Premotion Physique

A. Vacant, E. Mangenot, and É. Amann (Ed), Dictionnaire de Théologie Catholique (Paris: Libraire Letousey et Ane, 1936).

131 27

French Pages [24] Year 1936

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Premotion Physique

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PRÉMONTRÉS - PRÉMOTION PHYSIQUE

PRÉMOTION PHYSIQUE. - Nous ver­rons d'abord comment se pose la question de la pré­motion physique, puis ce que n'est pas cette motion et ce q1;1'e])e est, en l'expliquant par les textes mêmes de saint Thomas. Nous verrons ensuite quels sont, d'après

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celui-ci, les difTérents modes selon lesquels s'exerce cette motion. Enfin, nous considérerons successiYe­ ment ses rapports avec les décrets divins relatüs à nos actes salutaires, avec l'efficacité de la grâce, avec la liberté de nos actes salutaires, et avec l'acte physique du péché. -- I. La motion divine en général. II. Ce que n'est pas la prémotion physique (col. 33). III. Ce qu'est positivement la prémotion physique (col. 39). IV. Conformité de cette théorie avec la doctrine géné­ rale (col. 51 ). V. Divers modes de prémotion physique (col. 56). VI. Raisons d'affirmer ln prémotion (col. 57). J. LA J\IOTION DIVINE EN GÉNÉRAL ET LA QUESTION DE LA l'Rl�l\lOTION PJJYSJQUE. -' Pour bien entendre le sens que les thomistes donnent ù ]'expression « pré­ motion physique", il faut rappeler ce qui ]es a conduits ù l'adopter. Ils entendent répondre ù celle question, nettement posée par saint TJ1omas, 1 11, q. cv, a. 5 : Ulrum Deus operelur i11 omni operanle, Dieu meut-il toutes Jes causes secondes ù leur opération? Ils répondent d'abord que ]'Écriture ne permet pas d'en douter, puisqu'eHe dit : Deus operalur omnia in omnibus, I Cor., xn, 6; ]11 ipso enim vivimus, movemur el sum�s, Act., xvn, 28. Même s'il s'agit de nos actes libres, ]'l�criture n'est pas moins affirmative : Omnia opera noslra operalus es nobis, Domine, Is., xxvr, 12; Deus est qui operalur in vobis el velle el perfi.cere, pro bona volunlalc, Phil., 11, 13. Ces textes scripturaires sont déjà si ciairs, ils disent si nettement que l'action de la créature dépend de l'influx de Dieu ou de la causalité divine, que Suarez lui-même, quoique opposé à la pré­ molion physique, a écrit que cc serait une erreur clans la foi de nier la dépendance des actions de la créature à l'égard de la cause première. Disp. met., disp. XXII, scct. 1, c. v11. Du point de vue philosophique, la chose n'est pas moins claire : de même, en efîet, que l'être participé, limité des créatures dépend de la causalité de l':Être premier, qui est l'�tre même subsistant, leur action en dépend aussi, car rien de réel ne saurait lui être soustrait. Il ne s'agit donc pas tant ici de la nécessité ou de l'existence de l'influx divin, sans lequel la créa­ ture n'agirait pas, mais de la nature de cet influx et de la manière dont il s'exerce. Nous verrons d'abord, en signalant les erreurs mani­ festes à éviter, ce que n'est pas la prémotion physique, pour mieux préciser ensuite ce qu'elle est : 1 ° elle n'est pas une motion qui rendrait superflue l'action de la cause seconde : contre l'occasionnalisme; 2° elle n'est pas une motion qui nécessiterait intérieurement notre volonté à choisir ceci plutôt que cela : contre le déter­ minisme; 3° elle n'est pas non plus, à l'extrême opp·osé de l'occasionnalisme et du déterminisme, un simple concours simultané; 4° ni une motion indifférente, indéter­ minée; 5° elle n'est pas une assistance purement extrinsèque de Dieu. Nous verrons mieux ensuite ce qu'est la prémotion physique : 1° qu'elle est motion et non pas création ex nihilo, sans quoi nos actes, créés en nous ex nihilo, ne procéderaient pas vit�lemerit de nos facultés · et ne seraient plus nôtres; qu'elle est motion passivement reçue dans la créature et distincte par suite soit de l'action divine qu' elle suppose, soit de notre action qui la suit; 2° qu'elle est physique et non pas morale ou par proposition d'un objet qui attire; 3° qu'elle est dite prémotion à raison d'une priorité non de temps, mais de nature et de causalité; 4° qu'elle est, par rapport à notre liberté, non pas nécessitante, mais prédétermi­ nante, ou qu'elle est une prédétermination non pas for­ melle, mais causale, en ce sens qu'el1e assure l'infailli­ bilité intrinsèque des décrets divins et meut notre volonté à se déterminer à tel acte bon déterminé (la détermination à l'acte mauvais étant clle.rn�me nrnu•

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\':li se, dé ficien te, vient à cc litre de la cause déficiente cl non pas de Dieu). Nous verrons enfin que l a prédé­ termination à la fois formelle et causale est antérieure ù l a prémolion ; elle s'identi fie, selon saint Thomas, av ec l es décrets divins prédétermlnants relatifs à nos act es salutaires, tand is que la détermiualion formelle cl non plus cau sale est celle m�me de notre acte libre déjà détermin é, et qui reste encore libre après sa déter­ m in ation m ême, comme l'acte libre de Dieu. L'élude all enti �e de ces différents aspects du problème est n éc e s sa i re p our éviter toute confusion, et il convient de com mencer par la partie négative, car l 'expressi on « prémotion physique prédétcrmlnanle » csl employée préci sém ent pour exclure Je concours simultané cl la prém otion indifférente. Il. CE QUE N'EST PA S J.A Pfü�MOTJON PJIVSIQUE. 1 ° La motion divine ne doit pas être entendue en cc sens adm is par les occasionnalislcs, que Dieu seul agirait en toutes choses, que le feu n e chaufferait pas, mals Dieu clans le feu et à l'occasion du feu. S'Ii en était ai nsi, remarque sai nt Thomas, I 11 , q. cv, a. 5, les causes ..sccondcs ne seraient pas causes, et, ne pouvant agir, leur exist ence serai t vainc ; leur impuissance prouve­ rait , en outre, que Dieu n'a pu leur communiquer l a dignité de l a causal ité, l' action e t )a vie, comme un artist e qui ne peut faire que des œuvrcs mortes (quod 1;erlinerel ad impotenliam creanlis). L'occasionn alisme n:ènc � u rest e au panthéisme, car )'agir suit l'être et le mode d'agir suit le mode d'ê t re. Si, donc, il n'y a q u'une action, celle de Dieu, Il n e doit y avoir qu'un êt re ; les créat ures sont absorbées en Dieu ; l'êt re en général s'ident i fie avec l'être divin comme l 'ex ige le réalisme ontologist c cher ù Malebranche et t rès in limc­ n�cnt uni dans sa pensée à l 'occasionnalisme. Saint Thomas, après avoir ainsi réfuté l'occasionna­ lisme de son t emps, lac. cil. , ajoute que Dieu, qui a créé et conserve les causes secondes, les applique à agir : Deus non solum dal formam rebus, sed eliam conservai cas in esse, el applical cas ad agendum el est finis omnium aclionum. In, q. cv, a. 5, ad 3um ; Contr. gent.,· 1. I I I, c. LXVI I ; De poienlia, q . m, a. 7. 2° La motion divine, qui ne rend pas super{.ue l'action · des causes secondes, mais la suscite, ne saurait être néces­ sitante, en ce sens qu'e]]e supprimerait toute contin­ gence et toute liberté. l\fais, sous l'influx divin, les causes secondes agissent comme il convient à leur nature, soit nécessairement, comm e le soleil écJaire et réchauffe, soit de façon contingente, comme les fruits arrivent plus ou moins à maturité, soit de façon libre, comme l'homme choisit. Saint Thomas rattache même cette propriété de la motion divine à l'efficacité souve­ raine de la causalité de Dieu, qui fait non seulement ce qu'il veut, mais comme il le veut, qui nous porte non seulement à vouloir, mais à vouloir librement; cf. Ja, q. XIX; a. 8 : Cum voluntas divina sil efficacissima, non solum sequilur quod fiant ea, quœ Deus vull {i.eri, sed et quod eo modo fiant quo Deus ea fi-eri vull. Vull aulem Deus quœdam fi-eri necessario, quœdam contingenter, ut sil ordo in rebus ad complemenlum universi. La motion divine ne supprime donc pas la liberté, mais J'actualise ; elle n'enlève que l'indifférence poten­ tielle, et donne l'indifférence dominatrice actuelle de l'acte libre, indifîérence qui dure en lui lorsqu'il est déjà déterminé ; c'est la seule indifîérence qui soit en Dieu, et qui dure dans l'acte libre immuable par l equ�l il conserve Je monde dans l'existence. C'est de cette · indifiérence actuelle que parle saint Thomas lorsqu'il dit, Ja, q. LXXXIII, a. 1, ad 3um : Sicul naluralibus cau­ sis, movendo eas, Deus non au/erl quin actus earum sint ncilura/es; ila movendo causas volunlarias, non aufert quin acliones earum sint volunlariœ, sed polius hoc in eis facil : operalur enim in unoquoque secundum ejus proprielalem. Cf. 1°-J iro, q. x, a. 4. DI CT, DE THÉOL, CATHOL,

