Pouvoir impérial et vertus philosophiques: L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut-Empire 9789004379374, 9004379371

In Pouvoir impérial et vertus philosophiques, Anne Gangloff offers a thorough analysis of the Roman political thought, e

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French Pages 536 [535] Year 2018

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Pouvoir impérial et vertus philosophiques: L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut-Empire
 9789004379374, 9004379371

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Pouvoir impérial et vertus philosophiques

Impact of Empire Roman Empire, c. 200 B.C.–A.D. 476 Edited by Olivier Hekster (Radboud University, Nijmegen, The Netherlands)

Editorial Board Stéphane Benoist Angelos Chaniotis Lien Foubert Anne Kolb Luuk de Ligt Elio Lo Cascio Bernhard Palme Michael Peachin Francisco Pina Polo Rubina Raja Christian Witschel Greg Woolf

VOLUME 31

The titles published in this series are listed at brill.com/imem

Pouvoir impérial et vertus philosophiques L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut-Empire

By

Anne Gangloff

LEIDEN | BOSTON

Cover illustration: Aureus de Trajan ; au revers, Hercule sacrifiant, tenant sa massue et sa peau de lion, avec la légende COS V PP SPQR OPTIMO PRINC (RIC II Trajan 112 ; MIR 263). CoinArchives tous droits réservés (Baldwin’s of St. James’s, 14, 14 janvier, lot 14). Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Names: Gangloff, Anne, author. Title: L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut-Empire / par Anne Gangloff. Description: Boston : Brill, 2019 | Includes bibliographical references and index. Identifiers: LCCN 2018039480 | ISBN 9789004379381 (alk. paper) Subjects: LCSH: Rome–Kings and rulers–Conduct of life. | Power (Social sciences)–Rome–Philosophy. | Prudence–Rome–Political aspects. | Rome–Politics and government–30 B.C.-284 A.D. | Political science–Rome–Philosophy. Classification: LCC JC89 .G36 2018 | DDC 320.0937–dc23 LC record available at https://lccn.loc.gov/2018039480

Typeface for the Latin, Greek, and Cyrillic scripts: “Brill”. See and download: brill.com/brill-typeface. ISSN  1572-0500 ISBN 978-90-04-37938-1 (hardback) ISBN 978-90-04-37937-4 (e-book) Copyright 2019 by Koninklijke Brill NV, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill, Brill Hes & De Graaf, Brill Nijhoff, Brill Rodopi, Brill Sense, Hotei Publishing, mentis Verlag, Verlag Ferdinand Schöningh and Wilhelm Fink Verlag. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill NV provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, MA 01923, USA. Fees are subject to change. This book is printed on acid-free paper and produced in a sustainable manner.

Contents Remerciements ix Table des illustrations x Introduction 1 1 Les Julio-Claudiens : du gouvernement des vertus à la gestion des passions 21 1 L’association entre princeps et philosophie 22 a Les précédents républicain et augustéen 22 b Les vertus morales et politiques de Tibère à Claude 29 c Sénèque précepteur et conseiller de Néron 40 2 La clémence comme norme politique 51 a Le recentrage sur la clémence 51 b La théorisation de pratiques du pouvoir 58 c Les objectifs du De Clementia : un « pacte politique » pour Néron 63 3 Conception et images du pouvoir dans le De Clementia 67 a L’opposition entre bon roi et tyran 67 b Les liens entre le roi, le peuple et les dieux 77 c Omnipotence et limites de la souveraineté 83 4 L’échec du projet de Sénèque 87 a Néron a-t-il adhéré au modèle du roi clément ? 87 b Thrasea et la libertas 91 2 Musonius, Epictète et le pouvoir impérial 94 1 Relations sociales, transmissions intellectuelles et place des philosophes à Rome 94 2 Expériences personnelles de la vie politique et du pouvoir 108 3 Musonius et l’éducation du bon roi 117 4 Les figures du roi, du tyran et de César dans les Entretiens 128 3 Communication symbolique et nouveaux modèles politiques pour les premiers Antonins 143 1 Redéfinir un modèle du pouvoir impérial 146 a Domitien, l’anti-modèle 146 b La mémoire de Galba 149

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Contents

2 Le temps des compromis 157 a Les réactions suscitées par l’« opposition philosophique » 157 b Les conciliations : principat et libertas, philosophie et devoirs civiques 163 c Franchise et communication symbolique 167 d Les relations entre empereur et élites culturelles 171 3 Pline et le prince républicain 174 a La publication d’une actio gratiarum 175 b Les vertus morales d’un prince républicain 182 c Le corps de l’empereur 194 d Les institutions et la gestion de la res publica 197 e Le pacte avec Jupiter 202 4 Dion de Pruse et le bon roi 208 a Un discours figuré 215 b La paideia 223 c Le bon roi et la royauté divine 228 5 Postérité des modèles de Pline et de Dion 239 a Le développement d’une rhétorique du bon prince 240 b Hadrien et le modèle de l’optimus princeps 243 4 Marc Aurèle et la mémoire d’Antonin le Pieux, prince modèle 255 1 Antonin le Pieux, « modèle vivant » 256 a Des miroirs au prince ? 263 b Les vertus du prince idéal 267 c L’intériorisation du modèle d’Antonin : une solution à l’aporie d’Epictète sur le bon roi 272 d Autres figures et conception du pouvoir 275 2 Piété et philostorgia au fondement d’une mémoire dynastique 283 a Trajan et la piété filiale 285 b Hadrien et la Pietas Aug. 288 c Antonin le Pieux 291 d Marc Aurèle et la mémoire de ses prédécesseurs 293 5 Les Sévères et la tradition des discours de conseils au prince 302 1 Vie culturelle sous les Sévères 305 a La culture des Sévères 305 b Les intellectuels autour des Sévères 309 c La figure d’Apollonios de Tyane 313 2 Une particularité des conseils au prince : les débats sur le meilleur régime 316

Contents

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a Une tradition de la pensée politique antique 319 b Le caractère biaisé des débats 322 Le bon chef de Dion Cassius 326 a Contextualisation et réaction contre les premiers Sévères 326 b Le principe de la mesure 338 c Monarque absolu ? la place du Sénat 342 d Le chef et les soldats 346 e Le respect des cultes traditionnels 349 Les conseils au prince d’Apollonios de Tyane 353 a Apollonios et le divin 357 b Bons et mauvais souverains 360 c Caractère topique des conseils à Vespasien 367 Rôle et fonctions des conseillers de l’empereur 378 a Le philosophe conseiller du prince 378 b Les conseillers aristocrates 382 Le développement de la pensée politique romaine 385 a Des discours figurés ancrés dans le passé 385 b L’élaboration d’une tradition romaine de miroirs et conseils au prince 387

6 Les vertus de l’empereur dans la tradition épidictique grecque : l’émergence d’une sacralité (fin du iie – fin du iiie siècle) 397 1 Réflexions théoriques 401 a Pollux et l’image du bon roi 401 Le vocabulaire de l’éloge et du blâme 402 Les principes d’organisation des listes 404 b Les règles du basilikos logos chez Ménandre ii 409 Les topiques qui définissent le bon prince 411 Objectif et conception du basilikos logos 429 2 L’eis basilea du Pseudo-Aelius Aristide 434 a Le débat historiographique 435 b L’éloge de Philippe l’Arabe et l’idéal antonin 445 Conclusion 457 Bibliographie 471 Principales Sources 471 Travaux 472

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viii Index 515 Empereurs et maison impériale 515 Rois, reines, tyrans 518 Noms de personnes 519 Divinités 524

Contents

Remerciements Cet ouvrage est issu de mon dossier d’Habilitation à diriger des recherches : il est donc autant le fruit d’un travail personnel que celui de rencontres et d’échanges qui ont contribué à son élaboration. Toute ma gratitude va à Stéphane Benoist qui, par son exigence bienveillante, a accompagné ce projet de recherche en élargissant le champ de mes questionnements. Je suis aussi très reconnaissante à Isabelle Cogitore, Lukas de Blois, Marietta Horster, Valérie Huet et Frédéric Hurlet, qui ont accepté de participer à mon jury d’hdr et m’ont fait de précieuses remarques qui ont permis d’améliorer ce livre. Que soient remerciés aussi ceux qui, amis et collègues, m’ont accompagnée dans ces années de recherche et d’enseignement, de Paris à Rennes, en passant par Evreux, Angers et la Suisse. Je voudrais mentionner en particulier ceux qui ont accepté de relire entièrement ou en partie mon manuscrit et l’ont enrichi de leurs suggestions : Cécile Bost-Pouderon, Caroline Blonce, Henri Fernoux et Gilles Gorre. Simone Follet m’a fait bénéficier, comme toujours, de son soutien et de ses conseils. Concernant les monnaies, les échanges que j’ai eus avec Michel Aberson, Michel Fuchs, Barbara Hiltmann et Antony Hostein m’ont été d’une grande aide. Ma reconnaissance va également à l’Institut Universitaire de France qui m’a offert les moyens d’achever cette recherche dans de très bonnes conditions et a généreusement contribué au financement de l’édition. Enfin, je remercie vivement Oliver Hekster qui a accepté d’accueillir ce livre dans la collection Impact of Empire des éditions Brill, ainsi que ses collaboratrices Mirjam Elbers et Giulia Moriconi. Pouvoir impérial et vertus philosophiques est tout spécialement dédié à Iuliano fortissimo, Ninoni felici, Clementiae, parentibus indulgentissimis.

Illustrations

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CoinArchives tous droits réservés. La taille des images n’est pas proportionnelle à celle des monnaies. Aureus, Tarragone ( ?), janvier-avril 69. Droit : A VITELLIVS GERMANICVS IMP AVG. Revers : CLEMENTIA IMP – GERMANICI. ric i2 Vitellius 2. Numismatica Ars Classica, 71, 16 mai 2013, lot 214. 93 Denier, Rome, 113–114. Droit : buste de Trajan lauré, portant le paludamentum, légende IMP TRAIANO AVG GER DAC P M TR P COS vi P P. Revers : Jupiter portant le foudre et un long sceptre, étendant son manteau pour protéger Trajan qui tient une branche et un sceptre court ; légende CONSERVATORI PATRIS PATRIAE. ric ii Trajan 249, mir 429 v. Auktionshaus Felzmann, 161, 6 mars 2018, lot 252. 207 Tétradrachme, Antioche, 112/113. Droit : tête laurée de Trajan, au-dessus d’un aigle tourné vers la droite et, à gauche, d’une massue, légende ΑΥΤΟΚΡ ΚΑΙС ΝЄΡ ΤΡΑΙΑΝΟС СЄΒ ΓЄΡΜ ∆ΑΚ. Revers : tête de Melkart/Héraclès, avec la peau de lion nouée sous le menton, légende ∆ΗΜΑΡΧ ЄΞ ΙΖ ΥΠΑΤ Ϛ. rpc iii 3547. Roma Numismatics Ltd, 44, 3 mars 2018, lot 398. 220 Antoninien, Rome, entre 213 et 217. Droit : buste de Caracalla, radié, drapé et cuirassé, avec la légende ANTONINVS PIVS AVG GERM. Revers : Vénus Victrix portant la Victoire et une lance. ric iv Caracalla 311 c. Roma Numismatics Ltd, 41, 2 décembre 2017, lot 858. 335 Denier, Rome, 44 av. J.-C. Droit : buste de César couronné de laurier, avec la légende CAESAR [DICT] PERPETVO. Revers : Vénus Victrix portant la Victoire et un long sceptre, légende au nom de L. (Aemilius) Buca, monétaire. rrc 480/ 8. Roma Numismatics Ltd, 41, 2 décembre 2017, lot 660. 336 Denier, Rome, 215. Au droit : buste lauré de Caracalla, légende A[NTO]NINVS PIVS A[V]G GERM. Au revers : Sol debout, la main droite levée, tenant un fouet de la main gauche, légende P M TR P xx COS iiii P P. ric iv Caracalla 293 d. Roma Numismatics Ltd, 44, 3 mars 2018, lot 678. 337 Sesterce, Rome, 248. Au droit : Buste drapé et cuirassé de Philippe i, avec une couronne d’olivier, à droite ; légende IMP M IVL PHILIPPVS AVG. Revers : légende TRANQVILLITAS AVGG SC. ric iv 3 Philippe i 156. Roma Numismatics Ltd, 42, 6 janvier 2018, lot 799. 451 Sesterce, Rome, 147. Au droit : Tête laurée d’Antonin le Pieux à droite, légende ANTONINVS AVG PIVS P P TR P COS iiii. Revers : Felicitas portant un capricorne et un long caducée, légende FELICITAS AVG SC. ric iii Antonin 770. Bertolami Fine Arts – acr Auctions, 50, 10 décembre 2017, lot 217. 452

Introduction

Id enim est caput ciuilis prudentiae, in qua omnis haec nostra uersatur oratio, uidere itinera flexusque rerum publicarum, ut cum sciatis quo quaeque res inclinet, retinere aut ante possitis occurrere. « L’essentiel de l’intelligence politique, sur laquelle roule notre exposé, c’est de voir les méandres de la route que suivent les Etats. Il faut savoir où incline toute évolution, pour être capable de l’arrêter ou d’intervenir en prenant les devants ». cicéron, rep., ii, 45, trad. e. bréguet

∵ Tel est l’objectif de la vertu de prudence politique selon Cicéron : être capable d’entraver les évolutions politiques négatives de la res publica  ; cet objectif paraît avoir été partagé par la plupart des penseurs ultérieurs auquel cet ouvrage est consacré. A Rome, la période tardo-républicaine, marquée par le développement du pouvoir personnel, semble avoir été propice à la réflexion philosophique sur le ou les princeps/principes. Nous en avons deux témoignages évidents : l’œuvre politique de Cicéron entre 63 et 44 av. J.-C., en particulier ses deux ouvrages sur la République et les Lois, écrits en 54 et 52 av. J.-C.1 ; le traité Du bon roi de l’épicurien Philodème de Gadara, qui était dédié à L. Calpurnius Piso Caesoninus, beau-père de César et consul en 58 av. J.-C., et qui date vraisemblablement des années 50 av. J.-C.2 Les titres des deux traités de Cicéron montrent toute 1 Voir notamment P. Grenade, « Autour du de Republica », rel, 1951, p. 162–183 ; id., Essai sur les origines du Principat, Paris, 1961 ; C. Nicolet, « Le Prince », dans Rome au temps d’Auguste, Paris, 1967, p. 60–71 ; E. Lepore, Il princeps ciceroniano e gli ideali politici della tarda repubblica, Napoli, 1973 ; J. Béranger, « Dans la tempête : Cicéron entre Pompée et César, 50-44 av. J.-C. » et « Cicéron précurseur politique », dans Principatus. Études de notions et d’histoire politiques dans l’Antiquité gréco-romaine, recueil publié en collaboration avec l’auteur par F. Paschoud et P. Ducrey, Genève, 1973, p. 107–114, 117–134 ; G. Zecchini, Il pensiero politico romano. Dall’età arcaica alla tarda antichità, Rome, 2011 (1997), p. 51–68. 2 Voir A.  Gangloff, «  Le princeps et le bon roi selon Homère  », dans S.  Benoist, A.  DaguetGagey, C. Hoët-van Cauwenberghe (éd.), Figures d’empire, fragments de mémoire. Pouvoirs et

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_002

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Introduction

l’importance qu’a eue pour lui la réflexion platonicienne, qui a porté sur les différentes constitutions mais aussi sur les hommes au pouvoir, et surtout sur la figure du tyran, essentielle dans la pensée et l’expérience politiques du philosophe athénien. La pensée politique grecque s’est en effet d’abord préoccupée des régimes politiques, puis a développé au ive siècle av. J.-C. une réflexion sur les qualités nécessaires pour être un bon roi. Mais le lien entre les différents régimes et les hommes au pouvoir était perçu comme évident, comme le montre la République de Platon. Les constitutions étaient distinguées selon plusieurs grands critères : l’observation ou non de la loi, l’objectif du dirigeant, tourné vers le bien commun ou – c’est le cas du tyran – vers la satisfaction des désirs personnels, et enfin le consentement des sujets3. La réflexion politique de Cicéron porte à la fois sur la meilleure constitution et sur un princeps, qui n’est pas un roi mais qui s’oppose au tyran. Dans la République, l’orateur est en effet fidèle au régime « mixte » cher à Polybe, car il lui paraît respecter une certaine égalité des droits et, surtout, être plus stable que les régimes « purs ». Parmi ceux-ci, les trois vrais régimes qui sont la monarchie, l’aristocratie et la démocratie, sont toujours menacés de dégénérer en tyrannie4. Scipion Emilien, l’un des protagonistes de la République, est attiré par la monarchie, qui est détestée à Rome à cause de Tarquin le cruel, modèle du tyran5. Tarquin illustre le grand danger de la monarchie, à savoir que le bon roi, paternel et dévoué à ses sujets, défini par la justice, se transforme en tyran en exerçant injustement son pouvoir6 :

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identités dans le monde romain impérial (iie siècle avant notre ère-vie siècle de notre ère), Villeneuve d’Ascq, 2011, p. 105–122, part. p. 106–113. L’édition de référence est celle de T. Dorandi (éd.), Il buon re secondo Omero. Edizione, traduzione e commento a cura di Tiziano Dorandi, Napoli, 1982, en attendant celle de Jeffrey Fish ; voir déjà J. Fish, « Philodemus’ On the Good King according to Homer : columns 21–31 », Cron. Erc., 32, 2002, p. 187–232. Hérodote, iii, 80–83. Xénophon, Mem., iv, 6, 12, distingue cinq régimes (royauté, tyrannie, aristocratie, ploutocratie et démocratie), sur la base de deux critères : observation des lois par le dirigeant, consentement des sujets (sur ce dernier critère, voir Platon, Plt., 291 e ; Lg., 832 c). Suivant le criterium de l’observation des lois, Platon opère dans le Politique une classification subdivisée en six : la royauté est distinguée de la tyrannie, l’aristocratie de l’oligarchie, et deux différentes formes de démocraties apparaissent (Plt., 301 a-303 b). Aristote, dans la Politique, présente aussi une classification divisée en six, selon que le pouvoir est exercé par le dirigeant pour le bien-être de la communauté ou bien pour son avantage personnel ; il distingue la royauté de la tyrannie, l’aristocratie de l’oligarchie, la politeia (gouvernement constitutionnel) de la démocratie, celle-ci étant la forme dégénérée du régime constitutionnel, rangée avec la tyrannie et l’oligarchie (Pol., 1279 a 16–1279 b 10 ; cf. en, 1160 a 31-b 22). Rep., i, 42–45, 65–68. Rep., ii, 43–47. Rep., ii, 47–49.

Introduction

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Cet homme, le maître des peuples, les Grecs le nomment un tyran car, à leur avis, le roi est celui qui prend soin comme un père de son peuple et maintient ses sujets dans les meilleures conditions possibles d’existence7. Cicéron a bien posé le principal problème auquel ont été confrontés les penseurs politiques sous le principat : comment empêcher le prince de dégénérer en tyran ? Ce n’est pas, cependant, le propos immédiat de l’orateur (même si c’était peut-être déjà pour lui une préoccupation, en 54 av. J.-C., vers le terme du premier triumvirat qui avait permis à trois hommes, Pompée, Crassus et César, de contrôler plus ou moins la marche de l’Etat). Il a cherché avant tout, dans la République, le moyen de rétablir l’unité de l’Etat8 : grâce à l’action vigilante du meilleur citoyen, tuteur de la République, figure qui se substitue d’une certaine manière à celle du philosophe-roi platonicien. Ce meilleur citoyen est aussi l’ennemi du tyran9. On trouve, chez Cicéron, bien des idées qui ont nourri la réflexion politique romaine sous le Haut-Empire. L’objectif de notre étude est de voir comment cette pensée s’est développée : comment a été adaptée à Rome une réflexion politique sur la monarchie qui avait été élaborée par les penseurs grecs, comment s’est constitué et a évolué un idéal du pouvoir sous le principat, depuis les Julio-Claudiens jusqu’à la fin du iiie siècle, en prenant pour fil directeur les principaux portraits et réflexions qui nous sont parvenus. Nous avons privilégié deux grands types de discours : d’une part ce qu’il est convenu d’appeler des «  miroirs aux princes  », définis par leur dimension performative, prescriptive et spéculaire  ; dans l’Antiquité, ils sont composés par une figure de conseiller – le plus souvent un philosophe ou un spécialiste de rhétorique – qui expose au souverain sa conception de la royauté idéale, dans l’objectif que ses conseils soient appliqués10. D’autre part, les basilikoi logoi ou discours d’éloge

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Rep., ii, 47–48, trad. E. Bréguier. Voir aussi Rep., ii, 43 : « Cette constitution politique est extrêmement instable, pour la raison suivante : la faute d’un seul homme suffit à la ruiner et à l’entraîner irrésistiblement sur la pente la plus funeste. En effet, en lui-même, le régime politique de la royauté est non seulement irréprochable, mais peut-être […] bien préférable aux autres formes pures ; mais il ne l’est qu’à condition de conserver sa constitution propre. Or, selon celle-ci, il faut que la sécurité, l’égalité des droits et la tranquillité des citoyens soient maintenues sous la direction d’un seul, grâce à son pouvoir perpétuel, à sa justice et à sa sagesse », trad. E. Bréguier. Rep., i, 31–32. Rep., i, 51 et 67. Voir P. Hadot, « Fürstenspiegel », rac, 8, 1972, col. 555–631 ; J. M. Schulte, Speculum Regis. Studien zur Fürstenspiegel-Literatur in der griechisch-römischen Antike, Münster, 2001, p. 9–19, sur la notion de « miroir au prince » dans l’Antiquité. Ces études sont fondées sur une conception très large du miroir au prince, qui a suscité des critiques de la part

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au roi, catégorie antique qui était codifiée par la rhétorique à la fin du iiie siècle. Ces textes présentent l’avantage d’être des adresses (réelles ou fictives) au prince, ce qui permet d’examiner le rôle et la place du conseiller – philosophe, représentant des élites, membre du conseil du prince – auprès de celui-ci. Ils témoignent de l’élaboration permanente d’un discours sur le princeps, que l’on peut qualifier d’idéologique  :  ce discours définit les fonctions de l’empereur et les valeurs qui permettaient de juger des pratiques du pouvoir ; les principales sources dont nous disposons s’inscrivent d’ailleurs dans des périodes de transformation de ces pratiques, sous Néron, au début des Antonins et sous les Sévères. Il convient de s’intéresser aussi aux acteurs politiques qui ont porté cette réflexion. A Rome en effet – et c’est une différence essentielle par rapport au monde grec – la place des philosophes, qui sont les principaux penseurs du politique en Grèce, est problématique. L’épisode de la fameuse ambassade des philosophes envoyée par Athènes à Rome, en 155 av. J.-C., pour régler un litige au sujet du territoire d’Oropos, est considéré à juste titre comme emblématique. La délégation était composée des représentants des trois grandes écoles de philosophie : le Platonicien Carnéade, le Stoïcien Diogène de Babylone et le Péripatéticien Critolaos. Le premier fit scandale en critiquant l’impérialisme romain, lors de deux conférences contradictoires sur le thème de la justice. Caton l’Ancien demanda que l’ambassade des trois philosophes fût expulsée : s’il ne fut pas suivi, on n’en observe pas moins qu’à Rome, à la fin de la République, les philosophes grecs étaient tenus dans le singulier rôle de « philosophes domestiques », conseillers privés des grands aristocrates qui étaient les acteurs du jeu politique11. Nous avons ainsi été conduite à analyser les relations du prince avec les philosophes, avec les rhéteurs et, plus généralement, avec les membres de l’élite intellectuelle. Il est cependant difficile de pousser trop loin la distinction entre différentes catégories de discours et de réflexions qui, sous le Haut-Empire, s’interpénètrent : il est en effet délicat de vouloir distinguer de manière trop poussée entre spécialistes de la rhétorique, spécialistes de la philosophie et historiens, ce qui pose deux problèmes. Le premier est lié à la différence entre nos propres

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de M. Haake, “Writing to a ruler, Speaking to a Ruler, Negotiating the Figure of the Ruler”, dans R. Forster et N. Yavari (éd.), Mirrors for Princes reconsidered, Boston, Washington, Cambridge (Mass.), 2015, p. 58–82. Voir J.-L. Ferrary, « Les philosophes grecs à Rome (155–88 av. J.-C.) », dans A. M. Ioppolo, D. Sedley (éd.), Pyrrhonists, Patricians, Platonizers. Hellenistic Philosophy in the Period 155– 86 B. C. Tenth Symposium Hellenisticum, Napoli, 2007, p. 17–46 ; P. Vesperini, La philosophia et ses pratiques d’Ennius à Cicéron, Roma, 2012.

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catégories socio-culturelles et celles des Romains12. Ainsi Sénèque, qui pour nous est un grand philosophe stoïcien, n’était pas identifié comme philosophe par ses contemporains, probablement parce que le mot philosophus au ier siècle a surtout un sens technique et professionnel : était philosophus celui qui enseignait dans une école. Sénèque était en revanche reconnu comme l’un des meilleurs orateurs de son temps. Le second problème est que les frontières entre rhétorique et philosophie, sous le Haut-Empire, sont tantôt affirmées avec force (notamment quand il y a un rapport d’opposition entre ces disciplines), et tantôt beaucoup plus floues : pour ne prendre qu’un exemple, les vertus philosophiques ont été intégrées aux traités de rhétorique latine dès le ier siècle avant J.-C. Au début du Haut-Empire, une distinction plus substantielle peut être établie parmi les auteurs entre élites culturelles d’Orient et celles d’Occident. On peut voir une autre distinction entre les sénateurs et les amis du prince, et les autres, mais elle doit elle aussi être nuancée : même si Pline le Jeune et Dion Cassius montrent un intérêt commun pour les institutions, cet intérêt n’est pas visible dans le miroir au prince de Sénèque, lui aussi membre du Sénat et conseiller du prince. Tous ces personnages que l’on peut qualifier d’intellectuels partageaient sous le Haut-Empire, surtout au iie siècle, une culture formée des mêmes strates basiques de savoirs et de compétences, avec une formation plus ou moins poussée en rhétorique, en philosophie, et pour certains en droit. Nous avons choisi d’analyser la constitution d’une tradition de pensée politique gréco-romaine sous l’angle des vertus, qui constituent le point commun entre la philosophie politique grecque et la vie politique sous la République romaine. Les vertus morales étaient en effet considérées par les Romains comme un trait propre à leur culture, à tel point que Cicéron, dans le De Oratore, les a opposées à la sagesse grecque13. Il s’agit, naturellement, d’une opposition artificielle, exagérée par l’orateur pour les besoins de son argumentation. Les vertus représentent bien plutôt un point commun essentiel, puisque la réflexion politique grecque, à partir de la deuxième moitié du ive siècle av. J.-C., s’était orientée vers la figure du bon roi. Si l’on considère les débuts de la pensée politique romaine, il faut donc ajouter à la réflexion politique de Cicéron la tradition des vertus, qui était à la fois conservée et diffusée par le biais des exempla.

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Sur ce sujet, voir les contributions réunies par P.  Vesperini (éd.), Philosophari. Usages romains des savoirs grecs sous la République et sous l’Empire, Paris, 2017. Cicéron, de Orat., iii, 137 : nam ut uirtutes a nostris, sic doctrinae sunt ab illis petenda.

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La vertu est définie par Cicéron comme « une disposition de l’âme en accord avec la mesure et la raison naturelles »14, et il faut distinguer soigneusement les vertus de l’empereur des autres notions se rapportant à certains traits ou événements de son règne (comme Victoria, Pax), à des promesses, ou bien à des attentes du peuple (comme Abundantia, Felicitas). Vertus morales et notions sont personnifiées sur le monnayage et les spécialistes de numismatique ont pris l’habitude de les désigner sous le nom commun de «  vertus impériales »15. Ce qui les réunit aussi, c’est qu’elles étaient considérées comme des forces (uires) utiles, bienfaisantes ou plaisantes, et qu’à ce titre les plus importantes d’entre-elles étaient divinisées, de même que les grands hommes ayant possédé ces vertus ou bien réalisé ces valeurs, comme l’a expliqué Cicéron dans le traité sur La nature des dieux16 : Parfois, quand une notion elle-même représente une valeur importante, c’est ce qu’elle signifie qu’on appelle dieu, comme la Bonne Foi, l’Intelligence, dont nous voyons au Capitole les sanctuaires récemment dédiés par Marcus Aemilius Scaurus ; auparavant la Bonne Foi avait été divinisée par Aulus Atilius Calatinus. Tu vois le temple de la Vertu, celui de l’Honneur restauré par Marcus Marcellus mais qui avait été consacré par Quintus Maximus bien des années auparavant, pendant la guerre contre les Ligures. Et le temple de l’Abondance, celui du Salut, ceux de la Concorde, de la Liberté, de la Victoire ? Ces notions ont une valeur si grande qu’elle ne peut être contrôlée que par un dieu : aussi est-ce la notion elle-même qui a été divinisée. Dans le même genre, les noms de Désir, de Volupté, de Vénus Lubentina ont été divinisés ; ce sont là des vices, ils ne sont pas naturels, même si Velléius pense autrement : cependant, ces vices perturbent souvent la nature avec une violence excessive. C’est donc en raison des avantages qu’ils apportaient qu’ont été divinisés ceux d’où provenait chacun de ces avantages et les noms que je viens de citer indiquent quelle 14 15

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Inv., ii, 53, 159 : Virtus est animi habitus naturae modo atque rationi consentaneus, trad. G. Achard modifiée. Voir aussi Tusc., iv, 34 : adfectio animi constans conveniensque, laudabiles efficiens eos in quibus est. Voir H. Mattingly, “The Roman Virtues”, HThR, 30, 1937, p. 103–117, et C. H. V. Sutherland, “The Intelligibility of the Roman Imperial Coin Types”, jrs, 49, 1959, p. 46–55. Pour une réflexion sur la distinction entre vertus morales et valeurs divinisées ou bien abstractions personnifiées sur les monnaies, voir A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and His Virtues”, Historia, 30, 1981, p.  298–323, part. p.  310, et C.  F. Noreña, “The Communication of the Emperor’s Virtues”, jrs, 91, 2001, p. 146–168, part. p. 153–155. Sur le culte des « vertus » (au sens des numismates), voir J. R. Fears, “The Cult of Virtues and Roman Imperial Ideology”, anrw, ii, 17, 2, Berlin, New York, 1981, p. 827–948.

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puissance réside en chacun de ces dieux. L’expérience humaine et la coutume ont fait admettre que des hommes éminents grâce à leurs bienfaits soient élevés au ciel de l’aveu et du consentement de tous17. Les vertus philosophiques ne constituent qu’une petite partie des abstractions divinisées qui sont mentionnées18. Ce passage montre toutefois que les vertus et les notions désignant des biens recherchés étaient perçues comme des forces agissantes. Les vertus philosophiques sont motrices et déterminent le comportement de celui qui les possède, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où la philosophie était considérée comme un mode de vie et reposait sur un ensemble de pratiques, comme l’a bien montré P. Hadot. J. Hellegouarc’h a étudié dans son livre Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République les principales valeurs et vertus qui constituaient les normes de la vie politique romaine : il a insisté en conclusion sur la dimension sociale plutôt que morale des vertus, mais on peut difficilement écarter toute dimension morale, inhérente à l’idéal aristocratique, comme l’a bien montré D. C. Earl19. Les vertus étaient revendiquées comme constitutives d’une identité aristocratique, à travers les cognomina, comme celui de Pius choisi par Q. Caecilius Metellus, consul en 80 av. J.-C., et les éloges funèbres résumés sur les inscriptions gravées sous les images des ancêtres exposées dans les atriums (tituli), ou sur les tombeaux situés à l’extérieur de Rome, le long des 17

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Cicéron, N. D., ii, 61–62 : Tum autem res ipsa, in qua uis inest maior aliqua, sic appellatur ut ea ipsa uis nominetur deus, ut Fides ut Mens, quas in Capitolio dedicatas uidemus proxume a M. Aemilio Scauro, ante autem ab (A.) Atilio Calatino erat Fides consecrata. Vides Virtutis templum uides Honoris a M. Marcello renouatum, quod multis ante annis erat bello Ligustico a Q. Maxumo dedicatum. Quid Opis quid Salutis quid Concordiae Libertatis Victoriae; quarum omnium rerum quia uis erat tanta ut sine deo regi non posset, ipsa res deorum nomen optinuit. Quo ex genere Cupidinis et Voluptatis et Lubentinae Veneris uocabula consecrata sunt, uitiosarum rerum neque naturalium – quamquam Velleius aliter existimat, sed tamen ea ipsa uitia naturam uehementius saepe pulsant. Vtilitatum igitur magnitudine constituti sunt ei di qui utilitates quasque gignebant, atque is quidem nominibus quae paulo ante dicta sunt quae uis sit in quoque declaratur deo. Suscepit autem uita hominum consuetudoque communis ut beneficiis excellentis uiros in caelum fama ac uoluntate tollerent, trad. C. Auvray-Assayas. Parmi les vertus philosophiques, on peut compter Virtus, au sens de courage viril et guerrier, et Fides, « bonne foi, loyauté », qui accompagne la uirtus dans le Pour la loi Manilia, voir infra ; la Clémence de César, Clementia Caesaris, n’a été introduite qu’en 44 av. J.-C. J. Hellegouar’ch, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1972 ; D. C. Earl, The Moral and Political Tradition of Rome, London, 1967, p. 20–36, sur l’idéal aristocratique traditionnel de la uirtus, en lien avec la gloria. Voir aussi C. Badel, La noblesse de l’empire romain : les masques et la vertu, Seyssel, 2005 ; P. Le Doze, « Les idéologies à Rome : les modalités du discours politique de Cicéron à Auguste », rh, 654, 2010, p. 259–289, part. p. 264–267.

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principales voies. L’éloge gravé sur le tombeau des Scipions en l’honneur de L. Cornelius Scipion Barbatus, consul en 298 av. J.-C., souligne ainsi les qualités morales, les particularités physiques et les actions extérieures qui constituaient la gloire du défunt : L. Cornelius Scipion Barbatus, fils de Gnaius, homme courageux et sage, dont la beauté n’eut d’égal que la vertu, fut chez vous consul, censeur, édile. Il a pris Taurasia et Cisauna dans le Samnium, il soumit toute la Lucanie et en ramena des otages20. L’épitaphe met en relief le courage et la sagesse (uirtus et sapientia au sens de prudence, sagacité), de Scipion Barbatus, car ce sont les qualités qui lui ont permis d’exercer avec talent les magistratures supérieures, et donc d’accomplir de hauts faits militaires. La vertu supérieure justifiait la prééminence sociale et politique21. Dans son premier discours public Pour la loi Manilia, prononcé en 66 av. J.-C. pour justifier les pouvoirs extraordinaires délégués à Pompée afin d’éliminer le roi du Pont Mithridate Eupator, le préteur Cicéron a ainsi invoqué les quatre caractéristiques propres à un grand chef de guerre : l’expertise militaire, le courage (uirtus), l’autorité (auctoritas), la chance (felicitas), qu’il lie les unes aux autres. L’expertise et le courage de Pompée se traduisent par une série d’exploits militaires, et sa uirtus est accompagnée et servie par d’autres qualités éminentes – innocentia (le fait de ne pas chercher à nuire), temperantia (« tempérance »), fides (« loyauté, intégrité »), facilitas (« affabilité »), ingenium (« intelligence »), humanitas (« humanité »). Ces exploits et ces vertus ont assis son auctoritas et sont associés à la providence divine (prouidentia deorum) ainsi qu’à la fortuna (« chance envoyée par les dieux ») qui favorise ses entreprises22. 20

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cil vi 1285 : Cornelius Lucius Scipio Barbatus, Gnaeo patre / prognatus, fortis uir sapiensque, / cuius forma uirtuti parissima fuit / consul, censor, aedilis, qui fuit apud uos ; / Taurasiam, Cisaunam, Samnium cepit, / subigit omnem Lucaniam, obsidesque abducit. Cet éloge réunit déjà les trois éléments de l’éloge que la Rhétorique à Hérennius, vi, 10, et Quintilien, iii, 7, 10–18, recommandent de développer, à savoir les qualités morales, les particularités physiques et les actions extérieures. Dans la loi Ovinia datée de la fin du ive siècle av. J.-C., le Sénat est défini comme l’assemblée des meilleurs, les optimi. Voir aussi l’épitaphe de L. Cornelius Scipio, consul en 259, censeur en 258 av. J.-C., cil I2 9 : le défunt est reconnu comme le « meilleur », optimus. Cicéron, Rep., ii, 15, souligne l’importance, pour soutenir le pouvoir (uis) d’un seul, de l’auctoritas de tous les optimi, c’est-à-dire de ceux qui doivent siéger au Sénat. Man., 10, 27-17, 50. Les idées exprimées par Cicéron sont proches de l’idéologie impériale du iiie siècle, Septime Sévère et Caracalla ayant réactivé l’idéologie des imperatores de l’époque tardo-républicaine : voir infra, c. 5 et 6.

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Les vertus romaines étaient incarnées dans des exempla, qui sont des histoires courtes centrées autour d’une parole ou d’une action édifiantes d’un grand homme. Ces histoires exemplaires étaient rassemblées dans des recueils à l’usage des professeurs de rhétorique et de leurs élèves, comme on le voit avec les Faits et dits de Valère Maxime, datés du règne de Tibère23. C’est sur cette tradition des mores maiorum que s’est développée la figure du princeps24. Comme il s’agit pour nous de montrer les objectifs précis et l’efficacité des discours sur la figure du prince vertueux, envisagés sur le temps long, il est nécessaire, d’emblée, de remettre en question le topos selon lequel les vertus sont des lieux communs. Les historiens qui ont travaillé sur les vertus attachées aux empereurs ont réfléchi à la notion de canon des vertus, et ont conclu à l’absence d’une liste figée dans le temps, aussi bien au sujet des vertus philosophiques et rhétoriques qu’à celui des vertus augustéennes (courage, clémence, justice et piété) gravées sur le bouclier doré offert par le Sénat au princeps en 27 av. J.-C.25. Les quatre vertus philosophiques cardinales – courage, justice, tempérance et sagesse – sont fixées depuis Platon (et c’est dans ce sens que nous employons le terme « canon » dans cette étude), et réutilisées dans les ouvrages rhétoriques de manière souple : car, comme on l’a vu plus haut pour la uirtus de Pompée, ces grandes vertus sont subdivisées et accompagnées, complétées pour ainsi dire, par des vertus plus ou moins secondaires. Il y a donc bien une organisation systématique des vertus, mais il s’agit de systèmes souples, extensibles et variables dans le temps, dont les vertus cardinales constituent le noyau.

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J.-M. David (éd.), Valeurs et mémoire à Rome. Valère Maxime ou la vertu recomposée, Paris, 1998. Contra P. Veyne, L’empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 50–51 : dans sa réflexion sur les « Césars fous », l’auteur affirme que « la plupart des régimes politiques sont limités par une tradition inconsciente… Or le régime impérial était né sans tradition ni modèle étranger; jusqu’au iiie siècle, il n’a pas existé de rôle auquel les princes se seraient conformés à leur insu et qui aurait limité leurs errements ou excentricités. Pire encore, il existait bien une tradition, mais c’était celle du pouvoir comme imperium, qui bousculait tout obstacle ». Les « Césars fous » sont bien plutôt ceux qui n’ont pas respecté les normes morales et politiques imposées par la tradition des « grands hommes », les summi uiri. A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and His Virtues”, p. 300–307 (qui renvoie à l’étude d’H. North, “Canons and hierarchies of the cardinal virtues in Greek and Latin literature”, dans L. Wallach [éd.], The Classical Tradition. Literary and historical Studies in Honor of Harry Caplan, Ithaca, New York, 1966, p. 165–183). L’exemple des vertus augustéennes a été aussi analysé par C. J. Classen, « Virtutes Imperatoriae », Arctos, 25, 1991, p. 17–39, qui a montré qu’elles n’avaient pas constitué de canon politique.

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Mais le sens de ces vertus peut lui-même changer, ainsi pour la définition du courage qui renvoie tantôt à l’endurance morale, tantôt au courage militaire, comme nous le verrons ; ces variations dépendent du contexte historique et des convictions des penseurs, ainsi que de l’évolution sémantique du terme et des problèmes de traduction entre grec et latin, qui sont parfois difficiles à résoudre pour nous26. En dépit de cette complexité, l’étude de l’évolution dans le temps des vertus de l’empereur se heurte à un solide préjugé répandu parmi les historiens : l’idée que ces vertus, en particulier celles qui sont utilisées dans les textes littéraires, sont des lieux communs répétés d’un règne à l’autre, auxquels on reconnaît, au mieux, l’intérêt de ressasser des principes essentiels. Cette idée est déjà exposée par l’un des précurseurs de l’éloge aux rois, l’orateur Isocrate, dans le discours A Nicoclès (roi de Salamine de Chypre entre 374 et ca 360 av. J.-C.) où il fonde l’autorité de ses propos sur l’existence de vérités générales et traditionnelles : Et ne t’étonne pas si dans mes paroles il y a beaucoup d’idées que tu connais aussi. Cette éventualité ne m’a pas échappé ; je savais que parmi les peuples comme parmi ceux qui les mènent – et combien sont-ils ! – il en est qui ont dit une partie de ces vérités, d’autres les avaient entendu dire, d’autres les avaient vu appliquer, d’autres les mettent eux-mêmes à exécution. Certes, ce n’est pas dans de tels discours portant sur la conduite de la vie qu’il faut chercher des nouveautés  ; là, il n’est rien permis de dire qui soit contre la tradition, rien d’incroyable, rien qui sorte des idées acceptées, et l’écrivain qu’on doit juger le plus agréable en cette matière est celui qui pourra réunir le plus grand nombre de pensées dispersées chez les autres et les exprimer dans les termes les plus beaux27. Dans cette perspective, P. Hadot, qui a rassemblé les miroirs au prince des périodes hellénistique et romaine dans un article toujours essentiel, a justifié le cadre temporel très large de son étude par le caractère immuable, durable 26 27

Nous rencontrerons ce problème, dans le développement qui suit, pour la traduction de la clementia en grec, le sens du mot hosios, qui désigne une forme de piété, aux iie et iiie siècles, l’adéquation entre indulgentia et philanthrôpia au iiie siècle. Isocrate, A Nicoclès, 40–41 : Καὶ µὴ θαυµάσῃς, εἰ πολλὰ τῶν λεγοµένων ἐστὶν ἃ καὶ σὺ γιγνώ σκεις· οὐδὲ γὰρ ἐµὲ τοῦτο παρέλαθεν, ἀλλ’ ἠπιστάµην ὅτι τοσούτων ὄντων τὸ πλῆθος καὶ τῶν ἄλλων καὶ τῶν ἀρχόντων οἱ µέν τι τούτων εἰρήκασιν, οἱ δ’ ἀκηκόασιν, οἱ δ’ ἑτέρους ποιοῦντας ἑωράκασιν, οἱ δ’ αὐτοὶ τυγχάνουσιν ἐπιτηδεύοντες. [41] Ἀλλὰ γὰρ οὐκ ἐν τοῖς λόγοις χρὴ τούτοις ζητεῖν τὰς καινότητας, ἐν οἷς οὔτε παράδοξον οὔτ’ ἄπιστον οὔτ’ ἔξω τῶν νοµιζοµένων οὐδὲν ἔξεστιν εἰπεῖν, ἀλλ’ ἡγεῖσθαι τοῦτον χαριέστατον, ὃς ἂν τῶν διεσπαρµένων ἐν ταῖς τῶν ἄλλων διανοίαις ἀθροῖσαι τὰ πλεῖστα δυνηθῇ καὶ φράσαι κάλλιστα περὶ αὐτῶν, trad. G. Mathieu et E. Brémond.

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et cohérent de la représentation du souverain idéal28. Cette affirmation est à la fois vraie et fausse, car la permanence est toujours accompagnée d’une évolution et un examen précis montre les différences fondamentales dans l’utilisation des vertus et des attributs de la souveraineté. On peut reprendre ainsi pour exemple le fameux thème du princeps ciuilis analysé par A. F. WallaceHadrill29. A  première vue, il s’agit d’un topos très ancien puisqu’il était déjà présent dans l’Agésilas de Xénophon30, composé après la mort d’Agésilas ii, mais il n’y a pas le même sens : Agésilas ii régna entre 398 et 360 av. J.-C. à Sparte où l’idéologie des Homoioi, les « Egaux », était dominante. On peut rapprocher cette idée d’égalité entre citoyens d’élite de la conception romaine du princeps comme primus inter pares, mais de manière superficielle, car la différence est grande : la notion de ciuilis princeps, qui est élaborée en particulier sous les Antonins31, est complexe et composite, car elle désigne une forme de politesse, la déférence du prince envers le Sénat, son accessibilité à tous, sa simplicité éloignée du faste, et renvoie aussi à la notion de priuatus. On peut faire la même remarque au sujet des statues : on trouve déjà chez Xénophon un éloge d’Agésilas qui a refusé l’honneur de recevoir des statues, préférant laisser d’autres traces de sa bonté32 ; Pline et Dion Cassius expriment des idées proches au sujet du bon empereur33. Mais les contextes rendent ces idées différentes : au ve siècle, la statue représentait un « tabou politique » à Athènes et probablement à Sparte, par volonté de ne pas rendre visible la prééminence d’un homme politique sur les autres. Sous le Haut-Empire, la statue impériale est, entre autres, liée à la question du culte impérial et de ses « excès ». Il est donc nécessaire de replacer chaque miroir au prince au sein de la culture politique de son époque, celle-ci étant définie par des pratiques et par des représentations du pouvoir, exprimées aussi par d’autres media contemporains comme les monnaies, les inscriptions, certains programmes iconographiques34.

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P. Hadot, « Fürstenspiegel », col. 581. A. F. Wallace-Hadrill, “Civilis Princeps : Between Citizen and King”, jrs, 72, 1982, p. 32–48. Agésilas, 8, 1–2. Voir B.  Cahut, Principat et République. Images et représentations du passé républicain dans la construction de la figure impériale à Rome de la crise de 68 à l’assassinat de Sévère Alexandre, thèse Paris xiii, 2015, p. 667–720. Agésilas, 11, 7. Xénophon, Agésilas, 11, 7 ; Pline, Pan., 52, 2–7 ; Dion Cassius, lii, 35–36. Voir infra, c. 5. Dans les pages qui suivent, nous avons cherché à tracer des parallèles entre les sources littéraires et les monnaies, les inscriptions, plutôt qu’entre les premières et les reliefs, ce qui nous apparaît comme un sujet en soi : sur les reliefs, l’identification des vertus est en effet plus complexe et discutée par les spécialistes.

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Dans ses travaux sur l’idéologie impériale au iiie siècle, L. de Blois a mis en avant, avec raison, l’idée d’une « grammaire » des lieux communs qui font sens par rapport au contexte dans lequel ils sont employés et par rapport à leurs emplois antérieurs35. Pour les auteurs de l’Antiquité, il était en effet important de s’inscrire dans une tradition de pensée  :  les lieux communs constituaient le socle de leur propre réflexion, à laquelle ils conféraient de l’autorité, ainsi qu’une base de communication. Nous voulons analyser les sources et le processus d’élaboration d’une tradition romaine du miroir au prince et, plus largement, d’une tradition de pensée politique romaine – ou, plus justement, gréco-romaine – relative au pouvoir impérial. La dimension morale de cette pensée est fondamentale, parce que l’explication qui était donnée dans l’Antiquité au processus historique était essentiellement moralisante et individuelle. Tite-Live attribuait la chute de la République à la décadence morale de ses contemporains et, deux siècles et demi plus tard, les revers militaires, les difficultés économiques et les désordres sociaux de l’Empire étaient en grande partie attribués à l’auaritia et à la licentia des soldats, ou bien au manque d’énergie morale et de compétence du prince. Dans l’appréhension du processus historique, la figure du prince jouait un rôle fondamental, comme en témoigne la métaphore courante de l’empereur âme de l’Empire, ou l’idée tout aussi répandue que le chef est un modèle qui déteint sur ceux qu’il domine36. Se pose alors la question des institutions : quelle est leur place dans la réflexion politique qui se développe autour des vertus pour définir le prince ? Dans le débat historiographique moderne sur les vertus de l’empereur, plusieurs travaux ont fait date, qui se sont essentiellement appuyés sur les sources monétaires. C’est le cas de l’article de M. P. Charlesworth, “The Virtues of the Roman Emperor  :  Propaganda and Creation of Belief”, qui est centré sur la notion de propagande impériale, mais qui met aussi en avant l’idée qu’aucun pouvoir ne peut s’imposer s’il ne parvient pas à persuader les sujets de son bien-fondé, et qu’il repose donc sur la « création de l’assentiment » (creation of goodwill)37. L’étude d’A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, 35

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L. de Blois, “Emperor and Empire in the Works of Greek-speaking Authors of the Third Century ad”, anrw, ii, 34, 4, Berlin, New York, 1998, p. 3391–3443, part. p. 3394, où il renvoie à L. Pernot, « Les topoi de l’éloge chez Ménandros le Rhéteur », reg, 99, 1986, p. 33–53, part. p.  40 et 43 ; id., “The Perception of Emperor and Empire in Cassius Dio’s Roman History”, AncSoc, 29, 1998–1999, p. 267–281, part. p. 267. Voir Cicéron, Rep., ii, 69 : le rector rei publicae doit s’offrir comme modèle à ses concitoyens ; Rep., i, 47 : tout Etat dépend du caractère et des intentions de celui qui le dirige. Sur la pédagogie du modèle, voir P. Le Doze, « Les idéologies à Rome », p. 489–493. M. P. Charlesworth, “The Virtues of the Roman Emperor : Propaganda and Creation of Belief”, pba, 23, 1937, p. 105–134, part., p. 122.

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réagit par rapport à ce travail. Il réaffirme l’idée, essentielle, que tout pouvoir doit persuader ceux sur lesquels il s’exerce de son bien-fondé, mais il met en avant la complexité des références aux vertus sur le monnayage des trois premiers siècles : ce faisant, il règle des problèmes méthodologiques que pose le travail de J. R. Fears (paru la même année) sur le culte des vertus et l’idéologie impériale38. Il met en relief l’existence de différentes traditions (la tradition républicaine des vertus, la tradition philosophique grecque), de différents objectifs (la possibilité de propagande ouverte au pouvoir, les tentatives des élites de persuader l’empereur qu’il doit respecter leurs intérêts, c’est-à-dire leur sécurité personnelle, leurs propriétés, leur rang social), de différents médias (les panégyriques rattachés à la tradition grecque, les monnaies, les inscriptions). Il met en évidence une opposition entre deux légitimités du pouvoir, la première étant celle du souverain charismatique, destinée à la masse, et l’autre celle du souverain « rationnel » (par référence à Max Weber), souhaitée par les élites. Une telle distinction est cependant discutable : on peut considérer que les vertus morales renvoient à une légitimité traditionnelle plutôt que rationnelle, l’originalité de la figure du princeps romain étant qu’elle est ancrée dans la tradition républicaine aristocratique (et non dans une tradition royale plus ancienne, qui a laissé de mauvais souvenirs à l’élite romaine, ne serait-ce qu’en raison de la domination des rois étrusques). Dans les Res Gestae, Auguste met en avant son auctoritas, par opposition à la potestas acquise par les magistratures  :  cette autorité est définie par l’aura propre au prince, par sa destinée extraordinaire, par la protection que les dieux lui ont octroyée, et par son rapport privilégié à la tradition, car il est le refondateur de la ville de Rome39. Les vertus philosophiques peuvent apparaître comme charismatiques, comme le reconnaît A.  F. Wallace-Hadrill (c’est le cas, comme nous le verrons, au iiie siècle, et c’est aussi l’effet qui pouvait être produit par la surabondance des vertus dans le Panégyrique de Trajan ou bien dans le monnayage impérial d’Hadrien). Elles sont en effet motrices  :  elles poussent le prince à agir en remplissant ses fonctions qui sont charismatiques, dans la mesure où la figure du prince, dès Auguste, est providentielle. A cela s’ajoute l’idée, partagée par les grandes

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J. R.  Fears, “The Cult of Virtues and Roman Imperial Ideology”  :  ce travail, essentiellement fondé sur les monnaies, perd de vue au fil du développement la distinction entre les « vertus » auxquelles un culte était voué et les autres. Il ne distingue pas entre les qualités morales possédées par le prince, et les notions relatives à des attentes, des promesses de règne, ou à des événements. rg, 34, 1 ; voir S. Benoist, notice « Autorité » dans C. Gauvard et J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire de l’Historien, Paris, 2015, p. 51–53.

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écoles philosophiques, que c’est par ses vertus que l’homme participe à la divinité et que le sage est un homme divin. S’il paraît difficile de proposer, comme l’a fait A. F. Wallace-Hadrill, un schéma de diffusion des vertus qui soit valable généralement40, en revanche le fait de distinguer entre les différents médias, tout en considérant qu’ils dialoguent les uns avec les autres, est fondamental : sur les monnaies, les vertus philosophiques représentées par des allégories étaient sans doute perçues de manière différente des vertus employées dans les discours rhétoriques et philosophiques, ne serait-ce que parce qu’elles étaient placées au revers du portrait du prince, qui avait peutêtre une valeur protectrice. Mais les vertus monétaires pouvaient renvoyer à des vertus personnelles (Virtus Aug.) et les vertus littéraires être représentées sous forme d’allégories, comme Justice, Bon ordre (Eunomia) et Paix dans le premier discours Sur la Royauté de Dion de Pruse : des rapprochements existaient indéniablement, qu’il faut prendre en considération. L’apport de la réflexion de C. F. Noreña sur les vertus réside surtout dans son approche quantitative41. En outre il prolonge, en réagissant par rapport à elles, les analyses de C. Ando sur les raisons pour lesquelles autant d’habitants de provinces diverses en sont venus à éprouver une forte loyauté envers Rome42. Il a distingué sur les monnaies une liste de vertus, dont les plus importantes sont aequitas, pietas, uirtus, liberalitas, prouidentia, et une liste des bienfaits matériels, sociaux et juridiques apportés par l’Empire (uictoria, pax, concordia, fortuna, salus). Constatant que les inscriptions officielles et non officielles emploient globalement la même liste de vertus que les monnaies, il a souligné l’homogénéité des termes utilisés pour définir le pouvoir impérial à travers tout l’Occident  :  les aristocrates locaux semblent avoir volontairement reproduit le langage du pouvoir, parce qu’ils étaient les bénéficiaires du système impérial. D’autres études ont examiné, à partir des sources littéraires, des aspects variés de la pensée politique gréco-romaine et les relations entre d’importants intellectuels et les empereurs : en particulier les travaux menés par P. Grimal, P. Hadot et M. T. Griffin, et les ouvrages plus synthétiques de B. Maier, M. J.

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A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 313 n. 71 : “But the regular pattern is that the coinage lays behind literary sources, inscriptions behind the coinage”. C. F. Noreña, “The Communication of the Emperor’s Virtues”. C. Ando, Imperial Ideology and Provincial Loyality in the Roman Empire, Berkeley, Los Angeles, London, 2000 : ces raisons résident selon l’auteur dans le développement de la bureaucratie, dans le culte impérial et les rituels, ainsi que dans la communication. Voir C. F. Noreña, Imperial Ideals in the Roman West : Representation, Circulation, Power, Cambridge, New York, 2011.

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Hidalgo de la Vega43. Notre entreprise se distingue de chacun de ces ouvrages, soit par la volonté de suivre une réflexion politique abordée sous l’angle des vertus philosophiques, soit par l’examen précis des conditions d’élaboration de cette réflexion, soit encore par la confrontation systématique des textes avec les autres types de sources, mais envers chacun nous reconnaissons notre dette. L’historiographie actuelle a mis en avant la notion de dialogue entre le pouvoir et les principaux acteurs de sa reconnaissance, les élites, le peuple et l’armée. Si, comme nous l’avons dit, nous prenons comme fil directeur les textes, il est nécessaire de les insérer dans une culture politique plus globale, qui est l’espace où se noue ce dialogue, dont témoignent les monnaies, les inscriptions et les monuments. Notre étude envisage trois aspects  :  l’évolution des vertus du prince, les rapports entre celui-ci et les intellectuels de son entourage, et la communication des vertus philosophiques du pouvoir, d’où émerge une tradition de pensée dont nous avons cherché à dégager, quand cela était possible, l’influence qu’elle exerçait sur les princes. Nous avons abordé des textes latins très souvent étudiés comme les traités Sur la clémence de Sénèque, et plus encore le Panégyrique de Pline, à partir d’une étude lexicométrique  :  par le comptage des mots, l’évaluation de leur récurrence, et surtout la mise en évidence des associations lexicales les plus fréquentes, celle-ci nous a permis de redécouvrir les sources sans a priori, et de dégager les thèmes essentiels pour notre étude. Nous employons dans cette recherche un certain nombre de termes et de concepts modernes, qui n’ont pas leur équivalent dans les langues grecque et latine, ce qui n’empêche pas qu’ils soient des outils d’analyse utiles. Nous parlons ainsi d’idéologie politique, qui est l’un des sujets de notre recherche, au sens où le mot désigne l’ensemble des idées, des croyances, qui déterminent une figure idéale du prince et un idéal de gouvernement. L’existence d’idéologies dans la Rome républicaine a été contestée par P.  Le Doze, essentiellement au motif qu’il n’y avait pas de réels débats d’idées sous la République, 43

M. T. Griffin, Seneca : a Philosopher in Politics, Oxford, 1976 ; Nero, the End of a Dynasty, London, 1984 ; P.  Hadot, La citadelle intérieure  :  introduction aux «  Pensées  » de Marc Aurèle, Paris, 1992 ; P. Grimal, « Le De clementia et la royauté solaire de Néron », rel, 49, 1971, p. 205–217 ; Marc Aurèle, empereur et stoïcien, Firenze, 1995 ; Sénèque ou la conscience de l’Empire, Paris, 1996 ; B. Maier, Philosophie und römisches Kaisertum. Studien zu ihren wechselseitigen Beziehungen in der Zeit von Caesar bis Marc Aurel, Vienne, 1985 ; M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, la realeza y el poder político en el imperio romano, Salamanca, 1995. Sur la pensée et l’idéologie politiques romaines analysées sur un temps plus long, il faut mentionner aussi G. Zecchini, Il pensiero politico romano ; L. Jerphagnon, Les divins Césars. Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale, Paris, 2004 (1991).

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et donc pas de terreau favorable à l’émergence de réflexions assez structurées pour peser véritablement dans la vie politique44. Il nous semble que la philosophie et la rhétorique pouvaient fournir ce terreau, et qu’en tout cas, sous les Julio-Claudiens et les Flaviens, le développement du pouvoir monarchique a suscité des discours d’opposition (ainsi le discours républicain des « sénateurs stoïciens ») et des discours proposant de normer le pouvoir monarchique, qui légitiment l’usage de ce terme. Nous n’exploitons pas, en revanche, le terme débattu de propagande45, qui est peu pertinent pour nous  :  la plupart des réflexions que nous allons examiner, qui constituent les grandes étapes de la pensée politique romaine, sont des propositions émanant d’intellectuels présents dans l’entourage du prince, et non des tentatives de faire accepter le pouvoir établi. Nous employons sans état d’âme le terme d’intellectuel, qui nous paraît pouvoir être appliqué à la société antique sans en forcer le sens, l’intellectuel étant défini comme une personne instruite (un pepaideumenos), qui utilise sa culture pour élaborer une réflexion sur la société de son temps, qu’il va chercher à diffuser : cette définition englobe aussi bien un sénateur spécialiste de l’administration comme Pline le Jeune qu’un représentant de la Seconde Sophistique, spécialiste de rhétorique et d’enseignement46. Nous n’utilisons pas, en revanche, la notion d’opinion publique, car il nous semble qu’elle renvoie à un phénomène que les sources antiques nous permettent difficilement d’appréhender, sauf peut-être par l’intermédiaire de certains lieux communs47. 44 45

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P. Le Doze, « Les idéologies à Rome ». Sur l’application de ce terme au monde antique et les difficultés rencontrées, voir notamment G. Weber, M. Zimmermann (éd.), Propaganda – Selbstdarstellung – Repräsentation im römischen Kaiserreich des I. Jhs. n. Chr., Stuttgart, 2003 ; P. Le Doze, Le Parnasse face à l’Olympe. Poésie et culture à l’époque d’Octavien/Auguste, Rome, 2014, p. 28–38. Voir M.  Mazza, «  L’intelletuale come ideologo  :  Flavio Filostrato ed uno “speculum principis” del iii secolo d.C.  », dans P.  Brown, L.  Cracco-Ruggini, M.  Mazza (éd.), Governanti e intellettuali, popolo di Roma e popolo di Dio (I-vi), Torino, 1982, p. 93–121, part. p.  94, qui propose de définir l’intellectuel comme mediatore tra produzione culturale e società, organizzatore di cultura ed spiratore della società civile (il réagit à la définition trop « française » d’H. Bardon, « La notion d’intellectuel à Rome », StudClas, 13, 1971, p. 95–107, part. p. 95 : « celui pour qui la valeur essentielle de la vie, et sa fierté, réside dans l’exercice de l’intelligence, sans que cet exercice se plie obligatoirement à des impératifs de métier, de fonction, de situation »). Sur les sophistes : F. Mestre et P. Gómez, « Les sophistes de Philostrate », dans N. Loraux, C. Miralles (dir.), Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, 1998, p. 333–369. Je n’ai pas l’intention, ici, d’entrer dans le débat sur l’existence ou non d’une opinion publique à Rome. Sur l’usage des notions d’ « espace public » et d’ « opinion publique » rapportées à l’Antiquité, voir V. Azoulay, « L’espace public et la cité grecque : d’un malentendu structurel à une clarification conceptuelle  », dans P.  Boucheron, N.  Offenstadt (dir.),

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Nous parlons, enfin, de communication symbolique, notion qui permet de considérer non plus seulement la dimension conceptuelle, discursive, de la communication, mais aussi sa dimension symbolique  :  ce sont en effet des symboles de nature verbale, visuelle ou matérielle, qui servent à représenter des compétences, une hiérarchie et un pouvoir donné. Cette notion permet de rendre compte de la dimension rituelle de la communication oratoire lorsqu’elle concerne des cérémonies ou des discours prononcés par les sénateurs et les rhéteurs dans des lieux de pouvoir48. Elle recouvre aussi un type de discours rhétorique qui s’est développé au premier siècle, le discours « figuré », qui devait permettre à l’orateur d’aborder publiquement un sujet périlleux comme celui du pouvoir tyrannique, ou bien de donner des conseils au prince en se protégeant49. Cette réflexion a été conduite sous la forme de six chapitres qui s’attachent à des périodes plus ou moins longues et à des documents pour lesquels il était possible de conduire une analyse précise de la pensée politique sur le bon prince, et elle suit l’ordre chronologique. Cette forme, qui apparente ce livre à un essai, nous est apparue comme la plus propre à montrer l’évolution de la figure du bon prince à travers le temps, et à rendre compte aussi de la nature fondamentalement éparse de la documentation avec laquelle les historiens de l’Antiquité sont habitués à travailler. Car cette pensée, dont nous avons cherché à mettre en évidence le développement et aussi la cohérence, nous est parvenue sous une forme morcelée et incomplète, puisqu’on a perdu la majorité des discours et des traités qui l’exposaient. Mais cette disposition en chapitres permet de mettre en évidence l’existence d’étapes ou de moments qui ont été décisifs dans la constitution d’une pensée politique sur le bon prince romain, et qui s’expliquent par un contexte politique particulier. Dans ce sens, l’époque des Antonins a eu un poids singulier, et plus précisément l’époque de la mise en place de cette dynastie, après une crise politique qui a galvanisé la réflexion sur la figure du bon prince, et concomitamment avec l’ouverture du Sénat aux

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L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de J. Habermas, Paris, 2011, p. 63-76 ; C. Kühn (éd.), Politische Kommunikation und öffentliche Meinung in der antiken Welt, Stuttgart, 2012 ; F. Hurlet, « L’öffentliche Meinung de Habermas et l’opinion publique dans la Rome antique. De la raison à l’auctoritas », dans C. Rosillo López (éd.), Public opinion and political culture in Rome (colloque de Séville, 09/09/2016), à paraître (je remercie F. Hurlet d’avoir accepté de me transmettre son texte avant qu’il ne soit publié). C’est la démarche proposée par C. Ronning, Herrscherpanegyrik unter Trajan und Konstantin. Studien zur symbolischen Kommunikation in der römischen Kaiserzeit, Tübingen, 2007. Voir infra, c. 3.

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élites orientales, qui conférait à celles-ci la possibilité de jouer un rôle politique plus important dans l’Empire. Dans un premier chapitre, intitulé « Les Julio-Claudiens : du gouvernement des vertus à la gestion des passions », nous étudions l’association progressive entre principat et philosophie et la constitution d’un dialogue entre le prince et l’aristocratie, qui s’élabore autour de grandes vertus philosophiques. Nous y examinons le projet politique de Sénèque et son échec. Dans le deuxième chapitre qui porte sur «  Musonius, Epictète et le pouvoir  », nous analysons les relations des deux professeurs de philosophie les plus influents de leur époque (dans la seconde moitié du ier siècle et les trente premières années du iie siècle pour Epictète) avec le pouvoir impérial et examinons s’ils ont cherché à construire une réflexion sur le bon roi adaptée aux empereurs qu’ils ont connus. Le troisième chapitre, « Communication symbolique et nouveaux modèles politiques pour les premiers Antonins  », analyse les conditions d’élaboration de nouveaux discours sur le pouvoir, au début du règne de Trajan, et la postérité, à court et moyen terme, des deux fameux modèles – très différents l’un de l’autre – du prince républicain de Pline et du bon roi de Dion de Pruse. Le quatrième chapitre, sur « Marc Aurèle et la mémoire d’Antonin le Pieux, prince modèle  », envisage la figure du bon prince dans les Ecrits que Marc Aurèle a rédigés entre 170 et 180, et les efforts de l’empereur stoïcien pour réconcilier la figure du sage et celle du prince, en réponse au dialogue impossible qu’avait mis en scène Epictète. L’usage personnel que Marc Aurèle fait du portrait du bon prince est mis en regard avec la construction de la mémoire dynastique antonine, dans une tentative de rapprocher mémoire privée et mémoire publique. Le cinquième chapitre, sur «  Les Sévères et la tradition des discours de conseils au prince  », met en évidence le décalage qui s’est produit, sous les règnes de Septime Sévère et de Caracalla, entre les attentes des élites grecques et romaines et la transformation des pratiques du pouvoir et du discours tenu par les empereurs. Ce décalage permet d’observer le développement d’une tradition de pensée politique gréco-romaine, qui s’est formée sous les Antonins. Le sixième chapitre intitulé « Les vertus de l’empereur dans la tradition épidictique grecque : l’émergence d’une sacralité (fin du iie – fin du iiie siècle) » est consacré à l’évolution des vertus du prince dans les basilikoi logoi, analysée à partir d’ouvrages techniques de rhétorique et de l’éloge attribué au PseudoAelius Aristide. Il met en relief la concordance des vertus dans les éloges grecs de l’empereur et dans les discours officiels, celui du monnayage impérial et celui des inscriptions civiques : une telle homogénéité était sans aucun doute un important facteur de la cohésion politique de l’Empire.

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Notre étude, qui commence avec la naissance de l’Empire, s’arrête à la fin du iiie siècle, avec la Tétrarchie, laquelle peut être considérée, d’un point de vue politique, comme une borne logique avant les importantes transformations que connaît le pouvoir impérial au ive siècle50. Nous avons ainsi laissé de côté (sauf de manière ponctuelle et à titre de comparaison), les Panégyriques latins, dont les premiers sont concomitants avec le second traité de rhétorique attribué à Ménandre le Rhéteur, en considérant qu’ils forment un ensemble, pour l’Antiquité tardive, qu’il aurait été dommage de diviser. Par ailleurs, les vertus du prince dans ces panégyriques ont déjà été bien étudiées51. Entre les études sur l’idéologie politique hellénistique et celle sur l’idéologie du pouvoir à l’époque tardive, il manquait un ouvrage sur l’évolution de la figure du bon prince aux trois premiers siècles de l’Empire : nous avons tenté de présenter celle-ci dans les pages suivantes. 50

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Dans ce sens, le traité de Ménandre ii pose problème car il est peut-être un peu postérieur à 293. Mais le basilikos logos qu’il contient ne reflète pas l’idéologie tétrarchique, et englobe en revanche toute la réflexion politique antérieure des iie et iiie siècles (voir infra, c. 6). F. Burdeau, « L’empereur d’après les panégyriques latins », dans Aspects de l’empire romain, i, Paris, 1964 ; R. Seager, “Some imperial virtues in the Latin prose panegyrics : the demands of propaganda and the dynamics of literary composition”, Papers of the Liverpool Latin Seminar 4, 1983, Liverpool, 1984, p. 129–165 ; M. Whitby (éd.), The Propaganda of Power. The Role of Panegyric in Late Antiquity, Leiden, Boston, Köln, 1998.

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Les Julio-Claudiens : du gouvernement des vertus à la gestion des passions De crudelitate et pietate ; et an sit melius amari quam timeri, an contra « De la cruauté et clémence et quel est le meilleur d’être aimé ou craint » Retournant donc à ce que je disais d’être craint et aimé, je conclus que puisque les hommes aiment selon leur fantaisie et craignent à la discrétion du Prince, le Prince prudent et bien avisé se doit fonder sur ce qui dépend de lui, non pas sur ce qui dépend des autres ; il se doit seulement étudier à n’être point haï, comme j’ai dit. machiavel, le prince, 17 (la pleiade, p. 341)

∵ Sous le principat, Sénèque est le premier aristocrate romain connu qui a cherché à adapter une réflexion politique, à l’origine grecque, à la figure de l’empereur. Son rôle de conseiller auprès de Néron et son talent oratoire rappellent le projet cicéronien associant, dans la République, le bon orateur et l’imperator pour le salut de la res publica. Les liens entre Sénèque et Cicéron ont déjà été étudiés1, et leur pertinence se vérifie aussi à propos de la notion de clementia, qui a été le pivot de la théorie du pouvoir élaborée par Sénèque. Entre Cicéron et Sénèque, il n’y a cependant pas de saut brutal, mais une construction politique du principat qui n’a cessé d’utiliser les références aux vertus philosophiques, sans qu’on en possède de théorisation avant celle du philosophe stoïcien conseiller de Néron. Le projet philosophico-politique de Sénèque s’appuie ainsi sur des pratiques du pouvoir, établies par les prédécesseurs de Néron, qui étaient interprétées en 1 Ce lien est souligné dans les différents travaux de M. T. Griffin concernant Sénèque ; voir en particulier “Philosophie for Statesmen : Cicero and Seneca”, dans H. W. Schmidt et P. Wülfing (éd.), Antikes Denken-Moderne Schule, Zurich, 1988, p. 133–150 ; Seneca on Society. A guide to De Beneficiis, Oxford, 2013, p. 7–14.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_003

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termes de vertus morales par l’élite sénatoriale : c’est ce que nous commencerons par montrer, non pas de manière exhaustive, mais de façon à retracer le contexte culturel qui permet de comprendre la naissance et les enjeux du projet de Sénèque. Ce projet est néanmoins novateur par plusieurs aspects, et nous verrons pourquoi il n’a pas rencontré le consensus qui aurait pu le pérenniser. Ce faisant, nous mettrons aussi en évidence la construction d’un dialogue entre le prince et l’aristocratie par le biais de grandes vertus, et l’émergence à Rome d’une nouvelle figure de philosophe, celle d’un aristocrate à la fois engagé dans la carrière des honneurs ou bien dans la carrière équestre, et jouant le rôle de maître de sagesse auprès de disciples. 1

L’association entre princeps et philosophie

a Les précédents républicain et augustéen L’association entre homme politique et philosophe qui réapparaît avec force au début du règne de Néron a eu de nombreux précédents à l’époque républicaine, et a été partiellement exploitée aussi par Auguste, le fondateur du principat et le modèle. Octavien, né en 63 av. J.-C. à Rome, grandit à une époque où la philosophie grecque est implantée dans la Ville de plusieurs façons. Depuis la fin des années 90 av. J.-C., les philosophes grecs y remplissent le rôle de « philosophes domestiques » auprès des sénateurs2. Les aristocrates cultivés de la génération de Cicéron avaient aussi l’habitude de compléter leur éducation philosophique et rhétorique en pratiquant le « grand tour » en Grèce, à Athènes, Rhodes et Alexandrie. D’autre part, la philosophie grecque est entrée dans la littérature latine avec le poème de Lucrèce, composé avant 54 av. J.-C.3, et avec l’œuvre philosophique de Cicéron, commencée à la même date et poursuivie jusqu’en

2 Pupius Pison avait eu à ses côtés dès la fin des années 90 l’aristotélicien Staséas de Naples (Cicéron, de Orat., i, 104)  ; le stoïcien Diodore vécut chez Cicéron depuis environ 86-84 jusqu’à 59 av. J.-C.  ; Philodème de Gadara a eu pour patron Pison, le beau-père de César, à partir peut-être de 75 av. J.-C. ; Athénodore de Tarse, dit Cordylion, a vécu chez Caton le Jeune à partir de 66 av. J.-C. et jusqu’à sa mort (Plutarque, Cat. Mi., 10 ; cf. Moralia, 777 A ;  Strabon, xiv, 5, 14 C 674 ; Pline, Nat., vii, 113) ; Brutus a vécu avec Aristus (Plutarque, Brut., 2, 2), le frère d’Antiochus d’Ascalon, académicien qui accompagna L. Licinius Lucullus lors de ses campagnes en Orient. Philon de Larisa s’est réfugié à Rome lorsque Athènes était entre les mains des adversaires de Sylla. Voir M. T. Griffin, “Philosophy, Politics, and Politicians at Rome”, dans M. T. Griffin, J. Barnes (éd.), Philosophia Togata. Essays on Philosophy and Roman Society, Oxford, 1989, p. 1–37 ; J.-L. Ferrary, « Les philosophes grecs à Rome (155–88 av. J.-C.) ». 3 Il est évoqué à cette date par Cicéron dans la lettre Ad Quintum fratrem, ii, 9, 3.

Les Julio-Claudiens

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44-43 av. J.-C. Vers le milieu du ier siècle av. J.-C., un autre pas décisif est franchi dans ce processus d’assimilation, avec l’apparition de l’école des Sextii, la première école philosophique identifiée comme étant bien romaine : son fondateur, Q. Sextius père, enseignait et écrivait en grec, mais avec une vigueur morale jugée toute romaine par Sénèque4. Dans une perspective politique, la réflexion grecque a été adaptée au contexte tardo-républicain par Cicéron, en particulier dans la République et le Pro Marcello, et par Philodème de Gadara, auteur d’un traité sur le bon roi dédié à Pison, le beau-père de César, consul en 58 av. J.-C., et proposant (sans doute dans les années 50)  des normes éthiques et politiques aux principes5. Parallèlement, la fin de la République a vu s’ériger en modèle l’association entre de grands imperatores hellénisés et des philosophes, en particulier celle de Pompée le Grand et de Posidonios de Rhodes, ce qui accentuait le rapprochement entre sénateurs et rois hellénistiques dans la mesure où plusieurs de ces derniers avaient accueilli des philosophes à leur cour et les avaient utilisés comme conseillers ou comme ambassadeurs : les deux exemples les plus célèbres sont, au iiie siècle av. J.-C., ceux d’Antigone Gonatas et du Stoïcien Persée, de Cléomène iii de Sparte et du Stoïcien Sphairos6. Cette association entre roi et philosophe avait été justifiée par Aristote, sans doute dans le Peri Basileias qu’il avait adressé à son élève Alexandre : à l’idéal platonicien du roiphilosophe exposé dans la République, Aristote avait substitué le modèle du roi écoutant et suivant les avis de ceux qui philosophent7. L’attitude d’Auguste à l’égard des philosophes grecs s’inscrit d’une part dans ces pratiques républicaines, mais elle est d’autre part teintée d’ambivalence

4 Sénèque, Nat., vii, 32, 3 ; Ep., 59, 7 ; 64, 2. Sur cette école, voir I. Lana, « La scuola dei Sesti », dans Le latin, langue de la philosophie, Rome, 1992, p. 109–124 ; I. Hadot, « Versuch einer doktrinalen Neueinordnung der Schule der Sextier », RhM, 150, 2007, p. 179–210. 5 A. Gangloff, « Le princeps et le bon roi selon Homère », dans S. Benoist, A. Daguet-Gagey, C. Hoët-van Cauwenberghe (éd.), Figures d’empire, fragments de mémoire. Pouvoirs et identités dans le monde romain impérial (iie siècle avant notre ère-vie siècle de notre ère), Villeneuve d’Ascq, 2011, p. 105–122. Voir G. Flamerie de Lachapelle, Clementia. Recherches sur la notion de clémence à Rome, du début du ier siècle a. C. à la mort d’Auguste, Bordeaux, 2011, p. 63–68 sur les rapports entre l’épicurisme, le traité de Philodème et la clémence. 6 Chrysippe, svf, iii, 691, 702 ; Plutarque, Cleom., 11. Voir E. D. Rawson, “Hellenistic Kings and their Roman Equals”, jrs, 65, 1975, p. 148–159 ; “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”, dans M. T. Griffin, J. Barnes (éd.), Philosophia Togata, p. 233–257, part. p. 233, 239–240. Voir J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme. Aspects idéologiques de la conquête romaine du monde hellénistique, de la seconde guerre de Macédoine à la guerre contre Mithridate, Rome, 1988, p. 589–615. 7 Aristote, fr. 647 Rose3 = Thémistios, viii, 107 c-d ; J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme, p. 614.

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et témoigne d’une prise de distance avec la philosophie et ses représentants, qui est déjà attestée dans les sources pour César8. Deux raisons particulières peuvent expliquer cette distance chez Auguste. La première est le suicide de Caton, qui est rapidement devenu un exemplum d’opposition philosophique et républicaine à la clémence de César et à sa prise de pouvoir9. Un ouvrage et un éloge au sujet de Caton avaient en effet été composés respectivement par Brutus et par Cicéron après la mort du sénateur républicain, et César avait jugé nécessaire de leur répondre vers 45 av. J.-C. en écrivant un Anticaton10. Or, selon Suétone, Auguste a composé à la fin de son règne des Réponses au Caton de Brutus, dont il avait fait une lecture publique, mais devant le public restreint de ses proches et sans les lire lui-même jusqu’au bout11. Son comportement témoigne à la fois de cette prise de distance et de l’importance qu’avait l’exemple du suicide de Caton à ses yeux. La deuxième raison est le discours polémique qu’Octavien avait tenu à Rome, à la fin du second triumvirat, contre Antoine accusé de se comporter en monarque oriental ; un tel discours pouvait détourner son auteur de suivre ensuite lui-même un modèle qui avait cours chez les rois hellénistiques. Les sources associent à Octavien-Auguste deux philosophes stoïciens qui s’apparentent aux «  philosophes domestiques  » de la République12, et qui sont susceptibles d’avoir rempli auprès de lui le rôle de conseiller politique : Athénodore fils de Sandôn, originaire de Cilicie, qui devint peut-être 8

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Voir A.  Gangloff, «  Philosophie grecque et normes du pouvoir à Rome sous les JulioClaudiens et les Flaviens », dans T. Itgenshorst, P. Le Doze (éd.), La norme sous la République romaine et le Haut-Empire. Elaboration, diffusion et contournements, Bordeaux, 2017, p. 111–125. Sur César et les philosophes, voir l’anecdote chez Appien, bc, ii, 89, où César utilise les philosophes alexandrins pour se construire une image d’imperator philhellène, animé d’intentions pacifiques, alors qu’il prépare la guerre d’Alexandrie. Sur les rapports de César avec les philosophes en général, voir E. D. Rawson dans “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”, p. 241–243. Sur la position d’Auguste par rapport à la philosophie, voir aussi B. Maier, Philosophie und römisches Kaisertum, p. 39–50. Sur le suicide de Caton, voir M. T. Griffin, “Philosophy, Cato, and Roman Suicide”, G&R, 33, 1986, p. 64–77 et 190–202. Cicéron, Att., xiii, 46, 2 ; Plutarque, Caes., 54, 3–6. Suétone, Aug., 85, 2 : « Il écrivit en prose plusieurs ouvrages de différents genres ; il en lut quelques-uns dans le cercle de ses amis, qui lui tenaient lieu de public. Telles sont les Réponses au Caton de Brutus (Rescripta Bruto de Catone) ; il lut une grande partie de cet ouvrage alors qu’il était déjà bien âgé, mais, lassé par cette lecture, il la fit achever par Tibère », trad. H. Ailloud légèrement modifiée : H. Ailloud traduit Rescripta Bruto de Catone par « Réponses à Brutus au sujet de Caton », alors qu’il me paraît plus probable d’y voir une référence au livre écrit par Brutus, que César jugeait déjà mauvais selon Cicéron. Voir J.  Malitz, «  Philosophie und Politik im frühen Prinzipat  », dans H.  W. Schmidt et P. Wülfing (éd.), Antikes Denken-Moderne Schule, Zürich, 1988, p. 151–179, part. p. 159.

Les Julio-Claudiens

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le précepteur d’Octavien vers 45 av. J.-C. et repartit pour Tarse vers 30 av. J.-C., et Areios d’Alexandrie, dont on peut supposer qu’il était aux côtés du princeps entre au moins 30 et 9 av. J.-C13. En outre, Marcellus, le fils d’Octavie, eut pour précepteur le philosophe académicien Nestor de Tarse et l’on peut supposer que ce choix avait au moins reçu l’approbation d’Octavien14. Sur l’enseignement dispensé par Athénodore de Tarse et par Areios, on n’a que des témoignages secondaires qui prennent la forme de « mémorables » (apomnèmoneumata, terme qui figure dans la dédicace à Trajan des Apophtegmes de rois et de généraux de Plutarque) et d’une consolation à Livie attribuée à Areios et recomposée par Sénèque pour Marcia, la fille de l’historien Cremutius Cordius, qui avait perdu ses deux fils15. Ce qui est sûr, en revanche, est qu’Octavien/Auguste a exploité, dans l’établissement de son principat, le bénéfice à la fois symbolique et pratique qu’il pouvait retirer de son association avec ces deux Stoïciens renommés16, en particulier dans le cadre de la réorganisation de l’Orient qui a suivi sa victoire sur Cléopâtre et Antoine. En effet, Octavien entra à Alexandrie en août 30 av. J.-C. accompagné par Areios qu’il utilisa comme prétexte à sa clémence dans le discours prononcé devant les Alexandrins pour leur signifier son pardon17. 13

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En août 30 av. J.-C., Octavien était venu à Alexandrie accompagné d’Areios  ; Suétone, Aug., 89, 1, évoque le commerce continuel qu’Auguste entretenait avec ce philosophe, et Sénèque, Consolation à Marcia, 4–5, fait référence à la consolation qu’Areios avait composée pour Livie après la mort de Drusus en 9 av. J.-C. Sur Athénodoros de Tarse, voir H.  von Arnim, re, ii, 2, s.v. “Athenodoros” 19, 1896, col. 2045  ; C.  Cichorius, «  Der Hofphilosoph Athenodoros von Tarsos  », dans Römisches Studien. Historisches, Epigraphisches, Literatur-geschichtliches aus vier Jahrhunderten Roms, Leipzig, Berlin, 1922, p. 279–282 ; P. Grimal, « Auguste et Athénodore », rea, 47, 1945, p. 261–273, et 48, 1946, p. 62–79 = Rome, la littérature et l’histoire, ii, Rome, 1986, p. 1147–1176 ; R. Goulet, DPhA, i, n° 497, p. 654–657. Sur Areios, H. von Arnim, re, ii, 1, s.v. « Areios » 12, 1895, col. 626 ; B. Inwood, DPhA, i, n° 324, p. 345–347. Suétone, Aug. 89, 1, mentionne aussi les deux fils d’Areios : Nicanor et Dionysios. Selon Strabon, xiv, 5, 4, le Péripatéticien Xénarchos de Séleucie (le propre maître du géographe), qui enseigna à Alexandrie, à Athènes et pour finir à Rome, fut d’abord l’ami d’Areios et ensuite celui d’Auguste, qui le tint en honneur jusqu’à un âge avancé. Selon la Souda, Θ 203, le Stoïcien C. Julius Théon d’Alexandrie succéda à Areios auprès d’Auguste. Strabon, xiv, 5, 14. Plutarque, Ant., 81–82 ; Apophtegmes de rois et de généraux, 207 C ; Moralia, 814 D ; Dion Cassius, lvi, 43, 2 ; Sénèque, Consolation à Marcia, iv, 2–v, 6. Voir A. Gangloff, « Philosophie grecque et normes du pouvoir ». Cicéron témoigne de la réputation d’Athénodore fils de Sandôn à Rome dans Fam., iii, 7, 5 (lettre datée de février 50), où il recommande à Appius Claudius Pulcher son enseignement sur l’eugeneia. Plutarque, Ant., 80–81 (cf. Apophtegmes de rois et de généraux, 207 A ; Moralia, 814 D) ; Dion Cassius, li, 16. Dion Cassius souligne le contraste entre le vrai motif de la décision

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Il exploitait ainsi la fierté des Alexandrins pour leur philosophe18, tout en se construisant une image publique de «  bon roi  » associé à un philosophe conseiller. Vers la même époque, il envoya avec les pleins pouvoirs Athénodore à Tarse, cité qui était également très réputée pour ses philosophes à l’époque de Strabon19. Confier une mission politique à un philosophe était une pratique répandue dans le monde grec à l’époque hellénistique, et certains philosophes qui étaient les philoi des rois ont rempli des fonctions politiques ou militaires bien précises. Ainsi le Stoïcien Persée de Kition : envoyé par son maître Zénon à la cour d’Antigonos ii Gonatas, il devint le précepteur de son fils et, en 244 av. J.-C., il participa à la prise de Corinthe dont il devint archonte20. Située au débouché de la vallée du Cydnos et des routes venant de l’ouest et du nord de l’Asie Mineure, Tarse avait une importance stratégique et sans doute aussi symbolique toute particulière : Antoine lui avait donné le statut de ciuitas libera et immunis, y avait séjourné en 41 av. J.-C. pour préparer son expédition parthique et c’est là qu’il avait rencontré Cléopâtre pour le début d’une fructueuse collaboration21. Antoine avait installé à la tête de la cité l’un de ses protégés, le poète Boèthos. Athénodore chassa le parti de celui-ci et prit lui-même la direction de Tarse. A sa mort, qu’on ne peut dater précisément22, c’est l’Académicien Nestor de Tarse qui lui succéda23. Athénodore et Nestor ont donc réalisé à la tête de

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d’Octavien, à savoir l’utilité des Alexandrins et des Egyptiens pour l’Empire, et les motivations exprimées en public (Alexandre le Grand, Sarapis ou la beauté de la ville, Areios). Areios aurait aussi été procurateur de Sicile, province de culture grecque, selon Plutarque, Apophtegmes de rois et de généraux, 207 B. César avait agi de même avant la guerre d’Alexandrie selon Appien, bc, ii, 89. Strabon, xiv, 5, 14. A sa mort, Athénodore obtint d’ailleurs à Tarse des honneurs héroïques selon Lucien, Macr., 21. Tarse avait déjà connu le gouvernement « tyrannique » du philosophe épicurien Lysias à une date indéterminée : Athénée, v, 215 b-c. Le Péripatéticien Athénion qui prit le pouvoir à Athènes en 87 av. J.-C., dans le cadre de la guerre mithridatique, envoya un autre Péripatéticien, Apellicon de Téos, mener une expédition à Délos où il fut défait par L. Orbius : Athénée, v, 213 d-215 b. A Athénion aurait succédé l’Epicurien Aristion, jusqu’à la prise de la cité par Sylla le 1er mars 86. Voir M.  Haake, Der Philosoph in der Stadt. Untersuchungen zur öffentlichen Rede über Philosophen und Philosophie in den hellenistischen Poleis, Münich, 2007, p. 271–273 ; p. 149, 283–285 sur Persée de Kition ; et p. 148–159 pour l’exemple de l’Epicurien Philonidès de Laodicée qui vécut à la cour du Séleucide Démétrios ier Sôter. Voir aussi J.-L. Ferrary, « Les philosophes grecs à Rome (155–88 av. J.-C.) », p. 29–31, p. 37 n. 52. Appien, bc, v, 7 ; Plutarque, Ant., 25–27. Il était déjà âgé lorsqu’il partit pour Tarse selon Strabon et, selon Lucien, il aurait vécu jusqu’à 82 ans. Sur le gouvernement philosophique d’Athénodore, voir aussi Dion de Pruse, Or. xxxiii, 48. Strabon, xiv, 5, 14.

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leur cité l’idéal du philosophe-roi, ce qui faisait de la riche métropole cilicienne une belle vitrine du régime augustéen24. Par ailleurs, la fondation du principat, en général associée aux séances du Sénat de janvier 27 av. J.-C. et au retour à une gestion républicaine du pouvoir, est étroitement liée aux vertus du princeps. Lors de la deuxième séance, le 16 janvier, celui-ci avait reçu selon les Res gestae le titre d’Augustus, l’honneur que les montants de sa porte soient couverts de lauriers lors d’une cérémonie publique, la couronne civique et, par vote d’un sénatus-consulte, le bouclier doré, clipeus aureus, célébrant quatre vertus : uirtus, clementia, iustitia, pietas25. Le nombre de ces vertus rappelle les vertus cardinales de la philosophie grecque, même si leur nature s’en écarte. Les vertus cardinales grecques étaient en effet le courage, andreia, la tempérance, sophrosunè, la justice, dikaiosunè, et la sagesse (parfois au sens spécialisé de prudence), phronèsis, habituellement traduites dans les écrits rhétoriques et philosophiques latins par fortitudo, temperantia ou modestia, iustitia, sapientia ou prudentia26. Les quatre vertus d’Auguste sont donc des vertus bien romaines. Le texte latin des Res gestae souligne la relation entre uirtus et clementia (uirtutis clementiaeque iustitiae et pietatis), ce qui semble renvoyer aux guerres civiles auxquelles Octavien avait mis fin et au pardon des partisans d’Antoine, qui avait remplacé la vengeance27. Le rapprochement de ces deux vertus évoque les deux honneurs mentionnés juste 24 25

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Strabon, xiv, 5, 13. rg, 34 : In consulatu sexto et septimo, postquam bella ciuilia exstinxeram per consensum uniuersorum potitus rerum omnium, rem publicam ex mea potestate in senatus populique Romani arbitrium transtuli. Quo pro merito meo senatus consulto Augustus appellatus sum et laureis postes aedium mearum uestiti publice coronaque civica super ianuam meam fixa est et clupeus aureus in curia Iulia positus, quem mihi senatum populumque Romanum dare uirtutis clementiaeque iustitiae et pietatis causa testatum est per eius clupei inscriptionem. Voir A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and His Virtues”. Rhet. Her., iii, 3 ; Cicéron, Inu., ii, 159 ; Part., 76–79 ; N. D., iii, 38 ; Sénèque, Ep., 120, 11. Voir l’introduction à Valère Maxime. Faits et dits mémorables, trad. G. Achard, Paris, cuf, 1989, p. 24. Dans le texte grec des Res gestae, les vertus augustéennes sont traduites par aretè, epieikeia (« douceur », mais le grec n’a pas de terme équivalent à clementia), dikaiosunè et eusebeia. Voir le début du paragraphe 34 des Res gestae : postquam bella ciuilia exstinxeram. Velleius Paterculus, ii, 86, 2, souligne aussi la clémence d’Auguste après Actium ; voir Dion Cassius, xlviii, 3, 6 (après Philippes). Sur la uirtus, voir S. Weinstock, Divus Julius, Oxford, 1971, p. 230–233 ; J. R. Fears, “The Theology of Victory at Rome : Approaches and Problem”, anrw, ii, 17, 2, Berlin, New York, 1981, p. 736–826, part. p. 747–748, 776–777 n. 201 ; contra M.  McDonnell, Roman Manliness. Virtus and the Roman Republic, Cambridge, 2006, p. 385–389, qui argumente en faveur d’une évolution sémantique de la uirtus avec Auguste : elle deviendrait plus proche de l’aretè grecque, pour signifier l’excellence morale davantage que l’excellence guerrière liée à la victoire.

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auparavant par Auguste  :  les lauriers symbolisant sa victoire et la couronne civique indiquant qu’il avait sauvé les vies de ses concitoyens28. La réunion de ces vertus rappelle naturellement le souvenir de César29. Elle n’est pas aussi nette sur le bouclier d’Arles, daté de l’an 26 av. J.-C., où elle n’apparaît que dans le découpage de la phrase. Le texte du bouclier conserve en revanche l’ordre des vertus qui est présent dans les Res gestae30. La clémence liée à ce que l’on considère comme l’acte de naissance du principat augustéen est donc la vertu romaine issue du mos maiorum, dont Valère Maxime, contemporain d’Auguste et de Tibère, a rassemblé de nombreux exempla dans l’ouvrage qu’il a dédié au deuxième empereur. Pour la plupart, ceux-ci consistent dans le fait d’épargner un ennemi dans un contexte de guerre : la clémence traditionnelle s’est d’abord appliquée aux rois ou aux Etats étrangers et, à partir de César, dont l’exemple a été suivi par Antoine, la clémence a été aussi exercée envers des ennemis romains dans le cadre des guerres civiles31. Ainsi, l’analyse des rapports d’Auguste aux philosophes et à la philosophie fait ressortir deux éléments intéressants. D’une part, si le princeps a utilisé ses deux philosophes-conseillers grecs pour réorganiser l’Orient après les guerres civiles, il a également exploité l’image du bon monarque conseillé par des sages, et cela, semble-t-il, aussi bien en Orient qu’à Rome, où il a associé à cette image son épouse Livie que Sénèque représente en train d’être consolée par 28 29 30

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Sur le lien entre couronne civique et clémence, voir Sénèque, Cl., i, 26, 5  ; Pline, Nat., xvi, 7. Sur la clémence de César, voir en particulier S. Weinstock, Diuus Julius, p. 233–243 ; M. Ducos, « César et la clémence », Acta Classica Universitatis Scientiarum Debrecenensis, 40–41, 2004–2005, p. 117–127 ; G. Flamerie de Lachapelle, Clementia, p. 72–107. Senatus / populusque Romanus / Imp(eratori) Caesari diui f(ilio) Augusto / co(n)s(uli) viii dedit clupeum / uirtutis clementiae / iustitiae pietatis erga / deos patriamque : voir ae 1952, 165. Sur les problèmes de date, voir W. Seston, « Le Clipeus Virtutis d’Arles et la composition des Res Gestae Divi Augusti », dans Scripta Varia. Mélanges d’histoire romaine, de droit, d’épigraphie et d’histoire du christianisme, Rome, 1980, p. 121–132. C’est ce qui ressort de la narration des exempla chez Valère Maxime, v, 1 : la clémence romaine concerne d’abord le comportement du Sénat et de ses représentants envers les Etats et rois ennemis vaincus (voir Salluste, Cat. 9). Elle est étroitement liée à l’humanitas considérée comme typiquement romaine, même si celle-ci est susceptible de se répandre chez les ennemis de Rome aussi, alors que, par exemple, la pietas filiale n’est pas propre à Rome, elle est « la première loi de la nature » (Valère Maxime, v, 4, 7). Voir P. Veyne, « Humanitas : les Romains et les autres », dans A. Giardina (dir.), L’homme romain, Paris, 1992, p. 421–459. César et Antoine : Valère Maxime, i, 10 et 11. Valère Maxime donne des exemples étrangers de clémence et d’humanitas, qui sont ceux de rois grecs et du général Hannibal. La clémence monarchique grecque réside notamment dans le fait de renoncer à se venger d’un outrage. Voir G. Flamerie de Lachapelle, Clementia, p. 121–169 sur la clementia Augusti.

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Areios après la mort de son fils Drusus en 9 av. J.-C.32 Mais les conseillers politiques qui ont eu le plus de poids et qui ont été retenus comme tels par la postérité ne sont pas des philosophes grecs, ce sont des amis romains d’Auguste, en premier lieu Mécène et Agrippa33. D’autre part, la fondation du principat sur des vertus officiellement reconnues par le Sénat indique à la fois une posture morale et une direction de règne qui sont essentielles tout au long du gouvernement d’Auguste : celui-ci a en effet tenu un rôle de censeur, aussi bien en exerçant des pouvoirs censoriaux en 28 et 19 av. J.-C., puis en 13–14, en rétablissant la cérémonie de la transuectio equitum durant laquelle l’empereur passait en revue les chevaliers34, qu’en étant l’auteur d’une législation morale avec les lois juliennes de 18 av. J.-C., complétées par la lex Papia Poppaea de 9 ap. J.-C. Le symbole du bouclier des vertus semble avoir été largement diffusé en Occident – Espagne et Gaule – sous le règne d’Auguste, ce qui montre la volonté commune au prince et au Sénat de diffuser l’image d’un pouvoir politique caractérisé par son éminente autorité morale35. b Les vertus morales et politiques de Tibère à Claude Les successeurs d’Auguste ne paraissent pas avoir été particulièrement intéressés par la philosophie et on ne leur connaît pas de philosophe-conseiller bien attesté36. Le Thrasyllos qui a été admis dans l’intimité de Tibère lors du séjour de celui-ci à Rhodes, puis après son retour en 2 av. J.-C. à Rome, est un astrologue, qui n’est identifié au philosophe platonicien du même nom que tardivement, notamment par Thémistios qui a cherché à associer systématiquement un philosophe aux « bons » empereurs37. Néanmoins aucun Julio-Claudien n’a 32

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Sénèque, Consolation à Marcia, iv, 2-v, 6 et A. Gangloff, « Philosophie grecque et normes du pouvoir » ; voir aussi Dion Cassius, lvi, 43, 2 : l’association entre Athénodore et Auguste est donnée comme une preuve de la tolérance du princeps pour la « liberté de parole » (parrhèsia) du philosophe, ce qui fait d’Auguste le contraire d’un tyran. Voir notamment Sénèque, Ben., vi, 32, 2–4 ; Dion Cassius, lii, 1–41. Suétone, Aug., 38. Outre le bouclier d’Arles, l’image du bouclier des vertus a été largement diffusée sur le monnayage d’Espagne c. 19-18 av. J.-C. : bmc i p. 59 nos 321–322, pl. 6. 4–5, p. 60–61 nos 333– 339, pl. 6. 13–16 (deniers), p. 63, n° 353 pl. 7. 7 (aureus), n° 354, pl. 7. 8, nos 355–356, p. 67 n° 381, pl. 8. 8, nos 382–383 (deniers) ; p. 72 n° 416, pl. 9. 14 (aureus), nos 417–423, pl. 9. 15–17, 10. 1 (deniers) ; ric i2 Auguste 30 a et b, 42–48, 52 a et b, nos 78–79 a et b, 85–91, 92–95. B. Maier, Philosophie und römisches Kaisertum, p. 50–54 ; E. D. Rawson, “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”, p. 246–247. Thémistocle, Or. viii, 108 b ; Suétone, Tib., 14, souligne la formation en astrologie donnée par Thrasyllos à Tibère. Selon Lucien, Macr., 21, Tibère aurait suivi l’enseignement du Stoïcien Nestor de Tarse (confusion avec l’Académicien maître de Marcellus ?). Rien n’indique que le futur empereur se soit tourné vers la philosophie lors de son séjour à Rhodes  :  Suétone, Tib., 11, rapporte qu’il était intervenu personnellement dans une

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renoncé, au moins en début de règne, à l’idée d’un gouvernement des vertus, au sens philosophique du terme, ni aux vertus morales et politiques qui furent celles du fondateur du principat. L’accession au pouvoir de Tibère a lieu après une période de corégence qui est marquée notamment par un recensement réalisé conjointement avec Auguste et achevé en mai 14. Les principales sources historiques latines (Tacite, Suétone) et grecque (Dion Cassius) se rejoignent pour souligner trois grandes vertus qui caractérisent le début du règne de Tibère38 : la ciuilitas, qui consiste dans la simplicité du comportement et l’abord facile de l’empereur, faisant de celui-ci l’égal des autres aristocrates (le princeps)39, la moderatio au sens de retenue, qui est associée à la temperantia par Cicéron40, et la clementia comprise dans la plupart des cas au sens de tolérance vis-à-vis des injures et des bruits offensants, ce qui est une évolution logique en l’absence de guerre civile et de guerre de conquête, mais qui renvoie aussi à une conception de la clémence perçue comme monarchique et grecque41. Les vertus de Tibère sont donc étroitement liées entre elles, et elles dérivent des vertus augustéennes tout en étant personnalisées. En effet, la ciuilitas et la moderatio prennent surtout la forme du refus des honneurs excessifs et de la flatterie, ce qui était peut-être une caractéristique dont s’enorgueillissaient les Claudii Nerones auxquels appartenait Tibère. L’ancêtre le plus glorieux de cette branche des Claudii était C.  Claudius Nero, qui avait partagé le consulat de 207 av. J.-C.  avec son rival M. Livius Salinator et fut à l’origine de la victoire du Métaure. Alors que Salinator reçut l’honneur du triomphe pour sa victoire sur Hasdrubal, Claudius Nero n’obtint que l’ovation : Valère Maxime l’utilise comme exemplum de moderatio, en interprétant cet épisode comme si le consul avait volontairement renoncé au triomphe par sens de la mesure et respect scrupuleux des institutions républicaines (la victoire sur Hasdrubal s’étant déroulée dans la prouincia de Salinator)42.

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discussion polémique au sujet de sophistes – il est question plus précisément d’ « antisophistes » – sans qu’on puisse identifier ces personnages, qui pourraient avoir été des spécialistes de rhétorique. Sur les problèmes d’identification relatifs à Thrasyllos, voir S. Follet, R. Goulet, M. Chase, DPhA, vi, n° 127, p. 1150–1172. Pour la ciuilitas et la moderatio : Tacite, Ann., i, 14 et 72 ; ii, 87 ; iv, 6 ; Suétone, Tib., 26–32 ; Dion Cassius, lvii, 7–13, et lviii, 12. Pour la clementia : Tacite, Ann., iv, 31 ; Suétone, Tib., 28 ; Dion Cassius, lviii, 25, et 53 (à propos de la mort d’Agrippine l’Ancienne). A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 298–323. Moderatio et modestia sont liées à la temperantia chez Cicéron : Fin., ii, 47 ; Part., 76–79. Voir Valère Maxime, v, 1, ext. 2 et 3, pour des exemples de clémence, dans ce sens de tolérance, chez les rois grecs. Valère Maxime, iv, 1, 9 ; cf. Tite-Live, xxviii, 9, où les flatteurs (sans doute les clients de Claudius Néron) font l’éloge du consul en des termes très proches pendant son trajet vers le Capitole. La moderatio et le respect des institutions républicaines sont pourtant loin

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Pour comprendre les vertus auxquelles était attaché Tibère, les Fait et dits de Valère Maxime, dédicacés à Tibère et publiés vers la fin du règne de celui-ci, au début des années 30, présentent un intérêt de premier plan43. Ils peuvent être vus comme le prolongement, sur le plan littéraire, des galeries d’exempla constituées par Auguste dans les portiques de son Forum : celui-ci avait en effet fait exposer les images des summi uiri de la République, représentés avec leurs insignes de triomphateurs et accompagnés de leurs elogia, en affirmant dans un édit « qu’il avait imaginé cela pour que lui-même, tant qu’il vivrait, et les princes ses successeurs, fussent tenus, devant leurs concitoyens, de se modeler, pour ainsi dire, [sur l’image] de ces grands hommes »44. L’ouvrage de Valère Maxime est aussi un réservoir d’exempla renvoyant le plus souvent aux summi uiri républicains, réunis pour faciliter les recherches des écrivains, orateurs et professeurs, comme on le lit dans la préface. Il emprunte une grille de lecture qui était proposée dans les ouvrages de rhétorique, et qui reposait, comme on le voit chez Cicéron, sur de grandes vertus inspirées (assez librement) par les vertus cardinales grecques45. Il s’agit donc d’un projet d’éducation civique par le biais de la rhétorique, et plus précisément d’un projet de « structuration des opinions aristocratiques », pour reprendre les termes de J.-M. David, propre à doter ceux qui avaient la charge de l’Etat de la dimension morale assignée à leur rôle, et à construire un contexte éthique cohérent pour légitimer l’action politique du pouvoir46. Les vertus et les vices qui structurent les Faits et dits renvoient au code de l’honneur aristocratique du début du ier siècle47, et font la part belle à la moderatio propre à Tibère, définie comme « la partie la plus saine des facultés de l’âme, le sens de la mesure, qui permet à nos esprits, quand l’emportement et l’audace irréfléchie les attaquent pour les détourner du droit chemin, de ne pas se laisser entraîner  »48. Occupe aussi une place

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de caractériser le consul dans l’épisode de la bataille du Métaure raconté par Tite-Live, xxvii, 43–51. Voir aussi Florus, Epit., ii, 6. Voir R. Combès (éd.), Valère Maxime. Faits et dits mémorables, cuf, 1995, p. 7–11. Voir Suétone, Aug., 31, trad. H. Ailloud. R. Combès (éd.), Valère Maxime, p. 24. J.-M. David, « Les enjeux de l’exemplarité à la fin de la République et au début du Principat », dans id. (éd.), Valeurs et mémoire à Rome, p. 9–17, p. 17 pour la citation ; M. Coudry, « Conclusion générale : Valère Maxime au cœur de la vie politique des débuts de l’Empire », dans J.-M. David (éd.), Valeurs et mémoire à Rome, p. 183–192. W. M. Bloomer, Valerius Maximus and the Rhetoric of the New Nobility, Chapel Hill, 1992 ; M. Coudry, « Conclusion générale ». Valère Maxime, iv, 1, trad. R. Combès : Saluberrimam partem animi, moderationem, quae mentes nostras impotentiae et temeritatis incursu transuersas ferri non patitur.

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importante la clementia associée à l’humanitas qui est considérée comme une qualité proprement romaine, ainsi que la pietas et la iustitia49. Dans la dédicace des Faits et dits, l’empereur est par ailleurs présenté comme le juge des vertus et des vices : « Toi dont la céleste providence encourage les vertus dont je vais parler, dans sa bonté suprême, et châtie les vices avec une extrême sévérité »50. Cette position rappelle à la fois les fonctions de censeur qu’exerçait l’empereur et son rôle dans le domaine de la justice, tel qu’il apparaît dans le sénatus-consulte de Pison père, daté de 20. Ce document met en effet en évidence, d’un côté, les vertus de la domus Augusta51, et de l’autre, les vices dont Pison a fait preuve envers Germanicus, châtiés par le Sénat, avec la collaboration du prince, dans le cadre de la cognitio52. Or, les vertus de la famille impériale semblent émaner du prince, et avant lui d’Auguste, comme cela apparaît explicitement dans le cas de Germanicus : « le Sénat, se souvenant de la clémence [de Germanicus] et aussi de son esprit de justice et de sa grandeur d’âme, vertus qu’il avait reçues de ses ancêtres, et avait surtout apprises du divin Auguste et de Tibère, ses princes »53. Livie et Drusus Caesar sont félicités pour leur moderatio, « prenant pour modèle la justice de notre prince »54, et les fils de Germanicus ainsi que son frère, le futur empereur Claude, sont loués pour avoir su contenir leur douleur – ce qui relève aussi de la moderatio – grâce à l’éducation dispensée par Tibère, Drusus et Livie55.

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Humanitas et clementia : Valère Maxime, v, 1 (voir note supra). Pietas : Valère Maxime, v, 4–6. Iustitia : Valère Maxime, vi, 5. Sur l’importance que Tibère attachait à la justice, voir aussi Velleius Paterculus, ii, 129, 2. Cuius caelesti prouidentia uirtutes de quibus dicturus sum benignissime fouentur, uitia seuerissime uindicantur, trad. R. Combès. Sur la représentation de la domus Augusta dans le sénatus-consulte de Pison père, voir E. Lyasse, « La domus plena Caesarum dans le sénatus-consulte sur Pison père », Gérion, 28, 2010, p. 107–139. Le procès commença par une audience préliminaire devant le prince et un consilium informel, puis Tibère renvoya l’affaire devant le Sénat : Tacite, Ann., x, 6. Dans le scpp, les vices de Pison, en opposition avec les vertus de la domus Augusta, sont constitués par la feritas l. 27, la crudelitas l. 50, le manque d’humanitas l. 61, le manque de pietas l. 65. scpp, l. 90–92 : Senatum memorem clementiae suae iustitiaeque animi magnitudinis, quas uirtutes quas a maioribus suis accepisset, tum praecipue ab diuo Augusto et Ti. Caesare Augusto principibus suis didicisset, trad. P. Le Roux dans ae 1996, 885. Ce passage est précisément rapproché du bouclier d’Auguste par D. S. Potter, « Political theory and the Senatus consultum de Cn. Pisone Patre », AJPh, 120, 1999, p. 65–88, part. p. 72. scpp, l. 134 : imitantium principis nostri iustitiam, trad. P. Le Roux. scpp, l. 146–150.

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Les vertus de l’empereur qui sont mises en avant sont surtout la iustitia, la pietas familiale, la moderatio, l’humanitas et la clementia56. Les vertus de Tibère ont un rôle crucial dans son gouvernement de l’Empire car elles tiennent à l’écart « les maux de la guerre civile » que les vices de Pison ont failli faire ressurgir : « il s’est efforcé de provoquer même une guerre civile, alors que depuis longtemps tous les maux de la guerre civile avaient disparu grâce au numen du divin Auguste et aux vertus de Tibère César Auguste »57. Les vertus du prince vivant semblent préfigurer ici le numen du prince défunt et divinisé. Des idées très proches sont associées dans la préface des Faits et dits : Tibère est appelé certissima salus patriae juste avant d’être présenté comme celui qui encourage les vertus et châtie les vices, et Valère Maxime établit un rapprochement entre le prince et Jupiter Optimus Maximus en évoquant le culte impérial. Ces textes issus du milieu sénatorial reposent probablement sur une conception stoïcienne de la divinisation du sage par les vertus, qui est aussi exprimée par Cicéron pour expliquer la divinisation de Romulus58. L’importance accordée aux vertus est d’autant plus intéressante que le procès de Pison est une affaire politique permettant au prince, après la crise dynastique qu’a constituée la mort prématurée de Germanicus, de recréer le consensus sur lequel était établi le principat augustéen59. C’est dans cet objectif que sont mises en avant les grandes valeurs éthiques et politiques qui devaient définir la domus Augusta  :  le sénatus-consulte devait en effet être affiché dans chaque cité de province qui était siège du gouverneur et dans les quartiers d’hiver de chaque légion60. Dans cette représentation des 56

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Dans le détail, les vertus de Tibère sont les suivantes, par ordre d’apparition dans le scpp : l’aequitas et la patientia dont il a fait preuve dans l’instruction du procès de Pison (l. 17), clementia, iustitia, animi magnitudo (l. 90–92), humanitas et moderatio (l. 100–101), misericordia (l. 110), pietas filiale (l. 119), pietas paternelle (l. 124), iustitia (l. 134). Le prince est aussi qualifié d’optumus et d’indulgentissimus (l. 58–59). scpp, l. 45–47 : Bellum etiam ciuile excitare conatus sit, iam pridem numine diui Aug(usti) uirtutibusque Ti. Caesaris Augusti omnibus ciuilis belli sepultis malis, trad. P. Le Roux. Voir Cicéron, Rep., i, 16, 25 ; ii, 10, 17. Sur le comportement de la plèbe et l’opinion publique lors des funérailles de Germanicus, voir Tacite, Ann., iii, 4–6, qui insiste sur la défiance envers Tibère dont la sincérité est mise en doute ; voir en revanche scpp, l. 155–158. Voir F. Hurlet, « Le consensus impérial à l’épreuve : la conspiration et ses enjeux sous les Julio-Claudiens », dans G. Urso (éd.), Ordine E Sovversione Nel Mondo Greco E Romano : Atti Del Convegno Internazionale, Cividale Del Friuli, 25–27 Settembre 2008, Pisa, 2009, p. 125–143 ; A. Suspène, « Un “procès politique” au début de l’Empire romain : le cas de Pison Père », rh, 656, 2010, p. 845–871. scpp, l. 163–173 : « Pour que le déroulement de la totalité des délibérations pût être plus facilement livré à la mémoire de la postérité et que celle-ci eût connaissance des arrêts du Sénat concernant la modération exceptionnelle de Germanicus César et les crimes de Cnaeus Pison père, il décidait que le discours qu’avait lu notre prince et que ces sénatus-consultes,

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vertus impériales, Livie a eu, sous Auguste et sous Tibère, un rôle de premier plan, comme le montrent peut-être aussi trois dupondius datés de 22–23 qui représentent sur le revers un buste féminin au-dessus d’une légende intitulée tour à tour IVSTITIA, SALVS AVGVSTA, PIETAS, si du moins ces bustes sont bien ceux de Livie. Ces monnaies sont interprétées par H. Mattingly et E. A. Sydenham comme des honneurs qui lui avaient été accordés par le Sénat, en reconnaissance des qualités dont elle faisait preuve et du rôle central qu’elle jouait désormais dans la domus impériale, après la mort d’Auguste : adoptée et gratifiée du nom d’Augusta par son défunt époux, élevée au statut de prêtresse d’Auguste, elle avait acquis un statut extraordinaire, même s’il est ambigu et difficile à définir61. On distingue, sous le règne de Tibère, deux mouvements d’impulsion concernant les vertus du prince, qui semblent avoir agi conjointement, ou plus harmonieusement, sous le règne d’Auguste. D’une part, en effet, le comportement du prince et ses pratiques témoignent de ces vertus, notamment en début de règne où l’imitation d’Auguste était attendue. D’autre part, le Sénat donne aussi des encouragements au prince, et peut-être d’autant plus que celui-ci s’écarte des vertus consensuelles. Des dupondius frappés vers 22 honorent la clementia et la moderatio de Tibère : ils portent au revers une imago clipeata (un bouclier sur lequel apparaît le buste du prince lui-même ?), avec la légende CLEMENTIAE S C et MODERATIONI(S) S C62. Les sénateurs ont voté en 28 l’érection d’un ara clementiae pour honorer Tibère et Séjan, et par crainte d’eux selon Tacite63. On trouve sans doute une allusion à cet autel dans le chapitre des Faits et dits

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gravés sur le bronze, seraient placés en un lieu qui conviendrait à Tibère César Auguste, et ensuite que ce sénatus-consulte serait affiché, gravé sur le bronze, dans la ville la plus fréquentée de chaque province et dans le lieu le plus fréquenté de cette ville même, et ensuite que ce sénatus-consulte serait affiché dans les quartiers d’hiver de chaque légion auprès des enseignes », trad. P. Le Roux. Sur la diffusion du document en Bétique, voir ae 1996, 885 p. 285, 304–305. ric i Tibère 22–24 (pl. vi, 106–108) ; bmc i p. cxxxv–cxxxvi ; p. 131 nos 79 (pl. 24. 1), 80, 81, 82 (pl. 24. 2), 83–84, p. 133 n° 98 (pl. 24. 7). C. H. V. Sutherland, ric i2 Tibère 43, 46–47, ne voit dans ces portraits que les bustes de Iustitia, Pietas et Salus. Sur le statut et les honneurs acquis par Livie après la mort d’Auguste, voir Tacite, Ann., i, 14, 1 ; Suétone, Tib., 50, 2–3 ; Dion Cassius, lvii, 12 ; A. A. Barrett, Livia : first lady of Imperial Rome, New Haven, London, 2002, p. 146–173. ric i2 Tibère p. 88–89 ; p. 97, nos 38, 39 et 40, pl. 11. Voir bmc i p. cxxxvi. Voir aussi ric i2 p. 91 sur l’apparition sur les asses de Tibère à Rome des vertus du prince (Iustitia, Pietas, Clementia et Moderatio). Le rôle de l’empereur comme modérateur du deuil après la mort de Germanicus a été analysé par A. Fraschetti, Rome et le prince, Paris, 1994, trad. V. Jolivet, p. 96–126. Tacite, Ann., iv, 74, 2.

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consacré à la clémence et à l’humanitas64, et ce recueil d’exempla a peut-être aussi pour objectif inavoué de rappeler à l’empereur les grandes vertus, issues du mos maiorum et donc consensuelles pour l’aristocratie, dont il ne devait pas s’écarter : il souligne par exemple la bonne réputation qui est liée à la moderatio65. Après la mort d’Agrippine l’Ancienne en exil à Pandateria, en octobre 33, Tibère se serait fait un mérite de ne pas l’avoir fait étrangler et jeter aux Gémonies ; par adulation, mais sans doute aussi pour encourager l’empereur à pratiquer la clémence, les Sénateurs le remercièrent de celle-ci en produisant un décret ordonnant des actions de grâce et la consécration d’une offrande en or à Jupiter Capitolin66. Aussi incohérent qu’il ait pu être, le comportement de Caligula semble s’être aussi modelé, au début de son règne puis, par la suite, ponctuellement, sur de grandes vertus pour lesquelles il aurait reçu un clipeus aureus : « En reconnaissance de tels actes, on lui décerna, parmi d’autres honneurs, un bouclier d’or que devaient porter au Capitole, tous les ans, à une certaine date, les collèges de prêtres, suivis du Sénat et de jeunes nobles des deux sexes chantant un hymne en l’honneur de ses vertus »67. S. Weinstock a proposé d’identifier cette cérémonie avec une autre, décrite chez Dion Cassius, qui comportait un sacrifice en l’honneur de la philanthrôpia de l’empereur, une procession portant une image (eikôn) en or de Caligula jusqu’au Capitole, tandis que les enfants des familles les plus nobles chantaient des hymnes68. Le terme philanthrôpia traduit peut-être l’humanitas romaine, à moins qu’il ne renvoie à la clementia (pour laquelle il n’existe pas d’équivalent exact en grec, et qui était donc en général assimilée à la douceur, epieikeia) : dans ce cas il faut comprendre que le sacrifice était fait à la Clémence divinisée. Les deux cérémonies ont assez de points communs pour que le rapprochement soit plausible, d’autant 64

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Voir Valère Maxime, v, 1 : la clémence « emprunte son nom à une divinité », trad. R. Combès. C’était le cas au moins depuis le projet de faire ériger un temple à Clementia Caesaris, voté par les sénateurs en 45 av. J.-C. : Appien, bc, ii, 106, 443 ; Dion Cassius, xliv, 6, 4 ; Plutarque, Caes., 57, 4. Voir le denier frappé par P. Sepullius Macer en 44 av. J.-C., portant à l’avers la représentation d’un temple tétrastyle au-dessus de la légende CLEMENTIAE CAESARIS : rrc i, n° 480, 21, p. 491. Valère Maxime, iv, 1. Suétone, Tib., 53. Suétone, Cal., 16, trad. H. Ailloud. Il est clair en tout cas que dans le second cas, il s’agit de rappeler à Caligula l’existence d’une vertu romaine traditionnelle qu’il devrait mettre en pratique. Dion Cassius, lix, 16, 10 : Καὶ διὰ τοῦτο καὶ τῇ φιλανθρωπίᾳ αὐτοῦ βουθυτεῖν κατ’ ἔτος ἔν τε ἐκείνῃ τῇ ἡµέρᾳ ἐν ᾗ ταῦτα ἀνεγνώκει καὶ ἐν ταῖς τῷ παλατίῳ προσηκούσαις, εἰκόνος τε αὐτοῦ χρυσῆς ἐς τὸ Καπιτώλιον ἀναγοµένης καὶ ὕµνων ἐπ’ αὐτῇ διὰ τῶν εὐγενεστάτων παίδων ᾀδοµένων, ἐψηφίσαντο. Voir S. Weinstock, Divus Julius, p. 241.

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plus que le règne de Caligula a été court. Le bouclier en or portant l’image de Caligula serait alors une imago clipeata offerte au prince pour ses vertus : les dupondius frappés sous Tibère, dont on a parlé plus haut, laissent aussi supposer que celui-ci avait reçu du Sénat vers 22 une imago clipeata en l’honneur de sa clémence et de sa moderatio. Après la mort de Germanicus, des imagines clipeatae de celui-ci et de son père Drusus furent placées dans la bibliothèque voisine du temple d’Apollon sur le Palatin69. Les sénateurs avaient proposé pour Germanicus un médaillon en or d’une très grande taille, et Tibère avait refusé le caractère excessif de cet honneur70. Selon Dion Cassius, c’est en 39 que les sénateurs, terrifiés par les menaces de Caligula qui avait rétabli la loi de majesté, auraient voté ces honneurs. Quelles qu’aient été les motivations des sénateurs – reconnaissance ou crainte –, il s’agissait d’exercer une pression sur Caligula, de l’encourager à pratiquer la clémence en liant ostensiblement le culte impérial dont relève cette cérémonie aux vertus morales du prince71. Les sénateurs donnaient ainsi à voir à l’empereur l’image qu’ils désiraient le voir incarner, en mettant en scène un miroir au prince. Au nombre des vertus célébrées dans les hymnes chantés par les enfants de la noblesse romaine devaient figurer, étant donné la nature des actes rapportés par Suétone avant la mention du bouclier, des vertus augustéennes : la pietas, la clementia et la iustitia. Par pietas familiale, et pour souligner qu’il était à la fois le descendant consanguin d’Auguste et d’Antoine et l’héritier de Tibère, Caligula, après avoir organisé des funérailles magnifiques à son prédécesseur, fit porter les cendres de sa mère et de son frère Néron dans le Mausolée d’Auguste, institua des honneurs pour eux, pour son père Germanicus, pour sa grand-mère paternelle Antonia la Jeune, ainsi que pour ses sœurs. En 37–38 et 39–40, l’union de la maison impériale est mise en avant sur des asses dont le revers figurait Agrippine, Drusilla et Julia Livilla tenant chacune une corne d’abondance et les attributs de Securitas, Concordia et Fortuna72. Les sœurs du prince sont donc utilisées pour représenter non des vertus du princeps, mais les bienfaits attendus de celui-ci et réalisés grâce à ces vertus (inversement, Claude eut recours à l’accusation d’adultère pour écarter Livilla en 41). Caligula prit son oncle Claude comme collègue au consulat en 37 et adopta son cousin 69 70 71 72

Voir M. Corbier, « De la maison d’Hortensius à la curia sur le Palatin », mefra, 104, 1992, p. 871–916, part. p. 893–912. On connaît les honneurs décrétés par le Sénat en décembre 19 grâce à la tabula Hebana, à la tabula Siarensis (fr. ii col. C, l. 15–18) et à Tacite, Ann., ii, 83 ; c’est ce dernier qui évoque l’intervention de Tibère pour modérer un honneur jugé excessif. Sur le culte des «  vertus impériales » (désignant davantage que les vertus morales qui nous préoccupent ici), voir J. R. Fears, “The Cult of Virtues”, part. p. 927–939. ric i2 Tibère, p. 104–105, p. 110–111 nos 33 et 41, pl. 13.

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Tiberius Gemellus73. Par clementia et iustitia, et pour montrer le contraste entre son principat et la fin de celui de Tibère, le jeune prince réhabilita des condamnés et des écrits voués à la destruction sous le règne précédent (dont ceux de l’historien Cremutius Cordus qui s’était laissé mourir de faim en 25) ; il laissa aux magistrats le soin d’assumer la juridiction et créa une cinquième décurie de juges74. Il est également placé, chez Suétone, en position de censeur ou de juge des vertus et des vices, aussi bien quand il passe en revue les chevaliers en privant de cheval ou en s’abstenant de nommer pendant l’appel ceux dont les mœurs laissaient à désirer, qu’en donnant 800 000 sesterces à l’affranchie de Pomponius Secundus qui n’avait pas dénoncé son patron, même sous la torture75. Selon Dion Cassius, l’acquittement de Pomponius qui avait été accusé de maiestas, et des bonnes paroles prononcées envers le Sénat76, valurent à Caligula des éloges excessifs l’assimilant à des divinités, ce qui, de manière perverse, l’encourageait aussi sur la voie de la divinisation. Claude commença également son règne en offrant des témoignages de pietas familiale, envers Auguste et Livie, ses parents Drusus l’Ancien et Antonia la Jeune, son grand-père maternel Antoine, son frère Germanicus et son oncle Tibère 77. Il donna des preuves de ciuilitas, envers les sénateurs en

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La pietas familiale de Caligula apparaît aussi dans le monnayage impérial de Rome, notamment dans un type de la Pietas daté de 37–38, 39–40, 40–41, figurant à l’avers la déesse assise et tournée à droite, tenant une patère, au-dessus de la titulature impériale et de la légende PIETAS ; le revers représente, au-dessus de la dédicace DIVO AVG S C, un temple hexastyle orné de guirlandes et surmonté d’un quadrige, devant lequel Caligula, la tête couverte et en toge, une patère à la main, est en train d’effectuer un sacrifice au-dessus d’un autel ; un victimaire conduit un taureau, un second serviteur tient une patère : ric i2 Caligula 36, 44, 51, pl. 13. Il s’agit d’une référence au temple de Divus Augustus sans doute situé au pied du Palatin, commencé par Tibère et achevé par Caligula : voir Suétone, Cal., 21 ; Tacite, Ann., vi, 46 ; Dion Cassius, lix, 7. Voir aussi ric i2 p. 104, 108–113, sur le monnayage de Caligula (tout au long du règne) à la mémoire d’Auguste, d’Agrippine, de Néron César et Drusus César, de Germanicus César. Suétone, Cal., 21, précise les surnoms pris par le prince, parmi lesquels celui de pius ; les autres sont castrorum filius, pater exercituum, optimus maximus Caesar ; ces surnoms ont une consonnance très antonine. Voir Suétone, Cal., 15–16. Voir Dion Cassius, lix, 3. Sur Cremutius Cordus, voir Dion Cassius, lvii, 24 ; sur la condamnation des écrits à Rome, S. Benoist, « Fragments de mémoire en quête de paroles condamnées », dans B. Delignon et Y. Roman (éd.), Le poète irrévérencieux. Modèles hellénistiques et réalités romaines, Lyon, 2009, p. 49–64. Voir aussi Flavius Josèphe, aj, xviii, 256 : c’est à sa mesure que Caligula aurait dû sa popularité au début de son règne. Suétone, Cal., 15–16. Sur Pomponius Secundus, pir2 P 754. Dion Cassius, lix, 26. Suétone, Cl., 11  ; Dion Cassius, lx, 5.  Comme Caligula, Claude met en avant sa double ascendance augustéenne et antonienne. Voir ric i2 Claude p. 118–119 : au début du règne

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particulier78. Il fit preuve de clémence en instaurant une amnistie générale après le meurtre de Caligula et en ne cherchant pas à se venger de ceux qui l’avaient offensé quand il était un simple particulier79  ; il renonça à utiliser la loi de majesté80. Il est très possible qu’il ait reçu du Sénat la couronne civique en reconnaissance de ces preuves de clémence, car en 41–42 apparaît une émission monétaire qui a pour légende ob ciues seruatos et porte au droit une couronne de chêne et au revers l’image du nouveau princeps coiffé de cette couronne81. Claude montra un grand zèle pour la iustitia, ce en quoi il suivait le modèle d’Auguste82, même si ses intentions offrent un contraste avec des pratiques jugées incohérentes, critiquées par les Sénateurs83. Néanmoins, dans le domaine de la justice, il ne faisait pas preuve systématiquement de clementia, ce sont l’aequitas et la moderatio qui sont mises en avant par Suétone : Claude atténue aussi bien la rigueur que l’indulgence des lois (comme Tibère, dont il imite aussi la ciuilitas)84. Que les vertus de clémence, de justice et de mesure, aient servi à définir officiellement le principat ressort d’un discours de Claude tenu au Sénat devant des ambassadeurs parthes et rapporté par Tacite. En 49, un groupe dissident par

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de Claude, beaucoup de types commémoratifs furent frappés en l’honneur de Drusus et d’Antonia, ses parents. Suétone, Cl., 12 ; Dion Cassius, lx, 5 et 12 pour la ciuilitas et la moderatio de Claude. Suétone, Cl., 11 ; Dion Cassius, lx, 3. Dion Cassius, lx, 3. Voir B. Levick, Claude, trad. I. Cogitore, Gollion, 2002, p. 157–158. ric i2 Claude 5, 15 pour 41–42 ; 40, 48–50, 53, 59, 63 pour 46–47 et 49–52 ; et sur un aes non daté, n° 96 ; à Caesarea, n° 123. Voir Suétone, Cl., 17, sur cette couronne qui était placée au faîte de sa maison sur le Palatin, rappelant naturellement celle d’Auguste. B. Levick, Claude, p. 119, met le pardon après le meurtre de Caligula en rapport avec l’émission de 41–42. Beaucoup de statues de Claude, y compris celles qui constituaient des honneurs posthumes, le représentaient portant la couronne civique de chêne : C. B. Rose, Dynastic Commemoration and Imperial Portraiture in the Julio-Claudian Period, Cambridge, 1997, p. 70–71, pl. 73, 74, 92, 170, 234, 236. Voir aussi Flavius Josèphe, aj, xix, 246, pour le discours tenu par Claude aux sénateurs encore hésitants à l’idée d’avoir un nouvel empereur : par opposition à la cruauté de ses prédécesseurs, il promet de revenir à la douceur et à la mesure. Suétone, Aug., 32–33 ; Cl., 29 ; Dion Cassius, lx, 4, 2–3. Voir Sénèque, Apoc., 11, 12, 14 ; Suétone, Cl., 29 ; Tacite, Ann., 11, 2 ; 13, 4 ; 13, 42. Voir T. Honoré, Emperors and Lawyers, Oxford, 1994 (1981), p. 9 ; B. Levick, Claude, p. 153–158. Suétone, Cl., 14 ; Tib., 26. Voir P. Grimal, « Les vertus de l’empereur Claude », dans Y. Burnand, Y. Le Bohec, J.-P. Martin (éd.), Claude de Lyon, empereur romain. Actes du colloque Paris-Nancy-Lyon, Paris, 1998, p.  11–19, part. p.  14–15 pour des exemples d’actes de clémence, dans le domaine politique et non dans celui de la justice, p. 16–17 pour la justice et p. 17 pour la piété. Selon Flavius Josèphe, aj, xix, 246, Claude avait dû promettre aux sénateurs au moment de la succession d’user avec modération de son pouvoir, au rebours de Caligula et de Tibère.

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rapport au pouvoir parthe était venu à Rome demander un roi : Meherdatès, fils d’un ancien prétendant au trône, qui fut envoyé par le prince après un discours édifiant85. Tacite a donné un résumé de ce discours, dans lequel le régime romain est présenté comme la relation entre un rector et des ciues86, par opposition à une souveraineté (dominationem) exercée sur des esclaves (seruos), et il est fondé sur la pratique de la clementia et de la iustitia ; Claude avait ajouté un éloge du candidat à la royauté qui, formé à Rome, était caractérisé par la modestia, qualité proche de la moderatio87. D’autre part, en 47–48, l’empereur assuma la charge de censeur, qui n’avait plus été exercée depuis 22 av. J.-C.88 Il le fit de manière assez prudente car il utilisa un moratoire pour épurer le Sénat, laissant aux sénateurs indignes le soin de démissionner eux-mêmes après un examen personnel de leur situation ; et il se rendit populaire en adjoignant au patriciat quatorze gentes. Les vertus morales et politiques du prince dérivent donc des quatre vertus d’Auguste, mais sans être exactement identiques, selon une souplesse analogue à celle que l’on observe dans le traitement des vertus qui apparaît dans les traités rhétoriques de la fin de la République. Ces vertus ne sont pas encore diffusées largement par les monnaies, comme l’a souligné A. F. Wallace-Hadrill89. Il faut attendre pour cela le règne d’Hadrien, créateur d’une véritable « galerie de vertus » (pour reprendre l’expression de cet historien) exposées par le medium des monnaies. A. F. Wallace-Hadrill a proposé de voir dans ce changement l’influence du Panégyrique de Pline, ce qui est tout à fait plausible. Néanmoins, les monnaies impériales frappées à Rome – et le phénomène est encore circonscrit à la Ville – montrent déjà à partir de Tibère et de Caligula des vertus morales qui devaient caractériser la domus Augusta, ou bien les bienfaits que les sénateurs attendaient de l’exercice de ces vertus (ainsi la salus et la securitas). On peut noter l’apparition sur le monnayage impérial de Rome de la Constantia sous le règne de Claude90. La figure féminine qui la représente a tantôt un caractère civil (sur les monnaies d’or et d’argent), et Antonia, la défunte mère de l’empereur, est chargée

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B. Levick, Claude, p. 208–209. Rector est le terme utilisé par Cicéron dans la République pour désigner le princeps idéal, et Tacite l’emploie dans un autre passage esquissant une théorie du principat : Hist., i, 16, 1 (discours de Galba adoptant Pison, voir infra, c. 3). Tacite, Ann., xii, 11. Tacite, Ann., xi, 13, ne manque pas d’opposer la charge exercée par Claude et le désordre moral de la domus Augusta. A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 307–314. ric i2 Claude 2 (pl. 15), 13, 31, 42, 55, 65, 95, 111.

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d’incarner cette qualité91  ; tantôt un caractère militaire (sur des asses datés entre 41 et 50)92. Son apparition dès le début du règne indique qu’elle est opposée à l’inconstantia de Caligula, et la légende CONSTANTIA AUGUSTI, que l’empereur la revendique comme une vertu personnelle, ce que montre aussi le caractère adaptable de la représentation, civile ou militaire93. De Tibère à Claude, les vertus du prince ne semblent pas liées directement à la philosophie, du moins pas à la présence d’un philosophe auprès de l’empereur, même s’il faut rappeler que la tradition grecque s’est efforcée de gratifier les « bons » empereurs, et eux seuls, d’un conseiller-philosophe94. Cela ne signifie pas que les empereurs que nous avons passés en revue n’avaient pas reçu une éducation philosophique plus ou moins poussée. Ainsi Claude, qui était un érudit plus porté vers l’histoire que vers la philosophie, connaissait la distinction philosophique traditionnelle entre ira (état de colère) et iracundia (animosité), présente dans l’édit qu’il promulgua après son avènement pour assurer qu’il saurait se maîtriser95. Le traité De Ira de Sénèque semble faire écho à cet édit et avoir été indirectement destiné à Claude. C’est assurément avec l’approbation de cet empereur, et peut-être sous son impulsion, que le jeune Néron eut des philosophes pour précepteurs, même si Tacite explique le choix de Sénèque par la volonté d’Agrippine. c Sénèque précepteur et conseiller de Néron Lorsque Claude épousa Agrippine, en janvier 49, celle-ci imposa Sénèque comme précepteur de Néron, alors âgé de 11 ans : elle obtint pour le philosophe le retour d’exil et la préture. Tacite a commenté les raisons de son choix, qui relèvent à la fois de la publicité et de l’intrigue politique. Sénèque était célèbre pour ses travaux littéraires et philosophiques (au moins les Consolations à Marcia, à Helvia et à Polybe, et peut-être le De Ira), ce qu’Agrippine voulait exploiter pour donner d’elle une image positive. Elle espérait qu’il formerait intellectuellement son fils, mais voulait aussi tirer profit des conseils d’un homme politique avisé et nouer avec lui une alliance contre Claude, pour porter son fils 91 92 93

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ric i2 Claude 65. ric i2 Claude 95 (pl. 16), 111. Sur la constantia, voir Cicéron, Off., i, 23 : « Le fondement de la justice est la bonne foi (fides), c’est-à-dire la constance et la sincérité dans les paroles et les engagements pris », trad. M. Testard ; elle apparaît comme une des composantes essentielles de la uirtus dans le discours Pour Déiotarès, 37 ; voir Phil., v, 1, 2, où l’association entre uirtus et constantia caractérise les sénateurs. Voir aussi Valère Maxime, iii, 8. Voir sur ce point E. D. Rawson, “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”. Suétone, Cl., 38. J. Fillion-Lahille, Le De Ira de Sénèque et la philosophie stoïcienne des passions, Paris, 1984, p. 273.

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au pouvoir : car Sénèque lui était redevable d’un bienfait, alors qu’il en voulait à Claude à cause d’un tort que celui-ci lui avait fait96. Ce bienfait d’Agrippine pourrait renvoyer à une période antérieure à la relégation de Sénèque en Corse, en 41, lorsque celui-ci était alors suffisamment proche de Julia Livilla, la sœur d’Agrippine, pour avoir été accusé de relations adultères avec elle97. Mais il peut aussi consister dans le rappel d’exil, qui n’a pas été le fait de Claude : d’où peut-être cette idée de tort (iniuria), qui peut aussi concerner la relégation en elle-même dont les véritables motifs nous échappent. Le ressentiment de Sénèque pour Claude s’est en tout cas manifesté aussitôt après la mort de l’empereur : dans l’éloge funèbre ambigu et dans le discours d’ouverture de règne que Sénèque avait composés pour Néron, aussi bien que dans l’Apocoloquintose98. Tacite a cependant reconstruit sans doute les motivations politiques d’Agrippine à partir de ce qui s’est produit plus tard : l’alliance entre le jeune prince et le philosophe s’est réalisée, mais au détriment d’Agrippine, dès l’accession au pouvoir de Néron jusqu’en 62. Selon la Souda, Néron aurait aussi reçu comme précepteurs, peut-être à la même époque, le Stoïcien Chairémon et le Péripatéticien Alexandre d’Aigai99. Suétone rapporte cependant qu’Agrippine avait détourné son fils de la philosophie parce qu’elle la considérait comme « nuisible à un futur souverain »100. Ce jugement est peut-être simplement dû à l’impossibilité, pour les historiens antiques, d’envisager un Néron attiré par la philosophie. Si ce n’est pas le cas, il pouvait reposer sur un préjugé à l’égard du stoïcisme, qui est dénoncé par 96

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Tacite, Ann., xii, 8 : At Agrippina ne malis tantum facinoribus notesceret ueniam exilii pro Annaeo Seneca, simul praeturam impetrat, laetum in publicum rata ob claritudinem studiorum eius, utque Domitii pueritia tali magistro adolesceret et consiliis eiusdem ad spem dominationis uterentur, quia Seneca fidus in Agrippinam memoria beneficii et infensus Claudio dolore iniuriae credebatur. Dion Cassius, lx, 8, 5–6. M. T. Griffin, Seneca, p. 52, penche pour cette explication. Sur les relations antérieures entre Sénèque et les sœurs de Caligula, et sur la vie publique de Sénèque sous cet empereur et sous Claude avant sa relégation, voir M. T. Griffin, Seneca. A Philosopher in Politics, Oxford, 1976, p. 51–62. Sur les deux discours prononcés par Néron, voir Tacite, Ann., xiii, 3 (le discours aurait fait rire  – au moins une partie des membres de la cour  – et, si c’est bien le cas, il est difficile de croire, en raison de la virtuosité rhétorique de Sénèque, que les rires aient été provoqués incidemment) ; et xiii, 4, 1–2, cité infra. Souda A  1128. Voir re 92  ; pir2 A  501  ; S.  Follet, s.v. «  Alexandre d’Aigai  », DPhA, i, n° 11 p. 124–125. Sur Chairémon, voir pir2 C 708 ; P. W. von den Horst, Chairemon. Egyptian Priest and Stoic Philosopher, Leiden, 1984. Suétone, Nero, 52 : « Il toucha, dès son enfance, presqu’à toutes les études libérales, mais il fut détourné de la philosophie par sa mère, qui la lui représenta comme nuisible à un futur souverain  », trad. H.  Ailloud. Tacite, Ann., xiii, 2, n’évoque que l’enseignement rhétorique de Sénèque (praeceptae eloquentiae) auprès de Néron ; voir aussi Ann., xiv, 55.

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Sénèque dans le second traité du De Clementia : la philosophie stoïcienne avait la réputation d’être trop rigide pour offrir de bons conseils aux souverains101. Les goûts littéraires de Néron semblent l’avoir de toutes façons plutôt porté vers la poésie, dont il a encouragé la production durant son principat102. Tacite affirme cependant, dans un passage relatif à l’année 59, que Néron avait l’habitude d’organiser après ses repas des controverses entre les philosophes, auxquelles ceux-ci participaient volontiers103. Il faut rappeler la présence à Rome, à la fin des années 50, de plusieurs philosophes réputés dont l’enseignement exerçait une forte attraction sur l’élite sénatoriale. Parmi eux, on peut mentionner, outre Sénèque, le chevalier Musonius Rufus, Stoïcien qui fut le maître de Rubellius Plautus et sans doute celui de Thrasea Paetus104  ; le Stoïcien L. Annaeus Cornutus, d’origine africaine, qui était l’affranchi d’un membre des Annaei (ca 10/20–ca 80/90), le maître de Perse et de Lucain105. On peut aussi penser au Cynique Démétrios, très apprécié de Sénèque, qui était également un proche de Thrasea Paetus106. 101

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Cl., ii, 5, 2 : « L’école stoïcienne a, je sais, mauvaise réputation auprès des ignorants : elle passe pour trop dure, pour inapte à donner un bon conseil aux souverains et aux rois (principibus regibusque) », trad. F.-R. Chaumartin. Voir déjà les attaques de Cicéron contre Caton dans le Pro Murena, 60–66 : M. T. Griffin, “Philosophie for Statesmen”, dans H. W. Schmidt, P.  Wülfing (éd.), Antikes Denken-Moderne Schule, p.  133–150, part. p.  144. Voir aussi Sénèque, Ep., 73, 1, sur les philosophes adversaires et contempteurs des magistrats et des rois ; Entretiens, i, 29, 9, sur la réputation qu’avaient les philosophes d’enseigner à mépriser les rois. La polémique contre la valeur politique des philosophes était ancienne : on la voit déjà à l’œuvre lors des procès d’Anaxagore et de Socrate à Athènes. Voir Athénée, v, 211 d-215 c, où sont critiqués hoi apo philosophias strategoi à partir de l’exemple bien connu du Péripatéticien Athénion, protégé de Mithridate vi Eupator, qui exerça une tyrannie à Athènes en 87 av. J.-C., et celui de l’Epicurien Lysias qui tyrannisa Tarse ; y sont aussi mentionnées les attaques de Démocharès, le neveu de Démosthène, et d’Hérodicos, l’élève de Cratès de Mallos (220-140 av. J.-C.), contre la valeur guerrière de Socrate mise en avant par Platon. Tacite, Ann., xiv, 16, 1. Voir M. P. O. Morford, “Nero’s patronage and participation in literature and the arts”, dans anrw, xxxii, 3, Berlin, New York, 1985, p. 2003–2031, part. p. 2009–2018 ; J. P. Sullivan, Literature and Politics in the Age of Nero, Ithaca, London, 1985, p. 28–39 ; B. Baldwin, “Nero the poet”, Studies in Latin literature and Roman history, 12, 2005, p. 307–318. Tacite, Ann., xiv, 16, 2. Sur le « cercle des Annaei » (Sénèque et Lucain), duquel se serait éloigné Néron en 60 pour créer son propre cercle, voir E.  Cizek, Les controverses idéologiques au temps de Néron, Leiden, 1972, p.  60–64  ; l’existence séduisante d’un tel cercle repose sur des indices fragiles. Voir infra, c. 2. Voir pir2 A 609 ; P. P. Fuentes Gonzáles, s.v. “Cornutus”, DphA, i, n°190 p. 460–473. Voir Dion Cassius, lxii, 29, 2–4 sur la disgrâce du philosophe auprès de Néron à cause de sa parrhèsia (vers 65). Voir infra, c. 2.

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La position d’Agrippine au sujet de l’éducation de son fils est souvent comparée à celle de la mère d’Agricola, le beau-père de Tacite. Dans les années 50 aussi, celle-ci découragea son fils de s’engager dans des études philosophiques plus poussées qu’il n’était « permis à un Romain et à un sénateur »107. Agricola constituait cependant un cas particulier, car son père, l’orateur et philosophe Julius Graecinus, fut mis à mort par Caligula « pour ses vertus », parce qu’il avait refusé d’accuser M. Junius Silanus, le père de Junia Claudilla, la première épouse de l’empereur108. Sa mort peut être rapprochée de celle des « sénateurs stoïciens » opposants au pouvoir sous Néron, Vespasien et Domitien, et sa renommée posthume pouvait expliquer la fascination qu’Agricola éprouvait pour la philosophie, en même temps que les craintes de sa mère de le voir marcher dans les traces paternelles109. Il s’agissait, en effet, d’un choix possible qui fut réalisé dans la famille de Thrasea Paetus, dont le père, Aulus Caecina Paetus, avait été condamné à mort pour son implication dans une révolte en Illyrie contre Claude110, et dont le gendre, Helvidius Priscus l’Ancien, était le sénateur stoïcien qui s’était opposé à Vespasien ; son fils Helvidius Priscus le Jeune fit ensuite partie des «  sénateurs stoïciens  » condamnés à mort par Domitien. Tacite préfère néanmoins la voie de la mesure choisie par Agricola : il a voulu ériger celui-ci en exemplum et tirer de sa vie un modèle aristocratique qui lui semblait adapté au principat, celui d’un sénateur s’efforçant d’accomplir ses devoirs en dépit de rapports difficiles avec le pouvoir. L’historien critique en revanche l’intervention risquée et vaine du chevalier Musonius auprès de l’armée commandée par Antonius Primus en 69111. Musonius avait accompagné les députés envoyés par Vitellius pour dissuader les armées de Vespasien d’attaquer Rome, et les soldats, énervés par le contexte très violent de la guerre civile (l’épisode se situe après le meurtre du préfet de la Ville Flavius Sabinus, frère de Vespasien, et l’incendie du Capitole), n’avaient 107

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Tacite, Ag., 4, 3–4 : « Il avait coutume, je m’en souviens, de raconter qu’en sa première jeunesse il se serait passionné pour la philosophie avec plus d’ardeur qu’il n’est permis à un Romain et à un sénateur, si la sagesse de sa mère n’avait réfréné son esprit tout feu, tout flamme. Sans doute, l’élan et l’élévation de ses aspirations recherchaient avec plus d’enthousiasme que de prudence l’éclatante beauté d’une grande et haute gloire. Plus tard, l’apaisement vint avec la réflexion et avec l’âge : il garda de la philosophie, ce qui est très difficile, le sens de la mesure », trad. E. de Saint-Denis. Sénèque, Ben., ii, 21, 5 ; Ep., 29, 6 ; Columelle, i, 1, 14 ; Suétone, Cal., 23 ; Dion Cassius, lix, 8, 4 ; pir2 I/J 344. La « grande et haute gloire » dont il est question chez Tacite, Ag., 4, 3–4, peut renvoyer à celle qu’ont gagnée les « martyrs stoïciens ». La bonne réputation du père d’Agricola apparaît chez Tacite, Ag., 4 (iisque ipsis uirtutibus). Pline, Ep., iii, 16, 7. Tacite, Hist., iii, 81, 1–2. Voir infra.

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pas supporté sa «  sagesse inopportune  », intempestiua scientia. La tentative du philosophe stoïcien provenait sans doute d’une initiative personnelle, car aucune mention d’une mission officielle n’apparaît dans nos sources ; c’est le caractère personnel de cette intervention, dans le cadre d’une ambassade officielle, qui posait certainement problème aux yeux de Tacite, comme on y reviendra plus loin. Sous le règne de Caligula, l’opposition sénatoriale à la figure du tyran prit une coloration philosophique stoïcienne112, ce qui explique aussi l’intérêt qu’avait Néron d’avoir pour conseiller un Stoïcien reconnu comme Sénèque. D’autre part, la présence du philosophe à ses côtés renforçait l’annonce officielle, au début de son règne, d’un retour au gouvernement augustéen fondé sur les vertus et sur un partage des pouvoirs avec le Sénat : « [Néron] déclara qu’il gouvernerait suivant les principes d’Auguste, et ne laissa passer aucune occasion de manifester sa générosité (liberalitas) et sa clémence (clementia), voire même son amabilité (comitas)  »113. Le discours programmatique composé par Sénèque et prononcé par Néron devant le Sénat montre que le jeune prince s’appuyait, pour accréditer ses promesses d’un bon gouvernement, sur des conseils  – notamment ceux de son conseiller philosophe  – et sur des exemples, en premier lieu ceux qu’Auguste avait fournis114. Le fait que de tels discours étaient attendus et, d’une certaine façon, stéréotypés115, ne dément 112

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Sénèque, De la tranquillité de l’âme, 14, 4–10, sur le Stoïcien Julius Canus, victime de la tyrannie de Caligula et mort en philosophe : Sénèque souligne sa gloire. Voir J. Malitz, «  Philosophie und Politik im frühen Prinzipat  », dans H.  W. Schmidt, P.  Wülfing (éd.), Antikes Denken-Moderne Schule, p. 151–179, part. p. 165. Suétone, Nero, 10, trad. H. Ailloud. Le retour à la clémence est aussi souligné par Calpurnius Siculus, Ecl., 1, 59–60, ainsi que la restauration du pouvoir du Sénat, des lois et du droit, v. 69–73. Tacite, Ann., xiii, 4, 1–2 : « Une fois accomplis les faux-semblants de la tristesse, il entra dans la curie et, après avoir évoqué la décision des sénateurs et l’unanimité des soldats, il rappela que les conseils et les exemples ne lui manquaient pas pour exercer brillamment le pouvoir et que sa jeunesse n’avait pas trempé dans la guerre civile ou les dissensions domestiques  ; il n’apportait ni haines ni rancunes ou désir de vengeance. Puis il traça les lignes de son futur principat, écartant surtout les abus dont l’odieux souvenir restait brûlant ; il ne se ferait pas le juge de toutes les affaires, enfermant à l’intérieur de sa seule demeure accusateurs et inculpés pour faire progresser la puissance de quelques hommes ; rien dans ses pénates ne serait vénal ou accessible à la brigue ; sa maison serait distincte de l’Etat. Le sénat devait conserver ses antiques fonctions ; l’Italie et les provinces du peuple romain s’adresser à la juridiction des consuls ; ceux-ci donner accès auprès des sénateurs ; lui-même, ayant la charge des armées, y consacrerait tous ses soins », trad. P. Wuilleumier. Voir rg, 8, sur le prince comme modèle à imiter pour la postérité. Voir aussi Philon, Ambassade à Caius, 54. M. T. Griffin, Seneca, p. 104, 112 ; ead., Néron ou la fin d’une dynastie, trad. A. d’Hautcourt, Gollion, 2002, p. 63.

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pas l’importance qui leur était attachée pour encadrer le pouvoir du prince, bien au contraire : par sénatus-consulte, les sénateurs décidèrent de faire graver le texte du discours sur une plaque d’argent et de le faire lire chaque année lors de l’entrée en charge des nouveaux consuls, pour que soient réactivées les promesses inaugurales au moment où le prince était précisément invité à partager le pouvoir116. Ces discours constituaient donc une forme particulière de rituel du pouvoir, celui-ci étant conçu par les sénateurs, sous les JulioClaudiens, comme un pacte. Ils affirmaient à la fois le pouvoir du prince et son autolimitation. Jusqu’au premier semestre 62, Sénèque a rempli auprès du jeune empereur un rôle très complet de conseiller, en collaboration avec le préfet du prétoire Burrus dont la mort, comme l’a montré M. T. Griffin, doit être mise en rapport avec la perte d’influence du philosophe117. En théorie, un rôle de conseiller du souverain correspondait bien à la figure du sage stoïcien, car Chrysippe luimême avait affirmé que si le sage ne pouvait être un roi, il vivrait en compagnie des rois118. De même, à l’égard de l’otium, le comportement de Sénèque n’a pas dérogé à la règle générale énoncée par Zénon, qui est citée dans le De Otio : accedet ad rem publicam sapiens, nisi si quid impedierit, « le sage s’engagera dans les affaires publiques, sauf s’il rencontre un obstacle »119. Chez Tacite, on voit Sénèque intervenir à des moments cruciaux pour orienter le mode de gouvernement aussi bien que les prises de décision du prince, par exemple pour empêcher Agrippine de siéger à côté de Néron au Sénat lors de la réception des ambassadeurs arméniens en 55, ou bien pour guider le prince après que celui-ci eut tenté d’assassiner l’Augusta en 59, en sabotant son navire120. A ces occasions, Sénèque apparaît comme un homme d’action, un politicien habile et pragmatique à la fois : il correspond à la figure des amici principis qu’étaient Agrippa et Mécène pour Auguste. Mais Sénèque s’était aussi donné un autre rôle, plus proche de la tradition grecque du philosophe 116

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Dion Cassius, lxi, 3 ; Dion Cassius interprète cette décision du Sénat comme une sorte de contrat (suggraphè) de bon gouvernement. Voir aussi Dion Cassius, lix, 6, 7, à propos des promesses de Caligula gravées et relues au Sénat. Voir C. Moatti, « La communication publique écrite à Rome sous la République et le Haut-Empire », dans J.-P. Genet (éd.), Rome et l’Etat moderne européen, Rome, 2007, p. 217–250. M. T. Griffin, Néron, p. 90–91 ; sur Sénèque « ministre » de Néron, voir M. T. Griffin, Seneca, p. 67–128. H. von Arnim, svf, n° 691 p. 173 (Plutarque, Des contradictions des Stoïciens, 1043 b-c, citant Chrysippe). Sénèque, De Otio, 3, 2, citant Zénon ; Diogène Laërce, vii, 121. La position de Sénèque par rapport à la retraite philosophique a été analysée par M. T. Griffin, Seneca, p. 315–366 ; ead., « Philosophie for Statesmen : Cicero and Seneca », p. 149–150. Tacite, Ann., xiii, 5 ; xiv, 7.

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conseiller  :  celui du sage qui dit la vérité au souverain et lui fait prendre conscience de la fragilité de son pouvoir. Ce rôle est explicité dans un passage Des Bienfaits, ouvrage composé après la mort de Claude121. Il est tout à fait compatible avec le projet du De Clementia, comme on le verra. Dans le passage en question, Sénèque juge insuffisant le rôle d’Agrippa et de Mécène auprès d’Auguste, en prenant l’exemple du comportement du prince vis-à-vis de Julie en 2 av. J.-C122. Son récit expose la version officielle de l’exil de Julie sur l’île de Pandateria : le prince avait relégué sa fille dont la conduite contrevenait à la lex Iulia de adulteriis qu’il avait lui-même instituée (en 18 av. J.-C.), et montré publiquement les scandales qui entachaient la principalis domus. Cette action née dans un accès de colère, il l’avait rapidement regrettée selon Sénèque, pour qui il aurait dû sanctionner, mais en cachant cette source de honte qui rejaillissait sur lui. Les regrets d’Auguste portaient précisément sur l’absence à ses côtés d’Agrippa et de Mécène qui auraient pu, par leurs conseils, lui éviter son erreur. Selon Sénèque cependant, cela n’aurait pas été le cas car ces deux conseillers n’auraient pas su faire preuve de franchise, puisqu’ils n’étaient pas dotés de la parrhèsia propre aux philosophes123. L’exemple est intéressant, car il révèle quelles doivent être les fonctions du conseiller philosophe. Celui-ci doit être capable à la fois d’aider à une prise de décision politique d’autant plus délicate qu’elle concerne la domus Augusta, et de veiller à l’image du prince et de sa domus : en ce sens l’exemple rappelle le rôle tenu par Areios auprès de Livie dans la Consolation à Marcia124. Selon Sénèque, le conseiller philosophe remplit son rôle en disant la vérité au souverain, c’est-à-dire en lui représentant les dangers de son entreprise, les conséquences de sa colère : Nul n’écoute sa conscience pour conseiller ou déconseiller, mais c’est un assaut de flatterie et il n’y a pour tous les amis qu’un devoir, un sujet de rivalité, c’est à qui mettra le plus de douceur dans le mensonge : cependant [les souverains] ignorent leurs forces véritables et, pensant être aussi grands qu’ils l’entendent dire, ils attirent sur eux des guerres inutiles et qui vont tout compromettre ; ils rompent l’entente (concordiam) qui était, elle, profitable et nécessaire, en cédant à un mouvement de colère

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Voir en dernier lieu M. T. Griffin, Seneca on Society, p. 91–96, pour une datation large entre 56 et juin 64. Sur cet épisode, voir I. Cogitore, La légitimité dynastique d’Auguste à Néron à l’épreuve des conspirations, Rome, 2002, p. 165–172. Ben., vi, 32, 2–4. Consolation à Marcia, 4–5, voir supra.

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que nul n’essayait d’enrayer. Ils épuisent le sang de la masse pour finir par le leur. Ils punissent des faits non vérifiés comme s’ils étaient authentiques, ils estiment aussi honteux de se laisser fléchir que de se laisser battre et ils s’imaginent éternel un pouvoir qui, parvenu à son comble, est plus vacillant que jamais125. Fais qu’il n’ait pas foi en son bonheur, qu’il sache qu’il faut beaucoup de bras, et des bras sûrs, pour le retenir. Sera-ce de ta part un trop petit service si tu dissipes une bonne fois la sotte illusion où il est que sa puissance durera toujours et si tu lui apprends le caractère changeant des dons du hasard, et leur rapidité plus grande lorsqu’ils s’en vont que lorsqu’ils viennent, et la différence entre les étapes qui l’ont mené au faîte et celles de la marche inverse et l’écart souvent nul entre le plus haut et le dernier degré de la fortune126 ? Le problème que rencontre nécessairement un conseiller philosophe pour remplir le rôle défini ici est celui des modalités d’expression de la franchise. Car, comme l’a écrit Tacite à propos du principat de Tibère, il ne restait plus au discours politique qu’« un sentier étroit et glissant » entre la flatterie qu’il fallait éviter et la liberté de parole susceptible d’être châtiée127. La lex de maiestate pouvait en effet être utilisée sous le règne de Tibère pour punir les outrages verbaux128, et Néron l’appliquera à partir du procès d’Antistius en 62. On doit garder à l’esprit ce problème de l’espace qui était désormais ouvert au discours politique pour comprendre le premier traité De Clementia. Le rôle que Sénèque a voulu remplir auprès de Néron, mêlant à la fois les fonctions de l’amicus principis et celles du philosophe conseiller du roi, était inédit dans l’histoire politique de Rome. Il évoque les réflexions de Cicéron sur l’alliance entre l’orateur sage et le chef militaire. Mais, dans la République tardive, l’homme politique romain devait dans l’idéal être les deux et l’éloquence était nécessaire à toute carrière politique ambitieuse, alors que la fusion entre 125

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Ben., vi, 30, 4–6, trad. F. Préchac. Sénèque considère à plusieurs reprises que les aristocrates romains et les rois sont malades en raison de leur superbia, voir B. Maier, Philosophie und römisches Kaisertum, p. 95, n. 5 : voir par exemple De Ira, ii, 11, 3 ; Ben., ii, 13, 1 ; Ep., 87, 32 ; De Cons. Sap., 13, 2. Ben., vi, 33, 2, trad. F. Préchac. Tacite, Ann., ii, 87. Voir aussi Sénèque Père, Suasoires, i, 5, où il est question de donner des conseils utiles au prince, mais sous une forme plaisante. Sur la question de la liberté de parole, qui a varié selon les princes, voir A. Suspène, « Le poète irrévérencieux et la société impériale (ier siècle av. J.-C. – ier siècle ap. J.-C.) : une liberté sous conditions », dans B. Delignon et Y. Roman (éd.), Le poète irrévérencieux, p. 15–29. B. Levick, Tiberius the Politician, London, New York, 1999 (1976), p. 191–192.

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aristocrate romain et philosophe est nettement moins évidente. Le rôle social du philosophe semble avoir en effet été circonscrit à la sphère du domestique, du priuatus, contrairement au rôle public et politique qu’il jouait dans le monde grec. Octavien/Auguste a parfaitement respecté ces règles, en ayant à Rome des « philosophes domestiques », qui remplissaient en Orient un rôle politique. Pour les Romains de la seconde moitié du ier siècle  – on le voit chez Sénèque, Quintilien et Pline le Jeune – le terme de philosophe est d’abord un vocable technique, qui s’applique à une professio129 : le philosophe est celui qui enseigne (docere) en tenant des discours ou bien en écrivant des livres, il est souvent à la tête d’une école130. Les attestations du mot philosophe dans les inscriptions latines et grecques de Rome vont dans le même sens : elles sont rares et renvoient en général à des affranchis ou à des Grecs, qui étaient certainement des philosophes professionnels131. Il est intéressant que les premiers exemples aboutis d’une assimilation entre aristocrate romain et philosophe sous le principat soient contemporains : ce sont celui de l’homo nouus Sénèque et surtout celui du chevalier Musonius, dont les familles ne provenaient pas de Rome, mais étaient d’origine espagnole et italienne132. On ne peut pas dire que Sénèque ait créé d’école, bien qu’il ait enseigné à Néron et qu’il ait servi de guide spirituel à certains de ses contemporains comme Sérénus et Lucilius, mais Musonius a eu suffisamment de disciples pour que l’on puisse parler d’école à son sujet133. Ce changement est probablement dû à l’école des Sextii, dont l’existence fut brève – deux générations d’enseignants à partir d’environ 45 av. J.-C. – mais semble avoir été marquante pour l’aristocratie romaine, comme en témoigne 129 130 131

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Quintilien, xi, 1, 33 ; Pline, Ep., 10, 66. Voir notamment Pline, Ep., 7, 26, 4, passage dans lequel Pline le Jeune se distingue des philosophes. cil vi 37813 = ae 1910, 47 ; cil vi 9783 = cil vi 37773= cle 1342 = ils 7778 ; cil vi 9784 ; cil vi 9785 = ils 7779 ; cil vi 33898 = cle 1965 = ils 7783 = Epigraphica 1994, 116 = ae 1888, 129 ; cil vi 41318 = cil vi 1708 = cil vi 31906 = ils 1222 = Epigraphica 2003, 221 = ae 2005, 186 (Ceionius Rufius Albinus, clarissime, consul ordinaire et préfet de la ville, fait figure d’exception, mais l’inscription date de la fin du premier tiers du ive siècle ap. J.-C.) ; igur ii 320 ; 361 ; 371 ; 823 ; 835. Voir M. Haake, « Dogmata – praxeis – doxa. Philosophes et philosophie au miroir des inscriptions impériales – quelques considérations », dans P. Vesperini (éd.), Philosophari, p. 371–414. On pourrait aussi penser à un troisième personnage, mais son identification est problématique : (L.) Sergius Plautus, stoïcien mentionné par Quintilien, x, 1, 123–124, parmi les rares écrivains latins ayant traité de philosophie, qui était peut-être un sénateur descendant de Rubellius Blandus, cos suffect en 18 ap. J.-C. et mari de Julia : pir2 S 532–533. Voir Pline, Ep., iii, 11, 5, sur les assectatores de Musonius ; Tacite, Ann., xv, 71, 4.

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Sénèque qui insiste à plusieurs reprises sur l’adéquation entre l’enseignement des Sextii et les mœurs romaines. Sénèque lui-même a été très influencé par Papirius Fabianus, qui appartenait à la seconde génération de cette école. Les représentants de celle-ci ont aussi eu pour particularité d’avoir été de remarquables orateurs134. Le fondateur, Q. Sextius père, avait refusé d’entrer au Sénat, comme le lui proposait César, pour se consacrer à la philosophie, alors qu’il était d’origine aristocratique135. Il l’aurait fait, selon Sénèque, par mépris des honneurs, mais c’est un motif conventionnel pour un philosophe influencé par le stoïcisme, et ce motif est appelé par le contenu de la lettre 98, qui est une réflexion sur les biens extérieurs136. Les véritables raisons de ce refus nous échappent et l’on peut se demander s’il ne faut pas les chercher dans le contexte politique de l’après-guerre civile entre Césariens et Pompéiens : après les exemples de Caton et de Brutus, pouvait-on encore être sénateur, favorable à la République traditionnelle et tourné vers la philosophie ? Le Pythagoricien P. Nigidius Figulus, contemporain et ami de Cicéron, issu d’une famille prétorienne ( ?) et lui-même préteur en 58 av. J.-C., avait choisi le camp de Pompée ; exilé après la victoire de César, il mourut sans être rappelé en 45 av. J.-C137. Par ailleurs, le train de vie d’un sénateur, les réceptions et l’entretien d’une clientèle nombreuse138, les luttes politiques et les ambitions s’accordaient difficilement avec une vie philosophique qui avait pour horizon l’otium et dont les principes étaient contraignants, en premier lieu les principes stoïciens de la libertas et de la uirtus. La règle théorique de Zénon, selon laquelle « le sage s’engagera dans les affaires publiques, sauf s’il rencontre un obstacle », pouvait être interprétée dans ce sens, et c’était l’opinion du Stoïcien Athénodore – on ne peut savoir s’il s’agit d’Athénodore fils de Sandon, le « philosophe domestique  » d’Auguste, ou bien d’Athénodore Cordylion, celui de Caton le

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Sur l’adéquation avec les mœurs romaines, voir Sénèque, Nat., vii, 32, 3 ; Ep., 59, 7 ; 64, 2. Papirius Fabianus (ca 35 av. J.-C.-ca 35), formé auprès des rhéteurs Arellius Fuscus et Rubellius Blandus, s’est tourné vers la philosophie après avoir rencontré Sextius père ; il est caractérisé par son intérêt pour les questions naturelles et fut l’auteur de libri ciuiles qui semblent avoir constitué un traité politique : voir M. Ducos, s.v. « Fabianus », DPhA, iii, n°1 p. 413 ; P. Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire, Paris, 1991 (1978), p. 259–261. Sénèque, Ep., 98, 13. Voir l’opinion d’Epictète sur les magistratures et les honneurs : Entretiens, ii, 17, 24 ; iii, 9, 6 ; iii, 22, 106 ; 4, 1, 87 ; iv, 1, 148. Voir M. Ducos, s.v. « Nigidius Figulus », DPhA, iv, n° 58 p. 703–712 ; l’argument concernant ce philosophe est cependant fragile, car il est peut-être mort trop tôt pour être rappelé, et il existait des préjugés particuliers sur les Pythagoriciens, voir ibid. p. 107. Voir pour Sénèque le témoignage de Juvénal, v, 108–110.

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Jeune139 – qui faisait sans doute autorité à Rome, puisque Sénèque polémique contre elle dans le traité Sur la tranquillité de l’âme, daté entre 41 et 61140. Il y expose sa propre position : J’ai résolu de suivre la mâle énergie de nos maximes et de me mêler à la vie publique  ; je décide de rechercher les honneurs et les faisceaux, non certes que la pourpre ou les baguettes du licteur me séduisent, mais pour être en mesure de mieux servir mes amis et mes proches et tous mes concitoyens, et finalement l’humanité entière : avec une ardeur de novice je m’attache à suivre Zénon, Cléanthe et Chrysippe, dont aucun, à vrai dire, n’a pris part aux affaires publiques, mais qui tous y convient leurs disciples141. On n’attendait donc pas d’un philosophe dans la seconde moitié du ier siècle de notre ère qu’il entre dans la carrière des honneurs. Quintilien, qui était certes engagé dans une polémique contre les écoles de philosophie, juge que la vie philosophique, trop en retrait par rapport aux affaires publiques, était opposée aux devoirs du citoyen et aux fonctions de l’orateur142. Dans les Institutions oratoires, il ne considère pas Sénèque comme un philosophe, mais comme un écrivain polyvalent, dont la production prolifique comporte des écrits philosophiques143. Tacite, qui est l’exact contemporain du rhétoricien, ne qualifie jamais Sénèque et Musonius de philosophi. Il mentionne en revanche leurs études philosophiques, en montrant que celles-ci posaient problème par rapport à leur rang de sénateur et de chevalier. En 58, P.  Suillius Rufus, qui

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Selon P. Grimal, « Auguste et Athénodore », p. 1159–1163, il s’agirait du fils de Sandon. Sur cette question de la participation politique, voir V. Laurand, La politique stoïcienne, Paris, 2005, p. 121–143. Sénèque, De la tranquillité de l’âme, i, 3. Sénèque, De la tranquillité de l’âme, i, 10, trad. R. Waltz. Quintilien, xii, 2, 6–7 : « Aussi ces conseils, que je donne, ne tendent-ils pas à vouloir faire de l’orateur un philosophe, car il n’y a pas de système de vie où l’on s’éloigne davantage des devoirs du citoyens et de ce qui constitue tout le rôle de l’orateur (non alia uitae secta longius a ciuilibus officiis atque ab omni munere oratoris recessit). Qui donc, en effet, parmi les philosophes, a fréquenté assidûment les procès ou brillé dans les assemblées ? Quel est enfin celui qui a pris part à l’administration même des affaires publiques, objet principal des préceptes de la plupart d’entre eux ? Or, moi, l’orateur que je forme, je voudrais qu’il soit un sage, un sage Romain, qui révèle un homme vraiment engagé dans la vie de citoyen, non pas dans des discussions fermées, mais dans l’expérience des affaires et l’action pratique (qui … rerum experimentis atque operibus uere ciuilem uirum exhibeat) », trad. J. Cousin. Quintilien, x, 1, 125–131.

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était un avocat et un ancien délateur en faveur sous Claude, attaque Sénèque en soulignant la contradiction entre sa sapientia et sa fortune estimée à trois cents millions de sesterces, alors que les Stoïciens considéraient les richesses comme un bien extérieur144. Quant à Musonius, son rang équestre est rappelé dans le même passage où son intempestiua scientia le met en danger auprès des soldats d’Antonius Primus145. Essayer de concilier les devoirs de l’aristocrate romain et les préceptes philosophiques pouvait être vu comme une supercherie ou bien comme une chimère, et un Sénèque, un Musonius, qui non seulement ont tenté de se construire un rôle philosophique, mais en outre ont voulu régler la conduite de leurs contemporains, enseigner ou écrire de la philosophie, paraissent avoir fait figure d’exception parmi leurs pairs. Pour revenir au rôle de conseiller philosophe qu’a joué Sénèque auprès de Néron jusqu’en 62, il importe de souligner une particularité là aussi inédite : c’est Sénèque qui composait les discours du jeune prince146. De ce fait, comme l’a montré M. T. Griffin, il était le spécialiste des relations publiques de Néron et a tenté d’être son idéologue147. Or, dès 55, il a fait porter l’accent sur une vertu morale et politique, présentée dans le De Clementia comme la vertu fondatrice du principat néronien : celle de la clémence148. 2

La clémence comme norme politique

a Le recentrage sur la clémence Ce recentrage sur la clémence apparaît comme naturel et logique pour plusieurs raisons. La première est, comme nous l’avons vu, l’importance de cette vertu dans le dialogue qui s’instaure entre les princes Julio-Claudiens et le Sénat. Dans cette perspective, on peut dater le début de cette focalisation sous 144

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Tacite, Ann., xiii, 42 : Simul studiis inertibus et iuuenum imperitiae suetum liuere iis, qui uiuidam et incorruptam eloquentiam tuendis ciuibus exercerent … qua sapientia, quibus philosophorum praeceptis intra quadriennium regiae amicitiae ter milies sestertium parauisset ? On retrouve dans ce discours le même préjugé opposant les studia inertia de la philosophie à la uiuida eloquentia qui protège les citoyens. Voir aussi Tacite, Ann., xiv, 53–54, sur le décalage entre les richesses considérables de Sénèque et, d’une part, son statut d’homo nouus, d’autre part son engagement philosophique ; Dion Cassius, lxi, 10. Voir V. Laurand, La politique stoïcienne, p. 100–120 sur le problème de la propriété chez les Stoïciens, part. p. 112–120 dans le De Beneficiis de Sénèque. Sur P. Suillius Rufus, voir pir2 S 970 ; P. Grimal, Sénèque, p. 183–187. Tacite, Hist., iii, 81. Voir supra. Voir Tacite, Ann., xiii, 3 ; Dion Cassius, lxi, 3. Sur cette fonction de Sénèque auprès de Néron, voir M. T. Griffin, Seneca, p. 79, 133. Voir Suétone, Nero, 10, cité supra ; Tacite, Ann., xiii, 11, 2 : voir infra.

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le règne de Tibère, peut-être à l’initiative des sénateurs. Or, c’est aussi dans cette période, à partir de 19, que se fixe le portrait du princeps idéal aux yeux du Sénat et populaire auprès du peuple : celui qui n’a jamais régné, Germanicus. La clémence est un trait caractéristique du portrait de Germanicus, le grand-père maternel de Néron, comme le montre la convergence sur ce point de trois sources, les panégyriques contenus dans les Annales de Tacite et dans la vie de Caligula de Suétone, ainsi que le sénatus-consulte de Pison père. En l’absence de funérailles publiques à Rome, il n’y eut pas d’éloge funèbre issu de la domus Augusta. Néanmoins les funérailles à Antioche où était mort le consul furent l’occasion d’éloges funèbres, sans doute composés par des rhéteurs grecs, développant une comparaison (sugkrisis) entre Alexandre le Grand et Germanicus, le second ayant surpassé le premier par sa clémence, sa douceur et sa tempérance149. Le panégyrique de Suétone reflète le discours officiel romain, qui est celui du sénatus-consulte condamnant Pison. Les deux textes soulignent l’exceptionnelle clémence dont Germanicus avait fait preuve à l’égard de son ennemi : Le sénat a jugé que la modération extraordinaire et la patience de Germanicus César avaient été vaincues par la cruauté des mœurs de Cnaeus Pison père et, à cause de cela, que Germanicus César mourant  – mort dont il a lui-même témoigné que Cn. Pison père avait été la cause – avait non sans raison renoncé à son amitié pour celui-ci150 ; Même à l’égard de ses détracteurs, quels qu’ils fussent, et si graves que pussent être leurs torts, il se montrait si doux (lenis), si peu vindicatif

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Tacite, Ann., ii, 73 : Funus sine imaginibus et pompa per laudes ac memoriam uirtutum eius celebre fuit. Et erant qui formam, aetatem, genus mortis ob propinquitatem etiam locorum in quibus interiit, magni Alexandri fatis adacquarent. Nam utrumque corpore decoro, genere insigni, haud multum triginta annos egressum, suorum insidiis externas inter gentis occidisse : sed hunc mitem erga amicos, modicum uoluptatum, uno matrimonio, certis liberis egisse, neque minus proeliatorem, etiam si temeritas afuerit praepeditusque sit perculsas tot uictoriis Germanias seruitio premere. Quod si solus arbiter rerum, si iure et nomine regio fuisset, tanto promptius adsecuturum gloriam militiae quantum clementia, temperantia, ceteris bonis artibus praestitisset. Voir aussi Dion Cassius, lvii, 18, où est soulignée la douceur (ἥµερος) de Germanicus pour ses familiers. scpp, l. 26–29 :  arbitrari singularem moderationem patientiamque Germanici Caesaris eiuctam esse feritate morum Cn. Pisonis patris atque ob id morientem Germanicum Caesarem, quoius mortis fuisse caussam Cn. Pisonem patrem ipse testatus sit, non inmerito amicitiam ei renuntiasse, trad. P. Le Roux. Voir aussi scpp, l. 90–92 : senatum memorem clementiae suae iustitiaeque animi magnitudinis, « le Sénat, se souvenant de la clémence [de Germanicus] et aussi de son esprit de justice et de sa grandeur d’âme » ; l. 167 : de singulari moderatione Germanici Caesaris.

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(innoxius), que voyant Pison révoquer ses ordonnances, persécuter ses clients, il ne se décida point à lui témoigner son ressentiment avant d’avoir appris qu’il employait contre lui jusqu’à des sortilèges et des maléfices : même alors il se contenta de le prévenir […] qu’il renonçait à son amitié, et de confier à ses intimes le soin de le venger, s’il lui arrivait malheur151. On retrouve ici la définition de la clémence exposée dans le Sur l’invention de Cicéron : « La clémence retient par la douceur les âmes portées à haïr inconsidérément quelqu’un »152. Cicéron a souligné l’utilité sociale de cette vertu, qui a joué un rôle fondamental dans les rapports établis, au lendemain des guerres civiles, entre César, le princeps vainqueur, et les Sénateurs153. Dans le cadre du genre panégyrique, il distingue d’une part des vertus morales et sociales qui sont utiles aux autres hommes, comme la clémence, la justice, la bonté, la fides, le courage dans les dangers communs, et d’autre part des qualités du corps et de l’esprit individuelles, qui permettent à leur possesseur de se distinguer, comme la sagesse, la grandeur d’âme, une certaine faculté d’invention et l’éloquence. Les hommes préfèrent entendre louer les premières, qui leur plaisent et suscitent chez eux de la reconnaissance, tandis qu’ils admirent les secondes154. C’est dans une perspective proche de ces réflexions de Cicéron qu’il faut situer le projet élaboré par Sénèque avec le De Clementia. Le philosophe a aussi développé une réflexion, nourrie par la rhétorique155, sur les vertus sociales

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Suétone, Cal., 3. Voir Tacite, Ann., ii, 57 et 71. Cicéron, Inu., ii, 54, 164. : Clementia, per quam animi temere in odium alicuius *iniectionis concitati comitate retinentur, trad. G. Achard ; la clémence est présentée comme l’une des trois subdivisions de la tempérance, les deux autres étant la continentia et la modestia. Voir en particulier le Pro Marcello, 6, pour l’éloge de la clémence de César en lien avec les notions de bienfait (beneficium) et de gloire. Cicéron, de Orat., ii, 343–344 : Sunt enim aliae uirtutes, quae uidentur in moribus hominum et quadam comitate ac beneficentia positae ; aliae, quae in ingeni aliqua facultate aut animi magnitudine ac robore  ; nam clementia, iustitia, benignitas, fides, fortitudo in periculis communibus iucunda est auditu in laudationibus ; omnes enim hae uirtutes non tam ipsis, qui eas habent, quam generi hominum fructuosae putantur. Sapientia et magnitudo animi, qua omnes res humanae tenues ac pro nihilo putantur, et in excogitando uis quaedam ingeni et ipsa eloquentia admirationis habet non minus, iucunditatis minus : ipsos enim magis uidentur, quos laudamus, quam illos, apud quos laudamus, ornare ac tueri. Sed tamen in laudando iungenda sunt etiam haec genera uirtutum ; ferunt enim aures hominum cum illa, quae iucunda et grata, tum etiam illa, quae mirabilia sunt in uirtute, laudari. Voir J. Fillion-Lahille, Le De Ira de Sénèque, p. 250–255, avec notamment l’influence des exercices rhétoriques utilisant la figure du tyran (fréquente).

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et politiques et, inversement, sur les passions néfastes à la vie en société. Le De Clementia constitue une étape centrale dans un cheminement intellectuel que l’on voit déjà à l’œuvre dans les traités et consolations antérieures, notamment dans le De Ira et la Consolation à Polybe. Ce cheminement a été nourri par l’expérience du pouvoir qu’a eue Sénèque auprès de Caligula et de Claude. La problématique centrale de sa réflexion est la gestion de la colère, qui est l’une des quatre principales passions stoïciennes156. Elle est une passion asociale qui fait oublier les devoirs (decor) et les liens sociaux (necessitudo), des principes fondamentaux de la société romaine qui déterminaient les comportements des individus, surtout des aristocrates, et assuraient la cohésion sociale157. Elle est définie comme le désir (cupiditas) de châtier158, et elle est étroitement liée à la cruauté, crudelitas, qui est sa conséquence159. La colère est particulièrement dangereuse chez un souverain tout-puissant, mais la haine de ses sujets finit par se retourner contre lui, et, en affirmant ceci, Sénèque a bien sûr en tête la conjuration qui aboutit à l’assassinat de Caligula en janvier 41160. D’après les sources littéraires antiques, Caligula surtout, mais aussi Claude, étaient enclins à la colère, et les deux sont liés chez Sénèque à l’ira et à la crudelitas du tyran, en particulier Caligula qui est placé dans le De Ira sur le même plan que les rois tyranniques perses161. Sénèque semble avoir eu des motifs de craindre Caligula du vivant de celui-ci : ses pièces de théâtre, qui avaient beaucoup de succès, étaient critiquées par l’empereur qui n’appréciait pas son style162. Claude fit paraître un édit sur la colère, dans lequel il promettait « que 156 157 158 159 160

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J. Fillion-Lahille, Le De Ira, p. 10–18, 39–243 ; nous ne nous occupons pas ici de la question de l’orthodoxie de Sénèque au sujet des passions. Sénèque, De Ira, i, 1, 2 : Quidam itaque e sapientibus uiris iram dixerunt breuem insaniam ; aeque enim inpotens sui est, decoris oblita, necessitudinum immemor. Sénèque, De Ira, i, 3, 2 : Primum diximus cupiditatem esse poenae exigendae. Sénèque, De Ira, ii, 5 ; 12, 6. Voir Cicéron, Tusc., iii, 9, 19 : l’homme en colère désire faire subir à celui qui lui semble l’avoir blessé la plus grande souffrance. Sénèque, De Ira, 16–23. L’idée que le bon roi doit éviter de se mettre en colère appartient aussi à la tradition grecque du miroir au prince : voir Isocrate, A Nicoclès, 23. Voir Cicéron, Off., i, 25, 88–89, part. § 88 : « Il ne faut pas non plus écouter ceux qui croiront que nos ennemis doivent être l’objet d’une colère violente et que cette colère témoigne d’une âme grande et forte ; rien n’est plus louable, rien n’est plus digne d’un homme supérieur et distingué que l’indulgence et la clémence », trad. E. Bréhier. Caligula est caractérisé, dans la biographie que lui consacre Suétone, par des accès de colère soudains et terrifiants ; voir Sénèque, Consolation à Polybe, 13, 3 ; De Ira, iii, 18, 3–4 ; 19 ; 21, 5 ; De la tranquillité de l’âme, 11, 10 et 12 ; 14, 4. Sur le tempérament colérique de Claude, voir Suétone, Cl., 30 ; Dion Cassius, lx, 2. Voir Sénèque, Apoc., 6 et 11, liant Claude à la colère ; § 13 sur sa cruauté (homo crudelissimus) qui apparaît tout au long de la satire. Suétone, Cal., 53. Voir aussi Quintilien, x, 1, 125–131, pour une critique du style orné de Sénèque et de ses imitateurs.

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ses emportements seraient courts et inoffensifs, et que sa colère ne serait point injuste »163. Il est probable que cet édit a été promulgué lors de son avènement, donc au début de l’année 41, en réaction contre le règne de Caligula et au moment des promesses de bon gouvernement faites au Sénat164. Il a en effet un caractère augustéen qui correspond bien à un début de règne julio-claudien, car Auguste était réputé pour ne pas céder à la colère165. Le De Ira de Sénèque a-t-il été composé en 41 en réponse à cet édit (le livre iii explique comment éviter la colère) ? C’est une hypothèse séduisante, mais qu’on ne peut prouver, et ce traité a aussi pu être écrit plus tard sous le règne de Claude, pendant l’exil de Sénèque ou bien après son rappel en 49166. Toujours est-il que la même année, en 41, le philosophe a lui-même subi la colère du prince, qui a entraîné sa relégation en Corse : on ne sait pas au juste ce qui s’est produit, et dans la Consolation à Polybe, il vante la moderatio de Claude qui avait demandé au Sénat, où se déroulait la procédure de cognitio selon laquelle il fut jugé, de l’épargner167 ; mais c’est certainement ainsi qu’il a interprété son long exil, étant donné le portrait qu’il a tracé de l’empereur défunt dans l’Apocoloquintose168. Dans le De Ira, la cruauté, qui dérive de la colère, est opposée à la clementia et à l’humanitas169. Cette relation apparaît aussi dans la Consolation à Polybe, où la clémence, qui est considérée comme la première des vertus de Claude, est opposée à la cruauté de Caligula170. Ce traité est adressé à Polybe, l’influent affranchi a libellis du prince, qui avait perdu son jeune frère en 43. Il a naturellement fourni au philosophe l’occasion de faire appel à la clémence impériale pour obtenir son rappel d’exil, mais en vain. Il contient donc déjà un éloge de l’empereur exemplaire, qui met en avant son indulgence, sa douceur et sa justice, son dévouement pour les hommes dont il est le consolateur universel ; est aussi présente 163 164 165 166 167 168

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Suétone, Cl., 38, trad. G. Achard. P. Grimal, « Rhétorique, politique et philosophie dans le De Ira de Sénèque », rel, 53, 1975, p. 57–61, part. p. 61. Sénèque, De Ira, iii, 22, 4–8 ; Plutarque, Apophtegmes de rois et de généraux, 207 C. J. Fillion-Lahille, Le De Ira, p. 274–279, défend l’idée d’une datation dans l’année 41, en écho à l’édit de Claude et avant l’exil en Corse. Sur la question de la datation, voir aussi M. T. Griffin, Seneca, p. 304, 398. Sénèque, Consolation à Polybe, 13, 2. Sur la relation entre Sénèque et Claude, voir P. Grimal, « Les rapports de Sénèque et de l’empereur Claude », crai, 122, 1978, p. 469–478. Voir A. Gangloff, « Caricature et pamphlet politique à Rome : autour de l’Apocoloquintose », à paraître dans les actes du colloque La notion de caricature dans l’Antiquité : textes et images, organisé par A. Gangloff, V. Huet et C. Vendries à Rennes, les 8–9 octobre 2015. Sénèque, De Ira, ii, 5 ; 13, 2. Sénèque, Consolation à Polybe, 13, 2.

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l’idée que le pouvoir impérial est mieux assuré s’il repose sur les bienfaits du prince171. Entre le De Ira, la Consolation à Polybe et le De Clementia, il existe évidemment une évolution du vocabulaire et des notions, mais on peut dégager une armature logique cohérente qui permet de mieux comprendre les objectifs politiques et philosophiques de Sénèque et la construction de son idée du pouvoir impérial172. La date précise de composition du De Clementia est toujours objet de débats173. Cet ouvrage est constitué de deux livres  :  le premier, qui a la forme d’un discours, s’apparente aux miroirs au prince hellénistiques, le second, plus philosophique, vise à intégrer la clémence dans le système éthique stoïcien qui excluait la pitié174. Le second livre est sans doute postérieur au premier, et inachevé en raison, probablement, de l’échec du conseiller du prince175. Le premier livre développe des idées très différentes du programme augustéen rédigé par Sénèque, et lu par Néron devant le Sénat lors de son avènement, en octobre 54176. M. T. Griffin a montré que la mort de Britannicus en février 55 ne pouvait pas constituer un critère de datation, un terminus ante quem pour le premier livre De Clementia177 : la clémence impériale n’est pas incompatible avec un meurtre qui pouvait apparaître comme une nécessité politique, et le discours pourrait aussi bien être interprété comme une tentative de détourner Néron de la violence. Le discours est en lien avec le contexte politique de l’année 55, au cours de laquelle Sénèque a mis en œuvre, pour le jeune empereur, un programme de communication, mais aussi de pratiques du pouvoir, centré sur la notion de clementia :

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Sénèque, Consolation à Polybe, 12, 3–17, 3. Sur les différences entre le De Ira et le De Clementia, voir notamment M. T. Griffin, Seneca, p. 168–169 ; J. Fillion-Lahille, Le De Ira de Sénèque, p. 274–275. Voir aussi G. Flamerie de Lachapelle, « La clementia chez Sénèque, de la Consolation à Polybe au De clementia : permanence et évolution », Latomus, 68, 2009, p. 959–971. Voir en dernier lieu G. Flamerie de Lachapelle, « Encore et toujours la date du De clementia », Euphrosyne, 36, 2008, p. 299–308. Ajoutons que la clémence ne figure pas dans la liste des « vertus subordonnées » aux vertus cardinales que nous connaissons par Stobée, ii, 59–60. Sur le caractère «  nonstoïcien  » de cette doctrine sur la clémence, voir M.  Schofield, “Seneca on Monarchy and the Political Life : De Clementia, De Tranquillitate Animi, De Otio”, dans S. Bartsch, A. Schiesaro (éd.), The Cambridge Companion to Seneca, Cambridge, 2015, p. 68–81, part. p. 73–77. B. Mortureux, «  Les idéaux stoïciens et les premières responsabilités politiques  :  le De Clementia », anrw, ii, 36, 3, 1989, p. 1639–1685, part. p. 1647–1648. Voir supra. M. T. Griffin, Seneca, p. 133–134, qui suggère une datation fin 55/56.

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Il poursuivit par un geste d’indulgence (lenitas) envers Plautius Lateranus, qui avait été chassé de l’ordre sénatorial pour adultère avec Messaline : il le rendit au sénat, en s’engageant à pratiquer la clémence dans de fréquents discours, que Sénèque, afin d’attester la sagesse de ses préceptes ou pour faire briller son esprit, répandait par la bouche du prince, clementiam suam obstringens crebris orationibus quas Seneca, testificando quam honesta praeciperet uel iactandi ingenii, uoce principis uulgabat178. Une allusion aux 19 ans du prince suggère une date entre le 15 décembre 55 et le 14 décembre 56179. Néron portait vraisemblablement le titre de pater patriae, qu’il accepta à la toute fin de l’année 55 ou au début de 56180. C’est donc cette date approximative, à la fin de 55 ou au début de 56, qui serait la plus satisfaisante logiquement pour situer le De Clementia, à la suite des nombreux discours prononcés par Néron lui-même pour commenter ses actes de clémence. Néanmoins rien ne permet pour l’instant de la fixer de manière définitive. La communication sur la clementia par les discours faisait écho à celle des monnaies, car le monnayage en or et en argent avec la couronne civique et la formule EX S C commence en 55–56. Il est notable qu’il s’achève en 60–61, un peu avant la disgrâce de Sénèque181. Or, dans le premier livre De Clementia, le conseiller philosophe souligne explicitement le lien entre la couronne civique, que Néron avait sans doute reçue dès le premier jour de son règne182, et la clémence : « Le bonheur, c’est accorder le salut à un grand nombre, ramener à la vie du seuil même de la mort, mériter par sa clémence la couronne civique. Aucun ornement n’est plus digne du faîte qu’occupe le souverain et plus beau que cette couronne obtenue pour avoir sauvé des citoyens »183.

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Tacite, Ann., xiii, 11, 2, trad. P. Wuilleumier. Sénèque, Cl., i, 9, 1.  Pour une autre lecture, voir F.-R. Chaumartin (éd.), Sénèque, de la clémence, Paris, cuf, 2005, p. xlii-lii. Cl., i, 14, 2 ; P. Grimal, Sénèque, p. 120 ; ric i 2 Néron 8–9. Voir ric i 2 Néron p. 135 : il s’agit du seul type pour l’or et l’argent durant cette période ; nos 8–9, 11–21. Suétone, Nero, 8 : « Ayant accepté tous les honneurs sans mesure dont on le comblait, sauf le titre de Père de la Patrie, en raison de son âge », trad. H. Ailloud. Sénèque, Cl., i, 26, 5 : Felicitas illa multis salutem dare et ad uitam ab ipsa morte reuocare et mereri clementia ciuicam. Nullum ornamentum principis fastigio dignius pulcriusque est quam illa corona ob ciues seruatos, trad. F.-R. Chaumartin. La couronne civique était placée au faîte du palais du Palatin, voir Suétone, Cl., 17.

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b La théorisation de pratiques du pouvoir Ce discours s’insère dans un début de règne caractérisé sous les Julio-Claudiens par des démonstrations de bienveillance envers le Sénat, et notamment, depuis Caligula, par des pratiques d’amnistie. En effet, le début du règne de Caligula a été marqué par une entreprise générale d’amnistie et de pardon, même envers les délateurs de sa mère et de ses frères ; il réhabilita les condamnés et les exilés du précédent principat, annula toutes les accusations qui dataient de la même période, ce qui était une façon de critiquer son prédécesseur et d’annoncer que son principat serait meilleur et respecterait la libertas184. Claude commença son règne en édictant une amnistie « complète et définitive » concernant l’assassinat de son neveu et les deux jours qui avaient suivi, durant lesquels les consuls, certains sénateurs et soldats des cohortes urbaines avaient eu l’intention de rétablir la République, puis il réhabilita également des exilés et libéra des prisonniers tombés sous le coup de la loi de majesté ou de charges similaires185. Néron n’avait naturellement pas les mêmes raisons d’appliquer une amnistie générale : comme il le rappelle dans son discours d’avènement tenu au Sénat, il n’avait pas connu de guerre civile ni les « dissensions domestiques » qu’avaient vécues ses prédécesseurs, et sa position officielle par rapport au gouvernement de son père adoptif était ambivalente. Claude fut en effet divinisé et Néron fit preuve de pietas à son égard en lui offrant des funérailles magnifiques186, tout en affirmant aux sénateurs qu’il ne reproduirait pas certains abus de son père, notamment dans le domaine de la justice187. En 55, la réhabilitation d’A. Plautius Lateranus, qui avait été condamné pour avoir participé aux intrigues de Messaline avec C. Silius188, est un élément central dans le programme de la clémence orchestré par Sénèque. Elle confirme en effet la rupture annoncée avec les « abus » judiciaires de Claude, ainsi que la bonne volonté du prince envers le Sénat189. Ainsi, d’une certaine façon, le programme de communication sur la clémence et le De Clementia constituent un développement verbal et une théorisation d’actes qui étaient déjà habituels pour les sénateurs.

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Suétone, Cal., 15 ; 16 : il réhabilita aussi les écrits de Titus Labienus, de Cremutius Cordus et de Cassius Severus, dont la destruction avait été ordonnée par des sénatus-consultes, et autorisa leur diffusion et leur lecture. Voir Dion Cassius, lix, 6 ; lx, 3. Suétone, Cl., 11–12. Voir aussi Dion Cassius, lx, 4, 1–2. Suétone, Nero, 9. Tacite, Ann., xiii, 4, 1–2, cité supra. Tacite, Ann., xi, 36, 4. Tacite, Ann., xiii, 11, 2.

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Parmi ces actes, il faut compter les pratiques judiciaires : l’intense activité de Claude et l’apparition sous son règne des procès intra cubiculum, dans les appartements privés du prince, avaient inquiété les sénateurs au point que Néron promit dans son discours d’intronisation de s’abstenir de l’une et de l’autre190. M.  Fuhrmann et M.  T. Griffin, notamment, ont souligné l’importance du contexte judiciaire de la clementia dans le traité de Sénèque191. Un tel contexte peut s’expliquer par l’expérience personnelle de son auteur, car on a déjà vu que le procès de 41 et le long exil de huit ans qui l’a suivi ont joué un rôle déterminant dans sa réflexion politique, mais aussi par l’intérêt qu’ont eu Tibère et Claude pour la justice et par deux éléments marquants dans l’évolution de la législation et des procédures judiciaires sous le principat : l’extension de la loi sur la majesté sous Tibère, si mal perçue que Caligula y renonça pendant deux ans, puis Claude pendant son règne192, et le développement à partir d’Auguste de la cognitio sénatoriale. Celle-ci laissait aux juges la liberté de fixer la peine, ce qui était fait sous le contrôle du prince qui pouvait intervenir à différentes étapes d’un procès, influer sur la décision des juges et infléchir la peine193. Aussi la première expression de la clementia principis apparaissait-elle comme judiciaire, ainsi que le confirme une analyse lexicale du terme clementia dans les Annales de Tacite. Si la clémence y est parfois présente dans un contexte militaire, comme la vertu traditionnelle de Rome ou d’un de ses chefs militaires envers les hostes, dans la majorité des cas elle intervient dans un contexte judiciaire : il s’agit alors le plus souvent de la clementia principis et, dans quelques cas sous Tibère, de la clémence du Sénat conjointe à celle du prince194. Ni Tibère, ni Claude, n’ont cherché à appliquer systématiquement la clémence lors des procès dans lesquels ils sont intervenus, mais la pratique impériale de la clémence est associée par Tacite à la recherche de la 190 191

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Mais Tacite ne rapporte que peu d’exemples de procès dans les appartements du prince, et B. Levick, Claude, p. 156–157, a souligné la variété des procédures. M. Fuhrmann, «  Die Alleinherrschaft und das Problem der Gerechtigkeit (Seneca De clementia) », Gymnasium, 70, 1963, p. 481–514 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 161–162, qui explique cette importance par le développement de la procédure de la cognitio. Voir aussi le De Ira, i, 16, sur la vocation du prince à juger et sur la nécessité pour le juge impartial d’être dépourvu de colère. B. Levick, Tiberius, p. 180–200. Voir l’analyse précise qu’a faite B. Levick, Tiberius, p. 195 et n. 107 p. 288, des différentes modalités d’interventions judiciaires de Tibère. L’emprise directe du prince sur les grands procès politiques n’a eu de cesse de croître, comme le montre le développement des procès intra cubiculum sous Claude et sous Néron. Sur la clementia dans un contexte judiciaire : Tacite, Ann., iii, 22 ; iii, 24 ; iii, 50 (clémence du prince et celle du Sénat) ; iii, 68 (clémence du prince et celle du Sénat) ; iv, 31 ; vi, 14 ; xi, 3 ; xii, 11 ; xii, 52.

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popularité195. D’autre part, les affaires judiciaires que celui-ci a rapportées sont des affaires politiques, ce qui rend vain le débat entre les partisans d’une interprétation judiciaire de la clementia chez Sénèque, et ceux d’une interprétation politique196. Cela nous engage à nous demander, par extension, si la clémence et la colère n’entraient pas aussi dans des pratiques du pouvoir au sens plus large du terme  :  des pratiques de gouvernement et de gestion des relations entre un supérieur et ses inférieurs. Les passions constituent un critère essentiel dans la détermination du bon et du mauvais souverain grec ou romain : Platon, en effet, a défini le tyran comme celui qui ne sait pas maîtriser ses désirs. Ce critère apparaît aussi dans le jugement que les historiens antiques ont porté sur les empereurs julio-claudiens197. Parallèlement à cette conception commune chez les élites cultivées qui ont écrit l’histoire, on a aussi des indices tendant à prouver que la colère pouvait être utilisée comme instrument du pouvoir, et affichée comme telle. Cela apparaît par exemple lorsque Tibère eut à gérer en 20 le procès délicat d’Aemilia Lepida, descendante de Sylla et de Pompée, accusée d’avoir supposé un enfant de son mariage avec le très riche P.  Sulpicius Quirinius qui l’avait répudiée, d’avoir eu des relations adultères, d’avoir utilisé du poison et d’avoir interrogé des astrologues sur l’avenir de la domus Augusta. L’accusée avait la sympathie populaire de son côté, et Tacite suggère que Tibère a sciemment alterné les signes de colère et de clémence pour parvenir à l’issue qu’il souhaitait tout en évitant de faire apparaître son opinion personnelle198. On pourrait interpréter dans ce sens la maxime théâtrale que Suétone attribue à Caligula  :  «  Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent  !  »199. C’est plus net dans le cas de Claude : l’édit sur la colère qu’il a promulgué peut-être au début de son règne promet un usage maîtrisé et juste de cette passion, il n’affirme nullement que le prince l’évitera200. Dans sa lettre aux Alexandrins qui date de novembre 41, Claude met en avant sa bienveillance envers les hommes (philanthropos) tout 195 196 197

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Tacite, Ann., iv, 31 : Suétone, Tib., 57. Le débat sur les rapports entre la clementia et les domaines juridique, politique et philosophique, est présenté par B. Mortureux, « Les idéaux stoïciens », p. 1658–1664. Voir, à propos de Claude, Dion Cassius, lx, 3 : Τοιοῦτος οὖν δή τις, ὥς γε συνελόντι εἰπεῖν, ὢν οὐκ ὀλίγα καὶ δεόντως ἔπραττεν, ὁσάκις ἔξω τε τῶν προειρηµένων παθῶν ἐγίγνετο καὶ ἑαυτοῦ ἐκράτει, « En somme, tel qu’il était, Claude faisait beaucoup de choses bonnes, toutes les fois qu’il était hors de l’emprise des passions dont j’ai parlé et qu’il était maître de lui », trad. personnelle. Voir aussi Tacite, Ann., xvi, 18 : Ergo crudelitatem principis, cui ceterae libidines cedebant, adgreditur, à propos de Tigellin qui obtient de Néron la condamnation de Pétrone, son « maître des plaisirs » (scientia uoluptatum). Tacite, Ann., iii, 22. Suétone, Cl., 30. Voir Sénèque, Cl., i, 12, 4. Suétone, Cl., 38.

