Ousmane Sonko: Le génie politique (French Edition) 2140332717, 9782140332715

La conquête du pouvoir politique repose sur la nécessité d'avoir une parfaite maitrise des données culturelles, soc

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French Pages 138 [139] Year 2023

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Table of contents :
Sommaire
Introduction
CHAPITRE 1 Le génie politique sur scène
1) Tradition et politique
2) La figure du héros
3) Religion et politique
4) Le sens politique de la mort
5) L’équation de l’ethnicité
CHAPITRE 2 Ruse et stratégie politique
1) La radiation
2) Le salon de massage
3) Le concert des casseroles
4) L’ancienne métropole
6) Les gens du système
CHAPITRE 3 La force politique
1) Le discours politique
2) Le charisme
3) La proximité
4) Le prestige
5) Les patriotes
Conclusion
Bibliographie
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Ousmane Sonko: Le génie politique (French Edition)
 2140332717, 9782140332715

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La conquête du pouvoir politique repose sur la nécessité d’avoir une parfaite maitrise des données culturelles, sociales et psychologiques de son milieu, mais aussi elle repose avant tout sur un talent personnel de l’acteur politique, condition sine qua non pour susciter respect et admiration. Dans cette logique, Ousmane Sonko apparait comme un génie politique. En vrai savant de la politique, il a su faire preuve de ruse, d’habileté politique pour avoir acquis en si peu de temps une notoriété politique incroyable. Son génie politique a favorisé sa percée affective et effective dans l’opinion populaire. Pour créer le consentement nécessaire autour de sa personne, il recourt à des dramatisations sociales, à l’imaginaire et à l’instrumentation des croyances et représentations collectives. Il développe en conséquence une stratégie politique à action multipolaire axée essentiellement sur la mobilisation de toutes les données sociales, culturelles, psychologiques et politiques. Ainsi, dans la science politique, Ousmane Sonko apparait comme un cas d’école pour saisir et comprendre le phénomène politique dans toute sa dimension sociologique.

Birama Diop

Le génie politique

Birama Diop

OUSMANE SONKO Le génie politique

OUSMANE SONKO

OUSMANE SONKO

Birama Diop, spécialiste en théorie sociale et politique, est docteur en philosophie politique de l’université de Paris et professeur titulaire de philosophie dans le moyen secondaire (Sénégal). Il est l’auteur du livre Pouvoir et légitimité – l’État africain sur scène publié chez L’Harmattan.

Photographie de couverture : © Les Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthiques et la Fraternité.

POINTS DE VUE

ISBN : 978-2-14-033271-5

16 €

9 782140 332715

OUSMANE SONKO Le génie politique

Points de vue Collection dirigée par Denis Pryen Dernières parutions Tongele N. TONGELE, Pour la renaissance de la RD Congo. Des idées pour bâtir l’avenir, 2023. Patience KABAMBA, En finir avec la crise multiforme en RD Congo ? (Approche dialectique), 2023. Wuldath MAMA, Abolition du Franc CFA. La renaissance du panafricanisme, 2023. Albert PAHIMI PADACKÉ, L’Afrique empoisonnée, Pathologie et thérapie des conflits, 2023. Georges TOUALY, Réflexion sur un exil intérieur, Marcel Amondji dans le texte, La Côte d’Ivoire au cœur, 2022. Gaston ZABONDO DYNDO, Démocratie africaine, démocratie consensuelle, 2022. Tracy TCHINGOUCHI, Sang-voix. Le règlement des conflits électoraux dans la sphère CEDEAO : les maux et les remèdes, 2022. Benoît Kouakou OI KOUAKOU, Le Sursaut. Pour le développement de l’Afrique et le changement social, 2022. Cyrien KANAMUGIRE, La création de la richesse de la révolution industrielle à l’ère du numérique, 2022. Bernard BAMOGO, L’homme est un remède pour l’homme. L’humanisme de l’Afrique à l’Europe, 2021. SHANDA TONME, Sociologie du pouvoir et de la puissance. Triomphe et décadence des intelligences académiques, politiques et diplomatiques, 2021. Crisantos OBAMA ONDO, L’Afrique et sa culture de la démocratie. Une évaluation de la réalité culturelle africaine face à l’enjeu de sa consolidation démocratique, 2021. Francis MPOUSSA, Quand le Congo s’éveillera. Le pacte de l’héritage avec Denis Sassou Nguesso, 2020. Cheikh FAYE, Tutelle postcoloniale. Le Sénégal, 13e territoire d’outre-mer de la France, 2020

Birama Diop

OUSMANE SONKO Le génie politique

Du même auteur

Pouvoir et légitimité. L'État africain sur scène, L’Harmattan, 2022.

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-033271-5 EAN : 9782140332715

« Aux frères et sœurs africains justement, l’heure de notre révolution a sonné. N’acceptons plus ces petits présidents comploteurs, toujours à la solde de quelqu’un mais jamais au service de leur peuple. Partout en Afrique, doit souffler un vent nouveau de liberté, de démocratie, de souveraineté. Le 21éme siècle doit être africain et siffler le réveil du phénix endormi depuis trop longtemps ». Ousmane Sonko

Sommaire Introduction .................................................................... 11 Chapitre 1 : Le génie politique sur scène ....................... 15 1) 2) 3) 4) 5)

Tradition et politique .............................................. 15 La figure du héros................................................... 22 Religion et politique ............................................... 31 Le sens politique de la mort.................................... 46 L’équation de l’ethnicité......................................... 52

Chapitre 2 : Ruse et stratégie politique .......................... 59 1) 2) 3) 4) 5)

La radiation............................................................. 59 Le salon de massage ............................................... 63 Le concert des casseroles........................................ 67 L’ancienne métropole ............................................. 71 Les gens du système ............................................... 76

Chapitre 3 : La force politique ....................................... 83 1) 2) 3) 4) 5)

Le discours ............................................................. 83 Le charisme ............................................................ 91 La proximité ........................................................... 97 Le prestige ............................................................ 104 Les patriotes.......................................................... 111

Conclusion .................................................................... 117 Bibliographie ................................................................ 121

Introduction La conquête du pouvoir politique est caractérisée par la capacité du leader politique à produire des effets par luimême, sur les personnes et les choses, pour se faire accepter. Cela veut dire que tout leader politique ne peut accéder au pouvoir qu’à travers une maitrise parfaite des règles et des lois qui caractérisent la scène politique. Le leader politique doit se comporter en vrai stratège politique pour conquérir le pouvoir. Son image et les apparences qu’elle produit pourront alors correspondre à ce que les sujets désirent trouver en lui. Dans ce sens, la conquête du pouvoir politique repose sur la nécessité d’avoir une parfaite maitrise des données culturelles, sociales et psychologiques de son milieu, elle repose aussi avant tout sur le talent personnel de l’acteur politique, condition sine qua non pour susciter respect et admiration. Le processus inédit du surgissement héroïque d’Ousmane Sonko sur l’échiquier politique n’est pas évidemment étranger à son habileté politique. Ousmane Sonko, le leader charismatique du parti politique les patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), fondé en 2014, est incontestablement la révélation politique de cette décennie postcoloniale. « L’arrivée d’Ousmane Sonko sur la scène politique sénégalaise est une nouvelle rafraichissante. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne laisse personne indifférent. 11

Il a bousculé des ordres établis et dérangé bien des certitudes, voire des quiétudes, dans ce qu’il se plait à appeler lui-même le « système ». Son ascension a connu une fulgurance rarement vue dans l’espace politique. Son style est différent, son modèle est atypique1 ». À moins de 10 ans, il s’est imposé comme l’attraction politicomédiatique de la scène politique nationale et africaine. Il est devenu, en un temps record, la coqueluche de la classe politique sénégalaise et le réceptacle d’une grande admiration et sympathie populaire. Il reste actuellement la personnalité politique la plus populaire au Sénégal. Il attire les foules et est adulé par une frange importante de la population, essentiellement composée de jeunes et de femmes. Au moment où le Sénégal traverse des périodes de profondes mutations, tant politiques qu’économiques, tout observateur, soucieux des affaires de la cité, ne peut faire l’économie sur la trajectoire fulgurante de cet « autodidacte politique » qui, grâce à son génie politique, s’est hissé en un temps record au premier rang de l’échiquier politique sénégalais. « Le Sénégal n'a pas besoin d'un génie politique », dit-il. Mais force est de reconnaitre que le Président de Pastef, les patriotes, est un homme politique de talent, pour reprendre le propos de Yoro Dia, dans l’émission dominicale Grand Jury sur la Rfm, qui a su faire preuve de ruse, d’habileté politique pour avoir en si peu de temps une notoriété politique incroyable. Son génie politique a favorisé sa percée affective et effective dans l’opinion populaire. Si la conquête du pouvoir politique a pour but d’accéder à la plus grande sphère étatique, dans ce sens, il est attaché à 1 Ababacar Sadikh Top, Trajectoires, parcours et discours de l’espoir, préface de Cheikh Tidiane Diéye, Edition Les impliqués, p. 11.

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la fonction et non à la personne. À la limite, les personnes sont interchangeables. Leurs personnalités, leurs qualités propres disparaissent devant la nécessité d’incarner le comportement social, culturel et religieux exigé par l'organisation sociale. Mais cette incarnation oblige à un effacement complet de la personne. La contrainte d'exemplarité est telle que l'individu est en permanence obligé de se censurer, de faire taire en lui les expressions de l 'individualité. Nous verrons dans la première partie de notre travail que le leader de Patstef/les patriotes est un expert en la matière. Son génie politique s’est manifesté dans sa capacité de mobiliser toutes les valeurs culturelles, religieuses et ethniques, spécifiques à la société sénégalaise, pour renforcer son charisme et sa position. Dans sa logique de conquête du pouvoir politique pour créer le consentement nécessaire autour de sa personne, il recourt à des dramatisations sociales, à l’imaginaire et à l’instrumentation des croyances et représentations collectives. Il développe en conséquence une stratégie politique à action multipolaire axée essentiellement sur la mobilisation des ressources symboliques. En vrai stratège politique, il va mettre en œuvre une astucieuse politique dont les actes s’identifient fermement avec les symboles, les opinions et les modèles qui représentent la mentalité collective ou les institutions qui ont un ancrage solide sur la mentalité collective sénégalaise. Il a su adopter le comportement social, culturel et religieux exigé par l’organisation sociale en usant de la religion, la tradition, l’ethnicité, et les figures historiques en sa faveur. Dans la deuxième partie de notre travail, nous montrerons que c’est grâce à son génie politique qu’il a su construire son image autour de situations politiques et sociales qui se 13

sont présentées à lui (sa radiation, l’accusation de viol, etc.) En vrai stratège, il a su les exploiter en sa faveur pour impressionner l’opinion populaire et par la même occasion se hisser au-devant de la scène. Aussi, son discours contre le système, le néocolonialisme et son insistance sur la « fracture » entre le peuple et les élites dirigeantes supposées corrompues ont été, pour lui, un positionnement politique intelligent. Sa stratégie politique qui l’oblige à s’adapter aux réalités politiques du moment lui vaut un succès médiatique indéniable. Dans la troisième partie, nous essayerons d’analyser que Ousmane Sonko impressionne par son discours, son charisme, son prestige et sa proximité avec le peuple qui constituent sans nul doute sa véritable force politique. Sans compter la forte mobilisation de ses militants qui a été déterminante dans la construction de sa personnalité politique. Plus connus sous le nom « les patriotes », ils font la force de leur leader politique.

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CHAPITRE 1 Le génie politique sur scène

1) Tradition et politique Très profond, comme tout ce qui s'enfouit dans l'âme d'un individu ou dans la mentalité collective d'un groupe, le facteur culturel est intimement lié à la conception négroafricaine du monde. Le raisonnement de l’Africain est de type « régressif ». À partir de ce constat, on a pu dire que l’Africain vit dans le présent, retourne vers le passé et ne s’occupe guère de l’avenir. L’Africain entretient naturellement avec sa tradition un rapport foncièrement passionnel, voire hystérique. Et le sénégalais ne peut pas échapper à cette règle. Il a toujours cette tentation, presque toujours irrésistible, de sacraliser des attitudes, des usages, des habitudes qui sont spécifiques à sa communauté. À travers des processus de socialisation élargis, la population sénégalaise en vient à considérer ses rituels, pratiques et symboles comme évidents et sacrés. Cela signifie qu'il est donc indispensable que les leaders politiques aient une bonne image auprès du peuple, ils sont tenus de respecter, au moins en apparence, les valeurs traditionnelles. Et celles-ci doivent se manifester dans leurs comportements, leurs attitudes, et autres cérémonials 15

qui puisent leur légitimité dans la tradition. Comme l’écrivait Hérodote : « Tous les hommes sont convaincus de l’excellence de leurs coutumes… Il n’est donc pas normal, pour tout autre qu’un fou du moins, de tourner en dérision les choses de ce genre »2. Cela signifie qu'il est donc indispensable que les détenteurs du pouvoir politique aient une bonne image auprès du peuple. Sur ce, le véritable leader politique est celui qui a réussi à mettre en œuvre tous les attributs traditionnels en sa faveur pour pouvoir s’intégrer dans le groupe, qu’il est censé diriger. Ainsi, la langue comme véhicule des valeurs traditionnelles apparaît de prime abord comme un élément essentiel d’acceptation sociale. Ignorer la langue du milieu semble relever d’une acculturation qui rebute les populations. La langue apparaît donc comme véhicule de l'histoire et des règles collectives, c'est-à-dire comme un vecteur de compréhension et d'adhésion des populations aux enjeux de l'action publique et au pouvoir. Parler la langue locale participe à renvoyer l’image d’une proximité avec les gens « ordinaires ». « Le langage légitime est celui qui correspond aux catégories sociales elles-mêmes les plus légitimes 3 ». Cela veut dire que parler la langue locale renforce l’impression de proximité, ce qu’un langage plus étranger ne permettrait pas. S’exprimer en langue locale permet de se montrer proche de ses citoyens et de se mettre dans une logique de confiance. Alors que la langue occidentale marque la domination et la supériorité du responsable, la langue locale renforce l’impression d’une proximité, et 2

L’Enquête, III, 39, in Hérodote, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1989, p. 235. 3 Cours donné à des élèves de Lettres Supérieures à propos de l'ouvrage de Pierre Bourdieu « Langage et pouvoir symbolique», http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com ›.

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logiquement une certaine familiarité avec la population locale. Elle fait partie d’une certaine représentation du monde social, fondée sur l’idée qu’un être proche est un être semblable, familier accessible et, donc, digne de confiance. En effet, les choix linguistiques et discursifs reflètent l’image que se fait le locuteur de son auditoire, mais ils constituent aussi l’image que le locuteur souhaite renvoyer de lui-même4. Ousmane Sonko, en vrai spécialiste du politique, n’hésite pas à exprimer sa préférence à communiquer avec la langue locale. Par exemple, après avoir fini de parler en wolof, un journaliste interpela Sonko pour lui demander de faire une version en français. Celui-ci répondit qu’il n’avait pas prévu une version française car, il s’adressait aux Sénégalais qui, dans leur écrasante majorité, ne comprennent pas la langue officielle du pays. Il préféra donc s’exprimer en wolof, la langue qui lui permet d’atteindre le maximum de Sénégalais, eu égard au statut de lingua franca que cette langue occupe au Sénégal. En s’exprimant ainsi, le leader des patriotes s’imprègne dans le support naturel de la culture pour s’ériger en vrai défenseur de nos dialectes culturels. Suivant cette même logique, nous pouvons dire que la tenue vestimentaire traditionnelle constitue comme un élément fondamental dans le jeu politique. Elle a une signification sociale et politique importante. Elle influence les opinions et aide à la réalisation des ambitions de celui ou de celle qui le porte. Elle parle, autant parfois que les mots ou les actes. Le port vestimentaire d’Ousmane Sonko 4

Cf. Traoré Laure, « Langues et registres de légitimation du pouvoir politique au Mali : les discours présidentiels en contexte de (post-) crise », Autrepart, 2015/1 (N° 73), p. 105-122. URL : https://www.cairn.info/revue-autrepart-2015-1-page-105.

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en est une parfaite illustration. Il est une invite à consommer local ou africain. En vrai leader politique, lors de la cérémonie symbolique marquant l’évolution du Pastef, il a opté pour une tenue qui rappelle la culture africaine. Un chapeau dont l’origine est nigériane coiffait sa tête. Paré d’un habit cousu avec un tissu, il portait des chaussures qui ont été confectionnées au Sénégal. Les couleurs sont le noir, le doré et le blanc. Le noir a, comme toujours, un côté classe, intemporel, surtout dans la mode. Le blanc représente souvent la pureté et le doré, la richesse. Notons quand même que dans le look de Sonko, le noir vole la vedette aux autres couleurs. Au-delà de l’élégance, la tenue vestimentaire traditionnelle lui donne de la prestance. En arborant souvent le grand boubou, assorti d’un bonnet, Ousmane Sonko, le patriote, se donne l’image d’un homme politique mature, responsable plein de sagesse, surtout enraciné dans sa tradition. La tenue traditionnelle de l’acteur politique véhicule un message à travers une mise en scène corporelle, contribuant du coup à la revendication d’une idéologie politique. Elle est un champ de bataille idéologique pour exprimer solennellement les valeurs africaines, le devoir de reconstruire la personnalité africaine et l’obligation de solidarité à l’égard de tous les Africains qui se reconnaissent et se distinguent partout dans le monde par la tenue vestimentaire qui leur est spécifique. Très élégant dans ses boubous traditionnels, le président Ousmane Sonko a l'habitude de porter des tenues traditionnelles africaines d’une rare élégance. Cela lui a permis de renforcer le lien entre lui et le peuple sénégalais et africain qui se reconnait dans ces tenues traditionnelles. Cela lui a également permis de se faire accepter en

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essayant de gagner le cœur des populations en montrant un certain attachement à leur manière d’être et de vivre. À partir de cet exemple, nous pouvons dire qu'un acteur politique qui veut se faire accepter se trouve dans l'obligation manifeste de se réapproprier et de faire vivre les différents signes qui régissent chaque communauté humaine. C'est en les adoptant par le comportement que la communauté arrive à le considérer comme un leader politique respectueux et vertueux envers les valeurs de cette même communauté. Ce qui nous autorise à dire que le leader politique pour se faire accepter par une communauté donnée, il a besoin systématiquement de s’approprier leurs valeurs culturelles et de s’ériger comme le défenseur ultime de leur patrimoine historique. Sur ce point, le génie politique de Sonko n’a pas dérogé à cette règle. Au Sénégal, la polygamie, très répandue dans la société sénégalaise, est une valeur culturelle avant d’être religieuse. La polygamie est un mot d’origine grec. Elle vient à la fois de « polus » qui veut dire nombreux et de « gamos » qui veut dire mariage. Elle est une valeur traditionnelle ancestrale, un système social qui admet légalement le mariage d’un homme avec plusieurs femmes simultanément. Et dans la société sénégalaise actuelle, le statut de l’homme polygame le hisse au sommet de la hiérarchie sociale en tant qu’individu responsable et viril. En fin stratège, Ousmane Sonko s’érige en défenseur de cette valeur culturelle. Il n’hésite pas, lors des manifestations, à s’afficher au milieu de ses deux épouses. Geste qui a été hautement salué par la société sénégalaise qui a fini par le considérer comme un défenseur ultime de son patrimoine culturel et religieux. Les valeurs et cette vision qu'une société a d'elle-même constituent les fondements mêmes du sens social que se donne une société à un moment donné. Elles correspondent aux concepts de représentations collectives, 19

d'idéologie ou de conscience collective objectivée. Le recours à nos valeurs traditionnelles est un moyen efficace d’enracinement social. Il apparait comme un moyen très efficace pour le politique de s’intégrer culturellement parce qu’il suppose des valeurs communes. C’est pourquoi toute conformité aux valeurs traditionnelles apparait aux yeux du peuple comme une marque de considération et de solidarité. À partir du moment où les valeurs apparaissent comme étant largement intériorisées par les groupes, ces valeurs deviennent légitimes et les gardiens de ces valeurs reçoivent en retour une estime considérable de la part du peuple. Ils se montrent comme son émanation, ils en assurent la présentation à l'extérieur, ils lui renvoient une image d'elle-même idéalisée et donc acceptable. En guise d’illustration, la culture populaire sénégalaise dans son ensemble est profondément hostile à l’homosexualité. Au Sénégal, un pays musulman à 95 % et très pratiquant, l’homosexualité est largement considérée comme une déviance, et sa défense comme une entreprise de l’Occident pour imposer sa vision sociale. Les appels à en durcir la répression apparaissent pour les leaders politiques comme un moyen très efficace pour se faire accepter sur le plan social. Sans doute conscient de cela, Ousmane Sonko, en révélant solennellement une attitude très hostile à l’homosexualité, a fini par renforcer sa crédibilité nationale. Pour ce faire, il invoque la religion, mais « surtout un souci de préservation de notre humanité ». Il va déclarer publiquement qu’une loi durcissant la répression de l’homosexualité serait une des premières qu’il ferait voter s’il était élu président. « Si je suis élu président du Sénégal, la loi criminalisant l’homosexualité sera l’une des premières que je ferai voter », dit Ousmane Sonko dans une série de tweets. 20

En plus de cela, dans les pays africains marqués par une influence manifeste et considérable des mécanismes traditionnels de domination (chefs-sujets ou encore maîtretributaire), toute crédibilité politique vient après celle du chef et toute reconnaissance politique découle du discours que le chef tient du leader politique. « La chefferie traditionnelle est devenue une nouvelle arène où la légitimité coule comme l’eau de roche, lieu par essence de délectation de l’élite politique pour se frayer un chemin et se positionner comme un acteur crédible ou légitime »5. En d'autres termes, le recours à la chefferie traditionnelle ou à la royauté apparaît comme une source d’acceptation et de crédibilité de tout leader politique. Ainsi, à mesure que s’enracinent les règles de la démocratie électorale et que la lutte politique devient plus rude, les chefs traditionnels permettent de donner des gages de reconnaissance culturelle. Dans la plupart des pays de l'Afrique, où plus de la majorité de la population vit en zone rurale, les chefs occupent donc une place importante dans le processus d’acceptation sociale du leader politique. Étant les garants des lois coutumières, ils jouissent, en effet, souvent d’une grande autorité auprès des populations rurales. Un leader politique qui cherche à entrer en conflit avec les chefs locaux a peu de chance d’être accepté, à moins que ce ne soit de façon violente. Si les grandes figures nationalistes, le Premier ministre Sénégalais Mamadou Dia et le Président Ghanéen Kwmé N'Krumah, sont tombés, c'est à cause de leurs attaques contre les élites traditionnelles, respectivement en 1962 et en 1966. Ainsi, en 1979, la constitution ghanéenne abolissait la nécessité d'une validation par l’État pour la 5 Sosthéne Nga Efouba, La crise de la chefferie traditionnelle en Afrique au Sud Sahara, Edition L’Harmattan, p. 161.

