, aucun problème ne se posait pour les organismes unicellulaires ou pluricellulaires vivant dans l’air ou dans l’eau, et dont on commençait à avoir une bonne connaissance. Pour ces organismes, de très petit volume, la simple diffusion des gaz à travers la surface limitant le territoire cellulaire (membrane plasmique) devait suffire pour l’accomplissement de la fonction respiratoire. Mais, d’une façon générale, les êtres vivants sont des organismes multicellulaires, les cellules se trouvent le plus généralement enfouies au sein de tissus très compacts, et donc très éloignées du milieu extérieur où réside la source d’oxygène. Il devenait alors évident qu’une des fonctions principales de la circulation sanguine, et du sang lui-même, était d’assurer cette fonction de transport des gaz entre l’atmosphère et les cellules. Mais par quel mécanisme ? par simple dissolution des gaz et échanges de liquide entre le sang et les cellules ? par diffusion gazeuse entre le sang et les cellules ? par des mécanismes plus élaborés permettant de transporter efficacement de grandes quantités de gaz. Toutes ces questions concernaient les animaux dotés d’un appareil circulatoire couplé à un appareil respiratoire, poumons pour ceux qui vivent en milieu aérien, branchies pour ceux qui vivent en milieu aquatique. Mais une telle situation est loin d’être générale. Déjà Aristote avait divisé le règne animal en deux catégories, celle des animaux sanguins possédant un sang rouge, et celle des non sanguins. Et qu’en était-il des végétaux, qui peuvent atteindre des 9 E. Pflüger. Cité par D. Keilin, The history of cell respiration and cytochrome, p. 43 (traduction de l’auteur).

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tailles considérables mais ne possèdent ni appareil circulatoire moteur ni appareil respiratoire. Les modalités de transport des gaz respiratoires entre l’atmosphère extérieure et les cellules des tissus constituent donc un très délicat problème, mais auquel la nature a apporté une grande variété de solutions. Les phénomènes physiques en jeu dans le transport des gaz respiratoires sont relativement simples : il s’agit de la convection, qui assure le transport de masses de matière, liquide ou gazeuse, sous l’action de forces mécaniques, et de la diffusion, qui détermine le mouvement des molécules au sein d’un milieu liquide ou gazeux sous l’action de différences de concentrations ou de pressions. Ainsi, entre le milieu extérieur et les poumons ou les branchies, l’oxygène et le gaz carbonique, à l’état gazeux ou dissous, sont transportés par convection par la ventilation pulmonaire ou l’écoulement de l’eau. Entre ces organes et les tissus, c’est le courant sanguin qui assure par convection leur transport à l’état dissous. Au niveau des tissus, les échanges reposent essentiellement sur les phénomènes de diffusion.

9.2.1 - Le transport des gaz par le sang Le sang, milieu liquide, peut tout naturellement renfermer des gaz à l’état dissous. En assimilant le sang à une masse d’eau équivalente, il s’avère que l’oxygène y est pratiquement 25 fois moins soluble que le gaz carbonique : 23,9 mL pour O2 contre 567 mL pour le CO2 (par litre, à 37 °C, 1 atm). Cette dissolution dépend cependant de la pression partielle exercée par le gaz sur le liquide. Or, dans les conditions naturelles, ces pressions partielles sont très éloignées de l’unité et très différentes pour les deux gaz en question : l’oxygène représente 21 % de l’air atmosphérique (pression partielle : 0,21 atm ou 160 mm Hg), mais le gaz carbonique, lui, n’est que très faiblement présent, seulement 0,038 % (pression partielle : 0,00038 atm ou 0,29 mm Hg). Quand on pondère la solubilité de ces gaz par la pression partielle qu’ils exercent effectivement, on trouve alors qu’un litre de liquide ne renferme plus, à l’état dissous, que 5,0 mL d’oxygène et seulement 0,2 mL de gaz carbonique. En équilibre avec l’air, bien que 25 fois plus soluble que l’oxygène, le gaz carbonique est donc en fait 25 fois moins concentré dans le sang. Les mouvements de gaz peuvent alors tout naturellement s’opérer si les pressions partielles sont différentes entre les phases liquides ou gazeuses : ainsi, dans le poumon, où la pression partielle de l’oxygène dans l’atmosphère de l’alvéole pulmonaire  10 10 La composition de l’air dans l’alvéole pulmonaire n’est pas la même que celle de l’air atmosphérique. Cet état résulte du fait que cet air est d’abord saturé de vapeur d’eau. Ensuite, l’air du volume pulmonaire (3,5 L environ, chez l’homme) n’est que très partiellement renouvelé à chaque inspiration (0,5 L environ). Cet air se trouve donc appauvri en oxygène et enrichi en gaz carbonique et vapeur d’eau. Sa composition moyenne est la suivante : N2, 76 % (570 mm Hg) ; O2, 13,8 % (105 mm Hg) ; H2O, 6,2 % (45 mm Hg) ; CO2, 6,0 % (40 mm Hg).

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(105 mm Hg, chez l’homme) est supérieure à celle du sang veineux (40 mm Hg), l’oxygène aura tendance à se dissoudre dans le sang. L’inverse se produira dans le cas de l’acide carbonique, sa pression partielle étant supérieure (45 mm Hg) dans le sang veineux en regard de celle de l’atmosphère de l’alvéole pulmonaire (40 mm Hg), l’acide carbonique va donc naturellement se libérer dans l’atmosphère des alvéoles pulmonaires. D’innombrables travaux de physiologie respiratoire ont été consacrés à la mesure de ces paramètres. On s’aperçut très vite que les quantités de gaz présentes dans le sang ne correspondaient nullement aux quantités auxquelles on pouvait s’attendre en ne considérant que les seuls facteurs de solubilité ou de pression partielle. Elles  étaient bien supérieures. D’autres facteurs devaient intervenir, et même de façon prépondérante. Dans le cas du gaz carbonique, on savait depuis longtemps – en fait depuis sa découverte (p. 57) – qu’il possède des propriétés acides quand il est en solution dans l’eau, d’où le nom d’acide carbonique qui lui fut très tôt attribué. Cet acide carbonique [H2CO3] existe en solution 11 à l’état d’ions carbonate [CO32–] et hydrogénocarbonate [HCO3–]. Si le milieu est alcalin – ce qui est le cas du sang [pH 7,4] – une assez grande quantité d’acide carbonique se trouve stockée sous forme combinée et peut être libérée à la demande par simple déplacement d’équilibre. Ainsi, dans les conditions normales, le sang renferme environ 40 mL de CO2 à l’état dissous 12 et 400 mL à l’état d’hydrogénocarbonate (par litre). Pour l’oxygène, on ne peut invoquer un tel mécanisme. Néanmoins l’écart entre la théorie et l’observation était tel que là aussi il fut nécessaire de postuler quelque forme de combinaison avec un corps capable de le stocker et de le libérer à la demande. Dès 1838, Berzelius avait suggéré que les globules rouges du sang pourraient être impliqués dans le transport de l’oxygène.

9.2.2 - L’hémoglobine Avant de procéder plus avant, un bref retour en arrière s’impose à ce stade de notre étude, jusqu’au temps de Leeuwenhoek précisément. Car c’est à lui, l’inventeur reconnu du microscope et le découvreur de la circulation capillaire dans les branchies du têtard de grenouille, que l’on doit les premières observations sur la composition du sang et la démonstration qu’il n’est pas un liquide homogène. Il fut en effet

11 CO2 + H2O

@

H2CO3

@

H+ + HCO3–

@

2 H+ + CO32–

12 Cette valeur, bien supérieure à celle donnée précédemment (p. 192) s’explique par le fait que le gaz est ici à une pression partielle de 40 mm Hg, au lieu de 0,29 mm Hg.

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le premier (1674) à attribuer la couleur rouge du sang à des corpuscules baignant dans ce liquide 13 : z Le sang est composé de particules excessivement petites, nommées globules, qui, chez la plupart des animaux, sont de couleur rouge et nagent dans ce liquide que les médecins appellent plasma ; et c’est par le moyen de ces globules que le mouvement du sang devient visible, ce qui autrement ne pourrait être découvert par la simple observation. Ces particules, ou globules, sont si petites qu’une centaine d’entre elles, placées côte à côte, n’égalent pas le diamètre d’un grain de sable ordinaire ; et par conséquent, un grain de sable a plus de un million de fois la taille d’un seul de ces globules. y

Dès l’origine, le sang apparaît donc constitué d’au moins deux fractions, une, liquide, que l’on nommera plasma ou sérum, et une autre, comportant des éléments dits figurés, dont les plus visibles à cette époque sont ces globules que l’on appellera rouges [hématies]. Justus Liebig fut un des premiers à reconnaître que les globules du sang contenaient du fer. Il fut aussi le premier à suggérer la possibilité d’une relation entre la présence de fer et la respiration 14 : z Il faut considérer comme une matière particulière propre celle qui communique au sang sa couleur rouge. On ne connaît pas cette matière colorante à l’état de pureté ; elle est si altérable que tous les efforts qu’on a tentés pour l’isoler ont été sans résultat (...) La matière colorante rouge est évidemment contenue dans ces globules, en combinaison avec l’albumine, et elle suit celle-ci dans toutes ses combinaisons (...) La présence de fer dans les cendres de sang est connue depuis longtemps, mais ce n’est que plus tard qu’on a constaté que cet élément entre dans la composition des globules. C’est par la présence de fer que la matière colorante du sang se distingue de toutes les autres parties de l’organisation animale ; il n’en existe aucune autre qui renferme cet élément, et si l’on en a trouvé quelque autre part, comme dans la fibre musculaire 15, il provenait là aussi de la matière colorante du sang. Le fer se trouve dans tous les animaux à sang rouge ; sa présence n’y est certainement pas fortuite, et elle se rattache positivement à quelque fonction importante dans la nutrition et la respiration . y

La recherche de ce composé contenant du fer et donnant une combinaison avec l’oxygène fut une longue histoire. Sous des dénominations variées (hématocristalline, hématoglobuline, hématosine), on isola des corps divers, de couleur rouge et 13 A. Leeuwenhoek. Cité par D. Keilin, The history of cell respiration and cytochrome, p. 15 (traduction de l’auteur). 14 J. Liebig. Traité de chimie organique, vol. 3, p. 338. 15 Sans le savoir, Liebig fait ici allusion à la myoglobine, qui sera découverte (1884) par MacMunn.

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contenant du fer, pour finalement aboutir à une substance appartenant à la famille des composés azotés [protéines]. Isolée en 1851 par le physiologiste allemand Otto Funke (1828-1879), elle fut ensuite caractérisée par son spectre d’absorption par le chimiste allemand Félix Hoppe-Seyler (1825-1895), qui en 1864 lui attribua son nom définitif d’hémoglobine  16. Cette molécule fit évidemment l’objet d’innombrables études, notamment en ce qui concerne sa relation avec l’oxygène. Les physiologistes démontrèrent ainsi qu’elle forme avec lui un composé (oxyhémoglobine) facilement dissociable : hémoglobine (Hb) + oxygène (O2) @ oxyhémoglobine (HbO2) L’expérience montre que l’hémoglobine est saturée en oxygène à 98 et 75 % aux pressions partielles de 105 et 40 mm Hg, pressions régnant respectivement dans les alvéoles pulmonaires et au niveau des tissus. Grâce  à la présence d’oxyhémoglobine, le sang constitue une importante réserve d’oxygène, 1 litre de sang (artériel) renfermant approximativement 200 mL d’oxygène : 3 mL à l’état dissous 17 (1,5 %) et 197 mL à l’état de HbO2 (98,5 %). Le cheminement de l’oxygène jusqu’au sein des cellules des tissus, où il est utilisé, est par contre un processus très complexe. Sous l’action de la pression partielle locale, HbO2 doit d’abord se dissocier et l’oxygène libéré doit franchir la membrane du globule rouge pour passer à l’état dissous dans le plasma. Il doit ensuite franchir la paroi du capillaire, se dissoudre dans le liquide interstitiel [lymphe] dans lequel baignent les cellules des tissus, avant de franchir la membrane plasmique de la cellule destinataire, pour gagner son lieu d’utilisation. On imagine facilement la complexité des mécanismes chimiques et physiques mis en jeu dans l’exercice de ces opérations. Un phénomène similaire intervient pour le gaz carbonique, car l’hémoglobine donne aussi une combinaison réversible avec le CO2 (carbhémoglobine, ou mieux carbaminohémoglobine, HbCO2), mais une importante différence sépare les deux processus. Dans le cas de l’acide carbonique, la réserve majeure est localisée dans la réserve d’hydrogénocarbonate. Dans 1 litre de sang (veineux) sont ainsi présents 550 mL de CO2 : 40 mL à l’état dissous (7 %), 125 ml à l’état de carbhémoglobine (23 %) et 385 mL sous forme d’hydrogénocarbonate (70 %). 16 Du grec αἷμα, aïma, sang, et globine, de globuline, terme crée par Berzelius pour désigner un composant du sang, de nature albuminoïde. 17 Valeur inférieure à celle mesurée avec l’eau pure (5 mL). La solubilité d’un gaz dans un liquide dépend aussi des autres substances dissoutes dans le liquide. La présence de sels diminue les coefficients de solubilité. C’est le cas du sang, dont la concentration ionique est équivalente à celle d’une solution de chlorure de sodium (NaCl) à 0,8 % (sérum physiologique). C’est aussi le cas de l’eau de mer (environ 35 g de sels divers par litre).

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Tel est, brièvement résumé, le moyen utilisé par un grand nombre d’êtres vivants pour mettre en relation l’oxygène de l’air avec les combustibles respiratoires présents dans les cellules. Mais ce moyen ne convient que pour les animaux terrestres dotés de poumons. Comment le problème a-t-il été résolu chez les autres êtres vivants qui peuplent notre planète ? C’est ce que nous allons maintenant examiner en un rapide survol des diverses solutions qui ont été mises en jeu. On ne considérera que le seul mouvement de l’oxygène, sans lequel aucune respiration n’est possible, la formation et le rejet de gaz carbonique ne constituant en quelque sorte qu’un « revers de la médaille ». D’une façon générale, comme l’illustre bien le cas de la circulation sanguine, les voies de transit pour les deux gaz sont les mêmes, les forces motrices du mouvement des gaz (convection, dissolution, diffusion, concentration, pression) sont aussi les mêmes, mais leurs gradients sont orientés dans des directions opposées et génèrent ainsi des flux de directions opposées.

9.2.3 - Le transport des gaz chez les animaux L’exercice de la respiration s’est adapté à la variété des formes et des modes de vie qui se rencontrent dans la nature. Dans l’ensemble, les animaux se répartissent entre le milieu aérien, terrestre, et le milieu aquatique, marin ou d’eau douce. Sur le plan de la physique, ces deux milieux possèdent des capacités extrêmement différentes pour le transport des gaz par convection et diffusion. L’eau étant un milieu 800 fois plus dense et 50 fois plus visqueux que l’air, il faudra nécessairement dépenser beaucoup plus d’énergie pour mouvoir des masses d’eau que pour déplacer des masses d’air. D’autre part, dans les conditions ordinaires, l’eau du milieu ambiant contient, à l’état dissous, près de 30 fois moins d’oxygène qu’un égal volume d’air 18. De telle sorte que pour mettre en contact avec les surfaces d’échange (poumons, branchies) l’équivalent de 1 litre d’oxygène, il ne faut mouvoir que 4,8 litres d’air (6,2  g) mais près de 150 litres d’eau (150  kg). D’une façon générale, on estime qu’un peu plus de 1 % de l’oxygène consommé est dépensé pour le fonctionnement des mécanismes de ventilation pulmonaire, cette dépense est de l’ordre de 5 à 10 % pour faire circuler l’eau au niveau des branchies par les mouvements de l’appareil buccal et des opercules chez les poissons. La nécessité de faire circuler une bien plus grande quantité de fluide tout en minimisant la dépense énergétique s’est aussi traduite par le fait que l’approvisionnement en oxygène en milieu aquatique s’effectue sous forme d’un écoulement continu au niveau des branchies, le milieu étant constamment renouvelé. En milieu aérien, par contre, le mode de convection est alternatif (inspiration, expiration), le renouvellement de l’atmosphère pulmonaire n’étant que partiel. 18 Si nous considérons le milieu aquatique, 1 litre d’eau douce à 20 °C, en équilibre avec l’air atmosphérique, renferme environ 6,6 mL d’oxygène.

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Le second phénomène physique assurant le transport et l’échange des gaz est la diffusion, dont l’intensité, fonction des gradients de concentrations ou de pressions, est de plus directement proportionnelle à la surface de diffusion. Chez certains animaux, la peau peut jouer ce rôle si elle est de faible épaisseur et richement vascularisée, mais en général ce mode d’approvisionnement est insuffisant. Pour pallier cette difficulté, la nature a développé deux systèmes d’extensions des surfaces de contact : le poumon chez les animaux qui vivent dans l’air, et les branchies pour ceux qui vivent dans l’eau. Cette observation n’est cependant pas tout à fait exacte. Il existe en effet des situations – très rares il est vrai – d’animaux qui possèdent des poumons aquatiques remplis d’eau (holoturie ou concombre de mer), et d’autres qui possèdent des branchies aériennes (crabe des cocotiers). Et même, certains animaux, qui doivent affronter des conditions de vie extrêmes, possèdent à la fois des poumons et des branchies (Dipneustes). Dans la respiration pulmonaire, les transferts des gaz dans les poumons s’effectuent par les mécanismes décrits plus haut. Le système pulmonaire est essentiellement constitué d’une trachée débouchant sur le milieu extérieur et se résolvant progressivement en éléments de plus en plus petits (bronches, bronchioles) pour aboutir aux alvéoles pulmonaires (fig. 9.1), lesquelles ne forment qu’une barrière de très faible épaisseur entre les capillaires sanguins et l’air alvéolaire. Elles offrent de plus une surface de contact considérable avec l’atmosphère intérieure. Chez l’homme, dont les poumons représentent environ 4,6 % du volume du corps, cette surface est de l’ordre de 100 m2. La diffusion des gaz est donc grandement facilitée par l’extrême minceur et l’étendue de la surface de diffusion. Globalement, ce système d’extraction est assez peu efficace (≈ 20 %), mais comme il est peu coûteux en énergie, il peut être renouvelé sans préjudice majeur. Dans le cas de la respiration branchiale, l’extraction de l’oxygène est beaucoup plus efficace, grâce à un mécanisme particulier d’écoulement des fluides au niveau du système branchial (fig. 9.2(a)). Dans son principe, la structure d’une branchie n’est pas fondamentalement différente de celle d’une alvéole pulmonaire : un système de vaisseaux capillaires la parcourt, protégé du milieu extérieur par une membrane très mince. La  particularité réside dans le fait que le sens d’écoulement du sang dans les capillaires et celui du film liquide au contact des branchies sont de directions opposées, à contre-courant (fig. 9.2(b)). Quand, dans le capillaire, le sang arrive au contact de l’eau du milieu aquatique, celle-ci est très appauvrie en oxygène à la suite des prélèvements qui ont eu lieu en amont. Mais, même à ce niveau, la pression partielle de l’oxygène dans l’eau est encore supérieure à celle du sang : l’oxygène diffuse donc de l’eau dans le sang. Et il en est ainsi tout le long du trajet du sang dans le capillaire. Au cours de sa progression, le sang se charge en permanence d’oxygène, dont la concentration augmente constamment. Grâce à ce type de fonctionnement l’efficacité de l’extraction de l’oxygène par la respiration branchiale surpasse

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de beaucoup (80 % environ) celle de la respiration pulmonaire, contribuant aussi à réduire le coût énergétique lié à la propulsion de l’eau au niveau des branchies.

Figure 9.1 - Respiration pulmonaire Alvéoles pulmonaires du poumon des mammifères, vues au microscope à balayage (× 220) [d'après K. Schmidt-Nielsen, Physiologie animale, Dunod, Paris, 1998, p. 30 - Droits réservés]

Respirations pulmonaire et branchiale ne sont cependant pas les seuls modes de capture de l’oxygène. En troisième position intervient la respiration cutanée. Si la peau est très mince et très vascularisée, la diffusion de l’oxygène peut se produire à travers cette structure anatomique comme au niveau d’une alvéole pulmonaire ou d’une branchie. Ainsi, certaines espèces de salamandres (certaines n’ont pas de poumons) ou de grenouilles, dont la peau présente de nombreux replis, peuvent satisfaire leurs besoins en oxygène de cette manière. Les grenouilles de nos régions procèdent ainsi : chez elles la respiration est 50 % cutanée et 50 % pulmonaire en hiver, 25 % cutanée et 75 % pulmonaire en été, saison où l’activité est plus grande. Rappelons aussi que chez ces amphibiens, la respiration est branchiale lorsqu’ils sont à l’état de têtard et qu’elle devient pulmonaire lors de la métamorphose. Enfin, un dernier mode de respiration, très différent des trois précédents, est celui rencontré chez les insectes. Chez eux, l’approvisionnement en oxygène est assuré par un système de canaux internes, les trachées. Ces canaux débouchent à l’extérieur par des orifices, nommés stigmates. Les trachées sont ramifiées et anastomosées entre elles, de telle sorte qu’une circulation d’air (convection) peut s’établir à l’intérieur du corps de l’insecte. De  plus, le milieu intérieur des trachées étant gazeux, et non

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liquide comme dans un vaisseau sanguin, la vitesse de diffusion de l’oxygène y est 300 000 fois plus élevée. Malgré une certaine inertie mécanique, le système se révèle finalement très efficace. Ce réseau est très ramifié, se divisant en une multitude de trachéoles de très faible diamètre, il pénètre jusqu’à l’intérieur des cellules. DUWqUH

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VDQJ E Figure 9-2. Respiration branchiale Circulation capillaire (a) et diffusion de l'oxygène au niveau des branchies (b). Les nombres indiquent les pressions partielles d'oxygène (mm Hg) [d'après K. Schmidt-Nielsen, Physiologie animale, Dunod, Paris, 1998, p. 20 et 21 - Droits réservés]

Chez la très grande majorité des animaux, le transport de l’oxygène repose donc sur l’existence d’une circulation sanguine véhiculant un liquide, le sang, renfermant des globules pourvus d’hémoglobine, qui réversiblement fixe et libère l’oxygène. Ce schéma général, valable pour les animaux supérieurs, présente toutefois de nombreuses variantes, notamment dans les classes d’animaux inférieurs. Le système de propulsion du sang peut être très perfectionné, comme chez les vertébrés, ou ne comporter que des organes moteurs rudimentaires. Il est parfois réduit au simple mouvement des contractions péristaltiques des parois des vaisseaux. En général, l’appareil circulatoire est un circuit fermé, mais il peut aussi être ouvert. Dans ce cas, le sang, qui normalement est maintenu dans les vaisseaux et constitue une phase liquide nettement séparée de la lymphe, liquide interstitiel des tissus, n’est alors plus séparé de celle-ci. D’où le nom d’hémolymphe, généralement donné au sang des invertébrés (animaux non sanguins d’Aristote). Cependant, la prin-

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cipale variation réside dans la nature des pigments respiratoires 19. L’hémoglobine est le pigment majeur. On la rencontre dans presque tous les groupes animaux, des mammifères aux insectes, mais elle n’est pas toujours contenue dans des structures cellulaires [hématies], elle peut se trouver à l’état dissous dans le plasma ou l’hémolymphe (mollusques, insectes). D’autre part, elle n’est pas non plus le seul transporteur d’oxygène existant. À côté d’elle, contenant du fer, on rencontre l’hémérythrine et la chlorocruorine, dans le plasma de certains vers. Il existe aussi un autre pigment, le plus répandu après l’hémoglobine, l’hémocyanine, contenant du cuivre, présente dans le plasma du sang des gastéropodes, céphalopodes, arachnides et crustacés.

9.2.4 - Le transport des gaz chez les végétaux À l’opposé de l’animal, le végétal ne possède ni appareil respiratoire ni appareil circulatoire. La fourniture de l’oxygène aux tissus repose donc uniquement sur des phénomènes de diffusion gazeuse dans les espaces aériens et de diffusion en milieu liquide, au voisinage des cellules. Chez les végétaux, le problème de la circulation des gaz est complexe, car il met en jeu, de façon indissociable, deux gaz, l’oxygène et le gaz carbonique qui, selon les circonstances, pénètrent ou quittent le végétal, mais aussi la vapeur d’eau qui, elle, s’échappe toujours. Pour aborder ce problème, le plus simple est donc de considérer le phénomène respiratoire chez un végétal chlorophyllien, et notamment au niveau de son organe caractéristique, la feuille. Schématiquement, une feuille (fig. 9.3(a)) se présente sous la forme d’un organe aplati, développant une grande surface et protégé du milieu extérieur par un épiderme. Sous cet épiderme, le tissu foliaire est constitué de cellules de deux types. Les unes, situées vers la face supérieure 20, forment une ou deux couches très riches en chloroplastes, c’est le site majeur de l’activité photosynthétique. Elles constituent un tissu, le parenchyme chlorophyllien ou encore parenchyme palissadique, ainsi nommé en raison de la disposition très régulière de ses cellules. Sous ce parenchyme, se trouve un autre parenchyme, comportant des cellules un peu moins riches en chloroplastes et possédant une architecture particulière : elles se présentent sous forme de files cellulaires, plus ou moins régulières, formant des sortes de colonnettes reliant le parenchyme palissadique à l’épiderme inférieur et ménageant ainsi de grands espaces entre elles. Pour cette raison, ce parenchyme est dit lacuneux. Ces  lacunes – équivalents des alvéoles pulmonaires – constituent l’atmosphère interne de la feuille. 19 Ainsi nomme-t-on communément ces molécules complexes qui transportent l’oxygène, car elles sont toujours colorées à cause du métal qu’elles contiennent. 20 La face supérieure est celle qui est tournée vers le haut, vers la lumière ou le soleil. Cette définition est cependant très approximative, car de nombreux végétaux (graminées notamment) ont des feuilles en position verticale.

Chapitre 9 - La respiration cellulaire VWRPDWH

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>G DSUqV.(6$83ODQWDQDWRP\ ‹-RKQ:,/( 0), d’où les termes d’exergonique et d’endergonique 6 associés à la production ou à l’absorption d’un travail par un système. DG se trouve ainsi associé à la prévision du sens des réactions : seules sont spontanées les réactions exergoniques (et non exothermiques). Pour toutes les raisons qui viennent d’être exposées, ΔG, variation d’enthalpie libre, est donc la fonction thermodynamique utilisée pour mesurer les échanges d’énergie au cours des transformations chimiques affectant l’être vivant. Son utilisation pratique demande cependant quelques ajustements. Pour comparer les réactions entre elles, il est d’abord nécessaire de définir des conditions « standard » : état physique des corps réagissant (solide, liquide, gaz), concentration molaire (1 M) pour les substances dissoutes, pression de 1 atmosphère pour les gaz. Ces conditions standard sont symbolisées par le signe (°) placé en exposant (DG°). La valeur de la température doit aussi être fixée. Pour les systèmes biologiques, on retient en général la température de 25 °C (298 K). D’autre part, le fait que les concentrations standard doivent être 1 M pose un autre problème, car c’est rarement le cas pour les concentrations des composés biologiques in situ, et particulièrement pour les ions H+. Une concentration 1 M en ions H+ correspond en effet à pH = 0, pH qui n’est pas spécialement biologique. Le choix d’une concentration en ions H+ = 10–7 M, correspondant à la neutralité (pH = 7), paraît devoir être retenu, d’où le signe (’) que l’on rajoute encore (DG°’) pour signifier que ces conditions standard 7 sont propres au domaine de la vie. Sur le plan pratique, DG°’ présente un grand avantage : c’est une donnée facilement accessible, car elle est en relation avec deux autres grandeurs aisément mesurables, la constante d’équilibre (K) des réactions et le potentiel d’oxydoréduction. Ainsi, lorsque la réaction : A + B ⇋ C + D atteint son équilibre, on peut facilement déterminer les concentrations [X]e des composés à l’équilibre, et l’on a alors :

DG°’ = – RT ln K

avec K = ([C]e [D]e) / ([A]e [B]e)

6 Termes dérivés du grec ἔργον, ergon, action, travail, introduits par Coryell (1940) et différents des termes exothermique et endothermique, associés à la production ou l’absorption de chaleur (θέρμη, thermê, chaleur) et exprimés par la fonction enthalpie H. 7 La même adaptation a dû être faite pour les potentiels d’oxydoréduction (E° et E°’, chap. 15, note 15).

402

Troisième partie - Biochimie

(R, constante des gaz parfaits ; T, température absolue ; ln, logarithme népérien) Ou encore, si A/C et B/D sont des couples oxydoréducteurs (éq. 13.2) tels que : A @ C + n e– et B + n e– @ D, on a alors :

DG°’ = – n F DE°’

(n, nombre d’électrons mis en jeu dans la réaction ; F, constante de Faraday ; DE°’, différence des potentiels d’oxydoréduction standard entre les deux systèmes). Enfin, ultime remarque pour éviter bien des confusions, DG°’ permet des comparaisons entre états standard parfaitement définis. Or, dans la pratique, ces conditions standard sont très éloignées des situations réelles. Pour ne retenir qu’un exemple, les concentrations sont rarement 1 M dans un système réel, et seul ce qui se passe au sein de ce système nous intéresse. Une nouvelle correction doit donc être apportée pour passer des conditions standard propres aux êtres vivants (DG°’) aux conditions réelles (DG) existant dans les cellules ou les tissus. Elle se traduit par une modifications des équations précédentes. La première devient ainsi :

DG = DG°’ + RT ln ([C]c [D]d) / ([A]a [B]b)

où les [X]x sont les concentrations effectivement présentes dans le système (qui n’est donc pas à l’état d’équilibre). Il en est de même pour la seconde équation où DE°’ doit être remplacé par DE, valeur effective de la différence des potentiels entre les deux couples oxydoréducteurs, qui en général ne se trouvent pas à l’état de demiréduction. Il ne faut donc pas accorder une signification trop absolue aux valeurs de DG°’. Elles donnent des indications théoriques fort utiles pour la prévision du sens des réactions et la valeur des énergies mises en jeu, mais, dans le cas des situations réelles, elles sont souvent, comme on aura l’occasion de le voir, fort éloignées de la réalité (p. 416, 517).

16.3 - Les composés « riches en énergie » Un des objectifs de la chimie au cours du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle avait été de procéder au recensement des constituants majeurs de la matière vivante. Ainsi furent identifiés les représentants les plus marquants des grands groupes que sont les glucides, les lipides, protéines. Mais à côté de ces substances fondamentales en apparaissaient d’autres, de moindre importance quantitative, mais jouant des rôles essentiels : acides organiques, phénols, pigments, etc. Une catégorie d’entre elles, très diversifiée par la nature de ses représentants, se fit remarquer. Il s’agissait de composés qui, à l’analyse, libéraient de l’acide phosphorique.

Chapitre 16 - Phosphorylations

403

16.3.1 - La liaison phosphate À cette catégorie appartenaient évidemment tous les intermédiaires de la glycolyse. Mais il en existait d’autres, c’était le cas notamment de substances déjà rencontrées, comme les coenzymes des réactions d’oxydation (FMN, FAD, NAD, NADP), le coenzyme A, etc. Les années 1930 furent particulièrement fécondes sous ce rapport. En 1929, l’ATP (adénosine triphosphate) fut isolé du muscle presque simultanément par Karl Lohmann (1898-1978), assistant de Meyerhof, au Kaiser Wilhelm Institut à Berlin et par Cyrus Fiske (1890-1978) et Yellapragada SubbaRow (1896-1948) à l’université de Harvard. Cette découverte avait été précédée (1927) par celle de l’AMP (adénosine monophosphate) dans le muscle par Gustav Embden (1874-1933), et en 1928 Lohmann avait isolé le pyrophosphate (PP), substance inorganique résultant de la condensation de deux molécules d’acide phosphorique. On était donc en présence d’une famille de composés : ATP, AMP, PP, dont on suspectait la parenté sans toutefois pouvoir en déterminer les liens précis. Un fait était frappant : l’ATP possédait deux groupes phosphate de plus que l’AMP, différence qui correspondait précisément à la formule du pyrophosphate. Les recherches sur la contraction musculaire, très actives à cette époque, menèrent également à la découverte (1927) d’un autre composé phosphorylé, la créatine phosphate, par Grace (1901-1970) et Philip (1903-1954) Eggleton et par Fiske et SubbaRow (1929). Dans les muscles des invertébrés, la créatine phosphate était remplacée par un composé analogue, l’arginine phosphate. Ces composés semblaient intervenir dans la contraction musculaire, disparaissant pendant la contraction, réapparaissant pendant la période de récupération. Hypothèse encore renforcée quand on eut découvert (Meyerhof et Suranyi, 1934) que l’hydrolyse de la créatine phosphate libérait une quantité de chaleur bien supérieure à celle d’autres composés phosphorylés, comme les hexoses phosphates, par exemple. La structure de l’ATP (fig. 16.1) ne fut pas facile à établir. C’est l’acide inosinique découvert par Liebig en 1847 qui livra la solution. En 1911, Levene et Jacobs avaient montré que cet acide était constitué d’hypoxanthine, de ribose et d’acide phosphorique, le groupe phosphate étant lié au ribose. On montra alors que, par désamination, l’AMP du muscle se transformait en acide inosinique, ce qui impliquait une transformation d’adénine en hypoxanthine. On eut ainsi accès à la structure de l’AMP (encore appelé acide adénylique), dont la molécule devait comporter l’enchaînement suivant : adénine-ribose-phosphate, l’association adénine-ribose constituant l’adénosine (chap. 15, note 13).

404

Troisième partie - Biochimie NH2 N

N adénine

ATP N

––

––





O

––

O



O



N

γ

β

α

O

O–P–O–P–O–P–O–H2C O



O



O



ribose

OH

OH

adénosine AMP adénosine monophosphate ADP adénosine diphosphate ATP adénosine triphosphate



CH3

O–

––

O–P–NH–C–N–CH2–COO– –



––

O

créatine phosphate

NH

Figure 16.1 - Structure de l'ATP et de la créatine phosphate Les groupes phosphate sont représentés sous leur forme ionisée.

La suite fut moins simple, car la position du pyrophosphate sur l’AMP se révéla difficile à déterminer. On réalisa finalement qu’il se condensait sur le groupe phosphate de l’AMP par l’intermédiaire d’une liaison anhydride d’acide 8 :

$03

±±

±±

±±

±±

±±

±

±

±

±

±

±

±±

2 2 2 2 2 2 DGpQRVLQH±2±3±2++2±3±2±3±2+ $ DGpQRVLQH±2±3±2±3±2±3±2++2 2+ 2+ 2+ 2+ 2+ 2+ S\URSKRVSKDWH

$73

La structure de l’ATP ne fut établie qu’en 1935 par Lohmann en Allemagne et Katashi Makino (1907-1990) au Japon. Par hydrolyse progressive, les trois groupes phosphate peuvent être successivement détachés de la molécule d’ATP, libérant à

8 Chap. 14, note 11.

Chapitre 16 - Phosphorylations

405

chaque étape une molécule de phosphate inorganique (Pi). On passe ainsi progressivement à l’ADP (adénosine diphosphate), puis à l’AMP, et enfin à l’adénosine : ATP + H2O $ ADP + Pi ADP + H2O $ AMP + Pi AMP + H2O $ adénosine + Pi

Il faut aussi remarquer (fig. 16.1) que les liaisons des trois groupes phosphate ne sont pas équivalentes : les deux dernières liaisons phosphate (β, γ) de l’ATP et la dernière (β) de l’ADP sont des liaisons anhydride d’acide, tandis que le premier groupe phosphate (α) est lié au ribose par une liaison ester 9. Les structures de la créatine phosphate (fig. 16.1) et de l’arginine phosphate furent plus faciles à déterminer. Ici la liaison phosphate s’établit entre un atome d’azote et l’atome de phosphore.

16.3.2 - Liaison « riche en énergie » Les indices s’accumulèrent alors, suggérant que la liaison phosphate devait intervenir de façon privilégiée dans le métabolisme énergétique. À cet égard, le cas de la glycolyse (Annexe B) était exemplaire, tous les intermédiaires de cette voie étant phosphorylés. Phosphorylations et déphosphorylations impliquant l’ATP semblaient donc jouer des rôles déterminants (§ 14.1.5). Dès 1908, Harden et Young 10 avaient d’ailleurs proposé une équation, très significative, de la fermentation alcoolique : 2 glucose + 2 Pi $ 2 alcool éthylique + 2 CO2 + fructose 1,6-bisphosphate + 2 H2O Elle montrait que la dégradation d’un hexose (glucose) permettait de fixer 2 groupes phosphate sur un autre hexose (ester de Harden-Young, fig. 14.2). En fait, bien avant l’heure, d’une façon étonnante et sans qu’y figure l’ATP, alors inconnu, cette équation établissait le bilan énergétique exact de la fermentation alcoolique (synthèse nette de 2 ATP). Jusqu’alors la contraction musculaire avait été reliée à la production d’acide lactique, mais en 1930, le Danois Einar Lundsgaard (1899-1968) montra qu’un muscle pouvait très bien se contracter sans qu’il y ait formation d’acide lactique. C’est ce qu’on observait si on bloquait le cours de la glycolyse par une addition d’iodoacétate, un inhibiteur spécifique de la triose phosphate déshydrogénase. Dans ces conditions, on observait la disparition de la créatine phosphate, qui devait donc être le fournisseur immédiat de l’énergie nécessaire à la contraction musculaire, la glycolyse servant alors de régénérateur de cette molécule.

9 Chap. 14, note 6. 10 A. Harden, W. Young. Proc. Roy. Soc. London, B, 1908, 80, p. 299 (The alcoholic ferment of yeast juice. Part III. The function of phosphates in the fermentation of glucose by yeast-juice).

406

Troisième partie - Biochimie

Un obstacle de taille se dressait cependant, car il n’existait aucun lien direct entre glycolyse et créatine phosphate. Sauf si l’on admettait qu’une réaction de transphosphorylation puisse intervenir entre une molécule d’ATP, produite par la glycolyse, et une molécule de créatine : créatine + ATP @ créatine phosphate + ADP ce qui se révéla être conforme à la réalité 11 (réaction de Lohmann). L’énergie libérée par la rupture de la liaison phosphate de l’ATP permettait la création de la liaison phosphate de la créatine phosphate. Cette réaction fut en outre l’occasion de réaffirmer le principe général – celui du couplage énergétique – qui gouverne les transferts d’énergie au cours des réactions chimiques, principe formulé dès 1900 par le chimiste allemand Wilhelm Ostwald (1853-1932). Trente ans plus tard, Meyerhof et Lohmann appliquèrent ce principe de couplage aux événements dont le muscle était le siège 12 : z Ces expériences établissent le fondement de la thèse selon laquelle la synthèse endothermique [endergonique] de la créatine phosphate peut avoir lieu grâce au couplage de ce processus avec la dégradation spontanée et exothermique [exergonique] de l’ATP, tandis que la resynthèse de l’ATP à partir de l’acide adénylique [AMP] et de phosphate inorganique [Pi] est rendue possible grâce à l’énergie libérée lors de la formation de l’acide lactique. y

L’ATP apparaissait ainsi être au centre des réactions de phosphorylation. Son rôle était polyvalent, étant tantôt produit, tantôt utilisé, comme par exemple dans ces deux réactions de la glycolyse, déjà citées : glucose + ATP $ glucose 6-phosphate + ADP phosphoénolpyruvate + ADP $ pyruvate + ATP Quelle était la raison profonde qui guidait le sens de ces réactions  ? Certes, les valeurs des concentrations réelles in situ pouvaient à elles seules suffire pour orienter l’équilibre dans un sens ou dans l’autre (loi d’action de masse). Mais une autre cause devait certainement intervenir car, par exemple, dans le tissu musculaire ou dans la levure, l’expérience montrait que les deux réactions ci-dessus s’effectuaient toujours vers la droite, formant et consommant simultanément de l’ATP. 11 En fait, c’est l’ATP qui est le moteur de la contraction musculaire, comme le montrèrent les études ultérieures d’Engelhardt et de Szent-Gyögy sur l’action de l’ATP sur la myosine. La créatine phosphate ne sert que de réserve temporaire d’énergie en permettant, par sa conversion, une fourniture d’appoint d’ATP (cf. fig. 16.3(a)). 12 O. Meyerhof, K. Lohmann. Biochem. Z., 1932, 253, p. 431. Cité par M. Florkin, Comprehensive biochemistry, 1966, vol. 14, p. 168 (traduction de l’auteur).

Chapitre 16 - Phosphorylations

407

La réponse à ces questions fut apportée en 1941 par Fritz Lipmann (1899-1986) dans une publication qui fit date  : Metabolic generation and utilisation of phosphate bond energy 13. Lipmann tira parti des mesures calorimétriques effectuées (notamment par Meyerhof) sur la libération d’énergie associée à l’hydrolyse des liaisons phosphate de tous ces composés phosphorylés. Au début, seuls les DH étaient pris en compte 14 pour évaluer la quantité d’énergie libérée, puis on passa aux DG (les deux étant, à cette époque, expriLipmann més en calories). Les valeurs négatives des DG, s’agissant d’énergie fournie par le système, apparaissaient extrêmement variables, se dispersant entre – 1 et – 12 kcal. Mais cette dispersion n’était ni aléatoire ni progressive. Dans l’ensemble, elles se répartissaient en deux ensembles, le premier allant de – 1 à – 4 kcal, le second de – 7 à – 12 kcal. Un fossé les séparait, laissant supposer l’existence d’au moins deux types de liaisons phosphate, certaines à basse énergie et d’autres à haute énergie. Pour exprimer cette différence, Lipmann introduisit un symbole nouveau (~  , «  squiggle  »), toujours en usage. Les liaisons à basse énergie étaient représentées par le traditionnel trait de valence – (–P) et celles à haute énergie par le symbole ~  (~P). Pour formaliser cette distinction Lipmann introduisit encore une notion nouvelle, celle de potentiel de groupe (group potential), à l’image de ce qui s’était fait pour les systèmes d’oxydoréduction. Ici, il s’agissait évidemment du groupe phosphate (cf. fig. 16.2) : –H2PO3 (-P ou ~P, en abrégé). Le potentiel de groupe était lié à la quantité d’énergie libérée, exprimée par DG°’, au cours de la réaction de rupture par hydrolyse de la liaison phosphate :

X-P ou X~P + H2O @ XH + Pi (DG°’ < 0)

Il exprimait en quelque sorte la tendance d’un composé à libérer de l’énergie.

13 F. Lipmann. Adv. Enzymol., 1941, 1, p. 99. 14 D’où les termes exothermique et endothermique utilisés par Meyerhof dans la publication citée plus haut. Les valeurs de ∆G et ∆H sont d’ailleurs assez proches. Elles ne sont séparées que par la prise en compte de la variation d’entropie (toujours positive) : ∆G = ∆H – T∆S. Pour l’oxydation du glucose, on a : ∆H = – 673 kcal et ∆G = – 687 kcal (T∆S = + 14 kcal) (J.C. Chottard, J.C. Depezay, J.P. Leroux. Chimie fondamentale. I. Échanges d’énergie).

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Troisième partie - Biochimie

En réalité, comme on le découvrit en examinant la distribution des valeurs des DG°’, le potentiel de groupe – ou la force de la liaison phosphate 15 – était associé à des fonctions chimiques particulières, l’exemple le plus typique étant celui du 1,3-bisphosphoglycérate (P–O–CH2–CHOH–CO–O~P ; p.  329), isolé par Negelein et Brömel (1939). Le groupe phosphate lié à la fonction alcool (ester, P–O–CH2–) en s’hydrolysant libérait une énergie DG°’ = – 2,35 kcal, et celui lié à la fonction acide (anhydride d’acide, –CO–O~P) une énergie DG°’ = – 11,25 cal (Lipmann, 1941). D’une façon générale, les groupes phosphate à bas potentiel sont liés à la rupture de liaisons ester, leurs DG°’, variables, se distribuent sur une échelle allant –  1,5 à – 4 kcal. C’est en particulier le cas, dans l’AMP (adénosine-P), de la liaison (α) reliant le groupe phosphate au ribose (fig. 16.1). Le cas des liaisons à haut potentiel était plus complexe, car il en existait de plusieurs types. Les plus communes sont les liaisons anhydride d’acide. La plus fréquente est celle qui implique plusieurs molécules d’acide phosphorique (liaison pyrophosphate). C’est le cas de la liaison phosphate terminale (β) de l’ADP (= AMP~P) et des liaisons phosphate terminale (γ) et subterminale (β) de l’ATP (= AMP~P~P) (fig. 16.1). Leur DG°’ est de l’ordre de – 7,3 kcal 16. C’est aussi le cas du pyrophosphate (P~P). L’ATP peut, selon le cas, se scinder en libérant soit du phosphate inorganique (ATP @ ADP + Pi), soit du pyrophosphate (ATP @ AMP + P~P). Dans les deux, cas les DG°’ sont pratiquement équivalents. Un autre type de liaison anhydride d’acide est celle qui s’établit entre une fonction carboxyle (–COOH) et l’acide phosphorique. Une telle liaison (R–CO–O~P), présente dans le 1,3-bisphosphoglycérate, est particulièrement riche en énergie (DG°’ = – 11,8 kcal), très supérieure à celle de l’ATP. C’est aussi le cas pour ce que l’on avait appelé l’acétate actif, l’acétylphosphate (CH3–CO–O~P) (p. 342). Dernier cas enfin, mais un peu particulier (on y reviendra), celui du phosphoénolpyruvate (p. 334), isolé par Lohmann et Meyerhof (1934). Formellement, il s’agit d’une liaison de type ester, mais la fonction alcool impliquée est portée par un car15 En fait, le terme de liaison phosphate est très impropre, car le mot liaison a un sens bien défini en chimie : c’est l’énergie de liaison qui unit deux atomes, comme par exemple dans les liaisons C–O ou C=O, énergie exprimée par une valeur d’enthalpie de liaison. Ici ∆G mesure l’énergie libérée au cours de la réaction d’hydrolyse causant la rupture entre le groupe phosphate et la molécule qu’il phosphoryle. Par commodité, nous continuerons cependant à utiliser ces termes de liaison phosphate, liaison à haute et basse énergie, liaison à haut potentiel. Ils sont en effet de pratique courante et sans ambiguïté, en bioénergétique, quant à leur signification. 16 Dans la littérature, on rencontre des valeurs assez variables, mais toujours assez proches (– 7,2 à – 7,8 kcal), pour le ∆G°’ de l’ATP. Ces valeurs dépendent fortement de la présence d’ions Mg2+, facteurs indispensables de toutes les réactions où intervient l’ATP. Les valeurs des ∆G°’ citées sont extraites de l’ouvrage de Lehninger, Nelson et Cox, Principes de biochimie.

Chapitre 16 - Phosphorylations

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bone pourvu d’une double liaison éthylénique (fonction énol). Cette configuration doit comporter quelque propriété particulière, car le DG°’ de la réaction d’hydrolyse est extrêmement élevé (DG°’ = – 14,8 kcal). La créatine phosphate et l’arginine phosphate s’écartent de ces schémas généraux, car ici la liaison phosphate est établie entre une fonction amine (–NH2) et une fonction acide de l’acide phosphorique (fig. 16.1). L’hydrolyse de ces deux composés libère une quantité d’énergie supérieure à celle de l’ATP (DG°’ = –10,3 kcal). Depuis la publication de Lipmann peu de choses ont changé sur le plan fondamental. Le progrès a surtout consisté dans l’affinement des évaluations des DG°’. La seule nouveauté fut de découvrir que le phosphate n’avait pas l’exclusivité de la formation des liaisons à haut potentiel. Ainsi, à l’opposé de la liaison ester, toujours pauvre en énergie, la liaison thioester, condensation d’un thiol R-SH (au lieu d’un alcool R–OH) sur un acide est, elle aussi, riche en énergie 17. C’est en particulier le cas du coenzyme A qui possède une telle fonction thiol (CoA–SH). Par conséquent, tous les dérivés rencontrés : acétyl~CoA et succinyl~CoA dans le cycle de Krebs, acyl~CoA dans l’oxydation des acides gras, sont des composés riches en énergie. L’hydrolyse de cette liaison libère une quantité d’énergie équivalente à celle d’une liaison phosphate à haut potentiel (DG°’ = – 7,5 kcal). Toutes ces observations (sauf la dernière) avaient été traduites par Lipmann dans un diagramme très significatif (fig. 16.2). On y voit que les composés phosphorylés se répartissent entre deux niveaux d’énergie bien séparés (≈ 3 000 cal et ≈ 10 000 cal). À chaque niveau, les groupes phosphate peuvent s’échanger entre partenaires de niveaux d’énergie équivalents. Le plus bas niveau est celui du phosphate inorganique, résultat de l’hydrolyse des composés à haute ou basse énergie. Dans ce diagramme un point, inexpliqué, apparaisait toutefois capital : le passage du phosphate inorganique à l’état de phosphate à haut potentiel. L’analyse des conditions de formation de ces composés avait conduit Lipmann à formuler la proposition suivante, assez révolutionnaire en son temps 18 : z De plus en plus clairement, il apparaît que dans toutes les cellules existe une tendance à convertir la majeure partie de l’énergie utilisable des oxydoréductions en énergie de liaisons phosphate. y

17 La fonction thiol –SH possède un caractère beaucoup plus acide que la fonction alcool –OH. Elle se dissocie donc beaucoup plus facilement. Ce caractère la rapproche de la fonction acide –COOH. La fonction thioester a donc un caractère de semi anhydride d’acide, ce qui explique sans doute le ∆G°’ élevé de l’hydrolyse de cette liaison thioester par rapport à la liaison ester (cf. chap. 14, note 26). 18 F. Lipmann. Adv. Enzymol., 1941, 1, p. 102 (Metabolic generation and utilisation of phosphate bond energy) (traduction de l’auteur).

