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French Pages 192 [221] Year 2014
Sous la direction de Roland COUTANCEAU Rachid BENNEGADI
Résilience et relations humaines Couples, Familles, Institution, Entreprise, Cultures
978-2-10-070787-4
Sommaire
IX
LISTE DES AUTEURS PRÉFACE. LE SUJET RÉSILIENT
XIII
Boris Cyrulnik
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AVANT-PROPOS Roland Coutanceau
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
P REMIÈRE PARTIE Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE 1. Les êtres « nonobstant »
3
Michel Onfray
2. Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
9
Roland Coutanceau
3. Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
23
Marie Anaut
4. Shoah et résilience Serge Bornstein
37
VI
S OMMAIRE
D EUXIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET FAMILLE 5. La place de l’attachement
47
Michel Delage
6. Couples résilients
71
Philippe Brenot
7. Dépasser la séparation : un changement vers un avenir différent ou une blessure qui ne se referme pas ?
77
Jocelyne Dahan
T ROISIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET TRAVAIL 8. Du bon (ou du mauvais) usage de la résilience au travail
97
Michel Debout, Luis Vasquez
9. Angoisses et désorganisations psychiques dans un contexte de licenciement
107
Joël Croas
10. Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie
119
Jocelyn Aubut
11. Stratégies résilientes face à la violence psychologique dans les espaces clos (famille, institution, entreprise)
129
Roland Coutanceau
Q UATRIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET SOCIÉTÉ 12. Compétence culturelle et migrations
141
Rachid Bennegadi
13. Déterminants sociaux et santé mentale Stéphanie Larchanché, Marie-Jo Bourdin
153
Sommaire
14. Bouc émissaire et résilience, autosupport et société : un mélange des genres
157
Éric Verdier
15. Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation sont-ils toujours valables ?
171
Norman Sartorius
16. Enjeux de la psychiatrie sociale
177
Driss Moussaoui
BIBLIOGRAPHIE
185
TABLE DES MATIÈRES
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VII
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Liste des auteurs
Ouvrage dirigé par : ROLAND C OUTANCEAU , psychiatre des hôpitaux, expert national, président de la Ligue française de santé mentale, chargé d’enseignement en psychiatrie et psychologie légales à l’Université Paris V, à la faculté du Kremlin-Bicêtre et à l’École de Psychologues Praticiens. R ACHID B ENNEGADI, psychiatre anthropologue, secrétaire général de l’Association Mondiale de Psychiatrie Sociale, viceprésident de la Ligue Française pour la Santé Mentale, directeur du pôle enseignement et recherche au centre F. Minkowska, co-directeur du D.U. « santé, Maladie, Soins, Médiation et Cultures », Université de Paris Descartes. Auteurs ayant collaboré à l’ouvrage : M ARIE A NAUT, psychologue clinicienne, thérapeute familial, professeur de psychologie et sciences de l’éducation à l’Université Lumière Lyon-II. J OCELYN AUBUT, professeur de psychiatrie (Montréal). S ERGE B ORNSTEIN, neuropsychiatre, expert honoraire près la Cour de Cassation. M ARIE J O B OURDIN, attachée de direction, responsable du pôle formation et du MEDIACOR (Unité de Médiation d’Accueil et
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L ISTE DES AUTEURS
d’Orientation), corédactrice en chef de la revue Transfaire et Cultures (Centre F. Minkowska), présidente du « Mouvement Européen des Travailleurs Sociaux ». P HILIPPE B RENOT, psychiatre et anthropologue, directeur des enseignements de sexologie et de sexualité humaine à l’université Paris Descartes, président de l’Observatoire International du Couple. J OËL C ROAS , psychologue clinicien, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, chargé d’enseignement et chercheur associé au laboratoire PCPP (EA 4056), Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité. B ORIS C YRULNIK , neuropsychiatre, directeur d’enseignement à l’Université de Toulon, professeur invité à l’Université Pessoa, Porto. J OCELYNE DAHAN , directrice du C.E.R.M.E. (Toulouse), médiatrice familiale diplômée d’État et formatrice, auteur de nombreux articles publiés en France, Europe et Canada et de plusieurs ouvrages sur la médiation familiale, la séparation. M ICHEL D EBOUT, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé, ancien membre du Conseil Économique et Social, membre de l’Observatoire National du Suicide. M ICHEL D ELAGE, psychiatre, ancien professeur de psychiatrie du Service de Santé des Armées, ancien chef de service de psychiatrie de l’hôpital d’instruction des Armées Sainte-Anne à Toulon, thérapeute familial, consultation familiale hôpital des Armées de Sainte-Anne à Toulon, association « Vivre en Famille », La Seyne sur Mer. S TÉPHANIE L ARCHANCH É , coordinatrice de l’enseignement et de la recherche (centre F. Minkowska). D RISS M OUSSAOUI, professeur de psychiatrie et chef du département de psychiatrie (1979-2013), président de l’Association Mondiale de Psychiatrie Sociale (2010-2013), membre correspondant étranger de l’Académie Nationale de Médecine (France) depuis 2006. M ICHEL O NFRAY, philosophe.
Liste des auteurs
N ORMAN S ARTORIUS , professeur de psychiatrie, ancien membre de la WPA et de la division « Santé Mentale » de l’OMS. L UIS VASQUEZ, psychologue clinicien et thérapeute familial, service de médecine légale, CHU de Saint-Etienne, Dr Sébastien D UBAND , Chef de Service. É RIC V ERDIER psychologue communautaire, chef du pôle « discriminations, violence et santé » à la LFSM, expert sur le volet « Santé », membre du comité stratégique du service civique.
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Préface
Le sujet résilient Les résiliences Boris Cyrulnik
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
ENDANT DES MILLÉNAIRES ,
la condition humaine n’a pas pensé la psychologie. On expliquait les souffrances mentales par la possession diabolique ou par la dégénérescence. Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour commencer à penser le traumatisme. Et ce n’est que depuis les années 1980 que l’on travaille l’idée de résilience, la possibilité de se remettre à vivre après une agonie psychique traumatique ou dans des conditions adverses. La définition est simple et largement acceptée, mais ce qui est plus difficile à découvrir, ce sont les conditions qui permettent la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme. Aucune spécialité ne peut, a elle seule, expliquer le retour de la vie. Il faut donc associer des chercheurs de disciplines différentes et recueillir leurs données dans l’optique de découvrir les facteurs hétérogènes mais intégrés qui vont rendre possible un processus néo-développemental. Un raisonnement systémique nous permet d’aborder ce problème : le système respiratoire est composé par l’oxygène dans l’air qui franchit la paroi solide des alvéoles pulmonaires, et recueilli dans la cupule des globules rouges qui flottent dans le liquide plasmatique. Les éléments de ce système sont
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L E SUJET RÉSILIENT
hétérogènes et pourtant, en fonctionnant ensemble, ils permettent la respiration. C’est ainsi que nous allons raisonner pour tenter de comprendre l’avenir de la résilience. N
Génétique et résilience
Toute vie part de la génétique, mais les généticiens, en travaillant sur le processus qui permet un développement résilient, changent de regard sur la génétique. Ils ne parlent pas de programme génétique puisqu’aucun gène ne peut exister en dehors de son milieu. Or, les pressions environnementales modifient l’expression d’une bandelette d’ADN. À partir d’un même alphabet génétique, le milieu oriente mille récits différents. La plupart des généticiens travaillent sur les développements épigénétiques qui permettent, en agissant sur le milieu, de modifier l’expression d’une maladie génétique (Bustancy, 2012, p. 45-64). Il y a vingt ans, les trisomiques mouraient très jeunes, en ayant pu à peine se socialiser. Depuis que les éducateurs proposent aux enfants atteints par cette anomalie chromosomique un milieu qui leur convient, ils se scolarisent et peuvent vivre 70 ans. Il en est de même pour la phénylcétonurie : malgré un fort déterminant génétique, depuis que les biologistes dépistent la maladie et proposent un régime sans phénylalanine, ces enfants manifestent un attachement sécure et un quotient intellectuel supérieur à la population générale (Evrard, 1999, p. 77-96) parce qu’à cause de leur maladie, ils ont été mieux entourés. Le même phénomène est noté pour les graves troubles neurodéveloppementaux. L’OMS recense 1 % de schizophrènes quelle que soit la culture. Ce chiffre qui plaide pour un déterminisme génétique n’exclut pas la structure culturelle, puisque dans les populations de migrants, on note trois à cinq pourcents de schizophrènes selon la culture d’accueil (Sam et Berry, 2006, p. 458-9). Le fait qu’un trouble psychiatrique soit déterminé génétiquement n’exclut pas d’agir sur les conditions éducatives et culturelles, afin de diminuer son expression psychiatrique.
Le sujet résilient
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
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Résilience neuronale
Les très nombreuses découvertes récentes sur l’épigénèse, nous font comprendre qu’il n’est pas possible d’observer un cerveau comme s’il était coupé de son milieu écologique et de ses interactions humaines. Tout enfant a besoin d’une niche sensorielle pour tutoriser ses développements. Quand cette niche qui enveloppe l’enfant est altérée, le développement de son cerveau risque d’être tutorisé dans des directions dysharmonieuses. Au stade fœtal, la synaptisation est énorme (200 000 synapses à la minute). À ce stade, la structure du milieu et le moindre événement modifient son empreinte dans le bouillonnement synaptique. Il y laisse une trace durable. Quand la mère subit un traumatisme existentiel, quand elle est stressée par son histoire, sa famille ou son contexte social, quand elle consomme des drogues qui franchissent la barrière du placenta, le cerveau du petit en reçoit la marque (Toussaint et al., 2013, p. 225-232). Le circuitage toxique est résiliable mais il faudra éviter l’isolement et la répétition des empreintes (Cyrulnik, 2012, p. 191-204). À ce stade du développement, la résilience neuronale est facile, tant la plasticité cérébrale est grande, à condition de réorganiser la niche sensorielle qui entoure un nourrisson. Le nanisme affectif des enfants abandonnés a longtemps été un mystère. L’électroencéphalogramme montre une avance au sommeil paradoxal de tous les enfants insécurisés. Cette avance altère les phases lentes précédentes qui stimulent le diencéphale et les sécrétions des hormones de croissance et sexuelles. Dès la première nuit où le bébé se retrouve dans des bras sécurisants, l’architecture du sommeil redevient normale pour l’âge et les sécrétions neuroendocriniennes recommencent leur travail de construction du corps. Chaque bébé réagit à sa manière : une même privation n’altère pas tous les enfants de la même manière. Une même réorganisation du milieu ne provoque pas une même reprise de développement. Mais populationnellement une niche sécurisante déclenche un grand nombre de processus résilient.
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L E SUJET RÉSILIENT
En luttant contre tout ce qui appauvri la niche sensorielle des premiers mois, on sécurise l’enfant et on stimule tous ses développements. Les causes d’appauvrissement sont nombreuses, hétérogènes mais aboutissent à une même structure de niche. La mort de la mère, la dépression maternelle qu’elle qu’en soit l’origine : sa propre histoire, un traumatisme non résolu, une famille dysfonctionnelle, une violence conjugale, une précarité sociale, une guerre où un effondrement culturel, sont des sources différentes qui convergent pour organiser une niche pauvre autour de l’enfant. Quand on peut agir sur ce qui a provoqué le malheur des parents, la résilience devient possible. Le tuteur de résilience sera parfois un tuteur explicite, un psychologue, un éducateur mais souvent c’est une décision politique qui structure la niche. Les pays d’Europe du Nord ont institué un congé parental d’un an, ont donné une formation commune aux métiers de la petite enfance, ont retardé l’entrée à l’école et la notation. Le retour sur investissement est énorme. En dix ans, diminution de 40 % des suicides, forte atténuation des troubles psychopathologiques et meilleurs résultats mondiaux aux évaluations des acquisitions scolaires (classement PISA, Unesco). N
Résilience affective
Quand certains psychanalystes ont décrit les « carences en soins maternels » dès 1946 (Bowlby, 1951, p. 208), ils ont provoqué l’hostilité des anthropologues qui estimaient que ces descriptions cliniques culpabilisaient les mères. Un raisonnement systémique permet de comprendre que le coupable, ce n’est pas la mère, mais c’est ce qui cause son malheur (mari, famille, effondrement social). Pour apporter à l’enfant un facteur de résilience, il faudra supprimer la cause du malheur de la mère, ce qui n’est pas toujours possible. En l’absence d’intervention, la niche appauvrie, ne circuite pas les synapses des lobes préfrontaux, supports neurologiques de l’anticipation et de l’inhibition des amygdales rhinencéphaliques.
Le sujet résilient
L’enfant acquiert ainsi une vulnérabilité neuro-émotionnelle, qui rend les relations difficiles et altère sa socialisation. L’attachement est donc une acquisition affective imprégnée dans la mémoire des premiers mois. Cet apprentissage donne un style affectif qui gouverne les relations ultérieures. Vers le 10-12e mois, une population d’enfants, a appris à aimer avec un style qui lui est propre :
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
66 % ont acquis un attachement sécure : le plaisir d’aller vers les autres, de se faire secourir en cas de chagrin et de se placer soi-même en disposition spatiale d’apprendre à parler. 20 % ont acquis un attachement évitant : une distance affective, un retrait qui les périphérise (Guedeney N., Guedeney A, 2010). 15 % établissent des relations affectives ambivalentes : ils agressent ceux qu’ils aiment. C’est dans ce groupe qu’on trouve le plus d’enfants dont les parents traumatisés n’ont pas été aidés pour résoudre cette agression. 5 % sont confus, désorientés, imprévisibles. Leurs parents sont souvent en détresse.
Ce qui protège le mieux un enfant, c’est le système familial à multiples attachements (Bowlby, 1978 à 1980). « Il faut tout un village pour élever les enfants » disent les Africains. Ce déterminant est fortement structuré par l’histoire des parents et l’évolution technique et culturelle. Les femmes dont le niveau socioculturel est peu élevé, sans métier et sans famille, se retrouvent souvent en situation d’appauvrissement sensoriel. L’acquisition d’un facteur de résilience par leurs enfants doit venir d’une meilleure éducation des milieux pauvres et d’une socialisation de ces femmes isolées. La technologie joue un rôle majeur dans la structuration des familles. À l’époque où les hommes travaillaient douze à quinze heures par jour et où les femmes ne cherchaient pas à descendre dans les mines, le couple constituait la plus petite unité sociale. Le sexe ne servait qu’à faire du sacré (mettre une âme au monde) et du social (mettre au monde un garçon pour descendre à la mine, faire la guerre et servir de caisse de retraite). Dans un tel contexte techno culturel, l’amour n’avait rien à voir avec le mariage mais
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L E SUJET RÉSILIENT
les enfants étaient entourés par un système familial à multiples attachements. Depuis l’explosion des métiers techniques, la niche sensorielle est métamorphosée. Le village est remplacé par un foyer où alternent le sprint et l’isolement sensoriel. Les écrans et les frigidaires servent de nounous, l’école et les métiers tertiaires désexualisés provoquent la sédentarité qui rend inutile la force musculaire. Dans un tel contexte, il est nécessaire de développer les métiers de la petite enfance et les activités culturelles péri-familiales de façon à offrir aux enfants un équivalent de village. N
Résilience psychologique
La psychanalyse offre un outil pour mieux comprendre comment le monde intérieur d’un sujet traumatisé peut être sidéré, en agonie psychique, puis se remettre à vivre. L’hébétude psychique est fréquente quand un événement nous fait approcher le réel de la mort (Lighezzolo, Tichey, 2004). La vie reprend quand le blessé, sécurisé, parvient à mentaliser à nouveau. Quand il supporte de se représenter l’horreur de ce qui lui est arrivé, de lui donner des images et des mots pour comprendre le trauma et rencontrer une personne de confiance à qui adresser son récit afin de se sentir soutenu (Rimé, 2005). Les mécanismes de défense aident à décrire le monde intime d’un sujet blessé (Vaillant, 1993). Certaines défenses empêchent la résilience : l’hébétude, l’indifférence qui permettent de moins souffrir empêchent d’affronter le problème. La colère, l’agressivité, la recherche d’un bouc émissaire, en provoquant des troubles relationnels aggravent la situation et mènent parfois à l’isolement qui constitue le principal facteur d’anti-résilience. La régression apporte l’effet apaisant de la démission, mais altère la confiance en soi nécessaire à la résilience. Deux mécanismes de défense sont momentanément acceptables. Le déni qui permet d’éviter la rumination douloureuse, mais empêche la mentalisation. Le clivage constitue l’adaptation la plus fréquente. Le blessé ne partage avec son entourage que ce qu’il
est capable d’entendre. Une autre partie de son monde intime, non partageable, souffre en secret, ce qui explique parfois les explosions ou des dépressions surprenantes. D’autres mécanismes de défense participent au néodéveloppement résilient. La sublimation qui, en transformant l’horreur en œuvre d’art permet de mentaliser et de partager le monde mental. L’humour, cette politesse du désespoir, permet de s’exprimer sans provoquer de gêne dans l’entourage. Et l’engagement social où l’altruisme stimule l’empathie qui permet de vivre ensemble. Les tests classiques en psychologie évaluent la reprise résiliente. Les questions sont validées statistiquement et les groupes testés permettent de repérer l’effet résilient d’une prise en charge individuelle ou groupage (Ionescu, 2011, p. 61-127). Les tuteurs de résilience sont disposés autour du blessé par la famille, les amis et la culture. Certains tuteurs sont explicites1 . Les psychologues, médecins, et travailleurs sociaux, se forment aux métiers de soutien. Les psychothérapeutes aident les traumatisés à mentaliser, à donner cohérence à la représentation du trauma qui les a fracassés, et à partager des émotions auparavant engourdies ou encryptées. D’autres tuteurs sont implicites. C’est le sujet qui choisit dans son environnement familial et culturel celui (celle) à qui il attribue le pouvoir de le comprendre et de le soutenir. Il s’agit d’un tuteur qui s’ignore : un sportif, un musicien, un comédien, un écrivain qui correspond à la relation qu’espère le traumatisé. Les formations professionnelles et la culture du quotidien fournissent ces tuteurs. N
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Le sujet résilient
Résilience familiale
Les styles affectifs précoces sont acquis dans la niche sensorielle des premiers mois qui est composée par un foyer. Alors que la résilience familiale décrit une famille confrontée au traumatisme. 1. Salguiero E., Congrès mondial de la résilience, Paris, Juin 2012
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« Il peut y avoir un blessé dans une famille qui lui fournit les tuteurs de résilience, mais il arrive aussi que la famille dans sa globalité soit victime d’un traumatisme. C’est alors un mécanisme groupal qui devra engager l’ensemble familial dans un processus de résilience. » (Delage, 2008)
Les moyens sont différents, mais souvent c’est une personnalité qui induit une contagion sentimentale et coordonne les membres de cette famille vers un but commun, un partage des représentations et des pratiques familiales. Il n’est pas rare que le trauma trouve son origine dans la famille elle-même. La résilience des traumatisés dépend dans ce cas de la transaction entre la structure familiale et ses propres réactions de défense. Quand les deux parents maltraitent l’enfant, on évalue 90 % d’enfants insécures. Quand un seul parent est maltraitant et l’autre protecteur, on trouve 60 % d’enfants insécures. Et, dans la population générale, même quand tout va bien, on trouve 30 % d’insécures. Dans les familles à transactions incestueuses, la résilience est difficile parce que l’enfant agressé est trahi par celui dont il attendait la protection et n’est pas soutenu par le reste de la famille. C’est une cascade de traumatismes qui entrave la résilience. Depuis quelques années, ces femmes se regroupent en associations d’entraide et de réflexion. Elles vont chercher à l’extérieur le tuteur de résilience qu’elles n’ont pas trouvé dans la famille. En situation de précarité sociale, les traumas sont parfois intenses, mais le plus souvent insidieux, quotidiens et répétés. Ils inscrivent dans l’esprit de l’enfant un traumatisme développemental qui entraine des troubles cognitifs et une altération de la représentation de soi (Zaouche-Gaudron, 2008). On peut parler de résilience familiale quand, après une déchirure traumatique, la famille retrouve un fonctionnement apaisant, se dégage de la souffrance et devient capable de transformer le traumatisme en histoire du passé et en activités partageables. La fonction narrative structure les souvenirs et les mythes familiaux qui solidarisent les représentations congruentes de la famille. Quand les récits ne sont pas partageables (comme après
la mort d’un enfant), le couple se sépare et les liens familiaux se distendent. La résilience reste encore possible, mais dans une autre famille. Les familles closes, rigides, se recroquevillent sur leurs souffrances, rendant ainsi impossible le remaniement du traumatisme. Une non-vie s’installe dans la famille où chacun se tait pour éviter l’explosion. Alors que les familles ouvertes sur la vie sociale et amicale parviennent à faire évoluer les liens déchirés par le malheur. Elles inventent de nouveaux rituels (vacances, anniversaires) et réorganisent un autre fonctionnement résilient. Chaque culture invente une forme de famille différente. Le foyer, nécessaire à la structuration de l’enfant ouvre vite sa porte : dès que l’enfant va à l’école, il reçoit d’autres influences. Le couple a beaucoup moins une fonction sociale et beaucoup plus une fonction affective. La famille change de fonctionnement, elle n’est plus élargie aux cousins lointains, elle se réduit à un foyer de moins en moins stable. En revanche le quartier, l’école et le voisinage marquent de plus en plus leur empreinte dans les psychismes. La culture locale, les réunions, le sport de petit niveau, pour le plaisir, provoquent le sentiment d’appartenance nécessaire à l’identité et à la sécurité. C’est donc une politique culturelle qui pourra organiser la famille nouvelle en proposant de longs congés parentaux, des écoles non angoissantes où l’on ne forcera plus enfants à sprinter et des activités de quartier où ils pourront se socialiser. Certains enfants de pauvres ou de migrants font de l’école un tuteur de résilience, à condition que la famille et la culture locale accordent une valeur à cette institution (Pourtois, Cyrulnik, 2007). N
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Le sujet résilient
Adoption et résilience
L’adoption réalise une quasi-expérimentation naturelle de la résilience. Avant d’être adoptés, tous les enfants n’ont pas été traumatisés, mais tous ont dû changer de foyer, de style affectif, et parfois de langage. Certaines cultures considèrent que l’adoption est une pratique immorale puisqu’on connaît mal la filiation de ces enfants. Certaines personnes pensent que l’adoption est souvent un échec, mais quand on fait des études populationnelles et quand
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L E SUJET RÉSILIENT
on suit ces enfants jusqu’à l’âge adulte, on rend observable un phénomène de résilience. Dans un premier temps, les petits adoptés manifestent 80 % d’attachements évitants (contre 20 % pour la population générale). Mais après 12 à 18 mois, ces enfants ont appris à aimer, comme on aime dans cette famille. À l’âge adulte, la reprise évolutive est comparable à la population générale où l’OMS évalue à 17 % des difficultés psychiques, contre 20 % dans une population d’enfants adoptés. L’impact du milieu adoptant est majeur, puisque les enfants adoptés par des cadres ont de meilleurs résultats scolaires et une socialisation plus élevée que les enfants adoptés par des parents de bas niveau socioculturel (Chomilier, Duyme, 2009). Quand l’organisation d’une niche affective des premiers mois a été stable, quand les adoptants se préparent à cette évolution affective et quand la culture ne stigmatise plus ces enfants, l’évolution devient pratiquement la même que dans la population générale. N
Résilience adolescente et âgée
Ces deux âges de l’existence constituent des périodes sensibles du développement. À l’adolescence, un élagage synaptique, une réduction des circuits neuronaux prouve qu’en consommant moins d’énergie, le cerveau fonctionne mieux, parce qu’il a été précocement circuité par les empreintes du milieu. Dans l’ensemble les adolescents prennent bien le virage :
12 à 15 % se cassent la figure et leur détresse est poignante ; 30 % négocient péniblement ce virage ; les 60 % restants sourient en changeant de milieu.
Ceux qui souffrent et font souffrir sont ceux qui ont connu des isolements sensoriels précoces au cours des premières années. Ils fournissent plus tard, au moment de l’apparition du désir sexuel et de la volonté d’indépendance, un groupe où les idéations
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Le sujet résilient
suicidaires et les dépressions anxieuses sont quatre fois plus importantes que dans la population générale 1 . Les immigrés sont aussi en difficulté à cette période critique parce que leur scolarité a été plus difficile, parce qu’ils sont trop souvent chômeurs, et parce qu’ils idéalisent le pays d’origine de leurs parents. Il faut noter que les enfants d’immigrés, la deuxième génération née et aidée par la culture hôte, souffre mentalement et se suicide plus que la première génération accueillie. Leurs parents malheureux et muets, n’ont pas pu prendre l’effet d’une base de sécurité pour leurs enfants, ce qui explique le « paradoxe de la deuxième génération (Ehrensaft, Tousignant, 2006, p. 469-482) ». Les âgés eux aussi passent par une période sensible : 25 % dépriment (contre 17 % de la population générale), ce qui donne quand même 75 % d’âgés qui continuent à faire la fête. Deux sources de souffrance peuvent les affecter : l’isolement contextuel (social et affectif) et la résurgence des souvenirs enfouis des traumas déniés (Maury-Rouan, Langhans, 2007, p. 65-80). Ces périodes sensibles mettent en lumière l’importance de la structure du milieu qui organise le monde intime : un isolement sensoriel précoce, crée une vulnérabilité neuro-émotionnelle qui trouble les relations et les apprentissages au point de mener l’adolescent à une dépression. Et chez les âgés un trauma non résilié, jamais élaboré ni remanié, un déni qui évite la souffrance, (« c’est fini tout ça », « on parle d’autres choses ») resurgit chez l’âgé « comme si ça venait d’arriver ». Ces trois périodes sensibles de toute histoire de vie soulignent l’importance du milieu affectif et du contexte culturel. Chez le nouveau-né la niche sensorielle qui imprègne dans le cerveau l’acquisition d’un facteur de vulnérabilité ou de résilience trouve sa source dans l’affection des parents, dans l’histoire de leur vie et dans les organisations sociales. Les adolescents qui prennent un bon virage existentiel ont été sécurisés au cours de leur enfance. Ils ont acquis une confiance en eux et ont trouvé autour d’eux des structures sociales et culturelles qui ont tutorisé leur nouveau développement. 1. Voir Courtet (2010) et Mishard., Tousignant (2004).
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L E SUJET RÉSILIENT
Les âgés qui ont pu, quand ils étaient adultes, élaborer leur trauma, partager le récit de leurs épreuves et remanier la représentation de leur malheur n’ont pas de résurgence traumatique et ne transmettent pas leur malheur puisqu’ils ont modifié leur mémoire (Lani-Bayle, 2006). N
Art et résilience
Le plus sûr moyen de remanier la représentation du malheur, c’est de l’élaborer. Les récits des témoins font revenir la souffrance, et réactivent la mémoire blessée ce qui a mené Primo Levi au suicide. Alors que les traumatisés qui remanient la représentation de leur malheur en en faisant une poésie (Charlotte Delbo à Auschwitz), une pièce de théâtre (J. C Grunberg avec Maman revient pauvre orphelin), une chanson (Corneille après le Rwanda), un roman (Jorge Semprun après la Seconde Guerre mondiale), un essai philosophique ou psychologique, transforment la souffrance du trauma en œuvre d’art. Ils redeviennent sujets, acteurs de leur histoire après avoir été choses fracassées par l’événement (Souza, 2008). Les récits autobiographiques d’un trauma ne sont pas des témoignages, ce sont des vérités narratives qui permettent le partage des représentations (Gilbert, 2001). La politique culturelle est donc nécessaire pour introduire la musique dans les favelas et les maisons de retraite. Les films, les romans et les essais donnent le plaisir de comprendre et de réintégrer la condition humaine. N
Conclusion
Aucune discipline ne peut, à elle seule, être totalement explicative. Une équipe, en revanche, faisant converger des éclairages multiples parvient à donner une représentation cohérente au blessé. Les découvertes récentes en neuro-biologie soulignent l’impact développemental des milieux affectifs, historiques et culturels. L’homme peut façonner le milieu qui le façonne : c’est sa principale liberté.
Avant-propos Roland Coutanceau
Michel Onfray, nous avons voulu questionner dans cet ouvrage le concept de résilience à travers les qualités cachées du psychisme, potentialités pas toujours visibles à première vue, d’autant qu’elles ne s’inscrivent pas dans la psychopathologie habituellement balisée par les sciences humaines (estime de soi, empathie, normothymie...). Ces qualités cachées apparaissent comme des caractéristiques moins théorisées – possibilités de l’âme humaine – sans être pour autant des conceptualisations philosophico-existentielles. Citons en quelques-unes : lucidité, courage, optimisme, créativité, imaginaire... mais aussi humour, développé ici de façon pertinente par Marie Anaut. Mais il y a aussi des limites à la capacité de résilience, développées par Serge Bornstein dans le chapitre concernant « Résilience et Shoah ». Cette lecture de la résilience, nous avons tenté de l’orienter vers la compréhension des relations interpersonnelles, vers l’évolution de la relation humaine, au-delà d’une réalité conflictuelle souvent traumatique. Notre regard s’est d’abord dirigé sur la vie affective. Philippe Brenot s’est intéressé au couple ; Michel Delage à la famille ; tandis que Jocelyne Dahan a laissé émerger son analyse nourrie par des années de pratique de la médiation.
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
A
PRÈS l’interpellation philosophique par
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AVANT- PROPOS
Nous avons ensuite porté notre intérêt vers l’institution, vers l’entreprise, lieu des hommes au travail. Ainsi, Michel Debout a théorisé son expérience, liée à une consultation spécialisée. Joël Croas nous a proposé une approche clinique concrète autour du vécu douloureux du chômage. Puis, Jocelyn Aubut nous a donné des clés pour survivre à son travail : avec un (faux) petit guide de survie. Parallèlement, Roland Coutanceau a développé des stratégies résilientes face à la violence psychologique dans les espaces clos (famille, entreprise). Au niveau de la société, Rachid Bennegadi a traité compétence culturelle et migration ; Marie Jo Bourdin et Stéphanie Larchanché ont proposé une réflexion sur les trajectoires migratoires et la souffrance psychique qu’elles engendrent. Éric Verdier a mis en tension le concept de bouc émissaire, décrivant un mécanisme progrédient : lorsque la résilience individuelle d’un bouc émissaire devient résilience sociétale dans l’auto-support. Enfin, Norman Sartorius et Driss Moussaoui ont tenté d’élargir le champ d’un regard lucide sur la culture, autour de défis et promesses de la psychiatrie sociale au XXIe siècle, et des enjeux dans un monde globalisé. Tous les repérages proposés, qu’ils soient intrapsychiques, propres à la relation interpersonnelle ou au groupe, débouchent sur des pistes pour surmonter, ou transcender le défi de l’impact traumatique.
PARTIE I
Questionnements autour de la résilience
Les êtres « nonobstant ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Chap. 2 Qualités cachées dans la dynamique de la résilience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Chap. 3 Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Chap. 4 Shoah et résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Chap. 1
Chapitre 1
Les êtres « nonobstant » Michel Onfray
un jeune mot pour une vieille chose. Le premier homme préhistorique qui, veuf, dans sa caverne, ne se taillade pas les veines devant le corps glacé et rigide de la compagne de ses jours et qui continue de vivre, quoi qu’il en coûte, est le premier résilient. La résilience nomme en effet l’art de vivre quand tout nous invite à mourir, réellement ou symboliquement. Vivre malgré tout quand des événements noirs et sombres nous tirent vers le bas : une blessure à l’âme, une entaille dans l’esprit, une plaie béante dans la chair de la psyché. Or, la vie se constitue d’une somme de ces souffrances qui en blesse certains, en tue d’autre, en massacre beaucoup. Nietzsche a donné une formule célèbre à la résilience, une formule tellement célèbre qu’on la trouve sur des tee-shirts, des publicités pour des voitures de luxe, des cendriers probablement, des tapis de souris comme on dit maintenant. Voici la formule : « Ce qui ne me tue pas me fortifie » ou, selon une autre traduction, « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Le philosophe allemand savait plus qu’un autre qu’il y a dans l’existence une variété infinie d’occasions de mourir de son vivant : pour lui, la maladie, la folie et la mort d’un père, le rêve de la mort d’un petit frère qui trépasse le lendemain, la maladie qui s’empare violemment du corps dans ses jeunes années, une névrose probable à la puberté, une syphilis quelque temps plus tard, puis le reste, l’absence de
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A RÉSILIENCE est
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femme à qui vouer sa vie, la sexualité solitaire ou mercenaire, la carrière universitaire massacrée, l’amitié impossible, la célébrité qui ne vient pas... Nietzsche montre que ce qui en aurait tué un grand nombre ne l’a pas tué, lui, mais, mieux, l’a fortifié, rendu plus fort et constitué comme tel. Il y a les parents toxiques, les pères violeurs, les mères perverses, les voisins lubriques, les tontons tripoteurs, les cousins concupiscents, les éducateurs onctueux, les curés caressants, les instituteurs immoraux, les adjudants sodomites, les désœuvrés déglingués, les amants tordus, les maîtresses manipulatrices, les frères sadiques, les sœurs nuisibles, et autres délinquants relationnels, que l’on rencontre immanquablement dans le cours d’une vie. Certains en rencontrent beaucoup, d’autres longuement, parfois d’aucuns en fréquentent beaucoup et longuement. Parmi les proies de ces prédateurs, les unes sombrent, périssent, victimes de ces parasites qui, dans le règne animal, sont souvent des vers qui pénètrent le corps et s’installent aux commandes neuronales de l’être en décidant de tout pour lui. D’autres, on ne sait pourquoi, vivent quand même, malgré tout. Ce sont, disons le ainsi, des êtres nonobstant. Pourquoi, en effet, ce petit garçon de mes amis maintes fois violé par un prêtre ami de la famille pendant les années du développement de sa psyché n’est-il pas devenu violeur de petits garçons, lui aussi, mais compositeur de musique contemporaine, et parmi les plus doués de sa génération ? Certes, pour qui sait, on peut imaginer que les grandes vagues de sa musique, les coups de boutoirs violents des nappes sonores qu’il orchestre prennent leur source dans cette eau noire de son enfance blessée. S’il est un être nonobstant, c’est parce qu’il a, comme les alchimistes, transfiguré le plomb de sa souffrance en or sublimé dans une œuvre – œuvre d’art en l’occurrence. Est-ce à dire que seuls les artistes sont capables de résilience ? Bien sûr que non. Mais si tous les résilients ne sont pas des artistes, la plupart des artistes sont des résilients. Ils font, avec un matériau toxique, une œuvre présentable : Nietzsche, une œuvre philosophique, mon ami, une œuvre de musicien. La résilience nomme donc l’art de faire du bien avec du mal, le talent pour tuer
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Les êtres « nonobstant »
la mort et faire de la vie avec son cadavre, la passion forcenée pour transformer les fleurs du mal en bouquets chatoyants. Dans la résilience, là où il y avait un bourreau et une victime, la victime dit à son bourreau qu’il n’aura désormais pas plus que ce qu’il a déjà obtenu : pas plus que la blessure qui, dès lors, ne se répétera pas. Le résilient coupe à la source la compulsion de répétition qui le conduit à répéter sans cesse un geste traumatisant auquel il donne ainsi une éternelle vivacité. Le contraire du résilient, c’est l’homme du ressentiment, l’être de la répétition, l’assujetti au Même incapable d’Autre, l’Heautontimoroumenos de Térence magnifié par Baudelaire, autrement dit le bourreau et la victime de lui-même. Quand il n’y a pas résilience, l’enfant violé une fois l’est des millions de fois, chaque fois qu’il présentifie un passé qui ne passe pas et engorge l’être en se rejouant indéfiniment. Dans cette logique de la duplication du mal par ses propres soins, la victime devient bourreau : bourreau d’elle-même, mais aussi bourreau de quiconque passe à sa portée et paie une facture qui n’est pas la sienne. Ma mère fut abandonnée à l’assistance publique, frappée, maltraitée dans les familles dites d’accueil qui la recevaient d’abord pour des raisons mercenaires. Devenue mère, ma mère me frappa à son tour, puis me plaça, quand j’avais dix ans, dans un orphelinat, et ce pour quatre années, avant que trois années de pension ne suivent et qu’à dix-sept ans elle active son venin pour que je vole de mes propres ailes. Des années après, devenu ce que je suis, j’ai compris, j’ai pardonné si tant est que ce mot ait un sens – disons que je ne fais pas de ce passé un argument pour mon présent avec elle, voire mon futur ; restée ce qu’elle est (car il en est de celui qui n’a pas connu la résilience d’être éternellement ce qu’il fut et de devenir indéfiniment ce qu’il a été, et ce dans un cycle sans fin), elle active les mêmes stratagèmes pour faire payer aux autres (feu mon père, par exemple...) une facture qui n’est pas la leur : je n’ai été pour rien dans le fait que ma mère ait été abandonnée à l’assistance publique, mais il me faut en permanence honorer cette facture qu’elle me présente sans cesse...
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Avait-elle le choix ? Non. Pas plus que moi de devenir philosophe... Qu’est-ce qui explique alors que l’un brise le cercle de la fatalité pendant que l’autre s’y trouve accroché comme à une roue d’Ixion ? Rien. Ou peut-être : une dose ontologique de pulsion de vie plus forte chez l’un ? Une dose de pulsion de mort plus importante chez l’autre ? Possible... Mais alors : pourquoi ces doses-là dans ces proportions-là chez ces êtres-là ? Vieille histoire de la poule et de l’œuf : la résilience est-elle en relation avec la dose de pulsion de vie que chacun porte ? Où cette dose est-elle en rapport avec la capacité naturelle, donc neuronale, donc matérielle, à activer la résilience ? Je vais émettre une hypothèse : je crois à la matière neuronale neutre dès qu’elle arrive dans l’être fœtal, elle ne portera que ce qu’on y mettra. Dès lors, il existe probablement un moment où, dans la constitution d’une psyché, une force se trouve engrammée qui fut une grande force d’amour. La puissance de cette force agit de façon dynamométrique : plus elle a marqué fort et tôt un être, plus cet être peut puiser dans cette énergie de quoi nourrir un processus de reconstruction de soi après une déconstruction ontologique. Ainsi : ma mère me fit voir un jour une photo de moi vers l’âge de deux ou trois ans, photographié par un homme de l’art ambulant venu dans mon village natal, Chambois, un petit bourg de cinq cents habitants. Elle me fit savoir que mon père et elle n’avaient pas beaucoup d’argent, mais qu’elle avait tout de même voulu ce cliché qu’elle avait acheté. Je me suis dit que, dans ces années-là, elle m’avait probablement donné sans le savoir les armes pour me défendre contre, toujours sans le savoir, les coups qu’elle me donnerait un jour. La résilience serait donc donnée de la même manière que les coups, parfois par les mêmes ? Possible, pensable, probable... Il paraît possible qu’elle, pour sa part, elle n’eut pas au moins obtenu une seule preuve qu’elle avait été aimée dans ses plus jeunes années, donc qu’elle ait été aimable. Elle se rend donc mal aimée en étant mal aimable, elle devient ce qu’on a voulu pour elle qu’elle devienne : elle dit oui au mal en elle pendant toute sa vie – ce qui lui fait... du bien. Structure masochiste...
Les êtres « nonobstant »
Le résilient tourne le dos au masochiste qui vit du mal qu’il s’inflige, voire qu’il inflige aux autres, car le sadisme et le masochisme ne différent en rien dans leurs mécanismes, ils sont gestion d’une même pulsion de mort et se séparent seulement sur leurs objets : le masochiste retourne contre lui les forces du mal, le sadique, contre autrui. La résilience nomme le processus qui fait triompher la vie sur la mort. Mais personne ne choisit d’être solaire et vivant ou nocturne et mort. La vie veut ou ne veut pas – c’est la vie...
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Chapitre 2
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience Roland Coutanceau
résilience apparaît comme un antidote à la cristallisation traumatique. Mais quelles en sont les clefs ? Dans l’esprit des idées cachées, dans les ouvertures, dans le jeu d’échec, il apparaît pertinent de rechercher les qualités cachées du psychique dans la dynamique de la résilience. Qualités cachées dans la mesure où elles n’apparaissent pas toujours comme des caractéristiques psychopathologiques habituellement repérées par la théorie, mais plutôt comme des éléments de fonctionnement humains décrits par la psychologie de masse ou la littérature romanesque. Certes, on pourrait les situer dans le champ de la psychologie positive, sensibilité qui cherche à s’affirmer au-delà des débuts qu’elle a suscités. Une autre formulation serait de situer cette potentialité de résilience comme un travail psychique s’inscrivant en tant que processus psychiques d’élaboration et de sublimation, plus que traits de personnalité ou qualités.
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A POTENTIALITÉ de
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En même temps, décrire des qualités est une forme de représentation très lisible, même si on cherchera à décrire l’élaboration psychique sous-jacente. Une autre reformulation serait de distinguer l’impact du trauma sur un psychisme adaptatif (ou normal), versus une structuration sous-jacente à tonalité névrotique, posant d’une part la question parfois polémique de l’état antérieur, et d’autre part, la question souvent évitée de la théorisation de la normalité. Mais nommons plutôt quelques caractéristiques que nous discuterons : connaissance et intelligence élaborative, curiosité de l’autre, optimise, rapport au temps et à l’existentiel, dynamique de l’imaginaire avec parallèlement la créativité psychique et le rapport à l’humour.
T RAUMA
CLINIQUE ET TRAUMA PSYCHIQUE
Décrivons tout d’abord la classique symptomatologie posttraumatique, en distinguant le trauma clinique du trauma psychique. D’après le DSM-IV, l’état de stress post-traumatique (Post Traumatic Stress Disorder) correspond à une réaction anxieuse pathologique suite à une exposition à « un événement hors du commun et capable d’induire de la détresse émotionnelle chez la plupart des individus ». Les symptômes post-traumatiques répertoriés dans le DSM IV sont (entre autres) :
La reviviscence de l’événement traumatisant (avec notamment des cauchemars à répétition). L’émoussement des affects et évitement de tout ce qui est lié à l’événement (avec parfois amnésie des souvenirs liés au trauma). L’hyperactivité neuro-végétative.