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3° Par opposition à l'occasionnalisme el au détermi­ nisme, la motion divine serait-elle seulement, comme le veut 1110/ina, un concours sinmllané? - Le moli nis m e considère la cause première et Ja cause seconde com m e deux causes partielles coordonnées d'un même efTet, se m­ blables, dit l\Iolina, à deux hommes tirant un navire : Tolus quippe efleclus el a Deo esl el a causis secundis ; sed neque a Deo, neque a causis secumlis, ut a iota causa, sed ut a parle causœ, quœ simul cxigil concursum el i n / uxum allerius : 11011 secus ac cum duo lrahunl navim. Co11cordia, q. xv1 1 a. 13, disp. X XV I fin, éd. de F aris, 1 870, p. 1 58. De cc poi nt de vue, ml!me si tout l'efTet est produit pur chacune des deux causes, en ce sens que l' une suns l 'uul1·c ne produirai t rien, la cause seconde 11 'est pus prémue pur J a cau se première, Je concours de celle-cl est seulement slm ultuné, comml! cel ui des deux hommes qui tirent un chaland , l e pre­ mier n'influant pus sur le scco11d pour Je porlcr it agir. « Le co11cours général de Dieu, dit Mo1 1na, ibid., n'es t pas un influx immédiat sur ]a cause seconde, qui Ja prémeuvc à agir et à produire son cllet; mais un influx immédiat sur l'action et l'cITet, avec Ja cause seconde. » En dehors de cc concours simultané, nécessaire à tout acte, Mo1 ina admet bien une grâce parlicu1ière p our les actes salu taires, mais ce11c-ci est une motion non pas physique, mais morale, par l'attrait de l'objet proposé. L'auteur de Ja Concordia reconnait· d'ailleurs que ce lte conception du concours simu1t�né, nécessaire­ ment liée, selon lui, à sa défin ition de la liberté et à sa théorie de ln s cience moyenne, n'est pas ce11e de sain t Thomas. Après avoir exposé c·e qu'a dit J e Docteur angélique, I 0 , q. cv, a. 5, au sujet de la motion divine , Mol ina écrit dans la Concordia, ibid., p. 1 52 : « Il y a là pour moi deux difficultés : 1 . Je n e vois pas ce. qu'est, dans les causes secondes, cette application p ar laquelle Dieu meut et applique ces causes à agir. Je. pense plutôt que Je feu chaufîe sans avoir besoin d'être mû à agir. Et j'avoue ingénuemcnt qu'il m'est très diffici1e de comprendre cette motion et application qu'exige saint Thomas dans les causes secondes ... 2. Autre diffi­ culté : selon cette doctrine, Dieu ne concourt- pas immédiatement (immedialione supposili) à l'action et à l'efTet des causes secondes, mais seulement par l'in­ termédiaire de ces causes. » Molina aurait pu trouver l a solution de ces deux diffi cultés dans un passage bien connu du De polentid. de saint Thomas, q. m, a. 7, ad 711m, où il est dit qu'il y a aussi une influence immédiate de Dieu sur l'être de l'action ou de l'effet de la cause seconde, car celle-ci ne saurait être cause propre de son acte en tant qu'être, mais seulement en tant qu'il est cet acte individuel, le sien. Dans cet effet, ce qu'il y a de plus universel; comme l'être relève de l a cause la plus u niversene, et ce qu'il y a de plus particulier relève de la cause parti­ culière : Oportel universaliores effeclus in universaliores et priores causas reducere. Inter omnes autem efleclus universalissimum est ipsum esse� Ja, q. XLV, a. 5. L'être� en tant qu'être des choses, est l'effet propre de Dieu� soit par manière de création ex nihilo et de conserva­ tion, soit par manière de motion, ce qui est Je cas de l'être même de nos actes, qui étaient d'abord en puis­ sance dans nos facultés. Mais ce qui nous intéresse le plus en ce moment dans. l'obj ection de Molina, c'est la manière dont celui-ci avoue que saint Thomas a admis que la motion divine applique les causes secondes à agir, c'est-à-dire a admis. un con cours non pas seulement simultané, mais une prémotion. Cette expression de prémotion peut par�ître un pléonasme, car toute motion véritable a une prio"­ rité, sinon de temps, du moins de causalité sur son efiet, ici, pour saint Thomas, sur l'action · de ln cause­ seconde ainsi appliquée à agir. Si les thomistes u s ont T. - X I I I - 2 .

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P H YS I Q U E . C E

du terme « prémotion », c'est uniquement pour mon­ trer que la motion dont ils parlent est une vraie motion qui applique la cause seconde à agir, et non pas un simple concours si multané. Celui-ci ne représente-t-il pas l 'extrême opposé de l'occasionnalisme et du déterminisme ou fatalisme? Si, en effet, le concours divin est seulem ent si multané, il n 'est plus vrai de dire : Dieu meut les causes secondes à agir, puisqu'il ne les applique pas à leurs opérations. Nous n 'avons plus, ici, que deu.t: causes partielles coor­ donn ées, et non pas deu.t: causes totales subordonnées dans leur causal ité même, cornme l 'avait dit saint Tho m as, Ja, q. cv, a. 5, ad 2um, et q. xx111, a. 5, corp. Bien plus, Mol ina dit expressément, Concordia, q. xxm, a. 4 et 5, disp. I, mem br. 7, ad 6 11 111 , p. 476 : « Pour nous, le concours divin ne dét ermine pas la volonté à don ner son consentemen t . Au contraire, c'est l ' i n flux particu­ lier du libre arbitre qui détermine le concours di vin à l'acte, selon que la vol onté se porte à vouloir plutôt qu'à ne pas vouloir, et à vouloir ceci plutôt que cela. » Les causes secondes, loin d'être détermi nées par Dieu à agir, déterminent par leur action l 'exercice même de la causalité divine, qui, de soi , est indifférent. Mais, s'il en est ainsi, il y a quelque chose qui échappe à l'universelle causal ité de l'agent prem ier, car enfin l 'influx exercé par la cause seconde est bien quelque chose, c'est une perfeclion pour elle de passer à l'acte, c'est même une perfection si précieuse que tout le molinisme est construit pour la sauvegarder, et si délicat e que Dieu même , . nous dit-on, ne saurait ) toucher. La grande difficulté est celle-ci : comment la , ol onté, qui n'était qu'à l'état de puissance, a-t-elle pu se don­ ner par elle seule cette perfection qu'elle n'avait pas? C'est dire que le plus sort du moins, cc qui est contraire au principe de causalité et au principe de l' universelle cau salité de l'agent premier. Saint Thomas a pensé que, pour réfuter le déterminisme, loin de porter atteinte au principe de causal ité, il faut insister sur l'ef!icacilé transcendante de l a cause première, seule capable de prodÙire en nous et avec nous jusqu'au mode libre de nos actes, puisqu'elle est plus intime à nous que nous-mêmes, et p uisque ce mode libre de nos actes est encore de l'être et relève à ce titre de celui qui est cause de toute réalité et de tout bien. Bien plus, disent les thomistes, si le concours divin, loin de porter infailliblement la volonté à se déter­ miner à tel acte l ibre plutôt qu'à tel autre, est déterminé lui-même par l'infl ux particulier du libre arbitre à s'exercer dans tel sens plutôt que dans tel autre, c'est le renversement des rôles : Dieu, dans sa prescie11ce et sa causalité, au lieu d'être déterminant, est déterminé ; c'est-à-dire que sa science (moyenne ) prévoyant ce que tel homme choisirait s'il était placé en telles circons­ t ances, loin d'être cause de la détermination prévue, est déterminée et donc perfectionnée par cette détermi­ nation qui, comme telle, ne vient nullemen t de Dieu. Or, il n'y a rien de plus inadmissible qu'une passivité ou une dépendance dans l' Acte pur, qui est souverai­ nement indépendant et ne peut recevoir de perfec­ t io n de quoi que ce soit. C'est la grande objection contre les théories moli­ nistes de la science moyenne et du concours simultané comme nous l'avons montré ailleurs ; Le dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, dans Revue llwmisle, j uin 1 928, p. 1 93-21 1 ; voir aussi : Dieu, son existence el sa nature, 5c éd., p. 849-879. 4° La motion divine serait-elle une prémolion indiflé­ renle, par laquelle Dieu nous déterminerait seulement à un acte indélibéré, de telle sorte que le libre arbitre, par · lui seul, se déterminerait et déterminerait la motion divine à produire tel ou tel acte libre en parti­ culier? Ainsi l'ont pensé certains théologiens, en par-

