Propriété industrielle et marché commun: Travaux du Colloque tenu les 6 et 7 décembre 1963 à Grenoble par le Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises de l'Université de Grenoble [Reprint 2017 ed.] 9783110805680, 9783110568387


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French Pages 230 [232] Year 1964

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Table of contents :
Programme
Liste des Participants
Allocutions D’ouverture
Propriété industrielle et Gestion de l’entreprise
Brevets d’invention et Marché Commun
Le projet de convention sur le brevet européen et ses implications
Dessins et Modèles et Marché Commun
Marques de Fabrique et Marché Commun
Le Traité de C. E. E., article 85 et les Droits de Propriété industrielle
Droits de Propriété industrielle et Concurrence
Concurrence déloyale et Marché Commun
Rapport de synthèse
Table des Matières
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Propriété industrielle et marché commun: Travaux du Colloque tenu les 6 et 7 décembre 1963 à Grenoble par le Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises de l'Université de Grenoble [Reprint 2017 ed.]
 9783110805680, 9783110568387

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PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE ET MARCHÉ C O M M U N

PUBLICATIONS de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques

Collection générale Volume n° 1

UNIVERSITÉ

DE

GRENOBLE

PROPRIETE INDUSTRIELLE ET

MARCHE COMMUN Travaux du Colloque tenu les 6 et 7 décembre à Grenoble par le Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises de l'Université de Grenoble

PARIS -

MOUTON 1964

- LA HAYE

1963

PROGRAMME

Ouverture du Colloque par M. MAILLET, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble, et M. PAGE, Directeur du Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises. « Propriété industrielle et Gestion de l'Entreprise >.

Président : M. le Doyen MAILLET. Rapporteur : M. CHERADAME, Directeur général du Centre d'Etudes et de Recherches des Charbonnages de France, Membre de l'Association Nationale pour la Recherche technique. « Brevets d'invention et Marché Commun ».

Président : M. GOLDMAN, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris. Rapporteur : M. MONNET, Directeur des Accords, Brevets et Marques de Rhône-Poulenc. « Le Projet de Convention sur le Brevet Européen ».

Président : M. DESBOIS, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris, Doyen honoraire de •la Faculté de Grenoble. Rapporteurs : M. ARMENGAUD, Sénateur, Membre du Parlement européen, Conseil en propriété industrielle; MM. MEUNIER et WILLEMS, Experts auprès de l'Union des Industries de la Communauté Européenne. < Dessins et modèles et Marché Commun ».

Président : M. FINNISS, Inspecteur général de l'Industrie et du Commerce, Directeur de l'Institut National de la Propriété Industrielle. Rapporteur : M. le Doyen DESBOIS.

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PROGRAMME

« Marques de fabrique et Marché Commun ». Président : M . le Sénateur ARMENGAUD. Rapporteur : M. CHAVANNE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Lyon, Directeur honoraire de la Faculté de Droit de Beyrouth. « Droits de Propriété industrielle et article 8 5 du traité de Rome ». Président : M. SIMON, Directeur du Service juridique et financier du Syndicat général de la Construction Electrique. Rapporteur : M . PLAISANT, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Caen. « Concurrence déloyale et Marché Commun ». Président : M . MÉRIGOT, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Bordeaux, Secrétaire général de l'Association des Directeurs de Centres universitaires d'Administration des Entreprises. Rapporteur : M* LASSIER, Avocat à la Cour d'Appel de Paris. Rapport de synthèse par M. le Professeur GOLDMAN, Directeur adjoint du Centre universitaire d'Etudes européennes.

USTE

DES

PARTICIPANTS

MM. Conseiller juridique de l'Industrie chimique, Francfort; AMALRIC, Chef de Services techniques, Merlin-Gerin, Grenoble; ANDÉOUD, Service juridique, Sogreah, Grenoble; BACONNIEB, Directeur du Centre Régional de Documentation Pédagogique, Grenoble; BASTIAN, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Strasbourg; BAUDOIN, Assistant à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble; BERTIN, Chargé de cours à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Rennes; BON, Chef du Service Brevets Neyrpic-Sogreah, Grenoble; BRAUN, Maître de conférences agrégé à la Faculé de Droit et des Sciences économiques de Grenoble; CHENAIS, Directeur de Division, Neyrpic-Sogreah, Grenoble; COLIN, Service Propriété industrielle, Gie de T.S.F., Paris; COLLET, Service juridique, Saint-Gobain, Paris; COUTELLIER, Directeur de l'Ecole Supérieure de Commerce de Lyon; DE HAAN, Directeur du Bureau de Propriété industrielle, La Haye; DELAYE, Président de la Chambre des Notaires, Grenoble; DELAY-TBRMOZ, Chef de travaux à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble; DELARUE, Ingénieur Service Propriété industrielle, KléberColombes, Paris; Du CAS, Chef du Secrétariat technique au C.E.R.C.H.A.R., Creil; DURY, Ingénieur, Rhodiaceta, Lyon; ESTAGER, Secrétaire général de PA.P.A.F., Grenoble; FALQUE, Conseil juridique à la Société Citroën, Paris; FRANCO, Directeur de Division, Neyrpic, Grenoble; FRANÇON, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Dijon; ALRRECHTSKIRCHINGER,

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LISTE D E S PARTICIPANTS

FRANSEN, Ingénieur-Conseil en Propriété industrielle, Grenoble; GENDRE, Ingénieur-Conseil en Propriété industrielle, Grenoble; GILBERT, Directeur général de PA.P.A.F., Grenoble; GTVBRDON, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences

économiques de Grenoble, Directeur de l'Institut d'Etudes commerciales; GRAND, Service juridique, Ets Grouzet, Valence; HIRIGOYEN, Secrétaire général, Sogreah, Grenoble; KROEGER, Conseiller juridique à l'Union des Industries de la Communauté Européenne; LACOMBE, Assistante à l'Association des Directeurs de Centres universitaires d'Administration des Entreprises; LAFANECHÈRE, Président de la Banque Nicolet & Lafanechère, Grenoble; LARGUIER, Assistante à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble; L E BARBIER, Service Brevets Saint-Gobain, Paris; LBCERF, Rédacteur du Figaro, Paris; LECLERGQ, Ingénieur S . A . M . E . S . , Grenoble; MAGNIN, Vice-Directeur Bureaux Internationaux P.P.I., Genève; MAYER, Directeur du Laboratoire d'Electronique et d'Automatique Dauphinois; MERLIN, Président-Directeur général des Ets Merlin-Gerin, Grenoble; MESNARD, Chef de contentieux, Thomson-Houston, Paris; MESSBROTTI, Service Brevets Edison, Milan, Secrétaire général du Comité pour la Protection de la Propriété industrielle dans la C.EE.; MONTMEY, Chargé de travaux à l'Institut d'Administration des Entreprises de Paris; MOREAU, Directeur des Services juridiques, Laboratoires Toraude, Paris; MOREL, Directeur Accords et Brevets Rhodiaceta, Lyon; MOURALIS, Assistant à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble; NEMIROVSKY, Ingénieur Rhodiaceta, Lyon; NOËL, Chargé de travaux à l'Institut d'Administration des Entreprises de Paris; PAGE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble, Directeur du Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises; PANEL, Chef du Service Propriété industrielle C.G.E., Paris; D E PASSEMAR, Chef de la Section Propriété industrielle, Péchiney, Paris; PICHOT, Déléguée à la Direction commerciale Picon, SaintFélix;

LISTE DES PARTICIPANTS

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Pis ON, Chef du Service juridique, Merlin-Gerin, Grenoble; POINGT, Directeur de la S . A . C . E . M . , Grenoble; PKÉYAULT, Assistant à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Lyon; RIDOUARD, Assistante à l'Institut d'Administration des Entreprises de Poitiers; RIVIÈRE, Ingénieur en chef I.R.S.I.D., Saint-Germain-en-Laye; ROUYHRE, Chef du Service Propriété industrielle F & A du Creusot, Paris; SALVAT, Chef des Services Contentieux, Lorraine-Escault, Paris; SIE, Chef du Service juridique Péchiney-Saint-Gobain, Paris; SILVY, Directeur général adjoint S.A.M.E.S., Grenoble; STEPHAN, Chef du Personnel Cie Générale du Lait, Rumilly; TASSY, Cie Saint-Gobain, Paris; THORAVAL, Chef de Cabinet du Préfet de l'Isère, chargé des Affaires économiques; 1 UPPIN, Ingénieur I.R.S.I.D., Saint-Germain-en-Laye; VAN WIJNGAARDEN, Avocat, Arnhem (Pays-Bas); VIBOUD, Services techniques Merlin-Gerin, Grenoble; VINCENT, Directeur général de la Banque « La Prudence », Grenoble ; VUILLERMOZ, Ingénieur principal Rhodiaceta, Lyon.

ALLOCUTIONS COUVERTURE

Au nom de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble, j'ai l'agréable tâche de vous accueillir dans notre Université et dans notre ville, de saluer les Institutions ou les Organismes que vous représentez et d'ouvrir les travaux de votre colloque sur le thème « Propriété industrielle et Marché Commun ». Un colloque est toujours un événement important, quelle que soit l'Organisation qui en a pris la charge et l'initiative, à la fois pour l'Organisation elle-même, pour les participants et aussi pour ces participants indirects que sont tous ceux qui bénéficieront des travaux et des conclusions. Mais je crois que le moment précis de l'ouverture d'un colloque est, sans doute, le plus important, ou du moins le plus symbolique, en ce sens que ce moment est le point d'aboutissement d'une longue période de travail et également de soucis pour les organisateurs, pour les rapporteurs et aussi pour les participants qui ont à réfléchir aux problèmes, à étudier les rapports et également à préparer leurs Et puis le moment de l'ouverture d'un interventions. colloque est également le point de départ d'une autre période, celle des travaux eux-mêmes, celle de la mise au point des textes et celle enfin de la publication par laquelle le rayonnement du colloque sera assuré, et je suis heureux de dire que la Faculté de Grenoble pourra contribuer à la publication qui, je l'espère, servira de couronnement à vos travaux. Aussi suis-je fort honoré d'intervenir à ce moment précis où votre colloque passe de la phase de préparation à la

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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

phase de réalisation et où, je pense, l'importance du thème retenu va clairement apparaître. Vous me permettrez cependant d'aborder avec quelque discrétion les problèmes soulevés par ce thème lui-même parce que mon absence de compétence me condamnerait, si j'avais l'imprudence de toucher à ces problèmes, à des hautement banalités qui seraient indignes de l'auditoire averti que vous constituez. Je crois surtout qu'il est juste de laisser le soin d'évoquer ces problèmes à l'un de ceux qui ont été les véritables organisateurs de ce colloque, le Professeur Claude Giverdon, Directeur de l'Institut d'Etudes commerciales qui, l'an dernier, dirigeant à titre intérimaire le Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises, a eu l'idée et a entrepris la mise en œuvre de ce Colloque, et le Professeur André Page, Directeur du Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises, qui, absent l'an dernier pour une mission au Moyen-Orient, a, dès son retour, avec le Professeur Giverdon, continué la tâche d'organisation du Colloque, et enfin M. Delay-Termoz, chef de travaux au même Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises, qui a assumé avec beaucoup de dévouement et la meilleure réussite le souci de certaines tâches de préparation scientifique et aussi des tâches beaucoup moins spectaculaires mais beaucoup plus ingrates d'organisation matérielle. Je me bornerai, par conséquent, pour les raisons que je viens d'indiquer, à souligner deux points qui me paraissent spécialement importants dans votre Colloque. Il faut d'abord relever, je pense, l'intérêt, et j'allais dire l'urgence, qu'il y avait et qu'il y a encore à réunir, pour l'étude des problèmes de Propriété industrielle posés par la réalisation du Marché Commun, des spécialistes venant d'horizons divers et ayant des formations différentes puisque notre pays a un certain retard, dans ce domaine, sur un certain nombre d'autres pays européens. Et je suis heureux que l'Université de Grenoble soit ainsi appelée avec d'autres personnalités ou organismes à contribuer à combler ce retard regrettable. Je voudrais également souligner que si le Marché Commun est d'ores et déjà une réalisation acquise, il demeure néanmoins, et pour une large part, en devenir, et que son

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destin dépend non seulement des tractations entre Etats que l'expérience montre si délicates, non seulement de la capacité des entreprises à s'adapter aux impératifs économiques communautaires mais aussi de la capacité des spécialistes à donner aux problèmes techniques et, disons-le, aux problèmes juridiques des solutions satisfaisantes. Il est évident, je pense, que le bon fonctionnement du Marché Commun dans l'avenir serait compromis si l'on n'arrivait pas à résoudre des problèmes tels que ceux posés par la propriété industrielle, puisque le Marché Commun est d'abord une sorte d'association entre pays industrialisés. C'est pourquoi votre Colloque m'apparait à la fois comme un effort destiné à faciliter le développement ultérieur du Marché Commun et également comme un acte de foi dans l'avenir de ce Marché Commun. Ces buts que je viens de rappeler me paraissent trop importants pour que je retarde davantage le début effectif de vos travaux auxquels nous allons procéder maintenant. Jean MAILLET, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble.

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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

Il me faut d'abord regretter l'absence à cette réunion de deux personnalités qui avaient initialement donné leur accord, mais qui ont été empêchées de venir au dernier moment. Il s'agit de M. Van Reepinghen, qui est fort heureusement remplacé, si je puis dire, par M. Meunier, qui, au tout dernier moment, a bien voulu accepter de venir pour faire connaître à notre réunion le point de vue belge. Par ailleurs, je dois aussi présenter les excuses de M. le Doyen Vincent, de la Faculté de Lyon, qui n'a pu se rendre à Grenoble aujourd'hui, retenu par d'autres obligations. Le Doyen Maillet m'a laissé la charge de présenter ce Colloque, mais il a eu soin de vous dire dans quelles conditions il avait été préparé, de sorte que je suis un peu de ceux qui ont pris le train en marche puisqu'il a été mis sur les rails par mon collègue, M. Giverdon. Et à ce titre je ne me sens pas non plus particulièrement qualifié pour le présenter. J'essaierai de le faire de mon point de vue qui se révélera assez vite ne pas être exactement le point de vue du Colloque, puisque je suis économiste de formation et que la majorité des rapports qui vous seront présentés sont d'orientation juridique. Néanmoins essayons brièvement de préciser dans quelles perspectives se situe cette réunion. C'est une banalité de dire que la vie des sociétés occidentales est de plus en plus sous l'emprise de la technique. C'est également une banalité d'affirmer qu'il y a accélération du progrès technique. Mais toutes ces banalités accumulées n'en aboutissent pas moins à des réalités, qui se présentent sous forme tangible, sous

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

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forme concrète pour toute une série de personnes responsables, et je pense que ce sont ces réalités du progrès technique et de son accélération qui expliquent l'intérêt, de plus en plus affirmé, que l'on porte à tout ce qui gouverne la technique, son évolution. Notamment cela explique la préoccupation croissante que l'on note, venant de différents horizons, à l'égard de ce que l'on appelle la recherche, recherche scientifique, recherche technique, recherche de laquelle est issu le savoir, et précisément c'est de ce savoir et de sa protection que nous allons nous entretenir aujourd'hui. De quoi dépend l'organisation de la recherche, de quoi dépend son développement, comment apparaît ainsi, dans la vie économique et sociale, le savoir utile à la vie des hommes ? Voilà le point de départ exprimé en termes économiques. L'on pourrait dire qu'il y a une préoccupation grandissante à l'égard du problème de la production de connaissances nouvelles susceptibles d'utilisation économique. Bien entendu cette préoccupation est particulièrement marquée chez ceux qui ont la responsabilité d'orienter la vie économique, de lui donner son rythme. Parmi ceux qui ont cette responsabilité, nous avons, étant donné les préoccupations de notre Etablissement, choisi de nous situer au niveau de l'entreprise, étant donné que les dirigeants d'entreprises sont ceux qui, par leurs actions quotidiennes et par leurs décisions à long terme, orientent cette vie économique et déterminent son rythme. Le point de départ de nos travaux était donc de montrer, pour reprendre l'expression de M. Cheradame, quelle place l'idée nouvelle, susceptible d'être protégée par le brevet, doit occuper dans la gestion de l'entreprise. Telle sera en effet l'objet du premier rapport que nous présentera M. Cheradame. On pourrait dire qu'il est devenu courant de parler dans l'entreprise de gestion des stocks, de gestion des matières premières, de gestion financière. Il est peut-être moins courant pour le moment encore de parler de la gestion des idées nouvelles, de la gestion du savoir, de la gestion des connaissances utiles pour la marche de l'entreprise. Comment donc le chef d'entreprise peut-il considérer la création intellectuelle à usage industriel et commercial,

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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

quelle place doit-il lui donner dans la gestion de son affaire, voilà au fond ce que sera le thème du premier rapport. Ayant ainsi placé ce problème du savoir au niveau de l'entreprise, nous avons ensuite à lui donner une orientation propre. Cette orientation, telle qu'elle apparaît dans le titre même de ces journées, c'est le cadre que constitue le Marché Commun. On pourrait dire, en simplifiant à l'extrême, que l'un des objectifs majeurs du Marché Commun est de placer tous les producteurs d'une même branche de production dans une situation équivalente. Et l'objet essentiel de ce colloque va donc être d'examiner à quelles conditions une situation équivalente peut être créée pour les différents producteurs du Marché Commun dans une même branche, dès lors que l'on envisage le problème de la protection et de la publicité de la création intellectuelle à usage industriel et commercial. Dans ce cadre du Marché Commun, ce que nous essayons de faire au cours de cette reficontre, c'est un bilan des situations existantes, des divergences, de la diversité des réglementations et des attitudes en ce domaine et c'est, du même coup, un essai de mesure du chemin qu'il nous faut parcourir pour aboutir à une harmonisation des positions à cet égard. Nous avons ensuite envisagé une série de rapports destinés à préciser quelle est la situation actuelle : le rapport de M. Monnet interviendra donc en second lieu; il est destiné à préciser les données de la situation actuelle en exposant le point de vue d'un responsable des brevets et marques dans une grande entreprise à l'égard des conditions actuellement faites en matière de brevets. Nous avons demandé à notre troisième rapporteur, M. le Sénateur Armengaud, de placer le problème dans sa généralité et de montrer quelle est la position des pays qui constituent l'Europe des Six à l'égard de cette protection de l'idée nouvelle et de la dimension qui doit lui être conférée. C'est ce que M. Armengaud traitera en nous parlant du projet de convention sur le Brevet Européen. Les différents rapports qui nous seront présentés par la suite exposeront la situation existante, essentiellement du point de vue des juristes. Je me borne à rappeler quelles

ALLOCUTIONS D ' O U V E R T U R E

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sont les différentes personnalités qui ont bien voulu accepter de faire des rapports juridiques sur ces problèmes. Nous entendrons successivement M. Desbois, Professeur à la Faculté de Droit de Paris, et ancien Doyen de la Faculté de Grenoble, nous parler des « Dessins et Modèles dans le Marché Commun », et M. Chavanne, Professeur à la Faculté de Droit de Lyon, nous parler des « Marques de fabriques et du Marché Commun ». Demain matin, nous avions prévu deux rapporteurs qui seront ramenés à une seule personne, celle de Maître Lassier, qui a bien voulu accepter de remplacer M. Plaisant, empêché, et qui présentera donc le rapport de M. Plaisant sur les « Droits de propriété industrielle et l'article 85 du Traité de Rome » et son propre rapport sur la « Concurrence déloyale et le Marché Commun ». Mais la demi-journée de demain sera cependant bien remplie puisque M. Goldman, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris, nous présentera un rapport de synthèse certainement très nourri. Voilà donc brièvement rappelé, et l'esprit dans lequel a été conçu cette réunion, et son programme. Je souhaite que les travaux de ce Colloque fassent mieux apparaître les conditions qu'il faudra réunir pour arriver à réaliser une législation commune en matière de création intellectuelle à usage industriel et commercial et que, de cette façon, ils puissent contribuer à faire progresser l'idée européenne à laquelle nous sommes tous, je pense, attachés. André PAGE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques, Directeur du Centre de Préparation à la Gestion des Entreprises.

Propriété industrielle et Gestion de l'entreprise Rapporteur : M.

CHERADAME,

Directeur général du Centre d'Etudes et de Recherches des Charbonnages de France, Membre de l'Association Nationale pour la recherche technique.

L'activité de toute entreprise est essentiellement créatrice : créatrice de biens et de capital nouveaux. Ce capital consiste lui-même en biens matériels, mais aussi et surtout, pourrait-on dire, en biens immatériels : équipe, idées, renommée, clientèle. Parmi ces derniers, la législation fait une place particulière aux idées. La Révolution française, sans doute par réaction contre les structures de la société qu'elle entendait réformer, a en effet, dès 1791, affirmé que les idées qui sortaient du cerveau d'un homme ne cessaient pas de lui appartenir. Il importait dès lors de lui donner les moyens de conserver cette propriété. De là découle toute la législation sur la propriété industrielle. Ne nous attardons pas à l'évolution historique de ces droits, qui ont joué un grand rôle dans le développement de l'industrie au xix* siècle. Et posons-nous plutôt directement la question de leur intervention dans l'entreprise

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H. CHERADAME

industrielle de 1963, caractérisée surtout, par rapport à ses devancières, par une taille de plus en plus grande et par l'existence fréquente d'un important service de recherche. Notre entreprise va exploiter quotidiennement un certain nombre d'idées, venues du travail de son personnel ou trouvées à l'extérieur. Tantôt elle les applique directement, tantôt elle confie ce soin à d'autres, souvent les deux à la fois. Tous les jours, par conséquent, elle va naviguer au milieu des règles de la propriété industrielle, tout comme elle navigue au milieu des règles qui s'appellent le code civil, le droit commercial, la législation sociale, etc... On peut, dès lors, s'étonner que l'importance de ces problèmes de propriété industrielle ne se manifeste pas dans beaucoup d'entreprises, et que chacune n'ait pas son spécialiste comme elle a son expert juridique. Cela tient, je pense, à beaucoup d'ignorance et à une méfiance indiscutable à l'égard du jargon des brevets et de toutes les subtilités en cette matière. Cela tient sans doute avant tout au flou de tout ce domaine : flou de l'idée, flou du régime qu'on lui applique. Un meuble est un meuble et se décrit fort bien; deux meubles peuvent être identiques et ce sont bien deux meubles, et en fait de meubles possession vaut titre. Un immeuble est un immeuble et se décrit non moins bien, et il est unique puisque localisé, et la loi vous oblige à traiter par-devant notaire les changements de droit de propriété de cet immeuble. Une idée est très difficile à définir; deux idées définies supposées identiques n'en font qu'une, et rien ne vous oblige à déclarer vos idées. Il paraît donc opportun de passer en revue les différentes façons dont les problèmes de brevets — et j'emploierai ce mot dans un sens global couvrant les brevets proprement dits, les marques, etc... — viennent s'insérer dans la vie de l'entreprise moderne, d'approfondir chacun de ces aspects, et de voir s'il existe une politique de la direction à l'égard de ces problèmes, qui peuvent influer sur les résultats de sa gestion.

PROPRIÉTÉ ET GESTION DE L'ENTREPRISE

I. —

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LES BREVETS DANS LA VIE DE L'ENTREPRISE

Quatre questions peuvent être passées en revue : 1) Quand on produit une idée nouvelle, va-t-on prendre un brevet ? 2) Quand on a un brevet, comment va-t-on en tirer avantage ? 3) Quand on n'a pas produit d'idée nouvelle, va-t-on s'intéresser aux brevets des autres ? 4) En dehors de ces trois premiers cas, n'y a-t-il pas d'autres occasions de s'intéresser aux brevets, à titre de documentation par exemple ? 1. Les idées nouvelles et les droits de propriété industrielle. En présence d'une idée nouvelle, on peut la publier, la protéger par un brevet, ce qui conduit aussi à la publier selon certaines règles, ou la garder secrète. Je pense que c'est en grande partie l'évolution d'une politique et d'un état d'esprit à l'égard du secret qui fait que la place des problèmes de propriété industrielle dans l'entreprise est en train de se modifier profondément. C'est, je crois, un réflexe de bien des gens et bien des entreprises que de tenir secrets les produits de leur travail intellectuel, et c'était hier la solution la plus souvent retenue : — L e savant donnait l'exemple. Son but était certes de publier, puisqu'il ne cherche pas en général d'autre récompense extérieure du fruit de sa recherche que la notoriété, et nous savons que l'on attache même trop d'importance au nombre de publications d'un savant. Mais il ne le faisait que lorsque son ceuvre était suffisamment complète pour lui valoir quelque considération; il pensait parfois même à éviter que des confrères viennent trop tôt la compléter, ce qui pouvait risquer d'affaiblir son prestige. — L'industriel mettait bien vite en exploitation son invention, en s'efforçant de garder le secret à la manière d'un

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M. CHERADAME

état-major militaire, tout comme il avait déjà camouflé tout son processus de recherche et de découverte. Bien des détails de fabrication, bien des tours de mains l'assuraient de garder son monopole. Mais ce réflexe du secret ne résiste pas à la discussion. Faut-il rappeler quelques bases objectives du raisonnement qui oppose le secret, le brevet et la publication ? — Le législateur accorde un monopole à quiconque déclare détenir une invention et révèle les moyens à mettre en œuvre pour la réaliser. En faisant sa déclaration et sa révélation, le demandeur acquiert de ce fait, en contrepartie, un droit privatif, pour autant que la matière décrite est nouvelle. — Si le possesseur de l'invention préfère la garder secrète, il conservera une avance sur des concurrents aussi longtemps que le secret pourra être gardé, avance parfois déterminante, dans certaines techniques à évolution rapide ; mais la mise au secret d'une invention n'empêchera pas un concurrent avisé de prendre un brevet, ce qui dévaluera considérablement le secret percé. La propriété secrète pourra même être l'objet d'une dispute soulevée par le breveté contre le cachottier découvert. Cette constatation découle de la volonté du législateur qui fonde le progrès sur la révélation des inventions et favorise délibérément le brevet contre l'invention cachée. — Si le créateur d'un objet ou d'un produit, ou encore d'un procédé, pense, dans d'autres cas, qu'il n'y a rien de brevetable dans sa création et qu'il peut la rendre publique sans précaution, est-il bien sûr que le concurrent, toujours aussi avisé, ne va pas prendre un brevet sur un détail dont la nouveauté lui avait échappé ? Le brevet ainsi pris peut devenir très vite une arme offensive : l'adversaire a pris des droits contre le créateur, qui devient alors un défenseur. Le créateur réalise un peu tard que la morale n'a rien à voir à l'affaire et que le titulaire détient bel et bien un titre délivré par le gouvernement, auquel provision est due par les tribunaux, et dont la nullité éventuelle ne peut être prouvée qu'à grands frais. Sans doute ces données sont-elles aujourd'hui bien plus souvent connues. Cependant, si l'on constate que la situation se transforme très rapidement, qu'il y a davantage d'idées

PROPRIÉTÉ ET GESTION DE L'ENTREPRISE

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déclarées et protégées s'il y a lieu par les moyens publics, et beaucoup moins d'idées protégées par le seul secret, cela tient aussi à bien d'autres causes. En voici quelques-unes : 1° Pour expliquer le recul des secrets : a) La facilité des communications, la rapidité et la prolifération de l'information ont changé bien des états d'esprit et changé aussi les délais de la mise à disposition d'un résultat; le savant n'est plus dans sa tour d'ivoire; chacun, à commencer par la Presse, interroge tout le monde, rencontre tout le monde. Bien sûr, on ne reprochera à personne de garder un secret, mais celui-ci est devenu très vulnérable. b) L'industrie a elle-même beaucoup plus de mal à garder ses secrets. Il y a trop de monde dans le circuit. Le service de recherche, le premier, est trop nombreux; l'ampleur des réalisations industrielles met dans le circuit trop de fournisseurs d'équipement, trop d'entrepreneurs de travaux, voire trop d'administrations dont l'accord est nécessaire. Toute idée de fraude exclue, on sait bien qu'aucun secret n'est absolu, et ceci d'autant moins que plus de gens le connaissent; sa valeur est aujourd'hui bien aléatoire. c) L'accélération du progrès fait qu'un secret ne garde sa valeur que pendant un temps beaucoup plus court : « Nous ouvrons nos portes à tous les professeurs » disait, lors d'un colloque, un grand directeur des I.C.I. « Même s'il colporte ce qu'il a vu chez nos voisins — et bien évidemment on ne va pas l'accueillir pour lui prescrire le silence — il s'écoulera assez de temps avant que ceux-ci puissent l'exploiter pour que d'ici là nous soyons passés à quelque chose de plus moderne. Pourquoi, dès lors, nous priver des services que nous apportent les entretiens avec ces spécialistes ? » 2" Pour expliquer le développement des brevets : a) Le brevet appelle le brevet. Si les autres en prennent, je suis obligé d'en faire autant pour être à égalité de force sur le plan juridique. b) Le nombre de chercheurs du monde entier est tel que la probabilité d'être en compétition, à qui aura le premier une certaine idée ou une bonne solution, est devenue appré-

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M. C H E R A D A M E

ciable. Il faut donc se méfier beaucoup plus, donc se protéger. c) L'extension des marchés, du cadre régional au cadre national, et surtout depuis peu au cadre international, est si rapide que les risques de compétition entre producteurs similaires se sont considérablement accrus. On peut se passer d'un droit officiel pour exploiter une idée si l'on est sans concurrent dans sa zone commerciale; on le peut difficilement si des concurrents viennent vous y attaquer ou si l'on veut attaquer dans la zone habituellement réservée à d'autres firmes. Pour toutes ces raisons la protection légale se substitue de plus en plus à la protection par le secret — étant bien entendu cependant qu'elles ne sont pas identiques. J'ai d'ailleurs le sentiment — peut-être inexact en chimie — que parallèlement l'espionnage scientifique et industriel — civil bien entendu — serait plutôt en régression. On demande franchement aux collègues ce qu'ils étudient, quitte à se faire répondre « mystère » ; on ne cherche pas à se promener dans leur labo d'un air innocent et incompétent pour flairer le bon tuyau. Ainsi donc la propriété industrielle se pare de plus en plus de ses aspects officiels, dans les limites que ceux-ci permettent. Et là où la vraie richesse est en dehors, dans tout ce qu'on ne peut pas protéger légalement, tout le savoir-faire surtout (le know how des Anglais), le brevet auquel il se rattache est quand même la base juridique et économique dont on part volontiers dans une négociation commerciale. Les questions de marques, de dénominations et de dessins intéressent essentiellement les sociétés qui produisent ou distribuent les biens de grande consommation. Elles connaissent bien ce domaine des marques, élément essentiel de la défense de leur capital. Par contre, les questions de brevets intéressent un bien plus grand nombre d'entreprises, même si beaucoup d'entre elles n'ont à en connaître qu'épisodiquement. Quittons un instant le domaine industriel pour revenir au laboratoire universitaire; de même que le secret perd du terrain, la publication pure et simple est en régression.

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Le chercheur qui fait une découverte sait qu'il est des cas où des applications industrielles peuvent en découler directement, et qu'il est des cas où il peut prendre des brevets à ce sujet. Si certains s'en désintéressent, d'autres y veillent parfois pour eux : je pense au C.N.R.S. qui s'efforce de connaître ces cas et de prendre les brevets. Rien n'empêche la prise de tels brevets parallèlement à toute publication ou communication; celle-ci n'en est que peu retardée. Faut-il rappeler le précédent illustre de Pasteur qui s'en expliquait en ces termes dans l'avertissement annexé à sa communication du 10 février 1862 à l'Académie des Sciences sur un nouveau procédé de fabrication du vinaigre : « Comme il arrive fréquemment que des principes scientifiques livrés à la publicité par leurs auteurs deviennent, entre les mains d'autrui, l'objet de brevets d'invention par addition de dispositifs d'appareils ou de modifications insignifiantes, j'ai pris, antérieurement à ma communication du mois de février, d'après l'avis de personnes autorisées, un brevet qui primerait tous ceux auxquels mon travail aurait pu donner lieu, et j'ajoute que je suis résolu dès aujourd'hui à laisser tomber ce brevet dans le domaine public. » Aujourd'hui, sans doute, on serait moins désintéressé, et les dispensateurs de crédits au labo de Pasteur s'efforceraient d'exploiter industriellement ces brevets, ce qui peut aussi avoir pour notre pays un intérêt d'argent ou de prestige. Ils auraient la double préoccupation d'en tirer quelques revenus et d'empêcher que d'autres en détournent à leur profit le bénéfice, puisque, nous l'avons précisé, l'abandon au domaine public présente le danger qu'un brevet insignifiant pris par un tiers reporte sur lui le profit de l'ensemble. Un tel conseil est trop méconnu des inventeurs et des industriels, comme le souligne le récent rapport très documenté de M. A. Chafanel, Inspecteur des Finances. On voit, au total, qu'il est non seulement de plus en plus habituel, mais de plus en plus utile de couvrir ses inventions par des brevets. Ceci impose, bien entendu, à l'industriel un certain nombre de sujétions. L'opération de prise de brevet, dans cette première phase qui consiste à s'assurer un ensemble optimum de titres de propriété officiels de valeur certaine,

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se caractérise, comme toute opération de production, comme toute opération de recherche aussi, selon la façon dont elle est conduite, par un rendement et par un prix de revient plus ou moins élevés, impossibles sans doute de préciser quantitativement, mais susceptibles d'appréciation qualitative. On peut influer sur l'un et sur l'autre par un choix heureux d'une politique de brevets et d'une technique de prise de brevets qui s'étudient et se perfectionnent. Le chef d'entreprise doit pratiquer un certain « management » pour les brevets — j'emploie ce mot anglais qui exprime une notion très claire et n'a pas vraiment son équivalent dans notre langue — comme il y a un « research management » . Je reviendrai sur ce point à la fin de mon exposé. 2. L'exploitation des brevets. Supposons donc que notre industriel ait pris au mieux un certain nombre de brevets. Chacun d'eux doit être géré. Trois solutions se présentent : — le considérer comme une arme défensive et ne pas l'exploiter; — l'exploiter soi-même; — en négocier l'exploitation par d'autres pour en tirer un certain profit. Ces solutions ne sont pas toujours exclusives l'une de l'autre. On peut par exemple exploiter soi-même dans une certaine région et faire exploiter par d'autres ailleurs. Cette gestion est une assez lourde tâche : — Arme défensive ? Cela nécessite que l'on surveille le concurrent, qu'on soit informé des contrefaçons pour les faire interdire. Cela nécessite également que l'on s'assure périodiquement de la qualité de cette arme que des éléments nouveaux peuvent rendre inefficace, ou que soi-même on la perfectionne ou on la remplace par d'autres. — Exploitation directe ? On peut répéter les mêmes impératifs. — Quant à l'exploitation par d'autres, elle est certainement très en retard chez nous sur les deux premières solutions; peu d'industriels français y sont habitués et le sujet mérite que nous nous y arrêtions quelques instants.

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Il a lui-même deux aspects distincts : — la simple extension à une autre zone géographique par l'intermédiaire d'un licencié, d'une activité qui est et reste d'abord la nôtre; — la cession de nos droits sur une invention dont l'exploitation n'est pas dans notre domaine de production. Le premier cas peut se présenter pour une partie de la France, mais le plus souvent concerne la réalisation ou la production et la vente à l'étranger des procédés ou produits que nous avons inventés. La vente directe est à la portée de peu d'entreprises. Il faut un réseau commercial, on se heurte à un certain chauvinisme de la clientèle... Il est donc normal que l'on y songe rarement, et de là vient que souvent on ne songe pas non plus à trouver un producteur étranger. Or le détenteur de brevets aurait tort de ne pas en tirer tous bénéfices possibles sur des territoires autres que le sien. Cette attitude est donc à réviser. Ceci suppose, évidemment, que l'on va prendre des brevets à l'étranger, et on sait que les frais sont élevés et les procédures complexes, mais il faut en mesurer la contrepartie. Le premier intérêt d'un brevet pris à l'étranger est de stériliser ou de retarder le concurrent étranger en gênant sa recherche, en l'empêchant de créer dans son pays la fabrication concurrente, en lui occasionnant donc des difficultés qui tendront à affaiblir sa position économique. C'est une défense et une contre-attaque nécessaires, juste réplique aux brevets déposés en France par les sociétés étrangères; l'acquisition de certains monopoles en vaut la peine. La valeur de cette politique n'est plus à démontrer. Ce brevet étranger peut alors aboutir non seulement à l'élargissement du marché du produit français mais, si on le préfère, à la concession de licences rémunératrices ou à des accords d'échanges de licences avec un partenaire étranger. Je crois bien que, nous autres Français, devrions faire un effort considérable dans le sens de la valorisation de nos droits à l'étranger. Nous avons tort d'y déposer généralement trop peu de nos inventions, mais nous avons

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plus grand tort encore de laisser en sommeil notre capital de brevets étrangers, si maigre soit-il. Tous les avis et renseignements sont concordants sur ce point : trop peu de brevets demandés à l'étranger, et trop de ce trop peu ne sert à rien. Au total, beaucoup trop peu d'efforts pour la commercialisation à l'étranger des inventions françaises, ce qui est très dommage dans un tel domaine, où le succès appelle le succès. Quelques suggestions ont été faites à ce propos dans le rapport de M. Chafanel. Il est souhaitable qu'on intensifie l'effort d'information auprès des entreprises. Toute intervention dans ce sens des pouvoirs publics ou des organismes professionnels sera payante, à condition qu'on n'oublie pas que les relations économiques sont des relations humaines et que la recherche du licencié le plus adéquat ne relève pas de l'ordinateur mais de la confiance née entre deux équipes d'hommes. Le deuxième cas devient assez fréquent lorsqu'on dispose d'une équipe de recherches : il arrive souvent qu'on ait à mettre au point par exemple un appareil de mesure qui n'existe pas dans le commerce et dont on a besoin pour contrôler ses propres fabrications. Au lieu de nous en tenir à la fabrication de quelques prototypes pour notre propre usage que nous ferions nous-mêmes péniblement et qui sans doute auront des pannes, ne convient-il pas que cet appareil soit fabriqué en série par un spécialiste, à l'intention d'un marché plus étendu, et que nous amortissions ainsi par la dîme que nous prélèverons une partie des frais de notre recherche ? Il arrive plus rarement qu'un procédé qu'on imagine pour soi-même soit susceptible d'extensions ou de transpositions à d'autres industries. Il faut avoir le réflexe d'en tirer avantage. Pour faire face à ce deuxième cas, il est nécessaire de réunir, au moment opportun, une certaine documentation sur ces industries autres que la nôtre avec lesquelles nous allons peut-être négocier, tant pour bien choisir nos interlocuteurs que pour connaître les usages de leur corporation dans le genre d'accord envisagé. Il faut par conséquent avoir à sa disposition ce genre de compétences.

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3. L'exploitation des brevets d'autrui.

Cette forme d'insertion des droits de propriété industrielle dans la gestion de nos affaires est certainement la plus répandue, mais au fur et à mesure que le total des brevets pris en France ou à l'étranger croît, la surveillance de ces brevets pour y déceler ce qui pourrait intéresser la firme pose des problèmes de plus en plus difficiles dont nous parlerons tout à l'heure. Toutefois je ne voudrais pas insister sur ce paragraphe, sinon pour demander au contraire à l'industriel qui pratique une telle politique d'en mesurer le danger croissant. Nous savons que le progrès s'accélère, et que toute invention se périme donc de plus en plus vite. L'achat d'une licence nous permet d'appliquer l'invention d'un autre avec un retard par rapport à sa propre application qui n'est jamais négligeable: ce retard ne diminue guère, et par conséquent la durée efficace de notre application se réduit sans cesse et risque d'apporter bien des déceptions et bien des échecs économiques. C'est pourquoi rien ne vaut aujourd'hui les résultats de notre propre recherche, je veux dire de celle que nous finançons et dont nous pouvons suivre la progression au jour le jour, qu'elle se fasse chez nous ou dans le centre technique de notre profession, ou dans un établissement spécialisé dans la recherche sur contrat. 4. Les brevets, source de documentation.

Connaître les brevets publiés, c'est d'abord indispensable à celui qui veut apprécier la nouveauté de sa propre invention, la valeur du brevet qu'il a pris, celle du brevet dont on lui propose la licence. Mais ce qu'on sait moins, c'est qu'il y a une forme de documentation aussi importante que les publications, et qui ne fait pas double emploi avec elles. Les brevets publiés, toujours limités à un domaine bien précis, sont sources d'informations considérables. Des millions en sont publiés, dépouillés et classés par les Instituts nationaux de propriété industrielle. Quelques heures de

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recherches dans les fichiers de l'Institut national de la Propriété industrielle à Paris ou à Marseille permettent bien souvent de se faire une idée claire de l'état de la technique. C'est un bénéfice trop méconnu qu'on peut en tirer. Je devrais parler plutôt de bénéfices multiples. On y découvre les brevets des concurrents. On y découvre également de vieux brevets qui montrent qu'une idée qu'on croyait nouvelle est connue depuis longtemps. L'activité inventive du xix° siècle a été prodigieuse, si bien que beaucoup de prétendus nouveaux procédés sont en réalité du domaine public depuis fort longtemps : la fluidisation a été décrite en 1878, la perforation percutante à air comprimé et l'affût sur rail ont été inventés en 1858, le fonçage de puits de mines sous bouclier à air comprimé date de 1840, le propulseur à réaction utilisant un carbure d'hydrogène a été breveté en 1865. Précurseurs et inventeurs du xix" siècle ont laissé dans les brevets une littérature considérable, dont un aperçu a été donné en 1958 lors de la très belle exposition organisée par l'Institut national de la Propriété industrielle. Les tables de brevets américains et britanniques, publiées depuis le milieu du siècle dernier, sont très instructives et permettent de trouver matière à réduction des prétentions des concurrents, et à prudence dans ses propres prétentions. La publication hebdomadaire des résumés de brevets français et leur classement dans les fichiers de l'Institut national de la Propriété industrielle à Paris et à Marseille nous apportent une source de documentation trop ignorée. Sait-on bien que les résumés de brevets français sont édités chaque semaine en 8 fascicules spécialisés et que l'abonnement annuel à chacun de ces fascicules ne coûte que de 15 à 60 F ? L'intérêt en est vraiment trop mal connu, puisqu'il n'y a que 1 000 abonnements au bulletin complet et 2 000 aux 8 fascicules, soit de 100 à 400 selon les sujets. Une prospection récente, avec spécimen, auprès de 3 000 industriels, n'a rapporté que 40 abonnements. II est regrettable que des services si utiles soient si peu utilisés. Rappelons enfin les services que peut rendre l'Institut international des brevets de La Haye. Il est facile de le consulter soit par le canal de l'I.N.P.I. dans tous les cas, soit quelquefois directement.

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n . — LES BREVETS DANS LA STRUCTURE DE L'ENTREPRISE En ce point de mon exposé, résumons-nous. Le développement considérable de la prise de brevets, le développement des échanges internationaux, la concurrence plus vive sur un plan qui s'élargit d'autant, le rôle des brevets dans la documentation imposent à toute industrie de s'intéresser aux problèmes de propriété industrielle plus ou moins selon sa nature, mais toujours de plus en plus. La façon dont chacun va s'adapter à cette nécessité dépend évidemment de la taille de l'entreprise. On peut dire que dans la quasi-totalité des cas interviendront un élément extérieur spécialisé — le cabinet de brevets — et un élément intérieur plus ou moins spécialisé. Parlons d'abord du conseil extérieur. Si l'on veut aider les industriels français à développer une politique de brevets, je pense qu'il faut d'abord qu'ils soient initiés à tous les aspects du travail des ingénieursconseils, et je ne suis pas certain que ceux-ci sachent donner une information suffisante, sachent faire leur publicité. N'y a-t-il pas une proportion élevée d'industriels qui pensent : — que le brevet français est une aimable plaisanterie, qui en soi ne coûte pas cher mais n'a guère de valeur, et qu'il est rédigé dans un langage sybillin dont la forme périmée semble indiquer qu'il n'existe que pour faire gagner de l'argent à ceux qui en connaissent le code, les agents de brevets pour ne pas les nommer; — que les brevets étrangers coûtent cher — car ceux dont on parle le plus sont tous à examen préalable — ne s'obtiennent qu'après des luttes épuisantes contre les forces coalisées du pays concerné, et sont rarement exploités ? Et il faut reconnaître qu'un tel raisonnement n'est pas sans fondement. Ce qu'il faut donc, ce n'est pas dire qu'il

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est toujours inexact, c'est ramener ces objections à leur juste valeur. Mon propos n'est pas de discuter après tant d'autres des mérites respectifs des brevets avec et sans examen préalable. Je dirai seulement en passant que lorsque nous nous orienterons vers la solution de l'examen préalable — en particulier si le brevet européen voit le jour dans le sens des propositions en cours — nous contribuerons certainement à faire prendre au sérieux ce qui devrait toujours être une chose sérieuse et le deviendra beaucoup plus. Pour revenir à l'Ingénieur-Conseil, ce qu'il doit faire, c'est montrer par quantité d'exemples — et il n'aura aucune peine à être autorisé par ses clients habituels à en utiliser certains à cette fin : 1° La forme moderne que prend un brevet intelligent, c'est-à-dire celui qui dit franchement ce qu'il veut protéger; 2° Les raisons d'être juridiques du texte retenu. Il veillera avec soin à montrer qu'on peut employer la langue de tout le monde, le style de tout le monde : le médecin emploie un langage barbare pour n'être pas compris de son malade qu'il ne veut pas effrayer, tandis que l'agent de brevet veut aujourd'hui que les brevets soient compris; la difficulté de ce dernier n'est plus d'éblouir le petit inventeur, s'il en reste encore, par un langage savant, mais d'échapper au langage hermétique du chercheur spécialisé pour mettre à la portée de tous l'apport de ce dernier à l'invention. C'est de la vulgarisation scientifique au sens le plus noble du terme, et savoir le faire est un don auquel sont sensibles les chefs d'entreprises intelligents; 3° L'avantage considérable de partager le travail entre le spécialiste de l'entreprise et lui-même. Je pense que ceux des ingénieurs-conseils qui m'écoutent seront bien d'accord pour admettre que c'est autant leur intérêt bien compris que l'intérêt général que d'avoir pour client une entreprise qui en fera davantage par elle-même et réduira au minimum leur propre intervention. Il ne faut pas hésiter à le dire dans une action publicitaire. L'élément intérieur a la double mission de la liaison avec l'inventeur et avec le conseil extérieur. Selon sa formation, selon son entraînement, selon l'ampleur de ses diverses tâches, il fera plus ou moins, mais connaissant d'un côté

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l'équipe des inventeurs, de l'autre l'équipe des conseillers extérieurs, il saura réaliser par lui-même ou par les mises en contact nécessaires la transformation, dans un climat de confiance indispensable, de l'idée nouvelle en une propriété garantie par un droit. Mais cet élément intérieur aura aussi pour mission, parce qu'il est quotidiennement dans l'usine ou le laboratoire, de flairer l'invention brevetable, de définir avant même qu'elle ne soit au point sa valeur de nouveauté, et de faire comprendre ou deviner à l'inventeur quels compléments de recherche permettraient de transformer une valeur douteuse en une valeur sûre. C'est pourquoi il est indispensable d'avoir, dans l'entreprise, un responsable de ces problèmes. Selon les cas il aura même des adjoints, ou il sera seul et s'en occupera à temps plein, ou il aura également d'autres tâches, ceci importe peu. Je crois aussi qu'il faut nettement marquer, bien que la prise d'un brevet soit un acte juridique, que ce spécialiste aura des compétences techniques et qu'il se situera en dehors du contentieux de l'entreprise. Non seulement il faut comprendre la technique, mais la recherche et ses résultats sont des matières d'essence non juridique, qui ne s'enferment pas dans les cadres rigides ou les définitions rigoureuses. Exploiter des textes de lois, de contrats classiques ou de jurisprudence requiert une certaine tournure d'esprit, celle du juriste; transformer en brevets, en contrats, un résultat de recherche ou rédiger la commande d'une recherche requiert une tout autre tournure d'esprit, et j'ai l'expérience personnelle de longues années d'incompréhension entre mon centre de recherches et la Haute Autorité de la C.E.C.A., parce que celle-ci a confié ce genre de problèmes à des juristes. Le juriste, bien sûr, n'ignorera pas cette activité de l'entreprise; il est d'ailleurs susceptible d'être saisi d'un dossier, le jour où surviendra un litige, mais il lui faut admettre qu'elle est d'une autre nature. N'y a-t-il pas des cas où ce spécialiste intermédiaire est inutile ? Par exemple n'est-il pas opportun dans une petite entreprise de laisser l'inventeur rédiger seul avec le cabinet de brevets ? Certes, le scénario est relativement simple : que l'inventeur explique le plus clairement possible ce qui

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est déjà connu et en quoi consiste son idée; qu'il donne des exemples précis de réalisations possibles de son invention. Le spécialiste intervient alors pour délimiter l'invention à l'égard de ce qui est déjà connu, même si le créateur n'a pas cru voir d'invention. Il aidera à définir et même à élargir les prétentions de l'inventeur en restreignant le plus possible le champ laissé libre aux autres pour exploiter d'autres formes possibles de l'idée ou de l'objet. Mais nous risquons souvent que l'inventeur soit méfiant — ou encore buté dans sa vue technique des choses — de sorte que finalement, autant il est toujours indispensable que le rédacteur du brevet soit en contact personnel avec l'inventeur, autant il convient le plus souvent que l'homme qui décide en dernier ressort de ce qu'on met dans le brevet ne soit pas l'inventeur lui-même. C'est pourquoi le responsable interne a toujours un rôle important à jouer. S'il est polyvalent, il en sera pour lui des brevets comme de beaucoup de ses autres tâches : d'excellents manuels expliquent clairement la meilleure manière de procéder, et il y apprendra progressivement l'essentiel de sa mission. Un autre point important, et qui marque une autre différence entre les problèmes juridiques et les problèmes de brevets, est la nécessaire information du technicien sur ces derniers. Il est rare que les ingénieurs des services techniques (exploitation, recherche, etc...) aient à s'occuper de l'aspect juridique des choses; il n'est pas utile qu'ils y soient initiés autrement que par quelques leçons quand ils sont encore à l'école. Au contraire, il convient que tous ces ingénieurs soient éclairés sur les brevets, et cette information sera une autre tâche périodique du spécialiste. Ceci est à faire sans excès; il ne faut pas, en particulier, que la recherche ne vise plus qu'à prendre des brevets, et il faut le moins possible qu'elle ait pour but de tourner le brevet pris par un concurrent ! elle y perdrait en profondeur, en puissance, en originalité. Mais le chercheur industriel qui ignorerait cet aspect des choses, comme d'ailleurs celui qui n'est pas informé des aspects économiques des problèmes à résoudre, n'aurait pas une saine connaissance du climat dans lequel il travaille.

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Parallèlement, il me paraît souhaitable que les services administratifs, comptables notamment, de l'entreprise soient informés de l'existence de ce capital d'idées que représente le portefeuille de brevets : ce bien qui ne s'inscrit pas dans des bilans est cependant une richesse dont chaque partie croît, fluctue et disparaît après avoir été plus ou moins réalisée. Tout en maintenant la discrétion nécessaire sur certains contenus, on peut mettre en évidence bien des données globales ou particulières. Ainsi les problèmes de propriété industrielle se situentils dans l'entreprise dans une cellule particulière, mais placée en vedette et qui doit sans cesse rayonner vers toutes les autres.

m . — LES BREVETS DANS LA POLITIQUE DE L'ENTREPRISE Nous avons résumé tous les cas où l'entreprise peut être mêlée à des problèmes de brevets, et nous avons évoqué, chemin faisant, l'intérêt d'accepter ces rencontres, de ne pas les fuir, de les développer. Nous avons esquissé la place, dans cette entreprise, d'un spécialiste qui aurait à veiller à ces problèmes et à les étudier, en liaison avec des conseillers extérieurs. Retournons-nous maintenant vers son chef. C'est lui qui va prendre les décisions fixant sa politique à l'égard de la propriété industrielle. La première de ces décisions consiste à reconnaître qu'il existe un fait « brevet », à décider de s'y intéresser plus ou moins, et à désigner dans son équipe un responsable qui va s'initier et se former s'il ne l'est pas encore. Il est probable que tous les chefs d'entreprise qui participent à ce colloque ont pris depuis longtemps une telle décision; sinon ils ne viendraient pas écouter les exposés très spécialisés qui vont être faits pendant deux jours. Mais peut-être, parmi nos auditeurs, y a-t-il aussi des responsables de l'information collective, collaborateurs de chambres syndicales par exemple, sans parler des représen-

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tants de la Presse, et ceux-là peuvent jouer un rôle important, en attirant l'attention de leurs correspondants, de leur public. Je reviens à ce propos sur le rapport déjà cité de M. Chafanel. Nous devons souhaiter une très large diffusion des informations et des suggestions qu'il contient. On relève en particulier, dans ce rapport, la désignation de certaines industries qui, eu égard à leur activité, déposent certainement trop peu de brevets : travail du sol, opérations de récolte, préservation des animaux et des plantes, travail et traitement des tôles et des tubes, équipement pour aviation, appareils de levage... Au sceptique — qui n'est pas ici — le moins qu'ils pourront dire est qu'un chef doit s'éclairer. Donc il faut s'ouvrir à l'idée que l'industriel 1963 ne peut ignorer les brevets, et accepter au moins qu'un idoine ait mission de regarder la question pendant un temps suffisant et de lui montrer un certain nombre d'impacts des brevets sur son affaire. Sans doute est-ce pour lui, au départ, une dépense supplémentaire : frais de documentation ou d'abonnement à certains conseils, paiement de certains salaires ou honoraires. Comme en matière de recherche, il aura quelque peine à rassembler les éléments d'une preuve chiffrée de la rentabilité d'une telle dépense; mais comme en matière de recherche ou de publicité, il pourra de plus en plus, par l'observation objective de son entourage, se rendre compte que ceux qui font cette dépense s'en tirent mieux que les autres. D'autres décisions viendront. Avoir un informateur à soi, c'est, bien entendu, lui demander de regarder les occasions où éventuellement on pourrait passer de la phase d'observation à la phase active, qu'il s'agisse de prendre un brevet, de céder des droits ou d'acquérir des droits. A partir de ce moment, on procède par cas particuliers, et peu à peu on fixe sa politique. Celle-ci n'est jamais un tout ou rien; on décidera exceptionnellement que par principe on ne prendra aucun brevet; on en prendra plus ou moins, on en prendra sans doute de plus en plus, et alors la présence d'un lot suffisant déjà

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pris, on pourra passer à une phase plus réfléchie : on fixera les critères de choix de ce qu'on voudra protéger à l'avenir. A supposer que l'on puisse, au début, parler d'une politique quantitative, on parlera vite d'une politique qualitative. La qualité de nos brevets interviendra rapidement en effet dans la réputation de notre entreprise, vus par ceux qui les étudieront; nous savons remarquer ceux qui brevètent tout et ceux qui n'ont que des brevets très solides et, selon notre cas, nous les situons dans notre classement des valeurs à des places variables mais toujours différentes. Nous sommes un certain nombre à avoir franchi, au cours des 10 ou 20 dernières années, une ou plusieurs étapes de cette évolution. Le cas d'un service de recherches développé peut paraître simple à certains, exceptionnel à d'autres, peu concluant dans bien des cas... Cependant il est une source d'enseignements. Voici par exemple les brevets que le CERCHAR, centre qui date de 1950, a déposés, comparés à l'évolution de notre effectif global :

1953 1958 1962 1963

....

