Qu'est-ce que l'autisme ? (Les Topos) (French Edition) 2100711784, 9782100711789


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Table of contents :
Sommaire
Introduction
Chapitre 1 L’autisme : de Kanner à aujourd’hui
I. Définitions actuelles et données générales
II. L'autisme avant l'autisme
III. Le syndrome autistique
IV. Les formes cliniques
V. Autisme de Kanner et syndrome d'Asperger
VI. Transformations et évolutions des descriptions cliniques
VII. L'autisme, pathologie ou différence ?
Chapitre 2 Les hypothèses étiologiques
Chapitre 3 Psychopathologie et physiopathologie de l’autisme : modèles et théories
I. La perspective psychanalytique
II. L'approche des neurosciences cognitives : les théories psychologiques objectives et à base expérimentale
1. L'hypothèse perceptive
2. L'autisme, pathologie de l'empathie ou des « cognitions sociales »
III. Neurobiologie, cerveau et autisme
Chapitre 4 Les pratiques : thérapeutique éducation, pédagogie
I. Approches thérapeutiques
II. Le développement des pratiques éducatives et la controverse traitement/éducation
Conclusion
Bibliographie
Index
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Qu'est-ce que l'autisme ? (Les Topos) (French Edition)
 2100711784, 9782100711789

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Nicolas Georgieff

QU’EST-CE QUE L’AUTISME ?

© Dunod, Paris, 2008

EAN 9782100711789 Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de la propriété intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une contrefaçon réprimée par le Code pénal. • Seules sont autorisées (Art L 122-5) les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, pédagogique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 à L 122-12 du même Code, relative à la reproduction par reprographie. Danger, le photocopillage tue le livre ! Nous rappelons que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Sommaire

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Introduction

Chapitre 1 L’autisme : de Kanner à aujourd’hui I.

Définitions actuelles et données générales

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II. L’autisme avant l’autisme

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III. Le syndrome autistique

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IV. Les formes cliniques

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V.

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Autisme de Kanner et syndrome d’Asperger

VI. Transformations et évolutions des descriptions cliniques

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VII. L’autisme, pathologie ou différence ?

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Chapitre 2 © Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Les hypothèses étiologiques

Chapitre 3 Psychopathologie et physiopathologie de l’autisme : modèles et théories I.

La perspective psychanalytique

II. L’approche des neurosciences cognitives : les théories psychologiques objectives et à base expérimentale 1. L’hypothèse perceptive 2. L’autisme, pathologie de l’empathie ou des « cognitions sociales »

III. Neurobiologie, cerveau et autisme

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QU’EST-CE QUE L’AUTISME ?

Chapitre 4 Les pratiques : thérapeutique éducation, pédagogie I. II.

Approches thérapeutiques 97 Le développement des pratiques éducatives et la controverse traitement/éducation 100

Conclusion

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Bibliographie

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Index

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© Dunod - La photocopie non autorisée est un délit.

Introduction

C’est en 1943 que le psychiatre américain Léo Kanner décrit un syndrome nouveau, qu’il nomme « autisme infantile », caractérisé par « l’incapacité de ces enfants à établir des relations de façon normale avec les personnes et les situations, dès le début de leur vie ». Le terme d’autisme, du grec autos, est un néologisme emprunté à E. Bleuler, qui définit ainsi en 1911 la perte de contact avec la réalité externe, et le repli sur le monde intérieur, des patients schizophrènes. Rappelons que, comme la schizophrénie, l’autisme est un syndrome : un ensemble de particularités comportementales régulièrement observées, dont le regroupement plus ou moins complet caractérise certains sujets. La nature des causes de ces anomalies, comme celle de leurs mécanismes – c’est-à-dire des dysfonctionnements psychologiques et biologiques sous-jacents aux anomalies obser vées – restent hypothétiques. Le regroupement des signes cliniques : les anomalies comportementales du syndrome autistique, n’est donc pas fondé sur l’existence d’un processus pathogénique connu, et explicatif des symptômes qui en seraient la conséquence directe ou indirecte. Il ne s’agit donc pas d’une maladie, mais d’une catégorie dont la valeur est seulement descriptive. En cela l’autisme est exemplaire, au même titre que la schizophrénie, de la démarche de la psychiatrie, qui ne peut s’appuyer pour définir des entités pathologiques que sur des particularités, ou anomalies, observables du comportement ou de l’action. Ces entités s’exposent à un double risque d’arbitraire : l’un, bien connu, tient à la fragilité de la distinction entre le normal et le pathologique ; l’autre à la fragilité des critères distinguant le syndrome ainsi défini d’autres syndromes ou d’autres pathologies. Cette double fragilité constitutionnelle du concept clinique d’autisme s’exprime, on le verra, depuis la découverte de l’autisme jusque dans ses développements actuels. Mais en cela le destin de l’autisme est identique à celui de nombreuses entités nosographiques psychiatriques. Rien d’ailleurs ne permet

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QU’EST-CE QUE L’AUTISME ?

d’exclure que la découverte future de plusieurs processus physiopathologiques distincts, sous-jacents au syndrome autistique, ne conduise à l’éclatement de ce dernier en plusieurs entités pathologiques distinctes : il est probable en effet que l’on regroupe sous le terme d’autisme aujourd’hui des pathologies du développement hétérogènes, mais qui partagent une expression comportementale finale commune. On sait qu’en psychiatrie, ou plutôt en psychopathologie – car c’est de cette démarche que dépend la définition du concept clinique –, le critère du pathologique n’est pas le même qu’en médecine. Il repose le plus souvent pour cette dernière sur le concept de norme appliqué à une fonction, norme elle-même dégagée de la connaissance objective et physiologique de cette fonction. Le critère du pathologique en psychopathologie est différent : c’est ici la perte ou la réduction de la valeur d’une conduite (d’un comportement) qui confère à celle-ci le statut d’anomalie. Or la valeur d’une conduite est ici sa valeur adaptative, qui dépend autant des caractéristiques propres du comportement, dictée par des contraintes biologiques et psychologiques, que du contexte socioculturel qui lui donne son sens, sa pertinence ou son utilité. Ce double déterminisme, endogène et environnemental ou contextuel, de la valeur des conduites humaines explique la controverse infinie qui oppose, sous différents visages selon l’époque, ceux qui veulent réduire le fait clinique psychiatrique à la seule expression d’un désordre biologique, cérébral, ou psychologique (la « maladie mentale » définie d’un point de vue biomédical exclusif), et ceux qui depuis l’antipsychiatrie ne veulent y reconnaître qu’une construction sociale, l’expression d’une violence culturelle ou politique qui déciderait arbitrairement de déclarer pathologique telle ou telle particularité comportementale. Dans un cas la perte ou la réduction de la valeur adaptative tient seulement aux déterminants biologiques et mentaux de la conduite, elle est donc intrinsèque au sujet ; dans l’autre, elle tient seulement au contexte social et culturel. On prévoit les conséquences de cette opposition. Dans le premier cas, c’est le sujet décrété malade qu’il faut transformer pour l’adapter ou le réadapter à l’environnement, selon le modèle de la pathologie et de son traitement. Dans le second cas, c’est l’environnement (le contexte social) qu’il faut adapter au sujet,

INTRODUCTION

selon le modèle du handicap, ou selon le principe de la prise en compte d’une particularité qui ne serait ni pathologie, ni handicap, mais simple différence. Comme on le verra, l’écart par rapport à la norme peut être considéré alors comme l’expression d’une nouvelle norme… Quoi qu’il en soit, chaque point de vue est menacé de dérive réductrice ou utopique, qu’elle soit biomédicale et thérapeutique, psycho-éducative ou réadaptative, sociale ou politique, normative ou éloge de la différence, comme le cas de l’autisme le montrera de manière exemplaire. S’il nous paraît utile d’insister d’abord sur ces prémisses, qui caractérisent d’ailleurs largement la clinique psychiatrique et non l’autisme en particulier, ce n’est pas pour inscrire notre analyse dans une perspective relativiste, mais seulement pour annoncer les débats passés, actuels et à venir qui ne peuvent être compris et dépassés qu’en saisissant leurs motifs structurels et historiques.

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La seconde particularité de l’autisme est de s’exprimer par une altération très précoce du lien humain social, relationnel ou interpersonnel, et donc de provoquer une perturbation sévère des réactions psychiques et émotionnelles chez ceux qui sont amenés à interagir avec l’enfant, en premier lieu ses parents, puis les différents professionnels impliqués. Il est banal d’évoquer le mystère ou l’énigme de l’autisme. Cette formule rend pourtant compte d’une réalité. En altérant la communication entre soi et autrui dès sa forme la plus innée et la plus naturelle, en empêchant les conditions de possibilité du lien interpersonnel ou empathique, donc en affectant le « sens commun » au sens littéral du terme, l’autisme induit chez l’observateur et plus encore l’interlocuteur, parent, professionnel ou quiconque mis en position de care giver (donneur de soins), des effets affectifs et psychiques très particuliers, souvent désorganisateurs. Cet impact de l’autisme dans la vie psychique d’autrui, dès les premiers temps de la vie relationnelle et des interactions entre parents et bébé, a des effets spécifiques qui ont été à l’origine d’erreurs d’interprétations. Leur connaissance ou reconnaissance est indispensable à la compréhension de l’expérience vécue par les proches comme par les professionnels, et aux échanges entre eux. Trouble de l’intersubjectivité dès l’origine, l’autisme peut fasciner parfois les

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QU’EST-CE QUE L’AUTISME ?

chercheurs, cliniciens ou fondamentalistes, parce qu’il semble offrir un regard sur l’origine de la vie psychique et de la relation interpersonnelle, sur la naissance de l’humain. Restons cependant vigilants à la nature imaginaire de cette fascination, qui fait volontiers se rejoindre dans une réflexion métaphysique les interrogations sur l’origine de la vie, la naissance et l’avant de la naissance, et sur son devenir après la mort, au-delà de l’être… Différentes croyances se réclamant de la science, mais nourries en fait par les mythes de l’origine ou de la transmission, se sont ainsi saisies de l’autisme infantile. Soulignons surtout que l’autisme, s’il fascine volontiers ceux qui ont choisi de s’y intéresser ou de s’y consacrer, est à l’origine d’expériences dramatiques pour ceux qui n’ont rien choisi mais s’y trouvent brutalement confrontés dans leur vie. Enfin, rappelons que l’autisme reste un trouble d’origine inconnue, et pour lequel nous ne disposons pas de méthode thérapeutique curative, de quelque nature qu’elle soit, qui permette une amélioration suffisante pour parler de guérison. Cet état de fait suscite des attentes immenses, à la mesure des possibles déceptions, autant qu’il permet des effets d’annonce, de promotion et de mode, et l’émergence régulière de méthodes supposées miraculeuses se réclamant d’arguments prétendument scientifiques. À défaut de connaissances, les croyances et les modes tendent à s’imposer. On ne doit pourtant faire dire ici à la science plus qu’elle ne le peut. Du point de vue scientifique et psychopathologique, l’autisme est malgré ces limites un paradigme d’importance majeure pour la recherche clinique et neuroscientifique : il éclaire les processus encore mal connus qui assurent la relation interindividuelle et ses troubles, qu’on la désigne par les termes de communication, d’intersubjectivité, de mécanismes relationnels ou d’interaction sociale, d’empathie ou de « cognitions sociales »… De notre point de vue, l’autisme est l’expression de particularités des processus inter et copsychiques décrits autant par la psychanalyse, la phénoménologie et la psychopathologie clinique que par les modèles récents des « cognitions sociales » développés par les neurosciences et la neuropsychologie. Trouble du développement, il interroge les origines de la subjectivité et de l’intersubjectivité, et les liens extrêmement complexes qui s’instaurent

INTRODUCTION

entre l’organisation de celles-ci et l’ensemble du développement psychologique et comportemental humain, soumis aux déterminants génétiques autant qu’environnementaux interindividuels, sociaux et culturels.

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Chapitre 1 L’autisme : de Kanner à aujourd’hui

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I. DÉFINITIONS ACTUELLES ET DONNÉES GÉNÉRALES L’autisme est présenté aujourd’hui dans les principales classifications internationales, le DSM-IV nord-américain et la CIM-10 européenne, comme forme la plus typique et caractéristique d’une famille de troubles affectant le développement précoce, dénommée depuis 1980 « troubles envahissants du développement » ou TED, traduction de « Pervasive Developmental Disorders ». Se retrouvent dans cette catégorie large et hétérogène l’autisme typique, l’autisme atypique, d’autres syndromes d’apparition précoce comme le syndrome de Rett (d’origine génétique connue), une vaste catégorie de troubles hétérogènes dits TED « non spécifiés », enfin le syndrome d’Asperger et des formes d’apparition plus tardives dans l’enfance, mais d’évolution proche, dites « troubles désintégratifs ». Un important travail reste à faire, notamment pour affiner la description des TEDNS ou « non spécifiés » qui recouvrent une large partie des pathologies décrites par la pédopsychiatrie française sous le nom de « psychoses infantiles » et de « dysharmonies psychotiques » (R. Misès), ou les Multiplex Developmental Disorders récemment proposés par l’Américain D. Cohen. On peut enfin s’interroger sur le destin des différentes formes de psychoses infantiles distinctes de l’autisme décrites dans la première moitié du XXe siècle, comme les psychoses symbiotiques par exemple, probablement situées aujourd’hui parmi les « TEDNS ». Seule la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) se réfère aujourd’hui au concept clinique de psychose infantile, y incluant l’autisme typique ou atypique, auprès des psychoses

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précoces déficitaires, des dysharmonies psychotiques et de la schizophrénie de l’enfant. Par convention, l’autisme infantile précoce débute pour toutes ces classifications avant 3 ans. L’autisme touche préférentiellement les garçons, avec un sex-ratio de 4 pour une fille, ce ratio variant, semble-t-il, selon l’implication de facteurs génétiques connus et l’importance du retard mental. La prévalence de l’autisme serait aujourd’hui de 1 pour 200, mais à la condition d’étendre le diagnostic à l’ensemble du spectre autistique et des TED. Elle est aujourd’hui estimée de manière plus probable à environ un cas pour 1 000 en ce qui concerne l’autisme proprement dit, dont un quart environ de sujets répondant au critère de syndrome d’Asperger et 6 pour 1 000 pour les TED (Fombonne). Ces chiffres sont dans tous les cas nettement supérieurs à ceux avancés au cours des dernières décennies (plus proches de 1/2 000). Cette évolution est plus probablement due à une augmentation des diagnostics portés qu’à celle de l’incidence de la pathologie elle-même. L’évolution des pratiques diagnostiques et les efforts faits pour promouvoir le diagnostic précoce, et aujourd’hui le diagnostic chez l’adulte, sont responsables à eux seuls d’une nette augmentation de la prévalence connue. L’autre facteur est l’extension de la catégorie nosographique dont les limites ont été repoussées, autant vers les sujets d’intelligence normale que vers les sujets déficitaires.

II. L’AUTISME AVANT L’AUTISME Avant la « découverte » c’est-à-dire la description de l’autisme, les enfants autistes étaient très probablement confondus avec d’autres troubles du développement dans le champ de l’arriération et de l’idiotie (qui, rappelons-le, désigne au sens premier du terme le caractère privé, isolé, et non public, de l’expérience ou de l’action). Contrairement à la schizophrénie, identifiée et décrite sous d’autres noms – la démence précoce notamment – avant Bleuler, il est difficile de trouver trace de l’autisme infantile comme tel avant Kanner. Nous renverrons ici notamment à J. Hochmann, qui a fait œuvre d’historien de l’autisme (2008). Quelques

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cas publiés témoignent de la description d’une clinique proche de l’autisme, dont les enfants abandonnés dits « sauvages », en particulier le cas de Victor de l’Aveyron décrit avec précision par le médecin J. Ittard (1801), qui outre la description du cas rend compte de ses tentatives de « traitement ». Nous verrons qu’il s’agit en fait de cas dus à des carences relationnelles précoces et massives. Certains « idiots savants » décrits au XIXe siècle étaient probablement des autistes doués de ce que l’on appelle des « talents paradoxaux ». On peut rapprocher de l’autisme moderne l’« idiot », figure des œuvres littéraires de cette même époque, et « l’enfant idiot » bien décrit notamment par Édouard Séguin (1846), pionnier de l’éducation spécialisée. Plus tard, les signes de l’autisme sont retrouvés, associés à d’autres expressions de pathologies graves du développement, dans certaines descriptions de la « schizophrénie infantile », première catégorie nosographique regroupant les futures psychoses de l’enfant (L. Bender), succédant à la démence précocissime de Sancte de Sanctis (1906) et au syndrome désintégratif de Heller (1908). L’autonomisation et le développement de la pédopsychiatrie au cours du XXe siècle s’accompagneront de la diffusion du concept d’autisme infantile selon Kanner, prototype des « psychoses infantiles », elles-mêmes largement popularisées au détriment d’une conception de la « schizophrénie infantile » trop directement dérivée de la pathologie de l’adulte. Cette dernière catégorie recouvre aujourd’hui une réalité clinique rare et très différente de l’autisme, restreinte aux authentiques cas de pathologie schizophrénique d’apparition très précoce. Quant aux psychoses infantiles, le terme a disparu des classifications internationales (victime avec celui de névrose de l’effort de dégagement de la nosographie internationale à l’égard des systèmes théoriques) au profit de celui de « trouble envahissant du développement », dont l’autisme malgré cette mutation reste la forme exemplaire. Le concept de « psychoses infantiles » s’est en effet développé sous l’influence du courant psychanalytique qui a joué un rôle majeur dans l’édification de la clinique de la jeune pédopsychiatrie au milieu du XXe siècle. Nous reviendrons plus loin sur la question des rapports entre autisme et psychanalyse et les controverses qui lui sont liées.

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III. LE SYNDROME AUTISTIQUE Pour définir l’autisme aujourd’hui, reportons-nous d’abord à la description fondatrice mais toujours actuelle qu’en donne Léo Kanner en 1943 à partir de l’étude de onze cas d’enfants, caractérisés par un « trouble précoce du contact affectif » d’apparition très précoce, perturbant les relations de l’enfant avec autrui comme avec le monde. Nous distinguerons, pour faciliter l’exposé, trois types principaux de symptômes autistiques. Le premier élément clinique caractéristique et pathognomonique, qui s’est confondu avec la notion même d’autisme, est l’altération relationnelle ou des interactions sociales, anomalie présente d’emblée (contrairement à la rupture de relations préalablement établies qui caractérise la schizophrénie). Il s’exprime par le fait que l’enfant se comporte en toutes circonstances comme s’il était seul (aloneness), ou semble traiter les personnes comme des objets inanimés. Bien sûr cette particularité s’exprimera différemment selon l’âge ; chez l’enfant elle se manifeste par une indifférence à la présence d’autrui, qu’il ne semble pas percevoir, ou auquel il ne semble pas porter d’intérêt ou d’attention. Les troubles de la communication sont donc au premier plan : pauvreté ou absence de communication verbale, et non verbale c’est-à-dire affectant la communication gestuelle et posturale, communication par le regard (qui semble ne pas voir, ou éviter, ou traverser autrui sans le voir), ou par la mimique (indifférente et neutre souvent) et l’expression émotionnelle. Le jeune enfant appréhendera autrui seulement par une partie de son corps (souvent sa main), dans un but d’utilisation, et non comme une entité corporelle et personnelle globale. En fait, la communication sous tous ses aspects est affectée autant du point de vue de l’expression, des signaux adressés à autrui, que de leur réception et des réponses adressées aux signaux d’autrui ; du point de vue de l’appel fait à l’autre autant que de la sensibilité aux manifestations de l’autre. La propriété fondamentale à l’origine de la réciprocité sociale ou interpersonnelle est donc ici altérée. Ceci s’exprime non seulement dans la communication intentionnelle, mais aussi émotionnelle, par les anomalies des comportements témoignant du besoin de consolation autant que de la sollicitude ou de

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l’empathie pour la vie émotionnelle d’autrui. De même l’expression et la compréhension de l’humour, qui reposent sur un accès inné et immédiat aux états mentaux implicites d’autrui et sur une aptitude à s’identifier à lui, sont absents ou atypiques.

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Les particularités du langage dans l’autisme sont multiples car le langage, en tant qu’action ou comportement humain complexe, peut exprimer dans chacune de ses composantes ou dimensions une des caractéristiques de l’autisme : dans la fonction de communication, de réciprocité interpersonnelle et d’intersubjectivité qui lui est inhérente et qu’on désigne comme dimension pragmatique, dans la capacité d’abstraction et le caractère symbolique de la pensée qu’il exprime au plus haut degré, dans l’expression émotionnelle subtile que permettent l’intonation et la prosodie, dans l’intentionnalité véhiculée par les dimensions sémantiques et métaphoriques du discours, dans sa fonction de représentation de soi ou d’identification qui s’exprime dans le repérage des sujets de l’énonciation et de l’énoncé, dans sa nature d’action ou de comportement enfin qui à l’instar de tout autre sera touchée par l’exigence de répétition mécanique ou d’autostimulation calmante (les stéréotypies verbales). Les anomalies du langage dépassent donc de loin la seule question du trouble de communication, et doivent être comprises dans leur spécificité. Le retard de développement du langage, tel qu’il peut être évalué de manière standardisée, est habituel, sauf dans certaines formes cliniques qui correspondent surtout à ce qui a été décrit comme syndrome d’Asperger, ou autisme de « haut niveau » (« High functionning autism ») et qui ne souffrent pas de retard intellectuel. La structure du langage, son contenu, sont le plus souvent appauvris, parfois désorganisés ; le discours contient souvent des néologismes et surtout des stéréotypies (des phrases ou formules répétitives, employées hors de leur contexte), de l’écholalie (répétition en écho de fragments de discours de l’interlocuteur). Le « je », indice de l’identification du « moi » dans l’acte d’énonciation, comme sujet de celle-ci, mais aussi comme sujet de l’énoncé, est longtemps absent, et souvent confondu avec le « tu » ou le « il » qui marquent en revanche la place d’autrui. Le discours est concret, pauvre en métaphores et en expressions symboliques. Surtout,

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l’usage du langage est altéré dans la mesure où il n’est pas employé dans sa fonction de communication avec autrui, conformément aux lois de la pragmatique de la communication, nous y reviendrons. C’est de ce point de vue qu’il faut comprendre certaines anomalies spécifiques de son contenu – en particulier sa pauvreté en images ou métaphores. Comme nous le verrons en effet, le sens mais aussi la structure des actes de langage sont en effet directement dépendants de son usage, de sa visée communicationnelle, de sa valeur d’adresse à autrui et de la prise en compte de la présence d’autrui et de sa vie psychique. Enfin, l’expression émotionnelle dans la prosodie est altérée au même titre que l’ensemble de l’expression émotionnelle : l’intonation est aplanie et répétitive, sans musicalité ou étrange, donnant à la parole un aspect mécanique, robotique. Le défaut d’intérêt pour autrui et pour le champ des interactions sociales se manifestera progressivement dans le comportement de l’enfant, au-delà de l’interaction et de la communication, et tout particulièrement dans le jeu. Dès la seconde année, le jeu de l’enfant implique en effet l’imitation et le faire semblant, fondés sur l’imagination de scénarios sociaux, où l’enfant mime les conduites de l’adulte. Ces jeux d’imitation, de faire semblant et d’imagination sociale, qui mettent les objets au service d’un scénario imaginaire, d’une « histoire » où l’enfant s’imagine lui-même sous différentes identités en train d’interagir avec d’autres, témoignent à la fois d’une capacité d’identification à autrui, et d’une créativité ou inventivité narrative. Ils expriment une fonction « symbolique » qui permet de conférer une signification nouvelle à toute chose ou à tout acte. Ils font défaut à l’enfant autiste, qui préfère les jeux dits fonctionnels fondés sur l’exploitation des propriétés mécaniques des objets : ainsi, faire tourner sans fin les roues d’une petite voiture plutôt que de mettre en scène une histoire impliquant celle-ci dans un scénario imaginaire permettant à l’enfant de s’identifier à telle figure, en relation avec d’autres. Le trouble relationnel donnera lieu, dans l’histoire de l’autisme, à de multiples interprétations. On lui donnera parfois la valeur d’un retrait intentionnel, d’une conduite d’évitement, consciente ou inconsciente ; ou inversement le sens d’un déficit, d’une inaptitude : l’expression d’un pur

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handicap. C’est la classique controverse symptôme/déficit, sur laquelle nous reviendrons. Sans anticiper sur ce qui est de l’ordre des hypothèses explicatives, on constatera seulement que certains enfants donnent le sentiment de prendre en compte ou de reconnaître autrui mais d’éviter ou de contrôler le contact avec lui de manière active (ce qui ne signifie pas intentionnelle ou volontaire). D’autres en revanche semblent dans l’incapacité de simplement percevoir la présence d’autrui, comme s’ils étaient aveugles ou insensibles à celle-ci. La seconde caractéristique clinique de l’autisme est ce que Kanner appelle l’intolérance au changement, qui s’exprime par une exigence de permanence ou de constance de l’environnement ou par un besoin, pour reprendre le terme de Kanner, de sameness (que tout reste identique). L’enfant souffre de tout changement, de toute transformation de son environnement, le plus proche (vêtements, objets familiers…) comme le plus large (lieux, voyages), qu’il s’agisse de l’environnement physique (objets, meubles, décor) ou humain (parents, proches, professionnels…). Il y réagit par des épisodes de souffrance anxieuse, ou par de véritables crises d’agitation ou de violence, souvent dirigée contre luimême (automutilations). La difficulté à supporter les changements de l’environnement se manifeste par des tentatives de contrôle sur le monde et sur autrui. Elles peuvent prendre la forme d’une tyrannie à l’égard de l’entourage, et d’un contrôle maniaque de l’environnement par des comportements répétitifs, les rituels, comparables aux rituels des patients souffrant de troubles obsessionnels compulsifs et ayant la même fonction : rendre l’environnement, sinon permanent, du moins aussi prévisible que possible, malgré ses inévitables changements qui doivent être réduits ici au strict minimum supportable. Comme les stéréotypies verbales et peut-être psychiques, les stéréotypies motrices (mouvements simples répétitifs, bercements, balancements) créent une récurrence perceptive et visent à imposer, dans la réalité des stimulations internes issues du corps, la même permanence qui est imposée aux stimulations venues du monde extérieur. Le comportement du sujet vise ainsi à rendre tout changement prévisible, susceptible d’être anticipé, car contrôlé. Par ces tentatives de contrôle à la fois du monde interne, et du monde physique

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externe comme de la réalité d’autrui, le sujet vise à maintenir autant un monde interne stable qu’un environnement externe tout aussi stable, permanent et prévisible que possible. S’exprime ainsi, sous la forme pathologique d’une lutte active contre ce qui est peut-être ressenti comme une extrême précarité du monde, un besoin humain fondamental de sécurité, qui se manifeste dans différentes dimensions : l’espace physique (la sécurité du territoire), l’espace interpersonnel ou relationnel (la prévisibilité des comportements, attitudes et de la présence d’autrui, du care giver), et le temps (l’anticipation des changements de l’environnement, l’exigence de prévisibilité du monde). On peut supposer que ce processus dépend normalement d’un système de comparaison permanente entre mémoire des expériences passées et perception de l’environnement, d’un « comparateur » dont on postule qu’il est un des mécanismes de base du fonctionnement mental et qu’il a pour fonction à la fois d’anticiper des événements à venir, d’interpréter ou de comprendre les situations nouvelles en regard de l’expérience acquise. Tous les modèles neurocognitifs du fonctionnement mental attribuent un rôle fondamental à un tel comparateur entre mémoire et perception, entre souvenir et réalité actuelle. Le troisième type de symptômes est constitué par les particularités des centres d’intérêt et des comportements spontanés du sujet, définis à la fois comme restreints et stéréotypés. En fait, les intérêts de l’enfant autiste présentent deux caractéristiques étroitement liées. D’abord, ils ne se dirigent pas vers la réalité normalement privilégiée par l’enfant, qui est très tôt la réalité interpersonnelle de l’environnement social ou humain. Autrui est en effet l’objet d’intérêt privilégié de l’enfant dès les premières étapes du développement. De plus, l’absence de cet intérêt pour autrui s’accompagne chez l’enfant autiste d’une focalisation sur des centres d’intérêt spécifiques à la fois par leur nature non sociale ou non humaine (objets, abstractions, phénomènes naturels), et par leur caractère restreint, et fixe ou permanent. Il s’agit par exemple d’un intérêt exclusif pour différents dispositifs mécaniques ou électroniques, pour les phénomènes météorologiques, la temporalité, l’astrophysique, ou pour une thématique précise : époque historique, cartes géographiques, réseaux de transport… ces

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centres d’intérêt restant souvent identiques de l’enfance à l’âge adulte, et au-delà. Dès le plus jeune âge, les particularités de l’intérêt de l’enfant pour la réalité se manifestent par une fascination pour certaines stimulations auditives, visuelles ou tactiles, par un intérêt excessif pour les détails perceptifs. Il existe souvent aussi une hypersensibilité au bruit. Plus tard il jouera en manipulant sans fin les interrupteurs électriques, ou contemplera avec fascination les mouvements rotatoires répétitifs des machines à laver. On retrouve dans ces préoccupations répétitives et permanentes, outre la préférence donnée à la réalité physique sur celle interpersonnelle, l’expression d’une exigence d’immuabilité et de prévisibilité. La permanence et la restriction des centres d’intérêt et de préoccupation qui animent la vie intellectuelle et affective obéissent à la même exigence de répétitivité qui régit le contrôle de l’environnement. Les stéréotypies verbales et motrices, les comportements répétitifs, également : ils maintiennent une permanence comportementale et mentale, qui participe avec la fixité des intérêts intellectuels au maintien d’une homéostasie fondée sur la prévisibilité et donc la répétition. Les centres d’intérêt restreints sont proches des plus rares talents paradoxaux observés chez certains sujets qui développent une hyperspécialisation fondée à la fois sur l’exercice répétitif et quasi exclusif d’une capacité perceptive, d’une fonction intellectuelle ou mnésique, et sur l’élection d’une thématique ou d’un centre d’intérêt privilégié et immuable. Ainsi les hypermnésiques, capables de mémoriser l’annuaire téléphonique d’une ville entière, ou les calculateurs de calendriers, qui en fait mémorisent les dates, ou encore les sujets doués de capacités musicales, visuelles ou graphiques, ou d’une connaissance encyclopédique d’un domaine spécifique… Le plus souvent cependant, le syndrome autistique est associé à un retard intellectuel et de développement, très variable cependant. Peut-on supposer une forme de hiérarchie explicative entre ces trois principales composantes du syndrome autistique ? Ce serait déjà préfigurer une forme de psychopathologie explicative. Nous y reviendrons donc plus tard à propos de la physiopathologie de l’autisme. Ainsi le trouble du contact social est-il le primum movens, dont les autres symptômes seraient les conséquences directes ou indirectes ? On peut

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supposer en effet qu’en l’absence d’un développement normal des intérêts sociaux et interhumains, des cognitions sociales ou des capacités de « théorie de l’esprit », secteur qui dès le plus jeune âge, et dès les interactions précoces, constitue le vecteur principal du développement dans son ensemble, s’organisent des îlots de développement monothématiques, dans des secteurs autres que celui de l’intersubjectivité et des intérêts sociaux. Les neurosciences nous suggèrent que, du point de vue du fonctionnement cérébral, les différents secteurs du développement sont à la fois concurrentiels et mutuellement régulateurs. Du fait de la carence de l’investissement de la réalité sociale ou intersubjective, le développement de fonctions restreintes à certains centres d’intérêt non sociaux, à des fonctions mnésiques ou perceptives isolées, pourrait bénéficier d’investissements dérivés à partir des secteurs développementaux interpersonnels, abandonnés ou dysfonctionnels. Les secteurs bénéficiaires se développeraient alors à l’excès, et de plus sans la régulation normalement exercée par le développement des processus relationnels intersubjectifs sur l’ensemble du développement psychique et comportemental. La clinique exprimerait alors autant les carences ou déficits sociaux propres au processus pathologique, que ses tentatives de compensation spontanées, ou simplement ses conséquences indirectes. Mais on peut aussi bien postuler un déficit premier de la capacité d’anticipation des changements, donc une exigence première et pathologique (car excessive) de permanence ou de prévisibilité. Un tel défaut initial mettrait en effet l’enfant en difficulté surtout dans le champ des interactions sociales (comme c’est le cas dans l’autisme), dans la mesure où le comportement d’autrui, de par sa complexité (l’intentionnalité), du fait de l’autonomie de l’agent et donc des difficultés à exercer sur lui un contrôle, est plus difficilement prévisible que tous les autres changements de l’environnement, et en particulier l’environnement physique non humain. Les troubles sociaux ou relationnels caractéristiques de l’autisme seraient alors la conséquence non spécifique d’un trouble adaptatif plus fondamental et plus général, lui-même lié à une difficulté massive d’anticipation des changements environnementaux quels qu’ils soient.