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en menaçant les habitants d’Alexandrie de sa « juste colère » (orgè dikaia) si les troubles entre Grecs et Juifs persistent201. L’édit et la lettre de Claude contiennent en germe une idée qui a reçu une postérité durable  :  durant le Moyen-Age, la « juste colère » royale contre les rebelles apparaît comme un outil légitime de gouvernement, à côté d’une mauvaise colère qui est celle du roi incapable de maîtriser ses passions202. La « juste colère », mesurée, de Claude, semble trouver sa légitimation dans l’éthique d’Aristote. Celui-ci approuvait en effet l’homme qui se mettait justement en colère, c’est-à-dire pour des motifs valables, contre celui qui le méritait, au moment opportun et pour une durée raisonnable. Le philosophe a aussi exposé la notion de « juste indignation », la nemesis, qui est engendrée par la perception d’une injustice203. La colère du prince apparaissait donc à la fois comme manifestation de sa puissance204, comme argument de dissuasion et de menace dans ses relations avec le Sénat, le peuple et les cités, ou encore, chez Tibère, comme pratique du pouvoir dans sa dimension judiciaire. Dans le De Ira, Sénèque s’inscrit en faux contre cette pratique politique de la colère  :  il recommande d’éviter si possible toute colère et combat la conception aristotélicienne selon laquelle la passion maîtrisée peut être utile à l’homme205. Dans le De Clementia, la colère du prince, qui doit être retenue ou évitée, est toujours un thème important206, et la vertu de la clémence est un moyen de l’éloigner : elle est présentée comme la capacité de résister aux stimuli et de comprendre que « la grandeur d’âme consiste à supporter les torts quand on est au sommet de la puissance »207. En outre, la clémence apparaît comme un meilleur outil de gouvernement car elle est plus efficace – le prince est alors soutenu par l’amour de ses sujets – et plus légitime, étant conforme aux objectifs politiques du bon souverain. La notion de clementia principis proposée par Sénèque dans cet ouvrage est susceptible d’englober ces pratiques de pouvoir, d’amnistie et d’allègement des peines, mais elle n’est pas précisément circonscrite. Le livre ii, pour la définir, juxtapose plusieurs définitions : 201 202 203 204 205 206 207

A. Hunt, C. Edgar (éd.), Select Papyri, Cambridge Mass., London, 19772, ii, n° 212, l. 81. G. Althoff, « Ira Regis : Prolegomena to a History of Royal Anger », dans B. H. Rosenwein (dir.), Anger’s Past. The Social Uses of an Emotion in the Middle Ages, Ithaca, London, 1998, p. 59–74. Aristote, en, iv, 5, 5 ; ii, 7, 15 sur la nemesis. De Ira, iii, 16, 3–4. De Ira, i, 17 ; voir aussi Cicéron, Tusc., iii, 9, 19. Voir J. Fillion-Lahille, Le De Ira de Sénèque, p. 203–210 ; G. Mathieu-Castellani, « La colère d’Aristote. Défense et illustration d’un emportement plus doux que le miel », Littérature, 122, 2001, p. 75–89. Cl., i, 1, 5, 7, 11, 17, 19. Cl., i, 20, 3, trad. F.-R. Chaumartin.

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1) Clementia est temperantia animi in potestate ulciscendi vel lenitas superioris adversus inferiorem in constituendis poenis, « La clémence est le contrôle de soi quand on exerce son pouvoir de vengeance, ou la douceur d’un supérieur envers un inférieur dans l’établissement des peines » … 2) inclinatio animi ad lenitatem in poena exigenda, « une propension de l’âme à la douceur dans la fixation de la peine » … 3) clementiam esse moderationem aliquid ex merita ac debita poena remittentem, « la clémence est une forme de retenue faisant quelque remise d’une peine méritée et due » … 4) clementiam esse, quae se flectit citra id, quod merito constitui posset, « c’est se laisser fléchir au point d’aller en deçà de ce qu’on pourrait à bon droit établir »208. La pluralité même des définitions montre qu’il ne faut pas chercher un sens univoque et simple. La clémence est étroitement associée à la vertu cardinale de la tempérance, aux notions de douceur et de retenue. Elle est aussi liée à la justice et à la notion de châtiment : en cela, elle est bien en rapport avec la colère conçue comme désir de châtier. Dans le livre i, ce sont plutôt les exempla qui permettent de cerner la clementia. Tous font référence à la clémence d’Auguste, non à celle du vainqueur des guerres civiles, mais à celle du princeps gouvernant sagement Rome209. Sénèque utilise l’exemple de Cinna, qui reste proche de la notion de clémence au sens de pardon à un concitoyen qui était un ennemi politique210. Il prend ensuite des exemples de cruauté et de clémence paternelle, en montrant l’intervention d’Auguste dans un tribunal familial211. La clémence d’Auguste est ainsi assimilée à celle du bon père envers son fils. Le dernier exemple met en avant la cruauté de Vedius Pollion, qui jetait ses esclaves en pâture aux murènes : or celle-ci avait été entravée et punie par l’intervention d’Auguste (qui est plus en rapport avec la notion d’humanitas que de clémence ici)212. Ces exemples élargissent le cadre de la clémence en la plaçant dans un contexte domestique. Elle est toujours en lien avec la notion de châtiment, et avec celle de cruauté qui est la conséquence de l’ira. Elle renvoie aussi à l’humanitas à laquelle Valère Maxime l’associait étroitement.

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Cl., ii, 3, trad. F.-R. Chaumartin légèrement modifiée. Voir M. T. Griffin, Seneca, p. 157–165. Sénèque oppose au contraire un Octavien cruel lors des guerres civiles à un Auguste plein de douceur dans Cl., i, 9. Cl., i, 9. Cl., i, 15, 1, et 2–7. Voir M. Ducos, « La réflexion sur le droit pénal dans l’œuvre de Sénèque », Helmantica, 44, 1993, p. 443–456. Cl., i, 18, 2 ; voir De Ira, iii, 40, 2 ; Pline, Nat., ix, 77 ; Dion Cassius, liv, 23, 2–4.

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c Les objectifs du De Clementia : un « pacte politique » pour Néron Pour comprendre quels étaient les objectifs de Sénèque dans le De Clementia, il faut chercher à cerner les destinataires du premier discours, puis ceux de l’ouvrage dans son ensemble. Le premier discours est différent des nombreuses allocutions composées par Sénèque et prononcées par Néron en 55, qui étaient probablement destinées aux sénateurs, de même que la réhabilitation de Plautius Lateranus était un geste symbolique à l’intention de ceux-ci. A ce titre, l’interprétation que Calpurnius Siculus donne de la clémence juste après l’avènement de Néron, vers la fin de l’année 54, est édifiante : « La Clémence a ordonné que s’éloignent toutes les tares d’une fausse paix et elle a brisé les épées démentes. Jamais plus le funèbre cortège du sénat enchaîné ne lassera les mains des bourreaux, on ne verra plus, tandis que la prison déborde, la curie infortunée compter ses rares sénateurs »213. Ces vers montrent bien que la clémence était un thème d’abord destiné aux sénateurs, une vertu propre à les rassurer et à créer un consensus entre les élites socio-politiques. Néanmoins, dans le premier livre De Clementia, les sénateurs sont quasiment absents : ils n’existent que comme récipiendaires de la clémence du prince214. Le discours est tourné vers celui-ci, dans la lignée des miroirs au prince hellénistiques comme ceux qui ont été composés par Isocrate pour son élève Nicoclès, roi de Salamine de Chypre (374 – ca 360 av. J.-C.). Cicéron s’était déjà inspiré des éloges grecs du souverain dans le Pro Marcello qu’il prononça en 46 av. J.-C. devant le Sénat, pour remercier César d’avoir accepté de rappeler à Rome le pompéien M. Claudius Marcellus (consul en 51 av. J.-C.), exilé à Mytilène215 : mais dans son discours, les pères conscrits, dont 213

214 215

Calpurnius Siculus, Ecl., i, 59–62 : Omne procul uitium simulatae cedere pacis / iussit et insanos Clementia contudit enses. / Nulla catenati feralis pompa senatus / carnificum lassabit opus, nec carcere pleno / infelix raros numerabit Curia patres, trad. J. Amat. M. T. Griffin a attiré l’attention sur ce texte dans Seneca, p. 126, et dans Néron, p. 69. E. W. Leach, “The Implied Reader and the Political Argument in Seneca’s Apocolocyntosis and De Clementia”, Arethusa, 22, 1989, p. 197–230. Les thèmes communs entre le de Clementia i et les traités politiques et philosophiques grecs ont été déjà bien étudiés : voir notamment T. Adam, Clementia Principis. Der Einfluss hellenistischer Fürstenspiegel auf den Versuch einer rechtlichen Fundierung des Principats durch Seneca, Stuttgart, 1970, p. 12–18 (p. 15, l’auteur fournit une liste des Stoïciens auxquels étaient attribués des miroirs au prince) et 40–62 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 144– 148. Le De Clementia a été également comparé au Pro Marcello, au De Republica et aux Res gestae : voir T. Adam, Clementia Principis, p. 82–88 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 141–146, et “Political Thought in the Age of Nero”, p. 327 ; P. Grimal, « Du De Republica au De Clementia », mefra, 91, 1979, p. 671–691 ; J.-M. André, « La conception de l’Etat et de l’Empire dans la pensée gréco-romaine des deux premiers siècles de notre ère », anrw, ii, 30, 1, Berlin, New York, 1982, p. 3–19 ; I. Lana, I principi del buon governo secondo Cicerone e Seneca. Corso di Letteratura latina, Turin, 1981.

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il affirmait être le représentant, sont omniprésents face au dictateur. Il semble plus probable que le discours de Sénèque ait été adressé au prince et prononcé à la cour plutôt qu’au Sénat216. Le discours a été publié dans un second temps, peut-être pas par le philosophe, puisque le second livre est resté inachevé, mais plutôt par des admirateurs de celui-ci, après sa mort et celle de Néron en juin 68. On peut supposer que l’ouvrage était destiné à une élite aristocratique portée à la philosophie et à même d’apprécier les idées politiques originales du maître. Ce qui est sûr est que ces idées semblent avoir été bien répandues, dès le début du iiie siècle, parmi les dignitaires de l’Empire217. On ne peut pas parler de propagande au sujet du De Clementia, dans la mesure où il n’y a pas eu, semble-t-il, diffusion massive des idées de Sénèque au service du pouvoir (d’autant que son projet a échoué). L’amicus principis a d’abord voulu proposer à son élève un « pacte politique »218. Ce pacte consistait à dire à Néron : « Soit un roi clément, et tu seras assuré de l’affection et de la protection de tes sujets »219. Il est fondé sur une idée de réciprocité qui était essentielle dans les rapports sociaux des Romains, notamment dans les rapports que les aristocrates entretenaient entre égaux ou bien de supérieur à inférieur, et Sénèque a réfléchi sur ces rapports dans le De Beneficiis220. Le De Clementia i repose sur l’affirmation selon laquelle les bienfaits du souverain seront payés en retour par la reconnaissance de ses sujets. Si les sénateurs n’ont pas de place dans le discours, sauf comme bénéficiaires de la clémence impériale (mais il est vrai que la place des sénateurs auprès du prince était problématique et sans cesse à redéfinir sous les Julio-Claudiens221), le peuple est beaucoup plus présent : c’est lui, ainsi que la multitude indisciplinée, qui apparaissent comme 216 217 218

219 220 221

Contra P. Grimal, Sénèque, p. 122, selon qui le discours aurait pu être prononcé lors de la nuncupatio uotorum du 3 janvier 56 ou lors de l’entrée en charge de Sénèque comme consul suffect, vers juin 56. Voir infra, c. 5. J’emprunte cette idée de pacte, qui me paraît très juste, à P. Veyne, Sénèque, une introduction, Paris, 2007, p. 45. Voir Cl., i, 3, 3 ; 5 ; 7, 3 ; 10, 2 ; 11, 4 ; 13, 1 ; 13, 4–5 ; 19, 5–6 : securitas securitate mutua paciscenda est, « c’est par un pacte de sécurité mutuelle que la sécurité doit être garantie », § 5, trad. F. R. Chaumartin ; R. A. Kaster, M. C. Nussbaum (trans.), Lucius Annaeus Seneca : Anger, Mercy, Revenge. The Complete Works of Lucius Annaeus Seneca, Chicago, London, 2010, p. 143–144. Le thème de la sécurité du roi est très important dans le premier livre : la deuxième cooccurrence spécifique du mot rex est tutus. Voir Isocrate, A Nicoclès, 21 ; Cicéron, Marc., 7, 21. Parmi les bienfaits du prince apparaissent des exemples où celui-ci pardonne aux individus : Ben., ii, 12, et iii, 27 ; voir M. T. Griffin, Seneca on Society, p. 61–65, 70–74, 81–87. M. Bonnefond-Coudry, « Princeps et Sénat sous les Julio-Claudiens : des relations à inventer », mefra, 107, 1995, p. 225–254.

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ayant le plus besoin d’un principe d’ordre et ce sont eux qui représentent aussi la plus grande menace pour le tyran222. Tel est, à nos yeux, la visée essentielle du premier discours : dans cette perspective, celui-ci ne saurait être qu’un prolongement et un détournement des nombreux discours sur la clémence rédigés par Sénèque en 55 à l’intention des sénateurs et prononcés par Néron. On peut également reconnaître au De Clementia plusieurs autres objectifs, qui en font un discours idéologique de grande ampleur : il s’agit 1) d’une apologie du jeune prince, 2) d’une présentation de normes générales, morales, fixant le rôle social et politique de celui-ci, 3) d’une théorisation du principat conçu comme monarchie, à partir de bases stoïciennes qui, à l’époque, étaient largement diffusées au sein de l’élite cultivée. Sénèque espérait-il pour autant persuader ses pairs ? les convaincre d’accepter une vision plus réaliste du principat, comme l’a proposé M. T. Griffin223 ? C’est possible, puisque son discours mettait en avant une vertu essentielle pour les sénateurs, dans un langage conceptuel qu’ils partageaient ; néanmoins, s’il a voulu construire une image du prince qui puisse emporter l’adhésion, c’est en premier lieu celle de Néron lui-même qui était recherchée ; 4) il s’agit aussi d’une mise en avant de son propre rôle comme idéologue et conseiller du prince224. Le philosophe a utilisé plusieurs stratégies pour parvenir à ses fins. Dans le premier discours à visée protreptique, il entreprend à la fois de montrer au jeune prince ce qu’il gagnera à être clément, et de l’effrayer en faisant allusion au sort du souverain colérique. Le thème de la sécurité que procure au roi la pratique de la douceur est utilisé pour évoquer le risque de désordre provoqué par la cruauté royale225. La figure du tyran, opposée à celle du bon roi, est liée à la révolte des sujets226. Sénèque remplit ainsi le rôle du conseiller philosophe

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225 226

Le terme populus apparaît en i, 1 (3 X), 3, 4 (2 X), 9, 10, 13, 14, 26 (contre seulement deux occurrences de senatus en i, 12 et 24). La menace de la multitude et du peuple romain ou bien des peuples apparaît en i, 1, 1 ; 4, 2 ; 26, 1. M. T. Griffin, Néron, p. 86. M. T. Griffin, Seneca, p. 136–141, et Néron, p. 85–86 ; E. W. Leach, “The Implied Reader”, p. 216–227 ; voir aussi B. Mortureux, « Les idéaux stoïciens », p. 1680, qui souligne l’effort de Sénèque pour fonder une doctrine politique d’obédience stoïcienne à l’usage de l’Empire romain : « Sénèque, ayant su dégager l’autocratie latente dans la monarchie impériale, a annexé la clementia au profit d’une conception stoïcienne du pouvoir, donnant à cette autocratie à la fois ses fondements et ses garde-fous ». Cl., i, 8, 6–7. Cl., i, 12, 3–8 ; 13 ; 25–26 (en conclusion du discours).

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qu’il décrit dans le De Beneficiis, en montrant au prince la fragilité de son pouvoir et les efforts qu’il faut fournir pour affermir celui-ci227. Le philosophe fait donc appel aux passions, en particulier à la peur, metus ; la joie, laetitia, est aussi présente, et le début du texte affirme que le plus grand plaisir, uoluptas, est celui du roi clément (par opposition au plaisir attaché à la cruauté, que goûte le tyran)228. Le recours aux affectibus dans le premier discours constitue une véritable originalité par rapport à l’éloquence philosophique qui évitait habituellement de jouer sur les passions si l’on en croit Quintilien229. Sentiments, émotions et passions jouent un rôle aussi important dans le De Clementia que le contexte juridique de la clémence. Cette caractéristique atteste l’influence de la rhétorique sur le projet philosophique de Sénèque, et elle est cohérente avec la nature même d’une entreprise concernant la gestion des passions du prince. Les ressources de l’éloquence épidictique et celles de l’éloquence parénétique sont exploitées avec virtuosité dans le premier livre pour construire les normes du pouvoir230 : en témoigne, dès le prologue, le recours à une prosopopée qui fait parler Néron et redouble ainsi le rôle de miroir que se fixe le discours. Ce rôle est pour la première fois mentionné de manière explicite, et l’on peut considérer le premier traité de Sénèque Sur la clémence comme une étape déterminante, sinon comme le véritable début de la tradition des miroirs au prince231. Les normes apparaissent le plus souvent sous la forme de praecepta qui tendent à l’universel, d’autant plus qu’elles sont assises sur les principes métaphysiques et éthiques du Stoïcisme232. Ces principes philosophiques

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Ben., vi, 30, 4–6 ; 33, 2 ; voir supra. La notion de consilium (conseil que l’on réunit ou bien avis que l’on donne) apparaît à plusieurs reprises dans le De Clementia : Cl., i, 3, 6, 9, 15, 25 ; i, 5. Voir aussi ii, 2 : Sénèque veut que ce qui est encore un « élan naturel devienne pensée réfléchie », quod nunc natura et impetus est, fiat iudicium (trad. F.-R. Chaumartin). Metus : i, 8, 12 (3 X), 13, 19 (2 X), 24, 26 ; laetitia : i, 1 (2 X), 19 ; uoluptas : i, 1 : c’est le plaisir du sage qui correspond parfaitement à lui-même, voir Diogène Laërce, vii, 86. L’idée que Sénèque manipule les faiblesses de Néron est avancée par M. T. Griffin, Seneca, p. 138. Plaisir de la cruauté : Cl., i, 11, 4. Quintilien, xi, 1, 33 (à propos du style exploitant les affectus). Voir Tacite, Ann., xiii, 2, 1, à propos de l’influence de Sénèque sur le jeune prince, praeceptis eloquentiae et comitate honesta, « par des leçons d’éloquence et par une honnête affabilité ». Cl., i, 1, 2–4 ; i, 1, 1 : speculi uice. Voir notamment A. Charles-Saget, « Un traité en forme de miroir : le De clementia de Sénèque », Annales Latini Montium Aruernorum, 14, 1987, p. 41–50 ; M. Armisen-Marchetti, « Speculum Neronis : un mode spécifique de direction de conscience dans le De clementia de Sénèque », rel, 84, 2006, p. 185–201. Cl., i, 4, 1.

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créent une contrainte d’ordre à la fois moral et naturel233. Leur efficacité est redoublée par le recours aux exempla, dont l’intérêt pédagogique a été souligné par Quintilien234. Sénèque exploite aussi la notion du « convenable », par l’intermédiaire des termes decet (9 occurrences), decus/decor (3 occurrences), decorus (2 occurrences). Il s’agit à la fois d’une notion philosophique essentielle dans l’ancien Stoïcisme235, et d’une notion sociale fondamentale dans la société romaine, relative aux devoirs civiques : Sénèque fait en effet référence aux attentes qui pèsent sur Néron236, et lui rappelle qu’il est au centre de tous les regards, qu’il n’est pas libre de ses paroles qui sont rapportées à tous les peuples, et que les princes doivent faire beaucoup de concessions à la fama237. Il tente donc de faire peser sur le jeune empereur des pressions de différents types – social, moral, psychologique – pour le persuader d’adhérer à la conception du pouvoir qu’il lui soumet. 3

Conception et images du pouvoir dans le De Clementia

Le De Clementia n’est pas une réflexion sur les modalités de gouvernement, ce qui était le sujet du discours prononcé par Néron lors de son avènement devant le Sénat, mais l’ouvrage porte sur la nature même du pouvoir impérial. C’est cette nature qui doit logiquement déterminer le mode de gouvernement, ainsi que les relations du princeps avec ses inférieurs. De fait, comme on l’a souvent remarqué, le De Clementia implique des différences fondamentales avec les promesses de début du règne, qui étaient conventionnelles et destinées à plaire au Sénat238. La conception du pouvoir défendue ici par Sénèque, plus originale, s’éloigne de la référence augustéenne et de la notion de partage du pouvoir. a L’opposition entre bon roi et tyran Sénèque s’adresse à Néron en employant son nom de Caesar, mais il utilise surtout trois autres termes pour élaborer sa réflexion politique : princeps, rex 233 234 235 236 237 238

De nombreux références renvoient aux dieux ou bien à l’ordre naturel : par exemple, Cl., i, 7, 1–2 ; 8 ; 19, 2–4 pour la comparaison politique traditionnelle avec les abeilles. Quintilien, xii, 2, 30. Diogène Laërce, vii, 107–110. Cl., i, 1, 6. Cl., i, 8, 1–5 ; 15, 5. Voir aussi Cl., i, 13, 4 : le bon roi souhaite que ses sujets approuvent l’exercice de sa souveraineté. Voir notamment F. Weidauer, Der Prinzipat in Senecas Schrift de Clementia, Diss. Marburg, 1950, p. 44 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 141.

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et tyrannus. Ce qui est tout à fait remarquable est son usage raisonné du terme rex au sens de bon roi, ainsi que du terme regnum, alors que depuis l’instauration de la République, les Romains utilisaient habituellement ces mots dans un sens péjoratif pour désigner quelqu’un qui cherchait à imposer un pouvoir illimité239. On peut l’expliquer d’une part par le réalisme politique de Sénèque qui ne jugeait plus possible le retour à l’ancienne forma de la République, comme l’avait montré l’échec des sénateurs républicains juste après l’assassinat de Caligula, et d’autre part par l’idée stoïcienne selon laquelle le meilleur gouvernement était celui d’un roi juste240. La préférence des Stoïciens pour la monarchie peut trouver confirmation dans l’hymne à Zeus attribué à Cléanthe, qui nous a été transmis par Stobée241. Les termes les plus employés sont rex (21 occurrences) et princeps (19 occurrences), tyrannus est nettement moins fréquent (7 occurrences). Princeps est employé au sens propre de « qui occupe le premier rang » : s’il renvoie le plus souvent à l’empereur, il est aussi utilisé pour désigner le grand pontife Lépide242. Le princeps est associé au rex au sens de bon roi243, et l’expression de 239 240

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Voir surtout M. T. Griffin, Seneca, p. 141–148. M. T. Griffin, Seneca, p. 147 n. 3, a attiré l’attention sur ce passage éclairant du De Beneficiis, ii, 20, à propos de Brutus : Mihi enim, quum uir magnus fuerit in aliis, in hac re uidetur uehementer errasse, nec ex institutione stoica se egisse, qui aut regis nomen extimuit, quum optimus ciuitatis status sub rege iusto sit ; aut ibi sperauit libertatem futuram, ubi tam magnum praemium erat et imperandi, et seruiendi ; aut existimauit ciuitatem in priorem formam posse reuocari, amissis pristinis moribus ; futuramque ibi aequalitatem ciuilis iuris, et staturas suo loco leges, ubi uiderat tot millia hominum pugnantia, non an seruirent, sed utri, « le fait est qu’il a beau avoir été un grand homme à d’autres égards, m’est avis que, sur ce point, il s’est grandement trompé et ne s’est pas comporté selon les enseignements du stoïcisme ; car, ou le titre de roi l’a épouvanté, alors que l’Etat ne saurait être en meilleures conditions de stabilité que sous un monarque juste, ou il a espéré que la liberté pouvait subsister là où tant d’avantages étaient attachés au pouvoir suprême et à la servitude ; ou il a pensé que l’Etat pouvait être ramené à sa constitution antérieure après la disparition des mœurs d’antan, et qu’on verrait régner l’égalité des droits entre les citoyens comme les lois garder la place qui leur revient, là où, sous ses propres yeux, tant de milliers d’hommes s’étaient battus pour décider, non s’ils seraient esclaves, mais lequel de deux serait le maître », trad. F. Préchac. Le réalisme de Sénèque, le rapprochement qu’il fait des notions d’« empire » et de servitude, rappellent naturellement Tacite au début des Annales, i, 2, 1, et 4, 1. Sur les hésitations des sénateurs après la mort de Caligula, voir Suétone, Cal., 60 ; Cl., 10, 7–8. Stobée, i, 25–27  :  voir A.  A. Long, D.  N. Sedley, Les philosophies hellénistiques, ii, trad. J. Brunschwig, P. Pellegrin, Paris, 2001, p. 364–366. Voir aussi M. T. Griffin, Seneca, p. 202– 206. Cl., i, 10, 1. Cl., i, 3, 3 : Nullum tamen clementia ex omnibus magis quam regem aut principem decet, « Pourtant parmi tous la clémence ne convient davantage à personne qu’au roi ou à l’empereur », trad. F.-R. Chaumartin ; i, 16, 1 ; ii, 1, 3 ; ii, 5.

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bonus princeps apparaît à trois reprises en renvoyant à Auguste244. La cooccurrence spécifique du mot princeps est exemplum245. Cette notion d’exemplum est très importante dans le premier livre, dans lequel Sénèque cherche à construire un modèle de princeps en se référant notamment à Auguste, à la figure du père et aux dieux246. Dans cette construction, la figure du bon roi a pour contre-point celle du tyran : la première cooccurrence spécifique du mot rex est en effet tyrannus. La réflexion de Sénèque s’inscrit ainsi dans le contexte d’une opposition entre bon roi et tyran, qui est traditionnelle dans la philosophie politique grecque depuis Platon247. La présence du tyran relève aussi de la tradition rhétorique latine de la déclamation, car les tyrans et les tyrannicides étaient des éléments récurrents dans les controverses et les suasoires, comme on le voit chez Sénèque père ou bien chez Quintilien248. Le tyran fictif des déclamations est celui qui torture, viole, tue, renverse l’ordre social, dépouille les temples, et qui périt de mort violente  ; la figure du «  tyran » Marc Antoine dans les Philippiques de Cicéron lui doit beaucoup. L’opposition entre le rex et le tyrannus est essentielle à la démonstration de Sénèque, mais elle est aussi ambiguë car la différence entre les deux est à la fois mince et fondamentale249. Ils se différencient non par leur condition 244 245

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Cl., i, 10, 3 ; 15, 3 ; i, 22, 3. Les deux livres du De Clementia ont fait l’objet d’une analyse lexicométrique réalisée à l’aide des logiciels LEXICO 3 et COOCS (développés par l’Université Paris 3) ; le corpus étant restreint, nous n’avons pas fait ici de statistiques. Nous utiliserons à nouveau cette analyse pour comparer le Panégyrique de Pline au De Clementia. La cooccurrence renvoie aux mots qui apparaissent dans un même contexte (ici celui du paragraphe) que le mot pôle, celui qui est analysé. Cl., i, 7, 1 ; 15, 3 ; 16, 2. Voir F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, Washington, 1966, p. 177–204 ; P. Carlier, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, 1984, p. vii, 234 et 512 ; P. Barceló, « Basileia, Monarchia, Tyrannis. Untersuchungen zu Entwicklung und Beurteilung von Alleinherrschaft im vorhellenistischen Griechenland », Historia, 79, 1993, p. 11–345. Voir Sénèque père, Con., i, 7 ; ii, 5 ; iii, 6 ; iv, 7 ; v, 8 ; ix, 4 ; vii, 6 (ce recueil a été constitué par son auteur vers la fin de sa vie, à la demande de son fils). Voir aussi Quintilien, Decl., 253 ; 267 ; 274 ; 282 ; 288 ; 293 ; 351 ; 352 ; 382. Sur la typologie du tyran, voir notamment J. Béranger, « Tyrannus », rel, 13, 1935, p. 85–94 ; J. R. Dunkle, Study of the Rhetorical Tyrant in Rome in the First Century B.C., Diss. Pennsylvania, 1965 ; id., “The rhetorical tyrant in Roman Historiography : Sallust, Livy, and Tacitus”, cw, 65, 1971, p. 12–20. C. Favez, « Le roi et le tyran chez Sénèque », dans Hommages à Léon Herrmann, Bruxelles, 1960, p. 346–349. Contra T. Adam, Clementia principis, p. 56, selon qui le roi peut prendre le chemin du tyran. Il faut, en fait, distinguer entre les deux livres : l’opposition entre roi et tyran est nette dans le livre i, mais dans le livre ii, quand Sénèque raisonne à partir des vertus et des vices, il envisage le glissement de la sévérité à la cruauté : Cl., ii, 4, 4.

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ou par leur pouvoir250, ni par leur titre, mais par leurs actes – Sylla constitue ainsi le modèle du tyran pour Sénèque251 –et surtout par l’amour de la cruauté, moteur des actes du tyran, tandis que la clémence motive ceux du roi252. Le roi aussi peut être cruel, mais seulement par nécessité ; les deux peuvent être amenés à tuer, mais l’un en raison de l’utilitas publica, l’autre parce qu’il aime être cruel253. La définition du tyran est donc morale et psychologique. Il est aussi caractérisé par son agitation qui s’oppose à la tranquillitas du sage254. Enfin, les tyrans ont des règnes courts (alors que ceux des bons rois sont longs et qu’ils transmettent leur pouvoir à leur héritier), car ils suscitent la révolte de leurs sujets255. Si l’inquiétude est un trait marquant du tyran dans l’analyse platonicienne, le fait de caractériser celui-ci surtout par le goût de la cruauté paraît plus original256. Il faut peut-être le rapporter à l’image du tyran cruel transmise par la tradition rhétorique, ou alors au souvenir de Caligula dont la cruauté a été soulignée dans l’historiographie antique ; c’est aussi dû, sans doute, à la volonté de construire une figure de tyran en opposition avec celle du roi clément. Quels sont les principaux critères et références utilisées pour définir ce dernier ? La référence à Auguste est fondamentale dans le De Clementia comme dans le discours rédigé par Sénèque et tenu par Néron devant le Sénat, lors de son avènement : le nouveau prince était en effet le descendant consanguin d’Auguste par sa mère et par sa grand-mère, ce dont ne pouvait se targuer Claude257. Mais cette référence, qui est celle du bonus princeps, est pourtant à dépasser, car la clémence de Néron est encore supérieure à celle d’Auguste : Nul n’osera comparer la douceur (mansuetudo) du Divin Auguste à la tienne, même si pour rivaliser avec tes jeunes années, il a laissé arriver une vieillesse plus que mûre  ; il aura été modéré et clément (moderatus et 250 251 252 253 254 255 256 257

Cl., i, 11, 4 (fortuna, licentia). Cl., i, 12, 1–2. Cl., i, 11, 4 ; 12, 1 et 3. Cl., i, 12, 1. Cl., i, 12, 3–4 ; voir le portrait du tyran chez Dion de Pruse, Or. i, 76–82 ; Cl., i, 26, 2 : le règne de la cruauté engendre chez tous peur, tristesse, agitation, confusion ; Cl., ii, 6, 2 sur la tranquillitas du sage. Cl., i, 11, 4 ; 26, 1. Platon, R., ix, 577d-580 c, 587 b-e : l’homme tyrannique, toujours en proie aux désirs et aux craintes, est le plus malheureux des hommes. Voir Cicéron, Tusc., v, 20, 57-xxii, 63, pour l’exemple de Denys de Syracuse. Sur les nombreuses références à Auguste dans le monnayage de Néron, voir D.  Grau, « Néron, héritier d’Auguste : perspectives numismatiques », rn, 165, 2009, p. 129–152.

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clemens), mais ce fut après que la mer d’Actium eut été souillée du sang romain, après qu’en Sicile eurent été mises en pièces sa flotte et celle de l’adversaire, après les hécatombes de Pérouse et les proscriptions. Pour ma part, je n’appelle pas clémence une cruauté blasée (lassa crudelitas) ; la vraie clémence, César, est celle que tu mets en œuvre, qui ne commence pas par le repentir de sévices  :  elle ne comporte aucune tache, n’a jamais répandu le sang des citoyens ; elle est, dans l’exercice d’un très grand pouvoir, la tempérance de l’âme la plus vraie (in maxima potestate uerissima animi temperantia) et du genre humain (…) sans se laisser corrompre par quelque passion ni par quelque aveuglement de sa nature, ni par les exemples de ses prédécesseurs, le souverain ne cherche pas à éprouver tout ce qui lui est permis contre ses concitoyens mais à émousser le tranchant de son pouvoir258. La supériorité de Néron sur Auguste relève de la rhétorique de l’éloge259, ainsi que d’une conception encore républicaine de la gloire familiale, selon laquelle il faut perpétuer et dépasser la renommée des ancêtres260. Elle reflète aussi le rapport ambigu, parfois très critique, que les Julio-Claudiens ont entretenu avec la mémoire de leurs prédécesseurs261. D’Auguste, Sénèque ne veut pas conserver l’image du vainqueur des guerres civiles, dont la cruauté est soulignée262. Cette image était pourtant partie 258 259

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Cl., i, 9–11, part. 11, 1–2, trad. F.-R. Chaumartin, légèrement modifiée ; le texte est corrompu après humanis generi. Voir Aristote, Rh., 1366 b 36 ; 1367 a 3 ; 1368 a 10 ; Cicéron, de Orat., ii, 346–347 ; Pline, Pan., 53, 1 ; Quintilien, iii, 7, 16 : « Les auditoires apprécient davantage le récit de ce qu’un personnage a été le seul ou le premier ou, tout au moins, l’un des rares à accomplir ; et il faudra parler aussi de toute autre action, inespérée ou inattendue, en insistant sur ce qu’il a fait pour les autres plus que pour lui », trad. J. Cousin. Nous avons déjà évoqué plus haut les éloges funèbres évoqués par Tacite, Ann., ii, 73, à propos des funérailles de Germanicus à Antioche, qui soulignaient la supériorité du prince, par sa clémence, sur Alexandre le Grand. C. Badel, La noblesse de l’empire romain, p. 163–167. Voir E. S. Ramage, « Augustus’ Treatment of Julius Caesar », Historia, 34, 1985, p. 223–245 ; id., «  Denigration of Predecessor under Claudius, Galba, and Vespasian  », Historia, 32, 1983, p. 201–214 ; G. Giliberti, La memoria del principe. Studi sulla legittimazione del potere nell’età giulio-claudia, Turin, 2003. Voir déjà dans le discours prononcé par Néron lors de son avènement, Tacite, Ann., xiii, 4, 1, où le jeune prince affirmait sa supériorité par rapport aux autres princes ayant connu des guerres civiles ou des dissensions domestiques. Properce a aussi dénoncé les massacres qui ont suivi la guerre de Pérouse dans les élégies 21 et 22 du livre i. Voir aussi Velleius Paterculus, ii, 86 : la clémence d’Auguste n’a pu s’exprimer qu’après Actium. Voir M. B. Dowling, Clemency and Cruelty in the Roman World, University of Michigan, 2006, p. 29–75.

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constituante de la figure du fondateur du principat en 28/27 av. J.-C.  ; mais les quatre vertus du clipeus uirtutis sont également peu présentes dans le De Clementia. On peut faire la même remarque au sujet des vertus philosophiques cardinales263. Les qualités attendues pour exprimer la grandeur et la dignité royale, comme la magnanimitas, la magnitudo, la maiestas, sont aussi relativement discrètes264. Plus surprenant encore, les grandes vertus impériales, celles des prédécesseurs de Néron, sont peu visibles : la liberalitas n’apparaît qu’une fois et la ciuilitas n’est pas nommée, mais décrite une fois aussi265. La moderatio et la modestia chères à Tibère, mais aussi à Claude, n’apparaissent que deux fois pour la première, une fois pour la seconde, et la constantia propre au second est absente266. Le modèle proposé par Sénèque correspond donc à une perspective très différente267, et le philosophe a voulu le distinguer des modèles des prédécesseurs de Néron. Il pousse celui-ci à devenir lui-même son propre modèle, en se conformant au reflet du miroir qu’il lui construit268. Une vertu principale, étroitement liée à la justice et à la tempérance269, est très largement mise en évidence : la clementia qui apparaît à 46 reprises (31 occurrences dans le premier livre et 15 dans le second). Elle est très fortement associée à la uirtus  :  uirtus est la première cooccurrence spécifique de clementia, et clementia la deuxième cooccurrence spécifique de uirtus, ce qui montre bien que la clémence est ici la vertu par excellence270. En revanche, la quasi-absence du courage est frappante  :  l’adjectif fortis n’apparaît qu’à deux occasions et renvoie à la notion de courage au sens

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Dans les deux livres, on ne trouve que 3 références à la pietas, 2 à la iustitia, 2 à la temperantia, 1 à la prudentia. On trouve seulement 3 attestations pour magnitudo, 2 pour magnanimitas et maiestas. Sur les qualités royales, voir Cicéron, Deiot., 9 : fortis, iustus, seuerus, grauis, magnanimus, largus, beneficus, liberalis ; voir Cl., i, 19, 9 : beneficus ac largus et in melius potens. Cl., i, 13, 4. L’adjectif moderatus est plus souvent utilisé (4 occurrences, y compris dans la forme adverbiale). M. T. Griffin, Seneca, p. 168–169, pense que la doctrine de la clémence est une invention propre à Sénèque. Cl., i, 1, 1 et 6 ; I. Lana, I principi del buon governo, p. 108. Pour les Stoïciens, toutes les vertus sont liées les unes aux autres, et celui qui en a une les a toutes : Diogène Laërce, vii, 125–131. On a déjà évoqué le contexte judiciaire de la clementia dans l’ouvrage de Sénèque, voir supra. L’emploi de iudex a été commenté par M. Fuhrmann, « Die Alleinherrschaft und das Problem der Gerechtigkeit », p. 505–507 ; T. Adam, Clementia principis, p. 20–24 ; M. Bellincioni, Potere ed etica in Seneca. Clementia e uoluntas amica, Brescia, 1984, p. 71–100. C’est la vertu qui convient le mieux aux imperatoribus, Cl., i, 5, 2.

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moral, et non au sens guerrier271. Dans le De Officiis, écrit dans les derniers mois de l’année 44 av. J.- C. et très inspiré par les idées stoïciennes, Cicéron critiquait la grandeur d’âme (magnanimitas) qui va de pair avec le courage au sens guerrier, en visant sans doute Marc Antoine contre lequel il avait rédigé la Deuxième Philippique, ainsi que Jules César. Il soulignait les dangers de la recherche individuelle de la gloire par les armes, et caractérisait l’âme courageuse par le mépris des biens extérieurs, des passions, et par la capacité à supporter les maux de la vie sans perdre sa dignité272. Cette définition, qui correspond aux rares usages que Sénèque fait de fortis, était sans doute trop éloignée du modèle politique augustéen qui était alors très prégnant pour être développée dans un miroir au prince. Ajoutons que la situation extérieure de Rome, à la fin de l’année 55 ou au début de 56, ne nécessitait pas un appel au courage guerrier de l’empereur. A la fin de 54, Rome s’était alarmée de l’invasion de l’Arménie par les Parthes. Mais en 55 les faisceaux de Néron étaient ornés de lauriers en raison des succès de Quadratus et de Corbulon auxquels Vologèse avait livré des otages et le danger parthe paraissait écarté273. La gloire du rex, la renommée du bonus princeps, sont mises en avant dans le premier livre, en liaison avec l’exercice de la clémence274. Le thème de la gloire est en revanche beaucoup moins important que dans le Pro Marcello, où Cicéron soulignait avec insistance le rôle moteur que celle-ci jouait dans la conduite de César275. Un autre modèle, rapproché de celui d’Auguste, est fondamental dans la réflexion politique de Sénèque : c’est celui du bon pater familias276. L’idée que le

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Cl., i, 6, 3 (persister courageusement dans les résolutions) ; i, 5, 3 (lutter contre le malheur est ce qu’il y a de plus grand et de plus courageux). Cf. aussi i, 26, 5 : « Aucun ornement n’est plus digne du faîte qu’occupe le souverain et plus beau que cette couronne [civique] obtenue pour avoir sauvé des citoyens, ni les armes ennemies enlevées aux vaincus, ni les chars ruisselant du sang des barbares, ni les dépouilles acquises à la guerre. Voici ce qu’est une puissance de marque divine : sauver en masse et collectivement ; tandis que mettre à mort sans distinction nombre de gens, c’est la puissance de l’incendie et de la destruction », trad. F.-R. Chaumartin. Off., i, 18, 61- i, 20, 70. Voir aussi Fin., iii, 8, 27–29 pour le courage comme mépris des accidents. Voir Diogène Laërce, vii, 126 (le courage concerne ce qui est à supporter). Tacite, Ann., xiii, 6–8. Cl., i, 10, 2 ; 17, 3 ; 20, 2–21 ; i, 21, 3. Dans le De Officiis où l’inspiration stoïcienne est prépondérante, Cicéron conseille de se méfier de la gloire qui entraîne les hommes à commettre des injustices et les prive de leur liberté (Off., i, 19, 65 ; 20, 68). Cl., i, 14, 2 ; 15, 3 : Hoc ipso exemplo dabo, quem conpares bono patri, bonum principem, « Un tel exemple me donne l’occasion de citer celui qu’on eut comparé à un bon père, un bon prince », trad. F.-R. Chaumartin ; 16, 2–3.

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roi est comme un bon père pour ses sujets est courante dans la réflexion politique grecque sur le bon roi, que l’on trouve chez Platon, Xénophon et Aristote. C’est une idée très ancienne, déjà présente dans les épopées homériques pour caractériser la figure royale277. A Rome, une telle conception a été exploitée par César et, après le meurtre de celui-ci, par Antoine, en rapport avec le titre de pater patriae dont la signification a subi alors une importante évolution, dans la mesure où ce titre a été associé à la clementia Caesaris278. Dans le premier livre du De Clementia, Sénèque rapproche la figure paternelle du bon prince et le titre de pater patriae que Néron venait d’accepter, à la fin de 55 ou au tout début de 56279 : La conduite du père doit être aussi celle du prince : si nous l’avons appelé Père de la Patrie, ce ne fut pas dans un esprit de vaine adulation ; car tous les autres surnoms ont été donnés pour honorer : nous avons dit Grands, Heureux, Augustes, et en attribuant un tel surnom à des hommes illustres, nous avons accumulé tous les titres que nous avons pour célébrer un prestige avide d’honneurs. Mais nous l’avons appelé Père de la Patrie, afin qu’il sût qu’on lui avait conféré une autorité paternelle qui relève de la

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Voir Platon, R., viii, 568 e ; Xénophon, Cyr., viii, 1, 1 ; viii, 1, 44 ; viii, 2, 9 ; viii, 8, 1 ; Ages., 7, 3 ; Isocrate, Evagoras, 43 ; A Nicoclès, 9, 15–16, 23–24 ; Aristote a utilisé le modèle du père et du gouvernement domestique pour définir dans sa Politique, iii, 14, 15, 1285 b, la cinquième forme monarchique qui est une royauté illimitée ; le modèle de l’autorité paternelle, qui s’exerce pour le bien de ceux qui y sont soumis, est utilisé pour réfléchir sur la fin de l’État, Pol., iii, 6, 7, 1278 b ; Cicéron, Rep., ii, 26, 47. Voir G. Barner, Comparantur inter se Graeci de regentium hominum virtutibus auctores, Marbourg, 1889, p. 8 ; sur l’image de Cyrus comme père bienveillant pour la société, voir V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris, 2004, p. 357–370. Cicéron, Lig., 10, 30, assimile César à un bon père en faisant appel à sa clémence ; voir aussi Suétone, Jul., 84–85, sur les funérailles mettant en scène la clémence de César et l’ingratitude de ses meurtriers, ainsi que l’érection sur le forum d’une colonne de marbre dédicacée «  Au père de la patrie  ». Sur la signification de pater patriae, voir notamment J. Béranger, Recherches sur l’aspect idéologique du Principat, Bâle, 1953, p. 276–278 ; A. Alföldi, « Die Geburt der kaiserlichen Bildsymbolik. Kleine Beiträge zu ihrer Entstehungsgeschichte. 2.  Parens patriae  », mh, 9, 1952, p.  204–243, et mh, 10, 1953, p.  103– 124 = id., Der Vater des Vaterlandes im römischen Denken, Darmstadt, 1971, part. p. 83–92. M.  T. Griffin, Seneca, p.  146, n.  4, renvoie aussi à F.  Weidauer, Der Prinzipat in Senecas Schrift « De Clementia », Diss. Marburg, 1950, p. 36–46 pour la conception du roi comme père. Elle va de soi pour Cicéron, Rep., i, 54. Voir G. Flamerie de Lachapelle, Clementia, p. 38–44, sur l’idée que la clementia du paterfamilias est une source potentielle de la clementia principis (en général). Voir I. Lana, I principi del buon governo, p. 90–108 sur la théorie du « régime paternaliste » chez Sénèque. Voir supra.

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plus grande tempérance : elle veille aux intérêts des enfants et fait passer les siens après les leurs280. Le pouvoir du bon prince est comparé à la patria potestas, Sénèque le reconnaît comme illimité car le père de famille avait droit de vie ou de mort sur ses enfants281 ; mais cette potestas est infléchie par la clémence, elle est protectrice et philanthrope puisque le bien commun prime sur l’intérêt du père, conformément à la morale stoïcienne282. Le bon prince est aussi comparé, de manière plus générale, aux dieux « complaisants et équitables »283, et cette comparaison implique peut-être aussi le rapport paternel : le premier livre De Clementia souligne en effet le droit de vie et de mort que les dieux ont sur les hommes, et si la conception du divin varie chez les Stoïciens, elle repose sur l’idée d’une parenté entre dieux et hommes qui est souvent exprimée sous l’aspect de la paternité284. Le prince est aussi rapproché du médecin, ce qui est une comparaison traditionnelle dans la diatribe pour désigner le sage285. Le rôle du bon roi est d’abord de protéger son peuple, au sens large du terme. Il le protège en premier lieu de lui-même en s’abstenant de lui faire du mal, ce qui renvoie à la conception stoïcienne du sage qui ne nuit ni à lui-même ni aux autres286. Le thème du salut (du peuple et du roi) est très important, de même que la notion de bien commun ou public, elle aussi essentielle chez les Stoïciens287. Le roi apparaît donc, ensuite, comme une puissance 280

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Cl., i, 14, 2 : Hoc quod parenti, etiam principi faciendum est, quem appellauimus Patrem Patriae non adulatione uana adducti. Cetera enim cognomina honori data sunt ; Magnos et Felices et Augustos diximus et ambitiosae maiestati quicquid potuimus titulorum congessimus illis hoc tribuentes ; Patrem quidem Patriae appellauimus, ut sciret datam sibi potestatem patriam, quae est temperantissima liberis consulens suaque post illos reponens, trad. F.-R. Chaumartin, légèrement modifiée. Les titres de Magnus, Felix et Augustus font naturellement référence aux grands imperatores des guerres civiles, Pompée, Sylla (modèle du tyran) et Auguste, le fondateur du principat, caractérisé par sa « cruauté lasse ». Voir aussi Cl., i, 1, 2. Sur la philanthropie stoïcienne, voir G.  Fiasse, «  Les fondements de la philanthropie dans le nouveau stoïcisme, deux cas concrets : l’esclavage et la gladiature », Les études philosophiques, 63, 2002, p. 527–547. Cl., i, 7, 1–2. Cl., i, 1, 7. L’idée d’un dieu providentiel agissant comme un père bienfaisant vis-à-vis de ses enfants apparaît dans Ben., vii, 31, 4. Cl., i, 5, 1 ; 17, 2 ; 24, 1. Diogène Laërce, vii, 122. Voir Cl., i, 5 ; 19, 1 et 4–5. Par exemple Cl., i, 3, 3 ; 11, 4 ; 13, 4 ; 19, 5 ; 26, 5 pour le thème du salut. Sur l’image du bon prince tutor, opposé au tyran, voir K. Büchner, « Aufbau und Sinn von Senecas Schrift über die Clementia », Hermes, 98, 1970, p. 203–223, part. p. 220–221 (= id., Römische Prosa.

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bienfaisante288. Il n’est pas désigné expressément comme une puissance providentielle, mais il cherche le bonheur de ses sujets et répond à leurs attentes : sécurité, respect du droit, justice, liberté, paix, pudeur, dignité289. Ces valeurs correspondent notamment aux attentes sénatoriales, en particulier pour la libertas et la dignitas. Elles ont été pour certaines (iustitia, pax, libertas), et seront pour d’autres (securitas, pudicitia), figurées sur les monnaies, mais non sur le monnayage contemporain de Néron290. A côté de tels bienfaits, le règne du bon roi engendre également la prospérité, ce qui est là aussi une idée très ancienne, déjà présente dans l’Odyssée pour caractériser le règne de Pénélope à Ithaque, et bien exploitée dans l’iconographie augustéenne, par exemple sur l’Ara Pacis ou bien la gemma augustea291. Pour finir, le bon roi possède une fonction morale, qui rappelle naturellement les fonctions censoriennes des princes Julio-Claudiens : « Le prince donne une assise morale à la cité et la nettoie de ses vices »292.

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Studien zur römischen Literatur 9, Wiesbaden, 1978, p. 190–211). La notion de bien commun est importante dans la philosophie politique antique : elle est le propre des régimes droits chez Aristote : B. Sère, « Aristote et le bien commun au Moyen Age : une histoire, une historiographie », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 32, 2010, p. 277–291, part. p. 278–279. Cette notion est fondamentale dans le Stoïcisme, pour qui « l’homme est un être vivant social, né pour le bien commun », homo sociale animal communi bono genitus, Cl., i, 3, 2 ; cf. ii, 5, 3 ; 6, 7 : sapiens … succuret, proderit, in commune auxilium natus ac bonum publicum ; i, 23, 2. D’autres notions voisines d’utilité publique, de nécessité et de salut commun sont présentes dans le premier livre : i, 8, 3 ; 12, 1 ; 13, 1 ; voir J. Gaudemet, « Utilitas Publica », rhd, 29, 1951, p. 465–499 (= Etudes de droit romain ii, Naples, Camerino, 1981, p. 161–197) ; G. Longo, « Utilitas publica », Labeo, 19, 1972, p. 3–71 : à l’époque de Sénèque, cette notion désigne l’intérêt commun pour tous les hommes, alors qu’au iiie siècle elle renvoie à l’intérêt de l’Etat. L’idée du bien commun au sein d’une société civique se trouve aussi chez Cicéron, Off., i, 7, 20 et 22 ; 25, 85–87. Voir J. Béranger, Recherches, p. 252–278, sur le prince protecteur. M. Bellincioni, Potere ed etica in Seneca, c. 3, Il bene facere, p. 101–137. Voir J.-P. Martin, Providentia Deorum. Recherches sur certains aspects religieux du pouvoir impérial romain, Rome, 1982, p. 237 col. 2 – 239 col. 1. Le verbe prouideo apparaît une fois, Cl., ii, 6, 1, pour caractériser le sage. Cl., i, 8, 8 : securitas, ius, libertas ; 19, 8 : iustitia, pax, pudicitia, securitas, dignitas. Voir A.  F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, p.  319–322  :  Iustitia apparaît sous Tibère, Pax est présente sur les monnaies à la fin de la République, sous Auguste et Claude, Libertas à la fin de la République et sous Claude ; la personnification de Securitas apparaît sous Néron, mais après la conspiration de Pison (de même que Salus), celle de Pudicitia sous Hadrien. Cl., i, 19, 8. Voir Od. xix, 109–114, qui lie précisément la prospérité à la justice et à la piété royale. Du fait de son ancienneté, il est difficile de rattacher cette idée à un courant philosophique précis. Cl., i, 22, 3 : Constituit bonos mores ciuitati princeps et uitia eluit ; voir aussi Cl., ii, 2, 1. Il s’agit là aussi d’une tâche paternelle, car le bon père corrige ses enfants : Cl., i, 14, 1.

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Les fonctions dévolues au bon roi dans le premier livre De Clementia  – protéger, œuvrer pour le bien commun, corriger les mœurs – ne sont pas différentes de celles qui sont propres au sage dans le deuxième livre : le bonus princeps caractérisé par Sénèque est en résonance avec l’idéal du roi-philosophe293. b Les liens entre le roi, le peuple et les dieux B. Mortureux, dans sa synthèse concernant le De Clementia, a souligné la fonction relationnelle de la clémence, au centre d’une structure complexe unissant le roi à la justice, à ses sujets et aux dieux, et assurant la cohérence d’un système tout à la fois social, moral, politique et métaphysique294. Seul le roi clément peut en effet réaliser la cohésion sociale et politique de son empire, la rectitude morale de ses sujets et l’harmonie cosmique295. La clémence crée entre le bon prince et ses sujets un lien d’amour, qui assure la protection du roi296. Sénèque s’attache aussi à décrire cette relation comme un lien organique, en utilisant pour décrire l’univers l’image du corps, qui fait partie des images propres au Stoïcisme : l’Empire est le corps dont le bon prince est l’âme ou le souffle vital297. L’usage politique de l’image du corps et de l’âme n’était pas neuf à Rome pour désigner le principat : Tacite place en effet la même comparaison dans la bouche du sénateur C. Asinius Gallus au début du règne de Tibère, alors que le nouvel empereur semblait hésiter à accepter la succession d’Auguste. Florus l’applique aussi à Auguste, l’âme qui a réunifié le corps de l’Empire romain déchiré par les guerres civiles298. Cette image semble avoir été utilisée pour louer et légitimer le principat augustéen, et Sénèque affirme par son biais la nécessité du princeps qui incarne la res publica : « Depuis

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Cl., ii, 5, 2 ; 7, 2–5 : le rôle du sage est d’être utile, de porter secours à la collectivité et de redresser les natures déviantes. Voir I. Lana, I principi del buon governo, p. 100 ; B. Mortureux, « Les idéaux stoïciens », p. 1662–1663, qui renvoie à M. Bellincioni, Potere ed etica in Seneca, sur la fusion entre le prince et le sage. B. Mortureux, « Les idéaux stoïciens », p. 1665–1678. Voir notamment Cl., i, 4, 1. Cl., i, 4, sur la cohésion de l’Empire. Cl., i, 4, 3 ; 8, 4 ; 19, 6 : amour et protection vont de pair. Voir Cicéron, Rep., i, 55 ; 64 : le roi juste suscite l’amour du peuple, le roi injuste provoque l’écroulement du régime. Cl., i, 3, 5 ; 4, 1 ; 5, 1 ; ii, 2, 1. Sur l’image du corps désignant l’univers, voir Sénèque, Ep., 95, 52–53 ; Entretiens, ii, 5, 2. Tacite, Ann., i, 12, 3 ; Florus, Epit., iv, 3 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 144 ; ead., Néron, p. 109. Sénèque, Cl., i, 4, 1, cite Virgile, G., iv, 212, passage décrivant la cité des abeilles, et plus précisément l’unité de celles-ci, comme une seule âme, autour de leur roi. Voir aussi QuinteCurce, x, 9, 1–6. L’idée que l’âme de l’Etat est son organisation politique apparaît chez Isocrate, Aréopagitique, 14. Voir J. Béranger, Recherches, p. 218–237, sur le corpus imperii ; J. B. Meister, Der Körper des Princeps. Zur Problematik eines monarchischen Körpers ohne Monarchie, Stuttgart, 2012, p. 153–169.

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longtemps en effet César s’est si fortement assimilé à l’Etat qu’il ne pouvait y avoir de séparation sans la perte de tous deux, car l’un a besoin de forces et l’autre d’une tête »299. Le philosophe utilise également cette image afin de souligner la nécessité pour le prince d’épargner ses sujets qui constituent une partie intégrante de lui-même (ou de son pouvoir)300. Un autre lien jouant un rôle important est le lien d’imitation, qui unit le roi et les dieux et, semble-t-il, le roi et ses sujets, mais la nature de la relation est moins claire dans le second cas. Sénèque décrit en effet, dans le domaine moral, une sorte de diffusion large des vertus impériales parmi les citoyens, et l’imitation est certainement l’un des biais de cette diffusion : « Cette douceur de ton corps se transmettra et se diffusera peu à peu dans tout l’immense corps de l’empire et tout se conformera à ta ressemblance  »301. Associée au projet d’élaborer un speculum principis, cette idée rappelle les réflexions de Cicéron sur le rector reipublicae, conçu comme un miroir pour ses concitoyens. Son exemple inspirait l’envie de l’imiter, ce qui pouvait assurer l’harmonie civique302. La notion d’imitatio dei est plus nette. Cette notion, d’origine platonicienne, a été reprise par le stoïcisme moyen303. Elle joue un rôle de premier plan dans les traités grecs sur la royauté attribués à Diotogène et à Ecphante, ainsi que dans la lettre d’Aristée, dont les datations restent discutées304. Elle est également présente dans les écrits sur la royauté de Musonius Rufus, puis, à la fin du 299 300 301

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Cl., i, 4, 3. Plus loin (Cl., i, 19, 8), Sénèque apporte une précision essentielle sur cette assimilation : ce n’est pas l’Etat qui appartient au bon roi, mais le roi qui appartient à l’Etat (non rem publicam suam esse sed se rei publicae). Cl., i, 5, 1. Voir Marc Aurèle, ii, 1. Cl., ii, 2, 1  :  Tradetur ista animi tui mansuetudo diffundetur paulatim per omne inmane imperii corpus, et cuncta in similitudinem tuam formabuntur, trad. F.-R. Chaumartin. Voir Plutarque, Num., 20, 4–5, sur l’idée que la sagesse du roi se répand sur le peuple comme une brise ou une source ; 11–12 sur l’exemplum du chef vertueux qui pousse les sujets à l’imiter. Cette idée était largement répandue au i er siècle et au début du iie siècle, comme on le voit chez Velleius Paterculus, ii, 126, 4 (éloge de Tibère)  :  «  La justice l’emporte sur la faveur, le mérite sur la brigue, car le meilleur des princes apprend par ses actes à ses concitoyens à bien agir », trad. J. Hellegouarc’h ; Tacite, Ann., iii, 55, 4 (au sujet de Vespasien qui parvint à réformer les mœurs en donnant, « à sa table et dans ses vêtements … l’exemple de la simplicité antique ») : « Le désir de plaire au prince et l’empressement de l’imiter furent alors plus efficaces que le châtiment tiré des lois et que la peur », trad. P. Wuilleumier. Voir infra, c. 3. Cicéron, Rep., ii, 69 ; Leg., iii, 10. Sur la pédagogie du modèle, voir P. Le Doze, Le Parnasse face à l’Olympe, p. 489–493. Platon, Alc., 133 a-c ; Eusèbe, pe, xi, 27, 5 ; Stobée, iii, 21, 24. Pour la présence de cette notion dans le stoïcisme moyen, voir Cicéron, N. D., ii, 14, 37 = svf, ii, 1153 von Arnim. Sur les traces d’une influence stoïcienne dans ces traités, voir F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, p. 253, 258, 261 et 263.

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ier siècle, dans ceux de Plutarque et surtout de Dion de Pruse qui la développe particulièrement305. Chez Sénèque aussi, le prince doit imiter les dieux, et c’est même cette conduite en accord avec la nature divine qui le rapproche des dieux, selon l’idée stoïcienne de la proximité du sage avec le divin306. Le modèle à imiter est implicitement celui de Jupiter Optimus Maximus. On peut noter que Claude est déjà appelé princeps optimus, en liaison avec parens publicus, dans un décret du Sénat cité par Pline307. Il est d’autant plus intéressant de lire dans un contexte officiel cette expression de princeps optimus parensque publicus qu’à l’époque augustéenne, Jupiter était désigné comme rex et parens chez les poètes qui, par bien des aspects, préfigurent une idéologie officielle que leurs œuvres contribuent à construire308. Le bon roi est considéré comme le « vice-régent » des dieux sur terre, idée qui sera précisée dans le Panégyrique de Pline : « Est-ce moi qui parmi tous les mortels ai plu et ai été choisi pour jouer sur terre le rôle des dieux ? »309 Faut-il voir ici, comme chez Pline, l’idée que Néron – le bon roi – a été choisi par les dieux ? En l’absence d’agent, il y a dans le texte de Sénèque une ambiguïté très difficile à lever. En effet, d’un côté le verbe eligere pourrait renvoyer au choix du prince par le Sénat, ce qui est le cas dans un passage très proche de l’Octavie, pièce écrite ultérieurement, peut-être sous Vespasien, par un admirateur de Sénèque ; mais il est difficile d’en tirer argument, car le personnage de Néron présente aussitôt après sa conception du principat comme une charge 305

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Voir Musonius Rufus, Les rois, eux aussi, doivent philosopher (Or. viii)  ; voir A.  Jagu (éd.), Musonius Rufus, Entretiens et fragments : introduction, traduction et commentaire, Hildesheim, New York, 1979, p. 45 ; Plutarque, A un chef mal éduqué, Moralia 780 C. Voir A.  Gangloff, Dion Chrysostome et les mythes. Hellénisme, communication et philosophie politique, Grenoble, 2006, p. 341–342, et infra. Cl., i, 7, 1–2 ; i, 19, 9. Sur la proximité entre le sage et les dieux, voir Diogène Laërce, vii, 119 ; Sénèque, Ep. 73, 15–16. Cl., i, 19, 9 : Hoc adfectare, hoc imitari decet, maximum ita haberi ut optimus simul habeare, « C’est à cet idéal qu’il convient d’aspirer, celui qu’il convient d’imiter : être tenu pour le plus grand, en étant tenu à la fois pour le meilleur », trad. F.-R. Chaumartin. Voir J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods in Seneca’s De clementia”, Hermes, 103, 1975, 486–496, part. p. 491, renvoyant pour Claude à Pline, Ep., viii, 6, 10 ; cil x 1401 ; M. Hammond, “Imperial Elements in the Formula of the Roman Emperors during the first two and a half centuries of the Empire”, maar, 25, 1957, p. 17–64, part. p. 42. Voir Virgile, A., i, 65 ; ii, 648 ; iv, 268 ; vii, 558 ; x, 2 ; Ovide, Met., 15, 860. Cl., i, 1 : Egone ex omnibus mortalibus placui electusque sum, qui in terris deorum uice fungerer ?, trad. F.-R. Chaumartin légèrement modifiée ; Pline, Pan., 80, 4–5. Voir J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods in Seneca’s De clementia” ; id, Princeps a diis electus : The Divine Election of the Emperor as a Political Concept at Rome, Rome, 1977, p. 136– 141.

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divine (munus deorum)310. De l’autre côté, l’idée du roi comme descendant, représentant ou agent du divin est au cœur des idéologies royales orientales, or on peut trouver une allusion à la royauté solaire du Pharaon dans un passage du premier livre De Clementia311. De plus, comme l’a rappelé J. R. Fears, l’idée du roi choisi par le divin était diffusée par les plus grands noms de la littérature grecque et latine, d’Homère à Virgile312 : elle faisait donc partie des interprétations possibles de la phrase pour les auditeurs et les lecteurs du ier siècle. Mais il vaut mieux constater que la même ambiguïté se répète dans d’autres passages du premier livre De Clementia, qui sont relatifs à la souveraineté du prince : ce n’est pas l’origine de celle-ci qui intéressait Sénèque, mais sa nature313. J. R. Fears a expliqué l’imprécision du conseiller de Néron pour la raison que, contrairement à Pline, il ne cherchait pas à légitimer le pouvoir de l’empereur, mais à en proposer un modèle philosophique. On peut ajouter que 310

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Oct., 487–491 : Plebisque uotis atque iudicio patrum / tu pacis autor, generis humani arbiter / electus orbem spiritu sacro regis / patriae parens : quod nomen ut serues petit / suosque ciues Roma commendat tibi, «  Les vœux de la plèbe et le jugement des sénateurs t’ont proclamé auteur de la paix, arbitre du genre humain et tu diriges l’univers de ton inspiration sacrée, en père de la patrie : Rome te demande de préserver ce nom et te confie ses citoyens » ; 492–498 : Munus deorum est ipsa quod seruit mihi / Roma et senatus quodque ab inuitis preces / humilesque uoces exprimit nostri metus. / Seruare ciues principi et patriae graues / claro tumentes genere quae dementia est, / cum liceat una uoce suspectos sibi mori iubere ?, « C’est un présent des dieux que Rome elle-même et le sénat me soient asservis et que la crainte que je leur inspire arrache prières forcées et paroles d’humilité. Sauver des citoyens, dangereux pour le prince et pour la patrie, tout gonflés de leur race illustre, quelle est cette démence, alors qu’il est possible, d’un seul mot, d’ordonner la mort de ceux qui nous sont suspects  ?  », trad. F.-R. Chaumartin  ; J.  R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods”, p. 496. Ce passage de l’Octavie construit un choix politique fictif qui se serait imposé à Néron en 62 (année de la disgrâce de Sénèque) et qui s’inspire du traité De Clementia. Néron semble être à la croisée des chemins entre le roi clément proposé par Sénèque et le tyran cruel, qui règne par la peur. Pour T. Adam, Clementia principis, p. 49–50, l’absence d’agent dans la phrase de Sénèque suggère la double possibilité d’un consensus chez les hommes et chez les dieux ; la position de Néron serait intermédiaire entre celle d’Auguste et celle de Trajan. Cl., i, 8, 4 : voir P. Grimal, « Le “De clementia” et la royauté solaire de Néron », rel, 49, 1971, p. 205–217. J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods”, p. 495 : Il. i, 277–279 ; ii, 203–206 ; ix, 96– 99 ; Od., i, 386 ; Pindare, P., 1, 47–48 ; 2, 49–53 ; 4, 106–108 ; 5, 12–13 ; N., 4, 67–68 ; Eschyle, Ag., 42–44 ; Eu., 625–626 ; Pers., 762–764 ; Sophocle, Ph., 135–143 ; Hérodote, i, 60 ; Callimaque, Jov., 68–69 ; Théocrite, 17, 71–75 ; Lettre d’Aristée, 37 ; Diotogène ap. Stobée, iv, 7, 62 ; Cicéron, Man., 14, 42 ; 15, 45 ; 16, 49 ; Virgile, A., i, 257–296 ; vi, 791–807 ; Horace, Carm., i, 12, 49–60 ; iv, 2, 36–40 ; Vitruve, préface ; Tite-Live, i, 6, 4. T. Adam, Clementia principis, p. 49 n. 24, a relevé la même absence d’agent dans les passages relatifs à la souveraineté du prince : Cl., i, 14, 2 ; i, 17, 2 ; i, 18, 1. J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods”, p. 495.

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l’ascendance augustéenne de Néron était en soi un élément de légitimation suffisant. En l’absence d’agent, la formulation placui electusque sum met l’accent sur les raisons du choix, rappelant qu’il était nécessaire au prince de plaire. En revanche, ce qui est clair dans le premier livre est que le pouvoir impérial a des points communs avec la puissance divine. En premier lieu, Néron joue sur terre le rôle des dieux en raison de sa capacité d’action (facultas rerum) très étendue, exprimée par le terme arbiter314. Cette capacité implique le pouvoir de vie et de mort sur les peuples, la distribution des lots individuels selon la volonté de la fortuna, qui renvoie ici à l’eimarmenè stoïcienne, la force providentielle régissant l’univers315 ; le pouvoir de décision sur les peuples et les villes, et le commandement des forces armées susceptibles de maintenir la paix ou d’apporter la guerre316. Sénèque insiste sur le pouvoir de vie et de mort, et surtout sur le pouvoir de donner la vie, qui sont des prérogatives divines317. Dans une perspective proche, il affirme que la clémence, c’est-à-dire le fait d’avoir laissé la vie sauve à de nombreux ennemis lors des guerres civiles, a valu à Auguste, de son vivant, reconnaissance et popularité et, à sa mort, une fama exceptionnelle puisqu’il est devenu dieu : cette divinisation est rapportée au fait qu’Auguste a été un bonus princeps, en raison de sa clémence318. En second lieu, ce qui rapproche l’empereur des dieux est la « servitude de la grandeur suprême », le fait d’être astreint à la grandeur qui puise sa source dans la clémence royale319. Aux dieux non plus il n’est pas permis de descendre de leurs hauteurs célestes, ce qui est peut-être une allusion à Phaéthon et au char du soleil, aussi utilisés pour louer Néron au début de son règne par Lucain, le neveu de Sénèque, dans la Pharsale320. Comme dans l’Apocoloquintose,

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Arbiter est un terme juridique impliquant une totale liberté d’appréciation et capacité d’action : Paulus Festus, 15. Il est employé par Ovide, Tr., v, 2 b, 3–4, pour désigner le pouvoir impérial. Cette distribution rappelle le Zeus de l’Iliade octroyant aux héros les sorts voulus par la destinée, voir en particulier les épisodes de pesée des âmes, Il. viii, 68–74 ; xxii, 209–213. Cl., i, 2, 2–3 ; voir le commentaire de J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods”, p. 494, sur les rapprochements possibles avec les panégyriques latins. Cl., i, 1, 2 : uitae necisque gentibus arbiter ; 21, 2 : le pouvoir de donner et d’enlever la vie est une prérogative divine (munus deorum) ; 26, 5 : « sauver en masse et collectivement » est une diuina potentia. Cl., i, 10, 2–3. Voir Cicéron, Lig., 12, 38 ; G. Alföldi, Der Vater des Vaterlandes, p. 124–130. Cl., i, 8, 3 : summae magnitudinis seruitus, trad. F.-R. Chaumartin. Lucain, i, 45–52 et 57–58 : chez Lucain, Néron est un nouveau Phaéthon qui accomplit ce que le héros mythique n’avait pas réussi à faire ; l’œuvre est datée de 62 par P. Grimal, « L’éloge de Néron au début de la Pharsale est-il ironique ? », rel, 38, 1960, p. 296–305 (= id., Rome. La littérature et l’histoire, i, Rome, 1986, p. 125–134), et d’avant 61 par H. Bardon, Les empereurs et les lettres latines, d’Auguste à Hadrien, Paris, 1968 (1940), p. 232. Voir

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le jeune prince est comparé à l’astre du soleil dans le premier livre De Clementia, et un lien particulier apparaît entre les deux, dans lequel P. Grimal a vu une allusion aux rites dynastiques de l’Egypte ancienne, tout en rappelant l’importance d’Apollon pour Auguste, ainsi que le rôle du soleil comme moteur de l’univers dans la cosmologie de Cléanthe321. Donc le pouvoir impérial, par son étendue, a bien quelque chose de divin dans le De Clementia, mais on pourrait donner aux comparaisons avec le divin la même explication que celle qui est proposée par J. Scheid au sujet du culte impérial à ses débuts : ces comparaisons sont une manière de « définir le pouvoir exceptionnel réuni entre les mains d’Auguste et de ses successeurs » ; le pouvoir impérial apparaissait alors comme «  l’épiphanie d’un pouvoir divin entre les mains d’un mortel »322. Selon nous, l’idée que le modèle du bon roi chez Sénèque a une dimension mystique doit être relativisée. D’une part, l’expression du philosophe reste précisément contrôlée323, et d’autre part, il

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322 323

P. Arnaud, « L’apothéose de Néron-Kosmokrator et la cosmographie de Lucain au premier livre de la Pharsale (I, 45–66) », rel, 65, 1987, p. 167–193 ; L. Duret, « Néron-Phaéthon ou la témérité sublime », rel, 66, 1988, p. 139–155. Les premières monnaies au type d’Apollon sont frappées en 64  :  voir D.  Grau, «  Néron, héritier d’Auguste  », p.  144–149, qui interprète ce retour d’Apollon, absent du monnayage romain entre 14 et 64, comme un trait du caractère augustéen de Néron. Le rapprochement entre le prince et Apollon est aussi poursuivi dans la construction de la domus aurea après 65. Lors du couronnement du roi d’Arménie Tiridate à Rome en 66, Néron se fit représenter sur le uelum du théâtre de Pompée en conducteur du char du soleil : Dion Cassius, lxiii, 6, 2 ; J. Gagé, Apollon romain. Essai sur le culte d’Apollon et le développement du « ritus Graecus » à Rome des origines à Auguste, Paris, 1955, p. 650–672. Sénèque, Apoc., 4, 1 ; Cl., i, 3, 3 ; 8, 4. Sur ce dernier passage, voir P. Grimal, « Le “De clementia” et la royauté solaire ». Voir aussi B. Poulle, « Phaéthon et la légende d’Auguste », dans M. Fartzoff, E. Smadja (éd.), Pouvoir des hommes, signes des dieux dans le monde antique, Besançon, 2002, p. 125–134, sur l’interprétation du mythe de Phaéthon comme une tentative de légitimer une filiation solaire, déjà présente sous Auguste. Sur le soleil dans la cosmologie de Cléanthe, voir svf, i, 499 von Arnim ; Cicéron, Ac., ii, 41, 126 ; J. Bidez, La cité du monde et la cité du soleil chez les Stoïciens, Académie royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres, 1932, p. 244–294. Voir aussi Dion de Pruse, Or. iii, 73–81 ; Stobée, iv, 44, 66 ; L. François, Essai sur Dion Chrysostome : philosophe et moraliste cynique et stoïcien, Paris, 1921, p. 80, 89–91, 198 ; F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, p. 255–258. J. Scheid, La religion des Romains, Paris, 2010 (1998), p. 136. Voir S. R. F. Price, Rituals and Power. The Roman Imperial Cult in Asia Minor, Cambridge, Londres, New York, 1984, p. 248. Ainsi, même dans ce passage qui pourrait suggérer cet aspect mystique : « [une opulente cité] ne regarde pas son chef avec un autre cœur que nous regarderions, en les vénérant et en les honorant, les dieux immortels, s’ils nous donnaient le pouvoir de les contempler » (Cl., i, 19, 8), Sénèque reste très prudent en employant à la fois une comparaison et le conditionnel.

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faut tenir compte à la fois de l’amplification de l’éloge et de l’élargissement à l’échelle du cosmos dû aux images et aux conceptions stoïciennes. C’est quand il introduit le modèle des dieux que Sénèque rappelle la toute puissance divine, capable de châtier les rois par la foudre, et le fait que le roi est un homo hominibus praepositus324 ; et il fait référence au pouvoir pharaonique et à la filiation solaire du roi quand il parle justement de la plus grande contrainte à laquelle sont soumis les rois325. c Omnipotence et limites de la souveraineté Le pouvoir du bon roi apparaît comme universel, mais l’accent n’est pas mis sur les notions de consensus ou de concordia, malgré l’importance qu’elles ont eue pour légitimer le pouvoir augustéen, et bien qu’elles se soient rapidement diffusées à l’échelle de l’Empire326. Là encore, l’une des raisons de cette absence est sans doute que Sénèque ne cherchait pas à légitimer le pouvoir de Néron. Une autre raison pourrait être que, si le sénat et l’armée ne sont pas tout à fait absents du traité, les principaux interlocuteurs du prince sont, de loin, ses concitoyens et le peuple romain327. On peut lire dans le premier livre une volonté manifeste d’embrasser une communauté : au premier chef la communauté civique de Rome, mais pas seulement, car cette communauté est élargie aux peuples et aux gentes328. Il y a bien une assimilation de l’Empire 324 325

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Cl., i, 7, 1–2. Cl., i, 8, 3–4. Voir B. Mortureux, « Les idéaux stoïciens », p. 1664–1665, pour la discussion au sujet de la place du bon roi par rapport aux dieux : ma position est donc plus proche de celle de T. Adam, Clementia Principis, p. 41–44, pour qui le roi reste du côté des hommes ; sont plus sensibles au caractère mystique du rex P.  Grimal, «  Le “De clementia” et la royauté solaire » et « Du De Republica au De Clementia » ; J. R. Fears, “Nero as the viceregent of the gods”. On trouve un seul emploi de consensus pour exprimer l’adhésion au pouvoir royal : populisque urbisque consensus sic protegendi amandique regis, Cl., i, 3, 4 ; le bon roi souhaite cependant l’approbation de ses sujets  :  Cl., i, 13, 4.  Voir F.  Hurlet, «  Le consensus et la concordia en Occident (i er-iiie siècles apr. J.-C.). Réflexions sur la diffusion de l’idéologie impériale », dans H. Inglebert (éd.), Idéologies et valeurs civiques dans le monde romain, Paris, 2002, p. 163–178 ; J. A. Lobur, Consensus, Concordia and the formation of Roman Imperial Ideology, New York, Oxon, 2008, part. p. 94–207, sur le rôle de la rhétorique latine dans la diffusion de ces notions. Sous Néron le monnayage en or et argent à la Concordia Augusta apparaît plus tard, vers 64–65, peut-être en réaction à la destruction de Rome par le feu en 64 et à la conspiration de Pison en 65 : ric i 2 Néron p. 145. Senatus : Cl., i, 12 et 24 ; il est question de la force militaire dans Cl., i, 1, 2 ; 4, 1 ; 13, 1 ; 26, 1 ; populus : Cl., i, 1, 2 ; 1, 5 ; 1, 7 ; 3, 4 ; 4, 2 (2 x) ; 9, 10 ; 10, 2 ; 13, 4 ; 15, 1 ; 26, 1 ; ciuis : Cl., i, 5, 1 ; 5, 7 ; 7, 1 ; 16, 2 ; 19, 6 ; 21, 4 ; 26, 3 ; 26, 5 ; ii, 2, 1. Voir G. Flamerie de Lachapelle, « Le peuple dans le De Clementia », L’information littéraire, 57, 2005, p. 15–21. Voir par exemple Cl., i, 1, 2 ; 8, 5 ; 26, 1.

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à l’oikoumenè, la terre habitée, qui a été répandue sous Auguste en relation avec les conquêtes, et qui repose ici sur le parallélisme stoïcien entre Empire et cosmos329. Le pouvoir reconnu à Néron est donc un imperium universel, non circonscrit dans le temps et dans l’espace, auquel Sénèque veut assigner une missio en fixant des objectifs politiques et moraux et en rappelant des limites physiques et éthiques. La dimension cosmique produit en effet par elle-même des limites. Il s’agit notamment, comme on l’a vu, des dieux qui sont au-dessus des rois, susceptibles de les châtier, ainsi que de la fortuna, au sens de force qui régit les destinées des êtres330. Le bon roi est aussi tenu au respect des lois conformes à la nature. L’une de ces lois est la clémence (plus précisément l’absence de volonté de nuire) : cette idée est développée par le biais d’une image traditionnelle en philosophie politique, celle de la reine des abeilles331. Respect de la puissance divine et respect de la loi naturelle sont liés, et Sénèque souligne leur importance en employant la notion de reddition de comptes : J’exerce une surveillance sur moi, comme si je devais rendre des comptes aux lois, laissées dans l’ombre, que j’ai appelées à la lumière … Aujourd’hui, s’ils viennent à me demander des comptes, je suis prêt à présenter aux dieux immortels la somme intégrale du genre humain332. Cette idée de reddition de comptes est intéressante car elle rapproche la figure du roi de celle d’un magistrat grec, alors que, selon Chrysippe, les sages sont

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Voir C. Nicolet, L’Inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris, 1996 (1988), sur les travaux menés sous Auguste pour connaître ce monde habité, et part. p.  47–87 sur les symbolismes de la conquête du monde  ; Tibère avait cependant arrêté l’expansion des conquêtes en alléguant la volonté du fondateur du principat. Pour Néron, voir P. Arnaud, « L’apothéose de Néron-Kosmokrator ». Voir supra. Cl., i, 19, 1–4 : la reine des abeilles est sans dard. Voir Platon, Rep., vii, 520 b ; Xénophon, Cyr., 5, 1, 24 ; Virgile, G., iv, 88–102 ; 210–227 ; Plutarque, Préceptes politiques, Moralia, 813 C. Cl., i, 1, 4 : Sic me custodio, tamquam legibus, quas ex situ ac tenebris in lucem euocaui, rationem redditurus sim … Hodie diis inmortalibus, si a me rationem repetant, adnumerare genus humanum paratus sum, trad. F.-R. Chaumartin légèrement modifiée. Contrairement à celui-ci (p. 58–59 n. 31), je pense que ces lois ne sont pas les lois positives (judiciaires), mais les « véritables » lois qui émanent de la raison divine, dont Claude se serait écarté, en particulier par son excessive sévérité dont il est question à propos du châtiment des parricides, voir Cl., i, 23, 1. Sur la distinction entre lois conformes à la nature et lois positives, voir Cicéron, Leg., ii, 4, 8–14 : les premières sont les véritables lois, en rapport avec la raison divine et la morale, tandis que les lois humaines sont conventionnelles, variables et parfois injustes.

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des hommes libres et des rois justement parce que la royauté est un pouvoir dont on n’a pas à répondre et qui ne peut se constituer que dans les sages333. Sénèque a soin d’utiliser cette notion au conditionnel ; ce faisant, il souligne l’importance de respecter l’ordre divin tout en faisant apparaître le caractère paradoxal de la « servitude suprême de la grandeur ». En revanche, la question de la position du roi par rapport aux lois positives n’est pas posée par le philosophe334 : dans la mesure où celui-ci n’est pas dans une approche institutionnelle, c’est un point qui ne l’intéresse pas. De fait, bien que le respect du droit (le ius) placé au-dessus de toute injustice soit une attente des citoyens, le bon prince n’est pas assujetti à l’application stricte des lois judiciaires335. L’usage qu’il fait de celles-ci est forcément souple, puisque, par sa clémence, il est amené à adoucir, corriger certaines lois imparfaites, ou bien à ne pas y avoir recours comme Sénèque le suggère à propos de la législation contre le parricide, qui, selon lui, attire l’attention sur le crime au lieu de le faire disparaître336. La dernière limite au pouvoir du roi est morale. Elle consiste, comme on le voit dans le passage cité plus haut, dans une auto-surveillance, une maîtrise de soi, qui s’opère sous la surveillance de tous337. La notion de nobilis seruitus utilisée par Sénèque renvoie à la définition de la royauté comme endoxos douleia, attribuée par Elien à Antigone Gonatas338. Cette conception 333

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Diogène Laërce, vii, 122. Une réflexion sur la figure du roi-magistrat, soumis à reddition de comptes, est aussi contenue dans le discours lvi (Agamemnon) de Dion de Pruse ; voir A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse, le bon roi et l’empereur », rh, 649, 2009, p. 3–38, part. p. 14–17. Dans le troisième discours Sur la royauté (Or. iii), en revanche, le sophiste définit la royauté, de manière plus habituelle, comme un commandement qui n’est pas soumis à reddition de compte. S. Benoist, « Le prince, magister legum : réflexions sur la figure du législateur dans la Rome impériale », dans P. Sineux (éd.), Le législateur et la loi dans l’Antiquité grecque et romaine. Hommage à Françoise Ruzé, Caen, 2005, p. 225–240, part. p. 239. Sur l’attente des concitoyens, Cl., i, 1, 8 ; voir le discours prononcé par Néron devant le Sénat lors de son avènement chez Tacite, Ann., xiii, 4, 1–2. Sur la latitude du sage à l’égard des lois positives, voir Cl., ii, 7, 3 : Clementia liberum arbitrium habet ; non sub formula, sed ex aequo et bono iudicat ; et absoluere illi licet et, quanti uult, taxare litem, « La clémence possède le libre-arbitre, elle juge non sous la contrainte d’une formule mais d’après l’équité et le bien ; il lui est permis d’absoudre et d’évaluer la peine au taux qu’elle veut », trad. F.-R. Chaumartin. Cl., i, 23, 1–2. Cl., i, 8, 1–5. Cl., i, 8, 1. Voir Elien, vh, ii, 1. Selon M. Pohlenz, Die Stoa, I, Göttingen, 19592, p. 25, Antigone avait peut-être été influencé par son conseiller stoïcien Persée, auteur d’un traité Peri Basileias (Diogène Laërce, vii, 36). Voir J. Béranger, « Grandeur et servitude du souverain hellénistique », el, 7, 1964, p. 3–16 (= Principatus, p. 35–48) ; H. Volkmann, « Die Basileia als endoxos douleia », Historia, 16, 1967, p. 155–161 (= Endoxos douleia. Kleine Schriften zur alten Geschichte, Berlin, 1975, p. 74–81).

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de la royauté est opposée à celle de la tyrannie et associée à la douceur, la philanthropie et l’absence d’orgueil ; c’est tout ce que l’on peut déduire du court passage d’Elien339. Chez Sénèque, la notion de noble servitude est naturellement liée à la clémence, et désigne le contrôle de soi plus que l’idée de dévouement du roi pour ses sujets. Elle signifie au premier chef que le souverain est obligé de se surveiller – il ne peut parler comme bon lui semble, c’est-à-dire dans la colère –, ce qui est un topos dans la réflexion politique grecque sur le bon roi340. Mais Sénèque insiste sur les contraintes sociales qui pèsent sur le prince341. Il développe ainsi un modèle stoïcien de roi-sage, à la fois original, influencé par la philosophie grecque et bien adapté aux référents culturels romains du pouvoir, qui renvoie à son rôle de conseiller philosophe auprès de Néron. Son traité de philosophie politique, parénétique et laudatif selon le genre du miroir au prince, est très éloigné d’un discours de type constitutionnel, qui existe à cette époque sous la forme du discours conventionnel tenu devant le Sénat par l’empereur lors de son avènement, quand il a reçu les pouvoirs et les titres qui font de lui le princeps. C’est peut-être l’obtention par Néron d’un dernier titre, celui de pater patriae, vers la fin de l’année 55 ou le début de 56, qui a suscité l’occasion de prononcer le premier De Clementia, ou du moins qui a inspiré le discours, car ce titre pouvait inspirer l’éventail des principaux modèles politiques présents : celui du paterfamilias bienveillant, du bon roi grec, du roi des dieux ainsi que du sauveur, le seruator ou conseruator de la République342. Plusieurs thèmes du traité ont par la suite, comme nous le verrons, été développés par Pline le Jeune ou par Dion de Pruse à destination de Trajan (par exemple l’idée du roi élu, paternel et bienfaisant, l’imitatio dei)343. Avant cela, la réflexion de Sénèque a peut-être inspiré en partie à Lucain sa vision du Néron cosmocrator de la Pharsale344 ; elle a été ensuite publiée, sans doute

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Voir M. T. Griffin, Seneca, p. 144, au sujet de la tentative de T. Adam de distinguer nettement l’interprétation de Sénèque des paroles d’Antigone. Le roi doit être capable de se contrôler lui-même et de dominer ses désirs chez Platon, Rep., iii, 389 d-e ; iv, 431 c-d ; ix, 580 c ; Xénophon, Ages., 10, 2 ; Isocrate, A Nicoclès, 26, 29, 31, et Nicoclès, 29, 36–42 ; Evagoras, 22–23, 45. Cl., i, 7, 4–8, 1 ; voir aussi i, 1, 6. Pour l’insistance du premier livre De Clementia au sujet de ces contraintes sociales, voir supra. G. Alföldi, Der Vater des Vaterlandes. T. Adam, Clementia principis, p. 108–118. P. Arnaud, «  L’apothéose de Néron-Kosmokrator  », p.  191  ; néanmoins l’auteur donne beaucoup d’autres sources possibles – poétiques, philosophiques, iconographiques, cartographiques – à ce passage de Lucain.

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connue et méditée par l’auteur de l’Octavie, et néanmoins, en dépit de la richesse et de la postérité de cette réflexion, il faut constater, et essayer d’expliquer, l’échec du projet de Sénèque. 4

L’échec du projet de Sénèque

a Néron a-t-il adhéré au modèle du roi clément ? Néron a-t-il répondu de manière positive, au moins un temps, au pacte proposé par Sénèque, a-t-il suivi le modèle du souverain clément ? Au rebours de Tibère et de Claude, a-t-il eu une pratique systématique de cette vertu dans le domaine de la justice ? L’épisode du rappel de Plautius Lateranus au début de 55, commenté par de fréquents discours sur la clémence prononcés par Néron luimême et écrits par Sénèque, semble indiquer que le jeune prince a commencé par jouer le jeu, de même que l’exemple de la condamnation à mort des deux brigands, qu’il a signée à contrecœur (sans doute aussi en 55), à laquelle son mentor a donné de la publicité, qu’il a rapportée dans le deuxième livre De Clementia et que l’on retrouve ensuite chez Suétone345. En 57, le consulaire Lurius Varus, qui avait été condamné pour concussion, fut réintégré au Sénat grâce à la médiation d’Othon346. En 58–59 se déroule une affaire politique, le procès de P. Suillius Rufus, avocat et gendre d’Ovide, délateur qui fut protégé par Claude – il fut consul en 46, puis proconsul d’Asie – et qui avait été proche de Germanicus. Il est possible qu’il ait été un partisan d’Agrippine, comme le suggère P. Grimal ; il apparaît en tout cas comme l’adversaire de Sénèque347. Au début de l’année 59, ses ennemis triomphent et obtiennent son exil aux îles Baléares. Ils s’en prennent alors à son fils Nerulinus qui est accusé de concussion, mais le prince utilise son droit d’intercessio au motif que la vengeance était suffisamment accomplie, ce qui est une belle preuve de clémence348. La même année, Néron absout Q. Sulpicius Camerinus et M. Pomponius Silvanus, deux gouverneurs de l’Afrique accusés de concussion349. Après la mort d’Agrippine, en mars 59, le programme sur la clémence est réactivé dans le contexte de ce qui apparaît comme un nouveau début de règne : le prince pardonne à des femmes et des hommes de rang sénatorial qui

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Tacite, Ann., xiii, 11 ; Sénèque, Cl., ii, 1–4 ; Suétone, Nero, 10, 2. Tacite, Ann., xiii, 32 ; Suétone, Otho, 2, 2 ; pir2 L 428. Voir R. Syme, “Lurius Varus, a Stray Consular Legate”, Harvard Studies in Classical Philology, 88, 1984, p. 165–169. Tacite, Ann., xiii, 42–43 ; P. Grimal, Sénèque, p. 183–187, voir supra. Tacite, Ann., xiii, 43, 5 : Intercessit princeps, tamquam satis expleta ultione. Tacite, Ann., xiii, 52 ; sur Q. Sulpicius Camerinus, voir pir2 S 989.

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avaient été exilés à l’instigation d’Agrippine, « pour aggraver la haine à l’égard de sa mère et attester que, depuis la disparition de celle-ci, il avait renforcé sa propre douceur »350. Mais l’année 59 est aussi chez Tacite une année charnière, où Néron s’émancipe en imposant auprès de Burrus et de Sénèque une politique personnelle de communication par les spectacles, qu’il justifie par un rapprochement avec Apollon citharède. En 61, dans une affaire de faux testament, M.  Asinius Marcellus, descendant d’Asinius Pollion, est sauvé en mémoire de son ancêtre par les prières de Néron351. En revanche, après le meurtre du préfet de Rome L. Pedanius Secundus, tué par l’un de ses esclaves, le prince ne s’est pas opposé à la condamnation à mort des quatre cents esclaves du préfet, en dépit de la vive hostilité du peuple et de l’opposition d’une partie minoritaire du Sénat352. La condamnation avait été défendue par le jurisconsulte C. Cassius Longinus, riche descendant du césaricide, défenseur du mos maiorum et de l’auctoritas du Sénat dans son rôle traditionnel d’institution dispensant des conseils pour la res publica. L’autorité de Cassius était telle qu’aucun sénateur n’osa lui répondre directement353, et Tacite trace un parallèle évident entre son intervention et celle du Stoïcien Thrasea Paetus, au début de l’année suivante. Néron s’est contenté de s’opposer à l’un des partisans de Cassius, Cingonius Varro, en refusant de suivre le sénatus-consulte de 57 qui étendait le châtiment aux affranchis vivant sous le même toit que le maître assassiné354 ; dans le texte de Tacite, son intervention relève de la clémence, car il refuse d’ajouter un sucroît de cruauté à une coutume antique dépourvue de pitié355. En 66, il exile Cassius, déjà âgé, en Sardaigne, au motif que celui-ci incitait à la guerre civile356. Au début de l’année 62, le préteur Antistius Sosianus est accusé d’avoir composé et lu en public des vers injurieux envers le prince, ce qui, depuis la fin du principat d’Auguste, tombait sous le coup de la loi de majesté que Néron remit, 350

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Tacite, Ann., xiv, 12, 3–4 : Quo grauaret inuidiam matris eaque demota auctam lenitatem suam testificaretur, trad. P.  Wuilleumier légèrement modifiée. Il s’agit de Junia Calvina et Calpurnia, exilées en 49 (Ann., xii, 4 et 8 ; 22) ; Valérius Capito et Licinius Gabolus, anciens préteurs ; Néron permet aussi qu’on ramène les cendres de Lollia Paulina, tuée en 49 (Ann., xii, 1, 2 ; 22), et fait revenir Iturius et Calvisius, deux accusateurs d’Agrippine en 55, qu’il avait lui-même relégués (Ann., xiii, 19–22). Tacite, Ann., xiv, 40 ; pir2 A 1232. Tacite, Ann., xiv, 42–45 ; pir2 P 202. Tacite, Ann., xiv, 45, 1 ; sur C. Cassius, voir pir2 C 501. Tacite, Ann., xiii, 32, 1 ; Dig., xxix, 5. Sur Cingonius Varro, voir pir2 C 736. Tacite, Ann., xiv, 45, 1 ; ce faisant, l’empereur s’opposait indirectement à Cassius dont le discours faisait référence au sénatus-consulte de 57 : Ann., xiv, 43, 2. Cassius est accusé par Néron d’honorer l’image de son ancêtre républicain qui portait l’inscription « Au chef du parti » : Tacite, Ann., xvi, 7–9, 1.

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pour la première fois de son règne, en vigueur à cette occasion. Tacite présente le procès comme une mise en scène à la « gloire du prince » : Néron aurait eu l’intention d’utiliser sa puissance tribunicienne pour adoucir la sentence du Sénat, qui devait consister en une condamnation à mort selon le mos maiorum. Cette interprétation est tout à fait vraisemblable étant donné l’impopularité de ce type de procès357. Mais Néron est pris de court par Thrasea qui propose la relégation au nom de la clementia publica et obtient la majorité des votes : Thrasea Paetus, après un grand éloge de César et une vive critique d’Antistius, exposa qu’un tel châtiment, si mérité fût-il, d’un inculpé coupable ne devait pas, sous un prince excellent (egregio sub principe) et sans la contrainte d’aucune obligation, être prononcé par le sénat : le bourreau et le lacet étaient depuis longtemps supprimés, et il existait des peines fixées par les lois, dont on pouvait, sans cruauté de la part des juges ni honte pour l’époque, appliquer les sanctions. Ainsi, relégué dans une île après confiscation de ses biens, plus longtemps il traînerait une coupable existence, plus il ressentirait son malheur privé, tout en offrant un magnifique exemple de la clémence publique (publicae clementiae maximum exemplum)358. En opposant la clementia publica à la clementia principis, Thrasea défend une prérogative traditionnelle, républicaine, du Sénat, dont il n’accepte pas que le prince s’empare ; il refuse aussi une division des compétences imposée par celui-ci359. Son intervention provoque la colère de Néron360, qui a peut-être été empêché ici, encore une fois, par un sénateur influent d’appliquer le modèle du rex clemens omnipotent proposé par Sénèque. Peut-être cette opposition a-t-elle joué un rôle dans la perte d’influence du philosophe sur l’empereur, qui reçut un coup définitif à la mort de Burrus, la même année361. Sénèque demanda au prince son congé : il est intéressant que celui-ci l’ait refusé, d’après Tacite, en alléguant non seulement qu’il avait encore besoin de ses conseils, mais surtout que le départ de son amicus philosophe entacherait sa réputation et le ferait apparaître comme un tyran caractérisé

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Elle semble confirmée par la réponse écrite de Néron au Sénat : Ann., xiv, 49, 2. Tacite, Ann., xiv, 48, 3–4, trad. P. Vuilleumier. Jusqu’au règne de Tibère, la clémence est encore à la fois l’apanage du Sénat et du prince, voir supra. Sur les relations entre Néron et le Sénat, voir M. Bonnefond-Coudry, « Princeps et Sénat sous les Julio-Claudiens », p. 251–253. Tacite, Ann., xiv, 49. Tacite, Ann., xiv, 52 ; voir M. T. Griffin, Néron, p. 90–91.

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par l’avarice et la cruauté362. Même s’il existe d’autres indices ténus de la clémence de Néron en 64 et même en 65, cette image de tyran fut définitivement fixée lors de la répression de la conjuration de Pison en 65, qui entraîna la mort de Sénèque en avril363. A la fin de cette année, Néron consacra dans le temple du Capitole le poignard de Flavius Scaevinus, l’un des principaux acteurs de la conjuration, en le dédiant à Jupiter Vengeur364. En 65 apparaissent aussi les types monétaires de Juppiter Custos et de Salus, et le Sénat terrifié semble avoir voté la construction d’un nouveau temple pour la déesse Salus365. Ainsi le salut, la sécurité du prince et de l’Etat, étaient-ils présentés comme dus à la vengeance et à la répression, par opposition au premier discours De Clementia qui les faisaient naître de la clementia principis366. En 66, les Arvales ont inclus Clementia dans un sacrifice en l’honneur de Néron à l’occasion de la nouvelle année367 : il faut 362

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Tacite, Ann., xiv, 56, 1–2 ; § 2 : « Ce n’est pas ta modération, si tu renonces à ta fortune, ni ta retraite, si tu quittes le prince, c’est mon avarice, c’est la crainte de ma cruauté qui seront dans toutes les bouches. Si même ton désintéressement recevait de plus grands éloges, il n’en serait pas moins indigne d’un sage de perdre un ami de réputation, pour en tirer de la gloire », trad. P. Wuilleumier. En 64, Decimus Junius Silanus Torquatus, descendant d’Auguste, est contraint au suicide, et « Néron ne manqua pas de dire, comme de coutume, que, malgré sa culpabilité et sa juste défiance à plaider sa cause, il aurait vécu cependant, s’il avait attendu la clémence de son juge, clementiam iudicis », trad. P. Wuilleumier (Ann., xv, 35) : s’agit-il d’une déclaration conventionnelle (que l’on trouve déjà dans la bouche de Tibère, Ann., ii, 31, 3 ; iii, 50, 2), comme le veut Tacite qui ne considère pas Néron comme un véritable prince clément, ou bien d’un indice que l’empereur avait tenté d’appliquer le plus souvent possible la clémence dans le domaine judiciaire ? En 65, lors de la répression de la conjuration de Pison, Néron pardonna à deux tribuns militaires, Gavius Silvanus, qui se suicida, et Statius Proximus, qui « réduisit à néant le pardon qu’il avait reçu de l’empereur par sa mort pleine de vanité » (Ann., xv, 71, 2) : des conjurés ont donc refusé la clémence du prince comme Caton avait refusé celle de César. Après la mort de Sénèque, son frère Junius Gallio fut violemment accusé au Sénat par Salienus Clemens et il ne dut son salut qu’à l’opposition des autres sénateurs qui rappelèrent la mansuetudo du prince (Ann., xv, 73, 3). Sur l’impopularité de Néron, due à la répression, voir Tacite, Ann., xv, 73, 1. Voir I. Cogitore, La légitimité dynastique, p. 236–237 sur D. Junius Silanus Torquatus ; p. 249–263 sur la conjuration de Pison. Tacite, Ann., xv, 74, 2 ; sur Scaevinus, pir2 F 357. Sur ce poignard, que Scaevinus aurait peut-être enlevé au temple de Salus, voir Ann., xv, 53, 2. Voir ric2 Néron 52 et 59, pl. 18 ; Tacite, Ann., xv, 74, 1. Cl., i, 21, 1 : « La vengeance procure d’ordinaire deux choses : à celui qui a subi un tort elle apporte ou bien une consolation ou bien la sécurité pour l’avenir. La fortune du souverain est trop haute pour qu’il ait besoin de consolation et sa force trop manifeste pour qu’il cherche un renom de puissance dans le malheur d’autrui », trad. F.-R. Chaumartin. cil vi 2044 = cil vi 32355 ; J. Scheid, Les Frères Arvales. Recrutement et origine sociale sous les empereurs julio-claudiens, Paris, 1975, i, c, d), p. 271, l. 18–19.

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peut-être interpréter cette mention comme un appel à la clémence du prince, car la répression s’est poursuivie en 66368. Donc, pour autant qu’on puisse en juger, le récit de Tacite suggère que Néron fut plutôt un prince clément dans le contexte judiciaire, notamment lors des affaires de réhabilitation ou de concussion, qui n’engageaient pas directement sa personne ni surtout sa sécurité. Mais dès 59 apparaît un modèle politique concurrent, celui du prince évergète et artiste, qui prend le dessus en 61 (l’abandon du monnayage à la couronne civique est peut-être significatif). En 62, Sénèque perd sa position de conseiller et l’on peut considérer que, de fait, le pacte politique proposé à Néron au début de son règne est définitivement caduc. En 66 est renoué entre les sénateurs et l’empereur un type de dialogue habituel (déjà identifié sous Tibère et Caligula) autour de la clémence du prince, mise en avant par les sénateurs apeurés. Dès 61 lors de l’intervention de Cassius, la clémence apparaît comme objet de conflit entre l’empereur et certains sénateurs défenseurs de l’auctoritas sénatoriale. La clementia du prince tout puissant est refusée par Thrasea Paetus, comme elle l’est ensuite par d’autres opposants politiques qui préfèrent se donner la mort plutôt que d’accepter le pardon lors de la répression de 65369. Apparaît ainsi un autre facteur non négligeable dans l’échec de Sénèque : le comportement emblématique de Thrasea Paetus suggère en effet que les sénateurs conservateurs n’ont pas été convaincus par le modèle de souveraineté proposé par le philosophe. b Thrasea et la libertas Le fait que le discours ne soit pas destiné en premier lieu aux sénateurs explique, à notre avis, son échec. Il n’y a pas eu de consensus parmi les sénateurs autour de la figure du roi clément qui règne sans partage, selon le modèle construit par Sénèque  :  à partir de 58 apparaît une opposition sénatoriale au prince, incarnée par la figure de Thrasea qui défend les anciennes compétences du Sénat en matière de gestion de l’Empire, la libertas et la dignitas des Pères370. Il lutte ainsi pour des valeurs du mos maiorum qui sont très proches de l’éthique stoïcienne : les vertus philosophiques qui, selon Tacite, ont motivé son attitude 368 369 370

Tacite, Ann., xvi, 11, 3 : jugement posthume de L. Vetus, sa belle-mère Sextia, et sa fille Pollitta, veuve de Rubellius Plautus, qui se sont suicidés ; ils sont condamnés au jugement des ancêtres et Néron intervient pour leur proposer le trépas de leur choix. Ann., xv, 71, 2, voir supra. Tacite, Ann., xiii, 49 : Thrasea s’oppose en 58 à un sénatus-consulte permettant aux Syracusains de dépasser dans les jeux le nombre de gladiateurs habituellement permis. En 59, il refuse de s’associer aux manifestations d’adulation excessive des sénateurs après la mort d’Agrippine, Ann., xiv, 12, 1. Sur l’influence de Thrasea, voir Tacite, Ann., xvi, 22 : « [Thrasea] a des sectateurs ou plutôt des satellites, qui, sans le suivre encore dans l’arrogance de ses

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en 62 sont en effet la libertas du sage et sa fermeté d’âme, firmitudo animi371. Or, dans les mémoires, ces vertus étaient attachées à l’exemplum de Caton d’Utique, et l’on pourrait dire qu’en 62, Thrasea s’est opposé à la clémence de Néron tout comme, par son suicide, Caton avait refusé celle de César. Le parallèle entre les deux hommes a dû être d’autant plus évident aux yeux de leurs contemporains que Thrasea avait écrit un livre sur Caton372. Le rapprochement entre les deux sénateurs stoïciens est établi chez Tacite par Cossutianus Capito, l’adversaire de Thrasea et le principal artisan de sa chute373. Bien qu’au début du premier discours De Clementia, le principat de Néron soit défini comme « un régime politique très heureux, auquel rien ne manque pour atteindre la plus grande liberté, si ce n’est la faculté d’aller à sa perte » – définition paradoxale qui tente de concilier la liberté absolue du sage et celle de la multitude pensée comme une force de désordre et de destruction, qu’il faut contenir – la libertas n’est pas une valeur prépondérante dans le discours de Sénèque, elle est beaucoup moins importante que la clementia, la securitas et la salus374. Ce n’est pas un discours que des sénateurs attachés aux valeurs traditionnelles, républicaines, pouvaient accepter375. Au début du iie siècle, Pline, lui aussi adonné à l’étude du stoïcisme, ne s’y est pas trompé en accordant beaucoup plus de place dans son Panégyrique, prononcé devant le Sénat, à la libertas (dix-sept occurrences). Après la disgrâce de Sénèque, celui-ci et Thrasea semblent s’être rapprochés : en 63, après avoir refusé de recevoir Thrasea à la naissance de sa fille, Néron se serait vanté auprès de son ancien conseiller de s’être réconcilié avec

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avis, imitent déjà son maintien et son air, se montrant raides et sombres pour te reprocher ton enjouement », trad. P. Wuilleumier. Voir V. Rudich, Political dissidence under Nero : the price of dissimulation, London, New York, 1993, p. 31–34, 75–81, 158–179. Les deux termes sont utilisés par Tacite, Ann., xiv, 49 ; un autre motif est ajouté pour expliquer le comportement de Thrasea, qui est la recherche de la gloire personnelle (c’est un reproche habituel que l’historien fait aux aristocrates engagés dans la philosophie) ; voir aussi Dion Cassius, lxi, 15. Plutarque, Cat. Min., 25. Tacite, Ann., xvi, 22, 2 ; pir2 C 1543. Cette prééminence de la clémence et de la sécurité sur la liberté est exprimée dans Cl., i, 1, 8–9 ; § 8 : Obuersatur oculis laetissima forma rei publicae, cui ad summam libertatem nihil deest nisi pereundi licentia, trad. F.-R. Chaumartin, légèrement modifiée. Cette référence est la seule qui concerne la liberté des sujets dans leur ensemble. D’autres occurrences sont présentes dans Cl., i, 1, 2 (liberté donnée à certains peuples) ; i, 15, 6 (liberté d’Auguste pour prononcer sa sentence) ; ii, 7, 2 (défendre sa liberté est une raison honorable de partir en guerre) ; ii, 1, 3 (liberté mal assurée des peuples frontaliers). Voir I. Cogitore, Le doux nom de liberté. Histoire d’une idée politique dans la Rome antique, Bordeaux, Paris, 2011, p.  133–152, sur la notion de libertas sous les Julio-Claudiens, et p. 147–152, sur la libertas (politique et psychologique) chez Sénèque.

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Fig. 1  Aureus, Tarragone ( ?), janvier-avril 69. Droit : A VITELLIVS GERMANICVS IMP AVG. Revers : CLEMENTIA IMP – GERMANICI. ric i2 Vitellius 2. Numismatica Ars Classica, 71, 16 mai 2013, lot 214.

le sénateur stoïcien, ce dont Sénèque l’aurait félicité376. Le philosophe ne s’est cependant jamais opposé au pouvoir dans ses derniers écrits377, seule sa mort très digne, qui semble avoir été imitée par Thrasea, peut être interprétée dans ce sens : en s’ouvrant les veines, il offrit son sang en libation à Jupiter Liberator, mettant en scène la liberté absolue du sage378. Sa mort le replace dans le rôle traditionnel du philosophe-censeur du pouvoir illimité, qui était celui de Thrasea depuis 58, et elle confère à Néron une image de tyran. Sénèque a lui-même reçu par la suite l’image de « précepteur de tyran »379, et le modèle politique qu’il a construit dans le De Clementia n’a pas été revendiqué pour les empereurs postérieurs. Peut-être Vitellius a-t-il été tenté de se présenter en rex clemens. En effet, au premier semestre de 69 apparaît dans le monnayage espagnol de l’imperator un type représentant au revers la Clémence assise, tenant une branche et un sceptre, avec la légende CLEMENTIA IMP GERMAN ou GERMANICI ; au droit est figurée la tête laurée de Vitellius entourée de la légende A VITELLIVS GERMANICVS IMP AVG, A VITELLIVS IMP GERMAN ou GERMANICVS (Fig. 1)380. 376 377 378 379 380

Tacite, Ann., xv, 23, 4. Selon l’historien, ces paroles auraient augmenté la gloire et le péril des deux hommes. M. T. Griffin, « Philosophie for Statesmen », p. 149–150. Tacite, Ann. xv, 64, 4 (mort de Sénèque) ; xvi, 35, 1, et Dion Cassius, lxxii, 26 (mort de Thrasea). Voir infra, c. 2 ; M. T. Griffin, Seneca, p. 367–388, sur la mort de Sénèque. Dion Cassius, lxi, 10. ric i2, p. 264–265 ; p. 268 nos 1–2, pl. 30 ; p. 269 nos 17–18 et 39 (la légende du revers est CLEMENTIA IMP GERMAN S – C). Sur la personnification de Clementia et son éventuelle divinisation, voir la discussion de M. B. Dowling, Clemency and Cruelty, p. 213–215.

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Musonius, Epictète et le pouvoir impérial Après l’échec de Sénèque, peut-on chercher chez les Stoïciens Musonius Rufus et Epictète un substrat philosophique à la réflexion politique qui s’est développée sous le Haut-Empire au sujet du pouvoir impérial et du bon roi ? C’est en tout cas une démarche légitime, tant l’influence de leurs enseignements semble avoir été importante. Les deux philosophes étaient au centre de liens sociaux qui les ont unis aux principaux auteurs, grecs et latins, de la réflexion politique sur la royauté dans les deux premiers siècles de l’Empire : Dion de Pruse, Pline le Jeune et l’empereur Marc Aurèle. Après avoir étudié ces liens qui nous conduisent, encore une fois, à la question de la place des philosophes à Rome, nous examinerons l’expérience personnelle que Musonius et Epictète ont eue du pouvoir politique, puis l’analyse de celui-ci qui transparaît dans leurs œuvres. 1

Relations sociales, transmissions intellectuelles et place des philosophes à Rome

Né vers 30 ap. J.-C., issu d’une famille équestre de Volsinius/Bolsena en Etrurie, Musonius vécut à Rome où il fut très impliqué dans la vie politique, ce qui lui valut plusieurs séjours d’exil en Asie et en Grèce1. La comparaison entre Musonius et Socrate que l’on trouve chez des auteurs du iiie et du ive siècles témoigne de la postérité de sa réputation de philosophe engagé dans l’action morale et politique2. On ne sait pas s’il a produit des écrits, mais son enseignement 1 Musonius a probablement suivi en Asie en 60–62 Rubellius Plautus, en qui Néron voyait un rival (Tacite, Ann., xiv, 22, 2, et 58–59). Après la conspiration de Pison, il fut exilé à Gyaros dans les Cyclades entre 65/66 et 68, puis à nouveau exilé après 71  ; Titus le rappela peutêtre en 79 (Thémistios, Or. xiii, 173 c, sur l’amitié entre Titus et Musonius, ou du moins leur fréquentation ; Jérôme, Chronique, 214 Ol., 79 ap. J.-C.). Voir infra sur les confrontations de Musonius avec le pouvoir impérial. Sur Musonius Rufus, voir PIR2 M 753 ; K. von Fritz, re, 16, 1, 1933, col. 893, n° 1 ; S. Demougin, Prosopographie des chevaliers romains julio-claudiens, Rome, 1992, n° 707 ; C. E. Lutz, “Musonius Rufus, ‘the Roman Socrates’ ”, ycis, 10, 1947, p. 3–147, part. 13–24 pour sa biographie ; M.-O. Goulet-Cazé, s.v. « Musonius Rufus », DPhA, iv, n° 198, p. 555–572 ; V. Laurand, Stoïcisme et lien social. Enquête autour de Musonius Rufus, Paris, 2014. 2 Philostrate, va, iv, 46 ; Origène, Cels., iii, 66 ; lettre de Julien au grand prêtre Théodore, 16 (datée de 362, mais l’authenticité n’est pas complètement établie) ; voir C. E. Lutz, “Musonius Rufus”, p. 3.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_004

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nous a été transmis par le biais de diatribes extraites de Stobée et dues à un certain Lucius (sans doute un disciple de Musonius), qui ont été rédigées vers 110, ainsi que par des fragments et apophtegmes préservés chez Epictète, Plutarque, Aulu-Gelle, Aelius Aristide et Stobée3. A Rome, à une période qu’on ne peut déterminer précisément entre 68 et 95, il fut le maître d’Epictète qui avait pour lui une grande estime, comme on le sait d’après les Entretiens4. Né vers 50 ap. J.-C. à Hiérapolis en Phrygie, Epictète était arrivé à Rome comme esclave dans la maison d’un Epaphrodite qui était peut-être l’affranchi et le secrétaire a libellis de Néron5. Le sophiste Dion, né à Pruse sur l’Olympe en Bithynie entre 40 et 50 ap. J.-C., fut aussi selon Fronton le disciple de Musonius6. Il a peut-être assisté à ses cours à Rome où, d’après ses discours, il a fait plusieurs séjours ; il aurait pu suivre son enseignement entre 62–65, entre 69–71, ou encore entre 79 et 82/83, qui est la date la plus probable à laquelle Dion fut exilé par Domitien7. Le corpus du sophiste contient deux lettres, dont l’authenticité est contestée, qui sont adressées à un certain Rufus8. Selon Synésios de Cyrène, Dion aurait composé un discours Πρὸς Μουσώνιον, A Musonius, avant son exil, quand il était lui-même un sophiste engagé contre les philosophes9. Il est difficile d’interpréter ce témoignage de Synésios, qui écrit à la fin du ive et au début du ve siècle. Il a en effet dissocié la vie de Dion (rédigée par Philostrate dans les 3 C. E. Lutz, “Musonius Rufus”, p. 8–12 ; M.-O. Goulet-Cazé, « Musonius Rufus », p. 564, 570–571. 4 Entretiens, i, 1, 27 ; 7, 32 ; 9, 29–30 ; iii, 6, 10 ; 23, 29 ; fr. 4–8 Schenkl. Voir F. G. B. Millar, “Epictetus and the Imperial Court”, jrs, 55, 1965, p. 141–148 ; R. Laurenti, “Musonio, maestro di Epitteto », anrw, ii, 36, 3, Berlin, New York, 1989, p. 2105–2146 ; M.-O. Goulet-Cazé, « Musonius Rufus », p. 560. 5 Voir Entretiens, i, 19, 17–23. P. P. Fuentes González, DPhA, iii, p. 106–151, part. p. 111–112. Sur Epaphrodite, voir pir2 E 69. 6 Fronton, De Eloquentia, i, 4 Van den Hout. 7 Sur l’exil de Dion, voir infra, c. 3. Le sophiste aurait aussi pu suivre l’enseignement de Musonius à Gyaros où, d’après Philostrate, va, vii, 16, des Grecs affluaient de partout pour venir écouter le philosophe (voir Lucien, Sur la mort de Péregrinos, 18) ; mais ni les discours de Dion, ni aucun autre témoignage, n’évoquent de séjour à Gyaros. La période d’avant la mort de Néron est privilégiée par J. L. Moles, “The career and conversion of Dio Chrysostom”, jhs, 98, 1978, p. 79–100, part. p. 86–87 ; C. P. Jones, The Roman World of Dio Chrysostom, Cambridge Mass., London, 1978, p. 13–14. 8 Lettres 1 et 2 dans Dio Chrysostom, v, The Loeb Classical Library, p. 354–357 : il s’agit de lettres de recommandation, courtes et peu précises, dont la seconde concerne un étudiant en rhétorique. 9 Dio Chrysostom, v, The Loeb Classical Library, p. 372–373, l. 6–8. Synésios mentionne aussi un discours contre les philosophes, qu’il attribue à la même période anti-philosophique de Dion. Voir E. Amato, Traiani Praeceptor. Studi su biografia, cronologia e fortuna di Dione Crisostomo, Besançon, 2014, p. 65–90.

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Vies de sophistes, dans la première moitié du iiie siècle) et ses œuvres en deux parties : une première période tournée vers une production sophistique, puis, après une conversion opérée par l’exil, une seconde période philosophique caractérisée par des écrits politiques. Ce schéma dualiste est aujourd’hui, à juste titre, contesté10. Selon Synésios, Dion aurait d’abord été « persuadé que vivre selon les opinions communes valait mieux que de vivre en suivant la philosophie ». Cette affirmation, qui rappelle un peu trop la polémique de Platon contre les sophistes de son temps, paraît douteuse11. Néanmoins, Synésios avait lu le discours A Musonius, qu’il estimait tout à fait sérieux et sincère, ce qui conduit à s’interroger sur la nature des relations entre Dion et Musonius. On a supposé que le sophiste, qui était en contact avec Vespasien et Titus et a sans doute bénéficié de leurs faveurs, s’était engagé aux côtés du premier dans le conflit qui l’a opposé, notamment au début de son règne, à certains sénateurs stoïciens12. Ce conflit apparaît comme un autre aspect du problème posé à Rome, vers le milieu du ier siècle ap. J.-C., par l’intervention de la philosophie dans la sphère publique et politique réservée à l’éloquence. Les historiens modernes se sont beaucoup interrogés sur la nature réelle de l’opposition des « sénateurs stoïciens », pour savoir si elle était plus politique ou plus philosophique. Or, il semble que c’est précisément à cette période que l’on assiste à Rome à un rapprochement, controversé car transgressif, de la philosophie et de la politique, comme le montrent les exemples de Sénèque et de Musonius, dont le rang aristocratique confèrait à la parole philosophique une auctoritas inhabituelle, ou, inversement, l’exemple du Cynique Démétrios qui, selon Suétone, attaqua publiquement le princeps Vespasien13. D’autre part, les valeurs sociales et politiques de l’aristocratie sénatoriale de la fin de la République possédaient des accointances avec l’éthique stoïcienne, qui mettait en avant la seueritas, la libertas du sage14. Ceux qui, comme Thrasea et son gendre Helvidius Priscus, 10

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Voir en particulier P. Desideri, « Il Dione e la politica di Sinesio », aat, 107, 1972–1973, p. 551–593 ; J. L. Moles, “The career and conversion” ; A. Brancacci, « Filosofia e retorica nel dibattito tardoantico da Filostrato a Sinesio », Elenchos, 6, 1985, p. 379–408, part. p. 400– 408. P. Desideri, s.v. « Dion Chrysostome », DPhA, ii, n° 166 p. 841–856, part. p. 843. A. Momigliano, compte-rendu de l’ouvrage de C. Wirszubski, Libertas as a Political Idea at Rome during the Late Republic and Early Principate, Cambridge, 1950, réimprimé dans l’édition italienne de cet ouvrage, Bari, 1957, p. 282–283 ; P. Desideri, Dione di Prusa. Un intelletuale greco-nell’ impero romano, Firenze, Messina, 1978, p. 30, 62–63, et DPhA, ii, p. 843–844 ; J. L. Moles, “The career and conversion”, p. 85–87 ; C. P. Jones, The Roman World, p. 16. Suétone, Ves., 13, 4. Voir J. Hellegouar’ch, Le vocabulaire latin, p. 279–290, sur la grauitas et la seueritas.

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souhaitaient assumer au Sénat un rôle politique traditionnel, aristocratique, en exprimant librement leurs opinions et en participant activement au gouvernement de la res publica, pouvaient ainsi trouver dans la philosophie les principes légitimant leur fermeté et leur liberté d’expression15. Cependant, alors que le système du mos maiorum possédait une certaine souplesse, en permettant la coexistence de valeurs très positives, mais éloignées, comme l’austeritas et la liberalitas, la clementia et le devoir de vengeance, ce qui assurait une certaine régulation sociale, le code éthique stoïcien était plus restreint et plus strict, ce qui entraînait des oppositions plus vives16. Le conflit entre les « sénateurs stoïciens » et le prince est lié, d’une manière qui nous échappe précisément, au renvoi des philosophes hors de Rome en 7117. Musonius fut dans un premier temps épargné par la mesure, mais dut quitter plus tard la capitale18. L’opposant au pouvoir de Vespasien qui nous est le mieux connu, le préteur stoïcien Helvidius Priscus l’Ancien, fut condamné à mort en 71 ou peu après19. L’hypothèse d’un engagement de Dion contre des amis de son ancien maître ou bien contre des philosophes est d’autant plus probable que la période entre la fin des Julio-Claudiens et le début des Flaviens, marquée par des purges à l’encontre des philosophes, fut manifestement une période trouble pour ceux-ci. Ils ont aussi, pour des motifs qui nous échappent largement, été divisés entre eux. En témoigne le procès du Stoïcien P. Egnatius Celer au début du règne de Vespasien20. En 66, Celer avait fait une déposition accablante au procès de Barea Soranus, dont il était pourtant à la fois le maître et l’ami, et que

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Sur les relations entre le princeps et le sénat d’Auguste à Caligula, voir M.  BonnefondCoudry, « Princeps et Sénat ». Cette rigidité trouve son illustration dans les Entretiens, i, 2, 19–24, trad. J. Souilhé, passage analysé infra. Elle donne aussi tout son sens à la réticence d’Agrippine à l’idée que Sénèque donne un enseignement philosophique poussé au jeune Néron, voir supra, c. 1. C’est particulièrement net chez Dion Cassius, lxv, 12–13. Voir M.-O. Goulet-Cazé, «  Le cynisme à l’époque impériale », anrw, ii, 36, 4, Berlin, New York, 1990, p. 2720–2833, part. p. 2754–2756, sur l’hostilité de Vespasien aux Cyniques ; J. L. Penwhill, “Expelling the mind. Politics and philosophy in Flavian Rome”, dans A. J. Boyle, W. J. Dominik (éd.), Flavian Rome. Culture, Image, Text, Leiden, Boston, 2003, p. 345–368 ; Y. Rivière, « L’exil des mages et des sages. Un empire sans philosophes ? (Ier siècle ap. J.-C.) », dans P. Vesperini (éd.), Philosophari, p. 265–352. Dion Cassius, lxv, 13, 2. En 74 selon R. Syme, Tacitus, Oxford, 1958, p. 212. Voir P. A. Brunt, “Stoicism and the Principate”, pbsa, 43, 1975, p. 7–35, part. p. 28–31 ; J. Malitz, « Helvidius Priscus und Vespasian. Zur Geschichte der “stoischen” Senatopposition », Hermes, 113, 1985, p. 231–246 ; M. Ducos, s.v. « Priscus (C. Helvidius) », DPhA, iii, n° 39 p. 547–548. Voir M. Ducos, s.v. « Celer (P. Egnatius) », DPhA, ii, n° 64 p. 252.

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Néron envoya à la mort21. Musonius se fit l’accusateur de Celer, que le Cynique Démétrios, proche de Thrasea et de Sénèque, défendit par ambition selon Tacite22. Le procès aboutit à la condamnation de l’accusé. L’attitude de Celer et celle de Démétrios répondent peut-être à des motivations carriéristes ou à des jeux de relations sociales bien éloignés des principes philosophiques censés déterminer l’action du sage. Une autre possibilité est que le désaccord opposant Dion aux philosophes et à Musonius se soit situé sur le terrain de l’art oratoire. En effet, Epictète et Apollonios de Tyane semblent avoir reproché au sophiste le caractère trop rhétorique de ses discours23. On perçoit chez Musonius, Epictète et Fronton, des divergences entre rhéteurs et philosophes au sujet de la maîtrise et des objectifs de l’éloquence ; et c’est notamment l’éloquence politique qui apparaît comme l’objet de leurs rivalités chez Musonius et Fronton24. Les deux hypothèses ne sont pas incompatibles entre elles, car l’attitude de Vespasien était propre à exacerber les tensions et la compétition entre rhéteurs et philosophes : l’empereur fut en effet le premier à créer des chaires de rhétorique latine et grecque à Rome, rémunérées par une pension annuelle de cent mille

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Tacite, Ann., xvi, 32, 2–3 ; Hist., iv, 10 ; Juvénal, iii, 116–118 ; Dion Cassius, lxii, 26, 1–2. Voir pir2 E 19 ; re, v2, 1996 ; H. Rutledge, Imperial inquisitions. Prosecutors and informants from Tiberius to Domitian, London, New York, 2001, p. 120–121, 124–125, 223–225 (n° 37). Tacite, Hist., iv, 40, 3. Voir M. Billerbeck, s.v. « Démétrios », DPhA, ii, n° 43 p. 622–623 ; J. K. Evans, “The Trial of P. Egnatius Celer”, cq, ns 29, 1979, p. 198–202 ; J. L. Moles, “Honestius quam ambitiosus ? An exploration of the Cynic’ attitude to moral corruption in his fellow men”, jhs, 103, 1983, p. 103–123 ; M. Heider, « Philosophen vor Gericht. Zum Prozess des P. Egnatius Celer », rhm, 48, 2006, p. 135–155. Apollonios de Tyane, Ep., 9 (avec cette réserve que les lettres attribuées à Apollonios sont d’authenticité douteuse) ; un reproche analogue est fait à Dion par l’Apollonios de Philostrate, va, v, 40. Pour Epictète, voir Entretiens, ii, 23, 17–19. Musonius, Diatribe viii, Les rois, eux aussi, doivent philosopher : « Ce que la philosophie est sans doute la plus apte à accorder à ses poursuivants, c’est de l’emporter par le raisonnement sur autrui, de distinguer le vrai du faux, de réfuter l’un et de fortifier l’autre. Ainsi, quand les rhéteurs s’entretiennent avec les philosophes, leur donnent et demandent raison, on peut les voir jetés dans la confusion, embarrassés et obligés de se contredire. Cependant, quand les rhéteurs, qui ont pour fonction de pratiquer les discussions, se laissent confondre parce qu’ils sont moins forts que les philosophes dans les discussions, que faut-il penser des autres hommes ? En conséquence, si un roi a le désir d’être fort dans l’art de discuter, il doit faire de la philosophie », trad. A. Jagu ; Entretiens, ii, 23, 17–19, et iii, 33–38 ; Fronton, De Eloquentia, i, 4 Van den Hout : ce passage est expliqué par C. P. Jones, The Roman World, p. 12 et 163 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 6–16 ; A. Brancacci, Rhetorike philosophousa. Dione Crisostomo nella cultura antica e bizantina, Napoli, 1986, p. 42–50. Sur l’empereur orateur chez Fronton, voir notamment la lettre Ver., ii ; De Eloquentia, ii, 6, 9 et 12 ; voir aussi infra, c. 4.

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sesterces, qui était prélevée sur les ressources du fisc25. Il fut également le premier à accorder des exemptions aux rhéteurs, ainsi qu’aux grammairiens et aux médecins, sans inclure les philosophes. Le texte de cet édit, daté du 27 décembre 74, est intéressant car il désigne « ceux qui éduquent les esprits des jeunes gens à la douceur et à la vertu politique (πρὸς ἡµερότητα καὶ πολιτικὴν ἀρετήν) », ce qui souligne le fait qu’aux yeux de Vespasien, l’éducation civique était du ressort des spécialistes de la rhétorique, et non des philosophes qu’il avait chassés de Rome trois ans auparavant26. Pline le Jeune, né vers 61, a probablement aussi été influencé par Musonius, de manière à la fois directe et indirecte. La lettre au rhéteur Julius Genitor, écrite vers 100/101, nous apprend qu’il a « aimé et admiré » Musonius, bien qu’il ne fût pas aussi intime avec lui qu’il l’était avec son gendre, Artémidore, en raison de leur différence d’âge d’environ trente ans27. Pline a pu suivre l’enseignement de Musonius à Rome, comme le faisaient d’autres jeunes gens fortunés et ambitieux, par exemple son ami C. Minicius Fundanus, consul en 107, que Plutarque présente en train de commenter une maxime de Musonius28. C’est lors d’un séjour en Syrie en 81/82, alors qu’il était tribun militaire, que Pline a rencontré le stoïcien Artémidore dont il était plus proche en âge. Celui-ci fut sans doute un élève de Musonius, qui le choisit pour gendre « parmi une foule de

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Suétone, Ves., 18 ; Dion Cassius, lxv, 12, 1a ; Jérôme, Chronique, 216 Ol., 88 ap. J.-C, Helm2. Pour le texte de l’édit daté de 74 (copie de Pergame), voir J. H. Oliver, Greek Constitutions of Early Roman Emperors from Inscriptions and Papyri, Philadelphia, 1989, p. 119 n° 38 ; E. Samama, Les médecins dans le monde grec. Sources épigraphiques sur la naissance d’un corps médical, Genève, 2003, p. 311–313 n° 189. Voir Dig., l, 4, 18, 20, avec les interprétations de R. Herzog, Urkunden zur Hochschulpolitik der römischen Kaiser, Berlin, 1935, p. 967–1019 (ae 1936, 128) ; M. McCrum, A. G. Woodhead (éd.), Select Documents of the Principates of the Flavian Emperors, Cambridge, 1961, n° 458 ; G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 32–34, au sujet de l’immunité accordée aux philosophes probablement par Hadrien ; S. Fein, Die Beziehungen der Kaiser Trajan und Hadrian zu den Litterati, Stuttgart, Leipzig, 1994, p. 291–296 ; Dig. xxvii, 1, 6, 8. Pline, Ep., iii, 11, 5–6 : Nam et C. Musonium socerum eius, quantum licitum est per aetatem, cum admiratione dilexi et Artemidorum ipsum iam tum, cum in Syria tribunus militarem, arta familiaritate complexus sum, idque primum non nullius indolis dedi specimen, quod uirum aut sapientem aut proximum simillimumque sapienti intellegere sum uisus, « Car j’ai aimé et admiré C. Musonius, son beau-père, autant que me le permettait la différence d’âge ; quant à Artémidore, dès le temps où j’étais tribun militaire en Syrie, je me suis attaché à lui comme à un ami intime, et j’ai donné un premier indice de ce que je possédais quelques qualités naturelles en montrant que je comprenais la valeur d’un homme qui est un sage ou ce qui se rapproche le plus d’un sage et lui est le plus semblable », trad. H. Zehnacker. Plutarque, Du contrôle de la colère, 2, 453 D. Voir B. Puech, « Prosopographie des amis de Plutarque », anrw, ii, 33, 6, Berlin, New York, 1992, p. 4831–4893, part. p. 4861.

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prétendants de toute condition »29. L’amitié qui liait Pline et Artémidore semble avoir été forte et durable, car dans une période où Domitien avait chassé de Rome et d’Italie les professeurs de philosophie et où Pline était préteur – sans doute en automne 9330 –, celui-ci prit le risque de visiter Artémidore dans sa maison suburbaine et l’aida à rembourser une dette assez lourde31. On n’a pas connaissance d’écrits qu’aurait laissés ce dernier et il est très possible qu’il n’ait pas enseigné ; Pline n’évoque que ses vertus morales dignes d’un philosophe32. Si Artémidore avait eu une école, il est plus probable qu’il serait parti en exil avec les autres philosophes ; il devait plutôt être ou se sentir menacé en raison de son lien familial avec Musonius ou bien de ses relations avec les « sénateurs stoïciens  » condamnés par l’empereur. C’est peut-être par des conversations amicales qu’Artémidore a pu discuter avec Pline des idées de Musonius. D’autre part, Pline a suivi l’enseignement du Stoïcien Euphratès de Tyr qui, selon Fronton, était aussi un disciple de Musonius33. Né vers 30/40 ap. J.-C., Euphratès était un philosophe réputé34, qui entra en querelle avec le célèbre Néopythagoricien Apollonios de Tyane35. Pline l’avait également rencontré en Syrie en 81/8236, et il suivait ses leçons à Rome après 98, dans la mesure où sa préfecture de l’aerarium Saturni le lui permettait37. La lettre i, 10, décrit précisément le rôle qu’Euphratès remplissait pour lui : celui d’un soutien moral et 29 30 31 32 33 34 35

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Pline, Ep., iii, 11, 7 : ex omnibus omnium ordinum adsectatoribus, trad. H. Zehnacker ; le terme adsectator peut aussi désigner la qualité de disciple. Sur Artémidore, voir S. Follet, s.v. « Artémidore de Syrie », DPhA, i, n° 431 p. 614. Sur la date, voir A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, Oxford, 1966, p. 763–771 ; R. Syme, « Legates of Cilicia under Trajan », Historia, 18, 1969, p. 360 (= Roman Papers, ii, Oxford, 1979, p. 782). Pline, Ep., iii, 11, 2. Pline, Ep., iii, 11, 5. Fronton, De Eloquentia, i, 4 Van den Hout. Entretiens, iii, 15, 8 ; Pline, Ep., i, 10 ; Eusèbe de Césarée, Contre Hieroclès, 33, 40–50, des Places. Voir P. Grimal, « Deux figures de la correspondance de Pline : le philosophe Euphratès et le rhéteur Isée », Latomus, 14, 1955, p. 370–383 ; A. Mantello, « Un illustre sconosciuto tra filisofia e prassi giuridica, Eufrate d’Epifania », dans Sodalitas, Scritti in onore di Antonio Guarino, Napoli, 1984, ii, p.  963–995  ; P.  Robiano, s.v. «  Euphratès (Mestrius)  », DPhA, n° 132, p. 337–342, part. p. 338–339 et 342, sur la querelle, probablement d’école, entre Euphratès et Apollonios. Pline, Ep., i, 10, 2. Pline, Ep., i, 10, 9. Cette lettre paraît postérieure à l’accession au trône de Nerva et au retour des philosophes, qu’elle célèbre ; Pline avait été nommé praefectus aerarii Saturni au début de 98, et il resta à ce poste jusqu’à son accession au consulat en 100 : voir M. Corbier, L’Aerarium Saturni et l’Aerarium militare. Administration et prosopographie sénatoriale, Roma, 1974, p. 131–143, part. p. 138–141. Voir B. Maier, Philosophie und römisches Kaisertum, p. 261–264.

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d’un directeur de conscience, qui l’encourageait à accomplir sa fonction publique : Il m’arrive parfois (et cela même, quand puis-je me le permettre !) de me plaindre à Euphratès de ces tracas. Lui me console en m’assurant que c’est aussi une partie de la philosophie, et même la plus belle, que d’exercer une fonction publique, d’instruire une affaire et de la juger, de dire le droit et de le faire appliquer, bref, de mettre en pratique ce que les philosophes enseignent38. La philosophie d’Euphratès, tournée vers l’action, la vie politique et les valeurs sociales – en cela elle répondait à celle de son maître Musonius – semble avoir été en accord avec les aspirations de l’aristocratie romaine à un moment où l’on célébrait le retour à la liberté, prôné par Nerva et Trajan39. D’autres raisons expliquent aussi le succès que le philosophe connaissait à Rome : sa conversation était aimable, son apparence noble et soignée, son expression sévère mais pas sombre comme l’avait été celle de Thrasea Paetus et de ses partisans40. Pline distingue soigneusement son maître des philosophes cynico-stoïciens itinérants, beaucoup plus véhéments, dont on a supposé qu’ils étaient les premières cibles des mesures prises par Vespasien et Domitien pour chasser les philosophes hors de Rome41. Euphratès avait en outre épousé la fille d’un citoyen romain, Pompeius Julianus, décrit par Pline comme l’un des premiers 38

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Pline, Ep., i, 10, 10 : Soleo non numquam (namid ipsum quando contingit !) de his occupationibus apud Euphraten queri. Ille me consolatur, adfirmat etiam esse hanc philosophiae et quidem pulcherrimam partem, agere negotium publicum, cognoscere, iudicare, promere et exercere iustitiam, quaeque ipsi doceant in usu habere, trad. H. Zehnacker. Sur ce point (sans vouloir juger de son originalité qui nous est inaccessible) la philosophie d’Euphratès peut être comparée à ce qu’on lit sur les devoirs sociaux, la notion de decorum et l’idée que la fonction publique est une obligation morale, chez Cicéron qui s’appuie sur Panétios dans les deux premiers livres du De Officiis : voir P. A. Brunt, « Stoicism and the Principate », p. 12–15. L’aspect politique du stoïcisme d’Euphratès est souligné par P. Robiano, « Euphratès (Mestrius) », p. 340–341. Suétone, Nero, 37 : « Thrasea Paetus, [accusé] pour son visage renfrogné de pédagogue » ; Tacite, Ann., xvi, 22 : « [Thrasea] a des sectateurs ou plutôt des satellites, qui, sans le suivre encore dans l’arrogance de ses avis, imitent déjà son maintien et son air, se montrant raides et sombres pour te reprocher ton enjouement », trad. P. Wuilleumier ; voir Quintilien, xii, 3, 12 sur le maintien austère et hautain des philosophes. Voir Ep., i, 7 : Nullus horror in cultu... insectatur uitia, non homines, nec castigat errantes sed emendat, « Dans son extérieur, aucune négligence... il attaque les vices, non les personnes ; il ne réprimande pas ceux qui se fourvoient, mais les aide à se corriger », trad. H. Zehnacker. Sur Vespasien et les Cyniques, M.-O. Goulet-Cazé, « Le cynisme à l’époque impériale », p. 2754–2756.

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aristocrates de Syrie42. Il apparaît, chez le sénateur qui suivait son enseignement, comme l’artisan rêvé pour une réconciliation entre philosophie et pouvoir politique. Epictète fut probablement affranchi avant fin 93, date à laquelle un sénatusconsulte interdit aux philosophes de séjourner à Rome et en Italie ; c’est, selon Aulu-Gelle, la raison pour laquelle il quitta Rome pour s’installer à Nicopolis en Epire43, où il ouvrit une école qui jouissait d’une très grande renommée. Son élève le plus célèbre est Arrien, né à Nicomédie en Bithynie entre 85 et 92. Celui-ci fréquenta l’école d’Epictète vers 108 et publia à partir de ses notes de cours les Entretiens et le Manuel vers 130 environ44. Epictète eut aussi pour disciple le philosophe stoïcien Athénodote, qui fut le maître et « père » (parens) de Fronton, sans doute après l’arrivée de celui-ci à Rome, dans la seconde moitié du règne de Trajan45. Fronton semble avoir éprouvé pour Athénodote un amour comparable à celui qui existait entre Marc Aurèle, à qui il enseigna la rhétorique à partir d’environ 135, et lui-même, au moins jusqu’en 146, date à laquelle son élève se tourna vers la philosophie46. Les Ecrits pour lui-même 42 43

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Ep., i, 8. Aulu-Gelle, xv, 11, 4 ; sur les relégations, condamnations à mort des philosophes et sur les destructions publiques de leurs écrits, voir aussi Pline, Ep., iii, 1 ; iii, 11, 5 ; Lucien, Peregr., 18 ; Tacite, Ag., 2 ; Simplicius, test. 51 Schenkl. Voir I. Cogitore, La légitimité dynastique d’Auguste à Néron à l’épreuve des conspirations, Rome, 2002, p. 5–46 ; S. Benoist, « Fragments de mémoire : en quête de paroles condamnées », dans B. Delignon, Y. Roman (éd.), Le poète irrévérencieux, p. 49–64, part. p. 56–60, sur les destructions des écrits à Rome. Sur Arrien, voir notamment P. Vidal-Naquet, « Flavius Arrien entre deux mondes », dans Arrien. Histoire d’Alexandre. L’anabase d’Alexandre le Grand, traduit du grec par P. Savinel, Paris, 1984, p. 309–394, part. p. 311–322 ; S. Follet, s.v. « Arrien » , DPhA, i, p. 597–604 n° 425, part. p. 597–600 ; A. Hostein, « A chacun son Arrien ? Observations sur la carrière et la trajectoire d’Arrien dans l’Orient romain d’époque antonine », Ktèma, 39, 2014 [A. Hostein, S. Lalanne (éd), Le monde d’Arrien de Nicomédie], p. 5–18. Selon Photios, Bibl. 58, Arrien avait écrit huit livres d’Entretiens (connus par Photios ; nous n’en connaissons que quatre, ainsi que l’abrégé appelé Manuel) et douze livres de leçons (Ὁµιλίαι) d’Epictète. D’après Simplicios (T 4 Roos), il avait composé aussi un ouvrage sur la vie et la mort d’Epictète (perdu), publié en introduction au Manuel. Aulu-Gelle, i, 2, 6, rapporte qu’Hérode Atticus possédait dans sa bibliothèque un exemplaire des Entretiens (dissertationes Epicteti digestae ob Arriano), vraisemblablement en 140. Sur Athénodote, voir pir2 A 1290 ; S. Follet, s.v. « Athénodote », DPhA, i, n° 499 p. 659– 660 : ce personnage était de la même génération qu’Euphratès, mort autour de 120, et que Dion, mort vers 115. Sur l’amour que Fronton portait à son maître Athénodote, voir Fronton, Aur., ii, 1, 3 Van den Hout. Les liens entre Fronton et Marc Aurèle sont analysés par P. Hadot (éd.), Marc Aurèle. Ecrits pour lui-même, Introduction générale, Livre i, Paris, cuf, 1998, p.  c- cvii  ; A. Richlin (éd.), Marcus Aurelius in Love, by Marcus Aurelius and Marcus Cornelius Fronto, Chicago, London, 2006.

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de Marc Aurèle contiennent peut-être une référence à cet Athénodote, dans un passage qui porte justement sur la mémoire des maîtres, mais qui est difficile à interpréter47. Le Stoïcien Q.  Junius Rusticus, consul suffect en juillet 133, consul ordinaire bis en 162, préfet de la ville de 160 à 167/168 et amicus de Marc Aurèle, suivit peut-être lui aussi les cours d’Epictète48. Il était le petit-fils de Q. Junius Arulenus Rusticus, qui fut une figure célèbre de l’opposition stoïcienne aux principats de Néron et de Domitien : en tant que tribun du peuple, il était intervenu en 66 pour s’opposer à la condamnation de Thrasea Paetus, et fut lui-même condamné à mort en 93 pour avoir écrit la vie de Caton d’Utique et surtout celle de Thrasea49. Dans les Ecrits, Marc Aurèle présente Q. Junius Rusticus comme celui qui l’a définitivement détourné de la rhétorique et de la sophistique, l’a engagé à étudier de manière approfondie la philosophie et lui a fait découvrir l’enseignement d’Epictète : De Rusticus : avoir eu la représentation du besoin que j’avais de redresser et de soigner mon état moral  ; ne m’être pas laissé détourner vers l’émulation sophistique ; et ne pas composer de traités sur les principes théoriques, ou déclamer de beaux discours d’exhortation ou chercher à frapper les imaginations en jouant, de manière ostentatoire, à l’homme qui pratique des exercices philosophiques ou qui prodigue des bienfaits ; avoir renoncé à la rhétorique, à la poésie, à la finesse de l’expression  ; ne pas me promener en vêtements d’apparat à la maison et ne pas me laisser aller à des actions de ce genre ; écrire les lettres avec simplicité … étudier les textes avec une précision rigoureuse, sans se contenter de les parcourir approximativement, dans leurs traits généraux, et ne pas donner non plus trop rapidement son assentiment à ceux qui ne font que bavarder ; avoir pu lire les notes prises aux cours d’Epictète, qu’il me communiqua de sa propre bibliothèque (καὶ τὸ Ἐπικτητείοις ὑποµνήµασιν, ὧν οἴκοθεν µετέδωκεν)50. 47

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Marc Aurèle, i, 13, 2  :  «  Du fond du cœur, parler de ses maîtres de manière élogieuse, comme les traits mémorables que l’on raconte au sujet de Domitius et d’Athénodote », trad. P. Hadot. On ne sait pas si les traits mémorables concernent Domitius (peut-être le rhéteur Domitius Afer, consul en 39 et ancêtre de Domitia Lucilla, la mère de Marc Aurèle) et Athénodote, ou bien leurs propres maîtres : voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. cxii- cxiv. Voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. lxxxiv- lxxxix, p. lxxxviii- lxxxix. Plutarque, Moralia, 522 D-E ; Tacite, Ann. xvi, 21 ; Ag., 2 ; Suétone, Dom., 10 ; pir2 I/J 730. Marc Aurèle, i, 7, 1–5, 7, trad. P. Hadot. Voir aussi sha, Marc., 3, 3–4 : « Il fut surtout le disciple déférent de Junius Rusticus, qui était aussi efficace dans la guerre que dans la paix et très versé dans la doctrine stoïcienne. Il le tenait au courant de toutes ses décisions d’ordre public ou privé et ne manquait jamais de l’embrasser, même avant les préfets du

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Plusieurs sources littéraires attestent la grande réputation d’Epictète au iie siècle51, et les travaux de Pierre Hadot ont permis de prendre la pleine mesure de son influence sur Marc Aurèle52. L’empereur avait lu les Entretiens, dont on retrouve des échos précis dans ses Ecrits53. D’autres références à Epictète ne proviennent pas des quatre livres qui nous restent de l’ouvrage d’Arrien : elles pourraient venir, selon P.  Hadot, des notes personnelles que Rusticus avait prises lors des cours d’Epictète54. Cette hypothèse séduisante implique que la pensée d’Epictète a pu circuler sous différentes versions et de manière d’autant plus large. Dans tous les cas, l’influence de cette pensée a pu atteindre Marc Aurèle de plusieurs façons, par l’intermédiaire des notes d’Arrien et par celui de ses maîtres Fronton et Rusticus. L’existence de liens intellectuels et affectifs forts entre Epictète et Musonius, Artémidore et Pline, Athénodote, Fronton et Marc Aurèle, permet ainsi de tracer une chaîne solide de Musonius jusqu’à Marc Aurèle. Sur un mode qui relève de la stylisation et dont on peut difficilement apprécier le degré de fiction, Philostrate, dans la première moitié du iiie siècle, a mis en scène des relations également fortes entre Musonius et Apollonios de Tyane55, entre ce dernier, Euphratès de Tyr et Dion de Pruse56. Même si les relations qu’il dépeint sont reconstruites, elles attestent aussi que les philosophes, les sophistes, les disciples des uns et des autres, formaient un petit monde dans l’Empire aux deux premiers siècles de notre ère. Les Entretiens d’Epictète font des références élogieuses aux leçons d’Euphratès57 ; ils mentionnent, dans une perspective critique, un brillant orateur nommé Dion, qu’il faut sans doute identifier à Dion de Pruse58. Pline a aussi connu personnellement ce dernier, au moins pendant

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prétoire ; il l’éleva deux fois au consulat et, après sa mort, demanda au Sénat de lui dresser des statues », trad. P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. lxxxiv. Aulu-Gelle, i, 2, 1–13 ; ii, 18, 11 ; xv, 11, 5 ; xvii, 19, 1 ; xix, 1, 14 ; Lucien, Ind., 13 (un admirateur acheta 3000 drachmes « la lampe d’argile du stoïcien Epictète ») ; Galien, Libr. Propr., 14, 21, Boudon-Millot (à propos de son traité Pour Epictète contre Favorinus, en réponse au traité de Favorinus Contre Epictète, les deux ouvrages étant perdus) ; voir P. Hadot, La citadelle intérieure. Introduction aux « Pensées » de Marc Aurèle, Paris, 1997 (1992), p. 107–108. P. Hadot, La citadelle intérieure, p. 69–87 ; id. (éd.), Marc Aurèle, p. clx- clxviii. Id., La citadelle intérieure, p. 118–123. Id. (éd.), Marc Aurèle, p. lxxxviii– lxxxix. Philostrate, va, iv, 46 ; voir aussi la Souda, M 1305. Philostrate, va, v, 31–39 (débat avec Vespasien sur la nature du nouveau régime) ; v, 43 ; vi, 28 ; vii, 36 ; viii, 3 (querelle entre Apollonios et Euphratès. Sur les lettres d’Apollonios à Euphratès, mentionnées dans va, v, 39, voir la mise au point avec renvois bibliographiques de P. Robiano, « Euphratès (Mestrius) », p. 341–342) ; vs, 488 : Dion familier d’Apollonios de Tyane et d’Euphratès de Tyr. Entretiens, iii, 15, 8 ; iv, 8, 17–20. Entretiens, ii, 23, 17–19.

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qu’il était légat propréteur en Pont-Bithynie en 110–112 ou 111–113 ; il parle de Dion dans sa correspondance à Trajan, de manière très neutre, à propos d’une accusation portée contre le sophiste par l’un de ses ennemis, le philosophe Flavius Archippus de Pruse59. En dépit des témoignages relatifs à l’influence exercée par Epictète et Musonius60, il nous est difficile aujourd’hui d’accéder à leur enseignement. D’une part, en effet, les œuvres des deux disciples, Lucius et Epictète, sont sélectives. Non seulement elles correspondent forcément à une période d’enseignement limitée dans le temps, mais elles ne rendent pas compte de la totalité des champs enseignés, car elles ne comprennent pas les parties théorique et technique d’un enseignement stoïcien61. Lucius et Arrien ont rédigé et fait circuler la partie morale de cet enseignement, celle qui les intéressait le plus eux-mêmes ainsi que leurs contemporains62. On ne connaît rien de Lucius. En revanche, on sait qu’Arrien, issu d’une famille ayant reçu la citoyenneté romaine sans doute bien avant l’époque flavienne63, originaire d’une cité qui était alors la première de la Pont-Bithynie, membre de l’aristocratie de cette province, pouvait envisager à l’époque où il suivait les cours d’Epictète une carrière de dignitaire à l’échelle de l’empire, car à la fin du ier et au iie siècle, sous les Flaviens et surtout sous les Antonins, le Sénat s’est ouvert aux élites de l’Orient grec64. P. A. Brunt a souligné l’importance des allusions à la vie politique romaine dans les Entretiens, pour montrer que l’enseignement d’Epictète était adapté aux attentes de jeunes aristocrates grecs (et peut-être italiens ou occidentaux) désireux de se lancer dans une carrière équestre ou

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Pline, Ep., x, 81 ; sur Flavius Archippus, voir aussi Pline, Ep., x, 58, 59, 60 ; Tacite, Ann., i, 74 ; Suétone, Tib., 58. L’influence d’Epictète a été discutée par P.  A. Brunt, “From Epictetus to Arrian”, Athenaeum, 55, 1977, p.19–48, à partir de l’exemple d’Arrien et de son Anabase. A mon avis, il vaudrait la peine de reprendre cette démonstration en comparant Arrien non pas avec Posidonios ou bien Plutarque, mais avec Xénophon et la vision du chef que celui-ci a développée. Sur Arrien philosophe, voir aussi S. Follet, « Arrien », p. 601–604 ; S. Lalanne, « Arrien philosophe stoïcien », Ktèma, 39, 2014, p. 51–73. P. Hadot, La citadelle intérieure, p. 116, l’a souligné pour Epictète. Arrien est l’auteur de Météorologiques, peut-être écrits en complément des Entretiens tournés vers la philosophie morale. Sur l’importance de la prédication morale sous le Haut-Empire, voir C. Martha, Les moralistes sous l’Empire romain. Philosophes et poètes, Paris, 1865. Arrien ne porte pas le praenomen Titus des empereurs Flaviens  ; voir P.  Vidal-Naquet, « Flavius Arrien entre deux mondes », p. 313–314. H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil des Imperium Romanum bis zum Ende des 2. Jh. n. Chr. i, Göttingen, 1979 (Arrien est le n° 56 du catalogue, p. 146–147) ; id., Epigrafia e ordine senatorio, ii, Roma, 1982, p. 583–683.

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bien sénatoriale65. Inversement, on peut aussi supposer qu’Arrien était particulièrement intéressé par les exemples tirés de la vie politique romaine et qu’il les a privilégiés dans la rédaction des Entretiens. Se pose donc, d’autre part, la question de la réécriture dans les Entretiens et les Diatribes. Dans la préface à son ami Lucius Gellius de Corinthe66, Arrien revendique une entière fidélité aux propos de son maître : Je n’ai pas rédigé les discours d’Epictète comme on pourrait rédiger des propos de ce genre, et je ne les ai pas publiés moi-même, puisque j’affirme ne pas même les avoir rédigés. Mais tout ce que j’ai entendu de cet homme, tandis qu’il parlait, je me suis efforcé de le transcrire autant que possible avec ses propres termes, afin de garder soigneusement pour moi en vue de l’avenir la mémoire de sa pensée et de son franc-parler. Ainsi, comme il est naturel, toutes ces notes ont l’allure d’une conversation spontanée d’homme à homme et nullement d’une rédaction destinée à rencontrer plus tard des lecteurs. Dans ces conditions, je ne sais comment, contre mon gré et à mon insu, elles sont tombées dans le domaine public67. On a souligné le caractère conventionnel de cette préface, ainsi que la construction littéraire de l’ouvrage68 : si Arrien a voulu rendre le caractère direct, 65 66 67

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P. A. Brunt, “From Epictetus to Arrian”, p. 26–28. Sur L. Gellius Iustus, voir A. D. Rizakis, S. Zoumbaki (éd.), Roman Peloponnese i, Roman personal names in their social context (Achaia, Arcadia, Argolis, Corinthia and Eleia), Athènes, Paris, 2001, cor 291. Trad. J. Souilhé, cuf. Sur cette préface, voir la mise au point et les renvois bibliographiques de S. Follet, « Arrien », p. 602. Secondaire par rapport à notre propos, la question de la publication évoquée par Arrien est néanmoins intéressante. Le fait que la diffusion publique d’un ouvrage ou de discours ait « échappé » à son auteur est un topos à l’époque d’Arrien : voir Dion de Pruse, Or. xlii, 4–5 ; Galien, Libr. Propr., ii, 1–5 Boudon-Millot. Ce lieu commun, dans lequel on peut déceler une certaine forme de coquetterie, repose aussi plus sérieusement sur la circulation des livres et des notes entre les lettrés : voir la colère de Lucien contre le propriétaire d’une bibliothèque qui refusait de prêter ses ouvrages dans le Bibliomane ignorant. Th. Wirth, « Arrians Erinnerungen an Epiktet », mh, 24, 1967, p. 149–189 et 197–216, pour qui les Entretiens seraient non pas un témoignage, mais une fiction vraisemblable comparable aux Mémorables de Xénophon, le modèle d’Arrien ; pour un jugement plus nuancé (qui ne récuse cependant pas l’analogie avec les Mémorables), voir Ph. A. Stadter, Arrian of Nicomedia, Chapel Hill, 1980, p. 26–28. L’idée d’un interlocuteur qui est le pur relais d’une parole d’autorité est également un point important dans la conception de l’éloquence qu’on trouve chez Dion de Pruse : elle implique le caractère vrai et universel de la parole rapportée, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 87–97.

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énergique et libre de la parole de son maître en employant notamment la koinè et en paraissant suivre dans le livre i un ordre chronologique69, il a aussi combiné dans de courtes leçons des éléments provenant parfois manifestement d’occasions différentes, sélectionnés en fonction de ses intérêts propres. Ce constat n’enlève rien à l’intérêt que présentent pour nous les Entretiens : Arrien est parvenu à rendre l’efficacité de la parole de son maître, et c’est avant tout sous la forme de ses « notes » que l’enseignement d’Epictète a marqué Marc Aurèle. Et surtout, les Entretiens sont un témoignage des apports que cette philosophie pouvait présenter aux yeux du futur intellectuel et cadre de l’Empire qu’était le jeune Arrien. Il n’en va pas de même pour les Diatribes de Lucius, dans lesquelles la question de la réécriture est toutefois plus simple. Tous les spécialistes de Musonius Rufus s’accordent à constater un désaccord entre, d’une part, les Diatribes, et, de l’autre, les fragments qui ont été conservés chez d’autres auteurs70. Les seconds correspondent beaucoup mieux à l’image du philosophe telle qu’elle apparaît dans les sources littéraires : celle d’un Socrate romain à l’éloquence incisive, à l’attitude courageuse qui comportait une part de risque, susceptible d’attirer la critique d’un Tacite partisan de la modération71. Les écrits de Lucius livrent une image édulcorée de Musonius qui y apparaît comme un philosophe urbain, plus comparable à l’Euphratès de Tyr décrit par Pline le Jeune qu’au Socrate de Platon : peut-être cette image correspondait-elle mieux à ce qui était attendu d’un philosophe à Rome au moment où Lucius rédigeait. Il n’est donc pas exclu que ces Diatribes donnent aussi une version affadie – mais dans quelle mesure ? – du contenu de l’enseignement de Musonius72.

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Dans ses œuvres littéraires, Arrien utilise le dialecte attique ou, exceptionnellement, ionien : K. Hartmann, « Arrian und Epiktet », NJbb, 95, 1905, p. 248–275, part. p. 257, 274–275. C. E. Lutz, “Musonius Rufus, ‘the Roman Socrates’ ”, p. 12 ; A. Jagu, Musonius, p. 10 ; M.-O. Goulet-Cazé, s.v. « Musonius Rufus », p. 568–569. Dans les Histoires, iii, 81, 2, Tacite a condamné l’intempestiua scientia de Musonius à propos de son intervention auprès de l’armée d’Antonius Primus, voir supra. On peut aussi poser la question de la langue dans laquelle Musonius pratiquait son enseignement, qui nous a été transmis en grec à l’exception des fragments conservés chez Aulu-Gelle. Le philosophe a pu utiliser le grec comme langue de la philosophie et de la culture, à l’instar de Cornutus qui rédigea en grec son Theologiae Graecae compendium. Le grec était parfaitement maîtrisé par les aristocrates romains contemporains de Quintilien, comme l’atteste celui-ci : Quintilien, i, 1, 12–14 ; voir H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 1965 (1948), p. 374–376, 379–380 ; E. Valette-Cagnac, « “Plus attique que la langue des Athéniens”, le grec imaginaire des Romains », dans F. Dupond, E. Valette-Cagnac (dir.), Façons de parler grec à Rome, Paris, 2005, p. 37–80, part. p. 47.

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Expériences personnelles de la vie politique et du pouvoir

Musonius et Epictète avaient tous les deux, de manière différente, une expérience de la vie politique à Rome et de la confrontation au pouvoir, qui a pu nourrir leurs réflexions politiques. Musonius Rufus fut l’ami de plusieurs grands aristocrates romains stoïciens en qui Néron a vu des adversaires à abattre. Le premier fut Rubellius Plautus qui était le fils de Julia, la petite-fille de Tibère, et apparaissait comme un éventuel successeur de l’empereur73. En 60, Néron le relégua en Asie74, où il le fit assassiner en 6275. Selon Tacite, Musonius et un autre philosophe (un certain Coiranos, d’origine grecque) « lui auraient conseillé la fermeté dans l’attente de la mort plutôt que l’incertitude et l’agitation de la vie »76, ce qui peut signifier que Musonius était présent aux côtés de Plautus pour le soutenir pendant sa relégation77. Il était habituel que les grands aristocrates romains se tournent vers les philosophes dans les moments difficiles, en particulier à l’approche de la mort (or Plautus, bien qu’éloigné de Néron, était en péril et, selon Tacite, en avait été averti) : Thrasea Paetus attendit ainsi le sénatus-consulte qui lui ordonnait le suicide en discutant de la nature de l’âme et de la mort avec le Cynique Démétrios, en présence de qui il s’ouvrit ensuite les veines78. A la suite de la conspiration de Pison, en 65/66, Musonius fut condamné à l’exil sur l’île de Gyaros dans les Cyclades, parce que, selon Tacite, « il échauffait les sentiments des jeunes gens par ses leçons de sagesse »79. Le Stoïcien Annius 73 74 75 76

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Tacite, Ann., xiii, 19, 3 ; xiv, 22, 1–2. Voir I. Cogitore, La légitimité dynastique, p. 230–234. Tacite, Ann., xiv, 22, 3 ; 57, 1. Tacite, Ann., xiv, 58–59. Tacite, Ann., xiv, 59, 1, trad. P. Wuilleumier. Ce conseil a été notamment rapproché par M.-O. Goulet-Cazé, « Musonius Rufus », p. 557, du fragment xxxv : « Mourir est le lot commun à tous : aussi le bonheur, ce n’est pas de mourir vieux, mais de mourir illustre », trad. A. Jagu. Cette hypothèse est confortée par le discours que Tigellin tient à Néron sur le comportement de Plautus pendant sa relégation, Tacite, Ann., xiv, 57, 3 : « Plautus, avec sa grande richesse, n’affectait même pas le désir du repos, mais se targuait d’imiter les vieux Romains, adoptant même l’arrogance des Stoïciens et l’esprit d’une secte qui faisait des séditieux et des ambitieux », trad. J. Hellegouarc’h. Tacite, Ann., xvi, 34, 1 ; 35. Tacite, Ann., xv, 71, 9 : Studia iuuenum … Musonius praeceptis sapientiae fouebat. Le motif de la condamnation rappelle l’accusation de corrompre la jeunesse athénienne qui fut portée contre Socrate en 399 av. J.-C. : Diogène Laërce, ii, 40. Selon Sénèque, Consolation à Helvia, 10, 8, Caton l’Ancien aurait aussi accusé les trois philosophes venus à Rome en ambassade en 155 av. J.-C. de corrompre la jeunesse. Voir aussi Favorinus, Sur l’exil, col. 1, 32 et 21, 37 ; Lucien, Peregr., 19 ; Philostrate, va, vii, 16 ; Dion Cassius, lxii, 27, 4 ; Julien, Ep., 30, p. 56, 20–57, 1 Bidez ; Thémistios, Or. vi, 72 d ; Jean d’Antioche, fr. 90 fhg iv, p. 575

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Pollio, époux de Servilia, la fille de Barea Soranus, avait été discrédité par la délation d’un conjuré et figurait aussi au nombre des exilés80. C’est peut-être ce Pollio qui a rassemblé des Apomnèmoneumata de Musonius, mentionnés par la Souda81. Musonius fut également un proche de Thrasea Paetus et de Barea Soranus, les deux fameux sénateurs qui sont assimilés par Tacite à « la vertu même », uirtutem ipsam, et qui furent condamnés au suicide par Néron en 6682. Parmi les charges reprochées au second figurait l’amitié qui l’avait lié à Rubellius Plautus83. Fin décembre 69, Musonius parvint à venger Barea en attaquant devant le Sénat l’un de ses accusateurs, le philosophe stoïcien Celer qui avait été le professeur et l’ami de sa victime84. Les griefs de Néron contre le Stoïcien Thrasea Paetus étaient différents de ceux qu’il avait contre Barea : Thrasea, consul suffect en 56, avait été dans les années qui suivirent son consulat (notamment en 59, après la mort d’Agrippine) un opposant plus sérieux au pouvoir autocratique du princeps. Par son comportement, il revendiquait pour les sénateurs une liberté d’action qui n’était plus de mise, condamnait certains actes et certains aspects du gouvernement de Néron – son caractère spectaculaire notamment – et renvoyait à l’empereur une image de tyran85. Les Entretiens mettent en scène un court dialogue entre Thrasea et Musonius, dans lequel le sénateur est repris et corrigé par le philosophe :

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Müller ; cf. Musonius, Diatribe ix, p. 49, 9–14 Hense. Selon Philostrate, va, iv, 46, le philosophe aurait aussi connu la prison sous Néron (l’épisode présente Musonius comme un nouveau Socrate, qui refuse l’aide que lui propose Apollonios de Tyane pour s’évader). Tacite, Ann., xv, 56, 4 ; 71, 3 ; xvi, 30, 3. Souda, P 2165, qui fait un anachronisme en attribuant cet ouvrage à Asinius Pollion, contemporain de Pompée. Il y a peut-être eu confusion entre Asinius Pollion et Annius Pollion. Une autre hypothèse est que l’auteur des Apomnèmoneumata Mousoniou tou philosophou soit Valerius Pollion d’Alexandrie, grammairien et philosophe de l’époque d’Hadrien, qui fut le maître de Marc Aurèle (Souda, P 2165) ; voir M.-O. Goulet-Cazé, « Musonius Rufus », p. 571. Tacite, Ann., xvi, 21–35, part. 21, 1 pour l’expression citée. Tacite, Ann., xvi, 24, 1 ; 30, 1. Tacite, Hist., iv, 10, passage dans lequel Musonius est présenté comme l’instigateur de l’attaque ; voir supra. Pour l’analyse du comportement de Thrasea, voir notamment P. A. Brunt, « Stoicism and the Principate  », p.  26–28  ; K.  Heldmann, «  Libertas Thraseae seruitium aliorum rupit. Überlegungen zur Geschichtstauffassung im Spätwerk des Tacitus », Gymnasium, 98, 1991, p. 207–231 ; C. Ronning, « Der Konflikt zwischen Kaiser Nero und P. Clodius Thrasea Paetus ; rituelle Strategien in der frühen römischen Kaiserzeit », Chiron, 36, 2006, p. 329–355.

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Thrasea avait coutume de dire : « J’aime mieux être mis à mort aujourd’hui que banni demain ». Que lui répliqua donc Rufus ? « Si tu choisis ce parti parce qu’il est plus pénible, quelle folie que ton choix ! Si, au contraire, parce qu’il est moins dur, qui t’a donné de faire ce choix ? Ne veux-tu pas apprendre à te contenter de ce qui t’est donné ? »86 Ce passage fait apparaître l’ambiguïté de la situation de Musonius Rufus visà-vis du pouvoir. Le philosophe n’est pas en train d’encourager Thrasea à l’opposition : comme le montre aussi le contexte de l’entretien d’Epictète, la leçon porte sur la distinction – essentielle dans l’éthique stoicienne – entre ce qui est en notre pouvoir et ce qui ne l’est pas. Ce qui est en notre pouvoir, c’est d’accepter ce que le sort nous offre (pour Thrasea, ce sera le châtiment décidé par Néron et par nul autre que lui). Mais les propos de Thrasea renvoient à un autre contexte, politique : celui de la résistance au pouvoir impérial et de la peine encourue. De plus, comme l’explique Epictète, si l’on se débarrasse de la crainte de ce qu’on risque – en acceptant ce que le sort nous donne –, on n’a plus peur du tyran87. Le philosophe stoïcien est ainsi lié à une résistance sénatoriale bien réelle, ce qui peut expliquer en partie l’hostilité des empereurs aux philosophes, qui s’est traduite par des relégations hors de Rome, sous Néron et les Flaviens88. Musonius fut une nouvelle fois exilé par Vespasien, non pas en 71, au moment où les philosophes furent expulsés de Rome, mais à une date plus tardive89. L’empereur fit aussi exécuter en 71 ou peu après  – non sans regrets semble-t-il – le préteur Helvidius Priscus l’Ancien, qui était le gendre de Thrasea90. Avant d’arriver au pouvoir, Vespasien avait été lié d’amitié avec

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Entretiens, i, 1, 26–27, trad. J. Souilhé. Voir aussi Entretiens, iv, 7, 4 : « Si donc un homme qui ne veut pas à tout prix ou mourir ou continuer à vivre, mais accepte ce qui lui écherra, vient devant le tyran, qu’est-ce qui l’empêche de venir à lui sans crainte ? », trad. J. Souilhé. Entretiens, i, 29, 5–9 ; iv, 7, 1–5. Le lien entre entre les « sénateurs stoïciens » et les philosophes professionnels est discuté, voir par exemple B. Levick, Vespasien, trad. F. Landuyt, Gollion, 2006 (éd. originale 1999), p. 131. La question est complexe car les philosophes professionnels formaient une catégorie hétérogène allant, à Rome, d’un membre de l’aristocratie comme Musonius, dont l’influence sur certains sénateurs paraît indéniable, aux cyniques dépenaillés des carrefours, qui pouvaient être de véritables agitateurs. Selon Dion Cassius, lxv, 13, 2, les philosophes furent chassés de Rome à l’exception de Musonius. Celui-ci dut être exilé peu de temps après, puisqu’on le voit revenir à Rome en 79, peut-être rappelé par Titus à son arrivée au pouvoir (Thémistios, Or. xiii, 173 c ; Jérôme, Chronique, 214 Ol., 79 ap. J.-C.). Sur les hésitations de Vespasien, voir Suétone, Ves., 15. Voir aussi Entretiens, i, 2, 19–22 ; P. A. Brunt, « Stoicism and Principate », p. 28–30 ; J. Malitz, « Helvidius Priscus und Vespasian » ; B. Levick, Vespasien, p. 120–130.

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Thrasea et Barea91 ; mais une fois empereur, il lui fallait montrer aux sénateurs qui était le maître. Ces exemples montrent donc le rôle social que remplissait Musonius comme philosophe à Rome : il conseillait, soutenait, corrigeait les aristocrates, comme le fit son élève Euphratès, mais certainement de manière plus énergique et plus âpre92. L’anecdote rapportée par Tacite sur l’intervention de Musonius pour protéger Rome, à un moment très critique des guerres civiles de 69, montre les limites de son rôle  :  quand les deux armées de Vespasien arrivèrent aux portes de la ville, sous la conduite d’Antonius Primus et de Q. Petilius Cerialis, Vitellius envoya une délégation de sénateurs et de vestales pour solliciter une trêve. Musonius accompagna l’ambassade destinée à Antonius et exhorta son armée. Sa prédication, qui échoua, mit sa vie en danger93. Il faut moduler le jugement de Tacite au sujet de son intempestiua scientia, sa « sagesse inopportune ». D’une part, l’heure était suffisamment grave pour que les vestales elles-mêmes aient été déléguées94. Le contexte de violence exacerbée qui avait gagné les deux camps explique aisément l’échec de Musonius. Celui-ci, d’autre part, s’est glissé dans un rôle traditionnel du philosophe : celui des philosophes ambassadeurs des cités ou des rois à l’époque

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Tacite, Hist., iv, 7. J. K. Evans, “The Trial of P. Egnatius Celer”, p. 200–201, a souligné l’existence de liens familiaux entre Vespasien et Barea : Titus avait épousé la nièce de Barea, Marcilla Furnilla, dont il a prudemment divorcé après la condamnation de Barea. Voir le témoignage des Entretiens, iii, 23, 29, au sujet de l’éloquence parénétique de Musonius : « Aussi parlait-il de telle sorte que chacun d’entre nous, assis auprès de lui, s’imaginait qu’on lui avait dévoilé ses fautes, tant il touchait du doigt notre état actuel, tant il mettait sous les yeux de chacun ses misères », trad. J. Souilhé. Tacite, Hist., iii, 81, 1–2  :  Miscuerat se legatis Musonius Rufus equestris ordinis, studium philosophiae et placita Stoicorum aemulatus ; coeptabatque permixtus manipulis, bona pacis ac belli discrimina disserens, armatos monere. id plerisque ludibrio, pluribus taedio : nec deerant qui propellerent proculcarentque, ni admonitu modestissimi cuiusque et aliis minitantibus omisisset intempestiuam sapientiam, « Aux délégués s’était joint Musonius Rufus, chevalier romain qui se piquait de philosopher et de mettre en pratique les maximes stoïciennes ; se mêlant aux manipules, il commençait à disserter sur les biens de la paix, sur les dangers de la guerre, et à faire la leçon à des hommes en armes. Il en fit rire beaucoup, en fatigua davantage ; et il ne manquait pas de soldats prêts à le jeter à terre et à le piétiner, si, cédant aux avis des plus modérés et aux menaces des autres, il n’eût laissé là sa sagesse intempestive », trad. H. Le Bonniec. Le verbe misceo (« se joindre à ») suggère que Musonius ne faisait pas partie de l’ambassade, mais qu’il l’a accompagnée. Sur celle-ci, voir Dion Cassius, lxiv, 18–19 (qui ne mentionne pas l’intervention de Musonius). Sur le contexte de la prise de Rome par les troupes flaviennes, voir notamment K. Wellesley, The year of the four emperors, London, New York, 2000 (1975), p. 188–203 ; P. Cosme, L’année des quatre empereurs, Paris, 2012, p. 190–202.

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hellénistique et, plus anciennement, celui de Socrate défenseur des valeurs civiques ; mais ce rôle était grec et ne pouvait être transposé tel quel à Rome. La condamnation de la guerre par Musonius reposait certainement aussi sur ses convictions stoïciennes95. Cette intervention, comme ses fonctions de guide spirituel auprès des sénateurs romains, soulignent le caractère politique de son rôle de philosophe à Rome. Il se pourrait que Musonius ait été favorable à Galba, d’après un fragment tiré des Entretiens, qu’il est assez difficile d’interpréter : Après le meurtre de Galba quelqu’un disait à Rufus : « Et maintenant c’est la Providence qui gouverne le monde ? » Et lui de répondre : « Me suis-je jamais, même accessoirement, appuyé sur l’exemple de Galba pour prouver que la Providence gouverne le monde ? »96 Ce passage fait vraisemblablement allusion aux leçons politiques des Stoïciens, qui calquaient la prouidentia principis sur le modèle de la prouidentia deorum97. Néanmoins, Musonius n’accepte pas l’assimilation entre les deux providences, qui conduirait à rapprocher dangereusement le prince et le roi des dieux. Si la prouidentia principis doit ressembler à la prouidentia deorum, la seconde est indépendante de la première : la providence divine gouverne le monde indépendamment des règnes aléatoires des empereurs. Ce fragment témoigne peut-être aussi d’une certaine forme de distance que le philosophe maintenait

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Voir H.  Sidebottom, «  Philosophers’ Attitudes to Warfare under the Principate  », dans J. Rich, G. Shipley (éd.), War and Society in the Roman World, Londres, 1993, p. 241–264 ; on trouve la même condamnation générale dans les discours de Dion de Pruse. Par ailleurs, Philostrate, vs, 488, rapporte dans la vie de Dion une anecdote qui ressemble à cette intervention de Musonius auprès de l’armée d’Antonius. Le sophiste aurait tenu le même rôle, avec plus de succès, auprès d’armées romaines stationnées dans un camp qui pourrait être celui de Viminacium en Mésie ; à l’annonce de la mort de Domitien, en septembre 96, les soldats étaient prêts à se révolter quand un discours du sophiste les aurait convaincus de respecter la volonté du peuple romain. Cet épisode a pu être fabriqué par Philostrate à partir du modèle que constituait la vie de Musonius. Qu’il renvoie ou non à un fait réel, plusieurs arguments le rendent vraisemblable : Suétone, Dom., 23, atteste l’indignation des soldats à la mort de l’empereur ; Dion voyageait vers le pays des Gètes (Daces) à la fin de son exil, voir Or. xxxvi, 1 et 25 ; l’utilisation de la figure d’Ulysse au début du discours raconté par Philostrate correspond exactement à l’usage général que l’orateur tire de ce héros, voir A. Gangloff, Dion de Chrysostome, p. 311–314. Entretiens, iii, 15, 14, trad. J. Souilhé = fr. xlvii Hense. Sur la prouidentia, voir J.-P. Martin, Prouidentia deorum. Recherches sur certains aspects religieux du pouvoir impérial, Rome, 1982.

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à l’égard d’un pouvoir impérial particulier98. Cependant, que Galba, qui passait pour modéré et sévère, ait été le candidat des aristocrates proches du cercle de l’« opposition stoïcienne » est accrédité par le témoignage de Plutarque : dans la Vie de Galba, c’est Helvidius Priscus, rappelé d’exil par Galba, qui obtint d’Othon l’autorisation de faire enlever le corps de l’empereur assassiné99. Plutarque avait lui-même eu pour auditeur à Rome vers la fin du règne de Vespasien Q. Arulenus Junius Rusticus, proche des Helvidii, condamné à mort en 93 par Domitien pour avoir publié des éloges de Thrasea et d’Helvidius Priscus100, et il avait pour ami Avidius Quietus, lié à Thrasea Paetus101. C’est peut-être par l’intermédiaire de Rusticus ou de Quietus qu’il a connu le détail de l’intervention d’Helvidius Priscus pour que le corps de Galba reçoive une sépulture102. Au sujet de la mort de Galba, Plutarque suit aussi la version favorable à Galba dont il livre, de manière générale, un portrait positif (bien plus que ceux de Tacite et de Suétone)103. L’expérience qu’Epictète, esclave ou affranchi, a eu de la vie politique romaine et du pouvoir semble assez différente. Un passage des Entretiens – non dépourvu d’humour – témoigne des difficultés que pouvait rencontrer dans la Rome des Flaviens un philosophe désireux de pratiquer la dialectique socratique telle qu’elle était mise en scène, dans l’Athènes de la première moitié du ive siècle av. J.-C., par les dialogues de Platon ou bien par les Mémorables de Xénophon :

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Dans le contexte des Entretiens, iii, 15, cette anecdote est en tout cas utilisée pour montrer que le philosophe se consacre au soin de ce qui est à l’intérieur de lui, et non à celui des choses qui lui sont extérieures. Plutarque, Galb., 28 ; Tacite, Hist., iv, 6, 1, pour le rappel d’exil d’Helvidius. Plutarque, Moralia, 522 D-E ; Suétone, Dom., 10, et Tacite, Ann. xvi, 21, sur la condamnation à mort de Rusticus ; PIR2 I/J 730. En 66, Rusticus avait voulu utiliser son véto de tribun du peuple pour s’opposer à la condamnation à mort de Thrasea ; il était parent par alliance de Claudia Fannia, femme d’Helvidius Priscus et fille de Thrasea : voir le stemma familial chez J. M. Carlon, Pliny’s Women : Constructing Virtue and Creating Identity in the Roman World, Cambridge, New York, 2009, p. 221. Pline, Ep., vi, 29, 1  ; 9, 13, 15  ; 17  ; pir2 A  1410  ; C.  P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 24. Tacite, Hist., i, 49, n’en parle pas. Il circulait plusieurs versions de la mort de Galba : « Sa dernière parole a été diversement rapportée par la haine ou l’admiration. Les uns disent qu’il demanda d’une voix suppliante ce qu’il avait fait de mal et implora quelques jours pour s’acquitter de la gratification  ; d’autres, plus nombreux, qu’il tendit la gorge aux assassins, en s’écriant : ‹ Allez, frappez, si vous croyez que c’est pour le bien de l’Etat› », Tacite, Hist., i, 41, 2, trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec ; Voir aussi Suétone, Gal., 20. Sur l’image de Galba, voir infra, c. 3.

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Chapter 2

De nos jours cette occupation n’offre pas trop de sécurité et surtout à Rome. Celui qui s’y adonne ne devra évidemment pas faire cela dans un coin, mais aller trouver quelque riche personnage consulaire, si la chance le lui permet, et lui demander : « O toi, peux-tu me dire à qui tu as confié tes chevaux ? » – « Oui ». – « Est-ce au premier venu, à un homme qui n’entend rien aux chevaux ? » – « Nullement ». – « Eh quoi ! à qui as-tu confié ton or ou ton argent ou tes vêtements ? » « Je ne les ai pas confiés non plus au premier venu ». – « Et ton propre corps, as-tu songé à qui tu en confierais le soin ? » – « Evidemment ». « A ceux d’un homme compétent, n’est-il pas vrai, je veux dire compétent en fait de culture physique et de médecine ? » – « Mais absolument ». « Est-ce là ce que tu as de plus précieux, ou possèdes-tu encore quelque chose de meilleur que tout cela  ?  »  – «  Qu’entends-tu par là  ?  » «  Ce qui, par Zeus, utilise toutes ces choses, met chacune d’elles à l’épreuve et délibère à leur propos ». – « Tu veux parler de l’âme ? » « Tu as bien compris. C’est précisément ce dont je veux parler ». – « Oui, par Zeus, je la regarde comme de beaucoup supérieure à tout ce que je possède ». – « Peux-tu donc me dire de quelle manière tu prends soin de ton âme ? Car il n’est pas vraisemblable qu’un homme aussi sage que toi et aussi estimé dans sa cité traite négligemment, au hasard et n’importe comment, le plus précieux de ses biens, s’en désintéressant et le laissant dépérir ». – « Nullement ». – « Mais en as-tu pris soin toi-même ? Et cela en t’instruisant auprès de quelqu’un, ou par ta propre industrie ? » Alors, il est à craindre qu’il te réponde tout d’abord : « Mais en quoi cela te regarde-t-il, excellent homme ? Qui es-tu pour moi ? » Puis, si tu persistes à le tourmenter, qu’il ne lève le poing sur toi et ne t’en administre un bon coup. C’est un genre d’affaires dont j’étais jadis très friand, moi aussi, avant d’avoir l’expérience de ces difficultés104. Cette figure de philosophe naïf renverrait donc aux débuts d’Epictète dans son rôle de philosophe à Rome, peut-être dans les années 80. D’après ce passage, Epictète était bien conscient qu’il était nécessaire d’adresser son enseignement aux principaux dignitaires, pour que son action ait une portée sociale plus conséquente. Il semble avoir ainsi tenté de suivre les traces de son maître Musonius, dans l’objectif de corriger et de guider les grands aristocrates romains. Mais ils étaient très difficiles à aborder pour un philosophe extérieur à leur réseau de clientèle et qui, comme Epictète, était d’un statut social humble : sa parole n’avait pas d’auctoritas. Face à un aristocrate qui ne l’avait

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Entretiens, ii, 12, 17–25, trad. J. Souilhé.

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pas choisi, le philosophe n’était pas qualifié, surtout une dizaine d’années après l’expulsion des philosophes de Rome par Vespasien. Sous Domitien, en 93, à l’issue d’une nouvelle période d’opposition sénatoriale dans laquelle se sont distingués des Stoïciens comme Arulenus Rusticus, Herennius Senecio ou Helvidius Priscus le Jeune105, qui manifestaient leur désaveu vis-à-vis de l’empereur en faisant notamment l’éloge des «  martyrs stoïciens » Thrasea Paetus ou Helvidius Priscus l’Ancien et en se retirant de la vie politique, un sénatus-consulte chassa hors de Rome et d’Italie les philosophes. Epictète se retira définitivement en Epire106. Selon l’Histoire Auguste, Hadrien qui l’appréciait l’aurait invité à revenir à Rome, mais le philosophe aurait refusé107. Quelle que soit sa réalité, cette anecdote correspond bien aux positions d’Epictète à l’égard des carrières et des ambitions politiques à Rome dans les Entretiens108. Avant ses démêlés avec le pouvoir politique romain, le philosophe semble avoir eu une expérience violente du pouvoir que le maître possède sur l’esclave, s’il faut en croire Celse, selon qui Epaphrodite aurait même cassé la jambe de son serviteur109. Bien que l’expérience du pouvoir du maître ne soit pas identique à celle du pouvoir politique, elles peuvent être toutes les deux des expériences d’un pouvoir tout puissant, et la première est d’une certaine façon associée à la seconde dans les Entretiens110. 105 106 107

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pir2 I 730 ; pir2 H 128 ; pir2 H 60 ; P. A. Brunt, « Stoïcism and the Principate », p. 28. Tacite, Ag., 2 ; Pline, Ep., iii, 11 ; Aulu-Gelle, xv, 11, 4 ; Dion Cassius, lxvii, 13 ; Suétone, Dom., 10, 5 ; F. G. B. Millar, “Epictetus and the Imperial Court”, jrs, 55, 1965, p. 141–148. sha, Hadr., 16, 10. P.  A. Brun, “From Epictetus to Arrian”, p.  19 n.  1, considère comme douteux ce témoignage de l’amitié d’Hadrien pour Epictète. Le philosophe fut honoré au sanctuaire d’Epidaure d’un hermès (ig iv 12 683) élevé par un donateur qui n’a pas précisé son nom, contrairement aux usages ordinaires ; il était peut-être d’un rang suffisamment élevé pour n’y être pas astreint, et C. Blinkenberg (nt 3, 1895, p. 157, suivi par B. Puech, DPhA, iii, p. 116) a suggéré qu’il s’agissait de l’empereur Hadrien. Peut-être que celui-ci, si soucieux de son autopromotion culturelle, aurait au contraire laissé son nom dans l’inscription. Une œuvre tardive, l’Altercatio, met en scène un dialogue fictif en latin composé de 73 questions et réponses entre Epictète et Hadrien, à la manière du deuxième discours Sur la Royauté de Dion de Pruse, qui rapporte un dialogue entre Alexandre le Grand et Diogène (L. W.  Daly, W.  Suchier, The altercatio Hadriani Augusti et Epicteti Philosophi, Urbana, 1939) ; dans la même tradition doxographique, un ouvrage expose la vie du philosophe Secundus (iie siècle), et les réponses écrites qu’il donna à Hadrien : B. E. Perry (éd.), Secundus the silent philosopher, Chapel Hill, 1964. Voir aussi infra l’idée d’Epictète selon laquelle le véritable philosophe doit se tenir à l’écart du pouvoir. Celse, ap. Origène, Cels., vii, 53. L’image de la jambe ou du pied enchaîné apparaît souvent dans les Entretiens pour matérialiser le pouvoir du tyran : i, 18, 17 ; i, 19, 8 ; i, 29, 6. Voir infra.

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P. A.  Brunt a analysé la composition de l’audience d’Epictète à Nicopolis à partir des allusions contenues dans les Entretiens111. Le travail de sélection et de recomposition opéré par Arrien ne diminue pas l’intérêt de cette étude. Celle-ci montre que l’école réputée du philosophe était ouverte aux visiteurs de passage, qui étaient parfois des personnages politiques importants, en route pour Rome. Les élèves à proprement parler, ceux qui avaient été choisis par Epictète et qui étaient présents dans la durée, étaient en majorité de jeunes notables et aristocrates issus des différentes cités du monde grec ; peut-être y avait-il aussi, parmi eux, des Occidentaux. Ils étaient destinés à devenir des cadres politiques de leur cité et, pour certains d’entre eux, de l’Empire. L’enseignement si prisé d’Epictète – et c’est le paradoxe souligné par F. Millar112 – dépréciait les richesses et les honneurs. Mais il n’encourageait pas directement les élèves à éviter les charges politiques qui leur sont associées113, car l’un des principes essentiels du stoïcisme est que chacun doit remplir le rôle qui lui est assigné dans le monde. Les Entretiens contiennent de nombreuses références à la vie politique romaine114. Parmi les diverses explications présentées par P. A. Brunt, celle qui nous intéresse ici – et qui est, selon nous, très pertinente – est qu’Epictète devait préparer certains de ses élèves à une carrière romaine. Dans une certaine mesure, cette préparation valait d’ailleurs aussi pour des jeunes notables grecs, appelés à diriger leur cité dans le cadre de l’administration romaine. Le philosophe s’est attaché notamment – ce qui a marqué Arrien – à rendre ses élèves capables d’affronter les craintes et les troubles liés à la recherche des magistratures, aux charges politiques en ellesmêmes, à la vie à la cour et à la confrontation avec le pouvoir impérial. Cet intérêt pour la formation des cadres politiques grecs et romains était partagé à la fin du ier et au début du iie siècle par Dion de Pruse et par Plutarque  ; le premier a développé dans plusieurs discours une réflexion originale sur la royauté et les modèles du bon roi115, le second a rédigé des traités sur l’éducation, la sagesse et l’expérience qui conviennent aux élites politiques civiques et royales : outre les traités concernant Alexandre le Grand, on peut mentionner A un chef mal éduqué, Le philosophe doit surtout s’entretenir avec

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P. A. Brunt, “From Epictetus to Arrian”, p. 19–29. F. G. B. Millar, “Epictetus and the Imperial Court”, p. 141 : “no other works read and valued in Roman society deal so harshly with the values of status and ambition on which that society was based”, cité par P. A. Brunt, art. cit., p. 29. P. A. Brun, “From Epictetus to Arrian”, p. 27. Ibid., p. 27–29. Voir A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse, le bon roi et l’empereur », rh, 649, 2009, p. 3–38.

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les grands, Si la politique est l’affaire des vieillards (traités 49–51) et les Préceptes politiques116. Cet intérêt commun et contemporain peut s’expliquer par l’ouverture de la carrière sénatoriale aux élites grecques, qui date de la fin du ier siècle, et par la transformation des pratiques et des discours politiques, qui accompagne le passage à la dynastie antonine. Chez Dion et Epictète, cet intérêt a peut-être aussi été nourri par l’exemple et par les leçons de Musonius. 3

Musonius et l’éducation du bon roi

De Musonius, nous avons conservé la diatribe viii, Les rois, eux aussi, doivent philosopher, qui contient un portrait du bon roi117. Le philosophe s’y intéresse à la formation intellectuelle des rois, et cette perspective doit être replacée au sein de l’intérêt plus général et très marqué qu’il a manifesté pour l’éducation de tous les membres de la société118. Comme ses élèves Dion de Pruse et Epictète, Musonius est avant tout – et c’est sa principale « raison sociale » – un éducateur. Il est difficile d’identifier le contexte vague dans lequel cette leçon aurait été prononcée par Musonius : « un jour l’un des rois de Syrie vint le trouver (à cette époque, il y avait encore, en effet, des rois en Syrie, vassaux des Romains) »119. 116

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Voir notamment G.  J. D.  Aalders, Plutarch’s Political Thought, Amsterdam, Oxford, New York, 1982 ; G. J. D. Aalders, L. de Blois, « Plutarch und die politische Philosophie der Griechen  », anrw, ii, 36, 5, p.  3384–3404  ; L.  de Blois et  alii (éd.), The Statesman in Plutarch’s Works, Leiden, Boston, 2004–2005  ; C.  Horst, Marc Aurel. Philosophie und politische Macht zur Zeit der Zweiten Sophistik, Stuttgart, 2013, p. 149–158 ; C. Pelling, “Political Philosophy”, dans M. Beck (éd.), A Companion to Plutarch, Chichester, 2014, p. 149– 162 ; B. Boulet, “The Philosopher-King”, ibid., p. 449–462. Deux autres fragments sont susceptibles de témoigner des leçons du Stoïcien à propos de l’exercice du pouvoir impérial, l’un au sujet de la prouidenta principis calquée sur le modèle de la prouidentia deorum (fr. xlvii Hense = Entretiens, iii, 15, 14, voir supra); l’autre au sujet des désirs tyranniques. La diatribe viii a été étudiée par V. Laurand, Stoïcisme et lien social, p. 451–533. Diatribes, iii, Les femmes doivent, elles aussi, faire de la philosophie ; iv, Faut-il donner la même éducation aux filles et aux garçons ? ; vi, De l’exercice moral ; xvi, S’il faut obéir en tout à ses parents. Trad. A. Jagu, p. 43. Il s’agit du tout début de la diatribe, et son caractère imprécis vise certainement à donner à la leçon une portée plus générale puisque, comme nous le verrons, le portrait du bon roi tracé par Musonius est très théorique. Sur les rois clients, qui ont disparu dans le dernier tiers du ier siècle, voir M. Sartre, L’Orient romain. Provinces et sociétés provinciales en Méditerranée d’Auguste à Sévère, Paris, 1991, p. 59–65 ; « Syriens » désignait les peuples des pays entre la Méditerranée à l’Ouest, le Taurus et l’Anti-Taurus

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L’entretien avec le roi syrien a pu se tenir entre le règne de Néron – Philostrate atteste la grande réputation de Musonius sous cet empereur au moment de son exil en 65/66 – et la fin du ier siècle, époque de la mort du philosophe, aussi bien à Rome, lors d’une visite de ce roi, qu’en Orient120. Musonius a en effet des liens avec la Syrie par l’intermédiaire de son gendre Artémidore et de son élève Euphratès de Tyr, et il a lui-même voyagé en Asie s’il a bien suivi Rubellius Plautus vers 60–62 (ce qui n’exclut pas, naturellement, d’autres voyages en Orient). Dans cette diatribe, Musonius démontre au roi qu’il doit philosopher pour acquérir la vertu qui lui permettra d’être un bon souverain. Le texte repose de manière très claire au début sur la distinction entre de grandes fonctions royales et des qualités essentiellement morales qui permettent de réaliser ces fonctions121. La première fonction est caractéristique des souverains hellénistiques, ce qui convient bien à un roi syrien : δεῖ µὲν γὰρ δήπου δύνασθαι τὸν βασιλέα σῴζειν ἀνθρώπους καὶ εὐεργετεῖν, « il faut bien sûr que le roi puisse être le sauveur et le bienfaiteur des hommes ». Les verbes σῴζειν, au sens de « conserver », et εὐεργετεῖν, « dispenser des bienfaits », appartiennent au vocabulaire des décrets civiques en l’honneur des rois séleucides. Ils font partie de ce que John Ma, dans son livre sur les rapports entre Antiochos iii et les cités, a défini comme le langage de l’évergétisme, qui déterminait la communication et les relations entre le souverain et les cités sujettes122. Pour prendre l’exemple bien connu du décret de Téos en l’honneur d’Antiochos iii et de sa femme Laodikè, daté probablement de 203 av. J.-C., le roi a déclaré Téos asylos et exempte de taxes, « afin que, les affaires de la cité ayant bénéficié d’un accroissement, il reçoive non seulement le titre de bienfaiteur, mais aussi celui de sauveur », ἵνα γενοµένης ἐπαυξήσ[ε]ως τῶν κατὰ τὴν πόλιν µὴ µόνον εὐεργεσίας λάβῃ τὴν ἐπιγραφ [ὴν] τῆς τοῦ δήµου, ἀλλὰ καὶ σωτηρίας (l. 20–22)123. Les termes de « bienfaiteur »

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au Nord, le Tigre et le désert syro-mésopotamien à l’Est, la mer Rouge et le désert d’Arabie au Sud (Ibid, p. 309). Naturellement le début de la diatribe souligne le fait que c’est le roi qui s’est déplacé vers Musonius  :  c’est une scène topique de rencontre entre un roi et un philosophe, sur le modèle de la rencontre entre Alexandre le Grand et Diogène à Athènes. La même coexistence apparaît sur les monnaies parmi les abstractions qui renvoient à des vertus, mais sans qu’il y ait de hiérarchie. Voir A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 315–316. J. Ma, Antiochos iii et les cités de l’Asie Mineure occidentale, trad. S. Bardet, Paris, 2004, p. 136–145, 149–151, 180–182. J. Ma, Antiochos iii, p. 352–353 (trad. p. 353, d’après J. Oulhen). Voir aussi P. Herrmann, « Antiochos der Große und Teos », Anadolu, 9, 1965, p. 29–159 ; seg xli 1003.

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et de « sauveur » ont ensuite été repris par les cités grecques d’Asie Mineure pour honorer Auguste, comme l’a souligné Paul Veyne124. Ils définissent une fonction protectrice et régulatrice de l’univers qui relève, dans la typologie de Max Weber125, d’une conception du chef charismatique, dans la mesure où ce roi sôter est d’une nature supérieure, inaccessible au commun des mortels. Mais cette fonction est associée par Musonius à la faculté philosophique de discerner ce qui est bien ou mal126. La deuxième fonction assignée au roi est fondamentale aussi bien dans la culture politique grecque que dans son pendant romain – elle caractérise les rois grecs comme les rois légendaires de Rome – : il s’agit de l’exercice de la justice, qui est associé à la qualité d’être juste, δίκαιος127. Cette fonction et cette qualité allaient de soi dans la définition du bon monarque. Comme l’a souligné A. Wallace-Hadrill, les vertus figurant sur le Clipeus Virtutis, offert à Auguste par le Sénat en 27 av. J.-C., n’ont pas grand chose à voir avec les vertus du canon philosophique consacré par Platon, hormis leur nombre et la présence de iustitia128. La définition de la justice donnée dans le texte (« qu’aucun n’ait davantage ou moins qu’il ne mérite, mais qu’ils puissent recevoir honneur ou châtiment selon leur mérite ») est platonicienne, comme l’est l’idée, plus longuement développée, que ce sont les philosophes qui connaissent la

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P. Veyne, «  L’identité grecque contre et avec Rome  :  “collaboration” et vocation supérieure », dans L’empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 234–235, qui renvoie p. 235–236 à ogis 470, 14 ; igrr i 853 ; iii 719, 1608 et 1611 ; iv, 201 ; Ancient Greek Inscriptions in the British Museum, iv, 894. Sur les épithètes royales d’Euergetes et de Sôter, voir F. Muccioli, Gli epiteti ufficiali dei re ellenistici, Stuttgart, 2013, p. 159–193, 193–199. M. Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie, i, Paris, 1995, p.  320–336 (trad. fr. de Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriß der verstehenden Soziologie, Tübingen, 1921–1922). Τὸν δέ γε σώσοντα καὶ εὐεργετήσοντα χρὴ ἐπίστασθαι τί µὲν ἀγαθὸν ἀνθρώπῳ τί δὲ κακόν, καὶ τί µὲν ὠφέλιµον τί δὲ βλαβερόν, καὶ συµφέρον γε καὶ ἀσύµφορον … ἀγαθὸν µέντοι καὶ κακὸν ἢ συµφέρον καὶ ἀσύµφορον ἢ ὠφέλιµον καὶ βλαβερὸν οὐκ ἄλλου του διαγινώσκειν ἢ τοῦ φιλοσόφου ἐστίν, « Mais celui qui doit protéger et faire du bien, doit savoir ce qui, pour un homme, est bien et ce qui est mal, ce qui est utile et ce qui est nuisible, ce qui est avantageux et ce qui est désavantageux … Or le discernement de ce qui est bien et de ce qui est mal, de l’utile et du nuisible, de l’avantageux et du désavantageux n’est le fait de personne d’autre que du philosophe », trad. A. Jagu, p. 43. Voir P. Carlier, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, 1984, p. 154, 172–177, 270, 337–349 ; F. Muccioli, Gli epiteti ufficiali, p. 193–199 ; voir notamment Tite-Live, i, 18, 1 à propos de Numa : « Numa Pompilius était bien connu à cette époque pour son sens de la justice et son respect de la religion. Il vivait à Cures en Sabine et maîtrisait tout ce qu’on pouvait connaître en ce temps-là en matière de droit divin et humain », trad. de Clercq. A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 300–306. Voir supra, c. 1.