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ticulier L. Billot, De Deo uno, part. I I, c. 1, De scien lia Dei. Les thomistes répondent (cf. N. del Prado, O. P., De gralia el li bero arbilrio, t. 111, 1 907, p. 162) : cette théorie reste sol idaire de celle de la science moyenne et se heurte à plusieurs des difficultés signalées contre la précédente. Quelque chose de réel échapperait encore à l ' un iverselle causal ité de Dieu ; une détermi nation apparaîtrait indépendamment de la détermination souveraine, qui est celle de l' Acte pur, un bien fini in dépendamment du Bien suprême, une libert é seconde agirait indépendamment de la l iberté pre­ mi ère. Ce qu'il y a de meilleur dans l'œuvre du salut, la délenninalion de noire acte salutaire, ne viendrait pas de l'auteur du salut. Saint Paul dit au con traire : Deus r!sl qui operalu r in vobis el velle el perficere pro bona volun­ lale. Phil., u, 1 3 ; Quis enim Le discemil ? Quid aulem, habes quod non accepisli ? I Cor. , I V, 7. Saint Thomas dira équival emmcnt en formµlant le principe de pré­ dilection : « Comme l'amour de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu'un au tre, s'il n'était plus aimé et plus aidé par Dieu : Gum amor Dei sil causa bonilalis rerum, non essel aliquid allo melius, si Deus non vellel uni majus bonum quam alleri. " 1 .1., q. xx, a. 3 . Cette doctri ne de la prémotion · indifiérente, comme cel le du concours si multané, ne peut résou dre le dilem me : ) (voir le comme n taire de sai nt Thomas sur to us ces t extes de l'évangile de saint Jea n ; n ou s avons noté qu'il y voit l'heure non e.t necessilale delerminata, sed a Providenlia prœ(inila. Or, cel le heure es t cc 1 1e du plus grand acte libre du Chri s t (acte qui avait donc été, de toute éternité, l'objet d'un décret divi n prédéter­ minant posit if), c'est aus s i l'h eure du plus gra n d péché, du déicide (acte qui avait été de toute éternité l'objet d 'un décret divi n non pas positif, mais permissif, de t ell e sorte que ce péché ne devait pa s arriver avant cette heure, n i s ou s u n e autre forme que celle permise p ar Dieu). Cf. saint Thomas, I I In, q. XLVI, a. 2 ; q. XL\ II, a. 3 , 6. De même, dan s les Actes des apôtres , 11, 23, s aint Pierre, le jour de la Pentecôte, dit dan s son discours aux Juifs : « Cet homme (Jés u s de Nazareth) vous ayant été l ivré s elon le des sein i mmuable et la pre­ science de Dieu, vou s l'avez attaché à la croix et mis à 1110rt par la main des impies . Dieu l'a re ssuscité . . . » Il est même à remarquer que, dan s ce texte, le de ssein immuable » tjj wpu1µlvn �ou),n, précède la prescie n ce zo:1 ïrpoyvwcr.:L ,OÏJ 0EoÜ. Cf. S ; Thomas, II In, q. XLV II, . a. 3 : Deus sua œlerna voluntale prœordinavil passio­ nem Christi ad human i generis liberationem.

De même, Act., x, 4 1 : « Dieu l'a res s u s cité le troi­ sième j our, et lui a don né de s e faire voir n o n à tout le peuple, mais aux tém oin s choi s is d'avance. » Ibid. , xm, 48 : « En entenda nt ces paroles, le s gentil s s e réjouirent . . . et tous ceux qui étaient destinés à l a vie éternelle devinrent croyants . » Ibid. , xvII, 26 : « Dieu a déterminé pour chaque nation l a durée de s on exis­ tence et le s bornes de son domaine. » Ibid., xxù, 14 : saint Paul raconte qu'après sa conversion Ananie lui dit : • Paul, mon frère, recouvre l a vue. Et, au m ême instant, je le vi s . TI dit alors : Le Dieu de no s pères t'a prédes tiné à connaître s a volonté, à voir le Ju s te et à entendre les parole s de s a bouche. Car t u lui servira s de témoin . . . » Et, librement, mais i n failliblement, saint Paul servit de témoin à Notre-Seigneur. En fin saint Paul lui-même dit aux Romains, vm, �8 : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel des s ein. Car ceux qu'il a connus d'avan ce, il le s a au ss i prédestinés . . . » Ibid., I X , 1 1- 1 8 : « Rébecca conçut deux enfants . . . , et avan t même qu'ils fussent n és . . . ,

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afi n que le dessei n électif de Dieu fû t recon n u ferm e no n e n vertu des œuvrcs, mais par le choix de cel ui qui appelle, il fut dit à Rébecca : « L'aîné sera ass u­ « jelti au plu s jeune "· . . Que diro n s- n ous donc? Y a-t-il de l'inj ustice en Dieu? Loi n de là I Car il dit à Moïse : n Je ferai miséricorde à qui je veux faire miséric orde et « j 'aurai compassion de qui je veux avoir compassion . • Ainsi clone l'éleclion n e dépen d n i de la volonté, n i des clîorts, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Il est cla ir dans cc lcxle que l 't!lection, décre t éternel de la volonté dlvi11c, n e dépe n d pas du consentement hu mai n prévu. de Dieu n e peut être mieux L'i n dépendance souveraine ' alllrmée . I b id., , x , 23 : cc SI Dieu a vou lu faire con n aitre les richesses de su gloire ù l' égard des vases de miséricorde qu'il a d' avance préparés pour la gloire . . . (où est l'in ­ j ustice)? » I b id., vm, 37 : « Dans tou tes n os épreuves, nous sommes plus que vainqueurs, par cel ui qui n ous a aimés. ,, Ibid. , x , , 1 -7 : « Est-cc que Dieu a rejeté son peuple? Loi n de lù . . . Il di t (autrefois) à Élie : « Je me sui s « réservé sept mille ho mmes qui n'o n t pas fléchi le « ge n ou devant Baal. ,, De même aussi, da n s le temp s présent, il y a une réserve selon .u n choix de grâce. Or, s i c'est par grâce, ce n'e s t plu s par le s œuvres . . . Que diron s -nou s donc? Cc qu' I s raël cherche, il ne l'a pas obtenu ; mais ceux que Dieu a cho isis l'ont obtenu, tandi s que les au tre s o n t été aveuglés. » Le choix divin n'es t pas fondé sur le con se n tement hu mai n prévu. Semblableme n t, I Cor. , I V, 7 : « Car qui est-ce qui te dis tingue, qu'a s-tu que tu ne l'aie s reçu ? • D'après saint Paul, r.e qui disti n gue le j us te de l'impie, ce qui même commen ce à le disti n guer, lors que le j u ste com­ me n ce à se convertir, cela il l'a reçu. Saint Thomas dira, Ja, q. xx, a. 3 : « Comme l'amour de Dieu es t cau se de tout bie n , nul n e serait meil leur qu'un autre, s'il n'était plu s aimé par Dieu. » C'es t le princip e de prédilection, qui s 'applique da n s l'ordre naturel e t da ns cel ui de la grâce, s oit pour les acte s salutaires difficile s , soit pour le s actes salutaires faciles. Cc pri n ­ cipe est d'u n e universalité absolue, et il s uppo se que l'amour de Dieu pour n ou s e s t efficace par lui-mêm e et non pas par n otre bon co ns entement prévu, pui s qu e la bo n té de ce con s e n tement a pour cause première Dieu, source de tout bien. Ce principe de prédilection, s i nettement formulé p ar s aint Paul et qui affirme s i hauteme nt l a s ouveraine i n dépendance de Dieu, e s t équilibré par cet autre principe : Deus impossibilia 11011 jubel, Dieu ne comma n de j amais l'impossible, et il rend réellement po ss ible à tou s les adulte s l'accom­ plissement de s préceptes, dès que ceux-ci les obligent , en ce s e. n s comme dit sain t Paul, I Tim., n, 4 : « Dieu veut que tou s les h omme s soient s auvé s . n Voir art. PRÉDESTINATION, col. 30 19 . Comment ce s econd principe s e concilie-t-il inti­ mement avec le pr: n cipe de prédilection ? C'es t là un mys tère in acces s ible. Pour l e voir il faudrait voi r l a Déité et comment s e concilient en el]e l'infi nie misé­ ricorde, l 'infinie j ustice et l a s ouveraine liberté ou indépendance de D ieu. On lit de même, dans Eph. , 1, 5-7 : « C'e s t en lui (en Jés u s-Christ) que Dieu nous a élu s dès ava n t la création, pour que nous soyon s s ai n t s et irrépréhen­ s ible s devant lui (et non pa s parce qu'il avait prévu notre s ai n teté), car, dans s on amour, il nous a préde s ­ tinés à être se s fil s adoptif s par Jés us-Christ, selon s a libre volonté, en fai s ant ainsi éclater la gloire de sa grâce (et non pa s celle d u libre arbitre de l'homme), par laquelle il nous a rendu s agréable s à ses yeux, Cil s o n Fils bien-aimé. » Ibid., 1, 12 : « C'est aussi Cil lui que nou s avons été élus, ayant été prédesti n és sui\·:rn t la résolutio n de cel ui qui opère toutes chosrs d':1 1 1rrs