Effectif ingénieurs au 1 " janvier

Effectif total au 1 " janvier

Nombre de brevets .déposés en France

Nombre de brevets déposés à l'étranger

54 80 112 124

327 399 495 547

5 10 17 26

8 25 113 70

En valeur absolue, notre exemple est très moyen : beaucoup de recherches sur l'hygiène et la sécurité des mineurs ne peuvent donner lieu à des brevets; beaucoup de questions d'exploitation minière relèvent encore de la publication complète seulement. Souvent les centres de recherche brevètent beaucoup plus.

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Par contre, notre évolution me paraît courante. L'extension tient à la fois au développement de nos travaux, donc de nos résultats, et à notre conviction croissante de la nécessité de nous protéger. Nous brevetons de plus en plus et nous en sommes à regarder attentivement aujourd'hui quelle limite nous devrons ne pas dépasser. Nous commercialisons de plus en plus nos résultats brevetés et nous faisons l'apprentissage — difficile — de ce métier : trouver le bon licencié, veiller au dynamisme de son service de fabrication, à la qualité de ses produits ou appareils, au dynamisme de son service commercial depuis la recherche du client jusqu'aux soins de l'après-vente. Nous avons pris nos habitudes quant à nos correspondants les agents de brevets en France, et les agents similaires qui les relayent à l'étranger. Nous savons qu'il en est de meilleurs et de moins bons comme en toutes choses — ceci s'appliquant soit à leur valeur globale, soit simplement à leur compétence particulière dans telle ou telle spécialité — et nous avons appris à les juger et à les sélectionner. Même limité à ces chiffres modestes, le travail correspondant de nos propres services s'est évidemment beaucoup développé. Il fut, à l'origine, confié, à titre accessoire, à l'ingénieur responsable de la documentation et du secrétariat technique. Celui-ci y consacre maintenant la moitié de son temps et a auprès de lui un jeune adjoint ne s'occupant que de brevets, un ingénieur d'exploitation chevronné ne s'occupant que de la commercialisation, sans parler de plusieurs ingénieurs documentalistes s'intéressant entre autres aux brevets parmi leurs sources d'informations. Le cas d'une entreprise qui n'a pas de service de recherche spécialisé est plus complexe. Mais elle ne peut pas dire que ceci ne la concerne pas. Selon l'exemple qu'aime à donner le professeur Piettre, autrefois, « cet industriel textile fabriquait chaque année la même toile, de la même façon, et pour les mêmes clients * ; aujourd'hui, il n'y a pas d'entreprise valable qui n'évolue et ne progresse sans cesse. Or tout progrès pose un problème : ou bien nous sommes indépendants dans son domaine, et nous nous demandons si nous devrons nous protéger et si nous pou-

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vons tirer d'autres profits de notre brevet; ou bien nous sommes dépendants et nous devons revoir nos obligations. Tout contrat pour céder une licence ou pour acquérir une licence comporte en général des clauses de mise à disposition réciproque de perfectionnements qui ne nous laissent pas entièrement libres de renoncer à un brevet possible. Même si l'on veut par préférence exploiter les brevets des autres, on ne peut pas ignorer complètement la production d'idées nouvelles et la propriété industrielle de ces idées. Adopter une politique en matière de brevets, c'est aussi fixer les positions respectives de l'employeur et des inventeurs à l'égard de ces brevets. Pour moi, il n'existe qu'une solution : les risques négatifs et positifs ne peuvent se dissocier, et celui qui paye les prend tous. Si la recherche n'apporte rien, il a perdu son argent; si elle apporte une invention, il a droit d'en disposer sans réserve. Ceci est vrai à l'égard de l'ingénieur salarié qui était chargé de faire cette étude à titre d'occupation exclusive ou à titre de complément à une fonction d'exploitation, ceci est vrai de même à l'égard de l'institut de recherche sur contrat à qui on a passé commande d'une recherche. J'ai eu l'occasion d'expliquer longuement ma pensée sur ces problèmes en d'autres circonstances; l'évolution des techniques et des méthodes industrielles nous oblige à revoir les généreuses idées des législateurs révolutionnaires qui, désireux d'honorer la science, définirent la propriété intellectuelle sous une forme très personnelle qui n'est plus adaptée à notre époque. Choisir une politique active en matière de brevets, c'est enfin décider de s'intéresser à la législation, à la réglementation, aux usages en matière de brevets et d'influer sur eux, non pas bien sûr par une action individuelle mais par des actions d'ensemble. J'ai demandé aux ingénieurs conseils en propriété industrielle de faire connaître la matière dont ils s'occupent — et comment ils s'en occupent — et je vois cela beaucoup plus sous la forme d'entretiens, d'exposés, de conférences que d'articles; il faut qu'ils aient des interlocuteurs. J'ai préconisé la désignation, dans les entreprises, de spécialistes des problèmes de propriété industrielle; il faut

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aussi qu'ils ne soient pas livrés à eux-mêmes, quelle que soit la confiance que l'on mette en eux. A mon avis, le sujet est suffisamment important pour requérir l'attention des directions elles-mêmes. Il faut en particulier, à un moment où cette discipline, quoique ancienne dans ses fondements, est encore beaucoup moins développée que celle du contentieux par exemple, que nous lui rendions le service de ne pas la laisser mûrir en vase clos. Elle doit rester vivante, en contact avec les réalités économiques. C'est pourquoi je constate avec regret, dans la plupart des commissions où l'on aborde des réflexions sur la propriété industrielle, que les entreprises se font presque toujours représenter par leurs spécialistes. La compétence de ceux-ci n'est pas en cause, ou plus exactement elle est la cause de mon regret. Celui qui connaît trop bien la question n'en voit plus la complexité et je voudrais qu'il ne soit en la matière que le conseiller d'un patron qui saura dire ce qu'il lui faut pour s'intéresser davantage à la propriété industrielle et en tirer le meilleur parti. Il présenterait sans doute à la fois des réflexions techniques suggérées par son spécialiste et des suggestions générales, voire psychologiques qui peuvent échapper à ce dernier. Enfin, pour un directeur, avoir une politique active en matière de brevets, c'est sans aucun doute élargir sa position économique. Si l'on s'intéresse aux brevets, l'on devient nécessairement offensif, et si l'on veut être offensif, on est obligé de s'intéresser aux brevets. Aussi, en conclusion de cet exposé, je serais tenté de dire : — Aux industriels : si vous êtes dynamiques, avez-vous suffisamment réfléchi aux problèmes de propriété industrielle, avez-vous amorcé ou développé l'utilisation de tout ce que les brevets peuvent vous apporter ? Si vous n'êtes pas dynamiques, ne vous en occupez pas, vous n'en verrez que les soucis et les complications et vous leur ferez une contre-propagande qui serait contraire à l'intérêt général. — Aux agents de brevets : vous êtes appréciés dans la mesure où vous aidez ce dynamisme, où vous apportez les solutions à l'instant même où les difficultés surgissent, où

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votre action a cette charmante discrétion, qui fait oublier à l'animateur qu'il a besoin d'être aidé. — A tous ceux, enfin, qui participent aux délibérations sur la législation de demain : vous servirez l'intérêt national en aidant à améliorer un système qui est loin d'être satisfaisant. Dans l'esprit de notre colloque, je me place ici sur le plan européen. Apportez-nous, à la faveur des projets européens, un régime tel que nous obtenions une protection voisine des protections actuelles avec bien moins de soucis, de formalités, de lenteurs. Si, par exemple, on pouvait un jour avoir un brevet européen astucieusement conçu à la place du brevet français et non pas en supplément de celui-ci, on inciterait tous nos industriels à considérer que leur zone d'action normale est désormais cette même Europe. C'est dire que je suis convaincu que toutes les améliorations que vous obtiendrez contribueront franchement à accroître l'attrait des problèmes de propriété industrielle, à rendre plus rentables la recherche et l'invention françaises, et à développer l'activité de notre industrie. Messieurs, je suis un nouveau venu dans ce domaine de la propriété industrielle; je crois à son importance, mais je ne suis nullement devenu un spécialiste, et certaines de mes réactions auront peut-être étonné ou choqué vos esprits compétents. S'il en est ainsi, je m'en excuse. Permettez-moi néanmoins de ne pas le regretter et de souhaiter que ces réactions, celles d'un directeur de recherches ou d'un industriel, ne cessent de vous préoccuper au cours de ces journées. C'est ainsi qu'ensemble nous ferons, je crois, l'œuvre la plus utile. R . CHERADAME.

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M. FINNISS. — M. Cheradame a eu le courage de dire au cours de sa conférence un certain nombre de choses que je me suis toujours personnellement attaché à mettre en lumière, à savoir qu'en France, à la différence de ce qui se passe chez nos voisins d'Allemagne, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne et aussi aux Etats-Unis, il y a au niveau de trop de chefs d'entreprises un manque d'intérêt pour ce que l'on peut faire, attendre, ou même redouter d'un exercice et d'une application complète du droit de la propriété industrielle pour l'entreprise. J'ai souvent eu le sentiment, lorsque je suis allé aux Etats-Unis et en Allemagne, que bien des chefs d'entreprises français n'étaient vraiment pas à la hauteur dans les discussions qu'ils devaient avoir avec leurs partenaires — allemands notamment — sur l'orientation d'une certaine politique qui pourrait être faite au niveau du Marché Commun. Je peux dire que ce manque d'intérêt se retrouve aussi dans des entreprises nationales françaises; c'est la raison pour laquelle le Gouvernement français entend, dès le début de l'année 1964, demander aux entreprises nationales françaises de bien vouloir déléguer leur directeur à une réunion qui se tiendra au Ministère de l'Industrie pour voir ce qui pourrait être fait dans le sens de ce que préconise M. Cheradame et de ce qu'il fait si bien aux Charbonnages de France. M. Cheradame a cité un exemple qui est très intéressant : lorsqu'il a fait allusion à l'importance de la documentation qu'offrent les collections de brevets, il a bien voulu indiquer ce que nous avons essayé de faire en France au sujet de la mise en œuvre de la publication de résumés de brevets. Je vais vous donner d'autres chiffres relatifs au coût de cette opération : La publication de ces résumés de brevets coûte deux millions de nouveaux francs par an. Donc depuis cinq ans cela représente l'équivalent d'un milliard d'anciens francs. Si vous prenez en contrepartie les statistiques d'abonnement, les recettes sont absolument inexistantes. Au Ministère des

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Finances, on s'est posé la question de savoir si un pareil manque d'intérêt justifiait la continuation de cet effort que je crois assez remarquable. J'ai également été frappé par la conclusion de l'exposé de M. Cheradame. D a dit avec beaucoup de discrétion, mais aussi de clarté, que le système de protection des brevets en France n'était pas satisfaisant. Cest un sentiment que je partage; il a été très difficile en France de provoquer un changement de législation. Lorsque nous avons publié le décret-loi de 1955, nous avons été obligé d'attendre un certain nombre d'années avant de le mettre en vigueur. Je peux cependant indiquer que la décision est prise, que le décret-loi de 1955 sera mis en vigueur dans les premiers mois de 1964. Enfin il a été fait allusion aux problèmes que pose une protection européenne. Il y aurait beaucoup à dire sur l'ensemble des problèmes que pose la création d'un brevet européen sur les différentes questions qui se posent et sur les réponses que, peut-être, les Gouvernements ne sont pas encore parfaitement aptes à donner à ces questions et qu'ils donneront très probablement dans les premiers mois de 1964. Mais ces problèmes seront évoqués dans les rapports suivants, j'aurai donc Toccar sion d'expliquer le point de vue de Bruxelles, celui de la Commission et le point de vue français, sans essayer d'infléchir l'un ou l'autre dans un sens qui serait conforme à mes préférences personnelles. M. ARMENGAUD. — Je veux simplement revenir sur le propos essentiel de M. Cheradame incitant l'industrie d'avoir à la fois une politique de recherches et une politique de protection de cette recherche. Ce n'est pas la première fois que nous évoquons cette question puisque, le 25 avril 1960, avait lieu à Paris une réunion à laquelle étaient invités un grand nombre d'industriels dont l'attention était attirée sur le manque d'agressivité de leur politique de brevets par comparaison à celle d'industriels d'autres pays, notamment les industriels allemands, américains ou britanniques. Quelques années avant, déjà, lorsque M. Lonchambon était Président du Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique, avait été envisagé à ce Conseil, de quelle manière on pourrait mieux faire connaître à l'industrie française l'essentiel des techniques protégées. C'est à ce moment que sont nés les résumés auxquels M. Finniss faisait allusion tout à l'heure et qui coûtent si cher à l'Institut National de la Propriété Industrielle. Si ces résumés sont nés, c'est parce que l'industrie française, a l'époque, l'avait demandé au Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique, et il faut constater avec regret que ceux-là

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même qui l'ont demandé, sont ceux qui aujourd'hui ne s'y abonnent pas et ne font pas d'effort pour examiner, soit par eux-mêmes, soit par leurs ingénieurs-conseils, l'ensemble des brevets dont les régimes ont été ainsi publiés et même ceux qui existent dans le domaine qui leur est propre. Ceci pose à mon sens un problème plus général qui concerne les Universitaires. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays importants et très industrialisés, la propriété industrielle est une matière dont on n'a pratiquement pas connaissance, à moins d'entrer dans une entreprise où ces problèmes se posent. Ni dans les Facultés, ni dans les grandes écoles françaises', il n'y a de cours importants et sérieux de propriété industrielle. On évoque vaguement le droit des brevets, le droit des marques, le droit des modèles, mais on ne dit pas du tout à quel point ces questions sont fondamentalement liées au développement de la recherche et, par là même, il semble qu'il y a une faille dans l'ensemble de la structure, de la formation des jeunes. Enfin je dirai un mot du rôle de l'ingénieur-conseil. Sur ce point, je suis parfaitement d'accord avec M. Cheradame, il faut que l'ingénieur-conseil fasse un effort beaucoup plus grand que celui qu'il a fait jusqu'à présent pour connaître intimement les fabrications de ses clients afin d'être à la fois son confident et son conseil. Il est très important qu'il vive, le plus souvent possible, près de l'usine, qu'il connaisse ses fabrications dans le moindre détail, qu'il puisse, au cours de réunions qui se tiendraient de temps à autre, discuter avec les différents chefs de services pour connaître l'opportunité de telle ou telle mesure à prendre. Ces mesures doivent tendre à organiser la défense en contrefaçon, à éviter de payer des licences sans raison parce que les titres qu'on oppose ou qu'on propose sont sans portée; enfin, à définir une politique motrice propre, autonome, en faveur du dépôt de brevet couvrant un certain nombre d'inventions que jusqu'à présent, par discrétion, les industriels ont considéré inutile de protéger. A cet égard, je suis reconnaissant à M. Cheradame d'avoir bien voulu attirer l'attention de ceux qui comme moi sont les indépendants en la matière sur l'importance qu'il y avait à perfectionner notre propre système, d'améliorer nos moyens d'action et de défendre nos rapports avec les industriels privés. M. GENDRE, Ingénieur-Conseil. — Je me permettrai d'insister sur un point, celui des brevets dans la vie de l'entreprise. M. Cheradame a énuméré quatre questions qui doivent être passées en revue. Je crois que ces quatre questions sont exhaustives quand on se place au point de vue de l'inventeur

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isolé; mais elles ne le sont pas dans une industrie assez large qui a déjà ses propres services de recherche. En effet, avant ces quatre premières questions, deux autres se posent : la question immédiate est de se dire : quand on a une idée nouvelle, va-t-on pouvoir l'exploiter ? Et c'est dans ce cas qu'un service de brevets ou un ingénieur-conseil ou un spécialiste en propriété industrielle est indispensable. Il faut qu'il protège l'industrie contre une attaque dont elle pourrait être souvent la victime innocente de la part d'un concurrent qui a pris quelques jours avant, ou trois ou quatre ans auparavant le même brevet. Les conséquences peuvent être extrêmement graves. Il ne faut pas oublier que l'industriel qui est pris en contrefaçon doit, non seulement la restitution totale de ses bénéfices, mais si le breveté est un fabricant et qu'il fabrique avec un bénéfice supérieur, le breveté a le droit de demander à titre d'indemnités un supplément de dommages-intérêts qui précisément compensera entièrement le manque à gagner. Je citerai un cas d'un industriel qui, contrefaisant, vendait avec un bénéfice moyen de 200 anciens francs, alors que le breveté qui appliquait son invention sur un article de luxe, et qui par conséquent avait des marges de prix beaucoup plus grandes, gagnait 1 350 francs par objet. Voyez la situation de cet industriel qui devait rendre plus de cinq fois le bénéfice qu'il avait fait. Par conséquent, le rôle primordial d'un ingénieur-conseil est de protéger l'industriel des conséquences que peut avoir une contrefaçon. Mais il y a un autre stade. Un service de recherche doit évidemment travailler sur des idées et les mettre au point, mais il a aussi un autre rôle : émettre des idées, et ce rôle se passe au stade où la Direction fixe le programme des recherches, et; c'est à ce moment-là, et peut-être même un peu avant, que le spécialiste de propriété industrielle doit intervenir. Il serait inutile, en effet, de lancer un laboratoire dans des recherches qui sont barrées d'avance parce que la question est épuisée. La deuxième remarque que je ferai concerne le rôle de la personne chargée dans la firme de l'exploitation des brevets. Les brevets, par un préjugé que tout le monde a souligné, paraissent souvent aux industriels une question bien secondaire. Ce qui les intéresse, c'est la production, et ils consacrent tous leurs efforts et tout le personnel de direction à la production. Par conséquent, quand ils ont l'idée nouvelle d'un brevet, ils se préoccupent de l'appliquer, et finalement ils ont toujours la bonne intention de valoriser leurs brevets à l'étranger et souvent même ils déposent les brevets à l'étranger avec

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l'intention de les valoriser. Mais le plus souvent on s'arrête là. C'est fini et je ne crois pas exagérer en disant que peutêtre 95 brevets sur 100, brevets extrêmement intéressants, tombent parce qu'il manque dans la firme un personnage, ingénieur technique et commerçant, qui peut consacrer le temps suffisant pour valoriser l'invention soit auprès de l'industrie française, soit auprès des concurrents si cela ne gêne pas la firme, et surtout auprès des industries étrangères. Le plus «souvent, s'il s'agit d'une firme de moyenne importance ou de petite importance, elle n'a pratiquement aucun moyen de toucher une autre industrie. Cette question de la commercialisation est donc extrêmement importante et mal résolue. Par ailleurs M. Gheradame, qui est plus averti que ce qu'il veut bien le dire des questions de propriété industrielle qu'il connaît admirablement, ne distingue pas bien entre l'agent de brevets et l'ingénieur-conseil. Il me paraît exister une nuance entre eux, relativement au problème des relations avec la clientèle. L'agent de brevets, à mon sens, est celui qui reçoit des clients qui lui apportent une idée, qui lui apportent certains travaux, qui lui demandent de déposer des brevets. Il est déjà très difficile, à ce stade, quand on a des clients qui appartiennent à la même industrie, d'oublier ce qui vous a été dit un quart d'heure avant par une autre personne qui est venue vous entretenir du même sujet. Ce qui est souvent très difficile pour l'agent de brevets, l'est encore davantage pour l'ingénieurconseil; le véritable ingénieur-conseil doit remonter aux sources, avoir un contact permanent avec les laboratoires de recherches. Il est le Conseil de la Direction qui utilise un laboratoire de recherches. Il a un rôle très important à jouer, mais il ne peut le faire qu'à condition d'être en exclusivité le conseil de la firme. Il ne peut pas avoir deux clients. Ceci c'est absolument impossible. Et il y a là une lacune dans l'organisation de la profession. On a envisagé d'empêcher les liens de l'ingénieur-conseil avec une firme. Ceci est encore possible pour l'agent de brevets, mais les liens de l'ingénieur-conseil avec la firme sont indispensables et, pour moi, c'est là le véritable rôle de l'ingénieur-conseil. M. CHERADAME. — Je dirai quelques mots à propos de ce que vient de dire M. Gendre. Effectivement, si je n'ai pas tellement insisté sur le spécialiste de la commercialisation, c'est que dans mon esprit le spécialiste de toutes les questions de brevets se dédouble ou se multiplie suivant l'ampleur du travail : s'il existe trois spécialistes, l'un d'entre eux peut se charger de la commercialisation. S'il y en a qu'un il s'occupera simultanément de tous les problèmes.

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Je n'ai effectivement pas fait de distinction entre agents de brevets et ingénieurs-conseils parce que je considère que ceux à qui nous nous adressons doivent pouvoir nous rendre le maximum de services, donc il s'agit de l'ensemble de ceux qui s'appellent ingénieurs-conseils. Pour ce qui est de la question délicate que l'on ne peut pas conseiller deux concurrents, une réglementation ne me semble pas nécessaire. Les sociétés qui font de la recherche sur contrat, et qui se sont tellement développées aux Etats-Unis, savent qu'elles n'ont acquis la confiance d'une certaine clientèle que parce qu'elles ont pratiqué une politique sélective dans leurs travaux. Je crois, de la même façon, «pie nous pouvons choisir entre un certain nombre d'ingénieurs-conseils en propriété industrielle, et c'est en tout cas facile à Paris. En tout cas, je préférerai voir aborder ce problème sur le plan du « code de l'honneur » que sur le plan des réglementations. M. MA.GNIN. — Je remarque que le sujet traité par M. Gheradame était la propriété industrielle et la gestion de l'entreprise. C'est à ce point de vue que je voudrais faire quelques observations. La notion du brevet traverse actuellement une période de mutation; cette notion subit des modifications extrêmement importantes. Mais le brevet n'est pas le seul élément de propriété industrielle dont doit se soucier le chef d'entreprise. Vous avez indiqué que le chef d'entreprise apportait une très grande attention à la commercialisation des brevets. Je voudrais insister sur le point suivant : pour commercialiser le brevet, malheureusement le brevet ne suffit plus. Actuellement, si l'on se borne aux revendications contenues dans un brevet, il est absolument impossible à celui qu'on appelle < l'homme de l'art », à qui vous aurez cédé le brevet, de le mettre en œuvre. Il ne pourra le faire que si vous lui cédez ce que l'on appelle le « Know how », c'est-à-dire le tour-de-main. Je crois que les industriels devraient s'intéresser à la protection du « Know how ». C'est un point dont plusieurs organisations internationales s'occupent, notamment la Chambre de Commerce Internationale dont le Comité de Propriété Industrielle s'est réuni à plusieurs reprises et qui a mis au point un projet de Convention internationale pour la protection du « Know how ». Tout au moins, s'il n'est pas possible d'arriver à une convention internationale, parce qu'il est fréquent qu'on se retrouve à cet égard devant de considérables difficultés, il conviendra d'essayer d'introduire dans la Convention d'Union de Paris cette idée de la protection du « Know how ». Cest

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le premier point que je soumets à l'attention des chefs d'entreprise. Il y en a un second: c'est de savoir si l'on ne pourrait pas éviter de prendre des brevets pour certaines inventions ou certains stades d'une invention. Lorsque les services de recherches examinent une question, qu'ils sont sur le point d'arriver à la découverte qui, seule, intéressera l'entreprise, et pour laquelle ils voudront demander un brevet, ils se mettent à douter de l'invention; ils ne veulent pas breveter, estiment que cela n'en vaut pas la peine, et que si l'on brevetait tout ce que l'on trouve, les services nationaux de propriété industrielle seraient surchargés, et ils le sont déjà. Alors on s'est préoccupé d'une nouvelle idée que l'on cherche à creuser actuellement : lorsqu'un service de recherches fait quelques petites inventions sur lesquelles il ne revendique pas des droits d'exclusivité, il aurait intérêt à ne pas perdre son temps et son argent pour les breveter; il voudrait bien les livrer au domaine public, mais à condition que d'autres ne puissent pas breveter ces idées et empêcher ainsi la poursuite des travaux de l'entreprise qui fait ces petites découvertes. Je voudrais indiquer que sur ce point le Bureau International de la Propriété Industrielle a l'intention de réunir, au cours des premiers mois de l'année 1964, un Comité d'Experts qui s'occupera de cette question, qui verra comment on pourrait y faire face, et si j'en parle ici c'est que nous serions extrêmement désireux que les intéressés, c'est-à-dire les chefs d'entreprises, nous fassent part de leurs opinions à cet égard. M. PANEL. — M. Gheradame a souligné avec courage l'insuffisance des efforts de l'industrie dans le domaine de la propriété industrielle. Si je m'enhardis à prendre la parole, c'est parce que la Société que je représente a conscience d'avoir attaché une grande importance à ces questions et depuis très longtemps, qu'elle a un service de propriété industrielle autonome et étoffé qu'il me paraît important de situer par quelques chiffres : 7 000 brevets français et étrangers en vigueur, 42 personnes pour les maintenir en vigueur et les valoriser, un bilan des échanges < matière grise > largement positif. Mon propos est de rejoindre celui de M. l'Inspecteur général Finniss qui a, d'un mot, évoqué l'insuffisance de la loi française et de dire mon sentiment que l'effort de propriété industrielle, presque maximum qu'une Société comme la mienne fait depuis longtemps, est largement handicapée par la protection de la loi française. Je regrette personnellement que n'aient pas été associés ou pu être associés à ce Colloque des représentants de la Magistrature. Nous avons ici la chance d'avoir des juristes qui forment le droit, des industriels qui l'exploi-

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tent, des représentants du Gouvernement qui nous préparent des lois nouvelles, mais vous n'ignorez pas combien nos Magistrats, et je reprends ici les termes du Professeur Robert Plaisant, « par une application toujours plus sévère du droit français de la propriété industrielle ont démonétisé les brevets français ». J'en veux pour seul exemple l'apparition récente, à ma connaissance, de dépôts de brevets faits en France par des étrangers sans priorité dans leur propre pays. Ces dépôts sont, de toute évidence, une exploitation de la facilité accordée par la loi française à la prise de brevets et de la difficulté pratique d'en obtenir la nullité, compte tenu de la longueur exagérée des tribunaux. Ceux-ci ne s'obstinentils pas à requérir de la part des défendeurs des antériorités de toutes pièces et à retenir en faveur des brevetés des souscombinaisons, alors que le plus souvent les brevets qui sont invoqués par ces étrangers, s'ils ont une valeur, n'ont qu'une valeur d'application nouvelle de moyens connus pris dans leur combinaison intégrale. Je souhaite donc que puissent être associés à nos travaux et à nos idées des représentants de la Magistrature qui, dans l'état actuel des projets de brevet européen, continueront bien à être les artisans nationaux d'un droit international, du moins au premier stade de la procédure.

Brevets d'invention et Marché Commun Rapporteur :

M . MONNET,

Directeur des Accords, Brevets et Marques à la Société Rhône-Poulenc.

Les organisateurs de ce Colloque m'ayant demandé d'exposer les difficultés concrètes auxquelles ont à faire face les industriels en matière de brevets d'invention, il est évident que j e vais jeter une ombre sur les propos très chaleureux de M. Cheradame. Cette ombre est le dur reflet de la réalité mais ne doit pas vous décourager : il s'agit simplement pour nous de tenter d'améliorer le système et pour moi de montrer que, tel qu'il est actuellement, de gros progrès peuvent être faits et doivent être faits, qui inciteront d'ailleurs les inventeurs à déposer leurs brevets. Je vous rappelle, tout d'abord, que les brevets d'invention sont des titres qui donnent aux inventeurs et à leurs ayants droit le droit exclusif d'exploiter leur invention; c'est un droit national, temporaire, et qui est accordé en contrepartie de la divulgation complète de l'invention. En passant, je signale que la caractéristique essentielle de ce droit est l'exclusivité puisqu'en tout état de cause, sans brevet, l'inventeur peut parfaitement exploiter son invention et personne ne lui dira rien sous le régime du droit commun, sous réserve — bien entendu — qu'il n'y ait pas de droits exclusifs de tiers qui l'en empêchent. Tous les pays civilisés ont donc établi un régime national des brevets qui leur est propre et qu'ils cherchent à adapter

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aux conditions de leur développement économique. On relève à ce sujet des différences notables d'un pays à l'autre dans la notion de nouveauté de l'invention, dans la limitation des inventions susceptibles d'être brevetées, dans l'évaluation du caractère brevetable et dans la durée des brevets. Sur la notion de nouveauté, la France — qui est un pays de logique — a toujours considéré qu'était nouveau ce qui n'était pas connu. Cela paraît simple, mais dans d'autres pays cela n'est pas vrai du tout. En Allemagne, par exemple, peut être nouveau ce qui était connu il y a plus de cent ans. En Angleterre, est nouveau tout ce qui est inconnu en Angleterre. Tout cela peut avoir une grosse importance — des travaux datant de 1850 pourraient, en effet, reprendre un caractère de nouveauté selon la législation allemande ou même anglaise — mais cela ne joue pas souvent parce que quand les idées ont quelque intérêt, elles sont reprises ultérieurement, de sorte qu'il est assez rare qu'elles soient enterrées pendant une centaine d'années. Un autre point plus important est la limitation des inventions susceptibles d'être brevetées. Cette limitation diffère suivant les pays; ceux-ci n'acceptent pas que certains produits soient brevetés en vue de laisser le champ libre à leurs industries ou pour protéger leurs intérêts économiques dans des domaines où ils se sentent moins développés qu'en d'autres. Il y a en ce moment, par exemple, dans plusieurs pays une grosse campagne menée contre la brevetabilité des produits pharmaceutiques. Certains pays sont opposés aux brevets couvrant les produits chimiques, de peur que leur développement en soit retardé; mais on y brevète les procédés pour les fabriquer. L'Allemagne a été dans ce cas jusqu'à présent, mais elle évolue actuellement. La Suisse jusqu'en 1954 considérait que le traitement chimique des textiles ne devait pas être breveté pour laisser un champ très ouvert à l'industrie de la teinture. Elle a évolué depuis. Cela conduit à des difficultés dans les dépôts de brevets, non seulement dans ces pays, mais aussi dans notre propre pays puisque, au demeurant, c'est la priorité de notre demande qui sert à établir le brevet étranger. Il faut donc

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connaître toutes ces particularités, déjà lorsque l'on dépose chez nous. L'évaluation du caractère brevetable est, paraît-il, en France systématique et bien réglée. Je ne crois pas qu'elle soit mieux réglée que dans les pays où se pratique l'examen préalable, en Allemagne ou ailleurs. Dans tous les cas, il y a un caractère subjectif de l'analyse de l'invention auquel on ne peut pas échapper : dans les cas marginaux on peut avoir des doutes si vraiment il s'agit d'invention ou s'il s'agit d'une simple association de moyens connus. D'ailleurs les jurisprudences dans des pays différents, sur un même sujet, sont assez discordantes quand il s'agit de ces cas marginaux. La vitre trempée, par exemple, a été considérée comme une invention indiscutable en France, mais en Allemagne il a été très difficile de le faire admettre. Par contre les escaliers roulants commandés par une cellule électrique ont été considérés comme simple association sans caractère brevetable en France; en Allemagne, on a trouvé cela nouveau et inventif. Je ne m'étendrai donc pas sur ces différences, mais elles peuvent avoir une influence, ultérieurement, sur l'exploitation; j'y reviendrai. Forme des brevets : Certains pays — comme la France, la Belgique, l'Italie — accordent les brevets tels qu'ils sont demandés et laissent aux seuls tribunaux de l'ordre judiciaire le soin de déterminer la limite des droits conférés et l'étendue de l'exclusivité que procurent ces droits. D'autres pays — comme l'Allemagne, la Hollande — procèdent à un examen administratif plus ou moins poussé des demandes de brevets avant de les accorder, afin de faire préciser par le demandeur les limites des droits qu'il revendique tout en laissant éventuellement aux tribunaux le soin de limiter encore ces droits et, en plus, de juger de l'étendue de l'exclusivité que ces droits confèrent. Enfin, si l'on veut admettre que la durée des brevets est de 15 à 20 ans selon les pays, certains d'entre eux font partir cette durée de la date du dépôt comme la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique; d'autres la font partir d'une publication après examen, comme la Hollande, l'Autriche, les Etats-Unis d'Amérique. Je souligne à ce sujet

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que dans la plupart des pays l'exclusivité commence à la publication des brevets, de sorte que l'inventeur ou l'industriel, dans quelque pays qu'il soit, quel que soit son désir de s'assurer l'exclusivité de l'exploitation de son invention par les brevets que la législation permet, se trouve confronté : dans les pays sans examen, avec une grave insécurité dont on a déjà souligné l'importance; dans les pays à examen, avec un retard à sa protection et la perspective de discussions ardues et coûteuses avec chacun des organes administratifs de ces pays, lesquelles discussions sont souvent basées sur les mêmes documents, avec des exigences diverses d'essais comparatifs et de présentations des arguments. Le résultat est que l'accord final des droits exclusifs est différent d'un pays à l'autre. Dans certains pays le brevet peut être refusé; là où il est accordé, le départ, la durée et l'étendue des droits exclusifs concédés sont extrêmement variables d'un pays à l'autre. Cette situation est loin d'être satisfaisante, bien que la Convention Internationale de Paris ait cherché à unifier le droit des brevets dans une certaine mesure. Cette Convention n'est guère arrivée qu'à cet avantage, considérable d'ailleurs, de permettre à un premier déposant dans l'un des pays de la Convention, de déposer dans les autres pays dans un délai d'un an à partir de ce premier dépôt, sans que puissent être opposées à la validité de son brevet dans ce pays les publications postérieures à son premier dépôt et sans que puissent être limités ses droits exclusifs par des droits exclusifs de déposants dont le premier dépôt est postérieur au sien. Cette situation n'est pas en voie d'amélioration. C'est une constatation que l'industrie fait avec beaucoup de déplaisir, car non seulement les lois existantes présentaient ces divergences, mais actuellement il semble y avoir dans les différents pays un mouvement tendant à légiférer en matière de propriété industrielle pour créer des systèmes encore plus compliqués, encore plus aberrants. Je n'en prends pour exemple que la Hollande qui vient de promulguer une loi brevets sur laquelle il faudra bien dix ans pour être édifié, qui instaure un système d'examen retardé que nous ne connaissions pas jusqu'à présent, plus

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ou moins inspiré d'ailleurs des idées qui ont présidé à l'élaboration du brevet européen, mais dont je doute que nous sachions nous servir avant longtemps. Dans ce système hollandais on va délivrer les brevets tels qu'ils ont été déposés, mais ils ne donnent aucun droit. Jusqu'à quatre ou cinq ans, il est possible d'en demander l'examen. Les droits tirés de ce brevet ne commenceront qu'au moment où cet examen sera fait. Cela signifie qu'on ne pourra pas poursuivre en contrefaçon ceux qui ont utilisé l'invention pour ce qu'ils auront fait avant l'examen, mais il sera possible de les poursuivre pour ce qu'ils feront après. C'est une situation dramatique, car ces personnes auront pu faire des investissements considérables pour mettre en œuvre l'invention, et je ne crois pas que les pouvoirs publics nationaux accepteront facilement que sur l'ordre du breveté cessent leurs exploitations, au risque de provoquer la réduction au chômage d'un certain personnel et la fermeture d'usines. De sorte que ce genre de protection risque de conduire à une transformation du rôle du brevet considéré habituellement comme une < interdiction d'exploiter » en celui d'un simple certificat d'auteur du type russe, c'est-à-dire un moyen de collecter des redevances auprès des personnes qui se seront installées à temps pour fabriquer le produit considéré. C'est un gros risque à prendre, et je me demande comment vont agir les déposants de brevets en Hollande, dans le cadre du nouveau régime. Dans d'autres pays prolifèrent des projets de lois visant à supprimer la protection d'un objet ou d'un autre. Cette attitude me fait penser à l'opération qui consisterait à demander aux grandes sociétés automobiles françaises, pour des raisons de standardisation et d'unité, de fusionner et de faire un modèle de voiture unique et meilleur marché, avec comme réponse que chacune des sociétés, au moment de cette fusion, lancerait un plus grand nombre de modèles et changerait de plus en plus les normes de ses voitures. Il y a là une réaction assez désagréablé, et je m'étonne que des pays comme la Hollande en matière de système d'examen, et comme la Belgique en matière de produits

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pharmaceutiques, au moment où l'on parle d'harmonisation et même d'unification des législations, se lancent dans des initiatives législatives. Tout à l'heure on a parlé de l'examen préalable, j'en suis très partisan comme beaucoup, et je me permets de revenir sur un point traité par M. Cheradame : la crainte de l'opposition, la crainte de la discussion avec d'autres sociétés. Il y a évidemment des opposants systématiques. Ceux-là n'ont pas une importance considérable, mais je crois devoir attirer votre attention sur le fait que dans l'examen préalable et dans l'appel aux oppositions, il y a des contacts qui s'établissent, contacts souvent extrêmement fructueux parce que la plupart du temps les gens qui s'opposent à un brevet s'y intéressent. Souvent des oppositions ont conduit à des accords de licence et ont fait faire des connaissances, ont créé des relations, qui n'auraient peut-être pas été établies autrement. Par conséquent, il ne faut pas voir là quelque chose d'exagérément vexant et pénible, d'autant plus que les gens qui pratiquent l'opposition et l'examen préalable vous diront tous que ce genre de confrontation dans les pays à examen se fait dans une atmosphère de discrétion très favorable à des relations sereines entre les parties, et non pas dans un climat agressif comme devant un tribunal en audience publique. Mais ces examens préalables sont épuisants, car plus il y a de pays qui les pratiquent, plus on est obligé de poursuivre de procédures, plus on perd du temps à discuter des mêmes choses, et plus les examinateurs, ne voyant pas le problème sous le même jour, vous demandent des arguments différents. L'industrie voudrait que les législations nationales soient harmonisées dans les notions de nouveauté et de brevetabilité, dans la définition des objets brevetables, dans la durée de l'exclusivité conférée par les brevets, et elle souhaiterait très ardemment un examen unique dont les résultats s'appliqueraient aux pays qui se sont entendus pour le faire entre eux. On a couramment, avec les brevets, des positions qui deviennent extrêmement désagréables : par exemple, en

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France le brevet sort au bout d'environ un an et demi si le secret est demandé, plus tôt même s'il n'est pas demandé. A partir de ce moment-là il est possible de le faire valoir. Si vous demandez un brevet correspondant en Allemagne, déjà avec la priorité conventionnelle vous retardez son dépôt d'une année, puis son examen va durer deux ans, trois ans et même cinq ans, avant qu'il soit soumis aux oppositions. Pendant tout ce temps-là vous ne pouvez faire valoir vos droits en Allemagne, de sorte que vous y êtes désarmé, et — surtout s'il s'agit d'une technique facilement réalisable — les gens peuvent se permettre d'y exploiter votre invention impunément. Non seulement ces producteurs vous gênent en Allemagne, mais — par le jeu des importations de plus en plus faciles qui est la conséquence du Marché Commun — les produits de votre invention vont revenir en France. Il n'est pas toujours facile de les saisir, car il faut les découvrir et fournir la preuve de la contrefaçon. En particulier, s'ils sont couverts par un brevet de procédé, il n'y a aucun moyen d'agir en Allemagne pour faire constater que le procédé est contrefait; en France, il n'y a aucun moyen de prouver que le produit qui est importé a été fait d'après ce procédé. De sorte qu'un trouble considérable est apporté à l'industrie. Je ne parle pas des cas où le produit lui-même est brevetable d'un côté et n'est pas brevetable de l'autre : on arrive à cette situation très critiquée de l'industrie pharmaceutique italienne qui se développe depuis un certain nombre d'années sur le pillage de toutes les inventions mondiales et qui ne se gêne pas pour exporter les produits qu'elle fabrique même dans les pays où des brevets devraient lui interdire de le faire. Il est donc indispensable pour l'industrie que toutes les règles soient harmonisées, que la protection fournie par le brevet débute en même temps partout et finisse à peu près en même temps partout et qu'elle soit reconnue partout. C'est ce vœu qui a été exprimé depuis de très nombreuses années. Ne croyez pas que l'industrie, malgré toute l'indifférence dont on l'a accusée vis-à-vis des brevets, n'ait pas agi. Mais depuis une quarantaine d'années qu'a été posé le problème,

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M. MONNET

les gouvernements ont essayé de le résoudre sans jamais aboutir. La création du Marché Commun a été l'occasion de repenser le problème. On n'a pas hésité à se mettre au travail. Les résultats auxquels on est arrivé en première lecture ne sont peut-être pas entièrement satisfaisants, mais néanmoins l'idée était bonne. Elle est partie et je crois qu'elle aboutira. En tout cas, je le souhaite très vivement au nom de toutes les industries. J. MONNET.

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M. GOLDMAN. — Je remercie très vivement M. Monnet pour son rapport. Je dois dire qu'il nous avait annoncé une douche froide après un bain d'enthousiasme, mais finalement dans sa note générale son rapport est peut-être moins différent de celui de M. Cheradame qu'il ne nous l'avait laissé prévoir parce qu'il a, avec le précédent, le trait commun d'être une cure de sincérité. Il est vrai que M. Monnet nous a parlé à plusieurs reprises de son déplaisir venant essentiellement des profondes divergences entre les législations nationales. Mais il a terminé tout de même par un acte de foi dans l'unification de ces législations, notamment dans le cadre de Marché Commun, et aussi par un acte de foi dans la diffusion du système de l'examen préalable. D'un point de \ue comme de l'autre, il s'agit de prises de position qui ont, encore une fois, le grand mérite et l'intérêt de la plus grande franchise. Je suis persuadé qu'elles seront donc aussi stimulantes que l'ont été celles de M. Cheradame pour provoquer de nombreuses et importantes interventions auxquelles je me permets de vous inviter. M. FINNISS. — C'est toujours un très grand plaisir pour moi d'entendre parler M. Monnet des questions de brevets et des questions de marques qu'il connaît très bien parce que, depuis plus de trente ans, ces choses sont sa vie quotidienne. M. Monnet a attiré l'attention sur quatre points qui lui semblent particulièrement importants. D'une part, a-t-il dit, il semble que l'on devrait essayer de procéder à une harmonisation de ce que les juristes de l'école allemande appelle le « droit matériel des brevets >, c'est-à-dire d'harmoniser ces notions de nouveauté de 'l'invention et cette notion du caractère brevetable. Sur ce point je crois devoir vous apporter une information. Il y a certes bien longtemps que l'on s'est efforcé d'arriver à une harmonisation et que l'idée des experts en matière de brevets a été travaillée au Conseil de l'Europe. Après de longues discussions nous sommes arrivés à élaborer

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DISCUSSION

un avant-projet de convention qui est devenu, depuis cinq jours, « La Convention Européenne » sur les brevets; elle est signée par plus de 15 Etats dont la Grande-Bretagne, la Suisse, l'Autriche. Cette Convention règle le problème de l'harmonisation des questions de nouveautés ou auteurs inventifs, notamment de ce que l'on entend par le caractère brevetable. Le second point qu'a soulevé M. Monnet, et dont l'importance m'apparaît tout à fait considérable, c'est la question de ce que vous appellerez l'harmonisation de la brevetabilité légale et de la durée de la protection : en termes plus simples, l'harmonisation de la liste des produits susceptibles d'être brevetés mais aussi l'harmonisation des conceptions juridiques qui vont présider à la protection. C'est là un point extrêmement important : à Strasbourg j'ai essayé personnellement d'aller plus loin et d'obtenir que dans cette Convention d'harmonisation du droit matériel soient insérées aussi des dispositions qui concernaient à la fois la liste des produits à breveter d'une part, et d'autre part la durée de la protection. Nous ne sommes pas allés jusqu'à essayer d'harmoniser des conceptions juridiques en matière de protection de ces produits qui souvent ne sont pas encore protégés. Mais sur ces points, il nous a été absolument impossible d'aboutir à un accord, et c'est la raison pour laquelle, lorsqu'en 1960 nous avons été conviés à Bruxelles pour nous mettre d'accord sur ce que pourrait être un avant-projet de convention européenne sur les brevets, sur les marques et sur les dessins et modèles, nous avons attiré l'attention de nos partenaires sur l'utilité de procéder à cette harmonisation préalable. M. Monnet a parfaitement mis en lumière que si un jour le Marché Commun devient une véritable réalité, si la suppression de l'Europe des douaniers s'accompagne de la suppression de l'Europe des huissiers, il va de soi qu'il est important que les entreprises soient classées dans la même situation dans tous les pays où elles sont appelées à faire circuler leurs produits. 11 est nécessaire que l'on puisse trouver dans le droit national qui, dans les projets délibérés à Bruxelles, coexistent avec le droit conventionnel, supranational, la protection des mêmes produits avec les mêmes conceptions juridiques. Mais sur ce point, le travail qui a été fait jusqu'à ce jour a laissé complètement de côté cet aspect des préoccupations et l'on a seulement essayé d'établir un avant-projet de convention européenne sur les brevets. Dans cet avant-çprojet, bien entendu, il y a une liste de produits qui peuvent être protégés, mais je crois que le problème de la brevetabilité légale et de la durée de la protection est un problème d'une importance économique exceptionnelle. Lors de la dernière réunion des Secrétaires

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d'Etat, et à d'autres occasions encore, il a été entendu que tous désiraient avoir un rapport qui, produit à l'échelon des Ministres, ferait le point des problèmes que pose la Convention Européenne sur les brevets du fait d'un certain nombre de disparités, parmi lesquelles se trouvent celles que M. Monnet a eu raison de rappeler. Il est absolument capital pour l'industrie que, le jour où il y aura un régime de libre circulation des produits, il n'y ait pas de disparités dans la protection juridique car il y aurait, alors, des disparités dans les situations économiques respectives. Vous avez parlé aussi de l'examen préalable, vous savez quel a été mon sentiment à ce sujet : le système français de la loi de 1844 a été merveilleux, a été copié partout, il doit évoluer. Des tentatives de freinage ont été faites chaque fois que l'on a essayé de changer cette loi sur les brevets. Mais nous avons un décret-loi qui date de 1955, et que l'on va mettre en vigueur : et nous essayons même d'aller plus loin que l'arrêté d'application du décret de 1955. Par conséquent je partage entièrement votre sentiment sur tout ce que vous avez dit quant à la procédure d'opposition. Je considère que c'est une admirable école pour apprendre à ceux qui ont trouvé quelque chose le moyen de préciser ce qu'ils ont trouvé. Vous m'avez aussi fait découvrir un autre aspect : celui des public-relations qui peuvent se nouer autour d'un appel aux oppositions fait dans des conditions de discrétion qui ne vont pas sans surprendre, étant donné son caractère essentiellement public. Enfin vous avez parlé de l'intérêt qu'offre pour l'industrie la substitution à cette cascade de formalités nationales, d'une formalité unique. Je pense que tout le monde est d'accord sur l'utilité de substituer un brevet unique à toutes ces formalités nationale. Je sais que l'histoire est jalonnée de tentatives qui ont brillamment échoué; je pense notamment à celle qui a été faite après la guerre de 1918, qui a tout de même abouti à la signature d'un traité qui n'a jamais été mis en vigueur. Il est évident qu'après avoir dit que tout le monde est d'accord pour faire un brevet international, c'est un peu comme si l'on disait que tout le monde est d'accord pour aller déjeuner, mais cela ne veut pas dire que tout le monde est d'accord pour prendre le même menu. M. Armengaud fera tout à l'heure l'analyse du projet qui a été établi à Bruxelles et il dira dans quelle mesure ce projet répond aux vœux de l'industrie. J'ai lu le texte de M. Armengaud, et je voudrais savoir si l'exposé qu'il va faire reflète également les positions de l'industrie française ? Ce qui m'intéresse beaucoup est de savoir dans quelle mesure, lorsque M. Armengaud va parler, les positions qu'il va adopter,

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les inquiétudes qu'il va exprimer, les interrogations qu'il va faire, répondent aux vœux de l'industrie. M. VAN VUNGAARDEN. — Etant le seul représentant néerlandais, je dois faire une petite observation sur ce qu'a dit M. Monnet de la nouvelle loi hollandaise, pour la défendre contre l'attaque trop forte dont elle a été l'objet. — D'une part, on assistait à une situation catastrophique à cause du retard intervenu dans l'examen préalable; il fallait donc absolument faire quelque chose. — D'autre part, je ne crois pas que la situation soit si sérieuse pour les inventeurs, parce que toute demande sera publiée dans les 18 mois qui suivent la date de priorité ou bien du dépôt des demandes en Hollande. L'inventeur aura la possibilité de faire publier sa demande plus tôt encore, immédiatement s'il le désire; et dès cette publication il aura la possibilité, limitée seulement par l'observation de certaines formalités, de se réserver l'octroi dommages-intérêts après l'accord ultérieur du brevet. Il peut d'ailleurs accélérer la procédure de cet accord. M. PANEL. — Il n'est pas question pour moi de porter la moindre contradiction à ce que vient de dire M. Monnet, mais il me permettra d'apporter une simple nuance au sujet des oppositions, car il s'est félicité presque sans réserve de cette institution que l'on trouve notamment en Allemagne et dont il a dit qu'elle était l'amorce à des relations cordiales, ce qui a frappé M. Finniss lui-même. J e voudrais dire que dans ma propre expérience cela n'a pas toujours été le cas et je constate une apparition, très certainement liée au Marché Commun, d'oppositions systématiques peu sérieuses quant à leurs fondements techniques, mais fort sérieuses quant aux sociétés dont elles émanent et dont le but est de rallonger la procédure de l'examen en utilisant habilement des délais généralement assez souples. Cela nous conduit à l'inconvénient aggravé, que M. Monnet a souligné, de l'impossibilité de mettre en valeur notre titre dans un pays comme l'Allemagne aussi longtemps qu'il n'a pas été définitivement accordé. M. WILLEMS. — Globalement je suis d'accord avec M. Monnet. Il y a seulement une petite divergence quant à la procédure. Après la publication, M. Monnet veut d'abord un examen préalable par l'Office de Brevets d'invention et non un examen à la manière de l'opposition classique, telle qu'elle existe en Allemagne.