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désignation des chefs reconnaissant des logiques de la chefferie. La tentative socialiste de Kwmé N'Krumah a échoué à cause de l'incapacité du parti unique à s'appuyer sur une organisation portante de la société civile. N'krumah était dans l'obligation de réduire, sinon d'annuler, le pouvoir des chefs traditionnels, dans le but de remplacer la chefferie en tant qu'autorité morale et structure fondamentale de la société, par le parti unique. Il n'a pas réussi à cause de l'absence de racines du parti dans la société, et la politique anti-chefs du CPP. Il ne fit qu’aggraver son défaut d'ancrage dans la société civile. C’est pour cette raison que certains leaders politiques, dans les zones où il y a une forte présence et une influence de la chefferie, cherchent à s’approcher des chefs traditionnels pour se faire accepter par la population locale. En vrai tacticien du politique, Ousmane Sonko considère que c’est toujours très important de donner une place de choix aux autorités religieuses et coutumières. Sur ce, il rend régulièrement visite aux rois d’Oussouye. Il profite de ces rencontres pour évoquer ses positions politiques et les attaques qui l'ont pris pour cible ces derniers temps. « Nous avons cette éducation du sud qui est au centre des valeurs, la bonne éducation... C’est pourquoi vous n’entendrez jamais des insultes de ma bouche ». 2) La figure du héros On a l'habitude de dire que les peuples ont la mémoire courte. Héros et évènements extraordinaires sont vite oubliés. En réalité, c'est tout le contraire. Les peuples ont la mémoire longue et ne détournent jamais le regard du miroir du passé. Le postulat stipule que les impressions du 22

passé se conservent dans la vie mentale des masses, également sous forme de traces mnésiques. Dans certaines conditions favorables, on peut les restituer et les revivifier. Les leaders politiques africains se créent des héros qui personnifient les valeurs prônées par le régime. Immortalisé par l'imagerie politique, le héros est associé à la création de la société, à son combat pour la survie et à son triomphe contre toutes les adversités. La tendance à la prolifération des héros peut d'ailleurs être considérée autant, sinon plus, comme un trait de la culture populaire que du régime politique. Les traditions politiques, comme religieuses, ont souvent besoin de prendre corps dans un personnage symbolique : héros fondateur, prophète, messie qui marque, comme l'ancêtre en Afrique, la continuité du phylum social et donne à ses admirateurs le sentiment d'un enracinement historique6. Le héros n’a pas forcément à être historique. Il lui suffit de faire sens, de signifier pour une communauté, pour avoir du succès et se pérenniser aux yeux de contemporains. Dans les deux cas, les héros anciens nous permettent non seulement de comprendre le passé, mais agissent sur le présent. Le peuple africain se nourrit quotidiennement de tout un ensemble de discours qui circulent dans le corps social, hérités de la tradition orale et inscrits fièrement dans les livres d’histoire. Ces discours retracent généralement le passé héroïque et glorieux d’un peuple au fait de l’art de la guerre. Art qui, d’ailleurs, a permis aux rois africains de résister farouchement aux armées coloniales. Ce fond historique constitue une source de fierté pour l’ensemble des Africains qui, certainement, rêvent toujours à une restauration de ce prestige. Sur ce, le leader politique, en 6

Claude Rivière, Les Liturgies politiques, Editeur Presses universitaires de France (réédition numérique Fenixx), 2015, p.241.

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s’identifiant aux figures historiques du passé, contribue à partager, avec tous les membres de la société, le désir intense de s’identifier à un « grand homme » dont les qualités individuelles ont une grande influence sur eux. Le héros jette les fondements du pouvoir en même temps que les bases de sa légitimité. Ce faisant, il est le modèle profond de référence sans lequel le pouvoir ne tient pas. Un leader politique qui ne l'a pas le sollicite : c'est la condition indispensable pour obtenir l'adhésion et l’acceptation des membres du groupe. Le fait, par exemple, d’être « bien né », d’appartenir à un même lignage que celui du héros suppose que les individus vivent dans un type de société et de régime politique qui se fondent sur l’autorité absolue de ces « ayant droits » et qu’ils reconnaissent à ceux-ci une légitimité de destinée. Sékou Touré, en se réclamant, par exemple, de la lignée de l’Almamy Samory Touré, ne se faisait aucune illusion sur les différents avantages qui l’attendaient. La mise en récit d’un destin national, reliant la période nationaliste des années 1950 à ces héros précoloniaux, permet à Sékou Touré de se hisser au même rang qu’eux et de rejoindre le panthéon national ou africain. Modibo Keita, instituteur formé à l’école française de Dakar, tire sa légitimité, en s’inscrivant dans la lignée de Soundjata Keita, fondateur de l’empire du Mali ; Moussa Traoré dans celle de Tiramakan Traoré, général et principal allié de Soundjata, selon les traditions orales, tout en mobilisant les réseaux de parenté pertinents7. Dans le cas de Moussa, militaire lui-même, le choix d’appartenir à ce lignage prestigieux lui permet de mobiliser aussi le

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Cf. article d’Etienne Smith, Des arts de faire société, Parentés et plaisanteries et constructions en Afrique de l’Ouest (Sénégal), p. 761.

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répertoire masculin de la virilité guerrière, cher à l’imaginaire Mandingue. Sur ce point, le génie politique du natif de khombole s’est illustré de fort belle manière. Il n’est pas resté indifférent et insensible aux parcours, aux histoires des « grands hommes » qui vont lui servir de repères pour consolider son statut politique. Il va faire un usage politique subtil de l’histoire, en se référant à l’une des figures les plus marquantes de la Casamance à la fin du 20ème siècle : Arfang Bassire Sonko. Né en 1860 à Bassire, Arfang est un des illustres fils de la Casamance qui a marqué son époque par ses œuvres que par sa vision du monde. En 1905, Arfang Bassire Sonko fut désigné Chef de village de Bessire, après l’attaque des populations de Bessire contre une colonie militaire française de passage pour le poste de Karthiack… Puis, en 1925, il monta à la tête du Canton, après Ansoumana Diatta de Tendouck et Boubacar Sagna de Thionk-Essil. C’était sous le règne du Capitaine Carvel, Commandant du cercle de Bignona de 1923 à 1926. De 1925 à 1946, Arfang dirigea le canton des Djougouttes-Nord qui s’étendaient de Diégoune à Djimande, jusqu’à Ediamath (ou Djigothe). Ousmane Sonko, en vrai politicien, soucieux de se donner une lignée historique, va s’inscrire dans une continuité avec ce personnage, en mettant notamment en avant le lien de parenté qui le reliait à ce prestigieux héros de la Casamance. « Mon défunt père est origianaire du village de Béssire (ou Bassire) dans le département de Bignona, célèbre par la renommée d’un de mes grands péres, Arfand Béssire

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Sonko, illustre pars ses hauts faits de développement en tant que chef de canton des Djougouttes-Nord 8». La mise en référence avec ce héros précolonial va lui permettre de renforcer, par la même occasion, sa position politique. L'éclat de cette figure ancestrale revalorisée va rejaillir sur sa propre personne et rehausser son prestige, ce qui peut susciter respect et admiration. En d’autres termes, Ousmane Sonko, en vrai spécialiste du politique, en trouvant un ancêtre noble et digne qu’il rattache à sa personne, revendique, d’une certaine manière, une place à l’intérieur d’une société. Je demande à occuper telle position en fonction de ce que mon ancêtre représentait à l’intérieur du groupe. La possession d'un charisme magique, écrit Max Weber, présuppose toujours une renaissance. Celle d'une image que la masse reconnaît. Le charisme a des caractères d'une évocation du passé, éveil de sentiments et d'images enfouis dans la mémoire, autorité d'une tradition. C'est par cette connivence avec l'univers des souvenirs que le meneur suscite une réaction immédiate d'obéissance. Les références aux grands hommes du passé peuvent servir à justifier des solutions contradictoires, surtout lorsqu'elles sont utilisées par les dirigeants eux-mêmes. « Surgissant généralement en des époques d’instabilité et de rapide changement socioculturel, plus grand mort que vivant, le héros (...) auquel on attribue les qualités extraordinaires du leader charismatique modèle apparaît comme la légitimation d'un système de croyances et de pratiques »9. Cela veut dire que le héros donne une forme

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Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, autoédition, 2018, p. 29. 9 Claude Rivière, Les Liturgies politiques, PUF, p.241.

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concrète à l’idéologie, en ce qu'il représente quelques valeurs et normes fondamentales du système. Sur ce, le leader de Pastef a trouvé en la personne de Mamadou Dia le personnage idéal, correspondant à ses aspirations politiques. Pourquoi Mamadou Dia ? Cela n’est pas un choix fortuit. Sans doute pour la majorité des Sénégalais, Mamadou Dia était un nationaliste. Il était pour le socialisme autogestionnaire et pour l’indépendance économique de notre pays, contrairement à Senghor, plus conciliant et plus français. Dans l’opinion populaire, Senghor président de la République, un animal politique, finira par liquider son ami Mamadou Dia, président du conseil, pour tentative de « coup d’État » et régnera, sans partage, sur le Sénégal de 1962 à 1980. En effet, arrêté en décembre 1962, emprisonné à Kédougou de 1963 à 1974, il n’a été gracié qu’en 1976. Intransigeant, il refusait toute compromission : « Je préfèrerais mourir libre en prison, que de sortir de prison en devenant prisonnier d’un engagement contraire à mon devoir de citoyen et de patriote africain et sénégalais », avait-il dit à Senghor. « Il sentait qu’il était porteur du destin de son peuple, avec résolution, sans compromission. C’est un Peul, et les Peuls ont le sens de la dignité, la dignité de l’homme qui est intégralement dans ses gestes, dans ses prises de position ; il n'en démord pas », disait Roland Colin. De ce fait, en s’identifiant à Mamadou Dia, l’ancien inspecteur des impôts va chercher habilement à partager, avec tous les membres de la société sénégalaise, le désir intense de s’identifier à un « grand homme » dont les qualités individuelles ont une grande influence sur eux. Conscient de toute cette estime que les Sénégalais portent en cet homme, il va relier son destin à lui pour revendiquer un certain droit de gouverner. Avec cet homme, dit-il, nous partageons la même ville : Khombole, d’où est originaire ma mère, et tellement de convergences, politique que notre 27

naissance au même mois de juillet, à trois jours d’intervalle. Tout cela ne saurait relever de la pure coïncidence. « À partir d’aujourd’hui, nous dit-il, tout jeune patriote sera une cible à abattre. Soyez prêts, surtout mentalement. Parce que ce système arrange beaucoup de gens, beaucoup de personnalités. Où sont passés Thomas Sankara et d’autres patriotes éliminés par nos dirigeants, amis des Européens, qui pillent nos ressources ? Où est passé Mamadou Dia qui a été privé de jeunesse ? Il a été sacrifié par l’ami des Européens. Et ce qui s’en est suivi, tout le monde le sait. Je vous demande de visiter son œuvre », lance-t-il aux jeunes, acquis à sa cause. Se référer à un héros, c’est choisir un chef, un miroir, et c’est faire l’hypothèse d’une communauté, celle dont l’unité est retrempée et renforcée dans la participation à chaque commémoration. À partir de là, nous pouvons dire que lorsque le héros occupe une place singulière dans le cœur des mortels, la mise en relief et la mise en valeur de l’exemplarité de son personnage de dimension historique permettent en quelque sorte au leader politique de se faire accepter parce qu’il finit par être considéré par le peuple comme l'incarnation ou le continuateur même du défunt héroïque. Sur ce, les nombreuses références du leader des patriotes à Thomas Sankara ne constituent pas seulement un programme mémoriel clairement défini, mais un véritable marketing politique, tant sur le plan national et qu’international. En effet, la figure de Thomas Sankara va lui servir à la fois de repoussoir et d’outil de légitimation politique. Ce qui rend les usages politiques de sa mémoire particulièrement habiles. Son discours et ses actions sont souvent empreints par l’influence de Sankara. Il va même 28

accrocher sur un mur de son salon l’image de cet illustre révolutionnaire, le divulguant à chaque sortie audiovisuelle. Tout comme le jeune révolutionnaire Thomas, Ousmane Sonko parle de lutte contre l’impérialisme, contre le néocolonialisme ; il dénonce les gouvernants africains qui appauvrissent leurs populations ; il appelle à la répartition équitable des richesses et s’offusque contre les institutions internationales, etc. En se référant au capitaine Thomas Sankara, il va acquérir une double légitimité : nationale et internationale. Sur le plan international, sa référence à Thomas Sankara lui assura une reconnaissance africaine comme défenseur du panafricanisme, invitant à une solidarité avec les autres pays africains. Cela va lui permettre d’affirmer sa présence auprès des peuples africains qui aspirent à une Afrique libérée de la tutelle occidentale. Sur le plan national, elle va lui permettre de mobiliser un bon nombre de citoyens qui voient en lui un messie, un sauveur, comme le nouveau Thomas Sankara Sénégalais. La société dans laquelle nous vivons est composée d’anciennes personnes qui ont marqué par leur talent, leur qualité et leur héroïsme la vie de chaque communauté humaine. L’homme politique, en conservant, en retenant et en répétant leurs noms, en les attribuant aux rues, aux places, aux parcs, aux stades… affirme une certaine continuité de leurs œuvres et se donne une ligne de référence et de conduite. Ces associations entre une personnalité et un lieu ou un objet public ont une portée symbolique remarquable sur le peuple. Les hommes dont l’existence est reconnue comme présentant une valeur éminente pour la société en les récompensant par leur présence nominative dans l’espace public et la mémoire collective apparaissent à la fois comme un honneur pour l’homme politique et un repère pour les hommes qui

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s’identifient à ces grands hommes historiques qui ont bâti leur histoire. « Qu’ils soient langagiers ou iconiques, les symboles qui n’ont pas de rapport avec notre vie quotidienne et nos frustrations ou succès journaliers sont inopérants et dénués de sens. Ils ne provoquent aucune empathie, un peu comme les articles de musée dans lesquels les visiteurs ne verraient que les icônes d’une culture morte 10 ». Ousmane Sonko en a pris conscience. Son premier acte, en tant que maire de la ville de Ziguinchor, a été de rebaptiser cinq rues de Ziguinchor, qui portaient jusqu’à présent des noms issus du passé colonial ou qui renvoyaient directement à des figures de l’impérialisme français. Les figures et les mots sélectionnés par Ousmane Sonko sont de celles qui ont une portée historique chez les casamançais en particulier et les Sénégalais en général. L’avenue du Capitaine-Javelier devient ainsi l’avenue du Tirailleur-Africain ; la rue du Lieutenant-Lemoine sera désormais l’axe Thiaroye-44 ; celle du Lieutenant-Truch est rebaptisée Séléki-1886 ; la rue de France cède la place à la rue de l’Union-Africaine et celle du Général-deGaulle se fera désormais appeler rue de la Paix. Le lieutenant Truch est en effet un administrateur colonial mort aux côtés des lieutenants Renaudin et Seguin lors de la bataille de Séléki, au cours de laquelle des combattants casamançais ont résisté à l’assaut des colons, en 1886. Même raisonnement avec le lieutenant Lemoine, tué au front lors de la Première Guerre mondiale. Ousmane Sonko a préféré commémorer le massacre des tirailleurs sénégalais par l’armée française à Thiaroye, en 1944.

10 Cf. Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Editions Seuil, 1991, p. 30.

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En rebaptisant les rues, l’ancien inspecteur des impôts va renverser le narratif colonial et par la même occasion conforter sa position comme défenseur de la souveraineté nationale dans sa forme la plus absolue. 3) Religion et politique L’Africain peut se définir comme un être qui voue un attachement très profond à la religion. La religion est fortement imprégnée dans la vie de l'homme africain. Elle la pénètre, la conditionne même. En Afrique, la religion n'est pas seulement une fidélité à des dogmes établis, culte au principe divin manifesté à travers un rituel régulier. Elle est l'armature de la vie. Elle charpente toutes les actions publiques et privées de l'homme. Ainsi, dans un contexte africain, en général, et sénégalais, en particulier, où la religion représente un élément fondamental dans la psychologie quotidienne de la population, le lien avec le divin légitime la personne aux yeux de la société. L’appartenance à une communauté religieuse est appréciée par la population, comme élément révélateur de la moralité de la personne politique. Ainsi, dans un pays où il y a une religion établie comme dominante, le fait pour le leader politique d’adopter une image de croyant lui confère une certaine honorabilité aux yeux de cette communauté religieuse dominante. Il leur confère un pouvoir d’influence spécifique que renforce la déférence à l’égard de ce qu’ils représentent. Il permet à l’homme politique d’échapper à toute haine et tout mépris et de se faire accepter dans sa logique de revendication du pouvoir politique. La religion peut être un instrument de conquête du pouvoir. En effet, dans la société africaine, plus particulièrement sénégalaise, où les valeurs morales correspondent souvent aux valeurs religieuses : la 31

tempérance, l’honnêteté, l’humilité, et, il est difficile d’être considéré comme un homme politique respectable si l’on n’est pas pratiquant, même si ce n’est évidemment pas le seul critère. Ousmane Sonko comprend que l’instinct religieux est consubstantiel à la société sénégalaise. Elle éprouve toujours un sentiment d’adoration devant un acteur politique fortement imprégné des valeurs religieuses. Ainsi sur le plan religieux, le leader du Pastef, son image d’un musulman à cheval sur les préceptes de l’Islam va lui permettre de renforcer son image aux yeux du peuple sénégalais. Son discours en wolof est souvent émaillé de citations coraniques destinées à étayer ses propos et, surtout, à capter la confiance des Sénégalais qui, il est vrai, sont un des peuples les plus profondément musulmans d’Afrique de l’Ouest. Souvent, lors de ses déplacements dans les régions, il s’arrête en pleine route pour accomplir sa prière, en invitant ceux qui l’accompagnent à faire de même. À défaut de se conformer de façon constante aux prescriptions de la foi, il cherche constamment à habiller ses actes de formalités nombreuses dans le dessein de se concilier par des apparences à la communauté sénégalaise. En vrai stratège, Ousmane Sonko a su user de la religion en sa faveur pour apparaitre comme étant un homme pieux et honnête. Par exemple, il fréquente souvent les darras et n’hésite pas à réciter des versets du coran. Comme à Touba où le leader de Pastef /les patriotes a accroché un jeune pour lui demander de réciter le coran pour, ensuite, lui souligner, à la fin, qu’il maitrise les écritures saintes. Cela veut dire que la religion demeure donc une source d’accès au pouvoir politique. Pouvant faire l’objet d’une instrumentalisation par le politique, elle apparaît comme un moyen efficace de valorisation du personnage 32

politique. La manipulation religieuse par le politique se présente donc sous deux aspects, en apparence contradictoires. Elle peut être mise au service de l'ordre social existant et des positions acquises au service de ceux qui veulent conquérir l'autorité. Le vendredi 17 juin 2022, Sonko a appelé ses militants à manifester, malgré l’interdiction du préfet de Dakar qu’il qualifie de violation de la Constitution qui donne le droit de manifester. Tôt le matin, sa maison est quadrillée par des forces de l’ordre avec une interdiction de sortir. Ousmane Sonko, en vrai stratège politique, a su instrumentaliser son sentiment religieux en sa faveur. Malgré l’interdiction de sortir de son domicile, il en trouve une occasion propice pour se rendre à la mosquée pour jeter le discrédit sur son véritable adversaire politique, le Président Macky Sall. Pari réussi, il sera interdit de se rendre à la mosquée par les officiers de police, selon des ordres de leur hiérarchie. « En plus de me priver de ma liberté d’aller et de venir, Macky Sall vient de donner l’ordre de me priver de ma liberté de culte ». C’est ce qu’a tweeté l’opposant Ousmane Sonko, après s’être vu empêché par la police d’aller à la prière de vendredi. Cette scène fera l’objet de nombreuses critiques et de rejets contre le régime de Macky Sall dans un pays composé à majorité musulmane. C'est le Sénégal qui est la terre d'élection des marabouts et, même, des grands marabouts. Ces derniers représentent une force incontestable et incontournable, en raison de leur emprise sur le peuple, composé majoritairement de leurs talibés. Les talibés obéissent au doigt et à l'œil à leurs marabouts. Le talibé s'est soumis délibérément pour gagner le paradis auquel il croit ; il peut rompre à tout moment le lien spirituel qui le lie au marabout. Le fidèle évite de 33

posséder. Il a le sentiment que sa propre force de travail ne lui appartient pas ; elle est à la disposition du marabout avec qui il a passé un contrat métaphysique, qui lui assure le paradis après la mort11. « On n'est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de son esprit, toutes les soumissions de sa volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d'une cause ou d'un être devenu le but et le guide des sentiments et des actions »12. En examinant plus profondément la conviction des talibés, on constate qu'ils ont un sentiment religieux très singulier qui se caractérise par l'adoration à leur marabout, supposé être un individu hors du commun des mortels. Cela se manifeste par la crainte de sa puissance qu'on lui attribue et une soumission aveugle à ses commandements. Il devient donc impossible aux talibés de discuter ses dogmes. Ainsi, les talibés ont cette tendance quasi spontanée à considérer comme ennemis tous ceux qui refusent de les admettre. Sur ce, le contrat maraboutique est donc plus fort que le contrat étatique. Si l'allégeance des talibés envers leurs marabouts est relativement stable, la relation entre le politique est par nature précaire, fragile et instable. En inspirant donc une adoration sans bornes, en imposant des dogmes sans discussion, les chefs maraboutiques exercent une forte influence sur leurs talibés. Par conséquent, tout comme les autorités traditionnelles, les marabouts jouissent généralement, auprès des populations, d’un statut auréolé de sacralité qui fait d'eux des instances 11

Cf. Cheikh Anta Diop, L’Afrique noire précoloniale, Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des Etats modernes, Présence africaine, p. 145. 12 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Réédition réalisée d’après la 40éme édition de 1937, Édition Bod-Books on Demand, p. 43.

