Recueil sur l'Eucharistie [Tome 1]


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Recueil sur l'Eucharistie [Tome 1]

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RECUEIL

de textes du père Marie-Dominique Philippe

SUR L’EUCHARISTIE

I - Extraits d’homélies et de conférences

Commémoration de la Cène Jeudi Saint 4 avril 1996 Demandons à l’Esprit Saint de nous aider ce soir à contempler les intentions profondes du cœur de Jésus instituant l’Eucharistie, et de nous faire entrer dans son amour pour le Père. S’il

institue l’Eucharistie, c’est pour nous aimer jusqu’au bout. C’est pour accomplir pleinement la

volonté du Père, qui veut que Jésus nous aime ainsi. C’est son testament, cette Pâque. Elle est liée à la Pâque première, celle qui rappelait l’intervention miraculeuse de la toute-puissance de Dieu dans son amour pour son peuple : le libérer de l’esclavage du Pharaon, libérer ceux qu’il avait appelés à lui pour lui être totalement consacrés. Dans cette Pâque première, l’ange exterminateur au service de la toute-puissance de Dieu exprimait la colère de Dieu devant le Pharaon qui ne voulait pas lui obéir, qui ne voulait pas libérer son peuple pour qu’il puisse partir au désert afin d’y adorer. Comme Dieu désire cette adoration dans le fond de notre cœur ! Cette colère de Dieu, qui s’exprime à travers l’ange exterminateur, nous montre combien Dieu attend de ceux qui lui sont consacrés d’être tout à lui par l’adoration. La Pâque nouvelle, celle que Jésus réalise comme l’Envoyé du Père, Fils bien-aimé du Père,

anticipe le mystère de la Croix d’une manière symbolique, mais d’un symbolisme divin, c’est-à-dire impliquant une réalité cachée. Il s’agit de montrer à ses disciples, à tous ceux qui deviendront ses

disciples, à toute l’Eglise, son amour pour les Apôtres, pour Marie, pour son peuple, pour nous, pour tous les hommes. Jésus veut nous montrer combien il nous aime, et combien il attend de nous, audelà de l’adoration, un amour, un regard contemplatif pour alimenter cet amour, pour que cet amour

aille «jusqu’au bout », répondant à l’amour même de Jésus qui va «jusqu’au bout » (Jn 13, 1). Jésus ne se contente pas, dans son testament, de nous donner sa prière, cette grande prière que saint Jean, dans son Evangile, nous a gardée. C’est déjà merveilleux, comme testament d’amour où

l’on puise le lien d’amour si fort et si intime de Jésus avec le Père, ce lien qui doit s’étendre sur ses

disciples, sur son peuple, sur tous les hommes : « Qu’ils soient un comme nous ». C’est bien un testament d’amour, cela : que l’amour qui existe au plus intime du mystère de la Très Sainte Trinité, entre le Père et le Fils, existe aussi entre les hommes. Cette unité si extraordinaire dont le fruit est

l’Esprit Saint, Jésus veut qu’elle existe entre nous. Il veut qu’elle existe entre ses disciples, entre tous ceux qui croient en lui et qui veulent vivre de sa parole. Jésus ne se contente pas de nous donner sa parole dans ce qu’elle a de plus intime, c’est-àdire la parole qu’il adresse à son Père, sa prière, les secrets de son cœur (car quand Jésus parle au Père, c’est son amour dans ce qu’il a de plus fort et de plus secret qu’il nous révèle). Jésus veut,

parce que le Père le veut, nous donner plus que sa parole : se donner lui-même. C’est son testament. Ce ne sont plus seulement les trésors de son enseignement, ce ne sont plus seulement les secrets de sa prière ; il veut nous donner l’amour même qu’il a pour le Père. Il veut que cet amour nous soit donné, et que son cœur prenne possession de notre cœur, que notre cœur soit transformé en son cœur pour que nous aimions le Père comme il l'aime, et pour que nous puissions nous aimer les uns les autres 3

du même amour, afin que le désir le plus intime de son cœur se réalise : « Qu’ils soient un comme nous, Père ». Jésus sait que la parole ne suffit pas, qu’il faut le don de son cœur offert en holocauste d’amour à son Père pour le glorifier, et que cet amour descende jusqu’à nous et nous soit donné de

manière visible, pour que nous puissions y adhérer pleinement dans la foi, l’espérance, et la charité.

Et dans sa sagesse, Dieu invente ce mystère de l’Eucharistie, annoncé d’une manière voilée dans l’Ancien Testament à travers la manne, qui avait le goût des désirs de chacun (Sag 16, 21). Cette

manne reçue gratuitement était bien le signe de la sollicitude paternelle de Dieu pour son peuple, le signe de ce que Jésus révélera de manière explicite : « Ma chair est une vraie nourriture, et mon sang une vraie boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 5556). Jésus dit cela à la synagogue de Caphamaüm où tous pouvaient l’entendre, mais la réponse a été partagée : c’est à ce moment-là que des disciples se sont séparés, c’est à ce moment-là que Judas a dit : «Non, cette parole est trop dure, qui peut l’écouter? » (Jn 6, 60). Il y a eu une séparation, et Jésus a réalisé sa prophétie malgré les incompréhensions de certains et l’attitude de Judas.

A la Cène, après avoir vécu la première Pâque avec ses Apôtres, Jésus réalise ce qu’il avait annoncé. Cette première Pâque, il l’a vécue pour bien montrer comment lui-même achevait, tout en le réalisant, ce qui avait été l’Alliance première. Cette Alliance, il la porte en lui pour lui donner une nouvelle signification ; et cette signification, c’est que lui-même est le testament d’amour qu’il veut

réaliser avec ses disciples, avec son peuple, avec tous les hommes. C’est merveilleux de simplicité ! C’est un testament unique ; il faut être Dieu pour réaliser un tel testament. H faut un Dieu qui a assumé la nature humaine, qui a assumé le cœur et le corps de l’homme, pour être capable d’être victime d’amour — puisqu’il se sert de son corps et de son sang pour nous montrer jusqu’où va son amour. Et c’est vrai : il faut le cotps et le sang pour se donner de cette manière, selon ce mode de

nourriture et de boisson ; c’est par là que le don prend sa signification plénière. On ne peut pas se donner plus, ni manifester davantage son amour. A chaque Eucharistie, ce testament d’amour est actuel. Quand le prêtre prononce les paroles de la consécration, c’est Jésus qui, à travers lui et en lui, les prononce ; ce sont les mêmes paroles que celles que Jésus a prononcées pour la première fois, seul, et dont il a voulu qu’ensuite les Apôtres et tous les prêtres les prononcent avec lui et en lui, et par lui, pour bien montrer que son don est toujours le même et qu’il va jusqu’au bout.

Ce soir, nous vivons le même mystère. Les apparences sont différentes, l’assemblée n’est pas la même, mais c’est le même cœur brûlant d’amour du Christ qui nous est donné, c’est le même sang qui nous est donné, et nous devons le recevoir dans une foi aimante, en nous livrant à lui pour qu’il nous transforme en lui, et que notre cœur soit vraiment un avec le cœur de Jésus, et que notre sang soit un avec le sien — mystère de transsubstantiation, mystère d’unité dans l’amour.

A la Cène, Judas, qui a refusé le discours prophétique du Christ annonçant le don de son corps et de son sang, est là avec des intentions terribles. Comme il a dû, alors, penser à ces paroles

prophétiques de Jésus : « Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang vraiment un breuvage » ! Comme il a dû penser à cela... Mais de nouveau, au plus intime de son cœur, il a dit : «Non, c’est intolérable, un tel amour ». C’est cet excès d’amour que Judas a refusé ; parce que cet excès d’amour réclame de notre part un excès d’amour.

Demandons à Marie de nous faire vivre de ce testament d’amour, elle qui en a vécu d’une manière si simple et si profonde. Ce testament est pour elle ; c’est pour la remercier de tout le mystère de sa maternité divine que Jésus réalise ce mystère d’amour, et c’est elle qui reçoit Jésus de

la manière la plus aimante. Et elle demande à tous ses enfants, à ses petits enfants, à sa suite, de 4

recevoir le corps et le sang du Christ dans un amour plénier, même s’ils sont de pauvres petites créatures qui se savent incapables, indignes par elles-mêmes de recevoir le corps de Jésus comme le véritable Pain, et de recevoir son sang comme le véritable Vin, le Pain et le Vin éternels, signes de l’amour de Jésus pour nous.

Vivre l’Eucharistie Homélie du 6 juin 1996 à Saint-Jodard

(la Fête-Dieu) Jn 6,51-58 « De même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. » C’est cette parole de Jésus qui nous montre de la

manière la plus explicite son intention à l’égard du mystère de l’Eucharistie. Jésus, envoyé par le Père, vit par le Père, il est « un » avec le Père. Et il désire que nous puissions nous-mêmes vivre de cette même unité, de ce même vouloir d’amour, et pour que nous puissions comprendre l’intensité de

cette unité et la force de ce vouloir d’amour il a institué l’Eucharistie, où il se donne à nous si nous le voulons, si nous 1 ’ acceptons... Il se donne à nous comme pain, son corps et son sang nous sont donnés comme pain et

comme vin. Or l’unité qui existe entre le vivant et ce dont il se nourrit est une unité substantielle ; nous transformons en nous-mêmes la nourriture que nous prenons pour réparer les forces dépensées dans le labeur et les luttes de la journée. Dès qu’on ne se nourrit plus on perd sa force, sa vitalité, et on n’est plus bon à rien. Il devrait se le rappeler, celui qui néglige ce grand mystère de l’Eucharistie, celui qui a peur de le regarder en face (dans la foi) parce que c’est un mystère très exigeant. Il réclame en effet de notre part un très grand dépassement, puisqu’il s’agit de vivre comme Jésus vit — c’est lui-même qui nous le dit : « De même que je vis par le Père, de même aussi celui qui me mange vivra par moi ». Et Jésus, en se donnant à nous dans ce mystère de l’Eucharistie, veut nous transformer en lui, il réclame entre lui et nous une unité substantielle d’amour. Comme saint

Augustin nous le rappelle, ce n’est pas nous qui transformons le Christ en nous-mêmes ; c’est le

Christ, Pain vivant, Pain de Dieu, Pain du Père, qui nous attire et nous transforme en lui pour que notre vie ne soit plus nous mais lui. Quand sommes-nous vrais dans notre manière de recevoir l’Eucharistie? Quand nous désirons que tout en nous soit attiré par Jésus, quand nous aspirons à entrer dans cette « extase » divine (extase dans la foi) qui nous fait nous quitter nous-mêmes pour que ce soit Jésus qui vive en nous, qui vive pleinement son mystère en nous. Pour cela il faut que nous soyons tout entiers relatifs à lui, sans nous regarder, en le regardant, lui, en l’aimant, en désirant être tout à lui. C’est bien l’Eucharistie, ce testament d’amour du Christ, qui exprime de la manière la plus

simple et la plus profonde la soif du cœur de Jésus, sa soif de nous prendre et de nous transformer en lui. C’est d’une extraordinaire simplicité, cette manière (qu’a choisie Jésus) de se donner comme le pain nous est donné, comme le vin nous est donné... Jésus est là pour nous, totalement pour nous, pour que nous soyons transformés en lui, pour que nous ne vivions plus que de lui et pour lui. Le choix d’amour de Jésus à l’égard de son Père, Jésus nous le donne pour que nous vivions le même

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choix d’amour à son égard et que nous vivions totalement de lui, par lui et pour lui, et que là soit toute notre vie et que cela seul compte à nos yeux.

Si nous sommes vrais au plus intime de notre foi, de notre espérance et de notre charité, alors nous comprenons la soif qu’a le Christ de se donner à nous pour nous transformer, nous cacher au plus intime de son cœur blessé afin que nous ne soyons plus qu’à lui et que nous aimions tous ceux qu’il a mis sur notre route comme lui-même les aime, et qu’ainsi nous puissions vivre une vie tout

illuminée de sa lumière, une vie toute brûlante de l’amour qu’il a pour le Père et pour nous. C’est dans le silence de l’amour et du don que Jésus se donne à nous pour qu’il n’y ait plus que lui et son amour. Laissons-le nous transformer ; disons-lui notre désir d’être tout à lui, de ne plus

aimer que ce qu’il aime, c’est-à-dire le Père et Marie. Il s’est donné à elle à travers ce mystère de

l’Eucharistie, et c’est sans doute grâce à Marie, grâce à sa maternité divine, que le sacrement de l’Eucharistie a été institué par Jésus. L’Eucharistie n’est-elle pas la reconnaissance du Fils bienaimé, son action de grâces à l’égard de Marie, sa manière de lui exprimer tout son amour pour elle ? L’Eucharistie est toujours un terme, c’est un jubilé d’amour, et cela chaque jour de notre vie chrétienne. Tout est donné par amour, tout est brûlé, parce qu’on ne peut rien donner de plus que de se donner, et se donner sous cette forme du pain et du vin. C’est comme un appel impératif du Christ qui veut qu’on soit tout à lui, et librement, puisqu’il se tait. Dans ce sacrement Jésus se cache, mais il se donne réellement et veut que nous l’aimions de cette manière si simple. Le « véritable pain » révèle le véritable amour qui a la simplicité d’un don substantiel, dans le silence. Et en même temps l’Eucharistie exprime l’ardeur de l’amour du Christ, la force de son amour qui est un amour conquérant, et qui veut tout conquérir, tout brûler. Brûler, non pas pour nous supprimer, mais au contraire pour tout purifier et pour que ce soit son amour qui assume tout et transforme tout. Demandons aujourd’hui à l’Esprit Saint de nous donner une foi plus grande, plus simple, plus divine, à l’égard de cet amour ; une charité toute brûlante, transformée par le don de sagesse, pour que l’Eucharistie soit vraiment pour nous comme un terme : il nous a aimés jusqu’au bout, «jusqu’à la fin », en se donnant lui-même tout entier sous cette forme du pain et du vin, et en se

donnant ainsi il nous appelle à un don total. Toute notre vie religieuse nous permet de vivre du mystère de l’Eucharistie d’une manière plus intense et plus vraie. Notre profession religieuse est faite pour que nous puissions nous donner comme Jésus se donne. En se donnant à nous de cette

manière silencieuse, comme pain et comme vin, il attire tout à lui et prend tout dans sa soif d’amour, pour que nous soyons « un » avec lui. Ainsi brûlés et consumés par son amour, nous pourrons être, avec lui et en lui, « le pain du Père », tout entiers relatifs au Père.

Demandons à l’Esprit Saint de nous aider à vivre de cette présence et de ce don ; de cette présence efficace, divine, qui réclame tout, et de ce don qui veut nous transformer en lui. Que toute notre vie commune soit transformée par l’Eucharistie pour que nous puissions nous aimer les uns les

autres comme le Christ nous a aimés, comme il nous aime. Soyons le pain de nos frères en les aidant, en les soutenant, en étant tout entiers à eux et pour eux, et soyons la joie de nos frères : le vin. Quand nous voyons un de nos frères un peu triste, puissions-nous réveiller en lui la joie en étant pour lui pain et vin, à la suite du Christ et avec lui. Que toute l’humanité puisse vivre de ce mystère par Marie et par tous ceux qui veulent être fidèles à Marie ; et que nous vivions de l’Eucharistie d’une manière viaiment divine, c’est-à-dire comme la grande action de grâces qui transforme toute notre vie. Que nous ne cessions de remercier Jésus de tous ses dons. Vivre dans l’action de giâces, c’est vivre dans la joie et dans le dépouillement de tout nous-mêmes, dans la pauvreté. La pauvreté permet de vivre dans l’action de grâces, sans regarder en amère, sans regarder les blessures passées — tout cela est du passé. Vivons de cette étincelle d’éternité, de cette présence au milieu de notre vie, cette présence du Christ qui se donne à 6

nous, du cœur de Jésus qui se donne à nous, de son intelligence — sa lumière — qui se donne à nous pour tout illuminer et tout transformer.

Demandons à l’Esprit Saint de nous apprendre à vivre ce réalisme de l’Eucharistie dans chacune de nos démarches, dans chacune de nos actions. Alors nous vivrons perpétuellement ce don d’amour. Que la Vierge Marie soit là pour que toute notre vie chrétienne soit vécue dans cette lumière et avec cette intensité.

L’Eucharistie, testament d’amour du Christ Extrait d’une conférence donnée à Paris en 1980

Au niveau naturel, le vivant qui se nourrit transforme l’aliment en lui. Mais quand il s’agit de cet aliment divin qu’est l’Eucharistie, c’est tout autre : ce n’est pas nous qui transformons le Christ en nous-mêmes, c’est le Christ qui nous transforme en lui1, et s’il se donne comme pain, c’est pour nous faire comprendre que cette transformation est une transformation substantielle dans une unité de

vie ; c’est beaucoup plus qu’une présence. D’une certaine manière c’est plus que l’expérience contemplative que Marie a vécue au moment de la Résurrection. Comprenons bien : c’est à la fois plus et moins, car d’une certaine manière l’expérience que Marie a eue du mystère de la Résurrection est ce qu’il y a d’ultime, puisque le Père lui donne son Fils d’une manière si étonnante, dans une

unité de vie, d’amour, de lumière. Mais ce don demande de croître. Marie ne va pas « se souvenir » du mystère de la Résurrection, elle ne va pas se rappeler ce mystère, elle va en vivre, parce que le mystère de la Résurrection est étemel. Et pour en vivre plus, il y a l’Eucharistie. C’est en ce sens-là que l’Eucharistie est quelque chose de plus parce qu’elle permet cette croissance dans l’intimité

propre au mystère de la Résurrection. L’Eucharistie permet à l’âme de Marie, transformée par la plénitude de foi, d’espérance et d’amour, d’aller plus loin dans son unité de vie avec Jésus. Ce n’est pas simplement une harmonie de vie, c’est une unité substantielle de vie. Voilà ce qui caractérise cette contemplation. Tout cela dans l’extrême pauvreté de la présence silencieuse de Jésus dans l’Eucharistie, la pauvreté de cette présence dans la petitesse, dans le dénuement.

Jésus se donne à Marie pour l’attirer toujours plus à lui, pour transformer le cœur de Marie en son propre cœur par l’intermédiaire du mystère de l’Eucharistie. Marie entre dans cette intimité et elle se livre toujours plus. Chaque fois c’est comme une nouvelle étape, chaque fois elle va plus loin,

elle se laisse davantage transformer en Jésus. C’est le propre de la grâce de l’Eucharistie : il faut

recevoir avec toujours plus d’amour ce don que le Père nous fait de ce pain divin — c’est le Père qui donne le pain2 —, en laissant Jésus tout prendre, tout transformer, tout assimiler à lui dans une unité de vie substantielle. 11 ne s’agit certes pas d’un panthéisme chrétien : la dualité des personnes demeure, l’unité de chacune des personnes demeure, mais il y a quelque chose de plus profond, de plus radical? qui est cette unité de vie analogue à l’unité de vie qui existe entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint. Cette unité de vie entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint prend possession de toute la vie

1 Voir SAINT AUGUSTIN, Confessions 7, 10, 16 (Bibliothèque augustinienne vol. 13, p. 617). Cf. SAINT THOMAS, Commentaire sur l’Evangile de saint Jean, nœ 895 et 972 (traduction française : vol. I, Les Editions du Cerf, Paris 1998,pp. 387 et 416-417). 2 Cf. Jn 6, 32.

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de la Très Sainte Vierge, et l’Eucharistie lui permet d’avancer d’étape en étape et d’entrer dans ce silence toujours nouveau qui est le silence du pain qui veut tout, qui prend tout. Le silence de Jésus à travers le pain est un silence plus absolu que tous les autres parce qu’il n’y a plus rien qui nous aide à pénétrer dans l’intelligibilité du mystère ; humainement parlant il n’y a plus rien qui nous permette de comprendre — il n’y a plus aucune explication. C’est le mystère qui se communique divinement, c’est le Verbe de Dieu qui se donne à travers la blessure du cœur de l’Agneau,, à travers son sang versé. C’est donc un au-delà de la présence. Autrement on ne comprendrait pas ce mode du pain, on ne comprendrait pas ce qui caractérise ce don, on ne le saisirait pas dans son originalité propre, et on ne se laisserait pas éduquer par l’Esprit Saint, on en

resterait à la première manière de vivre, qui est une contemplation joyeuse à travers la parole de Dieu. Beaucoup en restent là, de sorte que quand la Croix se présente ils n’y comprennent plus rien du tout et risquent de dire : « Je me suis trompé, je n’étais pas fait pour cette vie contemplative ». Et à ce moment-là tout s’arrête. Mais s’ils sont fidèles et « fermes dans la foi »’, ils entreront dans le mystère de la Résurrection. Et pour que le mystère de la Résurrection soit vécu de plus en plus, pas seulement une fois mais quotidiennement, et avec une intensité toujours plus grande, il faut le mystère de l’Eucharistie où Jésus se donne comme pain, où il se donne totalement sans rien garder

pour lui. C’est ce qu’exprime avec force le mot « viatique » : c’est le passage de notre manière humaine de vivre la foi, l’espérance et l’amour à une nouvelle unité de vie avec Jésus, et une unité de vie substantielle : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »2.

On comprend que pour l’âme de Marie il y ait eu par l’Eucharistie une nouvelle révélation, reçue dans une foi toute nue, sans plus aucun support pour l’intelligence humaine et, en ce qui

concerne l’espérance, dans une pauvreté totale à l’égard de tous les désirs parce que le don de

l’Eucharistie est absolu, et qu’il est donc plus précieux que tous les autres dons. Parce que ce don est plus fort pour nous que tous les autres, nous ne pouvons pas le relativiser ; c’est Jésus lui-même qui se donne et qui veut transformer notre vie en sa propre vie. Enfin, pour l’amour, c’est la ferveur que l’Eucharistie réclame. La ferveur de Marie, déjà si grande à la Croix, est dépassée par cette ferveur plus cachée, cette ferveur silencieuse où Marié se donne à Jésus dans l’Eucharistie. Ce mystère de l’Eucharistie, qui a été voulu en premier lieu pour Marie, lui permet de demeurer au désert. Testament d’amour du Christ, il indique à Marie la route qu’il faut prendre : vivre et témoigner de l’amour du Christ dans le silence et la solitude, dans une unité substantielle de vie avec Jésus. Et cela est vécu avec cette force particulière qu’a le testament, la dernière volonté du Christ, sa dernière volonté d’amour sur Marie et sur chacun d’entre nous. Car c’est bien la dernière

volonté du Christ sur Marie, c’est bien son testament : il n’en a pas laissé d’autre. C’est le même

pour tous, mais en même temps il est unique pour chacun.

1 1 Pe5,9. 2 Ga 2, 20.

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« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de F homme, vous n’aurez pas la vie en vous » Homélie du 26 avril 1996 à Saint-Jodard Jn 6, 52-59 Après ce geste de miséricorde — la multiplication des cinq pains et des deux poissons—,

Jésus, d’une manière prophétique, annonce que si nous ne mangeons pas la chair du Fils de l’homme

et ne buvons pas son sang, nous n’aurons pas en nous la vie, la vie éternelle, celle qu’il vient nous apporter.

Cette formule négative donne une force étonnante à ce don, qui est impératif: « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». C’est le vivant qui reçoit la chair du Christ et boit son sang ; mais si ce vivant refuse de

manger la chair du Christ et de boire son sang, il n’aura pas la vie en lui. L’Eucharistie est le sacrement du vivant, et c’est elle qui nous donne la vie, qui nous permet

de vivre en fils de Dieu, avec au plus intime de notre cœur un amour divin, un renouveau total,

puisque ce don est un don substantiel : c’est le corps et le sang du Christ qui nous sont donnés, et c’est la source même de toute vie divine qui nous est donnée — source instrumentale, certes, mais source pour nous. Il faut souvent revenir à ces paroles si impératives de Jésus, et nous demander si, dans notre vie chrétienne, l’Eucharistie est vraiment source de vie, ou si elle est vécue comme une autre activité

liturgique, ou comme n’importe quelle autre activité chrétienne. Avons-nous réellement conscience qu’il y a quelque chose d’unique dans le mystère de l’Eucharistie, et quelque chose d’unique dans la

communion de tous les jours ? Chaque jour nous pouvons nous renouveler radicalement dans le mystère de notre lien avec Jésus, dans ce mystère de vie divine. Ces paroles de Jésus qui sont si impératives, nous devons en vivre ; nous devons désirer recevoir toujours davantage ces paroles

vivantes, divines, pour découvrir le désir qu’a Jésus de se donner à nous. Si vraiment entre notre cœur et le cœur du Christ il doit y avoir ces liens d’amitié divine que la charité réalise, il faut que nous en vivions. Cette amitié est unique ; ce n’est pas une amitié qui s’ajoute aux autres, c’est une amitié qui nous lie au regard du Père sur nous en faisant de nous ses

enfants. C’est une vie substantielle d’amour divin, par et dans le Christ qui se donne à nous. Au-delà de toutes les modalités particulières, c’est cet aspect de la finalité du mystère que nous devons

regarder. Si nous ne prenons pas sa chair comme nourriture et son sang comme breuvage, nous n 'avons pas la vie. C’est donc nous qui brisons ce lien d’amour avec lui, alors que lui nous invite à

vivre ce lien et nous l’offre : « Veux-tu être mon ami ? Si tu veux être mon ami qui vit de la vie éternelle, de cette vie qui est la mienne, il faut que tu fasses tout pour recevoir ce don et en vivre ». Là nous comprenons l’exigence si impérative de notre vie chrétienne et donc, a fortiori, de notre vie

religieuse.

Si nous sommes religieux, si nous avons offert toute notre vie à Jésus, c’est parce qu’il veut vivre en nous sa vie, nous transformer en lui pour que nous soyons de vrais fils bien-aimés du Père et que nous vivions cette vie en plénitude, le plus possible. Tout le reste est second, alors que là il y a une exigence capitale, essentielle, première. Et pour cela il faut que, dans la foi, l’espérance et la charité, nous nous renouvelions tous les jours, afin de ne pas tomber dans le quotidien et le banal. Car nous sommes capables, hélas, de faire que quelque chose d’aussi grand devienne banal, comme

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les choses quotidiennes, et de n’être pas suffisamment attentifs, dans la foi, à ce don si étonnant que Jésus nous fait en nous donnant sa chair et son sang. Nous devons supplier l’Esprit Saint et la Vierge Marie de nous faire vivre ce mystère de l’Eucharistie. C’est l’alliance fondamentale avec Jésus ; par cette alliance il veut que notre cœur soit changé en son cœur, que nous ayons la même vie que lui, cette vie de fils de Dieu. Et cela dépend de

nous ; nous avons la grâce pour le vivre, mais cette grâce ne veut pas s’imposer à nous, elle veut être

reçue intérieurement dans une liberté totale. C’est donc la manière dont nous recevons l’Eucharistie qui nous permet de vivre de ce mystère et d’être transformés par Jésus. Si nous recevons l’Eucharistie d’une manière extérieure et banale, alors Jésus ne peut rien faire pour nous ; au lieu de recevoir le Christ dans la joie qu’il a de se donner à nous et de nous transformer, nous réduisons le mystère à une habitude humaine et nous acceptons d’en rester à cela au lieu de vivre du mystère. Ne nous laissons pas aller à cela ! Il faut que nous puissions vivre pleinement de cette exigence d’amour du cœur du Christ, exigence qui est très impérative. Pour pouvoir dire ces paroles : « Si vous ne

mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie », ne faut-il pas un amour

extraordinaire pour nous, et un désir intense à notre égard ? Alors demandons à Marie, elle qui a gardé ces paroles d’une manière si forte, de nous apprendre à les garder nous-mêmes comme des paroles divines qui réalisent ce qu’elles signifient, et qui réalisent en nous un cœur d’enfant affamé de recevoir le corps et le sang de Jésus. Revenons chaque jour avec une ardeur nouvelle à ce don qu’il nous fait gratuitement en réclamant de nous une gratuité analogue, celle du don total de tout nous-mêmes.

Que notre vie soit la vie du Christ en nous Homélie du 12 novembre 1998 à Saint-Jodard Le 17,20-25

Le grand mystère de la venue, du retour de Jésus, doit toujours être présent dans notre cœur : il est là, intérieurement, au plus intime de nous-mêmes. Quand nous disons : « Notre Père qui es au cieux », nous ne regardons pas le ciel en croyant que le Père est là, au-dessus. Non, il est au-delà de toutes les dimensions humaines — hauteur, profondeur, droite, gauche —, il est au-dessus. Jésus

passe « les portes étant fermées », lui qui est la Porte. Il n’est pas dans ce monde à trois dimensions, il est dans son « monde » à lui, et c’est lui qui fait ce monde divin au-dessus de tout. C’est proprement ce dépassement qu’opère la foi ; c’est cette transcendance du mystère du Christ que, dans la foi, nous atteignons directement. N’est-ce pas merveilleux, de savoir que la foi,

l’espérance et la charité nous permettent d’atteindre directement Jésus, son cœur, son âme, sa divinité ? Par sa Résurrection il est Dieu avec nous, il est Dieu pour nous, et c’est lui qui nous attire, c’est lui qui nous permet de ne pas nous installer dans le monde comme ceux qui, n’ayant pas la foi,

l’espérance et la charité, s’installent dans ce monde limité à trois dimensions, ce monde physique, ce monde que, déjà d’un point de vue purement humain, par notre intelligence et notre volonté, nous dépassons. Le levain divin de la foi, de l’espérance et de la charité nous permet de dépasser encore bien plus ce monde et d’être fixés, par l’Esprit Saint, dans la Très Sainte Trinité. L’Eucharistie est le signe tangible de ce lien avec l’au-delà — et l’au-delà, c’est Jésus : c’est Jésus qui vient vers nous, c’est Jésus qui est avec nous, c’est Jésus qui est pour nous et qui nous conduit au Père. 10

L’Eucharistie, sacrement d’amour, est là pour nous faire comprendre que le don de Jésus — il nous aime jusqu’à donner sa vie pour nous sauver — est toujours actuel. Il est présent parmi nous d’une manière sacramentelle ; ce n’est pas la présence du Ciel, ce n’est pas la présence historique de Jésus à Nazareth, à Bethléem, c’est une présence d’un type nouveau, inventée par la sagesse de Dieu. Le sacrement de l’Eucharistie, où le Christ est à la fois visible et au-delà du visible, nous permet de

nous ouvrir, d’être présents à Jésus dans cette présence qui n’est plus de ce monde, en entendant

intérieurement Jésus qui nous parle, qui nous enseigne. Jésus est toujours présent pour nous dans ce don éternel et actuel. Le Ciel, c’est Jésus dans sa mort et sa Résurrection, c’est Jésus nous sauvant par le sacrifice de toute sa vie. Ce sacrifice est totalement à nous, substantiellement à nous dans l’Eucharistie ; là Jésus se donne à nous pour n’exister qu’avec nous et pour nous, pour qu’en lui, dans la foi, l’espérance et la charité, nous n’existions plus que comme fils bien-aimés du Père, tout entiers dépendants de lui et relatifs à lui : c’est lui qui vit en nous, c’est lui qui nous attire à lui, c’est lui qui nous fait fils bien-aimés du Père.

Demandons à l’Esprit Saint d’être en nous pour nous donner ce réalisme de l’amour du Christ pour nous, ce réalisme divin des sacrements, surtout du sacrement de son amour, ce sacrement où il est tout le temps présent pour nous et attend notre amour, notre réponse à son amour, à son don total. Rejoignons-le dans une foi aimante, une foi victorieuse qui croit à la réalisation de sa promesse : il

est là entièrement pour nous. Demandons à l’Esprit Saint de nous donner ce réalisme divin du

sacrement de l’Eucharistie, pour que nous soyons tout le temps donnés à Jésus ; pas seulement spéculativement, pas seulement à travers notre travail, mais à travers tout ce que nous sommes. Il faut que Jésus prenne tout en nous : notre sensibilité, nos instincts avec leur force, leur brutalité ; tout doit être donné à Jésus pour que nous lui soyons entièrement relatifs. Si nous lui donnons tout, en ne gardant absolument rien pour nous, alors il transformera tout en donnant à toute notre personne cet être divin qui est celui de l’enfant de Dieu racheté par la Croix du Christ, qui vit avec Jésus l’amour même que Jésus a pour le Père, pour Marie et pour nos frères. Qu’il n’y ait plus de distance, que notre vie soit la vie du Christ en nous, et que ce soit lui qui continue sa mission d’amour au plus intime de notre cœur et de notre intelligence, en captant toutes nos énergies. Alors seulement nous comprendrons l’appel si impératif du Christ : « J’ai soif ». Il a soif de notre amour et de notre charité

fraternelle.

A travers le don de son Fils dans l’Eucharistie, le Père se donne à nous Extrait de AFC 8.02.98 Chaque fois que nous recevons l’Eucharistie, et que nous désirons et voulons communier

vraiment en enfants de Dieu, supplions l’Esprit Saint d’être là et il nous apprendra à découvrir la force de ce don. Pour les premiers chrétiens, l’Eucharistie était le grand secret qu’il fallait garder comme un secret de famille. Certains saints sont morts pour garder ce secret — c’était ce qu’on appelait « la loi de l’arcane », du secret. H s’agit là d’un secret substantiel, puisque Jésus est mort pour nous, pour nous donner son corps et son sang en nourriture. C’est l’Esprit Saint qui nous prépare à recevoir ce don. Chaque fois que nous allons communier, supplions l’Esprit Saint d’être là,

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recevons le corps du Christ et son sang dans cette lumière de l’Esprit Saint, et disons à ce momentlà : « Abba, Père ! » C’est le Père qui donne son Fils dans l’amour, qui nous donne le cœur vivant, ressuscité de son Fils, celui qui a souffert à la Croix. C’est lui qui nous est donné, et c’est vraiment le Père qui nous le donne. C’est à ce moment-là que le Père est parfaitement Père, puisqu’on nous

donnant son Fils il nous donne celui qu’il aime le plus. N’est-ce pas là qu’on reconnaît un père :

quand il donne ce qu’il aime le plus et qu’il est seul à pouvoir donner ? Le Père seul peut nous

donner Jésus, son cœur blessé à la Croix et ressuscité. Le Père a voulu que le testament d’amour de Jésus soit ce mystère réalisé chaque jour, et à chaque instant dans le monde, pour que ses enfants

puissent l’appeler : « Abba, Père ! »

Dans l’Eucharistie, écoutons Jésus nous dire : « Je t’aime ! » Homélie du 24 octobre 2004 à Saint-Jodard Le 18,9-14 L’Evangile que nous venons d’entendre est un Evangile très précieux pour découvrir le regard

de Jésus sur nous. Nous sommes tous à la fois publicain et pharisien. Aucun d’entre nous, ici, aujourd’hui, n’est un pur pharisien, ni un pur publicain. Jésus nous donne cette parabole pour que nous comprenions bien que, tant qu’on est sur la terre, il y a toujours en nous un pharisien, si saint qu’on soit. Le pharisien n’entrera pas au Ciel, alors là il

nous laissera tranquilles ! tandis que sur la terre il est toujours là : « Ce que je fais, ce n’est pas si

mal, c’est même plutôt mieux que ce que font les autres ». D’abord on dit : « Ce n’est pas si mal », et ensuite on compare, et c’est là que le pharisien commence à pousser. C’est terrible, cette manie de comparer toujours, toujours... Tant qu’on fait cela on ne peut pas être seul en face de Jésus, alors que c’est justement cela qu’il attend de nous. Jésus attend qu’on soit seul en sa présence et qu’on lui ouvre les bras, et qu’on se jette à ses pieds, et qu’on l’embrasse. Lui seul nous intéresse vraiment ; ce que sont les autres, cela nous intéresse, mais en fonction de lui. Le pharisien, au fond, il est inquiet, très inquiet, alors il désire se donner une certaine certitude par rapport à lui-même, à ce qu’il veut

être ; et là, rien ne nous donne plus de certitude que de nous comparer aux autres, c’est-à-dire de

toujours les regarder comme étant inférieurs à nous. Tandis que si on est habitué à être toujours regardé comme inférieur aux autres, on ne sait plus très bien où est notre place... Le pharisien, lui, veut se donner une place, avoir une certaine « tenue ». Mais Jésus est notre Dieu, il est notre Amour ; nous devons donc être vrais. Et nous sommes vrais en face de Jésus si, justement, c’est lui que nous regardons. C’est pour lui, et uniquement pour lui, que nous sommes ici et que nous désirons vivre cette Eucharistie le plus profondément possible, parce que nous savons que l’Eucharistie est pour nous source du Salut. C’est le mystère de la Croix

qui nous est donné, et le mystère de la Croix est notre Salut, c’est Jésus qui porte toutes nos fautes et nous regarde avec amour. Nous sommes la petite brebis qu’il a cherchée plus que toutes les autres ; et c’est vrai pour chacun d’entre nous : plus que toutes les autres. 11 y a toujours, dans l’amour du Christ pour nous, quelque chose, de personnel qui est très extraordinaire : Jésus nous prend à part et nous dit qu’il nous aime. C’est cet « aveu » de Jésus, quand il nous dit qu’il nous aime, qui transforme notre cœur. Si Jésus nous aime, alors nous n’avons qu’une seule chose à faire, c’est de l’aimer ! C’est quelque 12

chose de tellement extraordinaire qu’au milieu de toutes les personnes, de toute l’humanité depuis qu’elle existe, Jésus nous regarde, nous, en particulier, d’une manière unique ! A la Croix il nous a tout donné, et c’est cet amour-là qui nous est donné dans l’Eucharistie, c’est le sacrifice de la Croix qui nous est donné. Chaque célébration de l’Eucharistie nous donne de vivre vraiment, dans la foi, l’espérance et la charité, du mystère de la Croix du Christ. C’est pour nous qu’il vient sur l’autel, pour se donner à nous. Alors ne regardons que lui et écoutons ce qu’il nous dit : « Je t’aime ! ». C’est cela qu’il nous dit chaque fois que nous participons à la messe. Et il nous le dit d’une manière tellement forte, tellement intérieure, que nous n’osons pas l’écouter, alors que toute notre attention devrait être d’écouter cet « aveu » merveilleux : Jésus qui nous dit qu’il nous aime. En cette année de l’Eucharistie nous devons nous poser la question : pourquoi Jésus a-t-il voulu « inventer » l’Eucharistie, mettre la toute-puissance de Dieu au service de son amour pour chacun

d’entre nous ? Tout l’amour du Christ, toute la puissance de Dieu, sont à notre service pour que nous puissions recevoir son amour. C’est cela que Jésus cherche, et il ne cherche que cela. Les pharisiens s’aiment trop. On s’aime toujours un peu, c’est normal, mais on ne doit pas s’aimer trop, et surtout on doit s’aimer en regardant Dieu, en regardant le Christ, et le Christ crucifié.

Quand on regarde le Crucifié, on n’a pas envie de se regarder soi-même. Quand on vit le mystère de la messe, on vit le mystère de la Croix, donc on n’a pas envie de se regarder, on n’a qu’un seul désir : vivre de l’amour du Christ. Demandons à l’Esprit Saint et à la Vierge Marie de préparer notre cœur à cette rencontre intime, personnelle, avec Jésus. Il descend de la Croix pour nous dans l’Eucharistie. H descend de la Croix pour nous faire comprendre qu’il nous aime, et la seule chose qui touche son cœur, c’est que nous répondions à son amour. Supplions Marie de nous apprendre à écouter Jésus nous dire qu’il nous aime, et répondons à son amour avec un amour toujours plus fort, plus pur, plus grand.

C’est la vie du Père que Jésus nous donne dans l’Eucharistie Homélie du 23 avril 1999 à Saint-Jodard Jn 6,52-59

Jésus affirme avec netteté que le pain qu’il donnera, c’est sa chair en nourriture. A la question posée : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? », Jésus n’explique pas le

comment, il réaffirme le mystère. Et c’est vrai, l’intelligence humaine ne peut pas expliquer comment Jésus peut nous donner sa chair en nourriture ; c’est un mystère qui dépasse toute explication

humaine. Mais il montre la nécessité pour nous de croire en ce mystère, il montre la signification profonde de ce mystère, sa finalité, et c’est pour cela qu’il dit : « Si vous ne buvez pas mon sang, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie en vous ». Ce n’est pas une explication au sens philosophique, mais d’une certaine manière c’en est une par la finalité : « Si tu veux vivre de la vraie vie, de la vie étemelle, de la vie de Dieu, il n’y a qu’un seul moyen ; c’est de reconnaître, dans la foi, ce don que Jésus te fait gratuitement de sa chair et de son sang ». C’est par là que nous vivrons de la vie étemelle, c’est par là que nous serons exempts, délivrés de la mort : nous vivrons éternellement.

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Ce don gratuit que Jésus veut nous faire, il nous le fait par sa mort. C’est le mystère de la mort du Christ qui nous est donné à travers l’Eucharistie, et c’est pour cela qu’il y a la double consécration : d’une part le corps, d’autre part le sang. C’est par là que nous avançons dans l’unité avec la vie du cœur de Jésus, avec sa vie de Fils bien-aimé du Père. Jésus nous indique la voie : c’est lui, c’est lui-même qui se donne ; ce n’est pas quelqu’un d’autre, c 'est lui. Il meurt pour nous, pour nous donner sa chair en nourriture, et c’est pour cela que le sacrement de l’Eucharistie est lié au mystère de la Croix et nous fait vivre ce mystère par où nous sommes sauvés. Jésus n’explique pas le mystère, il réclame notre foi ; mais il veut nous convaincre de la

grandeur de ce mystère et nous montrer que dans l’ordre de l’amour il y a là un ordre de sagesse implacable et merveilleux. Il vient nous apporter la vie, et cette vie est une vie éternelle d’amour, c’est sa vie : il est le Fils de Dieu, le Fils du Père, et c’est la vie du Père qu’il nous transmet, qu’il

nous donne. Cette vie, elle va prendre tout son développement, toute sa force, toute son efficacité, par ce don royal. C’est par ce moyen que nous atteignons la fin, et ce moyen est lié à la fin, il n’est pas autre chose ; il est, pour nous, lié intimement, personnellement, à la fin. La fin, c’est d’être un avec le Fils pour aimer le Père, et cette unité ne cessera de grandir jusqu’au moment où nous vivrons dans la clarté, dans la lumière, où nous comprendrons que celui qui nous est donné, c’est notre Dieu. Et c’est lui qui éclaire tout dès ici-bas, dans la foi. Il n’y a pas d’autre moyen que lui : il est la voie, la vérité et la vie, et cela nous est donné admirablement dans le sacrement de l’Eucharistie. Jésus, dans une affirmation divine qui parle directement à notre foi, nous demande de nous engager pleinement dans cette voie qui est la sienne, qui est lui, cette voie qui nous unit à celui qui nous est totalement donné parce qu’il est Amour. Que toute notre vie soit relative à lui, soit pour lui : comme il se donne, nous nous donnons. L’Eucharistie, qui est ce don gratuit que Jésus nous fait de lui-même, de sa vie, ne peut porter ses fruits que si nous-mêmes nous nous donnons à lui pleinement, jusqu’au bout, sans rien garder pour nous. On voit là combien nos vœux correspondent au mystère de l’Eucharistie. C’est ce mystère de l’Eucharistie qui réclame de nous ce don total de tout nous-mêmes dans l’esprit de pauvreté, de

virginité et d’obéissance. « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort » et, étant obéissant jusqu’à la mort, il se donne à nous pour être notre nourriture ; et il veut que nous-mêmes, nous mettions nos pas derrière les siens, et que nous obéissions au Père comme il lui a obéi. C’est en obéissant au Père de

cette manière, comme lui, que nous pouvons nous orienter, nous ordonner vers le mystère de la vie éternelle. Le seul moyen, c’est l’amour, parce que l’amour seul conduit à l’amour ; et le don total que

Jésus fait de lui par l’Eucharistie nous conduit admirablement à son amour et à l’amour du Père. Demandons au Paraclet, demandons à la Vierge Marie, de comprendre cette voie si

maternelle dans l’amour, cette voie si admirable et si divine qui nous conduit d’une manière efficace à ce mystère d’amour pour que nous vivions de ce don, pour que nous comprenions que notre don à

Jésus se fait par son don, avec lui dans l’unité. Que l’Esprit Saint, le Paraclet, nous aide à faire que chacune de nos communions soit pour nous le moyen divin de renouveler nos vœux et d’en vivre pleinement dans la fidélité, dans le don total de tout nous-mêmes. Jésus se donne à nous pleinement comme pain et comme vin, pour que le réalisme de nos vœux, le réalisme de l’amour divin, nous saisisse pleinement à travers toutes nos activités : qu’elles soient transformées par ce don total de tout nous-mêmes.

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La parole de Dieu prend toute sa signification dans l’Eucharistie Extrait de CSJo 9.06.04 On doit constamment se poser la question : Pourquoi ce mystère de l’Eucharistie ? C’est quelque chose de si grand, de si extraordinaire. Déjà l’Incarnation, c’est fou ! c’est une sagesse d’amour et c’est la folie de l’amour : Dieu se fait Agneau immolé pour nous sauver, pour nous révéler son amour. C’est donc pour nous le seul moyen de pénétrer divinement dans la paternité du

Père, dans la filiation, dans l’amour mutuel du Père et du Fils, le mystère de l’Esprit Saint qu’ils nous

envoient comme Paraclet pour nous lier à Jésus, nous transformer en Jésus, nous donner d’être dans

l’unité avec lui. C’est tellement vital pour nous qu’il ne suffît pas que le mystère de l’Agneau immolé ait eu lieu sur notre terre à tel endroit, à tel moment : il faut que ce mystère soit à notre portée, à la portée de ces êtres sensibles que nous sommes, ayant une âme dans un corps. Il faut que ce mystère, qui en lui-même transcende le temps et le lieu parce qu’il est divin et donc étemel, nous soit donné à travers un signe, pour que nous puissions en vivre d’une manière plus proche, plus réaliste. C’est

pour cela que Jésus a institué l’Eucharistie et qu’il l’a instituée à travers la fête de la Pâque, qui était la grande fête d’Israël, ce qui donnait à Israël son unité : la maison, le foyer, le groupe d’amis, devenait le Temple. La chose la plus grande de l’Ancien Testament qui préfigure ce que nous vivons dans la célébration de l’Eucharistie, c’est bien la Pâque. Jésus nous le montre, et il faudrait être

stupide pour refuser cela, puisque c’est bien la Pâque ancienne qui dispose, prépare, à la nouvelle

Pâque, celle où Jésus lui-même est l’Agneau, où Jésus lui-même se donne comme pain et vin. Là c’est l’amitié des disciples qui forme le Temple pour la nouvelle Pâque. Dans l’Ancien Testament, c’était l’amitié des amis autour de l’agneau immolé, mais l’agneau immolé de la Pâque ancienne

disparaît devant le véritable Agneau, Jésus, celui que Jean-Baptiste révèle : « Voici l’agneau de Dieu »'. Et la charité fraternelle, soudainement, prend une signification transcendante avec le don du

coips et du sang du Christ.

Jésus, dans ce choix divin réalisé à la Croix à travers le cœur de Marie, a voulu que tous les

disciples, devenant des enfants bien-aimés de Marie, puissent vivre de ce mystère pour qu’il reste en

acte dans l’Eglise. C’est l’Eglise qui est formée là ; l’Eglise, c’est la Pâque, puisque c’est Jésus qui se donne à nous et qui nous prend ; c’est donc à travers la Pâque qu’on doit découvrir le mystère de

l’Eglise, et c’est à partir de là que tout doit être compris. C’est l’union de la parole et du corps, et du sang. La parole, en effet, a son sens ultime quand Jésus, prenant le pain et le vin, dit : « Ceci est mon corps, ceci est la coupe de mon sang ». C’est là que la parole divine devient la plus grande qui soit, c’est là qu’elle prend toute sa signification. Il faudrait que toutes les paroles du Christ, toutes les paroles de Dieu, nous orientent vers le moment si important de la consécration ; parce que toutes les paroles du Christ nous donnent sa lumière, nous donnent son corps, nous donnent son sang, nous donnent son amour. Il a voulu qu’il y ait dans le sacrement de l’Eucharistie une rencontre entre la Parole — « le Verbe s’est fait chair, le Verbe est devenu chair », « Ceci est mon corps, ceci est mon

sang » — et le signe pratique : le sacrement. Jésus reste présent parmi nous grâce à sa parole et grâce à l’Eucharistie, mais c’est l’Eucharistie qui est la parole la plus efficace, la plus lumineuse, la plus porteuse d’amour. Il faudrait toujours lire et commenter la parole de Dieu dans la lumière de l’Eucharistie. Dans le mystère de l’Eucharistie la parole de Dieu nous donne le corps du Christ, elle nous donne son sang, elle nous donne la présence invisible mais réelle de la personne du Christ. Ce réalisme de l’Eucharistie est extrêmement important pour nous, parce que c’est le réalisme du corps 1 Jn 1,29 et 35.

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et le réalisme du sang séparés, donc l’état victimal de l’Agneau qui se donne à nous ; car l’Agneau ne peut se donner que dans un état victimal, dans la séparation de son corps et de son sang. C’est dans cette union profonde de la parole et du sacrement que la parole du Christ prend toute sa force, c’est à ce moment-là que, en recevant le corps et le sang du Christ, nous vivons le plus

de la parole de Jésus. Cette parole, ainsi unie au sacrement qu’elle réalise, nous transforme — elle est faite pour cela. La parole du Christ est faite pour être pour nous le pain quotidien et le vin, la boisson. Il ne faut jamais séparer le mystère de la parole de Dieu et le mystère de l’Eucharistie. C’est parce qu’on les sépare trop qu’on ne voit plus le réalisme de la parole divine : on ne voit plus que la parole divine, parce qu’elle est divine, est efficace. Elle est efficace pour créer — « Il dit, et cela est »' —, et elle est efficace pour donner le corps et le sang du Christ. Pour nous, il est capital de garder cela,

parce qu’aujourd’hui on a tellement séparé les deux qu’on ne voit plus le sens divin de la parole ni le sens divin du sacrement ; il faut donc réunir le signe spéculatif de la parole et le signe pratique du sacrement. En Dieu, le pratique et le spéculatif ne font qu’un. C’est en nous, à cause du péché, que le spéculatif et le pratique sont si souvent séparés, alors que le sacrement nous remet toujours dans le primat de l’amour du point de vue pratique et que la parole nous dispose toujours à la contemplation.

Il faut demander à Jésus de réaliser dans notre contemplation cette profonde unité. Je dirais : toute parole divine doit être contemplée divinement et donc être toujours unie à la réalité qu’elle

signifie, jamais séparée, parce que c’est une parole divine liée à sa source.

Si nous vivons du mystère de l’Eucharistie, nous devons essayer de comprendre, ou au moins demander à Jésus : Pourquoi ? Jésus aime que, sans se lasser, on lui pose cette question d’un amour qui veut aller jusqu’au bout, qui veut pénétrer cette signification amoureuse : Pourquoi ce sacrement

des sacrements, l’Eucharistie ? et pourquoi tous les autres sacrements se comprennent-ils dans la lumière de l’Eucharistie ? Sans la lumière de l’Eucharistie, on ne va pas jusqu’au bout. C’est vraiment à travers le mystère de l’Eucharistie que tout prend sa signification. Jésus, par amour pour nous, veut que le mystère de la Croix nous soit présent. Et pour nous faire comprendre que ce mystère est présent au-delà du temps, il y a un grand signe de miséricorde, un signe caché, un signe

tellement extraordinaire qu’il demeure toujours caché. Mais on peut aussi essayer, du point de vue théologique, de voir comment Marie a vécu de la Croix, où elle a offert Jésus. L’humanité sainte du Christ qui avait été formée en elle, le corps du

Christ, son sang, elle les a offert à la Croix. Elle les a offert une première fois dans l’institution de l’Eucharistie, et une seconde fois à la Croix. Là elle offre ce qui était son grand secret, son union

avec le corps de Jésus, ce corps qui était quelque chose de son corps, qui en était comme le prolongement... Cela, c’était unique, et Dieu a voulu que ce qu’il y a de plus intime, de plus

personnel, de plus unique dans l’ordre divin, soit donné à tous. C’est extraordinaire, cela. Ce qui était

le privilège de Marie : former le corps de Jésus, est donné à tous dans l’Eucharistie. Cela doit nous aider beaucoup à comprendre le lien entre l’Eucharistie et la maternité divine de Marie. Pour nous qui devons approfondir toujours davantage le lien de notre consécration religieuse avec la maternité divine de Marie, nous devons voir tout particulièrement le lien entre la maternité divine de Marie et le corps du Christ, et le lien entre notre don et le corps sacré du Christ. Chaque fois que nous donnons quelque chose au Père, le Père nous donne le centuple. Marie a donné son corps à Jésus, au Verbe, et donnant son corps elle appelle le mystère de l’Eucharistie — « donnant, donnant ». Le Père donne, Marie donne, Jésus donne, et Jésus nous donne son propre corps, le Père nous donne le corps de son Fils. Dans le lien de notre vie religieuse avec la maternité divine de Marie, il ne faut jamais oublier que quand nous recevons l’Eucharistie, c’est le corps de Jésus qui nous est donné pour que 1 Ps 33,9.

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nous puissions être transformés, divinisés. Et là il y a comme un appel toujours plus grand : lorsque, répondant au don de Marie à l’Annonciation, le Christ lui donne son propre coips, le don de Marie se fait alors encore plus grand, tellement Jésus se donne à elle et se fait un avec elle pour qu’elle puisse se donner- totalement, jusqu’au bout.

Pourquoi l’Eucharistie est-elle donnée avant la Croix ? Extrait de CSjo 2.06.99 Jésus anticipe sa mort par l’institution de l’Eucharistie, et donc sa mort, à travers cette institution, est vécue prophétiquement, dans une totale confiance en le Père. C’est le sacerdoce royal

du Christ, ce sacerdoce filial à l’égard du Père, qui réalise ce mystère avant la Croix ; le Père a une totale confiance en le Fils et il lui permet de réaliser symboliquement, mais divinement— d’un

symbolisriie divin —, le mystère de la Croix. En instituant l’Eucharistie le Christ réalise le mystère de la Croix dans ce qu’il a d’étemel, au-delà du temps ; en effet le mystère de la Croix a quelque chose qui est dans le temps, et en ce sens il ne se répète pas : « une fois pour toutes » (He 7,27 ; 10, 10 et 14) le Christ est mort sur la Croix ; mais il y a aussi l’offiande de son corps au Père, dans l’obéissance (cf. Jn 14, 31), et cet acte intérieur d’amour, d’adoration, devance prophétiquement la Croix. L’Eucharistie doit toujours être vécue dans cette lumière de la première Eucharistie, et elle est vécue aussi dans la lumière de la Croix ; mais grâce à cette première Eucharistie qui est réalisée avant la Croix nous comprenons, nous qui avons besoin d’être enseignés, comment toutes les

Eucharisties qui suivent, et qui ne sont pas dans le temps de la Croix, sont le même sacrifice. Il fallait ce sacrifice avant le jour du sabbat pour donner au sabbat toute sa signification, son ultime signification ; Jésus adore le Père, et dans cette adoration toute sa vie est remise au Père, offerte au

Père, et offerte d’une manière sanglante. Pour symboliser cela il y a les deux consécrations, et ce geste est prophétiquement l’offrande du Christ immolé le Vendredi Saint sur la Croix. L’Eucharistie est réalisée dans un geste prophétique (il ne faut pas l’oublier), et pour nous elle reste toujours un geste prophétique du retour du Christ dans la gloire. Ce retour glorieux du

Christ est prophétiquement donné par l’Eucharistie comme, lors de la dernière Cène, de la première

Eucharistie, l’offrande de Jésus à la Croix était donnée prophétiquement à Jean, à Pierre, aux Apôtres — sauf à Judas qui la refusait. Il est donné prophétiquement, et c’est en ce sens-là que les Apôtres ont vécu du mystère de la Croix sans y avoir été présents le lendemain, sauf Jean ; il fallait qu’il leur soit donné pour qu’ils puissent être les témoins de la Croix du Christ, et s’ils l’avaient vraiment vécu prophétiquement ils auraient été présents à la Croix. Par l’Eucharistie nous sommes des témoins vivants de l’holocauste de Jésus à la Croix, parce que cet holocauste que Jésus vit en nous est pour nous et nous transforme : nous sommes transformés en l’Agneau victimal, en Jésus offert à son Père, et nous sommes là pour lui. Comprenons bien que le sacerdoce du Christ est prophétique, et que c’est pour cela qu’en instituant l’Eucharistie avant la Croix il donne la Croix à Marie, à Jean... et à nous. C’est peut-être cela que le Paraclet doit nous faire comprendre. L’institution de l’Eucharistie est le testament du Christ, et le Saint-Père dans ses lettres du Jeudi Saint (qu’il faut relire souvent), dit que la ratio du sacerdoce chrétien, c’est le mystère de l’Eucharistie ; autrement dit, ce qui spécifie le sacerdoce 17

chrétien, c’est le mystère de l’Eucharistie. Jésus donne au prêtre le pouvoir — un pouvoir divin — de dire les paroles de la consécration avec Jésus, en lui et par lui. Ces paroles de la consécration sont tellement celles de Jésus que le prêtre ne doit pas les modifier, comme pour bien montrer qu’il n’est pas Jésus. Il doit répéter les paroles de la consécration telles que Jésus les a dites : « Ceci est mon corps », alors que ce n’est pas le corps du prêtre, mais le corps de Jésus. Jésus peut donner au prêtre

ce pouvoir royal sur son propre corps... Tout l’univers est pour la procréation humaine (c’est là que l’univers réalise ce qu’il a de plus grand) ; et parmi toutes ces procréations, toutes ces maternités, toutes ces générations, il y en a une

qui donne à toutes les autres leur sens : c’est celle de Marie, sa maternité qui forme le corps de Jésus. Ainsi tout l’univers physique est ordonné (qu’on le veuille ou non, c’est une réalité objective, réelle) à la formation du corps du Christ en Marie, d’une façon miraculeuse, avec le secours direct de la toute-puissance de Dieu. Mais si déjà le corps du Christ donne à notre univers physique sa signification ultime, dernière, il y a plus encore. La sagesse sacerdotale du Christ donne à son corps

une dimension nouvelle, celle-là complètement imprévue par rapport à notre univers physique, dépassant complètement la finalité de ce monde physique. Le corps du Christ, qui est un corps

humain plus réel que notre propre corps, est partie de l’univers, mais une partie qui le dépasse et le finalise, puisque c’est un corps humain qui est divin. Et le sacerdoce du Christ s’empare de son propre corps, qui est le coips du Fils du Père. Pour obéir au Père (mais c’est, si l’on ose dire, son invention dans celle du Père, avec celle du Père), Jésus se sert de ce corps si merveilleux, finalité de tout l’univers physique (il en est le maître, puisqu’il est lui-même Créateur de cet univers physique pour le corps humain, pour son coips humain), il offre son corps en victime d’amour, victime violente (c’est le propre de la vraie victime), victime sanglante : il est l’« Agneau comme égorgé ». En instituant le sacrement de l’Eucharistie, Jésus, dans la double consécration du pain et du vin, réalise mystiquement, prophétiquement, son offrande à la Croix. Son corps et son sang vont être la matière divine de ce sacrement qui est le sacrement des sacrements, le sacrement de l’amour, le sacrement du don, qui dépasse tous les autres puisque tous sont ordonnés à celui-là. Jésus peut faire

cela parce qu’il a une autorité royale, divine, sur son propre corps ; il peut, prophétiquement, symboliquement (mais d’un symbolisme divin, réel), se servir de son coips comme d’une victime

d’amour : il offre le corps et le cœur transpercé, mort, et il présente le sang de la victime. Or Jésus nous dit : « Il est bon pour vous que je m’en aille, autrement je ne pourrai pas vous

envoyer le Paraclet. Si je m’en vais, je vous enverrai le Paraclet » ; et Jésus « part », nous quitte, par l’offrande même de sa vie, de son corps en victime d’amour. Il y a donc un lien divin entre le don du Paraclet, qui est le don par excellence, et le mystère de la Croix dans ce qu’il a de plus profond, c’est-à-dire à la fois de plus divin et de plus humain : l’offrande victimale de Jésus, l’offrande de l’Agneau immolé. Ce ne sont pas les théologiens, ce n’est pas la Tradition, qui nous montrent ce lien,

c’est Jésus lui-même ; et c’est gardé dans saint Jean, et c’est gardé dans le cœur de Marie (on peut le dire, puisque c’est gardé par saint Jean ; aucun autre Apôtre ne le dit). On peut alors aller encore plus loin dans l’interrogation : Pourquoi Jésus devance-t-il le mystère de la Croix ? Nous avons déjà donné une raison théologique importante : Jésus a devancé prophétiquement la Croix pour nous faire comprendre, par ce point de vue prophétique, ce qu’il y a de capital dans le mystère de la Croix : l’offrande de sa propre vie ; cela peut être prophétiquement devancé alors que l’offrande sanglante ne le peut pas, parce qu’elle est dans le temps (c’est le

réalisme de l’offrande). Mais il y a peut-être une autre raison. Comme Marie, à Cana, a devancé le miracle (tiansformation de l’eau en vin) par le désir de son cœur, n’y a-t-il pas dans l’Eucharistie comme un signe (un signe divin) de l’ardeur du cœur du Christ ? 11 peut, sacramentellement, devancer le mystère de la Croix, et il le devance pour ses 18

Apôtres, pour Marie : réaliser, par le mystère de l’Eucharistie, cette Pâque nouvelle, la Pâque en son corps et en son sang, c’est une réalité, ce n’est pas seulement intentionnel. Si c’était purement symbolique, ce serait comme un magnifique jeu théâtral — ce que font les peintres. La liturgie que Jésus réalise n’est pas du théâtre ; ce qu’il réalise par les sacrements, c’est beaucoup plus, c’est un signe divin, un symbolisme divin, et donc une réalité. Quand il prononce à la Cène les paroles de la

consécration, Jésus réalise l’offrande qu’il fait au Père de toute sa vie, de son propre corps, de son propre sang. Le premier « départ » de Jésus — « Il est bon pour vous que je m’en aille » —, mystiquement, est là. Et Jean et Marie sont présents. Marie n’était pas présente à la Cène proprement dite, mais elle était là comme petite servante de la Cène ; elle a donc vécu ce premier départ : « Si je

ne m’en vais pas, je ne pourrai pas vous envoyer le Paraclet». Or ce que Jésus réalise symboliquement (d’un symbolisme divin) dans un sacrement, il le réalise réellement, parce que Dieu

voit la réalité avant le signe. Nous, nous voyons le signe avant la réalité, mais c’est parce que nous voyons tout de travers ! alors, dans le sacrement, nous voyons le signe avant la réalité ; dans la foi nous « touchons » le corps du Christ, et par notre regard nous voyons le signe. Mais le Père, lui, voit la réalité du mystère, et c’est dans cette réalité du mystère qu’il voit le signe. Or c’est pour le Père que Jésus fait cela ; c’est la hâte de son cœur.

L’Eucharistie ne nous fait-elle pas comprendre cette hâte? A cause de cette hâte Jésus

réalisera le mystère de la Croix d’une manière autre que s’il n’y avait pas eu cette hâte divine. C’est une hâte d’amour, toute d’amour. Alors, ne reçoit-il pas du Père un don d’amour ? On ne peut pas l’affirmer mais on peut essayer de comprendre. Il y a une réponse du Père à l’obéissance de Jésus à la Croix ; or cette obéissance de Jésus se réalise à la Croix selon un mode particulier, mais substantiellement c’est déjà la même obéissance dans l’institution de l’Eucharistie. On n’y pense

pas... mais, n’est-ce pas cela que le Saint-Esprit nous demande d’expliciter, puisque le concile Vatican H a demandé aux théologiens de reprendre toute leur théologie dans la perspective de l’économie divine ? Or, dans la perspective de l’économie divine, on doit regarder le mystère de l’institution de l’Eucharistie avant la Croix, pour éclairer. L’institution de l’Eucharistie n’est pas une

préparation à la Croix, c 'est la Croix mystiquement, mystérieusement. Ce serait indigne du Christ, de parler de « préparation ». Marie n’a pas voulu que Cana soit une préparation, elle a voulu que ce soit

une hâte ; ce n’est pas la même chose, c’est même juste l’inverse. Pas besoin de préparation : c’est ce

que nous dit Marie, c’est toujours la hâte de Marie, parce qu’on lambine dans les préparations ; mais

pour nous cela ne peut se faire qu’avec elle. Jésus, lui, peut le faire seul, et c’est pour cela que Marie peut anticiper en s’appuyant sur lui, en le devançant. Ainsi, grâce à ce commandement que nous a donné le Saint-Esprit par Vatican II, nous

découvrons l’institution de l’Eucharistie comme un mystère qui nous révèle la hâte du cœur de Jésus. On n’y pense pas assez. Et pour nous, c’est toujours la même Eucharistie, et donc la même hâte du cœur de Jésus, et c’est la hâte de son retour, et nous avons soif de son retour. Il y a là quelque chose de très important à comprendre, par le Paraclet qui nous est donné. « Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié. » Déjà à la Cène l’humanité de Jésus a été associée à la spiration de l’Esprit Saint, et

Jésus a pu donner le Paraclet à Jean quand il reposait sur sa poitrine, et à Marie, petite servante de l’Eucharistie. N’est-ce pas cela que nous devons découvrir à travers l’Evangile de saint Jean ? Jean est le seul qui nous permette de le découvrir, et cela donne une nouvelle profondeur au mystère de l’Eucharistie. Grâce au Paraclet, nous regardons l’Eucharistie comme le Père la regarde ; car c’est bien cela, le rôle du Paraclet : nous apprendre à avoir, sur tous les gestes du Christ, sur tout l’enseignement du Christ, le regard du Père. C’est purement gratuit, car nous n’avons aucun droit à avoir ce regard, mais le Paraclet aime la surabondance, il aime ce qui devance et il nous fait vivre de cela, parce que par là il nous unit davantage au Père ; et il aime tellement le Père qu’il voudrait que 19

nous ayons tout le temps le regard du Père sur nos frères, dans la charité fraternelle. Quand nous n’avons pas le regard du Père sur nos frères, Jésus nous dit quel regard nous avons : la poutre qui est dans notre œil, nous ne la voyons pas, et nous croyons que c’est une paille ; et nous voyons tout de suite la paille qui est dans l’œil de notre frère et, par notre regard humain, nous en faisons une poutre. Voilà ce que nous inventons : c’est cela, l’idéalisme. L’idéalisme, c’est se gonfler (la grenouille qui veut devenir aussi grosse que le bœuf) ; et quand cela concerne le mystère de la charité, c’est terrible. Le Paraclet nous est donné pour corriger cela et nous donner un regard réel et divin, celui du Père ; et le fruit le plus merveilleux de l’Eucharistie, c’est de transformer notre cœur dans le cœur de Jésus et de nous apprendre à aimer nos frères.