Mais nous préférons décrire, de façon un peu différente, la symptomatologie post-traumatique, en détaillant l’impact sur la vie nocturne et sur la vie diurne :
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
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Troubles du sommeil (avec ensemble ou séparément des difficultés d’endormissement traduisant l’envahissement des images et représentations, mais aussi des réveils en milieu de la nuit, parfois au moment d’un rêve). Cauchemars : rêves traumatiques répétitifs, représentant tout ou partie des scènes subies. Sont présentes également d’autres thématiques (rêves de mort, autres traumas imaginaires, représailles de l’agresseur...), la répétition s’inscrivant comme une tentative de digérer ou diminuer l’impact traumatique. Retour obsédant, dans la vie diurne, du souvenir traumatique, parfois sous la forme de flashs. Parasitage de la vie mentale avec perturbation de l’activité scolaire (enfant, adolescent) ou professionnelle (adulte). Troubles fonctionnels. Troubles du comportement, présents ou pas, variables en fonction des sujets (irritabilité et violence, conduite d’addiction, désinvestissements massifs). Dysfonctionnement dans la vie affectivo-sexuelle. Fluctuations de mouvements anxio-dépressifs, d’intensité variable, allant d’une tonalité subdépressive à une décompensation clinique franche (pouvant alors justifier d’un traitement psychotrope, voire d’une hospitalisation).
Cette symptomatologie clinique est souvent présente, avec des degrés divers, ou peut être aussi totalement absente. Par contre, le trauma psychique est toujours présent. Il se définit comme un événement de la vie du sujet, entraînant par son intensité « l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement » (momentanément), avec parallèlement « les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Laplanche et Pontalis). En termes économiques, « le trauma se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ces excitations ».
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Le trauma psychique s’inscrit comme défi au travail de métabolisation pour lier (trouver du sens), et abréagir (diminuer l’intensité du quantum d’affect). Ce travail va porter sur la recherche de sens (qu’en penser), comme sur les affects (sidération, perplexité anxieuse, culpabilité subjective, doute, malaise, dégoût mais aussi agressivité, rage, haine vis-à-vis de l’agresseur ou vers la situation de catastrophe subie). VARIATIONS
DE L’ INTENSITÉ TRAUMATIQUE
Trois repérages différents nous permettent d’observer les variations significatives d’une histoire traumatique sur des êtres humains différents. Le premier repérage est celui de l’observation clinique. Concernant la symptomatologie post-traumatique, on remarque la variation significative des divers symptômes, en fonction des sujets. Certaines ont un tableau complet, avec une composante anxio-dépressive marquée. D’autres présentent des perturbations dans le fonctionnement diurne, sans modification du sommeil, sans perturbation de l’appétit. Pour d’autres encore, le symptôme n’est en lien qu’avec un seul aspect de l’histoire traumatique (angoisse uniquement quand la situation rappelle celle du trauma : même lieu, même période temporelle, même situation). Enfin, certains semblent n’avoir aucune symptomatologie post-traumatique, verbalisant seulement un questionnement autour du trauma psychique. De plus, cette symptomatologie clinique peut être soit stable et permanente, soit présenter des fluctuations, soit à une durée déterminée. Il y a là l’énigme de l’intensité de la symptomatologie, celle de sa durée, comme la question de sa cristallisation (ou pas) avec le temps. Le deuxième repérage est celui de la théorisation clinique, distinguant la dépression réactionnelle, de la dépression névrotique. Dans la dépression réactionnelle, le discours est centré sur l’histoire traumatique sans émergence d’autres thématiques. La durée est de quelques semaines à quelques mois, ne dépassant jamais deux ans.
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
A contrario, la dépression névrotique brasse un mal-être plus multiforme, exclusivement centré sur le trauma, lissant ouverte la question d’un état antérieur. La présence d’une structuration névrotique déjà présente au moment de l’histoire traumatique évènementielle doit être repérée (fragilité psychique, fond anxieux, tendance à la culpabilité excessive, sentiment d’auto-dévalorisation, faible estime de soi...). Un troisième repérage résulte d’une analyse statistique de l’impact post-traumatique, mettant en évidence trois profils :
➙ ceux qui présentent un PTSD typique ; ➙ ceux qui présentent divers symptômes
cliniques ou de mal-être
existentiel mais pas de PTSD ;
➙ ceux qui ne présentent apparemment aucune symptomatologie post-traumatique.
Curieusement, certains cliniciens contestent la réalité de ce troisième groupe de sujets, sans traduction clinique, après trauma. Peut-être tout simplement parce qu’ils n’en ont jamais rencontré (le soignant écoutant essentiellement ceux qui vont mal, momentanément ou durablement).
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VÉCU DU SOIGNANT DU TRAUMA ET LA RÉSILIENCE
La plupart des cliniciens apprennent dans leur formation la théorie psycho-dynamique du trauma, classique dans le repérage psychopathologique. Parallèlement, la compréhension de la psychogénèse des symptômes et troubles mentaux surinvestit l’explication par le trauma-évènement ou par le trauma imaginaire. Faut-il forcément chercher du côté de traumatismes réels subis, qu’il s’agisse de traumas sexuels, de traumas physiques (violence corporelle intempestive), de traumas psychiques (relation parentale sadisante, avec quasi-interdiction à un enfant passif d’exprimer ses éprouvés) ? La fréquence de ces divers traumatismes est patente, et, en même temps, tout se passe comme s’il y avait une subjectivité
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mystérieuse du vécu de la blessure narcissique occasionnelle. De même, l’intensité de la culpabilité n’est pas toujours fonction de la sévérité parentale, l’intensité de la blessure narcissique n’est pas toujours fonction de traumas réels. Ainsi, comme Jean Laplanche a reformulé une théorie endogène de la culpabilité comme « modalité de l’angoisse voire première façon de conclure un pacte avec l’angoisse », on pourrait risquer une théorie endogène du trauma narcissique ; endogénéité quelque peu énigmatique, invitant à un travail de conceptualisation toujours renouvelé. La question du trauma narcissique est celle de son intensité mais aussi de sa cristallisation, et également, celle de sa propension (ou pas) à déboucher sur une problématique psychopathologique plus ou moins intense. Concrètement, d’une histoire traumatique peuvent subvenir trois évolutions (fonction d’un terrain antérieur, au roc du biologique, d’un imaginaire existentiel énigmatique ?) : 1. Un classique destin névrotique d’un sujet marqué par son histoire, cristallisant anxiété, culpabilité, secrétant une symptomatologie anxio-dépressive accompagnée d’idées d’autodévalorisation, de manque d’estime de soi-même. 2. Un destin « pervers » où l’histoire traumatique débouche sur une souffrance, mais aussi sous-tend un fantasme compensateur de déni de toute puissance sur l’autre, dérivant vers une hostilité destructrice avec sentiment de triomphe à tonalité mégalomaniaque. 3. Mais aussi un destin « normal » où le sujet semble métaboliser l’histoire traumatique pour se développer de façon adaptée dans son rapport à lui-même, son rapport à l’autre, son rapport au monde. Peut-on dire que certains cliniciens semblent aimantés par une fascination pour le destin névrotique ou le destin pervers (peut être lié à leur écoute thérapeutique), en oubliant le destin « normal » de ceux qu’ils n’ont pas l’occasion d’entendre ? Parallèlement, si des soignants ou éducateurs ont un transfert positif avec le concept de résilience, d’autres on un contre-transfert
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
négatif avec ce même concept, considéré comme mal balisé, insuffisamment théorisé, connoté de psychologie positive, discrètement méprisé, avec parallèlement une irritabilité à peine cachée face à la potentialité d’un « merveilleux malheur », et pour certains une jalousie plus ou moins consciente devant le « fabuleux destin » de Boris Cyrulnik. Trauma et résilience sont pourtant les deux faces d’une même réalité psychique suite à un événement traumatique : comment peut-on en souffrir autant ? Comment peut-on s’en dégager ? De même, dans le champ social, prédominait à une époque, un regard un peu fataliste sur les destins du trauma, avec de plus un risque transgénérationnel. C’est dans un tel contexte que la médiatisation, par Boris Cyrulnik, du concept de résilience, a été vécue comme un bol d’air frais, d’espoir et d’évolution positive. Et pourtant, comme nous le verrons plus loin, la théorie du trauma, en elle-même, ne suggère aucun fatalisme.
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LE
DÉFI DU TRAUMA
Penser l’impensable ou le difficilement pensable, ou la difficulté à accepter ? Une anecdote personnelle : jeune psychiatre, j’étais face à une adolescente victime d’inceste, déroutante pour moi à l’époque parce qu’elle n’avait aucun signe clinique post-traumatique, deux semaines après avoir dénoncé son père. Comme j’explorais ce qui pouvait faire trauma (trauma psychique), elle me dit finalement : « Ce qui me perturbe quand même, c’est qu’un père puisse faire ça à sa fille. Que mon père m’ait fait ça, je sais pas si je le comprendrais un jour, je sais pas si j’accepterais vraiment que ça me soit arrivé à moi ». Questionnement douloureux pour elle qui faisait écho en moi, alors que je tentais de théoriser le fonctionnement psychique d’un père incestueux. Considérons quelques réalités auxquelles il s’agit de faire face :
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Accepter la réalité de l’événement Ce souvenir, douloureux en lui-même, destructeur par ces conséquences, on rêverait de l’annuler magiquement « Pourquoi c’est arrivé ? Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? ». Travail d’acceptation d’une réalité avec laquelle on ne peut tricher – mémoire émotionnelle momentanément submergeante.
➙ Face à la barbarie
Quand il s’agit d’une agression physique ou sexuelle, que l’agresseur soit connu ou pas, investi affectivement auparavant ou pas, la victime est face à une réalité impensable. Comment regarder en face la face noire de l’humain, l’aspect auparavant inimaginable du barbare en l’autre : « Comment est ce possible ? Est-ce que ça existe ça ? J’arrive pas à croire que c’est possible, c’est pas humain, c’est un monstre. Et en même temps, au-delà du mot, je comprends pas comment on peut faire un truc comme ça ? ». Nécessité de comprendre comment fonctionne l’auteur de violence, pour ne pas rester dans l’évitement, le déni de réalité ou la perplexité antérieure. ➙ Face à la mort Nombre de théoriciens du trauma soulignent l’impact de la rencontre avec la mort ou la représentation de la mort. Là encore, cette confrontation avec l’inéluctabilité de la mort (plus ou moins présente dans la vie de chacun), fait ici effraction violente. Alors que tout humain peut jouer à cache-cache avec l’idée de sa propre mort, ce n’est plus possible pour certaines victimes de trauma (trauma de guerre, de catastrophe, ou encore d’agresseur menaçant la vie). On ne peut s’en dégager qu’en acceptant profondément cette réalité de la mort qu’on vient de voir « les yeux dans les yeux ».
Faire un travail de deuil du souvenir traumatique Ce souvenir ne prendra une place tranquille dans la mémoire émotionnelle que s’il est apprivoisé, cicatrisé. Tentation d’évitement, de refoulement, de scotomisation de ce qui a été vécu. Alors qu’il faut tout regarder en face, dans les détails (« le diable est dans le détail »), pour que le souvenir soit vidé de sa charge affective douloureuse.
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M ÉTABOLISATION
DU
T RAUMA
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La théorie classique du trauma nous propose deux voies pour le digérer : la liaison et l’abréaction. 1. La liaison est un terme utilisé par Freud pour connoter d’une façon très générale et, dans des registres relativement divers, aussi bien au niveau biologique que dans l’appareil psychique, une opération tendant à limiter le libre écoulement des excitations, à constituer et à maintenir des formes relativement stables (Laplanche et Pontalis). Plus concrètement, le travail de liaison est un travail de mise en sens, de formulation, de reformulation. La lecture faite de ce qui se joue, peut être douloureuse, ou au contraire anxiolytique. L’interprétation subjective, que chacun fait de l’histoire traumatique, peut être une blessure supplémentaire, ou a contrario un soulagement. L’aspect peut être le plus fondamental du regard psychanalytique sur le trauma est qu’on ne souffre pas seulement de l’événement traumatique en lui-même, mais de ce qu’on en pense. Dès lors, toute interprétation peut être soit un trauma supplémentaire, soit participer à un allégement. Lier, c’est continuer à penser, reformuler de multiples manières, découvrir d’autres angles pour considérer ce qu’on a vécu, écouter ce que d’autres, qui ont vécu la même chose, en disent, en pensent. La liaison, c’est l’énoncé du travail psychique ; encore faut-il que l’imaginaire soit riche. 2. L’abréaction est « la décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect attaché au souvenir d’un événement traumatique, lui permettant ainsi de ne pas devenir ou rester pathogène. L’abréaction, qui peut être provoquée au cours de la psychothérapie, notamment sous hypnose, et produire alors un effet de catharsis, peut aussi survenir de manière spontanée, séparée du traumatisme initial par un intervalle plus ou moins long » (Laplanche et Pontalis). L’abréaction peut être spontanée (sujet résilient) ou secondaire, provoquée par la psychothérapie cathartique qui permet au sujet de se remémorer et d’objectiver par la parole l’événement
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traumatique et de le libérer ainsi du quantum d’affect qui le rendait pathogène. Ainsi l’absence, d’abréaction laisse persister des représentations chargées d’affects anxiogènes et douloureux, sous tendant les symptômes névrotiques post-traumatiques. D’où la nécessité de remémorer pour abréagir. Dans la vie nocturne, le rêve traumatique répétitif est un moyen pour le psychisme de tenter de diminuer la charge émotionnelle liée à la représentation, à la scène du trauma. Pertinence du travail de remémoration et d’abréaction dans la psychothérapie. Encore faut-il mettre en œuvre une technique « provocatrice » pour permettre la catharsis. Finalement, la théorisation de la métabolisation du trauma, centrée sur la mise en tension de la liaison et de l’abréaction, nous propose un modèle séduisant, qu’on pourrait dire classique de la résilience, soit spontanée, soit provoquée. Paradoxalement, le discours psychanalytique social apparaît souvent plus fataliste, plus défaitiste, en écho de praticiens désabusés, peut-être en lien avec une pratique thérapeutique insuffisamment cathartique.
Q UALITÉS
PSYCHIQUES ET DYNAMIQUES DE LA RÉSILIENCE Proposons différents repérages de qualités en rapport avec des processus psychiques qui peuvent se recouper. Avant de proposer un regard plus personnel, rappelons deux autres repérages d’une dynamique de la résilience. En 1998, Boris Cyrulnik attribuait au sujet résilient les caractéristiques suivantes :
➙ un QI élevé ; ➙ la capacité d’être autonome et efficace dans ses rapports à
l’environnement ; ➙ le sentiment de sa propre valeur ; ➙ de bonnes capacités d’adaptation relationnelles et d’empathie ;
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
➙ la capacité d’anticiper et de planifier ; ➙ le sens de l’humour. Cité par Mari Avant, le psychanalyste Bessoles (2001) propose de mettre en liaison les facteurs de résilience ou traits de personnalités décrits par Wolin et Wolin, avec les organisateurs psychiques correspondants, susceptibles d’être mobilisés dans le traitement des états traumatiques :
➙ Perspicacité : capacité d’analyse, de repérage, de discrimina-
tion ; ➙ Indépendance : capacité à être seul, autonomisation ; ➙ Aptitude aux relations : facteurs de socialisation ; ➙ Initiative : capacité d’élaboration et de représentation des inhibitions et des phobies ; ➙ Créativité : capacité à créer des formations réactionnelles et substitutives ; ➙ Humour : capacité de sublimation ; ➙ Moralité : capacité à interroger les valeurs.
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Notre lecture des qualités de la dynamique résiliente s’inscrit dans un regard sur un psychisme au travail, capable d’élaboration, de courage de confrontation, de curiosité de l’autre, sur fond d’un tempérament optimiste, avec un imaginaire existentiel riche où on inclura, entre autre, la créativité, l’humour et le rapport au temps. Intelligence et capacité d’élaboration
Pour rattacher ce trait à la liaison, l’intelligence d’élaboration du trauma peut être décrite comme la potentialité à penser le plus grand nombre de lectures de la même réalité psychique, capacité de multiples formulations, de reformulations surprenantes ou audacieuses. Telle celle où par exemple : « Cette histoire me plombe... mais c’était aussi une chance », en écho au « merveilleux malheur ». Cette capacité de multilectures est en partie connotée aux connaissances dont on dispose, c’est-à-dire de l’information et des
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lectures sur la théorisation du trauma et de la résilience. Encore que s’il y a la possibilité d’une auto-théorisation avec ses propres mots, comme le démontre par exemple le témoignage de Natacha Kampush. N
La capacité à affronter le défi du traumatisme
Capacité, courage psychique à affronter tout ce qui est contenu dans le souvenir, c’est-à-dire comme vu plus haut :
➙ l’acceptation profonde de la réalité de l’événement ; ➙ la confrontation à la mort ; ➙ le regard sur la partie barbare de l’agresseur ; ➙ la confrontation à tous les détails du scénario traumatique. N
La curiosité à l’autre
En thérapie est posée la question : « Est-ce que vous seriez intéressé de rencontrer quelqu’un qui a vécu la même chose que vous ? ». Curieusement, certains répondent parfois non, ce qui traduit souvent, mais pas toujours, un égocentrisme tragique dans une manière solitaire de se confronter à sa propre histoire. Cette curiosité peut s’épancher par l’art (romans, essais, films traitant de cette thématique), par l’ouverture aux autres, ayant vécu une histoire identique. N
L’optimisme
Un souvenir personnel : enfant, mon père pédagogue dans l’âme m’a proposé de regarder une bouteille à moitié remplie : « Cette bouteille, comment est-elle mon fils ? Elle est à moitié pleine papa ! Bah, tu seras un optimiste mon fils ! ». Anecdote qui a probablement cristallisé mon regard optimiste sur l’existence. D’où nous vient cet imaginable optimisme ou pessimisme face à l’existence ? Si le pourquoi reste en partie énigmatique, le fait
Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
d’être optimiste jour un rôle central dans la représentation que quelqu’un se fait de l’évolution d’une histoire traumatique.
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L’imaginaire
Richesse de l’imaginaire, créativité à imaginer un autre destin, une autre vie. Caractéristiques, qui sous tendent la capacité à une multitude de relectures, de la réalité psychique. Créativité propre, mais aussi stimulée par les lectures, l’art, les rencontres, recoupant la curiosité d’autrui, la curiosité psychique pour l’imaginaire de des autres. A contrario, pauvreté de l’imaginaire qui suppose que la thérapie mette en scène la rencontre avec l’autre, par le groupe de parole, ou l’entretien systématique (en présence de quelqu’un dans l’entourage du sujet victime). Ludisme aussi avec une tonalité d’humour, avec la capacité de relativiser, de se moquer de soi-même au-delà du tragique des situations. Humour à autocritique ludique, avec capacité de redécentrer, en se refusant un tragique égocentré, en considérant des tragiques plus douloureux que le sien. Dans l’imaginaire, il y a également la représentation du temps : temps linéaire, ponctuant douloureusement un contenu avec un avant et un après le traumatisme, un temps plus cyclique, plus séquentiel, permettant de clore une vie passée pour s’échapper vers une autre. Refermer la vie où on a été victime pour se propulser vers une tranche de vie où on est une ancienne victime, ou mieux, plus une victime du tout. Bien évidemment, cette capacité à se dégager par l’imaginaire est parfois limitée par la gravité objective du trauma, quoique... De quelques idées thérapeutiques : Chemin faisant, la théorisation du trauma et de la résilience dégage quelques principes thérapeutiques. Une thérapie plus
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Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE
cathartique, car plus confrontable, plus provocatrice. Une thérapie plus ouverte à l’autre (victime) par l’art, la rencontre, pour stimuler la capacité à penser d’autres lectures, pour trouver la force, le courage de se confronter à l’impensable, pour développer l’imaginaire, pour acquérir l’humour sur le trauma. Rencontre de l’autre pouvant s’inscrire dans un cadre thérapeutique, plus multiforme, plus créatif, associant espace individuel, groupe de parole, entretien systémique avec l’entourage. Et si le trauma n’avait la face que de l’idée lourde et douloureuse qu’on s’en fait, ou de l’idée légère et ludique pour s’en dégager ? Un merveilleux malheureux ; une provocation pour certains, mais aussi, souvent, pas toujours une réalité.
Chapitre 3
Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance Marie Anaut
’ HUMOUR et l’autodérision n’ont pas de frontières. L’attitude humoristique est un refuge universel fréquemment utilisé par les hommes pour tenter d’endiguer leurs peurs et leurs souffrances, quelles que soient leurs appartenances sociales ou culturelles. Certes, les peuples opprimés et les minorités ethniques l’ont peutêtre développé plus que d’autres. Mais plus généralement, bien des individus utilisent l’humour et notamment l’autodérision face à l’adversité ou en contextes traumatiques. Dans l’acception large qui prévaut actuellement en psychologie (Martin, 2007), l’humour réfère à la capacité de repérer les aspects divertissants des situations de la vie, d’apprécier des plaisanteries, de jouer, d’être joyeux ou de créer de l’humour. C’est un processus composite qui concerne non seulement des aspects émotionnels et psychologiques mais également biologiques, cognitifs et sociaux. Il se présente comme un phénomène complexe et multifactoriel, qui ne peut pas être réductible à sa seule fonction récréative. L’humour met en jeu des ressources créatrices très riches et comprend les différentes expressions du comique. Ses modalités d’expression sont multiples et peuvent varier en fonction des acteurs concernés et des contextes dans lesquels
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L
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Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE
elles apparaissent : humour noir, autodérision, humour empathique ou sarcastique, voire agressif ou encore humour offensif. Ainsi, nous pouvons dire que l’humour correspond à la mise en jeu de l’ensemble des moyens et procédures qui permettent de révéler les aspects insolites, absurdes ou incongrus des situations de la vie courante ou des épreuves de la vie et de jouer avec le comique de ces situations (Anaut, 2014). L’humour provoque une sensation de bien-être émotionnel qui peut être associée à la joie, à la gaieté, à l’allégresse ou au simple contentement, ce qui lui confère une fonction cathartique. Dans les situations quotidiennes, le sens de l’humour aide à dédramatiser les difficultés, à envisager la vie de manière plus optimiste et permet de soulager les tensions. La distanciation humoristique rend les problèmes et le tragique des vicissitudes de l’existence plus supportables. Cependant, l’aptitude humoristique peut se concevoir comme l’art de savoir dégager les aspects plaisants, cocasses et insolites des situations de la vie courante, mais aussi des vicissitudes de l’existence. En effet, l’humour surgit parfois au cœur de la tragédie. Il naît du constat qu’une situation, un comportement ou des paroles recèlent une part d’insolite ou d’incongru, malgré l’aspect tragique et l’éventuel danger des circonstances. Face à l’adversité, le sens de l’humour facilite l’introspection positive et le recours à des ressources créatives et étayantes. Dès lors, l’humour peut être envisagé comme une qualité psychique efficiente et mobilisable lors des traumatismes. Il représente une force vitale de facteurs de protections à la fois internes et externes pour les sujets blessés. C’est dans cet esprit que nous pouvons considérer ses apports en tant que qualité psychique salutogène dans le cadre de sa participation au cheminement vers la résilience. La résilience correspond à un potentiel humain de résister à des situations traumatogènes en développant des ressources protectrices pour émerger de l’adversité avec le moins de dommages possibles, notamment sans présenter de psychopathologies sévères après les traumatismes (Anaut, 2008). C’est un processus dynamique et évolutif, au cours duquel les influences de l’environnement et les ressources de l’individu interagissent pour permettre à une personne de s’adapter en dépit de l’adversité et de se développer en se préservant des séquelles des traumatismes.
Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
Parmi les ressources qui aident le sujet blessé à construire sa route vers la résilience, l’humour occupe une place importante et originale. Il peut apparaître à différents moments de la trajectoire résiliente et s’exprimer de multiples façons. C’est pourquoi nous proposons d’explorer ses fonctions lors des étapes du processus de reconstruction et la reprise d’un nouveau développement qui définissent les contours des processus résilients.
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H UMOUR
ET DÉSIRABILITÉ SOCIALE
L’humour porte parfois sur des futilités mais aussi sur tout ce qui peut nous faire peur et générer de l’angoisse, notamment : l’amour, le sexe, la folie, la misère, la vieillesse et la mort. Les hommes utilisent leurs peurs, leurs craintes et leurs angoisses pour alimenter les productions comiques et les plaisanteries qui circulent. Beaucoup témoignent des liens étroits entre l’humour et la mélancolie. « L’humour est la politesse du désespoir » disait Boris Vian. Ainsi, l’humour est un support de communication qui permet d’aborder de manière plaisante des sujets délicats, douloureux ou angoissants, en évitant les troubles des émotions mortifères. Du point de vue relationnel et psychoaffectif, l’aptitude à produire de l’humour est considérée comme une qualité hautement désirable chez les individus. En effet, l’humeur enjouée et l’aptitude à la dérision sont des caractéristiques généralement attractives socialement. Elles confortent les relations existantes et permettent de tisser de nouveaux liens affectifs et sociaux. En provoquant des émotions positives (rire, sourire, contentement), l’humour crée un climat de décontraction dans lequel le plaisir, le jeu et le divertissement sont possibles, ce qui facilite les interactions sociales. L’humour apparaît ainsi comme un trait de personnalité valorisé dans le monde social. Dans les groupes humains, non seulement il facilite les échanges interpersonnels et la cohésion sociale en permettant le partage d’émotions positives (plaisir de rire ensemble, de se distraire d’un bon mot, etc.), mais il permet aussi de pacifier des relations tendues entre des personnes ou au sein d’une communauté. Il offre la possibilité d’exprimer des
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Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE
griefs ou des insatisfactions sur un mode socialement acceptable, en évitant les conflits ouverts. Il contribue ainsi à la pacification des échanges dans les groupes (Anzieu et Martin, 1981). Toutefois, certaines formes d’humour dénigrantes peuvent avoir pour conséquence l’exclusion d’un tiers qui fait office de Bouc émissaire et dont on rit ; alors que le reste du groupe peut trouver dans la moquerie partagée une occasion de cohésion supplémentaire et de solidarité autour du rieur. Ainsi, l’utilisation de l’humour n’est pas forcément empathique et peut avoir des conséquences parfois cruelles. Généralement en société, une personne drôle séduit. L’humour l’aide à nouer ou à consolider des alliances amoureuses, amicales et sociales, ce qui constituera une niche affective et étayante et des soutiens potentiellement mobilisables lors des aléas de la vie. De plus, les personnes qui recourent souvent aux attitudes humoristiques ont la réputation d’être non seulement conviviales, mais aussi intelligentes et créatives (Bressler et Balshine, 2006). Le contexte social renvoie ainsi une image valorisante des personnes drôles, ce qui favorise la construction d’une représentation de soi positive chez ces sujets. Chez les individus, l’humour exprime une impulsion vitale qui peut les accompagner tout au long de leur vie (Fry, 1992). Loin de s’éteindre avec l’avancée en âge, cette capacité à aborder la vie sous l’angle de la dérision peut même se développer et s’améliorer au cours du temps et des cycles de vie (Minois, 2000). Mais l’humour apparaît à tout âge, les sujets jeunes ne sont pas en reste et l’utilisent abondamment.
H UMOUR ,
INSTRUMENT DE DÉFENSE CONTRE L’ ANGOISSE
Lors des épreuves délétères, face à des dangers physiques ou psychiques, l’humour est fréquemment utilisé comme un instrument de défense contre l’angoisse. Grâce à la distanciation humoristique, les événements éprouvants et les aléas de la vie peuvent être envisagés avec plus de sérénité. En révélant les aspects insolites et comiques l’humour offre une perspective plus
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Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
optimiste sur les difficultés de l’existence. Le détachement humoristique rend ainsi les circonstances défavorables plus tolérables. Il modifie l’éclairage de la réalité en lui donnant une coloration ironique, faisant naître le risible là où il n’y avait que le danger et l’angoissante absurdité. Dans les contextes traumatiques, il peut aider les sujets à se protéger de l’envahissement des émotions négatives. C’est pourquoi il joue un rôle non négligeable dans la mise en place des processus de résilience chez les sujets blessés par les épreuves de la vie. L’analyse des conditions de la mise en jeu du processus de résilience montre que, face à des contextes traumatogènes, les sujets résilients vont activer des mécanismes de défense pour se préserver des effets déstructurants et pouvoir reprendre un nouveau développement après la déchirure traumatique. Dans ces contextes, l’humour est un des mécanismes défensifs qui peut aider les sujets blessés à se protéger face à la menace de désorganisation psychique. La perspective humoristique, en atténuant l’angoisse rend la situation plus supportable, ce mécanisme psychique peut agir dans l’immédiateté du contexte traumatogène en contribuant à en réduire les effets délétères et à éviter l’effraction psychique. Ainsi, l’attitude humoristique peut protéger le sujet au moment même de la confrontation au contexte délétère. Face à la menace, elle permet au sujet blessé de maintenir une perspective détachée, de mettre à distance les affects négatifs, contribuant ainsi à limiter le caractère traumatique des situations dangereuses. L’humour joue ainsi un rôle défensif au sens freudien. Sigmund Freud a évoqué l’humour comme un mécanisme de défense parmi les plus élevés, l’esprit comique étant qualifié de « sublime et de sain ». Pour cet auteur, l’essence de l’humour consiste à s’épargner les affects négatifs auxquels aurait donné lieu la situation, révélant ainsi la capacité humaine à transformer la souffrance en plaisir. Dans la perspective freudienne, grâce à l’humour le moi se protège, « il se refuse à admettre que les traumatismes du monde extérieur puissent le toucher ; bien plus, il fait voir qu’ils peuvent même lui devenir occasions de plaisir. » (Freud, 1928) L’humour signe le « triomphe du narcissisme ». Mais, si le moi refuse de ressentir la souffrance de la réalité, il
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ne l’ignore pas totalement pour autant ; l’attitude humoristique permet cependant de la réduire fortement. Dans la perspective psychodynamique, l’humour est considéré comme un mécanisme de défense adapté (Vaillant, 1993), surtout lorsqu’il s’exprime par l’autodérision. Il est le plus souvent considéré dans une optique positive, empathique et bienveillante (Vaillant, 2000). Cependant, les observations cliniques montrent que, dans l’immédiat de la confrontation à la souffrance psychique, certaines attitudes humoristiques constituent parfois une procédure de protection défensive un peu décalée, dont la forme révèle la recherche d’une adaptation qui peut apparaître inadéquate ou inappropriée. C’est le cas, lorsque les êtres humains adoptent l’attitude qui consiste à faire le clown, alors qu’ils sont confrontés à une tragédie ou en situation de danger. Ce comportement plaisantin vise à réduire l’anxiété consécutive à des situations stressantes, à des pensées ou à des affects perturbateurs et angoissants, il vise à trouver les moyens de moins souffrir. Nous avons rencontré cette modalité défensive notamment chez des sujets jeunes, par exemple après la perte d’un être cher ou pour tenter de cacher des maltraitances intrafamiliales (Anaut, 2012, p. 3-14). Ne rien prendre au sérieux, rire de tout et tourner en dérision ce qui fait peur peut aider à dépasser cette première étape du cheminement vers la résilience, qui consiste tout d’abord à se protéger de la désorganisation psychique. Cependant, le processus de résilience ne sera véritablement mis en jeu que si le sujet passe à l’étape suivante qui autorise le recours à des modalités défensives à visée élaborative, ce qui étayera la reconstruction psychique.
AUTODÉRISION,
UN CONCEPT DRÔLEMENT
COMPLEXE Avoir de l’humour peut consister à comprendre les plaisanteries mais aussi à en faire, et parfois à accepter celles qui sont faites y compris à nos dépens, ou encore à utiliser l’autodérision pour plaisanter, rire et faire rire de ce qui nous arrive. « Je me presse de
Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer », disait Beaumarchais à travers les propos de Figaro. Quant à Pierre Desproges, il assurait : « Ça fait moins mal quand on en rit ». Ainsi, l’humour peut être appréhendé comme un état qui correspond à la joie de vivre, à la gaîté ou à l’amusement envers la vie en général, mais il peut également s’exprimer par un regard amusé sur soi-même, consistant à ne pas se prendre au sérieux et à rire de soi ou de sa situation par l’autodérision. Cette attitude peut consister à rendre risible nos propres faiblesses et nos déboires. Il s’agit alors d’adopter une attitude humoristique envers soi-même, de rire et de faire rire de soi, de nos défauts, de nos travers ou de nos malheurs, souvent en les exagérant. Serban Ionescu et al. (2005) précisent :
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« Au sens restreint retenu par Freud, l’humour consiste à présenter une situation vécue comme traumatisante de manière à dégager les aspects plaisants, ironiques, insolites. C’est dans ce cas seulement (humour appliqué à soi-même) qu’il peut être considéré comme un mécanisme de défense. »
Dans cette optique, l’humour défensif est surtout envisagé dans le registre de l’autodérision. Il est appréhendé à partir de ses modalités essentiellement positives pour le sujet et souvent également pour le groupe social d’appartenance. En effet, l’autodérision représente un mode de protection attractif et bien toléré socialement, ce qui contribue à lui conférer une place privilégiée parmi les ressources psychiques humaines. Cependant la pratique de l’autodérision est en soi une forme d’humour complexe. En effet, elle suppose de pouvoir opérer un détachement envers soi-même et envers la situation qui nous concerne et qui nous blesse ou nous tourmente, mais sans ajouter une dimension supplémentaire à la souffrance. Bien au contraire, l’objectif de l’autodérision est justement d’apaiser nos souffrances, de calmer l’angoisse. C’est pourquoi, dans l’autodérision la maîtrise du cadre par le protagoniste lui-même est essentielle. Cela explique que certaines personnes qui pratiquent volontiers l’autodérision se montrent très susceptibles face à des moqueries qui émanent des autres. Certains humoristes professionnels ou occasionnels réagissent assez mal lorsque d’autres se moquent d’eux.
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Chez Edmond Rostand, Cyrano n’admet pas que l’on se moque de son nez, préférant composer lui-même une tirade fort longue sur les analogies de son appendice, en pratiquant l’exagération à outrance dans le but de contrer les rieurs. Ainsi, il est souvent plus acceptable de rire ou de faire rire de soi-même, en soulignant nos défauts ou nos faiblesses, en maniant l’hyperbole, mais en gardant la maîtrise des tenants et aboutissants des plaisanteries que l’on s’inflige, plutôt que d’être l’objet des plaisanteries et des rires d’autrui. L’analyse de l’humour chez Woody Allen peut nous révéler quelques clés de compréhension complémentaires concernant ce phénomène.
W OODY A LLEN ET L’ AUTODÉRISION : LA VRAIE - FAUSSE HUMILITÉ Woody Allen n’hésite pas à se mettre en scène en pratiquant avec beaucoup de talent l’autodérision à travers le personnage torturé qu’il incarne à l’écran. Cet homme hypocondriaque et névrosé, enlisé dans une psychanalyse sans fin, qui traverse la plupart de ses films fait sourire par la démesure de ses angoisses, de ses maladresses et autres phobies. Woody Allen semble ainsi nous livrer un peu de lui-même, nous raconter ses mésaventures relationnelles, ses déconvenues avec les femmes, ses sources d’anxiété et les diverses phobies dont il serait atteint, pour mieux nous faire rire. Mais s’agit-il vraiment de s’amuser à ses dépens ? En effet, c’est bien un personnage scénique et non la personne de l’acteur qui nous est donné à voir et, en définitive, ce faisant, Woody Allen transforme en qualités ce qui pourrait apparaître comme des défauts, par l’amplification de ses particularités réelles ou supposées. En faisant semblant de livrer son intimité psychique aux spectateurs, il amplifie l’importance de ses faiblesses et de ses troubles jusqu’à la caricature burlesque, rappelant ainsi qu’il s’agit de fiction. Lorsque Woody Allen met en scène son personnage névrosé, il contrôle les limites de la dérision et évite l’écueil de l’autodénigrement. Il dépeint un personnage positif, intelligent et facétieux, auquel beaucoup de spectateurs peuvent ou veulent
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Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
s’identifier. Ainsi, l’autodérision chez Woody Allen est associée à une vraie-fausse humilité, car ce qui est retenu par les spectateurs au bout du compte, c’est sa capacité à nous faire rire par son intelligence et son esprit. C’est bien ce qui le rend sympathique et qui séduit le public. De plus, n’oublions pas, qu’au de-là de la mise en scène de lui-même métamorphosé en personnage de fiction, Woody Allen s’amuse en dressant un tableau satirique de la société des intellectuels tourmentés à qui il tend un miroir dans lequel beaucoup se plaisent à se reconnaître. Nous sommes bien ici au cœur de l’autodérision dans ce qu’elle contient de constructif et de positif pour le sujet qui l’utilise. Dès lors, arriver à se considérer soi-même comme objet de dérision pour dévoiler les aspects comiques, cocasses de ce que nous sommes ou de ce qui nous arrive est un art délicat. Il faut pour cela pouvoir et savoir contrôler le cadre, car l’autodérision ne doit pas conduire à l’autodépréciation. Bien au contraire, l’autodérision constitue un moyen de redonner un sens aux épreuves de la vie, de reprendre la maîtrise et le contrôle des événements traumatiques et de retravailler leur représentation. Pour s’inscrire dans un cheminement vers la résilience ou la reconstruction psychique, le regard humoristique sur soi-même ne doit pas passer par le rabaissement de soi et l’auto-dévalorisation, ce qui serait le contraire d’une attitude proactive. En revanche, lorsque l’autodérision revient à exacerber les travers, les vicissitudes et les déboires, en les amplifiant et en les mettant en exergue jusqu’à la caricature, cela revient finalement à ne plus tout à fait faire rire de soi, mais d’un personnage qui n’est plus vraiment notre reflet fidèle, mais devient en quelque sorte une créature extérieure aux dépens de laquelle il est permis de s’amuser. C’est ce que font bon nombre d’humoristes qui s’inspirent de leur histoire de vie pour alimenter leur créativité. Une autodérision bien orchestrée est loin de l’autodisqualification, de fait, en anticipant la dérision sur soi, elle participe à la protection du sujet. Le sujet se protège des rires des autres en en riant d’abord lui-même, tout en maîtrisant le degré supportable de la dérision qu’il s’autorise. L’autodérision devient ainsi un bouclier face aux attaques potentielles des moqueries et du rire des autres. Mais, dans ce contexte, l’humour ne se contente pas de protéger, il participe également à l’élaboration
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psychique, il permet de retravailler les blessures en changeant leur représentation et, de ce fait, il transforme aussi la représentation que l’on se fait de soi. Les épreuves négatives peuvent se métamorphoser en expériences positives lorsqu’elles sont maîtrisées et mentalisées. L’autodérision, plus que toutes les autres formes d’humour, permet notamment de remanier les sentiments de honte chez les anciennes victimes (Cyrulnik, 2010). Rire et faire rire des situations éprouvantes que l’on a subies permet de reprendre les rennes de sa vie, de ne plus être seulement la victime vulnérable, d’éviter l’apitoiement sur soi mais aussi celui des autres et de travailler les sentiments de honte. N
De la fonction défensive à la fonction offensive de l’humour
L’humour permet de s’ajuster à des conditions menaçantes ou stressantes dans les situations d’insécurité quotidiennes, mais aussi de survivre dans les contextes de danger extrême. Le plaisir comique peut apparaître dans les contextes les plus inattendus, dans les situations qui confrontent le sujet à la déshumanisation, à l’agonie psychique et au péril physique. Il a aidé les personnes ou les peuples au cours des moments les plus sombres de l’histoire humaine (Holocauste, génocides, guerres ethniques...). Ainsi, les attitudes humoristiques sont utilisées dans les conditions les plus éprouvantes de l’existence comme un moyen de s’élever au-dessus des conditions de l’horreur, de participer à la survie en actionnant une libération de l’esprit. Dans les situations extrêmes, plus particulièrement lorsque le contexte traumatique s’inscrit dans la durée (maltraitance, captivité), l’humour peut constituer une force de contre-pouvoir et de réappropriation d’un espace de liberté. C’est ainsi que l’on a pu voir surgir des éclats de rire, des occasions de plaisir humoristique chez les prisonniers des camps de concentration nazis ou des camps staliniens, malgré des conditions de vies particulièrement délétères. On a retrouvé notamment de nombreux témoignages de l’utilisation de la dérision au sein des camps de concentration après la libération (Borwicz, 1996). Ainsi, la distanciation de la dérision
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Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
peut aider à survivre même dans les situations les plus extrêmes, lorsque les sujets sont confrontés à l’imminence du danger de mort physique ou psychique. En éveillant des sources de plaisir au cœur même de la tragédie, la perspective humoristique permet de relativiser un peu ces souffrances. L’hyperbole humoristique aide à transformer et sublimer la réalité angoissante, elle permet de recréer une représentation amusante de ce qui serait seulement obscène dans le réel. Cependant, si dans ces situations de grande adversité, l’humour protège de l’invasion de l’angoisse et des aspects mortifères, il exprime aussi et met en acte un élan vital et créatif qui peut s’ériger en contre-pouvoir constructif. « L’humour est une révolte supérieure de l’esprit » disait André Breton (1940). Ainsi, Germaine Tillion, alors qu’elle se trouvait en camp de concentration, a composé en cachette une operette parodique, Verfügbar aux enfers, destinée à distraire ses codétenues en leur offrant l’occasion de prendre de la distance et de retrouver un peu de liberté. Par cette transgression et l’utilisation d’une autodérision offensive, les détenues ont réussi à rire de leur condition tout en se jouant des geôliers et se moquant du nazisme. Cet humour noir les a aidées à survivre malgré les conditions extrêmes de leur détention. De la même façon des soldats américains faits prisonniers lors de la guerre du Vietnam ont utilisé l’humour comme une forme de contre-pouvoir ce qui les a aidés à tenir malgré les années d’emprisonnement et les privations endurées (Coffee, 1990). Par ailleurs, dans ces contextes traumatogènes de longue durée, non seulement l’humour atténue l’angoisse grâce à la distanciation, mais il peut également avoir une fonction offensive, c’est-à-dire d’attaque contre les sources de souffrance. Ainsi, il peut servir de contre-pouvoir et d’arme contre les personnes ou les systèmes qui sont à l’origine des blessures ou des frustrations. Il peut s’agir de se moquer de l’ennemi, du tortionnaire, de l’agresseur, en l’agressant symboliquement en retour par le biais de la dérision et de la moquerie parfois haineuse. Dans la littérature, une illustration de ce phénomène nous est donnée par le récit d’autofiction d’Hervé Bazin (1948) avec le personnage moqué et haï de Folcoche (le surnom de la mauvaise mère).