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justice129. Mais une telle conception de la justice était aussi valable pour les Stoïciens130. La structure du raisonnement devient ensuite moins nette, dans la mesure où la hiérarchie entre fonction et vertu n’est plus respectée. La vertu est mentionnée la première et la fonction est ensuite placée sur un même plan : Ἔτι τοίνυν δεῖ µὲν τὸν βασιλέα σωφρονεῖν αὐτόν, δεῖ δὲ τοὺς ὑπηκόους σωφρο νίζειν ἵν’ ὁ µὲν ἄρχῃ σωφρόνως, οἱ δ’ ἄρχωνται κοσµίως, µηδέτεροι δὲ τρυφῶσι. Et il faut encore que le roi soit tempérant et qu’il rende tempérants ses sujets, pour que lui commande avec modération, que eux soient commandés avec harmonie, qu’aucun d’entre eux ne soient dans l’excès. La tempérance, σωφροσύνη, est explicitée grâce au vocabulaire moral caractéristique de la diatribe cynico-stoïcienne131 ; elle est définie aussi par des éléments qui appartiennent au domaine des devoirs sociaux et politiques tel qu’il est caractérisé par Cicéron dans le De officis, et qui relèvent du decorum (la convenance sociale)132 : ∆ιδάσκει δὲ ἀγαπᾶν εὐτέλειαν, διδάσκει δὲ φεύγειν πολυτέλειαν, ἐθίζει δ’ αἰδῶ ἔχειν, ἐθίζει δὲ γλώττης κρατεῖν, τάξιν δὲ καὶ κόσµον καὶ εὐσχηµοσύνην 129

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Dans la République, la justice est définie comme l’art qui attribue à chacun la part qu’il mérite, et que maîtrisent les magistrats-philosophes ; Platon, Rep., iv, 434 c-e ; iv, 504 a-d. Voir aussi Alc., 107 d-109 c : la connaissance du juste et de l’injuste est indispensable à celui qui veut pratiquer l’art politique. Stobée, ii, 59. Λυµαντικὸν γὰρ ἄρχοντός τε καὶ ἰδιώτου παντὸς ἡ τρυφή. πῶς δ’ ἂν ἢ αὐτὸς σωφρονήσειέ τις µὴ µελετήσας κρατεῖν τῶν ἐπιθυµιῶν, ἢ ἀκόλαστος ὢν ἄλλους ποιήσειε σώφρονας ;… αὕτη γὰρ διδάσκει µὲν ἐπάνω ἡδονῆς εἶναι, διδάσκει δ’ ἐπάνω πλεονεξίας, « La vie de mollesse, en effet, est chose nuisible pour le chef comme pour tout simple citoyen. Comment quelqu’un serait-il sage lui-même s’il n’avait pris soin de dominer ses désirs ? Ou bien comment pourrait-il rendre d’autres sages, s’il était intempérant ?... C’est la philosophie, en effet, qui enseigne à dominer le plaisir et la convoitise  », trad. A.  Jagu p.  44. Sur le contremodèle du mauvais prince soumis à ses passions, voir S. Benoist, « Honte au mauvais prince ou la construction d’un discours en miroir », dans R. Alexandre, Ch. Guérin, M. Jacotot (éd.), Rubor et pudor. Vivre et penser la honte dans la Rome ancienne, Paris, 2012, p. 83–98. Voir par exemple Cicéron, Off., i, 35, 126 : « Le decorum se remarque dans toutes les actions et dans toutes les paroles, et enfin dans le mouvement et l’attitude du corps » ; A. Jagu, Musonius, p. 44 n. 48, remarque que cette notion renvoie aussi à la première définition de la sagesse dans le Charmide, 159 b (« Agir en toutes choses d’une façon ordonnée et calme : dans sa démarche, dans sa conversation, dans toute sa conduite »).

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περιποιεῖ καὶ ὅλως τὸ ἐν κινήσει καὶ σχέσει πρέπον. ταῦτα δὲ ἀνθρώπῳ προσόντα παρέχεται σεµνὸν καὶ σώφρονα αὐτόν. C’est [la philosophie] qui enseigne à aimer la simplicité et à fuir les dépenses insensées  ; c’est elle qui habitue à posséder le sens de la pudeur et à maîtriser sa langue ; c’est elle qui procure la discipline, l’ordre, la bonne tenue et qui procure, en un mot, ce qui convient dans le mouvement et le maintien. Ces qualités, quand elles existent chez un homme, le rendent digne et tempérant133. Les notions de simplicité et de bienséances participaient à l’image publique du princeps. Elles apparaissent, chez Suétone, comme des critères du jugement porté sur chaque empereur134. Musonius associe – chez un homme – la dignité et la tempérance, ce qui ne va pas de soi pour un roi, car la σεµνότης des souverains hellénistiques était liée à un certain apparat qui montrait leur statut supérieur135. Cicéron a souligné le caractère neuf de cette association rapportée à un roi oriental dans le Pro rege Deiotaro136. Musonius pousse ce paradoxe un peu plus loin : Καὶ δὴ καὶ βασιλεύς, ὅτῳ ὑπάρχει ταῦτα, µάλιστα ἂν εἴη θεοπρεπής τε καὶ αἰδοῦς ἄξιος. 133 134

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Trad. légèrement modifiée d’A. Jagu p. 44. La notion de simplicité est liée à la qualité de ciuilis, qui fait de l’empereur, d’une certaine manière, un citoyen comme les autres : A. F. Wallace-Hadrill, « Civilis princeps : between citizen and king », jrs, 72, 1982, p. 32–48. Voir E. Cizek, Structure et idéologie dans « Les Vies des Douze Césars » de Suétone, Paris, 1977, p. 66–102 et 199–245 (tableaux des vices et vertus des Césars). Isocrate, A Nicoclès, 19, 32. Cicéron, Deiot., 9, 26 : Deiotarum saltantem quisquam aut ebrium uidit umquam ? Omnes in illo sunt rege uirtutes, quod te, Caesar, ignorare non arbitror, sed praecipue singularis et admiranda frugalitas  :  etsi hoc uerbo scio laudari regem non solere  ; frugi hominem dici non multum habet laudis in rege : fortem, iustum, seuerum, grauem, magnanimum, largum, beneficum, liberalem : hae sunt regiae laudes, illa priuata est. Vt uolet quisque, accipiat : ego tamen frugalitatem, id est modestiam et temperantiam, uirtutem maximam iudico, « A-t-on jamais vu Déjotarus danser ou s’enivrer ? Toutes les vertus d’un roi sont réunies en lui, tu ne l’ignores sans doute pas, César ; mais il se distingue surtout par son extrême sobriété, et je sais que ce n’est pas un mot qui sert souvent pour louer un roi. Dire qu’il est un homme sobre, ce n’est pas faire grand éloge d’un souverain  :  courage, justice, sévérité, sérieux, magnanimité, munificence, bienfaisance, générosité, voilà des vertus royales ; sobriété, c’est vertu privée ! Qu’on prenne la chose comme on voudra, j’estime pour ma part que la sobriété, c’est-à-dire la modération et la tempérance, est une très grande vertu », trad. A. Boulanger, légèrement modifiée.

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Et naturellement, le roi qui possède ces qualités est par dessus tout égal à un dieu et digne de respect. C’est donc la possession de qualités morales et sociales liées à la tempérance et au decorum qui fournit au bon roi une aura charismatique. La position de Musonius repose sur l’idée cynico-stoïcienne que la vertu rend le sage égal à un dieu137. La quatrième qualité royale est celle du courage, ἀνδρεία, qui permet de faire face à la mort et à la peine : il s’agit donc du courage au sens large du terme, dans son acception platonicienne et stoïcienne138, et non seulement du courage guerrier. On s’attendrait à voir le courage associé à la fonction guerrière qui était essentielle chez le souverain hellénistique et qui l’est toujours chez le princeps romain. Mais cette fonction et l’idéologie de la victoire qui lui est liée n’apparaissent que sous forme allusive dans la suite du texte : Καὶ δὴ βασιλικὸν µέν, εἴ τι ἄλλο, καὶ τὸ ἀήττητον ἐν λόγῳ εἶναι καὶ δύνασθαι κρατεῖν ὥσπερ ὅπλοις τῶν µαχοµένων, οὕτω λόγοις διαλεγοµένων. C’est aussi le privilège des rois, s’il en fut, d’être invincibles par la raison et de pouvoir l’emporter par leurs raisonnements sur les interlocuteurs, comme ils l’emportent sur leurs ennemis par les armes139. L’accent est mis sur l’éloquence du roi, ce qui rappelle l’idéal cicéronien du princeps-orateur qui est la figure tutélaire de l’Etat en association avec un imperator. L’originalité de Cicéron, dans les années qui suivirent son consulat de 63 av. J.-C., résidait dans la mise en avant du caractère civil du pouvoir du chef, par rapport au pouvoir militaire de l’imperator140. Musonius rejoint Cicéron sur ce point : son intervention auprès de l’armée d’Antonius Primus en 69 montre son hostilité aux guerres civiles et peut se lire comme une tentative malheureuse d’opposer « aux armes les mots », contra arma uerbis, en conformité avec l’idéal cicéronien. Mais le talent oratoire du roi sage repose chez Musonius sur 137 138

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Voir par exemple Sénèque, Ep., 53, 11 ; 59, 14 ; De la Providence, 1, 5. Voir Platon, La., 191 d-e. Dans ce sens, le courage est une qualité que permet d’acquérir la philosophie stoïcienne, qui enseigne à contrôler l’usage de ses représentations ; voir Entretiens, ii, 13, 22–26. Sur le courage dans le De Officiis de Cicéron et dans le De Clementia de Sénèque, voir supra, c. 1. Trad. A. Jagu, p. 45. Voir E. Lepore, Il Princeps Ciceroniano e gli ideali politici della tarda Repubblica, Napoli, 1954, p. 45–46 ; F. Pina Polo, Contra arma verbis. Der Redner vor dem Volk in der späten römischen Republik, Suttgart, 1996, p. 88–93, 151–162.

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la maîtrise du raisonnement juste, acquise grâce à l’enseignement de la philosophie. Le Stoïcien s’oppose ici à Cicéron, pour qui l’homme politique devait être un orateur avec une formation philosophique, mais non un philosophe, qui serait toujours inférieur à l’orateur parfait sur le terrain de l’éloquence141. Cicéron avait construit, à partir du modèle platonicien du roi philosophe, un modèle politique romain de l’orateur sage comme guide de l’Etat, alors que Musonius revient à l’idéal philosophique grec. Il défend cet idéal contre la position d’un Vespasien, exprimée dans le décret retrouvé à Pergame et daté de 74, selon laquelle l’éducation politique de la jeunesse relève des spécialistes de la rhétorique142. Musonius réagit aussi peut-être par rapport à la rivalité entre rhéteurs et philosophes, qui a sans doute été accrue par la transformation des conditions de l’éloquence publique et par l’attitude de Vespasien et de Domitien envers les philosophes. Peut-être engage-t-il une controverse vis-à-vis des rhéteurs de son temps ; dans la préface de l’Institution oratoire, écrite entre 93 et 95, c’est-à-dire juste après la relégation des philosophes hors de Rome et de l’Italie, Quintilien, auquel Domitien avait confié l’éducation de ses petitsneveux et héritiers, revendique pour l’orateur les compétences en matière de sagesse morale, d’administration et de gouvernement des cités, de législation et de justice143.

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Cicéron, de Orat., iii, 143  :  Sin quaerimus quid unum excellat ex omnibus, docto oratori palma danda est. Quem si patiuntur eundem esse philosophum, sublata controuersia est ; sin eos diiungent, hoc erunt inferiores, quod in oratore perfecto inest illorum omnis scientia, in philosophorum autem cognitione non continuo inest eloquentia ; F. Pina Polo, Contra arma verbis, p. 89. Fronton revient à ce modèle cicéronien dans la lettre A Vérus empereur, ii, dans laquelle il pousse beaucoup plus loin que Musonius le rapprochement entre talent oratoire et valeur militaire : c’est l’éloquence qui permet au général de commander ses armées et de gagner la victoire. Voir de Orat., i, 202 ; Ver., ii, 9 et 22. Voir supra. Domitien semble aussi avoir éprouvé un mépris général pour les mœurs des professeurs de philosophie, voir sa lettre à Lappius Maximus à propos du philosophe Flavius Archippus de Pruse, citée par Pline, Ep., x, 58 : Archippum philosophum, bonum uirum et professioni suae etiam moribus respondentem, «  le philosophe Archippus, honnête homme et dont la conduite est même en accord avec sa profession », trad. M. Durry. Quintilien, i, préface, 10 : Neque enim hoc concesserim, rationem rectae honestaeque uitae, ut quidam putauerunt, ad philosophos relegendam, cum uir ille uere ciuilis et publicarum priuatarumque rerum administrationi accommodatus, qui regere consiliis urbes, fundare legibus, emendare iudiciis possit, non alius sit profecto quam orator, « En effet, je n’admettrais pas qu’il faille réserver aux philosophes, comme certains l’ont pensé, le soin d’exposer les règles d’une vie droite et honnête, car l’homme qui peut vraiment jouer son rôle de citoyen et qui est capable d’administrer les affaires publiques et privées, l’homme qui est apte à diriger les villes par ses conseils, à leur donner une assise par des lois, à les réformer par ses décisions de justice, cet homme ne saurait être autre assurément que l’orateur », trad. J. Cousin. Voir aussi Quintilien, xii, 2, 9.

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La réflexion de Cicéron sur l’orateur-princeps témoigne de l’importance de l’éloquence politique à la fin de la République et de son rôle dans les luttes pour le pouvoir. F. Pina Polo a souligné le poids des libelles et des discours tenus dans les assemblées à Rome lors de la lutte entre Octavien, Sextus Pompée et Marc Antoine. Selon lui, la victoire du premier est redevable à sa force de persuasion, mais elle a marqué la fin, à Rome, de la grande époque de l’éloquence politique qui est désormais entre les mains du seul princeps144. Ce n’est pas encore tout à fait le cas à l’époque de Musonius où le Sénat demeure à certaines périodes, par exemple aux débuts des règnes de Néron et de Vespasien, une arène politique. Tacite a rapporté longuement au livre iv des Histoires les séances sénatoriales qui inauguraient le règne de Vespasien et les efforts d’Helvidius Priscus pour restaurer le rôle traditionnel, républicain, du Sénat comme lieu de débats, de gestion des finances publiques, de pouvoir politique145. Ces passages s’opposent d’une certaine manière au constat lapidaire dans le Dialogue des orateurs, situé en 75, mais rédigé vers 105, de la disparition de l’éloquence politique à Rome, dans les espaces qui lui étaient habituellement dévolus (le Sénat, les contiones, les tribunaux)146. De même, le livre xvi des Annales montre la fascination de Tacite pour les procès néroniens des sénateurs Barea Soranus et Thrasea Paetus : l’historien en saisissait toutes les implications sociales et politiques147. Du règne de Néron à celui de Vespasien, l’opposition sénatoriale au 144 145 146

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F. Pina Polo, Contra arma verbis, p. 162–169, 174–176. Tacite, Hist., iv, 5–9 ; Suétone, Ves., 15 ; Dion Cassius, lxv, 12. Tacite, Dial., 41 : « Mais si l’art du médecin rencontre moins l’occasion de s’employer et de se perfectionner chez les peuples dont la santé est très robuste et les corps très sains, de même les honneurs accordés aux orateurs sont moins grands et leur gloire moins éclatante quand les mœurs des citoyens sont bonnes et qu’ils sont disposés à écouter le chef. A quoi bon développer son avis au Sénat, puisque l’élite des citoyens y tombe vite d’accord (cum optimi cito consentiant)  ? A  quoi bon accumuler les discours devant le peuple, puisque, sur les intérêts publics, ce ne sont pas des incompétents et la foule qui délibèrent, mais le plus sage des hommes tout seul (quid multis apud populum contionibus, cum de re publica non imperiti et multi deliberent, sed sapientissimus et unus) ? A quoi bon prendre l’initiative d’accusations, lorsque les fautes sont si rares et si légères ? A quoi bon s’attirer la haine et dépasser les bornes en des plaidoiries, quand la clémence du juge va au-devant de l’accusé (cum clementia cognoscentis obuiam periclitantibus eat) ? Croyez-moi, hommes très remarquables, et, dans toute la mesure permise, très diserts, si vous étiez nés aux siècles passés, ou les gens d’autrefois, que nous admirons, dans le nôtre, et qu’un dieu eût interverti brusquement l’époque de votre vie, à vous, cet éclat de la renommée et de la gloire oratoires ne vous aurait pas fait défaut, non plus qu’à eux une attitude mesurée et réservée. Mais, du moment que personne ne peut jouir à la fois d’une grande réputation et d’une grande tranquillité, il faut profiter des avantages de son siècle, sans critiquer les autres », trad. H. Bornecque. Tacite, Ann., xvi, 21–35 ; voir infra, c. 3.

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pouvoir monarchique du princeps a été surtout le fait de sénateurs stoïciens, c’est-à-dire d’une parole philosophique, ce qui donne du corps au portrait du bon roi décrit par Musonius. En parallèle, ce contexte est aussi celui du développement d’une rhétorique épidictique qui fut soutenue financièrement à Rome par Vespasien. C’est justement l’orateur Dion de Pruse qui est présenté dans les Vies de sophistes de Philostrate comme la figure de transition entre la première et la deuxième Sophistique qui éclot au iie siècle. Cette éloquence épidictique est aussi, n’en déplaise à Tacite, une éloquence politique, mais elle s’exprime dans des formes différentes de celles que l’éloquence sumbouleutique employait traditionnellement, et dans des lieux également différents. Le portrait du bon roi tracé par Musonius repose donc, fondamentalement, sur le canon des quatre vertus qui s’est fixé à partir de Platon : le courage, ἀνδρεία, la tempérance, σωφροσύνη, la justice, δικαιοσύνη, et la sagesse, φρονήσις, à laquelle renvoie l’art de discerner ce qui est bien et ce qui est mal148. Le texte engage à faire de ces vertus philosophiques le support, la base des fonctions et des caractérisations qui sont traditionnellement rapportées au souverain hellénistique : Καθόλου δὲ τὸν µὲν βασιλέα τὸν ἀγαθὸν ἀνάγκη πᾶσα καὶ λόγῳ καὶ ἔργῳ εἶναι ἀναµάρτητον καὶ τέλειον· εἴ περ δεῖ αὐτόν, ὥσπερ ἐδόκει τοῖς παλαιοῖς, νόµον ἔµψυχον εἶναι, εὐνοµίαν µὲν καὶ ὁµόνοιαν µηχανώµενον, ἀνοµίαν δὲ καὶ στάσιν ἀπείργοντα, ζηλωτὴν δὲ τοῦ ∆ιὸς ὄντα καὶ πατέρα τῶν ἀρχοµένων ὥσπερ ἐκεῖνον. Au total, le bon roi doit être de toute nécessité infaillible et parfait en paroles et en actes, s’il doit être vraiment, comme le pensaient les Anciens, une loi animée, faire régner le bon ordre et la concorde, supprimer l’illégalité et le désordre, être un zélateur de Zeus et, comme lui, père de ses sujets149. Les idées selon lesquelles le roi est un principe d’ordre, une loi animée, qu’il est le disciple de Zeus et le père de ses sujets sont tout à fait traditionnelles 148

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Ces quatre grandes vertus sont également déclinées à la fin du discours dans l’énumération des qualités propres au philosophe  :  φρονίµῳ, σώφρονι, µεγαλόφρονι, τῶν δικαίων κριτικῷ καὶ τῶν πρεπόντων, καταπρακτικῷ τῶν νοηθέντων, καρτερικῷ τῶν ἐπιπόνων· πρὸς δὲ τούτοις θαρραλέος, ἀδεὴς, ὑποστατικὸς τῶν δοκούντων δεινῶν εἴη ἄν, ἔτι δὲ εὐεργετικὸς, χρηστὸς, φιλάνθρωπος, « être sensé, sage, généreux, juge de ce qui est juste et convenable, capable de réaliser ses projets et de supporter les choses pénibles. En outre, il serait brave, sans crainte, garderait son sang-froid en face de ce qui est effrayant ; il serait encore bienfaisant, obligeant, humain », trad. A. Jagu, p. 47. Trad. A. Jagu légèrement modifiée, p. 45.

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et communes aux différents courants de la réflexion politique grecque sur la royauté (d’où leur attribution collective « aux Anciens »). La notion de « loi animée  » aurait été développée dans le traité Sur la loi et la justice attribué par Stobée au philosophe pythagoricien et homme politique Archytas de Tarente (ca 435-ap. 360 ? av. J.-C.), ami de Platon150. L’idée que le roi doit être un émule de Zeus est présente chez le Néopythagoricien Sthénidas de Locres  ; cette idée est en corrélation avec la notion d’imitation divine qui a été développée par Platon puis par le Stoïcisme moyen151. L’association entre paternité et royauté est également homérique ; on la retrouve chez Platon, Aristote, Xénophon, dans l’idéologie des rois hellénistiques et, comme nous l’avons vu, chez Sénèque152. Ces notions de référence dans la pensée politique grecque définissaient non seulement les fonctions, mais aussi une supériorité charismatique du souverain par rapport aux hommes ordinaires. Cette supériorité du roi idéal, chez Musonius, dérive de la vertu153. Plus précisément, cette supériorité repose sur deux éléments  :  une nature supérieure, et une éducation philosophique qui conforte cette nature, ce qui permet au souverain de posséder «  toutes

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Stobée, iv, 1, 135. Voir F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, p. 245– 248. Archytas de Tarente aurait contribué à la réflexion politique de Platon en lui envoyant des ouvrages Sur la loi et Sur la royauté selon Diogène Laërce, viii, 80. V. Laurand, Stoïcisme et lien social, p. 451–533, discute de manière très nuancée la possibilité d’une influence pythagoricienne ou néopythagoricienne sur la diatribe de Musonius ; voir en particulier p. 510–533 son analyse de l’expression nomos empsuchos. Sur Sthénidas, voir Stobée, iv, 7, 63. Voir Platon, Alc., 133 a-c  ; Cicéron, N. D., ii, 14, 37 = svf, ii, 1153 von Arnim ; Eusèbe, pe, xi, 27, 5 ; Stobée, iii, 21, 24. Voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 341 ; ead., « Le sophiste Dion de Pruse, le bon roi et l’empereur », p. 28 n. 130. Platon, R., viii, 568 e ; Xénophon, Cyr., viii, 1, 1 ; viii, 1, 44 ; viii, 2, 9 ; viii, 8, 1 ; Ages., 7, 3 ; G. Barner, Comparantur, p. 8. Sur l’image de Cyrus comme père bienveillant pour la société, voir V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir, p. 357–370, et p. 363 : la correspondance entre royauté et paternité apparaît aussi chez Aristote, en, viii, 13, 1161 a 10–19 (qui fait référence à Homère), et Pol., iii, 14, 15, 1285 b (au sujet de la notion de pambasileia, royauté conçue selon le modèle du pouvoir domestique et susceptible de s’exercer sur plusieurs poleis ou ethnè). Le modèle de l’autorité paternelle, qui s’exerce pour le bien de ceux qui y sont soumis, est utilisé pour réfléchir sur la fin de l’État, Pol., iii, 6, 7, 1278 b. Comme chez Platon et chez Aristote. Pour Platon et Aristote, quand un homme a une vertu si éminente qu’elle surpasse celle de tous les autres réunis, il est juste qu’il ait la dignité royale et le pouvoir suprême : Platon, Lg., 875 c ; Aristote, Pol. iii, 11, 12–13, 1288 a ; voir aussi Pol., iii, 8, 7, 1284 b.

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les vertus qui conviennent à un homme »154. Cette exigence double est aussi présente chez Platon et dans le Stoïcisme155. Le portrait du bon roi tracé dans la diatribe viii est donc marqué par une influence déterminante de la pensée politique platonicienne156 : il est fondé sur la conception du roi-philosophe et du philosophe-roi, conception devenue classique aussi dans le stoïcisme et le cynisme157. Les qualités du bon roi sont celles du sage et celui-ci mérite le titre de roi, car il suffit de posséder l’art philosophique de gouverner pour être roi158. Musonius instaure cependant une distinction importante (qu’il n’explicite pas, mais qui prend tout son sens chez Epictète) entre le philosophe et le roi : le philosophe est un « personnage royal » (basilikos), mais non un roi159. Ainsi, mise à part l’absence de l’opposition, elle aussi classique depuis Platon, entre la figure du roi et celle du tyran, le portrait du bon roi qui est développé par Musonius suit le modèle grec et prend ses distances avec le modèle théorique du princeps romain qui avait été théorisé par Cicéron. Le modèle grec était, il est vrai, le mieux adapté au roi syrien qui est le destinataire direct de la leçon. Il faut souligner l’influence de Musonius sur la réflexion politique de Dion Chrysostome, qui met lui aussi en avant le modèle grec du bon roi, tout en s’efforçant de l’adapter à l’image et au rôle de l’empereur romain (et, en particulier, à la figure de Trajan dans le premier discours Sur la royauté). On retrouve également chez le sophiste une certaine mise à distance du roi guerrier et l’idée que le bon roi est caractérisé à la fois par une supériorité naturelle et par une bonne éducation160.

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Τοιοῦτος δὲ πῶς ἂν εἴη τις µὴ φύσει τε διαφερούσῃ κεχρηµένος παιδείαν τε τὴν ἀρίστην πεπαιδευµένος ἀρετάς τε ἁπάσας ἔχων, ὅσαι περ ἀνθρώπῳ προσήκουσιν ; « Mais comment quelqu’un pourrait-il être un tel roi sans posséder une nature supérieure, sans avoir reçu la meilleure éducation et sans avoir toutes les vertus qui conviennent à un homme ? », trad. A. Jagu légèrement modifiée, p. 45. Voir A. Gangloff, Dion Chrystostome, p. 343–348, part. p. 344. La référence finale au Socrate de la République le montre bien : « C’est pourquoi, selon moi, Socrate appelait la philosophie la science politique et royale, parce que celui qui se l’est appropriée devient aussitôt un homme politique », trad. A. Jagu, p. 47. Voir Platon, R., iv, 473 d ; Plt., 259b ; 292 b et e ; 300 e. Entretiens, iii, 22, 49 ; 72 ; 75 et 80 ; iv, 8, 34, sur le Cynique roi. Voir Dion de Pruse, Or. lvi, 3. V. Laurand, Stoïcisme et lien social, p. 452, 464–467. Voir infra. L’alliance entre supériorité naturelle et éducation philosophique est développée en particulier (de manière plus complexe) dans le quatrième discours Sur la royauté, voir A.  Gangloff, Dion Chrysostome, p.  343–348. Le traité de Plutarque, A un chef mal éduqué, repose, comme la diatribe viii, sur l’idée que le chef doit recevoir une éducation philosophique afin de maîtriser ses passions ; mais il est assez éloigné de cette diatribe par son contenu et concerne les chefs en général et non spécialement les monarques.

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Chapter 2

Les figures du roi, du tyran et de César dans les Entretiens

Aucun entretien laissé par Arrien n’est consacré au portrait du bon roi, ce qui, nous le verrons, n’est peut-être pas un simple effet de la sélection ou de la réécriture des leçons d’Epictète. En revanche, les figures du roi, du tyran et de César ont une place et un rôle importants dans les Entretiens. On relève en effet 22 références au βασιλεύς, 31 au τύραννος et 36 au Καῖσαρ161. Selon A. Wifstrand, les Grecs du ier siècle employaient le terme César pour désigner l’empereur dans la langue populaire et quotidienne, après qu’Auguste, puis Tibère, eurent pris César comme nomen, qui était ensuite devenu un élément de la titulature impériale ; c’était le plus « personnel » des titres, au sens où il renvoyait à la personne plutôt qu’à la forme institutionnelle du pouvoir impérial162. Dans les Entretiens, les trois termes sont clairement distingués et n’apparaissent pas en général dans les mêmes passages (sauf quelques intéressants exemples de glissement ou de rapprochement de l’un à l’autre). Le terme de basileus s’applique notamment aux rois orientaux  :  les rois homériques, ceux des tragédies athéniennes du ve siècle av. J.-C., ou bien des rois historiques comme les rois perses, spartiates, macédoniens. Il s’agit donc le plus souvent d’un titre, qui est mis en parallèle dans certains passages avec celui de consul163 ; ce titre renvoie à des conceptions de la royauté et à des institutions différentes.

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Roi : i, 4, 26 ; i, 6, 40 ; i, 24, 15–16 ; i, 25, 8 ; i, 29, 9–11 ; ii, 22, 22–23 ; ii, 24, 21–26 ; iii, 22, 30–36 ; 49 ; 63 ; 72 ; 75 ; 80 ; 94 ; iii, 24, 69–70 ; iii, 26, 5 ; 31–32 ; iv, 1, 30 ; 51–53 ; 62 ; 156–157 ; iv, 8, 34. Tyran : i, 9, 15 ; 17 ; i, 13, 4 ; i, 18, 17 ; i, 19, 1–6 ; 7–10 ; 16–17 ; i, 22, 15 ; i, 24, 15 ; i, 29, 5–9 ; ii, 1, 28 ; ii, 6, 18–19 ; ii, 13, 24 ; ii, 22, 13–14 ; iii, 22, 40 ; 94 ; 106 ; iii, 24, 29 ; 117 ; iii, 26, 5 ; 36 ; iv, 1, 17 ; 86–88 ; 92 ; 132–133 ; 160–164 ; iv, 5, 29 (= Manuel, 31) ; 34 ; iv, 7, 1–5 ; 16 ; iv, 12, 9 (voir aussi fr. 11). César : i, 2, 23–24 ; i, 3, 2 ; i, 9, 7 ; i, 10, 5 ; i, 14, 15–17 ; i, 19, 17–23 ; i, 29, 37 ; 61 ; ii, 6, 20–22 ; ii, 13, 11 ; ii, 14, 18 ; ii, 19, 17–18 ; iii, 3, 3–4 ; iii, 4, 1–4 ; 7–8 ; iii, 7, 30 ; iii, 8, 2 ; iii, 9, 18 ; iii, 13, 9–12 ; iii, 15, 12–13 (= Manuel, 29, 7) ; iii, 22, 55–56 ; iii, 24, 117 ; iv, 1, 8 ; 12 ; 14 ; 15 ; 17 ; 43 ; 45–50 ; 60–61 ; 95–96 ; iv, 4, 5 ; 9 ; iv, 7, 21 ; iv, 13, 5 ; 22. Sur le tyran, voir aussi C. G. Starr, « Epictetus and the Tyrant », CPh, 44, 1949, p. 20–29, qui rapporte trop systématiquement cette figure à Domitien. A. Wifstrand, « Autokrator, Kaisar, Basileus. Bemerkungen zu den griechischen Benennungen  », dans K.  Hanell, E.  J. Knudtzon, N.  Valmin (éd.), ∆ραγµα Martino P.  Nilsson A. D. iv id. iul. mcmxxxix dedicatum, Lund, Leipzig, 1939, p. 529–539, part. p. 529–531 ; le jugement d’A. Wifstrand au sujet du caractère personnel et familier de ce terme s’applique assez bien à son emploi dans les Entretiens. Selon l’auteur, ce mot tend à disparaître de la langue littéraire au iie siècle, tandis que le terme plus technique d’autokratôr est toléré et que celui, plus solennel, de basileus est le plus fréquemment utilisé. Voir par exemple Entretiens, iv, 1, 53 et 62.

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Le basileus désigne une figure du pouvoir – au sens neutre – qui peut être associée à celle du tyran, des riches et des magistrats (parfois romains)164. Cette figure est toujours liée à deux questions philosophiques essentielles : celles de la liberté et du bonheur qui vont de pair. La liberté repose sur le fait qu’on ne peut forcer personne à donner son assentiment à ce qui lui apparaît faux, et elle est le prélude à la sérénité, au bonheur, à l’absence de contrainte que tous les hommes recherchent comme leur bien165. A  travers les exemples d’Agamemnon, d’Achille, d’Œdipe (et même du roi perse), c’est la question de la liberté et du bonheur du roi lui-même qui est posée. Les rois mythiques ne sont ni libres ni heureux, car ils font un mauvais usage de leurs facultés de représentation166. Les exemples de rois historiques mettent en évidence la même carence167, ou bien sont utilisés pour montrer la confrontation entre le sage (Diogène) et le roi168. Les modèles platoniciens du roi-philosophe et du philosophe-roi ne sont pas absents de l’enseignement d’Epictète, mais ils sont dissociés. Le premier apparaît en filigrane derrière la figure d’Héraclès, le héros cynique et stoïcien de la vertu. C’est aussi lui qui représente, dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, prononcé vers 100 devant Trajan, le type du bon

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Voir par exemple Entretiens, i, 24, 15 : « Dors seulement de bon cœur et ronfle, et souvienstoi que c’est chez les riches, chez les rois, chez les tyrans, que se passent les tragédies », trad. J. Souilhé ; iii, 26, 5 ; iv, 1, 53. Voir Entretiens, iii, 22, 39–44. Entretiens, ii, 24, 21–23 : « Pourquoi Agamemnon et Achille étaient-ils tous deux en désaccord ? N’est-ce pas parce qu’ils ignoraient ce qui est utile et nuisible ? L’un ne prétend-il pas qu’il est expédient de rendre Chryséis à son père, tandis que l’autre prétend qu’il ne l’est pas ? L’un ne prétend-il pas qu’il doit recevoir la récompense d’un autre, tandis que le second prétend qu’il ne le doit pas ? N’est-ce point pour cela qu’ils ont oublié qui ils étaient et pourquoi ils sont venus ? Voyons, homme, pourquoi es-tu venu ? Pour posséder des maîtresses ou pour combattre ? – Pour combattre – Contre qui ? Contre les Troyens ou contre les Grecs ? – Contre les Troyens. – Tu laisses donc Hector, et c’est contre ton propre roi que tu tires l’épée ? Et toi, excellent homme, tu laisses ton métier de roi, toi A qui les peuples sont confiés et qui a la charge de tant d’intérêts [Il. ii, 25] et tu vas jouer des poings pour une fillette avec le plus belliqueux de tes alliés, celui que tu dois à tout prix combler de prévenances et conserver  ? Et tu te montreras inférieur à un grand-prêtre habile qui a toutes sortes d’attentions pour les beaux gladiateurs ? », trad. J. Souilhé. Voir aussi Entretiens, ii, 22, 23 ; iii, 22, 30–36 ; A. Gangloff, « Les héros et les penseurs grecs des deux premiers siècles après J.-C. : mythologie et éducation », Pallas, 78, 2008, p. 153–168, part. p. 157–158, 161, 164–166. Entretiens, ii, 22, 22. Entretiens, iii, 24, 70.

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roi sage169. Dans les Entretiens, conformément à la tradition mythique, c’est le cousin d’Héraclès, Eurysthée, qui est le véritable roi d’Argos et de Mycènes170 : Dieu ne donnait pas davantage à Héraclès, son propre fils : c’était un autre qui régnait sur Argos et Mycènes ; lui, obéissait et peinait et accomplissait ses travaux. Quant à Eurysthée, qui était roi, il ne l’était ni sur Argos ni sur Mycènes, lui qui ne régnait pas même sur lui-même, mais c’était Héraclès l’archôn et l’hègemôn de toute la terre et de toute la mer, il les purgeait de l’injustice (ἀδικία) et de l’impiété (ἀνοµία), il y introduisait la justice (δικαιόσυνη) et la piété (ὁσιότης), sans armes et tout seul171. Ce passage oppose Eurysthée, roi légitime qui n’est pas un (bon) roi car il est incapable de se maîtriser lui-même, et Héraclès qui correspond au modèle du roi vertueux  :  il a pour fonction d’établir la justice et la piété, sans appuyer son pouvoir sur l’armée – les Stoïciens, comme nous l’avons vu avec Musonius, semblent hostiles à la guerre et au pouvoir militaire –, il incarne une conception hellénistique de la royauté comme un « glorieux esclavage » au service du peuple, l’endoxos douleia172. Il faut néanmoins insister sur le fait qu’il n’a pas le titre de roi. Le modèle du philosophe roi est incarné par Diogène dans les Entretiens, iii, 22, De la profession de Cynique173. Le Cynique roi est opposé au roi Agamemnon et au Grand Roi, car il est heureux et libre, exempt de chagrin et de crainte174. Diogène maîtrise en effet l’usage de ses représentations175. Ses qualités sont une grande charis naturelle et de la finesse (ὄξυτης), une vertu sans faille qui lui donne le pouvoir de châtier ceux qui sont en faute176. On voit donc que 169 170 171 172 173 174 175 176

Voir J.  L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, dans F.  Cairns, M.  Heath (éd.), Papers of the Leeds International Latin Seminar, 6, Leeds, 1990, p.  297–375, part. p. 318–331. Héra, en prolongeant la grossesse d’Alceste, a laissé Eurysthée naître le premier et obtenir la royauté qui devait normalement revenir au héros. Entretiens, iii, 26, 31–32, trad. légèrement modifiée de J. Souilhé. Voir H. Volkmann, « Ἔνδοξος δουλεία als ehrenvoller Knechtsdienst gegenüber dem Gesetz », Philologus, 100, 1956, p. 52–61 ; J. Béranger, « Grandeur et servitude du souverain hellénistique ». Rappelons que dans les Entretiens, le cynisme est une sorte de voie courte, réservée aux meilleurs, pour aboutir à la sagesse. Diogène est le modèle du philosophe par excellence. Sur la royauté du Cynique, voir Entretiens, iii, 22, 63 ; 72 ; 75 ; 80 ; iv, 8, 34. Entretiens, iii, 22, 45–49, par opposition à l’exemple d’Agamemnon développé § 30–37 ; 60–61, par opposition au roi des Perses. Entretiens, iii, 24, 69–70. Entretiens, iii, 22, 90–94.

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les qualités du bon roi grec, comme la vertu et la grâce/le charisme qui est si important dans la pensée politique de Xénophon177, sont reprises au profit du philosophe ; il en va de même des comparaisons traditionnelles avec le taureau et la reine des abeilles178. Mais cet homme royal doit être dispensé de toute charge sociale et rester à l’écart des affaires publiques pour se consacrer à sa tâche de messager des dieux, qui est d’éduquer les hommes179 ; il est au service de Zeus et non de César ou du proconsul180. L’idéal du philosophe-roi n’existe donc plus comme modèle politique. Au contraire, Diogène est aussi l’exemple du philosophe qui se confronte avec les rois, Alexandre le Grand, le roi des Perses ou bien le roi spartiate Archidamos181. Il n’y a par conséquent pas de véritable modèle ou de portrait du bon roi dans les Entretiens. L’expression de « bon roi », associée à celle de « père », est réservée à Zeus qui est le seul authentique bienfaiteur des hommes182. Quand est évoqué, à partir de l’exemple de Socrate, le modèle du bon gouvernement reposant sur les principes de l’utilité pour les hommes et de l’imitation, ce n’est pas à destination d’un roi ou bien de l’empereur ; c’est pour un correcteur des cités libres, une charge qui apparaît précisément en Orient sous Trajan, à peu

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V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. Entretiens, iii, 22, 99. La comparaison du roi avec un taureau est tirée de l’Iliade, ii, 480–483. Voir Dion de Pruse, Or. ii, 65–74 ; V. Valdenberg, « La théorie monarchique de Dion Chrysostome  », reg, 40, 1927, p.  142–162, p.  147  ; la comparaison avec le taureau était utilisée par les Stoïciens selon E. Thomas, Quaestiones Dioneae, Leipzig, 1909, p. 59 ; elle paraît aussi avoir été exploitée par les anciens Pythagoriciens : leurs adversaires politiques leur reprochaient d’encourager les tyrannies en affirmant qu’il vaut mieux être un taureau un jour plutôt qu’un bœuf toute sa vie (Jamblique, vp, 260, éd. L. Brisson et A. P. Segonds). Sur la comparaison avec les abeilles, voir M.-H. Quet, « Rhétorique, culture et politique  :  le fonctionnement du discours idéologique chez Dion de Pruse et dans les Moralia de Plutarque », dha, 4, 1978, p. 51–118, part. p. 72–74. Entretiens, iii, 22, 72 (le Cynique ne doit pas se marier), 75 (ni avoir des enfants), 83–85 (sa noble tâche, qui est de s’entretenir avec les hommes du bonheur, du malheur, de la liberté et de la servitude, le dispense de prendre part à la vie politique). Entretiens, iii, 22, 56. Les Entretiens s’appuient sur les chries relatives à Diogène (dont la fameuse rencontre à Athènes avec Alexandre, cf. Entretiens, iii, 22, 92) et sur une tradition épistolaire qui attribuait au philosophe une correspondance avec les principaux rois de son temps (Entretiens, iv, 1, 30 ; 156). Entretiens, i, 6, 40 : « Dieu ne nous a pas seulement donné des facultés qui permettent de supporter tous les événements sans être humiliés et brisés par lui, mais, ce qui est le propre d’un bon roi et, en vérité, d’un père, il nous les a données libres de toute contrainte et de toute entrave, il les a mises sous notre entière dépendance, ne se réservant pour luimême aucun pouvoir susceptible de le contraindre ou de le gêner », trad. J. Souilhé.

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près à l’époque où Arrien suivait les cours d’Epictète183. De la même façon, il n’y a pas non plus dans les Entretiens d’antithèse marquée, comme chez Platon, entre le roi et le tyran. Le mot « tyran » renvoie beaucoup plus rarement à un titre que le terme de roi. Œdipe, qui est le plus souvent un exemple de roi, apparaît aussi comme un tyran parce qu’il a ce titre dans la tragédie de Sophocle que l’on traduit à tort par Œdipe roi, ΟΙ∆ΙΠΟΥΣ ΤΥΡΑΝΝΟΣ184. C’est la raison pour laquelle Etéocle et Polynice sont utilisés comme exemples de frères qui s’entre-déchirent par amour d’un faux bien, la tyrannie185. Les Entretiens contiennent très peu d’exemples réels de « tyran » : le principal est celui de Néron186, et l’on devine aussi celui de Domitien187, ce qui ancre la réflexion d’Epictète dans le contexte politique des Julio-Claudiens et des Flaviens. On ne trouve pas davantage de traits renvoyant à des tyrannies historiques, hormis le fait que le tyran est souvent associé aux gardes du corps, ce qui apparaissait aussi comme une caractéristique du tyran dans les réflexions politiques de Platon et d’Aristote188. Plutôt que par

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Entretiens, iii, 7, 33–36. On retrouve la notion d’imitation  – très importante dans la conception de l’éducation chez Epictète – dans Entretiens, iii, 4, 3 (le peuple imite ses supérieurs). A partir de Trajan sont attestés dans les provinces orientales des correcteurs de cités libres (sénateurs de rang consulaire ou prétorien chargés le plus souvent de remettre en ordre la situation des cités libres d’une province) : voir F. Jacques et J. Scheid, Rome et l’intégration de l’empire, i, Les structures de l’empire romain, Paris, 1990, p. 269 ; E.  Guerber, «  Les correctores dans l’Empire romain de Trajan à l’avènement de Dioclétien », dans C. Marro, A. Tibet (éd.), Anatolia Antiqua, 5, 1997, p. 211–248. Le personnage auquel s’adresse Epictète a été identifié comme Sex. Quinctilius Valerius Maximus, ami de Pline (Ep., viii, 24, 2). Fr. 11. Entretiens, ii, 22, 13–14 ; iv, 5, 29 ; Manuel, 31. Néron apparaît aussi comme un exemple de tyran chez Dion de Pruse. Dans les Entretiens, Néron n’est jamais qualifié directement de tyran, mais il apparaît dans une anecdote à la fin de la diatribe 19 du livre i, qui concerne l’attitude qu’il faut avoir vis-à-vis des tyrans : Entretiens, i, 19, 19–22, à propos d’Epaphrodite qui vendit son cordonnier, lequel devint par la suite le cordonnier de l’empereur, ce qui lui valut d’être courtisé par son ancien maître ; voir aussi Entretiens, iii, 22, 30, où Néron est associé à l’exemple semimythique de Sardanapale : tous les deux représentent des figures du pouvoir moins aimables qu’Agamemnon ; les références à l’exil à Gyaros rappellent aussi la condamnation de Musonius par Néron dans Entretiens, ii, 6, 22 ; iii, 24, 113. Voir notamment Entretiens, iv, 13, 5 et 22, et n. 1  p.  92 éd. cuf, qui renvoie à Tacite, Ag., 2, 3. Le tyran est associé aux gardes du corps dans Entretiens, i, 19, 7 ; iii, 24, 117 ; iv, 1, 88 ; iv, 7, 1–5 ; mais, dans Entretiens, iii, 22, 94, le roi est mentionné à côté du tyran pour la garde. Aristote, Pol., iii, 14, 7, 1285 a, distinguait la garde du roi, composée de citoyens en armes, et celle du tyran définie comme une milice étrangère, car les tyrans règnent sans le consentement de leurs sujets. La garde caractérise aussi le tyran chez Platon, R., viii, 567 d.

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des traits institutionnels, le tyran est défini dans l’enseignement d’Epictète par l’exercice de la contrainte et de la violence sur ses sujets : comme chez Platon, le tyran est celui qui exile et qui fait périr qui bon lui semble. Il exerce sur ses sujets un pouvoir de type despotique comme un maître sur ses esclaves, ce qui caractérise la tyrannie selon Platon et Aristote189. La diatribe 19 du livre i est consacrée à l’attitude qu’il faut avoir vis-à-vis des tyrans, ce qui montre l’importance que revêtait cette question aux yeux d’Epictète et/ou à ceux d’Arrien. Elle esquisse une analyse psychologique du tyran, assez éloignée de celle que Platon a développée au livre ix de la République : Si un homme possède une supériorité quelconque (πλεονέκτηµα), ou s’imagine du moins la posséder, alors qu’il n’en est rien, cet homme, s’il manque d’éducation (ἀπαίδευτος), en sera inévitablement bouffi d’orgueil (πεφυσῆσθαι). Le tyran dit, par exemple : « Je suis le plus puissant (κράτιστος) du monde »190. Le tyran est considéré comme une sous-espèce de la catégorie des hommes supérieurs191 ; en tant que privilégié, il est caractérisé par l’orgueil qu’il ne sait pas maîtriser parce qu’il n’a pas reçu d’éducation philosophique. Plus précisément, il est défini comme tyran par la volonté de pouvoir192. Ce qui est intéressant, c’est que les Entretiens montrent la possibilité d’un glissement entre le groupe constitué par d’autres hommes supérieurs, les rois, et celui des tyrans : la diatribe 29 du livre i (De la fermeté) développe l’exemple du philosophe impavide face aux menaces du tyran (§ 5–9), avant d’évoquer la question plus générale de l’attitude du philosophe face au pouvoir royal :

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Sur le tyran qui exile et tue qui il veut : Platon, R., viii, 566 a ; Grg., 466 c. La tyrannie est considérée comme un régime de servitude chez Platon, R., viii, 564 a ; ix, 578 d. Dans la Politique d’Aristote, la tyrannie est une monarchie qui a pour objet l’intérêt du monarque et non celui du bien commun (Pol., iii, 7, 5, 1279 b)  ; c’est donc une constitution défectueuse, une forme de despotisme inadapté à la cité conçue comme une communauté d’hommes libres (Pol. iii, 6, 11, 1279 a ; 7, 2, 1279 b). Contrairement à la royauté, la tyrannie n’est pas héréditaire ni fondée sur la loi – elle n’est donc pas stable ; elle ne repose pas sur le consentement des sujets (Pol., iii, 14, 7, 1285 a). Entretiens, i, 19, 1–2, trad. J. Souilhé légèrement modifiée. Le tyran est associé aux riches, aux plus hauts magistrats et aux rois – c’est-à-dire aux Grands du monde d’Epictète – dans Entretiens, iii, 26 (A ceux qui redoutent le dénuement), 5 et 36. Comme pour L. Marin, Le portrait du roi, Paris, 1981, le pouvoir du roi est toujours un désir de pouvoir absolu. Pour Platon, l’homme tyrannique est celui qui est incapable de contrôler ses désirs.

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Vous donc, philosophes, vous apprenez à mépriser les rois ? – Loin de là ! Qui d’entre nous apprend à leur résister dans les matières qui sont de leur domaine ? Prends mon misérable corps, prends mes biens, prends ma réputation, prends les compagnons de ma vie. S’il y en a que je pousse à la résistance, alors oui, qu’on m’accuse ! – Très bien, mais je veux aussi commander à tes jugements (τὰ δόγµατα) – Et qui t’a donné ce pouvoir ? Comment peuxtu maîtriser le jugement d’un autre ?193 Le roi qui veut contrôler les jugements de ses sujets devient un tyran qui asservit son peuple, car la maîtrise de ses propres facultés de représentation est le principe fondamental et naturel de la liberté selon Epictète194. Très souvent dans les Entretiens la figure du tyran désigne un pouvoir absolu et nuisible qui est associé à d’autres maux concrets, d’autres formes de violence comme des brigands, des maladies, des périls mortels ou la pauvreté195. La figure du tyran est plus symbolique que celle du roi : elle représente, de manière générale, ce qui est étranger à nous et à quoi nous nous asservissons, à cause de nos mauvaises représentations196. Elle a donc un rôle crucial dans l’enseignement d’Epictète. Alors que la figure du roi pose la question du bonheur et de la liberté de celui qui a du pouvoir et des responsabilités sociales et politiques, le tyran pose celle du bonheur et de la liberté des sujets. Le philosophe est l’ennemi du tyran, comme le montre l’exemple de Socrate197 : en 404-403 avant J.-C., sous la tyrannie des Trente, celui-ci avait reçu l’ordre, avec quatre autres citoyens, d’arrêter un certain Léon de Salamine pour qu’il soit exécuté198. Socrate refusa, « convaincu que ce serait là un déshonneur »199 : il n’accepta donc pas que les tyrans commandent à ses jugements. De la même façon, Epictète exhortait ses disciples à résister à la figure du tyran, et celui-ci apparaît dans les Entretiens comme un sujet d’exercice, et même l’un des principaux de l’ascèse stoïcienne200 : s’entraîner à résister au 193 194 195 196 197 198 199 200

Entretiens, i, 29, 9–11, trad. J. Souilhé. Par exemple Entretiens, iv, 5, 34. Entretiens, i, 9, 15 et 17 ; ii, 6, 18–19 ; iii, 22, 40 et 106 ; iii, 24, 29 ; iv, 1, 92 ; iv, 7, 16 ; iv, 12, 9. Voir Entretiens, ii, 1, 28 (le tyran est associé à l’argent, à la fille, au mignon) ; iv, 1, 17 (tyrannie de la maîtresse, de la petite esclave dont le maître est entiché) ; 86–88 (exemple fameux de la citadelle et des tyrans intérieurs). Entretiens, ii, 13, 24 ; iv, 160 ; 164. Platon, Ap., 32 c-d ; Ep., vii, 324 d-325 a. Entretiens, iv, 1, 160, trad. J. Souilhé. La présence de ces exercices est sensible dans Entretiens, ii, 1, 28–29  ; ii, 6, 18–23  ; ii, 13, 22–24 ; iv, 1, 132–133. L’idée du tyran intervient souvent à la fin des dialogues, pour représenter le pire de ce que l’esprit doit affronter. Voir Dion Cassius, lxi, 15 : Τοῦτο ἀεὶ πρὸς ἑαυτὸν ἔλεγεν ἐµὲ Νέρων ἀποκτεῖναι µὲν δύναται, βλάψαι δὲ οὔ, « [Thrasea] se disait

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tyran revenait en effet à dominer la crainte de la mort et des souffrances, à maîtriser ses propres représentations afin d’acquérir la liberté et la sérénité recherchées par le philosophe. De tels exercices renvoyaient à des exemples romains concrets et récents de sages stoïciens condamnés à mort par un « tyran » tel que Caligula ou Néron, et qui avaient accepté courageusement leur sort. Dans ces récits de mort héroïque, on peut soupçonner la présence d’éléments fictifs, obéissant aux stéréotypes sur la mort du sage, cependant Tacite précise au sujet de Sénèque que ses dernières paroles furent publiques201 ; Julius Canus, condamné par Caligula, accepta son sort et partit à la mort accompagné de son philosophe, comme Thrasea202 ; Sénèque et ce dernier, en mourant, offrirent leur sang en libation à Jupiter Liberator. Chez Thrasea, dont le décès date de 66, ce geste contient peut-être une référence ironique au Jupiter Custos apparu dans le monnayage de Rome en 65, parallèlement à la répression de la conjuration de Pison203. La figure de César apparaît, en général, bien dissociée de celle du tyran car, comme nous l’avons dit plus haut, ces deux types d’exemples n’interviennent pas dans les mêmes passages. La référence à César est souvent contextualisée de manière précise : elle est liée à la vie à la cour, à Rome, ou bien à la carrière des honneurs et à l’exercice des promagistratures dans les provinces orientales204. Or, il s’agit d’une vie troublée, d’une part à cause des châtiments que peut dispenser César, l’exil et la mort205. Dans cette perspective, la figure de César est similaire à celle du tyran, associée comme celui-ci au pouvoir de contrainte et de violence. Epictète prépare ses disciples, en particulier ceux qui se destinent à une carrière dans l’administration romaine, à lutter contre la crainte que suscite l’empereur206, d’autant plus que celui-ci apparaît comme

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sans cesse à lui-même : “Néron a le pouvoir de me tuer, mais non de me nuire” », trad. personnelle. Sur l’ascèse, voir récemment T. Bénatouïl, Faire usage : la pratique du stoïcisme, Paris, 2006. Tacite, Ann., xv, 67, 3. Sénèque, De la tranquillité de l’âme, 14, 4–10 (Julius Canus) ; Tacite, Ann., xvi, 34–35 (Thrasea). Tacite, Ann., xv, 64, 4 (Sénèque) ; xvi, 35, 1 et Dion Cassius, lxxii, 26 (Thrasea) ; ric i2 Néron 52, pl. 18. Par exemple Entretiens, i, 10 (A ceux qui dépensent toute leur énergie pour faire carrière à Rome), 5 ; iii, 4 (A l’homme qui avait pris parti au théâtre d’une façon inconvenante), 2–4 ; iv, 13 (A ceux qui se livrent trop facilement), 5. L’évocation du châtiment de César et des risques encourus par celui qui s’approche de l’empereur est fréquente : Entretiens, ii, 6, 20 ; ii, 19, 17 ; iii, 8, 2 ; iii, 9, 18 ; iii, 24, 117 ; iv, 1, 45–46 ; 60 ; 96. Voir Entretiens, i, 29 (De la fermeté), 37 : celui qui se laisse effrayer par l’apparat de l’empereur est semblable à l’esclave devant son maître ; ii, 6 (De l’indifférence), 20, 22 : il reste toujours l’échappatoire du suicide ; ii, 19 (Contre ceux qui ne s’approprient de la philosophie

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une figure assez versatile, susceptible de dispenser tout à tour des privilèges et des maux207. Ce sont très vraisemblablement les figures de Néron et de Domitien qui ont inspiré à Epictète cette vision du pouvoir romain, puisqu’il a vécu à Rome sous leurs règnes et qu’il a bien connu l’entourage de Néron s’il a effectivement appartenu à la maison d’Epaphrodite, l’affranchi de l’empereur. D’autre part et de manière plus générale, les pratiques sociales et les valeurs de la cour sont incompatibles avec la liberté, avec la sérénité et le bonheur, comme le développe longuement la première diatribe du livre iv, De la liberté : Quel est donc ce mal qui est nuisible et qu’il faut fuir ? Notre homme prétend que c’est de ne point être l’ami de César : il est parti dans une mauvaise voie … Qu’il vienne, en effet, à obtenir l’amitié de César, il n’en aura pas moins échoué dans sa recherche. Qu’est-ce, en effet, que cherche tout homme ? A vivre dans la paix, à être heureux, à faire tout ce qu’il veut, à n’être pas entravé ni contraint. Or, quand il est devenu l’ami de César, at-il cessé d’être entravé ou contraint, vit-il dans la paix, dans la félicité ? … tu l’entends aussitôt te répondre : «  Cesse, je t’en conjure, par tous les dieux, de railler mon sort : tu ne sais pas ce que je souffre, malheureux que je suis ! Le sommeil ne m’approche même pas, mais c’est un autre qui survient pour me dire : “César était déjà éveillé, le voilà qui s’avance” » Et ce sont ensuite les tracas, les soucis … s’il n’est pas invité, il est affligé ; s’il est invité, il a, durant le dîner, l’attitude de l’esclave vis-à-vis de son maître, tout le temps attentif à ne dire ou commettre aucune sottise. Et que penses-tu qu’il redoute  ? D’être fouetté comme un esclave  ? Comment pourrait-il espérer un si beau traitement ? Mais, comme il convient à un homme de cette qualité, à un ami de César, ce qu’il redoute, c’est de perdre sa tête208. La proximité du pouvoir impérial pose au philosophe un problème plus grave, auquel la mort apparaît au contraire comme la seule solution : celui de préserver son intégrité personnelle, son πρόσωπον, qui signifie la personne morale mais aussi le rôle qu’on doit jouer dans ce théâtre qu’est le monde. Tenir son rôle est tout à fait essentiel dans le stoïcisme qui, comme l’a écrit P.  Hadot,

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que l’argumentation), 17–18 ; iii, 8 (Comment il faut s’exercer pour faire face aux représentations), 2 ; iii, 24 (Qu’il ne faut pas s’émouvoir de ce qui ne dépend pas de nous), 117 ; iv, 4 (A ceux qui cherchent à vivre dans la tranquillité), 5 et 9. Voir notamment Entretiens, iv, 1, 95–96 : exemple de l’ami de César, qui n’est jamais à l’abri d’une disgrâce. Entretiens, iv, 1, 45–48, trad. J. Souilhé. Voir aussi § 8 ; 12 ; 14 ; 17 ; 60 ; 95–96.

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est une philosophie de la cohérence – avec soi-même, avec le monde et avec son principe rationnel, le logos209. Le rôle du sage est d’agir en cherchant le seul bien moral210. Il doit servir de modèle à imiter pour les hommes, de « laticlave, cette pièce petite et élégante qui donne à tout le reste son élégance et sa beauté »211 : de même que le Sénat, depuis Auguste, est devenu un ordre qui représente l’excellence sociale, de même le sage doit représenter l’excellence morale, ce qui était aussi, traditionnellement, le rôle du sénateur212. La deuxième diatribe du livre i, Comment on peut toujours sauvegarder sa dignité personnelle, aborde ces points à partir de la confrontation entre le sénateur stoïcien Helvidius Priscus et l’empereur Vespasien. Le problème de l’intégrité du sage est ainsi lié à la question ambiguë de savoir si le philosophe encourage (ou doit encourager) la résistance au roi : Il savait bien aussi cela Helvidius Priscus, et il agit en conséquence. Vespasien lui fit ordonner de ne pas assister à une séance du Sénat. Et lui de répondre : « Il dépend de toi de ne pas me compter parmi les sénateurs, mais tant que je le suis, je dois siéger ». – « Eh bien, siège, mais ne parle pas ». – « Ne m’interroge pas et je me tairai ». – « Mais je dois t’interroger ». – « Et moi je dois répondre ce qui me paraît juste ». – « Si tu réponds, je te ferai mettre à mort ». – « Quand donc t’ai-je dit que j’étais immortel ? Pour toi, tu rempliras ton rôle et moi le mien. A  toi de me mettre à mort. A moi de mourir sans trembler. A toi de m’exiler. A moi de partir sans m’affliger ». A quoi donc a servi Priscus dans son isolement ? Et à quoi le laticlave sert-il à la tunique ? Que fait-il d’autre sinon de briller sur elle comme laticlave et d’offrir ainsi un beau modèle (καλὸν παρά δειγµα) à tout le reste ? Un autre, si César en de pareilles circonstances lui eût demandé de s’abstenir d’aller au Sénat, aurait répondu  :  «  Je te remercie de m’épargner ». Mais un tel homme, César ne l’aurait même pas empêché de siéger, car il se serait bien rendu compte ou qu’il demeurerait aussi inerte qu’une cruche, ou que, s’il parlait, il le ferait exactement suivant ce qu’il savait être le désir de César et aurait encore renchéri213. 209 210 211 212 213

P. Hadot, La citadelle intérieure, p. 132–133. Ibid., p. 137. Entretiens, i, 2, 18, trad. J. Souilhé. Voir aussi Tacite, Ann., xvi, 26, pour l’idée que Thrasea était l’ornement du Sénat. Selon la lex Ovinia, datée entre 339 et 312, les censeurs devaient choisir parmi les sénateurs les meilleurs citoyens (Festus, 290 L). Entretiens, i, 2, 19–24, trad. J. Souilhé. Sur le devoir de participation du sénateur et sur les procédures d’interrogation et de réponse en jeu dans ce passage, voir les commentaires de R. J. A. Talbert, The Senate of imperial Rome, Princeton, 1984, p. 93, 251–253.

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Helvidius Priscus a rempli et son rôle de sénateur, en siégeant et en répondant au princeps, et son rôle de sage en répondant ce qui lui paraissait être juste ; la dignitas du sénateur rejoignant ici la perfection morale du sage, il apparaît comme «  un beau modèle  » pour les hommes. L’exemple d’Helvidius n’a pas qu’une dimension morale, il semble difficile de le dissocier d’une portée politique qui lui était intrinsèque. Dans le contexte de l’arrivée au pouvoir de Vespasien et de la redéfinition des rapports entre le Sénat et l’empereur, Helvidius a cherché, en se confrontant à ce dernier entre la fin 69 et 71 (non sans insolence, selon Dion Cassius et Suétone214), à défendre l’auctoritas des sénateurs, notamment en matière de finances publiques et de religion, et à s’opposer à la mise en place par Vespasien d’une autocratie. L’enjeu de ses interventions était d’autant plus considérable qu’elles ont eu lieu au moment où Vespasien a voulu imposer au Sénat la succession héréditaire de son pouvoir et donc la mise en place d’une nouvelle dynastie impériale, qui ressemblait un peu plus à une royauté215. Dion Cassius introduit d’ailleurs un argument «  constitutionnel  » dans la position d’Helvidius Priscus, en le présentant comme l’adversaire de la basileia et le défenseur de la demokratia. Tout le problème est le sens que l’on doit donner au terme de démocratie qui, au deuxième siècle, commence à être concilié avec l’Empire romain, quand il désigne un gouvernement modéré, laissant la place à la liberté d’expression (parrhèsia) et à l’égalité (isotès), géométrique bien sûr216. Cette présentation semble anachronique, plutôt propre à l’époque de l’historien bithynien. Ni Tacite ni Suétone n’attribuent à Helvidius de vision politique théorique, qui serait exprimée sous la forme classique d’un débat entre différents régimes. Mais Tacite le décrit comme l’un des plus fervents partisans d’un Sénat fort, doté d’un rôle actif dans le gouvernement de l’Empire, et Suétone affirme qu’il ne reconnaissait pas le rang prééminent du princeps217. 214 215

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Suétone, Ves., 15, 2 ; Dion Cassius, lxvi, 12. Tacite, Hist., iv, 5–9, évoque la tentative d’Helvidius, préteur désigné à la fin de 69, de faire voter les sénateurs au sujet de restrictions budgétaires et de faire financer publiquement la réfection du temple de Jupiter Capitolin (voir D. Wardle, « Vespasian, Helvidius Priscus and the Restoration of the Capitol », Historia, 45, 1996, p. 208–222), ainsi que sa volonté de faire jouer aux sénateurs un rôle actif de conseillers. Suétone, Ves., 15, souligne surtout la familiarité avec laquelle Helvidius traitait Vespasien, comme si celui-ci était un priuatus. Dion Cassius, lxvi, 12, lie l’insolence du Stoïcien à l’égard du prince à une tentative de s’opposer à la reconnaissance des fils de Vespasien comme héritiers politiques (mais le passage est obscur). Voir infra, c. 5. Selon Tacite, Hist., iv, 4, Helvidius Priscus a commencé par faire au Sénat l’éloge sincère du bon prince ; il se fait ensuite l’avocat du rôle fort, traditionnel, du Sénat, § 5–9 ; au § 43, Helvidius fait partie des sénateurs qui réclament le châtiment des délateurs sous Néron et apparaissent de même comme les partisans d’un Sénat fort  ; son adversaire Eprius

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Dion Cassius – qui a d’Helvidius la vision la plus critique, en raison de son attitude outrageante envers le prince, qu’il juge déplacée – a mis le sénateur stoïcien en relation avec les Cyniques et leurs activités d’agitateurs, ce qui correspond peut-être à la version que les partisans des Flaviens ont diffusée218. Dans La vie d’Agricola écrite en 98, Tacite a élaboré un modèle d’aristocrate plaçant son énergie et sa vigueur au service de la res publica, caractérisé par la moderatio/modestia et par l’obéissance (obsequium), par opposition à l’insolence (contumacia) et à la vaine revendication de la liberté (inanis iactatio libertatis) des « opposants stoïciens », dont la mort orgueilleuse était inutile à l’intérêt commun219. Epictète réhabilite au contraire la figure d’Helvidius qu’il présente en très digne martyr d’un pouvoir absolu, et il répond à la critique, sans doute répandue, que l’on trouve chez Tacite : selon lui, l’utilité du comportement d’Helvidius réside précisément dans son caractère à la fois exceptionnel et exemplaire, qui justifie plus largement, d’un point de vue social, l’aristocratie sénatoriale. Ce qui surprend est l’idée que Vespasien était dans son rôle d’empereur en exerçant la contrainte et en dispensant l’exil et la mort à l’un de ses sujets. Fautil y voir une référence au pouvoir de Vespasien issu de la lex de imperio Vespasiani dont la teneur est toujours débattue ? On a supposé que Vespasien possédait des pouvoirs plus étendus que ses prédécesseurs julio-claudiens220. Ce qui est sûr est que cette loi définit les limites institutionnelles de la libertas sénatoriale, contrainte par les prérogatives impériales : même si celles-ci se sont mises en place à partir d’Auguste, et très progressivement dans le cas du premier princeps, elles étaient fixées ici dans une seule loi. L’empereur est loin, dans le

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Marcellus – le délateur de Thrasea – lui rétorque : Imus, inquit, Prisce, et relinquimus tibi senatum tuum : regna praesente Caesare, « Nous partons, Priscus, dit-il, et nous te laissons ton sénat : règne en présence de César », trad. H. Le Bonniec ; Suétone, Ves., 15, 2, laisse entendre que, par ses outrages, Helvidius Priscus déniait à Vespasien son statut de princeps. Dion Cassius, lxvi, 13. Tacite, Ag., 42, 5–6, voir infra, c.  3. Si, chez les philosophes stoïciens du Haut-Empire comme Sénèque et Epictète, le suicide est l’acte noble et rationnel du sage, les poètes épiques flaviens en ont livré au contraire “a distorted and grim vision of conviction and madness” : D. T. McGuire, Acts of Silence. Civil War, Tyranny, and Suicide in the Flavian Epics, Hildesheim, Zürich, New York, 1997, p. 185–229 sur le suicide, part. p. 228 pour la citation. Voir notamment P. A. Brunt, « Lex de imperio Vespasiani », jrs, 67, 1977, p. 95–116 ; F. Hurlet, « La lex de imperio Vespasiani et la législation augustéenne », Latomus, 52, 1993, p. 261– 280 ; M. Pani, « Costituzionalismo antico : la lex de imperio Vespasiani », dans M. Pani (éd.), Storia romana e storia moderna. Fasi in prospettiva, Bari, 2005, p. 101–114 ; L. Capogrossi Colognesi, E. Tassi Scandone (éd.), La lex de imperio Vespasiani e la Roma dei Flavi, Roma, 2009.

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texte des Entretiens, de l’image du prince-magistrat, son « rôle » est celui d’un monarque absolu. Vespasien n’apparaît pas comme une figure de tyran dans l’historiographie antique, mais il en est fort proche chez Epictète : car selon celui-ci, le roi ne doit pas avoir le pouvoir de commander aux jugements des autres, c’est la limite de son pouvoir – dont Vespasien ne se contente pas221. Le prosopon du sage et celui de César paraissent ainsi incompatibles dans une situation de confrontation sociale, politique et morale222. Les Entretiens font aussi apparaître un élément significatif lié à la figure de César : le parallélisme entre celui-ci et un dieu, en général Zeus, dispensateur des biens et des maux223. Ce parallélisme ne caractérise jamais les figures du roi et du tyran, il est propre à celle de l’empereur romain et renvoie à deux aspects du principat. Le premier est le culte impérial, dont Epictète propose une explication psychologique qui renvoie son existence à une erreur de raisonnement : En vérité, nul ne redoute la personne même de César, mais la mort, l’exil, la confiscation des biens, la prison, la privation des droits. Ce n’est pas non plus César que l’on aime, à moins qu’il ne soit grandement digne d’estime, mais c’est la richesse que nous aimons, le tribunat, la préture, le consulat. Dès lors que nous aimons, haïssons, redoutons ces différentes choses, il est fatal que ceux qui ont pouvoir sur elles soient nos maîtres. De là vient encore que nous les adorons comme des dieux, car nous estimons que ce qui a le pouvoir de conférer les plus grands avantages est divin. Et alors, nous posons, à tort, cette mineure  :  or cet homme a le pouvoir de conférer les plus grands avantages. Forcément, la conclusion doit être fausse224. 221 222

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Voir Entretiens, i, 29, 11. Pour une interprétation différente de ce passage, voir T. Bénatouïl, Les Stoïciens iii, Musonius, Épictète, Marc Aurèle, Paris, 2009, p. 88–89 : « En assumant rigoureusement son rôle de sénateur (défini par des lois et des procédures), Priscus fait obstacle à l’abus de pouvoir et oblige l’empereur soit à y renoncer, soit à surmonter l’obstacle de manière illégale voire violente, ce qui fera éclater son injustice aux yeux de tous. Priscus semble toutefois admettre que l’empereur serait dans son rôle en faisant exécuter un bon sénateur. Ces propos prêtés à Priscus, on peut les lire comme appelant respectueusement l’empereur à ne pas abuser de son pouvoir, en lui montrant et en l’obligeant ainsi à assumer les conséquences tyranniques de ses exigences ; mais aussi comme l’expression d’un refus d’Epictète de s’aventurer sur le terrain de la critique politique et de la dénonciation de l’injustice du pouvoir, pour se contenter d’une interprétation éthique de la résistance du sénateur ». Entretiens, i, 3, 2 ; i, 9, 7 ; i, 29, 61 ; iii, 13, 9–12 ; iii, 22, 55–56 ; iii, 24, 117 ; iv, 1, 60–61. Entretiens, iv, 1, 60–61, trad. J. Souilhé.

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L’attitude distante à l’égard du culte impérial était habituelle chez les intellectuels grecs du Haut-Empire, comme l’a montré G. W. Bowersock225. Le jugement d’Epictète se démarque néanmoins par son caractère radical. Le second aspect est le rapprochement entre l’image de César et celle de Jupiter226. Celui-ci faisait déjà partie, de manière discrète, du principat mis en place par Auguste227. Il a été particulièrement exploité par Domitien. Au moment où Arrien assiste aux cours d’Epictète, il était encore davantage développé, mais de manière plus nuancée, par Trajan228. Or, dans les Entretiens, Epictète s’efforce de dissocier la figure de Zeus et celle de César, et montre la supériorité des biens dispensés par le dieu : il oppose par exemple la paix que celui-ci donne au moyen de la raison à la paix de César, la sécurité publique229. Le philosophe rappelle également qu’il tient sa charge de Zeus, et non de César230. Au total, les Entretiens font apparaître une vision négative du pouvoir monarchique, mais qui est constituée d’éléments épars dans les diatribes : à moins de les rassembler, on ignorera la cohérence et le caractère critique du jugement d’Epictète. Celui-ci semble avoir été profondément marqué par les exécutions des « sénateurs stoïciens » et par les expulsions des philosophes sous Néron, Vespasien et Domitien. Il est donc assez logique qu’on ne trouve pas de théorisation du bon roi dans ses leçons : Epictète s’est soucié d’éduquer les élites de son temps, mais pas l’empereur. Il a aussi renoncé à l’idéal platonicien du philosophe-roi, qui lui paraissait incompatible avec le principat. Le point fondamental sur lequel achoppe son approche du principat est celui de la liberté : pour le Stoïcien, celle-ci ne peut être qu’absolue231. Epictète pouvait alors difficilement se satisfaire de l’association entre principat et liberté,

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G. W.  Bowersock, «  Greek Intellectuals and the Imperial Cult in the Second Century A. D. », dans W. den Boer (éd.), Le culte des souverains dans l’Empire romain, Vandœuvres, Genève, 1973, p. 177–212. Voir Entretiens, i, 29, 61, où ce rapprochement, associé au pouvoir de châtier et de récompenser, contribue à faire redouter César : « amène-moi César sans tout cela [la mort et la vie, le plaisir et la peine] et tu verras comme je suis tranquille. Mais quand il arrive avec cela, tonnant et fulminant, si je me laisse effrayer par tout cela, que fais-je d’autre sinon, comme l’esclave, reconnaître mon maître ? », trad. J. Souilhé. Suétone, Aug., 94 ; sur le développement de la « théologie jovienne du pouvoir », voir J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 189–252. Voir infra, c. 3. Entretiens, iii, 13, 9–12. Entretiens, iii, 22, 55–56 ; iii, 24, 117. Le bon roi qu’est le dieu ne s’est réservé aucun pouvoir susceptible de contraindre ou de gêner nos facultés de représentation, Entretiens, i, 6, 40, 4.

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entre bonheur et sécurité publique, qui était mise en avant sous les premiers Antonins232. Sa position montre donc que vers 108 – époque à laquelle Arrien était son disciple  –, soit quelques années après le premier discours Sur la royauté de Dion et après la publication du Panégyrique de Pline, l’idée ou la possibilité de construire un portrait du bon roi qui convienne à l’empereur était loin d’être évidente pour tous les philosophes. Musonius Rufus n’a pas non plus, d’après la Diatribe viii, adapté le portrait du bon roi grec au principat romain. Il semble que la construction d’une réflexion politique sur la royauté directement tournée vers le pouvoir impérial n’ait pas été le fait des deux philosophes les plus marquants de leur temps, probablement parce qu’ils ont personnellement fait l’épreuve, à Rome, des confrontations entre les philosophes et sénateurs défendant la libertas et l’empereur au dessus de la libertas sous les règnes de Néron et des Flaviens. La principale voie qui a permis une certaine adaptation semble avoir été celle de la rhétorique épidictique et politique, qui a développé un type de communication symbolique propre à protéger ceux qui voulaient jouer le rôle de conseiller du prince.

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Tacite, Ag., 3. Voir aussi Pline, Pan., 66, 4 : Iubes esse liberos : erimus ; iubes, quae sentimus promere in medium : proferemus, « Tu nous ordonnes d’être libres ; nous le serons ; tu nous ordonnes de manifester nos sentiments ; nous les manifesterons », trad. M. Durry, voir infra, c. 3.

Chapter 3

Communication symbolique et nouveaux modèles politiques pour les premiers Antonins « Suivez la route oblique, elle vous conduira plus sûrement au but. Sachez dire la vérité avec adresse et à propos ; et si vos efforts ne peuvent servir à effectuer le bien, qu’ils servent du moins à diminuer l’intensité du mal : car tout ne sera bon et parfait que lorsque les hommes seront eux-mêmes bons et parfaits. Et, avant cela, des siècles passeront ». thomas more, l’utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement, i, 1516, trad. v. stouvenel

∵ La mise en place de la dynastie établie par Nerva s’est accompagnée d’un renouveau de la réflexion intellectuelle sur la figure du bon prince, et d’une redéfinition des relations entre pouvoir et élites. Une réflexion sur le bon prince apparaît en effet chez tous les grands intellectuels de la fin du premier siècle, hommes de lettres, philosophes et historiens, qu’ils fassent partie de l’aristocratie romaine  – Pline, Tacite et Suétone  – ou de l’élite civique grecque – Plutarque de Chéronée et Dion de Pruse qui est, chez Philostrate, le précurseur de la Seconde Sophistique qui se développe aux iie et iiie siècles, dont les représentants étaient de brillants professionnels de la parole, définis par G. W. Bowersock comme des médiateurs culturels et politiques entre le monde des cités grecques et le pouvoir central1. Dion se fait, dans le troisième

1 G. W. Bowersock, Greek Sophists, p. 16–29, 43–58. Voir A. Momigliano, « Dio Chrysostomus », in id., Quarto contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, Roma, 1969, p. 257– 269. L’importance de ce moment a été soulignée par J. Béranger, « La notion du principat sous Trajan et Hadrien », dans Les empereurs romains d’Espagne, Paris, 1965, p. 27–40, part. p. 29 : « Si jamais il a existé une notion de principat, c’est-à-dire la représentation mentale du but et des méthodes d’un gouvernement romain, c’est bien à ce moment-là qu’il faut la chercher. Ce qui auparavant résultait de l’expérience devenait réalisation d’une idée, elle-même issue de l’expérience ».

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_005

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discours Sur la royauté dont la date est discutée, le défenseur d’une participation des provinciaux à la gestion de l’Empire, et ce discours reflète sans doute une réalité institutionnelle qui est l’ouverture du Sénat aux élites orientales2. Néanmoins, ni lui ni Plutarque n’ont effectué de cursus honorum3  :  il faut attendre deux autres générations pour avoir des exemples d’écrivains ou de sophistes grecs, tels Arrien né vers 90 ou Hérode Atticus né en 101, ayant allié une carrière littéraire et une double carrière politique, à la fois locale et romaine. Dion et Plutarque ont entretenu des liens d’amitié (au sens antique du terme) avec des membres de la noblesse romaine proches du pouvoir impérial4, et leur œuvre les montre bien conscients de la dimension « universelle », décrite en termes d’oikoumène ou de kosmos, de l’Empire romain. Il ressort néanmoins clairement de ceux de leurs ouvrages qui sont dotés d’une dimension plus strictement politique que le principal cadre envisagé reste celui de la cité/patrie. Rien n’indique de manière flagrante qu’ils ont voulu devenir plus que des pédagogues, ou des guides pour l’empereur, dans une perspective

2 Dion, Or. iii, 129–130 ; sur la datation de ce discours, qui oscille entre le règne de Domitien, celui de Nerva et celui de Trajan, voir J. L. Moles, “The Addressee of the Third Kingship Oration of Dio Chrysostom”, Prometheus, 10, 1984, p. 65–69 ; A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 12–13 ; P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore : riflessioni sulla regalita  », dans G.  Vagnone, P.  Desideri (éd.), Orazioni 1, 2, 3, 4 (« Sulla regalità »), orazione 62 (« Sulla regalità e sulla tirannide »), Roma, 2012, p. 7–21, part. p. 10. L’ouverture du Sénat aux Orientaux est attestée sous le règne de Trajan, et peut-être déjà sous celui de Domitien : H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil, p. 71–81 ; id., Epigrafia e ordine senatorio, ii, Roma, 1982, p. 583–683 ; W. Eck, « Emperor, Senate, and Magistrates », cah, xi, 20002, p. 214–237, part. p. 219. Deux des premiers orientaux à devenir sénateurs étaient des amis de Plutarque, C. Julius Eurycles Herculanos de Sparte et Philopappos de Commagène. 3 D’après la Souda, P 1793, Plutarque avait reçu de Trajan les insignes consulaires, peut-être grâce à ses éminents protecteurs romains  ; selon Georges le Syncelle (p.  659 Dindorf  ; p.  426, 22–23 Mosshammer), l’empereur Hadrien l’aurait nommé procurateur de la province d’Achaïe en 119–120, ce qui peut sembler étonnant au regard de l’âge avancé qu’avait alors Plutarque, né en 46  ; cette affirmation repose plus vraisemblablement sur le désir de montrer que l’empereur philhellène, en sage, utilisait des philosophes dans l’administration de son Empire ; voir S. Swain, « Plutarch, Hadrian, and Delphi », Historia, 40, 1991, p. 318–330. 4 Sans doute Flavius Sabinus, gendre de Titus et cousin de Domitien, pour Dion (voir P. Desideri, Dione di Prusa, p.  188–189). On connaît mieux les amis et protecteurs de Plutarque, parmi lesquels on peut mentionner L. Mestrius Florus (pir2 M 531), proche de Vespasien, Q. Junius Arulenus Rusticus (pir2 I 559), l’un des « opposants stoïciens » condamnés à mort par Domitien, T. Avidius Quietus (pir2 A 1410), un ami de Thrasea, et Q. Sosius Senecio (pir2 S 777)  qui fut trois fois consul sous Trajan  :  voir B.  Puech, «  Prosopographie des amis de Plutarque », p. 4841, 4855–4856, 4860, 4883.

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morale et politique large, ni qu’ils aient sollicité une place d’amicus au sein du conseil impérial5. Au sein de cette production d’écrits qui contiennent une réflexion sur la figure impériale, on s’intéressera en particulier à deux miroirs au prince qui ont été adressés à Trajan vers 100, le Panégyrique de Pline et le premier discours Sur la royauté de Dion. Souvent rapprochés6, ces deux textes sont généralement présentés dans les manuels comme l’expression de la nouvelle idéologie trajane, en latin et dans une « traduction » grecque. On insistera au contraire sur leur différence de sens. Ils sont révélateurs d’une nouvelle forme de communication qui s’instaure entre l’empereur et les élites socio-culturelles après la « crise » domitienne, mais ils ne sauraient montrer la prévalence d’un modèle consensuel de l’optimus princeps a diis electus, qui aurait été utilisé par les élites romaines et helléniques pour désigner Trajan et légitimer son règne. Les dissensions entre le tableau idéalisé par Pline et les pratiques du pouvoir trajanes ont été déjà bien montrées7, mais on peut se demander, pour prolonger cette réflexion, dans quelle mesure le philhellène Hadrien n’a pas été tenté d’incarner un princeps optimus, dans d’autres dimensions que celles du militaire. 5 La question est très débattue : je partage l’opinion exprimée par C. P. Jones, The Roman World, p. 115–119, selon laquelle Dion ne demande pas dans le premier discours Sur la royauté une place d’amicus auprès de Trajan (A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 33–36 ; voir aussi S. Fein, Die Beziehungen der Kaiser Trajan und Hadrian zu den Litterati, Stuttgart, 1994, p. 233–236 ; H. Sidebottom, “Dio of Prusa and The Flavian Dynasty”, cq, 46, 2, 1996, p. 447–456, part. p. 454, n. 62) ; contra F. Millar, The Emperor, p. 114 ; J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, dans F. Cairns, M. Heath (éd.), Papers of the Leeds International Latin Seminar, 6, Leeds, 1990, p. 297–375, part. p. 332 ; id., « Dio und Trajan », dans K. Piepenbrink (éd.), Philosophie und Lebenswelt in der Antike, Darmstadt, 2003, p.  187–207  ; P.  Veyne, L’Empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 241 ; A. M. Milazzo, Dimensione retorica e realtà politica, p. 80–81 ; P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore », p. 15. La proximité de Plutarque par rapport à Trajan et Hadrien a également été discutée  ; G.  Zecchini, “Plutarch as Political Theorist and Trajan : Some Reflections”, dans P. A. Stadter, L. Van der Stockt (éd.), Sage and Emperor : Plutarch, Greek Intellectuals, and Roman Power in the Time of Trajan (98–117 A.D.), Louvain, 2002, p. 191–200, défend l’idée qu’il a voulu devenir l’amicus de Trajan mais que celui-ci a rejeté sa proposition. Mais là encore, si l’on accepte l’attribution des Apophtegmata à Plutarque, ainsi que la dédicace à Trajan, les deux ne prouvent rien d’autre que la volonté, de la part du philosophe grec, de jouer un rôle dans l’éducation morale et politique du prince, de lui indiquer des directions de gouvernement issues de l’expérience et de la culture grecques de la royauté. 6 Voir notamment F. Trisoglio, « Le idee politiche di Plinio il Giovane e di Dione Crisostomo », Ppol, 5, 1972, p. 3–43 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 350–357. 7 Voir, entre autres, M. Fell, Optimus princeps ? Anspruch und Wirklichkeit der imperialen Programmatik Kaiser Trajans, Münich, 1992  ; J.  Bennett, Trajan Optimus Princeps. A Life and Times, London, New York, 1997, part. p. 205–213.

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Chapter 3

Redéfinir un modèle du pouvoir impérial

Après l’assassinat de Domitien qui, comme celui de Néron, marque la fin d’une dynastie, la redéfinition du pouvoir impérial à l’œuvre dans les sources littéraires de la fin du ier siècle s’opère par rapport à deux principaux référents politiques : celui de Domitien, le mauvais prince, et celui de Galba, qui pose la question du bon prince, et qui est en tout cas jugé malhabile et mal entouré. a Domitien, l’anti-modèle Le jour même de l’assassinat de Domitien, Nerva fut proclamé par les sénateurs pour lui succéder et ce choix semble avoir été, essentiellement, celui du Sénat8. Aussitôt après, les sénateurs prirent également la décision de condamner la mémoire de Domitien, alors que les milieux militaires étaient favorables à sa divinisation9. Cette décision officielle est exceptionnelle dans les deux premiers siècles du principat, même si elle avait un précédent – non officiel – assez récent : en 69, Vespasien avait déjà fait apparaître son adversaire Vitellius comme un tyran nuisant à la res publica10. Elle obligeait Nerva à se démarquer par rapport à Domitien dès le début de son règne, de même que Trajan qui succéda rapidement à son père adoptif, à la fin de janvier 98. Cette prise de distance était un point délicat, car l’étude des inscriptions contenant la titulature de Domitien montre qu’il n’y a pas eu de martelage systématique en Italie et dans les provinces, où les milieux locaux n’éprouvaient pas une aversion aussi violente que le Sénat pour le dernier des Flaviens11. Le Panégyrique de Pline fait apparaître clairement que, dans les premières années du iie siècle de notre ère, Domitien était présenté, dans le milieu sénatorial, comme un tyran caractérisé par sa superbia, son orgueil ; cette représentation a été encouragée par Trajan, notamment dans le discours qu’il a prononcé le 1er janvier 100, au début de son troisième consulat12. Elle entraîne la nécessité de redéfinir non seulement un modèle différent de princeps, mais 8 9 10 11

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Voir les Fastes d’Ostie pour octobre 96 (cil xiv 244 etc.) ; C. L. Murison, « M. Cocceius Nerva and the Flavians », TAPhA, 133, 2003, p. 147–157, part. p. 153 ; J. D. Grainger, Nerva and the Roman Succession Crisis of ad 96–99, London, 2003, p. 4–27. Suétone, Dom., 23, 1–2. Flavius Josèphe, bj, iv, 688-604 ; Tacite, Hist., ii, 76, 5 ; Suétone, Ves., 6, 7. J. D. Grainger, Nerva, p. 49–51, d’après A. Martin, La titulature épigraphique de Domitien, Frankfurt-am-Main, 1987 ; voir depuis A. Martin, « La condamnation de la mémoire de Domitien : état de la question », dans S. Benoist (éd., avec la coll. d’A. Daguet-Gagey), Mémoire et histoire. Les procédures de condamnation dans l’Antiquité romaine, Metz, 2007, p. 59–72. Pline, Pan., 67, 3.

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aussi des modèles de relations que le princeps doit entretenir avec le Sénat, avec l’armée et avec Jupiter ; ce sont trois éléments essentiels dans le portrait de l’optimus princeps selon le Panégyrique de Pline. Avec le Sénat, parce que les relations entre Domitien et cette institution avaient été tendues13, et avec l’armée, inversement, parce que celle-ci appréciait le dernier des Flaviens. Avec Jupiter également parce que Domitien avait revendiqué une protection spéciale du dieu dès le début du règne de son père Vespasien : en décembre 69, lorsque les Vitelliens assaillirent les partisans de Vespasien réfugiés sur le Capitole, Domitien parvint à se cacher chez le gardien d’un temple. Quant son père devint empereur, il fit construire sur cet emplacement un sacellum dédié à Jupiter Conseruator, qui contenait un autel sur lequel étaient sculptés ces événements. Une fois empereur, peut-être en 86 d’après les monnaies, il dédia sur la colline capitoline un temple plus grand à Jupiter Custos, à l’intérieur duquel il consacra son effigie entre les bras du dieu14. Au début de son règne et jusqu’en 86 a été frappé à Rome un monnayage impérial en argent montrant sur le revers un aigle debout sur le foudre avec la légende IUPPITER CONSERVATOR, et un monnayage en bronze dont le revers représente Jupiter debout, tenant le foudre et le sceptre, avec la dédicace IOVI CONSERVAT. S. C. ou bien IOVI CONSERVATORI S. C.15. En 86 est apparu un sesterce portant, au revers, la légende IUPPITER CVSTOS S. C., et figurant Jupiter assis, tenant le foudre et le sceptre16. Après les premières victoires de Domitien contre les Parthes est apparu un type monétaire représentant l’empereur avec la foudre de Jupiter, couronné par la Victoire17. 13 14 15 16 17

B. W.  Jones, Domitian and the Senatorial Order. A Prosopographical Study of Domitian’s Relationship with the Senate, A.D. 81–96, Philadelphia, 1979, p. 180–182. Tacite, Hist., iii, 74, 1. ric ii2 Domitien 143–144 (aureus et denier, 82–83), 218–220, 302, 381, 490–491 (asses datés entre 84 et 86). ric ii2 Domitien 467. Ensuite, et jusqu’à la fin du règne de Domitien, ce type est remplacé par des sesterces dont la légende, au revers, mentionne Jupiter Victor, qui sont apparus en 85, ce qui correspond au début de la campagne dacique menée par Domitien. bmc ii, p. 372 n. *, p. 381 n° 381, p. 386, n° 396, p. 389 n° 410, p. 399 n° 443, p. 403 nos 465–466, p. 406 n° 476 ; voir State, Silv., iv, 7, 49–50, « la foudre irrésistible de l’invincible César », trad. H.-J. Izaac. Auguste avait aussi été représenté avec le foudre de Jupiter, mais après sa mort, sur des monnaies de Rome datées du règne de Tibère : ric i2 Tibère 70–73, pl. 12. 72. Sur les statues représentant Domitien en Jupiter, voir C. Maderna, Iuppiter, Diomedes und Merkur als Vorbilder für römische Bildnisstatuen. Untersuchungen zum römischen statuarischen Idealporträt, Heidelberg, 1988, p. 19, 26, 160, 170, qui analyse aussi celles des autres empereurs, p. 18–55, 156–196. Voir E. Rosso, « Dieux à visages d’empereurs, ou empereurs dotés d’attributs divins  ? Les représentations impériales “théomorphes”», dans F. Gherchanoc, V. Huet (dir.), De la théâtralité du corps au corps des dieux, Brest, 2014, p. 217–260, part. p. 226–231, sur les statues d’Auguste en Jupiter ; p. 253–259, sur

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L’assassinat de Domitien pouvait ainsi facilement être interprété comme la preuve que le dieu lui avait retiré sa protection, ou bien l’avait puni, parce qu’il était devenu un mauvais prince. De fait, on trouve ce schéma explicatif aussi bien dans le Panégyrique de Pline que dans le premier discours Sur la royauté de Dion18. Il repose sur le topos, grec à l’origine, du tyran coupable de démesure, l’hubris dont on peut rapprocher la superbia du mauvais prince chez Pline, et châtié par les dieux pour avoir voulu rivaliser avec eux19. Les sources littéraires grecques et latines suggèrent que Domitien a cherché à mettre en place à Rome une royauté de type divin, en organisant des sacrifices pour sa statue équestre géante située sur le Forum romain et en présidant les concours capitolins de manière à montrer qu’il se plaçait sur un plan à peine inférieur à celui de la triade capitoline20. Il se serait aussi fait appeler « maître et dieu », mais probablement pas de manière officielle21. Cette formule lie, en tout cas,

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Domitien. Voir aussi J. R. Fears, “The Cult of Jupiter and Roman Imperial Ideology”, anrw, ii, 17, 1, 1981, Berlin, New York, p. 7–141, part. p. 77–80. Sur le tyran Domitien chez Dion, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 331 ; voir aussi Dion, Or. i, 44–46, où le roi qui outrage et déshonore Zeus, qui lui a fait cadeau de la royauté, a précisément pour châtiment d’avoir une mémoire avilie. Voir Pline, Pan., 67, 5 : « Par une entente avec les dieux, sur ta propre initiative, César, la république leur a demandé d’assurer ta vie et ta sauvegarde, si tu assurais celles des autres ; si non, eux aussi détourneraient de ta tête leurs regards qui la protégeaient et t’abandonneraient aux vœux qu’on ne forme point ouvertement », trad. M. Durry. Cette analyse est aussi à l’œuvre chez Philon, Ambassade à Caius, 76–114, 218. Cette statue équestre a été décrite par Stace, Silv., i, 1 ; voir Pline, Pan., 52, 7, avec une mise en parallèle entre le culte impérial de Trajan, qui entretient les bonnes relations avec Jupiter, et celui, perverti, qui était rendu à Domitien, les honneurs dus aux dieux étant détournés pour un homme vivant (D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods. Images from the Time of Trajan, Minneapolis, 1993, p. 58) ; cf. Plutarque, A un chef mal éduqué, 780 F-781 A : « La divinité se courrouce contre ceux qui copient ses tonnerres, ses foudres, les rayons qu’elle lance. Mais pour ceux qui cherchent à imiter sa vertu, à se modeler sur sa perfection et son amour des hommes, elle y prend plaisir, elle les élève et leur fait part de son équité, de sa justice, de sa vérité, de sa douceur », trad. M. Durry. Sur la célébration des premiers concours capitolins en 86, voir Suétone, Dom., 4 : « Il le présida, chaussé de sandales, vêtu d’une toge de pourpre de façon grecque, la tête ceinte d’une couronne d’or portant les effigies de Jupiter, de Junon et de Minerve, ayant à ses côtés le flamine de Jupiter et le collège des prêtres flaviens, vêtus comme lui, si ce n’est que leurs couronnes portaient en outre sa propre image », trad. H. Ailloud. Voir aussi Martial, viii, 70 ; ix, 26 ; x, 6, 7, 34, 72 ; xi, 4, 5, 7. Dion de Pruse, Or. xlv, 1 ; Suétone, Dom., 13, 4–5 ; Dion Cassius, lxvii, 4, 7 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 11, 2 ; Epitome de Caesaribus, 11, 6. Voir B. W. Jones, Domitian, p. 108–109, pour qui ces termes étaient sans doute employés par les flatteurs. Sur la conception du pouvoir des Flaviens, qui tendaient, depuis Vespasien à Alexandrie, à souligner la dimension charismatique et salvatrice du principat, voir L. Cracco Ruggini, « Imperatori romani e uomini divini (i-vi secolo d.C.)  », dans P.  Brown, L.  Cracco Ruggini, M.  Mazza (éd.),

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une autorité absolue pensée sur le modèle de celle du paterfamilias maître de maison à la nature divine de son détenteur. b La mémoire de Galba Galba constitue la seconde référence en raison du parallélisme que l’on pouvait tracer entre Nerva et lui, ne serait-ce que parce qu’ils étaient tous les deux, au moment de leur avènement, âgés et sans enfants, ce qui les faisait apparaître comme des empereurs de transition. Que Nerva et ses contemporains aient été conscients du parallèle paraît évident : le nouvel empereur avait vécu la crise de 68–69, sans qu’on sache quel rôle il y avait joué, mais il était suffisamment important pour parvenir au consulat ordinaire en 71. Le parallélisme avec Galba est d’ailleurs suggéré par le discours officiel des monnaies romaines sous Nerva : les types généraux, AEQUITAS AVG, FORTVNA AVGVST, FORTVNA PR, LIBERTAS PVBLICA, SALVS PVBLICA, PAX AVGVSTI, ROMA RENASCENS, avaient déjà été introduits dans le monnayage par Galba22. Ils constituent un discours similaire, assez général, qui met l’accent sur le retour à la liberté et à un nouvel âge d’or pour Rome. Le rapprochement est devenu plus évident pour les contemporains du fait que les deux empereurs ont eu des relations conflictuelles avec l’armée, Galba parce qu’il refusait notamment de distribuer les donatiua attendus après son avènement et après l’adoption de Pison23, et Nerva en raison de la popularité de Domitien auprès des armées. Son meurtre fut en effet suivi par des troubles dans les légions, en particulier sur le Danube24. A Rome, le vain refus de Nerva d’exécuter les meurtriers de Domitien, comme le lui demandaient les prétoriens, fit surgir une crise dangereuse, dont l’issue fut l’adoption de Trajan, à la tête de la puissante armée de Germanie25. C’est peut-être le souvenir de Galba qui a conduit Nerva à cette solution26, si du moins il a bien eu le choix de son successeur.

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Governanti e intellettuali - Popolo di Roma e popolo di Dio (i- vi secolo), Torino, 1982, p. 9–91, part. p. 12–15. ric ii Nerva 1, 4, 5, 7, 9, 20, 32, 66, 67. Tacite, Hist., i, 5, 2, au sujet de la seueritas de Galba à l’égard de l’armée : son refus de payer des donatiua était interprété comme de l’auaritia ; Hist., i, 18, 5–7 ; Plutarque, Galb., 2 ; 18 ; 22–23 ; Suétone, Gal., 16–17. Suétone, Dom., 23, 1 ; ils 2034 ; Philostrate, vs, i, 7, 2 ; M. A. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », dans A. Nünnerich-Asmus (éd.), Traian : ein Kaiser der Superlative am Beginn einer Umbruchzeit ?, Mayence, 2002, p. 23–40, part. p. 24 ; J. D. Grainger, Nerva, p. 31–36. Pline, Pan., 6, 1 ; Dion Cassius, lxviii, 3, 3 ; Epitome de Caesaribus, 12, 6–8 ; J. D. Grainger, Nerva, p. 94–96. J. Sella, «  Rupture dynastique et mémoire  », p.  31. Les récits de Tacite et de Plutarque insistent sur l’horreur et le caractère pitoyable de la mort de Galba (Hist., i, 41, 3 ; Galba,

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Le problème posé par l’indiscipline des armées est l’une des principales clefs de lecture de la Vie de Galba de Plutarque, dont on ignore la date précise de rédaction, ce qui est regrettable car ce texte semble être une réflexion sur le court règne de Galba en regard avec celui de Nerva. La figure de Galba n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Elle se rapproche globalement, chez le philosophe grec, du modèle du bon roi modéré, mais un bon roi trop faible, ayant échoué en raison de ses mauvaises relations avec une armée indisciplinée et des conseils nuisibles de son entourage  – le consul Titus Vinius, le préfet du prétoire Cornelius Laco, et Marcianus Icelius, affranchi de Galba devenu chevalier27. Les analyses de Tacite et de Suétone, plus critiques envers Galba, contiennent aussi ces deux éléments28. Tacite souligne la faiblesse du vieillard qu’il présente comme un prince dépourvu de vices plutôt que comme un sage, tout en reconnaissant qu’il avait cette réputation29. Les honneurs de Galba avaient en effet été restaurés officiellement par les Flaviens30, et la réputation de sagesse pourrait être comprise en référence aux liens de Galba avec les membres de

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27–29), qui est présentée par Tacite comme un événement honteux de l’histoire romaine. Sur l’image de Galba, voir aussi B. Cahut, Principat et République, p. 145–155, 173–182. Plutarque, Galb., 27, 29. Voir Dion Cassius, lxiii, 2. Sur la seueritas de Galba envers les soldats, voir Tacite, Hist., i, 5, 2 ; i, 18, 3 ; Suétone, Gal., 6–7, 12 ; Dion Cassius, lxiii, 3 ; sur l’influence de ses mauvais conseillers, Tacite, Hist., i, 13, 1 ; Suétone, Gal., 14 ; Dion Cassius, lxiii, 2. Voir M. Molin, « Seueritas, une valeur politique romaine en échec au iiie siècle », dans M.-H. Quet (dir.), La « crise » de l’Empire romain de Marc Aurèle à Constantin, Paris, 2006, p. 185–209. Tacite, Hist., i, 49, 2–4 : « Telle fut la fin de Servius Galba qui, en soixante-treize ans, avait traversé cinq principats, toujours favorisé de la fortune et plus heureux sous le règne d’autrui que sous le sien. Il tenait de sa famille une antique noblesse, une grande opulence ; d’ailleurs génie médiocre, exempt de vices plutôt que vertueux. Sans être indifférent à la renommée, il n’en faisait pas étalage ; ne convoitant pas le bien d’autrui, il était ménager du sien, avare des deniers publics ; avec ses amis et ses affranchis, quand il tombait sur d’honnêtes gens, il faisait preuve d’une indulgence excusable, mais quand ils étaient pervers, son aveuglement devenait coupable. Au reste, l’éclat de sa naissance et le malheur des temps lui servirent d’écran et firent passer son apathie pour de la sagesse. Dans la force de l’âge, il s’illustra par les armes dans les Germanies. Proconsul, il gouverna l’Afrique avec modération ; plus âgé, l’Espagne citérieure avec le même esprit de justice ; il paraissait supérieur à la condition privée tant qu’il fut homme privé et, de l’aveu unanime, digne de l’empire, s’il n’avait pas été empereur », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. Le jugement de Suétone sur Galba est parfois encore plus sévère (Gal., 9, 12), mais au final assez proche (Gal., 14). Tacite, Hist., iii, 7, 2 ; iv, 40, 1. Suétone, Gal., 23, mentionne le refus manifesté par Vespasien d’octroyer au défunt Galba un nouvel honneur considérable – une statue dressée sur une colonne rostrale au Forum –, ce qui peut s’expliquer par sa volonté de compromis et de conciliation générale, exprimée en 70.

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l’« opposition stoïcienne ». La différence de jugement entre Plutarque et Tacite peut être expliquée par leur position respective vis-à-vis de ces derniers31. Les réflexions sur le choix des amis du prince, membres de son consilium, et sur la nécessité d’un empereur ferme et populaire au sein de l’armée, se retrouvent aussi chez Dion de Pruse et dans le Panégyrique de Pline. Le premier thème paraît être récurrent au ier siècle, en tout cas à partir du règne de Caligula32, le second, absent dans le De Clementia de Sénèque, est devenu d’actualité après les guerres civiles de 68–69. Chez Plutarque, la tempérance, vertu traditionnelle du bon roi, ne suffit donc pas  :  la Vie de Galba reconnaît que la capacité à s’adapter au contexte politique, ainsi que la protection divine, sont nécessaires. Il faut souligner deux intéressants éléments de réflexion au sujet des vertus, qui sont communs à l’écrivain grec et à Tacite. Il s’agit d’une part de l’idée que les vertus princières ont évolué après le règne de Néron : l’« antique rigidité, la sévérité excessive » que Galba manifestait notamment envers les troupes était jugée en décalage avec les mœurs de son temps33. Le nouvel empereur semble avoir eu du mal à se situer par rapport à la figure de Néron, en particulier dans le domaine du decus, englobant tout ce qui convient au rang, au statut social, politique et moral d’un individu. Galba aurait d’abord continué à appliquer la simplicité et la modération qui le caractérisaient en tant que priuatus (bien qu’il fût l’un des plus riches citoyens de l’Empire), avant d’adopter dans ses réceptions le faste luxueux qui était devenu la marque du princeps et du cérémonial impérial sous le règne de Néron :

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Voir supra, c. 2. C’est un thème important chez Philon d’Alexandrie, Ambassade à Caius, 43–65 ; voir aussi Tacite, Hist., iv, 6, 6, sur le projet qu’aurait eu Helvidius Priscus de déléguer auprès du nouvel empereur Vespasien une sélection de sénateurs sages ; sha, Alex., 65, 5 : « C’est précisément ce qu’avait dit Homullus à Trajan  :  Domitien était foncièrement mauvais, mais il était entouré de bons conseillers », trad. C. Bertrand-Dagenbach (W. Mac Dermott, « Homullus and Trajan », Historia, 29, 1980, p. 114–119, a proposé d’identifier cet Homullus avec M. Iunius Homullus, consul suffect en 102). Tacite, Hist., i, 18, 3 : Nocuit antiquus rigor et nimia seueritas, cui iam pares non sumus. Voir aussi Hist., i, 5, 2 : « Sa sévérité, jadis louée et célébrée dans les camps par la renommée, alarmait des esprits qui rejetaient l’antique discipline, et que Néron, pendant quatorze ans, avait habitués à aimer les vices des princes autant qu’ils vénéraient jadis leurs vertus », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec ; Plutarque, Galb., 3 : Τὸ δὲ εὔκολον αὐτοῦ τῆς διαίτης καὶ φειδωλὸν ἐν δαπάναις καὶ ἀπέριττον αἰτίαν ἔσχεν αὐτοκράτορος γενοµένου µικρολ ογίας, ἣν ἕωλόν τινα δόξαν εὐταξίας ἔφερε καὶ σωφροσύνης, « Mais la simplicité de son train de vie, son esprit d’économie et sa modération dans les dépenses le firent accuser de mesquinerie quand il fut devenu empereur, la réputation d’ordre et de tempérance qu’il avait étant passées de mode », trad. R. Flacelière et E. Chambry.

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Les envoyés du Sénat rencontrèrent Galba à Narbonne, ville de Gaule ; ils le saluèrent et l’engagèrent à se montrer promptement au peuple, qui était impatient de le voir. Dans toutes les entrevues et les entretiens qu’il eut avec eux, il leur parla avec bonté et simplicité, et, lors des repas qu’il leur offrit, bien qu’il eût à sa disposition l’apparat impérial du service de table de Néron, que Nymphidius lui avait adressé, il n’en fit aucun usage et n’employa que ce qui lui appartenait en propre  :  il se faisait ainsi bien juger et apparaissait comme un homme plein de noblesse d’âme et au-dessus d’un luxe de mauvais goût (µεγαλόφρων ἀνὴρ καὶ κρείττων ἀπειροκαλίας). Mais bientôt Vinius l’amena à considérer cette magnanimité, ces manières simples et civiles comme étant de la démagogie et une délicatesse qui s’avouait incapable de grandeur (τὰ γενναῖα ταῦτα καὶ ἄτυφα καὶ πολιτικὰ δηµαγωγίαν Οὐίνιος ἀποφαίνων καὶ κοµψότητα µεγάλων ἀπαξιοῦσαν αὑτήν), et il le persuada de faire usage des richesses de Néron et de ne rien épargner pour étaler dans les réceptions la magnificence impériale (τῆς βασιλικῆς πολυτελείας). Finalement, le vieillard donna l’impression qu’il tomberait peu à peu sous la domination de Vinius34. D’autre part, comme ce passage le laisse déjà entrevoir, les vertus peuvent être mal interprétées, l’excessive seueritas de Galba passant pour de la cruauté et de l’avarice, notamment dans le discours polémique qu’Othon, après l’adoption de Pison, a tenu contre lui35. Un autre point qui permettait de rapprocher, mais aussi de distinguer Nerva et Galba, est celui de l’adoption d’un membre extérieur à la famille du prince. Après avoir appris les troubles qui agitaient l’armée en Germanie Supérieure, Galba avait tenté de rendre plus stable sa position de princeps en adoptant 34

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Plutarque, Galb., 11, trad. R. Flacelière et E. Chambry. Sur ce passage, voir aussi P. Cosme, L’année des quatre empereurs, p. 59–62, qui renvoie à A. Winterling, Aula Caesaris. Studien zur Institutionalisierung des römischen Kaiserhofes in der Zeit von Augustus bis Commodus (31 v. Chr.-192 n. Chr.), München, 1999, p. 145–166 ; F. Hurlet, « Le centre du pouvoir : Rome et la cour impériale aux deux premiers siècles de notre ère  », dans N.  Belayche (éd.), Rome, les Césars et la Ville aux deux premiers siècles de notre ère, Rennes, 2001, p. 159–183, part. p. 180–183. Plutarque, Galb., 3 ; 16 ; 18 ; Tacite, Hist., i, 30 : le discours sur les vertus impériales tenu par Pison ne suffit pas à convaincre les prétoriens de garde au palais auxquels il est adressé. Les prétoriens sont plus sensibles à l’habile discours tenu par Othon (Hist., i, 37–38), qui présente la seueritas de Galba en termes de cruauté et d’avarice, en soulignant l’influence corruptrice de son mauvais entourage. Voir les remarques de S. Bartsch, “The Art of Sincerity : Pliny’s Panegyricus”, dans R. Rees (éd.), Latin Panegyric, Oxford, 2012, p. 148–193 (= Actors in the Audience. Theatricality and Doublespeak from Nero to Hadrian, Harvard, 1994, c. 5), part. p. 178, sur l’instabilité de l’axe des valeurs entre l’éloge et le blâme.

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L.  Calpurnius Piso Frugi Licinianus, descendant de Pompée et du triumvir Crassus. L’empereur avait donc choisi un successeur qui lui ressemblait, aussi noble que lui, également caractérisé par la traditionnelle seueritas sénatoriale36, mais qui n’était ni populaire parmi les soldats ni doté d’une solide expérience administrative37. Le choix de Pison est celui d’un prince « républicain », représentatif des anciennes valeurs sénatoriales et proche du groupe des « sénateurs stoïciens ». En effet, Pison semble avoir été un familier de Rubellius Plautus38. Son frère M. Licinius Crassus avait été condamné à mort sous Néron en 68, après avoir été dénoncé par M. Aquilius Regulus, adversaire de Rusticus Arulenus et d’Herennius Senecio sous Domitien39 : ce Regulus paraît avoir été, plus largement, un ennemi du cercle des « sénateurs stoïciens » qui s’est développé autour de Rubellius Plautus, de Thrasea et des Helvidii. En 70, lors de la séance du Sénat où Domitien mit à l’ordre du jour la restitution des honneurs de Galba, Curtius Montanus, un ami de Pline le Jeune, qui avait été accusé en 67 – en même temps que Thrasea – d’avoir composé des vers déplaisant à Néron, intervint en faveur de la mémoire de Pison. Lors de la même séance, il attaqua violemment Regulus en l’accusant d’avoir, après le meurtre de Galba, donné de l’argent à l’assassin de Pison et d’avoir déchiré avec ses dents la tête sanglante de celui-ci40. Le choix de Pison est représenté comme celui du prince vertueux, notamment dans le discours par lequel Galba justifie l’adoption devant son conseil chez Tacite : Si je t’adoptais à titre privé en vertu de la loi curiate, en présence des pontifes, selon la tradition, ce serait un honneur pour moi de faire entrer 36

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Tacite, Hist., i, 14, 2 : « Pison, fils de M. Crassus et de Scribonia, était noble par les deux familles ; son air et son maintien évoquaient les mœurs antiques ; à le bien juger, c’était un homme sérieux (seuerus), mais ceux qui voyaient tout en mal le trouvaient trop morose (tristior) », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec ; Plutarque, Galb., 23 : « Il fit soudain, sans avoir prévenu personne, venir auprès de lui Pison, fils de Crassus et de Scribonia, que Néron avait fait mourir. C’était un jeune homme dont l’heureuse nature était propre à toutes les vertus et dont le sérieux et l’austérité éclataient à tous les yeux (νεανίαν ἐν τῇ πρὸς πᾶσαν ἀρετὴν εὐφυΐᾳ τὸ κόσµιον καὶ αὐστηρὸν ἐµφανέστατα ἔχοντα)  ». Plutarque se trompe, c’est sous le règne de Claude, en 47, que M. Licinius Crassus Frugi, sa femme Scribonia et leur fils Cn. Pompeius Magnus ont été exécutés par ordre de Messaline. Dion Cassius, lxiii, 5, 1, caractérise aussi Pison par sa naissance illustre et par sa sagesse. Voir L.  de Blois, «  Plutarch’s Galba and Otho  », dans M.  Beck (éd.), A Companion to Plutarch, Malden, Oxford, 2014, p. 267–277, part. p. 272. Tacite, Hist., i, 14, 1. Tacite, Hist., i, 48, 2 ; Tacite, Hist., iv, 42, 1–2 ; Pline, Ep., i, 5, 1–3. Tacite, Hist., iv, 42, 4.

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dans ma maison le descendant de Cnaeus Pompée et de Marcus Crassus ; et pour toi ce serait un privilège d’avoir ajouté à ta noblesse l’illustration des familles Sulpicia et Lutatia. En fait, l’accord unanime des dieux et des hommes, tes éminentes qualités (praeclara indoles tua) et l’amour de la patrie m’ont décidé à t’offrir le principat, pour lequel nos ancêtres rivalisaient les armes à la main ; la guerre me l’a donné, je te le remets alors que tu vis en paix, à l’exemple du divin Auguste qui plaça au rang suprême, à son côté, le fils de sa sœur, Marcellus, puis son gendre Agrippa, ensuite ses petits-fils, enfin Tiberius Nero, son beau-fils. Mais Auguste a cherché un successeur dans sa maison, et moi dans la république. Ce n’est pas que je n’aie des proches ou des compagnons d’armes, mais moi-même je n’ai pas obtenu le pouvoir par la brigue et je ne veux pour preuve de mon impartialité que la préférence que je t’ai donnée non seulement sur mes parents, mais aussi sur les tiens. Tu as un frère, d’une noblesse égale à la tienne, ton aîné, digne de ce haut rang, si tu ne l’étais davantage. L’âge où tu es a déjà échappé aux passions de la jeunesse ; ta vie passée n’a rien à se faire pardonner. Jusqu’ici tu n’as eu à subir que la mauvaise fortune ; la réussite a, pour éprouver les âmes, des aiguillons plus acérés. En effet, si les misères se supportent, la félicité nous corrompt. La loyauté, la franchise, l’amitié, ces biens essentiels de l’âme humaine, tu les conserveras sans doute avec la même fermeté, mais d’autres chercheront à les affaiblir à force de servilité. On verra percer l’adulation, la flatterie et, ce qui est le pire poison de tout sentiment vrai, l’intérêt personnel. Même s’il est vrai que, toi et moi, nous nous parlons aujourd’hui sans arrière-pensée, tous les autres s’adressent à notre situation plus volontiers qu’à nousmêmes  ; car donner à un prince les conseils qu’il faut exige beaucoup de peine ; flagorner n’importe quel prince, on y réussit sans que le cœur s’en mêle. Si le corps immense de l’État pouvait se maintenir en équilibre sans quelqu’un pour le diriger (rector), il conviendrait que je restaure le régime républicain. Mais en réalité on en est venu depuis longtemps à cette situation que ma vieillesse ne peut offrir au peuple romain rien de plus qu’un bon successeur, ni ta jeunesse rien de plus qu’un bon prince (bonus princeps). Sous Tibère, Caligula et Claude, nous avons été comme l’héritage d’une seule famille. Ce qui tiendra lieu de liberté, c’est qu’avec nous commence le choix (eligi) : et maintenant que la maison des Jules et des Claudes est éteinte, l’adoption saura trouver chaque fois le meilleur (optimus). Car être issu et naître du sang des princes relève du hasard, et l’on ne va pas chercher plus loin : pour l’adoption, le jugement reste libre et, si l’on veut choisir, on est guidé par l’assentiment général. Ayons devant les yeux Néron, dont la longue lignée des Césars enflait le cœur : ce n’est pas

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Vindex avec une province sans armée, ni moi avec une seule légion, mais c’est sa barbarie, ce sont ses débauches qui ont déchargé de ce fardeau les épaules du peuple ; et pourtant il n’y avait pas encore d’exemple d’un prince condamné. Nous, que la guerre et l’estime publique ont appelés au pouvoir, nous serons jalousés, quel que soit notre mérite (egregii). Ne t’effraye cependant pas si deux légions dans ce bouleversement qui a ébranlé le monde ne se tiennent pas encore tranquilles  :  moi aussi, je suis arrivé au pouvoir sans que la paix fût rétablie ; de plus, quand on connaîtra ton adoption, on cessera de voir en moi un vieillard, seul reproche qu’on me fasse aujourd’hui. Néron sera toujours regretté des mauvais citoyens ; c’est à toi et à moi de veiller à ce qu’il ne soit pas aussi regretté des honnêtes gens. De plus longs avis ne sont pas de saison ; et tout mon dessein est accompli si j’ai fait un bon choix en ta personne. Le moyen le plus expédient et le plus rapide pour distinguer le bien du mal est de songer à ce qu’on a désiré ou refusé sous un autre prince : car il n’en est pas ici comme chez les peuples qui ont un roi, où une famille déterminée est maîtresse absolue, et tout le reste esclave. Tu vas commander à des hommes qui ne peuvent supporter ni une entière servitude ni une entière liberté41. Ce discours propose un nouveau modèle de monarchie dynastique, le principat par adoption du meilleur au sens du plus noble et du plus vertueux42. Il défend le modèle du bon prince, ou du prince vertueux, qui seul peut faire office de dirigeant (Tacite emploie le terme cicéronien de rector), car le pouvoir et les flatteries qui l’entourent tendent à corrompre le princeps. Il est évident cependant que Pison n’a pas été un bon choix pour Galba, assassiné le 15 janvier 69, six jours seulement après l’annonce de l’adoption. Plutarque et Tacite évoquent les signes et les présages qui signifiaient l’opposition des dieux à cette adoption43. Le choix de Nerva est très différent : après avoir d’ailleurs écarté le neveu de ce Pison, qui conspirait contre lui, il adopte Trajan en octobre 97, dans le temple capitolin, devant le puluinar de Jupiter Optimus Maximus44. Le panégyrique de Pline, qui glose ce choix, constitue en un certain sens une réponse au choix malheureux que Galba avait fait du bon

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Tacite, Hist., i, 15–16, trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. A. Gangloff, « La figure de Galba et les notions de bonus/optimus/capax princeps », dans A. Arbo, C. Notter, J.-L. Vix (éd.), Figures exemplaires de pouvoir sous l’Empire dans la littérature gréco-romaine (colloque international de Strasbourg, 17–18 mars 2016), à paraître. Tacite, Hist., i, 18, 1–2 ; Plutarque, Galb., 23 ; Suétone, Gal., 18. Il s’agit de C. Calpurnius Piso Crassus Frugi Licinianus ; voir J. D. Grainger, Nerva, p. 68–70. Sur l’adoption de Trajan, voir Pline, Pan., 8, 1.

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prince45 : Trajan incarne en effet le choix du « meilleur prince » – dans un sens tout différent  – qui reçoit l’approbation de Jupiter Capitolin. Pline présente aussi Trajan comme un prince républicain, au sens où celui-ci respecte l’institution et les valeurs du Sénat, mais qui, en outre, est libéral, populaire dans l’armée et bon administrateur46. Dion n’est pas concerné par le problème de l’adoption, qui paraît être une question romaine  :  le premier discours Sur la royauté présente le choix par Zeus du bon roi, vertueux. Mais dans aucun des deux discours on ne lit la volonté de présenter l’adoption du meilleur comme un principe dynastique, car Pline souhaite que Trajan trouve un successeur, qu’il s’agisse d’un héritier naturel ou bien d’un fils adoptif47, et, dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins du premier Sur la royauté, Zeus choisit pour régner sur les hommes Héraclès, qui est son fils, après avoir vérifié sa capacité à être un bon roi. Ceci conforte les conclusions d’A. Pabst, à savoir que le recours aux deux possibilités, adoption et filiation naturelle, renvoie au même élément fondamental, valable du ier au iiie siècle (où il fut battu en brèche par l’apparition des « empereurs-soldats ») : l’importance pour un princeps d’être fils de princeps. Peut-être les aristocrates romains comme Pline ont-ils eu une préférence pour le processus de l’adoption, qui permettait à d’autres familles de participer au pouvoir impérial48.

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Pan., 8, 5 : « Avons-nous oublié comment naguère l’adoption n’a pas fait cesser la sédition, mais l’a fait naître ? », trad. M. Durry. En ce sens, M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, la realeza y el poder político en el imperio romano, Salamanca, 1995, p.  104–127 sur le Panégyrique de Trajan, a raison de souligner que le portrait de Trajan est une synthèse entre tradition et rénovation de l’image impériale, entre aristocrate pacifique et chef militaire ; l’auteur s’appuie sur les analyses de D. Placido, « El Optimus princeps, una imagen del emperador entre tradicion y renovation », dans J. Gonzales (éd.), IMP. CAES. NERVA TRAIANUS AUG., Sevilla, 1993, p. 173– 186. En revanche, pour Dion Cassius, lxviii, 4, 2, Nerva a adopté Trajan en raison de sa vertu, aretè. L’écrivain grec est fidèle à l’idéal du kalos kagathos, qui semble être aussi celui de Galba dans le discours de Tacite. Dion Cassius ne mentionne pas le surnom d’optimus/ aristos avant que celui-ci ne soit devenu un cognomen officiel en 114, ce qu’il explique, toujours selon une conception grecque, par les grandes actions de Trajan lors des guerres parthiques (Dion Cassius, lxviii, 23, 2). Pline, Pan., 44, 5. L’importance des liens familiaux naturels a été soulignée par J. Béranger, « L’hérédité du principat. Note sur la transmission du pouvoir impérial aux deux premiers siècles de notre ère  », Principatus. Etudes de notions et d’histoire politiques dans l’Antiquité gréco-romaine, Genève, 1973, p. 137–152 (= rel, 17, 1939, p. 171–189), part. p. 142–143 ; F. Chausson, « Variétés généalogiques – iv. Cohésion, collusions, collisions », p. 140–142. A. Pabst, Comitia imperii. Ideelle Grundlagen des römischen Kaisertums, Darmstadt, 1997, p. 148–152.

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Le temps des compromis

Après la fin sanglante de Domitien, l’avènement de Nerva, puis celui de Trajan, apparaissent comme des périodes de compromis entre l’empereur, les sénateurs et les intellectuels, aussi bien les spécialistes de rhétorique que les philosophes. a Les réactions suscitées par l’« opposition philosophique » Les sénateurs de la génération de Tacite et de Pline doivent leur carrière au « mauvais prince » Domitien, ce qui pose un problème éthique. Tacite, qui a fait son cursus honorum sous les Flaviens, admet au début des Histoires que Domitien a favorisé sa carrière49. C’est aussi le cas de Pline, d’abord questeur d’Auguste, chargé de lire les communications du prince au Sénat, puis préteur en 93 avec une dispense d’un an qui lui fut accordée par le prince50. Leur bonne ou mauvaise conscience semble s’être cristallisée autour des figures exemplaires qui ont animé l’«  opposition stoïcienne  » au pouvoir impérial, en défendant la survivance des valeurs républicaines de la nobilitas51. Sous Domitien a eu lieu un nouvel épisode de cette confrontation qui était apparue sous Caligula : il a abouti en 93 à l’exil d’Arria, la femme de Thrasea, de Fannia, leur fille et épouse d’Helvidius Priscus, de Junius Mauricus et de Verulana Gratilla, et à la condamnation à mort de Q. Junius Arulenus Rusticus, époux de la précédente et frère de Mauricus, d’Helvidius Priscus le Jeune et d’Herennius Senecio. Parmi ces derniers, Helvidius le Jeune et Rusticus étaient consulaires52. Le déroulement de la crise nous échappe en partie, les

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Tacite, Hist., i, 1, 5. Pline, Ep., vii, 16, 2 ; voir aussi Pan., 95, 3 : « Poussé dans la carrière des honneurs par le plus odieux des empereurs avant qu’il eût affiché la haine des honnêtes gens, je me suis arrêté après qu’il l’eut affichée », trad. M. Durry. Tacite, Hist., i, 3, 1–2 : « Ce siècle cependant ne fut pas si stérile en vertus qu’il n’ait produit aussi de beaux exemples. Des mères accompagnèrent leurs enfants bannis, des femmes suivirent leurs maris en exil ; on vit des parents intrépides, des gendres résolus, des esclaves d’une fidélité inébranlable même devant les tortures, des hommes affrontant avec courage les dernières épreuves et la suprême épreuve, des trépas comparables aux morts que les Anciens ont célébrées », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. On peut reconnaître Fannia, femme d’Helvidius Priscus, dans l’épouse qui a suivi son mari en exil, Helvidius Priscus (gendre de Thrasea) dans le gendre courageux, et dans les trépas comparables aux plus belles morts de l’antiquité, ceux de Sénèque et de Thrasea. Pline, Ep., iii, 11. Voir J. M. Carlon, Pliny’s Women, p. 221 pour les liens de parenté entre ces personnages. Helvidius le Jeune avait été consul suffect avant 87, voir pir2 H 60 ; Q. Junius Arulenus Rusticus était consul en 92, pir2 I/J 730 ; sur son frère Junius Mauricus, pir2 I/J 771 ; sur Herennius Senecio, pir2 H 128.

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sources se contentent de mentionner pour les personnages condamnés à mort des motifs en relation étroite avec Thrasea et Helvidius Priscus l’Ancien, qui tombaient sous le coup de la lex de maiestate : attaques personnelles contre la vie du prince (de la part d’Helvidius le Jeune, dont le père semble être allé beaucoup plus loin que Thrasea dans l’opposition au princeps, en refusant de reconnaître à Vespasien le statut supérieur de princeps), volonté de perpétuer la mémoire d’Helvidius l’Ancien et de Thrasea en écrivant des biographies qui furent aussi condamnées à la destruction53. Senecio semble avoir renoncé à sa carrière sénatoriale après avoir été questeur en Bétique, province dont il était originaire54, ce qui peut laisser penser qu’il manifestait sa désapprobation vis-à-vis du principat de Domitien de la même manière que Thrasea l’avait fait vis-à-vis de celui de Néron. En 93, il avait été désigné par le Sénat avec Pline pour soutenir l’accusation de la Bétique dans le procès pour concussion que la province avait intenté à son ancien gouverneur Baebius Massa, délateur et ami de Domitien55. Celui-ci fut condamné, et tenta, en vain, de se venger en poursuivant Senecio pour impiété ; mais c’est un autre délateur, Mettius Carus, qui obtint sa condamnation56. C’est peut-être le procès de repetundis contre Baebius Massa qui déclencha la crise ouverte entre l’empereur et ses délateurs

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Suétone, Dom., 10 : « Junius Rusticus, pour avoir publié des panégyriques de Thrasea Paetus et d’Helvidius Priscus et les avoir nommés les plus augustes des hommes ; Domitien profita d’ailleurs de cette accusation pour bannir de Rome et de l’Italie tous les philosophes. Il fit également périr Helvidius le fils, sous prétexte que, dans un épilogue comique il avait sous les noms de Pâris et d’Œnone, critiqué son divorce avec Domitia », trad. H. Ailloud ; Tacite, Ag., 2 : « Nous avons lu qu’Arulenus Rusticus, pour avoir fait le panégyrique de Thrasea Paetus, et Herennius Senecio, pour avoir fait celui d’Helvidius Priscus, le payèrent de leur tête ; leurs personnes, que dis-je ? leurs livres furent poursuivis, puisque les triumvirs reçurent mission de brûler sur la place des comices, au forum, les ouvrages des plus brillants génies. Apparemment on croyait étouffer par le feu la voix du peuple romain, le franc parler du Sénat et la conscience du genre humain ! on bannissait en outre les maîtres de philosophie, et l’on exilait toute culture, pour que rien de noble ne se rencontrât plus nulle part. Nous avons certes donné une grande preuve de patience, et, si les anciens ont vu le comble de la liberté, nous avons vu le comble de la servitude, alors que l’espionnage interdisait jusqu’aux échanges de propos. Nous aurions même perdu la mémoire avec la parole, s’il était en notre pouvoir d’oublier comme de nous taire », trad. E. de Saint-Denis ; Pline, Ep., i, 5, 2 ; Dion Cassius, lxvii, 13, 2. Voir S. H. Rutledge, Imperial Inquisitions, p. 131–134 ; S. Benoist, « Fragments de mémoire : en quête de paroles condamnées ». Dion Cassius, lxvii, 13, 2. Pline, Ep., vii, 33. Pline, Ep., i, 5, 3.

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et les proches des Helvidii, puisque Fannia fut exilée pour avoir demandé à Senecio d’écrire la biographie de son mari57. Toujours est-il que les sénateurs punis sont apparus comme les héritiers de Thrasea et d’Helvidius, les nouveaux défenseurs des valeurs de la nobilitas républicaine. Or, l’ensemble des sénateurs a, d’une certaine manière, trahi les valeurs constitutives de son identité passée en participant à la condamnation de ses pairs dans le cadre des procès de maiestate qui ont été instruits au Sénat. Tacite, qui adopte une attitude de franchise, témoigne en effet du malaise général des sénateurs contraints de collaborer aux crimes du mauvais prince : Nos propres mains ont traîné Helvidius en prison, nous avons arraché l’un à l’autre Mauricus et Rusticus, Senecio nous a couverts de son sang innocent. Néron du moins détourna les yeux et ordonna des crimes sans en être le spectateur ; sous Domitien, les plus grands de nos malheurs étaient de voir et d’être vus, alors que nos soupirs étaient notés, et que, pour signaler aux délateurs la pâleur de tant d’assistants, il n’avait besoin que de ce regard et de cette rougeur dont il s’armait contre la honte58. La réaction de Pline est très différente de celle de Tacite, puisqu’il se dédouane en mettant en avant dans sa correspondance les risques qu’il a personnellement courus après 93 en étant proche d’Artémidore, le gendre de Musonius, et des Helvidii59. Après la mort de Domitien, il se présente comme une sorte de figure tutélaire pour les Helvedii et les Iunii : il tente de venger Helvidius le Jeune en attaquant son délateur Publicius Certus au nom de sa veuve Antéia, de sa belle-mère Fannia et de sa grand-mère Arria, s’inquiète de Fannia comme des enfants d’Helvidius60 ; de même, il aide Mauricus à chercher un précepteur pour les enfants de Rusticus et un époux pour la fille de celui-ci61.

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Pline, Ep., vii, 19, 5–6. L’ouverture de la crise a été soudaine, puisqu’en 92, Arulenus Rusticus était consul. Sur les délateurs, voir Y.  Rivière, Les délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002, p. 61–99. Tacite, Agr., 45, trad. E. de Saint-Denis. Ce sont les membres de l’« opposition stoïcienne » qui ouvrent (§ 2) et ferment l’Agricola de Tacite : ils représentent en effet un autre modèle, plein de gloire, mais stérile, qui sert de repoussoir au modèle d’Agricola que construit l’écrivain. Sur ces procès, voir aussi Pline, Ep., ix, 13, 2. Pline, Ep., iii, 11 ; vii, 33. Pline, Ep., ix, 13 : en cherchant à venger Helvidius le Jeune au début du règne de Nerva, Pline imite Helvidius l’Ancien qui, sous Galba, avait poursuivi Eprius Marcellus, le délateur de Thrasea ; Ep., vii, 19 ; iv, 21. Ep., ii, 18 ; i, 14.

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Chapter 3

Les allégations de Pline relatives à ses liens d’amitié avec les sénateurs condamnés sous Domitien doivent être considérées avec prudence, dans la mesure où il se construit dans ses lettres un rôle (une persona) qui est naturellement tout à son honneur62. Il est probable qu’il ait exagéré sa proximité avec le groupe des Helvidii, notamment en essayant de l’ancrer dans un temps long63. Exagère-t-il aussi quand il écrit qu’il s’est senti menacé après 93 ? Il affirme qu’après la mort de Domitien, on a retrouvé dans les archives du prince une dénonciation écrite par Mettius Carus contre lui64. Si l’on considère qu’il a été préfet de l’aerarium militare en 94–96, ce qui est la datation traditionnellement admise par les spécialistes65, on peut observer que Q. Junius Arulenus Rusticus avait été consul en 92 et que la carrière d’Helvidius le Jeune ne semble pas avoir subi d’entraves, ce qui suggère que Domitien a tenté, aussi longtemps que possible, de composer avec les sénateurs proches de l’«  opposition stoïcienne  » et d’intégrer ceux-ci dans la haute administration de l’Empire. A.  R. Birley a soutenu récemment que rien ne s’opposait à ce que Pline ait été nommé à la préfecture de l’aerarium militare non par Domitien, mais par Nerva, peu après l’avènement de celui-ci, et qu’il ait occupé ce poste jusque vers la fin de 9766. La publication de la correspondance de Pline, sauf le livre x, a été faite du vivant de l’auteur, qui pouvait se permettre d’exagérer, de déformer la réalité, mais non de s’en éloigner trop s’il voulait conserver sa crédibilité auprès d’aristocrates dont beaucoup étaient aussi bien informés que lui. C’est sans doute la raison pour laquelle il prend soin de se référer aux archives, notamment dans la lettre qu’il adresse à Tacite pour lui demander d’immortaliser dans son histoire le soutien qu’il a manifesté envers Herennius Senecio après le procès contre Baebius Massa : pour Pline, cette action a représenté une sorte d’entrée en résistance

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J.-A. Shelton, “Pliny’s Letter 3.11 : Rhetoric and Autobiography”, C&M, 38, 1987, p. 121–139 ; R. Morello, R. K. Gibson (éd.), Re-Imagining Pliny the Younger, Arethusa, 36, 2003. Il a utilisé son amitié avec les femmes de la famille pour faire croire à des liens forts avec Helvidius Priscus et Rusticus, selon J. M. Carlon, Pliny’s Women, part. p. 64–67. Pline, Ep., iii, 11, 3 ; vii, 27, 14 ; voir aussi Pan., 90, 5. Selon A. Giovannini, « Pline et les délateurs de Domitien », Opposition et résistance à l’empire d’Auguste à Trajan, Entretiens sur l’Antiquité Classique 33, Genève, 1987, p. 219–248, part. p. 233, 238–241, Pline aurait révisé sa carrière pour effacer sa complicité, en tant que préfet de l’aerarium, avec les exactions commises par Domitien. A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 75 ; M. Corbier, L’Aerarium Saturni p. 137–138, qui note que recevoir ce poste sans intervalle après la préture était normalement une faveur. A. R. Birley, Onomasticon to the Younger Pliny. Letters and Panegyric, München, Leipzig, 2000, p. 14–16.

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contre Domitien (par l’intermédiaire de ses délateurs) ainsi qu’une occasion d’attirer l’attention bienveillante de Nerva67. A son arrivée au pouvoir, Nerva jura de ne jamais mettre à mort de sénateur et décida une amnistie contre ceux qui étaient accusés de maiestas, ce qui étaient des mesures tout à fait habituelles, propres à marquer sa distance par rapport au règne de son prédécesseur et à souligner sa iustitia mise en avant aussi dans les monnaies impériales68. Il ne pratiqua pas de purge et mit fin au bout de quelques semaines, avant la fin décembre, à la vague des accusations portées contre les délateurs de Domitien69. Parmi les consuls de 97, dont la liste avait été composée par Domitien, on remarque le nom de L. Neratius Priscus, dont la famille était apparentée aux Helvidii, tout en ayant été bien impliquée aussi dans le gouvernement de l’empereur assassiné70. Au printemps 97, Pline intenta une action contre Publicius Certus, alors préfet de l’aerarium Saturni, responsable de la condamnation à mort d’Helvidius Priscus71. Certus, qui bénéficiait d’importants soutiens au Sénat, ne fut pas condamné, Nerva n’ayant pas permis que le procès soit poursuivi. Mais il n’obtint pas le consulat attendu, et Pline put ensuite le déshonorer en publiant des livres Sur la vengeance d’Helvidius, tirés de sa plaidoirie72. Nerva et Trajan nommèrent Pline l’année suivante à la préfecture de l’aerarium Saturni, où il succèda à Certus. Il avait pour collègue son ami C. Julius Cornutus Tertullus, le tuteur d’une fille d’Helvidius le Jeune  ; en tant que tel, Cornutus Tertullus était intervenu au Sénat pour soutenir l’accusation de Pline. C’était aussi un proche des Helvidii, qui avait interrompu sa carrière des honneurs sous Domitien, à la manière d’Herennius Senecio73. Dans le Panégyrique, Pline affirme ainsi que « le divin Nerva nous avait payés des dangers courus en voulant nous promouvoir, non pour nos mérites, mais parce que le succès de ceux qui auparavant souhaitaient avant tout être oubliés du prince était aussi un signe du changement des temps »74.

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Pline, Ep., vii, 33, 1–3, et 9. Dion Cassius, lxviii, 2, 3 ; Suétone, Dom., 23, 3 ; Dion Cassius, lxviii, 1, 2 ; ric ii Nerva 6, 18, 30 (denier), 63 (dupondius). Dion Cassius, lxviii, 1–3 ; J. D. Grainger, Nerva, p. 45. J. D. Grainger, Nerva, p. 42–43. Pline, Ep., ix, 13. Voir M. Corbier, L’Aerarium Saturni, p. 111–115. Pline, Ep., ix, 13, 1 et 22–25. Pline suggère que la publication de ces livres a entraîné la mort de Certus déshonoré. Pline, Ep., v, 14, 2 ; ix, 13, 16 ; Pan., 90, 5. Sur ce personnage originaire de Pergé en Pamphylie, voir M. Corbier, L’Aerarium Saturni, p. 119–131 ; pir2 I 273. Pline, Pan., 90, 5, trad. M. Durry.

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En réalité, l’attitude de Nerva était beaucoup plus ambivalente. Il rappela Junius Mauricus de l’exil et semble l’avoir tenu en honneur, Pline rapportant une anecdote selon laquelle Mauricus figurait dans un banquet que l’empereur avait donné à quelques-uns de ses amis ; il côtoyait à cette occasion Fabricius Veiento, l’un des principaux délateurs de Domitien, et il en a profité pour souligner non sans ironie l’esprit de conciliation de Nerva, disposé à pardonner aux anciens délateurs autant qu’à accueillir les anciens opposants75. Mauricus semble avoir ainsi regagné, à Rome et au Sénat, la grande considération qui l’entourait déjà à la fin des années 60 : il fit partie des conseillers de Trajan au même titre que Pline76. Trajan poursuivit la même politique que Nerva (qui avait déjà été celle de Domitien), en intégrant les aristocrates qui avaient été proches de l’« opposition philosophique » dans la haute administration77 : T. Avidius Quietus, ancien familier de Thrasea, qui avait été consul suffect en 93 et avait soutenu Pline au Sénat lorsque celui-ci accusa Publicius Certus, fut gouverneur de Bretagne entre 97 et 10078. De septembre à octobre 100, Pline, qui se prétendait proche d’Avidius Quietus, d’Helvidius le Jeune, de Rusticus, de Fannia et d’Arria, fut consul suffect en même temps que son ami et collègue à l’aerarium Saturni, Cornutus Tertullus. Cette nomination était honorifique puisqu’elle leur permit d’inscrire leurs noms dans les fastes consulaires après celui de Trajan, consul ter du 1er janvier au 1er mai 10079. Pline et son ami poursuivirent ensuite une belle carrière sous Trajan80. C. Minicius Fundanus, un ancien élève de Musonius, fut consul suffect en 10781. L’attitude de Pline après la mort de Domitien était donc à la fois utile à sa propre gloire et au nouveau pouvoir impérial, car elle permettait de réhabiliter et de transformer en exempla des sénateurs condamnés par le dernier des Flaviens, tout en laissant Nerva et Trajan libres de recourir aux compétences des 75 76 77 78 79 80

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Pline, Ep., iv, 22, 4–6 ; sur Fabricius Veiento, voir pir2 F 91. Sur la continuité politique entre Domitien, Nerva et Trajan, voir K. H. Waters, “Trajanus Domitiani Continuator”, AJPh, 90, 1969, p. 385–405. Plutarque, Galb., 8, 8 ; Pline, Ep., iv, 22, 3 ; i, 5, 15. J. Malitz, « Philosophie und Politik im frühen Prinzipat », p. 176–177. Pline, Ep., vi, 29, 1 ; ix, 13, 15 ; pir2 A 1410. Pline, Pan., 92, 2. Cornutus Tertullus fut curateur de la via Aemilia, participa au recensement des trois Gaules, fut légat propréteur de Trajan en Pont-Bithynie en 114 et sans doute proconsul d’Afrique (116–117 ?), voir cil xiv 2925 = ils 1024, et seg xx 786 b ; Pline obtint la curatelle plus prestigieuse des rives du Tibre, puis il fut légat d’Auguste propréteur avec un pouvoir consulaire entre 110/111 et 113/114 ; il fut l’un des conseillers de Trajan (Ep., iv, 22, 1 ; vi, 22, 2 ; vi, 31, 2), mais non l’un des plus proches ; voir M. Corbier, L’Aerarium Saturni, p. 127–128 et 142–143. Plutarque, Moralia, 453 D ; Pline, Ep., v, 16, 8 ; pir2 M 612.

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anciens conseillers de Domitien et de prôner eux-mêmes en début de règne une attitude de conciliation générale envers le Sénat. Les conciliations : principat et libertas, philosophie et devoirs civiques Un des thèmes du discours politique officiel qui a accompagné l’avènement de Nerva est celui du retour à la liberté, comme l’attestent une dédicace à la liberté restituée, découverte sur le Capitole, ainsi que les monnaies impériales portant la légende LIBERTAS PVBLICA82. Ce thème a été reproduit au début du règne de Trajan à l’intention des sénateurs : le premier jour de son troisième consulat, le 1er janvier 100, l’empereur prononça au Sénat un discours qui est l’équivalent des « discours d’avènement », puisqu’il avait été absent de Rome pendant presque deux ans, dans lequel il encourageait les sénateurs à «  reprendre la liberté  » (resumere libertatem, selon l’expression de Pline)83. Le Panégyrique insiste sur l’idée que l’avènement de Trajan a ouvert une nouvelle ère de liberté84. Les monnaies impériales avec la légende LIBERTAS ne sont pas très fréquentes et sont surtout datées du début du règne, mais le monnayage de restitution, daté de 112 par G. Seelentag, et d’env. 112/113 par B. Woytek, fait référence à Brutus, à Cassius, et à la libertas républicaine85 : une monnaie de restitution reprend un type de Brutus, portant au droit une tête de Libertas avec la légende LIBERTAS, et au revers M. Iunius Brutus suivi de deux licteurs avec la légende BRVTVS86. On voit donc devenir officiel un type de discours nostalgique des valeurs républicaines, qui était auparavant tenu par les « opposants stoïciens », car Brutus et Cassius, Caton d’Utique, Thrasea, Helvidius b

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cil vi 472  :  libertati ab imp(eratore) Nerua Caesare Aug(usto) anno ab / Vrbe condita dcccxxxxiixx xiiii [k(alendas)] Oct(obres) restitut[tae] / spqr. Monnaies à la LIBERTAS PVBLICA : ric ii Nerva 7, 19, 31, 36, 64, 65, 76, 86, 100 ; voir aussi 43 et 106 pour la représentation de Libertas avec pour légende la titulature impériale  ; I.  Cogitore, Le doux nom de liberté. Histoire d’une idée politique dans la Rome antique, Bordeaux, Paris, 2011, p. 282, n. 176. N. T. Elkins, The Image of Political Power in the Reign of Nerva AD 96–98, Oxford, New York, 2017, p. 102–136. Voir aussi E. Lyasse, « La notion de libertas dans le discours politique romaine d’Auguste à Trajan », Ktèma, 28, 2003, p. 63–69. Pline, Pan., 66, part. 66, 2. Pline, Pan. 27, 1 ; 66 ; 67, 2 ; 78, 3. Sur la libertas sous Trajan, B. Cahut, Principat et République, p. 587–667. G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians. Herrschaftsdarstellung im Principat, Stuttgart, 2004, p. 448–454 ; B. Woytek, Die Reichsprägung des Kaisers Traianus (98–117), Wien, 2010, ii, p. 641–644. ric ii Trajan 797. Les nos 795 et 796 reprennent des types monétaires de Cassius. Voir M.  Galinier, «  L’image publique de Trajan  », p.  119–122. Pour les autres monnaies à la LIBERTAS : ric ii Trajan 123, 127, 128 ; I. Cogitore, Le doux nom de liberté, p. 283, n. 179.

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l’Ancien, Arulenus Rusticus et Herennius Senecio, étaient associés les uns aux autres et liés à la notion de libertas87. Cette notion était mouvante, et c’est une nouvelle conception de la liberté qui apparaît chez Tacite et Pline, une libertas susceptible, comme le dit l’historien, d’être conciliée avec le principat : Aujourd’hui seulement on revit : l’empereur Nerva a ouvert une ère de grand bonheur en mêlant ce qui fut pendant longtemps incompatible, le principat et la liberté. Trajan accroît chaque jour le bonheur de l’époque ; la sécurité publique n’est plus seulement une espérance et un vœu, mais repose sur une ferme confiance en la réalisation de ce vœu88. Cette liberté va de pair avec la securitas publica qui permet la liberté d’expression, autrefois disparue en raison de la crainte des sénateurs89. Elle est toujours liée au partage du gouvernement de l’Empire entre le prince et les sénateurs90, mais, de manière paradoxale, elle est désormais associée à l’obéissance, née de l’acceptation d’une situation de soumission : comme le dit Pline dans une formule saisissante, Iubes esse liberos, erimus, « Tu nous ordonnes d’être libres, nous le serons »91. 87

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Tacite, Ann., xvi, 22, 5 ; Hist., iv, 8, 6 ; Ag., 2, 1–2.Voir I. Cogitore, Le doux nom de liberté, p. 212–219, part. p. 214 ; l’association entre Brutus et Cassius, Thrasea et Helvidius, apparaît aussi chez Juvénal, 5, 33–35. Voir aussi Ch. Wirszurbski, Libertas as a Political Idea at Rome during the Late Republic and Early Principate, Cambridge, 1950 ; L. Wickert, « Der Prinzipat und die Freiheit », dans R. Klein (éd.), Prinzipat und Freiheit, Darmstadt, 1969, p. 94–135. Tacite, Ag., 3, 1 : Nunc demum redit animus ; et quamquam primo statim beatissimi saeculi ortu Nerua Caesar res olim dissociabilis miscuerit, principatum ac libertatem, augeatque cotidie felicitatem temporum Nerua Traianus, nec spem modo ac uotum securitas publica, sed ipsius uoti fiduciam ac robur adsumpserit, trad. E.  de Saint-Denis modifiée  ; voir la fin du discours d’adoption de Galba dans les Histoires, i, 16, 4 : « Tu vas commander à des hommes qui ne peuvent supporter ni une entière servitude, ni une entière liberté », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. Voir aussi Martial, xi, 5, sur l’association sous Nerva des valeurs républicaines (dont la libertas) et du principat  :  «  Tu [Nerva] recevras les hommages de Camille, l’invincible champion de la liberté … Brutus se réjouira de ton commandement … Et Caton lui-même, s’il nous revient du séjour des Ombres où règne Dis, sera du parti de César (caesarianus erit) », trad. H. J. Izaac modifiée. Voir aussi Pline, Pan., 66, 4–5 ; libertas et securitas sont associées aux § 27, 1 et 33, 3. Pline, Pan., 66, 2 : « A peine avait lui le premier jour de ton consulat qu’entré dans la curie tu nous a exhortés tantôt un à un, tantôt tous ensemble à reprendre la liberté (resumere libertatem), à assumer les charges d’un pouvoir pour ainsi dire partagé entre toi et nous, à veiller aux intérêts publics, à nous redresser », trad. M. Durry. Pline, Pan., 66, 4 ; voir aussi Pan., 67, 2 : « Il saura qu’usant de la liberté que nous tenons de lui nous ne ferons que lui obéir », trad. M. Durry.

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Pline et Tacite ont partagé ce nouvel idéal alliant libertas et obsequium, « obéissance » au pouvoir, au service de la res publica, qui a été dépeint dans l’Agricola, daté de 9892. Ce qui peut étonner, au premier abord, est que cet idéal semble avoir été nourri de réflexions suscitées par les exempla de Thrasea, Helvidius Priscus et leurs héritiers, qui symbolisaient la libertas républicaine, or Tacite et Pline ont eu une position différente vis-à-vis des représentants de l’« opposition stoïcienne ». Néanmoins, à y regarder de près, leur divergence de vues est moins profonde qu’il n’y paraît. Chez Tacite, d’une part, ce nouvel idéal n’est pas si éloigné du portrait d’Helvidius Priscus que l’on trouve dans les Histoires : Helvidius Priscus, originaire de Cluviae, municipe de la région des Caracini, eut pour père un centurion primipile. Tout jeune encore, il consacra son brillant talent aux plus hautes études, non pas, comme la plupart, pour couvrir d’une étiquette flatteuse une paresseuse oisiveté, mais pour se fortifier contre les caprices du sort et prendre en mains les affaires de l’Etat. Il eut pour maîtres les philosophes qui estiment qu’il n’est d’autre bien que ce qui est moralement beau, d’autre mal que ce qui est moralement laid, et ne comptent ni parmi les biens ni parmi les maux le pouvoir, la noblesse et tout ce qui est extérieur à l’âme. Il n’était encore qu’ancien questeur quand il fut choisi pour gendre par Thrasea Paetus ; ce qu’il emprunta surtout au caractère de son beau-père, ce fut l’esprit d’indépendance (libertas)  :  citoyen, sénateur, mari, gendre, ami, il fut égal à lui-même dans tous les devoirs de la vie, méprisant la richesse, obstinément attaché au bien, inébranlable devant l’intimidation. Il y avait des gens qui le trouvaient trop épris de renommée, étant donné que, même chez les sages, la passion de la gloire est la dernière dont on se dépouille93. C’est donc en raison d’un idéal de libertas trop exigeant et par désir de gloire qu’Helvidius Priscus en est venu à manquer de l’obsequium et de la modestia qui caractérisent un Agricola, mais dont Helvidius avait aussi su faire preuve sous Galba en renonçant à accuser le délateur de Thrasea, Eprius Marcellus94. 92

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M. P. O. Morford, « iubes esse liberos : Pliny’s Panegyricus and Liberty », dans R. Rees (éd.), Latin Panegyric, p. 126–147 (= AJPh, 113, 1992, 575–593). Voir M. Pani, Potere e valori a Roma fra Augusto e Traiano, Bari, 19932 (1992), c. viii, « Sulla nozione di “obsequium” in Tacito e Plinio il Giovane », p. 159–180. Tacite, Hist., iv, 5, 2–6, 1, trad. H. Le Bonniec Tacite, Ag., 42, 5–6 : Domitiani uero natura praeceps in iram, et quo obscurior, eo inreuocabilior, moderatione tamen prudentiaque Agricolae leniebatur, quia non contumacia neque inani iactatione libertatis famam fatumque prouocabat. Sciant, quibus moris est inlicita

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Chez Pline, d’autre part, Helvidius, Rusticus, Mauricus, Fannia et Arria ne sont pas décrits comme des rebelles, mais comme des sages, pleins de modération, qui correspondent à un idéal civique95. Le philosophe Euphratès, dont Pline a suivi l’enseignement en Syrie en 81/82, puis à Rome après 98, est dépeint de la même façon96. Ce philosophe a-t-il joué un rôle déterminant dans la diffusion à Rome d’un idéal stoïcien un peu différent de celui de Musonius, ou bien le rôle qu’il tient chez Pline est-il un effet d’écriture ? Au début du règne de Trajan, Euphratès semble avoir eu un grand succès à Rome, tout en étant tenu en estime par Epictète qui avait, lui, renoncé à Rome et qui semble être resté plus fidèle à l’enseignement et à la pédagogie de leur maître commun Musonius97. Epictète, d’après les Entretiens et le Manuel d’Arrien, enseignait la nécessité d’accomplir son rôle social, les moyens de supporter les devoirs et les charges liés à ce rôle, mais il insistait sur l’idéal de fermeté et de libertas qui fait tenir tête au tyran98. Helvidius Priscus l’Ancien apparaît comme un pur produit de ce type d’enseignement dans le portrait qu’en fait Tacite. De l’enseignement d’Euphratès, Pline ne retient que l’aide que l’éthique stoïcienne pouvait apporter à un aristocrate engagé dans la carrière politique pour réaliser ses devoirs civiques. Epictète affirme qu’Euphratès a longtemps caché son identité de professeur de philosophie, pour ne pas être victime des préjugés contre les prétendus philosophes, et Pline souligne son amabilité et son apparence soignée, en accord d’ailleurs avec son statut social, car il avait épousé la fille d’un des principaux citoyens romains de Syrie, dont il avait eu trois enfants99. Il est aussi doté d’une

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mirari, posse etiam sub malis principibus magnos uiros esse, obsequiumque ac modestiam, si industria ac uigor adsint, eo laudis excedere, quo plerique per abrupta, sed in nullum rei publicae usum ambitiosa morte inclaruerunt, « Le caractère de Domitien était prompt à la colère, et d’autant plus implacable qu’il était plus dissimulé ; il était pourtant adouci par la modération et la sagesse d’Agricola, qui ne défiait la renommée et la destinée ni par esprit d’indépendance ni par vaine fanfaronnade. Qu’ils sachent, les admirateurs habituels de la révolte, que même sous de mauvais princes il peut y avoir des grands hommes, et que la soumission et la réserve, si l’activité et l’énergie s’y ajoutent, s’élèvent au degré de gloire où beaucoup, suivant des voies abruptes, mais sans avantage pour l’Etat, ont atteint par l’éclat d’une mort tapageuse », trad. E. de Saint-Denis, passage cité par M. Morford, « iubes esse liberos », p. 137 ; Hist., iv, 6, 4. Voir Entretiens, iii, 21, 9–10, sur la gloire à laquelle doit mener une vie accomplie selon les préceptes philosophiques. J. M. Carlon, Pliny’s Women, p. 24. Sur cet idéal civique et humain, voir N. Méthy, Les lettres de Pline le Jeune : une représentation de l’homme, Paris, 2007, p. 119–121. Pline, Ep., i, 10 ; voir supra, c. 2. Entretiens, iv, 17–18. Voir supra, c. 2. Entretiens, iv, 17–18  ; Pline, Ep., i, 10, 5–8. Ce comportement a-t-il permis à Euphratès d’échapper à la relégation en 93, ou bien n’est-il arrivé à Rome que plus tard, après

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éloquence remarquable100. Euphratès apparaît donc comme un philosophe plus attaché à ses devoirs sociaux qu’à l’idéal d’indépendance du sage, ce qui facilitait le rapprochement entre philosophie, aristocratie et pouvoir impérial. Il aurait demandé à Hadrien la permission de se suicider vers 120, ce qui témoigne, au moins symboliquement, de son respect envers l’empereur et d’une volonté de se situer à l’opposé des Cyniques insolents comme Démétrios qui outrageait Vespasien, ainsi que des « opposants stoïciens »101. c Franchise et communication symbolique A la fin du ier siècle, la réconciliation entre les élites socio-culturelles et le pouvoir à laquelle on assiste par l’intermédiaire des miroirs au prince composés par Pline et Dion pour Trajan passe aussi par une forme de communication que l’on peut qualifier de communication symbolique102. Le Panégyrique comme le premier discours Sur la royauté, qui sont des adresses directes à l’empereur, développent naturellement une communication conceptuelle et discursive, qui argumente et s’adresse à l’intellect du destinataire  ; mais ils exploitent aussi, à un degré inédit, un mode de communication fondé sur des symboles verbaux et visuels tels que les images rhétoriques, les références mythiques, les rites, qui définissent aussi les compétences et les pouvoir du prince, et établissent une hiérarchie entre les dieux, le princeps et les autres hommes. Ces symboles laissent une place plus importante aux associations d’idées et à la pluralité des interprétations, ce qui permet à l’orateur d’avoir une plus grande liberté d’expression. Le choix de développer ce mode de communication paraît s’expliquer par la difficulté, dont les élites du ier siècle étaient bien conscientes, de s’adresser

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l’avènement de Nerva ou celui de Trajan ? Pline n’en dit rien. Selon Epictète, le philosophe peut se marier et avoir des enfants, mais le Cynique, archétype du sage, choisira de se consacrer plutôt à son rôle de philosophe : Entretiens, iii, 22, 67–76. Pline, Ep., i, 10, 5 ; Entretiens, iii, 15, 8 ; Fronton, De Eloquentia, 1, 4, Van den Hout ; Philostrate, va, v, 27 ; P. Robiano, s.v. « Euphratès », p. 341. Dion Cassius, lxix, 8, 3, qui date la mort en 119 ; Jérôme, Chronique, 225 Ol., en 121 ap. J.-C. Sur Démétrios et Vespasien, voir Suétone, Ves., 13, 4. Voir C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 24–136 sur le Panégyrique de Pline. Pour l’adaptation du concept de communication symbolique aux époques pré-modernes, voir B. Stollberg-Rilinger, « La communication symbolique à l’époque pré-moderne. Concepts, thèses, perspectives de recherche », Trivium [En ligne], 2, 2008. url : http://trivium.revues.org/1152, consulté le 22-02-2018 (= «  Symbolische Kommunikation in der Vormoderne. Begriffe – Forschungsperspektiven – Thesen », Zeitschrift für historische Forschung, 31, 2004, p. 489–527).

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directement au prince, et encore plus de lui donner des conseils103. On voit se développer dans les écoles de rhétorique à Rome au ier siècle une réflexion sur le discours politique, dont on trouve des échos chez Sénèque père104, et surtout chez Quintilien105. Ce dernier atteste le succès que connaît à son époque la figure, schema, qui consiste à faire entendre quelque chose de caché, qu’on laisse à l’auditeur le soin de deviner. On recourt à cette figure, d’ailleurs considérée comme un ornement oratoire, lorsqu’il est dangereux de s’exprimer de manière directe, et les exercices d’entraînement au schema pratiqués dans les écoles concernaient le discours politique, notamment le discours relatif au tyran106. Domitien aurait fait périr l’historien Hermogène de Tarse pour avoir utilisé des figures dans son histoire, et crucifier les copistes qui avaient recopié l’ouvrage107. On observe au iie siècle dans la rhétorique grecque le développement d’une réflexion théorique comparable, qui va de pair avec l’épanouissement de la Seconde Sophistique et d’un type d’éloquence politique relevant aussi du genre épidictique, comme le montre la variété des discours adressés aux gouverneurs et aux empereurs que l’on trouve chez Ménandre ii108. Deux traités sur les discours figurés, attribués à Denys d’Halicarnasse, ont été composés 103 104 105 106

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Tacite, Ann., ii, 87. Pour la difficulté de donner des conseils au prince, voir Sénèque Père, Suas., i, 5 ; Philon, Ambassade à Caius, 43–58 et 62–65 (Caligula se débarrasse du préfet du prétoire Macron, puis de son beau-père Silanus) ; Pline, Ep., iii, 18, 3. Sénèque Père, Suas., i, 5. On remarque chez Quintilien déjà l’introduction de l’épidictique dans le discours politique, par exemple dans Inst., iii, 4, 12–16 ; 7, 1–4. Quintilien, ix, 2, 65–67. Au iie siècle av. J.-C., le rhéteur et philosophe péripatéticien Démétrios d’Alexandrie avait déjà réfléchi au meilleur moyen de s’adresser au roi et aux puissants sans les offenser dans son traité Sur le style, 287–298, et conseillé d’employer le discours figuré, logos eschèmatismos, qui est un moyen terme entre la flatterie, désagréable, et la critique directe qui est périlleuse (Sur le Style, 294)  ; voir P.  Chiron, Un rhéteur méconnu : Démétrios (Ps.-Démetrios de Phalère), Essai sur les mutations de la théorie du style à l’époque hellénistique, Paris, 2001, p. 224–236. Suétone, Dom., 10, 4.  Selon Dion Cassius, lxvii, 12, 5, Domitien aurait mis à mort un rhétoricien nommé Maternus parce que celui-ci avait parlé contre les tyrans dans une déclamation. Vers la fin du iie siècle, Hermogène, Catégories stylistiques, 388, 17–389, 1, distingue un discours à la fois politique et panégyrique, en prenant l’exemple d’une délibération qui contient un éloge. Le Discours politique du ps.-Aelius Aristide, qui s’inspire de l’œuvre du célèbre sophiste, semble avoir été en partie composé avant le travail d’Hermogène (éd. M. Patillon, cuf, p. x, xxxiii-xiv, xxi). Sous sa forme originelle, l’Art du discours politique de l’Anonyme de Séguier semble aussi avoir été écrit dès la première moitié du iiie siècle (éd. M. Patillon, cuf, p. xvii). Voir L. Pernot, « Les faux-semblants de la rhétorique grecque », dans C. Mouchel - C. Nativel (éd.), République des lettres, république des arts. Mélanges offerts à Marc Fumaroli, de l’Académie française, Genève, 2008, p. 427–450.

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entre la fin du ier siècle et la première moitié du iiie siècle, peut-être sous les Antonins ; ils semblent surtout orientés vers le discours politique à double visée109. Rapportant l’épisode du jugement d’Hérode Atticus et de ses adversaires athéniens au tribunal de Marc Aurèle à Sirmium, en Pannonie, vers 175, Philostrate explique qu’aveuglé par la douleur après la mort des filles de son affranchi Alkimédon, qu’il aimait comme ses propres enfants, le sophiste prit directement à partie l’empereur sans recourir au discours figuré, alors qu’on attendait d’un homme entraîné à ce type de discours qu’il sache maîtriser sa colère ; si Marc Aurèle n’avait pas, en Stoïcien, supporté l’inconvenante franchise du sophiste, celui-ci était mort, et Philostrate ne parvient à justifier le comportement d’Hérode – auquel il est très favorable – qu’en affirmant que celui-ci voulait mourir110. Les orateurs qui parlaient à l’empereur adoptaient des stratégies diverses, mais ils se positionnaient par rapport à la franchise et la flatterie111. Or ce positionnement est à double sens : il concerne en effet l’orateur qui développe son ethos (son personnage rhétorique) afin d’établir l’autorité dont il a besoin pour convaincre, mais aussi le destinataire du discours. Ainsi, pour Dion qui se définit, dans le premier discours Sur la royauté, comme un philosophe errant, empruntant la posture du Cynique, la parrhésia est une nécessité112. Pline, qui 109

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I Discorsi figurati i e ii (ars rhet. viii e ix Us.-Rad.), Pseudo-Dionigi di Alicarnasso, introduzione, traduzione e commento a cura di Stefano Dentice di Accadia, Pisa, Roma, 2010, p. 14 n. 19 pour la datation large. P. Chiron, « Quelques observations sur la théorie du discours figuré dans la Τέχνη du Ps.-Denys d’Halicarnasse » dans L. Calboli Montefusco (éd.), Papers on Rhetoric iii, Bologna, 2000, p. 75–94, suggère que ces traités sont orientés vers un usage politique du discours figuré et les place sous les Antonins, période de relatif retour à la liberté d’expression. Un argument qui va dans son sens, me semble-t-il, est le rapprochement qu’on peut faire entre ces traités et les discours Sur la royauté de Dion de Pruse à partir de l’exploitation qu’ils font des poèmes homériques. L’invention du ps.-Hermogène, probablement datée du iie siècle (M. Patillon [éd.], Pseudo-Hermogène, L’invention, cuf, 2012, p. v), contient aussi un chapitre consacré aux problèmes « figurés » : Inv., 13, 204–210. Voir aussi P. Chiron, « Le logos eskhèmatisménos ou discours figuré », dans G. Declercq, M. Murat, J. Dangel (éd.), La parole polémique, Paris, 2003, p. 223–254 ; id., « Les rapports entre persuasion et manipulation dans la théorie rhétorique du discours figuré », dans S. Bonnafous et alii (éd.), Argumentation et discours politique, Rennes, 2003, p. 165–174 ; L. Pernot, “Greek ‘Figured Speech’ on Imperial Rome”, Advances in the History of Rhetoric, 18, 2015, p. 131–146, part. p. 139–141. Philostrate, vs, ii, 561. Dion, Or. iii, 12–25 ; Pline, Pan., 2 ; voir S. Bartsch, “The Art of Sincerity : Pliny’s Panegyricus”. Or. i, 50. Sur l’attitude de Dion par rapport à la flatterie dans le discours i, voir aussi J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p.  353–354. Dans Or. iii, 13, Dion écarte tout soupçon de flatterie en rappelant qu’il a été franc, au péril de sa vie, sous le règne de Domitien.

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se présente dans sa dignité de sénateur, a également besoin de mettre en avant la vérité de son discours, aussi bien que sa propre volonté d’en tirer un livre, ce qu’il fait apparaître comme un acte civique : Les devoirs du consulat m’ont imposé d’adresser au nom de l’Etat des remerciements au prince. Après l’avoir fait au Sénat en tenant compte du cadre et des circonstances, comme le veut la tradition, j’ai estimé que ce qui convenait le mieux à un bon citoyen était de reprendre les mêmes arguments en un volume plus ample et plus copieux. Je voulais d’abord faire valoir à notre empereur, par des louanges sincères, les vertus qui sont les siennes, puis montrer aux princes à venir, non sur un ton magistral, mais à la lumière d’un exemple, quelle était la route qui leur permettrait le mieux d’atteindre à la même gloire113. Le fait d’écouter une parole de franchise caractérise aussi le bon prince  ; la flatterie, l’hypocrisie et la parole double qui attribuent au prince des vertus qu’il n’a pas mais qu’il devrait avoir, sont le propre de la communication avec le tyran114, ce qui rend par ailleurs cette communication dangereuse, car le mauvais prince est susceptible de voir dans les allusions à ses vertus des reproches déguisés115. A l’inverse, le bon prince est défini par son amour de la vérité et de la sincérité, et l’indice le plus sûr de cette bonté est que les bons orateurs ne rougissent pas de le louer116. Trajan apparaît donc comme un prince qui n’aime pas la flatterie, au rebours de Domitien117. Et si l’avènement des deux premiers Antonins est officiellement

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Ep., iii, 18, 1–2, trad. H. Zehnacker ; voir aussi Ep., vi, 27, 2–3. Voir J. E. Lendon, Empire of Honour. The Art of Government in the Roman World, Oxford, 1997, p. 113–120 ; C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 36–39, 46. Pline, Pan., 4, 1 : « Mais il faut obéir au sénatus-consulte qui, dans l’intérêt général, a voulu que sous le titre d’actions de grâces, par la voix d’un consul, les bons princes reconnussent ce qu’ils font, les mauvais ce qu’ils devraient faire », trad. M. Durry ; Dion, Or. i, 82 : Kolakeia, ou Flatterie, est la conseillère de Tyrannie ; Tacite, Hist., i, 1, 3 : la flatterie porte le honteux caractère de la servitude ; Entretiens, i, 19, 4 : tous les hommes flattent le tyran. Pline, Pan., 3, 4 : « Il est aisé de rendre grâce à qui le mérite, Pères conscrits. Nul danger qu’il voie dans mes allusions à son affabilité un reproche d’arrogance, à son économie de luxe, à sa clémence de cruauté, à sa générosité d’avarice, à sa bonté de jalousie, à sa continence de débauche, à son activité de paresse, à son courage de lâcheté », trad. M. Durry. Sur la difficulté de parler au tyran, qui ne supporte ni la franchise, ni la flatterie, voir aussi Dion, Or. vi, 57–59 ; cf. Tacite, Ann., ii, 87. Dion, Or. i, 26 et 33 ; Pline, Ep., vi, 27, 2–3. Martial, x, 72 ; Pline, Pan., 2, 3 : « Que nos flatteries n’égalent pas l’empereur à un dieu, qu’elles ne l’égalent pas à une divinité. Nous ne parlons pas d’un tyran, mais d’un

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caractérisé par le retour de la libertas, l’accent a été particulièrement mis sur la liberté d’expression désormais permise aux sénateurs et aux intellectuels118. d Les relations entre empereur et élites culturelles Dans la même perspective, le bon prince est défini par son rapport protecteur avec les élites culturelles, comme on le voit dans le Panégyrique : Et la vie et les mœurs de la jeunesse, comme tu les façonnes en prince ! En quel honneur tiens-tu les maîtres de rhétorique, en quelle estime les professeurs de philosophie ! Comme sous ton principat les belles-lettres ont recouvré et le souffle et le sang et une patrie ! elles, que la barbarie de l’âge précédent punissait d’exil, au temps où un prince conscient d’avoir en lui tous les vices prononçait contre des sciences hostiles aux vices la relégation moins par haine que par respect. Mais toi, ces mêmes sciences, tu leur ouvres les bras, tes yeux, tes oreilles. Tu suis tous leurs préceptes et tu les aimes autant qu’elles te louent119. Pline s’abstient de mentionner la culture personnelle de l’empereur, bien que celle-ci soit un topos de l’éloge d’une personne120, et bien que la culture du prince soit un critère du jugement dans La vie des douze Césars de Suétone. Mais la culture littéraire de Trajan n’avait rien de remarquable, semble-t-il  : c’était probablement la culture de base, bilingue, que possédait tout aristocrate de sa génération, alors que Domitien s’était fait remarquer pour ses talents de poète avant son accession à l’Empire121. Il ne s’agit pas non plus de

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concitoyen ; nous ne parlons pas d’un maître, mais d’un père », trad. M. Durry ; 3, 1–3 ; 4, 2 (Trajan a interdit les actiones gratiarum privées) ; 54 ; Ep., vi, 27, 2–3. Pline, Pan., 66, 4–5. C’est un thème important chez Tacite, dans le Dialogue des orateurs, mais aussi dans l’Agricola, 2–3, et dans le prologue des Histoires, i, 1, 6. Sur la liberté d’expression comme composante de la liberté politique, K. A. Raaflaub, “Aristocracy and freedom of speech in the Greco-Roman world”, dans I. Sluiter, M. Rosen (éd.), Free speech in classical antiquity, Leiden, Boston, 2004, p. 41–61. Pan., 47, 1–2, trad. M. Durry. Quintilien, iii, 7, 15. Les orateurs devaient néanmoins s’abstenir de développer un topos qui ne convenait pas à la personne louée. Voir Dion Cassius, lxviii, 7, 4 ; Epitome de Caesaribus, 13, 8 : Trajan n’avait pas d’habileté particulière dans l’éloquence ; on possède un poème satirique en grec qu’il aurait composé, App. Anth., xi, 418 ; selon le grammairien Priscien, il aurait aussi écrit des « Guerres daciques » : Priscien, Inst., 6, G. L. (Keil) ii, p. 205, 6 = Smallwood n° 32 ; S. Fein, Die Beziehungen, p. 19–26. Sur la culture de Domitien, voir H. Bardon, Les empereurs et les lettres latines, p. 280–288 et 308–335 ; K. M. Coleman, “The emperor Domitian and literature”, anrw, ii, 32, 5, Berlin, New York, 1986, p. 3087–3115 ; R. R. Nauta, Poetry for Patrons. Literary Communication in the Age of Domitian, Leiden, Boston, Köln, 2002, p. 327.

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patronage littéraire, qui était pratiqué par Auguste et Néron, tout comme par Domitien122. Ce qui est mis en avant est un accueil favorable aux études libérales et à leurs maîtres, qui va de pair avec le rôle de l’empereur dans la formation de la jeunesse. C’est un élément important dans l’image que Trajan a voulu donner de lui-même, car le forum qu’il a fait construire entre 107 et 112 comportait deux bibliothèques, grecque et latine, qui encadraient la colonne trajane en arrière de la basilique : elles renfermaient des archives, des livres, et comportaient aussi des salles d’études123. Cet intérêt pour les études libérales et l’enseignement s’accompagne d’un climat de sécurité favorable à l’épanouissement de la culture, alors que, selon les auteurs antiques, Domitien s’était montré intolérant envers les allusions critiques littéraires attaquant la maiestas impériale, la sienne aussi bien que celles des empereurs précédents124. Au cours de son règne, Trajan a renoncé à l’accusation de maiestate125, et il semble avoir fait preuve d’une attitude tolérante propre à le distinguer de Domitien : il a d’ailleurs laissé, à son propre avantage, critiquer les «  mauvais princes  »126, ce dont ne se sont pas privés Pline, Martial et Juvénal, en s’attaquant à la mémoire de Domitien. Une anecdote rapportée par Philostrate dans ses Vies de sophistes au sujet des rapports entre Dion de Pruse et Trajan suggère que l’empereur se moquait bien des schemata contenus dans les discours de l’orateur, et qu’il ne cherchait pas à les décrypter. Il aurait honoré le sophiste (il l’aurait fait monter sur son char lors d’un triomphe sur les Daces) tout en lui répétant qu’il ne comprenait pas

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R. R. Nauta, Poetry for Patrons, p. 327–440. M. Galinier, La colonne trajane et les forums impériaux, Rome, 2007, p. 182–187, 220–224. Sur Trajan éducateur, voir aussi F. Trisoglio, La personalità di Plinio il Giovane nei suoi rapporti con la politica, la società e la letteratura, Torino, 1972, p. 89–94. C’est en effet ce qui aurait causé la mort de l’historien Hermogène de Tarse, du rhétoricien Maternus (voir supra), mais aussi, en partie, celles d’Helvidius le Jeune qui avait critiqué le divorce de Domitien dans un épilogue comique, d’Herennius Senecio dont l’éloge d’Helvidius Priscus comportait sans doute des critiques envers Vespasien, et peut-être aussi celle de Rusticus, qui avait composé un éloge de Thrasea, si du moins le parallélisme entre Domitien et Néron était déjà établi (voir Juvénal, iv, 38, pour le fameux « Néron chauve »), ce qui, selon Pline, aurait été le cas en 95, lorsque l’empereur fit mettre à mort Epaphrodite, le secrétaire a libellis de Néron et l’ancien maître d’Epictète, au motif qu’il avait attenté à la vie de Néron en aidant celui-ci à se donner la mort : Pan., 53, 3 ; Suétone, Dom., 14, 4 ; Dion Cassius, lxiii, 27, 3 ; lxvii, 14, 4. Sur la thématique du silence (et du suicide) comme réponse à l’oppression tyrannique dans la poésie épique flavienne, voir D. T. McGuire, Acts of silence. Pline, Pan., 42, 1 ; Ep., x, 82. Pline, Pan., 53, 3.

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ce qu’il disait, mais qu’il l’aimait comme lui-même127. L’empereur avait aussi permis à Silius Italicus, qui était gravement malade, de rester en Campanie lors de son aduentus, ce qui était interprété comme un indice de la nouvelle libertas128. Pline souligne surtout un rééquilibrage des rapports que le pouvoir entretenait avec la rhétorique d’une part, avec la philosophie de l’autre. Cet équilibre n’existait pas sous les Flaviens : Vespasien avait exclu les philosophes des privilèges qu’il a créés pour les professeurs de rhétorique129 ; sous son règne et sous celui de Domitien – comme le rappelle Pline – les philosophes avaient été chassés de Rome. Ce rééquilibrage s’opère très progressivement sous les Antonins, davantage dans une politique de cohérence et de continuité d’un empereur à l’autre que par la volonté précise de favoriser les philosophes. Pointant le petit nombre des philosophes dans la première moitié du iie siècle, S. Fein a souligné le fait qu’avant Marc Aurèle, le pouvoir impérial n’avait pas fait d’effort véritable pour améliorer de manière conséquente leurs conditions de vie et leur prestige130. Les bonnes relations avec les philosophes peuvent néanmoins être considérées comme la marque des Antonins, qui les distingue des Flaviens131. C’est Hadrien, plutôt que Trajan, qui semble avoir accordé l’immunité aux philosophes, mais Antonin l’a retirée aux plus riches d’entre eux. Marc Aurèle a ensuite créé quatre chaires d’Etat, rémunérées par un salaire conséquent de 10 000 drachmes par an tiré du fisc, pour les représentants des principales écoles philosophiques (les Platoniciens, les Stoïciens, les Péripatéticiens et les Epicuriens)132. Dans l’entourage de Trajan, on trouve des hommes qui possédaient à la fois de grandes compétences militaires ou bien administratives et des connaissances philosophiques : Pline naturellement, T. Avidius Quietus, C. Minicius Fundanus et Q. Sosius Senecio, qui étaient des amis de Pline et de Plutarque. Après les guerres daciques, Senecio reçut de Trajan, pour son habileté 127

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Philostrate, vs, 488. Pour des interprétations de cette anecdote, voir T. Whitmarsh, “Reading power in Roman Greece : the paideia of Dio Chrysostom”, dans Y. L. Too, N. Livingstone (éd.), Pedagogy and Power : Rhetorics of Classical Learning, Cambridge, 1998, p. 192– 213, part. p. 208–209. Pline, Ep., iii, 7, 7. Voir supra, c. 2. S. Fein, Die Beziehungen, p. 282–298. Dion de Pruse semble avoir été en bons termes avec Vespasien et Titus, mais ses rapports avec eux sont discutés, faute d’indices décisifs  :  H. Sidebottom, “Dio of Prusa and The Flavian Dynasty”, cq, 46, 2, 1996, p. 447–456. Dig., xxvii, 1, 6, 2 et 7 ; 27, 1, 6, 8 ; V. Nutton, “Two Notes on Immunities”, jrs, 61, 1971, p. 52– 63 ; J. H. Oliver, “Marcus Aurelius and the philosophical schools at Athens”, AJPh, 102, 1981, p. 213–225 ; S. Fein, Die Beziehungen, p. 291–296.

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militaire, des récompenses extraordinaires : les dona militaria consulaires, les ornements triomphaux et une statue publique accordée de son vivant133. On peut aussi mentionner L. Herennius Saturninus, proconsul d’Achaïe en 98–99, auquel Plutarque a dédicacé son ouvrage Contre Colotes134, ainsi qu’un autre ami de Pline, T. Pomponius Bassus, qui a atteint le sommet de sa carrière des honneurs sous Domitien, Nerva et Trajan135. Trajan a également fréquenté les sophistes Dion de Pruse et Polémon de Laodicée, ce dernier ayant obtenu de l’empereur le privilège d’utiliser la poste impériale136. On peut alors considérer le Panégyrique de Pline, aussi bien que le premier discours Sur la royauté de Dion, comme l’expression de cette bonne entente générale entre l’empereur et les élites socio-culturelles de son Empire. 3

Pline et le prince républicain

Jusqu’en 2011, on trouve encore dans les études portant sur le Panégyrique l’idée que ce texte n’a pas retenu toute l’attention qu’il méritait, en raison de la lecture fastidieuse qu’il réserve à un goût moderne. Il me semble qu’on ne peut plus soutenir cette affirmation, étant donné le nombre de travaux récents qui lui ont été consacrés. Il est à noter que ceux-ci, même quand ils s’inscrivent dans une perspective historique, sont centrés sur le caractère rhétorique de l’ouvrage, qui constitue en effet l’un de ses aspects les plus intéressants, selon le jugement de Pline lui-même, mais aussi pour comprendre l’objectif du Panégyrique137. 133

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Sur Q. Sosius Senecio (pir2 S 777), consul en 99 et en 107, voir cil vi 1444 ; ils 1022 ; Pline, Ep., i, 13 ; iv, 4. Plutarque lui dédia neuf livres des Quaestiones conuiuales, trois Vies parallèles, et le traité Quomodo quis suos in uirtute sentiat profectus ; voir C. P. Jones, Plutarch and Rome, p. 29–31 et 54–57 ; id., « Sura and Senecio », jrs, 60, 1970, p. 98–104 ; B. Puech, « Prosopographie des amis de Plutarque », p. 4883. pir2 H 126. Il fut consul suffect en 94 et gouverneur impérial de Cappadoce-Galatie entre 94/96 et 100. Voir Pline, Ep., iv, 23 ; pir2 P 705. Philostrate, vs, i, 532. Sur les hommes cultivés de l’entourage de Trajan, voir C. P. Jones, Plutarch and Rome, p. 53–60 ; S. Fein, Die Beziehungen, p. 226–230, 236–237. Les discours de Trajan étaient écrits par L. Licinius Sura, un des patrons de Martial, consul en 102 et en 105 ; il joua un rôle important dans les guerres daciques et il était réputé pour son eruditio et sa scientia, sans qu’on puisse établir de lien précis avec la philosophie : Martial, vi, 64, 9 ; Pline, Ep., iv, 30, 1 ; vii, 25, 15 (avec néanmoins une référence à des disputationes en vii, 27, 16) ; Julien, Caes., 28, 327 b ; sha, Hadr., 3, 11. Pline, Ep., iii, 13, 2–3. Voir les études récentes de G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 214–297 ; C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p, 24–136 ; P. Roche (éd.), Pliny’s Praise. The Panegyricus in the Roman World, Cambridge, 2011 ; R. Rees (éd.), Latin Panegyric. Pour une

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a La publication d’une actio gratiarum Le Panégyrique est issu du discours de remerciement, l’actio gratiarum, qui fut adressé par Pline à l’empereur, devant le Sénat, le premier jour de son consulat suffect, le 1er septembre 100. Il s’agissait d’un usage institué par sénatusconsulte sous Auguste sans doute138 : Il faut obéir au sénatus-consulte qui, dans l’intérêt général, a voulu que sous le titre d’actions de grâces, par la voix d’un consul, les bons princes reconnussent ce qu’ils font, les mauvais ce qu’ils devraient faire139. L’actio gratiarum de Pline est présentée comme une production du Sénat : avant d’être un remerciement personnel, c’est un remerciement collectif (publica actio gratiarum), formaté par une tradition sénatoriale. Pline s’exprime au nom de la res publica, en tant que consul et représentant de son collègue au consulat, Cornutus Tertullus140. Son discours cherche à définir ce qu’est un bon prince pour le Sénat et apparaît comme un miroir au prince à visée parénétique. Ce type de discours relève des rituels du pouvoir, dans la mesure où il était répété plusieurs fois par an et où il contribuait à la reconnaissance aussi bien qu’à la construction de la figure du princeps. En effet, en théorie, le consul, qui

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interprétation d’ensemble de l’ouvrage, voir notamment les excellentes études de M. J. Hidalgo de la Vega, El intelectual, p. 104–127, et de C. Ronning, Herrscherpanegyrik. Je m’intéresse ici surtout aux vertus du princeps et aux particularités du modèle de bon roi décrit par Pline, par comparaison avec ceux qui sont antérieurs ou contemporains. Ovide, Pont., 4, 35. Sur la genèse de ce type de discours et sur ses parentés rhétoriques, voir P. Roche, “Pliny’s thankgiving : an introduction to the Panegyricus”, dans P. Roche (éd.), Pliny’s Praise, p. 1–28, part. p. 1–4 ; D. C. Innes, “The Panegyricus and rhetorical theory”, ibid., p. 67–84 ; S. M. Braund, “Praise and Protreptic in Early Imperial Panegyric : Cicero, Seneca, Pliny”, dans R. Rees (éd.), Latin Panegyric, p. 85–108 (= M. Whitby (éd.), The Propaganda of Power : the Role of Panegyric in Late Antiquity, Leiden, 1998, p. 53–76). Pline, Pan., 4, 1 : Sed parendum est senatus consulto, quod ex utilitate publica placuit, ut consulis uoce, sub titulo gratiarum agendarum, boni principes, quae facerent, recognoscerent  ; mali, quae facere deberent, trad. M. Durry. Voir aussi Pan., 1, 2 (avec la même insistance sur le caractère institutionnel et collectif du discours) : Qui mos cui potius quam consuli aut quando magis usurpandus colendusque est quam quum imperio senatus, auctoritate reipublicae, ad agendas optimo principi gratias excitamur ?, « Cet usage, qui le doit suivre et observer sinon un consul, et quand sinon le jour où, sur l’injonction du Sénat et au nom de l’Etat nous sommes invités à remercier le meilleur des princes ? », trad. M. Durry ; Ep., iii, 18, 1 : Officium consulatus iniunxit mihi, ut rei publicae nomine principi gratias agerem, « Les devoirs du consulat m’ont imposé d’adresser au nom de l’Etat des remerciements au prince », trad. H. Zehnacker. Pan., 90, 1–3. L’actio privée avait d’ailleurs été interdite par Trajan : Pan., 4, 2. Voir aussi G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 222–223.

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est le plus haut représentant du Sénat, remercie le prince d’être un bon prince, soucieux des affaires publiques, en faisant son éloge. En pratique, le discours construit une communication avec le prince bien réel, et en cela surtout il est d’utilité publique : il permet au prince de prendre la mesure de ce qui est attendu, et au Sénat de lui rappeler ce qu’il attend141. Il participe donc de cette communication ritualisée qui se développe entre prince et sénateurs au sujet des vertus notamment142, au même titre que la relecture des discours d’intronisation du prince gravés sur des plaques de bronze, ou que la cérémonie liée au clipeus aureus offert à Caligula143, et qui a pour objectif d’inciter l’empereur à imiter un modèle du bon prince. L’actio gratiarum de Pline fait écho au discours programmatique que Trajan avait adressé aux sénateurs le premier jour de son troisième consulat, le 1er janvier 100144 : elle établit ainsi un dialogue avec l’empereur, qui construit la persona du prince – à la fois son image publique et son rôle politique – en reproduisant des discours antérieurs, mais aussi en les faisant évoluer, dans une mesure que l’on n’est pas à même d’apprécier ici. Elle constitue à la fois une sorte de garde-fou pour les sénateurs, puisqu’elle rappelle au nouvel empereur les grands principes qui sont à la base de l’accord qu’il a pour ainsi dire conclu avec le Sénat, et une exaltation de la figure du prince par l’éloge. Un tel discours n’était pas facile à composer et n’était pas toujours très apprécié, d’une part parce qu’il avait forcément un aspect répétitif, alors que l’orateur était jugé par les auditeurs pour ce qu’il apportait de novateur, et souvent pour son style, et d’autre part parce que des propos similaires étaient répétés pour le bon prince et pour le mauvais prince, ce qui entraînait le soupçon de flatterie145. L’actio gratiarum de Pline a été réécrite et développée, mais l’auteur a tenu à ce que le contexte premier, institutionnel, du discours ne soit pas oublié146. La publication a eu lieu dans les années qui ont suivi, sans doute à une date proche car il était de l’intérêt de l’auteur que la publication soit rapide pour que le discours ne perde pas son actualité147. Elle a probablement eu lieu avant 103, car Trajan a rappelé les pantomimes au théâtre après avoir obtenu le triomphe 141 142 143 144 145 146 147

G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 228, 231. Sur les notions de rituel, de communication ritualisée et sur l’analogie entre rituel et discours épidictique, voir G.  Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p.  30–34  :  et surtout C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 11–12, 14–18. Voir supra, c. 1. Pan., 66–67. Voir Pline, Ep., iii, 13 ; iii, 18, 6–7 ; vi, 27 ; Fronton, Ant., 2 Van den Hout. Pline, Pan., 1, 2 ; 4, 1 ; Ep., iii, 18, 1. Voir C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 39. Pour une discussion sur la date, voir P. Fedeli, « Il “Panegirico” di Plinio nella critica moderna », anrw, ii, 33, 1, Berlin, New York, 1989, p. 387–514, part. p. 408–411.

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sur les Daces et l’obtention du titre Dacicus (fin 102/début 103)148 ; or Pline loue l’empereur dans le Panégyrique de les en avoir chassés au début de son règne, ce qui suppose que son texte a été publié avant ce rappel149. Pline a voulu, dans sa correspondance, justifier cette publication qui semble avoir été exceptionnelle, eu égard à un type de discours difficile à faire et à entendre : il s’agissait d’une part de redoubler par écrit le miroir au prince pour Trajan, et d’autre part de le fixer durablement pour qu’il passe à la postérité, à l’intention des futurs princes150. On retrouve ainsi le double objectif de l’éloge, qui va assurer la gloire de Trajan, et de la parénèse. Celle-ci est destinée à l’empereur présent, car elle attire l’attention sur ses vertus, mises en évidence, et à ses successeurs, à l’intention desquels Pline crée un exemplum à partir de Trajan. Cette méthode pédagogique est jugée moins dangereuse et plus efficace que les leçons et les conseils donnés au prince151  :  les exemples de Macron, préfet du prétoire et mentor de Caligula, et de Sénèque étaient célèbres152. Pline précise que sa version réécrite a d’abord donné lieu à des lectures devant un auditoire d’amis. Celles-ci ont eu suffisamment de succès pour être prolongées sur trois jours, ce qui a constitué une sorte de test d’approbation avant la publication153. Cette dernière a certainement reçu aussi le soutien de Trajan, qui a tenu, au début de son règne, à faire diffuser les manifestations de

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Dion Cassius, lxviii, 10, 2. Pline, Pan. 46. Ep., iii, 18, 2 : Primum ut imperatori nostro uirtutes suae ueris laudibus commendarentur, deinde ut futuri principes non quasi a magistro sed tamen sub exemplo praemonerentur, qua potissimum uia possent ad eandem gloriam niti, « Je voulais d’abord faire valoir à notre empereur, par des louanges sincères, les vertus qui sont les siennes, puis montrer aux princes à venir, non sur un ton magistral, mais à la lumière d’un exemple, quelle était la route qui leur permettrait le mieux d’atteindre à la même gloire », trad. H. Zehnacker. Ep., iii, 18, 3  :  Nam praecipere qualis esse debeat princeps, pulchrum quidem sed onerosum ac prope superbum est ; laudare uero optimum principem ac per hoc posteris uelut e specula lumen quod sequantur ostendere, idem utilitatis habet arrogantiae nihil, « Car enseigner ce que doit être un prince est une noble tâche sans doute, mais pesante et plutôt présomptueuse  ; en revanche, faire l’éloge d’un excellent prince et montrer ainsi à ses successeurs, comme du haut d’un observatoire, la lumière qu’ils ont à suivre, c’est faire œuvre tout aussi utile, mais sans arrogance », trad. H. Zehnacker. Voir aussi Tacite, Hist., i, 15, 4 : « Donner à un prince les conseils qu’il faut exige beaucoup de peine ; flagorner n’importe quel prince, on y réussit sans que le cœur s’en mêle », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. Sur Macron, qui reçut aussi l’ordre de se suicider, voir Philon, Ambassade à Caius, 57–59 ; Suétone, Cal., 26, 1 ; Dion Cassius, lix, 10. Sur Sénèque, voir supra, c. 1. Ep., iii, 18, 4. G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 249–258, et à sa suite C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p.  44, insistent trop, à mon avis, sur le caractère collectif du texte après les auditions, qui n’ont concerné qu’un groupe restreint d’amis.

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soutien des sénateurs en insérant leurs acclamations dans les acta publica154. En ce sens, Pline a été utilisé par l’empereur comme communicant, par son Panégyrique d’abord, et peut-être ensuite par le livre X de sa correspondance, qui montre l’harmonieuse collaboration de l’empereur et de son légat propréteur dans le gouvernement du Pont-Bithynie. Le discours affiche donc un caractère consensuel entre le Sénat et le prince, il est d’ailleurs adressé aussi bien aux pères conscrits qu’à Trajan (ainsi qu’à Jupiter, qui est la pierre angulaire du principat de Trajan dans le Panégyrique)155. Pline s’inspire des actes et des propos de Trajan (en fait essentiellement de son troisième consulat et des faits qui ont précédé celui-ci à partir de l’adoption) beaucoup plus que ne l’a fait Dion de Pruse dans le premier discours Sur la royauté156. Il exploite notamment le discours tenu par Trajan au début de l’année 100, portant sur la liberté, la dignité, la sécurité du Sénat, le partage du pouvoir, et sur l’idée fondamentale de pacte avec les magistrats et avec Jupiter, par laquelle il définissait son principat157. Il s’agit à l’évidence d’un discours de type républicain, proche du discours d’avènement traditionnel sous les Julio-Claudiens (sauf pour l’idée du pacte avec Jupiter), qui visait à plaire aux sénateurs. Dans la même perspective, Pline a mis en avant, parmi les actes de Trajan, ceux qui ont une consonance républicaine, par exemple l’acceptation réservée du troisième consulat158. Il propose un modèle qui provient des attentes des sénateurs, notamment des sénateurs les plus conservateurs dont il faisait partie – comme le montre la familiarité qu’il revendique avec le cercle des Helvedii –, et de ce que Trajan a fait et dit pour répondre à ces attentes, contribuant ainsi à construire une idéologie impériale aristocratique, « mixte ». Il affirme la possibilité d’un accord entre prince et sénateurs, qui passe par une communication en miroir, ritualisée, comme on le voit lors du choix des magistrats au Sénat : Quand les noms des suffragateurs étaient accueillis avec les bravos habituels, tu y mêlais aussi les tiens, et cette approbation sénatoriale sortait 154 155 156

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Pline, Pan., 75. Voir C. Ando, Imperial Ideology and Provincial Loyality, p. 152–168 et 199– 205. Ce caractère consensuel a été souligné par G.  Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 214–297 et part. p. 230, puis par C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 107. Pline a choisi de traiter l’éloge en suivant un ordre chronologique, ce qui est une possibilité mentionnée par Quintilien, iii, 7, 10–18. Sur les énigmes (les dix ans de tribunat militaire de Trajan) et les distortions ou incompréhensions de Pline que recèlent les éléments biographiques du Panégyrique, voir P. Roche, “Pliny’s thankgiving”, p. 14–18. Pline, Pan., 67, 4–8. J. Béranger, « Le refus du pouvoir », dans Principatus, p. 165–190.

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de la bouche de César et ce témoignage que nous étions heureux de rendre au mérite devant le prince, était rendu par le prince. Tu les rendais donc parfaits en les déclarant tels, et ce n’est point seulement leur propre vie que tu approuvais, mais aussi le jugement du Sénat, et celui-ci se réjouissait d’être honoré, non moins que ceux que tu louais159. Le prince approuve donc les sénateurs qui l’approuvent ; le sénateur Pline approuve le prince qui approuve les sénateurs. L’ordre politique et social repose sur la réciprocité de cette approbation, qui n’est pas appelée consensus dans le Panégyrique160, peut-être parce qu’il ne s’agit pas d’un consensus général, mais seulement de l’accord entre le prince et les sénateurs : c’est essentiellement cet accord qui intéresse Pline. Pour Epictète, comme on l’a vu, il n’existe pas de communication possible entre le sénateur philosophe et le prince autoritaire, dont les personae sont antinomiques, la liberté absolue de l’un n’étant pas compatible avec le pouvoir monarchique, également absolu, de l’autre161. Chez Pline, la liberté dérive de l’obéissance volontaire, distinguée de la contrainte162. Elle caractérise aussi le prince qui, en répondant à certaines attentes des sénateurs, fait preuve d’obsequium vis-à-vis du Sénat163, et rétablit ainsi une communication particulière, de type circulaire. Celle-ci est aussi éloignée que possible du vrai débat d’idées, dont on peut douter qu’il existait encore dans le cadre du Sénat à la fin du ier siècle. Qu’il s’agisse d’une communication idéalisée ne fait pas de doute, car dans une lettre un peu postérieure, datée de 103/104, Pline décrit les comices au Sénat d’une toute autre façon, en soulignant les clameurs désordonnées et l’absence de dignité des sénateurs164. Même en 159 160 161 162

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Pan., 71, 7–8, trad. M. Durry. Voir aussi Pan., 74, pour cette communication en miroir. Le terme est peu présent (5 fois), de même que celui de concordia (4 fois). Voir supra, c. 2. Pan., 87, 1 : Trajan n’impose rien à ses amis (nihil cogere) et se souvient que la libertas est plus précieuse que la potestas qu’on lui a donnée. Pline rappelle que le prince a accepté de donner congé à un préfet du prétoire, non identifié, qui souhaitait se retirer dans l’otium, et bien que le texte ne contienne aucune allusion, on songe à l’exemple inverse de Néron refusant de laisser partir Sénèque en 62. Quatre occurrences de l’obsequium caractérisent le prince : Pan., 9, 10, 57, 78. Pan., 9, 3, concerne les rapports de Trajan, après son adoption, avec l’empereur Nerva : « Oui, tu as obéi, César, et tu es parvenu au principat par la soumission (ad principatum obsequio peruenisti) », trad. M. Durry. Pline, Ep., iii, 20, 3–4 : « Il faut dire que nous avions dépassé, dans nos scrutins publics à haute voix, le désordre des assemblées populaires. On ne savait plus ni observer son tour de parole, ni garder un silence réservé, ni même rester à sa place avec dignité. Ce n’étaient de tous côtés que clameurs discordantes, tous se portaient en avant avec leurs candidats, il se formait dans l’enceinte de nombreuses files et autant de groupes, dans une indécente confusion », trad. H. Zehnacker ; voir aussi Ep., iv, 25 ; pour la datation de ces lettres, voir

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supposant que ceux-ci s’étaient mieux tenus lors des premiers comices orchestrés par le nouvel empereur, certains d’entre eux avaient fait preuve d’une mauvaise volonté mentionnée par Pline, et balayée par son enthousiasme165. Cette communication en miroir explique les divergences d’interprétations du Panégyrique, qualifié de manifeste sénatorial aussi bien que de discours de propagande166. De fait, le texte est difficile à interpréter : il ne développe pas « la » vision sénatoriale, qui n’existe pas, mais Pline s’exprime en représentant du Sénat. Or, quand Trajan est revenu à Rome, en octobre 99, après avoir passé presque deux ans en Germanie loin du Sénat, il a visiblement fait des efforts pour se rapprocher de celui-ci en adoptant un discours conservateur et rassurant. Il n’a jamais renoncé complètement à cette perspective par la suite, car sa titulature, à la fin de son règne, reproduit un discours de type républicain167. On peut donc faire l’hypothèse que Pline présente sa proposition, très conservatrice, d’un modèle de princeps idéalisant Trajan, pour établir un accord durable entre le Sénat et l’empereur. Une autre particularité importante du Panégyrique réside dans son caractère performatif qui est revendiqué, comme on peut le voir dans la longue digression sur la franchise qui ouvre le discours168. La performativité est d’une part une stratégie choisie par Pline pour se dissocier des éloges faits au mauvais prince Domitien, et d’autre part une caractéristique du rituel169. En ce

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A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 259, 304. Voir E. Lefèvre, « Plinius’ Klage um die verlorengegangene Würde des Senats (3, 20 ; 4, 25) », dans L. Castagna, E. Lefèvre (éd., avec la coll. de C. Riboldi, S. Faller), Plinius der Jüngere und seine Zeit, München, Leipzig, 2003, p. 189–200. Sur les comices au Sénat, voir M. Durry (éd.), Pline, Panégyrique, app. vi, p. 241 ; R. Frei-Stolba, Untersuchungen zu den Wahlen in der römischen Kaiserzeit, Zürich, 1962, p. 197–213 ; ead., “Imperial Control of the Elections under the early Principate : commendatio, suffragatio and ‘nominatio’”, Historia, 16, 1967, p. 207–230. Pline, Pan., 71, 2 : « Dois-je plutôt t’admirer ou blâmer ceux qui ont fait paraître ton attitude magnanime en restant comme attachés à leurs sièges curules, ne sortant que la main et avec lenteur, et avec nonchalance et s’en faisant mérite ? », trad. M. Durry. Sur les différentes interprétations, voir P. Fedeli, « Il Panegirico di Plinio nella critica moderna », p. 492–497, et récemment G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 214–217. T. Frankfort, «  Le retour de Trajan aux apparences républicaines  », Latomus, 21, 1962, p.  134–144, qui s’appuie en particulier sur la titulature impériale mentionnée dans un diplôme militaire de Wiesbaden, daté du 8 septembre 116 et mettant en évidence le titre de proconsul (cil iii 870 = ils 301 = cil xvi, 62) : Imp(erator) Caesar diui Neruae f(ilius) Nerua Traianus Optim(us) / Aug(ustus) Germ(anicus) Dacic(us) Parthic(us) pontif(ex) max(imus) trib(unicia) po/testat(e) xx imp(erator) xiii proco(n)s(ul) co(n)s(ul) vi p(ater) p(atriae). Pline, Pan., 2–4. Pline, Ep., vi, 27, 3 ; voir B. Stollberg-Rilinger, « La communication symbolique à l’époque pré-moderne », § 20 sur les caractéristiques des rituels, que l’on peut retrouver dans le Panégyrique  :  ils sont normés, sont performatifs et induisent un changement d’ordre,

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sens, le texte de Pline témoigne d’un processus rapide de ritualisation de l’éloquence, mais aussi de la vie politique, puisque les fêtes et les cérémonies liées au prince se sont multipliées au premier siècle de l’Empire170. Le système de signes que constitue le rituel s’est développé et ces signes composent désormais un mode de communication, comme on le voit dans l’aduentus de Trajan en octobre 99 : son entrée, à pied, marquait une volonté de changement par rapport à celles de ses prédécesseurs, et elle a suscité l’interprétation de Pline qui la présente comme programmatique du règne171. Pline a porté l’accent sur des types de pratiques rituelles qui légitiment l’empereur en montrant que ses actes ont répondu à diverses attentes, celles du peuple, de l’armée, et surtout celles du Sénat, et C. Ronning a souligné l’importance de ces rites pour fonder le consensus entre le prince et le Sénat, exprimé par le Panégyrique172. Il faut néanmoins préciser qu’il ne s’agit pas de la seule forme d’accord et de communication qui serait désormais possible entre empereur et sénateurs. Il s’agit certes d’un terrain d’entente privilégié, car la communication symbolique aplanit les tensions173. Mais un autre terrain d’entente est celui des compétences relatives à la gestion de l’Empire, partagées par l’empereur et par les sénateurs, auquel Pline se montre très sensible dans le Panégyrique

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participent d’une mise en scène, évoquent un ordre temporel large en rappelant le passé et en engageant des actions futures. Voir sur ce thème, entre autres, A. Fraschetti, Rome et le prince, c. I ; S. Benoist, Rome, le prince et la Cité : pouvoir impérial et cérémonies publiques (ier siècle av.-début du ive siècle apr. J.-C.), Paris, 2005. Pline, Pan., 22–24  ; voir S.  Benoist, Rome, le prince et la cité, p.  54–60  ; C.  Ronning, Herrscherpanegyrik, p.  69–89  ; A.  Bérenger, E.  Perrin-Saminadayar (éd.), Les entrées royales et impériales  :  histoire, représentation et diffusion d’une cérémonie publique de l’Orient ancien à Byzance, Paris, 2009, p. 5–10, pour une introduction sur l’aduentus. C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 65–107, sur la constitution du principat de Trajan en rituel, base du consensus. Voir B.  Stollberg-Rilinger, «  La communication symbolique à l’époque pré-moderne  », § 23 : « Que la communication symbolique rappelle et renforce les valeurs et les normes sans les formuler en un discours explicite ni les justifier de façon argumentative ne doit pas être considéré comme une faiblesse – même si, d’un point de vue moderne, ce pourrait apparaître comme tel. Bien au contraire, grâce à sa plus grande imprécision, par rapport à une communication conceptuelle et abstraite, les éventuelles divergences d’interprétation entre ceux qui participent au processus de communication peuvent rester invisibles. C’est là une performance spécifique de la communication symbolique, qui est indispensable pour instaurer des structures d’organisation sociales stables. Ainsi, au cours de rituels politiques, la manifestation d’une unanimité qui, en fait, existe à peine, garantit une capacité d’action collective  ». Voir aussi C.  Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 185–187, sur la rhétorique comme stabilisation des formes d’interaction sociale.