Espérance et Eucharistie Extraits de la retraite à Troussures (novembre 2004)

Le Christ a tout donné. Et le signe qu’il a tout donné, c’est que la Croix se prolonge par l’Eucharistie. Nous avons dit que l’espérance repose sur la promesse du Christ, et cette promesse se réalise par l’Eucharistie : il se donne à nous comme pain et comme vin. Et cela, c’est bien le sommet de la miséricorde : on ne peut pas aller plus loin. En se dormant à nous comme pain et comme vin, Jésus donne tout, il ne peut pas donner plus : il se donne. C’est cela qui donne à notre espérance une force extraordinaire. Chaque fois que nous espérons vraiment divinement, et non pas au niveau d’un espoir humain, nous rejoignons Jésus dans sa promesse ; et Jésus dans sa promesse, c’est Jésus qui se donne à nous : « Ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous »*. Nous oublions trop que notre espérance est liée à l’Eucharistie, et que c’est Jésus qui nous promet son aide, qui nous promet d’être là, qui nous donne sa force. Et non seulement sa force, mais sa propre vie, son

amour infini. Jésus va toujours le plus loin possible dans le don, c’est-à-dire dans l’amour, car l’amour seul dorme tout, et Jésus se donne en nourriture. Il ne peut rien donner de plus que lui-

même : il se donne. C’est en ce sens-là que l’Eucharistie est ordonnée directement à la résurrection des corps. Nous y reviendrons.

Si notre foi était plus pure, nous comprendrions que ce don extraordinaire de l’Eucharistie, ce

don du corps et du sang du Christ, est la promesse que Jésus nous fait. Nous sommes du Nouveau Testament, et non pas de l’Ancien. L’Ancien Testament avait des prophètes ; nous, nous avons plus que les prophètes, nous avons le Christ lui-même. Et que fait-il ? Il promet, mais sa promesse est une promesse d’amour qui ne peut être que le don de lui-même : l’Eucharistie. On peut se demander

pourquoi Jésus a institué l’Eucharistie avant la Croix. Pourquoi le Père a-t-il voulu l’institution de

l’Eucharistie avant la Croix ? La Croix ne suffît-elle pas ? L’Eucharistie est-elle nécessaire ? Oui, elle est nécessaire pour nous, pai*ce que nous avons besoin d’un signe, et d’un signe qui réalise ce qu’il signifie. Notre foi, si pure qu’elle puisse être, a besoin d’un signe, et d’un signe divin, donc efficace et non purement symbolique, pour que nous découvrions combien Jésus nous aime et combien sa promesse est forte. Nous, quand nous promettons quelque chose à quelqu’un avec la ferme intention de le réaliser, et que cette personne, inquiète, ne cesse de nous dire : « Mais es-tu bien sûr que tu me l’as promis ? », cela nous agace ! et nous répondons : « Mais je te l’ai dit ! ». Et la 1 Voir Mt 26, 26-28 ; Mc 14, 22-24 ; Le 22, 19-20 ; 1 Co 11, 23-25.

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réalisation de la promesse de Jésus va bien plus loin, puisque c’est une promesse divine. L’Eucharistie est le sacrement de la promesse parce que c’est le sacrement de l’amour, et que l’amour divin réalise la promesse. En Jésus l’amour est tel que la promesse n’est pas extérieure au don, au don de lui-même. Jésus se donne ; c’est la plus grande et la plus forte des promesses1. On voit donc bien que l’espérance et l’Eucharistie se tiennent. Et la réalisation de la promesse se fera pleinement quand nous verrons Dieu face à face. A ce moment-là le don de l’Eucharistie prendra toute sa force. L’Eucharistie, c’est Dieu qui, en Jésus, se donne. Et le Ciel, la vision

béatifique, c’est Dieu qui se donne définitivement et totalement à nous. Ici, sur terre, il se donne par l’Eucharistie ; dans le Ciel, ce sera la vision béatifique. Entre la sainte communion et la vision béatifique, il y a donc un lien divin. Nous avons de la peine à réaliser cela, alors qu’il faudrait le réaliser chaque fois que nous communions. Chaque fois que nous communions, c’est un instant de

vision béatifique sur la terre. C’est extraordinaire, cela ! Dieu respecte notre foi parce que nous

vivons un temps d’épreuves sur la terre, mais un jour viendra où nous passerons du sacrement de l’Eucharistie à la vision béatifique.

Ce lien entre l’espérance et la vision béatifique nous est montré dans l’Ecriture, en particulier dans ce passage de l’Evangile de saint Jean (6,26-40) : Jésus leur répondit, et il dit : « En vérité, en vérité je vous le dis : Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. »

Cette parole est terrible, et elle est pour nous, parce que nous revenons toujours à cet

égocentrisme radical de la vie végétative. Nous revenons à « l’avoir », et Jésus note cela comme la chose la plus terrible parce que c’est ce qui lutte contre l’Eucharistie. Quel moyen nous donne-t-il donc pour nous faire sortir de cet égocentrisme ? Il nous dit : « Travaillez à acquérir non la nourriture qui périt, mais la nourriture qui demeure pour la vie étemelle ». Toute la lutte est là : « Travaillez à acquérir non la nourriture qui périt, mais la nourriture qui demeure pour la vie étemelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera [l’Eucharistie] ; car c’est lui que le Père, Dieu, a marqué d’un sceau. » Ils lui dirent donc : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus répondit et leur dit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent donc : « Quel signe fais-tu donc, toi, pour que nous voyions et que nous te croyions ? A quoi travailles-tu ? Nos pères ont mangé la manne au désert, selon qu’il se trouve écrit : Il leur a donné à manger un pain venu du ciel. » Jésus leur dit donc : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel, mais c’est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le véritable, car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. » Ils lui dirent donc : « Seigneur, donne-le nous toujours, ce pain-là. »

Voilà la grande demande : « Donne-le nous toujours, ce pain-là ». L’Eucharistie nous donne

oif de ce pain, parce que c’est par ce pain que nous vivons. « Jésus leur dit : “ Moi, je suis le pain de de ; celui qui vient vers moi n’aura pas faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais je ous l’ai dit : vous m’avez vu et vous ne croyez pas. ” » C’est la grande souffrance du cœur de Jésus,

|ue nous ne croyions pas en son don : il se donne comme pain, et nous n’allons pas jusqu’au bout... « Tout ce que me donne le Père arrivera vers moi, et celui qui vient vers moi, je ne le jetterai pas dehors, parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté à moi, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que, de tout ce qu’il m’a donné, je ne perde rien, mais que je le ressuscite au dernier Jour. Car telle est la volonté de mon Père : que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie étemelle, et que je le ressuscite, moi, au dernier Jour. »

« Gardons inflexible notre profession d’espérance, car il est fidèle, Celui qui a promis » (He 10, 23).

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On voit là que l’Eucharistie est liée à la résurrection des corps, c’est-à-dire à l’amour ultime de Dieu pour nous : c’est la transformation de tout notre être1. Il est très significatif que le Saint-Père, à la fin de son Pontificat, consacre cette année à l’Eucharistie. On ne peut pas saisir vraiment ce qu’est l’espérance chrétienne sans ce regard sur

l’Eucharistie. Si notre espérance n’est pas aussi forte qu’elle devrait l’être, c’est parce que notre amour pour l’Eucharistie n’est pas assez fort. Si notre amour pour l’Eucharistie devient de plus en plus fort, parce que c’est la réalisation de la promesse, alors notre espérance sera de plus en plus forte. Notre espérance est toute tendue vers la réalisation de la promesse, comme un vrai désir. Un désir n’est efficace que lorsqu’il repose sur une promesse ; et la promesse sur laquelle repose l’espérance, c’est le don que Jésus fait de lui-même. Or ce don ne peut pas être plus manifeste que dans l’Eucharistie : se nourrir de la chair du Christ, de son corps et de son sang donnés à la Croix,

offerts en holocauste en signe d’amour. Cette chair et ce sang offerts en holocauste d’amour, c’est cela qui donne la « garantie » divine à toutes les promesses sur lesquelles repose l’espérance. Essayons de découvrir cela quand nous recevons l’Eucharistie, avec le désir de comprendre que quand nous communions, la promesse se trouve immédiatement réalisée. Le don le plus parfait, c’est le don de la nourriture, puisqu’on se sert de la nourriture d’une manière telle qu’elle se

transforme en notre vie ; elle est totalement pour nous, individuellement. On ne peut pas communier pour quelqu’un d’autre. On peut prier pour quelqu’un d’autre, mais la communion est un acte personnel, le plus individuel qui soit ; il est substantiellement individuel. Jésus se donne lui-même comme nourriture : chacun de nous se nourrit de son corps. Jésus ne pouvait pas affirmer plus sa promesse que par l’Eucharistie, et c’est en ce sens-là que l’année de l’Eucharistie doit être pour nous l’année de l’espérance. Au milieu de toutes les luttes que nous vivons, le Saint-Père veut que

l’Eucharistie soit notre unique lumière, qui nous montre que tout est changé, que tout est victoire d’amour par le Christ lui-même.

Comment Marie a-t-elle vécu la dernière Cène, le repas de la nouvelle Alliance ?

Extrait de l’homélie du 17 avril 2003 à Saint-Jodard Jeudi Saint

Jn 13,1-15 Puisque cette année est consacrée à la Très Sainte Vierge — le Saint-Père a voulu cela —, cette Semaine Sainte est consacrée très spécialement à Marie et c’est donc elle que nous devons regarder pour avoir une intelligence plus divine de ce mystère, pour pouvoir séparer ce qui est 1 Nous nous permettons de renvoyer ici à une conférence donnée en 1973 et publiée dans Documents paternité, Ed. Saint-Michel, n° 182 (novembre 1975), p. 49 : « Le mystère de l’Eucharistie et le mystère de la Résurrection sont liés parce que tous les deux relèvent de l’Amour substantiel du Père. Cela nous est dit : “ Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie étemelle, et je le ressusciterai au dernier Jour ”, Si, par l’Eucharistie, nous est donnée la vie étemelle, cette vie étemelle prend totalement possession de nous et nous conduit jusqu’à la Résurrection. Par la chair du Christ nous sommes déjà ressuscités. Par et dans l’Eucharistie, nous sommes déjà liés à la Résurrection ».

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secondaire de ce qui est capital et qu’il ne faut jamais oublier : l’intention profonde du cœur du Christ dans cette Pâque, la dernière Pâque qu’il vit au milieu de nous et qu’il renouvelle complètement, qu’il transforme complètement. Cette Pâque nouvelle est pour nous ; c’est le mystère

de l’Alliance nouvelle de Jésus avec son peuple, donc avec nous qui désirons faire partie de son peuple.

Marie a vécu cette nouvelle Pâque, mais de manière tellement cachée que nous ne savons pas où elle était ! Du point de vue historique, du point de vue humain, nous ne savons pas où est Marie ; aucun signe ne nous est donné, on ne nous dit rien ; c’est étonnant, parce qu’elle est concernée d’une

façon toute spéciale par cette nouvelle Alliance, et la première intéressée. Marie, si j’ose dire (car ce n’est pas tout à fait juste), a un certain « droit » ; elle est tellement pauvre qu’elle n’a aucun droit, mais elle a le droit de la mendiante, elle a le droit du pauvre, elle qui a accepté d’être la dernière. Oui, elle a accepté d’être la dernière, et chaque fois qu’on accepte d’être le dernier Dieu se penche sur nous, le Christ se penche sur nous et s’intéresse plus à ce dernier qu’à tous les autres — « les derniers seront les premiers »’. Et c’est vrai : la personne que le Père considère le plus dans ce

dernier repas, c’est bien Marie (et avec elle les Apôtres), mais de cela on ne nous dit rien. C’est très grand, d’essayer de comprendre ce silence à l’égard de Marie, celle qui vit d’une manière unique le mystère de la Pâque nouvelle. Le mystère de l’Annonciation—ce don que le Père

a fait de son Fils — est sûrement très présent à Marie au cours de ce dernier repas qui se réalise d’une manière tragique. Comme c’est étonnant, ce silence ! et il est pour nous. Alors il y a deux

manières de le vivre. Certains diront : « On ne sait rien de Marie à ce sujet, donc Dieu veut qu’on ne la regarde pas ». Mais est-ce cela ? On ne peut rien prouver, c’est sûr, mais il y a là un secret, et un

secret nous intéresse toujours, surtout un secret du cœur de Jésus et à l’égard d’une réalité si importante, si grande : l’institution de la nouvelle Pâque. Marie est la Reine des Apôtres ; elle est leur Mère mais elle est aussi leur Reine, et le Père n’agit sûrement pas d’une façon contraire à cela, en l’écartant. Mais Marie est Reine d’une manière toute divine, comme elle est Mère d’une manière toute divine. Et c’est d’elle que nous devons ce soir nous approcher très spécialement pour qu’elle nous aide à comprendre ce grand secret de la nouvelle Pâque, qu’on banalise trop vite. On y est, hélas, habitué : chaque année cela revient, on l’a déjà vécu, etc. Non. Chaque année nous devons « toucher » ce mystère dans la foi d’une manière plus profonde, plus intense. Alors on se demande : Comment Marie a-t-elle vécu ce mystère ? Mais à cela il n’y a

pas de réponse, et il faut accepter de ne pas en avoir, et ce n’est pas facile : on voudrait tellement en

avoir une ! on voudrait tellement découvrir un peu comment Marie a vécu ce si grand mystère qui

donne un sens à tout le mystère de l’Incarnation. Comment Marie a-t-elle vécu ce mystère ? On sait que Marie, à l’Annonciation, exprime un « comment » : « Comment cela sera-t-il ? je ne connais pas d’homme ». Et elle peut le répéter ! Au

cours du dernier repas Jésus est au milieu de ses Apôtres, et d’elle on ne sait rien... les hommes passent devant, c’est comme cela, même dans la vie chrétienne ! Mais Marie, en constatant cela, n’en est pas malheureuse, au contraire, alors que si souvent les chrétiens sont tristes de laisser les autres passer devant eux. Parce qu’elle est aimée par le Père d’une manière unique, ce que Marie a vécu du

mystère de Jésus dans ce dernier repas, cette nouvelle Alliance avec les hommes, est extrêmement important pour nous ; et on peut dire que le silence concernant Marie est un silence d’amour, pour nous faire comprendre qu’il y a là un grand mystère d’amour... Vivons ce Jeudi Saint avec Marie, tout près d’elle, en lui demandant de nous faire saisir dans la foi ce qu’il y a de plus extraordinaire dans ce dernier repas où Jésus réalise cette institution 'Mt 19,30; 20, 16. Mc 10, 31. Le 13,30.

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nouvelle. Celle de la première Pâque a un caractère très solennel ; dans la nouvelle Pâque qui donne à toute la vie de Jésus son sens ultime, c’est tout autre : comme Jésus est silencieux ! et il l’est pour que nous puissions découvrir dans le silence de l’amour un mystère qui est tout amour. Seul l’amour explique ce silence à l’égard de Marie au moment de la nouvelle Alliance, dans ce dernier repas,

cette consécration si extraordinaire du pain et du vin : « Ceci est mon corps », « ceci est mon sang », Jésus qui veut se donner de cette manière...

On comprend alors que le silence de Marie nous est donné là pour que nous découvrions dans la foi que c’est un pur mystère d’amour, que nous ne comprendrons jamais parce qu’il nous dépasse

complètement. De celle qui pouvait le mieux le saisir, de celle qui pouvait le mieux découvrir le sens

de cette nouvelle Alliance, Jésus ne nous parle pas. Il nous laisse le soin de découvrir ici le rôle de Marie, spécialement en cette année qui lui est consacrée, cette année du Rosaire où le Père veut que Marie ait auprès de nous un rôle très particulier. Malheureusement nous sommes quelquefois sourds et nous ne comprenons pas, ou plutôt nous ne voulons pas comprendre parce que cela « ne nous va

pas ». Nous disons : « Aller demander à la mère le sens des choses, c’est bon pour les enfants ! ». Non, devant les choses les plus divines l’Esprit Saint nous demande d’être comme des tout-petits1 à l’égard de Marie : Comment Marie a-t-elle vécu ce mystère ? Nous ne découvrirons pas une explication extraordinaire et lumineuse, mais dans l’amour nous comprendrons le lien si intime de Marie avec le corps et avec le sang du Christ.

Par l’Eucharistie, Jésus nous invite à vivre le mystère de la Croix Extrait de AFC 5.03.89

La prière de la Croix, cette grande prière du chapitre 17 que Marie a vécue dans le mystère de la Compassion, nous devons la vivre à travers l’Eucharistie. C’est cela qui est merveilleux: l’Eucharistie, c’est le sacrifice du Christ qui nous est donné, et c’est le sacrifice de l’Eglise. L’Eucharistie doit être pour nous le lieu de prédilection de notre prière, auprès de Marie, avec elle.

Pour nous faire comprendre que le mystère de la Croix continue, qu’il est présent dans l’Eglise pour

nous, Jésus a voulu, dans son testament, réaliser l’Eucharistie, pour nous faire comprendre que nous sommes tous invités, tous les jours, à vivre le mystère de la Croix. Si on peut, on participe à la messe et on vit du sacrifice eucharistique. Si on ne peut pas le faire à cause de son travail, on le vit par le

désir de son cœur. Et cela doit revenir constamment dans la journée : la communion spirituelle, qui n’est pas la communion sacramentelle au corps et au sang du Christ crucifié, mais la communion à l’âme du Christ, à sa prière. C’est la prière du Christ qui nous est donnée. Jésus va bien plus loin que le père de l’enfant prodigue : il se donne au prodigue comme pain. Il veut que le plus secret de son cœur soit donné à l’enfant prodigue que nous sommes tous. Et il vient vers nous pour nous transformer de l’intérieur, pour que sa prière soit notre prière. La grande prière liturgique de l’Eglise,

en communion plénière avec le Christ crucifié, c’est bien le mystère de l’Eucharistie. Toutes nos prières doivent être liées au mystère de l’Eucharistie : notre prière intérieure 1 Cf. Le 10, 21 : « A l’heure même, il exulta dans l’Esprit, le Saint, et il dit : “ Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché cela aux sages et aux intelligents, et l’as révélé aux enfants. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir ” ».

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(l’oraison), notre soif de contemplation, doit être liée à l’Eucharistie et s’appuyer sur elle. Cette prière de l’Eglise ne fait qu’un avec le sacrifice du Christ.

Sur la maternité divine de Marie, l’Eucharistie et la vie religieuse Extrait de CPjo 16.12.83

Marie a donné son sang, elle a donné le meilleur d’elle-même, comme une mère, pour former le corps de son Fils (et elle avait une conscience plus aiguë de ce qu’elle donnait parce qu’elle était

immaculée). Et Jésus lui donne son corps en nourriture. Les deux grandes opérations substantielles, il ne faut pas l’oublier (si nous faisons de la philosophie du vivant, c’est pour comprendre cela), sont la

procréation, donc la maternité, et la nutrition. La maternité s’achève à un être humain, à une personne, une substance ; c’est un service substantiel, et un service substantiel qui est sacré —

puisqu’il coopère avec le Créateur — et qui, en Marie, est divin. Il n’y a jamais eu un service aussi grand, aussi noble, que celui-là. Marie est totalement au service de la formation du corps de son Fils bien-aimé. Et du côté de l’amour, on peut dire que ce service est comme enveloppé par un amour plénier, puisque ce service est porté par la contemplation. Et à cela Jésus répond : il fait le geste de l’action de grâces. L’Eucharistie, c’est l’action de grâces du Christ pour Marie. Et Marie a reçu le mystère de l’Eucharistie pour être elle-même action

de grâces pour Jésus. Jésus a glorifié Marie, et Marie a glorifié Jésus. Tout ce qui se passe entre Jésus

et le Père se passe entre Jésus et Marie. Ainsi, comme Jésus glorifie le Père et est glorifié par le Père, Marie glorifie Jésus et Jésus la glorifie. C’est très beau, de regarder le mystère de l’Eucharistie

comme le modèle de l’action de grâces du Fils bien-aimé à l’égard de sa Mère. Sa Mère a été petite servante en formant son corps et son sang, et Jésus, librement, lui donne son corps en nourriture. Entre les deux il y a une distance infinie ; parce que si l’œuvre de Marie est la plus grande œuvre humaine qui ait existé (aucune œuvre humaine n’est aussi grande que la maternité divine de Marie)1, c’est cependant une œuvre humaine, qui est divine par son terme mais qui est substantiellement une œuvre humaine — alors que Jésus donne son corps qui est le corps d'un Dieu. Marie donne sa chair

et son sang dans un amour unique, et Jésus fait à Marie le don infini de son corps et de son sang.

D’un côté c’est le sommet de l’activité humaine, et de l’autre c’est I’« invention » divine par excellence du Christ. Il nous a aimés jusqu’au bout : l’Eucharistie liée à la Croix et à la gloire, c’est la Croix et la gloire données à Marie pour la remercier, en action de grâces, afin que Marie puisse

elle-même être totalement donnée à Jésus en action de grâces. Car le sacrement de l’Eucharistie est une pédagogie divine, la pédagogie de l’action de grâces. C’est Jésus « action de grâces » qui se donne à sa Mère pour que Marie, à son tour, soit action de grâces pour Jésus. Et ce qui est vrai de Marie est vrai pour nous dans la mesure où nous sommes serviteurs, petits serviteurs du Christ. Toute notre vie religieuse (et c’est la grandeur de la vie religieuse) fait de nous des serviteurs du Christ, des serviteurs fidèles, doux et pauvres à la suite de Marie. Nous ne pouvons pas être Mère du Corps du Christ — il n’y en a qu’une — mais nous pouvons nous efforcer d’être le plus proches possible de ce service. Après le service de la maternité divine de Marie, le plus

grand service dans l’humanité est celui de la vie religieuse ; aucun autre service ne peut être plus 1 Cf. Somme théologique, I, q. 25, a. 6, ad 4.

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grand. Et c’est notre seule manière d’être le plus proches possible de la maternité divine de Marie ; si nous sommes religieux, c’est pour être le plus proches possible de ce mystère, et pour rien d’autre ; c’est pour vivre avec la plus grande intensité ce service d’amour. Alors on comprend que l’Eucharistie soit donnée d’abord pour Marie, puis pour la vie religieuse, c’est-à-dire pour Jean. Car Jean représente la vie religieuse, puisqu’il s’est totalement donné et que Marie l’a pris entièrement chez elle, et que lui l’a prise chez lui. Jésus se donne à ses serviteurs pour les remercier. Jésus nous remercie de notre vie religieuse quand il se donne à nous dans l’Eucharistie, si nous avons été des serviteurs fidèles, doux et pauvres. Et c’est très grand, de recevoir Jésus comme celui qui nous remercie. Cela nous aide à toujours vouloir aller plus loin... surtout quand c’est un peu rude. (...) L’action de grâces, c’est, dans la prière, ce qu’il y a de plus contemplatif. C’est pour cela que cela doit être silencieux (...), parce que c’est la remise de tout nous-même à Jésus. Jésus s’est donné jusqu’au bout, nous voulons nous donner jusqu’au bout, ne rien garder pour nous. Que Marie

nous apprenne l’action de grâces...

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II - Conférences

L’Eucharistie Parue dans Documents Paternité n° 182, novembre 1975

Le mystère de l’Eucharistie doit être le grand mystère de notre vie chrétienne. Je dis bien : le

grand mystère, car c’est celui qui doit nous aider à pénétrer de plus en plus dans le mystère de l’Eglise, dans le mystère de Jésus et dans celui de la Très Sainte Trinité. D’autre part, l’Eucharistie doit être source constante de renouvellement de la charité fraternelle. L’Eucharistie est vraiment pour le chrétien la clef de tout. L’Eucharistie est le sacrement « premier » au sens le plus fort, c’est-à-dire celui qui donne leur signification à tous les autres. Nous ne pouvons pas pénétrer dans le mystère des autres sacrements en dehors de l’Eucharistie. Le baptême, la pénitence, la confirmation, l’ordre sont

ordonnés à l’Eucharistie ; si le mariage n’est pas ordonné immédiatement à l’Eucharistie, il est cependant le sacrement de la charité fraternelle, le sacrement de l’amour d’amitié, et donc ne peut

être vécu que si l’on reçoit l’aliment divin de l’Eucharistie. Ne pouvant, en une heure, épuiser le sujet, j’essaierai de vous donner, non pas un « résumé », mais un axe de recherches, en insistant sur les points essentiels.

Quand on regarde l’Ancien Testament, on voit que les famines y ont joué un rôle important.

Les famines donnent le sens du pain. Dans une civilisation comme la nôtre, où nous sommes gavés, le pain perd un peu de sa signification. Il faut être affamé pour comprendre ce qu’est le pain. C’est pour cela que l’économie divine permet ces famines, qui redonnent le sens du pain. Ce sont les « vaches maigres » dont parle l’Ecriture. Dieu, à travers tout l’ancien Testament, veut nous faire

comprendre le sens du pain. Pensez à la manne, cette nourriture donnée miraculeusement. Si nous regardons l’Evangile de saint Jean (c’est cet Evangile qui nous donne la dernière

lumière sur l’Eucharistie, la grande théologie de l’Eucharistie), nous voyons qu’il y a dans la vie du

Christ une préparation au mystère de l’Eucharistie. Au chapitre 6, saint Jean nous dit qu’une grande foule suivait Jésus. Il ne dit pas depuis combien de temps ; mais cette foule est là, comme un grand pèlerinage. (Les pèlerinages doivent nous aider à comprendre l’Eucharistie ; toutes les spiritualités de pèlerinage sont en vue de l’Eucharistie.) Nous voyons donc cette foule qui suit Jésus, sans avoir rien à manger, puisque rien n’avait

été prévu. Seul un enfant a des provisions. André avait remarqué qu’il y avait, dans la petite besace de cet enfant, de ce garçon de quatorze ou quinze ans, cinq pains d’orge. André les avait peut-être « palpés », parce qu’il avait faim ! Tandis que ce petit garçon, à qui les Apôtres racontaient de merveilleuses histoires (tout ce que faisait Jésus), n’avait plus envie de manger ; il n’y pensait plus.

Les enfants oublient de manger ; pas les tout-petits, sans doute ; mais les plus grands oublient très facilement de manger quand on leur raconte de belles histoires. Les grandes personnes n’oublient jamais ; même André n’oublie pas ! Il a remarqué qu’il y avait cinq pains d’orge et deux poissons et que ce petit ne les mangeait pas (il aurait bien dû les partager, pense André). S’il n’est pas facile de vivre à côté d’un saint, parce qu’il oublie des quantités de choses que 27

nous, nous n’oublions pas, les Apôtres devaient trouver que vivre à côté de Jésus, ce n’était pas facile. Un noviciat avec Jésus ! Ce n’est pas facile de se mettre au rythme du Christ. Jésus continuait de marcher. Il avait l’air d’être complètement en dehors de la réalité la plus palpable, qui est la nourriture. Jésus éprouvait cette foule. Il éprouvait surtout le cœur des Apôtres. Il voulait cette grande préparation à l’Eucharistie.

Puis Jésus fait asseoir la foule sur l’herbe. C’était le printemps ; ceux qui connaissent la Terre Sainte voient bien ce lieu magnifique. Et Jésus éprouve le cœur de ses disciples : « Où pourrions-

nous acheter du pain pour les faire manger ? ». Jésus a manqué d’une prudence prospective, il faut bien le reconnaître. Cette foule le suit : il aurait dû faire attention ; il fallait « porter » cette foule, il était responsable de cette foule. Il y a, de temps en temps, de ces folies du Christ ou, si vous voulez, de ces dépassements de la prudence, qui ne sont pas imitables, sauf quand le Saint-Esprit nous y pousse (mais, normalement, il faut rester prudent !).

On voit très bien que les Apôtres devaient se dire : Jésus a été complètement dépassé. En fait, Jésus n’a pas été dépassé, mais pour les Apôtres, il l’a été : « Où pourrions-nous acheter du pain pour les faire manger ?» Il faut acheter du pain ? Mais « deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en ait un petit morceau ». C’est dit avec un peu de mauvaise humeur. Cinq milles hommes,

deux cents deniers ! Le denier représente le salaire d’une journée de travail. On voit l’affolement. Les Apôtres n’ont rien et Jésus a permis que cette foule vienne... Mais Jésus va se servir des provisions de l’enfant. Il faut que l’enfant fasse l’offrande de ses

pains. Cela est très important : le mystère de l’offrande est lié à la préparation de l’Eucharistie. Jésus n’avait absolument pas besoin des pains de cet enfant. Il aurait pu réaliser le miracle immédiatement. De même, à Cana, il avait changé l’eau en vin alors qu’il n’avait pas besoin d’eau pour faire un vin plus abondant et meilleur. Mais Jésus veut la coopération des hommes. Plus la gratuité de Dieu est grande, plus Dieu

exige notre coopération. Cela, tout l’Evangile ne cesse de nous le montrer, et c’est très important,

parce qu’au fond, on ne connaît la gratuité que quand on commence à donner. Celui qui ne donne jamais ne peut pas comprendre ce qu’est la gratuité. Celui qui compte sans cesse, en restant uniquement au niveau de la justice, ne peut pas comprendre ce qu’est la gratuité. Jésus, dans sa préparation de l’Eucharistie, demande à l’enfant de faire l’offrande de ses pains, et on devine la joie de ce petit. On ne nous dit rien, mais cela a dû être prodigieux : être subitement admis auprès de Jésus, dont on avait parlé durant toute la route ; et puis, que Jésus

s’intéresse à lui, et qu’il prenne ses petits pains, comme s’il en avait besoin ! On devine la réflexion de cet enfant : « Il a eu besoin de mes pains ». C’est ce que nous pensons, nous aussi ; nous pensons

que Jésus a besoin de nous, qu’il a besoin de nos efforts, de notre bonne volonté, et nous en sommes tout fiers, Jésus le sait. Il y a une grande différence entre ce miracle et celui de Cana. Il faut toujours comparer Cana et la multiplication des pains, qui sont deux grandes préparations à l’Eucharistie. Cana, c’est le vin ; ici, c’est le pain. Dans sa pédagogie, Dieu a distingué les deux pour bien nous faire comprendre le

double symbolisme : le symbolisme du pain et le symbolisme du vin. Jésus a commencé par le vin. Nous, si nous avions donné un conseil au Saint-Esprit, nous lui aurions dit de commencer par le pain. Jésus commence par le vin, parce que c’est le symbole de la surabondance, et le pain, le symbole de la nécessité. On a besoin de pain pour continuer la route ; on a besoin de pain pour « tenir ». Un prisonnier, un affamé, ne réclame pas du vin, mais du pain, parce

qu’il sait que le pain est absolument nécessaire. Jésus donne du pain autant qu’on en veut, et il demande aux Apôtres de ramasser les miettes.

C’est lui qui distribue, et ce sont les Apôtres qui ramassent. 28

On voit très bien ce qui s’est passé à ce moment-là : cette foule fatiguée, heureuse de pouvoir manger autant de pain qu’elle en voulait, sans rien acheter, sans rien dépenser. Du reste, ces gens n’ont rien : cela leur est donné gratuitement. Alors, ils prennent du pain autant qu’ils en veulent, et ensuite ils n’ont qu’un seul désir, c’est de dormir. Etant fatigués, ayant bien mangé, ils n’ont plus qu’à dormir. Jésus n’est pas content devant cette sorte d’accaparement à l’égard d’un don distribué gratuitement. Cette foule, non seulement se sert de ce pain, mais voudrait avoir un droit sur le Christ,

un droit de propriété. Cette foule voudrait que Jésus soit toujours à sa disposition : si Jésus, tous les jours, donnait le pain, il ne serait plus nécessaire de travailler ! Si l’Eglise était le lieu où l’on était sûr d’avoir le pain quotidien, tout le monde y viendrait

immédiatement. Parce qu’on appartiendrait à l’Eglise, on aurait une carte de priorité et partout on

aurait nécessairement le pain quotidien... Cette mentalité, c’est celle du messianisme temporel au niveau du pain quotidien : vouloir accaparer Jésus pour être sûr d’avoir le pain quotidien. Il est vraiment « le prophète qui devait venir dans le monde » ! Mais ce n’est pas parce qu’il est le

Prophète que cette foule s’attache à Jésus, c’est parce qu’il est celui qui donne le pain, la certitude d’avoir de quoi se nourrir.

«Jésus se rendit compte qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi. Alors, il s’enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul. » Cette première pédagogie se termine par une séparation. Comme l’homme a de la peine à recevoir gratuitement ! Pour recevoir gratuitement il faut aimer, il faut se dépasser ; l’homme, lui, accapare toujours. Comprenons bien que si nous ne faisons pas grande attention, nous risquons toujours, à

l’égard des plus grands biens et donc à l’égard de l’Eucharistie, de considérer que nous avons un droit de propriété, et donc d’accaparer. Jésus ne le veut pas : il s’en va « tout seul, dans la montagne ».

Les premiers qui se sont « rattrapés », ce sont les Apôtres. Mais ils avaient été contaminés, c’est très net, parce qu’ils avaient eu trop de contact avec la foule. La « spiritualité du contact » est parfois dangereuse : on perd le sens de ce qu’on doit faire et on se laisse contaminer. Les Apôtres eux-mêmes ont été pris au jeu de cette foule. C’est pour cela que Jésus se sépare même des Apôtres ; c’est assez impressionnant. C’est la première fois que l’on voit Jésus donner cette leçon aux Apôtres et partir seul. Jean le

souligne ; Jésus laisse les Apôtres avec la foule. Mais ils se « rattrapent », ils comprennent que ce qu’ils ont fait n’était pas bien. Ils regagnent le lac et reprennent leur métier. Ce détail est très

significatif ; quand les Apôtres ont perdu la trace du Christ, ils redeviennent immédiatement des pêcheurs. Et Jésus les retrouve, la nuit, sur le lac. Présence mystérieuse du Christ la nuit ! Comme elle est curieuse, cette pédagogie de l’Eucharistie : l’aliment, la présence. Cela nous est bien montré dans

l’Evangile de saint Jean. Il y a une succession de ces deux signes qui est très mystérieuse : la nourriture, puis la présence, de nuit, à ceux qui ont bonne volonté. Jésus ne va pas au milieu de ceux qui dorment. Parce qu’ils n’ont pas manifesté leur bonne volonté de retrouver Jésus, Jésus ne va pas vers eux ; il va vers les Apôtres. Le lendemain, la foule revient, et nous assistons à ce grand discours, ce grand enseignement du Christ, prophète de l’Eucharistie. Il faut constamment revenir à ce passage de saint Jean (ch. 6, v. 26 jusqu’à la fin), si nous voulons pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie. Jésus lui-même nous donne le regard que nous devons avoir. Si nous quittons cette lumière-là, nous humanisons l’Eucharistie et nous ne la regardons plus comme nous le devons. Jésus commence par une correction fraternelle vis-à-vis de ce peuple : « En vérité, je vous le 29

dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du

pain tout votre soûl ». Notre-Seigneur n’est pas content : ils ont agi comme des gloutons, instinctivement. Jésus veut les élever plus loin ; d’où une première purification : «Travaillez, non

pour la nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous

donne le Fils de 1 ’homme ». Notre-Seigneur veut nous faire comprendre que le travail, pour un chrétien, n’est pas ordonné

premièrement à la nourriture périssable, mais qu’il est ordonné en premier lieu au mystère de l’Eucharistie. Ce mystère doit illuminer, transformer notre travail. Quand on travaille uniquement

pour la nourriture « périssable », ce qui est tout à fait normal du point de vue humain, on reste au niveau humain ; or Jésus veut que nous allions plus loin, que nous soyons vraiment ses disciples, et

donc que nous travaillions pour la nourriture qui demeure en vie éternelle. Cette nourriture que donne le Fils de l’homme, c’est le mystère de l’Eucharistie. Et la préparation de l’Eucharistie, c’est le

travail fait en vue du mystère de l’Eucharistie, travail par lequel nous offrons notre bonne volonté à Dieu. Ensuite, Jésus nous fait entrer dans le grand mystère du Pain de vie. C’est le Père qui nous donne le pain, et le Pain de vie c’est Jésus, le mystère du Verbe devenu chair. Nous ne regardons pas

assez Jésus comme Pain de vie, c’est-à-dire comme Celui qui nous est entièrement donné à la

manière du pain. Le pain, selon l’Ecriture, c’est l’aliment premier, fondamental, nécessaire, comme je vous le disais tout à l’heure, à la différence du vin. Qu’est-ce que l’aliment ? C’est le serviteur par excellence, c’est ce dont on se sert de façon absolument radicale. La preuve en est que quand on s’en est servi, personne ne peut plus s’en servir. Tandis qu’un vêtement, un autre peut le prendre. Si l’on meurt et que le vêtement n’est pas trop usé, un autre peut le prendre ; ce n’est pas quelque chose d’absolument individuel. Dans une grande famille, les vêtements servent à plusieurs, et dans la vie religieuse, autrefois du moins, les vêtements servaient à plusieurs. C’était l’avantage d’avoir une tenue qui était la même pour tous : elle pouvait servir à tout le monde. C’était un signe de pauvreté.

L’aliment est un bien unique et personnel, dont on se sert substantiellement. Le processus de l’assimilation est quelque chose de très mystérieux. On assimile l’aliment, tandis qu’on n’assimile pas son vêtement. Vous vous servez de votre vêtement, mais il reste extérieur à vous. De l’aliment,

vous vous servez de telle sorte qu’il devient votre chair et votre sang, réparant ainsi vos forces (l’aliment est pour le vivant) ; l’aliment est donc le serviteur par excellence. Jésus se dit « le pain » ; mais il ajoute aussitôt : le « pain de vie », le « pain du Ciel », le « pain descendu du Ciel » ; il veut nous faire comprendre que s’il se donne à nous, ou plus exactement s’il nous dit qu’il est le pain, c’est pour nous montrer qu’il est tout entier relatif à nous, et qu’il veut l’être parce qu’il nous aime. Quand on aime, on est relatif à celui qu’on aime et on devient

le serviteur par excellence. Plus on aime, plus on est au service de ceux qu’on aime.

C’est là que l’on voit si l’amour est réaliste et efficace. Quelqu’un qui vous dit qu’il vous aime beaucoup, et qui n’est jamais là quand vous lui demandez un petit service, vous comprenez vite qu’il vous aime en paroles, mais pas en réalité. Celui qui aime se fait serviteur, beaucoup plus

serviteur que n’importe qui. Celui qui aime veut être totalement au service de ceux qu’il aime, parce que l’amour nous prend dans tout notre être, dans toute notre personnalité. Nous, nous exprimons cela dans le service. Dieu, dans sa sagesse, peut aller beaucoup plus loin, parce que son amour est un amour substantiel. Notre amour à nous n’est jamais substantiel ; nous voudrions qu’il le soit, mais il ne l’est pas. Notre être, en ce qu’il a de plus radical, n'est pas amour. Il y a, en nous, un « égoïsme métaphysique » qui fait que nous sommes incapables d’être totalement donnés. Nous disons que nous le sommes, mais c’est inexact ; nous ne le sommes pas et 30

nous ne pouvons pas l’être. Il n’y a que Dieu qui, étant Amour dans tout son Etre, peut être totalement, substantiellement donné, et donc peut être le serviteur le plus absolu qui soit, un serviteur dont on use substantiellement : le pain. C’est là une très grande révélation du mystère de Dieu. Quand Jésus dit : « Je suis le Pain de vie», il nous révèle que Dieu est Amour. C’est pour nous faire saisir que Dieu est Amour

substantiellement, dans tout son être, que Jésus nous dit : « Je suis le Pain de vie ».

Mais ce Pain de vie, ce n’est pas nous qui le transformons en nous-mêmes ; c’est lui qui nous transforme en lui-même, lui qui est pain, mais aussi source de vie. Le pain, normalement, est ordonné au vivant, et c’est le vivant qui est source de vie. Par contre Jésus (c’est dit d’une façon très précise : « Je suis le Pain de vie ») est source de vie tout en étant pain. Quelle chose extraordinaire ! Notre pauvre logique s’écroule. Normalement, le pain est un moyen en vue du vivant, ordonné au vivant. Ici, c’est le Vivant qui se fait pain ; c’est une merveilleuse invention divine. Dieu aime à brouiller

notre logique, de temps à autre, parce que l’amour est au-delà de notre logique. Quand il s’agit de ce langage d’amour substantiel, on comprend donc qu’il faille dépasser tout ce que représente notre logique.

C’est le Père qui nous donne Jésus comme Pain de vie, parce que Jésus est d’abord le pain du

Père. Ce serait très beau d’approfondir cela, d’essayer de comprendre un peu comment Jésus est le pain du Père. Il est le Verbe, il est le Fils, et il est le pain. Il ne faut jamais oublier ces trois grands aspects qui nous sont révélés dans saint Jean. Il est le Verbe devenu chair, il est le Fils bien-aimé du Père et de Marie, et il est le pain, c’est-à-dire Celui qui est tout entier relatif au Père et qui veut être

tout entier relatif à nous. Nous avons le même pain que le Père, nous sommes invités à la même table ; nous sommes vraiment les enfants, et tout ce que le Père possède nous est donné : voilà ce que signifie « être invités à la même table ».

N’oublions pas que c’est d’abord à cette « table trinitaire » que nous sommes invités, puisque

Jésus est le pain du Père et que, en tant que pain du Père, il nous est donné. Voilà la première

révélation. C’est une révélation qui regarde en premier lieu le mystère du Verbe devenu chair, la personne du Christ. Or nous le savons — l’Evangile le dit de façon très nette —, Notre-Seigneur dit :

« Tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement ». Si le Père donne le pain, le Fils aussi va donner le pain ; c’est cela qu’il faut saisir. « Je suis le Pain vivant descendu du Ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » Il faut bien distinguer ces deux moments dans l’Evangile de saint Jean. Jésus qui se présente

lui-même comme le Pain de vie et comme le pain du Père, qui nous est donné pour être notre pain. Et Jésus lui-même (puisque le Père nous donne le pain, le Fils continue le geste du Père) nous donne sa chair en nourriture pour que nous saisissions par là qu’il est pour nous Pain de Vie. Le mystère de l’Eucharistie apparaît donc dans cette lumière : « Et le pain que je donnerai,

c’est ma chair pour la vie du monde ». On sait que cela se réalisera à la Cène et que les Apôtres, sous le souffle de l’Esprit Saint, comprendront que le mystère de la Cène doit demeurer dans l’Eglise (mystère de l’Eucharistie). Ici, c’est Jésus qui, lui-même, comme prophète de l’Eucharistie, annonce ce qu’est ce mystère : « Et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ». Jésus nous donne sa chair en nourriture dans l’Eucharistie pour nous faire comprendre qu’il

est le pain. C’est cela que nous oublions trop. Nous regardons l’Eucharistie directement, alors qu’en réalité nous ne pouvons pénétrer dans ce mystère sans voir d’abord le geste du Père qui nous donne Jésus comme pain. Le mystère de l’Eucharistie est une pédagogie divine, la grande pédagogie de l’amour, qui veut nous faire comprendre que Jésus est notre pain comme il est le pain du Père et que

nous devons vivre de lui et ne plus faire qu’un avec lui. L’Eucharistie est le moyen qui nous fait pénétrer dans le mystère de Jésus comme pain. Et le Père nous donne Jésus comme pain pour que

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nous le recevions pleinement dans notre vie et que celle-ci puisse être transformée par lui. Jésus insiste. Mais devant cette affirmation : « C’est ma chair pour la vie du monde », les Juifs se mettent à discuter entre eux et à dire : « Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger ? ». On comprend le scandale. La première réaction du peuple d’Israël en face de la prophétie du mystère de l’Eucharistie, c’est d’être scandalisé. C’est normal ; ce mystère est une chose tellement extraordinaire, tellement inouïe, qu’on comprend très bien que la première réaction

soit de dire : c’est de la folie ! Certains, aujourd’hui, ont la même réaction, quand ils veulent adapter le mystère de

l’Eucharistie à nos petites connaissances, en oubliant que le mystère dépasse complètement ce que nous pouvons comprendre. Ils font cela parce qu’ils sont scandalisés. Ils feraient mieux de dire : « Je suis scandalisé, je ne comprends pas ». Cela vaudrait mieux que de vouloir donner une explication humaine. On ne donne pas d’explication humaine à l’Eucharistie. Seul l’amour, et l’amour de Dieu en tant qu’il est l’amour substantiel peut nous faire pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie.

On rie peut pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie que par « en haut » et non par « en bas » ; autrement dit, il faut y pénétrer à partir du mystère du Père en tant qu’il est Amour substantiel,

et à partir du Fils en tant qu’il est le pain du Père et qu’il nous est donné par le Père comme pain. Le

mystère de l’Eucharistie nous fait tout de suite entrer dans le mystère de la Très Sainte Trinité ; et nous ne pouvons pas séparer ces deux mystères, parce que l’Eucharistie ne peut être reçue que dans la lumière de la Très Sainte Trinité. Le mystère de l’Eucharistie implique essentiellement une exigence de contemplation, ce que nous oublions beaucoup trop ; nous considérons le mystère de l’Eucharistie d’un point de vue beaucoup trop pratique. Par le fait même, nous sommes instinctivement enclins à accaparer le mystère, alors que celui-ci devrait au contraire nous appauvrir et nous élever jusqu’au mystère du Père et de la Très Sainte Trinité. C’est pour cela que ce chapitre de saint Jean est tellement important : il nous oblige à regarder l’Eucharistie dans la lumière de la Trinité et dans la lumière de l’amour substantiel du Père.

L’Eucharistie a vraiment pour but de nous faire comprendre (pour nous en faire vivre) que

Dieu est Amour substantiel et, par le fait même, se donne comme pain. Cela, c’est un langage qui ne peut se comprendre que par l’amour. C’est un langage pour les tout-petits, pour les affamés, pour ceux qui sont les pauvres et qui n’en peuvent plus. C’est le « viatique ». Mais dès qu’on est satisfait de soi-même, dès qu’on est dans une attitude d’accaparement, on ne peut plus rien pénétrer du

mystère de l’Eucharistie. C’est vraiment le mystère des tout-petits, des pauvres, des affamés, des mendiants. Voilà le mystère de l’Eucharistie : c’est un mystère d’amour qui va jusqu’au bout des exigences de l’amour.

Continuons la lecture de ce chapitre 6 de l’Evangile de saint Jean. Devant la résistance des

Juifs, Jésus ne fait pas de concessions. Nous, nous en ferions : « Vous ne comprenez pas ? Attendez, on va vous donner des explications ». Pas du tout. La discussion des Juifs exprime un refus : « Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? C’est de la folie ». Jésus leur

répond : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si

vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». C’est catégorique. Quand il s’agit de l’amour, c’est oui ou non ; il n’y a pas d’intermédiaire. L’amour est absolu, et c’est pour cela que Notre-Seigneur prend ce langage extraordinairement absolu : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie étemelle et je le ressusciterai au dernier jour ». Dès qu’on n’accepte plus le mystère de l’Eucharistie, on n’accepte plus le mystère de la Résurrection. Ces deux mystères sont liés parce que tous les deux relèvent de l’amour substantiel du Père. Cela nous est dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie étemelle, et je le ressusciterai

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au dernier jour ».

Si, par l’Eucharistie, nous est donnée la vie étemelle, cette vie étemelle prend totalement

possession de nous et nous conduit jusqu’à la Résurrection. Par la chair du Christ nous sommes déjà ressuscités. Par et dans l’Eucharistie, nous sommes déjà liés à la Résurrection. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Voilà le fruit direct de l’Eucharistie. C’est

le désir le plus profond du cœur du Christ qui se réalise : qu’il demeure en nous et que nous demeurions en lui. « Le Verbe est devenu chair et il a demeuré parmi nous. » Demeurer, c’est-à-dire « habiter » avec nous, « dresser sa tente » au plus intime de nous, faire qu’il n’y ait plus qu’une seule

vie entre lui et nous. « De même qu’envoyé par le Père qui est vivant, moi, je vis par le Père, de

même celui qui me mange vivra lui aussi par moi. Voici le pain descendu du ciel. Il n’est pas comme celui qu’ont mangé nos pères : eux sont morts. Qui mangera ce pain vivra à jamais. »

Saint Jean nous rapporte que cette révélation du mystère de l’Eucharistie provoque une séparation parmi les Apôtres. La première séparation ! « Cette parole est trop duré », elle n’a pas été entièrement acceptée ; et c’est dans la lumière de l’Eucharistie que Notre-Seigneur va révéler que, parmi les Apôtres, il y a un démon : « l’un de vous est un démon » ; c’est-à-dire qu’au milieu des

Apôtres, il y en a un qui refuse l’Eucharistie. Il faut bien voir que l’Eucharistie est la grande épreuve de la foi, parce que c’est un mystère où notre pauvre intelligence humaine ne peut vraiment plus rien comprendre : elle défaille. « Sola

flde », dit saint Thomas ; et quand il dit « sola fide », il sait très bien ce qu’il veut dire : « la seule foi ». Il faut une pureté de foi toute divine pour pénétrer le mystère de l’Eucharistie et pour pouvoir vraiment l’accepter, car notre pauvre raison humaine ne peut rien en saisir.

Regardons maintenant comment Jésus a réalisé le mystère de l’Eucharistie. Il l’a réalisé à la

Cène, dans un geste extraordinairement simple, au milieu d’un repas religieux. Ce n’était pas

n’importe quel repas, mais un repas religieux ; c’était la Pâque ancienne, qui impliquait toute la liturgie de l’agneau pascal. C’est au milieu de ce repas pascal que Jésus transforme la Pâque ancienne en la Pâque nouvelle qui est l’Eucharistie.

Cette Pâque nouvelle, Jésus la réalise en prenant le pain et en disant : « Ceci est mon corps », et en prenant la coupe en disant : « Ceci est la coupe de mon sang ». Puis il dit aux Apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi ». Il est extraordinaire de voir la simplicité de cette institution de

l’Eucharistie. L’Eglise a tout de suite compris que le mystère de cette Pâque nouvelle, le mystère de

l’Eucharistie, ce sacrement directement institué par Jésus et réalisé juste avant la Croix comme un testament, était intimement lié au mystère de la Croix, inséparable du mystère de la Croix et, en

même temps, était pour nous la communion la plus profonde avec Jésus, la possibilité d’une unité de vie avec lui. Essayons maintenant de pénétrer dans le sacrement lui-même. Jésus dit : « Ceci est mon corps » et le prêtre continue de répéter ces paroles au nom du Christ ; non pas an nom de l'assemblée, mais au nom du Christ, « in persona Christi », comme dit la grande Tradition. C’est

pour cela qu’existe le sacrement de l’Ordre : pour que le prêtre soit habilité par Dieu, par Jésus, à prononcer les paroles de la consécration qui sont les paroles mêmes du Christ. Ce ne sont pas les paroles du prêtre : ce sont les paroles du Christ à travers le prêtre, et le prêtre est instrument du

Christ.

Quand Jésus dit : « Ceci est mon corps », il montre que le don de sa chair, que le don de son corps se fait sous le revêtement des espèces eucharistiques. En apparence il n’y a que du pain ; en réalité ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ. 33

Les paroles du Christ réalisent ce qu 'elles signifient. Jésus, en prenant le pain, montre que c’est du pain, et en disant ces paroles, il transforme, il convertit le pain en son propre corps. Si vous prenez les paroles du Christ dans toute leur force, vous êtes obligés de reconnaître cela. Ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ, sa chair ; ce n’est plus du vin, c’est le sang du Christ. Les apparences sont restées les mêmes, rien n’est changé, et nous comprenons pourquoi : c’est une

miséricorde merveilleuse du Christ, de se donner sous les apparences du pain. Personne d’entre nous

n’aurait eu cette humilité, cette humilité d’amour. Sous les apparences qui demeurent, Jésus peut se livrer et se donner totalement comme pain. L’Eglise a précisé — je dis bien : l’Eglise, la Tradition de l’Eglise — que le mystère de la

consécration impliquait le mystère de la transsubstantiation. Vous savez que le mystère de la Transsubstantiation a été mis en question, depuis quelques années, mais que le Saint-Père a demandé que l’on maintînt à travers tout ce terme de « transsubstantiation ». Ne disons pas, comme certains théologiens l’ont dit, que ce terme dépend de

la philosophie aristotélicienne et de la métaphysique de saint Thomas. Ceux qui disent cela n’ont rien compris à la question. En effet, pour Aristote, il n’y a pas de « substance » du pain ; la substance du pain n’existe pas pour lui. Car le pain est une réalité artificielle, faite de main d’homme ; or pour Aristote, il n’y a « substance » qu’au niveau des réalités naturelles. La seule substance du pain, au

sens aristotélicien, serait la céréale. Du reste, quand l’Eglise définit quelque chose, quand elle adopte un terme, elle ne prend jamais un terme philosophique. La philosophie est très importante, certes,

mais elle est pour ceux qui ont la possibilité d’en faire et pour ceux qui doivent en faire : les théologiens.

Or Jésus nous demande de croire, et la foi ne fait pas appel au secours de l’intelligence. La foi est une lumière divine qui est donnée aux pauvres et aux plus petits pour qu’ils reçoivent l’enseignement de Dieu. Quand l’Eglise se sert d’un terme comme celui de la « transsubstantiation », le mot « substance », à ce moment-là, a la signification la plus courante. Quand vous dites : « J’ai pris un repas substantiel », vous savez très bien ce que cela veut dire. Quand vous dites que quelque

chose est « substantiel », vous voulez dire que c’est quelque chose qui tient, quelque chose de fondamental, opposé à accidentel, aux choses secondaires. Le mot «substance» a alors une signification très simple, celle du Larousse par exemple. La substance est ce qui est opposé aux choses secondaires.

Il est donc tout à fait faux de dire que l’Eglise s’est liée à une métaphysique. L’Eglise ne se lie à aucune métaphysique. Elle nous demande seulement d’être intelligents, d’être attentifs à ne pas

nous laisser contaminer par l’erreur, parce que si notre intelligence admet l’erreur, il y aura alors des oppositions entre la foi et ces erreurs. C’est pour cela qu’il faut avoir une saine philosophie, pour

supprimer les erreurs et recevoir davantage la foi. Mais l’Eglise n’est pas liée à une philosophie ; ce n’est pas son rôle. Elle recommande seulement une philosophie saine parce qu’elle veut que nous soyons des hommes intelligents. Son rôle, c’est de garder la parole de Dieu et le mystère. Donc ne disons pas que le mot « transsubstantiation » est lié à une métaphysique. C’est un langage qui a eu une signification et qui l’a encore aujourd’hui. Le mot «substance» désigne quelque chose de fondamental et le mot « accident » désigne quelque chose de secondaire, tout simplement ; c’est en ce sens-là qu’il faut prendre le mot « substance » à propos de l’Eucharistie. Ainsi, la transsubstantiation veut dire que ce qu’il y a de fondamental dans le pain a disparu. Si vous prenez un pain purement factice dont vous avez vidé toute la substance, il n’y a plus que les apparences : plus de céréales, plus rien ; et donc ce n’est plus du pain. (Pendant la guerre, on faisait de ces falsifications.) La substance est le contenu fondamental du pain. Et dire que les apparences demeurent, c’est dire que ce que nous pouvons voir, ce que nous pouvons toucher, mesurer, demeure.

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Dans la transsubstantiation, la réalité profonde change, tandis que les apparences demeurent. La

réalité profonde est devenue le corps du Christ, la chair du Christ. Notons bien que le terme technique qu’emploie saint Thomas est autre. Saint Thomas utilise le mot « transsubstantiation » parce que c’est un mot traditionnel, celui qu’à choisi l’Eglise. Mais en théologien, saint Thomas ne le prend pas. En théologien, saint Thomas dit que le mystère de la

consécration est une « conversion formelle ». Là, nous sommes en face d’un terme technique, d’une conclusion de théologien, tandis que le mot « transsubstantiation » n’est pas une conclusion de

théologien. Il fait partie du bien de l’Eglise que tout le monde peut comprendre.

De nos jours, certains théologiens ont voulu changer ce mot. C’était pendant le Concile, et c’est ce qui a motivé l’encyclique sur l’Eucharistie, dans laquelle le Saint-Père rappelle que le mot

transsubstantiation est au-delà de toutes les époques et de tous les temps et qu’il fait partie du bien de l’Eglise. Certains théologiens, dans la lumière de la philosophie heideggérienne, ont voulu changer le mot « transsubtantialion » en «transfinalité», «transobjectivité». Je ne sais pas si ces termes

techniques vous éclairent beaucoup plus ! On pourrait employer le mot « transfînalité » : l’Eglise ne l’a pas interdit. Mais il exprime moins bien la réalité, parce que « transfinalité » ne veut pas dire nécessairement « changement ». Qu’il y ait transfinalité, c’est bien évident : la fin du pain, c’est de

nous nourrir ; la fin de l’Eucharistie, c’est la nourriture de notre vie divine. On peut donc dire qu’il y a transfinalité, c’est évident. Mais « transfinalité » n’exprime pas le caractère propre du mystère, qui

est de faire qu’à la place du contenu du pain, de la substance du pain, il y ait la substance du corps du Christ. Donc, pour garder le réalisme de la foi, l’Eglise maintient « transsubstantiation » en acceptant transfinalité en second Heu. Pourquoi y a-t-il transfinalité ? Parce qu’il y a transsubstantiation. Si

vous posez le « pourquoi » de la transfinalité, vous êtes obligés d’affirmer la transsubstantiation.

Cela est très important et doit être très net dans notre esprit, si nous voulons comprendre pourquoi l’Eglise maintient certaines expressions : pour ne pas diminuer le mystère. Si vous acceptiez uniquement la transfînalité, vous diminueriez le mystère parce que vous n’iriez pas jusqu’au bout de la réalité : vous ne verriez que l’usage. La philosophie heideggérienne ne regarde

que l'usage. Elle est merveilleuse du côté de l’usage, mais elle ne comprend pas la réalité profonde ;

et ne saisissant pas la réalité profonde, elle ne peut pas employer le mot transsubstantiation qui indique un regard dépassant les apparences, dépassant l’usage, pour atteindre la réalité telle qu’elle est. Tout cela a beaucoup de conséquences, parce que s’il n’y avait pas transsubstantiation, il n’y aurait pas, au sens absolu, une présence réelle qui demeurerait. Il n’y aurait présence qu’en raison de

la transfinalité ; par le fait même, il n’y aurait présence qu’au moment de l’usage, ce que certains

tendent à dire et qui est absolument contraire à la Tradition de l’Eglise. L’Eglise a toujours maintenu qu’en vertu de la consécration, il n’y a plus du pain, mais le corps du Christ. Même si les espèces eucharistiques ne sont pas utilisées durant la messe, le Christ demeure présent. D’où le sens de

l’adoration du Saint-Sacrement : il y a présence. Nous l’avons vu tout à l’heure en lisant saint Jean : il y a la présence du Christ durant la nuit. L’Eucharistie, c’est bien l’aliment, mais c’est aussi la présence. Les deux choses vont ensemble et sont inséparables, parce que l’Eucharistie est un aliment d’amour, un aliment substantiel d'amour, qui implique la présence. Dès qu’on aime, on comprend cela : cela fait partie de la « métaphysique de l’amour ». On se met au service de celui qu’on aime pour lui être plus présent. Un service qui n’impliquerait pas la présence ne serait pas un véritable service d’amour. Jésus se donne à nous sous les apparences du pain pour être plus intimement présent à nous, pour nous faire comprendre davantage sa présence. La transsubstantiation permet de maintenir le mystère de la présence eucharistique. Enfin, un dernier point très important : le mystère de l’Eucharistie est lié au mystère de la

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Croix. Le mystère de la transsubstantiation qui nous donne Jésus comme aliment, comme pain, qui nous donne la présence d’amour du Christ, implique le mystère du sacrifice. La messe est un sacrifice, et c’est en même temps un repas. Cela est très marqué chez saint Jean qui est à la fois le théologien des repas et le théologien du sacrifice.

Ne séparons pas ce que Dieu a uni. Dieu a uni merveilleusement sacrifice et repas. Il l’avait déjà fait dans l’ancien Testament, avec l’agneau pascal, et il le fait d’une façon infiniment plus merveilleuse dans le sacrement de l’Eucharistie, pour que, par l’Eucharistie, nous comprenions que la

Croix est le grand don du Christ. On ne peut pas être donné substantiellement sans être totalement offert à Dieu. C’est le Père qui nous donne son Fils ; et pour que le Père nous donne son Fils comme

Pain de vie, il faut que le Fils soit remis entre les mains du Père. Or l’holocauste de la Croix, c’est Jésus qui se remet entre les mains du Père : voilà comment le Père nous donne son Fils. Et l’Eucharistie nous montre la manière dont le Père nous donne son Fils comme pain ; cette manière

dont le Père nous donne son Fils et dont Jésus se donne à nous comme pain exige le mystère même du sacrifice.

C’est pour cela que la Tradition de l’Eglise a toujours considéré le mystère de la double consécration comme le signe du sacrifice. L’Eucharistie, qui est un sacrifice symbolique mais réel,

puisque c’est un symbolisme divin, se réalise par la double consécration. Le prêtre n’a pas le droit de

consacrer en dehors de la double consécration, parce que celle-ci exprime la séparation du corps et du sang, et donc exprime le sacrifice du Christ. C’est pour cela que le concile de Trente, reprenant la

grande Tradition des Pères et de saint Thomas, insiste en disant que la messe implique un sacrifice non sanglant, mais réel : c’est le sacrifice de la Croix pour nous. Quand nous assistons à la messe, nous vivons le sacrifice de la Croix. C’est pour cela que pour bien assister à la messe, il faut être tout proche du cœur de Marie. Il faut vivre le sacrifice de la messe comme Marie a vécu le sacrifice de la Croix. Et Marie, ayant vécu le sacrifice de la Croix, a eu besoin du sacrement de l’Eucharistie pour vivre plus pleinement, jusqu’à la fin de sa vie, le mystère de la Croix.

L’Eucharistie implique ce lien avec Jésus crucifié, et avec Jésus dans la gloire, puisque Jésus est dans la gloire actuellement, et que le corps du Christ qui nous est donné est son corps glorieux ; mais ce corps est celui qui a été immolé à la Croix, et c’est le cœur blessé de Jésus immolé à la Croix qui nous est donné. Nous communions au sacrifice du Christ, pour être nous-mêmes offerts au Père, et communiant au sacrifice du Christ pour être offerts au Père, nous pouvons avec Jésus être donnés à nos frères. C’est pour cela que l’Eucharistie est à la fois le sacrement de la contemplation de l’amour

du Fils pour le Père et de l’amour du Père pour le Fils, et le sacrement de la charité fraternelle, qui

nous fait comprendre comment nous devons être donnés à nos frères. Nous devons être donnés à nos frères comme Jésus lui-même se donne à nous. Nous

devenons donc le pain de nos frères, et nous devons être à leur service comme le pain est au service de celui qui s’en nourrit : un service caché, un service humble, un service qui n’a pas de limites. C’est par tout nous-mêmes que nous devons être donnés ; et nous ne pouvons pas être totalement

donnés si nous ne sommes pas nous-mêmes totalement offerts à Dieu. Vous voyez la richesse et la plénitude du sacrement de l’Eucharistie ; tout cela est vécu d’une façon cachée, voilée, à travers le signe, pour que notre foi puisse s’exercer pleinement, pour que notre intelligence accepte de se taire. N’oublions pas le silence de l’Eucharistie. L’Eucharistie, ce n’est pas la Parole, c’est le langage de l’Amour. Or seul l’amour éduque par le silence ; et Jésus veut que son Testament soit un testament de silence, pour nous faire comprendre que c’est dans cette attitude d’amour, c’est-à-dire dans une foi toute divine et tout aimante, que nous devons recevoir le sacrement de l’Eucharistie, pour être unis au Père, pour être dans l’attitude de l’offrande du Christ, et pour être entièrement donnés à nos frères. 36

Le corps du Christ : Eucharistie et présence réelle Conférence AFC du 11 janvier 1987

Rappelons, en abordant ce nouveau sujet, que la foi ne supprime jamais les recherches. Elle oriente en doimant des certitudes divines, dans l’obscurité certes, mais avec la garantie de l’autorité de Dieu. Cependant la foi n’explique pas le comment, tandis que la science (qui ne peut pas saisir ce

que sont les réalités) essaie précisément d’expliquer comment elles existent. La foi nous oriente vers notre béatitude surnaturelle, elle nous donne cette certitude que nous sommes faits pour une béatitude divine, surnaturelle. II ne faut jamais oublier la manière dont saint Thomas, en théologien, montre la nécessité de la foi : la foi est nécessaire pour que nous sachions que nous sommes ordonnés à la béatitude divine1. Il est capital de se le rappeler, car la foi n’est pas donnée en premier lieu pour que nous ayons de nouvelles connaissances sur l’univers. Elle est donnée pour que, sauvés par le Christ, nous devenions des fils bien-aimés du Père. Si la foi nous montre que nous sommes sauvés par le mystère du Christ Rédempteur, elle implique nécessairement un regard sur le péché. C’est pour cela que Jean-Paul II, dans son enseignement du mercredi, rappelait ce regard sur l’orgueil, sur le péché de l’esprit qui se révolte

contre Dieu.