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Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE
Dans une perspective comparable, la clinique de la protection de l’enfance et de la famille montre que, dans les contextes de maltraitance, il arrive que des procédures de défense, basées sur une dérision ouvertement hostile, soient également employées par les victimes. Les dimensions agressives de l’humour peuvent avoir un rôle non négligeable dans la protection des sujets. Dans le cadre des violences intrafamiliales infantiles ou conjugales (Coutanceau et Smith, 2011), la dérision offensive, qui s’exprime notamment par l’humour noir, peut constituer une forme de contre-pouvoir face à l’agresseur et contribuer à protéger les sujets en souffrance des affects mortifères de la réalité intolérable. Ainsi, l’humour fait partie de ces mécanismes salvateurs (Lemay, 1998) dont disposent les sujets blessés pour se protéger dans l’immédiateté de la maltraitance ou du danger. Dans les situations de survie psychique, l’humour défensif et/ou offensif ouvre un espace de liberté.
P ISTES
DE RÉFLEXION
Parmi les facteurs qui facilitent le processus de résilience, l’humour constitue une compétence atypique et particulièrement complète. Il se présente comme une qualité psychique salutogène qui se situe à l’interface entre les aspects intrapsychiques, socioaffectifs et comportementaux. L’aptitude à l’humour est une caractéristique typiquement humaine qui offre de multiples facettes. Elle se place parmi les ressources auxquelles peut recourir le sujet blessé, soit pour se protéger de l’angoisse au moment même du danger, soit ultérieurement pour aider aux remaniements psychiques et à l’élaboration des traumatismes. En contexte traumatique, lors du danger, l’attitude humoristique permet au sujet de se protéger en atténuant la charge morbide émotionnelle, évitant ainsi l’effraction psychique. Par la suite, lors de la phase de reconstruction, l’humour peut médiatiser l’élaboration des traumatismes, en aidant à retravailler les blessures notamment en les abordant sous l’angle de l’autodérision. Au cours du cheminement vers la résilience, l’humour est une ressource structurante, il constitue un étayage aux vertus
Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
élaboratives qui offre des conditions favorables à la reprise d’un nouveau développement. Quelquefois, c’est avec le recul des années, que les sujets vont reconsidérer les situations tragiques qu’ils ont vécues dans le passé, sous l’angle de la dérision. Ils vont dédramatiser les situations adverses qu’ils relatent en mettant en avant les aspects dérisoires ou absurdes des épreuves traversées, ce qui contribuera également à rendre partageable les expériences adverses. C’est-à-dire, non seulement à les rendre dicibles mais également entendables par les destinataires (Cyrulnik, 2012). Rire et faire rire (ou sourire) des déboires passés aide à en parler et pour les auditeurs facilite leur écoute du récit. En effet, pour partager l’expérience traumatique il faut que les autres soient en capacité d’écouter ce qui se transmet. Quelquefois, il faut attendre des années avant de pouvoir affronter certaines épreuves de la vie et trouver une écoute pour pouvoir en parler. L’aspect humoristique permet de réduire et de maîtriser la charge émotionnelle de la remémoration, ce qui rend aussi le récit des traumatismes plus accessible pour les auditeurs.
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Chapitre 4
Shoah et résilience Serge Bornstein
un mot hébreu qui signifie catastrophe, attribué au « génocide juif », l’extermination systématique industrialisée par l’Allemagne nazie des juifs de l’Europe occupée pendant la seconde guerre mondiale, il a conduit à la notion de crime contre l’humanité. Sauf aux États-Unis, shoah a supplanté le mot holocauste dont la signification est sacrifice par le feu. Le terme résilience a fait florès au lendemain de la seconde guerre mondiale, tendant parfois en matière de Shoah, à recouvrir les comportements les plus immondes par la musicalité du propos. Résilier vient du latin resilire, « re » indiquant le mouvement arrière et « salire », sauter, bondir. Ce sens juridique survit dans les termes de physique, résilient, ente (1932) et résilience (1906), très probablement antérieurs au mot anglais resilient (1674), rejaillissant, rebondissant, spécialement qui a une résistance aux chocs élevés. Nous avons consacré le numéro 10 de notre revue de Psychiatrie Légale « Forensic » à l’actualité clinique du génocide et j’avais rédigé un avant-propos « L’horreur a un nom, Auschwitz... » Nous avions rapporté le cas hors du commun du Docteur Gabriel Benichou, ancien déporté de Birkenau, du ghetto de Varsovie et de Dachau, arrêté à 16 ans, il était alors en seconde à Marseille. Cette illustration d’un cas authentique de résilience représente
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S
HOAH est
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Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE
un pourcentage tellement faible par rapport aux drames vécus et à la souffrance sur plusieurs générations pour les descendants des survivants que pour honorer leur mémoire, on peut évoquer la détresse et l’impossible réconciliation avec la vie de ceux qui n’ont pu éviter d’être impactés directement ou indirectement par ce tsunami de haine destructrice. Tableau 4.1. Troubles psychiatriques chez les enfants survivants de l’holocauste (d’après M. Weill 1994) Symptômes
Après la guerre 1945
1992
n = 103
n = 103
Nervosité
53 %
62 %
Insomnie
38 %
55 %
Cauchemars de répétition
55 %
46 %
Céphalées
38 %
40 %
Plaintes somatiques
26 %
33 %
Instabilité émotionnelle
50 %
50 %
Dépression
31 %
42 %
Asthénie
37 %
59 %
Hypermnésie répétition
63 %
73 %
Culpabilité du survivant
36 %
28 %
Anxiété chronique
37 %
43 %
Difficultés de concentration
26 %
41 %
Anhédonie
39 %
38 %
Les génocides sont un fait d’actualité brûlante dons de nombreux points du monde. Les conséquences des crimes nazis sont la forme clinique de référence qui comprend de nombreuses variantes. Le Tribunal Militaire International de Nuremberg, institué par l’accord de Londres du 8 octobre 1945, à défini trois types de
Shoah et résilience
crimes entraînant une responsabilité individuelle : crimes contre la paix ; crimes de guerre ; crimes contre l’humanité. Pour le psychiatre, il convient d’évaluer, d’étudier la psychodynamique des acteurs, l’importance des troubles spécifiques immédiats et différés des déportés et de leurs enfants ainsi que la problématique éventuelle des bourreaux et (surtout) de leur descendance.
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CRIMES CONTRE L’ HUMANITÉ
Les crimes perpétrés par le régime nazi et ses alliés en constituent la référence fondamentale par l’ampleur et la systématisation des méthodes employées : assassinats, extermination, réduction en esclavage, déportation, actes inhumains contre les populations civiles, persécutions pour des motifs politiques, raciaux, sociaux, qu’ils soient en violation ou non avec le Droit interne du pays. Cependant, le génocide, la déportation massive, les enlèvements, les disparitions, les tortures, les prises d’otages, appartiennent hélas, à l’histoire de l’humanité. Parmi les exemples récents citons le Tibet (1 200 000 morts), le Rwanda (environ un million de morts), la Bosnie (200 000 morts, trois millions de personnes déplacées), le Cambodge, le Soudan, etc. Il s’agit d’actes portant atteinte aux droits et à la dignité des personnes ou de groupes humains. Par extension les victimes de crimes contre l’humanité sont non seulement les communautés persécutées (Arméniens, Juifs, Gitans, homosexuels), mais aussi les opposants à la politique hégémonique et répressive des agresseurs (résistants torturés, assassinés). Bien qu’il existe quelques sadiques ou vrais pervers, notamment chez les médecins tortionnaires, le plus souvent les bourreaux sont des hommes ordinaires, pris dans une dynamique groupale de gens très quelconques, dont les enfants se sentiront parfois plus concernés. Ceci pose le problème de la différence entre responsabilité individuelle et collective, celui de l’idéologie et du processus de leadérisation (procès K. Barbie, 1986). Les diverses questions sont celles de la réhabilitation, de la réparation sociale des victimes, des pensions, du châtiment du coupable, de la
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mémoire collective qui doit permettre de lutter contre le crime du silence ou pis du révisionnisme.
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VICTIMES
On décrit deux grands groupes de victimes, les déportés et les enfants de survivants qui, actuellement, sont décédés ou ont largement atteint l’âge sénile. On distingue les prisonniers, les résistants, les déportés, et les personnes qui se sont cachées du fait des persécutions.
➙ Avant l’interpellation
Les victimes sont alors dans une position d’être traquées, fuyantes, en proie une vive angoisse. Elles souffrent de malnutrition, de troubles du sommeil et de l’hygiène. ➙ L’arrestation Elle constitue un rebond majeur de l’angoisse sur un terrain déjà miné par le stress, le risque mortel est ou premier plan et les révélations lors des tortures ou le silence sont une épreuve terrifiante (squeeze). ➙ La déportation Due à des raisons « sociales », politiques ou des faits de résistance, les spoliations, les viols déterminent une atteinte identitaire pouvant dépasser des réactions comportementales ou caractérielles, jusqu’à des épisodes délirants, des états dépressifs plus ou moins typiques avec équivalents suicidaires. Peu ont survécu aux expériences médicochirurgicales. ➙ La libération Qui ne permet jamais de vraies cicatrisations affectives. La surmortalité sur les cinq ans qui suivent la libération est considérable. Les somatisations, les syndromes asthéniques, dépressifs avec dystonie neurovégétative est la règle, provoquant une fragilisation aux infections, maladies contagieuses, rhumatismales, etc. On a décrit un syndrome de culpabilité du survivant en dehors de toute référence mélancoliforme donc très spécifique, et bien sûr de nombreuses formes cliniques apparentées à la névrose traumatique. Les enfants de survivants ou liés aux
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déportés sont aussi concernés. Pour les déportés se pose un certain nombre de problèmes concernant ce que l’on a appelé les displaced persons au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Les troubles que présentent les déportés peuvent être continus ou différés. On a décrit un syndrome spécifique des camps de concentration qui portent divers noms, nous retiendrons celui de Targowla qui comporte à la fois : asthénie, troubles neurovégétatifs, troubles psycho-intellectuels portant sur la concentration, l’attention et la mémoire, irritabilité, anxiété, cauchemars, troubles fonctionnels, dépression, et sénescence prématurée exposant le sujet à toutes sortes d’affections dégénératives et infectieuses. D’une manière générale, après la guerre, la majorité des survivants adultes ont présenté un syndrome dépressif qui persiste chez certains. À côté du syndrome de Targowla, on retient un syndrome du survivant qui a une particularité importante. La symptomatologie consiste en flashs, en deuil pathologique, en culpabilité énorme avec des troubles à type d’irritabilité, manifestations psychosomatiques, reviviscences dès qu’il est dans l’obscurité ; il est aussi sujet à des pleurs, attaques de panique, péjoration du vécu en pensant à ses proches qui ne sont pas revenus.
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FACTEURS DE SURVIE
Ils seront fonction de l’environnement et de la chance, mais ils dépendent aussi de cette notion de résilience, d’une personnalité forte, autonome, d’un bon idéal du Moi, de la force des motivations, du sens de la fraternité, de l’âge (ni trop jeune ni trop vieux), et enfin de la qualification professionnelle. En ce qui concerne les enfants survivants 1. Caractéristiques Ayant survécu à la période dépressive et à des altérations somatiques, ces enfants ont une cicatrice indélébile aisément
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repérable. Leur jeune âge est un facteur d’aggravation symptomatique, mais paradoxalement de réussite professionnelle ultérieure. 2. Typologie Il en existe deux types :
➙ les enfants survivants qui ont eux-mêmes été victimes de
toutes ces manifestations ; ➙ les enfants nés chez des survivants après la période critique. Ces enfants sont l’objet d’un intense investissement émotionnel et ils présenteront par la suite une incapacité à moduler des réponses, en se trouvant de facto dans une atmosphère reconstruite. Ils sont la proie d’affects d’anxiété et d’agressivité à l’instar de la vie dans les camps. Dans ce cortège anxiodépressif, les troubles d’identification parfois en rapport avec le silence des parents concernant la période de la déportation, peuvent être une source d’ambiguïté. Le plus souvent, ils souffrent d’hypermnésie répétitive, de nervosité, de tendances anxio-dépressives avec cauchemars, troubles du sommeil, céphalées, plaintes somatiques et ils restent instables sur le plan émotionnel, avec difficultés de concentration et anhédonie.
LA
RÉSILIENCE APRÈS LA
S HOAH
La résilience authentique ne concerne qu’une proportion infime des situations rencontrées après toutes les catastrophes surtout si elles atteignent l’ampleur d’une lame de dévastation mais, autant peut-on faire front de fatalisme en cas de bouleversements naturels, autant ce que nous évoquons, la shoah, massacre industriel provoqué par l’homme contre d’autres homo sapiens, atteint les sommets de l’horreur et les épopées comme celle du Dr Benichou sont rarissimes. Ainsi l’homme résilient, quand il peut se prévaloir de son état, vivra une sorte de bénédiction mais quelque part portera toujours en lui l’indicible. Les individus qui échappent définitivement au
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Shoah et résilience
tourment ne sont pas des surhommes mais ont su gérer avec à-propos les événements traumatiques dans lesquels ils ont été plongés, organisant au mieux leur défense et protection, leur équilibre face aux tensions, s’engageant dans une sorte de positivité du Moi, des initiatives créatrices et en sachant surfer sur les variations du temps. Du point de vue traitement, celui-ci va se heurter au problème du silence, déjà évoqué. En effet, les victimes ont très souvent des difficultés à exprimer leur souffrance profonde. On peut avoir recours à la chimiothérapie, à la psychothérapie. Il existe des centres spécifiques de traitements. Parmi ceux qui ont paru surmonter l’impact de la déportation à Auschwitz, citons le cas de ce père et de son fils déportés en 1944, libérés le 27 janvier 1945 par les soldats de l’Armée rouge au bout de trois mois. Malgré les privations et les mauvais traitements, ils montèrent une petite activité de transport en Pologne avec un vieux camion. Malheureusement le père fut tué au cours d’un banal accident de la route. Courageusement le fils reprit cette occupation et revient en France où il put travailler et se marier en toute résilience apparente. C’est le court délai de déportation qui lui a permis de ne pas organiser de troubles psychotraumatiques, et au moment où nous écrivons ces lignes, il est toujours en bonne santé relative comme un homme de 91 ans. Des recherches en ce qui concerne cette médecine dominée par la souffrance morale et physique sont entreprises. Le problème du processus de réparation comporte une dimension sociale, juridique, ainsi par l’entretien de la mémoire collective par des centres mémoriaux, des commémorations, des distinctions comme celles des Justes, ou des plantations de forêts « symboliques », dans le but de passer du silence à la parole. La prévention passe par la diffusion de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est nécessaire d’apprécier les situations à risques en alertant les autorités et les Organisations Non Gouvernementales (ONG) qui jouent un rôle particulier dans la formation des médecins, des juristes, et dans l’instauration de recherches cliniques, thérapeutiques et juridiques.
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Statistiquement, bien que ne représentant qu’une très faible proportion, la résilience va être observée chez des individus offrant une résistance hors du commun et c’est un chant d’espoir pour l’humanité.
PARTIE II
Résilience et famille
La place de l’attachement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Chap. 6 Couples résilients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Chap. 7 Dépasser la séparation : un changement vers un avenir différent ou une blessure qui ne se referme pas ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Chap. 5
Chapitre 5
La place de l’attachement Michel Delage
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L’ INDIVIDU
LIÉ
On ne peut penser l’individu sans penser les autres. Nous ne devenons quelqu’un, c’est-à-dire soi-même que par l’existence des non-Soi que sont les autres. Nous ne sommes sujets que dans l’intersujet comme l’affirme Kaes. Il est singulier que jusqu’à une époque récente les spécialistes des soins psychiques ne se soient pas préoccupés des liens. Sans doute étaient-ils trop orientés dans leur recherche et leur pratique par le modèle médical centré sur l’individu malade. Il est vrai que s’agissant des troubles somatiques, ceux-ci paraissent circonscrits au niveau d’un organisme et que la maladie est toute entière contenue dans le corps qui la porte. Freud n’a pas dérogé à cette conception solipsiste et sa formation initiale de neurologue l’a sans doute conforté dans cette direction. Même s’il a reconnu l’importance de la subjectivité dans la relation transféro-contretransférentielle, il a fait l’impasse sur l’étude des liens, notamment des liens familiaux, à commencer par sa propre famille qu’il n’évoque guère tout au long de son œuvre. S’agissant plus particulièrement du traumatisme, il a préféré
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centrer son attention sur la vie intra-psychique et les fantasmes, plutôt que sur les réalités relationnelles vécues par ses premières patientes. Bien sûr, les psychanalystes n’en sont pas restés à Freud. Parmi les continuateurs certains ont reconnu, en partie, la part de l’autre en chacun de nous, et ils ont développé de nombreuses conceptions théoriques autour de la relation d’objet. Malgré tout, on reste ici au niveau d’un point de vue centré sur celui qui pense et sur les représentations qu’il se fait d’un objet qui n’est compris que dans son existence intra-psychique. Les psychanalystes groupaux, dont le mouvement a une certaine force en France, permettent une toute autre approche avec l’idée d’un inconscient groupal (Anzieu, 1975) et (Kaës, 1976). Cette fois, il est bien question d’un entre-deux, d’une intersubjectivité, ou plus précisément de l’interface entre l’intra-psychique et l’interpsychique. L’extension de la psychanalyse groupale à la famille a permis plus précisément de réfléchir en termes de liens et de transmission (Ruffiot, 1979) et (Eiguer, 1983). Mais la famille est un objet complexe. Elle ne se laisse pas appréhender par une voie. Bien avant que la psychanalyse ne s’y intéresse, la famille a été comprise par le biais d’un regard ethno-anthropologique (Bateson, 1956) et des théories de la communication. Plus encore, elle a été assimilée à un organisme vivant, et on l’a alors compris comme un système à partir de connaissances issues de la biologie (« Théorie Générale des systèmes » Von Bertalanffy, 1947). C’est sous cet angle que je vais me placer. Sans nier d’autres apports plus socio-anthropologiques, je prends ici le parti d’insister sur les fondements bio-anthropologiques de la famille, car c’est de mon point de vue ceux-ci qui rendent mieux compréhensibles les phénomènes de résilience. Donc la famille est un système, c’est-à-dire un ensemble organisé d’éléments en interaction. Remarquons d’ailleurs une certaine isomorphie entre le système famille divisé en sous-systèmes (conjugalité, parentalité, fraternité) articulés entre eux, entretenant des échanges avec l’environnement, et le système nerveux. Le principal organe de ce système, le cerveau, est lui-même organisé en différentes
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La place de l’attachement
parties, toujours en interaction les unes avec les autres, et ne pouvant fonctionner que par des échanges d’informations avec l’environnement, c’est-à-dire notamment avec des informations en provenance d’autres cerveaux. Les neurosciences nous permettent aujourd’hui de mieux comprendre le cerveau comme organe social et de dégager les bases d’une biologie relationnelle (Siegel, 1999) et (Schore, 2003). On voit les efforts tentés par certain pour fonder à partir de là une neuro-psychanalyse (Ouss, Golse et coll., 2009). Mais ils le font au prix de correspondances métaphoriques entre les approches scientifiques, et de l’abandon de certains aspects de la théorie psychanalytique. Les apports des neurosciences à une conception systémique de la famille sont plus immédiats et compatibles avec les éléments déjà connus dans ce champ de connaissance. Donc, nous sommes philogénétiquement des êtres relationnels. Et nous comprenons aujourd’hui à quel point les interactions avec l’environnement sont permises par une architecture cérébrale dont la fonctionnalité s’organise, se développe, se modifie dans les interactions. Il en est ainsi en raison de la néoténie fondamentale du cerveau, organe dont les connexions synaptiques sont pour leur grande part non déterminées génétiquement et s’établissent au cours du développement depuis la naissance. Nous devons alors, dans l’ontogénèse, comprendre cette circularité entre les interactions avec l’environnement et le développement cérébral et psycho-affectif de l’être humain. On peut comprendre alors que des altérations sont susceptibles de survenir dans ces interactions, et même parfois de graves dommages pouvant conduire à de nouvelles orientations développementales. C’est dans ces nouvelles orientations que se crée parfois l’occurrence d’une résilience. Mais nous avons besoin de faire appel à d’autres éléments pour mieux comprendre de quoi il est question.
LA
FAMILLE ,
«
NICHE ÉCOLOGIQUE
»
J’ai considéré la famille comme système, comme organisme vivant nécessaire à l’individu. En effet, comme êtres humains
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nous sommes des êtres sociaux. Cela signifie la présence d’une propriété qu’on peut nommer la socialité. Les animaux sociaux n’ont pas décidé un jour de se réunir pour faire société. Leur survie tient au fait qu’ils vivent ensemble. C’est l’évolution qui a sélectionné cette capacité à développer des comportements de proximité, d’abord nécessaires à la protection des petits, mais aussi permettant, à plusieurs, de repérer des proies et de les attaquer, de fuir un prédateur ou de s’entraider. Il a fallu pour cela comprendre ce que pouvaient ressentir les autres et ce qu’ils pensaient. C’est aussi de cette manière que, chez nos ancêtres pré-humains, se sont développés le jeu, la rivalité et l’intimité. Ainsi sans doute, se sont constitués des petits groupes au sein d’ensembles plus vastes. Les jeunes notamment, ne pouvaient survivre que près de leur mère, et celles-ci probablement vulnérabilisées par les soins apportés à leurs enfants avaient besoin des hommes à leur côté, que ceux-ci d’ailleurs soient géniteurs ou non. La vie relationnelle s’est organisée autour des enfants, comme aussi dans la régulation à plusieurs des émotions que comme êtres sensibles nos ancêtres ne manquaient pas de vivre. L’apparition du langage et du symbolisme a marqué l’entrée dans la culture, la création de différentes organisations sociales selon les endroits de la planète, au fur et à mesure que ce sont développés les phénomènes d’apprentissage et de transmission. Cependant, les sociétés ont beau varier, prendre des formes complexes, adopter différents systèmes de gouvernement, de valeurs, de religion, elles ont toutes un trait commun : une organisation autour de l’élevage des enfants. Les systèmes de parenté varient, mais toujours les familles s’organisent et des relations s’établissent entre « parents » plus ou moins proches ; des règles se fixent pour autoriser, limiter, interdire, normaliser. Donc finalement la famille est à la jonction de la nature et de la culture. Organisme vivant, elle est aussi une institution, la première de toutes, unité de base de la société. Bien sûr, ici et là les femmes, les mères, les hommes et les maris, les frères et les sœurs sont loin d’avoir partout les mêmes rôles, et la famille conjugale, telle que nous l’avons conçue en Occident
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La place de l’attachement
et dans de nombreuses autres civilisations, peut se révéler dans certains cas comme dénuée de la moindre importance réelle. Il n’en demeure pas moins que les êtres humains éprouvent le besoin de se regrouper en petites unités de vie. La socialité, cette propriété qui nous fait nous rassembler, repose tout spécialement sur le développement d’un « système motivationnel de rapprochement » qu’on appelle l’attachement. Partout les liens d’attachement et d’amour ont uni les hommes et les femmes, se sont prolongés dans leurs enfants, et ont permis que l’institution familiale organise la pulsionnalité liée à la sexualité, l’oriente vers des activités continues de création, et l’harmonise avec les nécessités sociales. Enfants comme adultes nous avons besoin d’être attachés. C’est ce qui permet de réguler nos émotions, de stimuler la confiance que nous avons en nous, de développer nos capacités empathiques, grâce auxquelles nous nous aidons si nous en avons besoin. Ainsi la famille se constitue en monde d’appartenance, « niche écologique », c’est-à-dire lieu privilégié des interactions, nécessaire au développement et à l’épanouissement individuel, tout autant que lieu possible d’enfermement, d’agression et d’entrave à l’épanouissement. Ainsi, même si elles ne sont pas satisfaisantes, nous ne pouvons pas, enfants, nous passer de la présence de figures d’attachement. Adultes, nous gardons en nous la présence de ceux sur qui nous pouvons compter si nous sommes malheureux ou confrontés à une grave épreuve. Si nous sommes seuls au monde, vraiment seuls, alors nous risquons bien de nous sentir hors de l’humanité. C’est bien ce qui arrive parfois à des personnes confrontées à de graves blessures psychiques. De telles personnes vivent à la fois une coupure et un arrachement, une coupure d’avec soi-même, un arrachement d’avec les autres. Dans ce cas, c’est un peu comme lorsqu’un jour de tempête, un navire rompt ses amarres, et vogue à l’aveugle jusqu’à aller s’échouer ou se briser sur les rochers. Ainsi dans la tourmente, il est important que les amarres tiennent bon, c’est-à-dire que les proches puissent contenir la souffrance de celui qui est blessé.
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LA
RÉSILIENCE DANS LA FAMILLE
La résilience est une propriété du vivant. Sans doute peut-on la constater à l’œuvre dans l’évolution des espèces. Il arrive par exemple que lorsque son environnement devient hostile, une espèce se reproduise plus rapidement, tandis que les mutations génétiques deviennent plus nombreuses, ouvrant la voie à de nouvelles formes. La résilience est un phénomène bio-systémique, par conséquent multifactoriel, rassemblant des éléments hétérogènes, mais articulés entre eux selon des interactions complexes d’où émergent le changement, la nouveauté. Et finalement une meilleure efficience d’un système dans un environnement donné. C’est pourquoi la résilience se décline aujourd’hui en de nombreuses manières selon le champ dans lequel elle est étudiée : économie, écologie, sciences sociales, climatologie, gestion des risques, psychologie. S’agissant de ce dernier champ d’études, il découle des propos précédents que c’est sous l’angle interpersonnel, interactionnel, intersubjectif que peut plus particulièrement se comprendre et s’étudier la résilience. Cette manière de voir nous permet de saisir l’importance du « tuteur de résilience » (Cyrulnik, 1999), c’està-dire des interactions qu’une personne blessée peut établir avec quelqu’un constituant une ressource externe capable d’alimenter, de mobiliser des ressources internes présentes à l’état de potentiel, d’ébauches, mais susceptibles de croître et de s’amplifier grâce aux apports externes. La résilience est donc un processus. Il apparaît « naturel » de pouvoir le rencontrer dans une famille, laquelle est susceptible de constituer ce tuteur ou ce réservoir de tuteurs pouvant venir en aide aux personnes souffrantes vivant en son sein. C’est notamment grâce à la qualité des attachements construits entre les partenaires que pourra s’effectuer une régulation des émotions plus ou moins efficiente. Cette régulation est en effet spécialement mise à l’épreuve dans les situations de stress, mise en défaut dans les situations traumatiques.
La place de l’attachement
On n’établit pas en général une distinction claire entre stress et traumatisme de sorte que la résilience est évoquée dans des situations très différentes :
➙ Lorsque des familles vivent dans des conditions adverses cumu-
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lant les facteurs de risques en raison de la précarité, de problèmes de santé, de difficultés d’acculturation. ➙ Lorsque dans une famille s’est exercée la violence, la maltraitance et que malgré tout certains parviennent à s’en sortir. ➙ Lorsque quelqu’un de la famille à vécu un drame, une catastrophe et qu’il doit pouvoir compter sur l’aide de ses proches. ➙ Lorsqu’une famille toute entière vit un grave dommage à la suite d’une catastrophe naturelle, de la perte de plusieurs des siens. Voilà bien des circonstances où la réflexion peut être orientée par « l’attracteur sémantique » (Durand, 1960) que constitue la résilience. On peut entendre habituellement par là un thème, une idée largement répandue, fortement médiatisée et derrière lesquels se rassemblent, s’amalgament des représentations, des utilisations fort éloignées les unes des autres, bien que comportant certains aspects communs. Ainsi la résilience est souvent comprise sous l’angle de capacités adaptatives mises en jeu dans des confrontations à des situations plus ou moins difficiles. On évoque alors des mécanismes de coping. On peut retenir aussi dans un champ théorique différant des mécanismes de défense plus ou moins matures (Vaillant, 2000). Les auteurs anglo-saxons notamment considèrent ainsi une « résilience adaptative ». Cela tient sans doute pour une grande part à l’utilisation du terme en langue anglaise pour signifier robustesse, ressort, adaptabilité. L’adaptation suppose le maintien d’une homéostasie psychique et intersubjective. Le changement est possible comme peut en attester la perspective développementale qui conduit l’être humain de la petite enfance à l’âge adulte. Mais c’est un changement sans véritable discontinuité, sans altération de la continuité de soi, sans crise majeure au sein d’un ensemble familial, changement de type I diraient les premiers systémiciens.
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Pour ma part, je considère avec quelques autres la résilience comme un processus susceptible d’être déclenché par un traumatisme. Dans ce cas, il y a d’abord rupture, rupture dans le fonctionnement psychique, dans le sentiment de continuité de soi. Les psychanalystes évoquent ici l’effraction, il peut y avoir aussi rupture au niveau intersubjectif. Dans ces conditions, le retour à l’état antérieur est impossible. Il est nécessairement question d’un changement de type II, c’est-à-dire d’un changement d’état, et dans l’optique d’une résilience, d’une nouvelle cohérence permettant un fonctionnement efficient, psychique et intersubjectif. Insistons sur la différence entre mécanismes (coping, défenses psychiques) et processus. Ces deux termes ne relèvent pas du même niveau logique. Le mécanisme désigne un fonctionnement. Le processus relève d’un ensemble de phénomènes organisés dans le temps (Dictionnaire Robert). Le processus comporte nécessairement des mécanismes, mais un mécanisme ne suffit pas à caractériser un processus. Lorsque certains auteurs assimilent la résilience à un mécanisme de coping, ils commettent une erreur logique. Mais il en est de même pour d’autres auteurs qui assimilent la résilience à une défense comme la sublimation. Il est question dans la résilience de coping et de sublimation. Mais ces mécanismes sont insuffisants pour indiquer ce qui est en jeu dans le processus de résilience. Donc, retenons une « résilience post-traumatique » que nous définirons comme un processus multifactoriel déclenché par un traumatisme, qui comporte des aspects biologiques, psychologiques et affectifs, transactionnels et intersubjectifs (tuteur de résilience) et consistant à mettre en œuvre des capacités, des compétences, des ressources en vue d’un néo-développement positif.
La place de l’attachement
LA
RÉSILIENCE QUAND LE TRAUMATISME EST FAMILIAL Nous pouvons retenir l’idée d’une résilience dans la famille lorsqu’une personne blessée peut mobiliser des ressources personnelles grâce au soutien apporté par certains proches ou l’ensemble de la famille. Mais il nous faut maintenant comprendre une résilience dans des situations de traumatisme familial, c’est-à-dire lorsque les liens eux-mêmes sont attaqués. N
Des liens familiaux en déséquilibre
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On peut retenir l’idée de blessures traumatiques familiales à partir des éléments suivants : Dans la famille quelqu’un ou plusieurs personnes ont été confrontées à un ou des événements comportant un risque vital pour eux ou pour les autres. La réaction du ou des personnes concernées était traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. La cohésion familiale est menacée et comporte le risque de souffrance chronique des liens ou de rupture. Remarquons les deux sources possibles du traumatisme : 1. Intra-familiale comme dans les situations de maltraitance. 2. Extra-familiale à la suite d’une agression, d’un événement dommageable surgissant de l’extérieur. L’atteinte traumatique des liens signifie une déchirure de l’intime, c’est-à-dire la perte du lisible et du prédictible dans la famille, l’incapacité à réguler et à mentaliser les émotions (Delage, 2008). Le lien est un terme polysémique qui peut être compris de multiples façons. On peut dire du lien qu’il ligote en même temps qu’il unit. Unir connaît la même racine étymologique que un et permet alors de comprendre le lien comme ce qui est indivis et rassemble en un tout les partenaires du lien, un tout qui est toujours plus que la somme des parties qui le composent et par
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rapport auquel chacun dans le lien prend position. C’est de cette manière qu’on peut évoquer un intime dans le lien, auquel n’ont pas accès les étrangers, ceux qui ne sont pas liés, ceux qui ne sont pas attachés à la famille et aux partenaires qui le constituent. C’est cet intime qui permet aux partenaires de se connaître sans le savoir à un niveau non conscient, non verbal, de s’ajuster entre eux automatiquement sans y penser. C’est cet intime que déchire le traumatisme quand il est collectif, familial. Il devient alors impossible de partager et d’historiser ce qui a été subi. Au maximum, dans une famille, on est rassemblé dans une sensorialité souffrante qui fait contact, mais ne fait pas vraiment lien, en raison de l’intensité des émotions ressenties, de leur caractère souvent complexe et contradictoire ne permettant pas véritablement de les exprimer. Prenons l’exemple de cette famille déjà évoqué ailleurs (Delage, 2010) reçue six mois après un drame : Vignette clinque
Un grand-père, sa fille et ses petites filles sont rassemblés par d’intenses souffrances, en même temps qu’ils sont dans l’incapacité de communiquer entre eux. L’aînée des petites filles Morgan, 17 ans, vivait chez ses grands-parents. Elle avait noué une relation amoureuse problématique avec un homme de 35 ans, jaloux, possessif. Après que Morgan ait tenté de mettre un terme à cette relation, son compagnon, n’y tenant plus, a fait un jour irruption au domicile des grands-parents où se trouvait Morgan. Il était armé, il a tiré sur Morgan et sa grand-mère, blessant Morgan et tuant la grand-mère. Puis il a retourné l’arme contre sa tempe et s’est tué, toute cette scène se déroulant devant le grand-père médusé. Depuis, ce dernier présente des symptômes habituellement classés dans le syndrome de stress post-traumatique. Lors de la première rencontre familiale, il présente un état dépressif sévère, de niveau mélancolique. Morgan qui était habituellement très complice avec son grand-père ne parvient plus à avoir le moindre échange. Elle ne peut plus échanger non plus avec sa mère qui semble très en colère. Elle ne sait plus où est sa place dans la famille. La mère, Brigitte, essaye de maintenir la vie quotidienne à flot. Elle est épuisée, et ne semble pas faire trop attention aux deux plus jeunes sœurs de
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Morgan âgées de 13 et 10 ans. Celles-ci ne disent rien, mais pleurent en silence.
On peut dire que dans une telle famille, la base de sécurité qui résulte habituellement des attachements construits ensemble est hors service. Le besoin fondamental de protection entre les uns et les autres est activé, mais il ne peut pas être satisfait. Dans la famille comprise comme organisme vivant, cela signifie une atteinte à la vitalité, en raison de la perte d’une véritable solidarité. Celle-ci repose habituellement sur le souci empathique que peuvent éprouver les membres d’une famille les uns pour les autres. Le souci empathique corrélé à la qualité des attachements, signifie qu’on est attentif à ce qu’éprouvent et pensent les autres en ayant la capacité de clarifier clairement leurs émotions et leurs pensées comprises comme différentes des siennes propres. Au lieu de cela il est question de la détresse empathique. Cela signifie que tout en percevant plus ou moins la souffrance des autres, on est tellement préoccupé par sa propre souffrance qu’on ne sait plus vraiment comprendre celle des autres et être en capacité de leur venir en aide. On vit dans la famille un phénomène de contagion émotionnelle, c’est-à-dire une résonance amplificatrice entre la détresse des autres et la sienne propre, sans qu’il soit possible de faire la part, dans la souffrance, de ce qui appartient à soi et de ce qui appartient aux autres. La résilience familiale comporte dans ces cas quatre volets : 1. La capacité à retrouver un fonctionnement efficient. Il est question ici de stratégies adaptatives visant la résolution de problèmes comportant la mise en jeu de compétences individuelles et collectives, de ressources relevant d’un savoir-faire, d’actions propres à faire face à la réalité, d’engagement dans des rôles susceptibles de faire l’objet d’une nouvelle distribution entre les uns et les autres, notamment lorsque quelqu’un n’est plus en mesure d’exercer ses responsabilités ou certaines fonctions et que des suppléances doivent pouvoir s’exercer. 2. La capacité à soutenir ceux qui en ont besoin. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui manifestent une grande détresse ou qui sont les victimes directes d’un drame, d’une
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catastrophe. Il s’agit aussi de tous ceux qui, comme membres de la famille sont impactés par la situation. De ce point de vue les enfants méritent une attention particulière. Ils font en effet souvent l’objet de malentendus. S’ils s’agitent, on se montre irrité, par leur comportement sans percevoir leurs attentes de réconfort. S’ils ne manifestent pas de troubles particuliers, ils courent le risque d’être laissés pour compte. La résilience familiale se mesure à l’état de santé des enfants. 1. La mentalisation constitue le cœur de la résilience. Les points précédents relève surtout de la mise en œuvre des mécanismes de coping et de défense, lesquels ne s’inscrivent pas dans la dimension temporelle. Ces mécanismes doivent être compris au plan individuel et interindividuel. Ce qui fait de la résilience un processus, c’est une réorganisation psychique et intersubjective à plus ou moins long terme, c’est-à-dire une transformation de l’expérience traumatique grâce à un travail d’élaboration, de mentalisation, donc de mise en pensée et en liaison des éprouvés, sensations, émotions ressenties (De Tichey, 2001). La mentalisation a été comprise à partir des études de l’École Française de Psychosomatique et de la notion de pensée opératoire (Marty, 1991). Mais elle doit être à mon sens élargie à une conception intersubjective. En effet elle est assimilée par Fonagy (2001) à la fonction réflexive et de liaison, laquelle repose nécessairement pour cet auteur sur la compréhension psychologique de l’autre et par l’autre. Elle est inscrite à la fois dans les relations complexes entre réalité externe et réalité interne, entre soi et l’autre, états mentaux de soi, états mentaux de l’autre. Autrement dit, la mentalisation apparaît comme un moyen de comprendre, d’interpréter les états mentaux, ceux de soi, comme ceux de l’autre et de les transformer en représentations communicables et partageables. 2. L’historisation et la transmission découlent directement du point précédent. Une famille qui ne parvient pas à se dégager du traumatisme le transmet. Celui-ci par conséquent traverse les générations. Il s’agit
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d’une transmission transgénérationnelle (Eiguer et coll., 1997). Ce qui n’a pas pu être pensé, mentalisé, élaboré par ceux qui ont vécu des événements traumatiques est transmis sous forme de non-dit, de blancs, ou de « traces sans mémoire » (Granjon, 1987), c’est-à-dire sous forme d’éprouvés, d’attitudes, de manifestations corporelles, d’un implicite non verbal indiquant à l’interlocuteur tout à la fois le malaise, la souffrance, et une zone d’indicible où il n’est pas question d’aller. Une famille qui est engagée dans un processus de résilience peut transmettre en lieu et place du traumatisme une histoire, il est question ici d’une transmission intergénérationnelle. L’historisation suppose la mise en action du souvenir, c’est-à-dire d’un travail de reconstruction de la réalité vécue qui, tout en ayant à voir avec elle, s’en écarte, un peu, plus ou moins, en raison du travail de mentalisation auquel a donné lieu ce qui a été vécu, en raison aussi de l’interlocuteur à qui les événements sont racontés, et aux récits auxquels cet interlocuteur réagit, également à cause d’une revisitation du passé à la lumière du présent vécu. Autrement dit là où le traumatisme fige le mouvement du temps, impose à la conscience un passé qui ne passe pas, le temps résilient s’organise selon une fluidité temporelle retrouvée, c’est-à-dire dans la liberté d’aller et venir entre présent, passé et avenir, ce qui d’ailleurs est bien conforme avec l’idée du processus. Mise en œuvre de la résilience en famille
Examinons plus précisément maintenant comment les points précédents peuvent être mis en œuvre et éventuellement travaillés dans des aides thérapeutiques. Un ensemble d’éléments concernent la protection : On peut retenir ici un niveau phénoménologique qui relève du descriptible, de ce qui peut être observé, objectivé. On peut citer les recommandations de Rutter (1987) reprises dans des interventions thérapeutiques par Seymour et Erdman (1996).
➙ modifications des facteurs de risques repérés ;
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➙ réduction des réactions en chaîne négatives susceptibles de
survenir dans des situations de stress ; ➙ renforcement de l’efficacité personnelle et de l’estime de soi chez les différents partenaires qui composent la famille ; ➙ renforcement des opportunités par l’aide aux parents et aux enfants pour sélectionner les éléments environnementaux les plus favorables à leur développement. Sur la base de ces mêmes recommandations, différents programmes d’interventions psychosociales peuvent être mis au point auprès de familles défavorisées connaissant des conditions adverses d’existence, et pouvant même faire l’objet d’évaluation (Delage, 2012). Remarquons ici trois points : 1. D’abord on est dans une vision extensive de la résilience dans la référence à une résilience adaptative où l’on vise plus la prévention de troubles en présence de stress chronique, que le traitement de souffrances post-traumatiques. Quand il s’agit d’interventions à visée thérapeutique, on réalise en général des interventions brèves centrées sur les solutions, visant la gestion du quotidien, la résolution de tâches spécifiques, certains changements concernant des objectifs limités, clairement repérés et explicités. On cherche à développer le coping coopératif. 2. Ensuite le thérapeute occupe une position d’expert, clairement positionné en dehors du système familial. Si de cette manière, on obtient certains changements ou évolutions apparemment favorables, il s’agit malgré tout le plus souvent de changements superficiels. C’est comme dans une maladie où l’on parviendrait à supprimer certains synptômes, par exemple la température sans véritablement agir sur le processus pathologique en cours (par exemple, une infection). 3. Ainsi ce qui est évalué dans différentes échelles (Dunst et Lee, 1987) et (Mc Cubbin et coll., 1996) concerne le plus souvent un catalogue de caractéristiques hétérogènes, peut être utile pour guider les actions des professionnels et faire des bilans, mais sans grand intérêt pour les familles sur lesquelles portent les actions (Ionescu, 2011).
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Pour ma part, s’agissant de promouvoir la protection dans la famille, il m’apparaît plus efficient d’utiliser les apports de la théorie de l’attachement. Nous l’avons vu, la base familiale de sécurité (Byng-Hall, 1991) perd sa fonctionnalité dans le traumatisme. Elle peut s’orienter vers une dysfonctionnalité chronique dont on doit d’ailleurs comprendre les rapports avec les attachements antérieurement construits dans la famille. Le thérapeute ne se positionne pas alors dans un rapport d’extériorité et d’expertise par rapport à la famille. Il est un caregiver qui se propose comme une base de sécurité suppléante et provisoire. Il se constitue comme une ressource externe susceptible d’alimenter les ressources internes de la famille. Cela nécessite un engagement, une attitude pro-active du thérapeute. Ainsi, à partir de l’écoute de ses résonances émotionnelles personnelles suscitées par les souffrances des autres, le thérapeute aide au développement ou au rétablissement des quatre conditions nécessaires à une suffisante sécurité familiale. 1. La communication claire et ouverte, constituée par un contenu informatif cohérent et bien compréhensif pour chacun. 2. L’expression libre des sentiments sans qu’on se sente dans la famille empêché de dire, ou intrusé, envahi par les exigences des autres.