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(on ne s’étonnera pas qu’il soit surtout attentif, étant donné ses attributions financières à l’Aerarium, à la gestion budgétaire de l’Empire par Trajan). L’idée centrale du Panégyrique est en effet que les compétences et les vertus sont récompensées par des honneurs174 : le principat de Trajan est une véritable méritocratie, avec à sa tête le plus compétent et le plus vertueux de tous les sénateurs, le princeps qui, lorsqu’il endosse le consulat, rend effective cette méritocratie des magistrats romains175. Il n’y a désormais plus de rivalité entre le Sénat et le prince, qui partagent une même reconnaissance de la dignitas176. Le prince privilégie aussi les meilleurs177. Les termes honor, gloria, gratia, laus et dignitas, qui renvoient aux récompenses traditionnellement attendues par l’homme politique romain, à la reconnaissance sociale qui lui était due, occupent une place très importante dans le texte178. La notion d’honneur est étroitement associée aux magistratures et aux titres, celle de dignité à l’activité (industria)179. b Les vertus morales d’un prince républicain Dans le Panégyrique, Trajan est désigné, par ordre de fréquence, par les termes princeps, consul, Caesar et imperator. La prééminence du mot princeps est écrasante180 : la figure du prince est clairement le sujet du discours181, le régime en lui-même, désigné comme principatus, n’apparaît que 9 fois. Les qualificatifs bonus/optimus sont presque toujours utilisés en association avec princeps, 174 175 176 177 178

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Pan., 44, 6–8 ; 70. Caesar et consul sont des co-ocurrences du verbe mereo, mériter. Pan., 72. Trajan est devenu l’ultime modèle de gloire, qui ne rivalise désormais qu’avec luimême : Pan., 13, 5. Pline est très sensible à la dégradation de la dignitas sénatoriale, que seul l’empereur lui semble pouvoir résoudre : Pan., 60 ; Ep., iii, 20, et iv, 25. Pan., 45, 3 ; 69, 4–6 ; 70. Le prince privilégie à la fois les plus nobles (les descendants des grandes familles de la nobilitas républicaine) et les plus compétents dans l’administration des provinces. Aucun nom de vertu singulière n’apparaît en nombre aussi important qu’honor, gloria et gratia : 64 occurrences d’honor, 34 de gloria, 11 de dignitas et 28 de dignus, 25 de gratia et 20 de gratus. Le mot fama apparaît aussi à 12 reprises. Sur l’importance de ces notions dans l’idéologie civique républicaine, voir J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin, p. 362–424. Honor a pour co-occurrences consulatus, consul, senatus, collega, candidatus, candido, imperium et titulus, et les trois occurrences d’industria apparaissent toujours dans le même paragraphe que dignitas. 238 occurrences de princeps, 74 de consul, 63 de Caesar et d’imperator. Le cognomen Augustus n’apparaît que 7 fois pour désigner Trajan, mais dans Pan., 88, 10, Pline précise que le surnom d’Auguste évoque toujours le fondateur du principat, alors que l’appellation d’optimus est plus propre à Trajan. Voir S. Benoist, « Pline le Jeune et Fronton, deux protagonistes d’un discours impérial en actes  », dans O.  Devillers (éd.), Autour de Pline le Jeune. En hommage à Nicole Méthy, Bordeaux, Paris, 2015, p. 37–48, part. p. 39–41. Pline, Pan., 4, 4.

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et malus l’est toujours182 : le Panégyrique se présente d’abord comme un discours moral et axiologique sur le prince. Le choix des termes appliqués à l’empereur indique le retour, par rapport à Sénèque, à un discours de type républicain. Princeps est opposé à rex (8 occurrences), qui a un sens négatif, et une fois à tyrannus183. Le bon prince Trajan est opposé au mauvais prince Domitien184, qui le plus souvent n’est pas nommé : on retrouve la traditionnelle opposition entre bon roi et tyran, plus discrète cependant que chez Dion de Pruse. Elle est justifiée par un principe rhétorique plutôt que philosophique : l’idée que l’éloge des bons princes passe par la censure des mauvais185. On observe donc une sorte de retour au début du principat, à une référence augustéenne non dite, que montrent l’importance des vertus morales, la mise en avant de la ciuilitas (par l’intermédiaire des vertus de simplicitas et de facilitas) et de la modestia, qui caractérisaient Auguste et Tibère, ainsi que l’idée du partage des pouvoirs. Mais les mentions d’Auguste et des prédécesseurs de Trajan sont presque absentes186, ou bien critiques : aucun d’entre eux n’était parfait, car leurs vertus étaient toujours gâchées par des vices187. Pline affiche donc la volonté de rupture qui était déjà présente dans le De Clementia : il prône un nouveau modèle, celui de Trajan, qui est une sorte de super-modèle républicain, notamment pour les vertus. L’empereur surpasse en effet les imperatores et les consuls de la République qui constituent les références en matière de vertus morales et civiques, comme c’est le cas dans le forum d’Auguste, ou, en

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Bonus et malus sont les deux principales cooccurrences de princeps. Sur 108 occurrences de bonus, 105 sont associées à princeps dans le cadre du paragraphe, et les 38 occurrences de malus sont associées à princeps. Les autres cooccurrences portent sur l’étendue physique de l’empire dirigé par le prince (terra, mare, campus), et sur son origine (gens, adoptio). Rex : Pan., 14, 5 (Eurysthée) ; 16, 5 (Décébale) ; 17, 1 et 3 (Décébale et rois alliés à lui ?) ; 18, 3 (rois étrangers) ; 43, 5 (au sujet des dons, parallèle entre les rois et les Césars avides) ; 55, 7 et 58, 3 (rois de Rome chassés). Tyrannus (Pan., 2, 3) désigne implicitement Domitien et s’oppose à ciuis. Sur la construction rhétorique du tyran Domitien, voir P.  Roche, “Pliny’s thankgiving”, p. 10–14. Pline, Pan., 53, 6. Auguste n’apparaît que deux fois (Pan., 11, 1 ; 88, 10), et les deux autres bons principes mentionnés dans la lex de imperio Vespasiani, Tibère et Claude, qu’une seule fois, de même que Vespasien (Pan., 11, 1). Même le nom de Domitien n’est mentionné qu’à deux reprises (Pan., 11, 1  ; 20, 5), ce qui montre bien la volonté de passer sous silence les noms des prédécesseurs, pour faire ressortir les modèles républicains : voir C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 89, qui renvoie à U. Häfele, Interpretationen zum Panegyricus des jüngeren Plinius, Freiburg, 1958, p. 33–42. Pline, Pan., 4, 5 ; 45, 1

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112, dans les monnaies républicaines restituées par Trajan188. Les personnages qui constituent les exempla républicains énumérés par Pline s’étaient approprié une grande vertu, dont ils avaient constitué leur cognomen, tels C. Laelius Sapiens, L. Calpurnius Piso Frugi, Q. Caecilius Metellus Pius, L. Cornelius Sylla Felix, Cn. Pompeius Magnus189. Le prince idéal concentre en lui toutes les vertus, et Pline tait soigneusement le goût pour les jeunes garçons et pour le vin que la tradition historiographique attribuait à Trajan, en évoquant sa temperantia, sa castitas et son abstinentia190. Prenant d’une certaine façon le contrepied de Sénèque, il attribue à l’optimus princeps 46 vertus morales, que nous avons classées en vertus philosophiques, républicaines (c’est-à-dire civiques et traditionnelles, caractérisant la nobilitas191), royales, individuelles et sociales, selon les distinctions antiques192.

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X X

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Concernant Trajan

républicaine (mos maiorum)

Cura Labor (laboriosus) Modestia Uirtus Moderatio Fides Liberalitas Reuerentia Dignitas (dignus)

Occurrences

philosophique

Vertu

G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 448–454. Pan., 88, 5–7. Voir Dion Cassius, lxviii, 7, 4  ; Julien, Caes., 8, 28, 34  ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 13, 10  ; sha, Hadr., 2, 7  ; 3, 3  ; 4, 5  ; Alex. Seu., 39, 1  ; M.  Durry, «  Pessimus princeps  », dans Mélanges Marcel Durry, Paris, 1970, p. 343–344 ; N. Méthy, « Eloge rhétorique et propagande politique sous le Haut-Empire. L’exemple du Panégyrique de Trajan », mefra, 112, 2000, p. 365–411, part. p. 396 n. 132. D’après J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin. Pour les vertus royales, voir Cicéron, Deiot., 9.  Pour la distinction entre vertus individuelles et sociales, voir Cicéron, de Orat., ii, 343–344.

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4 2 3 3 1 1 1 3 2 1 2 1 1 2 2 1 1

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11 11 10 10 10 7 7 6 6 5 5 5 5 5 5 (119) 4 4 3 3 3 3 3 3 3 3 2 2 2 2 2 (108) 2 1

royale

Pudor Pietas Benignitas Maiestas Obsequium Humanitas Uerecundia Caritas Seueritas Grauitas Sanctitas Frugalitas Fiducia Indulgentia Magnitudo (magnus) Facilitas Mansuetudo Simplicitas Fortitudo Patientia Tranquillitas Iustitia Clementia Uigilantia Sapientia Magnanimitas Temperantia Innocentia Aequitas Bonitas (bonus) Celeritas Diligentia

Concernant Trajan

républicaine (mos maiorum)

Occurrences

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1 1 1 1 1 Total = 290

royale

Concernant Trajan

républicaine (mos maiorum)

Humilitas Abstinentia Castitas Suauitas Hilaritas

Occurrences

philosophique

Vertu

X X X X X

L’approche quantitative des vertus, que nous privilégions ici, est complémentaire d’une approche qualitative qui a été déjà très bien faite par d’autres que nous, et qui est d’autant plus importante que Pline a lui-même souligné son travail stylistique193. Celui-ci a contribué à construire l’image d’un prince paradoxal et d’un prince au superlatif, par l’emploi des antithèses, des superlatifs, des accumulations et des images. Pline fait un usage rhétorique des vertus : les grandes vertus sont en effet déclinées en vertus secondaires, comme dans les traités rhétoriques, et les unes et les autres apparaissent dans des énumérations. En outre, elles sont banales, au sens où elles ne se distinguent pas des vertus mentionnées dans un corpus de textes politiques concernant la figure de princes, constitué par le sénatus-consulte de Pison père, le De Clementia et les Vies de Suétone194. Presque toutes sont des vertus sociales. Le Panégyrique contient un mélange de vertus morales et politiques issues du mos maiorum, qui sont les plus nombreuses, de vertus philosophiques qui se confondent parfois avec les précédentes, et de certaines vertus identifiées comme royales. Dans l’ensemble, le discours sur les vertus est républicain. Pline distingue des vertus qui seraient propres au prince et d’autres au consul, mais il n’est pas très explicite : le prince serait caractérisé par la ciuilitas du priuatus, le consul, en tant que magistrat le plus important, s’en éloignerait au contraire ; ses vertus, peut-on supposer, 193 194

Voir notamment R. Rees, “To Be and Not To Be : Pliny’s Paradoxical Trajan”, Bulletin of the Institute of Classical Studies, 45, 2001, p. 149–168. P. Roche, “Pliny’s thankgiving”, p. 8–10, conclut que la seule vraie nouveauté chez Pline réside dans la quantité des vertus focalisées sur la personne unique de l’empereur. Voir N. Méthy, « Eloge rhétorique et propagande politique », p. 396–397.

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seraient la seueritas, la grauitas, la magnitudo et la maiestas195. La maiestas, qui est à la fois une qualité royale et une valeur du mos maiorum, désignant celui qui est supérieur, sacro-saint, est ici une notion ambivalente, car étroitement associée à la loi de majesté qui a été utilisée par Domitien196 : Pline lui préfère la notion de grandeur, magnitudo, qui est aussi une vertu du sage cynico-stoïcien197. La majorité des qualités morales décrivant le bon prince sont aussi employées dans la Correspondance au sujet de l’entourage de Pline198 : la figure de l’empereur est ainsi assujettie aux normes sociales de la communauté aristocratique romaine, ce qui est logique puisqu’il est le meilleur parmi ces aristocrates. Mais l’horizon d’attente constitué par l’addition de ces valeurs n’est pas exactement le même dans la Correspondance et dans le Panégyrique. Certains traits sont spécifiques au bon prince : la facilité d’accès, la grandeur et la générosité, la capacité d’être clément. Par ailleurs, Pline porte l’accent sur la probitas et la grauitas de l’homme de bien dans ses lettres, mais sur le dévouement et sur la tempérance/modération dans le Panégyrique. Le prince est en effet caractérisé, de manière traditionnelle depuis la fondation du principat, par son labor et sa cura au service de l’Etat, et le pouvoir est défini comme une laboriosa et exercitata statio, une « garde pénible et difficile »199. On peut tracer un parallèle avec les premières statues de Trajan, qui semblent avoir été consacrées tout particulièrement à représenter le sérieux et la concentration avec lesquels le nouvel empereur se consacrait à sa fonction200. Mais, dans le Panégyrique, l’empereur n’a pas le privilège du labor et de la cura, il partage ces 195

196 197 198

199 200

Pline, Pan., 59, 5 : « Le prince doit ressembler le plus possible, le consul le moins possible à un simple citoyen », trad. M. Durry, mais la phrase latine est une adjonction ; cf. Pan. 4, 6 sur les oppositions de vertus qui caractérisent Trajan. L’idée exprimée par Pline s’appuie sur la notion républicaine du priuatus, qui n’est pas un magistrat, alors que sous l’Empire, habituellement, le princeps est distingué du priuatus  :  voir R.  Rees, “To Be and Not To Be”, p. 156–160. Voir aussi J. Béranger, « L’accession d’Auguste et l’idéologie du priuatus », Palaeologia, 7, 1958, 1–11 = Principatus, p. 243–258. Pline, Pan., 11, 1 ; 33, 4 ; 42, 1 ; au § 63, 4, il est question de la fausse maiestas, liée à la recherche des honneurs, des princes qui ont voulu être consuls sans participer à l’élection. Pline, Pan., 42, 1. N. Méthy, Les lettres de Pline le Jeune : une représentation de l’homme, Paris, 2007, p. 129, a relevé les qualités suivantes, classées par ordre de fréquence : grauitas et probitas (plus d’une dizaine d’occurrences)  ; uerecundia, diligentia, integritas, prudentia, reuerentia (entre 5 et 10) ; frugalitas, industria, modestia, moderatio, sapientia, seueritas, auctoritas, castitas, constantia, fidelitas, fides, patientia, prouidentia, rectitudo, ueritas, abstinentia, firmitas, fortitudo, iustitia, obseruantia, pietas, temperantia (moins de 5). Pline, Pan., 86, 3, trad. M. Durry ; la métaphore de la garde, statio, pour définir l’office du prince est augustéenne d’après Aulu-Gelle, xv, 7 ; voir J. Béranger, « Pour une définition du principat, Auguste dans Aulu-Gelle, xv, 7, 3 », rel, 21–22, 1943–1944, p. 144–154. Selon D. Boschung, « Ein Kaiser in vielen Rollen. Bildnisse des Traian », dans A. NünnerichAsmus (éd.), Traian, p. 163–171, part. p. 169–170, les premiers types statuaires de Trajan

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Chapter 3

vertus issues du mos maiorum républicain avec ses collaborateurs, les sénateurs dévoués à la res publica. On remarque aussi, dans cette perspective républicaine, que la dignitas caractérise davantage les magistrats que Trajan, la fides est attachée plus largement au peuple romain, aux représentants de son armée et du Sénat201. Les vertus qui apparaissent en revanche comme étant propres au prince idéal sont la mesure (moderatio, modestia) et l’accessibilité (facilitas, simplicitas), la bonté (benignitas, bonitas, humanitas), la générosité (liberalitas). A travers plusieurs termes (modestia, moderatio, pudor, uerecundia, temperantia etc.), Pline insiste sur la tempérance de Trajan. Les plus fréquents, modestia et moderatio, définissent un « style » de gouvernement. Modestia est lié à la notion de priuatus, qui renvoie au statut du simple citoyen n’exerçant pas de magistrature, et les deux se traduisent en particulier par le refus des honneurs202 : refus par Trajan du titre de pater patriae, accepté finalement avant la fin de 98203, refus du titre d’optimus qui lui fut proposé sans doute dès son avènement204, refus du troisième consulat en 99, parce qu’il était loin de Rome205, refus du titre d’Augusta pour Plotine et Marciana206. On peut aussi noter l’apparition de la sanctitas pour qualifier l’empereur et les membres de la domus impériale207  :  elle évoque le plus haut degré d’intégrité et de pureté, dans le domaine public comme dans celui du privé. Les vertus de l’épouse et de la sœur de Trajan témoignent de la moralité du prince

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sont d’une très grande simplicité qui les distingue des statues de Titus ou de Nerva ; son expression sévère et concentrée contraste avec le visage lisse et détendu d’Auguste et peut être rapprochée des têtes de Vespasien. Les portraits suivants sont plus variés. Dignitas des magistrats : 19, 1 ; 44, 5 ; 61, 2 ; 70, 8 ; 92, 1 (2 X) ; 93, 3 ; fides : 19, 4 ; 23, 6 ; 29, 2 ; 32, 1 et 4 ; 42, 1 ; 68, 5 ; 73, 4 ; 74, 3. Modestia et moderatio ont pour co-occurrence recuso  ; modestia a aussi pour cooccurrence la forme priuo. Sur la recusatio, voir J.  Béranger, «  Le refus du pouvoir  »  ; C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 115–118. Pline, Pan., 21, 1 ; J. Bennett, Trajan, p. 50–51. M. Durry, Pline, Panégyrique, app. i, p. 231. Pline, Pan., 56, 3–4 ; 57–58. Pline, Pan., 84, 6–8 ; J. Bennett, Trajan, p. 50–51 : la première attestation épigraphique de ce titre date de 104/105 (E. M. Smallwood, Documents illustrating the Principates of Nerva, Trajan and Hadrian, Cambridge, 1966, p. 106). Pline utilise l’adjectif sanctus, le plus souvent au superlatif, pour qualifier Trajan (Pan., 1, 3 ; Ep., x, 1, 1 ; x, 3 a, 3 ; x, 83), Nerva (Pan., 10, 4) et Plotine (Pan., 83, 5 ; Ep., ix, 28, 1). Il l’emploie également dans la correspondance, par exemple pour caractériser Fannia, la belle-mère d’Helvidius Priscus le Jeune ; voir N. Méthy, Les lettres de Pline le Jeune, p. 121–128. A partir d’Antonin, cet épithète caractérise parfois (peu souvent) des empereurs dans les inscriptions : voir par exemple cil ii 5232 = ee i 139 pour Antonin à Collipo ; cil viii 19493 = ils 439, et cil viii 1035, pour Caracalla à Cirta ; cil viii 4598 = ils 463 pour Macrin à Diana Veteranorum ; S. Lefebvre, Optimus princeps, optimus praeses, optimus ciuis. Les hommages publics en Bétique, Lusitanie et Maurétanie Tingitane, thèse Paris i, 1994, p. 106.

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(qui est leur paterfamilias), elles émanent en quelque sorte de lui, comme on l’a déjà vu dans le sénatus-consulte de Pison père208. Les femmes de la domus de Trajan sont également associées sur le monnayage impérial à de grandes vertus romaines, appropriées à la sphère du féminin : Plotine est liée à Pudicitia et à Fides, Matidie, la fille de Marciana, a été plus spécialement utilisée pour mettre en avant la pietas familiale209. Le prince remplit au sein de la société le même rôle qu’il tient au sein de sa famille : il doit réformer les mœurs en se constituant en exemplum. Pline critique en revanche l’exercice de la censure auquel les Flaviens étaient revenus, alors que les Julio-Claudiens avaient en général pris leur distance envers cette magistrature. Domitien, en 85, avait pris le titre de censeur perpétuel210. La censure ou bien la préfecture des mœurs sont liées à la contrainte211 : il semble que Domitien ait utilisé sa censure perpétuelle pour faire une application rigoureuse de la législation morale dont il disposait – les lois juliennes et la loi Voconia sur les restrictions d’héritage pour les célibataires et les filles, la loi Scantinia sur le viol des jeunes gens et jeunes filles libres, la loi de maiestate – pour, selon Pline, enrichir le trésor, à une période (85/86) où l’empereur a aussi recouru à une dévaluation monétaire, à des taxes et à des confiscations pour contrebalancer les dépenses considérables qu’il avait faites pour l’armée et pour son programme de constructions212. La uirtus a en général un sens moral, à l’exception de deux références qui renvoient à la traditionnelle uirtus guerrière romaine, ce qui constitue une nouveauté par rapport au portrait du bon roi chez Sénèque et Musonius213. Cette uirtus militaire, qui est une composante essentielle de l’image publique 208

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Voir supra, c. 1. Pan., 83, 3 : « Plus il est difficile de se porter garant des autres que de soi, plus il est louable que, étant parfait, tu aies rendu tout ton entourage semblable à toi » ; 83, 7 : « C’est l’œuvre de son époux qui l’a ainsi façonnée, ainsi formée » ; 84, 5 : « Elles ne pensent qu’à t’imiter, à suivre ton exemple. Aussi toutes deux ont-elles les mêmes mœurs, ayant les mêmes que toi », trad. M. Durry. Plotine est sancta, modica, parca, ciuilis, caractérisée par la uerecundia, le « respect » (§ 83) ; Marciana possède les vertus de simplicitas, ueritas, candor, et toutes les deux ont surtout en commun avec Trajan la moderatio et la modestia. Pudicitia : bmc ii p. 298 n° 733 (aureus) ; Fides : bmc ii p. 299 nos 740 et 741 (sesterces) ; Pietas : sur des monnaies en or, argent et bronze, bmc ii p. 300, nos 757–759, p. 301 n° 761. Dion Cassius, lxvii, 4, 3 ; Pan., 45, 6 : « Persévère seulement, César, et tes principes, tes actes obtiendront la puissance et les effets d’une censure. Car la vie du prince est une censure, et celle-là vraiment perpétuelle : sur elle nous nous dirigeons, sur elle nous nous guidons, et nous avons moins besoin d’ordres que d’exemple (nec tam imperio nobis opus est quam exemplo) ». Pan., 45, 4. Voir RG, 6, sur le rejet par Auguste, contrairement à César, de la préfecture des lois et des mœurs, étrangère au mos maiorum. Pan., 42, 1 ; Suétone, Dom., 8, 4–6 ; 12 ; B. W. Jones, The emperor Domitian, p. 72–98. Pan., 13, 1 et 5 (patria uirtus).

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de Trajan, avait fait sa réapparition sur les monnaies lors de la guerre civile qui a suivi la mort de Néron en 68, et elle était devenue un thème commun du monnayage en bronze de Domitien214. Pline ne pouvait pas ne pas louer les qualités de chef militaire de Trajan, qui est qualifié de fortissimus imperatorum215 : ces qualités expliquaient en effet son adoption par Nerva, et le nouvel empereur venait de passer presque deux ans loin de Rome pour renforcer les frontières septentrionales de l’Empire en Germanie, sur le Danube, et pour s’assurer du soutien de l’armée agitée après le meurtre de Domitien. C’était aussi de circonstance, car les préparatifs de la première guerre dacique avaient déjà commencé en 100216. L’éloge de Pline présente Trajan comme un chef de guerre paradoxal : il souligne d’une part sa proximité avec ses hommes (sa commilito), mais aussi son souci de rétablir la discipline dans les camps, et ces deux traits font apparaître Trajan comme un contre-modèle de Galba217. Trajan semble mêler deux traditions de commandement qui sont à l’origine du principat, la commilito étant associée à César, alors qu’Auguste, après les guerres civiles et le retour à un état de droit, avait pris de la distance avec les soldats, tout en instituant une discipline sévère, voire humiliante218. D’autre part, Trajan est caractérisé à la fois par son goût pour la guerre bien romain et par son amour pour la paix : il ne part en guerre que contraint219. Il s’agit d’un lieu commun

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bmc i p. 293 n° 14, pl. 50. 4 ; p. 351 n° 234 (denier de Galba) ; bmc ii p. 383 n° 384, pl. 76. 1 (Domitien) ; voir D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 105, qui recense aussi l’exploitation du thème monétaire de la Virtus tout au long du règne de Trajan. Pan., 91, 1 : optime principum, fortissime imperatorum. Fortissimus, qui qualifie aussi Trajan dans Pan., 2, 6, par opposition à Domitien, ou peut-être à Néron, renvoie au courage guerrier. M. A. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », p. 32. Sur la commilito de Trajan, voir Pan., 13 ; 15, 5 ; sur son souci de rétablir la discipline (problème pointé par Plutarque et Tacite pour expliquer l’échec de Galba), Pan., 18. Voir aussi Fronton, Prémisses de l’histoire, 10–11 ; Dion Cassius, lxviii, 7, 5. La commilito de Trajan est aussi représentée sur la colonne trajane : M. Fell, Optimus Princeps, p. 90 ; la scène 97 montre ainsi l’empereur galopant à l’avant de ses troupes, voir F. Lepper, Sh. Frere (éd.), Trajan’s Column. A  New Edition of the Cichorius Plates. Introduction, Commentary and Notes, Gloucester, Wolfboro, 1988, p. 143–146 ; = pl. 38 chez A. S. Stefan, La colonne trajane, Paris, 2015. Les monnaies mettent l’accent sur la fides exercituum, la disciplina militaris : O.  Richier, «  Les thèmes militaires dans le monnayage de Trajan  », Latomus, 56, 1997, p. 594–613, part. 608–612. Suétone, Aug., 24–25. Pan., 16, 1 ; 17, 4. La nouvelle image monétaire de Germania parue en 100 semble refléter cet amour de la paix : Germania trône sur un bouclier, tenant le rameau de Pax de la main droite, appuyée avec l’avant-bras gauche sur un haut bouclier, ce qui lui confère un aspect de securitas : W. Weiser, « Kaiserliche Publizistik in Kleinformat. Die Münzen der Epoche des Kaisers Traian », dans A. Nünnerich-Asmus (éd.), Traian, p. 145–162, part. p. 154–155.

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de la réflexion grecque sur le bon roi qui place ses capacités militaires au service de la paix, que l’on trouvait déjà dans les Res Gestae d’Auguste220. Mais Pline ne paraît pas très à l’aise dans son éloge de l’imperator Trajan : il souhaite une pacification sans guerre221, est peu clair sur les préparatifs de la première guerre dacique comme sur les objectifs de Trajan. Une certaine inquiétude apparaît aussi au sujet de la liberalitas, la générosité, du prince222. Cette qualité, mise en avant dans les Res Gestae223, avait distingué le principat de Néron. C’était une vertu royale, mais également une qualité républicaine dont le sens pouvait être négatif : elle désignait en effet l’homme politique qui voulait gagner des partisans à sa cause et elle était opposée à la seueritas224. Elle est aussi contraire à la moderatio et Pline, à la suite de Trajan, essaie de montrer que l’empereur est capable d’allier les deux dans le domaine financier : le prince avait publié dans un édit les dépenses de son retour à Rome, en regard avec celles du retour de Domitien après les guerres contre les Sarmates et les Suèves en décembre 92 – même si le coût des deux voyages n’avait sans doute aucun rapport, Trajan revenant d’une longue tournée d’inspection, Domitien d’une expédition militaire225. La liberalitas était une qualité particulièrement délicate pour un empereur, mais qui permettait aussi à Trajan de se démarquer des Flaviens : la gestion budgétaire rigoureuse de Vespasien lui avait valu la réputation d’avarice, de même qu’à Domitien les efforts fournis pour rétablir l’équilibre budgétaire après 85226. Elle est nécessaire aux relations que le prince entretient avec ses amis, avec l’armée et surtout avec le peuple : le terme est en réseau avec ceux de congiaire et de plèbe. Il est aussi associé à la perte des enfants (orbitas), en relation avec la réforme sur l’impôt du vingtième sur les héritages réalisée par Trajan qui a exempté de cet impôt tous les parents au premier et au deuxième degré, ceux qui avaient accédé à 220 221 222

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Isocrate, Evagoras, 28, 61–62 ; A Nicoclès, 24. La section finale des Res Gestae (§ 25–33) est consacrée aux exploits militaires et au rôle pacificateur d’Auguste. Pan., 16, 3. Pan., 41, 1 : « Tu excuseras, César, mes préoccupations et mes inquiétudes de consul : quand je pense que tu as à la fois refusé les contributions volontaires, accordé le donatiuum, distribué le congiaire, chassé les délateurs, adouci les impôts, il faut, me semble-t-il, te demander si tu as suffisamment tenu compte des recettes de l’Etat. L’effet de l’économie (frugalitas) d’un prince est-il assez fort pour suffire à compenser tant de frais, tant de dépenses ? », trad. M. Durry. rg, 15–23, où le caractère privé de ces dépenses est souligné. Cicéron, Brut., 297 ; J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin, p. 215–221. Ce sens négatif est présent dans Pan., 38, 4.  Sur l’évolution de la Liberalitas dans le monnayage, voir C.  F. Noreña, “The Communication of the Emperor’s Virtues”, p. 160–164. Pan., 20, 5. Suétone, Ves., 16 ; 19, 6 ; Dom., 12.

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la citoyenneté en vertu du droit latin et qui étaient auparavant dépourvus des droits de cognatio, ainsi que les bénéficiaires d’un héritage trop petit227. La liberalitas désigne donc en particulier, dans le discours de Pline, la politique sociale de l’empereur. Certaines qualités du prince changent en fonction des relations avec les différentes institutions – la liberalitas est surtout adaptée pour le peuple, la uirtus guerrière n’apparaît que dans les passages relatifs à l’expérience militaire de Trajan – alors que d’autres, comme la moderatio et la reuerentia ou respect, sont requises dans toutes les situations de communication. Le sens du devoir, pietas, est associé dans le discours de Pline avec le temperamentum, qui est l’art du mélange228. Cette combinaison de différentes vertus à adapter en fonction des circonstances représente chez Pline un idéal humain, et elle est ce qui ressemble le plus à cette habileté politique qui avait fait défaut à Galba, et dont la présence ou le manque est exprimé dans les textes latins par l’intermédiaire des vertus229. Il est donc difficile de trouver des qualités qui définissent vraiment le prince dans le Panégyrique : il est caractérisé par l’alliance de qualités antithétiques, ainsi que par l’accumulation des qualités dans son unique personne, qui lui permettent d’être différent selon les circonstances, les institutions auxquelles il s’adresse, les magistratures qu’il exerce230. De la même manière, la notion d’optimus est à la fois ouverte et floue, alors que dans la légitimation du principat par l’adoption du meilleur, telle qu’elle 227

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Pan., 37–40. Les principales cooccurrences de liberalitas sont congiarus, plebs et orbitas. La liberalitas de Trajan est aussi soulignée dans deux inscriptions de Rome, cil vi 955 = ils 286 (remerciements des 35 tribus à l’empereur qui a fait ajouter des sièges au Cirque Maxime) ; cil vi 40493 (inscription honorifique sur les marchés de Trajan). Pan., 3, 1 ; 10, 3 ; 55, 5 ; 79, 5. Le mot temperamentum apparaît quatre fois, et il est toujours associé à pietas à l’échelle du paragraphe. Sur le temperamentum, voir G. Galimberti Biffino, « Il temperamentum e l’uomo ideale dell’ eta’ traianea », dans L. Castagna, E. Lefèvre (éd., avec la coll. de C. Riboldi, S. Faller), Plinius der Jüngere und seine Zeit, Münich, Leipzig, 2003, p. 173–187. Dans une perspective un peu différente, C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 106–129, parle d’un « prince caméléon » qui, tel un acteur, remplit différents rôles. Pan., 4, 5–6 : « Tel s’est illustré à la guerre, qui s’est obscurci durant la paix ; tel autre s’est distingué sous la toge, mais non pas sous les armes ; celui-ci a cherché le respect, mais par la terreur ; tel autre l’amour, mais par l’abaissement ; celui-ci a perdu au dehors une gloire acquise dans sa maison, celui-là a perdu dans sa maison une gloire gagnée au dehors ; enfin personne jusqu’ici ne s’est rencontré dont les vertus ne fussent gâtées par le voisinage de quelque défaut. Au contraire quel accord et quel concert de toutes louanges et de toute gloire est le lot de notre prince ! Sa gaieté n’enlève rien à sa gravité, sa simplicité à son autorité, sa bonté à sa majesté (Vt nihil seueritati eius hilaritate, nihil grauitati simplicitate, nihil maiestati humanitate detrahitur) », trad. M. Durry.

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est attribuée à Galba, cette notion semble avoir été définie par l’extraction noble et la perfection morale231. Pline invoque au début de son discours la tradition républicaine selon laquelle l’optimus ciuis doit avoir une part prééminente dans la gestion de la res publica232 : selon la conception aristocratique, l’optimus était le fortis uir, qui prévalait par son talent militaire, ainsi qu’un représentant de la noblesse ; à la fin de la République, pour les optimates (pour Cicéron notamment), il était le défenseur de la tradition sénatoriale233. Mais le surnom d’optimus est polysémique chez Pline : Trajan est aussi optimus parallèlement à Jupiter, par rapport aux grands hommes de la République ou bien aux princes précédents, et par ses actions militaires et civiles234. Comme Pline le laisse entendre, Trajan n’est pas le premier empereur à avoir été qualifié d’optimus235, et les antécédents font supposer que ce qualificatif avait des connotations variées. Plusieurs inscriptions caractérisent Tibère, Caligula ou Claude d’optimus princeps en Italie236. Selon Suétone, l’un des nombreux surnoms de Caligula était optimus maximus Caesar, qui suggère un rapprochement avec Jupiter Optimus Maximus 237. D’autres sources corroborent l’idée qu’un rapprochement avec le roi des dieux était souhaité par Caligula238, 231 232

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Voir supra : le meilleur était le plus noble et le plus vertueux. Pan., 2, 7 : « Est-il rien qui convienne mieux à un citoyen, mieux à un sénateur que ce surnom d’Optimus que nous lui avons décerné et dont l’insolence de ses prédécesseurs lui a fait un surnom particulier, personnel ? », trad. M. Durry. Cette tradition républicaine était formulée dans la lex Ouinia, datée entre 339 et 312, selon laquelle les censeurs devaient choisir parmi les sénateurs les meilleurs citoyens (Festus, 290 L). Voir aussi J. Vogt, « Vorläufer des optimus princeps », Hermes, 68, 1933, p. 84–92, à propos des exemples de Scipion Nasica, désigné par le Sénat comme uir optimus en 205 av. J.-C., et de Q. Lutatius Catulus, consul en 78 av. J.-C., chef des optimates, adversaire de Lépide et de César, et qualifié par Sylla et Cicéron d’optimus. J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin, p. 350–353, 494–500. G. Seelentag, Taten und Tugenden, p. 242–246. Pan., 2, 7, cité supra. Voir B. Scardigli, « Da Traianus Optimus Princeps a Traianus Optimus Augustus », qucc, 18, 1974, p. 57–103. Tibère : ae 1976, 653, Burdur (princeps optimus) ; cil vi 93 (ae 1953, 89), Rome (optimus ac iustissimus princeps) ; Caligula : cil xi 3872 Capena (principi optumo ac iustissimo) ; G. Gregori, « Suetonio, Cassio Dione e la titolatura di Caligola alla luce di una nuova iscrizione da Brescia », dans G. Ghini (éd.), Caligola. La trasgressione al potere. Catalogo della mostra, Nemi, 2013, p. 75–76 ; Claude : cil x 1401 ; voir S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 103. Suétone, Cal., 22. Voir Philon, Ambassade à Caius, 346 : Caligula aurait voulu s’approprier le temple de Jérusalem et se le faire dédier avec une inscription “A Caius, le nouveau Jupiter Epiphane” ; selon Suétone, Cal., 22, et Dion Cassius, lix, 28, 3–4, il aurait projeté de remplacer la tête du Zeus de Phidias à Olympie par sa propre face et, dans le passage mentionné, Suétone évoque d’autres associations avec Jupiter  ; voir aussi Flavius Josèphe, aj, xix, 1.  Voir E. Rosso, « Dieux à visages d’empereurs », p. 237–253, sur Caligula.

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mais le passage de Suétone évoque des surnoms qui rappellent ceux des Antonins. Dans tous les cas un tel surnom, s’il a existé, n’était pas officiel et il a pu être donné à l’empereur par des poètes ou bien par des flatteurs. Claude est désigné dans un décret du Sénat comme princeps optimus parensque publicus239 : dans cette dernière formule, optimus a peut-être une nuance affective que l’on trouve dans le vocabulaire funéraire, dans les expressions du type « au meilleur mari », optimo uiro240. L’adjectif optimus et l’expression optimus princeps sont aussi employés dans les lettres de Pline pour évoquer Nerva241. Avec Trajan est apparue la formule épigraphique optimus maximusque princeps242, qui renvoie au parallèle avec Jupiter. Selon D. N. Schowalter, c’est précisément pour éviter ce rapprochement que Trajan avait d’abord refusé le surnom officiel d’optimus243. Il ne l’a accepté que progressivement, en laissant d’abord apparaître dans les légendes monétaires la formule SPQR OPTIMO PRINCIPI à partir de 103, avant d’intégrer optimus dans sa titulature officielle en 114 : à ce moment, le contexte des guerres parthiques tire ce surnom dans le sens traditionnel du fortis imperator, ou bien de l’aristos au sens grec (homérique)244. Le portrait du l’optimus princeps dans le Panégyrique n’est donc pas caractérisé par une très grande rigueur, et Pline, en dépit des objectifs de sa publication, est plus dans la communication que dans la construction d’un discours rigoureux sur le bon prince. Mais ce portrait est structuré par une antienne : le prince doit être le meilleur des sénateurs, c’est ainsi qu’il est acceptable aux yeux des sénateurs conservateurs très attachés à la notion de méritocratie. c Le corps de l’empereur Dans le Panégyrique, une importance particulière est attachée au corps et à ses parties245. Les éléments corporels sont en général pris au sens physique 239 240

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Pline, Ep., viii, 6, 10 ; cil x 1401. S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 192–194 : bonus et optimus ont été aussi utilisés dans les inscriptions honorifiques pour les gouverneurs et les représentants de l’empereur au iie siècle, et le sens laudatif pouvait se doubler de l’expression de liens personnels (dans le cas où le destinataire de l’hommage était un patron). Pline, Ep., ii, 1, 3 ; ii, 13, 8 ; ix, 13, 23 ; Pan., 7, 4. D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 44. cil ii 2010, 2054 ; viii 7967 ; ix 1455 ; xi 1147 ; R. Frei-Stolba, « Inoffizielle Kaisertitulaturen im 1. und 2. Jahrhundert n. Chr. », mh, 26, 1969, p. 18–39, part. p. 28–29. Cette formule est apparue en péninsule Ibérique vers 111–112 : S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 103. D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 42. M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, p. 114. Le vocabulaire du corps est riche et varié : l’œil, oculus (29 occurrences) ; le corps, corpus (15) ; l’oreille, auris (12) ; la main, manus (12) ; le visage ou la bouche, os (10), et la voix, uox (17) ; la force, robur (5) ; le front, frons (4) ; le membre, membrum (2) ; la santé, ualetudo (2) ; la rapidité de déplacement, uelocitas (1) ; le sourcil, supercilium (1) ; les bras, lacerti

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du terme : on trouve une seule référence au sens figuré de corpus, mais pas pour exprimer l’idée que l’empereur est la tête ou l’âme de l’Empire, comme on l’avait vu chez Sénèque246 ; Pline revient à la conception aristocratique d’un Etat dont la noblesse serait la tête et la plèbe le corps247. Dans le jugement liminaire porté sur Trajan, les critères physiques viennent juste après les valeurs morales auxquelles ils sont étroitement associés : Sa force, la grandeur de sa taille, la beauté de sa tête, la noblesse de ses traits, sans compter cette inflexible maturité, sa chevelure qu’un don des dieux a orné des marques prématurées de la vieillesse qui ne fait qu’accroître sa majesté, tout cela n’annonce-t-il pas aux quatre coins de l’univers un souverain ?248 A la fin du ier siècle, plusieurs témoignages soulignent l’importance du corps dans le jugement sur les empereurs : Tacite, dans les Histoires, affirme qu’il s’agit d’un trait du jugement populaire, mais qui est largement partagé, et le critère physique a en effet été intégré par Suétone dans la composition de ses biographies rédigées vers 120249. Pour Quintilien, l’éloge du corps est un élément secondaire (l’objet central de l’éloge est le caractère, l’animus), mais qui doit être traité, si possible en soulignant la beauté et la vigueur de la personne louée, ce qu’a fait son élève Pline250. La présentation qu’il donne de Trajan dans le Panégyrique est dans une certaine mesure l’équivalent des statues héroïsées de l’empereur, qui ne constituent qu’une partie de ses représentations possibles251. Le corps traduit en effet la maiestas, la

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(1). Nous nous contentons ici d’analyser le terme corpus, en réservant pour plus tard une étude exhaustive de l’ensemble de ces termes. Voir supra. Pan., 26, 6. Pan., 4, 7 : Iam firmitas, iam proceritas corporis, iam honor capitis, et dignitas oris, ad hoc aetatis indeflexa maturitas, nec sine quodam munere deum festinatis senectutis insignibus ad augendam maiestatem ornata caesaries, nonne longe lateque principem ostentant  ?, trad. M. Durry. Tacite, Hist., i, 7, 3 : « L’âge même de Galba était un objet de dérision et de dégoût pour des hommes accoutumés à la jeunesse de Néron, et qui jugeaient les empereurs comme le peuple les juge, sur la prestance et la beauté physique (forma ac decore corporis) », trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec. Quintilien, iii, 7, 12. D. Boschung, « Ein Kaiser in vielen Rollen », p. 166, mentionne notamment la statue du Musée des Thermes romains (Musée national de Rome, Inv. 124.481 ; Abb. 188 p. 169) : l’empereur porte une peau de lion, dont les pattes sont nouées sur l’épaule droite, et une couronne de pins comme le dieu Siluanus ; deux bustes à Copenhague et à Münich le

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sacro-sainteté, du princeps – vertu dont on a vu la nature ambivalente, en raison des procès de maiestate. Mais le corps semble être le lieu qui permet l’expression positive, inoffensive, de cette qualité nécessaire au princeps, qui est aussi une qualité divine252. La chevelure blanche qui est précisément associée à cette majesté est rapportée à un don des dieux, munus deorum, et cette expression renvoie à l’idée que Trajan, choisi par Jupiter, est lui-même, par sa pureté morale, un munus deorum pour les hommes253. Pline souligne en particulier un autre trait distinctif de Trajan, sa taille haute254. Ainsi, alors que l’attitude du prince doit exprimer la simplicitas, ce qui l’empêche donc de recourir à l’apparat pour se démarquer, et que ses actions doivent obéir à la moderatio et à la modestia qui sont ses principales vertus, il est bien vu que son corps représente la supériorité de son rang et aussi de sa nature. Cette idée semble renvoyer à la conception hellénistique de l’apparence majestueuse du roi, qui était exposée à la fin de la République par Philodème de Gadara dans son traité Sur le bon roi, adapté aux principes romains : la beauté des rois est importante, car elle crée un sentiment de crainte respectueuse et rend le souverain semblable aux dieux ; mais il ne faut pas lui accorder d’attention excessive, comme l’avait fait Démétrios Poliorcète255. Cette supériorité est d’ordre moral, puisqu’à chaque élément du corps est attachée une valeur (à la tête l’honor, au visage la dignitas, etc.)256. Inversement,

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montrent portant l’égide et d’autres attributs renvoyant à la victoire militaire (cop. ny Carlsberg Glyptothek, Inv. 1723 ; Glyptothek de Münich, Inv. Nr. 335 ; Abb. 179. 190 p. 170). Voir la description physique d’Auguste chez Suétone, Aug., 79, 3 : « Auguste avait les yeux vifs et brillants ; il voulait même que l’on crût qu’ils tenaient de la puissance divine. Quand il regardait fixement, c’était le flatter que de baisser les yeux comme devant le soleil ». Sur le corps du prince, voir S. Benoist, « Le prince nu. Discours en images, discours en mots. Représentation, célébration, dénonciation », dans F. Gherchanoc, V. Huet (éd.), Vêtements antiques, Arles, 2012, p. 261–277 ; pour le début du principat, voir J. Meister, Der Körper des Princeps. Zur Problematik eines monarchischen Körpers ohne Monarchie, Stuttgart, 2012, p. 109–269. Pan., 1, 3 : Quod enim praestabilius est aut pulchrius munus deorum quam castus et sanctus et dis simillimus princeps ?, « Quel présent du ciel est plus précieux ou plus beau qu’un empereur vertueux, saint et tout semblable aux dieux ? », trad. M. Durry. Voir aussi Pan., 22, 2 ; 61, 1–2. Philodème de Gadara, Sur le bon roi, col. xxxvii-xxxix. Voir Isocrate, Evagoras, 22 ; A Nicoclès, 19, 29–30, 32  ; Dion de Pruse, Or. ii, 49. Sur Démétrios de Poliorcète comme exemple du roi trop attaché à sa beauté : Duris, fgh, 76, F 14 ; Philodème, Sur le bon roi, coll. xxxvii ; Plutarque, Demetr., 41. Voir Pseudo-Denys, 273, 18–22 ; 274, 14–22, sur le visage du nouveau gouverneur qui traduit sa bienveillance et sa majesté.

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un vice est lié à chaque élément du corps du mauvais prince Domitien257. De manière générale, Pline construit un strict parallélisme entre le corps et l’âme258. Le corps de l’empereur reflète les qualités de son caractère aussi bien en vertu d’une interprétation physiognomonique qu’en raison de l’expressivité de ce corps : lorsque Trajan prononce, le premier jour de son troisième consulat, son discours programmatique devant le Sénat, l’actio de l’orateur révèle sa fermeté, sa fides259, et les larmes de l’empereur expriment la ueritas, la sincérité, de ses rapports vis-à-vis de son père adoptif ou bien des sénateurs260. Le corps apparaît donc comme un vecteur important de la relation de confiance qui s’établit entre le prince et ses concitoyens. Une attention particulière est aussi portée aux exercices physiques, aussi bien aux exercices militaires, nécessaires pour instaurer la discipline dans les camps, qu’aux loisirs du prince qui sont la chasse, activité traditionnelle de l’aristocratie romaine, et la navigation261. Ces loisirs font apparaître l’idéal d’une âme forte dans un corps robuste, la vigueur de Trajan étant opposée au luxe et à la paresse des mauvais princes (et de Domitien en particulier)262. L’entraînement physique est associé à l’idée d’épanouissement, et, de manière générale, le corps est lié à la notion de plaisir263. d Les institutions et la gestion de la res publica L’approche quantitative souligne une autre particularité du discours de Pline, en rétablissant le juste équilibre entre dimension morale et dimension institutionnelle : elle montre en effet l’importance d’une approche institutionnelle et technique du principat, qui est absente des discours philosophiques de Sénèque, de Musonius ou de Dion. Les termes relatifs aux institutions sont aussi nombreux que ceux qui se rapportent aux vertus264. 257 258 259 260 261

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Pan., 48, 4 : « Après quoi, lui, terrible aussi à rencontrer, et à voir ; la superbe au front, la colère dans ses yeux, une pâleur de femme sur le corps, sur le visage une impudence masquée d’une épaisse rougeur », trad. M. Durry. Pan., 18, 3 ; 61, 2 ; 76, 3. Pan., 67, 1. Pan., 11, 1 ; 73, 4. Voir A. Hostein, « Lacrimae principis, les larmes du prince devant la cité affligée », dans M.-H. Quet (dir.), La « crise » de l’Empire romain, p. 211–234. Pan., 18 ; 82–83. Voir aussi § 33, 1 : mêmes les combats de gladiateurs offerts par Trajan donnent à voir, dans le corps des esclaves et des criminels, l’amour de l’éloge et le désir de victoire. Voir P. Le Roux, « L’empereur romain et la chasse », dans J. Trinquier, C. Vendries (dir.), Chasses antiques. Pratiques et représentations dans le monde gréco-romain (iiie siècle av.-ive siècle apr. J.-C.), Rennes, 2009, p. 23–35. Pan., 82, 1–6. Voluptas est la seconde co-occurrence de corpus. Consul (74 occurrences) ; imperator (63) ; consulatus (55) ; senatus (45) ; ciuis (38) ; populus (26) ; respublica (31) ; exercitus (9) ; arma (9) ; plebs (6).

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Parmi les institutions, on note naturellement la présence écrasante du Sénat, en tant que corps265. Il représente le peuple romain, mais Pline, bien qu’il reconnaisse explicitement l’importance de la plèbe et de l’armée, semble mentionner celles-ci le moins possible  :  son discours est focalisé sur le dialogue entre le Sénat et le prince. Au sein des magistratures, c’est surtout celle du consul qui retient l’attention de Pline, comme elle avait déjà retenu celle de Polybe266 : la gestion du consulat, qui fait partie de la titulature impériale, constitue un élément essentiel de la définition du bon prince. Le consulat représente à la fois l’honneur suprême de la « pourpre souveraine » et le symbole de la liberté républicaine, car, selon la tradition romaine, l’apparition des deux consuls dans l’histoire de Rome a marqué la fin du regnum267. En endossant le troisième consulat dans le respect des procédures républicaines, Trajan a rehaussé la dignité du Sénat. En l’ayant d’abord refusé, il s’est distingué de Domitien qui avait accaparé 17 consulats, empêchant des particuliers d’atteindre le sommet du cursus honorum (qu’il ait accordé le consulat ordinaire à des sénateurs extérieurs à la famille impériale n’est pas pris en considération par Pline268) ; le fait que d’autres que le princeps puissent ouvrir l’année et inscrire leurs noms en tête des Fastes est considéré comme une preuve de la nouvelle liberté des sénateurs269. Trajan semble avoir pris ce message en considération, car durant tout son règne, il a observé une gestion calculée du consulat : il ne l’a exercé que quatre fois (en plus des deux consulats accomplis sous Domitien), en 100 puis en 101, lors de son retour à Rome et de la préparation de la première guerre dacique, en 103 à la fin de cette guerre, et en 112 au début de la guerre parthique270. Une seconde particularité consiste dans l’approche gestionnaire du principat de Trajan. Le rôle du princeps gouvernant pour l’utilité publique, et non pour lui, est tout à fait traditionnel271. Son caractère paternel qui est, comme chez Sénèque, en lien avec le titre de pater patriae272, se traduit par la recherche du bien-être de son peuple et par le souci de la jeunesse, dont il faut assurer la subsistance et la formation culturelle et morale. Ces fonctions 265 266 267 268 269 270 271 272

Il n’y a que quatre occurrences de senator. Polybe, vi, 11–12. Pan., 58, 3 ; 78, 3. B. W. Jones, « Domitan’s attitude to the Senate », AJPh, 94, 1973, p. 79–91, part. 80–83 ; C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 116. Vespasien aussi avait été huit fois consul en dix ans de règne. Pan., 57–58 ; 78. C. Ronning, Herrscherpanegyrik, p. 117. Voir part. Pan., 6–7. Pan., 21. Voir supra, c. 1.

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habituelles, Pline montre que Trajan sait les remplir à partir d’exemples précis, tirés des premières mesures prises par l’empereur. Ainsi le topos très ancien, selon lequel le règne du bon dirigeant engendre la prospérité, apparaît dans le Panégyrique à travers l’exemple de l’Egypte273. L’année 99 a été marquée par une mauvaise crue du Nil, qui a engendré une disette dans le pays : l’empereur est venu au secours de la province en lui envoyant du blé. Cet exemple fait ressortir des vertus du prince (sa bonitas et sa uigilantia274), ce qui est une interprétation habituelle : dans l’Odyssée où figure la plus ancienne attestation de ce topos, la prospérité est liée à la justice et à la piété de la reine Pénélope, comme dans le traité Sur le bon roi de Philodème de Gadara. Dans le De Clementia de Sénèque, elle est aussi associée à la justice, la paix, la pudeur, la sécurité et la dignité engendrées par le règne du bon roi275. Dans l’art augustéen, elle figure, en général sous la forme d’une femme portant la corne d’abondance (la Tellus), en liaison avec la capacité de l’empereur à assurer la paix par sa politique militaire et par ses relations avec les dieux (sur l’enceinte de l’autel de la Paix, sur la gemma Augustea, sur la cuirasse de la statue dite de la Prima Porta). Or, l’exemple égyptien est utilisé de façon paradoxale, car la prospérité du pays, tributaire des crues du Nil, était directement mise en rapport avec la personne du roi dans la tradition égyptienne. Elle était signe de faveur divine. Cette tradition a été relayée par les Grecs et les Romains, qui l’ont interprétée dans un sens plus moral, les dieux récompensant la vertu des souverains. Lors de son arrivée à Alexandrie en juillet 70, Vespasien avait bénéficié d’une crue exceptionnelle, dont il remercia ensuite le dieu Nil en faisant ériger sa statue dans le temple de la Paix à Rome276. Le contexte climatique du début du règne de Trajan fut moins propice : Pline a contourné cette difficulté en rapportant essentiellement la prospérité romaine à la bonne gestion de l’imposition, de l’annone et des prix du blé, ainsi qu’à la capacité du prince de faire circuler les ressources de l’Empire d’un lieu à un autre en fonction des besoins277. Cet accent porté sur les capacités administratives de l’empereur est assez neuf dans le domaine de la rhétorique de l’éloge, mais il existe déjà, sous une forme moins

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Sur ce topos, voir supra, c. 1. Pan., 30–31 ; le mot Egypte est la principale cooccurrence d’ops, « prospérité », dans le texte. Pan., 30, 5 ; 31, 1. Od., xix, 109–114 ; Philodème, Hom., coll. i-v, xxv ; Sénèque, Cl., i, 19, 8. D. Bonneau, La crue du Nil, Paris, 1964, p. 305–314, a souligné l’évolution du rapport d’abord magique, puis moral et, chez Pline, politique, entre les crues du Nil et les souverains de l’Egypte ; voir part. p. 311–312 à propos de Vespasien et de Trajan. Sur Vespasien, voir Pline, Nat., xxxvi, 58 ; Dion Cassius, lxv, 8, 1. Pan., 29, 3–5 ; 32, 1.

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développée, dans les Res Gestae278. Il apparaît aussi dans les descriptions précises que Pline fait du premier congiaire distribué par Trajan, peu après son entrée à Rome en octobre 99, à 200 000 citoyens et à 5000 enfants libres279, et de sa réforme de l’impôt sur le vingtième des héritages, qui prolonge celle qu’avait faite Nerva280. Trajan a voulu lui-même donner de la publicité à sa politique fiscale, en soulignant les mesures qu’il a prises : un type de sesterce a été été consacré au premier congiaire qu’il a distribué281, et, sur l’ancien forum, on pouvait voir sur les anaglypha ce qui est probablement une scène de distribution du congiaire et une scène de remise des dettes, reflets des activités administratives de l’empereur qui avaient lieu sur ce forum, représenté de manière stylisée en arrière-plan sur les reliefs. Sur une extrémité de chaque relief figure la statue de Marsyas près du figuier du Ruminal, symbole de la liberté civique282. On retrouve donc l’association entre des pratiques économiques concrètes de l’empereur et le langage abstrait des vertus (libertas, liberalitas et peut-être déjà l’indulgentia auxquelles renvoyaient le congiaire et la remise de dette). Le même type de discours, mais plus complexe et global, apparaît sur l’Arc de Bénévent, dédié en 114 par le Sénat à l’empereur fortissimus283. Cet arc faisait peut-être partie des honneurs décrétés pour l’empereur à l’occasion  du triomphe lié à la seconde guerre dacique, en 107, et les sénateurs ont sans doute 278 279 280 281

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Voir notamment rg, 5, sur la curatio annonae exercée par Auguste en 6/7, alors que Rome était menacée par de graves difficultés d’approvisionnement. Pan., 25–26 ; 28. Voir supra. P. L. Strack, Untersuchungen zur römischen Reichsprägung des zweiten Jahrhunderts, i, Die Reichsprägung zur Zeit des Traian, Stuttgart, 1931, p. 84–89 ; voir aussi D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 104–105 : pendant les premières années du règne de Trajan, des revers monétaires montrent une femme assise sur une chaise curule qui a une corne d’abondance dans les bras et tient un sceptre vertical : bmc iii p. 32–33 nos 9–13, pl. 9. 6 (deniers) ; p. 36 nos 36–37, pl. 9. 17 (deniers) ; p. 37 n° 47 (denier) ; p. 40 n° 68, pl. 10. 10 (denier) ; p. 41 n° 80 (Cohen 596, denier) ; p. 44 n° 98 (denier) ; p. 149 nos 719–723, pl. 25. 6–8 (dupondius) ; p. 151 * (Cohen 57, as) ; p. 159 * (Cohen 173, dupondius) ; p. 160, nos 762–764, pl. 27. 8 (dupondius) ; p. 162 * (Cohen 643, dupondius) ; p. 188 n° 890, pl. 34. 2 (dupondius). P. L. Strack, Untersuchungen, p. 65–67, interprète la figure comme Annona évoquant Securitas dans sa pose ; B. Woytek, Die Reichsprägung, l’appelle Abundantia/Securitas : mir 1, 2, 12, 18, 19, 44 [H], 48, 49, 66, 67, 95, 96, 132, 135, 154 (entre 98 et 103). Voir T. Hölscher, « Bilder der Macht und Herrschaft », dans A. Nünnerich-Asmus (éd.), Traian : ein Kaiser der Superlative am Beginn einer Umbruchzeit ?, Mainz am Mein, 2002, p. 127–144, part. p. 141–142 ; l’auteur souligne en conclusion (p. 144) un fait nouveau : les sculpteurs de Trajan ne fondent plus le pouvoir de l’empereur sur le caractère sacré des cérémonies publiques, comme sous Auguste, mais sur des actes administratifs concrets. cil ix 1558.

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choisi Bénévent pour le remercier d’avoir financé la via Appia Traiana qui reliait Brindes à cette cité. Les reliefs du monument associent à des thèmes traditionnels, qu’on pourrait qualifier d’augustéens, à savoir les relations du prince avec les dieux et ses victoires militaires assurant la sécurité des frontières, des thèmes montrant la protection et la prospérité assurées par Trajan au peuple romain par l’intermédiaire de sa bonne administration284. Sur la façade Est tournée vers la ville, le registre médian, à droite, représente Trajan en compagnie de negotiatores, avec Portunus, Hercule et Apollon à l’arrièreplan, soulignant ainsi l’attention portée par l’empereur aux ports d’Italie et à l’organisation de l’annone. Sur la face interne des piles, à droite, le prince est figuré avec des enfants à ses côtés, dans une scène qui renvoie à sa politique sociale des alimenta, une institution alimentaire pour les enfants libres en Italie, qui fut inaugurée par Nerva avant d’être développée par son successeur 285. Il semble donc que le Sénat et l’empereur se soient accordés sur cette vision administrative, qui s’est développée sous Trajan en lien étroit avec la dimension paternaliste du prince286. Dans le Panégyrique, l’approche administrative coexiste – comme dans les Res Gestae – avec une approche institutionnelle, qui à la fois distingue le princeps d’un magistrat et le rapproche de celui-ci. Trajan est défini par rapport à son comportement à l’égard des lois humaines et non des lois divines, qui ne sont pas mentionnées287. Pline souligne sa volonté de faire respecter les lois ainsi que son esprit de justice, car il élimine les abus en châtiant les délateurs288. En tant que consul, et pour faire exemple, Trajan a prêté serment de respecter les lois aux rostres, le premier jour de son entrée en charge, ce qui fait dire à Pline que « les lois sont au-dessus du

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Pour des synthèses récentes, voir T. Hölscher, « Bilder der Macht und Herrschaft », p. 142– 143 ; C. Blonce, L’arc monumental dans le monde romain du début du iie siècle au début du ive siècle ap. J.-C. : histoire et place dans la vie politique, religieuse et sociale, Université Paris-Sorbonne (Paris iv), 2008, i, p.  277–280  ; ii, p.  85–94 n°17 (avec la bibliographie antérieure). Pour l’analyse des relations entre Trajan et les divinités sur l’Arc de Bénévent, voir D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 114–121. Sur les alimenta, voir M.-M. Pagé, Empereurs et aristocrates bienfaiteurs. Autour de l’inauguration des alimenta dans le monde municipal italien (Fin ier siècle ap. J.-C.-début ive siècle ap. J.-C.), Laval, 2012. Cette dimension paternaliste est notable dans la législation de Trajan relative à la protection des enfants : voir sur ce point J. Bennett, Trajan, p. 119. Pline fait une seule référence à une loi naturelle, selon laquelle les enfants sont soumis au père, ce qui est une idée banale qui n’a rien de philosophique : Pan., 38, 7. L’empereur est aussi comparé à la loi (Pan., 24, 4), mais pas au sens où il serait une loi vivante, au sens où il gouverne (comme les lois) en étant parmi ses concitoyens. Sur la question du prince et des lois, voir S. Benoist, « Le prince, magister legum ». Pan., 34, 2 ; 36, 2 ; 60, 2.

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prince »289, mais cette formule paradoxale doit être comprise dans le contexte de la « comédie » du consulat républicain jouée par l’empereur. Il a aussi exercé la juridiction consulaire  – juridiction d’appel sur laquelle on a peu  d’informations – avec équité et respect des lois, en distinguant bien son rôle de consul de celui de prince290. En tant que prince, la justice de sa législation, élaborée par édit avec la collaboration de jurisconsultes qui figuraient dans son conseil, comme Titius Aristo et L.  Neratius Priscus, est louée par Pline au sujet des amendements de la loi sur le vingtième des héritages, ou de l’interdiction des pantomimes, comme elle est soulignée aussi plus généralement dans les sources tardives291. e Le pacte avec Jupiter Comme le premier traité De Clementia, le Panégyrique contient une réflexion sur les relations entre le bon prince et ses concitoyens. Celles-ci sont exprimées notamment par le vocabulaire de la sécurité et, a contrario, celui de la crainte engendrée par le mauvais prince. Le principal lien est celui de l’amour, qui entraîne la joie, gaudium, sentiment caractéristique des relations entre le Sénat et le prince292. Peut-être faut-il rapporter cette insistence sur la joie à la théorie stoïcienne des bonnes affections, parmi lesquelles se trouve la joie, χαρά, dont l’équivalent latin est gaudium. L’idée que Trajan est protégé par l’amour qu’il suscite et par son absence de cruauté, son innocentia, apparaît dans un passage qui rappelle beaucoup Sénèque293. 289 290 291

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Pan., 65. Pan., 77, 3 : « Et quel scrupule d’équité, quel respect des lois (quanta religio aequitatis, quanta legum reuerentia)  ! Venait-on à lui comme à un prince, il répondait qu’il était consul », trad. M. Durry. Pan., 40 ; 46 sur l’interdiction des spectacles de pantomimes qui oblige Pline à effectuer des pirouettes verbales, car les pantomimes avaient été écartés d’abord des scènes publiques par Domitien soucieux de moraliser les spectacles, puis rappelés par Nerva. Voir aussi Epitome, 13 ; Dig., xxxvii, 12, 5, sur le rôle des jurisconsultes Titius Aristo et L. Neratius Priscus dans l’élaboration d’un édit de Trajan. Sur ces deux personnages, voir pir2 T 263 ; pir2 N 60. Titius Aristo était un ami de Pline, Ep., i, 22. Sur la législation de Trajan, voir J. Bennett, Trajan, p. 118–124. 17 occurrences de securus, 12 de securitas, 8 de tueor et 2 de tutus ; 17 occurrences de metus, 15 de timeo, 12 de terror, 6 de uereor, 4 de timor. Amo est l’un des verbes les plus employés avec 40 occurrences (derrière mereo avec 42 occurrences), amor apparaît 19 fois (10 occurrences d’odium, « la haine », concernant le mauvais prince). L’émotion la plus importante est la joie : gaudium apparaît 22 fois, gaudeo 13 fois, laetus (« joyeux ») 14 et laeto 11 fois. Pan., 49, 2–3 : Quanto nunc tutior, quanto securior eadem domus, postquam non crudelitatis, sed amoris excubiis, non solitudine et claustris, sed ciuium celebritate defenditur ! Ecquid ergo discimus experimento, fidissimam esse custodiam principis ipsius innocentiam ? Haec arx inaccessa, hoc inexpugnabile munimentum, munimento non egere. Frustra se terrore

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Néanmoins, le pacte fondamental, sur lequel reposent les relations entre l’empereur et les sénateurs et le peuple, est divin, selon une idée qu’il faut rapporter à Trajan. Lors de la séance du sénat du 1er janvier 100, au cours de laquelle l’empereur, consul pour la troisième fois, a tenu son discours programmatique, les sénateurs ont élaboré la rédaction des vœux prononcés par les consuls le 3 janvier pour l’éternité de l’empire et pour le salut du prince. A la formule habituelle concernant le salut du prince, Trajan a fait ajouter « s’il a bien gouverné la république et dans l’intérêt de tous », si bene rem publicam et ex utilitate omnium 294. L’empereur a donc conclu un pacte avec les dieux, qui le protégeront aussi longtemps qu’il sera un bon prince295. Ce pacte fait naturellement songer à la relation de Domitien à Jupiter Conseruator : si les dieux ont renoncé à assurer sa conservation, c’est que Domitien a régné en mauvais prince. Trajan s’est peut-être aussi inspiré d’épisodes de contestation envers des empereurs impopulaires, tel cet outrage des soldats envers Galba qui refusait de leur payer le donatiuum, rapporté par Plutarque : Une fois qu’il y avait spectacle, comme les tribuns et les centurions demandaient aux dieux, suivant la coutume romaine, le bonheur de l’empereur Galba, la plupart des hommes firent d’abord du tapage ; puis, les officiers continuant leur prière, ils répliquèrent : “ … S’il en est digne !296 ” En 98, alors qu’il nommait son ami S. Attius Suburanus Aemilianus préfet du prétoire, en remplacement de Casperius Aelianus qui avait contraint Nerva à faire exécuter les meurtriers de Domitien, Trajan lui aurait tendu l’épée prétorienne en lui disant  :  «  Prends cette épée afin, si je règne bien, de l’utiliser pour moi, si je règne mal, contre moi »297. Ainsi un premier pacte symbolique

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succinxerit, qui septus caritate non fuerit : armis enim arma irritantur, « Combien plus sûre, combien plus tranquille est cette même demeure maintenant que le maître de maison est défendu non par la cruauté en faction, mais par l’amour, non par la solitude et les barrières, mais par l’affluence des citoyens ! N’apprenons-nous pas ainsi par expérience que la garde la plus fidèle d’un prince est sa propre innocence. Ce qui est une citadelle inaccessible, ce qui est un rempart inexpugnable, c’est de n’avoir pas besoin de rempart. En vain se fera une enceinte de terreur qui ne sera pas entourée d’amour ; les armes appellent les armes », trad. M. Durry. Pan., 67, 3–4. Pan., 67, 7 : Quasi pacisceris cum dis ut te, si merueris, seruent, cum scias an merearis neminem magis quam deos scire, « Tu fais ce pacte avec les dieux qu’ils te conservent si tu l’as mérité, sachant que nul ne sait mieux que les dieux si tu le mérites », trad. M. Durry. Plutarque, Galb., 18, trad. U. Bratelli. Dion Cassius, lxviii, 16, 12, trad. personnelle ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 13, 9.

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avait peut-être aussi été établi en tout début de règne avec un des principaux représentants de l’armée. Le pacte avec les dieux, réalisé par le princeps et grand pontife, était très habile car il était en accord avec la religion romaine, fondée sur un pacte entre Jupiter et Numa qui avait valu à ce roi sage le bouclier, insigne de souveraineté qui le légitimait298. Il conférait à Trajan une légitimité qui lui venait des dieux299, tout en renforçant encore l’union entre le salut du prince et celui de la République. Repris par les sénateurs auxquels il convenait bien, ce pacte fonde chez Pline la relation, parfaite et circulaire, entre les magistrats et l’empereur300. C’est aussi Jupiter qui est à l’origine du choix de l’empereur, selon une conception traditionnelle de la royauté antique, induite, dans le cas de Trajan, par les circonstances de son adoption par Nerva dans le temple de Jupiter Capitolin301. L’empereur vertueux apparaît comme un «  don des dieux  », munus deorum, et cette expression semble avoir été habituelle pour désigner le principat302. Enfin, le Panégyrique développe l’idée que le bon prince joue sur terre le rôle que Jupiter remplit dans le ciel, le rôle du bon père303. Le parallélisme entre l’empereur et Jupiter roi des dieux est une idée courante, déjà exposée, un peu différemment, dans le miroir au prince de Sénèque304. Ce parallélisme a été 298 299

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Ovide, Fastes, iii, 260–392. Pan., 68, 1 : « Tu cueilles, César, le fruit le plus glorieux de ton salut dans l’assentiment des dieux. Car cette mention expresse que les dieux doivent te conserver à la condition seulement que tu gouvernes bien la république et dans l’intérêt général, te rend sûr d’avoir bien gouverné la république, puisqu’ils te conservent », trad. M. Durry. Pan., 74, 4 ; 94, 5. Pan., 1, 5 ; 5, 2–4 (mention d’un présage constitué par les acclamations de la foule, « Jupiter Imperator », au passage de Trajan qui montait vers le Capitole à la fin 96/début 97) ; 8, 1–2 ; 94, 4. Sur l’idée traditionnelle d’élection divine du roi, voir supra. Voir J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 145–150 ; id, “The Cult of Jupiter”, p. 80–85. Pan., 1, 3  ; 4, 7.  On trouve aussi la conception du principat comme présent des dieux, munus deorum, dans l’Octavie, v. 492. Pan., 80, 4 : « C’est ainsi, je le croirais, que le père du monde règle tout d’un signe de sa tête, quand il jette ses regards sur la terre et daigne compter les destins humains parmi les occupations divines ; désormais libre et dispensé de cette partie, il ne s’occupe plus que du ciel, depuis qu’il t’a donné à nous pour remplir son rôle à l’égard du genre humain tout entier » ; 88, 8 : « Aussi le père des hommes et des dieux est adoré d’abord sous le nom d’Optimus, ensuite seulement sous celui de Maximus. D’autant plus éclatant ton mérite, toi qui es aux yeux de tous non moins Optimus que Maximus », trad. M. Durry. Voir supra. Chez Sénèque, le bon roi est engagé à imiter Jupiter Optimus Maximus ; chez Pline, cette notion d’imitation n’apparaît pas dans la relation entre l’empereur et le roi des dieux, sauf à une occasion où elle est inversée, car c’est Trajan qui est objet de l’imitation générale dans le Panégyrique : il ne reste plus à Jupiter qu’à imiter l’empereur, Pan., 74, 4.

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exprimé très fortement durant tout le règne de Trajan, aussi bien en Occident – de manière plus suggestive – qu’en Orient305. Il apparaît dans des formules épigraphiques comme optimus maximusque princeps dont on a déjà parlé, et conseruator generis humani306. En Orient, où le rapprochement entre empereur et dieu était plus libre, Trajan a été associé au culte de Zeus Philios à Pergame dans le Traianeum, de son vivant, et peut-être à Zeus Eleutherios à Athènes307. Des parallélismes plus discrets, et certainement plus courants, apparaissent dans les inscriptions. Ainsi, sur le Mausolée de Labraunda, l’évergète Poleitès a fait une dédicace à Trajan Germanicus Dacicus, à Zeus Labraundos et au peuple ; l’épiclèse locale de ce dieu était Stratios, « Qui préside aux armées », ce qui renforçait le rapprochement entre l’empereur victorieux et Zeus Labraundos308. Une vexillation de la iiie Cyrenaica a fait une dédicace à Jupiter Optimus Maximus Sarapis pour le salut et la victoire de l’empereur Trajan Optimus Augustus en 116–117, lorsqu’elle se trouvait à Jérusalem : dans l’inscription, l’épithète Optimus désigne à la fois l’empereur et Jupiter309. Le parallélisme entre roi des dieux et roi des hommes est aussi l’objet d’une épigramme d’Hadrien qui, une fois empereur, a développé lui-même ce type d’association. Daté de 114/115, le poème évoque la dédicace d’une offrande que Trajan avait faite au Zeus du mont Kasios près d’Antioche, en compagnie d’Hadrien : « A Zeus Kasios, souverain des dieux, l’Enéide Trajan, souverain des hommes, a dédié cette 305

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Voir l’étude classique de J. Beaujeu, La religion romaine à l’apogée de l’Empire, i, La politique religieuse des Antonins, Paris, 1955, p. 69–80, qui parle à propos du principat de Trajan d’une «  théologie jovienne  ». Cette idée est à nuancer  :  voir D.  N. Schowalter, The Emperor and the Gods, qui a analysé les rapports – variables en fonction des supports et des circonstances – des relations entre Trajan et les dieux dans les principales sources littéraires, numismatiques et monumentales du règne. Voir supra pour la formule optimus maximusque princeps  ; cil ii 2054 (Aratispi en Bétique). Sur le temple de Trajan à Pergame, voir D. N. Schowalter, “The Zeus philios and Trajan temple : a context for imperial honors”, dans H. Koerster (éd.), Pergamon. Citadel of the Gods, Harrisburg, 1998, p. 233–249 ; W. Radt, Pergamon. Geschichte und Bauten einer antiken Metropole, Darmstadt, 1999, p. 209–220 ; rpc iii 1716, 1718. Dans une inscription fragmentaire trouvée sur l’acropole d’Athènes, datée d’env. 132, le divin Trajan est qualifié par l’épiclèse de Zeus, eleutherios : ig ii2 3322 : A. E. Raubitschek, “Hadrian as the son of Zeus Eleutherios”, aja, 49, 1945, p. 128–133. Labraunda iii 2, J.  Crampa, The Greek Inscriptions ii, Stockholm, 1972, p.  21–24 n° 23  ; Hérodote, v, 119. cil iii 13587 : [I]oui Optimo Maximo Sarapidi / pro salute et uictoria / Imp(eratoris) Neruae Traiani Caesaris / Optmi Aug(usti) Germanici Dacici / Parthici et populi Romani / uexill(atio) leg(ionis) iii Cyr(enaicae) fecit. Voir H. Bru, Le pouvoir impérial dans les provinces syriennes. Représentations et célébrations d’Auguste à Constantin (31 av. J.-C.-337 apr. J.-C.), Leiden, Boston, 2011, p. 135.

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offrande »310. Sous Trajan, Hadrien et Antonin, le monnayage provincial grec a associé l’image de l’empereur au droit et celle de Zeus (parfois le Zeus local) au revers, de manière nettement plus fréquente que sous les Flaviens311. Ce parallèle est donc indéniable, mais, d’une part, il est moins mis en évidence dans le Panégyrique que les qualités morales de Trajan. Le monnayage impérial du début du règne montre aussi un répertoire des divinités réduit, au profit des allégories qui se rapportent aux vertus ou aux actes du prince312. D’autre part, Pline souligne la reuerentia de Trajan envers les dieux, par opposition à l’attitude de Domitien : l’empereur demande qu’on le remercie de sa bonté en s’adressant non à son Génie, mais à Jupiter Optimus Maximus313. Sur des monnaies datées entre 113 et 116, soit dans le contexte des guerres parthiques, figure, encadré par la légende CONSERVATORI PATRIS PATRIAE, Jupiter Conseruator nu, couvert d’un manteau, et tenant sa main droite au-dessus d’une petite figure du prince en toge ou revêtu du paludamentum (Fig. 2). Il s’agit de la première image du monnayage de l’Empire où le prince se tient à côté de Jupiter, mais Trajan, vêtu en citoyen romain ou en empereur, a juste la taille de se tenir sous le manteau du puissant Jupiter représenté dans sa nudité héroïque314. On remarque ainsi, sur certains points, une 310

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ap, vi, 332. A Sélinonte en Cilicie, où il mourut le 9 août 117, Trajan a été représenté, sur des monnaies datant de la fin du iie et de la première moitié du iiie siècle, trônant à l’intérieur de son temple avec le foudre et le sceptre, insignes de Zeus : S. R. F. Price, Rituals and Power, p. 183, 273–274 n° 153. Pour les premiers Antonins : cette association entre empereur et roi des dieux concerne cinq monnaies datées du règne de Nerva sur un total de 130 (3,8 %) ; 203 monnaies datées du règne de Trajan sur un total de 3166 (6,4 %) ; 197 monnaies datées du règne d’Hadrien sur un total de 3636 (5,4 %) ; 206 monnaies datées du règne d’Antonin le Pieux sur un total de 5391 (3,9 %) ; enquête réalisée avec le rpc Online. Nous avons effectué un comptage à partir de la version papier du rpc ii sur les Flaviens, qui donne 42 associations de même nature pour le règne de Domitien, soit à peine plus que pour celui de son père Vespasien (30). W. Weiser, « Kaiserliche Publizistik in Kleinformat », p. 152. Pan., 52, 6.  Voir aussi Pline, Ep., x, 9, où Trajan adopte une position semblable à celle d’Auguste et de Tibère concernant les honneurs divins : il accepte qu’une statue de lui soit érigée dans le temple que Pline propose de lui construire à Tifernum, en soulignant le fait qu’il est normalement contre ce type d’honneurs, mais qu’il souhaite remercier la loyauté de Pline. Voir rg, 24 ; Pan., 52, 2–7 sur le refus des statues d’or et d’argent considérées comme des honneurs divins. ric ii Trajan 249, 619, 643  ; bmc iii p.  100 nos 493–494, pl. 17. 16 (aureus)  ; p.  100 nos 495–497, pl. 17. 17 (deniers) ; p. 103 n° 513, pl. 18. 6 (aureus) ; p. 104 nos 514–517, pl. 18. 7–8 (deniers) ; p. 108 n° 533, pl. 18. 19 (aureus) ; p. 109 nos 534–535, pl. 18. 20 (deniers) ; p. 203 § (Cohen 48, sesterce) ; p. 215 * (Vatican, sesterce) ; p. 217 * (Cohen 49, sesterce) ; mir 428, 429, 438 [H], 479, 490, 491, 501, 507, 512, 513, 547. W. Weiser, « Kaiserliche Publizistik in Kleinformat », p. 160, suggère que cette image renvoyait au relief sculpté sur l’autel de

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Fig. 2  Denier, Rome, 113–114. Droit : buste de Trajan lauré, portant le paludamentum, légende IMP TRAIANO AVG GER DAC P M TR P COS VI P P. Revers : Jupiter portant le foudre et un long sceptre, étendant son manteau pour protéger Trajan qui tient une branche et un sceptre court ; légende CONSERVATORI PATRIS PATRIAE. ric ii Trajan 249, mir 429 v. Auktionshaus Felzmann, 161, 6 mars 2018, lot 252.

correspondance étroite entre le discours des monnaies impériales et celui du Panégyrique, ce qui confirme l’accord entre le prince et le Sénat, au début du règne de Trajan, sur ces points essentiels que sont la distance entre empereur vivant et dieu, la nécessité des vertus, les compétences administratives de l’empereur. Ainsi, comme chez Sénèque, mais de manière plus précise et avec davantage de références au culte impérial315, le lien fort entre pouvoir du prince et pouvoir divin est souligné  :  le pouvoir impérial de l’optimus princeps a été donné par Jupiter Optimus Maximus, il est façonné sur le modèle paternel de celui du souverain des dieux, et préservé par les dieux tant que le prince le mérite, ce qui en constitue la principale limite.

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Jupiter Conseruator dans la chapelle érigée par Domitien sur le Capitole, voir supra. D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 110–111, souligne l’existence de revers datés entre 104 et 111, sur lesquels Trajan est dépeint couronné par une victoire, tenant une lance à la main gauche et le foudre à la main droite (bmc iii p. 174 n° 825, pl. 30. 4 [sesterce] ; p. 190 n° 899, pl. 34. 7 [dupondius]). Cette scène rappelle un type monétaire de Domitien sur lequel l’empereur porte le foudre (voir supra). Ce type était très répandu sous Domitien, moins sous Trajan, semble-t-il : selon l’auteur, cette image de Trajan portant le foudre n’a pas eu beaucoup de succès, puisqu’au moins une partie des sénateurs était défavorable à un rapprochement trop poussé entre l’empereur vivant et Jupiter ; ainsi, quand l’image de Jupiter est réutilisée, c’est le dieu qui tient le foudre. Voir D. S. Levene, “God and Man in the classical Latin Panegyric”, pcps, 43, 1997, p. 66–103.

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L’optimus princeps décrit par Pline n’entretient qu’un rapport éloigné avec l’idéal du roi-philosophe et le Panégyrique ne laisse pas beaucoup transparaître la formation philosophique de son auteur316. C’est une différence essentielle avec le miroir au prince philosophique composé par Dion de Pruse pour Trajan dans le premier discours Sur la royauté. 4

Dion de Pruse et le bon roi

La réflexion sur la royauté menée par Dion de Pruse est importante, aussi bien par son volume que par l’influence qu’elle a eue dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine317. Outre les quatre discours Sur la royauté, qui étaient déjà réunis en tête du corpus de Dion dans la bibliothèque de Photios, le patriarche de Constantinople, elle apparaît au premier ou au second plan de plusieurs autres discours318. Parmi les sources que nous avons conservées, c’est la première 316

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La plupart des vertus philosophiques mentionnées sont aussi des vertus du mos maiorum. Hormis la théorie des bonnes affections évoquée plus haut à propos de la joie, on trouve une référence, banale, à l’enseignement de l’éthique stoïcienne, Pan., 59, 5 : « On nous a bien appris qu’avoir une vertu, c’est les avoir toutes », trad. M. Durry. Voir M. Molin, « Le Panégyrique de Trajan : éloquence d’apparat ou programme politique néo-stoïcien ? », Latomus, 48, 1989, p. 785–797. La réflexion globale de Dion sur la royauté a été étudiée par V. Valdenberg, « La théorie monarchique de Dion Chrysostome », reg, 40, 1927, p. 142–162 ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 283–318 ; id., « Dione di Fronte all’imperatore » ; id., « L’immagine dell’imperatore nei discorsi “Sulla regalità” di Dione di Prusa », dans J. L. Ferrary, J. Scheid (éd.), Il princeps romano : autocrate o magistrate ? Fattori giuridici e fattori sociali del potere imperiale da Augusto a Commodo, Pavia, 2015, p. 293–325 ; J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”  ; H.  Sidebottom, Studies in Dio Chrysostom On Kingship, Thesis (D. Phil.), University of Oxford, 1991  ; id., “Dio Chrysostom and the Development of On Kingship Literature”, dans D. Spencer, E. Theodorakopoulos (éd.), Advice and Its Rhetoric in Greece and Rome, Bari, 2006, p. 117–157 ; M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, p. 59–103 ; A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 255–273, 321–351 ; ead., « Le sophiste Dion de Pruse ». Les discours Sur la royauté ont particulièrement retenu l’attention d’Aréthas qui fut, avec son maître Photios, l’un des principaux représentants du « premier humanisme byzantin » ; la postérité de Dion est l’objet du livre d’A. Brancacci, Rhetorike philosophousa. Diogène ou sur la tyrannie (Or. vi) ; Agamemnon ou sur la royauté (Or. lvi) ; le court (fragmentaire ?) discours lxii, Sur la royauté et la tyrannie. Le Mythe libyen (Or. v), est un doublon possible pour la fin du quatrième discours Sur la royauté, à partir du § 73. Le Nestor (Or. lvii) est une prolalie qui introduisait un discours auparavant prononcé devant l’empereur (§ 11), peut-être Trajan, puisque Dion, d’après ses propres dires, fut empêché par une maladie de rejoindre l’empereur Nerva à Rome avant la mort de celui-ci, en janvier 98. Le Mythe libyen et le Nestor montrent que les discours sur le bon roi pouvaient être répétés avec des variantes devant différents publics, ce qui suggère que la réflexion politique du sophiste a été largement diffusée, et pas seulement dans des discours de

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tentative faite par un intellectuel et notable d’origine orientale pour adapter la théorie politique grecque à la figure de l’empereur, et en cela le sophiste se distingue de son contemporain Plutarque qui n’a pas abordé directement la question de la royauté et du principat319. Un véritable effort d’adaptation à la figure de Trajan apparaît dans le premier discours Sur la royauté, adressé à l’empereur, et c’est pourquoi nous allons surtout examiner ce discours. Le deuxième discours Sur la royauté a la forme d’un dialogue entre Philippe de Macédoine et son fils Alexandre. Il est plus critique vis-à-vis du caractère belliqueux du roi et se situe dans la lignée du traité Sur le bon roi de Philodème de Gadara, écrit pour Pison, le beau-père de César. C’est la raison pour laquelle nous avons fait l’hypothèse qu’il pouvait s’agir d’une œuvre de commande de la part de Trajan, un peu postérieure, datée peut-être après la seconde guerre dacique critiquée par le sophiste dans le Discours olympique320. Mais ce discours était peut-être plutôt destiné à être lu devant des auditeurs grecs, comme le quatrième discours dont il se rapproche par la forme et par l’importance des références homériques. Le quatrième Sur la royauté est un dialogue entre Alexandre le Grand et Diogène. Il est encore plus hostile au désir de gloire d’Alexandre le Grand et visait sans doute les campagnes de Trajan, peut-être les conquêtes parthiques. Il a probablement été prononcé devant des Grecs, car la tolérance de l’empereur n’était sans doute pas non plus sans limite321. Le troisième discours, comme le premier, s’adresse directement à un empereur, après l’exil de Dion, mais il contient un portrait du bon roi idéal qui n’est pas adapté à un prince précis322. Son ton, plus amical que celui du premier

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circonstance. D’autres discours abordent, de manière indirecte, le thème de la royauté : le Discours troyen (Or. xi) et le Chryséis (Or. lxi), par le biais de la figure d’Agamemnon ; la fin du Sur Homère (Or. liii) ; Achille ou Chiron (Or. lviii). M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, p. 138–152 sur les images de la royauté et du roi idéal, destinées à l’homme politique grec et romain et disséminées dans divers passages des Moralia et des Vies ; B. Boulet, “The Philosopher-King”, dans P. A. Stadter, L. Van der Stockt (éd.), Sage and Emperor, p. 449–462. Or. xii, 16–20. Voir A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 8–11 avec des renvois bibliographiques ; ead., « Le princeps et le bon roi selon Homère », p. 119–122. P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore », p. 12–13, a proposé récemment de dater ce discours sous Domitien. C. P. Jones, The Roman World, p. 120–121 ; A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 12– 13. P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore », p. 10, pense que ce discours visait Domitien (cf. id., Dione di Prusa, p. 287). Or. iii, 25. Sauf pour le premier Sur la royauté, qui fait l’unanimité des modernes sur ce point, la question du destinataire des discours est délicate et fait toujours objet de débats : Aréthas, l’élève de Photios, considérait que les discours Sur la royauté avaient été adressés à Vespasien ; Dion l’aurait rencontré à Alexandrie et serait devenu son conseiller

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discours, et la description du destinataire comme un familier des auteurs anciens, capable de comprendre des propos sages et pointus, m’avait conduite, à la suite de P. Desideri, à penser qu’il était destiné à Nerva, que Dion présente comme un ami de longue date et grâce auquel il a peut-être obtenu la citoyenneté romaine323. Ce qui pose problème est que le sophiste affirme avoir été empêché par une maladie de rejoindre à Rome le nouvel empereur avant sa mort en janvier 98324 : il faut supposer soit que ce discours, qui pose des problèmes de tradition textuelle, n’a pas été prononcé, soit qu’il était destiné à Trajan. Il convient, de toutes façons, de rester prudent dans l’identification du destinataire, car ces discours ont probablement été remaniés pour la publication, peut-être pour leur donner une dimension plus générale, et peut-être pas nécessairement par le sophiste lui-même325. Comme Philon d’Alexandrie, Plutarque, Marc Aurèle dans les Ecrits pour lui-même rédigés en grec et Dion Cassius, Dion de Pruse conçoit le principat comme une royauté326. Les discours Sur la royauté contiennent le modèle du roi anupeuthunos, « qui n’a pas de compte à rendre »327, correspondant à la cinquième forme des régimes monarchiques selon Aristote : une royauté illimitée, comparable au gouvernement domestique328. Les relations de son maître Musonius lui ont permis de fréquenter la cour et certains discours datés sous Vespasien suggèrent, mais les indices sont ténus, une certaine proximité avec

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(voir Philostrate, va, v, 27, 32, 34) : Dio Chrysostom, éd. Loeb Classical Library, v, p. 409 et 415. Or. iii, 2 ; xlv, 2, où Dion qualifie Nerva d’« ami de longue date ». Voir P. Desideri, Dione di Prusa, p. 288, 297 ; récemment, celui-ci est revenu sur sa position et semble favorable à une datation sous Trajan, comme la plupart des spécialistes de Dion (P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore », p. 10) ; A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 12–13. Sur la citoyenneté de Dion, voir notamment J. L. Moles, “The career of Dio of Prusa”, p. 86, selon une hypothèse d’E. L. Bowie. Or. xlv, 2. Comme l’a souligné P. Desideri, « L’immagine dell’imperatore », p. 298, les discours Sur la royauté ne sont ni des discours destinés à une occasion bien précise, comme l’est le Panégyrique de Pline, ni non plus des traités de théorie politique. Sur les différentes conceptions de la royauté, voir A.  Gangloff, «  Le sophiste Dion de Pruse », p. 14–29. Dans Or. iii, 43, la royauté est définie comme un commandement qui n’est pas soumis à reddition de compte (anupeuthunon archèn  ; cf. Hérodote, iii, 80), la loi (nomos) comme une décision royale (basileôn dogma). Voir aussi Philon d’Alexandrie, Amb. à Caius, 28 : ∆ίχα τοῦ καὶ ἀνυπεύθυνον ἀρχὴν εἶναι τὴν αὐτοκράτορα, µηδενὸς ἐπὶ τοῖς ὁπωσοῦν πεπραγµένοις λόγον ἀπαιτεῖν τολµῶντος ἢ δυναµένου, « Sans compter que la charge d’empereur est une charge dont on n’a pas à rendre compte, nul n’osant ni ne pouvant demander des comptes de quelques actes que ce soit », trad. A. Pelletier. Aristote, Pol., iii, 14, 15, 1285 b.

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le pouvoir impérial329. Sous Domitien, Dion a subi une relégation hors d’Italie et de Bithynie, après que son protecteur, sans doute T. Flavius Sabinus, cousin de l’empereur et consul en 82, fut exécuté en 82/83, sur ordre de Domitien pour qui il représentait un rival330. Il est très probable que cette expérience ait marqué profondément la réflexion de Dion331. La mort de Domitien a mis un terme à son exil. Il ne paraît pas avoir entretenu avec Trajan une amitié aussi grande que celle qui le liait à Nerva332, à moins de considérer que le discours iii, dont un long développement final est consacré à l’amitié, a bien été prononcé devant le second Antonin333. Mais il est improbable que le sophiste ait pu remplir le rôle officiel d’amicus principis, membre du conseil du prince, depuis Pruse où il paraît avoir passé une grande partie de son existence après environ 101, même si plusieurs voyages sont évoqués dans ses discours334. Il 329

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Notamment Or. xviii (lettre Sur l’entraînement oratoire ; P. Desideri, Dione di Prusa, p. 137– 139, et A. Billault, « Littérature et rhétorique dans le discours xviii de Dion Chrysostome Sur l’entraînement à la parole  », reg, 117, 2004, p.  504–518, part. p.  515–518, ont suggéré que le destinataire pouvait être Titus  ; contra E.  Amato, «  Dione di Prusa precettore di Traiano  », dans E.  Amato (éd., avec la coll. de V.  Fauvinet-Ranson et B.  Pouderon), EN kalois koinopragia. Hommages à la mémoire de Pierre-Louis Malosse et Jean Bouffartigue, ret Suppl.  3, 2014, p.  3–28, part. p.  18), xxviii et xxix (discours en l’honneur du boxeur Mélancomas qui, selon Thémistios, x, 139, aurait été aimé par Titus), xxxii (Discours aux Alexandrins, dans lequel Dion rappelle à l’ordre les Alexandrins, peut-être à la demande de Vespasien). La proximité du sophiste avec les Flaviens a été remise en question par H. Sidebottom, “Dio of Prusa and The Flavian Dynasty”, cq, 46, 2, 1996, p. 447–456. pir2 F 355 ; Suétone, Domitien, 10, 4. Voir en dernier lieu P. Desideri, “Dio’s exile : politics, philosophy, literature”, dans I. F. Gaertner (éd.) Writing Exile : The Discourse of Displacement in Greco-Roman Antiquity and Beyond, Leiden, Boston, 2007, p. 193–207. P. Desideri, « Dione di Fronte all’imperatore », p. 10 ; id., « L’immagine dell’imperatore ». Le sophiste revendique une certaine familiarité avec Trajan à deux reprises, mais il parle de commerce, sunètheia, avant d’utiliser le terme d’amitié, philia (Or. xlv, 3 ; xlvii, 22). Cette relation est utilisée comme argument dans des circonstances où Dion, à l’origine d’un programme édilitaire contesté, est mis en difficulté par ses compatriotes auxquels il s’adresse. Il affirme qu’il n’a profité de son crédit auprès de l’empereur que pour le bien de sa patrie, Or. xlv, 3. Qu’il ait fait construire une statue en l’honneur de Trajan dans un monument où étaient enterrés sa femme et son fils (Pline, Ep., x, 81–82) montre sa volonté d’afficher la proximité entre le pouvoir impérial et sa famille, mais ne fournit pas d’indice sur le degré réel de cette proximité. Or. iii, 86–118. Voir D. Konstan, “Friendship and Monarchy. Dio of Prusa’s Third Oration on Kingship”, so, 72, 1997, p. 124–143 ; A. M. Milazzo, Dimensione retorica e realtà politica. Dione di Prusa nelle orazioni iii, v, vii, viii, Hildesheim, Zürich, New York, 2007, p. 50–107. Sur le sens de l’amitié et la sociabilité de Trajan : Pline, Pan., 85 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 13, 8 ; Epitome, 13, 4 (le passage énumère les qualités attendues chez le bon roi et possédées par Trajan). Le discours lxxii a probablement été prononcé à Rome (§ 3–6), sans qu’on puisse le dater. Plusieurs voyages sont évoqués dans les discours bithyniens, mais la destination n’est pas précisée et l’on ne peut savoir si tous ont été réalisés : Or. xl, 25 ; xliii, 8 ; xlv, 1 ; l,

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semble qu’il ait surtout, après son exil, exercé une activité politique concrète au sein de sa cité, comme magistrat et évergète, tout en poursuivant sa réflexion sur la figure du bon roi, de plus en plus critique à l’égard de la dimension conquérante du souverain. Trajan est en effet le premier empereur à ne pas avoir respecté le souhait d’Auguste de ne pas outrepasser les frontières que le fondateur du principat avait données à l’Empire335. On retrouve cette hostilité envers les conquêtes trajanes chez Dion Cassius, selon qui l’empereur ne doit pas conduire d’expéditions dangereuses, mais rester prêt à faire la guerre aux frontières, veiller à la sécurité de l’Empire et parfois franchir les frontières pour des expéditions punitives, c’est-à-dire faire en gros ce qu’avaient fait les empereurs précédant Trajan336. E. Amato a récemment soutenu l’hypothèse que la lettre xviii, Sur l’entraînement oratoire, était destinée à Trajan qui aurait invité Dion, après son retour d’exil, à devenir son professeur pour l’éloquence politique337. Cette hypothèse, qui fait suite à d’autres propositions d’identifier le destinataire de cette lettre à un futur empereur338, repose sur une formule présente au début de la lettre pour qualifier ce destinataire  :  «  digne d’être au premier rang parmi les meilleurs ». S’il fallait la prendre au pied de la lettre, cette expression renverrait précisément à la notion romaine du princeps, le premier parmi ses pairs, et même à la conception qu’on trouve dans le Panégyrique du prince comme le meilleur des sénateurs. Mais dans aucun des discours Sur la royauté Dion ne développe une telle idée du principat qu’il analyse toujours comme une royauté. Cette expression flatteuse, qui a d’ailleurs une résonnance homérique, a plus probablement un sens large. Le terme aristos peut désigner dans les inscriptions et la littérature grecques contemporaines un notable grec, un aristocrate, un sénateur. Qu’il soit associé au fait d’être le premier se comprend très bien dans le

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7. Dans Or. xlvii, 17, prononcé à Pruse après son retour d’exil, Dion affirme qu’il peut se promener à Athènes, Sparte, Rome, Antioche ou Tarse entouré du plus grand respect. Tacite, Ann., i, 11. M. A. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », tente de nuancer la vision antique d’un prince conquérant, en discutant l’idée d’une politique de conquête ; il préfère voir dans les guerres daciques et parthiques des réactions à des situations données (qui nous échappent en partie). Dion Cassius, lxviii, 7, 5 ; 17, 1 ; 29 ; 33, 1 ; 56, 33, 5. Pline a sans doute dans le Panégyrique la même conception du rôle défensif de l’empereur, voir supra. Voir M. A. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », p. 29–31. E. Amato, « Dione di Prusa precettore di Traiano » (= E. Amato, Traiani Praeceptor. Studi su biografia, cronologia e fortuna di Dione Crisostomo, Besançon, 2014, p. 97–118). Vespasien (G.  del Cerro Calderón [éd.], Dión de Prusa. Discursos xii-xxxv, Madrid, 1989, p. 129 n. 1), Nerva (W. von Christ, Geschichte der griechischen Literatur, München, 19206, p. 363) ; Titus (P. Desideri, Dione di Prusa, p. 137–139, et A. Billault, « Littérature et rhétorique dans le discours xviii »).

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contexte de la compétition qui caractérisait le monde civique grec339. Le lettre xviii ne contient pas d’informations suffisantes pour identifier son destinataire, dont on sait simplement qu’il est dans sa maturité, engagé dans une carrière politique, très riche et désireux de se perfectionner dans l’éloquence politique ; étant donné que Dion suggère à un homme mûr des lectures grecques telles qu’Homère et Xénophon, on peut penser qu’il s’agit plutôt d’un aristocrate romain, et cette lettre présente alors l’intérêt de montrer une tentative du sophiste de se trouver un riche protecteur romain, on ne sait pas à quel moment de sa carrière340. Trajan n’avait pas besoin d’un conseiller en matière d’éloquence politique, puisque la plupart de ses discours étaient composés par son amicus, l’érudit L. Licinius Sura, puis, après la mort de celui-ci en 108, par Hadrien341. Néron avait, le premier, rompu avec l’habitude qu’avaient les empereurs antérieurs de composer eux-mêmes leurs discours342 ; c’est Hadrien qui dictera lui-même ses discours, grâce à son excellente mémoire, sa culture et son entraînement rhétorique343. Le premier Sur la royauté est probablement le premier discours adressé par le sophiste à Trajan, comme le suggère l’exorde qui trace un parallèle entre l’aulète Timothée de Thèbes et Alexandre le Grand d’une part, le sophiste et l’empereur de l’autre, en précisant qu’il s’agit de la première rencontre entre le musicien et le conquérant344. Le lien topique entre l’empereur et Alexandre le 339

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Sur aristeus comme titre chez Dion de Pruse et dans les inscriptions d’Asie Mineure, voir L. Robert, « Sur une monnaie de Synnada. Τροφεύς », Hellenica vii, 1949, p. 74–81, part. p. 80. Les assemblées provinciales de l’Asie et de la Bithynie décernaient sous l’Empire le titre de « premier des Hellènes » : igr iv, 1276 (Asie) ; tam iv, 1, 332, et ik, 31, Claudiopolis, 16 (Bithynie) ; voir J. -L. Ferrary, « Rome et la géographie de l’hellénisme : réflexions sur les “hellènes” et “panhellènes” dans les inscriptions d’époque romaine », O. Salomies (éd.), The Greek East in the Roman context, Helsinki, 2001, p. 19–35, part. p. 31 n. 69 ; A. Heller, « Hellénisme et primauté : remarques sur les koina d’Asie et de Bithynie sous l’Empire », P. Brun (éd.), Scripta anatolica. Hommages à Pierre Debord, Bordeaux, Paris, 2007, p. 215– 236, part. p. 220–227. Or. xviii, 1, 5–6. J. L. Moles, “The career of Dio of Prusa”, p. 93, pense cependant à un Grec, comme H. von Arnim, Leben und Werke des Dio von Prusa, Berlin, 1898, p. 139–140. On ne peut pas tirer argument du § 4 pour évaluer l’âge du sophiste et, à partir de là, le destinataire et la date approximative du discours (E. Amato, « Dione di Prusa precettore di Traiano », p. 16) : Dion se compare à un enfant ou bien à un vieux pâtre indiquant sa route à un voyageur plein de vigueur. Il n’est certainement plus un pais au moment où il écrit cette lettre, mais il n’y a pas de raison de supposer qu’il soit plus âgé que celui à qui il s’adresse. Julien, Caes., 28, 327 b ; sha, Hadr., 3, 11. Voir supra, c. 1. sha, Hadr., 20, 7. Or. i, 1–8. Voir A. Bélis, « Timothée, l’aulète thébain », RBPh, 80, 2002, p. 107–123.

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Grand a très probablement été revivifié à la fin du ier siècle, comme le montrent les traités de Plutarque sur ce sujet, en raison de l’imitatio Alexandri que les auteurs antiques prêtent à Trajan345. Dion Cassius n’évoque cette imitation qu’à propos des guerres parthiques, mais, dans le monde grec, l’épithète aniketos, « invaincu », était associé dans certaines inscriptions au titre Dacicus pris par l’empereur après sa première victoire dacique en 102346. Or aniketos a été utilisé pour la première fois par Alexandre le Grand qui prétendait descendre d’Héraclès et voulait apparaître comme un conquérant invincible347  :  c’est donc déjà dans le contexte des guerres daciques, et probablement dès le début du règne de Trajan, comme le donnent à penser le premier discours Sur la royauté de Dion et le monnayage des cités grecques, dont nous reparlerons, que l’association entre Trajan, Hercule/Héraclès et Alexandre le Grand devait être patente. Il est difficile de dater la prononciation de ce discours d’après les données biographiques que l’on possède sur Dion348. Si la rencontre entre le sophiste et l’empereur a eu lieu à Rome, elle n’a pu se produire avant l’automne 99, lorsque Trajan est revenu dans la capitale. Dion a probablement participé à l’ambassade envoyée par Pruse pour féliciter le nouvel empereur349 : à cette occasion, semble-t-il, il a utilisé son crédit pour que sa patrie obtienne l’augmentation 345

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Dion Cassius, lxviii, 29, 1, et 30, 1 ; Julien, Caes., 34, 333 a ; 37, 335 d ; sha, Hadr., 4, 9. La Souda, D 1240, attribue au sophiste huit ouvrages Sur les vertus d’Alexandre, mais ni Synésios, ni Photios, ni Aréthas de Césarée n’en font mention. Voir récemment P.  Desideri, « Il mito di Alessandro in Plutarco e Dione », dans S. Bussi, D. Foraboschi (éd.), Roma e l’eredità ellenistica, Pisa, Roma, 2010, p. 19–31. C. P. Jones, “An Oracle Given to Trajan”, Chiron, 5, 1975, p. 403–406, a montré qu’il fallait voir dans le discours xlv, 4, une allusion à Apollon de Didymes, et pense que dès 79/80, Trajan a consulté l’oracle en imitant Alexandre le Grand. Ces inscriptions ne contiennent encore ni le titre d’Aristos (Optimus, décerné en 114 par le Sénat), ni celui de Parthicus (116) : I. Mag. Sip., p. 135 n° 8 (tam v 2, 1360 ; ae 1909 178) ; ig v, 1 1381 (Thouria, Messénie) ; ig ii2 3284 (θεὸν θεοῦ υἱὸν ἀνείκητον). Voir aussi ig v, 1 380 (Sparte, datée de 115), où Trajan est qualifié d’ ἄρισστον Καίσαρα Σεβασστὸν Γερµανικὸν ∆ακικὸν Παρθικὸν θεὸν ἀνίκητον. Rappelons qu’après Munda, une statue de César avait été placée dans le temple de Quirinus, avec l’inscription Deo Inuicto qui traduisait en latin l’inscription de la statue d’Alexandre le Grand à Athènes : Dion Cassius, xliii, 45. S. Weinstock, “Victor and Inuictus”, HThR, 50, 1957, p. 214, a fait l’hypothèse que l’Hercule Inuictus de l’Ara Maxima proviendrait de l’Héraclès Aniketos d’Alexandre le Grand ; voir aussi M. A. Levi, « Theòs aniketos. Aspetti cultuali della legitimità di Alessandro », dans M. Sordi (éd.), Alessandro Magno tra storia e mito, Milano, 1984, p. 53. Sur la difficulté de retracer les déplacements et les actions de Dion entre la mort de Domitien et son retour à Pruse, voir M. Cuvigny (éd.), Les discours bithyniens : discours 38–51, Dion de Pruse, Paris, 1994, p. 110–113. Or. xl, 13–15. F. Millar, The Emperor in the Roman World (31 bc-ad 337), London, Duckworth, 19922 (1977), p. 414–415, considère que cette ambassade a été envoyée en Germanie

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de cent nouveaux conseillers350. C’est peut-être dans ces circonstances, pour se concilier Trajan, qu’il a prononcé à la cour le premier discours Sur la royauté. On peut rapprocher celui-ci du Panégyrique, mais les parallèles ne sont pas assez précis, au sein de discours si différents, pour démontrer une influence de l’un sur l’autre351  :  ils reflètent plutôt des idées et des thèmes politiques prégnants à Rome au début du règne de Trajan. Chez Dion comme chez Pline, on trouve l’opposition entre Trajan et Domitien, le bon et le mauvais prince, plus marquée chez le sophiste352 ; le thème répandu du labor du princeps pour l’Empire ; le lien tout aussi habituel entre le prince et Jupiter, celui plus précis entre Trajan et Hercule qui concorde avec l’apparition en 100 à Rome et dans les provinces de l’Est, pour la première fois depuis Auguste, d’un monnayage au type d’Hercule353  ; l’idée que la divinité protègera l’empereur aussi longtemps qu’il sera bon, qui fait écho au pacte de Trajan, ce qui donne à penser que le premier discours a été composé après le 1er janvier 100354. Les deux discours font également référence à la simplicité qui caractérise l’empereur ; à son goût pour la sincérité ; au thème des amis, plus développé chez Dion ; au goût pour la guerre et la paix du bon roi ; à la commilito et à la discipline militaire de Trajan ; au titre de pater, qui définissait le principal rôle de l’empereur355. a Un discours figuré Le premier discours Sur la royauté est un miroir au prince, plus ou moins adapté, comme on va le voir, à la figure de Trajan, mêlant conseils et éloge. Sa structure est très différente de celle du basilikos logos tel qu’il est codifié chez Ménandre le rhéteur, vers la fin du iiie siècle. Mais la tradition rhétorique grecque du discours au prince se développe surtout au iie siècle, elle n’est certainement pas encore fixée au moment où parle Dion, et le discours de celui-ci

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avant le retour de Trajan à Rome, suivi par G.  Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 89–90. Or. xl, 15 ; xlv, 3, 7. Sur l’influence possible du premier discours Sur la royauté sur le Panégyrique, voir P. Desideri, Dione di Prusa, p. 350 n. 1 ; A. Brancacci, Rhetorike philosophousa, p. 36–37 et n. 42 ; J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 301–303. Or. i, 44–46. bmc iii p. 38 n° 56, pl. 10.5 ; voir aussi nos 81 à 93, 137, 138, 142 (pour la période de 101–102). Or. i, 46 ; 83. Simplicité  :  Pan., 4, 6  ; 54, 5 ; 84, 1  ; Or. i, 61–62. Sincérité :  Pan., 2, 3 ; 54, 1 ; Or. i, 26 ; Amis : Pan., 75–77 ; Or. i, 24–25 et 30–32. Guerre et paix : Pan., 16, 1 ; 17, 4 ; Or. i, 27–29 ; commilito : Pan., 15 ; Or. i, 22, 28–29 ; discipline militaire : Pan., 18 ; Or. i, 29. Pater : Pan., 21, en lien avec pater patriae ; Or. i, 22, en lien avec le titre informel de pater ou de parens par lequel l’empereur pouvait être désigné, autant, me semble-t-il, qu’avec le titre essentiel de pater patriae.

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est très marqué par l’influence platonicienne, y compris dans sa structure complexe et élaborée356 : – Première partie (§ 11–36) : discours dans un style simple sur les vertus et la disposition d’esprit du bon roi357, selon la conception homérique. – Deuxième partie (§ 37–48)  :  discours sur Zeus et le gouvernement divin, modèle de la royauté humaine. Aux références homériques, ce discours ajoute des références cultuelles, décrivant Zeus à partir de ses épiclèses, et philosophiques, renvoyant à la cosmologie stoïcienne. Il est interrompu (§ 48), car le sujet est trop vaste et demande une démonstration trop pointue, or un discours philosophique technique ne convient pas au roi358. Dans les discours Sur la royauté, Dion semble partager la conception aristotélicienne du roi sage, plus réaliste que celle de Platon : l’idéal est moins celui du roiphilosophe que celui du roi écoutant les conseils du philosophe qui le mène à la vertu359. Ce deuxième discours, philosophique, joue le rôle de pivot entre la première partie sur le roi humain et la troisième sur le roi humain choisi par le roi divin. – Troisième partie (§ 49–84)  :  mythe d’Héraclès à la croisée des chemins, montrant les liens entre le monde des dieux et celui des hommes à propos de la royauté. C’est le récit paradigmatique d’une initiation à la royauté. Zeus envoie Hermès pour mettre à l’épreuve son fils Héraclès désireux de 356

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La structure globale du discours est composite, en accord avec la conception platonicienne du « discours qui erre » (H. von Arnim, Leben und Werke des Dio von Prusa, p. 439– 443). L’influence de Platon apparaît aussi, naturellement, dans le recours au grand mythe d’Héraclès à la croisée des chemins, introduit par une mise en scène platonicienne ; voir M.  B. Trapp, «  Plato in Dio  », dans S.  Swain (éd.), Dio Chrysostom. Politics, Letters, and Philosophy, Oxford, New York, 2002, p. 213–239, part. p. 229. Or. i, 11 : Τά τε ἤθη καὶ τὴν διάθεσιν τοῦ χρηστοῦ βασιλέως. Ce discours “simple” (§ 15) est dépourvu de flatterie et d’outrage, il s’oppose aussi au discours « masqué » que constitue le mythe final. Or. ii, 26  ; iv, 1  ; voir aussi Horace, Ep., ii, 1, 1  ; Vitruve, Préface, 1  ; Martial, 12, 4  ; Plutarque, Apophtegmes de rois et de généraux, 172 e ; J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 309. Or. i, 8 : « Seul le discours des gens prudents et sages comme l’étaient la plupart des Anciens est le guide compétent et parfait et le recours d’une nature docile et bonne qu’il encourage et conduit comme il convient vers toutes les vertus », trad. personnelle : l’attention portée ici aux capacités pédagogiques du discours sage est caractéristique du sophiste ; Or. iv, 29–33, sur la paideia. Sur l’association du bon roi et du philosophe, voir Aristote, fr. 647 Rose = Thémistios, Or. viii, 107 c-d (cf. supra, c. 1). L’association entre le roi et la figure du pédagogue cynique errant (alètès) apparaît dans un fragment de Bion de Borysthène, qui fréquenta la cour du roi macédonien Antigone ii Gonatas : voir J. F. Kindstrand, Bion of Borysthenes : A Collection of the Fragments with Introduction and Commentary, Uppsala, 1976, F16 A.

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régner. Hermès conduit celui-ci devant deux pics, le pic royal et le pic tyrannique, le premier habité par Royauté et ses vertus, le second par Tyrannie et ses vices. Après les avoir vues, Héraclès se détermine naturellement pour Royauté, aussi Zeus lui accorde-t-il de régner sur toute la race humaine. Le mythe illustre notamment l’idée que le vrai roi est fils de Zeus et qu’il imite celui-ci. L’empereur doit nécessairement respecter les valeurs de Basileia et combattre la tyrannie360. Ce mythe est défini comme un discours « figuré »361, mais tout le premier discours Sur la royauté, et plus largement les quatre discours consacrés à ce sujet, entrent dans la définition du discours figuré qui procède par allusions et analogies, car Dion – sauf, dans une certaine mesure, dans ce mythe – confère à ses discours une portée générale, qui explique aussi leur succès postérieur, en n’adaptant pas précisément les lieux communs et les images : c’est le contexte de prononciation qui offrait aux auditeurs un sens précis362. Le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins suggère ainsi trois grandes associations qui sont plus ou moins précisément établies363. La première concerne Trajan et Héraclès et, pour rapprocher le héros des mythes et de la philosophie cynico-stoïcienne de l’empereur, Dion a fourni des efforts

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Le récit mythique occupe les § 59 à 84, et il est précédé d’une mise en scène dans laquelle Dion, lors de son exil, se perd dans la campagne péloponnésienne, en Arcadie, et arrive dans un bois sacré où il rencontre une prophétesse. Celle-ci lui annonce la fin de son exil et du règne de Domitien, puis elle lui demande de répéter à Trajan le mythe d’Héraclès dont elle lui fait le récit. Or. i, 49 : ἱερὸν καὶ ὑγιῆ λόγον σχήµατι µύθου λεγόµενον, « un discours sacré et sage tenu sous la forme d’un mythe ». Ainsi le deuxième discours sur la royauté contient-il un passage sur la musique et les spectacles propres au bon roi, condamnant ceux qui sont licencieux (§ 55  :  il y est question de danses lascives). Si le discours a bien été prononcé, comme nous le pensons, sous Trajan, l’allusion à l’interdiction des pantomimes (Pline, Pan., 46) était évidente pour les auditeurs. Dans le cas contraire, le passage ne perd pas son sens car il s’agit aussi d’un lieu commun présent dans le traité Sur le bon roi de Philodème (coll. xvi-xxiii), également d’actualité dans le contexte tardo-républicain de multiplication des jeux et des spectacles ; on le trouve aussi chez Philon d’Alexandrie, Ambassade à Caius, 44. Les excès de l’étude, très fine et stimulante par ailleurs, de J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p.  305–337 sur le premier discours Sur la royauté, montrent bien à quel point la communication symbolique laisse plus de latitude à l’interprétation des associations. V.  Visa-Ondarçuhu, «  “Héraclès à la croisée des chemins”  :  de l’usage du mythe chez Dion de Pruse (Sur la royauté I) », Pallas, 78, 2008, p. 335–350, a souligné les limites des analogies et la distance conservée par l’orateur. Les rapports entre Dion, Héraclès et Trajan ont aussi été analysés par H. Sidebottom, Studies in Dio Chrysostom On Kingship, p. 222–235.

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d’adaptation évidents364. Le parallèle est d’autant plus fort qu’il a d’autres échos dans le contexte de l’année 100 : dans le Panégyrique, Pline compare aussi la relation entre Trajan et Domitien, quand le premier a été appelé par le second en 88 pour combattre Saturninus en Germanie Supérieure, à la relation entre Hercule et Eurysthée, Hercule étant contraint d’obéir aux ordres d’un cousin tyrannique365. En 100 apparaît sur les monnaies impériales romaines le type d’Hercule debout sur une petite base de statue, la tête couverte d’une gueule de lion, la peau de lion drapée autour de son bras gauche, sa massue à la main droite, les pommes des Hespérides dans celle de gauche (avec une variante : la base peut être absente)366. Peut-être faut-il y voir une référence à une statue du héros bien connue à Rome, comme celle d’Hercule

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Contrairement à la tradition mythique qui fait d’Eurysthée le vrai roi d’Argos et de Mycènes, Héraclès est présenté comme le roi d’Argos et de toute la Grèce, chose que la plupart ignorent « car il était absent pour faire la guerre et défendre son royaume » (Or. i, 59) : on a là, me semble-t-il, une allusion à l’absence de Trajan de Rome au début de son règne pour consolider les frontières en Germanie et sur le Danube. Héraclès est doté du rôle d’évergète qui définit la figure de l’empereur en Orient (§ 62 : il fait des dons d’argent, de terre, de troupeaux, de royaumes et de cités pour obtenir l’eunoia, « la bienveillance », de ceux qui les reçoivent). Il est présenté comme étant à la tête d’une armée, et non seul – ou avec son neveu – comme il apparaît dans les récits des travaux (§ 63). Il reçoit de son père des signes qui peuvent faire penser au présage devant le Capitole évoqué par Pline, ou bien à la consultation par Trajan de l’oracle de l’Apollon de Didymes (C. P. Jones, “An Oracle Given to Trajan”). L’éducation simple et le mépris du luxe conviennent aussi bien à l’empereur qu’au héros cynico-stoïcien (Or. i, 61–62). Voir aussi J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 323–324 n. 10. Pan., 14, 5. Entre 100 et 102 (avec la légende cos iii et cos iiii) : bmc iii p. 38–39 nos 56–58, pl. 10. 5 (aureus) ; p. 39 n° 59 (denier) ; p. 42 nos 81–85, pl. 10. 14 (aureus) ; p. 42–43 nos 86–92, pl. 10. 15 (deniers) ; p. 43 n° 93, pl. 10. 16 (quinaire en argent). En 103 (COS V, SPQR OPTIMO PRINCIPI) : bmc iii p. 51 (denier). Entre 112 et 117 (cos v) : bmc iii p. 213 * (as) ; cf. aussi le revers de quadrans non daté : bmc iii p. 225 n° 1058, pl. 43. 7, et n° 1059. Ph. V. Hill, « Buildings and Monuments of Rome, ad 96–192, Part 2 », Numismatic Chronicle, 145, 1985, p. 82–101, part. p. 82, indique la statue sur des types d’aureus et de deniers de 107 oubliés dans bmc : un denier du trésor de Pyrford, maintenant au British Museum, et un aureus du marché de Bourgey, 27 mars 1912, 290. En plus de ce type à la statue, le buste d’Hercule apparaît sur le droit d’un quadrans daté de 102 (Ph. Hill, “Buildings and Monuments”, p. 82) : bmc iii, p. 226–227 nos 1062–1067, pl. 43. 10–12 ; p. 227 nos 1071–1074, pl. 43. 14–15 ; un buste d’Hercule est figuré sur le droit d’une monnaie restituée (bmc iii, p. 132 n° 674, pl. 22. 7, denier) ; deux autres monnaies montrent sur le revers Hercule sacrifiant (bmc iii, p. 54 n° 156, Cohen 381, aureus ; p. 69 n° 263, pl. 14. 1, aureus). Voir D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 108–109. Voir aussi mir 72, 73, 99–101, 138, 143, 164, 192, 193, 457, 595 ; 227, 263 (Hercule sacrifiant, daté de 107–108) ; 176 (massue sur la gueule du lion).

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Inuictus, associé à l’Ara Maxima situé sur le Forum Boarium, là où Hercule avait tué le brigand Cacus367. La date des monnaies représentant cette statue renvoie aux contextes des guerres daciques et parthiques. Hercule Victor figure sur les listes des dieux invoqués par les Frères Arvales en 101 lors du départ en guerre de Trajan, et le héros fut également donné comme emblème à la legio ii Traiana en 102– 104368. A partir de la censure d’Appius Claudius Caecus en 312 av. J.-C., Hercule était devenu le dieu de la victoire pour les Romains369. De grands généraux républicains avaient déjà conjugué imitatio Alexandri et culte de l’Hercule Victor  :  ainsi Scipion l’Africain, et Pompée qui avait peut-être installé la statue d’Alexandre le Grand dans le temple d’Hercule à Gadès370. Suétone rapporte que César, alors qu’il était questeur en Espagne ultérieure, vit cette statue dans ce temple ; il aurait aussitôt demandé son congé pour rentrer à Rome, afin de se lancer dans des entreprises de conquêtes mémorables371. Selon G. Seelentag, cette anecdote pourrait viser la prédilection de Trajan pour Alexandre et Hercule (Gadès étant située en Bétique, où s’était installée la famille de Trajan), en lien avec les conquêtes orientales de l’empereur372. Il faut noter aussi que l’association entre l’empereur et Héraclès est mise en relief sur le monnayage des cités grecques dès le début du règne de Trajan : on relève dans le rpc iii 47 monnaies datées de ce règne qui figurent au droit l’image de l’empereur et au revers celle du héros373. Il s’agit d’une nouveauté, 367 368 369 370 371 372

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Ph. V. Hill, “Buildings and Monuments of Rome, ad 96–192, Part 2”, p. 82. J. Scheid (éd.), Commentarii fratrum Arvalium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale : 21 av.-304 ap. J.-C., Roma, 1998, p. 177–182, n° 62 a, l. 67. Voir M. Galinier, « L’image publique de Trajan », p. 128. M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome, 2005, p. 497–507. M. Jaczynowska, «  Le culte de l’Hercule romain au temps du Haut-Empire  », anrw, ii, 17, 2, Berlin, New York, 1981, p. 631–661, part. p. 633–634 ; E. Stafford, Herakles, London, New York, 2012, p. 150–152. Suétone, Caes., 7. G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 486. Sur la prédilection de Trajan pour Hercule, voir aussi J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 80–87 ; M. Jaczynowska, « Le culte de l’Hercule romain », p. 635–637 ; J. R. Fears, “The Cult of Virtues”, p. 913, 917–918, et “The Theology of Victory at Rome”, p. 819–821. Relevé réalisé à partir du rpc Online. Ces monnaies proviennent pour l’essentiel d’Alexandrie, mais aussi d’Asie, de Pont-Bithynie, de Thrace (Périnthe) et de Syrie (Antioche). Cette association ne se présente qu’une seule fois pour Nerva divinisé, sur une monnaie de Périnthe datée de 98–102  :  rpc iii 693. 44 monnaies datées du règne d’Hadrien présentent cette association, et 146 pour le règne d’Antonin. A  titre de comparaison, l’association entre l’empereur au droit et Zeus au revers concerne 197 monnaies datées du règne d’Hadrien et 206 monnaies datées de celui d’Antonin : ce dernier témoigne donc, proportionnellement, d’une hausse de l’association entre l’empereur et Héraclès.

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Fig. 3  Tétradrachme, Antioche, 112/113. Droit : tête laurée de Trajan, au-dessus d’un aigle tourné vers la droite et, à gauche, d’une massue, légende ΑΥΤΟΚΡ ΚΑΙС ΝЄΡ ΤΡΑΙΑΝΟС СЄΒ ΓЄΡΜ ∆ΑΚ. Revers : tête de Melkart/Héraclès, avec la peau de lion nouée sous le menton, légende ∆ΗΜΑΡΧ ЄΞ ΙΖ ΥΠΑΤ Ϛ. rpc iii 3547. Roma Numismatics Ltd, 44, 3 mars 2018, lot 398.

car pour le règne de Domitien on ne connaît que neuf monnaies présentant cette association374. Des monnaies d’Antioche de Syrie, dont les premières sont datées dès 98–99, témoignent en particulier d’un véritable effort pour accentuer le parallélisme entre Trajan et Héraclès375. Les deux bustes sont tournés à droite et la ressemblance entre les traits des visages est recherchée, de sorte qu’Héraclès apparaît comme une sorte de « super-Trajan » (Fig. 3). Sur ce tétradrachme, on retrouve chez Héraclès, qui est sans barbe, les traits des joues caractéristiques des portraits de Trajan. Le héros porte la couronne de lauriers, comme l’empereur, avec sur la nuque la même attache «  à la grecque » qui avait été mise au point par Néron, tandis que l’évocation de la peau de lion est relativement discrète. Son profil rappelle aussi les portraits numismatiques des rois hellénistiques, avec les boucles de cheveux ; la chevelure de Trajan, qui descend sur sa nuque, semble par reflet en proposer une version atténuée et romaine376. L’accent mis sur l’association entre Trajan et Héraclès sur le monnayage provincial apparaît comme une nouveauté liée à la dynastie antonine : elle ne 374 375 376

rpc ii 173, 362, 639, 642–643, 623, 1418, 2709, 2771 (en Asie, en Egypte et surtout en Bithynie [4]). Quatre monnaies datées du règne de Vespasien présentent aussi cette association (rpc ii 621, 688, 706, 1034). rpc iii 3563, 3566–3567. Je remercie Michel Fuchs pour la discussion que nous avons eue au sujet de cette monnaie.

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relève pas d’une habitude ou de traditions locales, mais elle semble répondre à une volonté du pouvoir romain. Comme dans sa relation à Jupiter, Trajan cherchait peut-être également à rivaliser avec Domitien qui avait installé, dans la salle du trône de la Domus Augustana sur le Palatin, une statue colossale du héros en basalte vert, dotée de traits rappelant les siens377. Il avait fait bâtir sur la voie appienne un temple à Hercule avec une statue représentant ses propres traits, évoquée par Martial378. L’interprétation de ce type de représentation divine est délicate : elle suggère de considérer Domitien comme une incarnation, ou plutôt comme une épiphanie d’Hercule, une sorte de neos Herakles379. Pour les contemporains, le jeu devait prêter à confusion car Martial suggère à la fois que l’empereur a emprunté les traits du grand Hercule et que celui-ci porte le beau visage du dieu César380, ce qui renvoie à une idée d’assimilation, d’identification entre le princeps et le dieu. Mais le poète fait bien la distinction entre les deux et, par une flagornerie que lui permet la licence poétique, inverse la relation hiérarchique normale en affirmant la supériorité de Domitien sur Hercule. Avec ce dieu, Trajan semble avoir instauré, à Rome, une distance que n’avait pas montrée son prédécesseur, comme l’atteste la statue du Musée des Thermes romains qui le représente nu et héroïsé, portant une peau de lion dont les pattes sont nouées sur l’épaule droite, mais aussi une couronne de pin qui renvoie à Silvanus381. Le retour de Trajan à Rome apparaît, en tout cas, comme un moment exceptionnel où l’on observe une certaine concomitance thématique entre les monnaies et les discours des élites sociales de l’Empire autour du prince, comme pour conforter celui-ci dans un bon début de règne. Mais on note aussi des décalages de sens qui ont leur importance : au moment où commencent les préparatifs de la première guerre dacique, l’Hercule de Trajan est d’abord 377

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Parme, Pinacoteca Nazionale, inv. 970. Voir J.  Sieveking, «  Zwei Kolosse von Palatin in Parma  », Jahrbuch des Deutschen archäologischen Instituts, 56, 1941, p.  72–90  ; R. Belli Pasqua, Sculture di età romana in basalto, Roma, 1995, p.  98–99, pl. 57–60  ; E.  Rosso, « Dieux à visages d’empereurs », p. 253–259, sur Domitien. Martial, ix, 64 et 65. Selon Philon, Ambassade à Caius, 78–79, Caligula se déguisait en Hercule, portant une massue et une peau de lion en or ; ce type d’accusation est cependant un topos, voir Suétone, Aug., 70 : Antoine avait accusé par lettre Octavien d’avoir parodié une assemblée des dieux lors d’un dîner.Voir E. Stafford, Herakles, p. 154, et p. 153–156 pour l’association des empereurs avec le héros. Voir Martial, ix, 64, 6  :  il existe désormais deux Hercule, un maior et un minor. Sur la question de l’interprétation, voir E. Rosso, « Dieux à visages d’empereurs », p. 255–259. Martial, ix, 64, 1 : Herculis in magni uoltus descendere Caesar ; 65, 2 : pulchra dei Caesaris ora geris. Musée national de Rome, Inv. 124.481 ; D. Boschung, « Ein Kaiser in vielen Rollen », Abb. 188 p. 169.

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associé à la uirtus militaire, alors que Pline et Dion, tout en conservant la dimension militaire, mettent en avant la vertu morale qui caractérise l’Héraclès cynique et stoïcien382. Le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins montre l’initiation du héros à la vertu/royauté. L’analogie entre Trajan et Héraclès subit aussi un effet de mise à distance à la fin du texte, lorsque le sophiste dissocie l’empereur du héros en rétablissant un rapport hiérarchique entre l’homme et la divinité : Héraclès, qui a choisi la royauté et la vertu, soutiendra Trajan aussi longtemps que celui-ci sera un bon roi383. L’association entre Zeus, le père d’Héraclès, et Nerva, le père adoptif de Trajan, qui a été divinisé384, découle logiquement de la précédente, mais elle n’est pas activée dans le discours. Aucune référence n’est faite à l’adoption, ni au choix du meilleur à proprement parler385. Héraclès, parce qu’il montre sa nature de bon roi, est investi par Zeus de la royauté : derrière ce schéma on retrouve la conception homérique du roi rejeton de Zeus, à qui le dieu donne le sceptre et les thémistes386. L’analogie entre Dion et Hermès paraît évidente, et elle l’est jusqu’à un certain point387. Le rôle d’Hermès, d’ailleurs assez difficile à cerner précisément dans le mythe, ne correspond qu’en partie à celui de Dion : le dieu est le guide d’Héraclès sur le chemin de la royauté et de la vertu, ce qui renvoie au rôle dont le sophiste se réclame, vis-à-vis de son auditeur Trajan, dans le prologue du discours388. Hermès prévient aussi Zeus que l’éducation d’Héraclès est réussie, 382

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Pan., 14, 5 : Hercule accomplit de rudes labeurs (saeuos labores) qui le laissent indompté toujours et inlassable (indomitus semper indefessusque). Sur l’évolution du personnage d’Hercule, voir J.  Galinsky, The Herakles Theme. The Adaptation of the Hero in Literature from Homer to the Twentieth Century, Oxford, 1972, p. 101–149 ; E. Stafford, Herakles, p. 117–136. Or. i, 84. J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 324. Contrairement à ce que j’écrivais dans A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 258–259, et dans « Le sophiste Dion de Pruse », p. 8, le premier discours Sur la royauté ne me paraît pas développer une théorie de l’optimus princeps a diis electus, avec laquelle il n’a qu’une analogie lointaine. Or. i, 11–12 ; Il., ii, 205–206. Sur le sens des thémistes, voir P. Carlier, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, 1984, p.  192–193  :  ce sont les décisions politiques ou judiciaires et les règles de vie en société. Sur la présence de l’idée d’élection divine dans l’Iliade, voir J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 29–34. Voir aussi Or. i, 45. Voir supra, c. 1, sur le caractère traditionnel de cette idée du roi élu par le divin dans la pensée politique antique. J. L.  Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p.  325. V.  Visa-Ondarçuhu, « “Héraclès à la croisée des chemins” », p. 339, 346–347, souligne le fait qu’Hermès n’a pas recours au discours pour éduquer Héraclès dans le mythe, mais aux images. Il réalise en effet une véritable initiation. Or. i, 8 : seul le discours d’un homme prudent et sage est le guide et le secours d’une nature docile et bonne qu’il encourage et conduit comme il convient vers la vertu ; la nature

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ce qui détermine l’investiture du héros ; sur ce point, le rapprochement entre Dion et Hermès n’est plus opérant. Si celui-ci est chargé dans le mythe de vérifier l’aptitude du candidat à la royauté, il est très improbable, étant donné les difficiles relations que le pouvoir et les philosophes entretenaient depuis une quarantaine d’années, que le sophiste ait songé à réclamer sérieusement l’intervention d’un philosophe dans le choix du futur empereur. On est là dans le domaine de l’utopie, ou bien du mythe, au sens moderne du terme. Ainsi, le langage mythique utilisé par le sophiste, entre tradition et adaptation, produit une démultiplication des références réalisant un effet de brouillage389. Bien que ce discours soit plus élogieux à l’égard de Trajan que les deuxième et quatrième discours Sur la royauté, la prise de distance de Dion est évidente, comme l’ont bien montré J.  L. Moles et V.  Visa-Ondarçahu390. Elle apparaît dans la méfiance que montre Zeus, dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins, envers la nature de son fils : celle-ci est bonne à l’origine (Zeus a doté son fils de bonnes impulsions – les hormai stoïciennes -, l’a entouré d’hommes de bien et lui a envoyé des signes) et cependant, comme cette nature est en partie mortelle, elle est susceptible d’être corrompue par les exemples de luxe et de licence nombreux parmi les hommes391. D’où l’importance que le futur roi soit accompagné par un sage pédagogue. b La paideia L’originalité de Dion, par rapport à Pline, réside dans la mise en avant de la paideia, au sens double du terme grec, à la fois éducation et culture. Le lien étroit entre paideia et homme d’Etat est typiquement grec, et il est aussi très présent chez Plutarque, auteur des traités Le philosophe doit surtout s’entretenir avec les Grands et A un chef mal éduqué392.

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pédagogique et parénétique du discours est affichée beaucoup plus clairement que dans le Panégyrique de Pline. Dans le mythe de Dion, Hermès remplit les diverses fonctions qui sont les siennes dans la mythologie, la religion et la philosophie grecques : il est le messager des dieux, le dieu des voyageurs et des carrefours, le dieu de la parole et des sages (voir Entretiens, iii, 1, 37, et 20, 12, pour la figure d’Hermès patron des philosophes). Dans Or. xxxii, 21, Dion s’identifie aussi à Hermès. Le parallèle entre Hermès et Dion est ainsi doublé dans la mise en scène par un parallèle entre la prophétesse et le sophiste. J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 313, 335 ; V. Visa-Ondarçuhu, « “Héraclès à la croisée des chemins” », part. p. 349. Or. i, 64–65. La possibilité de perdre la vertu était objet de débat parmi les philosophes : Diogène Laërce, vii, 127, et plus largement, Les Stoïciens, Passions et vertus, fragments, trad., notes et préface de P. Maréchaux, Paris, 2003, p. 54–63. Voir en particulier Plutarque, Moralia, 777 A, 797 D. Voir M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, p. 140.

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Dion souligne la nécessité d’éduquer le bon roi et remet en avant le rôle du philosophe, comme l’avait fait Sénèque, car le bon roi n’est pas, à ses yeux, un roi-philosophe au sens strict du terme. Le bon roi n’a ni le besoin ni le temps de recevoir une éducation très poussée en rhétorique et en philosophie393. Mais c’est un roi vertueux, éclairé par de bons pédagogues et des conseillers compétents dont il écoute les avis, selon le modèle prôné et mis en pratique par Aristote394. Le rôle du philosophe est essentiellement celui du pédagogue, qui montre la voie à suivre, matérialisée par l’image du chemin dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins395. Il existe en effet une science royale396, qui apparaît tantôt comme la (re)connaissance des principes moraux qui doivent borner l’activité politique (Or. i et iv397) et le fait de gouverner en se conformant au modèle de Zeus (Or. liii), tantôt comme une somme de compétences et de sagesse pratique (dans les discours les plus homériques, le ii et le lvi). Les figures du philosophe, mythiques ou historiques, sont très différentes, et cette diversité s’accompagne d’une variation dans leur rôle et leur pédagogie, malgré un goût affirmé pour une pédagogie en images, très sensible dans les discours ii et iv398 : à côté d’Hermès, dont on a vu le rôle dans le discours i, on trouve Aristote, censé avoir donné à Alexandre le Grand une éducation à la royauté à partir d’Homère (il aurait réalisé pour son élève une édition de l’Iliade « dite de la cassette », qui aurait accompagné Alexandre dans son expédition en Asie)399  ; Socrate qui enseigne ce qu’est le bon roi 393 394 395

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Or. i, 61 ; ii, 18–27 ; iv, 31, 33. Voir aussi Or. xviii, 6, et Plutarque, Moralia, 776 E (Le philosophe doit surtout s’entretenir avec les Grands) : le philosophe doit enseigner les vertus politiques de base et non les parties les plus élevées de la philosophie. Or. xlix, 4, où l’association entre Agamemnon et Nestor est placée sur le même plan. On retrouve cette image du chemin dans Or. iv, 33  ; xviii, 4.  Sur le rôle pédagogique du sophiste dans les discours sur la royauté, voir T. Whitmarsh, Greek Literature and the Roman Empire : the politics of imitation, Oxford, New York, 2001, p. 200–216 ; sur le rôle du philosophe, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 342–348. Epistèmè, technè, Or. ii, 26 ; iv, 21 et 26 ; xlix, 4 ; liii, 11. Voir Philon, Ambassade à Caius, 47–56, sur le débat entre Macron et Caligula au sujet de l’existence d’un art royal, ou bien de la prépondérance d’une nature royale. Dans le discours iv, la paideia divine est alors définie par la noblesse d’âme (§ 31). Sur cette pédagogie en image, qui exploite la pédagogie romaine de l’exemplum, voir A.  Charles-Saget, «  Un miroir au prince au i er s.  ap. J.-C., Dion Chrysostome, Sur la Royauté i  », dans B.  Cassin (éd.), Le plaisir de parler  :  études de sophistique comparée, Paris, 1986, p. 111–129 ; A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 32–33. Or. ii, 15 et 79 ; Or. xlix, 4 ; le discours ii constitue dans une certaine mesure la version « humaine » et historicisée du mythe d’Héraclès à la croisée des chemins : Philippe vérifie que l’éducation homérique donnée par Aristote à Alexandre a réussi, rendant son fils apte à régner. Sur l’édition de l’Iliade dite de la cassette, voir Plutarque, Alex., 8, 2 ; 15, 8–9 ; 26, 2–6 ; La fortune d’Alexandre, 327 E ; 331 C-D.

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dans le discours iii ; Diogène qui tente de purifier Alexandre de son ambition excessive (philotimia) dans le discours iv. Le philosophe est aussi capable de reconnaître la nature noble du roi dans les discours i et iv. La figure de Nestor est la plus polyvalente400 : dans le discours lvi, Agamemnon ou sur la royauté, dont nous avons supposé qu’il révélait une étape antérieure de la réflexion de Dion, le héros fait fonction d’autorité morale, de conseiller politique en stratégie militaire, de pédagogue et d’instance de contrôle401. Il fait aussi ailleurs figure de médiateur, capable d’apaiser l’hubris des rois Achille et Agamemnon grâce à son éloquence402 ; sa maîtrise de la rhétorique, qui lui permet d’allier sagesse et persuasion, le qualifie par excellence pour le pouvoir royal403. La construction par Dion de la figure du philosophe associé au roi est donc moins cohérente et plus labile que sa réflexion sur le roi homérique, me semblet-il. La discrétion du rôle d’Hermès dans le discours I témoigne peut-être d’un certain malaise ou d’une hésitation, qui peut s’expliquer à la fois parce que Dion a été échaudé par son propre exil et, plus généralement, parce que depuis 62, date du semi-congé de Sénèque, le pouvoir impérial a entretenu des relations conflictuelles avec les philosophes stoïciens et cyniques : outre les exécutions de leurs élèves aristocrates, ceux-ci ont été deux fois chassés de Rome, y compris des personnalités aussi importantes que Musonius et Epictète qui ont marqué plusieurs générations d’intellectuels grecs et romains404. Une tradition tardive qui apparaît au ive siècle associe Titus – particulièrement doué pour l’étude des lettres – et Musonius, le premier ayant rappelé d’exil Musonius à son avènement. Selon Tacite, Vespasien entretenait des relations amicales avec Thrasea Paetus et Barea Soranus dont la nièce avait épousé Titus, ce qui rend possible que celui-ci ait fréquenté Musonius dans sa jeunesse405. Mais Thémistios, lui-même honoré par tous les empereurs de Constance ii à Théodose i, qui l’a fait préfet de Rome et tuteur de son fils, le futur empereur Arcadius, a donné une liste vraisemblablement exagérée de ses « prédécesseurs »,

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Or. ii, 20–21 ; xlix, 4 ; lvii. A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 333–334 ; « Le sophiste Dion de Pruse », p. 14–17. Voir aussi l’étude de M. Deroma, « Il filosofo e il potere : l’Agamemnone di Dione di Prusa », ret, 3, 2013–2014, p. 103–140. Or. lvii, où l’on retrouve un parallélisme marqué entre Dion et ce héros spécialiste d’une rhétorique philosophique ; A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 136–144. Or. ii, 20–21. Nestor représentait dans la rhétorique grecque un modèle d’éloquence fondée sur le style moyen, mélangé et tempéré  :  Aulu-Gelle, vi, 14, 7  ; Quintilien, xii, 10, 64. Voir supra, c. 2 sur les liens entre les cercles d’influence de Musonius et d’Epictète. Tacite, Hist., iv, 7 ; E. Rawson, “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”, p. 249 ; J. K. Evans, “The Trial of P. Egnatius Celer”, p. 200–201.

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conseillers des princes : Auguste et Areios d’Alexandrie, Tibère et Thrasyllos, Titus et Musonius, Trajan et Dion Chrysostome, Antonin ainsi que Marc Aurèle et Epictète, Marc Aurèle étant aussi relié à Rusticus (Q. Junius Rusticus, dont Marc Aurèle parle au livre i de ses Ecrits)406. Il s’agissait d’une question d’actualité  :  la position inconfortable du philosophe à la cour est aussi soulignée par Plutarque dans le Banquet des Sept Sages : selon Esope, on ne devrait pas se revendiquer comme le conseiller et l’ami d’un gouvernant et en même temps contester son droit à gouverner407. Dion semble donc procéder un peu à tâtons, mais l’important est la remise en avant de ce rôle de philosophe guide du prince, dont l’éventail des facettes est déployé408. Pour ce qui concerne la culture considérée comme nécessaire au bon roi, c’est celle d’Homère qui est jugée fondamentale dans les quatre discours Sur la royauté, et surtout dans le deuxième. Dans le discours Sur Homère, pour lequel on n’a aucun élément de datation, le sophiste insiste sur l’utilité du poète pour la royauté, en résumant l’essentiel, à ses yeux, dans la conception homérique du roi : le lien – interprété en terme d’imitatio dei – entre celui-ci et Zeus, et le pouvoir paternel, protecteur et bienveillant du roi des dieux409. En mettant en avant la primauté d’Homère, Dion s’appuie sur les théories rhétoriques de l’imitation (en particulier l’imitation propre à l’éloquence politique) comme on peut le voir chez Denys d’Halicarnasse au début de l’Empire, chez Quintilien à la fin du ier siècle et dans la lettre xviii, Sur l’entraînement oratoire, du sophiste410. Dans le premier discours Sur la royauté, Dion utilise aussi Xénophon, également considéré par les rhétoriciens d’époque impériale comme un auteur utile 406

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Thémistios, Or. xiii, 173 b-c, v, 63 d, xi, 145 b, xxxiv, 31–32 ; Julien, ad Them., 265 c, et Caes., reprend ces exemples  ; Jérôme, Chronique, 215 Ol., 81 ap. J.-C.  ; pour une discussion de cette liste, voir E. Rawson, “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”. Sur Rusticus : Marc Aurèle, i, 7, 8. Plutarque, Moralia, 152 A-C. Voir notamment l’analyse de P. Desideri, « L’immagine dell’imperatore », p. 314–320, sur le rôle de philosophe inspiré par la divinité endossé par Dion. Or. liii, 11–12. Chez Dion, Homère et sa poésie sont qualifiés par l’adjectif sophos, « sage » (Or. ii, 17 ; xii, 22 et 73 ; xxiii, 5 ; xliv, 1 ; liii, 1), et le poète est appelé aussi philosophe (Or. xlvii, 5). Denys d’Halicarnasse, Sur l’imitation, Epitome du livre ii, 1 ; Quintilien, x, 1, 46–47 ; Dion, Or. xviii, 8  ; ps.-Plutarque, Sur Homère, considère le poète comme l’inventeur du discours politique auquel une grande partie de ce traité est consacré (§ 161–199 ; l’auteur est probablement un grammairien postérieur de quelques générations à Plutarque, voir J. J. Keaney, R. Lamberton (éd.), [Plutarch] Essay on the Life and Poetry of Homer, Atlanta, 1996, p. 7–9) ; Ménandre ii, 393, 5–16, éd. Russell et Wilson.

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à l’éloquence politique411. Le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins est une réécriture de l’apologue de Prodicos sur le choix d’Héraclès entre le chemin du Vice et celui de la Vertu, rapporté dans les Mémorables, qui est le premier exemple que nous connaissons où l’on voit la transformation d’Héraclès, héros très physique à l’origine, en champion de la vertu412. Cet apologue était bien connu : Cicéron notamment l’a utilisé dans son traité sur Les devoirs pour illustrer le choix de vie que chacun devait faire en sortant de l’enfance413. Le sophiste exploite aussi la Théogonie d’Hésiode en faisant référence à Typhon ou Typhée, qui disputa à Zeus la souveraineté sur les dieux et les hommes et qui est lié chez Dion à la tyrannie, et aux Horai (Dikè ou Justice, Eunomia ou Bon ordre, Eirenè ou Paix) qui accompagnent Royauté414. En terme de communication, on peut noter le choix judicieux de ces auteurs : Homère, Xénophon et Hésiode sont en effet trois piliers de l’éducation qui était partagée par les élites grecques et romaines sous le Haut-Empire415. Les discours de Dion Sur la royauté présentent donc l’originalité de mettre en avant, non seulement devant des auditeurs grecs, mais aussi devant l’empereur et sa cour, l’importance de la culture grecque pour exercer le pouvoir royal, sous deux aspects : le sophiste fait valoir la réflexion grecque sur la royauté et le modèle du bon roi, et celle sur l’éloquence politique (thématique développée par Fronton dans sa correspondance avec Marc Aurèle416). Il affirme ainsi 411

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Denys d’Halicarnasse, Pomp., xi, 4 ; Quintilien, x, 1, 75, 82 ; Dion, Or. xviii, 14–17. L’accointance de Xénophon avec la philosophie est toujours soulignée (Quintilien le range dans la catégorie des philosophes, Dion dans celle des Socratiques). L’influence de Xénophon sur Dion de Pruse a été jugée prépondérante par G. Barner, Comparantur, p. 11–24, qui a relevé les loci communi entre le sophiste, Platon, Isocrate et Xénophon. Xénophon, Mem., ii, 1, 21. G. R. Höistad, Cynic Hero and Cynic King. Studies in the Cynic Conception of Man, Uppsala, 1948, p. 31–33 ; J. Galinsky, The Herakles Theme, p. 101–103 ; S. Gotteland, Mythes et rhétorique : les exemples mythiques dans le discours politique de l’Athènes classique, Paris, 2001, p. 235–239. Pour la comparaison entre les mythes d’« Héraclès à la croisée des chemins » chez Xénophon et Dion, voir V. Visa-Ondarçuhu, « “Héraclès à la croisée des chemins” », p. 336–337. Cicéron, Off., i, 32. Or. i, 67 (Typhon) ; 73–75 (Hôrai). Voir Hésiode, Th., 306–325 : l’union d’Echidna et de Typhée a produit des enfants monstrueux, dont l’Hydre de Lerne (v. 313), qui renvoie aux travaux d’Héraclès ; v. 820–870 : lutte de Zeus et du monstre Typhée qui a failli devenir roi des dieux et des mortels (v. 837), au cours de laquelle Hermès et les Moires interviennent pour aider Zeus ; Typhée est aussi le père des vents mauvais pour les hommes, v. 869–881 ; v. 901–902 sur les Hôrai, filles de Zeus et de Thémis et sœurs des Moires. Hésiode est le seul autre poète à être considéré comme sophos par Dion : Or. i, 57–58 ; vii, 110 ; xii, 22– 23 ; lxxvii-lxxviii, 1. L’utilité de ce poète pour l’éloquence politique est aussi soulignée par Isocrate, A Nicoclès, 43, et par Ménandre le Rhéteur, ii, 393, 5–16. H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation, p. 246–248. Voir infra, c. 4.

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le processus d’union du pouvoir et de la paideia, qui avait été entamé à l’époque  républicaine lors des conquêtes de la Grèce à des fins diplomatiques417, et dont l’enjeu, tel qu’il a été défini par P. Brown pour l’époque tardive, s’applique parfaitement ici : il s’agissait d’« enfermer … l’homme qui exerçait un pouvoir aussi terrible … dans le réseau soyeux d’un code de conduite censé l’unir à ses sujets des classes supérieures »418. Ainsi Nerva, après avoir annoncé l’adoption de Trajan à la fin du mois d’octobre 97, aurait-il envoyé à son nouvel héritier qui était en Germanie une lettre dans laquelle il lui demandait de le venger en citant Homère419. c Le bon roi et la royauté divine Dans le premier discours Sur la royauté, Dion définit le modèle du « bon roi », ὁ χρηστὸς/ἀγαθὸς βασιλεύς, ou du « vrai roi », ὁ ἀληθῶς βασιλεύς420. Celui-ci est, comme dans les autres discours Sur la royauté, opposé au tyran, selon la conception platonicienne largement reprise dans la réflexion politique à l’époque hellénistique421. Comme chez Platon et chez Aristote, le tyran est incapable de borner ses désirs422 : la question de la royauté se pose donc essentiellement en termes éthiques, comme le montre la surimposition des figures de Royauté et Tyrannie sur celles de Vertu et Vice dans l’apologue de Prodicos. Le discours est fondé sur les quatre vertus cardinales – justice, sagesse, tempérance et courage – et leur déclinaison, sans qu’il y ait de surenchère comme chez Pline où l’accumulation des vertus sous-tend le modèle du meilleur. Dion adapte les

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J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme. P. Brown, Pouvoir et persuasion dans l’Antiquité tardive, vers un Empire chrétien, Paris, 1998, p. 88–89 (trad. P. Chuvin). Dion Cassius, xviii, 3, 4 : Tίσειαν ∆αναοὶ ἐµὰ δάκρυα σοῖσι βέλεσσιν (Il., i, 42, fin de la prière de Chrysès à Apollon). Ὁ χρηστὸς βασιλεύς : Or. i, 11 ; 33 ; ὁ ἀγαθὸς βασιλεύς : Or. i, 36 ; ὁ ἀληθῶς βασιλεύς : Or. i, 15, 38. Le verbe basileuein est employé au sens d’être un bon roi aux § 23 et 84 (§ 23 : le bon roi ne règne pas pour son seul profit, mais pour tous les hommes). Cette opposition apparaît dans la description des allégories de Royauté et de Tyrannie dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins, Or. i, 67–82 ; voir aussi Or. i, 13–36 ; Or. ii, 42–43, 73–77 ; Or. iii, 32–35, 39–41 ; Or. iv, 21–22 ; Or. lxii, 2–3. Cette antithèse est courante dans la réflexion hellénistique sur la monarchie au ive s. av. J.-C. : F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, p. 177–204 ; P. Carlier, La royauté, p. vii, 234 et 512 ; P. Barceló, « Basileia, Monarchia, Tyrannis », p. 11–345. Platon, R., ix, 588 c- 589 a ; Aristote, Pol., iii, 16, 5, 1287 a. L’image du tyran est très ancrée dans la réflexion platonicienne chez Dion : Or. i, 13, les comparaisons du tyran avec un hôte qui trompe ses invités, ou avec un homme qui dort toute la nuit, renvoient précisément à Platon, R., iv, 421 b, et Lg., vii, 807e-808c ; voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 325–326.

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vertus du roi à la figure de l’empereur, bien plus que ne l’a fait Musonius423. Le bon roi est ainsi défini dans la première partie du discours : 1) en premier lieu, il est pieux, hosios (en lien avec la justice), § 15–16 ; 2) philanthropos et doux, § 17–20. Le bon roi est par nature bienveillant envers ses sujets, mais il s’agit aussi d’une attitude politique, car la philanthropie du roi engendre la reconnaissance (charis) de ses sujets et débouche donc sur une relation réciproque d’amitié ; 3) dévoué et endurant, philoponos, § 21–22 (par opposition au tyran qui aime les plaisirs et les richesses). Il est commiles de ses soldats424, gouverne avec ses amis, doit justifier par ses actes le fait d’être appelé père de ses « concitoyens et de ses sujets »425 ; 4) bienfaisant, euergetès, § 23 ; 5) seuls ses ennemis le craignent, ses amis sont toujours en sécurité426, § 24–25 ; 6) il apprécie la sincérité et la vérité, § 26 ; 7) il est naturellement philotimos : il aime les honneurs, ce qui est ici une qualité, contrairement à l’excessive recherche de gloire, la philotimia, dont Diogène essaie de purifier Alexandre dans le quatrième discours Sur la royauté. Le bon roi ne cherche pas à contraindre ceux qui sont réticents à l’honorer, § 27, contrairement à Caligula qui avait voulu contraindre les Juifs de l’honorer dans le temple de Jérusalem427 ; 8) il est polemikos car il a autorité sur le domaine militaire, et eirènikos car il combat pour assurer la paix, § 27428 ; 9) il aime ses concitoyens et ses soldats (philhétairos, philopolitès, philostratiôtès) § 28–29 : il ne doit pas éprouver de méfiance ou de distance envers le domaine militaire – cette remarque renvoie peut-être aux difficultés connues par Nerva – et doit encourager la discipline ; 10) il doit honorer ses amis, § 30–32 ; 11) le signe le plus clair qu’un souverain est un bon (chrestos) roi est le jugement que portent sur lui les hommes de bien, dans le présent et dans

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Andreia : § 5 ; sophrosunè : § 6, 56 ; phronèsis : § 6, 8, 26 ; dikaiosunè, qui est de loin la qualité la plus souvent mentionnée : § 6, 12, 35, 38, 42, 45. Voir aussi chez Pline, supra. Par opposition au qualificatif de despotès, qui renvoie à Domitien (voir supra). Sur le respect du bon roi pour ses amis, voir Xénophon, Cyr., viii, 12, 13 ; Salluste, Jug., 10, 4 ; alors que le tyran, qui ne peut avoir confiance en personne, est seul, voir Platon, Grg., 510 b-c. Philon d’Alexandrie, Ambassade à Gaius. Sur Dion et la guerre, voir H. Sidebottom, “Philosophers’ Attitudes to Warfare”, p. 245–256.

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l’avenir, § 33. Ceux-ci ne rougissent pas de le louer et lui construisent donc une bonne mémoire ; 12) le roi juste (dikaios) est utile, préservé et heureux, § 35. On trouve deux antithèses traditionnelles, également présentes chez Pline, qui définissent le bon roi : il est à la fois bon chef militaire et attaché à la paix429 ; son apparence est un mélange de simplicité et de majesté430. Le courage du bon roi est présent sous sa forme militaire, fortement nuancée par l’insistance sur la paix431, et sous la forme morale du goût pour l’effort. Trois vertus apparaissent comme fondamentales : la justice, qui est la vertu la plus souvent mentionnée, la philanthropie et la piété432. La justice ne renvoie pas au domaine de la législation ni de la pratique du droit, mais plutôt à l’idée stoïcienne de justice naturelle433. Dans le prologue, le caractère du bon roi est décrit comme juste, sage, tempérant et philanthrope, la philanthropie remplaçant dans l’énumération des vertus cardinales le courage qu’Alexandre possède à l’excès, et qui devrait faire un peu plus de place à cette vertu434. Quant à la piété, hosiotès ou eusebeia, elle était, dans le Protagoras de Platon, une partie de la vertu ou aretè, au même titre que les quatre autres vertus qui ont constitué ensuite le canon philosophique435. Ces trois vertus, justice, philanthropie et piété, font porter l’accent sur les relations du roi avec les hommes et avec les dieux, qui sont au centre de l’analyse de Dion. Le roi doit entretenir des relations correctes et justes avec les dieux, qui le châtieront sinon, et de bonnes relations, fondées sur l’amitié et la confiance mutuelles, avec son entourage, ses troupes et plus largement ses sujets. Le rôle des élites sociales et intellectuelles (et de Dion lui-même au premier plan) qui construisent la

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Or. i, 27, 84, A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 25, et voir supra. Voir Or. i, 5 pour une description antithétique du bon roi, marquée par l’opposition entre force et mesure. Or. i, 61–62 (Héraclès), 70–71 (Royauté) ; voir aussi Or. ii, 49. Dans le mythe d’« Héraclès à la croisée des chemins », la vision de Royauté, digne et « brillante », est influencée selon L. Delatte, Les traités de la royauté d’Ecphante, Diotogène et Sthénidas, Liège, 1942, p. 196– 197, par la notion perse de Hvarena : la gloire royale est créée par Ahura Mazda, comme une sorte de halo lumineux qui entoure le roi et fonde sa légitimité. Or. i, 5 ; 6 ; 27 ; 28 ; 75 (Paix étant la compagne de Royauté). Sur la philanthropie et la piété, A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 21–24 ; 26–27. Or. i, 42 et 45. Chez les Stoïciens, cette idée reposait sur la ressemblance entre les êtres humains : Cicéron, Leg., i, 10, 28 ; Plutarque, Des contradictions des Stoïciens, 9, 1035 c ; Porphyre, Abs., iii, 19. Or. i, 6. Voir G. Fiasse, « Les fondements de la philanthropie dans le nouveau stoïcisme, deux cas concrets : l’esclavage et la gladiature », EPh, 63, 2002 (4), p. 527–547. Platon, Prt., 349 B ; voir aussi Xénophon, Ages., 3–6. C’est à partir de l’Eutyphron que Platon limite le nombre des subdivisions à quatre, voir A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, p. 301.

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mémoire du bon roi est souligné au passage, ce qui est habile car Trajan portait une attention particulière à sa réputation et à son image publique de bon prince436. L’affiliation de ce bon roi avec le roi homérique élu par Zeus est revendiquée, notamment par l’emploi d’images et d’exemples tirés de l’Iliade et de l’Odyssée. Zeus est le dispensateur de la royauté, celui qui donne le sceptre et les thémistes au roi437 : mais, selon Dion, son choix ne porte que sur les bons rois, ce qui ne correspond pas à la conception de la royauté chez Homère : entre l’Iliade et l’Odyssée, celle-ci évolue, le premier poème présentant une figure de roi imparfait (Agamemnon) qui accepte d’écouter les conseils avisés des Anciens, alors que le second propose un modèle du roi parfait (Ulysse et, dans une certaine mesure, Pénélope) 438. Zeus est également le guide du roi : car celui-ci est « nourri par Zeus », « semblable à Zeus en conseil », tel Minos, le disciple (ὁµιλητής) de Zeus439. Le modèle du Roi-berger, protecteur de son peuple, est essentiel, comme il l’était déjà dans la réflexion politique du ive siècle av. J.-C.440. Dion s’approprie donc l’analogie entre roi homérique et princeps qui avait déjà été théorisée à Rome, à la fin de la République, par Philodème de Gadara441. Le sophiste ajoute à cette exégèse la notion d’imitation divine442, et accentue le parallélisme entre le bon roi humain et le souverain des dieux en 436 437 438 439

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Pline, Ep., vi, 31, 9–11, à propos de la justice du prince. Or. i, 11–12 ; Il., ii, 205–206. P. Carlier, La royauté en Grèce, p. 195–209. Or. i, 37 : Ὅµηρος διοτρεφέας εἶναί φησι τοὺς ἀληθῶς βασιλέας καὶ ∆ιὶ τὴν βουλὴν ὁµοίους, καὶ τὸν Μίνω, µεγίστην ἔχοντα δόξαν ἐπὶ δικαιοσύνῃ, τοῦ ∆ιὸς ὁµιλητὴν ἔφη γενέσθαι ; voir Od., xix, 179 pour Minos ; Platon, Min., 319 b-e ; Plutarque, A un chef mal éduqué, Moralia, 776 E. Platon attribuait déjà à Zeus l’art politique et royal : Prt., 321 d ; Phlb., 28 c-30 d. La comparaison du roi avec Zeus, « père des dieux et des hommes » selon Homère, apparaît dans le traité du ps.-Diotogène, 270 : L. Delatte (éd.), Les traités de la royauté, p. 45. Or. i, 14, 17, 28. Cette image est aussi fondamentale dans les autres discours Sur la royauté (Or., ii, 6 ; iv, 43–44), ainsi que chez Philon, Ambassade à Caius, 44, 75–76. On la trouve chez Platon, R., i, 345 c-d, et chez Xénophon, Cyr., viii, 2, 14, et elle était aussi utilisée par les anciens Pythagoriciens, voir Jamblique, VP, 260, éd. L. Brisson et A. Ph. Segonds. Voir V. Valdenberg, La théorie monarchique, p. 147. On n’a pas d’autre exemple du recours à cette analogie par un penseur politique entre Philodème et Dion ; mais la lecture de l’Iliade à Rome semble avoir subi le contrecoup des guerres civiles, voir Horace, Ep., i, 2, v. 1–16 ; A. Gangloff, « Le princeps et le bon roi selon Homère », p. 115–117. Or. i, 38 : les rois sont les disciples et les zélateurs de Zeus, τοῦ θεοῦ τούτου µαθητάς τε καὶ ζηλωτὰς. La notion d’imitatio dei est fondamentale dans la pensée politique hellénistique, à partir de Platon et Aristote  :  Platon, R., vi, 500 b-501 e  ; Min., 319 b-320 b  ; Aristote, Pol., 1259 b, 1284 b. Le parallèle entre royauté divine et royauté terrestre se trouve aussi chez Isocrate, Nicoclès, 26. Voir E. R. Goodenough, “The Political Philosophy of Hellenistic

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mentionnant une série d’épiclèses cultuelles de Zeus. Celle-ci relève de l’éclectisme philosophique et paraît être relativement fixée à la fin du ier siècle ap. J.-C.443. Ces épiclèses soulignent la sollicitude paternelle et protectrice du roi des dieux, d’où naissent l’abondance et la prospérité444. Le cadre théorique du parallèle étroit entre le bon roi et Zeus, fourni dans la deuxième partie du discours, est celui de la sumpoliteia stoïcienne, selon laquelle hommes et dieux sont concitoyens du cosmos et obéissent à la même loi, le nomos ou logos divin qui régit l’univers445. Le roi des dieux protège donc le roi des hommes qui protège son peuple, mais il punit le tyran qui transgresse cette loi : Ainsi donc parmi les rois, puisque selon moi c’est de Zeus qu’ils tiennent leur pouvoir et leur droit d’arbitrage, celui qui gouverne et commande de manière juste et honorable en regardant la loi et la coutume de Zeus obtient une bonne destinée et une fin heureuse. Mais quiconque aurait méprisé et outragé celui qui lui a légué ou donné ce cadeau n’aurait rien tiré de toute cette licence et de ce pouvoir, sauf qu’il se serait montré à tous ses contemporains et à la postérité comme misérable et intempérant, après avoir eu le sort qu’on attribue à Phaéthon, qui était monté sur un char terrible et divin en forçant le destin, sans être un conducteur compétent446.

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Kingship”, ycis, 1, 1928, p. 55–102 ; F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, p. 205–277 ; J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 44–83. Voir Stobée, iv, 7, 62 (Diotogène) et 63 (Sthénidas). Or. i, 37–38  :  Zeus Père et Roi, «  Gardien de la cité  » (Polieus), «  Garant de l’amitié  », « Qui préside aux amitiés » (Philios, Hetaireios), « Protecteur de la famille » (Homognios), « Protecteur des suppliants » (Hikesios), « Protecteur des fugitifs » (Phuxios), « Hospitalier » (Xenios) ; voir Or. xii, 75–76, où une liste presque identique est aussi donnée, et les correspondances avec Cornutus, Theologiae graecae compendium, 9 ; ps.-Aristote, Sur le cosmos, 7 ; Musonius Rufus, Diatribe xv a, p. 78, 6–13 Hense ; Aelius Aristide, Or. xliii, 29 sqq. (hymne à Zeus) ; H.-J. Klauck (éd.), Dion von Prusa, Olympische Rede oder über die erste Erkenntnis Gottes, Darmstadt, 2000, p. 152. Voir aussi Or. liii, 12 sur le dévouement paternel de Zeus. Or. i, 42–43. Voir Entretiens, ii, 14, 12–13, et ii, 19, 26–27, sur l’idée que le Stoïcien doit perfectionner sa rationnalité pour ressembler à Zeus, avec lequel il veut vivre en communauté de pensée. Or. i, 45–46 : Οὕτω δὴ καὶ τῶν βασιλέων, ἅτε οἶµαι παρὰ τοῦ ∆ιὸς ἐχόντων τὴν δύνα µιν καὶ τὴν ἐπιτροπήν, ὃς µὲν ἂν πρὸς ἐκεῖνον βλέπων [πρὸς] τὸν τοῦ ∆ιὸς νόµον τε καὶ θεσµὸν κοσµῇ καὶ ἄρχῃ δικαίως τε καὶ καλῶς, ἀγαθῆς τυγχάνει µοίρας καὶ τέλους εὐτυχοῦς· ὃς δ’ ἂν παραβῇ καὶ ἀτιµάσῃ τὸν ἐπιτρέψαντα ἢ δόντα τὴν δωρεὰν ταύτην, οὐδὲν ἀπώνατο τῆς πολλῆς ἐξουσίας καὶ δυνάµεως ἢ το σοῦτον µόνον ὅσον φανερὸς πᾶσι γενέσθαι τοῖς καθ’ αὑτὸν καὶ τοῖς ὕστερον πονηρὸς καὶ ἀκόλαστος ὤν, τὸν µυθευόµενον Φαέθοντος ἀναπληρώσας πότµον, ἅτε ἰσχυροῦ καὶ θείου παρὰ µοῖραν ἐπιβὰς, ἅρµατος, οὐχ ἱκανὸς ὢν ἡνίοχος, trad. personnelle.

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L’idée que la protection des dieux peut être retirée au mauvais roi conduit à l’idée de pacte avec les dieux, exprimée en conclusion du mythe  :  Héraclès protégera le principat de Trajan aussi longtemps que celui-ci sera un vrai roi447. Le tyran est comparé à Phaéthon, qui constituait sous Néron un modèle positif de royauté448. Il est foudroyé par Zeus et reçoit un second châtiment qui concerne sa mémoire : pour les contemporains de Dion, l’allusion à Domitien devait être évidente. Le statut du roi est donc intermédiaire, comme celui des héros Phaéthon et Héraclès, entre celui des dieux et celui des hommes, d’où le risque de corruption. Le roi doit alors être convaincu qu’il faut imiter les dieux et gouverner selon le logos orthos, comme le montre l’adhésion d’Héraclès à la vision de Royauté et de son conseil449. Royauté, qui est fille de Zeus Roi, gouverne avec les Hôrai, également filles de Zeus et de Thémis450. Les trois Hôrai sont Justice (Dikè), Bon ordre (Eunomia) et Paix, qui protègent chez Hésiode les travaux des hommes451. A ces divinités grecques était attribué un rôle politique : « elles assurent ensemble le succès des activités sociales et la prospérité d’une cité »452. 447 448

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Or. i, 84 : Βοηθός ἐστι καὶ φύλαξ σοι τῆς ἀρχῆς, ἕως ἂν τυγχάνῃς βασιλεύων. Lucain, i, 45–52 et 57–58 ; voir supra, c. 1. On trouve le même exemple de Phaéthon chez Julien, Or. iii, 83 d (L. François, Essai sur Dion Chrysostome, p. 184) ; voir E. R. Goodenough, “The Political Philosophy of Hellenistic Kingship”, p.  78  ; L.  Delatte, Les traités de la royauté, p. 201–205 ; F. Dvornik, Early Christian and Byzantine Political Philosophy, i, p. 254–258 ; J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 156 n. 42. Le poème par lequel le jeune Q. Sulpicius Maximus s’était fait remarquer dans la catégorie des poètes grecs lors du concours capitolin de 94 portait justement sur la confrontation entre Zeus et Hélios, le père de Phaéthon (igur 1336 ; A.-M. Vérilhac, PAIDES AÔROI, poésie funéraire, i et ii, Athènes, 1978, n° 78) : « quelles paroles Zeus aurait-il employées pour reprocher à Hélios d’avoir donné son char à Phaéthon ? » Le texte met en avant un dieu sage et tout puissant, garant de l’ordre du monde, dont l’image ne pouvait que flatter Domitien, lequel présidait le concours de manière à souligner son association avec Jupiter (Suétone, Dom., 4). Or. i, 73–75. Sur la déesse Thémis, voir J.  Rudhardt, Thémis et les Hôrai  :  recherche sur les divinités grecques de la Justice et de la Paix, Genève, 1999, p. 43–57, part. p. 46 : chez Homère, cette divinité « dont le nom signifie une recherche de l’ordre, une exigence d’équilibre, contribue au fonctionnement des institutions politiques », en association avec Zeus. Sur cette association, voir aussi Platon, R., ii, 379 e-380 a. Sur le lien entre la thémis et les thémistes, voir J. Rudhardt, Thémis et les Hôrai, p. 29–34. Hésiode, Th., 901–902. J. R. Fears, “The Cult of Virtues”, p. 830, 832, rappelle qu’en Grèce Eunomia, Dikè et Aretè ont fait l’objet d’un culte (comme Tuchè et Sophrosunè) : W. H. Roscher, Ausführliches Lexikon, p. 2127–2145. Les Athéniens vouèrent aussi un culte à Eirenè au ive siècle : Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, s. v. « Pax ». J. Rudhardt, Thémis et les Hôrai, p. 84 pour la citation, et plus largement p. 82–96 ; p. 97– 154 pour une analyse particulière de chacune des trois divinités et de leur collaboration. Voir Diodore, v, 73, 6 : « Comme son nom l’indique, chacune d’entre elles a reçu la charge de disposer et d’ordonner les choses de la vie, de la manière la plus utile aux hommes. En

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Dans le sanctuaire d’Olympie, les Hôrai étaient représentées sur le trône du Zeus de Phidias, auquel Dion a consacré le Discours olympique (Or. xii), prononcé soit en 101, soit plutôt, selon nous, en 105. Elles figuraient au-dessus de la tête du dieu, en regard avec les Charites, et en décrivant la statue de Phidias, Pausanias rappelle que, dans l’Iliade, les Hôrai avaient les mêmes fonctions dans le ciel que certains gardes dans la cour des rois 453. Le mythe d’Hésiode est associé à la physique de Chrysippe. En effet, dans le premier livre Sur la nature des dieux, juste après avoir mentionné Zeus comme principe directeur de l’Univers, Chrysippe a énuméré les divinités Justice, Eunomia, Paix, ainsi qu’Homonoia (concorde) et Aphrodite, qu’il assimilait entre elles454. Il voulait peut-être signifier que l’obéissance aux lois bonnes et justes engendre la paix et la concorde (Aphrodite, comme déesse de l’amour, est liée à Homonoia et renvoie à l’union de toutes ces notions)455. Dans le mythe de Dion, Royauté a également Logos orthos ou Nomos comme conseiller et parèdre456. L’allégorie de Royauté et de son conseil correspond plus généralement à la doctrine de Chrysippe sur les fins : au premier livre de son traité Sur les fins, le Stoïcien expliquait en effet qu’il fallait « vivre en suivant la nature, c’est-à-dire à la fois la sienne propre et celle de l’Univers, en ne faisant dans nos actions rien de ce qu’a coutume d’interdire la Loi (Nomos) commune, à savoir la Raison droite (Logos orthos) qui parcourt toutes choses, cette Raison (Logos) identique à Zeus, qui est, lui, le chef du gouvernement des êtres. Et c’est en cela que consiste la vertu et la facilité de la vie heureuse, quand tout est accompli selon l’accord harmonieux du démon qui habite en chacun avec la volonté du gouverneur de l’Univers »457. Le choix d’Héraclès, associant royauté et vertu, ne procède donc pas d’un libre arbitre, ce qui était le cas du choix du héros

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effet rien ne peut, mieux que “la Bonne organisation”, “la Justice” et “la Paix”, aménager une vie de bonheur », trad. J. Rudhardt, p. 94. Pausanias, v, 11, 7 ; Il., v, 749–752 ; viii, 432–435 ; voir aussi Ovide, Fast., i, 125. Un autel était aussi consacré aux Hôrai dans le sanctuaire d’Olympie : Pausanias, v, 15, 3. Philodème, Piet., c. 11 (= svf ii 1076). P. A. Meijer, Stoic Theology : Proofs for the existence of the Cosmic God and of the Traditionnal Gods, Delft, 2007, p. 101. Notons qu’Aristote liait l’eunomia à l’homonoia, ce qui pourrait expliquer pourquoi Dion s’est concentré sur les trois Hôrai : en, 1155 a, 22–23 ; 1167 a 22-b 16. Je ne crois pas, comme l’a supposé J. L. Moles, “The Kingship Orations of Dio Chrysostom”, p. 328, que Logos orthos puisse renvoyer ici à Dion revendiquant son rôle de philosopheroi : la référence à la doctrine physique des Stoïciens est primordiale ici. Diogène Laërce, vii, 88, trad. R. Goulet (dir. M.-O. Goulet-Cazé) ; P. Tzaneteas, The Symbolic Heracles in Dio Chrysostom’s Orations “On Kingship”, Columbia, 1972, p. 177. Voir aussi vii, 135 : « Dieu, l’Intellect, le Destin et Zeus ne font qu’un ».

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chez Prodicos d’après Xénophon, mais il correspond à une nécessité divine qui d’ailleurs est soulignée dans le récit de Dion458. Cette réflexion présente des points communs avec celle, contemporaine, de Plutarque sur le bon dirigeant (pas nécessairement le prince) dans A un chef mal éduqué459. Plutarque aussi postule une relation d’imitation, d’une part entre le dirigeant et la divinité, d’autre part entre les sujets et le dirigeant460. C’est dans cette relation qu’intervient la philosophie : alliée à la raison, c’est elle qui dispose le chef à imiter le modèle divin461. Le bon dirigeant est alors une « image du dieu » grâce à sa vertu462, et il est aussi considéré comme un intermédiaire entre les dieux et les hommes, une sorte de démon protecteur pour ceux-ci : il a pour tâche de distribuer et de conserver ce que les dieux donnent aux hommes de bon et de beau463. Plutarque souligne également l’importance de la loi à laquelle est soumis le dirigeant : mais, comme dans les traités néopythagoriciens sur la royauté, il substitue à la loi écrite la notion de nomos empsychos, présentant le bon dirigeant, qui est source des lois, comme une loi animée464. Pour souligner le lien entre la loi et la justice qui est sa finalité, il fait aussi référence à l’association très ancienne entre Zeus, Dikè et Thémis, en renvoyant à la description qu’Hésiode donne de Dikè comme une vierge incorruptible465. 458

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Le dangereux chemin qui mène à Tyrannie est contraire à la justice, si bien que la plupart de ceux qui le suivent périssent (§ 67), et Tyrannie, qui n’est pas une divinité, est essentiellement décrite à l’aide de négations (§ 78–80) : elle est en fait un non-choix, la seule alternative, à la fois pieuse et sensée, qui est offerte à Héraclès étant celle de Royauté. Selon Prodicos, la voie de la vertu est conforme au Nomos divin mais, refusant l’idée d’anankè (nécessité), le philosophe laissait à Héraclès une entière liberté de choix : J. Galinsky, The Herakles Theme, p. 102. Dion met au contraire en avant le rôle de la providence divine : § 50, 55, 64 ; voir J.-P. Martin, Providentia deorum, p. 233–248. Le sophiste insiste sur l’existence d’une seule bonne voie pour le roi, la voie de la tyrannie étant condamnée par les dieux. En termes de sources, l’influence pythagoricienne est plus sensible dans la réflexion politique de Plutarque (elle se mêle aux références à Platon, à Aristote et à la doctrine stoïcienne) : M. J. Hidalgo de la Vega, El Intelectual, p. 139. A un chef mal éduqué, 781 A, 790 B ; cette relation d’imitation est sans doute aussi d’obédience pythagoricienne : pour le néopythagoricien Sthénidas de Locres, le prince sage est un zalôtas du premier dieu : Stobée, iv, 7, 63. A un chef mal éduqué, 781 F-782 B. A un chef mal éduqué, 780 E. A un chef mal éduqué, 790 D. A un chef mal éduqué, 780 C, 780 F, 790 D ; Ecphante ap. Stobée, iv, 7, 64 ; Diotogène ap. Stobée, iv, 7, 61 ; Musonius Rufus, Diatribe viii, p. 37, 2 Hense. A un chef mal éduqué, 781 B  :  le philosophe Anaxarque d’Abdère tentait de consoler Alexandre en lui disant que si Dikè et Thémis siègent à côté de Zeus, c’est pour que tous les actes des rois soient tenus pour justes et légitimes ; voir Plutarque, Alex., 52, 4–7. Selon

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L’alliance entre le discours physique stoïcien et la poésie d’Homère et d’Hésiode qui caractérise le premier discours Sur la royauté était propre à la pédagogie des anciens Stoïciens, comme Cléanthe et Chrysippe, qui ont cherché à rattacher leur doctrine sur la nature des dieux ou bien de l’âme aux récits poétiques formant le cadre traditionnel de la religion grecque, et plus généralement celui d’une doxa commune466. Le sophiste ajoute une composante essentielle, civique, issue du discours honorifique qui était tenu dans les cités grecques sur l’empereur, et avant celuici sur le roi hellénistique. En témoigne la référence aux Hôrai, dont on sait qu’elles étaient vénérées comme des déesses en relation avec la croissance et le bon approvisionnement de la cité dans des cultes publics à l’époque hellénistique467. Les Hôrai sont aussi liées au culte royal hellénistique dans le décret de Téos en l’honneur du roi Antiochos iii et de sa femme, la reine Laodikè, daté vers 203 av. J.-C468. Le culte royal instauré par les Téiens associait Antiochos iii au cours cyclique du temps et aux époques de l’année, les Hôrai, en même temps que, par analogie des rites, à Déméter, car le roi avait rempli la même fonction que la déesse de la fertilité pour la cité de Téos : en assurant la paix, en n’écrasant pas les habitants sous des impôts trop lourds, il avait garanti le caractère fructueux des travaux des champs et des moissons. Dion est donc tributaire de la culture politique hellénistique qui a fait du bon roi, bienfaiteur

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Démosthène, Contre Aristogiton, i, 11, la croyance que Dikè siège à côté de Zeus (cf. Sophocle, oc, 1382) faisait partie des révélations orphiques. Pour Plutarque, Zeus n’est pas assisté par Dikè, il est lui-même Dikè et Thémis, et, de toutes les lois, la plus ancienne et la plus parfaite : « Les anciens le disent, l’écrivent, l’enseignent : sans la justice, même Zeus ne pourrait pas bien gouverner ». Sur Dikè, fille de Zeus, voir Hésiode, Op., 256–257. Cicéron, N. D., i, 39–41 ; Philodème, Piet., 13–14 (Diels, Doxographi Graeci, 547 b 16–548 b 12) ; Galien, Sur les doctrines d’Hippocrate et de Platon, iii, 3, 22, 1–28, 1 ; iii, 4, 15, 1–16, 4. Zénon avait commenté la Théogonie, et Chrysippe était l’auteur d’une importante discussion sur les Charites : svf ii 1081. Ainsi à Claros à la basse époque hellénistique, voir P. Gauthier, « Un prêtre des Heures à Claros », dans J. de La Genière, V. Jolivet (éd.), Cahiers de Claros ii. L’Aire des sacrifices, Paris, 2003, p. 31–36, part. p. 34–35 pour d’autres témoignages, relativement rares, du culte public des Heures. P. Herrmann, « Antiochos der Große und Teos » ; seg xli 1003 ; A. Chaniotis, « La divinité mortelle d’Antiochos iii à Téos », Kernos, 20, 2007, p. 153–171. On trouve aussi un lien, moins net, entre le culte royal et les Heures dans la description par Callixène de Rhodes de la procession des Ptolemaia qui ont eu lieu à Alexandrie au début du règne de Ptolémée Philadelphe, vers 280 av. J.-C. Dans le cortège dionysiaque, les Hôrai figuraient derrière Eniautos, l’Année, et Pentétéris, personnification de la fête et de la victoire : Athénée, v, 197 c-203 b (198 b pour les Hôrai) ; voir E. E. Rice, The Grand Procession of Ptolemy Philadelphus, Oxford, 1983, p. 49–51. La place des Heures au sein du cortège semble les associer davantage au cycle de la célébration qu’au rôle cosmique du roi.

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de ses sujets, le garant de la prospérité civique et, à un niveau cosmologique, du bon déroulement du cycle du temps ; chez le sophiste, pour le dire avec Homère, c’est par ses vertus que le roi assure la prospérité de son royaume469. Le modèle du bon roi exploite d’autre part la figure de l’empereur évergète présente dans les inscriptions grecques sous le Haut-Empire, que l’on trouve aussi chez Philon d’Alexandrie dans l’Ambassade à Caius, où Caligula est accusé de ne pas respecter ce modèle, et chez Musonius470. Dion utilise le vocabulaire le plus courant des honneurs civiques en employant les termes euergetès (« bienfaiteur »), philotimos (« qui aime les honneurs » et, par extension, « qui fait preuve de générosité évergétique »), philanthropos471. L’expression « sauveur de la terre et des hommes » qui caractérise Héraclès, protecteur du principat de Trajan, à la fin du discours, fait écho à des expressions comme « sauveur du monde habité », « sauveur du kosmos », souvent associées à « évergète », qui désignaient Trajan dans les inscriptions des cités grecques, en soulignant la dimension œcuménique de l’Empire romain et le rôle de l’empereur comme conservateur, garant et bienfaiteur de l’ordre universel472. La conception du souverain développée par Dion relève donc d’un mélange entre les traditions poétique, philosophique et civique : entre le roi héroïque choisi par Zeus, le roi associé au philosophe et opposé au tyran, et la figure

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Od. xix, 109–114 (au sujet de Pénélope). Philon, Ambassade à Caius, 22 ; et surtout 148–149 sur les honneurs dus au bienfaiteur Auguste (« le premier et le plus grand bienfaiteur de la communauté », πρῶτος καὶ µέγιστος καὶ κοινὸς εὐεργέτης). Sur Musonius, voir supra, c. 2. Euergetès : Or. i, 23 ; 61–62. Philotimos : Or. i, 27 ; 60 : le terme n’est pas employé au sens philosophique d’ambition, de désir excessif de gloire qui nuit à l’individu, comme il l’est dans le quatrième discours Sur la royauté (cf. Or. iv, 122 ; voir M. Trapp, “Dio Chrysostom and the Value of Prestige”, dans G. Roskam, M. De Pourcq, L. Van der Stockt (éd.), The Lash of Ambition. Plutarch, Imperial Greek Literature and the Dynamics of Philotimia, Louvain, Namur, Paris, Walpole, 2012, p. 119–141), mais il est utilisé dans un sens positif, comme dans les inscriptions où il désigne la générosité évergétique de celui qui aime les honneurs. Philanthropos : Or. i, 6 ; 18 ; 20. Or. i, 84  :  τῆς γῆς καὶ τῶν ἀνθρώπων σωτῆρα  ; voir aussi Or. i, 60 pour la dimension œcuménique de la royauté d’Héraclès. Voir KILyk i 52 (serp 177, 22 ; ae 1907 59 ; seg xlii 1261 ; Ilistra, Lycaonie) : σωτῆρα τῆς οἰκουµενης ; zpe 87, 1991, 190, 1, et 191, 6 (seg xli 1109 et 1110 ; Sébastopolis, Pont) : τὸν κόσµου̣ σωτῆρα καὶ εὐερ̣γ̣ έτην, et [σ]ω[τ]ῆρα καὶ εὐ̣[εργ]έτ ην τοῦ [κόσµου] ; ig xii, 2 544 (Eresos, Lesbos) : τὸν εὐεργέταν καὶ σαώτηρα τᾶς οἰκηµένας ; Bean-Mitford, Journeys 1964–1968, p. 159, 163 (Kestroi, Cilicie) : τὸν κύριον καὶ εὐεργέτην τῆς οἰκουµένης ; Bean-Mitford, Journeys 1962–63, p. 26, 30 (Iotape, Cilicie) : τῷ κυρίῳ σωτῆρι καὶ εὐεργέτῃ τοῦ κόσµου ; ig xii, 1 978 (Potidaion, Karpathos) : τὸν παντὸ[ς κ]ό̣[σµ]ου σωτῆρα καὶ εὐερ[γέταν] ; cig 2216 b (Chios) : [τ]ὸ[ν µέγι]σ[τον] θ[εὸν καὶ] σωτ[ῆρα] τῆς οἰ[κ]ουµένης ; ig v, 1 380 (Sparte) : σωτῆρα τοῦ παν[τὸς] κόσσµου ; ig ii2 3284 : τὸν ἴδιον εὐεργέτην καὶ σωτῆρα τῆς οἰκουµένης.

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de l’empereur-évergète, successeur des rois hellénistiques. Elle est donc fondamentalement ancrée dans la culture politique grecque. La pensée de Dion, beaucoup plus que celle de Pline, est immergée dans la philosophie. C’est le sophiste qui réalise vraiment la réconciliation entre philosophie et principat, et qui confère de la publicité à ces retrouvailles : car le gros du message, dans le premier Sur la royauté comme dans les autres discours, était compréhensible et propre à toucher un large auditoire. Il combine en outre philosophie et rhétorique, car il s’intéresse au thème de la formation rhétorique du souverain, à laquelle il voit une double utilité : l’habileté rhétorique est utile au roi (comme le montre l’exemple de Nestor), tandis que des lectures politiques d’auteurs bien choisis  – et en premier lieu celle d’Homère  – peuvent développer ses compétences et sa sagesse. Le Panégyrique de Pline et le premier discours Sur la royauté de Dion apparaissent ainsi comme des communications symboliques et des discours idéologiques qui ont tous les deux une dimension consensuelle et gomment des tensions préexistantes. Pline propose un compromis et offre un modus vivendi plus qu’un modèle précis d’empereur, en présentant une figure d’empereur défini par ses relations avec l’armée, le Sénat, Jupiter. Son panégyrique contient un discours de légitimation « républicain » qui peut être entendu par les aristocrates les plus conservateurs : l’empereur doit être le meilleur, sur un plan horizontal ou social, le meilleur des sénateurs, et sur un plan vertical ou temporel, le meilleur des principes. Une des caractéristiques notables de son éloge réside dans l’affirmation de la dimension gestionnaire et institutionnelle du principat et, par rapport à Sénèque, il revient à un idéal plus augustéen : sur certains points, on peut rapprocher le Panégyrique des Res Gestae. Le discours de Dion est très syncrétique, « rassembleur » dans tous les sens du terme, ce qui fait sa force : il propose un idéal constitué à partir des racines poétiques et philosophiques (Homère, Hésiode, Platon, Aristote, Xénophon, Chrysippe, peut-être Bion de Borysthène, en tout cas l’éthique cynique) et des pratiques civiques grecques. Le parallèle que l’on peut tracer avec Plutarque et aussi, dans une certaine mesure, avec Musonius, suggère l’existence dans le dernier tiers du premier siècle d’un consensus philosophique sur l’idée que le roi des hommes doit imiter le gouvernement juste et protecteur du roi des dieux grâce à son éducation philosophique. L’originalité de Dion est d’avoir adapté l’idéal grec du bon souverain au princeps, pour la première fois peutêtre après l’exemple malheureux de Sénèque, car il exploite des références propres à l’image publique de l’empereur, qui étaient revendiquées par Trajan (Alexandre le Grand, Jupiter, Hercule473). 473

Philon, Ambassade à Caius, 81, 90, fait aussi référence à Héraclès comme modèle de vertu

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Dans les deux cas, les idéologies construites sont davantage des propositions faites au prince que des discours de légitimation ou, plus exactement, la légitimation est secondaire, elle ne peut intervenir qu’après que l’empereur a accepté la proposition et qu’il s’est plié aux normes énoncées. Chez Pline, la part de légitimation est plus importante, puisque le Panégyrique est très inspiré du discours et des pratiques politiques de l’empereur. Dion inclut davantage de mise à distance dans son éloge. Il définit plus fermement les normes de son modèle et met en place un degré supplémentaire dans la hiérarchie entre hommes et dieux, par le truchement du héros Héraclès, protecteur du principat de Trajan, fils et zélateur de Zeus474. Dans les deux cas, les limites du pouvoir résident essentiellement dans le rapport de l’empereur à Jupiter/Zeus. Le pacte principal est fait avec les dieux et non avec les hommes, même si les liens sociaux, la question des amici, sont aussi mis en lumière. Trajan semble avoir été lui-même à l’initiative de cette idée qui témoigne d’un changement certain dans la conception du principat, ainsi que Domitien qui a donné de la publicité à la protection personnelle qu’il recevait de Jupiter Conseruator et de Jupiter Custos, avant que sa mort ne renvoie au schéma mythique du tyran châtié par les dieux. L’idée qu’un châtiment divin menace le prince dégénéré est soulignée chez Pline et chez Dion, elle affleure aussi dans le traité A un chef mal éduqué de Plutarque475. Le modèle de la royauté de Zeus passe au premier plan chez Dion (comme chez Plutarque). Ce sont des normes divines, et la loi divine, qui bornent le gouvernement du roi. Pline, en revanche, porte davantage l’accent sur les lois et les vertus humaines comme cadre de l’activité de l’optimus princeps. 5

Postérité des modèles de Pline et de Dion

Les discours de Pline et de Dion ont incontestablement servi l’image et la mémoire de Trajan dont le prestige était tel que, selon Eutrope, au iiie et au ive siècles les Sénateurs acclamaient un empereur en lui souhaitant d’être «  plus heureux qu’Auguste, meilleur que Trajan  »476. Ils ont aussi contribué à développer un genre rhétorique, celui du discours au prince – panégyrique

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et de royauté à imiter par le prince. Dans le Discours olympique (Or. xii) aussi, Dion se montre méfiant envers le parallèle entre un Trajan belliqueux, en guerre contre les Daces, et le Zeus belliqueux de Phidias. Plutarque, A un chef mal éduqué, 781 A : la divinité se courrouce contre ceux qui copient les attributs de son pouvoir, mais elle favorise ceux qui imitent sa vertu. Eutrope, viii, 2.

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latin ou bien basilikos logos grec – et à fixer les traits de la figure du bon empereur. Leur influence a été décisive, sans doute, sur le long terme, de manière plus indirecte que directe. Le basilikos logos, formalisé par Ménandre le rhéteur vers la fin du iiie siècle, n’a pas grand chose en commun avec les discours Sur la royauté de Dion477. L’influence des discours de Dion a cependant été démontrée chez Aelius Aristide, Thémistios, l’empereur Julien et Synésios478. De manière proche, le Panégyrique de Pline a été placé en tête d’un corpus de onze panégyriques d’époque tardive dans le manuscrit Magentinus découvert au début du xve siècle. Il était donc considéré comme le début d’une tradition littéraire, avec laquelle il n’a en réalité pas de rapport étroit, ni par le contenu ni par la forme479. L’importance de Dion et Pline comme point de départ d’une tradition rhétorique réside peut-être plutôt dans le fait qu’ils ont constitué des modèles d’orateurs ayant réussi, sans conséquence négative pour eux, à prononcer devant l’empereur des discours donnant de sages conseils sur l’art de régner. a Le développement d’une rhétorique du bon prince Les discours de Dion ont initié une réflexion sur la royauté qui a pris son essor au iie siècle, dans le contexte de la Seconde Sophistique, et qui s’exprime par le biais de l’éloge480. Le rhéteur Aelius Sérapion d’Alexandrie, dont le gentilice laisse supposer qu’il a reçu la citoyenneté d’Hadrien, a ainsi composé un Panégyrique pour l’empereur Hadrien (πανηγυρικὸς ἐπὶ ᾽Αδριανῷ τῷ βασιλεῖ), peutêtre à l’occasion de la visite de l’empereur à Alexandrie en été 130481 ; un autre Alexandrin, le grammairien Orion, est également l’auteur d’un éloge (ἐγκώµιον) d’Hadrien482. Le sophiste Aspasios de Byblos, contemporain d’Aelius Aristide et d’Hadrien, a écrit un Eloge pour l’empereur Hadrien (ἐγκώµιον εἰς ᾽Αδριανὸν τὸν βασιλέα)483. Le rhéteur Marcellos de Pergame avait consacré à l’empereur un ouvrage intitulé Hadrien ou Sur la royauté, qui est peut-être aussi à mettre

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Si les traités attribués à ce rhétoricien utilisent le sophiste comme référence, ce n’est pas à propos du « discours au roi ». G. Barner, Comparantur, p. 29–67 ; A. Brancacci, Rhetorike philosophousa, p. 111–197. R. Rees, “Afterwords of praise”, dans P. Roche (éd.), Pliny’s Praise, p. 175–188. S. Fein, Die Beziehungen, p.  280–282, à laquelle j’emprunte les exemples qui suivent  ; L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 77 ; id., « Elogio retorico e potere politico all’epoca della seconda sofistica », dans G. P. Urso (éd.), Dicere laudes. Elogio, comunicazione, creazione del consenso, Pise, 2011, p. 281–298. Souda S 115. Voir M. Fluss, re Suppl. vi, 1935, coll. 1434 s.v. « Sarapion » 9. Souda O 189 ; FGrHist, ii, B, p. 932. Souda A 4203 = FGrHist, iii, C, 792 T 1. Voir pir2 A 1261 ; W. Schmid dans re ii, 2, 1896, coll. 1723, s.v. « Aspasios » 3 ; G. W. Bowersock, Greek Sophists, p. 21 n. 1.

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en rapport avec la visite du princeps en 124 à Pergame ; c’était un moyen d’honorer Hadrien et sans doute de le remercier pour ses bienfaits envers la cité, notamment pour l’agrandissement du sanctuaire de Zeus Asklepios484. Aelius Aristide n’a pas composé d’éloge au prince, mais il a intégré dans certains de ses discours des éloges d’Antonin, Marc Aurèle, Lucius Vérus et Commode485. Le rhéteur Nicostratos de Macédoine était l’auteur d’un (ou de plusieurs) éloge(s) de Marc Aurèle486. Le sophiste Julius Pollux de Naucratis a composé un Epithalame pour Commode César et un Discours romain qui n’ont pas été conservés, ainsi qu’un Onomastikon qu’il a dédié à Commode, en soulignant l’importance de l’éloquence pour les rois487. Il s’agit d’un lexique classant les mots par champs sémantiques, qui contenait au livre I la liste des termes qu’on pouvait appliquer à un roi pour le louer ou bien à un tyran pour le blâmer, et sur lequel les discours Sur la royauté de Dion de Pruse ont exercé une très forte influence488. A son tour, Pollux a donc contribué à fixer le vocabulaire employé pour décrire et louer la figure de l’empereur, avec peut-être d’autant plus de poids qu’il a occupé, sous le règne de Commode, une position institutionnelle de premier plan, car il a été titulaire de la chaire de rhétorique d’Athènes489. En parallèle, des éloges à l’empereur et à la famille impériale étaient régulièrement composés lors des concours musicaux qui se déroulaient dans

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Souda M 204 ; pir2 M 195 ; W. L. Schissel, re xiv, 2, 1930, coll. 1496, s.v. « Marcellus » 55 ; H. Halfmann, Itinera Principum. Geschichte und Typologie der Kaiserreisen im Römischen Reich, Stuttgart, 1986, p. 199 ; C. Habicht, AvPerg. viii, 3, p. 24 n. 1 ; viii, 3, 9–11 ; M. Le Glay, « Hadrien et l’Asklépieion de Pergame », bch, 100, 1976, p. 347–356. M.-H. Quet, « A l’imitation de Zeus, Antonin le Pieux, garant de l’ordre mondial et de la concorde sociale, d’après le témoignage d’Aelius Aristide », dans M. Molin (éd.), Images et représentations du pouvoir et de l’ordre social dans l’Antiquité, Paris, 2001, p. 199–209 ; ead., « Eloge par Aelius Aristide des co-empereurs Marc Aurèle et Lucius Vérus, à l’issue de la guerre contre les Parthes », js, 2002, p. 75–150. Souda N 404. Souda P 1951 s.v. « Poludeukès » ; Pollux, i, 1–2 éd. Bethe : « La vertu, tu en trouves l’enseignement dans l’exemple de ton père ; quant au langage, si lui-même avait du loisir, il t’aurait permis de te passer entièrement de nous. Mais comme la préservation de l’oikoumène le prive de loisir, je veux contribuer, sur un point au moins, à la formation de ton éloquence. Onomasticon est le titre du livre, et il indique tous les synonymes permettant des substitutions, et par lesquels chaque chose peut être signifiée  », trad. C.  Mauduit, dans L’Onomasticon de Pollux  :  aspects culturels, rhétoriques et lexicographiques, textes réunis par C. Mauduit, Paris, 2013, p. 8. Pollux, i, 40–42, éd. Bethe. Voir infra, c. 6 pour l’analyse du lexique de l’éloge du bon roi. Pollux était cependant un personnage controversé : voir le jugement très critique de Lucien dans Le maître de rhétorique, et celui, ambivalent, de Philostrate, vs, 592–593.

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le monde grec et dont la période de floraison correspond aux iie et iiie siècles490. Cette production et cette formalisation des éloges rhétoriques a aussi eu de l’influence sur d’autres types d’écrits à portée mémorielle, les ouvrages historiques et la Périégèse de Pausanias. On trouve en effet chez le Périégète comme chez Dion Cassius de brefs éloges des bons princes, qui témoignent aussi, par leur aspect répétitif, de ce processus de fixation de la représentation idéelle de l’empereur, qui n’entravait cependant pas son évolution en fonction des changements du contexte politique491. Bien au contraire, il devait en toute logique permettre de mieux cerner cette évolution. Pour les textes latins, il est plus difficile de suivre le développement d’une tradition littéraire au iie siècle, car le corpus des Panégyriques que nous possédons réunit des textes de la fin du iiie siècle et du ive siècle. On sait par la correspondance de Fronton qu’il a lui-même composé de nombreux éloges d’Hadrien dont on n’a pas de trace, d’Antonin, dont on a un résumé, et sans aucun doute aussi de Marc Aurèle et de Lucius Vérus492. Le début des Prémisses de l’histoire, où Fronton fait l’éloge du commandement de Lucius Vérus lors de sa campagne parthique, montre en dépit de son caractère lacunaire l’influence du Panégyrique de Pline dans le choix des vertus impériales, et le modèle que constituait Trajan non seulement pour la figure du prince dans la guerre, mais aussi pour celle du prince bon gestionnaire en temps de paix493. On remarque également qu’à partir du iie siècle, dans les hommages publics épigraphiques des provinces de Bétique, de Lusitanie et de Maurétanie Tingitane, certaines qualités louées chez les représentants de l’empereur font écho

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L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 84–92 ; M. Wörrle, Stadt und Fest im kaiserzeitlichen Kleinasien, München, 1989, p.  248–250 sur les thèmes des encomiographes dans les concours. Pausanias, i, 5, 5 (Hadrien) et viii, 43, 3–6 (Antonin) : dans les deux passages on trouve dans un ordre différent les mêmes topoi : les hauts faits militaires de l’empereur, qui ne prend pas l’initiative de la guerre ; son évergétisme envers les cités grecques ; sa philanthropie, qui se traduit notamment par ses lois justes ; sa piété envers les dieux ; pour Dion Cassius, voir supra, c. 5. Voir infra, c. 4. Prémisses de l’histoire, 14–21 : les qualités de Lucius Vérus sont celles de Trajan dans le Panégyrique, c’est-à-dire l’endurance, la sobriété, le labeur (le co-empereur dort très peu), la sévérité associée à l’indulgence, la simplicité, la prudentia, l’amour de la paix et les compétences guerrières, la commilito, la justice et la clémence ; Fronton souligne aussi l’éloquence de Lucius Vérus, domaine dans lequel il était incontestablement meilleur que Trajan, et il fait valoir, autant qu’il le peut, la supériorité de Vérus sur son modèle. Voir N. Méthy, « Une critique de l’optimus princeps : Trajan dans les Principia historiae de Fronton », mh, 60, 2003, p. 105–123 ; S. Benoist, « Pline le Jeune et Fronton », p. 42–44.

