Qu'est ce que le vide ? 9782759809080

Si on se débarrasse de toute matière, de la Terre, de la Lune, des étoiles, de tout ce qui est matériel, que reste-t-il

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French Pages 174 [173] Year 2010

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Qu'est ce que le vide ?
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Qu’est-ce que le vide FRANK CLOSE

Traduction d’Yves Sacquin

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtaboeuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A, France

Édition originale : The Void, first edition was originally published in English in 2007. This translation is published by arrangement with Oxford University Press. Cet ouvrage a été traduit d'après l’œuvre originale The Void, first edition éditée en 2007 avec l'accord d'Oxford University Press. © Frank Close 2007.

Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-0420-7 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2010

SOMMAIRE

Chapitre 1. Beaucoup de bruit pour rien .............................. Les premières idées sur le Rien .............................................. Pourquoi une telle aversion ? ................................................ L’air .................................................................................. Fabriquer du vide ................................................................ Blaise Pascal : l’eau et le vin ................................................. À quoi ressemble le vide ? .................................................... La pression de l’air ..............................................................

5 9 14 16 18 21 22 23

Chapitre 2. Combien de vide dans l’atome ? ......................... L’électron ........................................................................... Combien de vide dans l’atome ? ............................................. Champs .............................................................................. Grandeur du champ ............................................................. Les champs gravitationnels et la loi en inverse du carré ............ Ondes ................................................................................

29 29 34 38 41 44 47

Chapitre 3. L’espace ........................................................... Création ............................................................................. Newton .............................................................................. Les concepts d’espace et de mouvement .................................

51 51 54 57

Chapitre 4. Des ondes dans quoi ? ....................................... Champs électromagnétiques et ondes ..................................... Des ondes dans quoi ? ......................................................... Le problème de l’éther .........................................................

65 65 69 72

Chapitre 5. À cheval sur un rayon de lumière ....................... L’espace, le temps, et l’espace-temps ..................................... L’espace-temps ...................................................................

79 82 86

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SOMMAIRE

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Chapitre 6. Le coût de l’espace libre ................................... L’espace-temps courbe ........................................................ Gravité et courbure ............................................................. L’Univers en expansion ........................................................

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Chapitre 7. La mer infinie .................................................. Le monde quantique ........................................................... Les ondes et l’indétermination quantique ............................... Un vide grouillant .............................................................. La mer infinie ....................................................................

107 107 112 118 124

Chapitre 8. Le vide de Higgs .............................................. Phases et organisation ........................................................ Les changements de phase et le vide ..................................... Forces changeantes dans le vide ........................................... Le vide de Higgs ................................................................

131 131 136 140 144

Chapitre 9. Le nouveau vide ............................................... Le démarrage de l’Univers .................................................... Inflation ........................................................................... Dimensions supplémentaires ................................................ À la recherche du Vide ........................................................

149 149 154 159 164

Index ...............................................................................

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1 Beaucoup de bruit pour rien

À un stade très précoce de notre vie, la plupart d’entre nous se pose soudainement cette question : « D’où viennent toutes choses ? ». Il nous arrive aussi de nous demander ce qu’il en était de notre moi conscient avant notre naissance. Pouvez-vous identifier votre souvenir le plus ancien ? Quand j’ai commencé d’aller à l’école, j’avais des souvenirs assez clairs des deux ou trois années précédentes, et plus particulièrement de mes vacances d’été au bord de la mer, mais quand j’essayais de me rappeler des événements antérieurs, les images devenaient plus floues, s’estompant dans le néant. J’appris que c’était parce que je n’étais né que cinq ans plus tôt, en 1945. C’était un temps où mes parents me parlaient de la guerre et des choses qui leur étaient arrivées avant la guerre, mais cela n’évoquait pas grand-chose pour moi. Le monde que je connaissais n’existait pas alors et semblait avoir été créé à ma naissance, rempli de parents tout faits ainsi que d’autres adultes. Comment pouvaient-ils exister « avant » mon univers conscient ?

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Cet étrange néant en quoi consistait toute chose jusqu’en 1945 continua à me trotter dans la tête ; c’est en 1969 que se produisit un événement qui devait m’inspirer un nouveau point de vue sur ce problème. Apollo 10 frôlait la surface de la Lune, qui grâce aux merveilles de la communication, apparaissait comme un désert sauvage de rochers et de cailloux. Ce désert de poussière grise s’étirait jusqu’à l’horizon lunaire, qui décrivait un arc sur le noir du vide parsemé sporadiquement d’étoiles, boules d’hydrogène sans vie embrasées de lumière. Soudain, dans cette image aride se leva un magnifique joyau bleu, avec des nuages blancs et des continents verts par leur végétation : pour la première fois, des humains observaient un lever de Terre. Il y a un endroit au moins dans l’Univers où il y a de la vie, des ensembles formés d’un formidable nombre d’atomes qui se trouvent organisés de telle sorte qu’ils sont conscients d’eux-mêmes et peuvent regarder l’Univers avec émerveillement. Qu’est-ce qui changerait s’il n’y avait pas de vie intelligente ? Qu’estce que cela voudrait dire que quelque chose existe s’il n’y avait pas de vie pour s’en rendre compte ? Il y a dix milliards d’années, voici comment on peut s’imaginer ce qu’il y avait : un vide sans vie, parsemé de nuages de plasma et d’arides blocs de rochers en orbite dans l’immensité de l’espace. Bien que cette ère « d’avant toute conscience » fût dépourvue de vie, et dût ainsi se trouver comme une sorte de généralisation de mon univers égocentrique d’avant 1945, où la gravité menait la danse sans que personne ne soit là pour s’en rendre compte, malgré cela les atomes de cette époque sont bien les mêmes que ceux dont nous sommes composés. Autrefois inertes, ces atomes se sont retrouvés organisés en combinaisons complexes qui ont produit ce que nous appelons la conscience, et sont devenus capables de percevoir, venue du fin fond de l’Univers, la lumière échappée de ces temps lointains et sans vie. Dans notre « maintenant », nous pouvons être témoins de cette époque primordiale sans vie, ce qui lui donne après coup une espèce de réalité. Nous n’avons pas été créés du néant, mais 6

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d’une sorte de matière primitive originelle, des atomes fabriqués il y a des milliards d’années, qui, pour un bref instant, sont rassemblés dans un ensemble qui pense qu’il est nous. Cela me conduit à ma dernière interrogation : qu’en serait-il s’il n’y avait ni vie, ni Terre, ni planètes, Soleil ou étoiles, ni atomes susceptibles de s’organiser un jour en quelque chose ; s’il n’y avait que du vide ? Une fois écartée toute ma représentation mentale de l’Univers, j’ai tenté d’imaginer ce rien qui restait. J’ai alors découvert ce que les philosophes connaissaient depuis des lustres : il est très difficile de penser le vide. Petit enfant, je me demandais où se trouvait l’Univers avant ma naissance, et maintenant j’essayais d’imaginer ce qu’il y aurait si je n’étais même pas né. « C’est nous les chanceux, car nous mourrons un jour 1», alors qu’il y a une infinité de formes possibles d’ADN, dont aucune, excepté quelques milliards d’entre elles, ne donnera jamais naissance à une vie consciente. Qu’est-ce que l’Univers pour l’être qui ne naîtra jamais ou pour ceux qui sont morts ? Toutes les cultures ont bâti des mythes autour des défunts, tant il est difficile d’accepter que la conscience puisse simplement disparaître quand la pompe à oxygène n’arrive plus à alimenter le cerveau, mais que signifie la conscience pour ces combinaisons d’ADN qui n’ont jamais été ni ne seront jamais ? Il est aussi difficile de comprendre l’émergence de la conscience, et sa disparition, qu’il l’est de comprendre comment quelque chose, le contenu de l’Univers, a surgi du néant. Y a-t-il eu une création ou y at-il toujours eu quelque chose ? Plus j’essayais de comprendre ce mystère, plus je sentais que j’approchais soit de la véritable illumination, soit de la folie. Des années plus tard, alors que j’ai consacré ma vie à la science pour comprendre l’Univers, je suis revenu à ces questions et me suis mis en route pour trouver les réponses disponibles. Le résultat tient dans ce petit livre. Je suis flatté de constater qu’en me posant de telles questions, je me trouve en bonne compagnie, 1. Commentaire de Richard Dawkins lors d’une interview télévisée, 2005.

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puisque d’une manière ou d’une autre elles ont été abordées, au cours des âges, par quelques-uns des plus grands philosophes. En outre, aucune réponse ne fait l’objet d’un consensus. À différentes époques, alors qu’une philosophie prenait le pas sur les autres, les canons de la sagesse ont évolué également. Peut-il y avoir un vide, un état sans rien ? Comme pour les questions sur l’existence de Dieu, les réponses dépendent de ce que l’on met derrière le mot rien. En appliquant à ces questions la puissance de la logique, les penseurs de la Grèce antique arrivèrent à des conclusions contradictoires. Aristote soutenait qu’il ne pouvait exister un endroit vide. Cela était même érigé en principe : « La nature a horreur du vide » ; le sens de ce principe et pourquoi il a été adopté pendant deux mille ans, voilà une des premières questions que j’aborderai. Brièvement, nous verrons que ce n’est pas avant le dix-septième siècle, avec l’introduction de la méthode expérimentale, que les émules de Galilée montrèrent que la croyance en cette horreur du vide résultait d’une mauvaise interprétation des phénomènes physiques. Cette horreur apparente résultait d’un poids de 10 tonnes que l’atmosphère exerce sur chaque mètre carré de tout ce qui se trouve au sol, forçant l’air à s’infiltrer par tous les orifices possibles. Comme nous le verrons, il est possible d’éliminer l’air d’un récipient et de faire un vide. Aristote avait tort. C’est du moins ce que l’on peut conclure s’il n’y a que de l’air, et qu’enlever cet air revient à tout enlever. Alors que la science a progressé, et que nous avons étendu nos sens grâce à des instruments de plus en plus sophistiqués, il est devenu clair qu’il y a bien plus que de l’air à enlever pour arriver à un véritable vide. La science moderne suggère qu’il est en principe impossible de faire un vide complet, ce qui fait qu’Aristote n’avait après tout pas totalement tort. Néanmoins les scientifiques modernes sont satisfaits d’utiliser le concept de vide, alors qu’une voie de recherche en physique moderne est complètement axée sur la compréhension de la nature du vide, du temps et de l’espace dans toutes leurs dimensions. 8

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La question que je me posais naïvement est devenue encore plus énigmatique vu ce que l’on sait maintenant : l’Univers est en expansion, et cela dure depuis quelques 14 milliards d’années, depuis cette explosion connue sous le nom de big bang. Mais comme ni le système solaire, ni la Terre, ni les atomes qui nous composent ne sont en expansion, l’opinion la plus répandue est que c’est « l’espace luimême » qui s’agrandit. Si on laisse pour plus tard la question « dans quoi est-il en expansion ? », nous nous trouvons devant une suite à ma question d’origine : si j’ai tout retiré, est-ce que l’espace continue son expansion ? À son tour cela pose la question de savoir ce qui définit l’espace quand tout a été enlevé. Est-ce que l’espace existe indépendamment des objets, en ce sens que si en pensée j’enlève toutes les planètes, étoiles et autres éléments de matière, l’espace continuerait à exister, ou est-ce que l’absence de toute matière entraînerait également celle de l’espace? Commençons notre recherche en examinant ce que les penseurs d’autrefois ont à nous offrir comme réponses à des questions comme : pouvons-nous vider l’espace de toute chose, et que se passe-t-il alors ? Pourquoi le big bang n’est-il pas apparu plus tôt ? Que faisait Dieu la veille de la création ? Ou : y a-t-il toujours eu ce quelque chose, qui a abouti à ce dont nous sommes faits ? LES PREMIÈRES IDÉES SUR LE RIEN Les paradoxes sur la création à partir du vide, sur l’être et le nonêtre, ont hanté toutes les cultures connues. Déjà en 1700 av. J.-C., l’Hymne des Origines du Rigveda proclamait : « Il n’y avait alors ni le non-être ni l’être. Il n’y avait ni espace physique ni espace subtil Qu’est-ce qui voilait Cela, qu’est-ce qui l’abritait ?2 »

2. Il y a de nombreuses traductions du Rigveda (principalement en anglais, NdT), comme une simple recherche sur Google le montrera.

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De telles questions passionnaient les philosophes de l’Antiquité. Autour de 600 av. J.-C., Thalès refusait l’existence du Rien : pour Thalès, quelque chose ne peut émerger du Rien, et de même des choses ne peuvent disparaître dans le Néant. Il éleva même ce principe à l’Univers tout entier : l’Univers ne peut être issu du Néant. Le concept du Rien a été confronté aux règles de la logique, Thalès ayant posé la question : le fait de penser le néant en fait-il une chose ? La réponse, apportée par les logiciens grecs, est qu’il ne peut qu’y avoir du Rien, s’il n’y a personne pour le constater. Ma question de savoir si le Rien peut exister sans qu’il n’y ait personne pour le savoir a donc trouvé une réponse positive voici trois mille ans, encore que cela me semble être plus une affirmation de principe que le résultat d’un raisonnement. Mon enquête se poursuivit, mais il se révéla que personne depuis Thalès n’avait trouvé d’autre définition du Rien que « l’absence de quelque chose ». S’étant débarrassé du Rien, Thalès se tourna vers la nature des choses. Il prédit avec succès l’éclipse du Soleil du 28 mai 585 av. J.-C., ce qui était une prouesse et témoigne de ses capacités. On comprend pourquoi ses avis étaient tenus en très haute estime. Il raisonna que si quelque chose ne peut émerger du Rien, il doit y avoir une substance présente partout, d’où peuvent émerger des choses. La question « d’où viennent toutes choses ? » en a inspiré une autre : supposons que l’on vide une région de l’espace de toute chose, ce qui resterait deviendraitil le « Rien » primordial ? Thalès proposa aussi une réponse à ce mystère : son suspect principal était l’eau. La glace, la vapeur et le liquide sont trois avatars de l’eau, et Thalès imagina que l’eau pouvait prendre une infinité de formes différentes, se condensant en rochers ou en n’importe quoi. Comme des flaques d’eau semblent disparaître, pour retomber plus tard comme pluie du ciel, la notion d’évaporation se précisa, et avec elle la perception du cycle parcouru par l’eau. Pour Thalès, l’espace est aussi vide que possible lorsque toute la matière qui le

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remplit a été convertie en sa forme primordiale, l’eau liquide, comme l’océan. L’eau contient donc toutes les formes de matière3.

Fig 1.1 | (a) Un flacon percé de trous dans la partie sphérique contient de l’eau. Quand on bouche le goulot d’entrée, l’eau reste dans le flacon, mais si on ouvre le goulot, (b), l’eau s’échappera par les trous. (c) Le flacon vide est bouché, puis immergé dans l’eau ; l’eau ne rentre pas. (d) Si on ouvre le goulot, l’eau entre par les trous de la partie ronde. Si on ferme à nouveau le goulot, le flacon rempli d’eau peut être sorti du récipient sans que l’eau ne s’en échappe par les trous.

Au terme de soixante-dix-huit ans de conscience, Thalès retourna au grand vide éternel en 548 av. J.-C., mais l’idée qu’il existe une substance primitive, ou « élément premier » lui survécut. La nature de cet élément premier, elle, continua cependant à faire débat. Héraclite, pour sa part, insistait pour que ce soit le feu. Mais alors d’où vient le feu ? Réponse : il est éternel, et cette propriété fait qu’il peut être identifié à l’idée d’une divinité, créatrice du monde. Anaximène, au contraire, défend l’idée qu’il s’agit de l’air. On peut concevoir l’air comme infiniment étendu, contrairement à l’eau, et cette véritable ubiquité en fait le candidat de choix pour être la source universelle de toute matière. Au milieu du cinquième siècle av. J.-C., Empédocle s’attaqua à la question de savoir si l’air était une substance ou de l’espace vide. Les débuts balbutiant de la méthode expérimentale furent mis à contribution 3. 3000 ans plus tard, cette idée est obsolète, mais les idées modernes sur le vide renouent avec cette notion conceptuelle en supposant que le vide contient une « mer » infiniment profonde de particules fondamentales (voir chapitre 7).

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avec un dispositif appelé hydra : un tube de verre, ouvert à un bout et terminé à l’autre par un bulbe sphérique, ce bulbe étant percé de trous par où l’eau pouvait s’échapper – du moins tant que l’autre extrémité du tube restait ouverte. Si on bouche cette extrémité avec un doigt, l’eau ne s’écoule plus. Si on vide le récipient de son eau et qu’on le replonge dans l’eau, celle-ci s’y écoulera et le remplira, pourvu que l’extrémité ouverte le reste. Cependant, si cette dernière est bouchée avec le doigt, l’eau n’entre plus, pas plus que l’air ne s’en échappe. Cela démontrait que l’air et l’eau coexistent dans le même espace ; l’eau ne peut entrer à moins que l’air ne sorte ; l’air est donc bien une substance, et pas de l’espace vide. Il faudra attendre le dix-septième siècle pour que Torricelli explique ce qui se passe réellement. Empédocle étendit le concept d’élément premier à quatre éléments : l’air, l’eau, le feu et la terre. Il introduisit également des idées de base sur les forces : pour lui elles étaient l’amour et la discorde, précurseurs de l’attraction et de la répulsion. Il fut certainement le premier à faire la différence entre matière et forces, mais n’en insistait pas moins pour dénier toute existence au vide. Beaucoup de formes de matière sont granulaires. Si on empile des sphères, il y a des espaces libres entre elles. Pour qu’il n’y ait pas de possibilité qu’un « vide » s’instaure dans les espaces ainsi libérés, Empédocle fit l’hypothèse de l’éther, plus léger que l’air, pour remplir ces espaces, et de fait tout l’espace. L’éther s’introduit partout, et empêche le vide de se former. Il imagina même que cet éther omniprésent servait à transmettre les influences d’un corps sur un autre. Dans notre mode de pensée moderne, c’est l’équivalent d’un champ gravitationnel. Anaxagore lui aussi refusait la possibilité qu’un espace soit vide, ainsi que la création de quelque chose à partir de rien. Pour lui, la création se ramenait à l’émergence d’un ordre à partir du chaos, plutôt que l’apparition de quelque chose de matériel à partir du néant. L’ordre à partir du chaos établit que les choses peuvent évoluer et changer, 12

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comme la nourriture qui se transforme en constituant de notre corps. Cette permanence des éléments de base au cours des changements de la structure de leur agencement fut à l’origine de l’idée de graines et de la naissance de l’atomisme. Pour Anaxagore, il n’y avait pas de plus petit atome, pas de limite à la divisibilité de la matière, et donc aucun besoin de s’interroger sur les espaces entre les sphères qui se touchent, ni d’un éther pour en remplir les interstices. Épicure (341-270 av. J.-C.), de même que Leucippe et Démocrite, continuèrent à nier que quelque chose puisse sortir de rien. Ils sont considérés comme les inventeurs de l’idée de l’atome, petit élément de base indivisible et commun à toutes les formes de matière. De là naquit l’idée qu’il puisse exister du vide, un espace sans rien dans lequel les atomes pouvaient se déplacer. Le raisonnement consistait à dire que s’il existait déjà quelque chose en un point de l’espace, alors un atome ne pouvait s’y placer ; pour que le mouvement soit possible, il faut donc qu’il y ait de l’espace dégagé pour permettre le déplacement des atomes. Ils imaginèrent même un Univers vidé à l’infini, rempli d’atomes en mouvement, trop petits pour être vus individuellement, mais qui s’agrègent en formes macroscopiques visibles. Les atomes sont en mouvement, mais leur ensemble forme une substance qui semble à l’arrêt. C’est l’image de la fourmilière ; vue de loin c’est un monticule immobile, mais vue de près elle se révèle formée du grouillement de millions de minuscules individus qui s’agitent. Bien que ce soient les idées des atomistes qui s’approchent le plus de notre description moderne de la matière, pendant 2000 ans ce sont les conceptions opposées d’Aristote qui dominèrent. Pour Aristote, ce qui serait le vide devrait être totalement uniforme et symétrique, sans distinction possible entre l’avant et l’arrière, la droite et la gauche, le haut et le bas. Ce concept était déjà présent dans l’Hymne des Origines du Rigveda, qui chante : « Quel était le dessous ? Quel était le dessus ? » 13

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Dans une telle vision des choses, un objet ne peut tomber ou se mouvoir, il ne peut qu’exister dans un état de repos, une idée qui en fin de compte sera à la base de la mécanique newtonienne. Pourtant, pour Aristote cela impliquait la non-existence du vide, et il apporta les arguments logiques pour cette absence dans leur forme la plus claire. Si le vide est quelque chose, et si vous mettez un corps dans cet espace vide, alors vous aurez deux « quelque chose » au même endroit et au même instant. Si cela était possible, on pourrait alors généraliser en permettant à n’importe quoi d’être à la même place que quelque chose d’autre, ce qui est absurde. Ainsi pour Aristote la logique semblait exiger que l’espace vide ne puisse être quelque chose, et donc n’existe pas. Il définissait le vide comme l’endroit qui ne contient aucun corps, et comme les éléments premiers de toute chose existent depuis l’éternité, il ne peut exister d’endroit complètement vide. L’un dans l’autre, la logique aristotélicienne refusait l’existence du vide et conduisit à l’opinion commune que la nature a horreur du vide. C’était considéré comme évident ; néanmoins c’était faux, comme on va le voir maintenant. POURQUOI UNE TELLE AVERSION ? L’aphorisme « La nature a horreur du vide », fut considéré comme frappé au coin du bon sens pendant plus de 2000 ans, jusque pendant une grande partie du Moyen Âge, parce qu’il donnait l’explication la plus simple, et en apparence la plus évidente, pour un grand nombre de phénomènes de la vie courante. Essayez d’aspirer l’air contenu dans une paille : l’air rentre par l’autre bout ; autant essayer d’aspirer l’air de la pièce entière. Fermez alors une extrémité en la bouchant avec votre doigt, et aspirez l’air par l’autre bout : il n’y aura pas de vide créé, mais la paille s’écrasera. Ou bien trempez une extrémité de la paille dans un verre de jus de fruit et aspirez : vous finissez par boire le jus. Loin d’avoir créé le vide en aspirant l’air, vous voyez le liquide défier, en apparence, la gravité pour venir remplir l’espace vide. Il est facile, et 14

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même « naturel », de penser que c’est le vide qu’on veut créer qui tire le liquide vers le haut pour empêcher qu’il ne se forme. Beaucoup d’enfants font ce raisonnement ; la vraie réponse est loin d’être évidente. Il fallut attendre Galilée et les esprits les plus subtils du dixseptième siècle pour trouver la bonne explication dans cet embrouillamini. Il y a d’autres exemples, tous menant apparemment à la même conclusion. Placez deux plaques mouillées l’une sur l’autre. Il est facile de faire doucement glisser l’une par rapport à l’autre, mais si vous essayez de la soulever, cela devient très difficile. L’interprétation naïve consistait à penser qu’en faisant cela on essayait de créer du vide entre les deux plaques, et comme « la nature a horreur du vide », cela devient très difficile de les séparer. Revenons à notre paille dans la boisson : après avoir siroté pendant quelques secondes, mettez un doigt au bout supérieur de la paille, tout en laissant l’autre extrémité dans le liquide. Une colonne de liquide continue à vous défier dans le tube. Ôtez votre doigt, et le liquide redescend dans le verre : pourquoi ne l’a-t-il pas fait quand votre doigt bouchait l’autre bout ? Toujours cette « aversion du vide ». Pourquoi la colonne de liquide ne s’est-elle pas divisée en deux, la partie inférieure retombant dans le verre et la partie supérieure restant dans la paille ? L’explication consistait à dire que cela continuerait à créer du vide à la séparation dans le liquide, du moins tant que la partie basse ne se serait pas écoulée du tube. La permanence de la colonne de liquide fournissait, de toute évidence, une preuve de plus de cette aversion de la nature envers le vide. Ces explications tinrent pendant 2000 ans ; mais elles sont fausses. S’y ajoutait un autre argument qui retarda également la découverte de la vérité : pour beaucoup l’horreur du vide était une évidence car Dieu ne peut avoir créé le néant. Si au contraire vous affirmiez que le vide est possible, il vous fallait choisir soigneusement les mots pour le dire, au risque d’être accusé d’hérésie. Une autre façon de s’en sortir se 15

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présentait ainsi : Dieu est tout-puissant et peut donc créer aussi bien quelque chose que rien ; dire que Dieu ne peut avoir créé le rien veut dire que ses pouvoirs sont limités : donc le vide peut exister. Galilée, qui se fourra comme on le sait dans ce type de problèmes ultérieurement, croyait en l’existence du vide, et fut le premier à proposer de vérifier cette idée en faisant des expériences. Cette initiative de soumettre des idées théoriques à la méthode expérimentale était audacieuse, mais également dangereuse : les hérétiques finissaient assez souvent sur le bûcher. Au vu de ces expériences, les raisons de cette horreur apparente devinrent claires, et on commença à comprendre les propriétés du vide. Au passage, et au fur et à mesure de l’avancement des connaissances sur le phénomène, plusieurs instruments qui nous sont maintenant familiers furent inventés. L’AIR Enfant, nous découvrons que l’ordre naturel des choses est que les corps en mouvement ralentissent, et que les choses légères, comme le papier, tombent moins vite que les cailloux. Les expériences de Galilée, qui se traduisirent dans la loi de Newton disant que les corps restent dans un état de mouvement uniforme et rectiligne en l’absence de force extérieure, ces expériences établirent ce qu’est vraiment la nature. Ce fut Galilée qui le premier montra que l’air a du poids. Il se servit du fait que l’air chaud monte, et donc peut s’échapper d’un récipient ouvert lorsqu’il est chauffé. En pesant le récipient avant et après, il découvrit que l’air qui s’était échappé avait emporté avec lui un peu de poids. Cela montrait que l’air avait un poids, mais il ne put en estimer la densité, car il ne savait pas quel volume d’air s’était réellement échappé. En pesant un ballon d’abord rempli d’air, puis d’eau, il arriva à la conclusion que l’air est 400 fois plus léger que l’eau, ce qui, pour une expérience aussi rudimentaire, est remarquable : la valeur précise de nos jours est de près de 800 fois, au niveau de la mer. 16

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Comme quiconque s’est promené par grand vent, il savait aussi que l’air exerce une force, bien qu’il fallut attendre quelques décades avant que Newton fasse le lien entre force, poids et accélération. L’air peut s’opposer au mouvement, comme lorsqu’une plume légère est soulevée par un courant d’air, ou même quand elle tombe lentement dans de l’air calme, alors qu’une pierre tombe très vite. Une pierre et un morceau de plomb, de la même taille mais d’un poids différent, tombent à la même vitesse, et Galilée comprit intuitivement que c’était là l’état naturel des choses : c’est la résistance de l’air qui freine la plume. Les effets de l’air peuvent être surprenants. C’est sa résistance au mouvement qui fait que nous devons garder un pied sur l’accélérateur pour que la voiture continue à avancer à la même vitesse. L’accélérateur est l’instrument qui permet d’appliquer une force qui propulse la voiture ; s’il n’y avait pas la résistance de l’air, cette force entraînerait une accélération de la voiture, mais plus on va vite, plus cette résistance est grande. Ce n’est que lorsque la force induite par l’accélérateur compense exactement la résistance de l’air que la voiture avance à vitesse constante. Le déplacement de l’air crée des tourbillons autour de la voiture, laissant un air « plus léger » juste derrière elle. C’est cette différence entre la pression plus forte à l’avant et plus basse à l’arrière qui produit cette force de résistance. Si la forme de la voiture est dessinée pour que l’air revienne rapidement tout contre l’arrière de la voiture, cela diminue cette différence de pression, et donc la résistance de l’air. Le profilage des voitures, ou des casques portés par les coureurs cyclistes et les descendeurs à ski est devenue une importante activité industrielle. Ce qui est évident pour nous n’était pas connu au dix-septième siècle, et cela montre le génie de Galilée, qui a réduit le problème à ses fondamentaux. Un caillou qui tombe dans la mélasse est très vite arrêté ; dans l’eau la résistance est plus faible, et dans l’air encore moins. Il extrapola ces observations et conjectura que s’il n’y avait pas la résistance de l’air, tous les corps tomberaient à la même vitesse. Bien 17

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que Galilée n’ait pas eu les moyens d’obtenir du vide, il est clair que l’existence d’un tel état ne lui posait pas de problème philosophique ; simplement cet état est très difficile à obtenir. Une démonstration très médiatisée de cette idée eut lieu plus de 300 ans plus tard, quand un astronaute d’une mission Apollo laissa tomber une plume et un caillou sur la surface de la Lune ; la première démonstration connue est due à J. Desaguliers qui la produisit le 24 octobre 1717 à la London Royal Society devant Isaac Newton. FABRIQUER DU VIDE Galilée savait que les pompes aspirantes ne pouvaient élever de l’eau sur plus de 10 mètres environ. La nature résiste à la formation du vide, mais il semble qu’il y ait une limite : au-delà de 10 mètres d’eau, il semble que le phénomène, quel qu’il soit, qui empêche la formation du vide, soit mis en échec. Galilée se demanda ce qui se passerait si, au lieu d’eau, il utilisait du mercure, le liquide le plus dense qui soit. Un des étudiants de Galilée, Evangelista Torricelli, trouva la réponse en suivant les conseils de Galilée, en 1643. Il en fit la démonstration avec une expérience toute simple utilisant un tube creux en verre d’environ un mètre de long, soudé à un bout, et une cuvette remplie de mercure. Voici comment un livre scientifique moderne peut décrire l’expérience. On commence par utiliser un tube assez court, de 10 à 20 centimètres de long, et on le remplit de liquide. On bouche le bout ouvert avec le doigt et on retourne le tube tout en l’introduisant avec précaution dans une cuvette remplie du liquide, sans enlever le doigt avant que l’extrémité qu’il bouche soit sous la surface du liquide. Tant que cette extrémité est immergée, le liquide contenu dans le tube reste en place. Torricelli fit l’expérience avec du mercure, dont les propriétés toxiques rendraient de nos jours l’expérience moins populaire. Il comprit que la faculté qu’a la colonne à se maintenir avait un lien avec les poids respectifs du mercure dans le tube et de l’atmosphère immédiatement au-dessus. Plus précisément, pour compenser la 18

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pression exercée par l’atmosphère sur le mercure de la cuvette, le mercure dans le tube devait avoir une certaine hauteur. Dans l’expérience de Torricelli, cette hauteur se révéla être d’environ 76 centimètres, et c’est là qu’apparaît une énigme : si un tube d’un mètre de long est rempli de mercure, retourné et plongé dans un bain du même liquide, le mercure dans le tube redescend jusqu’à ce que la colonne ne soit plus que de 76 centimètres, puis ne bouge plus. Qu’y a-t-il dans les 24 centimètres au sommet du tube ? Là où il y avait du mercure, il n’y a maintenant, apparemment, plus rien. De l’air n’a pas pu y rentrer ; Torricelli réalisa qu’il avait créé du vide. Au niveau de la mer, l’atmosphère exerce sur nous une pression d’environ 1 kg sur chaque centimètre carré, ce qui représente 10 tonnes par mètre carré. Une démonstration célèbre de cette pesanteur de l’air fut faite par Otto von Guericke, maire de Magdebourg pendant trente ans et scientifique manifestement doué pour la vulgarisation. C’est en 1654 qu’il produisit son « spectacle du vide » mettant à contribution seize chevaux, deux hémisphères de bronze d’environ un mètre de diamètre, et l’assistance des pompiers locaux. Les deux hémisphères furent accolés de manière à former une sphère creuse. Von Guericke commença par montrer qu’il était aussi facile de les réunir que de les séparer. Avec le sens de la mise en scène que l’on attend plutôt d’un prestidigitateur, il invita alors des personnes de l’assistance à constater par elles-mêmes qu’il était facile de les séparer. Alors le spectacle proprement dit commença. Une pompe pneumatique, mise à sa disposition par les pompiers de Magdebourg, fut connectée à une valve disposée sur l’un des hémisphères, et commença à en aspirer l’air. Au bout de quelques minutes, il annonça que tout l’air avait été pompé ; on ferma la valve, on enleva la pompe et les spectateurs furent invités à séparer les hémisphères. C’était devenu impossible. Pour rendre l’expérience très spectaculaire, et c’est ce qui la rendit célèbre, deux attelages de huit chevaux furent alors accrochés chacun à un hémisphère. Les livres de cours disent simplement, à ce stade, que les 19

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deux équipages tirèrent dans des directions opposées et que les hémisphères restèrent collés. En réalité ce fut un peu plus chaotique. Chaque cheval avait sa propre idée de ce qu’il voulait faire, et ils tirèrent chacun à hue et à dia. Il fallut une demi-douzaine de tentatives avant que von Guericke obtienne que les chevaux dans chaque attelage tirent dans la même direction. Finalement le tir à la corde eut lieu, les deux équipages tirèrent dos à dos de toute leur force, et les hémisphères refusèrent encore de se séparer. Il ouvrit alors la valve, laissant l’air rentrer, et les deux hémisphères se décollèrent facilement !

Fig 1.2 | Les hémisphères de Magdebourg.

Dans l’expérience de von Guericke, quand on pompe l’air contenu dans la sphère, le poids de l’atmosphère exerce une pression à

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l’extérieur de 10 tonnes par mètre carré, sans qu’il y ait de pression à l’intérieur pour la contrebalancer. Le métal était suffisamment solide pour résister à l’écrasement, mais même un attelage de huit chevaux n’était pas assez puissant pour fournir les tonnes de traction nécessaires pour triompher de la pression extérieure. BLAISE PASCAL : L’EAU ET LE VIN En France, Blaise Pascal était également un scientifique animé d’un certain sens du spectacle. Il refit l’expérience de Torricelli, mais à la place du mercure il utilisa de l’eau et du vin. Pascal fit cette expérience à Rouen, devant plusieurs centaines de personnes, à l’aide de tubes de 15 mètres de long qu‘il était possible de dresser verticalement grâce à des mâts de navire, que l’on pouvait incliner. Il fallait cette taille car l’eau et le vin sont à peu près quinze fois moins denses que le mercure, ce qui fait que la pression atmosphérique peut soutenir une colonne quinze fois plus haute, d’environ onze mètres au total. C’était une expérience sur une grande échelle, ce qui en faisait une grosse attraction, et on pouvait parier : quelle colonne serait la plus grande, celle d’eau ou celle de vin ? À vous de décider ; pour cela il y a deux choses que vous devez savoir d’abord. Le vin est moins dense – chaque litre est plus léger – que l’eau, mais il est également plus volatile (si vous avez le nez fin pour le vin, c’est parce que vous pouvez en humer les vapeurs), tandis que l’eau (bien sûr si elle n’est pas fortement chlorée) l’est beaucoup moins. Si c’est le poids qui l’emporte, on s’attend à ce que l’eau, plus dense, monte moins haut que le vin, pour la même raison qui fait que la colonne de mercure est plus petite que les deux colonnes en question. Mais d’un autre côté, que se passe-t-il dans le volume vide qui se trouve en haut de la colonne, piégé par le sommet du tube ? Il faut se rappeler qu’à cette époque personne ne croyait au vide – le concept du rien était considéré comme irréaliste. Une « explication » 21

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du phénomène était que de la vapeur du liquide remplissait le haut du tube, de sorte que plus le liquide était volatil, plus ce volume devait être grand. Cette théorie prédisait donc que le vin, plus volatil, donnerait lieu à un plus grand espace et donc à une colonne moins haute. Cependant, si c’est bien la pression de l’atmosphère s’exerçant sur la surface du liquide entourant la colonne qui soutient cette dernière, alors le vin plus léger montera plus haut que l’eau, pour la même raison qui fait que les deux montent plus haut que le mercure. Pascal remplit les tubes, les releva de sorte qu’ils dominaient les toits, et découvrit que le vin se stabilisait plus haut que l’eau. Pascal montra ainsi que la volatilité n’était pas la cause du vide ; c’est la pression de l’atmosphère qui détermine la hauteur. L’espace créé au-dessus du liquide ne contenait rien, c’était le vide.4 À QUOI RESSEMBLE LE VIDE ? Torricelli avait fait un vide, ou du moins créé un espace qui ne contenait pas d’air, apparemment vide. Mais qu’était-ce en fait : quelles sont les propriétés du rien ? En Angleterre, Robert Hooke fabriqua des pompes pneumatiques que Robert Boyle utilisa pour faire le vide dans des volumes bien plus grands que n’avait pu le faire Torricelli. Cela lui permit de faire des expériences destinées à étudier les propriétés du vide. Il montra que l’air avait bien disparu en observant des oiseaux ou des souris s’asphyxier : les valeurs morales concernant les animaux de laboratoire 4. Maintenant que l’existence du vide est admise, il n’est que justice d’admettre qu’on ne peut entièrement rejeter l’idée que la vapeur joue un rôle. Il y a bien de la vapeur de vin qui se répand dans l’espace vide. Sa « pression de vapeur » appuie légèrement sur la colonne – « légèrement » parce que c’est vraiment très faible comparé à la pression exercée à la base par l’atmosphère. Une mesure fine du rapport des hauteurs de vin et d’eau comparée au rapport de leurs densités respectives aurait montré qu’il y a une légère poussée vers le bas due à la vapeur de vin. Ce qui fait que l’espace en haut du tube n’est pas totalement vide, bien que comparé à l’atmosphère il est très proche de l’être.