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3. La collaboration dans la résolution des problèmes notamment quand des suppléances s’avèrent nécessaires. 4. L’équilibre fonctionnel entre une suffisante fermeture capable de préserver l’intimité familiale et le sentiment d’appartenance, et une suffisante ouverture capable de restaurer ou de maintenir une vie sociale, capable aussi de conduire à des aides extérieures s’il en est besoin. Il est en somme question de capacités contenantes au sein de la famille, de sorte que ce qui a été déchiré puisse être suturé, que les interactions verbales puissent être restaurées afin que s’ébauche le nécessaire travail intersubjectif d’élaboration. Mais cette contenance interne à la famille précisément débordée par le traumatisme, demande souvent le soutien d’une contenance externe apportée notamment par l’aide thérapeutique. La qualité
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des attachements est directement correlée à cette contenance, à l’efficience de la base familiale de sécurité. Leur appréciation permet d’orienter les attitudes du thérapeute. Il s’agit de viser une protection ouverte. Cela signifie de bonnes capacités dans la famille à identifier les problèmes et à les résoudre, une bonne attention empathique à l’égard des autres, la recherche de soutien social. Les mécanismes de coping sont marqués par l’auto-observation, la juste évaluation des problèmes à résoudre, la bonne confiance pour certains ou pour tous dans les capacités à affronter les difficultés. Tout le monde ne développe pas obligatoirement de telles capacités dans la famille, mais on sait pouvoir compter sur un des membres en position de leader. Les mécanismes de défense privilégient l’humour, l’anticipation, la sublimation. Évidemment toutes ces caractéristiques sont d’autant plus présentes, que les attachements développés dans la famille avant le traumatisme étaient de type sécure. Ils peuvent être mis en défaut par un drame, mais les capacités de restauration sont plus grandes que dans les familles constituées comme des groupes d’attachement insécures. Dans ces cas, c’est une protection fermée qui se met en place, constituant un obstacle au processus de résilience. C’est à son ouverture que les thérapeutes devront travailler. On peut évoquer la protection fermée dans les familles où dominent les attachements évitants, c’est-à-dire le chacun pour soi. On est ici dans l’insuffisance de protection, la mise à distance, le rejet. Chacun cherche à se protéger des mécanismes selon lesquels il se coupe de ses émotions et des émotions des autres. La protection fermée enclôt la souffrance et empêche tout travail d’élaboration. Autrui n’est pas perçu comme un soutien possible. Dans les familles où dominent l’anxiété et l’ambivalence on entretient des relations de grande proximité. On est exagérément protecteur. Mais en même temps on subit la contagion émotionnelle, on est envahi par les émotions des autres. La régulation des émotions est alors difficile. Ce style transactionnel est de type intriqué, enchevêtre. Les stratégies de coping centrées sur soi se
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font au détriment des capacités empathiques. Les mécanismes de défense dominés par le déni, le clivage, la dissociation bloquent le travail psychique. L’activité soignante peut s’aider par des questionnaires d’évaluation. Mais ceux-ci sont alors utilisés comme un objet médiateur, c’est-à-dire comme susceptibles de faciliter les échanges verbaux et de relancer une dynamique intersubjective défaillante après un drame. Il s’agit alors d’auto-évaluations susceptibles de rendre plus visibles aux uns et aux autres les ressources qui peuvent les rassurer et les insuffisances sur lesquelles ils peuvent travailler. Il ne s’agit pas d’échelles de résilience. Il s’agit d’instruments à visée interactionnelle susceptibles d’aider à travailler la protection sur la base des commentaires critiques que chacun dans la famille est conduit à formuler à partir des réponses des différents partenaires. Il en existe de plusieurs sortes. On peut notamment citer le questionnaire centré sur les ressources de Echevarria-Doan (2001). Pour ma part je propose l’exploration suivante (voir proposition supra) qui s’adresse à des adultes et à de grands adolescents. Mais la protection n’est pas la résilience. Elle peut en favoriser la survenue, à la condition qu’elle permette un travail psychique et interpsychique de mentalisation. Il est des familles où l’on parvient à se protéger, à se montrer combatif, à faire preuve d’innovations pour se sortir de situations dommageables, mais au prix de stratégies couteuses, car faisant l’impasse sur le nécessaire travail de mentalisation que requiert la situation.
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P ROPOSITION D’ AUTOÉVALUATION DE LA PROTECTION DANS LA FAMILLE Vous devez répondre à toutes les propositions en indiquant dans la marge le numéro de celle des cinq réponses qui vous parait la plus adéquate. 1 : presque jamais, 2 : rarement, 3 : parfois, 4 : fréquemment, 5 : presque toujours. Adaptation à la réalité quotidienne Nous parvenons dans la famille à résoudre les problèmes qui se posent au quotidien. Nous faisons face convenablement aux conditions matérielles de notre existence. Nous nous entraidons en général lorsque nous rencontrons des obstacles. Depuis ce qui nous est arrivé, nous avons fait preuve d’innovation pour nous en sortir. Nous trouvons les moyens entre nous de venir en aide à ceux parmi nous qui sont le plus en difficulté. Nous savons nous organiser pour ne pas nuire à l’autonomie et à la liberté de chacun. Fonctionnement psychique individuel et groupal Nous communiquons facilement dans la famille. Chacun peut exprimer facilement ses sentiments. Chacun sait qu’il peut compter sur les autres s’il en a besoin. Chacun est libre d’exprimer ou pas ce qu’il ressent. Il nous arrive d’être joyeux entre nous. Chacun peut préserver son intimité personnelle quand il le souhaite. Il nous arrive de parler entre nous de ce qui est arrivé. Nous rencontrons des personnes extérieures à la famille : membres de la famille élargie, amis, voisins. Nous pouvons échanger sur des points de désaccord. Il nous arrive d’être en conflit, mais nous parvenons à trouver une solution.
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Rapport à la temporalité Nous parvenons à ne pas toujours penser à ce qui est arrivé. Il nous arrive de faire des projets pour l’avenir. Soin et éducation des enfants En général, nous avons confiance en l’avenir des enfants. Les enfants sont dans l’ensemble épanouis. Les enfants ont plutôt de bons résultats scolaires.
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Nous sommes des parents disponibles pour nous occuper des enfants.
L’activité narrative au sein d’une famille victime d’un traumatisme est ce qui va soutenir l’activité de penser à plusieurs. Elle va orienter un travail psychique individuel et intersubjectif de mentalisation, et ainsi alimenter le niveau mythique de la famille. Le mythe est ce qui dans toute famille relève de la construction collective de la réalité. C’est toujours à un niveau inconscient, implicite que fonctionne le mythe. On doit comprendre son fonctionnement dans un rapport de circularité entre ce qui oriente la perception du présent à travers les constructions du passé, et la modification de ces constructions que la vie présente rend nécessaire. Précisément l’activité de mentalisation au sein de la famille permet que dans le processus de résilience, une flexibilité intersubjective suffisante se manifeste dans le va-et-vient entre ce qui relève des constructions du passé et le travail de mise en sens de la vie présente. C’est de ce va-et-vient que naît le changement, des capacités créatives soutenues par l’imaginaire et l’enrichissement des mythes. Certains parlent alors de mythopoeïese (Neuburger, 1995). Ce va-et-vient est grandement facilité par une autre circularité, entre ce qui relève de chacun dans l’activité narrative et ce qui relève du groupe, de sorte que l’expérience vécue est mise en œuvre de différentes manières par les uns et les autres dans les constructions qu’ils peuvent en faire. Après la rupture traumatique, il faut bien en effet que l’on puisse faire récit de ce qui s’est produit pour que cela puisse s’ancrer
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dans l’histoire de chacun, comme dans celle de la famille. On peut finalement décrire au plan interpersonnel, intersubjectif les opérations suivantes :
➙ exprimer les émotions ; ➙ partager les émotions ; ➙ penser l’événement, la situation ; ➙ transmettre. La mise en commun de l’expérience à travers l’expression et le partage émotionnel relèvent d’une intersubjectivité qu’on peut qualifier de « primaire » (ressentir avec l’autre, comme l’autre) et de « secondaire » (percevoir dans la différence ce que l’autre ressent) (Trevarthen, 1979). En même temps, les étreintes, les attitudes d’apaisement et de réconfort sont très liées à la qualité des attachements. Mais l’activité narrative relève d’une intersubjectivité « tertiaire » : « Ensemble nous pouvons faire un récit qui donne sens à la réalité que nous vivons. » Tout le monde n’est pas exposé à la situation traumatique de la même manière. Tout le monde n’accorde pas les mêmes significations aux éléments de l’expérience. Certains sont plus aptes que d’autres à faire des récits cohérents. Précisément les élaborations mentales de chacun peuvent dans l’activité narrative trouver appui sur les élaborations mentales des autres. L’identité narrative (Ricoeur, 1991) est ainsi ce qui permet l’inscription des événements vécus dans la continuité de soi, et l’inscription dans la communauté (ici la famille) (Ricoeur, 1983-1985) par le partage avec autrui. Nous aurons à distinguer au niveau d’une activité narrative familiale, ce que Ricœur a développé au niveau individuel. Les conditions du récit : c’est-à-dire les éléments informationnels sur les faits, les circonstances. La « mise en intrigue », c’est-à-dire la capacité d’organiser l’histoire de ce qui s’est passé. C’est déjà une possibilité de relatif dégagement du poids de la réalité. Le récit devient ici médiateur entre la réalité et la subjectivité vécue de chacun.
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La « reconfiguration du récit » quand on parvient non seulement à compléter, réélaborer, structurer ensemble dans la famille l’expérience vécue, mais aussi à de nouvelles associations et variations à partir des récits faits à d’autres et entendus des autres dans la communauté. Remarquons ici cet autre particulier qu’est le thérapeute capable d’aider à faire récit, à reformuler, capable de préparer de nouvelles lectures, de nouvelles cohérences susceptibles de relancer l’activité de pensée dans la famille. De nombreux outils peuvent être utilisés, métaphoriques (objets flottants) (Caille & Rey, 2004) et dans des variations d’expression (graphiques, orales, artistiques, etc.). Il est question finalement d’un tissage narratif qui est en même temps un retissage des liens, d’une spirale narrative dans laquelle les récits individuels alimentent les récits collectifs en même temps qu’ils puisent en eux des éléments capables d’enrichir l’histoire personnelle. Finalement on peut dégager plusieurs fonctions à l’activité narrative et au récit : Il est possible à chacun de s’orienter dans la temporalité. La passivité se transforme en activité. Le narrateur est un acteur dans le travail qu’il fait en vue de produire du sens. Le récit sous-tend une activité de liaison, tant entre les individus qu’entre les différentes composantes du psychisme individuel. Le récit alimente la dimension mythique au sein de la famille avec tous les effets de transmission qui y sont liés. Une nouvelle fois, insistons sur la qualité des attachements. Ces différentes fonctions, en effet, sont plus ou moins bien remplies selon la qualité des attachements. Ainsi le thérapeute aide à l’activité narrative dans une famille à travers les outils qu’il utilise, mais aussi en travaillant sur les attachements. La résilience va de pair avec une suffisante sécurité retrouvée dans la famille. Les récits sont alors assez clairs et cohérents. Un travail d’élaboration, de transformation de l’expérience, d’historisation et de transmission intergénérationnelle permet d’aller vers le changement et la créativité.
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L’insécurité dans les attachements conduit à une activité narrative confuse (attachements anxieux ambivalents) ou pauvre (attachements évitants), de toute façon à une mentalisation défaillante, à des défauts d’élaboration, de transformation de l’expérience, à des blocages rendant l’historisation difficile. Le mythe familial risque de s’orienter vers un « mythe » de survie et de donner lieu à la transmission transgénérationnelle du traumatisme. Vignette clinique
Dans la famille de Morgan il a été possible de développer une importante activité narrative à partir des blocages émotionnels du début. Après la création d’une bonne alliance thérapeutique et un travail sur la sécurité et la protection, il a été possible d’exprimer les émotions ressenties et d’échanger à leur propos. Elles étaient fortes et destructrices dominées par la colère : colère du grand-père vis-à-vis de sa petite fille, colère de Brigitte la mère vis-à-vis de sa fille et de son propre père, colère de Morgan vis-à-vis de tous, rendus responsables de son mal de vivre, colère de ses sœurs elles-mêmes victimes. Il a fallu travailler par sous-systèmes : Morgan et sa mère, Brigitte et son père, les sœurs ensemble. C’est qu’en effet toutes ces colères étaient liées à des histoires particulières. Les deux sœurs de Morgan avaient fait l’objet d’attouchements sexuels de la part de leur père, dont la mère s’était séparée depuis. Morgan n’avait pas cru aux révélations de ses sœurs. Mais son père avait chuté du piédestal sur lequel elle l’avait placé. Il y a eu rupture, mais ce père lui a manqué. Morgan construit au cours de la thérapie un récit dans lequel elle se met à penser que c’est peut-être pour remplacer ce père manquant qu’elle est tombée amoureuse à 17 ans d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Sa mère en tout cas n’a pas accepté cette relation, c’est pour cela que Morgan est partie vivre chez ses grands-parents. Mais le récit de Brigitte nous précise que les relations avec sa fille ont toujours été difficiles. Un chassé-croisé entre mère et fille sur le thème de la place conduit Brigitte à dire que sa fille a été une enfant de remplacement. Elle a remplacé une sœur de Brigitte décédée à l’âge de huit ans quand elle-même en avait dix. Morgan connaissait ce décès, mais pas l’histoire qui l’accompagnait. On n’en parlait pas dans la famille. Le grand-père nous raconte alors comment sa femme a tué accidentellement leur fille cadette en manœuvrant une voiture,
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percutant malencontreusement l’enfant. Les événements sont soudains révélés en séance. Brigitte évoque sa propre souffrance, l’accident qui s’est déroulé sous ses yeux, puis le sentiment douloureux de ne plus exister pour ses parents, de ne plus avoir eu d’attention de leur part, puis l’espoir que cela change avec la naissance de Morgan, offerte à sa grand-mère pour la consoler de la fille disparue... et voilà que c’est le « cadeau » fait à sa grand-mère qui est à l’origine de la mort de cette dernière !
Tous ces récits ont réactivé des émotions fortes et complexes relançant de nouveaux récits entrecroisés et des va-et-vient entre le passé lointain, et les événements récents. D’autres blessures sont apparues dans cette famille qui ne peuvent être relatées ici, mais tous ces récits ont donné lieu à des reconstructions, notamment grâce à l’utilisation d’objets métaphoriques comme les sculptures. Ils ont conduit aussi à des prises de décision, à des changements dans la vie familiale. À mon tour j’ai éprouvé le besoin d’organiser cette histoire familiale construite au cours de deux ans de thérapie, en proposant un « conte systémique » (Caille et Rey, 2004), invitant à de nouvelles significations susceptibles d’enrichir le sens déjà dégagé. Au bout du compte a pu s’effectuer un travail de différenciation. Le grand-père est sorti de son état dépressif et s’est engagé dans une nouvelle vie, en prenant ses distances avec sa fille. Celle-ci s’est remariée. Morgan a entrepris des études et a quitté le domicile familial. Ses deux sœurs sont entrées dans une adolescence satisfaisante, n’excluant pas les quelques crises et chaos qui ponctuent habituellement cette période de l’existence. Il a fallu à cette famille un leader, Brigitte, capable d’assurer une suffisante fonctionnalité familiale et capable d’engager, à sa demande, tout le monde dans la thérapie. Il a fallu ensuite un travail difficile, mobilisant fortement les émotions, l’activité narrative et la mentalisation. Remarquons qu’un tel travail, qui témoigne pour moi d’un processus de résilience en marche, nécessite pour être entrepris deux conditions :
➙ La première concerne la temporalité : c’est dans les suites à moyen terme d’un drame, après quelques mois, qu’il est possible
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d’entreprendre un travail sur le traumatisme. Le court terme ne permet pas un dégagement suffisant en raison de l’intensité émotionnelle mobilisée. Le long terme concerne la transmission traumatique. De ce point de vue l’histoire de Morgan et de sa famille est exemplaire. ➙ La deuxième concerne l’engagement actif du thérapeute, l’offre de soin. Il n’est pas question ici de l’attente neutre d’une demande, cette dernière ne prend sens que par rapport à une problématique de désir. La souffrance traumatique confronte à une problématique du besoin, et donc à la nécessité de soins visant à panser les blessures pour mieux ensuite les penser. Mais faute de prendre en compte le lien, nombre de soignants ne se préoccupent que des personnes directement victimes, accidentées, agressées, gravement malades, sans plus faire attention à leur entourage et aux liens fonctionnels ou dysfonctionnels, douloureux ou soutenant qui unissent les uns et les autres
Chapitre 6
Couples résilients Philippe Brenot
développé par les écoles anglosaxonnes de psychologie du comportement et, plus particulièrement en France, par Boris Cyrulnik (2001), est maintenant bien connu pour décrire la capacité de certains individus à surmonter un traumatisme et à en ressortir « plus forts », capacité à vivre en dépit de l’adversité. Des stratégies thérapeutiques peuvent alors être mises en place pour accompagner cette éventuelle résilience. Dans le champ de la conjugalité, la question se pose d’une possible résilience des couples, ou plutôt dans les couples. Trente années de thérapies puis d’accompagnement des couples m’ont montré la nécessité d’un esprit d’ouverture et d’innovation en ce qui concerne un suivi conjugal qui n’est pour l’instant que partiellement codifié. Il me semble effectivement exister des couples résilients, qui ont des ressources réparatrices et peut-être une capacité à l’auto-réparation (certainement nombreux parmi ceux qui ne consultent pas), pouvant éventuellement être éveillée par le thérapeute-tuteur de résilience ; et des couples peu ou pas résilients en raison de structures psychiques, uni- ou bilatérales, s’opposant à l’auto-réparation. Cette hypothèse de la résilience conjugale, qui me semble aujourd’hui riche de perspectives, nécessite une approche particulière des couples en difficulté afin de pouvoir identifier ce qui
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E CONCEPT DE RÉSILIENCE,
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fait à chacun trauma et la capacité mutuelle de dépassement de ce trauma ; nécessite aussi de les suivre, ou les accompagner, selon des stratégies susceptibles de réveiller cette capacité à l’auto-réparation.
D ÉFINITIONS,
HYPOTHÈSES
« La résilience est une propriété du vivant, pose Michel Delage. Elle signifie qu’une agression n’a pas que des effets négatifs sur un organisme. » (Delage, 2008) On connaît mieux aujourd’hui les forces en jeu dans le traumatisme, les lésions et défaillances connues depuis longtemps (Freud et le traumatisme de guerre), mais également les mécanismes de lutte contre les conséquences du trauma, les suppléances aux fonctions déficitaires et toute la chaîne « reconstructive » des réactions positives qui utilisent les ressources psychiques personnelles, ou relationnelles. Face au trauma, conséquence naturelle de l’agression, « la résilience psychologique implique la mise en jeu de ressources visant à lutter contre les conséquences négatives du trauma » (Delage, op. cit.). Ce sont des stratégies d’adaptation, souvent appelées coping dans le champ thérapeutique, visant à restaurer la confiance et l’estime de soi. En ce qui concerne le couple, le trauma se pose différemment selon le moment où il survient au cours de l’histoire conjugale. On peut tout d’abord distinguer une blessure de l’un des membres du couple antérieure à la rencontre, qui fera sens dès le début de l’histoire (trauma révélé et assumé par le partenaire) ou qui apparaîtra par la suite (symptôme secondaire ou révélation). Une blessure extérieure pourra atteindre l’un ou les deux partenaires au cours de l’histoire conjugale ; enfin le trauma pourra être intérieur au couple (violence perverse ou violence ordinaire). Comme dans le cadre des abus sexuels intrafamiliaux et de l’inceste, où l’enfant ne peut trouver de sécurité au sein du couple parental (Benghozi, 1996), dans le trauma intraconjugal le secours ne peut venir que de l’extérieur, hors la sécurisation hypocrite et dangereuse de « la lune de miel » périodique dans les couples avec personnalité perverse (Brenot, 2008). Deux typologies sont
Couples résilients
encore à mentionner, les « couples à bascule » où chacun est tuteur de l’autre à tour de rôle ; les couples où l’un est manifestement tuteur de l’ensemble de l’édifice conjugal. En raison d’une plus grande sensibilité des couples actuels aux effractions psychologiques de la part du partenaire, les microtraumatismes sont assez fréquents, chacun tentant de mettre en jeu des stratégies de réparation, on sait avec quelle difficulté. « Ces blessures répétées et apparentées tendent à nous enfermer dans une croyance profonde qui va restreindre notre vision et notre liberté d’action », précise Mony Elkaim (2010) qui insiste sur l’importance de la répétition du trauma comme facteur limitant. Et il poursuit en soulignant la capacité auto-réparatrice de certains couples : « Malgré leurs constructions du monde forgées dans leur histoire, des couples sont parvenus à être assez résilients pour éviter la répétition pathologique. » (Elkaim, op. cit.)
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S TRUCTURES
CONJUGALES
La remarquable étude longitudinale, menée en Suisse sur 1500 couples par Jean Kellerhals, Éric Widmer et René Lévy (2004), a permis de dégager cinq types de styles conjugaux, qui représentent cinq manières différentes d’être ensemble et qui portent, d’une certaine façon, l’identité du couple. Ces styles conjugaux (Bastion, Cocon, Parallèle, Compagnonnage, Association) sont en quelque sorte des formes de coping, c’est-à-dire des structures stratégiques du « vivre ensemble ». C’est aujourd’hui la seule étude scientifique ayant permis de mettre en évidence des structures conjugales objectives. Celles-ci révèlent des stratégies particulières à chaque style pour parvenir à un équilibre de la structure. On sait le couple peu naturel (Brenot, 2001), les différentes stratégies de gestion du quotidien, ou des crises, révèlent alors la capacité plus ou moins importante de résilience en fonction du style conjugal. À long terme ce sont les styles Association, et surtout Compagnonnage, qui semblent avoir plus de capacité à la résilience, donc au dépassement des crises.
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Trois questions se posent quant à l’évaluation et au suivi de ces couples : 1. Comment faire raconter la souffrance du couple ? C’est une difficulté que rencontrent de nombreuses prises en charges. La grande majorité des thérapeutes voient le couple en entretiens conjoints, s’interdisant les entretiens particuliers, en raison d’un interdit psychanalytique lié aux éventuels secrets dont peut-être détenteur le thérapeute. L’Accompagnement Stratégique du Couple, (ASC) (Brenot, 2012), prône au contraire des rencontres successives, individuelles et conjointes, permettant l’énoncé de la souffrance de chacun en entretien particulier car, trop souvent, elle ne peut être dite devant le conjoint. 2. Comment identifier le (les) trauma(s) dans le couple ? En distinguant trauma interne au couple et trauma externe, traumas passés et actuels, et en évaluant l’impact différentiel du trauma pour chacun. 3. Comment identifier les fragilités et les ressources du couple ? Il faut pour cela faire une sémiologie de l’histoire personnelle, une évaluation des réactions aux traumas passés, de la force des répétitions, des stratégies de reconstruction. Encore une fois, ceci ne peut pas être facilement apprécié lors d’entretiens conjoints, mais plutôt dans des séances individuelles précédant l’entretien conjoint (Brenot, 2012).
O RIENTATIONS
STRATÉGIQUES
Les stratégies thérapeutiques pourront utiliser le drame subi en le rejouant, en se l’appropriant, en le modifiant sans cesse. C’est le rôle des entretiens conjoints, tandis que le travail d’évaluation a pu être fait lors d’entretiens séparés. Il faut enfin trouver la forme la mieux adaptée au théâtre intérieur du couple. Pour cela il y a nécessité que le couple rencontre des « tuteurs de développement » suffisamment solides et compréhensifs, car les réactions du tuteur à l’énoncé du récit de souffrance seront souvent déterminantes pour la reconstruction conjugale.
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Couples résilients
Selon les attitudes du tuteur (le psy, le juge, un parent, un professeur...), les mots utilisés pourront tuer ou même sauver. Les couples en crise sont souvent des monstres, des bêtes... ce pourquoi l’ASC les voit séparément. Pour redevenir humains, ces couples ont besoin d’une solidarité affective qui les accepte comme ils sont. Après le drame vécu (la mort de l’idéal du couple), ce sont les récits de ce drame qui importent. Un simple énoncé peut changer la manière dont on se sent observé, jugé par les autres. Il faut pour cela que chacun élabore sa version des événements qui ont provoqué la souffrance. Il sera important d’évaluer ensuite la confiance acquise avant le trauma, c’est cette confiance qui sera susceptible de réveiller (d’impulser) la résilience. Les nourritures affectives de la petite enfance sont une force biologique et un lien sensoriel qui contribuent à structurer la relation à l’autre (Bowlby, 1978). Le trauma suscite des mécanismes de défense dont le plus souvent : la haine. À force de vouloir se venger, on devient prisonnier du passé. Ce pourquoi il est encore important de travailler cette haine de l’autre. Parmi les solutions : prendre le passé en mains pour en faire quelque chose. L’agression inter-individuelle dans le couple provoque un cycle de violence dont il est souvent difficile de sortir. Il existe enfin un fréquent clivage intra-psychique protecteur de l’individu, mais on pourrait parler ici de clivage intra-conjugal partageant souvent le couple en deux parties qui s’ignorent ! Ce clivage, apparemment protecteur, est souvent un mécanisme destructeur puisque ces deux parties arrivent ensuite à se haïr. C’est sur cette haine que pourra travailler le tuteur-thérapeute pour permettre de réveiller une éventuelle résilience du couple. La fabrication d’un nouveau récit du couple, souvent précurseur d’un nouveau couple à inventer (Brenot, 2001), remplit alors le vide provoqué par la souffrance.
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C ONCLUSION Il existe des couples capables de tout surmonter après un trauma important vécu ensemble. Lorsque c’est le cas, ils possédaient en général préalablement cette capacité. Mais le trauma est souvent fédérateur de forces réparatrices. Certains couples peuvent découvrir cette capacité auto-thérapeutique avec un tuteur de résilience, d’autres ne le pourront pas. Les épreuves de la vie sont normales au quotidien du couple, elles sont souvent révélatrices des failles individuelles, ou conjugales, mais aussi de la possible capacité auto-réparatrice du couple.
Chapitre 7
Dépasser la séparation : un changement vers un avenir différent ou une blessure qui ne se referme pas ?
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Jocelyne Dahan
« Je suis en deuil. En deuil de mon mari vivant. J’avais commencé à porter du noir il y a longtemps : deux ans avant nos noces d’argent. » Françoise Chandernagor1 UJOURD ’ HUI LA
séparation des couples, le divorce semblent banalisés, une habitude sociale et pourtant si les chiffres montrent que dans les grandes métropoles un couple sur deux se sépare et deux sur trois dans les autres agglomérations, pour autant ce n’est jamais un épisode de la vie de l’individu qui est vécu comme facile. Le législateur a souhaité assouplir et pacifier la séparation/le divorce2 et il a, également, reconnu le concept
A
1. Françoise Chandernagor, La première épouse, Gallimard. 2. Loi du 26 mai 2004 et appliquée depuis le 1er janvier 2005 qui a réformé le divorce.
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de coparentalité et sacrant l’exercice en commun de l’autorité parentale1. Les délais procéduraux sont, à présent, raccourcis et le divorce consensuel semble être le plus sollicité par les personnes, en réalité le choix de la « rapidité » est souvent celui qui est pris pour « en finir au plus vite ». Mais le temps de la procédure n’est pas le temps de la cicatrisation et quand émergent les rancœurs, la colère, alors la bataille se déchaîne, souvent sur la scène judiciaire et elle peut durer des mois, des années. Toute l’énergie focalisée, par certains, sur la vengeance devient une entrave et immobilise en empêchant de pouvoir continuer son chemin, construire de nouvelles relations alors que pour d’autres la difficulté de la séparation permet une compréhension de ses propres besoins et désirs et la vie continue. La séparation est une blessure qui laisse une cicatrice, la trace reste mais pourquoi certains peuvent dépasser cette étape émotionnelle et en tirer un bénéfice et d’autres restent là, au beau milieu du gué, dans un immobilisme qui suinte la souffrance sans pouvoir faire un pas pour se désengluer de cette situation ? Pourquoi certaines plaies se referment et d’autres continuent à suinter ? Faut-il comprendre le sens de nos réactions, de nos capacités à « rebondir » en regard de nos histoires familiales, de la manière dont s’est ou ne s’est pas créé le lien d‘attachement, la manière dont le socle de base, nécessaire pour donner la sécurité, à chaque individu, s’est sédimenté ou pas ? Que de fois j’ai pu entendre, au cours d’entretiens, des propos tels que : « Tu dois payer, je ne te laisserai pas un moment de répit. » ou encore : « Tu as voulu ta liberté, tu nous (le nous englobant, bien entendu, les enfants) as abandonnés, tu crois que tu vas t’en tirer comme ça ? » et enfin : « Plus jamais je ne ferai confiance à personne, ma vie est foutue... » C’est en cheminant avec plusieurs histoires de couples2 que je me propose de m’interroger sur ces situations, toujours singulières.
1. Loi de mars 2002. 2. Par souci de confidentialité l’identité des personnes est modifiée.
Dépasser la séparation : un changement vers un avenir...
Même, si aujourd’hui, la médiation familiale est plus connue dans un premier temps j’en donnerai une définition et un contour. Puis, je m’interrogerai sur la construction des couples, hasard ou pas hasard ? Enfin au travers de récits de médiation, je tenterai de repérer quels sont les éléments de l’histoire de chacun qui font écho à la capacité ou pas de rebondir. Pour terminer, je pose l’hypothèse que l’espace de médiation permet réellement de pouvoir se délier pour opérer un changement réel.
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LA
MÉDIATION FAMILIALE
Face au nombre croissant des divorces et des séparations, depuis la fin des années quatre-vingt et à l’initiative d’associations de parents divorcés, la médiation familiale est apparue comme une alternative à la gestion des conflits intrafamiliaux. La médiation familiale est issue de la société civile pour permettre de gérer dans la sphère privée des conflits qui se traitent depuis toujours dans la sphère publique. La loi a introduit le recours à la médiation généraliste en 1995, en 2002 et 2004 le législateur spécifie le contexte familial de la médiation et l’inscrit dans le Code Civil. Et, depuis 2004, son exercice est encadré et aujourd’hui c’est un métier à part entière, exercé après obtention d’un diplôme d’État. Au-delà de la gestion des séparations/divorces sa définition s’est élargie pour prendre en compte tous les contextes de conflits familiaux : intergénérationnels, binationaux, successoraux, protection de l’enfance, parents vieillissants. Dans cet écrit je ne traiterai que de la question de la séparation. Une définition1 fait référence : « La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et 1. Définition déclinée par le Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale – 2002.
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sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise à travers l’organisation d’entretiens confidentiels leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution. »
Le médiateur familial est un professionnel dont la fonction est d’accompagner des personnes confrontées à une séparation ou à une rupture, afin de les aider à trouver, par elles-mêmes la capacité à réorganiser leur espace familial. L’accès à la médiation se fait soit par un recours direct, les personnes prennent directement contact avec médiateur ou c’est une proposition du magistrat, dans le cadre d’une procédure. L’objectif de la médiation n’est pas de rechercher les torts réciproques, mais de trouver l’accord le plus acceptable, en renonçant souvent à ses positions initiales qui une fois parlées, échangées, acceptées peuvent permettre par une reconnaissance mutuelle l’émergence d’accords qui prennent en compte les besoins de chacun en sollicitant la responsabilité des personnes. En offrant un espace extérieur, un accompagnement qui tend vers l’impartialité ou la « multipartialité1 », le médiateur familial va donner aux personnes le temps de donner un sens à leur séparation, le conflit est abordé, explicité et non pas escamoté. La médiation familiale est un espace de ritualisation et d’humanisation de cet événement jamais banal, unique pour chacun. Elle permet, lorsque cela est possible et voulu par chacun, de créer de nouvelles relations, avec son ancien partenaire, empreintes de respect mutuel, preuve que le deuil est accompli et que l’avenir est plus serein.
1. Le terme de multipartialité est utilisé par Jacques Salzer, ancien professeur à Paris Dauphine, médiateur et formateur.
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LE
COUPLE UNE RENCONTRE FORTUITE
?
Le passage de la fin de la puissance paternelle1 à la coparentalité2 , ont modifié les places et fonction des parents mettant les femmes, les mères dans une position égalitaire face aux fonctions et aux responsabilités parentales. Cette modification va changer de façon radicale les normes familiales, la vie des couples. Le couple ne se construit plus sur une complémentarité économique, sociale, décidée par les parents mais par le choix des conjoints et sur la reconnaissance réciproque du désir. C’est bien là que se niche la complexité car rien n’est plus fragile que le désir, la croyance en un idéal de fonctionnement qui pourrait perdurer sans compter sur l’évolution de chacun des conjoints, sur le fait de projeter en l’autre ses propres manques, ses blessures comme si vivre à deux ne faisait qu’un. Le couple c’est être deux, deux quel que soit le genre, la rencontre se fait sur un choix délibéré, libre, pense-t-on... Quelle place est alors laissée à la relation que chaque individu a eue avec sa mère, avec son père ? Mais aussi, la reconnaissance ou pas d’un parent sur lequel s’identifier, l’absence voire l’abandon ? Chacun des partenaires s’engage dans le couple avec son patrimoine ; la construction à deux se fait sur le métissage des attentes, des projections en faisant émerger un mythe commun, des valeurs et des croyances que l’on pense singulières mais qui sont, en réalité, héritées de la tradition familiale3 et qui forment le patrimoine de chacun, patrimoine fait de dettes et de dons, d’amour et de haine... Dans un ouvrage précédent4, j’ai expliqué que pour la plupart des couples sa constitution est en réalité opérée sur la reconnaissance inconsciente d’une faille commune et parfois sur un besoin 1. Loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale qui met fin à la puissance paternelle. 2. Loi de 1987, puis celle de 2002 qui consacre la coparentalité quel que soit le statut de l’union. 3. L’Histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Vincent de Gaulejac, Desclée de Brouwer. 4. Se séparer sans se déchirer, Laffont.
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de réparation, parfois de complémentarité, parfois de provocation, tous ces comportements constituent le « ferment » sur lequel les fonctionnements de la réciprocité conjugale vont s’articuler. Passées les premières années de fusion, la vie quotidienne s’installe et progressivement laisse place à une différenciation des besoins de chacun. Besoin social, professionnel, de loisirs ou autre, on ne fait plus l’un sans l’autre ou l’un pour l’autre mais peu à peu l’un avec l’autre, l’idéalisation initiale est mise à distance pour permettre au réel de trouver sa place. Le désir d’enfant n’est-il pas en réalité là pour ancrer l’histoire, pour lui donner un avenir, pour retenir l’éphémère ? En traversant les différentes étapes dans sa construction, le couple va devoir dépasser, trébucher par des changements d’état, par un questionnement du mode de fonctionnement établi et ces changements sont vécus au travers de crises. La crise n’est pas un facteur négatif, même si elle est vécue dans notre culture avec une connotation de constat d’échec, elle est en réalité le vecteur de changement de maturation, d’individuation de deux personnes qui trouvent chacune ses repères, pour soi et parfois sans l’autre. Pouvoir s’arrêter, s’interroger, modifier le mode de fonctionnement permet l’évolution du couple, ce dernier va peu à peu acquérir sa maturité qui passe par l’autonomie et la reconnaissance de chacun dans ses différences, ses besoins. Parfois la crise est larvée pendant des mois, des années, le silence dans lequel chacun se mure, le sentiment de dire ses attentes sans que l’autre les entende entraîne la séparation. La décision de se séparer est souvent initiée par l’un des partenaires, l’autre a le sentiment que la terre s’ouvre sous ses pieds et peut s’en trouver dans un état de sidération. Mais la réalité est différente : le fossé se creuse insidieusement, que ce soit le silence ou les griefs qui deviennent lancinants chaque partenaire vit, de manière isolée le constat de l’incommunicabilité, de l’incompréhension et même si l’un initie la rupture la souffrance est mutuelle. Mais alors peut-on se séparer sans souffrance ? Pour certain cette étape de la vie se vit dans la déchirure et avec l’impossibilité
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de pouvoir accepter que chacun est acteur de cette situation, pour d’autres la séparation est une étape qui permet, en la dépassant, de rebondir. Alors pourquoi tant de différences ? N
Se déchirer et déchirer l’autre
C’est en poussant la porte de mon bureau et en laissant la parole à des couples qu’il me semble possible d’approcher ces différents types de réactions. Martin et Clémentine
Ils ont respectivement trente-deux et trente ans, Martin est conducteur de bus et Clémentine ingénieur dans une grande entreprise. Elle a un frère aîné, ses parents se sont séparés lorsqu’elle a eu dix-huit ans, après des années d’un silence qui a glacé son adolescence. « Mon père vivait parallèlement une autre relation, ma mère le savait et ils ont cru qu’ils devaient rester ensemble pour nous. C’était terrible, tout le monde le savait et j’en ai voulu à ma mère d’accepter cette situation. »
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De son côté Martin est issu d’une famille dont il dit : « On est normal chez nous, j’ai deux sœurs, on se parle et on se prend pas la tête. » Leur rencontre s’est faite sur l’attrait de ce que représentait l’autre : pour lui c’est ce qu’il appelle « son intelligence » : « elle a fait des études, moi pas, je suis quelqu’un de simple ». Pour Clémentine c’est différent : « j’aimais sa famille unie, nous faisions des activités ensemble, j’aimais cette insouciance de la vie. » Ensemble, ils décident de quitter leurs régions d’origine pour s’installer loin, en pensant que l’autonomie passe par l’isolement, la coupure avec les familles d’origine. Très peu de temps après leur mariage arrive un premier enfant, puis un second, les activités à deux s’estompent pour s’occuper de « leur famille ». Martin dit clairement : « je n’avais pas ma place de père, il fallait toujours qu’elle fasse tout comme si j’étais incompétent. On ne sortait plus, peu à peu chacun a organisé ses loisirs de son côté en alternance. » Martin rencontre une autre femme et décide de mettre fin à son histoire avec Clémentine : « cette rencontre n’a pas duré mais j’ai compris que j’avais le droit d’exister et si j’étais resté je ne serai plus rien ».
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Clémentine vit ce qu’elle appelle en s’effondrant « une trahison » : « il a fait comme mon père et je crois que j’ai alors compris ma mère. Je ne peux pas accepter cette séparation, je n’ai pas réussi à faire mieux que mes parents et pourtant j’ai tout fait pour éviter cela. » Clémentine sombre dans un état dépressif, la douleur de ses années enfouies remonte. Son discours est mélangé entre son ressenti et celui de sa mère, qui est-elle ? Comment a-t-elle construit son couple si ce n’est sur un désir de réparation de « la femme » qui était sa mère et qu’elle a vécue comme bafouée, sur le manque de confiance en l’homme, en amalgamant son père et son conjoint ? Pas à pas, au cours des entretiens ils se mettent d’accord sur une organisation de leur vie séparée pour leurs enfants, mais chaque proposition de Martin est refusée par Clémentine comme si elle voulait retenir le temps, retenir le couple. Un accompagnement thérapeutique commence pour elle, parallèlement à la médiation lorsqu’elle ne peut plus lutter. Ils étaient séparés depuis de deux ans quand je les ai rencontrés et il leur faudra encore des mois après la médiation pour commencer une procédure en divorce. Lorsque je les rencontre pour la dernière fois Clémentine est toujours aussi effondrée et termine par ces paroles : « je ne pourrais pas m’en sortir, je ne ferai plus jamais confiance à un homme... » Pouvait-elle réparer l’histoire de ses parents ? Comment pouvait-elle investir une relation avec cette injonction qu’elle s’était faite : « réussir là où mes parents ont échoué et leur prouver qu’une famille unie pour toujours soit possible » sans avoir au préalable compris que cette histoire n’était pas la sienne et qu’elle n’en était pas responsable ?
Pierre et Jeanne
Certains pensent qu’après un grand nombre d’années de vie commune la séparation n’est plus d’actualité, quelle erreur ! Pierre et Jeanne arrivent dans mon bureau sur proposition du Juge aux Affaires Familiales, ils ont soixante-sept et soixante-cinq ans et, comme dit Jeanne : « quarante-cinq ans, trois mois et quinze jours de mariage » !
Dépasser la séparation : un changement vers un avenir...
Avant leur retraite Jeanne était assistante sociale, Pierre commercial et sur les routes à longueur de semaine, leur vie commune était réduite au temps des fins de semaine. Leurs deux filles vivent en couple, l’une est mère et ils ont deux petits enfants. Ils ont adopté leurs filles après des années passées à attendre l’arrivée d’un enfant. C’est Pierre qui a décidé de partir : « je veux vivre mes dernières années dans la sérénité, je ne supporte plus son autorité et sa manière de tout savoir, de tout décider, ça fait longtemps que j’aurai dû partir. » Il a quitté le domicile et a introduit une procédure en divorce que Jeanne refuse : « c’est comme s’il me répudiait, il n’a pas le droit, je refuse. » Mais la Loi est différente et permet à Pierre, après deux années de séparation effective, de demander le divorce pour « rupture inaltérable du lien conjugal ». Jeanne n’a pas connu ses parents, très jeune elle a été placée en famille d’accueil, de sa rencontre avec Pierre, elle dit : « Nous sommes un couple idéal, nous avons tout construit ensemble : la maison, les enfants, nos carrières et maintenant les petits enfants. Jamais je n’accepterai la séparation, jamais ! ». De son côté Pierre renchérit : « Mais arrête de raconter cette histoire, il n’y avait que toi, que toi, tu sais tout, tu fais tout, il n’y a pas de place à pour toi !!! »
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Une même histoire parlée à deux voix différentes, dissonantes et tellement différentes. Pierre persiste dans sa décision, Jeanne s’effondre et au second entretien elle arrive sur des béquilles : « je me suis cassé la jambe, tu dois revenir, tu me dois ça. » Puis face à la détermination de Pierre : « je t’ai aimé pendant quarantecinq ans, il me faudra autant de temps pour apprendre à te désaimer. » Jeanne s’est lancée « à corps perdu » dans ce couple, sa volonté de construire une famille à tout prix, le fait de vouloir tout gérer pour tous et surtout pour Pierre n’ont pas laissé de place pour une vie à deux, pour le couple et sans en être consciente elle a étouffé leur histoire qui s’est éteinte sans qu’elle ne s’en rende compte. La médiation s’est arrêtée car Jeanne n’a pas accepté le divorce, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus mais le fait même que leur relation se soit construite sur le manque, pour Jeanne d’une relation parentale qui lui
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a fait carence dans son enfance ne lui a pas permis de construire pour elle, de laisser Pierre prendre sa place à ses côtés en tant qu’homme. Le manque d’un lien d’attachement précoce par l’absence de figures parentales a créé, pour elle, une béance qui n’a pas pu se combler dans cette histoire même après autant d’années si ce n’est pas l’illusion que la présence pouvait seule être suffisante.
