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French Pages 172 [163] Year 2015
Etudes africaines Lambert Mossoa
Où va la Centrafrique ?
Où va la Centrafrique ?
Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe
Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions AMBOULOU (Hygin Didace), La déjudiciarisation et les procédures non contentieuses en Afrique, 2015. BOUOPDA (Pierre Kamé), L’indépendance du Cameroun, Gloire et naufrages politiques de l’UPC, 2015. YEKOKA (Jean Félix), KIDIBA (Samuel) et LEMBIKISSA (Augus) (dir.), Le mariage coutumier chez les Suundi du CongoBrazzaville, 2015. VITA (Ndugumbo), SAVARD (Denis), FOURNIER (JeanPierre), Reconstruire l'éducation "après-guerre" en R.D. Congo, 2015. NGOULOURE NJOYA (Moïse), Les unions consensuelles chez les femmes africaines, 2015. DE YEIMBÉREIN (Bali), Quand l’Afrique réapparaîtra…, 2015. DIANE (Moustapha), La liberté des médias en Guinée. Entre textes et institutions, quelles réalités ?, 2015. TINOU (Robert), 1700 proverbes vili, 2015. TINOU (Robert), Abécédaire du Kouilou, 2015. N’GUETTIA KOUASSI (René), La Côte d’Ivoire de notre rêve, 2015. TABEZI PENE-MAGU (Bernard-Gustave), Évaluer l’élève en Afrique Noire, De la pédagogie traditionnelle aux estimations contemporaines, 2015 NZENGUI (Aaron Septime), De Kant à l’Afrique. Réflexion sur la constitution républicaine en Afrique noire, 2015 HOUEDANOU (Sessinou Emile), La gestion transfrontalière des forêts en Afrique de l’Ouest, 2015 EKANZA (Simon-Pierre), Le Moronou, notre patrimoine, Géographie, Agriculture, et Sociétés, 2015 KAYOMBO (Chrysostome Cijika), La planification de l’éducation en Afrique, Mode d’emploi, 2015
Lambert MOSSOA
Où va la Centrafrique ?
© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] ISBN : 978-2-343-0207808-3 EAN : 9782343078083
DU MÊME AUTEUR
Chez le même éditeur
Politiques urbaines en Afrique subsaharienne. Les contours réels, coll. ur L’appareil éducatif en Centrafrique coll. « Etudes africaines », Paris, 2013 Où en est l’urbanisation en Centrafrique. « Etudes africaines », Paris, 2014 Education in east and central Africa. Edited by Charl Wolhuter, Bloomsbury, London
À tous mes collègues de l’Université de Bangui
REMERCIEMENTS
Nous tenons à exprimer notre reconnaissance pour l’aide et les conseils que nos amis et collègues nous ont apportés au cours de la préparation de ce modeste ouvrage qui doit son origine au travail de document effectué dans différents centres-ressources consultés aussi bien à Bangui qu’à Paris. Nous remercions particulièrement Messieurs Denis Pryen, Directeur des Editions l’Harmattan à Paris, Jean François Akandji-Kombé, Professeur Titulaire à l’Université de Paris 1, Eddy Symphorien Kparékouti en Tanzanie, pour leurs conseils et leurs encouragements. Nous exprimons aussi notre gratitude à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué, directement ou indirectement, à la rédaction de ce livre par leurs informations et leurs suggestions. Cependant, nous assumons seul la responsabilité de tous les propos contenus dans cet ouvrage qui n’a d’ailleurs pas la prétention d’être parfait. Nous pensons néanmoins qu’il pourra être utile aux amis de la République centrafricaine. Quoi qu’il en soit, on y trouvera un goût des choses de l’esprit et une indépendance de pensée qui portent en eux-mêmes leur Prix et leur Rançon. Enfin et surtout, ma très affectueuse gratitude va à mon épouse Rosalie, mon associée et mon amie, qui m’a tout au long de mon travail soutenu de son affection et de ses encouragements.
PRÉFACE
Ce livre a pour objectif de favoriser la réflexion sur certains aspects obscurs de ce que l’on peut désormais qualifier de « question » ou « d’équation centrafricaine ». Il se base sur un certain nombre de points de vue érigés par les uns comme des vérités établies et par les autres comme des raccourcis de la pensée. Au comble de la résignation partagée par la plupart des dirigeants africains, le président du Sénégal déclarait dans les années 80 que : « l’Afrique a perdu la bataille du développement et sa jeunesse sombre dans le désespoir. »1 Aux décennies perdues, serait-il vain pour la nouvelle génération d’opposer une vision plus courageuse ou d’imaginer une autre Centrafrique possible ? Le peuple centrafricain peine à sortir de la morne routine des désastres naturels et humains. Les rebellions et d’autres crises militaro-politiques semblent résister à tout espoir de voir s’installer dans le pays une paix durable et des lendemains meilleurs. Clichés ou réalité, certains phénomènes interpellent tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la République centrafricaine, mais la compréhension de l’objet « Centrafrique » est rendue difficile par de nombreuses réductions. Aujourd’hui, des spécialistes de tous bords se penchent sur les causes du mal de la République centrafricaine et tentent d’apporter des explications sur les raisons de la
longue agonie de ce pays. Si dans la pensée de certains, la maladie paraît incurable, dans celle des autres tout n’est pas perdu et l’espoir est permis. Nous convenons volontiers que ce sont ces deux ordres de pensée tantôt optimiste, tantôt pessimiste qui ont servi de points de départ à nos interrogations. La réalité historique, économique, sociale et politique de ce pays est passée en revue, que l’on se situe dans l’une ou l’autre conception. A contre-courant de ces deux modes d’interprétation, se développe une troisième approche qui se veut plus réaliste et plus nuancée. Nous sommes victimes mais aussi acteurs de notre Histoire, nous a confié un interlocuteur interrogé. Personnellement, nous ne nous situons dans aucune des conceptions dont les querelles souvent stériles n’améliorent que modestement notre connaissance. Toutefois, l’histoire nous enseigne que la République centrafricaine n’est pas le seul pays du monde à subir des sorts tragiques. La cruauté et la barbarie sont, semble-t-il, inséparables du règlement des affaires humaines et aucun peuple n’est à l’abri de désastres orchestrés par la folie destructrice de l’Homme. L’histoire de l’humanité est jalonnée par la détresse de différentes sociétés. Nous ne pouvons pas continuellement nous barricader dans la coquille vide du Noir Victime de l’Histoire. Les guerres, les violations, les pillages et les génocides perpétrés par l’homme en direction de ses semblables remplissent notre mémoire collective. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi la République centrafricaine souffre encore là où sous d’autres cieux le poids du passé n’a pas entravé le développement. Ce pays a vécu des épreuves plus que les autres pays d’Afrique centrale, mais l’attachement à la vie des Centrafricains témoigne de la capacité qu’ils ont à réinventer constamment leur devenir et cela, malgré les difficultés. Mais, il est temps pour ce pays de se 14
débarrasser de ces fantômes de son histoire et d’aller à la conquête de sa véritable liberté : la maîtrise de sa destinée. De nombreuses questions aussi essentielles, restent aujourd’hui en suspens : comment la République centrafricaine peut-elle s’ouvrir au monde sans s’enfermer dans de nouveaux schémas de dépendance ? Quelle place pour ce pays dans le monde actuel ? Comment éviter les pièges de la mondialisation et parvenir à la définition d’un autre modèle de développement pour ce pays ? Allonsnous inscrire nos combats dans le moule virtuel et sans connaissance du « choc des civilisations » ? La République centrafricaine qu’il faut construire aujourd’hui n’est pas celle d’hier. La référence au passé doit fonder une démarche résolument tournée vers le futur en s’appuyant sur une compréhension solide des obstacles du présent. Sans vouloir prétendre apporter toutes les réponses à de nombreuses questions que notre curiosité a soulevées au fil de l’écriture, il nous semble normal en tant que Centrafricain d’apporter une contribution à la réflexion. Ce livre est un essai qui présente des défauts que nous ne nous dissimulons pas. Quelques-unes de ces lacunes sont celles qu’il est impossible d’éviter quand on aborde un problème pour la première fois. Toutefois, le problème complexe de la République centrafricaine ne doit pas nous exempter de la réflexion et de l’analyse. Aussi, il n’est nullement question de s’inscrire dans une tradition de pensée, ni dans une quelconque école. Notre pensée est libre des luttes partisanes, académiques ou idéologiques, c’est celle d’un Centrafricain préoccupé par le destin de son pays et qui tente de formuler sa vision des choses. La liberté de ton que la démocratie accorde est un bien précieux, legs que l’on doit manier avec intelligence dans le sens de la paix, de la réconciliation et de la construction, surtout dans un
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monde tiraillé entre des extrémismes de diverses obédiences. Ce livre se propose de créer un lien entre tous les penseurs qui se sentent préoccupés ou s’intéressent encore à la République centrafricaine, quel que soit le point de vue défendu. Il ne prétend pas donner aux uns ou aux autres ce qui leur manque, ni ne cherche à privilégier une pensée plutôt qu’une autre, quelles que soient les positions de ceux qui les produisent. Nous nous contentons d’éveiller l’attention des uns et des autres et nous nous devons de satisfaire, plus particulièrement de réveiller les jeunes intellectuels centrafricains ou tous ceux qui sont en quête de la solution de « l’équation centrafricaine ». Si notre tentative peut avoir pour effet de rapprocher tout ce monde autour de l’essentiel, à savoir une réflexion féconde et utile pour la Centrafrique, nous aurions tout le plaisir à croire qu’un grand pas sera franchi et que l’espoir reste permis dans ce pays.