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étaient alors bien différentes. Une lampe continuait à être vue, quand on la regardait à travers un vide, ce qui montrait que la lumière peut voyager dans le vide. Le son d’une cloche, lui, s’éteignait quand on pompait l’air. En France, Blaise Pascal réussit à peser le vide. Il conçut un tube équipé d’une seringue à un bout, qu’il utilisa pour aspirer du mercure contenu dans un récipient. La colonne s’éleva jusqu’à ce qu’elle atteigne les 76 centimètres de haut, et se stabilisa. Jusqu’à ce point il s’agit de l’expérience de Torricelli. Alors Pascal continua de tirer sur le piston de la seringue. La hauteur de mercure ne changea pas, mais la longueur totale du tube sous la seringue augmenta. Tout en faisant cela, Pascal avait placé tout l’appareil sur une balance. Pendant toute la manipulation, le poids resta le même. Tant que le mercure montait dans le tube cela se comprenait, la quantité de mercure ne changeait pas ; il était juste transféré du récipient au tube. Une fois la hauteur de 76 centimètres atteinte il s’arrêtait, et l’espace au-dessus de la colonne augmentait. Il était rempli par du « vide », Pascal montra ainsi que le vide n’a pas de poids mesurable.5 LA PRESSION DE L’AIR Un poids par unité de surface définit ce qu’on appelle une pression. Avec des skis on peut « flotter » sur la neige alors qu’avec des chaussures normales on s’enfonce : votre poids est distribué sur une semelle de plus grande surface avec les skis, et la pression – poids par unité de surface – est moindre. La pression de l’atmosphère au niveau de la mer est la même que celle qu’exerce une colonne de mercure de 76 centimètres, ou une colonne d’eau de 11 mètres de haut. 5. En réalité cet appareil n’avait pas la sensibilité requise. Le fait est que le poids décroît au fur et à mesure que le déplacement de la seringue remplace par un espace vide le volume initialement rempli d’air. De sorte que le poids véritable diminue. Mais pour les objectifs de Pascal le résultat était spectaculaire : quoi que ce soit qui remplisse l’espace vidé de Torricelli, cela n’a pas de poids mesurable.

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Si vous aviez une colonne de mercure de 76 centimètres en équilibre sur votre tête, vous ressentiriez une pression totale de deux atmosphères – une due à l’air et une autre de l’équivalent en mercure. Il est plus commode de regarder ce qui se passe quand on plonge dans la mer : l’eau salée n’étant qu’un petit peu plus dense que l’eau du robinet, il suffit de descendre à 10 mètres pour avoir une pression double de la pression atmosphérique. Chaque fois que l’on s’enfonce de 10 mètres de plus, la pression s’accroît de l’équivalent de la pression atmosphérique. Tous les effets imputés au précepte « la nature a horreur du vide » viennent de la pression exercée par l’air du dehors. Comme la surface de votre corps est d’environ un mètre carré, cela fait qu’une force de 10 tonnes s’exerce sur vous au niveau de la mer, et une tonne de plus pour chaque mètre si vous êtes en plongée sousmarine. Alors pourquoi ne le ressentez-vous pas ? La pression résulte des molécules d’air qui se poussent les unes les autres. À l’équilibre, elles poussent autant sur les côtés, ou vers le haut et ou vers le bas, car si ce n’était pas le cas il en résulterait une force nette et donc une accélération. Cela s’applique également aux fluides comme l’eau. L’air contenu dans nos poumons exerce la même pression vers l’extérieur que l’atmosphère au-dehors. Le confort que nous ressentons est le résultat de l’équilibre entre la pression de l’air extérieur et la contrepression interne. Une variation brusque de pression, comme dans un ascenseur rapide, au décollage en avion, ou lors d’une plongée rapide quand on nage peut être la cause d’une gêne. Vos oreilles « se bouchent » ou « se débouchent ». Un changement rapide d’altitude entraîne un changement de la pression. Cela vient de ce que l’atmosphère est limitée : à haute altitude, la pression est plus basse parce qu’il y a moins d’atmosphère au-dessus, car vous vous approchez de sa « surface ». Alors que la mer a une surface bien franche, celle de l’atmosphère est très graduelle, elle se raréfie jusqu’à ce que finalement vous atteigniez le vide de l’espace extra terrestre. Voici comment cela a été démontré pour la première fois. 24

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Blaise Pascal fit une expérience historique en 1648, où il montra que le niveau du fluide dans un baromètre dépend de l’altitude, et de ce fait en déduisit l’importance de la pression de l’air. Son beau-frère, Florin Périer, mesura la hauteur d’une colonne de mercure au sommet du Puy-de-Dôme, à 850 mètres d’altitude, et au même moment une mesure semblable était faite au pied de la montagne. La colonne de mercure au sommet de la montagne était 8 centimètres plus basse que les 76 centimètres mesurés à la base du mont. Cela montra que la hauteur de la colonne de mercure décroît quand l’altitude augmente, parce que la pression atmosphérique décroît avec l’altitude, ce qui est dû au fait que plus on monte, plus le poids de l’air au-dessus de nous diminue, et donc la pression que cet air peut exercer. C’est ainsi que l’on a inventé l’altimètre – un moyen pour mesurer l’altitude à partir de la pression relative exercée par la masse d’air qui se trouve au-dessus de nous. Mais cela avait une conséquence plus fondamentale encore dans ce que cela impliquait sur la nature de l’atmosphère elle-même. Cela suggérait que la Terre est entourée d’une couche d’air qui est limitée ; L’océan d’air a une surface au-delà de laquelle il n’y a probablement rien.6 Cela avait un parfum d’hérésie pour quelques penseurs religieux, qui ne pouvaient admettre que Dieu ait fait des créations inutiles telles que des zones de vide. Et pourtant la méthode expérimentale était là pour mettre à jour les erreurs de telles superstitions, comme elle le fera à bien d’autres occasions tout au long des siècles ultérieurs. De nos jours nous pouvons éprouver les effets de la pression atmosphérique de bien des façons. La pression de l’atmosphère décroît avec l’altitude ; elle est trois fois plus basse au sommet de l’Everest qu’au niveau de la mer, et le mercure n’y monterait que de 25 centimètres. C’est ainsi que les choses se passent à 10 kilomètres au-dessus de nos 6. Aristote avait lui aussi pensé que l’air formait comme un océan avec une surface, mais qu’au-delà il y avait du feu.

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têtes. Les avions volent à cette altitude et l’air des cabines doit être pressurisé, habituellement à un niveau correspondant à celui qui existe vers 2 kilomètres d’altitude. Cela veut dire que la force exercée par l’air pressurisé des cabines exerce une force bien plus forte que celle induite par l’air plus ténu qui se trouve au-dehors. Il en résulte une force de plusieurs tonnes dirigée vers l’extérieur, appliquée aux portes de l’avion. La prochaine fois que vous monterez dans un avion, regardez comment les portes sont astucieusement conçues pour ne pas pouvoir s’ouvrir directement sur l’extérieur ; elles doivent d’abord être tirées vers l’intérieur avant de pouvoir s’ouvrir en pivotant. La pression vers l’extérieur qu’elles subissent leur permet en fait de rester solidement en place durant le vol. À 100 kilomètres d’altitude, la pression est un milliardième de la pression au sol ; à 400 kilomètres un millionième de milliardième ; et sur le chemin de la Lune, dans l’espace, elle est inférieure d’un facteur 1019 – un rapport plus petit que celui de la taille d’un proton comparée à un kilomètre. On peut donc dire que l’essentiel de l’atmosphère forme une fine couche dont l’épaisseur est de moins d’un millième du diamètre de la Terre. Si cela était mieux connu, certains politiques pourraient se sentir plus concernés par l’abus que l’on fait de ce gaz miraculeux dont nous dépendons tant. Plus nous approchons du sommet de l’atmosphère, moins il y en a qui pèse au-dessus de nos têtes, et plus la pression tombe. Quand des astronautes vont sur la Lune, ils traversent plus de matière dans les dix premiers kilomètres que dans tout le reste de leur voyage. Cela resterait vrai quand bien même ils partiraient pour les étoiles les plus lointaines. Même au sol la pression varie : haute par beau temps, et basse par temps orageux. « Le mercure descend » est une métaphore littéralement exacte. L’idée que la nature a horreur du vide, soutenue par les religieux et les philosophes du passé, est passée aux oubliettes de l’histoire. Comme Pascal l’a lui-même noté, la nature n’a pas moins horreur du vide au sommet d’une montagne que dans la vallée, ou par 26

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temps humide plutôt que par temps ensoleillé ; c’est le poids de l’air qui est la cause de tous les phénomènes que les philosophes attribuaient à une « cause imaginaire ».7

7. B. Pascal, notes posthumes citées dans H. Genz, Nothingness (Perseus, 1999).

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2 Combien de vide dans l’atome ?

L’ÉLECTRON Les phénomènes électriques sont connus depuis des milliers d’années, mais les mystères de l’aiguille de la boussole, des étincelles de l’éclair, et de la nature même de l’électricité perdurèrent jusqu’au dix-neuvième siècle. La situation à la fin du siècle en question était résumée dans un livre que j’achetai, enfant, pour un penny dans une vente de charité. Intitulé Questions et réponses en science, il avait été publié en 1898, et en réponse à la question « Qu’est-ce que l’électricité ? », il émettait l’avis empreint de solennité victorienne que « l’électricité est un fluide impondérable dont la nature est un mystère pour l’homme ». Quelle différence un siècle plus tard ! Les communications électroniques modernes et des secteurs industriels entiers sont le résultat de la découverte de l’électron par Thomson en 1897, qui répond à la question ci-dessus une année avant que le livre ne soit publié ; les nouvelles vont plus vite de nos jours.

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Ce sont les électrons circulant dans les fils qui forment le courant et alimentent en énergie notre société industrielle ; ils circulent dans le labyrinthe de notre système nerveux central et maintiennent notre conscience ; ils sont des constituants fondamentaux des atomes de matière, et leurs échanges entre les atomes sont à la base de la chimie, de la biologie, de la vie. L’électron est une particule fondamentale de la matière. C’est la plus légère de toutes les particules chargées, stable et omniprésente. Les formes et les structures des solides sont gouvernées par les électrons en orbite à la périphérie des atomes. Les électrons sont dans tous les corps et, ironie du sort, la découverte de ce constituant fondamental de toute matière a résulté des progrès faits au dix-neuvième siècle pour se débarrasser de la matière, pour faire le vide. Cela faisait longtemps que s’affirmait l’idée que la matière a des propriétés mystérieuses, bien qu’initialement cela ne concernât pas directement la question du vide. Les anciens Grecs avaient déjà conscience de certaines d’entre elles, par exemple l’étrange propriété qu’avait l’ambre (ambre se dit electron en grec) d’attirer et de retenir des petits débris quand on l’avait frotté avec de la fourrure. Pour une expérience plus moderne, brossez vigoureusement vos cheveux avec un peigne un jour de temps sec, et vous verrez que vous aussi, vous pouvez faire des étincelles. Le verre et les pierres précieuses ont également cette faculté magique de se coller aux choses après avoir été frottés. Dès le Moyen Âge, on savait dans les cours d’Europe que cette bizarre attraction était partagée par bien des substances, mais uniquement après qu’elles aient été frottées. Cela amena William Gilbert, médecin de la cour d‘Elisabeth I, à énoncer que la matière contenait une « vertu électrique », et que l’électricité est un « fluide impondérable » (comme dans mon livre de 1898) qui peut être transféré d’une substance à une autre par frottement. Gagner ou perdre de cette vertu électrique revenait pour un corps à se « charger » positivement ou négativement. 30

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Benjamin Franklin, en Amérique, durant les loisirs que lui laissait la rédaction de la constitution de ce qui deviendra les États-Unis, était fasciné par les phénomènes électriques, et plus particulièrement les éclairs. Un nuage d’orage est un générateur électrostatique naturel, capable de produire des millions de volts et des étincelles meurtrières. La perspicacité de Franklin lui faisait penser que les corps contiennent une puissance électrique latente, qui peut être transférée d’un corps à l’autre. Mais personne ne savait ce qu’était ce fluide impondérable. De nos jours nous savons qu’il est dû aux électrons, qui ne contribuent que pour moins d’une partie pour 4 000 à la masse des atomes ordinaires, et comme par ailleurs seul un très faible pourcentage d’entre eux participent au courant électrique, la variation de la masse d’un corps due à sa charge électrique est si minuscule qu’elle est indétectable. Comment alors a-t-on pu isoler, cataloguer, étudier ce fluide impondérable ? L’électricité circule normalement dans des objets tels que les fils métalliques, et comme il était impossible de voir à l’intérieur de ces fils, on a eu l’idée de chercher à s’en passer et de s’intéresser aux étincelles. L’éclair prouvait que le courant électrique peut passer dans l’air, d’où l’idée que le courant électrique pouvait se révéler « en plein air », hors des fils métalliques qui habituellement le conduisaient, mais le cachaient. C’est ainsi que des scientifiques se mirent à produire des étincelles dans des gaz contenus dans des tubes de verre. L’air à la pression atmosphérique laissait passer le courant, mais masquait le flot des électrons. En enlevant progressivement de plus en plus de gaz, on espérait qu’on arriverait finalement à ce qu’il n’y ait plus que le courant électrique. Suite à la révolution industrielle et à la mise au point de nouvelles pompes à vide, les scientifiques observèrent des apparitions bizarres quand ils électrifièrent le gaz ténu restant dans des tubes à vide. C’est ainsi que l’électricité dévoila peu à peu ses secrets. À un cinquantième de la pression atmosphérique, le courant produisait des 31

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nuées lumineuses flottant dans le gaz, ce qui persuada le physicien anglais William Crookes qu’il avait créé des ectoplasmes, alors à la mode dans les salons victoriens, et le convertit au spiritisme. Les couleurs de la lumière de ces frêles apparitions dépendaient de la nature des gaz, comme la lumière jaune du sodium ou la lumière verte du mercure, courantes dans les illuminations modernes. Elles sont produites par le courant des électrons qui entrent en collision avec les atomes du gaz et en libèrent de l’énergie sous forme de lumière. Quand la pression du gaz devint encore plus faible, les lumières finirent par s’estomper et firent place à un faible chatoiement de couleur verte à la surface du verre près de la source du courant. En 1869 se produisit l’observation cruciale : des objets placés dans le tube projetaient leur ombre dans la lueur verte, prouvant ainsi qu’il y avait un rayonnement émis par la source du courant et qui arrivait jusqu’au verre, du moins si aucun obstacle ne s’interposait sur leur route. Crookes découvrit que des aimants déviaient ces rayons, preuve qu’il s’agissait de charges électriques, et en 1897 J. J. Thomson, à l’aide d’aimants et de forces électriques (en connectant les bornes d’une batterie à deux plaques de métal disposées dans le tube) fut capable de guider ce faisceau de rayons (ce qui était de fait un prototype d’appareil de télévision). En ajustant les forces électriques et magnétiques, il put mettre en évidence les propriétés des constituants du courant électrique. C’est ainsi qu’il découvrit l’électron, dont la masse est insignifiante, même en comparaison de celle de l’atome de l’élément le plus léger, l’hydrogène. De l’ensemble de ses résultats, qui étaient indépendants de la nature d’un quelconque gaz résiduel dans le tube ou des fils métalliques qui transportaient le courant électrique jusqu’au tube, il en déduisit que les électrons sont des constituants, électriquement chargés, de tous les atomes. Une fois établi que les électrons sont 2 000 fois plus légers que le plus petit des atomes, les scientifiques purent répondre à la question de savoir pourquoi l’électricité circulait si aisément dans les fils de cuivre. 32

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L’existence même de l’électron jetait aux oubliettes l’image dépassée de l’atome comme particule ultime et révélait que les atomes ont une structure interne complexe, dans laquelle les électrons tournoient autour d’un noyau central compact. Philippe Lenard envoya des faisceaux d’électrons sur des atomes, et observa que les électrons passaient au travers comme s’ils n’avaient rien vu sur leur chemin. Cette situation pour le moins paradoxale – de la matière pourtant solide mais néanmoins transparente à l’échelle atomique – fut résumée par Lenard dans cette remarque : « l’espace occupé par un mètre cube de platine massif est aussi vide que l’espace interstellaire au-delà de la Terre ». Regardez le point placé à la fin de cette phrase. Son encre contient environ cent milliards d’atomes de carbone. Pour en voir un à l’œil nu, il faudrait agrandir ce point jusqu’à cent mètres de diamètre. Bien que cela soit énorme, on peut l’imaginer. Mais pour voir le noyau de cet atome, il faudrait agrandir ce point jusqu’à 10 000 kilomètres : la distance d’un pôle à l’autre de la Terre. L’atome d’hydrogène, le plus simple, peut donner une idée des échelles et du vide que cela représente. Le noyau central est fait d’une particule unique, chargée positivement, appelée proton. C’est la trajectoire de l’électron, loin du proton central, qui définit les limites de l’atome. En s’éloignant du centre de l’atome, lorsque l’on atteint le bord du proton on n’a fait que le dix millième du trajet. C’est là qu’on atteint l’électron périphérique, dont la taille est également insignifiante, n’atteignant pas le millième de celle du proton, ou un dix millionième de celle de l’atome. C’est ainsi qu’ayant créé un vide presque parfait, qui a permis de découvrir que les atomes de la matière contenaient des électrons, nous sommes apparemment revenus à notre point de départ en constatant qu’un atome est lui aussi un vide presque parfait : de l’espace vide à 99,9999999999999 pour cent. La comparaison faite par Lenard est loin de rendre justice au vide de l’atome : la densité d’hydrogène dans l’espace interstellaire est 33

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gigantesque comparée à celle des particules de matière dans chacun de ces atomes ! Le noyau atomique est lui aussi un objet éphémère et infime. Agrandissez un proton ou un neutron un millier de fois, et vous trouverez qu’eux aussi ont une structure interne assez riche. C’est comme un essaim d’abeilles, qui de loin est vu comme une tache sombre mais qui de près montre un nuage bourdonnant d’agitation ; il en va de même avec un neutron ou un proton. Dans une image de faible grossissement, ils apparaissent comme de simples points, mais vus à haute résolution ils apparaissent comme des agrégats de particules plus petites appelées quarks. Nous avons dû agrandir le point de ponctuation jusqu’à 100 mètres pour voir un atome ; jusqu’au diamètre de la Terre pour voir le noyau. Pour faire apparaître les quarks, il nous faudrait continuer l’expansion jusqu’à la Lune, et continuer encore sur vingt fois cette distance. Un quark est aussi petit comparé au proton ou au neutron que chacun d’eux l’est comparé à un atome. Entre le noyau central compact et les électrons tournoyant au loin, les atomes sont, en termes de particules, essentiellement du vide, et on peut en dire autant des entrailles du noyau atomique. En résumé, la structure fondamentale de l’atome dépasse toute imagination, et sa vacuité est insondable. COMBIEN DE VIDE DANS L’ATOME ? L’acronyme CERN1 vient de « Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire ». Lorsque le Cern fut créé en 1954, le noyau atomique marquait les frontières de la connaissance en physique, et le mot « nucléaire » était donc bien à sa place dans le nom du Cern. Aujourd’hui l’objectif de la recherche a progressé au plus profond des 1. NDT : Dans le reste du texte, nous écrirons « Cern » avec une capitale et des minuscules comme le veut la typographie française pour les acronymes de plus de trois lettres et qui se prononcent. Cette règle est cependant peu suivie dans la plupart des ouvrages de vulgarisation française que nous avons pu rencontrer.

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noyaux, jusqu’aux quarks qui donnent naissance aux protons et neutrons du noyau atomique, et à de nombreuses autres particules éphémères. En reconnaissance de sa vocation, le laboratoire est maintenant désigné comme « Laboratoire européen pour la physique des particules ». C’est aussi un peu plus rassurant pour ceux qui assimilent « nucléaire » à « dangereux ». Lorsque l’on arrive au Cern, par la route qui vient de Genève, on trouve les bureaux du Laboratoire d’un côté, tandis que les champs situés en face ont vu se dresser un bizarre édifice sphérique d’environ 20 mètres de haut et de couleur marron, qui au premier abord a un air de réacteur nucléaire. De loin cela ressemble à quelque bâtiment désaffecté tout rouillé, mais à y voir de près on constate qu’il est en bois et est appelé « Le Globe ». Le Globe avait été conçu comme bâtiment pour une exposition dans une autre ville de Suisse. À la fin de la manifestation, la question se posa de ce qu’on allait en faire, à la suite de quoi, plutôt que de le détruire, Le Globe fut offert au Cern pour abriter un centre d’exposition sur ses activités. « À cheval donné on ne regarde point la denture », aussi la direction du Cern accepta l’offre, sans même avoir une vision claire des millions de francs suisses que lui coûterait une telle exposition permanente. Un scientifique suggéra de tirer parti de ce casse-tête : Le Globe serait une sphère contenant… rien, de sorte que, comme les scientifiques du Cern sont des spécialistes de l’atome, Le Globe deviendrait, tout vide, lui-même une métaphore de l’atome. Et même mieux, pour quelques francs suisses on pourrait suspendre une petite bille, d’un millimètre de diamètre, au centre du Globe, permettant ainsi aux visiteurs de constater par eux-mêmes le vide de l’atome : la bille représente le noyau, les murs les limites extérieures de l’atome. Pour quelques francs de plus, des faisceaux lasers pourraient jouer sur les parois, illustrant les va-et-vient des électrons. On ferait payer un ticket d’entrée aux visiteurs, et les philosophes postmodernes en auraient pour leur compte.

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Cette idée ne fut pas retenue, et l’on évita ainsi de faire payer au public l’entrée dans une œuvre d’art donnant l’illusion d’une confrontation avec le vide intérieur de l’atome. À la place, des expositions temporaires, plus ou moins en relation avec les activités du Cern, sont abritées dans cette chose qui dépare le paysage. Mais supposons que cette idée pour le moins originale ait été retenue, et que vous ayez traversé toute l’Europe dans le but d’être confronté aux mystères de l’intérieur de l’atome, payé votre ticket d’entrée et, une fois entré dans cette sphère en bois, vous ne trouviez que du vide : demanderiez-vous à être remboursé ou auriez-vous le sentiment d’avoir abordé une vérité profonde ? Les atomes vus comme d’immenses vides, cela peut être vrai du point de vue des particules qui le composent, mais ce n’est qu’un point de vue : leur volume intérieur est rempli de champs de forces électriques et magnétiques, si puissant qu’ils vous bloqueraient tout de suite si vous essayiez d’y entrer. Ce sont ces forces qui assurent la solidité de la matière, quand bien même ses atomes semblent « pleins de vide ». Alors que vous lisez ces lignes, assis, vous êtes suspendu à une épaisseur d’atome au-dessus des atomes de votre chaise, grâce à ces forces. L’atome est loin d’être vide. Le noyau est la source de puissants champs électriques qui baignent cet espace par ailleurs « vide », à l’intérieur de l’atome. La découverte date de 1906. Rutherford avait remarqué que lorsqu’un faisceau de particules alpha2, chargées positivement, traversait de fines feuilles de mica, on observait une image floue sur une plaque photographique, ce qui suggérait que les particules étaient diffusées par le mica, et déviées de leurs lignes de vol. C‘était une surprise, car les particules alpha allaient à 15 000 kilomètres 2. Chargées positivement, les particules alpha sont composées de deux protons et de deux neutrons. Cf. The New Cosmic Onion (Taylor and Francis, 2007) ou Lucifer’s Legacy (Oxford University Press, 2000 ; traduction française : Asymétrie : la beauté du diable, EDP Sciences, 2001), tous les deux de l’auteur.

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par seconde, soit un vingtième de la vitesse de la lumière, et avaient une énorme énergie, rapportée à leur taille. De puissants champs électriques ou magnétiques pouvaient les dévier légèrement, mais n’étaient rien comparé à ce que produisait ce passage dans quelques micromètres (millionièmes de mètres) de mica. Rutherford calcula que les champs électriques à l’intérieur du mica devaient être extraordinairement puissants, comparé à ce qui était alors connu. Dans l’air, des champs de cette intensité crépiteraient d’étincelles, et la seule explication qu’il put imaginer fut que ces puissants champs ne devaient exister que dans des volumes extrêmement petits, plus petits même qu’un atome. À partir de cela, il eut une intuition visionnaire : ce sont ces champs électriques intenses qui retiennent les électrons dans leurs prisons atomiques, et qui peuvent dévier les alphas si rapides. En 1909 Rutherford confia à Ernest Marsden, un jeune étudiant, la tâche de regarder si des rayons alpha n’étaient pas déviés à très grand angle. Marsden utilisa une feuille d’or plutôt que de mica, et un écran scintillant pour détecter les particules alpha diffusées. Il pouvait déplacer cet écran non seulement derrière la feuille d’or, mais aussi sur les côtés, et même tout autour, jusqu’à proximité de la source radioactive elle-même. Ainsi il pouvait détecter les alphas réfléchis à grands angles. À la surprise générale, Marsden découvrit qu’une particule sur 20 000 rebondissait directement dans la direction d’où elle venait, et allait frapper l’écran quand celui-ci se trouvait près de la source. C’était un résultat incroyable. Les particules alpha, qui étaient à peine sensibles aux forces électriques les plus puissantes alors connues, pouvaient être renvoyées d’où elles venaient par une mince feuille d’or dont l’épaisseur ne dépassait pas quelques centaines d’atomes ! Pas étonnant que Rutherford se soit exclamé « C’était comme si vous tiriez un obus de 15 pouces sur une mince feuille de papier de soie, qu’il rebondissait et vous revenait dans la figure ». 37

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Après des mois d’efforts pour comprendre ces observations, Rutherford vit enfin comment les interpréter, au moyen d’un calcul très simple. La clé en fut la connaissance qu’il avait de l’énergie des alphas incidents. Il savait aussi que chaque alpha portait deux charges positives. La charge positive à l’intérieur de l’atome d’or devait repousser les alphas qui s’en approchaient, les ralentissant et les écartant de leurs trajectoires. Plus les alphas s’approchaient de la charge positive de l’atome, plus ils étaient déviés, jusqu’aux cas extrêmes où ils étaient arrêtés et renvoyés sur leurs traces. Rutherford put ainsi calculer à quelle distance de la charge positive les alphas devaient s’approcher, et le résultat le stupéfia. Dans quelques cas rares, la particule alpha s’approchait jusqu’à un millionième de millionième de centimètre du centre de l’atome, soit un dix millième du rayon de l’atome, avant de rebondir. Cela montrait que la charge positive était concentrée tout au centre de l’atome, laissant une image de l’atome « vide » en terme de particules, mais rempli de champs électriques ; mais qu’est-ce qu’un « champ » ? CHAMPS Les fans de Jean-Michel Jarre connaissent son album Champs magnétiques. La notion de champ est répandue dans le grand public, avec les champs gravitationnels, ou en science-fiction : « champs de distorsion du continuum spatio-temporel ». Ce jargon fait penser qu’il se passe bien des choses dans ce prétendu vide. Pour en connaître plus là-dessus, nous devons d’abord être capables de définir ce que les scientifiques entendent par le mot « champ ». C’est plus facile de visualiser cela à l’aide d’un exemple où il y a vraiment quelque chose ; aussi revenons à la Terre et à la pression atmosphérique. Une carte de la pression de l’air, si familière à tous ceux qui s’intéressent aux prévisions météo, est un exemple de ce que les mathématiciens désignent comme un champ, un ensemble de nombres qui varient d’un point à l’autre ; dans le cas présent les 38

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nombres sont la mesure de la pression atmosphérique en chaque point du pays. Comme sur une carte de niveaux, les points où la pression est la même peuvent être reliés par des lignes désignant les isobares : iso (égal) baros (poids, ou pression). S’il suffit, pour définir un champ, d’une collection de nombres comme dans le cas présent, ce champ est appelé un champ scalaire. Le taux de variation de la pression donne lieu à des vents. Si les isobares sont très éloignées les unes des autres, la brise est légère, tandis que si elles sont très rapprochées, indiquant un changement de pression rapide, les vents sont plus violents. Une carte de la vitesse des vents est un exemple de ce que l’on appelle un champ vectoriel. Cela demande un nombre et une direction en chaque point, par exemple la mesure de la vitesse et celle de la direction des vents (voir figure 2.1). (a)

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Fig 2.1 | (a) Carte météo montrant les isobares de pression ; (b) la même avec également les vecteurs des vitesses des vents.

Dans le cas de la pression atmosphérique et des vents, nous avons un milieu physique, l’air, dont les variations de densité déterminent les champs, de sorte que l’on peut visualiser la réalité de ce modèle. Le concept de « champ » s’applique aussi même s’il n’y a pas de milieu matériel. C’est le cas pour les champs gravitationnels et électriques, qui 39

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donnent l’intensité et la direction de leurs forces respectives dans tout l’espace. Randonneurs et montagnards ressentent le champ gravitationnel. Plus on est haut sur la paroi de la falaise, plus on se fait mal en tombant. Ça c’est l’exemple pratique, tandis que la carte d’état-major qui indique les altitudes au-dessus du niveau de la mer en est une vision théorique. Imaginez un paysage avec collines et vallées. L’analogue des isobares de la carte météo est une carte faisant apparaître les contours reliant les points de même altitude au-dessus du niveau de la mer. Si vous pouviez plonger dans la mer sans être freiné, alors plus vous partiriez de haut et plus votre vitesse d’arrivée serait grande, plus votre « énergie cinétique » serait grande. À chaque altitude de départ donnée audessus du niveau de la mer correspond le « potentiel » d’acquérir l’énergie cinétique correspondante ; plus vous tombez de haut sous l’influence de la force gravitationnelle, plus l’énergie cinétique que vous gagnerez sera grande. Les lignes de niveau de la carte relient donc des points où l’énergie potentielle est la même, ce sont des « équipotentielles ». Sous l’influence de la force de gravité, le mouvement naturel est de tomber vers le bas, d’un potentiel élevé vers un potentiel plus bas. L’intensité de la force d’accélération est proportionnelle à la rapidité du changement du potentiel : la pente de la colline. En dévalant une pente raide, nous acquérons de la vitesse plus rapidement que sur une pente douce. C’est une règle générale : la force est proportionnelle au taux de variation du potentiel, tout comme la force du vent est proportionnelle au gradient des isobares. Aussi une carte des gradients aura en chaque point une intensité (raide ou peu pentue) et une direction (comme pente au nord ou au sud). Ce champ, qui récapitule la force avec sa grandeur et sa direction, est un champ vectoriel. La grande intuition d’Isaac Newton fut de voir dans la chute des pommes et dans les mouvements des planètes deux phénomènes régis par la gravité. Le Soleil est le grand attracteur au centre du système 40

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solaire. Si vous vous mettez à tomber vers le Soleil sous l’effet de la force gravitationnelle, plus vous partez de loin et plus grande sera votre vitesse lors de l’impact sur le Soleil. L’énergie potentielle est donc d’autant plus grande que l’on est loin du Soleil. Les surfaces des équipotentielles de gravitation forment des sphères centrées sur le Soleil. Le potentiel diminue lorsque l’on se déplace vers l’intérieur, on est donc accéléré en passant d’une région de potentiel élevé à une région de potentiel plus bas. La perte en énergie potentielle est compensée par l’augmentation de l’énergie cinétique. Il s’agit là d’une loi universelle. Il en va de même si au lieu de la masse imposante du Soleil et de la gravité nous avons à faire à des charges et aux champs électriques. Nous sommes tous habitués à la notion de volts, même si nous ne sommes pas très au courant de la façon dont on les définit. Un voltage élevé équivaut à un potentiel élevé – dans ce cas, il s’agit du potentiel de provoquer des électrocutions, résultat de la mise en mouvement rapide de charges électriques, qui se concrétisent par une contraction des muscles. Les plaques d’une batterie électrique sont à des potentiels négatifs et positifs, et plus ces plaques sont rapprochées entre elles, plus le champ électrique, c’est-à-dire le taux de variation du potentiel, le sera. Alors que dans le cas de l’air nous avons un milieu matériel pour nous faire une image mentale, dans le cas de la gravitation ou des champs électriques ce n’est plus le cas ; nous avons acquis les concepts, expérimenté les effets, mais nous n’avons pas de « chose » à visualiser. Il n’en reste pas moins que leurs effets sont mesurables, et que les champs gravitationnels et électriques existent bien. GRANDEUR DU CHAMP Pour se faire une idée de la puissance des champs électriques à l’intérieur de l’atome, on peut faire une comparaison avec les performances auxquelles parvient notre technologie dans le monde macroscopique.