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Troisième partie - Biochimie

Figure 16.2 - Répartition des composés phosphorylés selon la valeur de potentiel du groupe phosphate [d'après F. Lipmann, Adv. Enzymol., © 1941 Interscience Publishers, Inc., 1, p. 126]

Lipmann suggérait ainsi qu’un transfert d’électrons entre deux systèmes d’oxydoréduction pouvait être associé à la création de liaisons phosphate à haut potentiel. L’idée était séduisante, mais loin d’être évidente. Seule une étude approfondie de la glycolyse, où existaient à la fois une réaction d’oxydation et des réactions de synthèse d’ATP, pourrait livrer la solution du problème.

16.3.3 - Le cycle métabolique du phosphate Dans son article de 1941, Lipmann se fit non seulement le théoricien des liaisons phosphate riches en énergie, mais il les intégra de plus dans un schéma plus global du métabolisme cellulaire, qu’il résuma en un cycle du phosphate. Cette vision fut traduite dans un schéma devenu classique (fig. 16.3(a)) où une roue métabolique incorpore du phosphate inorganique dans des liaisons phosphate à haut potentiel (~P), lesquelles, par l’intermédiaire de dérivés adényliques (en fait, le couple ATP/ADP) assurent le fonctionnement de processus divers (dont la synthèse transitoire de créatine phosphate, qui sert de réserve d’énergie temporaire dans le muscle) en régénérant le phosphate inorganique, repris ensuite par la roue métabolique. De  façon cyclique, le phosphate passe ainsi par une succession d’états à haute et basse énergie, le système adénylique jouant le rôle de courroie de transmission entre compartiments producteurs et utilisateurs d’énergie. Une illustration plus concrète d’un tel système nous est fournie par les deux réactions de la glycolyse évoquées plus haut (fig. 16.3(b)). La première réaction de la glycolyse (Annexe B), catalysée par l’hexokinase, produit un hexose phosphorylé, le glucose 6-phosphate, en consommant un ATP.

Chapitre 16 - Phosphorylations

411

D pyruvate kinase phosphoénolpyruvate ∆G°’ = – 14,8 kcal

(b)

hexokinase glucose 6-P

ADP ∆G°’ = ± 7,3 kcal

pyruvate ∆G°’ = – 7,5 kcal

ATP

∆G°’ = – 3,0 kcal

glucose ∆G°’ = – 4,3 kcal

Figure 16.3 - La liaison phosphate dans le métabolisme énergétique (a) le cycle du phosphate de Lipmann (b) exemple, dans la glycolyse, de couplage entre une réaction exergonique et une réaction endergonique par l'intermédiaire du système ADP/ATP [(a) d'après F. Lipmann, Adv. Enzymol., © 1941 Interscience Publishers, Inc., 1, p. 122]

La dernière réaction de la glycolyse, catalysée par la pyruvate kinase, conduit à la synthèse d’un ATP. Le passage du phosphoénolpyruvate au pyruvate avec formation d’ATP est la somme de deux réactions libérant et consommant respectivement 14,8 et 7,3 kcal, le bilan de l’ensemble est donc exergonique (DG°’ = – 7,5 kcal). Le passage du glucose au glucose 6-phosphate, somme d’une réaction qui libère 7,3 kcal et d’une autre qui consomme 3 kcal, est lui aussi exergonique (DG°’ = – 4,3 kcal). Le bilan global, dans les conditions standard (p. 401), est donc fortement exergonique (DG°’ = – 11,8 kcal). La déphosphorylation du phosphoénolpyruvate permet ainsi la phosphorylation du glucose 19. De plus, des traces catalytiques d’ATP/ADP, agissant de 19 L’ATP tient son rôle de transporteur d’énergie du fait que sa liaison phosphate riche en énergie n’est en réalité que moyennement riche en énergie (∆G°’ = – 7,3 kcal), à mi-distance entre celle des composés très riches en énergie (∆G°’ ≈ – 12/14 kcal), du type phosphoglycérate et phosphoénolpyruvate, et celle des composés pauvres en énergie (∆G°’ ≈ – 3/4 kcal), du type ester phopsphorylé.

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Troisième partie - Biochimie

façon cyclique, sont suffisantes pour entretenir le système. Telle est l’image du métabolisme énergétique : un compartiment cellulaire produit des liaisons phosphate riches en énergie, le système (ATP/ADP) les transporte, un autre compartiment les utilise. Bien que chacune des deux réactions précédentes soit réversible, dans un système in vitro la réaction s’effectue toujours dans le sens décrit, c’est-à-dire qu’à partir du phosphoénolpyruvate elle aboutit à la formation de glucose 6-phosphate, car le bilan énergétique global y est favorable. Le chemin inverse, fortement endergonique, n’est pas impossible mais il nécessitera une fourniture d’énergie. Et pourtant, dans la glycolyse in situ, c’est bien un tel parcours qu’on observe : le glucose 6-phosphate, après quelques étapes, va finir par se retrouver sous la forme de phosphoénolpyruvate (Annexe B), ce qui indique de façon indiscutable qu’au cours de ce trajet de l’énergie a été fournie. De façon plus précise encore, cette énergie a même servi à transformer la liaison phosphate à basse énergie du glucose 6-phosphate en liaison à haute énergie du phosphoénolpyruvate. D’où vient cette énergie  ? Lipmann la trouve dans l’énergie libérée au cours de réactions d’oxydoréduction, situation schématiquement résumée dans la figure 16.4. On y voit la création d’une liaison phosphate à haut potentiel associée à une réaction d’oxydoréduction, la liaison à haut potentiel étant ensuite transférée sur le système ATP/ADP. La nature du lien (?) entre oxydation et phosphorylation pourra être assez facilement établie pour la phosphorylation liée au substrat. Par contre, dans le cas de la phosphorylation oxydative, l’entreprise relèvera du cauchemar. AH2 + B

–P

ATP + H2O

~P

ADP

? A + BH2

Figure 16.4 - Couplage entre une réaction d'oxydoréduction et la synthèse d'ATP

16.4 - Phosphorylation liée au substrat Par phosphorylation liée au substrat on désigne un type de phosphorylation associé à des réactions chimiques parfaitement définies. Dans la pratique, il s’agit essentiellement des phosphorylations rencontrées dans la séquence glycolytique, bien qu’on puisse trouver ailleurs des cas analogues. Le modèle de phosphorylation glycolytique revêt donc la plus haute importance, car c’est son étude qui permit d’établir le mode de génération des liaisons ~P, et de décrire l’énergétique des processus de phosphorylation. Enfin, quand on eut découvert la phosphorylation oxydative, c’est encore lui qui servit de modèle pour tenter d’expliquer ce nouveau phénomène.

Chapitre 16 - Phosphorylations

413

16.4.1 - La génération des liaisons riches en énergie (~) Deux étapes de la glycolyse (Annexe B), catalysées par la triose phosphate déshydrogénase et par l’énolase et conduisant respectivement au 1,3-bisphosphoglycérate et au phosphoénolpyruvate, sont associées à la création de liaisons phosphate riches en énergie. Globalement, la réaction catalysée par la triose phosphate déshydrogénase (éq. 14.1) peut s’écrire ainsi : P–O–CH2–CHOH–CHO + Pi + NAD+ @ P–O–CH2–CHOH–CO–O~P + NADH + H+ glycéradéhyde 3-phosphate

1,3-bisphosphoglycérate

Réaction complexe (p. 333) comportant plusieurs aspects : oxydation du glycéraldéhyde 3-phosphate en 3-phosphoglycérate, formation d’une liaison anhydride d’acide entre le 3-phosphoglycérate et le phosphate inorganique, pour conduire au 1,3-bisphosphoglycérate, réduction du coenzyme NAD+ en NADH + H+. Dès 1939, Warburg avait suggéré un modèle de réaction faisant intervenir, dans l’ordre, une phosphorylation du glycéraldéhyde 3-phosphate, pour former du 1,3-bisphosphoglycérol (a), puis une oxydation menant au 1,3-bisphosphoglycérate (b) : (a) P–O–CH2–CHOH–CHO + Pi @ P–O–CH2–CHOH–CH2–O–P (b) P–O–CH2–CHOH–CHOH–O–P + NAD+ @ P–O–CH2–CHOH–CO–O~P + NADH + H+ Pour diverses raisons, cette interprétation fut contestée. La triose phosphate déshydrogénase était en effet spécifiquement inhibée par l’iodoacétate (ICH2–COOH), un réactif bloquant irréversiblement les fonctions thiol (R–SH) en formant avec elle un composé d’addition très stable (R–S–CH2–COOH). Vraisemblablement, l’iodoacétate devait inactiver des fonctions –SH, portées par des groupes cystéine, situés au niveau du site actif de l’enzyme. On proposa donc un modèle de réaction faisant intervenir ces fonctions thiol. Selon ce modèle (fig. 16.5), le NAD+ se fixe d’abord sur l’enzyme (a), le glycéraldéhyde 3-phosphate vient ensuite se fixer sur la fonction thiol (b), intervient alors la réaction d’oxydation, avec libération de NADH et création d’une liaison thioester riche en énergie (c), enfin, l’attaque de cette liaison par une molécule de phosphate inorganique régénère l’enzyme dans son état initial, en même temps que la liaison riche en énergie du thioester est convertie en une liaison anhydride d’acide riche en énergie dans le 1,3-bisphosphoglycérate (d). À l’opposé du modèle précédent, ici l’oxydation précède la phosphorylation. Cependant, quel que soit le modèle retenu, comme l’avait entrevu Lipmann, c’est une réaction d’oxydation, celle d’une fonction aldéhyde en une fonction acide, qui en fin de compte est à l’origine de la création d’une liaison phosphate riche en énergie.

414

Troisième partie - Biochimie

1$'

1$' (Q]

(Q]

D 6+

²2 5²&² ² 2a3 G

6+

5 3²2²&+²&+2+²

E

3L

²2 5²&²² +

1$' F

(Q]

(Q] 6²&²5

1$'++

²

²² 2

²

+

6a&²5

2+

Figure 16.5 - Création de la liaison phosphate à haut potentiel du 1,3-bisphosphoglycérate par l'intermédiaire d'une liaison thioester. R, radical commun au glycéraldéhyde et à l'acide 1,3-bisphosphoglycérique

Le second exemple de création de liaison ~P est à la fois plus simple dans son écriture et plus complexe dans son interprétation. Sous l’action de l’énolase, le 2-phosphoglycérate se transforme en phosphoénolpyruvate par élimination d’une molécule d’eau :

DFSKRVSKRJO\FpULTXH

±

&+2+±&+±&22+&+ $  &+±&22++2 2±3 2a3 ±

JO\FRO\VH  $

DFSKRVSKRpQROS\UXYLTXH

Dans le 2-phosphoglycérate, la liaison avec le phosphate est une liaison ester, pauvre en énergie. C’est  la déshydratation de la molécule, avec création d’une fonction énol (=COH–), qui induit la transformation de la liaison phosphate –P, pauvre en énergie, en liaison phosphate ~P, riche en énergie. L’explication de cette conversion fut laborieuse. Certains, s’inspirant du modèle précédent, y virent le résultat d’une sorte d’oxydoréduction interne (OH + H $ H2O), une partie de la molécule oxydant l’autre partie. D’autres – et c’est l’opinion la plus commune – proposèrent que l’élimination d’une molécule d’eau, en modifiant profondément l’architecture moléculaire, induisait une redistribution de l’énergie à l’intérieur de la molécule, tel un ressort qui serait compressé ou étiré. Quelle que soit l’explication, cette liaison phosphate est une des plus riches en énergie qui soit (DG°’ = – 14,8 kcal).

Chapitre 16 - Phosphorylations

415

Il existe enfin un troisième type de phosphorylation liée au substrat, dont le modèle a été entrevu dans la figure 16.5. On y a vu en effet que la réaction d’oxydation était liée à la création d’une liaison thioester riche en énergie, énergie récupérée ensuite par transfert sur une liaison phosphate. La participation de la fonction thioester n’est pas rare dans les voies métaboliques, du fait que la partie réactive du coenzyme A est précisément une fonction thiol. Celle-ci, se combinant avec les acides organiques, donne des thioesters, tels qu’on les rencontre dans l’acétyl-CoA (cycle de Krebs) ou les acyl-CoA (β-oxydation). À cet égard, deux réactions sont particulièrement remarquables, celles qui, dans le cycle de Krebs, sont précisément catalysées par les complexes de la pyruvate et de l’α-cétoglutarate déshydrogénase (Annexe C). Toutes deux sont des réactions de décarboxylation oxydative donnant lieu à la production de NADH et d’un dérivé du coenzyme A. Toutes deux comportent essentiellement l’oxydation d’une fonction aldéhyde (créée à la suite d’une réaction de décarboxylation) en une fonction acide, comme dans le cas du glycéraldéhyde 3-phosphate. La première, partant du pyruvate, aboutit à la production d’acétyl-CoA. L’énergie de cette liaison thioester servira à faciliter la condensation de l’acétyl-CoA sur l’oxaloacétate pour donner du citrate (p. 343). Une situation strictement comparable s’observe pour l’α-cétoglutarate déshydrogénase. Le mécanisme de la réaction est identique, mais le composé de départ étant différent, le produit final le sera aussi : il s’agira du succinyl-CoA (HOOC–CH2–CH2–CO~S–CoA) (chap.  14, note  24). Comme il n’entre pas dans une réaction de condensation, l’énergie de sa liaison thioester sera récupérée dans la formation d’une liaison phosphate riche en énergie (Annexe C, réactions 5 et 6).

16.4.2 - La formation de l’ATP Selon le schéma de la figure 16.4, après avoir été créée à la suite d’une réaction d’oxydation, la liaison riche en énergie doit être transférée sur une molécule d’ADP pour donner une molécule d’ATP. L’intermédiaire primaire à haute énergie n’étant pas nécessairement phosphorylé, le processus présente quelques variantes. Le cas le plus simple est celui du phosphoénolpyruvate. Sous l’action de la pyruvate kinase, la liaison ~P est transférée directement sur l’ADP :

phosphoénolpyruvate + ADP @ pyruvate + ATP

Le cas du 1,3-bisphosphoglycérate est déjà un peu plus complexe. Cette réaction, catalysée par la 1,3-bisphosphoglycérate kinase, est apparemment tout à fait semblable à la précédente :

1,3-bisphosphoglycérate + ADP @ 3-phosphoglycérate + ATP

416

Troisième partie - Biochimie

Cependant si on se reporte au schéma réactionnel (fig. 16.5), l’intermédiaire primaire à haute énergie n’était pas phosphorylé, il s’agissait d’une liaison thioester, reconvertie ensuite en liaison ~P dans le 1,3-bisphosphoglycérate, avant son transfert sur l’ADP. Une remarque s’impose à ce stade. Compte tenu des énergies d’hydrolyse généralement admises pour tous ces composés : DG°’ = – 14,8 kcal pour le phosphoénolpyruvate, DG°’ = –11,8 kcal pour le 1,3-bisphosphoglycérate, DG°’ = – 7,3 kcal pour l’ATP, il apparaît que la synthèse d’ATP s’effectue avec un rendement relativement faible, 40 à 50 % de l’énergie étant dissipée sous une autre forme qu’un travail chimique. Cette conclusion est basée sur la comparaison des DG°’, c’est-à-dire de conditions standard adaptées au vivant. Or, dans la cellule, les conditions réelles ne sont pas standard : par exemple, les concentrations en ATP, ADP et Pi sont loin d’être 1 M, comme le veut l’état standard, elles se situent plutôt dans la gamme des 10-100  mM. Quand on calcule alors DG (valeur réelle), et non plus DG°’ (valeur standard), en tenant compte des conditions réelles (p. 401), les valeurs des DG sont alors de l’ordre de – 10 à – 12 kcal. Cette valeur représente le coût énergétique réel de la création d’une liaison phosphate riche en énergie dans l’ATP. Le rendement n’est donc pas si mauvais 20. Enfin, la situation est totalement différente dans le cas du succinyl-CoA, dont la molécule ne contient pas de radical phosphoryle. Une enzyme mitochondriale, la succinate thiokinase (encore appelée succinyl-CoA synthétase, chap. 14, note 18) catalyse la réaction suivante :

Succinyl~CoA + GDP + Pi @ succinate + CoA–SH + GTP

Plusieurs particularités caractérisent cette réaction. Tout d’abord, le dérivé nucléotidique intervenant n’est pas l’ADP, mais un composé analogue le GDP (guanosine diphosphate,chap. 15, note 13). C’est du moins ce qu’on observe chez les animaux car, chez les végétaux, tout laisse penser que l’intervenant est l’ADP. De toute manière, une simple réaction de transphosphorylation (GTP + ADP @ GDP + ATP) permet de récupérer une molécule d’ATP. D’autre part, il n’y a pas transfert chimique direct de liaison à haute énergie. On observe un simple couplage entre la rupture de la liaison thioester et la formation d’une liaison anhydride d’acide dans l’ATP, couplage thermodynamiquement possible, les deux types de liaisons étant pratiquement équivalentes sur le plan énergétique (DG°’= – 7,5 et – 7,3  kcal, respectivement). Enfin, une stœchiométrie stricte est observée : 1 ATP est formé pour 1 succinyl-CoA hydrolysé. Une telle stœchiométrie, qui ne peut être justifiée par l’écriture d’une réaction couplée entre les deux partenaires, s’établit en fait au niveau du mécanisme enzymatique, d’une façon analogue à celle décrite dans la figure 16.5. Lors de la 20 C’est par de telles considérations, qui tiennent compte des conditions réelles, que l’on peut expliquer la formation (p. 406) de créatine phosphate (∆G°’ = – 10,3 kcal) à partir d’ATP (∆G°’ = – 7,3 kcal).

Chapitre 16 - Phosphorylations

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réaction, l’enzyme accommode sur son site actif à la fois une molécule de succinylCoA, une molécule de GDP (ou d’ADP) et une molécule de Pi, imposant ainsi une stœchiométrie 1:1 entre le succinyl-CoA et l’ATP.

16.5 - Phosphorylation oxydative Pourvoyeuse d’ATP, la phosphorylation liée au substrat laissait cependant une impression d’insatisfaction. Mis à part le cas du succinyl-CoA, elle demeurait liée à la glycolyse, et par conséquent au métabolisme anaérobie de la cellule, expliquant l’énergétique des fermentations alcoolique et lactique, de la glycolyse musculaire. C’est de cette dernière que vinrent d’ailleurs les interrogations. La contraction musculaire s’accompagnait de l’hydrolyse de la créatine phosphate et, comme on l’a vu, durant la phase de récupération, celle-ci se régénérait aux dépens de l’ATP produit par la glycolyse (p. 406). Mais on observa aussi que la contraction musculaire pouvait se produire en absence de formation d’acide lactique, dans des conditions où la glycolyse était bloquée, par l’iodoacétate notamment. Dans  ces conditions, en aérobiose, la créatine phosphate était cependant très factivement régénérée. On fut ainsi amené à conclure que le métabolisme aérobie, en d’autres termes la respiration caractérisée par son absorption d’oxygène, devait elle aussi, être source de liaisons à haute énergie permettant la régénération de la créatine phosphate. C’était en effet le cas : il s’agissait de la phosphorylation oxydative, au mécanisme infiniment plus complexe que celui de la phosphorylation liée au substrat.

16.5.1 - Mise en évidence On mit quelque temps à débrouiller la situation. À cette époque, vers les années 1920-1930, les rapports entre glycolyse et respiration étaient encore assez flous. Dans le modèle le plus étudié, celui de la contraction musculaire, la contraction était associée à la transformation du glycogène en acide lactique. Une partie de l’acide lactique était ensuite reconvertie en glycogène. L’autre partie, brûlée par les oxydations respiratoires, fournissait l’énergie nécessaire à cette resynthèse de même qu’à celle de la créatine phosphate. Le rôle essentiel de la respiration était de faire disparaître les produits de la glycolyse en permettant une reconstitution partielle des matériaux originaux. Ce phénomène de reconversion était connu sous le nom de « cycle de Meyerhof 21 ». 21 Otto Meyerhof (1884-1951), professeur de physiologie à l’université de Kiel, entreprit de déchiffrer le mécanisme par lequel l’énergie chimique des aliments se convertissait en travail et en émission de chaleur, ce qui le conduisit naturellement à l’étude du modèle le plus approprié, celui de la contraction musculaire. Il fut le premier à mesurer la chaleur libérée au cours de l’hydrolyse des composés phosphorylés connus à son époque.

418

Troisième partie - Biochimie

De toute évidence, dans le processus global qu’était la respiration, il apparaissait nécessaire d’isoler la partie respiratoire, c’est-à-dire l’absorption d’oxygène, de la partie fermentaire liée à la formation d’acide pyruvique ou lactique. On y parvint en utilisant les inhibiteurs spécifiques de la glycolyse (iodoacétate, fluorure) ou des transports d’électrons (cyanure, etc.). En couplant l’usage de ces inhibiteurs avec l’emploi de conditions aérobies ou anaérobies, on avait ainsi les moyens de neutraliser à volonté l’un ou l’autre processus. Sur des érythrocytes d’oiseaux, le Russe Wladimir Engelhardt (1894-1971) montra ainsi (1930) que l’addition de cyanure produisait une forte augmentation des teneurs en Pi au détriment de l’ATP. Expérience qui pouvait s’interpréter en supposant une hydrolyse spécifique de l’ATP en conditions d’anaérobiose (l’accès à l’oxygène étant bloqué par le cyanure). Une autre hypothèse consistait à envisager que l’ATP était utilisé en permanence en anaérobiose comme en aérobiose, mais qu’il était spécifiquement resynthétisé en présence d’oxygène. Ce qu’Engelhardt confirma quelques années plus tard (1935) en montrant que les teneurs en ATP étaient toujours plus élevées (et celles en Pi plus basses) en présence d’oxygène qu’en son absence. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire que la glycolyse aille jusqu’à son terme final (pyruvate) pour que le glucose puisse être dégradé par voie aérobie. Si on bloquait par l’iodoacétate le passage du glycéraldéhyde 3-phosphate au 1,3-bisphosphoglycérate, l’aldéhyde pouvait alors être oxydé par une autre voie, mettant en jeu une flavoprotéine. En 1935, en utilisant un extrait de levure, Rünnström et Lennerstrand furent à même d’écrire l’équation suivante, étonnamment symétrique de celle de Harden-Young (p. 405) : 2 P-glycéraldéhyde + O2 + 2 Pi + glucose $ 2 P-glycérate + 2 H2O + fructose 1,6-bisphosphate Dans ce système, l’absorption d’une molécule d’oxygène, liée à l’oxydation de deux fonctions aldéhyde en deux fonctions acide, s’accompagnait de la double phosphorylation d’une molécule d’hexose. On pouvait même en conclure, compte tenu de ce que l’on savait alors sur le mode de formation du fructose 1,6-bisphosphate (p. 333), que l’absorption d’une molécule d’oxygène avait permis la synthèse de deux molécules d’ATP : c’était la première démonstration directe d’une réaction de phosphorylation oxydative. Dans des expériences similaires (1937), réalisées avec des extraits de cortex rénal, Hermann Kalckar (1908-1991) montra l’existence d’un certain rapport entre la quantité d’oxygène consommée et celle d’ATP synthétisée 22. Pour 1 atome d’oxygène absorbé (O), 1 atome de phosphore (P) était incorporé dans une molécule d’ATP.

22 H.M. Kalckar. Biological phosphorylations. Development of concepts, 1969.

Chapitre 16 - Phosphorylations

419

Il exprima cette relation par un rapport : P/O = 1, rapport 23 qui devait par la suite jouer un rôle déterminant dans l’élucidation des mécanismes de la phosphorylation oxydative. Ces expériences démontraient définitivement l’existence d’une phosphorylation aérobie, indépendante de la phosphorylation anaérobie (glycolytique).

16.5.2 - Le rapport P/O En 1939, les Russes Vladimir Belitzer (1906-1988) et Elena Tsybakowa, sur des extraits de muscle pectoral de pigeon et de cœur de lapin, montrèrent que l’oxydation du glucose, du pyruvate, des acides du cycle de Krebs étaient accompagnées d’une synthèse très active de créatine phosphate 24. Ils constatèrent de plus que le rapport P/O pouvait être largement supérieur à l’unité (P/O = 1,9-2,1), ce qui les amena à conclure que 25 : z (...) la phosphorylation est non seulement couplée avec les premières étapes des déshydrogénations des molécules de substrats (...) mais aussi avec certaines oxydoréductions participant ensuite au transfert de l’hydrogène . y

Avec l’amélioration des conditions d’expérimentation, les résultats de Belitzer et Tsybakowa furent largement confirmés. En particulier, Friedkin et Lehninger montrèrent (1949) que l’oxydation du NADH par des mitochondries de foie de rat s’accompagnait de l’incorporation dans l’ATP de Pi marqué par le 32P. Expérience cruciale, qui identifiait définitivement la mitochondrie comme le siège de la phosphorylation oxydative. Très nombreuses furent alors les études entreprises pour mesurer le pouvoir phosphorylant des mitochondries. On s’aperçut ainsi que les larges fluctuations observées dans la mesure des valeurs des rapports P/O n’étaient ni erratiques ni aléatoires. Au contraire, elles étaient (comme le quotient respiratoire) assez étroitement corrélées à la nature du substrat oxydé : ainsi, avec le succinate, on obtenait des valeurs allant de 1 à 2, avec le malate, le pyruvate, le citrate, les valeurs se répartissaient 23 Une remarque s’impose ici à propos du rapport P/O. À l’origine, il correspondait au nombre de molécules de Pi estérifiées (sous forme d’hexose phosphate par exemple, cf. ci-dessus) par atome d’oxygène consommé. Comme cette estérification résulte de l’action de l’hexokinase qui consomme de l’ATP, P correspond à une molécule d’ATP synthétisée à partir d’une molécule d’ADP. Au  dénominateur figure un atome – et non une molécule – d’oxygène, c’est-à-dire un accepteur de deux électrons. D’où les différentes formes d’expression de ce rapport, toutes équivalentes : P/O = ATP/O = ADP/O = P/2 e–, utilisées selon les circonstances. 24 En l’occurrence, la créatine était l’accepteur final des liaisons phosphate de l’ATP synthétisé. Les auteurs mesurèrent jusqu’à 24 molécules de créatine phosphate synthétisées par molécule de glucose oxydée. 25 V.A. Belitzer, T.T. Tsybakowa, Biokhimyia, 1939, 4, p. 516. Cité par M. Florkin, Comprehensive Biochemistry, 1975, vol. 31, p. 415 (traduction de l’auteur).

420

Troisième partie - Biochimie

entre 2 et 3, et même, avec l’α-cétoglutarate le rapport P/O pouvait atteindre une valeur de 4. Avec un donneur d’électrons artificiel comme l’ascorbate, la valeur était beaucoup plus faible, atteignant avec peine l’unité. Ces résultats démontraient à l’évidence l’implication de la chaîne respiratoire dans la synthèse de l’ATP. On savait en effet que l’oxydation du succinate produit du FADH2, que celle du malate, du pyruvate, du citrate produit du NADH, lui-même oxydé par la NADH déshydrogénase, et qu’enfin l’ascorbate injecte ses électrons dans la chaîne respiratoire au niveau du cytochrome c (cf. fig 16.6). Ainsi, en fonction de l’endroit où les électrons provenant des substrats entraient dans la chaîne respiratoire, le nombre d’ATP produits pouvait varier de 1 à 4. Un cas paraissait toutefois étrange, celui de l’α-cétoglutarate. On sait que son mécanisme d’oxydation (décarboxylation oxydative) est strictement semblable à celui du pyruvate. Comme lui, il produit du NADH, et cependant son rendement en ATP était supérieur d’une unité à celui du pyruvate. C’est alors qu’un nouvel agent entra en scène : le 2,4-dinitrophénol (DNP). Depuis 1930, ce composé était utilisé pour la production de pilules amaigrissantes. Suggérée dès 1945 par Lardy et Elvehjem, son action sur les réactions de phosphorylation fut définitivement établie par Loomis et Lipmann (1948). Cette substance possède en effet des propriétés tout à fait remarquables. Elle n’inhibe pas l’activité de transport d’électrons. Au contraire, en sa présence la consommation d’oxygène peut même considérablement augmenter. Par contre, la valeur du rapport P/O décroît jusqu’à s’annuler. Tout se passe comme s’il se produisait une déconnexion entre l’activité de transport d’électrons et l’activité de phosphorylation, comme s’il s’agissait d’un débrayage, la machine s’emballant en même temps qu’elle devient totalement inefficace (d’où les propriétés « amaigrissantes », voire mortelles, du dinitrophénol : il prive l’organisme de sa source d’énergie). Une telle déconnexion a reçu le nom de découplage. Par un mécanisme inconnu, le dinitrophénol se comportait comme un agent découplant (ou découpleur). Autre particularité du dinitrophénol : seule la phosphorylation liée au transport d’électrons était sensible à son action. En sa présence, les deux réactions de phosphorylation liée au substrat de la glycolyse n’étaient pas affectées. En sa présence aussi, le rapport P/O de l’α-cétoglutarate ne s’annulait jamais, tendant vers une valeur plancher de l’ordre de l’unité. On comprenait alors pourquoi, avec ce substrat, les valeurs de P/O pouvaient aller jusqu’à 4. Produisant du NADH (comme le pyruvate), 3 ATP étaient synthétisés par phosphorylation oxydative, sensible au dinitrophénol, et 1 ATP était produit par phosphorylation liée au substrat, non sensible au dinitrophénol, au niveau du succinyl-CoA : éclatante démonstration de l’existence de deux types de phosphorylation intervenant à propos de l'oxydation d'un même substrat.

Chapitre 16 - Phosphorylations

421

16.5.3 - Les sites de phosphorylation À la suite de ces observations, se posait évidemment la question de l’endroit où s’effectuaient ces synthèses d’ATP. Les valeurs, plus ou moins quantifiées (1, 2, 3, 4), du rapport P/O laissaient entrevoir l’existence de plusieurs sites plutôt que celle d’un site unique. On partit donc à la recherche des sites de phosphorylation, et on en trouva... trois. De façon formelle (cf. fig. 16.4), le phénomène de phosphorylation oxydative pouvait être représenté par l’équation suivante (équation de Slater, 1953), liant une réaction d’oxydation à une réaction de phosphorylation (éq. 16.1) :

AH2 + B + ADP + Pi $ A + BH2 + ATP + H2O

(16.1)

Un premier principe, formulé dès 1939 par Belitzer et Tsybakowa, fut d’abord appliqué : la synthèse d’une liaison ~P exigeant au minimum un DG°’ = – 7,3 kcal, il est nécessaire qu’une réaction d’oxydoréduction élémentaire, c’est-à-dire le passage de 2 e– d’un transporteur d’électron (AH2) au suivant (B) libère une quantité d’énergie au moins équivalente pour permettre une telle synthèse. En application de la formule DG°’ = – n F DE°’ (p. 402), il faut donc qu’entre deux transporteurs d’électrons consécutifs existe une différence de potentiel DE°’ d’au moins 0,16 V pour qu’une telle quantité d’énergie puisse être produite. L’application de ce principe aux différents éléments de la chaîne respiratoire, dont les potentiels d’oxydoréduction étaient connus, livra des indications intéressantes. Les premiers calculs, réalisés sur un modèle de chaîne respiratoire encore assez rudimentaire (NAD, FAD, cyt. b, cyt. c, cyt. a, O2) révélèrent que de telles différences de potentiel ne se rencontraient guère qu’entre le cytochrome a et l’oxygène (DE°’ = 0,53 V), entre le cytochrome b et le cytochrome c (DE°’ = 0,22 V), et entre le NAD et le FAD (DE°’ = 0,27 V), toutes les autres différences entre transporteurs successifs se révélant trop faibles 26. L’irruption de l’ubiquinone et l’organisation de la chaîne respiratoire en plusieurs complexes projetèrent une lumière nouvelle. Ces complexes ne sont pas constitués d’un seul transporteur d’électrons, mais on peut les considérer comme des unités élémentaires de transport d’électrons. En appliquant le même raisonnement entre les donneurs et les accepteurs d’électrons qui les encadrent (succinate, NADH, ubiquinone, cytochrome c, oxygène), on constate alors (fig. 16.6) que deux complexes (I et IV) peuvent largement permettre la synthèse d’un ATP, voire de plusieurs. Le complexe III ne peut assurer que la synthèse d’un seul ATP. Quant au complexe II, il est à l’évidence inapte à la synthèse d’ATP.

26 A.L. Lehninger. The mitochondrion, 1964, p. 112.

422

Troisième partie - Biochimie malate citrate pyruvate α-cétoglutarate Site I ascorbate

NADH

e–

E°’ = – 0,32 V

I

∆G°’ = – 19,4 kcal E°’ = + 0,065 V

e–

Site II

Q

Site III

cyt. c

III

IV

E°’ = + 0,26 V ∆G°’ = – 7,7 kcal

Succinate

E°’ = – 0,05 V

e–

O2 E°’ = + 0,81 V

∆G°’ = – 25 kcal

II

∆G°’ = – 4,6 kcal

Figure 16.6 - Localisation des sites de phosphorylation au niveau des complexes transporteurs d'électrons de la chaîne respiratoire (cf. fig. 15.11)

De telles conclusions étaient en harmonie avec les mesures des rapports P/O et en expliquaient les valeurs. Les électrons provenant du succinate ne produisaient que 2 ATP car seuls deux complexes phosphorylants (III et IV) étaient empruntés. Ceux provenant de substrats dont les oxydations libéraient du NADH pouvaient produire 3 ATP puisque trois complexes phosphorylants (I, III et IV) intervenaient. Quant au donneur d’électrons artificiel, l’ascorbate, il ne pouvait produire que 1 ATP puisque seul le complexe IV était mis en jeu. Toutes ces observations s’ordonnaient donc selon un schéma de fonctionnement de la chaîne respiratoire très cohérent : celle-ci était définitivement constituée de différents complexes (fig. 15.10(b)), chacun d’eux étant spécifiquement sensible à certaines catégories d’inhibiteurs. On découvrait maintenant que certains d’entre eux étaient de plus associés à la synthèse de l’ATP. On  distingua ainsi trois sites de phosphorylation : le site I (complexe I), le site II (complexe III) et le site III (complexe IV). L’emploi de l’électrode à oxygène et de méthodes spectrophotométriques performantes (p.  357) vint conforter ces interprétations. La figure 16.7 représente ainsi deux tracés d’électrode à oxygène exprimant, en fonction du temps, l’évolution de la teneur en oxygène du milieu.



423

PLWRFKRQGULHV VXFFLQDWH $'3



$'3







'13







 









&RQFHQWUDWLRQHQ2 —0

&RQFHQWUDWLRQHQ2 —0

Chapitre 16 - Phosphorylations



PLWRFKRQGULHV VXFFLQDWH $'3

 ROLJRP\FLQH $'3 '13

 

.&1









7HPSV PLQ

7HPSV PLQ

D

E





Figure 16.7 - Phosphorylation oxydative dans les mitochondries isolées Explications dans le texte.

La figure 16.7(a) peut s’analyser ainsi : l’addition de mitochondries au milieu ne se traduit que par une consommation d’oxygène insignifiante. Celle-ci ne devient sensible que si un substrat (succinate par exemple) est ajouté, mais la vitesse est encore relativement lente. Une addition d’ADP l’accélère considérablement. La vitesse revient ensuite à sa valeur antérieure si on à pris soin de n’ajouter au milieu qu’une très faible quantité d’ADP (quantité limitante 27). Un tel comportement indique que les mitochondries sont fortement couplées : en effet, s’il existe un lien de dépendance strict entre absorption d’oxygène et phosphorylation, quand tout l’ADP aura été phosphorylé, l’arrêt de la phosphorylation va se répercuter sur le transport d’électrons et ralentir très fortement la consommation d’oxygène, voire même l’arrêter. Il en résultera ainsi une inhibition apparente. Si l’on réinjecte une nouvelle quantité limitante d’ADP, la phosphorylation est restaurée et le transport d’électrons de nouveau accéléré, jusqu’à nouvel épuisement de l’ADP. Quand le transport d’électrons est ainsi fortement ralenti par suite d’un défaut de phosphorylation, l’addition d’un agent découplant (dinitrophénol) provoque aussitôt une oxydation intense en levant la contrainte que la phosphorylation exerçait sur le transport d’électrons. Selon une nomenclature très technique mais classique 28, l’état phosphorylant associé à une oxydation intense est appelé état 3, et l’état non phosphorylant associé à un transport d’électrons ralenti est l’état 4. Le rapport des vitesses d’oxydation entre ces deux états constitue ce que l’on appelle le Contrôle Respiratoire (CR = V(état 3)/V(état 4)). Il donne la mesure du contrôle que la phosphorylation exerce 27 C’est-à-dire inférieure à la quantité d’ADP qui, par phosphorylation oxydative, permettrait d’utiliser tout l’oxygène dissous dans le milieu pour produire de l’ATP. 28 B. Chance, G.R. Williams. Adv. Enzymol., 1956, 17, p. 65 (The respiratory chain and oxidative phosphorylation).

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Troisième partie - Biochimie

sur les transports d’électrons. Plus sa valeur est élevée, plus le contrôle est efficace. Le contrôle respiratoire mesure par conséquent la qualité du couplage énergétique. La figure 16.7(b) introduit une information nouvelle. On y voit, comme précédemment, que l’ADP (ajouté en quantité non limitante, cette fois) induit une vitesse de consommation d’oxygène élevée (état  3). Celle-ci peut cependant être totalement bloquée par l’introduction dans le milieu d’un nouveau type d’inhibiteur (Lardy, 1958), l’oligomycine (un antibiotique). L’arrêt de l’oxydation n’est pas dû à un défaut de phosphorylation, comme dans un état 4, car une nouvelle addition d’ADP se révèle totalement inefficace pour lever cette inhibition. L’arrêt de l’oxydation n’est pas dû non plus à une inhibition du transport d’électrons, car une addition de dinitrophénol la rétablit en découplant les oxydations des phosphorylations. Par contre, l’addition subséquente de cyanure, un inhibiteur de la cytochrome oxydase, bloque très efficacement le transport d’électrons. On en déduit que l’oligomycine représente une nouvelle classe d’inhibiteurs : elle bloque spécifiquement la synthèse de l’ATP, agissant vraisemblablement sur l’enzyme qui catalyse cette réaction Dans les mitochondries couplées, la transition état 3 $ état 4, entre un état phosphorylant et un état non phosphorylant, se traduit ainsi par un ralentissement très marqué de la vitesse de consommation d’oxygène (fig. 16.7(a)). Autrement dit, un site de phosphorylation dont l’activité devient limitée se comporte, vis-à-vis du transport d’électrons, comme un site d’inhibition. On essaya de tirer parti d’une telle observation pour tenter d’affiner la localisation des sites de phosphorylation. En reprenant le schéma classique de l’écoulement des électrons dans la chaîne respiratoire selon un modèle de Bernouilli (cf. 15.8(b)) et en y incorporant entre deux manomètres, au lieu d’une vanne, quelque système permettant à volonté (par enclenchement ou débrayage) de produire ou non de l’ATP, on peut facilement visualiser l’effet d’une telle transition. Si le système est enclenché et qu’on le freine brusquement (transition état 3 $ état 4), on observera immédiatement une remontée du niveau du liquide dans les manomètres situés en amont du dispositif, et une baisse de niveau dans ceux situés en aval. En langage plus biochimique, cette opération se traduira par le fait que les transporteurs d’électrons situés en amont du site de phosphorylation, vers les substrats, deviendront plus réduits, et ceux situés en aval, vers l’oxygène, deviendront plus oxydés. Or on savait, par des méthodes spectrophotométriques sophistiquées, isoler chacun des composants de la chaîne respiratoire et évaluer leur état d’oxydoréduction dans les conditions les plus variées (p. 357). Chance et Williams 34 appliquèrent ces techniques à la mesure des variations des niveaux d’oxydoréduction des différents composants de la chaîne respiratoire lors de transitions état 3 $ état 4, entre états phosphorylant et non phosphorylant (fig. 16.8). En prenant l’état 3 comme état de référence (ligne horizontale), compte tenu des propriétés optiques particulières des composants de la chaîne respiratoire à l’état réduit et à l’état oxydé, toute augmentation du degré de réduction se traduira

Chapitre 16 - Phosphorylations

425

par une valeur située au-dessus de ce niveau de référence, et toute augmentation du degré d’oxydation par une valeur située au dessous. Etant donné le domaine de longueurs d’onde exploré, 500 à 620 nm, c’est-à-dire celui des bandes α des cytochromes (fig. 15.3(a)), on y voit que le cytochrome a devient plus oxydé alors que les cytochromes b et c deviennent plus réduits. Cette inversion du sens des absorptions (crossover point, point de croisement ?), lors du passage à l’état 4, traduit la présence d’un site de phosphorylation entre les cytochromes c et a, sachant par ailleurs que le cytochrome b, intervenant en amont du cytochrome c, ne peut être que dans un état encore plus réduit. En répétant cette expérience en différents endroits du spectre, Chance et Williams mirent ainsi en évidence trois points de croisement, entre les cytochromes c et a, entre les cytochrome b et c, et entre le NAD et les flavoprotéines (FAD, FMN) : c’était la démonstration expérimentale que des sites de phosphorylation étaient respectivement localisés dans les complexes IV, III et I.

Figure 16.8 - Localisation d'un site de phosphorylation entre le cytochrome c et le cytochrome a. En abscisses : longueur d'onde ; en ordonnées : absorption de la lumère (spectre de différence réduit moins oxydé ; cf. fig. 15.3(b)) [d'après B. Chance et G.R. Williams, Adv. Enzymol. © 1956 Interscience Publishers, Inc., 17, p. 96]

La somme de toutes ces recherches peut être facilement résumée en un modèle assez simple (fig. 16.9). On y voit une réaction d’oxydoréduction (AH2 + B @ A + BH2), génératrice d’un flux d’électrons, couplée à un système de phosphorylation (ADP + Pi  $ ATP + H2O) par une sorte de poulie. La liaison entre les deux systèmes est ainsi très souple, non stœchiométrique, l’efficacité du système étant en effet étroitement dépendante de l’intégrité physique des mitochondries. Des effecteurs 29 particuliers : inhibiteur de transport d’électrons (antimycine), inhibiteur de phosphorylation (oligomycine), agent découplant (dinitrophénol, DNP), peuvent à tout moment bloquer le mécanisme ou le rendre totalement inopérant en déconnectant les deux systèmes (découplage).

29 Comme pour les inhibiteurs de transport d’électrons, il existe différents inhibiteurs des réactions de phosphorylation et surtout une grande variété d’agents découplants. On s’est ici volontairement restreint à la seule mention d’inhibiteurs-types.

426

Troisième partie - Biochimie DQWLP\FLQH $+%

$%+ H²

'13

$73+2

$'33L ROLJRP\FLQH

Figure 16.9 - Fonctionnement d'un site de phosphorylation

16.5.4 - Théorie chimique de la phosphorylation oxydative Ainsi, tout était pratiquement connu sur la phosphorylation oxydative : les principes théoriques, les intervenants, les effecteurs, les sites. Ne manquait que le principal : la manière dont l’ATP était synthétisé, c’est-à-dire – a priori – l’écriture d’une suite ininterrompue de réactions permettant de passer de l’oxydation d’un élément de la chaîne respiratoire à la synthèse d’une molécule d’ATP. On ne pouvait en la circonstance que s’inspirer de la phosphorylation liée au substrat observée dans la glycolyse. La réaction qui servit de modèle fut celle de la formation de l’ATP associée à l’oxydation du glycéraldéhyde 3-phosphate en 1,3-bisphosphoglycérate (p. 329), dont on rappelle ici les protagonistes 30 : (a) P–O–CH2–CHOH–CHO + Pi + NAD+ @ P–O–CH2–CHOH–CO–O~P + NADH + H+ (b) P–O–CH2–CHOH–CO–O~P + ADP @ P–O–CH2–CHOH–COOH + ATP la réaction (a) comportant à la fois une oxydation et une phosphorylation, avec création d’une liaison phosphate à haut potentiel, la réaction (b) consistant en un transfert de cette liaison ~P sur l’ADP. Cependant le caractère essentiel de ce couplage entre les étapes d’oxydation et de synthèse de l’ATP réside dans le fait qu’un intermédiaire commun, en l’occurrence le 1,3-bisphosphoglycérate, assure le lien entre les deux réactions. C’est donc en s’inspirant de ce modèle qu’on entreprit de décomposer en plusieurs éléments la réaction globale de la phosphorylation oxydative (éq. 16.1). La distance était tellement considérable entre l’étape d’oxydation et celle de phosphorylation que l’existence d’intermédiaires paraissait devoir s’imposer. D’autant 30 Signalons que dans la réaction (a) une molécule d’eau est impliquée, mais elle n’apparaît pas dans le bilan. En effet, l’utilisation de 1 H2O pour la formation de l’hydrate d’aldéhyde (p. 329) est compensée par la libération de 1 H2O lors de la formation de la fonction anhydride d’acide (chap. 14, note 11).

Chapitre 16 - Phosphorylations

427

plus que, dans la phosphorylation liée au substrat, pour expliquer le mécanisme de formation du 1,3-bisphosphoglycérate, on avait déjà dû avoir recours à l’existence d’un tel intermédiaire sous la forme d’une liaison thioester (fig. 16.5). La nature de tels intermédiaires était totalement inconnue. Nombre de symboles (C, I, X, Y, Z) furent utilisés pour désigner ces composés hypothétiques devant se combiner soit avec un transporteur d’électrons, soit avec le phosphate inorganique, soit même avec les deux. Comme il était d’autre part très difficile de préciser l’identité des éléments de la chaîne respiratoire mis en jeu, on raisonna aussi sur un système de phosphorylation réduit à sa plus simple expression, c’est-à-dire un transport d’électrons 31 entre deux éléments (A, B) de la chaîne respiratoire encadrant un site de phosphorylation : 6XEVWUDW

$

H²

$'33L

%

2

$73+2

C’est ainsi que dans les années 50 plusieurs modèles furent proposés par Lipmann (1946), Slater (1953), Lehninger (1955), Chance et Williams (1956). Indépendamment des symboliques utilisées, ces modèles postulaient l’existence de facteurs intermédiaires – au moins deux, appelons les X et Y, pour simplifier – se combinant avec des formes réduites ou oxydées des éléments de la chaîne respiratoire pour donner des composés à basse ou haute énergie. La liaison à haute énergie était ensuite transférée sur un intermédiaire, d’abord non phosphorylé (X~Y), puis phosphorylé (X~P), avant d’être fixée sur l’ADP selon un modèle de réaction inspiré soit du 1,3-bisphosphoglycérate soit du succinyl-CoA. Pour la suite de la discussion, on retiendra un modèle (simplifié) de phosphorylation oxydative comportant 5 étapes, tel que : (a)

AH2 + X @ X–AH2

(b)

X-AH2 + B @ X~A + BH2

(c)

X~A + Y @ X~Y + A

(d)

X~Y + Pi @ X~P + Y

(e)

X~P + ADP @ ATP + X

Un tel modèle, où X et Y se régénèrent en intervenant dans un processus cyclique, avait l’avantage de rendre compte des faits expérimentaux essentiels. La création de la liaison ~ était liée à l’étape d’oxydation (b). Les inhibiteurs de transfert d’électrons (antimycine) agissaient au niveau des réactions d’oxydation initiales (a, b). 31 On considère un transport de 2 e–, correspondant à la réaction : AH2 + B @ A + BH2

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Troisième partie - Biochimie

Les inhibiteurs des réactions de phosphorylation (oligomycine) intervenaient dans la réaction terminale (e). Quant aux agents découplants (dinitrophénol), leur action était expliquée par la destruction de la liaison ~  à haute énergie, leur cible se situant donc au niveau des intermédiaires X~Y ou X~P (c, d). Tel apparaissait, dans sa version minimale, ce que l’on pouvait décrire comme le mécanisme chimique de la phosphorylation oxydative. Il fallait maintenant en vérifier les différentes étapes et, surtout, procéder à l’identification des composants X et Y. En fait, tout reposait sur la démonstration de l’existence des mystérieuses combinaisons X~A, X~Y, X~P. La recherche de ces intermédiaires à haute énergie devint alors, dans les années 1955‑1965, la grande préoccupation des biochimistes.