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INTRODUCTION
L’histoire politique de la République centrafricaine qui est émaillée, depuis l’indépendance à ce jour de violences diverses, de tribalisme et de régionalisme, de dictature et de parodie de démocratie, d’absence de patriotisme et de volonté politique pour les dirigeants, de la mauvaise gouvernance, de la culture de la médiocrité et du mensonge d’Etat, de la pratique de l’exclusion et de l’ostracisme des leaders, avec sa litanie de souffrance pour le peuple, ne semble pas encore servir de leçon et préoccuper fondamentalement les leaders politiques ainsi que les dirigeants politiques de ce pays d’Afrique centrale. En effet, suite au départ du duo Djotodja-Tiangaye, contraints à la démission devant leur incapacité notoire à gérer la transition politique et à favoriser le retour à l’ordre constitutionnel, vœu de tous, Madame Catherine SambaPanza a été désignée le 20 janvier 2014 par le Conseil de transition pour assurer la continuité de la gestion du pays. Une grande première dans l’histoire politique et institutionnelle de la République centrafricaine, qui se voit doter d’une présidente élue au suffrage indirect par une assemblée coptée par des prédateurs en mal de gouvernance. Si l’attente de la population centrafricaine sur la désignation d’un « rassembleur » a volé en éclat, c’est fondamentalement parce que le Conseil National de
Transition (CNT), constitué pour les ¾ des personnes coptées par le duo Djotodja-Tiangaye, a accepté de vendre son âme au diable en transigeant avec l’intérêt général au profit de l’intérêt égoïste, en particulier de celui de ses membres. En réalité, de sources concordantes et constantes provenant du Conseil National de Transition ainsi que de plusieurs personnalités désirant garder l’anonymat, la désignation de Madame Catherine SambaPanza a été « huilée ». Malheureusement, le commun des mortels n’a pas besoin d’attendre trop longtemps pour découvrir la vraie face cachée de celle qui convoitait fort longtemps le fauteuil présidentiel et qui n’est aujourd’hui que fière d’être présidente de la République. Comme une carpe, elle a gardé un mutisme total sur les exactions de la Séléka et des Anti-balaka, et n’a daigné lever un seul doigt pour condamner, en tant que mère et femme, les violations massives des droits de l’homme qui en découlaient. Ce qui est vraiment anachronique à la situation de terreur qu’endure aujourd’hui la population centrafricaine. La souffrance du peuple centrafricain, comme le disait Vaclavavel, «a créé une gestion cahin cahan et un recours à des diktats népotistes », alors que tout le monde appelle à une bonne gouvernance du pays, afin d’accroitre sa légitimité. Aussi inacceptable qu’elle soit, la démotivation est devenue désormais une option pour de nombreuses personnes qui sont frustrées et marginalisées. D’ailleurs, cette démotivation comporte de nos jours plusieurs dimensions négatives parmi lesquelles l’exode de plus en plus massif des déplacés. La réapparition de la violence politique en République centrafricaine et le débouché sanglant qu’il emprunte, réactualise la question de la nature des conflits en Afrique et de leur récurrence depuis une vingtaine d’années. Les analyses auxquelles la presse quotidienne nous a 18
habituées, ont toujours tenté d’appréhender la montée de la conflictualité en termes d’oppositions ethniques. Termes que ne récusent pas, au demeurant, les acteurs eux-mêmes comme le rappelle encore l’épisode rwandais ou la conceptualisation de l’ivoirité. Les moins sommaires parlent des luttes factionnelles ou de « politiques du ventre ». « Voici venu en République centrafricaine le temps des mercenaires, des réseaux mafieux, de la criminalité interétatique qui associe dictatures africaines et élites occidentales… », a déclaré en substance un éminent universitaire (Raphaël Nzabakomanda). Très affaiblie par de multiples critiques, la transition actuelle ne cesse d’être continuellement dénoncée pour sa faible performance opérationnelle, sa politisation à outrance et son ethnisation locale. Bref, l’image de la haine d’ « Armageddon » que l’on donne aujourd’hui à la République centrafricaine, ressemble beaucoup aux images de barbarie qui ont été présentées au XIXe siècle. Certains centrafricains désespérés s’entendent même dire qu’ils ne peuvent plus se gouverner et qu’il faudrait faire revivre le colonialisme mental pour des raisons pratiques et morales, afin de maintenir les conditions les plus élémentaires pour une vie sociale civilisée. Autant, le présent ouvrage permet justement de faire l’histoire de ce qui se passe aujourd’hui en République centrafricaine : destruction des villes et villages par des groupes armés dits incontrôlés, massacres des hommes, des femmes et des enfants, établissement des camps de réfugiés, fusillades en masse, tortures diverses, etc. Il permet aussi, grâce à de nombreuses enquêtes, non de faire parler les morts, mais de reconstituer nombre d’histoires individuelles et collectives, surtout de femmes et d’hommes qui ont échappé aux assassins. Il permet enfin de voir que, même au sein de l’administration, de 19
l’armée et de la police etc., il y a encore de nombreux obstacles réels à surmonter. Notre propos dans cet ouvrage est certainement d’articuler, entre autres, une nouvelle vision du pays au début de ce troisième millénaire, une vision dont les éléments de définition comporteraient les traits nobles et élégants du patrimoine culturel de la République centrafricaine, les diverses significations ou implications des expériences qui consisteraient à s’attaquer aux problèmes déclenchés dans le pays, ainsi que notre sentiment de ce que devra être l’Etat centrafricain et comment il pourra devenir ce qu’il devra être. Cette vision devra être expérimentée en termes de questions, d’objectifs et de programmes d’actions. Bref, dans cet ouvrage, nous reviendrons sur une importante question concernant, entre autres, la compréhension et la transformation de la situation en Centrafrique. Toutefois, des voix de l’intérieur du pays continuent aujourd’hui de s’élever, proclamant fortement des positions et attitudes qui ne cessent de transcender le pessimisme, le cynisme et le désespoir à l’air de la crise. Le moment est aujourd’hui venu d’intégrer toutes ces voix qui réclament le retour à une vision et à un rêve centrafricains. Etant donné le contexte particulier du pays, ces voix exigent non seulement la reconnaissance des dures vérités qui sont parties intégrantes de notre histoire et des formidables défis qui nous interpellent aujourd’hui. Six questions fondamentales reviennent sur toutes les lèvres : Est-ce que la crise de l’Etat centrafricain est la crise d’un Etat postcolonial qui privilégierait l’administration au politique ? Pourquoi la démocratie et la bonne gouvernance ne répondraient-elles pas à la tradition centrafricaine et ne seraient-elles pas les prérequis au développement de la République centrafricaine ? Quelle est la situation de la société civile en République 20
centrafricaine ? La crise de l’Etat centrafricain, depuis le début des années 90 jusqu’à nos jours, ne serait-elle pas le résultat d’une conception qui a toujours considéré la « suradministration » comme un préalable au développement du pays ? Ceci n’a-t-il pas entraîné l’enrichissement presque disproportionné d’une élite politico administrative et un non-développement de fait du pays tout entier ? Bref, cette situation a contraint, au début de cette dernière décennie, la communauté internationale à inverser la perspective en accusant l’Etat centrafricain de tous les maux et à parer la société de toutes les vertus démocratiques. Même si l’idéal démocratique semble faire son chemin dans le pays – ce qui n’est pas évident aujourd’hui -, cette politique nationale a sensiblement disloqué l’Etat et la communauté politique, en favorisant aujourd’hui ce que nous appelons les « fièvres religieuse et ethnique », et en soustrayant les élites centrafricaines devenues de plus en plus des « contractuels en développement » à tout contrôle démocratique. De plus, rien n’indique aujourd’hui que la démocratie va favoriser le développement de la République centrafricaine. Du côté de la société civile, on a pu observer que la plupart des ONG, devenus de plus en plus pléthoriques en République centrafricaine depuis que la dernière crise a éclaté, stimulent cette crise pour s’assurer définitivement la position de seuls remparts contre l’anarchie totale qui règne dans le pays. Il apparait donc que la réalité plurale de la République centrafricaine ne peut se satisfaire des « recettes » toutes faites élaborées à l’extérieur.
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CHAPITRE I La difficile voie de la souveraineté et de l’indépendance de la Centrafrique
Entourée de toutes parts par de vastes pays comme : le Soudan à l’est, le Cameroun à l’ouest, le Tchad au nord et les deux Congo (RDC et Congo-Brazzaville) au sud, la Centrafrique, comme son nom l’indique, est située au « cœur de l’Afrique ». Ainsi, ce pays est de fait un Etat enclavé et intracontinental. C’est le référendum du 28 septembre 1958, organisé par le général De Gaulle, qui ouvrit une nouvelle phase dans l’histoire de cette ancienne colonie française dans l’ordre et l’amitié. En effet, l’Oubangui-Chari, hier colonie française, après avoir émis un vote favorable au référendum est devenue, le 1er décembre 1958, une République libre au moins politiquement, et a pris le nom de République centrafricaine suivant le grand dessein de Barthélémy Boganda de regrouper dans une seule et même République ou une Fédération d’Etats, l’ancienne Afrique Equatoriale Française, qu’il se plaisait à appeler aussi « l’Afrique latine ». Ce dernier ne verra, hélas, jamais le jour. Des considérations égoïstes lui ont fait échec.
I. EUPHORIE ET ESPOIR APRÈS L’INDÉPENDANCE DU PAYS Même si l’indépendance (surtout politique) a été acquise sans conflit, ni heurt sanglant, cela ne veut point dire sans lutte politique. Barthélémy Boganda mena de 1946 à 1958 une lutte héroïque, démontrant ainsi toute sa mesure de combattant tenace, de téméraire, d’altier, d’homme politique de grande envergure, de tribun, de défenseur de la liberté du peuple africain. En créant le Mouvement d’Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) en 1949, Barthélémy Boganda rêvait d’en faire un grand parti susceptible de s’étendre, comme le prévoyaient les statuts initiaux, à tous les Noirs du monde. Des sections étaient fondées, non seulement en Oubangui-Chari, mais aussi à Fort-Lamy, à Brazzaville, à Libreville. Lors de l’accession de l’Oubangui-Chari au statut d’Etat membre de la Communauté en 1958, le MESAN, qui avait remporté tous les sièges à l’Assemblée territoriale, apparaissait comme le premier parti national. Boganda s’était cependant prononcé pour le pluralisme. Les partis politiques comme : le Mouvement Socialiste Africain (M.S.A.) et le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) avaient constitué plusieurs sections, mais ils ne comptaient que peu d’adhérents. Comme l’affirmait à juste titre le Professeur Raphael Nzabakomanda-Yakoma en 1983, s’agissant précisément de la personnalité de Barthélémy Boganda, « Quel administrateur, quel gouverneur, quel gouverneur général, quel haut-commissaire de cette époque pouvait ignorer l’existence du député de l’Oubangui-Chari ? » En effet, cette lutte de verbe, d’éloquence et de finesse aussi n’a pas été vaine. Elle a abouti à la liberté et à l’indépendance des pays africains et à celles de son pays. Cette phase infiniment exaltante de la vie de ce grand homme d’Etat mériterait qu’on lui