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incontournables. L'acteur politique qui nie leur autorité court le risque d’être considéré comme un représentant d’un système blasphématoire. L'influence des chefs religieux est partout redoutée. Résidant sur la place, sans attaches anthropologues avec la communauté locale, le religieux jouit auprès des populations du prestige que procure le statut d'envoyé de Dieu, ou plus simplement de la confiance que peut inspirer son attitude de bienveillante neutralité. C’est en ce sens que dans son article scientifique « Parler politique du religieux et discours religieux du politique au Sénégal : quand les frontières communicationnelles se brouillent », l’universitaire Patrice Corréa, Maître de Conférences à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB), explique que dans « l’hypothèse d’un renforcement de la légitimité politique par le système religieux », il est « impossible d’envisager la légitimité du politique sans une moindre once de reconnaissance symbolique conférée par des réseaux « confrériques ». Voilà pourquoi, les leaders politiques, s'ils veulent accéder au pouvoir ou le consolider, se trouvent dans l’obligation de les traiter en partenaires plutôt qu'en adversaires. Ainsi, le natif de Khombole dispose par conséquent d'un capital relationnel important avec le religieux. L’ancien inspecteur des impôts s’adapte toujours aux spécificités de la famille religieuse où il se rend, aussi bien par le discours que dans le comportement. Par son habileté politique, il trouve toujours le bon mot, le bon geste pour gagner la confiance des communautés religieuses. Même s’il affirmait dans son ouvrage, Solutions, qu’il n’est pas né et n’ai pas grandi tidiane, mouride, layenne, niasséne, ibadou,…mais simplement musulman13, c’est en se réclamant mouride qu’il a pu convaincre les disciples de Cheikh Ahmadou Bamba, c’est en adoptant un style 13

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 31.

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Niasséne qu’il a conquis Kaolack, c’est en se réclamant d’être apparenté à Aladji Rawane Ngolm, Moukhadam d’El Hadji Malick Sy, de par sa mère, qu’il s’est fait accepter par les tidianes, et c’est en ajoutant le patronyme laye, sur son nom de naissance, qu’il s’est fait reconnaitre par la communauté layenne de Seydina Limamou Laye, le prophéte lébou. À Médina Baye, en vrai praticien du politique, il se présente vêtu d'un grand boubou bleu, arborant le traditionnel bonnet que portent les talibés de cheikh Ibrahima Niasse, du Sénégal au Nigéria. Aussi, en invoquant des exemples tirés de l'enseignement de Cheikh Al Islam, quand un blanc disait : Les pays qui ont le plus de musulmans vont, en premiers, revendiquer et réclamer l'indépendance, car l'islam est en relation avec le communisme, avec l'esclavage, Cheikh Brahim Niasse a pris sa plume en répondant que : « L'Afrique doit revenir aux Africains ». Une réponse, révèle Ousmane Sonko, qui était véhiculée dans un contexte où certains de nos dirigeants négociaient l'indépendance. À Tivaouane, Ousmane Sonko, reçu par le khalife général des Tidianes, Serigne Babacar Sy, déclarait « Nous avons réitéré salutations et remerciements au khalife général des Tidianes qui nous a reçus, et a discuté longuement sur beaucoup de choses. Nous avons rappelé les excellents rapports avec Tivaouane, comme avec tous les autres foyers religieux, musulmans comme chrétiens, et les liens filiaux à travers notre lignée maternelle, à travers notre arrière-grand-père, El Hadji Rawane Ngom, qui est l’un des instigateurs de ce Gamou à côté d’El Hadj Malick Sy ».

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En rattachant sa généalogie avec ce grand moment de dévotion avec la communauté Tivaouane, Ousmane Sonko cherche à se donner une place dans cette même communauté et du coup de bénéficier de leur reconnaissance sociale et politique. À Mbacké, où l’attendaient des milliers de sympathisants et de militants, Ousmane Sonko s’est rendu chez le Khalife des Baye Fall, Serigne Amdy Fall. Après un bref entretien avec ce dernier, le leader de Pastef, en vrai connaisseur du milieu social, fortement imprégné dans l’idéologie de Cheikh Ibra fall, apparaît au milieu d’une foule immense en « njaxass ». Le « njaxass » est un style vestimentaire très prisé et qui fait partie de l’identité culturelle de la communauté Baye Fall, qui se distingue par cette tenue vestimentaire à allure folklorique. Le leader des patriotes, en adoptant ce style vestimentaire à couleur multicolore, a provoqué chez la population de Mbacké, en particulier, et chez la communauté mouride, en général, un sentiment d’admiration et d’adoration collective acquis à sa cause. La population va même jusqu’à scander son nom en l’associant au vénéré Cheikh Ibra Fall, le natif de Ndiamby Fall et fidèle compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba, le grand marabout de Touba. À Yoff Layenne, au lendemain de la 143ème édition de l’Appel de Seydina Limamou laye, le leader de Pastef dira désormais qu’il faut le surnommé Ousmane Sonko laye. Le nom laye, une déformation d’Allah en wolof, est venu de Seydina Limamou Thiaw, prêcheur et agriculteur lébou, l’incarnation de l’esprit du prophète de l’islam en personne dans la peau noire, opposé au système des castes, invite ses disciples d’être appelé, tout comme lui, par le nom laye pour ne pas recourir à leur patronyme, porteur 37

d’un système identitaire et de classification sociale. Ousmane Sonko, en vrai politicien, en s’appropriant du patronyme laye cherche à créer un lien phatique entre lui et la communauté layenne du mystérieux Limamou laye. Toujours dans sa logique de séduction envers les communautés religieuses, Ousmane Sonko, au sortir de sa rencontre avec le guide des thiantacounes, Serigne Cheikh Saliou Thioune, déclare : « En plus d’être voisins, nous partageons l’amitié de nos regrettés parents. Mon père, feu Mamadou, fut très ami avec Cheikh Béthio Thioune avec lequel il a habité et servi dans les années 60 comme enseignants dans le village d’Agnak en Casamance. Ils y ont milité ensemble dans la clandestinité sous le PAI et furent radiés ensemble de la fonction publique ». Cette déclaration solennelle lui a permis de renforcer son capital de sympathie envers cette vaste communauté religieuse, essentiellement composée de jeunes citoyens. Et cela pourrait être décisif dans sa conquête du pouvoir politique. Au Sénégal, le marabout mouride apparaît non seulement comme le pivot autour duquel tourne la vie de la communauté, mais aussi comme une clé vers des positions d’influence, synonymes de pouvoir et de statut. Christian Coulon en a même fait un cadre analytique qui lui permet d'expliquer deux types de fonctions qui existent dans les rapports entre religieux et politiques : une fonction de légitimation, de protection et de relais (pour l'autorité religieuse) et une fonction de reconnaissance et de légitimité (pour l'autorité politique)14. 14

Cf. Pouvoir politique et espaces religieux au Sénégal : La gouvernance locale à Touba, Cambéréne, et Médina Baye, Thèse

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Les chefs mourides assurent aux politiques une certaine crédibilité sociale. Le vote mouride est, et a toujours été, un facteur déterminant dans les stratégies de conquête ou de maintien du pouvoir politique au Sénégal. Les marabouts, devenus « Grands Électeurs », se servent du Ndigel pour décréter des consignes de vote aux populations. Ainsi, les politiques qui veulent conquérir le pouvoir ont besoin des voix des électeurs, lesquels sont soumis aux chefs religieux. Sans doute, conscient de cela, le président Senghor, en fin politicien, va chercher le soutien du mouridisme et entretenir avec lui des relations plus qu’étroites. Il doit, en grande partie, sa longévité politique à la tête de l’État à l'alliance structurelle qui liait son origine à sa confrérie mouride, dont le poids était et reste déterminant, tant du point de vue économique que de celui de la légitimation du pouvoir15. À chacune de leurs cérémonies, les marabouts réaffirment solennellement leur fidélité personnelle envers le président Senghor, qu’ils présentent comme leur protégé. « Le président Senghor, déclare le Khalife des Mourides, lors du Magal de Touba de 1966, est mon ami de tous les jours. Depuis que j’ai eu à le connaître, il y a vingt-et-un an, il a toujours tenu ses promesses. Je vous le confie et vous demande de le suivre partout où il vous demandera de le suivre. Je suis sûr qu’il mènera notre Sénégal à bon port ». Pour consolider son pouvoir, Senghor se confia, à l’époque, au khalife général des mourides, El Hadj Falilou Mbacké, qu’il considérait comme son père. L’expression « mon père El Hadj Falilou Mbaké », devenu dès lors son leitmotiv au cours de ses multiples campagnes électorales présentée comme exigence partielle du doctorat en science politique par Mountaga Diagne décembre 2011, p. 105. 15 Cf. C. Coulon, le Marabout et le Prince (Islam et pouvoir au Sénégal), Paris, Pedone, 1981.

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et qu’il a fait retenir jusque dans les hameaux les plus reculés du pays, a contribué, sans aucun doute, à son succès auprès de la population rurale. Le support du Khalife général des mourides (Serigne Falilou M'Backé) à Senghor (qui avait promis de contribuer à la construction de la Grande Mosquée de Touba) sera déterminant pour l'élection de ce dernier à la présidence de la république en 1963. En 1983, Abdou Diouf n'hésita pas à solliciter auprès du khalife général, Serigne Abdou Lahad Mbacké, « le Ndigel », l'ordre de la soumission, pour disqualifier Cheikh Anta Diop, du RND, qui était perçu gagnant de la course présidentielle. En effet, le khalife général des mourides enjoignant à ses disciples de voter Abdou Diouf, Cheikh Anta s'y conforma, s'annihilant (...) pour se poser en disciple mouride qui, de ce fait, a laissé à Diouf et ses partisans le champ libre et obtenu le vote pour demeurer à la tête du pays. En 1988, le khalife général des mourides, la plus haute autorité confrérique, avait dit que quiconque ne voterait pas pour Diouf trahirait l’enseignement de Cheikh Amadou Bamba, le fondateur du mouridisme. Le président Abdoulaye Wade, quant à lui, affiche ostensiblement son appartenance religieuse à la confrérie mouride. Au lendemain de sa victoire, l'homme politique à la crane rasée se rendit à Touba et se prosterna devant son marabout, Serigne Saliou Mbacké, alors khalife général des mourides. Le geste est surprenant. Ce qui fait dire à Ousseynou Kane, dans les colonnes du journal Walfadjri : « En allant avec autant de précipitation et d’ostentation faire acte d’allégeance ailleurs, c’est comme si on volait au peuple, qui seul en était l’artisan, sa victoire. L’image du futur président, crâne baissé devant le khalife pour

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pieuse qu’elle fût, avait choqué jusqu’aux plus croyants »16. Conscient des réalités socioculturelles et religieuses de son pays, Abdoulaye Wade instrumentalise sa foi personnelle, ce qui lui vaut le sobriquet du « président talibé » (disciple). On peut rappeler, par exemple, le discours du Président de la République, Abdoulaye Wade, lors de la visite du Khalife général, Serigne Bara Mbacké, à Dakar, en juillet 2008. Dans une déclaration agrémentée d'anecdotes sur les relations de longue date entre sa famille et celle des chefferies religieuses, le président Wade avait évoqué la prédiction que lui avait faite le deuxième Khalife général des mourides (Serigne Falilou Mbacké, défunt père de l'actuel Khalife) qu'il allait devenir un des futurs présidents du Sénégal. Ces discours d'influence visent à légitimer le pouvoir politique et leur présence permanente dans la communauté rurale de Touba. Le président Macky Sall, comprenant l’influence de la confrérie mouride dans le processus de légitimation du pouvoir, s’était aventuré à réciter maladroitement des vers de Cheikh Amadou Bamba, lors du Magal, célébration religieuse la plus importante de la communauté mouride. Dans cette même logique, Idrissa Seck, ancien premier ministre sous Abdoulaye Wade, dans sa quête effrénée du pouvoir qu’il cherchait à conquérir, va changer d’itinéraire en faisant acte d’allégeance (diébelou) au Khalife général des Mourides. Alors qu’il n’avait jamais caché son appartenance, son attachement à la confrérie de Cheikh Ahmed Tidiane. Et Tivaouane se glorifiait même de compter parmi les siens, un membre de la confrérie dans les plus hautes sphères de l’État. 16

Cf. Simon Maro, Sénégal : La course au ndigueul, Afrik.com, 8 décembre 2011, http://www.afrik.com/.../senegal-la-course-aundigueul.

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Le génie politique de la figure de proue de Pastef n’a pas failli sur ce point. Ousmane Sonko va suivre ces prédécesseurs. Il faisait partie à ses débuts en politique du mouvement Ibadou Rahmane, un courant musulman rigoriste en déphasage avec l’idéologie maraboutique. « Je suis le seul homme politique sénégalais à qui l’on pose des questions sur sa foi, si je fais partie du mouvement Ibadou Rahmane-un courant musulman rigoriste- parce que j'ai la barbe et que mes deux femmes sont voilées. Cette question induit à une stigmatisation d'une catégorie de sénégalais », s’était-il indigné. De tels propos ont été confirmé dans son ouvrage intitulé Solutions : « Ceux qui ont vécu dans le sud du pays savent de quoi je parle car les considérations confrériques n’y avaient jamais été une réalité aussi forte dans le reste du pays, (…). Donc mon appartenance religieuse ne s’est déterminée par la naissance et mon éducation ; et ma voie à l’intérieur de cette religion ne s’est pas définie par opposition ou antagonisme à une quelconque autre voie, mais par un contexte et, plus tard, une option lucide. Je ne compte rien y changer, absolument rien »17. « Ensuite, parce que je ne verserai jamais dans cette hypocrisie ambiante, rien que pour assouvir une obsession presque morbide pour le pouvoir, de changer jusqu’aux convictions essentielles, notamment religieuses. Si le pouvoir n’était qu’à ce prix, je préfère y renoncer et rester moi-même, garder mon essence spirituelle 18». Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. Comme l’a si bien remarqué le sociologue Cheikh Mbaye : « c’est un homme des marges, Casamançais, Saint-louisien, un étranger pour beaucoup de sénégalais. Il a voulu s’affranchir des puissances confréries soufies, puis a fait volte-face. Il n’a pas beaucoup de chance dans un pays qui a toujours voté 17 18

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p.31. Ibid., p. 32.

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dans le triangle confrérique 19». Conscient de cette influence considérable des marabouts mourides dans l’échiquier politique historique sénégalais Ousmane Sonko va changer de fusil d’épaule. En fin politicien, il va chercher à se soumettre à la communauté mouride. Ainsi, à Touba, il se met carrément par terre, comme un "Talibé" venant prendre le Ndigel (recommandation) du Khalife. Il choisit Cheikh Saliou Mbaké comme guide religieux. Le choix porté sur Cheikh Saliou Mbaké ne parait pas fortuit. Cheikh Saliou Mbaké est le fils du défunt Khalife général des mourides, Serigne Cheikh Saliou Mbacké. Les Sénégalais voient en sa personne l’incarnation de son défunt père. Ce marabout est en effet connu comme un grand érudit, que seule la religion, le travail et les enseignements de son grand-père, le fondateur du mouridisme, l’intéressent. Il est dépeint par la société sénégalaise comme un homme strict, pieux et très à cheval sur des préceptes de l’islam. Ainsi, en portant allégeance à Cheikh Saliou Mbacké, Ousmane Sonko cherche à confirmer sa ligne de conduite politique comme un leader politique pieux, honnête et imprégné des valeurs religieuses et sociales. Imposées à titre de vérités absolues, réitérées par une suggestion continue, les croyances religieuses deviennent allergiques à tout débat contradictoire. Les hommes se refusent, en général, toute discussion et toute critique à l'encontre de leur croyance religieuse. Ils n'ont ni le recul nécessaire ni le retour sur soi qui alimente la réflexion. Cet aspect dogmatique a pour effet de maintenir et conforter l'intolérance des hommes. Comme l'a si bien remarqué Gustave Le Bon « un des caractères généraux les plus constants des croyances est leur intolérance. Elle est 19

Monde diplomatique, présidentielle au Sénégal : Ousmane Sonko, un candidat antisystème pas si rebelle que ça, publié le 13 février 2019.

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d'autant plus intransigeante que la croyance est plus forte. Les hommes dominés par une certitude ne peuvent tolérer ceux qui ne l'acceptent pas »20. C'est une loi générale : « les convictions des foules, affirme Le Bon, revêtent ces caractères de soumission aveugle, d'intolérance farouche, de besoin de propagande intense inhérents au sentiment religieux ; on peut donc dire que toutes leurs croyances ont une forme religieuse »21. Ce même phénomène est fortement présent dans la psychologie religieuse du sénégalais. On le reconnaît à l'intensité de la foi, à l'exaltation de ses sentiments, à la propension de tenir pour ennemis ceux qui les refusent et pour amis ceux qui les partagent, aux sacrifices de vies humaines. L'intolérance et le fanatisme constituent l'accompagnement ordinaire d'un sentiment religieux. Ousmane Sonko, son passé d’acteur actif dans les mouvements religieux islamiques estudiantins, comme l’Association des Étudiants et Élèves musulmans du Sénégal (AEEMS), et son profil facial qui rappelle les coupes d’Abbas Madani et d’Ali Ben El Hadj en Algérie, constitue un bon argument de discrédit pour ces adversaires politiques, le taxant de « dangereux » Salafiste. Bakary Sambe, dans son ouvrage paru à Montréal, « Contestations islamisées : le Sénégal entre diplomatie d’influence et Islam politique » (Éditions) Afrikana, 2018), écrit à cet effet : « beaucoup d’acteurs proches des mouvements réformistes non confrériques ont eu à appeler, sur les réseaux sociaux, à voter pour la liste dirigée par Ousmane Sonko qui, à leurs yeux, représente une alternative « crédible » de par ses « qualités morales 20

Gustave Le Bon, L'opinion et les croyances, Flammarion, Paris, 1911, p.235. 21 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Réédition réalisée d’après la 40éme édition de 1937, Édition Bod-Books on Demand, p.39.

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et religieuses ». Suffisant pour le décrédibiliser dans le milieu du christianisme sénégalais et international. Même si les chrétiens sont minoritaires au Sénégal, l’importante majorité musulmane vit en respectant paisiblement les minorités chrétiennes. Les communautés musulmanes, chrétiennes et même animiste vivent dans une parfaite cohabitation parfaite basée sur la tolérance mutuelle, l’acceptation de l’autre dans ses convictions personnelles et religieuses et presque une sorte de syncrétisme unique en son genre. C'est dans ce pays, que Senghor, membre d'une ethnie minoritaire et d'une confession minoritaire, a été Président de la République de 1960 à 1980. Ses principaux soutiens politiques dans le pays ont toujours été les chefs religieux musulmans. Et Ousmane Sonko en a pris conscience. « Dans le Sénégal du cousinage à plaisanterie entre ethnie et entre noms de famille, le Sénégal de la cohabitation religieuse enviée par le monde entier, le Sénégal de Senghor et Serigne Fallou, il n’y a pas de place pour ces avis obscurantistes et sectaires22 ». Sur ce, il rend visite souvent aux archevêques, leur témoigne son affection et sa sympathie envers la communauté chrétienne. Comme en témoignent ses nombreux messages de communion et de partage envers cette communauté. « Merci à Mgr Benjamin Ndiaye qui nous a accordé beaucoup de son précieux temps et nous a permis un échange profond et mutuellement instructif sur la situation de notre chère Patrie. Bonnes et joyeuses fêtes de Toussaint à toute la communauté catholique », écrit Ousmane Sonko sur Twitter. 22

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 33.

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Ces bons rapports avec la religion chrétienne s'imposent particulièrement comme un moyen efficace de valorisation de son image politique dans toutes les composantes religieuses. Suffisant pour se positionner comme un acteur politique bienveillant et sympathique au sentiment religieux. De la même manière que l’on vote des budgets pour d’autres secteurs, « nous devons le faire pour la religion. Nous sommes tous des croyants (chrétiens ou musulmans) », fait savoir le leader des patriotes qui rendait visite à Serigne Modou Bousso Dieng. 4) Le sens politique de la mort En Afrique, les morts ont toujours occupé une place particulière dans l’imaginaire collectif. Les morts continuent de peupler nos pensées et nos imaginations. Et l’homme politique qui aspire à conquérir le pouvoir politique, à travers une certaine représentation de la mort, peut systématiquement marquer un ascendant psychologique et social sur ses concitoyens. La proximité par rapport à la mort peut constituer pour le leader politique un moyen efficace pour y parvenir. Elle concourt à produire un effet efficace sur le les citoyens. Cela veut dire que la mort, en effet, peut permettre au leader politique d’avoir une certaine maitrise, non seulement de soi, mais également sur les citoyens. En regardant la mort en face, celle-ci le place dans la perspective de sa propre finitude et se hisse au-dessus des mortels. La domination charismatique résulte de l’aura que diffuse une personnalité exceptionnelle (Weber, 1971). Celle-ci doit son ascendant non seulement à ses qualités éminentes, mais surtout à sa dimension surnaturelle. Elle est, en effet, réputée entretenir une relation privilégiée, étroite et 46

constante avec une puissance transcendante, invisible et mystérieuse qui demeure d’ordinaire inaccessible aux autres hommes. L’homme politique qui occupe cette position hors du commun en tire une capacité à effectuer des prouesses et des prodiges qui suscitent l’étonnement, l’admiration, le respect, la ferveur. Il est sollicité pour des conseils, suivi dans ses avis et même dans ses ordres, en somme considéré comme une autorité. Et si le leader politique de Pastef est considéré comme un personnage qui est hors du commun des mortels par l’homo senegalensis, c’est qu’il n’est pas resté indifférent à cette dimension psychologique que la mort représente sur la population. Le leader du Pastef va chercher à entretenir avec la mort une relation plus qu’étroite. Son attitude constante, celle de défier la mort face à l’adversité, lui procure de surcroit un certain prestige et un charisme. Voilà pourquoi, à maintes reprises, en vrai leader, il a su multiplier les déclarations allant dans le sens de mettre sa vie en jeu pour la défense de son statut politique et personnel. Parlant des manifestations et des affrontements violents qui ont éclaté dans le pays après son arrestation, le 3 mars 2021, où quatorze personnes ont été (tuées), Ousmane Sonko, la figure de proue de l’opposition sénégalaise déclare toutefois qu’il ne se laissera pas faire. « Ceux qui ont perdu la vie sur cette affaire ne seront pas plus dignes que nous. Je suis prêt à laisser ma vie sur ce dossier, si la justice n’a pas été rendue en toute indépendance et impartialité », a-t-il fait savoir. « Si Macky veut être candidat en 2024, il devra marcher sur nos cadavres », avait averti Ousmane Sonko dernier lors d’un rassemblement organisé Place de la Nation à 47

Dakar par le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), une coalition de partis et d’organisations de la société civile créée en mars 2021. « Si Macky Sall veut me liquider, il devra, pour une fois, accepter de se salir les mains, au lieu de se cacher lâchement derrière ces barbouzes de la justice. Parce que tout le monde connait son habitude. Il instrumentalise la justice et à chaque fois qu’il est interpelé, il dit que c’est un problème de la justice. Nous savons tous que c’est lui qui tire les ficèles. Et pour une fois, s’il veut me liquider, moi, (parce qu’il doit comprendre qu’il n’a à faire ni à un peureux ni à un poltron) il faudra, pour une fois qu’il accepte de se salir les mains… », prévient le leader politique. Évoquant le dossier Sweet Beauté ou le fameux épisode du salon de massage, le dimanche 22 janvier 2023 à Keur Massar, où des centaines de milliers de personnes ont répondu à son méga rassemblement, Ousmane Sonko a haussé le ton. Il a appelé ses militants et sympathisants au mortel combat. « Je suis allé me recueillir auprès de la tombe de mon père à Ziguinchor. Après, je suis allé demander à ma mère de prier pour moi. Je vous annonce que j’ai fait mon testament. Si Macky Sall ne recule pas, soit Macky Sall nous tue, soit nous le tuons », a-t-il déclaré. À partir de cette déclaration pleine de conviction, nous pouvons dire qu’Ousmane Sonko apparait comme un vrai leader politique. Famille, intérêt personnel, tout est sacrifié. L’instinct naturel de conservation s’annule en lui, au point que la seule récompense qu’il espère est la victoire face à ses adversaires ou la mort. Ainsi, en regardant la mort en face, Ousmane Sonko se hisse au-dessus de sa propre personne et s’affranchit des limitations qui affectent le commun des mortels. Il ne se 48

laisse pas abuser par ce que, d’ordinaire, les hommes, naturellement, redoutent et fuient. Il transcende sa faiblesse naturelle, lui impose la force de sa volonté et ne se soumet plus à l’instinct de conservation qui ravale l’homme au même rang que l’animal, dont le sens de l’existence n’est que la survie. Il se rend ainsi apte à diriger en faisant preuve de courage et de fermeté. Il peut aussi opposer à l’adversité une inébranlable fermeté. La fréquentation de la mort le rend ainsi supérieur à ce qu’il était en mettant en jeu son intérêt personnel au détriment de l’intérêt général. En vérité, le sens de l’action politique est en grande partie lié à cette capacité du leader politique d’affronter la mort. Si Lat Dior est considéré comme héros national, c’est grâce à son dernier combat, celui de Dékheulé, le 26 octobre 1886, il eut le pressentiment de sa fin imminente et annonçait qu'il allait rejoindre Ma Ba, qui était mort depuis 1867 : « je ferai la prière d'Al-Asr, avec Ma Ba, mon serigne ». Et il est tombé, revêtu du boubou qu'Amadou Bamba lui avait donné quelques heures avant sa mort23. Pour dire par là que la mort exerce une forte influence politique dans le mémoire des vivants. L’homme politique qui est prêt à sacrifier sa vie pour la défense de l’intérêt national et de ses convictions personnelles acquiert un nouveau statut social qui le transforme et le divinise. En d'autres termes, le langage du pouvoir relie, d’abord, la vie sociale au temps, en mettant en scène la mort pour consolider une position acquise. Cela revient à dire que la mort, loin d'être uniquement perçue comme un phénomène biologique, dont l'appréhension pourrait se limiter à un 23

Cf. Vincent Monteil, L'islam Noir, Editions Seuil, p.98.