16.5.5 - À la recherche de X~ Les réactions initiales reposaient toutes sur l’existence d’une combinaison (X~AH2, X~A) entre X et un élément de la chaîne respiratoire, ce qui posait un sérieux problème : comment en effet X pouvait-il se combiner avec des transporteurs d’électrons de nature aussi différente que le NAD, le FAD, l’ubiquinone ou les cytochromes ? On pouvait certes admettre l’existence de plusieurs composés semblables à X. Mais le problème n’en était pas simplifié pour autant. La conséquence était même qu’une telle proposition impliquait l’existence de plusieurs mécanismes de phosphorylation oxydative, chacun étant propre à un site de phosphorylation particulier (!). D’autre part, on se souvient que la combinaison d’une substance avec un élément de la chaîne respiratoire induit des modifications sensibles de son spectre d’absorption (fig.  15.6). Or, aucune modification d’absorption spectaculaire ne s’observait au niveau des différents transporteurs d’électrons quand on provoquait ou stoppait la phosphorylation. Les suggestions ne manquèrent cependant pas. Ainsi vit-on fleurir au cours du temps des composés tels que : NAD~I (Purvis, 1958), NAD~E (Pinchot, 1960), RCCF~cyt. c (Webster, 1963), NADH~P (Griffith, 1963), et même (Brodie, 1961) un dérivé à haute énergie de la vitamine K, qui à l’époque était en forte compétition avec l’ubiquinone pour un rôle dans la chaîne respiratoire. Avec le temps, toutes ces propositions furent réfutées ou n’eurent pas de suite. Le doute s’installa dans les esprits sur l’existence possible de telles combinaisons entre des éléments de la chaîne respiratoire et cet hypothétique intermédiaire X. On se rabattit alors sur un autre modèle : celui de la formation du phosphoénolpyruvate, où le départ d’une molécule d’eau est à l’origine d’une redistribution interne de l’énergie (p. 414). Il était concevable en effet que, sur un transporteur, le départ ou l’arrivée d’électrons produise ce genre d’action, engendrant un changement de conformation du transporteur, tel un ressort qui emmagasinerait de l’énergie, par compression ou étirement, pour la restituer ensuite en revenant à son état originel.

Chapitre 16 - Phosphorylations

429

On faisait ainsi l’économie du facteur X, mais alors un nouveau problème surgissait : comment transformer en une force chimique, concentrée dans la liaison ~ , une accumulation d’énergie mécanique ? On eut plus de chance avec la réaction terminale, celle de la synthèse de l’ATP. Dans les mitochondries isolées, on pouvait assez facilement mettre en évidence une activité enzymatique qui provoquait... l’hydrolyse de l’ATP :

ATP + H2O @ ADP + Pi

La réaction allait à contresens de ce qu’on espérait, mais cela ne constituait pas un obstacle majeur, l’hydrolyse étant le sens d’évolution normal pour une telle réaction exergonique. Mais si le système était replacé dans son contexte, c’est-à-dire dans les conditions réelles d’une mitochondrie intacte in situ, un appoint d’énergie, provenant de l’étape d’oxydation, pouvait fort bien renverser l’équilibre dans la direction opposée et conduire à une synthèse d’ATP, proposition formulée dès 1945 par Lardy et Elvejehm. On connaissait déjà d’autres enzymes capables de libérer du Pi à partir de composés phosphorylés, telles les phosphatases, hydrolysant les esters phosphorylés. Par analogie, on donna à cette nouvelle activité enzymatique le nom d’adénosine triphosphatase, ou ATPase. C’était vraisemblablement à son niveau que devait agir l’oligomycine, l’inhibiteur de la synthèse d’ATP. D’autre part, le dinitrophénol stimulait fortement cette activité ATPase. Cela pouvait expliquer la non-formation d’ATP quand il était présent, mais on préférait localiser le site d’action de l’agent découplant au niveau des intermédiaires X~Y ou X~P. L’hypothèse la plus communément retenue était qu’il provoquait la destruction de ces complexes à haute énergie, phosphorylés ou non, par une réaction d’hydrolyse :

X~P + H2O @ XH + Pi

ou

X~Y + H2O @ XH + YOH

L’action de l’ATPase revêtant un caractère essentiellement négatif, on imagina qu’elle ne devait représenter qu’une réaction secondaire, voire parasite. On partit alors à la recherche d’entités chimiques qui, elles, catalyseraient positivement et de façon spécifique la synthèse d’ATP à partir de X~P et de l’ADP (réaction e). Ainsi naquit la notion de facteur de couplage (coupling factor, CF). À partir de mitochondries ou de particules submitochondriales, par les traitements les plus divers, on isola ainsi une grande variété de facteurs de couplage dont la présence était indispensable au bon déroulement de la phosphorylation oxydative. Ils possédaient en commun un certain nombre de propriétés : sensibilité à la température (preuve de leur nature protéique), sensibilité à l’oligomycine, capacité à développer une activité ATPase en présence de dinitrophénol, etc. Vers 1960, isolés de mitochondries de cœur de bœuf, on se retrouva ainsi en présence de deux facteurs de couplage, CF1, capable de synthétiser et d’hydrolyser l’ATP, et CF2, dépourvu

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Troisième partie - Biochimie

d’activité ATPase. Leur vrai rôle ne sera élucidé que quelques années plus tard (§ 18.4). Pour l’instant, leur rôle positif consistait donc à favoriser la synthèse de l’ATP à partir d’un intermédiaire encore inconnu, X~P, ou peut-être même X~Y. Ces deux derniers représentaient en effet les inconnues majeures. Il est assez difficile de résumer la variété des recherches entreprises dans ce but. X~Y fut assez facilement éliminé, car, à l’exclusion d’arguments théoriques, il ne se trouvait aucun fait expérimental probant pour soutenir l’existence d’un tel composé, fait de deux éléments inconnus. Mais il n’en était pas de même pour X~P, d’un abord a priori beaucoup plus facile, l’une de ses parties (P) paraissant accessible. En ces annéeslà, on disposait en effet des isotopes artificiels. Le phosphore (masse atomique : 31) possédait justement un isotope radioactif, 32P, d’une durée de vie optimale (période : 14,3 jours) et pouvant être facilement détecté par la mesure de son rayonnement β. En principe, il ne devait pas être trop difficile d’isoler et de caractériser un tel composé, X~32P, marqué d’une façon aussi spécifique. Malheureusement, les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances. Le fait le plus probant (Boyer, 1963) fut la mise en évidence d’une protéine qui se marquait par le 32P. Le marquage était localisé sur un acide aminé (histidine) de la chaîne protéique, le groupe phosphate étant lié à un atome d’azote de l’histidine. X~P avait donc apparemment tous les attributs d’une phosphohistidine appartenant à un facteur protéique intervenant dans la phosphorylation oxydative. Malheureusement, des études plus poussées révélèrent que ce facteur s’apparentait à la succinate thiokinase (p. 416), l’enzyme qui, dans le cycle de Krebs, catalyse l’unique réaction de phosphorylation... liée au substrat (!). L’impasse était totale, ni le mécanisme de la synthèse de l’ATP, ni celui du couplage des oxydation et des phosphorylation ou de leur découplage par le dinitrophénol, qui lui est intimement lié, n’étaient élucidés. Aussi, en 1966, au terme d’un chapitre où en 70 pages et 373 références étaient exposés les derniers développements – le chant du cygne – du mécanisme chimique de la phosphorylation oxydative, son auteur, E.C. Slater, terminait-il son article par ces deux lignes de conclusion désabusée 32 : z On doit conclure qu’aucun composé correspondant à un intermédiaire hypothétique A~C ou ~P n’a jusqu’ici été isolé. y

32 E.C. Slater. Oxidative phosphorylation. Dans Comprehensive Biochemistry, M. Florkin et E.H. Stotz, Ed.,1966, vol. 14, p. 326 (traduction de l’auteur).

Chapitre 16 - Phosphorylations

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16.6 - Bilans Même si on ignorait encore le mécanisme réel de la phosphorylation oxydative, on pouvait néanmoins apprécier les progrès accomplis en ce domaine, grâce à la connaissance du bilan énergétique de la glycolyse et des valeurs du rapport P/O. Le bilan de la glycolyse (Annexe B) est assez facile à estimer. Très schématiquement, 2 ATP sont utilisés pour la mise en train du processus, lors de la formation du fructose 1,6-bisphosphate. Une molécule de glucose donnant naissance à 2 molécules de glycéraldéhyde 3-phosphate, 2 ATP sont synthétisés à partir du 1-,3-bisphosphoglycérate et 2 autres à partir du phosphoénolpyruvate. Le bilan net est donc de 2 ATP synthétisés par molécule de glucose dégradée. C’est le bilan de la fermentation alcoolique, et aussi celui de la fermentation lactique. Dans le cas de la glycolyse musculaire, la situation est un peu différente. En effet, la mobilisation du glucose à partir du glycogène s’effectue par une réaction de phosphorolyse (glycogène phosphorylase). Le rendement est un peu plus élevé, 1 ATP étant économisé. La comptabilité est un peu plus délicate à établir dans le cas de la phosphorylation oxydative associée à l’oxydation des acides du cycle de Krebs. On y parvient pourtant assez aisément en remarquant que, dans la chaîne respiratoire (fig. 16.6), l’oxydation de 1 NADH conduit à la formation de 3 ATP et celle de 1 FADH2 à 2 ATP, auxquels vient s’ajouter la phosphorylation liée au substrat dans le cas du succinyl-CoA. On peut alors facilement calculer (Annexe C) que la dégradation d’une molécule de pyruvate génère 4 NADH, 1 FADH2 et 1 succinyl-CoA, ce qui, converti en équivalents ATP, donne un total de 15 ATP par tour de cycle de Krebs. Si on considère de plus que, lors de la formation de 2 molécules de pyruvate, une molécule de glucose aura aussi donné naissance à 2 ATP et 2 NADH (qui seront oxydés par la chaîne respiratoire 33), le bilan global s’élèvera à 36 ATP par molécule de glucose entièrement dégradée par voie aérobie 34. Il apparaît ainsi que la dégradation aérobie (36 ATP) d’une molécule de glucose est beaucoup plus efficace que sa dégradation anaérobie (2 ATP). Cette conclusion, fondée sur la connaissance globale des mécanismes respiratoire et fermentaire, nous rappelle qu’un siècle plus tôt Pasteur avait déjà observé, en comparant le rendement de la culture de levure de bière en présence et en absence d’oxygène, que la synthèse de 1 gramme de matière sèche réclamait la destruction de 15 à 20 fois plus 33 Ce NADH, formé dans le cytosol par la glycolyse, est réoxydé par un mécanisme différent de celui qui réoxyde le NADH produit dans la mitochondrie à partir des acides du cycle de Krebs. Son oxydation ne produit que 2 ATP. 34 On pourrait procéder à un calcul analogue à propos des acides gras. On peut ainsi montrer qu’une molécule d’acide stéarique (C18H36O2) produit 147 ATP. Rendement difficile à comparer à celui d’une molécule de glucide, sauf si on le fait sur une base carbonée. Ainsi, 1 C glucidique produit environ 6 ATP et 1 C lipidique 8 ATP.

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Troisième partie - Biochimie

de glucose en anaérobiose qu’en aérobiose (p. 283). De même, au cours de ses études sur la contraction musculaire, Meyerhof avait introduit un quotient, dit « quotient de Meyerhof », pour comparer l’efficacité de la glycolyse et du métabolisme aérobie dans la resynthèse du glycogène à partir de l’acide lactique (p. 418). Il avait ainsi trouvé qu’une seule molécule de glucose dégradée par voie aérobie avait la même efficacité que 12 à 24 molécules de glucose dégradées par voie anaérobie. Ces observations se trouvaient ainsi pleinement confirmées, dans leur ordre de grandeur, par la comparaison des rendements en ATP (2 contre 36) mesurés au cours des processus de phosphorylation associés à ces deux conditions.

Chapitre 17 La photosynthèse révélée Les connaissances sur la respiration s’étaient élaborées à un rythme régulier de l’Antiquité à nos jours, mais c’est par bonds successifs qu’ont évolué celles sur la photosynthèse, née un jour de 1771 d’une observation de Priestley. En une trentaine d’années, le phénomène avait été défini. Dès 1804, de Saussure était à même d’en donner les caractéristiques essentielles. Le siècle qui suivit apporta des précisions sur ses manifestations externes et internes. On aboutit ainsi à une description assez complète d’un phénomène dont le mécanisme intime demeurait totalement inconnu. Au début du xxe siècle, de nouveaux concepts de la physique (électrons, photons) orientèrent les recherches dans des directions nouvelles, mais sans apporter de solution définitive. Finalement, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en une vingtaine d’années (1945-1965), la révélation eut lieu.

17.1 - Une lente évolution des concepts La première moitié du XIXe siècle ne s’était guère signalée que par la découverte de la chlorophylle (1818) par Pelletier et Caventou. Du milieu du siècle aux années 1880, quelques progrès importants eurent lieu : Mayer (1845) introduisit l’idée que les végétaux se comportaient comme des machines à convertir l’énergie solaire en énergie chimique. Sachs (1862) observa que l’assimilation chlorophyllienne aboutissait à la formation d’amidon. On montra aussi que la chlorophylle absorbait spécifiquement certaines radiations, actives dans le phénomène. Boussingault (1864) établit définitivement la valeur du quotient photosynthétique (QP = O2/CO2), égal à l’unité. Enfin, les premières tentatives d’explication du mécanisme de l’incorporation du gaz carbonique avaient abouti à la théorie de l’aldéhyde formique (Baeyer, 1868). Ainsi, à l’aube du xxe siècle, la photosynthèse était-elle toujours pratiquement décrite par l’équation originelle (éq. 7.1) : CO2 + H2O + énergie lumineuse $ {CH2O} 1 + O2 1 {CH2O}, cette formulation ne correspond à aucun corps chimique particulier. Elle représente, au choix, soit une molécule de CO2 partiellement réduite, soit un modèle de molécule glucidique (1/3 de triose ou 1/6 d’hexose).

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Troisième partie - Biochimie

même si, au cours du temps, on avait pu en affiner l’expression (éq. 8.2) :

6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse $ C6H12O6 + 6 O2

{CH2O} pouvait à volonté être interprété comme C(H2O) ou H–CHO, c’est-à-dire comme la formule d’un hydrate de carbone, ou mieux de l’aldéhyde formique, dont la polymérisation conduisait aux hydrates de carbone (p. 180). De plus, l’opinion courante était que l’oxygène libéré provenait du gaz carbonique. En fait, si la phénoménologie du processus était assez bien décrite, et même avec une surabondance de détails en ce qui concerne ses manifestations dans les différents groupes végétaux, son mécanisme demeurait totalement inconnu. Situation parfaitement résumée par Stiles qui, en 1925, dans un des premiers traités modernes sur la photosynthèse, écrivait 2 : z La nature de la substance ou des substances intermédiaires intervenant dans la photosynthèse est un sujet sur lequel on a beaucoup écrit, mais sur lequel notre connaissance est pratiquement négligeable. y

Quarante ans plus tard, vers 1965, le paysage était méconnaissable. Les questions posées avaient reçu des réponses, mais pas de la manière attendue. Ainsi, l’oxygène libéré ne provenait pas du CO2 mais exclusivement de l’eau. Le premier corps formé n’était pas l’aldéhyde formique, ni même un sucre, c’était un acide organique. La fixation du CO2 n’était pas une réaction simple, mais mettait en jeu plus d’une dizaine d’intermédiaires qui de plus, comme dans la glycolyse, étaient tous phosphorylés. De surcroît, on avait fait des découvertes inattendues : la photosynthèse avait été décomposée en deux phases distinctes, l’une exigeant absolument l’intervention de la lumière, mais l’autre pouvant très bien se dérouler en son absence. Bien plus encore, des processus totalement insoupçonnés intervenaient dans le phénomène. Le  chloroplaste possédait un système de transport d’électrons plus diversifié que celui trouvé dans la mitochondrie. Fonctionnait aussi un système de phosphorylation produisant de l’ATP sous l’action des seules radiations lumineuses. L’Entre-deux guerres (1920-1940) avait vu se réaliser d’importantes études sur le mode d’action de la lumière. Celles-ci avaient amené à distinguer dans la photosynthèse une phase photochimique, associée à la capture de l’énergie lumineuse et au rejet d’oxygène, et une phase chimique, liée à la fixation du CO2 et à sa conversion en molécules glucidiques. La fixation du CO2 se trouva ainsi dissociée de la libération d’oxygène, alors que jusque-là les deux aspects avaient toujours été intimement liés. Le rejet d’oxygène ne dépendait nullement de la présence de CO2, comme le croyaient Senebier (p. 129) ou de Saussure (p. 139), mais au contraire de celle de composés capables d’accepter des électrons, c’est-à-dire d’oxydants. D’autre part, certaines bactéries pratiquaient une photosynthèse qui ne donnait pas lieu à émis2 W. Stiles. Photosynthesis. The assimilation of carbon by green plants. 1925, p. 193 (traduction de l’auteur).

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

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sion d’oxygène. Par contre, elle exigeait absolument la présence d’hydrogène sulfuré (H2S). Tout se passait comme si H2S se substituait à H2O. Nécessité d’un oxydant pour libérer l’oxygène, présence de transporteurs d’électrons, substitution de H2S à H2O comme réducteur du CO2, une telle convergence d’observations conduisit nécessairement à attribuer aux phénomènes d’oxydoréduction un rôle capital dans la photosynthèse. Petit à petit se dévoila ainsi la véritable nature de la photosynthèse. Certes celle-ci demeurait toujours, conformément à son équation fondamentale (éq. 8.2), la réaction qui produit des sucres à partir du CO2 et de H2O, mais elle apparaissait maintenant, à la suite de ces découvertes, comme une véritable réaction d’oxydoréduction (éq. 8.3). On considéra donc sous un jour nouveau l’équation de la photosynthèse : celle-ci n’était plus une réaction d’hydratation du carbone, elle était devenue une réaction de réduction du CO2 par les atomes d’hydrogène provenant de la molécule de H2O, dont l’oxygène était libéré. Les vingt années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale furent, comme on l’a dit, celles de la révélation de la photosynthèse. Les facteurs déterminants en furent le développement de techniques nouvelles, notamment l’emploi des isotopes radioactifs, l’utilisation de matériels biologiques plus faciles à manipuler, comme des algues unicellulaires ou des bactéries, l’isolement de chloroplastes et de fractions chloroplastiques, mais aussi l’apport de la microscopie électronique pour identifier les structures subcellulaires porteuses d’activités déterminées. Mais le principal facteur fut certainement la somme des progrès accomplis dans le domaine de la biochimie. On découvrit ainsi que l’incorporation du dioxyde de carbone et la synthèse des sucres reposaient sur des schémas qui, dans leurs principes, étaient ceux de la glycolyse et de la voie des hexoses monophosphates. Le transport d’électrons se révélait étonnamment semblable à celui observé dans la chaîne respiratoire mitochondriale, et les réactions de phosphorylation productrices d’ATP présentaient la même relation avec les transports d’électrons que dans les mitochondries. On élucida assez facilement le mécanisme de la fixation du CO2, mais le rejet d’oxygène fut plus difficile à interpréter, car il était directement lié au mode d’action de la lumière. C’est l’étude de cet aspect de la photosynthèse qui donna la clé de l’énigme. On mit ainsi en évidence l’intervention de systèmes photorécepteurs (photosystèmes), lieux où sont absorbées les radiations lumineuses. C’est au niveau de l’un d’eux que se produit l’événement crucial de la photosynthèse : une séparation de charges électriques aboutissant à la rupture de la molécule d’eau et à l’émission d’oxygène. L’action de la lumière sur ces photorécepteurs engendre un transport d’électrons, auquel sont associées des réactions de phosphorylation productrices d’ATP, la photophosphorylation. Dans ce qui va suivre, sans entrer dans des détails superflus et en respectant, autant que faire se peut, le cours de l’Histoire, on s’efforcera donc de retracer l’évolution

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des principes généraux qui ont permis d’élucider les mécanismes d’une réaction dont, en très grande partie, dépend toute vie sur Terre.

17.2 - L’intervention de la lumière C’est à Otto Warburg qu’est dû le regain d’intérêt pour la photosynthèse, dont l’état, il faut bien en convenir, était passablement statique au sortir de la Première Guerre mondiale. Il assura ce renouveau par l’introduction de techniques nouvelles, notamment par la mesure manométrique des échanges gazeux et l’utilisation d’organismes unicellulaires, infiniment plus souples à manipuler que des plantes entières ou des feuilles.

17.2.1 - Le rendement quantique de la photosynthèse Avec la formulation de la théorie des quanta de Planck (1900) et sa transposition aux phénomènes lumineux par Einstein (1905), la lumière avait changé de nature. Onde  électromagnétique selon Maxwell, la lumière était aussi, selon Einstein, constituée de particules immatérielles, les photons, unités discrètes porteuses d’une quantité d’énergie déterminée (q = hν). En application de la règle de l’équivalence photochimique, établie par Einstein (1913), chaque photon, dans son interaction avec la matière, ne devait réagir qu’avec une seule entité chimique, atome ou molécule. Pour exprimer ces interactions entre photons et molécules, on en était venu à considérer l’existence de moles de photons, dont l’énergie dépendait de la couleur de la lumière (p. 313). Dans la gamme des radiations absorbées par la chlorophylle (cf. fig. 17.3(b)), en lumière rouge (670 nm, par exemple), une mole de photons 3 véhicule une énergie de 42 kcal. En lumière bleue, de plus courte longueur d’onde (470 nm, par exemple), l’énergie est de 60 kcal. La question de l’efficacité des radiations lumineuses dans la photosynthèse a toujours été un problème récurrent. Il s’était d’abord posé sur le plan qualitatif, aboutissant à la constatation que seules les radiations absorbées par la chlorophylle étaient efficaces (§ 11.3.1). Quand on fut à même de mesurer l’énergie transportée par les radiations lumineuses, on put avoir accès au rendement énergétique, rapport entre l’énergie emmagasinée dans la masse des glucides synthétisés et l’énergie apportée par les radiations absorbées. Ces études avaient conduit à des conclusions incertaines (p. 261). Maintenant que la lumière était devenue flux de photons transportant des quanta d’énergie, le problème du rendement quantique de la photosynthèse se posait. C’est à cette tâche que, dans les années 1920, s’attaqua Warburg. À l’aide des nouvelles 3 Durant un certain temps, la mole de photons a été désignée sous le nom d’einstein. Le terme a disparu, remplacé par celui de mole de quanta (mol quanta). 1 mol quanta = NA hν (NA = constante d’Avogadro). Pour respecter le contexte historique, les énergies seront ici exprimées en kilocalories (kcal) et non en kilojoules (kJ) (1 kcal = 4,184 kJ).

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techniques manométriques qu’il avait mises au point et utilisant des suspensions d’algues unicellulaires assez denses, Warburg parvint ainsi à capter toute l’énergie de la lumière incidente pour assurer une photosynthèse maximale. Il définit ainsi un  rendement photochimique (Φ), plus tard appelé rendement quantique, rapport du nombre de molécules de O2 dégagé (ou de CO2 absorbé) à celui du nombre de quanta absorbés. Son inverse (1/Φ) représentait l’exigence quantique, c’est-à-dire le nombre de photons absorbés par molécule de O2 dégagée. Au terme de nombreuses mesures, Warburg et Negelein (1922,1923) trouvèrent pour Φ une valeur de l’ordre de 0,25, soit 4  quanta absorbés par molécule de O2 dégagée 4. Ces 4 quanta correspondaient aussi à un apport d’énergie de l’ordre de 170 à 240 kcal selon la couleur de la lumière absorbée. Par comparaison, il faut rappeler que la synthèse d’une molécule d’hexose (p. 241) exige la fourniture de 686 kcal, soit environ 114 kcal par molécule de CO2 incorporé. De plus, dans les années qui suivirent, cette valeur de 4 quanta apparut conforme – et donna son support – à une certaine théorie de la photosynthèse qui voulait que l’oxygène libéré provienne de l’eau et non du CO2. Dans ce cas, l’équation de la photosynthèse (éq. 7.1) devait être remaniée (on y reviendra) pour tenir compte du fait que l’oxygène est libéré à l’état moléculaire (dioxygène) et non atomique. Elle devenait ainsi : CO2 + 2 H2O $ {CH2O} + O2 + H2O Les éléments des molécules d’eau initiales devaient donc être scindés (« photolyse » de l’eau 5), pour réduire le CO2 et éventuellement reconstituer une nouvelle molécule d’eau. Dans ce processus, 4 atomes d’hydrogène étaient en cause. L’exigence quantique de 4 quanta s’accordait bien avec l’utilisation d’un quantum d’énergie par atome d’hydrogène mobilisé. Ces résultats, par leur nouveauté, suscitèrent de nombreuses études similaires. Contre toute attente, les résultats de Warburg et Negelein ne furent pas confirmés. Par l’utilisation d’autres techniques (calorimétrie, polarographie) et d’autres organismes, on publia des valeurs d’exigence quantique allant de 8 à 12 quanta absorbés par molécule de O2 dégagé. Dans certains laboratoires, les expériences de Warburg et Negelein furent répétées, conduisant à des valeurs de l’ordre de 10 quanta.

4 O. Warburg, E. Negelein. Z. phys. Chem., 1922, 102, p. 235 (Über den Energieumsatz bei der Kohlensäureassimilation) ; Z. phys. Chem., 1923, 106, p. 191 (Über den Einfluss der Wellenlänge auf die Energieumsatz bei der Kohlensäureassimilation). 5 Le terme est à proscrire (il fera bondir les « spécialistes »). Mais à l’endroit où nous en sommes (l’entre-deux guerres), il n’en n’existe pas de meilleur pour décrire le phénomène. Il fut d’ailleurs utilisé pendant des dizaines d’années. Il sera corrigé en temps voulu (note 41). Entre temps, on continuera à l’utiliser avec prudence (« entre guillemets »).

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Finalement, après des années d’expérimentation, le résultat le plus classique demeure celui de Robert Emerson (1903-1959) et C.M. Lewis 6, obtenu sur l’algue Chlorella pyrenoïdosa (1943). La figure 17.1(a) révèle plusieurs aspects très importants. Dans le rouge, région où absorbe intensément la chlorophylle, le rendement quantique se situe à 0,09 environ. Il est un peu plus faible dans le bleu (0,08), soit 11 à 12 photons absorbés par O2 dégagé. Tous les photons, qu’ils soient de lumière rouge ou bleue, ont donc pratiquement le même effet sur la molécule photoréceptrice. Les conclusions de Richter (p. 261) se trouvaient ainsi confirmées. On remarque aussi que le rendement quantique est plus faible dans la région médiane du spectre, où absorbent les pigments accessoires (caroténoïdes, chap. 11, note 13). Enfin, la lumière devient très peu efficace (fig  17.1 (a) et (b)) dès que l’on aborde la région infrarouge du spectre : maximal à 680 nm, le rendement quantique s’effondre vers 700 nm. Cette décroissance brutale est connue sous le nom de chute dans le rouge (red drop). Son étude approfondie conduira à la découverte des systèmes photorécepteurs (§ 17.4.4).

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Figure 17.1 - Rendement quantique de la photosynthèse (expériences d'Emerson et Lewis) (a) rendement quantique sur l'étendue du spectre visible (b) chute du rendement quantique dans le rouge (cercles) et son renforcement (carrés) en présence d'un éclairement d'appoint de plus faible longueur d'onde (650 nm) [d'après J. Farineau, J.-F. Morot-Gaudry, La photosynthèse Processus physiques, moléculaires et physiologiques, © Editions Quæ, Paris, 2011, p. 175]

L’étude du rendement quantique de la photosynthèse fut en son temps l’occasion d’intenses débats entre scientifiques. Finalement, la valeur de 4 quanta par molécule de O2 fut abandonnée pour faire place à une autre gamme de valeurs qui, selon les 6 R. Emerson, C.M. Lewis. Amer. J. Bot., 1943, 30, p. 165 (The dependence of the quantum yield of Chlorella photosynthesis on wave length of light).

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méthodes employées, se situaient entre 8 au minimum et 12 au maximum. Quand on eut finalement élucidé le mécanisme de la photosynthèse, 8 photons se révélèrent nécessaires et suffisants (p. 480) pour promouvoir le transport d’électrons associé à la libération de 1 O2.

17.2.2 - Réactions claires et réactions sombres La détermination du rendement quantique exigeait d’inclure la période lumineuse, durant laquelle on effectuait les mesures, entre deux périodes d’obscurité servant à mesurer les paramètres de contrôle (par exemple les échanges gazeux respiratoires pour les soustraire des échanges gazeux à la lumière). Cette  technique fut affinée. Par ajustements progressifs, on modula les durées relatives de ces périodes de lumière et d’obscurité. À la limite, on en vint à réduire la durée de la période lumineuse à celle d’un éclair (flash) : la photosynthèse était alors mesurée en lumière intermittente. L’éclair, par sa brièveté et son énergie constante, apportait en quelque sorte un paquet d’énergie, une sorte de quantum, que la période obscure (intervalle entre deux éclairs 7) permettait ensuite de digérer. Usant d’un tel dispositif et faisant varier la fréquence des éclairs (fig. 17.2), Emerson et Arnold 8 purent ainsi établir qu’une période obscure de 1/50 seconde (20 ms) était nécessaire pour obtenir une photosynthèse maximale en présence d’éclairs de 1/100 000 seconde (10 µs), soit un rapport de 2000 entre les durées des deux périodes. Si les éclairs étaient plus rapprochés, le rendement diminuait car l’énergie d’un éclair n’avait pas encore été intégralement utilisée quand survenait l’éclair suivant. Si les éclairs étaient moins fréquents, le rendement demeurait constant car la durée de la période obscure devenait alors supérieure à celle nécessaire pour utiliser pleinement l’énergie d’un éclair. Ainsi la réaction photochimique très brève 9 (10 µs) intervenant durant la phase lumineuse avait besoin d’être suivie d’une période d’obscurité beaucoup plus longue et d’une durée bien définie (20 ms). Cette phase devait vraisembla7 Par exemple, une lumière intermittente de 1000 éclairs par seconde, chacun d’une durée de 1/100 000 seconde, représente une succession de périodes lumineuses et de périodes obscures où la durée de la période obscure est 100 fois plus grande que celle de la période lumineuse. C’est ce que perçoit un photorécepteur comme la chlorophylle. Pour l’œil humain, en raison de la rémanence des images rétiniennes, un tel éclairement apparaîtrait évidemment continu, et non intermittent. 8 R. Emerson, W. Arnold. J. Gen. Physiol., 1932, 15, p. 391 (A separation of the reactions in photosynthesis by means of intermittent light). 9 Dans la réalité, la durée de l’acte photochimique lui-même (p. 467), c’est-à-dire la capture d’un photon, est extrêmement brève, de l’ordre de quelques centaines de femtoseconde (1 fs = 10–15 s). La séparation des charges électriques qui en résulte demande, elle, une dizaine de picosecondes (1 ps = 10–12 s). Durant l’éclair très bref (10–5 s) utilisé par Emerson et Arnold se produisaient en fait un très grand nombre (≈ 107) d’actes photochimiques élémentaires.

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blement consister en une suite de réactions enzymatiques conduisant à la réduction du CO2 en molécules glucidiques. La preuve qu’une telle phase était bien chimique était apportée par le fait qu’un abaissement de température, par exemple de 25 °C à 7°C ou 1°C (fig. 17.2), se traduisait par un allongement de la durée de la période obscure pour assimiler le même apport d’énergie. La photosynthèse se scindait définitivement en une phase très brève, photochimique, suivie d’une phase chimique, de durée beaucoup plus longue et dont l’accomplissement n’exigeait pas la présence de lumière. Ce qui fut traduit de façon courante par la distinction faite entre réactions claires (light reactions) et réactions sombres (dark reactions 10). Comme on le verra par la suite, ces deux phases sont associées à des aspects différents du processus photosynthétique : à la phase lumineuse est lié le rejet d’oxygène, à la phase obscure la fixation du CO2 et la synthèse des sucres.

Figure 17.2 - Action d'un éclairement intermittent (expérience d’Emerson et Arnold). Un abaissement de la température augmente la durée de la période obscure permettant d'obtenir le même rendement. En abscisses : durée de la période obscure ; en ordonnées : rendement par éclair [d’après H. Gaffron, Plant Physiology, F.C. Steward, Ed., Elsevier publishing Company, New York, 1960, vol. 1B, p. 109]

17.2.3 - L’unité photosynthétique et les quantasomes De façon inattendue, les observations d’Emerson et Arnold furent à l’origine d’une autre découverte, dont l’importance ne fut reconnue que bien des années plus 10 La traduction correcte de ces expressions est réactions à la lumière et réactions à l’obscurité. Réactions claires et réactions sombres sont donc des expressions imagées mais approximatives. On préfère aujourd’hui les désigner sous les noms de phase lumineuse et phase métabolique.

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tard. La photosynthèse étant un phénomène polyfactoriel, c’est-à-dire soumis à la loi des facteurs limitants (loi de Blackman), c’est le facteur le plus faiblement représenté qui contrôle l’intensité globale du phénomène. Trois d’entre eux sont primordiaux : la lumière, la teneur en CO2 et la température. Lorsque ces trois facteurs sont représentés de manière optimale de façon à assurer une photosynthèse maximale, alors intervient un quatrième facteur : la teneur en chlorophylle du tissu. Emerson et Arnold eurent l’idée de rapporter l’intensité de la photosynthèse à la quantité de chlorophylle présente dans le matériel étudié. Les résultats montrèrent que, par éclair, le rapport entre le nombre de molécules de CO2 réduites et celles de chlorophylle présentes dans le matériel était extrêmement élevé : 2 480 précisément. En d’autres termes, il fallait 2 480 molécules de chlorophylle agissant de concert pour fixer une seule molécule de dioxyde de carbone. Résultat absolument incompréhensible à l’époque 11 : z Nous ne pouvons donner aucune explication adéquate pour notre rapport de 2480 molécules de chlorophylle par molécule de dioxyde de carbone réduite par éclair. y

À ce point de l’histoire, on doit faire ici mention du travail de pionnier réalisé dans la connaissance des pigments chlorophylliens 12 par les Allemands Richard Willstätter (1872-1942) et Arthur Stoll (1887-1971). Découverte depuis près d’un siècle (1818), la chlorophylle était demeurée une substance très mystérieuse. Sa formule (fig. 17.3(a)) ne fut établie qu’en 1916. Ce pigment des tissus verts appartenait en fait à une famille biochimique bien connue, celle des porphyrines, comme l’hémoglobine ou les cytochromes (p. 376, Annexe F). La chlorophylle différait cependant de ces porphyrines par la nature des substituants sur les noyaux pyrrole, par l’existence d’une longue chaîne carbonée (C20H39–, phytol), mais surtout par le fait qu’elle renfermait un métal qui était le magnésium et non le fer. La chlorophylle est donc une magnésio-porphyrine. Il en existe plusieurs variétés. La chlorophylle a et la chlorophylle b, présentes dans tous les tissus des végétaux verts 13, sont facilement discernables par leurs spectres d’absorption (fig. 17.3(b)). Chez certaines algues, en plus de la chlorophylle a, existent d’autres chlorophylles (Chl c, Chl d). Quant aux bactéries photosynthétiques, on rencontre chez elles des pigments équivalents de même nature (bactériochlorophylles). La connaissance de la formule de la chlorophylle permettait donc d’exprimer l’activité photosynthétique par rapport à cette molécule. 11 R. Emerson, W. Arnold. J. Gen. Physiol., 1932, 16, p.191 (The photochemical reaction in photosynthesis) (traduction de l’ auteur). 12 R. Willstätter, A. Stoll. Untersuchungen über Chlorophyll, 1913, Springer-Verlag, Berlin. 13 La chlorophylle b ne diffère de la chlorophylle a que par la substitution d’un radical –CHO à un radical –CH3 sur l’un des noyaux pyrrole (fig. 17.3(a)), ce qui suffit pour provoquer une modification caractéristique du spectre d’absorption (fig. 17.3(b)).

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Figure 17.3 - La chlorophylle (a) structure chimique de la chlorophylle a, la chlorophylle b s'en distingue par la substitution d'un radical –CHO à un radical –CH3 (b) spectres d'absorption des chlorophylles a et b [d'après B. Hopkins, Physiologie végétale, 1ère édition, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2003, p. 134]

Reprenant une idée formulée par Hoppe-Seyler dès 1877, Willstätter et Stoll 14 furent les premiers (1918) à proposer un mécanisme de réaction pour la photosynthèse. Selon ces auteurs, CO2 et H2O venaient se fixer sur le magnésium de la chlorophylle pour former un complexe :

Chl.Mg + H2O + CO2 $ {Chl.Mg–H2O–CO2}

Sous l’action de la lumière, ce complexe subissait un remaniement et sa dissociation entraînait la libération des produits de la photosynthèse (aldéhyde formique et oxygène) : {Chl.Mg–H2O–CO2} $ {Chl.Mg–HCHO–O2} $ Chl.Mg + HCHO + O2 Dans un tel mécanisme, 1 molécule de chlorophylle était strictement associée à la réduction de 1 CO2. La proportion de 2 480 molécules de chlorophylle par CO2 fixé, observée par Emerson et Arnold, était tout à fait inexplicable. Tout se passait comme si l’entité qui absorbait le photon n’était pas la molécule de chlorophylle elle-même, mais une sorte de cristal de chlorophylle renfermant 2 480 molécules. Pour interpréter ces faits, ces auteurs postulèrent alors l’existence d’une nouvelle 14 R. Willstätter, A. Stoll. Untersuchungen über die Assimilation der Kohlensäure. 1918, Springer-Verlag, Berlin.

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entité susceptible de capter la lumière : l’unité photosynthétique (photosynthetic unit) 11 : z De façon arbitraire, nous définissons une unité comme le mécanisme intervenant dans la réaction photochimique pour réduire une molécule de dioxyde de carbone. Si  nous pouvons obtenir des éclairs d’intensité suffisante pour saturer la réaction photochimique, alors le nombre d’unités dans un échantillon de cellules sera égal au nombre de molécules de dioxyde de carbone réduites par éclair. Le contenu total en chlorophylle de l’échantillon divisé par le nombre de molécules de dioxyde de carbone réduites par éclair donne le nombre de molécules de chlorophylle par unité, ou par molécule de dioxyde de carbone. y

Cette proposition d’une unité photosynthétique fut assez bien accueillie et confirmée de diverses manières, notamment par Gaffron et Wohl 15 : z Il s’ensuit qu’environ 1 000 molécules de chlorophylle doivent collaborer afin de fournir à la molécule d’acide carbonique 4 quanta de lumière en 0,02 sec. Ainsi nous concluons qu’une unité assimilatrice comprend environ 1 000 molécules de chlorophylle actives. y

Le nombre de molécules de chlorophylle par unité photosynthétique y était plus faible, mais l’existence d’une telle entité était réaffirmée. Une telle hypothèse n’allait pas sans poser quelque problème, notamment au regard de la loi d’équivalence photochimique d’Einstein et du modèle de photosynthèse ayant cours à l’époque. En effet, selon Warburg, 4 quanta d’énergie, apportés par 4 photons, étaient nécessaires pour réduire 1 CO2, et, selon Willstätter et Stoll, une seule molécule de chlorophylle (devant donc absorber 4 photons) était associée à la réduction de cette molécule de CO2. Mais en fait, l’expérience montrait que c’était un ensemble de plusieurs milliers de molécules de chlorophylle qui absorbait ces 4 quanta. Ces contradictions conduisirent à nombre de spéculations, apparemment gratuites, leur vérification expérimentale étant alors impossible. Pourtant, avec le passage du temps, elles se révélèrent n’être pas très éloignées de la réalité. Ainsi pouvait-on imaginer que ces ensembles de plusieurs milliers de molécules de chlorophylle avaient pour rôle, en renforçant la densité des molécules dans un espace restreint, de faciliter la capture des photons, mais que l’acte photochimique lui-même ne concernait, à un instant donné, qu’une seule de ces molécules de chlorophylle, les autres n’ayant servi qu’à canaliser l’énergie absorbée. De même, l’absorption de 4 quanta par l’unité photosynthétique posait aussi problème : en théorie, une telle unité n’aurait dû absorber qu’un seul photon à la fois. 15 H. Gaffron, K. Wohl. Naturwissenschaften, 1936, 24, p. 81 (Zur Theorie der Assimilation) (traduction de l’auteur).

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Dans ce cas, l’unité photosynthétique d’Emerson et Arnold apparaissait trop grande, et devait faire place à 4 unités nouvelles de taille plus restreinte, regroupant environ 600 molécules de chlorophylle et n’absorbant qu’un photon à la fois. Mais le problème n’en était pas résolu pour autant, car la réduction de 1 CO2, ou la libération de 1 O2, exigeait toujours 4 quanta d’énergie. La solution arithmétique était simple : il suffisait simplement de remplacer « 1 fois 4 » par « 4 fois 1 », mais alors la conséquence, au niveau du mécanisme réactionnel, était majeure : à une seule réaction utilisant 4 quanta d’énergie il fallait alors substituer 4 réactions en série ne mettant en jeu qu’un quantum d’énergie à la fois. Malgré les difficultés soulevées, là se trouvait le principe de la solution (§ 17.4.4). Parallèlement à ces aspects théoriques, se posait encore une autre question, celle de la localisation de ces unités photosynthétiques. À cette époque, la structure du chloroplaste était encore très mal connue. Les moyens de l’époque (Hubert, 1936) permettaient d’y distinguer la présence de petits corpuscules très fortement colorés en vert qui recurent le nom de granum (cf. fig. 18.2). Le rapprochement se fit naturellement entre ces granums, où vraisemblablement la chlorophylle était concentrée, et l’unité photosynthétique telle qu’on l’avait définie. Ultérieurement, les progrès techniques permirent d’extraire les chloroplastes des tissus chlorophylliens, et même d’isoler des particules chloroplastiques. Certaines, ellipsoïdes longs de 20 nm et épais de 10 nm, n’étaient capables que d’émettre de l’oxygène. Elles furent appelées quantasomes 16 (Park, 1962). Les quantasomes, identifiables seulement au microscope électronique, apparurent ainsi comme la matérialisation de l’unité photosynthétique. Rassemblant un grand nombre de molécules diverses, dont 55 % de lipides et 25 % de pigments, ils devaient renfermer entre 200 et 400 molécules de chlorophylles a et b, nombre tout à fait compatible avec celui d’une unité photosynthétique capable de piéger 1 photon. C’était donc à leur niveau que devait se réaliser l’acte photochimique primaire : la conversion de l’énergie de la lumière en énergie chimique, associée à l’émission d’oxygène. Le quantasome n’eut qu’une durée de vie assez limitée. Le terme disparut vers 1980, victime de progrès accomplis en d’autres domaines. On eut de la difficulté à l’insérer dans la structure fine du chloroplaste. On montra aussi que les granums étaient en réalité faits d’éléments lamellaires où la chlorophylle était répartie de façon homogène. C’était l’empilement de tels systèmes membranaires, et non des amas de molécules de chlorophylle, qui donnait leur aspect aux granums (cf. fig. 18.2). N’étant plus nécessaire, la notion de quantasome disparut d’elle-même. Sans apporter de réponses définitives, toutes ces études sur l’action de la lumière avaient préparé le terrain des expérimentations futures. Certes, le mode d’action de 16 R.B. Park. J. Chem. Edu., 1962, 39, p. 424 (Advances in photosynthesis).

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la lumière n’était pas élucidé, mais on savait que la conversion de l’énergie lumineuse en énergie chimique reposait sur l’absorption de photons par des ensembles de molécules de chlorophylle. On savait aussi que la photosynthèse comportait une phase photochimique, très brève, suivie d’une phase plus lente ne nécessitant pas la présence de lumière. D’autre part, l’émission d’oxygène, associée à la phase photochimique, pouvait être dissociée de la phase chimique, liée à l’absorption du CO2 et à sa réduction en molécules glucidiques.

17.3 - L’incorporation du dioxyde de carbone Comme on l’a vu, la pierre d’achoppement sur laquelle butait toute avancée nouvelle était le sort du dioxyde de carbone au cours des premiers stades de son incorporation. On savait qu’il finissait par donner de l’amidon, et donc vraisemblablement, au cours d’étapes préliminaires, devait transiter par des sucres plus simples tels que des hexoses (C6H12O6) ou des trioses (C3H6O3). Jusqu’au seuil de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion courante était que ces sucres résultaient de la polymérisation de l’aldéhyde formique (H–CHO). La situation était bloquée. Les techniques d’analyse chimique, pondérales ou volumétriques, avaient atteint leurs limites. Le renouveau se fit grâce à l’introduction d’une nouvelle technique, la mesure de la radioactivité, et au perfectionnement d’une autre, la chromatographie.

17.3.1 - Des révolutions technologiques On avait découvert les isotopes (p. 304) et, dès 1937, l’isotope 11 du carbone (11C), sous forme de 11CO2, fut utilisée pour l’étude de la photosynthèse. On réalisa immédiatement que le 11C se retrouvait dans un composé inconnu, au caractère très acide. Mais le 11C présentait un grave défaut : sa période n’était que de 21 minutes. Il fallait donc opérer dans un espace de temps très court. Toute expérimentation n’était en fait possible qu’au voisinage immédiat d’un cyclotron générateur de 11C, c’est-à-dire à cette époque dans les seuls laboratoires des universités de Californie à Berkeley et de Harvard à Cambridge (Massachusetts). En 1940, Ruben et Kamen découvrirent un autre isotope du carbone 17, le carbone 14 (14C), dont la période était de 5 730 ans. Les conditions d’expérimentation s’en trouvèrent radicalement transformées. La proximité d’un cyclotron n’était plus nécessaire. À l’aide du 14C, la photo-

17 S. Ruben, M.D. Kamen. Phys. Rev., 1940, 57, p. 549 (Radioactive carbon of long half-life). Il existe plusieurs isotopes du carbone. L’isotope stable est le carbone 12 (12C), isotope naturel (98,9 %), dont le noyau comporte 6 protons et 6 neutrons. Le noyau de l’isotope 11 C possède 1 neutron en moins, les isotopes 13C (1,1 %) et 14C (traces) 1 et 2 neutrons en plus. 11C et 14C sont radioactifs, ils sont décelés et dosés par la mesure de leur radioactivité. 13C est un isotope non radioactif, on le mesure au spectrographe de masse.