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P H Y S I QUE.

le conseil de s a volonté, pour que nous servions à la louange de sa gloire, nous qui d'avance avons espéré dans le Christ. » Et il ne s'agit pas seulement ici de l'élection générale des chrétiens, lesquels ne sont pas tous prédestinés, car il est dit, I Cor., IV, 7, de tel chrétien meilleur que tel autre : Quis enim te discernit? Quid aulem habes quod non accep isli i' S i l'amour de Dieu est source de tout b ien, nul ne serait meilleur qu'un autre, s'il n'était plus aimé par Dieu . Saint Paul dit enco re aux Phlllplens, I I, 1 3 : « C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le foi re, sci on son bon plaisir. • Et donc, pen sen t les t homistes, ln déter­ mi natio1i l ibre de l 'acte salu t aire vient, con1mc de sa cause première, de Dieu, p remier Libre cl première Bonté, de Dieu, auteur du salut . 2. Argument théologique. - C'est la même doct rine qu'expose ai nsi saint Thomas en parlant des décrets de la volonté d ivine con séquen t e on non con d i tionnée, l n , q.x1x , a. 0, ad 1 u 111 : Volun tas comparalur ad res, secundum quod in scipsis .m nt (11am bonum est in ipsis

rebus ) ; in seipsis au lem s1111t in particulari. Unde sim­ plicitcr volumus aliquid, sec1111dum quod volumus illud cons idcratis omnibus circumstantiis parlicularibus, quod est consequenter velle. Unde potes{ dici quod judex juslus simpliciler vull homicidam suspendi, sed secundum quid (seu anlecedenler) vellèt eum vivere, seilicet in quantum est homo . . . Et sic palet quod Q U I D Q U I D DEUS S I M l'LICI­ TEH VULT, FIT, licel illud quod anlecedenter vull, non

fiai. Saint Thomas donne ici le pri ncipe de la distlnclion entre la grâce intrinsèquement efTlcace (qui a ssure infail­ liblement l'exécution de la volonté divine conséq uente pour les actes salutaires soit faciles, soi t dlnlcilcs) e t la grdce sufllsante (qui correspond ù la volonté divine antécédente, par laquelle Dieu veut rendre l'accom­ plissement des p réceptes et le sal ut réc/leme11l possibles à tous). Et pour quelle raison, selon suint Thomas, tout ce que Dieu veut de volonté conséquente ou non condi­ tionnée s'accomplit-il infaillibleme.nl ? Il l'explique, au m ême endroit, 1°, q . X I X , a. G, non pas p ar la pré­ vision du consentement humain, mais parce qu_e non

polesl fieri aliquid ext.ra ordinem alicujus causœ wlivtr­ salis, sub qua omnes causœ parliculares comprehendun­ tur, rien ne peut arriver en dehors du bien voulu par

R AISO NS

DE

L' A FF I R W E R

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rum essel oppositum, ut revera polesl, iclipsum sclvissel per eamdem scientiam, non aulem quod reipsa sclt. C'est dire qu'il n'est pas au pouvoir de Dieu de prév oir p ar

la science moyenne autre chose que ce qu'i l sait p ar elle, mals il aurai t su par elle au tre chose si le libre arbitre créé, supposé pl acé en telles circonstances, av ait fait un choix di lTércnt. Comment alors évi ter de di re que la prescience divine dépend du choix que fera it Ja li berté créée, sl clic était placée e n telles circonstances, et qu 'elle fera , si do fui t clic y est plucée. Il suit de là évid emmen t , pour Mol ina, q ue la grllcc actuelle, su iv i e d e l'uclc sal utaire, n'est pas l n t rl ns èq ucmcnl em cace (ibid. , p . 230, 450) et qu' avec une grâce égale et mê me moindre tel pécheur se converti t, tandis que lei autre plus aidé ne se convr.rlil pas (ibid. , p. 5 1 , 5 05), Cc q ui, aux yeu x des thomiste s, est i n conclllablc avec les paroles de sai n t Paul : Quis en im le discernil '! Qllld aulem ha bes quod non accep isli ? I Cor. , 1v, 7 , A u contraire, si l ' o n admet l e s décrets divins pré­ déterminan ts rclatlfs ù nos actes sal u taires, o'est-à­ dil'c les décrets inlri11sèquemenl e( infailliblement efll­ caces, qui s'étendent j usqu'au mode libre de n os actes, en actual isant notre l i berté, Il s'ensuit que la grâce actuelle, sulvJc de l'acte salutaire, doit être elle aussi intrinsèquement efllcacc, pom· assurer l'exécution lnfall• l lblc du décret qu'elle suppose. Et, aux yeux des tho­ m istes, la grâce actuelle ne saurait être in trinsè que­ ment efficace que si elle est une prémotion p hysique prédét crminantc, mals non nécessitante, au sens expll­ qué nu d ébut do cet article. C'est cc qui nous reste à montrer. Voi,r, pur exemple, · Bill uart, O . P. , Cursus l11col. , De 9ratia, ùiss. V, a. 7. 3 ° La prémotion physique prédélerminanle el l' effl.• cacilé de la grdce. - Il est de foi que Dieu nous accorde des grélces efllcaces, qui non seulement sont suivies du bon consentement libre, mais qui, d'une certaine manière, le produisent, gralia efllcax seu effectrix fac il ut faciamus. C'est ce que niaient les pélagiens et- s emi­ pélagiens, qui refusaient d'admettre non pas que la grâce donne le pouvoir (le bien agir, mais qu'elle d onne le vouloir el le faire. Le II0 concile d'Orange expliquant les paroles de saint Paul : Deus est qui operalur in vo bis et velle el perficere ( Phil., n, 13), déclare contre les semi-pélagiens : Si quis, ut a peccalo purgemur, volun­

tatem nostram Deum exspeclare contendil, non autem , ut eliam purgari velimus, pcr Sancti Spiritus infusionem et operationem in nos fi.cri confilelur, resislil ipsi Spiritu i Sanclo . . . et Aposlolo salubriler prœdicanli : « Deus est · qui operalur in vobis el velle el perficere pro bona volun­ tate. » Denzinger, n. 177. Cf. . ibid., n. 1 82 : Quoties enim bona agimus, Deus in nobis alque no biscum, ut operemur, operatur, et les Deus, nisi ipsi (homines) illius gratiœ defuerint, sicut n. 176, 179, 1 83, 1 85, 193, 1 95 ; voir aussi Indiculus de cœpit opus bon u.m, ita perficiet, operans velle et perficere. gratia Dei. Denzinger, n. 131, 132, 133, 1 34, 1 35, 137, Phil., Il , 13. Dieu, ou du mal permis par lui, car aucune cause seconde ne peut agir sans son concours. Le concile d'Orange, can. 16 (Denzinger, n. 1 89) avait dit : Nemo ex eo quod videlur habere glorielur tan­ quam a Deo non acceperit. Cf. can. 20 et 22. Et le concile de Trente, sess. v1, cap. XI (Denzinger, n. 806) dit aussi :