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Nous serions heureux de procéder en premier lieu à une intervention de l'Office de Brevets, mais nous sommes convaincus, et nous avons une grande expérience en ce sens, que cela n'est pas possible du point de vue technique, car cela durerait trop longtemps. Or, nous voudrions savoir aussi rapidement que possible quel est le brevet que nous avons à considérer pour notre travail dans l'industrie. C'est ce que j'ai à dire sur la proposition de M. Monnet quant à la procédure, mais sur le principe nous sommes d'accord. M. GOLDMAN. — J e ne sais pas si je vais vous libérer tout de suite parce qu'il y a une chose que je n'ai pas parfaitement comprise. En vous opposant sur cette question de procédure à M. Monnet, est-ce que vous pensez qu'avec l'autre système les choses iront plus vite et que les résultats seront plus rapidement obtenus ? M. WILLEMS. — Oui. Plus vite, plus vite. M. GOLDMAN. — Si vous provoquez des oppositions dès le départ ? M. WILLEMS. — Oui. J e vais m'exprimer autrement : Ce que nous désirons, ce que nous croyons plus pratique, c'est d'avoir, après la publication, immédiatement l'opposition classique, comme nous l'avons en Allemagne. Ce n'est pas le système proposé actuellement dans la Convention. C'est un autre système. M. DUGAS. — J e crois que la question dans une procédure d'opposition est de savoir quel est l'interlocuteur que l'on a en face de soi, parce qu'il y a toutes sortes d'interlocuteurs parmi ceux qui font opposition. II y en a qui font des oppositions courtes, bien fondées sur certains textes, clairement expliquées, et l'opposition est difficile à réfuter si elle est bien construite dans ce cas-là. Elle est intéressante en même temps à réfuter et elle permet de dégager clairement, suivant les bons usages d'ailleurs du < patentantes » allemand, un nouveau contour à l'invention. Par contre, nous sommes trop souvent en conflit avec certaines sociétés, et l'intervention de M. Panel a fait résonner en moi certains souvenirs bien précis : Certaines sociétés allemandes qui ont probablement pour habitude de confier à de jeunes ingénieurs une fabrication en très grande série d'oppositions qui comportent plusieurs pages avec des confusions de terminologie, des confusions de procédés, des confusions de méthode, telles que même si l'examinateur n'est pas dupe

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il faut commencer par réfuter, dans la réponse à l'examinateur, tout ce qu'il y a de faux, d'inexact dans les interprétations, dans l'opposition. Finalement c'est une perte de temps, une perte d'énergie considérable et au total c'est un délai qui prolonge la procédure, parce que, bien entendu, ce sont des sociétés qui sont suffisamment bien équipées pour avoir recours à toutes les ressources de la procédure. On demande de pouvoir avoir communication du dossier. On répond affirmativement. On n'en prend pas connaissance tout de suite, on attend le dernier jour. A ce moment-là on dit que l'on voudrait faire de nouvelles observations en plus de celles déjà faites. On vous demande la permission de nouveaux délais. Il s'écoule un nouveau délai de trois mois au bout desquels on peut faire encore des observations sur les contre-observations et ainsi de suite. Une fois que l'examinateur a tranché au fond, on peut vous traîner encore en appel. Tous ceux d'entre nous qui sont familiarisés avec ces procédures savent que lorsque l'interlocuteur est mordant — et il l'est quelquefois parce qu'il a simplement chargé quelques-uns de ses jeunes ingénieurs de mener cette procédure — il n'y a pas besoin d'une grande compétence pour ennuyer quelqu'un dans une procédure d'opposition, cela peut durer pendant des années pendant lesquelles votre protection ne vaut rien. Si l'interlocuteur est, au contraire, parmi ceux qui vous font une opposition courte, bien construite, il n'y a pas de doute que la procédure d'opposition peut être l'origine de certaines relations, de certaines amitiés qu'évoquait M. Monnet, mais peut être aussi l'occasion d'arbitrage fructueux entre les deux parties. Je crois que l'abus qui est fait de cette procédure d'opposition en Allemagne est très nuisible au principe qui est excellent et qui se situe fort bien dans le cadre de la législation allemande qui a l'avantage d'être claire et facile à manier pour des étrangers. M. AHMENGAUD. — Je voudrais aussi revenir sur la question des oppositions. Qu'il s'agisse du système actuellement connu en Allemagne ou du système que l'on envisage à l'occasion de la création du brevet européen, les avantages et les inconvénients sont comparables. NiéanmJoins je voudrais faire observer que la procédure envisagée à l'occasion du brevet européen permettra le déclenchement des oppositions dès que le brevet, qui sera provisoire, aura été délivré. Et on peut craindre à ce moment que les industriels ou les inventeurs dont les moyens sont relativement peu puissants ne s'essoufflent à vouloir obtenir leurs brevets contre les oppositions excessive-

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inent mordantes; et c'est d'ailleurs le cas actuel avec la procédure classique d'opposition en Allemagne après la délivrance du brevet. A cet égard on peut se demander si cette procédure ne favorise pas uniquement les très grandes entreprises disposant de moyens d'investigation et de recherches très puissants, alors que l'objectif que l'on a, tout au moins en Europe, c'est la promotion de la recherche et la protection de celle-ci dans le plus large secteur possible. Si la propriété industrielle ou la protection par brevets devenait l'apanage d'un club très limité, on risquerait de voir un jour la puissance publique intervenir pour modifier profondément les rapports entre l'Etat et les propriétaires de brevets en rendant leur exploitation obligatoire, ce qui retirerait aux brevetés une grande partie des intérêts qu'ils avaient à vouloir s'attribuer des droits de monopole; par conséquent j'ai l'impression que l'on ne peut pas dissocier certaines difficultés politiques qui pourraient découler du maintien d'une procédure d'opposition trop lente de l'existence même de cette procédure. En second lieu, nous avions envisagé avant 1955, avant le décret créant en France l'examen différé, une procédure de délivrance qui serait suivie d'une procédure d'opposition comparable à celle qui est actuellement prévue dans le cadre de la Convention Européenne. Nous avions pensé qu'en France on aurait pu, à ce moment-là, cumuler les avantages du système français de délivrance rapide avec celui des éliminations d'un certain nombre de titres du fait d'oppositions bien fondées. L'avenir nous dira, compte tenu de ce qui sera décidé à l'échelle européenne, le bien-fondé du système allemand actuel, ou du système projeté par la Convention. Je voudrais faire observer qu'en matière d'examen on peut avoir une inquiétude : l'examinateur, s'il n'est pas toujours très diligent, se contentera de compter les coups. Il y aura la demande déposée; il y aura les oppositions : il ne fera pas l'effort intellectuel de chercher l'intérêt des titres apportés par les opposants. En fait il deviendra, dès le départ, le juge administratif entre le breveté et l'opposant. Or, à priori, le rôle de la section d'examen est d'être le juge entre la Société et l'inventeur, de manière à définir par avance l'étendue de la protection qui peut être accordée au candidat breveté, l'opposition ne venant qu'après, au cas où la portée de l'invention paraîtrait contraire aux intérêts justifiés de tiers qui seraient les opposants. C'est pour cela, en ce qui me concerne, que je me demande si la sagesse ne serait pas de s'en tenir, même dans l'optique s

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du brevet européen tel qu'il nous est proposé, à la procédure allemande, quitte à la simplifier et à rendre beaucoup plus sévère l'examen des oppositions, de manière à lui permettre de rejeter les oppositions mal fondées dans un délai bref. Ceci éviterait les oppositions abusives, et par ailleurs limiterait les discussions avec les opposants à l'échange d'un petit nombre de procédures, la section d'examen et la section d'appel devant trancher dans un délai défini à priori et relativement court. C'est sous ces réserves que je considère que la procédure d'opposition pourrait être maintenue et à condition de la rendre moins défavorable au breveté, et en tout cas plus honnête. M. LEBARBIER. — Je voulais seulement apporter un léger appoint à ce qui a été dit au sujet des longueurs de la procédure allemande et des inconvénients qui peuvent en résulter sur le plan particulier du brevet de verre trempé dont a parlé M. Monnet. Dans cette affaire, la discussion est allée jusqu'au bout des possibilités de procédure de la loi allemande. En définitive, je dois dire que le brevet a été accordé finalement, mais après un temps considérable, et comme le point de départ de l'efficacité, de la validité de l'emploi du brevet en Allemagne est la date de dépôt, l'on est resté dans l'incertitude de nombreuses années par suite de la procédure d'opposition. A cette époque elle était menée peut-être avec moins de fougue et moins de complications artificielles que maintenant, ce qui fait que finalement il ne reste plus beaucoup d'années pour exploiter le brevet avec la certitude qu'il est vraiment valable. M. MEUNIER. — Je voudrais d'abord dire quelques mots sur la situation actuelle en Allemagne. M. Monnet a dit que dans cette procédure des oppositions, on a des contacts, souvent même de très bons contacts, d'autres disent que l'on a des oppositions systématiques qui sont faites sur des bases futiles. J'ai une expérience des oppositions, dont certaines ont duré sept ans, j e dois dire qu'en moyenne les oppositions en Allemagne ne sont malgré tout que des oppositions systématiques. Dans un domaine auquel je pense, tout demandeur de brevets en Allemagne est sûr d'avance d'avoir une opposition d'une certaine firme. Pourquoi ? Parce que cette firme surveille tout particulièreAient ce domaine. Elle a une documentation en ordre qui porte sur Itous les brevets du monde; elle est capable en très peu de temps de faire le point sur la nouveauté d'une invention, peut-être même mieux que le patentamtes. Cela n'empêche pas que cette firme, bien outillée, a perdu une opposition. Malgré les renforts qu'elle a obtenus de la

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part d'autres firmes française«, belges, elle a manqué son opposition ayant en main cependant une antériorité, ce qui peut montrer que la procédure d'opposition systématique peut quelquefois ne pas être toujours la meilleure. Je voudrais ajouter quelque chose à ce que M. le Sénateur Armengaud vient de dire au sujet de sa tentative de conciliation. La procédure allemande actuelle est lente. Nous sommes d'accord. La procédure hollandaise aussi est très lente. C'est d'ailleurs pour cela que les Hollandais viennent de faire une nouvelle loi. Pourquoi ? Parce que l'examen hollandais durait en moyenne cinq ou six ans. Il y en a qui vont jusqu'à neuf ans, dix ans même. Après cela l'on obtient le brevet, avec une validité de dix-huit ans, ce qui fait pour une procédure moyenne de cinq à six ans, vingt-quatre ans pour l'échéance finale. C'est trop long, c'est beaucoup trop long. Les Hollandais en ont été conscients. D'un autre côté, il leur manque du personnel qualifié pour faire tous les examens. On s'aperçoit aussi actuellement que l'évolution de notre technique est telle qu'un brevet a une durée de vie de six ou sept ans, dix ans au grand maximum : je parle d'un brevet normal; il y a des exceptions, bien sûr. Donc l'examen hollandais ou allemand dure à peu près la durée moyenne de vie d'un brevet. Alors en Hollande, avec le nouveau système, on publie dix-huit mois après la date de dépôt ou la date de priorité. Pourquoi cette différence ? C'est très simple : pour que la publication soit faite dix-huit mois après la création. A ce moment-là, si l'on veut s'assurer de la validité du brevet, il est possible de demander un examen complet, tel qu'il se fait maintenant. Mais par ailleurs, un tiers peut demander aussi un examen complet, de sorte qu'un industriel qui s'aventure sur un nouveau terrain et qui voit cette publication d'une demande hollandaise, s'il veut tous apaisements, engage lui-même la « bagarre ». Il la paye, bien sûr, en partie, mais il l'engage. Si au contraire le breveté veut exercer le plus rapidement possible les droits tirés de son brevet, il déclenche lui-même cette « bagarre ». De sorte que l'on a un barrage contre les brevets, justement dit « de barrage », qu'on déposait pour bloquer les gens. Il est possible de provoquer l'examen à ses frais. Ceci est le point de vue hollandais qui va être mis en vigueur à partir du 1*' janvier 1964. En ce qui concerne le projet de brevet européen, est prévue une procédure assez différente; dès la publication, se produit l'appel aux oppositions : s'il y a par exemple trois opposants, il y a une partie qui s'engage entre cinq personnes, les trois opposants, le déposant et le bureau de brevets.

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On reproche à ce système de compliquer la discussion, d'engager le conflit entre plusieurs personnes. C'est un peu vrai. La procédure classique actuelle a un inconvénient, c'est qu'elle aboutit à l'octroi du brevet en deux stades, d'abord une discussion entre le déposant et le bureau de brevets, et ensuite les oppositions. On pourrait peut-être, comme l'a dit M. le Sénateur Armengaud il y a quelques instants, envisager une solution dont on a d'ailleurs esquissé quelques schémas à l'U.N.I.C.E.; dès la publication de la demande, l'appel aux oppositions pourrait être ouvert, c'est-à-dire que tout tiers qui a un intérêt à lutter contre ce brevet, le notifierait, avec bases sérieuses au bureau de brevets, mais la procédure ne s'engage à ce moment-là qu'entre le déposant et l'examinateur qui tranche. Après accord par ce bureau de brevets, les oppositions pourraient revenir à la charge, soit parce que l'examen a été mal traité, soit s'il y a des éléments nouveaux ou s'il y a vraiment quelqu'un qui estime être lésé par l'octroi du brevet. Je pense que de cette façon on économiserait du temps dans la première phase de la procédure et peut-être éliminerait-on alors quelques oppositions faites pour des questions de barrage, des oppositions systématiques sur des bases peu solides. M. GENDRE. — Je voudrais apporter l'expérience de quelqu'un qui vient d'obtenir un brevet en Allemagne au bout de treize ans de procédure et qui n'en est pas à son coup d'essai, parce que j'ai l'honneur de représenter des firmes qui sont particulièrement visées. Cela a-t-il porté un préjudice quelconque pendant treize ans à ma Société ? Pas du tout. Absolument aucun parce que les opposants, surtout lorsqu'ils sont de bonne foi, n'exploitent pas le brevet pendant ce temps; par conséquent ce brevet, cette procédure qui a duré treize ans en Allemagne l'a protégé aussi effectivement que si le brevet était délivré, et j'ai couvert par cela non seulement l'interdiction de fabriquer en Allemagne mais j'ai aoquis aussi le fait que les Allemands n'ont pas importé en France. Je vais plus loin. Nous arrivons au paradoxe suivant : lorsque nous avons eu gagné, nous avons eu à payer treize ans d'annuités en retard, et les annuités en Allemagne ne sont pas proportionnelles comme elles le sont en France. Par conséquent je suis d'avis que, dans la plupart des cas, l'opposition, même systématique, n'est pas du tout défavorable, car on connaît dès le début les armes que les adversaires ont en main, et les faiblesses ou la force du brevet, non seulement en Allemagne, mais aux Etats-Unis, en Angleterre, et partout. C'est un grand avantage. Je ne crois donc pas que la procé-

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dure d'opposition soit si défavorable que cela et je voudrais également rendre un hommage au Patentamtes allemand qui est d'une objectivité absolue. En définitive, je ne suis pas du tout ennemi de la procédure d'opposition, même si elle dure toute La durée du brevet. Pratiquement le brevet a joué son rôle. M. CHERADAME. — A priori, ce que dit M. Gendre ne me convainc pas parce qu'il y a un point que nous avons soulevé tout à l'heure : c'est l'intérêt qu'une entreprise française se trouve des licenciés dans d'autres pays pour étendre son affaire. Si vous exploitez vous-imême en Allemagne, vous pouvez peut-être exploiter sans être gêné par les oppositions, mais si vous en êtes à chercher un licencié allemand pour prendre votre affaire, il n'acceptera pas avant que la question soit réglée. Alors de ce côté-là vous ne gagnez rien.

L e projet de convention sur le brevet européen et ses implications Rapporteur : M.

ARMENGAUD,

Sénateur, Européen, Membre du Parlement Conseil en Propriété Industrielle.

Je ne veux pas revenir sur les propos de M. Monnet qui vous a dit, à juste titre, que l'une des préoccupations de l'Industrie était d'arriver à assurer, dans un nombre de pays le plus grand possible, une protection des inventions fondée sur des principes et des règles communes, comme sur une procédure commune. Il a évoqué à l'appui de son propos les divergences entre ces règles, entre les conditions de nouveauté ou de brevetabilité à l'intérieur des différents pays d'Europe, pris notamment à titre d'exemple. On a donc cherché différents moyens de résoudre cette difficulté devant laquelle se trouve l'industrie. D'où est-on parti ? On est parti, en fait, depuis 1950, depuis que le Conseil de l'Europe a été institué, dans deux directions distinctes : La première, c'était la recherche au sein du Conseil de l'Europe — à la suite de propositions qui ont été faites par mon ami M. Henri Longchambon — d'une harmonisation des règles fondamentales en matière de brevetabilité,

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H . ARMENGAUD

de nouveauté ou plus généralement des droits matériels eu matière de brevets d'invention entre les différents pays membres du Conseil de l'Europe. Les idées ont peu à peu cheminé; au début cette proposition paraissait quelque peu révolutionnaire, puis la vie est ainsi faite que les esprits s'habituent peu à peu à ce qui est répété même avec enthousiasme par des hommes raisonnables. Et nous voici près d'une solution à cet égard. J'y reviendrai tout à l'heure. Et puis une deuxième idée est née après qu'ait été constituée la Communauté Economique Européenne, en dépit de l'article 36 du Traité de Rome qui laissait en dehors du Traité de Marché Commun et de sa déontologie les problèmes de propriété industrielle. On a cherché — à l'initiative des pays membres du Marché Commun et à la suite d'une directive du 9 décembre 1960 du Comité des Secrétaires d'Etat — à amorcer le principe d'une législation supranationale qui s'imposerait aux pays adhérant à la Convention que l'on projetait d'établir et qui ferait coexister un titre européen communautaire et les titres nationaux. C'est dans l'optique de cette deuxième proposition que je vais examiner le projet de Convention qui a été soumis à l'appréciation des intéressés dans les pays de la C.E.E. Je voudrais d'abord rappeler que la directive des Secrétaires d'Etat du 19 décembre 1960 s'est prononcée en faveur d'une Convention diplomatique largement ouverte afin d'assurer une protection commune, territorialement étendue, dans les pays où le droit matériel des brevets serait comparable. C'est de là qu'on est parti, et je crois qu'il serait normal que ce ne soit pas oublié, ni au cours de nos débats, ni au cours de ceux qui ont lieu dans les Instances européennes. Quels ont été les principes du projet de Convention tel qu'il nous est actuellement soumis et qui concerne ce que l'on appelle le brevet européen ? Tout d'abord un titre commun couvrant les pays adhérents : ce titre serait délivré après un examen de nouveauté, puis, dans les cinq ans, transformation du brevet provisoire en brevet définitif moyennant un examen de brevetabilité et la procédure de délivrance correspondante, réservant aux tiers le droit d'opposition dont on a parlé ce matin.

PROJET DE CONVENTION SUR LE BREVET EUROPÉEN

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La raison du décalage dans le temps, entre la protection provisoire et la protection définitive, découle de l'observation faite ce matin par M. l'Inspecteur général Finniss, à savoir qu'au bout de cinq ans un grand nombre de brevets dans nos pays industriels tombent, faute de paiement des annuités, et ne représentent plus l'intérêt qu'y voyaient leurs déposants au moment où ils avaient réclamé la protection, ce qui rend inutile une recherche d'antériorité limitant leur portée. Le titre européen ainsi créé constituerait un droit sui generis, supranational, distinct des droits nationaux dont la survivance serait maintenue. Quant à la protection, elle serait accordée en fonction du critère de l'activité inventive; le titre accordé pourrait faire l'objet de cessions ou de concessions de licences exclusives ou partielles, étant entendu que la cession du brevet européen ou sa concession de licence exclusive pour tout le territoire entraînerait la cession, ou la concession des licences exclusives, des brevets nationaux correspondants. Sur ces principes et la procédure qui en découle, il semble qu'il n'y ait pas de désaccord grave entre les différentes délégations ni entre les industriels ou spécialistes de la propriété industrielle des pays membres. Une remarque toutefois : c'est qu'il paraît nécessaire que le droit matériel visant en particulier la nature des inventions protégées et la durée de protection soit uniformisé entre le brevet européen et les brevets nationaux des pays qui adhèrent à la Convention, et ceci pour une raison évidente qu'a fait ressortir M. Monnet ce matin, à savoir que les divergences entre les législations nationales européennes présentaient des inconvénients graves pour le développement normal harmonisé et équilibré d'une industrie confrontée avec un large marché international. Et il n'a pas cité à la légère un domaine qu'il connaît mieux que d'autres, comme M. Willems, notre invité allemand : celui de l'industrie pharmaceutique où le droit français et le droit italien ne sont nullement superposables puisqu'en matière de pharmacie il n'y a pas de protection en Italie, tandis qu'en France il y en a une motrice, dynamique, qui prévoit des règles particulières de protection du procédé comme du produit sous réserve que pour ce dernier soit instituée une

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procédure spéciale pour la délivrance du brevet et un système rigoureux de mise sous licence obligatoire ou de droit. Cette harmonisation indispensable entre le droit européen supranational et le droit national, à l'intérieur des pays qui signeraient la Convention, me parait maintenant couler de source; dans les jours qui précèdent, la Convention Européenne — celle du Conseil de l'Europe sur l'harmonisation des droits matériels — a été signée, ce qui prouve bien que les pays d'Europe, non pas seulement ceux de l'Europe des Six, mais ceux qui appartiennent à la Zone de Libre Echange plus la Suisse, ont parfaitement conscience qu'à l'époque où les grands ensembles industriels ont priorité ou primauté sur les autres, du point de vue des possibilités de recherche, il est normal que dans l'ensemble de l'Europe des règles communes de protection soient mises en œuvre. Ceci étant dit, je voudrais venir maintenant à une partie plus délicate de l'exposé. Le projet de Convention comporte un certain nombre de clauses qui ne se limitent pas à la simple procédure. Ces clauses soulèvent des questions délicates en raison de leurs implications économiques, sociales et politiques. Ce sont celles qui sont relatives — à l'ouverture de la Convention à des pays autres que les premiers signataires; — à l'accessibilité au brevet européen, c'est-à-dire au droit pour les ressortissants de pays tiers à la Convention de bénéficier ou non du brevet européen; — à la coexistence et au cumul de brevets nationaux et du brevet européen; — à la possibilité ouverte aux brevetés de disposer à leur gré des droits de monopoles territoriaux que leur accordent leurs brevets européens; — aux conditions d'exploitation du brevet; — à la procédure de contrefaçon et de nullité; — et enfin — question matérielle non négligeable — au siège de l'Office Européen des Brevets et plus généralement à la Convention de caractère administratif qui réglera les rapports entre l'Office Européen des Brevets ou l'Office Européen de la Propriété Industrielle et les différents pays signataires.

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Sur ces points que je viens d'évoquer, deux tendances se sont affrontées depuis le début et s'affrontent encore; et je ne peux pas vous dire, dans l'état actuel des choses, s'il est possible d'envisager raisonnablement un rapprochement ou un compromis honorable qui ne soit pas contraire aux intérêts réels de l'Europe, donc de la France. La première thèse est celle de certains membres de la Commission Economique Européenne et de nos partenaires allemands, qui est évolutive par rapport à la directive des Secrétaires d'Etat du 19 décembre 1960. J'ouvre là une parenthèse : je pense que lorsque l'on construit un édifice difficile il est dangereux, en dépit de l'intérêt d'un certain pragmatisme, d'abandonner l'éthique fondamentale de départ : le 19 décembre 1960, les Secrétaires d'Etat ont fixé une ligne de conduite : je pense, quant à moi, que la sagesse voudrait que l'on se tînt à cette ligne de conduite et qu'on ne cherchât pas à s'en départir. La première thèse qui, je le répète, tend à considérer que le droit est évolutif, est contraire à la conception, je ne dirai pas seulement française mais également romaine du droit. Néanmoins, il est important de la discuter. Cette première thèse est en faveur d'un brevet européen, limité aux Six, donc d'un brevet « Marché Commun » : — accordé dans le cadre d'une convention fermée, sauf accord unanime, aux pays tiers, sous réserve des dispositions de l'article 212 du traité concernant l'Association, d'ailleurs mal définie; — accessible aux ressortissants des pays tiers membres de l'Union de Paris; — coexistant et provisoirement cumulable avec les brevets nationaux, sous réserve des clauses économiques concernant la licence exclusive; — soumis à l'hypothèque d'un découpage quasi impraticable des droits de licence territoriale exclusive, en raison de la possibilité offerte au licencié de concurrencer, par le moyen de ses revendeurs, le breveté sur son propre territoire. L'exploitation, dans un seul des pays adhérents, serait considérée comme s'effectuant sur tout le territoire des pays adhérents.

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Enfin, il ne s'agirait point de fonder un organisme commun de Propriété Industrielle ou d'assurer une liaison commune entre tous les Offices de Propriété Industrielle existants, mais il s'agirait de polariser sur le plus important d'entre eux l'Office Européen de Propriété Industrielle. En outre, derrière cette thèse se profile une idée à laquelle il faut prêter attention, c'est que le brevet européen se substituerait dans un délai plus ou moins bref aux brevets nationaux européens, comme si la Communauté Economique Européenne était devenue une réalité politique. Or l'expérience des années que nous avons vécues montre que si des grands progrès ont été accomplis dans le rapprochement des tendances, dans les rapports entre les hommes, entre les industriels, entre les politiques, il n'en demeure pas moins que des divergences profondes dues à l'héritage de traditions de caractère financier et politique ou commercial rendent très difficile, pour de longues années, la disparition des législations nationales. Nous avons senti cette tendance au cours des derniers mois, puisque maintenant, depuis deux ans, se discutent avec une âpreté regrettable, mais humainement concevable, les textes d'application de la politique agricole commune dont les principes ont été définis le 14 janvier 1961. Ce fait montre bien que, quelle que soit la bonne volonté ou la volonté des hommes, entre la décision — évoquée ce matin — d'aller déjeuner ensemble et celle de manger ensemble les mêmes plats, il y a une marge immense : les hommes sont les hommes et sont victimes soit de leurs traditions, soit, en matière de déjeuner, de leur gourmandise ou de leurs allergies. Cette tendance est soutenue par une partie minoritaire de l'industrie européenne et je le dis clairement — M. Willems ne me contredira pas — ce sont les industriels allemands. On comprend très bien qu'ils aient des positions à cet égard qui ne puissent pas être superposables à la nôtre, mais ce qui est plus surprenant, c'est que cette position est surtout soutenue par ceux qui n'appartiennent pas au Marché Commun et qui voudraient imposer au Marché Commun une politique de leur choix conforme à leurs seuls intérêts, mais contraire aux intérêts de l'Europe.

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C'est ainsi que ce sont les revues américaines de Propriété Industrielle qui ont publié les articles les plus vigoureux et les plus virulents à l'encontre d'une Convention qui ne serait pas accessible aux ressortissants des pays tiers, alors que, dans le domaine de la protection douanière de leurs propres industries, comme dans celui plus limité de la Propriété Industrielle, les Etats-Unis se trouvent dans le monde actuel le pays le plus protectionniste que nous connaissions, tant par les textes mis en oeuvre que par les procédures employées. Et je ne cache pas, en ce qui me concerne, et que le plan politique que je considère particulier, pour ne pas dire davantage, que ceux dont la politique soit la plus protectionniste en matière commerciale, voire même en matière de Propriété Industrielle, veuillent imposer à l'Europe, qui a besoin d'abord d'être cohérée et de constituer une unité politique pour être un partenaire valable, des règles conformes à leur seul intérêt immédiat. La seconde tendance a été essentiellement défendue en France, en Belgique, en Italie par les Associations professionnelles, par les industriels, par les groupements officiels ou privés qui se préoccupent des questions de propriété industrielle et qui sont restés attachés à la lettre et à l'esprit de la directive des Secrétaires d'Etat du 19 décembre 1960, comme elle l'a été à Bruxelles par la délégation française. En quoi consiste-t-elle ? Elle est en faveur d'une convention ouverte à l'adhésion de tous les pays qui auront harmonisé le droit matériel avec la Convention Européenne en matière de brevets. C'est-à-dire qu'elle est destinée à assurer la protection territoriale la plus large possible pour ce que l'on appellera le brevet européen et ne cherche pas à limiter cette protection aux territoires de l'Europe des Six, que d'ailleurs nos partenaires de l'Europe des Six voudraient pour des raisons politiques voir élargir. Elle est en faveur aussi d'un brevet accessible aux ressortissants des seuls pays adhérents, car s'ils acceptent la supranationalité d'un titre européen, il est normal qu'ils aient seuls le bénéfice de cette supranationalité que d'autres ne reconnaîtront pas, puisqu'ils n'admettront pas

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sur leur propre territoire la protection accordée par le brevet européen. Cette thèse est également en faveur de la coexistence sans restriction et du cumul des protections européennes et nationales au choix du déposant. Elle n'apporte aucune restriction au droit des brevetés de concéder des licences exclusives territoriales et interdit qu'ils se voient concurrencer sur le territoire non concédé par les revendeurs de leurs licenciés. Elle est en faveur de l'obligation d'exploiter dans chacun des pays adhérents, si les Etats l'estiment nécessaire pour l'équilibre économique et social, à peine de voir le brevet soumis dans chacun d'entre eux à la procédure d'octroi de licences obligatoires accordées à l'échelon national. Elle est également en faveur d'un Office européen des brevets, communautaire, bénéficiant du concours de tous les Offices nationaux des pays adhérents, installé dans une ville d'Europe qui ne soit pas excentrée par rapport à l'ensemble de l'Europe et soit d'accès facile pour tous les ressortissants de l'Europe des Six comme pour les pays tiers qui auront adhéré à la Convention. Aux travaux de cet Office devront, en effet, participer les techniciens des pays, ou associés ou adhérents, qui se joindraient aux premiers signataires. Je voudrais examiner rapidement avec vous les différents points de désaccord. Je commencerai par l'ouverture. L'ouverture me paraît, quant à moi, une nécessité pour une raison simple : l'intérêt de l'industriel qui se protège, en France par exemple, est de voir étendre, par un titre unique, sa protection au maximum de pays possible dans lesquels le droit matériel aura été harmonisé avec celui qu'a accepté la France, la protection la plus large possible et conçue dans les mêmes conditions, avec les mêmes critères, étant accordée par un organisme supranational commun. Sur ce point, par conséquent, je ne vois que des avantages à cette ouverture qui tend à élargir le territoire sur lequel l'industriel ou l'inventeur peuvent être protégés. J'en viens à l'accessibilité. Je ne veux pas revenir sur le propos de M. Cheradame, ce matin, qui a été suffisamment exhaustif, mais il est évident qu'il y a une corrélation étroite entre une politique

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active en matière de brevets et le progrès technique et industriel. Chacun sait aussi à quel point une politique agressive de brevets, à condition qu'elle soit intelligente, peut constituer un moyen de freinage et de blocage d'industries connexes ou concurrentes. Les exemples sont classiques. Je voudrais citer pour mémoire le livre de M. Wendell Berge, attorney américain de la division antitrust avant guerre, livre intitulé Cartels où il évoquait, en particulier, les monopoles découlant des brevets de base de fabrication d'hormones ou de vitamines de synthèse qui constituèrent des réseaux de protection bloquant toute compétition possible d'autres industriels intéressés à la même activité. Je citerai aussi la politique excessivement adroite de l'I. G. Farben avant la guerre en matière de caoutchouc de synthèse, qui a permis de stopper pendant des années tous les développements en matière de recherche de la Standard Oil of New Jersey jusqu'à Pearl Harbour et la mise sous séquestre des brevets américains d'origine allemande. Je n'insisterai donc pas davantage sur ce point, mais il apparaît évident qu'une politique active de brevets peut être un moyen décisif d'une politique d'expansion économique et de blocage de la concurrence; et, à cet égard, il appartient à l'Europe d'être, comme chacun de nos pays, très vigilante en ce qui concerne son propre développement économique et social dans la mesure où une politique de brevets de pays tiers peut aller à l'encontre des intérêts européens. La statistique d'ailleurs, même si elle n'est pas une science parfaite, permet de faire ressortir que la France ou l'Italie ont dans le domaine de la protection de leurs inventions nationales une politique moins active que ne peuvent l'avoir l'Allemagne, voire la Grande-Bretagne, témoins les pourcentages de brevets autochtones et brevets alloctones ou brevets nationaux qui sont déposés dans ces pays par les nationaux ou par les étrangers. Et si l'on prend également les chiffres publiés par notre regretté collègue et ami, M. Albert Colas, et qui ont été repris par M. Federico au Patent Office, sur les dépôts de brevets effectués dans le monde, on constate, contrairement à ce qui se passe au point de vue de la protection des inventions européennes à l'étranger, que le nombre de dépôts étran-

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gers des entreprises américaines est comparable, année par année, au nombre de brevets nationaux déposés, ce qui veut dire que leur politique à cet égard est estensive. Cette question a été évoquée ce matin d'ailleurs, à l'occasion du rapport de M. Cheradame. Quelles seraient les conséquences d'une accessibilité sans limite pour les Pays d'Europe ? Il va de soi que la politique des pays comme les EtatsUnis aujourd'hui, demain l'U.R.S.S. si l'U.R.S.S. devient membre de la Convention d'Union de Paris, sera de développer massivement leur protection en Europe en s'assurant, par un titre unique, la protection de toutes leurs inventions essentielles. Comme, par ailleurs, la procédure d'opposition qui a été évoquée ce matin leur permettra d'empêcher, avec des moyens financiers immenses, la naissance de tous les brevets qui pourraient être considérés comme gênants pour eux, on risque de voir l'influence des techniques américaines ou soviétiques prévaloir sur les techniques européennes. Car il est bien certain que les moyens financiers utilisés par nos compétiteurs seraient infiniment supérieurs aux nôtres; d'ailleurs, l'indication des sommes dépensées en matière de recherche scientifique par les Etats-Unis d'une part, l'U.R.S.S. d'autre part, dans les techniques de pointe, montre que ce risque ne peut être sous-estimé si nous raisonnons dans l'optique de 1970 ou 1975, époque où les techniques actuellement naissantes seront en plein développement. Enfin, l'accessibilité sans limite permettra la création de monopoles inexploités au profit de ressortissants de pays tiers si les conditions d'octroi des licences obligatoires sont telles que l'exploitation, même mineure, dans l'un des pays adhérents sera considérée en droit comme satisfaisante pour l'ensemble des pays d'Europe; au surplus, elle conduirait à voir se polariser sur les régions les plus industrialisées d'Europe, à l'encontre des autres, l'activité industrielle découlant de techniques étrangères. Enfin, je me demande quel serait l'intérêt pour les pays initiateurs de la Convention d'y adhérer si les pays tiers, qui n'auraient pas signé la Convention et ne reconnaîtraient pas chez eux le brevet européen, auraient, au titre de ce

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brevet, les mêmes avantages que les pays adhérents. Cela me parait inconcevable. Je ne vois pas qui aurait idée de devenir membre de cette Convention Européenne si les ressortissants des pays tiers pouvaient obtenir le brevet dans les mêmes conditions que les pays adhérents. Aussi peut-on se demander si, derrière cette pression excessivement forte faite en faveur de l'accessibilité, il n'y a pas la manifestation d'une politique bien déterminée que je comprends, dans une large mesure, dans le domaine militaire, à savoir la prédominance des Etats-Unis sur le monde occidental. Cette prédominance dans le domaine militaire ne les conduit-elle pas, peut-être par un excès d'orgueil, ou peut-être par une mauvaise approche de problèmes européens, à considérer que l'Europe ne sera vraiment liée aux Etats-Unis, pour en être le partenaire, que dans la mesure où cette Europe dépendra pour son développement économique des techniques américaines qui y seraient dûment protégées à rencontre des techniques européennes. Or, si nous vivons sous la domination de licences d'origine étrangère, nous aurons automatiquement du retard; ce retard s'accroîtra avec les années, et le risque politique que j'évoquais ce matin de voir un jour des réactions très vives naître en Europe à l'égard de cette nouvelle forme de colonisation aura des conséquences excessivement graves, bien au-delà des fondements de la Propriété Industrielle. Je ne vois pas, en effet, un gouvernement désireux de défendre l'intégrité nationale et ses intérêts nationaux légitimes admettre, sans intervenir par la voie de la licence obligatoire, voire de l'expropriation pour cause d'utilité publique, que se maintiennent à rencontre de ses ressortissants des droits de propriété industrielle qui pourraient nuire au développement économique de la Nation. Je répondrai maintenant à ceux qui critiquent cette position assez vigoureuse que je viens de développer, qui prétendent que cette position viole les principes de la Convention Internationale d'Union. Je ne veux pas entrer, surtout devant tous les professeurs de Droit qui sont ici, dans une querelle de caractère juridique : je voudrais simprement dire que le nombre considérable d'articles parus ne clôt pas la controverse sur la question de savoir s'il

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y a contradiction entre le caractère général de l'article 2 de la Convention d'Union de Paris et les restrictions de l'article 15 créant des arrangements particuliers entre certains pays membres de l'Union, dans l'espèce particulière de l'établissement d'un droit supranational au sein des pays signataires d'un tel arrangement. MM. Albert Colas, mort prématurément au printemps dernier, et le Professeur Chavanne en France, le Professeur Ullmer en Allemagne, MM. S. P. Ladas, L. Robbins, B. D. Ladd aux Etats-Unis ont confronté leurs points de vue dans la Revue de la Propriété Industrielle de Genève. Je n'y reviendrai pas. Je noterai toutefois que dans aucun de ces exposés n'a été contestée la compatibilité entre les dispositions des articles 2 et 15 de la Convention dans le cas de la Convention de Madrid sur les marques, de celle de La Haye sur les modèles, de celle de Lisbonne sur les appellations d'origine, de celle de Neuchâtel sur la prolongation des délais interrompus du fait de la guerre 1939-1945, de la Convention pan-américaine pour la protection des marques de fabrique, le bénéfice de cette dernière nous étant fermé. J'ajouterai que la critique faite à l'inaccessibilité par des commentateurs des pays tiers fait imprudemment litière de la position critiquable américaine à l'égard de la Convention de Neuchâtel que les Etats-Unis ont refusé de signer, motif pris de ce que le Boykin Act avait prévu la restauration des droits périmés en matière de propriété industrielle dans le cadre d'accords bilatéraux, et ceci dans un aspect ouvertement contraire à l'éthique de la Convention de Paris. En tout cas, le Conseil Supérieur de la Propriété Industrielle française, sur l'intervention de notre Président de séance, M. le Professeur Desbois, a fait nettement leur sort aux arguments opposés au refus d'accessibilité pour des raisons juridiques. D'ailleurs, l'article du Professeur Ullmer, remarquable dans sa présentation, a de lui-même singulièrement minimisé les arguments de ceux qui déclarent que l'accessibilité était contraire à la Convention, puisqu'il écrit qu'à partir du moment où l'harmonisation des droits matériels entre les différents pays signataires et la Convention européenne sera réalisée, les objections

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que l'on pouvait faire contre la thèse de la non-accessibilité auraient beaucoup moins de poids. En effet, si le brevet européen procurait le même droit matériel que les brevets nationaux des pays adhérents, il n'y aurait aucune différence entre la protection accordée par ces brevets et celle accordée par le brevet européen. Et cette étape est franchie par la signature récente de la Convention du Conseil de l'Europe sur cette harmonisation du droit matériel accordé par les législations nationales et par le projet de Convention sur le brevet européen. On a dit aussi que la non-accessibilité pouvait être tournée grâce aux sociétés filiales ou aux sociétés « trustées » comme il en existe en Hollande. Sur ce point aussi, il faut observer que bien des lois de Défense nationale interdisent aux inventeurs de déposer d'abord à l'étranger leurs demandes de brevets; par conséquent, les demandes de brevets couvrant des inventions d'origine américaine ne pourraient pas être déposées d'abord en Europe par les filiales européennes des entreprises américaines, à peine de risquer de voir le Département de la Défense nationale intervenir à l'encontre des inventeurs et des dirigeants des Sociétés qui auraient violé la loi; par conséquent, sur ce point, j'ai l'impression que le risque ainsi évoqué ne tient pas. J'en dirai autant en ce qui concerne les sociétés « trustées ». Enfin, un dernier argument, matériel cette fois : si l'accessibilité était assurée, nous risquerions de voir l'Office des Brevets européens surchargé par l'afflux des demandes déposées non seulement par les nationaux, mais également par les ressortissants des pays tiers. Et l'allongement de la procédure retirerait bien des avantages escomptés du brevet européen. Sur la coexistence, je serai très bref, je n'ai pas l'impression qu'il y ait un gros débat : je pense simplement qu'il faut la maintenir, ne serait-ce que pour maintenir la naissance du droit de priorité national prévu à la Convention d'Union, et parce qu'il faut aussi que l'inventeur national puisse choisir entre la protection européenne et les protections nationales, ces dernières étant d'ailleurs soumises, en ce qui concerne le Traité de Rome, aux hypothèques qui découlent des règlements d'application des

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articles 85 et 86 du Traité (M. Robert Plaisant ou M. Lassier en parleront demain). L'autre clause contre laquelle il faut s'élever, c'est celle ouvrant la possibilité au licencié de faire par ses revendeurs concurrence au propriétaire du brevet sur le territoire qu'il s'est réservé, conformément aux conventions contractuelles le liant au licencié. On peut se demander, en effet, si cette clause était maintenue, quel serait le véritable intérêt du brevet de procédé ou de produit, puisque la protection nationale accordée par le brevet à son titulaire serait battue en brèche par les dispositions des articles 20 à et 29 dans la première rédaction qui nous est proposée. J'en viens maintenant au caractère national ou européen de la licence obligatoire : je pense, et pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure, en parlant de l'accessibilité, qu'il serait excessivement dangereux et contraire aux intérêts de l'Europe, qui doit être coprospère, dont le développement doit être harmonieux et équilibré entre ses diverses zones sous l'effet d'une politique régionale active, de considérer comme satisfaisante et suffisante l'exploitation des brevets dans un seul des pays adhérents. Il faut laisser, en pareille matière, à la puissance publique nationale le droit de savoir si un monopole peut s'exercer à l'encontre de ses intérêts sur son territoire et, par conséquent, s'en tenir aux dispositions actuelles de la Convention Internationale d'Union, laissant à chaque pays signataire de la Convention d'Union le soin de déterminer les mesures qu'il a à prendre pour assurer l'exploitation rationnelle des brevets sur son territoire et de déférer aux tribunaux nationaux les différends visant le défaut d'exploitation. En ce qui concerne le siège, je pense, quant à moi, qu'il faut faire preuve d'un peu d'imagination. Nous avons actuellement des Offices en Allemagne, en Hollande, qui ont une expérience très grande des procédures d'examen mais qui sont surchargés. Il nous a été dit ce matin que la Hollande renonçait, en partie pour cette raison, à continuer la procédure d'examen automatique de toutes les demandes de brevets hollandaises. J'ai l'impression qu'une répartition des tâches entre l'Office allemand, l'Office hollandais et l'Office français, dans la perspective de ce que ce dernier fait déjà en matière pharmaceutique et de

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ce qu'il projette dans les mois qui viennent, pourrait permettre la mise en œuvre d'un examen raisonnable dans des conditions de délais acceptables, et cela, en attendant que l'on se mette d'accord sur un siège satisfaisant, géographiquement bien placé, où seraient mis en pool, dans une Instance européenne commune, les moyens des différents pays signataires. Cela dit, cette Convention sur les brevets n'est qu'un des aspects d'une convention plus générale et de caractère administratif sur laquelle je voudrais attirer votre attention. Si nous nous plaçons dans l'hypothèse d'une convention fermée, d'une convention à Six, ceux de la C.E.E., comment se prendraient les décisions ? Les décisions seraient évidemment, en principe, entre les mains du conseil d'administration de l'Office Européen des Brevets, mais en fait elle serait entre les mains du Conseil des Ministres qui peut, au sein de la C.E.E., prendre des décisions à la majorité qualifiée. On arriverait ainsi à ce paradoxe qu'à l'intérieur de la C.E.E., ce qui est décidé à l'unanimité dans toute convention internationale en matière de brevets serait décidé à la majorité qualifiée, ce qui est contraire au fondement des conventions diplomatiques unanimement approuvées, auxquelles nous sommes tant attachés depuis l'existence de la Convention internationale d'Union de 1883. Au surplus, comment des pays tiers accepteraient-ils d'adhérer à une convention dont les règles auraient échappé à ce principe d'unanimité qui constitue la seule garantie contre la discrimination. A l'inverse, une convention ouverte aux pays tiers — par exemple moyennant l'harmonisation des droits matériels avec ceux existant chez les adhérents — fondée sur le principe d'unanimité serait dans la norme de la Convention d'Union de Paris, mettrait des pays tiers à parité de responsabilité avec les premiers adhérents, élargirait les moyens de recherche et le recrutement de personnel qualifié. C'est là une raison de plus, à mon sens, pour que la thèse d'une Convention ouverte, dont le bénéfice ne serait pas accessible aux ressortissants de pays tiers, soit la solution à laquelle nous devrions nous attacher. En bref, je pense qu'accepter l'accessibilité et les clauses économiques d'un brevet Marché-Commun, c'est vendre

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l'avenir de la recherche européenne — sauf peut-être celle de quelques grandes entreprises — aux pays où l'Etat finance l'essentiel de cette recherche avec d'immenses budgets, et ceci en échange d'une simple facilité administrative pour les ressortissants des pays adhérents : ce serait lâcher la proie pour l'ombre, alors que notre devoir est d'assurer un développement cohérent, harmonieux, équilibré, de l'ensemble de l'Europe. Alors, quel peut être l'avenir ? L'avenir, à mon sens, se dessine déjà, si nous sommes sages, avec la Convention qui a été signée il y a quelques jours, à Strasbourg, sur l'harmonisation des droits matériels. Nous devons les uns et les autres ratifier cette Convention dans le plus court délai possible, mettant ainsi un terme aux difficultés découlant des disparités actuelles, telles que celles dont souffrent nos amis italiens en ce qui concerne la protection des produits pharmaceutiques. Cette Convention doit maintenant devenir une réalité : à ce prix nous aurons ainsi démystifié, pour l'essentiel, la querelle sur l'accessibilité. Cela dit, il y a par ailleurs deux hypothèses à envisager : Ou bien nous en reviendrons à l'éthique du 19 décembre 1960, ce qui nous conduit vers une Convention associant les Six et d'autres pays, notamment ceux de l'Association Européenne de Libre échange, qui créeront un puissant Office commun de Propriété Industrielle en intégrant ce qui existe à La Haye, à Munich, à Paris, à Berne, à Oslo, à Copenhague, à Londres, et nous aurons d'abord un magnifique centre de recherches d'antériorités pouvant peu à peu résoudre les problèmes de la documentation du monde moderne, à savoir celui de la recherche documentaire par mots clé et machines mémoire, de manière à avoir dans quelques années une documentation rapidement accessible, convenablement classée, et dont l'utilisation sera très facile pour les intéressés; nous aurons ensuite un service d'examen unique permettant, par une procédure commune, l'octroi de brevets valables sur tout le territoire du pays adhérent, conformément aux lois nationales, sans que des clauses économiques soient en cause. Nous aurons ainsi franchi une étape importante dans la voie du Titre valable sur le plus large territoire possible.

P R O J E T DE CONVENTION SUR LE BREVET EUROPÉEN

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Ou bien, nous oublions ce qui a été fait le 19 décembre 1960 et allons vers une Convention fermée, limitée aux pays signataires du Traité de Rome, et dans ce cas je n'y vois, quant à moi, que des désavantages du point de vue du développement économique et social, harmonieux et équilibré de l'Europe. En effet, je comprends très bien ceux qui me disent : le brevet Marché-Commun est un des éléments de la politique économique de l'Europe. Je veux bien admettre cette thèse, mais à une condition : c'est qu'on ait d'abord réalisé l'Europe politique, ce qui suppose une politique budgétaire, une politique économique, une politique financière, une politique sociale, une politique militaire, une politique gouvernementale commune; or, je n'ai pas besoin de vous dire, car vous le savez aussi bien que moi, que ce temps heureux n'est pas encore atteint, et que nous aurons d'immenses efforts à faire pour y arriver. Par conséquent, pour l'instant, il me semble que la sagesse est de s'accrocher au résultat positif déjà obtenu sur l'harmonisation des droits matériels et de limiter nos ambitions à la création d'un grand Office européen, où se feront les dépôts communs, les recherches de nouveauté communes, et qui accordera un titre européen, après un examen difficile, dont l'effet sur le territoire de chaque pays adhérent sera celui d'un brevet national, la coexistence des brevets nationaux et du brevet européen demeurant la règle pour que les inventeurs, dont les moyens sont limités, aient le choix entre la protection nationale obtenue à des frais modérés et la protection internationale infiniment plus coûteuse, et qui sera en réalité l'apanage de ceux dont les techniques ont une large audience et méritent un large marché. Je pense que c'est dans ce sens-là qu'il faut s'orienter. Si nous voulons réussir un grand dessein, n'essayons pas de tout traiter à la fois, procédons pas à pas, ayant devant nous l'objectif, et en procédant de la sorte nous ferons une œuvre à l'échelle humaine. André

ARMENGAUD.

DISCUSSION

M. FINNISS. — Je voudrais bien faire comprendre le sens et la portée des oppositions qui se manifestent entre deux conceptions qui sont, d'une part, celle qui tend à créer un brevet européen, limité aux six, instrument de la politique du Marché Commun et, d'autre part, celle d'un brevet international, ouvert à la signature de tous les Etats qui désirent s'y joindre, non accessible et ne comportant pas de clauses économiques. Ces clauses sont destinées à mettre en œuvre une politique sur laquelle, par hypothèse, les nombreux Etats qui se joindraient à cette Convention ne pourraient se mettre d'accord. Du fait de ces clauses, il y aurait une ouverture « de jure >, mais il n'y aurait point d'ouverture « de facto >. Il faut bien saisir le sens et la portée des oppositions qui se manifestent. Je vais essayer — bien que je n'ai pas qualité pour le faire — de faire comprendre le point de vue' de la Commission, et ensuite nous verrons plus clairement l'importance du débat et de l'enjeu. La Commission part de cette idée fondamentale que le Marché Commun est appelé à se développer. La Commission sait que si, en 1970, elle a l'obligation de supprimer les barrières nationales, de réaliser l'harmonisation, elle peut faire tout cela en utilisant les facultés actuelles du Traité en s'appuyant notamment sur l'article 100 et sur les dispositions du Traité qui permettent de prendre des directives à la majorité qualifiée après délibération du Comité des Ministres. Mais elle incline à penser qu'il est beaucoup plus facile pour elle, et peut-être pour certains gouvernements, d'obtenir ce même résultat par l'obtention de la suppression des législations nationales et forcément leur remplacement par quelque chose d'autre qui est un droit supranational en matière de brevets, de marques, de dessins et modèles. En partant de cette idée fondamentale, on donne au problème de l'ouverture, au problème de l'accessibilité et au

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problème de l'articulation des organes qui vont être créés un éclairage très différent de celui qu'a donné M. le Sénateur Armengaud et qui permet de comprendre encore mieux l'importance des problèmes qu'il a évoqués dans son exposé et de leur enjeu. Il va de soi que si l'on vit dans l'attente de cette année 1970, le problème de l'ouverture, non seulement n'a pas de sens, mais du point de vue de la Commission a un sens très négatif. La Commission ne peut pas envisager d'ouvrir les portes de ses Comités de travail, par exemple aux Britanniques, parce qu'ils exprimeront des préoccupations qui dans l'ordre économique ne découlent pas du Traité de Rome puisqu'ils ne sont pas dans le Marché Commun, et elle ne pourra pas envisager d'admettre l'ouverture, l'accès & ce Traité, d'Etats dont la politique économique n'est pas insérée dans le Traité de Rome, donc d'Etats qui ne sont pas dans le Marché Commun. Du même coup, elle a réglé dans sa construction le problème de l'ouverture et de l'accessibilité, parce que si elle ne peut pas accepter l'ouverture, si d'autre part elle vit dans la perspective que cette convention se substituera aux droits nationaux, à la rigueur elle peut transiger sur le problème de l'accessibilité en disant que pendant une certaine période elle refusera l'accessibilité (en faisant fi de toutes les consultations juridiques qui ont été faites sur l'article 2 de la Convention d'Union), mais à partir de 1970 elle déclarera que l'accessibilité est une nécessité absolue; sur le fonds elle ne transigera pas parce que, à partir de 1970, s'il n'y a qu'un seul droit communautaire, comment voulez-vous, dans sa politique et dans sa perspective, refuser l'accessibilité puisqu'il n'y aurait plus qu'une seule technique de protection. Il y a tout d'abord un enjeu politique. La question qui se pose pour les gouvernements, ce n'est pas seulement une question de propriété industrielle, c'est une question tout à fait générale : c'est de savoir si l'on peut, à la faveur d'accords latéraux au Traité de Rome, étendre en quelque sorte le contenu de ce Traité et comment ceci est un problème de procédure dont on ne peut sous-estimer l'importance. C'est un point de procédure qui a une importance énorme, parce que si c'est le Comité des Ministres en tant que tel qui décide, c'est admettre l'intégration du droit de la propriété industrielle au Traité de Rome; si ce sont les Ministres représentant les souverainetés, ce sont les Etats, ou certains d'entre eux, qui donneront une réponse au problème. Mais dans cette perspective on a l'impression qu'il y a un choc extrêmement violent et que ce choc aurait dû se produire à la dernière réunion des Secrétaires d'Etat. Entre les tenants d'un brevet international ouvert sans clause économique et

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accessible et les tenants de l'autre thèse que j'appelle la thèse de la Commission et la thèse du brevet international, qui a ¿té défendue par la délégation française, il y a tout de même un certain nombre de nuances qui sont concevables. On aperçoit une possibilité de compromis, mais qui n'en est pas un dans l'esprit de la Commission. La Commission pouvait demander, et a effectivement demandé, que le traité portant création de la Convention sur les brevets européens comporte des clauses économiques, mais lorsqu'elle se trouve en présence dftine certaine opposition, elle est prête à admettre que les clauses économiques, qui dans son esprit doivent être rédigées dès maintenant, soient insérées dans le Traité, mais que leur mise en application soit différée par le moyen de la fixation d'un terme ou d'une condition; et dans l'esprit de la Commission le terme est l'année 1970. Pour les tenants du brevet international, ce compromis n'est pas inacceptable en soi, sous cette réserve qu'ils se demandent si en 1970 il y aura vraiment une politique commune si le traité reste ce qu'il est. Et ils se posent la question de savoir si ce terme ou cette condition ne devrait pas faire référence à un moment où il y aurait des moyens mis en œuvre pour définir une politique commune dans le domaine de l'investissement et de l'équipement. Je crois, sans revenir du tout sur ce qu'a dit M. le Sénateur Armengaud, que les industriels doivent peser les conséquences ou les incidences que peuvent avoir sur leurs activités la conception du brevet international ouvert aux autres Etats, non accessible sans clauses économiques tout comme l'autre conception. Il est important pour eux d'arrêter leurs positions, car à la réunion des Secrétaires d'Etat qui s'est tenue le 19 octobre, ainsi qu'à la prochaine réunion, il faudra se mettre en face des véritables réalités et dire qu'elles sont les incidences qui vont découler d'une prise de position ou d'une autre. M. le Sénateur Armengaud a eu raison de dire que ce problème sur lequel les industriels doivent se prononcer, les gouvernements auront à se prononcer également, mais ils ont à se prononcer sur quelque chose d'autre, qui est la place que ces organes : Offices européens des brevets, des marques, des dessins ou modèles, occuperont au sein du Traité de Rome. Faut-il dire que si la Commission voit triompher sa conception, dans son esprit, le commandement de l'ensemble doit appartenir à un organe qui est spécifiquement un organe du Traité de Rome. Si au contraire on imagine ¡que cette affaire relève des souverainetés, alors pourra-t-on peut-être pousser l'esprit de bon voisinage jusqu'à dire que ce sont les mêmes personnages qui siègent au Comité des Ministres qui auront

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compétence pour être l'Instance suprême, mais ce ne sera pas le Comité des Ministres en tant que formation. Dans les mois qui viennent, les décisions fondamentales seront prises par tous les gouvernements. Il convient de mettre les représentants de l'Université et ceux de l'Industrie qui sont ici, et des industries françaises et étrangères, en face des problèmes qui se posent et de les inviter à se rendre compte de l'importance du choix qu'ils auront à faire. En présence de questions qui leur seront posées avec précision, ils doivent dire oui ou dire non, parce que s'ils laissent échapper la possibilité de se prononcer, qu'ils se disent bien que la décision sera prise en dehors d'eux, et qu'elle ne sera pas forcément prise dans le sens qu'ils désirent. M. MONNET. — Je suis heureux de constater que le problème est enfin posé clairement et, pour un industriel, c'est toujours très satisfaisant. Je vais donc répondre en tant qu'industriel : je ne peux pas engager l'industrie française en général, mais je donnerai mes raisons et l'industrie française, qui n'est pas la mienne, verra si elle peut les adopter ou si elle ne peut pas les adopter. Je réponds clairement à la première question : ayant le choix entre la solution préconisée par le Sénateur Armengaud et la solution de la Commission, je suis pour la première solution et contre la solution de la Commission, et définitivement. Je m'explique. Pour la solution,du Sénateur Armengaud, je n'ai pas besoin de donner d'arguments, il les a donnés assez brillamment et j'y souscris entièrement. Pour la solution de la Commission, je dis non et je dis tout de suite pourquoi : les lois de brevets industriels ne sont pas pour faire une économie, elles sont pour les suivre et toutes les évolutions de droits de propriété industrielle dans les différents pays du monde n'ont fait que sanctionner le développement économique. Quand les pays sous-développés commencent à donner des protections de propriété industrielle, ils les donnent de façon limitée, pour laisser leur économie libre de se développer avec les moyens dont elle dispose, fût-ce par contrefaçon ou par imitation des inventions des autres pays. Quand ils deviennent développés, quand ils ont des recherches et qu'à ce moment-là ils se sentent assez fort pour protéger leurs inventions et pour que leur économie n'en soit pas complètement troublée et peutêtre détruite, alors à ce moment-là ils accordent des brevets. Ceci étant, je me place dans la perspective de la Communauté Européenne. Cette Communauté Européenne dont on parle, ce Marché Commun, la date de 1970 ne signifie rien pour elle, parce oue quel était son but ? Elle avait pour but d'établir