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à celles du bon prince de Pline. Avec un décalage d’une trentaine d’années, on retrouve en effet les vertus, exprimées souvent sous forme adjectivale, de bonitas, uerecundia, fortitudo, uirtus, iustitia, clementia, sagacitas, prudentia, innocentia, sanctitas, diligentia, moderatio, benignitas, reuerentia, indulgentia, pietas494. Même s’il faut distinguer l’ensemble du vocabulaire employé pour les administrateurs de celui qui est appliqué à l’empereur495, ce jeu de reflet définit le bon dignitaire à l’image du bon empereur, comme ce sera aussi le cas dans le traité épidictique de Ménandre ii, où les vertus louées chez le gouverneur sont nominalement les mêmes que celles qui sont louées chez le prince (leur définition diffère). La présence des vertus dans les inscriptions honorifiques latines constitue une rupture avec les habitudes antérieures, car les hommages du ier et du premier tiers du iie siècle ne comportent pas de termes qualificatifs 496. Il faut sans doute voir dans ce phénomène à la fois l’influence du Panégyrique, de la mise en avant des vertus sur les monnaies de Trajan, et de l’exploitation des vertus impériales poursuivie par Hadrien. b Hadrien et le modèle de l’optimus princeps Par plusieurs aspects, il semble en effet qu’Hadrien ait repris et développé le modèle de l’optimus princeps auquel était associé son prédécesseur, ainsi que celui du roi bien éduqué prôné par les philosophes grecs, Musonius, Plutarque et Dion. Alors que le sophiste soulignait l’absence de nécessité, pour le roi, d’avoir une éducation poussée, Hadrien a infléchi ce second modèle vers celui du pepaideumenos, « celui qui est bien éduqué, cultivé », correspondant à l’idéal civique grec du Haut-Empire. Hadrien est Optimus dès le début de son règne, quand le Sénat accorde l’apothéose à Trajan et le triomphe à son fils adoptif497. Le terme est quelquefois employé pour le qualifier dans l’épigraphie latine d’Occident498. Comme 494 495 496 497 498

Cette liste a été réalisée à partie des relevés établis par S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 139–242. S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 242. S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 230. L. Perret, La titulature impériale d’Hadrien, Paris, 1929, p. 28–29. Monnaies d’argent, d’or et de bronze datées de 117–118 : ric ii Hadrien 2–8, 23–24, 32, 33, 534–539. Optimus est employé par un dédicant privé dans cil ii 1371, Callenses (optimo principi) : S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 104. L’expression optimus ac iustissimus princeps est souvent reprise pour les Antonins : cil xi 1147 (ils 6675 ; Velaia) pour Trajan ; cil x 676 (ils 312 ; Surrenti), et cil iii 586 (ils 5947 a ; Lamia) pour Hadrien ; cil xi 5632 (ils 2735 ; Camerini) pour Antonin ; voir S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 105. Hadrien est qualifié d’optumus maxumusque princeps dans une inscription probablement dédiée par Munigua en 132 (ae 1966 182 a ; S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 519 n° 231). La même formule est utilisée pour Antonin le Pieux à Rome (cil vi 1001 = ils 341), et ce dernier, divinisé,

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c’était déjà le cas pour Trajan, Optimus est traduit par Aristos dans les inscriptions civiques honorifiques du monde grec. Il apparaît moins systématiquement que pour qualifier Trajan après 114499. Très vite, après 118, Optimus n’apparaît plus sur les monnaies romaines, où la première titulature est remplacée par la nouvelle formule Hadrianus Augustus, qui met en avant la référence augustéenne500. On peut voir plusieurs raisons à cet abandon du titre Optimus. Il peut s’expliquer d’une part par les contestations du choix d’Hadrien au sein du Sénat. Le titre d’Optimus rappelle en effet l’idéal, cher aux sénateurs les plus conservateurs, d’une succession reposant sur l’élection du meilleur, or le Sénat n’a justement pas pu faire le choix d’Hadrien : une des rumeurs rapportées par l’Histoire Auguste fait état du désir qu’avait le Sénat de procéder à un « choix du meilleur », au lieu de se voir imposer, de loin, une succession à caractère dynastique, qui lui a échappé501. D’autre part, Pline a bien insisté sur la dimension morale du « meilleur », or, avant même son retour à Rome, Hadrien a été responsable – ce qu’il a dénié par la suite – de la mise à mort de quatre grands consulaires proches de Trajan, qui s’opposaient à lui ou étaient soupçonnés de complot, A. Cornelius Palma et L. Publilius Celsus, Lusius Quietus et C. Avidius Nigrinus502. Ce dernier était le neveu de T. Avidius Quietus, Stoïcien familier

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est qualifié d’optimus ac sanctissimus omnium saeculorum princeps dans une dédicace retrouvée dans le municipe de Collipo et datée du 19 septembre 167, jour anniversaire de la naissance de l’empereur : cil ii 5232 = ee i 139 ; S. Lefebvre, Optimus princeps, p. 639–640 n° 399. Le dédicant, Q. Talotius Allius Silonianus, notable de Collipo, est un ancien soldat du prétoire, sans doute habitué au vocabulaire honorifique utilisé à Rome pour honorer l’empereur. Voir aussi S. Lefebvre, « Évolution du vocabulaire dans les hommages publics au Prince (1er-3e siècles) », dans I. Cogitore, F. Goyet (dir.), L’éloge du prince. De l’Antiquité au temps des Lumières, Grenoble, 2003, p. 51–64. Voir jöai 28, 1933, Beibl. 62, 12 (Amastris, en 119)  ; igr iii 934 (Chypre, Lapethos, vers 129) ; ig xii, 5 674 (Syros, en 119) ; ig xii, 8 243 (Samothrace, en 131/132) ; ic ii, 16 13 (Crète, Lappa, ap. 129) ; ig ix, 2 1028 (Larisa) ; ig v, 2 533 (Lykosoura) ; ig vii 1839 (Thespies). ric ii Hadrien 1–8, 23–24, 32–33 pour la titulature avec Optimus. Sur Hadrien « nouvel Auguste », voir J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 126–127. sha, Hadr., 4, 9 : « Il en est beaucoup, il est vrai, qui disent que Trajan eut l’intention, à l’exemple d’Alexandre de Macédoine, de mourir sans successeur déterminé, beaucoup, qu’il voulut envoyer au Sénat un message pour lui demander, au cas où il lui serait arrivé quelque chose, de donner un prince à la République romaine, en y joignant simplement des noms parmi lesquels ce même Sénat choisirait le meilleur, ex quibus optimum idem senatus eligeret » ; voir aussi sha, Hadr., 6, 2 : « Dans sa lettre au Sénat, il le priait de l’excuser de ne pas l’avoir laissé décider de son accession à l’Empire : c’est qu’au demeurant, il avait été salué empereur par les soldats avec une très grande précipitation, compte tenu de ce que l’Etat ne pouvait pas rester sans empereur », trad. J.-P. Callu ; voir Dion Cassius, lxix, 2, 2, sur cette demande de ratification. sha, Hadr., 5, 8 ; 7, 1–4. Sur le Maure Lusius Quietus, qui s’était illustré lors des campagnes daciques, parthiques, et lors de la « guerre de Kitos » à laquelle il a donné son nom, puis

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de Thrasea, ami de Pline et de Plutarque, ce qui pourrait suggérer la reprise d’une « opposition stoïcienne » parmi des sénateurs conservateurs défendant le choix du meilleur, mais les sources n’établissent pas cette relation. Enfin, comme nous l’avons vu, le titre Optimus reçu par Trajan en 114 était lié à ses victoires contre les Parthes, or Hadrien a procédé à un changement de politique. Le nouvel empereur a abandonné les entreprises de conquête de son prédécesseur, de même que les provinces conquises à l’Est, probablement parce qu’à la mort de Trajan, en août 117, la situation générale était devenue intenable en raison du soulèvement en Judée, des désordres en Cyrénaïque, en Egypte, à Chypre, en Mésopotamie et en Dacie503. Cet abandon a été critiqué et il est peut-être lié aux menaces de tentatives d’insurrection apparues dans le cercle des principaux commandants militaires504. Dans un tel contexte, mettre en avant le titre d’Optimus apparaissait comme provocateur et il a sans doute paru plus prudent à Hadrien de s’en abstenir. Fronton semble se faire l’écho de critiques portées contre la politique militaire d’Hadrien dans les Prémisses de l’histoire, lorsqu’il accuse l’empereur d’avoir été une sorte d’amuseur des soldats dans les camps, alors qu’au contraire, on sait que celui-ci a fermement maintenu au sein des troupes la discipline militaire, dans la continuité de Trajan505. Le témoignage de Fronton n’est pas dépourvu d’ambiguité, car il rapporte aussi une autre tradition hostile aux entreprises de conquête qui font couler le sang des soldats, en pointant une certaine cruauté et la soif de gloire de Trajan, par opposition naturellement à Lucius Vérus506. Abstraction faite des critiques de Fronton qui n’aimait pas

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devint gouverneur de Judée en 117, voir pir2 L 439. Sur Nigrinus, qui était gouverneur de Dacie à la fin du règne de Trajan, pir2 A 1408 ; sur T. Avidius Quietus, voir supra. Palma et Celsus étaient, selon sha, Hadr., 4, 3, des ennemis de longue date d’Hadrien et ses rivaux ; comme Sosius Senecio, ils avaient été honorés de leur vivant par Trajan d’une statue de bronze, voir Dion Cassius, lxix, 6. Sur Palma, consul ordinaire en 99 et 109, auteur de l’annexion du royaume nabatéen de Pétra, voir pir2 C 1412 ; sur Celsus, consul suffect en 102 et consul ordinaire en 113, voir pir2 P 1049. sha, Hadr., 5, 2 ; M. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », p. 39. sha, Hadr., 5, 8 et 7, 1–2 ; 9, 1–2 ; M. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », p. 30. Fronton, Prémisses de l’histoire, 11 ; contra Dion Cassius, lxix, 9 ; Végèce, Epitoma Rei Militaris, 1, 8 et 27 ; Epitome, 14, 11 ; sha, Hadr., 10, 2–11, 1. La légende DISCIPLINA AVG apparaît sur le revers de monnaies de bronze et or sous le règne d’Hadrien : ric ii Hadrien 232, 746–747, 800 ; voir aussi les inscriptions de Lambèse, ils 2487 et 9133–9135 ; Y. Le Bohec (éd.), Les discours d’Hadrien à l’armée d’Afrique. Exercitatio, Paris, 2003, p. 79–116 ; R. W. Davies, “Fronto, Hadrian and the Roman Army”, Latomus, 27, 1968, p. 75–85 ; A. R. Birley, Hadrian, The Restless Emperor, London, New York, 1997, p. 66–77 ; A. Galimberti, Adriano e l’ideologia del principato, Roma, 2007, p. 95–122. Hadrien était connu pour ses plaisanteries (sha, Hadr., 20, 8). Fronton, Prémisses de l’histoire, 17–19.

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Hadrien, on peut constater que cet empereur a correspondu par sa politique extérieure à l’idéal du prince à la fois polemikos, grâce à sa grande expérience et à son excellente culture militaire, et eirenikos : l’idéal, exposé par Pline et par Dion, du prince qui ne cherche pas la guerre, mais qui tient ses armées prêtes à défendre les frontières de l’Empire. Hadrien semble avoir souligné cet aspect de son règne dans l’inscription qui retraçait ses « hauts faits » sur le Panthéon d’Athènes, telle qu’elle a été résumée par Pausanias507. Hadrien a donc été confronté au début de son règne à une situation politique très instable, et sa légitimité comme successeur de Trajan lui a été déniée, comme en témoignent les sources littéraires508. S’il a renoncé à mettre en avant son titre d’Optimus, il paraît cependant avoir exploité, pour se légitimer, les discours idéologiques consensuels de Pline et de Dion, qui avaient eu du succès comme l’indique leur publication ; s’inscrire, par ce biais, dans les traces de l’optimus princeps Trajan était une bonne manière pour lui de revendiquer sa légitimité et de montrer sa bonne volonté à l’égard des élites de Rome et du monde grec509. Selon certains spécialistes, les reliefs des panneaux de l’Attique de l’Arc de Bénévent, façade Est, ont peut-être été remaniés après la mort de Trajan, en 117/118, pour ajouter le visage d’Hadrien dans l’entourage de l’empereur510 : ils présentent une scène d’aduentus à Rome, qui renvoyait sans doute au triomphe après la seconde guerre dacique. A gauche, Trajan semble attendu par plusieurs divinités : Jupiter Optimus Maximus au centre, entouré de Junon, Minerve, Bacchus ou Liber, Cérès, Mercure et Hercule. Jupiter tend justement le foudre vers Trajan, ce qui évoque l’idée d’élection divine.

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Pausanias, i, 5, 5. Dion Cassius, lxix, 1, 3, qui prétend être bien renseigné grâce à son père, gouverneur de Cilicie, ne croit pas à la légalité de l’adoption, pas plus qu’Eutrope, viii, 6, 1 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 13, 11 et 13, envisage les deux thèses de la procédure légale et de la machination de Plotine ; sha, Hadr., 4, 8–10, signale les rumeurs qui couraient. sha, Hadr., 9 : « Et à la vérité, ces mesures [l’abandon des provinces de Mésopotamie et d’Arménie et la démolition du théâtre de Trajan au Champ de Mars] paraissaient d’autant plus déplaisantes que, toutes celles qu’il voyait impopulaires, Hadrien prétendait avoir été secrètement chargé par Trajan de les prendre », trad. J.-P. Callu. Voir notamment W. Gauer, « Zum Bildprogramm des Trajansbogens von Benevent », jdai, 89, 1974, p. 308–335, part. p. 313–315, 327–328 ; N. Hannestad, Roman Art and Imperial Policy, Aarhus, 1986, p. 185–186 ; C. Blonce, L’arc monumental, ii, p. 92–94. Contra M. Molin, « L’arc de Trajan à Bénévent : un monument de la première partie du règne », dans Y. Le Bohec (éd.), L’Afrique, la Gaule, la Religion à l’époque romaine, Mélanges à la mémoire de Marcel Le Glay, Bruxelles, 1994, p. 716–722 : Hadrien ferait partie du décor depuis le début, comme sur la colonne Trajane où il est représenté dans l’état-major de Trajan.

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On retrouve cette idée dans le monnayage de Rome daté entre 119 et 122 : au revers d’un aureus, Hadrien, debout à droite, reçoit un globe de Jupiter (un peu plus grand, nu) placé à gauche, tenant le sceptre ; entre eux se trouve l’aigle tourné vers le dieu. Sur les revers de sesterces et de dupondii portant la légende PROVIDENTIA DEORUM SC, l’aigle vole pour remettre le sceptre au nouvel empereur511. Plus tard dans le règne d’Hadrien, entre 134 et 138, apparaissent des monnaies d’or et de bronze dédiées à Jupiter Custos et à Jupiter Conseruator, qui rappellent le rôle du dieu dans l’élection et la préservation du bon prince512. Dans les inscriptions grecques, les associations avec les divinités n’ont jamais été aussi présentes, notamment avec Zeus pour lequel Hadrien a édifié à Athènes l’Olympiéion et le Panhellénion513. Hadrien est qualifié de son vivant par les épiclèses du dieu (et quelquefois par la formule Zeus + épiclèse514) : Olympios, Panhellenios, Panionios, et d’autres épithètes relatives à des cultes locaux, comme Dôdônaios en Epire, ou bien à l’action précise de l’empereur en faveur de la cité qui l’honore, comme c’est le cas à Abdera en Thrace, où Hadrien est honoré comme Ephorios, « protecteur des frontières », et probablement aussi à Lesbos, où l’empereur est Eleutherios, « libérateur », peut-être parce qu’il a confirmé ou rendu à Mytilène sa liberté515. Abdera a remercié 511

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ric ii Hadrien 109, pl. 12, 233 (aureus) ; 589 a et b (sesterces), et 602 a et b (dupondius). bmc iii p. 38 nos 53–55, pl. 10, 3 : deniers, datés à partir de 98, au revers desquels une figure en toge tend le globe à Trajan en habit militaire, avec pour légende simplement PROVID(ENTIA). Selon J. Bennett, Trajan, p. 71–72, c’est la figure de Nerva divinisé qui donne le globe à Trajan. Voir aussi bmc iii p. 157 * (Cohen 642) : sesterce daté de 101–102, présentant au revers la même scène, avec Trajan en toge. ric ii Hadrien 251 : aureus représentant au revers Jupiter debout de face, tenant le sceptre et couronnant Hadrien, avec la légende IOVI CONSERVAT ; ric ii Hadrien 763, sesterce montrant au revers Jupiter trônant avec le foudre et le sceptre, avec la légende IOVI CVSTODI SC ; 815, dupondius ou as avec la même scène et la même légende au revers. Cf. le sesterce de Domitien apparu en 86 : ric ii2 Domitien 467. Sur la promotion du culte de Zeus par Hadrien, voir J.  Beaujeu, La religion romaine, i, p. 176–184, 189–190 ; sur le culte d’Hadrien-Zeus, p. 200–207 ; J. Rufus Fears, “The Cult of Jupiter”, p. 85–89. Zeus Olumpios : ig xii, 2 184 (Mytilène) ; I. Eph. 269, 271 A, 430 ; ae 1983, 918 (Ephèse) ; Milet. i 7, 301 (seg iv 425) et 302. Zeus Sôter : lw 211 (Milet). Olumpios Panellenios Zeus : ig iii 3985 + ig ii2 1088 + ig ii2 1090, seg xlv 224 (Athènes). Zeus Dôdônaios : seg xxxix 528 (Nicopolis). Ephorios : ig xii, 2 191 (Abdera). Eleutherios : ig xii, Suppl. 53 ; ig xii, 2 184 et 185 (Lesbos) ; voir A. Noël, « Hadrien a-t-il été divinisé de son vivant à Athènes par l’appellation Hadrien (Zeus) ΕΛΕΥΘΕΡΙΟΣ  ?  », dans G.  Braive, J.-M. Cauchies (dir.), La Critique historique à l’épreuve : Liber discipulorum, Jacques Paquet, Bruxelles, 1989, p. 37–47, part. p. 43 n. 21. Hadrien est aussi appelé Pythios, Néos Dionysos, Néos Hélios ; voir A. S. Benjamin, “The altars of Hadrian in Athens and Hadrian’s panhellenic program”, Hesperia, 32, 1963, p. 57– 86 ; J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 204.

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Hadrien, Zeus Ephorios, parce qu’il avait étendu ses frontières jusqu’au fleuve Nestos/Mesta (lui permettant de retrouver son territoire ancestral), en invoquant sa pronoia céleste, διὰ τὴν οὐράνιον αὐτοῦ πρόνοιαν516 : dans cette inscription, de manière explicite, l’empereur assume sur terre une fonction du roi des dieux auquel il est assimilé. Dans l’épigraphie honorifique grecque, en général, Hadrien est évergète, sauveur et « fondateur » ; il apparaît aussi, ce qui paraît plus neuf, sous la figure d’un sage nomothète à Cyrène, Mégare, Thespies et Delphes517. Sauf à Cyrène, pour laquelle on possède un dossier de lettres impériales présentant les nouvelles lois données par Hadrien à cette cité qui avait beaucoup souffert de la seconde révolte juive, cette qualification ne semble pas renvoyer à une activité législative précise de l’empereur518. Elle se rapporte peut-être plutôt à l’image d’Hadrien comme législateur, qui est aussi suggérée dans les oracles sibyllins et s’explique par l’intérêt général porté par l’empereur aux lois des cités519, ou bien à ses décisions relatives à son activité évergétique, à laquelle le mot nomothète est toujours associé. Les qualités morales qui sont à la source de ces 516

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ig xii, 2 191 : Αὐτοκράτορι Καίσα[ρι] / θεοῦ Τραϊανοῦ Παρθ[ι] / κοῦ υἱῷ, θεοῦ Νέρουα υ[ἱ] / ωνῷ, Τραϊανῷ Ἀδριανῷ / Σεβαστῷ, Ζηνὶ Ἐφορίῳ / ἡ Ἀδριανέων Ἀβδηρειτῶ[ν] / πόλις ἐπὶ τῶν ὅρων, ἀπολ[α] / βοῦσα τὴν ἰδίαν γῆν διὰ / τὴν οὐράνιον αὐτοῦ πρό / νοιαν, εὐχαριστίας ἕνεκεν / διατεθέντων µέχρι ποτα / µοῦ Μέστου {Νέστου}. Cyrène : seg ix 54, xvii 809 et xviii 731 (ktistès kai tropheus kai nomothetès, en 128/129). Mégare : ig vii 3491 (euergetès kai ktistès kai nomothetès) ; ig vii 70 et ig vii 72 (ktistès kai nomothetès kai tropheus). Thespies : Roesch, I. Thesp., 437. Delphes : fd iii 4, 304 (la description d’Hadrien qui, par sa piété et ses décisions, a redressé et renforcé Delphes, renvoie à l’image du nomothète, mais le terme lui-même n’apparaît pas : [κ]αὶ διὰ τὴν σὴν εὐσέβειαν [κ]αὶ ὅ / τ[ι διὰ τῶν σῶν δογµά]των µάλιστα ὀρθώσεις ἡµῶν, κα / [θὼς καὶ ηὔξηκας ἤδ]η καὶ ὤρθωκας). J. M. Reynolds, “Hadrian, Antoninus Pius and the Cyrenaican Cities”, jrs, 68, 1978, p. 111– 121, part. p. 113 et 118–119 ; A. J. Spawforth, S. Walker, “The World of the Panhellenion, ii. Three Dorian Cities”, jrs, 76, 1986, p. 78–104, part. p. 97 ; J. H. Oliver, Greek Constitutions of the Early Roman Emperors from Inscriptions and Papyri, Philadelphia, 1989, p. 123 ; M. T. Boatwright, Hadrian and the cities of the Roman Empire, Princeton, 2000, p. 173–182 sur Cyrène, p. 31–32 et 92 sur Mégare, p. 68, 89, 91, 101–102 sur Delphes. A Mégare, dont Pausanias, i, 36, 3, souligne la désolation au milieu du iie siècle, Hadrien a reconstruit en marbre blanc le temple d’Apollon (Pausanias, i, 42, 5) associé aux Petites Pythia célébrées à son époque et a élargi la route dite de Sciron entre Athènes et Corinthe (Sciron était un roi mythique de Mégare, fils de Poséidon, tué par Thésée à cause de sa cruauté envers les étrangers : Pausanias, i, 44, 6–8). Dans l’inscription de Delphes fd iii 4, 304, datée après 125, Hadrien est remercié d’avoir construit ou embelli (littéralement « augmenté », auxô) des édifices sacrés (hiera) pour Apollon Pythien. Oracles sibyllins, 12, 173–174. Voir M. T. Boatwright, Hadrian and the cities, p. 91–92, à propos notamment du décret d’Hadrien sur l’huile à Athènes : S. Follet, Athènes au iie et au iiie siècle. Etudes chronologiques et prosopographiques, Paris, 1976, p. 116–125.

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décisions sont mises en avant, ce qui est nouveau aussi. L’inscription de Thespies est particulièrement intéressante à cet égard ; elle se distingue des autres dans la mesure où le dédicant n’est pas la cité mais un particulier, T. Flavius Lysandros, qui a offert une statue à Hadrien. Sur la base, celui-ci est qualifié de « nomothète de piété, de justice et de philanthropie »520. Lysandros, issu d’une grande famille de la cité, était un contemporain du proconsul T. Flavius Philinos iii, lequel était probablement le fils de Philinos ii qu’on a proposé d’identifier à un ami de Plutarque521. Le philosophe avait, de toutes façons, des amis à Thespies522, et il me semble que l’on peut voir dans la curieuse formule par laquelle Lysandros a défini Hadrien l’influence des discours de Plutarque ou de Dion sur l’association entre le roi vertueux et l’orthos Logos ou le Nomos divin, ou encore avec l’eunomia. En parallèle avec l’apparition des vertus de l’empereur dans l’épigraphie grecque, le monnayage d’Hadrien à Rome compose, pour reprendre la formule heureuse de A.  F. Wallace-Hadrill, une «  galerie des vertus  »523. L’accent est porté comme jamais auparavant sur la personnalité du prince et sur ses vertus. Comme dans le Panégyrique de Pline, la liberalitas du prince est mise en lumière524. On voit réapparaître les vertus augustéennes de clementia, pietas, iustitia, uirtus (reprises également sous Antonin et Marc Aurèle), et l’on constate aussi la première apparition de vertus proprement philosophiques, tranquillitas et patientia, qui caractérisent le sage stoïcien et sont rapportées au prince (TRANQVILLITAS AVG(usti), PATIENTIA AVGVSTI)525. Il s’agissait peut-être, de la part d’Hadrien, de lutter contre cette image de prince imprévisible et 520

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Roesch, I. Thesp., 437 : Αὐτοκράτορα / Καίσαρα Τραιανὸν / Ἁδριανὸν Σεβαστὸν / τὸν εὐσεβείας καὶ / δικαιοσύνης καὶ φιλανθρω / πίας νοµοθέτην / Τ(ίτος) Φλάβιος Λύσανδρος. Dans fd iii 4, 304, c’est la piété (eusebeia) et la providence (pronoia) de l’empereur qui sont soulignées. Sur la PROVIDENTIA AVG Sous le règne d’Hadrien, voir J.-P. Martin, Providentia deorum, p. 274–286. P. Jamot, bch, 26, 1902, p. 291–321, part. p. 315–316 ; C. P. Jones, “A leading family of Roman Thespiae”, hscp, 74, 1970, p. 223–255 ; B. Puech, « Prosopographie des amis de Plutarque », p. 4869 ; pir2 F 330. Plutarque, Erotikos (Dialogue sur l’amour), 1. A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 311–314 sur Hadrien et les vertus. ric ii p. 329–330. ric ii Hadrien 222–223, deniers, datés de 132–134, portant au revers la légende TRANQVILLITAS AVG. COS. III P.P. (ou P. P. COS. III) et la figure de Tranquillitas tenant un sceptre et s’appuyant sur une colonne, ce qui est un attribut de la Securitas ; ric ii Hadrien 367 pl. xiii 261, denier ; bmc iii p. 306 nos 526, 527 (pl. 57, 9 ; deniers), p. 314 nos 573–575, 576 (pl. 58, 13), 577, 578 (pl. 58, 14 ; deniers), p. 463 n° 1473 (pl. 86, 12, dupondius ou as). ric ii p. 328 sur Patientia, avec l’hypothèse que cette vertu renverrait à l’endurance d’Hadrien vis-à-vis de la maladie dont il souffrit à la fin du règne : mais Patientia apparaît entre 128 et 132 ; ric ii Hadrien 365 pl. 18. 260, denier, au revers Patientia est assise, tournée vers la

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changeant, qui est restée de lui dans les sources postérieures526. Un médaillon de la fin du règne présente au droit un buste de l’empereur revêtu d’une peau de lion, et au revers Tellus entouré d’enfants personnifiant peut-être les quatre Saisons, avec la légente TELLVS STABIL(ita), « la terre prospère affermie »527. Il reprend le thème ancien (et augustéen) de la prospérité sous le règne du bon roi, en présentant Hadrien dans le costume d’Hercule, le héros parcourant la terre pour la débarrasser des vices, auquel l’empereur pouvait s’assimiler par ses voyages et son action évergétique. D. Campanile a suggéré que cette exploitation du héros s’inspirait du premier discours Sur la royauté de Dion, Hadrien ayant pu assister à la déclamation du sophiste, ou bien lire la version rédigée du discours (on peut rappeler ses relations avec Favorinus d’Arles, l’élève de Dion528) ; l’empereur aurait ainsi souhaité rassurer publiquement sur son comportement, contrebalancer sa mauvaise réputation et se représenter comme un roi sage, gouvernant avec Justice, Paix et Bon ordre (Eunomia)529. Une telle hypothèse est renforcée, me semble-t-il, par l’association étroite entre paideia et royauté chez Dion et chez Hadrien, même si le contenu de cette paideia n’est pas du tout le même530. Hadrien a entretenu avec les intellectuels des liens bien plus importants que Trajan, étant lui-même un érudit, contrairement à son prédécesseur. Sa culture semble avoir été essentiellement poétique et rhétorique : il fut notamment proche des deux plus grands sophistes de son temps, Favorinus et Polémon de Laodicée 531. Mais il paraît

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gauche, tendant la main droite et tenant le sceptre, avec la légende PATIENTIA AVGVSTI COS. iii ; bmc iii p. 306 n° 525, pl. 57. 9. Epitome de Caesaribus, 14, 6 ; sha, Hadr., 14, 11. Le sage est caractérisé par la tranquillitas (Sénèque, Cl., ii, 6, 2), le tyran par l’agitation : Dion, Or. i, 76–82. P. Strack, Untersuchungen zur römischen Reichsprägungen, p. 182–184 n° 464. Voir J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 159 ; M. Jaczynowska, « Le culte de l’Hercule romain », p. 637. sha, Hadr., 16, 10. D. Campanile, « Eracle e Adriano : una nota sulla regalita », sco, 55, 2009, p. 249–260. Sur la promotion d’Hercule par Hadrien, voir J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 80–87 ; M. Jaczynowska, « Le culte de l’Hercule romain », p. 637. Le héros apparaît aussi sur les cistophores d’Asie : ric ii Hadrien 494 (sur le revers, debout vers la droite, avec la peau de lion sur la massue posée sur une pierre ; après 128). Au lieu des références « classiques » privilégiées par Dion (d’abord à des fins de communication), Hadrien affichait son goût pour une culture archaïque et savante : sha, Hadr., 16, 2, 5–6. Voir R. Syme, « Hadrian the Intellectual », dans A. Piganiol et H. Terrasse (éd.), Les empereurs Romains d’Espagne, Paris, 1965, p. 243–253 ; S. Fein, Die Beziehungen, p. 26–64 ; A. Galimberti, Adriano, p. 155–156 n. 5. S. Fein, Die Beziehungen, p. 237–288 ; A. Galimberti, Adriano, p. 157–193. Voir aussi R. Syme, “Hadrian the Intellectual”  ; J.-M. André, «  Hadrien littérateur et protecteur des lettres  », anrw, ii, 34, 1, Berlin, New York, 1993, p. 583–611 ; S. A. Stertz, “Semper in omnibus uarius : The Emperor Hadrian and Intellectuals”, anrw, ii, 34, 1, Berlin, New York, 1993, p. 612–628.

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avoir été moins attiré par la philosophie. Il a eu des liens avec les Epicuriens, par le biais de Plotine. Pour complaire à celle-ci, Hadrien est en effet intervenu afin de résoudre un problème de succession à la tête de l’école épicurienne d’Athènes532. Il a écrit une lettre, datée entre le 14 février et le 14 mars 125, au diadoque Héliodore qui semble lui avoir adressé une demande excessive et avoir obtenu une réponse au moins en partie négative533. Cet Héliodore est probablement le philosophe ami d’Hadrien, qui fut attaqué par lui dans une lettre mentionnée dans l’Histoire Auguste534. Faute de preuve décisive, il faut le distinguer de C. Avidius Heliodorus, le père de l’usurpateur C. Avidius Cassius : réputé pour ses talents de rhéteur, C. Avidius Heliodorus fut directeur de la correspondance grecque d’Hadrien, puis préfet d’Egypte en 137535. L’empereur a aussi été en relation avec Epictète et Arrien, qui est qualifié de philosophos dans deux inscriptions d’Athènes et de Corinthe, sans doute parce qu’il a rédigé les Entretiens et le Manuel536. L’Histoire Auguste évoque une grande proximité avec Epictète, qu’Hadrien a pu rencontrer soit à Nicopolis, lors d’une visite à l’école du philosophe, soit lors d’un voyage de celui-ci à Athènes537. Rien ne permet d’affirmer l’existence d’un lien aussi étroit qu’une relation de philosophe à disciple ou bien d’amitié politique entre le Stoïcien et l’empereur, et la vision du pouvoir impérial qui transparaît dans les Entretiens ne paraît pas favorable au développement d’un tel lien538. Le Stoïcien Euphratès aurait demandé à Hadrien la permission de se suicider en 119, ce qui atteste symboliquement la fin de l’« opposition philosophique » au pouvoir impérial539.

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S. Fein, Die Beziehungen, p. 282–289. S. Follet, « Lettres d’Hadrien aux épicuriens d’Athènes (14.2-14.3.125) : seg iii 226 + ig ii2 1097 », reg, 107, 1994, p. 158–171 ; ead., s.v. « Héliodore », DPhA, iii, p. 533 n° 28. sha, Hadr., 15, 5 ; 16, 10. Dion Cassius, lxxii, 22, 2. Voir S. Fein, Die Beziehungen, p. 257–263 ; S. A. Stertz, “Semper in omnibus uarius”, p. 618 et 621 ; S. Follet, B. Puech, DPhA, iii, p. 533 n° 28. Contra C. Stein, pir2 A 1405 et H 51 ; H. G. Pflaum, “La valeur de la source inspiratrice de la Vita Hadriani”, Bonn. Hist. Aug. Colloquium, 1968/9, Bonn, 1970, p. 181 ; R. Syme, “Hadrian as Philhellene. Neglected Aspects”, ibid. 1982/3, Bonn, 1985, p. 341–345 ; J.-P. Callu (éd.), Histoire Auguste, p. 115 n. 147 ; A. Galimberti, Adriano, p. 168–171. D. Peppas-Delmousou, “A Statue Base of Arrian”, aaa, 3, 1970, p. 377–380, ae 1971, 437 ; Corinth. viii 3, n°124, ae 1968, 473. Voir récemment S.  Lalanne, «  Arrien philosophe stoïcien », Ktèma, 39, 2014, p. 51–73. Arrien a fait une carrière brillante comme proconsul de Bétique en 125, légat de Cappadoce entre 131–137. sha, Hadr., 16, 10. P. Pablo Fuentes González, DPhA, iii, n° 33 p. 106–151, part. p. 116. Voir supra, c.  3, part. n.  107  ; E.  Rawson, “Roman Rulers and the Philosophic Adviser”, p. 251. Contra E. Cizek, « Epictète et l’héritage stoïcien », StudClas, 17, 1975, p. 71–85, part. p. 82–85. Dion Cassius, lxix, 8, 3 ; voir supra.

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Le règne d’Hadrien est marqué par la floraison de la culture grecque, notamment à Athènes dont l’empereur a fait le centre, non plus seulement symbolique, mais effectif, du monde grec en instituant le Panhellenion en 131/132, aussi bien qu’à Rome avec l’Athenaeum, créé entre 133 et 136 pour abriter des lectures et des déclamations en grec540. Comme l’a souligné A. Galimberti, l’action culturelle d’Hadrien est dotée d’une double dimension religieuse et politique541, et l’empereur y a fait collaborer les pepaideumenoi. Son entreprise panhellénique s’est en effet appuyée sur la coopération de Polémon qui a prononcé le discours inaugural de l’Olympieion à Athènes en 131 et a peut-être contribué à élaborer l’idéologie du Panhellénion fondée sur le genos542. Sa visite au colosse de Memnon, dans laquelle on retrouve la triple dimension culturelle, religieuse et politique, a été accompagnée par la poétesse Balbilla543. Comme on l’a vu, le développement des éloges au prince chez les orateurs et les sophistes grecs est étroitement lié à Hadrien, à ses voyages et à ses bienfaits envers les cités et leurs habitants. La collaboration du prince avec les intellectuels a donc une dimension idéologique affirmée, et elle a aussi une dimension administrative qu’elle possédait déjà sous Trajan : le règne d’Hadrien a donné lieu à la promotion des intellectuels dans l’administration de l’Empire, comme le montre l’exemple de C. Avidius Heliodorus qui devait sa nomination à la préfecture d’Egypte à ses talents de rhéteur544 ; c’est aussi d’Hadrien que Plutarque a reçu la procuratèle d’Achaïe en 124. Alors que Trajan paraît surtout s’être appuyé sur des hommes qui, à leurs compétences administratives et militaires, ajoutaient une grande culture littéraire et philosophique, Hadrien reconnaît bien davantage la valeur politique de la culture, de même qu’Auguste, mais celui-ci avait poursuivi la tradition hellénistique d’utiliser des philosophes dans le gouvernement des cités, ce que n’a pas fait Hadrien. Il est vrai que cette tradition n’était plus en usage à son époque dans les cités, ce rôle politique semble avoir été repris justement par les sophistes à partir de Dion qui se qualifie lui-même comme un philosophe.

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Aurélius Victor, De Caesaribus, 14, 2–3 ; sha, Pertin., 11, 3 ; Alex. Seu., 35, 2 ; Gord., 3, 4 ; Philostrate, va, 2, 589 ; H. Braunert, « Das Athenaeum zu Rom bei den SHA », bhac, 96, 1964, p. 9–40 ; E. Calandra, Oltre la Grecia. Alle origini del filellenismo di Adriano, Napoli, 1996, p. 166–171 ; ead., « Adriano emperador filoheleno », dans J.-M. Cortés Copete, E. Muñiz Grijalvo (éd.), Adriano Augusto, Sevilla, 2004, p. 91. A. Galimberti, Adriano, p. 155–184. I. Romeo, « The Panhellenion and Ethnic Identity in Hadrianic Greece », CPh, 97, 2002, p. 21–40. A. Gangloff, « Les “poètes” hellénophones sur le Colosse de Memnon », dans ead. (éd.), Médiateurs culturels et politiques dans l’Empire romain. Voyages, conflits, identités, Paris, 2011, p. 37–57. Dion Cassius, lxxii, 22, 2.

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Hadrien n’a pas eu non plus de « sages conseillers » parmi les intellectuels qui l’entouraient, mais des collaborateurs et des inférieurs545 : il ne semble pas avoir eu besoin de conseils de morale politique et n’entre pas dans le schéma du bon roi acceptant les avis d’un sage moralement supérieur à lui. Les sources littéraires (Dion Cassius et l’Histoire Auguste) font au contraire apparaître un idéal de compétition, notamment avec les intellectuels. Dion Cassius, qui donne d’Hadrien une image plutôt positive, souligne son complexe de supériorité qui engendrait des tensions, essentiellement avec ses amis pepaideumenoi : Il faisait preuve d’un désir de gloire insatiable, et dans cet esprit il s’attelait à toutes les tâches, mêmes les plus insignifiantes  ; il sculptait, peignait, et prétendait n’ignorer rien qui concernât la paix, la guerre, la royauté, la condition privée. En cela, il ne faisait aucun mal aux hommes, mais comme sa jalousie était terrible envers tous ceux qui avaient un talent supérieur, il en rabaissa beaucoup et causa même la perte d’un grand nombre. En effet, comme il voulait l’emporter sur tous en toute occasion, il haïssait ceux qui s’élevaient au-dessus de lui d’une manière ou d’une autre546. Le comportement attribué à Hadrien pourrait-il être la suite logique du modèle de l’optimus, qui veut que l’empereur soit le meilleur de tous ? La fin du passage l’inscrit plutôt dans la tradition agonistique très présente dans la vie intellectuelle grecque sous le Haut-Empire : en témoignent les vives querelles entre Apollonios de Tyane et Euphratès, entre Favorinus et Polémon vers 130/131, et les polémiques entre spécialistes de grammaire et de rhétorique qui nourrissent les diatribes de Lucien547. Hadrien semble avoir agi comme l’un de ces

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A. Galimberti, Adriano, p. 182–184, 192–193. Dion Cassius, lxix, 3, 3 : Φιλοτιµίᾳ τε γὰρ ἀπλήστῳ ἐχρῆτο, καὶ κατὰ τοῦτο καὶ τἆλλα πάντα καὶ τὰ βραχύτατα ἐπετήδευε· καὶ γὰρ ἔπλασσε καὶ ἔγραφε καὶ οὐδὲν ὅ τι οὐκ εἰρηνικὸν καὶ πολεµικὸν καὶ βασιλικὸν καὶ ἰδιωτικὸν εἰδέναι ἔλεγε. Καὶ τοῦτο µὲν οὐδέν που τοὺς ἀνθρώπους ἔβλαπτεν, ὁ δὲ δὴ φθόνος αὐτοῦ δεινότατος ἐς πάντας τούς τινι προέχοντας ὢν πολλοὺς µὲν καθεῖλε συχνοὺς δὲ καὶ ἀπώλεσε. Βουλόµενος γὰρ πάντων ἐν πᾶσι περιεῖναι ἐµίσει τοὺς ἔν τινι ὑπεραίροντας, trad. personnelle. Apollonios et Euphratès : Philostrate, va, i, 13 ; v, 39 ; viii, 7, 34–35 (par exemple) ; Apollonios, Ep., 77 éd. Jones (lcl) ; Origène, Cels., 6, 41 ; Eusèbe, Contre Hiéroclès, 30, 2 ; 33, 1–4. Favorinus et Polémon : Philostrate, vs, i, 490 et 531–544. Voir Le maître de rhétorique de Lucien (probablement contre Julius Pollux de Naucratis : C. P. Jones, “Two enemies of

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lettrés, et il est d’ailleurs qualifié par Julien de sophiste548. Il a été le premier modèle de l’autopromotion par la culture, si importante chez l’élite grecque au iie siècle.

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Lucian”, grbs, 13, 1972, p. 478–487 ; id., Culture and Society in Lucian, Cambridge ma, London, 1986, p. 107–108), le Lexiphane (peut-être aussi dirigé contre Pollux), Le pseudologiste (contre Hadrien de Tyr, le maître de Pollux : C. P. Jones, Culture and Society, p. 110–115). Julien, Caes., 8, 311 d. Voir A. Galimberti, Adriano, p. 172–173. Sur l’attitude d’Hadrien envers les sophistes, voir G. W. Bowersock, Greek Sophists, p. 50–53.

Chapter 4

Marc Aurèle et la mémoire d’Antonin le Pieux, prince modèle Les Pensées de Marc Aurèle ou Ecrits pour lui-même, selon le titre plus exact donné par P. Hadot, ont été rédigés par l’empereur comme une sorte de journal intime philosophique, dans lequel Marc Aurèle dialogue avec lui-même, selon le procédé de la diatribe utilisé par les Stoïciens et les Cyniques. Il s’agit d’un exercice d’ascèse1, c’est-à-dire un exercice spirituel recommandé par ces philosophes pour avancer en sagesse, en exhortant régulièrement son esprit à tendre vers le bien, en lui rappelant les grands principes éthiques et en l’entraînant à résister aux désirs et aux passions. C’est certainement la naturemême de l’exercice philosophique qui impliquait que l’œuvre fût composée en grec, la langue de la philosophie d’Epictète qui a beaucoup influencé l’empereur2. Dans cette perspective, les Ecrits de Marc Aurèle l’ont aidé à concilier les nécessités et désagréments liés à sa charge de prince, souvent évoqués, et ses devoirs de philosophe, au sens d’« ami de la sagesse »3. Ils ont probablement été rédigés entre 170 et 1804, durant les dix dernières années difficiles de son règne, marquées par les campagnes contre les Quades et les Marcomans (169 à 175), l’usurpation d’Avidius Cassius (avril 175), à laquelle a fait suite un voyage

1 P. Hadot (éd.), Marc Aurèle. Ecrits pour lui-même, i, Paris, cuf, 2002, p. xxxix. Id., Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 2002 (1993), p. 17–98 (« Exercices spirituels »), et p. 143– 220 (« Marc Aurèle »). Les notions d’ »exercices spirituels » et d’éthique ont été critiquées par P. Vesperini, Droiture et mélancolie. Sur les écrits de Marc Aurèle, Paris, 2016 ; P. Vesperini ne remet pas en question l’usage instrumental des écrits philosophiques pour corriger le moi ou le soi, mais il met en avant le caractère social du soi (p. 51–57) ; bien que, pour l’historien, l’intérêt de mettre en exergue cette dimension sociale soit évident, il est discutable de faire passer au second plan la question, certes complexe, de l’intériorité  :  voir les réflexions et les renvois bibliographiques de S. Alexandre, « La sagesse des empereurs », La Vie des idées, 23 septembre 2016. issn  :  2105–3030. (url  :  http://www.laviedesidees.fr/La-sagesse-desempereurs.html, consulté le 20 février 2018). 2 P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xxxix. Voir supra, c. 2 sur Musonius et Epictète. 3 En particulier dans le livre v, et, dans une mesure à peine moindre, dans le livre vi. 4 Le livre iii a été « écrit à Carnuntum », le quartier général de Marc Aurèle quand il dirigeait la campagne contre les Quades et les Marcomans, entre 170 et 173 : voir P. Hadot, (éd.), Marc Aurèle, p. xlvii-xlix. Le livre ii a peut-être été écrit sensiblement aux mêmes dates, lors de la campagne contre les Quades sur le fleuve Gran : sur le débat concernant la datation des livres i et ii, voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xlvi-liii.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/ 9789004379374_ 006

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Chapter 4

en Orient durant lequel l’impératrice Faustine est morte (hiver 175/176), puis la reprise du combat à la frontière danubienne à la fin de l’été 178. Les Ecrits contiennent deux portraits développés d’Antonin le Pieux, le père adoptif de Marc Aurèle, au livre i et au livre vi. Ces portraits n’étaient pas, en premier lieu, destinés au public : ils font partie de ce que l’on appelle « les écrits du for privé  », dont l’interprétation est particulièrement délicate d’un point de vue historique. Dans un premier temps, nous les considérerons comme le témoignage d’une évolution de la philosophie politique, et étudierons l’image du bon prince, et plus généralement du pouvoir impérial chez Marc Aurèle. Ces portraits peuvent-ils être rapprochés des miroirs au prince, et dans quelle mesure constituent-ils une nouveauté par rapport aux précédents portraits du « bon roi » ? Nous nous interrogerons aussi sur ce que signifie cette pratique de Marc Aurèle : quels sont les raisons, les intérêts, pour cet empereur philosophe (car Marc Aurèle ne perd pas de vue sa charge dans les Ecrits, malgré la distance qu’il instaure par rapport au contexte historique de son règne), de fixer les traits de son père adoptif par écrit ? Dans un second temps, nous verrons s’il est possible de replacer cet usage personnel du souvenir dans le contexte plus large de la construction d’une mémoire dynastique sous les Antonins. Nous nous demanderons, pour finir, quels échos on peut trouver entre la figure du bon empereur Antonin dans les Ecrits et l’image publique des derniers Antonins. 1

Antonin le Pieux, « modèle vivant »

Les contextes dans lesquels sont développés les portraits d’Antonin aux livres i et vi sont différents. Le livre i se distingue des autres livres par sa structure, par son unité et par son objectif clair : il a été conçu comme une sorte de bilan général succinct, dans lequel Marc Aurèle rend grâce à seize proches qui l’ont formé, puis aux dieux pour les bienfaits reçus ; il rassemble tous les principes et les vertus qui comptent pour l’empereur philosophe, et il est souvent considéré comme une sorte d’appendice rédigé à part, ou bien peu avant la mort de Marc Aurèle5. Ce livre prend donc, par plusieurs aspects, le contre-pied des Res 5 F. Martinazzoli, La Successio di Marco Aurelio. Struttura e spirito del primo libro dei « Pensieri », Bari, 1951, part. p. 23 ; selon P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. lii-lx, le livre i a été écrit à part, en parallèle aux autres, après la mort de Faustine (et plus généralement après le décès de tous les personnages évoqués), soit entre 175/176 et 180. Voir Marc Aurèle, ii, 3 : il faut « mourir non en murmurant, mais bienveillant et ayant envers les dieux une reconnaissance véritable, partie du cœur » (trad. E. Bréhier), idée qui rappelle l’action de grâce envers les dieux en i, 17 ; voir aussi la fin du livre iv, 48 pour cette idée qu’il faut, en mourant, rendre grâce à la nature.

Marc Aurèle et la Mémoire d’Antonin le Pieux

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gestae6: il a un caractère privé, alors que ces dernières constituaient un bilan politique public, confié par Auguste aux Vestales et destiné à être affiché sur le Champ de Mars devant son monumental Mausolée ; il énumère des dettes de reconnaissance, celles-ci les actes qui ont fondé un Empire et qui étaient dignes de reconnaissance. Les deux écrits proposent des normes éthiques et politiques, ce qui incite à les comparer. Mais, alors qu’Auguste se donne comme modèle aux autres, Marc Aurèle expose un modèle humain formé par agrégation de qualités reçues des autres. Le portrait d’Antonin occupe une position centrale dans le livre i, qui suit un ordre assez souple7 : sont envisagés d’abord des membres de la famille naturelle de Marc Aurèle (son grand-père M. Annius Verus, son père Annius Verus, sa mère Domitia Lucilla, son arrière-grandpère [ ?] Catilius Severus8), puis des professeurs comme le philosophe stoïcien Apollonios de Chalcédoine9, ou Fronton, et des amici. A partir de Cn. Claudius Severus Arabianus, consul ordinaire en 146 et beau-père de la fille aînée de Marc Aurèle10, et de Claudius Maximus, consul suffect en 141–142, proconsul d’Afrique vers 158–15911, qui sont cités en quatorzième et quinzième positions, les portraits ont un caractère nettement politique12. Le seizième exemple est celui d’Antonin le Pieux. Il est, de loin, le plus longuement développé et prend place juste avant les remerciements aux dieux. 6 7 8

9 10 11

12

Voir aussi P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xlvii. Sur cet ordre, à la fois logique, chronologique et entraîné par la mémoire, voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xlii-xlv. Soit en tant que beau-père de Domitia Lucilla maior, la grand-mère de Marc Aurèle, voir pir2 C 357 ; soit en tant qu’époux de cette grand-mère selon R. Syme, Tacitus, ii, p. 793 ; soit encore en tant qu’époux de l’arrière-grand-mère de Marc Aurèle, selon A. R. Birley, Marcus Aurelius. A Biography, New Haven, London, 1987, p. 33 et 245. Voir S. Follet, R. Goulet, DPhA, i, p. 285–286, n° 274, s.v. « Apollonios de Chalcédoine » ; re, 64 ; pir2 A 929 ; P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xc-xcv. pir2 C 1027 ; A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 95–96. pir2 C 933–934 ; H.-G. Pflaum, « La valeur de la source inspiratrice de la vita Hadriani et de la vita Marci Antonini à la lumière des personnalités contemporaines nommément citées », Historia Augusta colloquium 1968–69 Bonn, Bonn, 1970, p. 173–232, p. 210 ; A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 96–97 ; c’est lui qui jugea le procès pour magie intenté à Apulée, alors qu’il était proconsul d’Afrique. C’est déjà le cas du portrait de Fronton (i, 11), au sujet duquel les commentateurs ont souligné la brieveté des remerciements, par comparaison avec les longues déclarations d’affection répétées dans la correspondance (cette affection est soulignée et analysée sous un angle érotique par A. Richlin (éd.), Marcus Aurelius in Love) ; mais, comme le rappelle très justement E. Champlin, Fronto and Antonine Rome, Cambridge, 1980, p. 120, les notes du livre i constituent “more an aide-memoire than a record”. Marc Aurèle ne retient dans le livre i que la quintessence de l’enseignement moral et politique qu’il a reçu de son maître de rhétorique (voir aussi dans la lettre Aur., iii, 2 Van den Hout : il remercie Fronton de lui avoir appris à dire et à écouter la vérité).

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Chapter 4

Le portrait d’Antonin, en tout point positif, réunit à la fois des qualités et des absences de défauts13 : QUALITÉS Douceur et fermeté dans ses décisions, 16, 1

Amour du travail, φιλόπονον, et continuité de l’effort, 16, 3 Attention à ceux qui peuvent être utiles à la société, 16, 4 Répartition selon le mérite de chacun, 16, 5 Sens de l’équilibre entre effort et détente, 16, 6

ABSENCES DE DÉFAUTS Indifférence à la gloriole des prétendus honneurs, τὸ ἀκενόδοξον περὶ τὰς δοκούσας τιµάς, 16, 2

Abandon des relations amoureuses avec les adolescents, 16, 7

Importance attachée au bien commun, ἡ κοινονοηµοσύνη, 16, 8 Liberté laissée à ses amis de ne pas toujours partager ses repas ou voyager avec lui, 16, 8 Certitude de le retrouver semblable à luimême après une séparation, 16, 8 Examen attentif des affaires dans les conseils, Ne pas se contenter des apparences, persévérance dans les enquêtes, 16, 9 16, 9 Entretien des amitiés, 16, 10 Pas de lassitude ni d’engouement dans les amitiés, 16, 10 Autonomie et sérénité, τὸ αὔταρκες ἐν παντὶ καὶ τὸ φαιδρόν, 16, 11 Prévision et organisation des détails à Sans dramatiser, ἀτραγῴδως, l’avance, 16, 12 16, 12 Refus des acclamations et de toute autre flatterie, 16, 13

13

C’est ce que P. Hadot (éd.), Marcus Aurelius, p. clvi-clx, analyse (après F. Martinazzoli, La Successio di Marco Aurelio, p. 51) comme la « dialectique des vertus », dans une perspective aristotélicienne.

Marc Aurèle et la Mémoire d’Antonin le Pieux QUALITÉS Souci constant des intérêts de l’Etat, gestion économe des revenus publics, acceptation des critiques sur ce point, 16, 14

Sobriété, 16, 15 Fermeté, 16, 15

Usage des biens qui agrémentent la vie de façon à en profiter simplement s’ils étaient disponibles et à s’en passer s’ils étaient indisponibles, 16, 16 Homme d’âge mûr, accompli, insensible à la flatterie, capable d’être à la tête de ses propres affaires aussi bien que de celles des autres, 16, 17 Respect des vrais philosophes, 16, 18 Affabilité et gaieté modérée, 16, 19 Soin mesuré du corps pour avoir une bonne santé, 16, 20 Effacement modeste devant ceux qui possédaient un savoir-faire (éloquence, connaissance des lois) et effort pour que chacun soit honoré en fonction de sa compétence particulière, 16, 21 ; Conformité discrète aux coutumes des ancêtres, 16, 21 Plaisir de passer son temps aux mêmes affaires et aux mêmes endroits, 16, 22 Reprise immédiate et énergique de son travail après de violentes migraines, 16, 23

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ABSENCES DE DÉFAUTS

Absence de superstition envers les dieux et de démagogie ou d’obséquiosité par rapport aux hommes, 16, 15

Rejet de la grossièreté et de l’innovation systématique, 16, 15 Sans orgueil (ἀτύφως) ni détour, 16, 16

Impossible de le traiter de sophiste, d’esclave ou de cérébral, 16, 17

Sans se laisser abuser par les faux philosophes ni les outrager, 16, 18 Pas à la façon d’un bon vivant, d’un coquet ou d’un négligé, 16, 20

Peu de secrets, sauf sur les affaires d’Etat, 16, 24

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Chapter 4

(cont.) QUALITÉS

ABSENCES DE DÉFAUTS

Prudence et mesure dans la célébration des Et non soucieux de la gloire qu’il en fêtes, la réalisation de travaux, les distributions tirera, 16, 25 et autres actions semblables, en homme uniquement soucieux de ce qu’il doit faire, 16, 25 Ne prenait pas de bains à des heures indues, n’avait pas la folie des constructions, ne chicanait pas sur la nourriture, les tissus ou les couleurs de ses vêtements ou l’âge de ses gens, 16, 26 Référence à ses maisons de campagne à Laurium et à Lanuvium, 16, 27 Son comportement avec un percepteur de Tusculum qui cherchait des excuses, 16, 28 Organisation, ordre et harmonie de ses Son caractère exempt de dureté, actions, 16, 29 d’inflexibilité, de précipitation, 16, 29 Semblable à Socrate qui savait aussi bien se priver que jouir de ces biens dont la privation fortifie mais dont la jouissance amollit la plupart des gens, 16, 30 Force, endurance et modération qui étaient le fait d’une âme parfaite et invincible, τὸ δὲ ἰσχύειν καὶ ἔτι καρτερεῖν καὶ ἐννήφειν ἑκατέρῳ ἀνδρός ἐστιν ἄρτιον καὶ ἀήττητον ψυχὴν ἔχοντος, 16, 30.

A ce tableau, il faut ajouter le court portrait fait par Marc Aurèle en i, 17, 5 pour remercier les dieux : d’« avoir été soumis à un prince, mon père, qui devait me libérer de tout orgueil (ὃς ἔµελλε πάντα τὸν τῦφον ἀφαιρήσειν µου) et me faire découvrir qu’il est possible de vivre à la cour sans avoir besoin de la protection de gardes du corps, ni d’habits qui attirent l’attention, ni de tous ces flambeaux et statues, ni du faste de cette sorte, mais que l’on peut très bien se restreindre à un genre de vie très proche de celui d’un particulier, sans avoir pour cela moins de dignité

Marc Aurèle et la Mémoire d’Antonin le Pieux

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et de zèle pour se consacrer comme un souverain à ce qui doit être fait pour le bien public » (trad. P. Hadot). Quelle est donc la fonction du portrait d’Antonin dans le livre i ? Le défunt prince y apparaît comme un « modèle vivant », selon l’expression employée par Marc Aurèle plus tôt dans le livre i à propos d’Apollonios de Chalcédoine14. Marc Aurèle pratique ici une ascèse fondée sur deux idées  :  la première est qu’on devient sage en imitant un modèle concret, en action ; la seconde est que les principes acquis doivent être ravivés par le souvenir et qu’il faut donc se remémorer régulièrement le modèle15. Le second portrait d’Antonin est inclus dans le livre vi, qui est notamment concerné par les devoirs inhérents au principat et par la vie à la cour, les plaisirs et l’orgueil16, la patience qu’il faut avoir avec les hommes17. Marc Aurèle y trace le portrait d’Antonin après s’être exhorté, dans une formule saisissante, à ne pas « devenir un César », ne pas « se laisser imprégner18 » : Τήρησον οὖν σεαυτὸν ἁπλοῦν, ἀγαθόν, ἀκέραιον, σεµνόν, ἄκοµψον, τοῦ δικαίου φίλον, θεοσεβῆ, εὐµενῆ, φιλόστοργον, ἐρρωµένον πρὸς τὰ πρέποντα ἔργα. Ἀγώνισαι, ἵνα τοιοῦτος συµµείνῃς, οἷόν σε ἠθέλησε ποιῆσαι φιλοσοφία. Αἰδοῦ θεούς, σῷζε ἀνθρώπους. βραχὺς ὁ βίος· εἷς καρπὸς τῆς ἐπιγείου ζωῆς, διάθεσις ὁσία καὶ πράξεις κοινωνικαί. Πάντα ὡς Ἀντωνίνου µαθητής· τὸ ὑπὲρ τῶν κατὰ λόγον πρασσοµένων εὔτονον ἐκείνου καὶ τὸ ὁµαλὲς πανταχοῦ καὶ τὸ ὅσιον καὶ τὸ εὔδιον τοῦ προσώπου καὶ τὸ µειλίχιον καὶ τὸ ἀκενόδοξον καὶ 14 15

16 17 18

L’idée qu’on apprend en imitant les sages se retrouve ailleurs dans les Ecrits : iv, 38 ; xi, 21. Voir aussi Marc Aurèle, vii, 2  :  Ζῇ τὰ δόγµατα … ἐὰν µὴ αἱ κατάλληλοι αὐτοῖς φαντασίαι σβεσθῶσιν, ἃς διηνεκῶς ἀναζωπυρεῖν ἐπὶ σοί ἐστιν ; δύναµαι περὶ τούτου ὃ δεῖ ὑπολαµβάνειν· εἰ δύναµαι, τί ταράσσοµαι ; τὰ ἔξω τῆς ἐµῆς διανοίας οὐδὲν ὅλως πρὸς τὴν ἐµὴν διάνοιαν. Τοῦτο µάθε καὶ ὀρθὸς εἶ. ἀναβιῶναί σοι ἔξεστιν· ἴδε πάλιν τὰ πράγµατα, ὡς ἑώρας· ἐν τούτῳ γὰρ τὸ ἀναβιῶναι, « Les principes vivent … à moins que les représentations qui leur correspondent ne s’éteignent, représentations qu’il dépend de toi de réveiller continuellement. J’ai le pouvoir d’avoir une opinion sur ce qui est à faire. Si j’en ai le pouvoir, pourquoi me troubler ? Les choses extérieures à mon esprit ne sont absolument rien par rapport à mon esprit. Comprends le bien, sois sensé ; tu peux revivre. Vois à nouveau les choses comme tu les voyais ; car c’est cela revivre », trad. E. Bréhier, Les Stoïciens, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1962, légèrement modifiée. L’exercice auquel se livre Marc Aurèle dans l’ensemble du livre i, à savoir se remémorer les vertus de ses proches, a aussi deux autres fonctions expliquées au livre vi, 48 : se réjouir par l’image des vertus dans les caractères de nos compagnons ; et au livre ix, 21 : se préparer à la mort, l’ultime transformation, en se remémorant les transformations du passé (l’existence auprès de son grand-père, puis de sa mère, puis d’Antonin). Marc Aurèle, vi, 13 et 16. Marc Aurèle, vi, 20, 22, 23, 50, 55. Marc Aurèle, vi, 30 : Ὅρα µὴ ἀποκαισαρωθῇς, µὴ βαφῇς· γίνεται γάρ.

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τὸ περὶ τὴν κατάληψιν τῶν πραγµάτων φιλότιµον· καὶ ὡς ἐκεῖνος οὐκ ἄν τι ὅλως παρῆκε, µὴ πρότερον εὖ µάλα κατιδὼν καὶ σαφῶς νοήσας· καὶ ὡς ἔφερεν ἐκεῖνος τοὺς ἀδίκως αὐτῷ µεµφοµένους µὴ ἀντιµεµφόµενος· καὶ ὡς ἐπ’ οὐδὲν ἔσπευδεν· καὶ ὡς διαβολὰς οὐκ ἐδέχετο· καὶ ὡς ἀκριβὴς ἦν ἐξεταστὴς ἠθῶν καὶ πράξεων καὶ οὐκ ὀνειδιστής, οὐ ψοφοδεής, οὐχ ὑπόπτης, οὐ σοφιστής· καὶ ὡς ὀλίγοις ὀνειδιστής, οὐ ψοφοδεής, οὐχ ὑπόπτης, οὐ σοφιστής· καὶ ὡς ὀλίγοις ἀρκούµενος, οἷον οἰκήσει, στρωµνῇ, ἐσθῆτι, τροφῇ, ὑπηρεσίᾳ· καὶ ὡς φιλόπονος καὶ µακρόθυµος· καὶ οἷος µέν ἐν τῷ µέχρι ἑσπέρας διὰ τὴν λιτὴν δίαιταν µηδὲ τοῦ ἀποκρίνειν τὰ περιττώµατα παρὰ τὴν συνήθη ὥραν χρῄζων· καὶ τὸ βέβαιον καὶ ὅµοιον ἐν ταῖς φιλίαις αὐτοῦ· καὶ τὸ ἀνέχεσθαι ἀντιβαινόντων παρρησιαστικῶς ταῖς γνώµαις αὐτοῦ καὶ χαίρειν εἴ τίς δεικνύοι κρεῖττον· καὶ ὡς θεοσεβὴς χωρὶς δεισιδαιµονίας· ἵν’ οὕτως εὐσυν ειδήτῳ σοι ἐπιστῇ ἡ τελευταία ὥρα ὡς ἐκείνῳ. Reste simple, bon, pur, grave, naturel, ami de la justice, pieux, bienveillant, amical, résolu à agir comme il convient. Lutte pour rester tel que la philosophie a voulu te faire. Respecte les dieux, sauve les hommes. La vie est courte ; et le seul fruit de notre vie sur terre, c’est une pieuse disposition et une activité utile à la société. Agis en tout comme le disciple d’Antonin : vois son effort pour conformer ses actes à la raison, son égalité en toutes choses, sa piété, sa physionomie calme, sa douceur, son mépris d’une vaine réputation, son désir de saisir les réalités ; il n’aurait rien laissé passer, sans en avoir d’abord une vue nette et une idée claire ; il supportait les reproches injustes, sans y répondre par des reproches ; il ne mettait de hâte en rien ; il n’admettait pas les calomnies, mais il appréciait avec exactitude les caractères et les actes. Il n’était ni injurieux ni poltron ni soupçonneux ni phraseur ; il se contentait de peu pour son habitation, ses couvertures, son vêtement, sa nourriture et son service ; il était laborieux et patient ; grâce à la simplicité de son régime, il pouvait rester jusqu’au soir, sans même avoir besoin de rendre les résidus de ses aliments en dehors de l’heure habituelle ; il était sûr et constant dans ses amitiés ; il supportait qu’on s’opposât en toute franchise à ses opinions et il était content si on lui montrait un meilleur parti ; il était pieux sans superstition ; puisse la dernière heure survenir pour toi avec une conscience aussi bonne que la sienne.19 Ce second portrait est très proche de celui du livre i sur le plan des idées. Il confirme le fait que Marc Aurèle entretenait avec Antonin une relation de disciple à maître, basée sur l’imitation, qu’il s’était constitué une image fixe de son 19

Marc Aurèle, vi, 30, trad. E. Bréhier, légèrement modifiée.

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père adoptif, peut-être justement en la mettant par écrit, et qu’il la convoquait comme modèle de bon roi. a Des miroirs au prince ? Dans quelle mesure ces portraits insérés dans des Ecrits à caractère privé sontils comparables à des miroirs au prince comme ceux qui ont été composés par Sénèque, par Dion de Pruse et par Pline le Jeune, ou bien aux éloges rhétoriques qui présentent des règles de composition et des critères de jugement moraux et politiques plus ou moins fixés20 ? Le genre rhétorique de l’éloge au prince était sans aucun doute parfaitement maîtrisé par Marc Aurèle. La correspondance entre celui-ci et Fronton montre en effet que l’élaboration des éloges de l’empereur a fait partie de son apprentissage du métier de princeps. On a ainsi des exemples où le jeune Marc Aurèle peine à composer son Caesaris oratio – probablement un éloge en remerciement pour le titre de César qu’Antonin lui a conféré en 13921 – et où il demande de l’aide à Fronton pour trouver une image afin de louer Antonin22. L’exercice était difficile car, en dépit du fait que ce type d’éloge était courant, on attendait des choses neuves, susceptibles de faire admirer l’ingéniosité du laudateur23. Il répondait à des critères rhétoriques qui sont évoqués par Marc Aurèle pour apprécier un basilikos logos composé par Fronton24, même si, à cette époque, le genre de l’éloge du prince n’est sans doute pas encore aussi fixe qu’il l’apparaît chez Ménandre ii, à la fin du iiie siècle. A la lecture des lettres de Fronton, on constate combien les occasions de prononcer un tel discours étaient fréquentes, notamment lors des actiones gratiarum, pour remercier le prince d’avoir donné une charge ou bien un titre25 ; Marc Aurèle a aussi prononcé, avec Lucius Vérus, l’éloge funèbre de son père adoptif. Ces discours d’éloge 20

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Quintilien, iii, 7, 10–18 ; infra, c. 6. Voir L. Pernot, « Marco Aurelio e il basilikos logos : per una nuova ipotesi sull’orizzonte dei Pensieri », asnp, s. 4, 5, 2, 2000, p. 501–521 ; id., « Miroir d’un prince par lui-même : les Pensées de Marc Aurèle », dans I. Cogitore et F. Goyet (éd.), L’Eloge du prince, de l’Antiquité au temps des Lumières, Grenoble, 2003, p. 91–104. Comme le suggère C. R. Haines (éd.), Ep. Graec., 6. Aur., iii, 7 ; iii, 8 Van den Hout. Ant., 2 Van den Hout (Antonin remercie Fronton pour un éloge particulièrement réussi). Voir supra, c. 3, sur le Panégyrique de Pline. A partir des pensées, de l’arrangement des mots, des qualités du style, de la diction et de l’habileté : Aur., ii, 6 Van den Hout. Amic., i, 3 (nombreux éloges d’Hadrien composés par Fronton) ; Ep. Graec., 1 ; 6 ; Ant., 2 ; Aur., ii, 5, 3 ; ii, 6 ; v, 38 et 39 ; Ant., ii, 2 Van den Hout ; la plupart des occasions pour lesquelles l’éloge est composé ne sont pas précisées dans les lettres. Voir L.  Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 77, sur les occasions de prononcer un basilikos logos, p. 616–620 sur le système social de la célébration.

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Chapter 4

tenus devant le Sénat ou le peuple, comme on l’a déjà vu, fixaient publiquement le portrait du bon prince et constituaient un canal important par lequel les vertus impériales s’officialisaient. Ils ont constitué pour Marc Aurèle une source de réflexion sur les vertus du prince  :  dans une lettre à l’empereur Marc Aurèle26, Fronton se réjouit que celui-ci relise et étudie les éloges d’Antonin qu’il avait prononcés quand il avait été désigné consul pour 143 et en revêtant sa charge ; le second éloge est donc l’équivalent du Panégyrique de Pline pour Trajan, mais il n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous. L’orateur affirme que l’admiration de Marc Aurèle portait sur la vertu et les actions de son père, et non sur les mots employés pour louer. Dans une autre lettre datant du début du règne de Marc Aurèle, Fronton énumère rapidement les qualités d’Antonin : pater uester, diuinus ille uir, prouidentia, pudicitia, frugalitate, innocentia, pietate, sanctimonia omnis omnium principum uirtutes supergressus, « votre père, cet homme divin, surpassant en prévoyance, en pudeur, en sobriété, en intégrité, en piété, en probité, toutes les qualités de tous les princes »27. Il s’agit de vertus très proches de celles qui sont soulignées dans les portraits des Ecrits, ce qui suggère également que Marc Aurèle a construit son image d’Antonin en se nourrissant des éloges du prince qu’il a entendus ou lus et qu’il a lui-même composés. Fronton était chargé en particulier d’enseigner l’éloquence politique au jeune prince : il démontre à plusieurs reprises dans sa correspondance la nécessité pour un empereur de maîtriser l’art oratoire, pour gagner l’affection du peuple et du Sénat, pour commander l’armée, pour les relations avec les provinces et pour la diplomatie avec les rois, aussi bien dans les discours que dans les lettres et les documents à valeur législative. Il défend l’idéal cicéronien du princeps-orateur, en assimilant éloquence, art du commandement, souveraineté28. Sa position rappelle l’exemple d’Hadrien qui avait acquis une grande

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Ant., ii, 2, datée par M. P. J. Van den Hout de 162–163. De Fer. Als., 3, 5 Van den Hout. De Eloquentia, ii, 6 Van den Hout : « En effet, il revient aux empereurs de soutenir au Sénat des décisions utiles, de haranguer le peuple à propos de diverses affaires, de redresser une loi injuste, d’envoyer des lettres à travers le monde, de s’adresser aux rois des nations extérieures à l’Empire, de réprimer par des édits les fautes des alliés, de louer leurs bonnes actions, d’arrêter les séditieux, d’épouvanter les fougueux. Toutes ces choses doivent assurément être menées avec des mots et des lettres. Ne cultiveras-tu pas ce qui, selon ton opinion, te sera d’une grande utilité si souvent pour des affaires importantes ? », trad. P. Fleury. Voir aussi Ant., i, 2, 7 Van den Hout (l’éloquence comme moyen de gagner l’affection du peuple et du sénat) ; Ver., ii Van den Hout, lettre datée de 164, après la victoire en Arménie (sur l’importance de l’éloquence pour un général et un princeps, part. § 10 sur l’éloquence des Césars ; 12–25 sur le rapport entre éloquence et imperium), cf.

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virtuosité pour l’éloquence latine29. Hadrien dictait lui-même ses discours, parmi lesquels on peut mentionner les éloges funèbres de Matidie et de Plotine, ainsi que des allocutions militaires qui constituent un thème bien mis en évidence sur son monnayage30. Marc Aurèle, comme l’a montré E.  Champlin, ne s’est pas brutalement « converti » à la philosophie vers 14631. En dépit des problèmes liés à la datation des lettres de la correspondance, on peut déduire de celles-ci qu’il s’est écarté un temps de l’éloquence, qu’il éprouvait des réticences en raison de l’orgueil que les succès oratoires procurent à l’orateur talentueux, mais, même dans des lettres datées de son règne, il continue de réclamer à Fronton des conseils de lecture adaptés à l’éloquence politique32. Néanmoins, les portraits d’Antonin ne contiennent aucune remarque sur l’éloquence de l’empereur : Marc Aurèle a privilégié le modèle du philosophe-roi, alors même qu’il aurait eu, lui, le choix entre les deux modèles, si l’on en croit les jugements de Fronton, de Dion Cassius et d’Hérodien sur sa maîtrise de la rhétorique33.

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Cicéron, de Orat., i, 202. Dans la lettre Ant. de Or., 13 Van den Hout, Fronton critique les mots ampoulés et les tournures alambiquées d’un édit de Marc Aurèle : l’importance de l’expression juste prend tout son sens puisque l’empereur est source du droit. Dans la lettre De Eloquentia, ii, 12 Van den Hout, Fronton affirme que toute l’éloquence, tout le bruit du comitium, des rostres et des tribunaux ne dépendent que de Marc Aurèle, ce qui montre bien que l’éloquence politique est désormais entre les mains du princeps. Sur les rapports entre éloquence et Empire chez Fronton, voir E. Champlin, Fronto, p. 122–128. sha, Hadr., 3, 1 : alors qu’il était questeur d’Auguste en 101, chargé de prononcer les discours de Trajan, Hadrien aurait été moqué par les sénateurs à cause de son accent espagnol. Il se serait ensuite entraîné jusqu’à devenir un virtuose de l’éloquence latine. Même si l’on peut s’interroger sur l’authenticité de l’anecdote, elle montre en tout cas l’importance d’être un bon orateur au Sénat. sha, Hadr., 20, 7. Sur l’éloge de Matidie : cil xiv 3579 ; sur celui de Plotine : Dion Cassius, lxix, 10, 31. On a conservé son allocution militaire à Lambèse, ils 2487 et 9133–9135 ; Y. Le Bohec (éd.), Les discours d’Hadrien à l’armée d’Afrique, p. 79–116 ; R. W. Davies, “Fronto, Hadrian and the Roman Army”, Latomus, 27, 1968, p. 75–85. Charisius, i, 222, 21, connaissait une collection de 12 livres de discours d’Hadrien. E. Champlin, Fronto, p. 121–122. Voir aussi G. Cortassa (éd.), Marco Aurelio, Scritti. Lettere a Frontone, Pensieri, Documenti, Torino, 1984, p. 19–25, sur les relations entre Fronton et Marc Aurèle. Le schéma de la conversion est un lieu commun de l’époque impériale dont il faut se méfier (l’itinéraire intellectuel de Dion de Pruse a été aussi interprété selon ce schéma par Synésios de Cyrène). Voir notamment Ant., i, 2 Van den Hout part. § 2, sur son éloignement temporaire de l’art oratoire ; De Eloquentia, ii, 9 Van den Hout, sur l’orgueil procuré par l’éloquence ; Ant., i, 3 et iii, 8 Van den Hout pour les conseils de lecture. Pour Fronton, voir par exemple les discours De Eloquentia  ; Dion Cassius, lxxi, 1, 2  ; Hérodien, 2.

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On peut dégager plusieurs similitudes précises entre le Panégyrique de Pline, dont on a déjà souligné le caractère rhétorique, le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse et les portraits d’Antonin34. Elles concernent l’attachement du bon prince au bien commun ; la mise en relief de la notion de labeur ; l’importance des amis, en particulier l’attachement et le respect pour ceux-ci, la liberté qui leur est laissée ; l’insensibilité à la flatterie ; la simplicité, le fait de mener une vie proche de celle d’un particulier qui rappelle la notion de priuatus dans le Panégyrique35. L’éloge de Pline et les Ecrits ont aussi comme thèmes communs la méritocratie et la reconnaissance par le bon empereur du mérite des autres36. Ces thèmes étaient représentés sur le Forum de Trajan, sur lequel étaient donnés comme repères et modèles, à côté d’une « généalogie mythique » de bons princes, des chefs militaires et des hauts dignitaires de l’administration. La simplicité, le refus d’être flatté et l’entourage d’amis loyaux et avisés sont en particulier des caractéristiques notables de Trajan chez Pline et Dion de Pruse. Marc Aurèle fait précisément référence aux comites qui voyageaient avec l’empereur, dont le rôle paraît s’être développé sous son règne37. Sur plusieurs scènes de la colonne aurélienne, l’empereur est ainsi accompagné de deux conseillers38. Ces analogies suggèrent une influence certaine des miroirs au prince de la fin du ier siècle, et notamment du Panégyrique, sur l’idéal du bon prince dont avait hérité Marc Aurèle. Cela n’a rien d’étonnant, car l’étude de R. FreiStolba sur les titulatures impériales non-officielles a fait apparaître la diffusion du modèle de l’optimus princeps et sa permanence sous le règne de Marc Aurèle, avec des formules comme omnes omnium ante se principum uirtutes supergressus, omnium uirtutum exsuperantissimo, pleno omnium uirtutum principi, uirtute… cunctos retro principes supergresso39. Mais, sur chacun des points

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R. B.  Rutherford, The Meditations, p.  112–115, a aussi relevé les analogies entre le Panégyrique et le portrait d’Antonin au livre i des Ecrits. Pline, Pan., 59, 5.  Voir supra, c.  3, le relevé des analogies entre Pline le Jeune et Dion de Pruse. Voir supra, c. 3. Le respect pour les autres, la confiance et l’absence de jalousie sont des marques traditionnelles du bon roi, voir G. Barner, Comparantur, p. 15. Marc Aurèle, i, 16, 8 ; sha, Marc., viii, 10 ; voir A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 125. Voir aussi Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 107, au sujet des nombreux « associés au gouvernement » d’Antonin (trad. L. Pernot). Par exemple les scènes xxx-xxxi, Birley fig. 28 ; xlix, Birley fig. 30 ; lxxv, Birley fig. 32 ; lxxx, Birley fig. 34 ; xcviii, Birley fig. 35 ; cx-cxi, Birley fig. 37. Voir R. Frei-Stolba, « Inoffizielle Kaisertitulaturen » ; A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, p. 313, n. 70.

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relevés, le portrait du livre i (le plus long) est naturellement beaucoup moins développé que le Panégyrique, dont on ne retrouve pas l’emphase rhétorique40. Les portraits des Ecrits ont un rôle de support de mémoire, et non d’éloge destiné à fixer pour la postérité les qualités d’Antonin le Pieux. b Les vertus du prince idéal Si les idées présentes dans les deux portraits d’Antonin sont très proches, le vocabulaire (mis à part quelques termes, dont φιλόπονος qui exprime l’amour du travail) n’est pas identique, ni spécifiquement stoïcien : il semble en effet que Marc Aurèle s’intéressait aux idées plus qu’aux mots. On peut retrouver les quatre vertus du canon philosophique classique, le courage, ἀνδρεία, la tempérance, σωφροσύνη, la justice, δικαιοσύνη, et la sagesse, φρονήσις, mais pas sous ce vocabulaire traditionnel : ces quatre vertus sont exprimées dans leur exercice, par des comportements d’Antonin. La justice apparaît sous sa définition stoïcienne, comme la répartition selon le mérite de chacun41. La sagesse est présente dans la capacité de discerner ce qui est bien et ce qui est mal, selon une définition qui est également stoïcienne42. Mais Marc Aurèle insiste surtout sur les moyens mis en œuvre pour y parvenir, les scrupules et le travail accompli. La maîtrise de soi est largement soulignée non seulement par la retenue morale, la frugalité, la sobriété d’Antonin, mais aussi, de manière très concrète, par le soin qu’il avait de son corps et par sa capacité à le contrôler. Le caractère dense des portraits souligne en effet la place importante qui est accordée au corps dans ses différents aspects : la sexualité, l’hygiène, la santé, la physionomie, les vêtements, la nourriture43. Le corps d’Antonin traduit l’idéal civique romain exprimé par Cicéron dans le De officiis : c’est celui de la dignitas 40 41

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R. B. Rutherford, The Meditations, p. 112–115, attire l’attention sur la mise en avant de l’individuel et la forme de présentation très différente des éloges rhétoriques. Marc Aurèle, i, 16, 5 ; voir svf, iii, 125, 262–263 et 266 ; P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. 33 n. 4. C’est cette justice, fondant une méritocratie idéale en permettant à tous les habitants de l’Empire de participer à son gouvernement s’ils en sont capables, que loue Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 60. Marc Aurèle, i, 16, 18, 29. Pour la définition de la phronèsis, voir l’index de A. Bonhöffer, Die Ethik des Stoikers Epiktet, Stuttgart, 1968 (1894), p. 68. Marc Aurèle, i, 16, 7 : « avoir mis fin aux amours pour les adolescents » ; 20 : « et le soin qu’il avait de son propre corps, avec mesure, non pas comme un homme qui aime vivre ni comme quelqu’un qui veut paraître beau, ni non plus en se négligeant, mais de telle manière que, grâce à l’attention qu’il portait à lui-même, il n’eut que très rarement besoin de recourir à l’art médical ou à des drogues ou onguents, à usage interne ou externe » ; 23 : « Et, après les paroxysmes de ses maux de tête, la fraîcheur et la vigueur avec lesquelles il revenait tout de suite à ses tâches habituelles » ; 26 : « quelqu’un qui ne se baignait pas à des heures indues … qui ne faisait pas attention à la qualité des mets, des tissus et des

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uirilis, qui repose sur le principe de mesure appliqué au soin, à la toilette, au costume, aux gestes et aux expressions44. Le visage d’Antonin fait écho à son calme intérieur, ce qui relève de la physiognomonie, science qui, dans l’Antiquité, était appliquée aussi bien au domaine éthique qu’à l’ethnologie45. L’un des principaux objectifs du soin mesuré qui est apporté au corps est la santé, à laquelle la correspondance entre Marc Aurèle et Fronton manifeste aussi une attention particulière, qui était en résonnance avec des préoccupations hygiénistes contemporaines46. Selon un idéal civique romain qui est traditionnel, le corps du bon prince Antonin est un corps en mouvement, engagé dans l’action sociale47. Mais, en mentionnant la capacité d’Antonin à se remettre aussitôt au travail après ses migraines et la façon dont il retenait ses besoins naturels, Marc Aurèle insiste de façon frappante sur l’idée qu’il faut contrôler le corps pour se consacrer à ses devoirs, c’est-à-dire à ses fonctions sociales. Le courage est donc aussi une vertu d’Antonin qui est endurant et surmonte aisément les maux : il s’agit du courage au sens moral, platonicien du terme, et non au sens guerrier48, ce qui correspond au caractère pacifique d’Antonin tel qu’il est souligné par ses contemporains49. Plus généralement,

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couleurs des vêtements ou à la beauté des esclaves » ; i, 17, 5 : « sans avoir besoin … d’habits qui attirent l’attention », trad. P. Hadot, légèrement modifiée ; vi, 30, « sa physionomie calme » ; « il se contentait de peu pour […] ses couvertures, son vêtement, sa nourriture … grâce à la simplicité de son régime, il pouvait rester jusqu’au soir, sans même avoir besoin de rendre les résidus de ses aliments en dehors de l’heure habituelle », trad. E. Bréhier. Voir notamment Cicéron, Off., i, 130–131, où ce type de beauté est opposé à la uenustas muliebris ; cet idéal est exprimé aussi à la fin du i er siècle par Quintilien, viii, Pr. 19–20 ; xi, 3, 137, et par Ovide, Ars, i, 503–522 ; voir C. Baroin, « La beauté du corps masculin dans le monde romain : état de la recherche récente et pistes de réflexion », dans F. Gherchanoc (éd.). L’histoire du corps dans l’Antiquité  :  bilan historiographique, dha, Suppl.  14, Besançon, 2015, p. 31–51, part. p. 32–39. Sur les vêtements du prince, voir V. Huet, « Jeux de vêtements chez Suétone dans les Vies des Julio-Claudiens », dans F. Gherchanoc, V. Huet (éd.), S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Mètis, N. S. 6, 2008, p. 41–56. Voir aussi Sénèque, Ep., 66, 5 : un visage à l’expression maîtrisée (compositus), honnête (probus) relève des biens de la troisième espèce. Voir les remarques de Galien au sujet de la parfaite connaissance qu’avait Marc Aurèle du tempérament de son corps, De Theriaca ad Pisonem, 2, t. xiv, p. 216 Kühn, et du soin qu’il avait de son corps, De Sanitate tuenda, 5, t. vi, p. 406, 4 Kühn. Voir P. MacFarlane, “Health and Disease”, (c. 2), dans D. H. Garrison (éd.), A Cultural History of the Human Body, i, Berg, Oxford, New York, 2010, p. 45–66 ; M. Blonski, Se nettoyer à Rome (iième s. av. J.-C.iième s. ap. J.-C.). Pratiques et enjeux, Paris, 2011. C. Baroin, « La beauté du corps masculin dans le monde romain ». Marc Aurèle, i, 16, 23 et 31. C’est le même sens d’andreia qui est présent chez Musonius, voir supra, c. 2. Voir Fronton, Prémisses de l’histoire, 12 Fleury, sur le caractère pacifique d’Antonin, sous le règne duquel l’armée se serait amollie.

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et de façon plus surprenante à première vue, le courage au sens militaire n’apparaît pas dans les Ecrits, en dépit du contexte des guerres contre les Quades et les Marcomans. Mais ce contexte est très peu présent50, ce qui peut s’expliquer par la nature de l’exercice philosophique qui le tient à distance. En outre, les philosophes stoïciens du premier siècle étaient plutôt hostiles à la guerre51, et il est vraisemblable que ce fut aussi le cas de Marc Aurèle, ce qui justifierait l’absence du courage au sens militaire du terme. Dans une perspective rhétorique et historiographique, Fronton a vanté dans les Principia historiae le courage militaire et les qualités de général de Lucius Vérus, qui est comparé à son avantage à Trajan, peut-être pour rétablir la réputation écornée du co-empereur, que l’Histoire Auguste décrit comme ayant été plus porté aux spectacles et aux plaisirs d’Antioche qu’aux activités de la guerre52. Hérodien a également souligné le courage militaire de Marc Aurèle (associé à la tempérance), et il affirme que d’autres écrivains avant lui l’ont loué en faisant le récit de ses guerres53. Les éloges de l’empereur plus tardifs, dont on trouve les règles de composition chez Ménandre ii, devaient aussi insister sur ce courage militaire, après que l’instabilité politique et les guerres extérieures du iiie siècle eurent démontré la nécessité impérieuse, pour l’empereur, d’être un vrai chef militaire. A côté de ces vertus cardinales apparaît la piété, en particulier dans le portrait du livre vi où le terme ὅσιοs est répété : il désigne, dans les deux cas, la piété d’Antonin envers les dieux, qui est étroitement associée à son attitude envers les hommes, ce qui renvoie à la conception stoïcienne du cosmos comme une communauté universelle des dieux et des hommes ; l’homme pieux imite

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A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 214–218, cherche longuement les échos de la guerre dans les Ecrits et les trouve dans certaines images et comparaisons. Voir supra, et H. Sidebottom, “Philosophers’ Attitudes to Warfare under the Principate”. Il est difficile d’interpréter les Prémisses de l’histoire dont le texte est corrompu. Ce projet, réalisé sous le strict contrôle de Marc Aurèle, est présenté ainsi par Fronton au premier paragraphe  :  «  pour les grandes actions accomplies par ton frère, l’histoire écrite de façon méditée et scrupuleusement est destinée à accroître quelque peu la sympathie qu’il inspire et sa réputation », trad. P. Fleury. Voir N. Méthy, « Une critique de l’optimus princeps : Trajan dans les Principia historiae de Fronton », mh, 60, 2003, p. 105–123. Il est intéressant de noter, après R. B. Rutherford, The Meditations, p. 113, que Fronton applique le principe rhétorique (que l’on trouve aussi dans le Panégyrique de Pline) selon lequel on loue une personne en la déclarant supérieure à des exemples illustres du passé – ici Trajan et Hadrien auxquels Lucius Vérus est comparé – ce que ne fait pas Marc Aurèle dans ses Ecrits. Sur les critiques des ambitions militaires de Trajan, voir M. A. Speidel, « Bellicosissimus Princeps », p. 29–31. Hérodien, i, 4.

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les dieux en agissant pour le bien commun54. Le terme ὅσιος pouvait posséder une résonance morale plus forte que la notion d’εὐσέβεια, qui renvoyait au respect des dieux et des rites : il « définit la situation de l’homme par rapport aux dieux… [et] désigne ce qui est permis, recommandé aux hommes par les dieux »55. Les deux portraits insistent sur l’objectif du bien commun poursuivi par l’empereur. Cet objectif est stoïcien, la même recherche caractérise le sage chez Epictète56. Il englobe la philanthrôpia traditionnellement propre au bon roi. La grande simplicité d’Antonin, qui est une forme de ciuilitas, lui est aussi liée. L’empereur est caractérisé par une attitude de refus ou d’indifférence à l’égard des honneurs, de la gloire, de toutes formes d’ostentation exprimée par les vêtements et le faste57. Son image est ainsi à l’opposé d’une conception hellénistique du pouvoir utilisant le τῦφος, l’apparat qui conférait une dignité supérieure au prince : « on peut très bien se restreindre à un genre de vie très proche de celui d’un particulier, sans avoir pour cela moins de dignité et de zèle pour se consacrer comme un souverain à ce qui doit être fait pour le bien public »58. Marc Aurèle rejette le caractère « tragique » des rois hellénistiques59, et souligne l’attachement de son père aux traditions romaines60. En cela, il 54

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Sur le lien entre la piété et l’arètè, voir supra le portrait du bon roi chez Dion de Pruse, dans lequel on retrouve, exprimée de manière beaucoup plus nette, la relation triangulaire entre les dieux, le roi et ses sujets. Chez Marc Aurèle vi, 30 en particulier, la διάθεσις ὁσία et les πράξεις κοινωνικαί constituent une seule et même chose. L’idée que le bon empereur doit imiter les dieux est présente chez Marc Aurèle, vi, 13 (passage cité infra). P. Chantraine, delg, p. 802, qui renvoie pour la nuance de sens au début de l’Eutyphron de Platon. Naturellement, le sens du terme a dû évoluer dans le temps, mais la définition de P. Chantraine se prête à l’emploi du mot par Marc Aurèle. Marc Aurèle, i, 16, 8 ; vi, 30, « les actions communes ». Voir P. Hadot, Introduction aux «  Pensées  », p.  137 et 337  ; J.  M. Schulte, Speculum Regis, p.  240–244. Voir aussi chez Sénèque, supra, c. 1. Marc Aurèle, i, 16, 2, 13, 16, 17, 21, 25 ; 17, 5 ; vi, 30. Marc Aurèle, i, 17, 5, trad. P. Hadot. Cf. sha, Ant., 6, 4 : « Il réduisit la pompe impériale à la plus extrême simplicité, ce qui accrut son prestige », trad. A. Chastagnol. Marc Aurèle, ix, 29 : « Eh bien maintenant, cite-moi Alexandre, Philippe et Démétrios de Phalère. On verra, s’ils ont bien su ce que veut la nature universelle, s’ils se sont instruits eux-mêmes ; mais s’ils ont joué un rôle de tragédie, rien ne me condamne à les imiter. La manière d’agir de la philosophie est simple et consciencieuse ; ne me pousse pas à la vanité », trad. E. Bréhier. Cf. i, 16, 12 : la gestion du pouvoir d’Antonin est ἀτραγῴδως. Sur les « rois de tragédie », expression désignant les successeurs d’Alexandre caractérisés par l’hubris et par un destin funeste, voir Plutarque, Demetr., 41–42 ; Entretiens, iv, 2, 10 (voir Télès, Peri autarkeias, fr. 2, 5, p. 134 éd. P. P. Fuentes González, Les diatribes de Télès, Paris, 1998) ; voir aussi la mort d’Auguste selon Suétone, Aug., 99, 1 : le prince serait mort en demandant à ses amis s’il avait bien joué le mimum uitae. Marc Aurèle, i, 16, 21 ; cf. i, 16, 15 pour le rejet des innovations.

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rejoint la position de Musonius et, par devers elle, la réflexion de Cicéron sur le decorum dans le De Officiis61. Tout en mentionnant la piété de l’empereur, les portraits n’évoquent pas son rôle de représentant des dieux sur terre. Il ne l’est pas davantage que les autres hommes, dans la mesure où il a été placé sur terre pour remplir le rôle social que les dieux lui ont assigné, selon la conception stoïcienne traditionnelle. Le bon prince Antonin ne bénéficie d’aucune supériorité charismatique, ni de la pléthore des vertus qui rendait Trajan unique dans le Panégyrique, et en cela son image diffère de celle de l’optimus princeps : tant il est caractérisé par sa simplicité, sa modestie – le portrait du livre i souligne son absence d’orgueil, τῦφοs62 – et par sa profonde humanité63. Comme l’a souligné N. Méthy64, il n’existe pas de distinction entre des qualités qui seraient propres à l’empereur et d’autres qui seraient propres à l’homme. On retrouve l’importance des anecdotes65, omniprésentes dans les biographies de Plutarque et de Suétone pour révéler les mœurs et le caractère d’un homme politique. Le champ politique et le champ moral étant intrinsèquement liés, la valeur du dirigeant repose en grande partie sur ses mœurs et ses vertus individuelles. Le portrait d’Antonin est donc un portrait individuel : même s’il évoque un modèle, il représente avant tout un homme. Le bon roi, dans les Ecrits, est d’abord un homme bon, et son image repose sur l’idée platonicienne du philosophe-roi : un homme sage sera nécessairement un bon roi66. Les portraits des Ecrits se distinguent donc aussi des miroirs au roi dans le sens où il s’agit non pas d’éduquer un prince, mais d’exercer un homme qui doit devenir sage pour être un bon roi67.

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Voir supra. Marc Aurèle, i, 16, 16 ; 17, 5. Ce n’est pas le cas chez Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 32–33. N. Méthy, «  Un empereur trace sa propre image au second siècle de notre ère  :  le cas de Marc-Aurèle  », Imperium Romanum. Images romaines du pouvoir, textes réunis et présentés par A. Balland et Cl.-G. Dubois, Bordeaux, 1994, p. 91–103, part. p. 97–98 ; J. M. Schulte, Speculum Regis, p. 237–240. Plusieurs allusions très concrètes du premier portrait sont indéchiffrables pour nous : celles aux propriétés d’Antonin à Lorium, à l’Ouest de Rome, et à Lanuvium au sud du lac d’Albano (i, 16, 27), à sa confrontation avec le percepteur des impôts à Tusculum, et la mort de Maximus, peut-être Claudius Maximus (i, 16, 31). L’idée que le philosophe qui sait se gouverner lui-même sait nécessairement gouverner les autres est aussi exprimée à la fin du ier siècle par Dion de Pruse, Or. xlix, 3 ; cf. Marc Aurèle, i, 10, 8 ; sha, Marc., 27, 7 : « Il avait toujours à la bouche cette maxime de Platon, qui affirmait que les cités florissantes étaient celles où les philosophes étaient rois ou les rois philosophes », trad. A. Chastagnol. Voir par exemple Marc Aurèle, ii, 5 : « A toute heure du jour songe gravement, comme Romain et homme, à faire ce qui t’incombe avec le sérieux d’un homme exact et simple,

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Ces portraits sont complexes ; ils renvoient à la fois au sage stoïcien et au bon administrateur du pouvoir impérial, qu’ils font fusionner. Antonin est une figure de sage stoïcien par son endurance, sa sérénité, son autarcie, sa fermeté et sa maîtrise de soi68. Mais ces vertus philosophiques sont appliquées à la gestion du pouvoir, dans laquelle Marc Aurèle souligne la fermeté et la capacité d’organisation d’Antonin. Marc Aurèle pense ainsi en praticien du pouvoir et introduit du pragmatisme dans sa vision philosophique, ce qui fait également l’originalité des portraits d’Antonin par rapport au bon roi de Sénèque, de Musonius et de Dion, et le rapproche du bon prince de Pline. L’intériorisation du modèle d’Antonin : une solution à l’aporie d’Epictète sur le bon roi Les descriptions sont donc concrètes, même si elles n’entrent pas dans les détails, et semblent fondées, dans une certaine mesure, sur des pratiques et un comportement bien réel. En effet, elles correspondent à ce qu’on connaît d’Antonin par l’Histoire Auguste, dont rien n’indique que l’auteur ait lu les Ecrits puisque la première référence certaine à ce texte se trouve dans une lettre d’Aréthas en 90769. Il faut cependant préciser qu’on ne saurait en être sûr : les analogies pourraient s’expliquer, aussi, par la connaissance que l’auteur de l’Histoire Auguste avait des Ecrits. Ces descriptions concordent aussi avec ce que l’on sait de Marc Aurèle par la même source, et par les témoignages de Dion Cassius, d’Hérodien, ainsi que par la correspondance aussi bien privée qu’officielle de l’empereur. Les parallélismes entre les portraits des Ecrits et les descriptions d’Antonin et de Marc Aurèle dans l’Histoire Auguste et ailleurs ont été relevés de manière c

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avec tendresse aussi et libéralité, avec justice enfin, en donnant congé à toutes les autres pensées. Tu y arriveras si tu fais chacun de tes actes comme si c’était le dernier de ta vie, en le dépouillant de toute vanité, de toute passion qui l’écarterait de la droite raison, de toute feinte, de tout amour-propre, de tout mécontentement contre la part que t’a attribuée le sort » ; viii, 5 : « D’abord, ne te trouble pas ; car tout est conforme à la nature de l’univers ; dans peu de temps, tu ne seras rien nulle part, non moins qu’Hadrien ou Auguste. Ensuite tourne ton regard vers la réalité, vois-la bien, souviens-toi que tu dois être un homme de bien, avec l’acte qu’exige la nature humaine, fais-le immédiatement en te disant qu’il t’apparaît comme le plus juste ; seulement fais-le avec bienveillance, avec conscience et sans feinte », trad. E. Bréhier. Voir en particulier la fin du premier portrait, i, 16, 30 (avec l’exemple de Socrate) et 31, et les notes 11 à 16, p. 44–46, dans l’édition de P. Hadot. Voir aussi id., Introduction, p. 479– 480  ; sur la présence des trois disciplines de la doctrine stoïcienne, id., La citadelle intérieure, c. 6 à 9 ; L. Pernot, « Marco Aurelio e il basilikos logos », p. 514. Voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. xix.

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exhaustive par R. B. Rutherford et P. Hadot70. Mais il ne sert à rien de chercher une correspondance stricte entre les Ecrits et les actions de l’empereur Marc Aurèle71  :  c’est oublier la véritable nature de ce livre d’ascèse, qui est une sorte de recueil d’exercices rappelant à son auteur ses devoirs et l’aidant à supporter l’existence à la cour. Entre les principes éthiques d’une part, la vie à la cour et la gestion de l’Empire de l’autre, il existait inévitablement des décalages et des contradictions dont Marc Aurèle était bien conscient, mais qui ne l’empêchaient pas de chercher, avant tout, à remplir le rôle social que les dieux lui avaient assigné72. De la même façon, le monnayage de Marc Aurèle fait référence aux vertus du bouclier d’Auguste, alors que dans les Ecrits, les portraits d’Antonin sont structurés par les grandes vertus philosophiques73. Pour s’en tenir, donc, aux grands principes, la gestion scrupuleuse et laborieuse (φιλόπονος) du pouvoir impérial que Marc Aurèle admirait chez Antonin a aussi été la sienne tout au long de son règne : une lettre familière de Fronton, datée du début du règne, reproche à l’empereur en villégiature à Alsium de consacrer ses jours et ses nuits à ses activités judiciaires et de ne pas prendre de loisirs, et la lettre aux Athéniens datée de 174/175 se réfère à sa capacité minutieuse d’organisation74. La notion du bien public lui paraissait si essentielle qu’il avait, selon Dion Cassius, consacré à la bienfaisance (εὑεργεσία) un temple sur le Capitole, dont on ne sait rien75. Marc Aurèle semble s’être efforcé de modeler son comportement à partir des principes qui régissaient celui de son père adoptif, qu’il a servi et conseillé pendant les 22 ans où celui-ci a régné. 70 71

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R. B. Rutherford, The meditations, p. 107–115 ; P. Hadot, (éd.), Marc Aurèle, p. cxvii et clxxix, et dans les notes p. 31–50. Contra G. R. Stanton, « Marcus Aurelius, emperor and philosopher », Historia, 18, p. 570– 587 ; comme le fait remarquer W. Desmond, Philosopher-Kings of Antiquity, London, 2011, p. 109–110, le véritable sage stoïcien (ou cynique) n’aurait pas pu régner, ainsi qu’Epictète le montrait déjà (voir supra). Marc Aurèle, ix, 29 : « Ne t’attends pas à la République de Platon » (le passage est cité intégralement infra). Voir le tableau récapitulatif chez A.  F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, p. 323 : c’est le cas du monnayage d’Hadrien, Antonin et Marc Aurèle. De Fer. Als., 3, 7 Van den Hout ; voir aussi Dion Cassius, lxxi, 6. Lettre aux Athéniens : Marco Aurelio, Scritti, n° 264, § 12 ; voir J. H. Oliver, Marcus Aurelius. Aspects of civic and cultural policy in the East, Hesperia, suppl. xii, 1970, p. 4–9, 11–42 ; C. P. Jones, “A New Letter of Marcus Aurelius to the Athenians”, zpe, 8, 1971, p. 161–183 ; S. Follet, « Lettre de Marc Aurèle aux Athéniens (em 13366) : nouvelles lectures et interprétations », RPh, 53, 1979, p. 29–43. Dion Cassius, lxxii, 34, 3 : « Il passa la plus grande partie de sa vie à pratiquer la bienfaisance. C’est pourquoi, peut-être, il consacra un temple à la Bienfaisance sur le Capitole, en donnant à celle-ci un nom que l’on n’avait jamais entendu auparavant », trad. P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. clxvii.

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La lecture de l’ensemble des Ecrits confirme que ce portrait du bon roi, fondé sur le modèle du philosophe-roi, constitue chez Marc Aurèle un idéal profondément intériorisé, car on en retrouve des éléments dans plusieurs autres passages76. Cette intériorisation à laquelle les Ecrits nous donnent accès de manière unique constitue en soi un phénomène original, car elle est liée aux pratiques philosophiques de l’empereur. Elle repose sur un travail régulier d’ascèse, de remémoration des bons principes et modèles politiques : Une fois fixés ces noms, bon, réservé, véridique, prudent, ouvert, magnanime (ἀγαθός, αἰδήµων, ἀληθής, ἔµφρων, σύµφρων, ὑπέρφρων), tâche de ne pas en changer  ; et si tu les perds, reviens vite à eux. Prudent désigne, souviens-t’en, l’attention minutieuse au détail, qui ne se laisse pas distraire  ; ouvert, l’accueil fait volontiers à ce que nous attribue la nature universelle ; magnanime, l’effort de notre pensée pour surmonter le mouvement, doux ou rude, de la chair, l’opinion, la mort et toutes les autres entraves. Si tu persistes à te nommer toi-même ainsi, sans désirer que les autres te donnent ces noms, tu seras un autre homme et tu entreras dans une vie nouvelle. Car rester tel que tu as été jusqu’à ici, te disperser et te salir dans une vie pareille, c’est par trop de grossièreté et de lâcheté ; tu ressembles à des belluaires à demi dévorés, pleins de blessures et de boue, qui implorent pourtant qu’on les garde jusqu’au lendemain, pour s’exposer tels qu’ils sont aux mêmes griffes et aux mêmes morsures. Transporte-toi donc dans ce petit nombre de noms ; si tu peux y rester, restes-y ; c’est comme si tu avais émigré dans les îles des Bienheureux ; si tu t’aperçois que tu bronches et que tu es à bout de forces, aie le courage d’aller dans un coin où tu te domineras, et même quitte tout à fait la vie, sans colère, simplement, librement, discrètement, ayant fait au moins dans ta vie ce seul acte, la quitter ainsi. Pour te souvenir de ces noms, il te sera d’une grande aide de songer aux dieux et de te souvenir que les dieux ne veulent pas être flattés mais veulent que tous les êtres raisonnables leur ressemblent, que le figuier se comporte en figuier, le chien en chien, l’abeille en abeille, et l’homme en homme77.

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Par exemple, Marc Aurèle, vi, 13 sur le peu de valeur de la nourriture, des vêtements et de la sexualité ; vi, 16 sur le renoncement à la gloire ; vii, 5 et 7, sur l’absence de honte à se faire assister par quelqu’un de plus compétent que soi ; vii, 66 sur Socrate et l’idéal philosophique : être juste avec les hommes, pieux avec les dieux, ne pas être irrité par le vice, ne s’asservir à l’ignorance de personne ni juger son lot étrange ou intolérable, ni exposer son intelligence aux passions charnelles. Marc Aurèle, x, 8, trad. E. Bréhier légèrement modifiée.

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Cet effort continu de construction de soi explique sans doute les critiques des contemporains de Marc Aurèle au sujet de son manque de spontanéité78. Or, le travail d’intériorisation apparaît aussi comme une solution à l’aporie d’Epictète au sujet du bon roi. Les Entretiens, qui rapportent des cours faits par le Stoïcien en 108, ne contiennent pas de modèle du bon roi, comme on l’a vu précédemment79. C’est la figure du tyran qui constitue chez Epictète un exercice d’ascèse utilisé pour s’entraîner à dominer la crainte de la mort et des souffrances, et à maîtriser ses propres représentations80. Marc Aurèle ne développe pas plus qu’Epictète de réflexion abstraite sur le bon roi81, mais celle-ci est remplacée chez lui par un modèle vivant, humain, qui est celui d’Antonin. La figure d’Antonin prouve que le modèle du bon roi est possible, qu’il a existé, et elle permet d’introduire un exercice d’ascèse positive. Cette figure synthétise les principes et les vertus définissant le bon roi, et son évocation permet de raviver ceux-ci et de les tenir présents à l’esprit de l’empereur. Dans cette perspective, les portraits d’Antonin réalisent pleinement l’objectif parénétique des miroirs au prince, tout en évitant de flatter l’orgueil de ce dernier, comme le font les miroirs « embellissants ». d Autres figures et conception du pouvoir La figure du tyran apparaît plus souvent que celle de la royauté chez Marc Aurèle82. Le tyran, bien qu’il ne soit pas très précisément décrit, est présenté sous un jour traditionnel83. C’est Fronton que l’empereur remercie de lui avoir fait connaître les défauts du caractère tyrannique84. Il est probable que le rhéteur ait fait travailler le prince, dans sa jeunesse, sur des exercices de déclamation au sujet du tyran85 ; ceux-ci ont pu nourrir des conversations relatives au caractère insensible des patriciens, qui est évoqué dans le même passage du

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sha, Marc., 29, 6 ; voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. cxxvi. Voir aussi l’extrême attention portée par Marc Aurèle à sa réputation dans sha, Marc., 7, 1 et 20, 5. Voir supra. Le tyran apparaît d’ailleurs une fois dans cette perspective chez Marc Aurèle, viii, 41. Les Ecrits ne contiennent que quatre références aux qualités royales ou bien à la royauté : i, 14, 2 ; iv, 12 et 32 ; vii, 36 ; le terme de roi, basileus, n’apparaît même pas. Dix références sont faites au caractère, à l’attitude ou à l’homme tyrannique : Marc Aurèle, i, 11 ; iv, 28, 31 et 48 ; v, 11 ; vi, 34 et 47 ; viii, 41 ; xi, 18 ; xii, 36. Il est caractérisé par la méchanceté, la fausseté et l’instabilité, associé aux brigands, débauchés, parricides (Marc Aurèle, vi, 34), à un juge injuste (xii, 36). Marc Aurèle, i, 11. R. Tobacco, « Il tiranno nelle declamazioni di scuola in lingua latina », Memorie dell’Accademia delle Scienze di Torino, ii, Classe di Scienze morali, storiche e filologiche, Serie v, vol. 9, fasc. 1–2, Turin, 1985 p. 1–141, cité par P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. c, n. 1.

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livre I. Le tyran est défini par une liberté sans fin (l’exousia), par son arrogance et par son inconscience des limites, en particulier de celle de la finitude humaine86. C’est précisément cette limite que Marc Aurèle se remémore sans cesse dans les Ecrits, où la pensée de la mort est omniprésente87. Ce rappel répété fait songer à un rite de la cérémonie du triomphe, dans laquelle un esclave ou bien un compagnon, placé debout sur le char derrière le général, tenant une couronne d’or au dessus de sa tête, lui rappelait qu’il était mortel88. Epictète voyait dans ce personnage une leçon pour contrôler les affections humaines89. Marc Aurèle s’exhorte à ne pas devenir un tyran90 : il semble obsédé par cette idée, ou par la crainte de se « césariser »91. En cela, il semble avoir compris les leçons d’Epictète chez qui le tyran représente l’horizon du César et même l’horizon, un peu plus éloigné seulement, du basileus92. Plus généralement, l’idée que le pouvoir dégrade ceux qui l’exercent est très ancienne : elle est exprimée déjà dans le célèbre débat sur le meilleur régime au livre iii d’Hérodote93. Elle était largement partagée par les élites culturelles grecques et romaines à la fin du ier siècle. Elle est en effet bien présente aussi dans l’historiographie 86 87

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Marc Aurèle, iv, 48. Je ne cite qu’un seul exemple, le plus parlant et le plus célèbre (Marc Aurèle, ix, 29) : « La cause universelle est comme un torrent qui emporte tout. Comme ils sont vulgaires, ces petits hommes politiques qui croient agir en philosophes ! Les morveux ! Ô homme, que peux-tu faire ? Fais ce que la nature exige. Aie de la volonté, s’il t’est donné d’agir, et ne cherche pas à voir si on le saura. Ne t’attends pas à la République de Platon ; contente-toi des plus petits progrès, et crois bien que le résultat final n’est pas une petite chose. En effet, qui peut changer les principes des hommes ? Et si les principes ne changent pas, que reste-t-il sinon l’esclavage de gens qui gémissent et font semblant d’être convaincus. Eh bien maintenant, cite-moi Alexandre, Philippe et Démétrios de Phalère. On verra, s’ils ont bien su ce que veut la nature universelle, s’ils se sont instruits eux-mêmes ; mais s’ils ont joué un rôle de tragédie, rien ne me condamne à les imiter. La manière d’agir de la philosophie est simple et consciencieuse ; ne me pousse pas à la vanité », trad. E. Bréhier. M. Beard, The Roman Triumph, Cambridge, London, 2007, p.  85–92 sur la réalité historique de ce rite et sur la difficulté de l’interpréter, en tout cas dans un sens cultuel. Entretiens, iii, 24, 85 : « Si tu embrasses ton enfant, ton frère, ton ami, ne laisse jamais libre frein à ton imagination et ne permets pas à tes épanchements d’aller jusqu’où ils veulent, mais tire-les en arrière, contiens-les à la manière de ceux qui se tiennent derrière les triomphateurs et leur rappellent qu’ils sont des hommes. De façon semblable, toi aussi, rappelle-toi à toi-même que tu aimes un mortel, que tu n’aimes là rien qui t’appartienne en propre », trad. J. Souilhé. Marc Aurèle, iv, 31 ; v, 11 ; xi, 18. R. B. Rutherford, The meditations, p. 65 ; P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. clxxvii. Voir supra, c. 2. Hérodote, iii, 80 : selon Othanès, partisan de la démocratie, le pouvoir pervertit même le meilleur, qu’il conduit à l’hubris ; comme la jalousie (phthonos) est innée chez l’homme, l’homme de pouvoir est entraîné à la kakotès dans la tyrannie.

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latine chez Tacite et chez Suétone dont certaines biographies opposent les bons débuts, puis la perversion des règnes (notamment pour Tibère, Caligula et Néron). Marc Aurèle, bien qu’il exerçât déjà le pouvoir depuis une dizaine d’années quand il rédigeait les Ecrits, semble avoir été habité par une tension permanente, à la fois pour éviter le risque de dégénérer et pour devenir un bon roi, en pratiquant régulièrement l’ascèse94. Le bon roi, conscient de ses propres limites, doit respecter la liberté de ses sujets ; c’est l’essentiel de la leçon que Marc Aurèle a reçu de son amicus Claudius Severus : Καὶτὸ δι’ αὐτὸν γνῶναι Θρασέαν, Ἑλβίδιον, Κάτωνα, ∆ίωνα, Βροῦτον· καὶ φαντασίαν λαβεῖν πολιτείας ἰσονόµου, κατ’ ἰσότητα καὶ ἰσηγορίαν διοικουµένης, καὶ βασιλείας τιµώσης πάντων µάλιστα τὴν ἐλευθερίαν τῶν ἀρχοµένων Grâce à lui, avoir connu Thrasea, Helvidius, Caton, Dion, Brutus95 ; avoir eu la représentation d’un Etat dans lequel la loi est égale pour tous, administré selon le principe de l’égalité et du droit égal à la parole, et d’une royauté qui respecte par-dessus tout la liberté des sujets96. L’« opposition stoïcienne » sous les Julio-Claudiens et les Flaviens97, présente ici par l’intermédiaire des figures de Caton d’Utique, du césaricide Brutus, de Thrasea Paetus et d’Helvidius Priscus, le gendre de Thrasea, dont la confrontation avec Vespasien a été mise en scène dans les Entretiens, a marqué la vision du pouvoir qu’a Marc Aurèle98. Il est très possible qu’Epictète ait joué un rôle déterminant 94 95

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Voir Marc Aurèle, x, 8, cité supra. Il s’agit de Thrasea Paetus (voir supra), d’Helvidius Priscus l’Ancien (voir supra), de Caton d’Utique, du césaricide Brutus et probablement de Dion de Syracuse, dont la vie avait été mise en parallèle à celle de Brutus par Plutarque : voir P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. clxviii- clxxiii. Si la présence de Dion de Syracuse est plus inattendue, les associations entre Thrasea, son gendre Helvidius Priscus, Caton et Brutus sont courantes à la fin du ier siècle : Thrasea et son gendre sont rapprochés des Catons, des Brutus et des Cassius par Tacite, Ann., xvi, 22, 5 ; Hist., iv, 8, 6 ; Juvénal, 5, 33–34, les associe également à Brutus et à Cassius ; I. Cogitore, Le doux nom de liberté, p. 214–215. Sur le contexte culturel de ces références, voir R. B. Rutherford, The meditations, p. 59–80. Marc Aurèle, i, 14, 2, trad. P. Hadot, légèrement modifiée. Sur l’« opposition stoïcienne », voir supra, c. 1 et 2 ; G. Boissier, L’opposition sous les Césars, Paris, 1905 (1875) ; R. Syme, Tacitus, ii, Oxford, 1958, p. 556–561 ; P. A. Brunt, “Stoicism and the Principate”, Papers od the British School at Rome, 43, 1975, p. 7–35 ; R. MacMullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge, 1966, p. 1–94 ; E. Wistrand, “The Stoic Opposition to the Principate”, Stud. Clas., 18, 1979, p. 93–101 ; M. T. Griffin, Nero : The end of a Dynasty, London, 1984, p. 171–177 ; R. B. Rutherford, The meditations, p. 59–80. Voir A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 94.

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dans la transmission du souvenir des « sénateurs stoïciens », d’abord en Orient, dont était originaire Claudius Seuerus99, puis à Rome par l’intermédiaire de ses élèves, notamment Arrien et ses Entretiens, mais aussi Q.  Junius Rusticus, un autre amicus de Marc Aurèle, qui est remercié au livre i parce qu’il a permis à l’empereur de découvrir l’enseignement d’Epictète100. Rappelons que ce Rusticus était le petit-fils du Stoïcien Q. Arulenus Junius Rusticus, condamné à mort en 93 pour avoir écrit la vie de Caton d’Utique et celle de Thrasea. D’autre part, par l’association explicite de ces figures avec la liberté, Marc Aurèle reprend le discours officiel des fondateurs de la dynastie antonine, Nerva et Trajan, tel qu’il apparaissait notamment dans le monnayage sur le thème de la Libertas101. Sous Hadrien, et surtout sous Antonin et Marc Aurèle, le monnayage au type de Libertas s’est poursuivi avec régularité, sans qu’on puisse vraiment rapprocher les émissions d’événements particuliers  :  on se contentait de rappeler, semble-t-il, que la liberté était un élément définissant le contexte politique102. La notion de libertas est mouvante dans les sources littéraires103, mais, comme le montrent les associations avec Caton, Brutus, Thrasea et Helvidius, la liberté est fondamentalement définie, à la fin du ier et au début du iie siècle, par le refus de la tyrannie. Chez Pline et Tacite, comme on l’a vu, elle est associée à la liberté d’expression, la sécurité et l’obéissance (obsequium)104. L’idée de libertas est aussi liée à une certaine liberté d’expression pour Marc Aurèle : l’iségorie possède un sens précis, elle désigne l’égalité du droit à la parole, qui n’implique pas le droit de tout dire105. Mais, dans le portrait du livre vi des Ecrits, il est question de la parrhèsia, la liberté de parole : Antonin acceptait dans une certaine mesure que l’on s’opposât à lui106. 99 100 101 102 103

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Claudius Seuerus venait de Pompéiopolis : H. Halfmann, Die Senatoren, p. 160–161, n° 72. Voir J. Malitz, « Philosophie und Politik im frühen Prinzipat », p. 177 n. 176. Marc Aurèle, i, 7, 8. Voir supra, c. 3. On peut penser en particulier à la reprise par Trajan d’une monnaie de Brutus au type de la Libertas, ric ii Trajan 797. ric ii Hadrien 175 ; ric iii Antonin 50, 152, 538, 551, 560, 728, 908, 916, 917 etc. ; I. Cogitore, Le doux nom de Liberté, p. 158–159 et p. 283, n. 179. L’exemple de Thrasea Paetus renvoie à la liberté politique du Sénat républicain et à la liberté philosophique du suicide, celui d’Helvidius plutôt à la liberté de parole. Voir I. Cogitore, Le doux nom de Liberté, p. 212–219 ; p. 158–166 sur la notion de libertas sous les Antonins. Voir supra, c. 3. Voir A. Momigliano, “Freedom of Speech”, dans le Dictionary of the History of Ideas, ii, New York, 1973, p. 259–260. Marc Aurèle, vi, 30 : τὸ ἀνέχεσθαι ἀντιβαινόντων παρρησιαστικῶς ταῖς γνώµαις αὐτοῦ καὶ χαίρειν εἴ τίς δεικνύοι κρεῖττον, « il supportait qu’on s’opposât en toute franchise à ses opinions et il était content si on lui montrait un meilleur parti », trad. E. Bréhier ; sur la tolérance d’Antonin relative à certaines formes d’insolence, voir aussi sha, Ant., 11, 8.

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Marc Aurèle semble avoir fait preuve de la même tolérance107. L’un et l’autre ont aussi accepté une certaine insolence, en particulier celle qui provenait de l’élite culturelle, ce qui avait été affirmé sous Trajan comme un critère important pour distinguer le bon prince du tyran : suivant le modèle de Trajan, mais contrairement à Hadrien (et avant lui à Domitien), ils assuraient la securitas aux élites intellectuelles108. La liberté est aussi liée à la démocratie, puisqu’elle est associée à l’isonomie et à l’iségorie qui étaient des principes démocratiques essentiels, mais très mesurés109. Il s’agit d’un lien traditionnel dans la pensée politique grecque du ve siècle av. J.-C. et Cicéron, dans La République, a présenté la démocratie comme le régime de la liberté110. Marc Aurèle évoque donc la possibilité d’un principat idéal défini comme une royauté démocratique. Ce rapprochement entre le principat, considéré comme un régime mixte, et la démocratie, est aussi opéré dans le fameux discours En l’honneur de Rome prononcé par Aelius Aristide à Rome durant le printemps ou l’été 144111. On ne sait si Marc Aurèle avait assisté à la performance du sophiste, mais cette idée de principat démocratique s’est développée au iie siècle, comme le montrent les réflexions politiques qui sont apparues sous les Sévères112. Dans les Ecrits, cette royauté démocratique repose sur trois points de droit fondamentaux  :  l’égalité devant la loi, l’égalité entre les principes, le droit égal à la parole. La justice a revêtu une importance particulière pour Marc Aurèle qui, dans ce domaine, s’est inscrit dans les traces d’Hadrien 107 108 109

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Marc Aurèle, vi, 21 : Marc Aurèle affirme qu’il est heureux si quelqu’un le corrige. Sur la tolérance d’Antonin, voir par exemple sha, Ant., 10, 4 ; 11, 8 ; pour Marc Aurèle, voir Philostrate, vs, 561, où l’empereur supporte l’agressivité d’Hérode Atticus, hors de lui après la perte de ses filles adoptives, à Sirmium en 173 ou 174. Voir supra, c. 3. P. Hadot, Introduction, p.  475–476 sur la notion de libertas  ; id. (éd.), Marc Aurèle, p. clxxiv- clxxvii sur l’idéal de la monarchie démocratique au iie siècle ; voir aussi C. G. Starr, “The perfect Democracy of the Roman Empire”, AHR, 58, 1952, p. 1–16. L’isonomie, « égalité devait la loi » ou « égalité politique » – pour l’élite des citoyens naturellement – était le terme originalement employé pour démocratie à Athènes, et il est resté un slogan de la démocratie : M. Reinhold, From Republic to Principate. An Historical Commentary on Cassius Dio’s Roman History, Books 49–52, 36-29 bc, Atlanta, 1988, p. 172, avec des renvois bibliographiques. Voir l’oraison funèbre de Périclès chez Thucydide, ii, 37 ; Cicéron, Rep., i, 47–49. Aelius Aristide, Or. xxvi, 60 : après avoir évoqué le régime mixte de Rome, le sophiste qualifie le principat de « démocratie commune de la terre » ; c’est le meilleur régime, caractérisé à la fois par sa force et son humanité. Voir S. A. Stertz, “Aelius Aristides’political ideas”, anrw, ii, 34, 2, Berlin, New York, 1994, p. 1248–1270, part. p. 1252–1253, 1258, 1261, 1265–1269. Sur la datation du discours, voir L.  Pernot, Eloges grecs de Rome, traduits et commentés par L. P., Paris, 2007 (1997), p. 163–170. Voir supra, c. 5.

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et d’Antonin113. Son administration consciencieuse et sa bienveillance ont été soulignées par les sources antiques, y compris par des juristes réputés114. L’idée que la décision de l’empereur faisait loi a été exprimée pour la première fois sous Hadrien et, sous Antonin et Marc Aurèle, la plus grande attention était portée à cette prérogative par le pouvoir impérial et par son entourage115. Selon T. Honoré, Marc Aurèle n’exerçait pas ses prérogatives juridiques de manière despotique ni autocratique116. La collaboration entre le Sénat et le prince est visible dans le discours d’un sénateur reproduit sur une table en bronze découverte près d’Italica en Bétique, datée entre 176 et 178117, et dans une lettre impériale à la cité de Milet, gravée sur une stèle en marbre et datée de la fin 177 (même si ce dernier exemple témoigne de rapports courtois, mais formels)118. Hadrien, qui était à sa mort détesté par les sénateurs, s’était écarté dans les faits de ce principe de liberté très conservateur, et ce dès les premiers mois de 118, en faisant exécuter quatre ennemis potentiels qui étaient d’anciens consuls, en dépit des lettres qu’il avait envoyées au Sénat pour témoigner de sa bonne volonté119. Cet acte constituait une rupture par rapport à ses prédécesseurs 113 114

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Voir T. Honoré, Emperors and Lawyers, p. 12–18. Les thèmes de la loi et de la justice sont très importants dans le discours En l’honneur de Rome d’Aelius Aristide, voir §. 36–39, 107. Dion Cassius, lxi, 6 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 16, 11 ; sha, Marc, 9, 7–12, 6 ; Code justinien, vii, 2, 6 ; Dig., xxxi, 67, 10 ; Dig., xxxvii, 14, 17 pr (Ulp. 11 leg. Iul. et Pap.) ; A. Birley, Marcus Aurelius, p. 133–140 ; T. Honoré, Emperors and Lawyers, p. 16–19 et 24–25 ; Y. Roman, Marc Aurèle. L’empereur paradoxal, Paris, 2013, p. 215–221. Voir l’expression ὁ τῆς βασιλικῆς καὶ νοµοθετικῆς λόγος chez Marc Aurèle, iv, 12, 1. T. Honoré, Emperors and Lawyers, p. 12 (Hadrien) et 19 (Marc Aurèle). Dans la lettre Aur., i, 6 Van den Hout, datée vers 143/144, Marc Aurèle a appris par cœur un long passage d’un discours de Fronton, dans lequel l’orateur met en garde Antonin à propos d’un testament différé à la cour impériale par le proconsul d’Asie. Ce discours souligne justement l’idée que la décision de l’empereur va faire jurisprudence et engage celui-ci à une grande prudence. Selon l’Histoire Auguste, le profond respect manifesté par Marc Aurèle envers les sénateurs se traduisait par son attitude lors des procès pour crime capital engageant un membre du Sénat  :  «  Chaque fois qu’un membre de l’ordre sénatorial devait être jugé pour crime capital, il étudiait minutieusement le dossier dans ses appartements avant d’en débattre en public et interdisait aux chevaliers romains de prendre part à ce genre de procès », sha, Marc., 10, 6, trad. A. Chastagnol. Marco Aurelio, Scritti n° 267 = ils iii, 2 9340 ; J. H. Oliver et R. E. A Palmer, “Minutes of an act of the Roman senate”, Hesperia, 24, 1955, p. 320–349. Voir Marco Aurelio, Scritti, lettre n° 268, p. 676–680 : ce document reproduit le discours de l’empereur approuvé en bloc par un senatus-consulte. A. Cornelius Palma, L. Publilius Celsus, Lusius Quietus, et C. Avidius Nigrinus qui était capax imperii. Voir A. Galimberti, Adriano, p. 46–57. Sur les lettres de l’empereur cherchant à rassurer le Sénat, voir Dion Cassius, lxix, 2, 4 : comme ses deux prédécesseurs, Hadrien aurait promis au Sénat de ne pas agir contre l’intérêt public et de ne pas mettre à mort de

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Nerva et Trajan, qui avaient tous les deux insisté, en début de règne, sur leur volonté de ne pas faire périr de sénateurs120. Antonin est immédiatement revenu à ce principe en commençant son règne par un geste symboliquement fort, précisément dans le domaine de la justice : il a grâcié des condamnés par Hadrien, en prétendant selon l’Histoire Auguste que c’était ce que le défunt empereur aurait voulu121. Si la justification attribuée à Antonin est fondée, elle témoigne d’une pratique de succession différente de celle des Julio-Claudiens qui, à partir de Caligula, ont pratiqué l’amnistie pour faire valoir leur justice et leur clémence par rapport au précédent empereur, implicitement critiqué. Une telle affirmation d’Antonin peut être expliquée par le contexte du début du règne : l’empereur a dû en effet contraindre les sénateurs à accorder l’apothéose à Hadrien. Il peut s’agir aussi d’une tentative de faire rentrer ce singulier empereur dans le moule politique façonné par Nerva et Trajan, révélant la volonté qu’avait le nouvel empereur de mettre en évidence une continuité politique sur laquelle nous reviendrons122. A côté du bon roi et du tyran, Marc Aurèle évoque également les Césars. Le mot apparaît une seule fois, dans un sens neutre, et il désigne certainement, comme chez Epictète, les empereurs123. Le plus intéressant est le verbe apokaisaroumai utilisé au début du portrait d’Antonin dans le livre vi, qui est un

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sénateur, en invoquant une malédiction s’il rompait ses promesses (selon A. Galimberti, Adriano, p. 46, il est difficile de croire à cette malédiction, qui serait une invention post euentum ; néanmoins Hadrien n’aurait fait que prolonger le pacte avec les dieux conclu par Trajan au début de son troisième consulat, rapporté par Pline dans le Panégyrique, voir supra c. 2) ; sha, Hadr., 6, 2. Voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 149 n. 15 : la haine pour l’aristocratie sénatoriale est un trait commun du portrait de Domitien dans la tradition littéraire à partir du Panégyrique de Pline : Pline, Pan., 48, 3 ; 90, 5, 94, 3 et 95, 3 ; Tacite, Ag., 45, 1 ; Suétone, Dom., 10.4 ; Dion Cassius, lxvii, 3, 3 ; Philostrate, va, vii, 4. Cette haine contre l’élite caractérisait déjà le tyran chez Xénophon, Hiéron, 5. Voir A. R. Birley, “The Oath not to put Senators to Death”, cr, 76, 1962, p. 177–179. sha, Ant., 6, 3 ; Dion Cassius, lxx, 1. Hadrien avait également empiété sur les prérogatives judiciaires des préteurs en divisant l’Italie (au-delà de 100 milles à partir de Rome) en quatre circonscriptions, à la tête desquelles il avait placé un légat propréteur pour rendre la justice, et cette mesure qui apparaissait comme une perte de privilège fut si critiquée par les sénateurs qu’Antonin la supprima ; Marc Aurèle devait cependant y revenir : M. Corbier, « Les circonscriptions judiciaires de l’Italie de Marc Aurèle à Aurélien », mefra, 85, 1973, p. 609–690 ; M. Christol, « P. Plotius Romanus, “iuridicus per Aemiliam Liguriam” : l’organisation des districts juridictionnels en Italie à la fin du règne de Marc Aurèle et au début du règne de Commode », mefra, 115, 2003, p. 959–983. Marc Aurèle, x, 31. Voir supra.

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hapax124. Il indique les excès liés à l’exercice du pouvoir impérial, en opposition au début de la phrase suivante : « Reste simple », la simplicité caractérisant Antonin. Tibère et Néron sont mentionnés dans ce sens négatif, le premier comme exemple d’affectation et d’orgueil lors de sa retraite à Capri, durant les dix dernières années de son règne, le second comme esclave de ses passions. L’orgueil joue un rôle central aussi bien dans les portraits d’Antonin que dans les mentions des autres figures du pouvoir, tyrans et césars125 : il est dans les Ecrits la principale raison pour laquelle l’empereur Marc Aurèle craint de se laisser corrompre. L’attention qui lui est portée rappelle l’insistance de Pline sur la superbia de Domitien dans le Panégyrique126. D’autres empereurs sont aussi mentionnés, en premier lieu Auguste, puis Vespasien, Trajan, Hadrien et Antonin, afin d’évoquer le temps cyclique qui conduit tout à l’anéantissement127. Dans cette perspective, il n’y a aucune vision des changements dynastiques dans les Ecrits. Dans le long portrait d’Antonin du livre i, 16, plusieurs points dans les absences de défaut pourraient concerner des Césars, notamment les « mauvais » Julio-Claudiens ou bien certains des quatre empereurs de 69128. Ces caractéristiques négatives sont en effet présentes dans les biographies de Suétone, dont la structure reflète la division entre bons et mauvais empereurs, qui était entérinée par les pratiques de la divinisation ou de l’abolition des actes, voire de la memoria, relevant de l’autorité sénatoriale. Ainsi, les références aux bains et aux vêtements excentriques rappellent Caligula et Néron ; ce dernier est sans doute aussi visé par l’allusion aux constructions, de même que la gourmandise fait penser à Vitellius129. Bien que ces références soient évidentes, il faut veiller 124 125 126 127 128 129

Marc Aurèle, vi, 30 ; le terme est accepté par P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. cxlii, clxxvii. Voir Marc Aurèle, vi, 13  :  la nourriture, les vêtements, la plaisirs charnels sont aussi liés à l’orgueil. C’est aussi l’orgueil qui explique les réticences de Marc Aurèle envers la rhétorique, De Eloquentia, i, 10. Voir supra, c. 3. Voir aussi Tacite, Hist., i, 15, 3 : le discours d’adoption de Galba souligne aussi le danger de la corruption du caractère due au succès. Auguste est plus souvent mentionné, deux fois à côté d’Hadrien, comme exemple de personnage brillant voué à la disparition : Marc Aurèle, iv, 32 et 33 ; viii, 5, 31 et 37 ; x, 27. Voir R. B. Rutherford, The Meditations, p. 107–115. i, 16, 26. Sur les bains, voir Philon, Ambassade à Caius, 14 ; Suétone, Nero, 27 ; R. B. Rutherford, The Meditations, p. 109 ; P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. 42–43. Sur l’habit ni patrius ni ciuilis de Caligula, voir Suétone, Cal., 52, et Sénèque, De la constance du sage, 18 ; voir aussi les vêtements triomphaux portée par Néron lors de son entrée à Rome, après sa tournée en Grèce, chez Suétone, Nero, 25 ; voir V. Huet, « Jeux de vêtements chez Suétone ». Sur les constructions de Néron, voir Suétone, Nero, 31 ; R. B. Rutherford, The Meditations, p. 109. Pour la gloutonnerie de Vitellius, voir Suétone, Vit., 17, 2 ; R. Syme, Tacitus, 189–190. On pourrait poursuivre ces rapprochements en suggérant des références au caractère secret de Tibère (i, 16, 24), au caractère colérique de Caligula et de Claude (i, 16, 28–29) etc.

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à ne pas les surinterpréter car, pour la plupart, elles ont un caractère général et peuvent parfois être rapportées à l’un des Antonins : on le voit dans la réflexion sur les qualificatifs de sophiste, d’esclave ou de cérébral, qui sont jugés inappropriés à Antonin130 : sophiste pourrait renvoyer à Hadrien, qui a protégé Favorinus, Polémon et Dionysos de Milet, et qui rivalisait avec les représentants de la Seconde Sophistique131 ; le terme d’esclave fait penser à Claude qui passait pour être l’esclave de ses femmes et de ses affranchis132  ; et celui de cérébral pourrait renvoyer à Marc Aurèle lui-même, auquel ses contemporains, y compris Fronton, reprochaient d’être trop sérieux et austère133. Il n’existe pas de distinction marquée dans les Ecrits entre les bons et les mauvais empereurs. La vision des figures du pouvoir n’est pas binaire, elle n’est pas structurée par l’opposition platonicienne entre le bon roi et le tyran, qu’on ne trouve pas non plus chez Epictète134. Ainsi, des deux grands principes éthiques qui structurent les Vies des Césars de Suétone, la division entre bons et mauvais empereurs (qui, il faut le souligner, n’est jamais simpliste) et le pouvoir corrupteur, c’est au second que Marc Aurèle est beaucoup plus sensible : il conçoit en effet les mauvais césars comme des hommes défectueux qui n’ont pas résisté à leurs passions ni surtout à leur orgueil, les deux étant liés135. C’est donc en partie grâce à l’ascèse positive constituée par la remémoration du « modèle vivant » d’Antonin que Marc Aurèle voulait éviter de se « césariser », en se répétant qu’il devait borner son pouvoir et respecter la liberté – notamment d’expression – de ses collaborateurs et concitoyens : de cette façon, il échappait au dialogue impossible, dénoncé par Epictète, entre l’empereur et le sage. On peut par ailleurs, dans une certaine mesure, esquisser un parallèle entre l’usage que Marc Aurèle fait du bon modèle d’Antonin et l’usage officiel de diviniser le prince précédent qui se met en place sous les Antonins. 2

Piété et philostorgia au fondement d’une mémoire dynastique

A leur arrivée au pouvoir, Nerva et Trajan se sont construits une image publique en opposition avec celle de Domitien, assassiné le 18 septembre 96 et 130 131 132 133 134 135

Marc Aurèle, i, 16, 17. Voir Dion Cassius, lxix, 3, 4 (cité supra, c. 3) ; sha, Hadr., 15, 10 ; rappelons que Julien présente Hadrien comme un sophiste dans Les Césars, 8, 311 d. Suétone, Cl., 29. Aur., iv, 12, 5 Van den Hout ; De Fer. Als., 3 Van den Hout ; voir aussi sha, Marc., 4, 10 ; 22. Voir supra, c. 2. Les passions sont liées à l’orgueil chez Marc Aurèle, vi, 13.

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condamné à l’abolitio memoriae par le Sénat. Ils poursuivaient ainsi une double tradition, d’une part celle de la philosophie grecque – notamment platonicienne – opposant bon roi et tyran, et d’autre part une tradition sénatoriale qui distinguait entre bons et mauvais empereurs, présente dans la loi de imperio Vespasiani, dans laquelle sont répétées les références aux empereurs «  modèles  », Auguste, Tibère et Claude, comme dans l’historiographie. Tacite a critiqué, au début des Annales, cette construction historiographique, en prenant ses distances par rapport aux historiens flattant le prince présent et dénigrant celui qui est mort136. L’opposition à Domitien apparaît très clairement dans le Panégyrique de Pline et dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse. La convergence entre ces deux discours indique qu’il s’agissait d’un thème bien présent à la cour impériale. Les monnaies de Nerva montrent déjà un discours en opposition par rapport à Domitien ; celles de Trajan l’ont repris et développé137. En cela, Nerva et Trajan reprenaient une pratique mémorielle qui existait sous les Julio-Claudiens à partir de Caligula  :  le fait de dénigrer son prédécesseur et de promettre au Sénat, en début de règne, de faire mieux que celui-ci138. Cette pratique reposait sur un jeu subtil qui mettait en œuvre la divinisation, ou son absence, ou la condamnation de mémoire, les discours programmatiques devant le Sénat et les monnaies. Le meilleur exemple de ce jeu est sans doute donné par le comportement de Néron après la mort de Claude, son père adoptif : Néron fit diviniser son prédécesseur139, mais il critiqua sa politique dans un discours tenu au début de son règne devant le Sénat140, et accepta, peut-être à l’occasion des Saturnales de décembre 54, la composition de l’Apocolocyntose attribuée à Sénèque, qui ridiculisait le diuus141. Puis, peu après l’assassinat d’Agrippine en mars 59, Néron aurait fait détruire – ou plus vraisemblablement arrêta de faire construire – le temple de Claude sur le mont Caelius, et il aurait cessé d’entretenir son culte, qui aurait

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Tacite, Ann., i, 1, 2 : « L’histoire de Tibère, de Caius, de Claude et de Néron, falsifiée par la crainte au temps de leur splendeur, fut écrite après leur mort sous l’effet de haines récentes », trad. P. Wuilleumier. Voir M. Galinier, « L’image publique de Trajan », p. 117–122. Voir supra, c. 1, n. 256–258. Suétone, Nero, 9. Ce discours était une contestation systématique de la figure et de la politique de Claude, voir Dion Cassius, lxi, 3, 1 ; le Sénat l’acclama et ordonna qu’il soit gravé sur une colonne d’argent et lu chaque année, lors de l’entrée en charge des consuls. Voir A  Gangloff, «  Caricature et pamphlet politique à Rome  :  autour de l’Apocoloquintose  », dans A.  Gangloff, V.  Huet, C.  Vendries (éd.), La notion de caricature dans l’Antiquité : textes et images (actes du colloque international de Rennes 2, 8–9 octobre 2015), à paraître.

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été rétabli par Vespasien : il est plus probable qu’il n’ait pas fait preuve d’un grand zèle dans l’entretien de ce culte, car son abandon aurait été une preuve d’impietas142. Or, la nouvelle ère de liberté qui s’ouvre avec Nerva et surtout avec l’optimus princeps Trajan, est marquée par un changement dans les pratiques liées à la mémoire dynastique143. La période des Antonins est en effet caractérisée par un renforcement du principe dynastique. Les représentants de la dynastie étaient unis par des liens de parenté, renforcés par des adoptions et par des mariages144, comme c’était déjà le cas des Julio-Claudiens. Il s’agit en outre d’une domus diuina – bien plus que ne l’étaient les domus julio-claudienne et flavienne – dont les pratiques funéraires liées à l’apothéose marquent encore davantage la continuité : les cendres de Trajan ont été déposées au bas de sa colonne, et celles de ses successeurs dans le nouveau Mausolée construit par Hadrien sur la rive droite du Tibre, sur le site du Château Saint-Ange145. a Trajan et la piété filiale Après l’adoption de Trajan par Nerva le 2 octobre 97, la notion de méritocratie a été revendiquée comme principe de légitimation du pouvoir, ce qui nécessitait une adaptation du discours critique que le nouvel empereur portait sur son prédécesseur défunt sous les Julio-Claudiens. On la voit apparaître dans le Panégyrique de Pline, avec l’affirmation répétée que Nerva était d’autant plus excellent (optimus) qu’il en avait choisi un meilleur que lui et qu’il avait laissé Trajan le dépasser146  :  il s’agit d’un discours paradoxal sur le surpassement dans la perfection, qui est bien en accord avec la construction rhétorique de la

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Suétone, Cl., 45 ; Ves., 9. Voir J. de Jong, O. Hekster, “Damnation, Deification, Commemoration”, dans S. Benoist, A. Daguet-Gagey (éd.), Un discours en images de la condamnation de mémoire, Metz, 2008, p. 79–96, part. p. 86, 89–90 ; H. I. Flower, « Les Sévères et l’image de la memoria : l’arcus du Forum Boarium à Rome », ibid., p. 97–115. Voir O. Hekster, “All in the Family : the Appointment of Emperors designate in the second century A.D.”, dans L. De Blois (éd.), Administration, Prosopography and Appointment Policies in the Roman Empire, Amsterdam, 2001, p. 35–49 ; id., Commodus. An Emperor at the Crossroads, Amsterdam, 2002, p. 15–39 ; F. Chausson, « Variétés généalogiques. iii – La généalogie d’Antonin le Pieux », dans G. Bonamente, M. Mayer (éd.), Historiae Augustae Colloquium Barcinonense, Bari, 2005, p. 107–155 ; id, « Variétés généalogiques. iv – Cohésion, collusions, collisions : une autre dynastie antonine », dans G. Bonamente, H. Brandt (éd.), Historiae Augustae Colloquium Bambergense, Bari, 2007, p. 123–163 ; A. Galimberti, Adriano, p. 14–44 sur les successions de Trajan et d’Hadrien, et p. 43–44 sur le principe dynastique à l’œuvre dans leurs choix. J. de Jong, O. Hekster, « Damnation, Deification, Commemoration », part. p. 89. Pan., 38, 1 ; 46, 2 ; 51, 2 ; 89,1.

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figure de Trajan, définie par une telle accumulation de vertus que l’empereur en devient absolument exceptionnel147. L’une des vertus qui caractérise l’image publique de Trajan est la piété, qui est une vertu augustéenne par excellence148. En 99, par décision du Sénat, une colonne avait été consacrée à la Pietas de Trajan149. La pietas signifie, au sens large, le respect des devoirs, et ne se limite naturellement pas à la piété envers ses parents, même si celle-ci constituait un devoir religieux et social essentiel. Analyser la vertu de pietas est toujours difficile, parce que celle-ci concerne des objets différents – les dieux, les hommes, la famille, la patrie – qu’il est parfois difficile de distinguer et qui peuvent être mêlés les uns aux autres. Dans la perspective qui est la nôtre, nous nous attacherons surtout à mettre en évidence les marques de la piété manifestée par l’empereur envers son père adoptif, tout en sachant que celle-ci est comprise dans d’autres formes plus larges de piété. La piété n’est pas la vertu la plus apparente du Panégyrique, mais elle caractérise Trajan dès le début du discours150, notamment par rapport à Nerva151. Pline loue l’empereur d’avoir honoré son père adoptif avec des larmes et des temples152  – ce qui indique qu’il lui avait construit un temple dont on ne sait rien -, avec des autels, des pulvinaires et la création d’un flamine153. Il lui

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Voir N. Méthy, « Eloge rhétorique et propagande politique sous le Haut-Empire », et supra, c. 3. J. R. Fears, “The Cult of Virtues”, p. 864–866, 889–893, 903 ; E. Cizek, L’époque de Trajan, circonstances politiques et problèmes idéologiques, Paris, 1983, p. 222–223. cil vi 563. Pan., 2, 6, la piété est associée à la modestie et au désintéressement. Dans le Panégyrique, le terme de pietas apparaît onze fois  :  le plus souvent, la pietas définit la relation des sujets – ou des sénateurs (79, 4) – envers l’empereur (3, 1 ; 21, 3 ; 24, 5 ; 55, 4 ; 75, 3), sur le modèle de la piété filiale des enfants (42, 2) et des héritiers envers leurs parents (37, 4). La même idée est exprimée dans des monnaies d’argent dédiées par le Sénat à l’Optimus princeps en 111–112, figurant sur le revers la Pietas voilée et drapée, debout, tournée vers la gauche, la main droite levée au-dessus d’un autel, avec la légende S P Q R OPTIMO PRINCIPI, PIET (bmc iii p. 88 n° 412, pl. 16. 3, datée de 111) ; et la Pietas drapée et voilée, debout, tournée vers la gauche, versant avec la main droite de l’encens sur un autel et tenant un sceptre de la main gauche (bmc iii p. 85 n° 403, pl. 15. 18, datée de 111, avec la légende COS V P P S P Q R OPTIMO PRINC, PIET ; p. 97 n° 481, pl. 17. 11, datée de 112, avec la légende S. P. Q. R. OPTIMO PRINCIPI, PIET ; mir 348, 379, 391). La piété est donc la vertu qui fonde les relations sociales sous le bon empereur, envisagé comme le pater patriae (titre que le Sénat avait décerné à Trajan à la mort de Nerva et que l’empereur avait d’abord refusé, avant de l’accepter un peu plus tard : Pan., 21, 1–4). Pan., 10, 3. Pan., 11, 1. Pan., 11, 3.

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attribue surtout d’autres intentions que les princes précédents, qui ne seraient pas d’ordre politique, mais religieux : Tibère a donné l’apothéose à Auguste, mais pour introduire l’accusation de lèse-majesté, à Claude Néron, mais par raillerie, à Vespasien Titus, à Titus Domitien, mais celui-là pour paraître le fils, celui-ci le frère d’un dieu. Toi, si tu as fait à ton père une place dans les astres, ce n’est pas pour effrayer les Romains, ni pour insulter les puissances supérieures, ni pour te faire valoir ; c’est parce que tu le crois dieu (sed quia deum credis). Cette affirmation de Pline est surprenante car, comme l’a souligné D. N. Schowalter, elle va à l’encontre du scepticisme qu’on attribue généralement aux élites intellectuelles et sociales à l’égard de la divinité des empereurs défunts154. On ne peut pas l’expliquer simplement : Pline ne fournit pas les motivations de cette croyance, même s’il souligne dans la suite du texte le rôle des vertus (de Trajan, paradoxalement) dans cette divinisation. Mais le sénateur tient à marquer le changement dynastique par une rupture de mentalité  :  l’apparition d’une pietas filiale qui serait fondée sur une croyance véritable, dépourvue de calculs politiques. D’autre part, le thème de la piété filiale de Trajan, envers son père adoptif mais aussi envers son père naturel, apparaît dans le monnayage impérial comme dans les monnaies de restitution datées de 112/113155. On a souligné la relative absence de Nerva dans le monnayage impérial de Trajan en début de règne, dans laquelle on a voulu voir une volonté, de la part du nouvel empereur, d’instaurer de la distance par rapport à un prédécesseur qui avait été remis en question par une partie de l’armée et avait pu paraître faible (Pline le compare à Galba)156. C’est possible, même si l’on ne remarque rien de semblable dans l’épigraphie ni dans la statuaire, comme le fait remarquer O. Hekster157. La consécration tardive du père naturel de Trajan, vers 113, pendant la préparation de la guerre contre les Parthes – or Trajan Père avait reçu les ornements triomphaux sous Vespasien pour les avoir combattus158 – ne saurait apparaître comme une sorte de mise en concurrence entre le 154 155 156

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D. N. Schowalter, The Emperor and the Gods, p. 63–67. Voir G. Seelentag, Taten und Tugenden Trajans, p. 448–454 ; B. Woytek, Die Reichsprägung des Kaisers Traianus, p. 641–644. Pline, Pan., 8, 5. Sur la double référence au père naturel et au père adoptif, voir récemment O. Hekster, “Son of two fathers ? Trajan and the adoption of emperorship in the Roman Empire”, The History of the Family, 19, 2014, p. 380–392 ; id., Emperors and Ancestors. Roman Rulers and the Constraints of Tradition, Oxford, 2015, p. 66–78. Ibid., p. 74–75. G. Seelentag, Taten und Tugenden Traians, p. 121–123, 352–354.

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brillant père naturel et le père adoptif. Elle suit la divinisation de Marciana, la sœur de Trajan, morte le 29 août 112. Ces décisions avaient pour objectif de renforcer le caractère divin de la domus Augusta juste avant une guerre difficile et glorieuse, mais peut-être mettaient-elles aussi en avant une notion qui paraît tout à fait importante au début du iie siècle, celle de la philostorgia, que l’on peut définir par l’affection prise en particulier dans un sens familial. La philostorgia est une qualité centrale aussi aux yeux de Marc Aurèle et de Fronton. A la même époque, cette notion faisait partie de l’enseignement d’Epictète : elle est l’objet d’un chapitre des Entretiens, où elle apparaît comme un lien social essentiel, un devoir du père de famille159. Or, cette notion ne renvoie pas seulement à une vertu stoïcienne : associée à la piété (hosiotès ou eusebeia), elle était aussi une composante de l’idéologie des rois hellénistiques160. b Hadrien et la Pietas Aug. Trajan n’a pas associé Hadrien à son pouvoir, ou alors si peu de temps avant sa mort que les sources antiques, hostiles, ont rapporté les doutes répandus au sujet de son adoption161. L’empereur lui avait montré à plusieurs reprises de la sollicitude : la grand-mère paternelle du jeune Hadrien était en effet la sœur du père de l’empereur, et l’enfant, ayant perdu son père à dix ans, devint le pupille de Trajan qui veilla sur sa carrière. Pendant la guerre contre les Parthes, Hadrien était gouverneur de la province de Syrie quand Trajan mourut en Cilicie, sur le chemin du retour à Rome, le 8 ou 9 août 117. Plotine et le préfet du prétoire P. Acilius Attianus affirmèrent qu’Hadrien avait été adopté par Trajan sur son lit de mort. Peut-être pour contrebalancer cette adoption in extremis, surtout face à un Sénat qu’il a vite rendu hostile en faisant exécuter quatre consulaires avant son retour à Rome, dans l’été 118, le nouvel empereur a fait preuve d’une grande piété à l’égard de son père adoptif. Cette attitude a été soulignée par l’Histoire Auguste, qui a pourtant une vision généralement critique d’Hadrien.

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Pour Marc Aurèle, voir infra ; Fronton, Ver., i, 6, 7 Van den Hout ; Amic., i, 3, 4 Van den Hout ; voir aussi Fronton, Correspondance, textes trad. et com. par P. Fleury avec la collaboration de S. Demougin, Paris, 2003, p. 190–193 n. 194 ; Entretiens, i, 11 ; iii, 24 : il s’agit de concilier cette notion avec le principe selon lequel tout est périssable, y compris les êtres les plus proches ; voir A. Bonhöffer, Die Ethik des Stoikers Epictet, p. 90–92 (sous le titre « Die Pietät »). Voir aussi Dion de Pruse, Or. iii, 119–120. W. Schubart, « Das hellenistische Königsideal nach Inschriften und Papyri », afp, 12, 1936, p. 1–26, part. p. 6, qui renvoie à og i 248 ; 256 ; 257 ; F. Muccioli, Epiteti ufficiali, p. 252–254 (philostorgia et Philostorgos), 309–318 (Eusebes). Voir A. Galimberti, Adriano, p. 19–20, au sujet de l’aureus émis à Rome en 117, portant sur le droit le buste et la titulature de Trajan, et sur le revers la légende HADRIANO TRAIANO CAESARI (bmc iii p. 124 *).

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Celui-ci est d’abord sorti d’Antioche pour aller au devant des cendres de Trajan, apportées par Plotine, Matidie et Attianus, ce qui contraste par exemple avec l’attitude de Tibère envers sa mère et ses fils, attitude conforme à la moderatio, mais critiquée par Suétone et Tacite, peut-être pas seulement par parti-pris contre Tibère, mais parce qu’elle était en décalage avec les démonstrations de la pietas impériale en leur temps162. Puis Hadrien a écrit «  avec soin  » au Sénat pour demander la divinisation du défunt empereur. En 117 est frappé un monnayage d’argent représentant au revers la Pietas, avec une légende soulignant l’ascendance d’Hadrien, fils du divin Trajan Parthicus, petit-fils du divin Nerva163. Le nouvel empereur a ensuite organisé pour le défunt Trajan une entrée triomphale à Rome, en faisant placer, de manière spectaculaire et inédite, son imago sur un char164. Il a aussi honoré sa mémoire à Rome en donnant de fastueux ludi scaenici, et lui a fait construire un temple, peut-être situé au Nord du Forum de Trajan, qui serait le seul des nombreux monuments construits sous son règne sur lequel il aurait fait inscrire son nom, afin de souligner encore le lien dynastique165. L’Histoire Auguste et l’Epitomè de Dion Cassius donnent également plusieurs exemples de sa pietas envers sa bienfaitrice Plotine, qui était peut-être la véritable instigatrice de son règne, et envers sa belle-mère Matidie, la nièce de Trajan166. Hadrien a donc utilisé la mémoire de Trajan pour

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Suétone, Tib., 51, 5–6 ; 52 ; Tacite, Ann., ii, 83 et iii, 3–5. bmc iii p. 238 nos 15 (pl. 46. 8), 16 (PARTHIC DIVI TRAIAN AVG F) ; p. 240 nos 30, 31 (pl. 46. 13), 32 (PARTH F DIVI NER NEP) ; p. 242 nos 41 (pl. 46. 20), 42 (DIVI NER NEP). sha, Hadr., 5–6. Sur cette entrée triomphale inhabituelle, voir aussi Dion Cassius, lxix, 2, 3 ; bmc iii p. 244 n° 47, pl. 47. 7 ; M. Beard, The Roman Triumph, Cambridge ma, 2007, p. 42, 88–89, 91. Aulu-Gelle, xi, 17, 1 ; sha, Hadr., 19, 9 ; on a retrouvé au Nord-Ouest du Forum de Trajan une double dédicace d’Hadrien aux divins Trajan et Plotine ses parents, cil vi 966 et 31215. Sur ce temple, qui fait l’objet de nombreux débats, voir M. Taliaferro Boatwright, Hadrian and the city of Rome, Princeton (New Jersey), 1987, p. 74–98 ; E. M. Steinby, ltur, ii, Roma, 1995, p. 354–355. D’autre part, si l’on suit A. Claridge, “Hadrian’s Column of Trajan”, jra, 6, 1993, p. 5–22, la frise sculptée de la colonne trajane aurait été aussi la création d’Hadrien. Dion Cassius, lxix, 10, 3 ; sha, Hadr., 9 et 12, 2. Après la mort de Plotine le 1er janvier 123, Hadrien a prononcé son éloge funèbre et lui a dédié un magnifique monument à Nimes (ils 4844). Un temple d’Hadrien à Plotine est mentionné par Dion Cassius, lxix, 10, 3, 1 ; comme on ne connaît pas de temple dédié à la seule Plotine, il est possible que le temple du divin Trajan ait été dédié à la fois à Trajan et à Plotine, avant 128 car les inscriptions mentionnées dans la note précédente n’évoquent pas le titre de pater patriae, qu’Hadrien n’avait accepté qu’en 128 : M. Taliaferro Boatwright, Hadrian, p. 93–94. Pour les honneurs à Matidie, voir sha, Hadr., 9, 9 et 19, 5. La mort de Matidie en 119 donna lieu à un petit monnayage de consécration, avec deux motifs au revers, celui de l’aigle et celui de la Pietas. Un

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légitimer son accession au pouvoir impérial167, mais aussi peut-être pour légitimer de nouvelles orientations politiques en désamorçant les oppositions des sénateurs  :  «  toutes les fois qu’Hadrien prenait quelque mesure qu’il sentait devoir déplaire, il ne manquait point de dire qu’il ne faisait que suivre les volontés de Trajan »168. Des aureus représentant sur le revers Trajan et Plotine, avec la dédicace DIVIS PARENTIBUS, ont été émis jusqu’en 137, ce qui soulignait la pérennité de cette piété filiale169. Parallèlement, le monnayage de bronze et d’argent montre une personnalisation croissante de la Pietas, qui devient dans les années 120 la Pietas Augusti ou Augusta, tandis que dans les années 130, des revers figurent la Pietas assise sur un trône, tenant une patère et un sceptre, avec parfois pour légende une dédicace au datif à cette Pietas Aug.170 : la Pietas est ainsi présentée comme une vertu propre à l’empereur et à la maison impériale171. Il faut souligner qu’Hadrien a également personnalisé dans les légendes des revers les autres

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denier représente au revers la Pietas voilée et drapée, debout, tournée vers la gauche, avec la main droite versant de l’encens sur un autel, la main gauche sur le côté, et la légende PIETAS AVG[VSTAE] (bmc iii p. 281 n° 332, pl. 53. 4). Ce motif fait écho à un revers du monnayage en argent de Matidie elle-même, figurant la Pietas Augustae (n° 658, pl. 21. 11). La princesse avait obtenu le privilège de frapper monnaie après la mort de sa mère Marciana en 112, de même que Plotine. Les revers de celle-ci privilégient le type de Vesta, alors que ceux de Matidie mettent en avant une Pietas personnalisée : voir aussi l’aureus dans bmc iii n° 659, pl. 21. 12, qui représente au revers Matidie (identifiée à Pietas ?) drapée, debout de face, la tête tournée vers la gauche, les deux mains levées au-dessus de deux petites figures qui se tiennent à sa gauche et à sa droite, la regardent et tendent leurs mains vers elle, avec la légende PIETAS AVGVST ; des monnaies en argent reproduisent le même motif et la même légende (n° 660 pl. 21. 13 ; n° 661 pl. 21. 14 ; nos 662–664). Voir J. H. Oliver, “The Divi of the Hadrianic Period”, HThR, 42, 1949, p. 35–40. sha, Hadr., 9. bmc iii p. 306 * ; p. 318 n° 603, pl. 59. 3. Voir aussi bmc iii p. 338 : aureus portant au droit le buste de Trajan et la légende DIVO TRAIANO AVGVSTI PATRI, au revers le buste de Plotine et la légende DIVAE PLOTINAE AVGVSTI MATRI ; p. 244–245 nos 47–49, pl. 47. 7–9, aureus dédiés au divin Trajan Parthicus père de l’Auguste. En 119–120/121, monnaies d’argent et de bronze figurant la Pietas avec la légende PIETAS AVGVSTI ou AVGVST : bmc iii p. 416 nos 1198, 1199, 1200, 1201 (pl. 79. 1), 1202, p. 420–422 nos 1231, 1232, 1233, 1234, 1235 (pl. 79. 11), 1241 (pl. 79. 14). A partir de 132, monnaies d’argent représentant la Piété trônant avec un sceptre : bmc iii p. 312–313 n° 562 pl. 58. 9 (avec la légende PIETATI AVG COS III PP), nos 563–564, 565 (pl. 58. 10), p. 326–327 nos 684 (pl. 60. 11), 685–686, 687 (pl. 60. 12), 687a, 688–689, 690 (pl. 60.13), 691–692, 693 (avec la légende PIET AVG ou PIETAS AVG). La Pietas trônant avec une patère et un sceptre apparaît aussi sur des revers du monnayage d’argent et de bronze de Sabine : bmc iii p. 355 n° 911 a (avec la légende PIETAS AVG), p. 536–537 nos 1870, 1871 (pl. 98. 15), 1872–1874, p. 539 nos 1896, 1897 pl. 99. 8 (avec la légende PIETAS SC).

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vertus, par l’adjonction du complément du nom Augusti (ou de l’épithète Augusta), et qu’il s’est constitué, par le biais du monnayage, toute une collection de vertus  ; ce phénomène s’est poursuivi sous Antonin, dont le monnayage présente la gamme la plus complète de vertus, avant de diminuer sous Marc Aurèle172. C’est à Antonin qu’il revient de spécifier la démarche de son père en s’appropriant de manière plus exclusive la pietas. c Antonin le Pieux La piété filiale d’Antonin est en effet encore plus marquée, et l’attitude de ce dernier a été sans doute déterminante dans la construction d’une mémoire dynastique fondée sur la pietas173. Adopté le 25 février 138, Antonin a dû lui-même adopter Lucius Vérus, le fils du premier héritier que s’était choisi Hadrien (L. Ceionius Commodus, qui était de santé fragile mais qui appartenait à un groupe influent au Sénat), et Marc Aurèle, apparenté à l’empereur par des liens qu’on ne peut préciser174. Après la mort d’Hadrien le 10 juillet 138, Antonin contraignit le Sénat, hostile au prince défunt, à décréter l’apothéose. Les sources soulignent sa crainte que le Sénat n’annulât les actes d’Hadrien, et parmi eux l’adoption175 ; néanmoins, Antonin ne s’est pas contenté d’éviter la rescissio actorum, il a obtenu la divinisation, faisant de celle-ci la légitimation de son statut de prince176. En outre, il a conféré un éclat particulier aux funérailles et au culte du nouveau divus en offrant à celui-ci un bouclier honorifique qui rappelait le souvenir d’Auguste et le mythe de Numa, en faisant construire un temple à Pouzzoles, en y instituant des concours quinquennaux isélastiques réputés, appelés les Eusebeia, et en fondant la prestigieuse confrérie des sodales Hadrianales, qui réunit sous le règne d’Antonin l’élite de la noblesse romaine177. En 139, Antonin fit transporter les cendres d’Hadrien de Pouzzoles à Rome, pour les placer dans le Mausolée de son père adoptif qu’il

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A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his Virtues”, p. 313–314. J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 280–291. F. Chausson, « Variétés généalogiques. iv », p. 135 et 145. Dion Cassius, lxx, 1, 2–3 ; sha, Hadr., 27, 1–2. H. I. Flower, The Art of Forgetting, p. 272–275 ; ead., « Les Sévères et l’image de la memoria », p. 100. sha, Hadr., 27, 3 ; Ant., 5, 1–2. Sur les sodales Hadrianales, voir H.-G. Pflaum, « Les prêtres du culte impérial sous le règne d’Antonin le Pieux », crai, 11, 1967, p. 194–209 ; J. Rüpke, Fasti sacerdotum. A Prosopography of Pagan, Jewish, and Christian religious Officials in the City of Rome, 300 bc to ad 499, Oxford, 2008, p. 992 (table des sodales Hadrianales). Voir aussi Ch.-A. Dubois, « Cultes et dieux à Pouzzoles », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 22, 1902, p. 23–68, part. p. 40–41. Sur les Eusebeia en particulier, voir ig xiv 737 ; seg xi 500 ; Artémidore, i, 26.

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avait achevé178. Il fit aussi construire sur le Champ de Mars (sur l’actuelle Piazza di Pietra) un temple du divin Hadrien, qui fut dédié en 145, quand Lucius Vérus prit la toge virile179. Ces témoignages de piété filiale sont certainement la principale raison qui valut au nouvel empereur le surnom de Pius180. Ce surnom, offert par le Sénat, a été intégré à sa titulature : or, c’est la première fois qu’une qualité morale est ainsi intégrée à une titulature impériale, ce qui souligne l’importance des vertus dans l’identité officielle du prince et fait de la piété la marque personnelle de l’empereur. Après son adoption, Antonin avait pris le gentilice de son nouveau père, Aelius, qui a été intégré dans la titulature impériale, ce qui représentait aussi une nouveauté pour un empereur adopté. Sur son monnayage, entre 145 et 161, il ajouta également ponctuellement dans sa titulature le surnom Hadrianus pour honorer son père adoptif181. La Pietas est prééminente sur les revers des monnaies d’Antonin, et ce depuis son adoption par Hadrien182. Elle renvoie aux relations du princeps avec les dieux, avec son père adoptif qui devient un diuus et avec ses enfants adoptés, donnant à voir, si on regarde l’ensemble, une dynastie impériale reposant sur le principe sacré de la piété183. Dans cette 178 179 180

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sha, Ant., 8, 2.  Un fragment de Dion Cassius, (Loeb, t.  8, p.  466–467), évoque aussi la construction d’un monument représentant Hadrien conduisant un quadrige. Voir B. Rémy, Antonin le Pieux, le siècle d’or de Rome 138–161, Paris, 2005, p. 119–121. sha, Ver., 3. Sur ce temple, voir L. Cozza (dir.), Tempio di Adriano, Rome, 1982. sha, Hadr., 24 ; Ant., 3 et 5. Voir A. R. Birley, Marcus Aurelius, p. 55 : le nom de Pius est porté par un sénateur appelé Aurelius, mentionné par Tacite dans les Annales, i, 75, 2, qui aurait pu être un ancêtre d’Antonin. Pius serait alors un nom propre à la famille, qu’Antonin aurait fait revivre pour lui. Avant son adoption, Antonin était arrivé à une réunion de sénateurs en soutenant son beau-père âgé, ce qui aurait pu rappeler à ses contemporains cultivés le mythe du « Pius Aeneas » de Virgile : Dion Cassius, lxx, 2, 1 ; sha, Hadr., 24, 3–5. Voir aussi B. Rémy, Antonin le Pieux, p. 121–122, et p. 258–259 sur la pietas d’Antonin. ric iii Antonin 139, 200–202, 209–218, 835, 869–883, 918, 948, 1005. Monnaies d’argent et de bronze datées entre février et juillet 138 avec la Pietas au revers : bmc iii p. 369 nos 1005 (pl. 67. 11), 1013, 1014 (pl. 67. 16), 1015, 1016, 1017 (pl. 67. 17), 1942 (pl. 101. 10), 1943 (pl. 101. 11), 1944, 1945 (pl. 102. 1), 1946, 1947 (pl. 102. 2), 1949, 1950 (pl. 102. 4), 1951 (pl. 102. 5), 1952. Voir ric iii, p. 5 : la première année du règne d’Antonin est largement occupée par un monnayage au nom d’Hadrien et de Sabine, et la pietas apparaît comme le principal trait de caractère du prince ; cf. bmc iv, p. xlix. Voir aussi J. Beaujeu, La religion romaine, i, p. 288–289. Le caractère patriotique de cette piété filiale est souligné par la référence au mythe d’Enée : celui-ci est représenté portant Anchise et conduisant Ascagne sur les revers de monnaies d’or et de bronze datées entre 140 et 144, qui renvoient à l’anecdote relative à l’origine du surnom d’Antonin rappelée dans la note précédente : bmc iv p. 36 n° 237 (pl. 6. 5), p. 203 n° 1264, et p. 207 n° 1292 (pl. 30. 5). Voir aussi S. Börner, Marc Aurel im Spiegel seiner Münzen und Medaillons. Eine vergleichende Analyse der stadtrömischen Prägungen zwischen 138 und 180 n. Chr., Bonn, 2012, p. 29.

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perspective, l’anecdote rapportée par l’Histoire Auguste selon laquelle Antonin, après un songe, avait introduit le divin Hadrien parmi ses Pénates, qui sont les divinités les plus intimes de la domus, est tout à fait significative184. d Marc Aurèle et la mémoire de ses prédécesseurs Après l’exemple d’Antonin, la piété de Marc Aurèle semblait aller de soi. En 139, le jeune Marc Aurèle fut choisi par son père adoptif comme futur époux de sa fille Faustine la Jeune, qui avait d’abord été fiancée à Lucius Vérus ; ce choix le désignait comme héritier et il rejoignit son père adoptif au palais impérial, où il acheva son éducation à ses côtés. Les sources littéraires soulignent le respect qu’il avait envers Antonin de son vivant185. Les portraits du livre i des Ecrits indiquent qu’il a compté son père au nombre de ses maîtres, et une autre anecdote de l’Histoire Auguste est intéressante, sur le plan symbolique, pour rendre compte de l’intériorisation des modèles par Marc Aurèle : il était si attaché à ses maîtres qu’il les aurait fait entrer, après leur mort, dans son laraire186. Marc Aurèle a aussi manifesté dans sa correspondance et ses Ecrits son intérêt pour la philostorgia187. A la mort d’Antonin, le 7 mars 161, Marc Aurèle associa à son pouvoir son frère Lucius Vérus, peut-être par fidélité envers la volonté d’Hadrien ou bien parce qu’il souhaitait partager la charge du pouvoir impérial. Suivant l’exemple d’Antonin, Marc Aurèle honora son père adoptif en prenant le surnom d’Antoninus. Quand ses fils jumeaux naquirent le 31 août 168, l’aîné probablement reçut le nom de T. Aurelius Fulvus Antoninus en l’honneur d’Antonin. Les funérailles de celui-ci, qui n’ont pas été décrites en détail, ressemblent fort, néanmoins, à celles d’Hadrien188. Marc Aurèle et Lucius Vérus prononcèrent du haut des Rostres l’éloge de leur père, selon la tradition républicaine. Les deux co-empereurs firent dresser sur le Champ de Mars, non loin du temple du divin Hadrien, une colonne monolithe de granite rose qui perpétuait la mémoire du diuus et évoquait (par sa nature de colonne) celle de Trajan189. 184 185 186 187 188

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sha, Hadr., 3, 5 ; Ant., 8, 2. sha, Marc., 5, 6 ; 6, 8 ; 7, 10–11 ; sur le modèle du respect d’Antonin pour Hadrien. sha, Marc., 3, 5. Marc Aurèle, 9, 9 ; 11, en liaison avec l’enseignement de Fronton (cf. De Fer. Als., 4) ; 17, 18 ; ii, 5 ; vi, 30 ; xi, 18. Avec un flamine, des sodales antoniens choisis parmi les amis d’Antonin, un temple (le temple qu’Antonin avait dédié à sa femme Faustine sur le forum, qui devint le temple d’Antonin et de Faustine), des jeux funéraires : sha, Marc., 7, 10 ; 8, 2 ; Ant., 13, 3–4 ; A. Birley, Marcus Aurelius, p. 118. Voir L. Vogel, The Column of Antoninus Pius, Cambridge Mass., 1973. La divinisation de l’empereur et de sa femme est exprimée sur la base de la colonne, par un relief représentant

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Le monnayage impérial montre en revanche une prise de distance avec le «  Pietaskonzept  » d’Antonin190. Tant que Marc Aurèle était César, son monnayage a beaucoup exploité la pietas pour renvoyer à sa relation et à sa collaboration harmonieuses avec l’empereur mais, à partir de son règne conjoint avec Lucius Vérus, les monnaies ont mis l’accent sur la concorde et la stabilité de ce pouvoir partagé : c’est surtout l’absence des tensions (présentes dans les sources littéraires) entre les frères par adoption qui est soulignée. La figure et la notion de pietas réapparaissent dans le monnayage pour le jeune Commode, qui est cependant dominé par le thème du princeps iuuentis191. Avec Marc Aurèle, le monnayage évoquant la pietas est donc plutôt spécialisé pour les périodes de succession et pour la désignation des liens entre l’empereur et son héritier. Le silence des Ecrits sur Hadrien (et en particulier le fait qu’il ne soit pas mentionné au livre I) a été souligné par les commentateurs192. Hadrien est néanmoins très présent, mais en contrepoint, dans le portrait d’Antonin au livre I193. On le retrouve dans les défauts dont celui-ci est dépourvu : dans les références au qualificatif de sophiste194, à l’amour pour les adolescents195, à la lassitude et à l’engouement dans les amitiés196, et peut-être faut-il le chercher aussi derrière la méfiance à l’égard du modèle des rois hellénistiques. Inversement, certaines qualités d’Antonin prennent le contre-pied de traits propres à Hadrien : l’absence de jalousie pour les experts197 ; le plaisir de passer son temps aux mêmes affaires et aux mêmes endroits198 ; la prudence et la mesure

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le bûcher funéraire et l’apothéose de Faustine l’Ancienne, et par deux reliefs de decursiones. Voir V.  Huet, «  La colonne Aurélienne  :  contexte spatial et historiographique  », dans J. Scheid et V. Huet (dir.), Autour de la colonne aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome, Turnhout, 2000, p. 107–127, part. p. 123–127 sur la polysémie complexe des colonnes. Je reprends ici l’expression employée par S. Börner, Marc Aurel, par exemple p. 341–342. S. Börner, Marc Aurel, p. 21, 61–62, 65–66, 75, 78, 89, 100–101, 104–105, 110, 115–116, 120, 134, 137, 139, 141–142, 145–147, 149–152, 163–164, 180, 210–211, 216, 302, 310 sur le thème de la pietas ; 341–345 pour les conclusions de l’étude. Voir récemment Y. Roman, Marc Aurèle, p. 21–23. Marc Aurèle, i, 16 ; voir R. B. Rutherford, The meditations, p. 108–109 ; P. Hadot (éd.), Marc Aurèle, p. clxxxii. Voir supra. sha, Hadr., 4, 5 ; R. B. Rutherford, The meditations, p. 108. sha, Hadr., xiv, 11 ; P. Hadot, (éd.), Marc Aurèle, p. 35. Sur la jalousie d’Hadrien envers tous ceux qui le surpassaient dans un domaine, voir Dion Cassius, lxix, 3, 3–4 ; sha, Hadr., 15, 10 et 16, 8 ; P. Hadot, (éd.), Marc Aurèle, n. 2 et 4, p. 41. sha, Hadr., 10 et 12–14. Voir aussi Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 33 : dans ce discours prononcé devant Antonin le Pieux en 143, le sophiste critique indirectement les longs voyages d’Hadrien, en louant le bon gouvernement d’Antonin qui réside toujours à Rome.

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dans les fêtes et la réalisation des travaux199 ; la conformité discrète aux coutumes des ancêtres200 ; l’humeur constante d’Antonin, alors qu’Hadrien était, selon la formule de l’Histoire Auguste, semper in omnibus uarius, caractérisé par son humeur changeante et irascible201. Marc Aurèle a donc construit sa propre figure de prince non seulement en conformité avec celle d’Antonin et de Trajan, mais aussi en opposition à celle d’Hadrien. Il paraît avoir eu de son grand-père une mauvaise opinion, comme les sénateurs du temps de celui-ci, et parmi eux Fronton qui a formulé sa crainte d’Hadrien dans une lettre à Marc Aurèle202. Plusieurs raisons morales exprimées dans les Ecrits peuvent expliquer les réticences de l’empereur envers la figure d’Hadrien203. Il est néanmoins notable que celui-ci n’est nulle part, dans des écrits de type privé, critiqué explicitement. Etait-ce par prudence, en prévision du fait que ces écrits personnels pourraient être lus par d’autres, ou bien parce que Marc Aurèle avait pris l’habitude de ne pas critiquer son grand-père par adoption ? On peut en tout cas rapprocher les pratiques qui construisaient la mémoire dynastique publique et les structures de la mémoire privée, aussi bien pour le silence envers Hadrien que pour l’éloge inconditionnel d’Antonin. Peut-être peut-on trouver un écho tardif de cette évolution dans les règles du basilikos logos attribué à Ménandre ii à la fin du iiie siècle : le rhétoricien stigmatise la critique des empereurs précédents, qui est l’un des 199

200 201

202 203

sha, Hadr., 19. Sur les travaux réalisés par Hadrien, voir la synthèse de P. Gros, « Hadrien architecte, bilan des recherches  », dans M.  Mosser et H.  Lavagne (dir.), Hadrien empereur et architecte. La villa d’Hadrien. Tradition et modernité d’un paysage culturel. Actes du colloque international organisé par le Centre culturel du Panthéon en collaboration avec la Mairie de Paris, Genève, 2002, p. 33–53. Dion Cassius, lxix, 5–6, 23. sha, Hadr., 14, 11 : Idem seuerus laetus, comis grauis, lasciuus cunctator, tenax liberalis, “simplex” simulator, saeuus clemens et semper in omnibus uarius, « Il était tour à tour sévère et enjoué, aimable et austère, impulsif et circonspect, avare et généreux, naïf et dissimulé, cruel et clément, et toujours changeant en toutes choses », trad. J.-P. Callu. Fronton, Aur., ii, 4, 1 Van den Hout : Hadrianum autem ego, quod bona uenia pietatis tuae dictum sit, ut Martem Gradiuom, ut Ditem Patrem, propitium et placatum magis uolui quam amaui. Voir par exemple Marc Aurèle, ii, 13 : « Rien n’est plus pénible que de tourner toujours en rond, de rechercher, comme on dit, “ce qu’il y a sous la terre”, de chercher à deviner ce qui se passe dans l’âme du voisin et de ne pas comprendre qu’il suffit d’être près de notre seul démon intérieur et de lui rendre un culte légitime » ; iii, 4 : « N’use pas ce qui te reste de vie à t’imaginer ce que pensent les autres, à moins que ce ne soit en rapport avec l’intérêt général. Car tu manques une autre action en imaginant ce que fait un tel, pourquoi il le fait, ce qu’il dit, ce qu’il pense, ce qu’il prépare, toutes choses qui te détournent, en t’étourdissant, d’observer ton propre moi. Il faut donc, dans la suite de tes représentations, écarter le hasard et la futilité, mais surtout la curiosité et la malveillance », trad. E. Bréhier.

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ressorts de l’éloge du bon prince chez Pline, comme étant maladroite (atechnon)204. On peut déceler dans la correspondance impériale avec les cités la volonté plus large qu’avait Marc Aurèle de préserver la mémoire de ses prédécesseurs. Un rescrit daté de 162 ou 163, adressé par Marc Aurèle et par Lucius Vérus à M.  Ulpius Apuleius Euriclès, membre du Panhellénion et logistès (sorte de commissaire aux comptes) à la gérousie des Ephésiens205, concerne d’anciennes statues d’empereurs qui étaient érigées dans le sunedrion. Marc Aurèle et Lucius Vérus préconisent de conserver ces statues et de ne surtout pas les réemployer pour honorer de nouveaux empereurs ; il faut, si possible, restaurer les noms pour honorer les anciens empereurs. La nouvelle gestion de la mémoire dynastique par les Antonins peut ainsi être mise en parallèle avec une nouvelle gestion de la mémoire impériale tout court. Le fait que les anciens empereurs doivent être honorés va de pair avec la construction sous les Antonins, et en particulier sous Antonin et Marc Aurèle, de la figure du prince qui respecte ses devoirs envers les dieux et envers les hommes. Cette figure du prince ὅσιος, incarnée par Antonin et par Marc Aurèle et décrite dans les Ecrits, peut donc se comprendre par rapport aux pratiques de la mémoire dynastique qui se mettent en place avec les Antonins. Il s’agit d’une dynastie qui se construit dans la continuité, en mettant en avant la pietas envers les prédécesseurs, et non dans l’opposition par rapport à un modèle criticable que le nouvel empereur propose de surpasser. Ce comportement est lié en partie à la procédure d’investiture par adoption206 : remettre en cause le père risquait en effet de remettre en question la pertinence de son choix successoral. On voit également apparaître à la fin du ier et au début du iie siècle, chez Tacite et surtout chez Suétone, l’idée que le mauvais prince est un mauvais fils ou un mauvais père (a contrario, le bon prince est un bon fils et un bon père). Ce rapprochement entre les pratiques mémorielles dynastiques et l’intériorisation du souvenir d’Antonin par Marc Aurèle a bien sûr ses limites : dans les Ecrits, à plusieurs reprises, le souvenir du père défunt est convoqué, souvent à 204

205 206

Ménandre ii, 377, 1.  Contra Pline, Pan., 53, 1–3. Le dénigrement de l’empereur précédent n’a pas disparu sous les Antonins  :  voir E.  S. Ramage, “Juvenal and the Establishment : Denigration of a predecessor in the ‘Satires’ ”, anrw, 33, 1, Berlin, New York, 1989, p. 640–707 ; N. Méthy, « Une critique de l’optimus princeps ». J. H.  Oliver, “The sacred Gerusia”, Hesperia, Suppl. vi, 1941, p.  93  ; Greek Constitutions, n° 170 ; Marco Aurelio, Scritti, n° 264, l. 8–28. Quand Hadrien adopte Antonin en 138, il prononce devant les plus distingués des sénateurs, selon Dion Cassius, lxix, 20, un discours développant le thème de l’adoption du plus digne.

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côté de celui d’autres princes brillants comme Auguste et Hadrien, pour rappeler que tout est voué à l’anéantissement et à l’oubli207. Le souvenir d’Antonin est donc utilisé par Marc Aurèle pour rappeler la finitude de l’existence humaine, éviter de devenir un tyran ou de se « césariser », rendre grâce aux autres de ses propres qualités, et non pour perpétuer une figure de prince idéal, ce qui est l’un des grands objectifs poursuivis par les miroirs au prince. On rencontre ici la limite qui sépare une mémoire de type privé et une mémoire publique, qui ont forcément des connexions mais ne peuvent être confondues. En tout cas, la figure du prince pieux, ferme dans ses devoirs envers les dieux et envers les hommes, a permis à Marc Aurèle de résoudre intellectuellement l’aporie du bon roi présente chez Epictète, en proposant un modèle de philosophe-roi cohérent, ancré dans la tradition romaine du princeps ciuilis. Cet ancrage va de pair avec une grande méfiance envers le modèle du roi hellénistique, qui avait sans doute attiré Hadrien et peut-être Trajan. Ce modèle est en tout cas bien présent dans les Ecrits, il est un élément constitutif de la réflexion sur la figure du bon prince. Ce qui est intéressant est que la figure du prince, sous Antonin et Marc Aurèle en particulier, paraît se fixer dans une double dimension morale et politique. Des sources antiques et des études modernes se dégage en effet l’idée d’une double continuité entre les deux empereurs, à la fois dans le domaine des mœurs et dans le domaine politique, comme si les pratiques politiques étaient le prolongement de la personnalité de l’homme, ce qui est bien l’idée qui soustend les biographies de Suétone et de Plutarque. Cette double continuité entre Antonin et Marc Aurèle est très forte dans l’Histoire Auguste208. Elle apparaît aussi dans le jugement des historiens modernes à propos du conservatisme politique et social des deux empereurs209. S’agit-il d’une illusion d’optique liée à l’historiographie ancienne, ou bien Antonin et Marc Aurèle ont-ils cherché, consciemment pour le second, à fixer une figure du prince idéal, à la fois dans ses mœurs et dans son gouvernement de l’Empire ? 207 208 209

Marc Aurèle, iv, 33, 35 ; x, 27. sha, Marc., 5, 8 : « s’appliquant à suivre le modèle de son père pour agir, parler et penser » ; 11, 10 : « il s’attachait plus à amender les lois anciennes qu’à en créer de nouvelles », trad. A. Chastagnol. A ce titre, le jugement qu’a porté sur Antonin A. Chastagnol, dans sa traduction de l’Histoire Auguste, p.  85–86, est exemplaire  :  «  Il a visé à perpétuer le système de son père adoptif, sans avoir à se déplacer », p. 85. B. Rémy, Antonin le Pieux, p. 286–288, a un jugement plus positif, mais reconnaît cependant le conservatisme d’Antonin dans le domaine administratif (p.  287)  ; c’est son œuvre juridique qu’il juge novatrice, contrairement à T. Honoré, Emperors and Lawyers, p. 16. Y. Roman, Marc Aurèle, admet aussi que l’empereur Marc Aurèle fut « le digne héritier d’Antonin », p. 198–212 ; voir aussi p. 314.

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Cette stabilisation de l’image du pouvoir impérial est peut-être liée aux pratiques de la mémoire dynastique que nous avons évoquées. Elle est également due à la politique du consensus des élites qui a été mise en place par Trajan (dans le droit fil de celle d’Auguste), reprise par Antonin et poursuivie par Marc Aurèle. Antonin s’est en effet appliqué à prendre le contre-pied de certaines pratiques et comportements d’Hadrien qui déplaisaient aux sénateurs ou bien aux élites provinciales, tout en continuant dans les grandes lignes la politique de gestion de l’Empire qu’avait menée son prédécesseur210. L’importance de la cour dans les Ecrits, et l’attention portée par Marc Aurèle aux leçons comme aux critiques de son entourage, indiquent aussi que les attentes des élites romaines et grecques de l’Empire sont parvenues à cette époque à influencer de manière décisive la conception et la gestion du pouvoir impérial211. Depuis l’avènement de Trajan et de la libertas, ces attentes étaient exprimées et diffusées plus largement, aussi bien par les sénateurs comme Pline que par les représentants de la Seconde Sophistique comme Dion de Pruse ou Aelius Aristide. Rappelons que c’est précisément avec le début de cette période de libertas et avec l’ouverture concomitante du Sénat aux élites orientales, qu’a coincidé le début de la Seconde Sophistique. Avec Marc Aurèle, la libertas a été symboliquement marquée par une réconciliation complète entre le pouvoir impérial et la philosophie, qui a bénéficié d’une institutionnalisation avec la création des quatre chaires philosophiques à Athènes en 176212. Dans ses Ecrits, surtout au livre i, Marc-Aurèle se représente lui-même comme une sorte de roi-philosophe, formé et entouré par des sages213 ; en parallèle, et sans doute en partie par imitation de l’empereur, les aristocrates romains semblent s’être pris d’engouement pour les philosophes grecs, considérés comme les ornements des banquets, si l’on en croit le pamphlet de Lucien Sur les salariés des Grands214. Selon Hérodien (et non sans exagération), « l’époque à laquelle il régna produisit une quantité impressionnante de sages […] parce que les sujets aiment, en quelque sorte, à imiter constamment 210 211 212 213 214

On a déjà évoqué l’abandon des quatre districts judiciaires en Italie ; pour le poids des voyages impériaux qui pesait financièrement sur les provinciaux, voir sha, Ant., 7, 11. Voir C. Horst, Marc Aurel. Philosophie und politische Macht zur Zeit der Zweiten Sophistik, Stuttgart, 2013, p. 195–199. J. H. Oliver, “Marcus Aurelius and the philosophical schools at Athens”. J. A.  Crook, Consilium Principis, p.  69–76, distingue trois grands groupes d’amici de Marc-Aurèle, les préfets, les juristes et ceux qui étaient apparentés à la famille impériale. Loin d’y voir une amélioration des conditions de vie des philosophes grecs, Lucien déplore un phénomène de déclassement social : il voit les « philosophes domestiques » essentiellement comme des domestiques. Voir J. Hahn, Der Philosoph und die Gesellschaft, p. 150–153.

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dans leur vie l’idéal de leurs gouvernants »215. Le Péripatéticien Eudémos de Pergame, ami de Galien, était fréquenté par l’élite de Rome : L. Sergius Paullus, consul ordinaire bis en 168, le consulaire Flavius Boethus, le gendre de Marc Aurèle, lui-même péripatéticien, Cn. Claudius Severus, consul ordinaire bis en 173, et l’oncle de Lucius Vérus, M. Vetulenus Civica Barbarus, consul ordinaire en 157216. Il semble aussi que des opportunistes se soient adonnés à la philosophie pour obtenir des dons de Marc Aurèle217. Les portraits d’Antonin dans les Ecrits semblent montrer une nouvelle étape dans l’intériorisation des modèles créés par les prédécesseurs, avec cette réserve, naturellement, qu’on n’a pas conservé ce type d’écrits privés pour les autres empereurs. D’après les sources dont on dispose, Marc Aurèle semble avoir été le prince qui a exercé le plus gros travail de construction de son image depuis Auguste, allant encore plus loin que celui-ci puisqu’il a, par ses exercices d’ascèse, cherché à modeler sa personnalité, son «  moi  » pour employer un langage philosophique moderne. Le bon prince, à partir d’Antonin et de Marc Aurèle, est aussi celui qui a bien intériorisé le ou les bons modèles, comme en témoigne de manière romancée l’Histoire Auguste au sujet de l’empereur Sévère Alexandre qui représente le bon roi par excellence218 : il aurait composé en vers la biographie des bons empereurs, fait ériger sur le forum de Nerva les statues colossales des empereurs divinisés, accompagnées d’inscriptions rappelant leurs hauts faits, et offert dans son laraire, le matin, un sacrifice aux images des meilleurs d’entre eux219. Les règnes d’Antonin et de Marc Aurèle apparaissent donc comme un moment où se cristallise une figure du prince, à la fois morale et politique, publique et personnelle. Mais la construction de l’image publique du prince est un phénomène complexe, qui outrepasse la réflexion philosophique sur le bon 215 216 217

218 219

Hérodien, i, 2, 4, trad. D. Roques. Galien, De Praecognitione, 2, 24–25 et 27 (Kühn xiv, 612 et 613) ; pir2 S 530 ; pir2 F 229 ; pir2 C 1024 ; pir2 C 1024 ; J. Hahn, Der Philosoph, p. 154–155. Dion Cassius, lxxii, 35, 2 ; F. G. B. Millar, The Emperor in the Roman World, p. 498 ; J. Hahn, Der Philosoph, p. 184 ; voir aussi C. Horst, Marc Aurel, p. 124–138, sur les liens entre pouvoir et culture à la cour ; L. de Blois, “The Relation of Politics and Philosophy under Marcus Aurelius”, dans M. van Ackeren (éd.), A Companion to Marcus Aurelius, Malden ma, Oxford, Chichester, 2012, p. 171–182, part. p. 177–178. Voir A. Chastagnol, Histoire Auguste. Les empereurs romains des iie et iiie siècles, Paris, 1994, p. xli, cliii-clvi. sha, Alex. Seu., 27, 8  ; 28, 6 («  il fit élever au Forum du divin Nerva […] des statues colossales des empereurs divinisés, représentés soit en pieds et nus, soit à cheval, avec des bases en bronze portant des inscriptions qui présentaient la succession de leurs exploits, à l’exemple d’Auguste qui avait placé sur son Forum des statues en marbre des hommes les plus illustres avec le rappel de leurs actions d’éclat », trad. A. Chastagnol).

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prince. Même si les points communs avec les louanges de Fronton et avec l’Histoire Auguste montrent que la figure du bon prince Antonin qui se dégage des Ecrits n’était pas si personnelle que cela, elle n’est qu’un des éléments, parfois peu apparent, de l’image publique beaucoup plus composite des derniers Antonins220. Marc Aurèle est devenu un modèle durable, celui du prince-philosophe, admiré par Dioclétien et Julien221. Ce n’est cependant pas l’image qui se dégage d’autres types de sources primaires comme les monnaies et la colonne aurélienne. Sur le monnayage de Marc Aurèle, que celui-ci soit César ou qu’il règne, avec Lucius Vérus ou bien seul, l’aspect militaire du prince est omniprésent  :  seule la figure de Minerve est susceptible de renvoyer au prince philosophe222. La colonne aurélienne, dont la frise historiée a sans doute été commanditée par Commode, le fait apparaître, comme l’a dit J. Elsner, plutôt comme un nouveau Trajan que comme un nouveau Socrate223. Il en va de même sur les reliefs rapportés à l’arc honorifique érigé à la fin du règne de Marc Aurèle, qui retracent les campagnes germaniques, débutées en 169, le retour et le triomphe de 176, ainsi que le congiaire distribué par les deux empereurs, le père et le fils, en 177224. L’un des reliefs décrit une scène de deditio (capitulation de l’ennemi qui livre sa personne et ses biens) soulignant la clementia de Marc Aurèle  :  cette clementia principis est représentée dans un sens très traditionnel, républicain, car c’est la clémence de l’imperator qui pardonne aux ennemis extérieurs de Rome. La titulature de Marc Aurèle a aussi souligné de plus en plus son caractère victorieux et conquérant, en accumulant les titres relatifs à ses expéditions : Armeniacus en 164, Medicus et Parthicus Maximus en 166, Germanicus en 172, Sarmaticus en 175. Hérodien, qui écrit une soixantaine 220 221 222 223

224

C’est d’autant plus vrai que l’on ignore comment les Ecrits ont été conservés et comment ils se sont diffusés. Sur la postérité de Marc Aurèle, voir W.  Desmond, Philosopher-Kings, p.  112–115 (sur le « mythe » de l’empereur-philosophe de l’Antiquité jusqu’au xxe siècle) ; C. Horst, Marc Aurel, p. 199–202. S. Börner, Marc Aurel im Spiegel seiner Münzen und Medaillons, p. 341–345. J. Elsner, “Frontality in the column of Marcus Aurelius”, dans J. Scheid et V. Huet (dir.), Autour de la colonne aurélienne, p. 251–264, part. p. 264. L’attitude de Marc Aurèle dans la frise (plus détachée des scènes d’action que Trajan, présenté frontalement) et l’expressivité des scènes de violence militaires ne suffisent pas à prouver que l’auteur a voulu montrer la condamnation de la guerre par l’empereur philosophe. Huit reliefs ont été remployés sur les façades principales de l’attique de l’arc de Constantin, trois reliefs sont conservés au Palais des Conservateurs et le dernier à la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague. Voir cil vi 1014 = ils 374 (176 ap. J.-C.) ; E. M. Steinby, ltur, i, Roma, 1993, p. 98–99, s.v. « arcus Marci Aureli » (M. Torelli) ; C. Blonce, L’arc monumental, ii, p. 27–32, n° 8.

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d’années après la mort de Marc Aurèle et le présente comme un nouveau modèle, le décrit certes comme un prince ciuilis et philosophe, mais le portrait qu’il en donne est très général et souligne plus sa tempérance que sa piété225. On retrouve mieux le prince hosios, soucieux d’accomplir ses devoirs entre les dieux et les hommes, à la fin du ive siècle dans l’Histoire Auguste qui offre une sorte de synthèse entre les Ecrits et les autres types de sources que nous avons évoqués (ce qui soulève le problème de la diffusion des Ecrits). La vie de Marc Aurèle dans l’Histoire Auguste présente plus largement une image de prince à la fois philosophe et bon chef de guerre, proposée en modèle à Dioclétien. La titulature de Commode construisait déjà une synthèse présentant un empereur à la fois pieux et victorieux. L’empereur a en effet adopté le cognomen Pius au tout début de 183, peut-être suite à la conspiration menée par sa sœur Lucilla, ce qui serait une manière de souligner sa relation aux dieux qui l’ont protégé ; en 183, Hercule fait aussi son apparition sur le monnayage impérial226. L’adoption de ce titre est de toutes façons un appel direct à la mémoire du très apprécié Antonin le Pieux. En 185, après les victoires en Bretagne et l’élimination du préfet du prétoire Tigidius Perennis, Commode est qualifié de pius et de felix, formule qui est reprise à partir de Caracalla. Elle lie le succès et le bonheur (felix) au bon rapport que le prince entretient avec les dieux (pietas)227, en prolongeant et en amplifiant le rapport de protection particulier que les dieux entretiennent avec le bon empereur, dont on a vu la mise en relief sous Trajan. Mais, après la mesure dont avaient fait preuve Antonin et Marc Aurèle dans le domaine religieux, Commode a exploité la relation privilégiée entre l’empereur, Jupiter et Hercule, qui avait été développée par les Antonins, au moyen d’une mise en scène qui a choqué les représentants de l’élite attachés à la tradition et à la mesure228.

225 226 227 228

Hérodien, iii, 4, 8, 9. ric iii Commode 365, 399 a et b, 409, 424, 427. Voir M. P. Charlesworth, “Pietas and Victoria : the Emperor and the Citizen”, jrs, 33, 1943, p. 1–10. Voir aussi B. Cahut, Principat et République, p. 955, 961–964. Voir supra, c. 3 pour les rapports d’Hadrien avec Jupiter/Zeus et Hercule ; Dion Cassius, lxxii, 15–17, 19, 20, 22, sur les associations de Commode à Hercule et Mercure. Sur les relations entre Commode et les dieux, voir O. Hekster, Commodus. An Emperor at the Crossroads, Amsterdam, 2002, p. 99–136.

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Les Sévères et la tradition des discours de conseils au prince L’assassinat de Commode, le 31 décembre 192, ouvrit une période de cinq années de guerres civiles, durant laquelle s’est instaurée la nouvelle dynastie des Sévères, beaucoup moins stable que celle des Antonins : selon l’historien bithynien Dion Cassius, le principat de Marc Aurèle a représenté un âge d’or suivi par « un âge de fer et de rouille »1. L’historien semble réagir à l’annonce officielle de l’âge d’or faite par Commode dans les dernières années de son règne, que l’on retrouve ensuite comme une antienne dans le monnayage des candidats à l’Empire et des princes sévériens2, Pescennius Niger, Clodius Albinus, puis Septime Sévère qui lui a donné tout son lustre en célébrant les jeux séculaires en 204. Les crises politiques de la fin du iie – début du iiie siècle semblent avoir été à nouveau propices au développement d’une réflexion politique, toujours centrée sur la personne du prince3. Comme l’a souligné L. de Blois, au iiie siècle, inscriptions et sources littéraires témoignent qu’aux yeux des sujets de l’Empire le bonheur et la stabilité de l’Empire romain reposaient sur la personne, le comportement et le gouvernement du prince4, ce qui semble dénoter une nouvelle et décisive étape dans l’infléchissement monarchique du principat. Sous les Sévères, Marc Aurèle représente le paradigme du bon prince5, et la conception du temps cyclique explique que la figure du prince philosophe soit l’un des pôles orientant la réflexion politique de cette époque6. 1 Dion Cassius, lxxi, 36, 4. 2 Dion Cassius, lxxii, 15, 6 (dans les dernières années du règne) ; sha, Com., 14, 3. 3 M. T.  Schettino, «  Conscience de la crise, utopie et perspectives réformatrices à l’époque des Sévères », Latomus, 67, 2008, p. 985–999, sur le débat historiographique au sujet de la « crise » du iiie siècle, et sur le rapport entre conscience de la crise et genèse de réflexions utopiques (chez Dion Cassius). 4 L. de Blois, “Emperor and Empire”, p. 3412–3413, 3441–3443. 5 Dion Cassius, lxxi, 34–36 ; Hérodien, i, 2-i, 4 ; Septime Sévère a prétendu que Marc Aurèle était son père adoptif à partir de 195, et, selon Hérodien, v, 2, 3, Macrin cherchait à se légitimer en imitant l’apparence philosophique de l’empereur stoïcien. Sur Marc Aurèle comme roi idéal chez Dion Cassius, voir M. Bering-Staschewsky, Römische Zeitgeschichte bei Cassius Dio, Diss. Bochum 1980, p. 8–22. 6 Voir récemment E. Bertrand, « Cassius Dion et les cycles de l’histoire : du topos littéraire à la réflexion historique », dans ead., R. Soussignan (éd.), Cycles de la Nature, Cycles de l’Histoire. De la découverte des météores à la fin de l’âge d’or, Bordeaux, 2015, p. 163–172.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/ 9789004379374_ 007

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De cette réflexion, on a conservé deux discours parénétiques au prince sensiblement contemporains, composés l’un par Dion Cassius (ca 164-ca 235) au début du livre lii de son Histoire romaine, et l’autre par le sophiste Philostrate de Lemnos (ca 170-ca 245)  au livre v de la Vie d’Apollonios de Tyane. Selon des sources d’époque byzantine, Dion Cassius serait, par sa mère, le petit-fils ou bien le neveu de Dion de Pruse7. Aucun de ces deux textes ne peut être daté précisément. La composition de l’Histoire romaine a duré, d’après son auteur, 22 ans8, et sa datation par les savants modernes oscille entre 194 pour la collecte des informations et 234 pour la fin de la rédaction, même si l’on perd la trace de Dion Cassius après 229 quand il quitte Rome9. A  cette première incertitude globale s’en ajoute une seconde qui porte sur la date de composition du début du livre lii. M. Reinhold, qui a résumé le débat sur la datation du discours de Mécène10, est lui-même plutôt favorable à une datation tardive, sous Sévère Alexandre, parce qu’il voit des allusions à Caracalla, à Macrin et à Elagabal dans ce discours. On peut objecter que ces références ont un caractère général11, cependant son intuition paraît confirmée par la cohérence entre l’argumentation attribuée à Mécène et les jugements que Dion Cassius porte sur les princes de la période sévérienne dans les livres lxxv à lxxx12 : l’insistance sur la clémence, comme on le verra, pourrait être une réaction à la conduite de 7 8 9

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11 12

A. Gowing, “Dio’s Name”, CPh, 85, 1990, p. 49–54. Dion Cassius, lxxii, 23, 5. M.-L. Freyburger- Galland, «  La conception de l’histoire chez Dion Cassius  », dans G.  Lachenaud et D.  Longrée (dir.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire. Représentations, récits et idéologie, Rennes, 2003, p. 109–121 ; F. G. B. Millar, “Rome in Greek culture : Cassius Dio and Ulpian”, dans L. Troiani et G. Zecchini (éd.), La cultura storica nei primi due secoli dell’Impero romano, Rome, 2005, p. 17–40, part. p. 29– 35  ; H.  Sidebottom, “Severan historiography  :  evidence, patterns, and arguments”, dans S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan culture, Cambridge, 2007, p. 52–82, part. p. 74. Dion Cassius, lii, 52, 14–40 ; M. Reinhold, From Republic to Principate. An Historical Commentary on Cassius Dio’s Roman History, Books 49–52, 36-29 bc, Atlanta, 1988, p. 180–182. Voir aussi récemment M. Bellissime, Edition, traduction et commentaire de Cassius Dion, Histoire romaine, livres 52 et 53, thèse, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2013, p. 93–95. Voir cependant lii, 19, 6 : la référence à la cité universelle de Rome évoque naturellement la constitution antonine de 212 (M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 192). M. Molin, «  Cassius Dion et les empereurs de son temps. Pour une confrontation du manuscrit Vaticanus Graecus 1288 et des autres sources contemporaines », dans V. Fromentin, E. Bertrand, M. Coltelloni-Trannoy et alii (éd.), Cassius Dion : nouvelles lectures, Bordeaux, 2016, p. 259–268.