Mystère defoi, mystère d’amour

Nous abordons maintenant le mystère de l’Eucharistie. Là aussi, les difficultés sont nombreuses aujourd’hui ; elles ne sont pas du tout les mêmes que pour le péché originel, parce que

nous savons d’avance que la science ne peut rien nous dire sur le mystère de l’Eucharistie. De ce point de vue-là, c’est plus facile : on comprend immédiatement que le mystère de l’Eucharistie est complètement extraordinaire. C’est vraiment un mystère d’amour unique, qui ne peut être regardé que dans cette lumière de l’amour. L’amour, à la suite du bien, est « diffusif de soi » : saint Thomas reprend cette grande affirmation de Denys pour éclairer le mystère de l’Incarnation2. L’amour est diffusif de soi : quand on aime, on communique aux autres ce qu’on aime, l’objet de notre amour, la

réalité qu’on aime. Plus profondément, quand on aime, on se donne. Et comme, en Dieu, l’amour est infini, on comprend que Dieu ait voulu aller le plus loin possible dans le don.

1 Saint Thomas montre cette nécessité de la foi en se posant, au début de la Somme ihéologique, la question de la nécessité de la doctrina sacra (c’est-à-dire, ici, de la Révélation) : « L’homme est ordonné vers Dieu comme vers une fin qui excède la compréhension de son intelligence, selon cette parole d’Isaïe : “Nul œil n’a vu, ô Dieu, en dehors de toi, ce que tu as préparé à ceux qui t’aiment”. Or il faut que la fin soit d’abord connue par les hommes qui doivent ordonner leurs intentions et leurs actions vers la fin. C’est pourquoi il était nécessaire à l’homme, en vue du salut, que lui deviennent connues, par révélation divine, des réalités qui excèdent l’intelligence humaine » (1, q. 1, a. D2 Cf. Somme théol., III, q. 1, a. I.

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Le mystère de l’Eucharistie nous montre comme le point ultime de ce don : Jésus nous a aimés jusqu’au bout, «jusqu’à la fin »’. Saint Jean nous rappelle cela juste avant le lavement des pieds et l’institution de l’Eucharistie : Jésus nous a aimés jusqu’à la fin. Cette fin, pour nous, sur la

terre, c’est le mystère de l’Eucharistie ; et c’est le mystère de la gloire. L’Eucharistie ne peut se saisir

et se contempler que dans cette lumière, une lumière de pur amour. C’est pour cela que saint Thomas nous dit avec force : c’est seulement par la foi, par la foi seule, solafide2, que nous pouvons adhérer à cette présence d’amour ; la foi seule nous permet de découvrir que le Christ nous a aimés jusqu’au

bout dans ce don de l’Eucharistie et que ce don nous oriente directement vers le mystère de la gloire.

L’Eucharistie est le sacrement qui nous fait passer de la terre à la gloire : c’est le viatique. Chaque communion est un viatique qui nous fait passer de la terre, où nous sommes et où nous vivons, au mystère de la gloire. Nous essaierons donc de soulever quelques difficultés par rapport au mystère de l’Eucharistie

(j’aimerais que ces conférences soient premièrement des réponses aux difficultés que chacun d’entre nous a face aux différents mystères).

Symbole et réalité Par rapport au mystère de l’Eucharistie, la grande difficulté que nous avons aujourd’hui est sans doute de bien saisir, dans notre adhésion de foi, le mystère de la présence réelle : nous avons du

mal à bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une présence symbolique. Jésus aurait pu rester présent d’une manière symbolique. Cela aurait été très beau, de donner un mémorial uniquement symbolique. La messe aurait été le rappel de la Croix et de la gloire, la Pâque. En réalité, la messe est un mémorial divin : et c’est justement cela qui fait qu’elle n’est pas uniquement symbolique, qu’elle a une réalité qui ne peut se comprendre que dans la lumière divine. Mais si l’Eucharistie avait été uniquement un mémorial symbolique d’un symbolisme humain, Jésus aurait inventé un symbolisme plus parlant. Le symbolisme de l’Eucharistie est si simple, si dépouillé ! Quand on compare le symbolisme de la Pâque de l’Ancien Testament et celui de l’Eucharistie, on est tenté de dire que le symbolisme de la Pâque de la première Alliance est beaucoup plus parlant. Cela se passe en famille,

dans une communauté d’amis ; et il y a un rite qui nous parle d’une manière plus immédiate, à cause de ce symbolisme beaucoup plus fort de l’agneau pascal, qui doit être cuit de telle et telle manière, et mangé en famille de telle manière3.

Dans l’Eucharistie, tout est très dépouillé ! C’est un dépouillement extraordinaire, parce

qu’on passe d’un symbolisme religieux à une réalité divine de pur amour. L’amour simplifie tout et réclame une très grande simplification. C’est pourquoi ceux qui ne sont pas à ce même niveau d’amour risquent toujours de considérer que cela n’a plus de signification. L’Eucharistie est un sacrement d’amour au sens le plus fort, d’amour divin. C’est pour cela qu’il y a, à la Cène, cette simplification de la Pâque de la première Alliance. Jésus a vécu la Pâque de la première Alliance et Ta achevée à travers l’institution de l’Eucharistie. Jésus savait bien ce qu’il faisait : il avait une sensibilité plus grande que la nôtre, un sens plus affiné du symbolisme religieux. Il était bien plus religieux que nous, et comprenait donc infiniment mieux que nous ce que représentait la Pâque de la 1 « Avant la fête de la Pâque, sachant qu'était venue son heure de passer de ce monde vers le Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1 ). 2 Somme théol., Hl, q. 75. a. 1. 3 Cf. Ex 12.

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première Alliance. Jésus n’en rajoute pas. C’est ce que nous aurions fait : nous faisons toujours comme cela : nous en rajoutons parce que nous n’aimons pas assez, parce que nous n’atteignons pas l’amour dans ce qu’il a de tout à fait fondamental. L’amour simplifie, pour nous mettre en présence du don dans ce qu’il a de plus absolu, de plus pur, de plus grand. C’est bien ce que Jésus réalise pour les Apôtres et pour nous, sous le mode d’un testament.

Alliance ultime L’Eucharistie, en effet, est un testament d’amour : c’est l’alliance ultime et dernière. C’est l’alliance qui appelle la vision béatifique, qui appelle les noces de l’Agneau avec l’Epouse1, avec l’Eglise, avec chacun d’entre nous. L’Eucharistie a ce caractère ultime dans l’ordre de l’amour, et

c’est peut-être cela qui est pour nous le plus difficile à saisir : nous avons beaucoup de peine à saisir ce qui est ultime. Nous aimons mieux rester dans les choses intermédiaires : nous sommes les

hommes de la communication. Les communications sont en effet beaucoup plus faciles à saisir pour nous, parce que c’est notre conditionnement. Notre conditionnement est toujours lié à ces relations, à

ces réseaux que sont les communications. L’amour, lui, est au-delà de toute communication : c’est un

don personnel, un don radical, et c’est pour cela qu’il nous dépayse toujours. Nous ne sommes jamais dépaysés dans les communications : nous arrivons toujours à saisir un peu ce que cela représente, tandis que l’amour nous met au-delà.

Don personnel

Une des raisons pour lesquelles nous avons tant de peine à adhérer pleinement à ce mystère de l’Eucharistie est donc que c’est un mystère d’amour, dans la simplicité de l’amour. Ce n’est pas un mystère d’efficacité — il n’y a d’ailleurs pas de mystère d’efficacité, pas plus que de mystère des

communications. L’au-delà de l’efficacité, c’est l’amour et le don. Et le mystère de l’Eucharistie est vraiment ce mystère au-delà de toute efficacité : Jésus se donne dans la plus grande pauvreté. C’est toujours rude pour nous de vivre la plus grande pauvreté, parce que nous savons bien que la pauvreté nous dépouille non seulement de tout notre conditionnement, mais aussi de tout le rayonnement que nous pouvons avoir. Cela nous met tout de suite en face de ce qui est nécessaire. Et la seule chose

nécessaire, l’unique nécessaire, c’est cet amour et ce don personnel de Jésus. Nous connaissons bien cette parole de Jésus à Marthe : « Une seule chose est nécessaire »2 ; en la disant, Jésus ne pense-t-il pas à l’Eucharistie, à ce don d’amour ? Il faut donc voir que ce mystère de l’Eucharistie est particulièrement difficile pour nous à

saisir, parce que nous sommes des êtres très portés vers le point de vue artistique, esthétique ; c’est une compensation par rapport à la technique, à toute l’efficacité du monde d’aujourd’hui. Nous risquons alors de rester toujours dans un langage symbolique exprimant la réunion des chrétiens, avec ce symbolisme du pain donné par Jésus : Jésus se donnerait symboliquement à travers ce signe

du pain rompu, à travers le pain communiqué à chacun de ceux qui sont réunis à la même table et mangent la même nourriture, la nourriture des pauvres ; et le vin serait donné par surcroît, parce que

quand on aime, le nécessaire ne suffit pas, il faut aussi la surabondance.

1 Cf. Ap 19,6-9. 2 Le 10,42.

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Le réalisme de la foi Nous en resterions facilement à cette vision symbolique qui est très belle, mais qui n’est pas suffisante : elle est peut-être très belle au niveau religieux et au niveau de l’amitié humaine, mais elle reste symbolique. Nous risquerions de nous arrêter là soit à cause de notre sens artistique, soit —

surtout — à cause de toutes les philosophies subjectives dont nous sommes imprégnés : depuis Kant, la subjectivité tianscendantale nous habite tous un peu. Sans l’expliquer ici, nous comprenons très

bien ce qu’est le primat de l’aspect subjectif et le primat du sentiment. En fait, c’est ce qu’on ressent qui compte et qui est l’essentiel. Ce n’est pas la réalité « objective », mais ce qui est ressenti et vécu.

Nous sommes plongés dans cette attitude subjective. On projette alors cette attitude en disant : « La

réalité n’a pas d’importance ; le plus important est de sentir cette présence ». Donc, si on ne sent rien,

on est complètement déçu ; s’il n’y a pas l’odeur de l’encens ou la beauté de certains chants, on est complètement déçu. Nous sommes des êtres terriblement subjectifs et nous avons beaucoup de difficulté à redécouvrir la réalité objective. Or la foi est ce réalisme divin qui nous est donné, au-delà de tout ce que nous pouvons ressentir. Beaucoup de chrétiens aujourd’hui, dès qu’ils ne sentent plus

rien, disent qu’ils n’ont plus la foi. Ils oublient ce que dit saint Augustin de manière si forte : celui qui veut croire croit. On dira : « C’est un subjectivisme extraordinaire ! » Non, ce n’est pas du subjectivisme, parce que c’est de l’ordre de la volonté, de la capacité d’aimer. Le subjectivisme est

dans le sentiment du vécu, tandis que la volonté est un dépassement du vécu et de ce que nous pouvons ressentir. La volonté porte sur un bien vers lequel nous tendons, et elle nous permet d’être uni à une personne qui nous attire : ici, Jésus. La foi se situe au plus intime de notre vie divine et

implique en premier lieu cette volonté de croire, d’ adhérer à la parole du Christ et à sa personne.

L'enseignement de l'Eglise

Essayons maintenant, par la parole de Jésus, non pas d’expliquer le mystère, mais d’en voir la plénitude et de saisir pourquoi l’Eglise maintient, à travers tout, son enseignement sur le mystère de l’Eucharistie. On a usé de multiples moyens pour demander à l’Eglise d’abandonner certaines expressions (qu’on dit incompréhensibles aujourd’hui), et de les transformer en d’autres expressions. L’Eglise — c’est-à-dire le Saint-Père et ceux qui ont travaillé immédiatement avec lui pour maintenir

la foi dans son intégrité parfaite, au Concile et après le Concile — a demandé qu’on garde l’enseignement donné au concile de Trente, face à cette vague de subjectivité selon laquelle on

n’acceptait plus ce mystère de la présence de Dieu de la manière la plus forte et la plus objective qui

soit. Du point de vue de la foi, c’est toujours à la parole de Jésus à la Cène qu’on doit revenir : Jésus, prenant du pain, dit : « Ceci est mon corps »'. Ces paroles sont reprises depuis la première fois que le Christ les a dites, et elles sont toujours présentes dans l’Eglise. Elles constituent le « grand mystère de la foi ». Elles constituent cette présence de Jésus au milieu de nous, ce don que Jésus fait de luimême pour nous. Elles édifient l’Eglise. Si l’Eucharistie n’existait plus, l’Eglise ne serait plus ce qu’elle doit être ; les vieux missionnaires savaient très bien que l’Eglise n’était parfaitement ellemême que là où l’Eucharistie était présente. La transmission de la parole, c’est très bien, c’est

indispensable : la parole de Dieu nouait notre foi. Mais ce n’est pas suffisant : la foi chrétienne

réclame le mystère de l’Eucharistie. Il ne faut jamais oublier les trois alliances dont saint Jean nous parle : l’alliance dans le « pain véritable », c’est-à-dire l’alliance dans l’Eucharistie, l’alliance avec Pierre et l’alliance dans la parole, qui va prendre toute sa force, toute sa plénitude dans l’alliance avec Marie. Trois nourritures, trois 1 Cf. Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Le 22, 19-20 ; 1 Co 11, 23-25.

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alliances. Il faut bien comprendre cela. Si cette nourriture de l’Eucharistie disparaît, l’Eglise n’est

plus ce qu’elle doit être : l’Eglise est édifiée par l’Eucharistie. Jésus, prenant du pain, prononce ces paroles : « Ceci est mon corps ; ceci est la coupe de mon sang ». Il faut regarder ces paroles de Jésus

dans notre foi, avec tout leur réalisme, avec tout ce qu’elles ont de si étonnant et même d’invraisemblable.

Le pain et la présence

Cette affirmation de Jésus avait été préparée. Saint Jean le montre au chapitre 6 de son Evangile. On doit souvent relire ce chapitre, surtout dès qu’on a des doutes par rapport au mystère de l’Eucharistie. Dans ce chapitre, on voit comment Jésus a préparé et disposé le cœur de ses Apôtres, le cœur de ses fidèles, à recevoir le mystère de l’Eucharistie : par le miracle de la multiplication des pains. Il a voulu donner le sens du pain. A travers toute l’Ecriture, Dieu donne le sens du pain. Immédiatement après le péché, Dieu dit : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain »'.

Au désert, Yahvé donne à son peuple la manne2. Ici, c’est encore pour donner le sens du pain que

Jésus multiplie les pains pour ses Apôtres et pour cette foule immense qui le suit. Puis il y a cette présence de Jésus pendant la nuit, une présence efficace. Alors qu’il y a une tempête sur le lac et que les Apôtres sont dans une situation difficile, Jésus est là, immédiatement présent ; et dès qu’il monte à bord, la barque touche terre, « à l’endroit où ils allaient »3.

Je suis le pain de vie

Jésus a donc préparé ce mystère de l’Eucharistie par des miracles et par son enseignement : « Je suis le pain de vie ». C’est lui qui se dit le pain de vie, le pain véritable, le pain de Dieu, le pain du Père. « Je suis le pain de vie »4. Il est ce pain. Et comme le Père donne le pain et que « tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement »5, on comprend que Jésus veuille lui-même se donner pour accomplir le don du Père. Le Père donne le pain, le pain véritable qui est son Fils bien-aimé, à travers le mystère de l’Incarnation et le mystère de la Rédemption. Il nous le donne comme pain. Jésus est le pain véritable, qui est le pain du Père. Et pour que nous puissions comprendre qu’il est véritablement

notre pain, Jésus veut nous donner sa chair et son sang en nourriture et en breuvage avec cette simplicité du dernier repas de la Cène. La multiplication des pains est moins simple : c’est plus spectaculaire. Si, à chaque Eucharistie, il y avait avant la consécration, comme première partie, une multiplication des pains, il y aurait beaucoup de monde à la messe ! Le pain que Jésus avait multiplié

était sûrement excellent parce qu’il était donné directement par Dieu. Comme le contraste est curieux

entre cet aspect spectaculaire de la multiplication des pains et l’aspect si extraordinairement simple

de la Cène : « Prenant du pain, Jésus dit : Ceci est mon corps ».

In persona Christi L’Eglise, à travers ses prêtres, continue ce geste de Jésus. Ce n’est pas le prêtre qui dit ces

paroles ; c’est Jésus à travers le prêtre, c’est Jésus présent dans le prêtre. Le prêtre dit ces paroles in persona Christi. C’est l’enseignement de l’Eglise. C’est pour cela que d’un certain point de vue, il 1 Gn3, 19. 2 Cf. Ex 16. ’Cf.Jn6. 12-21. 4 Jn 6, 32-51. 5Jn5. 19.

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importe peu que le prêtre soit un pécheur. Jésus se sert de lui et le prêtre agit in persona Christi. Le

Saint-Père dit bien que l’expression « le prêtre agit au nom du Christ » n’est pas suffisante ; il faut aller plus loin. Il y a un réalisme plus fort : il agit in persona Christi, « dans la personne du Christ »'.

Ce réalisme est étonnant. Il faut bien comprendre ce réalisme du sacrement qui est un réalisme divin : c’est là que toutes les confusions se font. Il est évident que quand le prêtre consacre, il n’agit plus comme il agit en se déplaçant pour aller dire la messe. Il peut, certes, prier en se déplaçant mais c’est alors lui qui agit ; tandis qu’au moment où il consacre, il est habité par Jésus. Nous ne le voyons pas et le prêtre n’est pas transfiguré ; mais dans la foi, nous savons que les paroles qu’il prononce, ce

n’est pas en premier lieu lui qui les dit. Il agit comme instrument — il agit donc en second lieu — et comme un instrument tout à fait particulier, parce qu’il est comme possédé, je dis bien, possédé par la présence du Christ : in persona Christi. Il faut donc réfléchir à cette expression que le Saint-Père a reprise dans sa lettre du Jeudi Saint aux évêques en 1980 (§ 8).

« Ceci est mon corps »

Quand il consacre pour la première fois, et chaque fois qu’il consacre à travers ses prêtres, Jésus dit « Ceci est mon corps ». C’est tout à fait simple, mais c’est une affirmation prodigieuse.

Jésus ne dit pas : « Ce pain est mon corps », mais « ceci ». En disant « ceci », il désigne la réalité. Un

peu comme s’il disait : « Regardez : ce que vous voyez est du pain quant aux apparences, mais en

réalité ce n’est plus du pain, c’est mon corps ». C’est ce que l’Eglise a précisé progressivement devant certaines erreurs, qui reviennent d’ailleurs aujourd’hui. Aujourd’hui, toutes les vieilles erreurs reviennent. On croit que c’est original, mais en réalité cela a déjà été affirmé. Cela fait déjà très longtemps qu’on a dit : « Le pain est toujours là, et il y a en outre une présence du corps du Christ. On ne sait pas comment. On dit : “Ceci”, mais c’est le pain. Et la présence du corps du Christ est donnée comme s’il y avait une juxtaposition ; mais le pain en définitive demeure du pain. » Cela a été dit au XIe siècle. Face à cette erreur, l’Eglise a affirmé que « ceci » n’indique pas le pain, les apparences, ce qu’on voit. Autrement, Jésus ne pourrait pas dire : « Ceci est mon corps ». Le Christ se sert du verbe être, et son affirmation est dans l’ordre de l’exister : « Ceci est mon corps ». Si c’était encore du pain, ce ne serait pas le corps du Christ. Ce serait du pain et le corps du Christ. Par

le fait même, le Christ ne dirait pas la vérité absolue. Ce serait simplement un symbolisme. Mais si c’était un symbolisme, il devrait dire : « Ce pain représente pour vous mon corps, ce pain doit être

regardé par vous comme mon corps, comme le symbole de mon corps. Mon corps est pain, parce que mon corps, c’est du pain qui se donne pleinement et totalement pour vous ; je suis aussi donné que le

pain». Jésus aurait pu dire cela, si l’Eucharistie était restée au niveau religieux, au niveau symbolique. Mais l’affirmation du Christ est autre : « Ceci est mon corps ». Est, est ; non, non2. Jésus

veut que notre foi rectifie notre langage ; on l’oublie beaucoup trop, et tout mensonge provient du démon3. Etre chrétien est très exigeant, puisqu’il faut être chrétien jusque dans son langage et ses affirmations. Jésus, lui qui est le modèle, dirait-il dans son testament quelque chose qui n’est pas

juste, qui est à prendre en faisant certaines concessions ? Jésus, dans son testament, dans son dernier repas avec nous, affirme en prenant le pain : « Ceci est mon corps ». Rien n’est changé du point du vue des apparences : les apparences demeurent les mêmes. Mais la réalisation est totalement 1 C’est ce qu’exprime le « par lui, avec lui et en lui » qui termine la prière eucharistique. ; Ja5, 12. 3 « Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds, car il est menteur et père du mensonge » (Jn 8,44).

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changée. Ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ. Voilà ce que Jésus veut nous faire saisir. Voilà ce qu’il veut nous communiquer. Lorsque nous recevons ce pain consacré, qui n’est plus du pain mais le corps du Christ, il veut que nous recevions son corps en nourriture, « comme » on se nourrit du pain. Voilà l’ultime moment de l’amour : aller jusque-là dans l’ordre du don, se donner à

nous réellement, comme le pain est totalement donné. Tous les matins, quand nous prenons du pain pour nous nourrir, nous savons ce que nous faisons. Nous n’y réfléchissons pas, mais nous savons très bien ce que c’est que se nourrir. 11 suffit de ne pas prendre son petit déjeuner pour s’apercevoir qu’il est quand même un peu nécessaire de se nourrir ! Le premier jour, cela irait ; le deuxième jour

aussi, mais le troisième et le quatrième jours, cela commencerait à être un peu plus dur...

La nourriture est pour le vivant

La nourriture refait nos forces, et nous la transformons en nous-mêmes. La nourriture est entièrement donnée, d’une façon telle que nous la transformons en nous-mêmes. Ce n’est plus de la

nourriture, cela devient progressivement notre sang, notre chair. Il y a passage de la nourriture au vivant : la nourriture est pour le vivant. On le voit bien chez l’animal : quand un animal mange ou boit, il vaut mieux ne pas s’approcher pour lui prendre sa nourriture... Il y a un lien très fort entre la nourriture et celui qui s’en nourrit, le vivant. Dieu se sert de cela pour nous faire comprendre

jusqu’où il se donne à nous. On se sert d’un habit, on se sert d’un outil, cependant on ne le mange pas. Mais on se nourrit de l’aliment, on le mange. On s’en sert substantiellement : il n’y a pas d’autre mot. On s’en sert substantiellement, c’est-à-dire radicalement. On l’épuise. Quand on a mangé quelque chose, il ne reste plus rien pour le suivant. Un habit peut encore servir à un autre : on peut

donner son habit, après l’avoir usé un peu. Mais on ne peut pas faire que la nourriture serve à plusieurs. C’est quelque chose de tout à fait individuel. Je peux bien travailler à la place de quelqu’un qui se lève un peu plus tard, mais je ne peux pas dire : « Je vais prendre mon petit déjeuner pour

toi ». Je ne peux pas dire cela, même avec toute ma bonne volonté. Cela nous fait comprendre ce qu’est l’aliment. Dieu se donne à nous comme pain, avec un réalisme étonnant : nous l’oublions

complètement, tellement nous sommes habitués. Que Jésus dise « Ceci est mon corps », en regardant

les apparences du pain , et en se donnant comme nourriture, cela est totalement extraordinaire ! Il se donne bien en nourriture, comme on donne le pain, en le rompant et en le partageant, comme si

c’était vraiment la nourriture nouvelle. Et c’est vrai, c’est la nourriture du chrétien.

Conversion totale

L’Eglise donc, devant les formulations maladroites des théologiens qui tâtonnent devant ce mystère, a précisé que dans le mystère de la consécration, il y avait une transformation. Saint Thomas dira une « conversion totale »*, une conversion totale de la substance du pain en la substance du corps du Christ. Les apparences demeurent, mais la réalité fondamentale — puisque la substance est la réalité fondamentale — n’est plus celle du pain : c’est celle du corps du Christ. On dira : « transsubstantiation ». Mais le mot « tianssubstantiation » n’est pas propre à saint Thomas, contrairement à ce que certains peuvent dire aujourd’hui. Ce mot existait avant lui, dès le XIe siècle, pour répondre à Terreur que nous avons citée. L’Eglise a précisé que lorsque Jésus dit « ceci », ce

n’est plus la substance du pain. Les apparences demeurent, c’est-à-dire ce qu’on peut voir, ce qu’on peut mesurer, sentir, goûter. Toutes les apparences, tout ce qu’on appelle les « sensibles propres » et

1 Cf. Somme thêol., III, q. 75.

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« communs » sont là, présents et identiques. Mais la réalité profonde n’est plus du pain : c’est le corps du Christ.

Miracle

C’est cela qu’il faut bien saisir. La transsubstantiation, la conversion totale qui se réalise entre la substance du pain et la substance du corps du Christ, par les paroles de Jésus, implique un

miracle, c’est-à-dire une intervention directe de la toute-puissance de Dieu. Dieu seul peut faire que la substance du pain soit changée dans la substance du corps du Christ, parce que lui seul agit directement sur l’être, sur ce qu’il y a de fondamental. Nous, nous agissons sur les accidents : nous

modifions une réalité de l’extérieur et par l’extérieur. Nous pouvons aller très loin dans cette transformation, mais c’est toujours par les qualités sensibles propres et les qualités sensibles commîmes et par la quantité. Dieu seul agit de l’intérieur, comme Créateur.

La toute-puissance au service de l'amour

Dans le mystère de l’Eucharistie, Dieu agit de l’intérieur, puisque la toute-puissance est au

service de son amour. C’est peut-être cela qu’il faut regarder avec beaucoup d’attention — la toutepuissance de Dieu est au service de son amour — et qui nous fait comprendre « l’art » de l’Esprit

Saint. C’est l’Esprit Saint qui réalise cette œuvre d’art qu’est l’Eucharistie, l’œuvre d’art par excellence : faire que la toute-puissance de Dieu soit au service de son don, du don du corps du Christ : la substance du corps du Christ est donnée par l’Eucharistie. Cette expression « transsubstantiation » implique donc que la toute-puissance de Dieu agisse directement. On est en présence d’un miracle, qui reste caché. Il y a des miracles visibles et des miracles invisibles. Ici, c’est un miracle invisible, au service d’un don d’amour. La toute-puissance de Dieu est engagée et opère ce changement, cette conversion totale. Dieu agit sur l’être du pain, pour faire que l’être du pain soit changé dans le corps du Christ. C’est le corps du Christ qui nous est donné, sous les apparences du

pain ; mystère de pur amour, puisque la toute-puissance de Dieu est au service de ce don.

Transsubstantiation L’Eglise nous a demandé de maintenir le terme « transsubstantiation ». Parce que beaucoup de protestants ont du mal à accepter cette expression, certains théologiens auraient voulu, au moment

du Concile, sous l’influence de certaines philosophies contemporaines (entre autres celle de

Heidegger), remplacer le terme transsubstantiation par les termes « transsignification » ou « transfinalisation ». C’est intéressant à comprendre, car cela revient de temps en temps. « Transsignification » veut dire que le pain n’a plus la même signification : il ne s’agit plus du pain

comme celui qu’on prend au petit déjeuner, mais d’un pain sacré, divin, qui serait le corps du Christ. Il y a donc un transfert de la signification. Ce n’est plus la même signification. Et on dira « transfinalisation » parce que le pain n’a plus la même finalité : le pain que nous prenons au petit

déjeuner est en vue de nous nourrir physiquement, biologiquement, tandis que l’Eucharistie est en vue de nourrir notre vie divine : il y a donc une nouvelle finalité. L’Eglise a dit : Vous pouvez employer ces termes ; mais vous devez aller plus loin, parce qu’il n’est pas suffisant de parler de « transsignification » ou de « transfinalisation ». Cela, l’homme peut le faire1. En effet, je peux bien donner une signification nouvelle à un objet ou à une œuvre d’art. Dans les musées, les vieilles 1 Cf. Paul VI, Mysterhim Fidei (La doctrine et le culte de la sainte Eucharistie), §11.

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poteries subissent une transsignification et une transfinalisation. Une poterie ancienne est là, dans la

vitrine ; et on ajoute : « Ne pas toucher ». Mais cette poterie , tout le monde l’a touchée ! Elle était faite pour cela. On lui donne donc désormais une nouvelle signification et une nouvelle finalité :

cette poterie est maintenant faite pour qu’on la regarde. L’artisan qui l’a réalisée n’y a jamais pensé. Il ne s’est jamais dit : « Un jour, cette poterie sera regardée par des gens extraordinairement cultivés. Ils la regarderont béatement en disant : “C’est extraordinaire, merveilleux, étonnant !” ». Il a fait cette poterie tout simplement pour que l’on s’en serve. La signification a donc changé avec le temps ;

et la finalité a changé, puisque cet objet devient le témoin d’un âge révolu, et donc très précieux (ce qui est rare est précieux ’). Donc, transsignification et transfinalité ne font pas appel à la toutepuissance de Dieu. C’est pour cela que l’Eglise n’accepte pas ces termes. C’est regarder les choses de

l’extérieur, dans le vécu du temps, et non dans le regard de la sagesse de Dieu. A l’inverse, on dira : « La présence est réelle, très bien. Mais ne précisons pas trop ». Cette tentation existe toujours et elle se comprend. Quand on est en face d’un mystère, on doit d’abord adorer. C’est la première attitude. On doit dire aux théologiens : « Adorez d’abord ; ensuite vous

pourrez parler». Si on n’adore plus, on ne peut pas parler du mystère ; le mystère demande d’être adoré, aimé, et contemplé. Si on l’adore et si on le contemple, on dit alors comme le prophète : « A...a...a... »’ parce qu’on sait que tout ce qu’on dira n’exprimera jamais adéquatement la réalité

profonde. Il faut donc que le théologien devienne humble et pauvre, sachant que le mystère le

dépasse complètement. S’il veut définir et préciser trop, il aura le désir de dominer.

Connaître pour aimer plus

Il faut cependant mettre toute notre intelligence au service du mystère de Dieu, et donc

essayer d’éviter toutes les imaginations intempestives, essayer de nous approcher le plus possible du mystère, pour aimer plus. Quand nous aimons quelqu’un, nous voulons le connaître davantage, d’une connaissance qui soit au service de l’amour. L’amour éveille la connaissance. Nous voulons comprendre ce testament d’amour qu’est l’Eucharistie. Puisque c’est un testament d’amour, nous savons qu’à travers ce geste, Jésus a voulu nous donner tout son amour, c’est cela qui est extraordinaire. Nous voulons nous approcher le plus possible, connaître le mieux possible, parce que

nous savons qu’il y a dans ce don un poids d’amour qui nous dépasse infiniment. Il faut admirer le mystère de l’Eucharistie, l’admirer et le contempler. Ensuite, on peut en parler.

Présence sacramentelle

Précisons donc. La présence de Jésus dans l’Eucharistie est une présence d’un mode tout à fait particulier. C’est pour cela que je parlais de l’art de l’Esprit Saint. C’est une présence qu’on dira « sacramentelle ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que cette présence n’est pas la

présence physique « ordinaire ». Quand je suis présent à quelqu’un physiquement, cette présence physique se fait sentir d’une manière particulière (par la voix, par les gestes, etc.). La présence d’amour, intentionnelle et profonde, que j’ai pour cette personne, est eu delà de la voix,

heureusement. La voix conditionne seulement. Il y a donc la présence physique et la présence intentionnelle. Quand quelqu’un que vous aimez est loin, vous pensez à lui, et vous lui écrivez une lettre. Vous concrétisez par la lettre votre présence intentionnelle. La présence intentionnelle la plus manifeste est celle qu’on expérimente très particulièrement le matin, quand on sort tôt en ayant faim 1 « Je dis : “A...a...a.... Seigneur Dieu, voici que je ne sais pas parler, car je suis un enfant” » (Jr 1,6 [Vulgate]).

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et lorsqu’on passe près d’une boulangerie. On sent une odeur merveilleuse, et on prend son petit déjeuner « intentionnellement ». Ce serait merveilleux, si on pouvait vraiment se nourrir de cette

manière, parce qu’alors tous les problèmes économiques seraient résolus... On peut tout faire intentionnellement, mais l’intentionnel n’est pas la réalité existante.

Présence réelle

La présence sacramentelle n’est ni la présence physique, ni uniquement la présence intentionnelle. C’est quelque chose d’autre. Il est très important de le rappeler ; cela montre que cela

n’est pas impossible. Je ne peux pas expliquer la présence sacramentelle : c’est un mystère, inventé par l’Esprit Saint, inventé par la sagesse de Jésus. Jésus a inventé ce mode de présence sacramentelle. Il a voulu que cette présence soit pour nous. Comprenons bien : cette présence sacramentelle n’est

pas la présence physique de Jésus ; et c’est pourtant une présence réelle. Quand on est positiviste, le

mystère de l’Eucharistie vous donne une bonne gifle ; car il s’agit d’une présence réelle qui n’est pas

une présence mesurable ; ce n’est pas une présence physique dans le sens du mesurable, de ce que nous pouvons saisir scientifiquement, expérimentalement. C’est une présence réelle que le croyant saisit, parce qu’il est à l’école de l’Esprit. Il comprend que cette présence existe, inventée par la sagesse de Dieu ; elle est bien d’ordre spirituel, mais n’est pas la présence intentionnelle de la pensée et du cœur. C’est un ordre intentionnel divin, et donc substantiel et réel, qui touche la substance du corps du Christ, objectivement. Seul le croyant la saisit ; mais elle est objective. L’incroyant passe devant l’Eucharistie sans être troublé, sans rien comprendre. Et Jésus se tait, il ne dit rien. La présence reste cachée. Notre Dieu est un Dieu caché1 ; l’amour se cache, et l’amour est présent dans le silence. C’est donc une présence selon un mode tout à fait particulier, le mode sacramentel.

Le symbole divin réalise ce qu 'il signifie Expliquons encore un peu. « Sacramentel » veut dire « selon un mode symbolique », mais

d’un symbolisme divin, qui implique une réalité au-delà du signe. Dans l’Eucharistie, le symbole est le pain et le vin. Le pain, la nourriture la plus commune, et le vin, la nourriture de surabondance,

pour exprimer que l’amour et le don que Jésus nous fait de son corps et de son cœur est à la fois ce qu’il y a de plus indispensable et ce qu’il y a de plus surabondant. Voilà le signe, le symbole : Jésus

se donne à travers le pain et le vin. Mais il se donne à travers ce symbolisme divin — c’est Dieu qui a inventé ce symbolisme -— d’une manière efficace. Les sacrements impliquent cette efficacité

instrumentale, c’est-à-dire une efficacité qui provient directement du Christ. Les sacrements sont reliés immédiatement au Christ, source de tous les sacrements. L’Eglise garde les sacrements comme un trésor ; mais les sacrements sont reliés immédiatement au Christ, dans leur efficacité et dans leur

symbolisme. C’est donc un symbolisme divin qui réalise ce qu’il signifie : Jésus se donne sous le mode du pain et du vin, et il réalise au plus intime de notre cœur ce que le pain et le vin réalisent normalement. Le pain fortifie, permet de refaire ses forces, et le vin réjouit le cœur de l’homme2.

Le Christ nous transforme en lui Mais comprenons ce que saint Augustin dit avec beaucoup de force, et que saint Thomas reprend en commentant le chapitre 6 de l’Evangile de saint Jean. A celui qui le reçoit dans 'Cf. Is45, 15. 2 Cf. Ps 103, 14-15.

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l’Eucharistie, Jésus dit : « Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair ; c’est toi qui seras changé en moi »'. Saint Augustin, par là, nous montre que ce symbolisme divin doit être compris dans un regard de foi et d’amour : Jésus se donne pour nous attirer à lui, pour nous transformer en lui, pour faire que nous vivions à partir de lui et dans sa lumière. Quand je me nourris du pain, c’est moi-même qui me fortifie, et qui transforme le pain en ma propre réalité. Quand je communie, dans la foi et la ferveur, je suis transformé dans le Christ — et plus la foi est grande, plus la ferveur est forte, plus je suis transformé dans le corps du Christ, dans son cœur, dans son âme,

dans sa divinité. En effet, on précise que le corps du Christ est présent ; mais comme c’est le corps

glorieux du Christ, celui qui a souffert et qui est glorieux, c’est le corps vivant du Christ, lié à son

âme subsistant dans le Verbe de Dieu. C’est donc Dieu lui-même qui m’est donné par l’Eucharistie, et c’est lui qui m’attire et me transforme en lui. C’est pour cela que nous devons adorer l’Eucharistie,

et contempler ce mystère, pour découvrir à travers ce signe divin, ce symbolisme divin, toute la tendresse du cœur de Jésus pour nous. Il nous aime tellement qu’il veut être notre pain, notre pain

quotidien. Quand nous ne pouvons pas recevoir Jésus sacramentellement, il faut le recevoir par le

désir, avoir soif de recevoir l’Eucharistie, de recevoir ce don. Nous devons, à travers ce sacrement, découvrir cet art de l’Esprit Saint qui nous éduque — les sacrements nous éduquent —, pour que nous découvrions de plus en plus le mystère de Jésus.

Quand on se place, si j’ose dire, dans cette «logique de l’amour», toutes les difficultés

tombent. On comprend très bien que quand on aime, on veut aller le plus loin possible dans le don. Et

lorsqu’on a là toute-puissance de Dieu à son service, on la met au service de ce don. C’est ce qui se réalise dans l’Eucharistie.

1 Confessions 1, 10, 16 (Bibliothèque augustinienne vol. 13, p. 617). Cf. SAINT Thomas, Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, n° 895 et 972 (traduction française : vol. I, Les Editions du Cerf, Paris 1998, pp. 387 et 416-417).

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L’Eucharistie : adoration et sacrifice Conférence AFC du 8 février 1987

Dans la conférence précédente, nous avons essayé de préciser un peu quel est le mode de la présence du Christ dans l’Eucharistie. Voyons maintenant comment cette présence se donne, de fait, à travers un sacrifice. Le mystère de l’Eucharistie implique et rend présent le sacrifice de la Croix

pour nous, selon un mode particulier qui est le mode sacramentel.

Présence réelle et sacrifice

Nous avons parlé du mode sacramentel dans la conférence précédente. Mais, de fait, il y a

bien deux difficultés différentes pour notre foi : certains acceptent le mystère de la présence réelle, mais n’acceptent pas que le mystère de l’Eucharistie soit un mystère de sacrifice. Or le concile de Trente a précisé qu’il y a présence réelle et sacrifice, et le concile Vatican II n’a rien changé à cette doctrine1. Les textes du concile de Trente sont extrêmement précis, d’une précision qui effiaie certains théologiens aujourd’hui. En effet, le concile de Trente est, si j’ose dire, analogue à Isaïe dans l’Ancien Testament. C’est le concile le plus précis du point de vue doctrinal, face à une crise très particulière qui était celle de la Réforme.

Les difficultés Deux sortes de difficultés particulières se présentent face à l’affirmation de l’Eucharistie

comme sacrifice. Il y a, d’une part, des théories très générales concernant la conception du sacrifice (ceci est d’ordre philosophique) ; et, d’autre part, il y a des difficultés, à l’intérieur même du

christianisme, au sujet de la réalité du sacrifice dans le mystère de l’Eucharistie.

Si l’on voulait considérer l’aspect philosophique de la question, le livre de René Girard Des choses cachées depuis la fondation du monde serait un livre très intéressant à analyser, parce qu’il s’oppose aux positions de Freud sur le sacrifice. Mais René Girard s’en tient à une étude sociologique du sacrifice et, en mettant entre parenthèses l’Epître aux Hébreux, il aboutit à une

conclusion où se révèle une interprétation du mystère chrétien qui est indépendante ou au-delà du sacrifice.

L ’Epître aux Hébreux

Tout irait bien si l’Epître aux Hébreux n’existait pas ; mais pour un catholique, cette Epître est particulièrement importante pour le mystère du sacerdoce du Christ et le mystère du sacrifice. Elle est comme le lien, ou le passage, entre les Epîtres pauliniennes et l’Evangile de saint Jean. Aujourd’hui, presque tous les exégètes s’accordent à ce sujet. Cette Epître, historiquement, semble

1 Voir Sacrosanclum Concilium (Constitution sur la sainte liturgie) ÜS 47-48. Voir aussi Catéchisme du concile de Trente, II, ch. 19, §§ 1 et 2, et ch. 20, §§ 8. Pour le concile de Trente, voir G. Dumeige, La foi catholique, nn. 735736 ; 745-746 ; 766-767 (Paris 1975).

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bien se situer entre les deux ; et il semble qu’elle ait été écrite par un disciple de saint Jean, pour répondre à une crise liturgique. C’est pourquoi il est toujours intéressant, quand on est en face de crises liturgiques, de relire cette Epître. L’auteur a en vue des prêtres qui, passant du judaïsme au christianisme, ont la nostalgie de la grande liturgie de la première Alliance, trouvant la liturgie chrétienne trop simple. Et c’est vrai : la liturgie chrétienne implique une intériorité beaucoup plus giande que la liturgie de l’ancienne Alliance. Le récit de la consécration du Temple sous Salomon1

nous donne une idée de ce que représente cette liturgie de l’ancienne Alliance, comparativement à nos Eucharisties. Il y a un déploiement étonnant de sacrifices — de « tueries », il faut bien le dire — de bœufs et de moutons (vingt deux mille bœufs et cent vingt mille moutons !). C’est très

spectaculaire. Il y a là tout un aspect religieux qui est très beau, très grand. C’est le règne de

Salomon, c’est le moment de la plus grande splendeur d’Israël. Mais immédiatement après Salomon,

ne l’oublions pas, il y a la division du royaume du Nord et du royaume du Sud. La splendeur se paie

toujours chèrement, sans doute parce qu’elle n’est pas toujours d’une pureté absolue, et qu’il y a, à travers tout cela, des recherches humaines2. Ce qui est sûr, c’est que le livre de R. Girard, si intéressant soit-il, donne une vision du sacrifice qui n’est pas du tout celle du christianisme et du catholicisme.

Redécouvrir le sens du sacrifice Il faudrait pouvoir approfondir cette réflexion philosophique sur le sacrifice, mais nous ne

pouvons pas le faire ici. Nous ne pouvons pas non plus examiner la manière dont le protestantisme comprend l’Eucharistie. Reconnaissons seulement que le mystère du sacrifice de la messe, aujourd’hui, est particulièrement difficile à regarder en face, à vivre et à expliquer. Quand quelqu’un

vous demande : « Comment la messe est-elle un sacrifice ? », que répondez-vous ? Souvent, on ne sait pas quoi dire. Et pourtant, il est normal qu’on pose la question. C’est pourquoi, face à R. Girard et face à toutes les philosophies qui sont nées du protestantisme et de la Réforme, il nous est nécessaire de retrouver un sens très net de ce que représente le sacrifice.

Adoration et sacrifice (éthique religieuse)

Puisque nous réfléchissons ici en tant que chrétiens, je me placerai donc tout de suite du point de vue chrétien et je ne répondrai pas directement à R. Girard, parce que ce serait d’ordre

philosophique. Notons bien, cependant, que le philosophe doit pouvoir, en éthique religieuse,

montrer la place exacte du sacrifice. En effet — et c’est étonnant — toutes les traditions religieuses parlent de sacrifice : sacrifices d’animaux, sacrifices d’hommes. Cela montre à quel point le sacrifice fait partie de l’attitude religieuse. Le sacrifice est lié directement à l’adoration; car l’adoration

réclame d’aller jusqu’au bout dans un geste extérieur qui essaie d’exprimer symboliquement ce

qu’on vit intérieurement. C’est là que le sacrifice va apparaître. Une philosophie religieuse découvre le sacrifice dans le prolongement de l’adoration, puisque l’adoration est l’attitude religieuse la plus fondamentale. Elle consiste en effet à reconnaître que nous dépendons radicalement de Dieu ; et, en reconnaissant que nous dépendons radicalement de Dieu, nous offrons tout à Dieu. Toute adoration implique l’offrande de tout nous-mêmes. Tout vient de Dieu, et tout remonte vers Dieu. Dans l’adoration, nous reconnaissons cette dépendance radicale — dans notre être, dans notre vie, dans notre esprit — à l’égard du Créateur ; et nous voulons manifester cette dépendance extérieurement. 1 Voir 2 Chr, ch. 5 à 7. 2 Voir Mt 12,43-45 ; Le 11, 24-26.

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Nous voulons montrer que toute vie dépend de Dieu et vient de Dieu, que Dieu est le Père de tous les

vivants. C’est pour exprimer cela d’une manière visible qu’on offre à Dieu des victimes, qu’on offre à Dieu la vie des animaux : un bouc, un taureau... Il y a des animaux particulièrement désignés pour cela. Il serait intéressant de voir, dans les rites religieux, pourquoi on emploie des tourterelles, des moutons, des agneaux (l’agneau pascal), des taureaux. Mais ce qui nous importe ici, c’est que

l'offrande de l’animal est destinée à exprimer d’une manière visible notre dépendance radicale à l’égard de Dieu. L’animal est un substitut, si j’ose dire : il prend la place de l’homme. On offre

l’animal pour manifester d’une façon visible qu’on est totalement en dépendance de Dieu, qu’on reconnaît cette dépendance et gu 'on l’aime. L’adoration est en effet un acte d’amour : on aime celui dont on dépend totalement, parce qu’on sait que son acte créateur est un acte d’amour qui appelle au plus intime de nous-mêmes un amour.

N’entrons pas davantage ici dans l’analyse philosophique, mais rappelons-nous qu’il y a une

philosophie du sacrifice, qu’il ne faut pas la négliger, et que c’est dans la ligne et le prolongement de l’adoration qu’il faut la comprendre — ceci, évidemment, dans une philosophie de l’homme dans sa dimension religieuse, c’est-à-dire une philosophie qui a découvert l’existence de l’Etre premier et qui est capable de parler de la Création.

Le sacrifice du Christ, sommet de tous les sacrifices

Dans la perspective théologique de croyant, dans laquelle nous nous plaçons maintenant, c’est le sacrifice du Christ qui est la clef de tous les sacrifices. L’Eglise ne cesse de nous le rappeler à

travers toute sa Tradition, à travers toute sa théologie et à travers sa liturgie. Une très belle préface pascale, la cinquième, le dit : « Quand il livre son corps sur la Croix, tous les sacrifices de l’ancienne Alliance parviennent à leur achèvement ». Tous ces sacrifices préfigurent le sacrifice du Christ. C’est la grande vision de saint Augustin. Il est très beau, du reste, de faire une lecture continue de la Bible en notant tous les sacrifices. On voit alors que toute l’histoire de l’humanité, dans le regard de la

Révélation judéo-chrétienne, est ponctuée par le sacrifice, parce que c’est le sacrifice qui est la rencontre de l’homme et de Dieu. Il est très impressionnant de voir qu’on peut ponctuer toute l’histoire du peuple d’Israël par les sacrifices ; et que, quand la Loi apparaît avec Moïse, il y a une législation des sacrifices : on codifie toute la diversité des sacrifices. Le Lévitique nous montre combien la Loi a le souci de codifier les sacrifices, et surtout combien l’alliance chrétienne est simple, parce qu’elle atteint le sommet. Tant qu’on n’a pas atteint le sommet, on reste dans la

multiplicité. Si on atteint le sommet dans l’ordre du sacrifice, on atteint l’unité. Et le sacrifice du

Christ est unique, l’Epître au Hébreux le dit avec force (c’est du reste de ce texte que Luther se sert pour dire qu’il n’y a pas de sacrifice dans le sacrement de l’Eucharistie) : « Et pour autant qu’il est réservé aux hommes de mourir une seule fois — après quoi c’est le jugement — de même le Christ, après s’être offert une seule fois pour porter les péchés d’un grand nombre, apparaîtra une seconde fois, sans péché, à ceux qui l’attendent pour leur salut »’. L’auteur de l’Epître aux Hébreux revient constamment sur cette affirmation : le sacrifice du Christ est unique parce qu’il est au sommet de tout.

1 He 9, 27-28.

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Qu ’est-ce qu un sacrifice ?

On voit donc immédiatement l’objection qu’on peut faire : « Puisqu’il s’est offert une fois, ne dites pas que dans l’Eucharistie, il y a de nouveau un sacrifice ». C’est la grande objection. Nous y reviendrons. Essayons d’abord, dans la lumière du sacrifice du Christ, de comprendre ce qu’est le sacrifice. Le sacrifice se rattache à l’attitude religieuse, il est présent dans toutes les traditions religieuses. Précisons : il relève de la vertu de religion1 et exprime, par un acte extérieur, la

reconnaissance par l’homme de sa totale dépendance à l’égard de Dieu. Or Jésus est l’homme religieux par excellence. U est venu pour nous apprendre à adorer et c’est face à la Samaritaine, ne l’oublions pas, qu’il nous rappelle l’exigence de l’adoration2.

Jésus et la Samaritaine

Or la rencontre avec la Samaritaine représente en quelque sorte la grande théologie de l’œcuménisme : c’est Jésus lui-même qui nous montre comment nous devons regarder ceux qui ne sont pas tout à fait, selon nous, dans l’orthodoxie. La Samaritaine, pour un Juif, n’était pas tout à fait dans l’orthodoxie ; elle était un peu « à côté ». Et Jésus choisit une Samaritaine dont tous savent que son attitude religieuse n’est plus très actuelle. En fait, quand elle rencontre Jésus, son attitude religieuse est du passé. Pensez-vous qu’en allant puiser de l’eau au puits elle faisait des actes d’adoration ? Je crois plutôt qu’elle fredonnait un air à la mode, et qu’elle ne pensait à rien d’autre. Elle faisait la corvée d’eau en plein midi : peut-être était-elle de mauvaise humeur en pensant que les

hommes faisaient la méridienne à ce moment-là, et qu’elle, elle était obligée de faire la corvée d’eau, et que cette corvée se répétait tous les jours. On voit bien sa mauvaise humeur. Il faut Jésus pour la dérider et la mettre dans un état d’esprit tel qu’en quelques instants il peut faire une étonnante « psychanalyse divine » : il la remet en présence de son problème fondamental, cette querelle liturgique qu’elle a connue depuis son enfance.

Discussions liturgiques et adoration Cette Samaritaine, en effet, ne pouvait plus trouver un absolu dans son adoration, parce qu’elle avait grandi en un temps où l’on critiquait les gestes liturgiques, l’attitude liturgique. Les Juifs disaient que c’était à Jérusalem qu’il fallait adorer, et selon la tradition des Samaritains c’était

sur les hauts lieux. Cette petite enfant, au lieu d’adorer en pleine confiance, a commencé à hésiter. Le soupçon est entré dans son cœur et elle s’est mise à discuter au niveau liturgique ; ou plutôt ce n’était

pas elle qui discutait, mais ceux qui étaient autour d’elle. Pensons aux discussions liturgiques d’aujourd’hui, à toutes les discussions sur la messe... Quand les enfants entendent cela, prenons

garde ! Nous supprimons dans leur cœur la simplicité de la foi et de l’adoration, en faisant croire que la discussion est plus importante que l’adoration. Quand les gens discutent indéfiniment, on a envie de leur dire : « Mais adorez ! C’est l’adoration qui vous rectifiera au plus intime de vous-mêmes ». Quand on est seul en face de Dieu, seul en face du Christ, on devrait n’avoir plus envie de discuter ; on devrait n’avoir qu’un seul désir, être en présence de Jésus. Mais au lieu d’adorer, on discute, et on croit que c’est plus important. Les discussions liturgiques sont sans fin. Qu’on ait des opinions et des préférences, c’est très bien. Mais il y a quelque chose de plus important : la foi et l’adoration. C’est pour cela que Jésus rappelle l’exigence de l’adoration à cette femme qui a hésité, qui a eu dans sa 1 La vertu de religion désigne la qualité spirituelle que la personne acquiert en adorant Dieu et en développant à son égard toutes les attitudes propres au lien d’une créature spirituelle avec son Créateur. 2 Jn 4,21-24.

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jeunesse un soupçon. Le soupçon, quand il touche quelque chose d’aussi fondamental que l’attitude

religieuse et l’adoration, est quelque chose de terrible. Le soupçon s’infiltre et une fêlure très profonde se produit, qui brise l’unité de sa personne. Nous sommes unifiés quand nous remontons à

la source par l’adoration ; c’est l’adoration qui unifie profondément notre vie. Et le manque d’adoration entraîne fatalement l’angoisse, puisqu’on ne trouve plus quelque chose de radical sur quoi on puisse s’appuyer, le roc sur lequel on puisse fonder, édifier la maison1.

Adoration en esprit et en vérité

Si on est attentif au texte, on peut dire que c’est bien à cause de cette fêlure provenant de ces discussions au niveau liturgique que cette femme ne savait plus aimer et que, de fait, elle a été malheureuse dans sa vie. Elle a rencontré Jésus, et à partir de là tout a été repris ; mais avant de

rencontrer Jésus, elle était malheureuse : elle ne savait plus aimer. Pourquoi ? Parce que ces brisures successives dans l’ordre de l’amour humain étaient liées à cette brisure très fondamentale (au niveau

de l’adoration) dans son amour pour Dieu. Jésus donne à cette femme l’unique remède, qui est la

clef : « Le Père veut des adorateurs en esprit et en vérité ». C’est, je crois, ce que R. Girard n’a pas saisi : le Père veut des adorateurs en esprit et en vérité, parce que Dieu est Esprit2. Jésus nous montre que l’aspect premier et essentiel de l’adoration, ce ne sont pas les gestes, ce n’est pas ce qu’on dit : c’est l’attitude intérieure. L’adoration est une attitude intérieure où nous nous mettons en présence de Dieu, pour reconnaître que Dieu est notre Créateur et qu’il nous a créés par amour. Et si nous

sommes croyants, et si nous sommes liés au Christ, nous savons que Jésus est venu donner à l’adoration une nouvelle signification. Il a été par excellence l’adorateur en esprit et en vérité. Son adoration relève bien de sa vertu de religion — il est, nous l’avons dit, l’homme religieux par excellence —, mais son adoration relève en premier lieu de son amour de Fils bien-aimé du Père en qui le Père met toutes ses complaisances3. C’est cet amour qui transfigure sa vertu de religion, son attitude religieuse, qui transforme son adoration pour lui donner une intériorité nouvelle, une profondeur unique et une exigence toute nouvelle. Jésus est mort en adorant le Père ; il est mort dans

l’obéissance et dans l’adoration, en adorant en esprit et en vérité.

Le sens du sacrifice du Christ

Nous commençons alors à comprendre la signification de son sacrifice : glorifier le Père et nous sauver, dans le même acte d’amour. Son adoration étant une adoration qui relève en premier

lieu de son amour de Fils bien-aimé pour le Père, c’est donc un acte d’amour qui assume cet acte religieux pour lui donner une nouvelle signification, afin qu’il puisse aller plus loin. L’amour réclame le don total de nous-mêmes. Quand cet amour informe un acte de religion comme l’adoration, ce n’est plus en offrant le sang des taureaux et des boucs4 qu’on accomplit l’acte

d’adoration et de sacrifice, mais c’est en s’offrant soi-même. Cela, c’est l’exigence de l’amour.

1 Cf. Mt 7,24-25. 2 Cf. Jn 4, 23-24. 3 Cf. Mt 3, 17; 12, 18(Is42, 1); 17,5. Le 3, 22.2Pel, 17. 4 Cf. He 9, 13 et 19 ; 10,4 : « Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs enlève les péchés ».

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Un don personnel

Nous le savons bien : quand nous aimons beaucoup quelqu’un, il ne suffit pas de lui offrir des

petits cadeaux, de lui offrir ce que nous pouvons lui donner grâce à l’argent que nous avons gagné. Cela, c’est notre avoir. Or l’amour réclame le don personnel. C’est là le réalisme même de l’amour. Les petits cadeaux ne sont que des signes. Quand vous donnez votre temps pour montrer que vous aimez, c’est très bien : ce sont des signes. La réalité de l’amour va beaucoup plus loin. Et si vous mesurez l’amour à l’avoir, aux cadeaux que vous offrez, au temps que vous donnez, vous n’avez rien

compris à l’amour, parce que l’amour est un don personnel, le don de nous-mêmes au sens le plus fort, de notre âme et de notre corps. L’amour qui unit le Fils bien-aimé, Jésus, dans son humanité sainte, au Père, est un amour de Fils. C’est un amour absolu, qui prend tout, et qui veut le don absolu de toute la personne. Et cet amour va s’incarner, se manifester dans une adoration en esprit et en vérité, qui est l’adoration la plus absolue qui soit. Jésus, durant toute sa vie, a adoré le Père ; mais il y a une progression : toute sa vie est ordonnée à cette adoration la plus parfaite qui soit, celle qui se

réalise à la Croix. Là, pour que son adoration soit parfaite, il offre sa propre vie.

Violence extérieure et liberté intérieure Il faut bien comprendre que cette adoration et que ce sacrifice ne sont pas premièrement un

acte violent. Sociologiquement parlant, le mystère de la Croix est un acte de violence. On a arrêté

Jésus comme on arrête un voleur et on a accompli sur lui un acte de violence, puisqu’on l’a enchaîné, on l’a flagellé, on lui a demandé de porter la Croix et on l’a crucifié. Tout cela est violent. Mais cette

violence, comprenons-le bien, est extérieure à l’âme du Christ, à son adoration. Son adoration est intérieure. Jésus accepte de tout porter et il assume cette violence dans son amour pour le Père et pour nous. Il aurait pu résister, il aurait pu lutter, et en fait il n’aurait même pas eu à lutter. On le voit bien dans l’Evangile de saint Jean, quand il demande aux gardes de la cohorte qui accompagne Judas et qui est venue le chercher : « Qui cherchez-vous ? ». Ils répondent : « Jésus le Nazaréen ». Jésus dit : « C’est moi », et à ce moment-là ils tombent par terre1. Il eût été facile pour Jésus de les laisser

un peu plus longtemps par terre et de partir ! Il eût été très facile de les désarmer et de leur montrer qu’il avait, à son service, la toute-puissance du Père, capable de les réduire à rien. Mais Jésus a accepté librement d’être arrêté, en assumant cette violence, en l’assumant pour l’offrir au Père. Jésus

aime ses ennemis, et il s’en sert divinement. C’est la même chose pour la violence de la flagellation et de la Croix. Il les accepte librement. Dans l’Evangile de saint Jean, cela est montré d’une manière

très nette. La violence qu’on a exercée sur lui a été telle que, normalement, elle aurait dû entraîner la mort. On l’a violenté d’une manière substantielle, pour en faire une victime. Etre suspendu sur le

bois de la Croix, être crucifié, conduit à la mort, et à une mort très douloureuse, la mort de celui qui est assoiffé dans tout son être : « J’ai soif »2. Ce n’est pas seulement de cette soif-là que Jésus parle,

mais cette soif-là est assumée. Il a assumé la soif du crucifié.

Jésus devance la mort La Croix représente bien la violence la plus terrible qui soit. Jésus a assumé cette violence,

mais il n’est pas mort par cette violence. L’Evangile de Jean le montre bien, puisque les soldats qui devaient achever ceux qui étaient crucifiés avec Jésus, lorsqu’ils sont en présence de Jésus et qu’ils le

1 Cf. Jn 8,4-6. 2 Cf. Jn 19,28.

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voient déjà mort, sont stupéfaits1. Jésus a devancé la mort, la mort qui aurait été produite

normalement par la violence ; il a devancé cette mort pour bien nous faire comprendre que c’est librement qu’il offre sa vie, dans un acte d’amour, et dans une adoration en esprit et en vérité. Extérieurement, visiblement, c’est la violence. Intérieurement, c’est un mystère d’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »2. « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie »3. Il l’offre lui-même, et il l’offre par amour et il l’offre dans l’adoration, pour

glorifier le Père et nous sauver.

Eternellement Jésus s'offre au Père Jésus nous fait comprendre que le mystère du sacrifice lié à l’adoration, quand il est assumé

par l’amour, est au-delà de toute violence et qu’il assume la violence, parce qu’il assume toutes les

conséquences du péché. La violence en est bien une, parce que c’est une brisuie dans l’ordre de la charité, de la charité fraternelle. Jésus assume toute cette violence et meurt dans la paix, il meurt dans

un acte d’amour et d’offrande de tout lui-même. Cet acte intérieur est au-delà du temps. H est bien inscrit dans le temps — c’est à telle heure que Jésus a remis son esprit entre les mains du Père4, et

Jean a été témoin de ce moment, il l’atteste dans son Evangile5, et Marie a été témoin de ce moment —, mais s’il est inscrit dans le temps, cet acte a une valeur d’éternité, parce que c’est un acte d’amour.

Cet acte est donc toujours présent dans le cœur de Jésus. Jésus, dans sa gloire, est celui qui

s’offre au Père, celui qui adore en esprit et en vérité. Cet acte est toujours présent, et il est au cœur de toute la création qui remonte vers le Père, spécialement au cœur de toute l’humanité qui retourne vers le Père. Jésus est « victime de propitiation »6, de réparation, de satisfaction pour nos péchés, mais il

est avant tout victime d’amour, pour glorifier le Père et nous sauver. Et cette victime est toujours « en acte ». C’est le grand mystère de la Croix.

La Croix et l'Eucharistie

La Croix, certes, se situe dans tel lieu, à tel moment, dans telles circonstances, à travers cette lutte à son paroxysme. Le démon ne voit que cela, et du point de vue sociologique on ne peut voir

que cela. C’est un regard réel (cela a existé), mais c’est un regard extérieur, puisque tout ce qui s’est passé à l’extérieur a été assumé dans un acte d’amour. C’est ce que nous devons saisir dans notre foi, pour comprendre pourquoi Jésus a voulu que le mystère de l’Eucharistie continue pour nous le mystère de la Croix. Jésus s’est offert une fois dans le temps, mais cette « fois » est toujours actuelle.

C’est pour l’éternité, et c’est pour que l’amour, l’amour du Père, nous soit toujours donné, à travers le sacrifice du Fils. C’est pour que Jésus lui-même nous soit toujours donné dans son acte d’offrande de tout lui-même au Père pour le glorifier.

Jésus a voulu que l’Eucharistie soit pour nous un signe tangible et en même temps un instrument de grâce, par où le mystère du sacrifice de la Croix soit toujours présent pour nous, sous 1 Cf. Jn 19, 33-34. 2Jn 15,13. ’Jn 10, 17. 4 Cf. Le 23,46. 5Cf. Jn 19, 30. 6 Cf. 1 Jn 2, 2.

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ce voile du sacrement, mais avec le réalisme et l’efficacité du sacrement, pour que nous soit rendu présent ce qui est éternel et invisible à notre regard, ce que seule la foi atteint. Par la foi le Christ habite en nos cœurs1, nous dit saint Paul. Il n’y a pas de distance entre notre cœur transformé par la grâce, «déifié» par la grâce, et l’immolation du Christ. Nous atteignons directement ce mystère d’offrande du Christ et le sacrement de l’Eucharistie nous le montre, nous le manifeste sous un mode

symbolique, mais d’un symbolisme divin qui, si nous le désirons et si nous en avons soif, réalise pour nous ce qui est signifié. C’est pour cela que le mystère de l’Eucharistie est vraiment pour nous l’offrande que Jésus a réalisée à la Croix, de cette manière tout intérieure, en assumant toutes ces souffrances d’une manière visible.

L’Eucharistie, c’est l’offrande même que Jésus a réalisée à la Croix, mais sous un mode non sanglant, celui des sacrements. Ce mode mystérieux a une signification pour le croyant et est pour lui

très éloquent. Le mystère de la Croix est présent pour nous à travers le mystère de l’Eucharistie.

C’est le grand mystère de la foi chrétienne — « Il est grand, le mystère de la foi ». C’est là que tous les chrétiens se trouvent réunis, au-delà de leur diversité et de leurs oppositions : ils se trouvent unis dans le sacrifice du Christ si, dans leur foi, ils dépassent les apparences, touchent le mystère et en vivent.

La double consécration

L’Eglise, dans sa réflexion théologique, a précisé progressivement que la double consécration que Jésus a réalisée à la Cène — « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang », « Ce calice est le calice de la nouvelle alliance en mon sang »2 voulait exprimer d’une façon visible, tangible, ce qui s’était réalisé à la Croix. Le sacrifice de la Croix implique la mort du Christ, la séparation de l’âme et du corps, d’une manière sanglante puisque toute la violence est assumée. En effet la violence est assumée, c’est-à-dire qu’elle prend pour Jésus une nouvelle signification puisque, dans le sacrifice de la Croix, il pardonne à ceux qui lui ont fait violence, à tous les hommes qui se sont opposés à lui. La violence est donc assumée par l’amour. C’est la grande victoire de l’amour, et cela fait partie du

sacrifice du Christ. Et cela est présent dans le mystère de l’Eucharistie, substantiellement présent, mais selon un mode tout à fait particulier, celui de la double consécration. L’Eglise y tient, puisqu’il n’y a pas d’Eucharistie, de messe au sens fort, s’il n’y a pas la double consécration. Il arrive qu’au lieu de mettre du vin, on mette de l’eau... Le prêtre doit alors recommencer la consécration pour qu’il

y ait messe. Cette double consécration, essentielle au sacrifice de l’Eucharistie, exprime, signifie la

séparation de l’âme et du corps, le sang se séparant du corps du Christ, le sang versé.

Sacrifice et sacrement

Cela reste un mystère que nous ne pouvons pas comprendre. Il est évident qu’il n’y a aucune proportion, selon les lois de la nature, entre la double consécration que réalise le prêtre et le mystère de la Croix : il y a un abîme entre les deux. Mais c’est Jésus qui agit à travers le prêtre et c’est lui qui,

par le prêtre, consacre. C’est donc lui qui, à travers le prêtre et la double consécration, se donne à nous, et se donne à nous dans cet état d’immolation de la Croix, sous ce mode particulier du sacrement. De sorte que l’objection qui consiste à dire : « Il s’est offert une fois, et donc il ne peut 1 Eph 3, 17. 2 Cf. Mt 26,26-28 ; Mc 14, 22-24 ; Le 22, 19-20 ; 1 Co 11,24-25.

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pas s’offrir chaque jour, à chaque instant à travers le inonde entier », cette objection ne signifie rien, dès qu’on a compris ce qu’est un sacrement. Le sacrement n’ajoute rien au Christ. Il est pour nous. Il nous montre que ce sacrifice, qui a eu lieu une fois dans le temps, est éternel et a donc une vertu infinie ; et que ce sacrifice qui s’est réalisé une fois peut, selon un mode sacramentel, symbolique et réel dans son efficacité, dans sa causalité instrumentale, nous être donné parce que l’éternité ne fait pas nombre avec le temps, parce que l’amour de Dieu ne fait pas nombre avec la créature.