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un marché de 150 à 200 millions d'habitants capables de résister à la pression économique des Etats-Unis. Qu'a-t-on fait pour cela ? On n'a rien fait. On a fait pire. On a établi des règles qui s'appellent des régies de concurrence pour empêcher l'industrie européenne de s'unir, de se concentrer et de devenir capable de résister à l'industrie américaine. Ceci étant, en 1970, on se trouvera exactement dans le même état que maintenant, et par conséquent en 1970 il n'y aura pas de raison d'être plus généreux en matière de protection industrielle qu'on ne l'est actuellement. Donc, ma réponse est claire : supprimez les clauses de concurrence, laissez l'industrie européenne se concentrer et arriver aux unités, aux capacités financières des sociétés américaines; alors à ce momentlà nous serons d'accord pour faire un brevet européen avec libre circulation, etc... Mais aussi longtemps qu'on ne fait pas cela, nous sommes obligés de compter sur les brevets pour résister au défaut des règles de concurrence, en tout cas pour résister à toutes les pressions qu'elles ont exercées sur nous. Le seul moyen par lequel l'idée européenne a fait faire des progrès énormes en Europe, et grâce auquel nous sommes arrivés à résister à la pression industrielle américaine, a été la collaboration, cette collaboration entre petites sociétés européennes établies dans le cadre des législations nationales, cette collaboration qui a eu pour cause les échanges de licence qui ont entraîné les échanges de technique. Le jour où par l'application des règles de concurrence comme vous l'avez remarqué, et comme tout le monde le sait, on ne peut plus collaborer ou tout au moins on devient coupable si l'on collabore, si l'on se répartit les tâches ou le marché, le jour où vous supprimez les licences, car vous ne pouvez plus en donner avec la libre circulation des biens, vous supprimez en même temps les échanges techniques et les progrès qui les accompagnent, et par conséquent le moyen d'arriver à peu près au niveau de l'industrie américaine, but que l'on s'était pourtant fixé à l'origine. M. GOLDMAN. — J'ai été frappé par ce que vous avez dit en disant que les juristes voyaient les choses en formules algébriques. Je veux bien croire que les formules algébriques sont un peu froides et qu'il ne faille pas s'y arrêter. Je crois tout de même qu'il y a toujours intérêt, fût-ce après coup, à essayer de faire coïncider les formules algébriques avec la réalité. Je m'explique : je comprends fort bien les raisons puissantes pour lesquelles l'industrie française, ou du moins l'un de ses très éminents représentants, s'oppose à la formule de la Commission qui nous a été très clairement exposée et je pense que, peut-être, la délégation française fera triompher ce point de

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vue. Mais dans ce cas je ne vois plus très bien pourquoi on parle de brevet européen. Dans ce cas, la formule algébrique est fausse. J'ai une certaine expérience personnelle des négociations qui se déroulent à Bruxelles pour la préparation de Conventions qui, elles, sont expressément prévues par le Traité de Rome, toutes les Conventions prévues à l'article 220 en matière de Sociétés, de faillites, d'exequatur, etc... Mais que l'on fasse une convention de brevets, que l'on a beaucoup de mal à raccrocher au Traité de Rome puisque, comme vous l'avez dit, le Traité de Rome paraissait laisser en dehors le droit de la propriété industrielle, et qu'on aboutisse par un enchaînement fatal à un brevet international qui pourra demain être coextensif à l'Union de Paris, je veux bien. Il est probable que c'est très intéressant, je ne suis pas du tout compétent en la matière pour dire si c'est intéressant ou pas, mais j'avoue que du point de vue algébrique je ne comprends plus en quoi c'est un brevet européen. Que les services de la Commission, que les délégations des Six pays aient eu la bonne volonté de faire un travail considérable et énorme pour préparer et ouvrir les voies à ce brevet international, et qu'on leur décerne pour cela tous les remerciements, toute la reconnaissance et toutes les décorations que l'on voudra, c'est parfait, mais encore une fois ce n'est plus un brevet européen, c'est un brevet international que l'on veut faire, que l'on dise alors que l'on revient à la conception initiale de l'article 36, le droit de la propriété industrielle n'a plus rien à voir avec le Traité de Rome. C'est une observation probablement inutile et absolument futile parce que, encore une fois, elle relève un petit peu du goût formaliste des juristes pour la cohérence des idées et du réel. Nous avons quelquefois tort de ne nous occuper que des idées et des formules et d'oublier le réel. Vous nous apportez la très grande leçon du réel, mais alors j'aimerais bien qu'une fois le réel connu, on le baptise par son véritable nom et pas par un nom qui ne lui convient pas. M. ARMENGAUD. — Je voudrais seulement faire observer que même si l'on s'oriente vers la solution dite « internationale >, par opposition à l'expression algébrique européenne, nous en sommes tout de même à une solution européenne, car nous savons très bien que jamais les Etats-Unis n'accepteront de participer à une Convention de caractère supranational par laquelle ils délégueraient des pouvoirs à une autorité supranationale pour délivrer un titre de propriété industrielle qui serait valable aux Etats-Unis. Par conséquent, nous savons très bien que les seuls pays qui peuvent être intéressés par la Convention que nous évo-

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quons sont, d'une part les pays membres de la Communauté Economique Européenne et, d'autre part, ceux de l'Association Européenne de Libre Echange. Mais elle se limitera à cela. Et cela, c'est l'ordre. Voilà la réponse pratique que je voulais faire à votre propos. M. FINNISS. — J'ai entendu dire tout à l'heure, notamment par M. Monnet, que choisissant entre la thèse que j'avais exposée et la thèse qu'avait exposée M. Armengaud, il choisissait la thëse de M. Armengaud. Mais j'ai bien pris soin de dire que j'ai essayé aussi honnêtement que possible de faire connaître la thèse de la Commission. Ce n'est pas un mystère que de dire que la thèse de la Commission n'est pas du tout la thèse du Gouvernement français. Elle lui est complètement opposée. M. DE PASSEMAR. — Si je dois prendre parti dans le dilemme, je crois que je suis obligé de dire oui à M. Armengaud et non à la Commission. Mais je dois dire que ceci est dû à ce qu'il y a un malentendu, car on a, à mon avis à tort, lié automatiquement la clause politique à la clause économique; il n'y a pas qu'une simple option qui serait un choix entre un brevet international sans clause économique et un brevet « Marché Commun » avec les clauses économiques des articles 20 a et 29 e. Or il me semble tout de même qu'il y a encore une autre solution, au moins à partir de 1970, c'est un brevet < Marché Commun », mais sans clauses économiques car, après tout, pourquoi un brevet < Marché Commun » nous force-t-il à l'article 20 a et 29 e ? Si l'on regarde de près, compte tenu de ce que M. Monnet a dit extrêmement justement, on risque d'être placé en 1970 devant une position américaine qui établira son monopole parce que l'on nous aura obligé à une concurrence effrénée. Que nous offre-t-on avec l'article 20 a ? C'est de nous faire concurrence, c'est-à-dire que celui qui aura le monopole du brevet n'aura qu'à l'exploiter seul ou par son seul licencié. M. GENDRE. — Aujourd'hui le sujet était l'avant-projet de Convention. Or il me semble que l'on en a peu parlé et j'aimerais bien que l'on en redise un mot. M. Armengaud nous a dit qu'il n'avait pas de critique par exemple sur les clauses de la brevetabilité. Je pense qu'il y a des critiques à faire et je ne citerai que les quatre lignes de l'article 9 du projet. « Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles résultant d'une activité inventive et susceptible d'une application industrielle. »

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Ce texte conduit à mettre entre les mains d'un examinateur une définition de la brevetabilité sur des propositions dont le sens m'échappe. Je suis partisan convaincu et depuis longtemps du brevet européen et de l'examen, mais l'examen de nouveautés et non d'un examen de matières floues qui ne repose sur rien. M. DESBOIS. — A mon avis, vous avez été sévère et même très sévère sur la formule d'activité inventive. Je crois qu'elle a été soutenue par de très grands noms à l'étranger et en France, et elle a été appliquée par certaines juridictions si bien que ceux qui l'ont insérée dans le projet de convention y ont tout de même réfléchi très longuement. Je sais en particulier que M. le Doyen Roubier a attaché quelque importance à cette formule. Quoi qu'il en soit, c'est une question très importante et je suis absolument sûr qu'elle sera très longuement discutée avant que la Convention n'entre en vigueur. Maintenant, vous paraissiez tout à l'heure regretter que certaines questions aient été laissées à l'arrière-plan. Celle-là est évidemment très importante; mais nous ne pouvons pas, en l'espace de temps qui nous a été donné, faire le tour de toutes les questions. Dans un tel Colloque de juristes et d'hommes de la pratique je crois que la hiérarchie a été très bien faite entre les questions qui devaient être abordées. M. MEUNIER. — Remplaçant M. Van Reepinghen, mon projet avait été de vous donner l'avis de l'Union des Industries de la Communauté Européenne sur l'avant-projet de Convention. Le temps presse malheureusement. Un avis assez long a été émis, comme vous pouvez le voir, et encore il est écrit en termes très généraux. Je me contenterai ce soir d'aborder les deux grands problèmes que M. le Sénateur Armengaud a soulevés : l'adhésion et l'accessibilité; et je terminerai par un troisième aspect : ce sont les clauses dites économiques. En ce qui concerne l'adhésion, PU.N.I.C.E. est d'avis que cette Convention doit être ouverte à tous les pays qui veulent en faire partie à part entière, c'est-à-dire non seulement en retirer le bénéfice mais en assurer les charges également, parce qu'il faut bien se convaincre que ce projet de brevet européen va créer des problèmes financiers auprès de chaque gouvernement signataire de l'accord. Il n'y a pas de doute qu'il faudra faire vivre cet Office, et par conséquent je ne vois pas qu'un pays quelconque puisse faire partie de cette Convention, en retirer un bénéfice sans qu'il en supporte également les charges. L'UJV.I.C.E est pour l'adhésion de pays qui ne sont pas membres de la C.E.E. Nous espérons que ce nouveau brevet

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s'étendra au plus grand nombre de pays. Cela nous simplifiera la besogne, non seulement au point de vue matériel, et cela nous permettra, je pense que c'est le plus grand avantage, d'avoir un titre qui a la même valeur dans un certain nombre de pays, ce qui pour le moment n'existe pas. On a également parlé très brièvement de l'association. C'est une formule assez bizarre d'adhésion que personne jusqu'à maintenant n'a très bien comprise. L'U.N.I.C.E. n'a pas pris position sur cette formule; elle demande simplement qu'on lui explique ce que c'est. L'accessibilité est le gros problème qui fait intervenir des discussions très passionnées. L'U.N.I.C.E. s'est prononcée contre l'accessibilité. Le bénéfice de ce brevet sera donc réservé aux ressortissants des pays qui adhèrent à la Convention. Cette attitude est déterminée par des préoccupations en particulier techniques, pratiques et juridiques; l'accessibilité étant un processus irrévocable, il convient de ne l'engager qu'à bon escient, d'autant plus que les brevets nationaux coexistent avec le futur brevet européen. La restriction à l'accessibilité devient nécessaire dès que les sacrifices et les efforts à consentir par les Etats signataires pourraient bénéficier à des ressortissants d'autres états. Le nouveau système d'examen est une procédure complexe qu'il convient de roder. Ceci, dans le souci d'une efficacité complète du système, ne peut s'obtenir que par restreindre l'accessibilité aux pays signataires et n'admettre qu'un nombre limité de brevets, de façon à ce que le brevet européen devienne le meilleur possible. Quant aux clauses économiques, ces fameux articles 20 a et 29, 1'U.N.I.C.E. est d'avis que toutes les clauses économiques, et notamment célles de ces deux articles qui sont directement inspirées du Traité de Rome, ne doivent absolument pas figurer dans une Convention sur les droits de propriété industrielle. Cest un autre article, c'est un autre Traité, c'est une autre affaire, ce n'est pas un droit de brevet. M. W3LLEMS. — Nous avons entendu les explications de M. Meunier qui a répondu à l'exposé de M. le Sénateur Armengaud et qui a expliqué l'avis formulé dans le cadre de 1'U.N.I.C.E. En ce qui concerne la question de l'accessibilité, la délégation allemande de l'U.N.I.C.E. a pris une position qui est opposée à l'avis de la majorité. Cependant, la question se pose de savoir quelles sont les délibérations et les motifs qui ont déterminé la délégation allemande à prendre cette position. En faveur de la libre accessibilité la délégation allemande fait valoir ce qui suit :

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Dans l'avis prononcé sur l'Union des Industries de la Communauté Européenne au sujet de l'avant-projet, la Fédération industrielle allemande défend généralement la thèse que l'idée même d'un brevet européen postule en bonne logique l'adoption de la première variante de l'article 5. En empêchant les ressortissants des Etats tiers d'accéder au brevet européen, on risque d'inciter d'autres Etats à constituer des groupes fermés analogues. Ceci entraînerait, sur le plan de la protection internationale de la propriété industrielle, un recul par rapport à l'Union de Paris. En matière d'accessibilité aux ressortissants d'Etats tiers, et particulièrement de pays en voie de développement, l'attitude des Etats européens devrait marquer un progrès et non pas une régression par rapport à celle des promoteurs de l'Union de Paris. Cet avis, prononcé par la délégation allemande dans le rapport de 1'U.N.I.C.E. reflète à première vue des idées générales d'ordre pratique en ce qui concerne l'évolution de la protection de la propriété industrielle dans le monde. Pourtant, au fond de cette décision se trouve un problème purement juridique dont l'importance est peut-être sousestimée : Q s'agit de la compatibilité du règlement de l'accessibilité dans l'avant-projet avec l'article 2 de la Convention de Paris. Il ne me semble pas nécessaire d'évoquer devant vous en détail le contenu de cet article. Vous savez bien qu'à ce sujet il existe des interprétations divergentes quand il s'agit de la question de savoir si l'accessibilité restreinte serait une violation du principe de l'article 2. Il me semble que nous sommes tous d'accord qu'à partir du moment où les législations de brevet nationales seront remplacées par un système de brevet européen, seule la libre accessibilité sera compatible avec les obligations constituées dans l'article 2. En outre, nous sommes convaincus que même pendant la période de la coexistence entre les brevets nationaux et le brevet européen, l'accessibilité restreinte constituerait une violation non seulement de l'esprit, mais aussi de la lettre même de l'article 2. Les raisons qui nous amènent à cette conviction se trouvent, entre autres, dans le fait que le brevet européen accorde aux titulaires des droits différents et dans une certaine mesure plus élevés que l'ensemble des droits qui résultent des brevets nationaux. Permettez-moi de rappeler à cet égard que, par exemple, le brevet européen accorde la protection du produit chimique perse, et la protection du produit pharmaceutique ou la protection d'une procédure pour obtenir un tel produit, dans l'ensemble des états contractants, situation qui n'existe pas en ce moment. En outre, le brevet européen est accordé à la suite d'un examen de nouveauté, procédure qui n'existe pas dans une partie des droits natio«

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•aux et iqui augmente la valeur du titre européen. Enfin, dans l'esprit de la Convention de Paris, les ressortissants des pays tiers ont le même intérêt que les ressortissants des Etats du Marché Commun de disposer d'un titre qui ne reconnaît plus de limites territoriales. Si le but de la Convention consiste à supprimer les limites territoriales des droits de protection à l'intérieur du Marché Commun, il est contraire au sens de la Convention de ne supprimer ces limites que pour les ressortissants des Etats membres du Marché Commun et d'obliger les ressortissants de pays tiers à continuer à diviser le Marché Commun par l'obtention de brevets nationaux. M. le Sénateur Armengaud a dit : « L'accessibilité incitant des pays de haut niveau industriel et aux moyens immenses en matière de recherches à protéger toutes leurs inventions en Europe par des dépôts uniques risque de bloquer de nombreux secteurs de recherche européenne dans les industries de pointe. » Pour répondre à cet argument, j'aimerais souligner que, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Rome, il y a déjà une augmentation considérable de brevets nationaux d'origine étrangère dans nos six pays. Cette augmentation se montre surtout dans les statistiques de la République Fédérale d'Allemagne, de la France et de l'Italie. Il s'agit de l'importance croissante du Marché Commun pour le reste du monde. Il nous semble que — en face de la nécessité absolue pour les importantes sociétés étrangères d'avoir une protection efficace pour leurs inventions dans le territoire du Marché Commun — les frais d'obtention de cette protection ne jouent aucun rôle déterminant. Bien sûr, la création d'un brevet européen mènera à une augmentation des demandes de brevet d'origine étrangère mais, compte tenu de la situation existante, cette augmentation sera faible. A cet égard, il est intéressant de se rappeler que les experts scandinaves estiment une augmentation de 10 % environ du nombre des brevets étrangers au cas où il serait institué un brevet valable dans les quatre états scandinaves. Au sujet de l'introduction de l'accessibilité restreinte, il se pose enfin des problèmes d'ordre pratique pour ceux, parmi les états contractants, qui délivrent des brevets nationaux à la suite d'un examen. Compte tenu du nombre toujours croissant de demandes de brevet d'origine étrangère, en cas d'accessibilité restreinte les dépôts à l'Office allemand seraient moins nombreux qu'en cas d'accessibilité libre. Cette situation serait encore aggravée par l'adoption du dépôt national préalable, prévu par le deuxième alinéa de l'article 5, deuxième variante qui ne permettrait qu'une diminution inférieure à 10 % des demandes de brevet. La nécessité

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de maintenir le bureau dans l'ampleur exigée par l'accessibilité restreinte a pour effet de rendre très douteuse, du point de vue de l'administration, l'utilité du droit européen des brevets. C'est pourquoi la délégation allemande a déclaré douter sérieusement qu'en cas d'accessibilité restreinte, la Convention présente encore un intérêt pour la République Fédérale d'Allemagne. Il est donc évident que l'importance du bureau de brevet européen comme institution sera faible si l'accessibilité restreinte entre en vigueur. En conclusion je dirai que ce problème de l'accessibilité a été discuté dans le cadre de l'U.N.I.CJî pendant des années sans arriver à une harmonisation des points de vue. M. CHAVANNE. — J e n'ai pas la prétention d'apporter une solution à un problème qui est discuté depuis si longtemps et avec tant d'arguments et dont M. Willems vient de nous livrer les données essentielles. Tout de même, je crois que quelques observations doivent être faites. Tout d'abord, ce problème de l'accessibilité ne soulève pas un problème d'ordre juridique. Lorsque l'on veut opposer l'article 2 de la Convention Internationale d'Union, c'est absolument insoutenable pour la raison suivante : l'article 2 nous dit ique tout unioniste a droit au traitement national. Il entend par traitement national, le traitement de la loi nationale interne et non pas le traitement résultant des accords internationaux et des traités, car le traitement résultant des accords internationaux et des traités, c'est l'article 15 de la Convention de 83 qui l'a prévue. Par conséquent l'article 2 me semble ne pas pouvoir être un obstacle, et j'appelle à l'appui de ma thèse le dernier congrès de l'A.I.P.P.1. qui s'est tenu à Berlin et qui s'est prononcé pourtant en faveur de l'accessibilité, mais qui a bien pris soin dans le deuxième de de ses motifs de préciser : 1" Tout d'abord qu'il n'appartient pas à l'A.I.P.P.1. de se prononcer sur des problèmes économiques qui ne concernent que les seuls Etats intéressés. Nous allons y venir dans un instant; 2" La conférence n'entend pas décider que l'accessibilité est imposée par la règle de l'article 2 de la Convention d'Union. Une telle décision risquerait en effet de vider de toute sa substance l'article 15 qui permet la conclusion d'arrangements particuliers. Et nous avons là la raison qui milite en faveur de l'accessibilité et qui est, je crois, très sensible, notamment à la délégation allemande : la conférence s'est uniquement prononcée en raison de la mission de rA.LP.P.I. qui est de soutenir ton-

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jours la solution la plus libérale permettant la protection la plus étendue. En bref, on arrive à la conclusion suivante : ce n'est pas un problème juridique, ce n'est pas un article de la Convention internationale d'Union que l'on peut opposer pour dire que l'accessibilité est nécessaire. Si ce n'est pas cela, qu'est-ce donc ? Ce sont des problèmes d'opportunité économique et politique ou d'utilité pratique, de commodité au besoin. Dans ces problèmes de commodité, M. Willems nous en a présenté la crainte que d'autres petits clubs fermés se forment ailleurs. Il y en a : par exemple l'Union Pan-Américaine. Mais lorsque vous aurez un brevet pan-américain, un brevet de l'Europe des Sept et un brevet de l'Europe des Six, cela vous fera trois brevets, ce qui est tout de même un progrès au lieu d'en avoir autant que d'Etats adhérents à ces conventions limitées. Donc c'est déjà un pas en avant. A supposer qu'il y ait des groupes qui se ferment, ils s'ouvriront peut-être plus tard, mais déjà être six à avoir un brevet au lieu de six brevets, c'est tout de même un progrès. Donc c'est uniquement un problème d'opportunité, et sur ce plan on fait remarquer assez souvent qu'il est tout de même très difficile pour un citoyen européen, en raison de règles nombreuses (dont celle d'interférence dans les modes d'obtention des brevets aux Etats-Unis), d'obtenir des brevets américains. Alors l'Amérique, qui a été un pays traditionnellement protectionniste, s'est découvert brusquement, par une révélation qui vient certainement de très haut, une vocation pour introduire un libéralisme total, chez les autres naturellement, et de préférence en Europe, et en faisant cela elle a réalisé la prophétie d'un de ses anciens Présidents, le général Grant, qui avait dit à peu près : « Nous serons protectionnistes tant que cela sera notre intérêt. » Il nous le faut bien voir. Et je crois que de ce c6tè-là, si nous sommes sur le chemin de l'opportunité, le seul terrain valable est de se défendre. M. ALBRECHTSKIRGHINGER. — Je voulais simplement dire que je ne partage pas l'opinion de M. le Professeur Chavanne en ce qui concerne son appréciation juridique de la portée de la Convention; mais je pense qu'il est probablement inutile d'essayer de trancher ce problème dans le cadre d'une discussion strictement juridique, parce que, dans une discussion de juristes, on trouve toujours deux opinions et toutes les deux sont généralement bien fondées. Malgré cela je crois qu'il y a aussi un côté pragmatique qui est important. Je crois que si nous commençons ce système de brevet européen avec une accessibilité restreinte et limitée, nous donnons un mauvais

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exemple pour le reste du monde et pour l'évolution de la propriété industrielle. Une hypothèse est permise : c'est que dans une autre partie de notre monde quelques pays pourraient décider de créer, par exemple pour les produits alimentaires, un brevet commun, soit par des dépôts communs, soit vraiment par des brevets à titre uniforme, et ils décideraient en même temps de limiter l'accès de ces brevets aux ressortissants de ces pays. Ils pourraient très bien soutenir leur attitude par l'exemple qui a été donné avec l'accessibilité limitée dans le brevet européen. J e crois donc que cette méthode est susceptible de provoquer l'évolution de la propriété industrielle dans le monde et d'exclure graduellement les principes de la Convention de Paris qui sont très importants, et ce serait vraiment une évolution dangereuse et que je ne voudrais pas voir se réaliser. M. GHERADAME. — Je ne veux pas prendre position ni d'un côté ni de l'autre; je veux dire une espèce de déception parce que nous avons tourné autour du mot européen avec iuanifestement deux sens complètement différents. L'un qui est l'Europe des Six, et l'autre qui est d'une certaine Europe que je vais appeler des brevets. Quand ce matin, par exemple, j'exprimais le souhait qu'un beau jour il n'y ait plus que le brevet européen sans superposition des brevets nationaux, c'était là un moyen de considérer ce Marché Commun comme quelque chose de plus vaste que l'Etat. Je suis en train de me rendre compte que l'on va tout à fait à l'opposé. Je pense qu'au nom de tous les principes juridiques de toutes les Conventions de Paris et autres, le jour où il n'y aurait plus que le brevet du Marché Commun, le brevet européen, nous serions bien forcés de faire l'accessibilité par réciprocité avec les autres. Alors je vois que l'on < s'emballe > dans quelque chose qui n'est pas cette espèce d'évolution vers notre Europe dont l'aspect économique me paraissait extrêmement intéressant. M. CHAVANNE. — La non-accessibilité n'est pas du tout un mauvais coup contre l'unité, mais c'est une étape nécessaire et si l'on veut que ce brevet européen présente un intérêt véritable et une valeur, il faut qu'il ne soit pas assorti de l'accessibilité. Ce sera tout de même déjà un progrès puisque ce sera un brevet qui s'appliquera au moins à six pays avec, en outre, l'ouverture à ceux qui voudront. Par conséquent c'est un progrès sur l'état de législation actuelle dont on espère qu'il mènera vers l'unité plus grande. Mais admettre l'accessibilité actuellement, cela serait lui faire perdre toute son utilité et p a r conséquent cela ne serait certainement pas

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un progrès du côté de l'unification de la législation que tout le monde souhaite en la matière. M. MESSEROTTI-BENVENUTTI. — Je dois dire que l'industrie italienne est favorable sur le fond à ce qu'a dit M. Armengaud. Je dis cela dans un certain sens à contrecœur car, en tant qu'Européen, j'aimerais beaucoup qu'un brevet supranational puisse se substituer dans quelques années aux brevets nationaux. Gela serait un entraînement à l'unité de l'Europe. Mais en tant >que praticien des brevets, il faut reconnaître que les lois sur la propriété industrielle suivent plutôt qu'elles ne précèdent l'économie. D'ailleurs, comme praticien des brevets européens, je désire qu'une loi internationale puisse comprendre le plus grand nombre possible de pays. Un brevet qui couvre six pays n'est pas un grand brevet, mais un brevet qui pourrait englober demain les Etats scandinaves, la Suisse et pratiquement toute l'Europe serait d'une grande utilité pour l'industrie. Cela ne veut pas dire que cette position soit une position hostile à certains et notamment aux Américains. Dans plusieurs associations j'ai entendu la délégation allemande rappeler à juste titre l'aide économique américaine aux pays européens, une aide d'autant plus généreuse qu'elle s'adressait à certains pays anciennement ennemis. Mais il faut poser les problèmes juridiques avec sérénité. Les Etats-Unis ont certaines mesures protectrices dans le domaine économique qui ne jouent qu'en faveur des inventions des Américains. La véritable question est de créer un brevet de dimensions humaines, c'est-à-dire réalisable, non pas un brevet idéal qui ne soit pas réalisable. En dernier lieu je pense que ces points de vue si différents peuvent être conciliés et les représentants de la Convention de Bruxelles doivent se réunir avec ceux de PU.N.I.C.E. sur l'avant-projet et tiendront vraisemblablement compte de leurs observations. C'est très important; la Commission de Bruxelles va corriger le projet en tenant compte des observations faites qui sont, à peu de choses près, celles qui ont été formulées aujourd'hui. M. FINNTSS. — A titre personnel, j'indiquerai que sur cette question de l'accessibilité je partage, sur le plan juridique, l'opinion qui a été développée par M. le Professeur Chavanne. Mais je pense qu'il est également nécessaire de bien faire comprendre quelle est la position exacte de ce problème. C'est en réalité un problème politique, et tous les arguments d'ordre juridique et d'ordre pratique qui sont mis en avant ne sont là que pour masquer cette préoccupation politique. Je ne veux pas perdre de vue le fait que le Département d'Etat a, par la

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voie diplomatique, fait connaître aux gouvernements des Six pays qu'il considérait comme une infraction à la Convention d'Union et comme une mesure extrêmement désagréable toute tentative de refuser la thèse de l'accessibilité. C'est à mon sens pour cette raison qu'un certain nombre de délégations ont pris la position que vous savez sur la question de l'accessibilité. Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de me livrer à une réflexion personnelle sur les étranges contradictions qui sévissent dans toutes ces négociations internationales. Dans le cadre d'un accord strictement Marché Commun, on se considère encore comme dans l'obligation d'accorder une accessibilité totale en vertu de la Convention d'Union. Comment, alors, faire des négociations en matière du traité de commerce qui sont la violation constante du principe de la clause de la nation la plus favorisée. Par ailleurs les arguments d'ordre pratique consistent dans le fait qu'on aurait d'un côté un Office qui tournerait avec 12000 demandes et d'un autre côté un Office qui tournerait avec 30 000 demandes, et ce serait tellement mieux dans le second cas pour le Iteutsch Patentamtes. Pour conclure, je dirai que sur la question de l'accessibilité, tous les arguments juridiques ne m'impressionnent pas. Sur le fond je partage le point de vue de M. le Professeur Chavanne. C'est sur le plan politique, croyez-le bien, que ce problème à l'aspect juridico-technique sera tranché.

Dessins et Modèles et Marché Commun Rapporteur : M.

DESBOIS,

Professeur à la Faculté de Droit et dés Sciences économiques de Paris, Doyen honoraire de la Faculté de Grenoble.

S'il est opportun d'élaborer, dans le cadre de la C.E.E., une législation uniforme en matière de brevets d'invention et de marques de commerce ou de fabrique, et d'adopter des principes communs qui régissent le jeu de la concurrence, il n'est pas moins nécessaire de se mettre en quête de l'unité à l'égard des modes de protection des arts appliqués à l'industrie, plus généralement des dessins et modèles. Les différences, qui existent d'une législation à l'autre, jettent l'inquiétude dans l'esprit des créateurs et des industriels : la durée du monopole n'est pas la même en Allemagne, en France, en Italie; les formalités sont dissemblables et même l'accord est loin d'être réalisé sur les notions de base, en particulier quant à la définition du dessin, du modèle, des œuvres d'art appliqué à l'industrie et aux rapports qui existent entre ces diverses catégories. Ces divergences ne suffiront pas à rebuter les efforts, en un temps où le développement des arts industriels requiert de toute urgence, dans les relations entre les pays qui ont convenu de mettre en commun leurs ressources et de coordonner leurs activités, l'aménagement d'un statut uniforme, qui apporte la sécurité aux moindres frais : les difficultés, auxquelles nous venons de faire allusion, ne sont pas plus

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redoutables dans le domaine des dessins et modèles que dans celui des brevets et des marques; celles qu'y soulève le problème de l'unification ne sont pas invincibles, quelle que soit la force d'inertie qu'opposent les traditions, voire les préjugés et les routines. Toutefois, le respect de la vérité oblige à mettre aussitôt en relief un aspect particulier de la tâche, qui incombe aux rédacteurs d'une loi uniforme en matière de dessins et modèles; ils rencontreront des difficultés qui sont épargnées aux spécialistes des brevets ou des marques. Sans déformer les données de fait et de droit, on peut, en effet, affirmer que les brevets et les marques de fabrique ou de commerce constituent des institutions définies, aux bords francs, qu'il est possible d'édifier, sinon en vase clos, tout au moins isolément, sans avoir à redouter des chevauchements, des contradictions avec d'autres réglementations. La même proposition contiendrait un contresens, si elle était purement et simplement transportée dans le secteur des dessins et modèles, car il n'est pas possible d'isoler le régime des arts industriels de celui de la propriété artistique, avec lequel il présente par nécessité des points de contact, puisqu'il s'agit de créations afférentes à la forme des objets. Des relations de voisinage s'imposent donc à l'attention : il faut les organiser de manière à éviter les querelles de bornage, les conflits de frontière. Et ce n'est pas mince affaire, car à l'heure présente, les discussions sont loin d'être taries; les pays de la C.E.E. ont occupé dès longtemps et ont une tendance à défendre avec opiniâtreté des positions opposées. Les uns, et à leur tête la France, proclamant le principe dit de < l'unité de l'art >, se prononcent en faveur du cumul de la protection spécifique des dessins et modèles et de celle qui est attachée à la propriété littéraire et artistique : le même objet relève à la fois de la loi du 14 juillet 1909 et de celle du 11 mars 1957. D'autres, au contraire, tiennent pour l'incompatibilité des deux statuts et multiplient les efforts d'ingéniosité afin de tracer une frontière constante entre l'un et l'autre à l'aide d'un critère qui permette d'affirmer que tel objet relève de celui-ci, non de celui-là. Quelques-uns, enfin, soucieux de solutions intermédiaires et de la conciliation, admettent l'existence d'une zone commune, au risque de compliquer

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le problème de qualification, car le maniement d'une classification, qui comporte trois compartiments, soulève plus de controverses que la répartition en deux catégories. Il serait puéril et redoutable de fermer les yeux sur ces divergences dont, jusqu'à l'heure présente, les plus louables efforts n'ont pu triompher, que ce soit dans les conférences de révision de la Convention de Paris relative à la propriété littéraire et artistique. Ce problème a une telle importance que, personnellement, je serais enclin à l'élever à la place d'honneur, c'est-à-dire à en traiter en premier lieu dans cet exposé; cependant, je n'ai pas succombé à cette tentation. Si j'ai résisté, c'est surtout parce que, dans une communauté économique, l'accent est mis, pour les travaux d'harmonisation ou d'unification des législations nationales, sur les problèmes d'ordre industriel et commercial : les dessins et modèles, les arts appliqués à l'industrie sont pris en considération, en tant qu'ils concernent des objets de fabrique. C'est pourquoi je vous propose d'examiner, dans la première partie de cet exposé, les perspectives d'unification de la protection spécifique des dessins et modèles, réservant à la seconde partie les rapports entre ce statut particulier et les droits d'auteur. Mais nous aurions une vision inexacte des réalités si, dès l'abord, nous ne soulignions qu'aucun ordre d'urgence ne doit être instauré entre ces deux problèmes. Le premier ne pourra recevoir une solution satisfaisante si les oppositions, que suscite à l'heure actuelle le second, ne sont conjurées.

I. Les perspectives d'unification de la protection spécifique des dessins et modèles.

A ) Un précédent existe, qui mérite l'attention car il intéresse les pays de la C.E.E. Il s'agit d'un arrangement qui a pour objet un dépôt unique, international des dessins et modèles, aménagé à l'origine à Berne et, depuis peu, à Genève. Signé à La Haye le 6 novembre 1925, il a été révisé à Londres le 2 juin 1934 et, de nouveau, à La Haye le 26 novembre 1960. A l'heure actuelle, l'Allemagne, la Belgique, la France ont ratifié la version de 1934; ces trois pays ont signé le texte révisé en Hollande voilà trois ans,

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ainsi que les Pays-Bas, l'Italie, le Luxembourg. Mais le nouvel arrangement n'entrera en vigueur qu'après avoir été ratifié par dix Etats signataires, parmi lesquels devront figurer quatre pays qui n'ont pas adhéré aux versions antérieures. Il suffit d'en évoquer les traits caractéristiques pour apprécier le progrès qui a été accompli sur la voie de l'harmonisation et mesurer la distance qu'il y a encore à parcourir pour parvenir à l'unification. L'Union restreinte, à laquelle nous venons de faire allusion, a pour objet principal la simplification des formalités dans les relations internationales ; la diversité des législations nationales n'est pas pour autant abolie, le dépôt international ayant dans chacun des pays signataires les mêmes effets que si, respectivement dans chacun d'eux, les objets avaient été déposés : en particulier ceux qui, comme les Etats-Unis, pratiquent l'examen préalable de nouveauté, ont la faculté d'y demeurer fidèles. Cependant un premier pas a été fait vers l'uniformité des effets : les pays signataires s'engagent à assurer aux dessins et modèles, qui ont fait l'objet du dépôt international, sur leurs territoires respectifs une protection de cinq ans, qui est portée à dix au cas de renouvellement des formalités au Bureau de Berne; et même un protocole annexe est ouvert à la signature facultative des Etats qui adhèrent à l'arrangement principal : il comporte un second renouvellement, qui portera la durée totale de l'exclusivité à quinze ans. De plus, les Etats signataires se sont mis d'accord pour permettre que le dépôt soit tenu secret pendant un délai maximum de douze mois. Mais de nombreuses occasions de diversité subsistent, même sur le plan des formalités. Chacun des Etats contractants conserve la faculté de subordonner le dépôt international à un dépôt national fait dans le cadre de sa souveraineté pour les dessins et modèles qui en sont originaires, et même de décider que, pour ceux-ci, le dépôt international n'aura aucun effet sur son territoire (art. 4-7). Enfin, comme en 1925 et en 1934, les plénipotentiaires, à La Haye en 1960, se sont abstenus de donner une définition des créations qui seraient admises au dépôt international, craignant de ne pouvoir réduire à l'unité la diversité des conceptions nationales; par là même, ils laissaient pendant le problème que

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posent les rapports entre la protection spécifique et celle qui dérive des droits d'auteur : ils se sont contentés de déclarer (art. 18) que les mesures qu'ils aménageaient « n'affectent en aucune manière la protection accordée aux œuvres artistiques et aux œuvres d'arts appliqués par les traités et conventions internationales sur le droit d'auteur ». C'est dire que, non seulement l'unification, mais même la simple harmonisation des législations nationales est loin d'être réalisée par l'Arrangement de La Haye, proposé depuis 1960 à l'adhésion des Etats membres de l'Union de Paris, au nombre desquels comptent tous les pays signataires du Traité de Rome (cf. pour un commentaire synthétique de l'Arrangement de 1960, J.-L. Duchemin, Revue internationale du Droit d'auteur, n. XXX, janvier 1961, p. 111-139). B) Dans les relations qui unissent les Etats de la C.E.E., le propos est donc plus ambitieux qu'à l'intérieur de l'Arrangement restreint de La Haye : il s'agit, non plus seulement d'organiser un dépôt unique, dont les effets continueront, hormis la durée et la réglementation de la faculté de secret, de produire, dans chaque Etat, les effets attachés au dépôt national, mais de mettre sur le chantier une législation unique, qui soumettra aux mêmes règles de forme et de fond la protection des dessins et modèles. Quels peuvent ou doivent être les linéaments de ce statut commun ? Un dicton populaire veut que la prudence soit mère de la sûreté : un programme trop audacieux risquerait de se dissoudre comme un mirage. C'est pourquoi, avant d'aborder la réglementation du dépôt commun, qui constituera la base de l'édifice, d'en définir les conditions, les modalités, les effets, il importe de prendre parti sur une question préalable, sur les rapports entre la loi commune et les législations nationales. 1" Les rapports entre la loi commune nales.

et les lois natio-

Il n'est pas pusillanime d'estimer que, tout au moins pour une durée indéterminée, qui risque d'être fort longue, la loi commune devra coexister avec les législations nationales. Le statut juridique des dessins et modèles intéresse,

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en effet, les activités les plus diverses, l'artisanat aussi bien que la grande industrie; de nombreux créateurs n'éprouveront pas le besoin de recourir au dépôt commun, quelles qu'en soient les commodités et aussi peu onéreux qu'il puisse être. Pour donner satisfaction à des intérêts aussi variés, il convient donc de laisser aux intéressés la faculté de s'en tenir aux dépôts nationaux et, par conséquent, d'admettre la coexistence du dispositif commun et de ceux qui sont propres à chaque souveraineté. Par voie de corollaire, on admettra sans difficulté la compatibilité de l'Arrangement de La Haye, pris dans le cadre de la Convention de Paris, avec la législation commune aux pays de la C.E.E. : les deux dispositifs n'auront pas la même portée; selon leur intérêt, les usagers recourront à l'un ou à l'autre des dispositifs; ils seront d'autant plus enclins à adapter la décision à leurs convenances que l'Accord de 1960 permet de restreindre la portée du dépôt international à tel ou tel pays et d'obtenir une réduction corrélative des frais de publicité. Dans l'état actuel de la Convention de Paris, il est même prudent de prévoir que, pour accéder au dépôt commun, les intéressés devront procéder au préalable au dépôt national dans l'un des pays signataires. Car on ne saurait affirmer à l'heure présente que le droit de priorité, qu'aménage la Convention de Paris, puisse être attaché au dépôt commun qui, comme la réglementation à laquelle il sera soumis, aura un caractère supranational. L'admission de la procédure, selon laquelle les créateurs ou leurs ayants droit s'achemineront vers le dépôt commun à travers une étape intermédiaire, le dépôt national au pays d'origine du dessin ou du modèle, aura pour conséquence d'appeler l'attention sur la question suivante : admettrat-on, non seulement le choix entre les titres nationaux et le titre commun, mais aussi le cumul ? L'hésitation est permise, car celui-ci serait de nature à susciter de graves complications, surtout sur le plan des compétences juridictionnelles. De plus, si l'on conçoit volontiers que les usagers soient enclins à se contenter d'un ou de plusieurs dépôts nationaux, dans les cas où leurs exportations n'irrigueront pas l'aire tout entière de la future convention ou, qu'au contraire, ils estiment préférable de recourir au dépôt

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commun, il n'est pas aussi aisé de se représenter qu'ils aient un aussi grand intérêt à réunir un ou plusieurs titres nationaux et le titre commun. Cependant, on peut imaginer que telle ou telle législation assurera une protection des dessins et modèles plus énergique que la loi commune : en cumulant le titre commun et un ou plusieurs titres d'essence nationale, les intéressés s'assureront la meilleure position. Mais dans cette conception il faudra, afin d'éviter des contradictions insolubles, « neutraliser > les effets du dépôt sur le territoire de l'Etat où l'intéressé aura effectué un dépôt national afin de se ménager le bénéfice d'une législation plus favorable que le dispositif commun. 2° Le dépôt

commun.

Quelles questions doivent tenir la vedette ? A notre avis, l'attention doit porter tour à tour sur les points suivants : objets protégés, durée des effets du dépôt, caractère public ou secret, contestabilité du dépôt. a) Objets protégés. — C'est avec appréhension que nous énonçons la définition des objets qui seraient pris en charge par ce statut, car l'expérience des tentatives passées enseigne qu'une telle entreprise a une parenté avec la quadrature du cercle. Ni la Convention de Paris, ni celle de Berne ne donne de directives : le départ n'a pas même été fait entre les œuvres des arts appliqués et les dessins ou modèles; l'art. 1, § 2, de la Convention de Paris ne nomme que les dessins et modèles; l'ai. 1" de l'art. 2 de la Convention de Berne ne mentionne que les œuvres des arts appliqués, tandis que l'ai. 5 place sur la même ligne les uns et les autres. Aussi bien il ne semble pas absolument nécessaire de procéder à une délimitation précise. Car on conçoit volontiers que le créateur d'une œuvre d'art pur, tel le peintre d'une toile destinée à la galerie d'un musée ou à la résidence d'un collectionneur, ou son ayant droit, ait intérêt à requérir la protection spécifique, le jour où il envisage qu'une reproduction puisse servir à la décoration d'un papier de tenture : dans cette mesure et à cette fin, il paraît convenable de le traiter comme s'il avait conçu et

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réalisé un dessin ou un modèle, dès l'origine réservé à la décoration d'objets d'utilité. Dans cette perspective, il ne peut y avoir que des intérêts à étendre largement le domaine d'application du régime spécifique, en y incluant les graphismes, les formes des produits ou leurs effets extérieurs. Il ne faudra en exclure que les créations de forme, qui ont un caractère fonctionnel et, comme telles, ne peuvent être, conformément au principe énoncé par l'art. 2, § 2, de la loi française du 14 juillet 1909, placées que sous l'égide de la législation des brevets d'invention. Mais la difficulté rebondit au moment de préciser les caractères que ces objets nombreux et divers devront présenter pour accéder à la protection spéciale. Quelle part faire aux concepts de nouveauté et d'originalité, l'un d'essence objective, l'autre de nature subjective ? Les législations actuelles divergent. La loi française du 14 juillet 1909 exige la nouveauté, sans faire mention de l'originalité, si bien que les dessins et modèles qui se heurtent à une antériorité y échappent, quoique le créateur les ait tirés de son propre fond, ignorant les antécédents. D'autres lois mettent comme condition le cumul de la nouveauté et de l'originalité. Ne dépassent-elles pas la juste mesure ? Car il peut être souhaitable de protéger des objets du seul fait de leur nouveauté, malgré qu'ils soient dépourvus d'empreinte personnelle, telles ces poteries dont le coloris dépend de la fantaisie des flammes, allumées mais non dirigées par la main de l'homme. En sens inverse, ne serait-il pas regrettable de subordonner la protection à la constatation de la nouveauté, entendue dans toute la rigueur de l'acception objective ? Sans doute, une copie, qui a été par hypothèse régulièrement autorisée, et faite à la main avec tant de talent qu'une confusion est à peu près inévitable avec l'original, ne peut être prise en considération; mais, en revanche, il serait, pensons-nous, trop sévère de bannir l'image fidèle d'une donnée du monde extérieur, d'un site naturel, sous le prétexte que l'artiste n'a pas tiré le sujet de son imagination : à défaut de la composition, il peut se réclamer du caractère personnel de l'exécution et, à ce point de vue, il mérite d'autant plus d'égards qu'il a plus exactement fixé la vision offerte à ses regards. Dans

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cette conception, la nouveauté qui serait exigée ne s'entendrait que de l'absence d'une œuvre préexistante dont le sujet serait identiquement le même. b) Durée des effets du dépôt. — La détermination de celle-ci présente une importance capitale, en raison de la variété des systèmes contemporains. Les besoins diffèrent selon les activités et les industries : il serait inopportun de s'arrêter aux extrêmes, d'adopter la mesure de celles qui réclament le plus long délai ou, en sens inverse, de s'en tenir à celles qui se satisfont du plus court. Un moyen terme pourrait rallier les suffrages, en particulier celui que fournirait un délai de quinze ans. Mais, pour tirer un juste compte de la diversité des besoins, la loi uniforme pourrait admettre à titre facultatif une prolongation, et même une gamme de prolongations qui seraient adaptées aux particularités de secteurs nettement spécifiés dans une nomenclature annexée à la convention. c) Caractère public ou secret du dépôt. — Il semble impossible de dénier aux intéressés la possibilité d'exiger le secret, tout au moins pendant un certain délai : il y va de l'avenir de nombreux métiers et industries d'art. Pour tenir compte de la variété des situations, deux formules sont concevables. L'une se caractérise par la fixation d'un délai de secret, qui serait relativement long, de manière à répondre aux besoins des industries et métiers d'art, qui ont intérêt à ne divulguer que le plus tard possible l'objet de leurs dépôts; l'autre comporte, au contraire, un délai relativement court, qui constituerait le « plerumque fit », et une gamme de délais plus longs, dont la durée varierait en fonction de la nature des industries selon une classification annexée à la convention. Le premier de ces deux systèmes a l'avantage de laisser aux intéressés le choix de fixer eux-mêmes, dans chaque cas, la durée du secret qui correspondrait le mieux à leurs désirs, en deçà du maximum fixé par la convention. Mais il va à l'encontre de l'opinion dominante, qui n'est pas favorable à une période de secret de longue durée. Le second semble de nature à rallier plus de suffrages : seules les activités, pour lesquelles l'intérêt d'un secret prolongé est de notoriété publique, seraient admises à béné-

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ficier d'un délai exceptionnel, dont la durée serait appropriée à leurs besoins respectifs par une annexe de la convention. d) De la contestabilité du dépôt. — Toute tentative d'instituer un examen préalable qui aurait pour but de décider si le dessin ou le modèle proposé au dépôt est empreint de nouveauté ou d'originalité serait, pensons-nous, chimérique. Les recherches d'antériorité sont possibles dans le domaine des marques ou des brevets; elles se heurteraient à des difficultés invincibles en matière de dessins ou de modèles. Il y a lieu seulement de prendre des mesures qui soient de nature à rendre le moins contestable possible, compte tenu des intérêts en présence, le titre qui sera attaché au dépôt commun. I o N'y aurait-il pas lieu d'aménager une procédure dont le but serait de susciter, aussitôt après la publication du dépôt, toutes les objections susceptibles d'être élevées, celles qui procéderaient d'antériorités comme celles qui seraient fondées sur le fait que le dessin ou le modèle déposé appartient d'ores et déjà au domaine public ? Un délai de trois mois (ou six mois) serait donné aux intéressés pour les faire connaître à l'Office des dessins et modèles : si le déposant les estimait décisives, il pourrait prendre l'initiative de radier son dépôt, plutôt que de s'exposer à un procès inopportun. En l'absence de notification, effectuée dans le délai impérativement fixé, les intéressés ne pourraient plus faire état de leurs objections. Au contraire, au cas de notifications régulièrement faites, ils auraient la ressource d'agir en justice, soit en nullité du dépôt, soit en contrefaçon, pour faire reconnaître le bien-fondé de leurs critiques dans un nouveau délai que fixerait la convention : s'ils n'agissaient pas dans le cours de ce délai, ils ne bénéficieraient plus que d'une exception personnelle. Une telle procédure aurait l'avantage de conférer rapidement au dépôt commun une sécurité qui le rendrait attrayant. 2° Cette sécurité serait acquise, pensons-nous, au prix de la violation de droits acquis : il serait injuste d'exposer à une forclusion les titulaires de dépôts nationaux, qui

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auraient été opérés avant le dépôt commun, et même les titulaires de droits fondés sur le seul usage en vertu d'une loi nationale, et de n'y soustraire que les bénéficiaires d'antériorités relatives aux dessins et modèles communs. Il faut que les causes de nullité, qui tiennent aux antériorités nationales, aussi bien que communes, puissent être invoquées à tout moment. Telles sont les questions dont la solution est vitale pour l'avenir d'une législation commune en matière de dessins et modèles. Il importe d'en apprécier avec d'autant plus de vigilance la teneur que les solutions, qui y seront apportées, auront une incidence, directe ou indirecte, sur le régime de la propriété artistique : le statut des dessins et modèles ne peut pas être élaboré « en vase clos », comme s'il ne mettait en jeu que des institutions de la propriété industrielle.

II. Les perspectives d'avenir dans les rapports entre une protection spécifique des dessins et modèles et le régime des droits d'auteur.

Il ne s'agit pas de construire de toutes pièces la solution d'un problème qui n'ait dès longtemps agité les esprits. Aussi une méthode, dont l'expérience a reconnu la bienfaisance, consiste à prendre comme base de départ l'inventaire des solutions présentées, afin d'extraire de la diversité des systèmes, qui à l'heure actuelle se côtoient ou s'affrontent, les éléments qui paraîtront le mieux appropriés à l'idéal de la loi projetée. A ) L'INVENTAIRE DES SOLUTIONS « DE LEGE LATA >.

Un contraste éclate entre les législations qui, selon des modalités différentes, admettent le cumul des deux titres et celles qui, au contraire, s'y refusent. 1° Les législations qui admettent le cumul. — La législation française doit être aussitôt présentée, puisqu'elle consacre le principe dit de « l'unité de l'art » . C'est dans

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cet esprit qu'a été aménagée la loi du 14 juillet 1909 c sur les dessins et modèles » : aux termes de l'art. 1", le régime spécifique, qui a été établi en leur faveur, ne doit porter aucun préjudice aux « droits qu'ils tiennent d'autres dispositions légales et notamment de la loi du 19-24 juillet 1793, modifiée par celle du 11 mars 1902 ». Le rapporteur mettait en relief le principe du cumul en présentant à la Chambre des Députés le projet comme celui d'un « régime complémentaire, facultatif, spécial, qui se superpose à celui du droit commun, des lois de 1793-1902 ». La loi du 11 mars 1957, loin de prendre une orientation différente, a consacré la tradition française, car l'art. 3 place sur le même rang les œuvres des arts appliqués et les créations de l'art pur, et l'art. 2 interdit aux juges de procéder à des discriminations fondées sur « le mérite ou la destination ». De là, pour les intéressés, le bénéfice d'une option, et même du cumul proprement dit : ils peuvent invoquer le statut de la propriété artistique lorsqu'ils ont omis de procéder au dépôt ou lorsque les effets de celui-ci sont révolus — cinquante ans à partir du moment où il a été opéré, et non de la mort du créateur — et il leur est loisible de combiner les avantages du régime spécial avec celui du droit commun, en particulier de se prévaloir du dépôt selon la loi du 14 juillet 1909 et de l'usufruit spécial du conjoint survivant, qui concerne la propriété artistique, non le monopole afférent aux dessins et modèles déposés. Pour bénéficier des deux régimes, il faut et il suffit que l'objet déposé présente un caractère original, et les tribunaux entendent l'originalité dans l'esprit le plus libéral. Le 2 mai 1961, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, statuant dans un litige soulevé par le modèle d'un panier à salade dont le dépôt, opéré selon la loi de 1909, était périmé, a jugé que les droits d'auteur pouvaient être mis en jeu : « La loi... protège, en effet, toutes les créations originales de forme, quels qu'en soient le mérite artistique ou la valeur esthétique » (Séminaire juridique, éd. générale, 1961. II. 12242, observ. de M. le Subst. du Proc. gén. P. Aymond; Dalloz périod., 1962, J., p. 163 et s.; note de M* Pierre Graffe). Toutefois, une touche importante doit être ajoutée à ce tableau, afin de ne pas défigurer la réalité. S'il est vrai que

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tous les dessins et modèles peuvent être placés sous l'égide de la loi relative à la propriété artistique lorsqu'ils sont originaux, il serait téméraire d'affirmer que, par voie de réciprocité, toute création qui bénéficie des droits d'auteur peut être placée, moyennant la formalité du dépôt, sous l'égide de la loi du 14 juillet 1909. Car l'insistance avec laquelle les rédacteurs de la loi sur les dessins et modèles ont exigé la nouveauté, frappe et retient l'attention. Il ne suffit pas que le modèle ou le dessin déposé porte une empreinte personnelle — ce qui est le propre de toute figuration, réalisée par la main de l'homme, et non pas par une machine — encore faut-il qu'il ne se heurte à aucune antériorité, qu'il soit nouveau au sens objectif du mot. Si le hasard veut que deux artistes traitent le même sujet de la même manière, sans le savoir, l'œuvre du second ne sera pas nouvelle : elle aura accès à la propriété artistique, non au statut des dessins et modèles. Il en sera de même des imitations serviles de la nature; n'étant qu'une image exacte d'une donnée du monde extérieur, elles ne pourront bénéficier des garanties de la loi de 1909; elles n'en jouiront que si elles portent l'empreinte d'une interprétation personnelle de l'auteur (cf. Paris, 31 déc. 1929, Ann. de la propriété littér., artist. et ind., 1933.368; Req., 17 avril 1931, Gaz. Pal 1931.2.64). 2° Sans aller aussi loin que la législation française dans la voie du cumul, la République fédérale de l'Allemagne de l'Ouest y est aussi engagée. La loi du 11 janvier 1876, qui est propre aux dessins et modèles, doit, en effet, être coordonnée avec celle du 9 janvier 1907, relative aux œuvres d'art en général. Sans doute des conditions rigoureuses, dont la délimitation ne laisse pas d'être malaisée, sont mises à la jouissance du cumul : l'objet considéré doit, selon une formule fréquemment employée, présenter « un contenu esthétique d'un degré tel qu'il constitue une œuvre d'art, selon les conceptions courantes ». Mais lorsque le créateur du dessin ou du modèle s'est élevé à ce degré dans l'échelle des valeurs, la protection peut être demandée aussi bien à la loi du 9 janvier 1907 qu'à celle du 11 janvier 1876 (cf. Dr. Gerstenberg, in Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, 1963, p. 245 et s.).