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Pour d’autres cependant, seraient explicatives de l’ensemble du syndrome les spécificités perceptives de l’autisme. La représentation de la réalité externe semble en effet s’organiser de manière parcellaire, par addition de détails, et non de manière globale par une saisie synthétique de l’objet dans sa totalité, ou de la figure sur le fond (ce qu’U. Frith a nommé « défaut de cohérence centrale », ou ce qui est décrit comme un « trouble de l’intégration perceptive »). De ce point de vue à nouveau, les difficultés relationnelles et communicationnelles seraient des conséquences non spécifiques d’un trouble plus général et plus élémentaire, touchant des niveaux d’analyse moins sophistiqués que ceux de l’intentionnalité et de l’intersubjectivité.

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En fait, on est forcé de constater qu’en l’absence de connaissance du processus physiopathologique en cause, toutes les conjonctures explicatives sont concevables, comme nous le verrons plus loin à propos des hypothèses physiopathologiques. Le syndrome s’accompagne enfin souvent (dans 70 % des cas environ), comme nous l’évoquions, d’un retard mental ou développemental variable et souvent hétérogène (ou « dysharmonieux »). Ainsi le niveau de performance non verbale, qui repose sur les composantes visuo-spatiales de l’intelligence, est-il habituellement supérieur au niveau dit « verbal » dont l’évaluation dépend du langage. Et encore faut-il que l’évaluation du niveau intellectuel, qui dépend d’une volonté de participation et d’une relation interpersonnelle minimale entre l’évaluateur et le sujet évalué, soit réalisable, ce qui n’est pas si fréquent dans les cas d’autisme. La réalité du retard et son évaluation, nous y reviendrons, pose donc problème. Nous sommes confrontés à travers la question du retard intellectuel à deux questions distinctes : la diversité des contextes étiologiques de l’autisme, et le retentissement d’un trouble autistique même isolé sur l’ensemble du développement psychologique et intellectuel de l’enfant. Concernant le premier point, on a longtemps distingué les autismes dits primaires, c’est-à-dire sans contexte pathologique et étiologique connu, des autismes dits secondaires (de 10 à 30 % des cas selon les populations étudiées) qui sont associés à une pathologie connue affectant le dévelop-

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pement du système nerveux central : trouble métabolique, anomalie génétique connue (syndrome du « X fragile » par exemple), maladie de système, lésion cérébrale de nature diverse, infectieuse, inflammatoire, tumorale, ou encore épilepsies… Les cas décrits par Kanner étaient indépendants de toute affection neurologique ou organique connue. Inversement, le diagnostic d’autisme reste très souvent posé en France chez des enfants souffrant d’affection connue du système nerveux, cause de polyhandicap et/ou de retard mental. À nouveau cette hétérogénéité nous confronte au problème de la physiopathologie du syndrome autistique. Il semble qu’un facteur notable de confusion tienne ici au fait que pendant longtemps on ait assimilé les autismes dits « associés » à des autismes de « cause » cérébrale, et les autismes « isolés » à des pathologies indépendantes ou moins dépendantes de dysfonctionnements cérébraux (de même qu’on a pu considérer que seuls les autismes associés à une anomalie génétique connue dépendaient d’un déterminisme génétique). Les uns et les autres impliquent cependant très probablement, dans des contextes étiopathogéniques distincts, les mêmes dysfonctionnements cérébraux et neurocognitifs liés au trouble autistique, mais associés dans le premier cas à des altérations plus étendues et moins spécifiques que dans le second. Une meilleure connaissance des mécanismes cérébraux de l’autisme est nécessaire pour éclairer cette diversité et cette hétérogénéité. D’abord, comme nous le verrons, l’autisme exprime probablement un dysfonctionnement cérébral propre, mais il peut être associé à une grande diversité de contextes pathologiques qui engagent eux-mêmes des dysfonctionnements plus ou moins étendus de zones cérébrales et de systèmes neurocognitifs, parmi lesquels ceux dont le dysfonctionnement est plus spécifiquement lié au syndrome autistique. Ensuite, on peut supposer qu’une affection cérébrale perturbant de manière générale et sévère le développement cérébral et mental dans son ensemble puisse altérer sévèrement le développement des processus sociaux, communicationnels et intersubjectifs, et donc s’accompagner d’un syndrome autistique qui sera ici clairement surajouté. Inversement, l’autisme peut soit apparaître en l’absence de toute autre affection connue du développement cérébral et alors indépendamment d’un trouble plus

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large du développement psychologique ; soit, s’il est isolé mais sévère, entraîner un retard développemental plus général, touchant d’autres secteurs du développement que ceux spécifiquement et primitivement altérés par l’autisme. Le développement des aptitudes sociales et relationnelles joue en effet probablement, dès la naissance, un rôle majeur pour l’ensemble du développement psychologique.

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IV. LES FORMES CLINIQUES L’expression clinique de l’autisme diffère bien sûr d’abord en fonction de l’âge, du nourrisson à l’adulte. Chez le bébé au cours des deux premières années de vie, les troubles de la communication et des interactions se manifestent par des altérations des interactions précoces, qui engagent principalement les échanges non verbaux : de regards, par le tonus musculaire et la posture (l’anticipation d’être pris ou porté et la réponse aux contacts), la communication émotionnelle. Des manifestations non spécifiques (troubles du sommeil, de la vigilance, de l’alimentation, cris et agitations…) prennent une place importante chez le bébé. Le retard développemental domine enfin le tableau clinique au cours des premières années de vie. Le diagnostic précoce, avant deux ans, est un enjeu majeur. Les premières manifestations de troubles de la communication, de la réciprocité et des interactions sociales sont difficiles à repérer, et le dépistage précoce est exposé à un risque élevé d’erreurs. Malgré l’existence de ces précurseurs ou de signes précoces (touchant l’attention conjointe – comportement par lequel l’enfant dirige son attention vers l’objet de l’attention d’autrui, ou inversement invite autrui à diriger son attention vers son propre objet d’attention. Ce comportement révèle la capacité à partager des états mentaux avec autrui, et à les faire partager par autrui, qui est sous-jacente à la réciprocité relationnelle altérée dans l’autisme –, l’imitation et le jeu de faire semblant), c’est donc souvent seulement au moment de l’émergence attendue de la communication linguistique, dans la troisième année ou plus tard encore, que les troubles de la communication et de la réciprocité feront porter le diagnostic. Les avis restent partagés quant au statut des enfants présentant des troubles très précoces, et dont l’évolution s’avère

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variable, parfois positive. Pour certains auteurs, il s’agit d’états pré-autistiques ou à risque d’évolution autistique, dont l’évolution serait ouverte (états pré-autistiques d’évolution indéterminée et potentiellement réversibles). De ce point de vue, qui est partagé par de nombreux professionnels en France, certains états pathologiques précoces avec signes autistiques seraient donc susceptibles d’une évolution favorable, d’une régression du syndrome autistique. D’un second point de vue en revanche, prédominant dans les pays de culture anglo-saxonne, tout syndrome autistique connaît obligatoirement une évolution durable, sans réversibilité possible des troubles, et les enfants voyant leurs signes autistiques régresser souffriraient en fait d’autres pathologies que l’autisme et seules susceptibles de régresser. La controverse tient, comme on le voit dans cette tautologie, à la définition préalablement postulée de l’autisme, selon qu’on le considère comme le résultat final et chronique d’un processus préalable, plus ou moins long, d’évolution variable car non prédéterminé, et possiblement réversible ; ou bien au contraire comme l’expression d’un processus prédéterminé et d’emblée irréversible. En arrière-plan de cette divergence, on retrouve le poids accordé au déterminisme génétique relativement à celui environnemental, mais peut-être surtout une interprétation simplificatrice des relations gènes/environnement. On peut supposer que l’adoption d’une représentation prédéterminée irréversible, plutôt qu’indéterminée et imprévisible, du processus pathologique, reste aujourd’hui, en l’absence de connaissances plus précises, surtout de nature idéologique. L’importance du retard mental est un facteur majeur d’hétérogénéité au sein des troubles autistiques, à tel point que l’on peut parfois se demander si l’on se réfère bien à la même affection, selon que l’on s’intéresse aux sujets dits « haut niveau », ou à ceux dont le QI est inférieur à 70. Si ceux-ci représentent la majorité des cas d’autistes pris en charge par exemple dans les institutions françaises, concentrent les interventions de très nombreux professionnels et correspondent à la majorité des situations connues par les familles, la plupart des travaux de recherche objective et expérimentale menés par les chercheurs en neurosciences et sciences cognitives portent en revanche sur des sujets dits de « haut niveau », d’intelligence subnormale, normale ou même

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élevée (autisme sans déficience intellectuelle ou TEDSDI, Mottron). Certains auteurs questionnent même le lien entre la déficience intellectuelle « vraie » (sans pics d’habileté) et l’autisme primaire, et mettent en question la proportion classique de déficience intellectuelle dans l’autisme (70 %) (Mottron, 2004). Les syndromes autistiques associés à des affections cérébrales entraînant un retard mental seraient alors seulement des autismes secondaires, causés par le retard développemental général, et donc incapables de nous éclairer sur les causes ni les mécanismes de l’autisme proprement dit. C’est pourtant vers les travaux de recherche menés sur des patients d’intelligence normale, et vers les hypothèses issues de ces travaux, que se tournent de nombreux parents dont les enfants souffrent d’autisme associé à un retard développemental. Il en résulte de nombreux malentendus entre ces parents et les professionnels, de même qu’une difficulté de ces professionnels à trouver de l’intérêt et des applications aux recherches expérimentales, neurobiologiques ou cognitives. Le développement de programmes de recherche coopératifs neuropédiatriques et pédopsychiatriques sur le retard mental, et sur l’intrication entre ce dernier et l’autisme, pourrait permettre d’étendre le champ de la recherche sur les mécanismes de l’autisme aux très nombreux cas associés à un retard de développement et aux pathologies neurologiques. Parmi les formes cliniques, il faut évoquer la diversité des formes de début. Il est difficile de définir l’âge réel de début de l’autisme, dont l’évaluation repose le plus souvent sur les témoignages des parents, de manière obligatoirement rétrospective. L’étude des films familiaux permet parfois de porter un regard objectif sur l’apparition des troubles. Différents travaux (Muratori et Maestro) ont contribué à distinguer deux modes de début : le plus souvent dans la première ou seconde année (formes dites de début précoce : early onset autism), plus rarement (20 % des cas) dans la troisième année de vie (late onset autism ou formes à début tardif). Dans ce dernier cas, on observe un effondrement après une période de développement jugé normal. Cette diversité des modes de début soulève plusieurs interrogations. Quand débutent réellement les troubles dans le cas des formes précoces ? Il reste difficile de déterminer si des anomalies comportementales existaient dès la naissance, ou

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seulement après plusieurs mois de vie. Les formes à début tardif reposent-elles sur les mêmes processus que celles de début précoce ? Lorsqu’il est possible de disposer d’éléments d’observation préalables au déclenchement des formes à début tardif, on constate que le développement dit « normal » ne l’était en fait pas réellement, mais qu’il était marqué par de discrètes anomalies touchant notamment la synchronisation entre la marche du développement des compétences sociales et celle des compétences non sociales. L’évolution ultérieure de ces deux formes apparaît en revanche relativement identique. Peut-on supposer que le rôle de l’environnement soit plus marqué dans le déterminisme des formes à début tardif ? Longtemps admise, cette hypothèse est tout à fait discutable car elle s’appuie sur une conception simpliste des rapports entre gènes et environnement. S’il permet de concevoir un effet plus durable de l’environnement, un début tardif n’exclut cependant nullement un déterminisme génétique. Enfin, le progrès des pratiques diagnostiques et le travail d’information effectués ces dernières années par les professionnels comme par les associations de familles nous confrontent de plus en plus souvent à la question de l’autisme de l’adulte, non diagnostiqué ou confondu avec d’autres pathologies. Les transformations de la clinique de l’autisme avec l’âge sont encore mal connues. L’adolescence en particulier induit d’importants changements, liés à l’accès à la maturité et aux intérêts sexuels, à la confrontation croissante à l’intégration dans différents groupes sociaux, et aux désirs d’autonomie à l’égard de la famille. Peuvent apparaître parfois à cette période chez le jeune adulte des symptômes de la lignée schizophrénique, hallucinations et délire. Les changements de l’autisme à l’âge adulte posent ainsi le problème classique des liens entre autisme et schizophrénie, deux paradigmes de pathologie étroitement liés au développement cérébral et psychologique, qui apparaissent à deux périodes critiques du développement, l’une très précoce, l’autre plus tardive ; deux troubles perturbant également profondément la conscience de soi, la représentation d’autrui, les interactions sociales et la relation avec la réalité – ce dont rend compte le concept de psychose dont elles sont les deux principaux représentants. Si la distinction entre autisme et schizophrénie

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(surtout infantile) a été nécessaire historiquement pour fonder la clinique de l’enfant, c’était pour Kanner déjà sur la base cependant d’une analogie : dans un cas le trouble du contact interpersonnel était tardif, et venait altérer des capacités d’interaction sociale ou de contact acquises ; dans l’autre il était inné, précoce, et empêchait la mise en place de ces capacités. Le terme d’autisme reste commun aux deux pathologies qui de ce point de vue, nous y reviendrons, constituent deux formes exemplaires de pathologies de la relation ou de l’empathie.

V. AUTISME DE KANNER ET SYNDROME D’ASPERGER

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Ignorant vraisemblablement mutuellement leur existence lorsqu’ils écrivent chacun leur texte fondateur la même année, Hans Asperger et Léo Kanner semblent avoir décrit les mêmes enfants, à quelques nuances près certes, mais en insistant sur les mêmes principales caractéristiques. La publication d’Asperger, psychiatre autrichien exerçant à Vienne (Les Psychopathies autistiques pendant l’enfance), datée de 1944 et en langue allemande, a été redécouverte et diffusée internationalement récemment, notamment par L. Wing en 1981, avec pour conséquence un effet de nouveauté en faveur du « syndrome d’Asperger » supposé distinct de celui de Kanner, puisqu’introduit plus tardivement. Asperger décrit des sujets au niveau de développement intellectuel normal, voire supérieur, dont le langage s’est développé normalement (principaux points de distinction avec les sujets de Kanner). Certains ont connu même un développement précoce du langage, facile et élaboré, notamment du point de vue syntaxique. Ils présentent également fréquemment une maladresse motrice qui gêne les activités sportives (vélo, jeux de balle…). Du fait de leur niveau intellectuel et de langage, les anomalies caractéristiques de la communication et de la relation à autrui de ces sujets contrastent avec le reste de leurs aptitudes. Contrairement aux sujets de Kanner, ils sont globalement aptes à entrer en relation avec autrui et à prendre autrui en compte, mais la manière dont ils le font, profon-

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dément maladroite et originale, crée une bizarrerie caractéristique. Asperger évoque enfin de manière très générale une hypothèse étiologique référée, pour des raisons historiques, à la psychiatrie organiciste de son époque, comme le fera plus tardivement Kanner, après avoir proposé auparavant une hypothèse environnementale. En dehors de ces particularités (sujets intelligents, bon niveau de langage, anomalies motrices) les descriptions d’Asperger et Kanner se rejoignent cependant de manière frappante sur tous les principaux éléments cliniques du syndrome autistique. L’analyse par Asperger des particularités relationnelles (de la communication verbale et non verbale) ou des troubles de la « sensibilité », c’est-à-dire de l’empathie, de ses patients est aussi précise que celle de Kanner. Comme ce dernier et pour les mêmes raisons, il recourt au terme d’autisme emprunté à Bleuler et, comme lui, il voit dans ces anomalies stables et durables des interactions sociales le trouble principal de la « psychopathie autistique ». Il souligne comme Kanner que ces sujets semblent traiter les personnes « comme des objets ». Doit-on donc distinguer aujourd’hui l’autisme dit de haut niveau et le syndrome d’Asperger, ou bien considérer que le syndrome d’Asperger correspond à une forme particulière d’autisme parmi ceux dits de « haut niveau » ? La question reste sujette à controverse, d’autant que de nombreux travaux scientifiques et de livres sont consacrés au syndrome d’Asperger et contribuent à en faire une entité clinique spécifique. Mais, le terme de syndrome d’Asperger, tout comme celui d’autisme, n’a, rappelons-le, qu’une valeur descriptive, il ne définit pas un processus causal ni même un mécanisme spécifique – lesquels restent inconnus ici comme dans l’autisme. Compte tenu de la proximité des descriptions de Kanner et d’Asperger, on peut s’interroger sur le mouvement qui a conduit à distinguer le syndrome d’Asperger de l’autisme, alors qu’Asperger se réfère au même terme que Kanner pour nommer ce qu’il décrit : les « psychopathies autistiques ». Le terme d’autisme ou de syndrome autistique aurait donc dû logiquement s’imposer. D’un point de vue historique, le débat est en partie de nature nominaliste. L’autisme infantile n’est pas défini aujourd’hui comme « syndrome de Kanner », mais ce pourrait être le cas. Le terme d’autisme

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infantile, tel que Kanner l’avait forgé, a été préféré, parfois associé au nom de son découvreur (l’expression « autisme de Kanner », parfois utilisée, correspond aux formes les plus proches de la description originale). Inversement la dénomination « syndrome d’Asperger » s’est imposée au lieu de la dénomination « psychopathie autistique » proposée par Asperger lui-même, laquelle aurait pu être facilement traduite par trouble ou pathologie autistique, et se confondre ainsi avec l’autisme. La question de la distinction entre les deux syndromes ne se poserait alors simplement pas, et l’on considérerait que deux auteurs ont repéré la même réalité clinique, à quelques nuances près, le niveau linguistique en particulier. Or, tel semble bien être le cas en effet, lorsqu’on lit attentivement les deux descriptions et qu’on les confronte point par point. L’une comme l’autre prennent pour objet les mêmes anomalies caractéristiques de la communication et de la vie de relation, décrites de manière très proche, ainsi que les particularités des centres d’intérêt, du comportement et de la personnalité.

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La question se pose donc de savoir si les nuances entre les deux descriptions tiennent aux objets décrits, ou surtout à une différence entre les regards portés sur eux par Kanner et Asperger. Sans doute les modalités de recrutement propres à la pratique institutionnelle d’Asperger, différente de celle de consultation ponctuelle de Kanner, expliquent-elles en partie les légères différences entre la population décrite par Asperger et celle de Kanner. Mais ce sont les regards et les styles des auteurs qui diffèrent le plus nettement. Kanner décrit ces enfants dans le cadre d’une pratique de consultation ponctuelle à la demande des familles, et selon un modèle théorique dont la référence est clairement médicale. Asperger les décrit à partir d’une pratique différente, de nature institutionnelle, ce qui lui permet à la fois d’observer les enfants sur de longues périodes, et de les voir interagir avec leur environnement, éducateurs et pairs, dans l’institution. Et, bien qu’il s’appuie également sur une approche médicale et psychiatrique, ses références sont différentes, à la fois psychopédagogiques (Asperger a travaillé au développement de ce qu’il appelle la « pédagogie curative »), et psychopathologiques. Il se réfère de ce dernier point de vue à K. Schneider et à P. Schröder. Asperger s’intéresse autant

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à la description clinique des sujets qu’aux possibilités de traitement et d’intégration sociale qui leur sont offertes dans son institution. Il en résulte une différence de perspective sur l’objet décrit. Kanner le définit selon un modèle « pathologique » très classique, comme un nouveau syndrome, insistant sur ce qui distingue ces enfants des autres, postulant un trouble précoce spécifique du développement. La description d’Asperger est en revanche plus proche de celle d’un trouble de la personnalité, qui se réfère moins à une opposition entre normal et pathologique, et plus au principe d’une variation de tendances par rapport à la normale, selon une perspective que l’on dirait aujourd’hui dimensionnelle en psychopathologie. Il n’est donc pas étonnant que l’entité « syndrome d’Asperger » connaisse une large diffusion publique, qui traduit la tendance actuelle à comprendre l’autisme sans déficience intellectuelle selon un modèle dimensionnel plutôt que catégoriel, c’est-à-dire comme un spectre incluant des formes frontières ou même subcliniques, supposant un continuum entre les formes les plus typiques et la normalité.

VI. TRANSFORMATIONS ET ÉVOLUTIONS DES DESCRIPTIONS CLINIQUES Les regards sur l’autisme changent selon les époques et les courants théoriques dominants, qui éclairent chaque fois différemment cette constellation complexe et originale. Du point de vue strictement descriptif (et non explicatif sur lequel nous reviendrons), les premiers psychanalystes apporteront une importante contribution à la description des processus de pensée et de représentation, et de la vie émotionnelle de ces enfants. Leur lecture insistera sur les particularités d’une pensée parfois aussi mécanisée et répétitive que le comportement, sur les anomalies des capacités symboliques et métaphoriques qui assurent normalement le jeu créatif de la pensée. Il reste de leur contribution une clinique de la pensée et de l’émotion, une clinique de l’activité mentale dans l’autisme. Même si elle peut être critiquée et révisée, elle propose une modélisation et une description des particularités des processus de pensée et des réactions

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émotionnelles, certes spéculatives mais inférées d’échange interpersonnel.

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Inversement, la nosographie nord-américaine (DSM) actuelle se réduit délibérément, par souci d’objectivité et de concordance entre observateurs, à une clinique du comportement observable et des anomalies objectives de la communication et du langage. Fidèle à la description de Kanner, elle a réorganisé la sémiologie de l’autisme autour de trois pôles : les troubles de la communication et de la réciprocité, les troubles du langage, enfin les centres d’intérêt restreints et stéréotypés (L. Wing). Rien ne témoigne cependant, dans cette sémiologie moderne, des particularités des processus mentaux décrits, parfois avec trop d’extrapolations, par les cliniciens psychopathologues du XXe siècle, et jugées pourtant caractéristiques de l’autisme. Comme on le verra, ce sont les sciences cognitives et la neuropsychologie qui réintroduisent aujourd’hui dans la psychiatrie moderne, après la psychanalyse, cette « clinique mentale », en éclairant à leur tour, après la psychanalyse et par d’autres voies, la dimension intrapsychique, et non seulement comportementale extériorisée, de l’autisme. En revanche, la dimension émotionnelle et affective largement développée par les psychopathologues psychanalystes reste seulement ébauchée par les neurosciences dites « affectives » et les neurosciences sociales et que nous aborderons plus loin. Pourquoi cette transformation des regards et des modèles ? La question est en partie de nature méthodologique : l’accès à la clinique intrapsychique repose sur la relation interpersonnelle entre le clinicien et le sujet, l’écoute du sujet, c’est-à-dire sur ce que l’on appelle en psychopathologie la méthode clinique. Celle-ci implique pleinement la subjectivité de l’observateur. La description du comportement privilégiée par les nosographies internationales récentes repose certes elle aussi inévitablement sur la subjectivité de l’observateur, mais d’une manière telle que l’originalité de cette subjectivité est gommée, que sa participation à la construction de l’observation est réduite. L’objectif visé par la démarche est en effet d’uniformiser les regards des cliniciens, de faciliter un consensus entre observateurs quels qu’ils soient. La description objective du seul comportement visible se prête évidemment plus facilement à cette standardisation de l’observation que l’évaluation subjective

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du fonctionnement psychique, qui reste en revanche invisible et doit être inféré ou reconstruit. En fait, les deux méthodes sont complémentaires, et ne répondent pas aux mêmes objectifs. L’une vise à permettre de s’entendre sur des critères de diagnostic simples et applicables internationalement pour définir un syndrome, l’autre à affiner la description et la compréhension d’un cas, d’un individu. L’une s’inscrit dans une pratique exclusivement diagnostique, une rencontre unique avec le sujet, l’autre s’inscrit dans une pratique clinique interpersonnelle de plus longue durée. Sans doute l’avenir permettra-t-il de reconnaître cette complémentarité des démarches et donnera-t-il à nouveau sa place à chacune.

VII. L’AUTISME, PATHOLOGIE OU DIFFÉRENCE ? L’évolution du concept d’autisme, progressivement conçu par certains auteurs comme un spectre, c’est-à-dire comme une variable distribuée dans la population générale plutôt que comme une catégorie aux frontières clairement définies, nous conduit à la question critique des relations entre le normal et le pathologique, posée par l’autisme sans retard intellectuel. Reprenant notamment l’argumentation de M. Dawson, auteur de travaux sur l’autisme et elle-même diagnostiquée « autiste », et de différentes associations de sujets présentant un syndrome d’Asperger, le chercheur et clinicien L. Mottron n’hésite pas dans son dernier ouvrage (2005) à proposer de concevoir l’autisme dit de « haut niveau » non plus comme une pathologie, mais comme une différence, une variante du fonctionnement mental qui ne saurait être réduite à une altération ou limitation de la norme. Cette perspective s’appuie d’abord sur le rejet de la conception selon laquelle l’autisme est l’expression d’un déficit et devrait être assimilé à un handicap. L. Mottron s’appuie ici sur les recherches expérimentales, dont les siennes propres qui font référence dans ce domaine, et qui montrent la coexistence dans l’autisme de difficultés sociales caractéristiques (défaut de « théorie de l’esprit » et d’analyse des émotions d’autrui) et de compétences souvent supérieures à la normale dans les registres mnésique, perceptif, ou l’intelligence logique (les « pics d’habileté »). De ce point de vue, les difficultés sociales seraient en quelque

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sorte le prix à payer pour disposer de compétences particulières supérieures à la norme. Inversement, si les sujets considérés comme « normaux » disposent de compétences sociales élevées, c’est au prix d’une compétence plus réduite dans les domaines où les autistes excellent. Les personnes non autistes (dites « normotypiques ») privilégient en effet dans leur appréhension du monde un processus de traitement de l’information associatif et visant à la généralisation, à la synthèse et à l’extraction de la figure sur le fond, au dépend d’une exploitation de cette information elle-même dans son détail et sa complexité, alors que le sujet autiste privilégie inversement l’exploitation détaillée, le traitement local. Ce fonctionnement serait lui-même lié, nous le verrons plus loin, à des particularités de la connectivité cérébrale, favorisant le fonctionnement cérébral local, et réduisant les processus associatifs et la synchronisation entre l’activité des aires cérébrales éloignées. Aux difficultés autistiques observées dans le champ de l’appréhension de l’intentionnalité et des interactions sociales, qui impliquent un haut degré d’intégration des traitements perceptifs mais une négligence du détail et des composantes perceptives élémentaires, répondent donc les difficultés en miroir des sujets non autistes dans le champ perceptif, logique ou dans l’analyse du détail, qui dépendent d’un traitement « local » de l’information. Au nom de quoi alors, sinon de la loi du nombre, juger les uns normaux, et les autres anormaux ? Si l’« intelligence » autistique est moins associative que l’intelligence ordinaire, elle n’en serait donc pas moins performante – tout dépend du domaine d’application choisi. L’autisme serait le prototype d’une variante de l’humain, distribuée de manière ellemême variable dans la population générale selon le principe du spectre autistique, et pour laquelle les difficultés sociales seraient la conséquence d’une compétence accrue dans les domaines non sociaux. Ce point de vue qui pourrait être jugé polémique a l’intérêt de soulever deux problèmes cruciaux : celui épistémologique de la définition du fait psychopathologique, donc des définitions intimement liées du pathologique et de la norme ; et celui plus concret de la réponse médicale, éducative, ou sociale, qui doit ou peut être apportée à l’autisme.