Pour ces deux couples l’un des deux partenaires s’est senti mis à l’écart dès que la parentalité a modifié le fonctionnement initial du couple, peu importe que ce soit des hommes ou des femmes, la variable demeure identique : une carence ancienne liée à la relation à ses parents, un besoin de réparation pour combler ce manque. L’intimité partagée avec l’autre vient réanimer à l’intérieur de nos expériences et d’attentes non réalisées. Nous touchons ici à la difficulté d’aimer, qui prend plusieurs formes et qui tire son origine, selon la théorie de l’attachement, de la relation parentenfant. La théorie de l’attachement est aujourd’hui le cadre de référence le plus important en psychologie du développement, en psychologie de la personnalité, en psychologie sociale. Cette théorie explique nombre de fortes colères dans le couple, ainsi que des dépressions, anxiété, malaises conjugaux. L’attachement est un processus réciproque, nécessitant des interactions entre l’enfant et la figure d’attachement. La proximité avec l’enfant est nécessaire et le bébé a des comportements qui vont la favoriser : pleurs, contact visuel, sourire, etc. La qualité de l’attachement va dépendre de la rapidité et de la façon dont le parent va répondre aux signaux de l’enfant. Contrairement à Freud qui soutenait que le nourrisson s’attache à sa mère parce qu’elle satisfait son besoin d’alimentation, Bowlby relie l’attachement au besoin de contacts sociaux. L’enfant naît social et se construit au moyen des relations avec les personnes significatives qui l’entourent. Il se sent plus ou moins en sécurité en fonction de la façon dont on répond à ses besoins. Pour
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Bowlby1 , l’attachement est un processus instinctif destiné à assurer la survie de l’individu en maintenant une proximité entre un nourrisson et sa mère. L’attachement débute dès la grossesse et s’établit dans les premières années de la vie. Il va influencer la façon dont l’enfant va ensuite établir ses relations sociales pour le reste de sa vie. Si la place et le rôle de la mère, auprès de l’enfant, ont été décrits longuement il ne faudrait pas oublier l’importance de l’identification basée sur les deux figures paternelles et la place du père. On peut alors s’interroger sur les conséquences, pour l’enfant, d’une relation défaillante du père, l’absence de cette relation. Il est à noter qu’aujourd’hui 43 % des enfants concernés par une séparation parentale perdent la relation avec l’un de leurs deux parents, le père en général. Par ailleurs, au moment de l’adolescence lorsqu’au moment de la construction identitaire l’absence augmente le stress, le manque de confiance en soi et la conséquence, est souvent, la projection d’un idéal impossible à atteindre qui se projette dans le partenaire lors de la rencontre et rend difficile un fonctionnement à deux puisque la seule fonction qui vient combler la béance est la réparation de sa propre histoire. Si pour certains individus la séparation ravive une blessure archaïque, qui va endommager davantage l’estime de soi, d’autres couples se séparent mais peuvent rebondir. Se séparer pour rebondir
Pour certains couples, lors des premiers entretiens, tout est enchevêtré dans le discours de chacun ; le travail sera de permettre à chacun de dire, se dire pour pouvoir écouter l’autre et peu à peu l’espace devient plus clair, le climat plus paisible et les décisions conjointes voient le jour.
1. J. Bowlby, Perte et attachement, Puf.
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Paul et Marie
C’est sur les conseils de l’avocat de Marie qu’ils font appel à la médiation. Ils ont pris la décision de se séparer, après quinze années de vie commune à la demande de Marie. Âgés de trente-huit et trente-cinq ans, ils se sont rencontrés sur leur lieu de travail et très rapidement ils ont emménagé ensemble. Leurs familles respectives accueillent ce jeune couple avec enthousiasme, sans ingérence dans leur décision. Leur vie de couple a d’abord été ponctuée de découvertes, de voyages, de soirées entre amis, puis d’une vie parentale avec leurs trois enfants. « Au début c’était super on avait le temps de s’occuper de nous, et puis plus rien. » Marie explique que le quotidien, les tracas financiers ont eu raison de leur vie à deux et elle ne se retrouve plus dans ce qui semblait être : « une vie sans changement, pareille chaque jour et qui glisse vers l’ennui. ». Paul a d’abord refusé cette décision et pense que la médiation va lui permettre de « reconquérir » Marie. Rapidement il prend conscience que la décision de Marie est prise et que rien ne la fera changer d’avis. Peu à peu, ils se parlent, chacun énonce son ressenti, ses attentes non prises en compte par cette relation et le constat de la séparation devient une évidence. Il n’y a plus, alors, une « victime » de l’autre mais deux individus qui prennent conscience du fait qu’une leur évolution s’est faite en parallèle sans que l’autre ne le perçoive. Pour Paul, les premières rencontres sont difficiles le décalage entre leurs deux positions est évident dans son discours : « tu as tout gâché... ». Mais, les échanges permettent d’apporter des réponses à ses questions, il accepte que Marie puisse partir et sans pour autant que ce soit pour une autre relation mais pour elle. La médiation va durer six mois, à raison d’un entretien toutes les trois semaines, à chaque séance ils abordent un point concret de l’organisation de la vie des enfants, expérimentent leurs décisions entre chaque entretien, font l’expérience de la possibilité de vivre sans l’autre avec soi. Bien entendu, ces étapes sont douloureuses mais possibles et rendent la projection vers l’avenir acceptable.
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Cette situation n’est pas isolée et courante dans ma pratique elle constitue un accompagnement d’une décision déjà maturée par l’un et la médiation va permettre, en la présence d’un tiers extérieur, de pouvoir l’expliquer, la partager sans violence, sans vouloir déchirer l’autre. On pourrait croire que seules les relations pour lesquelles le désir s’est estompé peuvent se délier sans abîmer l’un ou l’autre des partenaires. Ne s’agit-il pas plutôt de relations pour lesquelles les partenaires s’engagent en reconnaissant le droit d’exister pour chacun ? La capacité à accepter le changement, à vivre la séparation comme une étape qui permet de continuer son chemin, sans diaboliser l’autre et en repérant son propre fonctionnement n’est possible que si la projection dans l’autre n’est pas empreinte du désir inconscient de réparation.
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La médiation, une aide pour se délier
Par son ancrage dans le réel, dans une construction progressive dans le concret et par la possibilité, pour chacun, d’exprimer ses besoins, ses ressentis, d’accepter qu’ils soient différents de ceux de « l’autre » cet accompagnement donne du sens à la séparation, permet de prendre du temps pour panser la blessure, commencer à « se redresser » pour imaginer un demain sans l’autre mais avec et pour soi. La médiation c’est aussi du temps pour panser la blessure, le passage par des phases émotionnelles est nécessaire bien que vécu en décalage pour chacun. Je reprendrai1, ici, la déclinaison présentée dans un ouvrage publié en 1995 : 1. La menace de la séparation : elle constitue le « signal d’alarme », ce sont les premières menaces, prononcées pour signifier l’insatisfaction de la relation conjugale. 2. La séparation : la menace est mise en acte et vient confirmer, le plus souvent, le décalage des attentes. 1. In La médiation Familiale J. Dahan, Éd Bernet. Ces étapes de la séparation sont celles identifiées par I. Azmy, psychiatre américain et qui définissent le processus de deuil.
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3. Le déni : la réalité est difficile à accepter et les émotions submergent les comportements. Se forge la conviction qu’une réconciliation reste possible. 4. Le choc : l’officialisation de la séparation, souvent signifiée par la mise en place d’une procédure, confirme l’irréversibilité de la décision. 5. La colère : la colère, l’agressivité font leur apparition. La colère peut alors être dirigée vers une personne ciblée ou non. 6. Le marchandage : les comptes commencent à se régler au sens propre comme au figuré, les relations se construisent sur des échanges chargés de culpabilité. 7. La dépression : les tensions émotionnelles liées à la séparation vont être relâchées, une période de dépression s’ensuit. 8. L’isolement, le retrait sont des comportements de protection. 9. L’acceptation. Le deuil de la relation est en cours d’élaboration, l’acceptation de cette situation se traduit par la possibilité de reprendre des activités tournées par l’extérieur. 10. Reprise de la vie sociale. Les comportements sont alors boulimiques : on se déploie dans tous les sens, tout est bon pourvu que cela nous apporte une satisfaction. Cette étape où l’on regagne l’estime de soi est particulièrement importante, elle permet d’affirmer sa personnalité, de vérifier qu’on est bien toujours le/la même. Ces phases ne se vivent pas toujours de façon aussi linéaire, mais les personnes qui ont connu une rupture repèrent facilement ces différents moments. Ne pas pouvoir se séparer, c’est ne pas accepter sa capacité à perdre, c’est souvent réactiver un sentiment d’abandon, de difficulté à accepter l’inconnu, le lendemain fait de nouveaux repères et qui terrorise. La médiation familiale, c’est aussi un apprentissage pour communiquer autrement. Ainsi de nouvelles règles pour aider à la communication dans le couple vont permettre une modification des relations :
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Ne jamais parler pour l’autre, à la place de l’autre. Chacun est invité à exprimer ses propres besoins, ses demandes, sans penser que l’autre pourrait comprendre, et devancer les demandes, car ce qui n’est pas énoncé clairement ne peut pas se comprendre clairement. Ne pas interpréter les comportements de l’autre. Expliquer son propre ressenti. Ne pas projeter sur l’autre ses propres peurs, apprendre à reconnaître ce qui nous appartient. Accepter de ne pas tout mettre en commun, d’avoir chacun un jardin secret. Renoncer à l’idée d’avoir le pouvoir de changer l’autre, de le réparer. Accepter que chacun soit responsable, à sa place, pour sa part dans la décision de se séparer.
Au cours de la médiation, je vois les effets produits par ce travail qui passe toujours par une restauration de l’estime de soi. Mais face à la souffrance nous ne sommes pas égaux, il faut que chacun puisse avoir accès à la compréhension de ce qui a fabriqué le « terreau » de notre construction. Si la médiation n’est pas un espace thérapeutique, au sens du soin, de la compréhension des manques, des failles, des blessures, elle est souvent le départ pour un travail personnel permettant cette compréhension mais pour soi et non plus à deux mettant fin à la croyance que sans l’autre je ne peux pas exister. Mais il ne faudrait pas se voiler la face, dans cet espace à trois le médiateur n’échappe pas aux aspects transférentiels, aux projections, aux identifications et lui aussi, doit pouvoir être accompagné dans le cadre d’un travail de supervision. Le partenariat avec les psychothérapeutes, les psychiatres est nécessaire et le médiateur doit y être vigilant.
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C ONCLUSION Notre société a peu à peu, banni les rituels, les « initiations », si on prend le temps de choisir son mode de conjugalité, on ne peut souvent prendre guère de temps pour choisir sa séparation. En offrant un espace extérieur, un accompagnement spécifique à cette étape de la vie, le médiateur familial va donner aux personnes le temps de donner du sens à la séparation, le conflit est abordé, explicité et non pas escamoté. Puis pas à pas, la réalité est abordée : qui prend quoi, comment chacun va continuer à assumer financièrement les charges quotidiennes, où et comment vont vivre les enfants, comment seront maintenues les relations intra-familiales avec l’ensemble du réseau... Telles sont, parmi d’autres, les questions abordées, échangées, négociées jusqu’à permettre l’émergence d’un accord qui prenne en compte les besoins de chacun dans SA réalité. Comment peut-on imaginer qu’au lendemain d’une séparation chacun puisse regarder l’autre et se mettre à organiser la relation parentale dans « l’intérêt » de l’enfant, utilisée comme un paravent cette notion n’est en réalité poussée en avant que par impossibilité de dire sa souffrance d’adulte, il est plus moral de s’occuper de ses enfants que de sa souffrance, et pourtant... Se séparer, c’est accepter de reprendre ce qui est à soi en l’identifiant, en repérant ses propres besoins pour continuer sur son propre chemin car on ne refait pas sa vie, on la continue. Bien entendu, la notion du temps est importante, le temps laissé à la souffrance pour s’exprimer et aux rancœurs pour s’échanger. Ainsi chacun, pas à pas, s’approprie cette nouvelle temporalité (d’après la séparation) et élabore une autre forme de relation, de partage des fonctions, une autre façon de se donner une place à soi, une place pour soi inscrivant de nouveaux repères auprès de ces derniers et composant avec désir, manque, faille ou projection. Le changement n’est pas synonyme de désespoir et un proverbe chinois dit qu’il faut quatre saisons pour terminer un deuil, mais là encore cette temporalité est différente pour chacun et la longueur des saisons est celle qui nous convient, sans empressement !
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Dépasser la séparation : un changement vers un avenir...
La séparation peut donc être une opportunité pour changer mais elle ne peut être envisagée d’emblée. L’intensité émotionnelle que provoque une séparation va envahir tout l’espace, espace réel, espace psychique. La plupart du temps, les partenaires ne se situent pas sur un plan d’égalité face à la rupture, ce décalage entraîne un décalage émotionnel, induit des peurs, des angoisses : « Tu pars, mais je ne peux pas perdre aussi la maison, mes enfants, comment vais-je pouvoir assumer seul(e) ? » L’angoisse fait que la seule solution semble être : se « cramponner » à tous les repères établis car l’inconnu est trop effrayant. Un autre facteur de culpabilité est bien le regard social qui engendre des réactions négatives : « Mais que vont dire mes parents, frères et sœurs ? Chez nous, on ne divorce pas. » Ou encore : « Je ne voulais surtout pas en arriver là, pas comme mes parents je ne peux pas te laisser détruire tout cela ! » La crainte de ne pas avoir pu être à la hauteur, à l’image de ce que les parents attendaient ou tout simplement ce que l’on croit être les attentes de ceux qui nous entourent, de ceux que l’on aime, de ceux qu’on ne veut pas décevoir peut nous saisir et nous empêcher d’arriver au bout de notre décision. Mais, pour la plupart des personnes, après ce temps de deuil, de repli sur soi, vient, du plus profond de soi, l’envie de se jeter une nouvelle fois dans la vie. Une réelle possibilité de changement est alors à la portée de chacun et de chacune, ce qui diffère c’est le temps qu’on met pour y parvenir. Cet espace-temps est en corrélation avec le mode de fonctionnement du couple avant la séparation (« Je ne faisais rien sans lui, comment vais-je pouvoir ? ») et avec la façon dont s’est passée la séparation. Les conflits qui perdurent sont autant de facteurs qui empêchent l’histoire de se terminer. Pouvoir retrouver le goût de la vie, pour soi, c’est se reconnaître, s’accepter et pouvoir trouver de nouvelles saveurs de la vie, avoir du temps pour soi, ne rien avoir d’autre à faire que de penser à soi (pas de devoirs à surveiller, pas de repas à préparer !), est une chance réelle pour l’avenir en prenant appui sur ce qui a été et en sachant ce que « je veux, ce dont j’ai besoin » !
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PARTIE III
Résilience et travail
Du bon (ou du mauvais) usage de la résilience au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Chap. 9 Angoisses et désorganisations psychiques dans un contexte de licenciement . . . . . . . . . . . . . 107 Chap. 10 Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Chap. 11 Stratégies résilientes face à la violence psychologique dans les espaces clos (famille, institution, entreprise) . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Chap. 8
Chapitre 8
Du bon (ou du mauvais) usage de la résilience au travail Michel Debout, Luis Vasquez
du travail, nous soulignons une différence entre les violences dites « externes » et les violences dites « internes ». Les violences externes caractérisent des agressions de la part des clients, usagers et publics. Les violences internes sont le fait de membres de la même organisation de travail. Dans ces deux types de contextes violents (interne et externe), que ce soit des problématiques personnelles, relationnelles et/ou organisationnelles, nous avons pu accompagner de nombreux patients dans un cheminement psychologique destiné à mettre du sens sur ce qu’ils vivent afin de pouvoir surmonter leur désarroi.
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A
U SEIN
Vignette clinique
En 1995, bien avant que l’on ne se préoccupe des risques psychosociaux au travail, un conducteur du réseau de transports de la ville de Saint-Etienne consulte après avoir reçu un jet de pierres à l’intérieur de son bus ; il présentait un hématome au front sans gravité, mais il était surtout très préoccupé par les conditions de travail particulièrement dégradées dans son entreprise : les conducteurs sont fréquemment aux prises avec de jeunes usagers cherchant la confrontation voire la bagarre, usant de l’insulte et de la menace, autant de situations
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difficiles à gérer. Nombre de ses collègues viennent à reculons à leur travail, et l’un d’entre eux vient muni d’une arme à feu (et non avec une quelconque bombe lacrymogène) avec la crainte qu’il soit amené à tirer, en blessant ou même en tuant un jeune... De son côté la direction de l’entreprise semble totalement indifférente à ces événements, allant même jusqu’à en nier l’ampleur et la gravité ; bien plus, si les conducteurs venaient à s’en plaindre, ils seraient alors accusés de ne pas être adaptés à leur travail, incapables de faire régner l’ordre dans leur véhicule...
Cette description qui n’avait rien de caricaturale, montre à quel point les salariés étaient renvoyés en cas d’événement traumatique à leur propre détresse dans le silence de l’entreprise. Cette pratique du rejet se retrouve à l’occasion du harcèlement moral au travail, sanctionné par la loi pénale depuis 2002, à la suite des travaux de Marie-France Hirigoyen (1997) et du Conseil Économique et Social (M. Debout, 2001). Dans ce cas, la victime est confrontée à la répétition d’un événement traumatique à la source d’une souffrance psychologique souvent intense, et c’est l’organisation même du travail qui peut l’exposer à une telle dégradation de son état de santé. Aujourd’hui la loi impose des mesures de prévention devant empêcher la survenue de telles pratiques au sein du collectif de travail et qui doivent permettre d’accompagner et de soutenir le salarié en souffrance. Il est donc aisé de comprendre que l’on peut souffrir du travail et plus exactement des relations au travail ; mais au-delà de ces exemples manifestes nous voulons illustrer notre propos à travers celui d’une situation de souffrance plus quotidienne, rencontrée fréquemment à l’occasion de l’accompagnement psychologique des victimes. Mademoiselle B.
Mademoiselle B. est déléguée à la Tutelle et dans le cadre de l’exercice de son mandat, effectue régulièrement des visites à domicile auprès des personnes qu’elle accompagne. Elle devait ce jour-là se rendre chez un jeune adulte, suivi en psychiatrie pour des troubles de la personnalité.
Du bon (ou du mauvais) usage de la résilience au travail
Le domicile de ce jeune se trouve dans un petit village isolé. Sur la route, elle appelle une collègue pour lui demander quel chemin elle doit prendre. À ce moment sa collègue l’informe d’un événement s’étant déroulé la veille impliquant ce jeune au sein de l’institution qui le prend en charge ; il avait eu des propos violents à l’encontre des professionnels. Dans ce contexte-là, prudente, Mademoiselle B. téléphone au jeune qui s’énerve, l’insulte au téléphone et raccroche. Compte tenu de la confirmation de l’état de crise dans lequel il se trouve, elle reprend contact avec sa direction pour faire état de son appréhension. La direction lui répond : « On n’annule pas un rendezvous qui a été pris, un rendez-vous doit être honoré et vous devez le rappeler ! » Elle rappelle donc. Le jeune l’insulte à nouveau, et cette fois c’est elle qui raccroche.
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Elle rappelle sa direction qui rétorque : « Vous n’avez pas à raccrocher au nez des usagers, ce n’est pas professionnel d’agir ainsi. » Mademoiselle B., contrariée, se retrouve avec le sentiment d’être une mauvaise professionnelle, de ne pas savoir faire. Elle se sent disqualifiée, non soutenue, sans confiance aucune. Les semaines suivantes, elle se rend compte que ce type de relations est répétitif au sein de son Institution. Perdant peu à peu confiance en elle, Mademoiselle B. présente des troubles du sommeil, une perte de l’appétit et de la joie de vivre. Elle va au travail à reculons. Au travail, les reproches de sa hiérarchie continuent. Fatiguée, elle consulte son médecin traitant qui diagnostique une dépression. Mademoiselle B. doit être mise en arrêt de travail, sous traitement. Malgré cet arrêt de travail momentané et toujours découragée Mademoiselle B. va devoir reprendre son poste. Son médecin lui conseille d’être suivie par un psychologue (à ses frais)... » Mademoiselle B. est prise dans une injonction paradoxale : soit elle va à son rendez-vous et montre par là qu’elle est une bonne professionnelle au péril de sa vie (mais s’auto-disqualifie dans ses éprouvés), soit elle ne va pas au rendez-vous, mais se sent coupable et valide psychiquement son incompétence (ce qui lui fût d’ailleurs reproché à son retour). Cette non-considération de son professionnalisme, cette « néantification » du sens du travail s’est par la suite confirmée. Mademoiselle B. était-elle résiliente ? Mademoiselle B. s’est préservée des conséquences de cette situation en consultant son médecin qui a prescrit un traitement antidépresseur et
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un arrêt maladie mais elle se sent incompétente, attristée, seule, perdue et elle a dû être accompagnée psychologiquement afin de retrouver l’estime d’elle-même.
Un certain nombre de souffrances au travail ne sont pas le fruit de pathologies personnelles, mais la conséquence de dysfonctionnements du système. Cela montre comment cette souffrance se situe sur le plan de la non-compréhension entre organisation et individu, comment une blessure émotionnelle peut devenir dévastatrice, sans pour autant que le salarié ait subi des traumatismes lourds dans son passé. À notre sens, le concept de résilience est souvent perçu sous un mode clivé, d’un côté les résilients (sachant surmonter leurs blessures) de l’autre les non résilients (qui ne savent pas faire).
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ET TRAVAIL : UN CONCEPT SYSTÉMIQUE
D’un point de vue systémique cette catégorisation résilient/non résilient ne peut être retenue en l’état. Elle suppose une épistémologie centrée sur « l’être en soi » en dehors de toute contextualisation, de toute interaction. Don D. Jackson, psychiatre, pionnier de la thérapie familiale, cofondateur de l’École Systémique de Palo Alto, écrivait en 1967 : « On peut donc considérer les symptômes, les défenses, la structure du caractère et la personnalité, comme des termes décrivant les interactions typiques de l’individu en réponse à un contexte interpersonnel particulier. »
Cinquante ans plus tard nous ne parlerions plus de « réponses » comme le faisait cet auteur mais plutôt de « propriétés émergentes de certaines interactions ». Nous ne sommes plus dans la description linéaire cause-effet, stimulus-réponse qui caractérise bien souvent le modèle étiologique médical voire psychanalytique, mais dans le domaine de l’interaction. Un être ne se forme pas psychiquement en « circuit fermé », totalement soumis à ses
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premières expériences infantiles. L’interaction est un processus continuel, tout au long de la vie. Nous ne nions pas pour autant la pathologie mais les états dits chroniques sont souvent l’exemple du « circuit fermé ». Ces états se retrouvent principalement en psychiatrie dans des états chroniques profonds où effectivement l’on peut se demander pourquoi l’homme continue à produire des conduites folles et décontextualisées (se masturber en public, répéter la même phrase durant une journée, quel que soit le contexte, quel que soit le jour, quelle que soit la relation à l’autre...) Dans une approche systémique, nous pensons que c’est l’interaction qui peut être « malade » et qu’une institution ou une entreprise peut obéir à des règles internes dysfonctionnelles et transmettre des messages paradoxaux (double-binds), parfois aliénants, aux professionnels. Dans notre exemple, la direction de Mademoiselle B. aurait pu répondre : « Compte tenu de la situation que vous décrivez, il est plus prudent de revenir. » ; « Nous reporterons le rendez-vous lorsque le jeune sera plus calme. » ; « Il serait préférable de se rendre à deux au domicile de ce jeune » ; c’est-à-dire proposer des alternatives à mettre en place. Le concept de résilience a souvent été entendu comme une « ressource de l’être » plus qu’une « ressource du système » ou de « l’interaction ». Le modèle systémique est attentif à ce qui se passe entre les individus, centré sur la communication et l’interaction plus que sur la relation entre sujet et objet. Ce n’est pas la même chose de penser que quelqu’un a un problème dans sa tête que de se questionner sur ce qui se passe « entre » les personnes, dans un contexte donné. Ce n’est pas la même chose de dire qu’un salarié est « incompétent », « a des problèmes personnels », déniant ainsi le rôle de l’interaction. Il faut au contraire questionner la capacité organisationnelle à résoudre le problème et reconnaître qu’une entreprise peut être une entreprise résiliente. Même s’il peut arriver que certaines personnes présentent une personnalité pathologique.
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Dans les problématiques de souffrance au travail, nous observons qu’il y a un « avant le problème » où tout allait bien et un « après » où cela ne va plus. Si nous admettons cet axe diachronique, comment entrevoir qu’un salarié soit devenu un « salarié pathologique » et qu’il se retrouve soudainement projeté dans un parcours incessant de démarches administratives et de suivis médicaux ? Nous n’oublions pas qu’il a été auparavant un salarié « non malade ». Comment donc en est-il arrivé à souffrir ? Dans ce processus, nous distinguons quatre phases qui jalonnent son parcours et rendent difficile l’accès à ses propres capacités de résilience : la phase de désignation, la phase de chronicisation, la phase d’externalisation, la phase de dissociation.
Phase de désignation La souffrance exprimée est perçue comme une déviation qui va être connotée négativement. Comme dans l’exemple de Mademoiselle B. L’organisation va qualifier la souffrance du salarié comme faisant partie de sa personnalité, donc non modifiable. De cette manière, l’organisation conserve son fonctionnement habituel et se désengage de la difficulté exprimée par le salarié. L’organisation adopte ainsi une attitude passéiste, démotivée et non impliquée. Dans cette situation, l’organisation réagit en demandant au salarié de changer mais sans changer elle-même (changement de type 1, si l’on se réfère à la nomenclature de P. Watzlawick (1975) qui décrit un « changement qui confirme le non-changement »). Phase de chronicisation Le réductionnisme : Le salarié dont la souffrance a été connotée négativement devient porteur d’une étiquette le réduisant à l’état de « malade », « incompétent », « porteur d’une faille personnelle » etc. Le salarié est ainsi pris dans un tourbillon de paradoxes, l’organisation déforme les agissements du salarié de sorte que quoi qu’il fasse, ses comportements seront perçus comme des manifestations de son incompétence, de sa maladie. Par exemple, si le salarié souffrant
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ressent le besoin de s’isoler parce qu’il se sent trop mal, l’organisation peut percevoir ce retrait comme la marque de son manque de savoirvivre en compagnie des autres et confirmer le réductionnisme... Il est d’ailleurs fréquent que même l’histoire du salarié soit déformée afin de nourrir l’étiquette négative sous laquelle il vit... « dès le départ j’ai senti qu’il n’était pas net, il apportait les croissants lorsqu’il est arrivé dans l’entreprise... » dira tel collègue. L’organisation déforme, à la recherche de causes y compris la perception du passé. Ce phénomène conforte le réductionnisme. L’anticipation : Dans l’éventail des réactions de l’organisation face à la souffrance d’un salarié, ce mécanisme anticipe les réactions du salarié souffrant en prophétisant ses réactions : « Au travail, on m’a demandé de tenir ma langue en ce qui concerne mes difficultés lors de réunions, c’est pourquoi j’ai mis de l’eau dans mon vin, mais le temps est passé et on m’a alors reproché de ne pas donner suffisamment mon opinion, que je faisais la tête... quoi que je fasse, cela m’était reproché. » Il est ainsi catalogué par une anticipation prophétique qui le réduit et le fige dans son rôle, sans issue possible. Phase d’externalisation
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Le salarié souffrant consulte un spécialiste (à la demande ou non de l’entreprise). Cette aide est apportée par des spécialistes extérieurs au système en établissant la prise en charge individuelle du salarié qui devient ainsi « le patient désigné » ; l’organisation du travail, pour sa part, démissionnant de la relation d’aide et soutien avec le salarié. Dans cette phase il va de soi que le changement d’état du patient désigné doit provenir de sa tête et non pas des règles communicationnelles, organisationnelles, régissant les interactions dans le système de travail. Combien de fois avons-nous alors entendu des consultants dire : « Cela fait 15 jours que je suis en arrêt, pas un seul coup de téléphone pour savoir comment je vais » ou alors « la direction m’a appelé pour me demander quand je revenais, pas un mot sur ce qui m’arrive ». La responsabilité du changement repose ainsi seulement sur le patient et son soignant, son médecin traitant, son « psy ». Cette dissociation, entre le salarié qui se prend en charge pour se soigner d’un côté et l’institution ou entreprise qui de l’autre attend, est-elle pour autant incontournable ?
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Phase de dissociation Dans cette ultime phase se consomme la fracture entre l’individu et le travail, d’un côté le travail, de l’autre le patient désigné accompagné de soignants et parfois de délégués syndicaux, juristes et avocats. Dans certaines situations le salarié perd tout sentiment d’utilité et se chronicise. C’est ainsi que l’organisation du travail peut participer activement à la chronicisation d’une problématique de souffrance au travail, renvoyant un salarié à un solipsisme et à sa propre résilience qu’il faut alors accompagner par d’autres tuteurs de résilience.
V ERS
DES PERSPECTIVES RÉSILIENTES
La notion de résilience peut, si l’on n’y prend garde, résonner comme un concept creux (objectiviste) dès lors qu’il n’est pas envisagé dans sa dynamique interactionnelle, laissant la porte ouverte à des cohortes de professionnels de la santé (y compris psychologues), managers, afin de repérer les « résilients » parmi ses salariés. La mauvaise réponse consiste à ne se préoccuper que des capacités résilientes de chaque salarié, qui sont alors catalogués en résilients et non-résilients assimilés à des personnalités fragiles et vulnérables. La mission dévolue aux directeurs des Ressources Humaines et aux psychologues du travail est alors d’éviter d’embaucher des personnes non résilientes ou d’en faciliter le licenciement en cas d’événement traumatique. Se pose ainsi la question d’une position éthique laissant ouvert le véritable choix des salariés. B. Cyrulnik (2004) a conçu la notion de « tuteur de résilience » pour compléter ce manque. Dans cette notion, l’autre occupe un rôle dans le mécanisme de changement, il devient ainsi « l’autre concerné par le problème » et participe activement à extraire l’individu d’un « îlot » psychique. Mais le tuteur de résilience existe-t-il s’il n’est pas investi par l’individu en question ?
➙ « Ça fait du bien de pouvoir parler sans être jugé... » ;
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➙ « j’aimerais être considéré... » ; ➙ « recevoir un appel... » ; ➙ « au moins des excuses... » ; ➙ « qu’on me respecte... » ; ➙ « travailler dans la sérénité... » ; ➙ « aller au travail sans une boule au ventre... » ; ➙ « être compris... » ; « avoir du soutien... » ; ➙ « qu’on me dise au moins merci... » En nous inspirant de Simone de Beauvoir, qui dans son roman Les Mandarins écrivait : « Dans toutes les larmes s’attarde un espoir... », nous ne pouvons que paraphraser, « dans chacune de ces évocations s’attarde une résilience. » Ainsi, l’organisation peut accompagner le salarié dans sa difficulté. Par exemple, pour une salariée souffrant de burn-out, l’infirmière du travail est mobilisée, la surcharge de travail est reconnue, un ajustement des horaires est mis en place, le retour au travail est aménagé. À aucun moment on parle d’incompétence. Le médecin du travail s’implique, la direction prend des nouvelles de la salariée lorsque celle-ci est en arrêt... Ces comportements de l’entreprise s’engagent dans la difficulté exprimée, dans ce contexte, la souffrance est stabilisée, modifiée. De nombreux professionnels, de nombreuses personnes, œuvrent d’arrache-pied pour envisager des perspectives d’amélioration des conditions de travail, formation des managers, espaces de communication, mise en place de procédures, de groupes de réflexion sur les risques psychosociaux au travail, le bien-être, l’implication des CHSTC ... Toutes ces perspectives sont importantes et toutes ont un point commun, le rétablissement d’espaces de communication, de considération faisant foi. Plutôt que d’écarter le maillon faible, l’entreprise cherchera à mobiliser l’ensemble des ressources disponibles, qui est supérieur à la somme des ressources individuelles ; c’est en cela aussi qu’il est permis d’évoquer les capacités résilientes d’une entreprise, d’un service, ou d’un collectif de travail. Dans ce cas l’organisation du travail doit reposer sur la qualité des liens interpersonnels entre les salariés, dépassant les simples liens
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opérationnels toujours nécessaires pour la réalisation du travail. Pour cela la confiance et la disponibilité à la parole de l’autre doivent prévaloir, permettant l’émergence d’un véritable collectif résilient.
Chapitre 9
Angoisses et désorganisations psychiques dans un contexte de licenciement Joël Croas
de mise en chômage en lien avec un licenciement brutal et faisant suite à un long temps de mise à l’écart d’un salarié peut entraîner dans l’« après coup » des mouvements dépressifs importants, des remaniements intrapsychiques difficiles à élaborer, en raison particulièrement d’un vacillement identitaire qui parfois se profile en arrière-plan. Deux dimensions complémentaires de ces situations peuvent être prises en compte, celle du travail proprement dit, avec ses évaluations, sa reconnaissance, les vulnérabilités qu’il peut induire ou révéler et celle de la qualité du registre défensif qu’elles sollicitent chez les sujets et qui renvoie en particulier à de la confrontation à la perte d’objet, à la qualité des assises narcissiques, aux conflits intrapsychiques, dans une perspective psycho dynamique. Cet article se propose, à travers la vignette clinique d’un cadre rencontré en consultation de soutien, de dégager sommairement quelques éléments communs retrouvés chez des patients ayant subi un licenciement professionnel faisant suite à un long moment de stress au travail ou de harcèlement moral, selon l’expression consacrée depuis un certain nombre d’années.
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A SITUATION
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Q UELQUES REPÈRES AUTOUR DE LA « SOUFFRANCE AU TRAVAIL » ET DU HARCÈLEMENT MORAL Les questions autour de ce que l’on nomme actuellement « souffrance au travail » ou « harcèlement moral » ne datent pas bien sûr des événements récents relatés de la vague de suicides à France Telecom ou de ceux répertoriés et médiatisés dans d’autres configurations professionnelles. Le premier auteur à ouvrir la voie est H. Leymann (1996) à travers son ouvrage : Mobbing. La persécution au travail. Deux autres ouvrages à fort succès suivront en France, celui de Marie-France Hirigoyen (1998), Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, et celui de Christophe Dejours (1998), Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale. Ce sont ainsi des psychologues et des médecins qui soulignent et pointent de nouvelles modalités de difficultés au travail et leur impact sur la santé physique et psychique. Ceci dans un contexte plus ou moins « atone » et moins bruyant des conflictualités collectives traditionnelles, celles-ci, comme le note la sociologue Françoise Piotet (2011), s’exprimant de façon plus diffuse sur un mode acté plutôt qu’en paroles – pétitions, absentéisme, grèves perlées... Ces modes d’expressions pourraient s’expliquer en particulier selon elle par « l’affaiblissement notable des syndicats, mais aussi par la crise économique et l’ombre portée de chômage, qui inhibent l’expression collective de la plainte »(2011, p. 24). D’autres auteurs comme J.-P. Le Goff (2003), à travers une approche en partie congruente, proposent une lecture distanciée et critique de ce nouvel intérêt autour du harcèlement moral en faisant apparaître celle-ci comme le relai de la souffrance individuelle en lieu et place de prises de positions plus collectives sous-tendues par le thème de l’aliénation et de l’exploitation des travailleurs. Il apparaîtrait ainsi en corollaire que la psychologie et la morale prendraient le pas sur l’analyse économique et sociale, la prise en compte et le changement des mentalités se substituant au changement de société :
Angoisses et désorganisations psychiques...
« Là où primait l’appartenance en termes de classe, de profession ou de collectif de travail, l’individu est une référence première et sa souffrance subjective devient le levier d’une action morale. » (2003, p. 160)
D’où l’idée d’une sorte de captation et d’une récupération de la souffrance individuelle au travail au profit de professionnels et/ou d’associations se disputant ce créneau porteur :
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« La subjectivité souffrante, qui antérieurement demeurait dans l’espace privé ou feutré des cabinets de thérapeutes, devient l’instrument public d’un militantisme thérapeutique et médiatique qui somme l’État d’agir au plus vite par la loi. » 2003, p. 161)
Ce qui fut fait d’ailleurs par l’intermédiaire de la loi du 17 janvier 20021 . Il semble pourtant que depuis un certain nombre d’années et au regard d’un certain nombre d’attaques itératives contre une lecture psychodynamique du fonctionnement psychique – et donc en grande partie subjective – au profit d’approches plus pragmatiques, quantifiables et théoriquement plus scientifiques, ce soit en définitive tout ce qui se joue autour d’une certaine intolérance à la subjectivité qui se dévoile. Comme le remarque F. Piotet (2011) cette centration sur le psychologique va de pair avec un certain affaiblissement syndical qui oblitère en partie les causes structurelles de ce mal-être, c’est-à-dire les transformations du travail, les nouveaux modes de financiarisation de celui-ci et la demande d’investissement personnel non suivi de contreparties qui puissent faire tolérer ces pressions parfois intolérables pour les individus. On peut citer, parmi d’autres, deux critères qui marquent certains points d’achoppement actuels rencontrés en consultation, celui de l’évaluation du travail et celle de la reconnaissance de celui-ci, au niveau individuel et collectif. Isabelle Gernet et 1. Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, art. 222-33-2 du Code Pénal, et art. L122-49 du Code du travail. Le harcèlement moral se définit ainsi par des : « agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel ».
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Christophe Dejours (2009) remarquent l’ambiguïté de l’évaluation qui renvoie à la mesure d’un objet ou d’une chose produite et en même temps à un certain nombre de jugements portant sur le résultat du travail ou d’une action. Leur approche en psychodynamique du travail leur permet de donner un sens précis à celui-ci. Les savoir-faire techniques par exemple mobilisent en effet une expérience sensible, mobilisant le corps et les sens mais également les affects et les sentiments : « L’expérience du réel, qui se fait connaître lorsque les connaissances sont inefficaces ou quand les savoir-faire sont mis en échec, repose donc sur l’affectivité éprouvée dans et par le corps. » (2009, p. 28)
En complément de cette approche singulière du rapport de l’individu au travail, le rapport social engage de son côté des savoirfaire collectifs par l’intermédiaire de modalités de coopération et d’investissement collectif. Dans ce contexte le passage d’une économie subjective à celui d’une dimension collective du travail se joue en particulier par la reconnaissance du travail. On peut dire sans doute aussi que la qualité des relations intersubjectives, la possibilité pour tout individu d’engager ce type de relation satisfaisante et plus ou moins harmonieuse met directement en scène la qualité des processus identificatoires, eux-mêmes assujettis à la qualité du registre identitaire. Ce sont donc également les assises narcissiques du sujet dans leur double valence, identitaire et identificatoire qui se jouent aussi dans et par le travail. Le rapport subjectif au travail enseigne qu’aucun travail de qualité n’est possible sans engagement de la subjectivité toute entière. Les auteurs, concernant la conception de la reconnaissance du travail en psychodynamique du travail, font référence à la contribution de F. Sigaut (1990), anthropologue, qui fait le lien entre technique, identité et reconnaissance par autrui. La reconnaissance par autrui est indispensable afin de valider une nouveauté ou un savoir-faire innovant mis au point dans la confrontation avec le réel. Si le sujet ne peut entretenir un rapport satisfaisant et raisonnable au réel grâce à son travail, il prend le risque de vaciller et d’être renvoyé à la solitude, solitude aliénante que Sigaut (toujours cité
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par les auteurs) désigne par le terme d’« aliénation mentale ». Les doutes sur lui-même, sur les liens qu’il entretient avec les autres, sur son rapport au réel, peuvent ainsi potentiellement engager un vacillement au niveau des valeurs propres que le sujet porte et soutient mais aussi au niveau identitaire. Cette fragilité secondaire se retrouve régulièrement chez les personnes venant consulter après une période de difficulté au sein de leur travail débouchant la plupart du temps sur un licenciement plus ou moins brutal. « Travailler ce n’est jamais uniquement produire, c’est dans le même mouvement se transformer soi-même. » (Dejours, 2005, p. 69)
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Vignette clinique
Madame V. vient consulter sur sollicitation de sa conseillère appartenant à une association pour cadres. Elle cherche un emploi depuis maintenant 18 mois. Elle a 45 ans, trois enfants de 18, 15 et 11 ans. Son mari est cadre dans une grande entreprise. Elle travaillait depuis une vingtaine d’années comme avocate dans un cabinet, en tant que salariée, elle n’est pas associée. Elle a changé une fois de cabinet pour des raisons géographiques et décrit sans affects apparents ses études et son parcours professionnel, un peu éteinte et comme détachée de ce qu’elle raconte. Bonne élève, bonne étudiante, elle met son choix professionnel en lien avec son désir initial, idéalisé quand elle était plus jeune, de pouvoir servir, défendre et bien sûr se ranger du côté de la justice. Jusqu’à une époque relativement récente, c’est-à-dire à peu près 3-4 ans, son travail se passait de façon tout à fait satisfaisante, à travers le traitement, l’investissement et la responsabilité de certains dossiers, en réalité elle ne défendait pas la veuve et l’orphelin mais les intérêts particuliers de clients du cabinet. Travail intéressant lui permettant par même occasion de mener une vie tranquille et de s’occuper de ses enfants et de sa famille. La reconnaissance de son travail et à son travail semblait acquise ainsi que les prolongements sociaux et familiaux, en terme de gratification et bénéfices secondaires. C’est apparemment l’arrivée d’un nouvel associé qui va faire vaciller cette situation stable et assez confortable pour Madame V. Après des premiers contacts plutôt aimables, cordiaux et un réajustement de ses activités, elle va se rendre compte progressivement qu’on lui demande moins de dossiers à traiter, que ceux dont elle s’occupe sont au fil
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du temps remis en cause et de plus en plus critiqués, que les affaires dont elle s’occupe sont moins stimulantes. On la met doucement « au placard » selon l’expression, elle ne s’en soucie pas trop au début mais commence à douter de ses capacités de travail, de sa qualité et de ses compétences. Les remarques deviennent de plus en plus acerbes, et surtout injustifiées, commence alors un travail de ce qui ressemble à du harcèlement visant essentiellement à déstabiliser, à faire craquer et à rendre, au sens familier du terme, l’autre fou. L’ensemble, insidieux et progressif, se traduit de diverses manières. Voici quelques exemples bien connus : absence de réponse aux questions posées, aux marques de courtoisie, ordres incohérents, missions infaisables, vexations diverses en présence de tiers, dossiers retirés avant d’être traités, mise en place d’un collègue en lieu et place, changement physique dans un bureau moins avenant, sans fenêtre... Tout cela est familier et se pratique parfois pendant très longtemps jusqu’au moment où le salarié craque et dans le meilleur des cas, tout au moins pour son employeur, démissionne ou accepte un licenciement pour faute, éventuellement grave. On voit bien dans ce contexte que c’est en partie la discontinuité des liens et certaines injonctions contradictoires, dans le spectre des activités professionnelles et dans celui des relations aux autres, qui attaquent également les individus. Et surtout une question demeure pour Madame V., sans réponse : « Pourquoi ». Elle ne sait toujours pas pourquoi on a voulu la licencier et ne peut mettre en lien les affects qu’elle a ressentis et qu’elle ressent encore avec des représentations, des images, un modèle explicatif qui lui permettrait au moins d’avoir un point d’ancrage, une aspérité à laquelle s’accrocher. Elle sait bien que l’efficience de son travail proprement dit n’est pas réellement en cause, pas plus qu’une restriction du personnel. Elle ne comprend pas non plus cette versatilité dans le contact avec les autres associés depuis cette période, elle qui se décrit comme plutôt aimable et facile dans le contact. Elle demeure seule avec ses affects, qui s’émoussent. Le licenciement s’est imposé au final avec comme prétexte partiel, une insuffisance de résultats que Madame V. n’a pas contestée, abrasée par ces longs mois de travail, de lutte sourde et de résistance épuisants. Elle n’a pas non plus sollicité plus tard les prud’hommes, pensant dans un mouvement phobique que cela n’en valait pas la peine et que surtout elle risquait de rencontrer à nouveau ses « tortionnaires ».