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synthèse pouvait maintenant être étudiée partout dans le monde, mais l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale interrompit pratiquement toute recherche. La seconde révolution vint de l’amélioration des techniques de chromatographie. Cette technique, inventée par Tswett (1905) (p. 250), avait été considérablement perfectionnée. Cependant, malgré les améliorations, la chromatographie sur colonne présentait encore un handicap : elle exigeait des quantités de substances à séparer qui, bien que minimes, étaient encore difficilement compatibles avec les quantités qu’on pouvait recueillir au cours des expériences de photosynthèse. C’est alors qu’apparut la chromatographie sur papier 18 (Martin et Synge, 1941). Son principe était des plus simples. Sur le bord d’une feuille de papier, sous la forme d’une tache (spot), quelques gouttes du mélange de substances à séparer sont déposées. Le bord de la feuille est ensuite trempé dans un solvant approprié, dont la migration sur le papier entraîne, avec des vitesses variées, les différents composants du dépôt initial. Ceux-ci se trouvent séparés sur le chromatogramme, il suffit alors de révéler leur présence par un réactif approprié. La technique peut être considérablement améliorée en opérant dans les deux dimensions du chromatogramme. Dans ce cas, après avoir procédé comme précédemment, le chromatogramme est séché, on lui fait subir une rotation de 90° et, à l’aide d’un second solvant, de composition différente du premier, on procède à une nouvelle chromatographie dans la direction perpendiculaire. Les composés qui ne s’étaient pas séparés dans la première opération se séparent alors dans la seconde. Cette chromatographie bidimensionnelle permet de séparer très rapidement tous les composants d’un mélange complexe (cf.  fig.  17.4). De  plus, elle n’exige que d’infimes quantités de substances à séparer. On disposait en outre d’un révélateur extrêmement sensible pour identifier les produits séparés : la radioactivité du 14C. En effet, si les composés à séparer avaient été préalablement marqués par cet isotope à la suite d’une incorporation de CO2 radioactif (14CO2), il suffisait alors de placer les chromatogrammes sur une plaque photographique et de maintenir le contact pendant le temps nécessaire. Lors du développement de la plaque, on pouvait alors repérer les produits marqués, les analyser et les identifier. La technique de la radiochromatographie, qui alliait l’extrême sensibilité des techniques de chromatographie à celle des mesures de radioactivité, révéla ainsi le secret de la photosynthèse, c’est-à-dire la nature des premiers produits de l’incorporation du CO2. Apparentées à ce procédé, se développèrent parallèlement des techniques d’électrophorèse. Dans ce cas, les composés à séparer sont déposés sur une bande de papier imprégnée d’une solution tampon (pH fixe), dont les extrémités trempent dans des 18 A.J.P. Martin, R.L.M. Synge. Biochem. J., 1941, 35, p. 1358 (A new form of chromatogram employing two liquid phases).

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cuves où plongent des électrodes auxquelles une différence de potentiel est appliquée. Les substances migrent alors sur le papier en fonction de leur charge électrique et de leur taille. Les techniques électrophorétiques ont permis d’identifier les nombreuses protéines constitutives des systèmes de capture de photons, de transport d’électrons ou de phosphorylation.

17.3.2 - Carboxylation et premiers produits de la photosynthèse L’application de ces techniques à l’étude de la photosynthèse se fit dans les années 1948-1950, à Berkeley, en Californie, dans les laboratoires de Melvin Calvin (1911‑1997) et de Andrew Benson (1917- ). En réalisant des expériences de photosynthèse de durées très brèves (jusqu’à 5 secondes), brusquement interrompues en faisant tomber les algues unicellulaires en expérimentation (Scenedesmus, Chlorella) dans de l’alcool bouillant, puis en réalisant des radiochromatographies à partir des extraits obtenus, on parvint à déceler les premiers produits de la fixation du dioxyde de carbone. Au fur et à mesure que les durées de photosynthèse diminuaient, les composés marqués étaient de moins en moins nombreux. Pour une durée de photosynthèse de l’ordre de la demi-minute (fig. 17.4(a)), une quinzaine de composés radioactifs pouvaient être décelés, de nombreux sucres, mais aussi des acides aminés. Si le temps de photosynthèse était réduit à 5 secondes (fig. 17.4(b)), en dehors de quelques taches discrètes, on notait surtout la présence de sucres mono- et bisphosphorylés, celle d’un triose phosphate (aldéhyde phosphoglycérique ou dihydroxyacétone phosphate), et surtout celle d’un acide : l’acide phosphoglycérique (phosphoglyceric acid, PGA). L’énigme de l’incorporation du CO2 était déchiffrée : le premier produit formé était l’acide 3-phosphoglycérique (3-phosphoglycérate) et le second son produit de réduction, l’aldéhyde 3-phosphoglycérique (glycéraldéhyde 3-phosphate 19), venaient ensuite les produits de condensation de ce dernier. Le caractère particulièrement acide du produit de fixation du CO2, noté dès les premières expériences réalisées à l’aide du 11C, était ainsi confirmé : l’acide phosphoglycérique est en effet porteur de trois fonctions acide (fig. 17.5). Des opérations de dégradation de la molécule montrèrent en outre que la radioactivité était localisée sur le carbone portant la fonction carboxyle (–COOH). C’était donc dans la fonction carboxyle de la molécule d’acide phosphoglycérique que se retrouvait le CO2 incorporé.

19 Par commodité, ou selon l’usage, les intervenants de ces réactions peuvent être désignés par des termes synonymes équivalents (fig. 17.5).

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D

E

Figure 17.4 - Radiochromatogrammes mettant en évidence les premiers produits de l'incorporation du CO2 dans la photosynthèse (a) durée de l'expérience : 30 secondes (b) durée de l'expérience : 5 secondes [d’après A. Benson et M. Calvin, Plant Physiology, F.C. Steward, Ed., Elsevier publishing Company, New York, 1960, vol. 1B, p. 143]

Une telle découverte impliquait que le CO2 se fixe sur un accepteur de CO2. L’acide phosphoglycérique étant un composé à 3 atomes de carbone (C3), l’accepteur ne pouvait être qu’un composé dicarboné (C2). Une telle hypothèse fut d’ailleurs avancée dès 1949 par le groupe de Berkeley 20, accompagnée de la proposition d’un mécanisme de fixation du CO2 où l’acétate jouait le rôle d’accepteur. L’acétate n’était pas le seul accepteur possible, car d’autres composés dicarbonés, dont la présence était connue dans les tissus chlorophylliens, comme la glycine ou les acides glycolique et glyoxylique, pouvaient remplir ce rôle. Mais en dépit de toutes les tentatives, les

20 A. Benson, M. Calvin, V.A. Haas, S. Aronoff, A.G. Hall, J.A. Bassham, J.W. Weigl. 14C in photosynthesis, p. 381, dans Photosynthesis in plants, 1949, J. Franck et E.W. Loomis, Ed.

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

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recherches se révélèrent infructueuses et, finalement, on dut se rendre à l’évidence : aucun composé en C2 ne servait d’accepteur de CO2.







2 

DFLGHSKRVSKRJO\FpULTXH SKRVSKRJO\FpUDWH3*$



²2 2 3²2²&+²&+2+²&²² +    2² ²

² ²

&2

²2 2 3²2²&+²&+2+² &²² ² 

²





KH[RVH SKRVSKDWH

DOGpK\GHSKRVSKRJO\FpULTXH

JO\FpUDOGpK\GHSKRVSKDWHWULRVHSKRVSKDWH

Figure 17.5 - Les deux premiers produits de l'incorporation du CO2 dans la photosynthèse Les formules sont représentées sous leurs formes ionisées.

Examinant alors de plus près les radiochromatogrammes, les chercheurs de Berkeley remarquèrent (1952) la présence de deux taches radioactives dont, d’une façon bizarre, l’importance augmentait à mesure que diminuait la durée de la photosynthèse, comme si elles correspondaient à celles de précurseurs non utilisés. L’analyse, délicate, de ces taches révéla la présence inattendue de deux sucres phosphorylés, l’un en C7, le sédoheptulose phosphate, déjà identifié chez des plantes (Sedum) appartenant à la famille des crassulacées (Bennet-Clark, 1937), l’autre, en C5, le ribulose phosphate, mis en évidence chez certaines bactéries (Horecker et Smyrniotis, 1950). Des expériences complémentaires démontrèrent l’existence d’une relation inverse entre la présence du ribulose phosphate et celle de l’acide phosphoglycérique. Si, au cours de l’expérience, l’éclairement était brutalement supprimé, un effondrement immédiat de la quantité de ribulose phosphate était observé, parallèlement à une augmentation considérable de celle de l’acide phosphoglycérique (fig. 17.6). Cette expérience livra la clé de l’énigme : tout se passait comme si le ribulose phosphate, synthétisé à la lumière, disparaissait à l’obscurité pour donner naissance à l’acide phosphoglycérique. Une telle observation conduisit logiquement à cette conclusion imprévisible : la fixation du CO2 ne se faisait pas selon le schéma simple : C2 + CO2 $ C3, elle empruntait au contraire une voie détournée : C5 + CO2 $ 2 C3. Ainsi, l’accepteur de CO2 était un composé en C5, un ribulose phosphate. De plus, ce composé devait être doublement phosphorylé puisque le produit de la réaction consistait en deux molécules d’acide 3-phosphoglycérique : il ne pouvait donc s’agir que du ribulose 1,5-bisphosphate. La réaction capitale de fixation du CO2, donnant naissance au produit primaire de la photosynthèse était donc la suivante (éq. 17.1) : P–O–CH2–CHOH–CHOH–CO–CH2–O–P + CO2 + H2O

ribulose 1,5-bisphosphate



$ 2 P–O–CH2–CHOH–COOH



acide 3-phosphoglycérique

(17.1)

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Figure 17.6 - Évolution des concentrations de l'acide 3-phosphoglycérique et du ribulose 1,5–bisphosphate au cours d'une transition lumière-obscurité. En abscisses : temps en secondes ; en ordonnées : mesure de la radioactivité (coups par minute) [d'après J.A. Bassham et M. Calvin, Encyclopedia of plant physiology, W. Ruhland, Ed., Springer-Verlag, Berlin, 1960, vol. 5, part. 1, p. 911]

Le CO2 fixé ne se retrouve que dans une seule des deux molécules d’acide phosphoglycérique apparues. Une molécule d’eau participe aussi à la réaction. Ces expériences, réalisées sur des algues unicellulaires, furent confirmées par la suite sur des plantes entières ou des chloroplastes isolés. Bien entendu, cette réaction capitale était catalysée par une enzyme, décelée dès 1947 par Wildman et Bonner sous le nom de fraction protéique I, car c’était la protéine la plus abondante des feuilles d’épinard. Sa fonction de carboxylation ne fut reconnue qu’en 1954. D’abord appelée carboxydismutase, puis ribulose bisphosphate carboxylase, elle est connue aujourd’hui sous le nom abrégé de rubisco 21. Une partie du mystère était éclaircie, mais une nouvelle question surgissait, celle de l’origine de cet accepteur de CO2. Et une autre n’était toujours pas résolue, celle de la réduction, non plus du CO2 lui-même, mais de son produit d’addition, l’acide 3-phosphoglycérique. 21 Rubisco, pour ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase. L’enzyme possède en effet une seconde propriété, découverte en 1971 (Bowes), celle de fixer l’oxygène. Cette dernière fonction est à l’origine d’un autre phénomène, la photorespiration (à laquelle il sera ultérieurement fait allusion, p. 544). La rubisco, dont la structure est très complexe (p. 556), est la protéine la plus répandue dans l’Univers. Dans les feuilles, elle représente environ 50 % des protéines totales.

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17.3.3 - Réduction de l’acide phosphoglycérique Si les intrusions de l’acide phosphoglycérique et du ribulose bisphosphate avaient été des coups de tonnerre, la suite de l’histoire fut un travail de plus longue haleine. Fort heureusement, on ne s’avançait pas en territoire totalement inconnu et, pour le sujet qui nous concerne, la connaissance de la séquence glycolytique (§  14.1.6 et Annexe B) fut d’un appoint inestimable. En effet, on partait ici d’un composé en C3, l’acide 3-phosphoglycérique, un précurseur du produit terminal de la glycolyse (pyruvate), pour remonter jusqu’à l’amidon : on parcourait en quelque sorte un chemin inverse de celui emprunté par la glycolyse. Telle fut la ligne générale qui inspira le cours des recherches. La figure 17.4(b) révèle qu’un triose phosphate, l’aldéhyde 3-phosphoglycérique (ou la dihydroxyacétone phosphate), figure parmi les tout premiers produits de la photosynthèse. Avec lui, on tenait la clé du lien avec le schéma glycolytique, car un tel composé existe aussi dans la glycolyse : c’est le produit de la scission du fructose 1,6-bisphosphate et le précurseur de l’acide 3-phosphoglycérique. Les enzymologistes firent donc le rapprochement entre ce mode de réduction du CO2 et le modèle glycolytique où intervient la réaction inverse. Ils réalisèrent très vite que la réaction devait être infiniment plus complexe qu’une simple réaction de réduction de fonction acide en fonction aldéhyde. Dans la glycolyse, en effet, cette réaction comporte plusieurs étapes (§ 14.1.5), et notamment une étape d’oxydation associée à la réduction d’une molécule de NAD+ et à la fixation d’une molécule de Pi, pour donner l’acide 1,3-bisphosphoglycérique porteur d’une liaison phosphate à haut potentiel. Elle se poursuit par le passage à l’acide 3-phosphoglycérique, accompagné de la synthèse d’une molécule d’ATP. L’ensemble de ces réactions peut être résumé ainsi : 3L

DOGpK\GH 3JO\FpULTXH 1$'

DFLGH ELVSKRVSKRJO\FpULTXH 1$'+

DFLGH 3JO\FpULTXH $'3

$73

De simples considérations de thermodynamique, l’état initial de l’un (photosynthèse) étant l’état final de l’autre (glycolyse), impliquaient que, dans la photosynthèse, le passage de l’acide 3-phosphoglycérique à l’aldéhyde 3-phosphoglycérique soit un processus d’oxydoréduction nécessitant un apport d’énergie. Ne considérant que les bilans énergétiques, la thermodynamique reste toutefois muette sur la manière de passer d’un même état initial à un même état final. On pouvait cependant logiquement inférer que, dans ce processus de réduction, par similitude ou symétrie, de l’ATP, du phosphate inorganique Pi et du NADH devaient intervenir, mais la supposition était gratuite. Ce sont les travaux des enzymologistes qui apportèrent les

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Troisième partie - Biochimie

réponses sur la manière de parcourir le chemin entre l’acide 3-phosphoglycérique et l’aldéhyde 3-phosphoglycérique. Les enzymes responsables des réactions furent identifiées, la présence d’un d’intermédiaire bisphosphorylé fut confirmée, de même que la nécessité de l’intervention d’une molécule d’ATP pour pousser dans la bonne direction cette réaction endergonique. Enfin, on identifia la molécule réductrice : celle-ci n’était pas le NADH, mais le NADPH 22. Ainsi, une réaction cruciale de la glycolyse, dans un contexte différent, se révélait être aussi le modèle de la réduction du CO2 dans la photosynthèse. Ces observations pouvaient être résumées ainsi : 3L DFLGH ELVSKRVSKRJO\FpULTXH

DFLGH 3JO\FpULTXH $73

$'3

DOGpK\GH 3JO\FpULTXH

1$'3+ 1$'3

La situation s’était éclaircie : la nature du réducteur était élucidée, mais deux nouveaux problèmes surgissaient alors. À la question de l’origine de l’accepteur du CO2, le ribulose 1,5-bisphosphate, venaient maintenant s’ajouter celles de l’origine de l’ATP et du NADPH utilisés dans ces réactions (!). La suite de l’histoire, c’est-à-dire la synthèse de sucres plus complexes (hexoses) puis de l’amidon, est un pur problème de biochimie et d’enzymologie, consistant en une suite de réactions sur les détails desquels il n’est pas utile de s’étendre. En fait, l’importance accordée jusqu’ici au glucose et à l’amidon a quelque peu occulté la réalité car, pratiquement, dans le chloroplaste, le glucose n’est présent qu’en quantités infimes et l’amidon n’y a qu’une existence transitoire : en fait, le véritable produit de la fixation du CO2 est... le saccharose. En effet, dès son apparition dans le stroma du chloroplaste, le glycéraldéhyde 3-phosphate est activement transporté dans le cytosol de la cellule chlorophyllienne par un transporteur localisé dans l’enveloppe du chloroplaste (cf. fig. 18.3). Ce transporteur Pi/triose phosphate assure un échange stœchiométrique entre une molécule de triose phosphate qui sort et une molécule de phosphate qui entre. Ainsi se maintient la stabilité de la concentration en Pi du stroma. Dans chacun des compartiments (stroma, cytosol), le triose phosphate est ensuite reconverti en fructose 6-phosphate, glucose 6-phosphate et glucose 1-phosphate. 22 On a déjà signalé (p. 390) cette particularité du rôle des deux coenzymes NAD et NADP. D’une façon générale, mais non absolue, le NAD est lié à des processus ou à des réactions d’oxydation (respiration), le NADP est plus en rapport avec des processus ou des réactions de réduction. On en a ici, avec la photosynthèse, une illustration particulièrement démonstrative.

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Ce dernier réagit avec des formes à haute énergie de nucléosides triphosphates (ATP, UTP, chap. 15, note 13) pour donner des formes actives de glucose (ADP-glucose et UDP-glucose). Le premier sert à la synthèse de l’amidon (dans le stroma du chloroplaste), le second à celle du saccharose (dans le cytosol de la cellule chlorophyllienne) :

WULRVH3

JOXFRVH3 IUXFWRVH3

$73 JOXFRVH3 873

$'3JOXFRVH

DPLGRQ

33L 8'3JOXFRVH

VDFFKDURVH

Le saccharose joue un rôle primordial dans l’économie du végétal, car il représente la forme de transport principale des produits de la photosynthèse. Dès sa formation, il est exporté vers les autres tissus de la plante grâce à un système d’éléments conducteurs (le phloème). Le saccharose est alors reconverti en glucose et alimente la respiration. Dans certains tissus (tubercules, tiges), il peut aussi s’accumuler dans la vacuole des cellules, constituant une réserve glucidique soluble (canne à sucre, betterave à sucre). Dans d’autres tissus (graines notamment) après reconversion en trioses, il pénètre dans des organites cellulaires spécilisés, les amyloplastes, où s’élaborent les grains d’amidon (fig. 8.3(a)). En général, la photosynthèse est un processus très actif. Durant la journée, la capacité de production des trioses phosphates est souvent très excédentaire par rapport à celle d’exportation du saccharose. Dans ces conditions, par des mécanismes finement régulés, se produit un basculement du système de synthèse de l’UDP-glucose sur celui de l’ADP-glucose, ce qui conduit au ralentissement de la synthèse de saccharose dans le cytosol et à l’activation de la synthèse d’amidon dans les chloroplastes, telle qu’on l’observe dans les feuilles. Cette réserve d’amidon est transitoire. La nuit, après cessation de la photosynthèse, l’amidon est hydrolysé, reconverti en glucose et trioses pour reconstituer du saccharose qui sera exporté dans la plante. Ainsi s’expliquaient les observations de Sachs sur la présence ou l’absence d’amidon dans les feuilles (p. 177).

17.3.4 - Régénération de l’accepteur de CO2 La découverte du ribulose 1,5-bisphosphate comme accepteur du CO2 dans la photosynthèse posait immédiatement la question de son origine. Comme dans le cas précédent, la solution fut apportée par la confrontation avec des situations analogues et, dans ce cas, c’est le modèle de la voie des hexoses monophosphates, encore appelé cycle des pentoses phosphates (§ 14.4.2 et Annexe E), qui inspira les recherches.

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En même temps qu’on avait découvert la présence de ribulose 1,5-bisphosphate, on avait aussi remarqué (p. 449) celle d’un sucre tout à fait inhabituel, le sédoheptulose, sucre comportant 7 atomes de carbone (C7). Ce fait fut naturellement rapproché de l’intervention d’un tel sucre dans le cycle des pentoses phosphates. Progressivement, les indices s’accumulèrent. On nota, dans les chloroplastes, la présence d’un autre sucre peu commun, l’érythrose, sucre en C4, sans compter naturellement celle de trioses, de pentoses et d’hexoses. De même, furent décelées des activités enzymatiques de type transcétolase ou transaldolase, enzymes transportant des fragments di- ou tricarbonés d’une molécule sur une autre (p.  350). Tous ces faits convergents finirent par suggérer que dans le chloroplaste pourrait être présent un système de transfert de fragments carbonés qui, comme dans le cycle des pentoses phosphates, pourrait être à l’origine de la production de ribulose 1,5-bisphosphate. En 1955, au Congrès de Biochimie de Bruxelles, Melvin Calvin (1911-1997) présenta un modèle d’un tel cycle, qui devait par la suite être connu sous le nom de Cycle de Calvin 23. Une présentation beaucoup plus complète et quasi définitive en fut ultérieurement fournie par Bassham et Calvin dans un ouvrage 24 qui fit Calvin autorité. Le cycle de Calvin et le cycle des pentoses phosphates utilisent en effet les même catégories d’outils (p.  350) : une panoplie de sucres, tous phosphorylés (certains étant même bisphosphorylés) sur le carbone de rang le plus élevé, allant de composés en C3 (aldéhyde phosphoglycérique, dihydroxyacétone phosphate), en passant par C4 (érythrose), C5 (ribose, ribulose, xylulose), C6 (fructose) et C7 (sédoheptulose), ainsi qu’un arsenal d’activités enzymatiques : épimérase, isomérase, mutase, transaldolase, transcétolase, phosphatase, etc. En somme, tous les acteurs sont les mêmes, seuls diffèrent le site cellulaire, la nature du problème à résoudre et le ballet des molécules. Dans le cas du cycle des pentoses phosphates (p. 350), le problème était, à partir de 6 pentoses, représentant un total de 30 atomes de carbone, de reconstituer 5 hexoses (Annexe E). Dans celui de la photosynthèse, le problème est évidemment autre : la synthèse du sucre le plus simple, un triose (C3H6O3), exige la fixation de 3 molécules de CO2. À partir de ces prémisses, on peut déduire que 3 molécules de ribulose 1,5-bisphosphate devront intervenir pour fixer 3 CO2 (+ 3 H2O) et donner naissance à 6  molécules d’acide 3-phosphoglycérique qui, par réduction, produiront à leur 23 Tout à fait justifiée (Prix Nobel 1961), cette dénomination laisse cependant dans l’ombre les contributions essentielles de A. Benson et J.A. Bassham à l’élucidation du mécanisme de la fixation du CO2 dans la photosynthèse. 24 J.A. Bassham, M. Calvin. The path of carbon in photosynthesis. 1957.

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tour 6 molécules d’aldéhyde 3-phosphoglycérique, c’est-à-dire 6 trioses phosphates. De ces 6 trioses, l’un doit être écarté car il constitue le bilan net de la fixation de 3 CO2. Il en reste donc 5, représentant 15 atomes de carbone (3 C × 5), qu’il s’agit alors de recombiner en 3 pentoses (5 C × 3), sous forme de 3 ribulose 1,5-bisphosphate. Telle est l’équation à résoudre. Une telle solution est présentée en annexe (Annexe G : Le cycle de Calvin), qui décrit les mouvements des molécules de sucres phosphorylés et dont on se dispensera d’expliciter les détails, à une exception près. Ce cycle aboutit à une régénération de ribulose 5-phosphate. Or, l’accepteur de CO2 est le ribulose-1,5-bisphosphate. Le produit du cycle de Calvin doit donc subir une dernière réaction (réaction 11), une phosphorylation consommatrice d’une molécule d’ATP :



P–O–CH2–(CHOH)2–CO–CH2OH + ATP ribulose 5-phosphate

$ P–O–CH2–(CHOH)2–CO–CH2–O–P + ADP ribulose 1,5-bisphosphate

Le cycle de Calvin est alors bouclé et le ribulose 1,5-bisphosphate prêt à accepter de nouveau une molécule de CO2. Le bilan global de cette phase de la photosynthèse peut maintenant être établi. Rappelons-en les étapes essentielles : 1 CO2 se fixe sur 1  ribulose 1,5-bisphosphate pour donner 2 molécules d’acide 3-phosphoglycérique qui, en présence de 2 NADPH + 2 H+ et de 2 ATP seront réduites en 2 molécules d’aldéhyde 3-phosphoglycérique. Concrètement, la fixation de 1 CO2 exige donc, de par la nature des mécanismes réactionnels impliqués, l’utilisation de 2 NADPH + 2 H+, mais aussi celle de 3 ATP. Au total, la synthèse d’une molécule d’hexose (C6H12O6), requiert donc l’appoint de 12 (NADPH + H+) et de 18 ATP. Tel était le véritable mécanisme de la réduction du CO2. La connaissance des mécanismes de la photosynthèse avait progressé. Emerson y avait reconnu une phase claire (photochimique) et une phase sombre (chimique). Cette phase chimique – c’est-à-dire la phase métabolique – se révélait elle-même complexe puisqu’elle comprenait au moins trois étapes essentielles : la fixation du CO2 sur un accepteur par une réaction de carboxylation, la réduction du produit de fixation et enfin la régénération de l’accepteur. Le problème de l’origine de l’accepteur de CO2 était résolu, mais ceux de l’origine de l’ATP et du NADPH nécessaires à la réduction de cet acide phosphoglycérique demeuraient toujours en suspens : c’est de l’étude de la phase photochimique, c’est-à-dire des réactions claires de la photosynthèse, que viendront les solutions de ces problèmes... chimiques.

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Troisième partie - Biochimie

17.4 - La source du pouvoir réducteur Que la photosynthèse, dans son aspect le plus global, consiste essentiellement en une réaction de réduction du CO2, c’est un fait qui apparut comme une évidence dès que l’on connut assez de chimie pour traduire cette observation en une formule chimique. Le gaz carbonique, CO2, se transformait en une molécule glucidique complexe qui, globalement, correspondait à la formule brute (CH2O)n. Il était clair qu’un atome d’oxygène avait été enlevé au CO2 pour y être remplacé par deux atomes d’hydrogène (éq. 8.3). Si le diagnostic était clair, les modalités de réalisation l’étaient par contre beaucoup moins. Aussi vit-on fleurir des séries d’hypothèses, traduites en équations, dans le but d’expliciter cette réaction. Une des plus simples était celle-ci : (a) CO2 + 4 H $ {CH2O} + H2O Sans se prononcer sur l’origine des 4 H et négligeant le rejet de O2, elle avait le mérite d’indiquer que la réaction de réduction mettait en jeu 4 atomes d’hydrogène, un argument qui fut d’un grand support pour étayer les valeurs de rendement quantique de Warburg, car il justifiait l’utilisation d’un quantum d’énergie par atome d’hydrogène mobilisé. Ultérieurement, l’équation de la photosynthèse prit une forme plus classique : (b) CO2 + H2O $ {CH2O} + O2 Strictement conforme au bilan des échanges gazeux tels qu’on les mesurait par le quotient photosynthétique, l’équation indiquait bien l’origine de l’hydrogène, apporté par la molécule d’eau, mais ne renseignait guère sur l’origine de l’oxygène libéré. D’autre part persistait toujours une théorie plus ou moins latente de la photosynthèse voulant que l’oxygène émis provienne de l’eau et non du CO2. Dans ce cas, la réaction devenait : (c) CO2 + 2 H2O $ {CH2O} + O2 + H2O Tel était, aux alentours des années 1930, le panorama des oxydoréductions photosynthétiques. Mais où, parmi ces équations, se cachait la vérité ?

17.4.1 - L’oxydoréduction photosynthétique La première information capitale fut apportée par le microbiologiste américain, d’origine hollandaise, Cornelis Van Niel (1897-1985), à la suite d’études menées sur un groupe de bactéries découvertes par Winogradsky et par Engelmann (1888).

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

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Ces bactéries étaient capables de se procurer leur carbone organique par voie de photosynthèse 25. Les études de Van Niel portèrent notamment sur des bactéries sulfureuses, dont il existe plusieurs groupes, en particulier des bactéries vertes (Thiochlorobactéries) et des bactéries pourpres (Thiorhodobactéries). Cette photosynthèse se déroule dans des conditions bien particulières : en anaérobiose stricte et sans émission d’oxygène. La présence de composés soufrés réduits ou peu oxydés (hydrogène sulfuré H2S, sulfite SO32–, thiosulfate S2O32–) Van Niel est par contre indispensable. À la fin de la réaction, on les retrouve dans un état plus oxydé (soufre minéral S, sulfate SO42–). Sans entrer dans les subtilités des réactions, le cas des bactéries sulfureuses vertes se révéla particulièrement intéressant et significatif. Van Niel montra en effet que leur photosynthèse 26 pouvait être quantitativement exprimée par l’équation : CO2 + 2 H2S

$

{CH2O} + H2O + 2 S

Deux molécules de H2S intervenaient, une molécule d’eau était formée et le soufre se déposait dans le corps de la bactérie ou était libéré dans le milieu. En somme, tout se passait comme si H2S s’était substitué à H2O, mais le fait majeur était l’intervention de 2 molécules de réducteur et la formation de 1 molécule d’eau. Convaincu que la photosynthèse était un phénomène de portée universelle, exigeant la présence absolue d’un réducteur, mais dont la nature n’avait pas un caractère essentiel, Van Niel modifia alors son équation pour lui donner un caractère de plus grande généralité. Elle devint connue sous le nom d’équation de Van Niel (éq. 17.2) et s’appliquait à tous les types de photosynthèse bactérienne :

CO2 + 2 H2A $ {CH2O} + H2O + 2 A

(17.2)

A étant un élément chimique (O, S) ou un radical (R–) de nature indéterminée. Moyennant quelques adaptations mineures, elle décrivait aussi les diverses réactions de photosynthèse des bactéries sulfureuses pourpres, où le réducteur est le sulfite ou le thiosulfate. Mais la confirmation de la justesse de cette équation vint surtout de deux nouvelles observations.

25 D’autres bactéries parviennent au même résultat en utilisant des réactions d’oxydation diverses, libératrices d’énergie : c’est la chimiosynthèse (chap. 19). 26 C.B. Van Niel. Adv. Enzymol., 1941, 1, p. 263 (The bacterial photosyntheses and their importance for the general problem of photosynthesis).

458

Troisième partie - Biochimie

On découvrit en effet d’autres bactéries qui, pour leur photosynthèse, utilisaient comme réducteur l’hydrogène moléculaire H2. Dans ce cas, A n’existait même pas. C’était l’hydrogène lui-même, le réducteur par excellence, qui était seul utilisé. L’autre confirmation vint de l’isolement de bactéries qui utilisaient comme réducteur des composés organiques variés (RH2). Certaines bactéries photosynthétiques, à qui on fournissait de l’isopropanol (CH3–CHOH–CH3), n’utilisaient pas ce dernier comme source de carbone organique, mais uniquement comme source d’hydrogène pour réduire le CO2 : l’isopropanol se retrouvait quantitativement transformé en acétone (CH3–CO–CH3). À la suite des travaux de Van Niel, il apparaissait que la photosynthèse des végétaux verts ne devait pas faire exception et devait être décrite ainsi (éq. 17.3) :

CO2 + 2 H2O $ {CH2O} + H2O + O2

(17.3)

Il fallait évidemment rajouter 1 H2O dans chaque membre de l’équation traditionnelle (éq. 7.1). Incidemment, on retrouvait l’équation (c) (p. 456). La symétrie avec l’équation de Van Niel impliquait de plus que tout l’oxygène libéré provienne de l’eau, mais l’hypothèse était gratuite. Cette question fondamentale fut tranchée de façon définitive en 1941. Ce fut même une des premières découvertes dues à l’emploi des isotopes en biologie. En utilisant un isotope lourd de l’oxygène (18O) pour marquer la molécule d’eau, les chercheurs de Berkeley démontrèrent que l’oxygène émis provenait exclusivement de la molécule H2O 27 : z Il est généralement admis que le bilan de la photosynthèse chez les plantes vertes peut être représenté par cette équation :

CO2 + H2O + hν

chlorophylle

$ O2 + (1/n) (CH2O)n

et également que nous savons peu de choses du mécanisme même. Il serait intéressant de savoir comment et à partir de quelle substance l’oxygène est produit. En utilisant 18O comme marqueur, nous avons découvert que l’oxygène qui se dégage lors de la photosynthèse provient plutôt de l’eau que du dioxyde de carbone (...) Il est clair que la proportion de 18O/16O de l’oxygène dégagé est identique à celle de l’eau. Bien que cette conclusion puisse permettre de rejeter la plupart des suppositions faites dans le passé, elle ne permet pas de faire un choix entre les différentes hypothèses les plus récentes. Cependant il est intéressant de noter que Van Niel a précisément suggéré que l’oxygène puisse provenir d’une déshydrogénation de l’eau. y

27 S. Ruben, M. Randall, M. Kamen, J.L. Hyde. J. Amer. Chem. Soc., 1941, 63, p. 877 (Heavy oxygen as a tracer in the study of photosynthesis) (traduction de l’autreur).

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

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Des expériences complémentaires, réalisées avec du CO2 marqué par 18O, montrèrent corrélativement que l’oxygène ne provenait pas du CO2. Ainsi se trouvait résolue une question qui depuis Senebier (p. 129) était restée sans réponse et avait introduit la plus grande confusion dans les tentatives d’explication de la photosynthèse. Ces expériences avaient deux conséquences directes : la première était que 2 molécules de H2O devaient nécessairement intervenir dans la réaction de la photosynthèse (éq. 17.3) pour apporter les 2 atomes d’oxygène nécessaires à la reconstitution d’une molécule de O2. La seconde était la démonstration sans équivoque que la molécule d’eau se dissociait en ses deux éléments, l’hydrogène servant à la réduction du CO2 et l’oxygène étant dégagé. L’idée que la réaction photochimique pouvait consister en une « photolyse de l’eau » était ainsi confortée. Cette hypothèse avait été émise dès 1930 par le biophysicien français René Wurmser (1890-1993) 28 : z D’après les données thermodynamiques, l’eau seule paraît susceptible de fournir des réactions compatibles avec les résultats obtenus. La réaction photochimique sensibilisée par la chlorophylle serait donc une photolyse : 2 H2O $ 2 H2 + O2 Ainsi l’action primaire du rayonnement dans la photosynthèse consisterait en une photolyse de l’eau. y

Indirectement, ces expériences eurent aussi une autre conséquence. Si on rapportait l’équation (17.3) à la synthèse d’une molécule d’hexose, l’équation de la photosynthèse devenait alors (éq. 17.4) :

6 CO2 + 12 H2O $ C6H12O6 + 6 H2O + 6 O2

(17.4)

Pour tenir compte du mécanisme réactionnel : libération de O2 (dioxygène) partir de H2O exclusivement, il était donc nécessaire de modifier l’écriture traditionnelle de l’équation de la photosynthèse, de même que le rôle exclusif de O2 comme accepteur des électrons et des protons véhiculés par la chaîne respiratoire avait imposé une réécriture de l’équation de la respiration (éq. 15.1). Une telle écriture soulève deux questions. Si, comme on l’a fait pour l’équation d’oxydation du glucose (p.  395), on suit la destinée des atomes des molécules participantes, l’équation 17.4 se précise ainsi :

6 CO2 + 12 H2O $ C6H12O6 + 6 H2O + 6 O2

Elle montre clairement que tout l’oxygène émis provient de l’eau, mais en même temps elle apporte une réponse à un problème demeuré jusqu’ici sans solution : le devenir de l’oxygène du CO2. Avec Senebier puis de Saussure on avait toujours admis qu’il était en totalité rejeté dans l’atmosphère à la suite de la « métamorphose 28 R. Wurmser. Oxydations et réductions, p. 48.

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Troisième partie - Biochimie

de l’air fixe en air pur » (p. 129). Dans la théorie de l’aldéhyde formique de Baeyer, un seul atome d’oxygène du CO2 était éliminé, l’autre restant attaché à l’atome de carbone, sous la forme de CO (p. 181). Cette nouvelle équation montre qu’il en est bien ainsi, la moitié de l’oxygène du CO2 se retrouvant dans l’hexose formé, mais avec une différence capitale : l’autre moitié n’est pas rejetée dans l’atmosphère, elle est incorporée dans ces molécules d’eau excédentaires. Le rôle de l’eau devient alors manifeste : par les H qu’elle apporte, elle n’agit que comme agent réducteur. Deux molécules de H2O étant utilisées par molécule de CO2 fixé, 4 H sont ainsi mobilisés : 2 H se fixent sur le carbone en remplacement de l’atome d’oxygène éliminé, et 2 H se fixent sur cet oxygène éliminé pour le réduire en H2O. Dans le processus photosynthétique, l’oxygène de l’eau apparaît ainsi comme un pur produit de déchet éliminé en totalité. Naturellement la question se pose de l’endroit où cet atome d’oxygène du CO2 est éliminé. La réponse se trouve dans la figure 17.5. C’est même le premier événement qui survient au carbone minéral (CO2) dès qu’il devient carbone organique, incorporé dans la fonction carboxyle (–COOH) de l’acide 3-phosphoglycérique : le passage à l’aldéhyde 3-phosphoglycérique, réduction d’une fonction acide (–COOH) en fonction aldéhyde (–CHO), consistant précisément en l’élimination d’un atome d’oxygène. La seconde question concerne les 6 molécules d’eau présentes dans le second membre de cette équation. Comme dans l’équation de l’oxydation du glucose, où il avait fallu trouver une entrée aux 6  molécules d’eau déficitaires (p.  392), il faut trouver ici une sortie à ces 6  molécules d’eau excédentaires. L’entreprise se révèle délicate. Contrairement à l’équation 15.1, qui avait conduit à la découverte des sites d’entrée de ces molécules d’eau, l’équation 17.4 s’avère être purement formelle. La réalité se situe en fait ailleurs. Une double contrainte pèse en effet sur l’équation de la photosynthèse : non seulement produire 6 O2 à partir de 12 H2O, mais aussi utiliser 3 ATP par molécule de CO2 fixé (p.  455). Quelle qu’en soit la manière, l’utilisation de l’énergie apportée par un ATP est inéluctablement liée à la réalisation de la réaction : ATP + H2O $ ADP + Pi. En d’autres termes, 18 molécules d’ATP et 18 molécules d’eau sont consommées lors de la synthèse d’une molécule d’hexose, soit :

18 ATP + 18 H2O $ 18 ADP + 18 Pi

Si on couple cette équation avec l’équation 17.4, on obtient alors une équation généralisée du processus photosynthétique (éq. 17.5) :

6 CO2 + 18 ATP + 24 H2O $ C6H12O6 + 6 O2 + 18 ADP + 18 Pi (17.5)

Apparemment, le problème ne s’est pas simplifié, la sortie de 6 H2O s’étant maintenant transformée en entrée de 24 H2O. En fait, il s’est résolu de lui-même, et la solution, passée inaperçue jusqu’à présent, figure dans l’Annexe G, à propos de la synthèse d’un triose (C3H6O3), qui exige donc l’entrée de 12 molécules d’eau. Douze molécules d’eau sont bien impliquées dans la fixation de 3 CO2 : 3 au niveau

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

461

de la réaction de carboxylation (réaction 1), 6 au niveau de l’émission de O2 (réaction  13), et 3  autres enfin à l’occasion de réactions de déphosphorylation (réactions 6, 7, 12). Une remarque s’impose à propos de ces 3 molécules de H2O impliquées dans de très banales réactions d’hydrolyse d’esters phosphorylés (réactions 6, 7, 12) et apparemment liées au déroulement du cycle de Calvin. Elles ne sont en réalité que celles utilisées pour hydrolyser les 3 ATP nécessaires à la régénération du ribulose 1,6-bisphosphate (réaction 11). Leur entrée passe en effet inaperçue, compensée par la formation de 3 molécules d’eau lors de la création de la seconde fonction ester (chap. 14, note 6) du ribulose 1,5-bisphosphate. Dissimulées sous des fonctions ester durant tout le processus de régénération de l’accepteur de CO2, elles se devaient de réapparaître un jour : elles le font donc ici en trois situations particulières, très éloignées de l’hydrolyse de l’ATP.

17.4.2 - Le transport d’électrons photosynthétique

Hill

Si la source de l’oxygène émis dans la photosynthèse était maintenant connue, on savait par contre depuis longtemps (1937) que cette émission était le fruit d’une réaction d’oxydoréduction. Robert Hill (1899-1991) fut un des premiers à tenter d’isoler des chloroplastes. Ces chloroplastes, en très mauvais état, étaient incapables de fixer le CO2, et n’émettaient que des quantités d’oxygène à peine décelables par les techniques manométriques usuelles. Utilisant une méthode spectroscopique beaucoup plus sensible (formation d’oxyhémoglobine en présence d’oxygène), Hill fut à même de démontrer la réalité d’une émission d’oxygène quand ces chloroplastes étaient soumis à un éclairement 29.

D’autre part, cette émission était considérablement renforcée quand un extrait de poudre acétonique de tissu foliaire ou un extrait de levure était ajouté au milieu expérimental. Un sel comme l’oxalate ferrique pouvait aussi jouer ce rôle. La quantité d’oxygène émise était strictement proportionnelle à la quantité de fer ajoutée. Plus tard, on montra que le sel ferrique pouvait être remplacé par d’autres composés capables de subir des réactions d’oxydoréduction (quinones, par exemple). En somme, l’émission d’oxygène dépendait de la présence dans le milieu d’un accepteur d’électrons (un oxydant), dont la nature était apparemment secondaire. Telle était la réaction qui par la suite fut connue sous le nom de réaction de Hill, de même que l’accepteur d’électrons devint un réactif de Hill.

29 R. Hill. Nature, 1937, 139, p. 881 (Oxygen evolved by isolated chloroplasts).

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Troisième partie - Biochimie

En présence d’un sel ferrique, il était possible d’exprimer tous ces faits par l’équation suivante :



3+

4 Fe

+ 2 H2O

lumière

$

O2 + 4 Fe2+ + 4 H+

On ne savait pas si, dans le chloroplaste, le fer était le véritable réactif de Hill, mais on disposait ici, en présence d’un oxydant, d’eau et de lumière, d’un excellent modèle de « photolyse de l’eau », libérant de l’oxygène, qui était émis, et des ions H+, qui éventuellement, par l’intermédiaire du NADPH, pouvaient servir à réduire le CO2. De plus, ce modèle avait encore d’autres mérites : il imposait une stœchiométrie de 2 H2O pour la libération de 1 O2, ainsi que l’avait suggéré Van Niel, et il mobilisait 4 H+, comme dans l’équation (a) (p. 456). Petit à petit les observations s’accumulèrent. En 1951, à Cambridge, dans l’institut où Keilin avait accompli ses travaux sur les cytochromes, Hill et Scarisbrick découvrirent, dans les tissus de feuilles, deux nouveaux cytochromes 30, les cytochromes b3 et f  31. Ces deux cytochromes furent caractérisés par leurs bandes d’absorption. Ils se distinguaient nettement de tous les autres cytochromes connus (cyt. a, b, c,). En fait, seul le cytochrome f se révéla spécifique des tissus foliaires, le cytochrome b3 se rencontrant aussi dans les tissus non chlorophylliens. Trois ans plus tard (1954), avec Davenport, Hill isola un autre cytochrome, le cytochrome b6, qui n’était présent que dans les feuilles. Les valeurs des potentiels d’oxydoréduction étaient E°’ = + 0,36 V pour le cyt. f et E°’ = – 0,04 V pour le cyt. b6. Aucun rôle précis ne pouvait leur être assigné. En 1951 aussi, une autre expérience 32 cruciale fut réalisée par W. Vishniac et Severo Ochoa (1905-1993). Ces auteurs montrèrent qu’il était possible, en éclairant des fragments de chloroplastes mis en présence de NAD+ ou de NADP+, d’observer la réduction de ces coenzymes :



+

2 NAD(P) + 2 H2O

lumière

$ O2 + 2 NAD(P)H + 2 H+

En somme, NAD+ ou NADP+ jouaient ici le rôle de réactifs de Hill. Cette découverte était capitale car elle liait la « photolyse de l’eau » à la réduction du NADP+, réducteur de l’acide 3-phosphoglycérique (p. 452). D’autres expériences de Hill et Davenport avaient d’autre part montré que la réduction des sels ferriques par les chloroplastes isolés était sous la dépendance 30 R. Hill, R. Scarisbrick. New Phytologist, 1951, 51, p. 98 (The haematin compounds of leaves). 31 f, du latin frons, feuille. 32 W. Vishniac, S. Ochoa. Nature, 1951, 167, p. 768 (Photochemical reduction of pyridine nucleotides by spinach grana and coupled carbon dioxide fixation).

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

463

d’une protéine présente dans le surnageant des préparations de chloroplastes. On la purifia et un rapprochement se fit avec une autre protéine isolée d’une bactérie anaérobie (Clostridium pasteurianum), impliquée dans une réaction libérant de l’hydrogène lors de la dégradation du pyruvate. Comme elle contenait du fer, on lui donna le nom de ferrédoxine. On s’aperçut alors que la protéine présente dans le surnageant des préparations de chloroplastes et la ferrédoxine étaient identiques. Cette nouvelle protéine avait des propriétés très particulières : le fer qu’elle contenait n’était pas lié à un noyau porphyrique, mais à des atomes de soufre très labiles, qui pouvaient être facilement libérés en milieu acide : il s’agissait de fer non hémique (p. 379), caractéristique d’une certaine classe de transporteurs d’électrons 33. D’autre part, son potentiel d’oxydoréduction était extrêmement bas (E°’ = – 0,42 V), voisin de celui de l’électrode à hydrogène à pH 7,0. Les recherches intenses qui furent alors consacrées à l’étude du fonctionnement des chloroplastes isolés menèrent encore à la découverte de plusieurs autres transporteurs d’électrons. Découverte par Koffler (1946), la plastoquinone, ainsi nommée par Crane (1959) en raison de son abondance dans les chloroplastes, fut définitivement impliquée par Bishop (1961) dans le transport d’électrons chloroplastique. C’est une molécule très soluble dans les lipides et très semblable à l’ubiquinone des mitochondries (Annexe F), dont elle ne diffère que par les substituants du cycle et la longueur de la chaîne latérale isoprénique. Son  potentiel E°’ est voisin de 0 V. À la même époque, une autre protéine, de couleur bleue intense, fut isolée à partir de Chlorelles et de tissus de feuilles (Katoh, 1961). Elle renferme du cuivre, qui lui confère sa couleur et lui donna son nom : plastocyanine. Son potentiel, E°’ = + 0,37 V, est supérieur à celui du cytochrome f. Ainsi, tout un ensemble de transporteurs d’électrons était présent dans les chloroplastes. Ils offraient un spectre de potentiels d’oxydoréduction variés, mais il était bien difficile de les impliquer dans un système logiquement organisé, ... à moins qu’une sorte de révolution n’intervienne une fois encore dans la conception du mécanisme de la photosynthèse.

17.4.3 - Le schéma en Z En fait, une sorte de destin maléfique pesait sur la réduction du CO2 dans la photosynthèse. On savait que l’eau était le réducteur primaire et qu’elle pouvait être utilisée directement pour produire du NADPH, ainsi que l’avaient montré Vishniac et Ochoa (p. 463). Pourtant, lorsque l’on considère la réaction : 33 Les protéines à fer non hémique, encore connues sous le nom de protéines fer-soufre (Fe-S), contiennent du fer non lié à un noyau porphyrique (comme dans l’hémoglobine ou les cytochromes). Elles renferment plusieurs atomes de soufre et de fer, généralement 2 Fe-2 S ou 4 Fe-4 S. Elles ne transportent qu’un seul électron à la fois. La ferrédoxine appartient à ce groupe (Annexe F).