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L’analyse de la position défendue par L. Mottron sera ici nuancée. On conviendra tout d’abord avec l’auteur que le psychopathologique n’est pas réductible en effet au déficit, c’est-à-dire à l’absence d’une compétence ou d’un comportement ordinairement constaté chez l’humain. De ce point de vue, la position de L. Mottron rejoint la nôtre, que nous qualifions plus loin de « fonctionnelle », et que nous opposons comme lui à celle qui identifie l’autisme à un pur déficit, pour laquelle le déficit clinique est expliqué par un déficit cognitif, lui-même expliqué par un déficit biologique. Le fait psychopathologique n’est pas défini seulement par la réduction, l’appauvrissement, l’impossibilité ou l’échec d’une fonction, en négatif du normal : il se définit aussi par l’ajout, ou le développement accru, de certains comportements ou modes de pensée particuliers (les signes dits « positifs ») qui sont éventuellement sources d’avantages, et par l’usage de processus de compensation à visée adaptative. Il ne se définit pas quantitativement, comme perte de compétence, mais qualitativement, par une différence dans les compétences et donc la nature même des performances. L’hallucination et le délire, comme les modes de fonctionnement mental propres à certaines pathologies (obsessionnelle, anxieuse) en sont des exemples. Le modèle du déficit psychologique et comportemental, « importé » de la neuropsychologie qui étudie les conséquences de destructions cérébrales acquises, ne peut être appliqué sans nuances à la psychopathologie et à la psychiatrie (Georgieff, 2007). Notons que nous retrouvons ici le principe de la démarche de Freud, au temps initial de la transition entre une première référence neurologique et la découverte de la théorie psychanalytique. Le modèle fonctionnel de la production du symptôme psychique permet à Freud de considérer les faits psychopathologiques (les actes manqués, le rêve, et surtout ensuite les symptômes névrotiques et psychotiques) non plus comme des ratés du comportement, sans logique fonctionnelle ni intentionnalité (selon le modèle du déficit prévalent alors en neurologie), mais au contraire comme des actions à part entière, des modes d’action originaux – des anomalies ou particularités de la conduite. C’est l’intérêt du terme de symptôme, qui conçoit les états pathologiques comme des organisations

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psychologiques et comportementales aussi complexes que les organisations ordinaires, et qui en effet apparaissent d’abord différentes de ces organisations ordinaires, et non déficitaires par rapport à celles-ci. C’est le cas de l’organisation obsessionnelle, phobique, ou psychotique. La position qui consiste à récuser, avec L. Mottron, une lecture déficitaire de l’autisme n’exclut donc pas d’appliquer à l’autisme une lecture psychopathologique, puisqu’au contraire elle fonde la psychopathologie fonctionnelle. Mais elle exclut en effet de souscrire à une psychopathologie simplificatrice du déficit qui réduirait le comportement ou la conduite pathologique à la seule expression d’un déficit ou d’un manque. La définition du fait psychopathologique exige bien, en effet, de redéfinir le critère ordinaire du pathologique, tel qu’il est appliqué en médecine et en physiologie. Et en effet, pour une psychopathologie fonctionnelle, qu’elle soit à fondement psychanalytique ou cognitif, tout fait psychopathologique est une « différence », qui ne peut être définie seulement par défaut par rapport à la norme : c’est bien le sens du terme d’« anomalie » que l’on préférera avec Canghilem à celui d’« anormalité », pour définir le fait psychopathologique comme une anomalie de la conduite (Widlöcher, 1992). La question se pose donc bien en effet de savoir selon quels critères juger que certains modes particuliers d’action, certains types originaux de comportement, relèvent du champ psychopathologique. S’agit-il seulement d’un jugement arbitraire et abusif, comme le proposent ces auteurs ? Ici encore la réponse doit être nuancée. Retenons d’abord qu’ils ont raison de souligner que la définition du psychopathologique est en effet toujours relative, et qu’elle dépend du contexte socioculturel et donc historique. C’est en effet, nous l’avons vu, la valeur adaptative de la conduite qui constitue ici le critère fondamental, plutôt que l’écart par rapport à la norme statistique. Et cette valeur adaptative dépend par essence non seulement des logiques intrinsèques, biologiques et psychologiques, qui organisent le comportement en question, mais tout autant du contexte dans lequel ce comportement s’accomplit. Il en découle une définition nécessairement « fonctionnelle » et relative, parfois historique, des conduites pathologiques. Le critère du pathologique est finalement ici la difficulté du

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sujet à s’adapter à l’environnement qui s’impose à lui, et la souffrance qui peut en résulter. Il est donc pour une part relatif et variable d’un cas à l’autre : selon le contexte, une même organisation psychique et comportementale donnée connaîtra des destins différents – à l’exception de celles qui dans tous les cas empêcheront l’adaptation, comme la dépression majeure ou les états psychotiques qui perturbent sévèrement la relation avec l’environnement (la réalité) ou le contexte, quels qu’ils soient. Mais tel n’est pas nécessairement le cas en effet pour certaines formes d’autisme de haut niveau, pas plus d’ailleurs que pour les sujets présentant des troubles obsessionnels ou phobiques, ou des troubles de la personnalité susceptibles de s’adapter très efficacement à un environnement donné, voire d’y apporter des avantages à l’individu. De ce point de vue, le problème n’est donc pas spécifique de l’autisme de haut niveau. Toute la difficulté tient donc ici à l’analyse des deux facteurs qui, ensemble et conjointement, produisent une difficulté adaptative : d’une part les logiques biologiques, cognitives et psychologiques qui déterminent les caractéristiques propres d’une certaine organisation psychologique et comportementale, et d’autre part les contraintes environnementales, du milieu familial jusqu’au contexte social et culturel. La prise en compte conjointe de ces deux facteurs a régulièrement posé problème dans l’histoire de la psychopathologie. Par certains aspects, la position qui identifie autisme et simple « différence » rejoint celle de l’antipsychiatrie du XXe siècle, qui ne retenait comme source de la difficulté adaptative et de la souffrance de l’individu psychotique que la contrainte sociale, et déniait toute composante propre au fonctionnement psychique du sujet, jusqu’à voir dans le contexte social la cause exclusive de la pathologie. Il n’y a plus alors de pathologie, mais seulement derrière ce mot une construction qui est le produit de l’organisation sociale, une conséquence de la violence sociale, elle-même légitimée par le discours psychiatrique. Le concept de pathologie psychiatrique serait une invention destinée à justifier cette violence. La psychiatrie serait, avec la science médicale, un pouvoir au service de l’ordre social. De manière radicalement inverse de cette vision sociopolitique, une psychiatrie se réclamant d’une identité médicale pure

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tendait à la même époque à nier la part des facteurs environnementaux et sociaux impliqués dans la genèse de la psychopathologie, pour ne retenir que les facteurs causaux endogènes biologiques et cérébraux, selon le modèle biomédical de la « maladie mentale ». Il aura fallu plus d’une décennie pour sortir de cette impasse et être en mesure d’intégrer les différents niveaux de causes et d’organisation qui, du gène à l’environnement (interpersonnel précoce comme socioculturel), interagissent pour déterminer à la fois une organisation psychologique et son degré d’adaptation au monde, et donc son statut psychopathologique éventuel, et il serait dommage de revenir en arrière. On voit ici les dangers, pour la pratique notamment, d’une approche idéologique du problème posé par l’autisme de haut niveau, qu’elle soit défectologique et normative (psychiatrique ou rééducative), ou antipsychiatrique et militante de la « différence » autistique et du droit de la personne. La définition de l’autisme comme déficit peut en effet conduire à une pratique rééducative systématique, voire même totalitaire, visant à normaliser les sujets sans prise en compte de leurs modes propres de fonctionnement et de leurs capacités adaptatives, et qu’il faudrait alors dénoncer. Mais une telle perspective, parfois prônée par certaines pratiques éducatives, est incompatible avec une psychiatrie fondée sur une approche psychopathologique. Pour celle-ci, c’est en effet seulement la qualité de l’adaptation au milieu du point de vue du sujet, et le degré de souffrance vécue par celui-ci, qui constituent le critère du pathologique dans ce domaine, et non une vision normative, qu’elle soit statistique ou référée à une normalité comportementale et psychologique idéale. De ce point de vue, reconnaissance de la différence qualitative propre au fonctionnement autistique et approche psychopathologique sont non seulement compatibles, mais indissociables. Mais il ne suffit pas de dénoncer la dérive normative et idéologique d’une psychiatrie qui se voudrait seulement « objective », alliée à une nouvelle psychopédagogie rééducative, l’une et l’autre aveuglées par un idéal de normalité. Revendiquer pour l’autisme le droit à sa « différence » dans la société ne doit pas conduire à lui refuser par principe, pour des motifs tout aussi idéologiques, un accès aux thérapeutiques ni à une éducation adaptée et respectueuse de l’indi-

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vidu. La question de savoir s’il faut aider les sujets autistes à s’adapter au monde des non-autistes, ou au contraire les aider à vivre avec leur autisme dans un monde qui leur serait inversement adapté, n’est pas nouvelle. Faut-il faire changer l’autiste pour l’adapter au monde, ou adapter le monde à l’autisme ? On retrouve ici l’opposition entre modèle du traitement, et modèle de la compensation du handicap, à ceci près qu’ici il ne s’agit pas de prôner la compensation du handicap mais la reconnaissance d’une liberté pour des individus différents de la majorité des autres. Mais les deux mouvements, celui qui aide le sujet à changer pour s’adapter à une réalité commune, et celui qui respecte sa spécificité en adaptant la réalité sociale commune à sa particularité, sont utiles et complémentaires, et leur opposition artificielle et idéologique. Et si certains sujets disposant de bonnes ou excellentes compétences « autistiques » peuvent ne pas connaître le besoin de pratiques éducatives ni thérapeutiques pour s’adapter, en changeant partiellement leur mode de fonctionnement psychologique et leur compor tement, au monde commun, pour d’autres ces pratiques sont non seulement utiles mais souvent nécessaires. Rappelons qu’en France, c’est très majoritairement d’enfants et d’adolescents présentant un retard du développement associé que sont en charge les dispositifs psychiatriques et médico-sociaux, sujets pour lesquels l’intérêt des prises en charge est difficilement contestable. Leur comportement spontané est en effet le plus souvent incompatible avec une quelconque adaptation sociale et donc avec un état de bienêtre, même si l’environnement est réciproquement adapté à leur spécificité.

Chapitre 2

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Les hypothèses étiologiques

La question de l’étiologie, comme on le sait, est source de débats vifs mais surtout malheureusement de polémiques. Les hypothèses étiologiques admises sont pourtant similaires pour l’autisme et pour les autres grandes catégories de troubles mentaux : elles impliquent à la fois des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. L’implication de facteurs génétiques est très probable, comme le démontrent les études d’agrégation familiale et les études de jumeaux, seules susceptibles d’apprécier l’existence d’un déterminisme génétique en l’absence de connaissance des anomalies génétiques en cause – ce qui reste le cas de l’autisme. Au vu de ces études, l’autisme est la pathologie psychiatrique pour laquelle le déterminisme génétique apparaît le plus important. La probabilité d’apparition d’un nouveau cas dans une famille ayant déjà connu un cas d’autisme est plus de cinquante fois plus forte que dans la population générale, et le taux de concordance entre jumeaux homozygotes de 90 %. De plus, un syndrome autistique plus ou moins typique, souvent accompagné alors d’un retard mental et développemental plus général et de diverses malformations, est associé à divers syndromes connus d’origine génétique clairement identifiée (comme le syndrome du X fragile). Réciproquement, des anomalies génétiques diverses sont découvertes lors du bilan systématique chez des sujets autistes, dans un faible pourcentage de cas cependant (de l’ordre de 15 %). Dans la plupart des cas, aucune anomalie génétique n’est identifiée – ce qui bien sûr n’exclut pas l’existence d’un déterminisme génétique, compte tenu des limites techniques des explorations génétiques actuelles. Aujourd’hui, et bien que des « découvertes » soient régulièrement annoncées (comme récemment un prétendu « test génétique » anténatal), et à l’exception bien sûr des autismes liés à des syndromes génétiques connus, les ano-

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malies génétiques possiblement en cause dans l’autisme ordinaire dit « idiopathique » restent donc inconnues. Le déterminisme génétique de l’autisme est d’ailleurs très probablement polygénique, c’est-à-dire qu’il implique plusieurs gènes et que l’altération conjointe de ces gènes est nécessaire pour l’apparition des troubles. Sont plus fortement suspectées des anomalies touchant certaines séquences de gènes qui codent le développement du cerveau (notamment les neuroligines) et qui contribuent à la mise en place précoce des connexions synaptiques, et d’autres séquences géniques impliquées dans le développement du langage et peut-être plus largement des comportements de communication. Enfin, il n’est pas certain que les modes connus de transmission génétiques, tels qu’ils sont observés dans d’autres maladies, s’appliquent à l’autisme. Il est possible en effet que le déterminisme génétique dépende ici de mutations spontanées, ce qui rendrait difficile une prévention. Il s’agit donc ici de perspectives de recherche, sans encore d’applications directes. Malgré l’importance très probable des facteurs génétiques, la plupart des cas d’autisme apparaissent dans des familles exemptes de cas antérieurs. Et comme nous l’avons vu, dans la majorité des cas d’autisme, les explorations génétiques restent négatives. En pratique, à l’exception des cas où une anomalie génétique d’origine familiale est découverte, la probabilité d’un déterminisme génétique ne permet donc pas de conseil génétique auprès des parents, contrairement au cas de maladies génétiques caractérisées. Rappelons enfin que l’opposition du déterminisme génétique et du déterminisme environnemental est une impasse : une des fonctions des gènes est en effet de déterminer la réponse à l’environnement et aux situations rencontrées. Les gènes déterminent, avec l’histoire personnelle, le sens donné aux situations. Même si la formulation paraît paradoxale, on peut donc avancer que les gènes par ticipent à la construction de l’environnement du sujet – à condition de définir cet environnement événementiel et historique comme une construction. Le sens donné au fait vécu est en effet propre au sujet, et c’est ce sens qui importe pour comprendre les effets d’une situation sur le fonctionnement psychique du sujet. Ce qui est déterminant pour le psychisme du sujet est non pas le fait environnemental ou situationnel rencontré en lui-même, mais l’expérience qui

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en est faite par le sujet, c’est-à-dire ce que l’on pourrait nommer non le fait mais l’événement proprement dit. Notre environnement est donc constitué d’événements, eux-mêmes dépendants de nos gènes et de notre histoire, et non seulement des aléas de la réalité externe. Chacun réagit ainsi différemment aux mêmes faits (pertes, séparation, traumatismes), en fonction à la fois de son bagage génétique et de son histoire personnelle. (Notons cependant que si l’environnement, au sens des événements vécus, est comme nous le proposons ici à la fois dépendant des gènes et propre au sujet, alors l’interprétation des études d’agrégation familiale qui soutiennent la démonstration de facteurs génétiques est discutable. Elle suppose en effet par principe que l’environnement familial est identique pour les sujets d’une même fratrie, condition nécessaire pour isoler la variable génétique.) Réciproquement, il faut tenir compte de l’épigenèse, c’està-dire des interactions gènes/environnement : l’environnement (notamment l’environnement social) influence l’expression des gènes, qu’il peut supprimer ou déclencher. Tout invite donc à critiquer et abandonner un dualisme gènes/environnement qui pose plus de faux problèmes qu’il n’aide à comprendre la réalité du développement. L’opposition déterminisme génétique/psychogenèse en particulier, qui a longtemps été active en psychiatrie et particulièrement à propos de l’autisme, est obsolète. Conformément à la prise en compte des facteurs génétiques, et pour tenir compte de la diversité des expressions cliniques et des formes de gravité des syndromes autistiques, la conception moderne de l’autisme s’est orientée vers un modèle spectral, selon lequel il existerait un gradient de sévérité (un « spectre ») entre les formes les plus caractéristiques et les plus graves, et les formes les plus légères d’autisme, dont des formes caractérisées par l’existence de « traits » autistiques légers sans syndrome autistique, chez des sujets considérés donc comme « normaux ». Ce modèle dit « dimensionnel », qui conçoit une transition entre normalité et pathologie (appliquée aussi à la schizophrénie), est particulièrement compatible avec l’hypothèse d’une « héritabilité » génétique qui postule l’existence de facteurs génétiques chez des apparentés de sujets autistes, apparentés eux-mêmes indemnes mais porteurs de traits autistiques

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minimes. Différents travaux ont cherché à mettre en évidence des tendances autistiques plus ou moins patentes chez les parents d’enfants autistes (S. Baron-Cohen). Aujourd’hui encore, l’hypothèse selon laquelle l’autisme correspondrait à une forme extrême et pathologique de l’intelligence masculine, logique et orientée vers le monde physique plutôt que sociale et interhumaine, initialement proposée par Asperger, continue d’être défendue par certains chercheurs (S. Baron-Cohen), jusqu’ici sans arguments réellement probants. Bien qu’appuyées sur l’hypothèse d’un déterminisme principalement génétique et d’une héritabilité, donc opposée aux hypothèses psychogénétiques anciennes, ces perspectives réintroduisent paradoxalement l’hypothèse si contestée de facteurs psychologiques spécifiques chez les parents, déjà formulée par Kanner et Asperger, facteurs d’origine cette fois génétique et donc héritables. Elles restent cependant tout aussi spéculatives. Quant aux facteurs environnementaux (à comprendre au sens le plus large, de l’environnement bio-cellulaire dès la fécondation de l’ovocyte, jusqu’à l’environnement physique, psychologique et social du bébé au cours des premières années de vie), ceux incriminés pour l’autisme sont ici encore multiples et peu spécifiques. On retrouve les diverses causes de souffrance embryonnaire et fœtale, les incidents et accidents obstétricaux et néonataux, qui augmentent également le risque d’autres pathologies. Parmi les facteurs environnementaux plus généraux, régulièrement incriminés et donnant lieu à des controverses récurrentes, dont le rôle n’a pas été démontré ou a été écarté, citons les vaccins et divers facteurs toxiques. Enfin, une hypothèse non vérifiée, selon laquelle les sujets autistes souffriraient d’un trouble de la digestion de certains nutriments, qui serait lui-même cause de l’accumulation de catabolites neurotoxiques, a conduit certains à proposer, sans qu’aucune étude probante n’en ait démontré l’efficacité, des régimes alimentaires plus ou moins restrictifs. L’histoire récente montre que la mise en cause de ces différents facteurs (vaccins, pollution, alimentation) est habituelle pour les maladies dont les causes réelles restent inconnues. Définir le rôle des facteurs environnementaux devient infiniment plus complexe lorsqu’il s’agit de l’environnement

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humain, social et relationnel des premières années de vie. On sait (notamment pour l’avoir observé dans certains orphelinats) que des situations de carence relationnelle précoce et sévère ont pour conséquence des troubles du développement, où s’observent certaines des expressions comportementales caractéristiques de l’autisme (rupture du contact relationnel, stéréotypies, automutilations). Comment interpréter la parenté entre cette pathologie, résultant manifestement de souffrances environnementales, de carences ou de maltraitances, et l’autisme ? Pour les tenants de la théorie de l’attachement, ces situations ne sont pas causes d’autisme à proprement parler, mais de troubles graves de l’attachement, plus ou moins réversibles si l’environnement devient satisfaisant. Et en effet, inversement, l’autisme au sens propre apparaît dans la très grande majorité des cas dans des situations de soin à l’enfant initialement satisfaisantes et tout à fait ordinaires. Notons par ailleurs, même s’il s’agit d’un problème distinct, que les pathologies psychiatriques parentales avérées (notamment la dépression), susceptibles de perturber les interactions précoces, constituent en revanche un facteur de risque probable pour de nombreux troubles du développement de l’enfant et pour des troubles mentaux ultérieurs, et que leur rôle reste à étudier de manière plus approfondie. Il est intéressant ici de rappeler que l’hypothèse étiologique environnementale psychogénétique défendue par Bettelheim s’appuyait sur le principe selon lequel il existerait une analogie entre réactions de désespoir observées dans des situations extrêmes, et syndrome autistique. Elle est initialement plus proche donc du modèle rapprochant autisme et pathologies de l’attachement que d’une hypothèse psychanalytique, et soulève le même problème. En effet, si d’un point de vue descriptif il est fondé de constater que le syndrome autistique partage certains traits comportementaux communs avec des réactions massives à des situations précoces de détresse ou de carence de soin et de relation (« retrait relationnel », Guédenay ; et figement lors des expériences de still face, Tronick), et donc également avec la dépression du bébé (distinguée de l’autisme notamment grâce aux travaux sur les interactions mère-bébé de S. Lebovici), c’est le sens donné à ce constat qui soulève ici une difficulté. L’erreur de Bettelheim a sans

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doute été d’interpréter la parenté entre autisme et réaction de désespoir comme le signe d’une cause commune, alors que tout porte à croire qu’il s’agit seulement de l’expression de mécanismes partiellement communs, indépendants des causes. Toutes les situations de souffrance et de carence relationnelle provoquent en effet des comportements d’autostimulations, rapidement stéréotypiques et répétitifs voire automutilants, un retrait relationnel ou une rupture totale du contact et une indifférence à autrui, enfin une inhibition comportementale. Certains de ces éléments sont constitutifs par ailleurs de la réponse dépressive à la perte d’objet, observée chez le bébé comme chez l’adulte ou le sujet âgé. Mais il est manifeste que ces réponses comportementales et psychiques, le plus souvent réversibles contrairement à l’autisme idiopathique, sont déclenchées par ces causes extrêmement diverses et que leur obser vation ne permet pas de faire l’hypothèse de causes communes. Nous y reviendrons, l’enfant autiste se comporte en effet comme s’il souffrait ou avait souffert d’une carence relationnelle majeure, mais alors que cette carence n’a pas existé objectivement : ce qui laisse supposer que s’il n’a pu tirer parti de la présence de l’adulte ou du care giver, c’est comme nous en faisons l’hypothèse plus loin, pour des raisons endogènes propres à son fonctionnement mental et cérébral (à un dysfonctionnement des systèmes qui assurent la représentation d’autrui), et non parce que ce care giver était absent ou dysfonctionnel. Quant aux hypothèses psychogénétiques spéculatives qui postulaient le rôle causal prédominant ou exclusif de l’environnement psychologique, impliquant donc le fonctionnement psychique et les comportements des parents, elles ont été récusées. Asperger avait proposé, sans plus d’argumentation mais en accord avec la théorie héréditaire des troubles mentaux dominante de son temps, que l’autisme des enfants était une conséquence de « dispositions autistiques héritées des parents » et non de facteurs d’éducation. Kanner mettait en cause en 1943 l’intelligence abstraite des parents et leur manque de chaleur, point de vue qu’il récusa plus tard. Puis certains psychanalystes verront dans l’organisation psychique parentale (au sens surtout du fonctionnement inconscient) un facteur causal, là encore sans arguments probants et sur des bases seulement conceptuel-

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les, créant une polémique dont les conséquences sont encore actuelles. Nous y reviendrons plus loin à propos de l’apport psychanalytique. Ils postulent en effet que la « naissance psychique » du bébé (la constitution d’une subjectivité et d’une individualité psychique) est empêchée ou altérée dans l’autisme, et ils adhèrent à un modèle constructiviste et environnementaliste qui fonde cette naissance psychique sur les interactions précoces bébé/parents, et surtout bébé/mère. On voit alors dans des anomalies de ces interactions, dues à des particularités des attitudes parentales, surtout maternelles, la cause de l’autisme. Or, si en effet les interactions précoces entre bébé et parents sont une condition absolument nécessaire du développement psychique dès la naissance, et si ces interactions sont manifestement perturbées dans le cas de l’autisme, rien ne permet d’attribuer cette perturbation aux attitudes parentales. On retrouve ici la même erreur soulignée plus haut : on ne doit pas confondre les effets délétères d’un environnement relationnel non satisfaisant sur le développement du bébé, et les conséquences tout aussi délétères d’une incapacité du bébé à tirer parti ou à exploiter un environnement relationnel satisfaisant, ce qui est probablement le cas de l’autisme. De plus, les particularités des attitudes parentales peuvent être elles-mêmes la conséquence des particularités du comportement du bébé, en particulier dans le cas de l’autisme : l’indifférence du bébé au parent désorganise les interactions et affecte sévèrement les attitudes parentales. Ces perspectives témoignent donc d’une compréhension du développement en partie obsolète, fondée de manière prédominante sur un principe dit « constructiviste » selon lequel le développement psychologique du bébé, supposé passif et primitivement indifférencié du parent, dépend essentiellement de l’environnement parental. Sans être faux (car bien sûr le rôle de l’environnement est fondamental), ce principe sous-estime la part active prise par le bébé dans les interactions, et en particulier les compétences innées dont il dispose normalement et qui le prédisposent à interagir avec l’environnement et autrui. Une altération sévère des interactions précoces telle qu’elle est observée dans l’autisme ne peut donc être comprise seulement comme une possible réponse du bébé à un environnement dysfonctionnel, selon une perspective environnementaliste et constructiviste qui

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imprégnait les premières conceptions psychanalytiques du développement. En redonnant toute leur importance aux compétences innées du bébé et à son rôle actif dans l’interaction avec l’environnement et autrui, en montrant les signes d’une représentation très précoce de « soi » et d’autrui, différenciés déjà chez le nouveau-né (P. Rochat), les modèles actuels du développement (dits « innéistes et sélectionnistes ») permettent de comprendre aussi ces troubles comme l’expression possible d’anomalies initiales propres au bébé, qui à leur tour retentiront sur l’environnement, ici relationnel et parental, et ont des dysfonctionnements en cascade. À la représentation d’un bébé indifférencié et passif, dont le développement psychique serait totalement dépendant de l’environnement relationnel qui le stimule et le nourrit, s’est substituée celle d’un bébé actif et doté de premières formes de représentation de soi, d’autrui et du monde, ainsi que de compétences relationnelles et communicationnelles sophistiquées. Dès lors, les troubles précoces du développement, dont l’autisme, ne peuvent être compris (comme cela a pu être le cas) sur le simple modèle d’une réaction à l’environnement, donc aux conséquences d’un environnement dysfonctionnel, mais aussi ou surtout sur le modèle d’une altération des compétences précoces qui permettent normalement au bébé de tirer parti activement de cet environnement relationnel et de participer à sa construction. Ceci conduit à remettre également en question le principe longtemps admis, aussi bien du point de vue thérapeutique qu’éducatif, selon lequel un traitement de l’autisme pourrait reposer seulement sur une action sur et par l’environnement : quelles que soient ses qualités, celui-ci n’est en effet exploitable que si l’enfant dispose des moyens psychologiques, des compétences, qui lui permettent activement d’en tirer parti. Mais réciproquement, retenons, en l’attente de connaissances sur les causes de l’autisme, que l’environnement doit être redéfini en regard du déterminisme génétique (l’environnement du sujet se définit aussi par les gènes qui codéterminent ses réponses aux situations rencontrées), et que des souffrances d’origine strictement environnementale peuvent déclencher des réponses comportementales et mentales partageant des traits communs avec le syndrome autistique, chez la plupart des sujets. Toute recherche de

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cause et d’explication exclusive, psychogénétique environnementale, ou génétique et biologique, tend encore aujourd’hui à nier cette complexité pour affirmer, de manière probablement abusive et simplificatrice, un déterminisme tantôt indépendant du milieu et de l’histoire du sujet, tantôt indépendant des gènes et des propriétés innées données au sujet par son équipement neurocognitif. Les théories explicatives de l’autisme, qu’elles aient été psychogénétiques ou aujourd’hui génétiques, semblent hantées par la représentation d’une transmission d’un facteur pathogène, génétique ou psychologique, du parent à l’enfant. Cette succession de points de vue, mêlant hypothèses scientifiques, affirmations péremptoires, opinions et croyances, modèles explicatifs excessivement environnementalistes psychogénétiques ou exclusivement biologiques et génétiques, est sans doute en partie responsable du climat conflictuel qui s’est instauré en certains lieux et certaines époques (dont celle actuelle) entre des familles d’enfants autistes et la psychiatrie. Cependant, rappelons que les mêmes hypothèses psychogénétiques ont été avancées à propos de la schizophrénie (notamment la mise en cause des attitudes maternelles), avant d’être ici aussi abandonnées, mais sans pourtant qu’un conflit durable s’en soit ensuivi. D’autres facteurs sont donc en cause pour expliquer la persistance des conflits suscités par l’autisme, parmi lesquels bien sûr l’absence de thérapeutique curative, et surtout l’âge de début du trouble et l’expérience vécue par les parents. Ce début très précoce implique un partenariat tout aussi précoce puis durable entre parents et professionnels, partenariat menacé par de multiples dangers. D’autres facteurs tiennent à l’évolution de la psychiatrie et de la médecine non seulement du point de vue scientifique, mais aussi sociopolitique et économique, nous y reviendrons. En conclusion, la multiplicité des contextes étiologiques ou à risque favorisant l’apparition d’un syndrome autistique laisse supposer que celui-ci constitue probablement une voie d’expression finale commune pour diverses modalités de perturbations du développement cérébral, cognitif et psychologique, ayant en commun d’inter venir à des étapes très précoces de celui-ci. Ce syndrome associe des comportements qui peuvent être compris, comme nous l’envisagerons plus loin à propos des hypothèses physiopathologiques, soit

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comme l’expression directe de dysfonctionnements ou de déficits, soit comme des tentatives de compensation ou correction de ces déficits au fur et à mesure du développement, c’est-à-dire comme des réponses comportementales à des facteurs qui perturbent gravement l’homéostasie ou la régulation mentale et comportementale. En cela notre compréhension de l’autisme rejoint celle du syndrome schizophrénique ou de la réponse dépressive, à la fois expressions de dysfonctionnements de natures et de causes diverses, et modes de réorganisation psychique et comportementale produits en réponse à ces atteintes.