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Septime Sévère après la mort de son rival Clodius Albinus en 197 ; l’interprétation moraliste de la chute de Macrin, qui se serait perdu lui-même pour avoir aspiré à l’Empire alors qu’il n’était pas sénateur, correspond à la vision très méritocratique exposée par Mécène au début de son discours13. Le miroir au prince attribué à Mécène a-t-il été nourri par les pratiques et les choix politiques du pouvoir que Dion Cassius a pu observer depuis Commode jusqu’à Sévère Alexandre, ou bien l’historien a-t-il rédigé la vie des Sévères à partir de convictions personnelles très fortes au sujet du pouvoir romain ? Il est impossible de répondre à cette question, d’autant que les deux éléments de l’alternative ne sont pas exclusifs l’un par rapport à l’autre. Néanmoins, la cohérence constatée donne à penser que le début du livre lii a été rédigé à une date tardive, au moins après les règnes de Septime Sévère et de Caracalla, soit après 217. Philostrate affirme avoir reçu commande de l’écriture de la Vie d’Apollonios de Tyane par Julia Domna, mais l’œuvre n’a été achevée qu’après la mort de celle-ci, ce qui implique pour la fin de la rédaction un intervalle de datation assez large également, entre l’été 217 et 242/243 ; le livre a probablement été achevé après le règne d’Elagabal (218–222), comme le suggèrent les nombreuses références au culte solaire ainsi qu’une probable allusion aux excès religieux de cet empereur14. Les deux auteurs ont fréquenté la cour impériale des Sévères, Philostrate comme membre du fameux « cercle » de Julia Domna et Dion Cassius comme haut dignitaire  :  prêteur en 194 ou 195, consul suffect vers 205, proconsul d’Afrique (ou légat de rang consulaire selon M. Christol) vers 223, légat propréteur de rang consulaire en Dalmatie (vers 224 ou 225), puis en Pannonie (vers 225–229), consul ii ordinaire comme collègue de l’empereur Sévère Alexandre

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Sur la thématique de la clémence, voir infra ; sur Macrin, voir Dion Cassius, lxxviii, 41 ; cf. Dion Cassius, lii, 14–15, 19. Philostrate, va, i, 3, où Julia Domna est mentionnée par un verbe à l’aoriste ; le fait que l’ouvrage ne lui ait pas été dédié va aussi dans ce sens. La Vie d’Apollonios de Tyane a précédé les Vies de sophistes qui y font référence (vs, 570), et qui ont été dédiées à un Gordien, identifié soit à Gordien ier quand il était proconsul d’Afrique en 237/238, soit à Gordien iii en 242/243. Voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 25–27 (datation avant 238, en référence à Gordien ier) ; E. L. Bowie, “Philostratus : the life of a sophist”, dans E. L. Bowie et J. Elsner (éd.), Philostratus, Cambridge, 2009, p. 19–32, part. p. 29 ; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, p. 246 (Gordien ier). Allusion à Elagabal : va, iii, 28. Voir J. R. Morgan, “The Emesan Connection : Philostratus and Heliodorus”, dans K. Demoen, D. Praet (éd.), Theios Sophistes. Essays on Flavius Philostratus’Vita Apollonii, Leiden, Boston, 2009, p. 263–281, part. p. 279.

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en 22915. Aussi importe-t-il d’examiner la vie culturelle à la cour des Sévères, avant de dégager les principales caractéristiques de ces nouveaux portraits de bons princes et d’examiner s’ils entrent en résonnance avec les pratiques ou les orientations politiques des empereurs sévériens. 1

Vie culturelle sous les Sévères

a La culture des Sévères Au-delà de l’image militaire attachée aux Sévères, les empereurs de la dynastie sévérienne au sens strict du terme semblent avoir tous été des hommes cultivés, à l’exception peut-être d’Elagabal dont on n’a que des portraits à charge et qui fut probablement d’abord élevé pour être grand-prêtre du dieu dont il a tiré son surnom. De culture trilingue – punique, latine et grecque – Septime Sévère avait reçu une formation rhétorique, puis juridique, et il appréciait la philosophie, comme l’attestent les sources littéraires antiques16. Il avait séjourné à Athènes entre environ 182 et 185. Le plus réservé sur sa culture littéraire et sur ses compétences en matière d’éloquence est Dion Cassius, ce qui peut s’expliquer par son 15

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Voir pir2 C 492 ; F. G. B. Millar, A study of Cassius Dio, 1999 (1964), p. 5–27 ; M. Molin, « Biographie de Dion Cassius », dans V. Fromentin, E. Bertrand, M. Coltelloni-Trannoy et alii (éd.), Cassius Dion, p.  431–446  ; M.  Christol, «  Marius Maximus, Cassius Dion et Ulpien : destins croisés et débats politiques », ibid., p. 447–467, part. p. 451–457. Dion Cassius, lxxvi, 16, 1 : Παιδείας µὲν γὰρ ἐπεθύµει µᾶλλον ἢ ἐπετύγχανε, καὶ διὰ τοῦτο πολυγνώµων µᾶλλον ἢ πολύλογος ἦν, « Quant à la culture, il la désirait plus qu’il ne l’avait reçue, et pour cette raison il était plus riche d’idées que de mots » (toutes les traductions de Dion Cassius sont personnelles, sauf mention contraire) ; sur son bilinguisme en latin et grec, Dion Cassius, lxxvi, 17, 2 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 22 : « Il était adonné à la philosophie, à la déclamation, enfin à toutes les études libérales », trad. P. Dufraigne ; § 28 au sujet de sa formation rhétorique et juridique ; Eutrope, viii, 19, 1 : Seuerus autem praeter bellicam gloriam, etiam ciuilibus studiis clarus fuit, et litteris doctus, philosophiae scientiam ad plenum adeptus, « Outre la gloire militaire, Sévère fut aussi réputé pour son habileté politique, et, savant dans les lettres, il approfondit surtout la philosophie », trad. personnelle ; sha, Sept. Seu., 1, sur l’habileté de Septime Sévère dans les lettres grecques et latines et dans la rhétorique, et § 18, 5 : Philosophiae ac dicendi studiis satis deditus, doctrinae quoque nimis cupidus, « Il s’adonna avec ardeur à la philosophie et à l’éloquence tout en portant un grand intérêt à la culture générale », trad. A. Chastagnol ; la Vie de Géta, 2, 2, explique le goût de Septime Sévère pour la culture intellectuelle par son désir d’imiter Marc Aurèle ; Epitome de Caesaribus, 20, 8 : Latinis litteris sufficienter instructus, Graecis sermonibus eruditus, Punica eloquentia promptior, « Correctement instruit dans les lettres latines, habile à s’exprimer en grec, plus à l’aise dans l’éloquence punique », trad. personnelle. Voir A. R. Birley, The African Emperor Septimius Seuerus, London, 19882, p. 33–35 ; A. Daguet-Gagey, Septime Sévère, Rome, l’Afrique et l’Orient, Paris, 2000, p. 49–56.

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parti-pris selon lequel l’éducation est un rempart contre la tentation de faire du mal17. Dans la mesure où Septime Sévère avait fait preuve de cruauté, notamment lors des répressions après les guerres civiles, il ne pouvait pas être trop bien éduqué. Le même préjugé est à l’œuvre dans la manière dont l’historien évoque la culture de Caracalla, accusé d’avoir tourné le dos à la paideia, après qu’il fut devenu empereur, pour se consacrer à la vie militaire18. La question de la culture littéraire de Septime Sévère a partie liée avec l’importance qu’il attachait à son image : suivant l’exemple d’empereurs comme Auguste ou Hadrien, il avait en effet écrit une autobiographie, à visée apologétique selon l’Histoire Auguste – pour se décharger de l’accusation de cruauté19  – et encouragé des historiens à rapporter ses guerres, comme le montre l’exemple de Dion Cassius. La vocation d’historien de ce dernier semble avoir été engendrée par l’écriture d’un opuscule Sur les rêves et les présages ayant annoncé l’ascension au pouvoir de Septime Sévère, puis il a écrit l’histoire des guerres civiles de 193–197, et c’est l’approbation de l’empereur qui l’a conduit à se lancer dans le projet plus vaste de l’Histoire romaine20. Hérodien 17 18

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Dion Cassius, lii, 26, 6. Voir B. Jones, « Cassius Dio – Pepaideumenos and Politician on Kingship », dans C. J. Lange, J. Majbom Madsen (éd.), Cassius Dio, Greek Intellectual and Roman Politician, Leiden, Boston, 2016, p. 297–315. Dion Cassius, lxxvii, 11, 2–3. On peut rapprocher la description que l’historien fait de Septime Sévère de celle qu’il donne de Trajan au livre lxviii, 7, 4 : l’empereur ne maîtrisait pas la culture rhétorique, mais pensait et agissait comme un homme cultivé ; aux yeux de l’historien, une trop grande proximité avec les soldats, espèce rapace et rebelle, semble avoir été incompatible avec la vraie paideia. D’autre part, la fin de l’expédition parthique de 197 a été marquée par un évident rapprochement de Septime Sévère avec Trajan : à Rome, des sacrifices en l’honneur de la victoire de Septime Sévère furent institués le 28 janvier 198, jour anniversaire de l’avènement de l’empereur Trajan, et sans doute aussi jour où celui-ci avait été acclamé Parthicus Maximus par ses soldats, après la prise de Ctésiphon en 117 (P. Dur., 54, col. i). Septime Sévère fit désormais figurer dans sa titulature officielle le titre de Parthicus Maximus, qui consacrait ce rapprochement avec l’un des fondateurs de la dynastie antonine. Le même 28 janvier, il proclama Auguste son fils aîné, Caracalla, et César son cadet, Géta ; A. Daguet-Gagey, Septime Sévère, p. 290. Voir Dion Cassius, lxxv, 7, 3 ; Hérodien, ii, 9, 4 ; ix, 4 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 22 : « Il écrivit aussi ses mémoires avec autant de talent que de sincérité », trad. P. Dufraigne ; sha, Sept. Seu., 18, 6 : Vitam suam priuatamque et publicam ipse composuit ad fidem, solum tamen uitium crudelitatis excusans, « Il rédigea lui-même avec objectivité le récit de sa vie privée et publique, en tentant seulement de justifier sa cruauté », trad. A. Chastagnol ; F. Chausson, « L’autobiographie de Septime Sévère », rel, 73, 1995, p. 183–198 ; T. J. Cornell (éd.), The Fragments of the Roman Historians. 1 Introduction, Oxford, 2013, n° 100, p. 598–601. Dion Cassius, lxxii, 23, 1–4 ; lxxviii, 10, 1–2, sur le songe envoyé par Septime Sévère à l’historien, pour lui dire de rapporter aussi les événements postérieurs à sa mort, concernant Caracalla. Voir notamment M.-L. Freyburger-Galland, « La conception de l’histoire chez Dion Cassius », Grecs et Romains aux prises avec l’histoire, 2003, vol. 1, p. 109–121.

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atteste que de nombreux historiens et poètes ont consacré leur œuvre à Septime Sévère21. Le sophiste Antipater de Hiérapolis, chargé de la correspondance grecque de Septime Sévère dans les années 190, rédigea une histoire de ses hauts faits22. Le poète grec qui est le mieux connu à la fin du iie, début du iiie siècle, L. Septimius Nestor de Laranda, doit probablement aussi sa carrière à Rome à Septime Sévère, qui lui a sans doute accordé la citoyenneté romaine, comme l’indiquent son praenomen et son gentilice. Peut-être faut-il lier son poème l’Alexandriade à l’expédition parthique de 197, et voir dans son poème célébrant la naissance des Dioscures un hommage indirect à Caracalla et Géta23. Septime Sévère semble avoir encouragé la production d’une littérature apologétique – qui n’a pas survécu – en sa faveur, et avoir, plus généralement, exploité le prestige attaché, à son époque, à la figure de l’homme de culture, le pepaideumenos24. Julia Domna a sans aucun doute joué un rôle central dans cette association entre pouvoir et culture, qui caractérisait les Antonins depuis Trajan. Elle apparaît en effet comme une femme de culture et, en cela, on peut la rapprocher de Sabine qui fut proche de Suétone avant la disgrâce de celui-ci, vers 121–122, et visita le colosse de Memnon à Thèbes en Egypte en compagnie de la poétesse Julia Balbilla en novembre 13025, ou bien de Plotine, concernée par les querelles de l’école épicurienne à Athènes26. Dans la continuité des impératrices antonines, Julia Domna a cependant développé ses activités culturelles à un degré bien supérieur : Philostrate la qualifie de « philosophe », au sens large d’« amie de la sagesse », qui était un qualificatif rarement employé pour désigner une femme27. Selon Dion Cassius, plutôt critique avec elle, elle se serait tournée vers la paideia quand le tout-puissant préfet du prétoire Plautien l’avait forcée à se tenir à l’écart du pouvoir, entre environ 200 et 20528. 21 22 23

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Hérodien, ii, 15, 6 ; iii, 7, 3. Philostrate, vs, 607. Voir A. Gangloff, « Les poètes dans les inscriptions grecques de Rome : esquisse d’une approche socioculturelle », Cahiers Glotz, 18, 2007 (2009), p. 349–374. Sur Nestor, voir aussi J. Ma, “The worlds of Nestor the poet”, dans S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan Culture, p. 83–113. Philostrate, vs, 601, affirme qu’au cours du voyage en Afrique qui eut peut-être lieu en juin 203, l’empereur rassembla « des hommes de culture venus du monde entier ». sha, Hadr., 11, 3 ; A. et É. Bernand, Les inscriptions grecques et latines du Colosse de Memnon, Le Caire, 1960, nos 29 et 31 ; sur le rôle de Balbilla aux côtés du couple impérial, voir A. Gangloff, « Les “poètes” hellénophones », part. p. 51–56. Voir S. Follet, « Lettres d’Hadrien aux épicuriens d’Athènes (14.2-14.3.125) : seg iii 226 + ig ii2 1097 », reg, 107, 1994, p. 158–171 ; supra, c. 3. Philostrate, vs, 622.Voir P. Robiano, s.v. « Iulia Domna », DPhA, iii, I 42, p. 954–960. Dion Cassius, lxxv, 15, 6–7 : encore une fois, l’historien sépare l’ambition, le goût du pouvoir, et la paideia.

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L’historien l’a décrite comme une femme de pouvoir (qu’il compare, et ce n’est pas un compliment, à Sémiramis et à Nitocris29), ce qui est parfaitement compatible avec sa qualité d’amie, voire de patronne, des sophistes et des philosophes. Ces deux facettes sont en effet ostensiblement réunies dans le rôle qu’elle a joué sous le règne de Caracalla. A  Rome, vers 212, Philiskos de Thessalie était venu chercher son soutien pour être nommé sur la chaire de rhétorique d’Athènes30. A Nicomédie, dans l’hiver 214–215, elle avait été chargée par son fils des pétitions et de la correspondance impériale en latin et en grec, ce qui était un poste significatif pour l’image que le pouvoir impérial renvoyait aux cités des provinces et pour les liens entretenus avec les communautés de l’Empire ; elle recevait des personnages importants avec qui elle s’entretenait de philosophie31. On a conservé une lettre qu’elle a écrite aux autorités d’Ephèse, attestant son intérêt pour le rayonnement intellectuel de cette cité qui était l’une des capitales de la Seconde Sophistique32. Ce rôle politique n’empêche pas qu’elle ait pu développer un goût réel pour la rhétorique et la philosophie, qui semblent avoir été ses principaux centres d’intérêt33. Caracalla et Géta ont reçu une éducation très soignée, et Septime Sévère leur donna notamment pour maître le brillant Antipater de Hiérapolis qui, à la fin des années 190, avait été chargé de la correspondance grecque34. L’Histoire Auguste a souligné l’ardeur de Caracalla pour l’étude des lettres, et Dion Cassius son goût pour la philosophie35. Caracalla est invoqué avec son père dans le 29 30 31

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Dion Cassius, lxxviii, 23, 3. Philostrate, vs, 622. Dion Cassius, lxxvii, 18, 3 ; voir Philostrate, vs, 480, qui rapporte une discussion sur des sophistes avec un Gordien, l’un des deux futurs empereurs, qui eut lieu à Daphnè, la banlieue d’Antioche, peut-être quand Julia Domna y résidait, entre 215 et 217 ? On ne connaît pas assez précisément la carrière des Gordiens pour être plus précis  :  sur Gordien ier, voir pir2 A 833 ; B. E. Thomasson, Die Statthalter der römischen Provinzen Nordafrikas von Augustus bis Diocletianus, ii, Lund, 1960, p. 120–121 ; sur Gordien ii, pir2 A 834. I. Eph., 2, 212 ; ae 1966 430 ; voir L. Robert, « Sur les inscriptions d’Ephèse, fêtes, athlètes, empereurs, épigrammes  », RPh, 41, 1967, p.  58–62  ; B.  Lifshitz, «  Notes d’épigraphie grecque, 1. La lettre de Iulia Domna aux Éphésiens », zpe, 6, 1970, p. 57–60. Dion Cassius, lxxv, 15, 6–7 ; lxxvii, 18, 3 ; Philostrate, va, i, 3, 1 ; vs, 622 ; Ep., 73 (voir R. J. Penella, « Philostratus’ Letter to Julia Domna », Hermes 107, 1979, p. 161–168). Philostrate, vs, 607 et 610 ; I. Eph., 2026, l. 17–18. Dion Cassius, lxxvii, 11 ; sha, Car., 1 ; au § 4, 4, est mentionné un autre professeur de Caracalla, le poète latin Serenus Sammonicus ; voir aussi Philostrate, vs, 626, pour son admiration du talent rhétorique et sa connaissance des thèmes d’école. Voir M. Meckler, « Caracalla the Intellectual », dans E. dal Covolo, G. Rinaldi (éd.), Gli imperatori Severi. Storia, archeologia, religione, Roma, 1999, p.  39–46. Sur l’attachement de Géta pour les hommes de culture (par opposition à son frère qui s’en serait détourné), voir Hérodien, iv, 3, 4.

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prologue du traité Sur le destin écrit par l’important philosophe péripatéticien Alexandre d’Aphrodisias (env. 150-env. 215), qui occupa la chaire péripatéticienne à Athènes sous leur règne, et avec sa mère Julia Domna dans le prologue du poème d’Oppien d’Apamée sur la chasse36. Selon J.-P. Coriat, c’est l’empereur Caracalla lui-même qui aurait dicté ses lettres, marquées par un style grandiloquent et par la volonté de se mettre en valeur comme le bienfaiteur du monde37. Dans le début de l’édit sur la citoyenneté (212), la décision impériale est justifiée par le recours à une argumentation philosophique soulignant la piété de Caracalla : il s’agit d’une action de grâce envers les dieux, qui vise à restaurer l’unité de l’oikoumenè, qui venait d’être ébranlée par la crise du conflit avec Géta38. Sévère Alexandre semble avoir aussi eu une excellente éducation : celle-ci est complètement idéalisée dans l’Histoire Auguste, où il est entouré par les meilleurs spécialistes des études libérales de son temps (inconnus par ailleurs), mais Hérodien témoigne aussi des préoccupations de sa grand-mère Julia Maesa et de sa mère Julia Mamaea pour son éducation39. b Les intellectuels autour des Sévères De ce qui précède, il ne semble pas que les Sévères aient manifesté de préférence soit pour les représentants de la Seconde Sophistique, dont c’était

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Alexandre d’Aphrodisias, Fat., 1 : « J’avais souhaité, très grands empereurs Sévère et Antonin, venir auprès de vous pour vous voir, vous saluer et vous remercier pour les faveurs que j’ai souvent reçues de vous », trad. P. Thillet ; Oppien, C., i, 1–15. J.-P. Coriat, Le prince législateur. La technique législative et les méthodes de création du droit impérial à la fin du principat, Rome, 1997, p. 588 : « Les lettres sont rédigées par le bureau ab epistulis – Latinis pour la partie occidentale de l’Empire, Graecis pour la partie orientale, et c’est le cas le plus attesté, de très loin  –, sous la dictée, probable d’un Septime Sévère, certaine d’un Caracalla, d’un conseiller sous Sévère Alexandre » ; p. 591 sur le style emphatique de Caracalla. P. Giss. 40, i : Caracalla a le cognomen d’eusebès, et aux l. 3–4, il remercie les dieux qui veillent sur lui ; l. 5, il souhaite faire un acte qui convient à leur majesté ; l. 8 sur l’oikoumenè. Voir J. H. Oliver, “The piety of Commodus and Caracalla”, grbs, 19, 1978, p. 375–388 ; id., Greek constitutions of early Roman Emperors from inscriptions and papyri, Philadelphia, 1989, p. 495–505 ; K. Buraselis, ΘΕΙΑ ∆ΩΡΕΑ. Das göttlich-kaiserliche Geschenk : Studien zur Politik der Severer und zur Constitutio Antoniniana, Wien, 2007 (p. 14–24, l’auteur a voulu mettre en évidence une influence du pythagorisme sur la Constitutio antoniniana, à partir du parallélisme entre le monde des dieux et le monde des hommes et de la position du roi comme protecteur de ses sujets ; il convient de rester très prudent sur ce point, car ces thématiques sont devenues courantes sous les Antonins) ; L. de Blois, “The constitutio Antoniniana (ad 212) : Taxes or Religion ?”, Mnemosyne, 67, 2014, p. 1014–1021. Hérodien, v, 10 ; sha, Seu. Alex., 3 ; 27, 5–10.

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toujours la floraison, soit pour les philosophes40. Philostrate a naturellement souligné leurs liens avec les sophistes, et la présence de ces derniers à la cour, à Rome ou ailleurs à l’occasion des voyages impériaux41. Il a aussi mis en évidence un rapprochement entre les sophistes et les philosophes, en distinguant dans ses Vies de sophistes des « philosophes sophistes » comme Dion de Pruse, tout en définissant le statut de sophiste par la virtuosité rhétorique et par le succès obtenu. Le terme sophiste est employé dans la Vie d’Apollonios, peutêtre au sens classique de « savants », pour désigner Démétrios et Musonius42, et il est probable que le rééquilibrage opéré par Marc Aurèle entre philosophes  et rhétoriciens ait apaisé les tensions et facilité des rapprochements entre ceux-ci43. On n’a pas conservé pour les Sévères de noms de philosophe-conseiller, alors qu’il s’agit d’un rôle central – mais exercé à distance – dévolu à Apollonios de Tyane dans sa Vie rédigée par Philostrate. Septime Sévère et Caracalla furent accompagnés dans leur expédition contre les Parthes de Vologèse, en hiver 197–198, par un philosophe cynique du nom d’Antiochos de Cilicie, mais qui n’a rien d’un philosophe « domestique ». Ce Cynique donnait des leçons d’endurance aux soldats qui souffraient du froid en se roulant dans la neige, mais il « trahit » les empereurs en allant chez les Parthes44. De fait, on a plutôt l’impression qu’à côté d’un goût certain pour la culture, les Sévères ont, tel Hadrien, utilisé et contrôlé les pepaideumenoi, comme le 40

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Sur les sophistes et les philosophes sous les Sévères, voir T.  Whitmarsh, «  Prose literature and the Severan dynasty », dans S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan culture, p. 29–51 ; M. Trapp, “Philosophy, scholarship, and the world of learning in the Severan period”, dans id., Severan culture, p. 470–488. Voir par exemple Philostrate, vs, 613 : concours de déclamation à Rome, devant Septime Sévère, entre le sophiste Apollonios d’Athènes, élève d’Hadrien de Tyr, et le talentueux sophiste Hérakleides de Lycie, qui avait attiré à Smyrne où il enseignait la jeunesse grecque et même égyptienne ; 608–612 : à propos du brillant Hermocratès de Phocée, que Septime Sévère envoya en Orient épouser la fille très laide d’Antipater ; 622 : Caracalla fit aussi bénéficier le jeune Philostrate de Lemnos (peut-être le neveu de notre Philostrate) d’une exemption pour le récompenser d’une déclamation  ; 626  :  lors de son séjour en Gaule en 213, Caracalla demanda au sophiste Héliodore l’Arabe de déclamer sur le fameux thème de Démosthène se défendant contre la charge de lâcheté. va, vi, 16. Voir G. W. Bowersock, Greek Sophists, p. 11–15 ; J. Hahn, Der Philosoph, p. 46–53 ; B. Puech, Orateurs et sophistes, p. 10–15 sur la définition du sophiste et sur les problèmes de classification entre orateur, sophiste et philosophe. Contra H.  Sidebottom, “Philostratus and the symbolic roles of the sophist and philosopher”, dans E.  L. Bowie, J.  Elsner (éd.) Philostratus, p.  69–99, qui défend l’idée d’une autoreprésentation distinctive entre philosophes et sophistes aux trois premiers siècles de notre ère, mais sans prendre en compte la question de l’évolution dans le temps. Dion Cassius, lxxvii, 19.

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montre en partie l’exemple d’Antiochos, qui a fait preuve d’une indépendance exceptionnelle45. Ainsi Antipater de Hiérapolis, chargé de la correspondance grecque de Septime Sévère et de l’éducation de ses fils, devint consul avant 204 et fut nommé légat du Pont-Bithynie après 202, mais il fut rappelé de son poste pour avoir fait preuve d’une autorité trop répressive46. Après le meurtre de Géta en décembre 211, Antipater envoya à Caracalla une lettre dans laquelle il critiquait son acte : il tomba en disgrâce et mit fin à ses jours47. La particularité bien connue de l’entourage des Sévères réside dans l’importance qu’ont prise les juristes, présents dans le conseil du prince aussi bien que dans l’administration, comme procurateurs impériaux et préfets, y compris au poste-clef qu’était la préfecture du prétoire48. Les trois principaux furent Papinien, avocat du fisc, procurateur au bureau des requêtes (a libellis) et préfet du prétoire de 205 à 211 ; Ulpien, préfet de l’annone sous Elagabal et préfet du prétoire en 222/223–224 ; Paul, dont on connaît mal la carrière qui s’étendit depuis Septime Sévère jusqu’à Sévère Alexandre (il fut peut-être préfet du prétoire). Les grands juristes sévériens sont des intellectuels qui ont des liens évidents avec les sophistes, les rhéteurs, et notamment avec la philosophie49. L’œuvre législative des Sévères tend vers la philosophie, comme on l’a vu à propos de

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Sur ce philosophe, voir T. Dorandi, « Le philosophe et le pouvoir : un cas de propagande inversée », dans A. Bresson, A.-M. Cocula, C. Pébarthe (éd.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 27–34. Philostrate, vs, 607 ; P. M. M. Leunissen, Konsuln und Konsulare in der Zeit von Commodus bis Severus Alexander (180–235 n. Chr.). Prosopographische Untersuchungen zur senatorischen Elite im römischen Kaiserreich, Amsterdam, 1989, p. 261 n. 244, p. 397. Philostrate, vs, 607. Après avoir nommé Philiskos de Thessalie sur la chaire de rhétorique d’Athènes, Caracalla, irrité par un faux-pas du sophiste, le priva d’exemptions, vs, 622. Voir récemment L. de Blois, “Roman Jurists and the Crisis of the Third Century A.D. in the Roman Empire”, dans L. de Blois (éd.), Administration, prosopography and appointment policies in the Roman empire : Proceedings of the First Workshop of the International Network Impact of Empire (Roman Empire, 27 B.C. – A.D. 406), Leiden, June 28-July 1, 2000, Amsterdam, 2001, p. 136–153, part. p. 136–141 sur les juristes sévériens, membres du consilium et de la bureaucratie impériale (avec des renvois bibliographiques p. 138 n. 9). Les plus importants étaient Papinien, Paul, Messius, Claudius Tryphoninus, Ulpien, Modestinus : voir H.-G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, 1960, nos 220, 228, 231, 248, 294, 314. L. de Blois, “Roman Jurists”, p. 142–143, qui renvoie à F. G. B. Millar, The Emperor and the Roman World, p. 83–101 ; M. Christol, « Marius Maximus, Cassius Dion et Ulpien », p. 457– 460 sur la carrière d’Ulpien ; V. Giuffrè, C. A. Maschi, G. Crifò dans anrw, ii, 15, Berlin, New York, 1976, p. 632–666, 667–707, 708–789, sur les activités intellectuelles de Papinien, Ulpien et Paul ; M. Grant, The Severans. The changed Roman empire, London, New York, 1996, p. 49–52.

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la constitution antonine, et Ulpien se pensait lui-même comme un véritable philosophe50. Enfin, on ne peut parler de l’entourage intellectuel des Sévères sans mentionner le « cercle » de Julia Domna. Cette expression est propre à Philostrate qui revendique fièrement son appartenance au groupe des érudits gravitant autour de l’impératrice, mais la conception traditionnelle de ce cercle sur le modèle des salons littéraires du xixe siècle a été contestée de manière radicale par G. W. Bowersock51. Celui-ci a notamment souligné la mobilité des élites intellectuelles grecques, parmi lesquelles les éléments les plus brillants ambitionnaient les chaires athéniennes ou bien des postes de hauts dignitaires, et B. Levick à son tour a attiré l’attention sur la mobilité de la cour des Sévères52. Il s’agit sans aucun doute d’un trait central pour définir l’entourage intellectuel de Julia Domna : ce groupe a varié dans le temps et selon le lieu où se tenait la cour, comme le montre bien l’exemple du sophiste Philiskos, qui est le seul autre nom connu dans ce « cercle », et qui n’était que de passage auprès de Julia Domna à Rome, vers 212, puisqu’il venait chercher sa protection pour accéder à la chaire de rhétorique d’Athènes53. Philostrate est peut-être allé à la cour de Rome vers 203, après une carrière athénienne et après le retour de Septime Sévère d’Afrique54. Il semble avoir accompagné la famille impériale dans ses voyages en Gaule en 213 et peut-être en Orient en 215–21655. Si c’est bien le cas, Julia Domna a pu lui demander de rédiger la Vie d’Apollonios lors d’une visite à Tyane, quand elle et son fils ont traversé la Cappadoce en 215, ou bien à Antioche – mais elle avait aussi bien pu le lui demander déjà auparavant, à Rome. On ne connaît pas de nom de philosophe dans l’entourage de l’impératrice, et Diogène Laërce, qui s’adresse dans ses Vies et doctrines des philosophes 50

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Ulpien, Dig., i, 1, 1, 1. Cf. Dig., i, 1, 10, 1. Voir M. J. Schermaier, « Ulpian als “wahrer Philosoph”. Notizen zum Selbstverständnis eines römischen Juristen », dans M. J. Schermaier et Z. Végh (éd.), Ars boni et aequi : Festschrift für Wolfgang Waldstein zum 65 Geburtstag, Stuttgart, 1993, p. 303–322 ; G. Crifò, « L’esperienza giuridica nell’età dei Seueri », dans E. dal Covolo, G. Rinaldi (éd.), Gli imperatori Severi, p. 11–21, part. p. 18 ; M. Trapp, “Philosophy, scholarship”, p. 481–483. Philostrate, va, i, 3, 1 ; vs, 622. G. W. Bowersock, Greek sophists, p. 101–109. G. W. Bowersock, Greek sophists, p. 109 ; B. Levick, Julia Domna, Syrian Empress, Oxon, New York, 2007, p. 114–116. Philostrate, vs, 622. Sur la vie et la carrière de Philostrate, voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 15–28, suivi par B. Levick, Julia Domna, p. 110 ; E. L. Bowie, « Philostratus », p. 19–25. Il semble en effet avoir assisté à la déclamation d’Héliodore qui a eu lieu lors du voyage en Gaule et qu’il raconte en détail, vs, 626 ; pour le voyage en Orient, l’indice est ténu : il s’agit de la discussion avec l’un des Gordiens mentionnée dans vs, 480.

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illustres à une femme inconnue « qui aime Platon »56, semble être un piètre candidat : le caractère « provincial » de son ouvrage – au sens où il ne reflète pas l’actualité philosophique de son temps – a en effet été souligné57. Outre des spécialistes de philosophie et de rhétorique, Philostrate mentionne aussi des géomètres, que J.-J. Flinterman identifie avec des philosophes platoniciens ou pythagoriciens, qui avaient développé l’étude des mathématiques. Cette hypothèse est séduisante, car elle suggère un lien entre les érudits qui allaient et venaient auprès de Julia Domna et le pythagorisme58, qui était en vogue, quoique controversé, à l’époque des Sévères59. Le rapport entre la philosophie de Pythagore et les oracles et présages était aussi susceptible de plaire à Septime Sévère60. Mais ceci n’est qu’une hypothèse, et les géomètres pourraient aussi être des mathématiciens, car la géométrie faisait partie de l’egkuklios paideia (la « culture générale » selon la traduction de H.-I. Marrou) : Sévère Alexandre, selon l’Histoire Auguste, avait également étudié la géométrie61. c La figure d’Apollonios de Tyane La figure du sage pythagoricien Apollonios de Tyane avait en tout cas retenu l’intérêt de Julia Domna, mais aussi celui de Caracalla qui, lors de son voyage en Orient, s’arrêta probablement à Tyane en Cappadoce, loua et honora

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Diogène Laërce, iii, 47 : pourquoi, s’il pensait à Julia Domna, ne pas l’avoir mentionnée, ou ne pas lui avoir dédicacé son ouvrage ? M.-O. Goulet-Cazé, « Introduction générale », dans Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, 19992, p. 15. Sur la composition du « cercle » de Julia Domna, voir notamment P.  Robiano, s.v. «  Iulia Domna  », p.  957–959  ; B.  Levick, Julia Domna, p. 113 ; Galien, autre candidat remarquable, ne semble pas avoir eu de lien particulier avec les Sévères, même s’il préparait la thériaque de Septime Sévère, voir V. Boudon-Millot, Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome, Paris, 2012, p. 238–241. Philostrate, vs, 622. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 23 ; le lien avec le pythagorisme avait été fait par W. Burkert, « Zur geistesgeschichtlichen Einordnung einiger Pseudopythagorica », dans K. von Fritz (éd.), Pseudepigrapha, i : PseudopythagoricaLettres de Platon-Littérature pseudépigraphique juive, Vandœuvres, Genève, 1972, p. 23–55, part. p. 54. Pythagore, qui passait pour un précurseur de Platon, est présenté comme le fondateur de la philosophie occidentale par Diogène Laërce, i, 13, ouvrage qui semble avoir été rédigé au milieu du iiie siècle ; mais, tout en reconnaissant l’autorité du philosophe, à la vie duquel il a consacré plus de la moitié du livre viii, Diogène Laërce ne le tient pas en grande estime : les épigrammes 44–45 l’accusent d’être un mystificateur plus qu’un homme divin ; voir Diogène Laërce, p. 931, 935. Philostrate, va, iii, 41, attribue aussi à Apollonios quatre livres Sur la divination par les astres. H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation, p. 266–269 ; sha, Seu. Alex., 27, 7.

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Apollonios auquel il fit construire un herôon62. Cet intérêt a peut-être été motivé par l’antécédent d’Hadrien qui, selon la Vie d’Apollonios, conservait déjà dans sa villa d’Antium certaines lettres d’Apollonios de Tyane, ainsi qu’un livre sur les doctrines pythagoriciennes que le sage aurait eu en sa possession et qui aurait reçu la sanction de l’oracle de Trophonios63. Alexandre d’Abonouteichos, le fameux faux prophète du néos Asklepios, que Lucien a dénoncé, avait suivi l’enseignement d’un disciple d’Apollonios ; il avait étendu son influence à la cour et au palais de Marc Aurèle, malgré l’hostilité de cet empereur pour la magie64. Philostrate mentionne aussi parmi ses sources un Maximos d’Egées, « qui mérita d’être chargé de la correspondance impériale grâce à la réputation de son éloquence » ; son ouvrage décrivait les activités d’Apollonios à Egées en Cilicie, où le sage avait passé sa jeunesse et s’était converti au pythagorisme65. L’auteur, inconnu par ailleurs, fut donc un secrétaire impérial de la correspondance grecque, sans doute en poste entre Trajan et Caracalla66, ce qui confirme le lien entre les empereurs antonins et sévères et le fameux sage de Cappadoce. L’Histoire Auguste a développé ce lien en affirmant, dans un passage célèbre et sujet à caution, qu’Alexandre Sévère conservait dans une chapelle privée une image d’Apollonios à côté de celles du Christ, d’Abraham, d’Orphée et d’Alexandre le Grand67. Il est possible que la place exceptionnelle accordée au sage 62

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Dion Cassius, lxxviii, 18, 4 : Τοῖς δὲ µάγοις καὶ γόησιν οὕτως ἔχαιρεν ὡς καὶ Ἀπολλώνιον τὸν Καππαδόκην τὸν ἐπὶ τοῦ ∆οµιτιανοῦ ἀνθήσαντα ἐπαινεῖν καὶ τιµᾶν, ὅστις καὶ γόης καὶ µάγος ἀκριβὴς ἐγένετο, καὶ ἡρῷον αὐτῷ κατασκευάσαι, « Les mages et les sorciers lui plaisaient tant qu’il loua et honora Apollonios de Cappadoce, qui avait fleuri sous Domitien, et qu’il lui fit construire un hérôon à lui qui n’était pas autre chose qu’un sorcier et un mage ». Philostrate, va, viii, 19–20. Lucien, Alex., 5, 48 et 58 (Alexandre avait obtenu de l’empereur – peut-être Lucius Vérus – de changer le nom d’Abonouteichos en Ionopolis et de pouvoir faire frapper une monnaie à l’effigie de son dieu Glycon, le « nouvel Asklépios » ; voir L. Robert, A travers l’Asie Mineure. Poètes, prosateurs, monnaies grecques, voyageurs et géographie, Paris, 1980, p. 393– 436 ; id., « Le serpent Glycon d’Abonouteichos à Athènes et Artémis d’Éphèse à Rome », crai, 125, 1981, p.  513–535  ; C.  P. Jones, Culture and Society in Lucian, Cambridge, 1986, p. 133–148 ; A. Chaniotis, « Old Wine in a New Skin : Tradition and Innovation in the Cult Foundation of Alexander of Abonouteichos », dans E. Dabrowa (éd.), Tradition and Innovation in the Ancient World, Krokow, 2002, p. 67–85 ; A. Petsalis-Diomidis, Truly beyond Wonders. Aelius Aristides and the Cult of Asclepios, Oxford, 2010, p. 14–41 pour l’iconographie de Glycon) ; Marc Aurèle, Ecrits, i, 6, sur sa propre répugnance pour la sorcellerie. Philostrate, va, i, 3, 2  ; i, 12, 2  :  Ἠξιώθη δὲ καὶ βασιλείων ἐπιστολῶν οὗτος εὐδοκιµῶν τὴν φωνήν. Sur la jeunesse d’Apollonios à Egées, va, i, 7–12. H.-G. Pflaum, Les carrières, p. 684 n. 1, n° 12 ; F. Graf, « Maximos von Aigai. Ein Beitrag zur Überlieferung über Apollonios von Tyana », JbAC, 27–28, 1984–1985, p. 65–73. sha, Seu. Alex., 19, 2 ; 31, 5. Sur la comparaison entre Apollonios et Jésus, voir M. Van Uytfanghe, « La Vie d’Apollonius de Tyane et le discours hagiographique », dans K. Demoen, D. Praet (éd.), Theios Sophistes, p. 335–374. Cette comparaison est esquissée dans le débat

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pythagoricien dans le laraire du dernier des Sévères soit due à la réception de la Vie d’Apollonios de Philostrate. Celui-ci a en effet doté le personnage d’Apollonios à la fois d’un caractère divin (theios), en raison de sa sagesse et de la protection que lui accordent les dieux68, et d’une importante dimension politique, puisqu’il en a fait le conseiller des bons princes Vespasien, Titus et Nerva. Apollonios de Tyane, dont les dates de vie et de mort correspondent à peu près aux bornes du premier siècle de notre ère, était une figure de sage charismatique associé aux miracles et à la magie. Il était par conséquence controversé, comme le montrent les témoignages hostiles de Lucien qui en parle comme d’une sorte de gourou et d’illusionniste, et de Dion Cassius qui le qualifie de sorcier et de mage69. Il était devenu l’objet de cultes locaux70, qui ont sans aucun doute attiré l’attention de Caracalla et de sa mère lors de leur voyage. Outre les sources locales et les lettres attribuées à Apollonios, Philostrate a exploité pour écrire sa vie des ouvrages de plus ou moins bonne qualité qui lui étaient consacrés, dont il ne nous reste rien ; l’existence de sa source principale, les mémoires d’un disciple d’Apollonios appelé Damis, a été parfois remise en

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entre Celse et Origène (voir Origène, Cels., vi, 41), qui a eu lieu entre 170 et 240 et était donc contemporain de la rédaction de la Vie d’Apollonios de Tyane ; ce débat porte en effet sur la crédibilité de la figure du « faiseur de miracles », du magicien, figure aussi attractive que controversée à cette époque. Voir notamment Philostrate, va, vii, 38. Je n’entrerai pas ici dans le débat sur la conception antique du theios anèr : les discussions sont présentées par M. Van Uytfanghe, « La Vie d’Apollonius de Tyane », p. 339–342. Lucien, Alex., 5 ; Dion Cassius, lxxviii, 18, 4 (passage cité supra). Diogène Laërce, qui n’appréciait pas Pythagore, ne mentionne même pas Apollonios. Il est possible que Dion de Pruse fasse référence à Apollonios de Tyane dans le discours Aux Rhodiens, prononcé au début du règne de Vespasien : « Au contraire, ils l’ont tellement tancé que cet homme, qui ne le cédait par la naissance à aucun Romain, qui jouissait d’une réputation supérieure à celle qu’aucun homme, depuis longtemps, n’avait jamais obtenue, et qui, de l’avis de tous, était le seul depuis l’époque des Anciens à mener une vie conforme à la raison, cet homme quitta la cité et préféra vivre ailleurs en Grèce », Or. xxxi, 122, trad. H. Fernoux ; voir Philostrate, va, i, 4, sur la prestigieuse ascendance du sage de Tyane, et iv, 22, sur sa condamnation des spectacles de gladiature à Athènes, exposée dans une lettre à la cité. W. Speyer, « Zum Bild des Apollonios von Tyana bei Heiden und Christen », JbAC, 17, 1974, p. 47–63, part. p. 53–63 ; C. P. Jones, « An epigramm on Apollonius of Tyana », jhs, 100, 1980, p. 190–194, part. p. 193 ; M. Dzielska, Apollonius of Tyana in legend and history, Roma, 1986, p. 56–79, 99–125 ; G. Anderson, Sage, Saint and Sophist. Holy Men and their Associates in the Early Roman Empire, London, 1994, p. 194 ; J. Hahn, « Weiser, göttlicher Mensch oder Scharlatan ? Das Bild von Apollonius von Tyana bei Heiden und Christen », dans J. Hahn, C. R. B. Aland, Literarische Konstituierung von Identifikationsfiguren in der Antike, Tübingen, 2003, p. 87–110 ; C. P. Jones, “Apollonius of Tyana : hero and holy man”, dans E. B. Aitken, J. K. B. Maclean (éd.), Philostratus’Heroikos : Religion And Cultural Identity In The Third Century C.E, Leiden, 2004, p. 74–84.

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cause par les savants modernes71. C’est de toutes façons Philostrate, semblet-il, qui a donné au personnage une véritable envergure littéraire. Dans cette élaboration littéraire, on note une analogie entre Philostrate et Dion Cassius au sujet des conseils au prince qu’ils ont attribués, l’un à Apollonios de Tyane, l’autre à Mécène : elle concerne la mise en scène de ces discours, qui sont précédés par un débat sur le meilleur type de régime. Etant donné le caractère contemporain des textes, il s’agit d’une particularité que l’on doit prendre en considération. 2

Une particularité des conseils au prince : les débats sur le meilleur régime

Philostrate situe le débat politique à Alexandrie, le lendemain de l’incendie du Capitole à Rome, soit le 20 décembre 69, entre Euphratès, Dion de Pruse et Apollonios, en présence de Vespasien qui leur a demandé conseil. Celui-ci a été acclamé empereur par les légions du préfet d’Egypte Tiberius Julius Alexander six mois plus tôt (le 1er juillet 69)72. La scène ne contient pas d’invraisemblance, et rien – à notre connaissance – ne s’oppose à la présence des protagonistes à ce moment-là à Alexandrie73. Dion de Pruse a prononcé dans cette cité un discours célèbre, dans lequel il critique les désordres des Alexandrins, et qui est probablement daté du début du règne de Vespasien74. Une tradition surtout attestée par des lettres – qui posent un problème d’authenticité – met en relation Apollonios avec Euphratès, qui est son ennemi juré, ainsi qu’avec Dion de Pruse, dans des termes plus cordiaux75. Aucun autre témoignage ne confirme 71

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Sur l’existence des mémoires de Damis, voir en particulier la position très sceptique d’E. L. Bowie, “Apollonius of Tyana : Tradition and Reality”, anrw, ii, 16, 2, Berlin, New York, 1978, p. 1652–1699, part. p. 1653–1671 (reprise dans E. L. Bowie, “Philostratus : the life of a sophist”, p. 29) ; contra J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 60–88. Philostrate, va, 33–35 ; Tacite, Hist., ii, 79. Voir P. Cosme, L’année des quatre empereurs, p. 150–202. Voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 137–139 ; A. Billault, L’univers de Philostrate, Paris, 2000, p. 98–99. L’allusion au statut de cité libre de Rhodes (Or. xxxii, 52) et les analogies avec le discours Aux Rhodiens (Or. xxxi) indiquent une datation au début du règne de Vespasien, qui retira à Rhodes sa liberté. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 73–74. Sur le problème de l’authenticité des lettres attribuées à Apollonios, voir notamment la position prudente de R. J. Penella (éd.), The letters of Apollonius of Tyana. A critical text with prolegomena, translation and commentary, Leiden, 1979, qui est favorable à l’authenticité des lettres adressées à Euphratès. Philostrate mentionne aussi dans les Vies de sophistes, 488, l’amitié de Dion pour Euphratès et Apollonios. E.  L. Bowie, “Apollonius of Tyana”, p.  1657–1659, doute

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cependant la rencontre à Alexandrie et l’intertextualité très forte dans ce passage de la Vie d’Apollonios suggère son caractère fictif. D’une part, en effet, le débat à Alexandrie apparaît comme la réécriture lointaine du fameux débat au livre iii d’Hérodote entre les aristocrates perses Otanès, Mégabyze et Darius, au sujet de la meilleure constitution76. Philostrate a conservé l’ordre successif des prises de position : Euphratès occupe la place d’Otanès le démocrate, Dion de Pruse celle de Mégabyze, le défenseur de l’aristocratie, et Apollonios tient la position de Darius qui défendait le gouvernement du meilleur. Les préférences politiques attribuées à Dion de Pruse dans le débat sont à l’opposé de celles qu’il expose dans le troisième discours Sur la royauté qu’il a composé à la fin du ier siècle77 : dans le premier cas, il s’agit d’abord de l’aristocratie, puis de la démocratie, qui viennent avant la monarchie ; dans le second cas, le sophiste donne la primauté à la royauté, puis vient l’aristocratie, et ensuite seulement la démocratie, selon des critères de difficulté de mise en œuvre et d’utilité. D’autre part, le texte de Philostrate fait référence à deux épisodes de la prise de pouvoir par Vespasien, rapportés notamment par Tacite. Le premier est celui où Mucien, le légat de Syrie, lève les hésitations de Vespasien et le pousse à s’emparer de l’Empire. Le second concerne la vision qu’a eue le nouvel empereur d’un mystérieux Basilidès dans le sanctuaire de Sérapis, à Alexandrie, au cours des premiers mois de l’année 70. Cette apparition, dotée d’un caractère oraculaire, montre que Vespasien est destiné à régner78. Dans la Vie d’Apollonios de Tyane, c’est Apollonios qui remplit le rôle de Basilidès en offrant à l’empereur sa sanction d’homme divin79. Chez Dion Cassius, le débat politique a lieu au lendemain des guerres civiles, en 29, quand Octavien est tenté d’abandonner le pouvoir. Il oppose ses deux conseillers, Agrippa et Mécène, le premier étant favorable à la

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de la relation entre Apollonios et Euphratès, ainsi que de son amitié avec Musonius et Démétrios. Hérodote, iii, 80–83. Dion de Pruse, Or. iii, 43–49. Ce discours, adressé en termes très amicaux à un empereur, était peut-être destiné à Nerva, sinon à Trajan (voir supra, c. 3). Sur l’épisode de Mucien, voir Tacite, Hist., ii, 76–77 ; Dion Cassius, lxv, 8, 4. Les analogies entre les Histoires de Tacite et la Vie d’Apollonios sont évidentes, car Philostrate a repris l’énumération des empereurs Julio-Claudiens (juste avant le début du débat, va, v, 32), l’argument de la lâcheté qui consiste à laisser la République entre des mains qui la dégradent, celui de l’âge et de l’ambition, celui du fils en âge de régner ; de plus, la suite du texte de Tacite (§ 78) évoque les présages et prédictions si importants aux yeux de Vespasien, ce qui fait le lien avec l’épisode de Basilidès. Sur celui-ci, voir Tacite, Hist., iv, 82 ; Suétone, Ves., 7, 2 ; Dion Cassius, lxvi, 8, 1. Voir E. L. Bowie, “Apollonius of Tyana”, p. 1661 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 140–141. Philostrate, va, 28–30.

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démocratie et le second à la monarchie. La mise en scène du débat respecte là aussi le contexte historique  :  il s’agit de la période de transition entre l’après-Actium (sept. 31 av. J.-C.), où Octavien, maître du monde, exerce un imperium consulaire, et janvier 27 av. J.-C., où il devient Auguste. On songe à l’aureus du British Museum, daté de 28 av. J.-C., qui porte sur le revers la légende leges et iura P(opulo/i) R(omano/i) restituit : « il a rendu au peuple romain ses lois et ses droits », ou bien « il a rétabli les lois et droits du peuple romain  »80. Selon Suétone, Auguste aurait pensé deux fois à rétablir la République, après la chute d’Antoine, puis quand il était gravement malade (en 23 av. J.- C.) ; mais il se serait rendu compte qu’il était trop dangereux pour lui de devenir à nouveau simple particulier, et pour l’Etat de tomber dans une multiplicité de mains : les deux arguments sont exploités par Mécène chez Dion Cassius81. Les positions défendues par Agrippa et Mécène sont cohérentes avec l’image qu’ils ont laissée dans les sources littéraires  :  l’un passait pour le protecteur et le soutien du peuple, l’autre pour le descendant d’une lignée royale étrusque82. Mais rien ne prouve que cette discussion ait réellement eu lieu, le critère de vraisemblance étant central dans l’élaboration des compositions rhétoriques. On ne saurait nier le caractère rhétorique de ces deux débats, qui se rattachent en outre à une double tradition  :  celle de l’historiographie et de la pensée politique antiques83.

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J. W. Rich, J. H. C. Williams, « Leges et iura P. R. restituit : a New Aureus of Octavian and the Settlement of 28-27 bc », nc, 1999, p. 169–213. Suétone, Aug., 28. Selon F. G. B. Millar, Study, p. 105, Dion Cassius aurait pu s’inspirer de ce passage ; B. Manuwald, Cassius Dio und Augustus : Philologische Untersuchungen zu den Büchern 45–56 des Dionischen Geschichtswerkes, Wiesbaden, 1979, p. 85 n. 48, a objecté que Suétone n’était pas une source de Dion Cassius, et M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 166, a suggéré l’existence d’une source commune. Selon J.-M. Roddaz, « De César à Auguste : L’image de la monarchie chez un historien du siècle des Sévères. Réflexions sur l’œuvre de Dion Cassius, à propos d’ouvrages récents », rea, 85, 1983, p. 67–87, part. p. 78, les mémoires d’Auguste, dédiées à Agrippa et à Mécène (voir Plutarque, Comparaison Cicéron-Démosthène, 3), ont pu servir de source au débat. J.-M. Roddaz, « De César à Auguste », p. 81. Sur les traditions rhétorique et historiographique, voir M. Bellissime, Edition, p. 56–66. Un exercice rhétorique consistait à persuader un tyran de renoncer au pouvoir (Juvénal, 1, 15–17 ; Quintilien, iii, 8, 53), un autre proposait de développer l’argumentation inverse (Quintilien, iii, 8, 47 : « Et si nous conseillons à C. César d’accepter la royauté, nous affirmerons que la république ne peut désormais subsister, si elle n’est pas gouvernée par un seul homme », trad. J. Cousin). Une controverse de Sénèque le Rhéteur, ii, 4, 13, fait intervenir le personnage d’Agrippa dans une joute oratoire.

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a Une tradition de la pensée politique antique Il existe en effet une tradition littéraire du débat sur la meilleure forme de constitution, dont le texte fondateur est incontestablement la discussion entre Otanès, Mégabyze et Darius chez Hérodote, qui est située après la révolte contre Bardiya en 522 av. J.-C.  et avant la prise de pouvoir de Darius ier. Ce texte, qui reflète les débats politiques de la Grèce du ve siècle av. J.-C., distingue trois bonnes formes de régimes, la démocratie (ou isonomie), l’aristocratie et la monarchie, dont il évoque aussi les dérives84. On retrouve un débat entre ces trois grandes formes de constitutions dans des textes latins et grecs relevant de l’historiographie ou de la philosophie politique, datés de la fin de la République et du début du principat, et de la fin du ier siècle ap. J.-C. : au début de la République de Cicéron85 ; dans les Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, après la chute de Tarquin le Superbe, quand Brutus lance une discussion sur le meilleur type de régime à mettre en place86 ; dans le court traité de Plutarque Sur la monarchie, la démocratie et l’oligarchie ; dans le troisième discours Sur la royauté de Dion de Pruse, où le sophiste résume les réflexions des successeurs de Socrate au sujet du gouvernement légal et de la royauté87. Ces débats, d’une part, sont tous situés dans un contexte de tensions politiques, ou bien juste après une crise (assassinat, changement de dynastie), même quand le texte offre une double contextualisation, comme c’est le cas chez Denys d’Halicarnasse et chez Dion de Pruse. Les débats chez Dion Cassius 84

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Hérodote, iii, 80–83. Sur les différentes classifications des régimes dans l’Antiquité, voir J.  de Romilly, «  Le classement des constitutions d’Hérodote à Aristote », reg, 72, 1959, p. 81–89 ; J. Bordes, Politeia dans la pensée grecque jusqu’à Aristote, Paris, 1982, part. p. 229– 357 sur la classification tripartite des régimes. La classification la plus répandue est celle de Platon, Plt., 291 d-292c, et 301a-302e, où le philosophe distingue dans chacun des trois principaux régimes une forme légale et une autre qui repose sur l’arbitraire, de sorte qu’il établit trois couples de constitutions : monarchie/tyrannie, aristocratie/oligarchie, démocratie légale/démocratie illégale ; M. Cuvigny (éd.), Plutarque, Sur la monarchie, la démocratie et l’oligarchie, Paris, 1984, p. 156 n. 1. Cicéron, Rep., i, 42–68 : l’orateur insiste sur le caractère instable de ces trois régimes, jugés inférieurs à une constitution mixte (sur la meilleure stabilité d’une constitution mixte, mélange de monarchie et de démocratie, voir Platon, Lg, 757 a-e) ; voir aussi R., iii, 43–48, sur les «  fausses  » constitutions (tyrannie, oligarchie et ochlocratie, qui constitue une forme dégénérée de la démocratie dans laquelle la masse, la foule, s’empare du pouvoir) dérivées des trois grandes « véritables » constitutions. Denys d’Halicarnasse, iv, 72–75. Dion de Pruse, Or. iii, 43–49. M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 167, fait aussi référence à un fragment de papyrus (Berliner Klassikertexte 7, 16–18) daté du ier siècle ap. J.-C., dans lequel monarchie, démocratie et peut-être oligarchie sont discutés : voir E. Barker (éd.), From Alexander to Constantine. Passages and Documents Illustrating the History of Social and Political Ideas 336 B.C.-A. D. 337, Oxford, 1956, p. 99–100.

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et Philostrate ne font pas exception à cette règle : d’un côté, la période de la fin du iie siècle-début du iiie siècle voit se succéder comme jamais auparavant les assassinats d’empereurs, de l’autre, les contextes dans lesquels sont situés les débats – la mise en place du principat augustéen, celle de la dynastie flavienne – sont des périodes de fragilité et de changement politique. D’autre part, ces débats constitutionnels n’accompagnent pas toujours un choix politique. Dans les textes philosophiques, ils constituent en effet un préalable à la réflexion politique. Chez Cicéron, la confrontation entre les trois principaux régimes permet de réfléchir à l’unité de l’Etat. Chez Dion de Pruse et Plutarque, elle semble servir de prologue attendu à l’exposition de l’idéal du bon roi et de conseils politiques destinés à l’élite civique88. L’association entre crise politique et débat sur différents types de régimes est un élément vraisemblable pour le premier siècle de notre ère  :  entre le meurtre de Caligula et l’avènement de Claude, le Sénat avait délibéré pendant deux jours pour savoir s’il fallait rétablir un régime républicain, poursuivre le principat julio-claudien ou bien choisir un successeur autre que Claude89. Au début du règne de Vespasien, l’opposition violente d’Helvidius Priscus est interprétée par Dion Cassius en termes de lutte pour la demokratia – le terme se rapporte sans doute à la République romaine – et contre l’instauration d’une monarchie, selon une lecture qui tire les conclusions logiques d’éléments bien présents chez Tacite et Suétone90. Mais quel sens pouvait avoir un débat sur le meilleur régime au iiie siècle ? S’il est naïf d’imaginer des défenseurs d’un retour à la République s’opposant aux partisans d’un principat monarchique, il n’y a pas de raison de douter que la réflexion sur la nature idéale du principat ne se soit pas poursuivie, en des termes plus nuancés. Au iie siècle s’est développée, comme on l’a vu chez Marc Aurèle et chez Aelius Aristide, une analyse politique du principat prônant l’idéal du régime mixte que Polybe, et à sa suite Cicéron, avaient appliqué à la République romaine. 88 89 90

Cicéron, Rep., i, 31–32 ; Dion de Pruse, Or. iii, 49 pour le début du développement sur le bon roi ; Plutarque, Sur la monarchie, la démocratie et l’oligarchie, Moralia, 826 B. Suétone, Cl., 10 ; Dion Cassius, lx, 1. Dion Cassius, lxv, 12, 2 : Βασιλείας τε ἀεὶ κατηγόρει καὶ δηµοκρατίαν ἐπῄνει. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 139, juge l’interprétation de Dion Cassius anachronique, décalée par rapport aux récits de Tacite, Hist., iv, 4–9 et 43, et de Suétone, Ves., 15, 2. Si la lecture de l’historien bithynien, fondée sur une vision politique théorique, est en effet caractéristique du iiie siècle, il faut cependant nuancer le décalage  :  Tacite a décrit Helvidius comme l’un des plus fervents partisans d’un Sénat fort, doté d’un rôle actif et d’une capacité d’initiative dans le gouvernement de l’Empire, et Suétone affirme qu’il ne reconnaissait pas le rang prééminent du princeps, ce qui fait du gendre de Thrasea le défenseur d’une vision très républicaine, antimonarchique, du principat (Dion Cassius suggère aussi qu’il s’opposait à l’instauration d’une dynastie).

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Le principat des bons Antonins était interprété comme un compromis entre monarchie et démocratie, soit parce qu’il respectait la liberté – par référence chez Marc Aurèle à l’exemple des sénateurs stoïciens Thrasea et Helvidius –, soit parce que le prince exerçait son pouvoir pour le bien de tous91. L’assassinat de Commode et les guerres civiles qui l’ont suivi ont-ils entraîné le renouveau d’un débat de type constitutionnel ? On n’en trouve pas de trace chez les grands juristes sévériens. On remarque en revanche, chez Hérodien, un trait commun dans les discours programmatiques que les empereurs Pertinax, Septime Sévère et Macrin ont adressé au Sénat au début de leur règne : tous incluent la promesse de mettre en œuvre un gouvernement aristocratique, reposant sur la collaboration avec les sénateurs, selon un modèle rapporté à Marc Aurèle92. Ce gouvernement aristocratique est opposé à la tyrannie de Commode dans le discours prononcé par Pertinax, à la monarchie dans la lettre envoyée au Sénat par Macrin93. Les arguments mentionnés par Hérodien font écho au discours officiel des premiers Antonins : méritocratie, liberté et sécurité, administration commune entre le prince et les sénateurs, importance du consilium principis94. Il s’agit de discours résumés et recomposés, mais toujours selon le critère de la vraisemblance  :  cela peut signifier que, sous les Sévères, l’argumentation attendue par les sénateurs de la part d’un nouvel empereur comportait une

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Voir supra, c. 4. Hérodien, ii, 3, 9–10  :  Pertinax promet d’instaurer une aristocratie par opposition à la tyrannie de Commode. Cette aristocratie est caractérisée par une administration de l’Empire commune aux Sénateurs et à l’empereur, et par le fait d’accorder à tout le monde, en fonction des mérites de chacun, des largesses mesurées  ; ii, 14, 3 (discours de Septime Sévère) ; v, 1 : la lettre envoyée par Macrin promet « un régime aristocratique plutôt qu’une monarchie », trad. D. Roques ; voir en particulier v, 1, 8 : « Pour ma part, je me propose de ne rien faire sans votre avis et de vous associer comme conseillers à l’administration de l’Etat. Vous vivrez en sécurité et en liberté, ces biens dont vous ont privé les empereurs patriciens et que se sont efforcés de vous rendre Marc Aurèle, puis Pertinax ». Voir aussi Hérodien, vi, 1, 2, seul passage où l’allusion au gouvernement aristocratique ne fait pas partie d’un discours ou d’une lettre au Sénat ; il concerne le début du règne de Sévère Alexandre, dont la grand-mère Julia Maesa et la mère Julia Mamaea choisirent parmi les Sénateurs seize personnages âgés et tempérants pour composer une sorte de conseil de régence (J. A. Crook, Consilium Principis, p. 86–91) : « [elles] en firent les assesseurs et les conseillers de l’Empereur. Celui-ci ne disait ni ne faisait rien qui ne fût sanctionné par leur jugement et leur suffrage. Le peuple, l’armée, mais aussi les sénateurs se réjouirent de voir l’autorité impériale, outragée par une ignominieuse tyrannie, évoluer vers un modèle aristocratique ». Voir fg. Zonaras, 12, 15, p. 119, 31–120, 9 D. Hérodien, ii, 3, 10 ; v, 1. Méritocratie : Hérodien, ii, 3, 9 ; liberté et sécurité : v, 1, 8 ; administration commune entre le prince et les sénateurs : ii, 3, 10 ; v, 1, 8 ; vi, 1, 2 ; importance du consilium principis : v, 1, 8 ; vi, 1, 2.

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référence au régime aristocratique, ou à un principat de type aristocratique, par opposition à un principat tendant à la monarchie absolue, assimilé à la tyrannie. On retrouve donc l’alternative entre royauté/principat et tyrannie, qu’on a déjà rencontrée chez Sénèque, Pline et Dion de Pruse, et un type de discours politique qui s’inscrit dans le sillage de celui des bon Antonins. b Le caractère biaisé des débats Un point commun des débats composés par Dion Cassius et par Philostrate est leur caractère artificiel, ou plus exactement biaisé. Philostrate met en effet en scène un faux débat95. Vespasien a déjà été acclamé empereur, ses armées sont arrivées à Rome et il demande des conseils pour sortir l’Empire de la tyrannie. C’est par jalousie envers Apollonios qu’Euphratès remet en question la prise de pouvoir de Vespasien en l’incitant à rétablir la démocratie96. Le débat constitutionnel qui est engagé est essentiellement binaire, la possibilité de l’aristocratie et de son pendant négatif, l’oligarchie, n’étant qu’évoquée par Dion de Pruse97. Euphratès oppose la monarchie évoluant en tyrannie à la démocratie très estimée par les Romains, associée à la liberté, c’est-à-dire à la République98. Dion de Pruse déjà fait observer que les Romains se sont habitués à la servitude, ce qui rappelle le jugement que Tacite portait sur ses contemporains99, puis Apollonios condamne cette discussion puérile et inopportune, car obsolète100. Il développe trois arguments démontrant que Vespasien doit exercer le pouvoir impérial : 1) quitter le pouvoir mettrait sa vie en danger, d’autant plus qu’il priverait ses enfants de leur part de l’Empire101. 2) Il mérite sa position de princeps par sa puissance militaire, par sa noblesse (γενναῖος), sa tempérance (σώφρων) et son aptitude à réaliser ses projets102. 95

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Voir notamment J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 194–205 ; C. BostPouderon, « Discours et débats politiques dans le roman grec antique », dans B. Pouderon et J. Peigney (éd.), Discours et débats dans l’ancien roman, Lyon, 2006, p. 327–350, part. p. 330–332. Philostrate, va, v, 32–33. va, v, 34, 2. va, v, 33, 5. va, v, 34, 2 ; Tacite, Dial., 40–41 ; Ann., i, 2 et 4, 1. Rappelons que le Dialogue des orateurs, qui a été rédigé au début du iie siècle et qui revient sur la question de l’éloquence et de la liberté, a pour contexte le règne de Vespasien ; Philostrate semble avoir partagé le jugement de l’historien sur l’importance décisive de cette époque pour l’assimilation de la « servitude » par les aristocrates romains. va, v, 35, 1. va, v, 35, 1 et 3. On retrouve le même argument très réaliste chez Dion Cassius, lii, 17. va, v, 35, 2.

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De même qu’un homme dont le mérite est éminent fait de la démocratie le gouvernement d’un seul, du meilleur, de même le gouvernement d’un seul homme, quand celui-ci veille au bien de tous, est la vraie démocratie. Ce passage reprend la célèbre définition du gouvernement de Périclès selon Thucydide et rappelle la manière dont Aelius Aristide a caractérisé le principat antonin dans son discours En l’honneur de Rome103. Philostrate montre donc que le débat entre République et Empire n’a plus de sens. La légitimité du principat ne repose plus sur un débat philosophique sur le meilleur régime, mais sur la figure du bon prince. Il développe une pensée politique pragmatique, qui est associée à une réflexion sur le rôle du philosophe conseiller du pouvoir : le philosophe, traditionnellement doté de la parrhèsia, ne doit rien dire de contraire à la prudence ni à la raison. Il est possible que cette réflexion renvoie à la figure d’Helvidius Priscus, qui représentait déjà à la fin du ier siècle, chez Tacite, une forme de libertas incompatible avec l’obsequium au service de l’Empire104. Le rôle du sénateur stoïcien est tenu ici par Euphratès. Dion Cassius a aussi condamné sévèrement la parrhèsia déplacée d’Helvidius, sa propagande républicaine et ses outrages envers le pouvoir105. Le débat qui occupe le début du livre lii de l’Histoire romaine est justifié par le fait qu’Octavien songe à renoncer au pouvoir au lendemain des guerres civiles (en 29 av. J.-C.). Agrippa lui conseille le retour à la démocratie, mais Mécène le persuade qu’il est nécessaire d’instaurer une monarchie. Celle-ci est décrite comme un régime à coloration mixte : c’est une royauté qui tait son nom, qui fonctionne avec un conseil de consultation et, plus largement, avec la participation des meilleurs au gouvernement de l’Etat106. Ce débat aussi est biaisé, car l’argumentation d’Agrippa porte sur les difficultés de gouverner en monarque bien plus que sur les avantages de la démocratie107. Il défend une conception de la démocratie idéale, caractérisée par l’isonomie, la justice, la

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va, 35, 4 ; Thucydide, ii, 65, 9 ; Aelius Aristide, Or. xxvi, 60. Voir supra, c. 3. Le rapprochement entre Euphratès et Helvidius a été suggéré par J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 139 ; Dion Cassius, lxv, 12, 2 ; sur l’insolence d’Helvidius envers Vespasien : Suétone, Ves., 15, 2–3. Voir C. Mallan, « Parrhêsia in Cassius Dio », dans C. J. Lange, J. Majbom Madsen (éd.), Cassius Dio, p. 258–275, part. p. 271–272. Dion Cassius, lii, 33 ; 40. Voir C. Carsana, La teoria della costituzione mista nell’eta imperiale romana, Como, 1990 p. 83–94. Dion Cassius, lii, 5 et 13 : les Romains renonceront difficilement à la liberté, l’aspirant à la monarchie se met en danger ; § 6 : difficulté pour le monarque de trouver des ressources financières ; § 7 : difficulté de rendre la justice ; § 8 : haine des nobles et des ambitieux pour le monarque qui les empêche de s’élever ; § 10 : le monarque est malheureux à cause du labeur nécessité par l’exercice du pouvoir.

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méritocratie et la liberté108, opposée à la tyrannie et recouvrant la République romaine. Ses exemples sont tirés du glorieux passé de la Grèce et de Rome, et ses arguments sont très datés pour le public du iiie siècle109. En effet, l’exemple des cités grecques libres, aspirant à la gloire, était tout à l’inverse utilisé par les représentants de la Seconde Sophistique pour montrer les conséquences désastreuses des rivalités entre cités, et même, dans le discours d’Aelius Aristide En l’honneur de Rome, pour souligner les bienfaits de l’hégémonie romaine qui a mis fin à des luttes stériles110. Mécène lève en retour toutes les objections d’Agrippa111, et lui montre qu’« il est possible et facile à un homme sensé de commander bien et sans danger »112. La réponse au débat entre démocratie et monarchie se trouve donc dans le développement sur ce que doit faire le bon chef, qui occupe la plus grande partie du discours. C’est la raison pour laquelle le débat est biaisé, car tourné vers le miroir au prince, comme c’était déjà le cas dans le troisième discours Sur la royauté de Dion de Pruse. Comme celle d’Agrippa, la conception qu’a Mécène du gouvernement idéal repose sur la méritocratie, mais son point de vue est plus moderne et plus réaliste113, et ce d’autant plus qu’aux yeux des auditeurs et lecteurs de Dion Cassius, il tient le rôle de celui à qui l’Histoire a donné raison. Sa position rappelle les réflexions personnelles, pleines de recul, que l’assassinat de César a suscitées chez l’historien :

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Dion Cassius, lii, 4, 5, 9. Dion Cassius, lii, 9. Dion de Pruse, Or. xxxiv, 49–51 ; xxxviii, 25 ; Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 43– 57. L’interdépendance des deux discours a été bien notée, tout en suscitant des lectures différentes : voir notamment U. Espinoza Ruiz, Debate Agrippa-Mecenas en Dión Cassio. Respuesta senatorial a la crisis del Imperio Romano en época Severiana, Madrid, 1982, p. 28– 122 ; M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 170 ; C. Horst, « Zur politischen Funktion des Demokratiebegriffes in der Kaiserzeit  :  eine Interpretation der Reden des Agrippa und Maecenas (Cassius Dio 52,1-41) », dans T. Schmitt, V. V. Dement’eva (éd.), Volk und Demokratie im Altertum, Göttingen, 2010, p. 189–208 ; E. Adler, « Cassius Dio’s AgrippaMaecenas debate : an operational code analysis », AJPh, 133, 2012, p. 477–520 ; M. Bellissime, Edition, p. 113–114, 200–204. Dion Cassius, lii, 18, 7 : ἀλλ´ ἵνα ἀκριβῶς καταµάθῃς ὅτι καὶ δυνατὸν καὶ ῥᾴδιον τῷ γε ἔµφρονι τὸ καὶ καλῶς καὶ ἀκινδύνως ἄρξαι ἐστί. Dion Cassius, lii, 14, sur la méritocratie. Mécène met en avant deux dangereuses dérives de la démocratie  :  l’ochlocratie et la dunasteia, c’est-à-dire un régime reposant sur des factions (lii, 14–15). Le réalisme de Mécène apparaît notamment quand il souligne la difficulté d’adapter la démocratie à l’étendue de l’Empire à la fin de la République (lii, 16), et le danger que court Auguste s’il renonce au pouvoir (lii, 17). Voir M. Bellissime, Edition, p.  200–204, pour l’idée qu’Agrippa défend une conception ancienne de la démocratie

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La démocratie a un nom séduisant et semble, par suite de l’égalité devant la loi, conférer à tous l’égalité des droits ; mais les faits démontrent qu’elle n’est nullement conforme à son nom. Tout au contraire, le mot de monarchie sonne mal aux oreilles, mais c’est la forme de gouvernement la plus utile. Il est plus facile, en effet, de trouver un seul homme honnête que d’en trouver plusieurs. Même si l’un paraît difficile, on avouera de toute nécessité que l’autre, du moins, est impossible ; car la vertu n’est pas un bien qui appartienne à la majorité des gens. Si donc c’est un méchant qui exerce l’autorité, mieux vaut que ce soit lui que la multitude de ses pareils, comme l’atteste ce qui s’est produit chez les Grecs, les Barbares et les Romains eux-mêmes. Les avantages ont toujours été plus grands et plus nombreux pour les cités comme pour les particuliers sous le gouvernement des rois que sous celui du peuple ; les maux surviennent en moindre proportion dans les monarchies que dans les ochlocraties. Si, en effet, une démocratie a été quelque part florissante, elle n’a subsisté que peu de temps, c’est-à-dire tant qu’elle n’a eu ni assez de grandeur ni assez de force pour que la prospérité donnât naissance aux outrages, l’ambition aux jalousies. Or Rome elle-même, dans l’état où elle était, elle qui commandait à la partie la plus belle et la plus grande du monde connu, qui avait conquis des peuples aux mœurs si nombreuses et variées, qui possédait de nombreuses et grandes richesses, qui avait connu toutes sortes d’exploits et de succès, individuels et collectifs, ne pouvait garder la modération sous une démocratie ; elle pouvait encore moins, sans être modérée, conserver la concorde. Ainsi donc, si Marcus Brutus et Caius Cassius avaient fait ces réflexions, jamais ils n’auraient assassiné le chef et le tuteur de Rome, et ils n’auraient pas été responsables de maux innombrables non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour tous les autres hommes de ce temps114.

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(née au ve siècle av. J.-C.), et Mécène une notion de la démocratie mieux adaptée au régime censitaire de la République romaine. Dion Cassius, xliv, 2 : ∆ηµοκρατία γὰρ ὄνοµα µὲν εὔσχηµον ἔχει καί τινα καὶ ἰσοµοιρίαν πᾶσιν ἐκ τῆς ἰσονοµίας φέρειν δοκεῖ, ἐν δὲ δὴ τοῖς ἔργοις ἐλέγχεται µηδὲν ὁµολογοῦσα τῷ προσρήµατι · καὶ τοὐναντίον ἡ µοναρχία δυσχερὲς µὲν ἀκοῦσαι, χρησιµώτατον δὲ ἐµπολιτεύσασθαι ἐστί. Ῥᾷόν τε γὰρ ἕνα τινὰ χρηστὸν ἢ πολλοὺς εὑρεῖν· ἄν τε καὶ τοῦτο χαλεπόν τισιν εἶναι δοκῇ, πᾶσα ἀνάγκη ἐκεῖνό γε ἀδύνατον ὁµολογηθῆναι εἶναι· οὐ γὰρ προσήκει τοῖς πολλοῖς ἀρετὴν κτᾶσθαι. Εἰ δ´ οὖν καὶ φαῦλός τις αὐταρχήσειεν, ἀλλὰ τοῦ γε πλήθους τῶν ὁµοίων αἱρετώτερός ἐστιν, ὥσπερ που καὶ τὰ ἔργα τά τε τῶν Ἑλλήνων καὶ τὰ τῶν βαρβάρων, τῶν τε Ῥωµαίων αὐτῶν, τεκµηριοῖ. Τά τε γὰρ ἀµείνω πολὺ µείζω καὶ πλείω καὶ πόλεσι καὶ ἰδιώταις ἐκ βασιλέων ἢ δήµων ἀεί ποτε ἐγένετο, καὶ τὰ δυσχερέστερα ἐν ταῖς µοναρχίαις ἢ ταῖς ὀχλοκρατίαις συµβαίνει. Εἰ γάρ που καὶ δηµοκρατία τις ἤνθησεν, ἀλλ´ ἔν γε βραχεῖ χρόνῳ ἤκµασεν, µέχρις οὗ µήτε µέγεθος µήτ´ ἰσχὺν ἔσχον ὥστε ἢ ὕβρεις σφίσιν ἐξ εὐπραγίας ἢ φθόνους ἐκ φιλοτιµίας ἐγγενέσθαι. Πόλιν

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On retrouve dans ce passage l’argument sur la rivalité des cités grecques, utilisé dans son sens courant aux iie et iiie siècles, c’est-à-dire de manière négative, en opposition à l’idéal grec de la concorde115. Celle-ci est associée à la modération (ici au sens de tempérance), qui est une caractéristique essentielle du bon gouvernant chez Dion Cassius116. Les parallèles entre ces deux débats sur la démocratie/République romaine et la monarchie autorisent à lire le miroir au prince développé par Mécène comme un reflet de la position de l’historien117. Ainsi, dans la Vie d’Apollonios comme dans le livre lii de l’Histoire romaine, le débat sur le meilleur régime apparaît comme un marqueur de la pensée politique, il est la forme dans laquelle s’exprime la réflexion sur la nature du principat. Mais la solution du débat est cherchée dans le comportement du prince : c’est celui-ci, et non les institutions, qui détermine la forme du principat. Le bon principat est décrit comme une monarchie mixte, à tendance aristocratique (par référence à la méritocratie, l’isonomie et la justice) ou démocratique (au sens où il s’agit du gouvernement du meilleur pour le bien de tous), les deux ayant tendance à se confondre ; le principat aristocratique apparaît sans doute comme une revendication plus typique du Sénat. Les deux discours au prince présentent un autre point commun : il est difficile, voire impossible, de leur attribuer un destinataire précis, non seulement en raison des difficultés de datation, mais aussi à cause de la contextualisation démultipliée chez Dion Cassius et de la portée générale des conseils dispensés par Apollonios de Tyane. 3

Le bon chef de Dion Cassius

a Contextualisation et réaction contre les premiers Sévères Le miroir au prince du livre lii s’inscrit dans le cadre général d’une double contextualisation historique, car il renvoie à la fois à la période augustéenne et

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τε αὐτήν τε τηλικαύτην οὖσαν καὶ τοῦ τε καλλίστου τοῦ τε πλείστου τῆς ἐµφανοῦς οἰκουµένης ἄρχουσαν, καὶ πολλὰ µὲν ἀνθρώπων ἤθη καὶ διάφορα κεκτηµένην πολλοὺς δὲ καὶ µεγάλους πλούτους ἔχουσαν, ταῖς τε πράξεσι καὶ ταῖς τύχαις παντοδαπαῖς καὶ ἰδίᾳ καὶ δηµοσίᾳ χρωµένην, ἀδύνατον µὲν ἐν δηµοκρατίᾳ σωφρονῆσαι, ἀδυνατώτερον δὲ µὴ σωφρονοῦσαν ὁµονοῆσαι. Ὥστ´ εἴπερ ταῦτα οὕτως ὅ τε Βροῦτος ὁ Μᾶρκος καὶ ὁ Κάσσιος ὁ Γάιος ἐξελογίσαντο, οὐκ ἄν ποτε τόν τε προστάτην καὶ τὸν κηδεµόνα αὐτῆς ἀπέκτειναν, οὐδ´ ἂν µυρίων αἴτιοι κακῶν καὶ ἑαυτοῖς καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς τότε ἀνθρώποις ἐγένοντο. Trad. R. Gros modifiée. Voir notamment A. R. R. Sheppard, “Homonoia in the Greek Cities of the Roman Empire”, AncSoc, 15–17, 1984–1986, p. 229–252. Voir infra. Voir M. Bellissime, Edition, p. 93–95, pour un résumé des principaux points de vue sur la question ; p. 113–114, l’auteur défend l’idée que la prosopopée induit une nécessaire distance entre l’orateur et les personnages des locuteurs.

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à celle de la dynastie sévérienne118. La figure d’Octavien/Auguste fait naturellement songer à celle de Septime Sévère, fondateur d’une nouvelle dynastie après une crise politique qui s’est aussi traduite par des guerres civiles. Comme l’a montré notamment Alison Cooley, Septime Sévère s’est beaucoup inspiré de la politique d’Auguste, en particulier dans ses projets de construction119. La dédicace de l’arc de triomphe érigé en 203 sur le Forum témoigne de la volonté qu’a eue l’empereur de lier ses victoires militaires et celles de Caracalla à leurs vertus personnelles, comme c’était le cas aussi sur le bouclier des vertus d’Auguste120. Certaines mesures envisagées par Mécène, par exemple celle qui concerne l’attribution de la juridiction capitale au préfet de la ville, la création de la charge de « sous-censeur » (hupotimètès) ou bien la provincialisation de l’Italie 121, sont des projections pour le futur, peut-être en cours de discussion à la cour des Sévères, ce qui prouve que ces conseils politiques visaient audelà d’Auguste et de Septime Sévère. Ils étaient destinés soit au prince sous le règne duquel Dion Cassius écrivait ce passage, et dans ce cas Sévère Alexandre, 118

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Pour les renvois à Auguste et aux Sévères, voir notamment, parmi une riche bibliographie, P. Meyer, De Maecenatis oratione a Dione ficta, Diss. Berlin, 1891 ; J. Bleicken, « Der politische Standpunkt Dios gegenüber der Monarchie. Die Rede des Maecenas Buch 52. 14–40 », Hermes, 90, 1962, p. 444–467 ; F. G. B. Millar, Study, p. 102–118 ; U. Espinoza Ruiz, Debate Agrippa-Mecenas, p. 273–468 ; J.-M. Roddaz, « De César à Auguste : L’image de la monarchie chez un historien du siècle des Sévères. Réflexions sur l’œuvre de Dion Cassius, à propos d’ouvrages récents », rea, 85, 1983, p. 67–87 ; M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 180–210 ; M. Bellissime, Edition, p. 93–114 : l’auteur relativise l’ancrage sévérien du discours, à tort selon nous ; A. Gangloff, « La tradition du miroir au prince et la figure du bon chef chez Dion Cassius », dans E. De Bom, S. Schorn, G. Roskam (éd.), Mirrors for Princes in Antiquity and their Reception (colloque international de Leuven, 2–4 décembre 2015), à paraître. A. Cooley, “Septimius Severus : the Augustan emperor”, dans S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan culture, p. 385–397, part. p. 393–394. cil vi 1033  :  ob rem publicam restitutam imperiumque populi Romani propagatum insignibus uirtutibus eorum domi forisque, « pour avoir rétabli l’Etat et étendu l’Empire du peuple romain par les remarquables vertus dont ils ont fait preuve dans Rome et à l’extérieur », trad. personnelle. La valeur augustéenne de la formule res publica restituta est à nuancer : voir F. Hurlet et B. Minéo, “Introduction : Res publica restituta. Le pouvoir et ses représentations à Rome sous le principat d’Auguste”, dans id., (dir.), Le principat d’Auguste. Réalités et représentations du pouvoir. Autour de la Res publica restituta, Rennes, 2009, p. 9–22, part. p. 11–12. Hérodien, iii, 13, 3, interprète la clémence de Septime Sévère à l’égard des enfants de Plautien, après l’assassinat du préfet du Prétoire, accusé de comploter contre l’empereur, en janvier 205, comme une manifestation d’imitatio Augusti : il aurait imité la clémence d’Octavien envers les fils de Marc Antoine et de Cléopâtre et envers le deuxième fils que celui-ci avait eu avec Fulvie. Dion Cassius, lii, 21, 2 ; 21, 5 ; 22.

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le «  bon empereur  » de l’Histoire Auguste, est le meilleur candidat122, soit à un « prince idéal », de même qu’un écrivain s’adresse à son « lecteur idéal ». La seconde hypothèse semble préférable en raison du regard pessimiste que l’historien a posé sur son époque, caractérisée à ses yeux par la violence et la guerre123. Le discours de Mécène visait aussi, plus largement, un public de lecteurs cultivés, composé des membres de la cour et des élites civiques, qui, à cette époque, étaient sensibilisés à ce type de réflexion politique, comme le montrent les parallèles que l’on pourra tracer entre les conseils de Mécène et ceux d’Apollonios de Tyane aux empereurs. Septime Sévère est décrit chez Dion Cassius comme celui qui a déçu les attentes des sénateurs et, surtout, a ouvert la voie au tyran  :  Caracalla, qui représente en effet une sorte d’anti-Marc Aurèle124. Les deux premiers empereurs Sévères ont-ils eu une pensée politique  ? Leur exercice du pouvoir reposait-il sur un discours idéologique cohérent, sur une certaine vision du monde ou bien au moins sur une conception du rôle du princeps et des assises de son pouvoir ? Ce sont là des questions cruciales, auxquelles Dion Cassius apporte des éléments de réponse quand il fait référence au discours menaçant que Septime Sévère a lu devant le Sénat après la défaite de Clodius Albinus, ou bien lorsqu’il cite une lettre de Caracalla envoyée aux sénateurs, mettant en avant ses exploits et le soutien de ses soldats125. Proclamé empereur à Carnuntum par les légions de Pannonie Supérieure le 9 avril 193, Septime Sévère a d’abord joué la carte de la légitimité par rapport aux sénateurs en se présentant comme le champion de Pertinax, l’empereur qui avait été le candidat du Sénat et dont il prit le cognomen (Imperator Caesar Lucius Septimius Severus Pertinax Augustus). Pertinax avait été son commandant militaire en Syrie en 180. Un des premiers actes de Septime Sévère fut d’honorer la mémoire de Pertinax par une apothéose126. Il existait un lien fort entre Pertinax et Marc Aurèle : en arrivant au pouvoir, Pertinax avait été soutenu par de grands aristocrates proches de Marc Aurèle, Claudius Pompeianus, 122 123

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Voir A. Chastagnol (éd.), Histoire Auguste, p. 555–559. Ce regard pessimiste est notamment exprimé par l’idée de la déchéance cyclique qui a lieu depuis le règne de Marc Aurèle (lxxi, 36, 4), et par la fin assez énigmatique de l’Histoire romaine sur une citation d’Homère, Il. xi, 163–164 (selon un ordre donné en songe par la divinité) : « Zeus cependant soustrait Hector aux javelines, à la poussière, au massacre, au sang, au tumulte » (trad. P. Mazon), qui peut signifier que seule la divinité pourrait arrêter les guerres et désordres dans lesquels vivent les contemporains de Dion Cassius. M. Martini, «  Il ruolo paradigmatico della figura di Marco Aurelio in Cassio Dione  : confronto con la figura di Caracalla », Sileno, 36, 2010, p. 63–77. Dion Cassius, lxxvi, 8 ; lxxviii, 20. Dion Cassius, lxxv, 4–5 ; ric iv p. 94, nos 24 A, 24 B.

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gendre de l’empereur philosophe, qui avait refusé de siéger au Sénat sous le règne de Commode, et Acilius Glabrio, issu de la dernière famille consulaire républicaine et peut-être apparenté à la famille impériale127. Ce lien semble avoir été revendiqué par Septime Sévère durant la courte période que celui-ci passa à Rome avant de partir combattre son rival Pescennius Niger, qui avait été proclamé empereur par ses troupes à Antioche, à peu près en même temps que lui. Selon Hérodien, Septime Sévère punit les prétoriens, responsables du meurtre de Pertinax, en les chassant de la garde mais en leur laissant la vie sauve et en mettant en avant sa clémence128. Devant le Sénat, il prononça un discours dans la même veine, dans lequel il promettait un gouvernement aristocratique dans la continuité de ceux de Marc Aurèle et de Pertinax, ainsi que la securitas, qui est effectivement l’un des thèmes de son monnayage daté des guerres civiles129 : il fit le serment, traditionnel depuis Nerva, de ne pas mettre à mort de sénateur, et il le confirma par décret130. En juin 193, il associa au pouvoir le gouverneur de Bretagne Clodius Albinus en le nommant César : celui-ci devait maintenir l’ordre en Occident pendant que lui-même partait en Orient en 194 pour combattre Pescennius Niger, qui fut tué dans l’hiver 194/195. Selon Hérodien, Septime Sévère aurait déjà perdu son crédit auprès des sénateurs durant cette campagne, en raison de la cruauté dont il fit preuve envers les principaux commandants de Niger131. En 195, Septime Sévère se rattacha artificiellement à la dynastie des Antonins, en se prétendant frère de Commode et fils adoptif de Marc Aurèle : il devint Imperator Caesar Lucius Septimius Severus Pius. Fit-il apparaître trop visiblement ses propres ambitions dynastiques ? En tout cas la rupture avec Clodius Albinus est consommée vers la fin de l’année 195 : celui-ci fut proclamé Augustus en Gaule et en Bretagne, et Caracalla devint César. Albinus passait pour avoir soutenu Marc Aurèle en 175 face à l’usurpateur Avidius Cassius, et il était populaire à Rome, aussi bien auprès du peuple que du Sénat132. Son monnayage de Lyon daté

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sha, Pert., 4, 10 ; Hérodien, ii, 3, 3–4 ; voir Dion Cassius, lxxiv, 3, 3–4. Voir pir2 C 973 ; pir2 A 69 ; J. A. Crook, Consilium Principis, p. 75 ; J. C. Moran, « 193 : Seuerus and traditional Auctoritas », dans E. dal Covolo, G. Rinaldi (éd.), Gli imperatori Severi, p. 31–38. Hérodien, ii, 13, part. § 8 sur la clémence. ric iv p. 98 n°56 (SECURITAS PUBLICA, en 195) ; p. 102 n° 93 (196/197). Hérodien, ii, 14, 3 ; Dion Cassius, lxxv, 2, 1 ; sha, Sept. Seu., 7, 5. Hérodien, iii, 5, 6 : il fit emprisonner les fils de ces commandants à Rome, avant d’exécuter pères et fils ; voir aussi Hérodien, iii, 4, 7, sur la punition des partisans de Niger ; Dion Cassius, lxxv, 8, 4, affirme cependant qu’il n’avait fait tuer aucun sénateur. Hérodien, ii, 15, 2 ; iii, 5, 2 ; sha, Clod., 10, 3–12 ; 12, 1 ; 13, 3–10 : la popularité d’Albinus auprès des sénateurs est expliquée par son discours très favorable au rétablissement de l’autorité du Sénat. Sur les manifestations du peuple contre la reprise des guerres civiles

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entre 195/196 et 197 se démarque des monnayages de tous les autres prétendants à l’Empire d’une intéressante façon : il fait apparaître une importante série de vertus impériales parmi lesquelles se trouvent la Virtus, l’Aequitas et la Clementia133. C’est donc lui qui s’est approprié le discours des vertus morales impériales renvoyant à Marc Aurèle, ce qui a peut-être obligé Septime Sévère à se démarquer. Le lien avec Hercule, revendiqué dans les deux monnayages en argent, montre bien à la fois la concurrence entre les deux empereurs et la différence des discours monétaires. Pour Albinus, Hercule est le symbole de la fortitudo (FORTITVDO AVG INVICTA), qui peut renvoyer à la vaillance physique du héros mais aussi, dans ce contexte, à la notion de courage moral, centrale dans le stoïcisme. L’Hercule de Septime Sévère est dépourvu d’une dimension éthique explicite. Il est caractérisé comme défenseur (HERCVLI DEFENS[ORI]), protecteur : l’épithète peut vouloir indiquer que c’est Albinus qui a commis l’agression contre Septime Sévère, et suggère qu’Hercule est le protecteur particulier de celui-ci, car il était l’un des deux principaux patrons de Lepcis Magna, le second étant Liber/Bacchus134. En février 197, Clodius Albinus fut défait à Lyon ; sa tête fut exposée à Rome sur une pique et Septime Sévère entreprit de réprimer avec rigueur ses partisans en Gaule et à Rome, en confisquant leurs propriétés et en les faisant mettre à mort135. Or, selon Dion Cassius, l’empereur aurait justifié cette répression en lisant devant le Sénat un discours qui louait la sévérité et la cruauté (αὐστηρία τε καὶ ὠµότης) de Sylla, de Marius et d’Auguste, par opposition à la clémence (littéralement la douceur, ἐπιείκεια) de César ou de Pompée, qui avait causé leur perte136. Puis il fit l’éloge de Commode et reprocha aux sénateurs d’avoir condamné sa mémoire. C’est donc Commode qui est pris en référence ; Septime Sévère l’avait fait diviniser, ce dont témoigne une monnaie de consecratio datée de 195/196137. Commode est mentionné dans la continuité des

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entre Sévère et Albinus, lors des courses de chars au cirque, voir Dion Cassius, lxxvi, 4, 2–6. M. Grant, The Severans, p. 10–12. ric iv 1 Clodius Albinus 48–49  ; 13  ; 14  :  CLEMENTIA AUG COS II, la Clémence est représentée debout, tournée vers la gauche et tenant une patère et un sceptre. ric iv 1 Septime Sévère 21 (dernier ; Hercule est debout, vêtu d’une peau de lion, appuyé sur une massue et tenant un globe dans sa main gauche) ; 79 (denier, 196/197 ; Hercule est debout et tourné vers la droite, la main droite appuyée sur sa massue, il porte sa peau de lion sur l’épaule gauche et tient un arc de la main gauche). Sur Septime Sévère, Hercule et Liber, voir C. Rowan, Under Divine Auspices : Divine Ideology and the Visualisation of Imperial Power in the Severan Period, Cambridge, New York, 2012, p. 32–109. Dion Cassius, lxxvi, 7, 3 ; 8, 4 ; Hérodien, iii, 8, 2 et 7 ; sha, Sept. Seu., 13. Dion Cassius, lxxv, 8, 1–3 ; sha, Clod., 12, 5–13, mentionne aussi ce discours et en propose un passage qui est focalisé sur l’ingratitude du Sénat. ric iv 1 Septime Sévère 72 A ; Dion Cassius, lxxvi, 7, 4.

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imperatores cruels de la fin de la République, ce qui n’est pas sans logique : le dernier des Antonins était un exemple de cruauté et il n’est pas impossible qu’il ait lui-même déjà fait allusion à Sylla en reprenant le titre de felix, car il semble s’être aussi associé à Hercule Inuictus, auquel les imperatores avaient voué un culte particulier, en recevant en 192 le titre d’Inuictus138. La première partie du discours attribué à Sévère, fondée sur l’alternative entre clémence et cruauté, rappelle la réflexion politique de Sénèque. Dans le premier traité Sur la clémence de Sénèque, Sylla apparaît comme un exemple de cruauté et de tyrannie139. Mais la seconde Lettre à César du pseudo-Salluste, qui semble être un exercice rhétorique du genre des suasoriae, émet un jugement plus nuancé, que l’on peut rapprocher de la position défendue par F. Hinard sur les proscriptions de Sylla, à savoir qu’il s’agissait d’un moyen légal de canaliser des violences légitimées moralement par le devoir de vengeance : L. Sylla, à qui, selon le droit de la guerre, sa victoire donnait toute licence, tout en comprenant que la mort de ses ennemis pouvait fortifier son parti, n’en fit pourtant périr qu’un petit nombre, et il aima mieux retenir le reste par des bienfaits que par la terreur140. Le rhétoricien qui a composé la lettre oppose à la modération (toute relative) de Sylla un massacre de quarante sénateurs et de nombreux jeunes gens, dont on ne sait rien, qui aurait été perpétré par Caton et L. Domitius Ahénobarbus, a priori lors des guerres civiles de 49-46 av. J.-C. Ce document est naturellement difficile à dater, mais il atteste l’existence d’une tradition scolaire qui réfutait le caractère cruel de Sylla, de même qu’on connaît par Juvénal l’existence de l’exercice inverse, consistant à persuader le dictateur tyrannique de renoncer à son pouvoir141. Il est possible que Septime Sévère, qui avait reçu une bonne formation rhétorique, ait exploité le premier type d’exercice pour justifier sa répression contre les partisans de Clodius Albinus. Aurélius Victor a aussi souligné le jugement ambivalent qui était porté sur Septime Sévère, empereur cruel qui s’est montré capable de protéger l’Empire  :  il témoigne du véritable problème qu’a posé à l’historiographie 138

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cil xiv 3449 (ils 400)  ; IL Af. 612  ; voir S.  Weinstock, «  Victor and Inuictus  », Harvard Theological Review, 50, 1957, p. 211–247, part. p. 242. Voir rrc, 426/2, p. 449–450 : denier de Faustus Cornelius Sylla, représentant au droit le buste d’Hercule portant un diadème et la peau de lion, avec la légende FEELIX (sic). Sénèque, Cl., i, 12, 1–2. Ps.-Salluste, Lettres à César, ii, 4, 1, trad. E. Ernout. Voir R. Syme, « Pseudo-Sallust », mh, 15, 1958, p. 46–55 ; F. Hinard, Les proscriptions de la Rome républicaine, Rome, 1985, p. 103–143. Juvénal, i, 15–17.

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pro-sénatoriale cet empereur, qui a démontré l’efficacité d’une politique ayant recours à la cruauté, alors que les tyrans qui y étaient auparavant associés, Caligula, Néron, Domitien, avaient été châtiés (même si, naturellement, existaient les exemples ambigus de Claude, Vespasien, Hadrien, et avant eux ceux de Marius, Sylla, Pompée, Auguste et Tibère)142. Septime Sévère n’est pas systématiquement associé à la cruauté dans les récits historiques du iiie siècle : s’il a châtié des sénateurs partisans d’Albinus, il en a complètement gracié d’autres143, et il a épargné le fils et la fille de Plautien en 205144. Mais il semble avoir fait varier son discours selon les circonstances : ce discours relevait donc de la stratégie politique et n’était pas le discours moral et méritocratique attendu par les sénateurs et destiné à eux145. Il exprimait une sorte de machiavélisme avant l’heure. Septime Sévère a aussi rompu rapidement, en raison des guerres civiles, la promesse rituelle qu’il avait faite au Sénat de ne tuer aucun de ses membres146. Mais il ne paraît pas s’être montré particulièrement cruel envers les sénateurs : en dehors des périodes qui ont suivi les guerres civiles (193, 194, 197) et la mort de Plautien (205), il n’a pas procédé à l’élimination physique d’un nombre élevé de sénateurs, pas davantage que Caracalla par ailleurs147. C’est le non-respect du discours politique attendu qui semble responsable de la rupture entre le pouvoir impérial et les sénateurs, ainsi que l’attention particulière que Septime Sévère a manifestée pour l’armée. 142 143 144

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Aurélius Victor, De Caesaribus, 20, 10–13 (infinita caede crudelior habitus est) ; sha, Sept. Seu., 17, 7 ; 18, 6 ; Eutrope, viii, 10. Voir aussi Dion Cassius, lxxvi, 7, 4, et, sur la cruauté de Sévère à l’égard des partisans de Niger et d’Albinus, Hérodien, iii, 4, 7, et iii, 8, 2. Dion Cassius, lxxvi, 8. Hérodien, iii, 13, 3, justifie ce geste par référence à la clémence d’Auguste ; à cette occasion, Dion Cassius, lxxvii, 5, attribue aussi à Septime Sévère un discours prononcé devant le Sénat qui renvoie à la clémence, en faisant écho au discours de Livie adressé à Auguste sur Cinna (lv, 14–22) : « Au lieu d’accuser Plautianus, il déplora la faiblesse humaine incapable de supporter des honneurs extraordinaires et il s’accusa lui-même de l’avoir tant honoré et aimé ». Voir Hérodien, ii, 14, 4 : « Mais il y eut quelques vieilles personnes qui, connaissant son caractère, dirent tout bas que Sévère était homme à revêtir toutes les formes, qu’il savait ruser pour régler les affaires, et qu’il était particulièrement habile à simuler et à feindre en tout domaine pour parvenir à ses fins au mieux de ses intérêts et de son avantage personnel », trad. D. Roques. Dion Cassius, lxxv, 2, 2. G. Alföldi, « Septimius Severus und der Senat », bj, 168, 1968, p. 112–160 ; F. Jacques, « Les nobiles exécutés par Septime Sévère », Latomus, 51, 1992, p. 119–144 ; S. Sillar, « Caracalla and the senate : the aftermath of Geta’s assassination », Athenaeum, 89, 2001, p. 407–423 ; D. Okoń, Septimius Seuerus et senatores. Septimius Severus’ Personal Policy towards Senators in the Light of Prosopographic Research (193–211 A. D.), trans. by B. Zawadka, Szczecin, 2014, p. 44–62.

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Septime Sévère s’est en effet appuyé sur elle et sur le peuple plus que sur les sénateurs : il est parvenu au pouvoir grâce à l’armée, et a compris qu’elle était, à ce moment-là, la clef de voûte du pouvoir impérial, idée qu’il semble avoir voulu transmettre à ses fils. C’est ce que montre l’anecdote fameuse selon laquelle l’empereur, sur son lit de mort, leur aurait tenu les propos suivants : « Entendez-vous, enrichissez les soldats, méprisez tout le reste »148. Le monnayage en argent de son règne est particulièrement bien adapté à l’armée, car il met en évidence le thème de la victoire et de la puissance militaire, et l’épithète d’« invaincu », inuictus ou attètos, caractérise Septime Sévère et Caracalla dans les papyrus et les inscriptions149. Selon Dion Cassius, c’est sa politique militaire que les sénateurs ont surtout reprochée à Septime Sévère : elle a conduit à multiplier à Rome et dans ses environs la présence des soldats et à grever le budget de l’Etat150 ; et le principal grief porte sur ce qui est présenté comme le principe de cette politique, à savoir que l’empereur « a placé l’espoir de son salut non dans la bienveillance (eunoia) de ceux qui l’entouraient, mais dans la force (ischus) des soldats »151. 148 149

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Dion Cassius, lxxvi, 15, 2  :  Ὁµονοεῖτε, τοὺς στρατιώτας πλουτίζετε, τῶν ἄλλων πάντων καταφρονεῖτε. Voir M. Grant, The Severans, p. 34–38. C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 44. Pour les inscriptions, voir par exemple ae 1968, 629 (Hadrumète) ; irt, 403 (théâtre de Leptis Magna, dédicace du procurateur M. Junius Priscus à Julia Domna)  ; cil iii 5745 (Henndorf). Voir J.  de Jong, “The employment of epithets in the struggle for power : a case study”, dans O. Hekster, G. de Kleijn, D. Slootjes (éd.), Crises and the Roman empire. Proceedings of the Seventh Workshop of the International Network Impact of Empire (Nijmegen, June 20–24, 2006), Leiden, 2007, p. 311–326, à propos de l’usage dans les papyrus de l’épithète ἀήττητος pour légitimer Septime Sévère et Caracalla. M. Grant, The Severans, p. 35, rappelle la décision prise par Septime Sévère de poster une nouvelle légion, la legio ii Parthica, en Italie-même, à Albanum situé sur la rive du lac Albano, à environ 20 km au Sud Est de Rome ; cette légion, placée sous l’autorité d’un chevalier et utilisée comme une force mobile, est à l’origine d’une multiplication de troupes en Italie et à proximité de Rome, dans l’objectif de protéger le pays d’invasions barbares et peut-être aussi d’intimider le Sénat. Sur la question du budget de l’Etat, voir infra. Dion Cassius, lxxv, 2, 2–6 (§ 3 : καὶ τὸ µέγιστον ὅτι µὴ ἐν τῇ τῶν συνόντων οἱ εὐνοίᾳ ἀλλ´ ἐν τῇ ἐκείνων ἰσχύι τὴν ἐλπίδα τῆς σωτηρίας ἐποιεῖτο). L. de Blois, “Traditional Virtues and New Spiritual Qualities in Third Century Views of Empire, Emperorship and Practical Politics”, Mnemosyne, 47, 1994, p.  166–176, part. p.  166–168, a souligné l’influence des miroirs au prince d’Isocrate, qui mettent en avant la notion d’eunoia, « bonne volonté », « bienveillance », à la base des relations entre le chef et ses sujets. Mais, à l’époque de Dion Cassius, les idées de l’orateur grec font partie d’un fonds commun auquel ont accès les élites sociales grecques et romaines : l’eunoia est ainsi une vertu civique importante, soulignée dans les inscriptions honorifiques du monde grec, voir Y. Lafond, La mémoire des cités dans le Péloponnèse d’époque romaine (iie siècle av. J.-C.-iiie siècle ap. J.-C.), Paris 2006, p. 35–37 ; pour la Bithynie à l’époque romaine, voir tam iv, 1400 ; I. Apameia und Pylai, 113 ; I. Pr(o) usias, 2.

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Caracalla s’est assuré du soutien de l’armée pour éliminer son frère Géta, et durant son règne il a revendiqué de manière plus agressive que son père le fait qu’il s’appuyait sur l’armée plus que sur le Sénat152. Il a repris le modèle des imperatores qui apparaissaient dans le discours de Septime Sévère, en le développant de manière plus systématique, semble-t-il. Il semble en particulier avoir multiplié les hommages à Sylla, qui s’était distingué dans la guerre contre les Cimbres en 101, avant de devenir le vainqueur de Mithridate vi Eupator. Les propres campagnes de Caracalla en Gaule contre les Alamans, en 213, et en Orient contre les Parthes, à partir de 214, lui permettaient de tracer un parallèle avec l’imperator : il faisait son éloge, lui fit ériger des statues et restaura son Mausolée sur le Champ de Mars153. Selon Dion Cassius qui le détestait, tout en étant son amicus, c’est parce qu’il imitait sa cruauté154. De manière beaucoup plus probable, Caracalla a imité l’imperator républicain en cherchant à se parer de l’élément de légitimation que celui-ci avait mis en avant, surtout après avoir été déclaré hostis par le Sénat en 87 av. J.-C. : la protection des dieux, qui assurait ses succès militaires155. A partir du moment où Caracalla, ayant éliminé Géta, a régné seul, son monnayage a multiplié les références à un large éventail de divinités (Vénus, Sol, Jupiter, Mars, Apollon, Esculape, Hercule et Sérapis), ce qui met en évidence sa recherche du soutien divin après la crise qui a engendré le meurtre de son frère156. Dès 200, la juxtaposition dans sa titulature des titres de Pius Felix évoque la figure de Sylla157. Julia Domna, dont l’image publique a une dimension

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Dion Cassius, lxxviii, 2–3 ; 20. Si l’augmentation de la solde par Septime Sévère a peutêtre surtout compensé l’avance prise par les prix, celle de Caracalla semble relever d’une politique de faveur à l’égard de l’armée : J.-M. Carrié, « Les finances militaires et le fait monétaire dans l’empire romain tardif », dans Les « dévaluations » à Rome. Epoque républicaine et impériale, 1, Rome, 1978, p. 227–248, part. p. 237 ; M. Corbier, « Dévaluations et fiscalité (161–235) », ibid., p. 273–309, part. p. 280. Dion Cassius, lxxvii, 13, 7. Sur le Mausolée de Sylla, voir F. Coarelli, Il Campo Marzio. Dalle Origini alla fine della repubblica, Rome, 1997, p. 599 ; F. Hinard, Sylla, Paris, 1985, p. 265– 266. Hérodien, iv, 13, mentionne aussi des statues et des monuments de Sylla ; sha, Car., 2 : Caracalla fit plusieurs fois en public l’éloge de Tibère et de Sylla. Voir B. Cahut, Principat et République, p. 889–897. Dion Cassius, lxxvii, 13, 7  :  Ἐκείνῳ δὲ ὅτι τὴν ὠµότητα αὐτοῦ ἐζήλου. Sur les rapports entre Dion Cassius et Caracalla, C. Davenport, “Cassius Dio and Caracalla”, cq, 62, 2012, p. 796–815. Voir P. Assenmaker, De la victoire au pouvoir. Développement et manifestations de l’idéologie impératoriale à l’époque de Marius et Sylla, Bruxelles, 2014, p. 159–163. C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 111–112, et plus largement p. 110–163 sur Caracalla. cil iii 14485 a (ils 9179) ; cil vi 225 (ils 2186) ; 1054 ; A. Chastagnol, « Le formulaire de l’épigraphie officielle dans l’Antiquité tardive », dans id., Le pouvoir impérial à Rome,

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Fig. 4  Antoninien, Rome, entre 213 et 217. Droit : buste de Caracalla, radié, drapé et cuirassé, avec la légende ANTONINVS PIVS AVG GERM. Revers : Vénus Victrix portant la Victoire et une lance. ric iv Caracalla 311 c. Roma Numismatics Ltd, 41, 2 décembre 2017, lot 858.

militaire affirmée, était associée sur le monnayage, dès le début du règne de Septime Sévère, à la Vénus Victrix qui a gagné le concours de beauté et qui tient en général son prix (la pomme) sur les représentations monétaires158. Durant le règne de son fils, l’impératrice est aussi devenue Pia Felix159. A ce moment-là le thème de la Vénus Victrix apparaît dans le monnayage de Rome de Caracalla, sous une figuration différente, bien que traditionnelle : Vénus, le plus souvent, porte dans la main droite une statuette de Victoire et tient dans celle de gauche une lance, au bas de laquelle se trouve un bouclier (Fig. 4). Le motif et son usage renvoient alors aux grands imperatores de l’époque tardorépublicaine : Sylla, qui a ouvert la voie au culte de Vénus Victrix, puis Pompée le Grand et César (Fig. 5)160.

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Figures et commémorations, textes édités par S.  Benoist et S.  Demougin, Paris, 2008, p. 133–188, part. p. 139. Pour s’en tenir au monnayage en or et argent : ric iv 1 Septime Sévère 535–536, 579, 581, 630-633A, 645 A et 647. Sur l’iconographie de la Vénus Victrix, voir G. Sauron, Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome, Rome, 1994, p. 253–254. J.-P. Callu, « Pia Felix », rn, 155, 2000, p. 189–207, part. p. 195–196. Caracalla et Vénus Victrix : ric iv 1 Caracalla 310–312, 574, 575A, 577 ; notons que sous le règne de Caracalla, la légende VENVS VICTRIX n’est plus utilisée pour Julia Domna qui

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Fig. 5  Denier, Rome, 44 av. J.-C. Droit : buste de César couronné de laurier, avec la légende CAESAR [DICT] PERPETVO. Revers : Vénus Victrix portant la Victoire et un long sceptre, légende au nom de L. (Aemilius) Buca, monétaire. rrc 480/8. Roma Numismatics Ltd, 41, 2 décembre 2017, lot 660.

A partir du moment où Caracalla a régné seul, un changement radical, qui a été abondamment commenté, s’est opéré dans son iconographie statuaire  :  le jeune empereur a rompu avec l’iconographie «  antonine  », idéalisante, de son père, pour apparaître avec une physionomie intimidante, aux traits marqués. Il est caractérisé par son expression tendue, avec des sourcils contractés et des plis sur le front (Fig. 6), et il semble s’être efforcé d’adopter la même expression résolue au quotidien161. Des comparaisons ont été faites avec les représentations des soldats de Trajan sur la frise de l’arc de Constantin et avec celles d’Alexandre le Grand, l’un des principaux modèles de Caracalla162. Cette physionomie est assurément en rapport avec le caractère martial et la victoire militaire. On pourrait aussi suggérer une analogie avec les portraits « réalistes » des premiers imperatores de la fin de la République, Marius et Sylla, dont on ne

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est associée à VENVS GENETRIX, ce qui faisait écho à César. Sylla et Vénus : rrc 359 (daté de 83 av. J.-C., voir le commentaire p. 732). Voir P. Assenmaker, De la victoire au pouvoir, p. 253–289. Dion Cassius, lxxviii, 11, 12  :  ἔφη γὰρ αὐτὸν ὀργιζοµένῳ τινὶ ἐοικέναι, ἐπεὶ πρὸς τὸ θυµοειδέστερόν πως ἑαυτὸν ἐσχηµάτιζεν, «  [Paulinus], en effet, dit que l’empereur ressemblait à un homme en colère, car il cherchait à prendre une apparence pleine de résolution ». A.-M. Leander Touati, « Portrait and historical relief. Some remarks on the meaning of Caracalla‘s sole ruler portrait », dans A. M. Leander Touati, E. Rystedt, Ö. Wikander (éd.), Munuscula Romana. Papers at a conference in Lund (October 1–2, 1988) in celebration of the

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Fig. 6  Denier, Rome, 215. Au droit : buste lauré de Caracalla, légende A[NTO]NINVS PIVS A[V] G GERM. Au revers : Sol debout, la main droite levée, tenant un fouet de la main gauche, légende P M TR P XX COS IIII P P. ric iv Caracalla 293 d. Roma Numismatics Ltd, 44, 3 mars 2018, lot 678.

possède plus que les descriptions de Plutarque. Celles-ci renvoient à l’expression de sévérité ou bien de résolution caractérisant à la fin de la République les effigies des nobles qui se consacraient aux rigueurs du service de la res publica, mais elles soulignent aussi l’aspect dur et impressionnant de leur physionomie163. Plus encore que son père qui a varié son discours politique, Caracalla semble donc s’être rattaché à l’idéologie du chef de guerre protégé des dieux – peutêtre déjà utilisée par Commode – qui avait été élaborée par les imperatores de l’époque tardo-républicaine : c’est Sylla, en particulier, qui en avait construit le prototype164.

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re-opening of the Swedish Institute in Rome, Stokholm, 1991, p. 117–131 ; F. Leitmeir, « Brüche im Kaiserbildnis von Caracalla bis Seuerus Alexander », dans S. Faust, F. Leitmeir (éd.), Repräsentationsformen in severischer Zeit, Berlin, 2011, p. 11–33. E. Gruen, “The Roman Oligarchy : Image and Perception”, dans J. Linderski (éd.), Imperium sine fine : T. Robert S. Broughton and the Roman Republic, Stuttgart, 1996, p. 215–234. Voir Plutarque, Mar., 2, 1 : « Quant à l’apparence physique de Marius, nous avons vu à Ravenne, en Gaule, sa statue de marbre, qui correspond entièrement de ce que l’on dit de la rudesse et de l’âpreté de son caractère. D’un naturel viril et combattif, formé par une éducation plutôt militaire que civique, il montra dans les charges qu’il exerça une humeur intraitable » ; Sull., 2, 1–2 : « Ses statues donnent une idée de l’ensemble de son aspect physique ; l’expression de ses yeux étincelants aux regards terriblement durs et sévères était rendue plus effrayante par la couleur de son visage », trad. R. Flacelière et E. Chambry. C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 246–252 sur « l’idéologie divine » dans la dynastie de Sévères. Sur Sylla, voir P. Assenmaker, De la victoire au pouvoir, p. 157–294.

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En réaction, dans la tradition historiographique pro-sénatoriale du iiie siècle, hostile au discours militariste, est apparu un nouveau type de schéma explicatif analysant et jugeant le pouvoir impérial à partir d’une alternative entre, d’une part, la voie de la clémence où le prince est protégé par l’affection, la bienveillance de ses sujets, et, d’autre part, la voie de la répression ou de la force militaire, où le prince est détesté par les sénateurs mais protégé (plus ou moins bien) par les soldats. C’est particulièrement net chez Hérodien, dont l’Histoire des empereurs romains repose, à partir de Caracalla, sur une succession de règnes courts, tantôt cruels, tantôt cléments165. Mais on peut aussi appliquer cette remarque à Dion Cassius : dans le miroir au prince de Mécène, l’historien semble réagir en grande partie par rapport aux deux premiers empereurs Sévères. La particularité de ce miroir est donc qu’il se trouve en décalage par rapport à la réalité du pouvoir impérial de son temps (celui où il a été composé), beaucoup plus que le discours parénétique et laudatif de Pline, qui partait du discours de l’empereur Trajan, ou même que celui de Dion de Pruse166. b Le principe de la mesure A l’opposé de la figure du tyran cruel, le bon chef selon Mécène est caractérisé par la clémence, en lien avec la justice, qui renvoie aux traités De Clementia de Sénèque ; c’est aussi le thème du discours adressé par Livie à Auguste au sujet de Cinna167. Dans le discours de Mécène, plusieurs termes grecs renvoient à cette vertu romaine par excellence, présente sur le bouclier d’Auguste : la douceur, τὸ ἐπιεικές, la philanthropie, φιλανθρωπία, la générosité, µεγαλοδωρία168. Les bons princes Germanicus et Marc Aurèle sont caractérisés par cette vertu, alors que les tyrans sont inversement stigmatisés par leur conduite dure et répressive envers leurs sujets169. Néanmoins, contrairement à ce qui caractérise le premier traité De Clementia de Sénèque, le portrait du chef idéal selon Dion

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Caracalla est cruel, Macrin clément, Elagabal cruel, Sévère Alexandre clément, Maximin à nouveau cruel. M. T. Schettino, « Conscience de la crise », souligne le caractère utopique du miroir au prince de Dion Cassius au début du livre lii. Dion Cassius, lii, 31, 9–10 ; 34 : on retrouve dans ce passage l’idée d’une politique des bienfaits, permettant au prince de s’attacher ses sujets, qui a été développée par Sénèque. Dion Cassius, lii, 34, 9 : οὕτω γὰρ ἂν µάλιστα ποιήσειας αὐτοὺς τῶν τε χειρόνων ἀπέχεσθαι, τῇ φιλανθρωπίᾳ, καὶ τῶν βελτιόνων ἐφίεσθαι, τῇ µεγαλοδωρίᾳ, « ainsi, tu les éloigneras du pire par l’amour des hommes, et tu les conduiras au meilleur par la générosité ». Dion Cassius, lvii, 18, 7 (Germanicus) ; Dion Cassius, lxxii, 34, 3–4 (Marc Aurèle) ; fg. 40, x, 46 (dureté de Pyrrhus envers les Syracusains) ; Dion Cassius, xliii, 17 (discours de César).

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Cassius n’est pas construit tout entier autour de la clémence, qui n’est qu’une partie de la mesure. La principale règle de conduite du bon chef réside en effet dans sa capacité à se maîtriser et à mener une vie bien réglée : il doit être κόσµιος, εὐβίοτος170. Le mode de vie mesuré du chef est le nœud central des relations que celui-ci entretient avec tous ses sujets171. Ce mode de vie recouvre la ciuilitas, qualité essentielle chez les « bons » Antonins Trajan, Antonin le Pieux et Marc Aurèle : elle se manifeste dans le comportement simple et l’abord facile du prince, qui le font apparaître comme l’égal des autres aristocrates172. Mais, plus largement, le fait de mener une vie bien réglée garantit la cohérence entre la conduite personnelle et la politique du chef, lui assurant crédibilité et popularité, ce qui est un point important dans le discours de Mécène. Le prince doit vivre comme les autres, sans contradiction par rapport à ce qu’il demande à ses sujets, car il est le modèle à imiter173. La maîtrise de soi lui permet de ne pas se livrer à l’exousia, la licence, qui caractérise le tyran : il doit toujours peser ses actions selon deux critères, l’un philosophique et moral, l’autre affectif et plus stratégique, en se demandant s’il agit de manière droite (orthôs) et de façon à se faire aimer de ses sujets174. Mener un train de vie mesuré apparaît donc aussi comme une stratégie au service d’une politique financière : éviter toute dépense inutile doit en effet permettre de faire accepter une politique austère d’imposition, fondée sur l’uniformisation des taxes et la fin des exemptions175. On retrouve des idées 170

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Dion Cassius, lii, 39. Voir Dion Cassius, lvii, 18, 8 (Germanicus) ; Dion Cassius, lxxii, 34, 4–35 (Marc Aurèle) ; fg. 40, ix, 33–38, discours de Fabricius à Pyrrhus, sur l’idée qu’il faut se contenter de ses propres biens et ne pas désirer ceux d’autrui ; Dion Cassius, xliii, 16 (discours de César). Dion Cassius, lii, 39, 4. A. F. Wallace-Hadrill, “Civilis Princeps” ; B. Cahut, Principat et République, p. 699–720 sur la ciuilitas de Trajan. Dion Cassius, lii, 34, 2–3, sur le chef comme modèle à imiter, sur lequel convergent les regards ; § 39, 3–4 : ὅταν ἐκ τοῦ ὁµοίου σφίσι προσφέρῃ, καὶ µὴ αὐτὸς µὲν πλουτῇς τοὺς δ´ ἄλλους ἀργυρολογῇς, µηδ´ αὐτὸς µὲν τρυφᾷς τοὺς δ´ ἄλλους ταλαιπωρῇς, µηδ´ αὐτὸς µὲν ἀκολασταίνῃς τοὺς δ´ ἄλλους νουθετῇς, ἀλλ´ ἐς πάντα δὴ πάντως ὁµοιοτροπώτατα αὐτοῖς ζῇς, « quand tu te comportes à leur égard sur un pied d’égalité, quand tu ne t’enrichis pas toi-même en tirant de l’argent des autres, quand tu ne vis pas dans le luxe en faisant souffrir les autres, quand tu ne t’abandonnes pas à tes passions en réprimandant les autres, mais quand, en tout point, tu mènes la même vie qu’eux ». Dion Cassius, lii, 38, 1–2 ; voir Sénèque, Cl., i, 13, 4 : le bon roi souhaite que ses sujets approuvent l’exercice de sa souveraineté. Dion Cassius, lii, 28 et 29 ; voir aussi lxxviii, 9–10 : l’historien se plaint que Caracalla a surchargé d’impôts le peuple et les riches particuliers, tout en dépensant sans compter pour les troupes, les bêtes sauvages et les chevaux (il était passionné de chasse et de courses)  ; l’édit de Banasa (iam 2, 100), daté de 216, qui permet aux Maurétaniens de

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très proches dans un édit sur l’or coronaire daté par la plupart des savants du début du règne de Sévère Alexandre : l’empereur se réclame des exemples de Trajan et de Marc Aurèle, ses ancêtres. Il affirme sa détermination à mettre un terme au déclin de l’Empire, non en imposant de nouvelles levées (il renonce à l’or coronaire normalement dû pour son avènement), mais en étant économe et en évitant les dépenses privées ; son attitude est censée faire prospérer (« accroître ») l’Empire et servir de modèle aux gouverneurs et aux procurateurs176. Le train de vie mesuré se concilie aussi, selon Mécène, avec la liberalitas, générosité évergétique qui est justifiée quand elle s’exerce pour le bien de la collectivité  :  le bon chef est ainsi «  économe avec ses propres biens, mais non en vue du bien commun », τὰ οἰκεῖα φειδωλότατος πρὸς δὲ τὰ κοινὰ ἀφειδέστατος177. La libéralité édilitaire, en particulier, est encouragée pour accroître l’éclat de Rome, la capitale de l’Empire178 : son rôle de symbole du pouvoir romain se traduit par le faste, qui est refusé à la personne de l’empereur en tant que modèle pour ses sujets. Dion Cassius semble ici avoir approuvé la politique édilitaire de Septime Sévère, qui avait entrepris de magnifier la place de Rome au sein de l’Empire, comme Auguste l’avait fait avant lui. A partir de 198, Septime Sévère et ses fils furent honorés par le titre de restitutor urbis, « restaurateur de la ville »179. Entre 203 et 211 a été élaboré le fameux plan en marbre de Rome, la Forma Urbis, déposé dans le Temple de Pax, qui témoigne

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bénéficier d’une remise de dettes, atteste en revanche un certain souci d’éviter l’oppression fiscale  – même si, en l’occurrence, le prince attend en contrepartie une livraison d’animaux et des services (dans l’armée, dans l’administration) des hommes ; voir M. Corbier, « Le discours du prince d’après une inscription de Banasa », Ktèma, 2, 1977, p. 213– 232, repris dans Donner à voir, donner à lire, 2006, p. 197–213. P. Fay., 20. Voir J.-H. Oliver, “On the Edict of Severus Alexander (P. Fayum 20)”, AJPh, 99, 1978, p. 474–485. Dion Cassius, lii, 29 ; voir rg, 15, 17–18 : Auguste met en avant les dépenses qu’il a faites sur ses ressources propres pour le bien commun. Dion Cassius, lii, 30, 1 ; voir rg, 19–23. ric iv 1 Septime Sévère 188–190, 753, 755, 757, 825. Voir l’expression qualifiant Auguste de templorum omnium conditorem aut restitutorem, « fondateur et restaurateur de tous les temples », chez Tite-Live, iv, 20, 7 ; voir aussi Suétone, Aug., 28, 3. Septime Sévère a restauré le théâtre de Pompée, le Panthéon (cil vi 896) et, avec Caracalla, en 203 après un incendie, le Portique d’Octavie (cil vi 1034, 31231 ; sha, Sept. Seu., 21,12) ; il a aussi fait construire le Septizodium au Sud-Est du Palatin. Voir A. Cooley, “Septimius Severus : the Augustan emperor”, p. 393–394 ; A. Daguet-Gagey, « Septime Sévère et ses fils, “Restitutores Vrbis” : la personnalisation des mérites impériaux », rn, 160, 2004, p. 175–199 ; A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus. Studien zur sakralen Repräsentation und Rezeption der Herrschaft des Septimius Severus und seiner Familie (193–211 n. Chr.), Leiden, Boston, 2011, p. 281–318.

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d’une certaine forme de sacralisation de la capitale de l’Empire (urbs sacra)180. L’Umbilicus Romae situé sur le Forum romain au Nord des Rostres de César semble aussi devoir être daté de l’époque sévérienne ; il rappelait l’omphalos de Delphes en suggérant l’idée que Rome était désormais le centre du monde181. Ce principe de mesure, essentiel dans la figure du bon chef, est lié à la question de l’éducation. Sur l’éducation du prince lui-même, Mécène ne dit rien. Le thème n’est abordé que par le biais de l’éducation des sénateurs et des chevaliers, nécessaire parce que « les gens bien élevés et instruits ne songent jamais à nuire à autrui  »182. Il entre donc implicitement dans la définition du bon prince que celui-ci ait été bien éduqué, puisque le bon prince de Dion Cassius est issu du milieu sénatorial. L’éducation de Germanicus et de Marc Aurèle est mise en avant par l’historien : Germanicus se distinguait par sa paideia, celle de Marc Aurèle était à l’origine de son succès politique183. Dion Cassius précise que l’éducation de Marc Aurèle fut à la fois rhétorique et philosophique, et elle est associée à un naturel vertueux, comme c’est le cas aussi pour Germanicus, ce qui rappelle la double paideia royale préconisée par Dion de Pruse dans le quatrième discours Sur la royauté184. C’est à sa vertu et à son éducation que Marc Aurèle a dû sa conduite modeste – ciuilis – qui l’a très tôt fait aimer de tous185. La mesure est donc une vertu philosophique qui est érigée en principe de gouvernement et déclinée comme une stratégie politique. La particularité et la 180 181 182 183

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Urbs sacra : cil vi 1030 (201 ap. J.-C.) ; ils 98 (règne de Caracalla). Sur l’interprétation de la Forma Urbis, voir A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 306–310. A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 391 avec la bibliographie précédente. Dion Cassius, lii, 26, 6. Dion Cassius, lvii, 18, 6 : Germanicus apparaît comme l’idéal du kalos kagathos, à la fois beau et fort, doté d’une âme noble et bien éduqué. On retrouve cet idéal, auquel Marc Aurèle ne correspond pas en raison de sa faiblesse physique, dans le portrait de Pertinax (Dion Cassius, lxxiii, 1, 1 : Περτίναξ δὲ ἦν µὲν τῶν καλῶν κἀγαθῶν). Sur Marc Aurèle : Dion Cassius, lxxii, 35–36, 1–3. Dion de Pruse, Or. iv, 31. Sur la théorie de la double éducation qui est développée dans ce passage, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome et les mythes, p. 344. Les contemporains de Marc Aurèle lui ont pourtant reproché son maintien austère dû à sa qualité de philosophe : Fronton, Aur., iv, 12, 5, Van den Hout ; De Fer. Als., 3, Van den Hout ; voir aussi sha, Marc., 4, 10 ; 22. Dans son traité De Officiis, i, 130–131, Cicéron a fait l’éloge de la mesure dans le soin, la toilette, le costume, les gestes et les expressions ; voir aussi Quintilien, viii, 19–20 ; xi, 3, 137. Sur le lien entre éducation et mesure, voir Dion Cassius, fr. 12, iii, 9 : Ὅτι τὸ τῆς βασιλείας πρᾶγµα οὐκ ἀρετῆς µόνον, ἀλλὰ καὶ ἐπιστήµης καὶ συνηθείας, εἴπερ τι ἄλλο, πολλῆς δεῖται, καὶ οὐχ οἷόν τέ ἐστιν ἄνευ ἐκείνων ἁψάµενόν τινα σωφρονῆσαι, « Exercer la royauté demande non seulement de la vertu, mais encore, pour le moins, beaucoup de connaissance et d’expérience, sans lesquelles il n’est pas possible de se maîtriser au contact de la royauté ».

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richesse du programme de Dion Cassius résident dans ce que celui-ci est à la fois moral, politique et institutionnel, dans le droit fil du Panégyrique de Pline. Mais, contrairement à celui-ci, Dion Cassius ne procède pas en accumulant les qualités du chef, ce qui serait en contradiction avec le principe de la mesure. Il se contente de décliner, comme Dion de Pruse, quelques grandes qualités essentielles et reconnues comme telles  :  ces vertus sont disséminées parmi les propositions du conseiller (§ 18–33), puis elles sont concentrées à la fin du discours (§ 34–39), qui est focalisée sur les qualités, le comportement du bon monarque et ses relations avec ses sujets (hoi archomenoi), ce qui montre bien qu’il s’agit d’un élément prépondérant. Ce n’est pas le lieu, ici, d’analyser précisément les réformes politiques et administratives proposées par Dion Cassius, ce qui a déjà été fait par d’autres que nous186. Mais nous voulons mettre en évidence certains éléments propres à caractériser le régime et ses principaux acteurs politiques en relation avec les grandes vertus du prince. Pour cela, une remarque préalable s’impose : le peuple n’apparaît pas chez Dion Cassius comme un véritable acteur politique187, alors qu’il l’a de toute évidence été pour Septime Sévère, dont la politique ne fut pas uniquement tournée vers l’armée ; elle a été aussi caractérisée par la libéralité évergétique, par de nombreux spectacles, jeux  – dont les fameux jeux séculaires de 204 – et des largesses destinées au peuple188. Mais l’historien concentre son attention sur les relations entre le bon chef, l’aristocratie et les soldats. c Monarque absolu ? la place du Sénat Il existe une différence fondamentale entre le discours de Mécène chez Dion Cassius et les deux autres grands textes politiques qui s’étaient déjà intéressés aux aspects institutionnels du principat, à savoir les Res Gestae et le Panégyrique de Pline : l’historien est plus attaché à déterminer de manière institutionnelle les pouvoirs et les charges des dignitaires que ceux du prince, alors que les Res Gestae s’efforçaient de définir le princeps par son usage des 186

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Sur les mesures institutionnelles et administratives, voir en particulier J. Bleicken, « Der politische Standpunkt Dios gegenüber der Monarchie » ; F. G. B. Millar, Study, p. 106–118 ; U. Espinoza Ruiz, Debate Agrippa-Mecenas, p. 273–468 ; A. Favuzzi, « Osservazioni su alcune proposte di Mecenate ». Dion Cassius, lii, 30, 2 ; voir aussi par exemple dans l’Histoire romaine, lxxiv, 13, 2–5, le récit de la révolte impuissante du peuple romain juste après l’avènement de Didius Julianus, le successeur de Pertinax. Voir L. de Blois, « Volk und Soldaten bei Cassius Dio », anrw, ii, 34, 3, Berlin, New York, 1997, p. 2650–2676, part. p. 2655–2660. Hérodien, iii, 8–10. Dion Cassius, lii, 30, 1, considère d’ailleurs que les fêtes à Rome participent au rayonnement de la ville.

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magistratures supérieures et des pouvoirs, et que le consulat constituait pour Pline un critère de définition du bon prince189. Dans le discours de Mécène, le prince – plusieurs fois qualifié par le terme neutre de « chef », archôn190, mais considéré comme un roi – n’est pas caractérisé comme un magistrat et sa supériorité apparaît comme une évidence, qui n’a pas besoin d’être expliquée ou légitimée. Les trois aspects de son incontestable auctoritas qui sont évoqués sont les suivants : 1) le prince est sacro-saint (σεπτός), caractère qui est rattaché à la notion de maiestas191 ; 2) il apparaît sous la figure – centrale dans la réflexion politique romaine depuis Cicéron – de l’homme providentiel, à la fois père et sauveur192, ce qui entre en résonance avec l’image d’Auguste, mais aussi avec la figure de l’imperator tardo-républicain à laquelle Septime Sévère et Caracalla ont fait référence ; 3) il est le dernier recours et l’autorité suprême en matière de juridiction, ce qui correspond à la juridiction d’appel en première et en seconde instance, qui s’est instaurée progressivement à partir de Claude193. S’il s’agit d’un anachronisme par rapport à l’époque augustéenne, c’était en revanche une réalité bien en place dans l’Empire des Sévères, à laquelle les empereurs étaient attachés, comme on le voit dans une lettre de Sévère Alexandre aux Grecs de Bithynie, reproduite par Paul et conservée à l’état lacunaire dans deux papyrus. Elle interdisait aux juges de faire obstruction à la saisine du prince, qui est interprétée comme une relation directe et privilégiée entre celui-ci et ses sujets, et même comme un marqueur idéologique du régime : la possibilité de faire appel à la justice du prince signifie en effet que celui-ci « attache autant d’importance à la liberté de ses sujets qu’à leur bonne volonté et à leur obéissance  »194. A  l’époque sévérienne, la réflexion politique des juristes a, de manière générale, contribué de façon décisive à renforcer et à légitimer l’absolutisme impérial, d’une part en 189 190 191 192 193 194

rg, 1, 5–8, 34 ; Pline, Pan., 57–58, 78. Voir par exemple Dion Cassius, lii, 26, 5 ; 34, 3. Dion Cassius, lii, 31, 8  :  le prince est si supérieur aux outrages qu’il n’a pas besoin de recourir à la lex de maiestate – dont le recours s’est justement élargi sous Auguste (voir supra). Dion Cassius, lii, 39, 3 ; la comparaison avec le père est aussi utilisée dans le discours tenu par César devant le Sénat en 46 av. J.-C. (Dion Cassius, xliii, 17, 5) ; le dictateur reçut le titre de Parens Patriae après Munda en 45 av. J.-C. Dion Cassius, lii, 33, 1–2. P. Oxy., xvii, 2104, et xliii, 3106 ; Dig. xlix, 1, 25 (Paul, l. 20 responsorum) : τοσοῦτόν µοι µέλει τῆς τῶν ἀρχοµένῶν ἐλευθερίας ὅσον καὶ τῆς εὐνοίας αὐτῶν καὶ πειθοῦς ; voir J.-P. Coriat, Le prince législateur, p. 296. Plus largement, sur l’empereur maître du droit au iiie siècle, voir id., « Technique législative et système de gouvernement à la fin du principat : la romanité de l’état moderne », dans C. Nicolet (dir.), Du pouvoir dans l’Antiquité : mots et réalités, Cahiers du Centre Glotz, 16, 1990, p. 221–238, part. p. 221–228.

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présentant l’empereur comme source du droit et délié des lois195, d’autre part en affirmant sa maiestas divine196. Ceci explique sans doute pourquoi Dion Cassius n’est pas intéressé à donner une définition institutionnelle du prince ; le problème n’est pas le statut ou la position de celui-ci, mais la manière dont il infléchit la nature du régime. C’est donc bien plutôt la place et le rôle social et politique des membres de l’ordre sénatorial, de l’ordre équestre et de l’armée qui sont objet de réflexion : l’historien cherche à redonner à chacun de ces corps sa place auprès du prince, au profit de l’élite aristocratique197. Le système qu’il propose est fondé sur l’idée de méritocratie, si importante dans le Panégyrique de Pline : elle est donc demeurée, au début du iiie siècle, un élément essentiel de l’optique sénatoriale. Elle est exprimée dès le début du discours de Mécène, en lien avec l’égalité géométrique, dans une perspective qui rappelle celle de Platon dans la République, reprise par Cicéron dans son ouvrage homonyme198. On retrouve un thème essentiel de la réflexion politique antonine, à savoir que l’empereur doit honorer ses principaux collaborateurs – ici les sénateurs et les chevaliers – et ne pas se montrer jaloux des succès de ses commandants militaires199. Il s’agit d’un élément décisif pour la définition constitutionnelle du régime, car l’un des principaux reproches que Dion Cassius fait au « tyran » Caracalla est que celui-ci « voulait non seulement tout savoir, mais savoir seul, et non seulement tout pouvoir, mais pouvoir seul  ; c’est pourquoi il n’avait

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Ulpien, Dig., i, 3, 31 : princeps est legibus solutus, « le prince est libéré de la contrainte des lois » ; Dig., i, 4, 1 : quod principi placuit, legis habet uigorem, « ce que le prince a décidé a la vigueur de la loi » ; voir aussi Pomponius, Dig., i, 2, 2, 11 ; Inst., i, 2, 6. Les juristes précisent cependant qu’il convient que le prince, tout en étant délié des lois, vive selon les lois : Paul, Dig., xxxii, 23 ; Inst., ii, 17, 8 (Septime Sévère et Caracalla) ; Code Justinien, vi, 23, 3 (Sévère Alexandre). Voir J.-P. Coriat, Le prince législateur, p. 9–11 ; G. Crifò, « L’esperienza giuridica nell’età dei Seueri », p. 19. Voir S. Benoist, « Le prince, magister legum », p. 230–240 ; V. Marotta, « L’immagine del princeps negli scritti dei giuristi d’età antonina e severiana », dans J.-L. Ferrary, J. Scheid (éd.), Il princeps romano, p. 327–392. Ulpien assimile les dieux et les empereurs, Dig., xxi, 1, 19, 1 ; De Officio Praefecti Vrbis, 1 ; voir S. Benoist, « Images des dieux, images des hommes. Réflexions sur le “culte impérial” au iiie siècle », dans M.-H. Quet (dir.), La « crise » de l’Empire romain p. 27–64, part. p. 51. La supériorité du prince par rapport aux membres du Sénat est affirmée dans Dion Cassius, lii, 32, 1. Voir L. de Blois, “Emperor and Empire”, p. 3405–3415 (p. 3409 : “He emerges from his works as an advocate of a strong central [monarchical] government and of a hierarchical order, in which the various social groups each have their own functions and positions”). Voir le début du discours, Dion Cassius, lii, 14–15 ; 19 ; 27, 4. Selon Cicéron, Rep., i, 43 et 53, l’égalité démocratique, l’absence de degrés de dignité constituent un manque d’équité. Dion Cassius, lii, 34.

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aucun conseiller et jalousait ceux qui savaient quelque chose d’utile »200. Ce passage souligne le lien entre savoir et pouvoir : le pouvoir absolu signifie le refus du savoir partagé, et inversement le pouvoir du prince est partagé quand celui-ci reconnaît le savoir de ses conseillers et accepte de les écouter. Mécène insiste sur le fait que le bon prince doit écouter ses conseillers, qui sont en partie des sénateurs de haut rang, mais dans le cadre d’un conseil privé201. En ce qui concerne le Sénat qui avait, sous la République, un rôle essentiel de conseil, la position de Dion Cassius est claire. Il souhaite protéger l’ordre sénatorial en demandant que ses membres, s’ils sont accusés d’un délit, soient jugés par leurs pairs. Il envisage de réhabiliter, de manière fictive, l’autorité du Sénat dans la réception des ambassades étrangères, et propose au prince de faire passer sa propre législation sous forme de sénatus-consultes, qui semblent dotés d’un caractère purement formel202. L’historien est bien conscient de l’impossibilité de revenir en arrière, car le discours de Mécène à l’égard du Sénat est focalisé sur les thèmes de l’apparence et de la dignité ; chez Pline, la dignitas sénatoriale était renforcée par la participation du prince à certaines séances symboliques, il s’agit ici de restaurer cette dignité en demandant au prince de faire participer formellement le Sénat en tant que corps à la gestion des affaires communes. Le sénatus-consulte, « expression du pouvoir normatif du sénat », paraît s’être effacé derrière l’oratio principis, le discours du prince, comme le montre la lettre de Marc Aurèle et Commode à Smyrne, datée de la fin 177, qui concerne une demande d’autorisation d’organiser des concours : la partie latine rapporte le discours que le prince a prononcé devant le Sénat et non le sénatus-consulte qui autorise les concours203. Le sénateur bithynien semble donc proposer de s’en tenir à la pratique de collaboration formelle et courtoise entre empereur et Sénat qui avait lieu sous Marc Aurèle. Bien plus que Pline, il fait apparaître le rôle essentiellement symbolique du Sénat. La solution qu’il propose n’est cependant pas négligeable  :  conserver les apparences, dans une société qui, jusqu’alors, était caractérisée par son traditionalisme, pouvait représenter un moyen de préserver la dignitas qui avait toujours défini le Sénat. 200 201 202 203

Dion Cassius (Exc. Val. 368), lxxviii, 11, 5 : Πάντα τε γὰρ οὐχ ὅτι εἰδέναι ἀλλὰ καὶ µόνος εἰδέναι ἤθελε, καὶ πάντα οὐχ ὅτι δύνασθαι ἀλλὰ καὶ µόνος δύνασθαι ἠβούλετο, καὶ διὰ τοῦτο οὔτε τινὶ συµβούλῳ ἐχρῆτο καὶ τοῖς χρηστόν τι εἰδόσιν ἐφθόνει. Dion Cassius, lii, 33, 3. Dion Cassius, lii, 31, 1–4 ; 32. Voir R. J. A. Talbert, The Senate, p. 424–425 sur la vraisemblable diminution du rôle du Sénat dans la réception des ambassades à l’époque de Dion ; p. 490–491, sur le déclin général de l’institution après la mort de Marc Aurèle en 180. J.-P. Coriat, Le prince législateur, p. 10 ; id., « Technique législative », p. 221 ; voir Marco Aurelio, Scritti, lettre n° 268, p. 676–680 (ae 1977, 801 ; ae 1989, 683).

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Il existe donc une ambiguïté fondamentale dans la « royauté » romaine décrite par Dion Cassius au début du livre lii : le régime est caractérisé par une tension entre un modèle de monarchie renforcée, qui émerge à l’époque de l’historien, et un idéal de monarchie aristocratique, largement diffusé pendant le deuxième siècle. d Le chef et les soldats La question de l’armée était cruciale à l’époque de Dion, en particulier dans une optique sénatoriale. L’historien ne l’esquive pas, mais n’entre pas dans la polémique. De façon générale, il faut noter que le débat du livre lii entre Agrippa et Mécène minimise la question militaire, ne lui attache pas autant d’importance qu’il conviendrait de le faire, alors que celle-ci était aussi importante à l’époque augustéenne qu’elle le fut à celle des Sévères. Le bon prince doit être un chef militaire compétent qui aime la paix, c’està-dire qu’il est à la fois εἰρηνικώτατος et πολεµικώτατος, εὐπόλεµος et εἰρηναῖος204. Il s’agit d’une conception très augustéenne du pouvoir impérial, puisque la section finale des Res Gestae est consacrée à la fois aux exploits militaires et au rôle pacificateur du fondateur du principat205, qui est réapparue pour caractériser Trajan chez Pline le Jeune et Dion de Pruse206. On a déjà évoqué l’importance de la victoire dans le monnayage de Septime Sévère et dans les formules qui le désignaient dans les papyrus ou bien les inscriptions, ce qui le rapproche de Trajan207. L’inscription de l’Arc de Septime Sévère sur le forum romain utilise l’expression de fortissimus imperatorum qui évoquait aussi cet empereur208, et la date anniversaire de l’augustat de Caracalla, le 28 janvier, renvoie peut-être à la date de la proclamation de Trajan à l’Empire. Mais les premiers empereurs Sévères n’ont pas négligé non plus de mettre en avant la visée pacifique de leurs règnes : Septime Sévère et son fils ont vraisemblablement restauré le temple de la Paix (templum Pacis) qui avait été construit par Vespasien et détruit par un incendie en 192209. A partir de 200, les titres de fundator pacis, « fondateur de la paix », et de pacator orbis, « pacificateur du monde », sont apparus sur le monnayage de Septime Sévère et de ses fils, éventuellement en association avec Sol, ce qui souligne la dimension universelle de 204 205 206 207 208 209

Dion Cassius, lii, 37 et 39. rg, 25–33. Voir supra, c. 3. J.-L. Desnier, “On the bridge on a coin of Septimius Severus”, nc, 157, 1997, p.  191–193  ; C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 44. L’expression peut dater de 212, après l’abolitio memoriae de Géta. Voir Pline, Pan., 2, 6 : fortissimus ; Fronton, Prémisses de l’histoire, 6 : fortissimus imperator Traianus. A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 293–301.

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cette paix210. La formule du « bon guerrier pacifique » constitue donc un point de contact entre le discours officiel des Sévères et le discours traditionnel du sénateur Dion Cassius, mais il pouvait difficilement en être autrement étant donné le contexte général de l’époque sévérienne, marquée par quatre guerres civiles et huit grandes guerres contre des peuples extérieurs à l’Empire211. Cela confère néanmoins à cette formule l’aspect d’un lieu commun exprimé en dehors de toute orientation politique précise. L’originalité du discours de Mécène par rapport aux réflexions politiques antérieures est d’aborder la question de l’armée sous deux angles techniques, celui du budget et celui du recrutement d’une armée de professionnels, envisagée comme une solution pour réduire le problème du brigandage212. Le point de vue de Dion Cassius prend ainsi en compte deux grands reproches que les sénateurs avaient faits à Septime Sévère : avoir grevé le budget par les dépenses militaires et avoir recruté pour la garde prétorienne des soldats issus non plus, comme c’était habituellement le cas, d’Italie, d’Espagne, de Macédoine et du Norique, mais de toutes les légions, si bien que certains sénateurs y ont vu une raison pour laquelle la jeunesse italienne se tournait vers le brigandage et la gladiature213. Selon l’Histoire Auguste, Septime Sévère avait fait de la lutte 210 211

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Septime Sévère  :  Triton vi, 14.1.2003, n° 939  ; Classical Numismatic Group 61, 25.9.2002 n° 1868 ; ric iv 1 Septime Sévère 128–129, 160, 265 ; Caracalla 129, 154 A. Voir l’analyse de A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 299–300. Guerres civiles : Septime Sévère contre Julianus en 193, contre Niger en 193–194, contre Albinus en 196–197, et Elagabal contre Macrin en 218. Guerres étrangères : Septime Sévère contre les Parthes, en 194–195 et 197–198, contre les Calédoniens en 208/210 ; Caracalla contre les Germains en 213–214, contre les Parthes en 217 ; Macrin contre les Parthes en 217, Sévère Alexandre contre les Perses Sassanides en 231–233 et contre les Germains en 234–235. Dion Cassius, lii, 27–28. Voir R. MacMullen, Enemies of the Roman Order, app. B, p. 255– 268, part. p. 266–268 pour l’Italie ; B. D. Shaw, “Bandits in the Roman Empire”, P&P, 105, 1984, p. 3–52 ; W. Riess, Apuleius und die Raüber. Ein Beitrag zur historischen Kriminalitätsforschung, Stuttgart, 2001, p. 45–173 (portrait sociologique du brigand dans l’Antiquité romaine) et p. 182–186 sur l’intégration des bandits dans l’armée romaine ; l’auteur renvoie à V. A. Sirago, Trecentomila croci. Banditi e terroristi nell’Impero Romano, Como, 1984, p. 58 ; B. Pottier, Banditisme et ordre public dans les campagnes de l’Empire romain, thèse Paris x, 2004. Sur la lutte contre le brigandage en Italie vers le milieu du iiie siècle, voir cil xi 6107 = ils 509 (en 246) ; cil ix 334 = ils 2768. Dion Cassius, lxxv, 2, 2–6. L’historien semble se dissocier du second de ces reproches concernant la jeunesse italienne, qui était probablement plutôt propre aux sénateurs originaires d’Italie, ou du moins de la partie occidentale de l’Empire. F. G. B. Millar, “Italy and the Roman Empire : Augustus to Constantine”, Phoenix, 40, 1986, p. 295–318, a montré que l’Italie, qui n’a pas été provincialisée avant la tétrarchie, était faiblement organisée d’un point de vue administratif : elle était en proie aux disputes entre cités, propriétaires et paysans, ainsi qu’aux brigands.

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contre les brigands une de ses priorités politiques, ce qui donnerait du poids à cette dernière critique, d’autant plus que l’armée pouvait être envisagée comme un lieu d’intégration des brigands214. L’empereur fut tenu en échec, vers 206–207, par le fameux Bulla Felix, un Italien entouré d’une bande de 600 bandits (parmi lesquels beaucoup d’affranchis impériaux, insuffisamment payés) qui pillèrent l’Italie pendant deux ans215. Les règnes de Septime Sévère et de Caracalla ont connu une hausse du budget militaire, en raison d’une augmentation à la fois des troupes, de la solde (à nuancer en tenant compte de l’inflation) et d’autres avantages, notamment les donations substantielles de Caracalla : aussi, dans une lettre au Sénat, Macrin se plaint-il d’être pris dans un engrenage, incapable à la fois de faire marche arrière et de payer la solde des soldats216. Dion Cassius se montre donc particulièrement soucieux de trouver des ressources pour financer l’armée, à partir des revenus publics (prêt à taux modéré de l’argent tiré de la vente des terres de l’ager publicus, revenus des mines) et d’un système uniformisé de taxations et d’imposition, qui devait sans doute éviter, à ses yeux, de lever des taxes spéciales sur les plus riches, comme l’avaient fait Septime Sévère et son fils217. Le 214

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sha, Sept. Seu., 18, 5. Inversement, les bandes de brigands pouvaient être alimentées par les déserteurs : sous le règne de Commode, le célèbre Maternus avait rassemblé autour de lui une troupe nombreuse essentiellement constituée de déserteurs comme lui : Hérodien, i, 10, 1–6 ; sha, Com., 16, 2 ; Pesc. Nig., 3, 4 ; R. MacMullen, Enemies of the Roman Order, p. 267. Ce personnage a généré une véritable légende, avec des récits d’évasion spectaculaire ou bien d’actes de provocation du pouvoir dignes de Robin des bois : Dion Cassius, lxxvii, 10 ; trahi par sa maîtresse, Bulla Felix fut finalement arrêté et périt dans l’arène. Septime Sévère avait fait passer le nombre des légions romaines à 33 (contre 28/25 sous Auguste et 30 sous Trajan), et augmenté aussi l’effectif des autres soldats. Voir R. Develin, “The army pay rises under Severus and Caracalla, and the question of annona militaris”, Latomus, 30, 1971, p. 687–695 ; M. Crawford, “Finance, Coinage and Money from the Severans to Constantine”, anrw, ii, 2, Berlin, New York, 1975, p. 560–593, part. p. 562–568 ; J.-M. Carrié, « Les finances militaires et le fait monétaire », p. 227–237 ; M. Corbier, « Dévaluations et fiscalité (161–235) » ; M. Grant, The Severans, p. 34–38. Sur les dépenses militaires de Caracalla : Dion Cassius, lxxvii, 9, 1, 10, 1 et 4 ; 24, 1 ; sur les difficultés de Macrin : Dion Cassius, lxxviii, 36, 1–3. Voir aussi L. de Blois, « Volk und Soldaten », p. 2660–2675 ; id., “Emperor and Empire”, p. 3411–3412, 3423, sur l’idée répandue chez les historiens du iiie siècle que la rapacité des soldats conduit l’Empire à sa perte  ; id., “The Perception of Emperor and Empire in Cassius Dio’s Roman History”, AncSoc, 29, 1998–1999, p. 267–281, part. p. 275–281 ; id, “The military Factor in the Onset of Crises in the Roman Empire in the third Century A.D”, dans id., E. Lo Cascio (éd.), Impact of the Roman army (200 bc-ad 476) : economic, social, political, religious, and cultural aspects. Proceedings of the Sixth Workshop of the International Network Impact of Empire, Leiden, Boston, 2007, p. 497–507. Dion Cassius, lii, 28. Voir E.  Gabba, «  Progetti di riforme economiche e fiscali in uno storico dell’età dei Severi », dans Studi in onore di A. Fanfani, i, Milan, 1962, p. 42–68.

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projet fiscal conçu par l’historien reflète à l’évidence les attentes de l’élite dont il cherche à protéger les intérêts. Ce faisant, J. France, qui réhabilite ce programme, a souligné la présence d’un élément « révolutionnaire », à vrai dire utopique, discrètement présent en son sein (§ 29) : Mécène suggère que l’imposition devrait aussi s’appliquer aux soldats, qui étaient les principaux bénéficiaires des impôts218. e Le respect des cultes traditionnels Le bon prince est aussi caractérisé par la pietas, une autre vertu du bouclier d’Auguste, qui est associée à la uirtus militaire sur l’arc des Sévères à Lepcis Magna219. A la suite d’Antonin le Pieux et de Commode, les Sévères avaient intégré le surnom Pius dans leur titulature, Septime Sévère en 195, année de la consecratio de Commode, et Caracalla au plus tard en 198220. La piété des Sévères a sans aucun doute de multiples significations, qui ne sont pas les mêmes pour tous les empereurs : il s’agit notamment de la piété qu’a manifestée Septime Sévère à l’égard des empereurs précédents, Commode et Pertinax, dans un cadre qui était plus ou moins celui de l’adoption, ce qui renvoie alors à la piété filiale comme principe de la dynastie antonine. Pius désigne aussi, plus largement, la dévotion envers des divinités qui protègent le prince et lui octroient le succès. Dion Cassius insiste sur le caractère traditionnel que devrait revêtir la piété du prince vis-à-vis du divin. D’une part, le bon chef doit honorer le divin selon les coutumes ancestrales, sans admettre les divinités ni les cérémonies étrangères, ni l’athéisme, ni la sorcellerie et la magie. D’autre part, l’empereur doit éviter d’accepter les honneurs divins, tels que les statues en argent et en or qui sont aussi évoquées dans les Res Gestae et le Panégyrique de Pline221, ainsi 218 219

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J. France, « Financer l’Empire : Agrippa, Mécène et Cassius Dion », V. Fromentin, E. Bertrand, M. Coltelloni-Trannoy et alii (éd.), Cassius Dion, p. 773–785, part. p. 785. Les reliefs de l’arc des Sévères à Lepcis Magna célèbrent ces deux vertus à côté de la concordia familiale : R. Bartoccini, « L’arco quadrifronte di Leptis Magna », Africa Italiana, 4, 1931, p. 129–138 et fig. 95–100 ; P. W. Townsend, “The Significance of the arch of the Severi at Lepcis”, aja, 42, 1938, p.  512–524  ; S.  Faust, “Ideological messages and local preferences : the imagery of the Severan arch at Lepcis Magna”, ajah, N. S. 6–8, 2007–2009, p. 493–514. A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 322 (pour Septime Sévère, le titre apparaît sur le monnayage alexandrin dès 195, sur le monnayage impérial seulement à partir de 201). Dion Cassius, lii, 35–36. Par leur matière, les statues d’or et d’argent sont assimilées à des honneurs divins : K. Scott, “The Significance of Statues in Precious Metals in Emperor Worship”, tapa, 62, 1931, p. 101–123. Voir rg, 24, 2 ; Suétone, Aug., 52 ; Dion Cassius, liii, 22, 3, sur les statues d’argent d’Auguste, que l’empereur fit fondre pour offrir des offrandes à Apollon ; Pline, Pan., 52, 2–7, sur la destruction à Rome des statues d’or et d’argent de

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que les temples où il serait honoré de son vivant. C’est donc la question du culte impérial qui est envisagée ici. La règle générale élaborée par Auguste était que l’empereur vivant ne devait pas être honoré comme un dieu à Rome222, et les Sévères semblent l’avoir respectée223. Tout en évoquant un certain renforcement de la sacralisation de la famille impériale, A.  Lichtenberger a montré que les mécanismes du culte impérial étaient demeurés fondamentalement inchangés à cette époque224. Reprenant la conception du sage selon les Stoïciens et les Platoniciens, l’ami d’Octavien affirme que « la vertu en rend beaucoup semblables à des dieux, mais, par le vote, nul n’est jamais devenu dieu »225 : il faut certainement voir dans cette sentence une réaction par rapport à la divinisation de Commode par Septime Sévère, ainsi qu’à celle de Caracalla par Macrin qui prit le nom d’Antonin pour apaiser les soldats226. Peut-être Dion Cassius s’est-il souvenu de l’Apocoloquintose de Sénèque, qu’il connaissait et qui illustre parfaitement cette idée227. Son attitude traduit en tout cas cette réserve qui caractérise, comme l’a montré G. W. Bowersock, les intellectuels grecs à l’égard du culte impérial228. Dion Cassius se montre donc hostile au culte de l’empereur vivant, pratiqué localement dans l’Orient romain, et à la divinisation systématique des empereurs défunts, qui permettait de légitimer un pouvoir impérial de type

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Domitien, opposé à Trajan qui ne convoite pas la puissance divine et se contente de quelques statues de bronze. Voir G. Lahusen, « Zu römischen Statuen und Bildnissen aus Gold und Silber », zpe, 128, 1999, p. 251–266. Dion Cassius, li, 20, 8 ; voir D. Fishwick, “Dio and Maecenas : the Emperor and the Ruler Cult”, Phoenix, 44, 1990, p. 267–275, part. p. 270 : dans les provinces, les temples étaient acceptables si Dea Roma partageait le culte impérial (Suétone, Aug., 52). Voir I. Gradel, Emperor Worship and Roman Religion, Oxford, 2002, p. 73–139. On ne trouve pas sous leurs règnes, en Occident, d’adresse directe à l’empereur vivant en tant que dieu : A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 329–330, et p. 333–335 sur la possibilité que Septime Sévère ait été honoré comme un dieu vivant en Afrique (sha, Sept. Seu., 13, 8). A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p.  319–335, part. p.  335, p.  383–384. Voir aussi L. Cracco Ruggini, « Imperatori romani e uomini divini », p. 20 ; S. Benoist, « Images des dieux » ; id., « Des empereurs et des dieux : peut-on parler d’une “théocratie” impériale romaine ? », dans M.-F. Baslez, C.-G. Schwentzel (dir.), Les dieux et le pouvoir. Aux origines de la théocratie, Rennes, 2016, p. 83–99. Dion Cassius, lii, 35, 5 : Ἀρετὴ µὲν γὰρ ἰσοθέους πολλοὺς ποιεῖ, χειροτονητὸς δ´ οὐδεὶς πώποτε θεὸς ἐγένετο. Dion Cassius, lxxvi, 7, 4 ; lxxix, 19, 2 et lxxix, 9, 2–3. Dion Cassius, lx, 35, 3. G. W. Bowersock, “Greek Intellectuals”, p. 202–206. Voir A. Piatkowski, « Cassius Dio über den Kaiserkult  », Klio 66, 1984, p.  599–604  ; M.  Reinhold, From Republic to Principate, p. 207–208 ; D. Fishwick, “Dio and Maecenas”.

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dynastique. Il semble encore une fois que le principe de la mesure soit essentiel pour comprendre sa position. Dans les sources littéraires, les statues en or et argent sont liées au tyran qui est châtié pour son hubris, sa « démesure » qui s’exprime dans sa tentative de rivaliser avec le divin : c’est le cas de Domitien dans le Panégyrique de Pline229. Dion Cassius prend soin de mentionner une statue d’or d’un poids démesuré pour Commode, les statues d’or et d’argent de Caracalla, une statue d’or, remarquable par ses ornements, représentant sans doute Elagabal en grand-prêtre du Soleil230. Comme dans les Res Gestae, chez Philon d’Alexandrie et Pline le Jeune, la bonne distance entre le princeps et le divin est un critère essentiel pour distinguer le bon empereur du tyran. La réalité était plus souple, puisque même le prince modèle Marc Aurèle avait eu des statues en or231. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’il en a aussi refusées publiquement232. Tout était donc une question de dosage, et le bon prince devait manifester sa volonté de respecter la norme instaurée par Auguste : ainsi Macrin qui a réglementé au début de son règne la valeur de ses effigies en or et en argent233. C’était aussi une question d’interprétation. Comme l’a souligné E. Rosso, on retrouve la même manipulation des attributs du divin dans les représentations statuaires des empereurs depuis Auguste234  ; mais, dans les textes littéraires, les mauvais empereurs sont accusés d’accumuler les

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Pline, Pan., 52, 2–7. Dion Cassius, lxxiii, 15, 3 (Commode) ; lxxix, 18, 1 (Caracalla) ; lxxx, 12, 22 (Elagabal). On connaît aussi l’existence d’un buste d’or et de statues d’argent de Septime Sévère  : K. Dahmen, Untersuchungen zu Form und Funktion kleinformatiger Porträts der römischen Kaiserzeit, Münster, 2001, p. 164 Cat. 63 ; G. Lahusen, « Die goldene Büste des Kaisers Marc Aurel aus Aventicum. Zu römischen Statuen und Büsten aus Gold und Silber », HelvArch, 33, 2002, p. 46–65, part. p. 53 et 60. A Athènes, le Parthénon contenait une statue en or de Julia Domna, qui était probablement une statue de culte. L’impératrice semble avoir été honorée dans ce temple comme synnaos theos d’Athéna : A. von Premerstein, « Athenische Kultehren für Kaiserin Iulia Domna », Öjh, 16, 1913, p. 249–270 ; A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 327, 371–372. G. Lahusen, « Die goldene Büste des Kaisers Marc Aurel ». J. H. Oliver, The sacred Gerousia, Baltimore, 1941, p. 116–119, sur une lettre de Marc Aurèle et Commode à la Gérousie d’Athènes dans laquelle ils déclinent des statues en or et argent comme honneurs divins, mais acceptent des protomai de bronze. D. Fishwick, “Dio and Maecenas”, p. 271–272, donne de nombreux exemples de refus des honneurs divins, motivé par la crainte d’avoir mauvaise réputation, par Germanicus, Claude, Néron, Hadrien et Marc Aurèle. Dion Cassius, lxxix, 12, 7. Sur le rôle exemplaire d’Auguste, voir V. Huet, « Spolia in re, spolia in se et damnatio memoriae : les statues et les empereurs julio-claudiens chez Suétone, ou de véritable jeux de “têtes” », dans S. Benoist, A. Daguet-Gagey (éd.), Un discours en images de la condamnation de mémoire, Metz, 2008, p. 173–211, part. p. 179–186. E. Rosso, « Dieux à visages d’empereurs, ou empereurs dotés d’attributs divins ? ».

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honneurs divins, d’aller plus loin que les autres dans le rapprochement avec les divinités, de vouloir eux-mêmes s’identifier au divin : ils sont alors jugés coupables d’hubris, ce qui les destine au châtiment. Un trait particulier des miroirs au prince de l’Histoire romaine réside dans l’absence de tout parallèle entre le prince et le roi des dieux, alors que ce parallèle jouait un rôle essentiel dans les miroirs au prince et les éloges pour les Antonins – dans le Panégyrique de Pline et le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse pour Trajan, dans les éloges d’Aelius Aristide pour Antonin le Pieux, Marc Aurèle et Lucius Vérus235. Il était à la fois un élément de l’éloge et, dans les textes à portée philosophique, un moyen d’engager le prince à l’imitatio dei. Cette absence est comparable aux réticences manifestées par Dion Cassius vis-à-vis des honneurs divins, susceptibles de rapprocher trop, et de manière néfaste, le prince des dieux. Il s’agit certainement d’une réaction engendrée par les excès de Commode dans son association à Jupiter, Hercule et Mercure, et notamment par son imitatio spectaculaire de ces deux dernières divinités236. La condamnation de l’attrait pour la magie, la sorcellerie et les divinités étrangères, vise peut-être Caracalla : Dion Cassius a rappelé son goût pour les mages et les sorciers à propos justement d’Apollonios de Tyane237, et mentionné son association particulière avec Apollon Grannos, dont le culte était célébré en Germanie près de la Rhétie, et surtout avec le Sérapis d’Alexandrie238. Ce dernier grief concerne peut-être aussi – cela dépend naturellement de la date de rédaction du début du livre lii – Elagabal qui tenta maladroitement d’implanter à Rome le culte étranger du dieu solaire d’Emèse239. C’est donc probablement par réaction que Dion Cassius revient à une ligne très augustéenne concernant la piété impériale envers le divin ; ce faisant, il 235 236

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M. H. Quet, « A l’imitation de Zeus, Antonin le Pieux, garant de l’ordre mondial et de la concorde sociale, d’après le témoignage d’Aelius Aristide », dans M. Molin (éd.), Images et représentations du pouvoir et de l’ordre social dans l’Antiquité, Paris, 2001, p. 199–209. Dion Cassius, lxxiii, 15–17, 19, 20, 22 (associations à Hercule et Mercure, dont il empruntait, lors des spectacles publics, les attributs et les habits) ; Hérodien, i, 14, 1 et 7–8 ; sha, Com., 8, 5 et 9 ; 9, 2. Sur les relations entre Commode et les dieux, voir O. Hekster, Commodus, p. 99–136. Dion Cassius, lxxviii, 18, 4. Dion Cassius, lxxviii, 15, 6 ; 23, 2–3 (au sujet du voyage de Caracalla pour déposer l’épée qui avait tué son frère dans le temple de Sérapis à Alexandrie). Voir C.  Rowan, Under Divine Auspices, p. 115–119 ; 137–144. A. Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p. 385–386, affirme qu’il n’y a pas d’«  orientalisation  » des cultes sous Septime Sévère  ; il rappelle néanmoins la construction à Rome du temple de Liber Pater et d’Hercule, et du Septizonium sur lequel il y avait très probablement des traits nord-africains. C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 164–218.

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apparaît, dans le domaine religieux en particulier, en décalage avec les tendances générales de son temps240. A côté du principe fondamental de la mesure, ce portrait du bon chef est ainsi sous-tendu par toutes les vertus du bouclier d’Auguste : la clémence associée à la justice, la uirtus militaire au service de la paix, la pietas. La présence de ces vertus est cohérente avec la double contextualisation du discours, aussi bien qu’avec les références faites par Septime Sévère au fondateur du principat. On retrouve aussi la figure du sage présente dans les traités De Clementia de Sénèque, dans lesquels elle est déjà associée à l’image providentielle de l’empereur romain comme père et sauveur241. Le miroir au prince est également marqué, notamment au début du discours de Mécène, par l’idéal de méritocratie qui était si prégnant dans le Panégyrique ; cette méritocratie est fondée chez Dion Cassius sur l’aretè (l’excellence morale), qui est censée être le principal critère de sélection des sénateurs, associé à l’ascendance noble et à la richesse, jugée moins importante242. Dans la continuité du miroir au prince de Pline, le bon prince de Dion Cassius est caractérisé à la fois par des vertus, par son rapport (différent chez les deux auteurs) aux institutions, et par sa faculté d’administrer un Empire qui, au début du iiie siècle, tend à l’universalité. 4

Les conseils au prince d’Apollonios de Tyane

La vie d’Apollonios de Tyane, comme l’a souligné son auteur, lui a été commandée par Julia Domna, pour qu’il réécrive de manière plus littéraire les mémoires du sage composés par un certain Damis de Ninive243. On ne peut 240 241

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J. H. W. G. Liebeschuetz, Continuity and Change in Roman Religion, Oxford, 1979, p. 226– 227 ; M. Reinhold, From Republic to Principate, p. 208. Voir Sénèque, Cl. i, 14, 2 ; 15, 3. Sur la sagesse nécessaire au bon prince, voir aussi Dion Cassius, lii, 18, 7 : le bon chef est sensé, ἔµφρων, c’est grâce à cette qualité qu’il apprend qu’on peut à la fois gouverner bien et sans danger. Aristote, Pol., iii, 4, 17, 1277 b, avait déjà présenté la phronèsis comme la vertu propre de l’archonte. Dion Cassius, lii, 14–15, 19, part. lii, 15, 3 et 19, 1–2, sur les critères du mérite ; voir par exemple Pan., 44, 6–8 ; 70. va, i, 3  :  Μεταγράψαι τε προσέταξε τὰς διατριβὰς ταύτας καὶ τῆς ἀπαγγελίας αὐτῶν ἐπιµεληθῆναι, τῷ γὰρ Νινίῳ σαφῶς µέν, οὐ µὴν δεξιῶς γε ἀπηγγέλλετο, « Elle [m’] ordonna de réécrire ces entretiens et de m’occuper du style, car la relation du Ninivite était claire, mais certainement pas habile  » (toutes les traductions de la Vie d’Apollonios de Tyane sont personnelles). Philostrate emploie ici le terme de diatribai, qui rappelle le nom qu’Arrien avait donné à son ouvrage constitué par la réécriture des notes prises lors des cours d’Epictète. Le sophiste utilise plus haut le terme d’hupomnèmata, « mémoire », ou plus exactement « aide-mémoire », qui désigne chez les Pythagoriciens un écrit destiné

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prouver l’existence de ce personnage et de ses mémoires, néanmoins, comme l’a démontré A.  Billault, Philostrate apparaît, tout au long de sa biographie, essentiellement comme un « metteur en forme » attentif à ses sources244. Il montre donc que l’engagement qui le liait à l’impératrice a été respecté. Cela dit, l’ouvrage ayant été achevé après la mort de celle-ci, le sophiste a été assez libre de la tournure qu’il voulait lui donner. Il précise au début de son œuvre qu’il l’a composée à la gloire du sage et pour instruire son public245. Etant donné les distorsions qu’il a faites dans la description de la géographie, des personnages historiques et des animaux, l’enseignement qu’il a voulu offrir porte certainement sur le domaine moral, principalement, et sur le domaine politique246. En effet, il a construit un personnage de sage édifiant, dont la vie est à imiter et qui est paré d’une sagesse divine que l’auteur a pris soin d’éloigner de la magie, pour couper court à la polémique247. Ce sage, qui peut être reconnu comme tel par tous, est doté, et c’est ce qui nous intéresse ici, d’un rôle politique conséquent. Même si ce n’est qu’un des rôles dévolus au philosophe, qui est chargé d’instruire l’humanité en général, étant donné que les hommes vivent dans le cadre de royaumes et de cités, ce rôle est très important, comme le montre le nombre de rois – rois des Parthes et des Indiens, princes romains – qu’Apollonios de Tyane a rencontrés au cours de ses voyages248.

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à supporter une mémoire défaillante : A. J. Festugière, « Les Mémoires pythagoriques cités par Alexandre Polyhistor », dans Etudes de philosophie grecque, Paris, 1971, p. 371–435. A. Billault, « Le personnage de Philostrate dans la Vie d’Apollonios de Tyane : autoportrait de l’auteur en biographe  », dans L’invention de l’autobiographie  :  d’Hésiode à Augustin, Paris, 1993, p. 271–278. La neutralité de Philostrate à l’égard des actes d’Apollonios pose naturellement un problème d’interprétation pour l’ouvrage tout entier. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas proposer d’interprétation : il faut au contraire s’appuyer sur les répétitions et les parallèles dans la mise en forme, de même que sur les reconstructions par rapport aux données historiques lorsqu’on peut les identifier. va, i, 3  :  ἐχέτω δὲ ὁ λόγος τῷ τε ἀνδρὶ τιµήν, ἐς ὃν ξυγγέγραπται, τοῖς τε φιλοµαθεστέροις ὠφέλειαν, « puisse ce texte apporter de l’honneur à l’homme pour lequel il a été composé, et de l’utilité à ceux qui ont soif de savoir ! » Sur la visée apologétique de la vie du sage, voir M. Van Uytfanghe, « La Vie d’Apollonius de Tyane et le discours hagiographique ». Sur la Vie d’Apollonios comme récit fictionnel, voir T. Schirren, Philosophos Bios. Studien zur Vita Apollonii des Philostrat, Heidelberg, 2005, p. 38–50. va, i, 2. va, v, 35, 4 (Apollonios à Vespasien) : « Pour moi, aucune constitution n’a d’importance, car je vis sous le gouvernement des dieux ; mais je ne veux pas que le troupeau des hommes périsse, faute d’un pasteur juste et tempérant » ; viii, 2 (échange entre Apollonios et le greffier du tribunal) : « Quel intérêt a la philosophie pour l’empereur, même s’il commet une injustice envers celle-ci ! – Mais la philosophie s’intéresse beaucoup à l’empereur, pour qu’il gouverne comme il convient ». Voir S. Schorn, « Biographie und Fürstenspiegel. Politische Paränese in Philostrats Vita Apollonii », dans M. Bonazzi, S. Schorn (éd.), Bios

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La Vie d’Apollonios de Tyane a été interprétée comme un ouvrage à clés, ce qui a été réfuté par J.-J. Flinterman, car on ne peut pas trouver dans le texte assez d’éléments renvoyant à une réalité précise, qui permettraient de (re) composer un message cohérent adressé à un destinataire bien identifié249. Rien ne prouve en effet qu’elle avait été destinée à offrir une leçon politique à Caracalla (dans l’hypothèse où il s’agirait du souhait initial de Julia Domna)250, ou encore, après la mort de celui-ci, au « bon prince » Sévère Alexandre, qui fut doté d’un solide conseil d’hommes cultivés et expérimentés251. Néanmoins, il est indéniable que l’ouvrage contient des liens avec le contexte des Sévères (outre leur intérêt pour Apollonios et plus généralement pour la rhétorique et la philosophie) : – on peut noter en effet des liens généraux entre l’universalisme de la sagesse pythagoricienne d’Apollonios et celui de la politique de Caracalla, qui s’est traduit par ses voyages et par la constitutio Antoniniana ; entre l’importance du culte solaire dans la Vie d’Apollonios, et le développement des cultes ou des références aux divinités solaires sous les Sévères ; entre l’omniprésence de la figure d’Alexandre le Grand quand Apollonios voyage en Inde, dans le livre ii, l’imitatio Alexandri de Caracalla et le rapprochement entre Sévère Alexandre et le conquérant252. La référence centrale à Alexandre dans le contexte indien évoque la confrontation légendaire du conquérant avec le sage brahmane Dandamis, rapportée par Strabon et Arrien253 : les envoyés d’Alexandre ordonnent à Dandamis d’aller chez le roi, qu’ils présentent comme fils de Zeus. S’il accepte, il obtiendra une récompense, s’il refuse, un châtiment. Le brahmane dénie l’origine divine d’Alexandre et refuse de venir chez les Macédoniens, sans être ému ni par la promesse d’un don ni

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Philosophos. Philosophy in Ancient Greek Biography, Turnhout, 2016, p.  157–195, sur les leçons données aux autres rois. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 217–230. F. W. Lenz, « Die Selbstverteidigung eines politischen Angeklagten. Untersuchungen zu der Rede des Apollonios von Tyana bei Philostratos », Altertum, 10, 1964, p. 95–110. J. Göttsching, Apollonius von Tyana, Leipzig, 1889, p. 80–89. Alexandre le Grand : ii, 9, 3 ; 12, 2 ; 20, 2–3 ; 21, 2 ; 24 ; 33, 1 ; 42 ; 53. Sur les rapprochements entre Sévère Alexandre et Alexandre le Grand : Dion Cassius, lxxx, 18, 3 ; sha, Seu. Alex., 5, 1 ; 5, 5 ; 11, 2–5 ; 13, 1 ; 13, 3–4 ; 30, 3 ; 31, 5 ; 35, 1 ; 39, 1 ; 50, 4 ; 62, 2–3 ; 64, 3 ; cil viii 866 ; 23995 (titulature du municipe de Giufi, en Afrique proconsulaire, qui intègre l’épithète magnus  :  municipium Aurellium Alexandrianum Augustum Magnum Giufitanum  ; voir J. Gascou, « Une énigme épigraphique : Sévère Alexandre et la titulature de Giufi », AntAfr, 17, 1981, p. 231–240). D’après un récit de Mégasthène : FGrH 715 F 34 (= Strabon, xv, 1, 68), et 34b (= Arrien, An., vii, 2, 2–4) ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 166. Voir R. Merkelbach, Die Quellen des griechischen Alexanderromans, München, 19772, p. 156–161.

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par la menace, et Alexandre abandonne sagement l’usage de la force. Il est clair que cet épisode topique a servi de modèle à Philostrate pour construire le récit des confrontations entre Apollonios de Tyane et les rois254. – On peut relever aussi des allusions plus précises à Commode et aux empereurs Sévères. La référence aux combats de gladiateurs montre en effet que Commode est amalgamé à Néron dans la condamnation du tyran au livre iv255. L’orgueilleux roi indien qui s’identifie avec le soleil renvoie probablement à Elagabal, même si celui-ci ne paraît pas s’être assimilé au dieu d’Emèse qu’il servait256. Deux passages relatifs au fratricide et aux fautes commises par les fils du prince évoquent le meurtre de Géta par Caracalla257 ; la mention des Vestales mises à mort par Domitien rappelait aux contemporains de Philostrate que Caracalla, après son fratricide, fin 212/ début 213, avait fait condamner à mort, probablement dans une entreprise de purification de Rome, quatre Vestales accusées de n’avoir pas respecté leur vœu de chasteté258. – Enfin, étant donné l’importance, dans l’écriture historiographique, dans la composition des éloges, et plus largement dans la construction de l’image du prince, des exempla tirés des prédécesseurs (empereurs ou grands hommes de la République), comment ne pas penser qu’il y avait, pour un pepaideumenos habitué à la cour comme l’était Philostrate, un parallélisme implicite, mais évident, entre Vespasien et Septime Sévère ? Tous les deux étaient les vainqueurs d’une guerre civile et les fondateurs d’une nouvelle dynastie, tous les deux avaient eu deux fils proches en âge, présentés dans l’historiographie l’un comme sage et mort précocement (Titus/Géta), l’autre comme un tyran qui périt assassiné (Domitien/Caracalla). Il me semble donc qu’on ne peut pas rejeter l’idée que le livre contient une leçon politique, même si celle-ci n’était pas destinée précisément à un empereur. Il s’agit plutôt de livrer à un public de pepaideumenoi une réflexion sur le

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Par exemple quand le sage refuse d’adorer la statue d’or du Grand Roi perse, va, i, 27, ou bien de reconnaître le caractère divin de Domitien, va, viii, 4. Le personnage d’Alexandre était traditionnellement utilisé dans la réflexion sur la confrontation entre le philosophe et le roi : ainsi chez Dion de Pruse, dans le deuxième discours Sur la royauté qui met en scène la rencontre entre Alexandre et Diogène à Corinthe vers 336 av. J.-C. va, iv, 36, 2. va, iii, 28. Au § 32, § 32 : ce roi, converti au philhellénisme par Apollonios, pleure quand il comprend son erreur qui provenait des mensonges égyptiens ; il y a peut-être là aussi une allusion à l’engouement de Caracalla pour le Sérapis d’Alexandrie. Sur “Elagabalus, summus sacerdos Elagabali”, voir C. Rowan, Under Divine Auspices, p. 164–218. va, i, 28 ; vi, 32 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 220–221. va, vii, 6 ; Suétone, Dom., 8, 4 ; Dion Cassius, lxxviii, 16, 1 et 3 ; Hérodien, iv, 4.

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rapport qu’un philosophe devait ou pouvait entretenir avec un roi, et sur celui qu’un roi devrait entretenir avec la philosophie ; cette réflexion, ancrée dans l’époque de Vespasien, était aussi nourrie de l’actualité contemporaine. Comme leçon politique, l’ouvrage de Philostrate définit également, de manière éparse et peu précise, mais globalement cohérente, une figure de bon prince dotée de vertus philosophiques259. a Apollonios et le divin Apollonios observe par rapport aux cultes une attitude plus ouverte que celle qui était prônée par Dion Cassius, mais au fond pas si éloignée. Son propre refus d’accomplir des rites sanglants, conformément aux prescriptions pythagoriciennes, paraît anecdotique (il n’empêche personne de le faire)260. Il fait preuve d’une grande piété, intervenant notamment pour restaurer les cultes traditionnels261. En parallèle, cette piété est caractérisée par un culte régulier au Soleil et ses voyages l’ont emmené en Inde et en Ethiopie, pays que l’on situait à l’extrémité de la terre près du Soleil et dont les habitants étaient caractérisés par leur dévotion à cet astre262. Ce trait correspond à la vénération particulière que les Pythagoriciens vouaient à Apollon, dieu de la musique, de l’harmonie cosmique et de la divination263. Il concorde également avec le développement des références et des cultes solaires sous les Sévères, qui a pris des formes variées et a trouvé des échos dans les provinces, comme on peut le voir dans les monnaies et les inscriptions des cités : l’augmentation du monnayage impérial à Sol sous les Sévères, le culte de Caracalla à Apollon et à Sérapis, celui d’Elagabal au dieu solaire de sa patrie et de sa famille (Julia Domna étant la petite fille de Julius Bassianus, grand-prêtre d’Emèse)264. Cet 259 260 261 262 263

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Voir en particulier M.  Mazza, «  L’intelletuale come ideologo  :  Flavio Filostrato ed uno “speculum principis” del iii secolo d.C. », dans P. Brown, L. Cracco-Ruggini, M. Mazza (éd.), Governanti e intellettuali, p. 93–121, part. p. 102–111. Voir par exemple dans va, i, 31, la tolérance du sage pour les pratiques sacrificielles traditionnelles. va, iv, 13, 3 ; 24, 1. En cela, le personnage de Philostrate est en conformité avec celui qui transparaît dans les lettres qui lui sont attribuées : C. P. Jones, “Some Letters of Apollonius of Tyana”, dans K. Demoen, D. Praet (éd.), Theios Sophistes, p. 249–262, part. p. 258. va, i, 31, 2 ; ii, 38, vi, 4, 3 ; vi, 10, 1 ; vi, 32, 1 ; vii, 6 ; vii, 10, 1 ; vii, 31, 1 ; viii, 13, 2. Voir J. R. Morgan, “The Emesan Connection”, p. 265. M. Humm, « L’harmonie des sphères dans la pensée politique grecque et romaine : de l’utopie à la cité idéale », dans M. Coudry, M.-T. Schettino (dir.), L’utopie politique et la cité idéale, Politica antica, 5, 2015, p. 41–74, part. p. 49–50 : à Crotone, Pythagore était assimilé à Apollon Hyperboreios (« des Hyperboréens ») ; Diogène Laërce, viii, 11 ; Porphyre, Plot., 28 ; Jamblique, vp, 91. Voir A.  Lichtenberger, Severus Pius Augustus, p.  219–279, 382, sur le lien entre Septime Sévère et Sol ; p. 113–121 sur Septime Sévère et Sérapis ; C. Rowan, Under Divine Auspices,

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attrait pour les divinités solaires pourrait expliquer par ailleurs l’intérêt que Caracalla et sa mère ont manifesté pour Apollonios de Tyane, et peut-être pour le pythagorisme. A part Elagabal, aucun empereur n’a cherché à imposer une orientalisation du culte solaire : de la même manière, tel qu’il était pratiqué par Apollonios de Tyane dans la biographie de Philostrate, ce culte solaire pouvait être accepté par tous et correspondait notamment aux critères généraux de l’hellénisme impérial265. Le cinquième conseil donné par le sage à Vespasien lors de la rencontre à Alexandrie concerne la pietas du roi envers les dieux : Vespasien doit respecter les dieux encore plus qu’auparavant, car il a reçu beaucoup d’eux et leur en demande beaucoup266. Aucune précision ne caractérise cette piété, qu’il faut sans doute concevoir selon le modèle de celle, traditionnelle, d’Apollonios. Le sage insiste sur l’idée que l’empereur doit sa position aux dieux267 : comme on l’a vu, le «  contrat  » particulier qui unissait le princeps aux dieux a en effet été mis en relief sous les Flaviens et théorisé au début du règne des Antonins, par Pline le Jeune et Dion de Pruse notamment268. On peut le définir par trois points, le premier étant l’idée très forte que le prince ne peut accéder à l’empire que par la volonté divine : ainsi Vespasien recherche à Alexandrie la caution divine, qu’il obtient grâce au sage Apollonios, intermédiaire entre les hommes et les dieux269. Le deuxième point concerne la protection particulière que l’empereur recevait de certains dieux, en particulier de Jupiter pour Domitien et Trajan, d’autres divinités bien étudiées pour les Sévères270. Enfin, le troisième est la conviction que le mauvais prince, qui perd cette protection, reçoit un châtiment divin mérité  :  la Vie d’Apollonios utilise l’exemple de Domitien, comme l’avaient fait auparavant Pline et Dion de Pruse, puisqu’il s’agit d’une idée qui a été mise en relief sous Trajan271.

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p. 115–129 sur Caracalla et Apollon ; 137–152 sur Caracalla et Sérapis ; 164–218 sur Elagabal et le dieu d’Emèse ; p. 241–245 sur les Sévères et Sol. J. R. Morgan, “The Emesan Connection”, p. 276–279. va, v, 36. J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 121–188. Voir supra, c. 3. va, v, 28. Voir notamment J. Gagé, « La propagande sérapiste et la lutte des empereurs Flaviens avec les philosophes stoïciens et cyniques », RPhilos, 149, 1959, p. 73–100 ; id., Basileia, p. 125–172. Voir C. Rowan, Under Divine Auspices, pour la protection particulière que Septime Sévère attendait de Sol, Liber Pater et Hercule, Caracalla d’Apollon, d’Esculape et de Sérapis, Elagabal de son dieu d’Emèse, Sévère Alexandre de Jupiter, Mars et Sol. Voir aussi va, viii, 7, 8  :  «  [Vespasien] voulait savoir comment honorer les dieux, quels biens obtiennent d’eux ceux qui gouvernent selon les lois ». Voir supra, c. 3 ; va, vii, 8, 2–9, 1 ; viii, 7, 47 (exemple d’un discours figuré, portant sur l’impossibilité pour les rois d’échapper aux Moires et visant Domitien, qui l’a retenu comme

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En revanche, comme chez Dion Cassius, on remarque l’absence totale de parallèle entre le gouvernement divin et celui du roi. Le rapprochement entre Domitien, deus pour les hommes (l’expression rappelle la formule dominus et deus utilisée pour le désigner272), et Jupiter, est condamné. Apollonios refuse d’adorer une statue en or du Grand Roi, affirmant que celui-ci sera suffisamment honoré s’il le reconnaît comme un homme de bien273, ce qui rappelle l’idée que seul l’homme vertueux a part au divin. On retrouve donc une réserve semblable à celle de Dion Cassius envers la divinisation de l’empereur vivant. Il semble bien que l’imitatio dei de Commode ait constitué une sorte de rupture, suite à laquelle les intellectuels ont renoncé à exploiter le parallélisme entre roi des hommes et roi des dieux dans la réflexion politique. Dans une perspective similaire, la réintroduction par Néron du crimen maiestatis (en 62)  est également condamnée et tournée en ridicule à deux reprises, or le caractère sacrilège de ce crime, bien attesté au début du iiie siècle, tendait à faire apparaître la maiestas du prince comme une forme d’autorité divine274. D’autre part, la position d’Apollonios semble aussi en accord avec le pythagorisme : selon Aristote, la doctrine pythagoricienne admettait l’existence de trois catégories d’êtres rationnels, les dieux, les hommes, et « ceux comme Pythagore » qui constituaient une catégorie ontologique à part275. La conception du sage comme homme divin est propre à la tradition légendaire de Pythagore : celui-ci est présenté comme un homme hors du commun et comme

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chef d’accusation contre Apollonios ; cet exemple montre comment les orateurs pouvait se défendre en invoquant le recours aux lieux communs) ; 25, sur la mort de Domitien. De même, Néron est caractérisé comme impie (va, 38, 3), ce qui explique qu’il ne reconnaisse pas l’utilité des philosophes – hommes divins – et qu’il reçoive un châtiment divin. Dion de Pruse, Or. xlv, 1 ; Suétone, Dom., 13, 4–5 ; Dion Cassius, lxvii, 4, 7 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 11, 2 ; Epitome de Caesaribus, 11, 6 : voir supra, c. 3. Dans Philostrate, vs, 607, le sophiste Antipater de Hiérapolis, maître de Caracalla et Géta, était habituellement appelé par les auditeurs admiratifs de ses discours « professeur des dieux », θεῶν διδάσκαλον. va, i, 27 ; cf. Dion Cassius, lii, 35, 5, avec l’idée proche que l’homme bon, qui gouverne bien, est honoré dans l’esprit de ses sujets qui représentent alors comme autant de ses statues (D. Fishwick, “Dio and Maecenas”, p. 270, sur le caractère courant de cette idée exprimée aussi dans l’épigraphie funéraire, ae 1913 134). L’allusion à Domitien deus fait sans doute référence à la formule dominus et deus, voir supra c. 3. va, iv, 39 et 44. Sur l’idée que le crimen de maiestatis était apparenté à l’impiété (asebeia) : va, iv, 39 ; Dion Cassius, lxxix, 12, 1. Aristote, fr. 192 Rose ; Jamblique, vp, 31. Les Pythagoriciens n’incluaient que les hommes sages dans cette troisième catégorie, alors que Porphyre, dans la seconde moitié du iiie siècle, y mettra le roi (en-dessous cependant du sage), ce qui n’est pas encore le cas chez Philostrate ; Porphyre, Ad Il., i, 340, Schrader ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 178.

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un thaumaturge dans les écrits philosophiques de la seconde moitié du iiie siècle, ce qui semble correspondre au noyau originel de l’image du philosophe276. Pour éloigner son personnage de la magie et de la superstitio, Philostrate a répété l’affirmation, présentée comme universelle, que les hommes bons sont divins277 : c’est donc le cas du vrai philosophe, mais aussi, éventuellement, celui du roi sage comme chez Dion Cassius. b Bons et mauvais souverains A travers ses voyages, Apollonios de Tyane s’approche d’un nombre assez impressionnant de souverains : le roi des Parthes Vardanès ier (ca 40–45 ap. J.-C.) au livre i, le roi de Taxila Phraotès (sur lequel on ne sait rien par ailleurs) au livre ii, un roi indien fou d’orgueil chez les Brahmanes au livre iii, Néron au livre iv, Vespasien au livre v, Titus au livre vi, Domitien et Nerva aux livres vii et viii. Apollonios écrit également des lettres à Vespasien, Titus et Nerva, et celles pour les deux premiers destinataires se retrouvent presque toutes dans le corpus des lettres qui sont attribuées au sage. Dans ce corpus, six lettres sont adressées à des empereurs romains (trois à Vespasien, une à Titus et deux à Domitien), et une autre à un roi scythe non identifié  ; à la fin du iiie siècle, Porphyre mentionne aussi une lettre envoyée par Apollonios au roi indien Iarchas278. Selon C. P. Jones, il n’y a pas de raison de mettre en doute 276

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Diogène Laërce. Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, 19992, p.  926  ; Diogène Laërce, viii, 4–5, 11 ; chez Jamblique aussi, Pythagore a un rapport tout à fait privilégié avec le divin (il est assimilé à Apollon) : vp, 8 ; 134–156. Voir C. Riedweg, Pythagoras. Leben, Lehre, Nachwirkung. Eine Einführung, München, 2002, p. 13–128 sur la figure de Pythagore ; L. Zhmud, Pythagoras and the Early Pythagoreans, Oxford, 2012, trad. K. Windle et R. Ireland, p. 61–103. va, iii, 18 ; viii, 5 ; viii, 7, 7 ; 7, 20–22. Comme l’a remarqué J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 62–65, la nature du charisme d’Apollonios a visiblement gêné Philostrate qui, au moins lors des épisodes de la libération des fers (va, vii, 38) dans la prison, et de la « téléportation » du sage hors du tribunal et sous les yeux de l’empereur, n’a pu éviter de le faire apparaître comme un thaumaturge (va, viii, 5, 4). Vespasien : 42 f-42 h Jones (The Loeb Classical Library, 2006) ; Titus : 77 d ; Domitien : 20– 21 ; roi scythe : 28 ; roi Iarchas : Porphyre, Sur la rivière du Styx, ap. Stobée, i, 3, 56 = FGrHist iii C 719 (cf. va, iii, 51). Toutes ces lettres sont très courtes et d’un style lapidaire, comme Apollonios de Tyane avait coutume de le faire selon Philostrate, Vie d’Apollonios, vii, 35 : les lettres à Vespasien sont écrites en réaction à la « reprovincialisation » de l’Achaïe (= va, v, 41, 2–4), la lettre à Titus félicite l’empereur pour la tempérance, sôphrosunè, dont il fait preuve en matière d’honneurs (= va, vi, 29, 2), les lettres à Domitien lui donnent des conseils politiques sous une forme générale : l’une l’encourage à la prudence (phronèsis), l’autre à éviter les barbares et de ne pas se mêler de leurs affaires politiques. On trouve aussi des lettres d’admonestation et de consolation adressées à des officiers romains en fonction dans les provinces : 30, 31, 54, 58.

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l’affirmation de Philostrate selon laquelle Apollonios écrivait des lettres aux « rois, sophistes, philosophes, aux Eléens, Delphiens, Indiens et Egyptiens, au sujet des dieux, des coutumes, des mœurs et des lois, pour redresser les erreurs commises chez eux »279. Rien n’empêche, cependant, de penser que les lettres du corpus à Vespasien et à Titus aient été tirées de la Vie d’Apollonios, ce qui paraît être le cas de la lettre qui confie Titus au Cynique Démétrios280. Celle-ci était vraisemblablement une invention de Philostrate : le Cynique entra en conflit avec Néron, mais aussi avec Vespasien qui le relégua sans doute en 71, quand il chassa de Rome les autres philosophes281. La lettre d’Apollonios est datée dans la Vie d’Apollonios de 70, elle précéderait donc la condamnation par Vespasien, qui n’est pas évoquée par Philostrate. Apollonios y explique à Titus que le Cynique doit jouer à ses côtés le rôle utile d’un chien de garde, en renvoyant à l’étymologie de « cynique » ; or, chez Suétone et chez Dion Cassius, Vespasien, ignorant l’insolence du philosophe, se contente de le traiter de « chien »282. La reprise de la référence au chien dans la lettre d’Apollonios donne à penser que Philostrate a réécrit l’épisode historique en le corrigeant. Si le contenu des lettres aux empereurs est donc sujet à caution, la pratique des conseils aux rois étrangers rappelle la diatribe de Musonius au roi de Syrie. Peut-être peut-elle expliquer aussi le comportement du Cynique Antiochos de Cilicie, qui avait quitté Septime Sévère et Caracalla pour aller dans le royaume parthe durant l’hiver 197/ 198. En 267, le philosophe et rhéteur Cassius Longin rejoignit la brillante cour de Zénobie à Palmyre, ce qu’il paya de sa vie en 273, après qu’Aurélien eut défait la reine. Ou bien peut-être Antiochos voulait-il, comme Apollonios et Plotin, étudier la philosophie perse ou indienne283. Parmi les souverains, il existe une distinction nette entre tyrans et bons rois : Néron et Domitien sont clairement opposés à Vespasien, Titus et Nerva. La philosophie est un critère décisif pour reconnaître le bon roi du tyran : car

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va, i, 2, 3 : Ἐπέστελλε δὲ βασιλεῦσι σοφισταῖς φιλοσόφοις Ἠλείοις ∆ελφοῖς Ἰνδοῖς Αἰγυπτίοις ὑπὲρ θεῶν ὑπὲρ ἐθῶν ὑπὲρ ἠθῶν ὑπὲρ νόµων, παρ´ οἷς ὅ τι ἁµαρτάνοιτο, ἐπηνώρθου ; C. P. Jones (éd. et trad.), Philostratus, Apollonius of Tyana, Letters of Apollonius, Ancient Testimonia, Eusebius’s Reply to Hierocles, Cambridge Mass., London, 2006, p. 3–4. Lettre 77 Jones = va, vi, 33 ; l’épisode se situe après la prise de Jérusalem, quand Titus est associé au pouvoir par son père ; son âge, 30 ans, est mentionné au § 30. Démétrios et Néron : Entretiens, i, 25, 22. Démétrios et Vespasien : Suétone, Ves., 13, 4 ; Dion Cassius, lxv, 13. va, vi, 31, 2. Porphyre, Plot., 3–4 : Plotin accompagna la campagne de Gordien iii contre les Sassanides pour étudier auprès des philosophes perses et indiens, projet auquel il a dû renoncer après la mort de l’empereur en février 244.