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consacrât tout un livre, et ne saurait être traitée ici, de crainte qu’elle ne soit escamotée. La République fut donc proclamée le 1er décembre 1958. Barthélémy Boganda en devint le premier Président et le Chef du Gouvernement provisoire. Malheureusement, quatre mois plus tard, il trouve la mort tragique qui le frappe en pleine action… Cette mort qui enlève Boganda au lendemain même de la proclamation de la République n’arrange rien ; bien au contraire, elle déclenche une véritable crise dans la vie politique du pays, notamment une lutte âpre pour la succession à la Présidence de la République : d’abord, Monsieur David Dacko, se disant héritier spirituel de Barthélémy Boganda, à la tête du MESAN (Mouvement d’Evolution Sociale en Afrique Noire) sort vainqueur de cette lutte. Dès lors s’installe une stabilité politique qui aurait pu être mise à profit pour entreprendre l’œuvre de promotion économique et sociale souhaitée par tous. Cet espoir sera malheureusement vain. En effet, loin de se consacrer comme ils ont donné l’impression au début du régime à la haute mission qui leur était confiée, les hommes forts du régime de Dacko se plaisaient plutôt à jouer les démagogues. A la disparition de Barthélémy Boganda, les membres du comité directeur du M.E.S.A.N. devaient se montrer réticents à l’égard du nouveau Chef de l’Etat. Une apparence de congrès organisée par David Dacko prononça la destitution du sénateur Etienne Ngougno, président du parti. A la suite de ces dissensions, plusieurs compagnons de Boganda rejoignirent l’ancien président du gouvernement de la loi-cadre, Abel Goumba, dans un nouveau parti : le MEDAC (Mouvement d’Evolution Démocratique de l’Afrique Centrale). Après avoir dissous le MEDAC en décembre 1960, David Dacko tenta dans les mois qui suivirent, de 25
regrouper autour du MESAN tous les autres partis ou comités politiques. N’y parvenant pas, il érigea le MESAN en parti unique. En 1963, le gouvernement décidait de recouvrer comme en matière d’impôts directs les cotisations du MESAN, obligatoires pour tout homme, femme ou enfant. Le fonctionnement du parti était régi par une loi du 17 mai 1963. Enfin, le texte portant modification de la Constitution institutionnalisait alors définitivement le parti. Le MESAN, parti-Etat, apparaissait dès lors comme un organisme institutionnel doublant à chaque échelon les institutions existantes. Le Congrès bi-annuel, regroupant en fait les militants du MESAN associé au gouvernement, était un organisme d’acclamation de l’action présidentielle. Il était censé fixer au gouvernement les grandes options politiques. Le Comité Directeur du MESAN, composé de personnalités locales habilement choisies et rétribuées comme de hauts fonctionnaires, formait une sorte de super-ministère qui faisait notamment des propositions de nomination aux principaux postes de l’Etat. Le comité directeur était en fait entièrement entre les mains du Président de la République. La formule des Ministres résidents, fut une véritable comédie, un trompe-l’œil et une gabegie sans nom. Prévarications, concussions frisant l’obscénité, gagnèrent la majorité des « barons » du régime. Ainsi en 1965, un mandat qui fut de cinq ans, commencé dans l’euphorie, l’enthousiasme et la confiance la plus inconditionnelle parce que marquant une naissance, celle de la République, n’inspire plus que désenchantement, angoisse et haine. Notre intention ici n’est point de faire l’histoire du régime Dacko et de ce que l’on pourrait appeler la Première République. Nous avons voulu seulement évoquer très rapidement cette période qui a précédé la deuxième République en esquissant quelques lignes de crête. 26
Ce faisant, il convient d’ajouter que l’Assemblée Nationale pendant ces cinq années, composées d’hommes peu formés à cette tâche, fut un véritable trouble-fête. Les députés se substituèrent dans les provinces aux autorités locales (préfets, sous-préfets, maires). Ces derniers ayant perdu auprès de la population tout pouvoir, n’étaient plus que des figurants. Il en a résulté la récession économique que l’on sait et qui a fourni l’occasion aux adversaires, aux détracteurs de l’indépendance octroyée aux territoires français d’Outre-mer d’emboucher leurs trompettes et hauts-bois pour chanter leur victoire sur le slogan qui leur était cher : « les africains ne sont pas prêts pour accéder à l’indépendance ». Désillusion ! Pendant ces cinq premières années de la République, la nouvelle Assemblée Nationale constituée d’hommes nouveaux ne sut pas jouer pleinement son rôle, et le pays s’enfonça dans la crise économique qui le minait au moment où Jean Bedel Bokassa accéda au pouvoir dans la nuit du 31 décembre 1965 au 1er Janvier 1966, avec la naissance d’une seconde République. Ainsi, tout repart sur de nouvelles bases et différentes mesures ont eu pour effet un véritable changement dans la vie du pays. Partout et dans toutes les couches de la Centrafrique se dégagea une nette impression de soutien au nouvel homme fort du pays et un sentiment de renouveau. Chacun se fit un devoir de se mettre résolument au service du pays. Cela était si vrai que les productions agricoles dépassèrent toutes les prévisions dès 1966, surtout avec le lancement de la fameuse « Opération Bokassa », et que le budget fut doublé. Cependant, les bailleurs de fonds (FED, Caisse Centrale de Coopération Economique, Banque Africaine de Développement, etc.) poursuivirent leurs généreux efforts, en veillant à la bonne utilisation des crédits, dans l’espoir que les atouts dont disposait la République 27
centrafricaine lui permettront un jour de sortir de ces multiples crises et d’envisager son développement dans de meilleures et fructueuses perspectives. Malheureusement, cet enthousiasme post-Dacko se transforma en désastre politique et économique à la fin années 70, avec l’intronisation de l’Empereur Bokassa qui jusqu’à son départ forcé en 1978 (grâce à l’opération « barracuda ») transforma le pays en mouroir. Pays marqué par plusieurs années d’un pouvoir totalitaire pour le moins étrange, où les mots étaient constamment contrôlés, manipulés et mutilés, un pays où régnaient le silence et la suspicion, où l’on ne pouvait parler et répéter que l’histoire monotone des dignitaires du nouvel empire, le tout sur fond d’un régime omniscient investi du droit divin de nationaliser le temps et le passé, l’histoire et la volonté populaire. Ainsi, la censure s’abattait sur les souvenirs, les articles et les mots utilisés pour contester et tourner l’autorité singulière en dérision de Bokassa, bannissant et emprisonnant de nombreux opposants, réels ou imaginaires, organisant une véritable chasse aux sorcières contre les « rebelles » en exil, de sorte que personne ne faisait confiance à personne, ni les amis ou collègues, ni les parents, encore moins les partenaires et les époux, et même un simple rêve pouvait s’avérer dangereux. Le régime de Bokassa a donc mené de 1974 à 1978 une guerre sans merci contre le pluralisme, contre les voix qui exprimaient des opinions divergentes, entonnaient des chansons différentes, des opinions et des chansons qui ne glorifiaient pas la sagesse infinie de l’empereur, hululaient le développement miraculeux que l’on disait avoir cours dans le pays, et ne s’émerveillaient pas de la stabilité, de la paix et du calme enviables, etc. Des histoires imprévisibles, uniques en leur genre, avaient un effet subversif sur les symboles de l’empire. Ce qu’écrivait, 28
chantait, lisait, pensait le peuple, ce à quoi il rêvait, devait faire l’objet d’une constante surveillance. La Censure se faisait au nom de l’intérêt supérieur de l’empire. Sous ce manteau du silence, un peuple tout entier a été homogénéisé, infantilisé et avili, leurs langues ayant été habituées à exprimer et à chanter les banalités de ce que Vaclav Havel a appelé le nihilisme totalitaire, leurs imaginations ayant été dépourvues de la faculté de rêver. Pendant près d’un décennie, le pouvoir omniprésent de l’empereur Bokassa a installé l’inertie au niveau du grand public, a sacrifié la volonté et la conscience populaires sur l’autel de la cupidité et de la terreur d’une classe dirigeante qui, comme Fanon l’a si bien souligné dans son sévère procès de l’ordre postcolonial, n’avait aucune mission historique, si ce n’est sa propre reproduction et le mimétisme d’une bourgeoisie européenne. La Censure devenait alors un rideau de fer pour cacher les mensonges, les déformations et les fantasmes d’un pouvoir improductif et sans pitié. Et cela engendra l’autocensure, une peur collective paralysante de tenir une conversation sociale significative et un discours en public, de remettre ouvertement en cause l’ordre établi et d’imaginer ce qu’il devrait être. La censure en Centrafrique avait une dimension universelle qui consistait à étouffer et à réduire au silence des récits écrits et oraux, des textes intellectuels et même le discours de l’homme ordinaire. Cela pouvait parfois prendre des proportions grotesques : un assistant en anatomie a été détenu apparemment pour avoir animé une discussion sur « la capacité reproductive » des vieillards – un fait considéré comme un manque de respect à l’égard du vieil empereur Bokassa. Et plusieurs personnes ont été contraintes à l’exil pour avoir refusé d’acheter la carte de militant du Parti unique de l’époque, le MESAN (Mouvement d’Evolution Sociale en Afrique Noire), de n’avoir pas acheté pour leurs 29
épouses des tissus frappés de l’effigie de l’empereur, ou d’avoir simplement fait un geste en public qui ne correspondait pas à la norme. Les évêques ont fait l’objet des plus vives réprimandes et ont failli y laisser leur vie pour avoir osé appeler à l’instauration d’une nouvelle ère, plus juste, plus équitable et plus démocratique dans le pays. Fort heureusement, ceci a coïncidé avec l’époque où la Centrafrique sentait venir les vents du renouveau démocratique sur le continent, balayant tout sur leur passage, à mesure que les pressions internes et externes s’accumulaient sans cesse sur la dictature bokassiste. Entre temps, l’étau de la tyrannie se resserra davantage et les arrestations et détentions arbitraires se multiplièrent. Mais il y avait quelque chose de bien méthodique dans cette folie : avec les arrestations arbitraires, personne ne savait pourquoi un tel a été arrêté et, par voie de conséquence, tout le monde avait peur. Privés de la liberté d’expression et de moyens de communication de masse crédibles, les centrafricains ne vivaient que de rumeurs et de bribes d’informations en provenance de la Radio France Internationale (RFI) et le pays continuait sa descente aux enfers. Les stress et la tension nerveuse pouvaient se lire sur le visage anxieux des gens dans les lieux publics, dans les coups d’œil furtifs qui trahissaient une peur mal contenue, dans les conversations à voix basse, dans le langage des gestes. L’exil fournissait un certain répit, loin des silences assourdissants qui rythmaient la vie en Centrafrique. Certains ont payé de leur vie. Raymond Gabina a été abattu dans les rues de Bangui, Joseph Feidangaye et sa famille ont été bombardés au quartier Boy-rabé. Bon nombres d’artistes centrafricains ont vu leurs talents s’émousser en terre étrangère. Le silence littéraire de nombreux intellectuels a été largement imposé par les 30
ténèbres dans lesquelles la tyrannie du régime de Jean Bedel Bokassa avait plongé le pays tout entier. Plus grave encore, le carriérisme, l’opportunisme et la confusion idéologique ont amené de nombreux « intellectuels » à vendre leurs talents à l’Etat pour des miettes et des faveurs éphémères. C’est ainsi qu’un historien de grande renommée à l’époque est devenu le Secrétaire Général du Parti unique (MESAN), et un autre (grand philosophe) le rédacteur-en-chef de l’unique quotidien national, tous deux appartenant à un consortium de l’empereur et de ses proches. Ces « intellectuels » étaient devenus les garçons de course flagorneurs du régime. Entre leurs salaires relativement élevés, leurs voitures de fonction et l’importance trompeuse de leur train de vie, il y avait toute la colère et tout le mépris du peuple meurtri. Il apparait clairement qu’à bien des égards, beaucoup d’intellectuels de ce pays ont, non seulement, concédé du terrain politique à l’Etat totalitaire, mais ont aussi parfois contribué au renforcement de la dérive autoritaire. Il nous faut reconnaitre ces vérités difficiles à digérer pour que les critiques que nous formulons à l’encontre des despotes centrafricains soient moralement acceptables. Nous avions même parfois soutenu en d’autres circonstances que l’Etat ne portait pas souvent l’entière responsabilité du musellement et du bâillonnement de la liberté d’opinion en Centrafrique. Les pratiques et tendances intolérantes, hiérarchiques, arbitraires, corrompues, opportunistes à l’œuvre dans les institutions gérées par les « universitaires » eux-mêmes, et dans la société globale, ont joué un rôle de tout premier plan dans le bâillonnement et l’effondrement de la liberté d’opinion dans les milieux intellectuels.