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Dans une pile électrique comme celles utilisées dans les lampes de poche ou pour alimenter des postes radio, piles qui débitent quelques volts et dont les plaques chargées, positives et négatives, se trouvent à environ un millimètre les unes des autres, le champ électrique créé atteint jusqu’à mille volts par mètre. Au Slac, l’accélérateur linéaire de l’Université de Stanford en Californie, les champs électriques accélèrent des électrons jusqu’à une vitesse de 300 000 kilomètres par seconde, à un millième de pour cent de la vitesse de la lumière. Pour y arriver, ils sont soumis à quelques 30 milliards de volts en 3 kilomètres, ce qui correspond à des champs électriques de 10 millions de volts par mètre. Cette technologie sophistiquée produit des champs électriques bien plus puissants qu’une simple pile, et pourtant c’est insignifiant comparé à ce qui se passe à l‘intérieur de l’atome. Au Slac, le champ électrique est de dix volts chaque millionième de mètre ; dans un atome d’hydrogène, par exemple, la dizaine de volts est ce qu’il y a entre l’électron et le proton, qui sont en moyenne à seulement un dixième de milliardième de mètre. Les champs à l’intérieur de l’atome sont plus de mille fois plus grands que ce que l’on est capable de produire à notre échelle, mais il est vrai que c’est limité aux dimensions atomiques. Il est bien connu que les charges électriques de signes opposés s’attirent et que celles de même signe se repoussent. Les deux types de charges se retrouvent dans les atomes : les électrons, chargés négativement, sont à la périphérie, et le noyau central positif est au milieu. Quand des atomes se rapprochent, le noyau positif de l’un peut attirer des électrons négatifs de son voisin, ce qui resserre encore les deux atomes. Il en résulte des groupes d’atomes intriqués qui se rassemblent pour former des molécules, et en fin de compte l’ensemble de la matière. Les champs électriques les plus puissants que l’on est capable de réaliser à l’échelle macroscopique sont relativement insignifiants comparés à ceux qui règnent dans les atomes, en raison de la neutralisation mutuelle des charges positives et négatives : ce n’est 42

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qu’aux limites de l’atome que la pleine puissance développée par des charges opposées non écrantées peut se manifester. Ce n’est qu’une fois que cela est pris en compte que l’on peut comprendre comment les particules alpha, même lancées à une vitesse de 14 000 kilomètres par seconde, un vingtième de celle de la lumière, peuvent être déviées à grands angles, voire stoppées et renvoyées d’où elles viennent : les champs électriques à l’intérieur de l’atome forment effectivement une barrière impénétrable. Pour explorer l’intérieur de l’atome, il faut le sonder avec quelque chose de bien plus petit que lui ; c’est pourquoi Rutherford utilisa les rayons alpha. Loin de trouver du vide, ces envahisseurs furent repoussés comme si l’atome était rempli de quelque chose de solide et de résistant. C’est du moins ainsi que le champ électrique se manifeste. Torricelli peut bien avoir éliminé l’air dans une région de l’espace, si on agrandit un des atomes restants on y trouvera un réel « quelque chose » sous la forme d’un champ électrique intense. Il y a une sorte d’influence dans tout cet espace, causée par la présence du noyau atomique chargé positivement. Cette influence persiste, quand bien même toute autre forme de matière a été éliminée. Des charges électriques en mouvement donnent lieu à des forces magnétiques dont les effets se répandent sur de grandes distances, comme dans le cas du champ magnétique terrestre. Le cœur de métal fondu de notre planète tourbillonne sous l’effet de sa rotation, et la chaleur qui y règne a dissocié les atomes, laissant les électrons libres de se mouvoir. Cela entraîne un courant électrique qui fait de la Terre un gigantesque aimant, avec un pôle Nord et un pôle Sud, et des lignes de champ magnétique qui se déploient dans l’espace. Bien plus puissant que son champ gravitationnel, le champ magnétique de la Terre déviera la petite aiguille d’une boussole. Ce phénomène permet la navigation des voyageurs et des oiseaux migrateurs depuis des temps immémoriaux. Ces effets étaient connus au dix-septième siècle, alors que les recherches sur le vide battaient leur plein. On put montrer que 43

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les influences électriques et la lumière pouvaient se propager à travers le vide, mais la relation fondamentale existant entre la lumière et les champs magnétiques attendra le dix-neuvième siècle pour être découverte. À des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, là où l’air est si rare qu’on peut considérer qu’il n’y en a plus, les champs magnétiques persistent. Ils sont même capitaux pour notre existence. Les rayons cosmiques et le vent solaire, faits de particules chargées, sont déviés par ces forces magnétiques. Cela forme un bouclier de protection qui est crucial pour nous, car l’exposition à ces radiations détruirait notre ADN. Si ce champ magnétique disparaissait, comme c’est le cas sur Mars, cela pourrait être fatal à notre espèce. Pascal et Périer avaient démontré qu’il y a du vide au-delà de la Terre, dans le sens qu’il n’y a pas d’air. Il y a très peu, voire pas du tout de gaz dans l’espace, mais il y a certainement un important quelque chose, constitué par le champ magnétique terrestre. LES CHAMPS GRAVITATIONNELS ET LA LOI EN INVERSE DU CARRÉ La gravité est la plus familière des forces, mais elle est en fait très faible : il est facile de soulever une pomme, et de contrer ainsi l’attraction gravitationnelle de toute la planète. Notre force musculaire est basée sur les forces électriques, bien plus puissantes, qui nous donnent également forme et allure. Cependant, les attractions et répulsions des charges positives et négatives à l’intérieur de la matière se neutralisent mutuellement, alors que l’attraction gravitationnelle de chacun des atomes d’un morceau de matière s’additionne. La gravité devient dominante dès qu’un corps dépasse environ 500 kilomètres de diamètre. Sans privilégier une direction, attirant tout de la même manière suivant les trois dimensions, la gravité produit des corps sphériques. Le Soleil en est un exemple, et les montagnes et vallées sur Terre ne

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sont que de minuscules rides de surface dues à l’activité géologique, son aplatissement résultant de sa rotation journalière. Pour les très grands astres les effets de la gravité s’accumulent pour produire une attraction très puissante. Le Soleil que nous voyons, de la Terre, pas plus grand qu’un ongle, nous piège, nous et les planètes, en une valse cosmique dans l’immensité de l’espace, sur des distances de centaines de millions de kilomètres. Comment cette influence arrive-t-elle à se répandre dans l’espace ? C’est Isaac Newton qui eut le premier l’idée que l’attraction gravitationnelle entre deux corps diminue comme l’inverse du carré de leur distance mutuelle. Cette « loi en inverse du carré » de la diminution de la gravité avec la distance est cruciale pour la structure de l’Univers, et peut-être même pour les progrès de la physique. Nous sommes retenus sur la Terre qui orbite autour du Soleil ; la Lune, petite mais relativement proche, exerce une attraction gravitationnelle qui provoque les marées, alors que les galaxies lointaines n’ont pas d’effets mesurables sur Terre. Les marées, les éclipses, les vols spatiaux peuvent être déterminés sans tenir compte de ces masses lointaines. Si la force de gravité avait été indépendante de la distance, alors ce sont les galaxies lointaines qui auraient mené la danse, et la Terre n’aurait pu se condenser sous l’effet de sa propre masse. Si elle avait été directement proportionnelle à la distance, il est encore possible que nous ayons pu habiter une planète, mais on peut se demander si la loi de la gravitation aurait pu être établie : c’est parce qu’on peut négliger tous les corps sauf deux, avec de petites perturbations d’un troisième, que l’on a pu faire les calculs et que les lois de base ont pu être énoncées. La loi en inverse du carré n’est pas spécifique à la force de gravité : il en va de même pour la force électrique entre deux particules chargées. Vu le nombre de possibilités qui s’offrent, on peut trouver bizarre de voir les forces électriques et gravitationnelles exhiber le même comportement en inverse du carré. La raison en est intimement liée à la nature tridimensionnelle de l’espace, et au fait que la gravité le 45

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remplit tout entier, tout comme le font les champs électriques, du moins au voisinage d’une charge isolée. Un corps massif, comme la Terre ou le Soleil, étend en quelque sort ses tentacules gravitationnels dans toutes les directions de l’espace, uniformément. L’orbite de la Terre autour du Soleil est presque circulaire. Imaginez le Soleil au centre d’un ballon dont le diamètre correspond à l’orbite de la Terre. L’attraction gravitationnelle sur notre planète est la même sur tous les points de la surface de ce ballon imaginaire. Si nous nous imaginons maintenant transportés sur une orbite double de celle de la Terre, la surface de ce ballon imaginaire serait quatre fois plus grande, car la surface augmente comme le carré de la distance. Newton comprit que si la force de gravitation agissait comme des tentacules qui partent depuis la source dans toutes les directions, symétriquement, alors l’intensité de la force à une distance donnée serait répandue uniformément sur la surface de ce ballon imaginaire. Comme cette aire augmente comme le carré de la distance radiale, l’intensité en tout point doit diminuer d’autant. Bien évidemment, ce raisonnement est analogue pour les champs électriques produits par un corps chargé électriquement. Ces analogies soulignent la relation profonde entre le comportement de ces forces et la nature tridimensionnelle de l’espace, chose connue depuis Newton. Cela fournit une clé importante pour l’énigme que pose l’apparition d’une force entre deux corps apparemment déconnectés. L’espace intermédiaire est d’une certaine manière concerné ; il n’est pas vide, mais rempli par un « champ », dont la nature exacte est justement un exemple moderne de ces questions sur lesquelles les philosophes de l’antiquité s’étaient cassé les dents. On en doit l’idée à Newton, et ses caractéristiques essentielles nous accompagnent depuis 300 ans, enrichies par les intuitions d’Einstein et appliquées à des situations inconnues de Newton. L’idée de base est qu’il se produit une sorte de « tension » dans l’espace apparemment vide, qui se manifeste par des forces appliquées à des corps qui se 46

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trouvent dans ce voisinage. La sphère d’influence de cette tension est appelée un champ ; c’est le champ gravitationnel de la Terre qui, tapissant l’espace, attire les parachutistes en chute libre vers le sol, et le champ gravitationnel du Soleil qui maintient la Terre sur son orbite annuelle. C’est ainsi que commence à se dessiner une réponse à la question qui m’a inspiré depuis le début. Retirez tous les corps sauf un seul, sa masse produira un champ gravitationnel qui s’étendra dans l’espace tout entier. On pourra donc bien contempler une région de l’espace dénuée de tout corps matériel, mais ce ne sera pas du vide tant qu’il restera un seul corps n’importe où dans l’Univers : le champ gravitationnel de ce corps lointain remplira tout le volume de cet espace par ailleurs « vide »3. ONDES On pourrait penser que la notion de champs électriques ou gravitationnels est un pur concept de philosophes, mais sa réalité, audelà d’un simple schéma adapté à rendre compte des forces gravitationnelles et électriques, peut être rendue visible grâce aux ondes. Agitez un bâton de ci de là sur la surface d’un étang calme, une vague se propagera sur cette surface. Le mouvement du bâton a perturbé les molécules d’eau, qui se mettent à se cogner entre elles, produisant une élévation temporaire de certaines d’entre elles audessus du niveau moyen, lesquelles retombent ensuite sous l’action de la gravité, perturbant à leur tour leurs voisines. Un train ondulant de bosses et de creux, d’amplitudes décroissantes, se déplace sur la surface. Un bouchon flottant un peu plus loin se mettra à osciller quand la vague l’atteindra. L’onde a transféré de l’énergie du bâton au bouchon. Une situation plus dramatique se produit lorsque des roches instables de la 3. Dans le chapitre 6, nous verrons que même ce corps unique n’est pas nécessaire. D’après la théorie de la relativité générale d’Einstein, l’énergie quelle que soit sa forme crée des champs gravitationnels.

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croûte terrestre sont brutalement poussées et tombent sous l’effet de leur poids. Des ondes de compression se propagent à travers la planète, et font vibrer les aiguilles des sismomètres, permettant d’enregistrer un « tremblement de Terre ». Les sons que nous entendons sont le résultat d’ondes dans l’air : un mouvement rapide produit une onde de pression qui s’éloigne et qui, arrivant dans notre oreille, provoque la vibration de la membrane du tympan, induisant une série de réponses physiologiques que notre cerveau enregistre comme des sons. Dans chacun de ces exemples, il y a un milieu bien identifié, un « quelque chose » dont la compression et la dilatation, associées à une tendance à revenir à un équilibre au repos, créent l’onde. S’agissant des ondes électromagnétiques, on retrouve des analogies mais aussi de profondes différences. Lorsqu’une charge électrique est au repos, elle est entourée d’un champ électrique. Si elle est accélérée ou secouée, une « onde électromagnétique » se propage dans l’espace. Une charge électrique située un peu plus loin sera mise en mouvement à l’arrivée de l’onde. Comme dans le cas de la vague sur l’eau ou de l’onde sonore, l’onde électromagnétique a transporté de l’énergie de la source au récepteur. Par exemple dans un émetteur radio, on fait osciller des charges ; cela produit une onde électromagnétique qui transporte de l’énergie jusqu’aux charges de votre antenne radio. Voilà pour les similitudes, mais il y a une profonde différence. La vitesse de déplacement des vagues dépend de la distance entre les creux et les bosses – la longueur d’onde ; au contraire, toutes les ondes électromagnétiques vont à la même vitesse, la vitesse de la lumière. Et cela reste vrai quel que soit votre mouvement par rapport à la source. Cela semble paradoxal : si vous vous éloignez de la source à une vitesse proche de celle de la lumière, vous vous attendriez à ce que la lumière ne vous rattrape que lentement ; et bien non, elle vous rejoint précisément à la vitesse de la lumière. C’est ce phénomène bizarre qui a amené Einstein à formuler sa théorie radicalement nouvelle de 48

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l’espace et du temps, la Relativité restreinte, dont nous reparlerons au chapitre 5. La lumière n’est qu’une sorte de radiation électromagnétique, tout comme les ondes radio, les micro-ondes ou les rayons X. Les champs électriques et magnétiques remplissent l’espace et leurs excitations sont les ondes électromagnétiques. La notion d’onde électromagnétique est un fait établi, même si nous n’en avons pas totalement terminé avec le « quoi » dans lequel apparaissent ces ondes. Les champs gravitationnels ont également la propriété d’être le siège d’ondes, du moins en théorie. Et ces ondes gravitationnelles, dans quel « milieu » apparaissent-elles ? La théorie nous dit que ce sont des vibrations de l’espace-temps lui-même. Qu’est-ce à dire ? Est-ce quelque chose qui reste quand tout a disparu ? Pour y répondre, nous devons revenir à Isaac Newton.

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3 L’espace

CRÉATION Il y a bon nombre d’années de cela, alors que je n’étais encore qu’un novice en vulgarisation, j’eus à convaincre un évêque anglican, qui croyait aux mythes de la création de la Genèse, que l’Univers était apparu 14 milliards d’années plus tôt, à la suite d’un « big bang ». « Dites-moi, me demanda le représentant de Dieu, est-ce que la théorie de l’état stationnaire n’est plus acceptée ? » L’hypothèse de l’état stationnaire suppose qu’il y a création continuelle de matière, et que, implicitement, l’Univers a toujours existé. Bien que cela permît d’éviter le grand paradoxe de savoir ce que Dieu pouvait bien faire avant qu’il ne crée l’Univers, ce postulat allait à l’encontre des observations astronomiques et n’est plus d’actualité. J’expliquai donc cela, et je fus agréablement surpris de sa réaction. L’évêque sembla presque soulagé : le scénario de la Genèse était confirmé, ce n’était qu’une question d’échelle de temps.

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Alors que l’évêque acceptait l’évidence, comme la plupart des gens rationnels, les « créationnistes » fondamentalistes ergoteront sur cette échelle de temps. J’étais encore étudiant la première fois que je rencontrai quelqu’un qui croyait fermement et sérieusement à un Univers vieux de 6 000 ans. Je commençai à lui expliquer le phénomène de parallaxe, comment lorsqu’on se déplace d’un côté à l’autre les objets proches semblent se déplacer devant les objets lointains ; que le mouvement circulaire de la Terre autour du Soleil fournit une base de déplacement suffisante pour qu’on puisse voir les parallaxes de certaines étoiles, montrant qu’elles sont à des années-lumière de nous. Même sans avoir recours aux nombreuses autres méthodes de datation, comme la radioactivité naturelle des roches qui font remonter la Terre à 5 milliards d’années, nous avons devant nos yeux, au sens propre, l’évidence que l’Univers est bien plus vieux que ces simples 6 000 ans. Il approuva, mais poursuivit en prétendant que ce qui s’était passé il y a 6 000 ans, c’était une intervention divine qui avait créé un Univers tout prêt, avec sa mémoire intégrée : de l’uranium sous ses diverses formes isotopiques, bien réparties pour donner l’apparence d’un âge de 5 milliards d’années ; des faisceaux de lumière créés en plein vol pour donner l’illusion de venir de galaxies lointaines. Essayer de comprendre l’Univers est suffisamment ardu comme cela, pas besoin d’y rajouter des questions annexes comme, s’il a été fait il y a 6 000 ans, pourquoi le créer avec des caractéristiques correspondant à un âge de 14 milliards d’années ? Pourquoi Dieu n’at-il pas lancé son show il y a 14 milliards d’années, pour le laisser ensuite évoluer ; qu’est-ce que Dieu a bien pu faire pendant ces milliards d’années manquants, qui L’a poussé à « postdater » sa création ? Ou bien même, l’Univers n’a-t-il pas été créé il y a juste un instant, avec chacun de nous muni d’une mémoire déjà remplie de nos souvenirs et du passé apparent de l’Univers ? De telles questions ne sont pas l’objet de ce livre, car quelle que soit la façon dont on choisit de voir les choses, on se retrouve toujours devant la question de savoir quelle 52

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était la situation juste avant la création. Ou encore, comme on me l’a demandé un jour après un exposé de vulgarisation : « Pourquoi le big bang ne s’est-il pas produit plus tôt ? » Le problème de la création à partir du vide a tourmenté les penseurs aussi loin que l’on puisse remonter dans l’Histoire. Alors que les philosophes de l’Antiquité débattaient de cette énigme en s’en tenant à la logique, aujourd’hui nous avons la méthode scientifique : l’expérience permet de tester et de faire le tri dans les idées. Bien que la science ne soit pas capable de se prononcer sur ce qui s’est passé avant le big bang, ni même de dire si cette question a un sens (si le temps a été créé avec le big bang, le mot « avant » a-t-il encore un sens ?), elle suggère néanmoins qu’il s’est produit un tel événement. Depuis qu’Edwin Hubble a découvert que les galaxies s’éloignent les unes des autres, il est admis que l’Univers est en expansion. Si l’on rejoue cette évolution à l’envers, on en arrive à l’idée qu’il y a 14 milliards d’années, les galaxies devaient être concentrées au même point, dans un état singulier dont l’explosion se trouve être ce que l’on appelle le big bang. De telles idées sont maintenant acceptées par le public des conférences de vulgarisation, mais je suis impressionné par l’étendue et la perspicacité de certaines questions que cela provoque. Une sélection : si l’Univers est en expansion, il est en expansion dans quoi ? Est-ce que les galaxies sont en expansion ? Est-ce que les atomes sont en expansion ? Et quand il leur a été répondu que non, alors qu’estce qui est réellement en expansion ? Si la réponse est « l’espace », alors, qu’est-ce que l’espace ? Est-ce que l’espace existe indépendamment des choses, c’est-à-dire qu’il resterait même si on enlevait toute trace de matière, ou est-ce que la disparition de la matière entraînerait aussi celle de l’espace ? Pour répondre à ces questions nous devons commencer par exposer ce qu’est réellement l’espace. Cela nous mènera d’Isaac Newton et de l’Univers mécaniste du dix-septième siècle aux intuitions remarquables sur l’électricité et le magnétisme de Faraday et Maxwell 53

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au dix-neuvième siècle, pour arriver au concept d’espace-temps que l’on doit à Einstein au vingtième siècle. NEWTON Les fondements de la physique classique, qui établirent comment l’influence mutuelle entre les corps induit des changements dans leurs mouvements, furent posés par Isaac Newton au dix-septième siècle. Ses lois du mouvement sont à la fois « évidentes » à première vue, et plus compliquées qu’il n’y paraît. Premièrement : un corps physique restera au repos ou continuera à se déplacer à vitesse constante si aucune influence externe, ou « force », n’agit sur lui. Cette loi est connue comme celle de l’inertie ; les corps sont « paresseux » et rechignent à modifier leur mouvement. Pour changer leur vitesse, il faut leur appliquer une action externe : une force. Plus cette force est grande, et plus grande sera l’accélération. L’expérience nous montre que si on applique la même poussée à une balle de tennis et à un morceau de plomb de même taille, la balle de tennis sera plus accélérée que le plomb : Newton établit que le taux d’accélération par unité de force des deux corps est une mesure de leurs inerties intrinsèques, ou « masses ». Cela est souvent désigné comme la seconde loi du mouvement de Newton, sa première étant celle de l’inertie. En réalité nous constatons que la seconde loi contient la première comme cas particulier ; s’il n’y a pas de force, il n’y a pas d’accélération, et le corps continue son mouvement sans perturbation. Tous les étudiants en mécanique ont à étudier ces lois, et elles semblent aller de soi. Il est en tout cas vrai qu’elles nous permettent d’envoyer des vaisseaux spatiaux vers Jupiter, et en appliquant la bonne poussée au bon moment, les deux calculés avec les lois de Newton, le vaisseau arrive bien à destination. Lorsque des astronomes vont faire des voyages vers des destinations exotiques pour y admirer les splendeurs d’une éclipse du Soleil, leur projet d’expédition repose sur la confiance qu’ils ont dans les prédictions faites grâce aux lois de 54

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Newton sur la position précise de la bande de 100 kilomètres de large sur Terre que la Lune en orbite va cacher au Soleil. Les intuitions géniales de Newton sont incontestablement correctes en pratique, mais dès qu’on les examine attentivement, cela conduit à se poser des questions sur la nature du vide. Une particule est en mouvement lorsque sa position à un instant est différente de celle à un autre instant. Laissons de côté momentanément ce que le mot « instant » ou temps signifie ici, nous avons assez de problématiques à traiter comme cela. Qu’est-ce qui définit la position ? Une réponse naturelle et raisonnable est « relativement à moi ». Plus généralement, la position ou le mouvement d’une particule ne peut être défini que par rapport à un repère de référence. Newton envisageait un espace et un temps absolus – une sorte de grille métaphorique faite de tiges graduées définissant le haut et le bas, la droite et la gauche, l’avant et l’arrière : les trois dimensions de l’espace. Les corps qui sont au repos ou en « mouvement uniforme » (c’est-à dire non accéléré) par rapport à ce cadre se déplacent selon ses lois du mouvement. Cette grille forme une construction mentale de ce qui est désigné sous le nom de « repère inertiel ». Le concept va plus loin. Chaque corps animé d’une vitesse constante dans ce repère inertiel va lui-même définir un autre repère inertiel. Tout en nous déplaçant, nous transportons notre propre grille imaginaire de tiges. Supposons que je sois dans une voiture qui roule à la vitesse stabilisée de 150 kilomètres par heure sur une route droite. Dans le repère de la voiture, je suis toujours assis à la même distance par rapport à l’avant de celle-ci, par exemple à la place du passager. Dans le repère d’un détecteur de vitesse fixé sur le bas-côté, ma position change – en une heure, je serai 150 kilomètres plus loin dans le repère de la caméra, ce qu’elle enregistre en bonne et due forme, et cela donne lieu à une contravention pour excès de vitesse. Tous les repères ne sont pas inertiels. Pour l’illustrer, faites le tour de la pièce en décrivant un cercle. Ce faisant vous changez de direction, 55

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allant à un moment vers le Nord, à un autre vers l’Est. Votre vitesse a donc changé : la valeur de la vitesse peut être restée la même, mais sa direction a varié lors de ce trajet circulaire. Newton nous dit que la modification de la vitesse est le résultat de l’action d’une force ; dans ce cas les forces ont été produites par le frottement entre vos pieds et le plancher, il n’y a pas de problème. Maintenant répétez l’exercice en fixant votre regard sur un point, par exemple une chaise. Vous voyez alors que par rapport à vous, la chaise a fait un trajet circulaire. Mais quelles forces agissaient sur elle ? La gravité l’attirait vers le bas, et c’était contrebalancé par la résistance du sol, de sorte que la chaise est restée immobile dans la direction haut-bas. Là encore, pas de problème. Pourtant il n’y a pas de force agissant sur elle dans le plan horizontal, mais elle a semblé faire un trajet circulaire. Cette devinette met en lumière un trait essentiel des lois du mouvement de Newton, un trait fréquemment oublié par les étudiants : elles s’appliquent dans les « repères inertiels » ‒ repères dans lesquels aucune force n’agit sur vous. Lors de votre petit tour, vous étiez guidés par les forces de frottement sous vos pieds, vous n’étiez donc pas dans un repère inertiel. Le mouvement circulaire apparent de la chaise par rapport à vous ne viole aucune loi – la chaise n’a pas fait un trajet circulaire dans un repère inertiel. Alors qu’est-ce qu’un repère inertiel ? Réponse : c’est un repère dans lequel il n’y a pas de forces agissant sur moi. Et comment je sais qu’il n’y a pas de forces ? Réponse, c’est quand je suis au repos ou en mouvement uniforme dans un repère inertiel. C’est là un raisonnement qui tourne en rond, ce qui est bien embarrassant. Comme nous sommes piégés dans le champ gravitationnel de la Terre, et donc soumis à sa force gravitationnelle, nous ne sommes pas dans un repère inertiel, même quand nous sommes au repos à la surface de la Terre. Pire encore, nous sommes également en orbite autour du Soleil, soumis à son caprice gravitationnel. Dans la pratique, parler de repère inertiel est une illusion. Pourtant d’un certain point de vue « de bon sens » nous 56

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comprenons intuitivement que c’est une approximation d’un idéal qui permet des calculs précis et des prédictions, pour des applications pratiques. Tout cela tient debout si on imagine, comme le fit Newton, qu’il existe un ensemble d’axes dans l’espace, définissant le repère inertiel absolu. La conception de la mécanique de Newton supposait que pour deux repères inertiels leurs grilles de références devaient se déplacer l’une par rapport à l’autre à vitesse constante (qui pouvait être zéro), en ligne droite et sans rotation. Les horloges des deux repères afficheraient le même temps, ou au plus diffèreraient d’une valeur constante. C’est ainsi que Big Ben à Londres et l’horloge de la Gare centrale de New York indiquent des temps différents de 5 heures, résultat de la convention sur les fuseaux horaires, mais des intervalles de temps seront les même pour chacune de ces horloges : s’il est maintenant 12 heures 20 à Londres, cela est équivalent à 7 heures 20 à New York. Si deux événements se passent simultanément vus d’une horloge située dans un repère inertiel, il en sera de même dans un autre. Le temps est donc universel, et peut être utilisé par tous, quel que soit son mouvement. Vous et moi, la Terre, la Lune et les planètes, nous nous déplaçons dans ce cadre sans l’altérer en rien. Ce repère est éternel, sans changement. Le temps se comporte de même. Le tic-tac du métronome cosmique de Newton mesure l’écoulement du temps comme un flot continu, alors que les corps dans l’Univers suivent leurs mouvements. LES CONCEPTS D’ESPACE ET DE MOUVEMENT Aristote définissait l’espace par les corps qu’il contient. Lui et son étudiant Théophraste considéraient les corps comme réels, mais pas l’espace ; des corps situés les uns par rapport aux autres définissent l’espace, mais si vous enlevez les corps, alors selon Aristote vous avez également éliminé l’espace. Cela implique que le vide ne peut exister, car en enlevant la matière on enlève son contenant – manière ultime 57

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de jeter le bébé avec l’eau du bain. Un autre de ses disciples, Straton, définit l’espace comme le « contenant de tous les corps matériels »1. Straton affirmait que les corps se déplaçaient dans un espace vide et que ce contenant existe qu’il y ait ou non quelque chose dedans. S’il n’y a rien, c’est alors le vide. Pierre Gassendi comprit que l’expérience de Torricelli montrait que le vide peut exister, et que l’homme peut le créer. Il voyait l’espace comme un acteur passif, qui laissait les choses le traverser, mais sans « réagir ni souffrir de ce qui lui arrive »2. La vision de l’espace d’Isaac Newton est similaire. Il avait la vision d’un espace absolu, un volume dans lequel les particules, les corps, les planètes existent et se déplacent. Pour Newton, l’espace a une existence, un peu comme le quadrillage d’un papier, sur lequel on ne peut agir. Les corps se déplacent à travers ce réseau sans l’altérer ; son existence a quelque chose d’absolu, même en l’absence de corps, ce qui fait que l’espace « vide » est ce qui reste lorsque tous les corps matériels ont été enlevés. L’absence de matière entraînait aussi pour Newton l’absence de force gravitationnelle, de sorte qu’il n’y avait alors plus rien que le repère inertiel original de l’espace absolu. Ce n’est pas le cas des espaces relatifs, définis par le repère associé à toute particule en mouvement, car ils ont besoin de corps matériels pour définir leurs mouvements relatifs, et donc leurs réseaux de coordonnées relatives. Einstein renonça à tout cela. Il doutait sérieusement de la réalité de l’espace, même en présence de corps ; l’espace et le temps eux-mêmes étaient distendus et modulés par le simple mouvement des choses. Pour lui, parler d’espace vide est un oxymore. Dans l’espace absolu de Newton, imaginez le déroulement d’un événement, par exemple un artiste jonglant avec trois balles. Maintenant imaginez le tout en mouvement relatif dans cet espace 1. Voir Genz, Nothingness, 85. 2. Citation non référencée, ibid., 110.

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absolu. Newton affirme qu’alors la situation est équivalente à la première séquence, à part que le réseau de coordonnées d’espace est en mouvement uniforme ; les mêmes lois s’appliquent et les mêmes expériences peuvent être faites. La Terre tourne autour du Soleil à une vitesse de 20 kilomètres par seconde, donc entre avril et octobre, lorsque nous sommes à deux points opposés de l’orbite circulaire et allons à des vitesses opposées, notre vitesse a changé de 40 kilomètres par seconde ; pour autant, il faut toujours la même adresse pour jouer avec les balles. Alors qu’on ne peut définir une mesure absolue de la vitesse, mais que seules les vitesses relatives peuvent être définies sans ambiguïté, il n’en va pas de même pour l’accélération : son intensité est la même quel que soit le repère inertiel dans lequel on la mesure. Une publicité vante une voiture de sport qui peut atteindre, départ arrêté, 140 kilomètres à l’heure en 3 secondes. Cela ne nécessite pas un avertissement du style « vu d’un piéton immobile dans la rue », car cela est également vrai pour le cycliste – terrifié – qui avance tranquillement à 25 kilomètres à l’heure. Cependant, si une publicité de ce type devait apparaître sur une chaîne éducative, il faudrait peut-être mettre cet avertissement « vu par des observateurs situés dans des repères inertiels ». Par exemple des avocats procéduriers qui plaideraient pour des passagers pourraient réfuter cette affirmation dans la mesure où leurs clients sont toujours au repos par rapport à l’automobile lors de son accélération. Cependant, ils vont ressentir un inconfort certain, en se sentant plaqués contre leur siège comme par une force invisible. Quand la voiture prend un virage serré, là encore les passagers vont se sentir mis en mouvement, mais cette fois projetés sur le côté par ce qu’on appelle la « force centrifuge ». Dans les deux cas, les passagers ne sont pas dans un repère inertiel. Pour illustrer les idées de Newton concernant l’espace absolu, et comment Einstein commença à les mettre à l’épreuve, imaginez-vous dans un avion volant, disons, de Londres à New York. Vous faites tout 59

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le voyage dans la première rangée. Juste après le décollage, le voyant indiquant de serrer sa ceinture s’éteint quand l’avion atteint son altitude de croisière, à laquelle il vole sans interruption à 800 kilomètres à l’heure, sans turbulences, pendant huit heures. Vous restez à votre place, mais vos proches restés à Terre soutiennent que vous avez parcouru 6400 kilomètres ; il est manifeste que cela n’a pas de sens de parler de position absolue. Alors que huit heures se sont écoulées, pour vos proches vous étiez à la vitesse de 800 kilomètres à l’heure, tandis que de votre point de vue vous n’avez pas bougé ; il est manifeste que cela n’a pas de sens de parler de vitesse absolue. Si, pour passer le temps, vous vous mettez à jongler avec des balles, assis sur votre siège, et dans la mesure où ce comportement singulier ne vous fait pas remarquer par un équipage un peu nerveux, les sensations et la technique requise sont exactement les mêmes que si vous étiez resté chez vous. Mais si l’avion traverse une turbulence, ou si vous essayez de jongler durant le décollage, les balles adopteront des trajectoires différentes, et jongler devient alors une toute autre affaire. Pourtant, vous et vos proches tomberez d’accord pour constater qu’au décollage, pendant disons une demi minute, vous avez accéléré sur une trajectoire horizontale, puis vous avez été poussé vers le ciel. C’est ce que vos proches ont pu voir, tandis que pour vous cela se traduisait par une force, d’abord une pression dans le dos lorsque l’avion roulait sur la piste d’envol, puis par le siège lorsque vous vous êtes envolé. La mesure de cette force vous aurait permis de déterminer, approximativement, l’accélération que vous subissiez. Pour Einstein, qui ne connaissait rien des avions à réaction en 1905, mais pouvait s’imaginer dans un ascenseur en chute libre, la relation entre force et accélération devait se révéler à la base de sa représentation de l’espace et du temps. La manière la plus simple pour faire sentir une accélération sans aller trop vite est encore le manège, la rotation étant un cas particulier d’accélération. 60

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Imaginez-vous dans une petite pièce sans fenêtres installée sur un manège. Isolé de l’univers environnant, vous pouvez cependant dire que vous êtes en rotation par rapport à … quelque chose. D’une certaine manière, le réseau de tiges graduées de Newton, cet espace qui définit l’espace, inclut votre petit volume. Vous ne pouvez pas les voir ; elles sont là en silence et ne font pas de bruit ; ça n’a pas d’odeur, et si vous étendez les bras, il n’y a rien de matériel pour attester de leur présence. Mais lorsque ça tourne et que vous êtes en rotation, vous allez le sentir dans votre corps. On appelle cela la « force centrifuge », sensible quand vous changez d’orientation. Cet espace absolu est-il donc réel, d’une certaine manière ? Est-il toujours présent lorsqu’on en enlève toute matière ? Ernst Mach, 200 ans après Newton, proposa que les « étoiles fixes » le définissent. Nous vivons sur un manège, puisque la Terre tourne sur elle-même en 24 heures. Alors que la rotation du manège est ressentie par nos sens, il faut des instruments très sensibles pour détecter la rotation de la Terre. Mais même sans cela, une simple photo nocturne centrée sur l’étoile polaire, prise en pose de longue durée, montrera que les étoiles parcourent des trajectoires circulaires autour de nous durant la nuit. Cela n’a pas de sens d’imaginer que les étoiles sont toutes lancées ensemble dans une ronde, pour certaines sur des millions d’annéeslumière en quelques heures, ce qui les ferait voyager plus vite que la vitesse de la lumière. C’est bien nous qui avons tourné d’une manière absolue par rapport aux étoiles lointaines. Et cela devient encore plus clair si nous accélérons. Installez-vous sur un fauteuil tournant et mettez vous en rotation. Tout ce qui est au-dessus de vous, y compris les étoiles si vous faites cela en plein air, la nuit et par beau temps, va tourner également. Ce qui prenait 24 heures, vu depuis la Terre en rotation, va cette fois prendre une bonne seconde. Est-ce que la force de vos muscles est capable de mettre toutes les galaxies en mouvement, avec une vitesse de rotation déterminée par votre douce poussée, ou votre coup 61

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violent ? Évidemment non, et de plus vous n’avez aucun doute sur qui tourne, de vous ou des étoiles, car c’est vous qui ressentez la force centrifuge. Le tournoiement de la Terre exerce aussi une force centrifuge, bien que sa manifestation ne soit pas immédiatement évidente. La Terre est aplatie, son diamètre à l’équateur est plus grand que par les pôles ; les rotations des phénomènes météorologiques et la tendance dans tout mouvement à une déviation « spontanée » vers l’Est, connue sous le nom de force de Coriolis, en sont d’autres exemples3. Le pendule de Foucault est peut-être la meilleure démonstration que les étoiles fixes forment un repère dans lequel les rotations et accélérations sont manifestes. Dans de nombreux musées des sciences vous verrez un pendule accroché au plafond se balancer, disons du Nord au Sud. En quittant le musée, quelques heures plus tard, le pendule se balance d’Est en Ouest, sans que quiconque ne soit intervenu pour changer sa direction. Ce phénomène vu au Science Museum de Londres est un de ces fascinant mystères qui m’a poussé, enfant, à m’intéresser à la science. L’explication est qu’en effet rien n’a agi sur lui ; le pendule se balance toujours dans la même direction par rapport aux étoiles fixes ; c’est la Terre sous lui qui a tourné, emportant le musée et nous-mêmes avec elle. Certes cette vision des étoiles nous fait comprendre cette idée que la rotation est bien un absolu, mais un enfant faisant innocemment un tour de manège est-il réellement sensible au fait que de lointaines galaxies d’étoiles existent ? La Terre nous est si proche que c’est sa gravité qui nous tient au sol. La Lune est petite, mais suffisamment proche pour influencer les marées, tandis que le Soleil, notre plus proche étoile, nous retient sur notre orbite annuelle. L’attraction gravitationnelle des autres planètes est si petite qu’elle n’est pas sensible, quoi qu’en disent les partisans de l’astrologie. Les étoiles 3. Cf. Close, Asymétrie : la beauté du diable, pp. 28-35.

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lointaines, et même les galaxies et leurs milliards d’étoiles exercent une attraction gravitationnelle trop faible pour influencer nos affaires quotidiennes, mais pourtant l’attraction gravitationnelle réciproque entre notre Voie lactée et le Grand nuage de Magellan permet de satelliser ce dernier autour de nous. Chaque fois que l’on double les distances à partir d’elles, les galaxies voient leur attraction gravitationnelle se réduire d’un facteur quatre. Cependant, si les galaxies sont réparties en moyenne uniformément dans l’espace, chaque doublement des distances devrait quadrupler leur nombre, entraînant que leur effet gravitationnel devrait rester le même, et ce jusqu’aux confins du cosmos. Ainsi, bien que nos marées quotidiennes et nos saisons annuelles sont déterminées par l’attraction gravitationnelle du Soleil et de la Lune sur notre Terre qui oscille, tout cela se passe dans le champ gravitationnel de fond produit par toutes les étoiles « fixes » lointaines. On s’approche là au plus près de ce qu’on peut décrire comme grille absolue de mesure de l’espace absolu. Les rotations par rapport à cette matrice gravitationnelle sont ressenties lorsqu’on tourne dans un rond-point, qu’on prend un virage en voiture, ou plus généralement lorsqu’on change sa vitesse. Des problèmes se posent néanmoins ; les étoiles fixes ne sont pas si fixes que cela ; cette description devrait également entraîner que le ciel nocturne devrait être aussi brillant que le plein jour, puisqu’il devrait y avoir une étoile quelle que soit la direction où l’on regarde (ce qui est connu comme le paradoxe d’Olbers) et une manière de résoudre le problème est fournie par l’expansion de l’Univers. Cette description de l’espace et du temps, basée sur les idées d’Isaac Newton, est maintenant connue comme étant incomplète. Depuis le début du vingtième siècle, une description bien plus riche due à Albert Einstein est devenue la règle. À l’origine de cette description, on retrouve non pas la gravité, mais les effets électriques et magnétiques, bien que la gravité se révèlera jouer un rôle majeur. 63

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4 Des ondes dans quoi ?