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celui-ci rejette les philosophes et les persécute, alors que le bon roi potentiel cherche à les fréquenter et s’améliore à leur contact284. Comme chez Dion de Pruse, selon une conception morale qui renvoie à Platon, le tyran est présenté comme un insensé en proie aux passions, incapable de se limiter, ce qui fait de lui un impie et un pervers, Néron étant un parricide et Domitien apparaissant comme un sadique285. Parallèlement à cette opposition fondamentale, divers modèles de rois sont déclinés, présentant différents degrés de sagesse. Le parthe Vardanès est un assez bon roi, mais qui aime trop le faste : la fréquentation d’Apollonios le rend meilleur286. De même, le bon prince Vespasien est très critiqué par Apollonios pour avoir privé l’Achaïe de sa liberté, ce qu’il aurait fait à son arrivée en Grèce, peut-être lors du trajet qu’il avait effectué de Jérusalem à Rome où il était entré à l’automne 70287. Le bon roi doit en effet être philhellène, car il s’agit d’un préalable à la philosophie288. Toutefois, le sage juge favorablement la suite du règne de Vespasien. Il existe en fait une seule figure de roi-philosophe qui est Phraotès, un souverain peut-être inventé par Philostrate : il semble être le décalque idéalisé des figures de bons princes (Vespasien, Titus et Nerva), qu’il complète. Phraotès est juste et respectueux des lois, très tempérant. Il utilise ses richesses en roi, pour se faire des amis et maintenir la paix289. Il s’agit d’une figure conçue selon le modèle grec du kalos kagathos, qui apparaît également chez Dion Cassius : car ce roi, d’origine princière, moralement bon, est bien entraîné physiquement290. Il a reçu l’excellente éducation philosophique des 284

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Vespasien, Titus et Nerva recherchent les conseils d’Apollonios, alors que Néron jette en prison Musonius et bannit les philosophes (va, iv, 35 et 46) : mais les autres sources mentionnent seulement l’exil à Gyaros (Tacite, Ann., xv, 71, 4 ; Dion Cassius, lxii, 27, 4) ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 74–75. Domitien instruit un procès contre Apollonios et refuse d’entendre la défense qu’il avait préparée, alors que celle-ci, par certains aspects, aurait pu jouer le rôle de miroir au prince (va, viii, 7). Le tyran est comparé à une bête sauvage, va, iv, 38, 3 (mais la métaphore du tyran-bête sauvage, lion, est récurrente dans la Vie d’Apollonios) : voir Platon, R., ix, 588 c- 589 a ; Aristote, Pol., iii, 16, 5, 1287 a. Sur le tyran chez Dion de Pruse, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 325–331. Dans la Vie d’Apollonios, Néron est caractérisé par la folie, l’avarice, la cruauté, la débauche et le matricide (va, iv, 38, 3–4 ; v, 10, 2), et Domitien essentiellement par la colère et la cruauté (va, vii, 4 et 22). i, 28, 3 ; voir i, 30 et 39 pour son goût pour le faste. Ce trajet est détaillé par Flavius Josèphe, bj, vii, 21–22. Cf. Georges le Syncelle, 646 D. Jérôme, Chronique, 213 Ol., date le changement de 74, ce qui correspond au retour de la Sardaigne à un gouvernement équestre, un poste proconsulaire étant devenu disponible en Achaïe : B. Levick, Vespasian, London, New York, 1999, p. 145–146. va, ii, 31, 3. va, ii, 25 ; 39, 3–4. va, ii, 27, 2. Voir Dion Cassius, lvii, 18, 6 (Germanicus) ; lxxiii, 1, 1 (Pertinax).

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brahmanes, mais il n’est pas un philosophe-roi. Ce qui est intéressant est que, comme Dion de Pruse, Philostrate estime qu’un roi ne doit pas être un vrai philosophe : Tu paraîtrais insupportable à tes sujets. Une philosophie tempérée et relâchée constitue un mélange admirable pour un roi, comme on le voit dans ton cas ; mais une philosophie scrupuleuse et rigide est insupportable, ô roi, et trop humble pour votre rôle : les calomniateurs penseraient même à une forme d’orgueil291. On songe ici aux préjugés rapportés dans le premier traité De Clementia au sujet de la rigidité des Stoïciens. Peut-être faut-il y voir aussi le souvenir de Marc Aurèle, qui était critiqué à la cour pour son maintien austère de philosophe292. Le bon prince romain est caractérisé par une uirtus à la fois militaire et morale293. L’accent est naturellement porté sur les qualités morales, mais la puissance militaire dont a bénéficié Vespasien grâce aux légions d’Orient, la victoire de Titus à Jérusalem et sa gloire militaire sont soulignées294. Un autre critère qui paraît d’actualité à l’époque de Philostrate, marquée par l’apparition, avec Macrin, d’empereurs issus du milieu équestre, est celui de la noblesse : celle de Vespasien est soulignée, et le terme gennaios semble renvoyer à son rang consulaire qui est mis en avant295. Parmi les qualités morales, l’accent est placé sur la justice, associée à des leçons de clémence et à la notion de douceur296. Mais le plus important est incontestablement, pour le bon prince, la tempérance, la capacité à se maîtriser et à borner ses désirs : aussi Apollonios est-il hostile, de manière générale, aux honneurs et au faste297. D’une part, c’est un élément qui convient bien au contexte historique décrit par Philostrate, car la simplicité est une qualité qui 291

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va, ii, 37 : Εἴπερ µὴ φορτικὸς, εἶπε, τοῖς ὑπηκόοις δόξεις· φιλοσοφία γὰρ περὶ βασιλεῖ ἀνδρὶ ξύµµετρος µὲν καὶ ὑπανειµένη θαυµαστὴν ἐργάζεται κρᾶσιν, ὥσπερ ἐν σοὶ διαφαίνεται, ἡ δ´ ἀκριβὴς καὶ ὑπερτείνουσα φορτική τε, ὦ βασιλεῦ, καὶ ταπεινοτέρα τῆς ὑµετέρας σκηνῆς φαίνεται καὶ τύφου δὲ αὐτό τι ἂν (ἔχειν) ἡγοῖντο βάσκανοι. Sénèque, Cl., ii, 5, 2, voir supra, c. 1. Pour Marc Aurèle, voir Fronton, Aur., iv, 12, 5 Van den Hout ; De Fer. Als., 3 Van den Hout ; sha, Marc., 4, 10 ; 22. va, vi, 32, 2. va, v, 35, 2 ; vi, 29, 2 ; 32, 2 ; 34 (Apollonios enseigne au prince à être aussi prompt à récompenser qu’à châtier, et l’on retrouve dans cette leçon le topos du prince à la fois belliqueux et pacifique). va, v, 28, 1 ; 35, 2. Voir Dion Cassius, lxxviii, 41. va, i, 28, 1 ; i, 37 ; ii, 39, 3–4 ; v, 28, 1–2 ; vi, 34. La douceur de Nerva est soulignée, va, viii, 7, 33 ; voir J. de Romilly, La douceur dans la pensée grecque, Paris, 1995. va, i, 30 et 39 ; iii, 26 et 28, 2 ; viii, 7, 33.

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caractérisait Vespasien, puis les premiers Antonins. Mais, d’autre part, l’analyse est ici purement moralisante et dénuée de la dimension politique du miroir au prince du livre lii de l’Histoire romaine  :  Apollonios ne comprend pas, par exemple, que les grandes réalisations urbanistiques perses sont la démonstration du pouvoir royal, alors que Dion Cassius revendique pour Rome le caractère symbolique du faste298. Le sage néopythagoricien est fidèle à l’idée, essentielle chez Dion de Pruse, que pour bien gouverner, il faut d’abord savoir se gouverner soi-même. Cette conception rejoint l’idée platonicienne, qui apparaît au livre vi à propos de Titus associé au pouvoir de son père, selon laquelle il faut savoir obéir pour savoir commander. L’association entre capacité d’obéissance et aptitude à la royauté est aussi faite par Plutarque au début de la vie de Galba, par référence à Platon299. Il s’agit d’une idée essentielle chez le moraliste grec, et il est intéressant que son insistance sur la corrélation entre l’art de commander et l’art d’obéir soit concommitante avec les réflexions de Tacite et de Pline sur l’obsequium300. La maîtrise de soi est liée à la mesure, autre critère qui est mis en avant : c’est en effet la mesure qui est à l’origine de la justice et de l’égalité (géométrique)301. Apollonios prend le contre-exemple de Néron, qui connaissait peut-être l’harmonie de la lyre mais qui, contrairement à l’Apollon citharède auquel il s’était assimilé, était incapable de régir le monde harmonieusement  :  son gouvernement était en effet ou trop relâché, ou bien trop tendu302. La métaphore 298 299

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va, i, 39 ; Dion Cassius, lii, 30, 1. va, vi, 30–31. Voir notamment Plutarque, Galb., 1  :  Ἀλλὰ τὴν πειθαρχικὴν ἀρετὴν ὁµοίως τῇ βασιλικῇ νοµίζων φύσεως γενναίας καὶ τροφῆς φιλοσόφου δεῖσθαι, µάλιστα τῷ πρᾴῳ καὶ φιλανθρώπῳ τὸ θυµοειδὲς καὶ δραστήριον ἐµµελῶς ἀνακεραννυµένης, « Mais [Platon pense que] la vertu d’obéissance, comme la vertu royale, demande une nature généreuse et une éducation philosophique, par excellence capables de mêler harmonieusement au courage et à l’énergie la douceur et l’humanité », trad. R. Flacelière et E. Chambry. Selon R. Flacelière, Plutarque songe aux livres iii et iv de la République où Platon décrit l’éducation des Gardiens (cuf, p. 152, n. 2). Voir E. Oudot et S. Gotteland, « L’arbre et le lierre : les relations entre l’apprenti politique et son mentor dans l’œuvre de Plutarque », à paraître dans A. Arbo, C. Notter, J.-L. Vix (éd.), Figures exemplaires du pouvoir sous l’Empire ; voir supra, c. 4, sur Pline et Tacite. va, ii, 39, 3–4 (Phraotès rend la justice en pesant l’existence des deux hommes qui sont en litige) ; v, 28, 2. va, v, 28, 1–2 : « Et Apollonios répondit : Néron connaissait peut-être l’harmonie de la lyre, mais il déshonorait son gouvernement en le relâchant ou en le tendant trop. Tu veux donc, dit [Vespasien], que le chef connaisse la juste mesure (σύµµετρος) ? Ce n’est pas moi qui le veux, mais la divinité qui a défini l’égalité comme une proportion (θεὸς δὲ τὴν ἰσότητα µεσότητα ὁρισάµενος) ». La divinité renvoie sans doute ici à Apollon, soit le citharède et musagète, soit le soleil, qui est l’ordonnateur de l’harmonie cosmique pour les Pythagoriciens.

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musicale renvoie à la théorie de l’harmonie des sphères, selon laquelle l’ordre politique humain doit refléter l’ordre cosmique régi par les mêmes rapports numériques que les intervalles musicaux303 : Pythagore, qui avait découvert ceux-ci, éduquait ses disciples et purifiait les corps et les âmes grâce à la musique, utilisée comme un moyen de soigner les passions304. Le Pythagoricien Archytas, stratège de Tarente, qui incarnait dans la première moitié du ive siècle av. J.-C. l’idéal du philosophe-roi et avec qui Platon fut en contact, appliqua dans sa cité le principe de la proportion géométrique pour établir la concorde et l’égalité, avec succès semble-t-il, car Tarente, sous ce régime démocratique modéré, était une grande puissance militaire305. L’utopie philosophique des Pythagoriciens a été transmise au monde romain par Ennius et surtout par Cicéron306. On la retrouve derrière l’image du prince dirigeant le chœur du monde habité dans l’Eloge de Rome qu’Aelius Aristide a prononcé devant Antonin en 143 ou 144307. A cette époque, l’accent placé sur le parallélisme entre roi des dieux et roi des hommes (dans tous les types de sources, comme on l’a vu), l’idéal de concorde largement diffusé, peuvent expliquer la remise en vigueur de l’idéal politique pythagoricien ; il faut peut-être lier aussi tous ces éléments à l’intérêt qu’Hadrien a éprouvé pour Apollonios de Tyane. On retrouve cette image de l’harmonie musicale pour qualifier le gouvernement conjoint de l’empereur âgé, Vespasien, avec son jeune fils, Titus308. Dans ce même passage, Apollonios a recours à une autre métaphore traditionnelle que les anciens Pythagoriciens employaient pour caractériser la supériorité du roi : celle du taureau309.

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M. Humm, « L’harmonie des sphères ». Voir aussi D. Praet, “Pythagoreanism and the planetary deities : the philosophical and literary master-structure of the Vita Apollonii”, dans K. Demoen, D. Praet (éd.), Theios Sophistes, p. 283–320. Découverte de l’harmonie musicale par Pythagore : Jamblique, vp, 115–121. Sur la musique comme art pédagogique et thérapeutique : Jamblique, vp, 64–67, 110–115, 224 ; voir Porphyre, Plot., 30–33. Voir L. Zhmud, Pythagoras, p. 285–314. Aristote, Pol. vi, 5, 1320 b ; Strabon, vi, 3, 4 C 280. Voir M. Humm, Appius Claudius Caecus, p. 571–584 ; id., « L’harmonie des sphères », p. 57–59. Sur Archytas : B. Mathieu, « Archytas de Tarente pythagoricien et ami de Platon », bagb, 3, 1987, p. 239–255 ; B. Centrone, DPhA, i, n° 322, p. 339–342 ; C. A. Huffman, Archytas of Tarentum : Pythagorean, philosopher, and mathematician king, Cambridge, New York, Melbourne, 2005. M. Humm, « L’harmonie des sphères », p. 59–70, part. p. 65–69 sur Cicéron : voir Cicéron, Rep., ii, 69 ; vi, 18–19 (songe de Scipion). Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, § 29–31 ; M. Humm, « L’harmonie des sphères », p. 70. va, vi, 30, 1. La métaphore du taureau est tirée de l’Iliade, ii, 480–483 ; voir V. Valdenberg, « La théorie monarchique », p. 147. Elle paraît avoir été exploitée par les anciens Pythagoriciens : leurs

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Le bon roi est également une figure paternelle, et la seule originalité de la Vie d’Apollonios concernant ce topos est qu’il est aussi pris au sens propre : l’importance des enfants légitimes de Vespasien est soulignée310. Le fait que celui-ci possédait des fils susceptibles de lui succéder a en effet été un argument en faveur de son choix comme empereur311, puisque l’absence d’héritiers de Néron et l’adoption maladroite de Pison par Galba avaient engendré les guerres civiles de 68–69. C’est aussi un élément qui a pesé dans les premières années du règne de Vespasien, en 70–71, quand celui-ci a associé ses fils au trône, alors que certains sénateurs, derrière Helvidius Priscus, étaient hostiles au principe de la succession héréditaire312. Il faut souligner la sensibilité de Philostrate aux données historiques : le sophiste a suivi en particulier les récits de Tacite et de Suétone pour construire la Vie d’Apollonios313. La question qui l’intéresse au sujet de la succession ne concerne donc pas tant l’élection du meilleur que le moyen de rendre bons les fils du roi, ce qui était d’ailleurs plus en phase avec le principe dynastique exacerbé sous les Sévères (à tel point que Julia Maesa avait fait circuler le bruit qu’Elagabal était le fils naturel de Caracalla)314. L’importance des modèles dans la construction de la figure du bon prince est mise en évidence : Apollonios pousse Titus à imiter son père, en s’appuyant sur un ouvrage d’Archytas sur l’éducation des enfants, qui engageait le père à devenir un modèle de vertu pour ses fils315. A l’inverse, Néron, le prince sans héritier, doit constituer le repoussoir de Vespasien316. Il n’est d’ailleurs que le

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adversaires politiques leur reprochaient d’encourager les tyrannies en affirmant qu’il vaut mieux être un taureau un jour plutôt qu’un bœuf toute sa vie, et de louer l’expression homérique « berger des peuples » pour en conclure que les chefs sont d’une autre essence que la foule (Jamblique, vp, 260, éd. Luc Brisson et Alain Philippe Segonds). Le recours à cette image n’était cependant pas propre aux Pythagoriciens : elle était aussi utilisée par les Stoïciens selon E. Thomas, Quaestiones Dioneae, Leipzig, 1909, p. 59. Elle a été développée par Dion de Pruse, Or. ii, 65–74, à qui, comme on le précisera, Philostrate ne cesse de se référer. va, v, 28, 1. Voir Flavius Josèphe, bj, iv, 596 ; Tacite, Hist., ii, 77, 3 (discours de Mucien). Suétone, Ves., 25 ; Dion Cassius, lxv, 12, 1. Voir J. Béranger, « L’hérédité du principat », p. 141–142. F. Grosso, « La “Vita di Apollonio di Tiana” come fonte storica », Acme, 7, 1954, p. 333–532, voir part. p. 391–430, sur les rapports entre Apollonios et Vespasien ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 143 : Chez Tacite, Hist., ii, 76, 2, le discours de Mucien à Vespasien dont s’est inspiré Philostrate pour écrire le récit de la rencontre de Vespasien et des trois philosophes à Alexandrie énumère aussi les précédents règnes. Voir Dion Cassius, lxxix, 32, 2–3 : Hérodien, v, 3, 10–11. Sur l’idée que les héritiers du roi doivent être élevés à l’écart du pouvoir : va, ii, 31, 3 ; iii, 30, 1. Voir O. Hekster, Emperors and Ancestors, p. 218–221. va, vi, 31, 1. va, v, 28, 1.

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dernier d’une liste de « mauvais » princes julio-claudiens – tous en fait, à l’exception d’Auguste – qui sont énumérés, et qui sont presque tous conformes à la présentation qu’en donne Suétone, mais réduits à leurs traits principaux317. Il s’agit d’une liste de topoi, prêts à l’emploi. La figure de Vespasien est aussi soumise par Philostrate, dans une certaine mesure, à cette transformation en lieu commun : l’empereur est en effet plein de qualités dans la biographie de Suétone, qui a cependant mentionné, en les justifiant, ses frictions avec des philosophes (insolents), Helvidius Priscus et Démétrios318. Chez Philostrate, Vespasien recherche la caution et les conseils d’Apollonios, Dion de Pruse et Euphratès, car un bon prince ne peut qu’être l’ami des philosophes. La Vie d’Apollonios montre ainsi l’émergence d’une tradition grecque qui dote chaque bon empereur d’un philosophe conseiller, et qui a été développée par Thémistios au siècle suivant319. c Caractère topique des conseils à Vespasien L’engagement politique des Pythagoriciens est incontestable. Il s’agit tout d’abord d’un trait distinctif de la légende de Pythagore, à replacer naturellement dans le contexte de la Grèce archaïque : l’activité politique du sage est caractérisée par son opposition systématique à la tyrannie (il aurait notamment fui la brillante tyrannie de Polycrate à Samos), par l’intervention dans les guerres entre cités, l’élaboration de lois civiques et la formation de disciples qui ont été de grands législateurs et des hommes politiques320. Jamblique rapporte une confrontation entre Pythagore et Phalaris  – tyran d’Agrigente 317

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va, v, 32, 2 : Tibère est cruel, Caligula fou, le bon et faible Claude est manipulé par les femmes, Galba est un intrigant, tué parce qu’il voulait adopter Othon et Pison, Vitellius est le plus licencieux. Seule la présentation de Galba s’éloigne de celle de la biographie de Suétone, mais peut-être Philostrate a-t-il cherché à mettre en balance les deux héritiers possibles de Galba (seul Pison a été adopté en janvier 69) et les deux fils légitimes de Vespasien. Les intrigues au sujet de cette adoption, non du fait de Galba, mais de ses conseillers, ont été mises en relief par Tacite, Hist., i, 12–14, et Plutarque, Galb., 25. Suétone, Ves., 13, 4, et 15. Thémistios, Or. xiii, 173 b-c, v, 63 d, xi, 145 b, xxxiv, 31–32 ; voir Julien, Ad Them., 265 c, et Caes., pour ces exemples. Selon Aristoxène, Sur Pythagore et ses disciples, Pythagore a quitté Samos parce qu’il trouvait la tyrannie de Polycrate insupportable : Fr. 16 Wehrli = Porphyre, Plot., 9 ; Diogène Laërce, viii, 3 ; Jamblique, vp, 254. L’influence de Pythagore aurait également conduit à la guerre de Crotone contre Sybaris, qui était sous le contrôle du tyran Telys : Denys de Sicile, xii, 9, 20–24 ; Jamblique, vp, 133 et 177. Pythagore mit fin à la discorde dans plusieurs cités (Porphyre, Plot., 22), et inspira des législations aristocratiques (Porphyre, Plot., 20, 56), celle de Locres en particulier, œuvre de Zaleucos, que Démosthène a citée en exemple (Contre Timocrate, 139–141) ; Diogène Laërce, viii, 16 : les législateurs Zaleucos de Locres et Charondas de Catane seraient ses disciples.

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entre 570 et 555 av. J.-C., devenu l’archétype du tyran cruel – qui est impossible chronologiquement, mais sur laquelle on reviendra car l’épisode, peut-être à partir d’une source commune, a visiblement inspiré Philostrate321. Rien d’étonnant à cela, car le sophiste a présenté son héros, au début de sa biographie, comme une sorte de double de Pythagore322. On a déjà évoqué le rôle politique de premier plan, à Tarente, d’Archytas auquel Philostrate fait référence, qui témoigne de l’impact de l’enseignement de Pythagore sur les populations de l’Italie323. L’idée d’une philosophie prônant l’activité politique a certainement favorisé la diffusion du pythagorisme parmi les aristocrates de Rome. Grâce à Cicéron, on peut reconstituer en partie l’engagement politique du fameux sénateur pythagoricien Nigidius Figulus, au cours de la période tardo-républicaine qui voit émerger les prémices du principat324. Celui-ci aida en 63 av. J.-C. le consul Cicéron à lutter contre Catilina, et prit aussi lors des guerres civiles de 49-48 le parti de Pompée contre César. Il mourut en exil en 45 av. J.-C.325. Son intérêt pour la vie politique, et en particulier pour l’émergence d’un régime ayant à sa tête un dominus, auquel il semblait s’opposer, s’est également exprimé par le biais des présages astrologiques : en 321 322 323

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Jamblique, vp, 33, 215–221. Voir aussi Lucien, Phal., i, 10. Marc Aurèle, i, 14, et iii, 16, rapprochait Néron de Phalaris. On peut tracer un autre parallèle entre ces deux Vies : toutes deux appartiennent au genre protreptique qui propose des vies à imiter. va, i, 2. Voir J.-J. Flinterman, “ ‘The Ancestor of my wisdom’ : Pythagoras and Pythagoreanism in Life of Apollonius”, dans E. L. Bowie et J. Elsner (éd.), Philostratus, p. 155–175. Il fut élu sept fois stratège ; voir Diogène Laërce, viii, « Vie d’Archytas », 79 et 82, qui insiste sur les qualités politiques du Pythagoricien ; voir Cicéron, Rep., i, 59 ; Denys de Sicile, x, 7, 4 ; Strabon, vi, 280 ; Archytas est cité dans va, vi, 31. Sur la diffusion du pythagorisme en Italie, voir Diogène Laërce, viii, 14 ; Jamblique, vp, 241 ; Porphyre, Plot., 22 (selon Aristoxène) ; sur la légende des rapports de Numa et de Pythagore, M. Humm, « Numa et Pythagore : vie et mort d’un mythe », dans P.-A. Deproost, A. Meurant (éd.), Images d’origines. Origines d’une image. Hommages à Jacques Poucet, Trente, 2004, p. 125– 137 (= Id., “Numa and Pythagoras : The Life and Death of a Myth”, dans J. H. Richardson, F. Santangelo (éd.), Oxford Readings in Classical Studies. The Roman Historical Tradition. Regal and Republican Rome, Oxford, 2014, p. 35–51). Cicéron, Tim., i, 1, 2, décrit Figulus comme celui qui a renouvelé l’activité essoufflée des Pythagoriciens. Il évoque son aide pour dénoncer la conjuration de Catilina dans le Pro Sylla, 14, 41–42. Selon Jérôme, Chronique, 1834 Ol., 45 av. J.-C., qui qualifie Figulus de magus, et s’appuie très vraisemblablement sur la vie du philosophe qui figurait dans les Vies des hommes illustres de Suétone, ouvrage qu’il pouvait encore consulter au ive siècle : Suétone, extr. 81 Reifferscheid. Voir D. Musial, « “Sodalicium Nigidiani”. Les Pythagoriciens à Rome à la fin de la République », rhr, 218, 2001, p. 339–367, part. p. 344 ; dans cet article, l’auteur nuance le rôle de pythagorisme à la fin de la République romaine, tel qu’il était décrit par J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, Paris, 1927, et émet des doutes – à mon avis excessifs – sur l’appartenance de Figulus au pythagorisme.

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63 av. J.-C., à la naissance d’Octavien, il prédit que le nouveau-né prendrait le pouvoir326. En 49, quand César franchit le Rubicon, il annonça en examinant les astres qu’une catastrophe allait s’abattre sur Rome, suivie de la paix accompagnant l’arrivée d’un nouveau maître327. Le problème est qu’on ne connaît pas plus précisément les idées politiques des Pythagoriciens et leur évolution dans le temps328. La question est compliquée à la fois par la datation incertaine des sources (les fameux traités néopythagoriciens sur la royauté attribués à Sthénidas, Ecphante et Diotogène), et par le caractère éclectique universellement reconnu au pythagorisme d’époque impériale  :  les Vies de Pythagore de Porphyre et de Jamblique sont des ouvrages néoplatoniciens. Est-ce la raison pour laquelle les conseils qu’Apollonios donne à Vespasien à Alexandrie ont pris une forme topique ? Il est difficile de qualifier ce passage de miroir au prince, car le caractère spéculaire en est pratiquement absent : il s’agit de conseils courts et généraux, qui n’ont rien à voir avec le programme d’ensemble exposé par Mécène chez Dion Cassius. Cette différence s’explique peut-être par l’absence d’un véritable intérêt chez Philostrate pour cette question : il semble en effet, comme on le verra, avoir été plus intéressé par la place et le rôle du philosophe aux côtés de l’empereur que par la définition du bon prince. Un autre élément, un peu énigmatique, pourrait apporter une réponse différente : Apollonios introduit ses conseils en affirmant que la royauté ellemême ne peut être enseignée329. Cette phrase, qui rappelle les interrogations de Platon sur l’enseignement de la vertu dans le Protagoras, doit être comprise, selon J.-J. Flinterman, par référence à la distinction implicite dans la Vie d’Apollonios entre, d’une part, la vertu (aretè) innée, et, d’autre part, l’activation grâce à l’enseignement philosophique des grandes vertus qui font un bon roi. Ainsi, si la vertu qui qualifie quelqu’un pour la royauté ne saurait être enseignée, Apollonios est néanmoins capable de conseiller l’empereur sur la manière dont il doit régler son action330. On peut voir en effet dans le rôle d’Apollonios auprès du roi des Parthes et du roi indien fou une confirmation de cette théorie, qui rappelle celle de la double paideia dans le quatrième discours Sur la royauté de Dion de Pruse331. 326 327 328 329 330 331

Suétone, Aug., 94, 5 ; Dion Cassius, xlv, 1, 3–5. Lucain, i, 639–641, qui place les capacités de Figulus à déchiffrer le ciel au-dessus de celles des astronomes égyptiens. Trois livres (le tripartium) étaient attribués, de manière très disputée, à Pythagore, qui auraient été achetés par Platon ; l’un d’entre eux était un traité Sur la politique (un autre était intitulé Sur l’éducation et le troisième Sur la nature) : Diogène Laërce, viii, 6 et 15. va, v, 36, 1. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 208. Or. iv, 26–35.

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Le caractère topique des conseils d’Apollonios est néanmoins intéressant en soi, et n’empêche pas, bien au contraire, de s’interroger sur le choix des topoi, ni de se demander s’ils sont en lien avec Vespasien, avec le contexte historique des Sévères, ou encore avec des idées politiques précises. Apollonios donne dix conseils, parmi lesquels nous avons déjà examiné le cinquième sur la piété332. Les autres sont, dans l’ordre d’apparition dans le texte : – L’usage des richesses, qui recouvre la politique impériale d’imposition : question sensible aussi bien pour Vespasien qu’à l’époque des Sévères. L’édit de Banasa concernant la remise de l’arriéré des dettes aux Maurétaniens en 216, l’édit sur l’or coronaire dans P. Fayoum, 20, daté sans doute juste après l’avènement de Sévère Alexandre le 13 mars 222, ainsi que les amnisties générales offertes aux paysans « anachorètes » d’Egypte en 202 et en 216, témoignent de l’attention que les Sévères ont portée aux problèmes financiers333. Apollonios propose à Vespasien une attitude par rapport à l’argent qui paraît convenue et très attendue par ses contemporains, car Dion Cassius et Hérodien y sont sensibles aussi : le prince doit secourir les pauvres et préserver les riches auxquels il doit donner un sentiment de sécurité334. Cette idée était déjà exprimée dans la Politique d’Aristote, qui en avait fait un critère discriminant le roi du tyran : à la différence de celui-ci, le bon roi garantit que ni le riche ni la masse du peuple ne souffrent d’injustice335. 332 333 v

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va, v, 36, 2–5 ; voir supra sur la piété du roi. A son arrivée au pouvoir, Vespasien s’est confronté au même problème que Galba avant lui  :  les caisses vides de l’Etat, d’où sa pecuniae cupiditas, qui fut tournée en ridicule  ; Suétone, Ves., 16 et 23, 2–6. Sur les finances des Sévères, M. Grant, The Severans, p. 39–44. Edit de Banasa : iam, 2, 100 ; amnisties pour les paysans « anachorètes » : sb i 4284 (202), bgu i 159 (216) ; voir M. Corbier, Donner à voir, p. 201 : « Plus nouvelle apparaît la volonté de s’attaquer aux racines des difficultés rencontrées par les contribuables dans le versement de l’impôt. Ainsi le pouvoir sévérien lutte contre les abus des intermédiaires, il se défend contre les fiscalités concurrentes, en limitant la prolifération des taxes municipales (Code Justinien, iv, 62, 1–2). Ces mesures fiscales de détente sont soutenues, tout au long de la période, par une politique monétaire continue qui tend à multiplier les moyens de paiement : d’abord – sous le règne de Septime Sévère – par une dévaluation importante et réussie, ensuite – sous ses successeurs – par la poursuite d’une frappe abondante » ; voir ead., « Coinage and taxation : the state’s point of view, A.D. 193–337 », cah, xii, p. 327–392. Dion Cassius, xlvii, 17, 4 ; xlviii, 6–12, 18, 5 ; xlix, 13, 1 ; xlix, 15, 3 ; lxxvii, 8–12; Hérodien, vii, 3, 1-vii, 4, 1 ; voir déjà Pline, Pan., 50, 1. Philostrate utilise aussi une phrase qui revient souvent dans la littérature du iiie siècle : l’or et l’argent ternissent quand ils sont arrachés à des gens en larmes (Dion Cassius, lxxi, 3, 3 ; Hérodien, vii, 3, 6 ; ps.-Aelius Aristide, Or. xxxv, Eis Basilea, 16) ; L. de Blois, « Emperor and Empire », p. 3426. Aristote, Pol., 1310 b 40–1311 a 2  ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 209, qui ajoute d’autres références, tirées de la réflexion politique grecque du ive siècle av. J.-C., qui préconisent le respect pour les possessions des riches : Xénophon, Cyr., viii, 8, 6 ; Isocrate, Ep., 7, 4.

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– L’usage très tempéré (σωφρονέστερον) du pouvoir absolu. Renvoyant explicitement à Aristote, Apollonios critique l’image utilisée par le philosophe dans la Politique («  il faut couper les branches qui dépassent  »)336. Cette remarque rejoint l’idée récurrente, depuis le début du iie siècle après J.-C., que le bon prince ne doit pas jalouser les compétences ou bien la valeur des autres aristocrates337, mais elle est surtout focalisée sur un problème dont l’actualité est très vive à l’époque des Sévères, celui des tentatives d’usurpation : Vespasien ne doit pas éliminer à l’avance ses potentiels rivaux, mais les effrayer. Peut-être Philostrate a-t-il songé aux meurtres, organisés par Mucien dès le début du règne de Vespasien, des membres des Pisonii qui étaient jugés dangereux pour le nouveau pouvoir338. – Le prince doit être un législateur très tempérant (σωφρονέστερον), respectueux des lois. Après le règne des Antonins, il s’agit d’une position désormais traditionnelle, qui ne devait poser aucun problème à l’époque des Sévères où, comme cela apparaît dans les écrits des grands juristes, le prince est reconnu comme la principale source des lois, ce qui le place en théorie au-dessus de la loi, même si, en pratique, on attend de lui un comportement légaliste339. En revanche, cette idée était sans doute moins évidente vers 70 : elle ne semble pas avoir été formulée sous les Flaviens, et la fameuse lex de imperio Vespasiani montre l’importance qui était attachée, à l’issue des guerres civiles, à une légitimation de l’imperium du prince par la loi élaborée par sénatus-consulte et votée par les comices. – La différence, devenue essentielle, entre le statut du prince, caractérisé par la possession de l’imperium suprême, et la personne physique qui relève de la catégorie de l’ἰδιώτης ou du priuatus340. Cette simple remarque implique 336 337 338 339 340

va, v, 36, 2 ; Aristote, Pol. 1284 a 17-b 7 ; 1311 a 8–22 ; 1313 a 34–41 ; voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 209–210. Cette idée est mise en avant sous les Antonins, chez Pline, Dion de Pruse et Marc Aurèle, voir supra, c. 3 et 4 ; Dion Cassius, lii, 34, voir supra. Le jeune fils du Pison à la tête de la conjuration de 65, Calpurnius Galerianus, fut éliminé dès la fin de 69, et son beau-père et cousin, le proconsul L. Pison, gouverneur d’Afrique, peu de temps après : Tacite, Hist., iv, 11 ; 48–50. Voir supra ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 210–211. Le tyran Domitien est « gêné » par les lois ou en conflit avec elles, va, vii, 33 ; viii, 1 ; viii, 7, 1. Voir J. Béranger, « L’accession d’Auguste et l’idéologie du “priuatus” », Principatus. Etudes de notions et d’histoire politiques dans l’Antiquité gréco-romaine, Genève, 1973, p. 243–258, part. p. 250–251 : « Sous l’Empire… les priuati, ce sont tous les citoyens, fussent-ils consuls, par rapport au prince, chef par excellence, magistrat suprême idéal, à côté duquel tous les autres ne sont rien… En droit public, la distinction entre “particulier” et “officiel” restait nette. A cum imperio s’oppose priuatus ». Le caractère lapidaire de la phrase de Philostrate ne permet pas de préciser à quelle conception (générale ou juridique) il se réfère, mais peut-être, à cette époque, s’agit-il d’un mélange des deux notions.

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beaucoup de conséquences relatives à l’institutionnalisation de la fonction du princeps : par rapport au cérémonial de cour, au comportement, aux vertus attendues, le prince ne doit plus agir comme un simple citoyen. Cela paraît, là-encore, anachronique par rapport au règne de Vespasien où une telle distinction semble avoir été refusée par certains sénateurs et philosophes, comme le montre le comportement d’Helvidius Priscus ou de Démétrios à l’égard de Vespasien341. – Il s’ensuit, dans le domaine moral, une série de faiblesses qui ne peuvent plus être tolérées chez le prince car elles sont synonymes d’un relâchement et d’un manque d’énergie morale incompatibles avec sa fonction pour laquelle est préconisée, par dessus tout, la tempérance : goût pour les jeux de dés, pour la boisson, pour les aventures amoureuses. Ces travers ne sont anodins qu’à nos yeux : dans les Vies de Suétone, ils sont des caractéristiques du tyran (par excellence, Vitellius)342. – L’éducation des fils du prince doit être soigneusement contrôlée par le prince. La question de l’hérédité a été un point sensible tout au long du principat : comme l’a montré J. Béranger, l’hérédité dynastique semble être liée dès le début à la nature-même du principat, en dépit de son ambiguïté, sans doute à cause de son importance déjà au sein des familles républicaines. Sur ce point, la position d’Apollonios apparaît un peu paradoxale  :  celuici admet le principe d’une dynastie héréditaire, bien entériné à l’époque des Sévères, mais refuse que l’Empire soit considéré comme un héritage, au nom de l’idéal du roi vertueux343. La question de l’éducation des fils du prince avait sans doute été rendue très sensible par les récents exemples de Commode, prédestiné au pouvoir par son père, et de Caracalla et Géta, dont la rivalité avait été attisée à Rome par les jeux et par les flatteurs344 ; par 341

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Suétone, Ves., 13, 4, et 15, 2–3 ; Dion Cassius, lxv, 12–13. Sur l’évolution des uirtutes et l’affirmation de la distinction entre prince et simple citoyen, voir A. Gangloff, « La figure de Galba et les notions de bonus/optimus/capax princeps », à paraître. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 212, renvoie à une lettre de Vespasien commentée ainsi par Tacite, Hist., iv, 3, 4 : ceterum ut princeps loquebatur, ciuilia de se, et rei publicae egregia. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 213, donne de nombreux exemples illustrant l’idée que le roi doit avant tout contrôler ses propres désirs : Isocrate, A Nicoclès, 29 et 31 ; Lettre d’Aristée, 221–223 ; Dion de Pruse, Or. lxii, 1 ; ps.-Aelius Aristide, Or. xxxv, 27–29. On remarque que, dans ce passage, l’idéal du roi vertueux recouvre celui du kalos kagathos, que l’on trouve aussi chez Dion Cassius, lvii, 18, 6, et lxxiii, 1, 1. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 213, renvoie à Dion de Pruse, Or. iii, 120, sur l’idée que l’empereur a intérêt à faire comprendre à ses sujets qu’il ne récompense pas ses proches sur la base du lien de parenté, mais sur celle de la vertu. Sur la conviction de Commode qu’il était né dans la pourpre, Hérodien, i, 5, 5 ; sur Caracalla et Géta, Dion Cassius, lxxvii, 7, 12 ; Hérodien, iii, 13.

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opposition, le fils de Pertinax avait été tenu par son père à l’écart de la cour et du pouvoir345. – Les divertissements, jeux, spectacles à Rome doivent être restreints pour éduquer le peuple à la tempérance. Le point de vue d’Apollonios est strictement moralisateur, contrairement à celui, plus politique, de Dion Cassius qui tolère ces manifestations dans la capitale à cause de l’éclat qu’elles lui confèrent346. Il présente une indéniable coloration pythagoricienne : il est en effet conforme à la condamnation du plaisir attribuée à Archytas dans les Tusculanes347. – Le prince doit réprimer l’insolence de ses esclaves et affranchis, ce qui est un lieu commun depuis le règne de Claude, également inclus dans le miroir au prince de Mécène chez Dion Cassius348. Un tel conseil était particulièrement d’actualité après Galba, qui passait pour avoir été sous la coupe de son affranchi Icelius devenu chevalier, et après Vitellius, qui aurait été tout aussi dépendant de son affranchi Asiaticus, également promu au rang équestre349. – Le dernier conseil se distingue des précédents par son caractère concret et presque technique. Il concerne la désignation des gouverneurs, qui doivent être hellénophones pour les provinces d’Orient et latinophones pour celles d’Occident350. Apollonios prend l’exemple d’un gouverneur de l’Achaïe sous Néron, qui ne connaissait pas les affaires grecques et ne pouvait se faire comprendre en grec, ce qui minait son autorité, notamment au tribunal. Un tel exemple est révélateur du point de vue hellénocentré du

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Hérodien, ii, 4, 9 ; selon Dion Cassius, lxxiv, 7, 2–3. Dion Cassius, lii, 30. Sur ce thème, voir aussi Tacite, Ann., i, 54, 2 ; Plutarque, Préceptes politiques, Moralia 800 A-B ; Dion de Pruse, Or. vii, 137 ; Dion Cassius, lxxiii, 10, 3 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 213. Cicéron, Tusc., iv, 78. Dion Cassius, lii, 37, 5 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 213. Sur le pouvoir des affranchis impériaux sous Commode, et notamment sur celui de Cléandre, voir Dion Cassius, lxxii, 10, 2 ; 72, 12 ; Hérodien, i, 6, 1–2 ; i, 6, 8 ; i, 12, 3- i, 13, 6 ; sur Théocritos et Epagathos, tout-puissants Césariens de Caracalla, Dion Cassius, lxxviii, 21, 2–4 ; sur la position des affranchis impériaux, voir F. G. B. Millar, The Emperor, p. 69–83. Galba : Tacite, Hist., i, 7, 3 ; i, 13, 1 et i, 37, 5 ; Dion Cassius, lxiv, 2 ; Plutarque, Galb., 20, 6 ; Vitellius : Tacite, Hist., ii, 95, 2 ; Suétone, Vit., 12. va, v, 36, 5 ; B. Rochette, Le latin dans le monde grec. Recherches sur la diffusion de la langue et des lettres latines dans les provinces hellénophones de l’Empire romain, Bruxelles, 1997, p. 48–63, sur le statut des deux langues, latin et grec, dans l’Empire ; M. Corbier, « Rome, un empire bilingue », dans L. Villard (éd.), Langues dominantes, langues dominées, Rouen, 2008, p. 29–55 ; ead., « L’Empire romain et ses langues », dans I. Piso (éd.), Die Römischen Provinzen. Begriff und Gründung, Cluj-Napoca, 2008, p. 25–49.

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sage351. Il est cependant difficile à interpréter : l’Achaïe était une province du peuple gouvernée par un proconsul tiré au sort, mais la sortitio semble avoir été l’objet de négociations352 ; est-ce qu’on aurait laissé la « vraie et pure Grèce », selon l’expression de Pline le Jeune, entre les mains d’un gouverneur ne maîtrisant pas la culture ni la langue grecques353 ? Même si le discours prononcé par Néron à l’Isthme de Corinthe en 66 pour « libérer » l’Achaïe témoigne d’une attitude mêlée, en partie méprisante, par rapport aux Grecs, on peut se demander, étant donnée l’importance historique et symbolique de cette province, si l’exemple de Philostrate n’est pas très exagéré, ou en tout cas décalé par rapport au contexte néronien354. Ce que préconise le sage paraît en tout cas avoir été une règle générale, car il semble que le gouverneur s’exprimait en grec dans les provinces hellénophones, notamment dans le cadre des procès355. On n’a pas d’autre exemple de gouverneur affecté en Orient qui n’aurait pas maîtrisé la langue grecque sous le Haut-Empire356, si bien qu’il est difficile d’interpréter la remarque

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Sur cette question, voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 89–127. W. Eck, « Beforderungskriterien innerhalb der senatorischen Laufbahn, dargestellt an der Zeit von 69 bis 138 n. Chr. », anrw, ii, 1, 1974, Berlin, New York, p. 158–228, part. p. 204, 220–222 ; G. Alföldi, Konsulat und Senatorenstand unter den Antoninen. Prosopographische Untersuchungen zur senatorischen Führungsschicht, Bonn, 1977, p. 110–124 ; F. Hurlet, Le proconsul et le prince d’Auguste à Dioclétien, Bordeaux, 2006, p. 24–82. Pline, Ep., viii, 24 (illam ueram et meram Graeciam) ; voir aussi Cicéron, Flac., 61. ig vii 2713 ; Syll3, 814 (Holleaux 1888) ; J. H. Oliver, Greek Constitutions, p. 572–575 n° 296. M. Holleaux, « Discours de Néron prononcé à Corinthe pour rendre aux Grecs la liberté », bch, 12, 1888, p. 510–528, part. p. 524–525, soulignait déjà le mépris manifesté par Néron pour son auditoire. Sur l’exemple de Philostrate, voir aussi J. Kaimio, The Romans and the Greek Language, Helsinki, 1979, p. 117–118. J. Kaimio, The Romans, p. 110–129, 143–147 ; B. Rochette, Le latin, p. 95–96 ; A. Bérenger, Le métier de gouverneur dans l’empire romain, Paris, 2014, p. 327–332 sur les langues de communication des gouverneurs. On a un autre exemple comparable à celui de Philostrate, mais tardif, chez Libanios, Autobiographie, 156  :  son ennemi Festus, consulaire de Syrie en 365–366, aurait ignoré le grec. Sur la maîtrise des langues par le gouverneur, voir A. Bérenger, « Formation et compétences des gouverneurs de province dans l’Empire romain », dha, 30, 2004, p. 35–56, part. p. 46–53 : l’auteur rappelle que B. Rochette (Le latin, p. 103–104) concluait, à partir de l’exemple de la Vie d’Apollonios, que la connaissance du grec ne semblait pas être un prérequis pour exercer des fonctions officielles dans l’Orient romain, ce vers quoi tend aussi C. Badel, « La spécialisation régionale des gouverneurs romains : le cas de l’Orient au Haut-Empire (27 av. J.-C.- 235 ap. J.-C.) », dha, 30, 2004, p. 57–99 ; voir aussi A. Bérenger, Le métier de gouverneur, p. 329–330 ; M. Molin, « Des médiateurs culturels au rôle important : les administrateurs de l’Empire sous la pax romana (iie siècle et première moitié du iiie siècle) », dans A. Gangloff (éd.), Médiateurs culturels et politiques dans l’Empire romain. Voyages, conflits, identités, Paris, 2011, p. 59–69, part. p. 64–69.

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d’Apollonios : est-ce l’indice, déjà, d’un recul de la maîtrise du grec par les dignitaires occidentaux à l’époque de Philostrate ?357 Le cas est plus clair, de manière générale, pour les élites hellénophones des provinces, qui ne semblent pas avoir toujours eu une bonne maîtrise du latin358. Peut-être les problèmes de langue sont-ils aussi devenus plus sensibles en raison d’un changement de pratiques dans le mode de désignation des gouverneurs, comme l’a soutenu P. M. M. Leunissen dans son étude sur les consuls et les consulaires de Commode à Sévère Alexandre359. Sous Antonin le Pieux et Marc Aurèle, alors que les sénateurs originaires d’Occident occupaient aussi des postes de gouverneurs dans les provinces hellénophones, les sénateurs originaires d’Orient étaient affectés à des postes de légats dans les provinces orientales plus souvent que dans celles d’Occident360. Dans la période entre 180 et 235, on ne distingue plus de différences significatives dans la désignation des consulaires, qu’ils soient originaires de l’Ouest ou bien de l’Est, comme légats impériaux dans la moitié orientale ou occidentale de l’Empire. Selon J.-J. Flinterman, il est possible que ce changement ait été ressenti par les élites civiques orientales, dont Apollonios traduirait l’insatisfaction361. Tous ces conseils, qui ont une portée plus ou moins étendue, sont donc généraux, et certains sont mêmes présentés sous la forme de maximes362. Pour autant, ils ne sont pas décontextualisés, comme on l’a vu, et sont mieux adaptés au contexte des Sévères qu’à celui du règne de Vespasien. Cela signifie, comme l’a noté L.  de Blois, qu’ils avaient un sens pour le public de pepaideumenoi auquel Philostrate s’adressait, dont ils reflétaient des idées, des convictions politiques répandues363. L’intérêt des conseils d’Apollonios réside dans leur 357

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L. de Blois, “Emperor and Empire”, p. 3428 : au iiie siècle, en particulier après 260, les gouverneurs nommés provenaient souvent de la classe équestre après une carrière militaire. Beaucoup étaient des homines noui venant des frontières du Nord en général et du Nord de l’Afrique qui ne connaissaient pas le grec, n’ayant pas bénéficié de l’éducation de l’ancienne élite de Rome. Avant 260 de tels gouverneurs étaient une minorité et, habituellement, agissaient comme substituts (agentes uices praesidis). H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation, p. 49–52 ; B. Rochette, Le latin, p. 208–210, 329–331, 334–335 ; A. Bérenger, Le métier de gouverneur, p. 330. P. M. M. Leunissen, Konsuln und Konsulare, p. 88–89 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 123–124. G. Alföldi, Konsulat, p. 78 et 119–121 ; H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil, p.  88–93. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p.  123. A  partir de Marc Aurèle, après la révolte d’Avidius Cassius en 175, il fut interdit de gouverner sa province d’origine : Dion Cassius, lxxii, 31, 1. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 124. La forme lapidaire était propre à l’expression d’Apollonios : va, vii, 35. L. de Blois, “Emperor and Empire”, p. 3425 : “Although the ‘Vita Apollonii’ is a biography that reads somewhat like a novel and contains curiosa, travel stories, miracles, religious

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dimension générale et topique, car ils témoignent d’une fixation des règles et des normes définissant le bon gouvernement du bon empereur : celles-ci sont passées au statut si décrié, mais combien révélateur, de lieux communs364. Pour moitié, les conseils du sage concernent des critères définissant le statut du princeps : par son pouvoir prééminent, sa place au dessus des lois, l’opposition avec le statut du priuatus, son rapport privilégié aux dieux. Ce statut du princeps est associé à des contraintes morales relatives à l’image publique de l’empereur et à l’autodiscipline. L’autre moitié des conseils portent sur la gestion de l’Empire et les modes d’administration, au sens large : sur l’attitude du prince par rapport à l’imposition, sa gestion des jeux et spectacles – impliquant son rôle, informel, de censeur du peuple –, et son recours à certaines grandes catégories traditionnelles du personnel administratif, à savoir les esclaves et affranchis impériaux, et les gouverneurs qui doivent être dotés de compétences culturelles adaptées aux provinces où ils sont envoyés. Sauf le dernier point, les trois autres (attitude du prince face à l’argent, aux jeux, à ses affranchis) constituent dans les Vies de Césars de Suétone des critères qui se répètent d’une vie à l’autre pour discriminer les bons et les mauvais princes365. Le conseil portant sur les gouverneurs est un peu plus particulier, mais les devoirs et compétences de ceux-ci étaient toutefois un élément important de la réflexion politique romaine depuis Cicéron, et un élément actuel : vers 210–220, le grand juriste Ulpien avait rédigé un traité De officio proconsulis366. De la même manière, les références aristotéliciennes présentes dans le discours d’Apollonios sont courantes. La vertu fondamentale pour exercer le pouvoir est, de loin, celle de la tempérance. La uirtus militaire n’est pas mentionnée dans les conseils, mais elle va de soi puisque Vespasien et Titus en

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peculiarities and remarkable encounters, it is precisely works of this kind that give a good impression of the thoughts and opinions that were at that time widespread among the people who read such works, i.e., the Greek-speaking élite in a broad sense”. Contra J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 225–230, qui défend une vision plus littéraire de l’ouvrage de Philostrate. Sur la pérennité des lieux communs au ve siècle, voir la réflexion de S.  Destephen, « Rhétorique et politique au ve siècle : éloge de la réforme, éloge de la restauration ou éloge de la réaction ? », dans U. Roberto, L. Mecella (dir.), Governare e riformare l’impero al momento della sua divisione : Oriente, Occidente, Illirico [en ligne]. Roma, 2015. Apollonios a évoqué les mêmes grands topoi dans un autre entretien qu’il a eu avec Vespasien, auquel il est fait allusion dans va, viii, 7, 8 : il a parlé des lois, du juste usage des richesses, des dieux. Voir les lettres de Cicéron à son frère Quintus gouverneur de l’Asie, Q. fr., i, 1 et 2, part. i, 1, 16 et 27–28 sur la particularité de la culture grecque en province d’Asie. Des extraits du traité d’Ulpien ont été conservés dans le Digeste, i, 16.

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sont largement dotés367. Dans tous les domaines de la réflexion politique, le discours attribué à Apollonios est donc moins riche, moins précis, que le miroir au prince exposé par Mécène chez Dion Cassius, mais on y trouve la même reconnaissance d’un pouvoir absolu dans les domaines législatif et juridictionnel ; on y voit aussi, et c’est lié, la même mise en avant d’un idéal de la mesure qui permettait d’éviter les excès du prince et qui renvoyait aux bons Antonins. Le contenu très moralisant des conseils d’Apollonios semble avoir une tonalité pythagoricienne, et le sage fait référence à la théorie politique de l’harmonie musicale propre aux Pythagoriciens, qui évoque un idéal de concorde également très antonin. Il est difficile d’apprécier la nature de cette composante pythagoricienne dans le modèle politique de Philostrate : est-ce une coloration de surface, un élément plus profond  ? Notre propre méconnaissance de la philosophie politique pythagoricienne est plus problématique, somme toute, que la question de savoir ce que Philostrate pouvait en connaître. Ce qui paraît sûr est que, sous les Sévères, l’importance des cultes solaires et le renforcement de la dimension universelle de l’Empire romain, grâce au travail des juristes et à la constitutio Antoniniana qui plaçait dans le même cadre juridique et cultuel tous les habitants libres de l’Empire, constituaient des conditions très favorables au développement du néopythagorisme, qui a peut-être attiré Julia Domna et Caracalla (ce qui pourrait être un facteur expliquant l’hostilité de Dion Cassius envers la figure d’Apollonios de Tyane). L’empereur pouvait être vu à l’image du Soleil régulant l’harmonie cosmique, mais l’idée est soigneusement évitée et par Dion Cassius – ce qui n’a rien d’étonnant puisque celui-ci ne manifeste aucun intérêt pour le néopythagorisme  – et par Philostrate  :  ils semblent s’être méfiés des excès, illustrés par les règnes de Commode et d’Elagabal, qui pouvaient résulter de la volonté des Sévères de se placer sous le patronage étroit de certaines divinités. Comme l’a noté A. Billault, Apollonios de Tyane entretient, en somme, un rapport assez lointain avec la politique368. Paradoxalement, cette relation est essentielle et elle apparaît comme l’une des principales composantes de la réflexion politique de Philostrate, qui s’est beaucoup intéressé aux rapports entre philosophe et pouvoir : la distance semble en effet s’expliquer par la position plus difficile du sage avec le pouvoir dans le monde romain.

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Voir supra. A. Billault, « Un sage en politique : Apollonios de Tyane et les empereurs romains », dans Mythe et politique (actes du Colloque de Liège, 14–16 septembre 1989, publié par F. Jouan et A. Motte), Paris, 1990, p. 23–32, part. p. 23–24.

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Rôle et fonctions des conseillers de l’empereur

Depuis Sénèque, la réflexion politique sur le pouvoir impérial inclut une réflexion sur les conseillers du prince. Le sophiste Philostrate et le sénateur Dion Cassius représentent à ce sujet deux traditions bien distinctes : le premier exploite l’ancienne tradition grecque, revivifiée par les discours de Dion de Pruse, du philosophe conseiller du roi, alors que le second s’inscrit dans une tradition romaine qui se réfère à Auguste (même si la réalité était un peu plus complexe, celui-ci ayant encore gardé à ses côtés des philosophes « domestiques »), celle des conseillers issus de l’aristocratie et grands serviteurs de l’Etat. Sénèque avait tenté de mêler ces deux traditions mais, sans doute en raison de son échec personnel avec Néron, elles sont restées séparées dans les sources que nous possédons, et même, semble-t-il, opposées : il est en effet révélateur que, chez Philostrate, Apollonios et Euphratès aient été substitués à la figure de Mucien chez Tacite. a Le philosophe conseiller du prince Chez Philostrate, le plus important conseiller des souverains est le philosophe, qui est dans une position de supériorité par rapport à ceux-ci369. Le premier rôle du sage auprès des rois est de leur apprendre à exercer leurs vertus (qui constituent un préalable à la royauté), et à maîtriser leurs passions370. Il leur enseigne donc à se gouverner eux-mêmes et, dans cette perspective, Philostrate reprend la conception du philosophe-roi très présente chez Dion de Pruse : le philosophe, qui sait se gouverner lui-même, peut et doit gouverner les autres371. Apollonios explique en effet, dans la plaidoirie qu’il avait écrite pour se disculper devant Domitien, que seul un sage, semblable aux dieux par sa vertu, peut mettre de l’ordre dans les âmes excitées par les passions : les désirs amoureux, l’avarice ou la colère qui pousse au meurtre372. Philostrate reprend ici l’analyse de Dion de Pruse dans le quatrième discours Sur la royauté, où Diogène représentait au jeune Alexandre le Grand les principaux 369 370 371

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va, i, 2 ; ii, 27, 2 ; iii, 10, 2 ; 27 ; viii, 10. va, i, 28, 1 et 3 : Apollonios va rendre meilleur (plus tempérant et plus doux) le roi Vardanès en lui apprenant à exercer ses vertus ; en revanche, il refuse de se livrer au roi indien fou qui lui demande son aide, va, iii, 33, 1. Dion de Pruse, Or. xlix, 3 : « Le vrai philosophe ne travaille à rien d’autre qu’à se rendre capable de bien gouverner (ἄρχειν καλῶς) sa propre personne, sa maison, la plus grande des cités et, d’un mot, le genre humain si on lui confie le pouvoir et, tout en n’ayant pas lui même besoin d’autres chefs que la raison et la divinité, il sera capable de consacrer sa réflexion et ses soins au reste des hommes », trad. M. Cuvigny. va, viii, 7, 23.

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« démons » (le goût excessif des plaisirs, l’avarice, l’amour de la gloire) dont le roi devait purger son âme373. En parallèle, le sage peut aussi donner des conseils politiques à strictement parler, concernant le gouvernement, mais ils restent sous une forme topique et leur expression est lapidaire374. Elle rappelle la forme brève des Apophtegmes de rois et de généraux attribués à Plutarque et précédés d’une lettre dédicatoire à Trajan, qui apparaissait comme un moyen pédagogique spécialement adapté à l’empereur manquant de temps pour se consacrer à des lectures plus amples. A côté de ce rôle de conseiller en vertus et en stratégies politiques, le philosophe est doté d’une autre fonction essentielle : il apparaît comme un « faiseur de rois », surtout parce qu’il les reconnaît comme tels375. C’est spécialement flagrant dans le cas de Vespasien à Alexandrie ; Apollonios a conforté et encouragé l’empereur dans sa prise du pouvoir et lui a fourni une sanction religieuse par ses prières, ce qui renvoie au rôle joué par le mystérieux Basilidès dans les récits historiques376. On peut donc aussi tracer un parallèle entre son rôle et celui d’Hermès auprès d’Héraclès dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse377. Inversement, le philosophe mène une lutte contre la tyrannie  – à l’instar de Pythagore –, mais sans provoquer inutilement le tyran378. De manière générale, bien qu’il soit supérieur au roi, il ne lui manifeste pas de dédain et sait adapter ses propos au statut et au rang de son interlocuteur, tout en faisant toujours preuve de παρρησία envers le roi379. L’exemple de la confrontation 373

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Dans la suite du passage (§ 29), Apollonios prend l’exemple d’Héraclès et rappelle aussi le mythe de Lamia utilisé par Dion dans le cinquième discours sur le Mythe libyen (Or. v), qui constitue un doublon possible pour la fin du quatrième discours Sur la royauté, à partir du § 73 ; il était déjà question de ce mythe dans va, iv, 25. On a vu plus haut les conseils à Vespasien ; voir aussi va, i, 38–39 : Apollonios enseigne à Vardanès par son comportement exemplaire, en répondant aux questions du roi ou encore dans des entretiens, à l’aide de paroles brèves. va, ii, 41 : Phraotes a été proclamé roi par les sages philosophes ; v, 28–30 ; vi, 30 ; viii, 6, 7 : reconnaissance de Vespasien, qui doit à Apollonios son avènement ; viii, 27 : Nerva doit aussi son règne à Apollonios, sans doute parce que le sage l’a sauvé en combattant les soupçons de Domitien envers lui. Voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 139–140. Tacite, Hist., iv, 82 ; Suétone, Ves., vii, 2 ; Dion Cassius, lxvi, 8, 1 ; voir E. L. Bowie, “Apollonius of Tyana”, p. 1661 ; J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 139–140. Voir supra, c. 4. va, iv, 33 : Apollonios conseille aux Spartiates de ne pas répondre à la lettre de semonce que leur a envoyée Néron, afin de ne pas paraître lâches ni insolents ; 39 : le sage rencontre un citharède qui chante des vers de l’empereur et dénonce ceux de ses auditeurs qui l’écoutent mal ou ne l’honorent pas assez ; il l’ignore, mais le paie et ne le provoque pas. va, i, 28, 1 : Apollonios promet aux gardes qu’il respectera le roi Vardanès si celui-ci est bon ; vii, 28 : il refuse d’employer la flatterie envers Domitien, mais est d’accord pour ne

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entre Apollonios et Domitien est révélateur de la position délicate du philosophe auprès du pouvoir romain quand celui-ci est tyrannique. Le philosophe doit éviter deux écueils, la flatterie et la menace380. La confrontation directe, qui a lieu, certainement, dans le cadre d’un procès de maiestate (puisqu’Apollonios est accusé de trahison), s’appuie sur une réflexion sous-jacente sur le « martyre » des « sénateurs stoïciens », dont le sage pythagoricien se démarque car, s’il ne craint pas la mort, il n’y va pas en vain381. Sa posture est complexe, car il doit donner la preuve de sa supériorité, rester dans la mesure, ne pas aller au martyre. D’une certaine manière, la « fuite » d’Apollonios à l’issue du procès est peu convaincante : éludant l’entretien avec l’empereur – ce qui rappelle la démonstration d’Epictète sur l’impossible entretien entre le sage et l’empereur382 – elle atteste aussi, d’une autre façon, que la position du philosophe à proximité du pouvoir tyrannique est intenable. Le philosophe n’a pas d’autre choix que se tenir à distance et organiser l’opposition, ce que fait Apollonios face à Néron, et surtout face à Domitien383. Le sage adapte son attitude au type de souverain qu’il rencontre : or, il ne vit pas auprès de l’empereur romain, même auprès des bons empereurs dont il se tient généralement à distance. C’est seulement dans les royaumes extérieurs à l’Empire, teintés d’utopie comme c’est le cas pour l’Inde, que le sage peut vivre

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lui témoigner ni mépris, ni dédain (ce à quoi il ne se tiendra pas tout à fait : viii, 4 et 5, 3) ; vi, 31 : éloge de la parrhèsia de Démétrios, utile à l’empereur ; vii, 32, 3 : parrhèsia d’Apollonios envers Domitien ; v, 35, 1 : le philosophe doit adapter ses propos au rang consulaire et au statut de princeps de Vespasien ; § 6 : « Un philosophe dira ce qui lui vient à l’esprit, mais il se souciera de ne pas tenir de propos déraisonnables ou insensés ». va, vii, 30, 2 : parabole du dressage du lion, montrant qu’il faut, avec le tyran, user à la fois de caresses et de menaces. va, vii, 31, 3 : Τοῖς φιλοσοφοῦσιν ἐπιµελητέα τῶν καιρῶν, ἐν οἷς ἀποθανοῦνται, ὡς µὴ ἄτακτοι, µηδὲ θανατῶντες, ξὺν ἀρίστῃ δ᾽αἱρέσει ἐς αὐτοὺς φέροιντο. Ὅτι δὲ ἄριστά τε καὶ κατὰ τὸν προσήκοντα φιλοσοφίᾳ καιρὸν εἱλόµην ἀποθνήσκειν, εἴ τις ἀποκτείνειν βούλοιτο, « Les philosophes doivent être attentifs aux moments opportuns pour mourir, pour se porter vers eux en ayant fait le meilleur choix, non de manière désordonnée ni suicidaire. J’ai choisi de mourir de la meilleure façon possible, dans une occasion qui convient à la philosophe, si quelqu’un souhaite me tuer ». va, viii, 5, 4 : Apollonios s’est enfui car il ne voulait pas discuter en position d’infériorité avec l’empereur, fier de ne pas l’avoir tué. Voir Entreprises, i, 2, 19–24. Chez Philostrate, le problème principal semble être celui de la supériorité, et non celui de la liberté : Apollonios ne reconnaît pas celle du « dieu » Domitien, qui ne reconnaît pas non plus celle du divin philosophe, en qui il voit un magicien. Philostrate est contraint de justifier longuement la validité de la position (un peu ambiguë) d’Apollonios et sa supériorité sur d’autres exemples fameux de philosophes morts pour avoir résisté à la tyrannie, au début du livre vii, 1 et 2. Sur l’organisation par Apollonios de la rébellion contre Néron et Domitien, voir VA, v, 10 ; 35, 5 ; vii, 4 ; vii, 8.

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à côté du roi et le corriger au quotidien. Il accepte volontiers de donner aux empereurs des conseils lors des situations de crise (ainsi l’entretien avec Vespasien à Alexandrie, la plaidoirie composée pour Domitien), mais il s’en tient sinon à des conseils par lettres (à Vespasien, Nerva), ce qui suggère que la place d’un « vrai » philosophe à la cour impériale était toujours jugée problématique, car assujétie à de perpétuelles négociations entre, d’une part, le philosophe et le pouvoir, et, d’autre part, le philosophe et ses principes – ce qui avait été la situation de Sénèque dans ses rapports avec Claude, Agrippine et Néron. De même qu’il y a différents modèles de rois, il existe aussi différents types de philosophes  – les Mages du livre i, les Brahmanes du livre ii, Musonius, Démétrios, Euphratès étant les principaux que côtoie Apollonios – et ceux-ci sont plus ou moins bons ou mauvais. La critique des faux philosophes grecs en proie aux passions, faite au livre ii, s’applique au Stoïcien Euphratès qui est perverti par sa jalousie envers Apollonios et par sa soif d’or ; celle-ci le pousse à flatter et à devenir délateur384. Il représente ainsi le type du philosophe grec qui se corrompt au contact du pouvoir et des aristocrates romains, dépeint aussi par Lucien dans Sur les salariés des Grands385. Il s’agit peut-être juste d’une construction littéraire, créée à partir de la polémique historique entre Apollonios et Euphratès. Ce qui est intéressant néanmoins, c’est que cette représentation exploite l’ambiguïté de la figure historique d’Euphratès, qui apparaît dans les sources comme un philosophe mondain, capable de s’intégrer dans la société aristocratique romaine386. Comme chez Epictète, la tyrannie est l’épreuve décisive qui révèle les vrais philosophes387 : face au pouvoir tyrannique, le modèle positif d’Apollonios se situe à mi-chemin entre deux modèles négatifs, celui du « faux philosophe » qui flatte le tyran (Euphratès) et celui, sous-jacent, des « martyrs stoïciens ». Il existe en outre un lien fort entre les philosophes et la magie, dont Philostrate voudrait exonérer son héros, et qu’on trouve aussi chez Dion Cassius : selon Mécène, le bon chef doit se méfier des philosophes autant que des sorciers388. Cette association concernait spécifiquement les néopythagoriciens, Pythagore ayant lui-même accompli des prodiges, et l’on peut penser à 384

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Voir va, ii, 29, 2, pour la critique des faux philosophes grecs ; v, 33, 1, pour la jalousie qui pousse Euphratès à donner de mauvais conseils à Vespasien ; vii, 9, 2 ; viii, 7, 46 : il calomnie Apollonios auprès de Domitien ; viii, 3 : il paie l’accusateur du philosophe ; sur son désir de s’enrichir, voir vi, 13, 1 ; viii, 7, 11 ; 7, 34–35. J. Hahn, Der Philosoph, p. 148–152 sur les philosophes grecs à Rome ; sur le philosophe et l’empereur, p. 182–191, part. p. 184. Voir supra, c. 3 et 4. va, iv, 37 ; vii, 1. va, iv, 35 ; Dion Cassius, lii, 36, 4.

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Alexandre d’Abonouteichos, le « faux prophète » lié au néopythagorisme, qui avait eu des admirateurs à la cour et au palais de Marc Aurèle. Il s’agissait plus largement d’un préjugé courant, que le philosophe médio-platonicien Apulée dénonça dans son Apologie  :  il avait lui-même été l’objet d’un procès pour sorcellerie qui s’était déroulé vers 158 ou 159 devant Claudius Maximus, l’ami stoïcien de Marc Aurèle, alors proconsul d’Afrique. Ce préjugé fut sans doute renforcé au iie siècle par les grandes figures de philosophes charismatiques (parfois thaumaturges) dont le prestige grandissait, tels Apollonios, Alexandre ou bien les Cyniques Démonax et Pérégrinos389. b Les conseillers aristocrates Chez Dion Cassius, les conseillers choisis par le bon prince font en revanche partie de l’élite aristocratique390. Mécène suggère en effet à Octavien de s’entourer d’un consilium composé des principaux sénateurs et chevaliers, d’anciens consuls et préteurs, chacun étant consulté par le prince quand celui-ci le souhaite, ce qui paraît correspondre au fonctionnement souple du consilium sous le Haut-Empire391. Ces conseillers sont dotés de la παρρησία, que le bon chef doit les encourager à cultiver392. Ce conseil du prince apparaît ainsi, davantage même que le Sénat, comme la composante démocratique ou aristocratique mesurée présente dans les institutions et la pratique politique du principat idéal, selon les attentes des aristocrates que nous avons mises en lumière393. La description de Dion Cassius reflète le nouveau poids que les 389

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Lucien, Alex., 5, 48 et 58, et Artémidore, ii, 69, sur les Pythagoriciens  ; Apulée, Apol., 27  :  «  Mais par un préjugé commun à l’ignorance, on attaque couramment ainsi les philosophes. Les uns, qui cherchent à pénétrer les causes élémentaires et les principes constitutifs des corps, sont regardés comme des impies et traités de négateurs des dieux […] Les autres, qui font de la providence qui gouverne le monde l’objet de leurs diligentes investigations, et honorent les dieux avec dévotion, on les appelle des « magi » au sens vulgaire du mot, comme si ce qu’ils savent s’accomplir, ils savaient l’accomplir euxmêmes. Tels furent jadis Epiménide, Orphée, Pythagore, Ostanes  ; et dans la suite, on suspecta de même les purifications d’Empédocle, le démon de Socrate, le Bien de Platon », trad. P. Vallette. Voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 60–66 et 179–180 ; J. Hahn, Der Philosoph, p. 196–201 ; D. Ogden, “Magic in the Severan period”, dans S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan Culture, p. 458–469. Voir J. A. Crook, Consilium Principis, p. 79–85 sur la composition – semblable à ce qu’elle était auparavant – du consilium des Sévères. Dion Cassius, lii, 33 ; voir W. Eck, “The Emperor and his Adviser”, cah, xi, Cambridge, 2000, p.  195–213, part. p.  199  ; M.  Christol, «  Le consilium Principis aux deux premiers siècles : les traits de l’évolution vers un rouage administratif », dans J.-L. Ferrary, J. Scheid (éd.), Il princeps romano, p. 587–611. Dion Cassius, lii, 33. Voir aussi chez Hérodien, v, 1, 8 ; vi, 1, 2.

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auteurs comme les empereurs ont donné au conseil du prince, composé de sénateurs et de chevaliers remplissant ou non des fonctions officielles comme celle de préfet du prétoire, experts dans les domaines juridique ou militaire, médecins etc., à la fin du iie siècle et au début du iiie siècle394. Dans les deux miroirs au prince de l’Histoire romaine, celui de Mécène et celui que Livie adresse à son époux, au livre lv, pour le persuader d’adopter une politique de clémence après la découverte du complot de Cinna (daté vers 16-13 av. J.-C)395, les rôles de conseillers ne sont pas non plus remplis par des philosophes. Mais le recours, au début du livre lii, aux personnages d’Agrippa et de Mécène, semble faire écho à la réflexion engagée par Sénèque sur le rôle des conseillers du prince dans son traité Des bienfaits396 : il jugeait le rôle des deux amis d’Octavien/Auguste insuffisant, parce que, n’étant pas philosophes, ils n’étaient pas dotés de la παρρησία. Ce n’est plus le cas dans l’Histoire romaine, où Agrippa, Mécène et Livie sont justement caractérisés par leur liberté de parole et leur sincérité397. Inversement, le bon usage de la παρρησία n’est pas toujours le propre du philosophe, comme le montre l’exemple du Cynique P. Egnatius Celer qui accusa faussement son patron, le vertueux Barea Soranus, condamné à mort par Néron en 66, en même temps que Thrasea Paetus398 ; ou celui du Stoïcien Helvidius Priscus qui imita « de façon inopportune » la παρρησία de son beau-père. Dion Cassius présente aussi de manière très ambivalente la figure de Sénèque. Il semble en effet avoir exploité des traditions hostiles au philosophe qui fut le précepteur et le conseiller d’un tyran399 : alors que la semi-retraite de Sénèque est datée par Tacite de 62, après la mort du préfet du prétoire Burrus, chez Dion

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Hérodien, iii, 14, 9 ; v, 1, 8 ; vi, 1, 2 ; P. Oxy. 3019, l. 5–13 (réception d’une ambassade égyptienne par Septime Sévère et ses amis, à Alexandrie, le 9 mars 200). Dion Cassius, lv, 14–22  ; voir A.  Chastagnol, «  Lueurs nouvelles sur la conjuration de Cinna  », dans mefra, 106, 1994, p.  423–429  ; sur le discours de Livie, M.  A. Giua, « Clemenza del sovrano e monarchia illuminata in Cassio Dione 55, 14–22 », Athenaeum, 59, 1981, p. 317–337. Sénèque, Ben., vi, 32, 2–4, voir supra, c. 1. Dion Cassius, lii, 3 (discours d’Agrippa) : Λέξω δὲ µετὰ παρρησίας· οὔτε γὰρ αὐτὸς ἄλλως ἄν τι εἰπεῖν δυναίµην, οὔτε σοὶ σύνοιδα τὰ ψευδῆ µετὰ κολακείας ἡδέως ἀκούοντι ; § 33 (conseil de Mécène) : Τήν τε παρρησίαν παντὶ τῷ βουλοµένῳ καὶ ὁτιοῦν συµβουλεῦσαί σοι µετὰ ἀδείας νέµε ; § 41, après les deux discours, Octavien remercie ses conseillers de leur franchise, παρρησία. Voir aussi Dion Cassius, lv, 16 sur la liberté de parole de Livie. Dion Cassius, lxii, 26, 1–2 ; lxv, 12, 1. Dion Cassius, lxi, 10, 2. Au livre lxii, 24, 1, l’historien reprend notamment l’accusation selon laquelle Sénèque participa à la conjuration de Pison en 65 ; Tacite, Ann., xv, 60, 2–3, n’y croit pas ; mais, aux yeux de Dion Cassius, les philosophes de cette période semblent avoir été des fauteurs de troubles.

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Cassius, c’est dès après la mort de Britannicus, c’est-à-dire dès le début de l’année 55, que Sénèque aurait renoncé, en même temps que Burrus, à s’occuper sérieusement des affaires de l’Etat, parce que tous les deux craignaient pour leur sécurité, alors même que le propre du philosophe est de dompter sa crainte de la mort. Sénèque a donc laissé Néron dégénérer en tyran400. Sa propre mort est d’ailleurs dépourvue de gloire : il a voulu entraîner avec lui sa femme Pauline (par peur de mourir seul ? selon Tacite, c’est Pauline qui souhaitait accompagner son époux dans la mort) ; celle-ci fut sauvée parce qu’il tardait à mourir et que les soldats ont hâté sa fin401. Ce suicide raté est opposé à la mort héroïque de Thrasea qui fait une libation à Jupiter libérateur, alors que chez Tacite, Sénèque était le premier à faire cette libation, reprise ensuite par Thrasea402. D’une certaine manière, le personnage de Sénèque est ainsi placé du côté des « faux philosophes » évoqués par Mécène403. Celui-ci engage en effet Octavien à se méfier des faux philosophes fauteurs de troubles, ce qui est très probablement une allusion aux Cyniques et Stoïciens expulsés de Rome par Vespasien en 71, ainsi qu’à Helvidius Priscus, sévèrement jugé par Dion Cassius qui lui reproche d’avoir été un factieux404. On peut comprendre alors que dans les miroirs au prince mis en scène par l’historien bithynien, le conseiller ne soit pas un philosophe ou un rhéteur, mais un proche du pouvoir qui partageait les intérêts du prince, comme Livie, Mécène et Agrippa. Ces réflexions sur les figures de conseillers, de même que celles sur l’exercice de la royauté, sont riches de références non seulement exemplaires, mais aussi textuelles, relativement récentes et propres à l’Empire romain : c’est ce qui constitue leur particularité la plus remarquable. A  l’époque des Sévères, les représentants de l’élite gréco-romaine semblent disposer désormais d’une véritable tradition romaine, à la fois historiographique, philosophique et rhétorique, pour penser la figure du bon prince  :  une tradition complète, constituée de figures de références, de modèles de comportements mettant en pratique des grandes vertus, d’idées et de formes d’expression. 400 401 402

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Dion Cassius, lxi, 7, 5. Dion Cassius, lxii, 25 ; voir Tacite, Ann., xv, 63, 1–64, 2. Dion Cassius, lxii, 26. Chez Tacite, Ann., xv, 62–64, Sénèque n’est pas dépourvu d’ambiguïté, mais il a cependant une mort héroïque : Ann., xv, 64, 4 ; xvi, 35, 1. Chez Dion Cassius, Thrasea est implicitement opposé à Sénèque, comme Barea Soranus l’est à Celer : les modèles sont des figures de sénateurs vertueux, et non de philosophes. Dion Cassius, lii, 36, 4. Voir en particulier Dion Cassius, lxi, 10, 2–3, part. § 2 : Τὰ ἐναντιώτατα οἷς ἐφιλοσόφει ποιῶν ἠλέγχθη, «  Il fut accusé d’agir contrairement à ses enseignements philosophiques ». Dion Cassius, lxv, 12 ; voir aussi le discours de Mucien contre les Stoïciens, Dion Cassius, lxv, 13, 1a.

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Le développement de la pensée politique romaine

a Des discours figurés ancrés dans le passé Comme c’était le cas sous Trajan, sous les Sévères aussi les réflexions les plus abouties sur la figure du bon prince ont été exprimées dans des discours figurés (eschematismenoi), qui ont la particularité d’être centrés sur des personnages historiques : il s’agit toujours d’une forme de communication symbolique, mais qui se développe désormais à partir de références au passé405. Dans la perspective de la double contextualisation entre l’époque d’Auguste et celle des Sévères, le discours de Mécène est en effet aussi un discours figuré406, qui met en scène la figure d’Octavien/Auguste comme symbole du principat. Celui-ci était considéré comme une figure de référence par tous les empereurs qui ont développé différents aspects de sa pratique du pouvoir et mis en avant leur imitatio Augusti. Il a également constitué une référence incontournable dans l’historiographie du Haut-Empire, mais de manière nuancée. Car si, pour Sénèque, Tacite et Suétone, Auguste est un bon prince, il n’est pas dépourvu de défauts et tous ses actes ne sont pas à imiter. La figure du fondateur du principat chez Dion Cassius respecte cette règle : l’exemple d’Octavien/Auguste est également ambivalent407. L’historien bithynien semble s’être inspiré globalement de l’analyse de Sénèque dans le premier traité Sur la clémence, en présentant un Octavien cruel et ambitieux pendant les guerres civiles, et un Auguste qui évolue en bon prince408. Octavien/Auguste est donc un modèle perfectible, ce qui justifie, d’un point de vue théorique, les deux grandes mises en scène du miroir au prince adressé à Auguste dans l’Histoire romaine : celle du discours de Mécène et celle des conseils de Livie au sujet de Cinna409. Le discours de Livie fait écho au premier traité sur la clémence

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L’intérêt pour le passé, et pour les synthèses, est un trait général de la culture sévérienne : H. Sidebottom, “Severan historiography”, p. 62–65. Sur le discours figuré, voir supra, c. 3. Chez Dion Cassius, voir F. G. B. Millar, Study, p. 83–102 ; B. Manuwald, Cassius Dio und Augustus, p. 8–26 ; M. Bellissime, Edition, p. 154–178. Sénèque, Cl. i, 9–11. L’intérêt de Dion Cassius pour ce type de figure politique, à la fois référentielle et perfectible, se remarque aussi dans le traitement qu’il a donné à une autre figure proche, celle de César : le discours que celui-ci a prononcé devant le Sénat en 46 av. J.-C., sans être à strictement parler un miroir au prince, développe aussi des thèmes récurrents de la réflexion politique de Dion Cassius : Dion Cassius, xliii, 15–18. Voir P. Cordier, « Dion Cassius et la nature de la « monarchie » césarienne », dans G. Lachenaud, D. Longrée (éd.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire. Représentations, récits, idéologie (colloque de Nantes et Angers, 12–15 septembre 2001), Rennes, 2003, i, p. 231–246.

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de Sénèque, qui utilise, de manière plus brève, cet épisode en exemple de la clementia principis410. Le discours figuré de Philostrate repose sur des jeux de décalages et de transpositions entre les figures historiques des empereurs et des philosophes, qui brouillent la réalité historique. Le sophiste opère un mélange entre les règnes de Néron, Vespasien, Domitien et Commode411. La relégation des philosophes hors de Rome, rapportée à Néron, s’est déroulée sous Vespasien en 71412. La confrontation d’Apollonios avec Tigellin, au livre iv, évoque celle d’Helvidius avec Vespasien, précisément dans la version d’Epictète qui nous a été transmise par Arrien : on retrouve en effet l’idée que l’empereur et le sage doivent remplir les rôles que la divinité leur a distribués ; l’un doit être terrible et l’autre sans crainte413. Le souvenir d’Epictète semble central dans les livres vii et viii qui portent sur la confrontation du sage avec l’empereur tyrannique. L’idée que la liberté du sage est inaliénable, si importante dans l’enseignement du Stoïcien, est illustrée par le prodige que réalise Apollonios, alors qu’il est emprisonné par Domitien, en ôtant sa jambe de la chaîne qui l’entrave : celui-ci rappelle l’image de la jambe ou bien du pied enchaîné, fréquemment employée par Epictète pour désigner le pouvoir tyrannique, ainsi que l’anecdote de Celse sur la jambe du philosophe cassée par son maître Epaphrodite414. Le personnage de Dion de Pruse est présenté comme un sophiste-philosophe trop tourné vers la rhétorique, comme il l’est dans les Entretiens415. Le Dion de Pruse historique a-t-il alimenté la réflexion de Philostrate sur le rôle et les possibilités d’action du philosophe adversaire de la tyrannie ? La Vie d’Apollonios ne mentionne ni son opposition à Domitien, ni même sa relégation. Dans les Vies de Sophistes, son exil est présenté, de manière curieuse, comme une sorte de « fuite », de disparition volontaire par crainte des « tyrans » 410 411 412 413 414

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Sénèque, Cl., i, 9. Pour Commode, voir la référence aux gladiateurs dans va, iv, 36, 2. va, iv, 47. va, iv, 44, 3 ; Entretiens, i, 2, 19–24, voir supra, c. 2. va, vii, 38  ; Celse, ap. Origène, Cels., vii, 53. Sur l’image de la jambe ou du pied enchaîné  :  Entretiens, i, 18, 17  ; i, 19, 8  ; i, 29, 6.  Dans va, vii, 38, à propos des limites de l’autorité du tyran, on retrouve la comparaison avec la relation entre maître et esclave qui était utilisée par Epictète pour penser la relation entre le tyran et ses sujets. Ces rapprochements suggèrent que l’idée selon laquelle la tyrannie est l’épreuve par excellence du philosophe, fondamentale dans la Vie d’Apollonios, a peut-être aussi été empruntée à Epictète, chez qui la tyrannie constitue l’un des principaux sujets de l’ascèse. Voir supra, c. 2. va, v, 40 ; voir aussi viii, 6, 1, et 21, sur l’idée de la rhétorique comme virtuosité oratoire (par opposition à la philosophie) ; Entretiens, ii, 23, 17–19.

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qui persécutaient les philosophes à Rome416. Dans la biographie d’Apollonios, le sophiste n’a qu’un rôle secondaire de personnage sympathique, allié du sage, alors même que ses discours constituent une source essentielle des développements sur le bon roi capable de maîtriser ses désirs et ses passions, par opposition au tyran, et sur le rôle et la place du philosophe auprès de l’empereur. L’avide Euphratès qui dénonce Apollonios rappelle la figure d’Egnatius Celer, qui avait trahi le vertueux Barea Soranus sous Néron et fut défendu par Démétrios au début du règne de Vespasien ; Tacite l’avait présenté comme un modèle de fausse vertu et d’amitié trompeuse, motivé par le désir d’argent417. La réécriture à laquelle se livre Philostrate a notamment pour objectif de rectifier le passé, pour que l’histoire suive une logique moralement satisfaisante : Vespasien, le bon prince, ne pouvait pas avoir été hostile à la philosophie, et la parrhèsia du Cynique Démétrios, déchargée de colère, pouvait être utile au pouvoir impérial. Si cela contribue à faire de la Vie d’Apollonios un « roman historique », il faut souligner néanmoins que Philostrate est capable d’une bonne analyse historique, qui confère une réelle valeur historique à son ouvrage : il a bien vu, en effet, que la condamnation du comportement inapproprié des philosophes à Rome était liée dans l’historiographie à la fondation de la dynastie flavienne, avec les problèmes posés par les interventions personnelles dans l’espace civique de Musonius Rufus, Helvidius Priscus et Démétrios418. Le règne de Vespasien a constitué un moment important de cadrage et de redéfinition des acteurs de la parole publique et de l’éducation, ainsi que des enjeux des principales « sciences humaines » (rhétorique, philosophie et poésie) à Rome : Tacite aussi l’a choisi comme cadre temporel de son Dialogue des orateurs, qui porte sur ces sujets. L’élaboration d’une tradition romaine de miroirs et conseils au prince Comme on l’a vu, la réflexion politique de Philostrate semble reposer essentiellement sur celle de Dion de Pruse : en particulier, Philostrate a prolongé les développements du sophiste bithynien sur la place et le rôle du philosophe b

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vs, 488. Voir G. Ventrella, « Dione di Prusa fu realmente esiliato ? », qui défend cette version. Tacite, Ann., xvi, 32, 2–3. J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p.  139. Sur les rapports de la Vie d’Apollonios avec la fiction et la réalité, voir J. A. Francis, “Truthful fiction : new questions to old answers on Philostratus’ ‘Life of Apollonius’ ”, AJPh, 119, 1998, p. 419–441 (l’auteur discute les positions antithétiques d’E. L. Bowie et de G. Anderson, Philostratus : Biography and Belles Lettres in the Third Century A. D., London, 1986, au sujet du cadre historique de la Vie).

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auprès de l’empereur. Dion de Pruse avait décliné, notamment dans ses discours Sur la royauté, les différentes fonctions du philosophe auprès du roi, y compris celles qu’il remplit selon la tradition grecque du philosophe-roi affirmant sa supériorité face au souverain  :  ainsi Diogène face à Alexandre le Grand, lors d’une rencontre à l’Isthme de Corinthe en 336 av. J.-C., qui est l’objet du second discours Sur la royauté419. Il faut souligner aussi l’influence de trois autres sources de la pensée politique romaine du début du iie siècle, Tacite, Suétone et Epictète420. La réflexion de Philostrate sur le kairos, le « moment opportun » qui doit guider l’attitude politique du philosophe, et en particulier le choix de sa mort, rappelle le reproche que Tacite formulait contre la « sagesse intempestive » de Musonius Rufus, sorti de Rome à la fin de 69 pour exhorter à la paix les troupes d’Antonius Primus, au péril de sa vie421. Dans le comportement d’Apollonios face à Domitien, aux livres vii et viii, Philostrate semble avoir tenté de concilier la défense de la liberté inaliénable du sage chez Epictète avec la condamnation du vain martyre des « sénateurs stoïciens » par Tacite422. De même que Marc Aurèle, dans ses Ecrits, avait tenté de trouver une solution à l’aporie de la confrontation entre le sage et l’empereur chez Epictète, en se plaçant du point de vue du pouvoir, Philostrate semble avoir cherché lui aussi à donner à cette confrontation une issue positive, autre que la mort du philosophe (même si le résultat nous semble peu convaincant), en se plaçant du côté du sage423. Il est dommage que nous ayons peu d’informations concernant la formation du sophiste de Lemnos, qui apparaît très complète424. Dion Cassius peut être situé dans la continuité de Sénèque et de Pline, en tant que membre du Sénat et amicus principis. Dans le discours de Mécène, Dion Cassius a, comme Pline, développé un modèle de prince vertueux, en accord avec l’idéal sénatorial de la méritocratie, et bon administrateur. Il a fait preuve du même intérêt pour les institutions, domaine dans lequel il est allé 419 420 421 422

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Voir supra, c. 3. Sur la bonne connaissance de Tacite et Suétone dont Philostrate fait preuve dans la Vie d’Apollonios, voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, part. p. 27 et 29. Tacite, Hist., iii, 81, 1–2 ; voir supra, c. 2. Tacite, Ag., 42, 6 : « Qu’ils sachent, les admirateurs habituels de la révolte, que même sous de mauvais princes il peut y avoir des grands hommes, et que la soumission et la réserve, si l’activité et l’énergie s’y ajoutent, s’élèvent au degré de gloire où beaucoup, suivant des voies abruptes, mais sans avantage pour l’Etat, ont atteint par l’éclat d’une mort tapageuse », trad. E. de Saint-Denis. Voir supra, c. 2 et 3. Entretiens, i, 2, 19–24 ; voir supra c. 2, et c. 3 sur Marc Aurèle. Le seul de ses maîtres que l’on puisse identifier avec certitude est Proclos de Naucratis qui lui enseigna la rhétorique à Athènes : vs, 602 ; voir J.-J. Flinterman, Power, Paideia and Pythagoreanism, p. 16.

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plus loin que Pline en proposant des transformations : sa réflexion est à mettre en parallèle avec celle des grands juristes de son temps sur les principales magistratures, notamment celles du consul, du préfet de la Ville et du préfet du Prétoire425. Cette réflexion sur le bon prince, étant donné l’ampleur de l’œuvre historique dans laquelle elle est insérée, a une portée incontestablement plus large que celle de Pline. Elle est en effet partie intégrante de la présentation d’un système social et politique, au sein duquel tous les membres de la société (les sénateurs, les chevaliers, l’armée, le peuple) jouent un rôle et ont une place. Il est difficile de mesurer l’influence qu’a pu avoir Dion de Pruse sur l’historien, lui aussi représentant de l’élite grecque d’Asie Mineure. Cette influence apparaît peut-être dans l’attention portée à la bonne nature du roi et à sa paideia, au fait qu’il soit bien entouré, car les deux auteurs sont sensibles au risque de corruption du bon roi par son entourage426. Inversement, l’Histoire romaine montre la possibilité de passer de la δυναστεία, régime constitué par des factions, des pouvoirs personnels multiples et rivaux, qui caractérisent la fin de la République, à la monarchie éclairée, aristocratique, en adoptant une conduite clémente comme avait entrepris de le faire César – même s’il n’a pas abouti – et comme l’a fait Auguste. Chez Dion Cassius, le tyran est défini à la fois, selon le modèle platonicien fondamental chez Dion de Pruse, par ses désirs illimités et, comme chez Sénèque, par sa conduite répressive et cruelle envers ses sujets. Le début du discours de Mécène affirme les principes politiques de la méritocratie et de l’égalité géométrique qui sont fondamentaux dans la République de Platon, mais aussi dans celle de Cicéron427. Chez ce dernier aussi, l’action exemplaire

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Papinien est l’auteur d’un livre sur les devoirs du préfet de la Ville, Ulpien, de dix livres sur les devoirs du proconsul, de trois autres sur les devoirs du consul, et il a écrit sur les devoirs du préfet de la Ville ; Paul a écrit aussi sur les devoirs du préfet de la Ville et sur ceux du préfet du prétoire : voir A. Watson (éd.), The Digest of Justinian, Philadelphia, 1998 (1985), p. lxxiii-lxxvii. Dans le premier discours Sur la royauté, 64–65, Dion de Pruse souligne l’importance de l’entourage : même si Héraclès a été doté par son père d’une nature vertueuse, il risque d’être corrompu par des exemples de luxe et de licence. Chez Dion Cassius, c’est le cas de Commode, bien instruit et élevé par son père, pas méchant naturellement, mais victime de mauvaises influences et rejetant les avis des conseillers de son père, parmi lesquels figuraient les meilleurs sénateurs (Dion Cassius, lxxiii, 1)  ; Caracalla a également été très bien éduqué, mais il se serait détourné de la culture et, surtout, n’accepterait pas les conseils (Dion Cassius lxxviii, 11, 2–3, 5). Voir au début du discours, Dion Cassius, lii, 14–15 ; 19 ; 27, 4. Selon Cicéron, Rep., i, 43 et 53, l’égalité démocratique, l’absence de degrés de dignité, constituent un manque d’équité ; sur l’influence de Cicéron dans le miroir au prince du livre lii, voir M. Bellissime, Edition, p. 204–206. Il existe un lien important entre Sénèque et Cicéron : voir en particulier M. T.

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du chef d’Etat est un moyen de gouverner en faisant respecter l’ordre et la justice428. Le rector que l’orateur appelait de ses vœux possède la même dimension d’homme providentiel, père et sauveur de la République, que le bon chef de Dion Cassius429. Celui-ci a fait aussi référence au modèle du roi-philosophe, présent chez Sénèque, mais sa méfiance à l’égard des philosophes l’a conduit à présenter Marc Aurèle, qui incarne le prince idéal, non pas comme un philosophe, mais comme le produit d’une éducation à la fois rhétorique et philosophique, ce qui fut d’ailleurs le cas. Sauf la divergence essentielle sur le rôle du philosophe auprès de l’empereur, l’influence de Sénèque est de loin la plus évidente : Dion Cassius a en effet lu et médité le miroir au prince du sénateur-philosophe sur la clémence, et cette vertu lui paraît représenter un choix politique pertinent, aussi bien sur le plan philosophique que sur un plan réaliste, pour réduire les oppositions et les tentatives de complot430. Elle semble constituer la seule alternative valable face au recours à la force militaire, qui caractérisait selon l’historien les règnes de Septime Sévère et de Caracalla431. De Sénèque, on retrouve l’idée que le bon prince est celui qui ne nuit pas, qu’il ne doit pas s’abandonner à la colère432 ; qu’une politique de bienfaits lui permet de se faire aimer de ses sujets, si bien qu’il est en sécurité, comme le souligne Livie dans son discours sur la clémence d’Auguste, et, pour finir, qu’il a une vie heureuse433. Outre les traités Sur la clémence, Dion Cassius avait peut-être aussi lu celui Sur les bienfaits. Il connaissait la Consolation à Polybe, qui opposait déjà la clémence du bon prince (Claude)

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Griffin, “Philosophie for Statesmen” ; ead., Seneca on Society, p. 7–14. Voir sha, Alex. Seu. 30, 1–2 : Sévère Alexandre, le prince idéal, étudiait la République de Platon, les Devoirs et la République de Cicéron. Cicéron, Rep., i, 34, 52. Cicéron, Rep., ii, 29, 47–48, 51, 67, 69 ; Dion Cassius, lii, 39, 3. C’est l’idée défendue par Livie devant Auguste (Dion Cassius, lv, 14–22). Dion Cassius a une vision relativement pessimiste vis-à-vis de ces complots, exposée dans les miroirs au prince de Livie et de Mécène, qui n’apparaît pas dans les traités Sur la clémence de Sénèque. Selon l’historien, il est inévitable, car propre à la nature humaine, que les meilleurs par leur richesse, leurs compétences militaires, etc., désirent accaparer le commandement. Voir Platon, R., ix, 571 c-572 b, sur la présence des désirs sauvages, tyranniques, chez tous les hommes. Dion Cassius, lxxv, 2, 2 ; lxxviii, 20, 2. Voir Sénèque, Cl., i, 5 ; 19, 1 et 4–5 ; sur la colère : Cl., i, 1, 5, 7, 11, 17, 19. Dion Cassius, lii, 31, 9–10, 34 ; lxxiii, 35, 3 : l’historien insiste sur l’idée que Marc Aurèle était aimé de tous (lxxiii, 35, 3). Sénèque, Cl., i, 1 et 26, 5, a également souligné le plaisir et le bonheur du roi sage, alors que selon Epictète le bonheur du roi est impossible : Entretiens, ii, 22, 22–23 ; ii, 24, 21–23 ; iii, 22, 30–36. La mort de Julia Domna est matière à réflexions sur le bonheur des puissants chez Dion Cassius, lxxix, 24, peut-être en rapport avec le titre de Pia Felix que Caracalla avait accordé à sa mère.

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à la cruauté du tyran (Caligula)434, et l’Apocoloquintose qui montre l’échec de la divinisation de Claude en raison de sa cruauté435. Le miroir au prince de Mécène apparaît donc comme une synthèse personnelle, qui contient des échos aux Res Gestae et qui est nourrie par des miroirs au prince romains ayant visiblement inspiré à Dion Cassius sa propre pensée politique. Or, il semble que celui-ci a construit sa réflexion à partir d’une culture politique littéraire largement partagée par ses pairs. En effet, la référence essentielle à la clémence de Sénèque est probablement une réaction au discours prononcé par Septime Sévère devant le Sénat en 197, à l’issue des guerres civiles, dans lequel l’empereur condamnait la clementia principis d’un César ou d’un Pompée436. A propos de cet épisode, Aurélius Victor fait également allusion à la clémence attendue par les « hommes de bien » (les boni), en opposition à la répression impitoyable dont Septime Sévère fit preuve envers les partisans de Clodius Albinus437. Les divergences entre le Livre des Césars d’Aurélius Victor et l’Histoire romaine ont été soulignées : les éditeurs pensent généralement qu’Aurélius Victor a suivi d’autres sources (peut-être les Vies de Césars du sénateur Marius Maximus, contemporain de Dion Cassius, ou bien la Kaisergeschichte d’A. Enman438), ce qui suggère que l’interprétation de l’historien bithynien, inscrivant la conduite de Septime Sévère dans le débat entre clémence et pardon, cruauté et châtiment, était partagée par ses contemporains. Quand Dion Cassius condamne les actes de

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Dion Cassius, lxi, 10, 2 ; voir Sénèque, Consolation à Polybe, 13, 2, et plus largement 12, 3–17, 3 pour un portrait du bon prince indulgent et doux. Ce traité avait été adressé par le philosophe, alors exilé en Corse par Claude (entre 41 et 49), à l’affranchi a libellis Polybe, qui avait perdu son jeune frère en 43. Dion Cassius, lx, 35, 3. Dion Cassius, lxxv, 8, 1–3. Voir supra. Aurélius Victor, De Caesaribus, 20, 12–13 : « Rien n’est plus cruel (durius) pour des gens de bien que cette manière de parler et d’agir ; car les gens honnêtes (boni) rejettent sur la fortune la responsabilité des oppositions de ce genre, si ardentes qu’elles aient pu être à leur début, et, s’ils tolèrent une altération de la vérité, c’est plutôt quand il s’agit de protéger les citoyens que pour les perdre. Mais ce prince, désireux de faire disparaître les factions pour agir ensuite avec plus de douceur (mitius), préféra se venger (ulcisci) d’un acte imposé par la nécessité, de peur que l’espoir d’un pardon (spe ueniae) n’entraînât peu à peu la ruine de l’Etat, en suscitant des conjurations auxquelles, par un vice des temps, il voyait les esprits fort enclins », trad. P. Dufraigne, légèrement modifiée. P. Dufraigne (éd.), Aurelius Victor, livre des Césars, cuf, Paris, 1975, p. xxv–xxxv ; H. W. Bird, Liber de Caesaribus of Sextus Aurelius Victor, trans. with an introduction and commentary by H. W. Bird, Liverpool, 1994, p. xii-xiii ; K. Gross-Albenhausen, M. Fuhrmann (éd.), S. Aurelius Victor, die Römischen Kaiser, Liber de Caesaribus, Zürich, Dusseldorf, 1997, p. 157–159.

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l’empereur, il se montre en représentant de l’ensemble des sénateurs439, et il est fort possible qu’il s’agisse d’une conception largement partagée, fondée sur une éducation et des références culturelles communes. Ceci expliquerait aussi pourquoi l’historien affirme que Caracalla, parvenu au pouvoir, avait rejeté sa paideia440. Il en va de même pour les conseils sur le gouvernement donnés par Philostrate  :  son usage des topoi va dans le même sens et incite à penser qu’il présente des idées partagées par un grand nombre de ses contemporains, issus, comme lui, du milieu des notables cultivés des cités grecques. On peut voir dans cette position une différence notable par rapport à Pline le Jeune et Dion de Pruse, un peu plus d’un siècle plus tôt : rien ne permet d’affirmer, en effet, qu’ils s’exprimaient l’un et l’autre comme des représentants de leurs milieux socio-culturels ou, par exemple, que Pline transmettait « l’idéologie sénatoriale ». Au iiie siècle, en revanche, on voit apparaître une véritable tradition des conseils et des miroirs au prince, que l’on peut qualifier de gréco-romaine, puisque Dion Cassius et Philostrate ont lu et se sont inspirés des auteurs latins qui avaient réfléchi sur la figure impériale441. Cette tradition se reflète de manière très intéressante sous le règne de Sévère Alexandre dans les textes législatifs en grec, qui étaient probablement rédigés sous la dictée d’un conseiller selon 439

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Dion Cassius, lxxv, 2, 2 : Καὶ πολλὰ µὲν ἡµῖν οὐ καταθύµια ἔπραττεν, « Et il commit beaucoup d’actes qui nous déplurent » ; le principal reproche étant, § 3, que l’empereur avait « placé l’espoir de son salut non dans la bienveillance (eunoia) de ceux qui l’entouraient, mais dans la force (ischus) des soldats ». Dion Cassius, lxxvii, 11, 2–3. Selon J. Candau, « ‹ Invention › et intention de la tradition : un point de vue naturaliste », dans D. Dimitrijevic (éd.), Fabrication de traditions, invention de modernité, Paris, 2004, p. 297–312, part. p. 299, des pratiques, actes et énoncés partagés peuvent être appelés traditionnels s’ils satisfont aux six conditions suivantes : 1) ils sont intentionnels (« orientés » vers le monde extérieur) et renvoient à un rapport entre des attitudes psychologiques et un contexte singulier ; 2) ils sont mémorisés ; 3) ils sont diffusés, transmis par des individus et reçus par d’autres ; 4) la reproduction est générative (elle donne lieu à une réitération) ; 5) la tradition doit relever d’une « invention » vécue, et non être décrétée artificiellement (à l’exemple des autorités de Nice qui ont recréé des fêtes « traditionnelles » pour les touristes) ; 6) elle concerne un nombre significatif d’individus. On peut considérer que la tradition de pensée politique romaine mise en évidence ici répond à tous les points, le sixième étant bien entendu à relativiser proportionnellement au nombre réduit des sources antiques. O. Morin, Comment les traditions naissent et meurent. La transmission culturelle, Paris, 2011, p. 10–11, donne une définition plus large qui insiste sur les points 3) et 6) : « Une idée ou un comportement sont traditionnels à deux conditions : ils doivent être transmis d’individus à individus (plutôt qu’inventés indépendamment) et ils doivent être largement distribués dans l’espace ou dans le temps ».

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J.-P. Coriat442. L’édit coronaire contenu dans le papyrus P. Fayoum 20 a beaucoup de points communs avec le miroir au prince de Dion Cassius, qui sont non seulement relatifs à la politique fiscale du prince, mais aussi aux grandes vertus sous-tendant cette politique et mises en avant dans le texte : l’accent est placé sur la philanthropie (prise au sens d’indulgentia principis, qui désigne notamment la « largesse, bienveillance du prince » dans le domaine fiscal) et les bienfaits de l’empereur qui permettent d’ « accroître » l’Empire, mais aussi et surtout sur sa tempérance, sa modération et sa maîtrise de soi443. Dans la lettre aux Grecs de Bithynie dans laquelle Sévère Alexandre rappelle l’interdiction au gouverneur de faire obstruction à la saisine du prince, qui « attache autant d’importance à la liberté de ses sujets qu’à leur bonne volonté (eunoia) et à leur obéissance », on retrouve l’association entre liberté et obsequium qui est apparue dans la réflexion politique de la fin du ier/début du iie siècle chez Pline le Jeune et Tacite444. L’apparition de ces vertus ou de ces idées politiques dans le discours officiel peut expliquer pourquoi Sévère Alexandre a été perçu comme le nouveau prince idéal, celui dont le comportement répondait aux attentes des élites gréco-romaines de son temps. Dion Cassius et Philostrate, en revanche, ont exprimé ou laissé deviner le décalage entre leurs attentes et le comportement de princes réels. En même temps qu’ils témoignent de l’établissement d’une tradition de pensée politique romaine, leurs discours ont un caractère moins actuel, moins bien adapté aux pouvoirs en place que ceux de leurs prédécesseurs du début du iie siècle. Ils sont empreints d’un idéalisme qui se tourne vers le passé historique, vers

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J.-P. Coriat, Le prince législateur, p. 588. Voir supra sur la politique financière ; P. Fay. 20, l. 16 sur la philanthropie et les bienfaits par lesquels l’Empire est « augmenté », συναυξῆσαι τὴν ἀρχήν, l. 14 et 21 sur la σωφροσύνη, la κοσµιότης et l’ἐνκρατία avec lesquelles l’empereur « administre la royauté », τῆς βασιλίας διοικοῦντα. Au iiie siècle la philanthrôpia se rapproche souvent de l’indulgentia principis ; sans perdre son sens de vertu du prince, elle prend un sens plus technique et juridique, en étant liée à une mesure législative (mesure de grâce, décret d’amnistie ou rémission de dettes). On peut y voir une survivance du terme hellénistique philanthrôpon, qui relève au sens technique du vocabulaire fiscal  :  voir M.-Th. Lenger, «  La notion de “bienfait” (philanthrôpon) royal et les ordonnances des rois lagides », dans Studi in onore di Vincenzo Arangio-Ruiz, i, Napoli, 1952, p. 483–499. Voir J. Gaudemet, « Indulgentia principis », dans Conferenze romanistiche, vi, Milano, 1962, p. 1–37, part. p. 12–15 ; L. Pietanza, Indulgentia : virtù e strumento amministrativo del princeps, Bari, 2010, p. 63–76, 112–114, sur les rapports entre philanthrôpia et indulgentia. Dig., xlix, 5, 5, 3, voir supra. Le terme obsequium est aussi employé dans l’édit de Banasa, dans lequel la remise des arriérés fiscaux apparaît comme un effet de l’indulgentia de Caracalla (iam, 2, 100, l. 11 et 18), qui a pour contrepartie l’obsequium et la fides des provinciaux ; voir M. Corbier, Donner à voir, p. 205–208.

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l’écriture et la réécriture de l’histoire, ce qui confirme l’idée que la tradition se construit au présent, qu’elle est une « rétro-projection » ou bien un procès de reconnaissance en paternité au cours duquel les « fils » reconnaissent leurs « pères »445, à savoir, dans notre cas, les discours, les figures du pouvoir, les comportements, vertus, idées politiques qui leur plaisent. Un facteur expliquant la construction de cette tradition réside dans le changement des techniques de gouvernement durant la période qui s’étend des règnes de Commode à Caracalla, auquel les élites grecques et romaines de l’Empire (et il semble qu’à cette époque on puisse parler d’élites gréco-romaines) ont réagi en mettant en avant les valeurs du passé, en revendiquant un modèle politique apprécié, celui de Marc Aurèle : c’est ce que G. Balandier appelle la « fonction sécurisante » de la tradition446. Une conséquence de cette rétro-projection est qu’on ne peut plus identifier exactement le prince auquel étaient destinés les conseils (si du moins il s’agissait d’un prince précis), ce qu’il était possible de faire dans les miroirs au prince de Sénèque, Pline et Dion de Pruse. Ainsi s’accentue la distance entre le personnage historique, avec son identité précise, et la persona du prince, c’est-à-dire son rôle et sa figure. La constitution de cette tradition littéraire nous échappe en partie, mais on peut tenter de l’expliquer à partir des outils d’analyse, empruntés à l’anthropologie et à la psychologie cognitive, utilisés par O. Morin pour étudier l’essor ou l’échec des traditions. Selon lui, le succès d’une tradition, qu’elle désigne des idées ou bien des comportements, repose essentiellement sur deux éléments, l’accessibilité des individus qui la portent et son attrait. Le premier désigne la capacité des individus, dans une société donnée, à faire circuler les données de la tradition. Il est lié aux réseaux sociaux des individus, ou bien organisé par des institutions (ainsi, pour l’Empire romain, les bibliothèques et les écoles, avec les chaires municipales et impériales). Le second comprend différents types d’attraits, locaux, généraux, cognitifs (qui correspondent à nos capacités de traitement) et « motivationnels » (quand la tradition rencontre des émotions ou des mécanismes de décision qui nous poussent à la reproduire)447 : ainsi, dans notre cas, les propositions faites par Sénèque, Pline, Dion de Pruse et Tacite étaient susceptibles de plaire à l’élite cultivée, car elles cherchaient à

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G. Lenclud, « La tradition n’est plus ce qu’elle était … Sur les notions de tradition et de société traditionnelle en ethnologie », Terrain, 9, 1987, p. 110–123 : http ://terrain.revues. org/3195, § 32. G. Balandier, « Tradition et continuité », Cahiers internationaux de sociologie, 44, 1968, p. 1–12. O. Morin, Comment les traditions naissent et meurent, p. 156–159.

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garantir sa sécurité et lui conféraient une place importante à côté de l’empereur (ce qui est moins vrai pour le premier traité Sur la clémence). Sénèque, Dion de Pruse, Pline et Epictète s’inséraient tous dans de vastes réseaux sociaux constitués, selon les cas, de clients, de patrons, d’amis ou de disciples. Les membres de ces réseaux ont fait circuler leurs leçons ou discours, notamment sous forme écrite, ce qui permettait de les stocker. Arrien a publié ses notes des cours d’Epictète, Q. Junius Rusticus a permis à Marc Aurèle de découvrir l’enseignement d’Epictète448, Dion de Pruse évoque aussi la circulation de ses discours – peut-être à partir de notes prises par ses auditeurs – qui lui échappe449. Il est possible que des admirateurs de Sénèque aient publié après sa mort ses traités sur la Clémence, car le caractère inachevé du second traité suggère une publication posthume ; l’Octavie témoigne d’une tentative de réhabilitation du philosophe qui avait été l’ami d’un tyran. Ainsi se sont construits des figures d’autorité, mais aussi des écrits qui faisaient autorité, avec la possibilité de dissocier les auteurs et leurs textes, qui apparaît à la fois pour Sénèque chez Dion Cassius et pour Dion de Pruse chez Philostrate, et qui constitue sans aucun doute un phénomène intéressant dans le monde antique, où l’on associait habituellement de manière étroite l’auteur et son œuvre450. La dissociation a certainement été facilitée, ici, par le préjugé courant contre les philosophes hypocrites, dont le comportement trahissait la doctrine451. L’influence importante de Sénèque peut s’expliquer aussi par la grande réputation qu’il avait déjà de son vivant, avant de devenir le conseiller de l’empereur Néron, et par le caractère à la fois rhétorique et philosophique de son succès : à la fin du ier siècle, Quintilien le fait entrer (non sans critiques) dans son Institution oratoire destinée aux étudiants de rhétorique, notamment à ceux qui étudiaient l’éloquence du barreau452. La constitution d’une tradition gréco-romaine a aussi été facilitée par un meilleur apprentissage du latin par l’élite grecque susceptible de faire une carrière au Sénat ou de fréquenter la cour impériale.

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Marc Aurèle, i, 7, 8. Dion de Pruse, Or. xlii, 4–5. On le voit dans les vies des grands poètes grecs, reconstituées à l’époque hellénistique ou sous le Haut-Empire d’après leur œuvre. Chez Dion de Pruse, Or. xviii, 17, la valeur des traités de Xénophon pour l’entraînement à l’éloquence politique repose sur son expérience personnelle de la vie politique et militaire. Pour ce préjugé, voir Juvénal, 2, 1–7 ; Entretiens, ii, 19 ; iv, 8, 15 ; Philostrate, va, ii, 29, 2. Voir en particulier Quintilien, x, 1, 125–131, qui témoigne de l’engouement de la jeunesse pour l’œuvre de Sénèque à la fin du ier siècle. Sénèque est présenté à la fois comme un auteur de grande valeur littéraire et comme un moraliste, utile contre les vices.

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Parmi les attraits, le caractère syncrétique ou médiateur des propositions politiques retenues explique sans doute leur succès : Sénèque a cherché à concilier la royauté grecque et la clémence romaine, Dion de Pruse a construit ses discours Sur la royauté autour d’images et de modèles (Héraclès/Hercule, Zeus/ Jupiter, Alexandre le Grand, Diogène) qui avaient un sens fort aussi bien pour les habitants du monde romain de son époque que dans la tradition de pensée politique grecque, et Pline a élaboré un langage médiateur, des perspectives de collaboration ou de cohabitation entre les sénateurs et l’empereur. Il faut ajouter à cet élément la conjonction partielle, assez rare sous le Haut-Empire, mais bien présente au début du règne de Trajan, entre le discours de l’empereur, celui du sénateur Pline et celui du sophiste Dion de Pruse. L’équation entre les règnes des Antonins (jusqu’à Commode) et l’âge d’or a aussi joué un rôle important dans la constitution de cette tradition des miroirs au prince : les bons empereurs antonins, Trajan, Antonin le Pieux, Marc Aurèle représentent en effet de nouveaux « pères fondateurs », qui ont fixé l’image idéale du prince. Depuis Auguste, aucun modèle politique aussi fort n’avait émergé. Ce renouveau des modèles est dû, notamment, au travail réalisé par Trajan sur son image publique, à laquelle ont contribué Pline et Dion de Pruse, puis au travail sur soi-même accompli par Marc Aurèle pour reprendre le modèle d’Antonin et le faire ainsi perdurer, aux pratiques de consecratio et de piété ostentatoire envers l’empereur précédent, qui ont joué un rôle dans la stabilisation de la figure du princeps, à la floraison des éloges au prince au iie siècle. Cette tradition romaine des miroirs au prince fonctionne en reprenant des modèles identiques, mais qui évoluent naturellement : ainsi les « martyrs stoïciens  » ne sont plus des références positives, et en particulier Helvidius Priscus l’Ancien, devenu une figure plutôt négative alors qu’elle était positive au début du iie siècle chez Pline le Jeune, chez Tacite et dans les Ecrits de Marc Aurèle453. Il est possible que le jugement globalement négatif porté par Tacite sur les philosophes, et l’opposition dans la Vie d’Agricola entre le vain sacrifice des « sénateurs stoïciens » et le modèle productif du bon serviteur de l’Etat, qui pratique l’obsequium, ait porté ses fruits454. Et surtout, les rapports plus distants que Septime Sévère et Caracalla entretenaient avec le Sénat, et sans doute aussi avec les philosophes et les intellectuels, ne permettaient plus de considérer les « martyrs stoïciens » comme des modèles que les sénateurs ou bien les philosophes pouvaient imiter, alors que, sous les Antonins, ils incarnaient les notions positives de liberté et de démocratie. 453 454

Voir supra, c. 3 et 4. Tacite, Ag., 42, 6.

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Les vertus de l’empereur dans la tradition épidictique grecque : l’émergence d’une sacralité (fin du iie – fin du iiie siècle) Ὁ δὲ οὕτως ἐξηγεῖται καὶ διέπει τὸ τῆς ἀρχῆς ὅνπερ χρὴ τρόπον, τὴν εὐσέβειαν µὲν καὶ δικαιοσύνην, ἔτι δὲ σωφροσύνην καὶ ἐγκράτειαν καὶ φρόνησιν καὶ τὴν ἄλλην κόσµου γε ἀρετήν. «  Il guide et dirige la marche de l’Empire comme doit le faire celui qui est l’ornement de la piété et de la justice, et encore de la tempérance, de la maîtrise de soi, de l’intelligence et du reste de la vertu ». Ps.- Aelius Aristide, « En l’honneur d’un roi », 15, trad. L. Pernot, légèrement modifiée

∵ L’éloge rhétorique est une voie importante par laquelle s’est dessinée et diffusée la figure du bon empereur. Comme on l’a vu, l’éloge grec de l’empereur s’est développé plus particulièrement à partir du règne du philhellène Hadrien1. D’un point de vue chronologique, la floraison des éloges accompagne ainsi, aux iie et iiie siècles, la constitution de la figure du bon prince, et elle a certainement contribué à la réputation d’âge d’or qu’a laissée la dynastie antonine. La tradition épidictique ne doit pas être dissociée strictement des miroirs au prince que l’on a étudiés, avec lesquels les éloges rhétoriques ont beaucoup de points communs : ces discours ont recours à un vocabulaire similaire, aux mêmes grandes vertus philosophiques, à des normes communes. Mais leur objectif principal n’est pas identique, ce qui justifie le fait de les distinguer sur un plan épistémologique. Dans une perspective historique, il existe en effet des problèmes spécifiques posés par la nature même de l’éloge : l’objectif premier de l’orateur n’est pas d’atteindre la « vérité historique », mais de plaire

1 Voir supra, c. 3.

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_008

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au destinataire du discours2. Les problèmes de datation ne proviennent pas seulement des grandes topiques (toujours adaptables) qui structurent l’éloge, mais aussi et surtout des écarts assumés avec le personnage bien réel qui était loué. La rhétorique, la Seconde Sophistique et plus largement la culture littéraire grecque, ne sont pas des domaines où l’on peut, au iiie siècle, appliquer la notion discutée de « crise »3. Les discours d’éloge au prince continuaient d’être répandus dans l’Orient grec, lors d’occasions variées : dans le second traité épidictique attribué à Ménandre de Laodicée et daté probablement de la fin du iiie siècle, l’éloge du prince est requis lors des fêtes liées à la domus diuina (naissance, anniversaire, décès) et des visites impériales, de l’accueil ou du passage des gouverneurs, parce que ceux-ci étaient les représentants du pouvoir et les principaux intermédiaires entre celui-ci et les cités et que le choix d’un bon gouverneur témoignait des qualités de l’empereur, et enfin lors des ambassades, par exemple celles qui demandaient de l’aide pour une cité qui avait souffert des ravages d’un séisme ou de la guerre, et celles qui venaient offrir l’or coronaire, dû à l’empereur notamment après son accession au pouvoir4. A côté du basilikos logos [i], les principaux types de discours contenant un éloge de l’empereur chez Ménandre ii sont l’epibatèrios [iii] (discours d’arrivée, notamment adressé à un gouverneur qui vient séjourner dans la cité), le prosphonetikos [x] (adresse élogieuse, destinée entre autres aux gouverneurs, qui inclut toutes les topiques de l’éloge, mais non développées) ; le stephanôtikos [xii] (discours qui accompagne la remise de l’or coronaire) ; le presbeutikos [xiii] (discours d’ambassade). L’éloge est donc une célébration du pouvoir impérial exprimée lors d’un moment particulier où se noue, en présence le plus souvent de l’empereur ou de ses représentants, la relation socio-politique entre le 2 Voir le plaidoyer de Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, sur la nécessité de sortir de l’histoire encomiastique. 3 F. G. B. Millar, “P. Herennius Dexippus : the Greek World and the third-century invasions”, jrs, 59, 1969, p. 12–29 ; F. Romano, Porfirio di Tiro : filosofia e cultura nel iii secolo d. C., Catania, 1979 ; M. Heath, “Rhetoric in mid-antiquity”, dans T. P. Wiseman (éd.), Classics in Progress : Essays on Ancient Greece and Rome, Oxford, 2002, p. 419–439 ; M. Heath, Menander. A Rhetor in Context, Oxford, 2004, p. 52–89 ; S. Swain, S. Harrison, J. Elsner (éd.), Severan culture, p. 29–113, 470–488. 4 Sur la livraison de l’or coronaire, voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, Paris, 1955, p. 153 n. 10 ; C. Ando, Imperial Ideology and Provincial Loyalty, p. 175–190. Sur les cérémonies d’entrées du prince et du gouverneur dans les cités d’Orient, voir E.  PerrinSaminadayar, «  La préparation des entrées royales et impériales dans les cités de l’Orient hellénophone, d’Alexandre le Grand aux Sévères », dans A. Bérenger, E. Perrin-Saminadayar (éd.), Les entrées royales et impériales, p. 67–90 ; A. Bérenger, « L’aduentus des gouverneurs de province », ibid., p. 123–138.

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dirigeant et ses sujets. Il est plus ou moins (selon les circonstances de la prononciation) lié au culte impérial et possède une dimension rituelle, qui passe par la codification rhétorique. Il constitue un élément de cérémonies particulières, et celle de l’accueil du souverain dans la cité est bien connue : elle est constituée par les acclamations du peuple, le geste d’aduentus de l’empereur avec le bras droit levé, le sacrifice dans le sanctuaire principal de la ville, les spectacles qui permettaient de réunir le peuple et son souverain. Pour l’entrée du gouverneur dans les cités grecques, c’est, semble-t-il, après que les habitants l’avaient accueilli et avaient manifesté leur joie par des acclamations, que le discours d’éloge était prononcé par un rhéteur5. On possède, pour le milieu et la seconde moitié du iiie siècle, quelques attestations d’éloges destinés aux empereurs. Callinicos de Pétra, sophiste réputé à Athènes, dont l’activité est située dans la seconde moitié du iiie siècle et en particulier dans le troisième quart de ce siècle, avait composé, outre deux discours (qui n’en formaient peut-être qu’un) En l’honneur des traditions de Rome et Sur la rénovation de Rome6, une adresse à Gallien et un « grand discours royal (basilikos) », qui est donné comme modèle par Ménandre ii et qui était destiné à un empereur d’origine humble, comme Aurélien ou Probus, ou d’autres peut-être7  :  il est d’une part difficile de se faire une idée précise de l’origine de certains empereurs du iiie siècle, et l’on peut se demander, d’autre part, quels étaient les critères précis qui déterminaient désormais l’humilité ou non de la naissance. Le philosophe et rhéteur Cassius Longin (213–273), qui fut le professeur de Porphyre puis, à partir de 267, de Zénobie, est l’auteur d’un Odainathos, biographie élogieuse ou éloge rédigé probablement à la demande de la reine après la mort de son époux Odénath en 267. Le Corpus Hermeticum inclut un discours épidictique inachevé portant sur des empereurs qui ne sont 5 J. Lehnen, Adventus Principis. Untersuchungen zu Sinngehalt und Zeremoniell der Kaiserankunft in den Städten des Imperium Romanum, Frankfurt am Main, 1997, p. 105–196 sur le déroulement de l’entrée impériale ; S. Benoist, Rome, le prince et la cité, p. 61–101. Pour l’accueil du gouverneur : Ménandre ii, 381, 6–23 ; A. Bérenger, « L’aduentus des gouverneurs de province », p. 130–133. 6 Le thème de la renouatio de Rome est fortement lié au Millénaire de l’Urbs, célébré en grande pompe par Philippe l’Arabe en 248, et plus généralement à chaque rétablissement de la puissance romaine, en relation avec les thèmes de la paix et de l’âge d’or : ainsi sous Gallien lors de son septième consulat de 266, comme sous Aurélien à partir de 274–275 ; voir M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, 192–325 apr. J.-C., Paris, 2006 (1997), p. 171. 7 Ménandre ii, 370, 14. L. Pernot, « Callinicos de Pétra, sophiste et historien », reg, 123, 2010, p. 71–90, a rassemblé tous les témoignages que nous possédons sur Callinicos (part. p. 81–82, sur les discours épidictiques dont on a conservé la mention ; p. 83–84, Callinicos fut également l’auteur d’une histoire d’Alexandrie en dix livres, probablement destinée à Zénobie identifiée à Cléopâtre).

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pas nommés, sans doute Dioclétien et ses collègues. On a conservé, enfin, dans le corpus d’Aelius Aristide, un « discours au roi » (basilikos logos), intitulé « En l’honneur d’un roi », Εἰς βασιλέα, qui est en fait l’œuvre d’un auteur anonyme pour un empereur dont le nom n’apparaît pas, mais qui a été le plus souvent identifié avec Philippe l’Arabe (244–249) 8. La floraison des éloges depuis Hadrien a donné lieu à des théorisations dont nous avons conservé deux exemples, le premier à la fin du iie siècle, dans l’Onomastikon de Julius Pollux de Naucratis, et le second à la fin du iiie siècle dans le second traité épidictique attribué à Ménandre. Ces théorisations sont précieuses, parce qu’elles sont le résultat d’une conceptualisation de la figure du prince, qui tend à une certaine généralité, dans une visée didactique : l’Onomastikon, ouvrage de lexicographie grecque en dix volumes, fut dédié au jeune Commode du vivant de son père, c’est-à-dire avant le 17 mars 180 ; le second traité attribué à Ménandre a été écrit à Athènes pour un élève qui venait d’Alexandria de Troade, et il était donc destiné, par devers celui-ci, à des étudiants avancés dans l’art de la rhétorique, qui se destinaient probablement à une carrière de rhéteur ou bien de sophiste9. Ce type d’ouvrage ne reflète pas la performance virtuose d’un intellectuel que son talent élèverait hors du commun, mais il renvoie à un savoir qui était, au iiie siècle, plus ou moins maîtrisé par les élites aristocratiques qui étudiaient la rhétorique pour préparer leurs carrières judiciaires ou politiques, mais ne se spécialisaient peut-être pas dans sa partie épidictique (celle de l’éloge). Ce savoir était plus largement familier aux habitants des cités, qui avaient de fréquentes occasions d’écouter l’éloge du prince, lequel était une partie intégrante de l’éloge du gouverneur. Dans la même perspective, l’auteur anonyme de l’Eis basilea a été qualifié par L. Pernot de « tâcheron » : même si son discours est plutôt réussi, il l’est comme l’œuvre d’un bon élève ayant appliqué avec succès les règles communes10. Il s’agit par conséquent d’analyser la théorie rhétorique et l’Eis basilea pour

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Voir Libanios, Ep., 1078, sur Cassius Longin ; Corp. Herm. xviii ; L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 77. L’Eis basilea du Pseudo-Aelius Aristide a été traduit et commenté en français par L. Pernot, Eloges grecs de Rome. Pollux, i, 1–2 Bethe ; Ménandre ii, 455, 1. L. Pernot, « Callinicos de Pétra », p. 75 n. 15, a souligné l’insistance avec laquelle le traité ii évoquait Athènes, qui suggère que son auteur a pu être professeur dans cette cité (voir Ménandre ii, 392, 15 ; 393, 32 ; 396, 26 ; 426, 5 ; 431, 10–15). L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p.  6  ; pour autant, L.  Pernot, Rhétorique de l’éloge, p. 262–264, n’émet pas un jugement défavorable sur le discours, au regard des règles de l’éloge théorisées par Ménandre. M. Heath, Menander, p. xvi-xvii, plaide en faveur d’un recentrement de l’intérêt des chercheurs pour la culture rhétorique plutôt que pour le phénomène de la Seconde Sophistique.

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examiner la figure du bon prince qui se dégage des topiques et des règles de la rhétorique de l’éloge au iiie siècle. 1

Réflexions théoriques

a Pollux et l’image du bon roi L’Onomastikon de Pollux se présente comme un dictionnaire de synonymes ou de notions, classés en listes par champs sémantiques. En dépit de la dimension technique de l’ouvrage, on peut qualifier ces listes de « poétiques », au sens où l’entendait U. Eco : elles créent pour l’historien de l’Antiquité des énumérations suggestives, à partir desquelles il est possible de reconstruire un univers de représentations et de pratiques sociales11. On ne possède de l’Onomastikon qu’une version éditée ultérieurement, et donc remaniée par rapport à l’original. Mis à part ce bémol, le vocabulaire de l’éloge du roi sélectionné par Pollux est très intéressant, car ce choix est à l’origine l’œuvre d’un spécialiste de l’éloge aux princes, à plusieurs titres : à la fois professeur de rhétorique et sophiste, élève du prestigieux Hadrien de Tyr, Pollux de Naucratis a fréquenté la cour impériale et la dédicace de l’Onomastikon affirme son désir de contribuer à l’éducation rhétorique du jeune Commode. Il composa pour le mariage de celui-ci avec Bruttia Crispina en 177 un éloge intitulé Epithalame pour Commode César, et fut aussi l’auteur d’un Discours romain, sans doute un éloge de Rome comme le fameux En l’honneur de Rome d’Aelius Aristide. Il sut plaire assez à Commode pour obtenir de lui la chaire impériale d’Athènes, où il succèda peut-être à son maître Hadrien de Tyr qui reçut, vers 180, la chaire impériale de Rome12. Il mourut, âgé de 58 ans, sous le règne de cet empereur13. On peut encore ajouter que Pollux fut le maître du brillant Antipater de Hiérapolis, qui devint le professeur de Caracalla et de Géta, et

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U. Ecco, Vertigine della lista, Milano, 2009, p. 370–393. Sur la liste comme « technologie de l’intellect » qui structure la pensée et l’organisation sociale, voir J. Goody, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, trad. C. Maniez, Paris, 2007, p. 210–211. I. Avotins, “The Holders of the Chairs of Rhetoric at Athens”, HSPh, 79, 1975, p. 313–324, date l’obtention de la chaire impériale de Rome par Hadrien en 180 ; S. Swain, “The Promotion of Hadrian of Tyre and the Death of Herodes Atticus”, CPh, 85, 1990, p. 214–216, argumente en faveur de 178. On manque d’éléments décisifs pour trancher. Voir supra, c. 4 ; Souda P 1951 ; Philostrate, vs, 592–593 ; E. Bethe, s.v. « I. Pollux », re, x, coll. 773–779 ; T. Renzo, s.v. « I. Pollux [iv 17] », New Pauly Online ; C. Bearzot, F. Landucci, G.  Zecchini (éd.), L’Onomasticon di Giulio Polluce. Tra lessicografia e antiquaria, Milano, 2007 ; G. Zecchini, « Polluce e la politica culturale di Commodo », ibid., p. 17–26 ; C. Mauduit (éd.), L’Onomasticon de Pollux.

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occupa une place et des fonctions importantes à la cour de Septime Sévère : de même qu’il y avait des dynasties impériales, il y eut ainsi une dynastie de « professeurs  » de rhétorique des princes (Hadrien de Tyr ayant été l’élève favori d’Hérode Atticus qui avait enseigné la rhétorique grecque à Marc Aurèle), et le lien de filiation que Septime Sévère créa avec Commode et Marc Aurèle fut aussi élaboré dans le domaine de la paideia14. Le vocabulaire de l’éloge et du blâme La liste des termes utilisés pour faire l’éloge du bon roi apparaît au début de l’Onomastikon, au livre i, immédiatement après les listes des mots employés pour parler des dieux et de leur culte : Πατήρ, ἤπιος, πρᾷος, ἥµερος, προνοητικός, ἐπιεικής, φιλάνθρωπος, µεγαλόφρων, ἐλευθέριος, χρηµάτων κρείττων, ἔξω παθῶν, ἑαυτοῦ κρατῶν, ἄρχων ἡδονῶν, λογισµῷ χρώµενος, ὀξύς, ἀγχίνους, περιεσκεµµένος, εὔβουλος, δίκαιος, σώφρων, θεῶν ἐπιµελής ἀνθρώπων κηδεµών, στάσιµος, βέβαιος, ἀνεξαπάτητος, µεγαλογνώµων, ἰσχυρογνώµων, ἐνεργός, τελεσιουργός, φροντιστὴς τῶν ἀρχοµένων, σωτήρ, πρόχειρος εἰς εὐεργεσίαν βράδυς εἰς τιµωρίαν, ἀσφαλής, ἀπλανής, ἀκλινής, ἀκριβέστερος πρὸς τὸ δίκαιον ζυγοῦ, εὐπρόσιτος, εὐπρόσοδος, εὐπροσήγορος, εὐέντευκτος, µειλίχιος, προσηνής, ἐπιµελὴς τῶν ὑπηκόων, φιλοστρατιώτης, πολεµικὸς µὲν οὐ φιλοπόλεµος δέ, εἰρηνικός, εἰρηνοποιός, εἰρηνοφύλαξ, παιδευτικός, ἀρχικός, νοµοθετικός, εὖ ποιεῖν πεφυκώς, θεοειδής. Père, bienveillant, doux, courtois, prévoyant, équitable, philanthrope, magnanime, libérateur, au-dessus de l’argent, à l’abri des passions, maître de soi, dominant les plaisirs, usant de la raison, pénétrant, vif, avisé, de bon conseil, juste, tempérant, serviteur des dieux et gardien des hommes, constant, solide, infaillible, doté de pensées élevées, doté de pensées fortes, énergique, qui mène à terme, qui se soucie des sujets, sauveur, enclin aux bienfaits et lent à punir, sûr, à l’abri des erreurs, ferme, très attentif à la justice de l’autorité, facile d’abord, facile d’accès, affable, agréable, qui adoucit, plaisant, qui prend soin de ses sujets, qui aime l’armée, bon guerrier qui n’aime pas la guerre, pacifique, qui fait la paix, gardien de 14

Voir supra, c. 5. Sur la carrière d’Hadrien de Tyr, voir notamment Philostrate, vs, 589 ; E. L. Bowie, s.v. “Hadrian of Tyre”, New Pauly Online. La réussite académique d’Hadrien de Tyr et celle de Pollux explique en partie les attaques dont tous les deux furent l’objet, notamment par Lucien qui voulait s’attirer les faveurs de Lucius Vérus, dans Le maître de rhétorique (contre Pollux) et Le pseudologiste (contre Hadrien).

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la paix, pédagogue, apte au pouvoir, législateur, né pour faire de bonnes actions, semblable aux dieux15. Il s’agit d’une liste « de majesté », selon l’expression de G. Salinero et C. Lebeau, qui exprime l’autorité et les fonctions du prince vues ici sous l’angle des vertus, alors que les énumérations des titulatures impériales mettent surtout l’accent sur les liens dynastiques et les pouvoirs (même si, à partir de Commode, les vertus y sont exprimées par l’association des épithètes Pius Felix, puis, à partir de Septime Sévère, par celle de Pius Felix Inuictus)16. Cette liste est constituée par un vocabulaire littéraire, qui pouvait être utile au jeune Commode, associé très tôt au pouvoir par son père (dès 166 comme César, fin 176 comme Auguste), pour composer des éloges de celui-ci devant le Sénat ou bien le peuple, à l’occasion des diverses cérémonies liées à la vie politique ou à la célébration de la maison impériale, comme Marc Aurèle avait eu à le faire avant lui17. Sous Sévère Alexandre qui, non seulement, comme les membres de sa famille, était rattaché à la dynastie antonine, mais en outre a cherché à revenir au modèle du bon prince antonin, on retrouve des échos de ce vocabulaire dans un texte législatif qui renvoyait à l’image de l’empereur nomothète : l’édit sur l’or coronaire contenu dans le papyrus P. Fayoum, 20, probablement daté du début du règne (222)18. Dans cet édit, où l’empereur renonce à l’or normalement dû pour son avènement afin de soulager les finances des cités grecques, le secrétaire de la chancellerie grecque a emprunté des termes ou des notions du vocabulaire épidictique, ainsi que le schéma de communication propre à l’éloge grec du roi, que l’on trouve chez Ménandre ii : mû par ses vertus de magnanimité, de tempérance et de philanthropie, l’empereur-bienfaiteur accorde une grâce, la remise d’une dette financière, aux cités dont il attend implicitement la reconnaissance qui était exprimée habituellement, à l’occasion d’un nouveau règne, sous la forme de la contribution coronaire. La remise de l’or coronaire était accompagnée d’un éloge à l’empereur, le logos stephanôtikos, auquel ce texte législatif se substitue d’une certaine façon19. La liste des mots de l’éloge au roi 15 16

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Pollux, i, 40–41, trad. personnelle. G. Salinero, C.  Lebeau (dir.), «  Pour faire une histoire des listes à l’époque moderne  », Mélanges de la Casa de Velásquez, ns, 44, 2014, p. 9–13, part. p. 11, sur les listes comme formes de la majesté divine et de la majesté du prince ; A. Chastagnol, « Le formulaire de l’épigraphie officielle », p. 16–17, 30. Voir supra, c. 4. P. Fay., 20, l. 3 : l’empereur se réclame de ses ancêtres Trajan et Marc Aurèle. On retrouve dans l’édit les notions de magnanimité (P. Fay., 20, l.  6  :  megalopsuchia), tempérance, mesure et maîtrise de soi (P. Fay., 20, l.  14 et 21  :  sôphrosunè, kosmiotès, egkrateia), philanthropie et bienfaits (P. Fay., 20, l.  16  :  philanthrôpia, euergesia). Voir J.  Moreaux, «  Krise und Verfall  :  Das Dritte Jahrhundert nach Christ als historisches

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élaborée par Pollux renvoie donc à un langage qui n’a pas été cantonné aux espaces de la cour et du Sénat, mais qui fut utilisé, par la suite, pour la communication entre le prince et les cités. Cette liste est aussitôt suivie dans l’Onomastikon par celle des termes à utiliser pour blâmer le tyran : Ὠµός, θηριώδης, βίαιος, πλεονέκτης, φιλοχρήµατος καὶ τὸ τοῦ Πλάτωνος ( ?) ἐρασιχρήµατος, ἅρπαξ καὶ τὸ τοῦ Ὁµήρου δηµοβόρος, ὑπερόπτης, ὑπερήφανος, δυσπρόσιτος, δυσπρόσοδος, δυσπροσήγορος, δυσέντευκτος, δυσόργητος, δύσθυµος, ἔµπληκτος, ταραχώδης, ἡδονῶν ἥττων, ἀκρατής, ἀκράτωρ, ἀλόγιστος, µισάνθρωπος, ἄδικος, ἄβουλος, ἄνισος, ἀνόσιος, νοῦ κενός, εὔκολος, εὐµετάβολος, εὐεξαπάτητος, ῥᾳδίως ἐκφερόµενος, ἀνήµερος, ἐπιθυµίαις ἐνδιδούς, ἀκόλαστος, ὑβριστής, πολεµοποιός, βαρύς, ἐπαχθής, δυσκάθεκτος, ἀφόρητος. Cruel, sauvage, violent, insatiable, cupide et selon le mot de Platon avide d’argent, rapace et selon le mort d’Homère dévoreur du peuple, méprisant, orgueilleux, difficile d’abord, difficile d’accès, peu amène, désagréable, colérique, d’humeur chagrine, véhément, fauteur de troubles, dominé par les plaisirs, intempérant, incapable de se maîtriser, déraisonnable, misanthrope, injuste, irréfléchi, inéquitable, impie, dénué d’esprit, faible, versatile, facile à tromper, se laissant facilement emporter, brutal, livré aux passions, licentieux, excessif, faiseur de guerre, pénible, pesant, effréné, insupportable20. Les principes d’organisation des listes Les termes qui définissent le bon roi d’une part, le tyran de l’autre, sont rangés par notions dans un ordre souple qui paraît reposer sur l’association d’idées. Il est cependant flagrant que les deux listes sont construites à partir d’une opposition systématique des notions : la conception de la royauté repose sur l’antithèse platonicienne entre le bon roi et le tyran. Comme c’était aussi le cas pour Tyrannie dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, le tyran est décrit de manière négative, par des mots à préfixes privatifs (δυσ-, α-) : il est principalement défini par tout ce qu’il n’a

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Problem », Heidelberger Jahrbücher, 5, 1961, p. 128–142, part. p. 135–137 ; J.-H. Oliver, “On the Edict of Severus Alexander (P. Fayum 20)”. Sur la dimension symbolique de la gratification de l’or coronaire (qui n’était pas un impôt à proprement parler, même si le versement était considéré comme obligatoire), voir Ménandre ii, 422, l.  7–13, où l’éloge qui accompagnait la remise de l’or est présenté comme une « couronne de mots ». Pollux, i, 42, traduction personnelle.

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pas, tout ce qui lui manque pour être un bon roi21. Cette caractérisation du mauvais roi comme à la fois l’inverse et l’absence du bon roi peut s’expliquer par le fait que le blâme n’était pas théorisé dans la rhétorique : d’une certaine manière il n’existe que comme l’inverse de l’éloge22. De fait, dans la réalité, il était impensable de blâmer le prince régnant, la critique ne pouvait être opérée que de manière indirecte et masquée, par les discours figurés et, notamment dans l’historiographie, par l’évocation des « mauvais princes » du passé, ceux qui étaient officiellement ou bien traditionnellement reconnus comme tels et pouvaient servir de contre-modèles à la figure du bon roi : les prototypes sont naturellement Vitellius et Domitien. L’analyse rhétorique du tyran est purement morale. Il apparaît comme un être dominé par les plaisirs, en proie à ses passions : recherche du plaisir, avidité, colère et tristesse. Comme chez Dion de Pruse, le tyran incapable de se maîtriser est inconstant et insensé23. La liste des termes appropriés au bon roi s’ouvre sur la notion essentielle de douceur, associée à l’image du père, qui renvoient à Homère, et celle des termes désignant le tyran sur la notion antithétique, tout aussi importante, de cruauté, et sur l’image platonicienne de la bête sauvage24. La première liste se ferme sur l’idée que le bon prince est semblable aux dieux (θεοειδής), la seconde sur celle que le tyran est insupportable (ἀφόρητος) : étant donné le caractère systématique de l’opposition entre le bon roi et le tyran, il est possible d’y voir une référence à l’issue attendue de leurs règnes, l’apothéose pour le premier et la mort violente pour le second. L’accent est mis, dans ces listes, sur la sociabilité du prince et sur la manière dont les sujets sont affectés par le pouvoir monarchique et le ressentent : le pouvoir du bon roi est agréable, celui du tyran insupportable. Le bon roi est caractérisé par de grandes fonctions traditionnelles dans la pensée politique grecque et romaine, et par les vertus qui permettent de les remplir  :  le rôle du roi est d’exercer la justice, il est l’intermédiaire entre les dieux et les hommes (θεῶν ἐπιµελής ἀνθρώπων κηδεµών), le bienfaiteur et le protecteur (notamment le protecteur militaire) de ses sujets, le 21 22 23 24

Voir Dion de Pruse, Or. i, 78–80, supra, c. 3. On trouve dans le premier discours Sur la royauté du sophiste, à partir du § 67, la même antithèse rigoureuse entre Royauté et Tyrannie dans la description des chemins, des personnifications et de leur entourage. L. Pernot, Rhétorique de l’éloge, p. 481–490. Dion de Pruse, Or. i, 80–81 : Tyrannie est caractérisée par l’instabilité et par le changement, car elle passe d’une passion à l’autre : crainte, colère, tristesse et plaisir (soit les quatre principales passions stoïciennes). Dans plusieurs passages de l’Odyssée, ἤπιος et πάτηρ sont associés et renvoient à la figure du roi (Ulysse, Zeus, Nestor) : Od. ii, 47 ; ii, 234 ; v, 7–9 ; v, 12 ; xiv, 139–140 ; xv, 152. Voir Platon, R., ix, 588 c-589 a.

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législateur, le guide et l’éducateur de son peuple. Il possède les quatre vertus philosophiques cardinales : le courage n’est pas nommé, mais évoqué d’une part par les capacités militaires, associées, comme il est traditionnel, à un objectif pacifique, et, d’autre part, dans un sens moral, par les notions de fermeté et d’énergie. A ces vertus sont ajoutées la douceur, ainsi que la philanthropie et la piété qui sont importantes aussi dans la réflexion sur la royauté de Dion de Pruse. L’accent est également placé sur la constance, la fermeté et l’énergie morale qui caractérisaient le portrait d’Antonin dans les Ecrits de Marc Aurèle ; celui-ci avait également employé le terme µειλίχιος pour louer la douceur de son père25. Le vocabulaire de l’éloge du bon roi trace le parallèle, caractéristique sous les Antonins, entre le bon roi et Zeus. Il apparaît dans le qualificatif final « semblable aux dieux », mais aussi dans la reprise d’épithètes propres à Zeus, comme dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, même s’il ne s’agit pas des mêmes épiclèses26 : comme le roi des dieux, le roi des hommes est «  libérateur  » (ἐλευθέριος), «  sauveur  » (σωτήρ), il est «  celui qui mène à terme  » (τελεσιουργός), «  qui adoucit  » (µειλίχιος). Les deux premières épiclèses sont célèbres, elles renvoient au culte de Zeus qui fut fondé à Athènes après la victoire des guerres médiques, et sont jugées équivalentes dans les scholies et les lexiques d’époque tardive27. Elles sont néanmoins séparées dans le texte : l’épithète « libérateur », placée entre les notions de philanthropie/générosité d’une part, et l’idée d’être délivré des passions d’autre part, semble prise au sens large de «  qui libère les hommes des maux », tandis que le mot « sauveur » est juxtaposé à « qui se soucie des sujets » et à « enclin aux bienfaits » ; or, σωτήρ est l’un des termes les plus fréquemment employés pour désigner l’empereur dans l’épigraphie grecque d’époque antonine, souvent en liaison avec εὐεργέτης ou κτίστης qui caractérisent le bienfaiteur28. Ce mot « sauveur » est le seul qui soit commun

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A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse », p. 21–23 sur la philanthropie et la piété. Marc Aurèle, i, 16, 1, 3, 8, 15, 22–23, 30 ; vi, 30 ; voir supra, c. 4. Dion de Pruse, Or. i, 39–41 ; voir aussi Or. xii, 75–76. Sur ce parallèle entre le prince et Zeus, voir supra c. 3. S. Lebreton, Surnommer Zeus : contribution à l’étude des structures et des dynamiques du polythéisme attique à travers ses épiclèses, de l’époque archaïque au Haut-Empire, thèse Université Rennes 2, 2013, p.  190–236. Voir par exemple Hésychios, s.v. «  Eleutherios Zeus ». Voir supra, c. 4, pour des exemples relatifs à Trajan et à Hadrien ; A.-V. Pont, « L’empereur “fondateur” : enquête sur les motifs de la reconnaissance civique », reg, 120, 2007, p. 526–552.

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à la liste des termes utilisés pour louer le roi et à la liste des termes qui caractérisent les dieux chez Pollux29 : il apparaît ainsi comme le principal élément de la comparaison entre empereur et dieu. Plusieurs empereurs ont été associés à Zeus Eleutherios, dont le culte était florissant à partir du ier siècle de notre ère : c’était peut-être déjà le cas de Néron, suite à sa proclamation de la liberté des Achéens à Corinthe en 67, avant d’être celui de Domitien ; l’association est possible pour Trajan, assurée pour Hadrien et Antonin, et elle a peut-être perduré jusqu’au début du iiie siècle sous le règne de Septime Sévère et Caracalla30. Les deux autres épiclèses, Telesiourgos et Meilichios, n’ont pas de rapport évident avec le pouvoir impérial ; le culte de Zeus Telesiourgos est attesté à l’époque impériale à Milet, et celui de Zeus Meilichios à Nysiros et à Pergame31. La présence des épithètes de Zeus renvoie à la notion centrale chez Dion de Pruse et chez Plutarque de l’imitation divine que doit réaliser le bon dirigeant : c’est d’abord par ses vertus que le bon roi est « semblable aux dieux »32. En imitant les vertus divines, le bon roi n’est pas différent du Stoïcien selon Epictète qui énumère dans les Entretiens des qualités proches de celles qui sont mentionnées par Pollux : Si la divinité (τὸ θεῖον) est fidèle (πιστόν), il doit, lui aussi, être fidèle ; si elle est libre (ἐλεύθερον), il doit, lui aussi, être libre ; si elle est bienfaitrice (εὐεργετικόν), il doit, lui aussi, être bienfaiteur  ; si elle est magnanime

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Pollux, i, 24 (Περὶ ἐπωνυµίας θεῶν)  :  juste après le terme de σωτῆρες, on trouve celui d’ἀσφάλειοι, qui rappelle une autre qualité du bon roi chez Pollux, le fait qu’il soit « sûr », ἀσφαλής. Néron  :  ig vii 2713 (Akraiphia, en 67)  ; Domitien  :  quand il fut archonte éponyme à Athènes en 87/88, Zeus Eleutherios fut intégré à sa titulature, voir ig ii2 1996, l. 1–3 ; fd iii, 2, 65, l. 1–3 ; Trajan : ig ii2 3322 (Athènes, env. 132) ; Hadrien : ig xii, Suppl. 53 ; ig xii, 2 184 et 185 (Lesbos) ; Antonin : ig ii2 3396 ; Septime Sévère et Caracalla : ig ii2 1081–1085 = Agora xvi 342, fg. a, l. 4–5 (en 203 ?) ; voir S. Lebreton, Surnommer Zeus, p. 200–201. Zeus Telesiourgos : Milet. i 7, 203 Mc Cabe (= lsam 49A, l. 12 ; 130 av. J.-C.) ; Milet. i 7, 204 (= lsam 52 A, l. 13–14 ; entre 14 et 50) ; I. Did. 130 (début de l’époque impériale, dédicace à Zeus Telesiourgos par un Milésien) ; voir K. Latte, « Zeus Telesiourgos », Philologus, 85, 1930, p. 225–227 (à propos du sens littéral de l’épiclèse, « qui accomplit l’initiation »). Zeus Meilichios : AvPerg. viii, 3, 161 A, l. 20 (Pergame, milieu du iie siècle ?) et 161 B, l. 5 (vers 100–150 ?) ; WZHalle 16, 1967, 377, 4 (Nisyros, iie siècle ?) ; sur ce dieu et sur son culte en Attique, qui était lié aux notions de prospérité et de purification, voir S.  Lebreton, Surnommer Zeus, p. 93–112. Voir supra c. 4 ; Plutarque, A un chef mal éduqué, 780 E, sur le bon chef qui devient « image du dieu » grâce à la philosophie.

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(µεγαλόφρον), il doit, lui aussi, être magnanime. Ainsi doit-il tout faire et tout dire en imitateur du dieu33. Comme dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins du premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, le parallèle entre le roi des hommes et le roi des dieux va de pair avec une hiérarchie clairement formulée dans l’expression « serviteur des dieux et gardien des hommes ». On trouve dans les Ecrits de Marc Aurèle une formule comparable : Αἰδοῦ θεούς, σῷζε ἀνθρώπους, « Respecte les dieux, sauve les hommes »34. Les listes élaborées par Pollux évoquent donc la conception de la figure du prince qui s’est mise en place sous les Antonins, notamment par ce parallélisme entre l’empereur et Zeus – auquel Dion Cassius et Philostrate ont renoncé sous les Sévères, probablement en raison de l’imitatio dei de Commode, dont l’élite cultivée jugeait qu’elle ne montrait pas assez la hiérarchie entre le prince et les dieux –, mais aussi par les rapprochements que l’on peut faire avec Dion de Pruse, Plutarque, Epictète et Marc Aurèle. Ces références suggèrent la présence d’un substrat philosophique stoïcien, visible aussi dans la figure du tyran en proie aux grandes passions stoïciennes que sont la recherche du plaisir, l’avidité, la colère et la tristesse. L’éloge et le blâme du souverain selon Pollux présentent surtout des points communs avec la réflexion politique de Dion de Pruse : même antithèse stricte entre le bon roi et le tyran, même conception de la figure du tyran et de l’imitation divine, importance de la piété et de la philanthropie. On retrouve aussi le même rapport aux fondamentaux de la culture politique grecque. Homère et Platon, qui sont cités pour le blâme du tyran, fournissent les conceptions basiques du bon et du mauvais roi. Les listes sont en effet fondées sur la caractérisation du roi homérique comme « disciple de Zeus  », «  semblable à Zeus par l’intelligence  », et donc figure paternelle puisque Zeus est « père des dieux et des hommes », et inversement du tyran avide (φιλοχρήµατος), « dévoreur de son peuple » (δηµοβόρος), ainsi que sur la représentation du tyran platonicien comme une bête sauvage, un être entraîné par ses désirs sans limites35. Pollux utilise en outre le vocabulaire politique 33

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Entretiens, ii, 14, 12–13, trad. J. Souilhé, légèrement modifiée (rappelons que, dans les Entretiens, c’est le sage qui est un bon roi). La suite du passage cité est tout à fait appropriée au travail d’exégèse de la liste : « – Par où faut-il donc commencer ? – Si tu consens, je te dirai que tu dois d’abord comprendre les mots ». Voir aussi Entretiens, ii, 19, 26–27. Voir supra c. 4. Marc Aurèle, vi, 30, trad. E. Bréhier. « Disciple de Zeus » (∆ιὸς ὁµιλητής) : Od. xix, 179, pour Minos ; « semblable à Zeus en conseil » (∆ιὶ µῆτιν ἀτάλαντος) : Il. ii, 636, pour Ulysse ; voir Dion de Pruse, Or. i, 37 ; liii, 11–12. Sur le roi « dévoreur de peuple » : Il. i, 231. La référence à Platon, Pollux, i, 42, l. 2, a été jugée problématique par E. Bethe (éd.), Pollucis Onomasticon, Stuttgart, 1947, p. 13 : le

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traditionnel qui a été employé par Platon et Xénophon notamment36. Mais c’est surtout avec le vocabulaire employé par Dion de Pruse que les analogies sont les plus évidentes37. Ces éléments confirment donc toute l’étendue de l’influence que le sophiste bithynien a exercée sur la tradition rhétorique des éloges à l’empereur et sur la conception du bon prince que cette tradition a véhiculée sous le règne des Antonins. Nous ne possédons malheureusement plus que des traités rhétoriques éloignés dans le temps, car le second traité attribué à Ménandre le Rhéteur a probablement été composé un peu plus d’un siècle après le dictionnaire de Pollux. Néanmoins, l’ouvrage de Ménandre ii est « un point d’aboutissement autant qu’un point de départ »38, qui s’appuie sur la riche production d’éloges du roi du iiie siècle (en mentionnant Callinicos de Pétra comme modèle) et sur celle du iie siècle. b Les règles du basilikos logos chez Ménandre ii La formalisation élaborée par Ménandre ii fait porter l’accent sur les topiques structurant le «  discours royal  », qui est un éloge du roi, davantage que sur le vocabulaire employé. Selon la tradition rhétorique la plus classique, ces topiques reposent sur les principales vertus philosophiques, dont l’ordre de classement et l’exploitation en elle-même sont révélateurs des attentes auxquelles devaient répondre les empereurs39.

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terme ἐρασιχρήµατος auquel elle semble se rapporter ne se trouve pas dans les livres du philosophe, aussi a-t-il émis l’hypothèse d’une confusion avec Xénophon (Mem. i, 2, 5). L’expression ἄρχων ἡδονῶν provient peut-être de Platon, R., iii, 389 e : ἄρχειν ἡδονῶν ; l’antithèse entre εὐπρόσοδος et δυσπρόσοδος se trouve chez Xénophon, Ages., 9, 1 ; G. Barner, Comparantur, p. 30. Le relevé suivant ne concerne que le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse et ne prend pas en compte les termes trop courants, comme ceux qui désignent les grandes vertus. Pour le bon roi : Or. i, 6 : ἐπιεικεία ; i, 15 : θεῶν ἐπιµελὴς ; i, 17 : µετὰ δὲ τοὺς θεοὺς ἀνθρώπων ἐπιµελεῖται, τιµῶν µὲν καὶ ἀγαπῶν τοὺς ἀγαθούς, κηδόµενος δὲ πάντων ; i, 20 : τὸν ἥµερον καὶ φιλάνθρωπον βασιλέα… πρᾷον παρέχει τὴν ψυχὴν πᾶσιν  ; i, 27  :  καὶ πολεµικὸς µὲν οὕτως ἐστὶν ὥστ’ ἐπ’ αὐτῷ εἶναι τὸ πολεµεῖν, εἰρηνικὸς δὲ οὕτως ὡς µηδὲν ἀξιόµαχον αὐτῷ λείπεσθαι ; i, 25 : οἱ δὲ φίλοι θαρροῦσιν, καὶ οἱ σφόδρα ἐγγὺς ἡγοῦνται πάντων ἐν τῷ ἀσφαλεστάτῳ εἶναι ; i, 35 : τίνος µὲν γὰρ ὁ βίος ἀσφαλέστερος ἢ ὃν πάντες ὁµοίως φυλάττουσιν ; (cf. i, 67) ; i, 28 : φιλοστρατιώτης ; i, 75 et 80 : µεγαλόφρων ; i, 84 : τῆς γῆς καὶ τῶν ἀνθρώπων σωτῆρα. Pour le tyran : Or. i, 14 : ταῦτα γάρ φησι καὶ Ὅµηρος ὁµοίως τοῖς ἄλλοις σοφοῖς τε καὶ ἀληθέσιν ἀνδράσιν, ὡς οὐδείς ποτε πονηρὸς καὶ ἀκόλαστος καὶ φιλοχρήµατος οὔτε αὐτὸς ἑαυτοῦ γενέσθαι δυνατὸς ἄρχων οὐδ’ ἐγκρατὴς οὔτε τῶν ἄλλων οὐδενός, οὐδ’ ἔσται ποτὲ ἐκεῖνος βασιλεύς (cf. i, 46 : πονηρὸς καὶ ἀκόλαστος ὤν) ; i, 28 : ὅστις µὲν γὰρ ὑπερόπτης τῶν στρατευοµένων ; i, 67 : ἡ δὲ ἑτέρα στενήν τε καὶ σκολιὰν καὶ βίαιον ; i, 82 : Ὠµότης καὶ Ὕβρις καὶ Ἀνοµία καὶ Στάσις. L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 78. Le basilikos logos de Ménandre ii a été étudié dans une perspective historique principalement par M. J. Ponce, « Menandro Rétor y el discurso imperial », Habis, 29, 1998, p. 221–232,

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L’attribution des traités épidictiques au rhéteur Ménandre de Laodicée, attestée au ve siècle, est problématique40. Néanmoins certains indices contenus dans le second traité impliquent une datation à la fin du iiie siècle41 : – on trouve une intéressante référence aux Egyptiens, aux Blemmyes qui étaient des Nomades de la Basse-Nubie connus depuis les Ptolémées, et aux Eremboi  – terme qui désigne différents peuples éthiopiens, indiens et arabes – comme sujets et alliés des Troyens lors de la guerre de Troie42. Elle n’apparaît dans aucune tradition mythique qui nous soit parvenue, mais il est possible en revanche qu’elle fasse allusion à des événements de la fin du iiie siècle, où de tels peuples ont troublé l’ordre romain. L’Histoire Auguste mentionne des Blemmyes, des Arabes, des Indiens, des Saraceni et des Egyptiens parmi les prisonniers exhibés lors du triomphe d’Aurélien sur Zénobie et Tétricus en 274 ; la description du triomphe, très emphatique, laisse cependant supposer des exagérations43. La même source affirme aussi que Firmus, le marchand syrien qui aurait été à l’origine d’une tentative de rébellion d’Alexandrie en 273 et dont l’existence historique est sujette à caution, avait contracté une alliance avec les Blemmyes et les Saraceni44. En 280, Probus fut confronté en Haute-Egypte à la rébellion des villes de Coptos et de Ptolémaïs qui avaient fait alliance avec les Blemmyes45. Entre 293 et 305, l’Egypte devint l’objet de plusieurs interventions des Tétrarques : une première eut lieu entre 293 et 295 dans le sud de la province et le panégyriste de Constance évoque, en 297, les trophées posés près du Nil, « sous lesquels tremblent l’Ethiopien et l’Indien  »46. En 297–298, la révolte d’Alexandrie

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et par M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre le rhéteur pour l’élaboration d’un “Discours du prince”, à la fin du iiie siècle », dans I. Cogitore (éd.), L’éloge du prince, p. 81–89. Les différences entre les traités laissent penser qu’ils ont été écrits par deux auteurs différents. Sur Ménandre de Laodicée et sur les traités épidictiques, voir D. A. Russel, N. G. Wilson (éd.), Menander Rhetor. A Commentary, Oxford, 2004 (1981), p. xxxiv-xl ; F. Gascó, “Menander Rhetor and the works attributed to him”, anrw, ii, 34, 4, 1998, p. 3110–3146, part. p. 3113–3117 ; M. Heath, Menander, p. 124–131. D. A.  Russel, N.  G. Wilson (éd.), Menander Rhetor, p.  xxxix-xl  ; F.  Gascó, “Menander Rhetor and the works attributed to him”, p. 3115–3116. Ménandre ii, 387, 17–28. Voir le commentaire dans D.  A. Russel, N.  G. Wilson (éd.), Menander Rhetor, p. 292–293. Voir S. Benoist, Rome, le prince et la cité, p. 221–223. sha, Aurel., 33, 4  ; sha, Firmus, 3  ; Zosime, i, 61, 1, évoque l’agitation des Alexandrins, soumis par Aurélien un peu avant de célébrer son triomphe à Rome. sha, Probus, 7, 2–3 : Coptos et Ptolémaïs auraient été soumises par les Blemmyes ; Zosime, i, 71, 1. Pan., iv (8), 5, 2 : l’allusion reprend l’iconographie du trophée auquel sont liés deux Barbares prostrés ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 199.

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rendit nécessaire une deuxième intervention dirigée par Dioclétien. Celui-ci installa ensuite la tribu éthiopienne des Nobatai sur le Nil et lui versa, ainsi qu’aux Blemmyes, un tribut annuel, afin de s’assurer de leur tranquillité47. Si ce passage de Ménandre ii contient bien une allusion historique, celle-ci renvoie sans doute plutôt aux événements situés durant la Tétrarchie, qui associent des Egyptiens, des Ethiopiens et les fameux Blemmyes. – Dans au moins deux passages, Ménandre ii fait référence à des basileis au pluriel, qui règnent ensemble48. Dans la période qui suit le règne d’Aurélien auquel pourrait renvoyer le « grand discours royal » de Callinicos pris comme modèle par le rhéteur, ces empereurs pourraient être Carus et ses fils Carin et Numérien (283–285) ou bien les Tétrarques à partir de 285. Ces indices permettent donc une probable datation sous la Tétrarchie, à la fin du iiie siècle ou au début du siècle suivant. Le basilikos logos ne contient cependant pas, comme c’est flagrant si l’on compare les conseils du rhéteur aux panégyriques latins adressés aux Tétrarques, d’allusions précises à leur idéologie particulière : l’existence de deux lignées d’ascendance divine, l’une issue de Jupiter et l’autre d’Hercule, et l’idée que les princes sont à la fois engendrés par des dieux et créateurs de dieux49. Mais cela peut s’expliquer par la volonté de Ménandre ii de proposer un cadre théorique relativement ouvert et souple, avec une certaine prudence et distance à l’égard des circonstances politiques, que l’on comprend très bien au sortir d’une période caractérisée par une extrême instabilité du pouvoir. Une autre raison réside aussi dans le rapport du texte à une tradition rhétorique longue de deux siècles, si on la fait partir du premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse. Les topiques qui définissent le bon prince Après un prologue consacré à l’amplification du sujet, qui affirme le caractère indicible de la grandeur du roi ou bien trace le parallèle (déjà présent dans l’Onomastikon de Pollux) entre l’hymne aux dieux et l’éloge du roi, celui-ci est organisé selon les topiques suivantes50 :

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Procope, Pers., i, 19, 28–37. Ménandre ii, 378, 31–379, 2 ; 415, 14–15 ; D. A. Russel, N. G. Wilson (éd.), Menander Rhetor, p. xxxix- xl. Il s’agit des panégyriques de 289 et 291 pour Maximien (Pan. ii [10] et iii [11]), 297 pour Constance (Pan. iv [8]), 298 pour l’ensemble des tétrarques (non présents, v [9]), de 307 pour Maximien et Constantin (Pan. vi [7]). Sur l’idéologie des Tétrarques, voir en particulier Pan. ii (10), 1–2, 4, 7, 9, 10, 11 ; iii (11), 3, 14 ; iv (8), 4 ; v (9), 8 ; cil iii 710. Ménandre ii, 368, 8–369, 17. Sur les topiques de l’éloge, voir L. Pernot, « Les topoi de l’éloge chez Ménandros le Rhéteur ».

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Topos de la patrie (patris). Si la cité et le peuple dont est issu l’empereur ne sont pas réputés, l’orateur doit passer au topos suivant et examiner si sa famille est illustre ou non51. Topos du genos. Si cette famille est sans éclat ou humble, il est possible soit de commencer par l’empereur lui-même, comme l’a fait Callinicos dans le « grand discours royal », soit d’affirmer que l’empereur a été envoyé par la divinité, qu’il émane de l’autorité suprême, comme Héraclès le fils de Zeus : « Notre roi semble être de souche humaine, mais en réalité il descend du ciel, car il n’aurait pas atteint une telle valeur (κτῆµα) ni une telle dignité (ἀξία) s’il n’était pas supérieur aux hommes d’ici-bas »52. L’origine divine de l’empereur est rapportée à son mérite, mais la nature de cette méritocratie n’est pas explicitée. Dans la mesure où toutes les actions du roi sont considérées plus loin comme des preuves de ses vertus, on peut penser que la conception dominante reste celle, traditionnelle, d’une méritocratie par les vertus, qui justifie le rapport au divin. Dans cette perspective, la figure d’Héraclès peut renvoyer ici au héros cynicostoïcien, tel qu’il a été décrit dans le mythe d’Héraclès à la croisée des chemins chez Dion de Pruse. Topos de la naissance (genesis) : si la naissance de l’empereur n’est pas illustre, il faut soit la cacher au moyen d’un artifice, par exemple en disant qu’il est issu des dieux (ἐκ θεῶν γενέσθαι), soit, si ce n’est pas possible, passer à la topique suivante. Il convient d’évoquer des présages divins, voire, si c’est possible de le faire de manière convaincante, d’en inventer (comparaisons avec Romulus et Cyrus)53. Topos de la « nature » (phusis), rapidement mentionné : il concerne le corps du nouveau-né dont la beauté, la bonne apparence doivent être soulignées. Il est intéressant qu’il s’agisse ici de la seule référence faite au corps de l’empereur. Dans la rhétorique de l’éloge, les qualités physiques, et surtout la beauté, paraissent être l’apanage de la jeunesse54. Le silence de Ménandre ii est néanmoins étonnant si l’on songe aux exploitations antérieures des qualités physiques des empereurs : la mise en relief par Sénèque, dans l’Apocoloquintose, de la beauté de Néron et de la laideur de Claude, l’intérêt que Pline a porté au corps de Trajan dans le Panégyrique, Suétone aux corps des Césars, ou, dans un autre registre, l’iconographie Ménandre ii, 370, 9–11. Ménandre ii, 370, 21–28. Ménandre ii, 370, 28–371, 14. Ménandre ii, 371, 14–17. Sur le corps dans l’éloge rhétorique, voir L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 160–161.

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idéalisante des Antonins, qui se poursuit sous Septime Sévère. Peut-être peut-on mettre cette absence d’intérêt en rapport avec l’évolution de l’appréhension du corps au iiie siècle, marquée par le développement des idéaux de la restriction des sens et de la continence (ce dernier thème réapparaît un peu plus loin). Il faut toutefois relativiser ce silence, car le Panégyrique pour Constance, en 297, contient une référence – assez générale – au visage du César, qui exprime ses vertus55. Topos de l’anatrophè, concernant la première éducation, celle de la petite enfance : l’orateur doit préciser si le prince a été élevé au palais, dans des langes de pourpre56, ou si une heureuse destinée lui a permis d’accéder à la royauté alors qu’il était jeune homme. En l’absence d’une anatrophè illustre (comme celle d’Achille auprès de Chiron), il faut passer à la paideia, l’éducation reçue plus tard, et examiner les talents dont le prince a fait preuve au cours de celle-ci, c’est-à-dire évoquer la « nature de l’âme », ἡ φύσις τῆς ψυχῆς57 : sont relevés le goût pour les études (φιλοµάθεια), la vivacité (ὀξύτης), le zèle pour apprendre, les facilités. Parmi celles-ci, Ménandre ii accorde autant d’importance aux facilités pour la formation intellectuelle qu’à celles pour l’entraînement militaire, ce qui laisse déjà supposer l’importance des compétences militaires du bon roi : il faut louer les dons du prince pour l’éloquence, la philosophie, l’érudition, et admirer son talent dans l’entraînement à la guerre et aux armes comme le signe d’une naissance heureusement destinée et de l’intervention de la τύχη (comparaisons avec Achille, Héraclès, les Dioscures). On Voir A. Rousselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle (iie- ive siècles de l’ère chrétienne), Paris, 1989, p. 13–36. Pan., iv (8), 19 : « Ils voyaient sur ton visage-même, César, les signes de toutes les vertus : sur ton front la dignité, dans tes yeux la douceur, dans ta rougeur la modestie, dans ta parole la justice », trad. E. Galletier ; cf. Pline, Pan., 4, 7 ; Ps.-Denys, 273, 18–22 ; 274, 14–22. On trouve dans la Vie des deux Maximins, 27–29, de l’Histoire Auguste, un intéressant passage – qui semble dépourvu de toute réalité historique – sur l’exceptionnelle beauté de Maxime, le fils de Maximin, nommé César en février ou mars 236 : cette beauté, qui s’accompagnait d’une coquetterie et d’une condescendance qui sont condamnées, aurait été utilisée par son père pour légitimer le pouvoir impérial (29, 7–9). Ménandre ii, 371, 19 : ἁλουργίδες τὰ σπάργανα ; voir Hérodien, i, 5, 5 (discours de Commode qui met en avant sa noblesse impériale) : « Loin d’accéder à cette responsabilité de l’extérieur, comme les empereurs qui, avant moi, se sont glorifiés d’avoir conquis leur fonction, je suis le seul à être né dans une demeure impériale. Les langes qui me reçurent ne furent pas communs : dès que je sortis du ventre maternel, ce fut la pourpre impériale qui m’accueillit », trad. D. Roques. Ménandre ii, 371, 26 ; 371, 17–372, 2. Au sujet de l’éducation du roi, Dion de Pruse et Philostrate ont aussi distingué la paideia et la phusis, les deux étant nécessaires pour produire un bon roi : voir supra, c. 4 et 5.

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peut rapprocher ce commentaire du titre felix/εὐτυχής qu’ont porté tous les empereurs du iiie siècle et qui, après Septime Sévère, renvoyait clairement à l’idéologie du bon chef de guerre protégé par les dieux. Topos des epitèdeumata qui désignent la conduite, les mœurs, les activités exercées dans la jeunesse qui témoignent d’une qualité58. Topos des actions (praxeis) de l’âge adulte, qui sont divisées entre paix et guerre, selon une distinction toujours appliquée à l’empereur dans le second traité59. L’accent est porté sur la guerre qui doit être placée en tête, si du moins celui qui est loué s’y est distingué60. Il faut évoquer en premier lieu les actes de courage, car c’est la vertu qui caractérise le mieux un roi61. S’il n’a jamais eu l’occasion de faire la guerre (éventualité dont la rareté est soulignée !), il faut passer à la paix qui fait intervenir d’autres vertus. Les actions doivent toujours être subdivisées selon les quatre grandes vertus  – courage (andreia), justice (dikaiosunè), tempérance (sophrôsunè) et sagesse (phronèsis) –, qui caractérisent des actions différentes dans la guerre et dans la paix : ainsi, la sagesse est l’art de bien diriger l’armée à la guerre, mais aussi, dans la société civile, d’être un bon législateur et d’administrer de façon profitable les affaires des sujets62. a. Dans le domaine de la guerre, l’orateur doit décrire les lieux et les différents engagements de manière à mettre en valeur trois vertus de l’empereur, le courage, la sagesse et la philanthropie. Ménandre ii insiste surtout sur le courage et la sagesse. i. Le courage apparaît dans la description des prouesses personnelles de l’empereur sur le champ de bataille, des succès, trophées, victoires, des fuites de la cavalerie ennemie et des massacres de l’infanterie. La description que doit faire l’orateur prend modèle sur l’Iliade : elle se focalise sur les aristeia de l’empereur Ménandre ii, 372, 3–13 : le modèle est notamment l’Evagoras d’Isocrate, l’une des principales sources d’inspiration de l’Eis basilea. Sur les epitèdeumata, voir L. Pernot, Rhétorique de l’éloge, p. 164–165. Ménandre ii, 372, 25–27. Voir Ménandre ii, 415, 7–8 ; 422, 21–423, 3 ; 423, 13–14. Ménandre ii, 372, 27–31. Ménandre ii, 372, 30–31 : Γνωρίζει γὰρ βασιλέα πλέον ἡ άνδρεία. Voir Dion de Pruse, Or. iv, 30, où l’éducation divine est appelée paideia, ou bien « courage » (andreia, mais non au sens militaire du terme), ou encore megalophrosunè, « magnanimité ». Au livre ii de la République de Platon (à partir de 373 d), les Gardiens sont aussi caractérisés par le courage (thumos) ; hostiles envers les étrangers, mais amicaux avec leurs concitoyens (375 c), ils ont un naturel philosophique (375 e) et sont philomatheis (376 b) : il est possible que ces Gardiens, bien adaptés aux empereurs militaires du iiie siècle, sous-tendent la figure du bon roi dans le basilikos logos de Ménandre ii. Ménandre ii, 373, 4–14.

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au combat et les amplifie de manière épique (comparaisons avec Achille, Hector et Ajax)63. ii. La sagesse, présentée comme l’art de découvrir les embûches tendues par l’ennemi, mais de ne pas laisser deviner ses plans, prend le sens de stratégie, tactique militaire. L’orateur doit mettre en évidence les compétences militaires techniques de l’empereur, en le décrivant comme celui qui est à l’origine de l’ordre de bataille, qui est le commandant, le stratège, le champion, le général, l’orateur64. iii. La philanthropie, associée à la justice dans le traitement des vaincus ; la justice est considérée ici – à l’inverse de la conception habituelle  – comme une partie de la philanthropie65. Le bon roi fait la juste part du châtiment et de la « philanthropie », prise ici au sens de la traditionnelle clémence romaine envers les ennemis vaincus. Cette clémence est essentiellement politique, car elle répond à deux objectifs : donner une leçon dont les survivants pourront porter le souvenir, faire la démonstration de la philanthropie de l’empereur66. Dans le domaine de la paix, les trois principales vertus royales sont la tempérance, la justice et la sagesse. i. La justice est associée à la douceur de l’empereur (τὸ ἥµερον) envers ses sujets, à sa philanthropie – qui tend ici vers le sens d’évergésie – envers ceux qui ont des requêtes, à son accessibilité (τὸ εὐπρόσοδον). On a déjà vu comment la saisine impériale était présentée, sous le règne de Sévère Alexandre, comme une forme de relation privilégiée entre le prince et les habitants des provinces grecques67. La dimension sotériologique de l’empereur est fortement soulignée, amplifiée jusqu’à être dotée d’un caractère magique, apotropaïque : « la vue de l’empereur éloigne les maux  »68. Sa justice apparaît en particulier, d’une

Ménandre ii, 373, 32–374, 21. Ménandre ii, 373, 23–25 ; 374, 21–25. Ménandre ii, 374, 28. Ménandre ii, 374, 29–375, 4. P. Oxy., xvii, 2104, et xliii, 3106 ; Dig. xlix, 1, 25 (Paul, l. 20 responsorum) ; voir supra, c. 5. Ménandre ii, 375, 13–18 : comparaison avec les Asclépiades, avec les sanctuaires inviolables, qui évoquent le droit d’asile reconnu aux statues des princes divinisés depuis le ier siècle ; S. Benoist, « Images des dieux, images des hommes », p. 52–53. Sur les images privées du souverain, qui jouaient le rôle de talisman parce qu’elles « proposaient une part du numen impérial » et de son « efficace providence », voir R. Turcan, « La promotion du sujet par le culte du souverain », dans A. Small (éd.), Subject and Ruler. The Cult of

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part, dans le choix de gouverneurs justes, gardiens des lois, qui ne soient pas seulement des «  collecteurs de richesse  »69. Et, d’autre part, dans sa préoccupation d’éviter toute oppression fiscale : il est attentif à ce que ses sujets puissent supporter facilement les impôts et notamment le ravitaillement des troupes, qui est devenu un sujet de préoccupation pour les provinciaux au iiie siècle, quand les transferts de troupes et les opérations militaires incessantes ont multiplié les levées « annonaires »70. Sous Dioclétien (au moins à partir de 298), l’annone militaire a pris la forme d’un impôt régulier, et l’empereur a retiré à l’armée toute responsabilité dans sa perception afin de protéger les contribuables de la brutalité des soldats71. Ménandre ii avait-il

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the Ruling Power in Classical Antiquity, 1996, p. 51–62, part. p. 55–62, cité par M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre », p. 88 n. 38. Sur la très large exposition publique d’images de mauvaise qualité des empereurs (en l’occurrence Antonin le Pieux et Marc Aurèle), voir Fronton, Aur., iv, 12, 6. Ménandre ii, 375, 21 : συλλογέας πλούτου. La justice est l’une des principales vertus mises en relief dans les éloges des gouverneurs, en liaison avec leur juridiction, et l’idée que leur justice est révélatrice de celle de l’empereur est soulignée  :  Ménandre ii, 379, 15– 24  ; 415, 13–15 (le gouverneur juste est doté de la même dimension sotériologique que l’empereur) ; 416, 5–17. L’exercice de la justice était l’une des principales tâches des gouverneurs : A. Bérenger, Le métier de gouverneur, p. 171–235 ; voir ibid, p. 292–307, sur le contrôle financier que le gouverneur exerçait sur les cités. Il gérait la caisse provinciale et supervisait le processus général de perception des impôts, la responsabilité du recouvrement retombant, sous Dioclétien, sur les notables locaux, membres des curies ou des boulai : J. M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation. Des Sévères à Constantin (192–337), Paris, 1999, p. 605–606. Sur les réquisitions indues de vivres (mais aussi de logements et de moyens de transports), voir L. Robert, « La ville de Euhippè en Carie », crai, 96, 1952, p. 589–599 = Opera Minora Selecta, i, Amsterdam, 1969, p. 345–355, sur les plaintes des habitants d’Euhippè relatives au passage des soldats et des officiales, sous le règne de Caracalla ou bien d’Elagabal ; voir aussi les plaintes que les villageois de Scaptopara en Thrace ont adressées à Gordien iii : igr i 674 ; ae 1992, 1994 ; et la pétition des colons cultivant des possessions impériales d’Aragua en Phrygie, datée entre 244 et août 247 : cil iii 14191 = igrr iv 598 = ogis 519 = mama x 114 ; G. Poma, « Nota su ogis, 519 : Filippo l’Arabo e la pace coi Persiani », Epigraphica, 43, 1981, p. 265–272 ; P. Herrmann, Hilferufe aus römischen Provinzen. Ein Aspekt der Krise des römischen Reiches im 3. Jhdt. n. Chr., Hamburg, 1990, p. 28–33 ; S. Mitchell, Anatolia. Land, Men, and Gods in Asia Minor, i, The Celts in Anatolia and the Impact of Roman Rule, Oxford, 1993, p. 228–234, 250–253. Voir aussi R. MacMullen, Soldier and civilian in the later Roman empire, Cambridge, 1967, p. 84–98 (qui développe également les bénéfices économiques générés par la présence des troupes à proximité des cités) ; L. de Blois, « Volk und Soldaten » ; id., “The military Factor in the Onset of Crises”. Voir J.  M. Carrié, dans id., A.  Rousselle, L’Empire romain en mutation, p.  589–615, sur l’annone militaire et la nouvelle fiscalité introduite par Dioclétien ; F. Mitthof, Annona militaris. Die Heeresversorgung im spätantiken Ägypten. Ein Beitrag zur Verwaltungs- und

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cette réforme en tête lorsqu’il a souligné le soin avec lequel le bon roi veille à ce que ses sujets supportent le ravitaillement des troupes  ? De manière plus générale, la justice du roi se révèle dans son activité législative. La législation fait intervenir à la fois la justice et la sagesse : la législation d’un tyran peut être avisée (il comprend ce qui lui profite ou non à titre personnel), mais elle est injuste, alors que le roi est toujours juste72. ii. La tempérance, qui est très étroitement liée à la justice selon Ménandre ii (soit parce que la justice doit être incorruptible et dénuée d’excès, soit parce que cette rubrique prolonge en quelque sorte, dans le domaine des mœurs, le rôle de législateur dévolu au roi), doit lui succéder. Elle concerne essentiellement le rôle de l’empereur comme éducateur moral de ses sujets, par imitation, car « ceux qui voient la vie du roi la choisissent »73. L’influence de la tempérance impériale se fait ressentir aussi bien dans la vie privée des sujets, au sein des mariages qui produisent des enfants légitimes, que dans la vie publique des cités, lors des fêtes. L’orateur peut mentionner ici l’impératrice si celle-ci est très honorable, mais non pour souligner sa tempérance à elle, comme c’était le cas dans le Panégyrique de Pline ; il s’agit de souligner la fidélité exclusive de l’empereur à son épouse. Un nouvel élément de l’éloge apparaît ainsi, celui de la fidélité conjugale masculine et de la continence dont l’idéal se développe entre le iie et le ive siècle74. Plus généralement,

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Heeresgeschichte des Römischen Reiches im 3. bis 6. Jh. n. Chr., Firenze, 2001, p. 37–257 : de son introduction en 199 jusqu’à Dioclétien, l’annone militaire n’a concerné que le ravitaillement des troupes expéditionnaires et non celui des unités stationnées dans les provinces ; sous Dioclétien, il devient un impôt régulier. Pour le Haut-Empire jusqu’aux Sévères, voir J. P. Roth, The Logistics of the Roman Army at War (264 B.C.-A.D. 235), Leiden, Boston, Köln, 1999, p. 236–241 ; P. Erdkamp, “The corn supply of the Roman armies during the Principate”, dans P. Erdkamp (éd.), The Roman Army and the Economy, Amsterdam, 2002, p. 47–69. Ménandre ii, 375, 24–376, 2. Ménandre ii, 376, 8–9. A. Rousselle, Porneia, p.  103–120, 167–182. Chez Pline, la tempérance de Trajan se propageait par imitation à ses proches, en particulier à Marciana et à Plotine, Pan., 83 ; 84, 5. Voir F. Burdeau, « L’empereur d’après les panégyriques latins », p. 47 : « Le pouvoir devient une mission, un sacerdoce. C’est en partie dans cette optique qu’il faut comprendre les louanges des orateurs à la frugalité des repas impériaux, à la chasteté des Princes. Le pouvoir doit être une école d’oubli de soi-même, et l’importance de la mission doit conduire l’Empereur à mener une vie presque monastique ».

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ce phénomène relève d’un transfert réciproque des qualités traditionnellement féminines et masculines au sein du couple impérial, qui a été mis en évidence par J.-P. Martin dans le monnayage impérial entre les Sévères et Aurélien (238–275). Pudicitia, qui était surtout l’apanage des Augustae du iie et du iiie siècle, est désormais présente dans le monnayage de Trajan Dèce et de son fils Herennius Etruscus, de Trébonien Galle et de ses fils Hostilien et Volusien, de Gallien75. En parallèle, la Concordia, symbole de l’union conjugale, figurée par la dextrarum iunctio – l’image de l’empereur et son épouse se serrant la main – est mise en évidence76. L’unité du couple impérial est devenue le préalable et comme la promesse de la concorde au sein de l’Empire. Face aux difficultés rencontrées par le pouvoir, cette unité est soulignée et l’écho des vertus sur les monnaies de l’empereur et de l’impératrice peut apparaître comme une tentative de redoubler l’efficacité de l’action impériale. iii. Sagesse : elle est fondamentale car l’empereur n’aurait pu accomplir toutes ses actions, ni supporter le poids d’affaires si considérables, s’il n’avait surpassé tous les hommes en sagesse (φρόνησις) et en intelligence (συνέσις), grâce à quoi les vertus permettant de légiférer, d’être tempérant, et toutes les autres, peuvent être mises en œuvre. L’empereur doit être décrit comme rapide (ὀξύς) à voir, habile à comprendre, meilleur qu’un devin pour prévoir ce qui va arriver, il excelle à choisir le bon conseil (εὐβουλία) parmi les avis des autres, est capable de savoir ce qui est difficile et ce qui est simple77. Topos de la Fortune (τύχη) qui donne à l’empereur le succès dans ses entreprises, éventuellement des enfants, des amis qui lui veulent tous du bien, des gardes prêts à risquer leur vie pour lui78.

J.-P. Martin, « Les AVGVSTAE du iiie siècle (238–275) : leur rôle d’après leur monnayage », dans J. Champeaux, M. Chassignet (éd.), Aere perennius en hommage à Hubert Zehnacker, Paris, 2006, p. 267–279, part. p. 271–272, 277–278. Pudicitia : ric iv 2 Trajan Dèce 46 a-b ; Herennius Etruscus 159 a-b ; Hostilien 196 a-d, 203 a-e ; Trébonien Galle 88 ; Volusien 132, 133 a-b ; Gallien 272. La dextrarum iunctio apparaît sur l’iconographie monétaire dès le règne d’Antonin le Pieux. Voir ric iv 2 Sabinia Tranquillina 250 ; Herennia Etruscilla 138 ; Cornelia Supera 33 ; J.-P. Martin, « Les AVGVSTAE », p. 272. Ménandre ii, 376, 13–23. Ménandre ii, 376, 25–31. Sur ce topos, voir L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 174–176.

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Comparaison générale avec les règnes précédents (par exemple celui d’Alexandre le Grand), qui ne doivent pas être rabaissés, ce qui est maladroit (ἄτεχνον), mais admirés, tout en accordant la palme de la perfection au règne présent79. 10) Epilogue qui souligne la prospérité (εὐετηρία) et le bonheur (εὐδαιµονία) des cités80 : les marchés sont pleins de produits, les cités de fêtes et de panégyries, la terre est cultivée dans la paix, on peut naviguer sur la mer sans danger, la piété (εὐσέβεια) envers les dieux est en essor, les honneurs sont décernés selon les mérites de chacun, on ne craint pas les barbares ni les ennemis, les armes du bon roi sont un rempart plus sûr que les remparts des cités, on acquiert les prisonniers comme esclaves sans combattre soi-même à la guerre, mais de la main victorieuse de l’empereur. Ce tableau rappelle l’idéal de la pax Romana sous Antonin, qu’a décrit Aelius Aristide dans le discours En l’honneur de Rome, en 144, en exploitant le thème de la Felicitas Temporum, le « bonheur des temps » 81. L’orateur doit poursuivre en évoquant les prières les plus pertinentes que les cités peuvent faire à la divinité, pour que le bon roi règne toujours et qu’il soit préservé. La dimension cosmologique de l’empereur est soulignée : « pluies en saison, produits de la mer et abondance de fruits nous comblent grâce à la justice de l’empereur »82. « En retour, cités, peuples, familles et tribus, nous tous l’honorons avec des couronnes, des hymnes, des écrits ; les cités sont pleines de ses images : certaines sont pleines de tableaux peints, d’autres peut-être d’honneurs en matière plus précieuse »83. 11) Prière pour demander aux dieux que l’empereur vive longtemps, qu’il transmette son pouvoir à ses enfants et à sa descendance84.

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Ménandre ii, 376, 31–377, 10. Ménandre ii, 377, 10–28. Aelius Aristide, En l’honneur de Rome, 99–100 : on retrouve les mêmes références à la paix, à la floraison des concours et des panégyries, à la libre circulation et à la sécurité. Voir l’épilogue de l’Eis Basilea, 36–37. Sur le thème de la Felicitas Temporum, qui est un thème antonin par excellence (il se développe dès le début de la dynastie, en liaison avec l’idéal de l’âge d’or), voir J. R. Fears, “The Cult of Virtues and Roman Imperial Ideology”, p. 913– 924 sur le règne de Trajan. Ménandre ii, 377, 22–24. Ménandre ii, 377, 24–28. Toutes les traductions de Ménandre le rhéteur sont personnelles. La référence à la matière précieuse désigne certainement les statues en or et en argent habituellement condamnées, car ce sont des honneurs divins ; elles constituent cependant les témoignages les plus forts de la reconnaissance des sujets envers les empereurs et elles sont sans doute évoquées ici à ce titre. Ménandre ii, 377, 28–30.

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Cette présentation analytique montre à la fois la continuité de l’éloge et son adaptation aux circonstances politiques, à l’évolution du pouvoir impérial après les Sévères, quand s’est peu à peu imposée la figure de l’« empereur-soldat » auquel une carrière militaire avait permis de s’élever jusqu’au pouvoir impérial. Le basilikos logos souligne ainsi la possibilité de passer sous silence l’origine sociale de l’empereur lorsque celle-ci est moins glorieuse que cette carrière militaire, comme ce fut le cas pour Aurélien et pour Probus85. Il place au premier plan à la fois les compétences militaires de l’empereur comme chef de guerre et ses prouesses de combattant, ce qui correspondait à l’engagement personnel accru des empereurs dans les batailles, dont découlait un risque plus élevé qu’ils soient tués – ce fut le cas de Gordien iii (semble-t-il) en mars 244, lors d’une bataille contre les Perses près de Mésichè, et de Trajan Dèce et de son fils en juin 251, dans la plaine de la Dobroudja face aux Goths – ou bien faits prisonniers, comme Valérien par les Perses en 26086. Pour autant, le rhétoricien ne renonce ni aux vertus philosophiques, ni à la paideia87. Il attache toujours beaucoup d’attention à l’éducation du roi, pour laquelle il propose un idéal d’équilibre entre formation intellectuelle et entraînement physique, qui rappelle l’éducation très complète que Septime Sévère avait fait donner à ses fils, telle qu’elle a été décrite par Dion Cassius. L’historien bithynien semble avoir partagé cet idéal, comme le montrent les références qu’il a faites dans l’Histoire romaine à la notion de kalos kagathos, aussi bien que son souhait, exprimé dans le miroir au prince de Mécène, que l’éducation de l’élite  – chevaliers et sénateurs  – puisse inclure une véritable formation militaire, qui allait de moins en moins de soi pour les seconds88. 85 86

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Selon l’Epitome de Caesaribus, 35, 1 et 37, 4, le père d’Aurélien était un paysan et celui de Probus un paysan-jardinier. Les circonstances exactes de la mort de Gordien iii sont sujettes à caution, voir infra ; A.  Maricq, Recherches sur les Res Gestae divi Saporis, Bruxelles, 1953, p.  41–63  ; selon Zonaras, xii, 17, il serait mort après s’être fracturé la jambe en tombant de cheval. Sur l’importance de cet engagement personnel des empereurs dans la bataille, on peut rappeller la légende qui s’est développée autour de la mort de Claude (selon toute vraisemblance décédé de la peste dans son lit : sha, Claude, xii, 2 ; Zosime, i, 46, 2 ; Eutrope, ix, 11, 2) : selon Aurélius Victor, De Caesaribus, 34, 3–6, et son abréviateur, Epitome de Caesaribus, 34, 3, il aurait offert sa vie pour sauver l’Etat, au cours d’un acte de deuotio, en combattant les Goths. Sur l’importance de la victoire dans le basilikos logos, voir M. J. Ponce, « Menandro Rétor y el discurso imperial », Habis, 29, 1998, p. 221–232 (qui parle, d’une manière qui paraît exagérée pour le basilikos logos, d’une véritable théologie de la victoire). Voir aussi la description héroïque de la mort de Dèce et de son fils au combat : Aurélius Victor, De Caesaribus, 29, 5. L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 161–163. Education de Caracalla : Dion Cassius, lxxviii, 11, 2–3. Kalos kagathos : lvii, 18, 6 (Germanicus) ; lxxiii, 1, 1 (Pertinax). Education de l’élite : lii, 26, 1–2. A la différence de Dion

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Dans ce contexte, la pertinence des comparaisons entre l’empereur et les modèles d’Achille et d’Alexandre le Grand se trouve ravivée, de même que, plus généralement, celle des références au monde homérique. Comme dans celui-ci, les thèmes de la guerre et de la paix ont un caractère central dans le basilikos logos ; on retrouve cet élément structurel dans l’éloge xviii du Corpus hermeticum. La sensibilité au risque d’oppression fiscale, dû à la guerre, est aussi caractéristique du iiie siècle : elle était déjà présente dans les réflexions politiques sévériennes, comme on l’a vu au chapitre précédent89. Un élément nouveau est l’importante dimension charismatique dont est dotée la figure du bon roi. Ce charisme découle de la mention des aristeia du roi au combat, et du motif répété de la Fortune, τύχη, qui s’est attachée à lui. La notion de τύχη est en lien avec la guerre, avec la prise du pouvoir et, plus généralement, avec la protection du roi et la réussite de ce qu’il entreprend, et c’est de sa Fortune que dépend le bonheur de ses sujets90. La τύχη apparaît, au iiie siècle, comme une notion complexe, qui recouvre au moins deux acceptions : elle renvoie, on l’a dit, à la Felicitas qui assure à l’imperator la victoire, ainsi qu’à la notion stoïcienne de providence divine (on la trouve en ce sens dans l’Histoire romaine de Dion Cassius). Dans le monnayage provincial grec – comme c’était auparavant le cas dans le monnayage civique sous les rois hellénistiques – l’empereur ou bien l’impératrice ou leurs fils (au droit) étaient fréquemment associés à la Τύχη protectrice des cités (au revers), représentée sous la forme d’une femme portant une couronne tourelée et une corne d’abondance ou des épis, selon le type qui s’était répandu dans le monde grec à la fin du iiie siècle av. J.-C. Cette figuration impliquait les notions de sécurité et de prospérité essentielles à la définition de la Felicitas Temporum, et il est probable que la conception de la τύχη impériale ait été liée à la Τύχη civique pour les citoyens grecs de l’Empire91. La vue de l’empereur exerce en outre un

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Cassius, pour qui la paideia n’apparaissait pas compatible avec la vie militaire qu’ont menée Septime Sévère et Caracalla (voir supra, c. 5), Ménandre ii construit une figure politique idéale qui les concilie. Sur ce topos, voir L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 172. Ménandre ii, 371, 22 (µοίρας εὐτυχοῦς, à propos de la prise de pouvoir de l’empereur ; il s’agit d’un emploi traditionnel, voir Hérodien, i, 5, 5 et vii, 1, 2, à propos de l’avènement de Commode et de Maximin) ; 371, 31–32 : le don pour les exercices militaires laisse présager l’intervention de la tuchè ; 376, 25–31 ; 422 (Stephanôtikos), 15–19 : « la divinité d’en haut, qui a eu pitié du genre humain et a voulu le réconforter en lui octroyant la prospérité (ταῖς εὐδαιµονίαις), a accompagné ta naissance pour assurer un sort heureux (ἐπ᾽ ἀγαθῇ µοίρᾳ) à l’ensemble du monde habité ». Sur le type de la Tychè qu’Eutychidès avait créé pour Antioche à la fin du iiie siècle av. J.-C., voir T. Dhorn, Die Tyche von Antiochia, Berlin, 1960. Quelques exemples, datés du milieu du iiie siècle, des très nombreuses monnaies associant la Tychè et l’empereur ou

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pouvoir particulier, qui a un caractère magico-religieux : elle éloigne les maux et incite ceux qui le voient mener une vie vertueuse à l’imiter92. Une source essentielle du charisme royal provient, naturellement, des rapports entre le roi et les dieux. La notion d’imitatio dei est absente du traité, mais celui-ci souligne la possibilité de mettre en avant l’origine divine de l’empereur, qui apparaît comme un émissaire des dieux bienfaisants93. L’orateur est aussi incité à construire un parallèle entre le roi et les dieux, notamment pour ce qui concerne leur fonction sotériologique qui est mise en évidence94. Celleci se double d’une dimension cosmologique : l’empereur apparaît comme un régulateur et bienfaiteur cosmique grâce à sa justice95. L’éloge développe ici un thème connu et très ancien, dont la première apparition se trouve dans l’Odyssée : la justice et la piété de Pénélope font naître la prospérité dans son royaume. Chez Dion de Pruse, Royauté gouverne avec les Hôrai  – Dikè, Eunomia et Eirenè – filles de Zeus et de Thémis, qui avaient pour rôle traditionnel d’assurer aux hommes bonheur et prospérité96. Cette dimension cosmologique est encore plus flagrante dans le Panégyrique de Constance César par un orateur anonyme (prononcé en 297), où des phénomènes météorologiques extraordinaires sont liés à la présence, aux actions des empereurs qui sont décrits comme des dieux et des forces cosmiques ; la prospérité de l’Empire est due à la Tétrarchie97. De manière générale, les Panégyriques latins vont beaucoup plus loin dans la sacralisation des empereurs, de même que le « discours royal »

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des membres de sa famille : rpc Online ix Trajan Dèce 1416–1418, 2186, 2190, 2258–2259 ; Etruscilla 2193, 2236–2237, 2265 ; Herennius Etruscus et Hostilien 2189, 2195 ; Trébonien Galle 2289 ; Volusien 2302. Ménandre ii, 375, 13–18 ; 376, 8–9. Sur la protection surnaturelle que produit l’image du roi, et en particulier sur le droit d’asile attaché à ses statues, voir aussi Corp. herm., xviii, 16 : « Davantage, les statues mêmes du roi se trouvent être des havres de paix pour les hommes en butte aux plus fortes tempêtes : et déjà à elle seule, l’image royale, par son apparition, a produit la victoire, et défendu contre toute crainte et toute blessure ceux qui se tiennent auprès d’elle ». Ménandre ii, 370, 21–28 ; 371, 1–2 ; 422, 15–19 (cité supra) ; 423, 10–12 : la divinité a envoyé le roi parce qu’elle le savait rempli de pitié et bienfaisant envers les hommes. Les deux derniers passages disent clairement que le bon roi a été choisi par les dieux pour ses qualités de bienfaiteur du genre humain, c’est-à-dire pour sa philanthropie. Ménandre ii, 375, 13–18 ; 422, 15–19 ; 423, 10–12. Ménandre ii, 377, 22–24. Od. xix, 109–114 ; Dion de Pruse, Or. i, 73–75 ; Hésiode, Th., 900–902 ; Diodore, v, 73, 6. Pan., iv (8), 3–5. Voir aussi Pan., ii (10), 3 : l’empereur, « au sommet de la puissance humaine  », est décrit comme le spectateur omniscient du monde habité, et placé dans une situation de hauteur qui fait songer aux dieux de l’Iliade regardant les batailles des hommes ; Pan., v (9), 21 : les empereurs sont décrits comme des divinités, comme des héros au corps immense.

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inachevé du Corpus Hermeticum98. C’est peut-être en partie parce qu’il s’agit de discours réellement prononcés dans un cas, et d’une sorte de brouillon dans l’autre, alors que le basilikos logos de Ménandre ii est une simple ossature. Mais les conseils du rhétoricien sont aussi caractérisés par une certaine mesure et par une dimension plus générale qu’une idéologie particulière comme celle de la Tétrarchie, même s’il n’existe aucune incompatibilité entre celle-ci et l’image du bon roi dans le second traité. La nature-même de l’éloge, fondé sur l’amplification, joue un rôle évident dans l’accentuation du charisme royal, mais cette mise en relief reflète bien l’évolution du discours impérial dans le dernier tiers du iiie siècle et, par comparaison avec celui-ci, il était difficile à Ménandre ii d’être plus sobre : depuis le règne d’Aurélien (270–275), les empereurs se considéraient comme des représentants sur terre de Sol Inuictus ; au moins à partir de 287, Dioclétien et Maximien adoptèrent les surnoms de Jovien et Herculien : ils étaient diis geniti, rattachés, l’un à la lignée de Jupiter, l’autre à celle d’Hercule99. Dans le basilikos logos, les vertus restent fondamentales pour définir la figure du prince, car elles sont le moteur de toutes ses actions. Mais il s’agit, bien plus qu’auparavant (comme on avait pu l’observer dans le Panégyrique de Pline), de vertus philosophiques « appliquées », au sens où elles sont caractérisées par leur aspect politique, comme c’est le cas de la philanthropie/clémence, ou bien pragmatique, comme on le voit dans la définition de la sagesse relative

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Pour d’autres rapprochements, reposant sur la mention des ascendances divines, des qualités intellectuelles et de l’esprit divin des empereurs, ou sur des parallèles entre ceuxci et les dieux, voir Pan., ii (10), 1–2 ; 4 ; 7 ; 8 ; 9 ; 10 ; 11 ; Pan., iii (11), 3 ; 6 ; 7 ; 14 ; Pan., iv (8), 2 (a diuinitate uestra) ; 4 ; 6–7 ; Pan., v (9), 8 ; 21. Voir F. Burdeau, « L’empereur d’après les panégyriques latins », p. 10–33 ; J. Béranger, « L’expression de la divinité dans les Panégyriques Latins », dans Principatus, p. 429–444 ; S. R. F. Price, Rituals and Power, p. 246– 247 ; S. Benoist, « Images des dieux, images des hommes ». Dans le « discours royal » du Corpus hermeticum (xviii), à partir de § 8, l’éloge de la divinité, qui choisit le roi et lui accorde la victoire, occupe une place importante ; § 8, le roi est l’image de la divinité et, au § 11, les rois sont qualifiés de « très divins ». Sur la réforme religieuse solaire d’Aurélien, voir R.  Turcan, «  Le culte impérial au iiie siècle  », dans anrw, ii, 16, 2, Berlin, New  York, 1978, p.  996–1084, part. p.  1071–1073  ; E. Cizek, L’empereur Aurélien et son temps, Paris, 1994, p. 175–182 ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 176–177 ; l’assimilation d’Aurélien à Sol est particulièrement forte dans le monnayage oriental  :  ric v 1 Aurélien 306 (antoninien de Serdica, portant au droit la légende DEO ET DOMINO NATO AVRELIANO AVG), 319–322 (asses de Cyzique représentant au droit Sol avec la légende SOL DOM[INVS] IMP[ERI] ROM[ANI], et au revers l’empereur sacrifiant). Voir aussi J.-P. Martin, Pouvoir et religions de l’avènement de Septime Sévère au concile de Nicée (193–325 ap. J.-C.), Paris, 1998, p. 92–96 ; id., « Sol Invictus : des Sévères à la tétrarchie d’après les monnaies », ccg, 11, 2000, p. 297–307, part. p. 305–307.