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Aujourd’hui encore, les projets de développement de la République centrafricaine sont envisagés dans une situation de crises persistantes où la capacité de production économique est infime et ne facilite aucunement pas la visibilité du pays dans tous les secteurs d’activités. Depuis plus de trois décennies, la situation socio-économique et politique de la Centrafrique s’est considérablement dégradée .De fait, cette situation alarmante a détérioré, de manière notoire, les conditions de vie de la population, amplifié la pauvreté et rendu l’accès difficile de la majorité de la population aux services sociaux de base. II. CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DU PAYS Enclavée au cœur du continent, à plus de 1000 kilomètres à l’est des côtes du golfe de Guinée, la République centrafricaine qui couvre une superficie de 623 000 km2 et compte environ 4,5 millions d’habitants, est isolée par rapport aux grands réseaux d’information en raison de la faiblesse du niveau de son système de Technologie d’Information et de Communication. Sa capacité de production scientifique et culturelle est si infime qu’elle ne facilite pas la visibilité du pays au plan scientifique, culturel, économique, politique, etc.… Et pourtant, dans le monde de plus en plus ouvert, où la compétition est rude à tous les plans, et les défis nombreux, aucune avancée ne peut se faire sans l’accumulation et l’enrichissement perpétuel des connaissances. 1. Le développement humain et la situation sociale de la RCA Aujourd’hui, la population centrafricaine vit, d’une manière générale, dans des conditions particulièrement 32
critiques de pauvreté. Au total, 49% de la population nationale et 57,3% de la population rurale sont affectées par le fléau de la pauvreté, dont les femmes, les jeunes à la recherche d’emplois, les handicapés et les groupes marginaux (Pygmées et Mbororo). L’accès limité à l’éducation de base (le taux net de scolarisation avoisine 420/00) et la faible qualité de l’enseignement (le ratio nombre d’élèves par maître atteint 109) constitue l’un des problèmes cruciaux auxquels s’ajoutent : (a) une faible espérance de vie à la naissance (49,6 ans) ; (b) un taux élevé de mortalité maternelle (9,4%0), et de mortalité infantile (97%0) ; (c) un faible accès aux formations sanitaires ; (d) un encadrement médical peu efficace (1 médecin pour 21342 habitants, 1 sage-femme pour 16 000 habitants, 1 lit pour 800 malades.) ; (e) une forte prévalence du VIH/SIDA (15% à Bangui, 8% dans les villes secondaires et 4% en milieu rural) ; (f) un faible accès à l’eau potable (30% de la population) et à un milieu salubre (26,6% des ménages) ; (g) l’ampleur croissante et inquiétante du chômage, (h) enfin un faible pouvoir d’achat (plus de 65% de la population vivent avec moins d’1 dollar US par jour). Ce profil pourrait faciliter une compréhension de la fragilité et de la mauvaise qualité et quantité du capital humain et de sa restructuration multidimensionnelle. C’est aussi le cas au niveau socioculturel, de l’accès aux services sociaux de base. 2. La situation du pays au plan politique et économique Au plan politique Au plan politique, le pays a amorcé l’apprentissage de la démocratie au cours des vingt dernières années. L’exercice est très difficile, car entrecoupé par des crises militaro-politiques à répétition en 1996, 1997, 2001, 2003 33
et 2013. Toutefois, en dépit de nombreux efforts déployés et appuyés par la communauté internationale, le dialogue entre les différents acteurs a souvent été maintenu et des réformes institutionnelles ont consacré la séparation des pouvoirs et la prise de conscience du processus de décentralisation et de planification régionale du développement. Autant d’actions qui devaient converger peu à peu à l’établissement d’un Etat de droit, de la stabilité politique, et de la promotion des pratiques de bonne gouvernance. Malheureusement, les séries de crises politico-militaires et les tentatives de coups d’état survenus dans le pays entre 1996 et 2013, ont créé l’insécurité dans l’arrière-pays et ont provoqué des mouvements migratoires internes et externes. Les préfectures les plus frappées par les derniers évènements sont : l’Ouham-Pendé, l’Ouham, la Kémo, la Nana Gribizi, l’Ombella-Mpoko, la Ouaka, la Vakaga, la Bamingui-Bangoran, la Basse-Kotto, la Haute-Kotto, etc. Aujourd’hui, l’héritage est lourd et le pays tout entier a perdu toute sa dignité et son honorabilité. Personne n’aurait cru qu’un Etat « souverain » comme la République centrafricaine en arriverait à essuyer une telle infamie, depuis que des forces négatives, soient-elles d’un pays voisin, se sont allègrement incrustées sur le territoire centrafricain pour s’alimenter à coups de rapine, d’enlèvements des bétails et d’exactions sur les paisibles populations autochtones ; et ceci, dans une posture de défiance exacerbée, au regard des sacro-saints principes de l’inviolabilité de l’intégrité du territoire et du peuple du pays investi. Entretemps, la présence des rebelles tchadiennes du FPR (Front Populaire pour le Redressement) de Baba Ladé à Kaga-Bandoro n’a été ni plus ni moins qu’un sacrilège, un vandalisme inacceptable de la souveraineté nationale. Pourtant, c’est bien la répugnante réalité de ce pays, 34
advenue à la faveur d’une démission ahurissante de l’Etat, devant sa mission régalienne de défendre, par le truchement de l’armée nationale, l’intégrité du territoire national. L’option choisie entre temps par certains « leaders » de l’opposition dite « démocratique », c’est d’appuyer de nombreuses rébellions dont les géniteurs seraient de noncentrafricains, en vue de restaurer l’autorité de l’Etat. Mais, la coalition Séléka qui a chassé le Président Bozizé du pouvoir le 24 mars 2013, n’a pas pu rétablir l’autorité de l’Etat. Bien au contraire, ce groupe de rebelles, dominé par des mercenaires étrangers, s’est dispersé sur l’ensemble du territoire, pillant les villages et les quartiers urbains, et commettant des exactions sur les paisibles populations autochtones. Pis encore, ces rebelles ont régulièrement vécu le grand soir dans les villes, aux dépens des citoyens jetés en pâture par un « Etat centrafricain défaillant ». En réaction contre ces agressions généralisées, un groupe de victimes, constituées en autodéfense, et soutenues par quelques éléments déserteurs des FACA (Forces Armées Centrafricaines) organisèrent une contre attaque et marchèrent sur la capitale – Bangui -, le 05 mars 2013. Promptement, les réactions de la Communauté internationale ne se sont pas fait attendre : d’abord, les Nations-Unies autorisent la France à déployer ses forces dans le pays en vue d’appuyer les forces dans la FOMAC qui ont cédé ensuite la place à la MISCA. C’est alors que les membres de la CEEAC, réunis à Ndjamena (au TCHAD) forcent les mains de Djotodja et celles de Tiangaye à jeter l’éponge, donnant l’occasion à Mme Catherine SAMBA-SAMBA d’accéder au pouvoir. Là où le bat blesse est qu’en dépit des Résolutions des Nations-Unies et un nombre important des forces étrangères sur le territoire centrafricain, l’insécurité va 35
grandissante. L’Etat a disparu et les forces négatives font leur loi. Et la démission de l’Etat est là. Pour être plus précis, que dire du fait que des groupes armés incontrôlés en survivance dans tout le pays, se comportent carrément en occupants, détruisant en passant de précieux écosystèmes, pillant, violant et tuant allègrement des centrafricains sur leur propre sol ? Cette brève rétrospective nous permet de démontrer à suffisance qu’aucun bord politique centrafricain, ne pourrait honnêtement se targuer du monopole de patriotisme, de nationalisme, et encore moins de la vérité qui l’habiliterait à jeter la pierre sur les autres. La succession des évènements aussi dramatiques que malheureux comme les multiples coups d’Etat, les mutineries et les rebellions à répétition, l’invasion et l’occupation d’une partie du territoire national, nous semble procéder d’une catharsis nationale qui devrait appeler les citoyens de ce pays à méditer sur ce qui arrive aujourd’hui, pour s’engager du bon pied sur la route du futur. C’est ainsi qu’il nous revient de penser que la classe politique centrafricaine se doit illico presto de transcender toutes ses pesanteurs ethnico-régionalistes actuelles, lesquelles ne cessent de lui dicter des discours de médiocrité dont le seul mérite est de la happer vers le bas. Les politiciens centrafricains devraient prendre à bras le corps tous ces nombreux défis sécuritaires et socioéconomiques qui jonchent la voie du retour vers le processus de développement de la République centrafricaine. Malheureusement, c’est aujourd’hui le contraire. Au niveau économique L’économie centrafricaine dominée par l’informel, surtout l’agriculture de subsistance et la perfusion de 36
l’aide européenne, fonctionne sur le mode de la survie. Tout comme la République Démocratique du Congo, qui occupe le 176è rang sur 182 dans le classement de l’indice de développement humain (2009), la République centrafricaine a vu la nature reprendre ses droits sur les infrastructures essentielles (routes, réseaux d’eau et d’électricité), faute d’entretien et d’investissements. Comme nous l’avons déjà dit, depuis l’indépendance, le parcours économique de ce pays n’a pas été linéaire : à une période de croissance dans les années 1960 et 1970 ont succédé le déclin puis le total effondrement économique pur et simple. Cette descente en enfers a démontré que la pauvreté de masse n’est pas l’œuvre du destin, mais le résultat logique des décennies de mauvaise gouvernance. Près de soixante années, ont alterné dictatures théocratiques de longue durée, coups d’Etat à répétition, déstabilisations du pays par des croisées de guerres civiles instrumentalisées. L’évolution de 1993 à 2015 a été très mitigée et liée quasiment au rythme des crises militaro-politiques. En ce qui concerne la production, il convient de noter qu’à la fin de 1993, le PIB mesuré par les prix de 1985, a connu une croissance quasi nulle de l’ordre de 0,3%. En revanche, les deux années suivantes ont été marquées par un haut conjoncturel dû principalement à l’effet mécanique de la dévaluation et sans doute, et dans une moindre mesure, au phénomène de changement politique. Le PIB s’est hissé à 4,9% en 1993 pour culminer l’année suivante à 6,4%. La reprise du secteur secondaire (industries manufacturières et de construction) et du secteur tertiaire (les services privés) en 1994, la renaissance du secteur primaire (principalement l’agriculture de subsistance) et le bon niveau des droits d’importations et impôts divers, en 1995, le justifient.
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Bref, la situation économique de la République centrafricaine de ces dernières décennies, a été surtout lamentable et décevante. Tous les indicateurs économiques, y compris la production agricole par tête d’habitant, la production industrielle, les performances en matière d’exportations et la capacité d’importation ont enregistré une tendance à la baisse. Le taux d’épargne nationale et le taux d’investissement sont restés insignifiants et s’inscrivent en baisse. La charge de la dette extérieure est lourde et continuellement en hausse. A la suite des faibles performances économiques de ces dernières décennies, les indicateurs sociaux se sont euxaussi détériorés. Les effectifs des écoles primaires ont chuté dans de nombreuses régions où la qualité de l’enseignement s’est détériorée et les normes alimentaires et sanitaires ont nettement baissé. La faiblesse des performances économiques a des causes multiples et variées. Ce sont, entre autres, les mauvaises conditions de départ au moment de l’indépendance du pays, en termes de capacités humaines, technologiques et institutionnelles faibles et insuffisantes, de stratégies économiques inefficaces, de faibles capacités à répondre aux chocs extérieurs, des crises militaro-politiques récurrentes, d’attente insuffisante accordée au soulagement de la pauvreté, d’un secteur privé faible et peu développé, et d’une politique inappropriée de développement du pays. Alors, comment peut-on envisager la reprise d’une croissance économique forte et durable, au cœur de la survie de République centrafricaine ? Comment peut-on augmenter le niveau de revenu, afin de satisfaire les besoins fondamentaux de la population centrafricaine ? En somme, comment le pays peut-il accroitre les niveaux de productivité et de croissance économique ?
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Pour surmonter la crise économique que connait la RCA, depuis plusieurs décennies, il faut agir sur plusieurs fronts. D’abord, les dirigeants de ce pays doivent accorder la priorité au développement économique, en accordant prioritairement une plus grande attention à l’agriculture et au développement rural. Ensuite, des mesures doivent être prises pour accroitre la mobilisation des ressources nationales et pour rendre plus efficiente l’utilisation du capital ; il faudra dans ce cas, améliorer le système de gouvernance, pour créer ainsi un environnement favorable à la croissance économique. De même, le cadre politique et économique doit être propice à la croissance économique. Il faudra ainsi renforcer les institutions économiques et développer le capital humain par le biais de l’éducation et la formation. Ce qu’il faut, c’est une combinaison de mesures réalistes à court et moyen termes. Dans une première étape, il faudra accomplir des actions concertées pour rationaliser les structures nationales existantes qui ont la charge d’orchestrer les efforts de coopération à l’intérieur du pays. Une autre étape pourrait consister à concentrer l’action sur l’harmonisation des différents plans de développement du pays (infrastructures, marchés, structures de production, commerce, suppression des tarifs douaniers et autres, libre circulation des facteurs de production). Aussi, devons-nous nous poser les questions qui suivent : comment la RCA pourra-t-elle ajuster avec précision une réforme économique pour l’adapter à la situation actuelle du pays ? Comment le gouvernement centrafricain et le secteur privé pourront-ils assurer la durabilité des différentes réformes déjà entreprises et/ou à entreprendre ? Que doit faire le gouvernement pour la poursuite des réformes dans la recherche d’une croissance économique durable ?
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C’est vrai qu’il faut que le pays maintienne la vitesse des performances économiques et mette l’accent sur leur lien avec les objectifs de développement à long terme. Mais, il faut aussi que les changements adéquats des structures économiques nationales puissent entrainer une augmentation générale de la production alimentaire, une diversification des activités manufacturières, une expansion des capacités humaines, et une croissance soutenue des exportations non traditionnelles. L’expansion des cultures à valeur ajoutée relativement forte (bois, café…) ou des produits agricoles mi-ouvrés, doit être encouragée. Toutefois, le gouvernement centrafricain doit aller au-delà des réformes économiques en cours, en encourageant ou en renforçant la mobilisation des ressources nationales et les capacités technologiques et institutionnelles du pays. Malheureusement, suite aux multiples mutineries, le PIB réel a chuté à -3,1% à la fin de 1996 pour se redresser en 1997, grâce aux effets combinés des négociations sous arbitrage des pays amis et de l’aide internationale. En termes réels, la progression du PIB a été de 4,2% en 1997, 5,5% en 1998 et 1,67 en 2000, après une stagnation en 1999. Il a ensuite connu un arrêt brutal, de 2001 à 2009. La situation postcoloniale favorable politiquement pour la République centrafricaine s’est très rapidement transformée en un bourbier préfigurant toutes les crises actuelles que connait le pays. L’Etat moderne et ses attributs légués au pays ont servi toutes les horreurs des dirigeants en raison de choix politiques et idéologiques antinomiques à l’intérêt de la population. C’est ainsi que la République centrafricaine, comme beaucoup de pays africains, a accusé un immense retard, en servant de terrain aux conflits de plusieurs belligérants. Les hommes forts centrafricains qui se sont jusqu’ici succédés au pouvoir n’ont été que de nocifs dictateurs (Bokassa, Kolingba, 40
Patassé, Bozizé, Ndjotodja…). Ceux qui sont tombés dans l’escarcelle des grandes démocraties n’ont pas su tirer les bénéfices de l’Etat de droit et des bienfaits du capitalisme. Aussi, la démocratie fut-elle rythmée dans ce pays par la misère sociale et les menaces de rebellions et de coups d’Etat militaires. Les chutes de certains chefs politiques centrafricains, à chaque fois que ce fut le cas, déclenchent un chaos généralisé. La guerre civile et l’instabilité politique sont les seuls héritages qu’ils laissent au peuple centrafricain. Tout peut être vite remis en cause en Centrafrique, et presque toujours pour des raisons politiques. Alors, se pose la question pertinente : comment vivre la démocratie en Centrafrique, en l’absence d’une conscience politique ? Force est de constater que dans ce pays, la démocratie n’est pas lisible, et on croit encore que les élections suffisent pour la faire exister et favoriser le changement. L’alternance politique exceptionnellement obtenue n’efface pas les habitudes de gouvernance. Or la démocratie, c’est aussi le mode de gouvernance qui permet aux gouvernés de participer régulièrement aux prises de décision concernant la vie quotidienne et la possibilité de pouvoir tenir les élus responsables de leurs actes. Malheureusement, les hommes forts en Centrafrique utilisent presque la même méthode pour obtenir des résultats aux présidentielles. « On n’organise pas les élections pour les perdre », martèle ainsi Pascal Lissouba, ex-président du Congo Brazzaville. Ainsi, la façon dont la démocratie est vécue en Centrafrique comme en Afrique, n’a rien à voir avec une vision démocratique de la vie sociale.