CHAMPS ÉLECTROMAGNÉTIQUES ET ONDES La prochaine fois que vous tournerez la clé de contact pour démarrer votre voiture, et que le courant fourni par la batterie ira magnétiquement mettre en route votre moteur, prenez le temps de concevoir que dans ce qui vient de se passer se trouvent les graines de la relativité et de notre vision moderne de l’espace et du temps. Quand Michael Faraday faisait ses expériences d’électricité et de magnétisme, au début du dix-neuvième siècle, personne ne prévoyait alors que cela mènerait un jour à une révision complète de la vision newtonienne du monde. Faraday a fait des découvertes d’une telle importance que si le prix Nobel avait existé au dix-neuvième siècle, il aurait pu en décrocher pas moins de six, sa découverte la plus féconde étant que les champs électriques et magnétiques sont intimement liés, et s’influencent l’un l’autre. Des exemples de ces phénomènes se trouvent dans ce qui se passe dans votre voiture. Par exemple, si vous déplacez rapidement un

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aimant, vous créerez des forces électriques ; c’est ce qu’on appelle l’induction, et c’est le principe à la base des générateurs électriques. Des champs magnétiques variables donnent lieu à des champs électriques, et vice-versa : des variations rapides de champs électriques donnent lieu à du magnétisme. Les courants électriques qui tournoient au centre de la Terre sont à l’origine de son champ magnétique. La facilité avec laquelle les champs électriques et magnétiques oscillent est à la base du moteur électrique. Les champs magnétiques peuvent être créés par des courants électriques, qui de leur côté sont des charges électriques en mouvement. Jusque-là ça va, tant que vous ne vous demandez pas « en mouvement par rapport à quoi ? », ce à quoi une réponse sensée pourrait être « relativement à vous (immobile) dans un repère inertiel. Pourtant, supposez que vous vous déplacez le long du fil transportant le courant, et à la même vitesse que les charges électriques qui sont à l’intérieur. Dans ce cas, vous verrez que pour vous les charges sont au repos. Une charge électrique immobile, dans un repère inertiel, donne naissance à un champ électrique, et donc vous devrez dans cette situation constater la présence d’un champ électrique, alors que précédemment vous perceviez l’existence d’un champ magnétique. Accélérez ou ralentissez, et des champs magnétiques apparaîtront aux dépens des champs électriques. Ce qui était un champ magnétique dans un repère inertiel est devenu un champ électrique dans un autre. Que le champ que vous percevez soit électrique ou magnétique dépend de votre propre déplacement. Einstein tenait à ce que les lois de la physique ne puissent pas dépendre d’un mouvement uniforme de l’observateur. Ce qui est vrai pour un observateur dans un repère inertiel doit l’être également pour tous les repères inertiels, quelles que soient leurs vitesses relatives. Cela aboutit à sa théorie de la relativité, dont nous reparlerons au chapitre 5. Concernant l’électricité et le magnétisme, cette théorie montre que ce ne sont pas des phénomènes distincts et indépendants, 66

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mais qu’au contraire les champs électriques et magnétiques sont profondément entremêlés, et forment ce qu’on appelle des champs électromagnétiques. C’est ce qui est à la base de la théorie de l’électromagnétisme, établie par James Clerk Maxwell au milieu du dix-neuvième siècle. Maxwell a formalisé les découvertes de Faraday, ainsi que tous les phénomènes électriques ou magnétiques connus, en seulement quatre équations. Après les avoir posées, il s’attela à les résoudre, et découvrit qu’elles suggéraient tout un panorama de nouveaux phénomènes. Pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faut d’abord saisir dans quel but les équations de Maxwell avaient été conçues. Elles résumaient le fait qu’un champ électrique ou magnétique variable devait engendrer son complémentaire : électrique pour le magnétique, et vice-versa : un champ électrique est un champ vectoriel : il a une amplitude et une direction. Si le champ électrique oscille, de sorte que la direction « vers le haut » et la direction « vers le bas » sont échangées N fois par seconde, le champ magnétique produit devra aussi osciller à cette même fréquence. C’est une des conséquences de ces équations. Puis il rentra le cas d’un champ magnétique oscillant dans une autre de ses équations, et il trouva qu’elle prédisait la production d’un champ électrique également oscillant. Si on met cette oscillation électrique dans la première équation, on voit que la séquence recommence, d’électrique à magnétique, et ainsi de suite. Le résultat effectif est que tout ce mélange de champs électriques et magnétiques devrait se propager dans l’espace à la manière d’une onde. Les mesures des phénomènes électriques et magnétiques faites par Faraday fournirent l’essentiel des données qui, introduites dans les équations de Maxwell, permirent de calculer la vitesse de ces ondes. Maxwell trouva qu’elle devait être de 300 000 kilomètres par seconde, quelle que soit la fréquence des oscillations. Il se trouve que c’est aussi la vitesse de la lumière, d’où ce bond conceptuel : la lumière est une onde électromagnétique. 67

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La lumière visible, composée des couleurs de l’arc-en-ciel, consiste en ondes électromagnétiques dont les champs électriques et magnétiques oscillent des centaines de millions de fois par seconde, se sorte que la distance entre deux pics successifs de l’intensité se situe dans une gamme très étroite, autour du millionième de mètre. Ce que nous percevons comme des couleurs différentes n’est que le résultat d’ondes oscillant à des fréquences différentes. La perspicacité de Maxwell lui fit comprendre qu’il devait y avoir d’autres ondes électromagnétiques en dehors de l’arc-en-ciel, se propageant à la vitesse de la lumière mais avec des fréquences d’oscillations différentes. Les rayons infrarouges et ultraviolets étaient déjà connus, les préfixes « infra » et « ultra » faisant référence à leurs fréquences d’oscillation par rapport à celles de la lumière visible. Cela mit des scientifiques sur la voie pour chercher d’autres exemples de ce type. Heinrich Hertz, à Karlsruhe, produisit des étincelles électriques et montra qu’elles envoyaient des ondes électromagnétiques à travers l’espace, sans aucun besoin de support matériel. C’est là l’origine de l’expression « sans fil ». Ces ondes radio primitives sont des ondes électromagnétiques du même type que la lumière, mais se situent dans une autre partie du spectre. En l’honneur de Hertz, son nom a été donné à l’unité de fréquence, de sorte qu’une fois par seconde devient un hertz, et les milliers ou millions de fois par seconde sont des kilohertz ou des mégahertz. Les ondes radio sont des ondes électromagnétiques dont les oscillations se situent dans la gamme du kilohertz au mégahertz. Tout comme la lumière visible se propage dans le vide, il en va de même pour les ondes radio et toutes les ondes électromagnétiques. Nous pouvons communiquer avec les lointains vaisseaux spatiaux grâce aux ondes radio. Elles parcourent l’espace vide comme les rayons de la lumière visible, et à la même vitesse universelle de 300 000 kilomètres par seconde. Une autre conséquence des travaux de Maxwell est que les corps électriquement chargés ou les aimants, lorsque de grandes distances 68

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les séparent, ne peuvent interagir entre eux instantanément, mais le font à l’aide de champs électromagnétiques qui se répandent d’un corps à l’autre à la vitesse de la lumière. Agitez une charge électrique à un endroit, et ce n’est que lorsque l’onde électromagnétique produite aura atteint une charge éloignée que celle-ci commencera à osciller au même rythme. C’est totalement différent de la description mécanique de Newton, dans laquelle une telle action se produit instantanément. La réception de la radio, la cristallographie par rayons X et la vision en général font appel à la possibilité pour les ondes électromagnétiques d‘être absorbées ou diffusées par la matière après avoir traversé un espace apparemment vide. Nous avons là une question fondamentale concernant la nature ondulatoire de la lumière : quel est le milieu qui oscille, ou de manière plus abrupte : des ondes dans quoi ? DES ONDES DANS QUOI ? Au dix-septième siècle, Robert Hooke a découvert que le son ne passait pas à travers du vide. Cela se comprenait par le fait que le son n’est qu’une vibration de l’air, chose connue depuis les philosophes stoïciens de la Grèce antique ; enlevez l’air, et le son disparaîtra aussi. Cela contrastait avec la lumière et le magnétisme, car une lampe vue à travers du vide brûlait avec autant d’éclat que vue dans l’air, et des aimants mis dans le vide continuaient à exercer leurs influences réciproques. Une fois que l’air était parti, restait-il quelque chose d’autre, qui soit capable de transmettre ces effets ? Les Grecs de l’Antiquité étaient si réticents à l’idée de vide que se développa la notion d’« éther » ‒ un « milieu plus subtil que l’air » qui remplissait tout l’espace, même après que l’air en eut été retiré. Isaac Newton croyait en l’éther, même si l’idée qu’il s’en faisait n’est pas très claire. Des idées sur l’éther proliférèrent dans les siècles suivants, jusqu’à ce qu’il soit finalement rejeté par la théorie de la relativité d’Einstein. C’est ainsi qu’apparut et disparut l’éther.

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Newton était un philosophe mécanicien, il expliquait les phénomènes naturels par le mouvement de particules dans la matière, ce qui l’amena initialement à décrire la lumière comme un flot de corpuscules ou, comme nous les appelons maintenant, de « photons ». La mécanique de Newton rejetait aussi l’idée d’une « action à distance ». Quant au phénomène de l’attraction électrostatique, qui est en œuvre lorsque des petits morceaux de papier sont attirés par un objet en verre qui a été frotté avec un tissu, il le décrivait comme produit par une substance éthérée qui s’écoule du verre et emporte le papier avec elle en y revenant. En 1675 il élabora sa théorie de la lumière, qui incluait un éther universel. Mais cela ne le satisfaisait pas. Cinq ans plus tard il avait abandonné l’éther et émis l’idée d’attractions et de répulsions entre particules de matière. Trente-cinq ans plus tard il publia une deuxième édition de son traité Opticks dans lequel il acceptait à nouveau l’idée d’éther, mais d’un éther qui permettait l’action à distance au moyen de répulsions entre les particules qui formaient cet éther. Au dix-huitième siècle le mathématicien et physicien suisse Leonhard Euler rejeta la théorie corpusculaire de la lumière de Newton, et proposa son explication des phénomènes optiques sous la forme de vibrations d’un éther fluide. Tout changea au début du dix-neuvième siècle quand le médecin anglais Thomas Young montra que la lumière est faite d’ondes. Young s’intéressait à la perception ; étudiant en médecine, il avait découvert comment la lentille de l’œil change de forme quand celui-ci se focalise sur des points à différentes distances. Il découvrit les causes de l’astigmatisme en 1801, et s’intéressa alors à la nature de la lumière. C’est ainsi qu’il découvrit les phénomènes d’interférence, où de la lumière passant à travers deux trous d’aiguille produit une série de bandes alternativement sombres et brillantes. C’était analogue à la façon dont des vagues se mêlent, donnant des pics là où deux crêtes coïncident et un plat là où une crête et un creux se rencontrent. De la même manière, le mélange de pics et de creux dans 70

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les ondulations de la lumière pouvait expliquer naturellement le phénomène ; en tout cas l’idée que deux éléments de lumière puissent se combiner pour donner de l’obscurité était remarquable, et cette explication à l’aide d’ondes fut admise comme preuve définitive de la nature ondulatoire de la lumière1. L’intérêt pour la nature de la lumière et de l’électricité au dixneuvième siècle remit au goût du jour la vieille idée de l’éther comme milieu où se propagent les ondes de lumière, le rôle joué par l’air pour les sons. Cet éther de la science du dix-neuvième siècle était supposé sans poids, transparent, sans frottement, et en fait indétectable par aucun procédé physique ou chimique. Il baignait toutes choses et partout, et était supposé être solide comme l’acier, mais élastique et doté de la propriété remarquable de laisser les planètes le traverser comme s’il n’était pas là. Une bonne partie de l’activité scientifique au dix-neuvième siècle fut consacrée à essayer de détecter cette mystérieuse substance. Le concept d’éther répondait à l’énigme de la transmission de la lumière à travers le vide, mais il n’expliquait pas pourquoi la lumière changeait de comportement en passant à travers un milieu transparent, mais pas du tout vide, comme l’eau ou le verre. La vitesse de la lumière dans l’eau est plus petite que dans le vide ; certains matériaux qui sont transparents à la lumière vue directement peuvent néanmoins devenir opaques lorsque cette lumière a été réfléchie auparavant, un phénomène exploité dans les lunettes de soleil à verres polarisants. Or tous ces phénomènes s’expliquaient naturellement si on suivait l’idée de Maxwell que la lumière est une onde composée de champs électriques et magnétiques. L’éther était supposé être le milieu dans lequel la lumière oscillait. On présumait que l’éther était immobile dans tout l’Univers et 1. Excepté en Angleterre où l’on voyait d’un mauvais œil tout ce qui pouvait contredire la théorie de Newton. Le travail d’Young fut accepté après que le physicien français Augustin Fresnel l’eut reproduit.

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définissait ainsi le repère absolu de Newton. Vers 1887, il devenait clair que la lumière est une onde formée de champs électriques et magnétiques oscillants. Dans le cas des sons, l’onde oscille dans le sens de la propagation ; l’onde électromagnétique présente cette différence que les oscillations se font à angle droit par rapport à la direction de propagation. Les lois régissant l’électromagnétisme et la lumière étaient supposées s’appliquer dans le cas idéal où l’on a affaire à un éther statique. LE PROBLÈME DE L’ÉTHER Le calcul par Maxwell de la vitesse des ondes électromagnétiques pouvait être utilisé pour mesurer notre vitesse relative par rapport à l’éther définissant l’espace absolu. Pour illustrer cela, représentez-vous des ondes sur l’eau. Faites tomber une pierre dans l’eau, une vague se forme et s’étend. La vitesse de cette vague est de l’ordre d’un mètre par seconde. Cette vitesse est une propriété de l’eau ; elle ne dépend pas de la vitesse de la source. Si la pierre est lâchée depuis un bateau immobile, les vagues parcourent un mètre chaque seconde ; si elle est lâchée depuis un bateau rapide, elles se propagent encore à un mètre par seconde. Si vous êtes dans un bateau qui est immobile sur l’eau, vous voyez les vagues vous dépasser à la vitesse d’un mètre par seconde. Si cependant vous voguez vers la vague à la vitesse de 10 mètres par seconde, vous voyez la vague arriver sur vous à 11 mètres par secondes, tandis que si vous naviguez dans l’autre sens, toujours à la même vitesse par rapport à l’eau, vous dépasserez la vague à la vitesse de 9 mètres par seconde. Vous pouvez déterminer votre vitesse absolue par rapport à l’eau de cette manière. Et il en va de même pour la Terre dans l’éther que pour le bateau sur l’eau. Les ondes électromagnétiques se déplacent à 300 000 kilomètres par seconde et cela est une propriété de l’espace qui ne dépend pas de la vitesse de la source, comme dans l’exemple de l’eau. Et de manière analogue, si nous nous trouvions en mouvement dans 72

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l’éther, la mesure de la vitesse des ondes électromagnétiques devrait nous permettre de déterminer notre vitesse par rapport à ce milieu. Il suffit pour cela de mesurer la vitesse de la lumière dans un certain nombre de directions, de manière à établir dans quel repère cette vitesse coïncide avec celle calculée par Maxwell. Ce repère serait alors le repère absolu du cosmos : celui où l’on est au repos absolu par rapport à l’éther. Mais les choses ne se déroulèrent pas du tout comme prévu. Les lois de Newton devaient s’appliquer (il n’y avait pas d’alternative prévue !), et donc si la Terre était en mouvement par rapport à l’éther, il devait être possible de déceler son mouvement. Par exemple si le mouvement de la Terre dans l’éther se fait dans une direction, la lumière se propageant dans la même direction aurait une vitesse modifiée par celle de la Terre, tandis que dans une direction perpendiculaire il n’y aurait aucune modification. Ce n’est que dans un repère au repos par rapport à l’éther que l’on trouverait constamment 300 000 kilomètres par seconde, vitesse donnée par la théorie de Maxwell. La Terre est à environ 150 millions de kilomètres du Soleil et parcourt son orbite circulaire de l’ordre du milliard de kilomètres en un an, soit 30 millions de secondes, donc la Terre parcourt environ 30 kilomètres chaque seconde. D’après le calcul de Maxwell, la lumière va à 300 000 kilomètres par seconde « par rapport à l’éther », et le mouvement de la Terre, pris à deux points diamétralement opposés de son orbite, changera sa vitesse par rapport à la lumière d’environ une partie pour 5000. Il fallait une bonne dose d’ingéniosité pour détecter un effet aussi ténu du mouvement de la Terre. Albert Michelson fit une première tentative en 1881, mais ce n’est qu’en 1887 que, en collaboration avec Edward Morley, la précision requise fut atteinte. Ils ne s’y prirent pas en comparant leurs mesures à six mois d’intervalle, mais en faisant une seule expérience, dans leur laboratoire, où ils séparèrent un faisceau de lumière en deux, les envoyant dans des directions différentes avant 73

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de les rejoindre à nouveau à leur point de départ au moyen de miroirs. Les deux faisceaux avaient des parcours perpendiculaires, de sorte que si l’un d’eux était parallèle au mouvement de la Terre, l’autre y serait perpendiculaire. Les deux faisceaux seraient alors affectés par l’éther d’une façon différente et leur retour au point de départ après réflexion se passerait à des temps légèrement différents. Comme les ondes électromagnétiques oscillent à une fréquence donnée, cette petite différence de temps se manifesterait comme une différence des amplitudes de leur mélange. Si les ondes de lumière se sont décalées les unes par rapport aux autres, c’est-à-dire si l’une a oscillé un petit peu plus que l’autre car sa vitesse a été affectée par l’éther, les pics et creux des deux faisceaux entraîneraient des bandes d’interférences, sombres et brillantes. La mesure de leurs largeurs et de leur nombre permet de déterminer avec une très grande précision la différence de vitesse qu’aurait la lumière lorsqu’elle se propage dans deux directions perpendiculaires. Initialement Michelson entama seul ses expériences à Berlin, puis en fit de plus précises avec la collaboration de Morley, aux États-Unis. Aucune frange d’interférence ne fut observée et il fallait en conclure que la Terre ne se déplace pas dans l’éther, ou plus précisément, comme Michelson le formula : « l’hypothèse d’un éther stationnaire est erronée ». Cette conclusion est correcte du point de vue logique ; l’ensemble de ses implications ouvrait immédiatement quelques possibilités. L’une est que l’éther nous joue l’histoire des beaux habits de l’empereur, que seuls pouvaient voir les personnes intelligentes et qui demeuraient invisibles pour les idiots. Chacun bien sûr vantait la splendeur du vêtement, jusqu’à ce qu’un enfant, qui ne savait rien de l’histoire, dit tout haut, et à juste titre, que le roi est nu. L’analogie est qu’il n’y a pas d’éther du tout. C’est maintenant une vérité reconnue, suite aux travaux d’Einstein, dont nous parlerons plus loin. La seconde possibilité est que la Terre entraîne l’éther avec elle, par frottement. Notre mouvement 74

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à travers l’éther crée de gigantesques remous, si bien que la lumière se propage dans un éther qui est stationnaire par rapport au laboratoire, alors que l’ensemble se déplace dans un éther général plus lointain. Newton avait établi que les corps rencontrent une résistance au mouvement même dans l’air. L’état de mouvement stationnaire qui est à la base de ses lois du mouvement ne pouvait être atteint que si l’on s’affranchissait de tous ces obstacles ; il fallait donc que l’éther soit complètement insignifiant. Par exemple, la course des planètes était décrite par les lois newtoniennes du mouvement, dont le succès montrait que les planètes se déplaçaient sans frein dans le champ gravitationnel du Soleil ; cela interdisait qu’il y ait une interaction avec un éther. Cependant un paradoxe apparaissait aussitôt, car si la Terre entraîne de l’éther avec elle, c’est qu’il y a une interaction avec celuici et le succès de la mécanique newtonienne appliquée aux planètes pose alors problème. Néanmoins des solutions très imaginatives furent proposées. Georges Stokes (1819-1903) était un physicien britannique réputé pour son travail sur les liquides visqueux. Il adhérait à la théorie ondulatoire de la lumière ainsi qu’à l’éther, dont il proposa qu’il se comporte comme de la cire, qui est rigide mais peut aussi couler si des forces y sont appliquées. Cela conduisit certains à suggérer que le mouvement des planètes fournissait cette force qui faisait couler l’éther et donc pouvait entraîner l’éther par frottement, mais aucune preuve expérimentale de cette hypothèse ne put être obtenue. Cela suffit, en plus du caractère ad hoc de cette hypothèse, pour qu’on abandonne cette idée. Il y avait une remarquable troisième interprétation, découverte par Georges Fitzgerald en Angleterre et Hendrik Lorentz en Hollande. Séparément, ils remarquèrent que si des corps en mouvement dans l’éther se contractaient, dans la direction du mouvement, d’une quantité dépendant du carré du rapport entre la vitesse de la Terre et celle de la lumière, alors ce déplacement dans l’éther serait masqué et cela expliquerait le résultat de Michelson et Morley. 75

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L’idée était la suivante. Prenez une barre d’un mètre de long au repos sur la Terre. Maintenant imaginez que la barre passe très rapidement devant vous, à travers l’éther. Lorentz et Fitzgerald imaginèrent, ce en quoi ils avaient raison, que les forces responsables de la rigidité de la barre sont de nature électromagnétique et sont perturbées par le mouvement dans l’éther. À l’aide de la théorie de Maxwell ils calculèrent qu’à la vitesse v, comparée à celle de la vitesse de la lumière c, la barre se contracterait d’un facteur

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( 1 – v /c ) .

À la vitesse de la Terre, 30 kilomètres par seconde, l’effet est de moins d’une partie pour cent millions : une barre d’un mètre se verrait raccourcie d’environ un centième de micron. Dans cette théorie, l’appareillage conçu par Michelson et Morley se rétrécirait dans le sens du mouvement dans l’éther, tandis que pour la partie se déplaçant perpendiculairement les longueurs ne seraient pas affectées. Cette différence infime de longueur entre la partie rétrécie et celle, perpendiculaire, qui reste inchangée, correspond alors exactement au retard attendu entre les deux faisceaux lorsqu’ils se rejoignent, et l’on retrouve le résultat de l’expérience. Dans cette explication, l’espace peut continuer à être rempli d’éther, mais il est intrinsèquement impossible de détecter un mouvement dans ce dernier, car les instruments de mesure conspirent pour le cacher ! Ces explications impliquaient aussi que le mouvement à travers l’éther devait modifier la résistance à l’accélération, de sorte que l’inertie, ou masse, du corps en mouvement devait augmenter 2

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proportionnellement à 1/ ( 1 – v /c ). Donc à une vitesse proche de celle de la lumière, v = c, la masse deviendrait infinie. Ce qui entraîne qu’il faut une force infinie pour amener un corps massif à la vitesse de la lumière. Bien que cette idée semblât artificielle, et était loin d’être reconnue par tous comme la bonne explication, on trouva en 1901 que les électrons émis dans les désintégrations radioactives, dans une grande gamme de vitesses, avaient des masses qui variaient avec ces 76

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vitesses, en accord avec cette formule. Cela donna de la notoriété à la transformation de Lorentz-Fitzgerald, comme on l’appela. De nos jours, nous savons que ces transformations avec la vitesse sont correctes. Les longueurs se contractent et les masses augmentent 2

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avec la vitesse dans le rapport donné par 1/ ( 1 – v /c ) , mais pas pour les raisons proposées par Lorentz et Fitzgerald. Einstein apporta une nouvelle perspective sur ce problème. L’invariance de la vitesse de la lumière quelle que soit la vitesse de la source ou de l’observateur est le résultat, en partie, d’une contraction des distances comme dans les formules de Lorentz et Fitzgerald, mais ce n’est pas dû à un quelconque éther agissant sur la barre. Pour Einstein, cette contraction est une propriété intrinsèque de l’espace lui-même. Les distances et les durées enregistrées par des observateurs se déplaçant à différentes vitesses donnent différentes mesures ; ce qui est l’espace pour l’un devient un mélange d’espace et de temps pour l’autre. Ces idées, qui sont le fondement de la théorie de la relativité d’Einstein, constituent une nouvelle vision du monde.

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5 À cheval sur un rayon de lumière

L’expérience de Michelson et Morley montrait que la Terre ne se déplace pas de manière mesurable par rapport à l’éther. Lorentz et Fitzgerald avaient proposé que l’éther déforme l’appareil de mesure de manière à masquer exactement le mouvement, mais Albert Einstein comprit qu’il y avait une explication encore plus radicale : l’éther n’existe pas ! Le fait que la vitesse de la lumière ne dépende ni de la vitesse de la source ni de celle du récepteur restait une énigme, mais il n’est pas clair dans quelle mesure Einstein était conscient de ce résultat1. En tout cas il avait commencé à méditer sur la symétrie des phénomènes quand il y a un mouvement. S’il n’y a pas d’éther, il n’y a pas d’espace absolu, donc un mouvement absolu n’existe pas : seul le mouvement relatif a un sens physique. Einstein savait que la lumière est un rayonnement électromagnétique dont les propriétés sont décrites par les équations de Maxwell. 1. Voir plus loin dans ce chapitre, ainsi que A. Hey et P. Walters, Einstein’s mirror (Cambridge University Press, 1977), 50.

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Il imagina comment cette radiation devrait apparaître à deux observateurs qui seraient en mouvement l’un par rapport à l’autre. Plus précisément il fit une série d’ « expériences de pensée », habituellement mentionnées par le mot correspondant en allemand de « Gedankenexperiment », qui consistent à imaginer comment les lois de la physique s’appliquent dans une situation donnée. À l’âge de 16 ans, Einstein s’était déjà demandé à quoi cela ressemblerait de voyager sur un rayon de lumière. Si la lumière était une vibration électrique et magnétique dans l’éther, semblable aux ondes sonores vibrant dans l’air, alors l’analogie disait que, tout comme le son se propage à Mach 1 par rapport à l’air, de même la lumière se propage à 300 000 kilomètres par seconde par rapport à l’éther2. Il n’y avait pas d’avion à réaction en 1901, mais si cela avait été le cas, il aurait pu en imaginer un à Mach 1, allant à la même allure que le son, volant à la même vitesse que les ondes de pression dans l’air. Si maintenant on remplace l’air par l’éther et le son par la lumière, on peut s’imaginer voyageant avec l’onde de lumière. Mais cela avait des conséquences bizarres, pour peu que l’analogie avec le son soit correcte. Tout d’abord si vous vous regardez dans un miroir, votre image aura disparu : la lumière qui vient de vous va en direction du miroir à la même vitesse que vous-même, et donc ne peut arriver jusqu’au miroir, et encore moins y être réfléchie, avant que vous n’y soyez vous-même aussi. C’était psychologiquement étrange, mais autant que je sache il n’y a rien qui dise que l’image d’une personne est sacro-sainte au point que cela ne puisse être le cas. C’est quand il regarda ce que la théorie de Maxwell permettait qu’une incongruité physique apparut. Si vous poursuivez et finalement rattrapez une onde oscillante faite de champs électriques et magnétiques, et que vous avancez avec elle à la vitesse c, vous percevrez un champ électromagnétique qui oscillerait de part et 2. Cette vitesse de la lumière est conventionnellement désignée par le symbole c. On peut s’en souvenir en se rappelant la lettre c comme ‘c’onstance de la vitesse de la lumière.

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d’autre, mais qui n’avancerait pas ; il serait au repos. Or ce n’est pas possible dans les équations de Maxwell : les ondes électromagnétiques doivent se déplacer à la vitesse c. Apparemment si la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell est correcte, et tout ce que nous connaissons plaide en sa faveur, alors la situation imaginée par Einstein, se déplacer à la vitesse de la lumière, est impossible : nous ne pouvons jamais atteindre la vitesse de la lumière. Cela amena Einstein à réfléchir à la définition de la vitesse, et aux concepts d’absolu et de relatif. Pour cette Gedankenexperiment, il imagina un passager d’un train regardant passer un autre train, s’inspirant d’un phénomène que nous avons tous expérimenté un jour. Vous êtes assis dans un train arrêté dans une gare, et sur la voie d’à côté se trouve également un autre train, lui aussi momentanément à l’arrêt, mais qui se dirige dans la direction opposée à la vôtre. Impatient de partir, vous remarquez qu’enfin vous vous déplacez par rapport aux voitures du train d’à côté, mais si doucement que vous ne ressentez même pas la petite force d’accélération. Ce n’est que quand vous dépassez le dernier wagon que vous découvrez que vous êtes toujours à l’arrêt dans la gare et que c’est l’autre train qui est parti. C’est ainsi que l’on attribue à Einstein d’avoir demandé, alors qu’il prenait le train au départ de Londres, lors de son séjour à Christ Church College à Oxford dans les années 1930 : « À quelle heure Oxford arrive-t-il à ce train ? »3 Dans ces exemples nous retrouvons le concept de repère au repos absolu, à savoir le cadre de la gare avec le paysage qui l’entoure. Einstein soutenait que si cette expérience était faite avec deux trains qui se déplaçaient à vitesse constante dans le vide, sans un éther définissant un repère absolu au repos, alors il n’y aurait aucun moyen de déterminer lequel serait en mouvement et lequel serait à l’arrêt. Les 3. Cette histoire est souvent attribuée, de manière apocryphe, à Einstein et Cambridge, mais il se trouve que mon éditeur et moi-même sommes à Oxford, comme c’est le cas d’Einstein, du moins tel qu’il peut être vu en ce moment par des extraterrestres situés à 75 années-lumière de nous.

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équations de Maxwell décrivant le comportement des champs électriques et magnétiques auraient alors des implications identiques pour les deux trains, et en particulier la vitesse de la lumière se trouverait être la même dans chacun d’eux. Michelson et Morley avaient établi ce phénomène de manière expérimentale, mais on débat encore de savoir si Einstein était au courant de ce résultat ou s’il avait conclu à la constance de la vitesse de la lumière au moyen de cette expérience de pensée. À différentes occasions Einstein affirma qu’il n’était pas au courant de cette expérience en 1905, lorsqu’il inventa sa théorie de la relativité retreinte. Pourtant en 1952 il confia à Abraham Pais4 qu’il en avait eu connaissance avant 1905, à travers la lecture d’articles de Lorentz, et qu’« il avait présumé que le résultat de Michelson était vrai ». Quoi qu’il en soit, le phénomène est là comme un défi à notre compréhension, car il est contre-intuitif, et implique que les idées de bon sens sur l’espace et le temps, telles qu’elles sont clairement exprimées et admises depuis l’époque de Newton, sont fausses. L’ESPACE, LE TEMPS, ET L’ESPACE-TEMPS La vitesse est la mesure d’une distance parcourue dans un intervalle de temps. Si l’on se fie au « sens commun », ou mieux encore à Isaac Newton, les règles graduées et les chronomètres qui nous permettent de mesurer l’espace et le temps sont les mêmes pour tous. La vitesse est le rapport de la distance parcourue au temps écoulé, et les vitesses relatives s’additionnent ou se soustraient suivant que vous allez en sens inverse ou dans le même sens qu’un objet en mouvement. Pourtant le bon sens ne marche plus quand il s’agit de rayons de lumière, puisque quelles que soient votre vitesse et votre direction, votre vitesse relative par rapport à un rayon lumineux est invariable. Einstein comprit qu’il y avait là quelque chose qui clochait dans notre conception de l’espace et du temps. 4. Cité par Hey et Walters, Einstein’s mirror, p. 50.

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Qu’appelle-t-on simultanéité ? Si deux choses se produisent « en même temps » pour quelqu’un sur Terre et pour un astronaute sur Mars, comment peuvent-ils savoir que leurs horloges sont synchronisées ? Si on pouvait envoyer un signal à Mars qui soit instantané, il n’y aurait pas de problème, mais dans la réalité il faut un délai car ce signal ne peut que se propager à la vitesse de la lumière, c. À la réception du signal, le martien pourrait envoyer un signal accusant réception, et nous pourrions régler nos horloges de cette façon. Cela semble évident. Mais il se trouve que les planètes bougent ; à première vue il semble que l’on peut également en tenir compte, mais une autre des Gedankenexperiment d’Einstein montre que, métaphoriquement du moins, il y a là plus que ce que l’on peut voir au premier abord. Einstein devait aimer les trains. Imaginez que vous êtes au milieu d’un train à l’arrêt et que vous envoyez un signal lumineux au conducteur qui est en tête et au gardien qui est en queue. Ils recevront le signal au même instant. Cette constatation pourra être faite par vousmême ou par un spectateur qui serait à côté de la voie et à votre hauteur. Maintenant supposez qu’au lieu d’être au repos, le train se déplace à une vitesse constante. Je suis au bord de la voie et quand vous passez à ma hauteur, vous envoyez le signal lumineux au conducteur et au gardien. Pour vous les signaux arriveront simultanément, mais pas pour moi, car la lumière ne parvient pas instantanément ; pendant le bref instant que prend la lumière pour aller du milieu vers la queue du train, la voiture de tête se sera éloignée de moi tandis que la voiture de queue se sera rapprochée. De mon point de vue, le signal parviendra au gardien quelques nanosecondes5 avant d’arriver au conducteur, alors que, de votre côté, vous affirmerez que les signaux leur sont arrivés simultanément. La simultanéité vue par quelqu’un à bord du train n’en est plus une pour quelqu’un resté au bord de la voie ; notre définition 5. Une nanoseconde vaut un milliardième de seconde. En une nanoseconde, un faisceau lumineux parcourt 30 centimètres ou, dans les unités anglaises périmées, un pied, qui est de l’ordre de grandeur de votre pied.

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des intervalles de temps, de l’écoulement du temps, dépend de notre mouvement relatif. Einstein avait compris que ce fait bizarre, à savoir que c était une constante, indépendante du mouvement de l’émetteur ou du récepteur, se ramenait d’une certaine façon à l’idée que le temps était différent pour des gens qui sont en mouvement les uns par rapport aux autres. Il n’y a qu’une manière « naturelle » pour que c soit toujours le même, c’est qu’il soit infini, auquel cas les signaux se transmettent instantanément, et nous n’avons pas à nous interroger plus avant sur la définition, la mesure et la comparaison des intervalles de temps. Dans notre expérience quotidienne, c est quasiment infini, et ces subtiles propriétés du temps passent inaperçues. L’intuition d’Einstein, c’est que le fait que c soit fini et constant nous oblige à reconsidérer des choses que nous considérions auparavant comme évidentes, si tant est que nous ne nous en soyons jamais préoccupés. Il travailla sur les conséquences logiques de ce fait et trouva que non seulement les intervalles de temps, mais aussi les distances, lorsqu’elles sont mesurées dans un repère inertiel, deviennent différentes vues dans un autre repère, l’écart entre les mesures dépendant de la vitesse relative entre les deux repères inertiels. Les intervalles d’espace se rétrécissent et le temps est allongé d’un même facteur ; pour deux personnes se déplaçant à une vitesse v l’une par rapport à l’autre, le rapport vaut 2 2 ( 1 – v /c ) , c’est-à-dire le même facteur que Lorentz et Fitzgerald avaient introduit dans leur théorie de l’éther. Aux vitesses qui nous sont familières dans notre expérience quotidienne, ce facteur est si proche de un que ces écarts passent inaperçus ; mais pour les particules atomiques très rapides, comme celles qui constituent les rayons cosmiques ou celles produites dans les accélérateurs comme au Cern, les effets de la relativité deviennent cruciaux. On trouve en abondance dans les rayons cosmiques une particule appelée muon. Si vous étiez un muon nouveau-né, votre espérance de vie ne serait que d’un millionième de seconde. Produit par les rayons 84

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cosmiques au sommet de l’atmosphère, à 20 kilomètres d’altitude, et lancé à la vitesse de 300 millions de mètres par seconde, vous ne pourriez parcourir que 300 mètres au plus pendant votre durée de vie. Ce qui est incroyable, c’est que vous arriveriez à atteindre le sol ; des muons du rayonnement cosmique traversent cette page en ce moment. Comment diable pouvez-vous parcourir les 20 kilomètres depuis la haute atmosphère en un millionième de seconde ? Ce n’est pas possible. L’explication est que le temps et l’espace, tels qu’ils sont perçus par le muon en vol, ont des échelles différentes de celles d’un observateur au sol. Un millionième de seconde est compté par l’horloge du muon, mais comme il file à grande vitesse vers le sol, le facteur ( 1 – v 2 /c 2 ) peut atteindre plusieurs milliers. Le temps qui sera mesuré par une horloge au sol augmente jusqu’à quelques centièmes de seconde, ce qui est largement assez pour parcourir les 20 kilomètres. Voilà le paradoxe expliqué à partir du référentiel d’espace-temps dans lequel se trouve l’observateur au sol, mais comment cela s’explique-t-il du point de vue du muon ? À l’intérieur du muon, dans votre perspective égocentrique, vous vous voyez au repos, et voyez le sol qui se précipite sur vous. Ce que l’observateur au sol considère comme une atmosphère de 20 kilomètres de haut, vous le voyez rétréci dans le rapport de ( 1 – v 2 /c 2 ), ce qui vous fait voir une distance de quelques mètres seulement. Et votre horloge vous dit que vous avez un millionième de seconde pour parcourir quelques mètres de votre espace ; là encore, pas de problème. Cette contraction de la longueur est exactement corrélée à la dilatation du temps, de sorte que la vitesse de la lumière, qui a les dimensions d’un rapport entre une distance et un temps, est la même pour le muon en mouvement et pour l’observateur immobile au sol. Si la lumière se déplaçait à une vitesse infinie, de sorte que les signaux pourraient être envoyés instantanément, aucune de ces choses « non naturelles » ne nous aurait préoccupé, et les intervalles de temps et 85

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d’espace auraient la même mesure pour tout le monde. Dans ce cas, les muons pourraient eux aussi se déplacer à vitesse infinie, suffisamment vite pour atteindre le sol instantanément. C’est parce que c est fini que la structure de l’espace et du temps dépend de notre vitesse ; c’est parce que c est fini mais grand que nous ne remarquons pas normalement ce fait dans notre vie courante et pourtant si lente. Bien que les intervalles de temps et d’espace changent d’un repère à l’autre, l’analyse d’Einstein a montré qu’une certaine combinaison restait la même. C’est ce qui donne notre vision moderne de l’espacetemps. La combinaison invariante peut être illustrée par une notion familière en géométrie en deux ou trois dimensions, étendue à quatre dimensions – trois d’espace et le temps, traité comme une quatrième dimension. L’ESPACE-TEMPS C’est la théorie de Maxwell des phénomènes électriques et magnétiques, avec l’implication que le rayonnement électromagnétique a une vitesse universelle, qui a conduit à la nouvelle vision du monde par Einstein, exprimée dans sa théorie de la relativité restreinte. Einstein a montré comment la conception newtonienne des repères inertiels, avec la métaphore du réseau de tiges graduées et un écoulement uniforme du temps, n’est qu’une approximation d’une description plus profonde. Le mathématicien allemand Hermann Minkowski remarqua alors que cette théorie prend une forme familière si l’espace et le temps sont entrelacés dans ce qui depuis est connu comme l’espace-temps à quatre dimensions. Nous sommes tous familiers avec le théorème de Pythagore pour le triangle rectangle en deux dimensions, qui dit que si x et y sont les longueurs du côté horizontal et du côté vertical, alors le carré de la longueur de l’hypoténuse est la somme des carrés de chaque côté : s2 = x2 + y2. On peut se représenter x et y comme la latitude et la longitude d’un point ; on peut faire une rotation de la carte, ce qui donne de nouvelles lignes 86

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traçant la longitude et la latitude, lignes tournées par rapport à celles que l’on avait auparavant, mais toujours perpendiculaires entre elles. La grandeur s2 resterait la même, exprimée avec ces nouveaux x et y ; nous disons que s2 est invariant par rotation (voir fig. 5.1). En trois dimensions, nous avons la latitude, la longitude, et l’altitude z audessus de la surface. La mesure invariante de distance se généralise à s2 = x2 + y2 + z2. Cela est valable dans n’importe quel repère inertiel : que l’on fasse une translation ou une rotation, la distance s2 reste la même.

Fig 5.1 | Pythagore nous enseigne que s2 = x2 + y2, indépendamment de la direction de x et de sa perpendiculaire y.