464



Troisième partie - Biochimie

2 NADP+ + 2 H2O $ O2 + 2 NADPH + 2 H+

force est de constater que les électrons se déplacent d’un système d’oxydoréduction (2 H2O @ O2 + 4 e– + 4 H+), dont le potentiel est E°’ = + 0,81 V, vers un système (NADP+ + 2 e– + 2 H+ @ NADPH + H+), dont le potentiel est E°’ = – 0,42 V. En d’autres termes, les électrons se dirigent vers le système de plus bas potentiel, contrairement au sens de leur mouvement naturel (§  13.2.3). Comme la réaction précédente ne se produit que lorsque les chloroplastes sont soumis à un éclairement, il devient alors évident que le rôle de la lumière dans la photosynthèse, par l’énergie que les photons véhiculent, est de promouvoir un mouvement d’électrons dans une direction opposée à celle que veut la thermodynamique. La conclusion était évidente, mais comment concilier cette contradiction entre la théorie et l’expérience ? C’est Hill (avec F. Bendall) qui, encore une fois, débloqua la situation en tirant les conclusions de deux séries d’observations faites en d’autres secteurs. Les travaux d’Arnon et de son groupe (cf. § 17.5.2) avaient établi que, sous l’action de la lumière, de l’ATP était produit dans les chloroplastes, en association avec le fonctionnement d’une chaîne de transport d’électrons, dont l’organisation relevait alors de la spéculation. Une telle observation, par analogie avec la phosphorylation oxydative, impliquait donc, pour synthétiser de l’ATP, que les électrons soient transportés dans le sens normal, exergonique, d’un système à bas potentiel vers un système à haut potentiel. Ainsi, si globalement le transport d’électrons se faisait dans le sens inverse, de l’eau au NADP, une partie de ce transport devait néanmoins s’effectuer selon le sens normal pour permettre la synthèse d’ATP. Schéma difficile à imaginer ! Le second argument est dérivé des travaux d’Emerson et de son groupe. On a vu (fig.  17.1(b)) que le rendement quantique, et donc la photosynthèse elle-même, s’annule très rapidement dès que l’on aborde la région infrarouge (≈ 700 nm) du spectre. Emerson montra que ce rendement pouvait être à la fois renforcé dans le rouge et quelque peu prolongé dans la direction de l’infrarouge si on appliquait en même temps un second éclairement de longueur d’onde plus courte (par exemple 650 nm). Ce phénomène fut finalement interprété comme si deux systèmes photorécepteurs, excitables par des radiations de longueurs d’onde différentes, fonctionnaient en synergie pour produire un effet optimal (cf. § 17.4.4). Il apparaissait alors que la phase photochimique de la photosynthèse devait elle-même consister en deux réactions lumineuses associées. Sur ces prémisses et avec l’expérience acquise dans l’étude des cytochromes, Hill et Bendall, avec beaucoup d’imagination, échafaudèrent alors «  une hypothèse de travail » (a working hypothesis) qui, après de nombreux ajustements, se révéla

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

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traduire la réalité. Le schéma originel 34 (1960) (fig. 17.7(a)) postulait l’intervention de deux réactions où la lumière agissait sur des formes de chlorophylles (X, Y) pour favoriser un mouvement d’électrons, dans lequel les cytochromes f et b6 intervenaient de façon cyclique, et permettre la production de (H) à partir de H2O. Cinq ans plus tard (1965), le schéma avait considérablement évolué (fig. 17.7(b)).

D

E Figure 17.7 - Le schéma en Z du transport d'électrons photosynthétique (a) schéma originel (1960) (b) schéma plus élaboré (1965) intégrant les différents transporteurs d'électrons connus à cette époque [(a) d'après R. Hill et F. Bendall, Nature, 1960, 186, p. 137 (b) Reproduit avec la permission de l'éditeur. R. Hill, The biochemists’ green mansions: the photosynthetic electron-transport chain in plants, Essays in Biochemistry, 1965, 1, p.143]

L’idée de base était celle-ci 35 : l’absorption d’un photon par un système photorécepteur induisait un mouvement d’électrons vers les potentiels négatifs, mouvement rendu possible par l’énergie apportée par le photon. Sur un plan plus concret, dans un 34 R. Hill, F. Bendall. Nature, 1960, 186, p. 136 (Function of the two cytochrome components in chloroplasts : a working hypothesis). 35 R. Hill. Essays in biochemistry, 1965, 1, p. 121 (The biochemists’ green mansions : the photosynthetic électron transport in plants).

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Troisième partie - Biochimie

schéma hypothétique en accord avec les connaissances de l’époque, un photon (hν2) absorbé par un photorécepteur (System II) faisait passer un électron d’un potentiel de + 0,8 V (H2O) à un potentiel de l’ordre de 0 V (cyt. b6, plastoquinone PQ). Un autre photorécepteur (System I), par absorption d’un photon (hν1), faisait passer un électron d’un potentiel d’environ + 0,4 V (cyt f, plastocyanine PC) à un potentiel de – 0,32 V (NADPH) par l’intermédiaire de la ferrédoxine (FD). La liaison entre les deux systèmes était assurée par le passage de l’électron du couple PQ/cyt. b6 au couple PC/cyt f. Dans ce dernier trajet, le mouvement de l’électron s’effectuait donc dans le sens normal (exergonique), vers les potentiels positifs, laissant entrevoir en cet endroit l’existence possible d’un site de phosphorylation (~P). Un tel schéma liait le transport des électrons depuis l’eau jusqu’au NADP, mais le chemin n’était pas linéaire. Sur une partie du trajet il comportait un retour en arrière, d’où le nom de schéma en Z donné au trajet d’électrons proposé par Hill. Même si, à l’époque de sa proposition, beaucoup d’incertitude régnait encore sur la nature des transporteurs d’électrons impliqués et la constitution des photorécepteurs, et même s’il était erroné dans nombre de ses aspects, le schéma en Z de Hill et Bendall devint le point d’ancrage autour duquel s’organisèrent alors toutes les recherches.

17.4.4 - Les photosystèmes Le problème s’était déplacé : l’inconnu résidait maintenant dans la capture des photons par les systèmes photorécepteurs et leur association à un mouvement d’électrons vers des potentiels très bas. La première question à résoudre était évidemment celle de l’identité de ces photorécepteurs. On se livra alors à de méticuleuses études sur l’action de la lumière dans la photosynthèse et notamment sur son renforcement (effet Emerson) dans le proche infrarouge (λ ≈ 710 nm) par des radiations de plus courte longueur d’onde (λ ≈ 650 nm) (fig. 17.1(b)). On étudia en particulier les transferts d’énergie entre les différents pigments grâce à leurs propriétés d’absorption, mais surtout de fluorescence. La capture d’un photon d’une longueur d’onde déterminée par une molécule photoréceptrice peut induire l’émission d’une fluorescence de plus grande longueur d’onde. Si le spectre d’émission de cette fluorescence recouvre le spectre d’absorption d’un autre pigment, alors l’énergie d’excitation (exciton) apportée par un photon peut se transmettre d’un pigment à l’autre et finalement atteindre la chlorophylle a, seule chlorophylle présente dans tous les tissus chlorophylliens. Telles sont quelques unes des considérations qui ont guidé les recherches et finalement conduit à l’identification 36 des deux systèmes photorécepteurs (photosystèmes) agissant dans le schéma en Z. 36 Il est exclu, et de peu d’intérêt dans le cadre de cet ouvrage, d’entrer dans des détails trop précis. Des informations complémentaires pourront être trouvées dans des ouvrages généraux sur la photosynthèse cités en référence, notamment : Wild et Ball, 1997, Jupin et Lamant, 1997, Hall et Rao, 1999, Farineau et Morot-Gaudry, 2006.

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

467

Le principe de fonctionnement d’un photosystème est le suivant (fig.  17.8(a)) : à l’endroit où se produit la réaction photochimique (centre photochimique, P), la capture d’un photon (hν), en un temps très bref 37 (≈  500  fs), se traduit par la création d’un état excité 38 très instable (P*), dont la désexcitation, elle aussi très brève (≈ 5 ps), provoque l’expulsion d’un électron, en même temps que P devient porteur d’une charge positive :

P + hν $ P* $ P+ + e–

Cet acte photochimique consiste donc essentiellement en une séparation de charges électriques. D’une façon plus précise, l’absorption de l’énergie d’un photon sert à faire passer le potentiel d’oxydoréduction d’un système oxydant de potentiel très élevé (P, état fondamental) à celui d’un système réducteur de très bas potentiel (P*, état excité). Ainsi, par suite de cette excitation, le centre photochimique P passe du statut d’accepteur d’électron (P+ + e– $ P) à celui de donneur d’électron (P* $ P+ + e–). Au cours de ce processus, l’énergie électromagnétique du photon (hν) est convertie en un abaissement du potentiel d'oxydoréduction (∆E°’ < 0) du centre photochimique. Telle est la véritable explication de la conversion de l’énergie solaire en énergie chimique, pronostiquée par Mayer au siècle précédent (p. 161). Pour la poursuite du processus (fig. 17.8(a)), il est nécessaire que le système revienne à son état initial (P). L’électron e– émis par P* doit donc être capté par un accepteur A (A + e– $ A–), en même temps qu’un donneur D ( D $ D+ + e–) doit fournir un électron pour neutraliser P+. À leur tour, A– et D+ doivent être neutralisés, et ainsi, de proche en proche, va s’établir un transport d’électrons entre un donneur initial (H2O) et un accepteur final (NADP+) le long d’une chaîne de transporteurs d’électrons qui, à deux reprises, recevra un apport d’énergie (énergisation) par absorption d’énergie lumineuse. Ces réactions se déroulent au sein de photosystèmes (PS), structures très complexes constituées de deux parties principales : une antenne collectrice de lumière assurant la capture des photons puis leur acheminement jusqu’à un centre réactionnel, où se produit l’acte photochimique (fig. 17.8(b)).

37 1 fs (femtoseconde) = 10–15 s ; 1 ps (picoseconde) = 10–12 s. 38 À la suite de la capture de l'énergie d'un photon, l'état excité se réalise par le passage d'un électron (à l'état fondamental) d'une orbite interne sur une orbite plus extérieure, d'un niveau d'énergie supérieur (fig.  13.7). Lors du retour de l'électron à l'état fondamental (désexcitation), l'énergie libérée peut se traduire par l'émission d'un photon (fluorescence), par le transfert de l'état excité à un autre pigment, ou par l'expulsion d'un électron par la molécule photoréceptrice, ce qui est ici le cas.

468

Troisième partie - Biochimie

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3

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FDURWpQRwGH $²

1$'3

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&KOD FHQWUH UpDFWLRQQHO H²



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Figure 17.8 - (a) l'acte photochimique au niveau du centre réactionnel d'un photosystème (b) principe du fonctionnement d'un photosystème

Dans chaque photosystème, le centre réactionnel est constitué de quelques protéines spécifiques servant de supports à un centre photochimique (P) comportant une paire de molécules de chlorophylle a (paire spéciale). Différents transporteurs d’électrons sont aussi présents pour permettre la désactivation de ces centres (P*). L’ensemble forme une structure très compacte. Ainsi est assurée, en un temps extrêmement bref, la capture efficace des photons et la conversion de leur énergie électromagnétique en énergie chimique, sous la forme d’un abaissement du potentiel d’un système d’oxydoréduction. Les antennes collectrices de lumière (fig.  17.8(b)) sont elles aussi constituées de protéines spécifiques servant de supports à plusieurs centaines (200‑300) de molécules de pigments photorécepteurs (caroténoïdes, Chl b, Chl a). Par leur densité, ces pigments augmentent l’efficacité de la capture des photons et transfèrent l’énergie d’excitation qui en résulte jusqu’à la paire spéciales de Chl a où se produit l’acte photochimique. Comme l’avait postulé Hill, il existe deux photosystèmes : le photosystème I (PS I) et le photosystème II (PS II), originellement associés à deux photoréactions (light reactions I et II, (fig. 17.7(b)), d’où leur nom. Ces deux photosystèmes fonctionnent selon les mêmes principes, mais se différencient l’un de l’autre par la qualité des radiations lumineuses absorbées, leurs donneurs et accepteurs d’électrons, la nature et l’organisation des molécules photoréceptrices, et les domaines des potentiels d’oxydoréduction dans lesquels ils opèrent. D’autre part, chaque photosystème est associé à une fonction particulière. Le  photosystème I est lié à la production du NADPH, alors que le photosystème II est lié à la «  photolyse  » de l’eau, donc à

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

469

l’émission d’oxygène. Le cours des recherches a fait que le photosystème II fonctionne en premier, en amont du photosystème I. Au niveau du PS II s’effectue l’émission d’oxygène par un mécanisme complexe, dont on ne peut ici qu’esquisser l’ébauche. Le centre réactionnel du PS II renferme en particulier deux molécules de chlorophylle a (dimère ou paire spéciale), placées dans un environnement qui leur confère des propriétés particulières. Ces molécules absorbent spécifiquement la lumière à 680 nm, d’où le nom de P680 donné à ce dimère de chlorophylle a réalisant l’acte photochimique 39 au niveau du PS II. L’électron expulsé du P680* est accepté par une molécule dérivée de la chlorophylle a, la phéophytine a (fig. 17.9), dont le potentiel d’oxydoréduction est très bas (E°’ = – 0,6 V). Le pigment actif du PS II, P680, à l’état oxydé (P680+, E°’ = + 1,1 V), peut donc recevoir les électrons provenant de l’eau, dont le potentiel est bien plus bas (E°’ = + 0,81 V), selon la réaction :

2 H2O $ O2 + 4 H+ + 4 e–

La réalité est plus complexe car les électrons ne sont pas transmis directement de l’eau à P680+. Des ions manganèse interviennent et, par leurs changements de valence, ce sont eux qui participent directement à l’émission de l’oxygène selon une réaction que l’on peut résumer ainsi :

2 H2O + Mn4+ $ Mn + O2 + 4 H+

Il faut en effet préalablement accumuler 4 charges positives sur ces ions manganèse pour libérer 1 O2. Cette accumulation 40 se fait en 4 étapes distinctes, chacune correspondant à la capture d’un photon et résultant en la production de P680+.

39 Au cours de cette opération, l’absorption d’un photon de λ = 680 nm, d'une énergie de 1,84 eV (chap.13, note 17), fait passer le potentiel de P680 de E°’= + 1,10 V (état fondamental) à E°’ = – 0,74 V (état excité, P680*) (cf. fig. 17.9). De même, dans le cas du photosystème I, l’absorption d’un photon de λ = 700 nm (1,79 eV) se traduira par le passage de P700 (E°’ = + 0,49V) à P700* (E°’ = – 1,30V). L’absorption du photon provoque donc un abaissement du potentiel d’oxydoréduction du photosystème sans qu’il y ait mouvement d’électrons (les deux aspects sont dissociés, fig. 17.9). 40 Ces réactions, très complexes, font intervenir des ions manganèse de divers degrés d’oxydation. On se trouve ici en présence d’une situation déjà rencontrée dans la chaîne respiratoire (p. 389) : la cytochrome oxydase ne transfère qu’un électron à la fois, mais il faut accumuler 4 e– pour réduire une molécule de O2 (O2 + 4 e– $ 2 O2–). Ici, le problème est inverse : P680 ne libère qu’un électron à la fois, mais il faut stocker l’équivalent de la perte de 4 e– (en fait accumuler 4 charges positives) pour libérer 1 O2, les changements de valence des ions manganèse servent à stocker ces charges positives. En fait, il existe encore d’autres intermédiaires (tyrosine Yz) entre Mn et P680+.

470

Troisième partie - Biochimie

Avec ces faits nouveaux, le mystère de la « photolyse de l’eau » trouvait enfin son explication. Celle-ci ne consistait nullement en une rupture des molécules d’eau sous l’action des radiations lumineuses, accompagnée d’une libération d’oxygène. Il s’agissait au contraire d’une banale réaction d’oxydoréduction entre H2O et un oxydant qui, dans la réaction de Hill (p. 462) était le fer ferrique Fe3+, dans celle de Vishniac et Ochoa (p. 464) le coenzyme oxydé NAD(P)+ et, dans le chloroplaste, des atomes de manganèse ayant accumulé 4 charges positives (Mn4+), c’est-à-dire ayant perdu 4 électrons. Il s’agissait donc d’une oxydation de l’eau. La singularité du processus résidait dans le fait que les charges positives du manganèse résultaient du stockage d’autres charges positives, portées par des molécules de chlorophylle (paires spéciales de Chl a de P680) à la suite d’une capture de photons au niveau d’un photosystème (PS II). Là se situait l’action de la lumière 41. La photosynthèse consistait non seulement en une réduction du CO2, mais surtout en une oxydation de l’eau. Dans le photosystème II (fig. 17.9), de la phéophytine a (E°’ = – 0,60 V) les électrons se meuvent ensuite dans le sens croissant du gradient de potentiel, transitant par des formes de plastoquinone (QA et QB) fortement liées au PS II, puis par la plastoquinone libre (PQ, E°’ = 0 V), le cytochrome b6, une protéine à fer non hémique (Fe-S, facteur de Rieske), le cytochrome f, pour finalement aboutir à la plastocyanine (PC) (E°’ = + 0,37 V). C’est alors qu’intervient le photosystème I. PS I comporte une antenne collectrice de photons et un centre réactionnel, dont le centre photochimique, comme dans le PS II, est un dimère de chlorophylle a (paire spéciale), mais situé dans un environnement différent qui déplace le pic d’absorption (700 nm), il s’agit du P700. Par l’absorption d’un photon, P700 perd un électron, qui lui sera restitué par la plastocyanine. L’électron libéré par P700* est accepté par une molécule de chlorophylle a particulière (A0), de très bas potentiel (E°’ = –1,05 V). À partir de là, les électrons reprennent un chemin normal, passant par divers transporteurs dont il n’a pas encore été fait mention : phylloquinone (A1), puis des transporteurs à fer non hémique (Fx, FA, FB) et enfin la ferrédoxine (E°’ = – 0,42 V). Celle-ci servira de donneur d’électrons à une flavoprotéine à FAD (ferrédoxine-NADP+ réductase, FNR) qui réduira l’accepteur terminal de cette chaîne de transport d’électrons, le NADP+ (E°’ = – 0,32 V). 41 Photolyse de l’eau était donc une expression très impropre, mais pas plus « horrible » que combustion respiratoire, liaison riche en énergie, site de phosphorylation, hydrate de carbone ou algue bleue. Ces termes appartiennent à l’Histoire. Ils ont eu le mérite de décrire en leur temps des observations que le cours du temps à interprétées de façon différente ou même infirmées : les algues bleues ne sont pas des algues, mais des bactéries. En fait, en chimie, il est tout à fait possible de séparer l’eau en ses éléments par une réaction de photolyse, en la soumettant à l’action de radiations de grande énergie. C’est une réaction très fortement endergonique, mais ce n’est pas une telle réaction qui intervient dans la photosynthèse.

Chapitre 17 - La photosynthèse révélée

471 3

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0Q



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pH2

[pH2] < [pH1] ∆pH = pH2 – pH1 < 0

ψ1

ψ2

ψ2 > ψ1 ∆ψ = ψ2 – ψ1 > 0

OH–

H2O

H+

∆p = ∆ψ – 59∆pH Figure 18.14 - Les composantes de la force proton-motrice Δp 39 L’énergie du gradient de protons (différence de potentiel électrochimique) est exprimée par la relation : ΔG = FΔψ – 2,3 RT ΔpH (F, faraday ; R, constante des gaz parfaits ; T, température absolue). Sa dimension est celle d’un travail (J mol–1). En divisant l’expression par F, elle devient : ΔG/F = Δψ – 2,3 RT/F ΔpH = Δp. Sa dimension est alors celle d’un potentiel électrique (V). En fixant la température à 25 °C (298 K) et en choisissant le millivolt pour l’expression du potentiel électrique, elle conduit à l’équation indiquée. 40 Il existe une certaine ambiguité sur le sens de force proton-motrice. Celle-ci est en effet créée à la suite d’un mouvement de protons résultant d’une réaction d’oxydoréduction et utilisée dans la synthèse d’ATP en provoquant un mouvement de protons de sens contraire, vers leur compartiment d’origine. Ce n’est que dans cette dernière situation que la force proton-motrice à un rôle véritablement moteur. La création de la force proton-motrice relève d’une réaction de couplage chimio-osmotique (note 28), son utilisation d’une réaction de couplage osmo-chimique (note 44).

Chapitre 18 - Membranes et force proton-motrice

517

Maintenant que la théorie était bien établie en tant que mécanisme et mise en équation, il lui fallait désormais expliquer des faits que les travaux antérieurs avaient fermement établis car, si leur interprétation était erronée, leurs bases matérielles n’étaient pas contestables. En particulier, quel était le mécanisme d’action des agents découplants qui suppriment la phosphorylation tout en stimulant le transport d’électrons  ? et celui de l’oligomycine qui bloque la phosphorylation, alors qu’elle est sans action sur le transport d’électrons ? Et  comment justifier ces rapports assez stricts (P/O) qu’on avait établis entre le rendement de la phosphorylation oxydative et l’oxydation de certains substrats ? Mais avant tout, une question se posait : à partir de quelle valeur de la force proton-motrice les protons commençaient-ils à emprunter le chemin du retour pour, à travers l’ATP synthase, produire de l’ATP ? Mitchell lui-même répondit à cette question, corollaire implicite de sa théorie. Il fallait d’abord tenir compte du fait que l’énergie libérée (ΔG) dans la réaction d’oxydation (exergonique) associée à un mouvement vectoriel de protons devait être au moins égale à celle exigée par la synthèse (endergonique) d’ATP provoquée par le retour des protons. Or cette dernière est fluctuante, on a vu (p. 416) qu’elle était de l’ordre de 8 kcal (≈ 33 kJ, kilojoules 41) dans les conditions standard. Or de telles conditions sont loin de correspondre aux situations réelles, il faut introduire un terme correctif (p. 402). La valeur effective de DG avoisine plutôt les 12-15 kcal (≈ 50-60 kJ) dans les conditions réelles. D’autre part, il faut aussi tenir compte de la constante d’équilibre de la réaction : ATP + H2O @ ADP + Pi, qui doit être respectée (K = [ADP] [Pi] / [ATP]). Compte tenu des valeurs habituellement observées in situ, Mitchell retint 10 mM pour la valeur de la concentration de Pi et choisit arbitrairement la valeur 1 pour le rapport [ADP] / [ATP] (des conditions standard, en quelque sorte). Δp devenait alors la force proton-motrice permettant de synthétiser de l’ATP dans des conditions où les concentrations d’ATP et d’ADP sont maintenues à égalité. Le calcul montra qu’une valeur de Δp de 210 mV permettait de satisfaire ces conditions 42. Ainsi, si Δp atteint la valeur de 210 mV, soit par un Δψ de 210 mV, soit par un DpH de 3,5 unités, de l'ATP sera synthétisé dans les conditions définies par Mitchell. Δp peut aussi être réalisé par une combinaison des deux paramètres (par exemple, Δψ = 150 mV et ΔpH = 1,0). L'expérience a montré que dans les chloroplastes Δp est presque entièrement représenté par ΔpH, alors que dans les mitochondries Δψ (potentiel de membrane) l’emporte très nettement. 41 Jusqu’à présent le travail chimique (ΔG) a été, comme c’était l’usage, exprimé en calories. En 1950, il a été décidé que l’expression des unités thermiques devait se faire en joules et non plus en calories. Comme on le sait, l’équivalence est : 1 cal = 4,185 J. La conversion est donc facile. Ce nouveau mode d’expression du travail chimique sera désormais utilisé. 42 Pour un rapport ATP/ADP différent, Δp serait évidemment différent. Par exemple, le calcul montre que Δp devrait être de l’ordre de 270 mV si on choisit une concentration d’ATP 100 fois supérieure à celle de l’ADP.

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Troisième partie - Biochimie

Par l’emploi de conditions expérimentales judicieuses, souvent difficiles à mettre en œuvre, on a pu mesurer l’efficacité de l’éjection des protons au niveau des complexes membranaires en rapportant le nombre de protons transportés vectoriellement au nombre d’électrons transitant dans le complexe (cf. fig. 18.11). Dans la mitochondrie, ce rapport est égal à 2 pour le complexe I, à 2 pour le complexe III (+ cycle Q) et à 1 pour le complexe IV. Au total, le transfert de 2 e– issus de l’oxydation d’un substrat AH2 jusqu’à l’oxygène s’accompagne de l’éjection hors de la matrice de 10 protons dans le cas d’un substrat (malate) oxydé par une déshydrogénase à NAD+ (H+/2 e– = 10) et de 6 protons pour un substrat (succinate) oxydé par une déshydrogénase à FAD (H+/2 e– = 6). Dans le cas du chloroplaste, rapportée à 1 O2 dégagé, soit 4 e– transportés, la scission de l’eau (2 H2O) au niveau du photosystème II libère 4 H+ dans le lumen. Au niveau du complexe b6 f associé au fonctionnement du cycle Q, 4 à 6 H+ (selon le mécanisme retenu) sont prélevés dans le stroma et injectés dans le lumen. Au total donc, le trajet de 4 e– de l’eau jusqu’au NADP+ s’accompagne, par des mécanismes divers, de l’apparition de 8 à 10 H+ dans le lumen (H+/4 e– = 8-10). Ainsi, pour la mitochondrie comme pour le chloroplaste, on a pu observer des rapports assez constants entre le nombre d’électrons transportés et celui des protons transférés vectoriellement d’un compartiment dans un autre. L’efficacité du processus de phosphorylation dépendra alors de la valeur d’un rapport complémentaire, celui de l’ATP synthétisé par proton transitant par l’ATP synthase (ATP/H+, p. 523). Un autre grand mérite de la théorie de Mitchell fut aussi de fournir une explication simple du mode d’action des agents découplants. La théorie chimique les faisait intervenir en favorisant une hypothétique hydrolyse de l’intermédiaire à haute énergie (p. 429). Ici, l’explication était beaucoup plus simple : les agents découplants agissaient en perméabilisant les membranes aux protons, se comportant donc comme des protonophores 43. En leur présence, les ions H+ rentrent avec une très grande facilité dans le compartiment dont ils sont issus, court-circuitant ainsi l’ATP synthase (fig. 18.13).

18.4 - L’ATP synthase La théorie chimiosmotique avait réduit à un commun dénominateur, sous la forme d’une force proton-motrice Δp, l’énergie libérée dans les oxydations respiratoires ou apportée par les radiations lumineuses. Par le moyen de l’ATP synthase, le retour des protons dans les compartiments dont ils étaient issus, était à l’origine de la synthèse

43 Ce sont en général des acides faibles, tels que des phénols (2,4-dinitrophénol), solubles dans la phase lipidique de la membrane. Ils fixent un proton sur une face de la membrane et le relarguent sur l’autre face (R–OH @ RO– + H+).

Chapitre 18 - Membranes et force proton-motrice

519

de l’ATP 44, mais la théorie ne disait rien sur la manière dont ce mouvement de protons était associé à la synthèse d’ATP. Une approche plus concrète intervint quand on eut fait le rapprochement entre la synthèse d’ATP et la présence des mystérieuses particules que la technique de coloration négative permettait d’observer sur certaines faces des membranes (fig. 18.1(c) et 18.2(d)). Ces particules se comportaient en effet comme des facteurs de couplage (p. 429) puisqu’elles permettaient de nouveau la synthèse d’ATP par les membranes internes mitochondriales ou les thylacoïdes dont on les avaient détachées. C’est de leur étude que vint la solution. De même que le nom de Mitchell est attaché au mécanisme chimiosmotique, celui de Paul D. Boyer (1918- ) est lié au fonctionnement de l’ATP synthase 45. Après avoir produit le meilleur argument (la phosphohistidine) en faveur de la théorie chimique, Boyer avait ensuite proposé une éphémère théorie conformationnelle, qui n’eut aucun succès devant l’impact grandissant de la théorie chimiosmotique. Selon cette théorie, les réactions d’oxydoréduction intervenant dans la chaîne respiratoire finissaient par produire dans un élément de ce système un changement de conformation Boyer se traduisant par la création d’une liaison thioester riche en énergie, laquelle était ensuite récupérable pour former une molécule d’ATP (p. 498). Ici encore, la proposition était fausse, mais elle contenait en germe le principe de la solution : l’association d’un changement de conformation moléculaire à une synthèse d’ATP Il est hors de question d’entrer ici dans des démonstrations ou des détails souvent d’une grande complexité. Dans l’ensemble, les recherches ont été conduites sur les ATP synthases des membranes internes des mitochondries, sur celles des thylacoïdes des chloroplastes, mais aussi sur celles des membranes plasmiques des bactéries (notamment E. coli). En dépit de quelques variantes, liées à la diversité de leur provenance (animale, végétale, bactérienne), un schéma assez général s’est dégagé. L’ATP synthase n’est pas une entité protéique simple. Elle s’apparente plutôt aux édifices plurimoléculaires des chaînes de transport d’électrons mitochondriale ou 44 Dans cette réaction, l’élément moteur est le gradient de potentiel électrochimique, représenté par la force proton-motrice, et reposant sur un gradient de concentration de protons. C’est l’utilisation de ce gradient de concentration qui permet la synthèse d’ATP. Dans ce cas, il s’agit donc d’un couplage osmo-chimique (cf. notes 28 et 40). 45 P.D. Boyer. Annu. Rev. Biochem., 1997, 66, p. 717 (The ATP synthase - A splendid molecular machine). Cette même année, P. Boyer, J. Walkers et J. Skou reçurent conjointement le prix Nobel de chimie, les deux premiers « pour l’élaboration du mécanisme enzymatique de la synthèse de l’adénosine triphosphate », et Skou « pour la découverte d’une enzyme transporteur d’ions, l’ATPase Na+-K+ ».

520

Troisième partie - Biochimie

chloroplastique. D’ailleurs, dans les mitochondries, elle a parfois été désignée sous le nom de complexe V. Le microscope électronique a révélé sa structure globale et l’expérimentation a montré qu’elle était constituée de deux parties (fig. 18.11) assez facilement dissociables par des traitements divers (ultrasons, urée, milieu hypotonique). L’une, globulaire (diamètre : 8-10  nm), faisant saillie dans la matrice ou le stroma, était facilement récupérable, c’était la fraction 1, d’où le nom de F1 qui lui fut attribué. L’autre, solidement ancrée dans la membrane et ne pouvant en être isolée que par l’emploi de traitements énergiques qui dissociaient la structure des membranes reçut le nom 46 de Fo. Chacune des parties F1 et Fo est elle-même complexe (fig. 18.15(a)). La partie F1 est constituée de cinq types de sous-unités, certaines étant présentes en triple exemplaire, de telle sorte que la composition de F1 est généralement représentée ainsi : α3β3γδe les sous-unités α et β alternent entre elles et sont disposées comme les quartiers d'une orange. Elles forment les particules globulaires visibles au microscope électronique. La sous-unité g est en position centrale, formant une sorte d'axe au sein de l'ensemble formé par les sous-unités α et β Quant aux sous-unités δ et ε, elles sont situées en position basale. La partie Fo compte aussi plusieurs sous-unités, appartenant à trois types différents. De composition plus variable selon les sources, Fo peut globalement être représenté par la formule : ab2c(9-12). Les sous-unités c forment une sorte de cylindre inséré dans l’épaisseur de la membrane. Les deux sous-unités b assurent la jonction entre les sous-unités c et la partie F1, formant, avec la sous-unité γ sorte de pédicelle. Quant à la sous-unité a, elle est accolée extérieurement au cylindre formé par les sous-unités c 47. L’ATP est synthétisé au niveau de F1, au niveau de Fo s’effectue l’entrée des protons. Le point le plus délicat fut de déterminer le mécanisme de la synthèse de l’ATP. S’agissant d’une réaction enzymatique, les deux substrats, ADP et Pi, doivent d’abord se fixer sur le site actif de l’enzyme, puis réagir pour donner l’ATP, lequel est ensuite libéré. Une telle réaction peut être caractérisée par des paramètres classiques dont l’un, la constante de Michaelis, mesure l’affinité de l’enzyme pour son substrat et constitue une caractéristique fondamentale de l’activité d’une enzyme. Sa valeur est fixe. Or tel ne semblait pas être le cas pour l’ATP synthase. Selon les conditions de l’expérience, il était possible de mesurer plusieurs (2 ou 3) valeurs de cette constante, comme si l’affinité était variable ou comme s’il existait plusieurs sites ou étapes dans cette réaction. Boyer rapprocha ces faits de la structure de F1 46 Dans Fo, le symbole en indice n’est pas un chiffre (zéro) mais une lettre (o) : o, pour oligomycine, l’inhibiteur spécifique des réactions de phosphorylation. C’est en effet sur cette partie de l’ATP synthase qu’agit l’inhibiteur. Lors des opérations d’isolement, il servait à caractériser cette fraction Fo (fraction oligomycine). Les symboles F1 et Fo sont utilisés dans le cas des mitochondries. Pour les chloroplastes, on utilise les symboles CF1 et CFo (fig 18.11). 47 N.B. : cette description de l’ATP synthase (1997) reflète pas nécessairement l’état des connaissances actuelles (cf. p. 553).

Chapitre 18 - Membranes et force proton-motrice

521

où sont présents trois couples de sous-unités α et β. Il imagina alors un mécanisme de trois sites agissant en coopération, chacun mettant en jeu un de ces couples αβ et catalysant une étape de la réaction.

D

E

Figure 18.15 - L'ATP synthase. (a) structure de l'ATP synthase (b) mouvement de rotation de la sous-unité γ induit par l'hydrolyse de l'ATP. [(a) d'après A. Karp, Biologie cellulaire et moléculaire, 4ème édition, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2010. (b) d'après H. Noji, R. Yasuda, M. Yoshida, K. Kinosita, Nature, 1997, 386, p. 299]

Chacun des sites (fig. 18.16) peut présenter, par rapport aux diverses molécules (ATP, ADP, Pi) qui peuvent l’occuper, trois états de conformation : ouvert (open), relâché (loose) et « comprimé » ou « fermé » (tight). En fait, ces termes expriment l’affinité des sites : faible, moyenne, forte. Dans l’état ouvert (A), le site devient libre, une molécule d’ATP le quittant, il devient disponible pour accepter une molécule d’ADP et de Pi. Ces molécules se fixent alors sur le site d’une manière assez lâche, c’est l’état relâché (B). Intervient ensuite, par élimination d’une molécule d’eau, la formation d’une molécule d’ATP, qui elle, est très fortement liée au site, c’est l’état fermé (C). La particularité de ce mécanisme réside dans le fait que la fixation de l’ADP et du Pi sur un site induit la synthèse d’ATP dans le site contigu, qui lui-même induit le relargage de l’ATP dans le site voisin. Le mécanisme, identique pour chacun des sites, se renouvelle de proche en proche et, après libération de 3 ATP, on revient au point de départ. C’est la rotation de la sous-unité g, au centre de l'ensemble formé par les sous-unités a et b, qui déclenche les phases successives de la synthèse de l'ATP. D'où le nom de catalyse rotationnelle donné par Boyer à ce mécanisme (1997). Autre particularité : la fixation de l’ADP et du Pi, de même que la synthèse de l’ATP qui la suit, se font dans des conditions très particulières, liées à l’environnement physicochimique (très hydrophobe) des sites catalytiques, sans nécessiter d’appoint appréciable d’énergie. On a même pu montrer qu’au niveau de F1, en absence de toute source d’énergie et même en présence d’agent découplant, de l’ATP pouvait être formé par simple déplacement de l’équilibre de la réaction. La réaction qui exige

522

Troisième partie - Biochimie

de l’énergie est l’étape de la libération de l’ATP, en nécessitant vraisemblablement à ce stade un changement conformationnel très important du site actif. C’est dans ce processus purement mécanique, et non dans la synthèse de l’ATP elle-même, qu’interviendrait la force proton-motrice Δp. $'33L

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Figure 18.16 - Mécanisme de la catalyse rotationnelle. La rotation de la sous-unité γ déclenche trois réactions différentes et simultanées (relargage de l'ATP, fixation de ADP + Pi, synthèse de l'ATP) dans trois sites différents. Chaque site est constitué de deux sous-unités (α, β) de F1.

Sous la pression de Δp, en pénétrant dans le cylindre formé par les sous-unités c de Fo, les protons interagissent avec des fonctions acide ionisées (–COO–) portées par des régions mobiles de ces protéines. Ils induisent ainsi des changements conformationnels dans ces sous-unités c, lesquels se communiquent à la sous-unité γ de F1, qui amorce alors un mouvement de rotation. Ce mouvement rotatif 48 provoque à son tour des changements de conformation au sein des sous-unités α et β de F1, c’està-dire au niveau des sites participant aux diverses phases de la synthèse de l’ATP. Les changements de conformation induits par la rotation de la sous-unité γ servent donc de lien entre la force proton-motrice, qui force le passage des protons à travers Fo, et la synthèse d’ATP, qui s’effectue au niveau des sous-unités α et β de F1. Telle est l’image, très simplifiée, que l’on pouvait donner – en 1997 – du mécanisme de la synthèse de l’ATP (cf. p. 553). Évidemment, ces conclusions – assez merveilleuses – ont été étayées par des observations au microscope électronique, et surtout par des diagrammes de diffraction de rayons X, qui ont permis d’imaginer et de décrire ces changements de struc48 Les deux sous-unités b de Fo, qui relient Fo à F1, empêchent que F1 ne soit lui-même entraîné par le mouvement de rotation de la sous-unité γ. Par analogie avec un moteur électrique, γ se comporte comme un rotor tournant à l’intérieur d’un stator (sous-unités b de Fo), qui doit nécessairement être amarré sur un support (les sous-unités c de Fo).

Chapitre 18 - Membranes et force proton-motrice

523

ture moléculaire. Ces travaux, réalisés par le biochimiste britannique John Walker (1941- ) et son groupe, ont efficacement contribué à imposer le mécanisme de la catalyse rotationnelle imaginé par Boyer. Une démonstration visuelle de ce mécanisme a même été fournie par une équipe de chercheurs japonais 49. L’expérience, très délicate (fig. 18.15(b)), consista à fixer la fraction F1 de l’ATP synthase sur une lame de verre et à greffer sur la sous-unité γ un filament d'actine pourvu d'un marqueur fluorescent. En présence d'ATP, que F1 est capable d’hydrolyser comme de Walker synthétiser (l’action de l’ATP synthase étant réversible), ils observèrent effectivement une rotation de cette sous-unité γ. Elle s'effectuait à une vitesse de 130 révolutions par seconde, correspondant ainsi à l'hydrolyse de 390 molécules d'ATP. Dans l'ATP synthase, une molécule d'ATP est libérée chaque fois que γ tourne d'un angle de 120° (cf. fig. 18.16). Avec cet aboutissement, la force proton-motrice, associée à la catalyse rotationnelle, n'était plus une hypothèse d'école, ni même une théorie admise, elle était devenue une réalité visible. Le fonctionnement de l'ATP synthase livra aussi l'explication de résultats plus classiques et plus anciens. Les mesures du rapport ATP/H+ indiquèrent que la synthèse de 1 ATP était associée au transit de 3 à 4 protons dans l’ATP synthase. Il faut en effet que 9 à 12 protons transitent par les sous-unités c de Fo pour provoquer une rotation complète (360°) de la sous-unité γ de F1, correspondant à la synthèse de 3 ATP. Or on a vu (p. 518) que l’oxydation du succinate et celle du malate correspondent à l’éjection hors de la matrice de 6 et 10 protons, respectivement. On en conclut que 2 et 3 ATP peuvent ainsi être facilement synthétisés dans ces conditions, en bon accord avec les valeurs classiques des P/O de 2 et 3 établies pour ces substrats par les pionniers de la phosphorylation oxydative (§ 16.5.2). Quant au chloroplaste (p. 518), l’émission de 1 O2, associée au transport de 4 e–, se traduit par le mouvement de 8-10 protons du stroma vers le lumen, ce qui ouvre une possibilité de synthèse de 2 ou 3 ATP. Ici encore, on retrouve une bonne concordance avec les résultats classiques, puisque la fixation de 1 CO2, liée à la libération de 1 O2, exige la fourniture de 3 ATP (p. 455). Sans oublier que la photophosphorylation cyclique peut procurer – gratuitement – un supplément de synthèse d’ATP. Ainsi fonctionne, sous l’action de la force proton-motrice, l’ATP synthase, splendide machine moléculaire 45, qui chaque jour fournit à un individu l’équivalent de son propre poids 50 d’ATP, et lui permet d’exister ! 49 H. Noji, R. Yasuda, M. Yoshida, K. Kinosita. Nature, 1997, 386, p. 299 (Direct observation of the rotation of F1-ATPase). 50 Un individu de 70-75 kg renfermant environ 50 g (0,1 mole) d’ATP, chaque molécule d’ATP est donc en moyenne utilisée 1 500 fois par jour, c’est-à-dire que toutes les minutes le stock d’ATP est entièrement recylé.

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Chapitre 19 Unité et Diversité Vingt-cinq siècles de spéculation et d’expérimentation avaient été nécessaires pour dégager les concepts qui, à partir d’un univers chimique limité à quatre éléments, devaient aboutir à faire de la respiration la source de l’énergie qui anime les animaux. Mais on avait dû aussi, chemin faisant, prendre en compte le cas des plantes, qui apparemment ne respiraient pas, mais avaient besoin de lumière, et c’est ainsi qu’on découvrit la photosynthèse. Il fallut de même considérer le cas d’êtres invisibles, dont la présence n’était décelée que par les produits de leur activité, et c’est ainsi qu’on découvrit la fermentation. Cette longue suite d’investigations révéla que sous la diversité des individus, des formes et des modes de vie rencontrée dans le monde animal, végétal et bactérien, se dissimulait un mécanisme unique. Il existait en effet chez tous ces êtres une monnaie énergétique commune, l’ATP, utilisée dans toutes les manifestations vitales nécessitant un apport d’énergie, et produite par un mécanisme simple : la conversion en ATP par l’ATP synthase d’un gradient de protons créé de part et d’autre d’une membrane biologique à la suite d’un transport d’électrons dont elle était le siège. Mais un schéma aussi général comporte nécessairement des variantes. La création du gradient de protons revêt des modalités différentes selon les types de cellules. Dans les cellules animales, les cellules végétales et celles des champignons, cette opération se déroule dans un organite cellulaire spécialisé, la mitochondrie, siège des oxydations respiratoires. Dans les cellules végétales chlorophylliennes, elle s’exerce en plus dans le chloroplaste, au cours des réactions de la photosynthèse. Chez les bactéries, êtres de taille minuscule et dépourvus de tels organites, c’est la membrane périphérique de la cellule bactérienne, la membrane plasmique, qui joue ce rôle. Telles sont les variantes principales observées au niveau du mécanisme fondamental. Au niveau des individus, l’expression des variations est encore plus accentuée, car interviennent alors les conditions de l’environnement qui déterminent les principaux modes de vie : aérobie ou anaérobie, à la lumière ou à l’obscurité, autotrophe ou hétérotrophe, aquatique ou terrestre. Tous ces facteurs exercent des influences déterminantes sur les manifestations des phénomènes énergétiques, conduisant à des formes adaptatives spécialisées.

526

Troisième partie - Biochimie

Ainsi, respiration et photosynthèse se rejoignent dans un processus unique et universel, la synthèse de l’ATP, mais en même temps présentent une grande diversité d’adaptations au sein du monde vivant : unité et diversité dans les manifestations de la respiration et de la photosynthèse, tel sera le thème de ce dernier chapitre.

19.1 - Unité Dans l’histoire de la respiration et de la photosynthèse, on peut sans trop de peine discerner de grandes périodes évolutives, de durées très inégales, jalonnées de repères significatifs, même s’ils peuvent paraître arbitraires.

19.1.1 - Les étapes d’une longue marche e

siècle av. J.-C.-1648. Cette très longue période, dominée par l’aspect spéculatif du savoir, représente l’ère primaire de cette histoire. On peut la faire remonter aux premiers philosophes grecs du vie siècle avant notre ère (Thalès, Pythagore) et à leurs successeurs. Sur la matière et l’univers, ils élaborèrent des théories qui trouvèrent leur expression la plus complète chez Aristote (384-322 av. J.-C.), dont l’œuvre peut être retenue comme le point origine de notre aventure. Les conceptions d’Aristote sur les quatre éléments de l’univers, sur la classification des animaux, sur la vie et la chaleur innée, sont des points de départ incontournables. Les Petits traités d’histoire naturelle, dont en particulier la section De la respiration, premier traité sur le sujet, constituent nos premières sources d’information. Dans les siècles qui suivirent, les progrès résultèrent de la conjonction des savoirs grec et arabe, à Alexandrie notamment. L’alchimie fit son apparition en même temps que progressèrent les connaissances de l’anatomie humaine. Celles-ci reçurent leur ultime expression dans l’œuvre de Galien (200), à Rome, où le centre de la culture s’était déplacé. S’ensuivit alors une longue, très longue période de plus d’un millénaire, qui ne s’acheva qu’à la fin du Moyen-Âge (1453). Elle vit le rayonnement, puis la contestation et enfin le déclin de la science aristotélicienne. L’intervalle qui sépare la fin du Moyen-Âge du début de la science moderne fut un autre temps de progrès pour la connaissance de l’anatomie du corps humain (VÉsale). Servet (1537) et Harvey (1628) découvrirent la circulation du sang (petite et grande circulation). vi

1648-1804. Cette période vit la spéculation céder la place à l’expérimentation. Elle  débute avec l’établissement de la notion de gaz par Van Helmont (1648), passe par le Traité élémentaire de Chimie de Lavoisier (1789) et s’achève avec les Recherches chimiques sur la végétation de de Saussure (1804). Trois des éléments d’Aristote, la terre, l’air et l’eau, y furent mis à mal. L’obscur travail des alchimistes avait déjà divisé la terre en plusieurs éléments. Van Helmont montra la pluralité des airs. Les chimistes de l’époque de Lavoisier

Chapitre 19 - Unités et diversité

527

établirent que l’air atmosphérique était formé de deux éléments, l’oxygène et l’azote. L’eau, élément liquide, fut de même résolue en deux éléments, l’oxygène et l’hydrogène. L’air apparut comme un mélange, l’eau comme une combinaison chimique : ainsi naquit une chimie quantitative élémentaire, qui trouva sa pleine expression dans le traité de Lavoisier. La découverte (1756-1774) des principaux gaz : gaz carbonique, hydrogène, oxygène, azote, permit en 25 ans non seulement à Lavoisier de définir la respiration comme une combustion lente, mais surtout conduisit Priestley à la découverte d’une fonction nouvelle, propre au monde végétal, la photosynthèse. Lavoisier donna accès aux premières équations qualitatives de la respiration (éq. 5.1) et de la fermentation alcoolique (éq. 5.2), et à la suite des travaux de Ingen-Housz, Senebier et de de Saussure, on pouvait de même esquisser une équation qualitative de la photosynthèse (éq. 6.1). À la fin du xviiie siècle, respiration et photosynthèse étaient devenues des fonctions vitales parfaitement définies. 1804-1897. Ce siècle, qui vit le triomphe de la méthode expérimentale, fut d’abord marqué par des découvertes fondamentales en d’autres domaines qui permirent aux sciences de la vie de réaliser d’importants progrès : théorie atomique de Dalton (1808), hypothèse d’Avogadro (1811), diffraction de la lumière (Fresnel, 1819), équivalence entre chaleur et travail (Joule, 1850). La théorie cellulaire de Schleiden et Schwann (1839) unifia le monde vivant. Toutes ces découvertes révolutionnèrent les théories physiques et biologiques. Avec l’introduction des symboles chimiques et la notion de mole, on put écrire les réactions chimiques sous une forme à la fois qualitative et quantitative. Ainsi, respiration (éq. 10.2), fermentation alcoolique (éq. 12.1) et photosynthèse (éq. 8.2) reçurent leurs expressions définitives. Les manifestations externes de ces phénomènes furent décrites en détail : nature des substrats dégradés ou synthétisés, intensité et rapports des échanges gazeux, découverte de la chlorophylle, absorption des radiations lumineuses définies par leur longueur d’onde, catalyse enzymatique, etc. À l’entrée du xxe siècle, respiration et photosynthèse étaient parfaitement décrites. Il ne restait plus alors qu’à en démonter les mécanismes. 1897-1961. Cette période débuta incontestablement avec la découverte de la zymase par Buchner (1897) : pour la première fois, on reproduisait in vitro un phénomène vital complexe, la fermentation alcoolique, qui depuis Pasteur avait été fondamentalement associé à l’intégrité cellulaire. C’était la fermentation sans la levure, en d’autres termes la vie hors de la cellule. La Biochimie prit son essor. Des techniques nouvelles  :  radioactivité, chromatographie, électrophorèse, microscopie électronique, centrifugation différentielle, ouvrirent alors la porte à la description complète des manifestations internes de la respiration et de la photosynthèse. On découvrit ainsi les voies métaboliques, les mécanismes d’oxydation, le mode de capture de la lumière, les réactions de phosphorylation, la structure fine de la cellule, et notam-

528

Troisième partie - Biochimie

ment celle des mitochondries et des chloroplastes, etc. En somme, vers le milieu du siècle, chez les êtres vivants pratiquant la respiration et la photosynthèse, tout était raisonnablement connu, sauf la clé de l’énigme : le mode de synthèse de l’ATP. Des noms éminents sont associés à cette période, distingués par l’attribution à une vingtaine d’entre eux d’une nouvelle et prestigieuse distinction, le prix Nobel 1, créé en 1901 par l’industriel suédois Alfred Nobel. En fait, l’essentiel des connaissances modernes sur ces sujets a été obtenu en moins de cent ans, entre le prix Nobel de Buchner (1907) et ceux de Boyer, Walker et Skou (1997). 1961-1997. Dans ce court laps de temps, qui s’est ouvert en 1961 avec la proposition de la théorie chimiosmotique de Mitchell, et s’est clos avec l’élucidation du mécanisme de la synthèse de l’ATP par Boyer (1997), l’essence même des phénomènes respiratoire et photosynthétique fut alors révélée. Ce remarquable accomplissement de la science moderne ne doit cependant pas nous faire oublier qu’à la fin du xviiie siècle un semblable éclair de lumière avait troué l’obscurité. Deux adeptes de la philosophie naturelle, un chimiste, Lavoisier, et un botaniste, de Saussure, en possession de la dernière théorie et du meilleur instrument de l’époque – le principe de conservation de la matière et la balance de précision – avaient démontré que l’eau, dont on ne savait même pas écrire la formule, était un produit de la respiration (§ 5.3.3) et un réactif de la photosynthèse (§ 6.5). Deux siècles furent nécessaires pour mesurer la véritable portée de ces propositions. Le cours des recherches montra en effet que respiration et photosynthèse reposaient essentiellement sur des mécanismes de transports d’électrons, et l’eau se révéla être un contributeur majeur, voire exclusif, de l’alimentation en électrons des chaînes de transport d’électrons respiratoire et photosynthétique.