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B ) L E S LÉGISLATIONS QUI ÉCARTENT LE CUMUL.

a) A cette catégorie appartiennent tout d'abord les législations qui ne comportent aucun régime propre aux dessins et modèles. Tel est le cas de la Belgique qui ne les place que sous l'égide des droits d'auteur depuis l'arrêté royal du 29 janvier 1935, et des Pays-Bas où seule la loi de 1912 est applicable aux œuvres d'art appliqué. b) La législation italienne est opposée au cumul; les objets relèvent soit du régime des modèles industriels, modèles d'utilité et ornementaux (décret royal du 25 juillet 1940), soit de celui des droits d'auteur (décret royal du 22 avril 1941). La répartition est faite en considération de leurs caractères respectifs. C'est ainsi que seule est applicable la législation des droits d'auteur aux œuvres créées spécialement pour l'industrie, qui conservent un « caractère d'autonomie » à l'égard des produits auxquels elles sont appliquées; il s'agit de la « dissociabilité », entendue en un sens idéal : la salière de Benvenuto Cellini peut être citée comme un exemple de cette qualification, qui exclut le régime particulier des dessins et modèles. Tel est, dressé à grands traits dans le cadre du Marché Commun, un inventaire où les contrastes abondent. Du moins n'est-il pas arbitraire de conclure que toutes les législations que nous venons d'évoquer ont pris en considération le problème que posent les relations entre un régime spécifique des dessins et modèles et le statut de la propriété artistique, soit pour admettre, selon les modalités diverses, le cumul, soit pour l'écarter. Partout l'opinion est sensible à l'importance de ce débat : il est impossible de faire abstraction de cette donnée au moment de jeter un regard sur les perspectives d'avenir. C ) L E S POSSIBILITÉS DE « LEGE FERENDA

».

Plusieurs systèmes sont préconisés, dont la diversité reflète les divergences des lois nationales. a) L'un repose sur une option entre le statut de la propriété artistique et le régime spécial. Mais il soulève les plus sérieuses objections, non pas seulement de la part

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des tenants du principe de l'unité de l'art qui postule le cumul, mais aussi dans l'esprit de ceux qui font une ventilation parmi les dessins et modèles, plaçant les uns sous l'égide du régime spécifique, les autres dans le cadre de la propriété artistique, en vertu de critères dont la subtilité rend singulièrement laborieux le maniement. De plus, l'option préconisée serait exercée sous la forme d'un titre : l'obligation de le rédiger, puis de le publier entrerait en contradiction avec l'un des principes de la Convention de Berne qui soustrait à toute formalité la jouissance des droits d'auteur (art. 4). b) Une autre conception procède de la précédente sans présenter un caractère aussi tranché. Disons qu'il s'agit d'une option limitée, partielle, dont un exemple permettra de concrétiser l'inspiration et de mesurer la portée. Un peintre a exécuté une toile, qu'il destine à la vente; puis la proposition lui est faite de consentir à des reproductions, qui seraient destinées à orner des papiers de tenture ou des tissus d'ameublement. Cette œuvre qui, à l'origine, ne relevait que de l'art pur, pénètre dans le secteur des « arts appliqués ». Selon le système auquel nous faisons allusion, ce tableau, comme tel, continuera d'être investi des droits d'auteur; mais l'utilisation qui en sera faite pour les papiers de tenture ou les tissus d'ameublement relèvera du régime propre aux dessins et modèles, et par conséquent tombera dans le domaine public, à l'expiration du monopole correspondant. Il s'agit donc d'une option partielle, limitée aux applications industrielles énoncées dans l'acte de dépôt, qui a pour conséquence, non pas le cumul des deux protections comme en France, mais une juxtaposition des deux régimes : cette œuvre, en tant qu'elle servira à l'ornementation d'objets d'utilité, ressortira au régime spécial, mais les reproductions pures et simples, c'est-à-dire celles qui auront la même destination que l'original, continueraient d'être régies par les droits d'auteur. c) Cette diversification ne rencontrera pas l'agrément des pays qui demeurent fidèles à l'unité de l'art, non point par un respect aveugle de leur tradition, mais en vertu de considérations permanentes, fondées sur l'observation

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des faits. L'œuvre originale ne change pas de nature, selon que la reproduction en est faite à telle ou telle autre fin : l'art. 2 de la loi française du 11 mars 1957, qui place sous l'égide des droits d'auteur les œuvres de l'esprit quelle qu'en soit la destination, repose sur cette constatation. Dans le système du cumul, seuls des aménagements seraient à la limite admissibles : l'esprit de conciliation pourrait suggérer de réduire la durée de la protection afférente aux droits d'auteur, en faisant courir le délai à partir, non pas de la mort du créateur, mais dès le dépôt propre aux dessins et modèles. En autres termes, les créations qui seraient déposées jouiraient de la double protection, mais les avantages que les ayants droit retireraient du dépôt auraient pour contrepartie une abréviation de la durée des droits d'auteur : la Convention de Berne autorise une telle conclusion, puisque l'art. 7, § 3, soustrait au mode normal de computation la durée de la protection pour les œuvres des arts appliqués comme pour les œuvres cinématographiques et les photographies. Si les Etats, qui demeurent attachés au principe de la double protection, ne devaient pas être suivis, il leur appartiendrait, en désespoir de cause, d'utiliser la ressource que tient à leur disposition l'art. 2, § 5, de la Convention de Berne : « ... pour les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d'origine, il ne peut être réclamé dans les autres pays de l'Union que la protection accordée aux dessins et modèles dans ces pays. » Henri

DESBOIS.

DISCUSSION

M. GOLDMAN. — A l'arrière-plan de cette opposition qui parait assez vive entre les partisans de l'unité de l'art et ceux qui ne le sont pas, existe-t-il tout de même des intérêts économiques que l'on peut aisément définir ? M. DESBOIS. — L'enjeu n'est pas purement juridique, purement idéologique, car il faut bien admettre qu'en recourant cumulativement au régime des dessins et modèles et à celui de la propriété artistique, l'on en vient à réparer des erreurs, des fautes commises. Quand on s'entend objecter que le dépôt est irrégulier, l'on se retranche derrière le domaine de la propriété artistique, et c'est faute d'avoir pu tracer une frontière précise entre ce qui relèverait des arts appliqués à l'industrie et des arts tout court. M. ARMENGAUD. — Je n'ai pas le sentiment qu'il existe des attitudes d'intérêt opposées, car si nous prenons le créateur de l'industrie de la couture en Europe, les règles sont à peu près les mêmes, encore que Paris prétende, à tort ou à raison, avoir une réputation plus grande que d'autres villes d'Europe. Mais le créateur italien a des réactions tout à fait comparables à celles du créateur français. Mais il est beaucoup plus gêné que le créateur français pour s'assurer une protection. M. DESBOIS. — Je crois qu'en définitive derrière ces discussions dans lesquelles il faut bien reconnaître, qu'en France, la tradition joue une grande part, il y a une question de durée de la protection d'une part et de sanctions d'autre part qui est essentiellement en cause. n est anormal qu'en Italie, par exemple, la protection soit très brève et qu'en France elle soit très longue pour de mêmes objets. L'entente pourrait se faire, peut-être, si l'on mettait en comparaison les besoins des différentes industries qui sont

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DISCUSSION

absolument les mêmes, qu'elles soient originaires d'Italie, de France ou d'ailleurs. Le hasard fera peut-être que certaines seront fixées de préférence en Belgique, en Hollande ou en France. Mais, objectivement, l'on peut parvenir à une fixation de la durée. C'est surtout cela qui inquiète les usagers du dessin et modèle. Cest cette disparité extraordinaire. Mais il y a autre chose aussi, il faut bien le dire; c'est que, surtout à l'égard de modèles venant de l'étranger, la protection et les sanctions de la contrefaçon ne sont en fait pas rigoureusement appliquées. Pratiquement l'on voudrait qu'une Convention comporte l'obligation d'assurer partout un minimum de sanctions pénales et que l'on parvienne à une définition uniforme de la contrefaçon. M. ARMENGAUD. — Il est bien certain que l'industrie saisonnière a des préoccupations toutes différentes de celles des poseurs de caractères d'imprimerie par exemple. Les poseurs de caractères d'imprimerie, qui font des investissements énormes pour dessiner un nouveau caractère, veulent avoir la protection pendant une longue période. Celui qui crée un modèle de robes qui se périme en six mois considère que la protection pour une longue période n'offre pour lui aucun intérêt. Par conséquent, je pense que l'on est obligé de traiter ce problème par approximations successives et par catégories de professions, même s'il est surprenant de voir que, dans un domaine de ce genre, l'on arrive à diviser la propriété artistique en un certain nombre de tranches et de secteurs dont toutes les règles sont différentes. M. DESBOIS. — Oui, mais cet inconvénient pourra être réparé le jour où l'on mettra en chantier une Convention commune. C'est dans le même esprit que l'on sera amené à résoudre la question du secret. Là encore il y a une très grande division. Les uns opinent pour le secret du dépôt et les autres, au contraire, y sont hostiles. Mais en réalité je crois que c'est en fonction de la nature des industries que l'opposition se fait. Comme pour le délai, le secret pourrait être résolu si on procède en divisant, en fixant des délais différents de secret d'une part, et de protection de l'autre, dans le cadre de la Convention et en fonction des industries considérées.

Marques de Fabrique et Marché Commun Rapporteur : M . CHAVANNB, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Lyon, Directeur honoraire de la Faculté de Droit de Beyrouth.

La publicité est l'âme du commerce contemporain. A une époque de civilisation audio-visuelle, une minute de publicité à la télévision ou une page en couleur dans un hebdomadaire à grand tirage entraînent un accroissement de commandes, qui est sans proportion avec celui que permet d'obtenir un réseau d'agents commerciaux avisés ou des méthodes de vente adéquates. Le rendement et la portée de cette publicité sont considérablement renforcés s'ils peuvent s'appuyer sur une marque qui possède un pouvoir attractif tout particulier. Outre la séduction quasi physiologique qui peut résulter d'un terme bien choisi, il ne faut pas oublier que la marque, qui détient sur le brevet ou les dessins et modèles l'avantage de la pérennité, est liée à une notion de qualité du produit marqué. La fidélité de la clientèle s'attache à des marques qui évitent que l'on risque une aventure à chaque acquisition. Le goût du public pour les marques s'étend même de nos jours à des produits agricoles qui étaient classiquement vendus en vrac, tels que les noix ou les agrumes.

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Avec le développement des échanges internationaux, les marques ont vu leur importance augmenter. Dans le cadre des exportations, la marque représente l'élément le plus important pour attirer la clientèle étrangère. Par la convention de Madrid de 1891 (aujourd'hui Union particulière de Madrid), de nombreux pays ont prévu un dépôt international des marques qui facilite les formalités d'enregistrement en les réduisant à un dépôt unique. Mais les marques ayant par ce moyen pris naissance dans les divers pays signataires de l'arrangement de Madrid obéiront à des règles différentes, correspondant aux diverses législations nationales des pays envisagés, et constitueront autant de marques différentes qu'il y a de pays adhérant à la Convention de Madrid. Toujours dans le domaine des formalités d'enregistrement, l'arrangement de Nice du 15 juin 1957 a créé une Union particulière prévoyant l'unification des classifications de produits et de services auxquels s'appliquent les marques de fabrique. Déjà plus intéressant est le système de l'accord francoitalien rendu applicable en France par un décret du 31 janvier 1961 (J. O. du 5 février) par lequel un dépôt de marque effectué dans l'un des deux pays peut être étendu à l'autre. Cependant, la marque reste soumise dans chacun des pays à la loi nationale de ce pays. Tant que les législations internes ne sont pas modifiées, de tels accords n'ont qu'une portée réduite. Aussi n'était-il pas étonnant qu'à l'occasion de la naissance du Marché Commun, les autorités des pays membres aient éprouvé le besoin de franchir une étape nouvelle en vue de l'unification de leurs législations internes en matière de marques. La coexistence dans les différents pays du Marché Commun de marques, même identiques, mais soumises à des législations différentes aussi bien en ce qui concerne leur validité que l'étendue de leur protection, soumises aussi aux interprétations jurisprudentielles les plus diverses risque d'entraver la libre circulation des biens, qui est, on le sait, l'un des buts du Marché Commun. Elle risque aussi de porter atteinte à l'égalité entre industriels et commerçants de ce Marché, ce qui constitue un autre des objectifs du Marché Commun. Il faut donc aller plus loin.

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Il aurait été sans doute assez difficile d'obtenir immédiatement une totale unification des législations internes. Remarquons cependant que cette unification est déjà presque chose faite entre les trois pays du Bénélux en raison d'une Convention du 19 mars 19&2, prévoyant une loi uniforme en matière de marques de fabrique (et qui entrera en vigueur 18 mois après la ratification par les trois pays), alors pourtant que les lois nationales sur les marques de ces trois pays étaient assez différentes. Il convient cependant de remarquer que cette unification, qui est souhaitable, ne résout pas pour autant le problème d'une marque dans le cadre du Marché Commun si on ne maintient pas une différence entre les marques nationales et la marque européenne. Ne pas isoler une marque européenne des marques nationales aboutirait à un engorgement des registres de propriété industrielle qui devraient contenir environ un million de marques. Il y aurait un inextricable contentieux à liquider, car, dans ce million de marques des pays de la communauté, de nombreuses sont identiques et des heurts et des conflits se soulèveraient, impossibles en fait à résoudre en respectant les droits légitimement acquis. En outre, cette marque commune ne correspond à aucune utilité commerciale ou économique véritable. On a évalué à 85 % environ des marques européennes celles qui n'aspirent qu'à un rayonnement national, et la plupart des commerçants ne sentent pas l'utilité d'une extension de leur marque à d'autres pays, avec lesquels ils n'ont pas l'intention de commercer et où, de surcroît, la surveillance de leur marque serait difficile pour eux. Aussi, l'étape intermédiaire naturelle, avant une unification des lois nationales qui ne fera pas disparaître les enregistrements nationaux, apparaît-elle la création d'une marque européenne coexistant avec les marques nationales dont le régime et le rayonnement demeureraient inchangés. Le texte définitif d'un projet de marque européenne recherché par les experts de Bruxelles n'a pas encore été publié, à ma connaissance, à la différence de l'avant-projet de brevet européen qui a fait déjà l'objet de nombreux commentaires. On connaît cependant les grandes lignes de ce que contiendra ce projet et le genre de difficultés qu'une

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marque européenne serait de nature à soulever. C'est du reste sans doute à cause des nombreuses hésitations concernant ces difficultés qu'un projet officiel n'a pas encore été publié. Nous allons examiner les principales d'entre elles en négligeant celles qui sont inhérentes à toute législation sur les marques et non spécifiques à la marque européenne. Nous nous efforcerons de jauger leur valeur en étudiant tour à tour les conditions de dépôt et les caractéristiques de fond que pourrait présenter une marque européenne1. Dans une troisième partie, nous envisagerons le problème très particulier de l'ouverture et de l'accessibilité de la Convention qui créerait la marque européenne. 1. Conditions de dépôt d'âne marque européenne.

C'est sur le terrain du dépôt qu'une marque européenne peut sembler la moins utile et peut-être même la plus dangereuse. En effet, la Convention de Madrid, à laquelle les six pays du Marché Commun ont adhéré (mais non la Grèce, ni la Turquie..., ni l'Angleterre, ni les Etats-Unis), permet déjà, par un enregistrement unique, de déposer une marque dans les six pays du Marché Commun. Cette convention de Madrid fonctionne à la satisfaction générale, et le plus clair des marques internationales déposées le sont par des ressortissants des pays du Marché Commun (8 261 dépôts en 1959 sur un total de 11 296). Il serait désastreux qu'à l'occasion de la création d'une marque européenne, la marque internationale de l'arrangement de Madrid vienne à perdre son rayonnement. Des commerçants intéressés avant tout par le commerce avec 1 Je m'abstiens de parler de tout ce qui touche aux articles 36, 85 et 86 du Traité de Rome et où de nombreux problèmes concernant les marques sont en j e u et présentent une importance pratique considérable : les contrats d'exclusivité, les accords tendant a u contrôle de la qualité des produits, de leur composition, de leurs prix, des ventes, de l'exportation, de la production. Tous ces accords sont fréquemment le prolongement normal des marques. Nous les délaisserons délibérément, car ils feront demain l'objet d'une étude de notre collègue Plaisant dont on connaît les nombreux articles sur l a question.

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les pays du Marché Commun s'abstiendraient du dépôt international pour ne pratiquer que le dépôt européen. La difficulté serait cependant résolue et serait même au contraire l'occasion d'un progrës si on raccrochait le dépôt européen au dépôt international. La chose est délicate mais n'est pas impossible. M. Saint-Gai l'a remarquablement souligné (cf. Reu. Int. Prop. Ind., 1960, p. 134). On pourrait d'abord décider que le dépôt international fait par l'un des ressortissants d'un pays de la Communauté pourrait, s'il le demande, être limité aux six pays de la Communauté, tout en pouvant bien sûr être étendu davantage. Cette solution ne nous semble pas très heureuse. En effet, elle aboutirait à écarter du dépôt international les pays qui, bien que faisant partie à titre d'associés du Marché Commun, n'ont pas souscrit à la Convention de Madrid : la Grèce et la Turquie. La marque ainsi déposée ne serait pas une marque européenne. Plus intéressant à notre avis serait l'obligation imposée à tout postulant de la marque européenne de procéder d'abord au dépôt international de la Convention de Madrid. Cela supposerait alors trois dépôts successifs : un dépôt national, support nécessaire d'un dépôt international2, un dépôt européen enfin. Les pays qui voudraient avoir accès à la marque européenne devraient dès lors adhérer à la Convention de Madrid. Ce serait là une condition pour qu'un pays puisse être partie à la Convention sur la marque européenne et pour que ses ressortissants puissent déposer une marque européenne. Ce dépôt devrait être effectué auprès d'une administration européenne commune spécialement créée à cet effet. On a parfois suggéré qu'il s'agisse d'une émanation du bureau de Genève, le droit de la marque européenne constituant une sorte d'Union restreinte dans le cadre de la Convention de Paris de 1883 et de la Convention de Madrid. Cette solution aurait l'avantage de ne pas disperser les droits en matière de propriété industrielle. 2 II non* semble en effet qu'un dépôt européen ne peut pas servir de support à un dépôt international, car celui-ci exige un dépôt de base national et il semblerait difficile de considérer l'Europe comme une nation et le dépôt européen comme un dépôt national au sens de la Convention de Madrid.

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Finalement, la marque européenne ainsi organisée quant à son dépôt jouerait alors un rôle important en vue de l'unification des lois internes en la matière. Les Grecs, les Turcs, voire les Anglais, s'ils voulaient que leurs ressortissants puissent déposer des marques européennes, devraient apporter la preuve de leur volonté de coopération en adhérant à la Convention de Madrid qui en sortirait renforcée. C'est dans cette optique que l'irritante question de l'accessibilité peut, nous le verrons plus loin, trouver une solution constructive. Le troisième dépôt, celui de la marque européenne, devrait ne pouvoir se faire qu'après examen préalable en raison des caractéristiques particulières exigées de la marque européenne. Mais c'est alors de l'élaboration des règles de fond qu'il s'agit. 2. Caractéristiques possibles de la marque européenne.

Dans l'idée de ses promoteurs, la marque européenne se présenterait comme une supermarque difficile à obtenir, car exigeant une série de conditions, mais offrant en même temps à son titulaire des garanties particulières. Un examen préalable serait organisé qui devrait envisager d'une part la validité de la marque à enregistrer et d'autre part les antériorités. La marque européenne devra en effet cumuler toutes les conditions de validité des marques nationales des divers pays du Marché Commun et éviter tout ce qui serait motif de nullité devant les tribunaux nationaux de l'un des pays envisagés : on refusera aussi bien le nom nu rejeté par la France et le Luxembourg que les chiffres et les lettres sans aspect particulier rejetés par la Belgique ou les formes plastiques difficilement enregistrables en Italie et aux Pays-Bas. La marque européenne devrait d'autre part être conforme aux conditions générales de validité prévues dans la Convention d'Union de Paris de 1883 (article 6) : cela ferait exclure les marques banales, les marques descriptives, les marques contraires à la morale ou à l'ordre public. L'examen préalable devrait aussi se pencher sur le problème des antériorités. La marque européenne devrait, en

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effet, être nouvelle dans chacun des pays du Marché Commun. Indépendamment des antériorités connues du Bureau européen d'enregistrement qui mettraient évidemment obstacle à l'admission de la marque, le Bureau pourrait prévenir les titulaires de marques plus ou moins voisines afin qu'ils présentent une opposition éventuelle à l'enregistrement de la marque sur laquelle le Bureau aurait à se prononcer par une décision soumise à une voie de recours devant un tribunal spécial et européen. Par ailleurs une publicité de la demande de dépôt serait assurée afin de permettre des oppositions. Il y aurait alors un enregistrement de la marque et, passé un délai que certains souhaitent très bref (on a parlé de 6 mois), le titulaire de la marque serait tranquille et aurait un < droit positif d'usage », c'est-à-dire que sa marque ne pourrait plus faire l'objet de demandes de nullités. On peut du reste remarquer que le titulaire d'une marque antérieure à la marque européenne et qui n'aurait pas fait opposition va se trouver dans une situation susceptible d'engendrer bien des désordres. Il peut paraître trop dur de le déclarer déchu de son droit, et on va alors voir coexister au même endroit deux marques identiques, toutes deux valables. On pourrait limiter cet inconvénient en décidant que toutes les marques européennes devraient se présenter au public avec un signe apparent qui leur serait propre. Pratiquement, il faut bien voir que ce « droit positif d'usage » constitue l'intérêt essentiel d'une marque européenne, celui qui va nettement au-delà des avantages du dépôt international. Encore est-il indispensable de lui apporter une limitation évidente et découlant de la règle « Fraus omnia corrumpit » et de décider que cet enregistrement ne donnera sécurité à son titulaire qu'à la condition qu'il ait été effectué de bonne foi. Cette notion de bonne foi sera du reste susceptible d'interprétations assez diverses selon les jurisprudences des divers pays, et on comprend qu'une pièce essentielle de l'édifice de la marque européenne soit la création d'un tribunal supranational assurant l'unité d'interprétation des diverses règles de la Convention créant la marque européenne. La compétence de celui-ci se limiterait à tous s

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les problèmes de validité de la marque européenne, soit à titre de juridiction d'appel d'une juridiction nationale, soit de plain-pied. Les actions en contrefaçon, au contraire, resteraient de la compétence des tribunaux nationaux. 3. Ouverture et accessibilité.

C'est là une question irritante et très controversée, aussi bien ce qui concerne la marque européenne que le brevet européen 3 . Sur le plan de l'ouverture, il semble qu'il n'y ait là aucun inconvénient à ce que la convention sur la marque européenne soit aussi ouverte que possible. Son adoption par un Etat implique en effet qu'il s'avance dans la voie de l'unification du droit de la propriété industrielle. Dans la mesure où cette adoption implique aussi l'adhésion à la Convention de Madrid, l'ouverture la plus large possible ne peut être que très heureuse. Sur le plan de l'efficacité de la marque européenne enfin, tout accroissement de son aire d'application ne peut que renforcer sa valeur. On objectera alors que les pays adhérents à la convention sur la marque européenne ne seront pas fatalement les mêmes que ceux ayant adhéré au Marché Commun et que peut-être même certains pays non européens adhéreront à la Convention. Sans doute le nom de marque européenne ne conviendra-t-il plus exactement alors, mais cela n'a qu'une importance secondaire, et c'est bien l'Europe et les pays du Marché Commun qui auront constitué le noyau premier moteur de la Convention. Il restera bien entendu que toute adhésion implique l'acceptation de tous les éléments de la Convention, participation aux frais du bureau commun et surtout soumission à la juridiction supranationale. C'est sur les mêmes bases que doit, à notre avis, être résolu le problème de l'accessibilité. On ne doit admettre 3 Cf. notamment Ladas, « Les traités du marché commun concernant les brevets et les marques de fabrique ou de commerce seront-ils ouverts ou fermés ? » (La propriété Industrielle, 1962, p. 35).

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à déposer la marque européenne que les ressortissants d'Etats ayant adhéré à la Convention sur celle-ci. Aucun texte de la Convention d'Union de 1883 ne s'oppose à cette solution. L'article 2 prévoit que l'unioniste bénéficiera du traitement national. Cela ne peut que signifier que l'unioniste aura droit à l'application de la loi nationale du pays où il réclame un droit. Mais lorsqu'à cette loi nationale se superposent des accords particuliers comme la Convention sur la marque européenne, il est bien certain que ceux-ci ne s'appliquent pas de plein droit à tout unioniste. Sinon tous les traités et accords particuliers, expressément autorisés par l'article 15 de la Convention de Paris, n'auraient plus de raison d'être puisque tous les ressortissants unionistes pourraient les invoquer. Tant que coexistent un droit des marques national et un droit conventionnel résultant d'un accord particulier, l'unioniste non adhérent à l'accord ne peut prétendre qu'à l'application de la loi nationale. Dans les pays du Bénélux, au contraire, où les lois nationales ont été supprimées et remplacées par une loi unique, il est bien certain que l'article 2 donne à tout unioniste l'accès à la loi unique qui est devenue la loi nationale. Rien de tel avec la convention sur la marque européenne qui laisse intact le droit national. Seule une question d'opportunité et non une obligation juridique peut donc amener à refuser ou à admettre l'accessibilité à la marque européenne des ressortissants de pays n'ayant pas adhéré à la Convention de marque européenne. On peut estimer qu'en raison des frais qu'impliquera l'examen préalable et l'organisation de la juridiction européenne, cette accessibilité n'est pas souhaitable. L'article 36 du Traité de Rome a expressément réservé les droits de propriété industrielle. Ceux-ci, en matière de marque, sont régis par la Convention de Paris de 1883 et la Convention de Madrid. C'est à ces textes qu'il convient de se référer et de se rattacher. Sans doute, il serait dommage que l'on ne profite pas de l'existence du Marché Commun qui rassemble près de 200 millions de consommateurs pour effectuer un progrès en la matière et accomplir un effort vers une certaine unification des législations.

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Mais, à notre avis, c'est dans le cadre des conventions classiques que cet effort doit être tenté. La marque européenne doit constituer une Union restreinte dans le cadre de la Convention de Paris, liée à l'Union particulière de Madrid. C'est alors seulement qu'elle débouchera sur des objectifs finaux qu'il ne faut pas perdre de vue : faire l'union économique de l'Europe sans doute, notamment par le rapprochement des législations, mais en vue d'une unité plus large destinée en définitive à procurer au monde les ressources dont il a besoin pour assurer une vie plus humaine pour tous. Albert CHAVANNE.

DISCUSSION

M. ARMENGAUD. — Votre rapport est intitulé « Marques de fabrique et Marché Commun », ce qui suppose que nous pourrons faire pour le Marché Commun une convention particulière dans le domaine des "marques alors que, dans le domaine du brevet européen, nous sommes conduits à une conception différente, tout au moins dans l'esprit d'un grand nombre d'entre nous. Il sera en effet plus difficile d'arriver à un texte commun et à une marque et à un modèle communs si nous sortons du cadre limité de l'Europe des Six et peutêtre de quelques pays voisins tels la Suisse, car si nous pensons aux pays anglo-saxons le problème est infiniment plus difficile, non pas parce que la Grande-Bretagne a fait preuve jusqu'à présent d'insularité en ce domaine, mais parce que la conception de la protection des marques en pays anglosaxons est assez différente de celle des pays d'Europe continentale. Il y a un point, qui me parait essentiel : c'est celui de la recherche d'antériorités, car c'est ce qui intéresse l'industriel qui veut avoir une marque européenne, s'il utilise le cadre de la Convention de Madrid pour ensuite revendiquer la possibilité de déposer cette marque, ce qui le préoccupe, c'est un système de recherches central commun qui lui donne des apaisements que nous sommes dans l'impossibilité actuelle de fournir dans la plupart des pays d'Europe (en tout cas dans tous ceux dans lesquels il n'y a pas d'examen préalable, de procédure d'opposition avant la délivrance de la marque). Par conséquent, quelle que soit la procédure que l'on suivra pour arriver à cette marque européenne, il faudra que l'un des objectifs les plus immédiats soit l'installation d'un système central de documentation et de recherches, ce qui pose des problèmes professionnels extrêmement difficiles. En effet, la jurisprudence aussi bien française, qu'allemande ou italienne, condamne un déposant de marque qui utilise dans un ordre totalement différent les mêmes lettres que le propriétaire anté-

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rieur, alors que phonétiquement et à regarder individuellement les deux marques n'ont aucune espèce de point commun. Si donc on crée un système central européen, non seulement il faudra prendre toutes les identités, mais également rechercher toutes les variantes des différents noms que l'on aura classés une première fois alphabétiquement et par jeu de couleur, ou par dessins ou vignette pour déterminer toutes ces variantes et les introduire dans le catalogue complet; cette réalisation nécessiterait un personnel énorme et plusieurs années de travail. L'affaire étant trop délicate, je pense qu'il est urgent d'arriver à une solution sur le plan juridique, et ainsi nous pourrons commencer à entrevoir une Solution sur le plan technique pour laquelle nous sommes au début d'une cre affreusement difficile et où l'effort d'imagination nécessaire n'est pas négligeable. Vous avez évoqué également la question de l'usage local par un déposant et le droit pour celui-ci de continuer à exploiter son titre. A cet égard, en France est née toute une controverse à la suite du dépôt de la proposition de loi dans laquelle je pensais qu'il était souhaitable que l'usage ne crée pas un droit permanent à l'encontre de celui qui avait déposé et obtenu une marque. A cet égard, je crois qu'il faudra que l'on se penche très sérieusement sur la question à l'échelon européen, car il ne serait pas bon qu'une marque européenne puisse être battue en brèche, même localement, par les marques préexistentes. Il faut sans doute prévoir des délais, il faut arriver probablement à une publicité très importante des marques publiées et inciter le plus possible les possesseurs de titres à utiliser le jeu des oppositions. Mais je ne pense pas qu'il soit souhaitable de laisser la coexistence maintenue même localement. Il se pose également un autre problème : dans quelle mesure est-il souhaitable de continuer à autoriser un déposant de marque à protéger celle-ci dans les 34 classes de la classification internationale alors qu'il n'utilise que l'une d'entre elles ? Actuellement, c'est l'un des moyens utilisés par certaines entreprises pour faire un barrage total dans l'ensemble de l'industrie, alors qu'elles n'exploitent que très partiellement. Je pense qu'il y a là un abus de droit aboutissant à gêner l'exploitation. Car la jurisprudence internationale en matière de marques notoires conduirait les tribunaux des pays adhérant à la convention projetée à intervenir très vigoureusement contre ceux qui, justifiant que ces marques notoires n'ont pas été prises dans toutes les classes, s'en inspireraient dans un domaine différent, laissant croire ainsi que le produit vient d'un fabricant dont la réputation est très importante dans

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un tout autre domaine. Là aussi il y a un problème que l'on ne peut pas sous-estimer et auquel il faut réfléchir. Vous avez aussi parlé de la contrefaçon qui devait être étudiée sur le plan européen; cela nie paraît en effet la bonne solution dans la mesure où il s'agit de marques européennes accordées par l'Office Européen des Marques après une procédure d'examen très sérieuse. H n'est pas utile d'insister sur ce point particulier, car c'est « en bout d'arbre » que cette affaire sera traitée. M. MOREL. — Nous sommes tous, ici, partisans du brevet européen et de la marque européenne, telle que M. le Professeur Chavanne l'a définie. Mais je voudrais dire, en ce qui me concerne, que je suis encore beaucoup plus partisan de la marque européenne que du brevet européen pour la raison essentielle suivante : c'est qu'en matière de brevets, les intériorités sont absolues, aux nuances près, dans les différents pays en ce qui concerne les notions de nouveauté, de brevetabilité, etc... On peut dire que s'il y a une antériorité à une invention, qu'elle soit au Japon, aux Etats-Unis, au Canada, elle sera, à peu de choses près, destructive de la validité du brevet dans tous les pays. En ce qui concerne les marques, par contre, les antériorités ne sont que relatives. Il peut exister une antériorité à une marque en France, et la marque qui est antériorisée n'est pas valable en France, mais pourra parfaitement être valable en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Hollande, etc... ou « mutatis mutandis » dans les autres pays. A l'heure actuelle, sous l'empire des législations nationales, une marchandise, qui est licitement désignée sous une marque en France, ne peut pas pénétrer en Allemagne s'il y a des marques qui s'opposent à la validité de la marque française ou réciproquement pour des marques étrangères (allemandes, italiennes, belges, hollandaises). Avec le développement du Marché Commun, où l'on arrivera fatalement et très rapidement à une libre circulation des marchandises si l'on ne met pas un terme par une loi supranationale qui délimitera très exactement ce qu'est la nouveauté de la marque européenne, on arrivera à des conflits qui seront absolument inextricables. C'est à mon avis la différence essentielle sur le plan juridique en matière d« marques et de brevets qui rend encore plus pressante la sortie de la marque ou de la super-marque européenne telle que l'a définie M. le professeur Chavanne. L'orateur a dit qu'à son avis les oppositions, les difficultés que l'on rencontrait pour l'octroi du brevet étaient plus importantes qu'en matière de marque. Je ne suis pas tout à fait d'accord. J'ai une certaine expérience, dans ma Société, des

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questions de brevets et de marques, et je crois pouvoir dire que nous avons rencontré — peut-être par malchance — plus de difficultés à obtenir nos marques. Je ne parle que des pays européens, des pays ayant adhéré à l'enregistrement de Madrid. Les raisons en sont multiples, mais on peut dire qu'avec le grand nombre de marques qui existent dans les différents pays, il devient pratiquement impossible de trouver une marque qui soit rigoureusement indépendante. Alors, si bien que l'on fasse les recherches d'antériorités avant de choisir une marque, avant de la déposer, l'on arrive fatalement à trouver des interférences avec les marques existentes et surtout lorsque l'on se trouve dans des pays à examen comme la Hollande et l'Allemagne. Que se passe-t-il ? Les Offices étrangers de marques, soit le Patemtamtes, soit les Offices hollandais, nous citent des antériorités. Il faut à ce moment-là entrer en rapport avec les propriétaires des marques. Le Patemtamtes s'en remet au dialogue à instaurer entre les propriétaires de ses marques et le demandeur. Nous rencontrons des gens qui sont très complaisants, qui admettent très bien la coexistence des marques, surtout lorsque les produits ne sont pas totalement différents, mais il arrive aussi que certains ne veulent rien entendre ou veulent faire valoriser la coexistence des marques; la discussion s'éternise. On est alors bloqué longuement pour exporter ses marchandises dans les pays étrangers. Cela est un obstacle extrêmement sérieux et il serait souhaitable : 1° qu'il y ait une loi supranationale en matière de marque; 2° que la procédure soit active dans toute la mesure du possible, de façon à ce que, très rapidement, les industriels et les commerçants voient leurs droits bien établis, soit positivement, soit négativement, soit dans certains termes pour savoir ce qu'ils ont le droit de faire ou de ne pas faire. M. MONNET. — Je voudrais partager l'optimisme de M. Morel sur la marque européenne, malheureusement ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas parce qu'il y a un premier problème que je vais poser. Concevez-vous la marque européenne et son originalité comme d'ordre public ou comme d'ordre privé ? Rappelezvous qu'en Hollande — où elle ne l'est d'ailleurs plus autant — et dans un certain nombre de pays sud-américains la question est considérée comme d'ordre public, c'est-à-dire que si une marque est antériorisée, peu importe l'avis du titulaire de la marque antérieure, la plus jeune n'est pas accordée. Ce caractère d'ordre public a une importance énorme si l'on veut considérer le problème et il faut bien prendre position là-dessus, car cela fermera des portes à beaucoup de marques

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dites européennes. Je crois, personnellement, qu'il faut en rester au système d'ordre privé, c'est-à-dire qu'il faut laisser aux titulaires des marques antérieures le droit d'accepter une certaine ressemblance dans la marque nouvelle et sa validité, car sans cela il y aura très peu de marques qui arriveront à passer le cap de l'enregistrement. C'est d'ailleurs l'expérience qu'a faite la Hollande, et elle a été obligée de revenir sur sa réglementation d'une façon considérable : le principe demeure mais, maintenant, avec une autorisation du titulaire de la marque antérieure on obtient de l'examinateur que la nouvelle marque soit acceptée. Ceci étant dit, le grand malheur, dans les marques, réside dans leur permanence. Pour les brevets, la question n'est pas tellement grave : s'ils durent vingt ans, au bout de vingt ans l'on est tranquille. Mais avec les marques cela ne finit pas, et plus on en dépose plus il y en a, car les anciennes ne meurent pas. Il y a des centaines de milliers de marques qui dorment et dont les titulaires ne savent même plus qu'ils le sont, sauf lors des quelques rappels de leur agent de marques tous les quinze ans ou vingt ans. Et moyennant une légère somme, on prolonge la validité pour quinze ou vingt ans parce qu'une marque ne coûte pas cher. C'est cela le grand problème, et s'il n'est pas résolu, je ne vois pas comment sortira la marque européenne, parce qu'il existe ces marques de réserve qui ont cinquante ou soixante ans dans chacun des pays du Marché Commun et dans chacun des pays de la Convention si cette dernière s'étend au-delà du Marché Commun. Quand vous voudrez vraiment obtenir à titre définitif une marque qui fasse foi dans tous ces pays, passez le cap des différentes marques françaises, belges, hollandaises, allemandes, etc... existantes, utilisées ou pas; cela vous prendra bien le temps d'avoir oublié à quel produit vous la destiniez au départ... C'est le grave danger et c'est cela le gros ennui de toute construction sur les marques. Je crois que tout le reste est facile à concevoir, facile à construire, mais cette situation déplorable dans laquelle nous nous trouvons est certainement l'une des choses à laquelle il faut porter remède. M. ARMENGAUD. — Le déblaiement des anciennes marques est effectivement la condition nécessaire de la marque européenne. La proposition de loi que j'ai déposée et pour laquelle d'ailleurs l'unanimité semble d'accord, consiste à prévoir que les marques non exploitées meurent faute d'exploitation. Personne ne peut légalement intervenir à l'encontre d'un tiers, à moins qu'il n'ait une marque déposée régulièrement en vigueur, le dépôt étant obligatoire.

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Vous parliez tout à l'heure de la facilité d'examen. En fait, comme le signalait M. Morel, on tombe fréquemment sur des « mauvais coucheurs » et encore nous sommes dans un système d'ordre privé. Si l'on était dans le domaine d'ordre public, ce serait encore pire. Il y a une trentaine d'années, si l'on devait discuter avec l'Office hollandais, il n'y avait rien à faire : la discussion était pratiquement sans issue et il fallait la Haute Cour de Justice pour arriver à faire trancher le problème. Cette juridiction ne pouvait d'ailleurs qu'être d'accord avec ses examinateurs, étant donné que c'était une question de fait beaucoup plus qu'une question de droit. Maître LASSLER. — Je voudrais, d'un mot, donner mon opinion personnelle sur ce problème de la création européenne. Je considère que l'équivoque qui règne sur cette notion de marque européenne provient du fait que les différents protagonistes qui ont amené sur le chantier l'idée, l'élaboration, la construction de cette marque européenne, ne sont peut-être pas les mêmes et que, pour une simplicité d'expression, on a adopté cette terminologie de marque européenne. En effet, quels sont les protagonistes ? D'abord la Commission. II est bien certain que du point de vue de la Commission de la C.E.E. le but essentiel de l'introduction d'une marque européenne correspond à un désir de l'application de courants de concurrence aussi libres que possibles entre les différents Etats membres. Lisons les rapports de la Commission de la C.E.E. et l'on voit effectivement dans le cadre d'action de la Direction générale de la Concurrence, il est bel et bien prévu l'institution d'une marque européenne pour provoquer la suppression des limitations territoriales qui sont actuellement attachées à la protection des marques nationales. Personnellement, je pense que le jour où il existera une marque européenne, les marques nationales n'auront plus qu'une valeur indicative et ne donneront qu'un temps éphémère. Nous avons des précédents qui sont souvent cités et qui montrent que lorsqu'un titre de portée supérieure est créé et fonctionne, les titres de portée moindre et intermédiaire tombent et disparaissent pratiquement. Donc la première idée des Autorités européennes est une idée de libre concurrence, une extrapolation, en quelque sorte, des articles 85 et suivants du Traité. Quelle est par ailleurs l'idée d'autres protagonistes, à savoir de certains industriels importants qui voient cette marque européenne d'un bon œil ? Il y a deux catégories encore dans ces industriels : d'une part, ceux qui exportent dans les territoires du Marché Commun. Ceux-là sont gênés pour les raisons qui ont été indiquées tout à l'heure parce qu'une

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marque parfaitement valable dans le pays d'origine peut ne point l'être dans le pays de destination. Une autre catégorie d'industriels préfère avoir un titre européen qui aura subi toutes sortes de vérifications préalables et qui sera alors un titre absolument certain, dont la validité ne risquera plus d'être remise en cause ultérieurement. Dans ce titre ils pourront, en toute confiance et en toute sécurité, injecter des capitaux et ils pourront dresser derrière lui des actions de promotion de vente importantes parce qu'ils en sont sûrs. La notion n'est pas du tout la même. C'est pourquoi la Commission, dans son programme d'action, a essayé de mettre au point une formule qui est assez bizarre puisqu'elle renverse pratiquement les règles normalement acceptées et classiques du conflit de loi et du droit international privé. La Commission travaille à un projet de Convention aux termes de laquelle la validité de certains titres et la validité de certains actes seraient appréciées non pas d'après la loi où ils sont observés mais d'après la loi du lieu de leur origine. Dans le cas d'une marque française valable en France, mais qui ne serait pas considérée comme valable en Allemagne, on apprécierait la validité de la marque, en cas de contestation en Allemagne, d'après les règles de son droit d'origine, c'est-à-dire d'après les règles du droit français. C'est un projet de convention qui me paraît conduire à des solutions un peu ahurissantes puisque l'on arriverait ainsi, dans le cas précité, à tolérer la coexistence de deux marques qui, suivant les règles d'application habituelles, seraient des marques qui seraient en contrefaçon. Mais cette nécessité d'assurer cette libre circulation des produits marqués entre les différents Etats membres de la C.E.E. amène la Commission à la recherche de solutions qui ne sont certainement pas admissibles, non seulement en droit mais en vertu du plus élémentaire bon sens. C'est une des raisons pour lesquelles la Comntission désire si vivement introduire cette notion de marque européenne qui ferait disparaître en son esprit et très rapidement l'ensemble des marques nationales. M. ARMENGAUD. — Maître Lassier a signalé un aspect qui complique encore le problème du brevet européen car, à partir du moment où il parait normal qu'en matière de marques on voit peu à peu s'effacer les titres nationaux, la Commission va, bien entendu, pousser dans une voie analogue la solution en matière de brevets où, pour les raisons que nous avons exprimées tout à l'heure, il semble que l'accord ne soit pas total, du côté de l'industrie française. Pour cette raison je me demande s'il ne faudrait pas là aussi procéder par approximations successives et ne pas être ambitieux à

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l'échelle européenne et commencer, comme l'a dit M. Monnet, par harmoniser si possible les législations intérieures. Il convient de faire en sorte que les marques aient les durées comparables, que les conditions de disparition des marques nationales deviennent identiques, que les obligations d'exploiter soient une des règles opposables aux propriétaires des marques afin de ne pas encombrer les registres de marques déposées et enregistrées pour des besoins éventuels, qui en l'occurrence ne sont pas satisfaits. Il faudrait enfin que l'on mette au point un système de recherche communautaire qui permette à tous les nationaux de pouvoir faire des recherches de marques effectives dans l'ensemble des fichiers aussi bien nationaux que le fichier international ou européen nouveaux. Je pense que si l'on a déjà franchi cette étape d'ici 1970, on aura fait franchir au commerce un pas considérable, et lorsque nous serons arrivés à une structure politique européenne, donc à la Fédération des pays d'Europe, qui est encore loin d'être une réalité, il sera opportun de se fixer des objectifs plus ambitieux. M. CHAVANNE. — Il n'y a pas de doute que cela constituerait un progrès immense. On ne peut chercher un titre commun que dans la mesure où les bases de départ de ce titre, c'est-à-dire les législations nationales, sont les plus proches possibles les unes des autres. Tout ce qui diminuera les divergences entre ces législations nationales constitue certainement une étape extrêmement utile dans ce domaine.

L e Traité de C. E. E., article 85 et les Droits de Propriété industrielle Rapporteur : M. Professeur

PLAISANT,

à la Faculté

et des Sciences

économiques

de de

Droit Caen.

Il n'y a pas à s'étendre sur le système général du traité, art. 85 et s., l'attestation négative, la notification, leurs conditions et leurs effets. Il suffit, dans le présent rapport, de s'en tenir aux règles spéciales, et encore incertaines, relatives aux droits de propriété industrielle, en le limitant de plus aux brevets d'invention, d'une part parce que ceux-ci sont les plus importants, d'autre part parce que les problèmes se posent en termes assez différents pour les autres droits. Ce brevet donne un monopole d'exploitation au breveté; de ce fait, il limite la liberté à la concurrence. Une certaine autonomie naturelle existe donc entre les lois contre les pratiques restrictives et les droits de propriété industrielle. Autonomie n'est pas contradiction; il ne peut y avoir contradiction, s'agissant de deux systèmes juridiques tous deux établis par la loi pour des raisons différentes mais également valables. Il y a opposition, mais il y a lieu à conciliation. Le règlement 17, art. 4, § 1, 2, complété par le « message de Noël > publié au J. O. Comm., du 24 déc. 1949, contient une disposition spéciale exemptant de notification

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certains contrats ayant pour objet les droits de propriété industrielle. L'exemption s'applique aux clauses très diverses qu'un propriétaire de brevets, plus rarement de marques et plus rarement encore de dessins ou modèles ornementaux, peut imposer au cessionnaire ou au licencié : clause relative aux prix de revente, clause obligeant à se fournir de certaines matières premières ou de certaines machines auprès du cédant ou concédant, clause limitant la cession de clientèle, clause de non-concurrence. Cette disposition est manifestement inspirée par la loi allemande du 27 juillet 1957, art. 20 (v. Muller Henneberg et Schwartz, Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, p. 575 et s.). Au contraire, l'exemption ne s'applique pas aux clauses, sans doute plus rares, limitant la liberté du cédant ou concédant. Il faut se demander pourquoi les auteurs du règlement ont fait cette distinction. La raison est sans doute la suivante : Dans la cession ou licence, le breveté transfère un droit au cessionnaire ou licencié; il peut transférer ce droit en tout ou partie; le bénéficiaire acquiert un droit, c'est-à-dire une faculté d'agir, plus ou moins étendue, sa liberté est accrue et non restreinte; les clauses restrictives dépassant la stricte limite du droit transféré sont autorisées à raison de leur caractère accessoire et de leur lien (réel) avec le droit transféré. Au contraire, lorsque le breveté accepte une clause limitant sa liberté, par exemple lorsqu'il accepte de ne se livrer à aucune activité faisant concurrence à celle du cessionnaire ou du licencié, il le fait contre paiement du prix de cession ou des redevances de licence, sans bénéficier d'aucun transfert de droit, il y a purement et simplement restriction à la liberté de la concurrence. La discussion est parfois des plus subtiles. Dans sa communication du 9 novembre 1962 (J. O. Comm., p. 2268 et 2269/62), la Commission prétendait traiter comme entente toute licence exclusive. Le raisonnement paraît être celui-ci. Le brevet serait essentiellement le droit négatif d'interdire aux tiers d'exploiter l'invention. En concédant une licence exclusive, au moins lorsqu'il s'interdit à lui-même d'ex-

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ploiter, le breveté dépasse les limites de son droit privatif et limite sa liberté d'exploiter. Une autre raison peut être donnée : la licence exclusive et partielle peut être un moyen de partager des marchés. Une tendance semble se manifester à donner cette définition négative du brevet. On fait remarquer que la faculté d'exploiter l'invention ne résulte pas du brevet; l'invention secrète est exploitable par l'inventeur seul. On fait remarquer aussi que le brevet n'est pas le droit d'exploiter; l'exploitation est imposée à peine de déchéance; il y a donc plutôt une obligation qu'un droit. Le premier argument nous paraît inexact; l'exploitation secrète peut être impossible. Le brevet seul donne le droit d'exploiter exclusivement et publiquement. Le second nous paraît également inexact; à l'origine, le breveté n'est pas tenu d'exploiter; l'exploitation n'est pas une condition mise à la naissance du droit, mais seulement au maintien de celui-ci. De plus, par la licence obligatoire, le breveté ne perd pas son droit d'exploitation, il conserve le droit d'exploiter; il perd son exclusivité, mais contre une redevance. La définition négative du brevet peut être une explication commode, mettant en évidence un aspect du brevet. Elle nous paraît insuffisante et dangereuse; elle est insuffisante, parce qu'elle ne tient pas compte du caractère exclusif du brevet; elle est dangereuse parce qu'elle conduit à réduire les droits du breveté contrairement à toute logique en ce qui concerne l'application des règles sur les pratiques restrictives. Le droit étant exclusif, il est clair que le breveté peut transférer l'exclusivité toute entière, le cas échéant, en s'excluant lui-même de son bénéfice, ou en partie, par des licences non exclusives (v. sur cette question R. Plaisant et P. Mathely, Jurisclasseur Brevets d'Invention, fasc. III, n" 10, Routier, t. I, p. 104). — Bien que la tâche soit pleine d'aléas, il faut tenter de déterminer avec plus de précisions les clauses permises et les clauses défendues. Il n'est guère de doctrine sur ce point en France. Il faut consulter les ouvrages étrangers 1 . 1 E. U., Report of the Attorney General Committe to study the antitrust law, p. 223 et s. Chesterfleld Oppenheim. Kronstein, Mfiller et Schwartz, Modem antitrust Law, p. 40, 86, 187, 264. Swann,

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Les deux pays les plus intéressants sont les Etats-Unis et l'Allemagne. Il faut rappeler, en ce qui concerne ce dernier état, que la loi sur les pratiques restrictives du 27 juillet 1957, art. 20, comporte une disposition très précise relative aux clauses autorisées; cet article a inspiré dans une large mesure la Commission, il est donc utile de se reporter, le cas échéant, à la jurisprudence et à la doctrine allemande 2. — Il faut également rappeler qu'un problème analogue se pose à propos du traité de C.E.C.A., art. 65. La Haute Autorité a répondu à une question posée par le sénateur Armengaud (J. O. 61483, 4* rapp. de la Haute Autorité, p. 151). La Haute Autorité a indiqué que le traité laisse au breveté la plénitude de ses droits, mais que, en revanche, si, en signant un contrat de licence, les parties passent d'autres conventions débordant le contenu du droit relatif au brevet en cause, il y a lieu d'appliquer les dispositions du traité relatives à la concurrence. Il en va de même pour la période consécutive à l'extinction des droits afférents aux brevets. Il s'agit d'un principe général, admis dans tous les pays ayant des lois sur les pratiques restrictives, et qui ne donne qu'une indication de base. Analyse du Règlement 17, art. i, § 2, et de la Communication du 24 décembre 1962. — Il faut préciser que l'art. 4, § 2, s'applique aux cessions et licences, certaines clauses étant autorisées de plein droit, d'autres ne l'étant pas, si bien qu'il y a lieu à Patent and antitrust some recent developments, Journ. of Pat. O f f . Soc. 61251. Timberg, International Patent Licensing and national antitrust Law, Journ. of Pat. O f f . Soc. 61171. Timberg, Rapport au congrès de Francfort, Kartekke and Monopole in modernen Recht — All —, Ludecke et Fischer, Lizenzverträge, p. 702 et s. Lieberknech Kungen — Suisse —, Blum et Pedrassini, Das Schweizerische Patentrecht, P. II, p. 483 et s., p. 498 et s. (R. U.) Wilberforce, Monopoles and restrictive practives Act — Terrell and Schelley. On Patents, p. 248. 2 V. par exemple Langen Kommentar z u m Kartell Gezetz, p. 191 et s. Kellermann, Die Einfluss des G.W.B, auf die Verwertung von gewerblichen Schutzrecht, G.R.Ü.R., 1959, 569. Müller, Henneberg et Schwartz, p. 575 et s.