Le sacrement est d'ordre divin Evidemment, cela exige de nous un regard contemplatif, un regard de sagesse. Mais dès que nous comprenons cela, nous comprenons qu’opposer le fait qu’il s’est offert une fois et la réalité

sacramentelle, c’est matérialiser à la fois la Croix et le sacrement. On est au-delà des dimensions de

temps et de lieu : on est dans un ordre divin. Les sacrements font partie d’un ordre divin, et ils ne peuvent se comprendre que dans cette lumière divine de foi. Ce n’est pas quelque chose d’humain, ce n’est pas quelque chose qui s’ajoute quantitativement, comme les choses humaines. C’est d’ordre divin. Or le divin est au-dessus de la matière, au-dessus de la quantité. Le divin est étemel et il est présent à chaque moment du déroulement du temps. Parce qu’il est le maître de l’espace et du temps,

Dieu peut vouloir s’inscrire réellement, d’une manière symbolique, à travers certains gestes humains et certaines réalités. C’est le mystère du sacrement.

Ancienne et nouvelle Alliances Dans l’ancienne Alliance, Dieu a voulu montrer son omniprésence et son éternité en

consacrant un lieu, le Temple, et en consacrant un jour, le jour du sabbat. Les deux grands conditionnements humains du temps et du lieu ont été consacrés par le Temple et le sabbat. Cela, c’est l’ancienne Alliance. Dans la nouvelle Alliance, Dieu montre aussi qu’il est le maître du temps et du lieu, et il le montre dans l’amour. Ce qu’il y a de plus grand pour nous, c’est d’être présent à la Croix. Il n’y a rien de plus grand. Toute la grandeur de Jean, c’est d’être au pied de la Croix. Ce qu’il

y a de plus merveilleux et de plus grand dans la vie de Marie, c’est d’être au pied de la Croix. Quant

on aime quelqu’un, on veut être fidèle jusqu’au bout et être présent au moment où il souffre le plus,

parce que c’est à ce moment-là que l’unité est la plus forte. Pour le chrétien, le sacrifice du Christ est la manifestation la plus grande de son amour, et c’est le don de tout lui-même au Père et à chacun

d’entre nous. Alors on comprend que Dieu, dans sa sagesse, ait voulu nous enlever toutes les nostalgies que nous aurions pu avoir d’être présents à la Croix du Christ, en enviant ceux qui étaient au Golgotha. Dieu veut nous faire comprendre son amour qui dépasse l’histoire et le temps, il veut se

rendre présent à nous dans un geste de surabondance d’amour.

Nécessité du sacrement Les sacrements sont, en effet, une surabondance d’amour. Ils ne sont pas nécessaires, c’est évident ; la Croix suffit à tout. Mais pour nous ils sont nécessaires, parce que notre foi a besoin de ce réalisme des sacrements. Et Dieu, dans sa sagesse, a voulu que tout chrétien — parce que l’alliance est une alliance d’amour — puisse vivre du mystère de la Croix en étant présent à ce mystère : qu’il puisse en vivre réellement, substantiellement, dans sa totalité, à travers la foi, à travers la pauvreté de

l’espérance, mais dans la pureté absolue de l’amour. C’est pour cela que le Christ a inventé l’Eucharistie : pour que nous soyons tous présents auprès de lui en vivant son sacrifice d’amour qui 56

glorifie le Père et nous sauve, en vivant cette adoration en esprit et en vérité. C’est toute la grandeur

de l’Eucharistie. Et l’Eucharistie nous conduit, puisqu’elle est « le viatique », à voir un jour, dans la lumière de Dieu, ce sacrifice étemel du Christ qui nous introduit dans la gloire.

Sur le sacerdoce du Christ et le gouvernement divin TMj0 12.04.02

Dans le sacerdoce chrétien le prêtre est médiateur entre Dieu et les hommes, et le Christ est le

médiateur par excellence, médiateur divin, le plus parfait qui soit. Pour découvrir ce qu’est le sacerdoce, on peut regarder comment il a été progressivement révélé, et dans le Nouveau Testament il y a deux lieux particulièrement importants, dans l’Epître aux Hébreux et l’Apocalypse. L’auteur de l’Epître aux Hébreux montre comment le sacerdoce progresse jusqu’au sacerdoce du Christ qui est

celui du Fils. C’est le Fils qui est médiateur. Le Père ne peut pas avoir de médiateur plus excellent que le Fils. Et puisque le sacerdoce du Christ est celui du Fils, on peut dire que toute la plénitude de grâce du Christ, en raison de l’union hypostatique, est une grâce sacerdotale, et donc que la grâce chrétienne est sacerdotale parce que c’est le sacerdoce du Fils qui est source de toute grâce. Le sacerdoce est vu d’une autre manière dans l’Apocalypse, où on voit la finalité du sacerdoce : offrir les victimes à Dieu. Et la victime par excellence, c’est l’Agneau immolé, le Christ offert sur la Croix. Le sacerdoce est en vue de l’immolation, en vue du sacrifice, puisque le sacrifice

est l’acte propre du médiateur qui, par le sacrifice, unit la victime et Dieu. Ce qui est très curieux dans l’Apocalypse, c’est qu’on ne parle pas du prêtre ; on parle seulement de l’Agneau. Le prêtre est donc dans l’Agneau ; la finalité du sacerdoce du Christ, c’est l’Agneau immolé. Ce sacerdoce est

donc victimal, le prêtre est lui-même la victime. Dans le Christ, la victime et le prêtre ne font qu’un ; c’est bien ce qui se passe à la Croix. Et l’Apocalypse nous montre comment la victime qui s’est offerte est digne d’ouvrir les sceaux du livre fermé1, et que la grandeur de l’Agneau est d’avoir le pouvoir de gouverner puisque c’est lui qui ouvre les sceaux (qui symbolisent le gouvernement divin). Sans lui tout resterait fermé. Et pour bien nous le faire comprendre il y a dans l’Apocalypse, avant

que l’Agneau apparaisse, cette grande question : « Qui est digne d’ouvrir les sceaux ? ». Elle est suivie d’un grand silence, et même des pleurs de Jean parce que personne n’est digne d’ouvrir les

sceaux ; l’Agneau seul en est digne. Autrement dit, le gouvernement de Dieu sur les hommes est

entièrement remis à l’Agneau. C’est lui qui gouverne l’Eglise et, par l’Eglise, le monde entier. Car il ne faut pas oublier que le gouvernement de l’Eglise ne concerne pas seulement l’Eglise. Le monde est gouverné par l’Eglise dans la foi, l’espérance et la charité. Ce n’est pas précisément ce qui se passe dans le monde aujourd’hui ! mais à celui qui est la Tête de l’Eglise2, l’Agneau, le Christ, tout pouvoir a été remis3, donc le monde est bien gouverné par l’Eglise. Cela, nous devons le croire. Le 1 Voir Ap 5, 1-10. 2 VoirEph 1,22-23 ; 4, 15-16 ; 5,23 ; Col 1,18 ; 2,19. 3 Voir Mt 11, 27 ; 28, 18. Voir aussi Dan 7, 14 : 1 Co 15, 25-28 ; Eph 1,22 ; He 2, 8.

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gouvernement du monde a l’air de se faire par les princes de ce monde, les rois de ce monde, mais en réalité ils sont tous soumis au gouvernement de l’Eglise. Ils l’acceptent ou s’y opposent, et l’opposition est bien montrée dans l’Apocalypse quand on y voit le Dragon face à la Femme. A ce propos une question très délicate se pose, qui regarde le sacerdoce du Christ : Quel rapport y a-t-il entre la Femme et l’Agneau ? L’Apocalypse montre très nettement que tout pouvoir

est remis à l’Agneau, puisque lui seul peut ouvrir les sceaux du livre secret, autrement dit puisque c’est par lui que nous sommes gouvernés par le Père. Mais quelle relation y a-t-il entre la Femme et

l’Agneau ? La Femme, c’est Marie et c’est l’Eglise ; on ne peut pas les séparer. L’Eglise n’existe que grâce à Marie, et elle prolonge le rôle éminent de Marie dans le gouvernement divin. Elle est donc

toujours, comme Marie, en présence du Dragon. L’Agneau, lui, est relatif au Père, il n’est pas en

présence du Dragon. Le sacerdoce du Christ est directement relié au Père ; c’est par obéissance, dans l’obéissance au Père1, que le Christ est victime à la Croix : il est Agneau parce qu’il obéit au Père. C’est dans l’obéissance au Père qu’il s’offre pour le glorifier et pour nous purifier de nos péchés.

C’est par son sang qu’il nous purifie, mais nous devons coopérer ; nous sommes appelés à vivre du gouvernement du Père, du gouvernement de Jésus Agneau, mais nous devons coopérer et notre coopération se fait toujours dans la lutte. Il faut bien saisir ces divers plans. L’Agneau est directement en lien avec le Père, et la

première action de l’Agneau est de coopérer avec nous ; le plan de sagesse du gouvernement divin

relève du Père et de l’Agneau. Et Marie coopère avec l’Agneau, et l’Eglise coopère avec Marie. Et le Dragon apparaît en face de la Femme, il n’apparaît pas face au sacerdoce du Christ. Il faut respecter cela. Le Dragon dit : Non serviam, «je ne servirai pas »2, mais il a peur de Jésus et ne lutte pas directement contre lui ; chassé par Jésus au moment des tentations au désert3, il a peur de lui, mais il attaque la Femme et il attaque l’Eglise. C’est par le sacerdoce du Fils bien-aimé, qui est selon

l’Apocalypse le sacerdoce de l’Agneau, c’est par l’Agneau offert en victime d’amour, que le Père gouverne le monde, par l’Eglise. Et la lutte menée par le Dragon se situe par rapport à la Femme. Elle se situe donc au niveau de l’exécution. Le gouvernement de Dieu, symbolisé par le Livre de vie qui contient le plan de Dieu, est un gouvernement de sagesse, de sagesse divine dans le Christ et par

lui, par le Christ prêtre et victime. Dans le Christ la victime et le prêtre ne font qu’un, et le Christ nous rachète, il nous sauve des mains du démon. Mais il veut que notre route vers la finalité, notre voie vers la finalité se réalise dans la lutte face au Dragon. Le sacerdoce du Christ est donc un sacerdoce sapiential, parce que c’est le sacerdoce du Fils

et que le Fils est Sagesse. Il est très important de comprendre que le sacerdoce du Christ est

sapiential. Grâce à son immolation où il se fait lui-même l’Agneau immolé puisqu’il s’immole en s’offrant au Père, le Christ est celui à qui le gouvernement de l’univers est remis. Son gouvernement

de Fils est donc sacerdotal et royal. Dans l’ancienne Alliance le gouvernement de Dieu, qui était un gouvernement sapiential, passait par les prêtres, les prophètes, les rois... Dans la nouvelle Alliance tout cela est rassemblé et uni dans le sacerdoce du Fils où le Fils s’offre lui-même ; on ne peut plus séparer le prêtre et la victime et on parle du sacerdoce de l’Agneau. Dans l’offrande de la Croix, dans son propre sacrifice, le Christ est l’Agneau qui s’immole pour nous sauver. Et la préfiguration de

l’agneau pascal, de l’agneau offert par toute famille, par tout groupe qui reconnaissait le mystère de Dieu, est en même temps une libération : par là le peuple juif se libère du joug du Pharaon. Et

l’agneau est lié à la mort des premiers-nés : l’ange exterminateur passe. Là ce n’est pas le prêtre, 1 Cf. Jn 14, 31 ; Mt 26, 39 et 42 ; Mc 14,36 ; Le 22,42 ; Phi 2, 8 ; He 5, 8. 2 Jr 2, 20. 3 Voir Mt 4, 10.

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c’est l’ange exterminateur, l’envoyé. Et pour nous il n’y a pas d’ange exterminateur, il y a l’envoyé du Père par excellence, Jésus lui-même s’offrant en victime. Le sacrifice de la Croix est bien le sommet du gouvernement divin, qui s’accomplit dans le sacrifice de l’Agneau, du Fils, sacrifice réalisé par le sacerdoce du Christ qui s’offre lui-même.

Ce sacrifice a eu lieu une fois pour toutes ; il est réalisé dans l’éternité puisque c’est un sacrifice d’amour, un holocauste d’amour, et parce qu’il se réalise dans l’éternité il est actuel. Et pour nous faire comprendre son actualité et nous en faire vivre, Jésus a voulu pour nous la

commémoration de ce sacrifice, de cette Pâque, qui se réalise symboliquement mais réellement par le sacrifice de la messe. Autrement dit le sacrifice de la messe, qui est l’acte propre du sacerdoce chrétien, est tout entier ordonné au mystère de la Croix. La messe, comme sacrifice divin, n’a de signification que dans la Croix. Je crois que c’est pour cela que Jésus a voulu réaliser la Pâque avant le sacrifice de la Croix, et que c’est à cette Pâque qu’il a voulu donner à tous les Apôtres le pouvoir de commémorer son sacrifice : « Faites ceci en mémoire de moi ». Il fallait que la Pâque du Christ se réalise avant la Croix pour montrer qu’on ne pouvait pas s’arrêter à la Pâque, que la Pâque était tout entière ordonnée à la Croix, et que la nouvelle Pâque du Christ, à la Cène, est tout entière ordonnée à

la Croix. Et depuis la Croix, chaque fois qu’elle est célébrée elle commémore le sacrifice de la Croix

dans le temps ; c’est l’éternité qui prend possession du temps pour nous donner le sacrifice de la Croix. Et c’est à travers le sacrifice de la Croix que Jésus renouvelle et achève tout le gouvernement

divin sur le monde ; c’est le sommet du gouvernement divin. La Croix est liée à la gloire, à la Résurrection, si bien que coupée de la Résurrection, saint Paul nous le dit, la Croix serait vaine1. Il

est très important de bien voir que la Croix est essentiellement liée à la gloire. Il a fallu trois jours

d’attente pour que nous comprenions bien que la Croix a sa structure propre mais qu’elle est tout entière tournée vers la Résurrection. Le sacerdoce chrétien est donc le sacerdoce de la nouvelle Pâque, de la Pâque chrétienne, et

cette nouvelle Pâque est liée essentiellement à la Croix. C’est le sacrifice de l’Agneau, le sacrifice du Christ lui-même, et par là Jésus nous montre que le sacrifice de la Croix est actuel dans l’Eglise ; nous vivons de la Croix du Christ. Notre vie chrétienne, c’est le sacrifice de la Croix toujours présent, et ce sacrifice de la Croix est tout entier ordonné à la gloire... mais la gloire n’est pas de ce

monde. C’est pour cela qu’on ne peut pas faire une théologie de la gloire toute seule ; on peut faire une théologie de la Croix ouverte à la gloire. En faisant une théologie de la gloire on risquerait de faire une théologie du retour au paradis terrestre ; or il n’y a pas de théologie du retour au paradis

terrestre : puisque l’homme a été chassé du paradis terrestre par Dieu, la Croix n’est pas un retour au paradis terrestre. Notre grâce chrétienne n’est pas un retour au paradis terrestre. La Croix est tout entière ordonnée à la Résurrection, donc à la gloire du Christ, mais cette gloire n’est pas vécue

parfaitement sur la terre, elle est vécue en espérance, elle est dans la Croix. La gloire du Christ est présente dans sa Croix, mais elle n’y est pas explicitée pleinement, elle le sera pour nous au Ciel. Ce qu’il y a de plus grand à saisir, c’est que toute notre vie chrétienne est dépendante du sacrifice du Christ, et que le sacrifice du Christ est l’acte propre de son sacerdoce. Le Christ s’offre lui-même. Là il y a un parallélisme à faire avec la contemplation du Christ qui est de se contempler Fils bien-aimé du Père, Verbe du Père. La contemplation du Christ est le terme de toute sa vie et c’est le commencement du Ciel, ce n’est plus de ce monde ; et le sacerdoce du Christ s’épanouit en plénitude dans le mystère de l’au-delà, de la vision béatifique. Sur la terre, le sacerdoce du Christ s’exprime dans l’holocauste de la Croix, dans le mystère de l’Agneau offert pour notre salut, pour ‘Voir 1 Co 15, 14-18.

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nous donner la vie divine. Mais tant que nous sommes sur la terre nous ne pouvons pas vivre

pleinement de la gloire du Christ, de sa victoire. Nous vivons de son sacrifice, et par son sacrifice sa gloire nous est donnée, mais elle nous est donnée dans son sacrifice, pas en dehors. Et c’est le

mystère premier de toute notre vie chrétienne. Toute notre vie chrétienne consiste à vivre de ce sacrifice du Christ. On voit donc la place du sacrifice du Christ dans le gouvernement divin : c’est le sommet, et ce sommet est toujours en acte, il est. Dans la foi, l’espérance et la charité, nous rejoignons directement ce sommet, nous en vivons. Et le sacerdoce ministériel, le sacrement de l’Ordre, est là

pour répondre à l’appel du Christ : « Faites ceci en mémoire de moi ». Nous devons considérer que notre sacerdoce ministériel est une réponse directe à cette parole du Christ. Ce n’est pas un

commandement, c’est une invitation ; mais pour nous, cette invitation est plus qu’un commandement. C’est toujours ainsi dans notre vie chrétienne : le commandement de Dieu par excellence, « aimer Dieu de tout son cœur », est une invitation, c’est toujours donné comme un surcroît d’amour ; c’est

aussi un commandement, mais c’est plus qu’un commandement. Ce n’est pas du tout un

commandement à la manière de la Loi, ce n’est pas une loi. Le mystère de la Croix n’est pas une loi, c’est un sacrifice d’amour, le sacrifice du Fils. Et en disant : « Faites ceci en mémoire de moi », Jésus lui-même établit cet ordre nouveau (le sacerdoce sacramentel) qui continue à réaliser avec lui, en lui et par lui, la Pâque qui nous donne sa présence sous la forme du pain et du vin — donc la présence du Christ offert sur la Croix pour nous. Ce sacrement est pour nous le véritable don de la Croix tout entier tourné vers la Résurrection, mais la Résurrection est vécue comme un terme ; elle est présente, mais elle vécue comme un terme qui n’est plus de cette terre. Ce qui est de cette terre, c’est la

présence sacramentelle du Christ Agneau de Dieu. Et c’est cela qui est merveilleux : le Christ est réellement présent pour nous comme Agneau et comme Prêtre, il continue à être présent d’une manière sacramentelle. C’est donc une présence substantielle et réelle, mais c’est une présence cachée et une présence qui est une attente, une présence qui ne nous donne pas en plénitude le mystère de la Résurrection. Le sacrement nous donne en plénitude le mystère du sacrifice du Christ, mais il ne nous donne pas en plénitude le mystère de la Résurrection— c’est le propre de cette vie sacramentelle. Elle s’explicite parfaitement dans l’Eucharistie où le Christ nous est donné

substantiellement et où il nous est donné en promesse. Nous ne pouvons pas nous arrêter à l’aspect sacramentel. Nous devons vivre de l’aspect sacramentel pour vivre dès maintenant, mais en

promesse — cela, c’est l’espérance —, la gloire du Christ. Cela nous fait comprendre ce qui est tout à fait propre au mystère de l’Eglise : tout nous est

donné, mais d’une manière sacramentelle. Le corps et le sang du Christ, l'offrande de la Croix, nous

sont donnés, et même la gloire du Christ nous est donnée sacramentellement, donc d’une manière cachée, cachée dans la foi, mais d’une manière réelle. Mais d’une manière qui demande à s’expliciter parfaitement un jour. Tant que nous sommes sur la terre, cela nous est donné d’une manière sacramentelle, c’est-à-dire par le signe divin de la présence réelle de Jésus, de l’Agneau. Donné sous la forme de l’Agneau immolé, Jésus nous est donné réellement, mais d’une manière cachée, c’est-àdire comme une gloire qui doit s’exprimer mais qui ne peut pas s’exprimer tant qu’on est sur la terre ; elle s’exprimera pleinement un jour... un jour tout proche, mais «un jour». C’est le sacrement de l’Eucharistie qui nous fait le mieux comprendre notre situation entre la terre et le Ciel. Nous vivons en quelque sorte une vie « intermédiaire ». Dans la charité, notre foi nous fait vivre réellement de la présence du Christ crucifié et glorifié, et cela selon un mode caché, non évident : un mode sacramentel. Toute notre vie avec Jésus est véritable. Le Christ habite en nous, nous vivons avec lui, en lui, de lui, mais sa présence substantielle nous échappe, sa gloire nous échappe : elle nous est promise (d’une promesse divine). Quand je dis que « sa présence substantielle 60

nous échappe », je veux dire qu’elle est réelle mais qu’elle ne s’explicite pas pour nous, que nous ne pouvons pas encore la vivre pleinement. Tant que nous sommes sur la terre, l’explicitation de cette présence ne peut pas être vécue ; elle est vécue en espérance, avec une certitude absolue puisque c’est une espérance divine : on sait qu’un jour cette présence se dévoilera et que nous le verrons face

à face. Rien ne sera changé de sa part mais pour nous tout sera changé ; tout sera changé dans le vécu mais rien ne sera changé substantiellement, dans la réalité profonde. Dès maintenant nous vivons de cette réalité profonde, mais cette réalité ne prend pas notre vécu, elle est au-delà du vécu — mais elle nous est donnée. Le mystère de l’Eucharistie et celui du sacerdoce sont vraiment pour nous quelque chose

d’admirable. L’institution de l’Eucharistie est une miséricorde merveilleuse du Christ, mais c’est

aussi un mystère qui doit nous faire comprendre que notre situation actuelle est une situation d’attente, de désir — et rien n’est plus grand que le désir divin — et en même temps une situation de pauvre, puisque ce n’est pas vécu, c’est cru : nous y croyons, nous y adhérons, mais ce n’est pas du

vécu subjectif. C’est pour cela que les philosophies qui se situent uniquement au niveau du vécu négligent et même rejettent la vie chrétienne ici-bas, parce qu’elle est du «non vécu». C’est extraordinaire, que le divin se donne à nous comme du « non vécu » ! C’est l’épreuve de la terre. Et c’est le mystère de la foi qui permet de dépasser cela. Le sacerdoce, s’il est vraiment vécu chrétiennement comme un mystère, rend cette situation particulièrement nette, puisqu’on doit montrer la route sans la connaître, sans l’avoir vécue, mais on doit la montrer dans le désir, dans l’espérance, et on doit, grâce à la pauvreté, accepter de ne pas la vivre maintenant comme elle devrait

être vécue. La pauvreté de la vie chrétienne sera donc vécue par le sacerdoce d’une façon très

particulière puisqu’on disant : « Faites ceci en mémoire de moi », Jésus nous demande d’être pour le peuple de Dieu ceux qui continuent son geste et qui acceptent de faire ce geste en aveugles, mais en sachant que c’est le réel le plus réel puisque c’est le Christ qui se donne substantiellement à nous. Mais, encore une fois, il se donne à nous d’une manière extrêmement pauvre pour notre vécu.

* TMj0 18.04.02

Nous avons essayé précédemment de montrer la place capitale du sacerdoce du Christ — le

mystère de l’Agneau — dans le gouvernement divin.

Quel est le sommet du gouvernement divin? Il faut se poser cette question pour voir comment cela éclaire tout le reste ; et la théologie des sacrements ne peut se comprendre qu’à partir de ce sommet, puisque les sacrements sont des moyens adaptés à notre salut. Notre finalité, c’est

notre salut : vivre éternellement la vision de Dieu, la vision face à face. Or c’est toujours la finalité

qui commande les moyens ; l’intelligibilité des moyens vient de la finalité, c’est elle qui nous éclaire. Quand nous regardons les moyens pour eux-mêmes nous ne pouvons pas en saisir l’intelligibilité — ce serait comme vouloir balayer un escalier en commençant par le bas ! —, alors que si on regarde par le haut, on voit l’intelligibilité. Et nous faisons cela constamment. Quand il s’agit de choses pratiques, on en rit : balayer l’escalier en commençant par le bas, ce n’est pas tout à fait la méthode qu’il faut ; c’est cependant possible, on y arrive tout de même... mais difficilement. Vouloir expliquer les sacrements en eux-mêmes, c’est très bien ; la théologie scientifique de Thomas d’Aquin pose la question : Qu’est-ce qu’un sacrement ? C’est un signe instrumental, donc un 61

signe qui est tout ordonné à la res, et la res, c’est Dieu, c’est le Christ dans nos cœurs, c’est la transformation de tous les chrétiens dans le Christ qui est leur Tête. Mais tout cela ne peut être compris que si on regarde toujours la finalité. L’Apocalypse, elle, nous montre comment Dieu gouverne le monde ; les chapitres 4 et 5 montrent que seul l’Agneau a le pouvoir d’enlever les sceaux du Livre de vie. Donc c’est l’Agneau qui donne son intelligibilité à toute la conduite de Dieu sur nous. Or l’Agneau, c’est la victime ; on

serait tenté de dire que c’est le prêtre qui gouverne, puisque le prêtre a le pouvoir d’of&ir ou ne pas offrir. Or dans l’Apocalypse, on voit que c’est l’Agneau. L’Agneau, c’est la victime, et c’est la victime qui ouvre les sceaux, ce n’est pas le prêtre.

Je pose là un problème de compréhension du gouvernement divin. Dans le gouvernement divin il y a les rois qui gouvernent, mais quand c’est le prêtre qui gouverne il s’efface devant la victime, il est pour la victime, et c’est la victime qui gouverne. C’est extraordinaire, de bien voir cela, parce que c’est le sacerdoce du Christ. Et là on comprend que si l’Agneau est la victime, la victime est aussi Marie, et instinctivement on distingue le point de vue du gouvernement mystique et

celui du gouvernement efficient : le sacerdoce royal des fidèles et le sacerdoce sacramentel. Et le sacerdoce royal des fidèles, c’est la victime, c’est Marie. Marie « complète » la victime ; Marie,

comme Mère, est Mère de la victime, et par le fait même elle est Mère du sacerdoce en tant qu’il ofïfe la victime, elle coopère au gouvernement comme Mère de la victime, comme étant offerte en

même temps que Jésus. Marie n’est pas prêtre, sauf du sacerdoce royal des fidèles parce qu’elle est celle qui est «une » avec Jésus victime, avec l’Agneau. L’Agneau, symboliquement, contient à la fois Jésus victime et Marie offrant la victime, unie à la victime et s’ofi&ant elle-même avec la

victime. Il est important de saisir, autant qu’on le peut, la place de Marie dans le gouvernement divin, et de comprendre la finalité de ce gouvernement. La finalité du sacerdoce du Christ, c’est sa propre

offrande comme victime d’amour, et avec lui Marie, unie à son sacrifice, « une » avec lui dans son offrande. Le sacerdoce du Christ offre la victime totale : Jésus et Marie. Si on regarde bien l’Apocalypse, on voit que la place de l’holocauste du Christ dans le

gouvernement divin y est présentée d’une façon tout à fait symbolique : Et je vis sur la main droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et parderrière, scellé de sept sceaux. Et je vis un ange vigoureux qui proclamait d’une voix forte : « Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en rompre les sceaux ? » Et personne au ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ne pouvait ouvrir le livre ni le regarder. Et je pleurais beaucoup.1

Jean pleure pour découvrir le mystère du gouvernement divin, puisque ouvrir les sceaux, symboliquement, c’est nous faire entrer dans le gouvernement divin. Et je pleurais beaucoup, parce que personne n’avait été trouvé digne d’ouvrir le livre ni de le regarder. Et l’un des Vieillards me dit : «Ne pleure pas ; voici qu’il est vainqueur, le bon de la tribu de Juda, le rejeton de David : il ouvrira le livre et ses sept sceaux. » Et je vis, au milieu du trône et des quatre Vivants, au milieu des Vieillards, un Agneau debout, comme égorgé.2

C’est l’Agneau sur la Croix, « comme égorgé » : le coup de lance au cœur. C’est Jésus offert en victime d’amour par son sacerdoce d’amour, de Fils bien-aimé, et c’est Marie l’offrant.

1 Ap 5, 1-4. 2 Ap 5,4-6.

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Et je vis (...) un Agneau debout, comme égorgé. II avait sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu [les sept esprits de Dieu présents dans l’Agneau] envoyés dans toute la terre. Et il vint et il prit le livre de la main droite de Celui qui était assis sur le trône. Et lorsqu’il eut pris le livre, les quatre Vivants et les vingt-quatre Vieillards tombèrent devant l’Agneau, ayant chacun une cithare et des coupes d’or pleines de parfums, qui sont les prières des saints. Et ils chantent un cantique nouveau, disant : « Tu es digne de prendre le livre et d’en ouvrir les sceaux, parce que tu as été égorgé, et tu as acheté pour Dieu, par ton sang, des hommes de toute tribu, et langue, et peuple et nation, et tu as fait d’eux pour notre Dieu un royaume et des prêtres, et ils régneront sur la terre ». Et je vis, et j’entendis la voix d’anges nombreux qui étaient autour du trône, et des Vivants et des Vieillards. Et leur nombre était des myriades de myriades et des milliers de milliers, et ils disaient d’une voix forte : « II est digne, l’Agneau qui a été égorgé, de recevoir la puissance, et la richesse, et la sagesse, et la force, et l’honneur, et la gloire et la louange ! » Et toutes les créatures qui sont au ciel, et sur la terre, et sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui y sont, je les entendis qui disaient : « A Celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau, la louange, et l’honneur, et la gloire et la domination pour les éternités d’éternités!» Et les quatre Vivants disaient: «Amen!»; et les Vieillards tombèrent et se prosternèrent. Et je vis : lorsque l’Agneau ouvrit l’un des sept sceaux, j’entendis l’un des quatre Vivants qui disait comme d’une voix de tonnerre : « Viens. » Et je vis ; et voici un cheval blanc.1

On voit ainsi, successivement, tout ce qui est prévu, annoncé, dans les décrets de Dieu ; mais

ce que je veux souligner ici, c’est la place de l’Agneau. Le gouvernement appartient au Père, et il gouverne par l’Agneau. C’est cela qu’il faut essayer de comprendre si on veut comprendre le gouvernement de Dieu sur nous, le gouvernement chrétien. Ce gouvernement a un caractère sacerdotal, mais en réalité ce caractère sacerdotal est un caractère victimal. C’est peut-être cela qui

est le plus important à saisir : cet acte sacerdotal — offrir la victime — est finalisé par la victime elle-même qui est offerte au Père et offerte à chacun d’entre nous. Nous sommes sauvés à travers

l’holocauste du Christ, et notre salut donne sens à ce sacerdoce, puisque nous sommes offerts en même temps que Jésus. La victime, qui est le Christ, finalise l’acte sacerdotal. Nous sommes donc en présence d’un sacerdoce victimal. D’une certaine manière on pourrait dire : « il est plus victime que

prêtre » ; ce ne serait pas vrai, parce que la victime et le prêtre ne font qu’un dans le mystère du

Christ, mais lafinalité de l’acte du prêtre, c’est d’offrir la victime. C’est l’offrande de la victime qui finalise l’acte du prêtre, et c’est cela qui donne un sens particulier au gouvernement de Dieu sur

l’Eglise, et par l’Eglise sur l’humanité tout entière. On voit donc la place du sacerdoce du Christ identique à son état victimal, à l’état victimal de

l’Agneau ; et le symbole de l’Agneau désigne à la fois Jésus et Marie, et nous tous en Jésus et en

Marie. A la Croix, c’est Jésus et Marie, prototype de tous les chrétiens qui sont ses enfants. C’est cela qui est tout à fait propre à ce gouvernement d’amour, ce gouvernement de miséricorde. Car il faut toujours revenir à cette miséricorde de Dieu, cette miséricorde du Père qui se réalise à travers

l’Agneau : Jésus est offert, il s’offre comme l’Agneau à la Croix. C’est quelque chose de tout à fait nouveau. Dans l’ancien Testament, le gouvernement du Père se réalisait selon des modalités différentes : par la famille, et aussi par les rois (une famille royale), par le sacerdoce, par les prophètes. A partir de la Croix du Christ, le gouvernement du Père est unique : il se fait par l’offrande victimale de Jésus, par le sacerdoce du Christ s’offrant en victime d’amour avec Marie. C’est donc un gouvernement de miséricorde dans ce qu’il a de plus beau et de plus grand, puisque cette miséricorde implique l’offrande victimale de Jésus. Et le sacerdoce du Christ atteint là un

1 Ap 5, 6 à 6,2.

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sommet, c’est le sacerdoce du Fils bien-aimé, et c’est vraiment lui qui donne au gouvernement divin sa tonalité propre1.

Maintenant, dans cette lumière, regardons le sacerdoce comme sacrement. La finalité du sacerdoce chrétien, c’est l’offrande de Jésus, et l’offrande de tous les membres du Corps mystique, d’une manière maternelle par le sacerdoce royal des fidèles, et d’une manière efficace par le

sacerdoce sacramentel quant au pardon des péchés, quant à l’offrande même de la victime (l’Eucharistie). Tout fait partie de l’offrande de la victime, tout ce qui est bon en nous est offert, et le sacerdoce sacramentel est le signe qui nous rappelle et qui nous donne sacramentellement Jésus

victime, Marie coopérant au sacerdoce du Christ, à l’état victimal de l’Agneau. Si donc nous voulons saisir le caractère propre du gouvernement chrétien, nous devons

toujours revenir à ce texte de l’Apocalypse et essayer de le comprendre : gouvernement sacerdotal,

c’est-à-dire gouvernement de la victime d’amour où tout doit être offert au Père. C’est un gouvernement qui forme des saints, c’est-à-dire qui fait que tout doit être offert au Père en union avec le sacrifice du Christ, avec Marie compatissant à cette offrande. Je crois que pour saisir la place

du sacerdoce sacramentel, il faut toujours revenir à cela. On peut étudier le sacerdoce comme le fait saint Thomas en précisant ce qu’il est, c’est très bien ; mais ce qui est important, comme toujours

pour les moyens, c’est la finalité ; ce qui est important dans les moyens, ce n’est pas ce qu’ils sont

mais leur finalité. La finalité du sacerdoce chrétien, c’est d’être uni au sacerdoce du Christ, « un » avec le sacerdoce du Christ. Et la finalité du sacerdoce du Christ, c’est la Croix ; et tant qu’on est sur la terre, cette Croix se donne à nous à travers l’Eucharistie. C’est pour cela qu’il est remis au prêtre de réaliser le mystère eucharistique ; et le fidèle, c’est-à-dire le chrétien comme tel, est membre de l’Agneau, il est offert avec Jésus.

On voit alors le rôle de la vie religieuse et sa place relativement au sacerdoce chrétien. Par la vie religieuse on accepte librement, dans la foi, l’espérance et la charité, d’être intimement uni, le

plus intimement possible, à l’Agneau. Celui qui a reçu le sacerdoce sait que ce sacerdoce est pour les chrétiens, mais il sait aussi que, avant cela, le sacerdoce est pour lui, pour qu’il soit victime d’amour avec Jésus. On peut donc dire que séparer le sacerdoce sacramentel de la vie religieuse, ce ne peut être qu’une mesure de miséricorde de la part du Christ. Le Saint-Père le dit : tout prêtre doit vivre spirituellement de la vie religieuse, c’est-à-dire être victime avec l’Agneau. Tout prêtre offrant visiblement, dans la célébration de l’Eucharistie, le sacrifice de la Croix, doit être lui-même victime d’amour ; et la vie religieuse lui permet d’être plus rapidement victime d’amour. S’il ne peut pas être religieux, qu’il ait au moins l’esprit de la vie religieuse, pour être victime d’amour. C’est par la finalité qu’on voit le lien qui existe entre le sacerdoce et la vie religieuse. La finalité du sacerdoce chrétien est la même que celle du sacerdoce du Christ, c’est-à-dire d’offrir l’Agneau au Père. Ici, il faut bien voir que la vie religieuse (hommes ou femmes) a sa finalité indépendamment

du sacerdoce ; cela, c’est très important. Je dis cela pour tous ceux qui ne sont pas prêtres ; ils sont, comme les religieuses, unis à part entière à l’Agneau. Quant aux religieux qui sont prêtres, ils participent au sacerdoce du Christ pour réaliser concrètement, dans l’Eucharistie, cette offrande

d’amour, mais avant cela ils sont vraiment unis au Christ dans son état victimal. Parce que l’état victimal du Christ est la finalité de son sacerdoce, cet état victimal est indépendant (c’est évident) du sacerdoce sacramentel, et l’état victimal des religieux est uni au sacrifice de toute l’Eglise, et de toute l’humanité. Comprendre que la finalité du sacerdoce, c’est d’être uni à l’Agneau, c’est comprendre que la vie religieuse fait passer l’état victimal de l’Agneau avant l’état du prêtre, finalisé par l’offrande de l’Agneau. 11 est très important pour nous de voir avec netteté que la vie religieuse nous 1 Voir M.-D. PHILIPPE, Le gouvernement du Fils bien-aimé, dans Aletheia n°21 (juin 2002), pp. 26-27.

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unit plus immédiatement à l’état victimal de l’Agneau que le sacrement de l’Ordre, et que le sacrement de l’Ordre pourra donc se réaliser plus pleinement chez le religieux que chez celui qui n’est pas religieux, qui ne l’est que d’une façon potentielle, virtuelle, en promesse. Ce sont des questions qui pour nous, en tant que religieux, sont extrêmement importantes. L’unité de la vie religieuse, ce n’est pas le sacerdoce ; c’est d’être uni à l’état victimal, c’est d’être « un » avec cet état victimal. C’est cela, la grandeur de la vie religieuse. Le sacerdoce en tant que sacrement est tout ordonné à l’état victimal de l’Agneau, et donc tout ordonné à la consécration religieuse, à la vie victimale de l’Agneau. Cela fait comprendre comment la finalité de l’Eglise (du Coips mystique) et de toute l’humanité est du côté de l’état

victimal de l’Agneau, et que le sacerdoce sacramentel est du côté de la cause efficiente en vue de cet holocauste ; en nous, dans la créature, il y a une distinction réelle entre l’état victimal de l’Agneau et la grâce sacerdotale, qui est d’offrir l’Agneau au Père, dans chaque Eucharistie, et aussi dans toute l’activité du prêtre, car toute sa vie de prêtre est ordonnée à vivre le mystère de l’offrande de l’Agneau. C’est le sommet de sa vie sacerdotale. S’il absout le pécheur, c’est pour qu’il puisse communier ; s’il baptise l’enfant, c’est pour qu’il fasse partie du Corps mystique. Toutes les activités

du prêtre sont ordonnées à l’Eucharistie. Et la vie religieuse prépare d’une manière admirable à recevoir le pouvoir sacerdotal. Dieu n’a pas besoin de cette préparation, de cette disposition, mais il nous la donne, et on peut la vivre même sans être religieux, en ayant l’esprit de la vie religieuse. Etre le plus proches possible de l’état victimal de l’Agneau est essentiel à notre vie chrétienne. Le gouvernement divin a une finalité immanente : faire des saints, réaliser le mystère de

l’Agneau sur la terre, pour glorifier le Père. Toute la finalité du gouvernement divin réside dans cette réalisation. Ce n’est pas construire, ce n’est pas faire des choses très intéressantes : tout cela est secondaire. Cette finalité du sacerdoce chrétien est immanente à la réalité du Corps mystique ; c’est que nous puissions être unis à l’Agneau, ne faire qu’un avec lui dans cette offrande qui glorifie le Père et lui rend grâces pour son amour. Ce n’est pas une finalité extérieure, où il s’agit de « faire » quelque chose, c’est une finalité immanente, faisant partie de la vie divine. Il s’agit de réaliser d’une façon immanente le mystère de l’Agneau.

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Nous vivons, par l’Eucharistie, le mystère de la Croix du Christ RJo 17.04.03, n° 7

Le Jeudi Saint, fête du sacerdoce, est aussi la fête de Marie. Elle est tellement proche du sacerdoce ! Son sacerdoce à elle, le sacerdoce royal des fidèles1, n’est pas le sacerdoce

ministériel, c’est un sacerdoce « substantiel »2 — là est la différence. Pour les frères de SaintJean qui sont prêtres il y a le sacerdoce ministériel, mais leur vie religieuse leur fait vivre un

sacerdoce substantiel, celui de ceux de nos frères qui ne sont pas prêtres. Et les frères qui se préparent au sacerdoce doivent comprendre de manière toujours plus réaliste ce qu’est le point de vue sacramentel. Pour beaucoup de chrétiens, hélas, le point de vue sacramentel est vécu

d’une façon purement extérieure : on a « assisté à la messe » ; mais « assister à la messe » et

participer à la célébration en vivant du mystère de l’Eucharistie, c’est très différent. Et vivre de ce mystère est très important dans nos constitutions, c’est un des éléments essentiels, c’est même

peut-être l’élément essentiel.

Mais on n’en reste pas à la célébration. B faut, évidemment, assister à la célébration de

l’Eucharistie (ne pas faire comme une ermite qui, sous prétexte que les cérémonies la dérangeaient beaucoup, demandait la permission de ne pas descendre à la chapelle pour la messe, de n’y venir que pour recevoir la sainte communion). L’Eglise demande explicitement qu’on ne sépare pas la célébration du mystère3, parce que la célébration est un signe ordonné au mystère : il faut donc vivre de ce signe. Mais le signe ne doit pas empêcher — loin de là ! — de vivre de la

res, la réalité du mystère. Et aujourd’hui nous devons demander pardon à Jésus pour toutes les

célébrations de la Sainte Messe que nous n’avons pas suffisamment vécues, qui pour nous ont été simplement des célébrations. Certes la célébration est très importante mais, redisons-le, pour

vivre du mystère. Aujourd’hui, la grâce du Jeudi Saint va être pour nous de vivre la célébration de

l’Eucharistie dans toute sa force — sa force divine—, et de demander pardon au Seigneur de n’avoir pas vécu toutes les messes durant l’année avec la même ferveur, avec le même réalisme, la même intensité d’amour. Nous avons un privilège extraordinaire de vivre la Sainte Messe chez

nous, dans notre couvent. Notre Temple, c’est notre couvent, et grâce à cela le caractère immanent de la célébration eucharistique prend toute sa force. Durant toute l’année nous avons

vécu cela, et aucune messe n’est une répétition ; la messe est célébrée tous les jours, mais ce « tous les jours » ne doit pas être une répétition, ce doit être une croissance. B faut même 1 C’est la complémentarité du sacerdoce de Marie par rapport au sacerdoce de Jésus, cet achèvement de l’offrande sacerdotale et de l’état victimal du Christ dans le cœur de la Femme, de Marie, qui nous fait comprendre ce qu’est le « sacerdoce royal des fidèles » (Voir Ap 1, 6 ; 5,9-10 ; 20, 6. 1 Pe 2,4-10. Cf. Ex 19, 6. Lumen Gentium, n“ 10-11, 31, 34. Presbyterorum Ordinis, n° 2. Apostolicam actuositatem, n05 2 et 3). Ce sacerdoce, c’est cette médiation d’amour qu’exerce tout chrétien, du fait même qu’il est chrétien. " Voir ci-dessous, p. 73. 3 Voir entre autres Concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n° 48. Paul VI, Mysterium Fidel, n° 34. Jean Paul II, Redemptor Hominis. n° 20 ; Ecclesia de Eucharistia, n° 10.

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comprendre que la messe quotidienne est pour nous le moyen le plus efficace pour la croissance de la charité. Nous préparer à la célébration de l’Eucharistie, c’est supplier le Saint-Esprit de

réaliser une croissance d’amour chez tous les prêtres, et chez tous ceux qui participent à la

célébration avec le désir de vivre du mystère. Ceux qui vivent le plus de la Messe, ce ne sont pas nécessairement les prêtres ; ce sont

ceux qui vivent avec Marie la célébration de l’Eucharistie, en lui demandant de la vivre comme elle, avec toute la force et l’intensité d’amour avec lesquelles elle l’a vécue. Marie est

l’Immaculée, et cela se manifeste éminemment dans la manière dont elle a vécu de l’Eucharistie ; elle vivait de ce mystère d’une manière unique, avec toute l’intensité de charité

qu’elle pouvait avoir dans son cœur immaculé. Et si nous sommes vraiment les enfants de Marie,

nous pouvons comprendre que ce qu’il y a de plus intense dans la charité du cœur de notre Mère, c’est que l’Eucharistie qu’elle vivait auprès de Jean n’était pas pour elle une simple répétition de

la Croix (ce qui aurait déjà été quelque chose de magnifique) ; Marie a vécu la Croix d’une

manière unique, et elle a aussi vécu l’institution de l’Eucharistie d’une manière unique. De cela l’Ecriture ne parle pas, mais ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que Marie a été oubliée. Je

vous ai déjà parlé de ce père dominicain que j’aimais beaucoup et qui nous enseignait toujours les silences de l’Ecriture. Pourquoi ? parce qu’une mère, une véritable mère, enseigne plus par

ses silences que par ses paroles. C’est le rôle de la mère, cela. Et c’est très beau, de déceler dans l’Ecriture tous les silences de Marie. Car l’Esprit Saint n’a pas oublié Marie ! là nous sommes

tous d’accord. Et personne n’oserait dire que, le Jeudi Saint, Jésus a oublié Marie ! Si, parce

qu’elle n’est pas mentionnée, on dit qu’elle a été oubliée, c’est du positivisme ; et cela fait des

dégâts, parce que le positivisme n’a rien de maternel et que la foi chrétienne a un mode maternel

puisque celle qui a cru avec l’intensité la plus grande et la plus parfaite, c’est Marie, notre Mère, Mère de notre foi. Il y a donc dans le mystère de la foi une note spéciale, maternelle... mais

nous, nous sommes terriblement positivistes. Le démon est positiviste, il n’aime pas la maternité,

et les positivistes n’aiment pas la maternité de Marie, ils ne la comprennent pas du tout, ils ne comprennent que ce qui relève de la raison.

Jésus n’a pas oublié sa Mère ; il a pris avec lui les Douze, oui, mais ne disons pas que c’était réservé aux Douze. Quand Jésus demande à Pierre et Jean d’aller « préparer la Pâque »’, il n’est pas au niveau des coutumes, il va beaucoup plus loin. Le sommet de l’enseignement de

Jésus, juste avant la Croix, c’est la Cène avec les Apôtres. A ce sommet Jésus aurait oublié sa Mère ? Il lui aurait dit : « Non, ce n’est pas pour toi » ? Le mystère de l’Eucharistie est-il réservé aux Apôtres ? à Pierre, à Jean, à André, à Judas ? Où est le réalisme de notre foi ? Posez la

question aujourd’hui à Jésus, au plus profond de votre cœur. Nous pouvons, dans la vie religieuse, vivre de ce mystère comme Jésus l’a vécu, de la manière la plus intime. Et il est très

significatif que Jésus ait pris ses amis ; il y a là quelque chose de très intime. Au début de l’Eglise on veillait à l’intimité de la célébration eucharistique2 — «intimité», non pas au sens

d’un amour humain, mais de l’amour divin, du mystère de la charité. Le mystère de l’Eucharistie est le sommet de l’enseignement du Christ, le même sommet

que la Croix. C’est cela qui est prodigieux : c’est substantiellement le même sommet que la 1 Le 22, 8 sq. ’ Voir SAINT AUGUSTIN, Enarratio in Psalmos, 103 1, 14 : «Qu’y a-t-il de secret dans l’Eglise ? uniquement les sacrement du baptême et de l’Eucharistie » ; Sermon 49,8 : « Voici qu’après ce sermon, les catéchumènes vont être renvoyés et les fidèles resteront ».

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Croix, même si les modalités sont tout autres. Nous prêchons sur l’Eucharistie d’une manière autre que lorsque nous prêchons sur la Croix, mais substantiellement, du point de vue de notre

foi, c’est le même sommet d’amour ; et c’est le même sommet d’amour du Christ pour ses

Apôtres, pour la Vierge Marie, et pour Marie, la sœur de Lazare. Car c’est une réponse de Jésus

au geste de Marie, la sœur de Lazare, quand durant le repas elle avait versé sur les pieds de Jésus le parfum d’un grand prix'. Pendant la Semaine Sainte nous devons offrir à Jésus ce parfum d’un grand prix, quelque chose que nous avons très profondément dans notre cœur, à tel point que

cela nous semble vraiment nôtre, alors que cela ne l’est pas parce que ce n’est pas la volonté de Dieu sur nous ; c’est nôtre matériellement, c’est nôtre selon les circonstances de notre vie, mais

nous devons aller plus loin, nous devons avancer... La réponse de Jésus à Marie, la sœur de Lazare, c’est bien l’Eucharistie ; on oserait presque dire que le parfum d’un grand prix que Jésus offre au Père, c’est l’institution de l’Eucharistie...

Quelle différence y a-t-il entre la Croix et l’Eucharistie ? — je veux dire : quelle différence théologique, car selon les circonstances on n’en finirait pas de voir les différences. La

différence profonde, c’est que l’Eucharistie, c’est la Croix pour nous, c’est Jésus qui se donne à

nous, et selon une modalité tellement réaliste que nous ne pouvons pas discuter. C’est substantiel : Jésus se donne à nous substantiellement. La Croix aussi est substantielle, personne n’oserait dire le contraire : Jésus meurt, et rien n’est plus substantiel que cela. Mais l’Eucharistie, c’est la Croix du Christ pour nous, dans l’intimité de notre cœur et dans le silence du cœur de

Marie. Pour reprendre une expression de saint Thomas, l’Eucharistie « ne fait pas nombre » avec

la Croix. C’est cela qui est extraordinaire, et c’est vécu d’une façon si simple — j’allais dire : si terriblement simple — qu’on risque de ne plus en saisir la gravité. Quand Jésus a réalisé

l’institution de l’Eucharistie, qui en a vécu dans le monde entier ? Les Douze — ou du moins onze—, et Marie, plus profondément que les Douze. C’est très intime, l’Eucharistie. C’est

pourquoi, au début de l’Eglise, cela demeurait un secret ; de fait, c’est un secret divin : rien, à l’extérieur, n’est là pour montrer que c’est quelque chose d’extraordinaire qui bouleverse tout, que c’est le plus grand des miracles. On a quelquefois le désir de voir un miracle du Christ...

mais chaque fois que nous sommes présents à la messe, le miracle le plus grand du Christ nous

est donné ; il est pour nous, mais sans bruit. Réalisons-nous la gravité et la grandeur de ce qui se réalise alors ? c’est terriblement intime, et parfois l’intimité risque de devenir quelque chose qui ne respecte plus la grandeur du mystère : une familiarité. Jésus savait cela, et malgré tout il a

institué l’Eucharistie et il nous la donne, parce que l’amour accepte toutes les humiliations.

Et nous devons suivre Jésus jusque-là — autrement dit, le mystère de notre amour pour Jésus doit être complètement caché. Quel est le plus saint d’entre vous ? Quel est celui ou celle

qui recevra le Pain de vie, Jésus, avec le plus grand amour ? Ne cherchons pas à le savoir, parce

que Jésus ne veut pas qu’on cherche cela : c’est caché, réservé à Jésus. A chacun de nous il demande de tendre à un amour parfait en nous donnant entièrement à lui, en étant totalement

pour lui. Il nous demande cela. Mais ne soyons pas pharisiens ! Ce serait terrible d’être pharisien à l’égard de l’Eucharistie, en disant : « Il n’y a que moi, Seigneur Jésus, qui vais bien recevoir

l’Eucharistie ; je suis seul à comprendre votre secret ». Non, j’espère que nous le comprenons

tous dans la foi et la charité. Jésus aime chacun d’entre nous d’une manière unique, et il demande que nous-mêmes, nous nous cachions, parce que c’est un mystère caché ; et le fait que ce

1 Jn 12,3.

68

mystère soit caché fait partie de la modalité de l’amour dans l’Eucharistie — on le voit bien si on

compare la Croix et l’Eucharistie, le Jeudi Saint et le Vendredi Saint. Le Jeudi Saint n’existe qu’à cause du Vendredi Saint, et c’est le mystère le plus caché.

Le Jeudi Saint est commandé, d’une façon très mystérieuse et très difficile à préciser, par la Pâque ancienne. Jésus n’a pas voulu une nouvelle Pâque au niveau liturgique, il s’est enfoncé dans la Pâque ancienne. C’est inouï, cela. Nous, nous aurions dit : « Faire cela le jour de la Pâque ancienne, en commençant par célébrer cette Pâque, n’est-ce pas risquer de ramener le sacrement de l’Eucharistie à la Pâque ancienne ? ». Or Jésus a réuni ses Apôtres à l’occasion de ce qui était pour tous les Israélites le grand jour de joie, l’anniversaire de la délivrance1. Jésus, qui reprend tout à neuf, garde cette cérémonie première et, dans la foulée de la Pâque ancienne, il institue

pour nous sa Pâque, la Pâque du Fils bien-aimé du Père. C’est extraordinaire, de faire cela, et c’est l’intention du Christ mû par l’Esprit Saint. Ce n’est sûrement pas un excès d’humilité, ce n’est sûrement pas parce que Jésus voulait relativiser son don ; c’est pour que nous comprenions que son amour se communique à nous d’une façon très cachée. Nous devons nous rappeler cela, parce que cela nous montre combien l’Eucharistie est un

sacrement intime. Plus l’amour est grand, intense, et nous touche dans ce qu’il y a en nous de

plus profond, plus il se réalise d’une manière cachée et toute divine. Nous, parce que nous avons

de la peine à comprendre que l’amour est toujours ce qu’il y a de plus profond, nous voudrions

qu’il se manifeste, nous avons besoin de manifestations, et nous croyons que plus on crie, plus il y a d’amour. Non. Quand on aime avec une très grande intensité, on ne peut plus crier. L’Eglise maintient la liturgie, c’est évident, et il ne faudrait pas vouloir avoir, à cause de l’intensité de

l’amour, une liturgie silencieuse. L’Eglise veut la liturgie du Jeudi Saint par souci du peuple de Dieu. Mais il faut qu’au plus intime de notre cœur nous comprenions cette loi du silence de l’amour, et que le mystère de l’Eucharistie est le secret de toute la vie du Christ pour nous. Le

réalisme de ce secret se voit à la Croix, et nous en avons besoin pour comprendre le réalisme de l’amour du Christ ; mais l’Eucharistie continue après la Croix, elle continue à travers toute la vie

de l’Eglise, et elle est ce qu’il y a de plus intime dans le gouvernement du Père. Dans l’Eucharistie le Père nous donne le corps du Christ crucifié, il nous donne le sang du Christ

répandu à la Croix. C’est inouï, ce don du Père ! et il nous le donne comme un secret ; pour chacun d’entre nous, c’est un secret, le secret qui nous lie pour l’éternité au Père, à Jésus, au

Saint-Esprit, à Marie... Le Christ a voulu rester parmi nous, il a voulu demeurer au cœur de notre vie, il a voulu vraiment que nous vivions de cet amour substantiel — au sens où « substantiel » signifie

« absolu ». Ne pensons pas ici à la substance métaphysique, mais simplement à ce que signifie

dans le langage courant le mot « substantiel » : « absolu », et non pas relatif à quelque chose d’autre. L’Eucharistie, c’est l’amour qui se donne et qui s’explique par le don lui-même ; il n’y a

pas d’autre explication. C’est le don qui rend raison de l’amour. On ne peut pas rendre raison de l’amour par quelque chose de plus grand que l’amour — autrement l’amour ne serait plus l’absolu. Il est un absolu pour notre intelligence et pour notre volonté, et l’Eucharistie est un absolu pour notre foi et notre charité. On pourra discuter : « Non, ce n’est pas un absolu puisque 1 Voir SAINT THOMAS, Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, nœ 1728-1730 ; 1733 ; 2331-2334 ; 2404 et 2455, où saint Thomas commente différents versets de l’Evangile de saint Jean qui précisent le jour de l’institution de l’Eucharistie et celui de la Pâque.

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c’est un sacrement et qu’un sacrement est un signe, donc relatif... ». Oui, mais les sacrements

sont divins et ils sont pour la terre. Quand nous serons dans la vision béatifique, nous n’en

aurons plus besoin, mais sur la terre l’Eucharistie doit nous aider à désirer et anticiper la vision béatifique, puisque c’est le don total de Jésus, de son corps et son sang, de son âme et de sa

divinité : un absolu de contemplation. Nous devons contempler le mystère de l’Eucharistie ; et c’est grâce à ce mystère que tous nos raisonnements théologiques, si pieux et si intellectuels

soient-ils, se taisent. L’Eucharistie, ce n’est pas la parole, c’est le silence. Et toute la parole se termine au sacrement, et donc au silence, parce que l’amour de Dieu s’explique par lui-même, en

lui-même, dans son don, et nous permet de vivre de cet absolu. Nous devons remercier Jésus d’avoir institué l’Eucharistie avant la Croix pour que nous

vivions du mystère de la Croix dans la lumière de ce don. C’est ce qu’a fait Marie. Pour Marie, ce mystère de l’Eucharistie a été quelque chose d’extraordinaire, qu’elle a vécu dans la lumière de l’Annonciation. C’est tout le mystère de l’Annonciation qui trouve là sa finalité: il est ordonné à la Croix. S’il n’y avait pas eu le mystère de l’Annonciation, il n’y aurait pas eu ce don

du corps du Christ. L’Incarnation est tout entière ordonnée à la Rédemption, et la Rédemption se réalise par la Croix, qui implique le mystère de la séparation du corps et du sang de Jésus. Cette séparation ne touche en rien l’unité, c’est sûr, mais elle est vécue et elle fait directement partie du

mystère. Si le prêtre se trompe parce qu’on lui sert de l’eau à la place du vin et qu’il ne s’en aperçoit qu’au moment de la communion, il doit recommencer la célébration de la Messe, ce qui

montre le sérieux du sacrement. Parce qu’on pourrait dire : « Cela ne fait rien, c’est symbolique, et personne n’a rien vu ». Pas du tout ! on est obligé de recommencer.

On voit donc que le mystère de l’Eucharistie implique toujours le mystère de la Croix ;

mais — chose très étonnante, et qui fait partie pour nous de la compréhension du mystère —

Jésus institue l’Eucharistie avant la Croix. L’Eucharistie exprime donc la hâte du cœur de Jésus de se livrer pleinement à la Croix ; pour nous il réalise la Croix d’abord sacramentellement, pour

que nous comprenions que, chaque fois que ce sacrement est réalisé, c’est toujours le mystère de la Croix. C’est merveilleux, comme enseignement divin, pour que nous comprenions tout le

réalisme de l’amour qui implique l’offrande de la vie du Christ, l’offrande de son corps et de son

sang réalisée à la Croix et qui nous est donnée dans l’institution de l’Eucharistie. Nous vivons, par l’Eucharistie, le mystère de la Croix du Christ. Quelle extraordinaire miséricorde ! Si nous avions vécu à l’époque du Christ, aurions-

nous eu le courage de vivre la Croix telle que Jésus nous aurait demandé de la vivre ? Jésus offre sa vie, il offre son sang, il offre son corps, il s’offre totalement, et il nous demande de nous offrir

avec lui, parce qu’il s’offre pour nous entraîner dans ce même sacrifice d’amour. Ce qui est si beau dans l’institution de l’Eucharistie, c’est de nous rappeler que ce que Jésus a vécu une fois

doit être vécu par ses fidèles à travers tous les temps et tous les lieux, autant de fois qu’il est nécessaire à travers le temps et le lieu... et c’est toujours le même sacrifice, la même offrande.

Ce mystère dans ce qu’il a de plus profond, de plus divin, est pour nous, il est le secret de notre vie chrétienne ; chaque fois que nous vivons le sacrifice de 1a Messe, la célébration de

l’Eucharistie, nous devons, dans la foi, l’espérance et la charité, nous unir à l’offrande du Christ, faire que cette offrande que le Christ fait de sa propre vie à la Croix prenne possession de notre

vie. Nous offrons notre vie avec Jésus, et cette offrande du Christ qui se continue prend possession de tout nous-même. U faut que nous soyons de plus en plus unis à cette offrande du

Christ. Et ce qui est merveilleux, c’est que le mystère de la Croix est étemel, l’amour du cœur de

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Jésus pour le Père est étemel, son amour pour chacun d’entre nous est étemel, et il se réalise à la

Croix avec une intensité totale. Et cette réalisation est pour nous, elle est totalement pour nous ;

nous devons la recevoir dans la foi, l’espérance et la charité, et elle doit tout prendre avec ce

réalisme : ce n’est pas la Croix, nous n’y sommes pas, elle est passée, mais divinement la Croix est toujours en acte et elle est pour nous. Dieu nous demande de la vivre où nous sommes, et de la vivre dans cette simplicité, en acceptant que ce mystère soit tout entier caché, qu’il soit

comme « réservé ».

Et Marie, notre Mère, est là ; elle est tout spécialement notre Mère à la Croix, et donc aussi à travers le sacrement de l’Eucharistie. Et nous devons comprendre dans la foi que, si elle reste complètement cachée, cela veut dire qu’elle vit ce mystère selon un mode très divin pour

nous, pour que nous-mêmes, qui sommes ses enfants, nous vivions aussi ce mystère d’une

manière très cachée et très divine.

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Sur le lavement des pieds et l’Eucharistie

I

5e conférence de la Retraite de Communauté 1999 24 novembre 1999 à Saint-Jodard

Troisième jour de la retraite. II faut que cette journée soit particulièrement fervente. C’est un

peu le sommet. Les deux premiers jours, on pénètre un peu dans le silence — le silence de Dieu, le silence du cœur du Christ — pour aimer gratuitement, pour aimer dans la pauvreté, en se remettant

entièrement au bon plaisir de Dieu sur nous, pour ne pas faire notre volonté propre mais faire sa

volonté, à lui. Et pour cela on demande à la Très Sainte Vierge, parce que nous, nous sommes incapables de le faire... La volonté de Dieu, c’est celle qui n’est pas la nôtre — c’est la sienne —, et on a une peine énorme à se dépouiller de soi. « Perdre son âme »’, c’est cela : accepter une volonté qui n’est pas la nôtre et qui est celle de Dieu, la faire nôtre dans le désir profond de notre cœur ; et

cela dans une pauvreté et dans une charité fraternelle que Marie nous apprend (ce que j’ai essayé de

vous dire hier soir). C’est vraiment le rôle propre de Marie ; elle nous apprend le silence en vivant des secrets de Dieu dans l’adoration et la contemplation, en nous cachant dans ce secret de Dieu, ce secret du cœur de Jésus — du cœur du Fils bien-aimé, du cœur sacerdotal de Jésus à la Croix —, et

elle nous apprend la charité fraternelle, avec cette miséricorde à l’égard des autres dans le pardon :

pardonner tout ce qui a pu nous blesser, tout ce qui a pu être contraire à ce que nous aurions désiré. Et pour que le pardon soit un pardon divin, il faut que nous nous servions de cette permission de Dieu sur nous : Dieu a permis que nous ayons été blessés, il a permis que nous ayons été un peu rejetés. Il faut qu’on accepte cela pour être plus proche de celui qui nous a blessés : cela devient alors

quelque chose de positif. Le pardon est quelque chose de positif, ce n’est pas seulement s’effacer en disant : « Très bien, je m’efface, faites ce qui vous semble bon » ; c’est se servir de’ce qui nous a blessé pour aller plus loin dans l’amour, et c’est pour cela que c’est la plus grande œuvre de la miséricorde.

Je voudrais maintenant voir avec vous comment les trois sagesses, qui structurent notre vie,

prennent dans la dernière semaine une modalité spéciale, propre à la dernière semaine. Ce sont toujours les trois sagesses, que le Saint-Père nous rappelle dans son encyclique sur la foi et la raison. La sagesse théologique va être particulièrement attentive au mystère de l’Eucharistie : le

lavement des pieds et la Cène. C’est immédiatement ce que nous voyons dans cette dernière semaine : la Pâque nouvelle qui s’introduit dans la Pâque ancienne, dans la première Pâque. C’est très beau, de voir comment la première Pâque, qui joue un rôle si important dans la première

1 Mt 10, 39 ; 16, 25 ; Mc 8,35 ; Le 9,24 ; cf. 14,26 ; Jn 12,25.

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Alliance, va être transformée, ennoblie divinement par cette nouvelle Pâque : l’institution de

l’Eucharistie. Et entre les deux il y a le lavement des pieds. On peut dire que nous voyons là un regard nouveau, et plénier, sur le mystère de la sagesse de Dieu qui se révèle à nous : on passe de la parole au sacrement. Le sacrement des sacrements, c’est l’Eucharistie, et c’est bien l’Eucharistie qui nous fait entrer dans cette nouvelle «parole» de Dieu pour nous : le don du corps de Jésus comme victime d’amour, le don du sang du Christ comme nouvelle boisson. C’est lié à la parole et c’est un dépassement de la parole, de la parole donnée par la Révélation. La définition du sacrement que donne saint Augustin (qu’il ne faut pas oublier) : Accedit verbum ad elementum et fit sacramentum' : le verbe lié à l’élément physique nous donne le sacrement, « devient » le sacrement, avec toute l’efficacité de la parole de Dieu — la parole de Dieu

est efficace, la parole de Dieu est liée au Verbe et elle s’adapte merveilleusement à notre intelligence transformée par la foi — ; et ce n’est plus seulement la parole mais c’est le pain, c’est le vin, la nourriture, pour bien nous faire comprendre que la parole de Dieu, par et dans le Christ, devient pour nous le pain et la boisson. Il y a là un mystère qui est comme le mystère ultime de l’Incarnation pour nous — et c’est du reste pour cela que Jésus a attendu la dernière semaine pour nous le donner : pour

que ce soit pour nous le grand mystère d’attente de son retour. C’est comme la signature du Christ qui nous est donnée, pour dire : « Je reviens ; je suis là avec vous, je reviens ». Et ce n’est pas seulement une parole donnée, c’est sa propre chair donnée en nourriture.