En relativité restreinte, quand on passe d’un repère à un autre, cette quantité n’est plus invariante. Dans un repère se déplaçant à grande vitesse, les distances rétrécissent. Cependant, le temps s’écoule aussi à un rythme différent. Il en résulte que la combinaison suivante d’espace et de temps dans deux repères demeure invariante : s2 = x2 + y2 + z2 c2t2, où c est la vitesse (invariante) de la lumière. Minkowski proposa que l’on considère l’espace et le temps comme formant un seul espace à quatre dimensions, l’espace-temps ; la subtile différence d’aspect qui caractérise la dimension du temps comparée à celles d’espace est introduite par le signe moins que l’on met devant la coordonnée de temps, par opposition au signe plus qui affecte celles d’espace.

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Toutes ces idées sont venues de réflexions sur la façon dont les phénomènes électromagnétiques se manifestent à des observateurs dans des repères inertiels (le papier d’Einstein a pour titre « Sur l’électrodynamique des corps en mouvement »). Nulle part les effets gravitationnels n’ont été pris en compte dans ces expériences de pensée. Einstein comprit que cela rendait sa théorie incomplète. L’électron et le proton dans l’atome d’hydrogène interagissent via la force électromagnétique, mais aussi par gravitation ; la structure de l’espace-temps doit être la même pour les deux interactions, sinon laquelle l’emporterait ? D’une manière générale, il était inconcevable que le vide dans lequel les phénomènes électromagnétiques se produisaient soit affecté d’une structure d’espace-temps différente de celle qui s’applique à la force de gravité partout présente. Dans la théorie de la gravitation de Newton, le Soleil et la Terre interagissent instantanément. Pourtant, selon la théorie de la relativité d’Einstein de 1905, une telle interaction ne peut qu’être transmise à la vitesse de la lumière, de sorte qu’il y a du temps qui s’écoule lors de l’interaction gravitationnelle, tout comme pour les forces électromagnétiques. Cela peut apparaître négligeable du point de vue pratique, car les planètes se déplacent autour du Soleil à moins d’un millième de la vitesse de la lumière, et les effets relativistes sont insignifiants à de telles « petites » vitesses. Il y avait néanmoins là une question de principe, qu’Einstein résolut avec sa théorie de la relativité générale, publiée en 1916.

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6 Le coût de l’espace libre

L’ESPACE-TEMPS COURBE Einstein a conçu sa théorie de la relativité restreinte grâce à des expériences de pensée mettant en jeu un rayonnement électromagnétique, la lumière. À la suite de quoi il fit de même pour la gravitation, ce qui le mena à la relativité générale. Einstein en était arrivé à sa théorie originale de la relativité restreinte en faisant l’hypothèse qu’il n’existe pas d’état de repos absolu. Sa théorie de la relativité générale découle de l’idée qu’il n’y a pas de mesure absolue de force et d’accélération. Tout d’abord, considérons le problème qui se pose en relativité en ce qui concerne la gravitation. La relativité restreinte était basée sur l’axiome de la constance universelle de la vitesse de la lumière. La lumière a de l’énergie, et comme la gravité n’agit pas seulement sur la masse mais aussi sur l’énergie sous toutes ses formes, un rayon lumineux doit lui aussi être dévié par la gravité lorsqu’il passe à proximité d’une masse importante comme le Soleil. Comme la gravité remplit l’Univers et que les rayons lumineux doivent

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constamment être perturbés, les principes de la relativité, qui supposent que la lumière se déplace en ligne droite à vitesse constante, ne semblaient pouvoir tenir que si l’on pouvait d’une certaine façon « éteindre » la gravité. Einstein comprit très vite qu’il y avait là un problème et cela lui prit dix ans pour en venir complètement à bout. Sa grande idée lui vint quand il comprit que la gravité est bien « éteinte » dans le cas d’un corps en chute libre. Ce qui veut dire qu’il n’y a aucune force agissant sur ce corps et donc on doit considérer qu’il se déplace à vitesse constante. Un morceau de caillou qui tombe n’a plus de poids. Si vous l’attrapez, ce que vous ressentez comme un poids, c’est la force que vous devez exercer pour l’arrêter dans sa chute. C’est le sol qui nous arrête dans notre chute vers le centre de la Terre. C’est la résistance du sol, la force qu’il exerce sur nous pour nous empêcher de tomber, que nous ressentons comme notre poids. Si le sol et la Terre n’étaient que des vapeurs, nous tomberions jusqu’au centre de la Terre, sans poids. Ce fut le point de départ d’une autre expérience de pensée d’Einstein. Supposez que vous êtes dans une cabine en chute libre, sans fenêtre permettant de voir au-dehors. Ce peut être un ascenseur en panne, ou, si on veut éviter un scénario catastrophe, un satellite en orbite autour de la Terre. Dans ce dernier cas vous êtes, vous et le satellite, en chute libre mais également en déplacement « horizontal » à une vitesse telle que la courbure de la Terre fait que le sol s’éloigne de vous exactement à la vitesse avec laquelle vous tombez sur lui. Dans chaque exemple, il n’y aura aucun effet de force gravitationnelle dans votre environnement immédiat. Par exemple si vous lâchez une balle, elle sera attirée vers la Terre par la gravité autant que vous l’êtes vous-même, et restera donc immobile par rapport à vous. Les astronautes semblent flotter dans leur cabine pour la même raison ; eux et le satellite « tombent » à la même vitesse. Nous savons bien que les astronautes tombent dans le champ gravitationnel de la Terre, pourtant ils ne ressentent aucune force, et dans leur voisinage immédiat ils ont toutes les raisons de se 90

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croire au repos. Einstein avait compris qu’en effet la gravité s’est bien évanouie dans cette situation de chute libre « sans poids ». Tout cela est encore valable pour les rayons lumineux. Un rayon de lumière sera attiré par un corps massif de la même façon que l’est tout objet qui a une masse. Cela put être vérifié pendant l’éclipse totale du Soleil de 1919, où l’on a pu observer des étoiles lointaines décalées de leurs positions « normales » car leur lumière avait été défléchie par leur passage dans le champ gravitationnel du Soleil1. Si, dans votre cabine en chute libre, vous allumez une lampe torche horizontalement par rapport à votre plancher, une mesure de haute précision faite par un observateur sur le sol ferme permettrait de constater que le faisceau lumineux est très légèrement courbé lors de sa « chute » due à la gravité. Dans le bref intervalle de temps mis pour traverser la cabine d’un côté à l’autre, il est défléchi vers la Terre de la même quantité dont la paroi opposée est tombée. Vu dans la cabine, il semble avoir parcouru une trajectoire en ligne droite ; une fois de plus, tout concorde avec votre impression que vous êtes au repos dans un environnement libre de toute force. Supposez que vous soyez dans un vaisseau spatial faisant partie d’un convoi, chaque vaisseau étant soigneusement positionné à un kilomètre de distance, l’ensemble tombant vers la Terre. Bien que les astronautes peuvent se considérer au repos ou en mouvement uniforme dans des trajectoires rectilignes parallèles, au bout d’un moment ils commenceront à constater que tous les vaisseaux commencent à se rapprocher les uns des autres. Cela vient de ce que chacun est en chute libre vers le centre de la planète lointaine, leurs trajectoires convergeant 1. Einstein avait compris cela dès 1911, avant même d’avoir terminé sa théorie de la relativité générale. En 1916 il avait une théorie complète, qui montrait que l’effet serait deux fois plus grand que ce qu’il avait d’abord calculé, car c’est à la fois l’espace et l’espace-temps qui sont distendus. Une tentative de vérification de cette (fausse) prédiction lors de l’éclipse totale de 1915 avait dû être abandonnée pour cause de guerre mondiale.

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Fig 6.1 | Un éclair lumineux est envoyé du milieu de la paroi de la boîte en chute libre. Sa lumière traverse la boîte, tandis que la gravité attire le rayon lumineux et la boîte vers le sol. En (a) on voit la trajectoire courbée de la lumière, vue depuis le sol pendant les quelques nanosecondes qui s’écoulent. En (b) on voit la même séquence telle qu’elle est perçue par quelqu’un qui serait dans la boîte. Comme la boîte et le rayon lumineux tombent tous les deux à la même vitesse, le rayon lumineux semble traverser la boîte selon une trajectoire rectiligne et horizontale.

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vers ce point particulier. Einstein avait compris que la gravité a pour effet de faire converger les trajectoires d’objets en chute libre. Ces idées de base lui étaient venues en voyant une analogie entre cette image et la convergence des lignes de longitude aux pôles Nord et Sud de la Terre. Lorsqu’on en fait une carte plane, comme dans la projection de Mercator, ces lignes sont parallèles ; sur la surface courbée de la Terre, ces « lignes droites » sont parallèles entre elles au départ, à l’équateur, mais quand elles vont vers le nord elles convergent petit à petit, pour se rencontrer finalement toutes au pôle. Cela vient de ce que la surface à deux dimensions de la Terre est courbée dans une troisième dimension. Einstein fit cette remarquable extrapolation : les lignes des trajectoires de chute libre dans un champ gravitationnel sont comme les lignes de longitude sur une « surface » qui est courbée dans une dimension plus élevée. Il imagina que la « surface » à trois dimensions qu’est l’espace est distendue par les corps très massifs. C’est le mouvement de chute libre le long de ces courbes qui nous semble dévier de la ligne « droite » et que nous interprétons comme l’action de la force de gravité. Pour voir comment Einstein intégra ceci dans sa description de l’espace-temps, considérons un exemple à deux dimensions. On se rappelle le théorème de Pythagore, qui dit que le carré de la longueur de l’hypoténuse d’un triangle rectangle est la somme des carrés des longueurs des côtés perpendiculaires : s2 = x2 + y2. C’est vrai sur une surface plane où les angles d’un triangle ont une somme égale à 180 degrés, mais ce n’est plus vrai sur une surface courbe en général. Pour s’en rendre compte plus facilement, imaginez un voyage en boucle, la première partie parcourant l’équateur depuis le méridien de Greenwich jusqu’à 90 degrés est. À ce point, vous tournez à gauche de 90 degrés et allez droit vers le pôle Nord. Si là vous tournez de 90 degrés et mettez le cap au sud (au pôle Nord, toutes les directions vont vers le sud !), vous parcourrez le méridien de Greenwich et finirez par arriver à votre point de départ sur l’équateur, et vous aurez parcouru 93

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un triangle qui contient trois angles droits. Le simple fait que la somme des angles fasse plus que 180 degrés est déjà une indication prouvant que vous n’êtes pas dans un espace plat ; il est évident aussi que le théorème de Pythagore ne peut pas s’appliquer – lequel de ces trois côtés serait l’hypoténuse ?!

Fig 6.2 | Vue de la Terre avec le tracé du triangle. Un côté va de l’équateur au pôle Nord le long du méridien de Greenwich ; la base du triangle est sur l’équateur, du méridien de Greenwich au point situé à 90 degrés est (ou ouest) ; le troisième côté va de l’équateur au pôle Nord le long de la ligne de longitude 90 degrés est (ou ouest).

D’autres surprises vous attendent si vous vivez sur une surface courbe : qu’est-ce qu’une ligne droite, si toutes les lignes doivent être courbées dans au moins une dimension ? La plus courte distance entre deux points sur une surface plane est une ligne droite. Einstein comprit que c’est le concept de plus courte

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distance qui est fondamental ; dans un espace-temps courbé par la gravité, la lumière parcourt la plus courte distance entre deux points quelconques. Sur la surface de la Terre ces chemins sont identifiés aux grands cercles. Pour aller en avion de Londres, à 55 degrés nord, à Los Angeles, à 30 degrés environs, vous pourriez vous attendre naïvement à voler vers le sud-ouest, alors que votre vol passe par un grand cercle et part vers le nord-est en passant au-dessus du Groenland. Ces grands cercles sont désignés plus précisément comme des géodésiques, ce qui signifie « diviseur de la Terre ». La formule reliant entre elles les longueurs des côtés des triangles est plus compliquée que celle du théorème de Pythagore et nécessite de connaître comment la surface est courbée, comment les longueurs en « mètres » se combinent aux angles, ou, dans le jargon, de connaître la « métrique ». L’objectif d’Einstein de construire une théorie de la gravité comme un espacetemps courbe nécessitait de répondre à deux questions. (i) Étant donnée une certaine répartition de matière, quelle est la métrique de l’espace-temps qui en résulte ? (ii) Étant donnée une métrique, quelles sont les lois du mouvement des corps ? En l’absence de matière, la métrique donne la relation que nous avons déjà vue, s2 = x2 + y2 + z2 – c2t2, et on dit alors que l’espacetemps est plat. Quand de la matière est présente, cette relation entre espace et temps change, et l’espace-temps est courbe. La manifestation la plus connue de cet étirement de l’espace-temps dans notre système solaire est venue de l’orbite de Mercure qui, comme pour toutes les planètes, est une ellipse, mais dont la précession du périhélie est notable. Comme c’est la planète la plus proche du Soleil, elle en ressent la plus forte attraction gravitationnelle, se déplace le plus vite, et est donc la plus susceptible de subir les effets de la relativité. La courbure de l’espace fait que sa trajectoire autour du Soleil est légèrement différente de celle prédite par Newton pour un espace-temps plat, ce qui fait qu’après avoir parcouru une orbite, sa trajectoire ne rejoint pas exactement la même position, comme le voudrait 95

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une description newtonienne. Il en résulte que l’orbite de Mercure change année après année, en complet accord avec la théorie d’Einstein.

Soleil

te 3

Mercure bi Or

2 ite Orb e1 Orbit

Fig 6.3 | L’avance du périhélie de Mercure. Les points 1, 2, 3 repèrent les points les plus proches du Soleil (périhélie) de trois orbites successives.

Pour Einstein l’espace-temps est comme de l’élastique solide, une sorte de feuille de caoutchouc. Dans cette image, la force de gravité vient de ce qu’une grande masse, comme la Terre ou le Soleil, est au repos dans ce matériau et le déforme. Si une masse est accélérée, par exemple dans le cas de deux étoiles en orbite l’une autour de l’autre ou lorsqu’une étoile s’effondre brutalement et explose en supernova, la théorie prédit alors que des ondes gravitationnelles se répandent dans le milieu, tout comme un tremblement de terre dégage des ondes sismiques dans la croûte terrestre. Cette prédiction d’une radiation gravitationnelle reste cependant toujours à vérifier, en tout cas une détection directe de ces ondes, mais il existe une preuve indirecte de leur existence. Deux étoiles, formant un pulsar binaire identifié comme PSR 1913+16, tournent l’une autour de l’autre en 7 heures et 45 minutes. Le pulsar émet des rayonnements électromagnétiques pulsés, un peu à la manière d’un phare, tous les six centièmes de seconde. L’éclat d’un phare est ce que vous voyez quand le faisceau lumineux qui tourne est dirigé vers vous, et vous ne voyez rien quand il est orienté ailleurs. L’intervalle de six centièmes de 96

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seconde entre deux flashs successifs vient de ce que le pulsar fait dixsept tours par seconde. Dans la théorie d’Einstein, un tel système émet de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles, ce qui doit faire lentement décroître la durée de l’orbite. C’est cette variation qui a été mesurée par les astronomes Joseph Taylor et Russel Hulse, et ils ont trouvé un résultat en accord avec la prédiction d’Einstein ; cela leur a valu de recevoir le prix Nobel en 1975. Avec cette confirmation de la théorie d’Einstein, nous arrivons à une image dans laquelle l’espace-temps se comporte comme un milieu élastique, ce qui n’est pas sans rappeler justement l’éther que le travail d’Einstein sur le rayonnement électromagnétique, sa théorie de la relativité restreinte, avait tant contribué à éradiquer. Cependant la relativité n’implique pas qu’il n’y a pas d’éther, mais simplement que tout ce qui se trouve dans cet éther doit se comporter selon les principes de la relativité ! Un exemple d’« éther » est le champ électrique, que l’on ne peut voir à moins de le faire osciller : il devient alors littéralement visible. Un éther relativiste nécessite les deux champs électriques et magnétiques, dont les changements se propagent à la vitesse de la lumière. De manière analogue, pour un éther du champ gravitationnel il y aura des ondes gravitationnelles, ondulations de la métrique de l’espace-temps, qui elles aussi se propagent à la vitesse de la lumière. GRAVITÉ ET COURBURE Un espace « plat » est un espace dans lequel les parallèles ne se rencontrent jamais, le seul que connaissaient Euclide et Newton ; dans un espace courbe de telles lignes se rencontreront, la vitesse à laquelle cette convergence a lieu étant une mesure de l’intensité de cette courbure. Einstein formalisa sa théorie de la relativité en reliant la courbure et le champ gravitationnel. Voici comment. L’espace et le temps, ou les champs électriques et magnétiques, ne sont clairement distincts que pour un observateur donné ; pour un autre en mouvement relatif ils sont entremêlés de telle sorte que dans 97

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l’espace-temps seul l’électromagnétisme est vraiment un invariant. Les mêmes remarques s’appliquent à l’énergie et à l’impulsion : c’est l’« énergie-impulsion » qui fait office de mesure relativiste du mouvement dans l’espace-temps. Einstein avait montré cela dans sa théorie de la relativité restreinte en 1905, qui ne tenait pas compte de la gravitation. Il avait également montré, avec sa formule E = mc2, que la masse est une forme d’énergie ; dans sa théorie relativiste de la gravitation, il généralisait la théorie de Newton, où la masse est la source de la force, au travers d’équations qui reliaient la densité d’énergie-impulsion à la courbure de l’espace-temps. Notez que j’ai mis équations au pluriel. La courbure définit comment une ligne est déviée d’une direction vers une autre dans chacune des quatre dimensions de l’espace-temps, et pour en tenir compte il faut une équation différente pour chaque combinaison possible entre coordonnée initiale et coordonnée finale. L’intensité de la courbure est proportionnelle à la densité d’énergieimpulsion, et à l’intensité intrinsèque de la force gravitationnelle telle que l’a définie Isaac Newton il y a 300 ans, et elle est inversement proportionnelle à la puissance quatrième de la vitesse de la lumière (1/c4). C’est logique : si la gravité était plus forte (ou plus faible), la courbure causée par une quantité donnée d’énergie-impulsion serait plus forte (ou plus faible) ; et si c avait une valeur infinie, comme le pensait Newton, alors 1/c4 deviendrait zéro et l’intensité de la courbure deviendrait nulle, ce qui est une autre façon de dire que l’espace-temps est plat. Cela est en accord avec l’image newtonienne de l’espace-temps, un volume dans lequel les corps se déplacent sans affecter l’espace ni le temps, et où les lignes parallèles ne se rejoignent jamais. La théorie d’Einstein inclut donc la gravitation newtonienne comme un cas particulier : elle correspond au cas où c est infini. Pour Einstein, des signaux ne peuvent pas se propager plus vite que c, et la simultanéité n’existe pas, tandis que pour Newton la gravitation agit instantanément, comme si c était infiniment grand. 98

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Dans un espace-temps plat, les rayons lumineux suivent des lignes droites, ce qui est une autre façon de dire qu’ils suivent le plus court chemin. En relativité générale, les rayons lumineux suivent toujours le plus court chemin. C’est en fait une propriété familière en optique lorsque l’on a à faire à différents milieux. C’est à ce plus court « chemin optique », qui se traduit par le nombre minimum d’oscillations ou le plus court temps, que l’on doit la déviation appelée réfraction, qui fait que lorsqu’on met un bâton dans l’eau, on le voit tordu lorsqu’il n’est pas perpendiculaire à la surface. C’est à ce phénomène que l’on doit l’arc-en-ciel, car la lumière se divise entre ses différentes couleurs quand elle rencontre une surface entre l’air et l’eau ou le verre, comme dans un prisme. Cela vient de ce que les différentes couleurs correspondent à différentes fréquences, ou taux d’oscillation, et chacune prend séparément sa plus courte distance optique. Il en est de même dans l’espace-temps pour les corps : une comète déviée par le Soleil suit le chemin qui minimise le temps nécessaire pour passer de l’espace intersidéral d’un côté du système solaire à son opposé de l’autre côté. Un observateur sur Terre interprète la courbure de la trajectoire de la comète comme étant due à la force gravitationnelle exercée par le Soleil. Si Einstein était sur la comète, il affirmerait qu’elle est en chute libre, au repos en fait et libre de toutes forces. Elle voyage donc sur une trajectoire qui dans un espace plat serait une ligne droite, comme le voit Newton, mais dans un espace courbe cette trajectoire est incurvée. En principe on peut mesurer la courbure de l’espace-temps en construisant un triangle avec trois faisceaux lumineux. Est-ce que la somme des angles du triangle fait 180 degrés, ou bien fait-elle plus ou moins que cette valeur qui nous est habituelle dans l’espace-temps plat ? Dans l’exemple simple qui est à l’origine de ce développement, celui de la chute vers le centre de la Terre, deux rayons lumineux devraient converger comme les lignes de longitude, et un triangle de lumière totaliserait plus de 180 degrés ; l’espace se manifesterait courbe, mais courbe dans quoi ? Il faut se rappeler que l’idée originale 99

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d’Einstein était venue de la surface bidimensionnelle de la Terre, qui est incurvée dans une troisième dimension ; les trajectoires convergentes des vaisseaux spatiaux ou des rayons lumineux sont courbées dans une dimension supérieure, du moins du point de vue mathématique. Grosso modo, l’espace tridimensionnel est courbé dans la quatrième dimension du temps2. On peut commencer à se le représenter en partant du cas plus simple de la lumière se propageant dans un espace-temps plat en absence de gravité. Une base essentielle de la théorie de la relativité est que la lumière se propage à une vitesse constante pour tous. Cela n’empêche pas que lorsque je fonce vers une source de lumière ou que je m’en éloigne, il y a bien quelque chose qui change : de même que le ton d’un klaxon monte ou baisse suivant que la voiture va vers vous ou s’éloigne, la couleur de la lumière (sa fréquence est l’équivalent du « ton ») est altérée, elle est décalée vers le rouge lorsque la source s’éloigne, et vers le bleu si elle vient vers vous ; ce phénomène est appelé effet Doppler. La couleur que nous percevons est le résultat des différences des fréquences avec lesquelles les champs électromagnétiques oscillent, et la fréquence est la mesure de ce rythme temporel. Lorsque la lumière traverse des champs gravitationnels, il y a un effet supplémentaire, qui est lui à l’origine de la courbure de l’espace dans la description d’Einstein. Quand un rayon lumineux passe dans le champ gravitationnel du Soleil, je vois sa trajectoire incurvée. Les faisceaux lumineux qui tombent sur une source de force gravitationnelle, telle le Soleil, une étoile à neutron ou un trou noir, convergent entre eux, comme les vaisseaux spatiaux que nous avons vus précédemment. Selon la relativité générale, non seulement le mouvement de la source affecte leur couleur telle 2. Il s’agit là d’une simplification abusive car l’espace et le temps sont inextricablement liés dans l’espace-temps. Mais tenter de visualiser toute l’information contenue dans les mathématiques est un véritable casse-tête. Cependant si on choisit le point de vue d’un observateur, on peut au moins commencer à saisir un peu de ce qu’il en est du concept de « courbure dans le temps ».

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qu’elle est vue par un observateur à l’arrêt, mais les forces gravitationnelles en font de même, la fréquence des oscillations des champs électromagnétiques se trouvant de plus en plus décalée vers le rouge à mesure que les champs gravitationnels s’accroissent. Lorsque les rayons s’approchent de la source de l’attraction gravitationnelle, des observateurs lointains les verront de plus en plus décalés vers le rouge. La fréquence des oscillations, le rythme de leur horloge naturelle, ralentit. Si un rayon lumineux approche le bord d’un trou noir, la fréquence se ralentirait jusqu’à s’annuler ; c’est comme si le temps était suspendu, et un observateur sur Terre verrait qu’il faut un temps infini pour que le rayon entre dans le trou, tout en devenant de plus en plus rouge et plus faible. Du point de vue du rayon lumineux, il ne se passe rien, il est en chute libre. Les autres rayons lumineux convergent encore plus sur lui, et d’ailleurs à l’intérieur du trou noir toutes les trajectoires sont tellement incurvées que celles dirigées vers l’extérieur ne traversent jamais la limite ; la lumière ne s’échappe pas et le trou apparaît tout noir. Sous l’influence de la gravité, les rayons lumineux suivent des géodésiques dans un univers où le temps est de plus en plus distendu. C’est cette distorsion de la dimension temporelle qui induit cette apparence de courbure dans les trajectoires dans les trois autres dimensions de l’espace. Si vous arrivez à généraliser cette simple image d’étirement du temps, et à imaginer son entremêlement avec l’espace dans un espace-temps invariant relativiste, alors vous avez une meilleure capacité d’imagination que moi ; il suffit de dire que les mathématiques des équations d’Einstein rendent compte de cela, tandis que la physique sous-jacente réside dans cet étirement du temps qui se produit lorsque la gravité est « éteinte » dans la chute libre. L’UNIVERS EN EXPANSION Bien que les idées de départ soient intuitivement simples à visualiser, la résolution des équations d’Einstein est loin de l’être, et même de nos jours, presqu’un siècle après qu’elles aient été écrites, on n’a pu trouver 101

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de solutions que dans un nombre limité de cas. Le plus simple est quand il n’y a pas d’énergie-impulsion, il n’y a alors pas de courbure : l’Univers est plat. Il y a aussi des solutions pour lesquelles l’espace-temps ne contient pas de matière mais n’est pas plat pour autant. Alors que cela semble en contradiction avec ce qu’on attend naïvement des visions philosophiques des siècles précédents, en relativité générale cela peut se produire à cause du fait que les signaux se propagent à une vitesse finie, c, plutôt qu’instantanément. S’il se produit quelque chose qui engendre un changement brusque de la distribution d’énergie, comme une explosion de supernova ou l’effondrement d’une étoile en trou noir, des ondes gravitationnelles vont rayonner à la vitesse de la lumière. Les champs gravitationnels sont eux-mêmes remplis d’énergie, et ces ondulations entraîneront d’autres effets gravitationnels, des ondes d’énergie qui se répandront à partir de là. Si la cause matérielle à l’origine de l’onde gravitationnelle disparaît, l’onde continue néanmoins à se propager. On peut donc imaginer une région de l’espace vide de matière mais dont l’espace-temps est animé de frissons d’ondes gravitationnelles. Et c’est ça qu’on appelle le vide ! Les « ondulations de l’espace-temps » soulèvent la question du sens absolu que cela peut avoir et de la manière dont on peut les détecter. Tout comme un tremblement de terre provoque des ondes à la surface de la Terre, perturbant les géodésiques de celle-ci, les ondes gravitationnelles provoqueront des oscillations des géodésiques suivies par les photons, et ce partout dans l’espace, entre les atomes de tous les corps matériels. Leurs effets peuvent être comparés à des forces de marée, étirant et comprimant toute matière présente en changeant sa forme. Alors que seules des indications indirectes de leur existence ont pu être trouvées (comme dans le cas du pulsar binaire déjà mentionné), le recherche de preuves directes de l’existence d’ondes gravitationnelles est en bonne place dans les préoccupations des scientifiques. Des détecteurs situés dans des laboratoires distants de milliers de kilomètres sont en cours d’interconnexion électronique pour former un dispositif 102

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expérimental cohérent à grande échelle appelé LIGO, pour Laboratoire d’interférométrie laser d’ondes gravitationnelles (Laser Interferometer Gravity-wave Observatory). Il est également envisagé d’installer des détecteurs sur des satellites extrêmement distants, dans le projet LISA, pour antenne spatiale d’interférométrie laser (Laser Interferometer Space Antenna). Si une onde gravitationnelle traverse un barreau de plus d’un kilomètre de long, celui-ci se contractera légèrement, peutêtre moins que de la taille d’un seul atome. C’est en envoyant des faisceaux lasers se réfléchir de nombreuses fois sur des miroirs que l’on peut espérer repérer des variations de distances à l’échelle atomique. On cherche à observer des ondes gravitationnelles venant de collisions d’étoiles, de trous noirs, de supernovas ou d’autres événements cataclysmiques, et on espère non seulement détecter ces ondes, mais aussi identifier la nature de leurs sources. Les scientifiques espèrent même détecter des échos ténus du big bang. Une fois ses équations écrites, Einstein voulut voir ce qu’elles entraînaient pour l’Univers, et pour cela il fit l’hypothèse que ce dernier est uniforme dans toutes les directions ; il arriva à une conclusion surprenante : la grille spatio-temporelle de l’Univers ne peut rester uniforme, statique ; elle doit évoluer. Plus précisément les équations montraient que l’attraction gravitationnelle de tous les objets de matière entre eux dans un cosmos infini devait être instable, le plus léger défaut d’homogénéité devait conduire à un effondrement. Il avait deux façons de résoudre ce dilemme. L’une était que l’Univers était en expansion – une solution permise par les équations ; mais en 1915 le bon sens voulait que l’Univers soit statique, immuable, aussi Einstein se replia sur la deuxième possibilité. Ses équations pouvaient admettre qu’il existait, outre la loi d’attraction bien connue en inverse du carré de la distance, une autre composante de force dont l’intensité croît avec la distance et agit comme une sorte d’anti-gravité. Une telle force serait négligeable à l’échelle du système solaire ou même de notre galaxie, mais à l’échelle de l’Univers elle devient importante et stabilise le 103

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cosmos. Il l’appela la force lambda, notée par la lettre grecque Λ, et également connue comme la constante cosmologique. La suite de l’histoire est ironique. Tout d’abord il apparut que la présence de Λ ne résolvait pas le problème ; Λ ne rendait pas l’Univers statique. Einstein en parla ensuite comme la plus grosse bourde de sa vie. C’était une bourde technique, mais aussi un défaut d’intuition, car quelques années plus tard à peine les observations astronomiques d’Edwin Hubble révélaient que l’Univers est formé de galaxies qui s’éloignent les unes des autres. Plus elles sont loin de nous, plus leur vitesse d’éloignement est grande, ce qui est en accord avec une description d’un univers en expansion. C’est ce que les équations d’Einstein prédisaient initialement, avant qu’il n’essaie d’annuler cela avec la force Λ. Et ironie de l’histoire, des observations récentes suggèrent que l’expansion s’accroit lentement, comme s’il existait une force cosmique répulsive à l’œuvre dans l’Univers. Il se pourrait que cela constitue la première preuve de la présence d’un petit terme Λ. C’est comme si l’espace était rempli d’une étrange sorte d’anti-gravité, qui est maintenant connue sous le nom d’énergie sombre. Ses effets seraient masqués dans l’univers primordial, petit et compact, mais à mesure de son extension, les forces gravitationnelles entre les galaxies de plus en plus distantes s’amoindriraient, jusqu’au stade où les effets de l’énergie universelle Λ se mettraient à dominer. Ce basculement se serait produit il y a 5 milliards d’années. Le taux d’accélération de l’expansion de l’Univers tel qu’il a été mesuré suggère que Λ est très faible, incroyablement faible même ; comparé à la mesure de la force newtonienne de gravitation, il est quelque 10126 fois plus petit3. S’il avait été assez grand, les théoriciens s’en seraient accommodés ; s’il n’avait pas été là du tout, s’il valait zéro, cela leur aurait également convenu. Mais le fait que chaque mètre cube 3. Pour donner une idée de la taille de 1 suivi de 126 zéros, ce nombre dépasse mille milliards de fois le nombre de protons de tout l’univers observable.

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d’espace est rempli d’une quantité incroyablement petite, mais non nulle, d’énergie sombre est une énigme fondamentale concernant la nature du vide, le « coût » de l’espace libre.

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LE MONDE QUANTIQUE En 1687, Isaac Newton établit les premières lois universelles de la gravitation dans ses Principia. Au milieu du dix-neuvième siècle, James Clerk Maxwell avait unifié une multitude de phénomènes électriques et magnétiques dans son élégante théorie de l’électromagnétisme. « Il n’y a plus rien de nouveau à découvrir en physique » affirma alors William Thomson, Lord Kelvin, lors d’une réunion de la British Association en 1900. Cinq ans plus tard, Einstein avait inventé la théorie de la relativité. Ironie du sort, Albert Michelson, dont l’expérience a aidé à formuler les paradoxes qui ont conduit à cette nouvelle vision du monde, en avait lui-même rajouté en affirmant que « les grands principes de base ont été fermement établis ; les nouveautés en physique, il faudra les chercher dans les sixièmes décimales1 ». La Nature ne cesse de révéler les limites de notre imagination collective. La découverte de la relativité, le noyau atomique et l’essor de la mécanique quantique ont montré combien Lord Kelvin et Michelson ont pu être naïfs. 1. Cité dans Science, 256 (1992), 1519.

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Les mécaniques de Newton et d’Einstein sont sans égales pour ce qui est de décrire le comportement de grands corps, depuis les galaxies jusqu’à la pomme qui tombe, et même celui des faisceaux lumineux. Les premiers sont plus proches de notre expérience directe ; pour le comportement de la lumière, c’était moins évident. La découverte qu’à l’échelle atomique la mécanique quantique est indispensable, et que cela révèle tout un monde fluctuant d’incertitude, a établi une autre des grandes bases de la science moderne, celle qui est la moins intuitive. Cela se révèlera avoir de profondes conséquences dans notre quête pour comprendre le vide. En effet, la mécanique quantique semble établir qu’Aristote pourrait avoir raison ; bien loin d’être sans contenu, le vide est toujours bouillonnant d’activité. Faisons d’abord connaissance avec les idées quantiques, avant d’essayer de comprendre comment elles se rattachent à celles de Newton et d’Einstein. Les êtres humains sont gigantesques, comparés aux atomes. Nos sens se sont développés pour que nous soyons sensibles au monde macroscopique qui nous entoure. Les yeux de nos ancêtres se sont développés de sorte qu’ils sont sensibles au spectre optique ; ils avaient besoin de voir des prédateurs potentiels, mais nul besoin de voir les étoiles émettrices d’ondes radio ou les atomes. Pour voir les atomes il a fallu des microscopes qui n’ont été mis au point que durant ces cent dernières années, et ont révélé des phénomènes qui allaient à l’encontre des lois connues de la physique. Par exemple, alors que des boules de billard ricochent l’une sur l’autre d’une façon déterministe, des faisceaux d’atomes diffuseront dans quelques directions plus que dans d’autres, dessinant ainsi des zones d’intensité et d’autres de rareté, un peu comme les pics et les creux des vagues qui diffractent à travers une ouverture. C’est le monde macroscopique que nous appréhendons en premier quand nous sommes enfants, et autour duquel nous bâtissons notre intuition. Nos attentes ultérieures concernant le comportement des objets sont basées là-dessus ; les atomes qui se comportent comme des ondes ne font pas partie de notre paysage habituel. 108

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On ne savait rien des atomes au dix-septième siècle, quand Isaac Newton mettait en formules la mécanique des corps macroscopiques, qui fut plus tard affinée par Einstein, et qui jusque-là est au cœur de notre histoire. Et pourtant cette vue de la nature est approximative. Pour des objets comprenant un très grand nombre de particules atomiques, la mécanique de Newton et d’Einstein est appropriée, mais pas fondamentale. Les particules élémentaires satisfont des règles plus fondamentales qui sont souvent étranges d’un certain point de vue, « étranges » car, par exemple, on ne peut connaître à la fois la position précise et le mouvement d’un atome individuel. Si les atomes individuels avaient une conscience, leur intuition se serait développée à partir de leurs expériences ; ce serait cette Nature qu’ils connaîtraient, et c’est cela qui leur serait donc « naturel ». Mais la conscience ne concerne que de vastes assemblages d’atomes. Quand un grand nombre d’atomes se retrouvent organisés, des régularités simples peuvent apparaître, conférant à ces assemblages organisés des propriétés que des atomes isolés ou en petit nombre ne possèdent pas. La conscience humaine en est un exemple ; mais il y en a d’autres, comme le magnétisme dans les métaux, la supraconductibilité qui apparaît dans des collections macroscopiques d’atomes, mais que les atomes isolés n’ont pas, et les phases solides, liquides ou gazeuses que sont la glace, l’eau et la vapeur et qui sont le résultat des différentes façons qu’ont les mêmes atomes ou molécules de s’auto-organiser (nous développerons un peu plus ces idées dans le chapitre 8 en parlant des transitions de phase et en abordant la question de savoir s’il y a un vide unique). Dans de telles situations, à partir d’un comportement sous-jacent fondamental, une hiérarchie de lois physiques émerge2. 2. Voir R.B. Laughlin, A Different Universe, (Basic Books, 2005) pour une description détaillée de phénomènes émergents en physique. Il insiste particulièrement sur l’idée que les lois de Newton sont descriptives et non fondamentales, et que nos difficultés avec les problèmes quantiques viennent de ce que nous essayons de les interpréter en termes newtoniens, alors que nous devons plutôt accepter que la théorie de Newton est une émergence des lois quantiques.

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Les raisons qui font de la science une discipline prédictive, alors même que ses équations fondamentales sont inconnues ou, quand elles le sont, impossibles à résoudre, viennent du fait que ce ne sont pas juste des atomes ou des molécules qui ont une organisation : les lois régissant les atomes au niveau individuel s’organisent en nouvelles lois quand on s’élève à des systèmes complexes. Les équations fondamentales qui contrôlent les atomes individuels sont connues, mais leur résolution n’est possible que dans un nombre limité de cas simples, et il est tout simplement impossible d’en déduire l’existence de solides ou de liquides. Et pourtant cela n’empêche pas les ingénieurs de concevoir des structures solides ou des systèmes hydrauliques. Les lois auxquelles obéissent les charges électriques découlent de celles de la thermodynamique et de la chimie ; à leur tour celles-ci se traduisent en lois sur la résistance des matériaux et en règles d’ingénierie. On ne peut peutêtre pas déduire l’état liquide de telle ou telle substance à partir de principes premiers, mais il y a tout de même des propriétés générales propres aux liquides et qui transcendent ces lois. Les liquides ne peuvent admettre des différences de pression entre un point et un autre différemment que sous l’effet de la gravitation ; c’est ce principe que l’on trouve derrière le baromètre à mercure et tout appareillage hydraulique. Il s’agit d’une propriété de l’organisation en état liquide, et les lois sous-jacentes à l’échelle atomique n’ont essentiellement rien à voir avec cela. Cela fut à l’origine des phénomènes qui ont conduit Galilée et Torricelli à leurs découvertes sur les liquides et le vide, et avec lesquelles nous avons commencé notre histoire. C’est cette hiérarchie des structures et des lois qui nous permet de comprendre et décrire le monde ; les niveaux les plus externes sont basés sur des niveaux plus internes, ce qui n’empêche pas qu’ils ont chacun une identité et peuvent souvent être traités isolément. C’est ainsi que l’ingénieur peut concevoir un pont sans recourir à la physique atomique qui sous-tend les lois des contraintes et des efforts.