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délivrance d'attestation négative ou à notification selon les cas. Il est traité essentiellement des licences de brevets, les mêmes règles valant mutatis mutandis pour les cessions, mais il semble que c'est à propos des licences que les difficultés apparaissent le plus souvent. — Avant d'aborder l'analyse des diverses clauses possibles, il est utile de tenter de déterminer les principes essentiels sur lesquels parait devoir se fonder le système juridique applicable aux droits de propriété industrielle selon le traité. Il semble que ces principes devraient être les suivants : 1° L'article 85, § 1, ne s'applique pas aux licences de brevets dans la mesure où celles-ci ne contiennent pas de clauses imposant au licencié des restrictions qui dépassent la limite du droit résultant du brevet; 2° Certaines clauses, dépassant en principe les limites du droit résultant du brevet, mais nécessaire à la bonne exploitation du brevet et ayant un lien réel avec celle-ci, sont soumises à l'art. 85, § 1; elles bénéficient du traitement favorable prévu au règlement 17, art. 4, § 2.2. Cette disposition ne concerne que les clauses restreignant la liberté du licencié; 3® Les autres clauses sont soumises à l'art. 85, § 1 et § 3; 4® Les ententes réalisées à l'occasion de contrats ayant des brevets pour objet sont soumises à l'art. 85, § 1 et § 3; 5° En cas d'abus de position dominante, l'art. 86 s'applique. Il ne semble pas qu'une clause stipulée par un breveté et restant dans les limites du droit résultant du brevet puisse jamais être considérée comme abusive. Un pareil système, relativement libéral, paraît conforme aux art. 85 et 86. En effet, il faut bien mesurer la portée de ces dispositions. Ces dispositions sont destinées à permettre le maintien de la libre concurrence, mais non à porter atteinte aux prérogatives que confèrent les droits de propriété industrielle en général et les brevets d'invention en particulier. Le traité reconnaît ces droits (v. art. 36 et aussi 222); il n'impose aux états aucune obligation de modifier leurs législations sur ce point; bien plus, le projet

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de convention européenne confirme les droits tenant aux brevets d'invention sans restriction (v. R. Plaisant. D. 63, chron. p. 195). Appliquer les art. 85 et 86 de telle sorte qu'ils limiteraient les droits résultant du brevet d'invention ou d'autre titre serait les détourner de leur fin et violer le traité. Le règlement 17, art. 4, § 2.2.b, est conforme à ces principes. Il respecte totalement les clauses restant dans la limite du droit du breveté, celles-ci ne tombent sous le coup ni de l'art. 85, ni de l'art. 86. Il établit un régime de faveur, et de faveur nécessaire, pour les clauses qui sont à la limite de ce droit, mais qui s'imposent à raison des nécessités tenant à la bonne exploitation de l'invention, par exemple clause de qualité, clause relative aux perfectionnements; pour cette dernière, il faut également prendre en considération les liens existant entre les brevets de base et les brevets de perfectionnement (v. L. française du 5 juill. 1844, art. 22). Il faut également prendre en considération le fait que les lois nationales et la convention d'Union (art. 5) contiennent les dispositions nécessaires pour réprimer les abus commis par le breveté, faute d'exploitation par exemple. Cette conception, inspirant l'art. 4, § 2.2.6, semble inspirer aussi le Guide Pratique (v. p. 11 et 12). — Cette conception fut remise en cause par les deux communications publiées au Journal Officiel des Communautés (p. 2628 et 2229/62). La seconde communication respecte apparemment le premier principe posé ci-dessus, mais interprète de manière beaucoup trop étroite la notion de clause restant dans la limite du droit résultant du brevet. Il paraît du reste impossible, à peine d'arbitraire, de donner une solution générale par voie réglementaire. Il s'agit d'espèces. La première communication violait de manière grave les droits du breveté en interdisant, sauf application de l'art. 85, § 3, les licences exclusives. Cette même communication violait, de manière moins grave mais sensible, les droits résultant du brevet en soumettant à l'art. 85, § 3, sous réserve du délai de trois ans; les clauses de qualité et celles relatives aux perfectionnements qui, d'une part, présentent un lien avec l'exploitation

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du brevet et, d'autre part, ne dépassent pas nettement la limite des droits résultant du brevet. Reste la clause d'approvisionnement qui dépasse cette limite, mais qui doit bénéficier, sauf exception de l'art. 4, § 2.2.6. Il faut du reste remarquer que l'art. 85, § 1, e, et l'art. 86, al. 2 d, interdisent de manière absolue de subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation par les partenaires de prestations supplémentaires dont la nature, selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. Or les clauses indiquées ci-dessus ont un lien direct et nécessaire avec l'exploitation du brevet. Elles ne sont donc pas contraires à ces dispositions. La première communication suscita de vives protestations. Les principes qui y étaient énoncés furent abandonnés par la Commission. — L a communication du 24 décembre 1962 (J. 0. Comm., p. 2921/62) se fonde sur la distinction classique en bien des pays entre les clauses qui restent dans la limite des droits résultant du brevet et celles qui excèdent cette limite, mais parfois avec certaines restrictions. Deux remarques doivent être formulées : 10 La Commission ne vise que la licence et non la cession ; il faut donc savoir s'il faut raisonner à fortiori pour les cessions; il semble qu'il en est ainsi à raison de l'art. 4, § 2.2.6, qui vise tous les droits de propriété industrielle. Le même problème se pose pour les autres droits de propriété industrielle, marques en particulier. La Commission écarte l'application de la communication aux autres droits de propriété industrielle (III, al. 3) ; mais l'importance pratique de ces contrats est limitée et le problème se pose en termes différents pour les marques, qui donnent un avantage commercial et non technique. Dans les divers pays ayant des lois antitrust, les marques ont soulevé peu de difficultés, cèlles-ci se rapportant à des cas où les marques sont utilisées pour répartir des marchés; 2° La communication est faite « sur la base des circonstances actuelles » . Il ne s'agit pas d'une solution de principe et définitive. Cette idée est très critiquable en tant qu'il s'agit des clauses restant dans la limite des droits résultant du brevet.

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I. — A) Selon cette communication I, ne sont pas visées par l'interdiction de l'art. 85, § 1 : — les obligations imposées au licencié : 1° limitant les modes d'exploitation de l'invention (fabrication, usage vente); 2° limitant la fabrication ou l'application du procédé à certaines applications; 3° limitant la quantité fabriquée ou le nombre d'actes d'exploitation; 4° limitant dans le temps, limitant dans l'espace, limitant quant à la personne (interdiction de céder ou d'accorder des sous-licences). Aucune difficulté n'apparaît sur ce point. Il s'agit en effet de démembrements du droit résultant du brevet. Le fait pour le licencié de dépasser les limites ainsi fixées par le contrat le constitue contrefacteur en droit français (R. Plaisant et P. Mathely, Jurisclasseur Brevets d'Invention, fasc. XXIV, n° 92). La Commission précise au n° IV que des engagements sont couverts par le brevet, ce qui est certain. Elle ajoute : « Ils impliquent uniquement le maintien partiel du droit d'interdiction que comporte le droit exclusif vis-à-vis du licencié >; ce qui est exact, mais se rattache à la notion, inexacte à notre avis, selon laquelle le droit résultant du brevet est un droit d'interdiction purement négatif. Elle indique enfin que cette énumération n'est pas exhaustive, c'est-à-dire limitative. B) Obligation pour le licencié d'apposer sur le produit l'indication du brevet. Cette clause est constante, elle est en principe dans l'intérêt et du breveté et du licencié. Il ne semble pas que sa violation constitue une contrefaçon, ce qui montre bien l'insuffisance du critère fondé sur la possibilité d'intenter ou non l'action en contrefaçon. La Commission (IV, al. 2) justifie cette solution par le fait que le breveté y a un intérêt légitime; elle ajoute que la concurrence n'est pas limitée dès lors que le licencié a le droit d'apposer un autre signé. C) Obligations de respecter certaines normes de qualité en obligations d'approvisionnement « dans la mesure où

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elles sont indispensables pour assurer une exploitation techniquement irréprochable du brevet >. D) Engagements concernant la communication des perfectionnements brevetés ou non brevetés; leur validité quant au licencié est soumise à une double condition, exprimée en termes fort confus : — l'obligation de communication du licencié ne doit pas être exclusive; — le concédant (le breveté semble-t-il) doit avoir contracté des engagements analogues, autrement dit, il doit y avoir réciprocité. Au IV, 4* al., la Commission justifie ses solutions de la manière suivante : — pour le breveté, l'obligation de donner licence des perfectionnements ne limite pas la concurrence; la clause peut donc être autorisée sans condition; — pour le licencié, la clause limiterait la liberté de la concurrence si sa portée n'était pas limitée; la Commission considère sans doute que cette clause permet au breveté d'élargir son monopole outre la mesure résultant de son propre brevet. Pour que cette restriction disparaisse, il faut donc que le breveté reçoive un droit non exclusif et que le licencié puisse disposer des perfectionnements au profit de tiers; d'où la première condition. A cette première condition, la Commission ajoute la clause de réciprocité, sans en donner aucune justification. Cette construction nous paraît mal fondée et assez arbitraire. Elle porte atteinte au droit du breveté et du licencié de disposer de leurs inventions et ainsi restreint abusivement le droit tenant à l'invention. Si la clause relative aux perfectionnements est si étendue qu'elle a pour effet de constituer un pool de brevet, il peut y avoir entente pour une accumulation de brevets aboutissant à créer une position de monopole tenant, non pas à chaque brevet, mais à cette accumulation de brevets résultant d'une convention spéciale. Aussi longtemps qu'il n'en est pas ainsi, il n'y a pas restriction à la concurrence; sous prétexte d'empêcher une restriction à la concurrence, la Commission réglemente

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un contrat qui a pour objet des brevets et des droits exclusifs en résultant sans plus; elle dépasse ses pouvoirs. Il faut ajouter que les perfectionnements découverts par le licencié auront souvent un lien de dépendance avec les conventions brevetées par le concédant de la licence, si bien qu'ils ne pourront être exploités sans l'autorisation du concédant. E) Engagement du concédant de n'autoriser personne d'autre à exploiter l'invention, et de ne pas exploiter luimême : il s'agit des licences exclusives. Le commentaire du n° IV, al. 5, est un mélange curieux et incertain de notions contradictoires en lequel apparaissent des traces de la première Communication qui était si critiquable, la Commission indique que, « abstraction faite de la question controversée de savoir si de tels engagements ont pour objet ou pour effet une restriction de la concurrence, ils ne sont pas, dans la situation actuelle de la Communauté, susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats » . La première phrase se réfère à la discussion sur les licences exclusives. La seconde donne une échappatoire qui paraît très mal fondée; la question n'est pas de savoir si ces licences affectent ou n'affectent pas le commerce entre les états membres, mais s'il s'agit ou non d'une prérogative inhérente au brevet; notre opinion est qu'il s'agit d'une prérogative inhérente au brevet que le traité ne peut modifier ou limiter. La Commission indique enfin que pas exploiter soi-même l'invention étroitement à une cession du droit et soulever d'objection » . Il en est bien

« l'engagement de ne brevetée s'apparente dès lors ne paraît pas ainsi.

II. — Au numéro 2, la Commission : D'une part, écarte du domaine de la communication les communautés de brevet, les licences réciproques, les licences multiples, disposition figurant aussi au n° III; D'autre part, précise que les règles du n® 1, A à E, ne valent que dans la mesure où les clauses ne sont pas stipulées pour une durée excédant celle des brevets. Ce point sera repris ci-dessous.

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III. — Il faut enfin analyser brièvement le n" III. A l'ai. 1, la Commission indique : « Aussi longtemps et pour autant que ces contrats ne contiennent pas de restrictions autres que celles résultant d'une ou de plusieurs clauses visées ci-dessus, la Commission estime qu'ils ne sont pas affectés par l'interdiction édictée à l'art. 85, § 1. > Il en résulte, en termes curieusement compliqués et incertains, qu'il n'y a lieu ni à demande d'attestation négative, ni à notification. Un point important est que peuvent figurer dans un même contrat « plusieurs » des clauses analysées dans la communication. Selon l'ai. 2, la communication ne préjuge pas de l'interprétation qui sera donnée par, soit d'autres autorités compétentes, il s'agit sans doute soit de la Cour de Justice, soit d'autres autorités compétentes, administratives nationales ou tribunaux. Selon l'ai. 3, la communication ne s'applique : — ni aux communautés de brevets; — ni aux licences complexes, réciproques ou multiples parallèles ; — ni aux autres droits de propriété industrielle ou au know-how; ce dernier est visé au n° I D, à propos des perfectionnements. Selon l'ai. 4, la communication ne préjuge pas de l'interprétation de l'art. 4, § 2, 2 b, du règlement 17. Conclusion : La communication est incertaine, complexe et en quelque mesure contradictoire; il en est toujours ainsi à raison de la nécessité de parvenir à un compromis entre tendances diverses. La Commission veut procéder analytiquement; elle ne veut pas se lier par des principes. Ce procédé peut être sage en pratique. Il ne crée pas la clarté. L'exemple typique de ces incertitudes est la disposition du n° III, al. 4, selon lequel la communication ne préjuge pas de l'interprétation du règl. 17, art. 4, § 2.2.b. En dépit de cette affirmation, il y a bien interprétation et de l'art. 85 du traité et, par voie de conséquence, du règlement 17, puisque la Commission dispense de notification. Il faut alors et justement se demander ce qui reste du règl. 17, art. 4, § 2.2.6.

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Aucune difficulté n'apparait pour les clauses visées au numéro I A, limitation du droit cédé, et, à notre sens I-E, licence exclusive. La clause B, indication du brevet, ne suscite pas non plus de difficulté, car elle ne limite pas la concurrence, bien que l'indication donnée par la Commission (n° IV, al. 2) soit assez menaçante; il y aurait restriction à la concurrence s'il est interdit au licencié d'apposer une marque. Reste le n" I-C, qualité, approvisionnement, et D, perfectionnement; ces clauses paraissent être typiquement celles bénéficiant de l'art. 4, § 2.2.6. On est ainsi conduit à penser que le domaine de l'art. 4, § 2.2.6, est le sien propre, moins celui de la communication; le domaine propre de l'art. 4, § 2.2.6, est celui des clauses dépassant la limite stricte du brevet mais nécessaires à la bonne exploitation de celui-ci. C'est dire que la communication donne certaines assurances utiles, mais au prix d'incertitudes accrues dans tous les cas qu'elle ne vise pas spécifiquement. LICENCES SIMPLES. — CLAUSES NE DÉPASSANT PAS LES LIMITES DU DROIT CONFÉRÉ PAR LE BREVET.

— Etendue

de la licence dans le

temps.

La licence peut être concédée pour toute la durée du brevet ou pour partie de cette durée. Il n'est aucune difficulté sur ce point (Communication I. 4. a). La difficulté apparaît lorsque la licence a également pour objet, soit les perfectionnements apportés par le breveté soit, et à plus forte raison, les perfectionnements apportés par le licencié. Elle apparaît de même si la licence a pour objet un know-how, dont le brevet est un élément, ou un brevet et un know-how. Il en est ainsi parce que, dans les deux cas, la durée de la licence peut être étendue dans le temps, indéfiniment en principe, fort longuement en pratique. Il se peut que les perfectionnements soient réels et que le know-how continue d'avoir une valeur après l'extinction des brevets; il se peut aussi que ces éléments soient retenus comme objet de la licence pour étendre indûment la durée de celle-ci après l'expiration du brevet principal.

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Dans le premier cas, la clause est valable. Dans le second cas, elle peut constituer une restriction illégale à la liberté de la concurrence, le breveté impose au licencié des obligations qui dépassent les limites du monopole (Rapport Timberg, Licence de méthodologie, p. 9 à 12; Lieberknecht, p. 198; Ludecke et Fischer, p. 685; Loi ail., art. 20). La communication du 24 déc. 1962 limite l'exception de notification au cas où la licence ne dépasse pas la durée du brevet, mais il semble que cette durée doit être calculée compte tenu de celle des brevets de perfectionnement, puis par le breveté et donné par lui en licence au licencié; en effet, selon la communication la licence réciproque de ces perfectionnements découverts par lui est accessoire. Il semble en principe que la clause stipulant une licence pour une durée supérieure est exempte de notification au bénéfice de l'art. 4, § 2.2.b. — Etendue de la licence dans

l'espace.

Aussi longtemps que n'existera pas un brevet européen, il n'y aura que des brevets nationaux. Rien n'interdit, même si le breveté est titulaire de brevets dans les six pays, de ne donner licence que pour un de ces états ou certains d'entre eux. Il en résulte que le licencié ne peut pas exporter dans les autres pays. Cette limitation résulte de la loi (R. Plaisant et P. Mathely, Jurisclasseur Brevets d'Invention, fasc. XXXIII, n® 110); une clause spéciale est inutile; si une telle clause est stipulée, elle ne fait que reprendre la loi et n'établit aucune restriction supplémentaire à la concurrence; elle n'est donc pas contraire à l'art. 85. Il ne pourrait en être différemment que dans le cas où existerait entre plusieurs entreprises une entente tendant à répartir des brevets entre elles, soit en les prenant chacune dans certains pays à l'origine, soit en se les cédant réciproquement, pour créer une répartition de marchés. La situation serait différente si le breveté n'avait de brevet que dans un pays ou certains pays, et non dans les autres, et s'il interdisait d'exporter dans un Etat où n'existe pas de brevet. Il dépasserait alors les limites de son droit et pourrait tomber sous le coup de l'art. 85. Il pourrait,

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semble-t-il, bénéficier de l'art. 4, § 2, mais ce point est douteux. Le problème se poserait également si la clause interdisait l'exportation dans des Etats étrangers au Marché Commun. Il n'y a pas lieu d'étudier ici le domaine d'application du traité dans l'espace. Il semble que le traité n'est pas applicable, sauf incidence sur le commerce entre les Etatsmembres. La question des interdictions d'importer s'est déjà posée pour l'application du traité à propos des exclusivités de vente, mais non pas à propos de licences ou de cession de brevets 3 . Il faut noter que les clauses limitant le droit du licencié dans l'espace ont donné lieu à un changement d'opinion du B.K.A. pour l'application de la loi allemande. Il était traditionnellement admis que le breveté restait strictement dans les limites de son droit en limitant le territoire, soit de fabrication, soit de vente, en particulier à l'étranger; il était admis par la jurisprudence relative à la loi sur les brevets d'inventions que l'exportation hors d'Allemagne, contrairement à la clause interdisant d'exporter, constituait une contrefaçon. Le B.K.A. avait admis que l'exemption établie par la loi sur les pratiques restrictives, art. 20, s'appliquait à ces clauses, considérées comme licites en soi. Le B.K.A. considère maintenant que ces clauses ne sont pas licites en soi, mais sont soumises à son contrôle (Rapport du B.K.A., 1962, p. 70; Müller, Henneberg et Schwartz, p. 591). — Nature

de la licence (exclusive

ou non

exclusive).

La liberté du breveté ne paraît pas pouvoir être restreinte sur ce point par les lois contre les pratiques restrictives. Il peut en être autrement dans la mesure où des combinaisons de licences, exclusives en particulier, aboutissent à 3 B.K.A., 13 févr. 1959 et 12 déc. 1960, W.u.W. 61, 297 et 303. Question écrite M. Nederhorst, J.O., 61 736. Holt. Zur Zulassigkeit vom Re-Importverboten M.A. 61 115. Leennann, Die Verbindung von Import und Export Kartellen i m Rahmen Internationaler Kartellen nach dem G W B., W.u.W. 61 396. Wurdinger, Export Kartelle und E.W.G. W.u.W. 60 313).

TRAITÉ DE C.E.E. ET DROITS DE PROPRIÉTÉ

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une répartition de marchés. La communication du 24 décembre 1962 réserve formellement la liberté du breveté de concéder des licences exclusives ou non. — Brevet ou brevets dont licence est donnée. Le breveté est libre de donner en licence un ou plusieurs brevets. L'atteinte à la liberté de la concurrence peut apparaître, soit dans le cas où la concession de licence a pour objet des brevets de perfectionnement dont la validité et la valeur sont douteuses, si bien que le monopole tenant au brevet est prolongé de manière excessive, soit dans le cas de licences complexes, soit dans le cas où des cessions ou licences conduisent à créer une entente, soit dans le cas d'abus de puissance économique dominante. Cependant, un cas particulier doit être signalé, celui où le breveté oblige le licencié à accepter une licence ayant pour objet, non seulement le brevet qui l'intéresse, mais encore d'autres brevets qu'il estime sans intérêt; ce procédé est celui dit du « package licensing >. Ce procédé a été condamné aux Etats-Unis (Report of G. A., p. 239; Chesterfield Oppenheim, p. 823). Il a été autorisé dans un cas en Angleterre (v. Lieberknecht, p. 240). Il semble que cette clause pourrait être jugée contraire à la loi allemande (art. 20, § 1). Le package licensing prête donc à difficultés. Sa validité dépend de l'espèce et de la loi du pays pour lequel la licence est donnée. Il est malaisé de savoir si une telle clause bénéficie de l'art. 4, § 2.2. Le traité, art. 85, et le règlement sont beaucoup moins précis que la loi allemande, art. 20, qui interdit toute clause imposant au licencié des restrictions outrepassant les limites du droit de protection normalement conféré au breveté, sauf exception. Il semble que la loi allemande devrait être interprétée de manière très large pour interdire une telle clause; à plus forte raison en est-il ainsi pour le traité. Il semble donc que cette clause n'est pas contraire au traité et le règlement, art. 4, § 2, ne lui est même pas applicable parce que cette clause ne limite pas à proprement parler la liberté du licencié. Le breveté

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est libre de céder ou de donner licence d'un, deux ou plusieurs brevets. La prudence s'impose cependant. — Objet de la licence. Modes

d'exploitation.

Le breveté a toute latitude pour limiter le domaine d'application de la licence. Celle-ci peut être donnée, soit pour toute l'invention protégée par le brevet, soit pour partie de cette invention (communication I. 1. 2.6). Le breveté peut de même limiter les ventes de produits brevetés par le licencié à certains clients, mais cette clause peut prêter à difficultés lorsqu'elle est un élément d'une répartition de marchés. Il peut limiter la licence à la production d'un nombre limité d'articles ou à certains usages. En stipulant ces clauses, le brevet reste en principe dans la limite de son monopole (Report G. A., p. 236; Langen, p. 189 et 190) — Communication 1.3 — quant aux quantités, rien en ce qui concerne les clients auxquels la licence est autorisée à livrer. — Montant

des

redevances.

Le breveté fixe librement le montant des sommes et redevances dues par le licencié en contrepartie du droit d'utiliser le brevet (Langen, p. 188). On pourrait imaginer qu'il soit fait exception à ce principe dans le cas d'abus de puissance économique conduisant à imposer des redevances telles que l'exploitation du brevet serait pratiquement impossible. II faut alors noter que le breveté pourrait simplement refuser toute licence. II faudrait que le refus d'une licence puisse constituer un abus de puissance économique pour que le fait d'accorder une licence comportant des redevances excessives soit luimême répréhensible. Le cas le plus délicat est celui où un breveté concède plusieurs licences non exclusives. Il faut savoir s'il a le droit de fixer des taux de redevance différents. Souvent une clause, dite du licencié le plus favorisé, est stipulée pour éviter ces différences, mais aucune disposition légale ne l'impose. On pourrait soutenir qu'il y a pratique discriminatoire, mais les dispositions du traité sur les pratiques discriminatoires ne semblent guère applicables à ces contrats d'un genre très particulier, souvent passés intuitu

TRAITÉ DE C.E.E. ET DROITS DE PROPRIÉTÉ

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personae et qui ne concernent pas la vente de marchandises ou des prestations de service pour lesquelles existe un véritable marché largement ouvert au public. S'il y a position dominante du brevet, l'art. 86 peut être applicable. Dans le cas contraire, il semble que le breveté reste strictement dans la limite de son droit exclusif et qu'il est libre de stipuler sur ce point. — Clause de

qualité.

Cette clause est celle par laquelle le breveté impose au licencié certaines normes de qualité. Cette clause est à la limite du droit résultant du brevet, mais ne semble pas la dépasser. En effet, le breveté a un intérêt direct à la bonne qualité des produits fabriqués sous licence, surtout s'il exploite lui-même. Il en est ainsi d'autant plus que les articles fabriqués portent généralement l'indication du brevet et celle de la qualité de licencié. Alors se pose la question de savoir si cette clause présente un lien « réel » avec le brevet (Guide Pratique concernant les art. 85 et 86, p. 12); si la clause présente un lien réel, elle bénéficie de l'art. 4, § 2.2, sinon elle n'en bénéficie pas. Reste à savoir ce qu'est un lien réel. Cette notion a fait l'objet d'études approfondies en Allemagne (Lüdecke et Fischer, p. 379; Lieberknecht, p. 166; Müller, Henneberg et Schwartz, p. 581). Il ne semble pas que cette notion soit applicable aux Etats-Unis (Report of G. A., p. 231; Neale, p. 261; Chesterfield Oppenheim, p. 794). Selon certains, la clause présenterait un lien réel avec le brevet lorsque sa violation a pour sanction l'action en contrefaçon. Cette conception est des plus discutables. Il est douteux que la violation de la clause de qualité permette d'intenter l'action en contrefaçon, mais il ne paraît pas qu'il faille appliquer ce critère pour définir les clauses restant dans la limite du droit selon les lois sur les pratiques restrictives. En effet, l'action pénale en contrefaçon est de droit étroit, et le breveté a des intérêts légitimes à défendre en dehors des cas où l'action en contrefaçon peut être intentée, sans restreindre abusivement la liberté du licencié.

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L'art. 4, § 2.2.6, du règlement est typiquement fait pour ce genre de clauses. La communication du 24 décembre indique que cette clause ne tombe pas sous le coup de l'art. 85 et n'a pas à être notifiée. — Clause

d'approvisionnement.

Il en sera traité ci-dessous à propos des clauses dépassant la limite des droits nés du brevet (Tying clause). — Clause relative aux

perfectionnements.

Il est couramment stipulé que le breveté et le licencié se donnent sans redevance supplémentaire licence réciproque des perfectionnements. Il est clair que, à défaut, aucun des deux ne peut exploiter dans les conditions les meilleures. De cette clause peut naître un pool de brevets et, à ce propos, peut être constituée une entente, mais il n'en est pas nécessairement ainsi. Au point de vue du droit des brevets, il faut tenir compte du lien de dépendance existant entre brevets de base et brevets de perfectionnement. Les clauses relatives aux perfectionnements en découlent nécessairement (v. L. française du 5 juill. 1841 sur les brevets, art. 22). Il en résulte que ces clauses ne peuvent être considérées comme dépassant la limite du droit résultant du brevet, sauf circonstances particulières. Comme pour la clause de qualité, l'art. 4, § 2.2.b, est typiquement applicable à ces clauses. La communication du 24 décembre 1962 les dispense de notification, mais à certaines conditions seulement. Cette solution nous paraît très critiquable. La prudence incite cependant à notifier selon l'art. 4, § 2.2.6, les clauses ne remplissant pas les conditions prévues par la communication (v. Müller, Henneberg et Schwartz, p. 587, sur la loi allemande art. 20, § 2, 3, selon laquelle la clause est valable à la condition qu'il y ait réciprocité. Les clauses relatives aux perfectionnements ne semblent pas susciter de difficultés aux Etats-Unis s'il n'y a pas pool de brevets d'invention ou volonté de monopoliser (Report of the G. A., p. 246; Chesterfield Oppenheim, p. 834).

TRAITÉ DE C.E.E. ET DROITS DE P R O P R I É T É

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L I C E N C E S SIMPLES. CLAUSES POUVANT DÉPASSER LES LIMITES DU DROIT EXCLUSIF RÉSULTANT DU BREVET.

Il a été indiqué ci-dessus que le breveté, s'il dépasse les limites de son droit exclusif pour s'assurer des avantages supplémentaires à l'occasion de la cession ou de la concession, peut tomber sous le coup des dispositions sur les pratiques restrictives. C'est à la lumière de cette idée générale et généralement admise que le règlement doit être interprété. A vrai dire, le texte est assez ambigu à raison de l'adjectif « ces », figurant dans les derniers mots de l'art. 4, § 2.b, « dans l'exercice de ces droits ». On pourrait être tenté d'interpréter le texte en ce sens que le breveté ne peut céder ou concéder que totalement, toute cession ou concession comportant des limitations étant interdite. Cette rigueur sans précédent ne peut être admise en l'absence d'un texte formel; il en est ainsi d'autant plus que le traité art. 36 réserve totalement les droits de propriété industrielle. Cependant, il faut noter que le mot « ces » peut être la base d'une interprétation très étroite et du reste pleine d'incertitudes. — Etendue de la licence dans le temps. La question se pose à propos de la clause selon laquelle la licence dure après l'extinction du dernier brevet. Il a été indiqué ci-dessus que l'existence des brevets peut être prolongée artificiellement par la licence, soit de perfectionnement des brevets de validité et de valeur douteuses — la chose est difficile en pays d'examen préalable —, soit de brevets n'ayant pas un rapport certain avec l'objet de la licence primitive. Il y a fraude et ce cas revient à celui actuellement étudié. En pareille hypothèse, il faut savoir si la valeur du know-how qui subsiste, après l'extinction des brevets, justifie le maintien du contrat. Sinon, il y a restriction à la liberté du licencié et restriction non justifiée par le brevet lui-même (v. Loi ail. art. 19, 1"; Lieberknecht, p. 198; Mûller, Henneberg et Scbwartz, p. 593). Il a été indiqué que la communication du 24 décembre 1962 limite l'exception de notification aux clauses stipulées seulement pour la durée du brevet.

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— Etendue de la licence dans l'espace. Il a été traité de cette question à propos des clauses restant dans la limite du droit exclusif. L'interdiction d'exporter suscite une difficulté supplémentaire; celle de savoir si elle lie les acheteurs des produits fabriqués par le licencié. Selon le droit commun, la question relève du droit des contrats; le licencié peut stipuler cette condition; à défaut, l'acheteur n'est pas lié. Selon les lois contre les pratiques restrictives, il faut savoir si de cette clause ne résulte pas une limitation de la concurrence. Il est généralement admis que ces clauses s'appliquent au licencié — elles restent dans les limites du monopole donné par le brevet — mais qu'elles ne peuvent pas s'appliquer à des tiers parce que le produit fabriqué par le licencié est vendu sans qu'il soit besoin de donner une licence (Lange, p. 192 pour les prix; Lieberknecht, p. 202; Lûdecke et Fischer, p. 684; Report G. A., p. 237-240; Chesterfield Oppenheim, p. 884). — Nature de la licence (exclusive ou non exclusive). Le breveté décide librement s'il concède une licence exclusive ou non exclusive. Une difficulté apparaît en la matière, dans le cas où le breveté concède plusieurs licences non exclusives, pour savoir s'il a le droit de traiter différemment ses différents licenciés. On ne trouve guère d'allusions à cette question, si ce n'est à propos du package licensing. Si l'on part du principe que le package licensing est interdit, sauf justification suffisante, on peut en déduire que le breveté ne peut pas imposer à un licencié qui prend seulement licence de partie des brevets, les conditions qu'il impose au licencié qui prend la totalité (v. J. W . Swain, « Patent an Antitrust. Some recent Developments » , Jour. Of Pat. Off. Soc., 1961, p. 251). Il a été indiqué ci-dessus que le règlement ne parait pas interdire le package licensing. Il ne semble pas que les solutions américaines puissent être transposées dans le domaine du traité, au moins à l'époque actuelle.

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— Brevets auxquels s'applique la licence. Il a été traité ci-dessus du < package licensing > qui tombe parfois sous le coup des lois contre les pratiques restrictives. Il a été traité à propos de la durée des licences, de l'invalidité des licences s'étendant au-delà de la durée des brevets. — Tying ou

Tie-in-clauses.

Ce cas est classique. Il a fait l'objet de nombreuses solutions en divers pays. Il y a tying clause lorsque le breveté impose au licencié de se fournir exclusivement auprès de lui de matières premières, de machines, de pièces détachées auxquelles ne s'applique aucun brevet, pour exploiter le brevet dont licence est donnée. Il est évident que les limites du monopole résultant du brevet sont dépassées. Les clauses doivent donc être condamnées en principe. Cependant, cette condamnation n'est que conditionnelle. En effet, le breveté peut avoir un intérêt légitime à imposer certaines de ces clauses pour assurer la bonne qualité des produits fabriqués sous licence; dans cette mesure, la clause est valable; il y a donc lieu à appréciation (v. Loi all. art. 20, al. 2, 1°; Loi angl. sur les brevets de 1949, sect. 57; Langen, p. 186 et 187; Lieberknecht, p. 208; Lùdecke et Fischer, p. 770; Miiller, Henneberg et Schwartz, p. 581; Report G. A., p. 237; Chesterfield Oppenheim, p. 854. Il faut, selon le Sherman Act et le Clayton Act, que la concurrence soit « substantially lessened » pour que la clause soit condamnable — Guide E. U., 2 et 3, p. 38). Les Tying clauses sont de manière typique celles pour lesquelles il y a lieu à notification facultative, dès lors qu'elles limitent de manière sensible la liberté du licencié. Cependant, la communication du 24 décembre 1962 les assimile aux clauses de qualité et les exempte de notification comme celles-ci, dans la mesure où elles sont indispensables pour assurer une exploitation techniquement irréprochable du brevet. C'est seulement dans le cas où il n'en serait pas ainsi qu'il y aurait lieu à notification, mais

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il est douteux que l'art. 4, § 2.2.6, soit applicable à de telles clauses. S'il y a position dominante, l'art. 86 peut être applicable. — Limitation

au domaine d'activité du licencié.

Les clauses ayant cet effet sont, semble-t-il, exceptionnelles, sauf un cas, variables et leur statut est incertain. Il ne paraît pas que la question présente une importance notable aux Etats-Unis, en dépit de l'ancienneté des lois antitrust, au contraire les auteurs allemands en traitent largement. La première clause, qui ne paraît pas illogique — surtout dans une licence exclusive — est celle selon laquelle le licencié s'interdit toute activité susceptible de faire concurrence à celle exercée par exploitation du brevet dont licence est donnée. Cette clause est valable, sauf fraude, et à la condition d'être limitée dans le temps, accessoirement dans l'espace. Dans le cas contraire, même dans un pays où la liberté est aussi grande qu'en France, il pourrait être jugé qu'il y a restriction illicite à la liberté du commerce et de l'industrie. Une autre clause est celle selon laquelle la licence est limitée à la fabrication d'un nombre déterminé d'objets ou à la livraison à certains clients déterminés. Cette clause reste dans la limite du monopole. Elle est en principe valable. Elle peut tomber sous le coup des dispositions légales interdisant les répartitions de marchés ou la limitation des débouchés si la licence n'est qu'un élément d'une entente plus vaste. Il faut signaler un avis intéressant mais de portée incertaine, rendu par la Commission technique des Ententes (France, 8 oct. 1955, J. 0. Doc. Adm., 1960, n* 1, p. 20). Le breveté avait donné licence de fabriquer un produit. Il était stipulé que le licencié ne devait utiliser le produit que pour la fabrication de certains appareils entiers et non de pièces détachées. Il fut décidé que cette restriction était contraire à l'Ord. du 30 juin 1945, art. 59 bis, qui interdit les ententes faussant le jeu de la concurrence et ayant une incidence fâcheuse sur les prix. L'avis n'est pas parfaitement concluant parce que les intérêts de la défense natio-

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nale étaient en jeu : la clause limitant les facilités de réapprovisionnement du Ministère de la Guerre. — Diverses clauses sont telles qu'il y a lieu de se demander dans quelle mesure il y a licence de brevet et dans quelle mesure il n'y a pas stipulation d'une clause étrangère au brevet à propos d'une licence de brevet. Lorsqu'il y a licence de procédé, il semble que toute clause restreignant la liberté du licencié quant à l'exploitation technique du procédé, obligation d'utiliser certaines machines, certains produits, fournis par le breveté constitue un tying clause. En fait, il peut être difficile de savoir s'il s'agit, soit d'un brevet de produit ayant la machine ou la matière pour objet, soit d'un brevet de procédé exploitable avec des machines ou des produits définis (v. Loi ail., art. 20; Loi angl., sect. 57; Langen, p. 186; Lieberknecht, p. 186; Ludecke et Fischer, p. 685 et s.; Müller, Henneberg et Schwartz, p. 596). Lorsqu'il y a vente de machine avec licence explicite ou implicite d'utiliser le procédé pour l'exploitation duquel cette machine est conçue, la question se pose de savoir si le breveté (brevet de procédé) peut restreindre l'usage de la machine par le licencié. En principe, le brevet dépasse les limites du monopole, mais sous la réserve faite ci-dessus de savoir si le brevet concerne le procédé et non la machine. L a clause peut donc être contraire aux lois sur les pratiques restrictives. Lorsqu'il y a licence de fabriquer un produit ou une machine brevetée, le breveté peut tenter de limiter les ventes de ce produit ou de cette machine; il peut en interdire la vente pour n'autoriser que la location; il peut limiter l'utilisation à certains usages. Ces restrictions demeurent, en principe, dans la limite du monopole, mais leur opposabilité aux tiers acquéreurs n'est généralement pas admise. La validité de ces clauses — non contestables le plus souvent à ce point de vue — est critiquable à un autre point de vue, car elles peuvent être le moyen d'une entente tendant à répartir les marchés ou limiter les débouchés. Un cas remarquable est analysé par M. J. W . Swain CJour. Pat. Off. Soc., 1961, p. 251; Baldwin Luna Hamilton corp., 169; F. Summ., 1, E. D. Pa., 1958). Le breveté avait donné licence de fabriquer un élément essentiel d'un appa-

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reil en limitant l'usage à certains appareils ne faisant pas concurrence à ceux vendus par lui. Il fut jugé qu'il y avait contravention aux lois antitrust américaines. II semble qu'un tel cas est un de ceux où s'applique l'art. 4, § 2, sous réserve du contrôle de la Commission en cas d'abus et de recours à la notification facultative pour obtenir une assurance à priori. — Droit de concéder des sous-licences licence.

ou de céder la

Les clauses relatives à ce droit restent strictement dans les limites du monopole. Il en est ainsi selon la communication du 24 décembre 1962, I s. i.e. — Montant des redevances. Le breveté est en principe libre de fixer le montant des redevances à son gré (Lieberknecht, p. 234). Une difficulté pourrait apparaître dans le cas, fréquent en pratique, où la base de calcul de la redevance est le prix d'un ensemble dans lequel seul un élément est fabriqué Sous licence; il ne semble pas qu'il y ait atteinte à la liberté de la concurrence, étant donné que le breveté est libre de ne pas concéder de licence (Müller, Henneberg et Schwartz, p. 587; Ludecke et Fischer, p. 713 et s.). — Prix de vente des produits fabriqués au moyen du brevet concédé ou des prestations de service effectuées de la sorte. L'intérêt du breveté à stipuler une telle clause est évident. En cas de licence, elle permet à la fois d'éviter une concurrence trop forte faite par le licencié et de donner une base aux redevances. En France, le point de savoir si l'Ord. du 30 juin 1945, art. 37, 4°, interdisant les prix imposés s'applique à ce cas est discutable, car il n'y a pas à proprement parler prix vertical, mais il est probable que le juge appliquerait la loi strictement et largement, bien qu'il s'agisse d'une loi pénale. En Allemagne, fixer le prix de vente par la licence n'était pas interdit par les lois de décartellisation (Ludecke et Fischer, Lizenzverträge, p. 702). La loi du 27 juillet 1957

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n'interdit pas les prix imposés (art. 16) et ne limite pas la liberté de stipuler de telles clauses dans les contrats de licence (art. 20, § 2; Langen, p. 191; Müller, Henneberg et Schwartz, p. 184). Aux Etats-Unis, il a été jugé que le breveté peut fixer les prix devant être pratiqués par le licencié, mais que la vente par le licencié met fin au monopole résultant du brevet et que le breveté ne peut pas fixer les prix de vente par un autre que le licencié (v. Report A. G., p. 233). Le traité de C.E.E., art. 85 et 86, est sévère pour les fixations de prix. Il semble que cette clause doit être notifiée. Il ne semble pas qu'elle bénéficie du règlement art. 4, § 2.2.a, relatif aux prix imposés à la revente de marchandises acquises de la personne qui impose le prix, exemptant de notification obligatoire. Il est douteux que l'art. 4, § 2.2.b, lui soit applicable. Si la validité des clauses fixant les prix de vente par le licencié est admise, une question subsidiaire se pose, celle de savoir si le breveté peut stipuler une clause fixant des prix de revente par les acheteurs du licencié. Cette clause n'a pas été jugée valable aux Etats-Unis. Le traité de C.E.E. est sévère pour les fixations de prix et la prudence s'impose. — Clause interdisant au licencié ou au breveté d'exercer une activité concurrente de celle résultant de la licence. Dans le cas du licencié, cette clause ne fait guère que confirmer l'obligation d'exploiter de bonne foi incombant au licencié. Elle se conçoit mieux dans la licence exclusive que dans la licence non exclusive. On peut considérer que cette clause dépasse quelque peu les limites du brevet, mais elle a un rapport étroit avec l'exploitation de celui-ci, et l'art. 4, § 2.2.b, nous paraît applicable de manière certaine. Dans le cas du breveté, il faut distinguer : Le premier cas est celui de la licence exclusive dans laquelle le breveté renonce lui-même à exploiter; l'interdiction d'exercer une activité voisine et concurrente s'y rattache directement et rentre dans l'obligation de garantie; il en résulte que cette clause ne constitue pas une entente et ne tombe pas sous le coup de l'art. 85 (Langen, p. 19; Ludecke et Fischer,

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p. 741; Lieberknecht, p. 176 et s.). En cas de cession, cette clause ne fait qu'exprimer l'obligation légale de garantie. Le second cas est celui où le breveté ne renonce pas à exploiter lui-même; dans ce cas, l'interdiction d'exercer une activité voisine est une restriction à la liberté de la concurrence qui tombe sous le coup de l'art. 85; la clause ne se comprend guère et n'est sans doute jamais stipulée. Plus délicate est la clause interdisant d'exercer l'activité à laquelle se rapporte le brevet ou une activité voisine pour une certaine durée après expiration de la licence. En droit français, une telle clause n'est valable qu'à la condition d'être limitée dans l'espace et dans le temps, car elle restreint la liberté du commerce et de l'industrie. En ce qui concerne l'art. 85, stipulée à la charge du licencié, on peut admettre qu'elle bénéficie de l'art. 4, § 2.2.6, mais la chose n'est pas certaine : stipulée à la charge du breveté, ce qui est sans doute très rare, elle est soumise à l'art. 85 et ne bénéficie pas de l'art. 4, § 2.2.b. Il suffit de mentionner diverses clauses qui sont probablement rares, telle que celle par laquelle le breveté s'engage à ne concéder de licence à des tiers qu'à des conditions plus onéreuses (Ludecke et Fischer, p. 732). — Clause interdisant au licencié de contester la validité du brevet. Cette clause est fréquemment stipulée pour des raisons évidentes tenant à la sécurité du breveté. Sa validité, en ce qui concerne les lois interdisant les pratiques restrictives, paraît discutable. Partant du principe que toute clause par laquelle le breveté se fait concéder certains avantages dépassant les limites du monopole est suspecte, celle par laquelle le licencié s'interdit de discuter la validité du brevet l'est à fortiori. S'il n'existe pas un brevet valable, tout avantage reconnu au breveté dépasse les limites d'un monopole qui n'existe pas. Cet excès de logique aboutit à l'illogisme. Le juge des ententes n'a pas à apprécier la valeur des prestations réciproques consenties dans un contrat. La clause est donc valable, mais elle peut constituer l'indice de restriction à la liberté de la concurrence contraire aux lois antitrust (Allemagne : Langen, p. 192; loi all., art. 20, 2, 4; Miiller,

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Henneberg et Schwartz, p. 588; — Etats-Unis : Timberg, Rapport au Congrès de Francfort, licence de méthodologie). Telle semble devoir être la solution en ce qui concerne le traité et le règlement. Une telle clause ne nous paraît pas être soumise à notification obligatoire, sauf dans le cas où est nettement destinée à limiter la concurrence, par exemple lorsque la non-validité des brevets concédés est évidente. Elle bénéficie de l'art. 4, § 2.2.6. — Clause pour laquelle une partie renonce à exploiter un brevet. La licence peut être accordée & la condition que le breveté ou le licencié renonce à exploiter une autre invention, brevetée ou non brevetée, susceptible de faire concurrence à celle faisant l'objet de la licence. Il faut rappeler que, si l'invention est brevetée, la nonexploitation expose aux sanctions, déchéances, licence obligatoire, prévues par la quasi-totalité des législations en ce cas, l'exception étant les Etats-Unis. Sauf dans ce pays, cette clause n'est donc guère praticable, si ce n'est pour une durée limitée. II en résulte que le problème ne se pose guère que pour les Etats-Unis. Dans les autres Etats, cette clause peut être l'indice d'une entente plus large (Langen, p. 186). Aux Etats-Unis, le point de vue n'est pas très différent. La clause interdisant l'exploitation d'un brevet est contraire aux lois antitrust dès lors qu'elle est partie d'une pratique elle-même condamnable (Chesterfield Oppenheim, p. 785; Report of the G. A., p. 229). — Clause de « Grant Back ». La clause de Grant Back est celle par laquelle le licencié s'engage à céder au breveté les brevets pris par lui au cours du contrat et ayant pour objet des inventions se rattachant à celle ayant le contrat pour objet (Ludecke et Fischer, p. 340 et s.). Une variante consiste pour le licencié en l'obligation de donner une licence, exclusive ou non, au breveté pendant le contrat et même après expiration du contrat. Pour les Etats-Unis, il est indiqué dans le Report of the General Attorney's Committee (p. 227; Chesterfield Oppen-

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heim, p. 781) que ces clauses ont rarement été discutées en soi, mais comme éléments d'une politique générale tendant à établir un monopole. La conclusion est qu'elles ne sont pas interdites en soi, mais peuvent constituer un élément défavorable pour l'appréciation d'une politique d'ensemble. En Allemagne, il est admis de manière générale que la clause simple de Grant Back, c'est-à-dire indépendante d'autres accords plus étendus, est couverte par l'art. 20 de la loi du 27 juill. 1957, mais que le B.K.A. peut exercer son contrôle s'il en est autrement. Le B.K.A. tient compte de plus du point de savoir si les inventions ainsi cédées au breveté ont un lien plus ou moins étroit avec les brevets dont licence est donnée (Mûller, Henneberg et Schwartz, p. 587). Un point ne doit pas être négligé en la matière. Lorsque l'invention faite par le licencié est dépendante des brevets dont licence est donnée selon la législation sur les brevets d'invention, le licencié ne peut exploiter sans une autorisation du breveté. La clause de Grant Back limite donc beaucoup moins sa liberté qu'il ne paraît au premier abord. La position du B.K.A. est donc fondée. Il apparaît assez clairement que le breveté, par la clause de Grant Back, dépasse les limites du droit qu'il tient de son brevet. Ce dépassement trouve, il est vrai, le plus souvent tout au moins, un fondement dans la législation sur les brevets, elle peut se justifier par diverses raisons économiques. Les indications données dans la publication du 24 décembre 1962 en ce qui concerne les perfectionnements oblige à une grande prudence en la matière. Il semble que le Règl. 17, art. 4, § 2.2.i>, s'applique à cette clause, sauf entente dépassant les limites d'une licence normale. LICENCES COMPLEXES.

Cette question a suscité de très importantes discussions aux Etats-Unis. Il en est ainsi parce que les licences complexes peuvent être moins des contrats de licences véritables, que le moyen de constituer des ententes. Elles apparaissent ainsi suspectes à priori.

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Encore faut-il savoir ce qu'est une licence complexe. Ce terme ne correspond pas à une notion définie. La licence complexe s'oppose à la licence simple. La licence simple est celle selon laquelle une seule partie concède la jouissance d'un brevet à l'autre. La licence complexe est celle selon laquelle chaque partie concède à l'autre la jouissance de brevets lui appartenant. Le passage de la licence simple à la licence complexe peut s'effectuer sans intention spéciale par le jeu de la clause par laquelle le breveté et le licencié se concèdent mutuellement licence des perfectionnements à l'invention de base qu'ils pourront faire l'un et l'autre. Si l'invention ou l'ensemble d'inventions prend une importance suffisante pour l'activité des intéressés, la communauté d'intérêts est ainsi créée, mais ce cas est exceptionnel. D'autres fois, les parties ont dès l'origine l'intention de mettre en commun, par des licences réciproques, leurs inventions faites dans un domaine déterminé. Il s'agit alors d'un pool de brevets. Enfin, il peut arriver que les parties, en plus de la licence des inventions leur appartenant — qu'elles aient été faites par eux ou acquises — s'engagent à se donner sous licence des inventions dont licence leur sera concédée par des tiers. De proche en proche, la communauté de brevets et de licences peut s'étendre à plusieurs entreprises sans adhésion directe à un contrat déterminé. Ni les licences croisées, ni les pools de brevets ou de licences ne sont, en soi, contraires aux lois antitrust (Loi ail., art. 20, al. 2, 3°; Langen, p. 192-194; Lieberknecht, p. 248; Ludecke et Fischer, p. 736 et s.; Etats-Unis, Report G. A., p. 242; Chesterfield Oppenheim, p. 834). Ce principe étant posé, il est évident que, dans tout Etat où s'applique une réglementation sévère contre les pratiques restrictives, cette communauté entre entreprises, concurrentes en principe, est de prime abord suspecte. L'opération étant suspecte en son principe, le juge estimera qu'il y a pratique restrictive s'il lui apparaît que, en fait, par des pratiques plus ou moins constantes — si ce n'est un droit en vertu d'accords formels — les participants se livrent à une de ces opérations dont le traité de C.E.E., art. 85, donne un catalogue bref mais complet.

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Dans la communication du 24 décembre 1962, la Commission distingue entre: — les communautés de brevet; — les licences réciproques, parfois appelées croisées; — les licences multiples parallèles. Elle ne donne aucune précision sur ce qu'il faut entendre par chacune de ces notions. La communauté suppose la mise en commun; elle suppose donc que les divers participants ont un droit égal, proportionnellement à leur mise, le cas échéant, à la jouissance des brevets. Les licences réciproques ou croisées apparaissent, mais dans une mesure très limitée, à la suite des clauses relatives aux perfectionnements; de manière plus générale, les intéressés peuvent se donner licences réciproques de toutes leurs inventions ou de certaines d'entre elles; il est clair qu'un tel accord est proche de la communauté, il en diffère parce qu'il y a un ensemble de licences et non une sorte de mise en indivision des brevets. Les licences multiples parallèles apparaissent sans doute dans le cas où deux ou plusieurs entreprises n'ont pas seulement une licence, mais un ensemble de licences, chaque licence restant distincte des autres; en d'autres termes, il n'y a pas un accord unique dont résulte de plein droit des concessions réciproques de licences, mais une suite d'accords particuliers. La communication du 24 déc. 1962 ne s'applique pas à ces licences (II). Il faut alors savoir : — si de tels accords constituent nécessairement des ententes soumises à l'art. 85; — si le règl. 17, art. 4, § 2.2.b, est applicable. Sur le premier point, il ne semble pas que ces accords restreignent nécessairement la concurrence. On sait que les licences réciproques ou croisées apparaissent facilement par les clauses relatives aux perfectionnements; on sait aussi que la Commission, dans sa communication du 24 décembre 1962, se montre assez soupçonneuse envers ces clauses et subordonne l'exemption à certaines conditions en ce qui concerne le licencié. La prudence incite donc :

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— si l'accord ne limite pas sensiblement la concurrence, à demander une attestation négative ou à notifier, mais l'art. 4, § 2.2.6 du règl. 17 n'est pas applicable; — si l'accord limite la concurrence, à notifier en demandant le bénéfice de l'art. 85, § 3. Sur le second point, de manière générale, le règlement 17, art. 4, § 2.2.b, n'est pas applicable en la matière. CONCLUSION L'application du traité de C.E.E., art. 85, aux contrats ayant pour objet les droits de propriété industrielle, dont les brevets d'invention, constituent un domaine fertile en difficultés, en incertitudes et en subtilités, totalement nouveau pour les juristes français. L'importance des intérêts en jeu ne permet pas de l'ignorer. Il faut remercier la Faculté de Grenoble d'avoir ouvert le débat sur ce point. Robert

PLAISANT.

Droits de Propriété industrielle et Concurrence Rapporteur : M" LASSIER, Avocat à la Cour d'Appel de Paris.

Le sujet de ce rapport nous amène à examiner un problème périphérique de la propriété industrielle, un problème de frontières, car il s'agit d'étudier ce qu'hier le professeur Chavanne qualifiait de collision entre les droits et prérogatives de propriété industrielle et les droits et obligations tirés de législations tendant — en leurs principes tout au moins — à assurer le maintien de la liberté de la concurrence. Il est communément admis que le droit de propriété industrielle créant « de facto » certains monopoles d'exploitation, donc de commerce, donc de concurrence, pouvait être en contradiction dans certaines situations avec les réglementations relatives à la liberté de la concurrence dont le but essentiel est de lutter, le cas échéant, contre des monopoles lorsque ces monopoles commerciaux présentent un certain nombre de critères condamnés par les législations. Cette dualité de droit qui s'affronte ou qui doit, en tout état de cause, dans une économie communautaire, s'articuler, n'a pas du tout la même source juridique; sur le plan communautaire, les règles de la concurrence résultent de dispositions communes, insérées aux articles 85 et suivants du Traité et complétées éventuellement par des dispositions nationales qui se réfèrent au même sujet. En revanche, l'exercice des droits de propriété industrielle n'est

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pas affecté, en théorie, par le Traité qui n'a pas abordé les droits de propriété industrielle, si ce n'est dans son article 36 dans lequel il est fait mention expressément que les restrictions à la libre circulation des marchandises entre les Etats membres peuvent résulter de l'exercice d'un certain nombre de droits parmi lesquels figurent les droits de propriété industrielle. Donc, de cette dualité d'impacts sur l'économie d'un pays, de cette dualité de sources du droit, vient cette collision dont il était fait état hier et que nous avons maintenant à examiner. Je pense que le sujet postule trois parties. La première : Voir quelles sont les réactions philosophiques générales; La seconde : Déceler les positions des autorités qui ont mission de décider en la circonstance; La troisième : Examiner sur quoi débouche une telle situation.

Sur le plan de la philosophie générale, je pense que le débat est largement entamé, que l'on a beaucoup écrit, que l'on a encore beaucoup plus débattu sur le point de savoir dans quelle mesure les règles communes de concurrence inscrites au Traité de Rome étaient de nature ou non à affecter les droits de propriété industrielle. Suivant les milieux dans lesquels se déroulaient ces débats, on est arrivé à des solutions, bien évidemment différentes. Pour les milieux attachés à la protection de la propriété industrielle, la position a été de dire et de répéter, en termes certainement choisis et adaptés, qu'en tout état de cause les droits de propriété industrielle n'étaient pas affectés, en tant que tels, par le traité, que la propriété industrielle devait demeurer intangible et qu'en conséquence l'exploitation qui en découle échappait aux règles de concurrence du Traité. Par contre, dans les enceintes qui sont, pour des raisons diverses, moins attachées à la protection de la propriété industrielle, on comprend assez facilement que les thèses développées tendent à faire entrer les droits de

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propriété industrielle dans le champ et sous l'application des règles communes de concurrence du Traité. Pour ma part, j e pense que ce qui a été dit, écrit et affirmé en ce domaine n ' a qu'un effet limité sur la question, car les affirmations péremptoires suivant lesquelles le droit de propriété industrielle entre ou non dans les règles de concurrence ne fait en réalité que transposer la question, car le problème qui se pose à nous est essentiellement un problème de frontière. C'est un problème qui se pose à toute personne, qu'il s'agisse d'un douanier ou d'un juriste, de savoir à quel endroit, dans quelles circonstances et comment l'on doit planter le poteau frontière entre ce qui est, d'une part, l'exercice des droits qui découlent du patrimoine conférés par la propriété industrielle à leur titulaire et ce qui, d'autre part, constitue l'exercice des droits à caractère purement commercial, qui sont dans le champ de la concurrence commerciale et qui, en tant que tels, sont réglementés par les lois relatives à la concurrence commerciale. Le véritable problème est celui de savoir ce qu'est l'exercice d'un droit de propriété industrielle, de savoir quand cet exercice se trouve, selon la formule allemande et américaine, épuiser le droit de propriété industrielle et quand, en conséquence, on passe le poteau-frontière et que le droit de propriété étant épuisé l'on arrive sur le terrain de la concurrence réglementée. Voici, je crois, posé brièvement le problème philosophique et fondamental autour duquel, je le répète encore, on a beaucoup écrit, mais au sujet duquel les autorités ont encore maintenant à décider et à prendre position. Ceci c'est la seconde partie de notre examen préalable.