1 Ont reçu le prix Nobel de Chimie : 1907, E. Buchner (fermentation hors des cellules) ; 1915, R. Willstätter (pigments des végétaux et structure de la chlorophylle) ; 1929, A. Harden et H. von Euler (fermentation des sucres et enzymes y participant) ; 1961, M. Calvin (assimilation du CO2 par les plantes) ; 1978, P. Mitchell (compréhension du mécanisme de la synthèse de l’ATP par la théorie chimiosmotique) ; 1988, J. Deisenhofer, R. Huber et H. Michel (structure du centre réactionnel des photosystèmes) ; 1997, P. Boyer et J. Walker (mécanisme de synthèse de l’ATP par l’ATP synthase) ; J.C. Skou (découverte de l’ATPase Na+-K+). Ont reçu le prix Nobel de Physiologie et Médecine : 1922, O. Meyerhof (métabolisme de l’acide lactique dans le muscle) ; 1931, O. Warburg (nature et mode d’action des enzymes de la respiration) ; 1937, A. Szent-Gÿorgyi (vitamine C et rôle de l’acide fumarique) ; 1947 , C. et G. Cori (métabolisme du glycogène) ; 1953, H. Krebs (cycle de l’acide citrique), F. Lipmann (découverte du coenzyme A) ; 1955, H. Theorell (mode d’action des enzymes d’oxydation) ; 1964, F. Lynen (métabolisme des acides gras) ; 1974 , A. Claude, C. de Duve, G. Palade (organisation structurale et fonctionnelle de la cellule). On peut évidemment regretter certains « oublis » : D. Keilin (cytochromes), R. Hill (réaction de Hill, schéma en Z), A. Benson et J.A. Bassham (fixation du CO2 dans la photosynthèse), ...

Chapitre 19 - Unités et diversité

529

19.1.2 - Les secrets d’une équation Le fait à l’origine de cet ouvrage est l’existence de deux équations chimiques relativement simples, rencontrées dans tout manuel scolaire traitant de sciences naturelles, de physiologie animale ou végétale, l’une traduisant la respiration : C6H12O6 + 6 O2 $

6 CO2 + 6 H2O

et l’autre la photosynthèse :



6 CO2 + 6 H2O

(lumière)

$

C6H12O6 + 6 O2

Regroupées sous une forme synthétique, elles donnent naissance à une équation symbolique qui, à elle seule, résume l’essence de ces deux phénomènes. Il s’agit de ce que l’on a pour la circonstance désigné sous l’expression La belle Équation (éq. 19.1) :

(lumière)

C6H12O6 + 6 O2 @

6 CO2 + 6 H2O

(éq. 19.1)

Cette équation traduit simplement l’expression de deux processus apparemment inverses l’un de l’autre, puisque les réactifs de l’un sont les produits de l’autre. Cette  remarque, toutefois, ne s’applique qu’aux situations initiales et finales, car pour aller de l’une à l’autre, les étapes intermédiaires, c’est-à-dire la succession des réactions, sont, comme on l’a vu (chap. 14 et 17), extrêmement différentes. Par contre, la chimie reprend ses droits quand on considère les bilans énergétiques. Les états initiaux et finaux étant identiques, mais inverses, l’application du Premier Principe de la thermodynamique veut que la même quantité d’énergie, produite dans un sens, soit consommée dans l’autre. Les bilans énergétiques des réactions, longtemps exprimés en calories et maintenant en joules, sont associés à une fonction thermodynamique, la variation d’enthalpie libre (ΔG) qui, pour chaque réaction permet à la fois d’exprimer la quantité d’énergie mise en jeu et d’en prévoir le sens d’évolution (p. 400). Celles (exergoniques) qui libèrent de l’énergie sont spontanées. Celles (endergoniques) qui en consomment ne peuvent se réaliser que si, par couplage avec une réaction exergonique, un appoint d’énergie est fourni. La respiration, de tout temps associée à l’énergie vitale et à la chaleur corporelle, apparaît naturellement comme un processus exergonique. Le processus inverse, la photosynthèse, est par conséquent un phénomène endergonique, l’appoint d’énergie venant de l’absorption des radiations lumineuses.

530

Troisième partie - Biochimie

La quantité d’énergie 2 (DG) mise en jeu dans les réactions de l’équation 19.1 est de 2 860 kJ (ou 686 kcal), affectée du signe moins quand elle est perdue (produite) par le système (respiration) et du signe plus quand elle est absorbée (photosynthèse). Il devient alors possible de réécrire l’équation 19.1 en y faisant figurer le bilan énergétique (éq. 19.2) :

(lumière)

C6H12O6 + 6 O2 @ 6 CO2 + 6 H2O ΔG = ± 2 860 kJ (éq. 19.2) Telle était, vers les années 50, la manière d’exprimer sous sa forme la plus accomplie les aspects qualitatifs et quantitatifs de la respiration et de la photosynthèse, fruit du travail des pionniers de la physiologie. Deux faits viennent alors bousculer cette belle ordonnance : le fonctionnement de la chaîne respiratoire montre que l’oxygène de l’air sert exclusivement à accepter les électrons provenant des substrats pour former de l’eau, et non à oxyder le carbone organique pour produire du CO2. De même l’utilisation des isotopes radioactifs montre que l’oxygène rejeté dans la photosynthèse provient exclusivement de l’eau et non du CO2 absorbé. Les 6 O2 présents dans le premier membre de l’équation 19.2 doivent donc impérativement, d’une part, donner naissance à 12 H2O dans la respiration et, d’autre part, provenir de 12 H2O dans la photosynthèse. Dans le second membre de l’équation doivent donc obligatoirement figurer 12 H2O, et non 6. D’où la nécessité, sur un plan purement formel – pour respecter les lois de Lavoisier – de rééquilibrer ces équations en rajoutant 6 H2O dans le membre de l’équation où ils font défaut. On aboutit ainsi à l’équation suivante (éq. 19.3) :

(lumière)

C6H12O6 + 6 O2 + 6 H2O @

6 CO2 + 12 H2O ΔG = ± 2 860 kJ (éq. 19.3)

qui, tenant compte des mécanismes réels, traduit de façon plus exacte les aspects qualitatifs, quantitatifs et énergétiques de la respiration et de la photosynthèse, toutes deux étant symbolisées par la dégradation ou la synthèse d’une molécule de glucose. En réalité, rapporter la respiration et la photosynthèse à la dégradation ou à la synthèse d’une molécule de glucose est une fiction commode pour exprimer symboliquement et comparer les deux phénomènes. On sait en effet que les lipides, sous la forme d’acides gras, sont d’aussi bons substrats respiratoires, sinon meilleurs, que les glucides représentés par la molécule de glucose (chap. 9, note 25). D’autre part, dans la photosynthèse, le glucose n’est pas le produit primaire de la réduction du CO2, celui-ci est un acide organique, l’acide 3-phophoglycérique, qui par réduction donnera un triose, précurseur des hexoses. 2 Dans ce qui suit, pour simplifier l’écriture, on a utilisé le symbole simple ΔG de préférence à celui plus correct ΔG°’ (p. 401). De même, la référence, implicite, à une mole de substance réagissant est aussi omise. Ainsi ΔG = ± 2 860 kJ représente en réalité ΔG°’ = ± 2 860 kJ mol-1.

Chapitre 19 - Unités et diversité

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En fait, cette écriture (éq. 19.3) dissimule – ou mieux révèle – une réalité dont l’importance n’a pas toujours été perçue. En effet, on considère généralement que la respiration consiste en l’oxydation (combustion) de substrats respiratoires, générateurs de protons et d’électrons qui finiront par se fixer sur l’oxygène atmosphérique pour donner H2O. On doit alors constater que, dans le cas de l’oxydation d’un substrat glucidique (éq. 19.3), celui-ci ne peut fournir que la moitié de l’hydrogène – et donc des électrons et des protons – mis en jeu pour produire 12 H2O, l’autre moitié étant apportée par les 6 molécules de H2O ajoutées pour équilibrer la réaction. La même remarque est valable si on considère la dégradation du glucose par la voie des hexoses monophosphates, ou encore l’oxydation d’un acide gras, où la proportion est même plus élevée (≈ 2/3) (p. 395). Il existe donc dans le processus respiratoire une sorte de « lyse chimique » des molécules d’eau, qui n’est pas sans rappeler la « photolyse de l’eau » de la photosynthèse. Les atomes d’hydrogène de l’eau entrent dans la chaîne respiratoire, au même titre que ceux du glucose et des autres substrats, pour y générer un transport d’électrons et de protons et contribuer ainsi très substantiellement (50 à 66 %) à la synthèse d’ATP. Dans la respiration (éq. 15.1), ces molécules d’eau, entrent dans le circuit au cours de réactions banales des cycles métaboliques (p. 393 ; Annexes C, D, E). Il s’agit en l’occurrence (fig. 19.1) de réactions d’hydratation de liaisons éthyléniques (a) : fumarase (réaction 8, Annexe C), énoyl-CoA hydratase (réaction 3, Annexe D) ou encore (b) de la fixation d’une molécule d’eau sur une fonction aldéhyde qui, par oxydation (– 2 H), sera transformée en fonction acide (théorie de Wieland). Selon des modalités plus ou moins complexes, ce type d’entrée de la molécule d’eau se rencontre dans les réactions de décarboxylation oxydative des acides α-cétoniques (pyruvate, α-cétoglutarate, chap. 15, note 35, Annexe C) dans le cycle de Krebs, de même que dans l’oxydation directe du glucose dans le cycle des hexoses monophosphates (réaction 2, Annexe E). Seul un inventaire détaillé des réactions individuelles permet de mettre en évidence ces molécules d’eau, car elles participent souvent à des réactions complexes, associées à des étapes de phosphorylation ou de fixation de CoA-SH, génératrices de molécules d’eau qui les font disparaître du bilan global de la réaction (réaction 6, Annexe C ; réaction 1, Annexe D ; réaction 11, Annexe G). 2+

E

²2 ²&² ² +2 +

2+ ² ²&²+ ² 2+

²&+²&²+ +H² ²²

²&+ &+²+2²&+²&+² ²

D

2

2 ² ²&² + +H² ² 2+

Figure 19.1 - L'entrée de l'eau (H2O) dans les cycles métaboliques : son oxygène participe à une réaction d'oxydation, son hydrogène est source de protons et d'électrons

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Troisième partie - Biochimie

On comprend alors pourquoi leur rôle de donneur d’électrons passe inaperçu quand les équations des oxydations des substrats respiratoires sont écrites sous leurs formes classiques, qui ne traduisent que la conformité aux règles de la stœchiométrie vérifiées par les mesures de quotients respiratoires (§ 9.3.1), et non le fait que l’oxygène requis ne sert qu’à produire de l’eau et non à oxyder le carbone organique du glucose. Comme on l’a déjà vu, si glucides et lipides sont bien les combustibles – carburants – de la respiration, le comburant, qui permet la combustion et dont on retrouve les éléments dans les produits de la combustion (CO2, H2O) est double : l’oxygène de l’air oxyde l’hydrogène des substrats respiratoires, mais c’est l’oxygène de l’eau qui oxyde leur carbone, et se retrouve dans le CO2 formé (p 395). Même dans la glycolyse, où intervient une réaction d’oxydation sans participation de l’oxygène atmosphérique (oxydation du glycéraldéhyde, p. 329), c’est l’eau qui fournit l’atome d’oxygène nécessaire (fig. 19.1(b)). Dans tous les cas s’applique la théorie de l’oxydation de Wieland (§ 15.2.2). En fait, dans les cellules les réactions d’oxydation par fixation directe d’oxygène moléculaire sont l’exception : jamais liées au métabolisme énergétique, elles sont confinées à des situations très ponctuelles (oxygénases, polyphénol oxydases). Dans le cas de la photosynthèse, le problème de l’eau, qui alimente à 100 % le transport d’électrons photosynthétique, est apparemment plus simple, l’entrée de 12 H2O se faisant directement au niveau du PS II et du complexe d’émission de l’oxygène. Quant à la sortie des 6 H2O excédentaires, on a vu comment il se résolvait en tenant compte d’une autre contrainte, liée à la fixation du CO2 : la nécessité de consommer 3 ATP par CO2 fixé. L’équation de la photosynthèse en ressort transformée (éq. 17.5). Là aussi de banales réactions masquent les événements fondamentaux (p. 462). Il n’est pas sans intérêt non plus de rappeler à notre souvenir une autre équation (éq. 14.1) :

P–O–CH2–CHOH–COH + H3PO4 $ P–O–CH2–CHOH–CO–O–P + 2 H

dont on a dit qu’elle avait été la pierre de Rosette du décryptage du métabolisme énergétique. Lors de sa découverte, elle combinait sans raison apparente, une réaction d’oxydation (– 2 H) à une réaction de phosphorylation (–CO–O–P). Si on lui associe le NAD comme accepteur des 2 H, elle représente l’équation centrale du processus glycolytique dans les fermentations alcoolique et lactique et dans la contraction musculaire (§ 14.1.5). Si on la prend à rebours et qu’on lui associe le NADPH comme donneur des 2 H, elle devient le modèle de la réduction du CO2 dans la photosynthèse (§ 17.3.3). Enfin, si on concentre l’intérêt sur la participation du phosphate, elle révèle alors le mécanisme de la phosphorylation liée au substrat (§ 16.4.1), sans compter qu’elle fut aussi, pour un temps, l’inspiratrice du modèle de la phosphorylation oxydative (§ 16.5.4). Peut-être était-ce elle la véritable belle Équation ?

Chapitre 19 - Unités et diversité

533

Avant de quitter le sujet, il n’est peut-être pas inapproprié de se livrer non plus à une dernière considération de philosophie bioénergétique. On a vu comment l’analyse des réactions individuelles avait conduit à dévoiler le rôle insoupçonné de la molécule d’eau en tant que donneur d’électrons pour alimenter les mécanismes de la respiration et contribuer ainsi très substantiellement à la synthèse d’ATP. Cette molécule peut-elle jouer un rôle similaire dans ceux de la phosphorylation ? La tendance naturelle est en effet de considérer que, dans les produits de la réaction  : ADP + Pi  $ ATP + H2O, l’un est noble, l’ATP, et l’autre très secondaire, l’eau. Et si l’inverse était vrai, l’ATP n’étant que le sous-produit de la formation d’une molécule d’eau ? Force est de constater en effet (fig. 19.2) que, dans toutes les réactions (glycolyse, cycle de Krebs) de la phosphorylation liée au substrat qui vont conduire, directement ou indirectement, à la formation d’une molécule d’ATP, le dénominateur commun est la formation d’une molécule d’eau. Cela est vrai (a) de la synthèse de l’ATP directement à partir de ses précurseurs, mais c’est aussi le cas de la formation d’une fonction anhydride d’acide (b) entre une fonction carboxyle et l’acide phosphorique (1,3-bisphosphoglycérate), de la formation d’une fonction énol (c) à partir de deux fonctions alcool contigües (phosphoénolpyruvate), ou de celle d’une fonction thioester (d) entre une fonction carboxyle et le coenzyme A (succinyl-CoA). Par des mécanismes divers, toutes ces liaisons riches en énergie seront converties en ATP. D

E

$'33L

+2$'3a3

$73

²2 +2²&²² 2a3

$73

+2²&²&+²

+2&+ &+²

$73

+ 2²3

2a3

²2 +2²3 2+

²&²²

²2 G ²&²² +6²&R$ 2+

²

² ²

²

+ F

²2 +2²&²² 6a&R$

$73

Figure 19.2 - Formation de molécules d'eau et création de liaisons à « haute énergie »,  sources d'ATP

De même, dans les deux autres types de phosphorylation, oxydative et photosynthétique, l’ATPase membranaire anisotrope et réversible de Mitchell (fig. 18.8), devenue ATP synthase, en fonctionnant dans le sens de la synthèse de l’ATP, extrait

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Troisième partie - Biochimie

une molécule d’eau du couple ADP + Pi pour en répartir les éléments (H+, OH–) de part et d’autre d’une membrane (fig. 19.3). Cette opération, on l’a vu, est équivalente à un transport transmembranaire de protons. PDWULFH RXVWURPD

PHPEUDQH

KS

HVSDFHLQWHUPHPEUDQDLUH RXOXPHQ $+î2 $

+2 2+²

D

+ +

+ 2

+2 + $73 +

E

2+²

+ 2

$'33L Figure 19.3 - Le rôle de l'eau dans la synthèse de l'ATP dans les mitochondries et les chloroplastes, selon la théorie de Mitchell. (a) Chaîne de transport d'électrons respiratoire ou photosynthétique (b) ATP synthase

Dans les membranes des mitochondries et des chloroplastes, existent des systèmes (chaînes de transport d’électrons) dont les fonctionnements répartissent les H+ et OH– de façon inverse, créant ainsi un gradient de protons et une force proton-motrice de direction opposée. Dans chacun des compartiments définis par la membrane, les H+ expulsés par un système interfèrent donc avec les OH– expulsés par l’autre système pour reconstituer des molécules d’eau H2O. Comme, dans la respiration et la photosynthèse, les systèmes de transport d’électrons membranaires sont alimentés en permanence par l’oxydation des substrats respiratoires ou la capture des photons, ils entraînent donc en permanence, par l’utilisation de la force proton-motrice ainsi créée, le fonctionnement de l’ATP synthase dans le sens de la synthèse de l’ATP. Dans cette optique, la molécule d’ATP apparaît alors comme un sous-produit de la formation d’une molécule d’eau. Dans la réalité, on le sait, celle-ci s’effectue dans les conditions très particulières de l’état conformationnel fermé de l’ATP synthase

Chapitre 19 - Unités et diversité

535

(fig. 18.16), engendré par la rotation de la sous-unité g en réponse à un flux rentrant de protons. Sans l'avoir voulu ni prévu, La belle Équation, qui se proposait de rapporter l’histoire et l’analyse comparée de la respiration et de la photosynthèse, s’achève donc en plaidoyer pour la réhabilitation du rôle méconnu de la molécule d’eau dans ces processus. On savait depuis toujours que l’eau est indispensable à la vie. Son absence conduit à l’univers purement minéral des sols lunaire ou martien. Sa raréfaction conduit à la désertification. Elle se révèle ici comme un rouage essentiel des mécanismes d’entretien de la vie que sont la respiration, la photosynthèse, la synthèse de l’ATP. Tel est le rôle de l’eau, humble molécule minérale égarée dans un monde prestigieux d’acides nucléique, protéines, glucides, lipides.

19.1.3 - Un mécanisme unitaire et universel Nécessaire au déroulement de toutes les réactions du métabolisme requérant un appoint d’énergie, l’ATP est localement produit par des réactions dites de phosphorylation. Selon les sources d’énergie servant à promouvoir cette réaction, on distingue deux types de phosphorylation, la phosphorylation liée au substrat et la phosphorylation liée à un transport d’électrons, cette dernière comportant deux aspects, phosphorylation oxydative dans la mitochondrie et photophosphorylation dans le chloroplaste. La phosphorylation liée au substrat consiste en un simple couplage entre une réaction d’oxydation qui libère plus d’énergie que n’en consomme celle de la synthèse de l’ATP. Quelle que soit la complexité du phénomène, on peut relier par une suite d’équations chimiques la molécule initiale qui se dégrade aux molécules d’ATP synthétisées. Ce type de couplage intervient principalement en absence d’oxygène (anaérobiose) ou dans certaines séquences de réactions (glycolyse, cycle de Krebs) du métabolisme aérobie. La phosphorylation oxydative et la photophosphorylation sont liées au fonctionnement d’une chaîne de transport d’électrons. Elles requièrent la présence d’un système membranaire séparant deux compartiments. La théorie chimiosmotique apporta une réponse unificatrice : à un transport d’électrons le long d’une chaîne de transporteurs, localisée dans la membrane interne de la mitochondrie ou le thylacoïde, est associé un mouvement transmembranaire de protons. Celui-ci génère une force protonmotrice (Δp), somme d’une différence de concentration de protons (ΔpH) et d’une différence de potentiel électrique (Δψ) (potentiel de membrane) (fig. 18.14). À partir d’une certaine valeur, cette force Δp provoque un retour des protons dans leur compartiment d’origine (matrice, stroma) par l’intermédiaire d’une ATP synthase transmembranaire. On démontra alors que, par un mécanisme original et compliqué, la

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Troisième partie - Biochimie

« catalyse rotationnelle », ce complexe de l’ATP synthase associe la synthèse d’ATP au transit d’un certain nombre de protons. Tout événement pouvant faciliter la rentrée des protons dans leur compartiment d’origine en leur évitant de transiter par l’ATP synthase – altération de la structure membranaire, présence d’un agent découplant (protonophores, fig. 18.13), protéine découplante (cf. § 19.2.4) – contribue à diminuer l’efficacité de la synthèse d’ATP. Par leurs aspects énergétiques, respiration et photosynthèse se révèlent donc être étrangement similaires. Néanmoins, en dépit de cette unité, un caractère les oppose toujours. La nature vésiculaire de ces membranes définit deux compartiments : un dedans, représenté par leur milieu intérieur (matrice, lumen), et un dehors (espace intermembranaire, stroma). L’opposition entre les aspects antagonistes de la respiration et la photosynthèse, traduite dans l’écriture de leurs réactions et la direction de leurs échanges gazeux, se retrouve à ce niveau (fig. 19.4(a) et (b)), le dedans de la mitochondrie étant le dehors du choloroplaste, et réciproquement. Dans la mitochondrie, le transport d’électrons est associé à un mouvement de protons du dedans vers le dehors, c’est le contraire dans le thylacoïde où le mouvement a lieu de dehors vers le dedans. Il en est de même du fonctionnement de l’ATP synthase, dont l’orientation dans ces membranes est inverse de celle des mitochondries. Une conséquence importante en découle  : associé à la sortie des protons hors du lumen, l’ATP est synthétisé dans le stroma où il peut être immédiatement utilisé pour promouvoir les réactions endergoniques liées à la synthèse des sucres, qui a lieu dans ce compartiment (fig.19.4(b)). Dans la mitochondrie, associé à une rentrée de protons, l’ATP est synthétisé dans la matrice. Il doit alors quitter ce compartiment afin d’être utilisé dans le cytosol, lieu principal des réactions du métabolisme. C’est la raison pour laquelle la membrane interne mitochondriale est dotée d’un système de transporteurs permettant des échanges d’ATP, d’ADP et de Pi entre la matrice et l’espace intermembranaire (fig. 19.4(a)). Comment se règlent les problèmes d’énergie au niveau du monde bactérien soumis aux strictes contraintes d’un environnement où prévalent à la fois des conditions d’aérobiose ou d’anaérobiose, de lumière ou d’obscurité ? D’une taille minuscule, la cellule bactérienne est dépourvue de ces systèmes membranaires spécialisés que sont les mitochondries et les chloroplastes. Également dépourvues de noyau, les bactéries sont limitées vers l’extérieur par un système de protection plus ou moins élaboré et de structure très différente selon qu’il s’agit de bactéries Gram-positives ou Gramnégatives. Cette paroi protectrice s’apparente quelque peu à la paroi cellulosique des cellules végétales. À son contact on reconnaît toujours l’existence d’une membrane plasmique. C’est le seul système membranaire présent chez les bactéries, qui de plus sont caractérisées par une grande variété de types métaboliques.

Chapitre 19 - Unités et diversité

PHPEUDQH LQWHUQH

537 KS

+

+

WK\ODFRwGH

HVSDFH LQWHUPHPEUDQDLUH

$+î2 $+2

VWURPD

2

+2

$73

$'33L +

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PDWULFH

$'33L

$73

D PHPEUDQH SODVPLTXH

$73

$'33L

E

KS

+

+

PHPEUDQH SODVPLTXH PLOLHXH[WHUQH

$+î2 $+2

PLOLHXH[WHUQH

$+

$73

$'33L +

$

$'33L



+

F\WRVRO

F\WRVRO

F

G KS

PHPEUDQH SODVPLTXH

$73 

+ PLOLHXH[WHUQH

PHPEUDQH SRXUSUH

$'33L

$73 +

F\WRVRO

H Figure 19.4 - Mouvements de protons et synthèse d'ATP dans les membranes biologiques (a) membrane interne de la mitochondrie (b) thylacoïde du chloroplaste (c) membrane plasmique d'une bactérie aérobie (d) membrane plasmique d'une bactérie photosynthétique (e) membrane pourpre d'une bactérie du genre Halobacterium.

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Troisième partie - Biochimie

Chez les bactéries aérobies, la membrane plasmique joue un rôle analogue à celui de la membrane interne de la mitochondrie. On y rencontre cependant une grande diversité de chaînes respiratoires, caractérisées par une variété de cytochromes et comportant souvent plusieurs oxydases terminales, en raison de la présence de plusieurs cytochromes auto-oxydables (cytochromes o, d, a3, etc.). Les conditions de l’environnement ou le stade de développement des bactéries déterminent le fonctionnement de telle ou telle chaîne particulière. Celles-ci sont alimentées en électrons par les réactions d’oxydation se déroulant au sein du cytoplasme bactérien, elles réagissent avec l’oxygène pour former de l’eau. Comme dans les membranes internes des mitochondries 3, ce transport d’électrons est associé à un mouvement de protons dirigé vers l’extérieur de la bactérie, créant ainsi une force proton-motrice. Une ATP synthase utilise cette force pour produire de l’ATP à l’intérieur du corps bactérien où il est utilisé (fig. 19.4(c)). L’ATP synthase bactérienne possède la même structure générale que celle des mitochondries et des chloroplastes. Seule entorse à ce qui précède : le cas des cyanobactéries. Longtemps considérées comme des algues (algues bleues), l’étude de leur structure révéla qu’elles s’apparentaient en fait aux bactéries, étant comme elles dépourvues d’un noyau bien individualisé (procaryote). Dans leur cytoplasme, on distingue néanmoins des systèmes lamellaires rudimentaires, analogues à des thylacoïdes, sur lesquels sont présents des systèmes photorécepteurs particuliers, appelés phycobilisomes, où sont localisés des pigments photosynthétiques qui leur sont propres, comme la phycocyanine. Leur type de photosynthèse est identique à celui des végétaux supérieurs. Le gradient de protons et la synthèse d’ATP s’y réalisent comme dans les thylacoïdes des chloroplastes 4, mais l’ATP est produit directement dans le cytosol. Un cas plus épineux est celui des bactéries photosynthétiques, typiquement anaérobies. Leur photosynthèse ne produit pas d’oxygène. Un composé – qui n’est pas l’eau – sert de source d’électrons. Sa nature est très variable, minérale ou organique (p. 458). Un unique photosystème libère des électrons à un potentiel très bas. Par  une série de transporteurs variés, ceux-ci rejoignent un accepteur final (ferrédoxine, NADP). Au cours de ce transport, des protons sont expulsés vers le milieu extérieur, et leur rentrée, à travers une ATP synthase, produit de l’ATP (fig. 19.4(d)). La polarité de la membrane plasmique des bactéries photosynthétiques est donc la même que celle des bactéries non photosynthétiques et de la membrane interne mitochondriale. Elle est donc inverse de celle des thylacoïdes. La raison en est simple, l’ATP devant être synthétisé à l’intérieur de la cellule pour y être utilisé.

3 Selon la théorie endosymbiotique, la mitochondrie serait le produit de la capture d’une bactérie aérobie par une cellule eucaryote (= possédant un noyau bien individualisé). Il en serait de même pour le chloroplaste, produit de la capture d’une cyanobactérie (p. 558).

Chapitre 19 - Unités et diversité

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Il existe enfin un dernier cas, très limité dans son extension, mais très significatif, car il illustre le mécanisme chimiosmotique dans son aspect le plus essentiel. C’est celui de bactéries appartenant au genre Halobacterium. Ces bactéries vivent dans des milieux salins très hostiles, conférant souvent une couleur pourpre aux marais salants où elles prolifèrent. La membrane plasmique de ces bactéries est constituée de territoires en mosaïque. Certaines régions de cette mosaïque (membrane pourpre) renferment un pigment particulier, la bactériorhodopsine, analogue à la rhodopsine, pigment des cellules rétiniennes (bâtonnets) servant à percevoir l’intensité de la lumière et contenant du rétinal. Par absorption directe des radiations lumineuses, le rétinal va subir un cycle de transformations moléculaires qui se traduiront par l’expulsion, par la bactériorhodopsine, d’un proton hors du cytosol bactérien. Ainsi, sans intervention de chlorophylle, sans photosynthèse, sans réaction d’oxydation, sans transport d’électrons, contrairement à toutes les situations examinées jusqu’ici, une simple absorption de photons par un pigment spécialisé va créer directement un gradient de protons, qui sera mis à profit par une ATP synthase pour produire de l’ATP (fig. 19.4(e)). Avec ce dernier exemple, se clôt la saga de la théorie chimiosmotique.

19.2 - Diversité Le souci d’emprunter la ligne droite – même s’il y eut de nombreux détours – pour aboutir à la théorie chimiosmotique, a quelque peu trahi la réalité. Pour ne citer que quelques exemples : le glucose a servi de substrat exclusif pour décrire la respiration et la photosynthèse, la photosynthèse des plantes supérieures a été érigée en modèle du phénomène, etc. Le temps est donc venu d’apporter quelques corrections à ces points de vue un peu trop unidirectionnels. À côté de situations typiques, existent en effet des cas plus spécifiques qui, sans déroger au schéma général, complètent le panorama. Leur rôle dans l’économie de la biosphère est parfois très important. Sans entrer dans les détails, mais en insistant sur leurs aspects particuliers, nous allons donc effectuer un bref survol de ces situations diverses, c’est-à-dire, sous des titres quelque peu provocateurs, envisager successivement : les photosynthèses, les respirations, les autotrophies, les thermogenèses.

19.2.1 - Les photosynthèses Tous les types de photosynthèse obéissent au même schéma général. À partir d’un composé qui va céder des électrons, l’absorption de photons par un pigment chlorophyllien localisé dans un photosystème aura pour conséquence de porter ces électrons à un très bas potentiel. Par une séquence de transporteurs, ils remonteront ensuite l’échelle des potentiels pour venir se fixer sur un accepteur qui servira de réducteur pour l’incorporation du CO2 dans le produit primaire de la photosynthèse.

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Troisième partie - Biochimie

Ce transport d’électrons se déroule au sein d’une membrane et génère une force proton-motrice à la source d’une synthèse d’ATP. Dans la photosynthèse classique, qui domine largement toutes les autres, le donneur d’électrons est la molécule d’eau H2O, le produit d’oxydation est l’oxygène O2 (dioxygène), le produit de réduction est le NADPH. Deux photosystèmes sont impliqués dans ce schéma, le photosystème II pour la libération de l’oxygène, le photosystème  I pour la production du NADPH. Cette photosynthèse se rencontre chez tous les végétaux verts et les algues, mais également dans un groupe de bactéries particulières, les cyanobactéries. Comme cette photosynthèse produit de l’oxygène, on la désigne de nos jours sous le nom de photosynthèse oxygénique. Vers le milieu du siècle dernier, en étudiant le monde bactérien, Van Niel avait mis en évidence d’autres types de photosynthèses. Ils étaient loin de correspondre à l’uniformité du modèle rencontré chez les plantes supérieures. Sous cette diversité, Van Niel identifia des caractères communs qui lui permirent de formuler une équation, traduisant tous les types de photosynthèse (éq. 17.2), et qu’il convient de rappeler ici : CO2 + 2 H2A $ {CH2O} + H2O + 2 A Appliquée aux plantes supérieures, cette équation contenait déjà en germe le fait que l’oxygène dégagé dans la photosynthèse ne pourrait provenir que de l’eau. En effet, si A est l’oxygène, de l’oxygène (2 A = O2) est dégagé : c’est la photosynthèse oxygénique. Dans les autres situations, il n’y a pas dégagement d’oxygène : c’est la photosynthèse anoxygénique. Les conditions de réalisation de ces photosynthèses anoxygéniques, particulièrement présentes chez les bactéries de couleur pourpre ou verte, attirèrent l’attention de Van Niel sur la nature des donneurs d’électrons (§  17.4.1). Ceux-ci se révélèrent être des composés réduits ou peu oxygénés du soufre (H2S, sulfites, thiosulfates). Plus tard, on découvrit que le carbone réduit de certaines molécules organiques ou même l’hydrogène pouvaient servir de sources de pouvoir réducteur (bactéries non sulfureuses). Toutes ces photosynthèses anoxygéniques se caractérisent par la variété et la spécificité de leurs sources d’électrons, ainsi que par la présence de pigments chlorophylliens particuliers (bactériochlorophylles) qui jouent dans leurs photosystèmes un rôle identique à celui de la chlorophylle a chez les plantes supérieures. Ces photosynthèses bactériennes ne mettent en jeu qu’un seul photosystème. L’accepteur final d’électrons est souvent le NAD+, parfois l’ubiquinone. Le CO2 se fixe sur des accepteurs de nature variée, donnant des produits primaires de la photosynthèse immédiatement intégrés dans le métabolisme général de la cellule bactérienne. Ce type de photosynthèse a précédé la photosynthèse oxygénique des plantes supérieures qui, comme on le sait, est à l’origine de l’oxygène de notre atmosphère terrestre.

Chapitre 19 - Unités et diversité

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Malgré les apparences, la photosynthèse des plantes supérieures, n’était pas, elle non plus, dépourvue de diversité. La découverte du cycle de Calvin (1957), en révélant enfin la manière dont le CO2 s’incorporait dans les produits de la photosynthèse, avait mis fin à 80 ans d’errance sur la nature du produit primaire de la photosynthèse : c’était un composé en C3, le 3-phosphoglycérate. Cette découverte fut une révélation, source d’un nouveau dogme. Dans les années qui suivirent (1966), deux chercheurs australiens, Hatch et Slack, montrèrent que, dans les feuilles de la canne à sucre, la même technique d’incorporation du CO2 marqué par le 14C conduisait à un résultat tout à fait différent 4. Le premier produit à apparaître était un composé en C4, l’oxaloacétate. Ce résultat impliquait l’intervention d’une nouvelle enzyme carboxylante, la phosphoénolpyruvate carboxylase. Localisée dans le cytosol, elle catalysait une réaction de fixation du CO2 sur le phosphoénolpyruvate, composé riche en énergie bien connu (p. 414) :

CH2=CH(O~P)–COOH + CO2 + H2O $ HOOC–CH2–CO–COOH + Pi



phosphoénolpyruvate oxaloacétate

Cette réaction était immédiatement suivie d’une réduction de l’oxaloacétate en malate par une malate déshydrogénase 5 : HOOC–CH2–CO–COOH + NADPH + H+ $ HOOC–CH2–CHOH–COOH + NADP+

oxaloacétate malate

Pratiquement, dans ce type de photosynthèse, le produit de la fixation du CO2 est donc le malate 6. Cette découverte bouleversait le nouveau dogme. D’une part, la fixation du CO2 ne se faisait pas par l’intermédiaire de la rubisco (p. 451) et, d’autre part, le produit de fixation n’était pas le 3-phosphoglycérate, un composé en C3, mais l’oxaloacétate, un composé en C4. On dut alors distinguer deux types de photosynthèses : la photosynthèse classique réalisée par des plantes dites plantes C3 (en référence au 3-phosphoglycérate) et un autre type de photosynthèse réalisée par les plantes C4 (en référence à l’oxaloacétate). Les recherches ultérieures révélèrent les autres singularités de ce type de photosynthèse. D’une part, les plantes C4 appartiennent à des familles de plantes tropicales ou d’origine tropicale, comme la canne à sucre, le maïs. D’autre part, la photosynthèse s’y déroule en deux temps et en deux sites différents : dans un premier temps, 4 M.D. Hatch, C.R. Slack. Biochem. J., 1966, 101, p. 103 (Photosynthesis by sugarcane leaves ; A new carboxylation reaction and the pathway of sugar formation). 5 Cette malate déshydrogénase, qui fonctionne dans le chloroplaste et effectue ici une réaction de réduction, est spécifique du NADP, alors que la malate déshydrogénase mitochondriale, qui effectue une réaction d’oxydation, est spécifique du NAD (p. 390). 6 Chez certaines plantes, par une réaction un peu plus complexe, c’est l’aspartate qui est produit. Comme le malate, il sert de vecteur pour le transport du CO2 fixé par la phosphoénolpyruvate carboxylase.

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Troisième partie - Biochimie

la fixation du CO2 se fait dans le cytosol de la cellule, de la manière qui vient d’être décrite, ensuite l’oxaloacétate migre dans le chloroplaste pour y être réduit en malate. Ces réactions se déroulent dans les cellules du mésophylle de la feuille (fig. 19.5), c’est-à-dire dans les tissus constituant le limbe foliaire (parenchyme palissadique, p. 200). Puis le malate migre vers un autre tissu de la feuille, particulier au type de plantes C4 : la gaine périvasculaire, groupe de cellules localisées autour du système conducteur de la feuille. Une telle disposition anatomique facilite l’évacuation des produits de la photosynthèse. Le malate pénètre dans les chloroplastes de ces cellules où il est décarboxylé en présence d’une enzyme spécifique, l’enzyme malique : HOOC–CH2–CHOH–COOH + NADP+ $ CO2 + CH3–CO–COOH + NADPH + H+



malate pyruvate

Le CO2 ainsi libéré est alors refixé par la rubisco et la photosynthèse se poursuit selon les mécanismes du cycle de Calvin. Le pyruvate retourne dans le mésophylle pour y être reconverti en phosphoénolpyruvate, et amorcer un nouveau cycle de fixation du CO2. PpVRSK\OOH

VWRPDWH

JDLQHSpULYDVFXODLUH Figure 19.5 - Structure d'une feuille de plante C4 (cf. fig.9.5) Le CO2 est fixé par la phosphoénolpyruvate carboxylase dans le mésophylle de la feuille et transporté sous forme de malate dans les cellules de la gaine périvasculaire où il est libéré et refixé par la rubisco (× 140) [d'après K. Esau, Plant anatomy, ©  John Wiley and Sons, Inc., New York, 1960, p  . 677 avec autorisation]

Cette découverte permit un rapprochement avec un autre fait, connu depuis l’origine de la photosynthèse (de Saussure, 1804). Chez les plantes grasses, ainsi nommées en raison de l’aspect « replet » de leurs feuilles, souvent très épaisses, comme dans la famille des crassulacées (sedum, kalanchoe), on avait remarqué que le jus extrait des feuilles (suc cellulaire) s’acidifiait progressivement au cours de la nuit, présentant un pic d’acidité le matin. De plus, quand on se livra plus tard à l’étude des quotients respiratoire et photosynthétique, on s’aperçut que la nuit, alors que toute photosynthèse est abolie, il était impossible de mesurer, ni même d’identifier, un phénomène respiratoire : les feuilles de ces plantes absorbaient de l’oxygène, mais aussi du CO2 (!). Les études ultérieures montrèrent que, la nuit, l’augmentation de l’acidité résultait

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d’une synthèse de malate à partir du CO2 absorbé. Ici encore, l’enzyme responsable de cette fixation nocturne de CO2 était la phosphoénolpyruvate carboxylase, dont l’action était ensuite prolongée, comme chez les plantes C4, par celle de la malate déshydrogénase. Durant la nuit, le malate s’accumule dans la vacuole, où sa concentration peut atteindre des valeurs très élevées, d’où l’augmentation de l’acidité du suc cellulaire. Le jour, sous l’action d’une enzyme malique, le CO2 est libéré, puis repris par la rubisco dans le chloroplaste pour amorcer un processus de photosynthèse classique (type C3). Ce type de photosynthèse est propre à un groupe de plantes dites plantes CAM 7, plantes adaptées à des milieux arides (cactées), où les végétaux ont à souffrir de chaleurs excessives accompagnées d’une sécheresse extrême de l’atmosphère. En permanence, elles doivent lutter pour réduire leurs pertes d’eau. Leur photosynthèse s’est adaptée à cet environnement particulier. La nuit, quand l’atmosphère est fraîche et plus humide, ces plantes ouvrent leurs stomates 8, permettant ainsi l’entrée du CO2, qui est fixé par la phosphoénolpyruvate carboxylase. Le jour, quand l’atmosphère est chaude et desséchée, elles ferment leurs stomates, évitant ainsi que la vapeur d’eau contenue dans leurs tissus internes ne s’échappe dans l’atmosphère. Évidemment, dans ces conditions, le CO2 atmosphérique ne peut plus pénétrer dans les tissus de la feuille et toute photosynthèse y serait alors rendue impossible. C’est alors qu’intervient le CO2 libéré à partir du malate : il est refixé à la lumière par la rubisco pour être intégré dans le cycle de Calvin. Plantes CAM et plantes C4 partagent donc des caractères communs : fixation du CO2 sur le phosphoénolpyruvate par la phosphoénolpyruvate carboxylase dans le cytosol, formation de malate (ou d’aspartate), migration du malate, libération du CO2 à partir du malate par l’intervention d’une enzyme malique, refixation du CO2 par la rubisco pour entrer dans le cycle de Calvin. Dans les deux cas, on observe une compartimentation de ces deux phases : compartimentation spatiale chez les plantes C4, entre les cellules du mésophylle et celles de la gaine périvasculaire, compartimentation temporelle chez les plantes CAM, entre la nuit et le jour. Les deux types de photosynthèse sont dus au fait que chez ces plantes la phosphoénolpyruvate carboxylase présente dans le cytosol possède une affinité pour le CO2 beaucoup plus élevée que celle de la rubisco. Le CO2 est donc piégé dans le cytosol avant de pouvoir atteindre le stroma du chloroplaste. Il y pénètre sous forme de malate, qui doit alors être décarboxylé. Il en résulte une augmentation de la concentration intrachloroplastique de CO2, qui favorise l’action de la rubisco. En fait, les photosynthèses C4 et CAM sont des machines à concentrer le CO2 au voisinage de la rubisco. Le rendement de la photosynthèse s’en trouve amélioré. 7 CAM, crassulacean acid metabolism, « métabolisme acide (?) des crassulacées », expression généralement condensée en métabolisme crassulacéen. 8 Normalement (plantes C3 et C4), les stomates sont fermés la nuit et ouverts le jour (p. 201).

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Il existe enfin un dernier facteur qui, en dépit de son nom – la photorespiration – vient encore moduler le phénomène photosynthétique. Comme la respiration, il consomme de l’oxygène et dégage du CO2. Comme la photosynthèse, il ne se produit qu’à la lumière, mais le processus est indiscutablement lié à la photosynthèse et non à la respiration. De découverte relativement récente (Decker, 1959), les travaux de Tolbert et de Zelitch en ont établi les caractéristiques essentielles (1971). La photorespiration repose sur les propriétés catalytiques tout à fait particulières de la rubisco dont, rappelons-le, la dénomination exacte est : ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase (chap. 17, note 21). Tout ce qui a été vu jusqu’à présent n’a concerné que la fonction carboxylase, impliquée dans la fixation du CO2. La photorespiration 9 est le fait de son autre attribut, la fonction oxygénase. On découvrit cette fonction en remarquant que, chez certaines espèces, le passage de la lumière à l’obscurité, qui supprime toute photosynthèse, s’accompagnait pendant un certain temps d’une intense émission de CO2. Celle-ci décroissait rapidement pour se stabiliser ensuite à un niveau constant, correspondant à l’émission de CO2 respiratoire (respiration mitochondriale). On interpréta cette observation en supposant qu’il existait, à la lumière, une respiration particulière dépendante de l’éclairement. Elle disparaissait évidemment à l’obscurité, tout en persistant pendant quelque temps (≈ 1 min). On donna à ce phénomène le nom de photorespiration (Bidwell, 1968). Ces observations menèrent à la découverte d’une fonction inconnue de la rubisco, sa fonction oxygénase. En présence d’oxygène et de ribulose 1,5-bisphosphate, la rubisco donne lieu à une réaction conduisant à la formation d’une molécule de 3-phosphoglycérate et d’une molécule de phosphoglycolate :

P–O–CH2–CHOH–CHOH–CO–CH2–O–P + O2 ribulose-1,5-bisphosphate





$

P–O–CH2–CHOH–COOH + P–O–CH2–COOH



3-phosphoglycérate

phosphoglycolate

Cette réaction entre en compétition avec la réaction normale de carboxylation qui, elle, à partir d’une molécule de ribulose 1,5-bisphosphate, donne 2 molécules de 3-phosphoglycérate (éq. 17.1). Elle aura donc pour effet de diminuer le rendement de la photosynthèse puisque, dans ce cas, un seul 3-phosphoglycérate est produit au lieu de deux. En fait, le phosphoglycolate n’est pas totalement perdu, car il existe un processus d’une grande complexité (cycle de Tolbert), mettant en jeu quatre compartiments

9 N.E. Tolbert. Photorespiration. The biochemistry of plants, vol. 2, Metabolism and respiration, 1980, p. 487. M.D. Hatch et N.K. Boardman, Ed.

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cellulaires (chloroplaste, mitochondrie, peroxysome  10, cytosol), au cours duquel 2  molécules de phosphoglycolate seront reconverties en une molécule de 3-phosphoglycérate. Au cours de ce processus 1 O2 sera consommé et 1 CO2 rejeté :

2 phosphoglycolate + O2 $ 3-phosphoglycérate + CO2 + Pi

Le bilan global de la photorespiration peut donc être représenté ainsi :

2 ribulose 1,5-bisphosphate + 3 O2 $ 3 3-phosphoglycérate + CO2 + Pi

Le bilan carboné s’établit donc comme suit : des 10 atomes de carbone contenus dans les 2 ribulose 1,5-bisphosphate, 9 se retrouvent dans les 3 3-phosphoglycérate, le dixième atome de carbone étant perdu sous forme de CO2 émis dans le processus photorespiratoire. Selon les conditions, le rendement de la photosynthèse peut ainsi être abaissé de 20 à 30% du seul fait de la photorespiration. La signification de la photorespiration demeure encore mystérieuse. Elle apparaît en effet comme une fonction antagoniste de la photosynthèse, reposant sur la dualité des propriétés de la rubisco. La photorespiration s’exerce principalement chez les plantes C3. Chez les plantes CAM ou C4, la présence de phosphoénolpyruvate carboxylase dans le cytosol permet de récupérer le CO2 éventuellement émis par la photorespiration et de le remettre sous une forme plus concentrée à la disposition de la rubisco. La photorespiration est alors pratiquement supprimée. C’est la raison pour laquelle les plantes C4, plantes de climats relativement chauds, sont particulièrement efficaces dans la production de biomasse. Elles se rangent au nombre des plantes d’intérêt agronomique les plus importantes (maïs, sorgho, mil, canne à sucre, etc.).

19.2.2 - Les respirations En 1876, ayant découvert la vie sans air, Pasteur avait créé les termes d’aérobie et d’anaérobie, pour caractériser le fait que certains êtres exigent absolument une atmosphère d’air – c’est-à-dire la présence d’oxygène – pour vivre et se développer, alors que d’autres n’ont pas cette exigence. Ces termes, comme au temps de Pasteur, conviennent parfaitement pour décrire les fermentations qui, rappelons-le, consistent essentiellement en une destruction incomplète de matière organique, les produits finaux étant encore pour partie de nature organique, alors qu’ils sont exclusivement minéraux (H2O, CO2) dans la respiration. Ainsi, les fermentations alcoolique (éq. 12.1) et lactique (éq. 12.2) sont des fermentations typiquement anaérobies, alors que la fermentation acétique (éq. 12.3) est une fermentation aérobie. Cependant les termes aérobie et anaérobie doivent être manipulés avec précaution. Fermentation anaérobie ne signifie pas qu’il est impératif que l’oxygène soit 10 Les peroxysomes sont des organites cellulaires limités par une membrane simple. Chez les végétaux, ils participent à la dégradation des acides gras (β-oxydation).