Chapitre 3 Psychopathologie et physiopathologie de l’autisme modèles et théories

I. LA PERSPECTIVE PSYCHANALYTIQUE

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Les approches théoriques et cliniques de l’autisme se réclamant de la théorie et de la méthode psychanalytiques ont fortement influencé la compréhension comme la prise en charge de l’autisme en France jusqu’à aujourd’hui, et ailleurs en Europe et en Amérique du Nord jusqu’à la fin du XXe siècle. Il est donc nécessaire de les aborder pour comprendre l’état actuel des théories et des pratiques, en particulier en France, et les logiques de leurs évolutions actuelles. Mais c’est aussi nécessaire pour comprendre le contexte de controverses, parfois violentes, suscitées aujourd’hui par les approches de l’autisme référées à la psychanalyse. Évoquer la psychanalyse dans le champ de l’autisme, c’est éclairer des ambiguïtés, des confusions et des malentendus – non seulement entre le public et les professionnels, mais dans le champ même de la psychopathologie, pour les professionnels eux-mêmes. Ici encore l’autisme révèle, de manière brutale et parfois caricaturale, des problématiques qui concernent l’ensemble de la psychiatrie. Une de ces problématiques est la portée de la théorie psychanalytique pour la compréhension de la pathologie psychiatrique, et la possibilité de développer en psychiatrie des pratiques inspirées par sa méthode mais en dehors de son champ propre initial. C’est pour cela qu’il est d’abord nécessaire de préciser de quoi l’on parle lorsqu’on évoque la psychanalyse, comme théorie et comme méthode. Comme c’est le cas pour toute pathologie psychique ou toute anomalie mentale et comportementale, deux modalités

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de connaissance ont développé des modèles de compréhension et d’explication de l’autisme. L’une repose sur la méthode clinique, c’est-à-dire sur la relation interpersonnelle ou intersubjective entre le clinicien et le sujet, sans outil de mesure ni d’investigation. L’autre repose sur une exploration exploitant des méthodologies diverses mais qui toutes circonscrivent le champ d’observation, et dégagent ou construisent des données objectives en rapport avec la vie mentale du sujet : observation quantifiée du comportement, tests, dispositifs expérimentaux, enregistrement d’indices du fonctionnement cérébral. Nous ne présenterons pas ici une synthèse des modèles de compréhension psychanalytiques de l’autisme, mais seulement quelques points de repères. Sans doute est-il nécessaire, dans un contexte de controverses parfois violentes, de préciser ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, donc ce qu’elle est en mesure ou non de proposer. Rappelons au préalable que la place de la psychanalyse dans la compréhension de l’autisme et de ses prises en charge se comprend d’un point de vue historique. Au cours des deux premiers tiers du XXe siècle, la psychanalyse (ou plutôt les diverses théories référées à la psychanalyse) a été la principale, sinon la seule, théorie apte à rendre compte du fonctionnement psychique dans sa complexité, et également la principale à proposer des attitudes et applications à valeur thérapeutique. (Rappelons que le comportementalisme par principe exclut la démarche psychologique, et que les neurosciences ne proposaient pas de représentation du fonctionnement mental avant la « révolution cognitive » de la fin du xxe siècle.) C’est donc logiquement à la psychanalyse que se sont référés de nombreux auteurs s’intéressant à l’autisme selon une approche clinique. Rappelons aussi qu’indépendamment de son application au cas particulier de l’autisme, la méthode psychanalytique est fondée sur une relation interpersonnelle régulière et durable avec le sujet, et sur une écoute ouverte et libre, dégagée d’objectifs éducatifs ou d’apprentissage. Elle est fondée sur une attention portée au fonctionnement psychique du sujet, à sa compréhension plus qu’à ses performances adaptatives. La psychanalyse est donc une pratique de communication qui instaure un mode particulier de pensée, d’échange et d’interactions psychiques entre l’analyste et le patient, et

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donne accès à travers ce champ de constructions partagées à certaines composantes de la vie psychique du sujet qui sont supposées inaccessibles à l’observation immédiate ou à l’introspection. Elle ne prétend pas être une source de connaissances objectives du psychisme, qui seraient situées sur le même plan que les données issues d’explorations objectives. Elle est une pratique intersubjective susceptible d’induire des effets de changement durables, c’est-à-dire d’avoir une action thérapeutique. Cette action repose sur la possibilité donnée au sujet de se représenter, de prendre conscience, ou d’avoir accès à de nouveaux modes ou contenus de pensée, grâce au travail psychique que permet le cadre d’échange avec le thérapeute. Les inter ventions de celui-ci ne visent pas à révéler une vérité cachée ou oubliée, ni à révéler par l’interprétation une signification cachée des conduites ou pensées du sujet, ni non plus à le convaincre de penser ou d’agir de telle ou telle manière. Ces interventions visent à offrir au sujet des modes ou voies de représentation nouveaux, susceptibles d’élargir son champ de pensée, de conscience et d’expériences, et ainsi de lui permettre d’entretenir un nouveau mode de relation avec son monde intérieur, sa « réalité psychique ». Nous distinguerons dans le corpus théorique psychanalytique trois dimensions au moins. La première est la théorisation de la méthode, de la pratique elle-même, qui implique des concepts originaux rendant compte notamment des interactions psychiques qui s’établissent entre l’analyste et le patient : transfert et contre-transfert par exemple. La seconde est une représentation du fonctionnement psychique, une modélisation de l’appareil psychique ou mental de l’individu, qui est extrapolée à partir des observations tirées de la pratique clinique, et nourrie également de multiples sources conceptuelles dont la psychologie, et le contexte scientifique de l’époque de Freud (physique, biologie, physiologie et neurologie de son temps). On peut la définir comme une « psychologie psychanalytique », caractérisée par le partage de références communes avec la psychologie générale (théorie de la mémoire, de la perception, de la conscience et de l’inconscient, de l’attention…), mais aussi par des hypothèses spécifiques : celle de la vie psychique inconsciente au sens du fantasme inconscient, du rôle donné à la sexualité, l’existence de mécanismes comme le refoulement, l’hypothèse de

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la pulsion, etc. La troisième enfin est une tentative de théorisation de la pathologie psychique ou des processus pathologiques, en référence à la théorisation du psychisme propre à la théorie psychanalytique, et que nous nommerons « psychopathologie psychanalytique ». Cette théorisation se réfère par exemple au modèle du symptôme névrotique, acte ou comportement considéré comme l’expression d’un compromis entre la réalisation d’un fantasme inconscient et d’autres exigences psychiques qui s’y opposent. Pour les symptômes psychotiques, le modèle est plutôt celui d’une actualisation du fantasme inconscient, et d’une désorganisation du jeu fonctionnel des différentes composantes du fonctionnement psychique, aboutissant à une perte de distinction entre imaginaire et réalité, à une altération de la relation avec cette réalité, et à une altération de la constitution ou expérience du soi, mais aussi d’autrui. Pour être plus précis encore, on distinguera dans cette « psychopathologie psychanalytique » trois démarches : l’une essentiellement descriptive, qui décrit avec détail les particularités des processus mentaux du sujet ; la seconde explicative, qui propose des mécanismes mentaux explicatifs des symptômes observés ; la troisième, la plus controversée, étiologique, qui postule des causes de la pathologie. Sans revenir plus longtemps sur la question de la cause, soulignons seulement que, malgré les excès évoqués plus haut à propos de l’autisme ou de la schizophrénie, de nombreux psychanalystes ont donné autant de place ici aux facteurs biologiques ou constitutionnels qu’aux facteurs environnementaux, comme Freud luimême. La psychopathologie psychanalytique confère certes une place importante à l’histoire personnelle du sujet dans l’apparition et la constitution des troubles. Mais elle n’est pas la seule théorie à le faire : les modèles actuels neurobiologiques de la pathologie mentale (modèle « stressvulnérabilité », modèle neurodéveloppemental, modèle de l’attachement…) donnent également une place importante aux événements et situations de vie, dès les phases le plus précoces de celle-ci ; il serait erroné de voir dans la psychanalyse la seule théorie incluant le rôle de l’histoire individuelle et de l’environnement en psychopathologie ou psychiatrie. Bien sûr, cette attention à l’histoire individuelle prend tout son sens chez l’adulte.

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La contribution possible de la psychanalyse à la compréhension de l’autisme doit donc être traitée en dissociant ces différentes dimensions. L’autisme est concerné principalement par la « psychopathologie psychanalytique », c’està-dire par le projet d’une théorie du fonctionnement mental dans l’autisme ; et par l’ambition thérapeutique consistant à appliquer à l’autisme différentes pratiques inspirées plus ou moins directement par la psychanalyse, question que nous envisagerons plus loin.

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Comment la psychanalyse, méthode fondée sur le langage et créée pour traiter des adultes souffrant de troubles de gravité modérée, les névroses, est-elle devenue dans la seconde moitié du XXe siècle dans plusieurs pays une théorie de référence de l’autisme infantile ? Il serait trop long d’en retracer le parcours, mais disons simplement que ce mouvement tient d’une part à la naissance et au développement, dans l’après-guerre, de la psychanalyse de l’enfant, sous l’influence de A. Freud, M. Klein ou D. Winnicott ; et à la capacité de la psychanalyse, d’inspirer de multiples applications et pratiques dérivées en dehors de son champ propre. Si la psychanalyse repose principalement sur l’échange de paroles et l’écoute du discours du patient, son application à l’enfant a conduit à exploiter d’autres modes de communication ou d’expression, comme le dessin ou le jeu. Dans la « psychopathologie psychanalytique » de l’autisme, nous distinguerons comme proposé plus haut les niveaux descriptif, explicatif, et étiologique. Les théories psychanalytiques de l’autisme associent en effet de manière souvent confuse visées descriptive et explicative. Mais l’apport le plus riche et le moins contestable de ces travaux tient à leur valeur descriptive : l’intérêt porté au monde intérieur de l’enfant, l’analyse de sa vie psychique dans son ensemble : son imaginaire, ses réactions émotionnelles, ses représentations de soi et d’autrui… Une caractéristique des approches se réclamant de la psychanalyse est en effet de donner accès au monde intrapsychique du sujet, ou plus précisément d’en proposer une reconstruction, car il est inaccessible à l’observation, à partir d’indices divers issus de la relation interindividuelle, qu’ils soient langagiers, émotionnels, comportementaux, gestuels, graphiques… C’est bien sûr la valeur de cette reconstruction, spéculation pure ou représentation d’une réalité sous-jacente, qui sera en premier lieu mise en question

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dans le cas de l’autisme, où souvent l’enfant ne peut rendre compte lui-même de sa vie mentale. Du point de vue descriptif, les psychanalystes (parmi lesquels M. Mahler, F. Tustin, D. Meltzer) formuleront les premières hypothèses sur le fonctionnement psychique de ces enfants et sur leurs expériences subjectives, extrapolées à partir de l’observation de leur comportement. Pour ces auteurs l’autisme constitue un trouble majeur de la constitution du soi différencié, et de la construction d’une réalité distincte de soi ; c’est-à-dire un trouble de l’individuation, de la constitution des premières formes du « soi » distinct de l’environnement, des premières formes de la subjectivité. Ces auteurs supposent que l’autisme témoigne d’un arrêt du développement psychique à un stade de développement du « moi » ou du self antérieur à la différenciation entre soi et autrui, à l’individualisation du moi. Outre bien sûr les particularités de la vie de relation, de la communication et du langage ou de la pensée déjà décrites, ces hypothèses sont fondées sur l’observation du comportement de l’enfant qui semble en effet plongé dans un monde bidimensionnel, sans profondeur, et dans une temporalité circulaire. D’où le besoin des « objets autistiques » (objets durs gardés au contact du corps), la fascination pour les formes autistiques, et les autostimulations destinées à entretenir un trop fragile sentiment de soi, une trop précaire distinction entre soi et monde. Ces comportements sont compris comme l’expression de l’exigence du besoin de constituer une réalité perceptive auto-entretenue rassurante, qui protégerait l’expérience d’une réalité extérieure expérimentée – dès la conscience des limites de son corps ou de sa personne – comme menaçante et destructrice. L’autisme serait donc l’expression d’une extrême fragilité, rendant le contact avec la réalité insupportable et insécurisante, source d’angoisses trop fortes pour être compatibles avec l’adaptation. D’où le besoin d’exercer un contrôle total sur soi et l’environnement. De fait, la confusion ou indistinction entre le corps propre, et l’environnement ou le corps d’autrui, est fréquemment observée, comme les modalités particulières de contact de surface avec l’environnement, auxquelles correspond le terme d’« identification adhésive » proposé par Tustin. Du point de vue nosographique, cet auteur distinguera un autisme primaire, sans

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différenciation soi/autrui, un autisme secondaire caractérisé en revanche par l’intensité des barrières autistiques entre soi et le monde, et un autisme régressif qui correspond aux formes tardives désintégratives décrites aujourd’hui.

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Pour les auteurs modernes référés à la psychanalyse, l’autisme constitue une pathologie précoce de l’intersubjectivité qui affecte les bases de la relation, de la constitution du soi et de la représentation d’autrui, les étapes précoces de la symbolisation (Golse), de la représentation ou localisation corporelle du soi (Haag), de la capacité créative narrative qui assure la structuration de l’expérience psychique sur le mode du récit (Hochmann). On ne retrouve pas ici nécessairement les concepts les plus spécifiquement psychanalytiques, comme le concept d’inconscient ou de fantasme inconscient, ni les concepts techniques de transfert et d’interprétation, mais plutôt une théorisation du développement de la vie mentale et de la constitution des représentations de soi, d’autrui et du monde, au carrefour de la psychanalyse moderne, notamment du courant dit « intersubjectiviste », de la psychologie développementale (D. Stern, C. Trevarthen) et des neurosciences de l’interaction sociale ou de l’empathie (nous y reviendrons). La portée explicative (et non causale) de l’approche psychanalytique, second point que nous discuterons, est quant à elle source de nombreux débats. (Rappelons qu’un mécanisme – qu’il soit psychologique ou biologique – n’est pas assimilable à une cause.) Pour les clarifier, nous proposerons qu’elle combine deux lectures de la clinique qui doivent être distinguées. La première est liée au postulat que tout comportement ou toute attitude psychique jugée pathologique a pour fonction de réduire ou contenir une angoisse sous-jacente, c’est-à-dire qu’elle constitue une tentative, sinon de guérison, du moins de rétablissement de l’homéostasie psychique et comportementale. Il est postulé en effet que le fonctionnement mental, en général mais également dans ses formes pathologiques, répond à une finalité adaptative : la réponse pathologique est certes une mauvaise solution ou une solution coûteuse, mais elle est cependant une tentative de solution adaptative au monde, rendue nécessaire par une incapacité, de nature diverse, à adopter un fonctionnement « ordinaire ».

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C’est le sens premier de la notion de « mécanisme de défense », qui n’a pas de connotation intentionnelle, personnaliste ou subjective, contrairement à ce qui est parfois cru (le sujet ne se défend pas contre quelque chose…), mais définit la tendance spontanée et constante du fonctionnement psychique, au même titre que de tout système biologique, au maintien de l’homéostasie, malgré les facteurs de déséquilibre, endogènes et exogènes, qui le menacent. La perspective psychanalytique est en cela proche des théories neuroscientifiques, cognitives ou neurobiologiques, qui comprennent également la pathologie du double point de vue de l’indisponibilité d’une aptitude, et de sa compensation. Elle trouve en neuropsychologie contemporaine une équivalence : le symptôme est l’expression du déficit ou de la perte de compétence, mais aussi celle d’une tentative de compensation ou correction de cette incapacité. Nous y reviendrons plus loin à propos des modèles neurocognitifs de l’autisme. En cela on voit que la théorie freudienne est héritière de la biologie et de la neurologie. Cette lecture en implique une seconde, étroitement liée : l’approche psychanalytique postule de manière générale que le comportement pathologique doit être compris selon une perspective que nous nommerons fonctionnelle, selon laquelle une manifestation comportementale ou psychique est l’expression ou le produit d’une série de processus sousjacents. Pour le dire simplement, ce point de vue implique que le trouble observable n’est pas sa propre explication, mais qu’il doit être expliqué lui-même, c’est-à-dire compris comme la manifestation d’un dysfonctionnement sousjacent non observable, qui doit donc être reconstruit ou inféré à partir de ce qui est observable. Le principe même de la théorie freudienne consiste à faire l’hypothèse d’un fonctionnement psychique invisible (inconscient) qui obéit à des principes comparables à ceux qui règlent la physiologie de toute autre fonction du vivant. En cela on retrouve le principe de la psychologie et de la neuropsychologie cognitives contemporaines, qui substituent aux métaphores psychanalytiques des termes plus actuels, compatibles avec ce que l’on sait du fonctionnement cérébral. Le pathologique n’est pas considéré comme le négatif, l’absence du normal, mais

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comme une forme particulière de vie et d’adaptation différente du normal.

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Cette perspective « fonctionnelle » qui correspond aux diverses approches psychopathologiques (qu’elles se réfèrent à la psychanalyse ou aux sciences cognitives) entre en contradiction avec une autre lecture, curieusement présentée parfois et à tort comme plus « neurologique », « biologique » ou même « cognitive », selon laquelle le trouble observé serait l’expression directe d’un dysfonctionnement sous-jacent ; selon laquelle le trouble clinique exprimerait non pas un mode particulier de fonctionnement mental, une anomalie, mais un simple non-fonctionnement, un négatif ou un défaut de l’activité mentale normale. Une telle lecture n’est pas « neuropsychologique », ni « cognitive », mais simplement « non fonctionnelle » ou « défectologique », nous y reviendrons. Elle considère en effet que le déficit clinique est seulement l’expression d’un déficit causal sous-jacent et identique, autrement dit qu’il n’y a pas lieu de l’expliquer par un jeu de mécanismes mentaux mais seulement de lui trouver une cause cérébrale, qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme l’expression d’une modalité particulière et complexe de fonctionnement psychique, ou comme l’expression conjointe d’un déficit et de sa tentative de compensation. Finalement, postuler que les symptômes autistiques expriment à la fois un dysfonctionnement et une tentative de correction ou compensation de celui-ci, et considérer qu’ils ne sont pas seulement la manifestation de l’absence d’une compétence normale, mais bien l’expression d’une modalité originale de fonctionnement mental substituée au processus ordinaire, n’a donc rien de spécifiquement psychanalytique, car la logique fonctionnelle adoptée ainsi est aussi celle de la neuropsychologie et des neurosciences contemporaines. (Ce qui est plus psychanalytique en revanche tient à l’hypothèse selon laquelle le dysfonctionnement toucherait l’expérience de soi, l’expérience de la réalité externe, et serait source d’angoisse. De fait, l’angoisse et le rôle des émotions dans la régulation du fonctionnement mental restent l’objet privilégié de la psychopathologie, car encore relativement ignorés par la neuropsychologie pour des raisons historiques, et c’est peut-être la principale raison pour laquelle la théorie psychanalytique du « mécanisme de

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défense » peut être encore opposée aux modèles des neurosciences.) C’est pourtant ce point qui a donné lieu à la controverse la plus exemplaire, l’opposition (ou supposée telle) entre modèle du symptôme et modèle du déficit. Pour prendre un exemple simple, la lecture fonctionnelle de la psychanalyse suppose que le trouble relationnel autistique est le produit de mécanismes sous-jacents, qu’il constitue l’expression d’un dysfonctionnement. Il pourrait ainsi résulter d’une incapacité à entrer en relation avec autrui, c’est-à-dire d’un trouble adaptatif majeur en situation d’interaction sociale et psychique. L’angoisse ou le déplaisir, manifestations cliniques observables lorsque le sujet est confronté à la relation interpersonnelle ou aux changements de l’environnement, sont à la fois une expérience vécue par le sujet et le signal de cette incapacité. L’importance donnée par la psychanalyse à l’affect d’angoisse tient au rôle qui lui est conféré d’être l’indice fonctionnel d’un trouble adaptatif, donc d’une dysrégulation sous-jacente du fonctionnement mental et des processus de régulation du comportement. Les tentatives d’explication des sources premières de cette angoisse et de ses causes, spéculatives et fondées sur des modèles parfois obsolètes du développement, nous renvoient en revanche aux hypothèses psychanalytiques étiologiques que nous évoquerons plus loin. Pour la plupart, les cliniciens se référant à la théorie psychanalytique et qui travaillent aujourd’hui dans le champ de l’autisme ne formulent pas ce type d’hypothèse causale ou étiologique mais seulement des hypothèses sur les mécanismes mentaux caractéristiques de l’autisme. On voit ici ce que contient le concept de symptôme : la clinique de l’autisme témoignerait d’une difficulté de base, non intentionnelle bien sûr, à s’engager dans la vie relationnelle et à s’y maintenir, à s’adapter aux contraintes fonctionnelles multiples causées par la relation interpersonnelle et l’interaction avec autrui. De ce point de vue l’incapacité à entrer en relation avec autrui n’est pas une explication de l’autisme mais constitue un fait clinique à expliquer. Le pathologique ne peut être expliqué seulement par le fait qu’il est l’absence d’une aptitude normale. Il ne résulte pas seulement d’un « non-fonctionnement », mais plutôt d’un fonctionnement particulier. Comme on l’a vu, la lecture que nous avons qualifiée de fonctionnelle, autant psychana-

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lytique que neuropsychologique ou cognitive, suppose que la clinique exprime à la fois le déficit, et une tentative de régulation ou de correction de ce dysfonctionnement : des processus adaptatifs compensatoires ou correctifs qui visent à maintenir malgré cette difficulté un mode relationnel avec l’environnement (rituels, stéréotypies, objets autistiques…).

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Inversement, le modèle du déficit pur considère que le trouble relationnel autistique est l’expression directe d’un déficit, sans qu’il soit donc nécessaire de chercher à expliquer les mécanismes qui le sous-tendent ou le produisent : le « déficit » clinique trouve sa cause dans un « déficit » neurologique ou cognitif qui « explique » l’absence de la fonction normale. Ce modèle est en effet hérité d’une neurologie historique, dont le modèle explicatif est la destruction tissulaire due à la lésion cérébrale. La description du trouble clinique en est ainsi également l’explication. Même si le contenu du terme « déficit » change de sens du niveau de l’expression clinique à celui des compétences sous-jacentes, cette perspective clôt l’interrogation sur les mécanismes du trouble : le « déficit » est à la fois l’expression du trouble et l’explication de celui-ci. En revanche, la démarche des neurosciences cognitives et de la neuropsychologie moderne que nous aborderons plus loin s’inscrit dans la continuité de la démarche psychopathologique et psychanalytique, au sens où elle ne se contente pas d’identifier le déficit apparent, c’est-à-dire en fait l’anomalie comportementale, mais où elle cherche également (mais sur des bases différentes) à en expliquer la logique fonctionnelle et la production. La ligne de fracture principale entre les théories ne sépare donc pas, de notre point de vue, psychanalyse et neurosciences. Elle sépare d’une part les théories « fonctionnelles » ou « psychopathologiques » qui voient dans le trouble clinique observable (ici les anomalies du contact ou de la relation) une particularité fonctionnelle qui est elle-même le produit d’un dysfonctionnement psychologique ou mental, et jugent donc qu’il faut en expliquer la production ; et d’autre part celles que nous qualifierons de « défectologiques » et pour lesquelles le déficit observable est l’expression directe d’un déficit sousjacent dont il n’y a pas lieu de rechercher l’explication ni les dysfonctionnements qui y conduisent, parce qu’il est seulement défini par l’absence ou la réduction d’une aptitude.

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Nous reviendrons plus loin sur la dérive de certaines lectures qui se réclament des neurosciences pour affirmer une telle conception défectologique de l’autisme. Psychopathologie psychanalytique et sciences cognitives ou neuropsychologie s’inscrivent en revanche l’une et l’autre dans le premier cadre, celui d’une démarche psychopathologique explicative, qui confère une intelligibilité à la clinique. Le modèle commun aux deux approches est donc bien celui du symptôme, de l’anomalie psychologique et comportementale, ou si l’on préfère du déficit défini de manière fonctionnelle dans le cadre des mécanismes de régulation du comportement et de la vie mentale ; et non celui du déficit au sens défectologique. Leur cadre commun est en fait celui d’une théorie de la régulation de l’action. On peut en prendre deux exemples. Le premier est celui de la stéréotypie comportementale, qui peut être comprise, autant du point de vue clinique que neurocognitif, comme l’expression d’un processus régulateur d’autostimulation, dont la fonction initiale vise à réduire ou compenser une expérience déplaisante liée à une privation sensorielle, ce que la psychanalyse ou plus généralement l’approche clinique formule en termes de processus de réduction de l’angoisse. Du point de vue de la régulation de l’action, les comportements d’autostimulation constituent en effet des réponses programmées universelles aux situations de carences de stimulation et de déprivation, et en particulier chez l’enfant aux expériences de carences relationnelles. Or, il est probable que l’autisme donne lieu à de telles expériences (ce qui ne signifie évidemment pas, insistons sur ce point, que l’environnement est objectivement carencé ni déprivant). L’hypothèse d’une fonction régulatrice et compensatrice des stéréotypies est donc autant neurobiologique ou cognitive que clinique ou psychanalytique. Un second exemple est l’hypothèse du développement dans l’autisme de stratégies perceptives et relationnelles spécifiques qui visent à compenser certaines incapacités. D’abord proposée dans le cadre des modélisations psychopathologiques et psychanalytiques référées à un trouble de l’intersubjectivité, cette même hypothèse est formulée dans le cadre des modélisations cognitives qui montrent les particularités du raisonnement autistique, ou les stratégies

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particulières mises en œuvre dans la compréhension d’autrui c’est-à-dire dans les « cognitions sociales ».

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La théorie clinique invite à comprendre la manière particulière dont certains sujets autistes semblent éviter activement le contact social direct, et dont ils privilégient des stratégies relationnelles spécifiques, indirectes ou partielles, comme l’expression d’un processus de protection, au sens d’une exigence non intentionnelle de réduction de l’angoisse et des difficultés adaptatives provoquées par la vie relationnelle chez un sujet qui ne dispose pas des mécanismes fonctionnels lui permettant de traiter de manière satisfaisante les stimuli sociaux et interpersonnels. La stratégie « défensive » est expliquée par le déficit sousjacent, et aboutit elle-même à d’autres déficits adaptatifs en même temps qu’à la préservation de certaines aptitudes sociales. Du point de vue cognitif, il semble que la compréhension d’autrui (de ses intentions, de ses états mentaux et de ses émotions) dans l’autisme, au lieu de se fonder sur le mécanisme naturel et implicite (ne requérant pas de mécanisme conscient) de l’empathie, exploite des processus de raisonnement logique explicite, qui confèrent leur particularité (et leur étrangeté) au mode autistique relationnel et de communication. Ici encore on voit que les deux approches formulent, dans des termes différents, une même hypothèse, mais en donnant selon le point de vue adopté plus ou moins d’importance à l’expérience supposée du sujet, ou à ses incapacités et aux procédures mentales adaptatives mises en œuvre. Il existe donc une convergence entre la perspective psychanalytique et celle des neurosciences cognitives, pour lesquelles il n’apparaît pas de contradiction entre la prise en compte de déficits ou dysfonctionnements mentaux ou cognitifs, et celle de stratégies fonctionnelles adaptatives, compensatrices ou protectrices. Il serait plus juste cependant de préciser que cette convergence concerne la partie de la théorie psychanalytique qui vise à construire un modèle du fonctionnement psychique et de ses troubles. La portée de la théorie psychanalytique soulève en effet une difficulté d’interprétation, car elle peut être de deux natures différentes : on doit y distinguer ce qui relève d’une tentative d’explication des mécanismes mentaux sous-jacents, et ce

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qui relève d’une interprétation du sens ou d’une interprétation de l’intention de la conduite. La psychanalyse est en effet d’abord une pratique de communication et de compréhension fondée sur la lecture de l’intentionnalité c’est-à-dire de la signification des conduites, et notamment de l’intentionnalité inconsciente, avant d’être une modélisation psychologique du fonctionnement mental, une « psychologie » extrapolée à partir de la pratique clinique. Si cette dernière partage les principes de toute psychologie, et notamment comme nous l’avons vu des sciences cognitives contemporaines, comment en revanche interpréter la démarche compréhensive, purement intersubjective, qui consiste à attribuer un sens ou une intentionnalité aux conduites et aux symptômes ? Indépendamment de la question de l’étiologie, c’est ce second point qui est source des principales oppositions, notamment à propos de l’autisme. Deux questions se posent : une compréhension intentionnelle des comportements du sujet est-elle fondée ? Et dans ce cas doit-elle être considérée comme une explication psychologique de ses comportements ? Pour le premier point, l’intentionnalité est une propriété universelle des actions humaines, et on ne voit pas ce qui justifierait de la refuser au syndrome autistique. Pour le second, on ne doit pas confondre en effet lecture intentionnelle c’est-à-dire compréhension, et explication du comportement. La confusion est pourtant fréquente, et peut s’exprimer par une interprétation fautive du concept de « mécanisme de défense ». Nous l’avons défini plus haut en un sens fonctionnel, et non intentionnel : un mécanisme de régulation automatique et non conscient visant à réduire le niveau d’angoisse, et non un acte intentionnel du sujet. Mais une interprétation intentionnelle ou subjective du concept de « défense » est parfois rencontrée, qui laisse croire à tort que pour la théorie psychanalytique la difficulté relationnelle de l’autiste dépendrait d’une forme de volonté, d’un évitement actif intentionnel. Qu’il s’agisse d’une volonté inconsciente (si cette expression a seulement un sens ?) ne change rien à la faiblesse de cette proposition. La pathologie n’est jamais un choix ni l’expression d’une liberté, mais bien une contrainte et une perte de liberté. Et l’attribution d’intentionnalité aux actes ou aux symptômes, proposée par la psychanalyse comme d’autres théories