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simple constat clinique, celle de certains hommes prend une dimension publique qui indique toute son importance politique et sociale. Cela veut dire que les leaders politiques cherchent à effectuer un travail de récupération de la mort où le défunt est introduit dans le circuit de revalorisation de la personne publique. Autrement dit, la représentation verbale ou symbolique de la mort permet en quelque sorte de manifester voire de justifier sa position politique. Selon le procureur de la République, François Mancabou, ce membre présumé de la « Force spéciale », est mort en cognant le mur et les grilles de sa cellule au cours de sa garde à vue et aurait succombé, un mois plus tard, aux blessures contractées lors de cet incident. Ousmane Sonko, en vrai tacticien du politique, ne va pas rester insensible à cette situation. Pour ce faire, il jure que cette version est fausse. Il a été torturé jusqu’au sang pour qu’il m’accuse de l’avoir envoyé faire des actes terroristes. « Vous savez pourquoi François Mancabou a été tué ? Ce que je vous dis, je l’ai eu sur des personnes très proches de Mancabou. Ils m’ont fait savoir que des gens ont donné un PV à François Mancabou et lui ont demandé de dire qu’il travaille avec Sonko, que quand il va en Casamance, c’est pour me rencontre et recevoir des instructions de ma part. Il a refusé de signer ce PV », annonce Ousmane Sonko. Il a payé son refus de sa vie, croit savoir Sonko dans des propos tenus lors d’un rassemblement à Yeumbeul Sud, et repris dans les colonnes du journal Les Échos. Et le procureur a eu le toupet de venir raconter des contrevérités aux Sénégalais sans sourciller. Et d’après le leader de Pastef, « François Mancabou est la 19ème personne assassinée par le régime entre mars 2021 et aujourd’hui, pour des raisons politiques simplement ».

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Ainsi, Ousmane Sonko, en mettant sa personne au centre des circonstances tragiques de la mort de François Mancabou, bénéficie à son tour des vertus élogieuses de la mort, comme la compassion, l’empathie, l’émotion populaire qui, en quelque sorte, participe à la consolidation de sa position politique. Il est donc tout à fait évident que la mort apparaît de ce fait comme un moment particulier de consolidation d’une position politique quelconque. Il permet au leader politique de multiplier les discours en termes élogieux sur le défunt. Mais, étant donné que toute cérémonie funéraire est avant tout une mise en forme symbolique d'un discours sur les vivants, s’adressant uniquement aux vivants, 24 nous pouvons sans doute affirmer que « les éloges funèbres d'hommes politiques peuvent s'analyser dans leur ensemble comme un tout homogène, c'est-à-dire comme un genre politique spécifique ayant ses propres lois ou invariants venant s'inscrire dans les processus de légitimation du personnel politique. Il s'agit en effet à travers la célébration d'un seul de réaffirmer la fonction éminente d’homme politique en tant que porte-parole délégué »25. L’hommage d’Ousmane Sonko à ses anciens collaborateurs : Ibrahima Fall, photographe de Jotna Tv, les gardes du Corps Ama Ndao et Moussa Camara qui ont perdu la vie dans un accident survenu à quelques kilomètres de Nioro du Rip, dans la région de Kaolack s’inscrit dans cette logique de consolidation d’une position

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Dulong Delphine. « Mourir en politique. Le discours politique des éloges funèbres », Revue française de science politique, vol. 44, no. 4, 1994, pp. 629-646. 25 Ibid., pp. 629-646.

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politique, en renfermant leur mort dans un combat patriotique. « Bonne fête de Tous les Saints aux chrétiens du monde et à nos compatriotes en particulier. Nos prières vont aussi à nos trois martyres tombés un jour de Toussaint, le 1er novembre 2021, sur le sentier de la patrie. Ama Ndao, Ibrahima Fall, Moussa Camara, nous ne vous oublierons jamais. » À partir de là, nous pouvons dire que ces éloges funéraires ont permis au leader politique Ousmane Sonko de renforcer son capital social et son pouvoir d'action en inscrivant leurs morts dans une action noble et juste. 5) L’équation de l’ethnicité En Afrique, comme ailleurs, l'ethnicité n'est qu'un mode de mobilisation parmi d'autres. En effet, au lendemain des indépendances, certains leaders politiques ont cherché à instrumentaliser la question ethnique à des fins stratégiques. Les identités ethniques se redéfinissent d'ailleurs en fonction des compétitions politiques. J. F. Bayart l'a bien montré en disant que si l'ethnicité a été « une des prémisses idéologiques de la mise en forme coloniale des réalités sociales à administrer », aujourd'hui, « elle se fond largement dans le phénomène étatique dont elle est censée donner la clef explicative »26. Dans l'univers africain, l'élection a de la sorte largement perdu sa dimension d'accorder une certaine légitimité au pouvoir politique. Les modes de participation du citoyen à 26 Jean-François Bayart, L'Etat en Afrique, La politique du ventre, Edition Fayard, 2006, p. 75-78.

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l'élection restent enfermés dans une idéologie culturelle et sociétale. En d’autres termes, en Afrique, les relations de parenté, d'amitié, d'alliances ou autres sont déterminantes dans l'adhésion à un parti politique. Cette dernière ne se fait pas en fonction d'un programme ou d'un projet de société. Comme l'a si bien remarqué Sémou Pathé Guèye, « c'est un pur sophisme que de prétendre que le vote émis exprime le choix conscient en faveur d'une politique considérée en toute connaissance de cause comme étant la meilleure pour la société dans son ensemble, ou même pour ceux qui ont émis un tel choix27 ». Si le droit de vote est conformément à la logique de la démocratie libérale, en Afrique, il apparaît plutôt comme un droit collectif. Il est souvent orienté vers le candidat de son village, de son clan, de son ethnie, de sa province, indépendamment du programme politique proposé. Souvent dans le vote communautaire, l'élection correspond à une arène où se joue le sort des communautés religieuses, linguistiques, ou territoriales. Les électeurs ne se soucient pas trop de l'aptitude des candidats à concevoir et à exécuter des programmes qui prennent en compte les aspects clés du développement socio-économique. Quelle que soit la qualité du programme que développe un candidat, la sanction positive du vote peut dépendre en grande partie d'autres logiques, comme celles identitaires. Ce qui les détermine, c'est plutôt le fait que les candidats leur soient familiers ou qu’ils soient issus de leur ethnie, terroir ou encore région. La décision collective est forgée non par des intérêts individuels, mais ceux de groupement reflétant et exacerbant les clivages communautaires. La mobilisation électorale s'effectue sur la base des 27

S. P. Guèye, Du bon usage de la démocratie en Afrique. Contribution à une éthique et à une pédagogie du pluralisme, Présence africaine, p. 168.

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revendications d'appartenance identitaire. Les appartenances ethniques, religieuses et régionales déterminent le vote dans certains États de l'Afrique, comme le Sénégal. « Voter n'est pas simplement un acte civique d'expression de l'opinion d'un citoyen, mais aussi et surtout un acte de solidarité et un rituel de confirmation : confirmation de la solidarité villageoise momentanée en fonction des attentes, confirmation aussi de l'alliance scellée par le fils du terroir avec les autres fils du terroir 28 ». L’identité socioculturelle de l’acteur politique est souvent déterminante quand on dépose le bulletin dans l’urne. Dans la conscience de l'électorat, seul le candidat issu du terroir peut véritablement travailler au développement de sa localité. La logique du fils du terroir l'emporte souvent sur toute autre considération. Toutefois, la décision collective est forgée, non par des intérêts individuels, mais par ceux des dirigeants politiques reflétant et exacerbant des clivages communautaires. Conscients de cela, les leaders politiques, face aux multiples enjeux de la compétition politique, vont chercher à instrumentaliser cette détermination ethnique de l’électorat pour mobiliser et en faire une stratégie de conquête du pouvoir politique sur la base de revendications et de conflits d’identités. Dans cette logique, Ousmane Sonko, en vrai animal politique, est conscient que la Casamance, sa région d’origine, où il jouit d’une forte réputation politique, est une étape décisive dans son processus de conquête du pouvoir politique. En toute intelligence, il va chercher à défendre les casamançais sur tous les fronts. « 7 jeunes ont été assassinés parce que simplement, ils manifestaient en Casamance. Si des forces de l’ordre ont arrêté des 28

Pierre François Godinec, Les systèmes politiques africains : les nouvelles démocraties, Éditeur Fenixx réédition numérique (LGDJ), 2016, p. 84.

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individus lors des marches et les qualifient immédiatement de rebelles de la Casamance, n’y a pas plus visible comme forme de stigmatisation des Casamançais », défend-il. Dans son programme pour la mairie de Ziguinchor, il va même proposer une monnaie locale pour la Casamance, faisant abstraction que la Casamance fait partie d’une entité qui est le Sénégal. À l’heure de l’intégration africaine, proposer l’irrédentisme monétaire pour améliorer les conditions de vie de la Casamance n’est rien d’autre qu’un marketing politique pour renforcer son capital de sympathie dans cette région sud du Sénégal. L'ethnicité n'est qu’une variable qui peut exercer une influence positive ou négative sur le système politique. D. Darbon soutient que, « ...l'ethnicité n'est par nature ni bénéfique ni défavorable au système social et politique dans son ensemble. Tout dépendra des stratégies et des modes d'articulation aux institutions étatiques qui seront choisis. Elle peut en effet être à la fois un instrument d’intégration dans des espaces identitaires plus larges et non exclusivistes ou un instrument d'exclusion de marginalisation et de destruction sociales dans des cadres institutionnels n’autorisant pas et ne parvenant pas à valoriser la multiplicité des allégeances »29. C’est ainsi que le leader politique, Ousmane Sonko, va encore manifester son habileté politique sur ce point, en faisant de la question ethnique un moyen d’intégration ou d’acceptation dans les zones qui lui paraissent hostiles. Pour se faire reconnaitre par toutes les entités ethniques, Ousmane Sonko va régulièrement instrumentaliser le sentiment ethnique dans son élan de conquête du pouvoir, tout en faisant de sa négation officielle l'argument central

29 Dominique Darbon., De l'ethnie au groupe, éléments d'évolution du discours sur les pratiques identitaires, Roméo, Août 1993, p.15-16.

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de sa rhétorique politique tout entière voué à l'apologie du développement et de l'unité nationale. C’est sans doute pour rivaliser avec son principal adversaire politique, le président Macky Sall, originaire de la région du Fouta, où il jouit d’une bonne réputation politique, Ousmane Sonko va faire preuve de grandeur politique. Il va appeler pour une prise de conscience des populations du Fouta, en évitant le débat ethnique qui est souvent animé par ces détracteurs pour le disqualifier. « Nous sommes tous pareils devant le créateur. Dans le Saint-Coran, le Tout Puissant a même évoqué les raisons du brassage de différentes ethnies. Moi qui vous parle, aux dernières élections présidentielles, je suis sorti deuxième dans cette région. Ma notoriété dans cette partie nord du Sénégal est incontestable ! », affirme-t-il. En vrai politicien, il n’a jamais attaqué le président Macky Sall sur le terrain ethnique ou religieux. Ce qui d'ailleurs n'aurait pas eu l'effet escompté, sur des populations habituées depuis longtemps à la cohabitation ethnique et religieuse. La société sénégalaise se caractérise par une homogénéité fondamentale des ethnies qui la composent. La majorité de la population du Sénégal ont d'étroites relations ethniques et historiques. Même si les Wolof constituent la principale ethnie du pays, premiers occupants du pays, les lébou ont adopté la langue wolof, les Sereer sont considérés comme les cousins tribaux des Wolof, les Tukulëër, les Sereer, les Peul, sont traditionnellement apparentés. Même les Joola de Casamance, quoique coupés par la Gambie du reste du Sénégal, entretiennent d'étroites relations avec les Sereer. Ayant pris conscience de cette cartographie ethnique sénégalaise, le leader de Pastef, se revendique comme un continuateur de cette tradition d'intégration ethnique par laquelle sont passés, presque tous ceux qui, dans le pays, 56

ont eu à exercer des responsabilités politiques à l'époque précoloniale. Blaise Diagne, le premier homme politique sénégalais, se revendiquait comme le produit d'un croisement interethnique : il est né dans l'île de Gorée au large de Dakar, d'un père Wolof originaire du Baol, Niokhor Diagne, et d'une mère, Gnagna Preira, dont le père était un Manjak originaire de Casamance, et la mère une Lébou. D'autres chercheurs trouvent une origine Sereer à son père, mais peu importe Pour se faire accepter par toutes les composantes ethniques, tout comme Blaise Diagne, dans son discours, Ousmane Sonko va chercher à incarner l’unité nationale, en partant toujours de ses origines. « En effet, par la transversalité de mes origines familiales et sociales, mon parcours personnel (produit des darras et de l’école publique), je fais partie des Sénégalais dont la vie est une symbiose achevée et un lieu de rencontre de notre diversité culturelle inspirée des traditions du Fouta au Gandiol, du Cayor à la Casamance, en passant par le Baol », affirme la figure emblématique de Pastef dans son message au Sénégalais. Il se considère comme étant le prototype même du sénégalais. Et revendique sans concession et avec fierté l’ensemble des différentes identités que composent le Sénégal et se définit par essence comme « un condensé » national ce qui le met au-delà des contingences partisanes de nature ethnique et géographique : « Je suis né un jour de juillet 1974 à Thiés, d’une mère sérère de Khombole, dont les lointaines origines sont du Sine qu’un arrièregrand-père avait quitter pour aller s’installer dans le Gandiole, au nord du Sénégal. Du coté maternelle elle est la fille d’une toucouleur, originaire du Fouta, précisément

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du village de Ndiayéne Pendaw. Mon défunt père lui est de l’ethnie diola, majoritaire en basse Casamance30 ». L’objectif visé par le brillant intellectuel politicien est simple : faire l’apologie de l’unité pour se faire accepter, en suscitant une conscience nationale par le refus de tout facteur de division religieuse ou ethnique.

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Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 29.

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CHAPITRE 2 Ruse et stratégie politique

1) La radiation L’expérience politique montre très clairement que les hommes politiques qui ont été persécutés, harcelés, voire emprisonnés, dans leur propre pays ont fini par acquérir une certaine notoriété politique. L’exemple de Nelson Mandela est assez illustratif sur ce point. Ce qu’avait compris Macky Sall dans son entrée en scène politique. Alors que tout le monde avait pressenti Macky Sall comme le successeur légitime d’Abdoulaye Wade, ce dernier propulsa son fils Karim Wade au-devant de la scène et le plébiscite comme son futur successeur. Macky Sall qui avait des ambitions présidentielles pouvait démissionner, mais en vrai politicien et président de l’Assemblée nationale, il va inviter le fils du chef de l’État à s’expliquer devant les députés sur les comptes de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (Anoci). Suffisant pour le démettre de ses fonctions. Wade venait de commettre une erreur politique monumentale en se 59

débarrassant de Macky Sall en ces circonstances. Devant une telle sentence présidentielle, l’image de Macky Sall s’en trouvait renforcée et il s’érigeait en victime du système wadiste et, du même coup, le peuple le plébiscitait comme le potentiel successeur d’Abdoulaye Wade. Le cas d’Ousmane Sonko est presque similaire à celui de Macky Sall. En 2001, Ousmane Sonko, le leader politique de Pastef /les patriotes sort diplômé de l’ENA, section "Impôts et Domaines", et intègre l’administration publique sénégalaise. Son premier poste le conduit au Centre des services fiscaux de Pikine, dans la banlieue dakaroise. Inspecteur principal des Impôts et des Domaines au début de sa carrière, il a été successivement vérificateur fiscal et chef de Brigade de vérification fiscale, chargé du secteur immobilier. Il a aussi été auditeur interne en charge de la rédaction de la charte de déontologie à la Direction du Contrôle interne de la Direction générale des Impôts et Domaines. Par son habileté politique, Ousmane Sonko a su mettre en jeu sa carrière d’inspecteur des impôts pour se faire un nom dans la scène politique sénégalaise. En effet, bien avant sa radiation dans la fonction publique sénégalaise, d’après ses dires, il avait déjà prévu de quitter l’administration publique. « Tout le monde, y compris mes collègues, savait que j’allais quitter l’administration publique. Je leur avais dit cela et, d’ailleurs, j’avais même fixé un délai pour quitter l’administration de la fonction publique. Et entre le délai que je m’étais fixé et la date de ma radiation, le différentiel était environ de six (06) mois. » 60

« J’avais moi-même entrepris de sortir de l’administration qui, après quinze ans, n’avait plus grandchose à m’offrir et, de surcroit, devenait une contrainte pesante pour mes activités politiques du fait du corset des sujétions 31». En vrai tacticien du politique, il va bien murir son plan pour quitter le service public en refusant de démissionner. Ousmane Sonko trouva un angle d’attaque qui va le propulser au-devant de la scène politique. Il dénonça les actes de fraude fiscale et les corruptions dans le cadre de son travail. Ses dénonciations de lanceur d’alertes et critiques envers le régime de Macky Sall feront l’objet de son livre intitulé Pétrole et gaz au Sénégal, Chronique d’une spoliation, publié en 2016, aux éditions Fauve. Il accuse directement le président Macky Sall et son frère Alioune Sall, à la tête de la compagnie pétrolière, de corruption, de viol du code pétrolier. Il va les accuser, avec plusieurs personnalités, d’avoir illégalement bénéficié d’avantages fiscaux pour espérer bénéficier d’une radiation, sortie qui serait bénéfique pour sa stratégie de conquête du pouvoir. « La radiation elle le savait, elle l’attendait, Sonko était bien au courant du plat qui avait pour seul but de le cuisiner, il en était conscient32 », pour reprendre les propos du journaliste Ababacar Sadikh Top. Pari réussi pour le brillant intellectuel. Le 29 août 2016, la sentence tombe. Un décret présidentiel N° 2016-1239 de radiation de la fonction publique par le décret de l'Inspection générale des impôts et domaines en août 2016, pour manquement au devoir de réserve lui est notifié. : « Monsieur Ousmane Sonko, inspecteur des impôts et domaines (…) est révoqué sans 31

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 25. Ababacar Sadikh Top, Ousmane Sonko Trajectoire, parcours et discours de l’espoir, Edition Les Impliqués, p.63. 32

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suspension des droits à la pension pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle », lit-on dans le communiqué qui sonne le glas de la carrière de la fonction publique sénégalaise de ce désormais ancien inspecteur des impôts. Un grand bond dans sa carrière politique. Macky Sall va produire la même erreur qu’Abdoulaye Wade. Pour Ousmane Sonko, son analyse était simple. Il parlait d’un postulat simple : Ousmane Sonko le président de Pastef, est un simple salarié qui doit entretenir une dépendance vitale vis-à-vis de ses revenus salariaux. Conclusion : si je lui coupe le salaire et les avantages liés, il sera plus préoccupé à se trouver de quoi survivre et faire vivre sa famille que de m’attaquer régulièrement. Mauvaise calcul qu’il faisait là. J’accueillais cette mesure avec soulagement et foi en Dieu33. Il n’a donc pas visiblement appris de l’erreur de Wade en sa faveur. Il vient de fabriquer de toutes pièces, sans le savoir, un véritable monstre politique. La trajectoire politique d’Ousmane Sonko va prendre une courbe ascendante. Loin de le museler, la radiation va davantage revigorer le leader des patriotes. Cet épisode de radiation, largement diffusé par les médias nationaux, a permis au chef politique les patriotes de se révéler au grand public. Sur l’ensemble du pays et de la Diaspora, les adhésions se multiplient. Elle va renforcer son capital sympathie et le fait propulser de façon fulgurante sur la scène politique sénégalaise. Pour preuve, deux années après sa radiation, il est élu député à l’Assemblée nationale aux élections législatives de 2017. Ainsi, les Sénégalais ayant manifestement un faible pour les victimes, l’enfant de khombole n'a pas manqué de capitaliser sur cet incident. Il va jouer à fond sur la carte 33

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 25.