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La situation du pays au niveau des finances publiques La situation de la RCA, au niveau des finances publiques n’a jamais été aussi brillante, comme on l’avait souhaité à l’époque. Après une plongée en 1993, les recettes fiscales ont connu une nette progression entre 1993 et 1995, de l’ordre de 21,48%. Entre 1997 et 1999, elles ont progressé de l’ordre de 17,49%. Cette progression est due aux efforts de recouvrement. A la fin de 2000, cette croissance a atteint 18,27%. Dans le même temps, les dépenses ont augmenté proportionnellement plus vite que les recettes. La progression qui était de 30,31% en 1997 et 35,15% en 1998 a chuté brutalement en 2001 et 2002. Cette situation a débouché sur l’accumulation des arriérés intérieurs et extérieurs. Au plan de la balance de paiement, trois enseignements sont à tirer de l’analyse de la situation du pays dans ses relations avec l’extérieur. Premièrement, la position extérieure du pays, à travers le solde du compte courant et des transferts officiels exclus, a été déficitaire sur toute la période sous revue. Deuxièmement, le flux net public n’a été favorable au pays que pendant les années 1994 et 1995. Après cette période, il a été largement déficitaire. En effet, l’aide extérieure a été plus significative pour accompagner la dévaluation. Par la suite, elle a fléchi, alors que les obligations au titre de la dette extérieure sont demeurées rigides. Finalement, le solde global du pays a affiché un excédent sur la seule année 1994 avant des rester déficitaire sur toutes les autres. En somme, force est aujourd’hui de constater que la contribution de la RCA au commerce mondial, ses performances économiques et financières, et son poids dans les relations commerciales sous régio42
nales et intercontinentales sont restés foncièrement faibles. Troisièmement, de nombreuses études et enquêtes réalisées pour cerner, soit les faits de population, soit les déséquilibres macroéconomiques, soit les profils de la pauvreté, soit encore les tendances de la consommation des ressources de la biodiversité sont aujourd’hui caduques. Les plus récentes, en terme exhaustif datent de plus d’une quinzaine d’années. Aujourd’hui, les grandes décisions de planification, de gestion, de suivi et d’évaluation de développement sont prises sur la base de supputations, sans aucun indicateur fiable. Les politiques d’allocation budgétaire et/ou d’affectation des services sociaux de base, non plus, ne sont établies sur aucune base statistique sérieuse. Ce qui n’est pas de nature à garantir la fiabilité des analyses, ni la pertinence des options. Peut-on dire que même les activités pédagogiques ayant trait à la connaissance ou à la découverte de la République centrafricaine souffrent-elles aussi des carences notoires en données fiables ? Nous pensons par exemple que, la réactualisation de l’atlas de la République centrafricaine sur la base de statistiques améliorées, pourrait être un gage pour l’avancement du chantier de l’élaboration du cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. La République centrafricaine doit, nous pensons, essayer de se positionner stratégiquement. Cela cadrerait parfaitement avec le nouvel esprit post-conflit, un esprit qui veut que le pays jouisse désormais des fruits de son développement, en utilisant ses propres ressources, et qu’il soit considéré comme un Etat réellement souverain et respecté. Pardessus tout, il doit aussi désormais connaitre où se situe 43
ses véritables intérêts. Ces réflexions devraient servir de moment décisif, de catalyseur pour toute action concrète de l’élite centrafricaine d’aujourd’hui et pour la Centrafrique de demain. Le peuple de ce pays ne mérite pas moins. C’est une option réaliste que devraient choisir dans l’avenir les prochains dirigeants issus des urnes de fin 2015, au regard de tout ce que le pays a connu jusqu’ici. Ce qui sous-entend désormais l’existence de leaders politiques convaincus et engagés. 3. L’absence de vrais leaderships politiques en RCA L’absence de véritables leaders politiques en République centrafricaine est une réalité qui doit être considérée comme étant l’une des principales causes de la profonde crise de développement du pays. En effet, si ce pays disposait de bons leaders politiques incorruptibles, intègres, responsables, engagés vis-à-vis du développement et de la défense des intérêts et du bien-être des citoyens (et non des intérêts de leurs propres groupes ethniques), on aurait réduit le grave retard que le pays accuse aujourd’hui. Aujourd’hui beaucoup de gens se posent à juste raison la question de savoir, comment la République centrafricaine peut-elle avoir ou produire de bons leaders politiques, efficaces, intelligents, imaginatifs, sensibles aux intérêts et au bien-être de tous les citoyens de l’Etat, moralement intègres et véritablement engagés à défendre les causes de sa population ? Produire ou obtenir de bons leaderships pour la République centrafricaine, comme pour n’importe quel pays du continent africain, est toujours une question ardue, si l’on considère les imperfections que comportent aussi bien des hommes de ces pays que les institutions en place. Pourtant, la constitution centrafricaine, non seulement, 44
proscrit la mise en place de tout pouvoir militaire autoproclamé, mais reste favorable à toute alternance politique normale. Il est établi que les institutions politiques introduites en RCA après la colonisation, ont très peu tenu compte jusqu’ici des valeurs et pratiques locales. A la place de la politique « consensuelle » qui était la facette dominante de la politique coloniale centrafricaine (disons oubanguienne), on a fait appel à de nouveaux modèles imposés de l’extérieur pour pratiquer la nouvelle politique de confrontation. La politique traditionnelle de compromis ainsi que d’harmonie et de participation communales fut donc remplacée par la politique du « tout pour le gagnant ». Les procédures de prise de décision qui permettaient ainsi la contribution individuelle et favorisaient la tolérance mutuelle, la patience et le respect des opinions des autres, sont mises à l’écart. Finalement, la notion de l’Etat en tant que res publica – chose publique – et en tant qu’organisation politique dont la survie, le bien-être et la réussite étaient l’affaire de tous, était très bien comprise dans le milieu traditionnel. Il faut aussi avouer que l’idée politique de la démocratie était donc parfaitement connue d’une partie de la tradition centrafricaine ; mais cette idée était exprimée de manière différente de celle d’aujourd’hui. C’est pourquoi, l’échec de la politique du pays est à maints égards lié au fonctionnement de nos institutions sur le modèle des institutions étrangères imposées et le manque de compétence bureaucratique appropriée. Il ressort que les échecs institutionnels de l’époque postcoloniale semblent suggérer que l’Etat centrafricain doit ériger ses propres institutions. Ces institutions devraient susciter la compréhension et la légitimité locale.
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III. OÙ SONT PARTIS LES INTELLECTUELS CENTRAFRICAINS ? Dans les circonstances actuelles et au regard des crises militaro-politiques de ces dernières décennies, la République centrafricaine, sa population, son élite, ses décideurs et surtout ses intellectuels, ont besoin d’entreprendre une sérieuse réflexion du genre « où sommes-nous et où allons-nous en tant que peuple ? » La crise à laquelle nous sommes confrontés n’est pas seulement économique ou militaro-politique. Nous sommes confrontés à une crise beaucoup plus profonde, une crise d’esprit, d’engagement en faveur de notre peuple et de son bien-être à long terme. Nous devons honnêtement et franchement nous mettre à la tâche si nous voulons laisser un héritage aux générations futures, un héritage dont nous serions en droit d’être fiers en tant que peuple centrafricain. Il est clair que si la République centrafricaine n’agit pas ensemble et ne s’unit pas autour de ses intérêts stratégiques, cela risque de porter préjudice à tous. Au regard de ce qui s’est passé en Centrafrique pendant ces deux dernières décennies, et en prenant en compte à la fois les différents acteurs à l’origine des psychodrames centrafricains, et ceux qui sont engagés au niveau national dans la recherche des solutions aux différentes crises militaro-politiques, nous voulons citer : les politicomilitaires, les milices, les gouvernements (qui se sont succédés), les politiques, mais surtout la société civile : ce fourre-tout où se terrent des politiciens ratés ou retraités, en attente d’une hypothétique nomination ; des regroupements apolitiques qui ne font que faire de la politique ; des organisations non gouvernementales (ONG) en apparence, abritant des militants en tenues d’agents humanitaires ; enfin, à ne pas passer sous silence, tous ces regroupements, toutes ces personnes dignes et respectables se réclamant de cette société civile ; beaucoup de questions 46
se posent aujourd’hui : où sont passés ou que sont devenus aujourd’hui nos intellectuels et nos penseurs ? Y aura-t-il un jour un gouvernement des « intellectuels », sachant qu’il y a eu dans le passé des gouvernements « militaire de redressement national », de « salut public », de « dialogue et de paix », d’ « électriciens et de réparateurs », de « rebelles et de politico-militaires », etc. ? Pourquoi ces « intellectuels » ne s’organisent-ils pas en institutions de référence pour proposer des solutions idoines aux crises récurrentes que connait le pays ? Pourquoi ne s’imposentils plus dans les débats politiques comme le faisaient jadis au Centre Protestant pour la Jeunesse (CPJ), au Centre Culturel Français (CCF) ou au Centre Jean XXIII de Bangui, des grands orateurs et hommes à poigne comme : Alphonse Blagué, Raphaël Nzabakomanda-Yakoma, Golondo, Pamadou-Pamoto ou Goneyo-Répago ? C’était véritablement une « classe d’élites ». Certes, en République centrafricaine comme un peu partout en Afrique, sont généralement affublés du titre d’intellectuels, tous ceux qui ont fait des études supérieures, même s’ils n’ont pas un goût prononcé pour les choses de l’esprit. On retrouve aussi dans cette catégorie, des commis et autres auxiliaires de l’administration publique ou privée qui, promus par ancienneté ou souvent par népotisme à des grades et fonctions supérieurs, s’imaginent « intellectuels ». Toutefois, on peut les regrouper les uns et les autres dans six grands groupes : 1. Des intellectuels blasés et muets : il s’agit de ceux qui, malgré leur niveau d’études, restent indifférents aux affaires de la cité, mais demeurent des professionnels compétents et performants. Philosophes, sociologues, psychologues, anthropologues, historiens, géographes ou autres, leurs voix ne s’élèvent souvent que dans les salles de classes des
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lycées, les amphithéâtres des universités, les services administratifs ou chez eux. 2. Des intellectuels tièdes et intermittents : ce sont ceux qui, de temps à autres, osent écrire quelques rares articles, faire quelques interventions sans aucun éclat particulier. Ils tombent aussitôt dans l’oubli et finissent par vautrer dans l’indifférence totale. 3. Des intellectuels en attente de déploiement rapide : ils sont partout présents, et passent tout leur temps à veiller et à attendre la moindre occasion qui se présente devant eux. Ils ne reculent devant rien pour assouvir leurs ambitions politiques ; et sans réfléchir, ils s’embarquent pour les premiers postes de Ministre, de Conseiller ou de Porte-parole du gouvernement ou de la Présidence de la République. Généralement, ce sont d’intrépides courtisans, d’irréversibles intrigants et de véritables spécialistes rompus aux stratagèmes d’ascension politique rapide. Toujours présents dans toutes les manifestations de soutien au régime au pouvoir, ou au candidat potentiellement éligible, ils font tout pour éblouir, si ce n’est pour paraitre, même au prix du ridicule. 4. Des intellectuels politiciens échaudés : en République centrafricaine, comme dans plusieurs pays d’Afrique d’ailleurs, l’intellectuel mué en politique a fini toujours par décevoir. Ecrivains et essayistes, avocats ou journalistes, dans tous les cas, brillants formateurs ou technocrates, ils jouissent d’une autorité certaine dans le domaine de la pensée, savent s’imposer et se faire respecter partout. Mais improvisés hommes politiques, ils finissent souvent par décevoir et perdre leur notoriété. Nous savons encore que des partis uniques en Centrafrique comme le MESAN (de David Dacko) ou le RDC 48
(d’André Kolingba), ainsi que des despotes comme Jean Bedel Bokassa, André Kolingba, François Bozizé et Djotodja ont été soutenus ouvertement par de nombreux intellectuels véreux, qui ont fait de grandes études dans de grandes écoles d’Europe et qui ont une capacité d’analyse pertinente avérée, mais qui n’ont aucune conviction politique. 5. Des intellectuels inclassables : il s’agit ici des intellectuels que nous pouvons qualifier de « flottants » ou d’ « opportunistes », qui n’ont pas d’engagement politico-citoyen ferme et qui pensent que la gestion de la cité, la résolution des problèmes des populations et de la chose publique relèveraient des seuls hommes de valeur et de grand talent comme eux. 6. Des intellectuels serviles : ils sont souvent plus téméraires, plus zélés et plus visibles. Dotés d’une bonne capacité d’analyse, ils mettent leur imagination au service du pouvoir en place qu’ils peuvent servir avec loyauté. C’est le cas d’un fameux philosophe, éminent Maître de conférences à l’Université de Bangui qui a pu servir, sans discontinuité, Ange Félix Patassé, François Bozizé, Djotodja et aujourd’hui Catherine Samba-Panza. Bref, il appartient à cette classe d’ « élites intellectuelles centrafricaines », de créer un espace de courage, de résistance, d’abnégation et surtout de vision à long terme, faute de quoi, les rebellions auront encore de beaux jours devant eux. De toute évidence, le problème qui se pose aujourd’hui à nos intellectuels, c’est celui de leur niveau d’héritage et de créativité scientifiques, et de leur autonomie par rapport aux modèles des écoles occidentales qu’ils critiquent et diabolisent constamment. Beaucoup de gens jugent déplorable la tendance à vouloir rejeter systématiquement tout ce qui vient de l’extérieur ou 49
des registres coloniaux. Certes, c’est une tendance fondée, mais il faut encore que nos intellectuels soient capables de réévaluer leurs richesses culturelles. IV. L’IDENTITÉ DU PAYS ET LE RESPECT DE SES CITOYENS On peut dire, sans se tromper que, le non-respect de l’identité de la RCA de ses citoyens résulte de plusieurs facteurs : 1. Non l’administration coloniale a interrompu l’évolution naturelle des valeurs culturelles et traditionnelles du pays, mais elle a aussi rabaissé et dénigré ses valeurs – valeurs culturelles – qui constituent une base essentielle de l’identité d’un peuple. 2. La « perte » de notre identité, au profit des dirigeants étrangers, et la déshumanisation concomitante de nos populations déclenchée par le colonialisme et l’impérialisme, sont aujourd’hui préoccupantes. 3. Le peu d’empressement de créer nos propres institutions, de croire en elles et de les entretenir. 4. Les échecs et frustrations politiques et économiques de l’heure, qui semblent douter de nos capacités à résoudre nos problèmes, en toute confiance et de façon satisfaisante, nous rendant la plupart du temps dépendants des autres. 5. Le fait que nous n’ayons apparemment pas accompli beaucoup de progrès dans notre vie politique et économique, depuis l’indépendance du pays : tout cela a engendré une crise identitaire et d’estime de soi.