Comme la Pâque de la première Alliance est l’âme de toute la Loi — on peut dire que la Pâque de la première Alliance est vraiment ce qu’il y a d’ultime dans toute cette première Alliance —, l’Eucharistie est ce qu’il y a d’ultime dans toute la nouvelle Alliance : l’alliance dans le corps de Jésus, dans son sang, dans son âme : il nous est donné comme pain et comme vin, pour que nous comprenions combien il veut être un avec nous, nous transformer. Ce n’est pas nous qui transformons le corps du Christ en notre coips, c’est le corps du Christ qui nous transforme en son corps, qui nous transforme en lui, qui nous saisit et qui nous prend en lui d’une manière efficace. Cela, c’est le propre des sacrements : ce sont des signes qui réalisent au plus intime de nous ce qu’ils signifient, si nous croyons et dans la mesure où nous croyons. Il y a une coopération, parce qu’on ne peut assimiler ce don que Jésus nous fait de sa chair et de son sang au moment de la Croix que si on a une intelligence transformée par la grâce, par la foi, qui nous permet de recevoir ce don nouveau de Dieu, ce don ultime qui nous permet de nous disposer à la vision béatifique. C’est un passage de Dieu qui est efficace, un passage de son amour qui nous purifie pour nous mettre dans l’attente de la vision béatifique : nous sommes entièrement ordonnés à la vision béatifique, notre vie chrétienne n’a pas de sens sans cet ordre à la vision béatifique. Nous sommes faits pour cela, et tout, tout dans notre vie prend sa signification à partir de là— dans notre vie transformée par la vertu théologale

d’espérance, dans la foi et dans l’amour. Saint Jean montre ce passage de la foi à la première Pâque [à la foi] à la seconde Pâque par le lavement des pieds. Il y a un geste particulier du Christ, un geste liturgique du Christ qui prend toute sa signification du fait qu’il est ordonné à l’Eucharistie. Il est lié à la première Pâque et il nous permet de vivre du testament du Christ, du mystère de l’Eucharistie. Alors essayons de comprendre

ce geste du Christ, parce qu’il n’est pas quelque chose de facultatif. Saint Jean insiste sur l’importance de ce geste et sur sa signification, et c’est très important pour nous, de comprendre cette signification. Jésus fait ce geste de lui-même, sans avertir, et il ne l’explique qu’après. C’est toujours comme cela, les sacrements : il faut les vivre pour les comprendre ; si on ne les vit pas, on ne les

1 Tractatus 80 in loannem, 3 (sur Jn 15, 3), cité par saint Thomas dans la Somme théologique, III, q. 60, a. 4, sed contra et a. 6, sed contra.

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comprend pas. C’est là la très grosse différence entre les sacrements et la parole de Dieu : la parole

de Dieu a une signification par elle-même, c’est cette signification qu’on doit recevoir, et c’est cette signification que la sagesse théologique doit saisir et expliquer toujours plus, d’une manière toujours plus profonde. La théologie n’est pas une science comme les autres, elle est sagesse puisqu’elle commence par la foi et que, parce qu’elle commence par la foi, elle est, tout de suite, tout orientée vers la vision béatifique ; c’est la vision béatifique qui donne tout son sens à la parole de Dieu.

Lorsqu’il s’agit du sacrement, il faut le vivre pour saisir son réalisme divin, pour entrer dans le mystère ; et pour y entrer, il y a cette disposition : c’est Jésus lui-même qui nous prépare. Nous ne pouvons pas nous préparer par nous-mêmes : le mystère de la Pâque nouvelle, de l’Eucharistie, est

trop divin pour cela ; c’est Jésus lui-même qui réalise cette liturgie du lavement des pieds, une liturgie tout intime qui prépare à cette nouvelle Pâque. Jésus se lève, il quitte ses vêtements, prend le

tablier de l’esclave, du serviteur, et veut laver les pieds de ses disciples. Geste complètement inédit,

puisque normalement cela se fait avant le repas ; là, c’est dans l’action de grâces de la première Pâque, dans ce climat d’une adoration où on reconnaît Dieu Créateur, Dieu Libérateur de son peuple, qui sauve son peuple ; la Pâque première, en effet, est un geste qui commémore la première Pâque, et

la première Pâque, c’est Dieu lui-même qui vient sauver son peuple en maintenant le Pharaon dans une sorte de torpeur qui vient de Dieu, une crainte divine qui vient de Dieu, pour qu’il comprenne

que la volonté du Père est tout et que rien ne peut aller contre cette volonté. Comme il y a le repos du Père dans l’ordre de la création, on se remet pleinement au bon plaisir du Père, et c’est une action de grâces dans l’adoration, puisqu’on ne peut se reposer qu’auprès du Père et dans son geste créateur. Jésus fait pour ses disciples ce geste de l’esclave. Il prolonge le geste d’adoration dans un geste de charité fraternelle, de miséricorde pour chacun de ses disciples. Normalement, dans l’adoration, on est seul avec Dieu, et la Pâque nous rappelle ce droit absolu de Dieu qui peut seul nous libérer de

toute espèce d’oppositions, de toute espèce d’ennemis. On se remet entre les mains de Dieu dans

l’adoration, et c’est pour cela qu’on ne fait rien d’autre : le travail humain cesse pour laisser passer devant le travail de Dieu, le travail du Créateur qui n’est plus un travail, qui est un don absolu. Et c’est le rappel, d’une manière efficace et divine, de la présence de Dieu, cette présence du Père qui sauve ses enfants et qui les sauve de cette manière toute royale.

A l’intérieur même de cette adoration aimante où on se remet entièrement à Dieu, Jésus fait pour ses Apôtres ce geste du lavement des pieds, pour les purifier complètement, jusqu’au bout. C’est un geste de charité fraternelle, et quel geste ! C’est le « travail »' du Fils comme serviteur qui

commence, qui ira jusqu’à la Croix et s’achèvera à la Croix. Le grand travail de la Croix commence

par le lavement des pieds car c’est un travail tout entier ordonné à la charité fraternelle ; Jésus se met

aux pieds de chacun pour faire ce geste d’amour, de purification et de pardon : il pardonne à chacun en le purifiant. On voit la grandeur de ce geste... Jean nous rappelle l’attitude de Pierre qui refuse ce geste. Il ne refuse pas du tout d’être purifié, il ne refuse pas comme s’il se considérait absolument pur et n’ayant pas besoin de ce geste du Christ ; il refuse parce qu’il ne tolère pas que Jésus, le Maître et le Seigneur, Jésus qui pour lui est plus que Moïse, le Médiateur qui a donné la Loi, fasse ce geste de l’esclave, c’est-à-dire ce geste de miséricorde, de pardon, alors qu’il est le Seigneur, alors qu’il est Dieu. Pierre n’accepte ce geste que lorsque Jésus lui dit que s’il ne l’accepte pas, il « n’aura pas de part avec lui ». Condition sine qua non pour être lié au mystère du sacrifice du Christ : accepter ce lavement des pieds réalisé par Jésus. N’oublions pas qu’il y a deux conditions sine qua non, qui sont étonnantes

1 Cf. Jn5, 17.

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toutes les deux : le lavement des pieds et la Croix du Christ (c’est en ce sens-là que les deux sont liés) : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi » et : « Si je ne m’en vais pas, je ne pourrai pas vous envoyer le Paraclet ». Il y a bien là deux conditions, très différentes mais qui relient ces deux mystères (le lavement des pieds et la Croix) et doivent nous aider à les comprendre. Cela ne veut pas dire que le lavement des pieds soit cause de ce lien nouveau avec le Christ qui permet de participer à son mystère d’holocauste, à son offrande à la Croix ; mais selon la conduite de Dieu, selon le mystère de l’économie divine, il faut accepter que Jésus nous lave les pieds, qu’il fasse à notre égard ce geste d’humilité pour nous faire comprendre que nous sommes appelés, nous, pauvres

pécheurs, à vivre son mystère, à partager divinement son offrande suprême à la Croix, à partager divinement la manière dont il glorifie le Père et nous purifie. C’est bien cela que Jésus veut faire comprendre à Pierre et veut nous faire comprendre.

Pierre était comme le gardien de toute la liturgie ancienne de la première Alliance, et il en avait conscience ; il était donc très conscient de cette grande liturgie de « la Pâque des Juifs »’ et de sa

signification qui était commandée par l’adoration et par la première Pâque. Et Jésus lui demande, non pas d’abandonner cette commémoration de la Pâque, mais de la dépasser. S’il n’accepte pas ce dépassement, il restera enfermé dans sa propre volonté qui est une volonté religieuse, qui a donc une

grande noblesse, mais qui n’est pas la volonté du petit enfant qui veut accepter pleinement ce que le Père réclame, sans comprendre : accepter de recevoir passivement et divinement cette miséricorde

nouvelle que Jésus donne à travers ce geste liturgique du lavement des pieds, accepter d’entrer dans cette nouvelle pauvreté. Car le lavement des pieds est bien un geste de service, et du service le plus grand et le plus religieux : se faire le serviteur de chacun, l’esclave de chacun, en faisant le geste

réservé à l’esclave avant le nouveau repas, la nouvelle Pâque. C’est tout le passage de l’ancienne Alliance à la nouvelle qui se fait à travers ce lavement des pieds ; quand il a terminé, Jésus explique lui-même que lui, qui est le Maître et le Seigneur, est encore plus serviteur que n’importe qui d’autre, et peut l’être plus que tous. Plus Dieu nous donne une grande autorité d’amour, plus nous pouvons être serviteur, plus nous pouvons aller loin dans l’offrande de toute notre vie pour le salut de ceux qui sont proches de nous. Il n’y a pas d’opposition entre les exigences du serviteur et celles du maître. Humainement il y a

comme une opposition entre les deux : les gestes du serviteur ne sont pas ceux du maître, ils leur sont même, d’une certaine manière, diamétralement opposés. Mais si on ne se place plus du côté du service, de la charge, si on dépasse cela et qu’on regarde l’amour divin qui sanctifie la personne, on voit que la personne, alors, peut agir comme envoyé du Père et sous la mouvance de l’Envoyé du Père2 ; à ce moment-là, dans la charité, dans l’amour divin, il n’y a plus d’opposition entre le maître

et l’esclave. Quand il agit dans un amour divin au nom du Père, comme l’envoyé du Père, le maître

peut assumer le geste du serviteur et agir en serviteur. Jésus nous le révèle quand il veut faire comprendre à Pierre le sens de son geste, et c’est l’explication profonde du mystère de la Croix — « explication » en ce sens que ce geste est un geste symbolique qui « explique » l’attitude du Christ à la Croix. A la Croix, Jésus le vit dans sa propre personne : il meurt comme un esclave criminel parce qu’il a pris la place du pécheur, la place de celui qui se considère comme indigne, dans sa propre

conscience, d’avoir une responsabilité, indigne d’adorer et de sauver, de glorifier Dieu et sauver les hommes. Celui qui se sent indigne d’une telle responsabilité peut l’exercer, dans la charité divine. La ' Jn 2, 13 et 12,15 ; cf. 6,4. ’ Cf. Jn 13, 20 : « En vérité, en vérité je vous le dis : Qui reçoit quelqu’un que j’aurai envoyé, c’est moi qu’il reçoit, et qui me reçoit, reçoit Celui qui m’a envoyé ».

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charité divine donne au geste du Christ, qui est le geste du Prêtre, Fils bien-aimé du Père, de pouvoir à la fois glorifier le Père et nous sauver, nous purifier radicalement de toutes nos fautes d’orgueil, de toutes nos fautes de vanité, tous nos désirs d’apparaître comme supérieurs et d’attirer les regards des autres en voulant qu’ils nous admirent. Jésus fait ce geste en se cachant complètement, en se dépouillant totalement, pour unir dans le même acte sa dignité d’Envoyé du Père, de Fils bien-aimé du Père, et l’attitude de celui qui prend, en face du Père et en face de chacun des disciples, la place de l’esclave criminel, la place de l’homme pécheur, de l’homme orgueilleux rejeté. Là nous découvrons

bien le mystère de l’Agneau qui porte l’iniquité du monde, et qui accepte de la porter en faisant ce geste de l’esclave à l’égard de chacun des disciples. La Croix est pour tous les hommes : un seul acte pour tous les hommes. Le lavement des pieds est pour chacun en particulier, parce que si la Croix est pour tous les hommes, elle est pour chacun en

particulier, et il faut que ce soit signifié, il faut que ce soit montré par un geste antérieur : le lavement

des pieds. Le lavement des pieds se réalise pleinement à travers l’offrande que Jésus fait de tout luimême, offrande dans laquelle il nous sauve, nous purifie, nous élève à la dignité d’enfants de Dieu.

De pécheurs rejetés et maudits que nous sommes, il nous introduit dans ce qui est propre au Fils bien-aimé : la vision du Père, la gloire du Père ; il entre dans cette gloire du Père et il nous y fait entrer. Voilà la « porte étroite »' ! Le lavement des pieds exprime cela d’une manière très forte. C’est un geste liturgique, qui est donc à la fois intérieur dans l’intention et sensible, qui se sert du corps et de nos passions en les transformant au service de l’amour divin. C’est cela qui est si grand dans le lavement des pieds, et que nous redécouvrons à la Croix : c’est dans toute sa sensibilité, dans toutes ses passions, que Jésus vit cette Passion. Tout est assumé par l’amour, mais parce que c’est assumé par l’amour cela n’est pas détruit : la sensibilité du Christ n’est pas détruite à la Croix ; il a souffert plus que personne dans cette sensibilité toute transformée par l’amour, par le mystère de l’union hypostatique.

Jésus a voulu faire ce geste —je crois que nous pouvons le dire — pour chacun en particulier, et Jean n’a montré qu’une seule réaction : celle de Pierre. Les autres ont suivi, et il faut comprendre

que Jésus s’arrête auprès de chacun d’eux et que son regard sur chacun est dans la lumière divine de cet acte de pardon, de cet acte de miséricorde et d’amour. La manière dont Jésus lave les pieds à

Jean... nous ne la connaissons pas : Jean n’en dit rien, c’est son secret. Mais il y a sûrement eu (cela,

nous pouvons le dire) entre Jésus et Jean un nouveau regard d’amour que nous devons découvrir et

aimer. Comment Jésus prépare-t-il Jean à l’Eucharistie ? en lui lavant les pieds. Là Jésus vit éminemment le rôle propre de Jean-Baptiste, pour la nouvelle Alliance, pour son testament d’amour— le mystère de l’Eucharistie. Et je suis persuadé que Jean, à ce moment-là, a compris

d’une façon éminente l’attitude de Jean-Baptiste à son égard quand il l’a préparé à rencontrer Jésus. Jésus, dans le lavement des pieds, se fait celui qui prépare Jean à une nouvelle unité d’amour, à une nouvelle Alliance toute d’amour dans la pauvreté, dans la gratuité et le pardon. Et cela nous est donné dans le silence parce que cette nouvelle Alliance est une alliance d’amour.

La discussion avec Pierre, c’est pour que Pierre comprenne que la manière d’exercer l’autorité

dans la dernière semaine n’est pas la même qu’avant, qu’elle n’est pas la même dans l’ancienne et la nouvelle Alliance. Pierre, lui, restait très conservateur à l’égard de l’ancienne Alliance, et pour lui l’exercice de l’autorité restait commandé par une piudence sans doute transformée par la grâce, mais qui n’allait pas jusque-là, qui n’était pas suffisamment transformée par la charité et qui, par le fait

même, n’atteignait pas vraiment la relation personnelle.

'Mt 7, 13-14; Le 13,24.

76

Jésus fait comprendre à Jean cette manière nouvelle d’exercer l’autorité dans la nouvelle Alliance, une autorité d’amour, une autorité dans un exercice de pauvreté, de douceur et de miséricorde. C’est un service d’amour, et un service qui va très loin puisque, se faisant l’esclave, le maître n’hésite pas à donner sa vie pour celui qui est directement sous sa domination, son autorité.

Il y a là pour nous un exemple très étonnant — et Jésus insiste : « Moi, le Seigneur et le Maître,

j’ai fait cela pour que vous aussi, vous le fassiez ». C’est donc comme un commandement nouveau pour l’exercice de la charité fraternelle, un commandement nouveau pour exercer l’autorité dans la

charité fraternelle ; cet exercice doit aller jusque-là. Plus on doit donner des ordres— l’autorité s’exerce dans V imperium : « fais ceci » (c’est dit dans l’Evangile même') —, plus il faut que cet ordre soit donné à la manière dont le Maître et Seigneur fait le geste de l’esclave, c’est-à-dire dans l’humilité, la pauvreté, et entièrement dans la gratuité : être tout entier au service de celui à qui on commande. Il y a là pour nous un exemple— Jésus le dit expressément2— pour l’exercice de

l’autorité dans la dernière semaine de l’Eglise.

Entrer dans ce mystère (comme Jésus nous le demande) ne consiste pas à supprimer l’autorité, pas du tout ; Jésus ne l’a jamais supprimée, il n’a pas dit : « Je ne suis plus votre Maître, je ne suis plus votre Seigneur», pas du tout ! «Je suis Maître et Seigneur, je le suis en toute réalité, et j’ai exercé le geste de miséricorde dans l’extrême pauvreté de l’esclave », donc de celui qui n’a aucun droit (c’est le propre de l’esclave) et qui fait cela uniquement parce que c’est le Père qui lui demande de le faire. Il le fait donc dans un dépouillement où il ne fait pas appel à ses droits. C’est le propre de la pauvreté : on n’a plus de droits, on fait tout sous la lumière de celui qui est le Maître et le

Seigneur : le Père.

Ce geste du Christ, qui va si loin et que seul Jean nous rapporte (il est donc typiquement johannique), nous devons le recevoir et en vivre. Les sacrements, on ne peut en saisir l’intelligibilité et le réalisme qu’en les vivant ; le mystère de l’Eucharistie ne peut être saisi dans toute sa force que si nous vivons ce lavement des pieds. Dans la vie religieuse ce geste du lavement des pieds est repris

pour que nous comprenions que c’est (autant que nous le pouvons, au moins dans le désir profond de

notre cœur) notre manière d’exercer l’autorité à l’égard de nos frères. L’exercice de l’autorité est toujours un service, un don de soi réalisé dans une très grande limpidité, et donc aussi dans une très grande générosité : ce n’est pas pour nous, ce n’est pas pour notre honneur, ce n’est pas pour notre

gloire. C’est uniquement pour l’honneur et la gloire du Père, comme nous le disons tous les jours à la messe : Omnis honor et gloria, toute gloire et tout honneur sont pour le Père. Ce service de l’autorité

est donc un service humble, caché, qui réclame d’aller jusqu’au bout. Alors l’obéissance à ce commandement fait que celui qui obéit participe d’une manière plénière au mystère de l’holocauste du Christ. Il y a vraiment dans ce lavement des pieds, tel que nous le voyons dans l’Ecriture, quelque

chose de nouveau dans l’exercice pratique de l’autorité et de l’obéissance. Le lien entre le mystère de l’Eucharistie et le lavement des pieds va donner un sens nouveau à la

théologie. Il y a deux services : le service de l’intelligence pratique et celui de l’intelligence

spéculative ; il n’y en a pas trente-six, il y en a deux. L’exercice de l’intelligence pratique est soit

d’ordre prudentiel soit d’ordre artistique ; et l’exercice de l’intelligence spéculative est explicité d’une manière très nette dans la dernière encyclique du Pape, Foi et raison. Mais des deux côtés l’intelligence ne peut être au service de la foi que si elle accepte cette pauvreté radicale : celui qui réalise ce service théologique n’a aucun droit sur le mystère de la parole de Dieu et il met toute son intelligence au service de la glorification de la parole de Dieu, de la glorification du Verbe ; toute son

1 Mt 8,9 ; Le 7, 8. 2 Jn 13, 15.

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intelligence est pour cela, et d’une manière très particulière pour la dernière semaine. C’est étonnant, de voir comment aujourd’hui les théologiens, ou du moins beaucoup de théologiens, ont perdu le sens de la théologie comme sagesse ; ils veulent en faire une science, et une science comme toutes les autres. C’est toujours ce point de vue de l’accaparement de la science qui fausse tout: la théologie n’est plus alors une science subalternée à la cormaissance des saints, c’est-à-dire à la vision béatifique ; elle peut être réduite (entre autres) à une science historique : on regarde les Pères de l’Eglise, on regarde la naissance de la Tradition, on regarde Thomas d’Aquin — très bon théologien pour le Moyen Age, mais pas pour nous aujourd’hui, parce qu’on s’arrête à l’aspect historique et que, de ce fait, on ne découvre plus le serviteur. Jésus fait un geste qui n’est pas dépendant du contexte, qui est même, j’allais dire— comprenez bien ! —, complètement au-delà. C’est pour cela que c’est

tellement important, de signaler que ce geste du Christ, cette initiative du Christ, est situé entre les

deux Pâques ; au-delà de ce que représente une tradition, si vénérable qu’elle soit, c’est un geste

nouveau de don de tout lui-même pour chacun des Apôtres. L’encyclique du Pape Foi et raison est analogue — comprenez bien ! — au lavement des pieds

pour les théologiens, pour les évêques : « Voilà ce que vous devez faire, et que vous ne faites plus... Il est nécessaire de mettre toute son intelligence au service de la parole de Dieu. Pas n’importe quelle

intelligence ! une intelligence pauvre, qui cherche la vérité, une intelligence qui découvre la métaphysique, une intelligence qui découvre l’existence de Dieu, qui cherche la sagesse, une intelligence sage, qui juge tout dans la lumière de Dieu. Autrement vous ne pouvez pas être vraiment au service de la vérité, vous ne pouvez pas mettre votre intelligence au service de la vraie parole de Dieu ». Service spéculatif, service pratique (les sacrements), une intelligence pratique qui, elle aussi, touche la sagesse au service de l’adoration. C’est pour cela que c’est à la suite de la première Pâque, vraiment dans la lumière de l’adoration, que Jésus nous donne cet enseignement et qu’il veut que notre sagesse pratique, notre prudence, soit mise totalement au service de la communication de

l’amour de Dieu, de l’Eucharistie. Il y a là, pour nous, quelque chose de très grand : apprendre à être de vrais serviteurs du Père à la manière de Jésus dans le lavement des pieds, pour nous permettre de vivre de la liturgie de l’Eucharistie. Autrement la liturgie de l’Eucharistie nous échappe, et nous ne la

vivons pas. Et c’est bien l’intelligence divine de cette sagesse pratique qui nous aide à comprendre l’attitude que nous devons avoir à l’égard de la théologie. La sagesse pratique, théologale, c’est la sagesse mystique, la sagesse théologique mystique, qui essaie de comprendre les gestes grâce aux

symboles, et qui essaie de comprendre ce geste suprême de Jésus, cette initiative. A la Croix, Jésus

n’a pas pris d’initiatives, et il en prend pour le sacrement ; cela aussi est très important. A la Croix, il a laissé toutes les initiatives, et on l’a cloué sur la Croix, où il a accepté cette passivité absolue ; alors qu’à la Cène il a cette initiative étonnante du lavement des pieds.

78

6e conférence de la Retraite de Communauté 1999 24 novembre 1999 à Saint-Jodard

Nous avons regardé cette initiative de Jésus qui nous introduit, qui a introduit saint Jean, dans le mystère de l’Eucharistie, dans la nouvelle Pâque ; et c’est Jésus lui-même qui a voulu cette ultime préparation. Il faudrait entrer, par l’Esprit Saint, dans les intentions profondes de Jésus instituant

l’Eucharistie, et l’instituant de telle manière par la Pâque qu’il institue en même temps le sacrement de l’Ordre. C’est très important pour nous, de voir que c’est dans le même acte que Jésus se donne,

s’offre, et en même temps communique ce pouvoir particulier du sacerdoce, du sacrement de l’Ordre,

à ses Apôtres, à saint Jean. C’est très important, de saisir cette unité que saint Jean a vécue. Jésus, à la Croix, regarde le Père, il s’offre au Père, et en même temps il se donne dans un acte de charité fraternelle à ses Apôtres, et d’une manière toute spéciale à Jean. Je dis bien : « d’une manière toute spéciale » ; il n’y a aucune parole, mais il y a un geste, et ce geste est significatif : Jean est auprès de

Jésus et il repose sur sa poitrine. Et c’est très rare, que Jean montre un geste de prédilection de Jésus pour lui ; là il le montre, et il sert de médiateur entre Pierre et Jésus ; c’est très particulier, c’est un

peu le mystère de la vocation de Jean qui s’explicite là. D’habitude Pierre passe avant ; mais dans la vocation de Pierre, Jean passe avant, et ici, dans ce moment très particulier de la vocation de Jean, il a cette place unique : communiquer à Jésus une grande demande, une grande inquiétude que Pierre

porte dans son cœur et n’ose pas exprimer : qui est le traître ? Pierre demande à Jean de poser la

question. Tout cela est plein d’enseignements pour nous ; cela nous fait deviner la grandeur du

sacrement de l’Eucharistie lié directement au sacerdoce, donc dépendant, d’une certaine manière, de la hiérarchie, et cependant la dépassant. Le mystère de l’Eucharistie a quelque chose qui dépasse la hiérarchie parce qu’il la finalise (en tant qu’il la finalise, il la dépasse) ; et c’est indiqué d’une manière très belle par la place de Jean auprès de Jésus, tout proche de lui, sur sa poitrine. Pierre

comprend cela tout de suite, sans jalousie, et demande à Jean d’interroger Jésus ; et Jésus répond d’une manière très discrète : il ne dit pas le nom. Cela aussi est merveilleux pour comprendre la

délicatesse d’amour de Jésus. Tout cela montre,comment l’Eucharistie dévoile un ordre de sagesse divine, comment le sacrement de l’Ordre est tout entier ordonné à l’Eucharistie, et que l’Eucharistie, du fait qu’elle est le

fruit du sacrement de l’Ordre, le dépasse, le finalise, lui donne tout son sens. C’est très important pour nous, pour comprendre les rapports entre la vie religieuse et le sacerdoce. La vie religieuse est pour le mystère de la communion. Notre vie religieuse nous permet de comprendre comment le fruit du sacerdoce (l’Eucharistie) doit être reçu dans notre cœur d’une manière toute spéciale, à la manière dont Jean en a vécu. Par là le sacerdoce est directement finalisé par la vie religieuse, cette vie qui nous connaturalise à Jésus Agneau de Dieu, au mystère de l’holocauste du Christ. Il y a là quelque

chose d’important pour nous, et quand on cherche à préciser les relations entre la vie monastique contemplative et la vie apostolique, c’est peut-être là qu’on aurait l’explication ultime et explicite, dans le récit de saint Jean concernant le mystère de l’Eucharistie. Notre vie contemplative, notre vie religieuse ordonnée à notre vie contemplative, finalise notre vie sacerdotale et nous fait comprendre comment notre sacerdoce est tout entier ordonné au mystère victimal du Christ, au mystère de notre contemplation— et non pas l’inverse ’. L’inverse serait de dire : «Je suis religieux pour être plus 79

prêtre ». Non, je suis religieux pour vivre davantage du mystère de l’holocauste du Christ : il y a là un ordre de finalité ; la sagesse, l’ordre de la sagesse, est toujours un ordre de finalité. Le sacerdoce implique une capacité nouvelle d’efficience, d’efficience divine, c’est sûr, d’efficience sur le mystère de la grâce, sur le mystère de la sanctification, mais ce pouvoir (cette capacité) est ordonné entièrement à la sanctification de l’âme qui doit être intimement unie à Jésus holocauste d’amour. Cela nous aiderait à comprendre que si le sacerdoce fait de nous des apôtres, pour nous (je dis bien « pour nous », pour Saint-Jean, pour le sacerdoce monastique) il y a d’une façon particulière, durant

la dernière semaine, une exigence spéciale qu’on ne peut pas passer sous silence — ce serait ne pas être fidèle à l’Evangile de Jean, parce que seul l’Evangile de Jean nous rapporte cela et que c’est cet Evangile qui nous révèle Jean dans son intimité toute spéciale avec Jésus à la Cène et à la Croix. A la Cène tous les autres sont là, présents, et Jean, poussé par l’Esprit Saint, attiré par le Christ et dans cette docilité plénière à son égard, n’hésite pas, en face des autres, à laisser Jésus le prendre

dans cette si grande intimité. A la Croix il est seul, alors il n’y a pas de danger, il ne provoquera pas de jalousies, tandis que là il faut que l’Esprit Saint l’ait poussé à être fidèle à son inspiration et à ce que Jésus voulait, pour qu’il puisse écrire cela. C’est donc pour nous une invitation à être très attentifs à cela ; normalement Jean s’efface. Il y a très nettement un signe de cet effacement dans sa vocation : il n’est pas seul ; il y a André avec lui, et il ne dit pas : « J’ai dit à Jésus... », « C’est moi

qui ai interrogé Jésus le premier »... Nous, nous aurions dit cela, c’est sûr ; Jean ne le dit pas ; on

devine que c’est lui parce qu’il ne dit pas que c’est André. Il veut donc être à la fois dans la vérité et dans l’humilité ; cela, c’est un chef-d’œuvre. Il faut être très petit et être vraiment un enfant, pour pouvoir dire comme la petite Thérèse : « Il me semble que je suis humble »’. Eh bien Jean nous dit : « Je suis humble » quand il nous donne, sous le souffle de l’Esprit Saint, ce premier moment de rencontre avec Jésus. L’un des deux disciples de Jean-Baptiste pose la question à Jésus : « Où

demeures-tu, Maître ? Rabbi, où demeures-tu ? ». Et Jésus répond. Vous pouvez être sûrs que si cela avait été André, Jean l’aurait dit. Et il nous dit qu’à la Cène, devant tous les autres, Jésus le prend près de lui, sur son cœur, à tel point que Pierre interroge Jésus par lui. C’est quelque chose de très grand, cela, et d’étonnant.

Comme cela nous éclaire sur le mystère de l’Eucharistie ! Comme cela nous éclaire sur le lien entre notre vie religieuse contemplative et l’Eucharistie ! C’est pour nous en premier lieu. Nous devons le

dire ; il faut être vrai et humble, et unir les deux : c’est pour nous. L’Eucharistie est spécialement pour la vie monastique, et l’Eucharistie est là pour rectifier tout le temps notre vie monastique— il

faut être farouche là-dessus. Cela rectifie l’ordre entre notre intimité avec Jésus et notre souci apostolique, cela le rectifie... merveilleusement ! cela rectifie comme l’Esprit Saint seul peut nous rectifier : il n’y a pas la moindre bavure, c’est net. Il faut remercier saint Jean pour cela ; nous ne le remercions pas assez de nous raconter cela, de

nous le dire si simplement. Vous pouvez être sûrs (quand vous serez dans le Ciel, vous pourrez interroger saint Jean) qu’il n’a dit cela que sous l’impulsion impérative de l’Esprit Saint et pour montrer que cette place que Jésus lui réservait était à cause de la communion — pas à cause du

sacrement de l’Ordre mais à cause de la communion. Par là l’Esprit Saint a voulu nous montrer la manière dont Jean a reçu l’Eucharistie, dont il a vécu cette unité avec Jésus par le mystère de l’Eucharistie. Le premier fruit de l’Eucharistie, le premier fruit visible— puisque l’Eucharistie est liturgique —, c’est la communauté des Apôtres : elle s’est faite à la Pâque eucharistique, elle s’est

1 Carnetjaune, 30.9, in Œuvres complètes (Cerf-DDB 1992), p. 1144.

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réalisée là par le lavement des pieds et par le don que Jésus a fait de son corps et de son sang. Et dans cette communion, dans cette unité où, du point de vue sacerdotal, Jésus est le Grand Prêtre et où tous

les autres sont relatifs à lui (parce que c’est lui qui est la source du sacerdoce et que tous le reçoivent de lui), on voit le fruit : Jean est auprès de Jésus. On comprend ici la place de la vie religieuse —

sans aucun orgueil, parce que plus Jésus nous aime et nous attire à lui, plus nous devons être pauvres et humbles ; car c’est gratuit, ce n’est pas les mérites de Jean qui ont permis cela, c’est l’amour gratuit du Christ. On retrouve ici la gratuité, et avec une place merveilleuse. Jésus veut que Jean, par l’Eucharistie, vive cette unité entre son cœur et le sien, et qu’à la Croix il vive par Marie cette unité

entre son cœur et le cœur de Jésus. C’est étonnant, de voir cette place de l’Eucharistie et de Marie pour Jean, des deux côtés, à la Croix comme à la Pâque eucharistique ; c’est très grand, et tout cela se

passe dans le silence, et c’est bien le fruit de l’Eucharistie. Le fruit de l’Eucharistie, c’est de mettre notre cœur dans le cœur de Jésus, c’est de faire que notre cœur batte à l’unisson du cœur du Christ, et

que nous soyons un avec son cœur ; cela, c’est le fruit direct de l’Eucharistie et, par le fait même, Jésus nous donne là tous les secrets de son cœur. Premier secret : le secret du Fils bien-aimé à l’égard du Père. L’Eucharistie doit nous faire aimer le Père avec Jésus et en lui, puisque l’Eucharistie réalise cette unité avec Jésus. Le sacrement réalise ce qu’il signifie, selon la bonne doctrine du concile de Trente concernant l’Eucharistie. Le concile de Trente nous donne un merveilleux traité de l’Eucharistie1 : c’est du Thomas d’Aquin dans l’ordre de

la disposition, repris par l’Esprit Saint pour que tout ce que Thomas d’Aquin a dit sur l’Eucharistie

soit proclamé par l’Eglise comme la doctrine le plus authentique sur l’Eucharistie. On voit là comment le mystère de l’Eucharistie est lié à la sagesse théologique. Il y a ici le « tampon » du SaintEsprit —«si on sait le voir. Et c’est vrai : saint Thomas n’a pas hésité, lui qui était théologien, à être liturge de l’Eucharistie, pour nous montrer que toute sa théologie est au service du mystère de

l’Eucharistie. Et le mystère de l’Eucharistie va, par le fait même, donner à la théologie de Thomas d’Aquin Une signification nouvelle : « Vous n’êtes plus seulement des serviteurs, vous êtes des amis ». Là c’est Thomas d’Aquin ami du cœur de Jésus, par et dans l’Eucharistie ; c’est Thomas d’Aquin lié à saint Jean ; et ce que saint Jean nous dit sur l’Eucharistie instituée par Jésus dans la dernière semaine nous fait comprendre la giandeur de la théologie de Thomas d’Aquin. C’est beau, de voir comment l’Esprit Saint s’est choisi la théologie de Thomas d’Aquin pour la doctrine de l’Eucharistie et pour sa liturgie. Et là on voit comment ce sacrement fait l’unité, d’une façon prodigieuse : l’unité entre le prêtre (avec son pouvoir sacerdotal) et la victime ; l’unité entre la

liturgie de l’Eucharistie et la contemplation, et la doctrine, de l’Eucharistie. Et on peut dire : l’unité

entre la théologie, sagesse (impliquant tout un aspect d’intelligibilité, et le plus poussé), et l’aspect le plus pratique donné selon un mode symbolique (mais d’un symbolisme divin) : le pain et le vin. C’est très extraordinaire, de voir comment le mystère de la Pâque que Jésus réalise juste avant la Croix apporte l’unité et l’ordre à tous ces différents points de vue, en étant vraiment ce qui achève par le sommet. L’Eucharistie nous fait entrer dans le mystère de la Très Sainte Trinité (De l'Eucharistie à la Trinité, comme dit le petit livre du père Bemadot) par Jésus, puisque le mystère de l’Eucharistie, c’est le mystère de la Croix pour nous, dans notre foi ; l’Eucharistie et la Croix sont le même mystère, selon deux modes différents. L’Eucharistie nous oblige donc à découvrir ce qu’il y a de plus profond dans la théologie. Si vous avez une pensée univoque, vous ne pourrez rien saisir de ce mystère ; il restera alors un acte purement liturgique, une commémoration, en comprenant « commémoration » uniquement comme

1 Catéchisme du Concile de Trente, ch. 18 à 20.

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un souvenir, et vous ne comprendrez pas que la « commémoration » divine peut être un sacrement

qui réalise ce qu’il signifie, où le point de vue historique est complètement dépassé parce que c’est de l’ordre de la sagesse. Le mystère de la Croix se réalise selon un mode sensible, visible — rien n’est plus visible que la mort sanglante d’un crucifié, rien n’est plus tragique que la mort sanglante d’un esclave n’ayant plus aucune protection, d’un esclave rejeté par les hommes et condamné à une mort sanglante complètement dépouillée : sa seule protection, c’est sa Mère et un disciple, le plus jeune, le petit dernier. C’est étonnant, cela ! Et dans le temps, c’est juste avant le sabbat ; il faudra retirer le corps du Christ de la Croix par respect pour le sabbat (cela, c’est précisé historiquement avec beaucoup de netteté). L’Eucharistie a un mode symbolique, celui d’un repas. A la Croix, c’est le sacrifice, c’est l’offrande victimale dans toute sa force, et une offrande victimale sanglante; l’Eucharistie, dans son symbolisme, c’est un repas, le repas pascal — cela fait partie du symbolisme

du pain et du vin. Et c’est le même mystère ; voyez bien l’analogie, les deux modalités si différentes. D’une certaine manière, cela ne pouvait pas être plus différent : le sacrifice visible dans sa nudité

cruelle, dans ce manque total de respect, dans ce rejet de la communauté humaine (cela se passe en dehors de Jérusalem, dans le lieu réservé à cela : le lieu du Crâne, et un lieu fétide), et le repas pascal qui unit la communauté familiale ou la communauté d’amis. La Croix, extérieurement, c’est la séparation ; la Pâque, c’est l’union dans le repas pascal, une union religieuse, une union qui montre la

miséricorde paternelle de Dieu pour son peuple. Les oppositions sont faciles à comprendre (je crois que cela ne pourrait pas être plus divers extérieurement, selon la modalité), et cependant il y a l’unité du mystère, c’est cela qui est le plus merveilleux : l’Eucharistie est un sacrifice, c’est le sacrifice de Jésus, du Fils bien-aimé dans son Incarnation. L’Incarnation est pour l’Eucharistie, et la Croix donne à ce sacrifice sa signification profonde et lui permet d’exister. Il y a « unité substantielle » (ce sont les mots du concile de Trente) ; substantiellement, c’est le même sacrifice à la Croix et à la Cène. Et Jésus anticipe la Croix. Il aurait pu réaliser le mystère de l’Eucharistie après sa Résurrection, cela

aurait été plus intelligible ; si l’intelligibilité commandait le sacrifice de l’Eucharistie, Jésus l’aurait fait après la Croix. Mais ce n’est pas l’intelligibilité qui commande l’Eucharistie, c’est l’amour, et c’est pour cela que l’Eucharistie anticipe. Il y a comme un voile, le mystère de la Croix ne peut pas

être répété, il est trop cruel et trop déchirant, il est unique dans le temps, mais il peut, divinement, par

la toute-puissance du Père, nous être rendu présent et donné. C’est bien par la toute-puissance du Père et celle de Jésus que ce sacrifice enveloppe le mystère de la Croix (il est avant et il est après). Et le Père nous le donne dans ce qu’il a de plus profond ; quand on dit : « substantiellement le même

sacrifice », cela veut dire que pour Dieu, pour le Père, pour Jésus, pour Marie dans sa foi et pour nous, dans notre foi liée comme celle de Jean à la foi de Marie, c’est la même réalité, le même sacrifice selon une modalité toute différente. On voit là comment la connaissance poussée à l’extrême, dans sa fine pointe analogique, permet de saisir, non pas le mystère mais / 'intelligibilité du mystère (le mystère lui-même est quelque chose qui nous échappe) et l’existence du mystère, l’existence divine du sacrifice du Christ. L’Eucharistie nous joint, nous unit, à ce sacrifice divin du Christ ; dans l’Eucharistie c’est Jésus qui s’offre lui-

même en se servant du prêtre, et c’est pour cela que ce sont les paroles du Christ que le prêtre prononce. Il ne dit pas: «Jésus a dit cela»—ce serait une commémoration historique, et on répéterait exactement les paroles, du moins on répéterait comment cela s’est passé ; là c’est une réalité profonde, divine : « Ceci est mon coips, ceci est mon sang », à travers le symbolisme du pain et celui du vin. Et ce symbolisme demeure : rien n’est changé et tout est changé. Rien n’est changé extérieurement — extérieurement, selon les apparences, le pain est resté le même et le vin est resté le même —, et en réalité c’est le corps et le sang du Christ ; c’est Jésus qui s’offre pour glorifier le Père et nous sauver : c’est le même sacrifice qu’à la Croix. Vivre le mystère de la messe, de l’Eucharistie, 82

c’est vivre le mystère de la Compassion avec Marie ; si nous voulons vivre pleinement ce mystère, nous le vivons avec elle et par elle, et c’est Jésus qui, lui, directement, se donne à nous. Et il veut que ce sacrifice, impliquant la séparation de l’âme et du corps, nous soit donné sous un symbolisme divin

(donc un symbolisme qui touche la réalité et qui implique cette réalité) dans la séparation réelle du corps et du sang du Christ, dans l’offrande où, extérieurement, rien n’est changé. Le mystère de l’Eucharistie est un chef-d’œuvre de la sagesse de Dieu, donné avant la Croix

pour permettre à Marie de vivre le mystère de la Croix, pour permettre à Jean de le vivre, pour

permettre aux saintes femmes et à tous les Apôtres de le vivre, pour permettre à chacun d’entre nous de vivre ce mystère de la Croix, et pour que ce mystère soit notre mystère, le mystère de notre vie

chrétienne. C’est là que nous réalisons ce qu’est le chrétien : il est un avec Jésus dans l’offrande de toute sa vie au Père, de tout lui-même avec le Père. Dans l’intention profonde de notre cœur, dans notre foi, notre espérance et notre charité, tout est offert, bien qu’extérieurement rien ne soit changé :

nous continuons de mener notre vie, l’Eglise continue de vivre sa route vers le retour du Christ. Rien

n’est changé extérieurement dans notre monde, et tout est changé en profondeur. Voyez le mystère de l’Eglise à la lumière de l’Eucharistie, voyez le mystère du chrétien à la lumière de l’Eucharistie,

voyez la sagesse théologique : elle est faite pour que nous puissions mieux le contempler, et surtout le communiquer mieux ; la sagesse théologique permet de communiquer, donc d’être par la parole, par la prédication, par la théologie, un témoin plus authentique. La théologie ne me permet pas directement de vivre plus cette imité d’amour ; elle me permet de communiquer ce mystère d’amour

de la manière la plus exacte, la plus simple, la plus profonde pour nous, et par là elle me permet, normalement, d’intensifier mon amour pour Jésus. Plus je contemple le mystère de la Croix, plus

mon cœur est brûlé de l’amour du cœur du Christ à la Croix, et plus je peux être proche de saint Jean.

Saint Jean est parfaitement lui-même dans l’action de grâces de cette institution de l’Eucharistie,

puisqu’il est tout proche du cœur du Christ, et il connaît à ce moment-là une unité très cachée, très

divine avec Marie, et cela lui permettra de vivre le mystère de la Croix. C’est pour cela que

l’Eucharistie est instituée avant la Croix. Il faut que le mystère de l’Eucharistie transfigure, transsubstantie mon cœur dans le cœur du Christ pour que je puisse vivre le mystère de la Croix — le martyre non-sanglant : Marie et Jean à la Croix, et chacun d’entre nous à la Croix, par l’Eucharistie

et dans l’Eucharistie. C’est le mystère de l’Eucharistie qui éclaire toute notre théologie, c’est le mystère de l’Eucharistie qui donne son sens ultime à tout notre enseignement théologique, comme il

a été pour Jean un mystère si grand et si intime avec Jésus. Saint Augustin, qui est tellement proche de saint Jean, précise (et c’est important) que l’Eucharistie est bien nourriture, puisqu’elle est un

repas, le repas de la Pâque. Précisons bien : « le repas de la Pâque », parce qu’on a beaucoup dit et répété que « l’Eucharistie est un repas », tout simplement. A un moment donné c’était le slogan :

« Le sacrifice, c’était bon pour le XVIIe siècle, c’était bon pour les jansénistes ; l’Eucharistie n’est pas un sacrifice, c’est un repas »... et on a tout changé : on a vu des Eucharisties où tout le monde était assis autour d’une table, et c’était un repas... On oublie que l’Eucharistie est la Pâque, le repas de la Pâque, ce qui n’est pas la même chose, car c’est un repas religieux. Jésus n’a pas célébré la

Pâque avec ses Apôtres et dit ensuite : « Maintenant on va aller dans la salle à côté et là on va avoir un repas, mon dernier repas avec vous », et au milieu ou à la fin de son repas, il aurait consacré le pain et le vin... Non, pas du tout. Tout l’aspect religieux de la Pâque, qui est si grand, a été actué, a été présent, et ce repas a été transformé dans le repas eucharistique. Par l’aspect religieux il y a une continuité ; si l’aspect religieux n’existe plus il n’y a plus de continuité et on ne sait plus où on va. Il y a une continuité entre l’ancien Testament et le nouveau Testament, l’aspect religieux et l’aspect de la foi, l’aspect religieux transformé par la foi : c’est Dieu qui parle. Dieu parle à Abraham, Dieu parle dans la Pâque eucharistique, dans l’institution de l’Eucharistie. C’est le Père qui parle à travers son 83

Fils, par son Fils — « Philippe, qui me voit, voit le Père ». Quand Jésus a consacré le pain et le vin à la Cène, c’est le Père qui a consacré, c’est la voix du Père qui s’est fait entendre ; c’est le don que le

Père nous fait de son Fils. Il nous le donne à travers le symbolisme du pain et du vin pour que nous comprenions le sacrifice et pour que nous ayons la force intérieure de vivre du mystère de la Croix. Jean a vécu du mystère de la Cène de cette manière, et à la Croix le mystère de la Cène était présent.

A travers le symbolisme du pain et du vin, le mystère de la Croix a été donné à Jean ; on ne doit jamais séparer ce que Dieu a uni : l’institution de l’Eucharistie et la Croix, avant et après ; et c’est beau, que ce soit avant et après parce que justement l’Eucharistie se répète, et pour nous faire

comprendre que le sacrifice de l’Eucharistie se répète, il faut qu’il soit avant et qu’il soit après ; et substantiellement c’est le même sacrifice que celui de la Croix, c’est le mystère de la Croix qui nous

est donné, et qui nous est donné pour nous transfonner. Saint Augustin, qui a vécu cela d’une manière si profonde, nous dit : « Ne crains pas quand tu reçois Jésus sous la forme du pain, sous la forme du vin, ne crains pas que ce soit toi qui assimiles la substance du corps du Christ ; c’est Jésus qui t’assimile et qui te transforme en lui »’. C’est lui qui fait l’unité parce qu’il est le grand Vivant

qui se donne comme nourriture, comme pain pour son petit vivant, son fils, son enfant bien-aimé qui ne fait qu’un avec lui. Demandez à la Très Sainte Vierge, chaque fois que vous vivez de l’Eucharistie, de vivre de ce mystère comme Jean en a vécu ; et toute votre théologie, vous la ferez dans cette lumière. Alors votre théologie sera pour vous contemplation, elle sera pour vous nourriture — « c’est le Père qui donne le

pain», c’est le Père qui nous donne son Fils—, elle transformera toute votre vie liturgique, et elle transformera toute votre vie dans ce réalisme étonnant où Jésus veut être le serviteur des serviteurs afin d’être pour nous l’ami le plus parfait qui soit.

Il

Conférence du Jeudi Saint 2005 25 mars 2005 à Saint-Jodard

Dans le silence de la nuit du Jeudi au Vendredi Saint, nous devons désirer revivre

intérieurement le mystère de Jésus. C’est vrai pour toute l’Eglise, mais spécialement pour les prêtres. Et la grande révélation du Paraclet est aussi pour toute l’Eglise, c’est évident, mais elle est pour nous d’une façon très spéciale, puisque seul saint Jean la rapporte. Il faut donc relire les Evangiles dans la lumière du Paraclet, c’est-à-dire dans une lumière d’intériorité. Nous sommes toujours des gamins qui vivent les choses de l’extérieur ; l’extérieur, pour nous, est sensible, alors c’est premier, et on y

reste. Le Paraclet, lui, est celui qui veut transformer notre vision chrétienne de l’intérieur pour que nous regardions tout dans la lumière du Père. Car seule la lumière du Père peut nous faire vivre ce que Jésus a vécu. Et cette nuit du Jeudi au Vendredi Saint, Jésus l’a vécue comme Fils bien-aimé du ’ Voir Confessions, VII, X, 16 (BA 13, p. 617).

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Père, dans l’obéissance, et il l’a vécue pour nous. II ne l’a pas vécue dans la solitude. Il aurait pu vivre cette nuit dans la solitude : ce qu’il a à vivre dans l’obéissance est tellement intérieur et tellement solitaire ! N’oublions pas que c’est la personne qui obéit au Père. Et quand on doit faire un acte d’obéissance qui prend toute notre vie, on préfère le faire dans la solitude. Or Jésus le fait avec ses Apôtres, et là il va jusqu’au bout de la charité fraternelle1 ; et non seulement il la vit jusqu’au

bout, mais il la proclame en donnant le commandement nouveau. Et le commandement nouveau

s’exprime dans l’action elle-même, dans le fait que Jésus meurt pour nous. Vivre avec quelqu’un, c’est très beau, mais on peut vivre avec quelqu’un jusqu 'à la mort, et la mort de la Croix2... La mort, qui est une chose si individuelle et si personnelle, Jésus l’a vécue en pauvre, face à

tous ; il la vivait dans une intériorité d’autant plus profonde face au Père, mais extérieurement c’était au milieu de ceux pour qui il mourait. Le Père a voulu que même la mort de Jésus, acceptée librement par obéissance, dans un don extraordinairement personnel, soit livrée à tous. Portée par la personne du Christ, la mort a pénétré jusque-là pour être un moyen d’aimer, alors qu’en elle-même

elle est une pénitence, une conséquence du péché. Cette conséquence du péché est complètement transformée dans sa signification par le Christ qui la porte personnellement, individuellement, au

milieu de son peuple, au milieu de ceux qui l’ont rejeté, et aussi auprès de Marie et auprès de Jean. L’intimité de la mort sur la Croix — et c’est bien ce qu’il y a de plus intime — est donnée à Marie, à Jean, à Marie-Madeleine, d’une façon très personnelle. Chacun aurait voulu vivre la Croix du Christ seul, dans le silence, et voilà qu’elle est vécue en public, face à tous.

Cela manifeste d’une manière divine combien cette mort est mystérieuse, puisque c’est dans

l’obéissance de la Croix que la mort, conséquence de la révolte d’une désobéissance, devient le moyen d’exprimer de la manière la plus intime l’amour du cœur du Christ. Par sa mort sur la Croix il exprime son amour pour le Père et pour nous, et nous devons toujours nous rappeler cela. Solitude et vie commune, amour du Père et amour de nos frères, sont unis d’une manière tellement mystérieuse dans la Croix du Christ ! La Croix est pour Jésus la solitude la plus grande avec le Père : seuls le Père et Jésus, si j’ose dire, comprennent le sens de cette mort. Mais Jésus la vit en présence de Marie, de

Jean, de Marie-Madeleine, des saintes femmes. Redisons-le : l’union entre l’amour à l’égard du Père et l’amour à l’égard de nos frères prend à ce moment-là une intensité unique. Il n’y a pas eu d’acte qui ait exprimé davantage l’amour de Jésus pour le Père : librement, par obéissance3, il meurt comme un condamné à mort, c’est-à-dire comme un esclave qui a perdu sa liberté. La mort est donc bien

l’acte suprême par lequel nous donnons à Dieu notre vie pour qu’il en fasse ce qu’il veut : elle est à lui. Jésus, si j’ose dire, a même perdu le secret de l’intimité de la mort, et cela exprès, pour nous permettre de le vivre. En tant que conséquence du péché, la mort n’est pas secrète du tout, mais elle devient un secret par l’obéissance du Christ, car là elle est totalement transformée, et c’est cela que nous devons vivre. Mais il faut supplier le Paraclet de nous permettre de le vivre au-delà de toutes les circonstances secondaires : au-delà de toutes les choses secondes, entrer dans le secret de la mort du

Christ. C’est bien un secret parce que la signification de la mort du Christ, lui seul la comprend ; c’est un secret avec le Père, mais un secret qui est partagé avec Marie. L’Annonciation, ce dialogue de Marie avec le Père — dialogue secret en présence de Gabriel —, s’achève à la Croix ; il est tout entier ordonné à la Croix, et il s’achève à la Croix dans le cœur de Marie qui, à nouveau, dit son fiat. Il y a \t fiat de l’Annonciation, qu’elle exprime : «Qu’il me soit fait selon ta parole», et ]e fiat silencieux de la Croix. A la Croix, Marie est présente mais tout est intérieur, tout est vécu dans le 1 « Ayant aimé les siens qui étaient dans le inonde, [il] les aima jusqu’à la fin » (Jn 13,1). 2 Cf. Phi 2, 8. 3 Loc. cit.

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silence : elle a tout accepté dans l’amour, et elle nous apprend à accepter l’obéissance, parce que c’est dans un acte d’obéissance, d’une obéissance d’amour, qu’on glorifie le Père. A la Croix, en Jésus, le Père a été glorifié : « Père, (...) glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie »'. C’est là tout le sens de notre vie religieuse ; si nous la vivons, c’est pour glorifier le Père, et pour rien d’autre. C’est l’Annonciation qui s’achève à la Croix. Notre vie religieuse, c’est l’obéissance au Père, et il est très important pour nous de le comprendre, parce qu’aujourd’hui le

démon est arrivé à faire que proclamer la liberté sous forme d’une autonomie totale soit la chose la

plus grande. Devant cet orgueil, il y a le poids d’amour de Jésus pour le Père, cet amour qui accepte

tout dans l’obéissance. Cela donne une signification divine à notre obéissance, et elle ne se comprend que là, dans la lumière de la Croix du Christ. En dehors de la Croix du Christ on ne peut pas saisir le «pourquoi » de l’obéissance, surtout quand cela nous tombe dessus comme un couperet qui nous

coupe la tête. De fait, tout acte d’obéissance nous coupe la tête, et parfois cela entraîne une lutte intérieure violente, mais on accepte tout de même, et on le veut, parce que c’est là qu’on rejoint Jésus à la Croix. Nous sommes des enfants bien-aimés de la Croix, elle est notre lieu de choix, le lieu de notre amour, puisque c’est là que Jésus a montré jusqu’où il nous aimait. Et Jésus, en mourant, nous

invite à le suivre, à le suivre intérieurement, sous le souffle du Paraclet, pour vivre profondément, divinement, ce qu’il a vécu.

C’est très grand, et on a envie de se taire quand, sous le souffle du Paraclet, on essaie de suivre Jésus jusqu’au bout. Et pour nous faire pénétrer dans le silence de cette mort de Jésus à la Croix, le Jeudi Saint nous donne de vivre ce qui annonce sa mort : l’Eucharistie, sacrement de la mort du Christ. C’est un sacrement, c’est-à-dire un signe sensible, qui réalise le mystère pour nous. Il

ne faut surtout pas confondre le langage symbolique artistique et le langage symbolique divin. Quand Dieu se sert d’un langage symbolique, il s’en sert divinement, pour donner la réalité de l’amour,

parce que l’amour ne peut s’exprimer parfaitement que symboliquement. On ne peut pas exprimer

l’amour rationnellement ; il faut un symbole, parce que c’est trop grand. Le symbole n’enferme pas la réalité, il l’indique, il la montre. Et quand il s’agit d’un symbole divin, le signe donne la réalité ; ainsi, dans l’Eucharistie, on se laisse prendre par la réalité et tout s’achève dans un don total au Père, une obéissance totale au Père, par Jésus et en lui. En ce Jeudi Saint, nous devons donc essayer de vivre de cette Pâque unique, que préfigurait la Pâque ancienne. Jésus en montre bien le caractère unique, qui réclame un regard nouveau. Car la

Croix s’explique par la Croix, et non pas par ce qui était ordonné à la Croix, c’est-à-dire les préfigurations. Si on en reste aux préfigurations, qui ne pénètrent pas dans le mystère de la Croix, on

reste dans l’Ancien Testament. Mais nous avons, nous, la réalité, et elle s’explique elle-même. L’amour n’a pas besoin d’explications extérieures à l’amour : celui qui aime, et lui seul, comprend l’amour. Ceux qui n’aiment pas tournent autour de l’amour et essaient d’expliquer, mais ils n’expliquent rien du tout : l’amour leur échappe. Cela, c’est éminemment vrai de l’amour divin, qui a en lui-même son intelligence divine. La Croix a son intelligence divine. Humainement, la Croix,

c’est la mort, ce n’est pas très intelligible, ce n’est pas compréhensible, c’est purement négatif, alors que divinement, la mort du Christ a sa signification propre. Et à partir de la mort du Christ, notre propre mort est transformée, puisque celle du Christ nous fait entrer dans une vie nouvelle2, le mystère de l’amour du Père pour nous. C’est Dieu le Père qui nous parle par son FilsJ, le grand prêtre qui, « tout Fils qu’il était, apprit de ce qu’il souffrit l’obéissance »4 et « par une offrande unique a 1 Jn 17, 1. 2 Voir entre autres Ro 6 ; 1 Co 15,19-22. ’CÊHe 1, I. 4 He 5, 8.

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rendu parfaits ceux qu’il sanctifie »'. La Croix nous fait comprendre que par son Fils le Père nous

pardonne tout, et le Père est infiniment miséricordieux puisqu’il nous donne son Fils comme pain et comme vin pour nous préparer à la vision béatifique, L’Eucharistie est un signe sensible mais qui a une signification divine et qui réclame la réalité. Or la réalité à laquelle nous conduit l’Eucharistie, c’est la vision béatifique. Nous avons aujourd’hui la grâce de vivre en toute réalité le mystère de la Croix. Certes c’est

sous un mode différent : nous n’assistons pas visiblement à la Croix du Christ. Et pourtant, dans la foi, nous y sommes présents et nous vivons ce mystère de la Croix, qui est pour nous. La préparation ultime est le lavement des pieds. C’est étonnant. On pourrait croire que c’est « en plus » (les Evangiles autres que celui de Jean n’en parlent pas). On peut dire que c’est un surcroît, parce qu’il faut être tellement limpide, tellement pur, pour pouvoir recevoir le corps et le

sang du Christ, et en vivre comme lui veut qu’on en vive, tout entier tourné vers ce pour quoi nous sont donnés son corps et son sang, sa mort, séparation du corps et du sang... La mort du Christ nous

est donnée pour que notre intelligence soit complètement transformée et puisse voir Dieu, vivre du

mystère du Père par le Fils. Et le fait que le lavement des pieds n’ait pas de préfiguration dans la Pâque de l’Ancien Testament nous fait comprendre qu’il y a là quelque chose de plus et qui est, d’une certaine manière, un scandale liturgique. Pierre, qui est très pieux, exprime parfaitement ce scandale liturgique. (...) Mais ce geste du Christ est très important, parce que c’est un geste

spontané. Tous les gestes du Christ sont spontanés, mais celui-là l’est particulièrement, et il est comme le secret que Jésus portait dans son cœur. Les précédentes fêtes de la Pâque, il les a vécues avec les Apôtres tout simplement, selon la tradition ; mais là, pour cette nouvelle Pâque, il veut nous

montrer qu’il y a quelque chose de tout à fait nouveau : le voile du symbole se déchire en partie. Pas complètement, car ce n’est pas encore la vision béatifique, mais il se déchire en partie. Jésus, le Maître, Dieu, fait le geste de l’esclave ; le service du Christ va jusqu’au lavement des pieds, qui est le

geste de l’esclave. Mais le Christ ne fait pas seulement le geste de l’esclave, il se donne lui-même en nourriture. C’est encore un autre service, qui est un service substantiel, où le Christ est totalement

donné. Et le geste du lavement des pieds est en vue de nous faire comprendre le don du Christ comme pain et vin, ce don qui réclame de nous une telle pureté, un tel regard d’amour, parce qu’il va si loin ! C’est l’amour du Père pour son Fils bien-aimé qui se prolonge pour chacun d’entre nous. Ce lavement des pieds commence par Pierre2, dont la réaction nous est montrée pour que, si

nous avons des charges importantes (ou du moins à nos yeux), nous puissions tout remettre à Jésus. C’est cela qui est merveilleux dans le lavement des pieds : on remet à Jésus toutes nos défaillances, toutes nos fragilités, et on lui dit : « Oui, purifie-moi radicalement, pour que je sois comme toi serviteur jusqu’au bout ». Jésus nous apprend à être serviteurs jusqu’au bout parce que c’est cela qui

nous prépare le mieux à recevoir le don de son corps et de son sang. Pour recevoir l’amour, et très spécialement ce don qui est un tel don d’amour, il faut être très profondément serviteur, esclave. Jésus, en faisant ce geste, nous montre le lien entre le service de l’esclave et l’amour. Pour recevoir

l’amour qui se donne, il faut être complètement dépouillé de soi-même, dans la pauvreté radicale du serviteur qui n’a rien pour lui, parce que s’il garde quelque chose il ne peut pas recevoir le don dans tout son absolu. Or le don que le Christ fait de lui-même dans l’Eucharistie est le plus absolu qui soit. On ne peut pas inventer de don plus grand. Le corps et le sang du Christ, de Dieu, pour nous, c’est quelque chose d’inouï, à quoi on n’est jamais prêt. 1 He 10, 14. " C’est l’interprétation que saint Thomas propose en se référant à saint Augustin (après avoir exposé les opinions inverses d’Origène et de saint Jean Chrysostome) : voir Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, vol. II, ch. 13, nos 1753-1755 (à paraître prochainement aux Editions du Cerf).

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Le service implique le dépouillement de soi. Le serviteur, c’est celui qui ne fait pas sa volonté. Chaque fois que vous faites votre volonté, vous n’êtes pas serviteur. L’avantage de l’obéissance, c’est qu’on fait la volonté de l’autre ; cela peut parfois être en même temps notre volonté, mais dans la mesure où l’on vit l’obéissance, c’est la volonté de l’autre qu’on accepte. Cette

volonté de l’autre, si on l’aime, est alors nôtre, mais il y a d’abord ce dépouillement total de notre propre volonté, donc de notre liberté. Et le don complet de notre liberté, il faut le réaliser pour recevoir le corps et le sang de Jésus. On voit alors la signification profonde de notre vie religieuse : elle est pour pouvoir recevoir ce don de l’Eucharistie. Toute notre vie chrétienne prend son sens à partir de l’Eucharistie ; et si nous sommes appelés à la vie religieuse, c’est très particulièrement pour recevoir le corps et le sang du Christ et en vivre comme lui-même l’a demandé. C’est Jésus qui a

voulu cela, et c’est lui qui l’a réalisé. Il a réalisé ce geste du lavement des pieds, et ensuite il a dit :

« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez, vous aussi, vous laver les pieds les uns aux autres »'. Il veut que son geste continue parce que l’Eucharistie fait l’unité. Et

tant qu’il n’y a pas de notre part cette limpidité, Jésus ne peut pas se donner totalement, jusqu’au bout. C’est nous qui limitons le don de Dieu ; ce n’est pas Dieu qui limite son don, c’est nous qui le limitons en revendiquant nos droits et en voulant les garder à tout prix — ce qui est une manière de dire le « non serviam »2. C’est beau, que Jésus demande à Pierre de nous donner cette grande leçon d’humilité, de

pauvreté, de dépouillement, puisqu’il n’y a pas d’autorité plus élevée sur la terre que celle de Pierre, et que c’est à lui qu’est demandé immédiatement ce geste d’humilité, de pauvreté. Pierre

a d’abord une réaction très humaine, et c’est beau aussi, car l’Eucharistie nous révèle constamment que nous ne sommes pas entièrement donnés. Nous avons parfois des réactions humaines en face du don du corps et du sang du Christ. On veut bien coopérer avec Jésus,

d’accord, et on dit qu’on ira jusqu’au bout... mais laisser Jésus tout donner, là est la difficulté.

Or Jésus se donne totalement, puisque se donner sous la forme du pain et du vin, c’est se donner en vue de l’assimilation, donc de cette transformation (dont parle saint Augustin3) qui doit se faire en nous, où nous « devenons » le corps et le sang du Christ, ce qui exige de nous le don

total de tout. Dans ce repas, cette Pâque nouvelle, saint Jean ne nous montre pas le moment où Jésus

réalise la consécration ; il ne nous montre pas non plus si Judas reçoit ou non le corps et le sang du Christ4. C’est très étonnant, ces silences de Dieu. Ici il y a deux grands silences : Marie, quand a-telle communié ? Silence. Judas, a-t-il communié ? Silence. N’est-ce pas une infinie délicatesse

d’amour de Jésus pour le pécheur qu’est Judas ? Jésus ne juge pas le pécheur, il l’aime jusqu’au bout. Et ce grand silence est aussi pour nous faire comprendre l’absolu de l’Eucharistie. La négation ne fait

jamais rien comprendre ; donc le péché, qui est négatif, ne fait rien comprendre. Or l’Eucharistie, c’est tellement positif ! C’est donc le Paraclet qui a incliné l’intelligence de Jean à se taire, comme si un grand manteau couvrait tout pour que tout soit remis au Christ : au moment où il se donne

substantiellement, corps et âme, tout entier, il y a un grand silence. Le silence de la mère est toujours quelque chose qui éduque plus que ses paroles. C’est par ses silences que Marie nous éduque le plus, parce que c’est cela, l’éducation maternelle. Et quand il s’agit de ce dernier repas, de cette institution J Jn 13, 14. ’ Jr 2, 20 : « Oui, depuis longtemps tu as brisé ton joug, tu as rompu tes liens, tu as dit : " Je ne servirai pas ! ” ». 1 Voir Confessions, VII, x, 16, (Bibliothèque augustinienne 13, DDB 1962, p. 617) : «Tu ne me changeras pas en toi, mais c’est toi qui seras changé en moi ». 4 Saint Thomas, dans son Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, ne résout pas la question, mais il en pose une autre : Judas a-t-il mangé la bouchée que Jésus lui a donnée ? (voir vol. II, ch. 13, n° 1823).

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de l’Eucharistie, c’est tellement grand ! Tout l’enseignement du Christ s’achève là. Et tout l’enseignement du Christ rapporté par saint Jean au moment de ce repas eucharistique demande le silence. Pourquoi ? pour que nous comprenions que c’est l’amour divin qui a le dernier mot, et que cela ne regarde que Dieu.