Aux yeux des thomistes, ne pas admettre · en Dieu ]es décrets prédéterminants relatüs à nos actes salu­ taires, c'est se mettre dans l'impossibilité de résoudre Je dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, pas de m ilieu, et l'on est obligé d'admettre en Dieu une cer­ taine passivité ou dépendance à l'égard de la déter­ mination libre que prendrait tel )lomm,e , s'il était placé en tel ordre de circonstances, et qu'il prendra, si de fait il y est placé. Cette dépendance de Dieu à l'égard de cette détermination humaine n'est-elle pas avouée p ar Molina lorsqu'il écrit dans la Concordia, q. x1v, a. 13, disp. Lli, éd. de P;:tris, 1876, p. 318 : (Scientia

media) nulla ratione est dicenda libera, lum quia .a nte­ cedit omnem liberum actum voluntatis divinœ, tum etiam quia IN POTESTATE DEI NON FUIT SCIRE per eam scien­ tiam aliud quam reipsa sciveril. Deinde dicendum neque cliam in eo sensu esse naturalem, quasi ila innata sil Deo, ut non potueril scire oppositum e/us quod per eam cog110scil. Si namque liberum arbitrium creatum aclu-·

139, 141, 142. Or, la grâce qui fait que nous agissions bien, _quœ operatur velle et perficere, quœ facit ut faciamus, n' est pas .seulement efficace d'une efficacité de vertu (in actu primo J •en ce sens qu'eJle donne un réel pouvoir d'agir de façon salutaire (ce pouvoir est déjà donné p ar la grâce suffisante, même lorsqu'elle n'est pas s uivie de l'effet salutaire), mais elle est efficace d'une efficacité d'opération, ou effectrix ,- car, comme le dit le concile d'Orange, n. 182 : Quoties bona agimus, Deus in nabis atque riobiscu.m, ut operemur operatur. C'est là l'expres­ sion_ de la foi chrétienne, et il est aussi de foi que sous la grâce efficace ainsi conçue la liberté de l'homme subsiste. Denzinger, n. 814. De plus les thomistes et b ie n d'autres théologien s entendant ces textes scripturaires et conciliaires duns le sens de l'indépendance divine, compro mise ù leurs yeux par la théorie de la science moyenne, y volent cette affirmation que la grâr.e est officnc� par elle-m -!me ,

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P R Ê M OT l O N

P H Y S I Q U E . R A I S O N S D E L1 A F F I R M E H

et non pas par notre consentement prévu. Ce qu'il Importe Ici de noter c'est que la doctrine de ta grt1.cc intrins�qucmcnt eflicace, admise par presque tous les théologiens qui rejettent la théorie de la • science moyenne •• est beaucoup plus précieuse aux yeux des thomistes qne l'explicnllon qu'i l s en donnent par la prémotlon physique prédélermlnanle. Do même, pourvu que notre volonté puisse mouvoir notre main à 5011 gré, Il I mporte moins de savoir pnr l' ln lcr­ médlalre de quels centres nerveu x clic le fai t . Parmi ll'5 thomistes, Dilluurl l'a bien remarqué. Les théolo­ giens, dit-il en substance, expl iquent de diverses m:m l�rcs l'efficacit é de la grâce ; les uns par la délec­ tation el l'influx moral, d'autres par la prédétermi­ n ation physique, sans pourtant étendre cel l e-cl ni aux actes naturels, ni nu • matériel • du péché. Mals ce 5onl là des qucsltons proprement phl losophlqucs, tandis que la gr:1 ce efficace par sol, lnCa l l l l blcment cfficorc en vertu de la volonté toute-puissa nte de Dieu, lnMpendammcnt du consentement de la créat ure et de la scfence moyenne, nous la défendons co11111rn un dogme théologique connexe avec les principes de la fol cl proche du dogme déllnl (pro.rime rle{lnibffe ) ,· et c'est l'avis de presque toutes les écoles sauf du moli­ nisme. Curs. lhcol., De Deo, dlsscrl. V I I I, n. 5, fin. Les thomistes volent en cfTct celle osscrllon de ln gràco Intrinsèquement e fficace, équlvulcmmcnt contenue dans les textes s t·rlpluralrc's ci tés plus haut et rela­ tifs â l 'efficricl l é Intrinsèque des décrets divins (voir col. 59 sq,). Do môme, Ils rntt. achent cette doctrine au principe de prédilection. • Nul ne serait meil leur qu'un nul1 c :;'il n'élnll plus nlmé par D ieu. • Voir Bllluart, Curs. lheol., ibid., dissert. V, a. 6 ; et, plus près de nous, N. del Prndo, op. cil., t. m, p. 150 sq. ; et Ed. Hugon, Tract. dogmalic., 1927, t. u, De gratia, p. 202. Mnlntcnnnt, si l'on admet la grâce intrinsèquement cl infnill ibl_e ment efficaçe, comment l'expliquer autre­ ment que par la prémolion physique prédéterminante au sens exposé plus haut? On a proposé sans doute une explication par la causalité morale, qui s'exerce par mode d'attrait objectif, et c'est ainsi qu'on a parlé soit de la délectation victorieuse (Berll et Bellelius), soit de 1a multiplicité des grdces d'attrait, soit des bons mouve­ ments indélibérés et inefficaces, qui inclinent vers le choix salutaire, et l'on a même proposé d'unir à cette motion morale, sous l'un ou l'autre -des modes susdits, une prémotion physique mais non prédéterminante. Les thomistes enseignent communément dans le traité de la grâce que cés explications sont insuffi­ santes. Leur raison fondamentale est celle-ci : par une simple motion morale ou objective, Dieu ne peut mou­ voir infailliblement à l'élection salutaire. Or, la grâce intrinsèquement efficace est celle par laquelle Dieu meut infailliblement à l'élection salutaire. Donc la grâce Intrinsèquement efficace ne peut s'expliquer par la seule motion morale ou objective. Le principe de ce raisonnement repose sur ceci que la mollon morale ou objective n'atteint la volonté que p ar l 'intermédiaire de l'intelligence, par manière d'at­ trait o bjectif, et elle n'attire pas infailliblement. Sans doute, Dieu vu face à face attirerait infailliblement notre volonté parce qu'il co_rrespond à sa capacité adéquate d'aimer. Mais tout attrait, si supérieur soit-il, qui reste inadéquat à cette capacité, reste faJIUblc, il laisse notre volonté indéterminée à consentir o u à ne pas consentir, surtout une volonté Infirme, dure et indocile à l'appel divin, tant qu'elle n'est pas Intrinsèquement changée. Il ne suffit pas de dire que cette motion morale s'accomp agne d'une délectation célute et victorieuse. Cette d électation (admise par plusieurs augustiniens com me Berti) ne saurait constituer la grâce \ntrinorcT. DB THéOL. CATHOL,