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S’agissant du rétablissement du respect de notre pays et de notre dignité, nous pensons qu’il faudra nécessairement : Bâtir une nouvelle société centrafricaine, à partir de ses racines culturelles, pour donner au peuple centrafricain un véritable sentiment d’authenticité et d’enrichissement. Mettre en place des structures éducatives destinées à développer d’une part, les capacités intellectuelles de la population, et à d’autre part, des attitudes et des perceptions positives chez des centrafricains « lettrés » qui font montre de respect ; Créer des structures éducatives qui mettront l’accent sur la créativité et l’esprit d’innovation, et non d’imitation, et qui combleront le fossé qui sépare l’élite de la masse. V. LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Partout, on parle de mondialisation, de bonne gouvernance, de développement durable. Et la pauvreté aussi est bien là ; elle fait partie du vécu quotidien de millions d’individus. Elle voyage à travers le monde sans passeport. Derrière les visages des hommes et femmes victimes de ce fléau, se cachent des réalités bien tristes, faites de vies sans espoir et sans possibilités de choix. Combattre la pauvreté devient finalement l’action prioritaire de l’humanité toute entière, comme de celle de la population centrafricaine. Du coup, la pauvreté devient une notion tragique mais, à certains égards, confuse qui transite dans les marges de l’économie, du social et du culturel. Bien souvent, il s’agit d’un faux fuyant linguistique qui sert de bouche trou au concept de développement dont on ose de moins en moins 51
parler, parce qu’on sait de moins en moins « ce que c’est » et que la mode est plutôt aux ajustements et à l’assainissement financier et économique... A quelque chose, malheur est bon. Le fait de ne plus s’obnubiler sur le développement conduit finalement à se poser une question de bon sens : Que faire concrètement pour améliorer la vie quotidienne du grand nombre et réduire la peine des parlas et des exclus. Par contre coup, l’idée de croissance pourrait être un jour renouvelée par le sentiment (puisqu’il s’agit encore d’une intuition) qu’une vraie croissance a au moins pour première vocation d’éliminer la « pauvreté » ou du moins les situations les plus criantes d’injustice, de misère, bref, de déréliction morale et physique de centaines de millions de personnes sur la planète. On pourrait alors se poser une question « audacieuse », qui conduirait en quelque sorte à l’inversion de la « filière orthodoxe » : comment la réduction de la pauvreté dans la vie quotidienne peut constituer un véritable levier de la croissance et du développement ? D’ores et déjà, l’Assemblée Générale des Nations Unies avait, jadis, déclaré la période 1996-2006, Décennie pour l’Eradication de la Pauvreté. Mais, quel que soit le défi à relever, le point de départ est une prise de conscience : chaque année, du 17 au 24 octobre est célébrée la semaine de sensibilisation pour la lutte contre la pauvreté. Le présent paragraphe traite du problème de la pauvreté en République centrafricaine et des stratégies à mettre en œuvre pour la combattre. 1. Les hypothèses de la pauvreté en République centrafricaine Les « hypothèses » de la pauvreté en Centrafrique examinées dans ce sous-paragraphe ne prétendent en 52
aucune façon à l’exhaustivité, non plus qu’à la pertinence absolue. Il faut surtout les considérer comme des pistes de recherche, des sentiers dont le tracé sera tracé ou balisé dans un futur : Premièrement, la croissance démographique du pays contribue certainement à peser sur le niveau de vie précaire de la population centrafricaine. Mais, la démographie en République centrafricaine peut aussi masquer des facteurs de pauvreté plus évidente comme : la négligence de l’agriculture, la mauvaise gestion de l’espace, les disparités socioéconomiques criantes, etc. Deuxièmement, la pauvreté est fondamentalement un problème de sécurité aussi bien dans l’ordre économique que politique. Mais rien ne prouve, bien au contraire, que le minimum de sécurité auquel chaque centrafricain a droit dans un contexte de crises militaro politiques et économiques, exige un niveau de production par tête qui serait celui de l’Occident. La rareté de certaines ressources dans le pays est de temps en temps amplifiée de façon artificielle par le fait d’avoir à gérer des systèmes d’organisation importés sans précaution et sans doute par une molécularisation sociale excessive qui fait trop souvent obstacle à l’exercice du minimum de « biens communs ». L’inégale répartition des richesses et leur mauvaise gestion amplifient dangereusement la pauvreté relative et absolue en Centrafrique. La population centrafricaine adopte souvent des modèles de consommations standards secrétés par les pays développés, sans qu’elle puisse avoir les moyens de produire ou d’importer les biens qui y correspondent. La mauvaise gestion du marché des matières premières ne fait qu’accentuer ce désé53
quilibre. L’existence des modèles de développement constitués historiquement, souvent de son côté, un obstacle à la recherche de solutions novatrices. Rien ne prouve d’ailleurs que les pays du Nord ne puissent eux-mêmes le pérenniser, autant que son coût environnemental risque de peser de façon insupportable sur leur propre développement et sur celui de la planète. La « pauvreté » est sans doute liée pour une part non négligeable à la dégradation de l’environnement ainsi qu’à la croissance rapide de la population centrafricaine, mais il est probable que l’importance de ce deuxième facteur ait été surestimée. Le problème de la pauvreté en RCA est protéiforme. Il y a donc pauvreté lorsque les participants à un système économique, social et environnemental ne sont plus en mesure d’assumer son coût de reproduction. 2. Les visages de la pauvreté en République centrafricaine En octobre 1997, le Bulletin d’Information du Système des Nations Unies en République centrafricaine a publié les résultats d’une enquête auprès de la population touchée par la pauvreté. A la question de savoir : qu’est-ce que la pauvreté et êtes-vous pauvre ? Voici les réponses de quelques personnes sélectionnées au hasard : Angèle (quartier Lipia) : Quand la pauvreté frappe à la porte de quelqu’un c’est très dangereux, car la victime n’a ni maison, ni vêtement pour se mettre à l’aise. J’accepte que je sois partiellement pauvre, car je me débrouille pour trouver un peu à manger et je dors dans une case. Fabien (quartier Lakouanga) : La pauvreté pour moi, est un manque de bien-être minimum. Je ne suis pas 54
pauvre, parce que j’ai un petit boulot qui me permet d’assurer l’essentiel des besoins de ma famille (nourriture, santé, éducation). Pascal (quartier Boulata) : Le pauvre, c’est celui qui n’a pas les moyens de faire des choses importantes, ni de trouver à manger. Je suis pauvre, parce que là où j’habite est sale et enclavé : il n’y a ni rue, ni électricité. Quand il fait nuit, je suis bloqué, je ne peux pas sortir. Habib (quartier Potopoto/ville) : La pauvreté, selon moi, est l’absence de moyens permettant la jouissance du bien-être. Le pauvre, c’est quelqu’un qui n’a que le strict minimum pour vivre, mais moi, je vis modestement puisque j’ai quand même une source de revenus que j’obtiens à travers un emploi. Je fais allusion ici à l’argent, car c’est ça qui conditionne tout. André (quartier Issa Ibrahim) : La pauvreté, c’est quand tu ne travailles pas. Pour le moment, je suis pauvre, mais pas tout à fait, parce que j’exerce un petit métier qui me procure le strict minimum de revenus. Bertin (quartier Galabadja sinistré) : Pour moi, les pauvres sont ceux qui n’ont pas d’argent, qui trouvent difficilement à manger, qui dorment dans des taudis… Je peux accepter aujourd’hui que je suis pauvre, parce que dans la vie tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Certains roulent voitures, ont des villas mais, d’autres n’ont absolument rien. Ils n’arrivent à survivre qu’en quémandant par ci par là. Moi, par contre, je peux trouver le strict minimum, parce que je suis chauffeur. Joël (orphelin sans domicile fixe) : J’étais un peu à l’aise quand mes parents étaient encore en vie. Mais, depuis qu’ils sont morts, me laissant à la charge des 55
oncles et cousins, j’ai connu des moments très difficiles de ma vie : je n’avais pratiquement pas d’habits, je ne mangeais plus à ma faim et je fûs même chassé de la maison, parce que je devenais intraitable selon eux, ce qui m’a amené à me livrer au vagabondage avec toutes les conséquences qui en découlent (vols, trafics de drogue, faux et usage de faux, etc.…) Alain-Michel (quartier Ngongono 5) : J’accepte que je suis pauvre, parce que pour le moment, je ne fais rien, je n’ai pas de travail, je suis à la maison. La situation dans laquelle vit ma famille me préoccupe au plus haut point. J’aimerai avoir un petit lopin de terre pour subvenir aux besoins de ma famille, mais, je n’ai pas pu, parce qu’il faut de l’argent pour l’acheter. Jean-Michel (Cité Jean XXIII) : La pauvreté, c’est la situation qui mène quelqu’un à trouver difficilement à manger, à se soigner et à manquer le strict minimum de ce qu’il voulait avoir. Moi, je ne peux pas accepter qu’on me traite de pauvre, puisque je suis encore robuste. Je suis en mesure de travailler pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Être pauvre pour moi, c’est lorsqu’on est handicapé physique. Félix (quartier Galabadja) : Le pauvre, c’est celui qui n’a plus les yeux pour voir, car s’il en avait, il pourrait chercher à avoir de quoi à subvenir à ses besoins ; un petit boulot par exemple, parce qu’il n’y a pas de sous-métiers. Claire (SICA 1) : Il y a deux formes de pauvreté : la pauvreté externe (visuelle) et la pauvreté interne (spirituelle). Martial Salomon, restaurateur : Pour moi, la pauvreté c’est lorsqu’on a pas de quoi manger, se vêtir, 56
se soigner. Je ne suis pas pauvre, parce que j’ai néanmoins de quoi à mettre sous la dent. Il est aujourd’hui difficile de vivre décemment comme par le passé, parce que la dévaluation du franc CFA a fait grimper les prix des denrées et marchandises Fred, fonctionnaire de l’Etat : Pour moi, on peut voir la pauvreté sur les plans matériel et financier. Depuis plus de 30 ans, la RCA a traversé des périodes de crise liées à la chute des prix de nos produits agricoles. Du coup, le fonctionnaire centrafricain que je suis, n’est plus riche comme avant. Je ne dirai pas non plus qu’il est pauvre. 3. La définition de la pauvreté selon le rapport mondial sur D.H. 1997 Depuis 1990, le PNUD publie chaque année le Rapport Mondial sur le Développement Humain. Celui de 1997 a comme particularité de traduire l’engagement indéfectible du PNUD de faire de l’éradication de la pauvreté sa priorité essentielle. Le message essentiel est que la pauvreté n’est pas une fatalité. Le monde dispose des ressources et du savoir-faire pour faire totalement disparaitre la pauvreté en moins d’une génération. Le rapport fait un tour d’horizon des tendances mondiales de ce phénomène avant d’évaluer l’ampleur des problèmes qu’il pose à l’échelle planétaire. Ensuite, il propose les actions prioritaires pour lutter contre la pauvreté à l’échelle nationale, ainsi qu’un programme mondial de soutien à ces initiatives. Comme autre particularité, le rapport 1997 définit un indicateur de la pauvreté humaine (IPH) qui mesure pays par pays, la pauvreté dans la perspective du développement humain. L’IPH se fonde sur trois variables : i) le risque de décider à un âge précoce ; ii) le taux d’analphabétisme et iii) la 57