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à la guerre, qui prend le sens technique de stratégie, tactique militaire100. Le système des vertus, à la fin du iiie siècle, est remarquablement souple et bien rôdé : les vertus n’ont pas toujours le même contenu en temps de paix et en temps de guerre, ni selon le destinataire de l’éloge, comme on le remarque dans leur emploi pour définir le roi et les gouverneurs. La figure du gouverneur est également louée à partir des quatre vertus philosophiques canoniques (courage, justice, tempérance et sagesse), mais, pour ne prendre qu’un exemple, le courage qui la caractérise n’est plus le courage militaire : il s’agit du courage moral, à savoir la capacité du gouverneur à faire face aux difficultés des cités, à ne pas se laisser impressionner, et surtout à parler librement devant l’empereur, à bien représenter devant lui la cause des cités dont il est le sauveur. Grâce à son imperium, le gouverneur pouvait sous l’Empire commander les troupes stationnées dans sa province et mener des opérations militaires, mais il est bien clair, dans le traité de Ménandre ii, que l’empereur est le seul vrai chef militaire, l’Imperator101. Le traité reflète peut-être les réformes de l’armée et la réorganisation du commandement militaire qui ont été progressivement opérées sous la Tétrarchie et Constantin, la seconde aboutissant à retirer aux gouverneurs le commandement des légions102. Ainsi, d’un côté, le gouverneur représente la justice et la philanthropie de l’empereur qui l’a choisi, et il faut rappeler ici que, sous les Sévères, l’indulgentia principis, la « bienveillance du prince », a été associée à des promotions et des nominations de fonctionnaires impériaux103. De l’autre, la différenciation entre les deux figures est très nette, de même qu’elle l’est, plus généralement, entre l’empereur et les autres hommes : la supériorité du roi sur les hommes par sa valeur, par sa sagesse et son intelligence, est affirmée104. Dans le domaine des vertus également, la distance 100 101 102

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Clémence (philanthrôpia) : Ménandre ii, 374, 29–375, 4 ; Sagesse : Ménandre ii, 373, 23– 25 ; 374, 21–25. Ménandre ii, 379, 24–29 ; 416, 23–26. Voir A. Bérenger, Le métier de gouverneur, p. 67. J.-M. Carrié et A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p. 621–635 : sous la Tétrarchie, d’une part, le dispositif stratégique était marqué par la concentration d’armées mobiles sous le commandement direct des empereurs, basées dans les villes où ceux-ci résidaient. D’autre part, la gestion des armées locales est progressivement confiée à des commandants militaires, les ducs : cette nouvelle institution paraît n’avoir touché que peu de provinces sous Dioclétien (les premières attestations sûres datent des années 306–308), elle est systématisée par Constantin. Voir cil viii 51 = ils 5777 (Thysdrus, peut-être au milieu du iiie siècle) : mention d’un curateur qui officie ex indulgentia principis ; voir F. Jacques, Les curateurs des cités dans l’Occident romain : de Trajan à Gallien, p. 192–194, qui renvoie pour l’époque sévérienne à cil vi 31320 (Rome, entre 198 et 201) ; irt 424 (Lepcis Magna, 204) ; cil vi 31776 (Rome, sous Elagabal) ; cil vi 8619. Plus généralement, sur l’usage de la « bienveillance du prince » pour administrer l’Empire, voir L. Pietanza, Indulgentia, p. 45–92. Ménandre ii, 370, 26–28 ; 376, 18. Voir M.-H. Quet, « Conseils de Ménandre », p. 86–89.

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entre le roi et le reste de l’humanité est donc mise en évidence, et le roi ne peut plus être perçu comme un sage parmi d’autres. Même si les vertus sont liées les unes aux autres – peut-être selon la conception stoïcienne qui veut qu’avoir une vertu, c’est les posséder toutes – elles ne sont pas placées sur le même plan. Sur les quatre vertus canoniques, trois ont un rôle prépondérant (le courage, la sagesse et la justice), et une cinquième vertu, la philanthropie, est également mise en exergue. Le courage militaire est présenté comme la vertu royale par excellence105. Or, cette idée est précisément exprimée sur le monnayage impérial. A  partir du règne de Probus (276–282), qui semble avoir eu une origine sociale très humble et dont l’ascension fut intrinsèquement liée à la carrière militaire, la Virtus apparaît comme une légende inscrite au droit des monnaies, à la place de la titulature impériale : elle est donc présentée comme le principal élément de légitimation de l’empereur106. La sagesse (phronèsis, au sens de prudence) apparaît comme le soubassement de la justice et de la tempérance, et c’est la seule vertu qui doit être démontrée à la fois en temps de paix et en temps de guerre107. Cet intérêt pour une sagesse proche de l’intelligence politique est particulièrement fort au iiie siècle : on le voit apparaître dans le miroir au prince que Dion Cassius a attribué à Mécène au livre lii de son Histoire romaine, et il est évident dans le Discours anniversaire de Mamertin en l’honneur de Maximien, qui date de 291, dans lequel la sagesse est qualifiée de « maîtresse de toutes choses »108. La justice est la vertu qui distingue le bon roi du tyran, défini par la recherche de son profit personnel, alors que le roi se soucie du bien-être des sujets ; elle fait du bon roi un bienfaiteur cosmique109. Elle est présentée comme une partie de la philanthropie, ce qui révèle toute l’importance accordée à cette dernière vertu : c’est en effet en raison de sa philanthropie que le roi est l’émissaire des dieux110. Le rôle prépondérant joué par la notion polysémique de philanthopie 105 106

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Ménandre ii, 372, 30–31. Déjà à partir du règne de Gallien (253–268), les allusions à la Virtus sont de plus en plus nombreuses dans le monnayage impérial  :  M. Christol, L’empire romain du iiie siècle, p. 184 ; voir aussi id., « L’éloge de l’empereur Gallien, défenseur et protecteur de l’Empire », dans M.-H. Quet (dir.), La « Crise » de l’Empire romain, p. 107–131, part. p. 117–119 sur l’emploi d’inuictus comme composante de l’éloge de Gallien, p. 124–128 sur la surévaluation du prince comme combattant. Légende VIRTVS au droit : ric v 2 Probus 20, 64, 76, 81, 85–87, 106, 114, 159, 166, 189, 196 etc. (VIRTVS PROBI AVG.). Ménandre ii, 376, 18–20. Dion Cassius, lii, 18, 7 : le bon chef est sensé, ἔµφρων, c’est ce qui lui permet d’apprendre l’art de gouverner bien et sans danger ; Pan., iii (11), 19 : rerum omnium domina. Ménandre ii, 375, 31–376, 2 ; 377, 22–24. Justice partie de la philanthropie : Ménandre ii, 374, 28. Le roi émissaire des dieux par philanthropie : Ménandre ii, 422, 15–19 ; 423, 10–12.

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reflète en partie l’affirmation répétée de l’indulgentia principis au iiie siècle, à partir des Sévères, qui se manifeste dans le monnayage impérial, sur les inscriptions et dans les œuvres des juristes, comme l’a montré J. Gaudemet. Le rapport entre justice et philanthropie est aussi révélateur de l’évolution sémantique, dans un sens juridique technique, de la philanthrôpia au iiie siècle : le terme « philanthropie » peut être employé au sens d’indulgentia principis en matière pénale, par référence à des mesures de grâce, des décrets d’amnistie111. La piété est présente dans l’exorde et dans l’épilogue – elle est essentielle dans la définition de la Felicitas Temporum, qui est en lien avec l’âge d’or – mais elle n’est pas une topique à part entière112. L’image de l’empereur est donc celle d’un chef de guerre accompli, à la fois champion qui sort des rangs et stratège, d’un régulateur de la société par sa législation ainsi que par le maintien des bonnes mœurs, et, au-delà, d’un régulateur cosmique. Plusieurs types de légitimation à son pouvoir sont envisagés  :  la fortune (tuchè) et les vertus sont présentées comme une alternative à la noblesse familiale. Sur ce point encore, l’éloge du bon roi prend en compte une situation nouvelle au iiie siècle : après Gallien, à l’exception de Tacite, les empereurs ne furent plus issus de l’aristocratie sénatoriale, car le début des années 260 a vu disparaître les officiers militaires issus de l’ordre sénatorial113. Commode fut donc le dernier empereur à être réellement né dans la pourpre, Caracalla à avoir eu à la fois une éducation royale et un vrai règne. Après les Sévères, les princes associés au pouvoir impérial par leur père n’ont pas survécu à celui-ci, à l’exception de Gallien et, plus brièvement, de Carin et Numérien. Néanmoins, avant la mise en place de la Tétrarchie, tous les empereurs qui sont arrivés au pouvoir en s’appuyant sur leurs troupes et qui avaient des fils ont cherché à 111 112

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J. Gaudemet, « Indulgentia principis », p. 11–14. L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 171, a souligné le statut spécial de la piété dans la théorie morale antique : elle n’a, notamment, aucune place dans l’Ethique d’Aristote ; elle semble ne pas relever de l’ordre humain, mais d’un ordre supérieur. Le lien entre piété et âge d’or est explicité dans le Discours anniversaire de Mamertin en l’honneur de Maximien, où la piété tient une place particulièrement importante : Pan. iii (11), 18 : Felicitatem istam, optimi imperatores, pietate meruitis ! ; voir aussi § 19 sur le lien et la nature particulière de la piété et du bonheur. M. Christol, Essai sur l’évolution des carrières sénatoriales dans la 2e moitié du iiie s. ap. J.-C., Paris, 1986, p. 35–44 ; id., L’Empire romain du iiie siècle, p. 148–149 ; P. Cosme, Les empereurs romains, p. 160–162, qui résume le débat sur l’origine de cette disparition : soit un édit de Gallien en 262, soit l’empereur aurait simplement cessé de pourvoir les postes vacants avec des officiers issus de l’ordre sénatorial, dans le prolongement d’une politique mise en place par ses prédécesseurs qui, depuis la fin du règne de Septime Sévère, octroyaient aux chevaliers des commandements militaires extraordinaires.

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associer ceux-ci à leur règne. Le basilikos logos reflète cette volonté de mettre en place une continuité dynastique héréditaire, qui apparaissait sans doute comme la solution la plus sûre pour lutter contre la grande précarité du pouvoir. En témoigne en effet la prière finale pour que l’empereur transmette son pouvoir à ses enfants et à ses descendants114. La recommandation de ne pas critiquer les règnes précédents tout en montrant que l’empereur régnant est le meilleur va peut-être dans le même sens, ce qui laisserait entendre combien était profond le souhait d’une véritable stabilité du pouvoir115. L’importance attachée à la continuité dynastique s’est traduite, à partir de 310, par le souci des historiens de faire de Claude un grand-oncle de Constance Chlore, le fondateur de la dynastie constantinienne116. La méritocratie par les vertus s’adaptait bien aux nouvelles modalités de transmission des pouvoirs impériaux sous la Tétrarchie, établies par Dioclétien entre 285 et 293, d’abord avec l’adoption de Maximien, un officier pannonien dont l’empereur avait pu éprouver les qualités militaires, qui fut élevé au rang de César probablement le 21 juillet 285, et à celui d’Auguste le 1er avril 286 ; puis avec la désignation comme Césars, le 1er mars 293, de deux autres officiers équestres, Constance Chlore et Galère. Mais, parallèlement à ce choix politique, c’est la force du principe de l’hérédité qui suscita l’échec de la Tétrarchie, 114 115

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Ménandre ii, 377, 28–30. Ce refus de critiquer les règnes précédents a été aussi exprimé par Marc Aurèle, voir supra, c. 4. Les empereurs du iiie siècle ont repris d’autres moyens d’exprimer la continuité politique, qu’avaient mis en œuvre les Antonins : Trajan Dèce a émis en 250 une série d’antoniniens commémorant les diui (Auguste, Vespasien, Titus, Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux, Marc Aurèle, Commode, Septime Sévère, Sévère Alexandre) dont il se présentait ainsi comme un successeur (ric iv 3 Trajan Dèce 77–100) ; cf. Pline, Pan., 88, 5–7. Voir aussi l’usage du superlatif, devenu courant dans l’épigraphie, qui s’applique à des qualités impériales devenues traditionnelles, pour montrer que l’empereur actuel est le meilleur de tous les princes qui ont régné  :  voir par exemple, pour Gallien, cil xiv 5334 : inuicto Gallieno exsuperan[tissimo] Augusto, « à Gallien invaincu, Auguste qui surpasse tous les autres » ; cil xi 3091 : G[a]l/[lieni In]victi Aug(usti) ac [super omn]es retro [principes] fortiss(i)mi, « de Gallien Auguste invaincu et très courageux, supérieur à tous les princes précédents  »  ; cil vi 1106  =  ils 548  :  Gallieno clementissimo principi, cuius inuicta uirtus sola pietate superata est, « Au très clément prince Gallien, dont le courage invaincu est surpassé par la piété seule  », et, pour Aurélien, cil vi 1112  :  restitutori orbis [ fortissi]mo et uictoriosissimo principi, « au restaurateur du monde, le prince le plus courageux et le plus victorieux ». Enfin, les princes du iiie siècle ont fait diviniser leurs prédécesseurs non pas de manière systématique, mais fréquemment, comme le montre le tableau des morts des empereurs et de leur traitement dans J. M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p.  361–363. Voir S.  Benoist, «  L’usage de la memoria des Sévères à Constantin : notes d’épigraphie et d’histoire », dans Condamnations et damnation. Approches des modalités de réécriture de l’histoire, ccg, 19, 2008, p. 129–143. Voir A. Chastagnol (éd.), Histoire Auguste, p. 919–923.

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lorsque Maxence, fils de Maximien, et Constantin, fils de Constance Chlore, refusèrent d’être écartés du pouvoir en 305. De la sorte, le « discours royal » de Ménandre ii traduit bien deux idéaux politiques contemporains, qui coexistaient de manière incompatible117. Ce discours contient aussi de nombreux points communs avec la réflexion politique de Dion de Pruse, par rapport aux vertus (notamment l’importance de la philanthropie), à l’importance des références homériques, utilisées par Ménandre ii pour rehausser le statut de l’empereur, et à l’exploitation des modèles d’Achille, d’Alexandre le Grand, d’Héraclès fils de Zeus118. Mais ces références changent de sens  :  si Héraclès peut ponctuellement renvoyer au héros cynico-stoïcien de la vertu, il évoque plus directement chez Ménandre ii le courage militaire et la lutte contre les barbares119. Dans le Stephanôtikos, la comparaison avec Héraclès fils de Zeus vient s’ajouter à l’image du roi combattant, lui-même associé à des références au soleil ; à partir d’Aurélien, celui-ci était présenté comme le protecteur, voire le « compagnon-conseiller », comes, de l’empereur120. Le vocabulaire employé par Ménandre ii présente aussi des 117

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Voir aussi Hérodien, i, 5, 3–8 : la légitimité de Commode repose à la fois sur sa noblesse familiale et sur sa valeur de commiles. Voir F.  Burdeau, «  L’empereur d’après les panégyriques latins », p. 58–60 sur la conciliation entre mérite et hérédité (qui passerait par la transmission héréditaire des vertus) dans les Panégyriques latins. Il n’existe pas non plus de doctrine uniforme dans l’Histoire Auguste : J. Béranger, « L’hérédité dynastique dans l’Histoire Auguste : procédé et tradition », dans bhac 1971, Bonn, 1974, p. 1–20. Sur l’exploitation (critique) des références mythiques propre à Dion, dans une perspective politique, voir A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 108–114, 255–273 et 310–351. Ménandre ii, 370, 23–24 (valeur, peut-être vertus) ; 422, 21–24 (valeur militaire dans la lutte contre les Barbares). Ménandre ii, 422, 23–27. Voir la présence de Sol dans le monnayage d’Aurélien : E. Manders, Coining Images of Power. Patterns in the Representation of Roman Emperors on Imperial Coinage, A.D. 193–284, Leiden, Boston, 2012, p. 150–154 ; sur sa place croissante dans le monnayage impérial entre les Sévères et la Tétrarchie, J.-P. Martin, « Sol Invictus » ; sur le culte solaire des Sévères à Constantin, J.-M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p. 369–373. Les références à Héraclès et au Soleil coexistent dans le monnayage de Probus (ric v 2 Probus 70–72 [Hercule comes de l’empereur] ; 373–383 [Hercule Pacifer] ; 585–588 [Hercule Arcadien, Erymanthien, immortel] ; 21, 134 [Sol avec la légende AETERNITAS AVG au revers]  ; 199–209 [Sol inuictus]  ; 829 [Sol comes de l’empereur]  ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 182), mais aussi dans celui des Tétrarques, qui n’ont pas renoncé à faire figurer Sol sur leurs monnaies, et – puisque le Stephanôtikos fait référence à un empereur au singulier – sur celui de Constantin, qui était rattaché à la lignée herculienne mais qui, près avoir eu une vision de Sol en 310 au sanctuaire vosgien de Grand (Pan., vii [6], 21, 3–4), se fit représenter avec la divinité sur son monnayage : ric vii 43–45 p. 366, 108 p. 375, 35 p. 397, 8 p. 468, 49 p. 685 (SOLI COMITI AVG N), 56 p. 368 (SOLI COMITI CONSTANTINI AVG) ; J.-M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p. 371.

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similitudes avec celui de Pollux121. On a également relevé des affinités avec le miroir au prince de Mécène chez Dion Cassius, notamment l’intérêt pour la sagesse politique, l’éducation mixte – à la fois militaire et intellectuelle – du roi, et le soin que celui-ci apporte à rendre supportable le poids de l’imposition. Ainsi, l’éloge du bon roi est bien ancré dans une tradition de rhétorique politique, et à ce titre il représentait un facteur de stabilité des valeurs dans la culture politique gréco-romaine. Dans le même temps – et davantage que les miroirs au prince qui font l’objet de réflexions philosophiques ou personnelles – il reflète les circonstances politiques et les pratiques du pouvoir de son époque, et il est imprégné du discours institutionnel sur le pouvoir impérial, que celui-ci provienne du pouvoir lui-même ou bien des cités. Objectif et conception du basilikos logos Le « discours royal », étant par nature un éloge, peut, par définition, s’éloigner de la réalité historique. Il repose sur deux principes de base qui sont l’amplification et la sélection d’éléments positifs et consensuels : Le discours royal est un éloge du roi. C’est pourquoi il contiendra une amplification acceptée par tous des biens appropriés au roi, mais n’admet rien d’ambivalent ni de contestable parce que la personne louée est extrêmement illustre : il sera élaboré à partir de qualités qui font l’unanimité122. Le discours d’ambassade (Presbeutikos) pour une cité qui a traversé des épreuves fournit un bon exemple d’amplification : l’orateur est invité à développer davantage les actions relatives à la philanthropie du bon roi, pour inciter naturellement l’empereur à donner de nouvelles preuves de cette vertu123. Cet exemple présente l’intérêt de montrer comment les ambassadeurs espéraient faire pression sur l’empereur, à la fois par la séduction liée à l’éloge et par l’incitation à correspondre à un modèle attendu. L’amplification admettait la liberté d’invention. Ainsi, pour le topos de la naissance, Ménandre ii recommande de mentionner des présages ou des interventions divines et, si possible, d’en

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Outre les noms des vertus, on a relevé plus haut, dans la présentation analytique du basilikos logos, les termes ἥµερον, εὐπρόσοδον, ὀξύτης et ὀξύς, εὐβουλία ; voir supra. Ménandre ii, 368, 1–8  :  Ὁ βασιλικὸς λόγος ἐγκώµιόν ἐστι βασιλέως· οὐκοῦν αὔξησιν ὁµολογουµένην περιέξει τῶν προσόντων ἀγαθῶν βασιλεῖ, οὐδὲν δὲ ἀµφίβολον καὶ ἀµφισβητούµενον ἐπιδέχεται διὰ τὸ ἄγαν ἔνδοξον τὸ πρόσωπον εἶναι, ἀλλ’ ὡς ἐφ’ ὁµολογουµένοις ἀγαθοῖς τὴν ἐργασίαν ποιήσῃ. Ménandre ii, 423, 9–12.

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inventer : « le sujet le permet en effet parce que les auditeurs sont obligés de recevoir ces éloges sans les critiquer »124. L’orateur pouvait, en outre, omettre les topiques susceptibles de rabaisser l’empereur, notamment celles qui sont relatives à son origine sociale125. Il avait ainsi le loisir de transformer l’objet réel de son éloge, car un passage du premier traité attribué à Ménandre – qui n’est probablement pas du même auteur que le second traité – évoque la possibilité de louer un tyran comme un bon roi : si l’orateur doit faire l’éloge d’une cité dotée d’un régime tyrannique, il doit la louer comme si elle avait un régime royal, sur le modèle des discours qu’Isocrate avait adressés à Nicoclès, roi de Salamine de Chypre entre 374 et env. 360 av. J.-C.126 Le basilikos logos n’est donc pas le lieu de la parrhèsia, mais il incite plutôt à la flatterie et à l’hypocrisie dénoncées par Pline dans son Panégyrique à Trajan, surtout dans le contexte d’ambassades127. Il fournit plus d’informations fiables sur la figure de l’empereur que sur sa personne, car tout le travail de l’orateur consistait à adapter le mieux possible, sans basculer dans la maladresse, la seconde à la première, selon le modèle attendu. Que le basilikos logos soit un discours consensuel et proche du discours officiel tenu par le pouvoir est amplement démontré par les parallèles que l’on peut faire entre les conseils du rhétoricien et des légendes monétaires très courantes dans la seconde moitié du iiie siècle, comme VIRTVS, CONCORDIA, PVDICITIA, FELICITAS TEMPORVM ou FELICIA TEMPORA  – légende souvent associée à la représentation des saisons sous forme de quatre bambins dansant, qui renvoyaient à l’harmonie cosmologique dont le bon roi était un régulateur – et AETERNITAS AVGVSTI128. Ce dernier motif est présent dans les prières évoquées en épilogue, qui font écho aux vœux publics pour le salut de l’Etat et de l’Empereur. Ceux-ci étaient périodiquement prononcés dans tout 124 125 126

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Ménandre ii, 371, 10–14 : ἐὰν δὲ οἷόν τε ᾖ καὶ πλάσαι καὶ ποιεῖν τοῦτο πιθανῶς, µὴ κατόκνει· δίδωσι γὰρ ἡ ὑπόθεσις διὰ τὸ τοὺς ἀκούοντας ἀνάγκην ἔχειν ἀβασανίστως δέχεσθαι τὰ ἐγκώµια. La possibilité de changer l’ordre des topiques est évoquée pour les gouverneurs, Ménandre ii, 380, 7–9. Ménandre i, 359, 28–30. Ces discours, rejettant l’antithèse entre roi et tyran utilisée par Platon, Xénophon et Aristote, mettent en avant les avantages de la monarchia (par exemple dans Nicoclès, 25–26) et confèrent à Nicoclès, dont le pouvoir semble avoir été jugé tyrannique, les qualités d’un basileus  ; D.  A. Russel, N.  G. Wilson (éd.), Menander Rhetor, p. 261 ; P. Högemann, s.v. “Nicocles”, Brill’s New Pauly. Voir supra, c. 4. FELICIA TEMPORA et la représentation des saisons : voir ric v 2 Probus 263–264, Dioclétien 189. Le thème de l’Aeternitas Augusti, qui est apparu sur les monnaies des Flaviens, mais a été abandonné après Hadrien, est réapparu sous Gordien iii et sous Philippe l’Arabe, ce dernier l’ayant associé aux célébrations du millénaire de Rome ; J.-M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p. 106.

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l’empire (en début d’année, lors des jubilés décennaux, pour le jour anniversaire de l’avènement à l’empire, dies imperii) et répercutés dans les inscriptions et sur les monnaies129. La fin du « discours royal » est essentielle pour comprendre le sens qui était donné à l’éloge, car elle implique celui-ci dans un système symbolique de don et de contre-don : en échange de la justice de l’empereur et de la prospérité qui découle de celle-ci, les cités, les peuples, les familles, les tribus l’honorent par des couronnes, des hymnes, des écrits, des statues et des tableaux peints130. Ainsi le « discours royal » était-il conçu comme un honneur mérité par le bon roi, au sein d’un système d’honneurs civiques qui faisait intervenir d’autres types d’honneurs complémentaires ou redondants, comme les inscriptions, les couronnes, ou les statues qui constituaient, à l’époque impériale, le principal honneur civique. Ménandre ii utilise des éléments du vocabulaire des honneurs civiques, comme le champ lexical de la « reconnaissance », autour de la χάρις, les verbes « devoir » (ὀφείλω, au sens d’une « dette de reconnaissance »), ou ἀθλέω qui désigne les épreuves de l’empereur pour le bien de ses sujets, dont l’éloge était le prix. D’autres termes qui sont répétés, comme θαυµάσιος, ἄγαµαι, traduisent l’admiration et l’affection que les sujets devaient naturellement éprouver pour le bon roi, et qui sont exprimés dans l’éloge131. Celui-ci participe donc d’un système de communication et de relation réciproques entre le prince et ses sujets  :  il est l’expression de la gratitude (charis) des sujets envers l’empereur pour ses bienfaits, et presque pour sa capacité d’être un bienfaiteur, car les bienfaits impériaux évoqués dans le second

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Ménandre ii, 377, 20–22 ; M. J. Ponce, « Menandro Rétor y el discurso imperial », p. 232. Le Panégyrique de Pline était déjà lié aux vœux prononcés au Sénat le 3 janvier, lors de l’ouverture de l’année, pour Trajan : Pan., 67, 3–4. Ménandre ii, 377, 24–28. Charis ou charitai : Ménandre ii, 368, 15–17 : « Il serait absurde, alors que nous éprouvons tant de bienfaits de la part des empereurs, de ne pas leur donner en retour le tribut (ἔρανον) approprié, que nous leur devons (ὀφείλοµενον) » ; voir aussi 422, 30–423, 3 ; sur la notion de « dette de reconnaissance », voir Dion de Pruse, Or. xliv, 4, et Plutarque, Moralia, 820 C ; Ménandre ii, 378, 31–379, 2 : les citoyens éprouvent de la reconnaissance envers l’empereur qui lutte pour eux (ἀθλέω) ; voir Plutarque, Moralia, 820 D, pour une comparaison de la lutte politique idéale pour les honneurs avec un concours sacré où les prix seraient des honneurs symboliques et non de l’argent et des dons ; chez Dion de Pruse, Or. lxxv, 7, les honneurs sont qualifiés de récompenses (ἆθλα) pour les bienfaits évergétiques. Dans les discours du sophiste bithynien, le terme timai (« honneurs ») est aussi associé à aux charitai ou à la charis (« reconnaissance » : Dion de Pruse, Or. xxxi, 58 ; xxxviii, 20 ; xli, 2 ; voir aussi Plutarque, Moralia, 821 A-C) et, à une occasion, à la philia (« affection, amitié » : Or. xliv, 2). Pour thaumasios et agamai, voir par exemple Ménandre ii, 375, 11–13 ; 378, 5 ; 415, 13.

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traité de Ménandre le rhéteur vont du plus concret – remise de dette, aide financière envers une cité en détresse, victoire contre les barbares, choix d’un bon gouverneur – au plus abstrait – établissement de la paix, régulation sociale et cosmique132. Dans un sens, l’éloge est comparable aux vœux publics rituels dont il se fait l’écho, qui traduisent également une relation de pouvoir fondée, d’une part, sur un évergétisme doté d’une forte dimension sotériologique, et, d’autre part, sur la reconnaissance : c’est parce que l’empereur est le protecteur de l’Empire et le garant du salut de tous que ses sujets prononcent des vœux pour son salut133. L’éloge servait aussi à construire un univers de représentation très cohérent, en mettant en parallèle la divinité, l’empereur et son représentant dans le monde des cités, c’est-à-dire le gouverneur, et en établissant entre eux une claire hiérarchie. L’empereur est envoyé par la divinité à cause de ses vertus, pour sauver les hommes et leur apporter le bonheur, de même que le gouverneur est choisi par l’empereur pour protéger et sauver les sujets134. Cette belle organisation conduit logiquement au monde idéalisé qui est décrit dans l’épilogue du basilikos logos à partir des motifs de la Felicitas Temporum et de l’âge d’or. Il s’agit d’un monde de paix, caractérisé par la prospérité, la sécurité, l’harmonie dans les relations entre les hommes et les dieux et entre les hommes eux-mêmes grâce à la piété et à la justice, un monde où les barbares ne sont présents que comme esclaves. Cette description rappelle la fameuse ekphrasis du bouclier d’Achille dans l’Iliade, avec la représentation de la cité en paix et, en contrepoint, celle de la cité en guerre135.

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Ménandre ii, 368, 15–17 ; 377, 24–28. Voir par exemple cil xiv 5334 (Ostie, fin de l’été ou début de l’automne 262 ou 263, à l’occasion du jubilé décennal de Gallien) : Inuicto Gallieno exsuperan[tissimo] / Augusto / protectori imperii Romani omniumque salu[tis auctori( ?)] / uniuersi ciues Ostienses / decennii uoti compot[es] ; M. Christol, « L’éloge de l’empereur Gallien », p. 110–115. Voir S. R. F. Price, Rituals and Power, p. 242–243, sur l’idée qu’il n’y a pas un pouvoir, mais diverses relations de pouvoir, notamment le culte impérial, la diplomatie au moyen des ambassades régulièrement envoyées par les cités, qui « construisent » l’empereur et qui interagissent. Voir l’inscription sur l’introduction du nouveau calendrier de la province d’Asie en 9 av. J.-C., où l’assemblée de la province explique les honneurs divins attribués à Auguste parce qu’il a été doté de la vertu et envoyé par la providence divine comme bienfaiteur et sauveur des hommes : U. Laffi, « Le iscrizioni relative all’introduzione nel 9 A.C. del nuovo calendario della provincia d’Asia », sco, 16, 1967, p. 5–98 ; S. R. F. Price, Rituals and Power, p. 54. Sur l’empereur et le gouverneur, voir notamment Ménandre ii, 378, 10–12, 31–379, 1, et 381, 10–13. Voir P. Fay., 20, l. 17–21, sur l’imitation de l’empereur vertueux par ses représentants dans les provinces, les gouverneurs et les procurateurs. Il. xviii, 478–608.

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L’éloge de l’empereur semble ainsi avoir été doté d’une dimension utopique, dont on peut s’interroger sur le sens qu’elle pouvait prendre au iiie siècle. D’une part, ces éléments utopiques étaient devenus une composante à part entière du langage du pouvoir. Le thème de l’âge d’or est apparu dès la mort de Pertinax comme une référence obligée dans le monnayage des candidats au pouvoir entre 193 et 197, où il semble avoir eu la fonction d’une promesse136. Après les Sévères, sa présence est devenue plus forte dans le discours officiel  :  sous Philippe l’Arabe, il a rencontré des préoccupations eschatologiques, religieuses et philosophiques, qui se sont concrétisées lors de la célébration du millénaire de Rome en 248137. Puis, chez ses successeurs, chaque rétablissement militaire est devenu l’occasion de reprendre ce discours et de mettre en avant dans les monnaies et les inscriptions la paix et le renouveau de l’Empire obtenus par l’empereur victorieux, ce qui a été particulièrement marqué sous Gallien, Aurélien, Probus, Tacite et les Tétrarques138. Faut-il y voir, d’autre part, une « propagande d’optimisme » – selon l’expression employée par M. Christol pour désigner les messages diffusés par la monnaie et les inscriptions à propos du pouvoir impérial  – qui aurait été relayée par les intellectuels et notables des cités grecques, désireux de préserver au mieux la stabilité du monde dans lequel ils vivaient139  ? C’est tout à fait envisageable, car les élites civiques grecques se sont de plus en plus fortement identifiées avec l’Empire à partir de la fin du iie siècle, dans le contexte des guerres aux frontières orientales qu’ont menées Marc Aurèle et Lucius Vérus (161–166)140. Il faut considérer de même la possibilité

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Voir supra, c. 5. Sur la conscience partagée d’une crise et de la nécessité d’une restauration, voir G. Alföldy, « Der Heilige Cyprian und die Krise des romischen Reiches », Historia, 22, 1973, p. 479- 501 ; id., “The Crisis of the Third Century as seen by Contemporaries”, grbs, 15, 1974, p. 89–111. Sur la célébration du millénaire, voir notamment M. Pavan, « Philippo l’Arabo e il millenario dell’Urbe », pp, 45, 1990, p. 401–419 ; C. Körner, Philippus Arabs. Ein Soldatenkaiser in der Tradition des antoninisch-severischen Prinzipats, Berlin, New York, 2002, p. 248–259. Voir aussi B. Estrade, « Lectures de la fondation de Rome par les empereurs romains entre le iie et le iiie siècles p. C. », dans E. Bertrand, R. Soussignan (éd.), Cycles de la Nature, p. 201–218. M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p.  154–156 (Gallien), p.  167–168 (Aurélien), p. 171, p. 182–183 (Probus et Tacite), p. 208–210 (Dioclétien). M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 183. Dans J. M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation, p. 111, on trouve à propos du lustre nouveau donné aux jubilés impériaux une autre expression intéressante, celle de « remèdes de l’autopersuasion ». L. de Blois, “The third Century Crisis and the Greek Elite in the Roman Empire”, Historia, 33, 1984, p. 358–377, part. p. 364, 376–377.

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qu’elles aient partagé avec les gouvernants, à la fin du iiie siècle, le sentiment d’un réel rétablissement de l’Empire141. Le « discours royal » a sans doute été perçu de manière variable selon les circonstances de sa prononciation, et il s’agit de toute façon d’un discours complexe, porteur à la fois d’une vision nostalgique qui renvoyait à l’idéal antonin, et d’un optimisme susceptible de réconforter. C’était en tout cas un idéal fortement consensuel, car il offrait à l’Empire  – dans la lignée du discours En l’honneur de Rome d’Aelius Aristide – un sens global positif auquel les auditeurs ne pouvaient qu’adhérer. On est loin de l’utopie moderne proposant une solution qui naîtrait de réformes ou d’une révolution sociales ; il s’agit bien plutôt d’un idéal qui avait une fonction de stabilisation politique, car il était susceptible de compenser la réalité dans des périodes critiques où les cités étaient potentiellement menacées des conséquences de la guerre (famine, rapines, épidémies) ou de catastrophes naturelles comme les tremblements de terre, et il garantissait la pérennité d’un système politique auquel aucune alternative n’apparaissait. 2

L’eis basilea du Pseudo-Aelius Aristide

Le discours «  Pour un roi  » attribué à Aelius Aristide semble se situer, d’un point de vue chronologique, entre la conception de l’éloge qui se dégage du livre i de l’Onomastikon de Pollux, daté probablement vers 175, et la théorie exposée vers la fin du iiie siècle par Ménandre ii. Depuis le début du xxe siècle, il est l’objet d’un débat historiographique qui concerne surtout l’identification de l’empereur loué, et la discussion n’est toujours pas close.

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M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 208–210, qui cite le préambule de l’Edit du Maximum : Fortunam rei publicae nostrae, cui iuxta immortales deos bellorum memoria, quae feliciter gessimus, gratulari licet tranquillo orbis statu et in gremio altissimae quietis locato, etiam pacis bonis, propter quam sudore largo laboratum est, « La Fortune de l’Etat dont nous avons la charge – à qui vont nos remerciements, ainsi qu’aux dieux immortels, en souvenir des guerres que nous avons menées avec bonheur – mérite d’être félicitée pour la tranquillité présente du monde, reposant au sein d’une paix très profonde, ainsi que pour les biens de la paix, à l’établissement de laquelle nous avons travaillé sans ménager nos peines », trad. de l’auteur. Sur les difficultés et la continuité de la vie civique en Asie Mineure au iiie siècle, voir S. Mitchell, Anatolia, p. 227–240 ; M. Harrison (éd.), Mountain and Plain. From the Lycian Coast to the Phrygian Plateau in the Late Roman and early Byzantine Period, Ann Arbor, 2001 : p. 96–112, inscriptions ii et iii d’Ovacik (à l’est d’Elmali, au nord de la Lycie antique ; seg xli, 1390), relatives au siège de Cremna en 278, éditées et commentées par M. Ballance et C. Roueché.

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a Le débat historiographique En 1905, B. Keil a réfuté de manière globalement définitive l’attribution du traité au sophiste Aelius Aristide, à partir d’arguments à la fois stylistiques et historiques142. L’éloge convient mal à un Antonin, d’une part parce qu’il décrit une situation de grand péril pour l’Empire (on pourrait à la limite considérer, en tenant compte de l’amplification, que la situation dépeinte renverrait aux guerres menées par Marc Aurèle et Lucius Vérus contre les Parthes, les Quades et les Marcomans entre 161 et 175). D’autre part, le paragraphe 20 du texte, qui loue le philhellénisme de l’empereur en affirmant que celui-ci a ajouté de nouveaux honneurs à la culture grecque auparavant négligée et méprisée, paraît incompatible avec la période antonine caractérisée par la promotion de l’hellénisme, notamment sous le règne du philhellène Hadrien, par le développement de la Seconde Sophistique et l’essor des concours grecs. D’autres éléments sont propres au iiie siècle : les luttes pour le pouvoir impérial, la crainte de l’oppression fiscale et le topos de l’avidité des soldats, la mention de la proscynèse qui s’est répandue après la période antonine et ne fut introduite à la cour impériale que sous Gallien, voire sous Dioclétien143. Il semble également impossible d’attribuer le discours à un orateur particulier144. Pour autant, l’hypothèse que le discours « En l’honneur d’un roi » serait un exercice scolaire, à cause de son caractère trop imprécis et de son plan scolaire, est peu probable. L. Pernot a justement souligné que l’orateur n’était pas tenu de rapporter des faits précis et qu’il réutilisait des schémas transmis par l’enseignement145. On retrouve dans l’Eis basilea un schéma rhétorique 142

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B. Keil, «  Eine Kaiserrede (Aristides R.  xxxv)  », Nachrichten von der königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, phil.-hist. Klasse, 1905, p. 381–428, part. p. 381– 400 ; voir aussi C. A. Behr, “Studies on the biography of Aelius Aristides”, anrw, ii, 34, 2, New York, Berlin, 1993, p. 1140–1233, part. p. 1219–1223 ; L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 173–175. C. P. Jones, « Aelius Aristides, Εἰς βασιλέα », jrs, 62, 1972, p. 134–152 (et « The Εἰς βασιλέα Again », cq, 31, 1981, p. 224–225), ainsi que D. Librale, « L’Εἰς βασιλέα dello pseudo-Aristide e l’ideologia traianea », anrw, 34, 2, Berlin, New York, 1994, p. 1271–1313, ont argumenté l’un en faveur de l’attribution à Aelius Aristide, l’autre d’une identification de l’empereur à Trajan, mais ils n’ont pas été suivis. Accession à l’Empire : eb, 5–10 ; crainte de l’oppression fiscale : eb, 16 ; avidité des soldats : eb, 30–31 ; proscynèse : eb, 19. Sur la pratique de la proscynèse, voir S. Faro, « La coscienza della crisi in un anonimo retore del iii secolo », Athenaeum, 58, 1980, p. 406– 428, part. p. 418–419 ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps », ac, 64, 1995, p. 129–153, part. p. 135 n. 39. Voir L. de Blois, “The Εἰς βασιλέα of Ps.-Aelius Aristides”, grbs, 1986, p. 279–288, part. p. 284–285, qui juge le milieu du iiie siècle plus approprié et souligne les parallèles avec Dion Cassius, Hérodien et Philostrate sur ces points. L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 182, n. 40. Cette hypothèse a été soutenue par E. Barker, Social and Political Thought in Byzantium, Oxford, 1957, p. 220–225 : « An Anonymous Address to an Unknown King », et par S. A. Stertz, « Pseudo-Aristides, Εἰς βασιλέα », cq, 29, 1979, p. 172–197, pour qui il s’agirait d’une

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proche de celui qui est exposé par Ménandre ii, mais son adaptation visible et le traitement personnel de l’éloge indiquent au contraire que celui-ci avait un destinataire réel : on le voit dans l’omission de toutes les topiques relatives à la réputation de l’origine sociale (patrie, famille, naissance), dans la description des conditions d’accès à l’Empire, et surtout dans la mise en relief des actions pour la paix, par rapport aux actions en temps de guerre que Ménandre ii incite à privilégier146. Le débat a donc surtout porté sur la date et sur l’identité du destinataire de l’éloge. B. Keil a identifié quatorze points qui lui paraissaient susceptibles d’identifier ce dernier, et E. Groag en a ajouté six autres, l’ensemble constituant, en général, le socle du raisonnement de ceux qui ont réfléchi ensuite à la question147. Parmi ces éléments, les plus importants sont les suivants : l’empereur avait – selon toute vraisemblance – une origine sociale qui manquait de prestige, il avait reçu une formation juridique, il n’a pas hérité du pouvoir impérial mais ne l’a pas conquis dans le sang ; il a été confronté à une guerre dangereuse aux frontières orientales de l’Empire, à laquelle il a mis fin par la négociation, il a aussi combattu les « Celtes », c’est-à-dire les Germains, et mis fin à leurs désordres ; il est le promoteur d’une politique de paix et a repris en main l’armée ; il a favorisé la culture grecque ; il règna seul, mais avait un fils

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déclamation (meletè) du iiie ou ive siècle ; id., Concordantia in orationem quae Aristidis fertur esse Εἰς βασιλέα, Hildesheim, Zürich, New York, 1987, p. 2–3 ; L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 177–178. L’absence de nom n’est pas révélatrice en soi : aucun nom n’apparaît non plus dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, alors que l’identification du destinataire à Trajan paraît sûre. Inversement, on infère généralement la présence de l’empereur et de son fils de leur interpellation dans la péroraison de l’éloge « En l’honneur d’un roi » (§ 38–39), mais, comme l’a fait remarquer L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 182 n. 39, ce n’est pas une nécessité : l’orateur pouvait, dans un discours épidictique, apostropher un empereur absent (voir Pan., v ; x, 3, 1). Voir déjà les remarques de B. Keil, « Eine Kaiserrede (Aristides R. xxxv) », p. 400–405, à ce sujet. Le plan du discours, dégagé par L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 127, est le suivant : Exorde (§ 1–4) ; période qui a précédé l’avènement (§ 5–14) : accession à l’empire (§ 5–10), éducation (§ 11–12), caractère manifesté avant de régner (§ 13), installation sur le trône (§ 14) ; vertus déployées au cours du règne (§ 15–37) : introduction (§ 15), justice (§  16–20), philanthropie et tempérance (§ 21–26), maîtrise de soi (§ 27–29), courage et intelligence (§ 30–35) ; tableau de la paix et de la sécurité régnant dans l’Empire (§ 36– 37) ; péroraison (§ 38–39). Pour la comparaison entre la composition de l’Eis basilea et celle du basilikos logos de Ménandre ii, qui reflètent un schéma commun qui s’est constitué dans la rhétorique épidictique grecque à l’époque impériale, voir également L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 127–128. B. Keil, « Eine Kaiserrede (Aristides R. xxxv) », p. 405–406 ; E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii : Die Kaiserrede des Pseudo-Aristides », Wiener Studien, 40, 1918, p. 20– 45, part. p. 21–22.

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qui portait le titre de nobilissimus Caesar, apparu pour la première fois avec Géta148. La candidature de plusieurs empereurs du iiie siècle a été défendue, les principaux étant Macrin, Philippe l’Arabe et Gallien. E.  Groag et L.  de Blois ont soutenu que le meilleur candidat  – celui qui répondait au plus grand nombre de critères – était Philippe l’Arabe, et leur opinion a dominé jusque dans les années 2000149. Elle a été récemment remise en question par C.  Körner, auteur d’une monographie sur cet empereur, dans deux articles : dans le premier (2002), C. Körner juge l’identification à Gallien plus crédible que celle à Philippe l’Arabe, mais estime qu’aucune solution définitive n’est possible en raison de l’abondance des topoi employés ; dans le second (2011), il propose de considérer l’éloge « En l’honneur d’un roi » comme un miroir au prince plutôt que comme un éloge, c’est-à-dire d’y lire des attentes et la description d’un « prince idéal » plutôt que celle d’un prince réel dont les qualités auraient été louées150.

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Expérience juridique : eb, 18. Accession au pouvoir : eb, 5–10. Guerre aux frontières orientales de l’Empire : eb, 14, 35. Mention des Celtes : eb, 35 ; ce passage a peut-être été altéré, voir L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 160 n. 77 sur les diverses interprétations (E. Groag a proposé d’ajouter la mention des Carpes dans une potentielle lacune après les Celtes). Reprise en main de l’armée : eb, 30–31. Culture grecque : eb, 20. Fils qui porte le titre de nobilissimus Caesar : eb, 39 (on retrouve ce titre dans l’expression ὦ παῖ γενναῖε γενναίων). E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii », p. 23, a écarté, à juste titre, les empereurs du ive siècle. Macrin : B. Keil, « Eine Kaiserrede (Aristides R. xxxv) » ; Gallien : A. V. Domaszewski, « Beiträge zur Kaisergeschichte, ii : Die Rede des Aristides είς βασιλέα », Philologus, 65, 1906, p. 344–356 ; S. Faro, « La coscienza della crisi in un anónimo retore del iii secólo » ; Philippe l’Arabe : E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii » ; L. J. Swift, « The anonymous encomium of Philip the Arab », grbs, 71, 1966, p. 267–289 ; H. Bengtson, « Das Imperium Romanum in griechischer Sicht », Gymnasium, 71, 1964, p. 150–166, part. p. 164– 165 ; C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amsterdam, 1968, p. 89, n° 92, et P. Aelius Aristides, The Complete Works, ii, Leyde, 1981, p. 399–400, n. 1 ; R. MacMullen, Roman Government’s Response to Crisis A. D. 235–337, New-Haven, London, 1976, p. 219 n. 32 ; J. H. Oliver, “The Piety of Commodus and Caracalla and the Eis Basilea”, grbs, 19, 1978, p. 386– 388 ; G. Poma, « Nota su ogis 519 : Filippo l’Arabo e la pace coi Persiani », Epigraphica, 43, 1981, p. 265–272 ; L. de Blois, “The Reign of the emperor Philip the Arabian”, Talanta, 10–11, 1978–1979, p. 11–43, et “The Εἰς βασιλέα of Ps.-Aelius Aristides” ; M. Pavan, « Philippo l’Arabo e il millenario dell’Urbe », p. 405–407 ; L. Pernot, La rhétorique de l’éloge, p. 262– 264, et Eloges grecs de Rome, p. 171–183 ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps » ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 106. Pour un résumé détaillé des débats, voir C. Körner, « Die Rede Εἰς βασιλέα des Pseudo-Aelius Aristides », mh, 59, 2002, p. 211–228, part. p. 218–226. C. Körner, Philippus Arabs ; id., « Die Rede Εἰς βασιλέα des Pseudo-Aelius Aristides » ; id., «  Das Verständnis von Herrschaft in der anonymen Rede Εἰς βασιλέα (Ps.-Aelius Aristides) : ein Fürstenspiegel », Klio, 93, 2011, p. 173–192.

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Cette dernière suggestion, même si elle méconnaît la nature de l’éloge rhétorique du bon roi, n’en est pas moins judicieuse. Le discours « En l’honneur d’un roi » est incontestablement un basilikos logos, le schéma qu’il suit est trop proche de celui qui est décrit par Ménandre le rhéteur pour qu’on remette en cause son appartenance à la tradition grecque de l’éloge d’époque impériale. Rien n’indique de la part de l’orateur une volonté de composer le portrait d’une figure d’empereur un tant soit peu originale, de proposer une sorte de pacte, des modalités de gouvernement, voire des réformes, visant à assurer le règne de l’empereur et à le rendre plus acceptable à ses sujets. L’orateur anonyme part visiblement d’une situation historique particulière, il rapporte les actions de l’empereur loué aux principales vertus de la rhétorique de l’éloge et crée un discours consensuel répondant aux attentes collectives. Ce caractère consensuel, d’un côté, ouvre des pistes, car il est possible de s’appuyer sur d’autres sources – notamment les monnaies et les inscriptions – pour identifier le règne du destinataire de l’éloge. De l’autre, allié à la nécessité de sélectionner des éléments qui puissent être présentés de manière positive et à l’amplification, il conduit à des déformations qui compliquent le travail d’identification. Il ressort de la prédilection accordée à la thématique de la paix – l’ordre choisi par l’orateur est l’inverse de celui qui est préconisé par Ménandre ii pour les domaines de la paix et de la guerre – que le règne de l’empereur loué a été tourné vers la paix. Il ne s’agit a priori pas de celui de Gallien ni de ses successeurs, dont le monnayage a mis en relief la uirtus militaire qui permettait le rétablissement de l’Empire et de la paix ; d’autre part, Gallien venait d’une famille issue de l’aristocratie sénatoriale151. Si l’on tient compte du principe de l’amplification, le règne de Macrin (d’origine équestre), même s’il fut bref et que la période de paix a été courte, pourrait convenir, mais on n’a conservé aucune attestation d’une victoire contre des Germains, l’empereur ayant essentiellement régné depuis Antioche. C’est effectivement Philippe l’Arabe qui conviendrait le mieux. Cet empereur était peut-être issu d’un milieu équestre, et il était originaire de Bostra dans le Hauran, dans la province d’Arabie. Son origine est très dépréciée dans les sources, qui font ressortir les préjugés antiques relatifs aux Arabes152. S’y 151

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Aurélius Victor, De Caesaribus, 32, 2 ; Epitome de Caesaribus, 32, 1. Sur la mère de Gallien, Egnatia Mariniana, voir F. Chausson, « Les Egnatii et l’aristocratie italienne des iie – ive siècles », js, 2, 1997, p. 211–331, part. p. 260–281. Sur les représentations militaires dans le monnayage de Gallien, E. Manders, Coining Images of Power, p. 277–283. Zosime, i, 17, 2 ; Aurélius Victor, De Caesaribus, 28, 4 ; Epitome de Caesaribus, 28, 4 ; sha, Gord., 29, 1, et 30, 1 ; H.-G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes, p. 831–839, n° 324. i, 19, 1 ; C. Körner, Philippus Arabs, p. 30–32. Sur les Iulii de Shahba, voir M. Sartre, « Les progrès de la citoyenneté romaine dans les provinces de Syrie et d’Arabie sous le Haut-Empire romain », dans A. D. Rizakis (éd.), Roman Onomastics in the Greek East. Social and Political

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ajoutaient les préjugés sociaux, 26 ans après le règne de Macrin au sujet duquel Dion Cassius – qui appréciait pourtant l’orientation politique de ce règne – a écrit qu’il avait échoué parce que, simple chevalier, il avait voulu accéder à la tête de l’Empire153. Sans doute pour compenser son origine, Philippe avait fait diviniser son père Julius Marinus auquel un culte était rendu à Philippopolis, colonie qu’il fonda en 244 sur sa cité d’origine, et, en 248, l’année de sa pleine gloire qui correspond à la célébration du millénaire de Rome, il fit paraître un monnayage reprenant le thème de la Nobilitas inauguré par Commode et repris par les Sévères154. Philippe modifia la figuration iconographique de Nobilitas, qui ne portait plus, comme sur les représentations antérieures, le Palladium (la statue de Pallas-Athéna, renvoyant selon D. Nony à la fondation de Rome et à l’origine patricienne de Commode), mais un globe : on peut peutêtre supposer que Philippe tendait à rattacher sa nobilitas à son rôle de restitutor orbis, « restaurateur du monde »155. Par ailleurs, comme les autres membres de l’aristocratie locale de sa cité, Philippe avait certainement des prétentions à l’hellénisme, ainsi que le montrent les références helléniques complexes qui sont présentes dans les mosaïques de Philippopolis156. A la mort de Timésithée, préfet du prétoire et beau-père de Gordien iii, dans l’hiver 243, après une première campagne contre les Perses dirigés par Shapur ier, Philippe devint le nouveau préfet du prétoire. Ce poste nécessitait, à cette époque, de solides compétences juridiques et il est probable que Philippe avait

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Aspects (Proceedings of the International Colloquium on Roman Onomastics, Athens, 5–7 Sept. 1993), Paris, 1996, p. 239–250. Dion Cassius, lxxviii, 41 ; voir aussi Hérodien, v, 1, 2–8. ric iii Commode 139 (denier), 155 (aureus et denier), 155 a (aureus), 485 (sesterce), 489 (as), 501 (sesterce), 509 (as) ; ric iv 1 Sept. Sév. 320 (denier, quinaire d’argent) ; Julia Domna 596 (denier), Caracalla 162 (quinaire d’argent), Géta 13 a-b (aureus), 32 (quinaire d’argent et aureus), 48 a-b (quinaire d’argent), 49 (quinaire d’argent et d’or), 120 (dupondius ou as) ; ric iv 2 Sév. Alex. 290 (denier) ; ric iv 3, Philippe i, 155 a (sesterce). Voir D. Nony, « La “nobilitas” de Philippe l’Arabe », rn, 154, 1997, p. 47–51. Sur le père de Philippe, voir C. Körner, Philippus Arabs, p. 49–54. Pour cette expression, voir cil iii 8031 = ils 510, inscription datée de 248. G. W.  Bowersock, “Greek Culture at Petra and Bostra in the Third Century A.  D.”, dans Ο ΕΛΛΗΝΙΣΜΟΣ ΣΤΗΝ ΑΝΑΤΟΛΗ (International Meeting of History and Archaeology, Delphi, 6–9 Nov. 1986), Athina, 1991, p. 15–39 ; F. G. B. Millar, The Roman Near East 31 B.C.A.D. 331, London, Cambridge Mass., 1993, p. 531 ; D. Kennedy, “Greek, Roman and Native Cultures in the Roman Near East”, dans J. Humphrey (éd.), The Roman and Byzantine Near East. Some Recent Archaeological Research, Portsmouth, 1999, p. 77–106 ; M.-H. Quet, « La mosaïque dite d’Aiôn de Shahba-Philippopolis, Philippe l’Arabe et la conception hellène de l’ordre du Monde, en Arabie, à l’aube du christianisme », ccg, 10, 1999, p. 269–330 ; C. Körner, Philippus Arabs, p. 211–231.

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suivi des études de droit157. Au début de l’année 244, Gordien iii mourut à l’âge de 19 ans lors de l’offensive vers Ctésiphon, dans des circonstances qui ne sont pas limpides, et Philippe fut proclamé empereur par les troupes. Les Res gestae diui Saporis donnent à penser que Gordien iii a été tué au combat à Mésichè, à l’Ouest de Baghdad. Des versions peu favorables à Philippe ont souligné, au ive siècle, sa responsabilité dans la mort de son prédécesseur. Il envoya des messagers annoncer au Sénat que le jeune empereur était mort de maladie ; cette version officielle peut être conciliée avec les sources du iiie siècle, comme l’a souligné X. Loriot, si l’on considère que Gordien iii est mort des suites d’une blessure au combat, ce qui paraît être le plus probable158. Le premier acte important du règne de Philippe fut de négocier avec le roi des Perses la fin du conflit, en échange de l’abandon de l’Arménie et du versement d’un tribut relativement lourd de 500 000 pièces d’or159. Il associa à son règne son fils Philippe ii, auquel il conféra le titre de César avant le 15 août 244, puis celui d’Auguste en août 247160. En 245–247, l’empereur fut occupé à rétablir le front danubien et fit campagne contre les Carpes et d’autres peuples, qui ont été visiblement assimilés à des Germains : en 248, lui et son fils sont qualifiés de Germanicus maximus et de Carpicus maximus161. En dépit de ces campagnes, le monnayage de Philippe l’Arabe affiche la visée pacifiste de son règne ; par rapport aux autres règnes, les références aux thématiques militaires sont très limitées162. G. Poma a montré, à partir d’une inscription du règne de Philippe, que la paix avec les Perses, même si elle est décriée dans certaines sources historiques ultérieures, correspondait à une attente forte de la part des populations d’Asie Mineure, qui s’étaient senties d’autant plus menacées que les Perses étaient entrés jusqu’en Syrie avant l’intervention de Timésithée et de Gordien iii163. Selon H. Mattingly, E. A. Sydenham et C. H. V. Sutherland, 157 158

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Sur sa carrière avant d’accéder à l’Empire, voir C. Körner, Philippus Arabs, p. 71–75. rgds, l. 6–10 ; A. Maricq, Recherches sur les Res Gestae, p. 41–63. Annonce officielle au Sénat : Zosime, i, 19, 1 ; sha, Gord. 31, 2–3. Voir aussi Zonaras, xii, 17. Pour l’analyse des sources, voir X. Loriot, « Les premières années de la grande crise du iiie siècle : De l’avènement de Maximin le Thrace (235) à la mort de Gordien iii (244) », anrw, ii, 2, New York, Berlin, 1975, p. 657–787, part. p. 770–773 ; C. Körner, Philippus Arabs, p. 75–90. C. Körner, Philippus Arabs, p. 120–134. Le 15 août 244 est la date de la première constitution qui, dans le Code Justinien, associe Philippe ii à son père : cj, iv, 29, 10 ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 104. Zosime, i, 20, 1–2 ; l’oracle sibyllin 13, 35–36, évoque la destruction de l’Arès germanique («  fléau venu de l’Océan  »  ?) par l’Arès romain. Voir la liste des guerres menées par Philippe dans X. Loriot, « Chronologie du règne de Philippe l’Arabe (244–249 ap. J.-C.) », anrw, ii, 2, New York, Berlin, 1975, p. 792–794 ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 105 ; C. Körner, Philippus Arabs, p. 134–157. Voir en dernier lieu C. Körner, Philippus Arabs, p. 99–119. Critiques de la paix : Zosime, iii, 32, 4 ; Zonaras, xii, 19. Voir G. Poma, « Nota su ogis, 519 ».

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Philippe a accordé relativement peu de donatiua aux soldats, et l’on sait qu’il les a occupés à des tâches d’utilité publique comme la construction de fortifications164. Tous ces éléments du règne de Philippe l’Arabe correspondent très bien au portrait de l’empereur qui se dégage de l’éloge « En l’honneur d’un roi », qu’il faudrait alors dater, d’après la titulature de Philippe ii et les menées contre les peuples du Danube assimilés aux Germains, entre 245 et août 247, et probablement plutôt dans les deux premiers tiers de l’année 247, quand les succès de l’empereur aux frontières danubiennes ont été assurés et connus165. Deux arguments ont été retenus contre l’identification à Philippe l’Arabe, qui sont tous les deux discutables : la mention du philhellénisme de l’empereur, qui est opposé à un mépris antérieur de la culture grecque ; l’éloge de la justice impériale en matière d’exigences fiscales, qui s’accorderait mal dans le cas de Philippe au récit qu’a fait Zosime de révoltes en Orient, suscitées par la rudesse du frère de l’empereur, Caius Julius Priscus, qui exerçait son autorité sur l’Orient au titre de rector Orientis166. Le passage relatif à la paideia, d’une part, est le suivant : Car l’empereur est si fortement philhellène, il est si abondamment pourvu de cette belle qualité que, alors que la culture grecque avait été négligée et méprisée, que les honneurs qu’on lui rendait avaient été supprimés et que tout ce qui est grec « avait été écarté et ne comptait pour rien » [Démosthène, Deuxième Olynthienne, 18], l’empereur, lui, ne témoigna pas de négligence, mais ajouta de nouveaux honneurs à ceux qui existaient167.

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Sur les donatiua, ric iv 3, p. 60 et p. 64 : on en trouve trace, grâce à la légende LIBERALITAS AVG ou AVGG, dans les deux premières et la huitième émissions (244–245, 249). On sait d’après Zosime, i, 19, 1, que Philippe l’Arabe a fait une riche donation aux soldats après son avènement. Voir cil iii 8031 = ils 510 (Romula, 248) : éloge des deux Philippes, restitutores orbis totius, qui sont en particulier remerciés pour avoir enceint la colonie de Romula dans un mur construit par les soldats (ob tutelam ciuitatis coloniae suae Romulae circuitum muri manu militari a solo fecerunt) ; E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii », p. 35. L.  de Blois, “The Reign of the emperor Philip the Arabian”, p.  18, a déjà suggéré une telle date. Zosime, i, 20, 2 : « La situation était très troublée dans ce même temps : l’Orient, accablé par les levées des impôts et par le fait que Priscus qui avait la charge de gouverner les provinces dans cette région était insupportable à chacun, et enclin par conséquent à fomenter des troubles, éleva au pouvoir suprême Jotapien, cependant que les corps de troupes de Mésie et de Pannonie agissaient de même avec Marin », trad. F. Paschoud. eb, 20 : Οὕτω γὰρ σφόδρα φιλέλλην ἐστὶν ὁ βασιλεὺς καὶ τοσοῦτον αὐτῷ περίεστι τούτου τοῦ καλοῦ ὥστε ἠµεληµένης τῆς τῶν Ἑλλήνων παιδείας καὶ καταπεφρονηµένης, ἀνῃρηµένων δὲ

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Le texte est difficile à interpréter, car il est très général. Le mot paideia semble désigner ici, au sens large, la «  culture grecque  ». En quoi, si l’éloge est bien adressé à Philippe l’Arabe, cette culture a-t-elle été négligée et méprisée antérieurement ? Il n’y a pas de raison de remettre en cause la culture personnelle de Timésithée, ni celle de Gordien iii qui était issu du milieu de l’aristocratie sénatoriale168. E. Groag pensait que l’éloge faisait référence, avant le règne de Gordien iii, à la « tyrannie » de Maximin le Thrace, soldat sorti du rang dont Hérodien et l’Histoire Auguste ont souligné l’absence de culture et qu’ils ont montré entièrement préoccupé par l’armée, amplifiant le reproche que Dion Cassius avait émis à l’encontre de Septime Sévère et de Caracalla169. Comme on l’a vu, pour l’historien bithynien un empereur trop « militaire » ne pouvait avoir qu’une paideia superficielle ou bien laissée à l’abandon170. Il est possible que le discours « En l’honneur d’un roi », qui présente des similitudes avec les réflexions politiques de Dion de Pruse et Dion Cassius, repose sur la même opinion selon laquelle guerre et épanouissement de la vraie paideia étaient incompatibles171. Dans ce cas le règne de Gordien iii, marqué par les guerres, pourrait être inclus dans la critique qui touche au premier chef celui de Maximin : seule la période de paix ouverte par Philippe permettait la véritable expression de la culture grecque, définie par la bonne tenue de la vie civique et des cultes, l’organisation régulière des fêtes et des concours172. J. et

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τῶν ἐπ᾽ αὐτῇ τιµῶν, παρεωσµένου δὲ καὶ ἐν οὐδενὸς ὄντος µέρει παντὸς τοῦ Ἑλληνικοῦ, οὐκ ἠµέλησεν ὁ βασιλεὺς, ἀλλὰ πρὸς ταῖς ὑπαρχούσαις τιµαῖς καὶ ἄλλας προσέθηκε, trad. L. Pernot. Sur la culture de Timésithée, voir Zosime, i, 17, 2 ; sha, Gord., 23, 6–7. L’Histoire Auguste est très favorable à Timésithée, derrière lequel on peut peut-être voir le modèle de Stilicon : J. Straub, Studien zur Historia Augusta, Bern, 1952, p. 81–98. Sur la culture littéraire de Gordien iii : sha, Gord., 31, 4. Comme le rappelle M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 98, en 242, le départ de Gordien iii pour l’Orient était aussi placé sous l’étiquette de la lutte historique des Grecs contre les Perses : il fonda un concours grec, appelé agôn Minervae dans le Chronographe de 354, qui mettait à l’honneur Athéna Promachos, la déesse qui avait sauvé les Athéniens à Marathon. E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii », p. 35–36. D’autres passages pourraient aussi désigner Maximin le Thrace, par exemple eb, 16 et 30, relatifs aux impôts supplémentaires et aux donatiua faits aux soldats, dont Maximin avait doublé la solde. Voir supra, c. 5, à propos de Septime Sévère et de Caracalla. Chez Dion de Pruse, voir en particulier le quatrième discours Sur la royauté, qui contient une critique du caractère trop belliqueux d’Alexandre (nourri de lectures homériques) et une réflexion sur la vraie paideia royale : A. Gangloff, Dion Chrysostome, p. 264–271. Dion de Pruse, Or. xxxi, 162  :  Καταλείπεται δ’ οἶµαι τὸ ἑαυτῶν προεστάναι καὶ τὴν πόλιν διοικεῖν καὶ τὸ τιµῆσαί τινα καὶ κροταλίσαι µὴ τοῖς πολλοῖς ὁµοίως καὶ τὸ βουλεύσασθαι καὶ τὸ δικάσαι καὶ τὸ τοῖς θεοῖς θῦσαι καὶ τὸ ἄγειν ἑορτήν, « Il vous reste, à mon avis, la possibilité de vous dominer vous-mêmes et d’administrer votre cité, d’honorer un tel, d’applaudir différemment des autres, de délibérer et de rendre la justice, de sacrifier aux dieux et de célèbrer les fêtes », trad. personnelle. Voir A. Gangloff, « Être “purement grec” dans

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L. Robert ont écrit, à propos de ce passage, qu’il « ne se comprend que lors d’un réveil du philhellénisme et des concours grecs dans l’anarchie du iiie siècle »173. Cette interprétation paraît d’autant plus pertinente que l’éloge a été prononcé dans le cadre d’une fête à Déméter. On peut penser que le réveil évoqué par les deux savants avait pour conditions préalables le rétablissement de la paix. Il est probable aussi que l’orateur fasse allusion à des honneurs précis, sans doute ceux qui furent octroyés par Philippe l’Arabe aux cités qu’il traversa lors de son retour à Rome, après la négociation de la paix avec Shapur ier174. Comme on le voit, cette objection peut être levée sans forcer, me semble-t-il, le sens du texte. La seconde objection, d’autre part, concerne le passage suivant : Alors que la contribution fixée pour la gestion de l’Etat était excessive et qu’avaient été fixés en outre des impôts supplémentaires, qui eux-mêmes ne suffisaient pas, alors que partout les caisses étaient vides et que la crainte de l’avenir allait croissant, il ne demanda ni ne chercha des rentrées supplémentaires, il ne devint pas méchant à cause des finances, et au contraire il relâcha et allégea, se montrant non seulement le plus juste, mais même le plus humain des empereurs en ce domaine175.

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l’Empire romain », dans S. Capanema, Q. Deluermoz, M. Molin, M. Redon (dir.), Du transfert culturel au métissage. Concepts, acteurs, pratiques, Rennes, 2015, p. 579–599. J. et L. Robert, Bull. ép., 1974, n° 74, cité par L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 175. Fête à Déméter : eb, 38. Selon Aurélius Victor, De Caesaribus, 28, Philippe n’est retourné à Rome qu’après avoir réorganisé l’Orient et fondé en Arabie la ville de Philippopolis ; voir aussi cil vi 793 = ils 505, confirmant qu’il n’est parvenu à Rome qu’après la date du 23 juillet 244. L’oracle sibyllin 13, 64–66, mentionne la croissance et l’embellissement des cités d’Arabie sous son règne  :  voir C.  Körner, Philippus Arabs, p.  211–231, sur la fondation de Philippopolis et d’autres colonies, sur l’établissement de concours. Sur son retour à Rome, voir M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 104 : après son voyage vers l’Arabie, Philippe regagna Rome depuis Antioche, en traversant la Lycie-Pamphylie, puis l’Asie d’Apamée vers Ephèse ; il remonta vers la Bithynie, passa en Thrace, dans l’Illyricum, et entra en Italie. Pour une réflexion nuancée sur les bienfaits que les cités pouvaient attendre de la visite de l’empereur, voir H. Halfmann, « Les cités du monde romain bénéficiaires de la visite impériale  », dans A.  Bérenger, E.  Perrin-Saminadayar (éd.), Les entrées royales et impériales, p. 111–119. eb, 16 : Τῆς γὰρ συντάξεως ὑπερβαλλούσης τῆς εἰς τὴν διοίκησεν συντεταγµένης καὶ φόρων ἐπιταχθέντων πλειόνων καὶ οὐδὲ τούτων ἀρκούντων, ἀλλὰ κεκενωµένων µὲν τῶν πανταχοῦ ταµιείων, ἀεὶ δὲ µείζονος ὄντος τοῦ περὶ τοῦ µέλλοντος φόβου, οὐ τοῦ πλείονος ἐδεήθη οὐδ᾽ ἐζήτησεν οὐδὲ διὰ χρήµατα κακὸς ἐγένετο, ἀλλ᾽ ἀνῆκε καὶ ἐπεκούφισεν, οὐ µόνον δικαιότατ ος, ἀλλὰ καὶ φιλανθρωπότατος βασιλέων περὶ ταῦτα γενόµενος », trad. L. Pernot ; voir aussi eb, 30.

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L’expédition en Orient organisée par Timésithée avait été très coûteuse, elle avait nécessité de gros efforts de logistique et, en dépit des louanges de l’Histoire Auguste – très favorable à Timésithée – au sujet de ses compétences de gestionnaire, il est difficile de penser qu’à la mort du beau-père de Gordien iii les caisses étaient pleines176. Des difficultés et de gros efforts d’approvisionnement des troupes ont marqué l’offensive vers Ctésiphon au cours de laquelle mourut le jeune empereur177. Après son avènement, Philippe montra son souci de se dégager d’une politique belliciste coûteuse et de mesurer les donatiua faits aux soldats. On est aussi renseigné sur les réformes fiscales qu’il opéra en Egypte. Elles ont consisté dans une révision des biens fonciers permettant de mieux connaître les capacités productives et contributives de la province, et dans une augmentation du nombre des personnes astreintes aux liturgies, afin de décharger les notables membres des conseils municipaux (boulai) dans les métronomes des nomes. Or, selon M. Christol, ces mesures relatives à l’Egypte ne seraient qu’une partie d’une entreprise de réorganisation fiscale à l’échelle de l’Empire. Philippe semble donc avoir mené, au début de son règne, une politique fiscale qui cherchait à soulager les élites municipales, pour éviter des révoltes comme celle à laquelle s’était heurté Maximin le Thrace dans la province d’Afrique en 238178. Il est sûr aussi que Philippe a rencontré des difficultés financières, entraînées par le tribut versé aux Perses, le coût de la réorganisation des frontières danubiennes et celui de la fête du millénaire à Rome : dans les dernières années de son règne, il fut contraint de dévaluer la monnaie et sans doute de revenir à une plus grande rigueur fiscale, qui déclencha un exode rural et des révoltes à Alexandrie, ainsi que des insurrections en Orient, à cause de l’âpreté de Priscus179. Zosime associe la pression fiscale en Orient et l’apparition des usurpateurs Jotapien et Marinus Pacatianus, qui date de 248/

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sha, Gord., 28, 2. Zosime, i, 18, 2–3 ; sha, Gord., 29, 2 et 6. L’allusion aux impôts supplémentaires dans eb, 16, peut aussi renvoyer à la rigueur fiscale imposée par Maximin : Hérodien, vii, 3, 3 et 5–6 ; voir M. Crawford, “Finance, Coinage and Money from the Severans to Constantine”, p. 568. P. J. Parsons, « Philippus Arabs and Egypt », jrs, 57, 1967, p. 134–141 ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 107 sur la réorganisation fiscale en Egypte. Voir Hérodien, vii, 4–5 sur la révolte de Gordien ier et de son fils Gordien ii. T. Pekary, «  Le “tribut” aux Perses et les finances de Philippe l’Arabe  », Syria, 38, 1961, p. 275–283 ; J.-P. Callu, La politique monétaire des empereurs romains de 238 à 311, Paris, 1969, p. 242–243, 249, 432, 477, cité par L. de Blois, “The Reign of the Emperor Philip the Arabian”, p.  30  ; voir ibid., p.  29–32, sur la politique financière, fiscale et monétaire de Philippe. Voir Zosime, i, 20, 2. Sur les troubles à Alexandrie, datés à la fin du règne, et sur les usurpations de Jotapien et de Pacatien, voir C.  Körner, Philippus Arabs, p.  274–276, 277–288.

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249 : il est donc possible que cette pression ait été ultérieure à l’éloge de l’orateur anonyme. On peut enfin ajouter des arguments, qui relèvent de l’histoire de la pensée politique, en faveur d’une datation haute, à la fin des années 240 : la figure du bon prince dans le basilikos logos du pseudo-Aelius Aristide est en effet plus proche de celle du bon prince antonin que de celle de l’empereur-guerrier charismatique qui se dégage du traité de Ménandre ii180. b L’éloge de Philippe l’Arabe et l’idéal antonin Le discours « En l’honneur d’un roi » est consacré à la célébration de la vertu de l’empereur, considérée comme une unité (l’aretè) composée par les grandes vertus traditionnelles (les quatre vertus philosophiques canoniques, la piété et la philanthropie), étroitement liées les unes aux autres. Sont mentionnées dans l’ordre : – la piété, qui concerne essentiellement l’accession au pouvoir de l’empereur181. L’idée de piété ne se résume pas à la notion d’εὐσέβεια, qui désigne au sens propre le respect des dieux et des rites, elle est aussi traduite par le terme ὅσιος qui pouvait être doté d’une résonance morale plus forte, pertinente dans ce contexte. C’était, dans les Ecrits de Marc Aurèle, une notion centrale pour décrire le bon prince Antonin182. Cette piété morale qualifie la prise de pouvoir qui n’a pas suivi de guerre civile ni de meurtres, ce qui correspond à l’avènement de Philippe l’Arabe si l’on admet le décès naturel de Gordien iii. Elle désigne aussi le fait que le nouvel empereur n’ait pas éliminé de potentiels rivaux : rien n’indique que Philippe ait eu à le faire, et l’on sait en revanche que son règne a commencé par une amnistie à l’égard des exilés183. La notion de piété intervient au moment crucial du début de règne parce qu’elle témoigne de la providence divine : comme dans la titulature impériale associant pius et felix, piété et protection des dieux vont de pair184. – Vient ensuite la justice, qui est associée à la philanthropie185. L’orateur considère d’abord la justice en matière de finances (τὴν εἰς χρήµατα δικαιοσύνην)186. 180 181 182 183 184 185 186

Sur l’idée que Philippe l’Arabe s’est inscrit dans les traces des Sévères et, par devers eux, des Antonins, voir L. de Blois, “The Reign of the Emperor Philip the Arabian” ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps ». eb, 7–15. Voir supra, c. 3. eb, 7–10 : l’absence de jalousie, mentionnée au § 10, est aussi un élément important dans la définition du bon prince Antonin chez Marc Aurèle, i, 16, 21 ; cj, ix, 51, 7. J. H. Oliver, “The Piety of Commodus and Caracalla”, p. 386–388. eb, 16–20. eb, 16 ; voir Xénophon, Ages., 4, 1 pour la même expression. Voir P. Fay., 20, pour l’association de la justice et de la philanthropie du prince en matière de fiscalité.

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C’est une préoccupation que Philippe l’Arabe a aussi affichée dans le domaine monétaire entre 245 et 247, par des émissions de monnaies portant la légende AEQVITAS AVGG, AEQVITAS AVGUSTI et AEQVITAS PVBLICA, qui témoignaient de sa volonté de veiller à la «  juste mesure  »187. La justice est ensuite évoquée dans le cadre des procès, et elle est alors considérée comme équivalente à la philanthropie. Le bon roi apparaît comme un législateur et un inventeur du droit, mais qui reste dans les limites de la justice188. Le philhellénisme du roi, enfin, découle de sa justice, ce qui peut signifier qu’il est essentiellement considéré sous un angle politique : le bon roi doit se soucier autant de la partie orientale hellénisée de son Empire que de la partie occidentale189. – La philanthropie de l’empereur fait l’objet d’un développement particulier, qui montre bien qu’elle est une vertu tout à fait essentielle190. A l’instar de Pline, de Dion de Pruse et de Philostrate, l’orateur accorde une importance particulière au respect de la liberté d’expression, prônant l’exercice d’une parrhèsia limitée : comme dans la Vie d’Apollonios de Tyane, celle-ci doit être tempérée et juste. La philanthropie du pouvoir impérial permet d’associer liberté d’expression – et même de pensée ! – et sécurité, dans la continuité de l’idéal mis en avant par Trajan191. Cette philanthropie est associée à la

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ric iv 3 Philippe i 27 a-b, 54–55, 57, 82. Sur la vertu monétaire de l’Aequitas, voir A. Wallace-Hadrill, “Galba’s Aequitas”, nc, 141, 1981, p. 20–39 ; sur son importance particulière au iiie siècle, voir E. Manders, Coining Images of Power, p. 182–185. Philippe a dévalué le denier par rapport à l’aureus (J.-M. Carrié, « Les finances militaires et le fait monétaire dans l’empire romain tardif », p. 242), mais, selon L. de Blois, “The Reign of the Emperor Philip the Arabian”, p. 30, il a évité aussi longtemps qu’il l’a pu de dévaluer la monnaie. Voir en particulier eb, 17. Sur la position, traditionnelle depuis les Antonins, de l’empereur – au-dessus des lois et source de la loi, mais qui reste respectueux de celle-ci – voir supra, c. 4 et 5. eb, 20. eb, 21–25. Parmi les vertus, le terme philanthrôpia et ses dérivés sont de loin les plus fréquemment employés (18 occurrences) : S. A. Stertz, « Pseudo-Aristides, Εἰς βασιλέα », p. 181 ; L. Pernot, Eloges grecs de Rome, p. 135–136. eb, 21 : ῟ῌ κατεπτηχὸς ἅπαν τὸ ὑπήκοον καὶ ὑπὸ φόβου δεδουλωµένον, πολλῶν τῶν κατηκόων περιιόντων καὶ ὠτακουστούντων κατὰ πάσας τὰς πόλεις εἴ τις φθέγξαιτό τι, ἐλεύθερον δὲ οὐδὲν οὔτε φρονῆσαί τι οὔτε εἰπεῖν οἷόν τε ὂν, ἀνῃρηµένης τῆς σώφρονος καὶ δικαίας παρρησίας, τρέµοντος δὲ ἑκάστου σκιὰν, ἀπήλλαξε τοῦ φόβου τούτου καὶ ἠλευθέρωσε τὰς ἁπάντων ψυχὰς, ἐντελῆ καὶ ὁλόκληρον ἀποδοὺς τὴν ἐλευθερίαν αὐτοῖς, « Quand les sujets dans leur totalité étaient recroquevillés et asservis sous l’effet de la crainte, parce que les espions étaient nombreux à circuler en tendant l’oreille au moindre propos dans toutes les cités et qu’il était absolument impossible de penser et de s’exprimer librement, le franc-parler tempéré et juste ayant été supprimé et chacun ayant peur de son ombre, il les débarrassa de cette

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douceur et liée aux métaphores traditionnelles (homériques à l’origine) du père et du pasteur du peuple192. L’orateur souligne ensuite l’accessibilité du prince, et ce qui est intéressant est que celle-ci va de pair avec son caractère sacré : La modération de son langage, le fait qu’il n’est nul besoin de se donner de la peine pour l’approcher et qu’on a la possibilité de s’avancer, comme à l’intérieur d’un périmètre de lustration, du moment qu’on a si peu que ce soit bonne conscience, comment cela n’est-il pas au-delà de toute douceur et de toute humanité ?193 L’accès à la personne sacrée de l’empereur n’est permis qu’à ceux qui ont une âme bonne, ce qui rappelle les outrages de maiestate châtiés depuis le ier siècle. Même si la douceur et la modération du prince le rendent proche de ses sujets, la distance entre eux est en fait amplifiée. – La quatrième vertu louée est la tempérance, qui permet à l’empereur de ne pas être perverti par le pouvoir, mais de rester le même qu’il était en tant que simple particulier194. Les qualités attendues du bon empereur sont ici les mêmes que celles du citoyen-priuatus, ce qui évoque l’idéal du roiphilosophe capable de gouverner les autres et de se gouverner soi-même (ou capable de gouverner les autres parce ce qu’il sait se gouverner lui-même). La tempérance permet à l’empereur d’éduquer ses sujets en leur donnant l’exemple195. L’orateur insiste sur le contrôle des plaisirs et sur la maîtrise de

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crainte et libéra les âmes de tous, en leur rendant la liberté pleine et entière », trad. L. Pernot. Dion Cassius, lii, 37, mentionne aussi un service d’agents impériaux chargés d’espionner pour le compte de l’empereur. Selon L. J. Swift, “The anonymous encomium of Philip the Arab”, p. 287, les katèkooi désigneraient les frumentarii, soldats chargés d’assurer les liaisons entre Rome et les garnisons provinciales, qui avaient mauvaise réputation : Aurélius Victor, De Caesaribus, 39, 45. Voir B. Rankov, « Les Frumentarii et la circulation de l’information entre les empereurs romains et les provinces », dans L. Capdetrey, J. Nelis-Clément (éd.), La circulation de l’information dans les états antiques, Paris, 2006, p. 129–140. Au début du règne de Gordien iii, en réaction contre le règne de Maximin, des mesures qui auguraient un bon nouum saeculum (« nouveau siècle ») furent déjà prises contre les délateurs : cj, x, 11, 2 ; A. Chastagnol (éd.), Histoire Auguste, p. 698. Voir supra, c. 4 et 5, sur Pline, Dion de Pruse et Philostrate. eb, 22–23. eb, 23 : Ἡ δὲ τοῦ σχήµατος αὐτοῦ πραότης ὡς φιλάνθρωπος καὶ τῆς διαλέκτου τὸ εὔκρατον καὶ τὸ µηδὲν δεῖν ἕνεκα τῆς προσόδου πραγµατεύεσθαι, ἀλλ᾽ ὑπάρχειν ὥσπερ εἴσω περιρραντηρίων παριέναι τοῖς τι καὶ µικρὸν συνειδόσιν ἑαυτοῖς ἀγαθὸν, πῶς οὐ πάσης ἐπέκεινα πραότητος καὶ φιλανθρωπίας ; trad. L. Pernot. eb, 25–29. eb, 26.

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soi, l’ἐγκράτεια, qui correspond à l’idéal antonin, d’obédience stoïcienne, incarné par Antonin le Pieux et Marc Aurèle196. On a voulu chercher la preuve de l’ἐγκράτεια de Philippe l’Arabe dans le fait qu’il avait interdit, à la fin de son règne, la prostitution masculine ; l’édit de Philippe contre la pédérastie ne fait toutefois que poursuivre la législation sévérienne197. En vertu du principe de la maîtrise de soi, l’orateur condamne la faiblesse d’Agamemnon et d’Achille dans l’Iliade, car leur amour pour Chryséis et Briséis les a entraînés à causer de grands torts à leurs sujets. Il reprend ici des exemples et un type d’analyse politico-morale que l’on trouve chez Dion de Pruse et Epictète198. Il se tourne ensuite, logiquement, vers une définition morale du courage consistant à supporter facilement une « vie accommodante et un régime simple  », idée qui rappelle la description de l’Héraclès-Trajan par Dion de Pruse dans le premier discours Sur la royauté, et celle d’Antonin par Marc Aurèle dans ses Ecrits199. – Le courage est ensuite développé200 : l’orateur en propose des définitions variées, retardant celle du courage au sens militaire (la uirtus). Le courage consiste d’abord à rétablir la discipline militaire, tâche cruciale et délicate pour le nouvel empereur : comme chez Dion Cassius, le danger potentiel représenté par l’armée est bien présent. Maintenir cette discipline fut déjà un élément important de la politique militaire des empereurs antonins – Trajan, Hadrien et Marc Aurèle – jusqu’à Sévère Alexandre, dont la seueritas à l’égard des soldats fut un échec201. L’orateur souligne aussi le lien entre le courage et la bonne délibération (εὐβουλία), que l’on retrouve chez Dexippe, historien athénien contemporain (env. 210-env. 278) qui écrivit notamment des Scythica au sujet des guerres menées par les Romains contre les 196 197

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eb, 27 ; voir supra, c. 4. Aurélius Victor, De Caesaribus, 28, 6 ; sha, Hel., 32, 6 ; Alex., 24, 4 ; E. Groag, « Studien zur Kaisergeschichte, ii », p. 39, qui souligne aussi l’absence de toute critique des mœurs de Philippe dans les sources antiques, qui lui sont pourtant parfois très défavorables ; voir aussi Epitome de Caesaribus, 28, 3, sur le caractère sévère et triste de Philippe ii, à partir d’une anecdote douteuse qui semble découler du premier cognomen de celui-ci : M. Julius Seuerus Philippus (pir2 J 462). Sur la législation sévérienne, voir Dig., xlvii, 11, 1, 2 (Paul). eb, 28 ; Dion de Pruse, Or. lvi, Agamemnon ou Sur la royauté ; lvii, Nestor ; lviii, Achille ; lxi, Chryséis ; Entretiens, i, 22, 5–8 ; i, 25, 10 ; i, 28, 31 ; ii, 24, 21–23 ; iii, 22, 30–37 ; A. Gangloff, Dion Chrysostome, p.  108–114, 314–321, 333–337  ; ead., «  Les héros et les penseurs grecs des deux premiers siècles après J.-C. : mythologie et éducation », Pallas, 78, 2008, p. 153–168. eb, 29 : βίου δὲ εὐκολίαν καὶ διαίτης εὐτέλειαν, trad. L. Pernot. Voir Dion de Pruse, Or. i, 61–62 ; Marc Aurèle, i, 16, 16 ; vi, 30. eb, 29–30. M. Molin, « Seueritas, une valeur politique romaine en échec au iiie siècle ».

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barbares germaniques entre 238 et le règne d’Aurélien, ainsi qu’une Histoire universelle202. Cette coïncidence montre qu’il s’agissait d’un idéal politique partagé, qui s’est développé à partir de la fin du iie siècle, sans doute dans le contexte des guerres de Marc Aurèle : il permettait de corriger les excès potentiellement attachés à la figure de l’empereur-guerrier203. – Le courage est d’ailleurs ensuite assez longuement évoqué en liaison avec la sagesse (φρόνησις), comme dans le « discours royal » de Ménandre ii204. L’orateur distingue deux manières de gouverner les hommes, l’une qui repose sur la violence et la crainte, et l’autre sur la persuasion, qui demande à la fois des capacités de réflexion et d’expression : « Amener à la modération des hommes ayant un penchant insatiable pour l’argent et les cadeaux, cela, il n’aurait pu le faire facilement, je crois, s’il n’était supérieur à tous pour concevoir et pour exprimer »205. Une telle conception duelle de l’exercice du pouvoir est très marquée chez Hérodien, dont on pense qu’il a probablement achevé son Histoire des empereurs romains après 240. Dans le monnayage du règne de Philippe l’Arabe où les thèmes militaires occupent une place réduite, celui de la Fides, la loyauté des troupes, est bien représenté, car celle-ci constituait un soutien décisif pour l’empereur, d’autant plus que Philippe avait été porté au pouvoir par les troupes ; on peut en particulier rapprocher du passage précédemment cité un type à la Fides montrant le prince en train de haranguer les soldats206. L’éloge « En l’honneur d’un roi » présente comme une preuve décisive de sagesse et d’intelligence la capacité de l’empereur à négocier avec les Barbares, ce qui renvoie sans doute à la paix négociée par Philippe l’Arabe avec Shapur ier, selon une pratique politique d’acheter l’ennemi « barbare » qui avait été instaurée par Caracalla207. L’orateur parle, et c’est très sensible, pour les Grecs et il semble s’intéresser 202

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eb, 30. Dexippe, FGrHist., ii A 100, 26, 4 ; 7f. ; 28, 6 ; 31 c ; 33 b-d ; L. de Blois, “The third Century Crisis and the Greek Elite in the Roman Empire”, p. 374. Voir F. G. B. Millar, “P. Herennius Dexippus” ; G. Martin, Dexipp von Athen. Edition, Übersetzung und begleitende Studien, Tübingen, 2006. Chez Pollux, i, 40, on trouve le mot εὔβουλος et d’autres termes insistant sur la prudence du prince. Il s’agit aussi d’un idéal ancien, exprimé déjà chez Xénophon, Ages., 11, 9. Voir la réflexion critique de Dion de Pruse à l’égard du caractère belliqueux du règne de Trajan  :  A. Gangloff, Dion Chrysostome, p.  255–273. Voir aussi N.  Méthy, «  Une critique de l’optimus princeps », p. 109, pour une critique proche dans les Prémisses de l’histoire de Fronton. eb, 31–36 ; Ménandre ii, 373, 23–25 ; 374, 21–25 (voir supra). eb, 31, trad. L. Pernot. ric iv 3 Philippe i 170. Fides Militum : ric iv 3 Philippe i 32 a-34 A, 172 a-173 c. Fides Exercitus : ric iv 3 Philippe i 61–62, 84 A, 170–171 c. eb, 32–34 ; sur Caracalla, Dion Cassius, lxxviii, 14, 2, à propos de la tribu germanique des Cenni, en 213 ; L. de Blois, “The Reign of the emperor Philip the Arabian”, p. 23.

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avant tout à la paix conclue avec les Perses, qui avait été mise en relief sur des monnaies émises par l’atelier d’Antioche (et seulement par cet atelier) en 244, avec les légendes PAX AETERNA et PAX FVNDATA CVM PERSIS208. Après avoir souligné le courage militaire dont l’empereur a su faire preuve face aux Germains, il affirme que la paix et le rétablissement de l’Empire sont supérieurs à ce courage, ce qui correspond au monnayage de Philippe l’Arabe qui a mis en avant les bienfaits de la paix davantage que les thématiques militaires209. Les bienfaits qui découlent des vertus pratiquées par le bon empereur sont résumés dans le tableau final de la Felicitas Temporum, caractérisée par la circulation sans entrave des hommes et des marchandises, la prospérité, la sécurité et les fêtes210. Ils trouvent leur écho dans le monnayage de Philippe avec les thèmes de la Felicitas, de la Laetitia, la « joie », de la Securitas et de la Tranquillitas211. Ce sont des thèmes typiques du monnayage des Antonins, notamment la Tranquillitas qui est un thème rare : on le trouve seulement sous Hadrien et sous Antonin212. Les monnaies de Philippe à la Tranquillitas ont été émises à Rome en 248 à l’occasion de la célébration du millénaire de la Ville. La Tranquillitas est représentée sur le revers comme une figure féminine, debout et tournée à gauche, drapée, tenant un capricorne de la main droite et un long sceptre de la main gauche (Fig. 7). D. Nony a proposé d’identifier l’animal  – peu visible sur certaines monnaies – sur la main droite de la personnification à un dauphin, et de mettre la Tranquillitas en rapport avec la circulation des marchandises par mer et avec la prospérité213. Néanmoins, sur d’autres revers on distingue nettement les pattes 208 209 210 211

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eb, 36 ; PAX AETERNA : ric iv 3 Philippe i 40 a-b, 184 a-185 d ; PAX FVNDATA CVM PERSIS : ric iv 3 Philippe i 69 et 72. eb, 35–36. Voir notamment L. de Blois, “The Reign of the emperor Philip the Arabian”, p. 28–29 ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps », p. 142 ; M. Christol, L’Empire romain du iiie siècle, p. 105–106 ; C. Körner, Philippus Arabs, p. 117–119. eb, 36–37. Représentation de la Felicitas avec les titulatures impériales de 246, 247 et 248 : ric iv 3 Philippe i, 3, 149 a-b (en 246) ; 4–5, 75, 75 A (a), 76, 76 A, 150 a-c (en 247) ; 6, 77 A, 78, 153 a-c (en 248) ; FELICITAS TEMP(ORVM) : ric iv 3 Philippe i, 3, 31, 169 a-b ; SPES FELICITATIS ORBIS (légende qui est propre à Philippe l’Arabe et à l’atelier d’Antioche) : ric iv 3 Philippe i, 70, 73. LAETITIA FVNDATA (la légende avec fundata se trouve pour la première fois sous Philippe) : ric iv 3 Philippe i, 35 a-36 b, 175 a-c, 37 a-b, 175–176 a-c ; représentée avec une proue : 37 a-b, 176 a-c. SECVRITAS ORBIS : ric iv 3 Philippe i, 48 a-b, 190. TRANQVILLITAS AVGG. : ric iv 3 Philippe i, 9, 156. Voir C. Körner, Philippus Arabs, p. 101–106. ric ii Hadrien 222–223, 367 (deniers), 730 (dupondius ou as) ; ric iii Antonin 100 (denier) ; ric iv 3 Philippe i, 9 (pl. 6. 15, antoninien), 156 (sesterce). D. Nony, « De la tranquillitas de Philippe l’Arabe à l’hippopotame d’Otacilia », ccg, 10, 1999, p. 261–267. Comme l’a souligné D. Nony, le thème monétaire de la Tranquillitas est

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Fig. 7  Sesterce, Rome, 248. Au droit : Buste drapé et cuirassé de Philippe i, avec une couronne d’olivier, à droite ; légende IMP M IVL PHILIPPVS AVG. Revers : légende TRANQVILLITAS AVGG SC. ric iv 3 Philippe i 156. Roma Numismatics Ltd, 42, 6 janvier 2018, lot 799.

avant du capricorne, signe qui faisait référence à l’heureux principat d’Auguste. Il faut plutôt, me semble-t-il, rapprocher cette représentation de la « Tranquillité des Augustes » de celle du « Bonheur de l’Auguste », Felicitas Aug(usti), qui apparaît sur des monnaies d’Antonin, émises en 147 à Rome, en liaison avec le neuf centième anniversaire de la fondation de Rome (21 avril 753), commémorée par anticipation à partir de 146. Sur certains revers, la Felicitas est figurée debout, tournée à gauche, drapée, un capricorne sur la main droite et un long caducée, ou une branche, à la main gauche (Fig. 8). Philippe l’Arabe semble donc avoir cherché à faire référence aux Antonins par le biais de son monnayage, et notamment à Antonin le Pieux auquel il succédait dans la célébration séculaire de la fondation de Rome. La Tranquillitas apparaît ainsi comme indissociable de la Felicitas attachée à son règne. C’est le cas aussi dans l’éloge « En l’honneur d’un roi » qui fait commencer la description de la Felicitas Temporum en rappelant l’idéal grec de la tranquillité214.

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lié à la mer sous Antonin, et l’on peut faire la même remarque pour celui de la Felicitas à partir d’Hadrien (J.-P. Martin, Prouidentia deorum, p. 352–353) : outre la liaison avec Annona, explicite pour la Tranquillitas sous Antonin, ces thèmes ont sans doute à voir avec la comparaison littéraire très courante de l’Etat comme un navire mené à bon port par le pilote avisé. Cette image est bien exploitée par le discours « En l’honneur d’un roi », § 14–15 et 36 ; voir aussi Pan., ii, 4, 2 ; vi, 9, 3–4 ; 12, 7. eb, 36 : Ἡσυχάζει δὲ πᾶσα ἡ ἤπειρος, « Chaque continent jouit de la tranquillité », trad. L. Pernot.

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Fig. 8  Sesterce, Rome, 147. Au droit : Tête laurée d’Antonin le Pieux à droite, légende ANTONINVS AVG PIVS P P TR P COS IIII. Revers : Felicitas portant un capricorne et un long caducée, légende FELICITAS AVG SC. ric iii Antonin 770. Bertolami Fine Arts – acr Auctions, 50, 10 décembre 2017, lot 217.

L’éloge est ensuite présenté comme l’expression de la reconnaissance des hommes heureux à leur bienfaiteur215. A travers l’importance attachée aux vertus de philanthropie et de tempérance, on retrouve dans l’éloge « En l’honneur d’un roi » l’idéal du prince ciuilis qui a été développé par référence à Auguste sous les Antonins, avec l’accord et même à l’instigation de certains d’entre-eux, tels Trajan et Marc Aurèle. Cet idéal se définit par l’accessibilité de l’empereur, sa simplicité, sa maîtrise de soi et ses qualités proches de celles d’un priuatus. La ciuilitas caractérise aussi le comportement de Philippe l’Arabe décrit par Zosime : après avoir été choisi par les soldats, Philippe a recherché l’adhésion du Sénat, et il a voulu faire de celle-ci la principale source de légitimité de son règne, en proposant de démissionner lors de la crise de 248/249, suscitée par les révoltes en Orient et par la coalition des Perses, des Goths, des Carpes et d’autres tribus sous le commandement du roi gothique Ostrogotha216. L’attitude de l’empereur semble

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eb, 38 : l’éloge est mis en parallèle avec les autres honneurs envers l’empereur qui a surpassé ses prédécesseurs vertueux ; voir aussi l’exorde, § 4, pour l’idée de « dette de reconnaissance » (envers les dieux, χάριν αὐτοῖς ταύτην ἐκτίνοµεν). Ces éléments se retrouvent dans le basilikos logos de Ménandre ii, voir supra. Zosime, i, 19, 2 : « Quand [Philippe] fut arrivé à Rome et qu’il eut séduit les plus importants des sénateurs par ses discours plein de douceur (ἐπιείκεια) » ; i, 21, 1 : « Profondément troublé par ces événements, Philippe demanda au Sénat, soit de l’aider à affronter

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donc répondre à l’idéal de royauté aristocratique très répandu parmi les élites gréco-romaines dans la première moitié du iiie siècle217. Cette préoccupation pour les attentes des élites marque une continuité avec Sévère Alexandre, que l’on retrouve aussi dans la politique militaire, monétaire et économique de Philippe218. Mais, à côté de la ciuilitas, le caractère sacré de l’empereur est souligné, et il l’est aussi dans les inscriptions grecques où Philippe est souvent qualifié de θειότατος, « très divin »219. Dans l’éloge « En l’honneur d’un roi », la relation entre empereur et divin est double : les dieux offrent à l’empereur une protection spéciale, définie par les notions de providence (πρόνοια) et de fortune (τύχη) et, en retour, celui-ci imite Zeus par sa philanthropie et sa providence envers les sujets. La providence de l’empereur dont ceux-ci profitent découle explicitement de la providence divine220. Le point nodal des liens entre le bon roi et le divin est constitué par la vertu de la philanthropie221. L’éloge insiste également sur un autre élément lié à l’idéal antonin du prince ciuilis, à savoir la méritocratie par la vertu. Le bon roi s’est montré digne de l’Empire par sa vertu, et celle-ci est à la base du consensus qui a entraîné son choix  :  on trouve ici l’idéal de royauté aristocratique ou démocratique prégnant dans la première moitié du iiie siècle. La recherche du consensus paraît propre à caractériser le début du règne de Philippe l’Arabe qui fut choisi par les troupes auquel il donna une gratification généreuse, et, à son retour à

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la situation, soit du moins, si son pouvoir leur déplaisait, de l’en démettre », trad. F. Paschoud ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps », p. 134 et 144. Voir supra, c. 5. Voir les analyses de L. de Blois, “The Reign of the emperor Philip the Arabian”, part. p. 41– 43 ; C. Prickartz, « Philippe l’Arabe (244–249), civilis princeps », p. 140, 141 n. 72, 150. Sur l’image souvent négative de Philippe dans les sources littéraires antiques, voir J.-M. York, “The image of Philip the Arab”, Historia, 21, 1972, p. 320–332. ig iv 19 (Egine)  ; IGBulg. iii, 2 1566 (Augusta Traiana)  ; I. Aeg. Thrace 463 (Plotinopolis) ; I. Prusias ad Hypium 41 ; mama x 114 (pétition des habitants d’Aragua en Phrygie) : ἱερώτατ[οι] ; σου ἡ θ[ειότης]. eb, 1 ; 14 ; 24 ; 38. Voir en particulier § 14 : Ἐπεὶ δὲ ἡ τὰ πάντα διοικοῦσα πρόνοια καὶ διατάττουσα καὶ τοῦτον ἐκάθισεν εἰς τὸν βασίλειον θρόνον τὸν δικαιότατον καὶ ὁσιώτατον βασιλέων, τί ἄν τις πρῶτον καὶ µέγιστον εἰπεῖν ἔχοι ὧν τῆς ἀγαθῆς αὐτοῦ τύχης καὶ προνοίας ἀπολαύοµεν, « Depuis que la providence qui administre et règle toutes choses l’a assis à son tour sur le trône impérial, lui le plus juste et le plus saint des empereurs, nous retirons les bénéfices de sa bonne fortune et de sa providence », trad. L. Pernot. Sur ce passage, voir J. R. Fears, Princeps a diis electus, p. 159. eb, 1 : l’empereur est qualifié de « divin et philanthrope » (περὶ τοῦ θείου καὶ φιλανθρώπου βασιλέως), il est protégé par la fortune qui est bonne et philanthropique (χρηστῇ καὶ φιλανθρώπῳ τύχῃ) ; 24.

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Rome, chercha à gagner l’adhésion du Sénat222. Ce « consensus de la vertu » est présenté comme une source de légitimité supplémentaire, susceptible de conférer plus de stabilité au règne que la victoire à la guerre et que la succession héréditaire223. L’orateur exprime, à la fin du discours, le souhait habituel que le fils du roi – le jeune César Philippe ii, qui fut tué peu après la mort de son père à la bataille de Vérone en 249 – marche sur les traces paternelles : il s’agirait alors d’une succession héréditaire et vertueuse à la fois, qui renvoie à une espérance collective exprimée avec force tout au long du iiie siècle224. L’orateur, enfin, souligne l’importance attachée à l’éducation, la paideia. C’est elle, d’une part, qui confère au bon roi ses vertus et la science du bien225. Elle est associée à la douceur, la violence étant considérée comme un manque d’éducation, et à l’intelligence (σύνεσις), elle permet de gouverner par la persuasion226. L’empereur est d’autre part doté d’une fonction éducative par rapport à l’ensemble de la société, aussi bien par ses décisions de justice et, plus largement, par ses décisions politiques, que par son comportement exemplaire227. Se dégage ainsi la notion d’une paideia générale, politique, une sorte d’éducation civique et morale qui ne s’acquiert pas par les études et les lectures/auditions, mais qui est dispensée par les autorités politiques. 222 223

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eb, 5–6 ; voir aussi 12–13, sur l’utilité et la dévotion de l’empereur à l’Empire ; Zosime, i, 19, 1–2. eb, 6. Cette insistance sur la légitimité du règne de Philippe était peut-être une tentative, de la part de l’orateur, de désamorcer les critiques relatives à la paix « honteuse » avec les Perses, par laquelle l’empereur avait commencé son règne, ainsi qu’à son origine sociale et géographique méprisée. eb, 39 ; voir Pollux, i, 1, enjoignant à Commode d’apprendre la vertu dans l’enseignement de son père ; va, vi, 31, 1, sur le souhait que le père, Vespasien, soit un modèle de vertu pour son fils Titus. Sur la mort des Philippes, voir en dernier lieu C.  Körner, Philippus Arabs, p. 305–322. Sur l’idéal d’une succession héréditaire et vertueuse, voir le discours de Commode dans Hérodien, i, 5, 3–8. eb, 11 ; 12 : on retrouve l’association entre la bonne nature et l’éducation, présente chez Dion de Pruse et chez Philostrate, voir supra, c. 4 et 5 ; § 18 : τῶν ὡς ἀληθῶς καλῶν καὶ τῶν ἀγαθῶν ἐπιστήµην. eb, 24 ; 31 ; 35. eb, 13 ; 19 : sur la fonction éducative du châtiment (voir Platon, Grg., 525 b-c) ; § 26 : Τὸν σώφρονα βίον ἑλόµενος, τὴν µὲν ὕβριν καὶ παρανοµίαν µισήσας, παράδειγµα δὲ σωφροσύνης ἑαυτὸν παρασχὼν, ὥστε τοὺς τέως ἀσελγεῖς καὶ ὑβριστὰς µεταθέσθαι τὸν τρόπον ὁρῶντας αὐτοῦ τὴν σωφροσύνην, καὶ τῆς τε πρὸς τὰ χρήµατα ἐπιθυµίας παύσασθαι καὶ πρὸς τὸ σωφρονέστερον διατεθῆναι, « Loin de dévier de sa nature et de rivaliser avec les dérèglements, il a choisi la vie tempérante, haïssant l’excès et l’illégalité et se présentant en exemple de tempérance, de façon que ceux qui jusque-là étaient impudents et excessifs changent leur manière d’être en voyant sa tempérance, mettent fin à leur désir d’argent et adoptent des dispositions plus tempérantes », trad. L. Pernot ; § 35 : l’empereur éduque même les Barbares par ses décisions politiques, en l’occurrence la négociation de la paix avec Shapur ier en 244.

Vertus de l’empereur Dans la Tradition épidictique Grecque

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L’éloge anonyme de Philippe l’Arabe construit donc un idéal du pouvoir qui fait référence à des idées de la pensée politique grecque d’époque classique : il renvoie en particulier aux miroirs au prince de Xénophon et d’Isocrate, ainsi qu’à l’idéal traditionnel de la tranquillité, ἡσυχία, qui est un idéal de paix civique228. Mais cette conception du pouvoir est surtout très proche de la figure du bon prince antonin, que l’on trouve dans les miroirs au prince élaborés par Pline et Dion de Pruse pour Trajan, et surtout dans le portrait que Marc Aurèle a tracé d’Antonin dans ses Ecrits. L’orateur anonyme a utilisé plusieurs termes ou idées proposés dans l’Onomastikon pour louer le bon roi vers 175, et construit une image du pouvoir qui est proche de celle de Pollux, soulignant l’accès facile et la douceur du roi, renvoyant à l’imitation de Zeus ; il manque l’accent placé sur le caractère guerrier du roi, qui était présent chez Pollux229. En parallèle, l’orateur a insisté sur la dimension sacrée de l’empereur et, dans ce sens, son éloge constitue déjà une transition vers la figure du bon empereur décrite chez Ménandre ii, probablement tout à la fin du iiie siècle. Le basilikos logos est donc, au iiie siècle le témoignage de la parfaite intégration de l’empereur dans le système des honneurs civiques et dans le monde des cités grecques230. Il montre l’entière loyauté des sujets grecs de l’Empire romain. Ce « discours royal », par nature, s’adaptait aux attentes suscitées par chaque règne et contenait de nombreux parallèles avec les monnaies et les inscriptions  :  il était beaucoup plus proche des discours officiels véhiculés par la monnaie et les inscriptions que ne l’étaient les miroirs au prince plus philosophiques ou plus parénétiques. Il témoigne ainsi de l’imprégnation de la rhétorique épidictique grecque par l’idéal antonin de l’empereur ciuilis, influencé par le Stoïcisme. Cet idéal, bien diffusé chez les élites grecques de l’Empire, a perduré tout au long de la première moitié du iiie siècle. Il s’agit sans 228

229 230

L’orateur fait en particulier référence à l’Agésilas de Xénophon, consacré au roi de Sparte Agésilas ii (398-360 av. J.-C.), et à l’Evagoras d’Isocrate qui faisait l’éloge du roi de Salamine de Chypre (410–374 av. J.-C.) ; comme l’a souligné L. Pernot, Eloges grecs, p. 134, il a ces discours bien en tête. Sur l’idéal grec de la « tranquillité » (eb, 36), voir P. Demont, La cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, Paris, 1990, part. p. 283–297 sur Xénophon et p. 329–342 sur Isocrate ; id., « La réflexion d’Isocrate sur le pouvoir dans les années 360-350 », dans S. Franchet-d’Espèrey, V. Fromentin, S. Gotteland et J.-M. Roddaz (éd.), Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux, Paris, 2003, p. 35–46. Les termes communs à Pollux et à l’anonyme auteur de l’éloge sont les suivants (outre ceux qui désignent les vertus cardinales)  :  πρᾷος, ἥµερος, ἐπιεικής, εὔβουλος, βέβαιος, ἐνεργός, τιµωρία, ἀσφαλής. L’intégration des autorités romaines dans le système des honneurs civiques grecs n’était pas évidente encore pour tous au début de la dynastie flavienne, comme on le voit dans le Discours rhodien (Or. xxxi, 26, 108, 112–113) de Dion de Pruse, prononcé certainement au début du règne de Vespasien.

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Chapter 6

aucun doute d’un important facteur de la cohésion politique de l’Empire, qui justifie, pour cette époque, la conception défendue par P. Veyne d’un Empire gréco-romain. C’est aussi un élément qui va dans le sens des démonstrations de C.  Ando et de C.  F. Noreña, à savoir, pour le premier, l’idée que les rituels et la communication liés à l’empereur furent des éléments déterminants pour créer la loyauté des provinces et, pour le second, l’idée, soutenue surtout à partir des monnaies et des inscriptions, que l’idéologie impériale a joué un rôle unificateur dans les provinces occidentales, parce qu’elle était relayée par l’aristocratie locale qui trouvait son intérêt dans le système impérial231. Les discours rhétoriques grecs montrent aussi l’émergence d’une sacralisation de la figure de l’empereur et de sa personne physique, à laquelle les auteurs des deux principaux discours de conseils au prince du début du iiie siècle, Dion Cassius et Apollonios de Tyane, semblent avoir tenté de résister. Cette sacralisation repose sur des relations privilégiées entre l’empereur et les dieux, et sur des pouvoirs reconnus à son image physique ou bien à sa personne  :  droit d’asile, action apotropaïque, fascination exercée par son comportement exemplaire ou par ses prouesses à la guerre. Elle va de pair avec l’affirmation du rôle accru de l’empereur dans la destinée de son Empire232, et accompagne le développement d’un pouvoir monarchique renforcé. Jamais n’a été autant soulignée l’idée que le bonheur des habitants de l’Empire dépendait des vertus de l’empereur ; l’idée que la bonne régulation cosmique découle de ses vertus est bien mise en évidence à la fin du iiie siècle. Les sources rhétoriques grecques permettent donc de mettre en lumière l’évolution importante de la figure du bon empereur au iiie siècle : si l’idéal antonin, incarné notamment par Marc Aurèle, est resté très fort chez les élites grecques et romaines dans la première moitié du siècle, le règne de Gallien, puis celui de ses successeurs, ont imposé la figure de l’empereur-guerrier charismatique. 231 232

C. Ando, Imperial Ideology and Provincial Loyalty ; C. F. Noreña, Imperial Ideals in the Roman West. Les deux thèses se prolongent, même si C. F. Noreña préfère à la notion de loyauté celle de l’intérêt ou du bénéfice (je n’entrerai pas dans ce débat). Voir L. de Blois, “Emperor and Empire”, p. 3412–3413, 3441–3443, sur la conviction que le bonheur et la stabilité de l’Empire romain reposaient sur la personne, le comportement et le gouvernement du prince.

Conclusion

On a donc pu constater, même s’il ne nous en reste que de grandes étapes, le développement d’une pensée politique gréco-romaine sur la figure du prince, qui s’est constituée en tradition au iie siècle et s’est diffusée dans l’empire, en Occident et en Orient. Nous l’avons analysée essentiellement à travers deux types de discours : des textes apparentés aux miroirs au prince et les basilikoi logoi. L’élaboration des miroirs au prince a exploité différentes traditions, relevant de la philosophie – et il faut souligner l’importance particulière du stoïcisme –, de la rhétorique et de l’historiographie sénatoriale. Dès Sénèque, l’éloge est devenu le meilleur biais pour conseiller les princes, mais l’idéal de la parrhèsia du philosophe n’a jamais disparu. La réflexion politique romaine a pour caractéristique d’avoir emprunté les traits de l’éloge et les traverses de la communication symbolique, en particulier le discours figuré, aussi bien en raison du caractère rituel de l’éloquence qu’à cause de la législation de maiestate, qui s’est étendue aux outrages verbaux dès la fin du règne d’Auguste et sous celui de Tibère. Cette pensée et cette tradition politiques reposent sur des négociations entre les élites sénatoriales, les élites civiques et intellectuelles grecques et les princes qui, jusqu’aux Sévères, partagent une même solide culture de base, rhétorique et philosophique. Les empereurs ont parfois joué un rôle moteur dans cette collaboration, ainsi Trajan et Hadrien. La plupart des sources que nous avons étudiées rapportent des propositions faites par des représentants des élites occidentales et orientales après une crise du pouvoir, c’est-à-dire à un moment où le nouvel empereur avait besoin de rétablir le consensus avec le Sénat, le peuple et l’armée. La pensée politique romaine n’a pas été produite au premier chef par des philosophes, à cause de leur place problématique à Rome. L’échec de la parole philosophique de Sénèque a représenté une sorte de traumatisme, encore très sensible dans l’Histoire romaine de Dion Cassius. Et pourtant, l’influence du stoïcisme a été déterminante pour façonner la figure du prince, comme on le voit dans le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse, et de manière plus diffuse chez les sénateurs Pline le Jeune et Dion Cassius ; la doctrine stoïcienne constituait, sous le Haut-Empire, une sorte de substrat dans la culture des élites, comme le prouve aussi l’exemple des « sénateurs stoïciens » du ier siècle. Le problème de la place des philosophes à Rome est un phénomène qui a perduré, même après la réconciliation entre pouvoir

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2019 | DOI:10.1163/9789004379374_009

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Conclusion

impérial et philosophie, laquelle ne fut que ponctuelle, sous les Antonins : au iiie siècle, Plotin donnait en exemple à ses élèves son ami le sénateur Rogatianus, qui avait renoncé au laticlave et au train de vie inhérent à son rang1. Le meilleur signe qu’on est bien en présence d’une tradition de pensée politique est l’existence de jeux d’échos et de réponses entre les acteurs de cette tradition. Sénèque s’est inspiré de la réflexion politique cicéronienne, Musonius semble avoir entretenu une controverse avec Cicéron et avec les rhéteurs de son temps, Marc Aurèle paraît répondre à Epictète sur la question cruciale du pouvoir sans limite, Hadrien semble avoir voulu exploiter les leçons de Dion de Pruse et de Pline le Jeune, Dion Cassius a médité principalement Sénèque, Philostrate a exploité Epictète, Dion de Pruse, Tacite et Suétone. Les correspondances sont suffisantes pour pouvoir parler d’une pensée politique impériale, qui est gréco-romaine. Elle a influencé dans la première moitié du iiie siècle les secrétaires ab epistulis (qui étaient des lettrés, parfois des sophistes) et les juristes de l’époque sévérienne. Le cas de Marc Aurèle montre qu’au milieu du iie siècle, l’héritier du pouvoir était fréquemment amené à composer des éloges de son père ou de son grand-père : il était ainsi conduit à intégrer un modèle, et cette tâche participait à l’apprentissage du pouvoir impérial, qui passait par la reproduction de bons modèles. La comparaison des textes littéraires avec l’épigraphie et les monnaies remet en question l’existence de règles fixes dans la diffusion des vertus : le décalage observé par A. F. Wallace-Hadrill entre la diffusion des vertus du prince par les discours et celle de ces mêmes vertus dans l’épigraphie et le monnayage semble surtout valable à l’époque de Trajan, pour le modèle construit par Pline le Jeune et les inscriptions et monnaies d’Occident2, car le bon roi de Dion de Pruse est plus étroitement en résonance avec l’image de l’empereur véhiculée dans les inscriptions et les monnaies des cités grecques. Au milieu du iiie siècle, on peut observer à partir de l’éloge de Philippe l’Arabe attribué au Pseudo-Aelius Aristide une correspondance étroite entre l’éloge rhétorique grec du prince, les monnaies et les inscriptions en général, dans l’ensemble du monde romain. A  cette date, et même sans doute avant (dès la fin de la dynastie antonine, comme le suggèrent les listes des termes destinés à louer le bon roi et blâmer le tyran dans l’Onomasticon de Pollux), la figure du prince est gréco-romaine. La réflexion politique qui a accompagné la mise en place de la dynastie antonine a joué un rôle décisif. Mais le véritable précurseur est Sénèque, 1 Porphyre, Plot., 7, 31–46. 2 Voir les réflexions de A. F. Wallace-Hadrill, “The Emperor and his virtues”, p. 313 n. 71 (citées en introduction), et de N. Méthy, « Eloge rhétorique et propagande politique », p. 380, 409–410.

Conclusion

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fondateur de la tradition romaine des miroirs au prince : il a tenté, de manière originale, d’adapter véritablement la réflexion politique grecque au prince romain. Sa pensée a inspiré en profondeur celle de Dion Cassius, et la clémence reste, dans l’Histoire Auguste, une vertu essentielle de l’empereur : imperatorum dos prima3. La volonté qu’ont eue les Antonins de construire une dynastie divine, et leurs démonstrations systématiques de pietas envers le prince précédent, érigé, de fait, en exemplum, a aussi contribué à fixer la figure du prince, et a renforcé l’idée que l’héritier doit marcher dans les traces du père vertueux4. La transmission d’un idéal de pouvoir passe ainsi à la fois par les discours, par l’imitation d’exempla, et par l’entourage de bons conseillers. A  la fin du ive siècle, la formation idéale du prince est décrite dans la Vie de Sévère Alexandre de l’Histoire Auguste, et elle repose sur les meilleurs maîtres, les livres (notamment la République de Platon, la République et les Devoirs de Cicéron, ouvrages qui sont à la base de la pensée politique grecque et romaine), les conseillers expérimentés, et les modèles des grands hommes politiques (optimi et diui) honorés dans le laraire principal5. Quelle efficacité les miroirs au prince et discours de conseils ont-ils exercée sur les représentants du pouvoir impérial ? Une efficacité non négligeable pour autant que l’on puisse en juger, car après une période d’instabilité ou de crise politique, il était important pour le prince de respecter des valeurs fédératrices afin de « restaurer » la République : Auguste revendiqua les vertus du Sénat dans les Res Gestae ; Néron paraît d’abord avoir appliqué la clémence de Sénèque en matière judiciaire ; Trajan répondit aux attentes des sénateurs dans le discours qu’il prononça au Sénat le premier jour de son troisième consulat, le 1er janvier 100, sur lequel Pline s’est appuyé pour élaborer le Panégyrique ; Hadrien semble avoir exploité les modèles de l’optimus princeps déclinés, de manière différente, par Pline et Dion de Pruse, tout en faisant preuve d’une attitude très autoritaire envers les élites intellectuelles. Les premiers Sévères ont manifesté le même autoritarisme, alors que Sévère Alexandre a repris le costume du ciuilis princeps antonin, ouvert aux attentes des élites.

3 sha, Aurel., 44, 1. Sur le problème que pose la figure du bon prince à l’auteur de l’Histoire Auguste, voir M. Haake, “ ‘In Search of Good Emperors’. Emperors, Caesars, and Usurpers in the Mirror of Antimonarchic Patterns in the Historia Augusta – Some Considerations”, dans H. Börm, Antimonarchic Discourse in Antiquity, Stuttgart, 2015, p. 269–303. 4 L’adresse de l’Onomasticon encourage Commode à suivre le modèle de vertu qu’est son père Marc Aurèle. 5 sha, Alex. Seu., 3 ; 16 ; 30–31.

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Conclusion

Les miroirs au prince et discours de conseils se sont donc élaborés à partir d’un dialogue entre les intellectuels, qui sont des représentants du Sénat ou de l’élite civique grecque, et le prince, et ce dialogue à propos des vertus a évolué dans le temps. Il a plutôt bien fonctionné sous les Julio-Claudiens, avant d’être rompu sous les Flaviens et renoué par les Antonins. Sous les Sévères, il est houleux, ayant été rompu sous les premiers empereurs, puis renoué sous le règne de Sévère Alexandre qui a voulu rétablir le consensus avec le Sénat. Durant cette période, sénateurs et armée sont devenus deux institutions de plus en plus étrangères l’une à l’autre, car l’expérience militaire des premiers est devenue insuffisante face à la multiplication des guerres extérieures. Les basilikoi logoi font apparaître une autre fonction de la construction rhétorique et philosophique du prince vertueux  :  composés par des spécialistes de la rhétorique qui appliquent les règles et se font l’écho des discours officiels, parmi lesquels celui du pouvoir impérial, véhiculé par les monnaies, ces éloges sont des discours de reconnaissance envers la figure du bon empereur, évergète et sauveur. Ils montrent l’adhésion des cités grecques à cette figure et témoignent, jusqu’au milieu du iiie siècle, de la diffusion de l’idéal antonin. Les discours qui construisent cette pensée politique romaine relèvent donc tous de l’éloge, mais non de la propagande d’une idéologie impériale, car aucun n’émane d’un orateur qui aurait transmis directement cette idéologie : les basilikoi logoi mettent en avant les intérêts des cités grecques (comme le fait Philostrate dans la Vie d’Apollonios de Tyane). Les auteurs des miroirs au prince ont proposé des modèles plutôt qu’une légitimation du prince régnant. Sénèque a destiné son discours au jeune Néron auprès duquel il a tenté de remplir le rôle de philosophe conseiller, les discours de Pline et de Dion apparaissent comme des réponses individuelles aux nouvelles circonstances politiques et au nouveau discours tenu par le prince, Dion Cassius et Philostrate ont réagi par rapport aux empereurs de leur temps, qui ne correspondaient pas aux attentes générales des élites. Il s’agissait donc pour eux de faire des propositions propres à légitimer le pouvoir impérial, d’expliquer au prince comment il pourrait faire accepter son gouvernement6. Le cas des basilikoi logoi de la fin du iie et du iiie siècle est différent : ce sont des discours qui relaient les discours officiels, celui des monnaies et celui des inscriptions, mais ils présentent, comme les miroirs au prince, un pouvoir de type contractuel, reposant sur le principe du don/contre-don. Que ce soit chez 6 Sur la question de l’«  acceptation  », voir la réflexion d’E. Flaig, Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im Römischen Reich, Frankfurt, New  York, 1992  ; id., “A coherent model to understand the Roman Principate : ‘Acceptance’ instead of ‘legitimacy’ and the problem of usurpation”, dans J.-L. Ferrary, J. Scheid (éd.), Il princeps romano, p. 81–100.

Conclusion

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les élites du monde grec ou bien chez les élites occidentales, le pouvoir repose, fondamentalement, sur un pacte. Ce pacte est conclu avec les hommes ou bien avec les dieux et, si l’empereur ne le respecte pas, il est éliminé par les uns et/ou par les autres7. La pensée politique gréco-romaine correspond donc, globalement, à la troisième fonction de l’idéologie selon P. Ricœur, la plus positive, qui est celle de l’intégration, qui donne à un groupe ou bien à un individu son identité8. La plupart des miroirs aux princes n’offrent pas de perspective globale. Même s’ils proposent une vision large, ils ne prennent pas en compte l’ensemble des institutions, l’ensemble des grands acteurs qui reconnaissent le prince, à savoir l’armée, le Sénat et le peuple ; en particulier, ils n’admettent que par défaut le poids – social et économique – de l’armée, dont ils tendent à diminuer le rôle politique. Chez Sénèque, qui a eu la volonté d’exposer une théorie du pouvoir générale, et qui présente le principat comme une forme de royauté, le peuple romain est très présent ; même si celui-ci était en théorie représenté par le Sénat, le premier traité Sur la clémence est surtout centré sur la relation directe et réciproque entre le roi et le peuple. Dion de Pruse, qui tend aussi à une certaine généralisation, fait ressortir les rapports entre le prince et les élites des cités, et ravive l’idéal d’une relation privilégiée entre le prince et le philosophe. Pline a cherché à construire un mode de relation et de collaboration politique entre les sénateurs et l’empereur, qui soit propre à apaiser les tensions. Dion Cassius a élargi cette perspective dans le discours de Mécène en proposant de redéfinir la place de l’aristocratie – sénateurs et chevaliers – autour du prince, et il a abordé de biais la question de l’armée (surtout sous l’angle financier et social), mais le peuple est absent du gouvernement de la res publica. Philostrate a centré sa réflexion politique, constituée de lieux communs, sur le rôle du philosophe auprès du prince, et a, accessoirement, pris en compte l’administration des provinces hellénophones. Les basilikoi logoi évoquent les bienfaits du prince envers les cités grecques, le choix judicieux qu’il fait de son représentant local, le gouverneur, et son rôle de chef militaire. Au cœur de ces propositions se trouve toujours l’idéal du prince sage, vertueux, même si, dans les réflexions de Pline et de Dion Cassius, membres 7 La tradition rhétorique latine justifie le meurtre du tyran. Il existe une carence en matière de droit sur la durée du principat et la possibilité de destituer le prince, alors que celui-ci était investi légalement de ses pouvoirs par des lois ou par une loi (ainsi la lex de imperio Vespasiani) ; mais les règles d’avènement non plus n’étaient pas fixées par la loi. 8 P. Ricœur, Lectures on Ideology and Utopia, New York, 1986 = L’idéologie et l’utopie, Paris, 1997, part. p. 340. Comme nous l’avons vu, l’idéologie politique qui est à la base des « discours au roi » présente un caractère utopique, à cause de son idéalisme poussé, mais elle ne relève pas de l’utopie au sens moderne du terme.

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Conclusion

du Sénat et amici principis, l’idée du prince-administrateur est très importante. La question de la place institutionnelle du prince apparaît dans le Panégyrique, avec la notion de prince-magistrat (prince-consul), mais on ne la retrouve pas dans les sources ultérieures que nous avons conservées : celles-ci ont en effet été produites par des Grecs, pour qui l’empereur correspondait à une catégorie de rois. La pensée politique gréco-romaine conserve un intérêt pour la question des constitutions, mais non pour le rôle ou la place institutionnels du prince. Dès Sénèque la réflexion politique met en place une dualité, qui apparaît rigide au début du iiie siècle : seules deux voies sont envisageables, celle du bon prince, aimé et protégé par ses sujets, et celle du prince craint et haï. Cette réflexion est donc très normative, très conservatrice : la figure du bon prince semble suffisamment solide, fixée, au iiie siècle, pour constituer un palliatif à l’instabilité politique réelle, mais son exploitation était potentiellement à double tranchant, dans la mesure où elle pouvait aussi justifier l’élimination d’un prince qui avait failli dans sa mission salvatrice. Selon M. Weber, l’idéal du roi philosophe est généralement éloigné de celui du roi charismatique9. Le modèle du pouvoir impérial romain constitue peutêtre une originalité sur ce point, car à la fin du iiie siècle, la conception du roi charismatique est bien présente dans les consignes de Ménandre ii relatives au basilikos logos, mais de manière assez mesurée, et sans renoncer aux vertus philosophiques. Les réflexions étudiées se structurent autour des éléments suivants : – L’objectif du bon dirigeant, tourné vers le bien commun. Cet objectif est partout sous-jacent, mais il n’est pas défini précisément et la notion reste floue, sauf chez Sénèque et Marc Aurèle où l’idée de bien commun est très présente, dans une perspective stoïcienne (le bien commun est en effet l’objectif poursuivi par toutes les actions du sage stoïcien). – La position du prince par rapports aux lois. De manière paradoxale, cette question ne semble pas poser de problème, en tout cas elle n’est pas discutée (mais elle n’est pas au centre des préoccupations des intellectuels), alors que l’image du prince dans les textes législatifs produits sous les Antonins et les Sévères est plus complexe10. A partir des Sévères, il est communément admis que le bon prince est au-dessus des lois, qu’il est la source des lois, mais qu’il les respecte. – L’opposition fondamentale entre le bon roi et le tyran, qui est omniprésente, même si dans les faits l’attitude à l’égard du « mauvais prince » a varié entre

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M. Weber, Economie et société. Les catégories de la sociologie, i, Paris, 1995, p. 320–336. V. Marotta, « L’immagine del princeps negli scritti dei giuristi d’età antonina e severiana ».

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la condamnation, le silence observé par Marc Aurèle, dans ses Ecrits, à propos d’Hadrien, ou la consecratio de Commode par Septime Sévère. Elle a étroitement dépendu des circonstances politiques, même si l’on peut essayer de dégager une évolution dans le temps. Au premier siècle, Sénèque a voulu, dans l’Apocoloquintose, présenter Claude comme le tyran de Néron (au sens où Domitien fut celui de Trajan), et son projet a connu une semiréussite, dans la mesure où Agrippine et Néron avaient eu besoin de faire diviniser Claude, qui est cité comme un bon modèle dans la lex de imperio Vespasiani, bien qu’il ait laissé dans l’historiographie latine une image négative, marquée par la vision satirique11, qui a perduré jusque dans le premier tiers du xxe siècle. Trajan a obtenu un succès plus net par rapport à Domitien, car il y a eu convergence entre son propre discours de condamnation, celui des sénateurs et celui tenu par de grands intellectuels comme Pline le Jeune et Dion de Pruse. Au iie siècle, la réticence de Marc Aurèle à condamner des prédécesseurs va de pair avec la constitution de la figure du prince, au-dessus des individualités, et avec la construction de la dynastie antonine. On constate au iiie siècle un usage varié, avec à la fois des oppositions strictes dans l’historiographie (selon la tradition sénatoriale) et une plus grande prudence dans la rhétorique grecque, peut-être à cause du phénomène des dynasties fictives. – Les rapports à la divinité et la piété. Une grande mesure est toujours conservée dans la comparaison entre l’empereur et les dieux, dont l’usage a varié : la notion d’imitatio deorum, en particulier, a posé problème après les imitations théâtrales que Commode avait faites d’Hercule et de Mercure. Il se dégage en revanche un consensus sur l’idée que le bon prince est envoyé par les dieux, et le mauvais châtié par eux. – La question du choix du prince et de la succession est plus ouverte et plus floue, elle oscille entre la mise en avant des vertus et l’affirmation du principe héréditaire. A  la fin du ive siècle, l’Histoire Auguste ne présente pas non plus de doctrine uniforme sur la question12. La grande question, qui n’est jamais formulée clairement, est de savoir comment concilier hérédité et vertu. C’est tout le problème de l’enseignement de la vertu. Celle-ci apparaît, chez Dion de Pruse et chez Philostrate notamment, comme innée, mais elle a besoin pour se développer et ne pas être pervertie d’être renforcée par la présence de bons pédagogues et conseillers. Est surtout soulignée, au iiie siècle, l’idée que le fils doit marcher sur les traces du père vertueux. 11 12

S. K. Dickinson, « Claudius : Saturnalicius Princeps », Latomus, 37, 1977, p. 634–647. J. Béranger, « L’hérédité dynastique dans l’Histoire Auguste : procédé et tradition », dans Hist. Aug.-Coll. Bonn 1971, Bonn, 1974, p. 1–20.

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Conclusion

– Les rapports du prince à son entourage, à ses conseillers, à la figure problématique du philosophe. Cet entourage est considéré comme un élément de plus en plus déterminant, au point qu’une nouvelle problématique apparaît dans l’Histoire Auguste, en parallèle avec le développement du cérémonial de cour : celle de l’enfermement du prince dans son palais, où il est coupé de la réalité ; son entourage joue désormais le rôle crucial de « filtre » de la réalité13. Il s’agit d’un avatar du prince qui, comme Claude, est le jouet des femmes – par manque de tempérance – et de ses affranchis – par défaut de sapientia. – Le consentement, l’amour, la reconnaissance des sujets envers le bon prince. On ne peut que constater, en général, l’absence de programme politique précis, même si un courant sénatorial met l’accent sur les capacités administratives et la définition institutionnelle du principat. Dion Cassius, contemporain de la réflexion des juristes sévériens sur les grandes magistratures et amicus (critique et peu proche) de Caracalla, est celui qui va le plus loin en faisant des propositions d’évolutions institutionnelles. Mais son portrait du bon chef repose toujours sur les vertus philosophiques. Dans une perspective proche, chez Pline, l’habileté politique se traduit par l’usage à bon escient de la multiplicité des vertus sociales et morales traditionnelles. Chez Ménandre ii et chez Dion Cassius, cette habileté relève de la notion de sagesse, ce qu’on peut mettre en parallèle avec la nouvelle importance attachée à la prouidentia sous les Antonins, car celle-ci est en relation avec la notion de prudentia14. Tout en restant présentes, et liées les unes aux autres, les grandes vertus philosophiques qui définissent le bon prince ont donc évolué, d’une façon que nous ne pouvons qu’esquisser ici, car il faudrait les étudier chacune en particulier, comme l’ont fait J. Gaudemet et L. Pietanza pour l’indulgentia. La sagesse ressort particulièrement, mais déjà, sous la République, la notion de Mens avait été divinisée, et l’ingenium accompagnait la uirtus de Pompée15. La justice du prince est toujours fondamentale et constitue le principal critère qui démarque le bon roi du tyran. La notion de justice n’est cependant pas développée et semble aller de soi, un peu comme ce qu’on observe sur le

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sha, Aurel., 43, 2–5. F. Burdeau, « L’empereur d’après les panégyriques latins », p. 37 : « La prouidentia ou, ce qui est très proche, la prudentia du Prince assure la sauvegarde de l’Empire contre les causes de désagrégation venues de l’extérieur ou de l’intérieur. La plus fonctionnelle des vertus, la moins “moralisée”, elle est l’attribut nécessaire de tout chef ». Rappelons que déjà pour Aristote, Pol., iii, 4, 17, 1277 b, la phronèsis représentait la vertu propre de l’archonte. Voir supra, introduction.

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monnayage où la Iustitia n’est pas mise en avant16. La clémence lui est très liée, en même temps qu’à la maîtrise de soi. L’importance de la philanthrôpia est soulignée chez Dion de Pruse et paraît grandir encore au iiie siècle. Elle est étroitement associée à la justice, au point, chez Ménandre ii, d’englober celle-ci. Le sens du terme s’est élargi et a évolué au iiie siècle vers un sens technique (comme on le constate aussi pour l’indulgentia), afin de désigner des remises de dettes, ce qui est peut-être en lien avec la pression fiscale due aux guerres, et des mesures de grâce. La vertu du courage a oscillé, au ier siècle et jusque dans les Ecrits de Marc Aurèle, entre sens moral et sens militaire, le premier étant d’abord privilégié. De manière générale, les philosophes et sénateurs font preuve de méfiance envers le modèle du prince guerrier (ce qui n’est pas le cas de Pollux ni de Ménandre ii), pour différentes raisons : on peut mentionner leurs convictions stoïciennes, le fait que le sénateur Pline n’a pas eu de carrière militaire, que Dion Cassius n’appréciait pas la politique militaire de Septime Sévère et de Caracalla, qui lui paraissait donner trop d’importance à l’armée par rapport au Sénat, outre qu’il était très conscient du poids financier des troupes. Mais à la fin du iiie siècle, chez Ménandre ii qui a pris en compte la figure du princesoldat, le courage est la qualité royale par excellence. Concernant la tempérance et la maîtrise de soi, nous avons vu le rejet de la licence et du luxe (la truphè) évoluer, dans la seconde moitié du iiie siècle, vers l’idéal de la continence qui s’est répandu plus largement dans la société romaine. La piété est une vertu particulièrement intéressante et bien exploitée. Elle sert, comme on l’a souligné, à exprimer les liens entre les membres de la maison impériale  – elle permet en particulier, sous les Antonins, de construire une diuina domus – ainsi que les bonnes relations entretenues par l’empereur avec les dieux, qui le protègent et lui octroient le succès. La notion d’« intégrité morale », attachée aux termes sanctus et hosios, apparaît au iie siècle (dès le Panégyrique de Pline et le premier discours Sur la royauté de Dion de Pruse), et contribue à présenter le prince comme une figure supérieure, dont la sacralité s’épanouit au iiie siècle. Aux iie et iiie siècles, les discours sur les vertus du prince semblent dénoter une influence croissante de l’idéologie royale hellénistique et des traités 16

M. P. Charlesworth, “The virtues of a Roman emperor”, p. 113 ; B. Lichocka, Justitia sur les monnaies imperiales romaines, Varsovie, 1974 ; C. F. Noreña, “The Communication of the Emperor’s Virtues”, p. 156–157 ; S. Benoist, A. Gangloff, « Culture politique impériale et pratique de la justice. Regards croisés sur la figure du prince “injuste” », dans O. Hekster, W. Vanacker (éd.), Impact of Empire 13. The Impact of “Justice” on the Roman Empire, Leiden, Boston, à paraître.

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grecs sur la royauté. C’est ce que suggèrent l’importance de la philanthrôpia et son évolution vers un sens technique qui était attaché à cette notion chez les Lagides, l’apparition conjointe des termes philostorgos et hosios chez Marc Aurèle, qui exprime en même temps sa méfiance envers l’idéologie hellénistique, le développement des préambules constitutionnels chez Dion Cassius et chez Apollonios de Tyane, car selon O. Murray, il s’agirait d’une caractéristique des traités hellénistiques sur la royauté17. Cela peut s’expliquer par l’influence de Dion de Pruse et la floraison des basilikoi logoi, l’imitatio alexandri des princes, le philhellénisme d’Hadrien, la culture des princesses syriennes de la famille des Sévères, celle de Caracalla et de Sévère Alexandre. Le retour que font les premiers Sévères à l’idéologie des imperatores a probablement aussi joué, étant donné que les principaux imperatores ayant construit l’image du chef militaire charismatique – Sylla, Pompée et César – étaient dotés d’une très solide culture grecque. Le second élément important est le développement du caractère pragmatique, voire technique, des vertus philosophiques. Sur les monnaies, depuis Galba, l’Aequitas est liée à la bonne gestion monétaire. Sous Antonin, la Tranquillitas évoque l’annone et la circulation sans encombre du blé pour ravitailler Rome. Au iiie siècle, la philanthrôpia renvoie à la largesse du prince dans les domaines fiscal et pénal, de même que l’indulgentia. J.-M. Carrié a aussi souligné ce processus qui opère sur tous les termes dénotant la générosité impériale (liberalitas, munificentia, humanitas, euergesia et philanthrôpia pour le monde grec), ce qui signifie qu’il s’agit d’un phénomène assez général18. Les termes moraux prennent un sens technique dans divers domaines (notamment financier, monétaire, judiciaire) où le langage des vertus se répand. Il ne s’efface pas derrière le caractère administratif, gestionnaire, de la fonction de prince, mais a été adapté à la nécessité, affirmée sous Trajan, que le prince soit un bon administrateur, et au développement de la bureaucratisation et de l’appareil de l’Etat. Le système des vertus est donc devenu de plus en plus complexe, avec des vertus pour la paix, d’autres pour la guerre, dont l’importance et le sens varient comme on l’a vu dans le schéma du basilikos logos chez Ménandre ii.

17 18

O. Murray, Περὶ Βασιλείας. Studies in the Justification of Monarchic Power in the Hellenistic World, Thesis, University of Oxford, 1971, p. 300. J.-M. Carrié, «  La “munificence” du prince. Les modes tardifs de désignation des actes impériaux et leurs antécédents », dans M. Christol et alii (éd.), Institutions, société et vie politique dans l’Empire romain au ive siècle ap. J.-C. Actes de la table ronde autour de l’œuvre d’André Chastagnol, Paris, Rome, 1992, p. 411–430 ; L. Pietanza, Indulgentia, p. 105.

Conclusion

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Il faut donc se demander, pour finir, pourquoi la réflexion politique romaine sous le Haut-Empire ne s’est pas davantage tournée vers le rôle et les pouvoirs institutionnels du prince, pourquoi elle est restée focalisée, et de plus en plus, sur les vertus du prince. Par le filtre de la philosophie et de la rhétorique de l’éloge, d’une part, la tradition politique romaine s’est centrée sur une forme principale de légitimation qui est la supériorité morale, justifiant la supériorité sociale et politique du prince19. C’est très largement cette idée qui domine sur les amorces de réflexion institutionnelle que l’on a trouvées chez Pline le Jeune, chez qui l’idéal méritocratique hérité de la République est fortement exprimé (tout comme il l’est, plus d’un siècle plus tard, chez le sénateur Dion Cassius). Les vertus étaient des moyens d’exprimer l’autorité et la majesté du prince aussi puissants que les pouvoirs institutionnels qui lui étaient conférés. D’autre part, dans les témoignages relatifs aux éloges grecs, la relation de pouvoir entre l’empereur et ses sujets n’est jamais considérée comme institutionnelle ni comme une forme de violence ouverte : elle est décrite comme une relation de don réciproque, les bienfaits de la figure providentielle de l’empereur engendrant en retour l’amour, l’admiration et la reconnaissance des sujets20. On peut faire un parallèle entre cette représentation et la réflexion de Sénèque sur le beneficium, dont M. Griffin a montré qu’elle était fondamentale dans sa réflexion sur le pouvoir impérial. La domination du prince est pensée sous une forme que P. Bourdieu qualifie de « violence symbolique », mais que Sénèque préfèrait de loin à la violence ouverte générée par la colère du souverain. D’une certaine manière, le philosophe stoïcien a compris que la seule manière d’échapper à

19

20

Voir la réflexion de J.-M. David, « Valère Maxime et l’histoire de la République romaine », dans J.-M. David, (éd.), Valeurs et mémoire à Rome, p.  119–130, sur les détournements sémantiques opérés dans la construction de l’exempla, qui met à l’arrière-plan les institutions, dotées d’une dimension idéale (elles semblent échapper aux évolutions, aux tensions et aux contestations) pour mettre en avant les vices et les vertus des hommes. Sur « l’enchantement » du lien politique et social dans les sociétés régies par le système du don, voir P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, 1980 (réflexion sur la société kabyle) ; Ph. Haugeard, « L’enchantement du don. Une approche anthropologique de la largesse royale dans la littérature médiévale (xiie–xiiie siècles) », Cahiers de civilisation médiévale, 195, 2006, La médiévistique au xxe siècle. Bilan et perspectives, p. 295–312 : la littérature courtoise insiste sur le caractère désintéressé de la largesse du souverain et du service des vassaux, alors que dans les miroirs au prince et les éloges antiques, l’intérêt du donateur comme du donataire apparaît explicitement : de la sorte, il ne s’agit pas du même degré d’« enchantement », terme qui qualifie le travestissement des réalités sociales et politiques par le discours moral que la littérature tient au sujet de la largesse royale. De même, la nature institutionnelle et juridique du pouvoir impérial est moins précise que celle des rapports de vassalité.

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la violence ouverte (la cruauté), consistait à remplacer celle-ci par la violence symbolique, en persuadant le souverain que cette dernière était la plus efficace, parce qu’elle seule était capable d’assurer sa sécurité personnelle. Les discours sur le prince étaient produits par les élites, au bénéfice de celles-ci : ils visaient à leur procurer en priorité la sécurité physique, financière et morale, en demandant à l’empereur de se conformer à un idéal de vertus sociales, et en cherchant à contrebalancer un pouvoir monarchique qui tendait à s’affirmer de plus en plus fort en le présentant comme le résultat d’un contrat, d’un pacte, précaire par nature, reposant sur le principe du « donnant-donnant ». On peut avancer l’idée que la pensée politique romaine a pris la forme d’une analyse des vertus, et non celle d’une analyse constitutionnelle, parce que la première paraissait la plus apte à borner un pouvoir qui est devenu de plus en plus grand, bien supérieur à l’imperium républicain21. Les vertus constituaient un garde-fou face à un pouvoir dont on voyait mal les limites. L’idée qu’elles étaient le moteur des actions d’un individu, qui lui-même, comme princeps, déterminait le destin d’un Empire (conçu comme un grand corps, un navire, c’est-à-dire quelque chose que l’on peut conduire) s’est imposée dans la durée et a été exploitée par les intellectuels. Il n’existe pas, à proprement parler, de véritable réflexion juridique, développée, sur le princeps : les juristes sévériens ont écrit des livres sur les grands magistrats, dont on n’a plus que les titres ou bien des fragments, mais non sur le prince. On connaît, certes, les rituels d’investiture (l’acclamation par les troupes, le sénatus-consulte du Sénat, la lex de imperio votée par le peuple), on sait que cette investiture était légale ; les juristes sévériens nous apprennent que le prince n’est pas soumis aux lois, que les constitutions impériales sont normatives, mais l’on n’en sait guère plus, et la fameuse lex regia mentionnée par Ulpien, par laquelle le peuple aurait remis au prince son pouvoir, a engendré un riche débat historiographique qui est loin d’être clos22. Outre les vides juridiques, il existait peut-être un autre manque qui concerne l’existence d’un langage politique proprement adapté au principat, comme l’a récemment souligné C.  Ando à propos de Dion Cassius23. L’historien bithynien 21

22 23

M. Pani, «  L’imperium del principe  », dans L.  Capogrossi Colognesi, E.  Tassi Scandone (éd.), La lex de imperio Vespasiani e la Roma dei Flavi, p. 187–204. Voir sha, Aurel., 43, 1, au sujet de ce qui fait les mauvais empereurs : 1) leur pouvoir illimité (licentia) ; 2) l’abondance des biens qu’ils possèdent (rerum copia) ; 3) les amis malhonnêtes (amici improbi) ; 4) l’ignorance des affaires publiques (rerum publicarum ignorantia). Dig. i, 4, 1. Voir J.-L. Ferrary, « Nature et périodisation du Principat, des juristes humanistes à Mommsen », dans J.-L. Ferrary, J. Scheid (éd.), Il princeps romano, p. 3–34. C. Ando, « Cassius Dio on Imperial Legitimacy, from the Antonines to the Severans », dans V. Fromentin, E. Bertrand, M. Coltelloni-Trannoy et alii (éd.), Cassius Dion, p. 567–579.

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a en effet présenté le principat augustéen comme une monarchie déguisée sous une fiction républicaine (perspective largement reprise par les historiens modernes)  :  le refus romain de parler de royauté, l’attachement aux valeurs républicaines qui étaient toujours affichées publiquement, a peut-être conduit à l’impossibilité de mettre en place des langages politiques adaptés aux réalités politiques romaines. On pourrait aussi lire l’échec du premier traité De Clementia de Sénèque dans ce sens. La pensée politique romaine n’a en tout cas pas pris de forme juridique, ni constitutionnelle (en dehors du cadre du traditionnel débat sur la meilleure forme de régime), elle est demeurée surtout morale. Sous le Haut-Empire a prévalu une conception du pouvoir qui s’appuyait sur la légitimation conférée par les vertus et par la transmission dynastique, ce qui correspond à la forme traditionnelle de la légitimité selon M. Weber. Celle-ci a ponctuellement été associée à la forme charismatique de la légitimité, qui a pris de plus en plus d’importance au iiie siècle. Le développement de la bureaucratisation et du droit n’a pas conduit à rompre avec l’autorité de la tradition, ni avec le modèle du chef charismatique ; au contraire, il a accompagné celui-ci. Au iiie siècle et au début du ive siècle, la représentation du pouvoir légitime qui se dégage des basilikoi logoi et des panégyriques latins est celle de vertus agissantes, ou, pour le dire autrement, le pouvoir tend à apparaître comme un ensemble cohérent de vertus qui font agir le prince : Philippe l’Arabe est ainsi devenu l’« ornement de la vertu ». Le point de départ de cette évolution semble se situer, encore une fois, sous les Antonins : avec Hadrien, Antonin le Pieux, les vertus ont été personnalisées dans le monnayage pour l’un, et la titulature pour l’autre, elles sont revendiquées comme les possessions du prince. On peut prendre l’exemple, analysé par J. Gaudemet, de l’évolution de l’indulgentia24. Déjà sous Trajan, dans la correspondance de Pline, cette vertu (comprise au sens encore large de bienveillance) s’incarne dans l’empereur : c’est elle, par exemple, qui donne à Pline la préfecture de l’aerarium Saturni, ou qui permet d’adjoindre des membres supplémentaires à la boulè des cités du PontBithynie25. Dans la seconde moitié du iie siècle, la vertu d’indulgentia, qui est devenue de plus en plus importante, a été divinisée, ce qui montre bien qu’elle était considérée comme une puissance, uis, particulièrement efficiente26.

24 25 26

J. Gaudemet, « Indulgentia principis », p. 7–8. Pline, Ep., x, 3a, 1 ; x, 112. cil viii 2194, dédicace à Jupiter, Junon, Minerve et à Indulgentia Imp., sous Caracalla ; cil viii 7095, statue d’airain consacrée à Indulgentiae domini nostri, datée de 210 (= cil viii 19435 ; ils i 2933 ; ILAlg. ii 675).

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Conclusion

Cette pensée politique morale s’est développée parce que la conception du pouvoir dans l’Antiquité est, fondamentalement, « volontariste », c’est-à-dire que le pouvoir doit permettre à son détenteur d’exercer sa volonté propre27. Depuis Platon, la monarchie est en effet conçue comme la possibilité pour un individu d’accomplir ses désirs, et tout détenteur du pouvoir est potentiellement un tyran, quelqu’un qui va faire du mal en imposant ses intérêts au détriment de ceux sur lesquels il exerce son autorité ou bien au détriment du bien commun. La nécessité première était donc d’apprendre au princeps à borner ses désirs, à combattre ses passions en cultivant ses vertus, ce qui explique peut-être aussi l’importance qu’a prise le stoïcisme dans le discours politique à Rome.

27

Selon la classification établie par G. Rocher, « Droit, pouvoir et domination », Sociologie et sociétés, 18, 1986, p. 33–46, qui range la conception du pouvoir de M. Weber, définie comme une «  chance d’imposer sa volonté propre  », dans cette catégorie. Ce rapprochement explique l’utilité des analyses du sociologue allemand pour réfléchir à la légitimité du pouvoir dans l’Antiquité.

Bibliographie Pour plus de clarté, nous n’avons utilisé dans les notes de bas de page que des abréviations courantes (cah  =  The Cambridge Ancient History  ; DPhA  =  Dictionnaire des Philosophes Antiques, éd. R. Goulet). Les abréviations des revues sont celles de l’Année philologique. Les titres des ouvrages des auteurs anciens ont été abrégés selon le Liddell-Scott-Jones pour les auteurs grecs et selon l’Oxford Latin Dictionary pour les auteurs latins.

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Index Empereurs et maison impériale Jules César 1, 3, 7n.18, 22n.2, 22–24, 24n.8, 24n.11, 26, 26n.18, 28, 28n.29, 28n.31, 49, 53, 53n.153, 63, 73–74, 74n.278, 90n.363, 92, 121n.136, 164n.88, 189n.211, 190, 193n.232, 209, 214n.346, 219, 324, 330, 335–336, 336n.160, 338n.169, 339n.170, 341, 343n.192, 368–369, 385n.409, 389, 391, 401, 466 Octavien/Auguste 13, 22–25, 25n.13, 25n.17, 27–34, 36–37, 39, 44–46, 48–49, 55, 59, 62, 69–71, 70n.257, 73, 75n.280, 76n.290, 75n.280, 76n.290, 77, 81–82, 82n.321, 84, 84n.329, 88, 115, 119, 124, 128, 137, 139, 141, 147n.17, 154, 157, 172, 175, 183, 189n.211, 190, 196n.252, 200n.278, 200n.282, 212, 215, 221n.378, 226, 237n.470, 239, 257, 269, 272, 282, 282n.127, 284, 287, 297–299, 306, 306n.18, 317–318, 323, 324n.113, 327, 327n.118, 327n.120, 330, 332, 332n.114, 338, 340, 340n.177, 340n.179, 343, 343n.191, 348n.216, 349–351, 353, 367, 369, 378, 382–385, 383n.397, 389–390, 390n.430, 396, 403, 427, 427n.115, 432n.134, 451–452, 457, 459 Livie 25, 25n.13, 28, 32, 34, 37, 46, 332n.144, 338, 383n.397, 383–385, 390, 390n.430 Octavie 25 Marcellus 25, 29n.37, 154 Antonia la Jeune 36–37, 38n.77, 39 Agrippa 29, 45–46, 154, 317–318, 318n.81, 323–324, 324n.113, 346, 383–384 Julie 46 Tibère 24n.11, 28–40, 29n.37, 32n.49, 32n.52, 33n.56, 33n.59, 34n.60, 34n.62, 36n.70, 37n.73, 47, 52, 59n.193, 59–61, 72, 76n.290, 77, 78n.301, 84n.329, 87, 89n.359, 90n.363, 91, 108, 128, 147n.117, 154, 183n.186, 193, 193n.236, 206n.313, 226, 277, 282n.129, 284, 284n.136, 287, 289, 332, 334n.153, 367n.317, 457 Drusus 29, 32, 36–37

Germanicus 32–33, 33n.59, 34n.62, 36–37, 37n.73, 52, 52n.149, 52n.150, 71n.259, 87, 338, 338n.169, 341, 351n.232, 362n.290 Agrippine l’Ancienne 30, 35 Caligula 35n.67, 35–36, 37n.73, 37n.74, 37n.77, 38n.81, 38n.84, 37–40, 41n.98, 43–44, 44n.112, 45n.116, 52, 54n.161, 54–55, 58–60, 68, 68n.240, 70, 91, 97n.15, 135, 151, 154, 157, 168n.103, 176–177, 193, 193n.236, 221n.378, 224n.396, 229, 237, 277, 281–282, 282n.129, 284, 320, 332, 367n.317, 391 Claude 29, 32, 36–41, 37n.77, 38n.78, 38n.81, 38n.84, 39n.88, 39n.90, 40n.91, 40n.92, 41n.98, 43, 46, 51, 54n.161, 54–55, 55n.166, 55n.168, 59n.193, 60n.197, 58–61, 70, 72, 76n.290, 79, 79n.307, 84n.332, 87, 153n.36, 153–154, 183n.186, 193n.236, 193–194, 282n.129, 282–284, 284n.136, 284n.140, 287, 320, 332, 343, 351n.232, 367n.317, 373, 381, 390–391, 391n.434, 412, 463–464 Agrippine la Jeune 36–37, 40–41, 43, 45, 87–88, 88n.350, 91n.370, 97n.16, 109, 284, 381, 463 Néron 4, 21–22, 30n.42, 36, 37n.73, 40–45, 41n.98, 41n.100, 42n.103, 42n.105, 45n.117, 47–48, 51, 51n.147, 52, 56–59, 59n.193, 60n.197, 63–66, 66n.228, 67, 70, 70n.257, 71, 71n.262, 72–74, 76, 76n.290, 79–80, 80n.310, 81, 81n.320, 82n.320, 83, 83n.326, 84, 85n.335, 86–88, 88n.350, 88n.356, 89, 89n.357, 90, 90n.363, 91, 91n.368, 92–93, 94n.1, 95, 95n.7, 97n.16, 98, 103, 108, 108n.77, 109, 109n.89, 110, 118, 124, 132, 132n.186, 135, 135n.200, 136, 138n.217, 141–142, 146, 151, 151n.33, 152–153, 153n.36, 154–155, 158–159, 172, 172n.124, 179n.162, 190–191, 190n.215, 195n.249, 213, 220, 233, 277, 282, 282n.129, 284, 284n.136, 287, 332, 351n.232, 356, 359, 359n.271, 360–361, 361n.281, 362, 362n.284, 362n.285,

516 364, 364n.302, 366, 368n.321, 373–374, 374n.354, 378, 379n.378, 380–381, 380n.383, 383–384, 386–387, 395, 407, 412, 459–460, 463 Galba 39n.86, 71n.261, 112–113, 113n.103, 146, 149n.23, 149n.26, 149–153, 150n.28, 150n.29, 150n.30, 152n.35, 155–156, 159, 164n.88, 165, 190, 190n.214, 190n.217, 192–193, 195n.249, 203, 282n.126, 287, 366, 367n.317, 370n.333, 364, 373, 373n.349, 466 Othon 87, 113, 152, 152n.35, 367n.317 Vitellius 43, 93, 111, 146, 282, 282n.129, 376n.317, 372–373, 373n.349, 405 Vespasien 43, 78n.301, 78–79, 96–99, 97n.17, 101, 101n.41, 104n.56, 110n.90, 110–111, 111n.91, 113, 115, 123–125, 137–139, 138n.215, 139n.217, 140–141, 144n.4, 146–147, 148n.21, 150n.30, 151n.32, 158, 167, 167n.101, 172n.124, 172–173, 173n.131, 183n.186, 188n.200, 191, 198n.268, 198–199, 206n.311, 209n.322, 209–210, 211n.329, 212n.338, 220n.374, 225, 277, 282, 285, 287, 315n.69, 315–317, 316n.74, 317n.78, 320, 322, 322n.99, 323n.105, 332, 346, 354n.248, 356–358, 358n.270, 360–367, 366n.313, 367n.317, 369–372, 370n.333, 372n.341, 375–376, 376n.365, 379, 379n.374, 379n.375, 380n.379, 380–381, 381n.384, 384, 386–387, 427n.115, 454n.224, 455n.230 Titus 94n.1, 96, 110n.89, 144n.4, 173n.131, 188n.200, 211n.329, 212n.338, 225–226, 287, 315, 356, 360n.278, 360–366, 361n.280, 362n.284, 376, 427n.115, 454n.224 Domitien 43, 95, 100–101, 103, 112n.95, 112–113, 115, 123, 123n.142, 128n.161, 132, 136, 141, 144n.2, 144n.4, 146–149, 147n.15, 147n.16, 147n.17, 148n.18, 148n.20, 151n.32, 153, 157–163, 158n.53, 160n.64, 162n.75, 166n.94, 168n.107, 168–174, 169n.112, 171n.121, 172n.124, 180, 183, 183n.183, 183n.184, 183n.186, 187, 189–191, 190n.214, 190n.215, 197–198, 202n.291, 202–203, 206, 206n.311, 207n.314, 209n.320, 209n.321, 211, 214n.348, 214–215, 217n.360, 217–218, 220–221, 221n.377, 229n.425, 233, 233n.448,

Index 239, 247n.512, 279, 281n.120, 281–284, 287, 314n.62, 332, 350n.221, 351, 356, 356n.254, 358n.271, 358–362, 359n.271, 359n.273, 360n.278, 362n.284, 362n.285, 371n.339, 378–381, 379n.375, 379n.379, 380n.382, 380n.383, 381n.384, 386, 388, 405, 407, 407n.30, 463 Nerva 100n.37, 100–101, 143, 144n.2, 146, 149–150, 152, 155–157, 156n.46, 159n.60, 159–164, 162n.75, 163n.82, 164n.88, 167n.99, 174, 179n.163, 188n.200, 188n.207, 190, 194, 200–204, 202n.291, 206n.311, 208n.318, 210n.323, 210–211, 212n.338, 219n.373, 222, 228–229, 247n.511, 278, 281, 283–287, 286n.150, 289, 299, 299n.219, 315, 317n.77, 329, 360–362, 362n.284, 363n.296, 379n.375, 381, 427n.115 Trajan 18, 25, 80n.310, 86, 101–102, 105, 127, 129, 131, 132n.183, 141, 144n.2, 144n.3, 144n.4, 144–146, 145n.5, 148n.20, 148–149, 151n.32, 155n.44, 155–157, 161–164, 162n.75, 162n.80, 163n.84, 163n.86, 166–167, 167n.99, 170–178, 171n.117, 171n.121, 172n.123, 174n.136, 175n.140, 178n.156, 179n.162, 179n.163, 180n.167, 181n.172, 182n.176, 182n.180, 179–184, 187n.195, 187–215, 188n.200, 188n.207, 189n.208, 190n.214, 190n.215, 190n.217, 192n.227, 197n.261, 199n.276, 200n.281, 200n.282, 201n.284, 201n.286, 202n.291, 204n.301, 204n.304, 205n.305, 205n.307, 206n.310, 206n.311, 206n.313, 206n.314, 207f.2, 207n.314, 208n.316, 208n.318, 210n.323, 211n.332, 211n.333, 214n.345, 214n.346, 215n.349, 217n.360, 217n.362, 217n.363, 217–223, 218n.364, 219n.372, 220f.3, 226, 228, 231, 233, 237–239, 239n.474, 242n.493, 242–246, 243n.498, 244n.501, 245n.502, 246n.509, 246n.510, 247n.511, 250, 252, 264–266, 265n.29, 269, 269n.52, 271, 278–279, 278n.101, 281n.119, 281–290, 284n.137, 285n.144, 286n.150, 288n.161, 289n.165, 289n.166, 290n.169, 293, 295, 297–298, 300n.223, 300–301, 306n.18, 307, 314, 317n.77, 336, 338–340, 339n.172, 346, 348, 350n.221, 352, 358, 379, 385, 396, 403n.18, 406n.28, 406–407, 407n.30,

Index 412, 417n.74, 419n.81, 427n.115, 430, 431n.129, 435n.142, 436n.145, 446, 448, 449n.203, 452, 455, 457–459, 463, 466, 469 Plotine 188n.207, 188–189, 189n.208, 246n.508, 251, 265, 265n.30, 288–290, 289n.165, 289n.166, 290n.169, 307, 417n.74 Marciana 188–189, 189n.208, 288, 290n.166, 417n.74 Matidie 189, 265, 265n.30, 289, 289n.166 Hadrien 13, 39, 76n.290, 99n.26, 109n.81, 115n.107, 144n.3, 144–145, 145n.5, 167, 173, 205–206, 206n.311, 213, 219n.373, 240–244, 242n.491, 243, 243n.498, 244n.500, 245n.502, 245n.505, 245–253, 246n.510, 247n.511, 247n.512, 248n.517, 248n.518, 248n.519, 249n.520, 249n.523, 249n.525, 250n.529, 250n.530, 254n.547, 254n.548, 263n.25, 263–265, 265n.29, 265n.30, 269n.52, 272n.67, 273n.73, 278n.102, 278–283, 280n.116, 280n.119, 281n.122, 282n.127, 283n.131, 285, 285n.144, 288–298, 289n.165, 289n.166, 292n.178, 292n.182, 293n.185, 294n.197, 294n.198, 295n.199, 296n.206, 301n.228, 306, 310, 314, 332, 351n.232, 365, 397, 400–401, 401n.12, 402n.14, 406n.28, 406–407, 407n.30, 427n.115, 430n.128, 435, 448, 450n.212, 451n.213, 457–459, 463, 466, 469 Sabine 290n.171, 292n.182, 307 Antonin le Pieux 173, 188n.207, 206, 206n.311, 219n.373, 226, 241–242, 242n.491, 243n.498, 249, 256, 258, 261n.15, 261–273, 263n.23, 266n.34, 266n.37, 268n.49, 270n.59, 271n.65, 273n.73, 275, 278, 278n.102, 278n.106, 279–283, 279n.108, 280n.116, 281n.122, 291–299, 292n.180, 292n.181, 292n.182, 292n.183, 293n.185, 293n.188, 294n.198, 296n.206, 297n.209, 301, 309n.36, 339, 349, 352, 365, 375, 396, 406–407, 407n.30, 416n.68, 418n.76, 419, 427n.115, 435, 445, 445n.183, 448, 450n.212, 451, 451n.213, 452f.8, 455, 466, 469 Faustine l’Ancienne 293n.188, 294n.189 Marc Aurèle 18, 94, 102, 102n.46, 103n.47, 103–104, 107, 109n.81, 169, 173, 210,

517 226, 241n.485, 241–242, 249, 255n.4, 255–257, 257n.8, 257n.12, 260–268, 261n.15, 265n.28, 265n.31, 268n.46, 268–270, 269n.52, 270n.55, 272–283, 275n.78, 279n.107, 279n.108, 280n.116, 281n.122, 282n.125, 288, 291, 293–302, 297n.209, 298n.213, 300n.221, 300n.223, 302n.5, 305n.16, 310, 314, 320–321, 321n.92, 328–330, 328n.123, 338–341, 338n.169, 339n.170, 341n.183, 341n.185, 345, 345n.202, 351–352, 351n.232, 363, 363n.292, 371n.337, 375, 375n.360, 382, 388, 388n.423, 390, 390n.333, 394–395, 396, 402–403, 403n.18, 406, 408, 416n.68, 427n.115, 433, 435, 445, 448, 449, 452, 455–456, 458, 462–463, 465, 466 Faustine la Jeune 256, 256n.5, 293 Lucius Vérus 241n.485, 241–242, 242n.493, 263, 269, 269n.52, 291–294, 296, 299–300, 314n.64, 402n.14, 433, 435 Commode 241, 294, 300–302, 301n.226, 301n.228, 304, 321, 321n.92, 329–330, 337, 345, 348n.214, 348–352, 351n.230, 351n.232, 352n.236, 356, 359, 372, 372n.344, 373n.348, 375, 377, 386, 386n.411, 389n.426, 394, 396, 400–401, 403, 408, 413n.56, 421n.90, 426, 427n.115, 428n.117, 439, 454n.224, 459n.4, 463 Pertinax 321, 321n.92, 328, 341n.183, 342n.187, 349, 362n.290, 373, 420n.88, 433 Didius Julianus 342n.187 Septime Sévère 8n.22, 18, 302, 302n.5, 304–306, 305n.16, 306n.18, 306n.20, 307–308, 309n.37, 310, 310n.41, 311–313, 313n.57, 321, 321n.92, 327, 327n.120, 328–330, 330n.134, 331–332, 332n.144, 333, 333n.149, 333n.150, 334, 334n.152, 335, 340, 340n.179, 342–343, 344n.195, 346–347, 347n.211, 348–349, 348n.216, 349n.220, 350, 350n.223, 351n.230, 352n.238, 353, 356, 357n.264, 358n.270, 361, 370n.333, 383n.394, 390–391, 396, 402–403, 407, 407n.30, 413, 414, 420, 421n.88, 426n.113, 427n.115, 442, 442n.170, 463, 465 Julia Domna 304, 304n.14, 307–309, 308n.31, 312–313, 313n.56, 313n.57, 333n.149,

518 333–334, 335n.160, 339n.154, 351n.230, 353, 355, 357, 377, 390n.433 Caracalla 8n.22, 18, 188n.207, 301, 304–314, 306n.18, 306n.20, 311n.47, 313, 315, 327–329, 332–338, 333n.149, 334n.152, 334n.153, 334n.156, 335n.160, 336f.5, 336n.162, 338n.165, 339n.175, 340n.179, 341n.180, 343–344, 344n.195, 346–352, 347n.211, 348n.216, 351n.230, 352n.238, 355–358, 356n.256, 358n.264, 358n.270, 359n.272, 361, 366, 372, 372n.344, 373n.348, 377, 389n.426, 389–390, 390n.433, 392–394, 393n.444, 396, 401, 407, 407n.30, 416n.70, 420n.88, 426, 439n.154, 442, 442n.170, 449, 449n.207, 464–466, 469n.26 Géta 306n.18, 308, 308n.35, 311, 334, 346n.208, 356, 359n.272, 372, 372n.344, 401 Macrin 188, 302n.5, 303–304, 304n.13, 321, 321n.92, 338n.165, 347n.211, 347–348, 348n.216, 350–351, 363, 437n.149, 437–439 Julia Maesa 309, 321n.92, 366 Julia Mamaea 309, 321n.92 Elagabal 303–305, 304n.14, 311, 338n.165, 347n.211, 351n.230, 351–352, 356–358, 358n.264, 358, 358n.270, 366, 377, 416n.70, 424n.103 Sévère Alexandre 299, 303–304, 309, 309n.37, 311, 313, 321n.92, 327, 338n.165, 340, 343, 344n.195, 347n.211, 355, 355n.252, 358n.270, 370, 375, 390n.427, 392–393, 403, 415, 427n.115, 448, 453, 459–460, 466 Maximin le Thrace 338n.165, 413n.55, 421n.90, 440n.158, 442, 442n.169, 444, 444n.177, 447n.191 Gordien Ier 304n.14, 308n.31, 444n.178 GordienII 308n.31, 444n.178 Gordien III 304n.14, 361n.283, 416n.70, 420, 420n.86, 430n.128, 439–440, 440n.158, 442, 442n.168, 444–445, 447n.191 Sabinia Tranquillina 418n.76 Philippe l’Arabe 399n.6, 400, 430n.128, 433, 437n.149, 437–446, 439n.154, 439n.156, 443n.174, 446n.187, 440n.161, 441n.164, 443n.174, 444n.179, 445n.180, 446n.187, 448n.197, 448–453, 450n.211, 451f.7,

Index 452n.216, 453n.218, 454n.223, 455, 458, 469 Philippe II 440n.160, 441, 448n.197, 454 Trajan Dèce 418, 418n.75, 420, 422n.91, 427n.115 Herennia Etruscilla 418n.76, 422n.91 Herennius Etruscus 418, 418n.75, 422n.91 Hostilien 418, 418n.75, 422n.91 Trébonien Galle 418 Volusien 418 Cornelia Supera 418n.76 Valérien 420 Gallien 399, 399n.6, 418, 418n.75, 425n.106, 425–426, 426n.113, 427n.115, 432n.133, 432–433, 433n.138, 435, 437n.149, 437–438, 438n.151, 456 Claude le Gothique 420n.86, 427 Aurélien 399, 399n.6, 410n.44, 418, 420, 427n.115, 433, 433n.138 Tacite 426, 433, 433n.138 Probus 399, 410, 420n.85, 425n.106, 428n.120, 430n.128, 433, 433n.138 Carus 411 Carin 411, 426 Numérien 411, 426 Dioclétien 300–301, 400, 411, 416, 416n.69, 416n.71, 417n.71, 423, 424n.102, 427, 433n.138 Maximien 411n.49, 423, 427–428 Constance Chlore 427–428 Galère 427 Maxence 428 Constantin 300n.224, 336, 411n.49, 424, 424n.102, 427n.115, 427–428, 428n.120 Julien 94n.2, 240, 254, 300

Rois, reines, tyrans Achille 129, 129n.166, 225, 413, 415, 421, 428, 432, 448 Agamemnon 129n.166, 129–130, 130n.174, 132n.186, 209n.318, 224n.394, 224–225, 231, 448 Alexandre le Grand 23, 26n.17, 52, 71n.259, 115n.107, 115–116, 118n.120, 131, 131n.181, 209, 213–214, 214n.345, 214n.346, 214n.347, 219, 224n.399, 224–225,

Index 229–230, 235n.465, 238, 244n.501, 270n.59, 276n.87, 314, 336, 355n.252, 355–356, 356n.254, 378, 388, 396, 419, 421, 428, 442n.171 Antigone ii Gonatas 23, 85, 85n.338, 86n.339, 216n.359 Antiochos iii 118, 236 Cléomène iii de Sparte 23 Deiotarès i Philoromaios 121n.136 Démétrios Ier Sôter 26n.20 Démétrios Poliorcète 196, 196n.255 Denys de Syracuse 70n.256 Nestor 224n.394, 224–225, 225n.403, 238, 307n.23, 405n.24 Numa 119n.127, 204, 291, 368n.323 Ostrogotha 452 Philippe de Macédoine 209, 224n.399, 270n.59, 276n.87 Phraotès 360, 362, 364, 379n.375 Pyrrhus Ier 338n.169, 339n.170 Romulus 33, 412 Tarquin le Superbe 2, 319 Vardanès Ier 360, 362, 378n.370, 379n.374, 379n.379

Noms de personnes P. Acilius Attianus 288–289 Aelius Aristide 18, 95, 240–241, 267n.41, 271n.63, 279, 280n.113, 294n.198, 298, 320, 323–324, 352, 365, 401, 419, 434–435, 435n.142 Aemilia Lepida 60 Alceste 130n.170 Alexandre d’Abonouteichos 314, 382 Alexandre d’Aigai 41 Alexandre d’Aphrodisias 309 Anchise 292n.183

519 L. Annaeus Cornutus 42 Annius Pollion 109n.81 M. Annius Verus (grand-père de Marc Aurèle) 257 M. Annius Verus (père de Marc Aurèle) 257 Antiochos de Cilicie 310–311, 361 Antoine 24–28, 28n.31, 36–37, 69, 73–74, 124, 221n.378, 318, 327n.120 Apellicon de Téos 26n.20 Apollonios d’Athènes 310n.41 Apollonios de Chalcédoine 257, 261 Apollonios de Tyane 98, 98n.23, 100, 100n.35, 104, 104n.56, 109n.79, 253, 253n.547, 261, 310, 313, 313n.60, 314n.62, 314n.65, 314n.67, 314–317, 315n.69, 316n.75, 317n.75, 322, 326, 328, 352, 354n.244, 354n.248, 354–367, 356n.256, 359n.271, 360n.277, 360n.278, 362n.284, 363n.294, 364n.302, 366n.313, 369–373, 375n.362, 375–382, 376n.365, 378n.370, 379n.373, 379n.374, 379n.375, 379n.378, 379n.379, 380n.379, 380n.382, 380n.383, 381n.384, 386–388, 456, 466 M. Aquilius Regulus 153 Archytas de Tarente 126, 126n.150, 365n.305, 365–366, 368, 368n.323, 373 Areios 25, 25n.13, 26n.17, 29, 46, 226 Aréthas de Césarée 209n.322 Aristion 26n.20 Aristote 2n.3, 23, 61, 74, 74n.277, 76n.287, 126, 126n.152, 126n.153, 132, 132n.188, 133, 133n.189, 210, 216n.359, 224, 224n.399, 228, 231n.442, 234n.455, 235n.459, 238, 353n.241, 359, 370–371, 430n.126, 464n.14 Arrien 102, 102n.44, 104–106, 105n.60, 105n.61, 105n.63, 105n.64, 106n.68, 107n.69, 116, 128, 132–133, 141–142, 144, 166, 251, 278, 353n.243, 355, 386, 395 Artémidore de Syrie 99n.27, 99–100, 104, 118, 159 Ascagne 292n.183 M. Asinius Marcellus 88 Asinius Pollion 88, 109n.81 Athénion 26n.20 Athénodore fils de Sandon 24–26, 25n.16, 26n.19, 26n.22, 29n.32, 49, 50n.139 Athénodore dit Cordylion 22n.2, 26n.19, 49

520 Athénodote 102n.45, 102n.46, 102–104, 103n.47 A. Atilius Calatinus 6 S. Attius Suburanus Aemilianus 203 Aurélius Victor 246n.508, 331, 391 C. Avidius Cassius 251, 255, 329, 375n.360 C. Avidius Héliodoros 251–252 C. Avidius Nigrinus 244, 280n.119 T. Avidius Quietus 113, 144n.4, 162, 173, 244, 245n.502 Balbilla 252, 307, 307n.25 Barea Soranus 97, 109, 111, 111n.91, 124, 225, 383, 384n.402, 387 Bion de Borysthène 216n.359, 238 Brutus 22n.2, 24, 24n.11, 49, 68n.240, 163, 164n.87, 164n.88, 277n.95, 277–278, 278n.101, 319, 325 A. Bucius Lappius Maximus 123n.142 Bulla Felix 348, 348n.215 A. Caecina Paetus 43 Q. Caecilius Metellus Pius 7, 184 Callinicos de Petra 399, 399n.7, 409, 411–412 C. Calpurnius Piso 76n.290, 90, 90n.363, 108, 135, 371n.338 Cn. Calpurnius Piso 32n.52, 32–33, 33n.56, 33n.60, 52–53, 186, 189 L. Calpurnius Piso Caesoninus 1, 22n.2, 22–23, 209 C. Calpurnius Piso Crassus Frugi Licinianus 155n.44 L. Calpurnius Piso Frugi 184 L. Calpurnius Piso Frugi Licinianus 39n.86, 149, 152n.35, 152–153, 155, 366, 367n.317 Calpurnius Piso Galerianus 371n.338 Calpurnius Siculus 63, 63n.213 Casperius Aelianus 203 C. Cassius Longinus 88 Catilina 368, 368n.324 L. Catilius Severus 257 Caton l’Ancien 4, 108n.79 Caton le Jeune 22n.2, 24, 24n.9, 42n.101, 49–50, 90n.363, 92, 103, 163, 164n.88, 277n.95, 277–278, 331 Chrysippe 45, 50, 84, 234, 236, 236n.466, 238 Cicéron 1–3, 5–6, 8n.21, 8n.22, 21–25, 22n.2, 25n.16, 30–31, 33, 39, 39n.86, 42n.101, 47, 49, 53, 63, 69, 73, 73n.275, 78, 101,

Index 101n.39, 120–124, 122n.138, 127, 193, 227, 267, 271, 279, 319–320, 341n.185, 343–344, 365, 368, 376, 389, 389n.427, 458–459 Cinna 62, 332n.144, 338, 383, 385 Ap. Claudius Caecus 219 M. Claudius Marcellus 63 Claudius Maximus 257, 271n.65, 382 C. Claudius Nero 30 Ap. Claudius Pulcher 25n.16 Cn. Claudius Severus 299 Cn. Claudius Severus Arabianus 257, 277 Claudius Tryphoninus 311n.48 Cléandre 373n.348 Clodius Albinus 302, 304, 329n.132, 328–332, 332n.142, 347n.211, 391 P. Clodius Thrasea Paetus 42–43, 88–89, 91n.370, 91–93, 92n.371, 93n.378, 96, 98, 101, 101n.40, 103, 109n.85, 108–111, 113, 113n.100, 115, 124, 134n.200, 134–135, 135n.202, 135n.203, 137n.211, 139n.217, 144n.4, 153, 157n.51, 157–159, 158n.53, 159n.60, 162–165, 164n.87, 172n.124, 225, 245, 277n.95, 277–278, 278n.103, 320n.90, 320–321, 383–384, 384n.402 Coiranos 108 A. Cornelius Palma Frontonianus 244, 280n.119 L. Cornelius Scipion Barbatus 8 Crassus 3, 153–154 A. Cremutius Cordius 25, 37, 37n.74, 58n.184 Démétrios de Phalère 270n.59, 276n.87 Démétrios le Cynique 42, 96, 98, 108, 167, 167n.101, 310, 317n.75, 361, 361n.281, 367, 372, 380n.379, 381, 387 Démosthène 42n.101, 310n.41, 367n.320 Diodore (stoïcien) 22n.2 Diogène de Babylone 4 Diogène Laërce 312–313, 313n.59, 315n.69 Diogène le Cynique 115n.107, 118n.120, 129–131, 130n.173, 131n.181, 209, 225, 229, 356n.254, 378, 388, 396 Dion Cassius 5, 11, 25n.17, 30, 35–37, 45n.116, 138–139, 156n.46, 210, 212, 214, 242, 246n.508, 253, 265, 272–273, 289, 302n.3, 302–308, 315–320, 318n.81, 320n.90, 322–324, 326–328, 328n.123, 330, 333n.151, 333–334, 334n.154,

521

Index 338n.166, 338n.167, 338–342, 344n.197, 344–353, 347n.213, 353n.241, 357, 359n.273, 359–362, 364, 369–370, 372n.343, 373, 377–378, 381–385, 384n.402, 385n.409, 388–393, 389n.426, 390n.433, 395, 408, 420–421, 425, 429, 439, 442, 448, 456–461, 464–468 Dion de Pruse 14, 18, 79, 85n.333, 85–86, 94–98, 98n.23, 104n.56, 104–105, 106n.68, 112n.95, 116–117, 125, 127, 129, 142–145, 145n.5, 148, 148n.18, 151, 156, 167, 169, 169n.109, 169n.112, 172–174, 173n.131, 178, 183, 197, 208n.317, 208n.318, 208–217, 209n.322, 210n.323, 211n.329, 211n.332, 212n.334, 213n.339, 213n.340, 214n.348, 217n.360, 217n.363, 222–231, 223n.388, 223n.389, 225n.402, 226n.408, 226n.409, 227n.411, 227n.412, 227n.414, 228n.422, 229n.428, 231n.441, 233–241, 234n.455, 234n.456, 235n.458, 239n.474, 243, 246, 249–252, 250n.530, 263, 265n.31, 265–266, 266n.35, 270n.54, 271n.66, 271–272, 284, 298, 303, 310, 315n.69, 315–317, 316n.75, 319–320, 320n.88, 322, 324, 338, 341n.184, 341–342, 346, 352, 356n.254, 358, 362n.285, 362–364, 366n.309, 367, 369, 371n.337, 372n.343, 378–379, 379n.373, 386–389, 389n.426, 392, 394–396, 395n.450, 404–409, 405n.21, 405n.23, 409n.37, 411–412, 413n.57, 414n.61, 422, 428, 428n.118, 436n.145, 442, 446, 448, 449n.203, 454n.225, 454–455, 455n.230, 457, 461, 463, 465–466 Domitia Lucilla 103n.47, 257 Cn. Domitius Afer 103n.47 L. Domitius Ahénobarbus 331 Epagathos 373n.348 Epaphrodite 95, 95n.5, 115, 132n.186, 136, 172n.124, 386 Epictète 18, 49n.136, 94–95, 98, 102n.44, 102–108, 104n.51, 105n.60, 105n.61, 110, 113–117, 115n.108, 127–129, 132n.183, 132–136, 133n.191, 139n.219, 139–141, 140n.222, 166, 167n.99, 172, 172n.124, 179, 225, 225n.404, 226, 251, 255, 255n.2, 270, 272, 273n.71, 275–278, 281, 283, 288, 297,

353n.243, 380–381, 386, 386n.414, 388, 390n.433, 395, 407–408, 448, 458 Eprius Marcellus 138n.217, 139n.217, 159n.60, 165 Euphratès de Tyr 100, 100n.35, 101n.39, 102, 102n.45, 104, 104n.56, 107, 111, 118, 166, 166n.99, 167, 251, 253, 253n.547, 316n.75, 316–317, 317n.75, 322–323, 323n.105, 367, 378, 381, 381n.384, 387 Eurysthée 130, 130n.170, 218 Eutrope 239, 246n.508 Favorinus d’Arles 104n.51, 250, 253, 253n.547, 283 Flavius Archippus de Pruse 105, 105n.59, 123n.142 T. Flavius Philinos III 249 T. Flavius Sabinus (cos 82) 144n.4, 211 T. Flavius Sabinus (frère de Vespasien) 43 Fronton 95, 98, 98n.24, 100, 102, 102n.46, 104, 123n.141, 227, 242, 242n.493, 245, 257, 257n.12, 263n.23, 263n.25, 263–265, 265n.28, 265n.31, 265n.33, 268n.49, 268–269, 269n.52, 273, 275, 280n.116, 283, 288, 293n.187, 295, 300, 449n.203 Galien 104n.51, 268n.46, 299, 313n.57 Gavius Silvanus 90n.363 L. Gellius Justus 106 Hadrien de Tyr 254n.547, 310n.41, 401–402, 402n.14 Héliodore (diadoque) 251 Héliodore l’Arabe 310n.41, 312n.55 Helvidius Priscus l’Ancien 43, 96–97, 110, 113, 113n.99, 113n.100, 115, 124, 137–139, 138n.215, 138n.217, 139n.217, 151n.32, 157n.51, 157–159, 158n.53, 159n.60, 163–166, 164n.87, 172n.124, 277n.95, 277–278, 278n.103, 320n.90, 320–321, 323, 323n.105, 366–367, 372, 383–384, 386–387, 396 Helvidius Priscus le Jeune 43, 115, 157n.52, 157–162, 158n.53, 160n.63, 166, 172n.124, 188n.207 L. Herennius Saturninus 174 Herennius Senecio 115, 153, 157, 157n.52, 158n.53, 158–161, 164, 172n.124 Hermocratès de Phocée 310n.41

522 Hermogène de Tarse 168, 172n.124 Hérode Atticus 102n.44, 144, 169, 279n.108, 402 Hérodien 265, 269, 272, 298, 300, 309, 321, 327n.120, 329, 332n.144, 338, 352, 370, 373, 435, 442, 449 Hérodote 276, 317, 319 Hésiode 227, 227n.414, 233–236, 238 Homère 80, 126n.152, 213, 224, 226n.409, 226–228, 231, 236, 238, 328n.123, 404–405, 408 Isocrate 10, 63, 227n.411, 227n.414, 231n.442, 333n.151, 414n.58, 430, 455, 455n.228 Jamblique 360n.276, 367, 369 Jotapien 441n.166, 444, 444n.179 C. Julius Bassianus 357 Julius Canus 44n.112, 135, 135n.202 C. Julius Cornutus Tertullus 161–162, 162n.80, 175 Julius Genitor 99 L. Julius Graecinus 43 Julius Marinus 439 Junia Calvina 88n.350 Junia Claudilla 43 Q. Junius Arulenus Rusticus 103, 113, 113n.100, 115, 144n.4, 153, 157n.52, 157–160, 158n.53, 159n.57, 162, 164, 166, 172n.124 Q. Junius Rusticus 103n.50, 103–104, 226, 226n.406, 278, 395 M. Junius Silanus 43, 168 D. Junius Silanus Torquatus 90n.363 Juvénal 164n.87, 172, 277n.95, 331 C. Laelius Sapiens 184 M. Licinius Crassus 153 M. Licinius Crassus Frugi 153n.36 M. Livius Salinator 30 Lucain 42, 42n.103, 81, 81n.320, 82n.320, 86 Lucien 106n.67, 241n.489, 253, 253n.547, 298, 298n.214, 314–315, 381, 398n.2, 402n.14 Lucrèce 22 Lusius Quietus 244, 244n.502, 280n.119 Lysias (épicurien) 26n.19, 42n.101 Macron (Q. Naevius Cordus Sutorius Macro) 168n.103, 177, 177n.152, 224n.396

Index Marcia 25, 40, 46 Marius Maximus (L. Marius Maximus Perpetuus Aurelianus) 391 Martial 148n.20, 164n.88, 172, 174n.136, 221 Mécène 29, 45–46, 303–304, 316–318, 318n.81, 323–324, 324n.113, 325n.113, 326–328, 338–347, 349, 353, 369, 373, 377, 381–385, 383n.397, 388–391, 390n.430, 420, 425, 429, 461 Ménandre le Rhéteur 19, 19n.50, 168, 215, 240, 243, 263, 269, 295, 398–400, 400n.10, 403, 404n.19, 409–414, 410n.40, 416–417, 421, 423–424, 428–432, 434, 436, 438, 445, 449, 455, 462, 464–466 Messius 311n.48 Mettius Carus 158, 160 C. Minicius Fundanus 99, 162, 173 Modestinus 311n.48 Mucien (G. Licinius Mucianus) 317, 317n.78, 366n.311, 366n.313, 371, 378, 384n.404 Musonius Rufus 18, 42–43, 48n.133, 50–51, 78, 94n.1, 94–101, 95n.7, 99n.27, 104–105, 107n.71, 107n.72, 107–112, 109n.79, 109n.84, 110n.88, 110n.89, 111n.92, 111n.93, 112n.95, 114, 117n.119, 117–119, 118n.119, 121–127, 123n.141, 126n.150, 130, 132n.186, 142, 159, 162, 166, 189, 197, 210, 225, 225n.404, 226, 229, 237n.470, 237–238, 243, 255n.2, 268n.48, 271–272, 310, 317n.75, 361, 362n.284, 381, 387–388, 458 L. Neratius Priscus 161, 202, 202n.291 Nestor de Laranda 307, 307n.23 Nestor de Tarse 25–26, 29n.37 Nicostratos de Macédoine 241 P. Nigidius Figulus 49, 49n.137, 368n.324, 368n.325, 369n.327 Oppien d’Apamée 309 Origène 315n.67 Othanès 276n.93 Ovide 87 Pacatien 444n.179 Papinien (Aemilius Papinianus) 311, 311n.48, 311n.49, 389n.425 Paul (Julius Paulus) 311, 311n.48, 311n.49, 343, 389n.425 Pausanias 234, 242, 242n.491, 246 L. Pedanius Secundus 88

523

Index Pénélope 76, 199, 231, 237n.469, 422 Périclès 279n.110, 323 Persée de Kition 23, 26, 26n.20, 85n.338 Pescennius Niger 302, 329, 329n.131, 332n.142, 347n.211 Q. Petilius Cerialis 111 Phidias 193n.238, 234, 239n.474 Philodème de Gadara 1, 22n.2, 23n.5, 196, 199, 209, 231, 231n.441 Philon d’Alexandrie 210, 237, 351 Philon de Larisa 22n.2 Philonidès de Laodicée 26n.20 Philopappos de Commagène 144n.2 Philostrate de Lemnos 95, 104, 112n.95, 118, 125, 143, 169, 172, 241n.489, 303–304, 307, 310, 310n.41, 312–317, 316n.75, 317n.78, 320, 322n.99, 322–323, 353n.243, 353–354, 354n.244, 356–357, 357n.261, 358, 359n.275, 359–363, 360n.277, 366n.309, 366n.313, 366–371, 367n.317, 370n.334, 371n.340, 374–375, 377–378, 380n.382, 380n.383, 381, 386–388, 388n.420, 392–393, 395, 408, 413n.57, 435n.143, 446, 447n.191, 454n.225, 458, 460–461, 463 Philostrate de Lemnos (neveu probable du précédent) 310n.41 Photios 208, 208n.317, 209n.322 Platon 2, 2n.3, 9, 42n.101, 60, 74, 96, 107, 113, 119, 125–127, 126n.150, 126n.153, 132–133, 133n.192, 216n.356, 227n.411, 227–228, 230, 231n.439, 231n.442, 235n.459, 238, 271n.66, 273n.72, 276n.87, 313, 313n.59, 319n.84, 344, 362, 364n.299, 364–365, 369, 369n.328, 382n.389, 389, 404, 408, 408n.35, 409, 414n.61, 430n.126, 459, 470 A. Plautius Lateranus 57, 58, 63, 87 Pline le Jeune 5, 11, 15–16, 18, 39, 48n.130, 79–80, 86, 92, 94, 99–101, 104, 107, 132n.183, 142–143, 145–148, 151, 153, 155–167, 159n.60, 160n.64, 161n.72, 162n.80, 167n.99, 169, 171–184, 172n.124, 175n.137, 178n.156, 179n.162, 182n.176, 182n.180, 186n.194, 186–202, 187n.195, 199n.276, 201n.287, 202n.291, 204, 204n.304, 206, 206n.313, 208, 212n.336, 215, 218, 222–223, 228, 230, 238–240, 242–246, 249, 263–264, 266, 266n.35, 272, 278, 282, 284–287, 296, 298, 322,

338, 342–346, 349, 351–353, 358, 364, 364n.300, 371n.337, 374, 388–389, 392–396, 412, 417, 417n.74, 423, 430, 431n.129, 446, 447n.191, 455, 457–465, 467, 469 Plotin 361n.283, 369, 458 Plutarque 25, 79, 95, 99, 105n.60, 113, 116, 127n.160, 143–144, 144n.2, 144n.3, 144n.4, 145n.5, 149n.26, 149–151, 153n.36, 155, 173–174, 174n.133, 190n.217, 203, 209–210, 214, 223, 226, 235, 235n.459, 236n.465, 238–239, 243, 245, 249, 252, 271, 277n.95, 297, 319–320, 337, 364, 364n.299, 379, 407–408 Polémon de Laodicée 174, 250, 252–253, 253n.547, 283 Pollux de Naucratis 241, 241n.489, 253n.547, 254n.547, 400–401, 402n.14, 404, 407–409, 411, 429, 434, 454n.224, 455, 458, 465 Polybe (historien) 2, 198, 320 Polybe (C. Julius Polybius, affranchi de Claude) 40, 55, 391n.434 Pompée 3, 8–9, 23, 49, 60, 75, 75n.280, 82n.320, 109n.81, 153–154, 219, 330, 332, 335, 340n.179, 368, 391, 464, 466 T. Pomponius Bassus 174 Pomponius Secundus 37, 37n.75 M. Pomponius Silvanus 87 Porphyre 359n.275, 359–360, 369, 399 Posidonios de Rhodes 23, 105n.60 Proclos de Naucratis 388n.424 Prodicos 227–228, 235, 235n.458 Properce 71n.262 L. Publilius Celsus 244, 280n.119 M. Pupius Piso Frugi Calpurnianus 22n.2 Pythagore 313, 313n.59, 315n.69, 357n.263, 359, 360n.276, 365, 365n.304, 367n.320, 367–369, 368n.323, 369n.328, 379, 381, 382n.389 Sex. Quinctilius Valerius Maximus 132n.183 Quintilien 48, 50, 66–67, 69, 123, 168, 168n.105, 195, 226, 395, 395n.452 T. Rogatianus 458 T.Rubellius Blandus 48n.132 C. Rubellius Plautus 42, 91n.368, 94n.1, 108–109, 118, 153

524 Sénèque 5, 15, 18, 21n.1, 21–23, 25, 28, 40–42, 41n.98, 41n.100, 42n.103, 44n.112, 44–51, 45n.117, 45n.119, 47n.125, 49n.183, 51n.144, 51n.147, 53–67, 54n.156, 54n.162, 64n.216, 65n.224, 66n.227, 66n.228, 66n.230, 68n.240, 69n.249, 69–75, 72n.267, 72n.269, 74n.279, 76n.287, 77–94, 78n.299, 80n.310, 82n.323, 86n.339, 90n.363, 92n.375, 93n.378, 96–98, 97n.16, 122n.138, 126, 135, 139n.219, 151, 157n.51, 177, 177n.152, 179n.162, 183–184, 189, 195, 197–199, 202, 204, 204n.303, 207, 224–225, 238, 263, 270n.56, 272, 284, 322, 331, 338, 350, 353, 378, 381, 383n.399, 383–386, 384n.402, 388–391, 389n.427, 390n.430, 390n.433, 394–396, 395n.452, 412, 457–463, 467, 469 Sénèque père 47n.127, 69, 168 P. Sepullius Macer 35n.64 L. Sergius Paullus 299 (L.) Sergius Plautus (Stoïcien) 48n.132 Servilia (fille de Barea Soranus) 109 Sextus Pompée 124 Socrate 42n.101, 94, 107, 108n.79, 109n.79, 112, 127n.156, 131, 134, 224, 260, 272n.68, 274n.76, 300, 319, 382n.389 Q. Sosius Senecio 144n.4, 173, 174n.133, 245n.502 Sphairos 23 Staséas de Naples 22n.2 Statius Proximus 90n.363 Sthénidas de Locres 126, 235n.460, 369 Stobée 68, 95, 126 Suétone 24, 30, 36–38, 41, 52, 54n.161, 60, 87, 96, 113, 121, 138, 143, 150, 150n.29, 171, 186, 193–195, 219, 271, 277, 282–283, 289, 296–297, 307, 318, 318n.81, 320, 361, 366–367, 372, 376, 385, 388, 412, 458 P. Suillius Rufus 50, 51n.144, 87 Q. Sulpicius Camerinus Peticus 87, 87n.349 Q. Sulpicius Maximus 233n.448 P. Sulpicius Quirinius 60 Sylla 22n.2, 26n.20, 60, 70, 75n.280, 184, 193n.232, 331n.138, 330–332, 331n.138, 334n.153, 334–337, 336n.160, 337n.164, 466 Synésios de Cyrène 95–96, 240, 265n.31 Tacite 30, 34, 38–45, 39n.86, 39n.88, 47, 50, 52, 59n.190, 59–60, 68n.240, 77,

Index 88–92, 90n.363, 98, 107n.71, 107–109, 111, 113, 124, 135, 138–139, 143, 149n.26, 149–151, 150n.26, 153, 155–157, 156n.46, 159–160, 164–166, 171n.118, 190n.217, 195, 277n.95, 277–278, 284, 289, 296, 317, 320, 320n.90, 322–323, 364, 366, 378, 383–385, 387–388, 393–394, 396, 458 Thémistios 29, 225, 240, 367 Théocritos 373n.348 Théodore 94n.2 Thrasyllos 29, 29n.37, 30n.37, 226 Tigellin (C. Ofonius Tigellinus) 60n.197, 108n.77, 386 Timésithée (C. Furius Sabinus Aquila Timesitheus) 439–440, 442n.168, 444 Timothée de Thèbes 213 Titus Labienus 58n.184 Titus Vinius 150 Trajan Père 287 Ulpien (Domitius Ulpianus) 311, 311n.48, 311n.49, 312, 344n.196, 376, 376n.366, 389n.125, 468 M. Ulpius Apuleius Euriclès 296 Valère Maxime 9, 28, 28n.31, 30–31, 33, 62 Valerius Pollion d’Alexandrie 109n.81 Vedius Pollion 62 M. Vetulenus Civica Barbarus 299 Virgile 80, 292n.180 Xénarchos de Séleucie 25n.13 Xénophon 2n.3, 11, 74, 105n.60, 113, 126, 131, 213, 226–227, 227n.411, 235, 238, 395n.350, 409, 430n.126, 455 Zénobie 361, 399, 399n.7, 410 Zénon de Kition 26, 45, 49–50, 236n.466 Zosime 410n.44, 441, 444, 452

Divinités Aphrodite 234 Apollon 36, 82, 82n.320, 88, 201, 214n.345, 218n.364, 228n.419, 248n.518, 334, 349n.221, 352, 357, 357n.263, 358n.264, 358n.270, 360n.276, 364, 364n.302 Athéna 351n.230, 439, 442n.168

525

Index Bacchus 246, 330 Cérès 246 Déméter 236, 443 Dionysos 283 Esculape 334, 358n.270 Héraclès 129–130, 156, 216n.356, 216–217, 217n.360, 217n.363, 219n.373, 220, 222, 222n.387, 224, 224n.399, 227, 228n.421, 230n.430, 233–234, 235n.458, 237, 237n.472, 239, 379, 379n.373, 389n.426, 396, 408, 412, 413, 428, 428n.120, 448 Hercule 201, 214n.347, 214–215, 218n.366, 218–219, 219n.372, 221, 221n.378, 221n.379, 222n.382, 238, 246, 250, 250n.529, 301, 301n.228, 330n.134, 330–331, 331n.138, 334, 352, 352n.236, 352n.238, 358n.270, 396, 411, 423, 428n.120, 463 Hermès 216–217, 222n.387, 222–225, 223n.388, 223n.389, 227n.414, 379 Hôrai 227, 227n.414, 233–234, 234n.453, 234n.455, 236, 236n.468, 422 Junon 148n.20, 246, 469n.26 Jupiter 33, 35, 79, 90, 93, 135, 138n.215, 141, 147, 147n.16, 147n.17, 148n.20, 155–156, 178, 193n.238, 193–194, 196, 202–205, 204n.301, 204n.304, 206–207, 207n.314, 215, 221, 233n.448, 238–239, 246–247, 247n.512, 301, 301n.228, 334, 352, 358n.270, 358–359, 384, 396, 411, 423, 469n.26

Liber 246, 330, 330n.134, 352n.238, 358n.270 Mars 334, 358n.270 Mercure 246, 301n.228, 352, 352n.236, 463 Minerve 148n.20, 246, 300, 496n.26 Moires 227n.414, 358n.271 Poséidon 248n.518 Sérapis 317, 334, 352, 352n.238, 356n.256, 357, 357n.264, 358n.264, 358n.270 Silvanus 221 Sol 334, 337, 346, 357, 357n.264, 358n.264, 358n.270, 423n.99, 428n.120 Soleil 351, 357, 377, 428n.120 Thémis 227n.414, 233, 233n.450, 235, 235n.465, 236n.465, 422 Vénus 6, 334, 335n.159, 336, 336n.160 Zeus 68, 81n.315, 114, 125–126, 131, 140–141, 148n.18, 156, 193n.238, 205n.307, 205–206, 206n.310, 216–217, 219n.373, 222–224, 226–227, 227n.414, 231n.439, 231n.442, 232n.443, 232n.444, 232n.445, 233n.448, 233n.450, 234n.457, 231–235, 235n.465, 237, 239, 239n.474, 241, 247n.513, 247–248, 301n.228, 328n.123, 355, 396, 405n.24, 405–408, 406n.26, 406n.28, 407n.30, 407n.31, 408n.35, 412, 422, 428, 453, 455