Gd

s�qucmcnl el fnfallllblcmcnt cfficnce, car, assez sou­ vent, clic no l 'accompagne même pas, et, Jorsqu 'ello existe, son elTct n'est pns lnfnllllblo. Assez souvent elJe mnnquo, car plusieurs se convertissent, disposés non pas précisément par une délcctnllon céleste supérieure à celle do lu chnlr, mals par une lncllnntlon nu bien q ui n 'est pus toujours délectation victorieuse, par la craJnto des chl.\ l l monls divins et au tres motifs. Même les suints accompl issent bien dos bonnes rouvres sans délectation victorieuse, cl purlols dons une très grande aridité, comme pnr exemple dans l u nui t obscure ou puri fication passive de l 'esprit. Lorsque celte délec­ tnllon céleste existe, elle sol licite sans doute notre l l lJerté, mals no l'attire pas lnfull l lblement, car elle n'est pas ndéqunlo à notre capacité d'aimer, comme le serait Diou vu face à face : la volonté peut nous incliner à penser à autre chose ( 1 11- J Jro, q. x, a. 2). En réal i té, l'homme no suit pas toujours dans son choix la p l us grande délectation l ndél lbérée, Il choisit ce qui lui paraît Je mell leur hic cl n unc, même pour le seul motif quo c'est obl lgatolre, sans délectation antécé­ dente, et la déloctn tlon supérieure suit alors le choix, comme ln Joie du devoir accompli. La mulliplicilé des graces d'attrait ne leur donnerait pas non plus une infai llible efficacité, car la volonté reste encore indéterminée à consentir ou à ne pas consentir, bien qu'elle soit fortement sollicitée ou Inclinée au consente ment sal utaire. Ainsi, on a p ro­ posé aux martyrs tous les biens de ce monde, en même temps qu'on cherchait à les effrayer par tous les tour­ ments, mals ni ces promesses, ni ces tourments n'ont pu exercer une Influence infaill ible sur leur liberté. Les bons mouvements ine(llcaces Inclinent de même au choix salutaire, mais ne sauraient le produire infailliblemerit, car ils laissent eux aussi notre volonté libre indéterminée : ils n'actualisent pas le choix libre, sans compter qu'ils ont souvent à lutter contre de fortes tentations et l'instabilité de notre libre arbitre dans le bien� • Enfin, une prémolion physique indifférente, qui porte l'homme à vouloir être heureux, sans l'incliner infail­ l iblement à vouloir tel bien particulier, laisse elle aussi notre volonté libre dans l'indétermination ; elle - n'ac­ tualise pas le choix libre de tel bien. Aussi, concluent les thomistes, la motion morale est certainement requise pour disposer au choix notre volonté en lui proposant un objet, un bien qui la sol­ licite ou l'attire. Mais la grâce intrinsèquement efficace, qui meut infailliblement à l'élection libre, doit être l'application de la volonté à ] 'exercice de cet acte. Or, cette motion n'est pas morale, ou par manière d'attrait objectif, niais physique, elle doit s'exercer immédiate­ ment a b infus sur la volonté même, et non par l'inter­ médiaire de ·11 intelligence. Elle doit avoir, sur l'acte libre, une priorité non de temps, mais de nature et de causalité. Elle doit enfin porter infailliblement. la volonté à tel acte libre salutaire, plutôt qu'à un autre, et s'étendre j usqu'au mode libre de cet acte. C'est dire ·qu'elle doit être ·une prémotion physique, prédétermi­ nante et non nécessitante, laquelle ne peut venir que de Dieu soul et non d'un agent créé, si supérieur sojt-11, car Dieu seul peut mouvoir ab intus la volonté libre, qu'il a ordonnée au bien universel et qu'il conserve dans l'existence ; et lui seul, par son contact virginal, peut ainsi toucher la liberté sans la détruire, et conci­ lier l'infaillibilité de sa motion avec le mode libre do nos actes. : Des théologiens ont toujours concédé nux thomlste'S que c'est sous cotte motion divine do sol efficnce qur la vierge Marie a dit Jlbrement et lnfnllllblemcnt son fiai le jour de l'annonciation, quo suint Puul Ù'�st librement et lnfnllllblement convert i sur lo ('homln dé Dnmns, quo , les martyrs ont élô l l bre mllnt et lnfnll• . 1 l l __ 3. 1'. - X

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P ll É l\l O T I O N P H Y S I Q U E . A C r. O R D A V E C L A L I B E R T É

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divine in trinsèquement et infai lliblement effi cace ne liblemcnt tldèles au milieu des pires tourments. Mais détruit pus Je libre arbitre, car, bien que l'homme n'y c'est l ù concéder les principes métaphysiques de cette doctri ne, et , s'ils sont métaphysiques, Ils s'appl iquent résiste pas de fait, 11 conserve ln puissance d'y résister; remanel potentia ad oppositum, comme le disent com­ sans exception à tous les actes salutaires, faciles ou munément les thomistes. difficiles. Les principes formulés plus hau t font ubs­ Bien Jllus, le concile dit p l us loin, sess. VI, cap. xm t raclion de la plus ou moins grande dil11culté. (Denz. , n. 806) : Deus, nisi ipsi homines lllius graliœ Par contre, l 'infaillibilité de la motion divine am r­ defuerint, sicut cœpit opus bonum, ita per{l.ciel, operans mée par les jansénistes et par Quesnel (Dcnzinger, velle et per{icere. Ces derniers mots étalent générale­ n. 1360-1363), en termes presque matériellement iden­ ment entendus pa r les théologiens antérieurs .au concile tiques :\ ceux de saint Thomas, est la négation de la de Trente comme exprimant la grâce efficace par elle­ liberté, celle aussi de la grâce sul11santc et de la respon­ même e t non par la prévision divine de notre consente­ sabilité du pécheur. Les j ansénistes considèrent que ment. Cf. A. Reginaldus, O. P., De mente concilii Triden­ la grâce de soi efficace est nécessaire lilulo i11{irmitalis, 11011 litulo dependentiœ a Deo. Pour eux, clans l'état tini, et A. Massoulié, O. P., Divus Thomas sui inlerpres, t. I, diss. I I, q. rx. d'innocence, la gràce intrinsèquement efficace n'était En fin, les thomistes rétorquent l'obj ection en disant : pas nécessaire pour bien agir ; elle n'est nécessaire que c'est la théorie de la science moyenne qui çlétruit la depuis la chute, à raison des suites du péché originel qui ne laisse subsister en nous que la libertas a coac­ liberté, car elle suppose que D ieu, antérieurement à tione et non pas le libre arbitre, libertas a necessitate. tout décret divin, voit infailliblement ce que choisirait En résumé, la gràce intrinsèquement et infaillible­ le libre arbitre de tel homme, s'il était placé en telles ment el11cace, plus précisément l a prémotion prédé­ circonstances. Comment, en effet, éviter alors le déter­ terminante et non nécessitante, est requise non seule­ minisme des circonstances? Où Dieu peut-il voir ment pour les actes salutaires difficiles, mais pour les infailliblement la détermination à laquelle le libre actes salutaires faciles, qu'il s'agisse de leur commence­ arbitre créé s'arrêterait, sinon dans l'examen des cir­ ment ou de leur continuation. Comme, en cfiet, constances, qui deviennent dès lors infailliblement l'amour de Dieu est cause de tout bien, nul ne serait · déterminantes? Et, pour n'avoir pas voulu de la pré­ meilleur qu'un autre, par u n acte salutaire initial ou détermination divine non nécessitante, qui s'exerce nnàl, par un acte salutaire facile ou difficile, com­ forliter et suaviter sur le fond même de notre volonté mencé ou continué, s'il n'était plus aimé par Diw. l ibre, n'est-on pas conduit à un déterminisme très I•, q. xx, a. 3. inférieur qui vient de l'influx des choses extérieures VII. LA PRÉJIIOTION P H Y S I Q U E E T L A LIBERTÉ DE sur notre volonté spirituelle? xos ACTES SALUTAIRES. - On a obj ecté à la thèse Enfin, l'objection faite à l'occasion du canon du U1omiste qu'elle détruit la liberté comme le calvi­ concile de Trente, que nous venons de citer, n'est pas nisme, parce qu'elle conduit à soutenir que le libre nouvelle. Nous l'avons trouvée déjà formulée aussi arbitre, mû et excité par Dieu, ne peut résister ; ce qui nettement que possible par s aint Thomas, Ja...nœ, est la thèse des réformateurs condamnée par le concile q. x, a. 4 : Videtur quod voluntas ex necessilale moveatur de Trente, qui définit, sess. VI, c. 4 : Si quis dixeril, a Deo. Onme enim agens cui resisti non potest ex neces­ liberum arbilrium a Deo motum et excilatum nihil coo­ sitate mf)vet; sed Deo, cum sil in(ln itœ virtutis, resisti perari assentiendo D e_ o excitanti atque vocanti . . . neque non polesl, unde dicitur ad Rom., IX : • volw1tati ejus posse dissentire si velit, sed velu( inanime quoddam n ihil quis resistit? » Ergo Deus ex necessilate rnovet volun­ omnino agere, mereque passive se habere, anathema sil. tatem. Nous connaissons la réponse de saint Thomas : Denz., n. 814. Cette objection et d'autres semblables Voluntas divina non solum se extendit ut aliquid fi.al étaient faites à saint Augustin par les pélagiens et les per rem quam mo11et, sed ut etiam eo modo fiat quo semi-pélagiens. Saint Thomas les a souvent rapportées congruit naturœ ipsius ; el ideo magis repugnarel et résolues. 1°, q. XIX, a·. 8 ; q. cv, a. 4 ; Jo- nro, q. x, divinœ motioni, si voltzntas ex necessitate· moveretur a. 4, etc. (quod suœ naturœ non competit ) , quam si moveretur Les thomistes répondent que le concile de Trente libere, prou( competil sure naturœ. D'après cette réponse, que reste-t-ll de In mnjeurc de l'objection : n'a certaineri1ent pas voulu condamner la doctrine de Omne agens cui resisli non potest, e.t: necessilale movel? la grâce intrinsèquement efficace, ni de la prémotion Saint Thomas distingue : • Si cet agent cause l e physique, comme l'ont nettement déclaré Benoît XIV mouvement, sans produire e n lui le mode libre, j e le et Clément XII. Paul V avait déclaré aussi à la fin des concède ; s'il cause ·et le mouvement et le mode libre, congrégations, De auxiliis, le 28 ao-0.t 1607 : Sententia que Dieu peut produire en nous et avec nous, je le Patrum prœdicatorum plurimum diflert a Calvino : nie. » De la ·sorte, l'homme sous la grâce efficace reste dicunt enim prœdicalores yratiam non destruere, sed libre, bien qu'il ne lui résiste j amais, car elle produit per(icete liberum arbitrium, el eam vim habere, ut homo en lui et avec lui jusqu'au mode l ibre de son acte ; elle operetur juxta modum suum, id est libere. Jesuitœ actualise sa liberté dans l'ordre du bien, et, s'il n ' a plus autèm discrepanl a pelagianis, qui initium salulis pos.ue­ l'indifférence potentielle ou passive, il a l'indifférence runt fieri a nabis, illi vero ten_ent omnino conlrarium . actuelle et active, l'indifférence dominatrice à l'égard Cf. Schneemann, S. J., Controvers. de aralia . . . , 1 881, du bien particulier qu'il choisit. Ce bien ne s aurait p. 291 . ·cette décision de Paul V fut confirmée ensuite invinciblement l'attirer comme Dieu vu face à face. par un décret de Benoît XIV, du 13 juillet 1748 . . Il se porte librement vers lui, et Dieu actualise ce Il est clair que la doctrine thomiste difière absolu­ mouvement libre, dont le mode libre étant encore de ment de celle condamnée par le concile de Trente, selon l'être tombe sous l'objet adéquat de la toute-puissa,nce laquelle le libre arbitre ne coopère pas à l'action divine. Telle est manifestement la doctrine de saint divine. Thomas. Les textes que nous avons cités plus haut, De plus,-p armi les Pères du concile, il y avait beau­ § IV, le montrent clairement. Voir col. 51 sq. coup de thomistes ; l'un d'eux, Dominique Soto, tra­ Telle est, aussi, la doctrine conservée par le tho­ vailla personnellement à la rédaction de ces canons. Il misme classique ; Molina le concède lorsqu'il déclare est m�me très probable que les Pères du concile, dans s'éloigner, non seulement des thomistes, mais de saint l e canon susdit, ·parlent d'une motion divine inlrin­ s�quement efficace, car c'est d'elle que parlait Luther Thomas lui-même. Concordia, éd. de Paris, 1 876, ·p . 152 lorsqu'H disalt - q'u'elle est inconciliable avec le libre et 547. Plusieurs molinistes l'ont reconnu comme Jui. arbitre. Leur pensée est donc plutôt que la motion Cf. P. Mnndonnet, Notes d'histoire thomiste, dans Revue