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cliniques, n’est nullement une explication de ceux-ci : elle est un principe technique qui guide une pratique interpersonnelle, sur laquelle nous reviendrons, fondée sur l’attribution d’états mentaux à autrui. L’interprétation fautive des concepts psychanalytiques a cependant radicalisé l’opposition entre une théorie du déficit ou du handicap (l’autiste ne peut nouer de relation), et une théorie intentionnelle ou subjective dite de la « défense » selon laquelle l’autiste « refuserait » la relation. On retrouve les termes classiques d’une opposition stérile entre trouble du « vouloir » ou du « pouvoir ». Explication par l’intention et explication par le déficit se renvoient l’une à l’autre, fondées chacune sur un postulat ou un dogme : d’un côté celui selon lequel l’enfant souffre de ne pas « vouloir », ou de ne pas « pouvoir vouloir » ; de l’autre celui selon lequel il démontre une impossibilité à réaliser ou exécuter un comportement faute des moyens biologiques nécessaires pour y parvenir. Pour l’une le trouble autistique n’a pas de mécanismes cognitifs ou cérébraux mais seulement une intentionnalité qui est à prise pour sa cause, pour l’autre il n’a pas d’intentionnalité mais seulement des mécanismes cognitifs ou cérébraux, pris eux-mêmes pour des causes. Pour l’une, tout est à comprendre et rien n’est à expliquer ; pour l’autre, tout est à expliquer et rien n’est à comprendre. Pourtant, compréhension et explication du comportement humain sont deux démarches aussi différentes que complémentaires. De manière générale, il n’est pas fondé de considérer l’intentionnalité comme cause de la conduite. Objectivement fausse mais subjectivement évidente, c’est la démarche innée, dite de la « psychologie populaire » ou « naïve » (au sens de la « psychologie naïve » qui guide notre compréhension naturelle des actions de nous-même comme d’autrui mais n’a pas de valeur explicative causale), par laquelle nous « expliquons » quotidiennement nos actes par leurs sens, c’est-à-dire par nos intentions. Mais le sens de l’acte n’en est pas la cause. Appliquée à l’autisme comme à toute autre pathologie, cette démarche du sens commun, fondée sur une mauvaise interprétation du terme d’intentionnalité, risque d’aboutir à un injustifiable « procès d’intention » fait au sujet, bientôt jugé agent intentionnel (conscient ou inconscient) de sa pathologie – au nom d’une théorie mal comprise. Or la psychanalyse ne justifie pas de

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défendre l’hypothèse selon laquelle l’autiste refuse intentionnellement, même inconsciemment, la relation : ni le concept de mécanisme de défense, qui postule une tendance à l’autorégulation du fonctionnement mental, ni le concept de symptôme ne doivent être compris comme une stratégie ou une conduite intentionnellement mise en œuvre par le sujet. Confronté au handicap de l’enfant, à son incapacité à s’adapter et à agir, le choix forcé qui nous est parfois imposé, du fait de conflits théoriques, entre modèle du déficit ou principe de l’acte intentionnel, entre hypothèse mécaniste du manque du moyen d’agir (défaut de compétences) et hypothèse intentionnelle du refus ou du choix de non-utilisation de compétences existantes, est donc trompeur. Il est le produit d’un dualisme naïf qui nous fait trompeusement voir en chaque acte, comme disjoints, la volonté et les moyens d’exécution de cette volonté. Il est impératif de ne pas se laisser enfermer dans cette fausse contradiction entre compréhension du sens, au détriment de la prise en compte des mécanismes, et explication par le mécanisme, au détriment du sens. Une démarche scientifique, cognitive autant que clinique ou psychanalytique, montre en revanche comment l’intention d’agir est elle-même le produit d’une série de mécanismes, et non une cause de la conduite. Or c’est bien à la fois l’émergence d’une intentionnalité de communication ou d’intersubjectivité, et la fonctionnalité des mécanismes dont celles-ci dépendent, qui semblent altérées dans l’autisme. Pour comprendre l’autisme, il faut comprendre la logique propre des conduites relationnelles qui nous prédisposent à partager avec autrui une partie de notre réalité mentale, à connaître autrui en même temps qu’à nous faire connaître de lui. Cette logique, qui est intentionnelle au sens où elle poursuit un but et cherche à s’accomplir, en même temps qu’elle repose sur des mécanismes et son échec dans l’autisme, s’inscrit dans l’une et l’autre dimensions de l’intentionnalité et des mécanismes. Plutôt que la visée explicative des symptômes et des comportements, nous retiendrons donc des recherches psychanalytiques sur l’autisme, et plus largement des modèles de compréhension cliniques fondés sur la relation interpersonnelle, une démarche compréhensive plutôt qu’explica-

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tive et une tentative de description des mécanismes de l’intersubjectivité, du développement de la représentation de soi et d’autrui, et de leur altération dans l’autisme. Cette psychologie descriptive détaillée de l’autisme relève d’ailleurs souvent d’une psychopathologie clinique générale plutôt que d’une application de la psychanalyse au sens strict. Logiquement, dans la mesure où il s’agit d’une description clinique approfondie, référée aux notions d’une psychologie générale (attention, perception, représentation et pensé, mémoire, conscience…), ces descriptions trouvent un écho dans de nombreux travaux modernes identifiés dans le champ des sciences cognitives. Ainsi le modèle du « démantèlement » (D. Meltzer) préfigure les modèles actuels postulant des anomalies de l’intégration perceptive plurimodale dans l’autisme. Surtout, nous le verrons, les modèles des « neurosciences cognitives sociales » (théorie de l’esprit, empathie) rejoignent les modèles psychanalytiques de l’intersubjectivité (représentation différenciée de soi et d’autrui) et postulent également une altération de celle-ci dans l’autisme. De nombreuses hypothèses psychanalytiques rejoignent ainsi celles des chercheurs en sciences cognitives sur les « cognitions sociales », l’empathie et la conscience de soi. Sans doute sommes-nous confrontés ici à un problème de nature historique : la démarche psychopathologique qui consiste à analyser de manière approfondie les processus mentaux et leurs anomalies, en référence à des modèles psychologiques généraux et permanents, communs à la psychanalyse et à d’autres approches, est restée longtemps pour des raisons conjoncturelles le fait de cliniciens référés à la psychanalyse. Longtemps, seules la psychanalyse, la philosophie de l’esprit et la phénoménologie se sont intéressées aux processus de conscience de soi et d’autrui, aux mécanismes intersubjectifs et à la vie émotionnelle. Aujourd’hui l’étude de ces réalités peut être conduite en référence à des modèles et théories différents, sous l’égide d’autres psychologies et surtout de celle des sciences et neurosciences cognitives qui ont pris le relais du projet d’une « psychologie scientifique ». Ce constat invite à rester critique à l’égard de l’étiquetage (psychanalytique, cognitif, biologique…) des théories ou des modèles, qui est volontiers tributaire de réalités conjoncturelles et historiques, et

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invite à privilégier le fond c’est-à-dire le contenu des théories, indépendamment de leur système d’appartenance affiché – donc à privilégier une lecture pluridisciplinaire. Retenons enfin l’accent mis par les théories cliniques sur l’importance des phénomènes anxieux et l’intensité des processus émotionnels vécus par les sujets autistes, que les approches moins attentives à l’expérience subjective et aux processus affectifs tendent à négliger ou méconnaître. Enfin, s’opposant à une conception prédéterminée et fixée de l’autisme, la perspective psychanalytique considère le syndrome autistique comme le résultat d’un processus progressif dont l’évolution ne serait pas déterminée, parfois même jusqu’à un certain point réversible, ce qui justifie des interventions précoces supposées capables non seulement de réduire la gravité évolutive, mais parfois d’enrayer la progression du trouble. Soulignons que le principe d’une action thérapeutique environnementale exploitant la relation entre le thérapeute et l’enfant n’est pas synonyme de conception psychogénétique du syndrome. Reste le dernier point, qui a suscité le plus de polémiques et concerne les hypothèses psychanalytiques causales. De ce point de vue, le cas de l’autisme n’est pas intrinsèquement différent de celui des autres pathologies : schizophrénie ou troubles de l’humeur. Théorie d’une pratique, dont la valeur est avant tout clinique, la psychanalyse n’est pas en mesure de proposer à elle seule des hypothèses étiologiques des pathologies mentales. Cependant, lorsqu’elle constituait la théorie dominante en psychiatrie et psychopathologie, des psychanalystes se sont crus en position de le faire sur la base de leur expérience personnelle, dans un contexte d’ignorance des facteurs causaux, pour l’autisme comme pour d’autres pathologies. La visée étiologique est déjà présente dans les hypothèses sur la nature et la cause des angoisses dites « archaïques » qui, pour des psychanalystes comme M. Mahler, Meltzer ou F. Tustin, sont supposées être à l’origine de l’autisme, et dont les contenus supposés restent spéculatifs. Très schématiquement, les premières théories psychanalytiques de l’autisme ont postulé en ef fet que celui-ci témoignait d’une réaction produite en réponse à une situation d’angoisse majeure précoce, angoisse de destruction elle-même liée à une expérience très précoce de « perte d’objet », en l’occurrence l’objet d’amour primaire

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que constitue la mère. Les particularités du développement de l’enfant feraient que cette perte de l’autre serait vécue comme une perte de soi. Le sujet ne serait pas en mesure de supporter, pour des raisons intrinsèques, la séparationindividuation d’avec l’environnement humain primordial qui serait une étape nécessaire du développement et de la naissance du soi. Ce type d’explication impose des précisions et des précautions qui ont souvent manqué. D’abord, il ne s’agit que d’hypothèses sur l’expérience vécue par l’enfant, reconstruite ou postulée, et non d’expériences rapportées par lui. Ensuite, l’hypothèse d’une expérience vécue de perte n’est pas synonyme d’une situation objective de perte, d’une perte réelle. Il n’est donc pas justifié de mettre en cause, sur la foi de cette hypothèse, la réalité de l’environnement de l’enfant. Il peut s’agir en effet d’une expérience anormale d’une situation normale, de l’expérience insatisfaisante d’un environnement satisfaisant. Les hypothèses psychanalytiques portent en effet sur la manière dont l’enfant expérimente ses relations à l’environnement, et non sur la réalité événementielle et historique de celles-ci. Mais cette nuance essentielle est rarement explicitée. Il est souvent postulé au contraire que l’une et l’autre réalités, événementielle et vécue, sont en lien. De plus, l’« objet » dont il est question ici est systématiquement la mère, son comportement et ses aptitudes, ce qui a entraîné des effets culpabilisateurs, alors qu’il est question ici plus largement de l’environnement affectif et humain de l’enfant, dont la « mère » est une métaphore. Enfin, le modèle développemental de différenciation du soi sur la base d’une indifférenciation initiale avec la mère n’est pas vérifié par les études modernes du développement (P. Rochat). En fait, on retrouve ici les limites d’une théorie à portée clinique fondée sur une pratique interpersonnelle intersubjective, théorie qui renvoie à cette pratique qui est son véritable objet, dont les hypothèses échappent à la réfutabilité, et à partir de laquelle une théorie objective et étiologique de la pathologie est hasardeuse. Plus fondamentalement encore, rien ne permet de voir dans l’expérience de détresse ainsi supposée, et même si l’hypothèse était vérifiée ou vérifiable, une cause, plutôt qu’un corrélat, du syndrome autistique. Les théories psychanalytiques ont ainsi été trop souvent portées à extrapoler une

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hypothétique explication causale à partir de leurs modèles descriptifs : hypothèse d’un traumatisme précoce, ou hypothèses développementales spéculatives qui apparaissent aujourd’hui parfois compatibles avec les données des sciences du développement, mais aussi parfois incompatibles. Plus prudentes, les hypothèses psychanalytiques qui relient le mode de pensée autistique à une difficulté à exploiter une capacité narrative sous-jacente à l’activité fantasmatique et de langage (J. Hachmann), et à la créativité, proposent une lecture de l’autisme mais pas une explication. Il s’agit seulement ici que de tenter d’analyser les faits et de les interroger en regard des connaissances disponibles, de manière critique, et non de porter un jugement sur les pratiques actuelles ou passées. De ce point de vue, on doit constater que ce qui est spécifique au cas de l’autisme tient à l’impact difficilement contrôlable d’hypothèses étiologiques exclusivement environnementales ou psychogénétiques, non vérifiées et qui ont mis en cause les relations précoces entre le bébé et son milieu familial. Une étude serait nécessaire pour mesurer cet impact. Est en cause plus particulièrement l’attitude adoptée à l’égard des familles, trop souvent écartées de la prise en charge et parfois jugées causes de la pathologie de l’enfant. Il reste de ces pratiques, et des préconisations de certains auteurs comme B. Bettelheim, partisan d’une séparation entre l’enfant et sa famille, les traces profondes de relations douloureuses de nombreuses familles avec la psychiatrie. (Le dogme de la séparation radicale d’avec la famille, et la mise en cause du milieu familial dans l’étiologie des troubles ne sont cependant pas propres à la question de l’autisme. Ils ont concerné initialement l’hystérie au XIXe siècle et ensuite d’autres syndromes, notamment l’anorexie mentale.) Rappelons cependant que ces erreurs ne concernent pas tous les praticiens qui référaient à la psychanalyse. Nombre des plus représentatifs psychanalystes du XXe siècle spécialisés dans la psychiatrie de l’enfant, comme S. Lebovici, R. Diatkine, ou R. Misès ont en revanche toujours prôné une causalité multifactorielle des troubles mentaux de l’enfant, et particulièrement de l’autisme. Travaillant en collaboration avec les neuropédiatres et les biologistes, ils ont inscrit la psychanalyse dans une démarche intellectuelle ouverte et pluraliste,

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alliée à une approche biomédicale, se sont gardés de toute interprétation causale réductrice, et ont considéré les parents comme des partenaires. Rappelons enfin que la dérive des modèles vers l’explication étiologique, qui confond observation et explication, ou infère hâtivement d’un fait une hypothèse pathogénique, est habituelle en psychiatrie ; elle témoigne de la fascination pour la recherche de la cause, et la même tendance peut s’observer en biologie ou neurosciences, notamment dans la conception défectologique évoquée plus haut.

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II. L’APPROCHE DES NEUROSCIENCES COGNITIVES : LES THÉORIES PSYCHOLOGIQUES OBJECTIVES ET À BASE EXPÉRIMENTALE Alors que les modèles et théories cliniques reposent seulement sur l’observation du sujet et l’établissement d’une relation avec lui, donc sur l’intersubjectivité (et l’implication revendiquée de la subjectivité du clinicien « observateur »), les modèles des sciences cognitives s’inscrivent dans le cadre d’une psychologie scientifique objective, fondée sur différentes méthodologies expérimentales psychologiques, comportementales, et sur l’enregistrement conjoint d’indices (activité électrique, imagerie) de l’activité cérébrale. Les « sciences cognitives » ne sont pas une psychologie de la cognition au sens conventionnel du terme, opposée ou distinguée des processus affectifs ou émotionnels, mais la forme contemporaine d’une psychologie scientifique objective qui se veut une « physiologie de l’esprit », qui décrit les mécanismes élémentaires assurant la production et la régulation du fonctionnement mental ou psychique. Comme nous l’avons vu, elles sont héritières de la psychologie expérimentale, de la psychophysiologie du XIXe siècle, et de la psychologie scientifique. Elles sont nées de l’abandon du comportementalisme (« behaviorism ») qui au contraire s’interdisait toute approche scientifique de la vie mentale, faute à l’époque des moyens de celle-ci, et n’autorisait que l’étude du comportement, seule objective alors. Mais les sciences cognitives ont étroitement relié psychologie et sciences du comportement, pour constituer une véritable théorie de l’action et de sa régulation. Comme nous le verrons, elles ne se réfèrent pas à la théorie de l’apprentissage qui a historiquement fondé le comportemen-

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talisme, aujourd’hui obsolète mais à une théorie moderne de l’action. Enfin, elles prennent pour objet les processus émotionnels et la vie affective, et l’intersubjectivité, ce qui leur permet de porter sur l’autisme un regard particulièrement intéressant pour le clinicien et autorise une lecture de la psychopathologie (Georgieff, 2005, 2007). Du point de vue méthodologique, on distinguera les recherches des neurosciences cognitives, surtout en neuropsychologie, qui portent sur le système nerveux central de sujets autistes et en étudient les anomalies fonctionnelles au cours de diverses situations expérimentales, et les recherches des sciences cognitives qui restent de nature psychologique et reposent sur l’étude expérimentale de certaines fonctions mentales, souvent (mais non obligatoirement) en lien avec l’étude du fonctionnement cérébral sous-jacent. Du point de vue des principales hypothèses ou des principaux modèles, nous distinguerons l’hypothèse d’un trouble des cognitions sociales, celle d’un trouble perceptif, et mentionnerons seulement celle d’un trouble des fonctions dites « exécutives » assurant le contrôle de l’action. Il ne s’agit pas selon nous réellement d’hypothèses concurrentes mais plutôt de points de vue différents qui privilégient chacun une perspective, conceptuelle et méthodologique. Chaque point de vue est souvent hâtivement présenté comme le plus explicatif de l’ensemble du syndrome : chacun tend parfois à assigner de manière plus ou moins arbitraire un rôle causal premier et univoque à son niveau d’analyse, en considérant que les autres niveaux descriptifs et explicatifs en découlent. Mais il est probable que ces modèles décrivent en fait une même réalité de différents points de vue, à différents niveaux explicatifs ou fonctionnels.

1. L’hypothèse perceptive L’hypothèse dite perceptive, défendue aujourd’hui notamment par le chercheur québécois L. Mottron, suppose que l’anomalie principale responsable du syndrome autistique est un fonctionnement particulier de la perception, qui serait plus élevée que chez les sujets ordinaires, et moins soumise aux processus centraux intégratifs tendant à la catégorisation et à l’extraction de l’intentionnalité. Elle postule un hypofonctionnement c’est-à-dire un défaut des traite-

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ments de l’information dite de « haut niveau », dépendants de processus intégratifs et plurimodaux, et qui serait indirectement responsable des altérations sociales. Ce déficit contrasterait avec un hyperfonctionnement du traitement perceptif de l’information plus élémentaire dite « statique » ou « locale », ou des traitements dits de « bas niveau ». Le sujet appréhenderait le monde par détails plutôt que par formes ou figures, il privilégierait les composantes élémentaires de l’information perceptive, décomposées ou plutôt non composées, aux dépens de l’extraction de représentations d’ensemble complexes et synthétiques, significatives. Cette hypothèse rejoint celle formulée auparavant par U. Frith, d’un défaut de la « cohérence centrale » c’est-àdire de la capacité à dégager le principe organisateur d’un ensemble d’informations sensorielles. Le sujet serait en difficulté pour accéder à des représentations dépendantes d’un haut degré d’intégration de traits ou de signaux perceptifs élémentaires, et particulièrement de processus plurimodaux impliquant différentes modalités sensorielles simultanément. Cette difficulté affecterait donc tout particulièrement la perception des expressions du visage, de la voix, du geste, donc l’appréhension de l’intentionnalité qui est dépendante de traitements intégratifs plurimodaux synchrones et dynamiques, nécessaires pour intégrer analyse du regard, des expressions faciales, de la prosodie, du sens du discours, de l’expression du geste ou de la posture. L’analyse de ces informations en perpétuel changement aboutit à l’extraction du sens ou de l’intentionnalité de la conduite, de la parole, de l’attitude ou du geste d’autrui. Une anomalie de ce processus s’exprimerait par les difficultés relationnelles ou intersubjectives qui seront attribuées plus loin à une altération des « cognitions sociales ». Cette hypothèse s’appuie sur des arguments cliniques, dont les témoignages de personnes autistes d’intelligence normale qui décrivent les particularités de leur représentation du monde et de leurs perceptions. Elle repose aussi sur les plus rares « talents paradoxaux » d’individus, bien illustrés au cinéma par le personnage du film Rain Man, qui supposent des capacités supérieures à la normale dans le champ de la perception visuelle, auditive, ou de la mémoire. Les stratégies des sujets hypermnésiques reposent ainsi sur une capacité à percevoir et enregistrer un très grand nombre

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de détails visuels. Il existe également des arguments expérimentaux, apportés par les performances supérieures à la normale (les « pics d’habileté ») observées dans l’autisme pour certaines composantes des tests de niveau intellectuel, qui reposent sur ce type d’analyse perceptive et non sur le langage ou sur des aptitudes à intégrer ou synthétiser, qui en revanche sont altérées. L’hypothèse perceptive a l’intérêt de s’appuyer sur une réalité : les particularités perceptives, non spécifiques d’un type d’information, observées dans l’autisme, mais sa valeur explicative rencontre deux limites. La première tient au fait qu’elle voit dans les troubles touchant les processus perceptifs complexes, mis en jeu dans la communication, la relation et la réciprocité sociale, c’est-à-dire l’intersubjectivité, la conséquence de particularités perceptives élémentaires. Mais on pourrait aussi bien postuler que les anomalies perceptives élémentaires ou de bas niveau sont les conséquences non spécifiques d’une perturbation de haut niveau touchant les processus de cognition sociale, perturbation plus spécifique qui expliquerait en revanche directement les anomalies sociales. On rencontre ici un problème classique en neuropsychologie cognitive : l’alternative entre explication causale de processus complexes dits de haut niveau par les processus les plus élémentaires, dite bottom-up, et explication causale des altérations de bas niveau par un trouble des fonctions complexes, dite top down. Le choix d’une relation causale plutôt que d’une autre est en fait alors largement arbitraire, sauf quand on dispose de la preuve de l’altération première de l’un ou l’autre niveau de processus. Or ce n’est pas le cas dans l’autisme, ou pas encore, et on peut se demander alors si théorie perceptive et théorie d’un trouble plus spécifique des cognitions sociales ne sont pas deux manières de décrire une même réalité de deux points de vue différents, donc sans que l’un soit en mesure d’expliquer causalement l’autre. Le processus pathologique s’exprimerait alors à la fois dans le champ des cognitions sociales et dans celui de la perception non spécifique. La seconde limite est plus conceptuelle. Il est postulé en effet que l’anomalie caractéristique de l’autisme n’est pas spécifique du champ relationnel ou interpersonnel, parce que les particularités perceptives élémentaires (l’anomalie de l’intégration sensorielle) touchent tous les types d’infor-

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mation et non exclusivement l’information « sociale ». Mais en fait cette argumentation repose sur un postulat psychologique et neurocognitif discutable, selon lequel les cognitions sociales dépendraient seulement de niveaux élevés d’intégration sensorielle perceptive, et non de systèmes spécifiques. L’accès à la représentation de l’intentionnalité ou de la connaissance d’autrui, correspondant comme nous le verrons à l’empathie ou à la « théorie de l’esprit », serait seulement l’aboutissement de processus perceptifs de plus en plus complexes et intégrés. Or, s’il est vrai que ces fonctions reposent sur la perception de signaux sensoriels, l’ensemble des données actuelles sur les bases des cognitions sociales est comme nous allons le voir en faveur de l’existence de systèmes spécifiques, et non simplement d’une sophistication des systèmes perceptifs. Ainsi, les systèmes neuronaux mis en jeu dans la représentation du geste ou de l’action ne sont pas perceptifs mais « représentationnels » : ils sont activés aussi bien lors de la perception du geste que lors de son imagination, donc de manière endogène aussi bien qu’exogène. En fait, on rencontre ici les limites d’une psychologie placée sous le primat de la perception, alors que comme nous le verrons les cognitions sociales sont en faveur du primat de l’action et de sa représentation. Et les différentes conceptions des troubles psychopathologiques, au-delà de l’autisme, s’opposent en effet selon qu’elles sont référées à une psychologie de la perception, de l’attention, de la mémoire, ou de l’action. Or seule cette dernière est selon nous en mesure aujourd’hui d’intégrer l’ensemble des modèles neurocognitifs.

2. L’autisme, pathologie de l’empathie ou des « cognitions sociales » L’hypothèse d’un trouble plus spécifique des cognitions sociales formule dans les termes des sciences et neurosciences cognitives le principe d’une altération des processus de représentation d’autrui et des mécanismes de la vie relationnelle qui est au centre de la clinique de l’autisme. Elle trouve son origine dans le concept de « théorie de l’esprit ». Paraît en 1985 une étude qui ouvrira un vaste champ de recherche : elle porte sur la fonction dite « théorie de

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l’esprit » (theory of mind ou TOM) (Baron-Cohen et coll.). Cette notion, initialement apparue en éthologie, désigne la capacité à prédire les comportements et actions d’autrui. Elle définit la fonction qui donne accès à la vie mentale d’autrui, qui permet la connaissance d’autrui et de ses états mentaux ; qui permet d’adopter le « point de vue de l’autre » ou de se mettre à la place de l’autre. Dans le protocole expérimental dit « Sally et Ann », deux poupées sont mises en scène devant l’enfant : Sally dépose une friandise dans un panier fermé dont on ne peut voir ensuite le contenu, puis s’en va ; pendant son absence, Ann déplace la friandise ; puis Sally revient et on demande d’abord à l’enfant : « Sais-tu où est la friandise ? » afin d’évaluer sa compréhension de la scène (la réponse est par exemple : dans la poche de Ann) ; puis « Où Sally va-t-elle la chercher ? » afin de savoir si l’enfant peut se représenter la (fausse) croyance de Sally. Si l’enfant dispose d’une TOM, il répondra bien sûr que Sally la cherchera dans le panier où elle croit qu’elle est toujours. Un enfant réussit cette tâche dès l’âge de trois à quatre ans. Les paradigmes expérimentaux de « fausses croyances » (comme celui de « Sally et Ann ») qui évaluent cette aptitude consistent à demander à l’enfant ce que fera un personnage confronté à une situation où il ignore que l’objet qu’il désire a été déplacé ou substitué, ce que l’enfant en revanche sait. Celui-ci doit donc se représenter la croyance d’autrui (objectivement fausse ici, ce qui permet de s’assurer que le sujet décrit la représentation que se fait autrui de la situation, et non la situation concrète). L’étude analysait les réponses de trois groupes d’enfants (témoins, autistes et déficients intellectuels appariés) à une tâche de TOM. Elle montrait que les enfants autistes échouent à cette tâche plus souvent que ceux des deux autres groupes, difficulté qui semble donc indépendante de l’existence d’un retard mental. De nombreuses recherches ultérieures confirmeront que les sujets autistes rencontrent des difficultés spécifiques aux tâches de TOM de premier, second ou troisième ordre (selon le nombre de protagonistes mis en scène, lorsqu’il s’agit de se représenter ce que X croit que Y croit que Z croit…). Un dispositif aussi simple que celui de « Sally et Ann » permet d’éclairer les différentes composantes de la TOM : la capacité de se représenter les états mentaux d’autrui et

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donc de se mettre « à la place » de l’autre par identification ; mais aussi celle de distinguer ses propres états mentaux et croyances de ceux d’autrui ; enfin la fonction qui permet de se représenter de manière différenciée la réalité factuelle ou matérielle et les représentations de cette réalité par l’esprit, propre ou d’autrui.

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On nomme « méta-représentation » ce niveau de représentation de l’activité même de représentation, qui sous-tend la fonction de TOM. Leslie développera un modèle du développement psychologique faisant dépendre les jeux de « faire semblant » de la capacité de méta-représentation : jouer et « faire semblant », c’est prendre les choses pour ce qu’elles ne sont pas, donc disposer des représentations que l’on peut librement se faire des choses, et non des représentations des choses en elles-mêmes. On voit ici les liens entre méta-représentation, action ou intention, et TOM. Si l’enfant joue à téléphoner avec une banane, c’est parce qu’il dispose en fait de la représentation de l’acte ou de l’intention de téléphoner, et donc aussi parce qu’il sait que sa mère comprendra son jeu (donc il dispose d’une TOM de celleci). L’accès à ces niveaux de représentation autorise à substituer n’importe quel objet, sur la base d’une quelconque ressemblance, au téléphone. On le sait, ces jeux sont absents ou altérés dans l’autisme, ce qui laisse supposer une dif ficulté à disposer de ces niveaux de méta-représentation qui sous-tendent la fonction symbolique. Le concept de TOM a d’autres implications psychologiques et comportementales qui permettent de mieux comprendre le syndrome autistique. Plusieurs dimensions du fonctionnement psychique, qui s’avèrent par ailleurs altérées dans l’autisme, sont en effet dépendantes de la représentation de l’activité mentale d’autrui. Ainsi, la représentation du psychisme d’autrui est étroitement liée au développement du langage. La pragmatique de la communication postule que l’usage du langage implique l’accès aux états mentaux et intentionnels d’autrui. L’accès au « vouloir dire » du locuteur apparaît aussi nécessaire pour le comprendre que l’anticipation des états mentaux de l’interlocuteur, de son « pouvoir comprendre » est nécessaire pour produire le discours qu’on lui adresse. Plus particulièrement, l’usage de la métaphore suppose une représentation de l’état mental d’autrui. C’est en effet le fait d’anticiper le sens que l’inter-

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locuteur donnera au propos qui permet d’user d’un terme au-delà de son sens littéral. La production de la métaphore, comme de toute figure productrice de sens, repose sur la représentation que je peux me faire du sens que l’autre donnera à ma parole (d’un sens différent du sens littéral). C’est l’anticipation de l’activité mentale de l’autre qui rend possible la polysémie du symbole, polysémie que la métaphore illustre de la manière la plus remarquable. On sait que la production comme la compréhension des métaphores est absente ou perturbée dans l’autisme. Le mensonge ou la ruse, et surtout l’exercice et la compréhension de l’humour, sont également dépendants de la capacité de représentation des états mentaux d’autrui, et sont absents ou fortement perturbés dans l’autisme. L’effet comique est déclenché en effet non par une scène ou une situation en elle-même, mais par la représentation de l’état mental d’un personnage pris dans la scène ou témoin de celle-ci. L’effet comique d’un dessin humoristique suppose ainsi l’accès à l’état mental d’un personnage inscrit dans la scène, et dont la représentation des états mentaux est nécessaire au déclenchement de l’effet psychique produit chez le spectateur. Dans les situations naturelles, l’usage comme la compréhension de l’humour impliquent la représentation d’états mentaux et intentionnels qui restent implicites. Cette compréhension est particulièrement difficile dans l’autisme, comme le rapportent notamment des adolescents autistes souffrant d’une grande difficulté à comprendre les plaisanteries et les mots d’esprit. Enfin, la capacité de TOM ou de méta-représentation permet de comprendre comment la communication interpersonnelle est ordinairement régie non par la logique formelle, mais par une logique naturelle qui repose sur l’anticipation de la compréhension de l’autre. Par convention, c’est la compréhension mutuelle des intentions sousjacentes aux actes de parole (c’est-à-dire l’usage de TOM) qui régit implicitement la communication, et non les règles de la logique pure qui conduisent en revanche au syllogisme. Ici encore le raisonnement autistique est caractérisé par le fait qu’il est souvent soumis, jusqu’à l’absurde, aux contraintes d’une logique formelle plutôt que naturelle et fondée sur le « sens commun », ce qui le rend parfois difficilement compréhensible.