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de la victimisation. En vrai stratège, il en trouve un argument favorable de contestation et de victimisation dans sa conquête du pouvoir politique. Cette radiation le positionne en victime du système et l’érige comme un défenseur ultime des intérêts populaires. Elle lui ouvre, sans doute comme le fit jadis le pouvoir ségrégationniste de l’apartheid à Nelson Mandela, le boulevard qui le portera à la magistrature suprême. 2) Le salon de massage Ousmane Sonko, selon sa propre version, souffre depuis son enfance de douleurs cervicales, plus connues scientifiquement sous le nom d’arthrose lombaire, communément appelée lombarthrose dans le jargon médical. C’est un mal qui affecte la région lombaire de la colonne vertébrale, c’est-à-dire la zone correspondant à la partie basse du dos. Faute de moyens financiers, il a choisi, dit-il, grâce au conseil d’un ami, un salon de massage dakarois pour se débarrasser de ce mal de dos gênant. Coup de tonnerre ! Ousmane Sonko, député, arrivé troisième à la dernière présidentielle de 2019 au Sénégal, est accusé de viols et menaces de mort par une jeune femme du nom d’Adji Sarr, âgée de 20 ans, une employée d’un salon de massage de Dakar. « M. Ousmane Sonko se présente régulièrement en qualité de client pour des séances de massage. Mais, à la fin, il exige toujours des faveurs sexuelles », dénonce-t-elle dans sa plainte pour « viols et menaces de mort », déposée devant le commandant de la brigade de recherches de la gendarmerie de Colobane, à Dakar. 63

La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre. L’accusation cadre mal avec l’image de prophète qu’il avait toujours cultivée et montrée. Ancien inspecteur des impôts, entré en politique en 2014, avant de se distinguer en arrivant troisième à l’élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko passe pour un homme pieux et honnête aux yeux de la majorité des Sénégalais. En vérité, le salon de massage était une occasion pour le leader du Pastef de renforcer son image d’homme politique en cristallisant les débats publics sur sa personne. « Depuis des mois, des amis, y compris de l’intérieur, n’ont cessé de m’alerter sur un complot à venir portant sur des questions de mœurs, puisque tous les autres avaient lamentablement échoué », avait-il affirmé, après les accusations de viols. De tels propos qui ont été confirmés par Bassirou Diomaye Faye, administrateur de Pastef, dans l’émission Grand Jury de Babacar Fall sur la rfm : « parce qu’on était averti depuis presque 3 ans. Et depuis le début du couvre-feu, les alertes se multiplient. On nous avait dit clairement et à multiples reprises que le pouvoir était en train de comploter contre le président Ousmane Sonko et que là où il comptait intervenir, c’est le salon de massage qu’il fréquentait. Ils allaient lui coller une histoire de mœurs pour pouvoir le liquider politiquement ». Surpris, le journaliste lui posa la question à savoir pourquoi malgré ces nombreuses alertes, Ousmane Sonko continuait de fréquenter ce salon de massage. Pour M. Faye, leur leader n’a rien à se reprocher. « Il n’avait pas jugé nécessaire, au regard de ce qui avait conduit au choix de ce lieu, pour qui est des prescriptions médicales qui étaient prescrites. Il n’avait pas jugé bon de ne pas s’y rendre… On ne peut pas par la psychose l’empêcher de suivre son traitement ». 64

Mais en réalité, si l’on regarde de tout près, la réponse est tout autre. Elle n’est pas clinique mais politique. En vrai savant du politique, le patriote Ousmane Sonko, connaissant bien le lieu, continuait à le fréquenter, en attendant un éventuel complot sur sa personne. Sans doute, il était conscient que dans un salon de massage où vit une famille entière, femme, mari, enfants, les caméras de surveillance et les employés, tout scénario consistant à l’incriminer risquerait d’avoir un écho favorable en sa personne. En vrai politicien, il savait que tout complot mené sur sa personne le propulserait au-devant de la scène et confirmerait l’historique de l’élimination politique et judiciaire d’opposants par le président Macky Sall, qui a lui-même dit haut et fort vouloir réduire l’opposition à sa plus simple expression, rendrait toute accusation contre sa personne impopulaire. Dans l’opinion des Sénégalais, Macky Sall a réussi, par l’instrumentalisation de la justice, à écarter, en 2019, deux candidats déclarés à la présidentielle : Karim Wade et Khalifa Sall. Tous deux ont été accusés de détournements de fonds par le pouvoir en place. Le premier lorsqu’il était ministre sous le régime de son père Abdoulaye Wade, le second dans l’exercice de ses fonctions de maire de Dakar, la capitale sénégalaise. Macky Sall refusait de connaitre le sort du fils d’Abdoulaye Wade, emprisonné trois ans, gracié partiellement, puis « exilé » au Qatar. De Khalifa Sall, également, emprisonné deux ans et demi et ainsi empêché de se présenter à la présidentielle de février 2019. Aux yeux de l’opinion populaire, le procédé semble être le même : on brandit une affaire de viol machinalement 65

orchestrée pour éliminer un adversaire politique dans une pente ascendante fulgurante. Le génie politique du leader politique, Ousmane Sonko, n’aurait pas laissé passer cette si belle occasion politique. En vrai politicien, il va s’accentuer sur ce plan avoué d’élimination d’opposants par Macky Sall pour en faire un argument politique valable pour discréditer son adversaire, tant sur le plan national qu’international et renforcer par la même occasion son aura politique. Voilà pourquoi, à chaque occasion, il ne se prive pas de dire que cette histoire de viols que la presse appelle « Affaire Sweet Beauté » ou « Affaire Adji SarrOusmane Sonko » est comme un traquenard pour faire disparaître un opposant trop gênant, disqualifier un adversaire. C’est sans doute pourquoi lorsqu’il a été arrêté par des forces de défense et de sécurité, sur instruction du préfet de Dakar, alors qu’il se rendait à la convocation, une foule immense était venue l’accompagner pour lui témoigner sa sympathie. Cette arrestation pour « troubles à l’ordre public » était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et Dakar de renouer avec des heurts violents et sanglants entre forces de l’ordre et manifestants. Aussitôt, c’est tout le pays qui s’embrase dans des émeutes qu’on avait plus vues au Sénégal depuis une décennie. Le bilan est lourd : 13 personnes tuées et plus de 600 blessés, selon la Croix-Rouge sénégalaise ; des enseignes françaises de grande distribution, des stations d’essence, des commerces sont saccagés et pillés par une population euphorique.

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Ousmane Sonko, son destin d’homme politique sort, politiquement, renforcer de ces évènements, tant sur le plan national qu’international, parce qu’il a su, grâce à son génie politique, poser les termes du rapport de force et du narratif politique en sa faveur. D’abord, même si son image personnelle, longtemps façonnée sous le registre de la vertu et de l’irréprochabilité politique, est entachée par cette histoire de viol, sa personne sera le symbole de la lutte contre l’état de droit, de la justice, des frustrations sociales longtemps étouffées des populations, qui se sont installés depuis l’accession au pouvoir de Macky Sall. Ensuite, sur le plan international, il sort systématiquement de l’anonymat et devient un homme politique d’envergure internationale. 3) Le concert des casseroles Si toute lutte politique ne peut pas échapper à la violence, il n'est pas pour autant productif pour tout leader politique qui aspire au pouvoir. En pratique, la violence est parfois le seul moyen pour un leader politique de susciter un peu de respect pour son indépendance, ses valeurs, ses exigences et son pouvoir de marchandage politique. Cela veut dire que la violence s’interprète ici comme un mécanisme de revendication politique. Tout leader politique est susceptible de l’utiliser pour se protéger contre les velléités du pouvoir politique qui cherchent à bafouer sa liberté et sa conviction politique. Mais, par sa fragilité, l’État, en Afrique, entre généralement dans un cycle de violence ostentatoire dont la fonction principale consiste à révéler, encore et sans cesse, la force et l’arbitraire du pouvoir. Généralement, 67

cette forme de violence arbitraire provoque recul ou répulsion. Perçue comme illégitime, elle peut engendrer nécessairement une réaction naturelle, une contreviolence. La violence arbitraire entraine inéluctablement une accumulation sur celui qui l’exerce, de l’énergie vengeresse des victimes. Cela veut dire que naturellement, les hommes sont disposés à répondre à la violence par la violence. La nature humaine est ainsi faite. La réponse à la violence physique reste en quelque sorte inhérente à la nature humaine. « La coercition peut amener les hommes à l'obéissance, mais elle peut aussi provoquer la révolte. Les deux effets sont toujours possibles et ne sont jamais prévisibles à coup sûr ; ils dépendent des circonstances souvent cachées, mystérieuses, impossibles à découvrir : tempérament, disposition du moment, force ou supposée de la résistance, que l'on rencontrera, nature de la coercition, qui peut plus ou moins juste, plus ou moins intelligente, plus ou moins rigoureuse »34. Et le leader politique qui aspire au pouvoir peut être un catalyseur de la violence à travers ses appels à la révolte et à la mobilisation. « Nous n’allons jamais allumer de foyer de tension, mais nous n’allons jamais accepter de subir passivement sans nous défendre. Que l’on se comprenne bien, nous ne laisserons pas faire », nous dit Ousmane Sonko dans son tweet du 24 novembre 2021. Comme en témoigne (l’appel) à la manifestation à la suite de sa convocation pour viol. Le bilan est lourd, quatorze personnes ont été tuées dans le cadre des manifestations et des émeutes qui ont duré 5 jours.

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Gugliemo Ferroro, Pouvoir les Génies Invisibles de la Cité, Librairie Plon, p. 29-30.

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Mais cela n’est pas toujours bénéfique pour Ousmane Sonko, la figure de proue de l’opposition sénégalaise. Tout appel à la violence finit par lasser les sujets et donner une mauvaise image de l’homme politique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le sermon du Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, à l’endroit d’Ousmane Sonko et autres politiciens. « La vie humaine est sacrée. Quiconque tue un individu ira en enfer. À fortiori, s’il s’agit d’un musulman. » Par exemple, si pendant très longtemps, le président Abdoulaye Wade n’a pu convaincre une bonne partie de l’opinion sénégalaise, un certain nombre de la population sénégalaise, les plus âgés en particulier, l’ont toujours pris pour un adepte de la violence et n’ont jamais pris le risque de voter pour lui, alors qu’il avait une vraie stature d’homme d’Etat. Comme Ousmane Sonko, le leadeur de Pastef, Abdoulaye Wade avait le soutien d’une partie de la jeunesse, mais la figure d’instabilité, de paix et de dialogue qu’incarnait Abdou Diouf, homme au verbe rare et de retenue, était toujours déterminante pendant les choix électoraux. Plus tard, Macky Sall a pris le dessus sur le même Wade grâce aux promesses d’apaisement qu’il a charrié tout au long de sa stratégie de quête du pouvoir politique. Les Sénégalais par nature sont allergiques à la violence. Ils préfèrent toujours un politicien qui s’inscrit dans la ligne claire de la paix sociale au trait obscur de la violence. Au regard de ce qui précède, nous pouvons dire que le leader politique ne peut se faire accepter que par une certaine canalisation de la violence à travers d’autres mécanismes de régulation sociale, comme les manifestations, syndicalisation, droit de grève... Cela veut dire qu'un homme politique qui se veut respectable doit créer ou fortifier les mécanismes pacifiques d'expression 69

de la violence. Cela permet, en quelque sorte, de différer et de vivre la violence autrement. En d’autres mots, le leader politique doit créer un espace public, capable d'exprimer sa colère et sa frustration, tout en limitant l’émanation d’un potentiel trop subversif. Il doit rendre la protestation envers le pouvoir politique réelle et, même, visible, sans mettre en péril son charisme politique. C’est ainsi qu’Ousmane Sonko, en vrai stratège politique, va initier pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal le concert des casseroles comme un moyen de protestation pacifique contre le régime de Macky Sall. Le concert des casseroles ou casserolade (en espagnol cacerolazo ou cacerolada), qui est né d’une protestation de femmes très riches, sorties dans les rues de Santiago pour cogner sur leurs casseroles vides, qu'elles n'avaient plus rien à manger, est une technique populaire collective ancienne de protestation, pour créer brouhaha, chahut, charivari, tapage, tumulte, turbulence. Cette forme de contestation et de mobilisation, pouvant amener un certain désordre, a permis à l’ancien fonctionnaire de la fonction publique de défier pacifiquement le régime de Macky Sall et de mesurer tout son impact social. Pari réussi pour Ousmane Sonko. Il a réussi à mobiliser avec son appel au concert de casseroles. Hommes, femmes, jeunes et vieux, casseroles à la main, ont envahi les rues pour montrer leur frustration face aux dérives du président Macky Sall. À partir de là, nous pouvons dire que c’est le refus de la violence qui a donné à Ousmane Sonko toute sa dimension éthique. Cette image de paix, plus qu’une image de violence, lui a permis de se faire accepter. Ce que le leader de Pastef a bien compris. Il ne cesse de préciser qu’il est contre la violence, tout en réitérant son appel à la 70

mobilisation. « J’ai appelé à la cessation des violences, mais à maintenir la mobilisation. Ce sont deux choses différentes. Nous continuons la mobilisation, massive, pacifique. » 4) L’ancienne métropole Face à ces multiples ambigüités des puissances occidentales, les africains les considèrent très souvent comme des ennemis à combattre. Ainsi, la légitimité des États africains, aux yeux de nombreux Africains, se joue parfois dans une attitude de défiance vis-à-vis des puissances extérieures. Et dans cette même logique, les contraintes imposées par les institutions extérieures ne font qu’accentuer une réaction nationaliste contre l’ingérence des acteurs extérieurs. En pareil cas, la légitimité étatique peut s’en trouver renforcée, à travers son opposition aux interventions extérieures. Et le président Assimi Goïta, chef de la junte, porté à la tête du Mali en 2020 par un premier coup d'État, et devenu président du pays après un second coup d'État, en mai 2021, a su bien jouer le jeu. Il refuse de céder le pouvoir avant au moins cinq ans, malgré les pressions, dont des sanctions économiques imposées par la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et la condamnation de plusieurs pays, dont la France. Pour justifier son maintien au pouvoir, il va développer un sentiment anti-français, en proclamant que la communauté des États africains s'est laissé instrumentaliser par des puissances extrarégionales. Une façon de viser directement la France. Ce qui lui vaut une certaine sympathie nationale. Comme en témoignent les 71

manifestations de soutien populaire, tenues dans toutes les localités du pays, le vendredi 14 janvier 2022. En Afrique, tout leader politique qui cherche à remettre en question l’hégémonie de la France sur les pays africains acquiert une certaine notoriété politique. C’est le cas de Lumumba et Thomas Sankara. Dans le cas de Patrice Lumumba, c’est le jour de l’indépendance. Le roi des Blancs était venu spécialement sur place. Quand il commença à se vanter et à se jeter des fleurs, en disant que les Belges avaient gracieusement donné l’indépendance aux Congolais, Lumumba arracha le micro pour répliquer en déclarant que l’indépendance n’était pas le fait du bon vouloir du colonisateur, mais le fruit des souffrances, des peines, du sang, des larmes et du courage du peuple congolais, humilié jusque dans son âme. C’est en ce moment précis qu’il est devenu un modèle de référence et un héros de la lutte contre l’impérialisme. Si Thomas Sankara est considéré comme un véritable messie et panafricain, c’est grâce notamment à son attitude assez hostile vis-à-vis de l’ancienne métropole. Comme en témoigne sa rupture de tous les protocoles diplomatiques lorsqu’il prenait la parole en présence du président français, François Mitterrand. Sankara, un météore qui a traversé l'histoire francoafricaine dans les années 1980. Militant anti-impérialiste, ce capitaine incorruptible, qui avait pris la direction, en 1983, d'un Conseil national révolutionnaire (CNR), avait eu l'audace de faire la leçon à François Mitterrand, en visite à Ouagadougou, le 17 novembre 1986. Au cours du diner officiel, Sankara, en tenue militaire de parade bleu nuit, avait reproché à la France d'accueillir « des tueurs comme Peter Bota », ministre sud-africain des Affaires étrangères à l'époque de l'apartheid. Ousmane Sonko, pour sortir de l’anonymat, a sans doute pris l’exemple de Lumumba et de Thomas Sankara. Il a 72

tout de suite compris que c’est en adoptant une position similaire envers les puissances occidentales, en développant un sentiment anti-français qu’il peut renforcer sa crédibilité nationale et africaine. Ainsi, il ne tarda à remettre en cause la position de la France envers les pays africains. C’est la raison pour laquelle il a adressé un message de soutien au président de la transition au Mali, Assimi Goïta, dans cette épreuve contre le jihadisme et aussi dans son combat contre la France. Il exige une certaine indépendance économique des pays africains vis-à-vis de la France. C’est en ce sens qu’il faut comprendre sa déclaration du dimanche 25 novembre 2018 sur Tv5 monde. « Le Franc CFA, ce sont des accords de partenariat économique. Nous ne pouvons pas être dans un espace où nous ne pouvons pas avoir développé des politiques monétaires pour la simple raison qu’on nous considère comme étant irresponsables et immatures pour gérer une monnaie et qu’il faut pouvoir faire garantir cette monnaie ailleurs en déposant 50 % de nos réserves pour pouvoir avoir la garantie d’être arrimée à une monnaie extrêmement forte, c’est-à-dire l’euro ». Il va déclarer haut et fort que le Sénégal sortira de la Zone Franc CFA, s’il gagne la présidentielle de 2019. Et il poursuit de manière beaucoup plus hostile en affirmant : « Je ne suis pas en train de dire que la France est à l’origine de tous nos maux, elle n’est pas responsable de la corruption de nos élites. Mais il est temps que la France lève son genou de notre cou, qu’elle nous foute la paix », a-t-il lancé lors de cette déclaration qu’il a faite devant la presse. Toutefois, dans le contexte politique mondial actuel, la reconnaissance internationale par l’ancienne métropole

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peut renforcer la crédibilité du leadeur politique sur le plan international. Le cas d’Alassane Ouattara, président de la Cote d’ivoire, est assez illustratif. C’est grâce à son amitié avec le président Sarkozy qu’il a pu accéder à la magistrature suprême à travers la force spéciale française Licorne. Comme l’a si bien remarqué le brillant politologue sénégalais Babacar Justin Ndiaye, « Dans un contexte préélectoral très décisif et dans une conjoncture judiciaire assez incertaine pour lui, ce discours doucereux et ondoyant envers la France dont l’influence reste encore prégnante au Sénégal, reflète une démarche stratégiquement compréhensible et intelligente. ». Sur ce, Ousmane Sonko va chercher, à travers les médias occidentaux à relativiser sa position sur la France pour jouir d’une bonne réputation politique sur le plan international, parce que, sans doute, conscient que l’ancienne métropole, généralement tournée vers ses propres intérêts, n’hésitera pas à lui apporter son soutien en cas de crise politique. En effet, il faut savoir que les élections de 2024 seront un tournant décisif et pour le Sénégal et pour la France. Avec un opposant très adulé par le peuple sénégalais et presque sûr de remporter ces élections, la France ne peut rester indifférente face à un éventuel changement de régime qui pourrait bien compromettre ses intérêts vis-à-vis d’un partenaire historique et privilégié comme le Sénégal. Le cas d’Abdoulaye Wade est assez illustratif sur ce point. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, sous l’ordre du président français, va demander au colonel Mouammar Kadhafi de quitter le pouvoir en s'adressant à lui depuis Benghazi, le fief des rebelles libyens, déclarant devant la presse : "Je te regarde dans les yeux (...) plus tôt tu 74

partiras, mieux ça vaudra". Il l'a également appelé à "déclarer un cessez-le-feu unilatéral". Ami de longue date avec le guide libyen Muammar Kadhafi, Wade n’a pas pu résister, devant son obsession de rester au pouvoir, d’exécuter les plans de Nicolas Sarkozy en Libye pour espérer le soutien de la France en cas de crise politique. Mal lui a pris. La France, pour sauvegarder ces nombreux intérêts sur le territoire sénégalais, n’hésitera pas à dénoncer sa troisième candidature de l’élection présidentielle de 2012. Sur près de 14 minutes d’échange avec deux journalistes français aguerris (Marc Perelman et Christophe Boisbouviller), Ousmane Sonko a su bien jouer le jeu en s’inscrivant dans une opération de charme et de séduction envers la France pour se faire reconnaître comme un homme politique crédible sur le plan international. Il a fait usage d’un langage diplomatique et est parvenu à effacer sa radicalité légendaire et sa caricature politique comme anti-français en proposant « un partenariat gagnantgagnant ». « Nous sommes une opposition responsable, qui ne veut en aucun cas interrompre la coopération avec la communauté internationale, nous voulons juste des partenariats gagnant-gagnant », affirme Ousmane Sonko, le 6 janvier 2023, dans une interview à RFI et France 24. Il poursuit en ajoutant : « Depuis quelque temps, nous nous rendons compte que la communauté internationale établie au Sénégal semble avoir même peur d'entrer en contact avec l'opposition et on nous dit que ce serait un veto du présent Macky Sall. Nous voulons dire à cette communauté internationale que l'opposition sénégalaise est une opposition responsable, ouverte sur le monde, qui connaît la tradition et l'histoire de la coopération au Sénégal qui, en aucun cas, ne peuvent être interrompues 75

mais que nous voulons des discussions beaucoup plus sereines, beaucoup plus ouvertes et orientées vers des partenariats constructifs, gagnant-gagnant ». Avec cette opération de charme, Ousmane Sonko se donne une nouvelle image d’homme politique crédible au niveau de la communauté internationale qui pourrait lui être bénéfique dans sa stratégie de conquête du pouvoir politique. 6) Les gens du système Ces dernières années, le Sénégal est marqué par une prolifération fulgurante des partis politiques. Ousmane Sonko est apparu en politique dans un anonymat total du fait de l’absence de notoriété politique. Ces premières années en politique étaient laborieuses et très décevantes. « À nos débuts, même la banale préoccupation de trouver des ouvertures médiatiques, de décrocher des ouvertures médiatiques, de décrocher une émission- débat, une interview ou simplement de se faire couvrir une conférence de presse, se transformait en un challenge immense35 », reconnaît-il. Pour sortir de l’anonymat, le leader politique des patriotes avait besoin nécessairement d’user quelques stratagèmes pour se reconnaitre et pouvoir se propulser au-devant de la scène. Comme le reconnait Basssirou Diomaye Faye, président du mouvement national des cadres patriotes Pastef-les patriotes, « Ousmane Sonko est arrivé en politique en tant 35

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 24.