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P R É M O T T O N P H Y S I Q U E . A C C O fl D A V E C � L A :L l B E R T É

thomiste, 1914, p . GG5-679 ; Dummermuth , S. Thomas et doclrina prœmolionis physicœ, Paris, 1 886, p. G8575 4.

La doctrine de saint Thomns est cel1e même qu'exposera Bossuet dans son Traité du libre arbitre, c. VIII, en écrivant : « Quoi de plus absurde que de dire que ]'exercice du libre arbitre 11'esl pas, ù cause que Dieu veut qu'il so it? » En d'autres tennes : Quoi de p1us absurde que de dire que l'actualisation du libre arbitre le dé/ru il ?

Le mode « libre n de nos actes non seu1emen t est sauvegardé, mais il est produit par Dieu en nous et avec nous. La motion divine ne violente pas la volonté, parce qu'elle s'exerce selon l'inclination naturelle de celle-ci ; die porte d'abord la volonté vers son obj et adéquat , le bien universel, et ensuite seulement vers \111 obj et inadéquat , tel bien particul ier. Sous le pre­ mier aspect 1a motion divine constitue le mode libre de l'acte, elle s'exerce intérieurement, avons-nous dit plus haut, sur le fond même de la volonté, prise dans toute son amplitude, et la porte en un sens vers tout Je bien hiérarchisé, avant de l'incliner à se porter vers tel bien particulier. Cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus theol:, ln Jnm, q. XIX, disp. V et VI, n. 37-55. Ainsi Dieu seul meut notre liberté suavitcr et fortiter. Ln motion divine, si elle perdait de sa force, perdrait aussi de sa suavité ; ne pouvant atteindre ce qu'il y a en nous de plus délicat et de plus intime, elle resterait comme extérieure, comme plaquée sur notre activité créée, ce qui est Indigne de l'activité créatrice, conser­ vatrice et motrice, plus intime à nous que nous-mêmes. Notre acte libre est donc tout enlier de noµs comme cause secon de- et il est tout entier de Dieu comme cause première. Ja, q. XXIII, a. 5. Lorsque nous le posons, au terme de la délibération, nous gardons, en vertu de l'amplitude universelle de notre volonté et de l'in­ différence du j ugement non nécessité par l 'objet, la puissance de ne pas le poser. l8-I Iœ, q. x, a. 4, ad 1 nm . Si notre liberté pouvait se déterminer par elle seule, elle aurait la dignité de la liberté première et lui res­ semblerait non pas analogiquement, mais univoque­ . ment. Elle aurait avec la liberté divine une similitude pure et simple et non pas une similitude de propor­ tions. Ja, q. x1x, a. 3, ad 5um . 11 y a ici ressemblance et difTérence. A considérer la similitude, il faut dire : la liberté créée n'est pas plus inconciliable avec la motion divine intrinsèquement _efficace, que l'acte libre divin n'est inconciliable avec l'immutabilité de Dieu. L'acte libre en Dieu n'a pas l'indifférence dominatrice potentielle d'une faculté, susceptible d'agir ou de ne pas agir, il a l'indilTérence dominatrice de l'Acte pur à l'égard de tout le créé. ·1a, q. xrx, a. 3, ad 4 um ; Contr. gent., I. I, c. LXXXII. De inême, toute proportion gardée, sous la motion divine efficace, notre liberté n'a plus l'indifJérence potentielle de la faculté, mais l'indifférence actuelle, et certes son actuali�aUon ne la détruit pas. Si le · molinisme rejette cette doctrine, c'est qu'il cherche à définir la liberté humaine en faisant abstrac. tion de l'objet qui spécifie l'acte libre : facultas quœ, prœsuppositis omnibus requisitis ad agendum, adhuc potest agere et non agere, et parmi ces « présupposés , il

met la motion divine, compossible, selon lui, non seule­ ment avec le pouvoir de résister, mais avec le fait de ]a résistance. En vertu du principe fondamental que les facultés, l es habitus et les actes sont spécifiés p ar leur objet, il faut, dans la définition du libre arbitre, considérer son objet spéciflcateur et dire avec les thomistes : libertas est indifferentia dominatrix voluntatis erga bonum a ratione propositum ut non ex omn i parte bonum. L'es­

sence de la liberté est dans l'indifJérence dominatrice de la volonté à l'égard de ' tout objet proposé par la