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Les lois du mouvement de Newton – un objet se déplace à vitesse constante en l’absence de force pour modifier son mouvement ; une force égale accélère moins un objet pesant qu’un objet plus léger ; une accélération a toujours la même direction que la force qui la provoque – sous-tendent celles de l’ingénierie et la technologie. En 300 ans d’expérimentations toujours plus fines, les seules déviations à ces lois concernent leurs applications soit à des objets se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière, et elles sont alors remplacées par la théorie de la relativité d’Einstein, soit à l’échelle des distances atomiques, et là ce sont les lois de la mécanique quantique qui les remplacent. Notre expérience immédiate concerne la matière macroscopique, et nos sens sont aveugles à l’existence des atomes, mais on trouve tout autour de nous des indications de cette agitation incessante de l’architecture atomique. Lorsque je regarde mes plantes pousser, je ne vois pas les atomes de carbone et d’oxygène extraits de l’air et transformés en feuilles ; les céréales de mon petit-déjeuner se transforment mystérieusement en moi car les molécules se réarrangent. À chaque fois ce sont les atomes qui mènent la danse, et nous, grossiers êtres macroscopiques, ne voyons que les effets résultants. Les lois de Newton ne s’appliquent qu’au comportement de ces objets de bonne taille. Deux cents ans après Newton, les techniques expérimentales avaient progressé au point que l’architecture atomique était en voie d’être mise à jour. À l’aube du vingtième siècle, de nombreux et étranges faits empiriques concernant les particules atomiques commençaient à s’accumuler, des faits qui semblaient incompatibles avec la vision mécaniste de Newton, comme le comportement ondulatoire des atomes, que nous avons déjà mentionné. Si nous essayons de décrire ces bizarreries à l’aide du langage newtonien familier, nous ne pouvons y parvenir. La solution à cette énigme est « un beau cas d’école sur comment la science avance en bâtissant des théories conformes aux faits plutôt que le contraire »3. Les lois de la mécanique quantique, qui sont celles qui 3. Laughlin, A Different Universe, 47.

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s’appliquent aux très petits objets, ont été découvertes dans les années 1920. La mécanique quantique marche : elle fait des prédictions qui dans certains cas ont été confirmées avec un précision atteignant les milliardièmes. Pourtant elle crée des paradoxes hallucinants exploités par des charlatans qui veulent convaincre le public que les scientifiques prennent au sérieux des univers parallèles où Elvis est toujours vivant, ou bien que la communication télépathique est possible. Celui de ces paradoxes apparents qui nous concerne ici, c’est qu’après avoir enlevé la matière, les champs, tout pour aboutir au vide, le vide obtenu est, lui aussi, un effet collectif à grande échelle. Si on l’examine à l’échelle atomique, le vide grouille d’activité, d’énergie, de particules. LES ONDES ET L’INDÉTERMINATION QUANTIQUE Toute la mécanique quantique dérive d’une propriété fondamentale de la nature : il n’est pas possible de mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule avec une précision aussi grande que l’on veut. Si vous connaissez la position parfaitement, alors vous ne pourrez rien savoir de la quantité de mouvement, et vice versa. En général on a un compromis. Si on connaît la position d’une particule à une distance r près, alors on ne pourra connaître sa quantité de mouvement mieux qu’à une indétermination p telle que p × r ~ –h où –h est une constante de la nature dite constante de Planck (en fait divisée par 2π). Sa grandeur4 est si faible que les objets macroscopiques ne sont pas concernés par cette restriction, mais pour les atomes et leurs constituants c’est elle qui contrôle leur comportement. Une indétermination similaire a lieu pour le temps et l’énergie (j’ai parlé plus haut d’« une » propriété fondamentale car dans l’espacetemps la correspondance quantique entre l’espace et la quantité de 4. –h se prononce « h-bar », sa valeur est –h = 1,05 × 10–34 J·s = 6,6 × 10–22 MeV·s.

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mouvement est tout à fait analogue à celle entre le temps et l’énergie). Cela implique que la conservation de l’énergie peut être « violée » sur des échelles de temps très petites. J’ai mis « violée » entre guillemets car on ne peut la détecter ; c’est là le point crucial, cette incapacité qu’il y a à mesurer précisément l’énergie à un instant donné. Les particules peuvent rayonner de l’énergie (par exemple sous forme de photons) en violation apparente de la conservation de l’énergie, pourvu que cette énergie soit réabsorbée par d’autres particules dans un délai assez bref. Plus cet excès d‘énergie est grand, plus vite il doit être compensé : plus vous êtes en négatif sur votre compte en banque, plus votre banquier réagira vite ; mais si vous comblez le trou avant qu’il ne soit remarqué, tout le monde sera content. Cette violation « virtuelle » de la conservation de l’énergie joue un rôle important dans l’échange de forces entre particules. Dans la description quantique du champ électromagnétique, ce sont des photons virtuels, paquets d’ondes ou « particules » de lumière, qui parcourent l’espace-temps et transmettent les forces entre objets distants. Vous remarquerez comment je viens de passer de « photons » à « particules » de lumière. La lumière n’est donc pas une onde ? Cette nature duale en onde ou particule remonte à Isaac Newton. Les rayons lumineux agissent comme s’ils étaient composés de flots de particules : ils se propagent en ligne droite, dessinent des ombres nettes, changent de direction au passage entre deux milieux, comme entre l’air et le verre, en accord avec les lois classiques de l’optique géométrique. Cependant la lumière a aussi un comportement ondulatoire bien distinct : les bords des ombres ne sont pas si nets que cela ; si on la fait diffuser à travers un trou d’aiguille, des bandes claires et foncées, appelées franges d’interférence, apparaissent. Le fait que deux éléments de lumière peuvent dans certaines circonstances s’annuler et donner de l’obscurité, comme c’est le cas dans la diffusion à travers deux trous, se comprend aisément en termes d’ondes qui se mélangent : quand deux crêtes coïncident, on obtient une crête encore plus grande, ou une 113

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luminosité plus forte, mais quand une crête arrive avec un creux, cela se compense, donnant de l’obscurité. En 1900, Max Planck a montré que la lumière est émise sous forme de microscopiques « paquets » distincts, ou « quanta » d’énergie connus sous le nom de photons, et en 1905 Einstein a montré que la lumière reste sous cette forme de paquets quand elle voyage à travers l’espace. C’est dans sa théorie des quanta d’énergie que Planck introduisit sa constante éponyme, la constante de Planck, traditionnellement exprimée par le symbole h (la combinaison h/2π étant notée –h ). Ce fut le début de la théorie quantique, son premier succès étant d’expliquer comment les atomes peuvent exister. L’électron d’un atome d’hydrogène semble être en orbite autour du proton central à une vitesse égale à 1/137 fois celle de la lumière. Une orbite de 10–9 mètres parcourue à une vitesse d’environ mille kilomètres par seconde, cela fait quelques millions de milliards de tours par seconde. Selon la théorie de Maxwell un tel électron doit immédiatement émettre tellement de rayonnement électromagnétique qu’au moment même où l’atome se forme, l’électron doit aussitôt se mettre à tomber en spirale sur le noyau en produisant une bouffée de lumière. Alors comment les atomes peuvent-ils exister ? La découverte que l’énergie rayonnée est quantifiée amena Niels Bohr à proposer que les énergies de l’électron dans l’atome sont aussi quantifiées : ils ne peuvent avoir que certaines énergies prédéfinies. Comme ils sont cantonnés à ces états d’énergies, les électrons ne rayonnent pas continuellement de l’énergie, et ainsi ne tombent pas en spirale. À la place, ils ne peuvent que sauter d’un état d’énergie à un autre, et émettre ou absorber de l’énergie tout en conservant la quantité totale d’énergie (sur une longue échelle de temps l’énergie est conservée). Une fois dans l’état où l’énergie est la plus basse, ils ne peuvent plus aller plus bas et doivent y rester, ce qui rend l’atome stable. Vous pouvez bien sûr soupçonner que c’est une solution imposée : c’est stable parce que c’est stable. Cependant si on adopte l’image ondulatoire, on peut se faire une idée de la raison sous-jacente. 114

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Bohr proposa que la constante de Planck h détermine les énergies possibles des orbites de l’électron autour de l’atome. Dans notre vision moderne, non seulement la lumière mais aussi l’électron a un caractère ondulatoire, et sa longueur d’onde et sa quantité de mouvement sont reliés par cette même grandeur h. Maintenant appliquons cette idée à l’atome le plus simple, celui de l’hydrogène, dont le noyau n’est entouré que d’un électron. Les ondes de l’électron se compensent et sont détruites pour toutes les trajectoires où elles ne se raccordent pas. C’est ce qui est illustré dans la figure 7.1. En (a) un électron se déplaçant sur une trajectoire est représenté par une onde. Maintenant imaginons une trajectoire circulaire dont la longueur est d’une longueur d’onde. Quand l’onde s’ajuste ainsi exactement sur le cercle, nous avons la première orbite permise ; mais si les ondes ne s’ajustent pas ainsi, elles disparaissent. Deux longueurs d’onde qui font juste le cercle, comme

Fig 7.1 | Les ondes électroniques dans le modèle atomique de Bohr.

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en (b), donnent la seconde orbite de Bohr, qui a une énergie plus grande que la première, et des énergies orbitales plus élevées correspondent à de plus grands nombres de longueurs d’onde ajustées sur la circonférence (Figure 7.1c). D’une manière remarquable, cette image simple traduit bien ce que nous savons des atomes. Aucune énergie n’est rayonnée tant que l’électron reste sur une orbite, mais il y a émission d’énergie lorsqu’il saute d’un état d’énergie élevée vers un état de plus basse énergie. En supposant que cette énergie rayonnée devait l’être sous forme de lumière, Bohr calcula les longueurs d’onde correspondantes et trouva qu’elles correspondaient précisément à celles du mystérieux spectre de l’hydrogène. La théorie des quanta de Planck, qui avait été appliquée avec succès au rayonnement quand Einstein fit l’hypothèse du photon, avait maintenant été appliquée à la matière avec le même succès par Bohr. Il y a un point essentiel, c’est que la théorie quantique implique de fait que la dualité onde-particule est une propriété de toute matière : l’électron, que nous pensons comme une particule, est en réalité un paquet de « champ électronique » qui se comporte avec des propriétés ondulatoires. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est ce qui se passe ; les microscopes électroniques mettent à profit ce caractère ondulatoire des électrons. Que sont ces ondes et quel rapport ont-elles avec le principe d’indétermination que nous avons vu précédemment ? De telles questions font l’objet de controverses scientifiques depuis la naissance de la mécanique quantique. Einstein et Bohr, entre autres, débattirent longtemps sur la signification de la mécanique quantique, aussi permettez-moi d’avouer ne pas avoir la réponse. Voici comment j’essaie de m’accommoder de ce problème ; si vous préférez une autre vision, libre à vous car il n’y a pas de consensus général sur une « explication officielle ». Au niveau le plus éthéré on a juste besoin d’accepter le principe d’indétermination et ses conséquences. Cependant il est toujours plus 116

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confortable de pouvoir se fabriquer des images mentales des propriétés de la théorie, car cela permet de guider l’intuition sur ses propriétés et ses conséquences. L’indétermination sur la position et la quantité de mouvement a un analogue qui nous est familier. Tracez une série de points pour former une onde d’une longueur d’onde donnée ; si maintenant nous identifions la position comme le lieu d’un point donné dans cette onde, et la quantité de mouvement comme la longueur d’onde, nous obtenons quelque chose d’analogue au principe d’indétermination en action. En mécanique quantique, plus la quantité de mouvement est élevée et plus la longueur d’onde est courte. Supposez que je connaisse la position avec précision ; tout ce que j’ai c’est un seul point, et il est impossible savoir ce que sera la longueur d’onde ; cela pourrait être n’importe quoi. Si j’ai quelques points esquissant le début de l’onde, je vais pouvoir commencer à me faire une idée de sa longueur d’onde, grande ou petite, et ce n’est que quand j’aurai une onde complète que je pourrai dire avec certitude quelle est cette valeur. Cependant, le prix à payer pour cette certitude est l’abandon de la connaissance de la position avec une précision meilleure que celle de la longueur de l’onde5. On voit par là que c’est un oxymore que de parler de la position d’une onde ; on ne commence à connaître l’onde que lorsqu’on la mesure sur toute sa longueur d’onde. Si cela peut au moins vous aider à accepter qu’il y a des cas où cela n’a pas de sens de vouloir définir avec précision la position et une autre caractéristique, alors nous avons fait un pas vers une perception de la nature du monde quantique. Le fait que les ondes ont ces propriétés les rendent très utiles comme images mentales de ce qui se passe. Cependant, je pense que c’est tout ce qu’elles peuvent être : des images mentales. 5. Mathématiquement cela est réalisé avec l’analyse de Fourier – la représentation de n’importe quelle courbe, même un pic étroit, par une superposition d’ondes de différentes longueurs d’onde. Un pic isolé à une position précise est équivalent à la somme d’un nombre infini d’ondes de toutes longueurs d’onde.

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UN VIDE GROUILLANT Imaginez un volume de vide, disons un mètre cube d’espace intergalactique, dont on a retiré tout hydrogène ou autres particules. Peut-il être réellement vide de matière et d’énergie ? Dans l’univers quantique, la réponse est non. Savoir précisément qu’il n’y a aucune particule à n’importe quel point entraîne qu’on ne connaît rien sur le mouvement, et donc sur l’énergie. Vous pouvez enlever toute matière et toute masse, l’indétermination quantique vous dit qu’il y a de l’énergie : l’énergie ne peut être nulle. Affirmer que l’on a un vide ne contenant aucun de ces ingrédients revient à violer le principe d’indétermination. Il existe une quantité minimum, connue comme l’énergie du point zéro, c’est ce qu’on peut dire de mieux. On peut visualiser cette notion en considérant un pendule formé de quelques atomes seulement. La vitesse précise d’une particule ne peut être définie que si sa position n’est pas connue. Cela entraîne qu’un petit agrégat de molécules suspendu à un fil d’atomes et oscillant comme un pendule ne pourrait jamais arriver à un état de repos, où il resterait pendu verticalement, avec la boule de molécules immobile à la position la plus basse, son « point zéro ». Au lieu de cela, l’indétermination quantique entraîne qu’il doit être légèrement agité autour de cette position. Ce phénomène est appelé « agitation du point zéro ». Quand le pendule oscille sous l’action de la gravité, plus les molécules sont au-dessus de ce point zéro et plus leur énergie potentielle augmente. Au plus haut de son oscillation, l’énergie potentielle d’un pendule macroscopique est à son maximum, et son énergie cinétique est nulle ; à son point le plus bas l’énergie potentielle est nulle et l’énergie cinétique maximale. Les choses sont un peu plus subtiles pour notre pendule quantique « nanoscopique ». Si nous l’amenons à son énergie potentielle minimale en imposant à la boule du pendule d’être à la hauteur zéro, son état de mouvement, et donc son énergie cinétique, deviennent indéterminés. Inversement, si nous minimisons son énergie 118

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cinétique en mettant le pendule au repos, alors sa hauteur au-dessus du zéro devient inconnue. La mécanique quantique impose que la somme de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle ne peut descendre en dessous d’un minimum : les deux ne peuvent être simultanément nulles. Cette quantité minimale est l’énergie du point zéro de cet assemblage atomique. Pour un pendule macroscopique, comme nos vieilles horloges à balancier, cette énergie du point zéro est trop petite pour qu’on puisse la déceler. Cependant, pour des paquets de quelques atomes et molécules cette énergie minimum est comparable aux énergies totales de ces groupes de particules elles-mêmes. L’énergie du point zéro se traduit alors par du mouvement, par exemple des atomes dans les molécules ou des molécules dans les agglomérats. C’est ainsi que, alors que le mouvement des molécules dans la matière est à l’origine de ce que nous appelons la température (plus la température est élevée et plus l’agitation des molécules est grande), la théorie quantique impose qu’il doit exister une énergie intrinsèque du point zéro, même lorsqu’on s’approche du zéro absolu des températures6. En conséquence il devient impossible d’atteindre le zéro absolu des températures, où tout est gelé en position, sans mouvement et sans énergie. Ce qui est remarquable, c’est que cela s’applique à une portion finie de l’espace, même s’il n’y a pas de matière dedans. Cela a pour conséquence qu’une région finie d’espace vide, « vide » dans le sens qu’on en a enlevé toute matière, sera remplie d’énergie. Tous les volumes finis, quelles que soient leurs tailles, sont le siège de fluctuations d’énergie. Pour des volumes macroscopiques, l’effet est trop petit pour être décelable, mais pour de très petits volumes, les fluctuations d’énergie sont importantes. Tout comme deux éléments de lumière peuvent se compenser en raison de leur caractère ondulatoire, un zéro peut apparaître comme la 6. Il s’agit de ‒273 degrés Celsius, qui est aussi 0 K, zéro kelvin.

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Pendule classique

Pendule quantique

Fig 7.2 | (a) Le pendule part d’une position élevée, au repos : son énergie potentielle (PE) est grande et son énergie cinétique (KE) est nulle. La force gravitationnelle fait descendre le pendule ; au point le plus bas où il n’a plus d’énergie potentielle, il aura une énergie cinétique maximale. Durant tout le balancement la somme PE+KE est constante. (b) Il est possible de suspendre le pendule verticalement au repos. PE et KE sont alors nuls. L’énergie totale est donc nulle. (c) Pour un pendule quantique, PE et KE ne peuvent être simultanément nuls. Quand il est pendu à son point le plus bas avec PE=0, le mouvement est indéterminé et KE ne peut être connu. C’est le « mouvement du point zéro ». (d) Inversement si le pendule est au repos avec KE=0, sa position, et donc PE, sont indéterminés. (e) Il existe un minimum possible pour la somme PE+KE, appelée énergie du point zéro.

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somme de deux quantités qui se contrebalancent. Le vide peut ne contenir aucun champ électromagnétique en moyenne, mais les fluctuations engendrées par le phénomène du point zéro seront toujours présentes, avec pour conséquence qu’il ne peut exister quelque chose de littéralement vide. D’un point de vue moderne, le vide est l’état dont l’énergie est la plus petite possible ; c’est l’état dont on ne peut retirer aucune énergie. Dans le jargon scientifique, cet état du vide est appelé l’« état fondamental ». Les lois de la nature donnent la possibilité à des états excités d’apparaître, avec des densités d’énergie équivalentes à une, deux ou même des milliards de particules ou de radiations. Vous pouvez éliminer toutes les particules réelles jusqu’à atteindre l’état fondamental, mais les fluctuations quantiques continueront d’être présentes. Le vide quantique est une sorte de milieu, et d’après ce que nous connaissons sur les états fondamentaux dans les systèmes collectifs macroscopiques, on peut s’attendre à d’autres surprises en ce qui concerne les propriétés du vide quantique, comme nous le verrons au chapitre 8. Nous devons d’abord nous convaincre de la réalité de l’énergie du point zéro, et que ce n’est pas un artefact mathématique. Un effet physique de ce phénomène a été suggéré en 1948 par Hendrik Casimir et, après des années de recherches, a pu être démontré expérimentalement en 1996. Le vide est une mer quantique d’ondes au point zéro, avec toutes les longueurs d’ondes possibles, depuis celles plus petites même que l’échelle atomique à celles dont la taille est vraiment cosmique. Plaçons dans le vide deux plaques de métal légèrement séparées et parallèles entre elles. Une force attractive ténue mais mesurable commencera à les attirer l’une vers l’autre. Il y a bien sûr une attraction mutuelle due à la gravitation, mais cela est insignifiant à l’échelle de l’« effet Casimir », qui résulte de la façon dont les plaques ont perturbé les ondes remplissant le vide quantique. Les métaux conduisent l’électricité, et cela affecte toutes les ondes électromagnétiques présentes dans le vide à l’énergie du point zéro. La théorie quantique impose qu’entre les plaques ne peuvent exister que des 121

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ondes ayant exactement un nombre entier de longueurs d’ondes. Comme une corde de violon vibrant entre deux extrémités fixées donne une note et ses harmoniques, seules les ondes qui sont « accordées » à l’intervalle entre les plaques pourront « vibrer », alors qu’au-dehors des plaques toutes les longueurs d’ondes peuvent exister. Cela entraîne qu’il « manque » certaines ondes entre les plaques, et il y a donc moins de pression sur l’intérieur des plaques que sur leurs faces extérieures. Il en résulte une force globale qui les rapproche. La mécanique quantique prédit la taille de cette force. Sa grandeur est proportionnelle au quantum de Planck, h (puisque c’est un effet quantique), à la vitesse des ondes électromagnétiques, c, et est inversement proportionnelle à la distance d entre les plaques élevée à la puissance quatrième, d4. Cela fait que cette force disparaît quand les plaques sont trop éloignées, ce qui est normal puisque pour une séparation infinie nous revenons au vide infini dans lequel il n’y a plus d’effet. Inversement, la force deviendra grande quand les plaques seront très proches ; dans ces conditions on peut la mesurer, et vérifier à la fois sa taille et sa variation avec la distance qui les sépare. La force a été mesurée, l’effet confirmé, et le concept d’énergie du point zéro dans le vide s’est affirmé. L’effet Casimir montre qu’un changement de l’énergie du point zéro est quelque chose de réel et qui peut être mesuré, même si l’énergie du point zéro elle-même n’est pas accessible. La quantité d’énergie du point zéro est en fait infinie, mais ce sont des interprétations erronées de la théorie qui ont amené à suggérer, dans des articles polémiques comme dans le magazine Infinite energy (sic), qu’il y a là une source de puissance négligée par les scientifiques et que veulent mettre au grand jour ceux qui travaillent sur la fusion froide et leurs pareils. L’énergie du point zéro n’est pas comme cela. C’est l’énergie minimum qu’un système, ou le vide, peut avoir. L’agitation du point zéro des champs électromagnétiques est toujours présente dans le vide. L’énergie du point zéro du vide ne peut être extraite et exploitée comme source de puissance ; le vide est au plus bas qu’il peut être. Et pourtant les effets de l’agitation du point zéro peuvent être ressentis par des particules traversant le vide. 122

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Un électron « en vol » oscille légèrement lorsqu’il ressent l’agitation du point zéro des champs électromagnétiques. Pour mettre cela en évidence nous devons avoir une référence mesurable, et c’est l’électron piégé dans l’atome d’hydrogène qui nous servira à montrer que le vide est loin de l’être. L’électron de l’hydrogène se déplace à une vitesse d’environ un pour cent de la vitesse de la lumière. Le spectre de l’hydrogène fait apparaître les changements d’énergie dus aux changements d’orbite de l’électron dans l’atome. Les différences d’énergie entre les différents niveaux correspondent à l’énergie de la lumière que l’on observe dans les raies spectrales. Les techniques développées pour les radars durant la seconde guerre mondiale permirent aux physiciens de l’après-guerre de mesurer les énergies dans le spectre, et par là celles des électrons, avec une précision meilleure que le millionième. C’est ainsi qu’on découvrit le « Lamb shift », du nom du physicien Willis Lamb qui le mesura le premier en 1947 ; ce fin décalage par rapport à ce que la mécanique quantique prédit si le vide l’était vraiment est en excellent accord avec les calculs prenant en compte les effets des fluctuations dans le bouillonnant vide quantique. Alors que la mécanique quantique produit des formulations précises pour les phénomènes aux échelles subatomiques, elle le fait tout en ignorant les effets de la gravité. Personne n’a réussi à combiner les deux grands piliers de la physique du vingtième siècle – la mécanique quantique et la relativité générale – en une théorie unifiée mathématiquement cohérente et expérimentalement vérifiée. En pratique les scientifiques esquivent le problème car les deux théories sont chacune parfaite dans leurs domaines respectifs. N’empêche que pendant les premières 10–43 seconde du big bang, l’Univers était si petit et la gravité si prédominante qu’une théorie de la gravité quantique devait être à l’œuvre. Sa formulation reste un des grands défis à relever en physique mathématique. Nous pouvons cependant nous faire une idée des profondes implications qu’elle aura pour quelques-unes des questions auxquelles nous devons répondre. Par exemple, nous savons par expérience que les dimensions d’espace et de temps sont d’une certaine 123

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façon différentes, en tout cas en ce qui concerne notre capacité à nous déplacer en elles, à recevoir ou traiter de l’information. Il faut bien admettre que cette petite différence est réelle, elle est perçue par nos sens macroscopiques et vaut pour notre description des phénomènes naturels jusqu’à l’échelle de l’atome et au-delà, mais quand l’Univers dans ses premiers instants était compressé sur une échelle de distance d’environ 10–35 mètre, la théorie quantique de la gravité devait inextricablement mêler l’espace et le temps. En gravité quantique, l’espace et le temps doivent en quelque sorte être « la même chose ». La complémentarité des indéterminations sur le mouvement, l’impulsion, l’énergie, et la localisation dans l’espace et dans le temps suggère qu’en gravité quantique il apparaît des fluctuations dans la trame de l’espace et du temps eux-mêmes. Si nous avions à mesurer des distances aussi petites comparées à un proton qu’un proton l’est par rapport à l’échelle humaine, ou bien enregistrer des échelles de temps aussi brèves que 10–43 seconde, nous constaterions que la matrice de Newton s’est évaporée en une écume d’espace-temps. Je ne suis pas capable d’imaginer à quoi cela peut ressembler, mais les auteurs de science-fiction en raffolent. Il y a un consensus général pour dire que le vide quantique est à l’origine de tout ce que nous connaissons, y compris la matrice de l’espace-temps. Comme nous le verrons, l’agitation du vide entraîne de profondes conséquences sur notre compréhension de la nature de la création à partir du vide. LA MER INFINIE La stabilité de la matière et la régularité du tableau périodique des éléments atomiques de Mendeleïev sont finalement dues au fait que les électrons obéissent à une loi fondamentale de la mécanique quantique connue sous le nom de principe d’exclusion : deux électrons dans un même système ne peuvent occuper le même état d’énergie quantique. Quand Paul Dirac comprit le premier que les électrons peuvent avoir un double chargé positivement, l’ « anti »-électron appelé positon, il fit 124

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appel à ce principe d’exclusion pour bâtir un modèle du vide qui ferait apparaître de telles entités inhabituelles. Il suggéra que l’on considère le vide comme étant loin d’être désert : pour Dirac il était rempli d’une infinité d’électrons dont les énergies individuelles occupent toutes les valeurs depuis l’infini négatif jusqu’à une certaine valeur maximum. Une telle mer profonde et calme est partout présente et indécelable tant que rien ne la perturbe. Nous appelons cet état normal l’état fondamental, qui est le niveau de base à partir duquel toutes les énergies sont définies : le « niveau de la mer » de Dirac définit le zéro de l’énergie. La célèbre équation d’Einstein E = mc2 peut être reformulée en m = E/c2, qui nous dit que de la masse peut être produite à partir d’énergie. Un électron et son jumeau d’antimatière, le positon, ont le même mc2 et des charges électriques égales mais de signe opposé. Donc si une énergie E dépasse 2mc2, il est possible qu’un électron et un positon en émergent. Les fluctuations d’énergie du vide peuvent spontanément se transformer en électrons et positons, mais sous la condition, imposée par le principe d’indétermination, que cela ne dure pas plus que –h / 2mc2, ce qui ne fait guère que 10–21 seconde. Cette durée est si petite qu’elle ne permet à la lumière de parcourir qu’environ un millième de la taille de l’atome d’hydrogène. De telles particules « virtuelles » ne peuvent pas plus être observées que les déviations à la conservation de l’énergie que ces fluctuations représentent. Cependant les conséquences de cette omniprésence de particules virtuelles dans le vide peuvent être détectées par des mesures minutieuses et précises. Une particule chargée électriquement, comme un électron ou un ion, est entourée d’un nuage virtuel d’électrons et de positons7. Un des effets de ces nuages est de modifier l’intensité des forces électriques entre deux objets chargés. Plus le microscope avec lequel nous regardons 7. Elle est également entourée de toutes les autres sortes de particules chargées et de leurs antiparticules ; plus elles sont lourdes et plus leurs fluctuations sont insignifiantes, de sorte que ce sont les électrons et les positons, les plus légères de toutes, qui jouent un rôle dominant.

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est puissant, plus nous serons sensibles aux effets de ces nuages virtuels dans le vide. Comme l’existence virtuelle d’une paire électron-positon va fluctuer dans seulement un millième du rayon atomique, elle peut influencer la force exercée entre le proton et l’électron périphérique de l’atome d’hydrogène, induisant une légère modification à la loi de la force en inverse du carré. Cela affectera également le magnétisme de particules comme l’électron d’une manière calculable qui s’avère en accord avec les mesures d’une précision meilleure qu’un cent milliardième. Dans le vide de Dirac, vu comme une mer infinie remplie d’électrons, si un électron de cette mer est absent, il laisse un trou. L’absence d’un électron chargé négativement, doté d’une énergie négative par rapport au niveau de la mer, apparaîtra comme une particule chargée positivement et dotée d’une énergie positive, donc avec les caractéristiques du positon. Des fluctuations à la surface de la mer, définie par le phénomène de l’énergie du point zéro décrit précédemment, peuvent momentanément extraire un électron en laissant un trou, ce qui apparaît comme une paire électron-positon. On peut rendre visibles ces fluctuations en fournissant de l’énergie à l’atome. Si un photon d’énergie supérieure à 2mc2 rencontre un atome, il est très probable qu’il ionisera cet atome. Mais il est possible qu’un électron et un positon virtuels émergent du champ électrique de l’atome juste au moment de l’impact. Dans ce cas le photon peut les éjecter hors de l’atome, laissant derrière lui un atome non perturbé. Ce phénomène, appelé « création de paire », peut être photographié dans une chambre à bulles, et donner naissance à des objets d’arts esthétiques et mystérieux comme dans la figure 7.3.8 Les deux particules virtuelles deviennent alors réelles. 8. Pour d’autres images de créations de paires et d’autres exemples de tels effets quantiques, voir F.E. Close, M. Marten et C. Sutton, The Particle Odyssey (Oxford University Press, 2002), et pour des détails sur la façon dont ces images sont obtenues, voir Frank Close, Particle Physics : A Very Short Introduction (Oxford University Press, 2004).

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Fig 7.3 | Création de paire.

Pour Dirac, les antiparticules sont des trous créés dans cette mer infiniment profonde qu’est le vide. Cette image résout également ce qui autrement serait un paradoxe. Si le vide était vraiment sans rien, où donc seraient inscrites les lois de la nature, les propriétés de la matière, qui font que tous les électrons et les positons créés « à partir du vide » 127

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Fig 7.4 | (a) Le vide est constitué par une mer infiniment profonde de niveaux d’énergie occupés, depuis l’infini négatif jusqu’à un maximum. Nous définissons cette configuration, l’état de plus basse énergie, comme le zéro d’énergie. (b) Un état d’énergie positive, par ex. un électron d’énergie positive par rapport au vide. (c) Un trou dans le vide. L’absence d’un état d’énergie négative et de charge négative apparaît comme un état d’énergie positive et de charge positive. C’est l’image que Dirac donne de l’antiparticule de l’électron : le positon. (d) Un état d’énergie négative est vide et un état d’énergie positive est rempli. Cela peut être un électron d’énergie positive associé à un trou perçu comme un positon d’énergie positive. Pour produire cette configuration, il est nécessaire de fournir de l’énergie au vide. Cette énergie peut avoir été apportée par un photon qui s’est converti en un électron et un positon. Une photographie d’un exemple réel de ce processus est montrée dans la figure 7.3.

ont des propriétés identiques, avec des masses bien spécifiques, plutôt que d’émerger selon un continuum aléatoire de potentialités ? Les protons, les quarks et d’autres particules similaires obéissent également au principe d’exclusion et remplissent une mer sans fond. C’est cet

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entrepôt infini, constitué par la mer de Dirac, qui nous approvisionne en particules que nous pouvons matérialiser. Dans cette interprétation, le vide devient un milieu. Cela a de profondes connexions avec des phénomènes qui se passent dans des milieux « réels », comme les solides ou les liquides, où de très grands nombres d’atomes ou de particules s’organisent eux-mêmes en différentes « phases ». Le vide quantique s’apparente donc à la configuration d’énergie la plus basse, l’« état fondamental », d’un ensemble de corps. Nous reviendrons là-dessus dans le prochain chapitre. Cela a des conséquences d’une portée considérable, et ouvre la possibilité que la nature du vide ait pu ne pas être la même au cours de l’histoire de l’Univers. Cela soulève également une possibilité intéressante : que l’on puisse ajouter quelque chose au vide, tout en abaissant pourtant son énergie. Dans une telle situation, on aurait créé un nouvel état de vide ; le vide précédent, qui a une énergie supérieure à celle de l’état fondamental, est appelé « faux vide ». La transition du faux vide au nouveau est appelée changement de phase. Les théoriciens se demandent, et les expériences en physique des hautes énergies pourraient donner bientôt la réponse, s’il ne s’est pas produit quelque chose de ce genre très tôt dans l’histoire de l’Univers, à des températures dépassant le million de milliards de degrés (chapitre 8).