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que parfait inconnu. Si vous avez le même style que tout le monde, vous ne vous en sortirez pas. Nous ne voulons pas être un parti politique de plus : nous voulons être une alternative ». La conception du pouvoir politique comme un moyen d’assouvissement des intérêts semble être pour le peuple sénégalais la caractéristique parfaite des hommes politiques. Au Sénégal, être un homme politique est devenu, par le truchement des évènements et des faits d’hommes politiques, une exposition voire une mise à mort de sa moralité. Demander au commun des Sénégalais l’image que lui donnent les hommes politiques, la réponse est presque la même, les formes peuvent ne pas se ressembler, mais toutes tourneront autour du détournement de deniers publics, de la politique politicienne, du mensonge et de tous les autres vices que l’on colle à l’homme politique36 Suffisant pour dire que le combat contre le système sera la meilleure tactique pour le leader Ousmane Sonko pour se reconnaitre dans cette masse politique. Le système dont parle le leader de la coalition « Sonko Président » est un ensemble d’hommes et de femmes politiques, d’économistes, d’hommes d’affaires, de journalistes, d’organes de presse, d’activistes qui concentrent à eux seuls des privilèges démesurés dont le seul mérite, le plus souvent, c’est d’être de connivence avec le régime en place. Pendant ce temps, ceux dont on assigne la légitimité - les citoyens - rencontrent d’énormes

36 Ababacar Sadikh Top, Ousmane Sonko, trajectoire, parcours et discours de l’espoir, p.17.

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difficultés, pauvreté37.

vivent

dans

des

conditions

d’extrême

Par son combat contre le système, il arrive à séduire cette population sénégalaise. Le patriotisme et l’antisystème, deux piliers majeurs de la doctrine Pastef, font faire d’Ousmane Sonko un homme politique porteur d’espoir. « Son discours sur le changement du « système » est, pour ainsi dire, comme venu à son heure pour une certaine partie de la population qui était en attente de renouveau ou de « révolution » dans l’espace de la gouvernance. Le discours l’a pénétrée d’autant plus rapidement que ces catégories de la population étaient déjà porteuses de demandes impérieuses »38. Pour ce faire, il va s’inscrire dans une logique de démarcation contre ceux qui dirigeaient le pays hier, qui sont aujourd’hui des leaders de l’opposition. Ceux qu’on pourrait appeler les gens du système. Ce système, qui trouve ses fondements dans l’hyper présidentialisme et ses dérives autoritaristes et patrimonialisâtes, est né au lendemain de l’indépendance du Sénégal, à la suite de la rupture brutale entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia et qui se poursuit jusqu’au régime de Macky Sall. Le patriotisme, le don de soi pour la patrie, un sentiment qui a été toujours perçu par les citoyens sénégalais comme étant étranger aux hommes politiques qui les gouvernent. . En s’appropriant des valeurs du patriotisme, Ousmane Sonko en fait un moyen de lutte contre les gens du système. 37 38

Ibid., p. 15. Ibid., p. 12.

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Dans une vidéo filmée au téléphone portable est de mauvaise qualité, Sonko lance d’abord en Français : « C’est inadmissible ce qu’il se passe au Sénégal ». Il passe ensuite en wolof : « Nos politiciens sont des criminels. Ceux qui ont dirigé le Sénégal depuis le début mériteraient d’être fusillés ! ». Et d’ajouter : « Excusezmoi, ce sont des criminels. Il y a un énorme potentiel et de réelles capacités dans ce pays. C’est inadmissible de voir un tel niveau de souffrance des populations. ». Après avoir menacé de « fusiller » les anciens présidents du Sénégal, Ousmane Sonko n’a pas hésité à tenir des propos jugés désobligeants, voire offensants, sur plusieurs personnalités politiques. Selon le chef de file du Pastef, le problème ne se trouve pas au niveau de l’État, mais du système, avec les gens qui le composent. « Ces gens détournent les moyens de l’État à des fins personnelles et politiques », dénonce- t-il. Par ces mots aussi virulents, Ousmane Sonko se définit dès le début de son entrée en politique comme un candidat antisystème. Et dans sa logique de combattre le système, le patron du parti Pastef refusait toute compromission avec ces acteurs qui, selon lui, ont plombé le développement du pays. Pour être pris au sérieux, il se vantait publiquement, dans sa logique de démarcation du système, d’avoir refusé de prendre au téléphone l’exilé de Doha, Karim Meïssa Wade, qui était en train de mener une opération de charme en direction de l’opposition, en téléphonant aux responsables politiques et à la société civile. Ce refus n’était pas dû au contentieux avec Wade fils, mais Sonko était convaincu que l’ancien premier ministre est un élément du système. Ce qui est contraire à ses aspirations idéologies et politiques.

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Ce combat contre le système a largement contribué à l’accentuation populaire du qualificatif d’un nouveau type de politicien, plein d’espoir pour une jeunesse sénégalaise animée par le sentiment profond d’un nouveau type de gouvernance. Mais à force de combattre le système, le leader de Pastef/les patriotes s’est fait des ennemis partout et même dans l’opposition, qu’il n’a pas manqué d’attaquer à plusieurs reprises. Oubliant que les gens du système, comme Abdoulaye Wade au PDS et Khalifa Sall au PS, sont détenteurs d’une forte influence politique qui réside dans le fondement idéologique de leur parti politique. Vouloir systématiquement se séparer de ces hommes politiques qui ont construit l’histoire politique du Sénégal, c’est courir le risque de s’enfermer dans un isolement politique sans soutien et sans aucune alliance politique favorable à la conquête du pouvoir politique. C’est un fait avéré, en politique, s’esseuler, c’est s’affaiblir. En vrai stratège politique, Ousmane Sonko a aussitôt compris qu’il ne peut se passer des gens du système qui ont un ancrage social et électoral incontestable et très solide pour faire face au régime de Macky Sall. Comme l’a si bien dit Babacar Justin Ndiaye : « Entre la doctrine et le réel, il y a un faussé, et quand il y a confrontation, le réel reste intact et la doctrine vole en éclat. Si Sonko persiste avec sa doctrine, il n’ira nulle part, car la politique a ses pesanteurs. La politique n’est pas simple, elle n’est pas linéaire ni rectiligne. Les affaires d’antisystème ne sont que des paroles, il n’y a que le réel en politique ». Il va donc changer systématiquement de discours. Le système se réduit désormais à l’ère Macky Sall. Il va 80

essayer de se débarrasser de cette caricature politique de rebelle antisystème, en se rapprochant des caïques de la politique sénégalaise qu’il a tant critiqués. L’antisystème, comme il se faisait caricaturer, est désormais un véritable acteur du système. Ainsi, il va chercher constamment à mener une opération de charme à l’égard des hommes politiques du système pour renforcer son capital personnel. Il va même jusqu’à interrompre son programme de campagne pour accueillir d’urgence à Dakar l’ancien président Abdoulaye Wade, revenu de sa retraite à Versailles. En répondant à la question d’un journaliste sur une alliance avec Wade, le maitre du système, pour se justifier, va même jusqu’à se dédire, en disant que le système dont il parle ne fait pas référence à une personne, mais à la manière dont le pays est gouverné depuis les indépendances. Comme si le pays se gouvernait seul, sans les hommes. Maintenant, il est au cœur d’une vaste coalition, avec les gens du système, comme khalifa Sall, Aida Mbodji, etc. Grâce au jeu des alliances politiques, sa coalition a historiquement failli remporter la majorité absolue aux élections législatives du 31 Juillet 2021. Suffisant pour dire que cette forte alliance politique avec les gens du système lui donne un vaste soutien politique qui lui est indispensable dans sa lutte contre le pouvoir de Macky Sall.

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CHAPITRE 3 La force politique

1) Le discours politique Depuis toujours, le discours politique constitue sans aucun doute un aspect essentiel du métier politique. La force de l’homme politique réside dans sa capacité à manier avec art les mots et les formules redoutables, capable de susciter l’admiration. « Les mots et les formules, écrit-il, sont de grands générateurs d'opinions et de croyances. Puissances redoutables, ils ont fait périr plus d'hommes que les canons »39. La grande masse du peuple reste toujours hypnotisée par la puissance de la parole. Et la force d’Ousmane Sonko réside dans son discours. Le Président de Pastef/les Patriotes est un homme politique de talent qui a su maximiser sur le discours pour avoir en si peu de temps une notoriété politique incroyable. Et c’est cela qui fait sa particularité par rapport aux hommes politiques. Il faut avoir entendu les discours retentissants, percutants, spectaculairement imagés, accessibles, parfois maladroits, 39

Gustave Le Bon, L'opinion et les croyances, p. 232.

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d’Ousmane Sonko pour saisir à quel point l’outil du discours, du langage, se veut une arme de choc contre l’adversité et dans sa stratégie de conquête du pouvoir politique. La masse populaire voit toujours en tout homme politique, préférant plus s’exprimer en langue étrangère qu’en langue locale, un homme déraciné, animé de complexe d’infériorité vis-à-vis de l’occident. Il vaut mieux aborder les contacts avec les populations dans la langue locale, ou encore de manière plus conforme à leur réalité sociale et culturelle pour se faire entendre et écouter. La force politique du leader charismatique Ousmane Sonko réside dans le fait qu’il a l’art de parler de façon convaincante, en usant des schémas accessibles, plutôt que des grandes théories, et en s’appuyant sur des exemples pratiques appréciables, et évaluables sans difficulté. L’on pourrait même dire qu'un discours public n'a besoin de contenir, rien d’autre, que ce que les auditeurs ne savent d'avance. Puisqu'il existe une sorte de complicité, voire une identité entre la foule et le meneur, qui les met tous les deux sur le même plan, celui-ci ne doit pas chercher à manifester une supériorité de pédagogue.40 Enraciné dans la culture populaire, le discours de l’ancien inspecteur des impôts s’adresse d’abord au citoyen ordinaire dans une langue qui lui est accessible. Ses discours s’éloignent de schémas linguistiques codés et de l’apparente cohérence des autres politiciens. Fin connaisseur de la langue Wolof et l’exprimant clairement, Ousmane Sonko s’est imposé comme le technicien professionnel de l’art du discours du politique, enraciné dans les réalités locales.

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Cf. Serge Moscovici, L’Age des foules, un traité historique de psychologie des masses, Edition complexe, p.195.

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« Le discours d’Ousmane Sonko était destiné à une certaine élite urbaine qui a constitué ses premiers soutiens, rappelle le politologue Papa Fara Diallo. Après la présidentielle, on a senti un effort de polissage de son langage. Son discours a évolué, surtout quand il s’exprime en wolof, où l’on voit qu’il interpelle directement le monde rural », rappelle le politique Papa Fara Diallo. Cela veut dire que dans le domaine politique, les grands hommes politiques sont ceux qui sont parvenus à construire leur propre discours en s'identifiant à sa circonscription. En d'autres termes, un discours politique acceptable est celui qui s'incarne dans la volonté populaire. À partir de là, nous pouvons dire que le point central du discours politique est d'arriver à connaître la sensibilité et la manière de penser des populations, de cerner et de décrire ses préoccupations les plus profondes, en employant les termes accessibles et compréhensibles. « Les multitudes, écrit Le Bon, ne sont jamais impressionnées par la logique d'un discours, mais bien par les images sentimentales que certains mots et associations de mots font naître »41. C’est en cela que réside également la force du discours d’Ousmane Sonko. Il s’adresse à la population avec un discours social dénonçant constamment les élites du pays et la corruption. L’opposant politique, Ousmane Sonko, en vrai expert de la communication politique, a bâti son personnage sur un discours qui exprime la situation sociale et économique des populations sénégalaises. Il parle en essayant de partager avec eux leur peine, leur souffrance et leurs préoccupations. Sonko parle de la vie chère, de 41 Pr. Merklen, Psychologie Politique, Nouvelles Editions Argo, 1932, p.122.

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l’appauvrissement de la population, de la misère… Et c’est en cela que repose sa véritable force politique. « L'homme politique qui veut durer doit donner une impression de solidité, de cohérence et de compétence ; mais s'il veut gagner en influence, il lui faut savoir s'adapter à l'évolution des rapports de forces sans paraître jamais se renier. Son langage doit donc multiplier, sous l'apparente fermeté du propos, les formules souples qui ménagent des portes de sortie ; il doit faire preuve d'aplomb dans l’autocommentaire et pratiquer avec ingéniosité la difficile gymnastique des rétablissements de sens »42. Et cela nous le retrouvons de fort belle manière dans le discours du leader des patriotes. Le discours d’Ousmane Sonko repose sur un franc-parler qui tranche avec le langage plus policé de ses adversaires, n’hésitant pas même à entonner des refrains aux accents patriotiques, voire protectionnistes, à l’image de ses punchlines les plus célèbres, remettant en cause le franc CFA ou menaçant de renégocier les contrats pétroliers conclus par ses prédécesseurs. Ces prises de position radicales dans ses discours lui ont permis de cimenter autour de sa personne le clan de ses fidèles, en particulier d’une large part de la jeunesse. Cela signifie que le discours politique doit fasciner et doit chercher à impressionner son auditoire. S'il en est ainsi, c'est parce qu'un discours qui fascine et qui impressionne crée de l'admiration et de l’enthousiasme envers celui qui le prononce. Ousmane Sonko, sa puissance du discours est si forte qu’il exerce une influence considérable sur le peuple. Les mots, « maniés avec art, ils possèdent vraiment la puissance 42 Philippe Braud, La vie politique, Editeur Presses Universitaires de France ( réédition numérique Fenixx), p. 99.

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mystérieuse que leur attribuaient jadis les adeptes de la magie. Ils provoquent dans l’âme des multitudes les plus formidables tempêtes, et savent aussi les calmer »43. Comme en témoignent les évènements de mars 2021, c’est grâce à la force de son discours qu’il a su soulever l’opinion populaire contre le régime de Macky Sall. L’humour également est une forme d’acceptation du discours politique. Il peut sans conteste avoir un impact réel sur le peuple, parce qu’il a un aspect de correcteur social. L’humour peut servir aussi d’exutoire, de révélateur de vérité pour les hommes politiques, soucieux de séduire leur auditoire. La force du discours de l’enfant de Khombole n’est pas étrangère à son discours humoristique. L’humour est une attitude existentielle qui implique de savoir rire de soimême. Il joue un rôle essentiel dans l’équilibre de la société, en libérant les tensions. L’humour serait donc en quelque sorte un outil thérapeutique qui permet d’échapper à toute forme de contestation politique. Il est une manière d’adoucir le discours officiel écrasant et contraignant, de façon à le rendre plus supportable ; c’est un antidote. L’humour constitue donc une arme redoutable pour les hommes politiques pour créer un consensus autour d’eux. Faire rire et frémir, faire passer des larmes de l’accablement à celle de la rigolade, tel est le secret de la longévité de certains hommes politiques africains. Ousmane Sonko, en vrai as de la communication politique, n’hésite pas à faire de l’humour une arme redoutable à des fins politiques. L’humour le rend plus humain et congédie son image de politicien trop sérieux. Il trouve toujours le ton juste pour convaincre ses compatriotes, n’hésitant jamais à recourir à l’humour et, parfois, à une certaine forme de démagogie. C’est ainsi qu’il se fit entendre de toutes les composantes ethniques du Sénégal. 43

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, p. 60.

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Un bon mot permet, en effet, de disqualifier un adversaire politique, en raillant son physique ou ses idées. Il permet d’avoir le dessus sur son adversaire, sans avoir à le souffleter. Il y a une vertu cathartique de l’humour « qui purifie celui qui parle, en excluant l’outrance ». Il a le pouvoir de rendre léger un mot, une phrase lourde de sens. Il attire l’attention grâce à la dimension comique du discours et crée les conditions d’une bonne réception du message, tout en améliorant l’attitude affective envers le leader politique. Il est dans ce sens une arme rhétorique redoutable pour critiquer implicitement un adversaire politique, parce qu’il est porteur de messages. Ousmane Sonko apparait manifestement comme un expert à la matière. Il fait de l’humour une arme précieuse pour déstabiliser un adversaire politique. C’est ce qu’avait réussi le président Senghor qui, pour disqualifier maître Abdoulaye Wade, qui fut un de ses plus redoutables adversaires politique, distingué par son crâne rasé par l’effet de la biologie, disait, avec humour, lors de ses meetings politiques : comment un crâne qui ne peut pas supporter le poids insignifiant des cheveux peut prétendre être capable d’exercer le pouvoir politique. Ousmane Sonko, l’humour le fait apparaître comme un homme jovial qui sait utiliser la subtilité intellectuelle pour critiquer implicitement ses concurrents politiques de manière policière et diplomatique. Pour critiquer Youssou N’Dour, le célèbre musicien sénégalais, très apprécié et très aimé par la population sénégalaise, Ousmane Sonko, en vrai maître de l’humour, avant de déclencher sa diatribe contre le chanteur, entonna des paroles de sa chanson live Tv, afin de montrer l’influence que procure le statut de patron de presse. Discours qui fut très hautement salué par la majorité des Sénégalais. En somme, le président Ousmane Sonko a réussi à créer un consensus autour de lui par son humeur et sa finesse 88

d’esprit. Son sens de la mise en scène et l’humour dévastateur avec lequel il s’adresse à Macky Sall lui a permis de prendre le dessus sur ses adversaires politiques. Comme en témoignent ses propos pleins d’humour à l’endroit de Macky Sall : « Ce que Macky Sall doit savoir, autant il est renseigné sur nous, autant on est renseigné sur lui. Même quand il prend son petit-déjeuner, on sait ce qu’il a mangé. Donc, il n’a qu’à arrêter ses gesticulations ». La force politique d’Ousmane Sonko repose aussi sur un discours qui joue sur l'imagination des foules. « C'est sur l'imagination populaire que sont fondées la puissance des conquérants et la force des États. En agissant sur elles, on entraîne les foules. Tous les grands faits historiques, la création du Bouddhisme, du Christianisme, de l'Islamisme, la Réforme, la Révolution, de nos jours, l'invasion menaçante du socialisme sont les conséquences directes ou lointaines d'impressions fortes produites sur l'imagination des foules »44. Cela veut dire que tout ce qui frappe l'imagination des foules se présente sous forme d’un discours saisissant et net, dégagé d'interprétation accessoire, ou n'ayant d'autre accompagnement que quelques faits merveilleux : une grande victoire, un grand miracle, un grand crime, un grand espoir. Ce qui nous pousse à dire que le leader politique, pour se faire accepter, a besoin nécessairement de construire son discours autour des évènements. Il doit frapper l'imaginaire populaire en faisant en sorte qu'un évènement banal devienne extraordinaire. L’évènement crée les occasions. C’est un moment déterminant pour l’acteur politique pour impressionner, pour montrer sa grandeur et sa transcendance par la densité de son discours. 44

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, p.41.

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« Ce ne sont pas les faits en eux-mêmes qui frappent l'imagination populaire, mais bien la façon dont ils se présentent. Ces faits doivent par condensation, si je puis m'exprimer ainsi, produire une image saisissante qui remplisse et obsède l'esprit. Connaître l'art d’impressionner l’imagination des foules c'est connaître l'art de les gouverner »45. Et Ousmane Sonko apparait comme un expert en la matière. À l'occasion de la célébration de la journée internationale des droits des femmes, Sonko a raconté une touchante petite histoire à propos du 8 mars. « J’ai recouvré ma liberté le 8 mars et j’ai un enfant né le 8 mars », a révélé le leader de Pastef dans la capitale du Sud où il s'exprimait devant les femmes de Ziguinchor. Il faut donc croire que le 8 mars est une date "fétiche" pour Sonko et que tout ce qui peut lui arriver à cette date lui sera bénéfique. À travers ces mots, Ousmane Sonko, le patriote, saisit cette occasion de commémoration internationale pour lui donner une signification politique symbolique forte dans le but de séduire l’électorat féminin à sa faveur, en liant son destin d’homme politique à la gloire féminine. Le charisme d’Ousmane Sonko résulte dans sa communication de la mobilisation d’artifices. Le personnage passe toujours pour un homme habile, détenteur d’un savoir-faire communicationnel qui le met toujours au-devant de la scène. Lors d’un meeting à Mbacké, la voiture de l’ancien inspecteur des impôts a essuyé des tirs de grenades lacrymogènes venant des forces de l’ordre qui ont touché son pare-brise. En vrai politicien de la communication, il continua quelques jours après de sillonner dans les rues de Dakar avec le pare-brise endommagé. Une manière pour 45

Ibid., p. 42.