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L’introduction de ces études soulèvera en France plus de résistances que d’engouement, sans doute parce qu’elles se prétendaient explicatives de l’autisme et non seulement descriptives : le défaut de TOM est présenté en effet par l’approche alors dite « cognitive » comme l’explication même de la pathologie. Mais en quoi l’hypothèse d’un défaut de « théorie de l’esprit » (la fonction spécialisée supposée nous permettre de nous représenter le fonctionnement mental d’autrui) constitue-t-elle une explication et non seulement une relecture de la clinique, c’est-à-dire une nouvelle description du trouble autistique ? Tout se passe comme si le fait de nommer le trouble et de lui conférer le statut d’expression d’un déficit (ici de la fonction dite de « théorie de l’esprit ») permettait d’en expliquer la cause, grâce à la référence à un « déficit cognitif » qui introduit une réalité biologique cérébrale sous-jacente. La démarche consiste à expliquer le trouble clinique, qui exprime le défaut d’usage d’une fonction mentale ou comportementale, par l’absence des moyens mêmes (processus cognitifs, fonctions cérébrales) nécessaires à cette fonction. Elle réactualise une vision « déficitaire » ou défectologique de l’autisme que nous avons évoquée plus haut, contre laquelle la pédopsychiatrie avait âprement lutté (autant que contre l’hégémonie du concept de schizophrénie infantile), pour imposer une compréhension fonctionnelle de la clinique grâce à la catégorie de la « psychose infantile » (il est remarquable que ce terme soit aujourd’hui parfois rejeté alors qu’historiquement il a été introduit pour rendre possible une compréhension et non une stigmatisation, de l’autisme). En confondant description et explication, la notion de TOM n’ouvrait donc pas facilement une voie de compréhension psychopathologique des troubles de l’intersubjectivité. Le trouble de l’accès à l’intersubjectivité est en effet depuis longtemps reconnu et analysé par la psychopathologie clinique, mais il y est considéré comme un fait clinique qui doit lui-même être expliqué, et non comme une explication de la clinique. D’autres facteurs expliquent la rencontre alors manquée entre psychopathologie et psychologie cognitive. La première conception de la TOM, en tant que mécanisme de connaissance d’autrui, assimilait celle-ci à un raisonnement, au produit d’un calcul, et ignorait à la fois les processus non

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conscients et le rôle de l’émotion. Elle considèrait la fonction de TOM comme un jugement conscient sur les croyances et intentions d’autrui, issu de l’apprentissage, d’apparition tardive chez l’enfant de plus de trois ans. Elle négligeait donc les processus intersubjectifs et empathiques constitutifs des interactions précoces entre le bébé et l’adulte, ainsi que la description de précurseurs de la TOM d’émergence très précoce (intérêt pour les visages, analyse de la direction du regard dès la première année, puis processus d’attention conjointe au cours de la deuxième). De plus, on peut mettre en évidence chez des enfants de moins de trois ans, et qui échouent donc aux tâches de TOM, une capacité implicite (non consciente) et non verbale de prédiction des actions d’autrui dans les situations de fausses croyances décrites plus haut. Enfin, pourquoi ne pas considérer que l’échec de l’accès à la connaissance d’autrui serait lié plutôt à une anomalie première de reconnaissance des émotions, à un trouble affectif (P. Hobson) ? La prise en compte des compétences intersubjectives précoces et non verbales du bébé conduira en fait rapidement à décomposer le concept de TOM et à l’inscrire dans une perspective développementale plus large, comme le propose S. Baron-Cohen (1995) qui substituent à la notion de TOM celle de mind reading (lecture de l’esprit). Elle est ainsi progressivement comprise de manière moins intellectualiste, et aussi moins « modulaire » (c’est-à-dire isolée) comme le produit de processus implicites (non conscients et non intentionnels), aux bases automatiques fondées sur l’activation commune chez soi et autrui de systèmes neurocognitifs spécialisés dans la perception, la représentation et l’organisation de l’action. S’appuyant sur des arguments neurophysiologiques, cette conception dite « simulationniste » de la connaissance d’autrui repose sur un processus assurant le partage de représentations motrices, intentionnelles, et émotionnelles entre deux individus. La découverte chez le singe des « neurones miroirs » (Rizzolatti et al., 1996) sera en effet un argument clef en faveur d’une telle conception des « cognitions sociales ». Ces neurones corticaux frontaux prémoteurs sont en effet activés de manière identique lorsque le singe se prépare à exécuter lui-même un certain acte moteur (saisir un aliment), et lorsqu’il voit seulement ce même acte exécuté

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par autrui. Ce mécanisme existerait chez l’homme, l’observation de l’acte activant les structures motrices (cortex prémoteur et cortex pariétal) au même titre que l’imagerie mentale, la préparation et l’exécution de l’action. Le système de représentation d’action serait mis en jeu lorsque l’action est seulement représentée comme lorsqu’elle est préparée et exécutée, et surtout lorsque l’action est engagée par le sujet comme lorsqu’elle est perçue chez autrui. De même que se représenter l’action c’est agir, observer l’action c’est (de ce point de vue) également agir. Le système de codage de l’action permettrait ainsi une relation transitive entre individus, basée sur le partage d’intentions et d’actes, mise en jeu dans les interactions sociales. Ce système produirait des « représentations partagées » entre soi et autrui, représentations d’action, de but et d’intention, grâce à un processus de « résonance motrice » (dont les effets sont cependant limités par des mécanismes d’inhibition). On peut faire ainsi l’hypothèse d’une propriété neurocognitive transitive ou spéculaire, qui produit des configurations d’activité cérébrale, et des représentations mentales, analogues chez soi et autrui, et qui assure donc la reproduction, par l’activité cérébrale et mentale d’un individu, de celle d’un autre individu. Bien sûr ce système joue un rôle dans les processus d’imitation et d’apprentissage, mais il pourrait aussi être impliqué dans la TOM et les cognitions sociales. Le partage de représentations d’action permettrait la compréhension intentionnelle de l’action perçue, donnerait accès aux émotions de l’agent. Il serait un des mécanismes de l’empathie, terme par lequel on traduit l’Einfühlung, concept fondamental en esthétique, puis psychologie et sociologie développé par T. Lipps à la fin du XIXe siècle. L’empathie désigne ici le mécanisme (distinct de la perception comme de l’introspection) de la connaissance d’autrui, permettant de se représenter et de partager les états mentaux et les émotions d’autrui, qui correspond au concept moderne de « théorie de l’esprit ». Cette théorie se voit étrangement réactualisée, sinon démontrée, par les neurosciences cognitives. Les propriétés des systèmes de codage de l’action et les neurones miroirs confirment l’hypothèse de Lipps, qui postulait déjà que l’empathie reposait sur un partage de représentations

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motrices. Selon Lipps, ce sont en effet les impulsions motrices automatiquement induites par la vue de l’expression de l’émotion sur le visage de l’autre (les influx nécessaires à la production de cette expression) qui permettent la tendance à ressentir l’état affectif correspondant. La représentation motrice assure la reproduction chez le spectateur de l’état affectif à partir de la perception de l’action de l’autre. La vision de l’expression correspond déjà à un « début d’imitation », une « imitation interne », comme les recherches actuelles montrent que la perception de l’action correspond à l’activation d’une représentation de celle-ci. L’empathie ou l’identification à autrui ne reposent probablement pas seulement sur les « neurones miroirs » et la résonance ou contagion motrice. D’autres systèmes possèdent en effet la même propriété d’assurer une équivalence fonctionnelle entre le processus de perception d’un événement ou état mental, et le processus de production de ce même état. Un mécanisme analogue de résonance ou de représentations partagées existe pour les émotions, dont la production (en soi) et la reconnaissance (chez autrui) partagent des mécanismes cérébraux et cognitifs communs (insula, amygdale, cortex cingulaire). Ce système neurocognitif semble donc assurer une fonction d’identification à autrui de nature spéculaire et mimétique, rendant le sujet identique à l’autre. L’empathie suppose cependant aussi un mécanisme de distinction entre soi et l’autre, bien repérable comme nous l’avons vu plus haut dès la situation de « Sally et Ann » ; système que nous avons appelé who system (système du qui) (Georgieff et Jeannerod) ou « système de l’autre », qui permet l’attribution à soi ou à autrui des représentations partagées. La distinction soi-autrui semble liée à d’autres systèmes neurocognitifs, constituants d’un « système de l’autre » (Georgieff, 2005) antagoniste du système mimétique ou de résonance, et qui tempérerait les effets de ce dernier. Certaines zones cérébrales apparaissent spécifiquement activées lorsqu’on porte un jugement de distinction entre soi et autrui, ou lorsqu’on attribue à autrui une action (notamment le cortex pariétal inférieur droit). L’adoption du point de vue d’autrui en « troisième personne » est corrélée à l’activation du cortex frontal et préfrontal, ce qui conduit Decety (2005) à attribuer à cette

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activité frontale une fonction de découplage entre les perspectives en première et troisième personne grâce à la mise en œuvre d’une propriété de « flexibilité mentale ».

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Les notions de théorie de l’esprit, de cognitions sociales ou d’empathie (étendue aux états émotionnels) introduisent ainsi dans le répertoire des fonctions cérébrales et cognitives une nouvelle dimension fonctionnelle liée à la représentation d’autrui et à l’intersubjectivité. Elles rendent compte de l’aptitude humaine innée à exploiter ce que l’on nomme en sciences cognitives une « psychologie naïve », c’est-à-dire un mode naturel d’appréhension et de compréhension du comportement humain qui repose sur des logiques propres (en particulier la représentation d’une causalité intentionnelle qui se distingue de la causalité physique mécanique). Très tôt, c’est-à-dire dès la première année, les recherches sur le développement montrent en effet que l’enfant dispose de capacités innées qui lui permettent de se représenter la réalité du monde physique (grâce à une « physique naïve » qui lui permet de prédire et appréhender la réalité en fonction des lois physiques). Mais elles montrent aussi que son intérêt se porte de manière privilégiée, grâce à des aptitudes innées, vers autrui et les signaux (visage, regard, voix, gestes) qui témoignent de l’activité mentale d’autrui. La prise en compte de cette réalité particulière de l’activité mentale et de l’intentionnalité, distinguée de la réalité matérielle, captera de plus en plus l’intérêt de l’enfant, dans le jeu et la vie sociale. La clinique de l’autisme suggère bien sûr une altération précoce de cette fonction assurant l’appréhension innée et précoce de la réalité interhumaine. Brunner puis Baron-Cohen ont décrit le mécanisme dit « d’attention conjointe » par lequel l’enfant tente de faire partager à autrui (par un pointage proto-déclaratif ou la direction de son regard) l’objet de son attention, ou réciproquement s’intéresse à l’objet de l’attention d’autrui. C’est au cours du développement normal un précurseur particulièrement repérable du langage et de la TOM. Il apparaît normalement au cours de la deuxième année, mais est le plus souvent absent ou perturbé dans l’autisme. Ce comportement caractéristique est une des expressions les plus manifestes de la tendance à créer avec autrui des « représentations partagées », à partager une activité

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psychique avec autrui. Grâce à la focalisation commune de l’intérêt du bébé et de l’adulte pour un même objet de la réalité, l’attention conjointe s’accompagne en effet d’un partage de représentations mentales, de la création d’une activité mentale commune. En attirant l’attention de l’autre sur ce qui suscite mon intérêt, mon plaisir ou ma crainte, l’invite l’autre à partager avec moi ses états mentaux et émotionnels. Le langage constituera ensuite le moyen le plus adapté de susciter cette contagion, cette communication au sens propre d’une induction chez l’autre d’une activité mentale analogue à la sienne. L’interaction adulte/bébé est caractérisée par la recherche d’un accordage affectif et mental (Stern), d’un partage de représentations communes. S. Baron-Cohen suggère que l’attention conjointe dépend d’un module cognitif spécifique (shared attention mechanism) qui assure précocement et de manière innée, sur la base d’un partage d’attention pour le monde, ce « couplage » des activités mentales entre soi et l’autre. On peut en rapprocher d’autres processus d’apparition plus tardive qui assurent le « faire croire » à autrui, et plus largement les comportements qui visent à induire chez autrui un état mental analogue à celui qui occupe le sujet, à assurer la reproduction chez autrui d’états mentaux et émotionnels analogues aux siens. Ce mouvement est en miroir de la tendance mimétique évoquée plus haut et qui induit réciproquement la reproduction en soi des états mentaux d’autrui. L’empathie est donc étroitement liée à une propriété essentielle des conduites humaines, la réciprocité. On trouve en effet ici deux composantes complémentaires de l’empathie, active et passive, dirigée vers autrui (ce que j’induis chez autrui de similaire à moi) ou produite par autrui (ce qu’autrui induit en moi de similaire à lui), qui inversent successivement dans l’interaction psychique interindividuelle, de manière symétrique, le sens des échanges ou des partages mentaux entre soi et autrui. L’individu cherche à se faire connaître et reconnaître de l’autre autant qu’à le connaître. Cette double nature de l’empathie semble bien à l’origine de la réciprocité des conduites. Et l’autisme, comme on l’a vu du point de vue clinique, constitue un trouble précoce exemplaire de l’empathie autant que de la réciprocité.

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L’accomplissement de l’un et l’autre mouvements empathiques réciproques, la tendance active à faire partager à autrui ses états mentaux propres autant que l’accès à ceux d’autrui, la tendance à se faire connaître ou reconnaître d’autrui autant que celle à le connaître, semblent une fin en soi, constituer le but même de mouvements de communication et d’interactions avec l’autre, et être la source d’un plaisir ou d’une satisfaction propres. Est-ce ce plaisir ou cette recherche de plaisir qui manquent dans l’autisme, expliquant l’absence d’initiative intersubjective autant que de sensibilité à l’influence d’autrui ? Ou bien est-ce la compétence communicationnelle ou plutôt de partage mental qui est primitivement absente ou altérée ? En l’absence de réponse à la question du primum movens, on retrouve ici la diversité des explications causales, déjà évoquée. Quoi qu’il en soit, tout se passe comme si l’enfant autiste n’était pas entraîné dans le mouvement d’échange et de mise en commun d’activité mentale, d’activité psychique partagée ou de co-pensée (D. Widlöcher), et donc comme si son développement psychique n’était pas profondément influencé et transformé, comme c’est normalement le cas, par ce mouvement d’échange interpersonnel. On peut s’interroger sur ce qui rend possible l’empathie ou l’intersubjectivité, autant que la réciprocité des conduites. Les recherches sur le développement éclairent les sources de cette aptitude intersubjective qui destine le psychisme du sujet à représenter l’autre et son activité mentale. Selon le psychologue du développement C. Trevarthen, le bébé disposerait de manière innée d’une représentation d’autrui, d’une anticipation du semblable, avant même de le rencontrer dans son environnement et d’interagir avec lui. Cette hypothèse est particulièrement compatible avec le principe neurocognitif développé plus haut de systèmes de représentations mentales « partagées » entre soi et autrui, qui seraient mis en jeu aussi bien dans la représentation de soi que d’autrui. Autrui serait codé ou représenté par le système cognitif au même titre que le soi, comme deux effets d’un même système ou d’une même fonction. On ignore si ces représentations existent, et sous quelles formes, chez le bébé, mais en revanche on observe dès la première année des comportements qui expriment une reconnaissance de soi et une différenciation entre soi et autrui

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(P. Rochat). On peut donc faire l’hypothèse que dans l’autisme les bases mêmes de l’empathie et de l’intersubjectivité, l’intersubjectivité primaire, pourraient être altérées. Le bébé disposerait normalement d’une représentation d’autrui qui est la condition de son aptitude innée à interagir avec autrui. Cette interaction implique en effet d’anticiper l’existence d’un autre c’est-à-dire l’existence d’une autre activité mentale. À partir de l’étude des interactions précoces entre le bébé et sa mère, C. Trevarthen (1993) a proposé la notion d’un « autre virtuel » inhérent au fonctionnement mental individuel, postulant ainsi le rôle d’une représentation innée d’autrui dans le fonctionnement mental de l’enfant. Cette représentation assurerait dès la naissance la régulation de l’intersubjectivité et des comportements d’interaction, par l’anticipation permanente des réponses de l’autre aux comportements du sujet. Le développement neurobiologique précoce repose sur une capacité innée du bébé à se représenter, dans l’interaction, les comportements d’autrui et à les anticiper, ces anticipations assurant une régulation des propres comportements du bébé. Ces aptitudes innées à interagir avec autrui dépendraient d’un système neurobiologique et cognitif (« IMF » pour Innate Motive Formation), système régulateur du développement qui prédispose l’individu à l’intersubjectivité et génère les conduites interactives grâce à l’intériorisation de l’« autre virtuel » qui permet l’anticipation de ses réponses. Les concepts de TOM et de « cognitions sociales » ont ainsi introduit dans les neurosciences et dans la psychologie scientifique contemporaine (neuropsychologie, neurobiologie, sciences du développement) la prise en compte d’un objet d’étude jusqu’ici réservé à la psychologie clinique, à la psychanalyse et à la psychologie sociale : l’intersubjectivité et la relation interpersonnelle. Après la philosophie et la psychologie, les neurosciences s’interrogent à leur tour sur la nature de la propriété de l’esprit qui assure la représentation de l’esprit par l’esprit. La prise en compte de la relation interindividuelle (et notamment l’étude du développement précoce) les a conduits à abandonner une vision solipsiste du psychisme, et à renouer avec une approche interactionniste (J. Cosnier, 1998). Les comportements « sociaux » (langage, actes de communica-

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tion et actions relationnelles), sont dirigés vers l’autre ou vers l’action de l’autre, et ont pour but de susciter ou modifier chez autrui ses actions, intentions et états mentaux (Georgieff, 2000). Comprendre et anticiper le comportement d’autrui devient, pour les neurosciences cognitives, une fonction fondamentale de l’esprit et du cer veau. Le cerveau n’est pas en relation seulement avec le monde physique, il interagit avec d’autres cerveaux, analyse et représente des états mentaux. Le psychisme est doté de propriétés naturelles qui le conduisent à réagir électivement et très précocement à l’action d’autrui (actes mentaux et comportements intentionnels), du fait de propriétés cérébrales et cognitives qui font de l’action ou intention (de soi et d’autrui) l’objet même du psychisme. L’activité mentale d’autrui est l’objet naturel de l’activité psychique, l’action et l’intentionnalité des objets privilégiés du cerveau. On l’a vu, l’autisme infantile et ses troubles de la réciprocité sociale posent de manière exemplaire le problème d’un possible échec précoce de ces mécanismes. Il semble exprimer l’impossibilité d’exploiter la fonction dite « psychologie naïve » qui rend possible la connaissance d’autrui, difficulté qui contraste avec une appréhension souvent préser vée du monde physique et de ses lois. Les altérations de la constitution de la représentation de l’autre, donc de la communication et des interactions, découleraient de ce trouble précoce de l’empathie ou de la « cognition sociale » (TOM et ses précurseurs), trouble que S. Baron-Cohen nomme « cécité mentale » c’est-à-dire cécité pour l’activité psychique de l’autre – mind blindness – mais que nous définirions plutôt ici comme une sorte de « négligence » – mind neglect – au sens neuropsychologique du terme. Définir l’autisme comme trouble de l’empathie et de l’intersubjectivité nous conduit cependant à modifier, pour l’enrichir, la lecture de l’autisme comme déficit de TOM ou mind blindness. Celle-ci ne prend en compte en effet que l’échec de la connaissance d’autrui, sur le modèle d’un trouble perceptif – qui serait ici un trouble de la perception spécifique d’autrui. L’hypothèse du trouble de l’empathie que nous proposons définit en revanche l’autisme comme trouble de l’activité mentale partagée, qui n’affecte pas seulement la connaissance d’autrui, mais plus profondé-

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ment le processus de partage d’activité mentale dont la connaissance d’autrui n’est qu’un des effets. Le modèle de l’empathie et de l’intersubjectivité que nous avons présenté suppose en effet comme nous l’avons vu un double mouvement qui associe deux tendances réciproques. L’une et l’autre impliquent le partage de l’activité mentale, et selon des mouvements différents et réciproques, l’un ayant pour but la connaissance d’autrui, l’autre de se faire connaître d’autrui. L’altération des interactions dans l’autisme est également double, du fait de la réciprocité de ces deux mouvements constitutifs de l’empathie. Non seulement dans l’autisme le mouvement ou l’initiative qui cherche à connaître autrui est altéré, mais l’est également le mouvement ou l’initiative qui conduit normalement à se faire connaître d’autrui. L’autisme est donc à la fois un trouble de communication, de la représentation d’autrui et de la réciprocité, parce que l’empathie intègre ces différentes dimensions qui sont des conséquences du processus d’activité mentale partagée. L’hypothèse d’un trouble des cognitions sociales ou de l’empathie est sans doute celle qui conduit à la lecture la plus riche de la clinique des troubles de la relation et de la communication. Elle fait se rejoindre sur de nombreux points la lecture psychopathologique clinique et d’inspiration psychanalytique et les neurosciences, qui partagent ici un objet commun, l’intersubjectivité, malgré leurs méthodes et leurs langages différents. Cependant, elle ne conteste pas l’hypothèse « perceptive », elle en réduit seulement la portée pour les troubles de la relation avec autrui, et les deux approches apparaissent complémentaires. En effet, la théorie du trouble de l’empathie ne dit rien des particularités perceptives et des compétences cognitives accrues ; et réciproquement la théorie « perceptive » est insuffisante pour comprendre et même décrire dans leur complexité les troubles de la vie de relation, de la représentation de soi et d’autrui, qui sont réduits alors à la fois à un déficit non spécifique, et (comme par l’hypothèse du défaut de TOM ou de cécité mentale) au seul trouble de la connaissance d’autrui, au détriment de la prise en compte d’un trouble de l’activité psychique ou mentale partagée. Or l’émergence des « neurosciences cognitives sociales » ou du lien récuse un modèle « perceptif », même sophistiqué et

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hautement intégratif, des processus intersubjectifs. Elle montre comme nous l’avons vu l’existence de systèmes spécifiques de traitement de l’action et de l’intention, et de systèmes résonants ou miroirs d’activité mentale partagée, qui constituent de meilleurs « candidats » pour une physiopathologie de l’autisme. Les interactions précoces bébé/ adulte et les compétences relationnelles et empathiques innées du bébé s’expriment d’ailleurs bien avant que les compétences perceptives soient développées. Les neurosciences cognitives « sociales » développent une psychologie qui n’est plus référée aux modèles hégémoniques historiques de la perception, de la mémoire ou de l’attention, mais au modèle intégratif de l’action, qui autorise à la fois l’introduction de la dimension de l’intentionnalité et de celle de l’intersubjectivité, via la théorie de l’empathie. Cette psychologie est particulièrement compatible avec l’évolution de la représentation du cerveau, devenu un cerveau « social ». Mais au-delà de ces intérêts, l’hypothèse du trouble de l’empathie et des « cognitions sociales » reste aujourd’hui, comme les autres, une hypothèse. Certes, des recherches confirment l’existence d’anomalies de la perception et de la reconnaissance des visages, des émotions et de la voix, des troubles de l’imitation et bien sûr des difficultés aux tâches de TOM et de lecture d’intentionnalité. Mais les données expérimentales encore rares semblent en effet montrer que, contrairement à l’hypothèse intuitive d’un trouble majeur de l’empathie, les processus de résonance motrice et émotionnelle reposant sur les « systèmes miroirs » ne seraient pas altérés, comme le montrent certaines études enregistrant des indices électro-physiologiques ou végétatifs de l’activité de ces systèmes. De même l’imitation immédiate, qui dépend de ces systèmes miroirs, est possible si elle est encouragée. Ce qui n’invalide pas l’hypothèse « empathique » ou intersubjective, mais laisse supposer que l’altération est probablement à rechercher à un autre niveau de complexité et dans d’autres systèmes neurocognitifs que les mécanismes élémentaires « miroirs » ou « de résonance » qui sous-tendent l’appréhension d’autrui au niveau le plus élémentaire.

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III. NEUROBIOLOGIE, CERVEAU ET AUTISME Les recherches neuroscientifiques sur l’autisme, que nous présenterons ici de manière synthétique, se sont développées dans différentes directions. Peu de données biologiques font l’objet d’un consensus, si ce n’est le constat répété d’un taux anormalement élevé dans le sang et dans le système nerveux central d’un neuromédiateur, la sérotonine, qui joue un rôle régulateur complexe et important dans le fonctionnement mental et le comportement. Pour certains chercheurs il existerait dans l’autisme un taux anormalement élevé d’endorphines, substances opioïdes naturelles, et une hyperréactivité au stress manifestée par un taux élevé des hormones de stress (axe corticotrope). Les recherches sont consacrées surtout aujourd’hui à l’étude du cerveau. Rappelons d’abord qu’il s’agit de données issues de recherches en neurosciences qui ne s’appliquent qu’à des petits groupes de sujets. L’extrapolation d’une étude à l’ensemble de la population des sujets autistes est périlleuse, sinon impossible. D’abord, parce que les résultats de chaque étude sont étroitement tributaires de contraintes méthodologiques, et ce dès la question cruciale des critères diagnostiques adoptés, de manière plus ou moins arbitraire selon la nosographie et selon l’époque, pour le recrutement des sujets étudiés. De plus, les particularités de ces sujets, du fait de la complexité du syndrome autistique, rendent difficile la constitution de groupes homogènes. Interviennent bien sûr ensuite les contraintes inhérentes à la méthode expérimentale elle-même, et à l’interprétation des résultats. Enfin, mais peut-être est-ce seulement une conséquence de ces difficultés méthodologiques, parce qu’il existe de multiples et fréquentes contradictions entre les études, même lorsqu’elles portent sur une même structure cérébrale ou une même fonction. En fait, l’hétérogénéité très probable de l’autisme lui-même, comme nous l’avons vu en introduction, des formes les plus déficitaires à celles à intelligence normale, rend difficile la généralisation à un grand nombre de cas des résultats obtenus à partir de l’étude d’un petit groupe. C’est pourquoi aucune recherche ne peut prétendre dégager des conclusions applicables à « l’autisme » en général, mais seulement aux cas qu’elle a été en mesure d’étudier. Cette hétérogé-

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néité rend par ailleurs difficile l’extrapolation à l’ensemble du champ clinique des « études de cas », qui pourrait pourtant constituer une solution. Mais si la méthode du cas unique a été féconde en neuropsychologie, c’est parce qu’il y existe moins d’hétérogénéité entre les cas présentant un même syndrome neurologique. Il s’agit en effet alors de pathologies souvent moins complexes, touchant certaines fonctions de manière plus ciblée, et surtout de pathologies acquises, dont le mécanisme causal est généralement brutal et identique d’un sujet à l’autre (la thrombose d’un vaisseau cause d’une aphasie par exemple, responsable de la nécrose d’une même zone anatomique dans la plupart des cas). La nature de l’altération fonctionnelle ou structurale cérébrale en psychopathologie développementale est comme nous le verrons très différente, le modèle synchronique de la lésion ne s’y applique pas.

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Tout ceci explique que les anomalies cérébrales mises en cause dans l’autisme au cours des vingt dernières années ont été à la fois nombreuses et diverses, et que les modèles se sont succédé, certains étant abandonnés au profit d’autres en fonction des progrès méthodologiques notamment, mais aussi en fonction des zones cérébrales ou des fonctions vers lesquelles se sont tournés les intérêts des chercheurs selon l’époque. Ont ainsi été mis en cause la structure et le fonctionnement du tronc cérébral, du cervelet, du cortex frontal et temporal. De la même manière que nous avons soulevé le problème de la portée – explicative causale ou seulement descriptive – des théories cliniques et psychologiques, il est nécessaire de poser ici celui, analogue, de l’interprétation des anomalies cérébrales observées chez les sujets autistes, qu’il s’agisse des anomalies de structure du cerveau, ou des anomalies de son fonctionnement. Ces anomalies cérébrales sont souvent présentées, ou comprises par le public, comme causales et responsables des troubles cliniques, selon une perspective habituelle en neuropsychologie. On sait cependant que les images du cerveau montrant les zones actives au cours de l’exercice d’une fonction n’expliquent pas le pourquoi de l’usage de cette fonction, de même qu’elles ne montrent pas la fonction elle-même (par exemple, la pensée ou le langage), mais seulement ses mécanismes cérébraux. La mise en évidence d’anomalies d’activation du cortex tempo-

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ral chez certains sujets présentant un autisme, en particulier des zones mises en jeu au cours du traitement de perceptions « sociales » comme la voix ou le visage, n’explique donc pas à proprement parler les déficits de « cognitions sociales » de ces sujets, elle en révèle les mécanismes cérébraux sous-jacents. À tout fait psychologique ou comportemental correspondent un fait cérébral et des processus neurobiologiques, sans que cette correspondance ait nécessairement valeur d’explication causale, sauf en cas de lésion cérébrale acquise. La réalité psychologique est en effet à la fois comportementale, psychologique, et cérébrale, elle se laisse décrire en même temps dans ces différentes dimensions. Surtout, le point de vue selon lequel les anomalies cérébrales expliquent la clinique est-il applicable aux pathologies psychiatriques et notamment aux pathologies du développement ? Considérer l’anomalie cérébrale comme la cause des signes cliniques est fondé en effet lorsque cette anomalie est la conséquence d’une lésion cérébrale acquise, qui perturbe une ou plusieurs fonctions dépendantes de la zone atteinte devenue dysfonctionnelle. Mais le modèle de la lésion acquise ne s’applique pas en psychopathologie, et ici à l’autisme. Les anomalies cérébrales qui y sont obser vées sont le produit de processus longs et complexes qui ont perturbé le développement cérébral, et dans le cas de l’autisme probablement dès les étapes les plus précoces. Ces anomalies ont donc très tôt perturbé les fonctions comportementales. Or, on connaît l’importance sur le développement cérébral de l’environnement et des facteurs dits épigénétiques. Rappelons donc d’abord que l’absence précoce d’intérêt du bébé pour les signaux sociaux, l’absence de comportements perceptifs orientés activement par le bébé vers ces signaux, peut aboutir à une déprivation sensorielle en informations « sociales » ou relationnelles qui jouent un rôle essentiel dans le développement cérébral. Il faut de plus tenir compte ici, pour le cas particulier des comportements assurant les interactions entre le bébé et autrui, que le comportement du bébé, par son influence sur le comportement parental produit en réponse, contribue à construire l’environnement. Le bébé présentant un syndrome autistique peut donc contribuer à créer autour de lui un environnement relationnel dysfonctionnel, lorsque

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les comportements parentaux sont altérés par les anomalies relationnelles du bébé.