Ce dernier repas, ce repas eucharistique, s’achève donc dans le silence. Le don qui est fait dans ce repas est personnel pour chacun d’entre nous. Il n’y a pas de don collectif, le don est toujours personnel, et l’Eucharistie est bien le don des dons, quelque chose d’éminemment personnel qui nous lie à Jésus. Le péché tue la personne parce qu’il tue l’amour, et donc tue ce qu’il y a de plus secret. Et

c’est peut-être là qu’on touche la merveille de l’enseignement du Paraclet Le Paraclet nous enseigne à comprendre les silences de Dieu, et notamment ce grand silence de l’Eucharistie.

L’Eucharistie, anticipation de la vision béatifique pour Marie et pour nous Extrait de CSrî 23.06.03

A l’Annonciation, Marie a répondu « oui », fiat, « qu’il me soit fait selon ta parole ». Et

chaque fois que nous répondons au Père « oui »,fiat, « que ta volonté soit faite », il y a de sa part une réponse d’amour. Le Père ne se laisse jamais vaincre en gratuité, et quand notre réponse a une certaine gratuité, il répond encore davantage. Comprendre cela et le vivre est une manière d’entrer dans la sagesse divine, dans un secret qui n’est pas révélé explicitement mais qui est révélé par les faits. La réponse que le Père fait à Marie, à celle qui a accepté d’être la Mère de son Fils, n’est-ce pas l’institution de l’Eucharistie ? Chaque fois qu’on donne quelque chose au Père, il nous donne le « centuple »', ou plutôt infiniment plus. Marie a, sous l’action de l’Esprit Saint, donné sa chair et son sang à Jésus, et par lui au Père ; elle a donné au Verbe sa propre chair. Et en retour le Père a demandé à Jésus de donner à Marie sa propre chair d’une manière sacramentelle, cachée, mais réelle. N’y a-til pas là un échange merveilleux ? L’Incarnation permet l’Eucharistie, elle la permet par la Croix, et la Croix est la réponse du

Père à Marie. Jésus, par la Croix, fait que Marie est immaculée, et le fruit le plus grand de la Croix est de donner à Marie d’être immaculée pour qu’elle puisse, à la Croix, offrir au Père avec Jésus toute sa vie humaine. Marie a coopéré à ce sacrifice, à l’offtande du Christ, au don de sa vie, au don

de son corps et de son sang. Pour que ce don soit parfait, plénier, il « convenait » que Marie coopère

ainsi. Mais comprenons bien que cette convenance de la sagesse de Dieu n’a rien à voir avec la logique. Et la convenance dont nous parlons ici n’est pas du tout ce qu’on entend ordinairement par « convenance », qui est quelque chose de facultatif ; c’est au contraire la plus grande des nécessités

parce que c’est une convenance dans l’amour, comme la gratuité, qui est réclamée par l’amour. Il convenait donc, selon la sagesse de Dieu, que Marie offre le corps de Jésus avec lui ; et de cela il y a une préfiguration très étonnante dans l’Ancien Testament, au deuxième livre des Maccabées (chapitre 7), où on voit la mère des sept frères martyrs venir auprès de son plus jeune fils 1 Cf. Mt 19, 29 ; Le 8, 8.

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sous les yeux du roi Antiochus pour, dans son langage maternel auquel Antiochus ne comprendra rien, donner au dernier de ses fils la force d’être martyr comme ses frères. C’est un des passages les plus émouvants de l’Ancien Testament, et la générosité de cette «mère admirable»1 est une préfiguration — lointaine, c’est sûr, comme toutes les préfigurations — de la présence de Marie à la Croix. Le Père voulait que le sacrifice du Christ soit parfait. Certes il était parfait sans Marie, mais il

est parfait d’une manière spéciale, pour nous, avec Marie. Un fils ne s’offre pleinement que quand sa mère l’offre (quand un frère fait profession, il s’offre et il souhaite que sa mère l’offre, c’est le rôle de la mère).

Marie offre donc Jésus à la Croix, et le Père a voulu que la Croix continue pour nous de manière sacramentelle à travers l’Eucharistie. La célébration de l’Eucharistie, c’est le mystère de la Croix qui continue. Et ce mystère est donné à Marie, il est pour elle : Jésus la remercie de tout

ce qu’elle a fait pour lui en acceptant d’être sa Mère. Et le Père ne pouvait pas la remercier d’une manière plus parfaite qu’en lui donnant le corps et le sang de son Fils en nourriture et en

breuvage. Il y a dans le mystère de l’Eucharistie une réponse divine du Père très cachée, parce que les choses très profondes se cachent toujours derrière quelque chose de symbolique. Marie a donné sa chair et son sang à Dieu, au Verbe, et Jésus, dans le dernier acte de sa vie avant la

Croix, donne sa chair et son sang à Marie pour la remercier. Et la chair et le sang de Jésus qu’elle reçoit dans l’Eucharistie, c’est ce qu’il a vécu à la Croix, le sacrifice où il se donne en

pardonnant toutes les fautes. Et comme en Marie il n’y a pas de faute, le don est encore plus pur. Il fallait que Marie soit immaculée pour être la Mère du Fils bien-aimé et pour recevoir ce don

que le Père lui fait de la chair et du sang de son Fils dans le sacrifice de la Croix.

Les sacrements viennent du Christ et du Père et nous devons découvrir à travers l’Eucharistie cette réponse d’amour du Père pour Marie et pour nous qui sommes ses enfants

bien-aimés. Quand nous communions, nous devons toujours nous rappeler cela. C’est un don d’une gratuité parfaite, une réponse d’amour infinie, et là nous voyons vraiment comment la Mère de Jésus a la première place dans ce mystère de l’Eucharistie. Rien ne nous est dit dans l’Ecriture, mais nous devons découvrir le gouvernement de sagesse du Père, et le saisir à partir

même de ce qui nous est explicitement révélé, en comprenant ce qui est une convenance non pas

logique, mais d’amour, puisque tout le gouvernement divin est un gouvernement de sagesse. Or tout ce qui relève de la sagesse divine est toujours beaucoup plus grand que ce qu’on pourrait penser, cela nous dépasse, c’est quelque chose d’unique puisque c’est Dieu qui nous attire à lui pour que sa vie étemelle soit la nôtre. Or la vie étemelle du Père, c’est d’être un avec son Fils

bien-aimé. Il faut donc que notre vie étemelle soit — et dès cette terre — d’être un avec le Fils

bien-aimé. C’est pour cela que l’Eucharistie est le sacrement qui nous introduit tout de suite,

directement, dans la vision béatifique. Après l’Eucharistie, il n’y a plus que la vision béatifique,

à laquelle le don de l’Eucharistie est tout entier ordonné. Certes l’Eucharistie reste «le pain de notre pèlerinage »2, elle nous est donnée pour grandir dans la charité, pour avoir la force de lutter

et de rester toujours dans la volonté du Père, mais elle est aussi le début, sur la terre, de la vision béatifique : c’est Dieu qui vient vers nous et qui se donne totalement, substantiellement. Tout se

passe dans l’amour et dans l’obscurité de la foi, et dans le désir intense de l’espérance, mais

1 2 Mac 7, 20. " Catéchisme de l'Eglise catholique, n° 1392.

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«nous attendons [espérons] ta venue dans la gloire»1, où la réalité sera vue, connue, dans la

lumière de la vision béatifique. Et quand nous essayons de scruter le mystère de la vision béatifique, ce que saint Thomas a fait d’une façon toute nouvelle, nous découvrons que c’est le don direct du Verbe — « dans la Lumière nous verrons la Lumière »2. Or dans l’Eucharistie, à

travers le corps et le sang du Christ, le Verbe nous est donné, dans l’amour, en attendant le

dévoilement de la vision béatifique. C’est pour cela qu’on peut (et qu’on doit) dire que

l’Eucharistie nous introduit dans le mystère de la vision béatifique. L’Apocalypse nous le

confinne au chapitre 14 en nous montrant que le pain et le vin sont présents — à travers la moisson et la vendange — au moment de la réalisation du jugement dernier3. Il y a là un signe qui nous montre que c’est bien à travers le mystère de l’Eucharistie que nous devons attendre, espérer, la vision béatifique. L’Eucharistie précipite — si l’on ose dire — le retour du Christ, elle le «précipite » selon la sagesse de Dieu. Elle nous y prépare, et ce n’est que par l’Eucharistie

que nous nous y préparons, puisque l’Eucharistie nous demande d’aimer Jésus comme Jésus

nous aime, dans une réciprocité d’amour qui nous dispose de la manière la plus efficace, la plus réelle, au mystère de la vision béatifique. C’est très important pour nous, de vivre du mystère de

l’Eucharistie comme ce qui nous dispose de la manière la plus divine à la vision béatifique. Car c’est une disposition réalisée par le Christ. Ce n’est pas nous, ce n’est pas notre dévotion, qui nous donne soif de la vision béatifique, c’est l’amour du Christ pour nous. Et dans l’Eucharistie

il nous donne cette soif de la vision béatifique pour que nous puissions vraiment attendre et désirer son retour. Car nous devons l’attendre (au sens fort), nous n’avons pas le droit de ne pas l’attendre, cela fait partie de notre espérance et de notre foi. Et comme nous risquons d’oublier cela, le mystère de l’Eucharistie est là pour nous le rappeler et nous permettre d’en vivre.

Enfin, n’oublions pas que le mystère de l’Eucharistie engage la toute-puissance de Dieu, la

toute-puissance du Père, du Fils et de l’Esprit Saint ; car le passage direct du pain et du vin au corps

et au sang du Christ, le pain et le vin transsubstantiés en le corps et le sang du Christ, c’est le plus grand des miracles. Nous sommes plus facilement alertés par des miracles moins grands mais peutêtre plus sensibles pour nous, parce que ce miracle, lui, reste caché. On ne voit rien de ce miracle !

donc il est objet de foi, mais nous devons vraiment y croire : c’est le plus grand des miracles qui est réalisé pour nous tous les jours. On serait guéri d’une maladie grave, un passage de Dieu nous rendrait la santé, on serait très heureux d’être celui que Dieu a aimé au point de lui accorder cette

faveur spéciale... et on oublie cette grâce qui nous est donnée tous les jours, chaque fois que nous

communions. Chaque fois que nous recevons l’Eucharistie le miracle est pour nous, il est directement et personnellement pour nous, et c’est le plus grand de tous les miracles. C’est très important, cela, parce qu’aujourd’hui il y a un culte de la puissance, de la domination, qui se

1 Nous renvoyons ici aux trois acclamations de l’assemblée après l’élévation : «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons [espérons] ta venue dans la gloire » ; « Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que tu viennes » ; « Gloire à toi qui étais mort, gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu : Viens, Seigneur Jésus ». Voir aussi Ecclesia de Eucharistie/, n° 18 : « L’acclamation que le peuple prononce après la consécration se conclut de manière heureuse en exprimant la dimension eschatologique qui marque la Célébration eucharistique (cf. 1 Co 11, 26) : “... Nous attendons ta venue dans la gloire ”. L’Eucharistie est tension vers le terme, avant-goût de la plénitude de joie promise par le Clirist (cf. Jn 15, 11) ; elle est en un sens l’anticipation du Paradis, “ gage de la gloire future ”. Dans l’Eucharistie, tout exprime cette attente confiante : “ Nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur ”. Celui qui se nourrit du Christ dans l'Eucharistie n'a pas besoin d’attendre l'au-delà pour recevoir la vie éternelle : il la possède déjà sur terre, comme prémices de la plénitude à venir, qui concernera l’homme dans sa totalité ». 2Ps35, lO(Vulgate). 3 Ap 14, 14-20.

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développe, et bientôt les hommes n’accepteront plus que cela. On a l’impression que toutes les autres valeurs disparaissent devant celle-là qui, elle, se voit : je suis le maître du monde, je suis le plus puissant de la terre, je domine tout... N’y a-t-il pas là une grimace du démon ?

Selon le gouvernement de la sagesse de Dieu, où tout est ordonné à l’amour, ce miracle si important de la transsubstantiation, ordonné au don du corps et du sang du Christ, est pour nous, il

est ordonné à cet amour d’amitié avec Jésus, à cet amour d’adoration et de contemplation, il nous est donné pour cela. Mais cela, le démon ne peut pas le supporter. En fait, il ne connaît pas le mystère de

l’Eucharistie, il ne sait pas ce que cela signifie, mais il est inquiet devant ce mystère parce qu’il ne le comprend pas, paire que ce mystère, qui est le grand secret des chrétiens, lui échappe complètement.

Or ce qu’il y a de plus intolérable pour le démon, c’est que nous ayons des secrets que lui ne connaît pas. Comprenons donc bien que le mystère de l’Eucharistie nous montre que la toute-puissance de Dieu est toujours ordonnée à une communication d’amour ; c’est très important pour nous, parce qu’il y a des moments où on a envie de dire : « Dieu ne me voit plus, il ne s’occupe plus de moi,

etc. » (il y a des psaumes qui vont très loin sur ce point). De fait, dans le monde d’aujourd’hui, dans

les situations où nous nous trouvons, nous avons parfois l’impression que, alors que nous nous sommes donnés totalement à Dieu, la réponse... n’est pas fameuse. Là nous oublions que

l’Eucharistie nous est donnée tous les jours, dans son réalisme divin, avec la toute-puissance de Dieu tout entière ordonnée à la communication de son amour pour nous. Cela doit être pour nous une très

forte leçon, cela doit nous secouer dans notre foi. Nous avons besoin de « sentir » divinement,

d’« éprouver » — G-ustate et videte, « Goûtez et voyez » —, par le don de sagesse, « comme est bon le Seigneur»1 dans sa toute-puissance qui veut nous donner son corps et son sang pour nous communiquer son amour et la gratuité infinie de son amour. Nous avons besoin de cela ; il faut que

nous puissions faire appel à cette expérience qui peut être journalière et qui transforme notre vie. Cela peut être dans la foi, et terriblement sec dans la foi, c’est sûr, mais la foi nous donne cette certitude que la toute-puissance de Dieu s’est manifestée et se manifeste pour nous dans

l’Eucharistie. L’Eucharistie est une grande lumière qui, au milieu des ténèbres, au milieu de l’obscurité

totale, nous est donnée pour qu’au milieu de cette nuit nous puissions trouver le vrai chemin, prendre la route droite. C’est en ce sens-là que l’Eucharistie doit être pour nous quelque chose d’ultime et un

don quotidien nécessaire à notre vie. Nous en avons besoin, et il faut que l’Eucharistie devienne pour

nous une nécessité pour vivre en conformité avec le bon plaisir de Dieu sur nous. Ce n’est pas du luxe. L’Eucharistie, exigence du Pain du Ciel, est une nourriture nécessaire, indispensable, pour vivre de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Il faut demander à la Vierge Marie de nous faire

comprendre combien l’Eucharistie était pour elle le pain et le vin qui lui permettaient de tenir sur terre et de réaliser ce que Dieu lui demandait de réaliser. Ce doit être vraiment pour nous ce qu’il y a

de plus nécessaire, et la nécessité la plus immédiate.

1 Ps 34,9.

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IÏÏ - Conférences de pédagogie familiale données à Boulogne en 2003-2004

L’EUCHARISTIE d’après l’encyclique L’Eglise vit de l’Eucharistie

1®* conférence : L’intention de Jésus dans l’institution de l’Eucharistie 2™ conférence : L’Eucharistie, mystère de la foi

3emc conférence : L’Eucharistie édifie l’Eglise : Eucharistie et charité fraternelle

4" conférence : L’Eucharistie, fin des sacrements Récollection : I - Marie et l’Eucharistie Il - Marie et le sacerdoce (la 5eme conférence de ce cycle n'a pas été donnée par le père M.-D. Philippe)

6eme conférence : L’Eucharistie, source d’unité 7eme conférence : Marie, « femme eucharistique »

lerc conférence

L’intention de Jésus dans l’institution de l’Eucharistie

le 28 septembre 2003

Nous allons avoir cette année un cycle de conférences sur l’encyclique de Jean Paul II

L'Eglise vit de l'Eucharistie. Car s’il nous a donné cette encyclique, c’est pour que nous essayions d’entrer plus à fond dans le mystère de l’Eucharistie. C’est le mystère des mystères, et il est très juste de dire : l’Eglise vit de l’Eucharistie. L’Eglise a commencé par l’Eucharistie et elle finira par l’Eucharistie.

L’Apocalypse de saint Jean, en effet, présente le mystère du jugement dernier dans la lumière de l’Eucharistie1 : il y a un jugement spécial de Dieu par rapport à ce que signifie le pain, et un autre

jugement par rapport à ce que signifie le vin (la moisson et la vendange). C’est un texte assez

extraordinaire. Il est apocalyptique, donc très difficile à comprendre, mais il est très beau, et il faut le relire souvent parce que l’Apocalypse ne se dévoile que quand on la lit plusieurs fois, de nombreuses fois. La première fois qu’on lit l’Apocalypse on n’y comprend rien, car c’est un livre très énigmatique ; quand on lit ce livre une seconde fois on entre un peu dedans, mais il faut le lire de

nombreuses fois pour en découvrir toute la vigueur. Il contient entre autres ce texte unique dans toute l’Ecriture montrant que le jugement dernier se fera comme la moisson (symbolisant le pain) et comme la vendange (symbolisant le vin). Alors que, de fait, la récolte du blé et celle des raisins ne se

font pas en même temps, l’Apocalypse les unit, et on voit qu’il y a deux personnes différentes pour la moisson et pour la vendange, et que cependant ces deux personnes sont unies dans la période de la moisson. C’est un envoyé du Père qui dit à Jésus : « Jette ta faucille ». Quel envoyé du Père peut-il

donner à Jésus ce commandement : « Jette ta faucille » ? Et il semble que ce soit cet envoyé qui, ensuite, commande à un autre envoyé du Père de jeter sa faucille pour vendanger. La récolte du blé et

celle des raisins sont deux récoltes différentes et semblent bien exprimer le jugement dernier sur les deux commandements — ce n’est pas dit dans l’Apocalypse mais on peut interpréter en ce sens —, les deux commandements qui ne font qu’un2 : l’amour de Dieu et la charité fraternelle. Nous serons

jugés par Dieu sur l’amour que nous aurons exprimé à son égard, un amour uni à l’adoration, et sur la charité fraternelle. C’est le seul lieu de l’Ecriture où le jugement soit exprimé de cette manière-là, d’une manière voilée. Celui qui juge quant à la moisson, c’est nettement le Christ, mais l’instrument de Dieu pour la vendange reste caché. C’est à nous de le découvrir. Et je crois que la connaissance que nous acquérons de l’Eucharistie en théologie doit nous éclairer sur ce passage de l’Apocalypse. Je n’en dis

pas plus maintenant, mais j’espère qu’au terme de ces conférences nous pourrons mieux comprendre ce passage de l’Apocalypse qui reste très important pour nous puisqu’il s’agit du jugement dernier et

1 Voir Ap 14.14-20. 2 Voir Mt 22,36-39 (Mc 12, 28-31 ; Le 10, 25-28). Jn 13,34. 1 Jn 2, 7-11 ; 3,23 ; 4,20-21. 2 Jn 5-6.

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que ce jugement, nous y passerons tous ! Au terme de notre vie, il y aura un jugement «particulier»1, puis il y aura le jugement dernier, général, quand le Christ reviendra2. Et l’Eucharistie est ordonnée à ce jugement dernier.

L’Eucharistie est le sacrement par excellence, celui auquel tous les autres sont ordonnés, et

elle nous fait comprendre ce que peut être le jugement dernier. En effet, l’Eucharistie réalise en

quelque sorte (et c’est cela qui est le plus émouvant) le passage de la terre au Ciel. L’Eucharistie nous est donnée sur la terre, c’est évident, c’est le sacrement qui nous donne la force de continuer à avancer tous les jours. Chaque fois que nous participons à la célébration de l’Eucharistie, chaque fois que nous communions, nous repartons avec une force nouvelle. Nous arrivons fatigués, éreintés, et l’Eucharistie nous fortifie. Un prêtre me disait un jour : « Je suis toujours très fatigué avant de célébrer la messe, et quand je l’ai célébrée je peux repartir 1 ». Et c’est vrai, l’Eucharistie est comme un temps d’arrêt pour repartir, pour avoir la force de continuer la route, de monter toujours plus vers le Ciel. Sur la terre nous sommes in via, « sur le chemin » ; l’Eglise de la terre est viatrix, pèlerine en route vers le Ciel3, et c’est grâce à l’Eucharistie qu’elle peut faire ce chemin vers l’Eglise du Ciel.

C’est l’Eucharistie qui fait le passage de l’Eglise de la terre à l’Eglise du Ciel, et on l’appelle très justement « viatique »4 car elle nous est donnée pour que nous vivions les derniers moments de la

terre de manière à pouvoir entrer dans le Ciel. Nous espérons tous pouvoir recevoir ce viatique, communier une dernière fois sur la terre pour entrer dans le Ciel avec Jésus au plus intime de notre cœur... Mais ici, commençons par essayer de comprendre autant que possible ce sacrement, d’autant plus important que, étant le sacrement par excellence, il nous aidera à comprendre les autres.

Le Saint-Père lui-même, dans son encyclique, lie ce que nous vivons sur la terre et notre aspiration au Ciel : « Mysterium fidei - Mystère de la foi ! » Quand le prêtre prononce ou chante ces paroles, les fidèles disent l’acclamation : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ».

Par ces paroles, ou par d’autres semblables, l’Eglise désigne le Christ dans le mystère de sa Passion, et elle révèle aussi son propre mystère : Ecclesia de Eucharistia. Si c’est par le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte que l’Eglise vient au jour et se met en route sur les chemins du monde, il est certain que l’institution de l’Eucharistie au Cénacle est un moment décisif de sa constitution. Son fondement et sa source, c’est tout le Triduum pascal, mais celui-ci est comme contenu, anticipé et « concentré » pour toujours dans le don de l’Eucharistie. Dans ce don, Jésus-Christ confiait à l’Eglise l’actualisation permanente du mystère pascal. Par ce don, il instituait une mystérieuse «contemporanéité » entre le Triduum et le cours des siècles.5

L’Eucharistie réalise ce lien mystérieux entre la terre et le Ciel : Dieu veut être présent au

milieu de nous. Quand on doit quitter quelqu’un qu’on aime, on désire rester auprès de lui tout en le

1 Voir Catéchisme de l'Eglise catholique, nœ 1021-1022. 2 Voir op. cit., n“ 675-682 et 1038-1041. 3 Cf. 2 Co 5, 6-7 : « Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que rester là dans ce corps, c’est rester en exil loin du Seigneur (peregrinamur a Domino), car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision... ». 4 Voir Catéchisme de l'Eglise catholique, n“ 1392 et 1524 sq. 5 JEAN Paul II, L’Eglise vit de l'Eucharistie, 17 avril 2003, n° 5.

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quittant. Le Christ devait nous quitter, il devait « monter au Ciel », et il devait nous quitter par la

Croix — son ultime acte d’amour pour nous — et par son Ascension. La Croix et l’Ascension, ces deux départs du Christ, l’un douloureux, l’autre glorieux, doivent toujours être considérés ensemble. Le Christ devait nous quitter mais, comme nous l’avons dit, quand on aime profondément quelqu’un on ne veut pas le quitter, et on fait tout ce qu’on peut pour rester auprès de lui.

Sous la conduite de l’Esprit Saint, sous le regard du Père, Jésus institue l’Eucharistie à la fin

de sa vie apostolique, avant de vivre le mystère de la Croix. Il rassemble ses disciples et anticipe la Pâque (ce qu’il pouvait faire selon les rites habituels1), et c’est au cours de ce repas pascal que Jésus

institue l’Eucharistie comme un repas pascal, le repas qui exprime la présence de Dieu au milieu de son peuple. Et à la place de l’agneau qui était tué et offert à Dieu, et qui était la nourriture de tous ceux qui se retrouvaient le jour de la Pâque pour prendre ensemble cet agneau pascal2, c’est Jésus luimême qui s’of&e sur la Croix et se donne en nourriture. Il est l’Agneau3, il est offert, et il se fait luimême nourriture pour ses Apôtres. C’est un geste extraordinaire, qui a été préparé longuement par le peuple d’Israël, annoncé comme le repas de la délivrance, comme le repas du « passage »4 de Dieu qui vient libérer son peuple. Il faut toujours se rappeler cela : le repas pascal est un repas de

libération. C’est un « passage » terrible puisqu’il implique la mort de tous les aînés des familles qui n’étaient pas d’Israël5, c’est un « passage » de séparation, et d’une séparation faite par Dieu entre son peuple et ceux qui n’étaient pas de son peuple et qui, d’une manière tyrannique, voulaient réduire le peuple d’Israël à un état d’esclavage. Dieu n’aime pas l’esclavage, il ne le tolère pas, surtout pour son peuple. Et la Pâque est un repas de libération puisque par là le peuple d’Israël pouvait se libérer de la tyrannie de l’Egypte, de ce potentat humain qui sévissait lourdement sur lui : tous les enfants mâles étaient immolés, on ne gardait que les filles6. Il y avait là une tyrannie terrible, et la Pâque

vient libérer Israël de cet esclavage. Le Père a voulu transformer la Pâque ancienne en une Pâque nouvelle où Jésus, son Fils, est

lui-même l’Agneau pascal, l’Agneau immolé qui porte sur lui le péché du monde et libère les hommes de l’esclavage du péché. La Pâque était le passage de Dieu, et l’Eucharistie est pour nous la nouvelle Pâque, notre Pâque, où c’est Jésus lui-même qui se donne en nourriture, comme l’Agneau

pascal. Il faut toujours se rappeler cela, puisque nous pouvons avoir là une certaine intelligence du

mystère. Si Dieu a voulu que le repas eucharistique soit préparé longtemps à l’avance par la Pâque ancienne, c’est pour nous faire comprendre que l’Eucharistie est pour nous ce passage de Dieu qui nous libère des conséquences du péché — ce dont nous avons toujours besoin car ces conséquences sont tyranniques, elles nous saisissent et nous empêchent d’être complètement à Dieu. On se replie

sur soi-même et on s’inquiète de ce qu’on va devenir, au lieu d’être tout entier tourné vers Dieu. Il y

a quelque chose de très grand dans cette longue préparation, qu’il ne faut jamais oublier puisqu’elle nous est donnée. Jésus a d’abord vécu avec les Apôtres la Pâque juive, et du fait même qu’il l’a vécue il a donné à cette Pâque un sens nouveau. C’était déjà extraordinaire de voir Jésus, le Fils du Père, vivre la Pâque juive, mais ce n’était pas suffisant, et s’il la vivait c’était pour lui donner une signification

nouvelle et intérieure. Il fallait que cette Pâque ancienne soit complètement transformée.

1 Voir Lev 23, 5. 2 Voir Ex 12,3-11. 3 Cf. Jn 1,29 et 36. 4 C£ SAINT Thomas, Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, n° 1728. 5 Voir Ex 12,12 sq. 6 Voir Ex 1,16-22.

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C’est très étonnant de voir cela, parce que cela nous fait comprendre que tout ce qui a été

vécu avant le Christ dans l’histoire du peuple juif est repris et transformé par lui. A tout il donne une signification nouvelle, et c’est comme cela qu’il faudrait comprendre les tables de la Loi. Moïse a donné la Loi, mais Jésus l’a transformée, et nous, nous répétons trop facilement la Loi comme Moïse l’a donnée en oubliant que cette Loi, reprise par le Christ et complètement transformée par lui, doit être lue à travers le mystère de son amour. La Pâque juive était une intervention directe de Dieu pour son peuple ; la Loi aussi était une intervention de Dieu, mais par le moyen d’une loi : il y a donc une médiation. Et Jésus, le médiateur par excellence, « médiateur d’une alliance nouvelle »', n’a cessé de montrer le passage de la Loi à l’amour, et il a transformé la Pâque en l’Eucharistie. Il y a là quelque

chose de très important à bien saisir : la manière dont Jésus a transformé la Loi et la manière dont il a transformé la Pâque.

Le Père a voulu que la venue de son Fils soit préparée pendant 2000 ans pour que l’on comprenne mieux que Jésus reprend tout à travers son amour. C’est très visible dans le récit que saint Jean fait du repas pascal (même s’il ne mentionne pas l’institution proprement dite de l’Eucharistie). Jésus prend le repas pascal avec ses disciples et, après avoir fait le geste très significatif du lavement

des pieds, il réalise une nouvelle Pâque : l’agneau n’est plus seulement un animal offert à Dieu pour montrer qu’on invoque son assistance, c’est le Christ lui-même offert sur la Croix — et là on voit bien la transformation complète de la Pâque. On peut ici se poser une question très délicate du point de vue théologique : Pourquoi Dieu at-il voulu que le dernier geste communautaire du Christ, son dernier geste d’enseignement, l’institution de l’Eucharistie, soit avant la Croix? La Croix est la réalisation de l’offrande de l’Agneau, mais l’Eucharistie a été instituée avant. Pourquoi? Je me suis toujours posé cette question2, et l’encyclique du Saint-Père nous demande d’aller toujours plus loin pour essayer d’entrer vraiment dans le mystère de l’Eucharistie.

Par la présente encyclique, je voudrais raviver cette « admiration » eucharistique [voilà ce que le Saint-Père nous demande : raviver cette « admiration » eucharistique], dans la ligne de

1 He 9,15 et 12,24. Cf. 8,6.1 Tm 2,5. 2 Nous nous permettons de citer ici un extrait d’une conférence du père Marie-Dominique Philippe donnée à SaintJodard en 1999 : « Jésus anticipe sa mort par l’institution de l’Eucharistie, et donc sa mort, à travers cette institution, est vécue prophétiquement, dans une totale confiance en le Père. C’est le sacerdoce royal du Christ, ce sacerdoce filial à l’égard du Père, qui réalise ce mystère avant la Croix ; le Père a une totale confiance en le Fils et il lui permet de réaliser symboliquement, mais divinement — d’un symbolisme divin —, le mystère de la Croix. En instituant l’Eucharistie le Christ réalise le mystère de la Croix dans ce qu’il a d’éternel, au-delà du temps ; en effet le mystère de la Croix a quelque chose qui est dans le temps, et en ce sens il ne se répète pas : “ une fois pour toutes ” (He 7, 27 ; 10, 10 et 14) le Christ est mort sur la Croix ; mais il y a aussi l’of&ande de son corps au Père, dans l’obéissance (cf. Jn 14, 31), et cet acte intérieur d’amour, d’adoration, devance prophétiquement la Croix. (...) On peut alors aller encore plus loin dans l’interrogation : Pourquoi Jésus devance-t-il le mystère de la Croix ? Nous avons déjà donné une raison théologique importante : Jésus a devancé prophétiquement la Croix pour nous faire comprendre, par ce point de vue prophétique, ce qu’il y a de capital dans le mystère de la Croix : l’offrande de sa propre vie ; cela peut être prophétiquement devancé alors que l’offrande sanglante ne le peut pas, parce qu’elle est dans le temps (c’est le réalisme de l’offrande). Mais il y a peut-être une autre raison. Comme Marie, à Cana, a devancé le miracle (transformation de l’eau en vin) par le désir de son cœur, n’y a-t-il pas dans l’Eucharistie comme un signe (un signe divin) de l’ardeur du cœur du Christ ?(...) Ce que Jésus réalise symboliquement (d’un symbolisme divin) dans un sacrement, il le réalise réellement, parce que Dieu voit la réalité avant le signe. Nous, nous voyons le signe avant la réalité, mais c’est parce que nous voyons tout de travers ! alors, dans le sacrement, nous voyons le signe avant la réalité ; dans la foi nous “ touchons ” le corps du Christ, et par notre regard nous voyons le signe. Mais le Père, lui, voit la réalité du mystère, et c’est dans cette réalité du mystère qu’il voit le signe. Or c’est pour le Père que Jésus fait cela ; c’est la hâte de son cœur. L’Eucharistie ne nous fait-elle pas comprendre cette hâte ? A cause de cette hâte Jésus réalisera le mystère de la Croix d’une manière autre que s’il n’y avait pas eu cette hâte divine. C’est une hâte d’amour, toute d’amour. (...) L’institution de l’Eucharistie n’est pas une préparation à la Croix, c 'est la Croix mystiquement, mystérieusement ».

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l’héritage du Jubilé que j’ai voulu laisser à l’Eglise par la lettre apostolique Novo millennio ineunte et par son couronnement marial Rosarium Virginis Mariae. Contempler le visage du Christ, et le contempler avec Marie, voilà le «programme » que j’ai indiqué à l’Eglise à l’aube du troisième millénaire, l’invitant à avancer au large sur l’océan de l’histoire avec l’enthousiasme de la nouvelle évangélisation.1

Le Saint-Père nous indique là quelque chose de très important : le lien entre l’Eucharistie et Marie, et il me semble que cela nous indique la route que nous devons suivre. Qu’a été l’Eucharistie pour Marie ? C’est la seule manière pour nous de comprendre profondément l’Eucharistie, parce que l’Eucharistie est pour Marie en premier lieu. L’Eucharistie ne peut être pleinement saisie —je veux dire : nous ne pouvons entrer dans l’intention du Père, dans l’intention de Jésus — que si nous

regardons l’Eucharistie pour Marie, et par là pour tous les enfants de Marie. Le Saint-Père nous le dit. C’est peut-être ce qu’il y a de plus secret dans son encyclique, et c’est dit très discrètement... et c’est, me semble-t-il, la grande lumière : essayer de comprendre l’Eucharistie par rapport au mystère de Marie. Le Père a choisi Marie pour être la Mère de Jésus, la Mère du Fils bien-aimé, la Mère du

Verbe. C’est le plus grand service que le Père pouvait lui demander, un service qui dépasse tous les autres et qui est un service d’amour, puisque la maternité est déjà en elle-même un service d’amour. Si on ne voit pas cela, on ne la comprend plus. La maternité est un service d’amour, et le plus grand

des services. Le serviteur donne son temps, il donne ses capacités, mais il ne donne pas son corps. Par le travail il donne quelque chose de son corps, c’est sûr ; il ne donne pas seulement de son temps, il donne de ses forces, de son agilité, il donne de son intelligence. Dans la maternité, la femme est

mobilisée par Dieu pour permettre à un être nouveau, un petit enfant, de naître ; et c’est une vraie mobilisation, non seulement parce que, durant le temps où elle attend son enfant, elle ne peut plus

faire tout ce qu’elle faisait avant, mais aussi parce que c’est un service immanent qui la saisit de l’intérieur et qui exige d’elle le don de son corps. La mère se donne entièrement au petit enfant qu’elle attend. Et voilà que Dieu demande à Marie d’être la mère du Fils bien-aimé. C’est de sa part une

demande extraordinaire, qui nous fait comprendre la confiance que Dieu a dans la mère au niveau

humain. Notre humanité a connu cette gloire, que Marie ait été mobilisée par Dieu pour être la mère du Fils bien-aimé. Il ne faut jamais oublier cela, car cela donne à toute maternité humaine une

noblesse, une grandeur, que seul le chrétien peut comprendre et qui transforme ce service en un

service d’amour éminent Car si Marie a accepté cela, si elle s’est remise entièrement au bon plaisir de Dieu, c’est dans l’amour qu’elle l’a fait parce qu’elle aimait Dieu : « Qu’il me soit fait selon ta parole »2. Elle se livre entièrement à Dieu, et comme Dieu voudra. Elle avait exprimé le désir que cette maternité soit parfaite selon le bon plaisir de Dieu en disant : « Je ne connais pas d’homme »3. C’était à Dieu de choisir qui serait l’époux de Marie. « Je ne connais pas d’homme » : il y a là une

demande de Marie... et Dieu répond que c’est l’Esprit Saint. Marie devient l’épouse de l’Esprit Saint pour la maternité de Jésus. Elle se livre complètement à Dieu dans sa foi, son espérance et son amour. Elle se livre à Dieu jusque dans tout son corps, pour qu’il fasse d’elle ce qu’il veut. Ce service de la maternité de Marie s’achève à la Croix. Dans le mystère de l’Annonciation et à Noël, ce service est joyeux, de la plus gr ande joie qui puisse exister. Pour Marie, petite enfant qui

adorait Dieu, entrer dans cette intimité avec son Dieu est prodigieux, c’est quelque chose 1 L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 6. 2 Le 1,38. 3 Le 1, 34.

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d’infiniment grand. Et Marie entre dans ce mystère sans le diminuer : « Qu’il me soit fait selon ta parole » ; elle remet à Dieu toute la responsabilité de cette maternité en acceptant d’avance tout ce

que Dieu lui demandera. Et la maternité divine de Marie s’achève à la Croix. S’il arrive qu’on souffre quelque chose d’un peu analogue à ce que Jésus a pu souffrir à la Croix, on redevient plus

petit qu’un petit enfant, on entre dans une petitesse, une pauvreté, un dépouillement uniques. Jésus crucifié est le plus pauvre de tous les hommes. Aucun homme n’a connu cette pauvreté, et donc cette petitesse, de Jésus à la Croix : il est réduit à rien... Et Marie a vécu ce mystère unie à son Fils, pour le Père ; car c’est le Père qui lui demandait cela à travers l’ange Gabriel. Chaque fois que le Père nous demande un service particulier — bien inférieur, certes, à ce service-là qui est un service substantiel où la mère est là totalement pour son enfant —, le Père répond avec une gratuité et une magnificence extraordinaires. Cela, nous le verrons au Ciel ; là nous comprendrons comment le Père nous répond en Père divin, en nous faisant un don bien supérieur au nôtre. Dieu ne se laisse jamais vaincre en magnificence, en générosité.

Alors, pour Marie, quelle est la réponse du Père ? Que Marie soit la Mère de toute l’Eglise,

c’est déjà une réponse. Quand Jésus, en regardant Jean à la Croix, dit à Marie : « Voici ton fils », le

Père lui fait comprendre qu’en étant la Mère de Jean elle devient la Mère de toute l’Eglise. C’est de la part du Père une réponse magnifique, mais c’est encore un service qu’il lui demande. C’est un service d’amour, qui exprime donc la confiance que le Père a en Marie en lui donnant tous les membres de l’Eglise pour qu’ils soient ses enfants, ses petits enfants. Mais c’est encore un service. Marie est petite servante de Dieu à l’égard de Jésus, à l’égard de Jean, à notre égard. Ce n’est donc pas une réponse de pure reconnaissance d’amour. Là posons-nous une question, et c’est à chacun d’entre nous de comprendre car ce n’est pas

dit dans l’Ecriture ; mais il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dites dans l’Ecriture et que

l’Esprit Saint veut que nous découvrions. Posons-nous donc cette question : L’Eucharistie n’est-elle pas la réponse du Père à la générosité de Marie, au service de sa maternité divine ? Et là, tout est gratuit, et c’est vraiment un don substantiel. Marie a donné son sang, elle a donné son corps pour la

formation du corps de Jésus, elle a été, par l’Esprit Saint, la source de l’humanité du Christ, source réelle et maternelle. La réponse du Père, toute gratuite, c’est que Jésus lui-même donne à Marie son corps formé par elle et transformé par Dieu. Marie donne à Jésus un corps humain que Dieu transforme pour en faire un corps divin, et l’Eucharistie donne à Marie ce corps divin. N’est-ce pas la réponse du Père à Marie ? et cela nous aide à comprendre ce que le Saint-Père suggère dans le

magnifique chapitre VI de son encyclique en nous parlant de « Marie, “ Femme eucharistique ” ». Quand nous regardons l’Eucharistie, n’oublions pas Marie (comme nous le recommande Jean Paul II1), puisque c’est pour elle que le Père a voulu ce miracle si extraordinaire. Transsubstantier le

pain en le corps du Christ, c’est le plus grand des miracles. Et ce miracle est fait pour Marie, comme la transformation de l’eau en vin à Cana est la réponse de Jésus à la prière de Marie. En lui répondant : « Mon heure n’est pas encore venue »2, Jésus nous indique bien que c’est à cause de

Marie, à cause de la prière de Marie — « Ils n’ont plus de vin » — que le miracle a eu lieu. Ce miracle de Cana prépare — même si c’est de très loin — le grand miracle de l’Eucharistie, qui est le

1 Voir chapitre VI, n° 53. Cf. Conclusion, n° 62 : « Mettons-nous surtout À l'écoute de la très sainte Vierge Marie en qui, plus qu’en quiconque, le Mystère de l’Eucharistie resplendit comme mystère lumineux. En nous tournant vers elle, nous connaissons la force transformante de l'Eucharistie. En elle, nous voyons le monde renouvelé dans l’amour. En la contemplant, elle qui est montée au Ciel avec son coips et son âme, nous découvrons quelque chose des “ cieux nouveaux ” et de la “ terre nouvelle ’’ qui s’ouvriront à nos yeux avec le retour du Christ. L’Eucharistie en est ici-bas le gage et d’une certaine manière l'anticipation : “ Veni, Domine lesu ! ” (Ap 22,20) ». 2 Jn 2, 4.

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plus grand des miracles, et ce miracle est fait pour nous qui sommes les enfants de Marie : nous en sommes témoins.

Mais ce miracle est d’abord pour Marie, notre Mère : le Père la remercie de sa maternité divine. La mère est liée à son enfant à cause du corps, puisque Pâme vient directement de Dieu ; c’est donc le corps qui réalise le contact entre la mère et l’enfant. Mais dans le cas de Jésus, la mère est en contact avec un corps qui est assumé par le Verbe, et donc qui devient un corps divin, saisi par la vie même de la seconde personne de la Très Sainte Trinité, le Verbe. Découvrir que l’Eucharistie est donnée à Marie pour la remercier de sa maternité divine

donne une grande lumière. Marie est la plus pauvre de toutes les mères. Déjà aux mères humaines il est demandé une grande pauvreté, car leur lien avec leur enfant est quelque chose de très grand ; le

petit enfant est totalement donné à sa mère, et c’est pour cela que la mère est si avide du premier

sourire de son enfant pour elle. Mais la grandeur de ce lien entre la mère et l’enfant entraîne une très grande pauvreté pour la mère puisque, en grandissant, l’enfant échappe de plus en plus à sa source et s’en éloigne. Dans le cas de la maternité divine, le Fils de Marie ne s’est jamais éloigné d’elle, et plus il a grandi, plus il a été lié à elle, tout en l’entraînant dans une grande pauvreté. Marie, dans sa maternité, est infiniment pauvre, il n’y a de sa part aucun accaparement, parce qu’elle sait très bien

qu’elle n’a aucun droit sur son Fils : elle est une petite créature et Jésus est Dieu. Déjà, quand Jésus,

à douze ans, reste au Temple sans avoir averti ses parents, la réponse de Jésus à la réaction maternelle de Marie est : « Ne fallait-il pas que je sois tout entier aux affaires du Père ? »'. Certes Jésus reste lié à sa Mère, d’un lien divin, mais il est avant tout lié au Père, au bon plaisir du Père sur lui, ce qui exige de Marie une très grande pauvreté, un très grand dépouillement. Dieu est « sensible » à ce dépouillement, à cette pauvreté, et il répond à Marie par le mystère de l’Eucharistie, qui est pour elle. C’est la réponse d’amour du Père remerciant Marie de tout ce qu’elle a fait pour

nous, la remerciant de toute sa pauvreté.

1 Le 2,49.

101

2ème conférence

L’Eucharistie, mystère de la foi

le 16 novembre 2003

L’Eucharistie, mystère de la foi chrétienne : c’est un sujet très important, parce qu’on a

toujours tendance à ramener les choses à un mode humain sous prétexte que c’est plus facile à comprendre. Mais la théologie n’est pas faite pour ramener le mystère à un mode humain. Au contraire elle est faite pour montrer la transcendance de la parole de Dieu. Mais comme elle donne des comparaisons, des analogies, on a tendance à « posséder » ces comparaisons, ces analogies, ce qui permet d’avoir une foi plus « confortable ». Mais une foi plus confortable n’est pas la foi sous le

souffle de l’Esprit Saint par le don d’intelligence et le don de sagesse. Les dons du Saint-Esprit, nous les avons tous — tout baptisé qui garde la grâce de son baptême, et qui reste dans l’amour du Christ, a en lui les sept dons du Saint-Esprit —, mais beaucoup de chrétiens et de chrétiennes ne vivent pas assez sous le régime de ces dons qui, loin de ramener le mystère à une compréhension humaine, sont

au contraire là pour nous montrer ce qu’il y a de divin et de transcendant dans la parole de Dieu.

C’est très différent, c’est même juste l’inverse : d’un côté on humanise, de l’autre on essaie de contempler. Car nous ne pouvons vivre du mystère de Dieu qu’en le contemplant, et la contemplation chrétienne, parce qu’elle est une contemplation dans l’amour, est donc pratique et elle modifie toute notre vie en nous aidant à être plus profondément chrétiens. Comprenez bien : quand je parle de contemplation, il ne s’agit pas du tout de faire comme Platon, c’est-à-dire de regarder les « choses en

soi », les « Idées », en ne s’occupant plus du tout des choses réelles. La contemplation chrétienne est réaliste, d’un réalisme divin qui nous saisit dans toute notre vie humaine et nous fait vivre une vie qui

est divine mais plus profondément humaine que si nous n’avions pas la foi. Car l’humain, puisqu’il vient de Dieu, n’est pas contre Dieu ; il doit au contraire s’ouvrir au mystère divin et par là devenir plus profondément humain. Le grand mystère de notre vie chrétienne, c’est l’Eucharistie. Pourquoi? parce que l’Eucharistie est essentiellement liée à la Croix du Christ et que l’offrande que Jésus réalise à la

Croix est le grand mystère de notre vie chrétienne. Plus nous essayons de pénétrer dans le mystère de

l’Eucharistie, plus nous comprenons que ce mystère est tout entier relatif à celui de la Croix et qu’il nous en donne un sens toujours plus profond. Jésus a institué l’Eucharistie juste avant sa Passion, et cela, c’est voulu par la sagesse divine. Comme le dit saint Paul, le Christ crucifié est « puissance de Dieu et sagesse de Dieu »*. Nous devons revenir toujours, tout le temps, à cette sagesse de la Croix2, quand nous sommes dans la douleur, la souffrance, ou quand nous sommes dans la joie, puisque la Croix est inséparable du mystère de la gloire3. On ne peut jamais s’arrêter à la Croix. On doit, à 1 1 Co 1,24. 2 Voir 1 Co 1,17-2, 16. 3 Cf. 1 Pe 4, 13 : «Selon que vous avez part aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, pour que, lors de la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez et exultiez ».

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travers la Croix, adhérer à la gloire du Christ, parce qu’autrement on s’enferme dans la négation. De

fait la Croix a été une négation terrible : les grands prêtres et les docteurs d’alors ont nié Jésus et l’ont rejeté. Il y a cela dans la Croix : un rejet de la part des hommes. Mais en réalité, Dieu répond à ce rejet des hommes par sa miséricorde, et il nous comble de sa miséricorde par le mystère de l’Eucharistie, qui nous fait vivre à la fois le rejet de la Croix et le mystère de la gloire du Christ. C’est cela qui est si étonnant dans l’Eucharistie : elle nous fait vivre la Croix du Christ. Chaque fois

que le prêtre célèbre la messe il doit être uni à la Croix du Christ, comme saint Jean ; et chaque fois aussi, il doit vivre du mystère de la Résurrection1. C’est Jésus ressuscité, Jésus glorieux, Jésus

victorieux de la mort, qui lui est donné, et c’est pour cela que l’Eucharistie est un mystère de vie

d’une façon extraordinaire. Ce n’est pas un mystère de mort, c’est un mystère de vie, c’est vivre de la Résurrection du Christ à travers sa mort. Ces deux grands aspects du mystère de l’Eucharistie sont

inséparables. Essayons donc de mieux comprendre comment le mystère de l’Eucharistie réclame de nous, chrétiens, une foi plénière, une foi toute divine — autrement on se bute. J’ai connu des prêtres qui, n’étant pas allés assez loin dans la foi en l’Eucharistie, se sont butés : « C’est impossible d’y croire », et ont essayé d’arranger les choses en disant : « Je n’ai pas compris ». Je pense entre autres à

quelqu’un qui avait vraiment la foi mais qui aimait énormément la logique — c’était tout, pour lui ! —, or l’Eucharistie est justement un mystère où la logique ne peut rien nous dire : c’est un audelà de la logique, c’est une sagesse, c’est un mystère. C’est pour cela que les enfants aiment tellement l’Eucharistie ! Instinctivement — d’un « instinct divin »2, comme dirait saint Thomas3 —, ils sont portés vers l’Eucharistie. Et mon frère, le père Thomas, me disait à propos des pauvres auprès

de qui il étaitavec Jean Vanier : « C’est très frappant, de voir que ces gens, qui souvent n’ont pas une intelligence très développée, ont un sens extraordinaire de l’Eucharistie. L’Eucharistie, pour eux, c’est tout ». Et c’est vrai, l’Eucharistie est le sacrement des pauvres. (...) L’Eucharistie est un sacrement de pur amour et l’intelligence humaine ne peut rien y comprendre. Vraiment, elle ne peut rien y comprendre ! Je connais des théologiens qui essaient de comprendre, mais on ne peut pas : c’est un langage d’amour. Le langage d’amour est très compréhensible pour celui qui aime ; mais pour la science, et pour les mathématiques, il est terrible.

Pourquoi ? parce que c’est du pain et que, substantiellement, ce n’est plus du pain à partir des paroles de la consécration. De même pour le vin : du point de vue extérieur, du point de vue sensible, rien n’est changé. La première fois qu’on célèbre la messe on découvre, si on la célèbre avec beaucoup d’amour, que le mystère de l’Eucharistie est vraiment un mystère de pur amour. C’est pour cela que les enfants, les pauvres, les handicapés, aiment tellement l’Eucharistie, parce que c’est du pur amour.

Jésus nous aime tellement qu’il a voulu se donner de la manière à la fois la plus simple et la plus

éloquente, la plus extraordinaire. Il pouvait faire cela, lui qui est tout-puissant : changer la substance du pain en la substance de son corps, réaliser une transsubstantiation, sans que rien soit changé au niveau des apparences. C’est bouleversant, cela ; et notre foi adhère à ce mystère de transsubstantiation4. Au Concile Vatican II, un dominicain voulait à tout prix que le Saint-Père change le mot « transsubstantiation », et il faisait une proposition. Il la faisait avec une très bonne intention pour

1 Cf. Phi 3, 10 : « ... afin de le connaître, lui et la puissance de sa résurrection, et la communion à ses souffrances, en me rendant conforme à sa mort ». 2 Voir Somme théologique, I-ü, q. 68, a. 1, c., où saint Thomas se réfère à Aristote. 3 Saint Thomas aime parler de «l’instinct du Saint-Esprit». Voir entre autres Commentaire de l'Epître aux Romains, n° 635 (à propos de Ro 8, 14) ; Commentaire de l’Evangile de saint Jean, n° 1909. 4 Voir JEAN Paul II, Ecclesia de Eucharistia, n° 15.

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enlever le scandale, pour que ce soit plus accessible, dans un langage que tout le monde puisse

comprendre... mais alors il supprimait le mystère. Il voulait qu’on n’emploie plus le mot « transsubstantiation ». Ce mot, ce n’est pas saint Thomas qui l’a inventé, il existait déjà et saint Thomas l’a repris en théologien pour bien montrer que le pain n’est plus du pain, que c’est le corps du Christ. Rien n’est changé, les « accidents » (tout ce que je peux voir, tout ce que je peux toucher)

restent les mêmes. Mais quand le prêtre, tenant le pain entre ses mains, prononce les paroles du Christ, à ce moment-là ce n’est plus du pain, c’est le corps de Jésus, la substance du pain est changée en celle du corps de Jésus. Cela, c’est la foi qui me le dit, la foi toute pure1, une foi tout aimante, vraiment une foi d’enfant du Père. Ce théologien était très œcuménique et avait un grand zèle apostolique, mais le zèle apostolique doit garder le mystère et le mettre en pleine lumière. Ce sont les

enfants qui ont besoin qu’on leur donne la nourriture, et Jésus a voulu être lui-même nourriture, ce qui est le service le plus absolu. Il a voulu être pour nous le pain, et aussi le vin qui, comme dit le Psaume, « réjouit le cœur de l’homme »2. Ce théologien proposait de remplacer « transsubstantiation » par « trans-signification » ou « trans-finalisation », et il prenait l’exemple du thé : je cueille les feuilles de thé, je les fais sécher, quand elles sont bien sèches je les mets dans l’eau

bouillante, puis je sers le thé ; c’est toujours du thé, sous des modalités differentes. Il n’y a pas de transsubstantiation, il y a simplement un usage différent. C’est vrai : autre chose est regarder les feuilles de thé, autre chose boire le thé. Et quand on boit le thé, on ne pense pas beaucoup aux feuilles, à la plante. Pour ce théologien, c’était simple : l’Eucharistie, c’est Jésus qui se donne à nous sous des formes differentes; il ne s’agit que de formes. Il y avait donc uniquement une manifestation, il n’y avait plus la réalité. Le Saint-Père —c’était alors Paul VI—, ayant eu

connaissance de ce papier qui avait été distribué à tous les pères du Concile dans le but d’aider les protestants à s’approcher davantage du sacrement de l’Eucharistie, a compris qu’il ne fallait pas discuter. Il a retiré cela des discussions du Concile et a décidé d’écrire une encyclique3. Cela a fait

beaucoup de bruit : le Pape, pendant un Concile, a-t-il le droit de se séparer des pères et de parler en son nom ? L’infaillibilité du Pape ne devrait-elle pas s’effacer pendant un Concile et être remise aux pères du Concile ? Ce sont des discussions très actuelles : l’autorité n’appartient-elle pas davantage au peuple de Dieu qu’au Pape ? Mais l’infaillibilité aussi est objet de foi4, et un objet de foi qui n’est pas commode !

La foi n’est jamais « commode », elle n’est pas un fauteuil ! Mais pour le croyant, docile à l’Esprit Saint, croire à l’Eucharistie est quelque chose de merveilleux, c’est être un petit enfant de Dieu : Dieu m’aime tellement qu’il veut que je le mange ! Je pense toujours aux mamans italiennes, quand elles ont leur petit enfant dans les bras : l’enfant leur mange les joues et la mère dit : « Mangemoi, mange-moi ». Le cœur de Dieu est bien plus tendre que celui de toutes les mères, et il veut que

nous comprenions enfin son amour. Or le tout petit enfant ne comprend que ce qu’il mange. Boire, manger, est la première connaissance qu’a l’enfant, une connaissance très intime. L’enfant veut

toujours sucer, et cela exprime quelque chose : la première connaissance est comme cela. Notre corps 1 Voir SAINT THOMAS D’AQUIN, Lauda Sion : « Ce dogme est donné aux clirétiens que le pain se change en chair et le vin en sang. Ce que tu ne comprends ni ne vois, une ferme foi te l’assure, hors de l’ordre naturel » (Prières de saint Thomas, Chalet, Paris 1992, pp. 48-49) ; Pange Lingua : « Le Verbe fait chair, par son verbe change du vrai pain en sa chair, le vin devient le sang du Christ, et si les sens défaillent, pour affermir un cœur sincère, la foi seule suffit » (op. cit., p. 57) ; Adora te : « Vue, toucher, goût sont ici déroutés, mais par l’ouïe toute seule ma foi se rassure. Je crois tout ce qu’a dit le Fils de Dieu, rien n’est plus vrai que ce verbe de Vérité » (op. cit., p. 59). Voir aussi Somme théologique, III, q. 75, a. 1. 2 Ps 103, 15. Cf. Jug 9, 13 ; Pr9, 1-6 ; Sir 31, 27-28 ; Zach 10, 7. 5 Voir PAUL VI, Mysterium Fidei, Editions Saint-Michel, 1965, pp. 8-10 et 35-42. Voir aussi Catéchisme de l'Eglise catholique, n“ 1374-1376. 4 Voir Catéchisme de l'Eglise catholique, nos 889-891.

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fait de nous, au point de départ, des mendiants de la connaissance en mangeant... Et Dieu s’est adapté jusque-là, dans l’Eucharistie il est allé jusque-là. C’est l’extrême de l’Incarnation. Il fallait que le Fils de Dieu s’incarne pour se donner, et il fallait qu’il meure sur la Croix pour se donner ainsi. C’est extraordinaire, de voir l’amour de Dieu pour nous aller jusque-là. Le Fils se fait le serviteur par excellence, lui qui comme Dieu est Créateur. Il a voulu assumer le corps humain pour pouvoir se donner comme pain et comme vin. C’est vraiment ce qu’il y a d’extrême dans la foi : au niveau des apparences — tout ce que je vois du pain, tout ce que vois du vin, tout ce je goûte du pain

et du vin —, rien n’est changé ; et la réalité, c’est le corps du Christ. Le croyant adhère à cela dans la foi afin d’entrer jusqu’au bout dans l’amour de Jésus et l’amour du Père. La toute-puissance de Dieu est au service de son amour, et dans l’Eucharistie il la met au

service de ce don ultime. Il se donne comme pain, il se donne comme vin pour être ce qui va nous aider à être chrétiens jusqu’au bout. Si nous ne prenons pas le corps du Christ comme nourriture, si nous ne prenons pas le sang du Christ comme breuvage, nous n’aurons pas le courage, ni la force, d’aller jusqu’au bout. Pour être fidèle il faut se nourrir du Christ, l’aimer tellement et recevoir tellement son amour qu’il puisse se donner à nous ainsi, même si nous n’y comprenons rien. Il faut accepter de ne rien comprendre si ce n’est cette « logique de l’amour » qui n’a rien à voir avec la logique mathématique. La logique mathématique est rivale de l’amour parce qu’elle veut tout expliquer, et c’est le grand défaut d’aujourd’hui dans lequel on est entraîné : on veut expliquer ce qui

est objet de foi. Mais Jésus nous dit : « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu »'. C’est net, ce que Jésus dit là : « Si vous ne devenez pas

comme des tout-petits ». Les tout-petits croient d’une façon extraordinaire, et pour eux c’est facile parce que c’est l’amour. L’Eucharistie ne peut se comprendre que par l’amour. L’amour réalise des folies, on le sait bien, surtout quand il s’agit de l’amour de Dieu. Déjà les hommes, quand ils sont amoureux, font des folies... mais souvent des folies capricieuses qui font souffrir les autres ; l’amour

humain est comme cela, il nous fait perdre la tête, la raison. Dieu, Père de l’amour, source de tout

amour, veut nous éduquer à l’amour, aux mœurs de l’amour, et c’est pour cela que, dans sa sagesse, il a réalisé l’Eucharistie, il a inventé l’Eucharistie. Personne n’a conseillé à Dieu de réaliser

l’Eucharistie, après l’Incarnation qui est déjà quelque chose de si extraordinaire. L’Incarnation est en effet quelque chose d’inouï : Dieu qui prend une nature humaine, âme et

corps, qui assume la nature humaine au point que cette nature humaine lui est associée dans la plus grande de toutes les unités... Saint Thomas écrit à ce sujet dans sa Somme théologique un article splendide, montrant que c’est la plus grande unité qui soit : l’unité de la nature divine et de la nature humaine dans la « subsistance » du Verbe, autrement dit dans la personne du Verbe2. Il a voulu que

la nature humaine soit unie à la nature divine dans la subsistance du Verbe, ce qui est la plus grande

des unités. On ne peut pas aller plus loin. Dieu aime tellement l’homme qu’il veut que l’homme lui soit uni dans l’unité personnelle de sa subsistance, c’est-à-dire de sa personne. Cela dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Et le mystère de l’Incarnation est en vue de la Rédemption, de la Croix, et la Croix est en vue de l’Eucharistie. L’Eucharistie, qui n’existe que grâce à la Croix, nous est donnée non seulement pour nous purifier, mais pour nous faire entrer dans la gloire de Dieu3, pour faire de nous ses enfants'. C’est pour cela que Jésus a vécu la Croix, et il nous a donné l’Eucharistie pour que nous puissions vivre le mystère de la Croix d’une façon tout intime, toute personnelle, en excluant le

grand regret qui pounait nous venir à l’esprit : nous n’avons pas été présents à la Croix du Christ, 1 Mt 18, 3. 2 Voir 111, q. 2, a. 9 ; cf. I. q. 25, a. 6, ad 4. 3 Cf. Le 24, 26.

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seuls quelques-uns y ont été présents, notamment Marie et Jean, et pas nous, alors que c’est le moment où Jésus s’est complètement donné à nous, où il a manifesté l’infini de son amour pour nous. Mais ce regret, nous ne pouvons pas l’avoir puisque Jésus a institué pour nous l’Eucharistie, a voulu être pour nous l’Agneau pascal. Déjà dans l’ancienne Alliance l’agneau pascal était là pour faire l’unité : la Pâque faisait l’unité du peuple juif autour de l’agneau pascal, qui annonçait

symboliquement celui dont Jean-Baptiste, qui achève l’ancienne Alliance, nous révèle qu’il est « l’Agneau de Dieu »'. Il y a là un symbolisme, certes, mais un symbolisme divin, et le symbolisme

divin implique toujours une réalité ; ce n’est pas quelque chose de poétique, c’est un symbolisme divin, qui contient donc une réalité. Jésus, l’Agneau pascal, se donne à nous dans l’Eucharistie. Le Christ a été crucifié, il est mort sur la Croix, et son corps est pour nous. Ce coips que Marie a reçu

quand il a été descendu de la Croix, c’est le corps de son Fils, auquel elle est tellement liée ! Et après la Croix elle le recevra dans l’Eucharistie, elle que Jésus nous a donnée à la Croix pour qu’elle soit

notre Mère. Et pour nous faire comprendre combien Marie est unie au corps du Christ et combien la vie de ses enfants, notre vie chrétienne, nous lie à ce corps divin, le Christ se donne à nous en nous

donnant son corps sous les apparences de pain, et son sang sous celles de vin. Nous n’avons pas vécu en même temps que le Christ en Palestine, nous n’avons pas été

présents à la Croix du Christ, mais nous pouvons y être mystiquement, surnaturellement. Par la foi nous pouvons y être réellement, grâce à l’Eucharistie. L’Eucharistie dépasse les limites du temps et

du lieu, et c’est la toute-puissance du Père, la toute-puissance de Dieu, qui est au service de son amour pour que nous, qui sommes très loin, deux mille ans après, puissions vivre en toute réalité, substantiellement, du mystère de la Croix et du mystère de la gloire. C’est merveilleux de croire en l’Eucharistie, c’est s’agrandir divinement, au-delà du temps, au-delà des lieux, vivre de ce qui est essentiel dans la Croix : le corps du Christ est substantiellement offert au Père comme Agneau, comme victime d’amour, son sang est versé pour nous être donné. Rien ne nous est plus donné que le pain qui nous nourrit ; rien ne nous est plus uni que ce que nous mangeons et ce que nous buvons : cela se transforme en nous dans une unité corporelle totale et complètement individuelle. C’est notre

nourriture. Je ne peux pas dire à un malade : « Ne t’inquiète pas, je vais prendre mon petit déjeuner pour toi ; tu n’as plus d’appétit mais moi j’en ai, je vais manger à ta place, pour toi ». Je ne peux pas dire cela. L’autre me regarderait et me dirait : « C’est toi qui es malade, de dire cela ! ». Il n’y a rien

de plus individuel que de manger et boire, c’est très personnel. Et voilà que Dieu, qui connaît ce qui

est le plus personnel en nous, ce qui fait corps avec notre individu, se sert de ce moyen pour nous

faire comprendre combien son amour est capable de nous transformer en lui. Déjà saint Augustin, s’adressant aux croyants de la fin du IVe siècle, mettait sur les lèvres du Christ ces paroles si fortes (comme s’il entendait sa voix) : « Grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme l’aliment de ta chair ; mais c’est toi qui seras changé en moi »2. On touche là le réalisme de saint Augustin, et saint Thomas reprend cette parole3 pour que nous comprenions bien que, quand nous communions, ce n’est pas le corps du Christ qui est transformé, c’est nous. Quand nous mangeons du pain, quand nous prenons notre petit déjeuner, nous transformons ce que nous mangeons et buvons en notre propre corps — c’est ce que fait la digestion. Alors saint Augustin, qui est un très bon père, sait que nous avons besoin qu’on précise, afin d’éviter

toute confusion : que nous ne pensions pas, quand nous communions, que nous transformons le corps du Christ en notre corps comme lorsque nous mangeons ; non, c’est l’inverse. C’est le corps du plus

1 Jn 1, 29 et 36. 2 Confessions, VII, x, 16, Bibliothèque augustinienne 13, DDB 1962, p. 617. 3 Sed tu mutaheiis in me. Voir Somme théologique, III, q. 73, a. 3, ad 2.

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vivant, le corps du Vivant1, qui transfonne le corps du moins vivant en son propre corps. Le corps du

Christ, peu à peu, nous transfonne en lui. Un jour, quand nous ressusciterons, nous comprendrons cela. Mais n’attendons pas la résurrection de notre corps pour croire qu’il sera glorifié sur le modèle du corps du Christ. Et sachons, dans la foi, que plus nos communions auront été fortes, aimantes, plus notre corps glorifié sera configuré à celui du Christ2.

C’est étonnant, cette « alchimie » divine (si j’ose dire), le réalisme extraordinaire de l’amour de Dieu. Evidemment, seule la foi me permet de dire que c’est vraiment le corps du Christ qui prend possession de mon corps, de tout moi-même. Jésus ne le fait que si je crois, si je consens à cela, parce que c’est une transformation d’amour, et que pour une transformation d’amour il faut que les deux

amis soient d’accord dans l’amour. Il faut que nous soyons d’accord pour être transformés en Jésus.