Les autorités européennes sont amenées à prendre une position que je me bornerai pour le moment à exposer sans pour autant ni la faire mienne, ni la critiquer, car j e pense que c'est « in fine » qu'il nous appartient d'ébaucher les perspectives qui peuvent découler de telles positions et d'émettre avec réserve, très modestement, un avis à leur sujet.

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On dénote de la part des Autorités européennes un certain décalage de pensée. En effet, qui s'est prononcé sur ces problèmes officiellement en matière européenne ? Il y eut d'abord une prise de position implicite de la part du Conseil de la Communauté Economique Européenne dans le premier règlement d'application des articles 85 et 86 du Traité de Rome. Cette première prise de position est contenue implicitement dans l'article 4, second alinéa du règlement n° 17, aux termes duquel les accords, décisions d'association d'entreprises et pratiques concertées qui ont pour but ou pour effet de limiter l'exercice des droits de propriété industrielle ne sont pas soumis nécessairement et obligatoirement à la notification prévue précisément par cet article 4 du règlement n° 17. Au moment de la publication de ce règlement qui a pris effet le 13 mars 1962, beaucoup se sont posés la question de savoir si cette disposition dérogatoire à la notification prise en faveur des conventions, décisions d'entreprises ou pratiques concertées qui ont pour effet ou pour but de restreindre l'exercice des droits de propriété industrielle, valait uniquement en procédure ou valait également au fonds. Devait-on considérer que le Conseil des Ministres des Affaires étrangères des six Etats membres, qui constitue le Conseil de la C.E.E. et qui constitue le Pouvoir législatif de la C.E.E., avait estimé que ces accords étaient totalement placés hors de l'application des articles 85 et suivants du Traité de Rome. Mais si l'on regarde de près les textes, l'on est quand même appelé à faire la constatation que le second alinéa de l'article 4 du règlement n° 17 est essentiellement un texte de procédure qui vise uniquement l'assujettissement obligatoire ou facultatif à une formalité d'ailleurs substantielle, qui est celle de la notification des accords qui restreignent ou sont susceptibles de restreindre la concurrence et d'affecter le commerce entre les Etats membres au sens de l'article 85, § 1, du Traité. En effet, ces sortes d'accords, pour être validés par application de l'article 85, § 3, doivent faire au préalable l'objet d'une formalité de caractère substantiel, puisqu'elle est nécessaire, qui s'appelle la notification.

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Donc on s'est aperçu assez vite, après quelques hésitations de doctrine, que cette dérogation de l'article 4, § 2, était une dérogation de procédure, mais qui, au fond, n'emportait pas indication précise et formelle de la part du Conseil de la C.E.E.; l'exercice et la limitation de l'exercice des droits de propriété industrielle étaient en eux-mêmes, en tant que tels, mis en dehors de l'application de l'article 85, § 1, du Traité. C'est la première position du 13 mars 1962, ou plus exactement du 6 février 1962. Il restait maintenant à l'exécutif, à la Commission de la C.E.E., à mettre en forme ce règlement d'application, à l'exécuter. Dans cette perspective, et compte tenu des hésitations et des inquiétudes nées de la disposition que nous venons d'examiner dans le règlement n° 17, la Commission a été pressée de faire connaître au moins publiquement ce qu'elle entendait faire en matière de concessions et d'amodiation de droit de propriété industrielle. C'est dans cette perspective que dans le Journal Officiel des Communautés économiques européennes du 9 novembre 1962, était publié un avis dans lequel la Commission indiquait ce qu'elle se proposait d'adopter ultérieurement comme position de principe à l'égard de tels accords et de telles pratiques. Dans cette première communication, il résultait incontestablement que l'exercice des droits de propriété industrielle était considérablement soumis au contrôle qui découle de l'application de l'article 85, à tel point que dès lors qu'un contrat de licence était exclusif, l'article 85 pouvait jouer. Je n'ai pas besoin de beaucoup insister sur les réactions qu'a provoquées ce projet de position de la Commission, et c'est avec un léger soulagement que l'on prit connaissance de ce qu'on appelle le « Message de Noël » de la Commission, publié au Journal Officiel du 24 décembre 1962, communication dans laquelle la Commission prenait cette pétition de principe, indiquant que si elle était saisie de ce problème, et sous réserve de cas particuliers, elle déciderait de telle ou telle manière; on note alors ce décalage dont j'ai fait état précédemment : en effet, la Commission considère comme étant en dehors de l'article 85, § 1, la conclusion de certains accords et de certains contrats.

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Le décalage apparaît avec la prise de position du Conseil des Ministres qui lui-même avait dit que si en procédure on n'était pas obligé de notifier ces accords, au fond ils étaient soumis à l'application de l'article 85, § 1. La Commission, reconnaissant sans doute les légitimes observations qui lui avaient été faites en ce domaine, ne dit pas que ces accords sont autorisés par l'adjudication « in globo » d'une dérogation prise au titre du § 3 de l'article 85. La Commission dit nettement autre chose, elle dit : ces accords se placent en dehors de l'application de l'article 85, § 1, ce fait est important, car il marque le désir de la Commission de ne pas rester dans le champ tracé par l'article 4 du règlement n° 17 du Conseil. Ainsi s'exprime ce décalage de la Commission que je considère raisonnable, encore qu'insuffisant, et qui montre que la Commission est sans doute mieux informée par l'expérience, car elle est au contact des affaires quotidiennes, plus que ne l'est le Conseil des Ministres qui règle les problèmes plus souvent sur un plan politique que technique. Ce glissement tend, bien entendu, à reporter ce poteau-frontière à une distance plus lointaine du centre même de la préoccupation des titulaires du droit de propriété industrielle. Voici donc l'évolution : une évolution de la part des Autorités, et c'est la seule évolution officielle puisque, en dehors de ces textes que je vous ai cités, on n'enregistre pas encore de la part de la Commission, et plus généralement des Autorités européennes, un autre point de vue officiel, car il est évident qu'en définitive ce problème ne pourra être tranché d'une manière décisive que par la Cour de Justice des Communautés européennes lorsqu'elle aura pris position. Citons maintenant ce qui, d'un côté, paraît à la Commission être dans le domaine des droits de propriété industrielle et ce qui, d'un autre côté, lui semble dans le terrain de la concurrence réglementée par les lois générales. Dans le domaine autorisé, on retrouve l'énumération qui figure dans la communication du 24 décembre 1962 dans les § 1 à 111. Observons d'abord que cette communication ne se réfère qu'aux contrats de licence, aux accords de licence de brevets, c'est-à-dire qu'elle ne concerne pas les

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concessions de marques, de dessins, de modèles, car sur ce point, pour des raisons qui d'ailleurs ont été examinées hier, la Commission peut avoir, en matière de marques, d'autres positions. En matière de brevets, les accords qui peuvent s'exercer librement sont groupés en cinq catégories caractéristiques. La première catégorie concerne les obligations imposées aux licenciés, et ces obligations peuvent avoir les objets suivants : la limitation à certains des modes d'exploitation de l'invention qui sont prévus par le droit des brevets (l'on nous donne à titre d'exemple soit la fabrication, soit l'usage, soit la vente). Ainsi, pour la Commission, un accord de licence de brevets qui ferait interdiction au licencié de fabriquer, mais qui ne lui donnerait que l'autorisation de vendre, serait un accord sans doute restrictif de concurrence, mais cette restriction de concurrence ne tombe pas sous le coup de l'interdiction des articles 85 et suivants. Toujours parmi les obligations imposées aux licenciés, celles qui ont pour objet la limitation de la fabrication du produit breveté ou celle de la limitation de l'utilisation du produit breveté à certaines applications techniques, ne sont pas non plus une restriction de concurrence visée par la loi générale. Egalement parmi ces obligations imposées aux licenciés, celles qui ont pour objet la limitation de la quantité des produits à fabriquer ou du nombre des actes d'exploitation sont dans le domaine de la propriété industrielle, domaine de la limitation de l'exploitation et ce observé sur trois plans : — limitation dans le temps, c'est-à-dire licence de plus courte durée que le brevet; — limitation d'exploitation dans l'espace (licence régionale pour une partie du territoire pour lequel est attribué le brevet, licence limitée à un siège d'exploitation ou à une usine déterminée); — limitation de l'exploitation quant à la personne (limitation du pouvoir de disposition du licencié tel que l'interdiction de céder la licence ou d'accorder des souslicences).

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Dans un second groupe, la Commission examine ce qui est autorisé au titre de l'obligation qu'aurait le licencié d'apposer sur le produit l'indication du brevet. C'est vous dire combien la Commission a été loin et combien elle a considéré des obligations qui me paraissent assez éloignées des restrictions de concurrence : je signale au passage combien cette notion de liberté de la concurrence peut aller loin dans l'esprit théoricien et technocrate de la Commission. Dans une troisième catégorie, il s'agit des normes de qualités ou des obligations d'approvisionnement en certains produits imposés aux licenciés dans la mesure où elles sont indispensables pour assurer une exploitation techniquement irréprochable du brevet. C'est pratiquement ce que l'on appelle les < tying clauses > et si la Commission admet que certaines « tying clauses > soient admissibles et échappent au contrôle de l'article 85, § 1, encore faut-il qu'elles soient en rapport direct, indispensable, dit la Commission, à l'exploitation « techniquement irréprochable du brevet ». Vous voyez donc que lorsque les Autorités européennes auront à examiner un contrat et qu'elles auront à se décider sur son droit, combien il faudra que leur compétence soit grande pour définir ce qu'est une exploitation techniquement irréprochable et le caractère indispensable de la fourniture de certains produits ou du fonctionnement de certaines « tying clauses ». Sont également en dehors de l'application de l'article 85, § 1, pour la Commission, les engagements concernant la communication d'expérience acquise dans l'exploitation de l'invention ou l'octroi de licences pour les inventions de perfectionnement ou d'application; ceci n'est toutefois valable que si les engagements contractés par le licencié ne sont pas exclusifs et si le concédant a contracté des engagements analogues; c'est ce que les Américains appellent le « flow-back ». Sur ce point, c'est en fait la tolérance et l'admission des Conventions par lesquelles les brevets déposés par le licencié du brevet principal doivent être rapportés au breveté qui, sans royalties, doit pouvoir bénéficier des avantages procurés par ces nouveaux brevets ou même pouvoir disposer des brevets eux-mêmes.

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Sont aussi en dehors du domaine de l'article 85, § 1, l'engagement du concédant de n'autoriser personne d'autre à exploiter l'invention et l'engagement de ne pas exploiter lui-même l'invention. C'est en fait le problème des exclusivités placées à différents stades, et c'est à l'occasion de ce dernier point que j'ai pu vous dire qu'il y avait un décalage dans la position de la Commission entre les mois de novembre et de décembre 1962 puisque cette disposition, qui est très importante, ne figurait pas dans le premier projet de communication. La Commission a dit qu'elle ne préjugeait pas de l'appréciation juridique des clauses autres que celles qui viennent d'être énumérées; plus particulièrement la Commission réserve sa position et rentre, de ce fait, dans le cadre du règlement du Conseil des Ministres, notamment en ce qui concerne les communautés de brevets, les licences réciproques et les licences multiples parallèles. En l'état actuel des pétitions de principe de la Commission et en dehors de toute position précise prise sur des cas particuliers, l'Exécutif du Marché Commun, sous réserve de la position ultérieure du Conseil des Ministres et de la Cour de Justice, considère que telle est la frontière de l'exercice des droits de propriété industrielle. Par déduction, on peut dire que toute clause relative à un accord de brevet qui peut présenter les caractéristiques de l'article 85, § 1, à savoir restreindre, limiter ou fausser le jeu de la concurrence et affecter ou être susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres — toute autre clause paraît, normalement, tomber sous le coup de l'application de ces règles communes de concurrence du traité.

Très brièvement maintenant, dans cette troisième partie, sur quoi débouchons-nous ? On arrive à une situation qui est totalement à l'opposé du dogme d'appréciation du traité tel qu'il est dégagé de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes. « L'arrêt Bosch » , du 6 avril 1962, contient des dispositions importantes sur le plan de la philosophie du droit du traité que la Cour de Justice a entendu insérer

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dans son arrêt. Elle a dit que le traité devait être interprété avec le souci constant de la sécurité juridique de l'entreprise. Or, il est bien évident qu'en présence des règlements que nous venons de survoler très rapidement, le moins que l'on puisse dire est que ceux qui ont passé des accords de brevets, et plus généralement des accords de propriété industrielle, ne se sentent pas en totale sécurité juridique, surtout si l'on sait que par le mécanisme des procédures prévalues au règlement n" 17, la Commission — si elle voulait en faire un usage strict et rigoureux — pourrait conduire les entreprises dans des situations assez délicates, surtout compte tenu des sanctions, des nullités, des amendes qui peuvent être prononcées et qui peuvent être égales à 10 % du chiffre d'affaires des entreprises et aussi compte tenu des recours en dommages-intérêts qui peuvent être exercés devant les juridictions nationales par les parties qui s'estimeraient lésées par une disposition dont la nullité serait constatée par les Autorités européennes. Je crois que la première constatation qu'il convient de faire est que, au lieu d'être en sécurité, les entreprises sont dans l'insécurité et que cette insécurité qui plane fait que l'esprit d'entreprise, l'esprit d'initiative, qui est quand même à la base de tout le commerce libre et efficace, se trouve bien souvent découragé ou canalisé par cette incertitude. Ceci est une critique générale. Arrivons aux observations plus particulières. Il est bien certain que la position prise par la Commission devra s'éclairer davantage, et que ce problème débouche sur celui plus général de l'admissibilité des contrats de distribution exclusive, car bien souvent à côté de ces accords de propriété industrielle figurent des accords de distributions exclusives qui s'appuient soit sur les procédés brevetés, soit sur les marques ou concernent des produits protégés par des dépôts de dessins ou de modèles. Et sur ce plan, qui rejoint alors un domaine commercial plus général, il faut que d'un mot j'indique un peu la situation telle qu'elle se présente. Les Autorités européennes ont conscience, par le dépouillement des 38 000 notifications qui sont à Bruxelles, des 600 ou 700 notifications qui leur arrivent mensuellement concernant les nouveaux contrats conclus depuis le 13 mars

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1962, qu'un problème de masse, le plus important, est celui des contrats de distribution exclusive intra-européens. Dans cette hypothèse, la Commission a aussi compris (ce qui figure admirablement dans le rapport de M. Buttler qui vient d'être adopté par le Conseil Economique et Social au mois de novembre 1963) que l'article 85 doit être compris dans sa totalité et qu'il ne doit pas être démembré. En effet, si l'on se rappelle que l'article 85, § 1, comporte une interdiction, que l'article 85, § 2, comporte une nullité juridique et que l'article 85, § 3, comporte une autorisation possible, il faut que les articles 85, § 1, et 85, § 3, soient appliqués en même temps et simultanément, et non pas, comme c'est le cas dans la position adoptée jusqu'à présent par les Autorités communautaires, d'une manière successive en appliquant d'abord l'interdiction de l'article 85, § 1, puis en envisageant plus tard l'application éventuelle de l'article 85, § 3. Dans cette perspective, la commission envisage — en ce qui concerne le contrat de distribution exclusive — de prévoir des dérogations par catégories de contrat sans qu'il soit pour autant nécessaire de soumettre chacun des cas à l'examen des Autorités communautaires. Cette dérogation par catégorie de contrat serait prise sur la base de l'article 85, § 3, et viserait des conventions qui rempliraient des conditions dont les critères généraux seraient définis par voie de décision de la Commission. Simplement là se pose un problème de procédure constitutionnelle européenne et communautaire : en l'état actuel des règlements communautaires, la Commission n'a pas le droit de prendre un tel règlement et l'on attend du Conseil des Ministres, qui a les prérogatives nécessaires de par le Traité, un règlement qui devrait sortir en février ou mars normalement et qui habiliterait justement la Commission à énoncer des dérogations par catégorie de contrats. J e voudrais citer un problème pratique et aborder très brièvement une thèse à laquelle je suis personnellement très attaché, à titre personnel : la thèse de la neutralisation du milieu de la concurrence. En effet, la Commission actuellement travaille sur ce problème de l'admissibilité ou de la non-admissibilité des contrats de distribution exclusive. L a Commission travaille

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pratiquement sur un cas-type, celui de savoir si le concessionnaire exclusif, importateur exclusif d'un produit communautaire dans son pays, également membre de la C.E.E., peut ou non s'opposer aux importations parallèles, c'est-à-dire aux importations qui sont faites par un importateur qui n'est pas lui-même un exclusif. La question s'est présentée en France. Les juridictions françaises, après quelques péripéties de jurisprudence, ont décidé de surseoir à statuer en attendant que les Autorités européennes, dûment saisies, aient statué sur la validité d'un tel contrat d'importation et surtout sur son opposabilité aux tiers éventuels. Alors pratiquement les services de la Commission sont arrivés à faire ce qui devait normalement se produire, à savoir faire un bilan économique du fonctionnement de deux circuits d'importation; le premier est le circuit exclusif et le second est le circuit parallèle. Lorsqu'on a comparé la formation des prix et surtout la construction du prix de vente dans chacun des circuits par l'adjonction, à chacun des stades, des charges correspondant aux diffé-. rentes étapes du processus d'introduction et de distribution, on s'est aperçu que la comparaison des mérites respectifs de l'importateur exclusif et de l'importateur parallèle étaient complètement faussés, par l'invention d'éléments qui étaient totalement étrangers aux entreprises. Les éléments essentiels résultaient du milieu économique ob s'exerce cette concurrence, milieu économique traduit par des réglementations, nationales ou internationales. J'en veux pour preuve trois exemples qui sont puisés dans la pratique : Si l'on suit le produit à partir du même producteur qui vend le même prix, par exemple en Allemagne, d'un côté directement à son importateur exclusif en France et, par ailleurs, à un grossiste allemand; ce grossiste allemand dans ce circuit second vend à un grossiste français, lequel se trouve pratiquement être l'importateur parallèle. Le concessionnaire exclusif français et l'importateur parallèle français ont la même clientèle de commerçants détaillantsrevendeurs. Si l'on prend le premier circuit exclusif, on voit d'abord au passage en douane qu'un régime différent

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lui est appliqué par rapport à l'importateur parallèle. Pourquoi ? Ceci résulte, non seulement d'une loi nationale, mais également d'un traité international; la Convention internationale des douanes de Bruxelles, qui prévoit que lorsqu'un produit est importé par un importateur exclusif, le prix de la facture en douane de ce produit ne correspond pas à la valeur de ce produit. En effet, il a été considéré par les pays membres de la Convention de Bruxelles que d'abord l'importateur exclusif avait des conditions particulières, et qu'ensuite et surtout dans son territoire d'importation l'importateur exclusif, à l'occasion de son action promotion de ventes, était amené à faire des actions de publicité, de services, qui étaient telles qu'elles constituaient une manière de valeur ajoutée à la marchandise et qu'il était nécessaire de tenir compte de cette valeur ajoutée. En conséquence de quoi, suivant la nature du produit, l'importateur exclusif paie le droit calculé sur une assiette majorée de 5 % à 25 % suivant le produit. Donc lorsque l'on arrive à la comparaison des deux circuits, partant d'un prix de vente initial à l'origine, l'on arrive déjà au passage en douane à une surcharge du circuit de l'exclusif ou à une décharge du circuit du parallèle par l'application d'une réglementation nationale, laquelle découle d'une réglementation internationale. Deuxième constatation : lorsque le produit entre en douane, entre sur le territoire, suivant que l'importateur a une position de producteur ou une position non-producteur, il doit payer des droits de douane, soit à l'entrée en douane, soit, au contraire, à la sortie de l'entrepôt de douane, et souvent, surtout lorsqu'il s'agit des produits de rotation lente, il arrive que si l'importateur a une position de producteur, il doit financer le droit de douane et en France la T.V.A., qui n'est pas négligeable pendant tout le stockage. Quant à l'importateur parallèle, il s'empresse, ce qu'il fait, de prendre une position fiscale de non-producteur, il ne finance, au moins la T.V.A., qu'au moment de la vente, c'est-à-dire de la sortie de ses entrepôts, il la finance 15 jours et la récupère en fin de mois. Troisième et dernier élément : lorsque l'on voit aussi la politique d'aide des Etats, on voit que le grossiste allemand,

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qui, lui, n'a pas une position de producteur, obtient une aide à l'exportation par un remboursement de taxe qui est de l'ordre de 6 %, ce qui n'est pas fait au producteur, et l'on voit en conséquence que le circuit parallèle se voit également encore injecter 6 %, ce qui fait qu'aucune comparaison quant aux charges de distribution par l'un ou par l'autre circuit n'est comparable puisque l'on voit qu'un circuit se trouve chargé et l'autre se trouve déchargé. Comment peut-on, en définitive, apprécier le prix du produit à son arrivée au stade grossiste en France dans l'exemple choisi, puisqu'il est complètement obéré ? C'est pourquoi je suis personnellement partisan de suggérer aux Autorités communautaires de procéder d'abord à une neutralisation du milieu économique de la concurrence par harmonisation, par alignement; les éléments extrinsèques aux entreprises devront être supprimés de telle manière que les entreprises exerçant désormais en concurrence dans un milieu neutre, on puisse pleinement apprécier les actions des entreprises. A ce moment-là les différences de prix dans les différents territoires du Marché Commun, les différences de conditions commerciales pourront résulter uniquement du fait des entreprises, et on pourra alors leur appliquer des dispositions qui, dans le Traité, se réfèrent uniquement et expressément aux entreprises, tels les articles 85, § 1, et 86 du Traité. En agissant autrement, la Commission, et plus généralement les Autorités européennes, ne peuvent sagement administrer ces dispositions puisque, comme nous venons de le voir, le milieu n'est absolument pas neutre et que les distorsions de concurrence résultent tout autant des éléments extérieurs qu'à ceux qui sont propres à l'entreprise. Jacques LASSIER.

DISCUSSION

M. J.-P. SIMON. — Maitre Lassier a, dans un premier temps, rappelé la philosophie de ces règles de concurrence. Il est donc utile de faire un retour en arrière sur ces règles de concurrence du Traité de Rome. Le texte du Traité est un compromis hâtivement conclu entre des tendances très divergentes et l'industrie s'est trouvée, dans une première étape, en présence d'un projet d'application des articles du Traité de Rome relatifs à la concurrence qui instituait une sorte de contrôle généralisé à priori de tout ce qui pouvait se conclure d'accords entre les firmes appartenant à des pays différents du Marché Commun. Dans la mesure où les accords recensés étaient appréciés comme constituant une infraction à l'article 85 du Traité, ils auraient eu besoin d'une autorisation préalable pour devenir effectifs, c'est-à-dire pour pouvoir être valables. L'industrie tout entière s'est dressée devant un tel projet. Comment concevoir, en effet, la mise en fiches de la totalité des accords passés entre les firmes dans le Marché Commun. L'industrie a obtenu gain de cause. Les services de la Commission qui avaient préparé ce premier projet ont abouti, après une longue période de maturation à un second règlement, celui dont Maître Lassier nous a donné les contours, et ce règlement lui-même est encore un compromis entre deux conceptions : celle d'un contrôle à priori et d'un examen préalable qui était la conception allemande, et une conception française, qui consiste essentiellement à juger à posteriori les accords qui pourraient être évoqués à l'occasion de l'application des règles de concurrence du Traité. Tout ce travail et toutes ces mutations se situaient sur un plan purement juridique. Je veux dire qu'à partir du texte du Traité tel que les hasards du compromis avaient pu le construire, il s'agissait de former des règles d'application. De quelles orientations disposait-on au moment où ce travail a dû être entrepris ? On ne disposait que d'expériences parti-

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culières, que d'expériences étrangères, et il est absolument certain que la Commission a dû faire appel très largement à l'importation de notions tout à fait étrangères à l'Europe; il vous suffira de parcourir l'étude de M. Plaisant pour vous apercevoir qu'à peu près toutes les références qui sont données à l'appui des interprétations sont puisées soit dans la jurisprudence américaine, soit dans la jurisprudence anglaise, soit dans la jurisprudence allemande. Le problème qui se pose est le suivant : dans quelle mesure les éléments de ces jurisprudences sont-ils transposables utilement, s'agissant de la mise en œuvre du Marché Commun. C'est la question devant laquelle se trouvent à la fois l'Industrie et la Commission. Dans ce premier temps, c'est sur un plan juridique (épluchage des termes, dissertations à n'en plus finir sur le sens de chaque mot, sur la place de chaque virgule, sur les variantes de traductions de langue à langue) que s'est placée l'action de la Direction de la Concurrence. Maintenant, il semble bien que la Commission soit devenue consciente que l'on s'est engagé dans une impasse pour ne pas avoir pris un peu de recul par rapport au texte et par rapport à la vue strictement juridique. La Commission, et les Etats aussi semble-t-il, se préoccupent d'introduire dans l'interprétation des règles de la concurrence, ce que les Américains ont appelé depuis longtemps une règle de raison. La méthode jusqu'à présent suivie conduit la Commission et ses services à des études d'une minutie extrême qui semblent constituer des fins en soi, et l'on ne voit guère, au point de vue de la santé, de l'hygiène, de la dynamique du Marché Commun où peuvent conduire les études détaillées dont Maître Lassier a décrit les organes. La Commission cherche donc à prendre quelque recul, de manière à se trouver à l'avenir délestée de la sujétion d'avoir à traiter cas par cas des dizaines de milliers de dossiers. Il lui faut par conséquence procéder globalement en introduisant dans l'interprétation du traité une règle de raison. En quoi consiste cette règle de raison ? Elle consiste à assurer cette sécurité juridique des entreprises dont Maitre Lassier a indiqué que l'arrêt Bosh le reconnaissait comme étant l'un des tout premiers impératifs qui s'imposait aux Autorités chargées de faire respecter les règles de concurrence. Où trouver cette règle de raison ? Peut-on, par un avis juridique, arriver {à réduire l'automatisme juridique dans des conditions tolérables pour la conduite des entreprises ? Il ne le semble pas et les communications dont Maitre Lassier a rappelé l'existence montrent bien que lorsque l'analyse est

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poussée sur le plan purement juridique, l'on aboutit à ne considérer comme licites au regard de ces règles du Traité de Rome que si peu de chose que l'on aurait aussi bien pu se dispenser d'en faire la recherche. C'est sur un autre plan qu'il faut chercher une règle de raison. C'est dans l'analyse économique. Quelle est vraiment la portée des règles de concurrence si on les ramène à l'objectif du Traité qui est tout de même bien la première des pierres de touche pour apprécier quelle peut être la valeur d'une règle posée. Dans le concret, ceci se traduit par l'initiative qu'a prise la Commission de faire part de ses préoccupations à un certain nombre de professeurs économistes et juristes qui ont mission de tenter de dégager des directives qui permettraient à la Commission de définir une règle de raison. Voilà sur le plan de la philosophie générale ce qu'il y a à dire. Quelle place occupe la propriété industrielle dans cette affaire ? Tout d'abord une place fort inconfortable, comme l'a dit Maître Lassier. On considérait que la propriété industrielle faisait collision avec les règles de concurrence et que les différents aspects de la propriété industrielle : le brevet, la marque, le dessin et le modèle constituaient parfois une restriction à la concurrence. Il se trouve que l'expérience de l'industrie montre au contraire que la propriété industrielle est l'un des éléments les plus actifs de la concurrence, et s'attaquer à elle peut conduire à réduire la concurrence que l'on voudrait par ailleurs exciter. M. ARMENGAUD. — En tant que membres du Parlement européen, M. Deringer, rapporteur du projet de la Commission devant le Parlement européen, et moi-même avons eu avec les représentants de la Commission différents entretiens au cours des derniers mois. Nous avons bien senti à quel point ceux-ci étaient embarrassés en raison de l'impasse dans laquelle ils s'étaient fourvoyés. Nous avons eu le sentiment, comme Maître Lassier, qu'en ce qui concerne les accords d'agences exclusives, on allait rechercher des règles d'exception par grands panneaux, étant entendu que la définition de ces règles d'exception n'était pas encore très claire. Noire préoccupation actuelle est de penser que la Commission en est encore à croire que le véritable problème posé à l'ensemble de l'Europe c'est la protection du consommateur par une surveillance très tatillonne de la politique des prix. En France, nous avons eu une expérience qui a duré pendant plusieurs années après 1945 et qui nous a conduits à penser que la surveillance permanente des prix par les autorités administratives n'aboutissait pas toujours, pour des raisons de carac-

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tère économique, à la réduction de ces prix au profit du consommateur et que le problème était en réalité plus complexe. La Commission apparaît aussi avoir perdu de vue l'objectif fondamental de la construction européenne. La question est de savoir si la Communauté Economique Européenne peut atteindre une puissance économique qui la mette en équilibre avec d'autres grands ensembles économiques et géographiques tels les Etats-Unis d'une part et la Russie Soviétique de l'autre, peut-être dans 25 ou 30 ans la Chine; et par conséquent tout ce qui peut rendre difficile cette expansion coordonnée de l'Europe risque d'aller à l'encontre de ses propres intérêts. C'est pour cette raison que, sur ce point, mon opinion rejoindrait celle du Professeur Marchai lorsqu'il dit : — Ou l'Europe sera faite d'ententes entre les entreprises contrôlées par une Autorité supranationale afin d'éviter les abus, mais permettant aux différents moyens industriels à l'intérieur de l'Europe de réaliser la meilleure répartition des tâches afin que le potentiel de chacun soit utilisé au maximum pour le bien commun, et dans ce cas-là nous verrons une Europe coprospère et dynamique apporter sa contribution à l'équilibre du monde; — ou bien nous en resterons à l'établissement de règles strictement juridiques mais abusivement tatillonnes qui auront pour effet de freiner l'initiative des plus dynamiques ou de pousser, par paradoxe, à une fantastique concentration des moyens entre quelques entreprises. Car je voudrais bien voir comment une Autorité surpranationale osera appliquer l'article 86 du Traité sur la concentration, ainsi que l'ont démontré les précédents actuels qui ont été soumis à la Commission. Autant je souhaite que l'orientation de la Commission aille dans la voie qu'a indiquée Maître Lassier à l'occasion du cas typique dit n° 1 qui permettrait de dégager une philosophie en ce qui concerne les accords d'agences exclusives, autant je pense que cette philosophie doit être très généreuse à l'égard des entreprises afin d'éviter que, par des excès de concurrence, les entreprises européennes ne nuisent elles-mêmes à leur propre expansion, étant donné la compétition internationale à laquelle elles se trouvent actuellement soumises à l'échelle nationale. Il y a quelque paradoxe à vouloir aller trop loin dans la recherche des conditions de concurrence, car on en arriverait à voir attaquer des structures nationales qui ont été approuvées à la fois par le gouvernement et par le pays. En France nous avons, comme en Italie, un certain nombre d'entreprises publiques qui bénéficient d'un monopole de fait sur le territoire national mais qui se trouvent, à l'échelle européenne, devenir des entreprises concurrentielles lorsqu'elles ont comme

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activité celle de satisfaire à des services publics; il est évident que des règles de concurrence ne peuvent s'imposer à elles comme pour les autres entreprises de droit privé : à cet égard aussi, il semble bien que la tendance de la Commission soit de revenir sur l'existence de ces entreprises et de leur porter atteinte, ce qui ne peut pas être satisfaisant, étant donné la contribution qu'apportent ces entreprises publiques à l'équilibre économique intérieur des différents pays. Je voudrais faire une réflexion supplémentaire au sujet du problème qui nous est soumis en ce qui concerne les droits de propriété industrielle. Si les ententes sont des ententes correctes permettant, par l'échange de licences, l'échange de techniques, la promotion des entreprises qui y participent et par là même apportent au public, au consommateur, des moyens plus satisfaisants et le progrès, ces accords doivent être recommandés. Il serait tout à fait choquant que la Commission, par excès de zèle, puisse y porter un coup. M. GENDRE. — S'agissant des licences, où allons-nous ? Voyons le texte. J'ai le regret de constater que le texte, de la Convention, sur ce point-là, comme sur d'autres, conduit à l'élimination des petites et moyennes entreprises. C'est peutêtre une tendance gouvernementale, c'est peut-être une tendance venant de Bruxelles, mais tout le monde n'est pas obligé de partager cet avis; les petites et moyennes entreprises ont tout de même le droit de ne pas perdre les sources de bénéfices et les avantages que représentent pour elles les brevets. A l'heure actuelle, une moyenne entreprise a les moyens de s'équiper, de faire une invention, de la monter; elle ne la fait pas valoriser, étant trop petite. Elle négocie avec une maison allemande, ou d'un autre pays; elle a donc une licence et exploitera son brevet pour l'avenir. C'est tout à fait normal. Elle peut aussi lui vendre son brevet allemand. Mais avec le projet de Convention, comment cette petite industrie va-t-elle se trouver placée ? Elle ne peut pas vendre le brevet allemand, elle doit vendre le brevet européen (je me place au moment où il n'y aura plus que le brevet européen). Mais elle ne vendra pas parce que la Maison allemande aurait le droit de devenir sa concurrente en France et la petite entreprise n'aurait pas les moyens de lui résister. Elle serait pratiquement dépouillée de son invention. Pour une grosse firme la solution est indifférente. Elle a d'autres moyens pour s'entendre avec la firme allemande, en dehors de la Commission de Bruxelles. Elle lui donnera une licence dans des conditions qui seront à débattre, et le contrat de licence pourra échapper complètement au contrôle de Bruxelles...

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M. PANEL. — M. l'Inspecteur général Finniss nous a dit, en précisant qu'il exprimait le point de vue de la Commission de Bruxelles, que celle-ci avait le désir de faire entrer dès maintenant dans le Traité de Brevet européen les articles 20 a et 29 avec tout ce qu'ils comportent au point de vue économique, quitte à reporter leur entrée en vigueur à la date de 1970. Maître Lassier, tout à l'heure, nous a dit qu'il constatait un décalage entre la façon dont le Comité des Ministres avait interprété dans le règlement 17 le Traité de Rome et la façon dont la Commission, par sa communication du 24 décembre, avait été au-delà de cette interprétation. M. Jean-Paul Simon nous a dit tout à l'heure que la Commission de Bruxelles prenait enfin conscience de l'impasse à laquelle elle aurait abouti en persistant dans des débats strictement juridiques et qu'elle s'acheminait vers une règle de raison en reprenant les problèmes du point de vue économique. Je voudrais dire à propos du projet de brevet européen, et en me tenant uniquement au troisième point, qu'il est parfaitement inacceptable que la Commission tente, à travers ce brevet, de faire entrer ces clauses à caractère économique dont personne n'a besoin que je m'étende sur ce qu'elles ont d'inacceptable au point de vue économique, dans un moment où, comme le dit M. Simon, non seulement rien n'est définitivement fixé, mais où le problème est reposé et — nous l'espérons — pour aboutir à cette règle de raison qui nous permettra, par le jeu normal des droits de propriété industrielle, non seulement de résister à la pression concurrentielle de groupes extérieurs au Marché Commun ou dans le Marché Commun, mais de conserver la légitime protection de nos travaux de recherches. Maître LASSIER. — Je voudrais tout d'abord dire que M. Simon n'a pas souligné, suffisamment, l'action des organisations professionnelles intéressées qui ont permis à la Commission cette évolution que nous avons décelée. Ce qui m'inquiète toutefois dans cette introduction de la règle de raison annoncée, c'est qu'en définitive on va soumettre une partie importante de l'économie à l'arbitraire de l'appréciation des Autorités communautaires, car notre expérience des affaires américaines nous montre qu'on est arrivé à des solutions qui ne sont pas toujours compatibles avec l'esprit cartésien, même considéré sur le plan européen. Je pense que l'on verra plus loin que la règle de raison et que l'on arrivera peut-être à revenir sur un contrôle des problèmes de concurrence qui soit un contrôle efficace et à posteriori, plutôt qu'un

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contrôle théorique, technochratique et à priori. Ceci fait rejaillir le débat qui existait au moment de l'adoption du règlement 17, à savoir si l'on devait avoir un contrôle à priori ou un contrôle à posteriori. J'ai l'impression que c'est un débat qui va s'avérer stérile car, si l'on s'oriente tôt ou tard vers des exemptions par catégories, il est bien certain que, au moins pour les catégories exemptées, il y aura l'institution du système du contrôle à posteriori; il ne sera pas dit pour autant que parmi les catégories de conventions exemptées, il pourra y avoir une liberté totale, il y aura toujours un reste de contrôle. Ce débat risque de trouver sa conclusion à la suite d'un cheminement que l'on aurait pu éviter, mais — au moins dans des cas pratiques et concrets — on arrivera à rétablir le contrôle à posteriori. S'agissant de la comparaison entre les coûts des réseaux de distribution exclusifs ou non, il est bien évident que le bilan pourrait établir une différence entre la marge d'importation exclusive et la marge d'importation parallèle. Il se posera à ce moment-là un problème de dynamométrie économique qui consistera, dans un premier stade, à faire la description d'actions qui sont menées par les uns, non par les autres. Le second stade sera de définir parmi ces actions excédentaires de l'exclusif, quelles sont les actions, qui dans l'esprit des Autorités Européennes, sont utiles et celles qui ne paraissent pas absolument indispensables. Dans une troisième démarche il conviendra de chiffrer quel est le coût de ces actions. A ce moment-là, en comparant le coût de ces actions aux différences de marge, on pourra terminer le bilan. Je crois que sur le plan technique nous avons évidemment une procédure toute tracée mais ce que je voulais souligner c'est que la Commission examine ces problèmes uniquement sur le plan de la disparité des prix entre les différents Etats membres, le but poursuivi étant un aplatissement des prix, un laminage général des prix. A ce sujet il convient de faire deux observations : 1° Il s'agit d'un problème essentiellement temporaire car si vraiment le l*r janvier 1970 le Marché Commun se fait dans l'esprit de ceux qui ont réalisé le Traité, il est bien certain que les éléments extérieurs aux entreprises étant supprimés, nous allons vers une unicité de prix dans tous les territoires du Marché, sauf peut-être des incidences de taxations locales. Je ne vois pas pour ma part une disparité de prix lorsque l'on sera dans un marché totalement libre sur un plan communautaire. Donc le problème de l'ajustement, la mosaïque des prix est un problème de l'ajustement en paliers qui va aller d'une manière dégressive jusqu'au l*r janvier 1970.

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DISCUSSION

2° Il ne faudrait tout de même pas partir sur le plan du Marché Commun avec les mêmes conceptions que celles qui animent les dirigeants des économies à ressources beaucoup plus considérables. On parle couramment de l'économie américaine et il y a là un problème d'unités à ajuster. On ne peut pas mesurer l'économie américaine, avec le même étalon que l'économie française et surtout il ne faudrait pas partir avec une philosophie française étendue sur le plan communautaire qui reviendrait essentiellement à laminer les prix on ne sait pas pourquoi ni comment. On arriverait à ce moment-là, dans le cadre de la compétition internationale, à voir des entreprises européennes avec des prix tellement laminés que leur absence de ressources ferait d'elles des entreprises sans ressort qui ne pourront pas aller porter la riposte économique de la libre concurrence à l'égard des coups de butoir qui sont portés actuellement à l'économie du Marché Commun. Répondant à M. Panel je voulais dire que sur ces projets tendant à instituer des titres de propriété industrielle à compétence communautaire se cristallisent, en réalité, des actions qui émanent d'initiatives, de visées et de positions diverses. Bien évidemment, les clauses auxquelles il a fait allusion qui sont des clauses de concurrence auxquelles la Direction générale de la concurrence et les autorités communautaires responsables sont extrêmement attachées. M. Panel a bien fait d'attirer l'attention de ceux qui se préoccupent de cette projection des conventions à l'étude mais je crois que leur esprit est déjà centré sur ces conventions et que ces dispositions à caractère économique vont soulever des observations et des protestations, non pas tout à fait unanimes car il y a des secteurs qui ne s'en préoccupent pas. Si donc la Commission fait un glissement absolument indispensable sur certains plans il ne faudrait pas que ce glissement soit compromis d'un seul coup et d'une manière beaucoup plus grave par l'introduction de considérations économiques dans des conventions spéciales relatives à l'institution des droits de propriété industrielle car on retirerait ainsi d'une main ce que l'on aurait donné de l'autre après tant d'hésitations.

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Concurrence déloyale et Marché Commun Rapporteur :

M* LASSIER,

Avocat à la Cour d'Appel de Paris, Secrétaire général de la Ligue Internationale contre la concurrence déloyale.

On a comparé la concurrence déloyale à un protée qui change mille fois de forme pour ravir au commerce loyal le fruit honnêtement acquis de ses efforts 1 ou à un nuage aux contours vagues et oscillants 2 , ce qui démontre que la poésie n'est pas toujours absente des préoccupations des juristes. Mais ces comparaisons ont un autre mérite : elles traduisent la difficulté de donner à cette notion de concurrence déloyale une définition précise, catégorique et définitive s . Selon les solutions classiques et traditionnelles, en Droit français, la notion de concurrence déloyale constitue à la 1

Joseph Kohler, Recht des Markenschutzes Wfirzburg, 1884, p. 60. Bonfante, cité par Rodondi : Diritto Industriale, 4e Édition, Milan, 1942, p. 416. 5 Mermillod, Essai sur la notion de concurrence déloyale en France et aux Etats-Unis. 2

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fois la somme et le complément de toute la réglementation sur les droits de propriété immatérielle en matière industrielle et commerciale. La protection de la propriété industrielle et de la propriété artistique dérive, en effet, tout autant de la protection du droit de propriété que de la répression de l'imitation frauduleuse, donc de la concurrence déloyale. N'est-ce point ce qui ressort explicitement de l'article 2 de la Convention de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle ? Il y est bien précisé, en effet, que la protection de la propriété industrielle comporte notamment la répression de la concurrence déloyale. Mais certaines législations étrangères étendent le champ d'application de la notion de concurrence déloyale à l'ensemble de la réglementation du commerce qui a pour objectif de protéger les commerçants et les consommateurs contre certaines pratiques commerciales jugées nuisibles à une saine économie. Les auteurs allemands, en particulier, traitent des formes spéciales de vente et de la réglementation civile ou pénale dont elles font l'objet dans le cadre de la notion de concurrence déloyale. Ces divergences marquent moins les différences fondamentales que les différences de méthode et témoignent très nettement d'une extension de la notion de concurrence déloyale hors du cadre traditionnel qui lui avait été fixé jusqu'à ces dernières années... On estimait, en effet, que les règles de concurrence loyale concernant exclusivement les rapports des commerçants entre eux, avaient pour but de les protéger les uns contre les autres. On considère volontiers aujourd'hui que la protection du commerçant est indissociable de la protection du consommateur, et que les règles qui protègent les uns doivent protéger les autres. Cette tendance s'est affirmée d'une manière tout à fait officielle à la Conférence diplomatique de Lisbonne d'octobre 1958, qui a décidé d'ajouter à l'article 10 bis de la Convention de Paris, visant la concurrence déloyale, un troisième alinéa qui met l'accent sur les garanties que le commerce honnête doit donner aux consommateurs :

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« Constitue un acte de concurrence déloyale, tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. — Notamment, devront être interdit... les indications ou allégations dont l'usage dans l'exercice du commerce est susceptible d'induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l'aptitude à l'emploi ou la quantité des marchandises. » Le Traité de Rome lui-même donne cette traduction moderne de la notion de loyauté dans la concurrence : le préambule du Traité indique que : « L'élimination des obstacles existants... appelle une action concertée en vue de garantir... la loyauté dans le commerce », l'article 3 du même Traité adapte à ce principe l'action de la Communauté en prévoyant : « /) l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché Commun », ce qui résulte implicitement des règles de concurrence figurant aux articles 85 et s. du Traité. Ainsi, tendent de plus en plus à se fondre les deux notions de concurrence déloyale et de déloyauté dans la concurrence pour constituer une forme d'activité commerciale interdite, per se, qui englobera toutes les formes de commerce qualifiées jusqu'alors de déloyales, illicites, interdites, frauduleuses ou parasitaires. Avant de passer en revue les différentes législations du Marché Commun sur la concurrence déloyale, il était nécessaire de souligner cette évolution qui expliquera, dans une certaine mesure, les différences de conception de la répression de la concurrence déloyale, tout au moins dans ses aspects les plus nouveaux. Cet inventaire précédera un aperçu des problèmes posés par l'harmonisation européenne du droit observé dans deux cas concrets de pratiques déloyales : activités parasitaires et publicité comparative ou trompeuse.

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SECTION I

Droit comparé

Traditionnellement, les pays du Marché Commun se divisent, en ce qui concerne notre matière, en trois catégories : ceux qui assurent la répression de la concurrence déloyale dans le cadre d'une législation générale sur la responsabilité civile, ceux qui ont élaboré une réglementation spéciale de la concurrence déloyale et, enfin, ceux qui ont institué des réglementations spéciales, mais fragmentaires, qui comportent ou complètent les règles générales de la responsabilité civile.

A)

Pays dans lesquels la répression de la concurrence déloyale est basée sur les principes généraux du droit.

Il s'agit essentiellement de la France. a) Système d'incrimination. — Dans les pays du Marché Commun, la France est le seul Etat qui assure la protection contre la concurrence déloyale en vertu des seuls textes généraux traditionnels qui concernent la responsabilité civile. En fait, si l'on a tiré de ces textes les exigences fondamentales de la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de cause à effet entre cette faute et ce préjudice, ce sont les tribunaux, et eux seuls, qui ont défini et délimité la faute, c'est-à-dire le fait constitutif de concurrence déloyale, en fonction des usages du commerce tels qu'ils ont été dégagés par une philosophie commune aux pays de notre civilisation occidentale. Ce droit prétorien se montre d'autant plus efficace qu'il permet de réprimer, sans modification législative, les formes nouvelles de concurrence déloyale, nées des techniques modernes ou, plus simplement, de l'imagination, combien fertile, des hommes.

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Cette répression, qui présente l'avantage d'une grande souplesse, présente, en revanche, l'inconvénient « d'individualiser » très étroitement la voie de recours à tel point qu'il arrive parfois que pour des faits, incontestablement déloyaux, la répression ne peut s'exercer par suite de l'irrecevabilité de l'action de celui qui les dénonce à justice. Si l'on veut éviter une correctionalisation de la concurrence déloyale, il faut que la jurisprudence reconnaisse que tout professionnel a intérêt et qualité pour agir lorsqu'il dénonce une pratique déloyale, per se, même s'il n'en est pas individuellement la victime. Ceci pose le problème de l'action des Syndicats professionnels qui : — est rejetée comme partie civile dans la plupart des poursuites exercées en matière de ventes spécialement réglementées (primes, loteries, liquidations, infractions économiques) ; — est admise avec difficulté en matière de concurrence déloyale, les tribunaux faisant une distinction entre les intérêts généraux de la profession et la somme des intérêts des adhérents. b) Procédure au fond. — Les actions en concurrence déloyale sont soumises aux Tribunaux de Commerce qui sont, en principe, seuls compétents pour en connaître. Cependant, les Tribunaux de Grande Instance, qui ont plénitude de juridiction, peuvent examiner des faits constitutifs de concurrence déloyale lorsqu'ils sont connexes à des délits de contrefaçon ou d'imitation illicite de marques ou de brevets. c) Mesures conservatoires. — L'article 2 de la Loi de Finances du 2 juillet 1963 (J. O. du 3 juillet 1963) dispose qu'une procédure, qui sera fixée par décret en Conseil d'Etat, permettra à la victime qui se plaint d'agissements de concurrence déloyale d'obtenir la cessation de ceux-ci, à titre provisionnel avant qu'il soit statué au fond sur les réparations. Une publicité de la mesure ainsi prise pourra être ordonnée. Cette procédure spéciale ne concerne pas les actions en contrefaçon. En réalité, il s'agit d'une mesure de fond bien plus que d'une mesure conservatoire.

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En dehors du Marché Commun, certains pays ne répriment la concurrence déloyale que par la mise en œuvre de la répression des délits et quasi-délits civils. Ce sont principalement les Etats-Unis d'Amérique, la GrandeBretagne, l'Australie, l'Irlande, l'Union Sud-Africaine, l'Argentine, le Venezuela. B)

Pays dans déloyale

lesquels la répression de est prévue par des textes

la concurrence particuliers.

Ce sont : l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg. 1°

L'Allemagne.

a) Système d'incrimination. — L'Allemagne s'est donnée, le 7 juin 1909, une réglementation particulière de la concurrence déloyale. Cela s'explique historiquement par le fait que, jusqu'en 1900, la jurisprudence avait refusé d'appliquer aux cas de concurrence déloyale les dispositions générales sur la responsabilité civile. La loi du 7 juin 1909 présente deux caractéristiques originales par rapport à la conception française de la concurrence déloyale : 1) Elle est une loi pénale; 2) Elle constitue une véritable réglementation du commerce qui réunit les interdictions de pratiques, traditionnellement considérées en France comme constitutives de concurrence déloyale et l'interdiction de formes spéciales de ventes (primes, rabais, etc...) qui fait, en France, l'objet de réglementations distinctes. b) Procédure. — En conséquence du caractère pénal de la loi du 7 juin 1909, les actions auxquelles elle donne droit peuvent être portées soit devant la Juridiction pénale, soit devant la Juridiction civile de droit commun (en principe dans les Landgericht, les affaires sont portées devant les Chambres qui sont affectées aux affaires commerciales). c) Mesures provisionnelles. — L'article 25 de la loi du 7 juin 1909 prévoit une procédure dite de « mesures provisionnelles ». Elle permet d'obtenir la cessation des actes incriminés par simple décision du Tribunal de district. Elle

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peut être prononcée contradictoirement ou par défaut. Dans ce dernier cas, le défendeur peut demander au Tribunal de droit commun de fixer au demandeur un délai pour déposer une plainte suivant la procédure ordinaire. A tout moment, le défendeur peut faire opposition ou demander la fixation d'une audience devant le Tribunal de droit commun aussi longtemps que la mesure provisionnelle subsiste. Cette procédure est très couramment employée. Les juges qui ont accepté de reconnaître le caractère d'urgence de la demande se prononcent sur pièces ou sur témoignages et ils se montrent assez sévères sur la valeur des preuves apportées. Les droits de la défense semblent donc bien préservés et le demandeur n'intervient en règle générale qu'à bon escient et ce, dans la crainte d'avoir à supporter une action en dommages-intérêts. Par ailleurs, le versement d'un cautionnement peut être exigé. En dehors du Marché Commun, l'Autriche et la Suisse connaissent des procédures semblables. 2" L'Italie. a) Système d'incrimination. — La lutte contre la concurrence déloyale a connu en Italie une évolution intéressante. Elle fut d'abord menée dans le Code civil de 1865 sur la base des articles 1151 et suivants qui correspondaient aux articles 1382 et 1383 du Code civil français. Le Code civil promulgué en 1942 organise expressément la répression de la concurrence déloyale dans ses articles 2598 à 2601. Mais dans ces nouvelles dispositions, la loi italienne évite de procéder par énumération limitative et, à côté des deux pratiques communes constitutives de concurrence déloyale, le dénigrement et la confusion, elle condamne quiconque « utilise directement ou indirectement un autre moyen non conforme à la correction professionnelle et propre à nuire à l'entreprise d'autrui ». b) Procédure. — Les actions en concurrence déloyale sont portées devant les juridictions de droit commun et n'appellent aucune observation particulière. c) Mesures provisionnelles.

— L'article 700 du Code de

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Procédure civile autorise la victime d'un concurrent déloyal à solliciter des mesures conservatoires en cours d'instance. 3 "Le

Luxembourg.

a) Système d'incrimination. — L'arrêté grand-ducal du 15 janvier 1936, modifié et complété par un arrêté grandducal du 16 juillet 1938, définit et sanctionne pénalement la concurrence déloyale. Elle y est définie dans un article 1" comme un « acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale ou industrielle « par lequel » tout commerçant, industriel ou artisan enlève ou tente d'enlever à ses concurrents, ou à l'un d'eux, une partie de leur clientèle, ou porte atteinte ou tente de porter atteinte à leurs capacités de concurrence ». L'article 2 énumère, non limitativement, sous neuf rubriques différentes un certain nombre d'actes de concurrence déloyale. Ce sont, essentiellement, les allégations fausses, les fausses indications de provenance, les moyens de confusion, les moyens de dénigrement, l'usage non autorisé de matériel, de secrets de fabrique appartenant à un autre commerçant, les ventes avec primes et les réductions de prix accordées à des acheteurs, en leur qualité de membres, ou de Groupements, ou d'Associations. Il convient de noter que, comme la loi allemande du 7 juin 1909, le même texte réglemente également les ventes spéciales et les liquidations. b) Procédure. — L'arrêté grand-ducal du 15 janvier 1936 a institué une action en cessation dont les caractéristiques essentielles ont été empruntées à l'arrêté royal belge du 23 décembre 1934. Elle est portée devant la Chambre du Conseil de Tribunal sur requête de la partie lésée. Cette requête et le réquisitoire du Ministère Public doivent être déposés au greffe après avoir été notifiés à l'inculpé. Le tribunal statue dans les trois jours du dépôt. L'appel est porté devant la Chambre des mises en accusation qui doit statuer dans un délai de 3 jours. L'ordonnance de cessation est définitive, mais ne peut comporter de condamnation à des dommages et intérêts qui ne peuvent être prononcés qu'après une procédure de droit commun.

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C) Pays possédant une législation à caractère

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intermédiaire.