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Enfin, il est établi que si l’état structural et fonctionnel du cerveau détermine les comportements, la réciproque est également vraie : le développement des structures cérébrales responsables d’une fonction dépend de l’exercice de cette fonction. L’usage normal ou anormal des fonctions, l’exercice normal ou anormal des comportements, exercent une influence sur le cerveau, à la fois fonctionnellement (en déterminant le degré d’activation des zones cérébrales liées à la fonction) et structuralement, en exerçant une influence sur le développement et l’organisation des structures cérébrales à différents niveaux de complexité, et notamment grâce au processsus fondamental qu’est la plasticité cérébrale. En particulier, les interactions précoces entre le bébé et son environnement humain, les parents ou ceux qui jouent ce rôle, exercent très probablement une influence non seulement sur le développement fonctionnel du cerveau, mais aussi sur son développement structural (Weaver, Siegel, Shore, Schulz). Or ces interactions sont sévèrement et très précocement perturbées dans l’autisme, ce qui pourrait suffire à expliquer la présence d’anomalies cérébrales chez les sujets plus âgés étudiés. Au même titre que l’environnement et parce qu’il contribue à créer celui-ci, l’exercice des fonctions mentales et comportementales relationnelles sculpte ou modèle le cerveau, dont l’organisation en retour détermine les possibilités mentales et comportementales. Cette boucle d’influences réciproques entre cerveau et exercice des fonctions rend difficile l’interprétation des anomalies cérébrales obser vées en psychiatrie de manière générale, et plus encore dans les pathologies du développement. De plus, la plupart des recherches sont menées chez des adolescents ou adultes, donc après de longues périodes de dysfonctionnement psychologique et comportemental. C’est toute la difficulté par exemple de l’interprétation des anomalies fonctionnelles, observées chez certains sujets autistes, des structures cérébrales comme le sillon temporal supérieur qui assurent la perception et l’analyse des signaux « sociaux » (voix, visage, intentionnalité). Ces anomalies peuvent aussi bien être la cause que la conséquence des troubles cliniques sévères et précoces de la relation et de la communication.

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Nous proposerons pour conclure ici que les anomalies cérébrales, fonctionnelles et structurales observées dans l’autisme associent très probablement des anomalies que l’on peut considérer comme primaires, dues à des troubles neurodéveloppementaux très précoces qui ont perturbé la constitution initiale du cerveau, et des anomalies secondaires qui en retour sont les conséquences des troubles cliniques : non-usage ou usage anormal de fonctions, particularités de la relation avec l’environnement. Ces anomalies secondaires s’exprimeront par des troubles comportementaux qui altéreront à leur tour les interactions avec l’environnement, et pourront donc causer de nouvelles anomalies développementales cérébrales, ou en aggraver celles préexistantes. L’étude du cerveau par les différentes méthodes d’imagerie cérébrale peut dégager des données dites structurales, décrivant la structure anatomique du cerveau, ou des données fonctionnelles, décrivant le fonctionnement de ces structures. Les anomalies seront donc recherchées à chacun de ces niveaux d’exploration (et plus rarement, par l’étude de cerveaux post-mortem). Parmi les anomalies cérébrales structurales observées chez des sujets autistes, la principale est l’augmentation globale du volume cérébral, confirmée par quelques études postmortem, la simple mesure du périmètre crânien, et les méthodes d’imagerie cérébrale. Cette augmentation est cependant inconstante (70 % des cas), et bien sûr non spécifique de l’autisme. Elle est surtout constatée au cours du développement postnatal précoce (1 re et 2e années) ; puis le volume cérébral tend à la normalisation au cours de l’enfance (après 5 ans). Il existe donc moins ou pas de dif férence de ce point de vue entre sujets autistes et non autistes. À nouveau la question de son interprétation reste ouverte s’agit-il là de la manifestation d’une cause de la pathologie, ou inversement d’une conséquence du processus pathologique ? Une analyse plus fine révèle des anomalies des volumes de la substance blanche et de la substance grise, c’est-à-dire des structures cérébrales correspondant respectivement aux corps neuronaux et aux fibres neuronales. Les deux sont augmentés durant la 1re année, surtout le volume de la substance blanche et notamment dans le lobe frontal ; puis on

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PSYCHOPATHOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE DE L’AUTISME

observe une normalisation de cette tendance après 5 ans (et donc une inversion du rapport normal entre volumes des substances blanche et grise). Chez l’adolescent et l’adulte, on a décrit des déficits des substances blanche et grise, frontaux-temporaux et fronto-occipitaux. De rares études post-mortem ont rapporté des anomalies anatomiques ou cyto-histologiques du cervelet et du cortex frontal qui pourraient témoigner d’un processus neuro-inflammatoire glial. Plus récemment ont été rapportées des anomalies de la gyrification (notamment du cortex frontal gauche) et des sillons corticaux (des aires frontales et temporales notamment), évoquant la possibilité d’un retard du développement cortical. Surtout, il existe aujourd’hui des arguments en faveur d’anomalies de la connectivité cérébrale, c’est-à-dire de la création, du développement et de la fonctionnalité des connexions neuronales entre les différentes structures ou zones du cerveau. C’est ce que tend à montrer l’étude des corrélations entre la croissance, pendant la même période, de différentes zones corticales, ou entre la croissance de zones corticales et sous-corticales, corrélations qui apparaissent anormales dans l’autisme selon certaines études récentes. C’est aussi ce que suggèrent des études sur l’autisme utilisant la méthode de « diffusion de tension » ou « DTI » (qui permet l’étude de la substance blanche – les fibres axonales interconnectant les structures cérébrales), qui ont décrit des anomalies de la substance blanche des régions préfrontale et temporo-pariétale. Des anomalies plus spécifiques sont observées par les études d’imagerie fonctionnelle, anomalies que nous rapprocherons successivement des différentes hypothèses physiopathologiques et psychologiques cognitives exposées plus haut. Certaines anomalies cérébrales sont ainsi particulièrement compatibles avec la première hypothèse que nous avons qualifiée de « perceptive », postulant un dysfonctionnement spécifique des traitements perceptifs complexes, intégratifs et plurimodaux (donc des signaux sociaux complexes : voix, visage, gestes) contrastant avec un hyperfonctionnement du traitement d’informations plus élémentaires et non multimodales. Des études montrent des anomalies de la connectivité (évoquées plus haut) entre les différentes zones

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cérébrales qui assurent les processus intégratifs et plurimodaux, les connexions « longue distance ». Ce modèle « perceptif » est aussi étayé par les observations en faveur d’une hypoconnectivité entre aires différentes (Courchesne et Pierce, 2005), notamment d’une faiblesse des connexions entre le cortex frontal et les autres zones corticales (pariétales), associée en revanche à une hyperconnectivité corticale frontale. Ces anomalies pourraient être la conséquence d’une croissance cérébrale précoce anormale (excès de croissance temporale, pariétale et occipitale, défaut de croissance frontale), dépendante elle-même d’une modification du programme de mort cellulaire (apoptose), qui joue un rôle fondamental dans la construction du cerveau au cours du développement précoce. D’autres anomalies peuvent être rapprochées en revanche de l’hypothèse de troubles spécifiques de la perception des signaux sociaux ou humains, corporels, gestuels, émotionnels et intentionnels. Cette perception sociale dépend de différentes structures cérébrales spécialisées, dont le fonctionnement peut être étudié chez le sujet ordinaire et chez des sujets autistes : l’amygdale, le gyrus fusiforme, le sillon temporal supérieur, le cortex frontal médian. L’amygdale est une structure sous-corticale impliquée dans la réponse aux stimuli émotionnels et sociaux (dont le visage et le regard, la perception, la reconnaissance et le partage des émotions, la réaction de peur face au danger, enfin le jugement social c’est-à-dire l’évaluation de la valeur émotionnelle et sociale des stimuli ou situations). Plusieurs études rapportent des anomalies de la reconnaissance des émotions et une activation anormale de l’amygdale chez des sujets autistes, au cours de tâches de perception de signaux sociaux et de compréhension des émotions d’autrui. Un des rares modèles animaux de l’autisme a été obtenu par lésion chez le jeune singe de l’amygdale (Bachevalier), lésion qui entraîne des troubles sévères des interactions sociales et des stéréotypies. Une seconde structure impliquée spécifiquement dans la perception de l’information humaine ou sociale est le gyrus fusiforme, activé lors de la reconnaissance ou de l’identification des visages. Des troubles de la reconnaissance des visages ont été rapportés dans l’autisme. Plus précisément, ce qui apparaît caractéristique de l’autisme est l’usage de stratégies anormales d’exploration du visage, privilégiant l’explora-

PSYCHOPATHOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE DE L’AUTISME

tion de la bouche aux dépens des yeux et des régions oculaires, à l’inverse de ce qui est normalement le cas. Ici encore plusieurs études montrent un défaut d’activation du gyrus fusiforme chez des sujets autistes au cours de tâches de reconnaissance de visages. Un point important, sur lequel nous reviendrons, est que ce défaut d’activation s’accompagne de l’activation anormale de zones cérébrales normalement impliquées dans la reconnaissance d’objets (Schulz).

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Enfin, le sillon temporal supérieur (STS) constitue une zone cérébrale du plus grand intérêt pour la compréhension de la perception des signaux sociaux humains et de l’intentionnalité. Chez le primate, elle est active lors de la perception du regard, de l’orientation et des mouvements de la tête, de la bouche, de la main et du corps, à tel point qu’on l’a définie comme « région polysensorielle temporale supérieure ». Chez l’homme, elle est active lors de la perception des mouvements (Decety et Grèzes), dont le mouvement des yeux. Mais elle est également impliquée dans la perception de la voix, l’analyse de l’intentionnalité du regard et le regard mutuel, la perception plurimodale auditive et visuelle, enfin l’analyse des buts ou intentions d’action, et du contexte social ou interpersonnel qui définit le sens des conduites. Il s’agit donc d’une structure spécialisée dans la perception des signaux (notamment ceux issus du visage et de l’action) codant l’intentionnalité des conduites. L’activité du STS a été étudiée récemment chez des sujets autistes au cours d’une tâche de perception de figures géométriques animées, dont les mouvements sont normalement interprétés comme l’expression d’une intentionnalité, sur un mode anthropomorphique (Heider & Simmel). On observait chez les sujets autistes à la fois moins d’interprétation intentionnelle anthropomorphique des mouvements de ces figures, et un défaut d’activation du STS (Castelli, 2002). De même, des défauts d’activation temporale et plus particulièrement du STS ont été régulièrement observés chez des sujets autistes (Zilbovicius, 2000), et en particulier lors de la perception du langage (hypoactivation du gyrus temporal supérieur gauche, Boddaert, 2003) et de la voix (Gervais, 2004). Il existerait également des anomalies de la structure même du STS, et des connexions entre le STS et d’autres zones corticales impliquées dans les cognitions sociales (frontales).

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Ces travaux confirment donc pour la plupart l’existence d’anomalies objectives du comportement dans l’autisme au cours de différentes tâches de perception, de reconnaissance ou d’interprétation de signaux sociaux : visage, expression émotionnelle, voix et langage, intentionnalité du geste ; et ils proposent de relier ces anomalies aux dysfonctionnements des zones cérébrales spécialisées dans l’analyse de ces signaux. En ce sens, ils tendent à confirmer l’hypothèse clinique d’un trouble des mécanismes de la vie relationnelle, de l’intersubjectivité et de la représentation d’autrui, et rappellent que tout comportement ou état mental est lié à des activations cérébrales – et donc ici à des anomalies de ces activations, avec toute la prudence nécessaire quant à l’interprétation causale. À défaut d’être la cause des troubles cliniques de la relation avec autrui, ces anomalies cérébrales qui touchent les systèmes impliqués dans l’appréhension de l’intentionnalité, ou de ce que nous appellerons avec Ricoeur la « sémantique de l’action », peuvent en être un mécanisme. Mais ces travaux tendent également à montrer la mise en œuvre de modes de fonctionnement particuliers, par lesquels les signaux spécifiquement « humains », relationnels et intentionnels, sont traités par d’autres zones cérébrales qui normalement ne sont pas impliquées dans l’analyse des signaux sociaux mais dans la perception de signaux non humains, issus du monde inanimé des objets. Ainsi, la perception des visages impliquerait moins l’activité du gyrus fusiforme que celle d’autres zones normalement activées par la reconnaissance des objets (Schulz, 2000), et la perception du langage et de la voix impliquerait moins l’activation du STS mais plus l’activation de régions auditives non spécifiques et actives lors de la perception de sons (Gervais, 2004). Il est tentant d’interpréter ces stratégies neurocognitives particulières en regard de la clinique de l’autisme, qui en effet soutient l’hypothèse selon laquelle le sujet tend à privilégier l’environnement physique non humain par rapport à l’environnement humain social, et surtout à appréhender autrui comme s’il était un objet inanimé, en exploitant pour le comprendre des stratégies mentales particulières et le vivant autres que celles naturellement destinées à traiter l’intentionnalité.

Chapitre 4 Les pratiques : thérapeutique, éducation, pédagogie

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I. APPROCHES THÉRAPEUTIQUES Nous ne ferons qu’évoquer l’utilisation souvent ponctuelle de psychotropes, à visée symptomatique c’est-à-dire permettant de réduire des troubles du comportement ou un état anxieux, utiles mais qui ne constituent pas des thérapeutiques curatives du syndrome autistique. Soulignons l’importance de l’orthophonie pour le développement du langage et de la communication, ainsi que de la psychomotricité. Mais la question controversée d’une possible thérapeutique ou d’un soin de l’autisme se pose surtout du point de vue des nombreuses pratiques relationnelles à visée psychothérapique, référées ou non à la psychanalyse, qui ont été développées et appliquées à l’autisme. Leur principe est d’agir sur le fonctionnement mental et le comportement de l’enfant par l’action de l’environnement. Lorsque la théorie psychanalytique a été utilisée en ce sens, c’est principalement comme une source de modèles et d’hypothèses : modèles du fonctionnement psychique de l’enfant, du trouble autistique, et modèles du fonctionnement psychique des soignants et professionnels, modèle enfin pour la compréhension des fonctionnements des groupes institutionnels. Le courant de la « psychothérapie institutionnelle », qui a joué un rôle majeur dans la création et l’organisation des dispositifs de pédopsychiatrie et d’accueil d’enfants handicapés mentaux en France, s’est largement appuyé sur la psychanalyse. Celle-ci a ainsi été longtemps en France une source d’inspiration pour des pratiques psychothérapiques individuelles ou institutionnelles, sans le plus souvent être elle-même appliquée aux enfants pris en charge. Les théories cliniques familiales et des interactions entre parents et

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bébé qui inspirent la psychopathologie du bébé sont particulièrement utiles pour la prise en charge des troubles précoces, susceptibles d’augurer un syndrome autistique. Pour la plupart des auteurs qui s’y réfèrent aujourd’hui, une approche psychothérapique plus ou moins directement inspirée de la psychanalyse peut trouver sa place à côté d’autres approches, quand elle est possible et utile. Elle sera le plus souvent active, empathique, adaptée au cas de l’enfant, à ses possibilités et à ses centres d’intérêts. Et la psychanalyse n’est évidemment pas la seule théorie à pouvoir inspirer une pratique relationnelle féconde avec l’enfant autiste, et à soutenir un professionnel dans une cette pratique difficile. Toute démarche qui offre au praticien à la fois une éthique et des modèles théoriques capables de soutenir sa pensée et son action, qui lui donne les moyens d’interagir avec l’enfant autiste et de résister aux effets relationnels de l’autisme, revêt cette valeur. Des modèles inspirés par les théories psycho-éducatives aident aujourd’hui au même titre, mais selon d’autres postulats conceptuels, de nombreux professionnels. La psychanalyse a plus particulièrement inspiré diverses modalités de pratique ayant pour objectif d’améliorer les aptitudes relationnelles ou intersubjectives des enfants, leur représentation de soi et d’autrui, leur capacité de penser et d’imaginer, la conscience de leur vie émotionnelle. Ces pratiques en rejoignent d’autres, comme la « thérapie d’échange et de développement » (Barthélémy et Lelord), ou plus modernes d’inspiration psycho-éducative, mais également centrées sur les aptitudes relationnelles et communicationnelles, les compétences sociales. Longtemps resté le domaine des pratiques inspirées par la psychanalyse, les processus intersubjectifs ou relationnels sont aujourd’hui en voie d’être l’objet de pratiques référées à l’éducation, aux sciences cognitives, et plus largement à la psychopédagogie. Des « programmes » nord-américains de « remédiation », entre soin et éducation, se proposent de systématiser des « interventions » destinées à améliorer les compétences relationnelles des enfants. La trace des mises en causes passées des attitudes parentales est encore assez marquée pour que les termes « psychanalytique ou « psychodynamique » et « psychogénétique » soient parfois jugés synonymes. Le principe d’une thérapeu-

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tique fondée seulement sur l’établissement d’une relation avec l’enfant, sans objectif éducatif ou pédagogique, est alors parfois interprété comme la preuve que l’on voit dans les insuffisances des relations avec la famille la cause de la pathologie. Tout se passe comme si le modèle de relation entre l’enfant et les professionnels « soignants » constituait une mise en cause implicite de la relation mère/enfant, ou de la qualité de l’organisation familiale, et avait pour but de lui substituer une relation plus satisfaisante. Ce d’autant qu’une erreur de la pédopsychiatrie référée à la psychanalyse a été de trop souvent écarter les parents du soin, renforçant ainsi cette interprétation, au lieu d’inclure les familles en leur donnant le rôle actif auquel elles aspirent légitimement. D’autres courants de pratique, fondés sur des principes éducatifs ou rééducatifs, ont su en revanche très tôt faire des parents des partenaires actifs. Soulignons donc ici qu’on ne peut comprendre la spécificité des théories psychanalytiques et plus généralement des théories cliniques, si l’on oublie qu’elles ne sont pas des modèles explicatifs et objectifs de la pathologie, au même titre qu’une théorie neuroscientifique, mais qu’elles sont d’abord des théories destinées à soutenir ou à guider une pratique relationnelle avec l’enfant, c’est-à-dire les théories d’une pratique interpersonnelle – plutôt que de l’autisme lui-même. Ainsi, le principe selon lequel la conduite de l’enfant exprimerait une intentionnalité, a valeur d’acte de communication (ou de tentative) et peut donc être comprise comme l’expression d’une vie psychique, est un principe méthodologique, et non une hypothèse objective à valeur explicative. Ce principe, qui d’ailleurs n’a rien de spécifiquement psychanalytique, permet à l’intervenant confronté aux comportements répétitifs et énigmatiques de l’enfant de faire le pari du sens des conduites, le pari d’une subjectivité présente en deçà des symptômes. Ce principe permet d’adopter une attitude intellectuelle et émotionnelle qui à son tour aide à maintenir une position intersubjective, laquelle consiste fondamentalement à attribuer une intention, une signification, aux conduites d’autrui quelles qu’elles soient. Reconstruire une vie psychique intentionnelle et émotionnelle à partir du comportement de l’enfant, aussi appauvri ou incompréhensible qu’il soit, c’est maintenir l’hypothèse qu’une vie mentale et intentionnelle s’y

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exprime. D’un point de vue pragmatique, qu’importe que ce principe ne soit pas systématiquement vérifié, s’il permet d’obtenir la création puis l’entretien d’une relation – donc s’il produit les effets escomptés. Sans doute la psychanalyse et les approches psychothérapiques n’ont-elles pas été assez attentives à recentrer leurs théories sur leur objet premier, donc à se reconnaître d’abord théories d’une pratique interpersonnelle, plus que théories explicatives de l’autisme. Ce débat dépasse largement le cas particulier de l’autisme.

II. LE DÉVELOPPEMENT DES PRATIQUES ÉDUCATIVES ET LA CONTROVERSE TRAITEMENT/ÉDUCATION Les approches éducatives dites spécifiques de l’autisme se sont développées en Amérique du Nord durant les dernières décennies, et commencent seulement d’être diffusées en France. Le programme TEACCH (Treatment and Education of Autistic and Related Communication Handicapped Children, « Traitement et scolarisations des enfants autistes ou atteints de troubles de la communication similaires ») proposé par E. Schopler en Caroline du Nord, adopté en 1972, est un programme de santé publique regroupant centres de diagnostic et d’évaluation, d’éducation spécialisée, d’aide aux familles, d’accompagnement scolaire et au travail. Il est individualisé car il s’adapte au profil de développement des compétences de l’enfant, évaluées par un test spécifique. Il est structuré car il tient compte des particularités de l’autisme et de ses difficultés à interagir avec l’environnement, et il postule qu’il est nécessaire que ces environnements, temps et espaces, soient organisés de manière aussi régulière et prévisible que possible. Il repose sur une décomposition des tâches et l’usage de consignes claires. Les méthodes ABA (Applied Behavioral Analysis, « Analyse comportementale appliquée ») et ICI (intervention comportementale intensive) se réclament de la théorie béhavioriste, pour modifier grâce au principe du conditionnement opérant le comportement de l’enfant, en particulier son comportement social dont on renforcera patiemment et répétitivement certaines composantes utiles ou adaptées au détriment des conduites autistiques. Créée par I. Lovaas,

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l’ABA repose sur de longues séquences d’interaction entre un intervenant et l’enfant, jusqu’à quarante heures par semaine, et associe les parents. Ses promoteurs affirment qu’elle est validée par l’évaluation de ses résultats.

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Ces pratiques dites spécifiques, qui exigent des intervenants une formation particulière reconnue par des organismes identifiés, commencent seulement d’être connues et appliqués en France, notamment grâce à l’action d’associations de parents. Elles impliquent une participation active des parents. Leur introduction relance un débat, une controverse ou parfois même un conflit entre partisans du soin et de l’éducation. Pourtant, le principe qui consiste à associer et combiner les méthodes susceptibles d’apporter un bénéfice à l’enfant paraît indiscutable. La pédopsychiatrie française se développera sur des bases psychopathologiques et mettra en place un dispositif de soins dont une part notable est destinée aux pathologies du développement dont l’autisme. Mais elle défendra aussi la nécessité d’une association entre ces pratiques de soin et des méthodes éducatives (Misès, Hochmann). L’intérêt d’une approche éducative ou pédagogique de l’autisme est reconnu depuis des décennies, qu’elle prenne la forme de pratiques éducatives proposées dans les services de soin, ou dans les meilleurs cas d’une intégration scolaire plus ou moins spécifiquement adaptée au cas de l’autisme, en classes spécialisées ou ordinaires, en complémentarité avec d’autres formes de prise en charge proposées par les services de pédopsychiatrie et les instituts médico-sociaux. Mais la confrontation quant à la manière la plus adaptée de favoriser l’évolution des enfants autistes, de les « prendre en charge », thérapeutique (psychothérapique) ou éducative, a pris ces dernières années un tour souvent polémique. Certaines associations de parents dénoncent les pratiques psychiatriques, inspirées par un principe thérapeutique, jugées inefficaces ou même assimilées à une forme de maltraitance. Cette dénonciation s’accompagne d’attaques contre la psychanalyse, théorie inspiratrice de la plupart des pratiques thérapeutiques relationnelles mises en œuvre en psychiatrie de l’enfant. Parfois les thérapeutiques médicamenteuses sont également attaquées. Ce climat ne facilite évidemment ni les échanges et les progrès des connais-

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sances, ni la réflexion et donc l’analyse des motifs de cette situation. Cette polémique doit être comprise de différents points de vue. Le premier est historique : la prise en charge de l’enfant handicapé mental a toujours été un enjeu de rivalité entre institution médico-psychiatrique et institution pédagogique et éducative. On peut retracer les étapes de cette confrontation idéologique sur la méthode la plus adaptée, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. C’est en effet d’abord un instituteur, E. Séguin qui, suivant la démarche d’Ittard pour le cas particulier de Victor de l’Aveyron, l’« enfant sauvage », se consacrera à l’éducation des enfants souffrant d’un handicap mental, alors désignés par le terme d’idiots, et tentera le premier de définir les principes de ce qui est alors leur « éducation ». Puis cette pratique rejoindra le champ de la médecine avec Bourneville, médecin qui à son tour se trouvera en charge de cette population mais inscrira sa pratique à l’hôpital, tout en y développant des dispositifs pédagogiques hérités de Séguin mais intégrés cette fois au service hospitalier. Enfin il reviendra à une nouvelle identité professionnelle, celle de psychopédagogue avec Binet, de s’occuper de ces enfants à nouveau en dehors de la médecine, selon une perspective éducative, et en s’appuyant sur des critères d’évaluation du quotient intellectuel et non sur des critères pathologiques. Les motifs de ces changements de perspective et de champ de référence apparaissent, comme le montre J. Hochmann, largement socio-économiques et liés aux choix de l’État quant à la prise en charge (ou à la négligence) de l’enfant handicapé. Cette logique se double certes d’un débat scientifique quant à la nature du handicap mental et des techniques les plus adaptées pour y remédier. Mais la manière dont approches éducative et médicale se confrontent alors pour s’approprier ce champ clinique tient moins à une évolution des connaissances scientifiques ou à l’évaluation des pratiques qu’aux aléas historiques de l’intérêt de la société pour l’enfant handicapé mental, et aux rivalités entre les systèmes concernés. Historiquement toujours, la définition de l’autisme par Kanner comme un syndrome psychiatrique se réfère clairement au modèle médical, alors que celle d’Asperger s’inscrit dans un cadre plus psychopédagogique. Kanner décrit une

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clinique nouvelle et crée une pathologie, comme Bleuler avant lui définissant les schizophrénies. La notion de « psychoses de l’enfant », encore utilisée en France, en témoigne. Dans le même temps, se sont mises en place les bases d’une thérapeutique psychologique de l’enfant auparavant inexistante. L’essor d’une approche psychopathologique clinique de l’enfant est lié au développement de la psychanalyse de l’enfant au XXe siècle. Le modèle alors encore médical de la cure psychanalytique de l’adulte introduit ici à la notion d’un « soin » ou d’un « traitement psychique » possible. De nombreuses applications de cette méthode aux « autismes et psychoses de l’enfant » conduisent rapidement à promouvoir la notion de soins psychologiques pour ces pathologies. À la reconnaissance d’une pathologie répond donc un possible traitement. La controverse soin/éducation réapparaît pendant la Seconde Guerre mondiale au sein même de la psychanalyse, entre l’école de M. Klein qui préconise une technique psychanalytique, et celle de A. Freud qui prône une approche plus pédagogique, bien que psychanalytique. La question du traitement psychologique de l’autisme sera prise dans cette controverse et en sera l’un des enjeux. Enfin, alors qu’il conteste le modèle biomédical psychiatrique, le courant de l’antipsychiatrie qui traversera la pédopsychiatrie française dans les années soixante-dix renforcera pour l’autisme la référence psychopathologique au modèle de la psychose, en même temps que la pratique du soin psychologique inspiré par la psychanalyse. Il soutiendra donc paradoxalement la position « soignante » alors qu’il conteste la notion de « maladie mentale ». Quelles sont les bases de la controverse actuelle ? Elle prend volontiers la forme d’une confrontation entre les théories mais il n’est pas sûr cependant que ce soit la clef du problème. D’abord parce que celui-ci reste essentiellement concret pour les parents d’enfants autistes. La question cruciale est en effet de trouver des solutions quotidiennes et adaptées aux difficultés majeures d’accueil, d’aide et d’intégration de leurs enfants, et à leur financement. La question n’est pas nouvelle. Le conflit idéologique et la rivalité entre les deux identités professionnelles en charge de l’enfance inadaptée, le médecin et l’instituteur, est lui-même inscrit depuis plus d’un siècle dans un contexte économique. Les

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choix politiques en matière de financement public des actions en faveur de l’enfance inadaptée ont dicté la définition dominante du trouble, dans le champ de la pathologie ou de la maladie lorsque les budgets alloués, et donc les institutions en charge, étaient médicaux ; dans le champ du handicap lorsque ces budgets étaient « médico-sociaux » (en France) ou sociaux (aux États-Unis). L’autisme a ainsi basculé au cours de l’histoire récente du domaine de la médecine à celui du handicap, contraignant les demandeurs et les professionnels à se tourner vers des institutions différentes, et imprimant à chaque fois une nouvelle définition de l’autisme. La disparition du concept de psychose infantile des classifications internationales, au profit de celle de TED, relève à la fois d’une volonté de ces classifications de s’affranchir d’une référence au concept de psychose jugé trop théorique, et du passage des troubles autistiques du champ de la pathologie à celui du handicap, en termes de politique économique. Les mêmes contraintes s’appliquent aux pratiques, dont les appellations changent parallèlement (traitement, prise en charge, accompagnement…), et aux individus eux-mêmes, qualifiés aujourd’hui de « personnes avec autisme ». On voit comment dimensions pratiques et conceptuelles s’imbriquent. De fait, les troubles graves du développement se prêtent autant à une description et définition selon la perspective médicale, comme pathologie, qu’à une définition comme handicap. La différence tient au regard porté sur l’objet plus qu’à l’objet même. Les deux perspectives sont applicables au même objet, mais n’ont ni les mêmes références ni les mêmes objectifs. La définition médicale psychiatrique, qui applique au trouble une lecture pathologique, vise à en définir la physiopathologie, et soutient notamment la recherche des mécanismes sous-jacents selon une perspective biologique, cognitive et psychopathologique. La définition du trouble comme handicap vise en revanche principalement à définir l’impact de celui-ci en termes de difficultés adaptatives et à en permettre la compensation. Mais toute pathologie mentale est ou peut être source de handicap, et réciproquement un handicap a des causes diverses, dont la pathologie. En fait, la question se pose aussi en psychiatrie de l’adulte, pour les pathologies chroniques dont le prototype est la schizophrénie, mais celle-ci est alors l’objet des deux