Cela ne se voit pas ! Dans ce que nous sommes, en apparence, rien n’est changé, mais tout est changé par la foi, dans la foi. La foi a un réalisme infiniment plus grand que le réalisme de mon toucher, parce que c’est un réalisme divin. Il n’y a rien de plus réaliste que Dieu parce que c’est lui qui a tout créé. Le réalisme de mon toucher n’est rien à côté du réalisme divin de la foi. Cela, nous avons beaucoup de peine à le saisir, mais si nous regardons le mystère de l’Eucharistie, nous commençons peu à peu à dire : « Oui, c’est vrai, c’est Jésus qui me transforme en lui, qui prend possession de moi-

même ...». L’Eucharistie, c’est l’éducation maternelle du Christ à notre égard. L’éducation maternelle se

fait d’abord par la nourriture. Une mère sait bien que c’est par la nourriture qu’elle garde contact avec son petit enfant, et que par là elle peut tout obtenir de lui. Dieu a créé le cœur maternel, et dans

l’Eucharistie il se sert lui-même de cette manière d’éduquer. Il a commencé à nous éduquer par la parole, parce que s’il avait voulu nous éduquer tout de suite par l’Eucharistie nous aurions dit : « Qu’est-ce que c’est que cette religion ? On mange le corps de Dieu ? ». Déjà, quand le Fils s’est incarné et est venu dire cela, beaucoup ont eu de la peine à accepter3. Il a commencé à nous nourrir

par la parole avant de nous nourrir par l’Eucharistie, parce que la nourriture spirituelle, on comprend : on lit la parole de Dieu, et on découvre qu’il n’y a rien de plus intelligent que la parole de Dieu. Je connais un savant qui dit : « Quand je relis l’Ecriture, je suis toujours émerveillé de voir que

rien n’est plus intelligent que la Bible ». C’est vrai, et Jésus nous aime à cause de notre intelligence,

mais il nous aime aussi dans notre corps, c’est lui qui l’a créé — pas directement, puisque l’homme et la femme coopèrent à la procréation, mais il l’a tout de même créé. Il a créé directement notre âme, et notre âme informe notre corps qui, lui, fait partie de l’univers physique (c’est pour cela que quand il fait trop chaud notre corps « éclate », et quand il fait trop froid il gémit). Et Dieu a voulu nous éduquer par l’Eucharistie, et là il nous demande l’offrande de notre intelligence dans la foi. Si notre

intelligence est très développée du côté des mathématiques, ce qui est très humain, il nous dit : « Il y

a quelque chose d’encore plus intelligent : c’est l’amour, et l’amour, il faut y croire ». On ne peut croire que par amour ; c’est le point de départ de toute adhésion de foi, comme l’a affirmé le deuxième Concile d’Orange en 5294, et il faut aimer beaucoup pour croire en l’Eucharistie. C’est une

1 Cf. Ap 1,18. 2 Voir Phi 3,21 : « [II] transfigurera notre corps de misère en le confoimant à son corps de gloire ». 3 Voir Jn 6, 60 : « Beaucoup de ses disciples, après avoir entendu, dirent donc : “ Ce langage est dur ; qui peut l’entendre ? ” » et 66 : « A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent d’aller avec lui ». 4 « Si quelqu’un dit que l’accroissement de la foi comme aussi son commencement, et l’attrait de la croyance [ipsum credulitalis affectum, l’amour qui nous porte à croire] par lequel nous croyons en celui qui justifie l’impie et qui nous fait parvenir à la régénération du saint baptême, ne sont pas en nous un don de la grâce, c’est-à-dire par une inspiration du Saint-Esprit qui redresse notre volonté en l’amenant de l’infidélité à la foi et de l’impiété à la piété,

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pédagogie divine étonnante, bouleversante, parce qu’il n’y a rien que nous connaissions mieux que la nourriture et la boisson. On connaît du dedans la nourriture puisqu’on la mange, et de même pour la boisson, et le petit enfant le sait bien. Tant qu’il n’a pas goûté, il ne veut pas manger. Et le Psaume nous dit : Gustate et videte, « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur »'. Ce « Goûtez et voyez » se fait par l’Eucharistie ; c’est la foi de l’enfant, du tout-petit, sous le souffle de l’Esprit Saint dans le don de sagesse2. Je me nourris d’une nourriture céleste qui vient d’en haut, qui dépasse tout. Cette

nourriture, c’est mon Dieu. N’est-ce pas extraordinaire, une religion où l’on se nourrit de son Dieu ?

L’amour ne peut pas aller plus loin dans la simplicité. Pour notre intelligence raisonnante qui veut tout connaître, c’est très difficile, et pour une intelligence entièrement mathématique, c’est terrible !

Dieu a peut-être institué l’Eucharistie pour nous corriger des mathématiques ! pour nous corriger d’une intelligence qui veut être rationnelle jusqu’au bout, afin de montrer que « l’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas»3. C’est seulement par l’amour que nous pouvons croire en l’Eucharistie, et non pas par nos raisonnements, parce que cela dépasse tout raisonnement.

mais qu’ils nous sont naturels, il s’avère l’adversaire des dogmes apostoliques» (Can. 5), in: DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, n° 375, Cerf 1996, pp. 137-138. 'Ps33,9. ‘ Le mot « sagesse » vient du latin sapientia, qui vient lui-même de sapere, « goûter ». 3 Pascal, Pensées, in L'œuvre de Pascal, la Pléiade, NRF 1936, n° 477, p. 963.

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3emc conférence

L’Eucharistie édifie l’Eglise : Eucharistie et charité fraternelle

le 14 décembre 2003

Nous devons avoir le désir de pénétrer toujours davantage dans le mystère de l’Eucharistie. Le Saint-Père a voulu lui consacrer une encyclique en cette année 2003 qui était celle du 25e

anniversaire de son pontificat, et la donner pour toute l’Eglise à la place de la lettre qu’il écrit chaque année aux prêtres pour le Jeudi Saint’ : L’Eglise vit de l’Eucharistie. Et dans cette encyclique, le

deuxième chapitre est consacré au thème dont nous allons parler aujourd’hui : L'Eucharistie édifie l'Eglise. Je vous aurais volontiers lu ce chapitre, mais j’espère que vous avez tous cette encyclique qui est courte mais très dense et très belle. Je vous recommande vivement de la lire, et c’est le fond même de ce que nous essaierons de dire ici. Non pas pour compléter ce que dit le Saint-Père mais pour, à sa suite, essayer de vous conduire à approfondir cet enseignement capital : l’Eglise vit de l’Eucharistie, l’Eglise s’édifie grâce à l’Eucharistie. Autrement dit, grâce au sacrement de l’Eucharistie l’Eglise est de plus en plus Eglise ; c’est cela qu’il faut saisir. Chacun d’entre nous fait partie de l’Eglise ; l’Eglise, c’est nous, chacun de

nous. On a trop facilement tendance à dire que l’Eglise, ce sont les curés, les moines, les

contemplatives, ce qui revient à rejeter sur les autres la responsabilité d’édifier l’Eglise. Je ne sais pas si vous vous rendez compte que chaque jour, grâce à votre vie chrétienne, grâce à l’Eucharistie que

vous recevez, vous permettez à l’Esprit Saint et à Jésus, et à Marie, de faire que l’Eglise devienne plus profondément le Corps mystique du Christ. Le mystère de l’Eglise, le mystère du Corps

mystique du Christ, n’est-il pas une réalité extraordinaire ? Le Christ veut que son mystère s’étende dans l’Eglise2...

Au commencement de l’humanité, Dieu, en créant Adam et Eve, a voulu que l’humanité soit un corps, chacun de ses membres ayant une âme. C’est ce réalisme très curieux et très grand que Dieu, le Créateur, a voulu en créant l’homme et la femme. II avait créé les anges, mais les anges sont des personnalités très solitaires. Certes chacun de nous a un ange gardien qui, comme tel, n’est pas très solitaire ! mais les anges sont très solitaires en ce sens qu’il n’y a pas entre eux une amitié

naturelle : ils ne vivent entre eux que la charité, un amour surnaturel. Vous allez me dire ; « C’est bien suffisant ». Oui, c’est bien suffisant ! mais Dieu veut pour l’homme quelque chose de plus. Les anges sont nos aînés dans la Création, ils sont plus intelligents que nous, mais nous avons quelque chose qu’eux n’ont pas : c’est l’amour naturel réciproque (l’amitié) qui existe entre deux amis, 1 Voir L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 7. 2 Voir Col 1, 18-20 : « Et il est aussi la tête du corps, de l’Eglise, lui qui est Principe, Premier-né d’entre les morts, afin qu’en tout il ait le premier rang ; car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui de se réconcilier toutes choses, pacifiant par le sang de sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux ».

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l’amour naturel qui existe entre l’époux et l’épouse, l’amour naturel que l’enfant a pour sa mère, pour son père. Chez les anges il n’y a pas cela. Chaque ange est solitaire et ils s’aiment sumaturellement,

formant ainsi une Eglise très particulière. Dieu a voulu — cela fait partie des volontés de Dieu — que l’espèce humaine, par le corps, soit plus unie. Il a voulu qu’entre l’homme et la femme, l’époux

et l’épouse, il puisse y avoir une véritable amitié, et cette amitié est transformée par la charité ; mais l’amitié véritable (un amour spirituel réciproque) n’est pas réservée aux époux ! Il y a un enracinement de la charité fraternelle dans l’amitié que tout homme et toute femme peuvent vivre, indépendamment du mariage. Il se crée aussi une certaine amitié entre le père et ses enfants, entre la

mère et ses enfants, et les parents souffrent beaucoup quand le démon arrive à faire des oppositions.

Récemment un père de famille me disait sa désolation de voir que ses enfants, en grandissant, oublient leur père et leur mère. « Ils font leur vie », comme on dit, et d’une génération à une autre il y a un décalage, surtout aujourd’hui où tout va très vite. A cause de cela les enfants considèrent facilement leurs parents comme étant de la génération antérieure — autrement dit les parents

deviennent très vite des grands-parents qu’on abandonne ; on est encore respectueux à leur égard, c’est déjà quelque chose, mais il n’y a plus beaucoup d’amour. Dieu a créé l’espèce humaine de cette manière pour qu’il puisse y avoir une amitié entre les hommes (à la différence des anges), et que cette amitié puisse être transformée par la charité. Et

l’Eucharistie est comme une confirmation au plan surnaturel, divin, de ce que la sagesse de Dieu a voulu au niveau humain, naturel, dans la création de l’espèce humaine. Parce que nous sommes dedans, nous y sommes habitués, alors nous n’y pensons pas... mais du coup nous perdons le sens de ce que Dieu a voulu pour notre espèce humaine. Dieu a voulu qu’il y ait entre nous, au-delà de la passion, une amitié, un amour réciproque. Car c’est cela, l’amitié, c’est un amour spirituel réciproque, et cet amour réciproque est comme une image de l’amour qui existe dans la Très Sainte Trinité. Dieu n’est pas seul. « Un seul Dieu tu adoreras »*, oui ! il est un seul Dieu, mais il est Dieu en trois personnes. Et ces trois personnes sont Un dans l’amour, et Dieu le Père a voulu qu’au niveau de la Création il y ait comme une image — lointaine, certes, mais une image — de ce que lui-même vit avec son Fils, avec l’Esprit Saint.

Et il a voulu tout reprendre dans le mystère de l’Incarnation. En effet, cette première intention de Dieu avait été brisée par le péché. Eve a été séduite par le serpent, elle a péché, et Adam n’a pas

osé s’opposer à elle. C’est pour cela que Dieu a été très miséricordieux pour Adam, en le laissant malgré tout « chef » de l’humanité. Après la faute, Adam est resté chef de l’humanité. Certes Jésus est source de la grâce du Corps mystique, « Tête de son corps qui est l’Eglise »2, mais Adam demeure. Et ce n’est pas très agréable pour nous, puisque du fait qu’Adam a péché nous sommes nés dans le péché originel3, étant reliés encore à Adam. Sur terre on ne s’en aperçoit pas beaucoup, parce

qu’Adam est très loin ! on ne l’a jamais vu et on ne peut pas le connaître scientifiquement. C’est donc seulement du point de vue surnaturel qu’on peut parler d’Adam et d’Eve, et accepter que Dieu ait voulu qu’Adam reste chef de l’humanité et Eve mère de l’humanité. Et Jésus est Tête de l’Eglise, et Marie Mère de tous les hommes. C’est très curieux, cette reprise divine de tout par Jésus et par Marie ; c’est une reprise d’une originalité prodigieuse ! Dieu a fait que, malgré la faute, son plan

premier sur l’humanité devienne encore plus grand. Jésus nous a été donné pour que nous comprenions davantage que nous sommes appelés à nous aimer, et que c’est le désir de Dieu, de notre Père céleste, que nous nous aimions les uns les autres ; et dans sa vie le chrétien doit être 1 Voir Ex 20,3 ; 34, 14. Deul 5, 6-9 ; 6,4-5 et 13. 2 Col 1, 18. 3 Ps 50, 7 : « Vois, dans la faute je fus enfanté, dans le péché ma mère m’a conçu ».

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particulièrement attentif à ceux qui sont autour de lui, et à tous ceux qui sont de la même génération que lui, spécialement aux plus faibles qui ont plus besoin de lui, qui ont besoin de se sentir aimés et de ne pas être seuls. Et Jésus a voulu — c’est extraordinaire — instituer un sacrement de l’amitié : l’Eucharistie. Jésus a donné à chacun d’entre nous la parole de Dieu (la Bible), il nous a donné son enseignement dans les Evangiles, et il nous a demandé de nous aimer de cette manière si étonnante : que l’amour de

charité fraternelle provienne de la même source que l’amour que nous avons pour lui. Même s’il y a deux exercices différents, aimer Dieu et aimer le prochain relève de la même vertu de charité1. C’est

très étonnant, cela ! parce que normalement, quand on aime beaucoup quelqu’un qui nous aime d’une façon très personnelle, et qu’on voit autour de lui beaucoup d’amitiés, on est un peu perdu... Dieu

veut que nous nous aimions tous, et sans jalousie puisque la source de la charité fraternelle est Dieu lui-même2 et qu’en Dieu, qui n’est qu’amour, il n’y a aucune jalousie. Mais le péché originel a eu pour conséquence la jalousie3, qui est le vice le plus terrible parce qu’il restreint l’amitié et même la

brise. Et dès qu’on voit que celui qu’on aime semble en aimer un autre plus que nous, on tombe dans la jalousie. Mais pour nous, chrétiens, c’est déjà merveilleux de savoir que Dieu a voulu que ce soit

la même charité qui nous fasse aimer Dieu et les hommes. H y a là quelque chose de renversant... Au début de l’ancien Testament, dans le Décalogue, il y a deux commandements : aimer Dieu et aimer le prochain4 ; et quand Jésus arrive, ces deux commandements s’unissent. Il le dit lui-même

ouvertement quand on lui pose la question : Quel commandement est le plus grand dans la Loi ? Quel

est le premier de tous les commandements ? « Jésus déclara : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu avec tout ton cœur, et avec toute ton âme, et avec toute ta pensée. C’est là le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements toute la Loi est suspendue, ainsi que les Prophètes. ” »5 Qu’y a-t-il de

principal dans l’Eglise ? l’amour de Dieu et l’amour du prochain, et ces deux commandements sont un6. On ne peut pas aimer Dieu si on n’aime pas le prochain7. Et le prochain, ce n’est pas toujours facile de l’aimer ! Dieu est toujours aimable, tandis que notre prochain ne l’est pas toujours. Il nous

faut alors dépasser ces apparences pour que, par Dieu, tout le prochain devienne agréable — mais, comprenons bien : par Dieu. On dit parfois : « Je vous aime beaucoup en Dieu. J’aime beaucoup le Christ qui vous aime, donc je vous aime », autrement dit : « Je suis bien forcé de vous aimer ! ». On a

presque envie de dire : « Je suis bien obligé de vous aimer, puisque Jésus vous aime ». Mais à ce

moment-là, l’amour qu’on a pour le prochain est vraiment très diminué. Notre amour pour le prochain ne sera vrai que si nous vivons du regard du Christ sur nous, qui veut que nous l’aimions et

aimions le prochain du même amour. Dieu aurait pu se réserver quelque chose d’unique. Il l’a fait

puisqu’adorer Dieu, c’est unique : je ne peux adorer que Dieu, et l’adoration est un premier amour, l’amour du petit, du tout-petit, pour Celui qui est premier et qui est tout. Mais ce qui est extraordinaire, c’est de voir que Dieu s’efface en quelque sorte quant à sa grandeur de Créateur pour

que nous puissions l’aimer et aimer ceux qu’il a créés du même amour. Et si on regarde bien l’un des 1 Voir SAINT THOMAS D’Aquin, Somme théologique, q. 23, a. 3 et q. 25, a. 1. ‘ Cf. Ro 5, 5 : « L’amour de Dieu [la charité] a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ». 3 Voir Gn 4, 3-12. 1 Jn 3, 12. 4 Voir Deut 6, 5. Lev 19,18. 5 Mt 22, 37-40. Cf. Mc 12,28-31 ; Le 10, 25-27. 6 Cf. Mt 22, 39 : « Le second lui est semblable » (cf. Mc 12, 28-31 ; Le 10, 25-28). Jn 13, 34 et 15,9-12. 1 Jn 2, 7 ; 3, 14-17 et 23 ; 4, 12 et 20-21 ; 2 Jn 5-6. 7 Voir 1 Jn 4, 20-21 : « Si quelqu’un dit : “ J’aime Dieu ”, et a de la haine pour son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et tel est le commandement que nous tenons de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère ».

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derniers écrits inspirés, la première Epître de saint Jean, on voit qu’il n’y est presque plus question que de la charité fraternelle. La charité fraternelle implique l’amour que nous avons pour Dieu. Mais comme l’exercice de la charité fraternelle est beaucoup plus difficile, saint Jean nous rappelle qu’on ne peut pas aimer Dieu si on n’aime pas son frère, et il développe longuement cela. C’est extraordinaire, de voir combien Dieu, Jésus, veut que nous aimions notre prochain.

Et Jésus, pour nous apprendre cette exigence tout à fait particulière d’aimer le prochain de

l’amour dont nous aimons Dieu, a voulu instituer lui-même un sacrement : l’Eucharistie, pour être le sacrement de l’unité de l’amour à son égard et à l’égard du prochain1. Nous recevons tous le même pain eucharistique : le corps de Jésus ; nous pouvons tous boire au même vin, transsubstantié dans le sang du Christ. Nous pouvons participer ensemble au repas eucharistique qui est le même pour tous,

tellement le regard du Christ sur nous veut nous unir. Ce n’était pas suffisant de proclamer : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »2, ce n’était pas suffisant de dire que celui qui aime Dieu doit aimer le prochain ; il fallait un sacrement qui nous éduque à cela, un sacrement qui nous unisse dans le corps et le sang du Christ. Il fallait que nous connaissions avec notre prochain

cette unité : prendre avec lui la même nourriture divine. Déjà nous avons avec le prochain le même enseignement : il n’y a pas une école pour les débutants et une autre pour les plus grands croyants, c’est la même parole de Dieu pour tous les croyants, qu’ils soient maîtres en théologie ou premiers

communiants. Là aussi, c’est la même nourriture. Dans une grande famille, il y a la table des enfants

(surtout pour le soir) et la table des grandes personnes ; mais il n’y a pas du tout cela au niveau surnaturel ! Dans l’ordre surnaturel nous avons tous la même nourriture : Jésus3. Et cela exige de nous que, dans notre cœur, nous comprenions, nous réalisions, que ce qui est le plus important pour nous, c’est d’être un avec Jésus, c’est de vivre de son amour. Et pour pouvoir vivre de son amour, il

faut recevoir son corps, son sang, et vivre de cette union, de cette unité avec lui. Quand le corps du

Christ nous est donné, son âme nous est donnée, sa divinité nous est donnée, le Verbe de Dieu nous est donné, et chacun de nous est uni à Dieu de la même manière. C’est capital, de découvrir dans notre foi combien Jésus désire, veut, cette unité profonde qui doit se réaliser entre les chrétiens qui vont tous à la même table. Qu’ils soient riches ou pauvres, qu’ils soient des grands savants ou des tout-petits qui ne connaissent pas grand-chose si ce n’est leur catéchisme, ils sont tous unis par la communion au corps du Christ. Pour pouvoir réaliser cette unité entre nous, il a fallu l’institution de l’Eucharistie. Le but de l’institution de l’Eucharistie, c’est de mieux nous faire comprendre — et vivre — Jusqu'au doit aller notre unité avec notre prochain. C’est un enseignement extraordinairement concret et très simple...

Du point de vue humain, quand on veut montrer à quelqu’un qu’on l’aime vraiment, qu’on désire une intimité avec lui, on l’invite à sa table. Quand la persoime qui invite est une personne très

respectable, manger à sa table est le signe d’une amitié. On ne fait pas cela avec n’importe qui, hélas,

mais on le fait avec un petit groupe de personnes, qui en sont très touchées. Manger à la même table que le Pape, cela peut arriver, et c’est un petit signe que le Saint-Père nous donne pour nous montrer qu’il y a un amour particulier ; c’est le signe d’une intimité. Jésus, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs4, lui qui est Dieu, avant de nous quitter, avant

de subir la Croix (à laquelle quelques-uns seulement ont été présents), a voulu que tous les croyants qui l’aimeraient puissent vivre avec lui une union directe, personnelle, individuelle. Et pour bien nous montrer combien cette union est individuelle et personnelle, il se donne à chacun de la manière 1 Voir Z 'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 24. ; Cf. Jn 13,34 ; 15, 12 et 17. ’ Voir L Eglise vit de l Eucharistie, n° 16. 4 Cf. Ap 17,14 ; 19, 16.

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la plus profonde qui soit : comme pain (l’aliment). Ce pain, c’est lui. Il a institué pour nous ce sacrement de la transsubstantiation du pain en son corps, et du vin en son sang. Tout ce qui est

visible, extérieur, demeure, mais ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ, même si extérieurement les apparences du pain demeurent. Jésus a voulu le réalisme de ce sacrement pour nous faire toucher dans la foi combien il nous aime, chacun de nous, et jusqu où va son amour’. Il ne pouvait pas aller plus loin que de vivre le mystère de la Croix, pour y exprimer son amour de la

manière la plus visible, la plus sensible. C’est pour nous qu’il a subi la Croix, c’est pour nous qu’il a accepté d’être l’agneau pascal, le véritable « Agneau de Dieu »2. C’est pour nous faire vivre de son

amour qu’il a voulu se donner de la manière où on est le plus donné, c’est-à-dire sous la forme du pain, du vin, de / 'aliment — car l’aliment, on le mange, il est fait pour être mangé, et cela pour nous

soutenir, pour nous redonner des forces. Et comment ? en se transformant en nous, donc en devenant nôtre plus que n’importe quoi. Jamais les billets de banque qui nous appartiennent ne nous appartiendront de la même façon que le pain ! cela demeure une relation extérieure, conventionnelle.

Alors que le pain, la nourriture, ce n’est pas du tout extérieur et conventionnel : on se nourrit de

l’aliment, il devient nôtre, notre vie. Le Christ a voulu se donner sous cette forme. Comme le dit saint Augustin3, ce n’est pas nous qui transformons le Christ en nous-mêmes, c’est lui qui nous transforme en lui puisqu’il est le grand Vivant, et qu’à côté de lui nous sommes de très petits vivants. Et ce grand Vivant se donne à nous comme pain pour que nous puissions, en nous nourrissant de lui, être transformés substantiellement en lui. N’est-ce pas inouï, que l’amour du Christ pour nous, l’amour du Père pour nous4, soit allé

jusque-là ? Il ne se donne pas seulement comme un serviteur, il ne veut pas seulement nous aider,

nous soutenir, comme aux noces de Cana. Non, ce n’est pas suffisant. Il veut se donner lui-même, par son corps et son sang, liés à son âme et à sa divinité, pour nous faire comprendre combien, dans son amour, il nous prend et nous transforme en lui. Cela, c’est déjà merveilleux ! et en plus il veut, pour

que nous nous aimions les uns les autres comme il nous a aimés, se donner de la même façon à notre frère, à notre sœur, à tous les hommes qui ont été baptisés, qui ont reçu du Christ le don si

mystérieux de la grâce, de la vie divine. Et se donnant à notre frère, à notre sœur, il veut nous faire

comprendre que cette intimité si profonde que nous avons avec lui par la sainte communion, notre frère et notre sœur l’ont aussi avec lui ; notre frère, notre sœur, vit avec lui la même unité que nous. Ainsi, par lui et en lui, se réalise une unité très profonde dans la charité fraternelle, pour que nous soyons comme lui-même entièrement donnés. C’est cela, la charité fraternelle. Elle a comme mesure, comme modèle, le don même que Jésus nous fait de lui-même : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Jésus nous dit cela de manière impérative : « ...comme je vous ai aimés.

Or je vous ai aimés jusqu’à la Croix, je vous ai armés jusqu’au don de tout moi-même dans la communion eucharistique ; je vous ai aimés jusque-là, et je vous demande de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés ». Nous devons donc avoir pour notre frère, pour notre sœur, le même amour — intérieurement, bien sûr, parce que nous ne pouvons pas le réaliser extérieurement : nous ne pouvons pas nous donner à nos frères comme dans l’Eucharistie ; cela, c’est réservé à Dieu. Mais

Dieu veut que par lui nous puissions réaliser entre nous, dans une amitié divine — pas une amitié 1 Cf. Jn 13, 1 : « Avant la fête de la Pâque, sachant qu’était venue son heure de passer de ce monde vers le Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin ». 2 Jn 1,29 et 36. 3 Voir Confessions, Vil, x, 16, Bibliothèque augustinienne 13, DDB 1962, p. 617. Voir la deuxième conférence de ce cycle, du 16 novembre 2003, « L’Eucharistie : mystère de foi », p. 6. 4 Voir Jn 6, 32-33 : « Jésus leur dit donc : “ En vérité, en vérité je vous le dis : Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du Ciel, mais c’est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le véritable, car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde ” ».

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humaine, mais une amitié divine —, ce don total de la charité fraternelle. Et cela à travers des services mutuels, des petits actes très simples. Par exemple, on connaît quelqu’un, une personne âgée, un vieillard qui vit seul et pour qui, au moment de Noël, la solitude qu’il porte pendant toute

l’année devient terriblement lourde et impossible à vivre... Alors nous devons partager notre Noël avec ce vieillard, ce malade, cet infirme, ce solitaire, dans la charité fraternelle. Si Jésus se donne à nous à travers un sacrement, c’est un signe pour nous faire comprendre que notre charité fraternelle,

si elle exige bien un don substantiel, ne pourra se réaliser que si nous en donnons des signes par des actes, des gestes, des attitudes, une parole, un « bonjour », une invitation à partager le même repas, etc. Noël doit être pour chacun d’entre nous un renouveau complet de la charité fraternelle, en

comprenant que si Jésus est allé jusque-là dans son don, il nous demande, parce qu’il nous aime, de faire de même. Cela dépasse nos possibilités humaines : humainement il est impossible d’arriver à aimer nos frères et sœurs comme Jésus les a aimés. Ce n’est que par Jésus, avec lui et en lui, que nous pouvons nous donner, nous aussi, à notre prochain «comme» Jésus se donne dans l’Eucharistie, comme une nourriture. Quand on rend un petit service, on est le pain de son prochain,

au moins momentanément, au moins quelques instants... mais c’est déjà beaucoup. Il faut qu’à l’occasion de Noël nous comprenions ce réalisme qui nous est donné à travers

l’Eucharistie. L’Eucharistie nous donne le corps du Christ, et le corps du Christ a d’abord été le corps de l’enfant Jésus ; c’est aussi le corps du Crucifié, c’est le même corps. Mais parfois le corps du Crucifié nous fait tellement mal qu’on n’ose plus le recevoir, alors Jésus nous fait comprendre, par l’Esprit Saint, que c’est aussi son corps de petit enfant que nous recevons dans l’Eucharistie ; car celui-là, nous pouvons toujours le recevoir, parce que le corps d’un petit enfant, c’est toujours joyeux. Et nous avons besoin de cette joie. Certes le corps du Christ reçu dans l’Eucharistie est en premier lieu le corps du Crucifié, « livré pour nous »*, mais c’est aussi le corps de l’enfant Jésus, parce que le corps du Crucifié a été le corps de l’enfant Jésus et qu’en Dieu le début et la fin, l’alpha et l’oméga, sont un1. C’est donc vraiment le don du corps du petit enfant Jésus qui nous donne sa

joie... le sourire de l’enfant Jésus. Il faut que nous le recevions à Noël, et aujourd’hui le dimanche de

Gaudete, le dimanche de la joie, nous donne ce sourire de l’enfant Jésus. N’allons pas imaginer ce sourire ! parce que l’imagination n’entre pas dans le Ciel ; il n’y a que la réalité, ce qui est, qui entre dans le Ciel. Il s’agit donc de vivre de cette présence du Christ dans le réalisme de la foi et dans

l’amour, en demandant à l’Esprit Saint le don de sagesse, qui brûle toutes les extériorités du temps. Parce que, hélas, nous vivons tout le temps, imaginativement, dans les extériorités du temps, il nous semble impossible que Jésus crucifié soit le petit enfant Jésus de la crèche. Mais dans la foi, avec le don de sagesse, c’est possible. L’Esprit Saint nous fait vivre de tout le mystère du Christ sur la terre, puisqu’il a eu un corps pour vivre avec nous, et pour vivre notre vie, et être présent à toute notre vie. Ce n’est jamais extérieur. Autrement, il n’aurait pas vécu tout ce temps de vie cachée à Nazareth

avant de commencer sa vie apostolique. Il se donne ayant vécu tout ce temps de sa jeunesse auprès de Marie, de sa vie cachée auprès de Marie, et cette vie cachée nous est donnée aussi par

l’Eucharistie, et c’est le don de sagesse qui nous permet d’en vivie, et de le recevoir dans toute sa plénitude pour qu’il nous apporte la joie, su joie3.

1 Le 22, 19. 1 Co 11, 24. Cf. Mt26, 26 ; Mc 14,22. 2Cf. Ap 1,8; 21, 6; 22, 13. 3 Voir Jn 15, 10-11 ; 16, 20-24 ; 17, 13.

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4ème conférence

L’Eucharistie, fin des sacrements

le 11 janvier 2004

L’Eucharistie étant « la fin de tous les sacrements »’, on peut dire que c’est elle qui donne à

tous les sacrements leur signification profonde, leur explication plénière. Comme l’affirme le Concile de Trente en 1547, « tous les sacrements de la Loi nouvelle ont été institués par Jésus, le Christ, Notre Seigneur »2. C’est ce que l’Eglise affirme et la foi nous le fait dire. Les historiens ont de la peine à voir comment Jésus a institué tous les sacrements, mais quand il s’agit de l’Eucharistie, c’est d’une évidence totale. Jésus a institué l’Eucharistie à la fin de sa vie apostolique, juste avant de vivre le mystère de la Croix, et le mystère de l’Eucharistie est une manière divine de nous faire comprendre, dans la foi, que le mystère de la Croix et celui de la Résurrection du Christ sont au-delà du temps et toujours présents dans l’Eglise. Et c’est cela que, dans la foi, nous devons recevoir. Le mystère de l’Eucharistie est pour nous, pour nous qui sommes des viatores, des pèlerins en route vers la vision béatifique. Nous sommes des pèlerins, et ce qui nous maintient dans notre vie de pèlerins en vue du Ciel, c’est l’Eucharistie, et avec elle tous les sacrements. Tous les sacrements, c’est la vie apostolique du Christ qui nous est donnée, dans un contact direct avec lui, de sorte que tous les miracles du Christ nous sont donnés à travers les sacrements3.

Les sacrements constituent en quelque sorte la structure de l’Eglise. Si nous sommes

chrétiens nous vivons des sacrements, parce qu’ils nous mettent en contact direct avec Jésus, dans la foi, et ce contact direct avec Jésus se réalise d’une manière particulièrement forte dans l’Eucharistie.

C’est pour cela que le sacrement de l’Eucharistie finalise tous les autres, et nous met en attente de la vision béatifique4 : un jour nous verrons Dieu face à face. Après l’Eucharistie, il n’y a plus que cela.

En effet, l’Eucharistie nous donne de vivre avec Jésus une intimité si forte qu’elle ne peut être signifiée que par la manducation, la communion au corps et au sang du Christ. Et cette intimité est 1 Voir L’Eglise vit de l’Eucharistie, n° 38 : « L’Eucharistie étant la plus haute manifestation sacramentelle de la communion dans l’Eglise, elle exige d’être célébrée aussi dans un contexte de respect des liens extérieurs de communion. De manière spéciale, parce qu’elle est “ comme la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacrements ” (saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q. 73, a. 3), elle exige que soient réels les liens de la communion dans les sacrements, particulièrement le Baptême et l’Ordre sacerdotal. Il n’est pas possible de donner la communion à une personne qui n’est pas baptisée ou qui refuse la vérité intégrale de la foi sur le Mystère eucharistique. Le Christ est la vérité et rend témoignage à la vérité (cf. Jn 14, 6 ; 18, 37) ; le Sacrement de son corps et de son sang n’admet pas de mensonge » ; n° 34 : « L’Eucharistie apparaît donc comme le sommet de tous les Sacrements car elle porte à sa perfection la communion avec Dieu le Père, grâce à l’identification au Fils unique par l’action du Saint-Esprit ». 2 Voir DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, n° 1601 (Le Cerf 1996) ; Catéchisme de l'Eglise catholique, n° 1114. 3 Voir Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1115. 4 Voir L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 18.

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une attente immédiate de la vision béatifique, une sorte d’anticipation dans la foi et l’espérance. Du point de vue de l’amour, on touche le sommet ; il ne peut pas y avoir un amour qui s’exprime d’une façon plus parfaite que celle-là : Jésus se donnant en nourriture, comme pain et comme vin. Dans l’amour, il ne peut pas y avoir une intimité plus grande que de nous nourrir du Christ et nous laisser transformer par lui. Comme le dit saint Augustin1, ce n’est pas nous qui assimilons le Christ pour

qu’il soit transformé en nous, c’est l’inverse. L’Eucharistie, c’est Jésus qui vient nous transformer en

lui. Réellement, du côté de l’amour, il ne peut pas y avoir une intimité plus grande. C’est Jésus qui nous prend, qui nous saisit d’une manière telle qu’il veut que nous soyons un avec lui comme luimême est un avec le Père. Dans la foi, l’amour peut réaliser une unité substantielle avec Jésus, et cette unité substantielle est exprimée par la communion à Jésus donnant son corps sous la forme du pain et son sang sous la forme du vin. Il ne peut pas y avoir d’union plus parfaite. Après cette union, et dans le prolongement de cette union, c’est la vision béatifique. Dans la vision béatifique, notre intelligence et notre volonté seront complètement transformées par la vision du Père, du Verbe et de l’Esprit Saint. Nous verrons Dieu. Mais voir Dieu, cela demande d’être totalement relatif à lui, d’être totalement pour lui, et nous le sommes déjà par l’Eucharistie. Dans la sainte communion, nous sommes totalement pour Dieu, et notre cœur, dans la foi et la charité, aspire à cette relativité de tout nous-même à Jésus, que Jésus réalise en nous prenant tout à lui. C’est pour cela que la communion

au corps et au sang du Christ ne peut s’achever que dans la vision béatifique, où nous verrons Dieu face à face. Il ne faut jamais oublier ce lien entre l’Eucharistie et la vision béatifique. Lorsque nous communions nous sommes tout entiers saisis par Dieu — dans l’obscurité de la foi, certes, mais réellement —, et c’est pour cela que lorsque nous communions, nous avons un tel désir de rester dans le silence pour laisser Jésus nous prendre entièrement, totalement. Il est là et il est là pour nous, pour

nous faire comprendre et vivre son amour. Et son amour est tellement fort qu’il veut nous prendre tout à lui.

Ce qu’il faut maintenant montrer, c’est que tous les sacrements nous conduisent au sacrement de l’Eucharistie2, et donc que tous les sacrements sont une attente de la vision béatifique grâce à

l’Eucharistie. Et c’est bouleversant, dans notre vie chrétienne, de voir comment Dieu, par ses sacrements, nous amène progressivement à le voir face à face. L’Eglise orthodoxe lie l’Eucharistie au baptême, elle donne la sainte communion presque aussitôt après le baptême, et c’est très touchant de

voir une mère portant son petit enfant qui communie. On peut dire que c’est sa mère qui communie pour lui, de même que ce sont les parents qui ont permis le baptême de leur enfant, car il était incapable par lui-même de demander le baptême et de faire un acte de foi en la présence du Christ

dans l’Eucharistie. Cet acte de foi, c’est sa mère qui le fait avec lui, et c’est touchant de voir cela. C’est une réalité très profonde : le baptême est pour l’Eucharistie. Le baptême fait de nous des enfants de Dieu. Il y a là un très grand réalisme, et chaque fois que nous assistons à un baptême nous devons revivre le nôtre. Par le baptême, Dieu nous donne la grâce, cette participation à la vie divine qui nous fait enfants de Dieu et qui est comme une nouvelle naissance. Il y a la première naissance selon la chair

1 Voir Confessions, VII, x, 16, Bibliothèque augustinienne 13, DDB 1962, p. 617. Déjà mentionné dans la deuxième conférence de ce cycle, du 16 novembre 2003, «L’Eucharistie: mystère de foi», p. 6, et dans la troisième conférence, du 14 décembre 2003, « L’Eucharistie édifie l’Eglise : Eucharistie et charité fraternelle », p. 5. 2 Voir JEAN Paul II, Le mvstère et le culte de la sainte Eucharistie, Lettre aux Evêques et aux prêtres, mars 1980, n°7.

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et le sang et il y a cette autre naissance, à la vie divine, par le baptême. Cela aurait pu se faire

autrement, mais Dieu a voulu que cela se fasse normalement par le sacrement du baptême. Je dis bien : «normalement», parce qu’il y a beaucoup d’hommes qui n’ont pas reçu le sacrement du baptême mais que Dieu a pu sanctifier directement par la grâce, c’est sûr, et nous les verrons tous au Ciel. Et au Ciel nous comprendrons qu’être baptisé, c’est avoir reçu dans notre âme le sceau1 de l’amour de Dieu, un pouvoir venant de Dieu qui, par la foi, l’espérance et la charité, ouvre notre âme, la rend capable de recevoir Jésus dans l’Eucharistie et de vivre un jour pleinement cette vie divine dans la vision béatifique. Le baptême est cette naissance à la vie divine qui met en nous une soif, un désir intense de Dieu. Et dans la foi nous savons que le baptême, en nous donnant la grâce, nous

dorme par là de pouvoir vivre la foi, l’espérance et la charité, et que la foi, l’espérance et la charité ont besoin de cette nourriture connaturelle à notre vie chrétienne qu’est l’Eucharistie, Jésus qui se

donne à nous sous la forme du pain et du vin. Il se donne sous ces apparences, mais c’est vraiment

Jésus lui-même qui se donne à nous comme nourriture. Et pour que nous puissions vivre de cette nourriture divine et accepter d’être transformés complètement par elle, il faut la grâce première du baptême qui, nous faisant sortir du péché originel et faisant de nous des enfants de Dieu, nous donne cette capacité divine de recevoir le corps et le sang du Christ.

Il faut être baptisé pour recevoir le corps et le sang du Christ. Dans la primitive Eglise, c’était manifesté d’une manière très nette : tout le monde pouvait assister au début de la Messe, parce que

c’était un enseignement qu’on donnait à tous ceux qui désiraient le recevoir, mais la «loi de l’arcane »2 exigeait que ceux qui n’étaient pas encore baptisés quittent l’église après le Credo, juste

avant l’offertoire, puisque c’est là que commence à proprement parler la célébration eucharistique, la

réalisation du sacrement qui sera donné dans la sainte communion. Le lien entre l’Eucharistie et le baptême est donc un lien fondamental. Le baptême est le fondement même de notre vie eucharistique puisque, faisant de nous des fils de Dieu, il nous rend capables de recevoir Jésus, il nous donne le droit de nous nourrir de notre Dieu. Dieu nous aime tellement qu’il se fait notre nourriture ! Dieu nous aime tellement qu’il veut nous transformer luimême au plus intime de notre cœur, de notre intelligence, de notre volonté. Et par le baptême il nous donne cette capacité de comprendre cela et de le vivre. Le baptême n’est pas seulement fondamental,

il est essentiel, puisqu’il nous rend capables de vivre de l’Eucharistie — en comprenant qu’il ne s’agit pas seulement d’une capacité passive, mais bien d’une capacité active : le chrétien baptisé est

capable d’avoir soif de l’Eucharistie. C’est ce qu’on voit chez les enfants qui ont reçu une vraie éducation chrétienne. Le baptême, quand ils en prennent conscience, leur permet d’avoir un vrai désir de l’Eucharistie. Et en 1910 saint Pie XJ a voulu que ce désir soit de plus en plus satisfait, en donnant à l’enfant la possibilité de recevoir la sainte communion beaucoup plus tôt qu’avant, où on attendait une croissance plus grande de la personne humaine. Mais parce que ce désir était de plus en

plus grand et de plus en plus fort, l’Eglise y a répondu en permettant que le petit baptisé puisse très

vite se préparer à recevoir l’Eucharistie. Il est capable, non pas de comprendre le mystère — car personne ne le comprend —, mais d’y croire, de croire que c’est Jésus qui se donne à lui pour lui permettre d’être de plus en plus enfant de Dieu.

1 Voir 2 Co 1,22. Eph 1, 13 ; 4,30. Voir aussi Catéchisme de l’Eglise catholique, n05 1273-1274. 2 Voir SAINT AUGUSTIN, Enarratio in Psalmos, 103 1, 14 : «Qu’y a-t-il de secret dans l’Eglise ? uniquement les sacrement du baptême et de l’Eucharistie » ; Sermon 49, 8 : « Voici qu’après ce sermon, les catéchumènes vont être renvoyés et les fidèles resteront ». ’’ Voir le décret Quam Singulari du 8 août 1910 (Denzinger, op. cit., n“ 3530 à 3535).

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Le sacrement de pénitence, nous comprenons très bien qu’il est tout ordonné à l’Eucharistie1,

puisque recevoir Jésus dans l’Eucharistie, c’est le recevoir au plus intime de notre cœur et de notre intelligence, c’est le recevoir dans ce qu’il y a de plus intime dans notre vie, et donc cela réclame une grande pureté. Or nous sommes très facilement contaminés par le milieu dans lequel nous vivons. Si

nous vivons dans le monde, nous vivons dans un milieu qui n’est pas directement ordonné à

l’Eucharistie, et le monde éveille en nous d’autres désirs. Notre nature humaine a un lien avec le monde. Nous sommes nés dans le péché et nous avons en nous des instincts qui nous écartent de l’Eucharistie, et donc des tentations de vouloir expérimenter des joies coupables qui ne sont pas celles que Dieu veut pour nous. Il y a mille occasions, pour notre cœur et notre intelligence, de s’éloigner de Jésus, et c’est pour cela que Jésus a eu cette miséricorde merveilleuse de nous permettre de venir auprès de lui reconnaître que nous sommes pécheurs. Le sacrement de pénitence, sacrement du pardon, de la réconciliation, est un sacrement de miséricorde, et d’une miséricorde

extraordinaire de Dieu, en vue de l’Eucharistie. On se confesse en vue de l’Eucharistie, on se confesse pour être plus pur, plus vrai, ne pas être un « faux jeton » : nous voulons vivre pour le Christ malgré nos péchés, malgré nos faiblesses, malgré cet intérêt que avons pour nous-mêmes et qui risque fort de nous empêcher de nous intéresser uniquement à Jésus, au don du Christ pour

nous... ce qui devrait être ! C’est tellement grand, le mystère de l’Eucharistie ! Nous devrions être toujours en attente de ce sacrement, en attente de cette rencontre. S’il nous arrive d’avoir un rendezvous avec le Saint-Père, ou au moins la possibilité d’assister à une audience, on y pense longtemps à l’avance, et quand le jour arrive on est là, tout entier présent, pour ne rien manquer de cette

rencontre. Or, lorsque nous recevons l’Eucharistie, nous recevons Jésus lui-même et c’est infiniment plus grand ! Le Saint-Père est par excellence le serviteur de Jésus, il est tout entier à son service, et tout entier tourné vers lui. Nous aussi, en tant que chrétiens, nous avons la possibilité d’être immédiatement tournés vers Jésus. Comme le Saint-Père, nous pouvons être directement tournés vers Jésus. Même si nous sommes des pauvres pécheurs, faibles et fragiles, nous avons cette capacité qui est propre au chrétien et qui le définit : il est capable de se nourrir du Christ. Le petit enfant, le jour de sa première communion, est tout fébrile : il va recevoir Jésus ! Il ne

sait pas très bien ce que cela veut dire. Il le sait par sa mère, il le sait par le prêtre qu’il connaît, il sait que c’est quelque chose de très grand et que, à cause de cela, il a fallu d’abord la purification qu’opère le sacrement du pardon. Ce sacrement nous rappelle que Jésus est toujours là pour nous pardonner. « Si tu le veux, tu peux me purifier », comme dit le lépreux2. « Si tu le veux, tu peux me

guérir de ma lèpre. » La lèpre intérieure, nous le savons bien, c’est le péché. Par le péché on s’est

écarté de Dieu, on a préféré un bien extérieur, immédiat, à Jésus lui-même. Alors, si nous voulons être prêts à le recevoir, il faut que toutes nos fautes soient pardonnées, effacées, et que notre cœur,

dans la foi, puisse vivre d’un désir de plus en plus grand de recevoir Jésus. Il faudrait que chacune de nos communions intensifie en nous ce désir de pureté, ce désir de limpidité, de vérité, et c’est pour cela que la confession nous est donnée, gratuitement. Grâce à cet aveu de nos fautes et à ce sacrement, nous pouvons être déchargés de toutes nos fautes. Il y a un lien direct entre la confession et le don de l’Eucharistie. L’Eucharistie finalise le sacrement du pardon. Nous demandons pardon à Dieu pour pouvoir le recevoir, pour pouvoir être saisis par lui et transformés dans son amour. Le sacrement de confirmation, lui aussi, est tout ordonné à l’Eucharistie. 11 vient permettre à

la grâce du baptême d’être vécue de plus en plus malgré les luttes, malgié les attaques du démon,

1 Voir Jean Paul II, Redemptor Hominis, n° 20. 2 Mt 8,2 ; Mc 1,40; Le 5,12.

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malgré ce qu’il reste en nous de la faute originelle, toutes ses conséquences, tous nos mauvais désirs. Le sacrement de confirmation est là pour faire de nous des chrétiens courageux, forts, des chrétiens avides d’être victorieux de la victoire du Christ. Il fait de nous des victorieux1. C’est très important,

de se rappeler que par la confirmation nous sommes liés d’une façon très spéciale à la Résurrection du Christ, à la gloire du Christ, à sa victoire2. Nous sommes des êtres victorieux.

Et vivre cette victoire du Christ, c’est se préparer d’une façon très particulière à recevoir Jésus. Car celui que nous recevons dans l’Eucharistie, c’est Jésus glorieux, Jésus vainqueur de la

mort, victorieux de toutes les peines qu’on lui a infligées et dont il s’est servi pour nous communiquer son amour. Le sacrement de confirmation prend donc toute sa signification grâce à

l’Eucharistie. C’est le sacrement qui nous donne la force du Christ et qui nous donne la soif de réaliser de grandes choses, par amour pour lui. C’est le sacrement qui nous permet d’être victorieux

dans certaines luttes tenaces où le démon veut absolument dominer. Le sacrement de confirmation, si nous en vivons, peut nous permettre d’être victorieux de toutes les tentations. C’est la force du Christ qui nous est donnée, c’est la force de l’Esprit Saint qui nous est donnée. Jésus réclame de nous d’être

comme des petits enfants et d’avoir, quand nous communions, cette soif de quelqu’un de plus fort

que nous, de plus grand que nous, de plus puissant que nous, ce désir de recevoir tout entier

quelqu’un qui nous aime plus que nous ne l’aimons. Car il se donne à nous tout entier malgré nos faiblesses. Désirons toujours plus ce don total du Christ, du « cheval blanc » de l’Apocalypse3, victorieux de la mort, le don de Celui qui est sorti du tombeau en étant victorieux de la mort. C’est cette victoire qui nous est donnée par la confirmation, et cette victoire nous est donnée pour que nous recevions Jésus avec une plus grande confiance, pour que notre confiance en lui augmente et prenne tout en nous.

Il y a un lien très profond entre la confirmation qui nous fait soldats de Dieu, soldats du Christ, victorieux dans toutes nos luttes, et l’Eucharistie. Quand nous recevons Jésus dans

l’Eucharistie, nous recevons Celui pour qui nous avons lutté, et si nous avons beaucoup lutté, si cela a été très dur et que nous avons été victorieux, nous apportons nos petites victoires au Christ et nous les lui offrons. Ces petites victoires, ce sont, comme disait la petite Thérèse, les « petites fleurs » que nous avons cueillies pour Jésus et que nous sommes heureux de lui offrir. Jésus aime que nous lui offrions ces petites et grandes victoires. Nous les lui offrons non pas pour nous glorifier, mais pour

rendre grâces, car c’est seulement par Lui et en Lui que nous avons pu être victorieux. Dans le

monde d’aujourd’hui, on est victorieux de toutes les concupiscences grâce au sacrement de

confirmation, et on offre cela. Là nous sommes comme les rois mages (que nous fêtions récemment) : nous offrons à Jésus l’or, l’encens et la myrrhe. Jésus se donne et nous, nous donnons ce que nous pouvons donner. Nos petites victoires, nous les donnons à Jésus pour qu’elles nous

permettent d’avoir accès à la grande victoire d’amour qu’est la Résurrection. Et l’Eucharistie nous

donne la possibilité d’avoir dès cette terre une étroite alliance avec la victoire du Christ, avec sa Résurrection.

Le lien entre ces trois sacrements et l’Eucharistie est très net, et on voit comment

l’Eucharistie les finalise. Notre vie chrétienne serait beaucoup plus ardente si nous comprenions que

1 Voir Ro 8, 37 : « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés ». * Voir Jn 16, 33 : « Je vous ai dit cela, pour qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous avez de l’affliction, mais courage ! Moi, j’ai vaincu le monde ». 1 Jn 5, 4-5 : «... tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde, et telle est la victoire qui a vaincu le monde : notre foi. Qui est le vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? ». 3 Voir Ap 6,2; 19, 11.

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l’Eucharistie est fin, qu’elle est la fin des sacrements du baptême, de la pénitence et de la confirmation, autrement dit ce qui leur donne leur sens. L’Eucharistie va encore être la fin du sacrement de mariage, qui sanctifie l’amour d’amitié de l’époux et de l’épouse. Dans cette sanctification de l’amitié, du choix qu’on a fait en épousant telle

ou telle personne, l’Eucharistie est là pour réparer toutes nos ingratitudes, tous nos égoïsmes qui se

font si fort sentir dans cette union bénie par Dieu entre l’époux et l’épouse. Il y aurait beaucoup moins de divorces si on vivait plus de l’Eucharistie, parce que ce sacrement serait là pour nous aider, nous transformer : en faisant grandir l’amour que nous avons pour Jésus, l’Eucharistie nous rendrait

bien plus capables d’aimer l’autre, l’époux, l’épouse, et par là de faire que l’amour ne vieillisse pas. Car l’amour en lui-même ne peut pas vieillir. C’est nous qui vieillissons, c’est notre carcasse humaine et notre sensibilité humaine qui vieillissent, mais l’amitié que nous avons avec Jésus ne vieillit pas et demande de s’approfondir toujours plus par l’Eucharistie. Et les époux doivent demander à Dieu cette grâce : que jamais leur amour ne s’habitue, que jamais il ne perde l’intensité première de la découverte, l’intensité première du choix. Les époux doivent vivre tout le temps de ce

choix, et de manière telle que ce choix, grâce à l’amour du Christ, s’approfondisse, s’enracine en eux. L’Eucharistie les empêchera de tomber dans l’habitude, ce qui est terrible. L’habitude est, je crois, un terrible ennemi de l’amour, qu’il s’agisse de l’amour divin ou de l’amour humain. On

« s’habitue »... S’habituer pour aller plus loin, pour aimer plus, très bien ! mais seulement pour aimer plus. C’est toujours cela qu’il faut maintenir dans notre vie : le désir d’aller plus loin, être des

conquérants. Quand on a perdu la soif d’être conquérant, on s’habitue, et c’est l’égoïsme qui fait qu’on s’habitue. Or l’égoïsme détruit l’amour. L’ennemi le plus terrible de l’amour, c’est l’égoïsme. Mais l’Eucharistie nous corrige de l’égoïsme, puisque c’est Jésus qui se donne, et qui se donne tout entier. Et en se donnant tout entier il permet aux époux de s’aimer toujours plus profondément en se

donnant l’un à l’autre. Si on est plus attentif à se donner qu’à recevoir, on sera moins égoïste et l’amour vivra toujours plus. Mais très facilement notre égoïsme l’emporte, dans un autre sens, et alors on se regarde, on devient plus attentif à ce qu’on donne, à ce qu’on est, qu’à ce qu’on reçoit.

L’Eucharistie va être là pour permettre à l’amour de l’époux et de l’épouse de rester vrai. Et pour

qu’il reste vrai, il faut que le choix mutuel reste toujours actuel. L’Eucharistie va aussi permettre aux parents d’être de vrais parents, père et mère, pour leurs enfants. Quand ils communient, ils doivent demander à Jésus d’augmenter leur amour pour leurs enfants, et les enfants, quand ils communient, doivent demander à Jésus d’augmenter leur amour pour leurs parents. Les enfants doivent demander cela et savoir rester des enfants à l’égard de leurs parents, en gardant un amour très particulier pour chacun d’eux. On a le droit de communier avec ces

intentions-là, car c’est Jésus seul qui peut agrandir notre cœur et nous empêcher de tomber dans des

égoïsmes terribles. Le mariage, s’il est vraiment vécu comme il doit être vécu, a recours à l’Eucharistie pour être

vrai, et pour demeurer vrai en s’intensifiant de plus en plus. On voit bien comment l’Eucharistie devient une nécessité pour que le mariage demeure ce qu’il doit être, pour lutter contre tous les vieillissements. L’Eucharistie sera là aussi pour aider, dans les moments plus difficiles, les maladies du corps et de l’âme, et surtout celles de l’âme. Les maladies de l’âme, nous savons bien ce que c’est : les terribles jalousies qui peuvent monter dans notre cœur, qui tarissent notre amour et l’empêchent d’être ce qu’il doit être. Là l’Eucharistie doit être un moyen merveilleux pour nous permettre d’être

de plus en plus proches de Jésus en sachant que la source de tout amour est son cœur et que par 120

l’Eucharistie nous recevons ce cœur de Jésus pour qu’il vienne transformer le nôtre et nous faire lutter contre tous les égoïsmes. L’Eucharistie est fin du sacrement des malades. Nous ne parlerons pas ici de l’Eucharistie et du sacerdoce puisqu’il y aura une conférence spéciale sur ce sujet. Mais il est facile de comprendre que la fin du sacerdoce, c’est l’amour qu’on a

pour Jésus, et cet amour pour Jésus devra grandir dans chaque Eucharistie. Chacun de nous doit toujours communier comme si c’était la dernière fois, parce que nous ne

savons pas si nous communierons encore demain. L’Eucharistie doit donc intensifier notre désir de la vision béatifîque et mettre en nous la soif de voir enfin Dieu face à face. C’est l’Eucharistie qui doit maintenir en nous cette soif-là. Si nous avons vraiment cette soif, nous devenons forts pour porter les souffrances, pour porter les maladies, pour porter tout ce qui nous accable, tout ce qui nous empêche

d’être vraiment enfants de Dieu. Là nous touchons la fin des fins, ce qu’il y a d’ultime dans

l’Eucharistie : nous préparer à la vision béatifique par le désir, la soif intense que doit nous donner l’Eucharistie. L’Eucharistie est donc bien le sacrement des sacrements. L’Eucharistie est le don du corps du Christ, qui a institué les sacrements grâce à son corps. Et les sacrements nous sont donnés pour sanctifier notre corps et notre âme, pour sanctifier notre route, pour qu’elle soit tout entière tournée vers la vision béatifique, la rencontre avec Jésus.

121

Récollection I

Marie et l’Eucharistie

le 15 février 2004

Nous essayons, au cours de cette année, de pénétrer plus profondément dans le mystère de

l’Eucharistie. Le mystère de l’Eucharistie, c’est-à-dire du pain et du vin transformés par Jésus en son

corps et son sang, est un mystère quotidien : au niveau naturel on se nourrit tous les jours, et Jésus a

voulu entrer dans ce rythme, en sachant aussi que l’éducation commence par la nourriture. Une mère sait bien que c’est la nourriture qui est le premier moment de l’éducation de l’enfant : on essaie d’introduire un ordre dans la vie de ce petit être qui n’est pas un animal, même si au début il vit surtout au niveau de la vie « végétative » — boire, manger, dormir... C’est cela qui lie si fort le petit enfant à sa mère, et sa mère essaie d’introduire là un ordre. On ne mange pas n’importe quand. Et parfois, lorsque l’enfant crie très fort parce qu’il a faim, c’est qu’il n’est pas encore entré dans l’ordre. Dans notre vie végétative (boire, manger, dormir, et tout ce que cela implique), on introduit un ordre, un ordre de raison. C’est le premier ordre raisonnable qu’on introduit dans la vie végétative de ce petit « animal raisonnable » (car il ne faut pas oublier que, génériquement, l’homme est un « animal raisonnable »), et la mère introduit dans la vie végétative de son enfant cet ordre raisonnable. La nourriture, du point de vue éducatif, est quelque chose de capital. Si on n’éduque plus l’enfant, il va manger n’importe quand. J’ai connu le temps où, dans les couvents, un religieux n’entrait jamais dans la cuisine s’il n’en avait pas la charge. C’était le frère chargé de la cuisine qui empêchait les autres d’entrer. Aujourd’hui, c’est différent, on peut entrer dans la cuisine et aller

jusqu’au frigidaire où il y a des réserves, et y prendre quelque chose quand on a faim. Il y a là un désordre fondamental qui s’introduit dans notre vie. Dieu, déjà dans l’Ancienne Alliance, introduit dans la vie végétative des Israélites la première Pâque pour fêter le moment où le peuple d’Israël échappera au joug des Egyptiens. Un « passage »'

de Dieu fera que tous les fils aînés d’Egypte mourront et le peuple béni de Dieu prendra le repas pascal, l’agneau pascal. Et l’Eucharistie est la nouvelle Pâque, et notre Pâque de tous les jours, le

passage de Dieu. On oublie trop cela : la Pâque est le passage de Dieu, c’est Dieu qui est là pour protéger et sauver son peuple. Et Dieu connaît mieux que nous ce que nous sommes, jusque dans notre vie végétative, lui qui a voulu cette chose extraordinaire : après avoir créé les animaux, en créer un qui soit « à son image »2, doué d’une âme spirituelle. L’animal demeure, mais il est 1 Cf. Ex 12, 12-13 : « Je passerai cette nuit là dans le pays d’Egypte ; [...] je verrai le sang et je sauterai au-delà de vous ». Le chanoine Osty propose d’expliquer le mot Pâque, qui vient de la transcription latine du mot grec Kao^a, par le verbe hébreupâsah qui signifie «boiter, sauter, épargner ». Yahvé «a sauté au-delà » des maisons où il y avait le sang et les a épargnées. 2 Cf. Gn 1, 26 sq.

« raisonnable ». Au début, cela ne se voit pas : l’homme est d’abord comme un petit animal nourri par sa mère, et peu à peu son intelligence s’éveille...

Dieu, qui nous connaît infiniment mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, a voulu entrer en contact avec nous par la vie végétative dans l’institution de l’Eucharistie. Une mère est liée à son enfant par la vie végétative. C’est extraordinaire ! Pour les anges, pour des êtres purement spirituels, cela doit être quelque chose d’invraisemblable, de voir ce que Dieu a voulu : il a voulu

qu’une mère porte son enfant pendant neuf mois, il a voulu que l’homme commence sa vie de

manière souterraine dans le sein de sa mère. C’est invraisemblable ! Pourquoi Dieu a-t-il voulu cela ? on doit se poser la question. C’est pour que le lien affectif soit plus fort. Le lien avec la mère est un

lien affectif. Nous n’avons pas choisi de rester dépendants de notre mère pendant neuf mois, ni de rester dépendants d’elle après la naissance pendant peut-être un an... et d’une dépendance extraordinaire, la mère le sait bien. La dépendance de la vie végétative est substantielle, c’est quelque chose qui est enraciné en nous et c’est du reste pour cela que, de temps en temps, il y a des

énervements à ce sujet. Pourquoi les hommes cherchent-ils par tous les moyens à aller contre cette volonté de Dieu, en essayant de faire qu’un être humain puisse ne pas être aussi dépendant ? Parce

qu’il y a une dépendance qui reste toute la vie. Alors, ou bien l’homme l’accepte et trouve cela merveilleux — et c’est vrai, c’est merveilleux, le lien de l’homme avec sa mère, c’est quelque chose qui est voulu par Dieu et qui est donc très grand et très sage —, ou bien il se révolte, et cela arrive. Dieu a voulu ce lien entre la mère et l’enfant, et le Verbe de Dieu, le Fils bien-aimé du Père, a voulu

connaître cette dépendance à l’égard de sa créature, et il a choisi Marie pour vivre cette dépendance. Cette dépendance que Jésus a connue est quelque chose de très étonnant que les anges n’ont jamais connu. Nous avons là un privilège — on l’oublie trop facilement —, un privilège qui nous a été imposé, c’est sûr, mais vraiment un privilège : cette union très spéciale entre deux créatures qu’est l’union de la mère et de son petit enfant. C’est Dieu qui a voulu cela, et la Très Sainte Trinité a voulu que le Fils bien-aimé du Père connaisse cette dépendance du tout petit enfant à l’égard de sa mère.

Marie a été tout pour l’enfant Jésus, comme une mère est tout pour son enfant. C’est extraordinaire ! Mais chaque fois qu’on donne quelque chose à Dieu, il nous donne le centuple.

Alors, comment Dieu va-t-il donner à Marie le centuple de ce qu’elle lui a donné ? Je me suis

posé cette question, en théologien. Comment Dieu va-t-il récompenser sa mère comme mère ? Sa mère a été unie à son Fils bien-aimé d’une manière si intime ! Aucun fils n’a été aussi uni à sa mère que Jésus l’a été à Marie, parce que la maternité de Marie est supérieure à toutes les autres maternités ; elle est plus parfaite puisqu’elle est divine (c’est extraordinaire, d’avoir divinisé la maternité !), et Jésus ressemble plus à sa mère qu’aucun autre enfant. Pour nous, il y a toujours deux atavismes, on le sait bien : l’atavisme de la mère et celui du père. Et quand ces atavismes sont très

différents, cela peut être cause de luttes très internes, mais très profondes. Jésus, lui, n’a dépendu que de sa Mère et de l’Esprit Saint. A l’Annonciation, quand le Père veut demander à Marie si elle accepte d’être la Mère du Fils bien-aimé, il envoie l’ange Gabriel lui demander cela. Pourquoi ? pour

respecter la liberté de Marie, parce que Dieu sait que s’il lui était apparu directement, la pauvre petite

Marie aurait été tellement intimidée, vu sa sensibilité, qu’elle se serait effacée ! Alors il a envoyé Gabriel. Marie pouvait plus facilement répondre à Gabriel, car c’est un ange et Marie est la Reine des anges. Certes, quand l’ange Gabriel est venu la visiter elle ne le savait pas ! mais elle était déjà, en réalité, Reine des anges (notre nature humaine, en elle, est Reine des anges !). Marie, face à l’ange, pouvait donc dire plus facilement ce qu’elle pensait. Or Dieu voulait qu’elle le dise en toute liberté — et là il nous montre combien il respecte notre liberté.

123

Quelle a été la réponse de Marie ? Elle a dit : « Qu’il me soit fait selon ta parole »'. Elle n’a

pas répondu : « Oui, j’accepte d’être la Mère du Fils du Très-Haut » ! Cela la dépassait tellement qu’elle a répondu humblement : « Qu’il me soit fait selon ta parole ». C’est très fort, cela, parce que c’est le premier acte de foi chrétienne ; et c’est ce que nous devrions toujours dire à Dieu : « Qu’il me soit fait selon ta parole », parce que nous ne mesurons pas ce que Dieu veut pour nous. Dieu est toujours pour nous celui qui nous guide, celui qui est devant nous, et pour ne pas diminuer son amour et son dessein d’amour sur nous, nous devons tout le temps répondre : « Qu’il me soit fait selon ta parole », et non pas répondre selon la compréhension que nous en avons. Nous ne dirigeons pas Dieu, nous acceptons ce qu’il veut pour nous. Cela, c’est se mettre dans une attitude de vérité totale par un acte de foi semblable à celui de Marie. Dieu a demandé à Marie ce service : former le corps du Verbe qui s’incarne en elle, former le corps du Christ, et pour cela le Saint-Esprit est venu en elle ; cette maternité est miraculeuse. Or chaque fois que le Saint-Esprit remplace la « cause seconde », l’homme, il le fait de telle manière

qu’il exalte la personne à qui il demande ce service. Le Saint-Esprit a donc voulu que Jésus

ressemble à sa mère d’une façon unique. Nous verrons cela un jour, actuellement cela reste dans la foi. Avez-vous jamais pensé à la ressemblance du petit enfant Jésus à sa Mère, à la ressemblance de Jésus jeune homme, de Jésus apôtre, à l’égard de Marie ? C’est étonnant, et c’est le Saint-Esprit qui a fait cela. Chaque fois que nous donnons quelque chose à Dieu, il y a une réponse divine. Il faut donc se poser la question : quelle a été la réponse de Dieu à Marie ? Elle a formé le corps de son Fils bienaimé, c’est de son sang que vient le sang du Christ. La réponse de Dieu a cela n’est-elle pas l’Eucharistie ? Marie a donné à Dieu son corps de mère et la fécondité de sa maternité ; à l’Annonciation, Dieu lui a demandé si librement elle l’acceptait. Quelle a été la réponse de Dieu ?