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lui de mettre en témoin le peuple sénégalais pour une éventuelle tentative d’assassinat contre sa personne. 2) Le charisme En sociologie politique, le mot charisme signifie « autorité, fascination irrésistible qu’exerce un homme sur un groupe humain ». Dans cette définition contemporaine, il s’agit bien d’une affaire d’ethos. Le charisme est un plus qui vient se superposer à la légitimité46. Il n’y a aucun doute, la politique est un domaine de représentation ; et lorsqu’on représente, on apparaît. L’image ou l’apparence de l’homme politique revêt un caractère déterminant dans le jugement que les hommes font de lui. L’apparence physique divulgue, ainsi, tout un ensemble de valeurs et d’idées ; elle donne l’intuition première, liminaire à toute autre expérience. Cela veut dire que l’apparence physique possède un réel pouvoir, elle peut rapidement renforcer ou fragiliser la crédibilité du leader politique. De ce fait, l’homme politique moderne, pour se bâtir un charisme singulier, doit, nécessairement, prêter un soin particulier à son apparence. « Dans les différents aspects des apparitions et des représentations présidentielles, il convient de souligner la nécessité de ne jamais se départir non seulement de la maîtrise d’une fonction d’autorité et de la maîtrise d’un personnage, mais aussi de la maîtrise d’une apparence au

46

Cf. Patrick Charaudeau, « Le charisme comme condition du leadership politique », Revue française des sciences de l’information et de la communication. http://journals.openedition.org/rfsic/

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service d’une gestuelle et d’un style 47». Savoir que le président “modèle” son apparence, nous dit Alain Pousson, peut témoigner en faveur de l’idée qu’il existe une norme sociale, implicite ou explicite, faite de règles sociales, mais aussi d’attentes48. Cela signifie que les hommes attendent du leader politique qu'il soit l'incarnation d'une certaine raffinerie physique et vestimentaire. Cette raffinerie influe sur la nature même du pouvoir. Plus le leader politique est fascinant et élégant, plus son personnage apparaît comme grandiose et charismatique, aux yeux des citoyens. « Le charisme vient du corps. Le charisme est « présentiel » par un processus d’incarnation d’une énergie, d’une densité, d’un prestige qui habite un corps d’où rayonne un indéfinissable qui attire, voire hypnotise 49». Cela veut dire que le leader politique doit inscrire son apparence dans une véritable mise en scène théâtrale, offrant son corps dans une forme de distinction absolue. Le corps du leader politique devient une scène où résonnent les attentes et les idéologies à hauteur d’homme exceptionnel qui prétend se mettre au service de tout un pays. Ce qui lui est nécessaire pour donner une apparence de prestige pour gagner le cœur des gouvernés. Ce que l’on retrouve de fort belle manière dans le personnage et 47

Pousson Alain, Le vêtement saisi par le droit. Nouvelle édition [en ligne]. Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2015 (généré le 26 avril 2021).https://books.openedition.org. 48 Ibid. 49 Patrick Charaudeau, « Le charisme comme condition du leadership politique », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 29 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/1597 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.1597

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l’apparence physique du leader politique le Pastef/les patriotes. Sur le plan physique, son charisme vient d’abord de son corps athlétique, qui lui donne une certaine vigueur de jeunesse, lui offrant une certaine aptitude physique à gouverner. Sur ce, pour séduire et montrer une image fascinante de lui, l’acteur politique doit donner une bonne image physiologique de lui en portant une attention particulière à sa coiffure, à son poids, à l'épilation de ses sourcils, à la teinture de ses cheveux, au teint, à l'effacement des rides ou à la dentition. À partir de là, nous pouvons dire aussi que le leader politique doit prendre soin de son apparence physique pour renforcer son charisme et sa position de surplomb. Ousmane Sonko en est un exemple. Il apparaît souvent crâne rasé et barbe bien taillée. Sa personnalité ressort aussi dans ses habits. Il se distingue à travers ses tenues vestimentaires européennes et africaines d’une rare élégance. Son port vestimentaire livre le récit d’un homme d’action plein d’énergie et pragmatique. Cette ostentation vestimentaire va lui permettre de s’imposer sur le plan local et international. En plus de cela, la légitimité du leader charismatique s'appuie sur la démonstration des qualités destinées à le faire percevoir comme un être extraordinaire, plein de qualités. Le leader politique doit cultiver l'image d’un être, responsable, apte à surmonter n’importe quelle difficulté qui se présenterait à lui. Autrement dit, la manière dont les leaders politiques surmontent les difficultés rencontrées joue un rôle non négligeable dans la création ou le renforcement de leur image. Cette image participe à la validation de leur statut, parce qu'elle sécurise les citoyens, en symbolisant sagesse et fermeté. L'image semble donc

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être un instrument d’une efficacité réelle pour prétendre à une quelconque légitimité charismatique. Le charisme du leader de Pastef réside en cela. Il a su toujours faire preuve de fermeté, capable de faire face à n’importe quelle situation et de la retourner en sa faveur. Alors qu’il est convoqué à comparaître, devant la barre du tribunal de Dakar, dans l’affaire PRODAC, Ousmane Sonko est tout sauf inquiet du sort que lui réserve la justice, il se pavane dans les rues de la Cité Keur Gorgui avec un ballon. Aussi, la position hiérarchique du leader politique peutelle trouver sa raison d’être dans la constitution de l’habitus, du parcours exceptionnel du dirigeant au cours de son existence. Le leader politique est presque toujours caricaturé par la psychologie populaire comme un être brillant qui réussit tout ce qu’il entreprend ou qui sort vainqueur de toutes les épreuves auxquelles il fait face. À l'heure où la démocratie décline, surtout en Afrique, le leader a besoin de se montrer compétent pour se faire accepter. Pour accroître son charisme, le leader politique a besoin de convoquer parfois ses origines personnelles, ses qualifications, de rappeler ses titres honorifiques pour paraître au-dessus du citoyen. Sur ce, les qualités personnelles des hommes politiques, leurs parcours, ont une incidence décisive sur leur charisme personnel. Dans l’histoire récente du pays, en 2002, Marc Ravalomanana, passé de vendeur de yaourt familial ambulant à celui de chef d’une des entreprises les plus florissantes du pays, faisait figure d’homo novus. Son aura de self-made-man, son physique plutôt avantageux, son appartenance ethnique et sociale, conciliés avec les bons 94

auspices des Eglises regroupées dans le FFKM, le font apparaître comme l’homme providentiel qui allait amener la prospérité à Madagascar50. De ce fait, le charisme politique du leader politique des Patriotes, Ousmane Sonko, s’est fortement renforcé grâce à son histoire personnelle et à son parcours assez particulier. Il s’est toujours présenté comme ayant un parcours exceptionnel et élogieux qui lui permet de revendiquer un certain droit de gouverner. « Sur le terrain de l’expérience, je considère en disposer sinon plus, du moins autant que tous les acteurs politiques prétendument bien dotées de pays, Si un ingénieur géologue qui ne doit ses premiers contact avec la chose étatique qu’à un militantisme partisan couronné par une série de nominations politique peut se prévaloir d’une « expérience étatique » qui de moi, formé par l’Etat, sortant de l’Ecole Nationale d’Administration, bénéficiant de quinzes années pleines d’expérience dans l’une des directions générales de l’un des départements ministériels les plus stratégiques de l’Etat ? Quid de mon expérience de leader, chef de services de l’administration, initiateur et dirigeant du premier syndicat de l’administration centrale ». Ainsi, pour Max Weber, il existe une « légitimité rationnelle » qui serait fondée sur la compétence ou la performance de la personne. Cette légitimité peut être attribuée à la reconnaissance d’une autorité par ses diplômes, ses prix, ses titres honorifiques. Être intellectuel et diplômé sont, en réalité, un signe de distinction et d’acceptation, parce qu’ils constituent une sorte de miroir de reconnaissance. Ainsi, dans le contexte sénégalais, la 50

Cf. Olivia Rajeron, La légitimation démocratique du pouvoir à Madagascar, Octobre 2013,http://library.fes.de/pdffiles/bueros/madagaskar/

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compétence, le diplôme font accepter l’autorité politique, parce qu'ils donnent des droits : celui de la prise de parole politique. La dimension intellectuelle de M. Senghor avait forgé son charisme. Sa parfaite maitrise de la langue de Molière lui a donné, sans aucun doute, une certaine respectabilité et honorabilité sur le plan national et international. Par exemple, lors d’un sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.), l’ancêtre de l’Union Africaine (U.A.), le Maréchal Jean-Bédel Bokassa, empereur de Centrafrique, arriva en courant dans la salle où se tenait l’Assemblée Générale. Haletant, il hurla : – A-t-il déjà parlé ? – Qui ? – Celui qui manie si bien la langue française ! – De qui s’agit-il ? – Espèces d’ignorants. Quel chef d’État africain parle français, à part Senghor ? Tous les autres sont comme moi : nous ne parlons que le français tirailleur !51 « L’énumération du moindre parcours scolaire, surtout si celui-ci s’est effectué en Europe, constitue l’un des codes du prestige en postcolonie. Elle joue comme un signal de circulation. Dans le registre de la déférence parodique, l’énumération des parcours scolaires et des diplômes et titres amassés constitue aussi un marqueur de rang, du statut et de la qualification52 ». Et Ousmane Sonko en est une parfaite illustration. Il a l’avantage de compter sur l’attestation d’un parcours professionnel enviable et 51

Cf. Oumar Sankharé, https://affocom.com/blagues-senghoriennes/ Achille Mbembe, De la postcolonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Edition La Découverte, p.228.

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remarquable, depuis sa sortie de l’École nationale d’administration (ENA) du Sénégal, section "Impôts et Domaines", promotion 1999-2001. Une ligne de CV valant à elle seule présomption de compétence, ajoutée à la fibre contestataire de ce fiscaliste fondateur, en 2005, du Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID) dont il fut le premier secrétaire général d’avril 2005 à juin 2012 lui donne aux yeux des Sénégalais un certain de droit de prétendre à la magistrature suprême. 3) La proximité L'expérience nous enseigne que la population porte une attention particulière à la manière d’être et de vivre des leaders politiques. Voilà pourquoi, dans le processus de conquête du pouvoir politique, la proximité, ou la présence, participe sans aucun doute au jugement que les hommes se font de l’autorité politique. Généralement, en Afrique, et au Sénégal en particulier, les acteurs politiques restent distants des populations qu'ils administrent directement. Pourtant, l'expérience montre que les citoyens sont de plus en plus sensibles au comportement même des hommes politiques. Les hommes doivent entretenir une certaine proximité avec les citoyens. Ils doivent être proches de la population. Autrement dit, ils doivent être accessibles, réceptifs et être en situation d’écoute. La proximité signifie, dans ce cas, présence, attention, empathie, compassion, mêlant données physiques et éléments psychologiques, elle renvoie au fait d'un côte à côte dans le vrai sens du terme. L'idée de proximité renvoie à une proximité dans l'espace, par opposition à la distance, l'éloignement et la hauteur. Cela veut dire que 97

pour se faire accepter, il faut que le leader politique incarne véritablement la communauté. En d'autres termes, le fait qu’il soit proche de ses populations lui permet d'être reconnue comme un homme intègre qui se soucie du quotidien populaire. Dans la presque totalité des pays africains, la politique, au sens où on la comprend professionnellement et étymologiquement, demeure une pure flagornerie des élites aux égos surdimensionnés et sans emprise pratique sur la réalité du vécu quotidien. Dans l'optique de la conquête du pouvoir politique, il y a contradiction majeure entre le devoir de représenter une cité, un État ou une institution avec dignité et la nécessité, pour les acteurs politiques, de ne pas avoir l'air d'être coupés du peuple. Le lien entre le leader politique et le peuple doit être plus sentimental qu’idéologique. Dans le face-à-face entre le leader et les masses, il doit y avoir fusion, ce qui lui donne une légitimité plébiscitaire. Le peuple est appelé à engendrer un élan collectif, à se dépasser lui-même, à se fondre dans une « âme collective », en reportant son désir sur un personnage hors norme, dans un rapport de confiance aveugle, parce que ce leader est supposément sincère et authentique53. Sur ce, le leader politique a nécessairement besoin de montrer l'impression de proximité en adoptant la manière d’être et de vivre du peuple qu'il est censé gouverner. Il doit s’adapter au plus grand en se construisant l'image d'un homme modeste, simple et accessible. Il doit apparaître semblable au plus 53

Cf. Patrick Charaudeau, « Le charisme comme condition du leadership politique », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 29 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/1597 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.1597

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grand nombre en cherchant à se rapprocher davantage par ses actes de l’homme ordinaire. Dans la cour du palais présidentiel, avec des employés, Thomas Sankara dispute un match. Tout ce qu’il y a de plus classique. Un match comme pourraient le disputer des centaines de milliers de burkinabè. Un match dans la plus grande simplicité, pour un leader du tiers monde54. La réputation de footballeur de Pierre Nkurunziza était due à son goût (gout) pour ce sport et aux fréquents matchs qu’il organisait avec l’Alléluia FC, son équipe, fondée dès son retour du maquis. L’image d’un président « populaire », qui délaisse les lieux traditionnels du pouvoir pour se mêler au peuple, dans une activité comme le football, était une nouveauté appréciée par les Burundais55. Le président gambien Dawda Jawara était un homme simple, que l’on pouvait surprendre, quelques fois, en train de faire une partie de jeu de dames avec ses amis dans son « grand’place » habituel, aux environs de Bakau, lorsqu’il en avait l’occasion56. Avec cette méthode, l’homme politique se réduit au rang de tout autre citoyen, mettant de côté tous ses échelons générateurs de la confiance populaire. Rabaissez-vous et le peuple vous grandira ! Ainsi peut-on résumer la stratégie de Sékou Touré lors du dernier Congrès du P.D.G. Des hommes politiques peuvent donc se situer sur un autre registre, capitaliser l'exaspération populaire à l'encontre des « acquéreurs » et faire montre de leur modestie personnelle, à l'image d'un Jerry Rawlings, d'un Thomas Sankara ou, au Cameroun, 54

Cf. Dossier : Thomas Sankara, politique et football Cf. D. Manirakiza, « Du “Mess des officiers” à “Haleluya FC” : politique du corps, pratique sportive et inflexion de l’héritage nationaliste au Burundi », Politique africaine, nº 147, 2017, p. 66-67. 56 https://theworldnews.net/sn-news/gambie-portrait-dawda-jawarale... 55

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d'un Bernard Fonlon qui, jusqu'à ce que M. Ahidjo lui intimât l'ordre de prendre dans le parc ministériel une Mercédès. C’est dire la simplicité jusqu’au contact avec toutes les couches fait d’un homme politique le plus attrayant au sein de la population57. La force politique de l’opposant politique Ousmane Sonko réside en cela. Il s’habille et se comporte à peu près comme les jeunes sénégalais. Il va chercher constamment à travers ses actes de rapprocher du citoyen ordinaire pour renforcer son charisme. En vrai spécialiste du politique, il va se faire filmer en train de jouer sur la plage, comme le font les jeunes Sénégalais. Avec deux garçons, visiblement membres de sa famille, le leader des « Patriotes » a offert une partie de lutte à ces derniers. Toujours dans cet élan de proximité avec le citoyen ordinaire, Ousmane Sonko s’offre de temps à temps une petite balade dans les rues de Ziguinchor et Dakar. Mais, la proximité concrète implique un contact physique au sens du « bain de foule ». Dans les démocraties contemporaines, il serait illégitime, de la part des leaders politiques, de s’enfermer dans les bâtiments officiels. Une distanciation et un isolement excessifs constituent toujours en démocratie un risque pour les leaders politiques. Cela nous pousse à dire que le politique doit chercher constamment, à travers ses actes et son discours marqué, une certaine proximité avec le peuple, en essayant de tisser des liens qui l’unissent aux hommes. Ceux-ci lui font généralement confiance, parce qu’ils le voient et le sentent auprès d'eux. Cette déclaration d’Ousmane Sonko à Saint Louis s’inscrit dans cette logique : « Saint-Louis est une 57

Cf. Roger Mandunda Mukamba, La Psychologie politique des dirigeants africains, Édition L'Harmattan, 2016, p. 17.

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ville de foi, de valeurs et de Savoir-vivre. Lorsque j’étais étudiant, je révisais le Coran, ici, au Daara Serigne Mohsine DIOP. Je suis Domou Ndar, parce que ma grand-mère habite à Lodo ». La proximité avec le peuple, c’est ce que Roger Mandunda Mukamba, dans son ouvrage intitulé la psychologie politique des dirigeants africains, appelle la méthode de contact. Elle est celle de fréquentation ou de visite à sa population pour la connaissance de sa situation. Le style de L. S. Senghor était fondamentalement essentiel. S’il était un intellectuel brillant, il pouvait aussi être « paysan avec les paysans », avoir un comportement et tenir un langage que les nouveaux citoyens de l’intérieur du pays appréciaient. B. Traoré décrit fort bien, dans son étude sur les partis sénégalais, la façon dont L. S. Senghor menait ses campagnes électorales en milieu rural : « Vêtu de « kaki », coiffé d’un calot qui deviendra légendaire, en voiture jeep, M. Senghor visite systématiquement tout le Sénégal de l’est à l’ouest, du nord au sud (…). Dans les demeures les plus humbles, il se mêle aux paysans, partage avec eux leurs repas, à même la calebasse, et a pour chacun un mot aimable, une plaisanterie puisée dans la meilleure tradition sénégalaise58. Devenu chef d’État, ces pratiques de l’ancien président-poète perdurent. Tout comme Senghor, Ousmane Sonko, le patron des patriotes, a sans doute conscience de la nécessité de descendre sur le terrain, à la rencontre des populations, potentiels électeurs, pour tâter leur pouls et évaluer la situation. En vrai praticien de la science politique, il va faire son « Nemekou tour ». En langue wolof, « Nemeku » 58

Bakary Traoré, « L’évolution des partis politiques au Sénégal depuis 1946 », in Bakary Traoré, Mamadou Lo et Jean-Louis Alibert, Forces politiques en Afrique noire, Paris, PUF, p. 49.

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signifie rendre visite, prendre des nouvelles, afin de marquer sa présence dans les zones les plus reculées du pays. L’objectif visé de ces rencontres serait de mieux comprendre les enjeux et les attentes des populations. Ce, afin de pouvoir concocter dans son processus de conquête du pouvoir politique une offre politique importante, capable de le propulser à la magistrature suprême. Le chef charismatique est doté, croit-on, de qualités hors du commun, au-dessus du quotidien. Mais les relations que l'on entretient avec lui sont d'ordre personnel. Relations subjectives, à coup sûr, reposant sur une illusion de réciprocité. Elles permettent cependant à chaque individu de la foule d'imaginer qu'il se trouve en contact direct avec l'homme qu'il admire. Afin d'en être convaincu, il lui suffit de l'avoir vu, côtoyé, approché, une seule fois, peut-être sur le champ de bataille ou dans un bain de foule. Et l'homme revient en disant : «je l'ai vu, je l'ai touché », « Il m'a parlé »59. Autrement dit, autour de la personne de l'homme politique se crée une certaine relation émotionnelle et phatique qui fixe son empreinte physique dans la psychologie individuelle de chaque citoyen. Voilà pourquoi, on voit partout la photo d’Ousmane Sonko en compagnie de citoyens ordinaires, souvent exhibée avec fierté comme pour montrer leur fierté de le rencontrer. La proximité n'est pas seulement physique, elle est aussi psychologique. Elle peut se manifester dans l’idéologie du pouvoir politique. C’est ce qu'on pourrait appeler la proximité idéologique. Cette proximité est essentielle, parce qu’elle permet de penser implicitement qu'on vit quotidiennement avec le leader politique.

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En plus de cela, la politique de la présence peut revêtir une fonction d'exorcisme social. Elle a une dimension cathartique, lorsque l’acteur politique cherche à partager avec le peuple ses moments de joies, de détresse et de réussite. Les leaders politiques doivent se distinguer non seulement par leurs qualités personnelles, mais également par leur proximité, leur présence, leur empathie, leur compassion. Ils doivent s’afficher sur le terrain, aux côtés de ceux qui sont en situation de détresse, de malheur et chercher à partager leur peine et leur souffrance, pour rendre ce dernier beaucoup plus supportable. La force politique d’Ousmane Sonko réside dans la dimension empathique de l’homme politique. Il possède une extraordinaire capacité d’empathie. Il s’agit là d’un outil précieux pour un acteur politique, car il permet de combiner la générosité et l’intérêt politique. Il assimilait les craintes et les aspirations de ses adversaires politiques, proches de Macky Sall, et leur démontrait qu’il les comprenait. En se mettant dans leur peau, il arrivait à obtenir leur estime et leur gratitude, tout en se forgeant une position de force dans son propre combat politique. Malgré les accusations de viols portées en son encontre par la masseuse Adji Sarr, il manifeste à travers ses discours beaucoup d’empathie pour cette jeune fille qu’il considère non pas comme un ennemi, mais comme une victime du régime de Macky Sall. Après sa confrontation avec la jeune masseuse, il alla même jusqu’à faire un témoignage assez élogieux sur elle qui, selon lui, n’a manifesté aucun comportement verbal discourtois à son encontre. Dans la nuit du 26 au 27 octobre 2015, le prédicateur de la Mosquée de Kaolack, Imam Alioune Badara Ndao, qui était le secrétaire général de la section Kaolack de la ligue des Imans et Oulémas du Sénégal, fut arrêté dans le cadre d’une vaste opération antiterroriste qui a débouché sur 103

plusieurs interpellations de jihadistes supposés dans différentes villes du pays, fin octobre et début novembre 2016. Il était soupçonné de connivence avec un groupe de jeunes sénégalais en provenance des bastions du groupe Jihadiste nigérian Boko Haram, dirigé alors par Abubacar Shekau. Il sera poursuivi pour « apologie du terrorisme », « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « blanchiment de capitaux », entre autres. Il sera finalement acquitté de ces dites charges le 19 juillet 2018, par feu le juge Samba Kane. Il avait toutefois été condamné à un mois de prison avec sursis pour détention illégale d’armes. Il est décédé le mardi 6 septembre 2022 à l’hôpital Fann. Et pour la population sénégalaise dans sa majorité, cet homme religieux a été victime d’infâmes accusations fabriquées par des autorités étatiques mues par le désir obsessionnel de remplir à tout prix -et quoi qu’il en eût coûté- leur cave à « terroristes » pour être dans le sens d’un projet venu de l’occident. Sa mort a plongé la population sénégalaise dans une tristesse et une consternation. L’État sénégalais fut vivement critiqué. Voilà pourquoi, le geste d’Ousmane Sonko, pour présenter ses condoléances à la famille éplorée, à la suite du décès d’Imam Ndao, était fortement apprécié par la population sénégalaise, rendant par la même occasion une valorisation sympathique de sa personne. 4) Le prestige Le prestige est généralement défini comme une sorte de qualité, d’attribut, possédé à des degrés divers et susceptible d’évoluer dans le temps. Il se manifeste chez l’individu par l’emploi des mots suivants, quand il s’agit 104

de le décrire : l’éclat, le brillant, le rayonnement, la grandeur. Sur ce, l’individu qui le possède à un certain ascendant psychologique sur les autres. « L'étude psychosociologique de l'ascendant individuel fait apparaître de la même manière plusieurs types de relation, l'ascendant de force, qui crée la relation de domination, coexiste avec l'ascendant par prestige et amour, auquel s'ajoute l'ascendant par autorité et compétence »60. À partir de là, nous pouvons dire que la force politique du leader politique Ousmane Sonko réside dans l’affirmation populaire de son prestige. Par son génie politique, il a fini par acquérir ce pouvoir mystérieux nommé prestige. « On peut ramener à deux formes principales les diverses variétés de prestige : le prestige acquis et le prestige personnel. Le prestige acquis est celui qui confère le nom, la fortune, la réputation. Il peut être indépendant du prestige personnel. Le prestige personnel constitue, au contraire, chose d’individuel 61». Le prestige acquis est en rapport avec le succès, preuve de l’adéquation de la personne au rôle et donc avec certaines qualités personnelles : compétence, efficacité, moralité. Ce type de prestige, caractère exceptionnel de l’homme politique, nous le retrouvons de fort belle manière chez le leader de Pastef. Il l’a acquis par sa bonne réputation liée à sa carrière professionnelle remarquable et à ses qualités personnelles. Sa qualité d’inspecteur des impôts honnête, 60

Cf. Clapier-Valladon Simone, Réflexions psychosociologiques sur la nature du pouvoir politique. In: Cahiers de la Méditerranée, hors-série n°4, 1980. Communautés rurales et pouvoirs dans les pays méditerranéens (XVIe-XXe siècles). Acte des journées d'études Bendor, 26, 27 et 28 avril 1978. pp. 3-18. https://doi.org/10.3406/camed. 61 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Réédition réalisée d’après la 40éme édition de 1937, Édition : Bod-Books on Demand, p.73.