Angoisses et désorganisations psychiques...
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Dans la vie de tous les jours Madame V. se sent sans énergie mais essaie de respecter un rythme de vie quotidien habituel, elle s’astreint à se lever comme pour aller au travail, elle se prépare, puis se pose devant son ordinateur afin de surveiller un mail qui répondrait aux nombreux courriers qu’elle a envoyé, espoir le plus souvent déçu, il n’y a pas de réponse ou si peu. Elle polit et repolit son CV, comme on le lui a demandé, évitant de présenter une liste chronologique de ses états de services et de sa vie professionnelle, mais souligne et tente de mettre en évidence ses domaines de compétences, lesquels d’ailleurs ? Elle invente un peu, ne les reconnaît pas ces fameux domaines de compétence. Tout cela lui prend du temps, beaucoup de temps, car en même temps tout lui semble plus difficile. Elle travaille plus lentement, a parfois l’impression de perdre un peu la mémoire, ne serait-ce pas l’âge, déjà ? Elle ne se sent plus si jeune que ça. Quand elle pense aux diverses activités qu’elle pouvait mener de façon concomitante ! Et elle n’a plus envie, plus envie de grand-chose à vrai dire, c’est un peu comme quand on est enrhumé et qu’on a perdu l’appétence pour manger, on a goût à rien. Au début, après son licenciement, elle pensait, dans le soulagement immédiat qui avait suivi son départ et l’abandon de cet enfer, avoir enfin le temps de mener ce qu’elle attend de faire depuis si longtemps, un peu de sport, visiter des amies, aller au musée, lire avidement. Elle a bien essayé mais se dit qu’il vaudrait sans doute mieux chercher tout de suite et sans attendre un nouveau travail, oublier surtout et ne plus penser à l’avant, elle culpabilise bien sûr et cette liberté attendue s’estompe et n’en devient que plus amère. À la maison, la famille se noue autour d’elle, pleine de sollicitude et de réconfort. Mais au fil du temps et de l’attente chacun reprend son rythme et s’absorbe dans ses propres préoccupations. Les enfants grandissent, l’adolescence n’est pas toujours chose aisée, le mari de Madame V. est lui aussi sous pression, ce qui semble être un « killer », un nettoyeur, vient d’arriver à son travail, une restructuration est probable. Curieux que ce qui renvoie à la propreté, au nettoyage, se donne à voir ici et sert à éliminer, épurer, jeter les individus. Madame V. devient ainsi progressivement chercheuse d’emploi professionnelle et mère au foyer. Car c’est un vrai travail, confie-t-elle, de chercher un emploi, cela demande du temps, de l’attention, des possibilités de rencontres, un investissement régulier avec la dimension angoissante que constitue l’attente, mais en ce cas l’attente au moins
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à un objet. Les tâches ménagères prennent dans ce contexte un autre sens et surtout une autre ampleur, n’est-elle pas plus disponible tout de même ? Les premières évocations de ses difficultés sont abondamment commentées et discutées chez elle, progressivement elle en parle moins, soucieuse de protéger ses proches et de les mettre un peu à l’écart de ce qui la mine car tous ces événements qu’elle remémore, remâche sans parvenir à s’en dégager commencent à constituer en eux-mêmes une chose, un objet autour duquel tournent toutes ses pensées, objet qui colmate un vide, prend place et se cristallise au lieu de s’estomper et se dissoudre. Le sommeil devient difficile à venir et des cauchemars récurrents viennent perturber des nuits parfois en partie blanches. Heureusement les amis sont bien présents, peut-être un peu moins nombreux, leur attention et leur sollicitude rompent un peu la solitude de Madame V. mais là encore elle reste discrète et souhaite les préserver de ses difficultés. Elle s’isole. Maintenant elle a du mal à décrocher son téléphone, supportant de moins de moins la question récurrente qui va surgir inévitablement : « Et alors ? ! ». Ses anciens collègues, discrets, se sont un peu manifestés, principalement après le licenciement de Madame V., rarement ensuite. La souffrance est parfois difficilement recevable et surtout partageable. C’est ainsi, comme elle le décrit très bien, que Madame V. s’enlise, s’enlise dans des sables mouvants qui l’absorbent, sans qu’un fond un peu ferme ne puisse la stabiliser, afin de pouvoir remonter petit à petit et faire face à ce vide et à ces fantômes. C’est enfin la question du sens qu’elle donnait et donne à sa vie en général ainsi qu’aux valeurs qu’elle nourrissait qui sont sollicités en filigrane, mais pas seulement. À l’issue de nos rencontres Madame V. ira voir un médecin afin de pouvoir ponctuellement être soutenue par un traitement médicamenteux, utile mais non suffisant, elle demandera aussi une aide thérapeutique afin d’être accompagnée pendant cette période si douloureuse.
D ÉSORGANISATION
ET RÉAMÉNAGEMENTS
L’histoire de Madame V. est et n’est pas une caricature, mais simplement récit, mise en mot de ce qu’elle a pu exprimer au cours
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Angoisses et désorganisations psychiques...
de quelques rencontres, elle n’est pas isolée non plus et participe à ce que nous pouvons entendre et recueillir au cours d’entretiens avec ces cadres. On reconnaît sans peine la dimension dépressive de cette évocation, les bouleversements et la douleur sous-jacente. Peut-on extraire quelques éléments communs de ce que rapportent dans l’après coup les chômeurs que nous recevons ? Sans doute un certain nombre que nous avons évoqué en partie avec le témoignage de Madame V. Le licenciement, qu’il soit violent ou aménagé, attendu ou non, provoque, et c’est une lapalissade, une rupture et un changement brusque des investissements de l’individu à différents niveaux, dans la sphère professionnelle, personnelle et intime mais aussi souvent familiale et amicale. On imagine sans peine que leur intensité varie et se corrèle avec le temps qui va être nécessaire à retrouver un emploi. C’est l’occasion pour beaucoup de mesurer et évaluer la place, le sens et la dimension sociale que constitue un emploi stable, la vacuité que peut laisser la perte de celui-ci et l’impression générale et constamment retrouvée dans le discours d’avoir l’impression d’être à côté, à côté de la vie professionnelle et des ramifications qu’elle sous-tend en terme d’insertion, de relations, d’échanges, de satisfactions et de plaisir aussi. La souffrance s’installe progressivement après un début marqué par le soulagement et l’impression que tout peut et va se résoudre assez vite, que l’on va enfin pouvoir prendre quelque repos et amorcer des activités jusqu’alors mises de côté. Mais la culpabilité de ne rien faire, de ne pas chercher immédiatement, d’avoir peutêtre finalement été pour quelque chose dans ce départ abrase ces velléités. Et le doute continue à s’installer, doute sur ses compétences professionnelles, sur sa valeur, sur la pertinence des divers chemins empruntés et que la vie a proposées. Les anciens collègues, souvent bien présents, disparaissent au fil du temps, les conversations se tarissent. Le réseau amical tient bon mais peu à peu l’isolement prend le pas, les repas avec des proches deviennent plus difficiles, surtout lorsque de nouveaux convives sont invités et qu’à un moment ou un autre de la soirée il va falloir expliquer, j’allais dire justifier, le chômage. On évite
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ensuite ce genre de réunion, d’autant que lorsqu’on était en activité on pensait qu’il suffisait de chercher et qu’en conséquence ceux qui ne trouvent pas rapidement de travail ne sont peut-être pas les plus actifs. L’isolement alors apparaît un des écueils majeurs de ces périodes. Chaque histoire est personnelle. On ne peut se contenter de brosser les grandes lignes et les points communs de ce qui pourrait constituer LE portrait d’un chômeur et de sa souffrance. On ne peut sans doute pas non plus répondre uniquement aux conflits psychiques que suscitent ces situations, dans notre perspective, par des ajustements comportementaux et un travail univoque sur la réalité matérielle. La douleur et la souffrance renvoient à l’intime et surtout à la façon, très individuelle, dont chaque sujet va pouvoir traiter et tolérer, au niveau intra-psychique, ce qui tourne autour de la perte, de l’abandon et de la séparation. C’est également dans certains cas l’après coup d’un traumatisme qui se donne à voir à moins que ce ne soient les effets de microtraumatismes cumulatifs, par leur répétition et par les brèches dans les barrières protectrices que l’appareil psychique ne peut traiter ni intégrer. Remarquons que la souffrance n’est pas forcément pathogène mais peut aussi participer et être à l’origine de créativité. I. Gernet (2009) le souligne : « Le développement des recherches en psychodynamique du travail a, par la suite, permis d’identifier que la souffrance est première et antérieure à l’expérience du travail, car le sujet a un corps et que par ce corps il éprouve affectivement la vie, à travers la souffrance mais également le plaisir. [...] L’expérience du travail est donc avant tout une expérience affective [...]. » (Gernet, 2009, p. 81)
Ce qui sollicite chez l’individu la façon singulière dont il a pu mettre en place et intégrer des aménagements défensifs opérants et suffisamment souples pour pouvoir affronter et négocier les conflits externes et internes, en particulier la perte. Il peut s’agir de la perte d’une personne aimée bien sûr mais aussi d’idéaux, d’une abstraction, d’une idée selon la proposition de Freud (1915). La conséquence en est un travail de deuil, dont on parle si souvent actuellement mais pas toujours à bon escient, avec les affects dépressifs qui l’accompagnent.
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Travail de deuil, c’est-à-dire en reprenant très grossièrement ce que décrit classiquement Freud (1915) dans Deuil et mélancolie, travail psychique long, en grande partie inconscient, et qui amène progressivement l’individu, après un surinvestissement de l’objet perdu dans un premier temps, à se détacher et à l’abandonner ensuite sous le joug et le poids des impératifs de la réalité. Ce qui conduit à au résultat finalement un peu scandaleux d’avoir à abandonner l’objet aimé pour pouvoir continuer à vivre. Dans ce contexte on peut entendre la dépression pas seulement comme un effet de la perte mais de son impossibilité. Ce sont ainsi ces difficultés à perdre qui précipiteraient les mouvements dépressifs. Il faut souligner maintenant que toute perte ou abandon ne justifie pas non plus travail de deuil ou dépression. Les mouvements dépressifs font aussi partie de la vie sans que cela ne renvoie forcément à un registre pathologique. C’est notamment ce que Pierre Fedida (2001) appelait « dépressivité » ou capacité dépressive dans son ouvrage au titre un peu provocateur : Les bienfaits de la dépression. Sa lecture se focalise avant tout sur l’intégration et les remaniements liés aux pertes et abandons successifs qui ponctuent et historicisent l’expérience humaine :
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« Ce que je désigne ici par dépressivité ou capacité dépressive1 peut s’apparenter à la “position dépressive” selon Mélanie Klein, mais concerne plutôt la constitution de l’expérience de la perte et de la transformation du vécu intérieur par celle-ci. »
Ce qui permet d’animer nos expériences de vie en plein et en creux. On voit que ce qui est privilégié, à travers l’exemple donné est une lecture centrée sur le versant dépressif que peut constituer la perte d’un emploi et de ses suites éventuelles. Ce dont témoignent les personnes rencontrées dans le cadre de ces consultations de soutien, l’ensemble s’inscrivant souvent au sein d’une économie psychique parfois profondément remaniée. Ces bouleversements mettent parfois à mal des lignes de fragilité bien compensées et tolérées habituellement ou bien ravivent et réactivent d’anciens conflits psychiques enfouis, mal cicatrisés, mal élaborés, au prix 1. En italique dans le texte.
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de remaniements et de souffrances parfois majeurs durant cette période. Mais l’ensemble des sujets rencontrés ne présentent évidemment pas un profil qui donne à penser les lignes de fragilité évoquées, c’est souvent l’occasion pour beaucoup de trouver enfin en espace afin d’évacuer et relater devant un tiers ce qu’ils ne peuvent dire ailleurs. C’est aussi le moment pour certains de pouvoir réfléchir autour d’un projet qui a commencé à prendre forme afin de s’assurer en particulier de la solidité des enjeux personnels et leur mise à l’épreuve. Mais dans tous les cas la rencontre s’étaye sur une demande de renarcissisation, c’est en effet dans le lien à l’autre que se construit aussi le sentiment de continuité d’exister.
C ONCLUSION La rencontre avec le travail n’est jamais neutre. Sont ainsi sollicités pour le sujet le corps, la pensée et les affects, c’est-à-dire l’ensemble de la subjectivité. C. Dejours (1996) défend l’idée de la « centralité du travail », travail dont l’économie subjective et les répercussions au niveau individuel mais également familial va engager l’ensemble de cette sphère. C’est ce que donnent à voir les sujets qui viennent en consultation de soutien à travers leur quête de réaménagement. « L’entrée dans la maladie s’amorce lorsque les différentes défenses mises en place échouent à conjurer la souffrance issue de la confrontation à l’organisation du travail. » (Gernet, 2009, p. 82)
Chapitre 10
Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie Jocelyn Aubut
de santé mentale occupent depuis plusieurs années le premier rang dans les causes d’absentéisme au travail. Dans un tiers des cas, les problèmes de santé mentale sont liés à des causes personnelles (séparation, maladie dans la famille, etc.). Dans un autre tiers, les causes sont exclusivement liées au travail (surcharge, harcèlement). Et enfin, dans le dernier tiers, les causes sont mixtes (famille et travail). C’est donc dire que le travail est une source majeure de souffrance individuelle, au premier plan pour la personne malade mais aussi pour la collectivité : collègues qui assument une surcharge, ralentissement de productivité dans l’organisation, etc.
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SE
ES PROBLÈMES
SITUER DANS LE TEMPS ET L’ ESPACE
Il existe une multitude de guides et sites internet pour prévenir ou gérer le stress au travail. Il s’agit essentiellement de conseils pratiques tirés du sens commun et de certaines données de la littérature scientifique (Mieux vivre au travail, Trousse de santé psychologique au travail). Ces guides ne sont pas inutiles mais
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ils sont lestés par deux handicaps majeurs. Premièrement, les personnes les utilisent en général après avoir vécu un stress majeur au travail. Avant cela, la plupart des personnes se croient au-dessus de la possibilité de vivre un burn-out ou une dépression en lien avec le travail. Deuxièmement, ces guides se situent dans le « ici et maintenant » et omettent souvent les notions de trajectoire de vie et d’homme multidimensionnel au sens de Marcuse (1968) notamment. Les guides aident à gérer une tranche de vie plutôt que de repenser sa vie dans sa trajectoire et dans l’ensemble de ses dimensions. La majorité des humains auront besoin de traverser une crise de vie majeure pour repenser leur vie. Combien de fois entend-on : « Depuis que j’ai été malade, je ne vois plus la vie de la même manière. » et ce, peu importe que la maladie soit physique ou psychologique. Il faut constamment repenser sa vie. Mais voilà, on n’a pas le temps. Il faut bûcher pour réussir ses études, avancer dans sa carrière, fonder une famille, s’en occuper, concilier familletravail. Non mais franchement, où trouver le temps ? Mais il y a pire. Si on prenait le temps de se regarder, qu’est-ce qu’on trouverait à l’intérieur de soi ? Tous les rêves abandonnés en cours de route. Toutes ces petites lâchetés, ces choses qu’on a simplement laissé aller parce que c’était plus facile. Tous ses compromis qui sont devenus des compromissions. Toutes ces illusions qu’on a sur soi. Cette peur de soi est bien pire que le manque de temps : on pense que le problème, c’est l’horloge mais en fait, le vrai problème, c’est le miroir. Et pourtant, on n’est jamais si pire que cela. Il y a toutes ses épreuves que l’on a traversées. Ses propres peurs qu’on a vaincues. Les réussites que l’on a accomplies. Les gens qu’on a aidés, ceux que l’on a aimés, ceux qu’on aime encore. Tout de même, l’homme a plus d’épaisseur que l’instant par lequel il se définit. La vie doit se décliner sur trois temps : le passé, le présent et le futur et ce, à géométrie variable selon les circonstances. L’imparfait et le subjonctif grèvent l’âme. Chaque jour (ou du moins quelques fois par année), on devrait se regarder en face sans complaisance, et partager la lecture qu’on a de soi-même avec d’autres personnes significatives, intéressées
Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie
mais désintéressées à la fois, c’est-à-dire des personnes qui ne seront pas remises en question par les doutes qui nécessairement émergeront et qui ne seront pas complaisantes à notre égard. Chaque jour (ou presque), on devrait se poser les questions que les philosophes se posent depuis des siècles. D’où est-ce que je viens ? Qui suis-je ? Où vais-je ? C’est simple, les trois temps mentionnés ci-dessus, le passé, le présent et le futur. Et en outre, il n’est pas nécessaire d’y apporter des réponses compliquées (parfois totalement alambiquées d’ailleurs) comme le font les philosophes. En général, avec un minimum d’authenticité, on pourra reconstruire son histoire personnelle, se redonner une épaisseur, une multi-dimensionalité. Bien sûr, on aura quelques taches aveugles, mais c’est toujours mieux que d’être aveugle de sa propre vie.
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RACONTER UNE NOUVELLE HISTOIRE
De tous les temps, les humains ont essayé de donner un sens à la souffrance. Au fil du temps toutes sortes d’explications ont été évoquées. Dans l’Antiquité et le Moyen Âge, les dieux et la religion avaient réponse à tout. On souffrait à cause des dieux ou pour eux. La mort et la souffrance avaient un sens, social du moins, auxquels les humains pouvaient adhérer ou non (en fait, la plupart du temps, ils n’avaient pas le choix, parlez-en aux grands brûlés des Inquisitions). La mort et la souffrance ramenaient l’homme à l’intérieur de l’humanité terrestre ou céleste. Puis il y a eu les explications rationnelles : la modernité, la science et de grands courants de pensée rassembleurs ont promis de trouver les causes de la souffrance : causes sociales (iniquité sociale, prolétariat bafoué), causes biologiques (biochimiques et maintenant génomiques), causes psychologiques (mauvaise mère, mauvaise éducation). Puis avec la postmodernité, l’homme a abandonné espoir dans ces croyances : en les déconstruisant toutes, l’homme s’est retrouvé face à lui-même. Entre les contraintes des grands systèmes de pensée et entre l’isolement, il doit bien y avoir un juste milieu pour essayer de donner un sens à notre existence.
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De toute façon, même si la souffrance a eu des modèles explicatifs de tous les temps, ces modèles avaient leur utilité sociale mais il faut bien avouer que la souffrance, lorsqu’elle frappe l’individu ne fait tout simplement pas de sens. On n’a qu’à écouter dans un corridor d’hôpital, devant la salle des soins intensifs, les discussions des familles (et oui, on a du high-tech pour le mourant mais souvent même pas un coin privé pour les survivants). Chacun y va de ses explications sur ce qui a bien pu provoquer l’accident ou la maladie. Peu importe que ces explications soient vraies ou fausses, elles donnent l’illusion d’avoir un certain contrôle sur la situation et que celle-ci a un certain sens. Plus tard, avec l’évolution, des discussions avec les médecins et le malade (s’il survit), on pourra recomposer un tableau à peu près exact. D’ailleurs, Cyrulnik (1999) s’appuie sur le concept de Ferenczi (1984) pour faire valoir que la « représentation gauchie du traumatisme a en soi un effet de résilience ». Il doit en être de même pour les personnes confrontées à un arrêt de travail. Elles doivent élaborer une première compréhension de ce qui leur est arrivé. Quels ont été les facteurs au travail qui les ont blessées ? Il y a bien sûr des atteintes quasi mécaniques, directes et graves à la globalité de la personne comme dans les cas de violence physique ou psychologique ou la surcharge excessive de travail. Dans ces situations, les capacités d’adaptation psychique et parfois même physiques sont tout simplement écrasées brutalement. Mais la plupart du temps, il y les atteintes symboliques, celles qui remettent en question le(s) sens que l’on donnait à son travail. Ainsi, lors de réaménagements administratifs, certains se voient soudainement délestés de toute responsabilité dans leur travail, ils sont « tablettés ». L’absence de charge de travail remet en question l’identité et la valeur d’une personne. Parmi les autres blessures symboliques fréquentes, on retrouve le manque de reconnaissance et l’absence de participation aux décisions, situations qui surviennent fréquemment lors des changements de direction. La place qu’on occupait auprès du gestionnaire précédent n’est plus la même, on n’est plus reconnu dans sa compétence, on est moins consulté dans la prise de décision. Cette exclusion avivera souvent les blessures du passé, les rejets antérieurs vécus dans la famille d’origine ; souvenirs d’être exclus ou bafoués qu’on avait
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Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie
réussi à mettre de côté et qui rejaillissent du jour au lendemain, auto-réalisation d’une prophétie parentale à l’effet que finalement on n’allait rien faire de bon dans la vie (Dejours, 2000). Évidemment la vie n’étant pas simple, le burn-out ou la dépression au travail a rarement une seule cause comme l’indique la loi des tiers évoquée en introduction. Il arrive souvent que les murs qui soutiennent nos vies s’effritent en même temps : plusieurs situations difficiles surviennent au travail : changement de direction, perte de confiance d’un supérieur, etc. En même temps, il faut s’occuper d’un parent malade avec qui la relation était difficile, relation que l’on voudrait réparer avant qu’il ne meure. Et puis, il y a les enfants à l’école dont un fonctionne mal à cause d’un trouble d’attention ; l’école ne cesse d’appeler parce qu’il dérange sans cesse. Bref, on n’en peut tout simplement plus. Il est parfois difficile de déterminer ce qui rend « malade », ce n’est peut-être pas si important mais souvent les personnes vont trouver un bouc émissaire : c’est souvent plus facile de dire que c’est le travail qui nous rend malade, c’est moins menaçant que de dire que c’est notre propre histoire qui nous rend malade. Dans le sens narratif du terme, cette histoire de blessure au travail ou dans sa vie sera relatée mille fois, comme on raconte l’accident qu’on vient d’éviter de justesse ou le voyage que l’on vient de faire. À chaque fois qu’on la raconte, l’histoire se transforme peu à peu. Souvent les patients vus en évaluation disent : « J’en ai marre de raconter mon histoire. Je l’ai racontée à mon médecin, à mon psy, au médecin du service de santé et maintenant à vous. ». Justement, l’histoire doit être répétée non pas de manière mécanique ou pour faire valoir son strict point de vue. Il faut raconter son histoire, en écoutant soi-même ces petits détails qui changent d’une fois à l’autre. Il faut aussi essayer de saisir la réaction de l’autre. Trop souvent la réaction de l’autre est en miroir, sorte de sympathie niaise qui ne mène à rien. Ou encore, la réaction de l’autre se situe dans le registre du déni : déni de la souffrance, de la maladie, de ses causes. Encore là, il n’y a pas d’élaboration d’histoire, il n’y a qu’un repli sur soi. La plupart du temps, heureusement les réactions sont mitoyennes, faites d’un mélange de compassion, d’éléments de compréhension ou d’explications, de pistes de solution évoquées. L’autre ne donne
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pas le même sens à l’événement, et c’est bien qu’il en soit ainsi. C’est au travers de cette narration, de ces petites confrontations de sens, que la personne pourra effectuer sa propre réconciliation des sens. Pour avoir du sens et pour qu’il y ait une réconciliation possible des sens, il faut que l’histoire qu’on se raconte ait une certaine épaisseur, c’est-à-dire qu’elle tienne compte de l’ensemble des facteurs, qu’elle se situe dans une trame historique qui tienne compte de sa propre trajectoire de vie. Deux citations de Cyrulnik (2001) méritent d’être évoquées car elles traduisent assez bien un fait clinique courant, soit la personne qui ne se définit que par son statut de victime : « Un autre effet possible de résilience dévoyée survient quand le traumatisé s’identifie à sa propre tragédie (p. 220) » et un peu plus loin : « La vie est trop courte pour se réduire à un seul discours » (p. 263, citant Vanistendasel S. et Lecomte J. 2000, Le bonheur est toujours possible, p. 219). Et encore une fois, dans ce discours, il faut savoir différencier la recherche des causes de l’attribution du blâme. Pour paraphraser encore une fois Cyrulik (2001), la haine et la vengeance, non seulement ne sont pas des facteurs de résilience, mais en général ils rongent l’âme. Cela ne veut pas dire qu’il faut « aimer » son agresseur comme on le voit parfois dans certaines situations ; cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas détester cet agresseur (une personne ou une situation de travail), cela veut tout simplement dire qu’il faut permettre un certain registre à son affectivité. À trop détester, on oublie parfois d’aimer ceux qui nous aiment. Nietzsche disait qu’à force de combattre le dragon, on devient soi-même dragon.
PARTAGER
SON HISTOIRE AVEC D ’ AUTRES
Parfois on se raconte une histoire qui est presque vraie. Et on a bien raison de se sentir victimisé puisqu’on l’a été. Mais voilà, il arrive que cette histoire ne trouve pas d’écho soit parce que le milieu de travail ou familial ne veut pas l’entendre. Ou encore parce qu’elle est simplement renvoyée servilement en écho. Une histoire qu’on se raconte sans dialectique aucune ou dans un
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contexte clivé n’est pas une histoire. C’est au mieux un monologue, souvent une prison. L’histoire est présentée en noir et blanc où l’interlocuteur doit se positionner dans une dialectique de tout ou rien un peu comme le lançait le président Bush à la face du monde en 2001 : « You are with me or against me ». Il faut bien choisir ceux avec qui on va partager son histoire. D’abord, il faut la partager avec soi-même, s’écouter en adoptant à l’occasion une position de métaconscience comme si on s’écoutait en étant en dehors de soi-même. Soyez sans crainte, il ne s’agit pas de verser dans le paranormal, il s’agit de prendre un peu de distance par rapport à soi-même. En fait, le principe est le même pour tous ces autres (médecin, psy, famille, amis). Chacun a un discours qui n’est pas neutre, qui est imprégné de ses propres convictions forgées au travers du temps et comprenant à dose variable un tiers de savoir, un tiers d’expérience, un tiers de convictions personnelles et un autre tiers (oui, oui, un quatrième) de pure spéculation.
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T RANSFORMER
LE TRAUMA
Il y au moins trois manières de transformer la situation traumatique vécue au travail ou dans d’autres sphères de sa vie. 1. La narration dialectique : ce thème ayant été largement élaboré ci-dessus ne sera pas repris ici. 2. L’action : plusieurs personnes qui se remettent d’une situation traumatique vont continuer leur processus de guérison au travers d’activités connexes à la situation traumatique elle-même. Ainsi en est-il de victimes d’agressions sexuelles qui vont œuvrer dans des organismes d’aide aux victimes. 3. L’art : les livres de Cyrulnik sont truffés d’exemple de personnes marquées par le destin et qui s’en sont sorties par leur art qui permettait une expression symbolique de la souffrance, la maîtrise dans le symbolique de ce qui n’avait pu l’être dans le réel. Plusieurs auteurs ont d’ailleurs élaboré des réflexions en ce sens mais il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir convertir la souffrance de manière esthétique faisant œuvre de sens pour
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soi et ses contemporains. Une œuvre ne peut être qu’un exercice narcissique de mise en scène de soi. Consciemment ou non, l’auteur cherche à partager sa réalité intérieure avec autrui. Si les exemples d’artistes sauvés par leur art pullulent, il n’en demeure pas moins qu’ils sont l’exception. Des milliers, que dis-je, des millions sont restés meurtris faute d’avoir accès aux représentations mentales symboliques propres aux artistes. Il est tout de même intéressant de constater que nombre de personnes « relevant d’une dépression » comme elles le disent, se tournent vers des formes d’expression artistique qu’elles avaient soit enterrées à cause des contraintes et responsabilités de la vie ou encore qu’elles ont découvert de novo. Le rôle dans l’Art dans la réhabilitation de personnes atteintes de différentes pathologies commence à être de plus en plus reconnu et étudié scientifiquement, notamment dans les états anxieux posttraumatiques (Raynolds et coll. 2000 ; Slayton et coll. 2010 ; Said et coll. 2010).
LE
JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE LA RÉPARATION DANS LE RÉEL ET LE SYMBOLIQUE Les blessés de la vie, particulièrement les blessés du travail ont souvent et fort légitiment des attentes de réparation vis-àvis de la personne ou de l’organisation qui les a blessés. Cela est juste et légitime dans la mesure où une différence est faite entre des réparations concrètes et des réparations symboliques. Certains espèrent une compensation financière importante qui aidera mais dans la pratique les compensations financières sont rarement importantes et rarement associées à une réelle réparation sur le plan symbolique. Ceux qui ont des attentes de compensation financières concrètes élevées ont en général un vécu plus difficile que ceux qui n’en n’ont pas (Turk et Okifuki, 1996). Certains attendent de « passer en Cour » pour que le tribunal identifie le coupable et le punisse. Certains mettent leur vie en suspens en attendant que la sanction et la réparation externe viennent tout régler, tout réparer. Souvent, lorsqu’arrive le jour fatidique
Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie
de la « Cour », si par hasard ils « gagnent leur cause », ils se retrouvent souvent seuls avec personne pour partager cette victoire parce qu’en cours de route ils se sont tellement investis dans leur « cause » que leur vie sera devenue unidimensionnelle, il n’y a plus de place pour les autres, conjoint, enfants, famille. Et surtout que les activistes du travail ne me fassent pas dire qu’il faut implicitement décourager les personnes de porter plainte ou de faire valoir leurs droits. Bien au contraire, il faut les encourager mais en leur demandant, ce faisant, de rester dans le monde des vivants en attendant que la réparation de l’extérieure n’arrive, ce qui n’empêche pas la réparation intérieure de commencer non plus. Il faut se reconstruire de l’intérieur par les mécanismes évoqués ci-dessus, se redéfinir dans sa propre trajectoire de vie, refuser de se laisser définir par le seul traumatisme au travail.
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Chapitre 11
Stratégies résilientes face à la violence psychologique dans les espaces clos (famille, institution, entreprise) Roland Coutanceau
les sociétés ont été amenées à se préoccuper de la violence psychologique, pouvant aller jusqu’au harcèlement. Ces dynamiques relationnelles s’actualisent dans des espaces clos (couple, famille, institution, entreprise), qu’on peut considérer au sens criminologique, comme des situations à risque. On se propose d’illustrer un double regard sur ces situations : s’il existe une difficulté à en faire part du fait de la proximité relationnelle, voire affective ou des enjeux, les nommer est un élément fondamental pour permettre de s’en dégager. Après avoir situé la réalité légale, on soulignera quelques axes descriptifs de cette violence psychologique, pour proposer son diagnostic, puis les pistes de résolution. Une réalité variable et pas toujours facilement objectivable : Une première difficulté s’offre à nous, celle de sa définition.
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ÉGITIMEMENT,
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Dans les modes opératoires, de ce que le psychiatre nomme l’emprise, l’analyse psycho-criminologique décrit quatre mécanismes : la violence physique, la menace, le harcèlement et la manipulation. Les trois derniers peuvent être présents dans la violence psychologique. D’autre part, si une violence psychologique peut être ponctuelle, c’est sa répétition qui va constituer une réalité relationnelle problématique, et qui va nécessiter intervention ou ponctuation. Comme souvent, c’est le passage à la chronicité qui permet de définir l’aspect pathologique d’une dynamique relationnelle. Il s’agira également d’en apprécier l’intensité ; évaluation plus délicate car au-delà de l’analyse d’un comportement, il faut faire la part de la sensibilité voire la subjectivité interprétative de celui (ou celle) qui en est l’objet (la victime potentielle). Enfin, et surtout, c’est l’objectivation qui pose question. Au-delà de situations qui peuvent se matérialiser (coups de téléphone, SMS, emails, écrits), c’est souvent parole contre parole (une fois la révélation faite). C’est ainsi que le législateur a été tenté de privilégier la présence d’une relation hiérarchique ou de subordination, avant d’y renoncer, en considérant qu’il pouvait y avoir harcèlement entre pairs. De la même manière, la présence d’un ou de témoins se révèle précieuse pour confirmer une situation de harcèlement. Reste un choix dans la manière de traiter une situation émergeante : un choix institutionnel (en interne de la famille ou de l’entreprise), ou un choix légal (juridiction administrative ou pénale).
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PONCTUATION DE LA LOI
La médiatisation de la violence psychologique, du harcèlement moral a amené l’autorité politique à légiférer. Sont apparues des lois qui permettent théoriquement de poursuivre celui qui est considéré comme l’agresseur. Cette scanssion de la loi suppose toutefois une réalité suffisamment clarifiée, objectivée pour être ponctuée par un jugement.
Stratégies résilientes face à la violence psychologique...
Elle s’adresse le plus souvent à des violences caractérisées répétitives, ayant entraîné une symptomatologie clinique posttraumatique, pouvant justifier d’un constat sur le plan médical (certificat). Dans d’autre cas, le processus judiciaire peut se terminer en non-lieu, après un long temps de latence, débouchant sur un sentiment d’insatisfaction, voire d’injustice de celui qui s’estime victime. Mais la justice des hommes peut-elle objectiver une violence psychologique qui reste parfois invisible pour ceux qui n’en ont pas été témoins (chronique des violences invisibles). Dès lors, le traitement institutionnel (avec l’esprit d’un échange, d’une médiation) pourrait être considéré comme une autre solution voire un préalable, du moins dans certains cas. N
La bulle « entre l’auteur » et la « victime »
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Une première réalité pour appréhender la violence psychologique est de souligner qu’elle s’inscrit dans une relation en vase clos entre deux protagonistes, du moins dans un certain temps. Cette réalité relationnelle tendue est donc invisible aux yeux de l’entourage, des proches. Pour celui ou celle qui s’en dit victime, la question est d’être à même ou pas de rompre un espace d’intimité ou de secret. Le dire ou pas est le défi psychique de la victime. La tentation de l’emprise
Dans toute relation humaine s’inscrit le risque de la domination. Tentation d’avoir la barre face à tout différend avec l’autre ; plutôt qu’un dialogue dialectisé, mais devant toutefois déboucher sur un choix quand le désaccord persiste. Cette tentation va être plus fréquente pour des personnalités ayant une problématique de l’ego (immatures, égocentriques, paranos, mégalos, pervers narcissiques...) ; mais s’inscrit tout simplement comme une potentialité de l’âme humaine dans la relation à l’autre.
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La visée sous-jacente de l’emprise peut être simplement stratégique pour majorer un point de vue, un choix, ou plus psychologique dans un plaisir de soumettre l’autre, de l’instrumentaliser, où encore de le sadiser : « Une des grandes joies de la vie, c’est d’humilier ses semblables. » (Pierre Desproges)
Cette tentation de l’emprise débouche sur une mise en tension de la relation, avec toutes les formes possibles de manipulation ; la manipulation s’inscrivant comme une forme problématique de la séduction. Puis, au-delà d’un jeu ponctuel interrelationnel, la manipulation pose question, quand elle devient chronique, mode habituel, permettant de définir une dynamique relationnelle pathologique. N
La difficulté à dire
La violence psychologique, le harcèlement existeraient-ils si celui qui en est victime parlait dès les premières fois ? Cette question est à la fois pertinente et provocatrice, puisqu’elle laisse supposer que la violence pourrait ne pas être, ou du moins, ne pas se pérenniser, à une condition simple : que la victime témoigne. S’il est vrai que la violence psychologique cesse très souvent quand elle est ébruitée, et que témoigner est une étape indispensable sur le chemin de la libération, il est nécessaire de rappeler que parler est loin d’être simple. En prenant comme type de description la violence conjugale, il y a quatre types d’explication de la difficulté à dire :
Premièrement, il peut y avoir tout simplement la peur face à la menace. Deuxièmement, il y a parfois l’espoir que l’autre change, avec parallèlement un regard trop compréhensif sur un comportement qu’on souhaiterait momentané. Troisièmement, il y a la honte à révéler à d’autres ces humiliations de l’intimité concernant un partenaire vis-à-vis duquel on peut rester ambivalent.
Stratégies résilientes face à la violence psychologique...
Quatrièmement, il y a la crainte des conséquences de la révélation sur le système-couple et l’anxiété à faire face au dévoilement de cette violence dans la relation conjugale.
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De la même manière, dans la violence psychologique en milieu professionnel, on peut se vivre sous la menace de l’autre, d’autant que c’est un supérieur. On peut là aussi, espérer une évolution spontanée, qui éviterait la mise en lumière d’une réalité relationnelle, pas toujours facile à décrire dans ses mécanismes. On peut ressentir de la honte à révéler tout ce qu’on a subi. Enfin, se confronter à penser les suites de son témoignage suscite souvent des inquiétudes, quant à la manière dont sera gérée par l’institution cette situation. Parler ne va pas de soi. Et en même temps, en parler à quelqu’un est la première étape vers la libération ; tant le monde interne de la victime est différent, une fois qu’une confidence a été faite, alors qu’auparavant, on était comme enkysté dans sa propre tête, avec un risque de macération de l’émotion douloureuse. À l’écoute de ceux qui ont été victimes, il y a un basculement, quand ils ont pu en parler à un autre être humain. À long terme, ceux qui ont pu en parler tôt, sont statistiquement beaucoup moins traumatisés que ceux, pour lesquels, le chemin a été beaucoup plus long. Les intuitions de l’entourage
De nombreuses personnes m’ont confié « Si quelqu’un avait deviné, je l’aurais dit plus tôt ». L’entourage peut-il deviner ce qui se joue ? Parfois, ce n’est pas le cas, tant la bulle de la violence psychologique se circonscrit à la victime, et à l’auteur, avec un côté imperméable, invisible. Dans d’autres cas, l’entourage a une intuition. Mais que faire d’une intuition ? On peut craindre de se tromper, d’imaginer à tort. Comment proposer un échange sur quelque chose dont on n’est pas sûr ?
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Concernant la violence conjugale, on peut se montrer ambivalent concernant la décision d’en parler ou pas à celle qui en est victime : Est-ce vrai ? Comment réagirait-elle si l’intuition est erronée ? Comment l’aborder ? Va-t-elle la reconnaître ? Va-t-elle m’en vouloir ? Acceptera-t-elle de m’en parler de façon explicite ? Serai-je à la hauteur pour conseiller une stratégie le cas échéant ? Et au-delà de la personne victime, peut-on parler à quelqu’un d’autre dans la famille ? Doit-on se montrer discret ? Peut-on révéler quelque chose que celle qui en est la principale victime ne révèle pas ? L’entourage est aux prises avec toutes ces questions. De la même manière, quand on a l’intuition qu’un collègue de bureau est agressé ou harcelé, que faire ? S’il ne vous parle pas, acceptera-t-il d’échanger avec nous sur notre intuition. Peut-on lui imposer ce sujet, s’il ne souhaite pas en parler ? C’est la question de la pertinence ou pas de l’intuition dans la vie d’autrui. Parallèlement, en parler à un autre collègue, à un pair serait possible, mais est-ce légitime de le faire si on se sent inhibé d’en parler à l’intéressé lui-même. Dans le champ social, se mêler de la vie des autres (des adultes) est considéré comme leur faire violence. Deviner quelque chose qu’on croit avoir perçu, peut être vécu comme une délation. Et en même temps, si ce questionnement est légitime pour la vie privée en général d’adultes qui vont bien, est-ce pertinent face à des adultes qui souffrent ? Plaidoyer pour un droit d’ingérence ? N
Les ambivalences de l’institution
En parler en famille pour les violences conjugales, en parler dans l’institution pour le harcèlement moral en milieu professionnel. Souvent les familles, les institutions sont mal à l’aise face à ces révélations, ces allégations, de plus parfois difficiles à objectiver. S’il peut y avoir une ponctuation efficace dans l’écoute d’un
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témoignage jugé crédible, et le recadrage d’un sujet violent, le plus souvent les choses restent plus floues. Et on peut comprendre les hésitations, le malaise face à cette violence invisible. De plus, l’institution peut se sentir traumatisée ; que quelque chose de problématique se déroule dans son sein, avec ce que nous appellerons une impression de « tache » : être impliquée, éclaboussée par le scandale avec la crainte d’être atteinte, voire d’être considérée comme en partie responsable de ce qui se joue. D’où la tentation de minimiser, de banaliser, de fermer les yeux voire d’évacuer ce qui émerge. Je suppose ici que les révélations sont avérées, car il faut faire la part de situations plus délicates à apprécier, avec des témoignages dramatisés voire des diffamations, ou des allégations mythomaniaques. Hésitante sur la véracité d’un témoignage, mal à l’aise vis-à-vis de ce qui se joue en son sein, l’institution a du mal à se servir de ces aspects psycho-affectivo-émotionnels de la relation humaine ; parfois en échec face à une réalité psychologique difficile à objectiver. Il arrive même que la famille ou l’institution s’en prennent à la victime, vécue comme coupable d’extérioriser une réalité qui gagnerait à rester dans le silence, dans le secret (c’est du moins ce que croit l’institution dans un premier temps).