misère sur le plan des conditions de vie, exprimée par le manque d’accès aux services de santé, à l’eau potable et à une alimentation convenable. Cet outil se distingue des indicateurs classiques qui mesurent la pauvreté en termes de revenus. Il fait donc la différence entre pauvreté humaine et pauvreté monétaire. Selon ce rapport de 1997 : « La pauvreté n’implique pas seulement une pénurie d’éléments nécessaires au bienêtre matériel, mais aussi l’absence d’opportunités qui permettraient de bénéficier d’une existence tolérable. La pauvreté possède une multiplicité de visages et va bien audelà d’une insuffisance de revenu. Elle se reflète aussi dans de mauvaises conditions de santé ou d’éducation, dans le manque d’accès au savoir et aux possibilités de communication, dans l’impossibilité d’exercer des droits politiques et de faire valoir les droits de la personne humaine et dans l’absence de dignité, de confiance et de respect de soi-même. Il faut ajouter la dégradation de l’environnement et la paupérisation du pays tout entier, dans lequel la quasi-totalité de la population vit dans la pauvreté ». Ces indicateurs sont importants. 4. Les quelques exemples d’activités de lutte contre la pauvreté en R.C.A. Appui aux actions d’auto-développement dans la Basse-Kotto Ce projet est basé à Kongbo avec des antennes dans trois autres localités de la préfecture de la Basse-Kotto, à savoir : Kémbé, Alindao et Mobaye. A Kongbo, un groupement villageois composé d’une quinzaine de jeunes filles mène des activités génératrices de revenus telles que la couture et la saponification. Elle a bénéficié récemment d’une aide de l’UNICEF d’un montant total de près de 1.040.000 F CFA, destinée à 58
la formation des membres dans le domaine de la couture. Toujours, dans cette même ville, un autre groupement dénommé Dabissi, a considérablement œuvré pour le bienêtre de la population locale. Il gère un dépôt de matériaux de construction (planches, tôles, ciment, etc.) qui a bien fonctionné ; cependant, à cause des difficultés rencontrées dans le convoyage des produits depuis Bangui (manque de voyages), suivi de rupture de stock, le dépôt a dû fermer ses portes. Il existe également dans cette région une autre activité non moins importante : il s’agit des « tontines améliorées », une sorte d’entraide sur fonds de crédit. Elles sont pratiquées par les groupements féminins de Mobaye et de Kémbé. Comment fonctionnent-elles ? Au jour J, chacune des membres donne sa quote-part au cours d’une réunion programmée pour la circonstance ; le montant de la somme recueillie sur place est automatiquement remis à la bénéficiaire du moment ; un débat autour des activités à mener par cette dernière avec l’argent de la tontine s’instaure aussitôt, l’objectif recherché étant d’amener l’heureuse bénéficiaire à se lancer dans une activité quelconque rentable qui lui permettrait d’honorer à temps ses engagements vis-à-vis du groupement. Cela permettra aux autres membres du groupement de bénéficier à leur tour, des mêmes avantages. Le programme n’est qu’à ses débuts, mais déjà les premiers résultats sont déjà prometteurs. Par ailleurs, la santé, facteur de développement, n’a pas été négligée dans la région, à en croire l’existence, un peu partout, des pharmacies villageoises gérées par des comités de gestion (COGES) mis en place par les populations elles-mêmes.
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D’une manière générale, les populations locales, toutes structures confondues, ont reconnu l’enjeu de la situation de misère et de pauvreté dans laquelle elles se trouvent, malgré les potentialités dont regorge la région. Elles ont décidé de se mettre résolument au travail, afin de valoriser les activités d’auto-développement qu’elles ont initiées. Les actions du Projet CAF/91/024, Programme de Développement de la Savane Vivrière (PDSV) en faveur des jeunes de Yaloké et de la Nana-Mambéré Les préfectures de l’Ombella-M’Poko et de la NanaMambéré ont connu un départ massif des jeunes ruraux vers la capitale où ceux-ci espéraient trouver un travail salarié. Malheureusement, le plus souvent, ils se retrouvent chômeurs et délinquants. Le programme mis en œuvre par le Projet de Développement des Savanes Vivrières (PDSV) consiste à appuyer les jeunes (hommes et femmes) de la région, qui ont choisi de rester au village, à augmenter leurs revenus par l’amélioration de leurs conditions de travail. Un appui technique et financier, sur la base d’un contrat, leur est garanti pour leur permettre de mettre progressivement en place une exploitation agricole moderne. Pour bénéficier de ce programme qui est étalé sur trois ans, le candidat ou la candidate doit répondre aux critères suivants : être âgé(e) de 17 à 30 ans ; s’engager volontairement à suivre et à respecter les clauses du contrat ; être de préférence marié, installé dans le village depuis plusieurs années et cultivant déjà une exploitation ; être membre actif d’un groupement et avoir l’accord du village et la garantie du chef de village. Des centaines de jeunes de la région adhèrent déjà au programme : chacun a bénéficié d’un crédit substantiel (semences de sésame, houes, pioches) d’une valeur de 60
12 000 F CFA pour exploiter un champ d’une superficie de 75 ares. Pour le moment, les premiers résultats sont promoteurs. En conclusion, nous constatons qu’au cours des deux dernières décennies, l’économie centrafricaine a été confrontée de plein fouet par une série de crises, non seulement économiques, mais surtout militaro-politiques, qui ont presque réduit à néant les efforts consentis au lendemain de l’indépendance du pays, et fait de la République centrafricaine un pays dont la paupérisation cristallise les débats, ainsi que la spéculation sur des éléments comme les spécificités de la gouvernance démocratique du pays, son insertion dans le système mondial, sa culture, etc. Aujourd’hui, la République centrafricaine est, comme cela a été reconnu de tous, dans une sérieuse crise économique et culturelle. Usant à la fois de l’analyse quantitative et qualitative, nous sommes d’accord qu’aujourd’hui, ce pays est devenu globalement et structurellement très faible de plusieurs manières. Les luttes politiques qui ont conduit aujourd’hui aux guerres civiles et aux crises militaro-politiques indiquent l’étendue avec laquelle la cure de la « maladie » centrafricaine se devra d’être globale et structurelle. Ces dernières décennies peuvent être décrites dans ce qu’a dit Claude Ake : « C’est vraiment un temps de crise, crise de confiance en nous-mêmes, crise de notre vie politique et économique. Politiquement, la tendance a été un échec dans la consolidation des acquis de la lutte anticoloniale pour concrétiser et faire avancer notre détermination. Nous avons opté pour le développement du corrompu, les oligarchies inefficaces et irresponsables, le fascisme, le pouvoir militaire et le non-affranchissement politique des masses et, dans certains cas un retour virtuel à la domination de nos maîtres (Ake 1985 :11) ». 61
Les crises récurrentes que le pays ne cesse de connaitre depuis plus de deux décennies, paraissent être, à ce stade, générales bien qu’il ne soit pas aisé d’identifier avec précision leurs causes, du fait que les conditions culturelles internes dans le pays et l’expansion de la domination du capitalisme périphérique sont en train de vivre un véritable mariage conflictuel. De surcroit, le processus de démocratisation en République centrafricaine s’opère aujourd’hui dans un contexte de délégitimassions de l’Etat. D’abord, les revendications démocratiques l’ont considérablement affaibli. Aussi, les appareils d’Etat sont-ils dénoncés pour leur faible performance opérationnelle, leur politisation, leur patrimonialisation et dans certains cas, leur ethnicisassion. Le processus de démocratisation n’a guère éradiqué ces maux qui restent d’actualité en Centrafrique. La culture de l’arbitraire perdure et infecte indéfiniment le présent, alors que les gouvernements durables sont aujourd’hui ceux qui possèdent la volonté de créer un « nouvel art de vivre et de travailler ensemble ». La République centrafricaine n’est pas le seul pays au monde qui doit apprendre à gouverner de façon plus humaine et plus avisée : c’est une nécessité qui se fait sentir dans le monde tout entier. Selon les termes de Kaptan, nous assistons aujourd’hui en Centrafrique, au déclin de l’autorité de l’Etat, à la montée des entités tribales et régionales, à la propagation incontrôlée du venin du clientélisme et à la généralisation de la haine dans le pays. Comme nous l’avons déjà dit, l’image de la haine d’Armageddon que l’on donne de nos jours à la République centrafricaine, ressemble beaucoup aux images de barbarie qui ont été peintes au XIXe siècle. C’est pourquoi, trouver une réponse à la question aussi complexe que celle du développement d’un pays comme la République centrafricaine, est une réelle entreprise qui n’a pas de fin. Et si l’on écrit un livre dans des conditions 62
de cette nature, il faut s’arrêter à un moment donné pour examiner si les éléments communs de l’expérience centrafricaine peuvent être convertis en principes qui pourraient donner aux fils de ce pays une meilleure chance d’atteindre leur objectif – en l’occurrence, réussir dans le domaine du développement. D’un autre point de vue, toutefois, le présent chapitre qui s’achève, a pris forme au cours des conversations que nous avons eues avec des villageois et des citadins dans un certain nombre de régions de la République centrafricaine où nous avons voyagé, en qualité de chercheur. Ces collaborateurs ou interlocuteurs (enquêtés) nous ont enseigné que si nous, chercheurs, voulons être capables de contribuer à réhabiliter l’histoire de ce pays, nous ne devons pas raisonner de la même manière que les « colons ». Nous devons, au contraire, apprendre à penser comme « les illettrés et les affamés des villages et des bidonvilles de la RCA ». C’est un point de vue partagé par plusieurs personnes interrogées dans des régions visitées où, d’une manière générale, beaucoup de gens nous ont aidés dans nos différentes investigations. Parmi eux, quelques-uns ont été particulièrement généreux de leurs temps et de leurs riches conseils : Pierre Kodro à Sibut, Paul Nahibé à Kaga-Bandoro, Raphaël Kovouma et Bernard Kongbo à Banagassou, Jean Bida à Bambari. Bref, plusieurs personnes rencontrées dans ces différentes localités du pays dont il est préférable de taire le nom au cours de cette période trouble que traverse la République centrafricaine, et qui persiste à l’heure où nous écrivons ces lignes. Nous tenons à leur rendre hommage pour le considérable et remarquable travail d’appui qu’ils ont accompli pendant nos différents séjours sur le terrain.