Ce sont : la Belgique et les Pays-Bas. 1* La

Belgique.

a) Système d'incrimination. — E n Belgique, la concurrence déloyale peut être réprimée essentiellement comme en France sur la base des principes généraux édictés p a r les articles 1382 et 1383 du Code civil, identiques à ceux du Code civil français. Mais un arrêté royal du 23 décembre 1934 énumère, dans son article 2, les « actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale ou industrielle ». Ce sont essentiellement les recherches de confusion, les moyens de dénigrement et les allégations fausses. Par conséquent, un commerçant qui se prétend victime d'une concurrence déloyale peut en poursuivre la répression en vertu des principes généraux de responsabilité civile, lors que les agissements dont il est victime ne sont pas prévus par l'arrêté du 23 décembre 1934. b) Procédure. — L'arrêté royal du 23 décembre 1934 a organisé une procédure spéciale qui autorise le Président d u Tribunal de Commerce à prescrire, par voie d'ordonnance, la cessation immédiate des actes énumérés dans l'arrêté. Cette procédure ne supprime pas la procédure de droit c o m m u n mais institue u n moyen rapide permettant d'obtenir l'arrêt des actes de concurrence déloyale. Cette action spéciale est assortie de peines correctionnelles dans le cas de m a n q u e m e n t à l'ordonnance du Président. Une pénalité plus forte est prévue en cas de récidive. L'opposition n'est pas admise mais l'appel est possible dans u n délai assez bref. L'ordonnance étant définitive, la cessation qu'elle édicté est également définitive, mais le juge de la cessation ne peut prononcer la condamnation à des dommages et intérêts qui reste du ressort des tribunaux ordinaires. Cette procédure est particulièrement utile et efficace, une audience spéciale lui est réservée chaque semaine par le Président

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du Tribunal de Commerce de Bruxelles. La menace que constituent de telles actions permet certainement d'obtenir plus facilement des soumissions amiables en évitant un procès qui peut se révéler long et coûteux. c) Mesures provisionnelles. — Cette action rapide a rendu inutile l'institution de mesures conservatoires. 2° Les Pays-Bas. a) Système d'incrimination. — Aux Pays-Bas, la répression de la concurrence déloyale est assurée essentiellement par la jurisprudence sur la base de l'article 1401 du Code civil néerlandais dont le texte est à peu près identique à celui de l'article 1382 du Code civil français. Le 31 janvier 1919, le Hoge Raad, Cour Suprême néerlandaise, a rendu une décision de principe disant que ces dispositions s'appliquent non seulement aux actes qui constituent une violation des droits ou des obligations, mais aussi aux pratiques de tout genre qui sont contraires aux bonnes mœurs. Son application est donc assurée aux actes de concurrence déloyale. Toutefois, à côté de cette responsabilité civile, il existe également une responsabilité pénale visant la concurrence déloyale et qui trouve sa source dans l'article 328 bis du Code pénal, ainsi libellé : « Quiconque pour établir, maintenir ou étendre son activité commerciale ou industrielle, ou celle d'un tiers, se livre à des manœuvres frauduleuses dans le but de tromper le public ou une personne déterminée, sera puni comme coupable d'un acte de concurrence déloyale, d'un emprisonnement d'un an ou plus, ou d'une amende de 900 florins ou plus, et ce, dans le cas où ces manœuvres auront porté préjudice à autrui. » (On notera que la protection du consommateur est assurée dans les mêmes conditions que celle du commerçant.) b) Procédure. commun.

— La procédure est celle du droit

c) Mesures provisionnelles. — Le droit néerlandais ne comporte pas de mesures provisionnelles.

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SECTION I I La concurrence déloyale dans la C . E . E . Ressemblances et divergences

:

Les différences que l'on vient de relever dans les méthodes de répression de la concurrence déloyale importent moins que les différences de qualification. Les moyens de concurrence déloyale qui heurtent le plus généralement la conscience juridique et morale sont sanctionnés également dans chacun des six pays du Marché Commun. Ce sont essentiellement les recherches de confusion entre produits ou entre entreprises, les moyens de dénigrement, les violations de secrets de fabrique, les corruptions d'employés ou tentatives de débauchage. Il est cependant d'autres pratiques sur la qualification desquelles il existe encore des divergences de vue importantes qu'il faudra tôt ou tard harmoniser dans le cadre du Traité. Dans une telle perspective nous nous proposons, à titre d'exemple, d'étudier les règles communes ainsi qu'éventuellement les distorsions relatives à la répression de la concurrence ou des agissements parasitaires, ainsi que la répression de la publicité trompeuse ou comparative. 1° Concurrence et agissements

parasitaires.

L'extension des échanges commerciaux et, surtout, l'importance sans cesse grandissante que prend la publicité dans l'économie moderne ont donné naissance à des pratiques nouvelles auxquelles M. Y. Saint-Gai a donné le nom de concurrence et d'agissements parasitaires. C'est dans son ouvrage « Protection et défense des marques de fabrique et Concurrence déloyale » que je puiserai l'excellente définition qu'il en a donnée : « On entend par concurrence parasitaire l'acte d'un commerçant ou d'un industriel qui tire ou s'efforce de tirer profit des réalisations personnelles d'autrui et du renom acquis légitimement par un tiers, même s'il n'a pas toujours l'intention de nuire à ce dernier. »

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« On entend par agissements parasitaires l'acte d'un commerçant ou d'un industriel qui, même sans avoir l'intention de nuire, tire ou s'efforce de tirer profit d'un renom acquis légitimement par un tiers, et sans qu'il y ait normalement risque de confusion entre les produits et les établissements. » Ces actes de parasitisme peuvent, en fait, revêtir deux aspects différents : — l'imitation de réalisations originales d'un concurrent pour désigner les produits intéressant le même cercle de consommateurs; — références à une marque, à un nom ou à un slogan appartenant à une entreprise non concurrente, notoirement connue, pour tirer profit de cette renommée. La répression de ces pratiques peut être fondée soit sur les dispositions générales édictées en matière de responsabilité civile, soit sur les principes généraux du droit concernant la bonne foi, soit sur la théorie de l'abus des droits en matière de liberté commerciale, soit enfin sur celle des droits de la personnalité (la théorie de l'enrichissement sans cause est souvent inapplicable à cette matière car elle exige la preuve d'un appauvrissement de l'un qui trouve sa source dans l'enrichissement d'un autre). a) En France. — Les tribunaux se sont montrés longtemps réticents pour sanctionner ces pratiques 4. C'est la Cour d'Appel de Paris qui, pour la première fois en France, le 7 décembre 1959, a fait appel à la notion de concurrence parasitaire. De son côté, le Tribunal de Commerce, dans un jugement du 1" décembre I960 6, a sanctionné, pour la première fois, des agissements parasitaires en consacrant la définition qui en avait été élaborée par M. Saint-Gai. Plus récemment encore, la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence en a fait une application intéressante dans un arrêt * Cf. en particulier Cour d'Appel de Riom, 1" avril 1957, R.I.P.I.A., 1958, p. 63, et Cour d'Appel de Bourges, 28 janvier 1958, Ann. 1959, p. 32. « R.I.P.I.A., 1961, p. 39.

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du 14 mai 1963 qui condamne la politique dite de « marque d'appel » : — Un tailleur de Marseille avait centré sa publicité sur la marque « Sportex », alors qu'il ne détenait dans son magasin qu'un stock très peu important de tissu de cette marque, stock qui était, en tout cas, tout à fait disproportionné par rapport à l'importance de la publicité organisée. Devant cette situation, la Cour d'Appel d'Aix a statué dans les termes suivants : « ... Attendu que ces chiffres (concernant l'importance du stock de tissu Dormeuil), éloquents déjà par eux-mêmes, sont à rapprocher non seulement de la rédaction et de l'importance des articles publicitaires litigieux, lesquels comportant la graphie spéciale, les dessins du macaron et le slogan propre de la marque « Sportex » tendaient manifestement à faire penser à la clientèle que Missirli était le seul représentant exclusif de cette marque sur la place de Marseille, mais encore de la réserve pendante sous réserve que le stock de « Sportex » ne soit pas épuisé avant cette date, laquelle réserve permettrait à Missirli qui ne pouvait tenir ses promesses publicitaires de proposer plus facilement à sa clientèle dJautres tissus que ceux de ladite marque. » « Attendu qu'ainsi il apparaît bien l'intention délibérée de pratiquer une politique de vente dite de « marque d'appel », consistant pour Missirli à usurper à son profit personnel, par les manœuvres déloyales, au préjudice des appelants, le prestige et le pouvoir attractif de cette marque ne lui appartenant pas. » « Attendu qu'il n'apparaît pas excessif de soutenir, de la part des Etablissements Dormeuil, étant donné à la fois les considérations qui précèdent et les documents versés par eux aux débats de leur clientèle marseillaise, habitués aux tissus de haute qualité et de luxe vendus sous la marque < Sportex » s'en est détournée à la suite des propositions tapageuses de Missirli. » « Attendu que la Cour dispose de tous les éléments désirables pour évaluer le préjudice tant moral que commercial ayant résulté d'une telle concurrence parasitaire à la somme de... »

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Au sujet de cette politique dite de « Marque d'Appel >, il convient de signaler qu'animé du souci de protéger davantage les consommateurs que le commerçant, le Ministre des Finances et des Affaires économiques a publié, le 17 octobre 19626, un arrêté dont l'article 5 stipule notamment : « Aucune publicité de prix à l'égard du consommateur ne peut être effectuée sur des articles qui ne sont pas disponibles à la vente pendant la période à laquelle se rapporte cette publicité ou qui ne sont pas mis en vente au prix correspondant à la publicité intervenue. » b) En Belgique. — Les tribunaux avaient, au nom de la liberté du commerce, fait preuve des mêmes réticences vis-à-vis des notions nouvelles de concurrence et d'agissements parasitaires. C'est ainsi que le Président du Tribunal de Commerce de Bruxelles a jugé, le 8 novembre 19587, qu'il n'y avait rien d'illégal à profiter d'une renommée ou de facilités procurées par la publicité d'autrui ou par le fait de démarches d'autrui auprès de la clientèle pour ce motif que, dans la vie commerciale, les concurrents s'avantagent et se nuisent mutuellement chaque jour sans que l'on puisse songer à leur en faire le reproche. L e Tribunal de Commerce de Bruxelles, dans un jugement du 14 février 1959, a délimité comme suit la concurrence parasitaire : « Attendu que ces ressemblances partielles ne sont pas de nature à entraîner à elles seules la confusion entre des ouvrages entre lesquels on doit s'attendre à trouver de telles similitudes; en l'espèce, on peut simplement déduire de l'inventaire minutieux qu'en fait le demandeur qu'elles sont le fruit de ce qu'on appelle actuellement la concurrence parasitaire; « Que cette forme peu délicate de concurrence consiste ici à concurrencer autrui en se servant, à cet effet, de résultats, d'un travail personnel du concurrencé dont celuici pouvait, à juste titre, estimer être seul à devoir tirer éventuellement profit, pour s'épargner à soi-même cet effort « B.O.S.P., 20 octobre 1962. Journal des Tribunaux, 1959, p. 81-82.

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personnel alors qu'il serait normal de le fournir avec un résultat analogue mais non identique; « Qu'elles se différencient de la concurrence déloyale proprement dite en ce que les composants sont trop banals pour faire l'objet d'une appropriation exclusive qui en interdirait l'imitation à ce titre ou pour pouvoir être à eux seuls cause de confusion; « Que raffinement des mœurs, en matière de concurrence, doit certes aboutir à éliminer légalement cette forme de concurrence comme fautive. » c) En Italie. — En Italie s'est instaurée une discussion sur l'utilité d'adopter ce nouveau concept de concurrence parasitaire, discussion qui opposait le Professeur Franceschelli 8 et M. Carnelutti 9. Mais dans un arrêt du 16 juin 1959, la Cour d'Appel de Milan a tranché cette discussion en condamnant la « concurrenza parassitaria » qu'elle définit comme « l'imitation continue réalisée par un tiers des initiatives industrielles et commerciales d'un concurrent ainsi que des perfectionnements apportés par ce dernier à ses systèmes et à ses méthodes publicitaires ». Cette concurrence parasitaire a été sanctionnée par la Cour sur le fondement de l'article 2598 du Code civil. Elle précise à ce sujet : « Le concept de correction professionnelle mentionné par l'article 2598 du Code civil ne s'entend pas dans un sens restrictif, c'est-à-dire en supposant que son application soit réservée à la seule transgression d'un principe juridique mais que, au contraire, il doit être admis dans une acceptation large en l'appliquant aux agissements qui, tout en étant conformes aux dispositions légales, sont néanmoins d'une nature telle qu'ils doivent apparaître comme inspirés par la fraude, l'astuce et la falsification et qu'ils ne peuvent de toute façon être considérés comme honnêtes ou corrects. » 8 Cf. note publiée dans la Rivista II, p. 261. ' Cf. note publiée dans la Rivista

di Dirittu,one di Diritto

Industriale,

Civile,

1959,

1959, I, p. 491.

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d) En Allemagne. — L'Oberlandsgericht de Munich a décidé, le 19 novembre 1959, que commet un acte de parasitisme « Schmarotzen » celui qui utilise le fruit du travail d'autrui, à titre de modèle et d'information, pour offrir ses services de publicité. De son côté, la Cour Suprême allemande a estimé, dans une décision du 9 octobre 1959, qu'il pouvait y avoir concurrence déloyale dans le cas où une figuration protégée par la propriété artistique a été diffusée dans le public, sous un nom de fantaisie < Bambi > et que ce dernier a été adopté comme marque, par un tiers, pour désigner des chocolats. Il s'agit là incontestablement d'une extension de la notion de concurrence déloyale qu'il serait plus exact de qualifier plus précisément d'agissements parasitaires. e) Aux Pays-Bas. — Il ne semble pas que ces conceptions nouvelles de concurrence ou d'agissements parasitaires aient été adoptées aux Pays-Bas. 2° Publicité

trompeuse ou

comparative.

a) En France. — La publicité mensongère vient de faire l'objet d'une nouvelle disposition insérée dans l'article 5 de la loi du 2 juillet 1963 : « Est interdite toute publicité faite de mauvaise foi comportant des allégations fausses ou induisant en erreur lorsque les allégations sont précises et portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : la nature, la composition, l'origine, la qualité substantielle, la date de fabrication, les propriétés des produits ou prestations de service qui font l'objet de la publicité, les motifs ou les procédés de la vente, les résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation, l'identité, les qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs ou des prestataires. « Article 6. — Les infractions aux dispositions de l'article 5 sont punies des peines prévues à l'article 1" de la loi du 1er août 1905, sur la répression des fraudes. Le tribunal peut, en outre, ordonner la cessation de la publicité incriminée et ordonner la publication du jugement. » « Les agents du service des enquêtes économiques et ceux du service de la répression des fraudes sont habilités

CONCURRENCE DÉLOYALE E T MARCHÉ COMMUN

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à constater les infractions aux dispositions de l'article 5 de la présente loi. Ils peuvent se faire communiquer par les annonceurs tous documents afin d'étayer leur enquête. Les procès-verbaux dressés par les agents verbalisateurs sont transmis immédiatement au Procureur de la République compétent. > Le délit est donc constitué par la réunion des cinq éléments suivants : — Publicité de mauvaise foi; — Allégations fausses; — Allégations précises; — Allégations induisant en erreur; — Allégations portant sur des éléments dénoncés au texte. En fait, ce nouveau texte ne modifie pas sensiblement l'état du droit, tel qu'il avait été dégagé par la jurisprudence, sauf qu'il correctionnalise la répression qui s'exerce dans le cadre de la loi de 1905 sur les fraudes. Deux arrêts de la Cour d'Appel de Paris du 21 janvier 1959 en avaient rappelé les principes en décidant, d'une part, qu'une étude comparative diffusée par un fabricant, entre son produit et un produit rival, ne constituait pas un acte de concurrence déloyale lorsqu'il ne présentait aucun caractère de publicité et, d'autre part, qu'une critique même excessive dans la presse ou des prospectus publicitaires d'un procédé mécanique, n'était pas un acte de concurrence déloyale lorsque cet appareil n'était pas désigné nommément et que son fabricant n'était pas le seul à l'utiliser. En vertu de ces principes, consacrés maintenant par un texte législatif, la jurisprudence française s'est toujours refusée, au nom de la liberté du commerce, à sanctionner la publicité superlative qui constitue le premier stade de publicité comparative. b) En Belgique. — La jurisprudence s'est orientée dans le même sens que la jurisprudence française. C'est ainsi qu'une ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Bruxelles, du 16 octobre 1962, a décidé qu'était « inappropriée et critiquable » la publicité d'un commerçant qui se réclamait des « Autorités européennes > pour vanter la qualité de ses petits pois.

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Le Président du Tribunal apportait l'appréciation suivante : « Si en matière de publicité, une certaine exagération peut être admise, encore faut-il que le lecteur se rende compte, à première vue, de cette exagération. » Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d'Appel de Bruxelles du mois de mars 1963. Dans une autre ordonnance du 26 octobre 1961, la même juridiction belge affirmait que la publicité devait être à base de vérité. En vertu de ce principe, le Président du Tribunal a estimé qu'il n'était pas permis de taire le caractère précaire de prix qu'on déclarait vouloir pratiquer, et encore moins d'attribuer, dans sa publicité, à l'adoption de nouvelles dispositions et de nouvelles méthodes de vente, le bas niveau de prix qu'on ne pouvait pratiquer sans commettre une incorrection et qu'on avait l'intention de ne consentir que dans certaines limites et temporairement ou qui sont en réalité des prix au-dessous du coût de revient. c) Pour l'Allemagne Fédérale. — La jurisprudence est encore plus sévère que la jurisprudence française ou belge. Sans interdire expressément l'usage des superlatifs dans la publicité, comme en Suisse par exemple, la jurisprudence allemande se montre très sourcilleuse. Citons, à titre indicatif, un arrêt du Bundes Gerichtshof du 26 septembre 1961, qui a jugé que s'agissant de produits de consommation d'une nature telle qu'il est bien connu du public, que certains d'entre eux peuvent avoir des effets bienfaisants pour la santé (en l'espèce des eaux de table), une publicité axée sur le symbole d'un organe du corps humain (à savoir l'usage du cœur) peut évoquer l'impression que le produit a une influence bénéfique sur cet organe. Si le produit ne possède pas de telles propriétés, la publicité constitue une « fausse indication propre à éveiller l'impression d'une offre particulièrement avantageuse » et, comme telle, doit être condamnée en vertu de l'article 3 de la loi du 7 juin 1909. Un arrêt du B.G.H. du 22 décembre 1961, a jugé que pour un vin mousseux, une publicité faisant état des années

CONCURRENCE DÉLOYALE ET MARCHÉ COMMUN

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de la naissance du fondateur de la firme (1773-1847) pouvait amener une partie du public à croire faussement que celle-ci avait commencé la fabrication de ses vins vers la fin du XVIII' siècle.

Signalons, enfin, que le Landsgericht de Hanovre a condamné le slogan publicitaire suivant : « Pourquoi des machines à laver chères, alors qu'il en existe aussi de bonnes avec des prix avantageux. » Mais la décision la plus sévère me paraît être celle de l'Oberlandsgericht de Stuttgart : une émission radiophonique diffusait une réclame pour des nouilles aux œufs. L'annonce était précédée et suivie d'un bruitage qui pouvait rappeler un caquetage de poule. L e Tribunal, ayant constaté qu'il ne s'agissait pas d'un simple caquetage de conversation mais d'un caquetage de poule qui vient de pondre, a condamné le fabricant pour concurrence déloyale parce qu'il fabriquait ses nouilles non pas avec des œufs frais, mais avec de la poudre d'œufs. d) En Italie. — Ce n'est certes pas en Italie que l'on trouverait des exemples d'une jurisprudence aussi minutieuse. La réclame excessive y est jugée avec indulgence. Cette bienveillance s'explique tout d'abord par la conviction que l'exagération et la fantaisie sont de l'essence même de la réclame mais ouvrent ainsi largement la voie non seulement à la réclame superlative mais aussi à la publicité mensongère. C'est ainsi que les tribunaux en arrivent même à tolérer des inexactitudes manifestes. Dans un jugement du 22 mai 1959, le Tribunal de Milan a refusé de voir un acte de concurrence déloyale dans le fait qu'au cours d'une campagne publicitaire, en vue de recueillir des insertions pour un « Annuaire des hôtels recommandés », l'éditeur avait annoncé un tirage d'environ un million d'exemplaires alors qu'en réalité il n'en imprimait que 60 000. De même, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 26 août 1914, avait admis que, dans la vente de machines, on annonçât, contrairement à la vérité, qu'elles étaient les seules qui répondraient aux prescriptions ministérielles de sécurité.

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H* LASSIER

Enfin, un arrêt de la €our de Cassation du 20 janvier 1925 avait estimé que l'attribution d'une médaille fictive, créée par la fantaisie de son auteur, n'appelait pas de sanction. Il faut cependant noter que la tendance la plus récente de la jurisprudence est beaucoup moins libérale. Citons simplement un jugement du Tribunal de Milan des 17 février et 25 juin 195610, dans l'espèce suivante : Deux Maisons de Milan étaient en concurrence pour la fabrication de bonbons rafraîchissants. L'une d'elles alléguait que la chlorophylle que contenaient ses bonbons était particulièrement propre à supprimer la mauvaise haleine. L'autre recommandait ses bonbons faits au goût de menthe, mais sans chlorophylle et montrait, dans une revue illustrée, un dessin où l'on voyait un bouc broutant de l'herbe et, à côté, une grenouille se bouchant le nez en disant : « Le bouc mange beaucoup de chlorophylle avec son herbe, mais il pue toujours. » Le Tribunal n'a pas recherché quel pouvait être l'effet de la chlorophylle sur la mauvaise haleine, mais a condamné la Maison, auteur de ce texte, sans examiner s'il était ou non conforme à la vérité.

SECTION

III

Vers l'harmonisation Cet essai de comparaison du droit sur deux aspects importants et actuels de pratiques commerciales déloyales fait apparaître quelles sont les idées force et les principales solutions communes possibles autour desquelles devra se construire l'harmonisation indispensable, alors surtout que, d'après les règles les plus classiques en matière de conflit de lois, c'est celle du lieu où la faute de concurrence déloyale a été commise qui doit s'appliquer u . Rivista Diritto Industriale, 1959, II, p. 260. Cf. Rapport de M" J.-C. Brianchon, Ligue Internationale la Concurrence déloyale, Congrès de Stresa, mai 1963. 10 11

contre

CONCURRENCE DÉLOYALE ET MARCHÉ COMMUN

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Si les industriels et commerçants de la C.E.E. doivent opérer sur un marché commun, subir des règles de concurrence communes (art. 85 et suiv.), il faut également que les pratiques prohibées soient également communes, il faut également que la répression soit commune. C'est la tâche immense à laquelle doit faire face la Commission de la C.E.E. et plus particulièrement les distingués fonctionnaires de la Direction du Rapprochement des Législations et ceux de la Direction générale de la Concurrence. Dans cette double perspective, les Services de la Commission ont mené une action également double. Concernant la définition et les incriminations communes de la concurrence déloyale, la Commission a donné mandat à l'Institut d'Etudes du Droit Economique dépendant de l'Université de Munich de réaliser une étude générale du droit comparé, en la matière, dans les six pays de la C.E.E. 11 est dans la logique des choses que cette étude, à laquelle ont participé des juristes qualifiés de chacun des Etats membres, comportera, en conclusion, des propositions de solutions communautaires. On mesure ainsi tout l'intérêt que représentera l'achèvement, qu'on annonce proche, de cette immense étude comparative. Concernant les conflits de lois et de juridictions, le problème de la répression de la concurrence déloyale rejoint celui, beaucoup plus large, de l'unification progressive des lois économiques et de leurs procédés d'application, de contrôle et de répression. A cet effet, il apparaît du plus récent rapport d'activité de la Communauté 12 que la Commission étudierait deux projets de conventions : — La première tendrait à appliquer aux actes commis par les ressortissants des Etats membres la loi de leur domicile, sans égard à celle du lieu où ont été commis lesdits actes, ce qui constitue un renversement des règles classiques du conflit de loi; — La seconde est relative à l'établissement de règles communes de procédure et plus spécialement de compé12 Sixième rapport général de la Commission de la C.E.E. sur l'activité de la Communauté entre le 1 e r mai 1962 et le 31 mars 1963.

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tence directe et indirecte (dans ce dernier cas, exequatur simplifiée et automatique des jugements rendus dans tout Etat membre et dont l'exécution est recherchée dans tout autre Etat membre). Une telle orientation postule une harmonisation encore plus complète si l'on entend, comme il est logique et équitable, appliquer à tous les ressortissants de la C.E.E. des lois et règlements les plaçant tous à situations et à armes égales, dans l'affrontement de la concurrence communautaire. Si l'on considère que la concurrence observée sur le plan du commerce entre les Etats membres est constituée en fait par des circuits commerciaux rivaux qui, dans l'affrontement, appellent la comparaison et la mesure, encore faut-il qu'aucun élément extérieur à l'entreprise, tel que les règlements des Etats, ne vienne affecter tel circuit au bénéfice ou au détriment de tel autre. Cette neutralisation du milieu de la concurrence implique un désarmement économique, douanier, fiscal et même politique dont on mesure facilement l'ampleur et les difficultés. Et même si les hommes de la fin du xx" siècle y parviennent, il n'empêche que Montaigne, cet honnête homme européen du xvi", s'il vivait aujourd'hui, ne manquerait pas, sûrement, de déclarer encore que, comme l'homme, la concurrence qui est son fait est un être ondoyant et divers dont l'observation, l'approbation ou la condamnation s'accommode mal à la cybernétique économico-juridique à laquelle certains rêvent. Jacques Lassier.

DISCUSSION

M. MERIGOT. — Vous venez de parler de la neutralisation du milieu économique susceptible d'être obtenue en 1970, si .les dieux sont bienveillants. Mais il y a une autre neutralisation qui me paraît tout aussi impérative, mais qui est beaucoup plus difficile à obtenir : c'est la neutralisation du milieu psychologique et nous avons pu découvrir sur ce plan de nombreux thèmes de réflexion au sujet des problèmes que vous avez évoqués. Je ne suis pas ici uniquement à titre personnel, mais comme représentant l'Association des Directeurs d'Instituts d'Administration des Entreprises qui participe à l'organisation de cette journée d'Etudes. Cependant, en tant qu'économiste je voudrais souligner l'intérêt que présente pour les économistes les sujets que vous avez développés aujourd'hui, et je souhaite que nous ayons l'occasion de traiter de leurs prolongements sur le plan économique. M. VAN WINJNGAARDEN. — Je crois qu'il est utile de faire une observation sur la situation actuelle aux Pays-Bas. A mon avis il faut préciser que la partie victime d'un acte de concurrence déloyale peut avoir recours à la procédure en référé aux Pays-Bas. Cette procédure est en effet très répandue dans notre pays, beaucoup plus répandue qu'en France, et cela surtout dans les cas de concurrence déloyale. Dans ce cas, le Président du Tribunal prescrit par voie d'ordonnance la cessation immédiate des actes incriminés, sous peine d'une astreinte à payer par l'auteur de l'infraction. Contrairement à ce qu'à dit Maître Lassier, il faut savoir que le droit néerlandais comporte bien la possibilité d'obtenir des mesures provisionnelles et une possibilité de réflexion assez efficace dans la plupart des cas. Maître LASSIER. — Notre collègue néerlandais a bien fait de préciser ce qui manque à mon rapport, à savoir que le droit néerlandais ne comporte pas de mesure provisionnelle spéciale à la concurrence déloyale. J'aurais dû préciser qu'en

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DISCUSSION

revanche, en référé, on pouvait obtenir des cessations comme dans un certain nombre de pays. M. GHAVANNE. — Maître Lassier nous a parlé d'un amalgame possible entre la notion de concurrence déloyale, c'est-àdire atteinte à un devoir général, et de concurrence interdite, c'est-à-dire violation d'un devoir précis, particulier, prévu par un texte de loi. En droit français, la loi du 2 juillet 1963, dont vous nous avez parlé, a fait en effet passer la publicité abusive de la concurrence déloyale à la concurrence interdite. Pour le moment, en France, nous sommes un petit peu en porte-à-faux : pourquoi cette publicité abusive est-elle une infraction, alors que le dénigrement abusif ne l'est pas s'il est fait par d'autres moyens ? Tout cela n'est peut-être pas extrêmement cohérent. A l'arrière-plan un autre problème se pose : c'est celui de ia sanction. Lorsqu'il s'agit de la sanction de la concurrence déloyale, tout naturellement, c'est une sanction civile, et au contraire pour qu'il s'agisse d'une sanction pénale, le principe de la légalité des délits et des peines exige que l'on soit en face d'une concurrence interdite. Puisque nous recherchons une certaine unification, je crois qu'elle serait plus facile à trouver dans le sens d'une concurrence déloyale à condition qu'il y ait une juridiction internationale pour uniformiser les jurisprudences en la matière, car si l'on veut trouver cette unification dans le sens de la concurrence interdite, on va se heurter à ce vieux principe de la territorialité du droit pénal. Si l'on veut assurer une sanction pénale dans le cadre du Marché Commun, le principe de la territorialité du droit pénal constituera donc un obstacle énorme. En outre, je crois tout de même que cette accumulation des cas de concurrence interdite n'est probablement pas un facteur de progrès économique. Si l'on veut faire une nomenclature, on oubliera toujours quelque chose, par conséquent la tendance vers l'unification devrait se traduire par une proclamation tout d'abord du devoir général, peut-être avec une liste non limitative d'exemples donnés à titre indicatif. Cela permettrait déjà de souligner les cas les plus flagrants sur lesquels on serait d'accord, mais en se laissant une possibilité d'extension disciplinée finalement par un recours à un tribunal européen supérieur. M. MAGNIN. — Je me réfère aux observations concernant la concurrence parasitaire, et comme nous sommes ici dans un milieu juridique, je voudrais formuler quelques observations : je me demande vraiment s'il s'agit bien là d'une notion nécessaire en droit. Evidemment le parasitisme est une notion agricole, ce n'est pas une notion juridique en soi.

DISCUSSION

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Mais, d'une façon générale, le parasitisme c'est la loi de la vie, c'est la loi de la vie sociale, de la vie intellectuelle, de la vie scientifique; chacun profite des efforts des autres, et c'est spécialement évident, frappant dans le domaine scientifique. Il ne suffit pas de dire à mon avis qu'il s'agit d'un agissement parasitaire pour que ce soit un agissement illicite. Naturellement il peut y avoir des agissements parasitaires qui seront illicites, mais non pas parce qu'ils sont parasitaires mais parce qu'il y aura faute, il y aura préjudice causé à des tiers, parce qu'il y aura peut-être enrichissement sans cause. Ces préjudices seront illicites ou interdits précisément parce que l'on met en jeu d'autres notions juridiques qui sont déjà bien établies et dont on fait les applications. Dans tous les cas d'arrêts ou de jugements concernant les agissements parasitaires, j'ai toujours vu cette confusion et en général il y a toujours le cas d'un usage indu d'une marque ou d'un usage indu d'un dessin ou d'un modèle. Cela est tout à fait typique. Naturellement il y a des usages indus de la marque et c'est un point qui mériterait, je crois, d'être approfondi. A mon avis la notion de parasitisme, qui n'est pas une notion juridique, peut servir peut-être à interdire cette attaque, mais lorsqu'aucune des notions juridiques bien établies et qui sont couramment appliquées ne peut entrer en ligne de cause. Et jusqu'à présent je n'en ai pas vu beaucoup. Maître LASSIER. — Je déduis de l'exemple agricole que vous avez choisi, que l'on appelle parasite un être vivant dont la présence n'est pas souhaitable et dont la disparition est souhaitée. A priori lorsque l'on parle de concurrence parasitaire ou de trafic parasitaire, on parle de pratiques dont la poursuite et la disparition sont souhaitées. Je veux bien concéder que la définition pèche par prétérition et que l'on devrait dire plutôt des pratiques portant des fautes à caractère parasitaire. Je crois que c'est la bonne définition en se basant sur vos observations. Seulement, dans la vie et dans le jargon commun, on va par prétérition et l'on saute la notion de faute. Il est bien évident qu'il faut qu'il y ait une notion de faute, et c'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure que la notion de parasitisme en matière de concurrence s'incluait dans ce grand chapitre général de la concurrence qui est interdite au sens des conceptions les plus variées, depuis la répression de la concurrence déloyale la plus classique en France jusqu'à la concurrence interdite dans certains autres systèmes législatifs. Mais je voudrais aussi indiquer que l'idée de la répression do l'enrichissement indu est assez séduisante pour réprimer ce genre de faute. Seulement, ayant eu l'occasion de vouloir la mettre en œuvre pratiquement dans certains cas, je suis

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DISCUSSION

arrivé à la conclusion que, au moins en droit français, la répression de l'enrichissement indu présente un caractère d'inapplicabilité pratique pour la simple raison que l'exigence qu'il y ait d'une part enrichissement, mais en même temps appauvrissement correspondant et concomitant de l'autre, ce qui ne s'est pas démontré dans tous ces cas-là. C'est pourquoi on ne peut pas la mettre en application. Je pense donc, pour ma part, qu'on pourrait sans doute sur le plan terminologique compléter l'expression en introduisant cette notion de faute qui est sous-entendue dans la notion de concurrence parasitaire. Au fond cette notion présente des pratiques qui, antérieurement, n'étaient pas réprimées en tant que telles, et il m'apparaît que quand même dans l'évolution du temps et des répressions, cette forme de répression peut avoir sa place sans pour autant déranger les conceptions classiques de la répression de la concurrence déloyale. La suggestion de M. Chavanne tendant à instituer une juridiction internationale qui serait l'arbitre de la concurrence sur tout le territoire commun serait une suggestion excellente, seulement vous savez mieux que moi qu'il y a un problème constitutionnel et communautaire qui se pose, car le Traité de Rome n'est quand même qu'un traité de commerce; à la différence du traité C.E.C.A., il n'a pas créé une Haute Autorité. En conséquence j'ai l'impression que les évolutions de souveraineté nationale ne sont pas spécialement prévues dans le Traité, et d'ailleurs je me demande ce qui se passera devant la Cour de Justice pour l'application de l'article 85 et suivants du Traité, car j'ai l'impression que le règlement n" 17 tel qu'il a été rédigé me paraît avoir été pris par les Ministres en pensant que la Communauté constituait une manière d'Autorité supranationale qui pouvait exercer les droits et les prérogatives. C'est ce que le règlement n° 17 a donné à la Commission. Je me pose simplement la question de savoir si véritablement le règlement n° 17 ne viole pas certaines dispositions et en ce sens que, de facto, il a institué une Autorité supranationale, alors que je ne pense pas que cela était compris dans la structure constitutionnelle du Traité. Je concède que les articles 85 et suivants sont rédigés de telle manière que pour les mettre en œuvre utilement il y avait difficilement d'autres moyens que de créer un gendarme commun. Pour le moment, c'est la Commission qui est un agent de constatations, de recherches, de poursuites, d'instruction et de jugement, mais j'ai l'impression que se posera tôt ou tard devant la Cour de Justice le problème constitutionnel de savoir si le règlement 17 n'a pas été au-delà de la compétence qui était dévolue au Conseil des Ministres.

Rapport de synthèse Rapporteur : M. GOLDMAN,

Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris, Directeur adjoint du Centre universitaire d'Etudes Européennes.

« Propriété industrielle » et « Marché commun » : tel fut le thème proposé à ce colloque; les enseignements que nous en avons tous retirés ont pleinement justifié ce choix. Cependant, à premier examen, les deux institutions ainsi confrontées paraissaient se trouver dans un état de divorce technique, fondé sur une incompatibilité d'humeur fondamentale. Divorce technique, puisque l'on a interprété l'article 36 du Traité de Rome comme laissant le Droit de la propriété industrielle en dehors du domaine de la C.E.E. Il n'empêche que tout ce que nous avons entendu pendant ces deux journées fait apparaître l'effort important de constitution d'un Droit européen de la propriété industrielle, qui se déroule sous nos yeux : élaboration de l'avant-projet de convention sur le brevet européen; du projet de convention sur les marques, point encore officiellement connu; exploration, enfin, des problèmes relatifs aux dessins et modèles et à la concurrence déloyale. Cet effort correspond du reste, semble-t-il, aux besoins de l'industrie, tels que des personnalités les connaissant parfaitement les ont définis, ici même, dans leurs rapports.

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Mais l'expression de ces besoins a fait apparaître de difficiles questions : les droits « européens » de propriété industrielle doivent-ils se superposer, ou se substituer aux droits nationaux ? D'autre part, le Droit « européen » de la propriété industrielle se limitera-t-il à l'Europe des Six, ou bien, échappant, dès ce stade embryonnaire, au berceau dans lequel il va naître, s'étendra-t-il, sinon au monde entier, du moins à une Europe très élargie ? Cette dernière tendance rencontre, semble-t-il, une assez large faveur : si bien qu'assez curieusement le Droit européen de la propriété industrielle, à peine réconcilié avec le Marché Commun, paraît vouloir s'en séparer à nouveau. Cela est peut-être dû précisément à une incompatibilité d'humeur fondamentale : n'y a-t-il pas antinomie entre les textes du Traité de Rome sur la concurrence, d'une part, et le caractère nécessairement « monopolistique > et exclusif de l'exercice des droits de propriété industrielle, d'autre part ? Ainsi, comme entre deux époux qui ne s'entendent plus, l'antinomie apparaîtrait dès que l'on veut faire vivre, sous le même toit, propriété industrielle et droit de la concurrence. C'est autour de ces deux ordres de problèmes que je voudrais présenter les quelques réflexions générales qui m'ont été inspirées par les très riches rapports et les remarquables interventions que nous avons entendus : quelles peuvent être, d'une part, la signification et la portée d'un Droit européen de la propriété industrielle (et en particulier des brevets) (I) ? Comment, d'autre part, pourrait être résolue l'antinomie entre les droits de propriété industrielle et les règles de la concurrence (II) ? I. —

Signification et portée d'un Droit européen de la propriété industrielle.

Je n'insisterai pas ici — sans cependant les méconnaître — sur les difficultés matérielles considérables que rencontre l'élaboration de ce Droit nouveau. Elles vous ont été parfaitement exposées. Certains, parmi les intervenants, se sont montrés optimistes. D'autres, avec une très grande autorité, ont montré que cet optimisme

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était peut-être excessif — notamment en matière d'examen préalable des brevets dans le domaine des marques de fabrique (où l'on peut craindre des confusions entre les marques européennes et les marques nationales); enfin en matière de dessins et modèles, lorsqu'il s'agira de concilier la conception unitaire française et celles, « pluralistes », d'autres pays. Mais il s'agit là, quelque grandes qu'elles puissent être, de difficultés techniques, et par là même de difficultés qui ne sont pas radicalement insurmontables. Il est au contraire infiniment plus délicat de dégager la signification et la portée véritables de la constitution de ce Droit européen de la propriété industrielle, en admettant, comme nous le faisons, qu'elle soit techniquement possible. Ce problème présente lui-même deux aspects : comment ce futur Droit européen sera-t-il coordonné — s'il doit l'être — avec les droits internes des Etats membres ? D'autre part, comment sera-t-il constitué avec le régime international de la propriété industrielle ? A) S'agissant, tout d'abord, de ce que j'appellerai la coordination interne (car elle doit intervenir à l'intérieur de la Communauté), on peut dire qu'en l'état actuel des projets et des travaux, l'élaboration d'un Droit européen de la propriété industrielle repose sur un effort d'harmonisation et d'unification des Droits nationaux. Mais si tel est bien le procédé — et il ne peut guère y en avoir d'autre — il faut dire aussi que cette harmonisation, cette unification ne ressemble pas tout à fait à celles que nous connaissons en d'autres domaines. D'une part, en effet, elle va moins loin, car on ne prétend pas substituer le Droit européen aux Droits nationaux, mais l'y superposer. Mais, d'autre part, elle tend à aller plus loin, car elle ne résiderait pas seulement dans l'élaboration de règles matérielles communes, mais aussi, et nécessairement, dans la création d'institutions, d'autorités communes. 1° L'unification du droit de la propriété industrielle procéderait par superposition, du moins dans une première phase : les rapports sur l'avant-projet de convention sur les brevets, comme ceux sur les dessins et modèles et sur les

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marques l'ont montré. Ce n'est que pour la concurrence déloyale qu'il semble permis d'entrevoir, dès à présent, la substitution d'un Droit uniforme aux Droits internes. Mais ce sont essentiellement des arguments d'opportunité qui plaident en faveur de cette période transitoire, pendant laquelle on sera ainsi en présence d'une superposition des Droits nationaux et du Droit européen : je n'en veux pour preuve que l'avis de l'Unice, qui s'est prononcée pour la coexistence des brevets nationaux et du brevet européen, non pas pour des raisons théoriques, mais pour des raisons fondées sur l'intérêt des industriels qu'elle représente. Personne cependant ne se fait d'illusion sur le fait que, selon l'évolution prévisible des choses, cette superposition aboutira tout de même un jour à la substitution. Pour les marques, en particulier, on ne voit pas comment on pourrait autrement éviter des confusions qui seraient contraires à l'esprit même de l'institution. Plus généralement, nous avons tous été d'accord, ici, sur le sens de l'évolution qui ne peut manquer de se dessiner rapidement : il faudra en tenir compte, lorsque l'on examinera le problème de la coordination externe. 2" Mais il faut auparavant ajouter qu'indépendamment de cette unification des règles, l'élaboration d'un Droit européen de la propriété industrielle est difficilement séparable de la création d'autorités communes, ou de l'appel à des autorités existantes, telles que la Cour de Justice de Luxembourg. Je n'en veux pour exemple que l'avant-projet de convention sur le brevet européen, qui crée toute une gamme d'autorités nouvelles : Office européen et Cour européenne des Brevets, éventuellement Institution Internationale des Brevets, marques, dessins et modèles, etc... Sans rechercher le paradoxe, on pourrait dire que les règles communes peuvent peut-être se limiter à quelques très grands principes, beaucoup moins détaillés que les règles que l'on s'efforce actuellement d'élaborer, mais qu'en revanche, si l'on voulait abandonner l'application de ces règles aux autorités et aux juridictions nationales, on aurait à nouveau, au bout de quelques années, six Droits différents. De cette constatation, également, il nous faut tenir compte en abordant le problème de la coordination externe

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RAPPORT DE SYNTHÈSE

du Droit européen de la propriété industrielle avec le régime international, tel qu'issu notamment de la Convention de Paris et des Actes qui l'ont amendée. B) C'est ici, à propos de cette « coordination externe », qu'apparaissent les problèmes cruciaux de l'ouverture et de l'accessibilité de la convention sur les brevets, et demain de celle sur les marques. Je me garderai bien de les reprendre dans leur ensemble : ils ont été posés en des termes excellents, au cours de ce colloque. Il a été dit aussi que l'aspect juridique de ces questions n'était pas finalement le plus important, car elles se ramènent en définition à un problème essentiellement politique et économique — le politique ne faisant du reste que traduire, en positions de force, les intérêts économiques. On ne m'en voudra pas, cependant, de revenir brièvement sur leur aspect juridique, car nous avons intérêt, je pense, à tenter d'asseoir nos solutions sur des arguments juridiques, lorsque cela est possible. A cet égard, les éléments de la controverse ont été parfaitement rappelés : il s'agit de savoir si en refusant éventuellement l'accès du brevet européen aux ressortissants des Etats qui n'auraient pas adhéré à la convention européenne, on contreviendrait ou non à l'article 2 de la Convention d'Union. Ceux qui pensent que l'on n'y contreviendrait pas invoquent très simplement l'article 15 de la Convention d'Union, qui permet expressément les accords régionaux. Mais on conviendra que l'article 15 ne saurait rien tolérer qui soit contraire aux règles générales de la Convention d'Union : on n'échappe dès lors pas à la nécessité d'interpréter l'article 2 de celle-ci qui consacre, on le sait, le principe du traitement national. Les partisans de la non-accessibilité ne le contestent pas, mais ils affirment que ce que l'article 2 apporte à tous les ressortissants des pays unionistes, c'est le traitement national tel qu'il résulte

des lois nationales

de ces

pays

(et par lois nationales il faut entendre celles qui ont leur source dans une décision de l'autorité législative du pays considéré); en revanche, l'article 2 ne concernerait pas les droits résultant de conventions restreintes, intervenues entre quelques-uns seulement des pays unionistes.

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L'objectivité juridique oblige cependant à dire que notamment en France, compte tenu de dispositions constitutionnelles parfaitement connues, les règles qui figurent dans un traité ratifié et promulgué s'incorporent dans le droit national, et y ont même la prééminence sur les règles d'origine purement interne; si bien que la distinction proposée paraît difficilement admissible. On ajoutera, avec le Professeur Ulmer, qu'il est difficile d'admettre qu'il n'y a pas discrimination lorsqu'un traité accorde des avantages supérieurs à ceux résultant de la Convention d'Union, et que ces avantages sont refusés à certains des ressortissants de l'Union. Il est vrai que partant d'une remarquable exégèse de la Convention d'Union, le regretté Albert Colas faisait remarquer que l'article 2 ne parle pas de « lois nationales » , mais des « lois respectives » des pays membres; or, mise à la lettre, cette expression ne vise pas les conventions unissant plusieurs pays entre eux, mais seulement des lois en quelque sorte « discriminées » différentes entre elles, par hypothèse, des différents pays adhérents. Mais pour être impressionnant, cet argument porte en lui-même ses limites : un jour viendra, en effet, où ces lois « respectives » n'existeront plus dans les pays de la Communauté, parce que le Droit de la propriété industrielle y aura été modifié : ce jour-là, que les lois respectives soient remplacées par une loi unifiée, ou par une convention — on ne voit plus très bien comment on pourrait utiliser cette fort habile exégèse de l'article 2 de la Convention d'Union. Aussi bien, la discussion exégétique, pour passionnante qu'elle soit, n'est peut-être pas suffisante : il faut la porter plus loin sur le terrain de la philosophie juridique et politique du Traité de Rome. Or, la signification profonde du Traité, c'est qu'il donne le départ à une intégration politique en devenir. Je me sépare, sur ce point, de M" Lassier, qui disait que le Traité de Rome était un traité de commerce. J'avais déjà entendu dire qu'il était une union douanière; tout le monde est cependant d'accord pour penser qu'il n'est pas seulement cela. Mais dire que c'est un traité de commerce ne me paraît pas non plus conforme à son esprit, ni à la volonté de ses auteurs. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'histori-

RAPPORT DE SYNTHÈSE

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quement le Traité de Rome est le fruit de la « relance » de l'idée européenne, après l'échec de l'intégration politique par suite du rejet par l'Assemblée Nationale française du Traité sur la Communauté Européenne de Défense : on s'est dit alors — et on ne l'a pas caché — que puisque l'intégration politique n'avait pu être faite par le haut, il fallait la reprendre par le biais de l'intégration économique. Dans une telle perspective, il deviendra rapidement difficile de considérer le Droit communautaire de la propriété industrielle comme un simple « traité régional il deviendra un Droit intégré, et on voit mal comment le bénéfice pourrait en être refusé aux ressortissants unionistes autres que ceux des pays de la Communauté. Certes, M. le Sénateur Armengaud a-t-il pu dire que si c'était bien là, en effet, la perspective du Traité de Rome et surtout celle des organes communautaires, du moins fallait-il attendre qu'elle fût réalisée; et il est certain que cette observation est parfaitement fondée, dans la situation actuelle des divers Etats membres du Traité de Rome. Mais n'est-ce pas, tout aussi bien, par l'élaboration progressive d'un certain nombre de règles et d'institutions communes — sur le terrain de la propriété industrielle comme sur d'autres — par la superposition d'un certain nombre de pierres ou de briques, que l'on va bâtir l'édifice ? Et n'est-il pas un peu contradictoire d'attendre que la construction soit achevée pour y apporter une pierre ? Car à ce compte, il est peu probable que l'on parvienne jamais à l'édifier. Naturellement, cela n'empêche pas qu'il faille, dans l'immédiat, tenir compte de la situation économique concrète de certains pays du Marché Commun, notamment de la France; de la manière la plus légitime, cette situation leur permet de s'opposer à une construction hâtive, qui les empêcherait de renforcer suffisamment leur position, avant d'accepter sans réserves l'intégration économique, juridique et politique qu'impliquerait le véritable Marché Commun. A plus forte raison cette réserve, au moins temporaire, se justifie-t-elle si l'on considère que d'autres dispositions du Traité, et notamment les règles relatives à la concurrence, peuvent également ralentir le renforcement économique, condition préalable d'une pleine réalisation de la Communauté.

228 II. —

M. GOLDMAN

Droit de la propriété industrielle et Droit de la concurrence.

Je voudrais précisément, pour terminer, rappeler les idées essentielles exprimées au cours de ce colloque, relativement aux rapports entre le Droit de la propriété industrielle et la réglementation de la concurrence dans le Traité de Rome. Ici, on rappellera d'abord qu'en l'état actuel des choses, l'opposition se produit entre les Droits nationaux qui, jusqu'à nouvel ordre, restent les seuls Droits positifs de la propriété industrielle (en dehors de la Convention d'Union) et les règles de la concurrence inscrites dans le Traité. Mais demain, à en juger par un certain nombre de dispositions, peut-être regrettables, du projet de convention sur les brevets, ce même « télescopage » pourrait se produire entre un Droit communautaire de la propriété industrielle et le Droit, également communautaire, de la concurrence. A ) En ce qui concerne la première opposition, on retire, à n'en pas douter, des communications successives de la Commission de Bruxelles, relatives à ce problème, l'impression de l'extrême embarras de leurs rédacteurs. On a déjà souligné cette sorte de retour sur soi-même, qui s'est opéré entre le 9 novembre et le 24 décembre 1962, mais on peut dire aussi que si elle a essayé de prévoir un certain nombre de cas de « combinaison » entre les institutions de la propriété industrielle et les règles relatives à la concurrence, la Commission a surtout témoigné d'hésitations, et observé de prudents silences sur des problèmes pourtant de très grande importance (comme par exemple celui des contrats relatifs au « know-how » ). Là, du reste, où elle s'est prononcée, la Commission a assorti ses vues d'explications fort significatives. Ainsi, l'alinéa final du paragraphe II de la Communication du 24 décembre 1962 déclare que celle-ci « ne préjuge pas l'interprétation de l'article 4 du Règlement n° 17 » . Or, comme l'a justement souligné M" Lassier, la communication ne laisse pas, dans divers cas, de glisser à tout le moins du terrain de la procédure à celui du fond.

RAPPORT DE SYNTHÈSE

229

De même, selon l'alinéa final de ce document, les engagements d'exclusivité autorisés en vertu de la lettre E du § 1, abstraction faite de la question controversée de savoir si de tels engagements ont pour objet ou pour effet une restriction de la concurrence, ne seraient pas, dans la situation actuelle de la Communauté, « susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres ». Or, on ne voit vraiment pas comment la licence exclusive donnée par un breveté français à un concessionnaire allemand, et s'accompagnant des clauses d'interdiction d'importation parallèle, n'affecterait pas le commerce entre les Etats. Il semble bien, en réalité, que les instances administratives de la Commission aient opéré là un certain recul, sans vouloir l'avouer ouvertement. Le dogme de la libre concurrence doit, dans une certaine mesure, s'incliner devant les caractères ineffaçables des droits de propriété industrielle. B) Le même embarras apparaît dans l'avant-projet de convention sur les brevets, où l'on a essayé, mais sans y parvenir de manière satisfaisante, de ménager ces exigences apparemment contradictoires, notamment dans la réglementation des licences d'exploitation. Sur ce point, l'un des intervenants à ce Colloque a dit très justement que l'on tentait de reprendre avec force ce qu'on avait donné avec parcimonie : l'octroi d'une licence qui s'assortit de la possibilité pour le concédant de faire concurrence au licencié dans son propre pays constitue en effet une curiosité juridique... Comment expliquer que l'on en soit arrivé à de tels textes ? L'explication réside, je crois, dans une sorte de fétichisme de la libre concurrence, dont certains experts ne se débarrassent qu'à grand-peine : M. André Marchai n'a-t-il pas écrit, il y a quelques années déjà, qu'il fallait détruire quelques faux dogmes qui ont inspiré le Traité de Rome ? Chez certains sans doute, l'inspiration de ces dogmes était tout à fait pure : ce fut par exemple le cas de M. Jacques Rueff qui chantait en 1958 ce marché sans frontières, sans trusts ni cartels, de 160 millions d'habitants. Mais on sera plus réservé sur la pureté d'inspiration d'arguments de

230

H. GOLDMAN

caractère apparemment technique : ainsi, lorsque l'on donne en exemple la législation américaine antitrust, on peut répondre que cette législation s'applique à un marché où entrent en compétition des entreprises aux côtés desquelles la Régie Renault serait une moyenne entreprise, pour ne pas dire une petite... Les conditions économiques sont dès lors profondément différentes — car les oligopoles, que l'on prétend détruire ou empêcher en Europe, sont profondément implantés aux Etats-Unis. Il existe donc — et ce colloque aura permis de s'en assurer — des divergences parfois sérieuses entre les vœux de la pratique, de l'industrie, de la profession, relatifs à l'aménagement de la propriété industrielle dans le Marché Commun, et la position théorique — quelquefois tempérée, mais on dirait alors à regret, et avec mauvaise conscience — des autorités communautaires. Il était fort important de connaître cette position de l'industrie — et que ce colloque nous ait permis de la comprendre suffirait à en justifier l'intérêt. Mais les vœux ainsi exprimés ne sont pas suffisants, et les industriels ici présents ne m'en voudront pas de le dire. Le Traité de Rome a été inspiré, en effet, par la croyance à certains impératifs économiques et par une certaine doctrine économique. Si cette doctrine n'est pas bonne, il faut nous en proposer une autre — ou du moins si elle doit être amendée, il faut nous dire comment. Je rejoins ainsi l'avis de notre Président de séance : nous souhaitons que la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Grenoble organise un deuxième colloque, qu'elle placera alors plus particulièrement sur le terrain économique. Les juristes ici présents témoignent leur reconnaissance à cette Faculté, en lui disant qu'ils seraient très heureux d'y être invités, pour s'instruire auprès de leurs collègues économistes. B . GOLDMAN.

TABLE DES MATIÈRES Pages Programme

5

Liste

7

des participants

Allocutions

d'ouverture

11

Propriété industrielle et Gestion de l'entreprise (Rapport e u r : M. CHERADAME)

19

Discussion

42

Brevets d'invention et Marché Commun {Rapporteur : M.

MONNET)

51

59

Discussion Le projet de convention sur le brevet européen et ses implications (Rapporteur : M . ARMENGAUD) Discussion

71

88

Dessins et Modèles et Marché Commun (Rapporteur : M . I>ESBOIS)

105

Discussion

121

Marques de fabrique et Marché Commun (Rapporteur : M . CHAVANNE)

123

Discussion

133

Le Traité de C.E.E., article 85, et les Droits de Propriété industrielle (Rapporteur : M. PLAISANT)

141

Droits de Propriété industrielle et Concurrence (Rapporteur : M" L A S S I E R ) Discussion

186

172

Concurrence déloyale et Marché Commun (Rapporteur : M* L A S S I E R )

195

Discussion

217

Rapport de synthèse (Rapporteur :

M . GOLDMAN)

221

ACHEVÉ LE

3

D'IMPRIMER JUILLET

1964

SUR LES P R E S S E S DE L ' I M P R I M E R I E m l e

Numéro d'édition : 2165.

A L L I E R A GRENOBLE

Dépôt légal : 3< trimestre 1964.