V ERS
LA RÉSOLUTION
L’analyse de quelques mécanismes de la violence psychologique répétitive, la description de certains dysfonctionnements dans la communication, nous permettent de dégager des attitudes psychiques plus toniques. Pour la victime, nécessité d’en parler, de casser la bulle du silence : en parler à un ami, un proche, un collègue, un médecin, un thérapeute, une association ; en parler à n’importe qui, mais en parler.
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Pour l’entourage qui a deviné, ou qui a une intuition, plaidoyer pour un droit d’ingérence, ou mieux d’interpellation, ou d’abord en parler à la supposée victime pour confirmer ou pas son intuition. Pour un personnage en position d’autorité, soit dans la famille, soit dans l’institution : écouter celui (celle) qui se dit harcelé ; interpeller psychologiquement l’auteur de violence, pour le démasquer, pour le recadrer, pour mettre un coup de projecteur sur la relation problématique. La seule connaissance par un tiers de ce qui se joue dans l’intimité de la bulle, suffit à exercer un effet « Épée de Damoclès » sur l’auteur de violence, même s’il nie. Mais peut-on vraiment gérer en interne la violence psychologique ? Certaines situations de violence psychologique se prêtent à une régulation systémique. À chacun d’en apprécier la pertinence au cas par cas. À défaut, la ponctuation par la loi peut être envisagée. Cela suppose toutefois :
que la violence soit dévoilée par la victime ; que l’auteur soit démasqué ; que l’entourage accompagne l’un et l’autre après le dévoilement ; qu’une autorité ponctue l’histoire, en régulant la relation, et en s’assurant d’une évolution de la relation entre les protagonistes.
Dans la constellation familiale, la reconnaissance des faits, l’autocritique à analyser la tentation de l’emprise, peut déboucher sur une attitude compréhensive de la victime, voire amener son pardon. Dans un système institutionnel, l’écoute mutuelle, l’autocritique, l’implication de l’entourage, la ponctuation par l’autorité, peuvent mettre la mise à plat de ce qui s’est joué, et dans les meilleurs cas, l’évolution vers une relation plus apaisée, plus dialectique, au-delà d’un passé traumatique. Bien évidemment, plus les situations sont dépistées tôt, plus cette régulation est envisageable. Dans des situations plus douloureuses, plus anciennes, la régulation peut être contre-indiquée, ou tout simplement impossible.
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C’est également le cas, quand l’auteur de violence psychologique a une personnalité trop problématique (intensité paranoïaque, cristallisation d’une perversion manipulatoire non critiquée).
C ONCLUSION Les violences psychologiques dans les espaces clos (famille, institution, entreprise) posent deux questionnements : le premier est celui de la difficulté à dire, et parallèlement de la nécessité du témoignage (fonction de la résilience de la victime et de l’entourage) ; le second est celui de la mise en place d’un éclairage systématique, sortant les deux sujets (victime et auteur) de la bulle refermée sur eux et permettant une ponctuation régulatrice ; amenant dans un premier temps un effet « épée de Damoclès », empêchant toute répétition ; puis un espace d’écoute, d’analyse, d’autocritique, permettant une évolution, dans les meilleurs cas, vers une relation apaisée. Cette régulation interne n’est possible que dans certaines situations. D’autres relèveront d’une ponctuation administrative ou judiciaire.
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PARTIE IV
Résilience et société
Chap. 12 Compétence
culturelle et migrations . . . . . . . . . . Chap. 13 Déterminants sociaux et santé mentale . . . . . . . . Chap. 14 Bouc émissaire et résilience, autosupport et société : un mélange des genres . . . . . . . . . . . . Chap. 15 Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation sont-ils toujours valables ? . . . . Chap. 16 Enjeux de la psychiatrie sociale . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 12
Compétence culturelle et migrations Rachid Bennegadi
la prise en charge des personnes migrantes et réfugiées que ce soit dans leur trajectoire migratoire ou dans leur parcours d’exil a toujours suscité des polémiques à n’en plus finir sur qui doit s’en occuper, comment s’en occuper, faut-il leur proposer telle ou telle approche théorique, faut-il respecter leur différence, faut-il exploiter nos ressemblances ? On peut historiquement dater les événements. Tout a commencé avec l’idée qu’il ne pouvait pas être possible d’apporter un soin basé sur les récentes avancées de la psychanalyse, de la psychologie et de la psychiatrie à toute personne qui ne se référait pas aux valeurs des sociétés qui ont mis en place ces propositions scientifiques et thérapeutiques. Je ne m’attarderai pas volontiers sur les grands débats idéologiques de la colonisation et de ses impacts des débats historiques et sociologiques qui ont été parfois d’une violence inouïe mais qui n’ont rien, mais strictement rien apporté au confort de la personne migrante ou réfugiée qui présente une souffrance psychique, un désordre psychologique ou un trouble psychiatrique.
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L
E PARADIGME dans
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Je ne dis pas par-là que ces débats n’étaient pas nécessaires, je ne dis pas non plus qu’ils n’ont pas fait avancer la réflexion sur les enjeux migratoires et les politiques de l’exil. Toute société a besoin de valider son discours éthique par des attitudes politiques. Ce que je veux mettre en valeur c’est qu’il y a une logique qui a découlé de ces débats et qu’il faut savoir assurer une transition pragmatique de ce paradigme paralysant. L’approche de Georges Devereux, psychologue américain qui proposait de façon tout à fait abstraite une complémentarité des approches entre ethnologie et psychanalyse a été souvent convoquée pour expliquer le discours ethnopsychiatrie tel qu’il a été construit en France, bien différent de celui qui était implémenté au Canada, aux États-Unis, en Australie ou dans d’autres pays européens comme la Suède, l’Espagne ou l’Allemagne. En effet il est utile de comprendre que la société française se présentant comme une société régulée par le discours républicain ne pouvait pas entendre ou admettre qu’une proposition de soins ne s’inscrive pas dans le cadre du droit commun et ne fasse pas partie d’une politique de santé publique. Ce qui est demandé en puissance à la personne migrante et réfugiée, c’est « qu’en même temps que je vous apporte un soin de qualité égal à celui de tout citoyen, dans le même mouvement, je vous demande de comprendre qu’il faut vous intégrer dans ce système autant de soins que de valeurs de la société d’accueil ». Ce message est parfaitement cohérent pour une société française qui est tout sauf une société multiculturelle, malgré les incantations ici et là de perspectives totalement irréalistes. Par contre une société canadienne et plus particulièrement un univers québécois, quand l’ethnopsychiatrie prend le devant de la scène, c’est une ethnopsychiatrie de liens, c’est une ethnopsychiatrie de passerelle entre les communautés parce que la société canadienne est basée sur un fonctionnement multiculturel et communautaire. Ce que je veux dire c’est que l’effet pervers de la stigmatisation n’apparaît pas et ne vient pas polluer la prise en charge psychothérapeutique des personnes qui se réfèrent à des systèmes de valeurs différentes ou de langues différentes. De la même manière au Royaume-Uni la problématique est strictement la même ; en effet,
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Compétence culturelle et migrations
le National Health Service (NHS) offre le soin et la prévention en s’appuyant sur des stratégies communautaires et en essayant de faire cohabiter une série d’approches psychothérapeutiques où les références culturelles côtoient les références scientifiques, ensuite pour revenir à l’historique de la délivrance du soin en France, il est tout à fait clair que l’ethnopsychiatre dont l’effet stigmatisant est imparable, restait la seule solution à mettre en place en attendant de résoudre le paradigme suivant : je reconnais que tu es différent de moi, mais j’exige que tu sois comme moi. Sans une politique massive d’intégration dans laquelle auraient été intégrées toutes les communautés migrantes et réfugiés et la communauté française au sens républicain du terme, cette politique audacieuse aurait permis d’arriver plus vite à offrir un soin dans lequel s’illustre la confrontation des modèles explicatoires, formulation directement issue de la théorisation de l’Anthropologie Médicale Clinique (AMC) de Jo Eisenberg et d’Arthur Kleinman. Donc le discours clinique ethnopsychiatrie ayant été le seul à occuper l’interface demande de soins et offre de soins, n’a pas pu trouver sa vraie place puisqu’il est non reconnu par le système de soins lui-même et non financé par la sécurité sociale. L’effet pervers de cette approche reste l’immense rocher de la stigmatisation. En effet, avec toute la bonne volonté des ethnopsychiatres et je ne doute absolument pas de cette réalité, au bout du compte, à la fois le patient et le thérapeute se retrouvent enfermés dans une histoire culturelle. Il fallait donc faire ce passage qui permet à tout thérapeute de pouvoir s’engager dans une prise en charge normale de toute personne migrante ou réfugiée sans ignorer la réalité linguistique et la complexité des références culturelles. Comment sortir de ce dilemme et d’une certaine manière redonner à la personne migrante et réfugiée la place de potentiel citoyen qu’elle n’aurait jamais dû quitter ? La notion de compétence culturelle vient combler ce manque théorique et clinique dont nous avons tant besoin. En effet deux choses essentielles sont à distinguer et qui ont souvent été confondues faisant que la majorité des partenaires prenaient l’arbre pour la forêt. En effet, la communication interculturelle n’est qu’une partie de la compétence culturelle. Par la communication interculturelle j’entends le cadre de communication mis en place
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pour échanger avec le patient (je ne parle pas de processus thérapeutique). En voici deux exemples :
Il n’y a pas de langue en commun entre le thérapeute et le patient, situation assez habituelle quand les personnes migrantes ou réfugiés n’ont pas dans leur bagage personnel la langue française ou quand le thérapeute ne maîtrise pas d’autre langue que le français. Dans ce cas précis il ne peut y avoir d’autres solutions qu’un appel à un International laboratory and cleanroom (ILC) pour jeter les bases de ce qui s’appellera plus tard une prise en charge psychothérapeutique ; Il y a une langue en commun entre le thérapeute et le patient et dans ce cas-là l’échange peut réellement exister (il va de soi que lorsqu’on parle de maîtrise d’une langue il s’agit non seulement de la parler correctement mais aussi d’en maîtriser les métaphores).
Ce concept-métaphore va nous permettre de faire le passage vers ce qui est l’un des piliers de la compétence culturelle c’est-à-dire la confrontation des modèles explicatoires, ceux du thérapeute et ceux du patient. Quoi de plus normal pour une personne migrante ou réfugiée que de dérouler son « Illness » (sa maladie) en utilisant les subtilités de sa langue et en se basant sur les références culturelles qu’il puise dans son imaginaire, imaginaire qui est le produit d’une imprégnation éducative et socio culturelle. Rien d’ailleurs n’empêche pour une personne migrante ou réfugiée au fait des nouvelles approches thérapeutiques dont il a l’intuition ou qu’il a exploré par internet de se référer éventuellement à ces stratégies thérapeutiques ; ce que nous voulons dire par là c’est qu’il n’est pas interdit de refuser d’être figé dans sa culture par le regard de l’autre, bien qu’il soit thérapeute. De la même manière un thérapeute dans son approche théorique et éthique se doit d’éviter les deux écueils que tout le monde décrit à savoir la fascination culturelle ou l’horreur culturelle, il n’est pas exclu que tout thérapeute puisse comprendre que des processus de sorcellerie ou de divination puissent avoir leur sens
Compétence culturelle et migrations
dans les mécanismes de défense psychologiques mobilisés par une trajectoire migratoire ou un parcours d’exil. Pour se résumer la compétence culturelle n’est donc pas seulement de la communication interculturelle, ça n’est surtout pas de la complicité culturelle et certainement pas du mépris de l’autre par une trop grande distanciation. Résumer la compétence culturelle c’est parler de ces trois piliers : 1. cohérence de la communication interculturelle ; 2. confrontation des modèles explicatoires ;
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3. compétence et expérience dans la pratique clinique du thérapeute. Concernant la personne migrante et/ou réfugiée, l’un des corollaires obligés de cette compétence culturelle c’est de ne jamais négliger les déterminants sociaux et sociétaux de la précarité psychique ou du trouble psychiatrique. On voit bien que cette notion de compétence culturelle et de migrations induit une systémique de la pensée et de la pratique, rien n’est linéaire, tout est soumis au bout du compte à la seule dynamique à laquelle peut prétendre la dimension thérapeutique, c’est-à-dire une relation transférentielle et contre transférentielle non polluée par les a priori du patient ou du thérapeute. La grande découverte freudienne de la notion du refoulement c’est de cela qu’il est question essentiellement dans la relation psychothérapeutique transculturelle. Le thérapeute doit travailler ses propres résistances tout en acceptant ses claires incompétences (ne serait-ce que sur le registre linguistique, sans parler des approximations ethnologiques ou anthropologiques qui peuvent pervertir le travail thérapeutique) et mettre en avant la richesse de chaque expérience clinique pour optimiser en permanence la qualité de l’offre de soins. Un cas clinique où la compétence culturelle apparaît comme un exemple de bonne pratique permet de mieux comprendre les différents moments de la prise en charge d’une personne réfugiée.
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Vignette clinique
Mme Y. orientée par une assistante sociale suite à un épisode d’attaque de panique aux urgences de l’Hôpital Bichat. Cette femme âgée de 31 ans présente une trajectoire de vie particulière dans laquelle elle a entraîné toute sa famille (ses parents et ses trois frères et sœurs) Elle est mariée, séparée de son mari et a une fille de huit ans. Elle a subi un périple particulier avec un exil de la Tchétchénie dans des conditions violentes, elle aurait passé cinq ans en Pologne, puis expulsée vers la Norvège, à nouveau vers la Pologne pour arriver enfin en France. Elle parle de divorce, car elle rejette le mariage arrangé « culturel » qu’elle a dû accepter probablement dans des conditions où elle n’était pas forcément concernée par la négociation entre deux clans familiaux. Elle dit présenter des attaques de panique, on retrouve également des éléments dépressifs, une légère désorientation temporo-spatiale, des troubles du sommeil mais pas d’éléments évoquant une décompensation psychotique. Elle déroule sa souffrance psychique avec ses mots et ses représentations culturelles (Illness). « Je suis en alerte permanente. Je ne sais plus comment réagir. Je n’ai plus de forces. Aidez-moi à comprendre ! J’en ai bavé mais ce n’est pas fini. Mon histoire est pleine de catastrophes. Mon père est aussi en psychothérapie. »
Dans ce processus d’acculturation, quels sont les mécanismes de défense privilégiés ? Il semble que le moi privilégie les mécanismes de défense à la fois matures et immatures. L’énergie psychique est surtout mobilisée par les mécanismes de défense immatures qui poussent cette femme à organiser sa personnalité sur un mode où l’angoisse émerge par dépassement de capacités. On sent qu’elle a des capacités de déplacer certains conflits et même de les sublimer. Cependant, la participation des troubles de l’humeur (perte de l’élan vital) et auto dépréciation fragilisent l’équilibre précaire entre un Surmoi à la limite cruel et un Moi bien structuré mais facilement en détresse. Quelles sont les capacités de résilience de cette femme ?
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Compétence culturelle et migrations
En partant du principe qu’il y ait eu un traumatisme important au moment de la séparation et de l’exil, il est fort à parier que cette femme a vécu l’équivalent d’une agonie psychique. La manière avec laquelle elle s’est réorganisée dans sa trajectoire migratoire montre qu’il existe un potentiel de résilience qui serait à l’origine de ses capacités sociales et des liens qu’elle a su recréer, comme si elle « retricotait » (Cyrulnik) ses outils psychologiques et son énergie psychique pour entamer un néo-développement différent du précédent mais développement quand même. Ceci est fréquemment le cas de personnes ayant présenté dans leur prime enfance un attachement sécure (Cyrulnik). Quels sont les éléments traumatiques ? Elle présente effectivement toute une série de symptômes qui évoquent un syndrome post-traumatique (PTSD – classification CIM 10 F 43.1). Elle présente des troubles du sommeil, des réminiscences douloureuses et à l’origine de cauchemars, des troubles du caractère, des troubles de la série phobo-hypochondriaques, des troubles de l’humeur (état dépressif réactionnel au début et chronique actuellement). Les déterminants sociaux ont eu un impact sur la souffrance psychique de Mme Y. Le mariage arrangé auquel elle a été contrainte, la patiente en parle comme d’un « kidnapping ». Son mari qu’elle ne connaissait pas avant la cérémonie, appartient à un clan du pouvoir et a organisé le mariage en présence des caméras de la télévision « j’ai été obligée de sourire ». Même s’il faut admettre qu’il existe une certaine ambiguïté, il n’en reste pas moins que cette dimension culturelle manipulée par les jeux d’alliances entre clans familiaux qui mettent en avant l’importance de la tradition dans l’équilibre de la société et qui « ne veut rien de plus que le bonheur du groupe » représente un facteur de déstructuration individuelle lorsque le sacrifice personnel exigé ne correspond nullement aux aspirations de la personne concernée. Ses parents, d’un autre clan, par contre étaient opposés, mais sans réels moyens de le faire à ce mariage. Une fille est née de cet « arrangement ». Dans ce cas on peut alléguer que l’impact de cette violence sociale laissera des traces dont il faudra
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tenir compte lorsqu’il s’agira d’évaluer la souffrance psychique ou le désordre psychologique. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la notion de sickness telle qu’au centre Minkowska nous voulons lui donner sa place, comme un facteur important dans la compréhension de la plainte et donc de l’analyse de la demande et non pas comme un déterminisme culturel ou social qui viendrait obscurcir la vision holistique du sujet. Le parcours d’exil aura aussi son importance. Après une année de mariage, la patiente a fui la Tchétchénie avec sa fille, entraînant avec elle ses parents, ses deux frères et sa sœur. Ils partent pour la Pologne où ils s’installent pendant cinq ans. Pendant toute cette période, Mme Y. dit avoir été menacée par son mari, d’où sa nouvelle fuite vers la Norvège où ils restent cinq mois avant de retourner en Pologne et venir en France en mai 2008. Cette mobilité imposée quelque part par l’inquiétude, l’incertitude et même parfois le sentiment de persécution peut, à cause de l’alerte permanente dans laquelle baigne la personne, déstabiliser le travail d’acculturation dans lequel est engagée toute personne qui cherche à s’adapter dans une société nouvelle. Ce travail d’acculturation qui, en soi, n’est nullement connoté de risque psycho-pathologique, mais qui peut être mis en échec par des éléments perturbateurs, comme c’est le cas pour cette patiente... La difficulté à établir des liens solides et fiables dans une société nouvelle peut générer un sentiment de frustration qui devient un frein à la capacité de créativité ou de travail de deuil de certains événements traumatiques. Bref, lorsque la barque est trop chargée, il est plus difficile de naviguer avec aisance dans les dédales socio-administratifs et économiques qui, souvent font le lit de décompensations futures. Egalement une certaine précarité en France, où la famille a sollicité l’asile politique, comme l’hébergement en hôtel, la demande d’asile rejetée par l’OFPRA (Office Français pour les Réfugiés et Apatrides) et l’attente d’un recours auprès de la CMDA (Commission Nationale des Demandeurs d’Asile), tout cela peut participer à alourdir le sickness. On peut également discuter la part des représentations culturelles en jeu et leur impact structurant ou pas. On retrouve cet enjeu dans la discussion diagnostique et les indications thérapeutiques, tâche qui consiste à repérer l’articulation entre culture et
Compétence culturelle et migrations
personnalité chez cette femme. En effet, bien qu’il semble qu’elle ait accepté (au sens groupal) un mariage arrangé qui se serait fait dans des conditions d’alliance de clans et de partis politiques, elle reste perplexe quand même de la dynamique conjugale qu’elle ne vit pas comme un choix personnel. C’est toute la problématique entre ce que le sujet peut intimement choisir et ce qu’il peut culturellement demander. La marge de manœuvre n’est jamais simple lorsque les déterminants socio-culturels ont un impact dictatorial ou autoritaire sur le sujet. Le rôle du Surmoi est ici d’une grande cruauté et le Moi doit trouver l’énergie nécessaire pour mettre en place les mécanismes de défense qui lui permettront de ne pas se sentir totalement envahi. Chez cette femme, le Moi « attaqué » se défend en utilisant ses ressources libidinales et ses capacités de résilience, quelles que soient les références culturelles.
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D IAGNOSTIC
OU LA PARTIE
«
DISEASE
»
DE L’AMC
?
Autant le DSM IV – R que la CIM – 10, nosographiquement parlant, évoque un syndrome de stress post- traumatique (PTSD). Pour la nosographie phénoménologique plus proche des outils classiques de la psychiatrie organo-dynamique (Henri Ey), cette femme vit un rêve éveillé cauchemardesque où paradoxalement elle paraît libérée d’un certain joug culturel et en même temps semble ne pas disposer de l’aide et du soutien nécessaire pour faire le travail d’acculturation en France, sans y perdre son équilibre. En tout cas elle est débordée par l’angoisse et par les équivalents dépressifs qui peuvent prendre l’allure d’une détresse purement sociale ou un dépassement capacitaire. Pour l’établissement d’un diagnostic, il faudrait retrouver d’autres signes pathologiques, les regrouper en syndrome, et donc de facto se retrouver en situation de confrontations de modèles explicatoires puisqu’il faudra bien s’y retrouver dans le florilège de symptômes qui soit se réfèrent à la souffrance sociale, soit cadrent avec une cohérence culturelle (Illness). Cela peut en dérouter plus d’un, sauf si, avec la notion de compétence culturelle le thérapeute accepte cette remise en cause du modèle bio-psycho-social en se décentrant et en recadrant la sémiologie, en connotant chaque moment de sa démarche d’un décodage des éléments sur lesquels la personne appuie l’expression de son malaise, de sa souffrance ou de sa
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pathologie. On voit bien qu’il s’agit de thérapeutes formés et non pas d’intuitions à l’emporte-pièce ou de supputations plus ou moins documentées sur l’universalité ou la spécificité de la maladie mentale. D’une certaine manière se former à la compétence culturelle pour un soignant ou un aidant est la garantie d’une attitude éthique et d’une réponse dans le cadre du droit commun au sens sanitaire et au sens social.
➙ D’un point de vue psychanalytique, la structuration névrotique serait
sur le mode phobo-hypochondriaque avec comme mécanisme de défense essentiel le déni, quelques éléments projectifs également mais pas de distorsion grave de l’image de soi ni de déstructuration de la personnalité. On peut légitiment s’interroger sur la place de l’impact œdipien chez cette personne avec une réactivation de schémas archaïques lors de la consommation de ce mariage arrangé. Ce ne sont pas là des a priori plaqués sur la culture, mais bien la réalité de la nécessité d’utiliser adéquatement tous les avancées de la psychologie – et la psychanalyse en est une – pour mieux appréhender ce qui se joue dans la partition psychique inconsciente et consciente de tout sujet menacé par des remaniements psycho-sociaux dont il n’est pas l’acteur ; mais pour celui qui doit subir et dont la réaction est absolument individuelle, il faut trouver le lien avec l’universalité de la réaction pour y apporter une réponse adaptée, évaluée et validée comme une bonne pratique et non pas comme un préjudice.
➙ L’approche ethno psychiatrique pourrait privilégier une compréhension de la personnalité essentiellement sur les modes culturels, mais cela ne suffirait pas à rendre compte de la totalité des dégâts de la personnalité car dans le cas de cette femme l’impact des références culturelles joue sur un registre transitionnel entre les références du pays d’origine et les nécessités socioadministratives du pays d’accueil le tout « embedded » (embarqué) dans un processus d’acculturation.
Il y a donc de la culture, de l’individu, du système, du sociétal et accepter de ne pas réduire le sujet à un cloisonnement reste la garantie de ne pas tomber malencontreusement soit dans la stigmatisation soit dans la réponse parcellaire.
Compétence culturelle et migrations
I NDICATIONS
THÉRAPEUTIQUES
Il va de soi que la prise en charge va nécessiter plusieurs approches qui d’un point de vue holistique vont permettre une diminution de la souffrance psychique, une évacuation des impacts négatifs sur la santé mentale d’un point de vue socioadministratif et un soutien psychothérapeutique pour accompagner le travail de perlaboration nécessaire pour que cette patiente puisse se dégager du stress posttraumatique. Un appoint médicamenteux ne sera pas négligeable si l’importance des troubles de l’humeur le nécessite. Travailler en co-thérapie est un facteur déterminant pour ce que nous appelons les bonnes pratiques en santé mentale c’est-à-dire reconnaître la souffrance psychique d’une personne en y distinguant d’une part les références culturelles et sociales d’autre part les troubles graves de la personnalité. L’aide offerte doit être à la hauteur de l’enjeu et ne pas se limiter à une partie du problème. En effet, les pièges classiques sont clairement identifiés :
➙ Ne
pas s’intéresser à la langue en commun nécessaire entre thérapeute et patient et faire des entretiens basés sur un à peu près quand bien même empathique, est une erreur clinique, acceptable il y a encore quelques décennies, mais intolérable de nos jours car les moyens linguistiques sont nombreux et disponibles.
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➙ Ne
pas vouloir entendre se dérouler le récit de la souffrance psychique ancré sur des références culturelles des approches magico-religieuses ou toute autre approche proposée par le patient, ce serait là aussi commettre l’erreur de l’ethnocentrisme.
➙ Coller complètement aux formulations culturelles du patient, à ses
propositions thérapeutiques quelques qu’elles soient signifierait quelque part un contre-transfert catastrophique
➙ S’appuyer uniquement sur l’interprète linguistique et culturel pour
mener l’entretien à l’insu du thérapeute et de l’interprète lui-même, serait la preuve de la non-maîtrise d’un entretien à trois.
➙ Dire que l’approche psychanalytique ne conviendrait pas à telle
ou telle culture en dit plus sur les a priori du thérapeute que sur la psychanalyse.
➙ Croire que la souffrance psychique ne découle que de troubles sociaux ou sociétaux est également un obstacle à éviter
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➙ Penser que,
seul le discours politique peut modifier la relation soignant/soigné et attendre que les choses changent pour répondre à la souffrance psychique d’un individu hic et nunc, est également une vision incomplète du soin
➙ Penser que seul un thérapeute de la même origine culturelle que
le patient est capable d’apporter le soutien psychothérapeutique nécessaire et adéquat relève d’une vision étriquée du système de soin en France, tout en risquant d’enfermer le patient et le thérapeute dans le même risque de stigmatisation.
➙ Ignorer superbement le fonctionnement du système de soins en
France, son attachement au droit commun, son refus du communautarisme et sa volonté de l’accès aux soins pour tous, fait partie d’une stratégie souvent inconsciente due à la mauvaise connaissance du fonctionnement des institutions.
Chapitre 13
Déterminants sociaux et santé mentale Stéphanie Larchanché, Marie-Jo Bourdin
’ IMPACT DES DÉTERMINANTS sociaux sur la santé mentale nous semble aujourd’hui évident, et pourtant cela n’a pas toujours été le cas. Leur reconnaissance comporte des enjeux politiques majeurs, ce qui explique, en partie sans doute, la frilosité des instituts de santé publique à aborder la question. En France, c’est au début des années 1980 que, par le biais des interventions des ONG humanitaires en particulier, les phénomènes d’exclusion et leur impact sur la santé ont peu à peu amené la mobilisation des professionnels de la santé, de même que l’attention des politiques. Depuis, les inégalités de santé sont devenues un champ de recherche et d’investigation à part entière, débouchant sur des innovations cliniques, et vice versa. Quand on retrace cette évolution et que l’on définit les contours d’une approche anthropologique sur les déterminants sociaux de la santé en général, et de la santé mentale en situation migratoire en particulier, on réalise que le discours sur la « souffrance sociale » s’est construit dans un contexte sociopolitique qui le surdétermine. En effet à la fin des années soixante-dix, la conjonction de facteurs comprenant la fin d’une immigration de travail, un chômage croissant, des conditions de logement qui se détériorent dans les banlieues et font place à la violence urbaine, mène à une série de « politiques sociales »,
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L
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R ÉSILIENCE ET SOCIÉTÉ
la plupart desquelles visaient les zones urbaines. On commence à parler des « jeunes des cités », des « quartiers en difficulté », et de l’exclusion sociale. Une série de rapports dévoilent alors de nouvelles formes de souffrance psychique, celle des exclus de la société comme celle des agents sociaux qui les assistaient. Ce constat fait rapidement place à des initiatives publiques, qualifiées d’initiatives de « santé mentale », et impliquant la collaboration de psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, et éducateurs. Un champ nouveau prenait forme : le champ de la santé mentale, avec son langage de la « souffrance sociale ». Les déterminants sociaux reviennent alors plus que jamais au-devant de la scène. Quand bien même cette évolution paradigmatique paraît d’emblée positive, elle laisse apparaître des enjeux politiques sousjacents importants. Le champ de la santé mentale se voyait chargé de s’occuper de troubles ne présentant plus de pathologie médicale, mais plutôt liés à une variété de « problèmes sociaux ». C’est dans ce contexte que les institutions de santé mentale « spécialisées » – structures de santé mentale s’adressant spécifiquement aux immigrés – se sont développées en France, popularisant d’abord des pratiques de « médiation culturelle » pour les familles immigrées auprès d’institutions publiques telles que les écoles, les hôpitaux et les tribunaux. La pratique ethnopsychiatrique a commencé à se vulgariser dès les années 1980. Malheureusement, ces premières initiatives visant à gérer « la souffrance immigrée » prirent rapidement un tournant culturaliste, stigmatisant les populations immigrées ainsi que leurs descendants nés en France. Les références à la « souffrance sociale » s’appuyaient d’abord sur la différence culturelle et les problèmes d’intégration, menant les acteurs sociaux à définir la souffrance psychique avec une grande imprécision, sans nécessairement s’appuyer sur une nosologie clinique ou médicale. Dans le contexte migratoire et d’offre de soins psychiatriques aux populations étrangères, se posait alors particulièrement le déni des déterminants sociaux de la santé par le biais d’une pathologisation de la culture des migrants. Les réponses, cependant ont évolué au fur et à mesure et en fonction des expériences cliniques des uns et des autres et des théories qui sous-tendaient
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Déterminants sociaux et santé mentale
les démarches thérapeutiques. En nous appuyant sur l’exemple du Centre Minkowska, nous analysons le choix et l’apport de l’anthropologie médicale clinique, c’est-à-dire une théorie de l’anthropologie médicale adaptée au contexte clinique –, a été de ne pas cliver le social du médical et du psychologique et de réintégrer la maladie dans son contexte socioculturel au sens large. Cette approche permet d’éviter certains pièges dont celui du culturalisme qui fige « l’autre » dans sa culture dite « d’origine », ou son contraire, le déni de la culture qui évacue toute différence culturelle. Au contraire, elle incite les professionnels à se décentrer de ses propres références culturelles et « modèles explicatoires » pour les confronter avec ceux du patient ou de l’usager pour les professionnels du social. Il permet une prise en charge globale, médico-psycho-sociale, centrée sur la personne, optimisant ainsi, de fait la compétence culturelle autant dans les pratiques cliniques que les pratiques sociales. Un grand nombre de patients migrants solliciteurs d’asiles, réfugiés statutaires ou déboutés du droit d’asile se trouvent dans une extrême précarité socio-économique. La maladie et par conséquent, la prise en charge, s’inscrivent nécessairement en complémentarité de ce contexte social. Les problèmes sociaux sont souvent au-devant de la scène et donnent un profil particulier au travail thérapeutique. Un travail en binôme thérapeute/assistante sociale par exemple, prend alors toute sa cohérence et a permis de mieux qualifier le rôle de chacun dans la mutualisation des connaissances et des pratiques dans l’intérêt du patient et sans risque d’effets pervers de la stigmatisation. L’implication permanente du centre Minkowska dans l’implémentation de cette compétence culturelle lui permet une cohérence avec toute offre de soins dans le cadre du droit commun avec un éclairage santé publique.
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Chapitre 14
Bouc émissaire et résilience, autosupport et société : un mélange des genres
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Éric Verdier
L ORSQUE LA RÉSILIENCE INDIVIDUELLE D ’ UN BOUC ÉMISSAIRE DEVIENT RÉSILIENCE SOCIÉTALE DANS L’ AUTO - SUPPORT La notion d’auto-support fait référence à la capacité d’un groupe humain à s’autodéterminer, lorsque la société qui les environne stigmatise ses membres, au point parfois de menacer leur existence ou leur survie. Il a été introduit en France au début des années 1990 par l’association ASUD – Auto Support pour Usagers de Drogues, s’inspirant du « self-help » hollandais, qui se distingue du modèle outre-Atlantique en étant né hors du champ médical – et alors que l’épidémie de VIH décimait une population déjà très fortement marginalisée. Fabrice Olivet, l’un des cofondateurs, qualifie l’auto-support de version européenne, humaniste et sociale
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R ÉSILIENCE ET SOCIÉTÉ
du self-help américain : « ce modèle accorde une part prépondérante aux questions sociales et politiques dans la dynamique d’un groupe d’autosupport d’usagers de drogues ». (Olivet F. 2010). Abdallah Toufik, un autre cofondateur d’ASUD, le différencie du concept d’éducation par les pairs et de celui d’auto-organisation. Selon lui le self-help, que l’on peut donc traduire par auto-support, est un processus qui permet à un groupe humain de résoudre un problème auquel il est confronté en utilisant ses ressources propres. Dans toutes ces acceptions, l’individu trouve par luimême et pour lui-même des réponses pertinentes et efficaces aux problèmes spécifiques rencontrés. Mais le self-help n’est pas défini par l’intervention d’éléments extérieurs, et s’appuie davantage sur une dimension identitaire : « L’éducation par les pairs aura donc le sens d’auto-éducation, l’autosupport, le sens d’entraide au niveau individuel, et enfin l’auto-organisation, le sens d’entraide au niveau collectif. » L’éducation par les pairs fait donc partie intégrante de la philosophie de l’autosupport – « elle vise au changement dans le comportement individuel, alors que l’autosupport vise aussi et surtout au changement dans le style de vie de l’ensemble et de la sous-culture considérée », pendant que l’auto-organisation n’en est qu’une modalité. C’est donc la prise de conscience et la revendication d’une identité qui distinguerait l’autosupport d’autres mouvements communautaires s’appuyant également sur la participation des usagers. Selon AbdallahToufik (Toufik et Jauffret, 1997), un facteur extérieur est nécessaire pour que les membres d’un groupe d’autosupport soient reliés vers un but commun : en quelque sorte, il s’agit de lutter contre un « ennemi » commun. Marie Jauffret-Routside distingue quant à elle l’autosupport d’un autre type de groupe avec lequel on le confond souvent, le groupe d’entraide. Ce dernier s’appuie essentiellement sur le soutien mutuel, la parole, l’identification entre pairs et le parrainage, alors que l’autosupport se caractérise par la lutte contre les effets des discriminations dont sont victimes ses membres, le rapprochant alors de la notion de « groupe d’intérêt » : « Au-delà de la diversité de leurs objectifs et de leurs modes d’action, les groupes d’entraide et les groupes d’intérêt poursuivent deux stratégies opposées quant à leurs relations avec l’extérieur :
Bouc émissaire et résilience, autosupport et société...
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anonymat et autonomie pour les premiers, exposition publique et partenariat pour les seconds. » (Jauffret M., 2000).
Toutefois, les groupes d’entraide existent un peu partout dans le monde, et il est difficile d’appréhender de l’extérieur, sans une analyse plus fine de la philosophie, des motivations et des pratiques, s’ils relèvent ou non d’un groupe d’intérêt. Selon le Centre d’Information sur les Groupes d’Entraide (CIGE), on peut opposer de façon plus pragmatique ces derniers aux groupes de soutien : un groupe d’entraide est géré ou animé par des personnes concernées personnellement par la thématique, tandis qu’un groupe de soutien l’est par des professionnels dans un cadre de travail. Selon cette base de données, « un groupe d’entraide est une association de personnes ayant des problèmes similaires et qui, par l’écoute, le soutien, le partage et l’action, tentent d’y remédier » (Robyn et coll., 2009). Ils l’assimilent au self-help en tant que « petite alliance largement bénévole et plus ou moins structurée, formée et gérée totalement ou en grande partie par des pairs réunis afin de s’adapter et de surmonter leurs maladies, leurs problèmes psychologiques ou sociaux communs qui les affectent personnellement ou en tant que proche ». La dimension de transformation sociale et politique, très prégnante dans les acceptions des auteurs précédents, est ici mentionnée comme une possibilité. En France, des avancées notables sont à remarquer du côté de la santé mentale, et plus particulièrement associée à la précarité. Le concept de « rétablissement » a été développé par le psychiatre Vincent Girard (Girard, Estecahandy, Chauvin, 2009), coordonnateur d’une équipe communautaire en santé mentale (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille/Médecins du Monde) via une expérience innovante d’autosupport : les « Nomades célestes », un Groupe d’Entraide Mutuelle regroupant des « fous de la rue ». Selon Vincent Girard (2010) : « Le Rétablissement est un concept qui part de l’expérience des personnes. Il est né dans le champ de la santé mentale en Amérique du Nord dans les années 1970-1980. Sa promotion fut d’abord le fait des personnes atteintes de maladie mentale et de leurs familles à travers le mouvement d’associations d’usagers, dans le sillage du mouvement pour les droits civiques. »
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Mais, hormis dans le champ de la réduction des risques et plus récemment celui la santé mentale, peu de mouvements de fond revendiquent une affiliation à la philosophie de l’autosupport. Pourtant, lorsqu’on s’intéresse aux phénomènes de Bouc émissaire au sein de la multitude de groupes humains constituant nos sociétés contemporaines (écoles, institutions, associations, entreprises, mais aussi familles, lieux de vie et quartiers...), on constate que les postures des différents protagonistes ne peuvent évoluer qu’au travers de l’autosupport.
L ORSQU ’«
ÊTRE NORMAL ANORMALITÉ
»
DEVIENT
Si le Bouc émissaire est celui ou celle qui, dans un groupe humain, endosse un comportement que personne ne se sent prêt à assumer, il devra faire face à une hostilité plus ou moins déclarée de certains d’entre eux (parfois une seule personne endosse ce rôle), qui bénéficient de surcroît d’une jouissance non feinte à chaque humiliation. Mais la majorité des protagonistes de ce drame quotidien occupent, par leur tacite complicité avec l’émetteur de violence, la troisième posture, celle qui est aussi la moins identifiée car la plus proche de la norme implicite du groupe. C’est en se penchant sur leurs peurs qu’on peut mieux cerner ce trou noir de la résilience, ce no man’s land qui amène un groupe entier à trahir ses propres valeurs. Cette fuite en avant face à la violence subie par l’autre est aussi pathologique que la revendication obsessionnelle de normalité qui l’accompagne. D’après Yves Buin (2003) : La normalité n’existe pas. Tout est affaire d’adaptation. Au niveau biologique, où règne la statistique, on s’est résolu à donner des fourchettes au sein desquelles on estime possible la fonctionnalité de l’organisme. En génétique, on a découvert que le patrimoine, s’il est commun dans son ensemble à l’espèce, est absolument singulier pour chaque individu. Au niveau psychique, si les acquis logiques et cognitifs obéissent à des règles universelles, la production fantasmatique est infinie et l’inconscient de chacun irréductible, le sujet évoluant, là encore,
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Bouc émissaire et résilience, autosupport et société...
dans une singularité totale. Aussi l’individu est-il d’une facture originale et non modélisée. Ce qui fonde l’humanité dans la longue filiation animale, c’est sa fragilité – presque une tare – qui maintient l’être humain dans la dépendance aliénée de l’autre. Seul, il ne survit qu’exceptionnellement. D’où la nécessité de groupes constitués qui définissent les normes et règles de leur appartenance et idéal et assurent l’intégration de l’individu dont ils garantissent la satisfaction des besoins élémentaires à la vie et dont ils exigent, en retour, la conformité. C’est précisément autour de ce besoin et des peurs associées qu’un groupe dysfonctionne parfois au point de provoquer à terme son autodestruction. Hannah Arendt (1963) a inventé le concept de « banalité du mal », pour démonter notamment les mécanismes à l’œuvre autour de la seconde guerre mondiale, non seulement en Allemagne et dans les pays occupés, mais aussi au sein même des communautés boucs émissaires, les Juifs en tête bien entendu. Elle a démontré que ce ne sont pas les nazis qui sont les premiers responsables de la Shoah, mais tous ceux et celles qui avaient devant leurs yeux tous les signes permettant de constater l’horreur, et qui donc auraient pu se rebeller mille fois avant qu’il ne soit trop tard. Mais ils n’ont pas bronché tant qu’on ne s’en est pas pris à eux directement, y compris dans la communauté juive. Christophe Dejours (1998) en a fait un concept : la normopathie. Le normopathe est le véritable opérateur de la mise au trou du « déviant » qui tente d’échapper à la pression morale ambiante. Le normopathe est celui ou celle qui a le pouvoir de transformer la honte de ce que je suis en humiliation, signifiant alors que je ne suis pas digne d’appartenir à l’espèce humaine. Hannah Arendt analysait donc ainsi le nazisme dans Eichmann à Jérusalem et Christophe Dejours le harcèlement moral dans Souffrance en France, mais c’est probablement Albert Einstein qui en a donné la définition la plus claire : « Le monde est dangereux à vivre, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. »
Alors la société, aspirée par le trou noir de sa normopathie, envoie ses boucs émissaires dans les jupons capitonnés de la
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matrile psychiatrie, ou dans l’enfer viril de la prison (Verdier, 2009).