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approches conjointes, psychiatrique et sociale, thérapeutique et rééducative, qui sont jugées complémentaires. La particularité de la controverse suscitée par l’autisme tient à ce que l’expression de cette diversité des points de vue complémentaires se fait sur le mode de l’opposition contradictoire. L’opposition soin/éducation se nourrit alors des différences entre l’orientation de la pratique, son identité et son modèle de référence, qui en effet changent selon que l’autisme est confié à la médecine ou à d’autres institutions, sociale ou pédagogique. Au lieu d’être considérées comme la preuve d’une complémentarité, ces différences sont interprétées comme preuve d’incompatibilité. Les différences en question sont facilement repérables. La définition médicale du trouble, qui applique le modèle de la pathologie et cherche à en définir la physiopathologie, rend en principe possible une démarche thérapeutique de correction des anomalies physiopathologiques. Le modèle du traitement postule que la pratique thérapeutique permet de corriger les anomalies dues à un processus pathologique perturbateur, permet d’induire des changements pour restaurer un fonctionnement « normal ». Cette action suppose la réduction d’un processus pathologique auquel les dysfonctionnements sont attribués, et la réversibilité (totale ou partielle) de l’état de maladie à celui de santé. Son principe est donc d’adapter le sujet à un environnement ordinaire, grâce au processus de guérison, corrélat de la notion de traitement. Il n’apparaît pas souhaitable de ce point de vue d’adapter inversement l’environnement à la pathologie, au risque d’entretenir la pathologie. C’est d’abord le sujet qui doit changer en « guérissant », et non l’environnement qui doit s’adapter à la pathologie. Inversement, pour la perspective qui définit le trouble comme handicap, la pratique ne sera pas curative, mais compensatrice. Sans référence au modèle pathologique, donc sans hypothèse pathogénique, il n’est pas possible de concevoir une guérison donc une réversibilité du trouble. Deux principes se substituent donc ici à celui du « traitement ». Le premier est l’action sur l’environnement, qu’il est tout à fait légitime selon cette perspective d’adapter au sujet. On trouvera ainsi dans les pratiques nord-américaines, centrées sur le concept de handicap et de maladie, une grande attention à l’adaptation du milieu au sujet handi-

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capé. Cette première action n’exclut pas d’induire des changements chez le sujet, pour faciliter son adaptation à un environnement ordinaire. Mais ici le principe sous-jacent à l’induction de changement, qui permettra le rétablissement de fonctions altérées ou absentes, ne reposera pas sur la mise en œuvre d’un traitement curatif d’anomalies réversibles. Le postulat est celui d’une fonction absente ou insuffisante, et non d’un dysfonctionnement fonctionnel dû à un processus pathologique. Le second principe, correctif, sera donc celui d’un renforcement des capacités existantes, et/ ou celui d’une greffe ou d’une prothèse destiné à donner au sujet les compétences qui lui manquent, et non de rétablir le fonctionnement d’un organe présent mais dysfonctionnel. Pour la vie mentale et le comportement, c’est donc le principe d’une pratique éducative, fondée sur l’apprentissage, qui répond à cet objectif. On voit ainsi ce qui distingue pratique thérapeutique et éducative. Pour la première, le changement induit repose sur la correction d’anomalies d’une fonction présente ; pour la seconde, il repose sur la mise en place d’une fonction absente, grâce à son apprentissage progressif. La théorie du soin se réfère au modèle du rétablissement d’une fonction harmonieuse perturbée grâce à la correction d’un processus pathologique ; la seconde se réfère à la (re)construction d’une fonction absente ou insuffisante par l’apprentissage. Y a-t-il là réellement matière à un affrontement théorique ? En apparence, oui. L’approche thérapeutique s’appuie sur les théories du fonctionnement psychique qui inspirent la psychopathologie, dont la psychanalyse. Elle associe une théorie de la pathologie et du traitement issue de la culture médicale, et une théorie de l’induction de changement psychologique par une pratique de communication qui lui est propre. L’approche éducative se réfère quant à elle à la théorie de l’apprentissage souvent elle-même fondée sur la théorie comportementaliste ou « béhavioriste », dont le principe est l’influence de stimuli environnementaux sur le déclenchement ou l’inhibition des comportements. Des méthodes d’éducation structurée se réfèrent ainsi à la théorie de l’apprentissage sous sa forme historique behavioriste, le modèle du conditionnement opérant. Mais une brève approche historique éclaire deux points importants. Le behaviorisme comme courant scientifique et théorie a

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disparu depuis plusieurs décennies au profit des sciences cognitives (voir Jeannerod), et donc avec lui l’actualité d’une conception behavioriste du comportement humain. La science contemporaine du comportement, qui lui a succédé, s’inscrit dans le cadre conceptuel des sciences cognitives de l’action qui ont intégré les logiques de la régulation de l’action et l’ensemble des processus mentaux, dont la régulation émotionnelle, l’intentionnalité et les interactions sociales ou l’empathie. La théorie de l’apprentissage liée au behaviorisme, fondée sur l’association stimulus/réponse, s’est également effacée au profit d’une compréhension qui implique l’ensemble de la vie mentale. Et le modèle conceptuel du développement psychologique de l’enfant par « instruction », ou « constructiviste », inspiré par la théorie de l’apprentissage a laissé la place à une conception « innéiste sélectionniste » qui redonne leur place aux compétences innées du bébé et à ses initiatives. Le développement comme l’apprentissage ne sont plus conçus seulement comme le résultat d’une empreinte de l’environnement, produite par la répétition des expériences et des renforcements, mais comme le produit d’une interaction complexe entre l’expression de compétences déjà présentes et sophistiquées, et une modulation environnementale. La psychologie scientifique moderne de l’action, qui intègre mécanismes d’apprentissage, processus développementaux, logiques intentionnelles et régulation émotionnelle, processus conscients et inconscients, peut rendre compte aussi bien des pratiques éducatives que psychothérapiques, comme le montre par ailleurs les rapprochements actuels entre elle et les théories cliniques. On entrevoit les conséquences de ce changement conceptuel pour les théories de l’éducation, qui elles-mêmes ne peuvent plus s’appuyer sur un modèle behavioriste historique (pas plus que les approches thérapeutiques ne peuvent ignorer la dimension neurocognitive). Si cette référence est maintenue, c’est au risque de défendre une conception particulière de l’éducation, tendant à renforcer l’opposition de celle-ci aux théories cliniques qui inspirent les pratiques thérapeutiques. Prendre en revanche la mesure de ces évolutions des théories scientifiques, c’est faire disparaître l’opposition conceptuelle dogmatique entre soin et éducation, lesquels peuvent être référés l’une et l’autre à une

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théorie générale de l’action et de la vie mentale, à une même psychologie fondamentale et à ses dimensions subjectives, cognitives et neurobiologiques. Si donc l’opposition des modèles est caduque et ne peut fonder une contradiction entre les pratiques (sinon artificielle), intéressons-nous alors à ce qui rapproche ces pratiques plutôt qu’à ce qui les distingue. Elles partagent un même principe : induire des changements psychologiques et comportementaux par le seul moyen d’une pratique relationnelle, intersubjective ou interpersonnelle, et plus largement par l’effet de l’environnement. Elles partagent un même substrat de mécanismes mentaux, cognitifs et neurobiologiques. Pratiques psychothérapique et éducative sont de ce point de vue de même nature, car elles reposent sur les mêmes mécanismes élémentaires : la vie mentale de l’un et de l’autre, et les processus communicationnels et interpersonnels, donc les interactions psychiques et comportementales. Leurs mécanismes fondamentaux, cérébraux et cognitifs, sont en effet ceux de l’interaction comportementale et psychique. Elles diffèrent en revanche par leur objectif : celui de la pratique éducative est plus restreint, précis et plus facilement définissable – obtenir ou faire disparaître dans un délai défini un comportement précis – alors que celui du soin est moins précis, se laisse moins facilement évaluer et s’inscrit à plus long terme. Elles diffèrent aussi par les secteurs du fonctionnement mental et du comportement qui en sont la cible : comportements instrumentaux permettant l’adaptation à l’environnement pour les pratiques éducatives, processus de pensée, imaginaire, représentation de soi et d‘autrui, jeu, vie émotionnelle, communication et intersubjectivité pour la psychothérapie. Elles diffèrent par la méthode, qui procède par instruction et consignes, imitation, exemples donnés, répétition et renforcement pour l’une, alors que le cadre thérapeutique offre plus de liberté, repose sur le jeu et autorise plus de créativité. Tout dépend bien sûr de quelle psychothérapie et de quelle pédagogie l’on parle. Il existe une différence entre une pratique de soin laissée libre de ne pas se fixer d’objectifs précis à court terme ni d’imposer une structure contraignante à l’interaction, de laisser l’initiative à l’enfant, de s’intéresser plus à ce qu’il pense, imagine ou ressent, qu’à

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l’exécution de comportements définis ; et une séance d’entraînement aux habiletés sociales. Cette différence devient plus grande encore lorsqu’il s’agit d’une séance d’éducation structurée. C’est précisément de degré de contrainte et d’exigence de performance propre à l’éducation structurée qui a pu être critiqué, au même titre que l’absence de structuration de pratiques thérapeutiques. Mais les différences sont souvent moins importantes qu’on ne le croit, si on se réfère à un grand nombre de pratiques dites « psychothérapiques » de l’autisme et qui impliquent une plus ou moins forte composante pédagogique, mais ne systématisent pas en effet leurs règles d’action, ni leurs objectifs, sous la forme de « programmes », et surtout négligent le plus souvent d’évaluer sérieusement leurs résultats. Une comparaison entre par exemple les programmes d’intervention axés sur les habiletés sociales, les inter ventions fondées sur l’attention conjointe et le jeu symbolique, et les principes de la psychothérapie individuelle et groupale telle qu’elle a été développée en France montre de nombreuses analogies. Les unes et les autres portent sur les processus relationnels, la symbolisation, la subjectivité et l’intersubjectivité, dont l’appellation (habileté ou cognition sociale, intersubjectivité, empathie) diffère selon le modèle de référence. De nombreux cliniciens conviendraient que la thérapeutique est ici souvent une forme de pédagogie de la vie relationnelle, de la conscience de soi et d’autrui, du jeu, de la pensée et de la vie émotionnelle. Instructions, consignes, exemplarité et renforcement n’y sont pas absents. Réciproquement, une interaction éducative ou pédagogique implique des processus empathiques, imaginaires, émotionnels, et bien évidemment l’établissement de liens affectifs et d’attachement entre l’enfant et l’adulte. Ce qui diffère est surtout les modèles théoriques de référence de chaque pratique, c’est-à-dire la manière dont elles se comprennent chacune. Il existe en effet toujours un écart entre la réalité des processus mis en jeu par une pratique, et la représentation qu’en donne sa théorisation. On ne théorise et comprend que partiellement la réalité de sa pratique, et une même pratique peut être comprise et théorisée différemment. L’opposition soin/éducation tient donc largement à une question de point de vue et à l’insuffisance des théories de

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référence, plus qu’à la réalité des pratiques qui reposent sur des mécanismes cérébraux, mentaux et relationnels communs. Ainsi, la référence à la théorie de l’apprentissage est tout à fait insuffisante pour comprendre une pratique éducative. Celle-ci, même si elle se fixe des objectifs restreints, implique l’ensemble des mécanismes mentaux nécessaires à la régulation du comportement, dont les cognitions sociales et l’empathie, la régulation émotionnelle et les processus de conscience élaborés. Il suffira de souligner que les techniques éducatives qui se référent à la théorie de l’apprentissage s’appuient sur le processus d’imitation ; or nous avons vu que celui-ci était un des mécanismes principaux des cognitions sociales et de l’empathie. Réciproquement, les théories cliniques ne peuvent comprendre les processus sur lesquels reposent les changements induits par les pratiques de soin, sans prendre en compte leurs mécanismes cognitifs et cérébraux. Sur ce point, il est probable que thérapeutique mais aussi éducation impliquent également les mécanismes des « cognitions sociales ». Réciproquement, les mécanismes de l’apprentissage sont probablement mobilisés par les pratiques dites de soin, qui reposent sur une pédagogie de la relation interpersonnelle, de la reconnaissance de la vie émotionnelle, sur un apprentissage progressif des cognitions sociales et de l’empathie. Cette perspective invite à s’interroger sur la dimension biologique des pratiques fondées sur la relation et visant à induire des changements. Toute pratique qui lutte par les seuls moyens de la vie relationnelle contre les tendances autistiques s’expose en effet au risque de n’avoir que la valeur d’un acte de foi. Ainsi, en quoi maintenir une attitude relationnelle à visée thérapeutique, faire le pari d’une subjectivité, soutenir une démarche de communication peut-elle avoir un effet sur le fonctionnement psychique de l’enfant autiste ? Attribuer une vie psychique et des désirs à l’enfant, interpréter ses comportements comme des conduites intentionnelles ayant valeur de communication, serait-ce les faire advenir magiquement ? Évidemment pas. Cette attitude et la pratique qu’elle soutient ne sont fondées que si la vie psychique de l’intervenant, à travers la pratique de communication qu’il instaure, est susceptible d’avoir effectivement et objectivement des effets sur celle de

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l’enfant. C’est sur ce point que les pratiques référées aux théories de l’apprentissage, qui se réclamaient de bases cérébrales, ont parfois contesté le plus vivement les pratiques psychothérapiques, jugées irrationnelles ou inefficaces. Le principe de la correction d’un déficit défini et limité par l’éducation semble en effet plus crédible, car moins ambitieux et plus explicable, en tout cas plus facilement évaluable. C’est ici cependant que les recherches récentes sur l’intersubjectivité et l’empathie, qui éclairent la réalité objective et biologique des interactions psychiques, apportent des arguments objectifs en faveur de la valeur des pratiques fondées, comme la plupart des pratiques psychothérapiques ou dites « de soin », mais aussi comme celles référées à la psychopédagogie et à l’éducation, sur la communication, l’interaction psychique ou mentale interindividuelle et l’empathie. Il y a donc plus de différences entre les théories qu’entre les pratiques et leurs bases psychologiques et biologiques. Le thérapeute est souvent un pédagogue qui s’ignore, et parfois l’inverse. Enfin, rappelons que chez l’adulte les pratiques psychopédagogiques et éducatives visant à modifier les comportements pathologiques appartiennent bien au champ des thérapeutiques et du soin. C’est le cas bien sûr des thérapies cognitives et comportementales (TCC), et des programmes de réhabilitation ou remédiation cognitive destinés à la schizophrénie mis en œuvre en psychiatrie de l’adulte. Il n’y a pas ici d’opposition soin/pédagogie, simplement parce que l’on n’est pas dans le champ de l’enfance. Les traitements psychothérapiques ont toujours été divisés entre ceux référés à la psychanalyse et ceux référés à l’apprentissage et à la pédagogie. Le fait que les sujets concernés soient des enfants nourrit en revanche la controverse, car l’enfant est par nature le sujet d’une pédagogie. On peut se demander jusqu’à quel point toute pratique adressée à l’enfant, impliquant une relation entre celui-ci et l’adulte, qu’elle se réclame du soin ou de l’éducation, n’est pas nécessairement pédagogique au sens où elle vise à faciliter ou soutenir le mouvement fondamental du développement qui anime et oriente l’ensemble de sa vie psychique, et s’appuie sur une relation d’empathie entre l’enfant et l’adulte. Mais de ce fait toute pratique éducative ou pédagogique, pour les mêmes raisons, ne serait-elle pas

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aussi thérapeutique, au sens où elle facilite aussi le développement de la personnalité, et la qualité de l’expérience subjective et intersubjective ? Au sein de ce qui est un continuum, on envisagera alors « soin » et « éducation » comme les deux pôles entre lesquels toute pratique de relation interpersonnelle avec l’enfant se situe, ou comme les deux dimensions dans lesquelles elle s’inscrit de manière variable. La liberté donnée à l’initiative et à la créativité, la définition ou non d’objectifs et lesquels, le degré d’influence contraignante de l’adulte sur l’enfant, la nature des renforcements, varie selon un gradient, d’une pédagogie de l’acte à une pédagogie de l’être qui devient thérapeutique. Pour simplifier, proposons que dans ce continuum, l’attention portée à l’expérience subjective de l’enfant, à sa vie psychique, à son angoisse ou à son plaisir, ainsi que l’écoute de l’intentionnalité de ses actes, de leur portée symbolique, oriente l’action psychothérapique ; alors que l’attention portée à ses performances et à l’acquisition des compétences oriente le pôle éducatif ou pédagogique. Le « réglage » de ces paramètres, variable et adaptable, donne à chaque pratique une coloration dominante, qui tient d’abord au regard porté sur la pratique, regard qui privilégie l’une ou l’autre dimension. Il ne s’agit évidemment pas ici de défendre une pratique mixte, confuse, mêlant soin et pédagogie. Si on peut décrire le plan des processus mentaux et du développement comme l’objet commun des différentes pratiques, on doit tout autant insister sur la distribution précise des rôles, sur la distinction des pratiques et des identités professionnelles. L’enseignant ou l’éducateur doit être guidé par ses propres repères et stratégies, comme le thérapeute par les siens. Si chacun est à sa manière un « praticien du développement », chacun a ses règles, ses objectifs, sa méthode propre. Le terrain commun, qui est le développement global de l’enfant, existe certes ; mais seul l’enfant et sa famille l’expérimentent comme tel, dans la succession des inter ventions. Ce terrain commun permet en revanche la rencontre des différents praticiens à propos de l’enfant, et la compréhension mutuelle des pratiques des uns et des autres. En revanche, le rejet et l’exclusion de l’une de ces deux dimensions, pour des motifs idéologiques ou dogmatiques, conduirait aux situations caricaturales et regrettables

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dénoncées de part et d’autre : les psychothérapies individuelles ou groupales sans objectifs ni évaluation, coupées de l’environnement social et familial de l’enfant, sans contenu sinon un chaos ou une infinie répétition, sans vie et sans résultats ; ou les séances d’éducation structurée devenues des séances de dressage répétitif et mécanique. La véritable opposition sépare les défenseurs d’une pratique pluridisciplinaire intégrant des approches complémentaires, et les défenseurs d’une pratique exclusive et pure. Un des facteurs de contestation des pratiques pédopsychiatriques référée au soin est enfin l’insuffisance des possibilités d’intégration scolaire existantes, et le fait que des soins aient pu être proposés parfois à la place, et non en complément, d’une éducation ou pédagogie adaptée. L’intégration scolaire quand elle est possible et bien faite est un facteur majeur de développement, et l’efficacité des pratiques d’éducation structurée, pour les enfants auxquels elle peut s’adresser, est reconnue. Le droit à la scolarité, revendiqué par les familles, a été récemment inscrit dans la loi. Finalement, la vraie question est celle du besoin que peut avoir chaque enfant de l’une et de l’autre approche. Sur ce point nous ne disposons pas encore d’études probantes, mais la complémentarité est certainement, avec l’adaptation nécessaire de l’offre à chaque cas, le principe le plus pertinent pour guider une bonne pratique. Rappelons qu’aucun modèle de l’autisme, aucune théorie du fonctionnement mental de l’autisme et de ses anomalies, aucune connaissance issue de la recherche ne sont en mesure de justifier aujourd’hui sur des bases scientifiques ni la découverte d’une méthode ou d’une technique miraculeuse, ni l’application exclusive d’une méthode à l’autisme. Pour toutes les pratiques évoquées l’empirisme reste la règle, ce qui invite à la prudence autant qu’à la curiosité, et à la recherche de complémentarité entre les compétences existantes.

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Conclusion

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L’autisme soulève des questions d’importance majeure dans différents champs : en tant qu’entité clinique de psychopathologie du développement, en tant qu’objet de pratiques référées à la psychiatrie, au champ médico-social et à la pédagogie, enfin des questions de nature socioculturelle et économique. Nous n’avons pas traité ici, faute de place, des changements importants causés par les différents rapports, circulaires, plans et recommandations qui ont redessiné le dispositif de diagnostic et d’évaluation de l’autisme depuis 1994 (notamment la circulaire Veil de 1995), ainsi que d’information au public (par la création de Centres de ressources spécifiques de l’autisme). Le dépistage et le diagnostic précoce sont jugés à juste titre prioritaires, mais leur extension pose le problème crucial des ressources croissantes qui doivent impérativement être mises ensuite à disposition pour des prises en charge de longue durée, faute sinon de dysfonctionnements importants. Du point de vue psychopathologique, l’autisme constitue un syndrome doublement hétérogène. Il l’est en effet d’abord du fait de la diversité des syndromes autistiques, selon l’existence d’une pathologie associée, selon leur cause connue ou inconnue, et selon l’existence ou l’absence d’un retard intellectuel et son importance. Mais il l’est aussi du fait de la diversité des signes cliniques que le syndrome associe, sans que l’on soit en mesure aujourd’hui de comprendre les raisons de cette association : particularités de la perception, de la mémoire et de la motricité ; particularités de la pensée et de l’imaginaire, du rapport au monde ; altérations de la communication et des interactions, de la relation interpersonnelle enfin. La première hétérogénéité invite à concevoir ce syndrome comme l’expression clinique relativement univoque d’une grande diversité de facteurs causaux susceptibles de perturber très précocement le développement. Les affections

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connues altérant le développement cérébral en font bien sûr partie, mais la nature de l’altération en cause dans le plus grand nombre de cas, où aucune anomalie significative n’est retrouvée, reste inconnue. On comprend que cette diversité et cette ignorance aient longtemps conduit tenants d’une organogenèse et tenants d’une cause environnementale précoce à s’opposer en adoptant des positions conceptuelles simplificatrices. Comme on l’a vu, cette opposition est aujourd’hui obsolète, car on a pris la mesure réelle des interactions entre gène et environnement, et parce que toute particularité de l’organisation du comportement implique quelle qu’en soit la cause des particularités cérébrales, structurales et fonctionnelles. On a ainsi reconnu que des anomalies de l’environnement relationnel pouvaient être la conséquence de l’autisme de l’enfant (alors que dans d’autres syndromes dont l’expression clinique est partiellement commune, les pathologies de l’attachement, l’environnement est clairement la cause des troubles observés). Mais ici encore des causes différentes peuvent produire les mêmes effets, parce qu’elles aboutissent aux mêmes mécanismes. Enfin, on sait que les anomalies cérébrales peuvent être la conséquence autant que la cause des troubles comportementaux. La question de la cause, à l’origine de positions parfois passionnelles et réductrices, doit donc laisser la place, ici comme ailleurs en psychiatrie et psychopathologie du développement, à une compréhension plurielle des causes, et surtout à une étude des mécanismes qui ne soient plus confondus avec les causes. S’ouvre ainsi une compréhension plurielle de l’autisme, intégrant les différents niveaux de description et de compréhension de nature clinique et psychopathologique, psychologique expérimentale et cognitive, neurobiologique. Le second niveau d’hétérogénéité soulève la question cruciale des interrelations entre les différents niveaux d’organisation du fonctionnement mental et du comportement qui sont modifiés dans l’autisme : perception, mémoire, attention, motricité et planification de l’action, langage, conscience de soi, connaissance d’autrui, processus relationnels enfin et surtout. Ces niveaux peuvent bien sûr être chacun décrits dans leur dimension psychologique, clinique ou cognitive, aussi bien que neurobiologique. Mais

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CONCLUSION

la question posée ici est autre : c’est la nature du lien entre les différentes particularités de la vie mentale propres à l’autisme : d’une part processus de pensée, régulation émotionnelle, représentation du monde propres à l’individu, d’autre part particularités de la vie de relation et de la communication, du rapport à autrui. Ici aussi les modèles explicatifs tendent à s’opposer, selon que l’on situe la cause du trouble dans les fonctions complexes mises en jeu dans l’intersubjectivité et la réciprocité sociale, ou bien à des niveaux cognitifs supposés plus élémentaires et « individuels ». En fait, il est très probable que l’on décrit une même réalité à différents niveaux d’expression et de complexité, sans que l’un soit en mesure d’expliquer l’autre. Bien sûr, les comportements sociaux dépendent des différentes fonctions cognitives plus élémentaires. Mais l’autisme nous invite aussi à considérer que le développement psychologique dans son ensemble ne peut s’opérer harmonieusement sans la fonction régulatrice précoce puis constante des interactions avec autrui, c’est-à-dire sans l’influence du fonctionnement psychique d’autrui et l’établissement d’influences réciproques entre le sujet et autrui. L’autisme met en question la part que l’individuel doit à l’interaction avec autrui. On comprend donc qu’il ait suscité une querelle classique entre ceux qui voient la source de la psyché dans l’environnement social et la culture, et ceux qui la voient dans l’équipement biologique inné dont l’individu dispose, comme le montrent les recherches récentes, dès sa venue au monde. Mais ici aussi l’opposition entre nature et culture est obsolète, et l’autisme ne doit plus en être l’otage, pas plus que des autres grandes oppositions conceptuelles que nous avons soulignées. L’aptitude innée à l’interaction psychique interpersonnelle, propriété fondamentale du psychisme humain, a été jusqu’ici presque exclusivement prise en compte par les approches cliniques, qu’il s’agisse de l’approche référée à la psychanalyse ou de l’étude des interactions précoces entre bébé et adulte. Elle est restée longtemps ignorée par la psychologie expérimentale, la biologie et les neurosciences, à l’exception de la théorie de l’attachement. Ceci explique que les hypothèses fondées sur l’approche objective et expérimentale aient privilégié les hypothèses soit béhavioristes, soit psychologiques perceptives, motrices ou attentionnelles, et

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qu’elles aient proposé des modèles solipsistes de l’autisme (c’est-à-dire des modèles centrés sur un fonctionnement mental individuel supposé se développer indépendamment de la relation interpersonnelle). Le développement récent des neurosciences cognitives sociales, et en particulier la réactualisation de la théorie de l’empathie, transforment la représentation neuroscientifique du fonctionnement mental en donnant une place essentielle dans la psychologie scientifique aux fonctions assurant dès la naissance la connaissance d’autrui, et aux conséquences de leur exercice. La connaissance ou l’appréhension d’autrui apparaît dépendre ellemême d’un mécanisme de partage d’activité mentale, qui conditionne à la fois la représentation de soi, la représentation d’autrui, les interactions réciproques entre soi et autrui, et plus largement l’intersubjectivité. Par ses caractéristiques cliniques qui touchent à la fois la représentation de soi, d’autrui, et la réciprocité sociale, l’autisme semble constituer un cas paradigmatique d’altération de cette fonction, sans qu’il soit possible encore d’établir le niveau de complexité initialement perturbé ni ses causes. Il y a là un programme de recherches crucial pour l’avenir, explorant les mécanismes de l’intersubjectivité. Rappelons seulement ici une autre confusion fréquemment faite entre les pratiques de recherche génétique, biologique, neuropsychologique et en neuro-imagerie, et les pratiques ordinaires qui n’exploitent pas les mêmes outils et restent souvent inutiles aux cas particuliers. Il persiste actuellement un large écart entre la pratique quotidienne et la recherche fondamentale, faute d’applications pertinentes de celle-ci. Les oppositions conceptuelles quant à la cause ou la nature de l’autisme s’expriment en premier lieu dans le champ des pratiques, trop souvent et artificiellement clivées entre identités professionnelles thérapeutique et éducative, entre références théoriques psychologique ou béhavioriste. Nous avons tenté de montrer que l’autisme était ici aussi souvent l’otage de conflits idéologiques qui n’avaient que peu de rapport avec lui, ou même aucun. La vraie question n’est ainsi pas celle du choix entre théorie béhavioriste ou psychanalytique, mais celle d’une contradiction entre d’une part les approches compréhensives fonctionnelles – autant psychodynamique que cognitive, neuropsychologique ou neurobiologique – des processus complexes qui aboutissent

CONCLUSION

à l’expression du syndrome autistique en tenant compte de la complexité du fonctionnement mental et de la régulation du comportement, et d’autre part une vision simplificatrice qui explique le déficit comportemental par un déficit de compétences. La vraie question n’est pas non plus celle de l’opposition entre techniques thérapeutiques et éducatives, qui impliquent les unes et les autres des processus psychologiques et biologiques communs, et sont complémentaires pour l’autisme comme partout ailleurs. Elle est celle d’une contradiction entre deux principes, celui d’une référence idéologique exclusive à une seule théorie et à la pratique qu’elle inspire (quelle qu’elle soit, thérapeutique ou éducative), et celui du pluralisme, qui rappelons-le s’oppose au totalitarisme. Nous avons tenté de montrer qu’une théorie moderne de l’action rassemble modèles cliniques et neuroscientifiques, donne leur place autant aux processus de pensée qu’à l’émotion et à l’intentionnalité, et rend caduque ici comme pour l’ensemble de la psychopathologie l’opposition entre prise en compte des mécanismes ou du sens, du comportement ou de la vie mentale, entre références psychanalytiques ou béhavioristes, entre soin et éducation. Les oppositions risquent cependant de persister, car elles sont moins fondées sur des bases scientifiques que socioculturelles, identitaires et économiques. C’est pourtant seulement d’une compréhension à la fois étendue et instruite, mais aussi nuancée et prudente, des données des sciences, autant cliniques que fondamentales, que doivent dépendre les pratiques futures.

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Index

altération relationnelle 14 anomalie 5, 6, 92 anomalie génétique 40 anomalie du langage 15 approche éducative 106 approche thérapeutique 97 autisme 32 autisme de Kanner 27, 29 autisme infantile 5, 13 autostimulation 60 autrui 18, 117 care giver 44 cause 116 cerveau 88 cognition sociale 65, 84 connexion neuronale 93 conscience de soi 65 contact affectif 14 environnement social 41 facteur environnemental 42 fonctionnement psychique 51 gènes 41 handicap 7, 38 hypothèse perceptive 70 interaction 117 intérêt pour autrui 16 intersubjectivité 84 intolérance au changement 17

lien 117 lien humain social 7 mécanisme cérébral 22 mécanisme mental 61 médecine 6 mind reading 78 neurobiologie 88 neuropsychologie 59, 70 neuroscience 20, 59 neuroscience cognitive 61, 69, 70 pathologie de l’empathie 73 pathologie psychique 52 pratique thérapeutique 106 pratique éducative 100 psychanalyse 49 psychiatrie 37 psychopathologie 6 psychopédagogie 37 psychose infantile 13 réciprocité sociale 14 relation interpersonnelle 50, 84 retard mental 21, 24 schizophrénie infantile 13 sciences cognitives 70 stéréotypie 60 syndrome 5, 115 syndrome d’Asperger 11, 27, 28

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QU’EST-CE QUE L’AUTISME ?

theory of mind 74 trouble de l’empathie 85 trouble de l’intersubjectivité 7 trouble du développement 8 trouble de la communication 14, 23

trouble envahissants du développement 11 Victor de l’Aveyron 13