La réponse de Dieu, c’est d’abord la Croix, où Dieu a repris le corps du Christ ; et le corps du Christ, c’est l’Agneau : il s’est incarné pour être l’Agneau, la victime, pour être celui qui pourrait s’of&ir au Père librement dans l’obéissance2 pour sauver tous les hommes. Il ne faut pas oublier cela : le Père nous a tant aimés qu’il a donné son Fils bien-aimé3, et cela pour chacun d’entre nous, tellement il nous aime. Si vous voulez mesurer l’amour du Père sur vous, comprenez qu’il a donné pour vous son Fils bien-aimé. Nous oublions trop cela ; nous oublions trop que nous sommes aimés par le Père de cette manière si extraordinaire. Et c’est la volonté de sagesse du Père, cela : se donner

entièrement en donnant son Fils. Et à Marie il se donne en lui demandant de former le coips de son

Fils, et il le lui demande par l’ange Gabriel pour qu’elle puisse dire oui librement. Et à ce « oui » de Marie le Père répond en donnant à Marie la chair de son Fils comme nourriture dans l’Eucharistie. Dieu seul peut faire cela. Marie a formé le corps du Christ avec sa chair, avec son sang. Et Dieu peut tout faire pour répondre à cet amour maternel si fort, si extraordinaire ; pour cela il a « inventé » la

Pâque juive, qui a préparé longuement à l’avance l’immolation de l’Agneau et le don de son corps et de son sang dans l’Eucharistie. Voilà la réponse de Dieu : donner à Marie, comme nourriture, la chair de son Fils bien-aimé formée en elle, donner le corps et le sang du Christ à celle qui est sa Mère. On oublie trop que l’Eucharistie est la réponse de Dieu à une mère. Qu’est-ce que nous donnons, nous, à

notre mère, pour la remercier de tout ce qu’elle a fait pour nous ? Avons-nous conscience que notre mère a tout fait pour nous dans notre faiblesse ?... Nous n’existerions pas si elle n’avait pas été là et ne nous avait pas donné sa chair et son sang, tout ce qu’elle pouvait donner. Si on est un fils ou une

1 Le 1,38. 2 Cf. Jn 14, 31 : « ... c’est pour que le monde connaisse que j’aime le Père, et que, selon que m’a commandé le Père, ainsi je fais. Levez-vous ! partons d’ici » ; Mt 26, 39 et 42 ; Mc 14, 36 ; Le 22,42 ; Ro 5, 19 ; Phi 2, 8 ; He 5, 8. 3 Cf. Jn 3, 16.

124

fille digne de ce nom, on remercie sa mère, on la remercie en essayant d’exploiter, de rendre plus

beau, plus grand, ce qu’elle nous a donné. La plus grande joie d’une mère, c’est d’avoir un fils bienaimé qui fasse cela. Et la plus grande souffrance, pour une mère, c’est de voir que son enfant, quand il grandit, oublie tout ce que sa mère lui a donné et croit que c’est lui qui a tout fait, oubliant par là ce que Dieu a voulu. Dieu est le plus grand éducateur de l’amour, puisqu’il est Amour. Et dans sa

sagesse, réaliser cette dépendance d’un être à l’égard d’un autre être est un appel très puissant, le plus puissant qui soit, à l’amour. Jésus, qui pouvait répondre au don de sa Mère d’une manière unique pour la remercier, a répondu en donnant son corps et son sang à sa Mère d’une manière toute divine, dans le sacrement de

l’Eucharistie. On oublie trop que le sacrement de l’Eucharistie est comme une réponse de Dieu à la maternité divine de Marie, la réponse d’amour de Jésus à Marie. L’Eucharistie prend alors pour nous une nouvelle lumière, une lumière de sagesse : on entre dans l’intention profonde de Jésus. Avant de mourir il a institué l’Eucharistie pour les Apôtres, mais avant eux pour Marie. Et tout cela s’est passé

dans le secret : à la Cène, il n’y a que les Apôtres. Selon la coutume juive, c’étaient les hommes, les amis, qui étaient invités, et les femmes servaient. Marie a dû tout préparer pour la Cène. Au moment

de la Cène elle n’était pas là, mais elle était présente dans le cœur de Jésus. Jésus avait près de lui

Jean, et Jean reposait sur son cœur (on voit là combien le sacrement de l’Eucharistie est johannique), mais il y avait quelqu’un qui était encore plus proche que Jean et qui était intimement dans le cœur

de Jésus : c’était Marie, et c’est pour elle que Jésus se donne dans l’Eucharistie, pour nous faire

comprendre tout son amour pour elle. Et grâce à Marie c’est pour nous, puisque Jésus nous l’a donnée comme Mère et qu’une mère

donne à ses enfants ce qu’elle a de plus cher, de plus intime, de plus secret. Or ce qu’il y a de plus intime, de plus secret pour Marie, c’est bien la chair de Jésus, la chair du petit enfant de la crèche, la

chair de Jésus qu’elle a porté dans son sein, la chair de Jésus crucifié à la Croix et son sang répandu, versé pour nous. Dans le sacrifice de la Croix, la chair du Christ est séparée de son sang, et dans la célébration de l’Eucharistie il y a exprès deux consécrations, celle du corps et celle du sang, pour nous rappeler que c’est Jésus, Agneau crucifié, qui se donne à nous comme à Marie. Marie a donné

sa chair et son sang à Jésus, elle a donné tout ce qu’elle était avec un très grand amour. Aucune mère n’a aimé son enfant autant que Marie et le don de Marie a été le plus complet, le plus total qui soit. Et Dieu, dans sa sagesse, a voulu répondre par ce don si invraisemblable : la chair et le sang du Christ.

Parfois on s’étonne en disant : « Mais pourquoi Jésus nous donne-t-il sa chair et son sang ? ». De fait, les premiers chrétiens ont dû cacher ce mystère tellement il était secret. Ils l’ont caché parce qu’on

n’aurait pas compris que Jésus puisse laisser comme testament le don de sa chair et de son sang. Marie, elle, a très bien compris, et elle nous fait comprendre la grandeur de l’Eucharistie par ce don

que Jésus a fait de lui-même. C’est elle qui a reçu le coips et le sang du Christ de la manière la plus

aimante, dans sa foi, son espérance et sa charité. Elle était présente à la Croix, et cette union de Marie

avec Jésus à la Croix a été si forte que c’était comme si Marie, en Jésus et par Jésus, était crucifiée. Pensons ici à l’histoire de cette « mère admirable », dont parle le second livre des Maccabées1, cette mère qui a assisté au supplice infligé à ses sept fils par le roi Antiochus parce

qu’ils ne voulaient pas adorer les idoles et ne voulaient adorer que Dieu. Cette mère admirable a d’abord assisté au sacrifice de six de ses fils, il ne lui reste plus que le petit dernier, le septième, que le roi Antiochus, furieux de la fidélité des six premiers, essaie de persuader de céder en face des faux dieux. Mais comme le jeune homme ne prête aucune attention à ses paroles, il fait venir sa mère et

1 Voir 2 Mac 7.

125

l’invite à conseiller son dernier fils pour sauver sa vie. Elle accepte donc d’écouter le roi dans sa langue, la langue officielle, et va auprès de son enfant ; mais là, auprès de son enfant, elle fait juste l’inverse de ce que le roi Antiochus avait demandé : s’exprimant dans la langue de ses pères, elle supplie son enfant d’être fidèle et d’accepter de mourir par fidélité à Dieu — après quoi elle meurt elle-même. C’est le passage de l’Ancien Testament qui est le plus extraordinaire comme

préfiguration de la Croix. Marie a accepté le sacrifice de son Fils jusqu’au bout à la Croix, en le

suppliant intérieurement de l’emporter avec lui. C’est très étonnant, le lien de Marie avec Jésus à la Croix. C’est là qu’on saisit combien elle est Mère, fidèle dans son amour pour son Dieu, pour son Fils qui est Dieu. L’histoire de la « mère admirable » est déjà très belle, mais la réalité est infiniment

plus grande que la préfiguration. La réalité, c’est Marie au pied de la Croix, s’offrant avec Jésus. Et

Jésus meurt pour elle, il ne faut pas l’oublier. Le mystère de l’Immaculée Conception, le mystère de la pureté absolue de Marie, vient directement de Jésus. Jésus meurt pour elle, et il la remercie. C’est tellement vrai, qu’il meurt pour elle, qu’il a voulu le montrer d’une façon visible par l’Eucharistie. U meurt pour elle et il meurt pour la remercier, et Marie s’offre avec lui. Mais Jésus lui demande de

demeurer après sa mort pour Jean, c’est-à-dire pour nous. Marie n’est pas morte à la Croix, alors que la douleur qu’elle ressentait était telle qu’elle aurait dû en mourir, vu le lien si intense qu’elle avait

avec Jésus. Mais il y a eu une grâce particulière pour qu’elle demeure après la Croix pour nous, pour être notre Mère. Cela lui a coûté cher, d’être notre Mère ! Il faut se rappeler souvent cela : elle est

demeurée sur la terre pour nous, pour Jean c’est-à-dire pour nous. Et Jésus lui a donné par le sacrement de l’Eucharistie son corps et son sang pour la fortifier, pour qu’elle puisse demeurer sur la terre. Il faut toujours regarder le mystère de l’Eucharistie comme un mystère qui complète le mystère

de la maternité de Marie. C’est pour sa Mère que Jésus se donne à travers son corps et son sang — et ce don nous est transmis.

II

Marie et ie sacerdoce

Ces deux conférences, celle de ce matin et celle de cet après-midi, se tiennent, puisque le Saint-Père a dit lui-même que le prêtre se définit par l’Eucharistie, qu’il est l’homme de l’Eucharistie1. Le prêtre est pour l’Eucharistie, pour les fidèles, il est l’homme qui donne le pain et le vin au peuple de Dieu, de sorte que si Marie est liée d’une manière très spéciale au mystère de l’Eucharistie, le prêtre est lié à Marie d’une façon toute spéciale. Il y a là un lien, puisque

l’Eucharistie est pour Marie, pour remercier Marie, et que Jésus n’a pas voulu que sa Mère soit prêtre : il a voulu pour elle quelque chose de plus grand. Sa maternité divine la met dans une 1 Lors de son passage à Paris en 1980, le Pape Jean Paul II a rappelé avec une très grande force ce qu’il avait dit dans sa Lettre aux évêques : le sacrement de l’Eucharistie est la raison d’être du prêtre (Cf. Lettre aux évêques poul­ ie Jeudi Saint 1980, n° 2. Message aux prêtres, Notre-Dame de Paris, 30 mai 1980, n® 3 et 5). Cette expression est très belle, et elle est très forte. Saint Thomas dit que l’Eucharistie donne la signification profonde du sacerdoce (Cf. Somme théologique, III, q. 65, a. 3).

126

proximité à l’égard de Jésus qui est unique. C’est pour cela que Marie, parmi les créatures, est la première. Marie est dans l’Eglise, elle est de l’Eglise, mais elle est première, et elle est au-delà puisque c’est à cause de sa maternité, grâce à sa maternité, que l’Eglise existe. Le mystère de la maternité divine de Marie est un mystère très exceptionnel qui dépasse tous les autres, tellement il est lié au mystère de l’Incarnation. Le mystère de l’Incarnation, c’est la « descente » de la Très Sainte

Trinité sur ses enfants, sur les chrétiens, c’est le mystère de la Très Sainte Trinité qui s’ouvre à tous les hommes, et c’est cela qui nous donne une dignité unique, une dignité qui dépasse celle des anges.

Marie est la Reine des anges en raison de sa maternité divine. Il faut donc essayer de comprendre le lien particulier qu’il y a entre Marie et le sacerdoce. On voit bien qu’il y a un lien, mais quel est-il dans la sagesse de Dieu ? C’est toujours à la sagesse de

Dieu qu’il faut remonter pour découvrir le lien véritable voulu par Dieu, le lien étemel — car il ne

s’agit pas du lien des lois humaines ou des convenances, d’un lien politique : cela disparaît avec le temps, tandis que là il y a un lien éternel voulu par Dieu.

Ce qui frappe immédiatement, c’est que Jean, lors de l’institution de l’Eucharistie, a été invité par Jésus à être tout près de lui. On ne dit pas que Pierre était à droite et Jean à gauche ; non, on dit seulement que Jean était près de Jésus et qu’il avait sa tête tout proche du cœur de Jésus. On parle de

Pierre, oui : Pierre a été un peu scandalisé par Jésus qui, avant d’instituer la Pâque, a voulu laver les pieds de ses disciples ; Pierre a eu de la peine à comprendre que Jésus s’humilie de cette manière, qu’il se fasse le dernier, le serviteur par excellence. Et pourtant c’est cela : Jésus a voulu être

serviteur des serviteurs avant de réaliser le mystère de l’Eucharistie, où il est encore plus serviteur parce que le serviteur par excellence, c’est la nourriture. Etre pour les autres le pain, le vin, c’est bien le service par excellence. On se sert de la nourriture d’une manière substantielle, puisqu’on la transforme en nous : l’aliment est bien le serviteur par excellence, tout ordonné à nous. Et Jésus a voulu montrer qu’il était le serviteur par excellence, le serviteur des serviteurs. Dans ce repas pascal,

qui a commencé par la Pâque ancienne et qui s’est terminé par l’institution de l’Eucharistie, c’est bien le mystère de l’Agneau pascal qui nous est donné. Jésus a voulu être l’Agneau pascal par la

Croix, il a voulu être la victime par excellence offerte à tous pour être le pain qui nous transforme tous, le vin qui maintient la joie en tous1. C’est très étonnant, que le repas pascal institué pour libérer

le peuple d’Israël du joug des Egyptiens ait servi à Jésus pour se donner lui-même comme pain et comme vin, pour être celui qui donne au repas pascal son sens, sa signification. La Pâque ancienne

était une préfiguration de la Pâque nouvelle, la Pâque eucharistique. Et dans ce repas de la Pâque eucharistique, il n’y avait que les Apôtres, Marie n’y était pas visiblement, et Jésus a voulu donner à Jean une place unique tout près de lui, tout près de son cœur. C’est aussi dans ce repas pascal que Jésus a annoncé sa mort, a annoncé qu’il serait trahi par un de ses amis. Et la trahison existera toujours au sein de l’Eglise. Le démon trahit, et il continue de

trahir, parce que la trahison va directement contre l’amour. La trahison, c’est l’ami qui se sert de tout ce qu’il a connu de son ami pour lui faire le plus de mal possible. La trahison est finalisée par le mal,

et elle veut enfoncer le fer dans la plaie le plus loin possible. C’est au moment où Jésus se donne totalement, où il se livre pour être pain et vin, qu’il annonce cette trahison. Il y a donc dans la trahison de Judas quelque chose qui regarde l’Eucharistie. Cela, c’est bien la tactique du démon :

plus Jésus se donne, plus le démon est là, farouche. Le démon n’attaque pas les gens qui sont médiocres, il les laisse vivre, et même il prend soin d’eux et entretient leur tiédeur ; mais il est

1 Voir Jug 9, 13. Ps 104, 15. Pr 31, 6-7. Sir 31,27-28 et 40, 20. Zach 10,7.

127

farouche à l’égard de ceux qui veulent aimer, parce que lui n’aime plus ; il a donc une haine pour tous ceux qui aiment, et il désire les rejeter, les supprimer. Dans ce repas pascal Jésus se livre lui-même avant la Croix pour nous faire comprendre ce qu’est la Croix. C’est cela qui est tout à fait spécial dans le mystère de l’Eucharistie. Il a été réalisé

avant la Croix pour nous faire découvrir la Croix, nous montrer ce qu’est la Croix. C’est pour cela que le repas pascal est avant la Croix, et il se renouvelle après la Croix pour non seulement nous rappeler, mais nous faire vivre le mystère du don total que Jésus nous a fait de lui-même à la Croix.

Le mystère de la Pâque nouvelle enveloppe la Croix du Christ pour nous montrer que la Croix nous

est donnée à travers l’Eucharistie. A travers l’Eucharistie Jésus réalise le don total, plénier, qu’il a réalisé à la Croix, et c’est là qu’il a manifesté sa sagesse. La sagesse chrétienne — saint Paul l’affirme avec force1 — se comprend à travers le mystère de la Croix, où Jésus accepte d’être trahi en

se donnant. Il va le plus loin possible dans le don. On ne peut pas aller plus loin dans le service et le don qu’en se donnant comme pain et comme vin. Et c’est comme cela que Jésus se donne à nous et

que le mystère de la Croix est donné à chacun d’entre nous comme le mystère central de notre vie

chrétienne. Car l’Eucharistie est bien le mystère central de toute notre vie chrétienne ; or, dans ce

mystère, Jésus se donne d’une manière toute spéciale à Jean. Cela nous est dit : Jean est celui qui, à la demande de Pierre, a posé la question à Jésus : « Seigneur, qui est-ce ? »2. Jean avait suffisamment

d’intimité avec Jésus pour poser cette question. On voit donc là qu’il y a un lien particulier entre l’Eucharistie et Jean. Et il y a un autre lien, dont nous avons déjà parlé : le lien avec Marie, qui est en quelque sorte à l’origine de l’Eucharistie3. L’Eucharistie n’aurait pas pu avoir lieu si la maternité divine de Marie

n’avait pas existé, et c’est pour cela qu’il y a ce lien entre sa maternité et l’Eucharistie — ce que j’ai essayé de vous expliquer ce matin. On voit donc qu’entre Marie et Jean il y a un lien très particulier par rapport à l’Eucharistie. On ne dit pas comment s’est fait ce lien, mais il nous est montré. Parce qu’elle permet le mystère de l’Eucharistie, la maternité divine de Marie, par le fait même, enveloppe ce mystère qui est comme une réponse de Dieu, du Père, à cette maternité. Et Jean, comment

apparaît-t-il dans l’Evangile ? Jean a une place particulière auprès de Jésus, une place très spéciale, différente de celle de Pierre. Juste avant de commencer à annoncer à ses disciples sa Passion, Jésus avait dit à Pierre qu’il fonderait sur lui son Eglise4. Après la Résurrection, Jésus s’adressera à lui

d’une manière plus intime en lui demandant à trois reprises : « M’aimes-tu ? », et il lui demandera d’être « le pasteur de ses brebis »5. Jean, lui, avait été pris dans l’intimité de Jésus pendant la Cène6, et à la Croix en recevant Marie comme sa Mère7. On pourrait donc dire que le mystère de Jean passe

avant le mystère de Pierre. Mais attention ! ne tombons pas dans des hérésies ! Car, de fait, il y a eu des hérésies johanniques, consistant à prôner une Eglise de Jean séparée de l’Eglise de Pierre. La tentation existe toujours, d’opposer l’aspect mystique et l’aspect juridique. L’aspect mystique, c’est Jean, l’aspect juridique, c’est Pierre, et on les oppose. Mais il ne peut y avoir aucune opposition dans ce qu’a fait Jésus. Il y a un ordre, et c’est très différent. Déjà du vivant de Jean on imaginait qu’il n’allait pas mourir. En effet, Jésus avait dit à Pierre qu’il serait le pasteur de ses brebis et donc qu’il serait, à sa suite, tête de l’Eglise. Et comme il ne disait rien à Jean, Pierre s’inquiète et demande à Jésus : « Et lui, qu’est-ce qu’il va devenir? »... mais Jésus ne veut pas dire son secret et répond : 1 Voir 1 Co ch. 1 et 2. 2 Voir Jn 13,21 sq. 3 Cf. Jean Paul II, L’Eglise vit de l’Eucharistie, n° 55. 4 Voir Mt 16, 13-18. 5 Voir Jn 21, 15-17. 6 Voir Jn 13,23-25. 7 Voir Jn 19,25-27.

128

« Que t’importe ? », comme si Pierre devait laisser Jean tranquille ! « Si je désire qu’il reste jusqu’à

ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » Alors immédiatement, « le bruit se répandit parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas »', qu’il resterait jusqu’au retour du Christ. Mais en réalité, cela veut dire que Y esprit de saint Jean doit demeurer dans l’Eglise jusqu’au retour du Christ et qu’il faut vivre de l’esprit de son Evangile, désirer être l’apôtre qui aime Jésus d’une manière toute spéciale, «jusqu’à ce qu’il vienne »2.

Or Jésus a voulu lui-même sceller l’amour de Jean et de Marie d’une manière unique à la Croix. Alors qu’il est encore vivant sur la Croix, immolé comme l’Agneau, Jésus regarde Marie et lui dit : « Femme, voilà ton fils », et regardant Jean il dit : « Voilà ta Mère ». C’est Jésus lui-même qui a voulu que Marie, après avoir été sa Mère jusqu’au bout, jusqu’à la Croix, devienne la Mère de Jean. Il a voulu que sa Mère demeure vivante après la Croix pour être la Mère de Jean. Qu’est-ce que cela

veut dire ? C’est le testament d’amour du Christ à la Croix, c’est donc quelque chose de sacré. Jésus n’a pas voulu que sa Mère reste seule et il a voulu la donner à Jean pour Mère, et par Jean à nous, et à tous ceux qui veulent la recevoir3. Nous avons la même Mère que Jésus et nous sommes, par Marie et en elle, unis d’une façon très spéciale à Jésus, parce que ce qui est réalisé pour Jean est modèle de ce que Jésus veut pour tous ceux qui viennent après lui. Cela, l’Eglise l’a compris d’une façon très nette. Nous devons constamment recevoir la parole que Jésus a dite à saint Jean du haut de la Croix, la

recevoir pour nous, entendre dans la foi cette parole que Jésus nous dit : « Voilà ta Mère », regarder Marie dans la lumière du Christ qui nous la donne pour qu’entre notre cœur et le cœur de Marie il y

ait un lien divin, un lien de mère à enfant. Tout notre amour pour Marie vient de là. Jean, le disciple bien-aimé, a été consacré prêtre au moment de la Cène. Jésus a dit aux Apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi »4. C’était les consacrer comme prêtres pour continuer à

rendre présent dans l’Eglise le mystère de l’Eucharistie. Et Jésus a formé Marie comme un enfant divin peut former sa mère, en allant jusqu’à la Croix — car ce qui a formé le plus profondément Marie, c’est le mystère de la Croix —, et l’ayant formée d’une façon unique il la donne à Jean pour être sa Mère.

Nous voyons là à l’état pur, à l’état premier, comment Marie est liée au sacerdoce du Christ : elle est liée au sacerdoce du Christ d’abord parce que c’est par sa maternité que Jésus peut être hostie, victime d’amour. C’est grâce à la maternité de Marie que la Croix a existé et que le sacrement de l’Eucharistie a été institué. Là nous voyons bien comment le sacerdoce est lié à la maternité divine

de Marie. S’il n’y avait pas eu la maternité divine de Marie, il n’y aurait pas eu le sacerdoce chrétien.

Le sacerdoce chrétien présuppose la maternité divine de Marie. Cette maternité divine, ayant permis à Jésus d’être l’Agneau à la Croix, lui a donc permis d’être l’Agneau dans la célébration

eucharistique. Et cela, c est pour nous. Sans la maternité divine de Marie, le sacerdoce du Christ n’aurait pas pu se réaliser comme il s’est réalisé, c’est-à-dire en faisant que le corps du Christ devienne notre pain, et que son sang devienne notre vin. C’est cela qui est si extraordinaire. Il y a donc un lien très profond entre Marie et Jean, entre Marie et les prêtres. Tous les prêtres devraient

1 Voir Jn 21,21-23. 2 Jn 21, 22 et 23. Cf. L'Eglise vit de l’Eucharistie, n° 20 : «Proclamer la mort du Seigneur “jusqu’à ce qu’il vienne ” ( 1 Co 11, 26) implique, pour ceux qui participent à l’Eucharistie, l’engagement de transformer la vie, pour qu’elle devienne, d’une certaine façon, totalement “ eucharistique ”. Ce sont précisément ce fruit de transfiguration de l’existence et l’engagement à transformer le monde selon l’Évangile qui font resplendir la dimension eschatologique de la Célébration eucharistique et de toute la vie chrétienne : “ Viens, Seigneur Jésus ! ’’ (Ap 22, 20) ». 3 Voir L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 57. 4 Cf. Le 22,19-20. 1 Co 11, 23-25.

129

comprendre qu’ils sont prêtres grâce à la maternité divine de Marie, et qu’ils le sont très particulièrement pour que cette maternité soit vécue par les chrétiens d’une façon spéciale.

Il faudrait se demander pourquoi Jésus a choisi Jean comme prêtre. C’est un grand mystère, cela ! Pourquoi n’a-t-il pas choisi Marie ? Pourquoi le sacerdoce, dans l’Eglise catholique, est-il réservé aux disciples du Christ et non pas donné à Marie de Magdala et à la Vierge Marie ? C’est une

très grave question. On répond : parce que Jésus l’a voulu ainsi. Mais cela n’explique rien ! Pourquoi

Jésus a-t-il voulu cela ? N’est-ce pas pour mieux nous montrer ce qu’est la maternité divine de Marie ? Marie est mère du corps du Christ, et le prêtre qui transforme le pain en le corps du Christ, le vin en le sang du Christ, le fait grâce au pouvoir sacerdotal que Jésus lui donne. Le corps du Christ a

été formé en Marie par l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint elle est la Mère de Jésus, et par Jésus elle est

la Mère de Jean. Il y a un lien tout à fait particulier entre elle et le prêtre qui transsubstantie le pain en le corps du Christ et le vin en son sang. Par un pouvoir qui lui a été donné, il réalise ce que Jésus lui-

même a réalisé. Mais ce pouvoir, pourquoi Jésus ne l’a-t-il pas donné à sa Mère ? Parce qu’il lui

avait donné d’être Mère de Dieu. La maternité divine de Marie et le sacerdoce sont liés à l’égard du corps et du sang du Christ. Dans la maternité divine de Marie c’est réel d’abord dans la foi1 mais c’est aussi réel au sens physique, au sens matériel ; dans le sacerdoce, c’est sacramentel. C’est

différent, mais des deux côtés il y a un pouvoir sur le corps du Christ (formation du corps du Christ et transsubstantiation de son corps). Il y a là une union substantielle, et c’est pour cela que le

sacerdoce chrétien doit être tellement confié à Marie pour garder toute sa dignité sacerdotale, toute sa grandeur sacerdotale. Comment comprendre ce passage du mode physique au mode sacramentel ? Le mode

physique, c’est l’Esprit Saint qui l’a réalisé. Quand Marie dit à l’Annonciation : « Comment cela sera-t-il ? Je ne connais pas d’homme », l’ange répond : « L’Esprit Saint surviendra en toi »2 et il ne

lui donne aucune explication— c’est l’Esprit Saint qui agira. Quand il s’agit du sacerdoce sacramentel du prêtre, il s’agit de recevoir un pouvoir divin qui est tout entier tourné vers le Ciel puisque Jésus n’est plus de ce monde ; par la présence sacramentelle il est présent pour nous, certes, mais il ne revient pas sur la terre, il n’est pas présent comme il était présent à Nazareth. Il est présent en vue de la vision béatifique et pour que nous soyons capables d’attendre la vision béatifîque ; c’est

donc une présence qui n’est plus de ce monde. La présence eucharistique est une présence divine, toute divine, que Dieu seul réalise et qui a un caractère tout à fait particulier. L’Eucharistie nous donne la présence du Christ, mais d’une manière cachée : c’est intérieur. Il y a entre Jésus hostie et nous une union très cachée.

C’est beau, de regarder aussi le sacrifice que Dieu a demandé à Joseph, en lui demandant

d’être gardien de Marie et de Jésus dans une très grande pauvreté, dans un très grand respect. Il n’avait aucun pouvoir mais il devait exercer une autorité. Il y a un lien entre Joseph et Jean. Et on peut se poser la question : Dieu n’a-t-il pas confié aux prêtres le soin de l’Eucharistie en continuité avec Joseph et grâce à lui? Il a demandé à Joseph ce sacrifice de la paternité humaine, et le sacerdoce chrétien demande au prêtre de rester vierge, non marié. C’est la béatitude des pauvres. C’est un grand sacrifice, d’accepter de ne pas avoir d’épouse humaine, de rester seul comme Joseph a

été seul. On peut dire, en ce sens, que Joseph a préparé le sacerdoce de Jean. Le sacerdoce exige que 1 L’affirmation Prius concepit in corde [ou : in mentej quam in carne (elle « a conçu dans son cœur [ou : dans son esprit] avant de concevoir dans sa chair ») est chère à saint Augustin (voir Sermon 215, 4, P.L. 38, col. 1074 ; La virginité consacrée, III, 3, Nouvelle bibliothèque augustinienne, Paris 1992,1, p. 82) ; on la trouve aussi chez saint Léon le Grand (Sermons pour Noël, I, 1, Sources chrétiennes 22bis, pp. 68-69) Evoquée dans Lumen Gentium (n° 53), elle nous est rappelée par Jean Paul II avec beaucoup de netteté dans l’encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987), n° 13, qui donne de nombreuses références. 2 Le 1, 34-35.

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le prêtre soit pauvre dans l’ordre de l’amour pour être tout entier donné à Jésus. Dieu n’a pas donné à

Joseph un pouvoir, mais il lui a demandé d’être complètement consacré à lui. Il faudrait « creuser » ce lien mystérieux entre Joseph et le prêtre. Le sacerdoce, dans l’Eglise catholique, demande la virginité ; et dans l’Eglise orthodoxe, l’épiscopat, c’est-à-dire le sacerdoce plénier, demande la vie

monastique, donc la virginité. C’est ce rôle magnifique que Dieu a donné à Joseph par rapport à Marie, qui n’était pas n’importe quelle jeune fille. Elle était la plus parfaite de toutes les jeunes filles et Joseph a fait le sacrifice d’être père afin d’être pour Marie un soutien, un gardien, un ami, tout en gardant sa virginité. Quelque chose d’analogue est demandé au prêtre étant donné ce que Dieu veut lui confier, ce pouvoir sacerdotal qui est si grand ! Chaque fois que Dieu veut nous donner quelque chose de très grand, il nous rend plus pauvres, et nous rendant plus pauvres il peut nous donner ce qu’il veut nous donner. Cela n’explique-t-il pas cette chose si mystérieuse, que la maternité divine de

Marie se réalise dans l’Eglise en tous ceux qui, par amour pour le Christ, consacrent toute leur vie à Jésus comme Marie ? Parce qu’ils ont consacré toute leur vie à Jésus, à Marie, comme elle-même

s’est consacrée totalement à Dieu, Dieu leur donne ce mystère du sacerdoce qui est le corps de Jésus mis à la disposition des chrétiens, hommes et femmes, pour qu’ils vivent plus totalement du mystère du Christ. On comprend alors comment la maternité divine de Marie à l’égard du corps du Christ fait que Marie regarde le prêtre d’une manière toute spéciale, puisqu’elle lui confie comme à Jean le mystère de l’Agneau, le mystère de l’hostie (la victime).

131

6ème conférence

L’Eucharistie, source d’unité

le 4 avril 2004

Le mystère de l’Eucharistie est un mystère d’unité1. Il faut se rappeler que Jésus a voulu

instituer le sacrement de l’Eucharistie après avoir vécu avec ses Apôtres la Pâque juive. C’est très significatif et cela doit être pour nous un signe, et plus qu’un signe : un signe divin porteur d’une efficacité très spéciale. La Pâque était comme —je dis bien « comme » — le « sacrement » le plus manifeste en Israël avant la venue du Christ. A l’origine, la famille et les amis se réunissaient autour de celui qu’ils considéraient comme un chef, celui qui avait l’autorité, pour fêter la protection de Dieu sur le peuple d’Israël. La première Pâque2, signe et réalisation de salut et d’unité pour le peuple

d’Israël, était le signe du « passage » de Dieu libérant son peuple du joug des Egyptiens. Pour les

Egyptiens ce passage de Dieu avait été terrible, puisqu’il avait causé la mort des fils amés de toutes les familles. Cela avait vraiment été un passage de Dieu. Et pour le peuple d’Israël, la Pâque restait comme le grand signe, le grand « sacrement » d’unité du peuple. Et Dieu a voulu que cette Pâque ancienne, qui montrait sa protection toute spéciale à l’égard du peuple d’Israël, soit transformée en une Pâque nouvelle, par l’institution de l’Eucharistie, où l’Agneau pascal n’est plus un animal offert à Dieu en holocauste et en même temps signe d’unité pour tous ceux qui célébraient la Pâque ensemble ; c’est Jésus lui-même qui se donne à travers les espèces du pain et du vin : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang »3. Et cette Pâque, qui a eu lieu

juste avant la Croix, tire toute sa signification de la Croix où le Christ va mourir pour son peuple et pour tous les hommes. Là, Dieu répand sa bénédiction et son salut au-delà du petit peuple qu’il s’était choisi ; il l’ouvre à tous les hommes. La Pâque chrétienne nous montre comment le choix du peuple d’Israël, ce choix particulier de Dieu, s’ouvre à tous les hommes de bonne volonté. Il n’y a

plus de distinction : nous sommes tous unis dans le Christ et par lui. Jésus réalise une nouvelle unité

entre tous ceux qu’il a choisis, et par la Croix son choix s’étend à tous les hommes, au-delà du peuple choisi. Tous sont appelés à vivre le même mystère dans le Christ, à communier au même pain et au même vin qui sont devenus son corps et son sang, donnés à travers le mystère de la Croix. Pour ceux qui voulaient que le Christ soit crucifié, la Croix signifiait l’exclusion de Jésus,

l’anéantissement de son influence sur le peuple juif et sur tous les hommes. On voulait en finir avec Jésus, on voulait que cela cesse : il avait trop d’influence par les miracles qu’il réalisait, et il risquait d’emmener à sa suite tous les hommes. On a donc crucifié Jésus pour l’exclure, pour qu’on n’entende plus parler de lui — c’était très net dans la pensée du grand prêtre et de tous ceux qui ont condamné Jésus4. Mais il fallait le prouver... d’où le procès fait à Jésus pour montrer à Pilate qu’il devait agir 1 Voir Jean Paul II, L'Eglise vit de l'Eucharistie, nœ 21 à 24. 2 Voir Ex 12, 1-14. 3 Cf Mt 26,26-28 ; Mc 14,22-24 ; Le 22, 19-20 ; 1 Co 11,23-25. 4 Voir Jn 11,47-50.

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de cette façon en faveur du peuple juif1. Jésus a été écarté comme quelqu’un qui brisait l’unité parce

qu’il avait une influence trop grande sur le peuple par les miracles qu’il faisait ; car ces miracles, signes qu’il était envoyé de Dieu, on les considérait comme des signes qui séduisaient le peuple et qui entraînaient une division qui aurait empêché le peuple de se libérer du joug des Romains. C’est très net quand on relit les récits de la fin de la vie du Christ, de sa mort au Golgotha : on veut se débarrasser de lui, et parce que l’on considère qu’il est dangereux tous les procédés sont bons, et le

procédé le plus fort est de le crucifier comme un homme dangereux, un homme qui ne comprend pas ce qu’est le peuple juif. Et c’est vrai, le terme de la vie du Christ sur la terre, quand on le compare au point de départ — car Bethléem et la Croix se tiennent2 —, est terrible. L’arrivée du Christ à Bethléem se réalise dans la pauvreté : les hommes ne veulent pas se déranger pour lui ; le jeune foyer de Joseph et de

Marie est exclu, et ils doivent se réfugier dans une étable et déposer l’enfant Jésus dans une mangeoire, une crèche. La Croix, ce n’est plus seulement la pauvreté matérielle, c’est la pauvreté

humaine la plus terrible qui soit, la plus honteuse que les hommes aient pu réaliser. On exclut le Christ comme un homme dangereux, quelqu’un sur qui on ne peut absolument pas compter. Il y a donc non seulement une pauvreté physique, matérielle, mais aussi la pauvreté spirituelle du déshonneur ; crucifier le Christ, c’était le considérer comme un esclave, car on n’avait pas le droit de crucifier un homme libre — autrement dit on considérait qu’il n’avait plus aucune liberté. C’est très

important de se rappeler cela parce qu’aujourd’hui, si on regarde l’humanité, on voit qu’elle cherche la liberté. C’est le grand slogan, et cela marche à tous les coups ! Mais la liberté, on ne sait pas ce que c’est, parce que les gens qui cherchent la liberté à leur façon ne sont pas des gens libres, ils ne savent pas ce qu’est la liberté. On met la liberté au-delà de l’amour alors que la vraie liberté provient de l’amour. Sans amour il n’y a pas de liberté, il n’y a qu’une liberté qu’on se donne à soi-même

mais qui est une fausse liberté, et c’est cela que Jésus nous apprend par la Croix. Et Jésus nous apprend à regarder la Croix en instituant l’Eucharistie. L’Eucharistie instituée par Jésus, la nouvelle Pâque, tire toute sa signification de la Croix. La Pâque ancienne était essentiellement religieuse, c’était le petit peuple juif qui retrouvait sa liberté par rapport aux

Egyptiens, et qui voulait la retrouver. L’institution de l’Eucharistie, c’est Jésus qui nous annonce qu’il se donnera entièrement à la Croix. La première Pâque demeure encore car, au moment de

l’institution de l’Eucharistie, Jésus n’est pas encore mort sur la Croix ; et il institue l’Eucharistie pour nous montrer qu’il se donnera tout entier, par amour. Il nous montre que la Croix est un holocauste d’amour. C’est pour nous que Jésus s’immole à la Croix, c’est pour nous qu’il accepte d’être traité comme un esclave, c’est pour nous qu’il meurt dans sa liberté d’homme, en voulant mourir comme

un esclave condamné à mort. Et cela, il le fait par amour. L’institution de l’Eucharistie ne peut pas se séparer du mystère de la Croix, car c’est la Croix qui lui donne toute sa signification. On ne peut pas vivre de l’Eucharistie sans comprendre qu’elle est pour nous et qu’elle est pour nous le moyen de vivre de la Croix du Christ. Tout le mystère de la Croix nous est donné à travers l’Eucharistie.

Et ce mystère de la Croix est premièrement un mystère d’amour, ce n’est pas d’abord un mystère de liberté. Les hommes cherchent la liberté, Jésus cherche l’amour. Y a-t-il une liberté sans

amour ou bien, au contraire, la liberté dépend-elle de l’amour? Il y a, hélas, une déformation complète du mystère de la Croix et du mystère de l’Eucharistie, et cette déformation est l’œuvre du démon. Les hommes, sans comprendre, suivent le démon, et on voit bien que c’est là que la lutte est la plus secrète et la plus profonde : il y a comme une inversion complète entre liberté et amour. Jésus

1 Voir Le 23,2-5. 2 Voir Edith Stein (sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix), La Crèche et la Croix, Ad Solem, 1998.

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meurt par amour pour nous et il meurt comme un esclave, un esclave qu’on condamne. Il accepte de porter sur lui ce qui est le plus opposé à la liberté et de le porter par amour pour nous, pour nous donner la vraie liberté'. Si on n’aime pas, on ne sait pas quoi faire de la liberté, alors on invente tout

ce qu’on peut inventer. C’est ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui : on promet aux gens la

liberté indépendamment de l’amour, et pour qu’ils se laissent séduire cette liberté prend toutes les physionomies possibles ; c’est toujours la liberté qu’on cherche, mais sans amour. Le Christ, lui, est mort par amour, et il a porté par amour ce qui est le plus opposé à la liberté : la mort de l’esclave, la mort de celui qu’on rejette, de celui qu’on considère comme un séducteur. Nous devons toujours

nous rappeler cela : être catholique, être chrétien, c’est suivre Jésus dans son choix, et son choix s’est

réalisé à la Croix. Il a choisi l’amour pour donner aux hommes une nouvelle liberté : la liberté des

chrétiens. Il n’y a pas d’homme plus libre qu’un chrétien, s’il comprend qu’être chrétien, c’est vivre de l’amour de la manière la plus profonde et la plus grande qui soit, vivre de l’amour qui lui donne la liberté, une liberté en vue de l’amour, une liberté pour aimer d’une façon qui soit vraie. Ce mystère de la Croix demeure pour nous un mystère qui humainement est horrible. Que les hommes aient commis ce crime, c’est insupportable... et en même temps, c’est la porte du Ciel qui nous est ouverte. La porte du Ciel nous est ouverte par la Croix, et c’est la seule porte puisque, à cause du péché originel, toute l’humanité est enfantée dans le péché2, et la Croix nous sauve de cet

esclavage du péché, de cette fausse liberté. Et Jésus, sachant combien l’homme est facilement pris

par des choses secondaires — nous avons une sensibilité qui nous attire toujours vers des biens secondaires, sensibles, multiples et divers —, a voulu qu’à travers sa mort qui s’est réalisée une fois dans le temps nous comprenions, dans la foi, que la Croix est toujours présente pour nous3. Nous n’avons pas eu le privilège de pouvoir vivre avec Jésus au milieu de nous ; ce privilège a été pour un petit nombre et Jésus, dans sa sagesse, sait combien l’homme a du mal à vivre de quelque chose

d’aussi terrible et d’aussi grand que la Croix. C’est Dieu qui, dans sa sagesse, a voulu la Croix. Et la Croix, saint Paul nous le dit, est sagesse pour le chrétien4. Mais comme nous avons de la peine à embrasser la Croix du Christ, à reconnaître qu’elle est pour tous les chrétiens, s’ils le veulent ! C’est un moyen qui relève d’une sagesse divine tellement difficile à comprendre, parce que tout va en sens

inverse ! C’est pour cela que Jésus a voulu instituer l’Eucharistie : pour que la Croix soit présente dans notre vie, qu’elle soit présente tous les jours et dans tous les lieux. Tous les jours, dans tous les lieux du monde, l’Eucharistie est là, donnée. Mais hélas, très souvent les hommes préfèrent faire

autre chose que de participer à l’Eucharistie, parce qu’ils ne savent pas... Mais nous avons, nous, la grâce de savoir que l’Eucharistie est un mystère d’amour : la Croix qui nous est donnée d’une manière très voilée, très cachée, très divine. S’il fallait faire un exercice

extraordinaire pour être uni à la Croix, on comprendrait peut-être mieux. Mais Dieu est tellement

bon, tellement miséricordieux, que sachant notre fragilité, notre faiblesse, il se donne à nous de cette manière si simple. Il faut la simplicité de Dieu pour que Dieu tout-puissant et tout amour puisse ramener la Croix, à la fois si odieuse et si grande, et qui a existé une fois pour toutes, à ce mystère

quotidien du pain et du vin, ce mystère de la nouvelle Pâque. Les chrétiens sont répandus dans le monde entier, mais en même temps ils doivent se réunir en petits groupes pour communier ensemble au même pain, au même vin ; parce que ce n’est plus du pain et du vin, c’est le corps crucifié et glorieux de Jésus, et son sang, qui nous sont donnés (la Croix et la gloire sont intimement liées dans

le mystère de l’Eucharistie). ' Voir Ro 8,21. Cf. Ps 50, 7. 5 Voir He 5, 8-10 ; 7, 26-28 ; 9, 14 et 25 sq. ; 10, 10 et 14. 4 Voir 1 Co 1, 17 à 2,9. 2

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C’est quelque chose d’inouï, que la Croix nous soit donnée de cette manière par l’Eucharistie. C’est une invention folle de Dieu, et tellement miséricordieuse, parce que cela reste caché. Rien n’est

plus simple que le pain et le vin, tout le monde comprend ce que c’est ; et le mystère de la Croix, qui nous échappe tellement, se donne dans cette si grande simplicité. Dieu seul peut faire cela.

La première fois qu’un prêtre célèbre la Messe, cela le frappe : on a préparé les oblats à la sacristie, et le mieux possible. Le vin, on le prépare avec plus de soin que le pain parce qu’il a une

dignité plus grande. Si le pain pouvait raconter son histoire, il montrerait combien il est serviteur, combien il est donné et combien il est maltraité. Autrefois, dans la bonne éducation chrétienne, on

respectait le pain, et c’était par là qu’on acquérait le premier respect de l’Eucharistie. Je me souviens : on n’avait pas le droit de laisser un petit morceau de pain à la fin du repas, il fallait le finir.

On n’a pas besoin de beaucoup d’éducation pour soigner le vin, tandis que pour soigner le pain, il faut être éduqué. Et Dieu unit les deux. Dieu veut que la Croix nous soit donnée par le pain et le vin. On pourrait dire que Dieu veut nous familiariser avec la Croix, ce qui n’est pas du tout facile pour nous. Nous avons tous, heureusement, une répugnance à l’égard de la Croix. Alors Dieu réalise ce sacrement du pain et du

vin où il se donne lui-même à nous... C’est une transsubstantiation : ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ qui a souffert sur la Croix. Notre sensibilité a besoin de toucher le pain qui nous

donne le corps du Christ, et de goûter le vin qui nous donne le sang du Christ. C’est admirable, que le sacrement de la Croix nous soit donné comme cela, parce que nous sommes tous de pauvres petits

enfants devant la Croix du Christ et que nous en avons peur. Seul le Christ a pu subir la Croix en

l’aimant. H a aimé la Croix parce qu’elle était pour lui le moyen le plus grand de se donner totalement à,nous. Dans sa sagesse, Dieu n’a rien trouvé de mieux que de souffrir le mystère de la Croix pour nous manifester son amour ; et pour que nous puissions nous familiariser avec la Croix, il a pris le pain et le vin. C’est cela, être chrétien : c’est vivre du Christ en recevant son corps et son sang, vivre de la Croix du Christ, être avec lui, pour lui et en lui, attaché au bois de la Croix pour glorifier le Père par lui et sauver nos frères par lui. On comprend alors que, par le pain et le vin, signes divins du mystère de la Croix, se réalise le mystère de l’unité de tous les chrétiens1.

Je me souviens d’une petite communauté religieuse protestante du canton de Neuchâtel, en

Suisse, dont la fondatrice était venue me voir en me disant : « Nos pasteurs ne comprennent pas la vie religieuse, alors je viens vous voir parce que je sais que vous nous respecterez ». Quand elle est

morte, toutes ses filles m’ont demandé de leur prêcher une retraite, et le dernier jour elles m’ont supplié de célébrer la messe pour elles, avec elles. Les autres jours, c’était le pasteur et je célébrais

seul, tandis que là, elles ont voulu que l’unité soit signifiée et soit très profondément dans leur cœur.

Sachant qu’elles ne pouvaient pas communier, elles m’ont dit: «Nous ne chercherons pas à

communier, nous communierons spirituellement, avec un désir intense de l’unité ». J’ai trouvé cela très beau et je me suis dit : « Avoir le désir de l’unité, c’est déjà réaliser l’unité ». Car pour Dieu, tous les désirs vrais se réalisent. C’était très beau, cette messe. Au moment de la sainte communion — celle du prêtre, puisqu’elles-mêmes savaient qu’elles ne pouvaient pas communier —, les sœurs, de leur côté, l’ont vécue dans le silence. Pendant dix minutes il y a eu un grand silence, et dans ce

grand silence une unité très forte avec Jésus, une unité plus vécue que celle de nos communions quotidiennes quand elles ne sont pas assez ferventes, ce qui empêche l’unité d’amour de se réaliser pleinement. Le désir intense de recevoir Jésus, et de le recevoir comme pain et comme vin, est le plus grand désir que nous puissions exprimer et qui réalise l’unité de l’Eglise. Souvent, hélas, cette unité n’est pas palpable, pas visible, mais elle est réalisée par Dieu dans la mesure où nous avons le désir 1 Voir L'Eglise vit de l'Eucharistie, n“41 à 44.

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ardent de recevoir le corps et le sang du Christ. C’est peut-être là qu’on réalise le mieux ce que doit

être l’unité de tous les chrétiens, et non seulement de tous les chrétiens mais de tous les hommes. Quand nous communions, nous devons communier pour tous les hommes et toutes les femmes qui ne

communient jamais parce qu’ils ne savent pas que l’Eucharistie est la Croix du Christ pour nous.

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T*"10 conférence

Marie, « femme eucharistique »

le 16 mai 2004

Le terme de toute la vie apostolique de Jésus, ce n’est pas l’Eucharistie, c’est le mystère de la Croix, et saint Jean nous montre que Marie y est présente, et que lui-même est là1. Le sommet de la conduite du Père sur son Fils bien-aimé qui s’incarne, c’est bien le mystère de la Croix. Le mystère de l’Eucharistie est encore un sacrement, donc un moyen divin en vue de la vision béatifique à

laquelle nous sommes appelés et vers laquelle nous tendons. Il ne faut jamais oublier que si Jésus a institué l’Eucharistie, c’est pour nous préparer à la vision béatifique. L’Eucharistie est le moyen le plus parfait voulu par lui en vue de la vision béatifique. C’est donc la vision béatifique (du moins ce

que nous pouvons en connaître sur la terre) qui nous fait découvrir ce qu’il y a de plus secret, de plus mystérieux, dans l’Eucharistie.

L'Eucharistie nous prépare à la vision béatifique et nous y conduit

L’Eucharistie est le miracle le plus parfait, le plus grand, et ce miracle est pour nous et il est à

chaque instant pour toute l’Eglise dans le monde entier. C’est ce mystère de l’Eucharistie qui fait l’unité de l’Eglise, et c’est lui qui nous conduit de la manière la plus efficace à la vision béatifique. Il

y aurait un parallélisme très beau à faire entre la vision béatifique et l’Eucharistie. Parce que la vision béatifique est, pour notre esprit (intelligence et cœur) transformé par la grâce, une vision et une amitié —une amitié dans la vision, et une vision dans une unité de vie—, et que déjà dans l’Eucharistie il y a cette unité de vie avec Jésus. Le corps du Christ faisant essentiellement partie du mystère du Verbe qui assume la nature humaine, l’Eucharistie est vraiment un don substantiel tout en

étant un moyen. Dieu seul peut faire cela. L’Eucharistie n’est pas un terme ; c’est un moyen pour nous permettre d’être fidèles et d’atteindre le terme, la vision béatifique, qui sera une vision

substantielle : le Verbe de Dieu se donnera à nous et il sera la nourriture divine de notre intelligence et de notre cœur. Nous serons entièrement comblés quant à notre intelligence surélevée par la foi, et

notre foi disparaîtra dans la vision de Dieu. Nous verrons Dieu face à face et nous serons avec lui dans l’intimité la plus forte que nous puissions vivre. La vision béatifique est vraiment le terme et l’achèvement, et l’Eucharistie est le pain divin qui nous conduit à cette vision, le moyen le plus merveilleux pour nous d’aller vers Dieu, de cheminer vers la vision béatifique. Et Dieu seul peut faire que des deux côtés — moyen et achèvement — une unité substantielle soit réalisée.

1 Cf. Jn 19,25-27.

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Pourquoi le Christ se donne-t-il à nous comme pain et comme vin ? Le don du corps du Christ est bien sûr aussi le don de son âme — puisque c’est un corps vivant —, et par le mystère de l’union hypostatique c’est le don du Verbe lui-même, du Fils bienaimé. Ce don se fait par l’intermédiaire du corps glorieux du Christ, ce corps qui a subi la Croix, qui a été l’hostie (la victime), qui a été l’Agneau. Parce que ce corps a été broyé par la Passion, par le

mystère de la Croix, il peut se donner comme pain, et c’est ce qu’il fait à travers l’Eucharistie. Et en

recevant le corps du Christ nous recevons son âme et sa divinité, la personne du Verbe. Pourquoi nous est-il donné sous cette forme du pain et du vin qui est si simple, apparemment si ordinaire ?

Pour que nous n’ayons pas peur de ce don. Dieu se voile, se cache, derrière le pain. Ce n’est plus du

pain, il n’y a plus que les apparences du pain, car en réalité c’est le corps de Jésus qui se donne, avec son âme et sa divinité. C’est une invention extraordinaire devant laquelle nous devons nous mettre à genoux puisque c’est pour nous que Jésus réalise ce don de sa propre personne. Grâce à son humanité il peut être pour nous pain et vin — la double consécration du pain et du vin signifiant ce qui s’est passé à la Croix : la séparation de l’âme et du corps du Christ. Cela symboliquement, mais en réalité car l’Eucharistie est un symbole divin. Dire « symboliquement » est toujours très dangereux, parce que le symbole, pour nous, humainement, reste quelque chose qui n est pas la réalité : le poète a recours à des symboles, mais par là il n’atteint pas la réalité. Tandis que lorsqu’il s’agit des réalités divines, le symbole est autre : dans l’Eucharistie, le symbole nous donne en vérité le corps du Christ, ce corps assumé par le Verbe, et il nous est donné pour nous transformer. Le pain et le vin restent des

symboles, mais il faut tout de suite ajouter que ce sont des symboles divins, c’est-à-dire des réalités, la réalité du corps du Christ et celle de son sang qui, séparés à la Croix, sont symboliquement séparés

pour nous dans la célébration de l’Eucharistie.

L'Eucharistie et le don du Paraclet

La première créature qui ait reçu le corps et le sang du Christ, c’est bien Marie, et c’est elle qui les a reçus de la manière la plus profonde ; c’est donc auprès d’elle que nous devons essayer de

saisir ce qu’il y a de si étonnant dans le mystère de l’Eucharistie. Que ce soit Marie qui ait vécu le

plus parfaitement ce mystère, on peut l’affirmer, c’est la vérité ; et on peut même aller un peu plus loin et dire que c’est pour Marie en premier lieu que Jésus a institué l’Eucharistie. Il l’a instituée pour nous, c’est sûr, pour chacun d’entre nous, et chaque fois que nous recevons l’Eucharistie nous pouvons dire à Jésus : « Merci de l’avoir instituée pour moi ». Tant qu’on n’a pas réalisé cela, on n’a

pas réalisé ce qu’est ce don, parce que c’est le don d’une personne à une personne. Normalement toute personne peut, par son amour et son intelligence, évaluer ce que représente un don — que le don soit petit ou qu’il soit très important. Tout don véritable engage la personne. On peut même dire que le don est un moment très précieux pour connaître la personne, car le don est le fruit de l’amour et prend toute sa valeur dans l’amour ; et parce que le don nous est fait par amour, c’est à nous d’en comprendre toute la valeur et toute l’authenticité. Le don par excellence, le plus grand de tous les dons, c’est évidemment la grâce, mais la

grâce nous permet de recevoir le corps du Christ. On peut donc dire que le corps du Christ donné dans l’Eucharistie est le don le plus parfait qui soit, le don des dons1. Là on pourra objecter : c’est l’Esprit Saint qui est Don dans la Très Sainte Trinité2 ; donc, quand l’Esprit Saint nous est donné,

1 Voir Jean Paul II, L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 11. 2 Voir SAINT THOMAS, Somme théologique, I, q. 38, a. 1 et 2. Cf. SAINT AUGUSTIN, De Trinitate, XV, XIX, 33-37, Bibliothèque augustinienne 16, DDB 1955, pp. 513-521.

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c’est le don par excellence. Oui, certes, mais l’Eucharistie nous permet de vivre de ce don ; la première orientation de l’Eucharistie est de nous donner l’Esprit Saint, le Paraclet1. L’Eucharistie et

le Paraclet — le don du corps et du sang du Christ, de l’âme du Christ, du Christ lui-même en tout ce qu’il est, et le don de l’Esprit Saint, du Paraclet — sont les deux dons les plus extraordinaires. On est là au sommet des dons, et donc vraiment devant une présence divine unique.

La réponse du Père à la maternité de Marie

Marie, à partir de l’Annonciation, a vécu du don que le Père lui faisait de son Fils par sa

maternité ; et comme Mère du corps du Christ sous l’action de l’Esprit Saint, elle reçoit Jésus et

l’Esprit Saint d’une façon unique, et juste avant la Croix elle reçoit en surabondance le don de l’Eucharistie. Elle est celle qui a le mieux « usé » divinement, dans l’amour et par amour, de ce don

unique qu’est l’Eucharistie. Alors, en contemplant cette union de Marie avec le corps du Christ, on découvre le lien qui existe entre la maternité divine de Marie et le don de l’Eucharistie ; et là il nous faut essayer de mieux comprendre, et pour cela interroger le Père2. Car le théologien a toujours le

droit d’interroger le Père, et il ne le fait pas assez. Nous n’interrogeons pas assez le Père parce que nous ne sommes pas assez enfants du Père. Si nous étions vraiment des enfants du Père, nous l’interrogerions toujours. Voyons comme les petits enfants interrogent leur grand-père ! c’est très

étonnant, et cela nous fait saisir quelque chose de beaucoup plus grand : le dialogue silencieux du Père avec Marie, dialogue qui prend tout son sens dans l’Eucharistie. Chaque fois que nous répondons à Dieu, à un service qu’il nous demande, il nous rend au centuple ce que nous avons donné. Or quel est le service le plus extraordinaire que Dieu, le Père, ait

demandé à sa petite enfant, Marie ? A l’Annonciation il lui a demandé d’être la Mère de son Fils

bien-aimé, du corps de son Fils bien-aimé. A cause de cela le corps de Jésus est lié à Marie, sa Mère,

d’un lien substantiel. Et, comme nous venons de le dire, chaque fois que nous rendons un service au Père — et il n’y a pas de service plus grand que celui de la maternité : c’est un service substantiel, le plus éminent qui soit —, il nous récompense, il nous remercie, parce qu’il n’est jamais ingrat, il

n’oublie jamais le don que nous lui avons fait, le service que nous lui avons rendu. Si, entre hommes, on oublie parfois de remercier quelqu’un pour le service qu’il nous a rendu, c’est parce que nous sommes des êtres qui oublions... mais profondément notre cœur n’oublie pas, car la mémoire du cœur n’oublie pas.

Alors, quelle est la réponse du Père à Marie pour le service de sa maternité ? C’est la vision béatifîque, bien sûr, mais le Père n’attend pas la vision béatifique, il veut remercier Marie sur la terre,

et je crois qu’on peut dire qu’il la remercie par l’institution de l’Eucharistie. L’institution de

l’Eucharistie, c’est bien la réponse du Père, à travers son Fils bien-aimé, à Marie, Mère du corps du Christ. A l’Annonciation le corps du Christ a été donné à Marie d’une manière très particulière, et

pour cela Marie a donné son propre corps, car c’est la mère qui donne à l’enfant son corps. Et quand il s’agit du corps de Jésus, le Fils bien-aimé, ce don prend une valeur unique, et donc réclame une réponse du Père unique, qui va être de donner à Marie, d’une façon nouvelle et surabondante, le

corps de Jésus, le corps de l’Agneau de Dieu. Marie a formé maternellement le corps de l’Agneau, et la réponse du Père ne peut être que de lui donner le corps de Jésus en nourriture, comme pain. On peut découvrir ici comment le mystère de la maternité divine de Marie nous conduit, théologiquement, à voir que le Père inspire toujours son Fils et que le Fils réalise toutes les 1 Voir L'Eglise vit de l'Eucharistie, n° 17. 2 Voir Ibid., n° 55.

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inspirations du Père. Donner à Marie l’Agneau de Dieu est la plus belle réponse que le Père pouvait

faire à Marie. Le Père a donné à Marie le sourire de l’enfant Jésus, les paroles de Jésus — que Jean,

spécialement, a gardées dans son cœur et nous communique dans son Evangile qui est très lié à la maternité de Marie —, et au terme le Père donne à Marie, d’une manière silencieuse, le corps du

Christ en nourriture. Il le lui donne en silence parce que c’est un don d’amour. Rien de plus grand ne pouvait être donné comme récompense divine, et cela nous montre combien l’Eucharistie est le mystère de la miséricorde la plus merveilleuse du Père pour Marie ; il ne pouvait pas aller plus loin dans la miséricorde. Et ce corps et ce sang, que Marie a portés dans le mystère de sa Compassion, lui

ont été donnés pour être source d’une joie nouvelle, d’une vie nouvelle, afin qu’elle puisse aller jusqu’au bout, «jusqu’à la fin »'. C’est une union nouvelle que Marie connaît avec son Fils, et une

union tout intime qui l’absorbe complètement en Jésus.

Vivre avec Marie du mystère de l'Eucharistie C’est donc auprès de Marie que nous devons toujours essayer d’approfondir notre manière de

vivre du mystère de l’Eucharistie, et non seulement de l’approfondir mais de découvrir l’amour tout à fait nouveau qui est donné à Marie en surabondance et qu’elle reçoit dans son humilité et dans sa foi avec une reconnaissance unique pour le Père. Habituons-nous, quand nous communions, à demander

à Marie d’être là pour que nos communions prennent, par elle et avec elle, cette nouvelle dimension : le Père la remercie d’être Mère. Car l’institution de l’Eucharistie a été réalisée d’une façon spéciale pour Marie, et par elle pour nous. C’est toute l’Eglise qui vit son unité à travers le don du corps et du

sang du Christ, et ce don de l’unité du Corps mystique se réalise en remerciement de la maternité divine de Marie. Cela nous met, grâce à Marie, dans une proximité plus grande à l’égard du corps du Christ. Le corps du Christ, radicalement, nous vient de la maternité divine de Marie, et il nous est

donné, et par l’Eucharistie nous le recevons directement de Jésus et de sa Mère. Le corps de l’enfant appartient à la mère, et même quand l’enfant est parfaitement distinct de sa mère dans sa propre personne, il reste toujours un lien entre lui et sa mère, un lien très extraordinaire voulu par Dieu. Et Dieu a voulu en quelque sorte sanctifier ce lien par l’institution de l’Eucharistie réalisée en premier

lieu, selon sa sagesse, pour Marie, et où nous pouvons découvrir dans l’âme de Marie son lien unique avec l’Esprit Saint. Redisons-le : la maternité divine de Marie et l’Eucharistie sont deux mystères qui se tiennent

très profondément dans la sagesse du Père. C’est peut-être même pour nous le lieu le plus

extraordinaire pour pénétrer dans la sagesse du Père à notre égard. La maternité divine de Marie « dans la chair » est unique, certes, mais cette maternité divine « dans le cœur », c’est-à-dire dans la foi, l’espérance et la charité de Marie2, se communique à nous. N’oublions pas ces paroles si mystérieuses que Jésus nous rapporte dans saint Luc, quand la foule est là et qu’on vient lui dire :

« Ta mère est là, tes frères sont là, qui veulent te voir ». Quelle est la réponse de Jésus ? « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui reçoivent la parole de Dieu et qui en vivent »3. Par cette réponse inattendue Jésus veut nous faire comprendre que ce qu’il y a d’essentiel et de premier dans la 1 Cf. Jn 13,1. " Le Prias concepit in corde [ou : in mente] quant in carne (elle « a conçu dans son cœur [ou : dans son esprit] avant de concevoir dans sa chair») est une affirmation chère à saint Augustin (cf. La virginité consacrée, III, 3. Nouvelle bibliothèque augustinienne 1, Institut d’études augustiniennes 1992, p. 82), qu’on trouve aussi chez saint Léon le Grand. Evoquée dans Lumen Gentium (n° 53), elle nous est rappelée par Jean Paul II avec beaucoup de netteté dans l’encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987), n° 13, qui donne de nombreuses références. 3 Cf. Le 8, 19-21.

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puisqu’elle est notre Mère. Par là nous sommes unis à elle et nous pouvons vivre avec elle du mystère de l’Eucharistie. Nous pouvons aller jusque-là.

La maternité divine de Marie est dans le mystère de l’Eglise le point le plus lumineux, qui projette une très grande lumière sur les miséricordes infinies du Père à notre égard. Cette maternité divine doit nous faire découvrir que l’Eucharistie nous permet de vivre de la miséricorde infinie de Dieu, du Père, à l’égard de Marie et de ses enfants ; elle nous fait comprendre que l’Eucharistie doit être pour nous le lieu de rencontre le plus fort avec le corps, l’âme et la divinité de Jésus, et en même

temps elle nous fait rejoindre l’amour unique du Père pour Marie. Les deux se tiennent et sont inséparables.

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Table des matières

I - Extraits d'homélies et de conférences....................................................................................... 3

Commémoration de la Cène (Jeudi Saint - 4.04.96)....................................................................................... 3 Vivre l’Eucharistie (Ho 6.06.96).......................................................................................................................5

L’Eucharistie, testament d’amour du Christ (Conférence à Paris, 1980)........................................

7

« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie en vous » (Ho 26.04.96). 9 Que notre vie soit la vie du Christ en nous (Ho 12.11.98).............. ;..................................

10

A travers le don de son Fils dans l’Eucharistie, le Père se donne à nous (AFC 8.02.98)........................ 11 Dans l’Eucharistie, écoutons Jésus nous dire : «Je t’aime ! » (Ho 24.10.04)........................................... 12

C’est la vie du Père que Jésus nous donne dans l’Eucharistie (Ho 23.04.99)......................................... 13

La parole de Dieu prend toute sa signification dans l’Eucharistie (CS^ 9.06.04).......... :......;..................15 Pourquoi l’Eucharistie est-elle donnée avant la Croix ? (CSj, 2.06.99)................................

17

Espérance et Eucharistie (Troussures, nov. 2004).... ...............................

20

Comment Marie a-t-elle vécu la dernière Cène, le repas de la nouvelle Alliance ? (Ho 17.04.03)....... 22

Par l’Eucharistie, Jésus nous invite à vivre le mystère de la Croix (AFC 5.03.89).................................. 24 Sur la maternité divine de Marie, l’Eucharistie et la vie religieuse (CP^, 16.12.83)...............

25

II — Conférences................................................................................................................................ 27

(nov. 1975), pp. 35-59 L’Eucharistie (Documents Paternité n° 182, 182).......... ;..................................... ................................................... 27

Le corps du Christ : Eucharistie et présence réelle (AFC 11.01.87).......................................................... 37 L’Eucharistie : adoration et sacrifice (AFC 8.02.87).................................;................................................ 48

Sur le sacerdoce du Christ et le gouvernement divin (TM/012 et 18.04.02).............................................. 57 Nous vivons, par l’Eucharistie, le mystère de la Croix du Christ (Jeudi Saint 2003)............................... 66 Sur le lavement des pieds et l’Eucharistie

Deux conférences de la Retraite de Communauté 1999 à Saint-Jodard.......................................... 72 Conférence du Jeudi Saint 2005........................................................................................................... 84 L’Eucharistie, anticipation de la vision béatifique pour Marie et pour nous (CSRi 23.06.03)................. 89

III- Conférences de pédagogie familiale données à Boulogne en 2003-2004......................... 93 L’intention de Jésus dans l’institution de l’Eucharistie (28.09.03).......................................................... 95 L’Eucharistie, mystère de la foi ( 16.11.03)................................................................................................ 102

L’Eucharistie édifie l’Eglise : Eucharistie et charité fraternelle (14.12.03)........................................... 109 L’Eucharistie, fin des sacrements (11.01.04)............................................................................................ 115

Marie et l’Eucharistie (15.02.04)................................................................................................................ 122 Mar ie et le sacerdoce ( 15.02.04)................................................................................................................. 126

L’Eucharistie, source d’unité (4.04.04)..................................................................................................... 132 Marie, « femme eucharistique » (16.05.04)........................................................................................ -..... 137

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