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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

8 Le vide de Higgs

PHASES ET ORGANISATION Dans le chapitre 6 nous avons brièvement rencontré le concept d’émergence, dans lequel de grands nombres d’atomes et de molécules peuvent acquérir des caractéristiques que les éléments individuels n’ont pas. Comme le vide quantique est rempli de particules, lui aussi peut avoir des propriétés inattendues qui découlent de la façon dont ses constituants s’organisent. Il y a de nombreux exemples courants d’émergence, et comme ils ont inspiré quelques unes des idées modernes sur la nature du vide, je commencerai ce chapitre par en décrire quelques-unes. On parle d’émergence lorsque l’organisation entre différents éléments produit un phénomène qui n’existe pas au niveau de ces éléments pris séparément. C’est ainsi qu’en art, les touches de peinture sur une toile impressionniste de Monet ou Renoir ont des formes et des couleurs apparemment aléatoires, alors que vu d’une certaine distance l’ensemble s’organise et apparaît comme l’image parfaite d’un

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champ de fleurs. Les coups de pinceau individuels sont insuffisants, l’émergence du tableau vient du résultat de leur organisation. De manière analogue, des « coups de pinceau » atomiques individuels peuvent former un ensemble organisé possédant des propriétés que les atomes individuels, ou même de petits groupes d’atomes, ne possèdent pas. Ainsi un proton ou un électron est identique à n’importe quel autre proton ou électron, et ils peuvent se piéger l’un l’autre par attraction électrique et former des atomes ; les phénomènes électriques dans les atomes permettent de former des groupes, créant des molécules ; réunissez-en suffisamment et elles peuvent acquérir une conscience – comme c’est le cas pour vous qui lisez ces lignes. Certains métaux peuvent évacuer les champs magnétiques, lorsqu’ils sont refroidis à des températures ultra-basses, donnant lieu à ce qu’on appelle la supraconductibilité, et pourtant les atomes individuels constituants le métal ne peuvent en faire autant. L’émergence des solides, liquides, gaz à partir d’un grand nombre de molécules individuelles, comme l’H2O pour l’eau, la glace et la vapeur, est un exemple que nous rencontrons tous les jours. Nous sommes certains de la solidité du plancher de l’avion, à 10 000 mètres d’altitude, et qu’il ne va pas perdre subitement sa rigidité et nous laisser tomber dans les nuages qu’on survole. De même les Eskimos font confiance à la rigidité des monceaux de glace congelée sous leurs pieds, et pourtant un petit accroissement de la température pourrait entraîner leur fonte, et mettre les Eskimos à la mer. Nous allons même jusqu’à confier notre sécurité, sur de la glace pas trop fine, à l’organisation des molécules individuelles. Dans un solide cristallin, c’est l’arrangement ordonné en réseau de ces éléments qui donne la solidité, mais aussi sa beauté qui nous ravit : les atomes de carbone peuvent s’être organisés en diamant, ou bien en suie. Dans un solide les atomes individuels sont figés à leur place par rapport aux autres, mais la chaleur les fait s’agiter un peu, de sorte que chacun est légèrement décalé par rapport à sa position de départ. Cependant ils restent contraints par leurs voisins et les erreurs ne 132

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s’accumulent pas ; l’ensemble peut garder une perfection et une solidité apparente. Dans un liquide, l’agitation est si importante que les atomes rompent les rangs et s’écoulent. Dans certains matériaux, la transition est abrupte : une fraction de degré au-dessus ou en dessous de 0 °C peut faire la différence entre la vie et la mort, sur la glace. Ce n’est pas toujours le cas, comme pour le verre, où on ne peut dire clairement s’il s’agit d’un solide ou d’un liquide excessivement visqueux. L’hélium est un gaz à température ambiante, et un liquide si on le refroidit, mais aussi basse que soit sa température, il ne gèle jamais. Néanmoins, si on le soumet à une haute pression, il cristallisera. Ces exemples montrent les différentes phases qui apparaissent en fonction de l’organisation des particules entre elles. Des phénomènes intéressants peuvent se produire quand l’ensemble se réorganise spontanément en passant d’une phase à une autre, comme pour l’eau et la glace à 0 °C. À chaque température, l’état organisé possédant l’énergie minimale sera le plus stable et ce critère décidera du résultat dans la compétition entre les phases. La température d’un milieu est une mesure de son énergie, en particulier de l’énergie cinétique de ses constituants. Plus la température est élevée, plus les mouvements aléatoires sont importants. En dessous de 0 °C, les molécules d’eau ont tendance à se verrouiller les unes aux autres, et leur puzzle s’organise en une régularité cristalline, produisant le motif fractal à six branches qui nous est si familier en hiver dans le givre qui se forme sur les vitres des fenêtres. Le mouvement des molécules à de telles températures est suffisamment faible pour que leurs collisions n’aient pas l’énergie suffisante pour détruire les liens qui les tiennent ensemble. Cependant, au-dessus de 0 °C, leur énergie est plus élevée, et la violence des collisions trop importante pour qu’elles restent enchaînées dans des cristaux de glace. Tout glaçon ajouté à votre boisson liquide au-dessus de 0 °C verra ses molécules heurtées si violemment par celles du liquide 133

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chaud qu’elles se détacheront les unes des autres et s’écouleront elles aussi en liquide. À 0 °C un mélange de liquide et de glace se transformera en glace, car dans cette phase les molécules ont une énergie inférieure à celles qu’elles ont dans l’état liquide. Au cours de cette solidification, l’énergie excédentaire est évacuée sous forme de chaleur (c’est ce qu’on appelle la chaleur latente). Cette énergie n’est pas bien grande, mais on peut faire une expérience de pensée en essayant d’imaginer ce qui se passerait si elle était très grande, plus grande même que celle nécessaire pour créer des molécules de glace et d’« anti-glace ». Si la Nature en avait décidé ainsi, alors le passage de la température en dessous de 0 °C ferait apparaître spontanément des flocons et des anti-flocons, venus apparemment de nulle part. Cela faisant, nous nous trouvons devant une énigme intéressante. Au-dessus de 0 °C, l’état fondamental des molécules d’eau se trouve le même quelle que soit la direction de notre regard. Nous disons qu’il est symétrique par rotation. Un flocon de neige isolé ne possède pas cette caractéristique. Il a une belle forme, une symétrie sextuple telle que si on le tourne d’un angle multiple de 60 degrés, il apparaît inchangé, mais à tout autre angle on voit un flocon qui a tourné. Une branche peut pointer disons à 12 heures, vu sur une horloge, et les autres seront à 2, 4, 6, 8 et 10 heures ; ou peut-être à 1 heure, et les autres branches seront orientés vers les heures impaires de l’horloge. Comme il se forme des milliards de flocons, leurs orientations sont aléatoires de sorte que globalement le nouvel état fondamental, maintenant rempli de flocons, apparaît le même dans toutes les directions. Cependant en chaque point la symétrie est brisée ; un flocon de neige pointera d’une façon ici, d’une autre là. Un autre exemple très significatif pour notre compréhension du vide est le phénomène du magnétisme, qui est causé par la rotation des électrons, chaque électron se comportant comme un mini-aimant. À l’intérieur du fer, les électrons préfèrent tourner dans le même sens que 134

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Fig 8.1 | La symétrie sextuple d’un flocon de neige.

les autres, car cela minimise leur énergie ; pour minimiser l’énergie de l’ensemble des électrons, tous se mettent à tourner dans le même sens, ce qui donne un axe magnétique nord-sud au métal. On a là un état d’énergie minimale, un état fondamental. Cependant, au-delà de 900 °C l’énergie supplémentaire apportée par la chaleur est plus que 135

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suffisante pour libérer chacun des électrons en rotation de l’emprise de ses voisins ; alors les mini-aimants se mettent à pointer dans toutes les directions et le magnétisme global disparaît. Ainsi, le fer peut apparaître dans une phase magnétique ou non-magnétique, selon sa température. Des créatures imaginaires qui vivraient à l’intérieur de tels systèmes considéreraient l’état de plus basse énergie comme leur environnement normal. Tout ce que ces créatures percevraient de ces systèmes organisés serait l’équivalent de ce que nous connaissons du vide dans notre Univers. Notre vide quantique est une sorte de milieu, et il n’est jamais vraiment vide. Lui aussi peut s’organiser en différentes phases, et il y a des propriétés et des phénomènes intéressants qui apparaissent lorsque l’on passe d’une phase à une autre. Beaucoup soupçonnent que cela a pu affecter la nature de l’espace-temps aux premiers instants de notre Univers. Nous sommes maintenant parvenus à un nouveau point de vue sur la question que se posaient les philosophes de l’antiquité, à savoir si la nature permet le vide. La réponse est : cela dépend de votre point de vue, soit « non » (car le vide en en fait rempli d’une mer infinie de particules associées à des fluctuations quantiques), soit « oui, et il y a de nombreux types différents de vide » (c’est-à-dire cela dépend de la façon dont le milieu qu’est le vide quantique est organisé). Cette dernière position est la plus suivie chez les physiciens. Nous en apprendrons plus sur ce point après avoir vu comment des motifs et des formes peuvent émerger lors de la transition du vide quantique d’un état d’organisation à un autre. LES CHANGEMENTS DE PHASE ET LE VIDE Beaucoup de systèmes physiques ne font pas apparaître les symétries fondamentales régissant les forces qui les structurent. Les forces électromagnétiques ne font pas la différence entre la droite et la gauche ; pourtant certaines molécules organiques peuvent être images 136

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dans un miroir l’une de l’autre, l’une pouvant être inerte ou pire mortelle, tandis que l’autre sera un aliment ou aura des propriétés bénéfiques1. Mettez en équilibre un crayon de forme cylindrique parfaitement usiné. Faites-en le tour : il reste le même d’où qu’on le regarde. Cette invariance lorsque l’on tourne traduit une symétrie, dans ce cas la symétrie de rotation. En équilibre sur sa pointe le crayon est métastable, la force de gravité le fera tomber dès qu’il déviera un tant soit peu de la verticale. La force de gravitation possède également la symétrie de rotation, ce qui entraîne que lors de sa chute aucune direction particulière n’est préférée à une autre. Faites l’expérience des milliers de fois, l’ensemble montrera que les crayons seront tombés dans toutes les directions, en accord avec la symétrie de rotation. Pourtant pour chaque essai individuel vous ne pouvez pas prédire selon quelle direction le crayon tombera ; une fois tombé, disons au nord, cet « état fondamental » aura brisé la symétrie de rotation. La roulette est un autre exemple. Si vous jouez assez longtemps, tous les chiffres gagneront avec la même probabilité ; cela garantit que le Casino gagnera, car il encaisse le zéro. Mais pour un tirage donné, c’est votre incapacité à prédire avec certitude où la bille s’arrêtera qui est à la source du risque. Dans l’exemple du crayon, l’état dans lequel la symétrie est brisée est plus stable que l’état symétrique où le crayon est en équilibre précaire sur sa pointe. D’une manière générale, les lois gouvernant un système possèdent des symétries, mais s’il existe un état plus stable qui ne les respecte pas, la symétrie est « spontanément brisée », ou encore « cachée ». C’est ce qui se passait avec le flocon de neige et l’eau, ou avec le magnétisme et le fer.

1. De nombreuses asymétries bizarres entre droite et gauche sont décrites dans Close, Lucifer’s Legacy (Oxford University Press, 2000 ; traduction française : Asymétrie : la beauté du diable, EDP Sciences, 2001), et C. Magnus, Right Hand, Left Hand (Weinfeld and Nicholson, 2002).

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Vous pourriez protester sur ce point, et mettre en avant qu’il ne s’agit pas là réellement d’un défaut de la symétrie, mais plutôt du résultat de l’imprécision de celui qui tient le crayon en équilibre : « le crayon est tombé parce qu’il n’était pas parfaitement vertical ». C’est peut-être le cas, mais supposez qu’il soit en équilibre sur une pointe usinée à la perfection. Même dans ce cas les atomes de cette pointe ont un mouvement aléatoire, dû à la température, à la chaleur, qui se traduit par de l’énergie cinétique. Ce caractère aléatoire entraîne que la direction du basculement est également aléatoire. D’accord avec cet argument, vous pouvez néanmoins suggérer de faire l’expérience à une température approchant le zéro absolu, -273 °C, température à laquelle l’énergie cinétique disparaît. Votre expérience de pensée suppose donc que la pointe est fabriquée avec des molécules parfaitement sphériques, celle faisant pivot étant gelée en place, au zéro absolu, température à laquelle toute agitation thermique a disparu. L’astuce, c’est que maintenant ce sont les lois quantiques qui vont prendre le dessus. Si tout mouvement s’est arrêté, alors la position est inconnue et le point sur lequel se fait l’équilibre est lui-même aléatoire. Si ce point était connu avec précision à un instant donné, le mouvement serait indéterminé et l’équilibrage de l’ensemble imprédictible. Il apparaît que dans ce cas, et cela se généralise, la structure quantique de la nature donne la possibilité à un système dans un état métastable de haute énergie de choisir un état d’énergie plus basse dans lequel la symétrie est spontanément brisée. Ainsi faire fondre de la glace ou chauffer un métal magnétisé entraîne un retour de la symétrie, mais si on refroidit à nouveau, la symétrie se brise, sans mémoire de ce qui a pu se passer auparavant. La règle est que toute élévation de température provoque une disparition de la structure et de la complexité en un système « plus simple ». L’eau est terne, les cristaux de glace sont superbes. L’Univers actuel est froid ; les différentes forces et les formes de la matière sont des structures gelées dans la structure du vide. Nous 138

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sommes bien loin de la chaleur extrême qui a suivi le big bang, mais si nous mettions tout à chauffer, les formes et les structures disparaîtraient. Les atomes et l’ordonnancement du tableau de Mendeleïev n’ont de sens qu’à des températures inférieures à environ 10 000 ° ; au-delà de cette température, les atomes sont ionisés et forment un plasma d’électrons et de particules nucléaires, comme dans le Soleil. À encore plus haute température, les ingrédients de base du modèle standard des particules et des forces, dans lequel l’électron fait partie d’une famille de leptons, avec des familles de quarks et des forces bien distinctes, ne survivent plus à la chaleur. Déjà à des énergies de plus de 100 GeV, ce qui correspondrait, si elles étaient généralisées, à des températures dépassant 1015 degrés, la force électromagnétique et la force faible, celle qui contrôle la radioactivité bêta, se fondent en une seule identité symétrique. Les théories qui décrivent la matière et les forces telles que nous les observons à température ambiante, qui est très basse, prévoient que toutes ces structures se confondent si on monte en énergie. Selon cette théorie, les formes prises par les particules et les forces qui nous gouvernent peuvent être des résidus accidentels, gelés de manière aléatoire, de la brisure de symétrie provoquée par le « gel » de l’Univers à une température d’environ 1017 degrés. Nous sommes dans le même cas que le crayon qui une fois tombé pointe vers le nord, ou que la roulette dans laquelle la boule s’arrête sur la case qui permet à la vie d’apparaître. Si la boule s’était arrêtée ailleurs, de sorte que la masse de l’électron aurait été plus grande, ou bien la force faible aurait été plus faible, nous aurions perdu à cette loterie, et la vie ne serait pas apparue. Me voici revenu à l’énigme dont je suis parti. Si la brisure spontanée de symétrie avait produit des paramètres et des forces différents, nous ne serions pas là pour le savoir. C’est ce qui a conduit à l’idée radicale selon laquelle il pourrait y avoir plusieurs vides, de multiples univers dont le nôtre est celui où par hasard les cadrans affichent les bonnes valeurs. 139

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À ce stade reprenons l’exemple du métal magnétisé : chauffons-le, détruisant son magnétisme, et refroidissons-le à nouveau. Dans une région du métal, les aimants atomiques se figent en pointant tous dans une direction donnée, tandis que dans une autre zone ils vont se caler dans une autre direction. C’est le phénomène des « domaines magnétiques ». Cela peut-il servir de modèle pour notre Univers ? Les théoriciens ont bâti des modèles mathématiques du big bang, qui se doivent d’être en accord avec ce que nous en savons, et de faire apparaître la « vraie » symétrie dans la période très chaude du tout début. Une caractéristique générale de ces modèles semble être que lors du refroidissement de l’état symétrique de départ, ils offrent tous un « paysage » de solutions correspondant à diverses possibilités. Si vous contemplez tout le paysage, vous retrouvez en moyenne la symétrie de départ : de même que les crayons tombés pointent dans toutes les directions de la boussole, toutes les masses et forces possibles sont en accord avec la symétrie originale. Ce qui est vrai dans notre voisinage, et dans les milliards d’années-lumière qui nous sont accessibles, pourrait être différent ailleurs. FORCES CHANGEANTES DANS LE VIDE L’effervescence du vide perturbe le trajet des électrons, et donc les forces exercées par une particule chargée sur une autre. Alors que la loi en inverse du carré de la distance qui régit les forces électrostatiques a un caractère naturel pour les champs électriques qui se répandent uniformément dans l’espace tridimensionnel, les mesures de précision montrent de légères déviations à cette règle. Si le mouvement atteint un pour cent de la vitesse de la lumière, alors les effets relativistes deviennent mesurables. La dilatation et l’intrication de l’espace et du temps se conjuguent pour affecter le comportement simple en inverse du carré, en y ajoutant de subtils effets qui, eux, augmentent plus rapidement qu’en inverse du carré quand deux charges se rapprochent. Très connus, ces effets sont, avec le magnétisme, les premières 140

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manifestations de la relativité. Si deux charges se rapprochent encore plus, et ne sont plus séparées que par des distances inférieures à la taille d’un atome, le vide quantique intervient alors pour déformer ces forces. Comme cela a déjà été mentionné, les forces sont transmises par des particules qui transportent l’énergie et la quantité de mouvement d’un corps à l’autre. Dans le cas de la force électromagnétique, c’est l’échange d’un photon qui joue ce rôle. Si le photon se propage directement d’une particule chargée à une autre sans être perturbé, c’est la loi en inverse du carré qui s’applique ; cependant, si la propagation du photon est interrompue par le vide quantique, par exemple en le faisant se transformer en vol en un électron et un positon virtuels, l’intensité de la force sera légèrement modifiée. En fait les charges positives et négatives des électrons et des positons virtuels font comme une couverture autour de la charge nue qui est à l’origine de cette force. Les mesures faites au Cern montrent que si deux charges s’approchent à des distances de l’ordre du cent millionième du rayon de l’atome d’hydrogène, soit mille fois plus petit que la taille du noyau, la force électromagnétique apparaît effectivement environ 10 pour cent plus forte. Les calculs prévoient même que la force augmente encore plus à des distances plus petites, mais il n’a pas été possible jusqu’à présent de le vérifier expérimentalement. Les perspectives les plus récentes proposent que la « vraie » intensité de la force électromagnétique pourrait être dans les trois fois plus forte que ce que nous constatons dans nos mesures macroscopiques. Quand la force électrostatique fait qu’un peigne attire un morceau de papier sur une distance de quelques millimètres, ou bien qu’un proton capte un électron sur une distance de la taille d’un atome, la force en jeu a été affaiblie par les charges des champs virtuels cachés dans le vide qui les sépare. Ce n’est qu’à des distances infimes, où ne peuvent se produire que des fluctuations très particulières, que pourra se révéler la vraie force électromagnétique. Cette découverte a radicalement changé notre vision des forces. À l’intérieur du noyau, on trouve d’autres forces en action, les forces 141

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faibles et les forces fortes, leurs noms faisant référence à leurs intensités mesurées par rapport à la force électromagnétique. La force forte est responsable de l’attraction entre les particules chargées positivement dans les noyaux, les protons, les gardant bien serrés alors que leur répulsion électrique mutuelle (« des charges de même signe se repoussent » ) essaie de les séparer. À l’intérieur même des protons et des neutrons, les forces fortes confinent les quarks dans une prison permanente. Une manifestation de la force faible se trouve être la radioactivité bêta, qui permet à un noyau d’un élément atomique de se transmuter en un autre. Tout comme la force électromagnétique est transportée par des photons, la force forte entre quarks est portée par des gluons, et la force faible est transmise par des bosons W électriquement chargé ou par des bosons Z électriquement neutres. Ces différentes particules se comportent différemment dans le vide. Par exemple les gluons ne voient pas les électrons, les positons et les photons, mais doivent se frayer un chemin dans les nuages de quarks et d’antiquarks, ou même de gluons qui rodent dans le vide quantique. Les W et les Z, en revanche, sont tous deux sensibles aux particules chargées, et voient même ces particules neutres quasiment sans masse que sont les neutrinos et les antineutrinos. Les calculs montrent que, alors que l’intensité de la force électromagnétique augmente au fur et à mesure que les effets de blindage du vide quantique s’amenuisent à courte distance, les différentes réactions des gluons avec le vide, dans des circonstances analogues, ont pour effet d’affaiblir la force « forte ». Cela est confirmé par l’expérience. La solidité des fortes forces de liaison qui tiennent le noyau atomique, et lui donnent sa stabilité, n’est donc que le résultat du renforcement par le vide de l’attraction due aux gluons, à des distances de 10-15 mètre. Les masses des protons, des neutrons, et en fin de compte de toute la matière ordinaire ne sont que l’effet du vide gluonique à l’action dans les dimensions nucléaires. Surprenant, mais vrai. Les succès obtenus en comparant les données et les calculs, 142

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lesquels donnent au vide quantique un rôle essentiel, sont trop concluants pour n’être que le fruit du hasard. De plus, ils représentent un indice très convaincant incitant à penser que, sans l’effet du vide, les intensités de toutes les forces seraient probablement les mêmes. Si cela est vrai, cela entraîne d’une part l’existence d’une unification fondamentale à l’origine des forces de la nature, et d’autre part le fait que la multitude des phénomènes disparates qui se produisent à l’échelle macroscopique, et qui sont le lot de notre vie de tous les jours, est contrôlée par le vide quantique dans lequel nous existons. L’expérimentation sur les forces et le comportement de la nature aux distances suffisamment petites pour que l’action du vide quantique devienne insignifiante nécessite l’étude de collisions entre particules à des énergies extrêmement élevées. De telles conditions étaient la règle dans l’Univers primordial, où la chaleur extrême se traduisait par de très grandes énergies cinétiques des particules. La théorie des forces et du vide, exprimée par le « modèle standard » de la physique des particules, veut que dans l’Univers primordial l’état du vide avait au début une phase symétrique où toutes les forces agissaient avec la même intensité, et étaient de ce fait unifiées. Quand l’Univers s’est refroidi, des transitions de phase se sont produites et l’état symétrique du vide a été remplacé par des états de plus en plus asymétriques. De sorte que ce que nous appelons maintenant la force forte s’est séparée de la force électrofaible, nom que nous donnons maintenant aux forces électromagnétiques et faibles, alors encore unifiées, à une température supérieure à 1028 degrés, ce qui se serait produit environ 10-34 seconde après le big bang. La séparation des forces électrofaibles en ce que nous identifions maintenant comme électromagnétique et faible se produisit à une température beaucoup plus petite, autour de 1015 degrés, ce qui est accessible aux expériences faites au Cern et a été étudié en détail. La brisure de cette symétrie est assez différente du changement de phase qui a conduit plus tôt à l’émergence d’une force forte séparée. La force 143

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« faible » apparaît ainsi parce qu’elle agit à courte distance, sur des distances plus petites que la taille d’un proton, bien loin de la portée infinie de la force électromagnétique. C’est cette courte portée qui fait que ses effets sur de plus longues distances apparaissent si faibles, même si, vue de près, son intensité naturelle se révèle, essentiellement, être la même que celle de la force électromagnétique. Mais pourquoi la portée de cette force est-elle si ténue ? La réponse tient dans la nature de ses transporteurs, les bosons W et Z : alors que le photon est sans masse, les W et Z sont très massifs, presque 100 fois plus lourds que le proton. Ce n’est que quand l’énergie des collisions, ou bien la température de l’Univers, est suffisamment grande au point que l’énergie stockée dans le mc2 de ces bosons devienne peu de chose en comparaison, que l’unité des forces devient manifeste. Ce qui nous amène à l’horizon des recherches actuelles sur la nature du vide, qui a à voir avec la nature de la masse et avec le vide de Higgs. LE VIDE DE HIGGS La force faible apparaît donc telle en raison de sa portée limitée. Comparée à l’échelle de 10-31 mètres à laquelle les forces sont unifiées et où les différents effets du vide quantique deviennent insignifiants, la portée de 10-18 mètres de la force faible est si grande qu’elle passe pour infinie. En termes d’énergie, alors que le photon n’a pas de masse, les porteurs de la force faible, W et Z, ont des masses avoisinant les 100 GeV. Même si cela reste petit en comparaison de l’échelle d’énergie de 1016 GeV à laquelle l’unification des portées se produit, cela pose néanmoins la question de savoir comment les bosons W et Z peuvent avoir une masse alors que les photons et les gluons, auxquels ils semblent alors apparentés, n’en ont pas. La réponse est due, pense-ton, à une propriété du vide qui est à la pointe de la recherche en physique des hautes énergies. La théorie, qui est due à Peter Higgs, se base sur des notions développées en supraconductibilité par Phillip Anderson, et qui 144

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établissent que les photons se comportent comme s’ils devenaient massifs. La supraconductibilité, comme son nom le suggère, est la propriété qu’ont certains solides de perdre toute résistance au passage du courant électrique lorsque leur température est suffisamment basse. Ce changement entre un état relativement isolant et un état supraconducteur est un exemple de changement de phase. Mais il y a autre chose dans la supraconductibilité que cette soudaine liberté qu’ont les électrons de s’écouler ; il y a ce qu’on appelle l’effet Meissner, qui concerne la manière dont les champs magnétiques se comportent dans et autour d’un supraconducteur. Un champ magnétique peut s’infiltrer dans un solide chaud, mais à basse température, lorsque le matériau devient supraconducteur, le champ magnétique en est brusquement expulsé, ne subsistant que sur une mince « peau » à sa surface. À l’intérieur du solide, le champ magnétique ne pénètre que sur une distance très limitée, x ; si l’on se rappelle comment la portée limitée de la force faible est reliée à la masse du porteur W, alors tout se passe comme si la faiblesse de la portée du champ magnétique à l’intérieur du supraconducteur est due au fait que son porteur, le photon, a acquis une masse de l’ordre de ħ/xc. La théorie de ce phénomène est complexe, un livre entier pourrait être écrit là-dessus2 ; mais ce n’est pas mon intention ici. Par analogie, en appliquant cette idée à la force faible, nous demandons que le champ W de masse M ne soit capable de pénétrer dans le vide physique que sur une distance x = ħ /Mc. Dans le jargon de physicien, on dira que le vide physique, tel qu’il est ressenti par la force faible, se comporte comme un supraconducteur. Le phénomène de la supraconductibilité dépend de l’existence de champs de matière dotés de propriétés spéciales. Dans un vrai supraconducteur, l’expulsion du champ magnétique apparaît comme le résultat d’un comportement collectif des électrons dans le matériau, 2. Voir I. Aitchison, Nothing’s Plenty, Contemporary Physics, 26 (1985), 333.

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produisant un phénomène connu comme « courants d’écrantage ». Dans le cas de la force faible, l’analogie demande qu’il y ait une sorte de champ de matière présent dans le vide. C’est profondément différent de ce que nous avons déjà rencontré. Jusqu’ici, nous avons scruté un vide quantique rempli de champs virtuels, des fluctuations autour du zéro qui ne peuvent se matérialiser que si l’on fournit l’énergie nécessaire. Mais maintenant, avec ce « champ de Higgs », nous avons à faire à quelque chose qui a une existence authentique dans le vide : l’espace « vide » sans le champ de Higgs aurait plus d’énergie que lorsque le champ de Higgs est présent. Autrement dit : si on met un champ de Higgs dans le vide, l’énergie globale est diminuée. Ce résultat surprenant est aussi analogue à ce qui se passe dans les aimants, comme nous l’avons vu plus haut. Au-delà d’une température donnée, appelée « température de Curie » Tc, le métal est à son minimum d’énergie lorsqu’il n’est pas magnétique ; pourtant s’il est refroidi en dessous de Tc, il devient un aimant. Ainsi, à une température suffisamment basse, « ajouter » du magnétisme abaisse l’énergie de l’état fondamental, le « vide ». La théorie à l’honneur en physique des particules prescrit que le vide baigne dans le champ de Higgs, qui donne leur masse aux particules fondamentales, non seulement aux bosons W et Z, mais aussi aux électrons, quarks, et aux autres particules. Si c’est bien le cas, alors en l’absence du champ de Higgs les particules ne pourraient être arrêtées et se déplaceraient toutes à la vitesse de la lumière. Mais l’espace est rempli par le champ de Higgs. Au moment où vous lisez ces pages, vous regardez à travers un champ de Higgs : les photons n’interagissent pas avec lui, et se déplacent à la vitesse de la lumière. Le champ de Higgs est vraiment bizarre. Les particules comme les électrons, qui se déplacent dans l’espace à des vitesses inférieures à celle de la lumière, se comportent ainsi parce qu’elles ont une masse, acquise suite à leur interaction avec cet omniprésent champ de Higgs. Pourtant elles continuent à se propager sans résistance : les lois de Newton 146

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s’appliquent, et donc les particules continuent de se déplacer avec une vitesse constante tant qu’aucune force extérieure n’agit sur elles. Un élément de réponse à cette énigme consiste à comprendre que c’est l’énergie d’une particule qui détermine sa vitesse ; du fait que le champ de Higgs produit l’état du vide de plus basse énergie, aucune énergie ne peut être transférée dans un sens ou dans l’autre entre la particule et le champ de Higgs, et donc la particule ne change pas de vitesse. Il n’est pas possible de donner une valeur absolue à une vitesse relative par rapport au champ de Higgs3. De même que la supraconductibilité et le magnétisme sont les états de plus basse énergie lorsque la température est suffisamment basse, le vide baigné par le champ de Higgs n’est l’état de plus basse énergie qu’à des températures suffisamment « basses », basses voulant dire ici 1017 degrés ! Au-dessus de 1017 degrés, la théorie indique que l’état fondamental de l’Univers n’inclut pas le champ de Higgs. Pendant le premier millième de milliardième de seconde après le big bang, l’Univers était plus chaud que cela et ce n’est qu’après cet instant que le champ de Higgs a rempli le vide, donnant leur masse aux particules élémentaires. De la même manière que les ondulations des champs électromagnétiques produisent des paquets quantiques, les photons, le champ de Higgs doit lui aussi se manifester sous forme de bosons de Higgs. Pour reprendre l’image de l’œuf et de la poule, le boson de Higgs ressent lui-même le champ de Higgs partout présent, et a donc une masse. La théorie de Higgs amène à prédire que le boson éponyme a une masse énorme, jusqu’à mille fois celle de l’atome d’hydrogène. L’indétermination quantique entraîne que les bosons de Higgs virtuels doivent fluctuer dans et au-dehors du vide, et les mesures de précision des effets du vide sur le mouvement des particules comme les électrons, ainsi que les propriétés des porteurs de force W et Z suggèrent 3. Dans le jargon scientifique : « le vide de Higgs est un vide relativiste ».

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effectivement qu’il y a bien une influence du boson de Higgs virtuel. Quand on compare toutes les données, il apparaît que le boson de Higgs pourrait être plus léger qu’on ne le pensait au début, peut-être 150 fois la masse de l’atome d’hydrogène. Au Cern, un anneau de 27 kilomètres rempli d’aimants est capable de guider des faisceaux de protons accélérés, qui, lorsqu’ils se percuteront de front, peuvent produire les conditions nécessaires à la production de bosons de Higgs. Cet accélérateur, le Large Hadron Collider ou LHC, a demandé 10 ans de construction et a été achevé en 20074. Les expériences peuvent prendre des mois pour la prise de données et des années pour l’analyse et les corrections. Si le vide est vraiment rempli par un champ de Higgs, nous ne devrions pas tarder à le savoir.

4. Les premiers faisceaux ont circulé à l’automne 2008. Une panne a retardé les premières collisions, produites fin 2009.

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9 Le nouveau vide

LE DÉMARRAGE DE L’UNIVERS Dans l’introduction, nous avons commencé avec cette question « D’où viennent toutes choses? ». Après avoir parcouru 2000 ans d’Histoire des idées, nous sommes arrivés à la réponse contemporaine : « Tout est venu du rien. » La physique moderne suggère la possibilité que l’Univers pourrait avoir émergé du néant. « Il est difficile de trouver une interconnexion aussi étonnante que celle-là entre le « rien » et le « quelque chose » »1, ou plus populairement « L’Univers pourrait être le summum des choses gratuites »2. L’idée principale est que notre Univers pourrait n’être qu’une fantastique fluctuation quantique possédant une énergie « virtuelle » totale si proche de zéro que sa durée

1. Aitchinson, Nothing’s Plenty, 385. 2. A. Guth, cité par S. Hawking, Brief History of Time, Bantam, 1988, éd. française Une brève histoire du temps , Flammarion, 1989 ; pour une description complète, voir V.J. Stenger, « The Universe : The Ultimate Free Lunch », European Journal of Physics, 11(1990), 236.

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de vie en devient gigantesque. Cela est possible parce qu’il y a des énergies positives et négatives dans l’Univers, en raison de l’attraction gravitationnelle dans laquelle tout baigne. Pour illustrer ce point, il sera peut-être plus facile de rappeler d’abord comment, dans le chapitre 2, les forces électriques présentes dans l’atome ont repoussé les envahisseurs. Le noyau atomique, chargé positivement, est entouré d’un champ électrique qui repousse toute autre charge positive, comme les particules alpha. Imaginons une telle particule alpha, très loin du noyau, et qui fonce dessus à grande vitesse. L’énergie totale est alors l’énergie cinétique de la particule alpha3. Plus la particule alpha s’approche du noyau, plus elle ressent la répulsion électrique et est ralentie. Si sa trajectoire est en ligne pour rentrer en collision avec le noyau, elle finira par être complètement arrêtée, puis sera renvoyée sur sa trajectoire originale. Au moment où elle est arrêtée, son énergie cinétique est nulle. L’énergie totale doit être conservée ; on dit que l’énergie cinétique a été échangée contre de l’énergie potentielle. Quand l’intensité d’une force varie comme l’inverse du carré de la distance, comme c’est le cas ici, la grandeur du potentiel varie comme l’inverse de la distance. Ainsi lorsque la distance est grande, comme au début de la trajectoire de notre particule alpha, l’énergie potentielle est proche de zéro. Plus la particule alpha est proche du noyau, plus son énergie potentielle est grande. Celle-ci grandit au fur et à mesure que l’énergie cinétique décroît, jusqu’au point de plus courte approche où la particule est momentanément à l’arrêt, et où l’énergie potentielle est maximale : elle est alors égale à celle de l’énergie cinétique de la particule au départ. Dans cet exemple, toutes les énergies sont positives ; une énergie cinétique positive au départ est transformée en une énergie potentielle 3. Pour simplifier, j’ignore la relativité et le terme mc2 ; les conclusions n’en seront pas affectées

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positive lors de l’approche du noyau. Maintenant supposons qu’au lieu de deux charges positives, nous en ayons une négative, comme lorsqu’un électron éloigné est attiré vers un noyau chargé positivement. Si l’électron distant est initialement au repos, son énergie cinétique vaudra alors zéro et, puisqu’il est loin du noyau, il en sera de même pour son énergie potentielle. La somme des énergies cinétique et potentielle, à ce point, est zéro. Mais comme nous avons à faire à une force attractive, l’électron est attiré vers le noyau, gagne de la vitesse et donc de l’énergie cinétique. Comme le total doit rester à zéro, le fait que l’énergie cinétique s’accroît entraîne que l’énergie potentielle doit être négative, et de plus en plus à mesure que l’électron s’approche du noyau. C’est ainsi que pour une force attractive, l’énergie potentielle peut être négative. Cela sera également vrai pour la gravitation, où les masses exercent une force attractive. Les énergies potentielles de la Terre ou des planètes prisonnières du champ gravitationnel du Soleil sont uniformément négatives. C’est même la somme de leurs énergies potentielles et cinétiques qui est inférieure à zéro, et c’est pour cela qu’elles sont liées au système solaire, piégées dans le champ gravitationnel du Soleil. De la même manière, vous et moi sommes prisonniers du champ gravitationnel de la Terre. Propulsez un objet dans l’espace en lui donnant de l’énergie cinétique et il retombera au sol à moins que vous ne lui donniez une vitesse de départ supérieure à environ 12 kilomètres par seconde, la « vitesse de libération». Ce n’est qu’au-delà de telles vitesses que la somme des énergies potentielle et cinétique devient positive, ce qui permet à un objet d’échapper à l’attraction de la Terre ; cependant vous restez confinés dans le système solaire, avec une énergie totale qui est négative. La force gravitationnelle attractive est présente dans tout le cosmos, et entraîne une énergie potentielle négative pour tout ce qui y est soumis. Il est possible que, même si l’on tient compte de l’énergie mc2 de la matière, l’énergie totale de l’Univers soit proche de zéro. Alors, 151

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en accord avec la théorie quantique, l’Univers pourrait n’être qu’une fantastique fluctuation du vide dont l’énergie totale serait si proche de zéro qu’il pourrait exister pendant un temps très long avant qu’un caissier du vide ne demande que l’équilibre des comptes soit rétabli. Si l’énergie totale est zéro, cela pourrait durer toujours. S’il en est ainsi, qui peut dire que le seul et unique Univers est le nôtre ? Pourquoi ne pas admettre la possibilité qu’il y ait d’autres bulles d’univers en effervescence ? De nombreux théoriciens explorent sérieusement cette possibilité, bien que beaucoup débattent de savoir si une telle proposition ressort du domaine scientifique, c’est-à-dire accessible à l’expérimentation. Alors que l’Univers continue son expansion, l’espace s’étend mais les objets tenus par les forces électromagnétiques, comme les planètes ou les étoiles, ne changent pas de taille ; c’est l’espace qui les sépare qui augmente. Le rayonnement électromagnétique n’a rien qui le retient, aussi sa longueur d’onde s’accroît en même temps que l’Univers. Nous savons par la théorie quantique que la longueur d’onde est inversement corrélée à l’énergie, de sorte que le rayonnement du bruit de fond cosmologique, qui se trouve de nos jours à une température d’à peine 3° au-dessus du zéro absolu, devait avoir été bien plus chaud dans le passé. Il en va de même pour la matière. À mesure que l’Univers s’étend, la matière piégée dans le champ gravitationnel partout présent aura une énergie potentielle grandissante, aux dépens de son énergie cinétique. Ce ralentissement universel est perçu comme une baisse de la température. À partir de l’observation du taux de l’expansion de l’Univers, et de notre connaissance de la température actuelle de son bruit de fond, on peut faire le calcul à rebours et estimer sa température à différentes époques dans le passé. Il devient de plus en plus chaud à mesure que l’on se rapproche de la singularité que constitue l’événement appelé big bang. Les collisions entre particules devaient alors être beaucoup plus violentes, au point qu’à des températures supérieures à 4000° les 152

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atomes ne pouvaient plus subsister ; ils devaient être ionisés, comme ils le sont de nos jours dans la fournaise solaire. Aux températures supérieures à un milliard de degrés, même les noyaux atomiques sont bousculés ; un plasma de particules et de radiations, voilà tout ce qu’il devait exister dans ces premiers instants. Et avant cela, l’énergie était telle qu’elle produisait des particules de matière et d’antimatière. Tous les indices témoignent que notre Univers matériel est sorti du vide d’un rayonnement ardent. Les expériences faites auprès des accélérateurs de particules, comme au Cern, nous montrent comment les particules de matière et les forces se comportent à grande énergie, et donc aux températures extrêmes. Cela nous permet de calculer comment l’Univers se comportait en remontant jusqu’à la température de 1027 degrés, ce qui correspond à 10-33 seconde après le big bang. Comme nous l’avons déjà vu, le vide subit des transitions de phase à différentes températures, dont certaines sont bien établies et d’autres sont encore des constructions théoriques. Une fois refroidi à 1015 degrés, au bout de 10-10 seconde, les forces électromagnétiques et faibles ont pris chacune leur identité séparée ; cela a pu être établi en recréant ces énergies au laboratoire. La théorie prédit qu’un petit peu plus haut en énergie, ce qui correspondrait à 10-12 seconde, le vide en se refroidissant est passé par une transition de phase dans laquelle le champ de Higgs s’est figé et les particules ont acquis leurs masses. Nous voici avec une image de l’Univers brusquement apparu comme une fluctuation quantique du vide, extraordinairement chaude et en expansion rapide. Ce schéma devait avoir produit de formidables quantités de matière et d’antimatière, produites symétriquement, et pourtant on ne trouve aucun indice témoignant que de l’antimatière ait survécu quelque part de nos jours. On pense plutôt qu’il y a eu une asymétrie entre protons et antiprotons. L’origine de ce phénomène est encore un sujet de recherches, il se pourrait qu’on ait là un autre

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exemple de brisure spontanée de symétrie associée à un changement de phase de l’Univers4. INFLATION Il reste des problèmes avec ce scénario, dont l’épineuse question de savoir d’où est venue toute l’énergie thermique. De plus l’expérience des changements de phase en physique de la matière condensée nous apprend que celles-ci ne se produisent jamais sans imperfections. Par exemple, lorsque du métal chauffé se refroidit et devient un aimant, le magnétisme change d’une zone à l’autre, formant des « domaines » d’aimantation différente. Il y a des défauts, des irrégularités partout dans le métal. La même chose a dû se produire un peu partout dans l’Univers lorsqu’il a subi des transitions de phase, produisant des phénomènes tels que des murs d’énergie, des cordes cosmiques, appelons-les comme on voudra. Ce qui est sûr, c’est que l’on n’a pas enregistré d’observation probante de telles bizarreries. Qui plus est, la théorie suggère qu’une telle succession d’événements aurait entraîné une évolution si rapide de l’Univers qu’il n’aurait eu une durée de vie que de quelques dizaines de milliers d’années, au lieu de la dizaine de milliards d’années qu’on lui connaît. Une façon d’expliquer ce paradoxe a été proposée par Alan Guth et Paul Steinhardt5 qui ont proposé que l’Univers n’est qu’un domaine à l’intérieur d’un plus grand « omnivers ». Selon cette théorie, connue sous le nom d’inflation, notre Univers est le résultat d’un fantastique gonflement d’un seul de ces « domaines » microscopiques. À première vue cela semble impossible, car cela nécessite que la matière se répande spontanément, ce qui ne devrait pas se produire lorsque l’attraction universelle est à l’œuvre. Cependant en relativité générale il n’y a pas que l’énergie de masse et 4. F. Close, Antimatter, Oxford University Press, 2009. 5. On trouvera une description vulgarisée de la théorie de l’inflation dans Scientific American, 250 (1984), 116. Voir également J.D. Barrow, The Book of Nothing, (Vintage, 2000), 255 et Aitchison, Nothing’s Plenty.