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intègre et incorruptible l’a propulsé au-devant de la scène et a fini par installer dans la psychologie populaire la réputation d’un homme exceptionnel et exemplaire incarnant les règles de la bonne gouvernance dans une administration publique généralement corrompue. Inspecteur principal des Impôts et des Domaines, Ousmane Sonko est un ancien vérificateur fiscal, responsable qui avait servi à la tête d’une brigade de vérification en charge du secteur immobilier. Ce statut mené sans reproche a donné plus de poids à sa personnalité, aux yeux des Sénégalais, d’homme honnête se démarquant des autres technocrates dont l’intérêt personnel prend le dessus sur l’intérêt général. La modestie des avoirs contenus dans sa déclaration de patrimoine, pour quelqu’un qui a eu à occuper certains postes « sensibles » dans l’administration fiscale et domaniale, ainsi que les témoignages de ceux qui l’ont connu et pratiqué, ont fortement contribué à la dimension prestigieuse de cet acteur politique. « Pour 15 ans de carrière, Sonko n’a jamais fait l’objet de critique ou de sanction, ni pour un retard accusé encore moins un mauvais comportement ou une faute de compétence »62. Pour le juriste et sociologue allemand, Max Weber, la légitimité charismatique est celle qui se fonde sur le charisme personnel d’un individu. Elle repose sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne ou encore émanent d'ordres révélés ou émis par celle-ci (domination charismatique). 62 Ababacar Sadikh Top, Ousmane Sonko, Trajectoire, parcours et discours de l’espoir, p.69.

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Il faut que celui qui dirige un groupe ait quelque chose de si particulier, qui puisse forger son respect et son admiration. Un homme politique qui n'a aucun signe particulier à faire valoir devient ordinaire et banal. Ousmane Sonko est reconnu par ses qualités personnelles hors du commun, qui suscitent notre enthousiasme et notre dévouement. Ces qualités sont hors du commun des mortels, au-delà de l'institution, au-dessus du groupe, en quelque sorte, hors du politique. Il possède certaines aptitudes personnelles remarquables, susceptibles de susciter respect et admiration. Le prestige, il l’a acquis aussi sur le plan de sa religiosité affirmée, dans un pays où près de 95 % de la population sont des musulmans, son attachement considérable, presque spontané, aux préceptes religieux lui fait sortir de l’ordinaire pour le propulser dans l’univers de la sacralité. Le prestige du leader Ousmane Sonko est renforcé par sa religiosité affirmée. Il est impossible de suivre la trajectoire discursive d’Ousmane Sonko sans noter la récurrence des expressions coraniques dans son discours et dans ses actes. Ses connaissances islamiques avérées lui permettent de recourir, avec justesse, aux versets coraniques, qui ont fini par fasciner ses concitoyens. Il est le vrai symbole d’une maitrise parfaite de la communication politique teintée de religion et de vertu. Voilà sans doute pourquoi la personne d’Ousmane Sonko se voit attribuée des sentiments d’admiration, de déférence, voire de vénération, accompagnant une certaine reconnaissance de sa supériorité. Cela implique une certaine évaluation collective, d’un certain consensus spéculatif sur sa personne. Nelson Mandela avait ce prestige. Lors de la coupe du monde de football, organisée en Afrique du sud en 2010, 107

certains supporters sud-africains exprimèrent le vœu de garder cette coupe en ces termes que voici : « ... nous vous en prions de nous laisser cette coupe en Afrique du sud. Et faites-le s'il vous plaît, même pour Mandela ». Cette citation, reprise de manière isolée, indique non seulement la popularité dont Nelson Mandela Madiba jouit, mais elle démontre aussi de quelle manière la personne de celui-ci demeure prestigieuse pour les Sudafricains. Tout comme Nelson Mandela, le leader charismatique de Pastef a ce prestige. Et grâce à ce dernier, sa personne va devenir l’objet de nombreuses spéculations populaires qui lui sont bénéfiques dans sa stratégie de conquête du pouvoir politique. Ce qui va lui valoir de nombreuses spéculations de la part de la population sénégalaise qui le surnomme Ousmane Sonko « mu selmi » ou, si on fait la traduction, Ousmane Sonko « le saint ». Avec ces croyances populaires largement partagées sur sa personne, Ousmane Sonko se voit hisser au-dessus de son existence historique pour entrer dans la légende ou dans la sainteté. Elles l’arrachent au monde ordinaire pour le placer dans le cercle des saints hommes de l’islam. Comment s’étonner alors de voir les gens âgés et pieux adresser de véritables bénédictions à Ousmane Sonko. Comme en témoigne aussi son anniversaire, célébré chez Imam Dramé, au Sicap liberté, ponctué par une cérémonie de récital de coran. Plus encore, en tournée politique dans le département de Tivaouane, le leader charismatique de Pastef a été accueilli par des versets du Saint Coran à Médina Asta, chez Serigne Amar Diakhaté. Tout leader politique a besoin de l’imaginaire, fabulateur, mensonge et contrepoids à l’intelligence analytique et destructive pour survivre et renforcer son charisme. Sur ce, pour répondre au besoin du groupe et de se sentir 108

gouverné selon des principes supérieurs, l’acteur politique a besoin des doctrines et des croyances qui justifient sa suprématie. Dotant les hommes politiques, personnages référentiels, desdites performances, d’une aura extraordinaire et d’un geste magico-héroïque, les doctrines et les croyances populaires jouent un rôle d’échafaudage. Les croyances et l’imaginaire populaire ont participé à la mythification de la personne politique d’Ousmane Sonko. De telles croyances populaires lui sont nécessaires dans sa stratégie de conquête du pouvoir politique, parce qu’elles apparaissent comme une acceptation et une intériorisation de sa position d’homme politique hors du commun. Cela, Ousmane Sonko l’avait également très bien compris, ce qui explique sa volonté de créer et de maintenir une aura quasi-mystique autour de sa personne. Le peuple est convaincu de la dimension mythique du leader de Pastef, allant même jusqu’à croire qu’Ousmane Sonko « kouko songou sankou » et pour le dire autrement, dans une expression française, celui qui cherche à le contrarier risque d’en subir les pires conséquences et, par conséquent, il ne cherche pas à démentir ce postulat qui fonde une part essentielle de sa force politique. Certains n’osent pas le défier ou violer son autorité de peur de recevoir des affres mystérieuses. Le peuple va même jusqu’à associer l’image d’Ousmane Sonko à celle de son homonyme islamique Ousmane. Dans la tradition islamique, Ousmane est un nom pré coranique qui fut porté par le troisième calife (successeur du prophète Mahomet). Il épousa successivement deux filles du Prophète et fut surnommé « le possesseur des deux lumières ». « Le nom confère, localement ou même nationalement, une notoriété qui vaut parfois présomption de légitimité, il confère mécaniquement à ceux qui en héritent une réelle éligibilité (au sens sociologique et non

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juridique du terme) »63. Cela veut dire que son nom, à force d’être associé à son origine authentique, finit par faire croire et faire accepter les attributions islamiques qu'il renferme. Il finit par justifier son statut d’homme politique prestigieux qui ne relève plus de l’ordinaire, mais de l’extraordinaire. Cela revient à dire que le leader politique qui veut forcer le respect et l'admiration doit cultiver le prestige. Il s’acquiert par le nom, l’honorabilité et la compétence. Le leader politique qui veut le posséder doit être un « leader mosaïque », pour reprendre les propos de Serge Moscovici. Il doit poser des actes exemplaires et être prêt volontiers à toutes les épreuves permettant d'établir sa compétence, se retirant au besoin. Le prestige dépend du succès et disparait à la suite d’insuccès répétés. En d’autres termes, la simple possession d’un statut, l’occupation d’un rôle ne suffisent pas à constituer durablement le prestige d’un individu. Le prestige lié à la position doit être validé par une certaine efficacité dans le comportement. Par exemple, si le Pape du Sopi, Abdoulaye Wade, a perdu tout prestige, c’est à cause de son fameux « maa waxone waxett », pour revenir sur sa promesse de ne pas présenter sa candidature pour un troisième mandat, à la présidentielle de 20212. Cela veut dire qu’en Afrique, le dirigeant doit faire preuve de sérieux, doit tenir compte de certaines valeurs sociétales, comme la parole donnée (en Mandinka, donner sa parole ou promettre peut se traduire littéralement « donner son cou » et si on approfondit l’interprétation, cela peut même signifier mettre sa tête en jeu en cas de 63

Le Bart Christian, Nommer les hommes politiques : identités prescrites, stratégiques, polémiques. In: Mots, n°63, juillet 2000. Noms propres. pp. 127-133.

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non-respect de ce qu’on promet), il n’est pas permis, en tout cas de façon expresse, de se dédire, cela est une antivaleur. Il faut faire preuve de fidélité par rapport aux engagements, de loyauté et de sincérité. Les activités privées du leader ne doivent pas être teintées de frivolité. À l’image de Birima Ngoné Latyr Fall, le Damel qui régna avant son père, qui a su vivifier le code des wolofs, incarné par les ceedos de l’époque. Le code est fondé sur le sens de l'honneur, le respect de la parole et la bravoure. Cet esprit noble s'interdit la lâcheté, le mensonge et la trahison ; et Birima en a donné l’exemple. 5) Les patriotes « Le prestige est en réalité une sorte de fascination qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre ou une doctrine. Cette fascination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. Les sentiments alors provoqués sont inexplicables, comme tous les sentiments, mais probablement du même ordre que la suggestion subie par un sujet magnétisé. Le prestige est le plus puissant ressort de toute domination 64», nous dit Gustave le Bon. Cela veut dire que le prestige est une puissance de séduction, susceptible d’envouter, voire d’hypnotiser, les masses, qui anéantit, du moins provisoirement, toute capacité de réflexion et de jugement personnels. Ce que nous constatons de fort belle manière dans le personnage du leader politique Ousmane Sonko Grâce à sa dimension prestigieuse, la personne d’Ousmane Sonko a fini par exercer un certain pouvoir d’influence, 64

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, p.73.

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qui se fonde sur cette attraction sentimentale plutôt que sur la réflexion, sur la majorité de la population sénégalaise. Toutes les caractéristiques de son personnage sont valorisées, les aspects défavorables de sa personne s’estompent devant la masse populaire, ses idées et ses pensées, parfois maladroites, s’imposent et ne se discutent pas. Et cela, nous le retrouvons singulièrement dans l’attitude des militants du parti politique le Pastef. Plus connus sous le nom des patriotes, ils font la force de leur leader politique. Ils croient fortement à l’idéologie de leur leader politique : le patriotisme. Il se définit comme un sentiment partagé d'appartenance à un même pays, la patrie, sentiment qui en renforce l’unité sur la base de leurs valeurs communes. Les patriotes croient aux idées et aux idéologies de leur parti. En examinant plus profondément la conviction des patriotes, on constate qu'ils ont un sentiment d’estime très profond envers leur leader politique. La relation entre Ousmane Sonko et les patriotes est presque une relation de confiance, voire de soumission. Cela se manifeste par une attitude très hostile à toute appréhension négative allant à l’encontre de leur leader politique. L’autoritarisme et l’intolérance sont très développés chez eux. En vrais militants, ils cherchent à crédibiliser les actions de leur leader, à donner vie à son idéologie politique et à s’attaquer à quiconque met en cause sa position politique. Car, on qualifie la personne non pas en fonction de ce qu’elle est véritablement, des réflexions qu’elle fait et des actes qu’elle pose, mais en fonction de son positionnement politique, quelles que soient, par ailleurs, les valeurs qu’elle incarne. Généralement, chez les patriotes, toute personne, qui soutient leur leader politique, est un homme bien et tout individu manifestant une volonté contraire à leurs 112

convictions politiques est un homme mauvais. Ils n’ont pas généralement ce recul critique nécessaire qui fait place à toute contestation politique inhérente dans le jeu politique. Il ne supporte pas la contradiction et la discussion. Dans le jeu politique, la plus légère contradiction de la part d’un adversaire politique ou d’un individu isolé est immédiatement accueillie par de violentes invectives, bientôt suivies de voies de fait et de marginalisation. Cette attitude assez hostile des patriotes, toujours prêts à se soulever pour défendre leur leadeur politique, a fait dire au journaliste Cheikh Yérim Seck, dans son livre intitulé Macky Sall face à l’histoire, passage sous scanner d’un pouvoir africain, publié aux éditions L’Harmattan : « L’homopastefensis manque de profondeur historique, de culture politique et d’intelligence sociopolitique. Il a introduit dans le jeu politique, l’irrévérence, l’invective de l’insulte voire la violence…. »65. Mais, ces propos de l’ancien journaliste de jeune Afrique sont à relativiser. Le parti Pastef de base a été fondé en janvier 2014 par de jeunes cadres de l’administration publique sénégalaise, du secteur privé, des professions libérales. Le Pastef est composé de gens qui ont partagé les combats de jeunesse universitaire, jusqu’à la conquête glorieuse du droit de disposer d’un syndicat dans la haute administration sénégalaise. Mais force donc est de reconnaitre que les patriotes sont constitués d’intellectuels de haute facture, de gens bien à cheval de l’actualité politique sénégalaise, ayant parfois une parfaite maitrise du jeu politique. C’est ce qui sans doute fait la force du leader politique Ousmane Sonko qui, 65 Cheikh Yérim Seck, Macky Sall face à l’histoire, Passage sous scanner d’un pouvoir africain, Edition L’Harmattan, 2023, p. 156.

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du même coup, trouve les moyens de faire face à l’adversité dans les débats publics de haute importance. Cela constitue sans nul doute une force politique non négligeable dans l’atmosphère politique sénégalaise, souvent caricaturée comme étant le lit de la critique virulente, de l’insulte et de la calomnie, de l’arrogance et de l’esprit de clan. Et sur ce point, les patriotes ont su répondre présents. Ils ont réussi à canaliser et à dissuader certains adversaires politiques, ou têtes pensantes, au verbe très virulent et aux critiques très subjectives et partisanes, visant à disqualifier leur leader politique. Dans une autre logique, il est donc certain que la conquête du pouvoir politique a un coût. Comme l'a si bien souligné S. P. Guèye : « Nul n'ignore que de plus en plus, dans les compétitions électorales contemporaines, le principe de l'égalité des compétiteurs est très souvent faussé, d'abord, et avant tout par le rôle croissant que joue l'argent dans la politique du temps qu'une simple fonction de budget électoral, ou, en tous cas, sont loin de refléter toujours la qualité intrinsèque des candidats mesurée en termes d'intelligence, de compétence, d'intégrité morale, de dévouement à l'intérêt général, de patriotisme, etc., ou la pertinence de leur projet de société et de leur programme 66 ». La question de l'argent est donc bien constitutive d'un enjeu majeur en démocratie électorale. L'argent est ainsi devenu le moteur de l'action politique, la principale ressource politique autant que la finalité de l'action politique. Cela veut dire qu’en Afrique, au Sénégal et partout dans le monde, l’élection a un coût. Il est certain que pour être élu président de la République, il faut dépenser de l'argent. Il 66 S. P. Guèye, Du bon usage de la démocratie en Afrique. Contribution à une éthique et à une pédagogie du pluralisme, p. 166.

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faut financer les activités de campagne, les cortèges, les marches, l’essence, les tee-shirts… La marche vers le pouvoir est pénible et couteuse. « Ne nous faisons point d’illusions, il sera impossible d’atteindre les objectifs que nous nous sommes assignés sans un minimum de moyens. Parcourir le pays, implanter les structures, bâtir un appareil politique, organiser la propagande, communiquer, préparer une caution, mettre en place une machine de collecte de signatures de parrainage et une machine électorale etc. exigent les moyens 67», reconnaît -il. Comme ressource, l’argent est essentiel à l'action politique. À ce niveau, il s’agit des « moyens mobilisables par un acteur en vue d'augmenter ses chances d'atteindre un objectif 68 ». Ousmane Sonko en a pris à ses dépens, lui qui se décrivait fièrement comme le plus pauvre des présidents de partis politiques. Au cours de la campagne pour l’élection présidentielle de 2019, le chef de file des patriotes nous raconte cette anecdote. Il est arrivé plusieurs fois que les convois de Pastef restent bloqués. Les véhicules étaient à court de carburant et, faute d’argent pour remplir les réservoirs, les responsables du parti ne pouvaient reprendre la route. Voilà pourquoi il avait sans doute du mal à parcourir tout le pays. En vrai leader politique, il fallait trouver des solutions de financement, sans pour autant écorner ses principes républicains, s’il veut conquérir le pouvoir. Sur ce, il va faire appel au financement en l’inscrivant dans un projet de souveraineté nationale, d’équité de justice, de bonne 67

Ousmane Sonko, Solutions Pour un Sénégal nouveau, p. 227. Guy Hermet, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Armand Colin, 2010, p.15.

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gouvernance, mais surtout de restauration de la démocratie au Sénégal. La solution va venir de ses militants, les patriotes. Les patriotes se distinguent par leur forte mobilisation politique. Ils acceptent d’effectuer bénévolement un travail de terrain et de participer à la vie du parti. Très répandus dans le territoire sénégalais et dans la diaspora, ils ont cette culture de la cotisation. Ils n’hésitent pas à mettre la main dans la poche pour financer les activités de campagne du parti. Il est donc certain que cette forte mobilisation financière des patriotes constitue un atout non négligeable pour leur leader politique. Il sera en mesure de rivaliser sur le terrain avec le pouvoir en place et de marquer sa présence politique dans les meetings et autres manifestations nationales. Le 2 janvier 2021, le Pastef lançait sa première campagne de levée de fonds internationale et récoltait 125 millions de F CFA en quelques heures. Suffisamment, en tout cas, pour que le ministre de l’Intérieur, sous le régime de Macky Sall, Antoine Félix Diome, publie un communiqué pour menacer le parti de dissolution.

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Conclusion Tout leader politique dans sa logique de conquête ou de gestion du pouvoir politique ne peut faire l’économie d’une certaine habileté politique. Il faut qu’il possède un minimum de talent ou aptitude politique extraordinaire pour se faire reconnaitre et accepter sur la scène politique. Ce talent politique se manifeste dans la manière de faire et d’agir du leader politique qui exerce une influence efficace sur la population. Ainsi, dans la science politique, Ousmane Sonko apparait comme un modèle de référence pour tout leader politique qui se fixe pour ligne de mire la conquête du pouvoir politique. Notre étude nous a permis de mettre en exergue et d’interpréter les actes et les comportements du leader politique Ousmane Sonko qui, à mon humble avis, pourra servir de ligne de conduite à tout leader qui se veut crédible. Le leader charismatique de Pastef/les patriotes apparait comme quelqu’un qui a une parfaite maitrise des lois politiques, sociales et psychologiques qui conduit à la gloire et à l’acceptation. Par son talent politique indéniable, il a non seulement incarné les valeurs et les lois de la communauté, mais également, il s’est soumis aux règles du politique, sans pour autant compromettre sa crédibilité politique. 117

Actuellement, grâce à son savoir-faire politique remarquable, il a créé un consensus autour de sa personne en s’incarnant dans la volonté populaire. Cela a fini par l’imprimer dans la psychologie de la majorité des Sénégalais comme un personnage politique extraordinaire et prestigieux. Ses idées, ses convictions se sont imposées principalement par la force qu’exprime le mot prestige. « Le propre du prestige, poursuit Le Bon, est d’empêcher de voir les choses telles qu’elles sont et de paralyser nos jugements. Les foules toujours, les individus le plus souvent, ont besoin d’opinions toutes faites. Le succès de ces opinions est indépendant de la part de vérités ou d’erreurs qu’elles contiennent ; il réside uniquement dans leur prestige69 ». Voilà pourquoi la personne du chef des patriotes a fini par exercer une fascination véritablement magnétique et spontanée sur la majorité de la population sénégalaise. Cette fascination constitue, du même coup, un rempart efficace à toute forme d’hostilité ou de contestation politique contre sa personnalité politique et sociale. Babacar Justin Ndiaye dira à ce sujet : « Si Sonko est attaqué, il tient le haut du pavé. S’il attaque, il tient le haut du pavé. Ses adversaires n’ont qu’à faire attention ». Toute atteinte à sa personnalité et à ses convictions politiques reçoit une approbation négative de la part de la majorité des Sénégalais. Comme en témoigne l’histoire récente des évènements funestes du mois de mars 2021, survenus à la suite de son arrestation. Le déclenchement d’une procédure judiciaire qui apparait être arbitraire contre l’opposant Ousmane Sonko a mis le feu aux poudres. Cela apparait comme un signal fort. Avec, l’approche des prochaines élections électorales de 2024, 69

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, p.74.

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l’État Sénégalais est à la croisée des chemins. Mais ce chemin risque d’être long et semé d’embûches. Quoi qu’il en soit, le principal facteur d’apaisement politique sera sans nul doute la mise en terme définitif et clair de la fin de toutes velléités menées contre la personne du leader de Pastef. Sa personne risque d’être le symbole ou le catalyseur de toutes les frustrations d’un peuple qui lutte contre la troisième candidature du président Macky Sall, pour une justice non partisane et impartiale, pour une meilleure amélioration de leurs conditions de vie.

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La conquête du pouvoir politique repose sur la nécessité d’avoir une parfaite maitrise des données culturelles, sociales et psychologiques de son milieu, mais aussi elle repose avant tout sur un talent personnel de l’acteur politique, condition sine qua non pour susciter respect et admiration. Dans cette logique, Ousmane Sonko apparait comme un génie politique. En vrai savant de la politique, il a su faire preuve de ruse, d’habileté politique pour avoir acquis en si peu de temps une notoriété politique incroyable. Son génie politique a favorisé sa percée affective et effective dans l’opinion populaire. Pour créer le consentement nécessaire autour de sa personne, il recourt à des dramatisations sociales, à l’imaginaire et à l’instrumentation des croyances et représentations collectives. Il développe en conséquence une stratégie politique à action multipolaire axée essentiellement sur la mobilisation de toutes les données sociales, culturelles, psychologiques et politiques. Ainsi, dans la science politique, Ousmane Sonko apparait comme un cas d’école pour saisir et comprendre le phénomène politique dans toute sa dimension sociologique.

Birama Diop

Le génie politique

Birama Diop

OUSMANE SONKO Le génie politique

OUSMANE SONKO

OUSMANE SONKO

Birama Diop, spécialiste en théorie sociale et politique, est docteur en philosophie politique de l’université de Paris et professeur titulaire de philosophie dans le moyen secondaire (Sénégal). Il est l’auteur du livre Pouvoir et légitimité – l’État africain sur scène publié chez L’Harmattan.

Photographie de couverture : © Les Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthiques et la Fraternité.

POINTS DE VUE

ISBN : 978-2-14-033271-5

16 €

9 782140 332715