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absent : la fabrication de la bière, du vin, du pain, du fromage, sont des opérations qui s’effectuent à l’air libre. L’oxygène est donc présent dans l’environnement, mais, en absence d’un procédé d’oxygénation énergique, sa vitesse de diffusion est si faible que les conditions locales sont pratiquement anaérobies. Par contre, la fermentation acétique, qui oxyde l’alcool éthylique en acide acétique, exige absolument que l’oxygène soit fourni en abondance (p. 281). Selon le degré de dépendance visà-vis de l’oxygène, on distingue donc parmi les organismes : les aérobies stricts, qui exigent de l’oxygène, les anaérobies stricts, qui ne supportent pas la présence d’oxygène, et enfin les anaérobies facultatifs qui, selon les conditions, pratiquent une respiration en présence d’oxygène et une fermentation en son absence. Le cas le plus typique est évidemment celui de la levure de bière (Saccharomyces cerevisiae) étudiée par Pasteur. Souvent, de façon un peu laxiste, le terme de glycolyse se trouve associé à ces termes. La glycolyse est ainsi qualifiée d’anaérobie quand elle se déroule dans une levure qui fermente, et d’aérobie quand elle a lieu, en préliminaire au fonctionnement du cycle de Krebs, dans une levure qui respire. De telles distinctions sont en fait un peu spécieuses, car le processus glycolytique en lui-même, c’est-à-dire le passage d’une molécule de glucose à deux molécules de pyruvate, est indifférent vis-à-vis de l’oxygène. Il ne comporte aucune réaction où l’oxygène intervient directement, mais seulement une réaction d’oxydation interne (liée à la fixation d’une molécule d’eau, p.  329) se traduisant par la formation d’un coenzyme réduit (NADH) (chap.  15, note 18). C’est la manière dont ce coenzyme est par la suite réoxydé qui détermine le type de glycolyse et peut justifier l’association des deux termes, mais cette raison est rarement invoquée. Dans la glycolyse anaérobie, le NADH est réoxydé dans le cytosol par un des produits de la glycolyse, pyruvate ou acétaldéhyde, pour donner l’acide lactique ou l’alcool éthylique. Dans la glycolyse aérobie, il sera réoxydé par le fonctionnement de la chaîne respiratoire, en faisant intervenir un système de navettes 11 pour transporter le NADH du cytosol où il est produit dans la mitochondrie où il sera réoxydé. Le fonctionnement de la glycolyse n’est cependant pas indifférent à la présence d’oxygène dans l’atmosphère ambiante. Son effet est même très important, il constitue ce que l’on a appelé l’Effet Pasteur (p. 283). Pasteur avait en effet observé que, pour obtenir le même poids de matière sèche au cours de la croissance de la levure, il fallait détruire environ 20 fois plus de sucre en absence d’oxygène qu’en sa présence. En cette circonstance, l’oxygène se comportait comme un inhibiteur 11 Dans le cytosol se produit la réaction suivante : oxaloacétate + NADH + H+ $ malate + NAD+. Le malate pénètre dans la mitochondrie où se produit la réaction inverse, et l’oxaloacétate retourne dans le cytosol. Le NADH est alors réoxydé par la chaîne respiratoire. La formation de 2 ATP seulement (au lieu de 3) est associé à ce type d’oxydation du NADH (chap. 16, note 33).

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de la fermentation alcoolique, et donc de la glycolyse. La recherche du mécanisme de cette inhibition a fait couler beaucoup d’encre. L’effet Pasteur a trouvé sa justification dans le fait qu’en présence d’oxygène une molécule de glucose produit pratiquement 20 fois plus d’ATP qu’en son absence (36 ATP contre 2 ATP, § 16.6). Plus étrange encore, les mots aérobie et anaérobie sont parfois associés au mot respiration. Compte tenu de ce que l’on a vu jusqu’à présent, respiration aérobie paraît être un pur pléonasme et respiration anaérobie, qui lui fait contrepoids, une pure antinomie. Cette dernière expression, assez courante dans la littérature scientifique du siècle dernier, mérite explication. Il existe en effet une situation remarquable, dans le cas de certains micro-organismes, où l’expression respiration anaérobie trouve sa pleine justification. Dans la respiration aérobie, un substrat organique est dégradé par une série de réactions d’oxydation qui génèrent un transport d’électrons aboutissant à un accepteur final, qui est l’oxygène, avec formation d’eau. Dans la respiration anaérobie, une substance minérale va subir une réaction d’oxydation, et les électrons ainsi libérés vont venir se fixer sur un accepteur final qui n’est pas l’oxygène, mais un autre composé minéral oxydé, qui sera réduit. Ces transports d’électrons se déroulent dans la membrane plasmique de la bactérie, créant une force proton-motrice génératrice d’ATP. D’autre part, l’oxygène n’étant pas l’accepteur final, le processus est favorisé par des conditions d’anaérobiose plus ou moins strictes. Toutes proportions gardées, il existe donc la même différence entre respiration aérobie et anaérobie qu’entre photosynthèse oxygénique et anoxygénique : dans un cas, il y a émission ou non d’oxygène, dans l’autre, l’oxygène est ou n’est pas l’accepteur final d’électrons. Les composés oxydés pouvant servir d’accepteurs d’électrons sont de nature diverse : dioxyde de carbone (CO2), sulfate (SO42–), nitrate (NO3–), nitrite (NO2–). Les sources d’électrons sont des molécules réduites très simples, composés ne comportant que 1 ou 2 atomes de carbone (formiate, acétate), parfois l’hydrogène lui-même. Ainsi, les bactéries méthanogènes réduisent le CO2 en méthane (CH4). Elles sont à l’origine de la production de ce gaz dans les marais ou dans le sol. Les bactéries sulfatoréductrices réduisent le sulfate en soufre minéral ou en hydrogène sulfuré (H2S). Ces deux groupes de bactéries vivent en général dans des environnements très hostiles (fonds marins, terrains volcaniques), ce sont presque toujours des anaérobies strictes. Beaucoup appartiennent à un groupe de bactéries très primitives, les archées. Celles qui utilisent le nitrate ou le nitrite comme accepteurs d’électrons les transforment par étapes successives en azote gazeux (diazote). Leur rôle agronomique est important, mais négatif, car elles détruisent les nitrates du sol, privant ainsi les plantes de leur source d’azote minéral préférée. On les neutralise plus ou moins en aérant le sol par des labours.

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19.2.3 - Les autotrophies Pour un être vivant, l’autotrophie est la capacité de fabriquer sa propre matière organique à partir de composés minéraux. Les substances organiques constitutives de la matière vivante (glucides, lipides, protéines, acides nucléiques) résultent de l’assemblage d’un nombre très restreint d’éléments (C, H, O, N, S, P). D’une manière générale, ces éléments se trouvent à l’état oxydé dans la nature et à l’état réduit (sauf P) dans la matière organique. Pour H et O, présents dans l’eau (H2O), réactif universel – et de ce point de vue composé très ambigu : oxygène réduit ou hydrogène oxydé ? – la question ne se pose pas. Le problème se situe donc au niveau de C, N, et S, qui dans la nature se rencontrent sous forme de dioxyde de carbone (CO2) ou de carbonate (CO32–), de nitrate (NO3–) et de sulfate (SO42–). L’autotrophie vis-à-vis de ces éléments consiste donc en la capacité de les réduire en carbone, azote et soufre organiques. Les plantes vertes, seules capables d’effectuer ces opérations de réduction, sont dites autotrophes. Les autres organismes doivent se procurer ces éléments sous une forme organique : ils sont dits hétérotrophes. On ne s’intéressera ici qu’à l’autotrophie au carbone. La photosynthèse, processus dans lequel la source d’énergie est la lumière, est le mécanisme de base de l’autotrophie au carbone. En vertu de cette propriété, les organismes photosynthétiques sont dits photoautotrophes. Après réduction, le carbone du CO2 se retrouve incorporé dans des molécules organiques. À tous ceux qui ne possèdent pas ce pouvoir du carbone organique doit être fourni. C’est le cas des animaux, des champignons, de nombreux micro-organismes, à l’exception d’une classe particulière : les chimioautotrophes qui, au lieu d’énergie lumineuse, utilisent l’énergie provenant d’une réaction chimique pour réduire le carbone. Leur découverte remonte aux débuts de la microbiologie, à la suite des travaux du microbiologiste russe Sergei Winogradsky (1856-1953), à l’Institut Pasteur de Paris. Pour cultiver les microorganismes, l’usage était alors de confectionner des milieux de culture à base d’extraits divers (jus de viande, extrait de levure, etc.), contenant essentiellement tous les éléments sous une forme organique. Winogradsky entreprit de cultiver des micro-organismes sur des milieux exclusivement minéraux (1920). Il obtint des résultats positifs en ensemençant ces milieux avec des extraits de sols. Il en déduisit que de tels organismes étaient capables de réduire le CO2 atmosphérique pour l’incorporer dans les molécules organiques. Cet équivalent de photosynthèse reçut le nom de chimiosynthèse. Les organismes chimioautotrophes pratiquent des réactions d’oxydation très diverses : oxydation de l’ammonium (NH 4+) en nitrite (NO 2–), du nitrite (NO 2–) en nitrate (NO 3–), du soufre (S) en sulfate (SO 42–), du fer ferreux (Fe2+) en fer ferrique (Fe3+), etc. Ils participent activement aux cycles de ces éléments dans la nature, notamment de l’azote.

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Dans ce dernier cas, leur importance agronomique est considérable : ils recyclent en effet l’azote organique des matières animales ou végétales en azote minéral, le remettant ainsi à la disposition des végétaux. Les molécules organiques azotées sont dégradées dans le sol et leur azote se trouve libéré sous forme ammoniacale (NH 4+). Un premier groupe de micro-organismes, les bactéries nitreuses, l’oxyde en nitrite :

NH 4+ + 3/2 O2 $ NO 2– + H2O + 2 H+

ΔG = – 352 kJ

et le nitrite est ensuite oxydé en nitrate par un autre groupe de micro-organismes, les bactéries nitriques :

NO 2– + 1/2 O2 $ NO 3–

ΔG = – 75 kJ

C’est ainsi que normalement, au cours des cycles saisonniers, se recréent dans le sol les réserves de nitrates en vue d’assurer la croissance de la végétation. Il en est de même pour le soufre, que certaines bactéries sulfureuses font passer de l’état minéral (S) ou réduit (H2S) à l’état de sulfate (SO 42–) par une série d’étapes assez complexes. D’autres bactéries encore, dites ferrugineuses, responsables de la couleur rouille des eaux stagnantes ou de certaines roches, due à un dépôt d’hydroxyde de fer colloïdal Fe(OH)3, sont capables de faire passer le fer de l’état ferreux (Fe2+) à l’état ferrique (Fe3+). Ces réactions d’oxydation sont évidemment couplées à des transports d’électrons membranaires qui génèrent une force proton-motrice, source d’ATP (fig. 19.4(c)). Une caractéristique générale de toutes ces réactions est leur très faible rendement énergétique. Pour fixer 1 CO2 (ΔG = – 480 kJ ou – 114 kcal, p. 437), les bactéries nitreuses oxydent environ 30 molécules de NH 4+, et les bactéries nitriques 120 molécules de NO 2–, alors que théoriquement 2 et 7 molécules suffiraient. Par comparaison, une plante verte obtient le même résultat en oxydant 2 molécules de H2O.

19.2.4 - Les thermogenèses Le mécanisme de la phosphorylation oxydative repose sur une quasi-imperméabilité des systèmes membranaires aux protons, condition nécessaire au maintien d’un gradient de protons entre deux compartiments (chap. 18, note 31). L’efficacité de la synthèse de l’ATP exige donc que la structure de la membrane ne soit en aucune façon altérée, soit par des opérations mécaniques, soit par la présence de composés particuliers (protonophores) capables de perméabiliser les membranes aux protons. Dans ces situations, il se produit une rupture – un découplage – entre le transfert d’électrons générateur du gradient de protons et la synthèse d’ATP par l’ATP synthase. La synthèse d’ATP se trouve réduite, voire, dans les cas extrêmes, annulée (p. 518). Ces remarques sur le découplage ont une conséquence importante. Dans une réaction chimique, en effet, l’énergie libérée par l’interaction des réactifs se retrouve sous

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trois formes : la majeure partie est récupérée dans la formation des produits de la réaction, une autre partie est irrémédiablement perdue pour augmenter l’entropie du système (p. 400), enfin une troisième partie est dissipée sous forme de chaleur. Dans le cas de l’ATP, si la force proton-motrice, par suite d’un découplage naturel ou provoqué, n’est pas utilisée à la production d’un travail chimique (la synthèse d’une molécule d’ATP), alors son équivalent énergétique (40-50 kJ) sera dissipé sous forme de chaleur. Il en résultera une élévation de la température du système, c’est-à-dire, en l’occurrence, un échauffement du tissu où se produisent ces réactions. D’une manière générale, la température des êtres vivants est entretenue par la dissipation naturelle de la chaleur associée au déroulement des réactions chimiques dans l’organisme. Mais, il existe des situations – peu nombreuses il est vrai – où la chaleur est activement dissipée en vue d’élever circonstanciellement la température d’un tissu : il s’agit alors de processus de thermogenèse. Deux exemples sont particulièrement significatifs, celui de la graisse brune chez les animaux et celui de la crise respiratoire des inflorescences des Aracées chez les végétaux. Chez les animaux, lorsque la température ambiante descend à un niveau trop bas, la dissipation de la chaleur par la surface du corps excède alors sa production par les mécanismes normaux. Pour éviter une baisse de la température de l’organisme (hypothermie), un mécanisme régulateur va intervenir : le frisson. Dans ce processus, à la suite d’un signal émanant du système nerveux central, des muscles antagonistes vont se contracter. Ces contractions n’étant pas synchrones et s’opposant mutuellement, aucun travail physique n’est produit. L’énergie chimique libérée par l’hydrolyse de l’ATP à l’origine de ces contractions apparaît ainsi sous forme de chaleur. Parallèlement à ce système de régulation mécanique, existe un second système de thermogenèse, dite sans frisson. Il est associé à la présence d’un tissu particulier, le tissu adipeux brun (ou graisse brune), représenté par des dépôts graisseux dans le cou et entre les épaules (ceinture scapulaire). Il tient son nom de la vascularisation intense qui le parcourt et de la présence de très nombreuses mitochondries de couleur brune, à cause de leur richesse en cytochromes. Cette graisse brune se rencontre chez des sujets dont l’activité physique est insuffisante pour maintenir la constance de la température : animaux hibernants, nouveau-nés (dont l’homme), animaux soumis à des températures basses en vue d’une adaptation au froid, où la thermogenèse avec frisson est progressivement remplacée par la thermogenèse sans frisson. L’oxydation des acides gras de la graisse brune s’effectue par les mécanismes classiques (§ 14.3), mais elle n’est pas liée à une synthèse d’ATP. L’énergie dissipée sous forme de chaleur, augmente la température du tissu adipeux brun, que la circulation sanguine répartit ensuite dans tout l’organisme. Le système est donc naturellement découplé. L’étude du mécanisme de ce découplage dans les mitochondries du tissu adipeux brun a conduit à la caractérisation

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(1976) d’une protéine membranaire (UCP1 12) exerçant un effet découplant, se comportant donc comme un canal à protons. Elle détruit le gradient de protons créé par l’oxydation des acides gras, court-circuitant ainsi l’ATP synthase. Les mécanismes de contrôle de ces phénomènes de thermogenèse sont assez complexes. Dans le cas de la thermogenèse avec frisson, le système nerveux central déclenche le phénomène. Dans celui de la thermogenèse sans frisson, c’est la fixation de noradrénaline, produite par le système sympathique, sur un récepteur membranaire des cellules adipeuses qui commande le fonctionnement de la protéine découplante. Chez les végétaux, les phénomènes de thermogenèse, qui se traduisent par un échauffement spectaculaire des tissus, sont associés à une très forte exaltation de l’intensité respiratoire, laquelle n’est en fait que l’expression d’un état de découplage naturel. Le cas le plus spectaculaire est certainement celui de la pollinisation des fleurs de plantes de la famille des Aracées, notamment de la fleur d’Arum, étudiée par Lamarck dès 1778 (p. 218). Chez les végétaux, deux facteurs concourent à la dissipation de chaleur. Le premier est l’existence, à côté d’une voie respiratoire cytochromique normale aboutissant à la cytochrome oxydase, d’une seconde voie de transport d’électrons, dite voie alternative (p. 391), dont l’origine se situe au niveau du pool de l’ubiquinone (fig. 15.10(b)). Elle ne comporte qu’un seul transporteur d’électrons, l’oxydase alternative, réagissant directement avec l’oxygène pour former de l’eau. Cette voie, insensible au cyanure et au monoxyde de carbone, mais sensible à des inhibiteurs spécifiques, n’est pas liée à un transport transmembranaire de protons. Les complexes III et IV de la chaîne respiratoire, éléments importants pour la génération du gradient de protons, étant ainsi mis hors circuit, 2/3 de la capacité de produire de l’ATP sont ainsi perdus. En conséquence, les équivalents calorifiques de ces ATP non synthétisés sont dissipés sous forme de chaleur. Le second facteur intervenant est la présence, dans les mitochondries végétales, d’une protéine (PUMP 13) analogue à la protéine UCP1 des mitochondries de la graisse brune. PUMP, comme UCP1, détruit le gradient de protons créé par le transport d’électrons, et par conséquent produit une dissipation de chaleur. Dans les deux cas signalés, ces phénomènes de thermogenèse paraissent correspondre à des objectifs précis : chez l’animal, apporter un surplus de chaleur dans des situations où des pertes non compensées conduiraient à un état d’hypothermie ; chez les Aracées, permettre, par un échauffement des tissus, qui parfois est considérable, la volatilisation d’amines très odorantes qui attirent des insectes pollinisateurs. Chez une Aracée d’Amérique du Nord (chou puant, Symplocarpus fœtidus) qui, très 12 D.G. Nicholls, E. Rials. J. Bioenerg. Biomembr., 1999, 31, p. 399 (A history of the first uncoupling protein, UCP1). 13 A.E. Vercesi, I.S. Martins, M.A.P. Silva, H.M.F. Lelte. Nature, 1995, 375, p. 24 (PUMPing in plants) (PUMP, plant uncoupling mitochondrial protein).

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tôt au printemps, pousse sur des sols encore recouverts de neige, la chaleur dégagée est telle qu’elle fait fondre la neige autour de la plante et permet sans doute à cette fleur d’assurer sa fécondation dans des conditions extrêmes (fig. 19.6).

Figure 19.6 - Inflorescence de Symplocarpus fœtidus (chou puant, skunk cabbage), une Aracée d'Amérique du Nord, dont l'élévation de température lors de la crise respiratoire a fait fondre la couche de neige qui l'entourait [J. Brisson, Université de Montréal]

En fait, les fonctions de ces protéines découplantes sont encore plus générales, car on les rencontre dans toutes les mitochondries, animales ou végétales 14. Leurs capacités découplantes en font vraisemblablement des éléments régulateurs du métabolisme énergétique. Ainsi, la théorie chimiosmotique de Mitchell offrait non seulement l’explication du mécanisme de la synthèse de l’ATP, mais, indirectement, en proposant un mécanisme de découplage, elle rend aussi compte des phénomènes de thermogenèse

19.3 - Épilogue : À l’ère de la biologie moléculaire Toute histoire a une fin. Ici s’arrête l’aventure initiée il y 2 500 ans avec le traité De la respiration d’Aristote et close – arbitrairement – en 1997 avec la revue de P. Boyer sur l’ATP synthase 15. L’Histoire, évidemment, ne s’arrête pas en 1997.

14 Il existe même un troisième système pour diminuer la synthèse d’ATP. Chez les végétaux, la membrane interne mitochondriale, en plus du complexe I, possède deux autres NADH déshydrogénases localisées sur les faces interne et externe de la membrane interne. Le NADH cytosolique ou matriciel peut donc être oxydé par ces déshydrogénases en court-circuitant ainsi le complexe I, site d’une éjection de protons. 15 P.D. Boyer. Annu. Rev. Biochem., 1997, 66, p. 717 (The ATP synthase – A splendid molecular machine).

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Elle ne s’y est pas arrêtée, d’ailleurs. Le lecteur d’aujourd’hui aurait peine à reconnaître l’ATP synthase de 1997, comme le montre la figure  19.7, réplique, à une dizaine d’années d’intervalle de la figure 18.15. On a continué à démonter la machine et celle-ci n’a certainement pas fini de livrer ses secrets (fig. 19.7(a)). Les sous-unités γ et ε de F1 sont devenues solidaires des sous-unités c de Fo. Elles constituent désormais le nouveau rotor de la machine. Les sous-unités a et b de Fo sont le support de F1 en établissant un contact avec la sous-unité δ de F1. Les protons n’entrent plus par les sous-unités c, ils le font par la sous-unité a. L’angle de rotation de 120° a été scindé en deux étapes de 90° et 30°, correspondant à deux phases de la synthèse de la molécule d’ATP. On a même pu, en greffant une bille métallique sur le rotor (fig. 19.7(b)) et en plaçant l’ensemble dans un champ magnétique tournant, provoquer la synthèse de l’ATP en faisant tourner le rotor dans un sens, et son hydrolyse en inversant le sens de rotation 16. Le rendement électromécanique de la machine est excellent (80-90 %). L’ATP synthase est devenue un système nanoélectrochimique, modèle d’un moteur circulaire biologique. La modernité s’est emparée du sujet  : l’ATP synthase est entrée de plain-pied dans la Biorobotique moléculaire.

D

E

Figure 19.7 - L'ATP synthase (a) modèle plus récent (2011) (b) l'ATP synthase, machine moléculaire [(a) d'après J. Farineau, J.F. Morot-Gaudry, La photosynthèse, processus physiques, moléculaires et physiologiques. Editions Quæ, Paris, 2011. (b) d'après H. Ueno, T. Suzuki, K. Kinosita, M. Yoshida, Proc. Natl. Acad. Sci. © National Academy of Sciences, U.S.A, 2005, 102, p. 1333]

Tenter de cerner l’actualité au plus près pour mentionner la dernière nouveauté serait de peu d’intérêt car, comme l’a amplement démontré le récit de cette aventure, la 16 H. Ueno, T. Suzuki, K. Kinosita, M. Yoshida. Proc. Natl. Acad. Sci. © National Academy of sciences, USA, 2005, 102, p. 1333 (ATP-driven stepwise rotation of FoF1-ATP synthase).

554

Troisième partie - Biochimie

vérité d’aujourd’hui deviendra l’erreur de demain, la marche vers la lumière s’étant faite par l’écroulement de dogmes successifs. Quels que soient les progrès futurs, la théorie chimiosmotique de Mitchell et l’ATP synthase de Boyer resteront comme le modèle d’un système où un flux de protons, généré par une force « proton motrice », elle-même expression d’un métabolisme « vectoriel », induit des changements de conformation moléculaire dans un complexe protéique membranaire, l’ATP synthase, conduisant à la synthèse de la molécule d’ATP. Il s’agit là d’un acquis fondamental qui traversera les époques, comme l’ont fait en leur temps la découverte des gaz de Van Helmont, la circulation du sang de Harvey, la combustion respiratoire de Lavoisier, la déphlogistication de l’air de Priestley, la vie sans air de Pasteur, la fermentation sans la levure de Buchner, la liaison phosphate riche en énergie de Lipmann, le schéma en Z de Hill, etc. Le cours du temps n’a fait que préciser ces notions, les modifiant parfois profondément, mais sans jamais infirmer les principes. Dix-huit chapitres de cet ouvrage ont ainsi été consacrés à suivre l’éclosion et l’évolution des concepts qui ont abouti à une connaissance approfondie des processus respiratoires et photosynthétiques, un des hauts faits de la biochimie classique (métabolique) du xxe siècle. En accord avec les principes de la philosophie scolastique médiévale, la « philosophie » de l’ouvrage a été de concentrer l’intérêt sur la forme essentielle (les faits) plutôt que sur la forme accidentelle (les détails) de la matière traitée. Au cours de ce récit, une ligne droite a été suivie, laissant parfois à l’écart des aspects importants, mais qui, considérés alors, auraient interrompu le fil de l’histoire et introduit plus de complexité que de clarté. Certains mots ou expressions : photosynthèse oxygénique, plante C4, photorespiration, respiration anaérobie, hétérotrophie, chimiosynthèse etc., qui auraient pu y trouver place, ont alors été soigneusement écartés. Le chapitre 19 est venu combler ces lacunes. Mais d’autres lacunes subsistent encore. Il y a une raison à cela. Dans le dernier tiers du siècle dernier, un monde nouveau est né. Le mot biologie, apparu au début du xixe siècle, a vu son sens évoluer. Science de l’être vivant, la biologie s’est progressivement spécialisée. D’abord animale et végétale, puis cellulaire, elle est aujourd’hui moléculaire. Un préfixe, micro-, a pu lui être ajouté, et demain peut-être un autre préfixe, nano-. Un sort similaire a été réservé au mot génétique. Deux sciences nouvelles, la biologie et la génétique moléculaires dominent aujourd’hui la recherche biologique. Sous leur impulsion, des techniques d’une finesse sans précédents sont apparues, renforcées par l’intrusion de l’informatique. Le séquençage des acides nucléiques et des protéines a conduit à l’élaboration de gigantesques banques de données, faisant de la génomique et la protéomique des sciences à part entière. Des génomes constitués de milliards de bases sont ainsi décryptés. La manipulation de ces données par les techniques du génie génétique

Chapitre 19 - Unités et diversité

555

a conduit à la production d’êtres nouveaux, aux qualités prédéterminées : les organismes génétiquement modifiés (OGM). Le temps de la description des phénomènes et des mécanismes paraît révolu. L’ère du contrôle et de la régulation des processus biologiques s’est ouverte : activation d’enzymes et de gènes sous l’action de signaux provenant de l’environnement ou du milieu interne constituent les axes majeurs qui dirigent les recherches actuelles. D’une manière générale, à l’ère des nanotechnologies, les problèmes se sont focalisés sur la structure des molécules, leur configuration, leurs interactions, de même que sur les modes d’assemblage et la conformation spatiale d’ensembles plurimoléculaires constituant des entités fonctionnelles 17 bien définies. Des sujets autrefois inaccessibles sont maintenant à portée de main. Il est ainsi devenu possible de déduire avec beaucoup de précision la structure, la configuration et même le mode d’insertion dans la membrane d’une protéine membranaire, par les seules informations tirées de séquences d’ADN (acide désoxyribonucléique) stockées dans des bases de données. Un exemple d’une telle situation est celui de l’oxydase alternative des végétaux : encore jamais isolée, l’essentiel de ce que l’on connaît de sa structure, de sa configuration, de son site catalytique, a été déduit d’informations provenant de la comparaison avec d’autres protéines similaires. Par les techniques du génie génétique, on a pu « manipuler » cette oxydase inaccessible, modifier ses propriétés, l’introduire dans le patrimoine génétique de cellules animales 18 et rendre leur respiration insensible au cyanure, effaçant ainsi une des caractéristiques majeures séparant la respiration animale de la respiration végétale (p. 391). Dans les derniers chapitres de l’ouvrage, le lecteur aura certainement remarqué qu’à l’intérieur de la cellule les mitochondries et les chloroplastes se comportaient de façon relativement autonome. Ces organites, sources d’énergie et de matière organique, y exercent des fonctions spécifiques et, ensuite, par des phénomènes d’échanges au travers de leur membrane périphérique, interfèrent avec le milieu cellulaire. Une telle autonomie a en fait une explication : comme le noyau, où est localisé l’ADN, support de l’hérédité des individus, mitochondries et chloroplastes possèdent un ADN et un système de synthèse des protéines qui leur sont propres et leur assurent une autonomie partielle. Certaines protéines des systèmes de transport d’électrons, de capture de la lumière ou de la synthèse de l’ATP sont codées par les génomes de ces organites. Les autres, synthétisées dans le cytoplasme sous le 17 Un exemple typique a été l’élucidation de la structure du centre réactionnel du photosystème de la bactérie photosynthétique Rhodopseudomonas viridis par J. Deisenhofer, R. Huber et H. Michel (Prix Nobel de chimie, 1988). 18 P. Rustin, H.T.Jacobs. Physiol. Plant., 2009, 137, p. 362 (Respiratory chain alternative enzymes as tools to better understand and counterct respiratory chain deficiencies in human cells and animals).

556

Troisième partie - Biochimie

contrôle du génome nucléaire, sont importées afin de constituer les ensembles fonctionnels (complexes, photosystèmes). Les techniques de la biologie moléculaire ont ainsi permis d’amasser des sommes considérables d’informations sur le moindre aspect des phénomènes qui ont fait l’objet de cet ouvrage. Si l’on ne voulait retenir qu’un seul exemple, on pourrait choisir celui de la rubisco (p. 451), de son vrai nom ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase, l’enzyme la plus abondante sur Terre, fixatrice du CO2 dans la photosynthèse et source quasi exclusive de la matière organique de la biosphère. Cette enzyme, de structure très complexe, est composée de 16 sous-unités, 8 grandes (475 acides aminés, 51-58 kDA  19) et 8 petites (120 acides aminés, 12-18 kDa). Les grandes sous-unités, porteuses de l’activité carboxylase, sont synthétisées dans le stroma du chloroplaste sous le contrôle des gènes chloroplastiques. Les petites sousunités, au rôle encore mal défini, sont synthétisées dans le cytosol sous le contrôle des gènes nucléaires et munies d’une étiquette (peptide de transit) qui leur permettra de reconnaître et de franchir l’enveloppe du chloroplaste. À leur arrivée dans le stroma, elles sont prises en charge par une protéine spéciale (une chaperone, codée par l’ADN nucléaire) qui les assemble avec les grandes sous-unités pour constituer la rubisco fonctionnelle. Si la synthèse de la rubisco a lieu spécialement dans les tissus verts, c’est parce que, dans la feuille, les gènes nucléaires et chloroplastiques qui contrôlent la synthèse de ces sous-unités ont été activés par la lumière sous l’action d’un pigment, le phytochrome 20, sensible à la lumière rouge et infrarouge. Et si la rubisco fonctionne, c’est encore parce qu’une autre enzyme, l’activase, active les grandes sous-unités de la rubisco pour leur permettre de fixer le CO2. C’est à ce niveau que se produit l’interférence antagoniste entre les activités carboxylase et oxygénase, à l’origine de la photorespiration. Et si... Telles sont quelques unes des informations – toujours extrêmement sommaires – que l’on aurait pu donner à propos de la rubisco, quand celle-ci est apparue pour la première fois dans le mécanisme de la photosynthèse. Mais cette abondance de détails n’aurait rien ajouté au fait que le véritable intérêt était alors de découvrir que la fixation du CO2, qui avait jusque là résisté à toutes les tentatives d’explication, avait lieu par l’intermédiaire de cette enzyme. De même, les figures 18-5 et 19-7 ne prétendent pas donner une description précise de la structure ou du fonctionnement 19 kDa, kilodalton. Le dalton est une unité utilisée en biochimie pour exprimer la masse moléculaire des acides nucléiques et des protéines, souvent très élevée. 1 dalton est équivalent à la masse de 1/12 de la masse du carbone-12 (12C). Sa valeur est donc égale à l’unité : 50 kDa équivaut à une masse moléculaire de 50 000. 20 Phytochrome : photorécepteur des cellules végétales contrôlant divers aspects du développement des plantes. Il peut se présenter sous deux formes : l’une, active, induite par un éclairement en lumière rouge (630 nm) ; l’autre, inactive, induite par un éclairement en lumière infrarouge (730 nm).

Chapitre 19 - Unités et diversité

557

de l’ATP synthase, tout au plus veulent-elles être des images permettant au lecteur d’imaginer la situation. Là s’arrête donc notre contribution à la biologie moléculaire de la respiration et de la photosynthèse. Celle-ci a apporté sur la structure, la synthèse, la composition, l’organisation, la distribution, les interactions, des différents intervenants de ces processus des informations d’une précision inégalée, du plus haut intérêt pour le spécialiste et les familiers de ces sujets, mais manifestement hors du cadre de cet ouvrage. L’existence d’un ADN mitochondrial et chloroplastique, accessible aux techniques de la biochimie moléculaire, a d’autre part ouvert la possibilité d’agir sur le déroulement des processus respiratoires et photosynthétiques. Ceux-ci peuvent en effet, en certaines circonstances, présenter des altérations ou des déficiences, imputables à des mutations de l’ADN mitochondrial ou nucléaire, aux conséquences parfois dramatiques. Ainsi, certaines pathologies humaines ont pour cause un dysfonctionnement des mécanismes mitochondriaux. D’où l’existence de « maladies mitochondriales » (mitochondriopathies), causes de troubles visuels, neurologiques ou musculaires, à la base de lourds handicaps. Celles-ci résultent d’un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire dont certains éléments sont génétiquement altérés. En contrôlant la constitution, l’expression ou l’activité des gènes qui commandent leur synthèse, les techniques de la biologie moléculaire offrent un moyen de remédier au moins partiellement à ces déficiences. De même, chez les végétaux, dont l’importance ne fait que croître à mesure que l’agriculture doit nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse. Une solution possible consiste dans un meilleur contrôle de l’activité de la rubisco, enzyme assez paresseuse 21. Là encore les techniques sont à portée de main pour modifier ses constituants afin de rendre l’enzyme plus efficace, en réduisant son activité oxygénase, liée à la photorespiration au profit de son activité carboxylase, fixatrice de CO2. Tels sont quelques exemples des applications de la biologie moléculaire au domaine de la photosynthèse et de la respiration. Sur un tout autre plan, à l’échelle de l’Évolution, géologues et paléontologues nous ont aussi appris comment, dans un environnement purement minéral et au sein d’une atmosphère d’azote, d’ammoniac, d’hydrogène sulfuré, de dioxyde et de monoxyde de carbone, la vie était apparue sur Terre. Le métabolisme énergétique des cellules primitives procaryotes 22 devait être alors réduit à une fermentation anaérobie, reposant sur l’oxydation de composés minéraux ou sur celle des composés organiques de la « soupe prébiotique », mais déjà assez élaboré pour permettre la fixation du carbone, comme le font de nos jours les bactéries chimiosynthétiques. 21 La rubisco ne fixe que 3 molécules de CO2 par seconde, alors que l’activité des enzymes (turnover) est généralement de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers de fois par seconde. 22 L’ADN d’une cellule procaryote (bactérie) est localisé dans le cytoplasme et non entouré d’une membrane nucléaire, comme dans une cellule eucaryote, animale ou végétale.

558

Troisième partie - Biochimie

Par la suite, certaines de ces bactéries ont dû acquérir un photosystème primitif leur permettant de capter une nouvelle source d’énergie, la lumière et de pratiquer une photosynthèse anaérobie. Des composés minéraux réducteurs soufrés (H2S, sulfite, thiosulfate) servaient de sources d’électrons. Ainsi sont apparues les bactéries sulfureuses vertes et pourpres (p. 457). Chez certaines d’entre elles s’est formé un second photosystème porteur de chlorophylle a, leur permettant d’utiliser l’eau H2O, au lieu de H2S, comme source de pouvoir réducteur et faisant d’elles des cyanobactéries. D’anoxygénique, la photosynthèse devint oxygénique. Avec elle, l’oxygène est apparu sur Terre, permettant ainsi l’éclosion d’un métabolisme aérobie, avec l’apparition de bactéries aérobies oxydant des substrats divers. Puis sont venues les cellules eucaryotes (note 22), certaines animales et hétérotrophes, d’autres végétales et autotrophes, dotées d’organites spécialisés, mitochondries et chloroplastes. Telle est, en un bref raccourci, l’esquisse de l’évolution du métabolisme énergétique depuis que les premières cellules sont apparues sur Terre, il y a environ deux milliards d’années. Les recherches modernes ont aussi révélé que les mitochondries et les chloroplastes partageaient avec les bactéries un certain nombre de caractères : ADN circulaire non intégré dans un noyau, multiplication et division de la cellule ou de l’organite par scissiparité et non par mitose, systèmes de synthèse des protéines similaires (mêmes types de ribosomes 23, même sensibilité à certains inhibiteurs). D’autre part, la « philosophie » de cet ouvrage a bien montré la profonde unité des mécanismes du métabolisme énergétique entre mitochondries et chloroplastes, mais aussi avec celui des bactéries (fig. 19.4). Une telle « ressemblance » entre mitochondries, plastes et bactéries, révélée par la biologie moléculaire, a donné son support à une théorie, la théorie endosymbiotique 24, émise dans les années 60 par la microbiologiste américaine Lynn Margulis (1938-2011). La théorie postulait que l’édification de la cellule eucaryote actuelle s’était réalisée par une suite d’associations (par symbiose, phagocytose ou parasitisme) entre des cellules de types différents. Ainsi, au cours de l’Évolution, une cellule eucaryote primitive aurait incorporé dans son cytoplasme une bactérie aérobie, à l’origine de la mitochondrie, pour donner la première cellule animale hétérotrophe. Ensuite, la même opération se serait reproduite avec une cyanobactérie, à l’origine du chloroplaste, pour produire la première cellule végétale autotrophe.

23 Les ribosomes sont des particules cellulaires composées de protéines et d’ARN (acide ribonucléique), intervenant dans les mécanismes de la synthèse protéique. 24 La symbiose est une association entre deux organismes appartenant à des groupes différents. L’association est à bénéfice réciproque (sinon il y a parasitisme) et revêt très souvent un caractère obligatoire. Dans l’endosymbiose, l’un des partenaires (endosymbionte) est localisé à l’intérieur des tissus ou des cellules de l’autre partenaire (hôte).

Chapitre 19 - Unités et diversité

559

Ces associations se seraient pérennisées au cours de l’Évolution. La majeure partie des gènes (90  %) de ces bactéries phagocytées se sont intégrées dans le génome nucléaire de la cellule hôte. Le résultat est qu’aujourd’hui une grande partie des constituants mitochondriaux et chloroplastiques sont synthétisés dans le cytoplasme de la cellule et ensuite exportés vers les organites récepteurs, comme l’a montré l’exemple de la rubisco. Cette théorie émise à l’origine à titre d’hypothèse, a été confirmée par les apports de la biologie moléculaire. On peut en effet suivre dans le temps l’évolution des diverses protéines constitutives des appareils mitochondriaux et chloroplastiques ou de l’ARN ribosomal qui participe à leur synthèse. Ainsi, le photosystème I des chloroplastes possède de fortes analogies avec celui des bactéries sulfureuses vertes, alors que le photosystème II est plus proche de celui des bactéries sulfureuse pourpres, ce qui a conduit à penser que les cyanobactéries elles-mêmes ne seraient que le produit de fusion par endosymbiose d’une bactérie sulfureuse verte avec une bactérie pourpre. Il apparaît aussi que les systèmes de transport d’électrons du type protéines Fe-S, adaptés des environnements très réducteurs, ont précédé les systèmes de type cytochromes, plus adaptés à un métabolisme oxydatif en présence de O2. On les trouve ainsi présents dans de nombreuses réactions participant à la réduction de l’azote et du soufre, en étroit rapport avec l’autotrophie à ces éléments. Dans la chaîne respiratoire, les transporteurs de type protéine Fe-S fonctionnent d’ailleurs dans la partie initiale, proche des substrats, alors que ceux de type cytochrome fonctionnent dans la partie terminale, proche de l’oxygène (fig. 15.10). De même, les liaisons « à haute énergie » du type thioester (succinyl-CoA) ont dû précéder celles du type anhydride d’acide (1,3-bis phosphoglycérate, acétyl-phosphate). Grâce  aux progrès introduits par la biologie moléculaire, on  possède actuellement un tableau assez complet de l’évolution au cours du temps des molécules qui constituent les complexes de la chaîne respiratoire et des photosystèmes. Par l’observation de ces caractères, il est ainsi possible d’établir des arbres phylogénétiques qui relient les organismes entre eux au cours de l’Évolution. De cette fresque, qui s’étend sur deux milliards d’années, La belle Équation n’a retracé qu’une infime partie, moins de trois millénaires. Tout avait commencé avec deux équations très simples, symbolisant la respiration et la photosynthèse. Il a fallu 25 siècles pour découvrir et définir ces phénomènes, un siècle (xixe) pour les décrire, un autre siècle (xxe) pour en démonter les mécanismes, quelques dizaines d’années pour en faire l’unification et la synthèse dans la théorie chimiosmotique. Les moyens d’investigation de la biochimie et de la génétique moléculaires permettent aujourd’hui de remonter le temps jusqu’aux origines de la respiration et de la photosynthèse, mais il s’agit là d’une autre... Histoire de la respiration et de la photosynthèse.

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Annexes

562

Respiration et photosynthèse

Annexe A - Équations Équation page (3.1)

métal @ chaux + phlogistique (Φ)

51

(4.1)

fixation d’air pur = perte de phlogistique 70

(4.2)

fixation d’oxygène = perte d’hydrogène

76

(5.1) (carbone, hydrogène)sang + oxygène = acide carbonique + eau + calorique 111 (5.2)

sucre = acide carbonique + alcool

(6.1) acide carbonique + eau + lumière = [matière végétale] + oxygène

114 139

(7.1)

CO2 + H2O + énergie lumineuse $ {COH2} + O2

160

(7.2)

{C + 2 H2} + 2 O2 $ CO2 + 2 H2O + énergie

162

(7.3)

{COH2} + O2 $ CO2 + H2O + énergie

162

(8.1)

n CO2 + n H2O + énergie lumineuse $ Cn(H2O)n + n O2

180

(8.2)

6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse $ C6H12O6 + 6 O2

182

(8.3)

H O ––C –– O + H–O–H $ O –– C–– + O2 H

184

(10.1)

C6H12O6 + 6 O2 $ 6 CO2 + 6 H2O + énergie

231

(10.2)

C6H12O6 + 6 O2 $ 6 CO2 + 6 H2O + 686 kcal

238

(12.1) (12.2)

C6H12O6 $ 2 CH3–CH2OH + 2 CO2 272 C6H12O6 $ 2 CH3–CHOH–COOH

280

Annexes 563

(12.3)

CH3–CH2OH + O2 $ CH3–COOH + H2O

281

(13.1)

Ox + n e– @ Red

310

(13.2)

Ox(1) + Red(2) @ Red(1) + Ox(2)

311

(14.1) P–O–CH2–CHOH–CHO + H3PO4 $ P–O–CH2–CHOH–CO–O–P + 2 H  333 (14.2) 6 glucose 6-phosphate + 6 H2O $ 6 ribulose 5-phosphate + 6 CO2 + 24 H 349 (15.1)

C6H12O6 + 6 O2 + 6 H2O $ 6 CO2 + 12 H2O

392

(16.1)

AH2 + B + ADP + Pi $ A + BH2 + ATP + H2O

421

(17.1)

P–O–CH2–CHOH–CHOH–CO–CH2–O–P + CO2 + H2O

449



$ 2 P–O–CH2–CHOH–COOH

(17.2)

CO2 + 2 H2A $ {CH2O} + H2O + 2 A 457

(17.3)

CO2 + 2 H2O $ {CH2O} + H2O + O2

458

(17.4)

6 CO2 + 12 H2O $ C6H12O6 + 6 H2O + 6 O2

459

(17.5) 6 CO2 + 18 ATP + 24 H2O $ C6H12O6 + 6 O2 + 18 ADP + 18 Pi 460 (lumière)

(19.1) C6H12O6 + 6 O2 @ 6 CO2 + 6 H2O (lumière) (19.2) C6H12O6 + 6 O2 @ 6 CO2 + 6 H2O

529

ΔG = ± 2 860 kJ 530

(lumière) (19.3) C6H12O6 + 6 O2 + 6 H2O @ 6 CO2 + 12 H2O DG = ± 2 860 kJ 530

564

Respiration et photosynthèse

Annexe B - Glycolyse  &+2+  2 

+2







2

· 3L

+ 2



2+

&+2+

JO\FRJqQH DPLGRQ

2+

2+

2²3

+2 JOXFRVHSKRVSKDWH

2+

2+

JOXFRVH



 &+²&2²&22+

&+2²3 2

$73

DFLGHS\UXYLTXH

$'3

$73 

2+

+2

2+

JOXFRVHSKRVSKDWH

$'3

2+

&+ &²&22+



²

2a3

DFLGHSKRVSKRpQROS\UXYLTXH

 +2



2

3²2+&

&+2+ 2+

+2+²&+²&22+ ²

IUXFWRVHSKRVSKDWH

2²3

DFLGHSKRVSKJO\FpULTXH

2+ 2+

$73 



$'3

3²2+&²&+2+²&22+

2

3²2+&

&+2²3

DFLGHSKRVSKRJO\FpULTXH

$73

2+



2+

$'3



DFLGHELVSKRVSRJO\FpULTXH

&+2²3

²

&+2+ 2 &²²² +

²

²

&+2+ 2 &²²² 2a3

&+2²3

²

1$'

3L

& 2



²

1$'++

²

&+2²3

2+

IUXFWRVHELVSKRVSKDWH

&+2+

GLK\GUR[\DFpWRQH DOGpK\GH SKRVSKDWH SKRVSKRJO\FpULTXH

Enzymes : 1', phosphorylase. 2', amylase. 3', phosphoglucomutase. 1, hexokinase. 2, phosphoglucoisomérase. 3, phosphofructokinase. 4, aldolase. 5, triose phosphate isomérase. 6, triose phosphate déshydrogénase. 7, phosphoglycérate kinase. 8, phosphoglycérate mutase. 9, énolase. 10, pyruvate kinase.

Annexes 565

Annexe C - Cycle de Krebs &+²&2²&22+ DFLGHS\UXYLTXH 1$'

+6²&R$ &2



1$'+

&+²&2²6²&R$ DFpW\O&R$

+2 &R$²6+ +22&²&+²&2²&22+

&+²&22+

² ²

1$'



DFR[DORDFpWLTXH

1$'++

+2²&²&22+



&+²&22+

DFFLWULTXH

+22&²&+²&+2+²&22+ + 2

DFPDOLTXH

&+²&22+

&+²&22+

²

+22&²& &+²&22+

+2²&+²&22+

DFIXPDULTXH

)$'+

 ²



DFLVRFLWULTXH

 )$' +22&²&+²&+²&22+

&2

DFVXFFLQLTXH



1$'

$73

1$'++

1$'++

&+²&22+

²

 VXFFLQ\O&R$ &R$²6+ +22&²&+²&+²&2²6²&R$

 DFĮFpWRJOXWDULTXH &+



1$' &2

²

$'33L

2 &²&22+ &R$²6+

Enzymes : 1, pyruvate déshydrogénase (complexe). 2, citrate synthase. 3, aconitase. 4, isocitrate déshydrogénase. 5, α-cétoglutarate déshydrogénase (complexe). 6, succinyl-CoA synthétase. 7, succinate déshydrogénase. 8, fumarase. 9, malate déshydrogénase. Deux intermédiaires (cis-aconitate, oxalosuccinate) n'ont pas été représentés.

566

Respiration et photosynthèse

Annexe D - β-oxydation des acides gras 5²&+²&+²&22+

ȕ

Į

DFLGHJUDV &Q  $73

&R$²6+ 

$0333L 5²&+²&+²&2²6²&R$ DF\O&R$ &Q  )$'  )$'+ 5²&+ &+²&2²6²&R$

ȕ

Į

+ 2  5²&+2+²&+²&2²6²&R$ 1$'  1$'++ 5²&2²&+²&2²6²&R$  5²&2²6²&R$ DF\O&R$ &Q² 

&+²&2²6²&R$ DFpW\O&R$

Enzymes : 1, acyl-CoA synthétase. 2, acyl-CoA oxydase. 3, énoyl-CoA hydratase. 4, β-hydroxyacyl-CoA déshydrogénase. 5, β-cétoacyl-CoA thiolase.