1(J

raison comme bon hic el nunc, sous un aspect, et non bon sous un autre, selon la formule de saint Thomas, Jn-I Iro, q. x, a. 2 : Si proponalur voluntali aliquod

objcclum, quod non secundum quamlibet considerationem sil bonum, non ex necess itale voluntas fertur in illud. Il

y n alors lndi lTérence à vouloir ce t obj et et à ne pas le vouloir, indi/lércnce potentielle dans la faculté et indiffé­ rence actuelle dans l'acte libre qui se porte non néces­ sairement vers lui. Lors même, en efTet, que la volonté veut actuellement cet objet, lorsqu'elle est déjà déter­ minée à le vouloir, elle se porte encore librement vers lui avec une lndifTérence domi natrice non plus poten­ tielle mais actuelle ; de même, la liberté divine déjà déterminée nous conserve dans l'existence. La liberté provient donc de la disproportion infinie qui existe entre la volonté spéci fi é e par le bien universel et tel bien fini, bon sous un aspect, non bon ou insuffisant sous un autre. Et, contre Suarez, les thomistes ajoutent que, même de puissance absolue, Dieu par sa motion ne peut nécessiter potre volonté à vouloir un tel obj et, stante indiflerenlia judicii, tant que nous jugeons qu'il est b on sous un aspect, et non sous un autre. La raison en est qu'il implique contradiction que la volonté veuille nécess,a irement l'objet que l'intel­ ligence lui propose comme indifîérent ou comme abso­ lument disproportionné à son amplitude. Cf. S. Tho­ mas, De verilale, q. xx11, a. 5. Pour mieux saisir comment la motion divine est cause de notre acte libre, il faut remarquer que celui-ci dépend de trois causalités finies difTérentes, qui ont entre elles des rapports mutuels : 1 ° l'attrait objectif du bien particulier ; 2° la direction de l'intelligence qui porte le jugement pratique ; 3° l'efficience ou la pro­ duction de l'élection libre p ar la volonté. La motion divine transcend ces trois causalités et les actualise, sans violenter le libre arbitre. La fin qui attire reste ainsi la première des causes, et il implique contradic­ tion que « sous l'indifTérence du j ugement », ou sous le jugement non nécessitant, notre volonté soit néces­ s itée par la motion divine, car il i mplique contradiction que notre volonté Yeuille un obj et autrement qu'il ne lui est proposé . En résumé, connue le dit Bossuet, loc. cil. , t, quoi de plus absurde que de dire que l'exercice du libre arbitre n'est pas, ù cause quo Dieu veut (efficacement) qu'il soit »; quoi de plus inconséquent que de dire que l'actualisation du libre arbitre le détruit. Aussi le grand mystère, selon saint Augustin et saint Thomas, n'est pas dans la conciliation de la prescience et des décrets divins avec la liberté créée, car, si Dieu est Dieu, sa volonté efficace doit s'étendre jusqu'au mode libre de nos actes ; dQ fait qu'il veut efficacement que Paul se convertisse librement, tel . j our et à telle heure, sur le chemin de D amas, il doit s'ensuivre que Paul se convertira librement et, si, dans ce cas, la motion divine sur la volonté humaine ne détruit pas la liberté, pourquoi la détruirait-elle dans les autres? Le grand mystère est ailleurs, c'est celui de la per­ mission divine du mal moral ou du péché en tel homme ou tel ange plutôt qu'en tel autre. Si la grâce de la persévérance finale, disent saint Augustin (De correp­ tione et gralia, c. v et VI) et saint Thomas (1 1°-nœ, q. n, a. 5) est accordée, comme elle fut au bon larron, c'est p ar miséricorde ; si elle ne l'est pas, c'est par un j uste châtiment de fautes généralement réitérées et d'une dernière résistance au dernier appel, dernière résistance que Dieu permet en celui-ci plutôt qll'en celui-là. C'est ce qui fait dire au même saint Augustin : Quare hune trahat et illum non trahat, noli velle difu­ dicare, si non vis errare. In Joa., tract. XXV I. Saint

Thomas p arle de même. Jn, q. · XXIII, a. 5, ad 3um e t q . xx, a . 3 : n ul ne serait meilleur qu'un au l rû ; s ' i l n'était plus aim é r, ar Dieu.

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P R É l\l O T I O N P H Y S I Q U E E T P É C H É

D'autre part, Dieu ne commande ;amais l'impossible; l'accomplissement de la loi divine était encore réelle­ ment possible au mauvais larron, lorsqu'il se perdit si près du Christ rédempteur. Il reste une dernière difficul té à examiner relative à l'acte du péché. V I I I . LA PRÉl\lOTION PHYSIQUE ET L'ACTE PHY­ SIQUE ou PÉCHÉ. - 1 ° Principe. - II est certain que Dieu n'est nullement cause du péché, ni directement, ni indirectement. Il ne peut être euuse directe du péché, en y inclinant sa volonté ou une volonté créée, car le péché provient de ce qu'on s'écarte de ce qui est ordonné à Dieu. Il ne peut être non plus cause indi­ recte du péché, par négligence à nous en préserver, comme le capitaine de vaisseau est par sa négl igence cause du naufrage, lorsqu'il ne veille pas com me il le peut et il le doit. Il arrive sans doute que Dieu n'ac­ corde pas à certains le secours qui les préserverait du péché, mais cela est conforme à l'ordre de sa sagesse el de sa justice ; il n'est pas tenu, il ne se doit pas à lui­ même de préserver de toute faute des créatures natu­ rellement défectibles, et il peut permettre leur défail­ lance en vue d'un bien supérieur ; il permet ainsi le péché des persécuteurs pour manifester la constance des martyrs. Cf. saint Thomas, Ia, q. xxn, a. 2, ad 2 u.n . Celte permission divine du péché n'est nullement cause du péché, ni cause directe, ni cause i ndirecte ; elle le laisse arriver. Elle en est seulemenl la condition sine qua non; si lJicu ne le permettait pas, ne le laissai t pas arriver, le pt>ché n'arriverait pas. Cette divine permis­ sion du péché, surtout s'il s' agit du com mencement du premier péché, par lequel le juste s'éloigne de Dieu, n'est pas une peine, comme le sera la soustraction divine de la grâce, à la suite d'une faute. Toute peine suppose une faute, et la faute ne se produirait pas si elle. n'était pas permise par Dieu. Cette divine permis­ sion du péché implique la non-conservation de telle liberté créée dans le bien ; cette non-conservation n'est pas un bien, mais elle n'est pas non plus un mal, car elle n'est pas la privation d'un bien qui nous sérai l dû; elle est seulement La négation d' un i.>ien qui ne nous est pas dù. La philosophie enseigne que p.i:ivation dit plus que négation. lJieu ne se devait pas à lui-même de préserver le démon ou Adam innocent de toute faute ; i l a permis dans le démon plutô t qu'en un autre ange un mouvement d'orgueil volontaire consenti, et comme peine de cette faute, il lui a retiré sa grdce. Il importe ici de noter contre Calvin que La soustraction divine de La grdce dil beaucoup plus que Lu simple per mission divine du péché, car cette soustraction divine est une peine, comme le montre saint Thomas, Ia...Hœ, q. LXXIX, a. 3 ; or, toute peine suppose une faute, et toute faute suppose une divine permissi on, comme condition sans laquelle elle ne se produirait pas. Cependant, la permission d'un second péché est déj à une peine du premier. 2° La causalité divine et l'acte physique du péché. Ceci posé, il est moins difficile d'entendre ce qu'est la causali té divine ou la prémotion physique par rapport à · l'acle physique du péché. Saint Thomas, 1a...1 Iœ, q. LXXIX, a. 2, dit clairement à ce sujet : Actus peccati est ens et est actus, et éx utroque babet quod sit a Deo : omne enim ens quocumque modo sit, opor­ tet quod derivetur a primo ente, ut patet per Dionyslum, De div. nom., c. v; omnis autem actlo causatur ab aliquo existente ln actu : quia nihil agit, nisi secundum quod est actil. Omne autem ens actu reducitur in primum actum, scillcet Oewu, sicut in causam, quœ est per suam essentiam actus. Unde rellnqultur quod Deus sil causa omnls acti