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la quantité de mouvement qui entrent en jeu, mais aussi la pression, et si celle-ci devient négative, et même prend le dessus sur la matière et l’énergie thermique, il peut en résulter une expansion rapide, une sorte d’effet « anti-gravitationnel ». Ce qu’Alan Guth avait remarqué, c’est que, si le vrai vide contient un champ de Higgs, il y a la possibilité qu’une région de l’Univers ait pu se retrouver dans un vide instable, ou « faux » (le faux vide est l’analogue du crayon en équilibre sur sa pointe, le vrai vide étant assimilé au crayon tombé sur la table). Il faut se rappeler que l’ajout du champ de Higgs au faux vide fera baisser son énergie. Dans le faux vide l’énergie totale est proportionnelle au volume, et il faut donc du travail pour augmenter ce volume. Comme l’énergie de l’état est plus basse dans le vide avec Higgs, la tendance naturelle sera qu’un tel volume se contractera. Et comparé au vrai vide avec Higgs, l’état de faux vide sera un état dans lequel la pression est effectivement négative. Si une fluctuation se produit dans une région de faux vide, l’effet gravitationnel de la pression négative peut surpasser celui de la matière, et il en résulte une expansion. Comme, dans ce scénario, l’Univers passe par une transition d’un faux vide vers le vide avec Higgs, il est alors possible qu’une fantastique inflation puisse se produire dans une période extraordinairement courte. Il y a des exemples, en physique de la matière condensée, de systèmes en surfusion. Cela se produit quand un système reste dans la « mauvaise » phase, comme de l’eau qui reste liquide en dessous de la température normale de gel. Un phénomène similaire pourrait s’être produit avec le vide de l’Univers. Une fluctuation se produit dans le faux vide et évolue ; ce n’est que plus tard que l’Univers fait sa transition vers le vrai vide. On a pu calculer que dans un tel cas une région de l’espace aurait pu doubler de taille toutes les 10-34 seconde !6

6. Aitchinson, Nothing’s Plenty, 388.

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Après la période de l’inflation, la transition vers le vrai vide dégage de l’énergie, comme le dégagement de chaleur latente quand l’eau gèle. Cette énergie produit les particules de matière qui formeront finalement les galaxies, les étoiles et nous-mêmes. L’attraction gravitationnelle apporte une énergie potentielle négative qui la compense, amenant l‘énergie totale tout près de zéro. L’effet de cette inflation est tout à fait surprenant. La taille de notre Univers observable est actuellement de 1026 mètre. Si l’on remonte dans le temps, jusqu’à la température de 1028 degrés qui correspond à la fin de l’inflation, on trouve que notre Univers à son début aurait eu une taille de quelques centimètres. L’ère de l’inflation l’aurait gonflé d’un énorme facteur 1050, ce qui nécessite une fluctuation de la bulle naissante de seulement 10-52 mètre, tout à fait dans les tailles des fluctuations que l’on attend en gravité quantique. Pendant l’inflation, il se produisit une expansion galopante qui se déroula de plus en plus vite. Cela fut si rapide que des objets qui étaient suffisamment proches pour pouvoir échanger de l’information, sous forme de rayonnement par exemple, auraient été projetés dans des régions déconnectées de l’Univers, où ils se retrouvent trop éloignés pour pouvoir échanger de l’information maintenant. Par exemple, il y a des galaxies à quelque 10 milliards d’années-lumière de nous dans des régions opposées du ciel, de sorte qu’elles sont actuellement séparées de plus de 14 milliards d’années-lumière, une distance plus grande que celle que la lumière aurait pu parcourir pendant toute la durées de vie de l’Univers. Et pourtant ces galaxies sont gouvernées par les même lois de la physique, les spectres de leurs éléments étant comme des messages faxés du plus lointain, qui montrent que ces éléments et leurs propriétés sont les mêmes partout dans l’Univers observable. Le bruit de fond du rayonnement baignant l’Univers a une température et une intensité qui sont les mêmes partout, à mieux qu’un dix millième. Prétendre que cette uniformité est le seul fruit du hasard serait pousser la crédulité un peu loin. Tout ce que nous observons dans l’Univers doit 156

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avoir été en connexion causale à un moment ou un autre dans le passé ; sans l’inflation, cela deviendrait un paradoxe. De nombreux mathématiciens travaillent sur la façon de traiter les champs dans la théorie quantique. Une de leurs conclusions est qu’on ne peut se passer de l’inflation, ce qui est une bonne nouvelle car cela permet d’expliquer l’Univers, mais d’un autre côté cela rend la compréhension du phénomène assez problématique. Tout ce que nous pouvons faire à l’heure actuelle, c’est de travailler à remonter dans le temps à partir de ce que nous voyons aujourd’hui, et de calculer à quoi l’inflation devait ressembler, puis de regarder s’il peut y en avoir des conséquences testables. De petites fluctuations de la structure de l’espace-temps à l’époque de la gravité quantique ont joué le rôle d’attracteurs pour agglomérer de la matière, ont grossi et finalement servi de germes pour la formation de galaxies d’étoiles. Si on simule à l’aide d’un ordinateur le comportement de l’Univers, en tenant compte de sa structure et de la gravité actuelles, et que l’on joue le film à l’envers en remontant le temps, on trouve qu’il devait y avoir des fluctuations du vide atteignant des intensités de l’ordre de 1 pour 10 000. Une conséquence intéressante de cette constatation est que ces fluctuations devaient être présentes dans le rayonnement de bruit de fond avant même la formation des galaxies. Ces dernières années, cela a été confirmé de manière spectaculaire par des mesures de précision de ce rayonnement, faites par des satellites : COBE (Cosmic Background Explorer, explorateur du fond cosmique) et WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe, sonde Wilkinson de l’anisotropie en micro-ondes). Ils montrent des variations de la température de ce rayonnement au niveau de 1 pour 10 000. Ils mesurent en particulier ces fluctuations à différentes résolutions, entre des points situés à petits angles ou avec de grands écarts, et montrent un comportement fractal – plus la résolution est fine, plus les détails apparaissent comme une reproduction de l’échelle précédente, de manière répétitive. Ces phénomènes se révèlent en accord avec ce que l’on peut en attendre 157

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Fig 9.1 | Les variations du fond de rayonnement cosmique micro-onde telles qu’elles ont été vues par les satellites COBE et WMAP.

s’ils sont le résultat de l’inflation. Rien de surprenant à ce que le prix Nobel de physique 2006 ait été attribué aux responsables de ces recherches. Ainsi les meilleures observations sont en accord avec la théorie qui veut que notre Univers à grande échelle ait surgi de l’inflation. Si tel est le cas, nous avons là une réponse possible à la question de notre origine. Cette description est en accord avec notre description de 158

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l’Univers basée sur l’observation et l’expérimentation scientifiques. Cela répond à ma question première, mais au prix de nouvelles questions qui soulèvent des points potentiellement plus fondamentaux. L’inflation a suivi la période où la gravité dominait. Nous avons fait allusion aux propriétés bizarres que l’espace-temps aurait eues, avec des fluctuations de sa métrique, et nous avons même vu que le rayonnement de bruit de fond manifeste ce qui se révèle être des restes fossilisés de ces fluctuations. Il n’y a aucune raison de croire que notre Univers inflationaire est, a été, un événement exceptionnel. Il a très bien pu y avoir de nombreux autres univers qui auraient surgi de la même manière, et qui seraient hors de notre perception. Lorsqu’on se retrouve confronté avec la série époustouflante de coïncidences dans la nature des forces, les masses des particules fondamentales, et même dans le fait que notre espace a trois dimensions, mais que les conditions d’apparition de la vie n’auraient presque certainement jamais du s’y produire7, on est bien obligé de se demander pourquoi notre Univers a évolué de manière si appropriée à notre présence. Une façon d’aborder le problème, pour certains scientifiques, est d’admettre l’existence de multiples univers, potentiellement en nombre infini, avec chacun ses propres paramètres et ses dimensions ; l’un d’eux se trouve être adapté à l’apparition de la vie, et c’est dans celui-là que nous avons évolué. Alors bienvenue dans l’omnivers, bien que je reste sceptique sur la possibilité que de telles conjectures puissent être testées dans un cadre scientifique. DIMENSIONS SUPPLÉMENTAIRES Dans le cadre conceptuel d’un Univers quantique, ce que nous appelons espace et temps ont émergé d’une bulle quantique. Il n’y a rien dans nos connaissances scientifiques qui contredise cette vision 7. Il existe de nombreux livres et articles sur le principe anthropique, comme une recherche sur Google le montrera. Une publication récente, qui aborde les idées d’univers multiple, est celle de P. Davies, The Goldilocks Enigma (Allen Lane, 2006).

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des choses, et cela est en parfait accord avec les phénomènes observables de l’Univers. D’un autre point de vue on doit reconnaître qu’il n’y a pas d’accord général sur une description mathématique de cette hypothèse qui arrive à décrire sans ambiguïté l’Univers tel qu’on le perçoit, et il n’y a pas non plus de test expérimental décisif sur ce point. Pour l’heure cela reste une question de croyance, mais au fil des perfectionnements des techniques expérimentales on peut espérer avoir plus de réponses sur ce plan là. Une fois posés ces avertissements, voyons où cela peut nous mener. Une théorie en vogue veut qu’il existe plus de dimensions dans notre Univers que ce que l’on a l’habitude de croire. Dans notre jargon, quelques-unes de ces dimensions sont « repliées» sur elles-mêmes, sur des échelles de dimension si petites qu’elles se trouvent hors d’atteinte de l’expérience, alors que d’autres n’ont pas cessé de se développer depuis le big bang, pour devenir les dimensions familières de grande taille de notre Univers à quatre dimensions. Cela nous amène à nous poser les questions de savoir ce que sont réellement les dimensions, si elles existent en l’absence de « matière », pourquoi trois dimensions de l’espace, et s’il en existe d’autres, comment pouvons-nous les mettre en évidence scientifiquement ? Si vous n’existiez que dans une seule dimension, le méridien de Greenwich par exemple, qui s’étend nord-sud, alors quelqu’un qui partirait vers l’est disparaîtrait de votre monde linéaire. Si nous ne percevions que la surface de la Terre, tout avion décollerait littéralement de notre vue. S’il y avait une quatrième dimension, et si des super-êtres étaient capables de s’y déplacer, alors on les verrait apparaître dans notre monde et disparaître comme des fantômes, chaque fois que leurs trajectoires dans les quatre dimensions croiseraient notre espace à trois dimensions. Tout cela est à la limite de notre monde réel. Aller dans une quatrième dimension et y disparaître peut sembler de la science-fiction, mais il est possible de se

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le représenter : prenons le cas du temps, et de ce genre de sciencefiction si populaire, les voyages dans le temps. Dans quel sens peut-on dire que le temps est une dimension ? Il a certes une extension, puisque l’Histoire enregistre des dates comme des points le long d’une direction. Si un individu de notre espace à trois dimensions était capable de fabriquer une machine à remonter dans le temps lui permettant de se déplacer entre des points dans la direction du temps, en avant ou en arrière à volonté, alors la dimension du temps ne nous semblerait pas très différente des autres dimensions de l’espace. Si nous aussi nous avions cette machine, nous pourrions nous déplacer dans cette quatrième dimension avec elle ; à défaut d’une telle machine, nous sommes toujours bloqués dans le présent, et quand des voyageurs du temps nous quitteraient pour « hier », ils disparaitraient de notre vue. Et inversement, si nous étions au bon endroit de l’espace à trois dimensions mais hier, nous serions les témoins de l’apparition subite de personnes venues de nulle part. Le temps a donc bien les caractéristiques d’une dimension, mais une dimension qui est qualitativement différente de celles de notre espace 3D. Nous existons dans un point dans le temps, le « maintenant » ; et chaque maintenant est un autre maintenant, et les maintenant à venir sont toujours à venir. Il s’agit d’une dimension qui a une limite ; nous pouvons voir dans le passé, en regardant dans l’espace, car la lumière prend du temps pour venir des étoiles lointaines jusqu’à nous. Quand nous regardons la Lune, nous la voyons comme elle était un battement de cœur auparavant ; le Soleil comme il était huit minutes avant ; la lumière des étoiles du ciel nocturne a voyagé dans l’espace intersidéral pendant des milliers d’années ou plus, et nous les voyons comme elles étaient à cette époque. Si quelque créature vivant sur une planète tournant autour de l’une de ces lointaines étoiles scrute son ciel nocturne au moment où vous lisez ces lignes, elle verra notre Soleil comme il était il y a quelques milliers d’années, peut-être même avant

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que les humains ne foulent la Terre. La notion de « maintenant » n’est pas si claire. Nous pourrions regarder au plus profond de l’espace, et du temps donc, vers ce moment que nous appelons le big bang. Si notre Univers d’espace et de temps est apparu à ce moment, alors la dimension du temps ne s’étend pas sur plus de 14 milliards d’années. Nous pouvons nous déplacer vers le futur et regarder dans le passé ; le temps a bien les caractéristiques d’une dimension dans laquelle nous pouvons nous déplacer, mais qui diffère de celles de l’espace 3D. Si nous n’aimons pas l’endroit de l’espace où nous sommes arrivés, nous pouvons retourner d’où nous sommes venus ; dans le temps, cela n’est pas possible. Depuis qu’Edwin Hubble constata que les galaxies s’éloignaient les unes des autres, nous avons la vision d’un Univers en expansion, vestige vieux de 14 milliards d’années d’un événement que nous appelons le big bang. Qu’est-ce qui a causé le big bang, d’où et de quoi il est issu, cela constitue une version moderne des mythes de la création. Nous avons l’avantage, pour tenter de répondre à ces questions, de connaître le monde quantique, ce qui nous donne de nouvelles perspectives, non seulement sur le concept du vide comme milieu, mais aussi sur l’incertitude naturelle liée à l’espace et au temps. Le mieux que nous puissions faire est d’imaginer cette période à l’aune de nos propres expériences. Cela nous dit que lorsque la matière est étroitement liée, elle ressent les effets de la gravitation, qui est régie par la relativité générale et par les lois de la mécanique quantique. Comme nous l’avons vu plus haut, alors que la relativité générale décrit le cosmos dans son ensemble et que la mécanique quantique décrit avec précision les phénomènes à l’échelle subatomique, il reste toujours à construire une théorie mathématiquement cohérente et validée expérimentalement qui combine ces deux grands piliers de la science du vingtième siècle. Pour comprendre à quoi ressemblait l’Univers lors des tout premiers instants du big bang, nous avons besoin d’une telle théorie quantique de la gravitation. En relativité générale, 162

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la courbure de l’espace-temps est reliée à la concentration d’énergie. L’indétermination, ou le flou, sur l’énergie dans l’univers quantique aura pour conséquence une indétermination sur la courbure de l’espace-temps, entraînant des fluctuations des distances, ou plus précisément de la métrique. C’est toute la géométrie qui devient incertaine ; le concept de dimension, et même le nombre de celles-ci deviennent flous au-delà de toute expérience. Les théories les plus prometteuses qui s’attaquent à ces problèmes ne peuvent marcher que si l’Univers a de nombreuses dimensions, peut-être dix, et sont appelés théories des cordes8. On ne sait pas encore si cette simplification de la physique des hautes énergies grâce à de nombreuses dimensions n’est qu’une astuce mathématique destinée à permettre des calculs pertinents, ou si cela ne serait pas une indication sur quelque chose de plus profond concernant la structure même de l’Univers. Toujours est-il que pour relier cet univers à nombreuses dimensions à celui que nous connaissons par nos sens, nous devons admettre que toutes les dimensions de l’espace, excepté les trois connues, sont si petites qu’elles en deviennent imperceptibles. Alors que toutes ces dimensions devaient être d’importances symétriques à l’époque de la gravité quantique, seuls l’espace et le temps tels que nous les connaissons ont subi l’inflation pour former l’univers macroscopique dont nous sommes témoins. On pourra peut-être bientôt répondre de manière scientifique à la question de l’existence de dimensions additionnelles à celles que l’on nomme espace et temps. En plus du haut-bas, de l’avant-arrière, du droite-gauche, il se pourrait qu’il y ait des dimensions du « dedans ». 8. De telles théories sont mathématiquement à la fois très avancées et passionnantes. Voir Brian Greene, The Elegant Universe (Jonathan Cape, 1999 ; traduction française : L’univers élégant, Robert Laffont, 2000). Il est pourtant loin d’être évident de savoir si ce sont d’abord des explorations mathématiques, ou bien la théorie du tout recherchée depuis si longtemps. Pour une discussion critique on peut aussi voir Peter Woit, Not Even Wrong (Jonathan Cape, 2006 ; traduction française : Même pas fausse ! : la physique renvoyée dans ses cordes, Dunod, 2007).

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Alors que jusqu’à une date très récente on pensait que ces dimensions supplémentaires étaient perdues pour toujours dans les limbes quantiques, de nouvelles idées visant à expliquer pourquoi la force gravitationnelle est si faible à l’échelle atomique par rapport aux autres forces ont imaginé que la gravitation s’infiltrait dans des dimensions supplémentaires, lesquelles existeraient à des échelles accessibles aux expériences du nouvel accélérateur du Cern, le LHC (Large Hadron Collider, grand collisionneur de hadrons). Plus haut nous avons donné l’image de l’avion décollant dans la troisième dimension, et disparaissant ainsi de la vue des êtres vivants à plat dans deux dimensions ; de manière analogue, des particules apparaissant en provenance d’une cinquième dimension, ou s’y évanouissant, pourraient être le signal, au LHC, que l’espace est bien, un peu comme le gruyère, parsemé de petites bulles qui sont aux limites de nos possibilités de mesure actuelles. À LA RECHERCHE DU VIDE Le concept de dimensions supplémentaires est peut-être une réalité, ou bien relève de la science-fiction, mais il facilite en tout cas la gymnastique mentale que l’on doit pratiquer pour essayer de résoudre les paradoxes liés à la question de savoir où était l’Univers avant sa création. Notre problème est connecté à notre perception du temps comme une simple dimension linéaire. Si l’on déroulait l’histoire de l’Univers le long d’une ligne verticale, « maintenant » est un point de cette ligne, le futur se trouve au-dessus et le passé dessous, le big bang tout en bas. Mais à cet endroit la ligne s’arrête ; en dessous il n’y a rien. Dans ce panorama temporel linéaire, il n’y avait pas de temps avant le temps. Et c’est là que le concept de vide s’est imposé ; là où seule la poésie peut combler les lacunes de notre incompréhension, aux limites de l’imagination. Pour l’auteur de la Genèse, au commencement était

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« l’obscurité face aux profondeurs » ; dans le Ridgeva l’inconnu est encore plus profond : « des ténèbres recouvraient les ténèbres ». Nous avons évoqué l’image des habitants d’une surface, qui ne sont pas conscients des dimensions hors de la page. Peut-être sommes nous comme eux, ignorants des dimensions autres que celles qui nous sont familières. Nous avons déjà abordé Einstein et son image quadridimensionnelle de l’espace-temps, dont la courbure est reliée à la gravitation. Hawking et Hartle sont allés plus loin, et ont imaginé l’Univers comme la surface à quatre dimensions d’une sphère en cinq dimensions. Je ne suis pas capable de visualiser cela, ni de rendre justice à ces auteurs autrement que mathématiquement. Pourtant, nous pouvons visualiser une version plus simple en nous glissant une fois de plus dans la peau d’êtres qui ne perçoivent qu’un nombre limité de dimensions et dont l’Univers semble être en expansion dans le temps. Cela nous amène à suggérer que l’expansion de notre Univers n’est que le résultat des limites de notre connaissance. Dans le modèle de Hawking-Hartle, il n’y a pas d’expansion, pas de commencement : l’Univers se contente d’exister. Au lieu de notre espace à trois dimensions plus le temps, essayez d’imaginer un univers avec seulement une dimension plus le temps, qui se déroule à partir d’un simple point (le « big bang »), vers un point final (le « big crunch »). Hawking et Hartle ont proposé que le temps ne serait pas un simple écoulement linéaire, mais aurait une autre dimension, qu’ils appellent « temps imaginaire ». Imaginons une représentation où l’Univers n’a qu’une seule dimension d’espace, avec le temps et le temps imaginaire formant la surface d’une sphère. Nous pouvons repérer des points sur ce globe par leur latitude et leur longitude, tout comme nous le faisons pour la surface de la Terre. Dans la représentation de Hawking et Hartle, les lignes de latitude donnent les cordonnées du temps, et la longitude est ce qu’ils appellent le « temps imaginaire ». Le big bang est au pôle Nord et le big crunch au 165

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pôle Sud. Chaque ligne de latitude correspond à un temps donné, par exemple 40 degrés nord correspond à « maintenant ». Examinons maintenant la région du pôle Nord. Plus nous approchons du temps zéro, plus la grille du temps imaginaire devient serrée, tout comme à l’approche du pôle Nord on voit les lignes de longitude converger. Il n’y a rien de singulier au pôle ; le fait que toutes les lignes de longitude y convergent n’est qu’un « accident » dû à notre façon de dessiner la grille. Sur notre globe, on peut imaginer une promenade en arctique et, à part la température, cela n’est pas différent d’une promenade n’importe où à la surface du globe. Nous pourrions tout aussi bien avoir choisi de sillonner le globe de lignes partant de Londres et se rejoignant aux antipodes.

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Fig 9.2 | L’histoire de l’Univers dans un espace avec un temps imaginaire.

Il est possible que le temps imaginaire de Hawking et Hartle ne soit que cela – une création imaginaire. Ou peut-être est-ce une théorie 166

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mathématiquement cohérente qui dépasse l’imagination. C’est là un exemple moderne du problème qui a préoccupé les penseurs depuis trois mille ans : nos cerveaux ont développé une vision du monde basée sur notre perception macroscopique du temps et de l’espace à trois dimensions. Nous décrivons la matière et l’énergie dans le cadre de cette construction mentale. Les paradoxes concernant le « début » de l’Univers surgissent quand nous nous restreignons à cette image mentale. Mais il y a 14 milliards d’années l’espace et le temps étaient tellement distordus et fluctuants que la « réalité » d’alors devait être bien au-delà de nos capacités conceptuelles. Le big bang créa l’espace et le temps. Avant cela (« avant » n’ayant de sens que dans notre représentation mentale familière), il n’y avait pas d’hier. Il est possible d’imaginer que ce que nous appelons le big bang corresponde au sortir de l’univers compact d’une ère de gravité quantique, c’est-à-dire quand le temps prit le dessus sur le temps imaginaire. Les questions sur l’origine de toute chose, sur le comment tout a « commencé », sont alors escamotées ; l’Univers dans cette représentation n’a ni commencement, ni fin : il est simplement. Peuton dire pour autant que nous avons là la réponse à la question de l’âge, que le paradoxe de la création a été résolu ? Je n’en suis pas si sûr ; le temps imaginaire est quelque chose, du moins en ce qui me concerne, d’inimaginable. On peut bien avoir donné un nom à cette question si importante, cela ne veut pas dire qu’on a compris la réponse. Pourquoi l’Univers est, et dans quoi, cela reste une énigme. Si des univers multiples ont surgi de fluctuations quantiques, de sorte que notre bulle a gagné, à la loterie qui nous a attribué des lois, des dimensions et des forces exactement adaptées à notre apparition, cela n’en pose pas moins la question de savoir qui ou quoi a encodé, et où cela a été fait, les lois quantiques qui ont permis tout cela. Anaxagore avait-il raison : l’Univers a-t-il émergé comme un ordre sorti d’un chaos primitif, l’élément premier est-il le vide quantique ? Ou peut-être que la conception de l’univers de Hawking et Hartle, où l’univers n’a 167

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ni début ni fin, il est simplement, est la réponse ; si bien que Thalès, qui affirmait que quelque chose ne peut sortir de rien, a raison. Le paradoxe de la création reste donc un mystère toujours non résolu, en ce qui concerne la nature de l’espace et du temps. Trois mille ans après que les philosophes de la Grèce antique ont contemplé les premiers le mystère de la création, cette apparition de quelque chose à partir de rien, la méthode scientifique a mis à jour des vérités qu’ils n’auraient pu imaginer. Le vide quantique, infiniment profond, rempli de particules, et qui peut prendre différentes formes, et l’hypothèse de la fluctuation quantique sont des concepts absents de leur philosophie. Ils ne savaient pas que de l’énergie positive dans la matière peut être compensée par le réservoir négatif du champ gravitationnel omniprésent, de sorte que l’énergie totale de tout l’Univers peut très bien être nulle ; si on y ajoute l’indétermination quantique, on trouve qu’il se peut très bien que tout soit en fait une fluctuation quantique devant son existence à un emprunt de temps. Le tout peut donc très bien être une fluctuation quantique du rien. Mais si c’est le cas, je me retrouve toujours confronté à l’énigme de savoir en quoi est codé la potentialité quantique dans le vide. Dans la Genèse, un Dieu dit « que la lumière soit », mais pour le Rigveda, les dieux sont des créations de l’imagination humaine, invoqués pour expliquer ce qui se trouve au-delà de toute compréhension : « les Dieux vinrent après… alors qui peut savoir d’où tout est venu ? » À mesure que la science apporte des réponses, elle dégage des questions encore plus profondes, auquel il revient au futur de répondre. En attendant, je vous laisse avec une interprétation poétique tirée du Rigveda : « Ce qui n’existait pas n’était pas ; l’existant non plus Les ténèbres recouvraient les ténèbres Ce qui vint était alors enveloppé par Le Vide. »

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Index

A accélération 54, 59, 60, 62, 76, 81, 89, 111 ADN 7, 44 agitation du point zéro 118 air 8, 16, 17, 25, 31 alpha 36, 37, 38, 43, 150 altimètre 25 ambre 30 Anaxagore 12, 13, 167 Anaximène 11 Anderson 144 antimatière 125, 153 antineutrinos 142 antiprotons 153 antiquarks 142 Apollo 6, 18 Aristote 8, 13, 14, 25, 57, 108 atome 6, 7, 9, 13, 30–38, 42, 43, 53, 88, 102, 103, 108–112, 114–116, 118, 119, 123–125, 129, 131–133, 138, 139, 141, 147, 148, 150, 153 atomistes 13

B big bang 9, 51, 53, 103, 123, 139, 140, 143, 147, 152, 153, 160, 162, 164, 165, 167 Bohr 114, 115, 116 boson de Higgs 147, 148 Boyle 22

C Casimir 121 centrifuge 59, 61, 62 Cern 34, 36, 84, 141, 143, 148, 153, 164 champ 38–44, 46, 47, 65, 112, 157 de Higgs 146, 147, 153, 155 magnétique 36–38, 43, 44, 49, 66– 68, 71, 72, 80, 82, 97, 132, 145 scalaire 39 vectoriel 39, 40 chaos 12 charge 30, 31, 32, 38, 46, 48, 66, 69, 128, 141, 150 COBE 157, 158 conscience 6, 7 conservation de l’énergie 113, 125 cosmique 157

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INDEX

création 7, 9, 12, 51, 52, 53, 124, 162, 164, 167, 168 Crookes 32

D Démocrite 13 Desaguliers 18 Dieu 8, 9, 15, 16, 25, 51, 52 dimension 159–165, 167 Dirac 125–129 distances atomiques 111 Doppler 100

E eau 10–12, 16–18, 21–24, 71, 72, 109, 132, 133, 134, 137, 155, 156 échelle atomique 33, 108, 110, 112, 121, 164 éclair 29, 31 ectoplasmes 32 effet Casimir 121, 122 Einstein 46–48, 54, 58, 59, 60, 63, 66, 69, 74, 77, 79, 80–84, 86, 88–91, 93–101, 103, 104, 107–109, 111, 114, 116, 125, 165 électromagnétique 67 électromagnétisme 72, 98, 107 électron 29–35, 42, 43, 76, 88, 114, 116, 123–125, 127, 128, 132, 134–136, 139–142, 145–147 électron-positon 126 électrostatique 31, 70, 140, 141 Elisabeth 30 émergence 131, 132 Empédocle 11, 12 énergie cinétique 40, 41, 118–120, 133, 150– 152 du point zéro 118–122 potentielle 40, 41, 118–120, 150– 152, 156 sombre 104, 105 -impulsion 98, 102

170

LE VIDE

Épicure 13 équipotentielles 40, 41 espace absolu 58, 59, 61, 63, 72, 79 espace-temps 49, 54, 82, 85–89, 91, 93, 95–102, 113, 124, 136, 157, 159, 163, 165 état fondamental 121, 125, 129, 134, 135, 137, 146, 147 éther 12, 13, 69–77, 79–81, 84, 97 étoile à neutron 100 Euclide 97 Euler 70

F Faraday 53, 65, 67 feu 11, 12 Fitzgerald 75, 76, 77, 79, 84 force 12 de Coriolis 62 Foucault 62 Fourier 117 Franklin 31 Fresnel 71 fusion froide 122

G galaxie 52, 53, 61–63, 103, 104, 156, 157, 162 Galilée 8, 15–18, 110 Gassendi 58 Gedankenexperiment 80, 81, 83 Genèse 51, 164, 168 géodésiques 95, 101, 102 Gilbert 30 gluons 142, 144 Grand nuage de Magellan 63 gravité 6, 14, 40, 41, 44, 45, 47, 56, 62, 63, 88–93, 95–98, 100, 101, 103, 104, 118, 123, 137, 156, 159 quantique 123, 124, 157, 163, 167 Guth 149, 154, 155

INDEX

H Hartle 165, 167 Hawking 149, 165, 167 hélium 133 Héraclite 11 Hertz 68 Higgs 144 Hooke 22, 69 Hubble 53, 104, 162 Hulse 97 hydrogène 32, 33, 42, 88, 114–116, 118, 123, 125, 126, 141, 147, 148 Hymne des Origines 9, 13

I indétermination quantique 112, 118, 147, 168 induction 66 inflation 154–159, 163 ion 125 isobares 39, 40

J Jarre 38

K Kelvin 107

L Lamb shift 123 lambda 104 Le Globe 35 Lenard 33 leptons 139 Leucippe 13 LHC 148, 164 LIGO 103 LISA 103 logique 8, 10, 14, 53 loi du mouvement de Newton 54, 111 loi en inverse du carré 44, 45, 103, 126, 141 lois de Newton 146

lois du mouvement 55, 75 lois du mouvement de Newton 56 longueur d’onde 48, 115, 117, 152 Lorentz 75–77, 79, 82, 84 lumière 44, 48, 49, 67–75, 79, 80–83, 85, 89–92, 95, 99–101, 108, 113–116, 119, 125, 161 Lune 6, 18, 26, 34, 45, 55, 57, 62, 63, 161

M Mach 61 Magdebourg 19, 20 magnétiques 65 Mars 44, 83 Marsden 37 matière 7, 9–13, 30, 33, 34, 36, 42–44, 51, 53, 57, 58, 61, 69, 70, 95, 102, 103, 111, 112, 116, 118, 119, 124, 127, 139, 142, 145, 146, 151–156, 160, 167 Maxwell 53, 67, 68, 71–73, 76, 79–82, 86, 107, 114 mécanique 57, 69, 70, 75, 109 quantique 107, 108, 111, 112, 116, 117, 119, 122–124, 162 Meissner 145 Mendeleïev 124, 139 Mercure 95, 96 métrique 95, 97, 159, 163 Michelson 73–76, 79, 82, 107 micro-ondes 49 Minkowski 86, 87 molécules 42, 47, 109, 110, 111, 118, 119, 131–134, 136, 138 Morley 73–76, 79, 82 muon 84, 85, 86

N neutrinos 142 neutron 34, 35, 36, 142 Newton 16, 18, 40, 45, 46, 49, 53–59, 61, 63, 69–72, 75, 82, 88, 95, 97, 98, 99, 107, 108, 109, 111, 113, 124

171

INDEX

noyau 33, 36, 42, 43, 107, 114, 115, 141, 142, 150, 151, 153 atomique 34, 35

O Olbers 63 onde 47, 48, 49, 65, 67, 69, 71, 74, 112, 115–117, 121, 122 au point zéro 121 électromagnétiques 81 radio 49, 68, 108 Opticks 70 organisation 131–133, 136

P paire 126, 127 Pais 82 paquets d’ondes 113 parallaxe 52 particule 30, 33–38, 43, 44, 55, 58, 70, 84, 109, 112, 113, 116, 118, 119, 121, 122, 125, 126, 128, 129, 131, 133, 139–143, 146, 147, 150, 152, 153, 156, 164 particule fondamentale 11, 30, 146, 159 particules atomiques 111 particules chargées 45 particules nucléaires 139 Pascal 21–23, 25, 26, 27, 44 Paul Dirac 124 Périer 25, 44 phase 129, 131, 133, 134, 136, 143, 145, 154, 155 photon 70, 102, 113, 114, 116, 126, 128, 141, 142, 144, 145, 146, 147 Planck 112, 114, 116, 122 constante 114 positon 124–128, 141, 142 pression 25 pression de l’air 23, 38 principe d’exclusion 124, 125, 128 Principia 107 proton 26, 33, 34, 35, 36, 42, 88, 104,

172

LE VIDE

114, 124, 126, 132, 141, 142, 144, 148, 153 PSR 1913+16 96

Q quanta 114, 116 quarks 34, 35, 128, 139, 142, 146

R radioactivité 52 bêta 139, 142 rayon atomique 126 rayon de l’atome 38, 141 rayonnement cosmique 85, 158 rayons infrarouges 68 rayons X 49, 69 relativité 65, 66, 69, 77, 107, 84, 88 89, 90, 95, 97, 100, 111, 141 générale 47, 88, 89, 91, 99, 100, 102, 123, 154, 162 restreinte 49, 82, 86, 87, 89, 97, 98 repère inertiel 55, 56, 57, 58, 59, 66, 84, 87, 88 résistance de l’air 17 Dawkins 7 Rigveda 9, 13, 168 Royal Society 18 Rutherford 36–38, 43

S Slac 42 Soleil 7, 10, 40, 41, 44–46, 47, 52, 54–56, 59, 62, 63, 73, 75, 88, 89, 91, 95, 96, 99, 100, 139, 151, 161 son 48, 69, 71, 80 Steinhardt 154 stoïciens 69 Stokes 75 Straton 58 supraconductibilité 109, 132, 144, 145, 147 symétrie 79, 134–140, 143, 154 système solaire 9, 95, 99, 103, 151

INDEX

T Taylor 97 température de Curie 146 temps 49, 51–53, 55, 57, 58, 60, 63, 65, 74, 77, 82–88, 91, 95, 97–101, 112– 114, 123, 124, 140, 152, 156, 157, 159, 161–168 temps imaginaire 165–167 Terre 6, 7, 9, 25, 26, 33, 34, 38, 43–48, 52, 55, 56, 57, 59–63, 66, 72–76, 79, 83, 88, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 99, 100, 101, 102, 151, 160, 162, 165 Thalès 10, 11, 168 Théophraste 57 théorème de Pythagore 86, 93, 94, 95 théorie de la lumière de Newton 70 Thomson 29, 32 Torricelli 12, 18, 19, 21–23, 43, 58, 110 transformation de Lorentz-Fitzgerald 77 transitions de phase 109, 143, 153, 154 trou noir 100–103

U ultraviolets 68 Univers 6, 7, 9, 10, 13, 45, 47, 51–53, 57, 63, 71, 89, 102, 103, 104, 123, 124,

129, 136, 138, 139, 140, 143, 144, 147, 149, 150–168

V vent 39, 40 vide de Higgs 144 vitesse 54–57, 59, 60, 63, 66, 72–77, 80– 90, 92, 97, 100, 104, 111, 114, 118, 123, 146, 147, 150, 151 vitesse de la lumière 42, 48, 61, 67, 68, 69, 73, 76, 77, 79, 80–83, 85, 87–89, 97, 98, 102, 123, 140, 146 vitesse de libération 151 Voie lactée 63 voltage 41 von Guericke 19, 20

W W 142, 144–147 William Thomson 107 WMAP 157, 158

Y Young 70, 71

Z Z 142, 144, 146, 147

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