Annexes 567

Annexe E - Voie des hexoses monophosphates A. Bilan 6 glucose 6–P + 12 NADP+ + 6 H2O

$ 12 NADP + 12 H+ + 6 CO2 + 6 ribulose 5P

B. Oxydation directe

& 2

²

+²&²2+ ²

²

²



+²&²2+

&+23

&+23

&+23

JOXFRQRODFWRQH3

&+2+

+²&²2+

+²&²2+



+²&

&+23

JOXFRVH3

1$'3

+2²&²+

²

²

+2

² ²

²

²

2

+²&²2+



1$'3++

+²&²2+ ²

+2²&²+

²

+²&²2+ +²&²2+



²

+²&²2+ ²

²

1$'3

+2²&²+

²

²

+²&²2+

&2

&22+

²

2 &

1$'3++

²

2²² ± + &

DF3JOXFRQLTXH

ULEXORVH3

C. Cycle des pentoses phosphates ULEXORVH3  [\OXORVH3



 [\OXORVH3

ULERVH3  VpGRKHSWXORVH3

WULRVH3  IUXFWRVH3

pU\WKURVH3  IUXFWRVH3

WULRVH3 

IUXFWRVH3  JOXFRVH3

IUXFWRVH3 + 2  3L IUXFWRVH3

Enzymes : 1, glucose 6-phosphate déshydrogénase. 2, lactonase. 3, 6-phosphogluconate déshydrogénase. 4, épimérase. 5, isomérase. 6, transcétolase. 7, transaldolase. 8, phosphatase. 9, phosphoglucose isomérase.

568

Respiration et photosynthèse

Annexe F - Transporteurs d'électrons A - FAD / FMN H

O N

H3C

N

–H

H3C +

O

N

H N–



+ 2 H +2 e H 3C

N

O

N

H 3C

R

N

N

R

H

O

B - NAD /NADP H

H

H

O C–NH2

O C–NH2

+ 2 H + + 2 e–

N+

N

R

R C - Cytochromes

+ H+

E - Protéines Fe-S

H3C

CH=CH2

Fe–S–cys

S cys–S–Fe

CH=CH2

H3C N

HN

Fe

protéine

S N CH3

H3C

CH2–CH–COOH CH2–CH–COOH 3+

Fe

cys

Fe

S–cys Fe

cys–S

Fe

+e

Fe–S–cys

S

cys–S protéine

2+



S

S

Fe NH

S

S–cys S

D. Ubiquinone O

OH CH3

H3C–O

CH3 H3C–O O

CH3

H3C–O

CH2–CH=C–CH2 –H n

+ 2 H++ 2 e–

CH3 H3C–O

OH

CH2–CH=C–CH2 –H n

Seules les parties fonctionnelles des transporteurs ont été représentées.

Annexes 569

Annexe G - Cycle de Calvin 3 ribulose 1,5-P2 3 CO2

3 H 2O

3 O2

1

6 APG 6 ATP

6 H 2O

13

2

6 ADP

6 ABPG

6 NADPH + 6 H+

3

6 Pi

6 aldPG

H 2O 1 aldPG

5 aldPG 4 aldPG

Pi 12

DHOAP

fructose 6-P2

hexose C6H12O6

DHOAP

amidon

aldPG

5

sédoheptulose 1,7-P2 H2O 7 Pi sédoheptulose 7-P

érythrose 4-P 8

xylulose 5-P 3 ADP

triose C3H6O3

aldPG

5 fructose 1,6-P2 H2O 6 Pi

3 ribulose 1,5-P2

12 H+ + 12 e–

6 NADP+

11

9 3 ATP

ribose 5-P 10

8 9

xylulose 5-P

3 ribulose 5-P

Abbréviations : APG, acide 3-phosphoglycérique. ABPG, acide 1,3-bisphosphoglycérique. AldPG, aldéhyde 3-phosphoglycérique (triose phosphate). DHOAP, dihydroxyacétone phosphate (triose phosphate). Enzymes : 1  , ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase. 2, phosphoglycérate kinase. 3, triose phosphate déshydrogénase (glycéradéhyde 3-phosphate déshydrogénase). 4, triose phosphate isomérase. 5, transaldolase. 6, fructose 1,6-bisphosphatase. 7, sédoheptulose 1,7-bisphosphatase. 8, transcétolase. 9, épimérase. 10, isomérase. 11, ribulose 5-phosphate kinase. 12, glycéraldéhyde 3 phosphatase.

570

Respiration et photosynthèse

Annexe H - Lipides membranaires –

CH2–O–H CH–O–H



glycérol

CH2–O–H

acide stéarique (C18) CH2 CH3

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

COOH

CH2

acide linoléique (C18) CH2 CH3

CH2

CH2

CH=CH

CH2

CH2

CH2

CH= CH

CH2

CH2

CH2

CH2

CH2

COOH

CH2

Lipide neutre : triacylglycérol CH2–O–CO



R1 R2



CH–O–CO

R3

CH2–O–CO Phospholipide : phosphatidylcholine CO–O–CH2 –

R1 R2





CH3

––

O





CO–O–CH

CH2–O–P–O–CH2–CH2–N+–CH3 O

CH3

Galactolipide : digalactosyldiacylglycérol CH2OH O CH2–O–CO

O CH2



OH

O

OH HO

CH–O–CO



HO

O–CH2 OH

OH

R1

R2

Bibliographie Bibliographie générale Alberts B., Johnson A., Lewis J., Raff M., Roberts K., Walter P. Biologie moléculaire de la cellule. 2011, Médecine Sciences Publications, Lavoisier, Paris. Bensaude-Vincent B., Stengers I. - Histoire de la chimie. 2000, La Découverte, Paris. Berthon M.E. - Les grands concepts scientifiques et leur évolution. 2000, Tec et Doc, Paris. Brown E. - Des chimistes de A à Z. 2002, Ellipses, Paris. CotardiÈre P. de la Ed. - Histoire des sciences. 2004, Taillandier, Paris. Dachez R. - Histoire de la médecine de l’Antiquité au xxe siècle. 2004, Taillandier, Paris. Delavault R. - Les précurseurs de la biologie : de l’anatomie à la biologie expérimentale. 1998, Corsaire Édition, Orléans. De Witt H.C.D. - Histoire du développement de la biologie, 3 vol. 1992-94, Presses Polytechniques et Universitaires de Romandie, Lausanne. Duris P. & Gohau G. - Histoire des sciences de la vie. 1997, Nathan, Paris. Gillispie C.C. Ed. - Dictionary of Scientific Biography. 1970-1980, Charles Scribner’s Sons, New York. Giordan A. - Histoire de la biologie. 1987, Tech et Doc, Paris. Heilbron J.L. Ed. - The Oxford companion of the history of modern science. 2003, Oxford University Press, Oxford. LÉcaille C. - La chimie c’est tout une histoire. 2005, Ellipses, Paris. Maury J.P. - Une histoire de la physique sans les équations. 2000, Vuibert, Paris. Mazliak P. - Les fondements de la biologie. 2002, Vuibert, Paris Rabinovitch E.I. - Photosynthesis and related processes. 1945, Interscience Publishers, New York.

572

Respiration et photosynthèse

Samueli J.-J. & Boudenot J.-C. - Trente livres de physique qui ont changé le monde. 2007, Ellipses Éditions, Paris. Serres M. - Eléments d’histoire des sciences. 1989, Bordas, Paris. Sournia J.C. - Histoire de la médecine, 1997, La Découverte, Paris. Vignais P. - La biologie, des origines à nos jours. Une histoire des idées et des hommes. 2001, Collection Grenoble Sciences, EDP Sciences, Les Ulis. Vignais P. - Sciences expérimentales et connaissance du vivant. 2006, Collection Grenoble Sciences, EDP Sciences, Les Ulis.

Première partie Aristote - Petits traités d’histoire naturelle (traduction P.M. Morel). 2000, Flammarion, Paris. Aristote - De l’âme. Traduction R. Bodéûs 1993, Flammarion, Paris. Aristote - Physique. Traduction P. Pellegrin 2000, Flammarion, Paris. Baudet J. - À la découverte des éléments de la matière. 2009, Vuibert, Paris. Bensaude-Vincent B. - Lavoisier, Mémoires d’une révolution. 1993, Flammarion, Paris. Berthelot M. - La révolution chimique, Lavoisier. 1890, Félix Alcan, Paris, réédition 1964, Librairie Scientifique et Technique Albert Blanchard, Paris. Boustani F. - La circulation du sang. Entre Orient et Occident, l’histoire d’une découverte. 2007, Éditions Philippe Rey, Paris. Cardarelli F. - Scientific unit conversion. 1997, Springer-Verlag, Berlin. Daumas M. - Lavoisier, théoricien et expérimentateur. 1955, Presses Universitaires de France, Paris. Daumas M. - Les instruments scientifiques du xviie et xviiie siècle. 1953, Presses Universitaires de France, Paris. Descartes R. - Œuvres et lettres. 1953, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, Paris. Fabre J.H. - Les inventeurs et leurs inventions. 1986, Champion-Skatine, Paris, Genève. Grimaud E. - Lavoisier 1743-1794. 1896 ; réédition 1992, Éditions Jacques Gabay, Sceaux. Guyton de Morveau L.B., Lavoisier A.L., Bertholet C.L., et de Fourcroy A.F. - Méthode de nomenclature chimique. 1787, Cuchet, Paris ; réédition 1997, Éditions du Seuil, Paris.

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Deuxième partie Amar J. - Le moteur humain. 1914, Dunod et Pinat, Paris. Appert N. - L’art de conserver, pendant plusieurs années, toutes les substances animales et végétales. 1810, Patris, Paris. Arnaud P. - Cours de chimie physique. 1998, Dunod, Paris. Barthez J.P. - Nouveaux éléments de la Science de l’Homme. 2e éd., 2 vol. 1806, Goujon, Paris. Beaunis H. - Nouveaux éléments de physiologie humaine. 1876, Baillère, Paris. Beclard J. - Traité élémentaire de physiologie humaine. 6e éd. 1870, Asselin, Paris. Bernard C. - Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations pathologiques des liquides de l’organisme. 1859, Baillère, Paris. Bernard C. - Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. 1865, Baillère, Paris. Bernard C. - Leçons sur la chaleur animale et sur les effets de la chaleur et sur la fièvre. 1876, Baillère, Paris. Bernard C. - Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. 1878, Baillère, Paris.

Bibliographie 575

Bert P. - Leçons sur la physiologie comparée de la respiration. 1870, Baillère, Paris. Berzelius J. - Théorie des proportions chimiques et table synoptique des poids atomiques des corps simples et de leurs combinaisons les plus importantes. 1835, Firmin Didot, Paris. Bonnier G. & Leclerc du Sablon - Cours de botanique (Physiologie). 1905, Librairie générale de l’enseignement, Paris. Boussingault J.-B. - Agronomie, chimie agricole et physiologie, 5 vol. 1860-1884, Gauthiers-Villars, Paris. Boutibonnes P. - Van Leeuwenhoek. 1994, Belin, Paris. Candole A. de - Introduction à l’étude de la botanique, ou, traité élémentaire de cette science. 1835, Roret, Paris. Chauveau A. - Le travail musculaire et l’énergie qu’il représente. 1891, Asselin et Houzeaux, Paris. Chauveau A. - La vie et l’énergie chez l’animal. 1894, Asselin et Houzeaux, Paris. Colin G. - Traité de physiologie comparée des animaux. 1886, Baillère, Paris. Dalton J. - A new system of chemical philosophy. 1808, Bicherstaff, Manchester. Davy de Virville A. Ed. - Histoire de la botanique en France. 1954, Soc. Édit. Ens. Sup., Paris. Dumas J.B. - Essai de statique chimique des êtres organisés. 1842, Fortin Masson, Paris. Esau K. - Plant anatomy. 1960, John Willey, New York. Florkin M. - A history of biochemistry. Dans Comprehensive Biochemistry, vol. 30-33B. 1972, Elsevier, Amsterdam. Fresnel A. - Mémoire sur la diffraction de la lumière (1819). Œuvres complètes. 1868, Imprimerie royale, Paris. Gavarret J. - Physique médicale. De la chaleur produite par les êtres vivants. 1857, Masson, Paris. Guyton de Morveau L.B., Lavoisier A.L., Bertholet C.L., et de Fourcroy A.F. Méthode de nomenclature chimique. 1787, Cuchet, Paris ; 1997, Éditions du Seuil, Paris. Hunter G.K. - Vital forces. 2000, Academic Press, New York. Heller R. - Biologie végétale. Nutrition et métabolisme. 1969, Masson, Paris. Kane J. & Sterheim M. - Physique, 1986, Interédition, Paris. Keilin D. - The history of cell respiration and cytochrome. 1933, Cambridge University Press, Cambrige.

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Respiration et photosynthèse

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Bibliographie 577

sur ce fluide, tirés des journaux d’observations et d’expériences de Lazare Spallanzani, avec quelques mémoires de l’auteur sur ces matières, 3 vol. 1807, Paschoud, Genève. Spallanzani L. - Mémoires sur la respiration, par Lazare Spallanzani, traduits en français d’après son manuscit inédit par Jean Senebier. 1803, Paschoud, Genève. Steward F.C. - Plant physiology, vol. 1B. Photosynthesis and chemosynthesis. 1960, Academic Press, New York. Stiles W. - An introduction to the principles of plant physiology. 2e éd. 1950, Methuen, Londres. Stiles W. & Leach W. - Respiration in plants. 1960, Methuen, Londres. Taton R. - Histoire générale des sciences. La science contemporaine. Le xixe siècle. 1961, Presses Universitaires de France, Paris. Turpin P. - Mémoire sur la cause et les effets de la fermentation alcoolique et acéteuse. 1838, S.I., Paris. Willstätter R. & Stoll A. - Untersuchungen über Chlorophyll. 1913, Springer, Berlin

Troisième partie Bassham J.A. & Calvin M. - The path of carbon in photosynthesis. 1957, Engelwoods Cliffs, NJ. Bernard C. - Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. 1857, Baillère et Fils, Paris. Boudenot J.-C. - Histoire de la physique et des physiciens. 2001, Ellipses, Paris. Buchanan B.B., Gruissem W. et Jones R.L. - Biochemistry and molecular biology of plants. 2000, American Society of plant physiologists, Rockville, MD. Chottard J.C., Depezay J.C. et Leroux J.P. - Chimie fondamentale. I, Échanges d’énergie et équilibres. 1981; II, Structure moléculaire. 1995, Hermann, Paris. Davies D.D. Ed. - The biochemistry of plants, vol. 2, Metabolism and respiration. 1980, Academic Press, New York. Davson H. & Danielli J.F. - The permeability of natural membranes. 2e éd. 1952, Cambridge University Press, Cambridge. Duclaux J. - La chimie de la matière vivante. 1910, Félix Alcan, Paris. Farineau J. & Morot-Gaudry J.-F. - La photosynthèse. Processus physiques, moléculaires et physiologiques. 2006, Éditions INRA, Paris.

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Respiration et photosynthèse

Florkin M. - Comprehensive biochemistry, vol. 30-33B. M. Florkin et E.H. Stotz eds. 1972-1979, Elsevier Scientific Publishing Company, Amsterdam. Florkin M. & Stotz E.H. Eds - Biological oxidations. Dans Comprehensive biochemistry, vol. 14. 1966, Elsevier Publishing Company, Amsterdam. Frank J.A. & Loomis W.E. - Photosynthesis in plants. 1949, The Iowa State college Press, Ames, Iowa. Govindgee Ed. - Photosynthesis. 1982, Academic Press, New York. Greenberg D.M. Ed. - Metabolic pathways, vol. 1. 1960, Academic Press, New-York. Guilliermond A., Mangenot G., Plantefol L. - Traité de cytologie végétale. 1933, Librairie Le François, Paris. Hall D.O., Rao K.K. - Photosynthesis. 8e éd. 1999, Cambridge University Press, Cambridge. Harden A. - Alcoholic fermentation. 4e Ed. 1932, Longman, Londres. Hatch M.D. & Boardman N.K. Eds - The biochemistry of plants, vol. 8, Photosynthesis. 1981, Academic Press, New York. Heller R., Esnault R. et Lance C. - Physiologie végétale, I, Nutrition. 1998, Dunod, Paris. Hoober J.K. - Chloroplasts. 1984, Plenum Press, New York. Hopkins B. - Physiologie végétale. 2003, De Boeck, Bruxelles. Javillier A. - Traité de biochimie générale. 1964, Masson, Paris. Jupin H. & Lamant A. - La photosynthèse. 1997, Masson, Paris. Kalckar H.M. Biological phosphorylations. Development of concepts.1969, Prentice Hall, Englewood Cliffs, NJ. Karp. A. - Biologie cellulaire et moléculaire. 1998, De Boeck Université, Bruxelles. Keilin D. - The history of cell respiration and cytochrome. 1966, Cambridge University Press, Cambridge. Kirk J.T. & Tilney-Bassett R.A.E. - The plastids. 1978, Elsevier/North-Holland, Amsterdam. Lehninger A.L. - The mitochondrion, molecular basis of structure and function. 1964, Benjamin, New-York. Lehninger A.L. - Bioenergetics. 1965, Benjamin, New York. Lehninger A., Nelson D.L. et Cox M.M. - Principes de biochimie. 2e éd. 1994, Flammarion, Paris. Lewis G.N. & Randall M. - Thermodynamics. 1923, McGraw-Hill, New York.

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Index des auteurs A Acquapendente Girolamo (1537-1619) Agricola (1494-1555) Altmann Richard (1852-1900) Anaximène (550?-480? av. J.-C.) Appert Nicolas (1748-1841) Arétée de Cappadoce (i-iie siècle) Aristote (384-322 av. J.-C.) Arnon Daniel (1910-1994) Atwater Wilburg (1844-1907) Averroès (1126-1198) Avicenne (980-1037) Avogadro Amedeo (1776-1856)

30 28, 53 360 12 275 21 14, 19, 32, 53, 90, 159, 273, 526 464, 475, 476 235, 237, 239 23 23 151, 155, 298, 527

B Baeyer Adolf von (1835-1917 180, 433 Barnes Charles (1858-1910) 166 Barthez Paul-Joseph (1734-1806) 223 Bassham James (1922- ) 454 Baumé Antoine (1728-1804) 82 Béchamp Antoine (1816-1908) 288 Becher Johan (1635-1682) 50 Becquerel Antoine-César (1788-1878) 215 Becquerel Edmond (1820-1891) 256 Becquerel Henri (1852-1908) 300 Belitzer Wladimir 1906-1988) 419, 421 Bellamy Félix (1837-1907) 284 Benda Carl (1857-1933) 360 Benedict Francis (1870-1957) 235, 237, 239 Benson Andrew (1917- ) 447, 454 Bergman Torbern (1735-1784) 57, 74 Bernard Claude (1813-1878) 171, 189, 208, 215, 223, 228, 285, 288, 291 Berthelot Marcellin (1827-1907) 186, 232, 234, 288 Berthollet Claude-Louis (1748-1822) 82, 83, 148, 160 Bert Paul (1833-1886) 190

582

Respiration et photosynthèse

Bertrand Gabriel (1867-1962) 318, 324 Berzelius Jöns Jacob (1779-1848) 153, 155, 193, 249, 265, 270, 284, 286, 292 Biot Jean-Baptiste (1774-1862) 179 Black Joseph (1728-1799) 55, 56, 78, 85, 97, 156 Boerhaave Hermann (1668-1738) 53 Bohr Niels (1885-1962) 305 Bonnier Gaston (1853-1922) 171, 204 Boussingault Jean-Baptiste (1802-1887) 141, 169, 170, 171, 172, 173, 180, 206, 207, 210,255, 433 Boyer Paul (1918- ) 430, 496, 498, 519, 521, 528, 554 Boyle Robert (1627-1691) 34, 39, 67, 85, 94, 132, 157 Breschet Gilbert (1783-1845) 215 Broglie Louis de (1892-1987) 314 Brown Robert (1773-1858) 298 Buchner Eduard (1860-1917) 291, 325, 527, 528, 554

C Cagniard-Latour Charles (1777-1859) Cailletet Louis (1832-1913) Calvin Melvin (1911-1997) Candole Alphonse de (1806-1893) Carlisle Anthony (1768-1840) Carnot Sadi (1796-1832) Cavendish Henry (1731-1810) Caventou Joseph (1795-1877) Celse (1er siècle) Cesalpino Andrea (1524-1603) Chadwick James (1891-1974) Chance Briton (1913-2010) Chauveau Auguste (1827-1917) Chevreul Eugène (1786-1889) Christian Walter (1907-1955) Clapeyron Emile (1799-1864) Claude Albert (1889-1983) Clausius Rudolph (1822-1888) Colin Gabriel (1825-1896) Colombo Realdo (1515-1559) Cori Carl (1896-1984) Cori Gerty (1896-1957) Crawford Adair (1748-1795) Croft Hill Arthur (1863-1947) Crookes William (1832-1919) Curie Marie (1867-1934) Curie Pierre (1859-1906)

266 255 349, 447, 454 167 152 158 57, 70, 72, 75, 85, 133 174, 248, 433 21 30 302 358, 424, 427 221, 224, 226, 227 223 370, 372 158 345, 358, 380, 528 158, 400 217 30 528 528 100 318 300 300 300

Index des auteurs

583

D Dalton John (1766-1844) Deisenhofer Johan (1943- ) Démocrite (460?-370? av. J.-C.) Descartes René (1596-1650) Despretz César (1792-1863) Draper John William (1811-1882) Duclaux Jacques (1877-1978) Dulong Pierre-Louis (1785-1838) Dumas Jean-Baptiste (1800-1884) Dutrochet Henri (1776-1847)

149, 527 528, 555 15, 32, 91 13, 33, 93 235 255 315 154, 235 207, 210, 216, 220, 232, 270, 315 167

E Eggleton Grace (1901-1970) Eggleton Philip (1903-1954) Einstein Albert (1879-1955) Embden Gustav (1874-1933) Emerson Robert (1903-1959 Empédocle (490?-435? av. J.-C.) Engelhardt Wladimir (1894-1971) Engelmann Wilhelm (1843-1909) Epicure (341-270 av. J.-C.) Érasistrate (304?-245? av. J.-C.) Euler Hans von (1873-1964)

403 403 298, 312, 436 331, 403 438, 439, 442, 464 12 418 258, 261 15 21, 30 528

F Fabroni Giovanni (1752-1822) Fahrenheit Daniel (1686-1736) Faraday Michael (1791-1867) Fischer Emil (1852-1919) Fiske Cyrus (1890-1978) Fourcroy Antoine (1755-1809) Franklin Benjamin (1706-1790) Fraunhofer Joseph (1737-1826) Frémy Edmond (1814-1894) Fresnel Augustin (1788-1827) Funke Otto (1828-1879)

264 45 152 327, 366, 376 403 83 48 246 248, 249, 274 242, 244, 527 195

G Galien (131-200) Galilée Galileo (1564-1642) Galvani Luigi (1737-1798) Garreau Lazare (1812-1892)

22, 90, 91, 526 28, 44, 47 159 168, 220

584

Gavarret Louis (1809-1890) Gay-Lussac Joseph-Louis (1778-1850) Gibbs Josiah Willard (1839-1903) Green David (1910-1983) Grew Nehemia (1641-1712) Guericke Otto von (1602-1686) Gutenberg Johannes (1400-1468) Guyton de Morveau Louis (1737-1816)

Respiration et photosynthèse

215 150, 157, 270, 275 400 346, 386 174 34, 48, 94 27 83

H Hales Stephen (1677-1761) Harden Arthur (1865-1940) Hartree Edward (1910-1993) Harvey William (1578-1657) Hassenfratz Jean-Henri (1755-1827) Hatefi Youssef (1929- ) Heidenhain Rudolph (1834-1897) Helmoltz Hermann von (1821-1894) Héraclite (576?-480 av. J.C.) Hérophile (340?-300? av. J.C.) Herschel William (1738-1822) Hertz Heinrich (1857-1894) Hess Germain (1802-1850) Hill Robert (1899-1991) Hippocrate (460?-377? av. J.C.) Hittorf Wilhelm (1824-1914) Hoffmeister Frantz (1850-1922) Hooke Robert (1635-1703) Hoppe-Seyler Felix (1825-1895) Horecker Bernard (1914-2010) Humbolt Alexander von (1769-1859) Huygens Christiaan (1629-1695)

42 326, 405, 528 385 29, 526, 554 186, 187 387 217 225, 232 12 21 159, 247 312 231 461, 464, 554 18, 90 299 317 30, 47, 67, 94 195 348 133 47, 243, 285

I Ingen-Housz Jan (1730-1799)

124, 138, 527

J Joliot-Curie Frédéric (1900-1958) Joliot-Curie Irène (1897-1956) Joule James Prescott (1818-1889)

304 304 157, 158, 527

K Kalckar Hermann (1908-1991) Keilin David (1887-1983)

418 357, 372, 375, 376, 377, 383

Index des auteurs

Klingenberg Martin (1928- ) Knoop Frantz (1875-1946) Körner Wilhelm (1839-1928) Kostychev Serge (1877-1931) Krebs Hans (1900-1980) Kühne Wilhelm (1837-1900) Kylin Harald (1879-1949)

585

386 344 217 326 339, 528 289, 290 252

L Lagrange Joseph-Louis de (1736-1813) 186 Lamarck Jean-Baptiste (1744-1829) 218 Langley Samuel (1834-1906) 260 Laplace Pierre-Simon (1749-1827) 78, 105 Lavoisier Antoine-Laurent (1743-1794) 54, 57, 64, 72, 74, 76, 77, 81, 85, 101, 102, 105, 111, 118, 119, 122, 231, 263, 281, 282, 285, 308, 526, 528, 554 Lechartier Georges (1837-1903) 284 Leeuwenhoek Antoni Van (1632-1723) 31, 47, 267, 193 Le Febvre Nicaise (1610-1669) 39 le Grand (1193-1280) 17 Lehninger Albert (1917-1986) 345, 419, 421, 427 Leibnitz Gottfried (1646-1716) 311 Leloir Luis (1906-1987) 345 Lémery Nicolas (1645-1715) 39, 82 Leucippe (460?-370? av. J.-C.) 15, 32 Lewis Charlton M. (1905-1996) 438 Libavius (1550?-1615) 28 Liebig Justus von (1803-1873) 153, 180, 194, 207, 228, 231, 264, 265, 272, 288 Lipmann Frantz Fritz (1899-1986) 342, 407, 409, 427, 528, 554 Lister Joseph (1827-1912) 277 Loewenhart Arthur (1878-1929) 319 Lohmann Karl (1898-1978) 340, 403, 406 Loschmidt Joseph (1821-1895) 298 Lower Richard (1631-1691) 92 Lucrèce (98-55 av. J.-C.) 15 Lundegårdh Henrik (1888-1969) 498, 516 Lundsgaard Einar (1899-1968) 405 Lynen Feodor (1911-1979) 346, 528

M MacMunn Charles (1852-1911) Macquer Pierre-Joseph (1718-1784) Magnus Gustav (1802-1870) Maïmonide (1135-1204) Makino Katashi (1907-1990)

373 82 187 23 404

586

Malpighi Marcello (1628-1694) Mangin Louis (1852-1937) Margulis Lynn (1938-2011) Mariotte Edme (1620?-1684) Martius Carl (1906-1993) Matruchot Louis (1863-1921) Maxwell James (1831-1879) Mayer Justus Robert (1814-1878) Mayow John (1641-1679) Meyerhof Otto (1884-1951 Millikan Robert (1868-1953) Mitchell Peter (1920-1992) Mitscherlich Eilhardt (1794-1863) Mohl Hugo von (1805-1872) Molisch Hans (1856-1937) Molliard Marin (1866-1944) Musschenbroek Peter (1692-1761)

Respiration et photosynthèse

31 171, 204 558 34, 39, 76 335, 337 284 244 141, 157, 161, 254, 433 68, 94, 96 331, 400, 406, 417, 432 299 501, 503, 509, 514, 516, 528, 554 154 175, 177 252 284 48

N Negelein Erwin (1897-1979) Neuberg Carl (1877-1956) Newton Isaac (1642-1727) Nicholson Williams (1735-1815) Niel Cornelis (1897-1985)

372, 437 330 53, 242 152 456

O Ochoa Severo (1905-1993) Ostwald Wilhelm (1853-1932

346 406

P Palade George (1912-2008) 483, 528 Palissy Bernard (1510-1589) 39 Papin Denis (1647-1712) 158 Paracelce (1493-1551) 16, 28 Parnas Jacob (1884-1944) 331 Pascal Blaise (1623-1662) 33 Pasteur Louis (1822-1885) 270, 272, 276, 279, 286, 288, 291, 431, 527, 554 Payen Anselme (1795-1871) 178, 210, 288 Pelletier Pierre-Joseph (1788-1842) 248, 433 Perrin Jean (1870-1942) 298 Persoz Jean-François (1805-1868) 178, 210, 288 Peters Rudolph (1898-1978) 340 Petit Alexis (1791-1820) 154 Pettenkofer Max (1818-1901) 206

Index des auteurs

Pflüger Eduard (1829-1910) Planck Max (1858-1947) Platon (428-348 av. J.-C.) Plücker Julius (1801-1868) Pouchet Félix (1800-1872) Power Henri (1623-1668) Priestley Joseph (1733-1804) Proust Joseph Louis (1754-1826) Ptolémée (90-168) Pythagore (580-500 av. J.-C.)

587

191, 204, 362 311 12 299 274 31 59, 68, 85, 98, 138, 527 148 27 12, 526

R Ramsden Jesse (1735-1800) Réaumur René-Antoine (1683-1757) Regnault Henri-Victor (1810-1878 Reiset Jules (1818-1896) Rey Jean (1583-1645) Richter Jeremias Benjamin (1762-1807) Ritter John Wilhelm (1776-1810) Robertson Brailsford (1884-1930) Robertson Rutherford (1913-2001) Roberval Gilles (1602-1675) Römer Claüs (1644-1710) Röntgen Wilhelm (1845-1923) Rutherford Daniel (1749-1819) Rutherford Ernest (1871-1937)

48 45 204 204 53, 68 148 247 319 501 46 28 300 61, 302 303

S Sachs Julius von (1832-1897) 175, 177, 454 Saussure Nicolas Théodore de (1767-1845) Scheele Wilhelm (1742-1786) Schleiden Mathias Jacob (1804-1881) Schwann Theodor (1810-1882) Sédillot Charles-Emmanuel (1804-1883) Seebeck Thomas (1770-1831) Seguin Armand (1767-1835) Senebier Jean (1742-1809) Servet Michel (1509-1553) Sjöstrand Fritiof (1912-2011) Skou Jens Christian (1918- ) Slater BILL (E.C.) (1917- ) Soddy Frederich (1877-1956) Sörensen Sören (1868-1939)

132, 136, 139, 173, 219, 434, 526, 528, 542 58, 85, 284 190, 527 190, 223, 268, 288, 527 276 214 102, 108 128, 138, 173, 255, 434, 527 29, 526 483 528 421, 427, 430 304 309

588

Spallanzani Lazzaro (1729-1799) Stahl Georg Ernst (1660-1734) Stokes George (1819-1903) Stoll Arthur (1887-1971) Szent-Györgyi Albert (1893-1986)

Respiration et photosynthèse

188, 275 50, 77 249, 252 251, 441 335, 367

T Tailor Alonzo (1871-1949) Thalès (viie-vie siècle av. J.-C.) Théophraste (372? -287? av. J.-C.) Theorell Hugo (1903-1982) Thomas d’Aquin (1227-1274) Thomson Joseph (1856-1940) Thunberg Torsten (1873-1953) Timiriazeff Kliment (1843-1920) Torricelli Evangelista (1608-1647) Traube Moritz (1826-1894) Tswett Mikhail (1872-1919) Turpin Pierre (1775-1840)

319 12, 47, 526 25 368, 528 23 302 357, 364 256, 261 32 289 248, 446 267

V Van Helmont Joan Baptista (1577-1644) Van Niel Cornelis (1897-1985) Vésale (1514-1564) Voit Carl von (1831-1908) Volta Alessandro (1745-1827)

36, 92, 96, 132, 273, 526, 554 456, 540 29, 526 206 152, 159

W Walker John (1941- ) 523, 528 Warburg Otto (1883-1970) 324, 348, 354, 365, 370, 372, 376, 383, 390, 436, 437 Wieland Heinrich (1877-1957) 363, 390 Willis Thomas (1621-1675) 95 Willstätter Richard (1872-1942) 251, 441 Winogradsky Sergei (1856-1953) 548 Wöhler Friedrich (1800-1882) 288 Wurmser René (1890-1993) 459

X Xénophane (570?-480? av. J.-C.)

12

Y Young Thomas (1773-1829) Young William (1878-1942)

243 326, 405

Index chronologique Antiquité ≈ − 500 Pythagoriciens : le cœur est le siège de la chaleur innée

18 1

≈ − 450 Empédocle : la théorie des quatre éléments

12

≈ − 400 Démocrite : l’atome, unité de matière insécable

15

≈ − 400 Hippocrate : par la respiration, le poumon refroidit le cœur

19

≈ − 350 Aristote : Petits traités d’histoire naturelle (De la respiration)

19

≈ − 200 Naissance de l’alchimie en Égypte

16

180 Galien : les mouvements du thorax provoquent la ventilation pulmonaire

e

xvi

22

Siècle

1537

Servet : découverte de la petite circulation

29

1543

Vésale : anatomie du cœur et de l’appareil respiratoire

29

1546

Agricola : description des procédés métallurgiques

28

1597

Libavius : description de nouveaux métaux

28

xviie Siècle 1608

GalilÉe : découverte de la lunette astronomique

28

1628

Harvey : découverte de la circulation du sang

30

1630

Rey : les oxydes métalliques sont plus pesants que les métaux

53

1644

Torricelli : découverte de la pression atmosphérique

33

1649

Power : découverte des vaisseaux capillaires

31

1648 Pascal : expérience du Puy de Dôme sur la pression atmosphérique Van Helmont : découverte des gaz

33 37

1650

Guericke : invention de la pompe pneumatique

34

1654

Guericke : preuve du vide (hémisphères de Magdebourg)

34

1 Le numéro renvoie à la page correspondante.

590

Respiration et photosynthèse

1660

Guericke : première machine électrostatique

48

1661

Boyle : The sceptical chemist (définition de l’élément) Malpighi : découverte des capillaires pulmonaires

39 31

1662

Boyle : loi de compression des gaz (P.V = cte)

34

1665

Hooke : Micrographia (découverte de la cellule)

30

1667

Lower : la couleur du sang se modifie lors du passage dans le poumon

92

1668

Mayow : une partie de l’air seulement est utilisée dans la respiration Mayow : la respiration est la source de la chaleur animale

96 96

1674

Leeuwenhoek : découverte des globules rouges

1675

LÉmery : Cours de chymie

39

1676

Römer : mesure de la vitesse de la lumière

28

1680

Leeuwenhoek : découverte des levures

31

1683

Leeuwenhoek : découverte des bactéries

31

1687

Newton : Philosophiae naturalis principia mathematica

1690

Huyghens : Traité de la lumière (nature ondulatoire de la lumière)

31, 194

53 243

xviiie Siècle 1704

Newton : Opticks (nature corpusculaire de la lumière)

1717

Stahl : théorie du phlogistique

50

1727

Hales : Vegetable statics (la cuve à eau)

42

1742

Celsius : échelle des températures (0 °C - 100 °C)

45

1746

Muschenbroek : bouteille de Leyde

46

1756

Black : Experiments on magnesia alba (découverte du gaz carbonique) Black : combustion et respiration produisent du gaz carbonique Black : définition et mesure de chaleurs latentes et spécifiques

243

55 97 156

≈ 1760 La balance de précision

46

1760

Cavendish : découverte de l’hydrogène

57

1770

Lavoisier : l’eau ne peut se transformer en terre

64

1772

Priestley : une plante régénère l’air vicié par la respiration d’un animal Rutherford : découverte de l’azote

120 61

1774 Lavoisier : Mémoire sur la calcination de l’étain Priestley : Experiments and observations on different kinds of air Priestley : découverte de l’oxygène

68 59 60

1776

48

Ramsden : la machine électrostatique

Index chronologique

591

1777 Lavoisier : Mémoire sur la combustion en général Lavoisier : Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l’air passant par leurs poumons

103

1778

Lamarck : émission de chaleur par les fleurs d’Arum

218

1779

Ingen-Housz : rôle de la lumière dans la photosynthèse

125

69

1780 Lavoisier, Laplace : Mémoire sur la chaleur (invention du calorimètre) 79, 105 Lavoisier : la respiration est une combustion lente et siège dans le poumon 107 1781 Cavendish : détermination de la composition de l’air Lavoisier : détermination de la composition du gaz carbonique

70 81

1783 Cavendish, Lavoisier : synthèse de l’eau Senebier : Recherches sur l’influence de la lumière solaire pour la métamorphose de l’air fixe en air pur par la végétation

72

1785 Lavoisier : décomposition de l’eau Lavoisier : Altérations qu’éprouve l’air expiré Lavoisier : dans la respiration l’oxygène de l’air sert à former de l’eau et de l’acide carbonique Lavoisier : première mesure des échanges gazeux d’un animal 1787

Guyton de Morveau, Lavoisier, Bertholet, Fourcroy : Méthode de nomenclature chimique

1788

Senebier : le rejet d’oxygène par la plante est lié à l’absorption de gaz carbonique

129 74 105 105 103 83 129

1789 Lavoisier : Traité élémentaire de chimie 63 Lavoisier : la chaleur dégagée par la respiration n’élève pas la température du corps 107 Seguin, Lavoisier : Premier mémoire sur la respiration des animaux 100 1790

Seguin, Lavoisier : Premier mémoire sur la transpiration des animaux

101

1791

Hassenfratz : le sang est le siège de la respiration

186

1792

Richter : loi des proportions réciproques

148

1797

Proust : loi des proportions définies

148

1798

Humbolt : l’acide carbonique est un constituant de l’air atmosphérique

133

e

xix

Siècle

1800 Carlisle, Nicholson : électrolyse de l’eau Hershell : découverte de l’infrarouge Volta : invention de la pile électrique

152 247 152

1801

Ritter : découverte de l’ultraviolet

247

1803

Spallanzani : les tissus sont le siège de la respiration

188

592

Respiration et photosynthèse Saussure : Recherches chimiques sur la végétation Saussure : le carbone des plantes provient de l’air atmosphérique Saussure : l’eau est utilisée dans la photosynthèse

1804

de de de

1806

Barthez : théorie de la force vitale

132 135 138 222

1808 Dalton : loi des proportions multiples Dalton : théorie atomique

149 150

1810

Appert : procédé de conservation des aliments

275

1811

Avogadro : hypothèse d’Avogadro

151

1813

Berzelius : création des symboles chimiques

153

1814

Fraunhofer : invention du spectroscope

246

1815

Gay-Lussac : dans la fermentation alcoolique le sucre se transforme en parties égales en alcool et acide carbonique

270

1818

Pelletier, Caventou : découverte de la chlorophylle

174

1819

Fresnel : Mémoire sur la diffraction de la lumière 242

1822 de Saussure : respiration des fleurs d’Arum 220 Seebeck : découverte de l’effet thermoélectrique 214 1824

Carnot : Réflexions sur la puissance motrice du feu

158

1827

Brown : découverte du mouvement brownien

298

1828

Wöhler : synthèse de l’urée

239

1833

Payen, Persoz : découverte de la diastase

178

1835

Berzelius : table des poids atomiques

155

1837 Berzelius : dans la fermentation la levure agit comme un catalyseur Liebig : la fermentation est due à une instabilité de la matière qui se propage Magnus : les teneurs en oxygène et gaz carbonique sont différentes dans le sang veineux et le sang artériel von Mohl : découverte des chloroplastes

265

188 175

1838

Cagniard-Latour : la levure n’est pas une substance chimique von Mohl : les chloroplastes contiennent des grains d’amidon

266 177

1842

Mayer : première estimation de l’équivalence chaleur/travail

157

266

1844 Draper : action de la longueur d’onde de la lumière sur la photosynthèse 255 Liebig : le fer est présent dans les globules rouges et participe à la respiration 194 1845

Mayer : les plantes convertissent l’énergie solaire en énergie chimique

161

1847

Joule : équivalent mécanique de la calorie

157

1849

Regnault, Reiset : la valeur du quotient respiratoire dépend du combustible utilisé dans la respiration

204

1850

Pasteur : les molécules naturelles sont généralement dissymétriques et dévient le plan de polarisation de la lumière

286

Index chronologique

593

1851 Funke : découverte de l’hémoglobine Garreau : les plantes respirent, même à la lumière

195 168

1853

Bernard : découverte de la fonction glycogénique du foie

208

1855

Gavarret, Bernard : mesure de la température des animaux

215

1859

Pouchet : Hétérogénie ou Traité de la génération spontanée 274

1860

Pasteur : Mémoire sur la fermentation alcoolique 270

1861

Pasteur : découverte des fermentations anaérobies strictes

280

1862 Sachs : l’amidon se forme à la lumière Sachs : l’amidon est le produit d’incorporation de l’acide carbonique

177 178

1864

Boussingault : le quotient photosynthétique est égal à 1 Boussingault : de l’eau est produite dans la respiration et consommée dans la photosynthèse

170

1865

Berthelot : invention de la bombe calorimétrique

233

1866

Loschmidt : première détermination du nombre d’Avogadro

298

173

1869 Hittorf : découverte des rayons cathodiques Lechartier, Bellamy : fermentation chez les végétaux

299 284

1870

Baeyer : théorie de l’aldéhyde formique (photosynthèse) Bert : la respiration d’un organisme est la somme des respirations élémentaires de ses différentes parties

181

1872

Pflüger : la cellule est le siège de la respiration

191

1873

Maxwell : théorie électromagnétique de la lumière

244

190

1876 Pasteur : Etudes sur la bière 273 Pasteur : la fermentation est la vie sans air 279 Pasteur crée les termes aérobie et anaérobie 282 Pasteur : la respiration est plus efficace que la fermentation 283 1877 Timiriazeff : dans la photosynthèse, seules les radiations lumineuses absorbées sont actives Kühne : création du terme enzyme Pflüger : définition du quotient respiratoire

257 290 204

Bernard : Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux

211

1878

1882 Engelmann : spectre d’action de la lumière sur la photosynthèse Langley : distribution de l’énergie dans le spectre solaire

258 260

1884

Cailletet : la lumière verte est inefficace dans la photosynthèse

256

1886

Bonnier, Mangin : photosynthèse et respiration coexistent à la lumière MacMunn : découverte de la myohématine

172 373

1891

Berthelot : mesure du pouvoir calorifique des sucres, graisses et albuminoïdes

234

1893

Barnes : création du terme photosynthèse

166

594 1895

Respiration et photosynthèse Becquerel : découverte de la radioactivité naturelle Bertrand : découverte de la laccase, la première oxydase Röntgen : découverte des rayons X

300 318 300

1897 Buchner : la zymase, ou la fermentation sans la levure 291 Benda : création du terme mitochondrie 360 Thomson : découverte de l’électron 302 1898

Curie (M. et P.) : découverte du radium

300

xxe Siècle 1900

Planck : théorie des quanta

311

1901

Hoffmeister : des enzymes catalysent toutes les réactions biologiques

317

1902

Atwater, Benedict : la loi de conservation de l’énergie s’applique strictement aux êtres vivants Richter : dans la photosynthèse toutes les radiations lumineuses sont également efficaces

1904

Knoop : β-oxydation des acides gras

344

1905

Einstein : le photon, unité d’énergie lumineuse

312

1906

Tswett : découverte de la chromatographie

250

236 261

1912 Kostychev : une réaction d’oxydoréduction intervient dans la fermentation alcoolique 326 Warburg : découverte du ferment respiratoire (Atmungsferment) 365 Wieland : théorie de l’activation de l’hydrogène 363 1913 Bohr : modèle de l’atome d’hydrogène Millikan : mesure de la charge électrique de l’électron Perrin : Les Atomes

314 299 298

1916

Willstätter : formule de la chlorophylle

441

1919

Rutherford : découverte du proton

302

1920 Warburg : méthode manométrique de mesure des gaz Warburg : le ferment respiratoire contient du fer

354 366

1920

Winogradsky : découverte de la chimiosynthèse

548

1922

Warburg : photoréversibilité de l’inhibition de la respiration par le monoxyde de carbone (CO)

366

1923 de Broglie : mécanique ondulatoire Warburg : rendement quantique de la photosynthèse

314 437

1925

488 372

Gorter, Grendel : les membranes sont constituées d’une bicouche lipidique Keilin : découverte des cytochromes

Index chronologique

595

1927 Eggleton (G. et P.), Fiske, SubbaRow : découverte de la créatine phosphate Embden : découverte de l’AMP (adénosinemonophosphate)

403 403

1929

403

Lohmann, Fiske, SubbaRow : isolement de l’ATP (adénosine triphosphate)

1932 Chadwick : découverte du neutron Emerson, Arnold : deux types de réactions, photochimique et chimique, interviennent dans la photosynthèse Emerson, Arnold : l’unité photosynthétique Warburg : isolement du ferment jaune (flavoprotéines)

439 441 368

1934 Joliot-Curie (I. et F.) : découverte de la radioactivité artificielle Van Herk : la respiration des aroïdées est résistante au cyanure

304 391

1935 Lohmann, Makino : détermination de la structure de l’ATP Szent-Györgyi : cycle des acides dicarboxyliques Theorell : isolement de la riboflavine Warburg, Christian : isolement du coenzyme I (NAD)

404 336 369 370

1936

Hubert : découverte des granums dans les chloroplastes

444

1937

Hill : le dégagement d’oxygène dans la photosynthèse dépend de la présence d’un accepteur d’électrons

461



Kalckar : mise en évidence du rapport P/O dans la phosphorylation oxydative

419



Krebs, Johnson : le cycle de Krebs (ou des acides tricarboxyliques)

339

1938

Ball : détermination des potentiels d’oxydoréducion des cytochromes

383

1939 Création du terme glycolyse Lundegårdh : théorie de la respiration anionique chez les végétaux 1940

302

331 498

Ruben, Kamen : découverte du carbone-14 (14C) 445

1941 Lipmann : la liaison phosphate riche en énergie Martin, Synge : la chromatographie sur papier Ruben : l’oxygène dégagé dans la photosynthèse provient de l’eau Van Niel : équation de la photosynthèse bactérienne

407 446 459 458

1943 Davson, Danielli : structure trilamellaire des membranes biologiques Emerson, Lewis : rendement quantique de la photosynthèse

488 438

1946

358

Claude : centrifugation différentielle pour l’isolement des organites cellulaires

1948 Hogeboom, Schneider, Palade : les mitochondries oxydent les acides du cycle de Krebs Loomis, Lipmann : le dinitrophénol découple la phosphorylation oxydative 1949

Friekin, Lehninger : les mitochondries sont le siège des oxydations respiratoires et de la phosphorylation oxydative

361 420 419

596

Respiration et photosynthèse

Calvin, Benson : l’acide phosphoglycérique est le premier produit de la photosynthèse 1950 Utilisation du microscope électronique en biologie

447 315, 483

1951 Hill, Scarisbrick : découverte du cytochrome f 462 Lynen, Reichert : isolement du coenzyme A 342 1953

Lynen, Ochoa, Green : b-oxydation des acides gras

346

1954

Arnon, Frenkel : découverte de la photophosphorylation

475

1955 Calvin : cycle de Calvin pour l’incorporation du CO2 454 James, Beevers : résistance au cyanure des mitochondries végétales 391 Palade , Sjöstrand : ultrastructure des mitochondries 483 1956

Chance, Williams : localisation des sites de phosphorylation

424

1957

Crane, Morton : découverte de l’ubiquinone

378

1959

Decker : découverte de la photorespiration Robertson : concept de la membrane-type (unit membrane)

544 490

1960

Hill, Bendall : schéma en Z du transport d’électrons dans la photosynthèse Margulis : origine endosymbiotique des mitochondries et des chloroplastes Utilisation de l’électrode à oxygène pour la mesure de l’oxygène

558 356

1961

Mitchell : théorie chimiosmotique de la phosphorylation oxydative

501

464

1962 De Duve : distribution des enzymes dans les territoires cellulaires Menke : ultrastructure du chloroplaste Park : les quantasomes (unités photosynthétiques)

492 485 444

1966

Garraban, Glynn : la théorie chimiosmotique est vérifiée sur les globules rouges

509



Hatch, Slack : photosynthèse des plantes C4 Jagendorf, Uribe : la théorie chimiosmotique est vérifiée sur les chloroplastes Mitchell : création du terme force proton-motrice Reid, Moyle, Mitchell : la théorie chimiosmotique est vérifiée sur les mitochondries

541

1971

Tolbert, Zelitch : mécanisme de la photorespiration

544

1972

Singer, Nicolson : modèle membranaire de la mosaïque fluide

490

1976

Nicholls : découverte de la protéine découplante UCP1 (animaux)

551

1995

Vercesi : découverte de la protéine découplante PUMP (plantes)

551

1997

Boyer : mode de fonctionnement de l’ATP synthase Noji, Yasuda, Yoshida, Kinosita : démonstration du mode de fonctionnement de l’ATP synthase

521

508 514 509

523