L ORSQUE
LE BOUC ÉMISSAIRE DEVIENT MOTEUR DE TRANSFORMATION SOCIALE Comment un Bouc émissaire peut-il trouver un soutien inconditionnel dans un environnement le diabolisant, provoquant la rupture de tous les liens inconditionnels qu’il a cru pouvoir construire, et attaquant de fait sa capacité à donner du sens à son histoire ? La tentation la plus naturelle serait de trouver des « comme-soi », d’autres boucs émissaires en quelque sorte, « à condition qu’ils ne trahissent pas eux aussi la confiance que je leur porterai » se dit-on. Lors de mes recherches sur l’autosupport humain (Verdier, 2012), j’ai pu identifier dix facteurs favorisant l’émergence de l’autosupport, mais renforçant également sa dynamique vitale tout le long de son existence, évitant ainsi les pièges antagonistes du communautarisme et de la dissolution dans le politiquement correct. Ce qui a été blessé par le groupe devant être réparé par le groupe, l’enjeu à la fois identitaire et existentiel d’un Bouc émissaire est alors de rencontrer d’autres singularités humaines, plus humiliées pour certaines et plus rebellées pour d’autres. Se reconstruire passe par différentes étapes, et ce sont les autres humiliés de tout poil, chacun suivant étape par étape la reconquête de sa dignité humaine, qui en seront les jalons. Le maillage de ces points clé répond de manière croisée aux besoins d’un Bouc émissaire, quel que soit le stade où il en est dans son parcours de réparation, en mobilisant des facteurs de protection tour à tour collectifs et individuels :
La dynamique de ce groupe est communautaire au sens plein et fort du terme, autrement dit toute personne qui en est membre est légitime pour donner son point de vue et agir à tout moment, en interne mais aussi pour représenter la parole et les actions collectives vers l’extérieur.
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Les objectifs sont explicites, ainsi que les règles du jeu qui ont été élaborées collectivement et qui sont perpétuellement réinterrogées. Tous les boucs émissaires disent en effet avoir été bernés par une loi non dite, une obligation ou une interdiction, comportementale ou émotionnelle, qu’ils ont transgressée sans le savoir. Les postures d’expertise sont toutes fondées sur les avoir-être de ceux qui les campent. Ce principe met à mal l’imposture perverse qui consiste à privilégier le statut social ou professionnel, les diplômes ou les titres de noblesse, les pratiques ou les expériences vécues, les opinions politiques ou religieuses, etc. afin d’abuser de son pouvoir sur l’autre. Il permet aussi l’inclusion de ceux qui rejoignent le groupe par empathie sans être apparemment concernés par la source de leur colère commune dans leur propre histoire. Certain(e)s sont de ce fait des personnalités reconnues, souvent suspectées alors de pactiser avec des sources de trahison du contrat social. Les boucs émissaires ont également besoin d’être indépendants dans leur fonctionnement en groupe par rapport à la société qui les environne, celui-ci étant parfois la première famille humaine à laquelle ils se sentent appartenir sans en être profondément meurtris. Toute soumission à un ensemble plus large ou plus puissant socialement, débouchant potentiellement sur une nouvelle négation de leur identité, les renverrait fantasmatiquement aux mêmes blessures stigmatisantes que celles vécues dans leur propre histoire. La société dans son ensemble représenterait alors sans nuance la surdicécité à laquelle ils se sont heurtés par le passé, et le risque communautariste augmenterait en proportion. La personnalité du ou des leaders est moins importante que leur chemin parcouru en terme de reconstruction de l’estime de soi et de réparation des valeurs humaines désincarnées. Il est difficile de définir sa posture en quelques lignes, car il existe potentiellement autant de types de personnes rebelles à toute forme de violence que d’humains sur terre ! Sa particularité est d’être avant tout singulier dans ses façons d’être tout en incarnant des valeurs humaines universelles. Il est aussi en capacité de
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sortir rapidement des postures de Bouc émissaire, normopathe et surtout perverse, dans lesquelles il se surprendrait. Mais notre moteur résilient serait fatalement défaillant sans dénonciation des abus. Les boucs émissaires en ont doublement besoin : premièrement, c’est un aspect important de leur propre reconstruction face aux violences subies, mais c’est aussi expérimenter la conviction humble que personne n’est exempt de tentation humiliante et jouissante à l’encontre de l’autre – ou de soi-même. Si j’ai été objétisé violemment une fois dans ma vie, j’ai besoin de découvrir que le silence n’est pas inéluctable, et que personne n’est jamais a priori « hors de soupçon ». Les postures perverses sont peut-être des postures rebelles qui ont échoué... Ils ont aussi besoin d’une réparation symbolique, qui passe à un moment ou à un autre par le partage, le témoignage et l’expression créatrice de soi. Pour beaucoup, c’est la parole apportée au plus grand nombre, via des cercles concentriques dont le groupe d’autosupport reste le garant. Mais pour tous et toutes, c’est pour que « ce qui m’est arrivé n’arrive plus jamais à personne ». Au fur et à mesure que le Bouc émissaire (re)prend confiance en lui, il se tourne vers des alliés potentiels, extérieurs au groupe d’autosupport, pour établir des partenariats ouverts. C’est ainsi que la frontière reste vivante et poreuse, invitant par solidarité tous ceux et celles qui partagent des intérêts communs à œuvrer ensemble dans la même direction. C’est aussi une garantie contre l’émergence de la violence endogène, en permettant des entrées et sorties sereines et en provenance ou à destination d’autres groupes d’autosupport, suivant les facettes identitaires que chacun est en train de mobiliser dans sa construction. Un des aspects habituellement les plus négligés avec le temps est l’attention portée aux plus vulnérables, souvent car ils cumulent plus de différences discriminées que la moyenne des participants. Dans un groupe d’autosupport, ils sont non seulement le cœur et la raison même d’être du collectif, mais ils sont aussi les aiguillons qui rappellent à l’ordre chacun lorsqu’une valeur humaine ou une parole donnée n’est pas
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traduite par des actes quotidiens. À défaut les plus vulnérables, souvent eux-mêmes aux prémices dans leur reconstruction, sont les premiers à en faire les frais. Le seul credo qui relie chacun(e) à chacun(e) au-delà des apparences dans une rencontre parfois improbable est une diversité de singularités : en changeant le monde qui m’entoure afin que la jouissance de l’abus sur les plus vulnérables recule, je m’autorise à laisser s’exprimer librement mes vulnérabilités masquées, comme si j’arrosais une graine d’arbre qui n’avait jamais pu pousser. En nous reconnaissant comme semblables, nous influons ensemble sur la société, le monde et ses lois. L’autosupport est une matrice où chacun est invité à accoucher de lui-même.
Mais si l’autosupport est le contenant, quel en est le contenu ? Celui que les boucs émissaires viennent déposer dans les lieux d’autosupport que j’ai pu observer, générer ou rejoindre, et quelle que soit la « différence » en question, sont unanimes : leur genre, au sens du masculin et du féminin, n’est pas toléré, y compris chez ceux et celles qu’ils croyaient être leurs pairs. Par leurs comportements, leur apparence physique ou leur habillement, leur famille ou leurs choix d’amis, leur métier ou leur passion, leurs émotions ou leurs désirs, leurs paroles et leurs actes, leur sexualité ou leur religion, et que ce soit réel ou suspecté, ils et elles transgressent les normes de genre des groupes humains traversés au cours de leur vie.
L ORSQUE
LE MAUVAIS GENRE DEVIENT RÉSILIENT : VERS UNE TRANSFORMATION SANS PRÉCÉDENT DE NOS SOCIÉTÉS On parle abusivement de théorie du genre, car elle n’est ni unique ni monolithique. Elle est plurielle, et l’est de plus en plus puisque des tensions et des dissensions font rage entre ceux et celles qui s’y réfèrent, tout autant que face à ses détracteurs, notamment depuis peu sur la question du « masculin ». La validité scientifique de cette théorie à géométrie variable est donc une
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quadrature du cercle, tout autant que l’était la psychanalyse en son temps (l’existence de l’inconscient est-elle prouvable ?). La démonstration scientifique dépend à la fois des paradigmes sur lesquels le théoricien du genre s’appuie (par exemple : domination virile ou matrile1 ?) mais aussi de la difficulté à attribuer tel ou tel registre de l’identité humaine à la nature ou à la culture. Si des expériences aussi probantes que celle de Condry et Condry (1976) ou celle de Karbon, Fabes, Carlo et Martin (1992) sont contestées (un bébé qui pleure est vu comme ayant peur si on dit que c’est une fille, ou en colère si on pense que c’est un garçon), c’est probablement que nous n’obtiendrons jamais de validité scientifique en la matière. Car se référer à une théorie du genre, c’est admettre a minima qu’une part plus ou moins importante de notre identité humaine est forgée par ce registre social qu’on appelle « identité de genre », aux côtés de trois autres registres tout aussi importants : l’identité sexuée (le sexe biologique), l’identité sexuelle (le sexe psychique), et la préférence affective et sexuelle (appelée aussi orientation sexuelle, le sexe relationnel). Dans notre identité, ces quatre dimensions coexistent, et sont parfois en opposition avec ce qui est montré, voire le corps lui-même. Ainsi, une personne peut être mâle ou femelle, se sentir homme ou femme, se présenter comme masculine ou féminine, et s’identifier enfin comme homosexuelle ou hétérosexuelle. Mais une forme d’intégrisme identitaire nous impose de voir l’identité humaine nécessairement divisée en deux chaînes de signifiants opposés articulés entre eux : un mâle humain est forcément un homme, masculin et hétérosexuel, et une femelle humaine se doit d’être femme, féminine et potentiellement homosexuelle. Déplacer l’un de ces éléments pour un individu le rapproche invariablement de la chaîne de signifiants complémentaires dans la quasi-totalité des sociétés humaines contemporaines,
1. Matril(e) : se dit d’un homme ou d’une femme qui utilise la victimisation et la manipulation pour exercer un pouvoir sur l’autre pouvant aller jusqu’à l’abus, à l’instar de l’homme ou de la femme viril(e) qui se sert du narcissisme et de l’intimidation dans le même but. Matrilité : stéréotype enfermant les femmes dans un rôle de mère et réprimant simultanément l’identité de femme et de père.
Bouc émissaire et résilience, autosupport et société...
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d’où le rejet des « femmes libres » (celles qui mettent en avant leur désir comme des hommes le feraient) et des « hommes sensibles » (ceux qui mettent en avant leur sensibilité comme des mères le feraient) (Verdier, 2004). Les théories qui s’appuient sur le genre ont plus qu’un objectif, elles ont une finalité : si la culture est la nature de l’humain, c’est que le savant mélange de masculin et de féminin propre à tout être humain, et la bisexualité qui lui est associée, devraient permettre à chacun d’entre nous d’exprimer son genre singulier sans aucun risque de violence à son encontre. Pourtant force est de constater que les violences de genre sont fréquentes et mortifères dans le parcours des boucs émissaires... Les principales dérives actuelles lorsqu’on s’intéresse de près à ces questions de genre sont celles du femellisme1 : si telle théorie du genre est édifiée sur le seul concept de domination masculine (la virilité, en tant que domination des hommes sur les femmes) au lieu de reconnaître la domination matrivirile2 , alors elle dénie son pendant, la domination matrile des mères sur les pères. La théorie du genre devient alors un instrument de diabolisation du masculin et de dénégation de la violence au féminin. C’est aussi un des effets de la négation de ces théories du genre car elles ont peu d’impact sur les mouvements des femmes qui leur sont bien antérieurs, mais freinent considérablement celui des pères alors 1. Le femellisme est au féminisme ce que le masculinisme est à l’hominisme : une revanche prise sur l’autre sexe, en lieu et place d’un combat commun contre la matrivirilité. 2. Matrivirilité : paradigme et invariant historico-culturel de nos sociétés humaines mettant tantôt la virilité tantôt la matrilité en représentation sociale dominante dans l’espace public et dans l’espace privé. Elle sacralise la relation mère-fils au détriment des identités de femme et de père. Elle sanctionne conjointement les femmes libres et les mères non fusionnelles « comme le serait un homme » d’un côté, les hommes sensibles et les pères investis « comme le serait une mère » de l’autre. En d’autres termes, dans un couple hétérosexuel, lorsque la virilité de l’homme est défaillante, la matrilité de la femme a tendance à dominer, tout comme la matrilité insécure d’une femme va stimuler des réflexes virils chez l’homme. Dans cette conception de l’humanité, les enfants sont en quelque sorte les clones psychologiques des parents de même sexe ; simultanément, les garçons restent la propriété des mères et les filles celle des hommes.
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renvoyés à leurs hormones et à leur incapacité à être de « bonnes mères ». Quant à la dérive vis-à-vis du biologique, elle concerne bien plus les détracteurs de la théorie du genre : confondre les quatre registres de l’identité présentés plus haut entraîne des violences inouïes pour ceux et celles qui transgressent les normes incontestées du masculin et du féminin ; reconnaître et distinguer les quatre registres de l’identité permet au contraire à chaque personne d’exister singulièrement dans son sexe biologique. Certains pays ont botté en touche sur la question du masculin, et le femellisme s’y est substitué au féminisme. L’hominisme1 , relais nécessaire du féminisme en occident car ayant la même finalité du point de vue des hommes, y est de fait encore embryonnaire, et il est confondu avec le masculinisme (volonté de reprendre le pouvoir social sur les femmes). Certains pensent qu’au nom du principe d’égalité, nous sommes en train d’abolir les différences et d’ouvrir la marchandisation des corps. Mais ce sont précisément les « différents », autrement dit les « déviants », ceux et celles qui ont un « mauvais genre », les boucs émissaires de tout poil donc, qui sont victimes de cette marchandisation. Car ce sont aussi souvent des « entre-deux » qui refusent de se ranger dans une vision binaire de l’humanité. L’hermaphrodite, entre le mâle et la femelle, le trans, entre l’homme et la femme, le bi, entre l’homo et l’hétéro, et l’androgyne, entre le masculin et le féminin, ont toujours été vus du côté de la monstruosité ou de la divinité, dans toutes les sociétés humaines jusqu’à ce jour. Leur permettre d’exister et d’être respectés au même titre que les « normaux » est la meilleure façon de lutter contre cette marchandisation, puisque leur parole « différente » serait enfin écoutée et entendue. 1. Hominisme : À l’instar du féminisme qui s’attaque à la « Loi du plus fort » caractérisant la virilité et l’infériorisation du féminin, il s’agit de contester ici le « Lien du moins faible » qui caractérise la matrilité et diabolise le masculin. Issu du « mouvement des pères », il situe la résidence alternée au même niveau de revendication que la contraception et l’IVG dans le mouvement des femmes. On pourrait aussi le caractériser par l’émergence du « masculin sensible », là où le « féminin libre » est devenu l’épicentre des mouvements féministes dans le monde. L’alliance entre « masculin sensible » et « féminin libre » caractérise les mouvements rebelles dans nos sociétés aujourd’hui.
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Nous sommes dans un monde où tous ceux et celles qui osent exprimer leur transgression par rapport aux normes de genre sont vus comme unisexe puisqu’une seule façon d’être n’est autorisée dans leur sexe (« PD, enculé » et « pute, salope » sont les insultes les plus fréquemment utilisées de part et d’autre). À l’inverse, la philosophe Élisabeth Badinter pense que nous sommes en train de vivre la plus importante révolution de l’histoire de l’humanité : celle qui nous permet de passer de deux genres seulement (comme chaque espèce animale l’incarne) à autant de genres que d’êtres humains. Nous sommes donc peut-être prêts à accepter notre nature profonde, et à nous séparer de notre obscurantisme animal qui nous amène encore trop souvent à juger et à rejeter celui ou celle qui choisit un métier, une tenue, une sexualité, qui n’est pas la nôtre, et donc qui nous fait peur par son « mauvais genre ».
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Chapitre 15
Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation sont-ils toujours valables ? Norman Sartorius
troubles mentaux – et ses conséquences – est le principal obstacle à l’amélioration des soins en santé mentale. Elle affecte l’allocation budgétaire pour les services de santé mentale, l’intégration des personnes atteintes de troubles mentaux dans la communauté, la probabilité que les personnes atteintes de troubles mentaux trouvent un emploi et un logement ainsi que d’autres besoins nécessaires pour la dignité pour tout être humain. Au cours des dernières années, plusieurs grandes études ont démontré que la stigmatisation du trouble mental peut être réduite (voir Sartorius et Schulze, 2005) et que ses conséquences – telle que la discrimination dans tous les domaines de la vie, l’isolement des malades mentaux et la faiblesse continue des services de santé mentale (bien que leur nécessité soit en augmentation), peuvent être réduites ou évitées. Plus récemment, cependant, plusieurs études soulignent que la stigmatisation de troubles mentaux est encore plus forte, même dans les pays très développés (par exemple Thornicroft, et Henderson, 2013). Une explication
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A STIGMATISATION des
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possible de cette contradiction est que les paradigmes sur lesquels se basent beaucoup des travaux sur la lutte contre la stigmatisation actuelle, sont obsolètes et doivent être révisés. Ceci est vrai pour certains paradigmes. Il s’agit notamment de notions qui stipulent : 1. que les travaux contre la stigmatisation doivent se fonder sur une base solide de preuves créées par des études sur les attitudes envers les troubles mentaux et les personnes qui en souffrent ; 2. que la lutte contre la stigmatisation est mieux réalisée par des campagnes strictement ciblées contre la stigmatisation ; 3. que le meilleur indicateur du succès de la lutte contre la stigmatisation est un changement significatif d’attitude envers les troubles mentaux et les personnes qui en sont atteintes ; 4. que l’amélioration des connaissances sur la maladie mentale permettra de réduire ou de prévenir la stigmatisation ; 5. que les conséquences de la stigmatisation disparaîtront si la stigmatisation est diminuée – et vice versa. Il ne s’agit pas de remettre en question l’idée selon laquelle une évaluation réaliste de la situation devrait précéder les activités contre la stigmatisation. Ce qui mérite une attention minutieuse est la manière dont la situation doit être examinée. Des études approfondies présentant une sérieuse méthodologie peuvent fournir d’excellentes informations : le problème est toutefois qu’elles prennent beaucoup de temps et qu’elles sont souvent très coûteuses. Une expérience plus récente a montré qu’il est beaucoup plus utile de remplacer des études approfondies par l’exploration ciblée des besoins et des observations rapportées par des personnes atteintes de troubles mentaux ainsi que leurs familles. Cela peut se faire relativement rapidement en utilisant par exemple des techniques de groupes de discussion et des conversations avec des personnes qui connaissent bien la communauté ou le groupe témoin. Il sera possible de sélectionner des cibles pour la lutte contre la stigmatisation seulement une fois que la situation évaluée et les problèmes spécifiques à la communauté dans laquelle les programmes doivent se dérouler sont énumérés. La sélection des cibles devra être basée sur la faisabilité de l’action : il serait d’une
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Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation...
grande importance d’être certain que les premières activités de la lutte contre la stigmatisation réussissent. Cela encouragera de nouvelles mesures et fournira de précieuses indications sur les moyens qui peuvent être utilisés pour aborder les problèmes de cette communauté. La conséquence de cette façon de procéder est que les activités de lutte contre la stigmatisation devront être adaptées aux besoins locaux et, par conséquent, le programme à l’échelle nationale devra avoir la structure d’une mosaïque dans laquelle les différentes communautés font des choses différentes, régies par la situation spécifique dans lesquelles elles existent. Il s’agit d’un changement radical des stratégies précédentes qui ont ciblé l’action pour une plus grande partie du pays. L’idée de faire un plan détaillé à long terme a également été démentie. Au lieu de créer des plans à long terme, il est préférable d’aider à la création d’un groupe de personnes, un noyau qui va organiser le travail contre la stigmatisation et qui soutiendra les activités locales d’une manière continue en utilisant les possibilités qui émergent. Autrefois la tendance pour lutter contre la stigmatisation consistait à élaborer systématiquement des campagnes médiatiques et à mobiliser tous les services ou les structures. Aujourd’hui elle est remplacée par la prise de conscience que l’action contre la stigmatisation doit être un élément permanent des services offerts aux personnes souffrant de troubles mentaux Il est peu probable que la stigmatisation des troubles mentaux sera touchée de manière importante par les campagnes de courte durée qui sont souvent très coûteuses : le problème est qu’il est souvent plus facile de trouver les moyens financiers pour une campagne de courte durée au lieu d’une introduction systématique et durable des activités de lutte contre la stigmatisation en tant qu’élément essentiel dans les services sociaux et notamment les soins de santé. Un autre domaine de changement correspond à la cible des travaux contre la stigmatisation. Il s’avère que l’indicateur le plus évident de la stigmatisation consiste dans les attitudes de
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la population (ou de ses sous-groupes) face aux personnes souffrantes de troubles mentaux. Bien que ce soit scientifiquement intéressant, le changement d’attitude n’est pas un bon indicateur de la réussite du travail contre la stigmatisation. Ces attitudes peuvent effectivement changer sans avoir forcement de grande conséquence pour la qualité de vie des personnes atteintes de trouble mental. L’inverse est également vrai : parfois les comportements demeurent inchangés même si la qualité de vie des personnes atteintes de troubles mentaux et de leurs familles s’est améliorée. Il existe une tendance moderne à mesurer le succès de la lutte contre la stigmatisation par la recherche de véritables changements – la promulgation d’une loi qui vise à améliorer l’état des personnes atteintes de troubles mentaux, le taux de réinsertion professionnelle de personnes qui ont un vécu marqué par un trouble mental, la gravité des difficultés auxquelles se confronte une personne souffrante de trouble mental par rapport à la recherche d’un logement. Depuis quelque temps, l’accent a été mis sur l’amélioration de la connaissance de la population par rapport aux troubles mentaux. Il semblerait que les personnes mieux informées seront plus enclines à accepter d’aider les personnes souffrantes de troubles mentaux. Cela ne s’est pas produit cependant, et une plus grande connaissance de la santé – des connaissances sur les troubles mentaux – a eu dans certains cas l’effet inverse. Il est devenu évident que la transmission d’informations sur la maladie mentale ne suffit pas à elle seule, mais doit être accompagnée par d’autres interventions. Ceux-ci comprennent au minimum le fait de fournir des instructions sur les moyens de reconnaître une crise imminente, l’appropriation de compétences qui aident dans l’interaction avec les personnes souffrantes, l’existence d’un service de santé adapté qui peut fournir une aide en cas de crise et l’accès aux services sociaux qui pourrait fournir de l’aide aux aidants pour éviter leur épuisement. Enfin, un autre domaine qui a été jusqu’alors négligé dans les travaux contre la stigmatisation reçoit peu à peu de l’attention. L’information fournie par les personnes atteintes de troubles mentaux – ainsi que les études – a clairement montré que l’autostigmatisation est une conséquence fréquente du trouble mental.
Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation...
L’auto-stigmatisation est en partie un produit de la réaction de la société face aux malades mentaux et d’autre part les résultats de frustration des personnes pour lesquelles la maladie a détruit tant d’espoirs et d’attentes. L’auto-stigmatisation peut être réduite de diverses manières une fois qu’elle est reconnue et acceptée comme un obstacle majeur à la réhabilitation : malheureusement, cela se produit toujours qu’occasionnellement. Les considérations qui précèdent ne sont pas censées être un examen complet des paradigmes sur lesquels les travaux contre la stigmatisation doivent être construits : il s’agit d’exemples visant à attirer l’attention sur la nécessité de revoir et de réviser les bases de nos travaux contre la stigmatisation, qui reste l’obstacle central à l’élaboration de programmes de santé mentale et accorder la priorité absolue à tous les niveaux – depuis les niveaux du gouvernement jusqu’à la santé primaire mais également d’autres services sociaux.
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Chapitre 16
Enjeux de la psychiatrie sociale Psychiatrie sociale, santé mentale et mondialisation accélérée Driss Moussaoui
de la mondialisation est le sujet de psychiatrie sociale par excellence. Cette mondialisation est d’abord basée sur la migration, c’est-à-dire le mouvement des êtres humains, des marchandises et des idées. La migration est là l’essence même de la mondialisation, nécessitant de multiples adaptations et une grande créativité. Comme toute vie est mouvement (c’est le cas des plantes et des animaux qui occupent le maximum de niches écologiques possibles), la mondialisation est en fait un phénomène très ancien. Tout a commencé pour l’Homo Sapiens Sapiens il y a un peu plus de 80 000 ans en Afrique du Sud. Le peuple San (qu’on a longtemps appelé « bushmen ») a commencé immédiatement un « treck » vers le nord. Il est passé par la Vallée du Rift à travers les Grands Lacs. Et arrivé en Ethiopie, beaucoup ont bifurqué vers l’Ouest en direction du Maroc. Un article de 2011 de la revue Science montre que les sites dits « atériens », remontant à 80 000 ans sont les plus nombreux au Maroc d’abord et en Lybie, ensuite en Afrique du Nord. Les objets retrouvés dans ces endroits de fouille
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ES CONSÉQUENCES psychosociales
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archéologiques ressemblent grandement à ceux du peuple San d’Afrique du Sud. Il a fallu moins d’un millénaire pour parcourir tout le continent africain. Ceci signifie que les hommes qui ont traversé le détroit de Gibraltar vers l’Europe étaient tous noirs, de même ceux qui sont passés à travers la région du Moyen-Orient vers l’Europe. Il faut bien se rendre à l’évidence : les premiers européens Sapiens Sapiens étaient bien noirs. La civilisation Ibéro-maurusienne, basée au sud de l’Espagne et au nord du Maroc, remonte à plus de 20 000 ans. Dans une des grottes du nord du Maroc, il a même été retrouvé un crâne trépané il y a 12 000 ans, probablement pour retirer un caillot sanguin, et le fait est que cet individu a survécu, puisqu’une cicatrice fibreuse a été retrouvée autour du trou de trépanation. Une civilisation avait bel et bien lieu existé à cheval sur deux continents, l’Afrique et l’Europe, il y a plusieurs milliers d’années, et la migration humaine y a joué un rôle prépondérant. Pour parler de migration ancienne et moderne durant les temps historiques, prenons l’exemple du Maroc. Les Marocains ont vécu en Espagne et au Portugal pendant près de huit siècles, au sud de la France pendant deux siècles environ, pareil pour la Sicile. Au XIIe siècle, un géographe marocain, Achcharif Al Idrissi avait travaillé pendant 18 ans pour le roi normand Roger II et lui avait fabriqué une carte du monde connu alors sur une grande surface plane. D’autres marocains ont vécu en Inde (le tombeau du saint d’Erwadi), en Chine (Ibn Battouta), en Irlande, voire en Islande, en particulier avec les activités de course des corsaires de Salé. Un historien d’origine marocaine, appelé aussi Al Idrissi, au XII e siècle, dit avoir vu une équipe de marins partir de Lisbonne vers l’Ouest, et revenir des mois après avec toutes sortes de marchandises inhabituelles, disant avoir vu de l’autre côté de l’océan des hommes nus à peau rouge. N’oublions pas la migration importante des pèlerins vers la Mecque chaque année par caravane depuis plus de treize siècles, et qui permettait des échanges de toutes sortes entre le Machreq et le Maghreb.
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Enjeux de la psychiatrie sociale
Plus près de nous, les premières migrations de la population vers l’Europe se sont faites à l’occasion des deux guerres mondiales et à travers l’appel de main-d’œuvre durant les Trente Glorieuses en France. Actuellement, plus de quatre millions de Marocains (près de 15 % de la population marocaine) vit et travaille en dehors du pays d’origine, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Cela rapporte sept milliards de dollars US à l’économie du Maroc chaque année. Les changements de mentalités et de comportements dans les familles marocaines qui ont émigré sont importants, et ces changements se transmettent aux autres marocains restés dans le pays à travers les voyages saisonniers pendant les vacances, et à travers la communication de plus en plus facile, parce que de moins en moins chère par téléphone ou Internet, entre migrants et famille restée au Maroc. Un autre type de migration est extrêmement important, ce qu’on pourrait appeler « la migration immobile ». En effet, sans bouger de chez soi, sans passeport ni argent, on peut visiter les pays du monde entier, avec la diversité culturelle qui les caractérisent, y compris au plan religieux. La mondialisation, c’est aussi les séries américaines, mexicaines ou turques qui envahissent les écrans de téléviseurs du monde entier. Le poste de télévision avec l’antenne satellitaire qui l’accompagne est le premier électroménager que les familles achètent, bien avant le frigidaire, et si nécessaire dans les endroits sans électricité, les faisant marcher sur batterie automobile rechargée régulièrement. L’impact de ces centaines de chaînes de télévision à disposition de tous et à prix plus qu’abordable a des conséquences énormes sur la vie quotidienne de tout un chacun. La grande majorité de l’Humanité vit encore dans une structure familiale patriarcale, surtout dans le milieu rural. Il est difficile d’imaginer que des scènes répétées dans les séries dévorées des yeux par toute la famille ne changent pas leur vie, avec des situations comme celles d’une fille qui se révolte contre l’autorité parentale et se marie par amour, de jeunes qui se droguent, se saoulent ou deviennent violents, d’individus qui décident de couper toute relation avec leur famille, un syndicat qui descend dans la rue ou prend en otage le patron de l’usine... La première fois, la réaction est une surprise, la deuxième est une « découverte » ; à partir de la troisième et
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quatrième fois, nous sommes déjà dans le modèle comportemental. C’est ainsi que les structures familiales et sociales se trouvent bouleversées par cette mondialisation du spectacle, transportant partout, au fin fond de l’Amazonie, du désert malien ou de la Mongolie intérieure, des valeurs qui étaient totalement étrangères à ces sociétés jusque-là. On a bien vu que la migration physique et la « migration immobile » changent le monde dans le sens d’une homogénéisation. Nous avons vu également que cette migration est très ancienne, et que la mondialisation ne date pas d’hier : le mot est récent mais le concept est très ancien. Ce qui a changé depuis les vingt-trente dernières années, c’est l’accélération de ces phénomènes. En effet, l’humanité bouge à une vitesse grandissante, avec une progression exponentielle. Le temps et l’espace se sont en quelque sorte dissous dans la vitesse. Les frontières se sont progressivement délitées entre les cultures, les religions, les nations, exacerbant paradoxalement des « identités meurtrières » en réaction à cette homogénéisation. La diffusion d’Internet comme outil de transfert de l’information à la vitesse de la lumière, a transformé le monde. Il a fallu 150 ans, entre 1750 et 1900, pour doubler les informations créées par l’être humain. En 2020, il ne faudra pas plus de 75 jours pour doubler la quantité d’informations produite. Youtube sur Internet a été créé en 2005. Le nombre de vidéos vues en 2013 est le double de celui vu en 2010 et se chiffre actuellement à cent heures téléchargées chaque minute. Ce concept d’accélération, de « vitesse dans la vitesse », a été mis en exergue de manière remarquable par le sociologue allemand Hartmut Rosa. En effet, tout va plus vite : trois milliards de personnes prennent l’avion chaque année selon IATA, alors que l’avion dans les années 1960 était signe de luxe accessible à très peu ; plus de cent millions de pélerins se sont regroupés au Kumbha Mela cette année autour du Gange ; plus de 70 % des êtres humains adultes ont un téléphone portable, alors que cette puissante technologie n’était pas disponible au plus puissant des hommes sur terre, le président des États-Unis d’Amérique il y a une trentaine d’années. D’autres exemples sont encore plus
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Enjeux de la psychiatrie sociale
frappants : Romano Prodi, premier ministre italien, qui visitait la bourse de Wall Street à New York il y a une vingtaine d’années, rapportait avoir vu défiler sur les écrans l’équivalent de la totalité du budget de l’Etat italien en dix minutes. Actuellement, c’est en quelques secondes que cela traverse la bourse américaine. Actuellement, les fonds souverains (hedge funds), qui pour la plupart font de la spéculation sans aucun apport productif, regroupent des sommes colossales : 750 mille milliards de dollars américains, soit trois fois le PIB mondial. Au niveau économique, les banques sont devenues folles, n’étant plus le soutien d’entreprises qui développent et créent de la richesse, mais sont au service du capital qui spécule et cherche le plus d’argent possible à tout prix, et le plus vite possible. Tout cela, produits dérivés compris, a mené à la crise économique mondiale de 2008 dont beaucoup de pays continuent à souffrir, et quand les banques qui ont créé cette situation de catastrophe économique et sociale sont à sec de liquidités, elles demandent aux gouvernements de les renflouer avec l’argent des contribuables. Il est évident qu’un contrôle des banques et des systèmes financiers est une nécessité absolue pour faire de la prévention de crises graves à venir, surtout à l’ère du « trading automatique » dans les bourses, laissant le soin aux ordinateurs de réagir au centième de seconde aux fluctuations du marché, avec les risques de micro-crashes possible à la moindre erreur d’un courtier. Au niveau individuel, envahi par un surplus d’information, et beaucoup ne sont pas à même de faire le tri, mis sous la pression d’en savoir plus, de produire plus, toujours plus, les hommes et femmes du monde n’ont d’autres choix que d’être dans le multitâche, en permanence. Certains, débordés, désorientés par le défilé de plus en plus rapide sur l’écran de leur vie, n’en peuvent plus et décident de s’arrêter sur le bord de la route, comme figeant le temps face à cette accélération temporo-spatiale. Le temps figé, selon les phénoménologistes (Minkowski, Binswanger, Tellebach) est celui de la dépression, face à ce qu’il faut bien appeler un mode de vie de plus en plus maniaque. Un retour sur le temps dépressif est à relire dans le livre Le temps vécu d’Eugène Minkowski (1933). Est-ce que cela explique l’augmentation de la fréquence de la dépression dans la population générale comme cela ressort
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d’études successives dans plusieurs pays ? Aux États-Unis, les études dans les années 1980, 1990 et 2000 sont parlantes à cet égard (études épidémiologiques ECA, NCS et NCS-R). Est-ce que cela explique la progression des suicides au niveau mondial ? Est-ce que la progression de la fréquence des troubles de l’humeur autres que la dépression, en particulier le trouble bipolaire, ne serait pas dû à la réduction du temps de sommeil parmi les êtres humains, l’électricité qui raccourcit la nuit et les multiples écrans sur lesquels nous sommes de plus en plus penchés, déstabilisant le rythme circadien de beaucoup ? D’autres questions psychiatriques et de santé mentale se posent : pour quelle raison est-ce que certains migrants de première et de deuxième génération ont trois à sept fois plus de schizophrénie que la population autochtone ou que d’autres groupes de migrants. C’est le cas des marocains migrant en Hollande, par rapport aux Hollandais, mais aussi par rapport aux Turcs et aux Surinamiens ? Plusieurs hypothèses existent : des facteurs de risque environnementaux dans le milieu d’origine de ces migrants dans le Rif marocain, ou la théorie de l’échec social qui augmenterait le turn-over dopaminergique chez certains de ces migrants. Il y a bien sûr des aspects positifs à la mondialisation tels que l’accès à des produits de consommation essentiels à un prix bas pour les plus pauvres, ou la possibilité d’avoir tout le savoir du monde disponible via Internet dans les régions les plus reculées du monde, au prix de 0,25 euros par heure. Le sens de « citoyenneté du monde » progresse partout, le lien social est de plus en plus aidé par les « réseaux sociaux », même si c’est superficiel, et la démocratisation que l’on voit se renforcer dans divers endroits du monde, est aidée par Internet et par ces mêmes « réseaux sociaux ». Cependant, la vitesse de changement à laquelle le genre humain semble de plus en plus « addict », entraîne des changements de cultures et comportements à une vitesse croissante. Dans une société qui a oublié progressivement les sens du lien et du vivre ensemble, où l’anomie est de plus en plus l’ennemi à combattre. Aux flots de capitaux galopant à une vitesse débridée, répondent des flots d’humains laissés pour compte sur le bord la route.
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Certains vont même jusqu’à prédire la fin de l’humanité avec la prise de pouvoir des ordinateurs interconnectés sur le genre humain. En effet, les « Singularity clubs » de Californie travaillent sur cette hypothèse qui pourrait se réaliser, selon eux, dans une cinquantaine d’années. Le lien familial et social qui a fait la force du genre Homo depuis l’aube de l’Humanité se disloque sous l’effet centrifugeur de la vitesse. Les plus faibles se trouvent ainsi éparpillés aux marges de la société et n’ont pas suffisamment de force pour se remettre au centre avec les autres. La solidarité familiale et sociale qui permettait la survie des plus faibles s’atrophie et s’accompagne de multiples noyades dans la pathologie mentale et sociale. La nécessaire aide de la société à travers toutes sortes d’institutions reste ridiculement faible par rapport à la demande, et l’argent donné pour renflouer les banques est soustrait aux soins médicaux et sociaux des plus démunis. Quand l’Union Européenne décide de couper les vivres à la Croix Rouge, quand des hommes de bonne volonté comme Xavier Emmanuelli jettent l’éponge, il faut s’inquiéter très sérieusement de l’avenir de nos sociétés. En effet, la pauvreté ainsi induite est un facteur de risque pour tous les troubles mentaux, car elle génère l’isolement, l’indigence affective et toutes sortes de malnutritions. Les travailleurs de la santé mentale, comme tous les citoyens du monde, doivent être conscients de ces changements importants qui surviennent dans l’environnement mondial, avec leur impact sur l’individu, la société et la famille. Ils se doivent aussi de promouvoir tout ce qui peut aider la santé mentale, tout ce qui peut prévenir et soigner les maladies mentales. Un des éléments-clés est de freiner cette accélération. Il faut prôner le ralentissement dans la vie de chacun. Il faut prendre le temps de manger calmement, de passer du temps agréable avec sa famille et ses amis ; il faut prendre le temps du repos nécessaire, celui de « se faire la cour à soi-même » (Montaigne ?), de réfléchir, de se divertir, de faire la sieste même sur le lieu de travail (c’est déjà le cas dans beaucoup de grandes entreprises américaines), d’arrêter quand on sent qu’on n’en peut plus, sans être stigmatisé comme un paresseux par la hiérarchie et par les autres. Le grand chef d’orchestre Von Karajan, dans un discours à l’UNESCO, a parlé d’un droit au
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silence dans un environnement parasité par toutes sortes de bruit. Il est incontestable que dans cette folle course de tout un chacun, le résultat ne peut être que de courir à sa perte, et que pour se retrouver, les hommes et les femmes d’aujourd’hui devraient reprendre possession de leur vie, au lieu d’être entraînés par la vague géante de la mondialisation accélérée, vers l’abîme.
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Bibliographie
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Table des matières
V
SOMMAIRE
IX
LISTE DES AUTEURS PRÉFACE. LE SUJET RÉSILIENT
XIII
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Boris Cyrulnik
Génétique et résilience, XIV • Résilience neuronale, XV • Résilience affective, XVI • Résilience psychologique, XVIII • Résilience familiale, XIX • Adoption et résilience, XXI • Résilience adolescente et âgée, XXII • Art et résilience, XXIV • Conclusion, XXIV XXV
AVANT-PROPOS Roland Coutanceau
P REMIÈRE PARTIE Q UESTIONNEMENTS AUTOUR DE LA RÉSILIENCE 1. Les êtres « nonobstant » Michel Onfray
3
194
TABLE DES MATIÈRES
2. Qualités cachées dans la dynamique de la résilience
9
Roland Coutanceau
Trauma clinique et trauma psychique
10
Le vécu du soignant du trauma et la résilience
13
Le défi du trauma
15
Métabolisation du Trauma
17
Qualités psychiques et dynamiques de la résilience Intelligence et capacité d’élaboration, 19 • La capacité à affronter le défi du traumatisme, 20 • La curiosité à l’autre, 20 • L’optimisme, 20 • L’imaginaire, 21
18
3. Humour et autodérision, un rempart contre la souffrance
23
Marie Anaut
Humour et désirabilité sociale
25
Humour, instrument de défense contre l’angoisse
26
Autodérision, un concept drôlement complexe
28
Woody Allen et l’autodérision : la vraie-fausse humilité De la fonction défensive à la fonction offensive de l’humour, 32
30
Pistes de réflexion
34
4. Shoah et résilience
37
Serge Bornstein
Les crimes contre l’humanité
39
Les victimes
40
Les facteurs de survie
41
La résilience après la Shoah
42
D EUXIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET FAMILLE 5. La place de l’attachement
47
Michel Delage
L’individu lié
47
Table des matières
La famille, « niche écologique »
49
La résilience dans la famille
52
La résilience quand le traumatisme est familial Des liens familiaux en déséquilibre , 55 • Mise en œuvre de la résilience en famille , 59
55
6. Couples résilients
71
Philippe Brenot
Définitions, hypothèses
72
Structures conjugales
73
Orientations stratégiques
74
Conclusion
76
7. Dépasser la séparation : un changement vers un avenir différent ou une blessure qui ne se referme pas ?
77
Jocelyne Dahan
La médiation familiale
79
Le couple une rencontre fortuite ? Se déchirer et déchirer l’autre, 83 • Se séparer pour rebondir, 87 • La médiation, une aide pour se délier, 89
81
Conclusion
92
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
T ROISIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET TRAVAIL 8. Du bon (ou du mauvais) usage de la résilience au travail
97
Michel Debout, Luis Vasquez
Résilience et travail : un concept systémique
100
Vers des perspectives résilientes
104
9. Angoisses et désorganisations psychiques dans un contexte de licenciement
107
Joël Croas
Quelques repères autour de la « souffrance au travail » et du harcèlement moral
108
195
196
TABLE DES MATIÈRES
Désorganisation et réaménagements
114
Conclusion
118
10. Survivre à son travail : (faux) petit guide de survie
119
Jocelyn Aubut
Se situer dans le temps et l’espace
119
Se raconter une nouvelle histoire
121
Partager son histoire avec d’autres
124
Transformer le trauma
125
Le juste équilibre entre la réparation dans le réel et le symbolique
126
11. Stratégies résilientes face à la violence psychologique dans les espaces clos (famille, institution, entreprise)
129
Roland Coutanceau
La ponctuation de la loi La bulle « entre l’auteur » et la « victime », 131 • La tentation de l’emprise, 131 • La difficulté à dire, 132 • Les intuitions de l’entourage, 133 • Les ambivalences de l’institution, 134
130
Vers la résolution
135
Conclusion
137
Q UATRIÈME PARTIE R ÉSILIENCE ET SOCIÉTÉ 12. Compétence culturelle et migrations
141
Rachid Bennegadi
13. Déterminants sociaux et santé mentale Stéphanie Larchanché, Marie-Jo Bourdin
153
Table des matières
14. Bouc émissaire et résilience, autosupport et société : un mélange des genres
157
Éric Verdier
Lorsque la résilience individuelle d’un bouc émissaire devient résilience sociétale dans l’auto-support 157 Lorsqu’« être normal » devient anormalité
160
Lorsque le bouc émissaire devient moteur de transformation sociale
162
Lorsque le mauvais genre devient résilient : vers une transformation sans précédent de nos sociétés
165
15. Les paradigmes des travaux contre la stigmatisation sont-ils toujours valables ?
171
Norman Sartorius
16. Enjeux de la psychiatrie sociale
177
Driss Moussaoui
BIBLIOGRAPHIE
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197