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CHAPITRE II Le pays à la recherche de la cohésion sociale
L’obtention de l’indépendance politique du pays, le 13 août 1960, et la fin concomitante de la colonisation du territoire d’Outre-mer de l’Oubangui-Chari (République centrafricaine), ont naturellement engendré de l’euphorie et de l’espoir pour un avenir plus prospère. L’espoir était bien fondé sur l’hypothèse selon laquelle le contrôle politique de nos affaires nous apporterait : le respect de nous-mêmes (centrafricains), le pouvoir de gérer nos propres affaires – et partant, de contrôler notre propre destin. En quelque sorte, nos richesses qui étaient auparavant détournées vers la métropole coloniale, allaient désormais rester dans notre pays. Cela fait plus de soixante ans que la RCA a conquis indépendance, et ce pays continue de lutter pour sortir de la misère et de l’ignorance. Nous nous demandons à juste titre, ce qui a mal tourné ? Nous l’avons déjà démontré dans le précédent chapitre que la République centrafricaine traverse aujourd’hui une crise profonde. C’est une crise de valeurs qui a fait que ce pays, depuis plusieurs décennies, n’a plus de contrôle sur sa propre destinée.
I. ÉTAT DES LIEUX DU PROCESSUS DE DÉMOCRATISATION L’examen du processus de démocratisation de la République centrafricaine, qui dure depuis plus de deux décennies, fait ressortir, sur la base du tableau élaboré par Patrick Quantin (2000), fait ressortir trois cas de figure : Premièrement, un processus de décompression autoritaire, jusqu’en 1993, caractérisé par l’organisation des élections compétitives et l’installation subséquente de nouvelles autorités politiques (démocratiquement élues), ainsi que la libération du champ politique. C’était l’époque du passage de témoin entre le général André Kolingba et le Président « démocratiquement élu », Ange Félix Patassé. Malheureusement, ce processus ne durera que deux ans, dans un contexte de mutineries, de rebellions et de crise multidimensionnelle, ainsi que d’un rétrécissement du champ de la politique et de l’étiolement de l’espace étatique. Bien entendu, la situation concrète fut bien plus complexe et antinomique, car on ne peut espérer un changement drastique sur une si petite période de résistance et de lutte pour la démocratie. Devant la montée de la résistance militaire au pouvoir, la réponse des autorités établies a été d’abandonner les valeurs démocratiques et de recourir aux tactiques autoritaires. Deuxièmement, la restauration autoritaire et le retour des anciens dictateurs avec des fragiles consolidations, à partir de 2003 avec le coup d’état du général François Bozizé, et de celui de Michel Djotodja en 2013. Troisièmement, la transition achevée dans l’entente d’une consolidation, gérée par Madame Catherine SambaPanza depuis 2014 et caractérisée par la mise en place des pouvoirs de transition dont l’enjeu est aujourd’hui l’organisation des prochaines élections compétitives et l’installation subséquente de nouvelles autorités politiques issues des urnes. C’est bien entendu une donne nouvelle 66
dans le système politique centrafricain qui s’est surtout illustré pendant longtemps par leur caractère autoritaire, ou tout au moins, par le refus des pouvoirs en place à l’époque d’accepter formellement- la compétition politique, telle qu’inspirée de la pratique des démocraties pluralistes. On pourrait donc, sans se tromper, considérer que la fin de l’année 2015 va correspondre à un revirement radical du discours « idéologique » sur la politique en République centrafricaine et une vertu politique cardinale nécessaire pour le développement économique et social de ce pays meurtri. Etant donné les multiples difficultés auxquelles le pays se heurte aujourd’hui, il n’est pas étonnant qu’il connaisse une aussi grande instabilité intérieure, qui va aujourd’hui jusqu’à l’anarchie. Cette instabilité est surtout liée aux multiples conflits militaro-politiques et surtout confessionnels, parce que désormais, chrétiens et musulmans s’affrontent dans tous les quartiers, localités et régions. Ces conflits ont finalement pris le caractère de rebellions et de guerres civiles. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, on peut mesurer l’instabilité politique au nombre des coups d’Etat et des tentatives de coup d’Etat qui se sont produits depuis l’indépendance du pays. De multiples complots sont chaque année, chaque mois, chaque semaine et chaque jour signalés, mais il est difficile d’en évaluer le nombre et l’importance. En tout état de cause, il est évident que beaucoup d’évènements politiques intérieurs nuisent aujourd’hui au développement de ce pays, pourtant riche en ressources naturelles, ne serait-ce qu’en détournant l’attention au détriment des actions plus constructives. De fait, beaucoup de secteurs de production sont profondément touchés aujourd’hui : l’agriculture, l’industrie, le commerce, etc. Ainsi, la mise en place de processus et d’une culture démocratique en RCA est finalement menacée et sérieusement 67
entravée par des séries de mutineries et de rebellions armées. La démocratie devient ainsi absurde. Le peuple centrafricain doit reprendre son destin en mains, s’il veut réaliser des progrès en matière de démocratisation du pays. 1. Le patrimoine centrafricain Le patrimoine centrafricain représente, d’un point de vue général, un ensemble d’attitudes, de valeurs, de problèmes et de ressources qui semblent expliquer et représenter le passé centrafricain. Cependant, d’un point de vue spécifique, le patrimoine centrafricain englobe plusieurs choses, dont certaines sont positives et d’autres négatives. Commençons par quelques-uns des aspects positifs du patrimoine centrafricain. La République centrafricaine est certainement « un pays où coulent le lait et le miel ». Pour cette raison, le pays abrite certaines valeurs socioculturelles : les merveilles de l’architecture et de la médecine (Pygmées) n’en finissent pas d’étonner de nombreux chercheurs modernes. Même les plus farouches critiques des réalisations centrafricaines sont aujourd’hui fascinés par l’art de la Lobaye et du Mbomou. Sur le plan des ressources, la République centrafricaine n’est pas le pays le plus pauvre d’Afrique. Elle possède d’énormes ressources minières (diamant, or, uranium, manganèse, gisement de pétrole...) qui attendent d’être exploitées dans la Mambéré-Kadei, dans la Lobaye et dans le Mbomou. Dans le domaine de l’agriculture, le potentiel de la RCA est énorme. Sur le plan de la biodiversité, le pays possède également quelques-unes des espèces végétales et animales les plus rares au monde. La beauté du pays reflète celle de son peuple. De l’ouest à l’est, du nord au sud, on trouve certaines des plus belles figures des
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différentes communautés ethniques (Yakoma, Banda, Gbaya, Mbimou, etc.) Cependant, pour ce qui concerne les aspects négatifs, le patrimoine centrafricain est étonnamment consternant. Depuis quelques temps, la RCA est la moins habitable. La crise de l’hospitalité dans l’histoire récente englobe les problèmes de maladies tropicales, la catastrophe du VIH/Sida, les difficultés de communications et de transport, les crises militaro-politiques, la mauvaise gouvernance, la mauvaise gestion de l’économie, et l’instabilité politique générale. En outre, la République centrafricaine possède un héritage fait d’humiliations (commerce des esclaves, racisme, colonisation, mondialisation néolibérale, etc.) Malgré son patrimoine de richesses minières et de potentiel agricole, la RCA demeure un pays en crise. La crise de ce pays est celle de la pauvreté et de la misère économique. Le journal Le monde de septembre 2014 déclarait que la République centrafricaine souffrait de toutes sortes de crises, allant de la surpopulation et l’absence de nourriture à la paresse pure et simple. Notamment, en tant que pays le plus pauvre d’Afrique centrale, la République centrafricaine se paupérisait d’avantage à un rythme accéléré. Aujourd’hui, plus de deux millions de personnes vivent dans ce pays avec moins d’un dollar par jour. C’est un héritage de désespoir pour les jeunes. Certes, il est vrai que l’identité centrafricaine est encore en formation. Il n’y a pas d’identité finie qui soit centrafricaine. Mais en même temps, il y a une identité naissante. Et elle se situe dans un certain contexte et un certain sens. Car, lorsque nous rencontrons quelqu’un dans un magasin à Paris (en France), il nous demande « êtesvous Africain ? », ce qui signifie quelque chose pour les gens. Chacune de ces étiquettes revêt une signification, ainsi qu’un prix à payer et une responsabilité à assumer. 69
Malheureusement pour le Centrafricain, toutes ces marques sont des marques d’incapacité. Cependant, la question la plus cruciale aujourd’hui en Centrafrique est surtout de savoir, comment la jeunesse centrafricaine pourrait s’approprier les aspects tant positifs que négatifs du patrimoine du pays, afin de construire un avenir viable pour elle et pour le pays ? 2. Les contours cachés de la transition en République Centrafricaine S’agissant de la méthodologie de recherche et des paradigmes, certains auteurs ont taxé d’inappropriée la démarche qui consiste à construire des typologies pour expliquer les transitions démocratiques en Afrique ou ailleurs. Ils ont fait remarquer que les typologies n’ont de sens que si un processus de transition ou de changement unilinéaire est adopté. Ils ont attiré l’attention sur le fait qu’une fois les typologies privilégiées, il en résulte que la problématique l’emporte sur l’analytique. Selon eux, le débat ne porte pas seulement sur les institutions ou les formes sociales, puisqu’un tel processus de transition peut soit s’effondrer, soit être soutenu devenant ainsi un couteau à double tranchant. A notre avis, la méthodologie la plus appropriée serait de replacer les institutions dans un contexte historique. Réagissant à la précédente proposition (construction de typologies) qu’ils mettent en doute, d’autres auteurs comme Amos Anyimadu et Pearl Robinson affirment que les typologies sont erronées car elles comportent des modèles qui souvent peuvent ne pas ressembler aux réalités concrètes sur le terrain. Pour eux, le débat démocratique en Afrique est élitiste à cause de son caractère démocratique. Achille Mbembe, abondant dans le même sens que les premiers auteurs, pensent que la 70
construction de typologies n’a aucune valeur et en tant que telle est problématique tout au plus. Ils ont mis en cause l’obsession des spécialistes de Sciences sociales à classifier et à catégoriser. Ils voient cela comme un élément réducteur qui crée la confusion que l’on retrouve à la base des discours nationaux. De même, ils partagent l’avis sur la validité et la fiabilité de l’approche historique par opposition à la méthode unilinéaire d’étude des transitions démocratiques. Aaron Gana, pose les questions de savoir : « comment le produit fini de la démocratie en République centrafricaine peut être conceptualisé. Il recommande que le travail de recherche sur les transitions démocratiques en Afrique soit axé sur la diversité de typologies qui sont rigides. De même, des auteurs comme Masipula Sithole qu’il y a très peu de recherches menées sur le rôle des partis politiques dans tout le processus de transition, surtout ceux de l’opposition. S’agissant précisément de la pertinence des expériences d’autres pays, nous notons avec insistance qu’il existe un certain nombre de points engagés dans le processus de transition qui sont communs à l’Amérique latine et à l’Afrique. On peut citer le rôle du régime militaire et la transition des régimes militaires comme un seul exemple. On peut aussi mentionner la notion de limites de communautés politiques en République centrafricaine qui, à la différence des pays d’Amérique du sud, est une affaire résolue. Mais, il y a aussi ceux qui continuent de penser que, la leçon de l’Amérique latine est pertinente pour l’Afrique. Ils ont réfléchi sur le problème du contexte externe des transitions démocratiques. De leur point de vue, la nature et le caractère du contexte externe n’augure pas d’une démocratisation de ce Pays. Du fait du climat économique, les classes technocratiques ne sont pas intéressées par les 71
classes populaires dans la quête d’une reconstruction démocratique de l’Etat centrafricain. C’est pourquoi, les institutions supranationales de manière générale sont contre toute forme d’organisation populaire. En République centrafricaine, la société civile est aussi liée au territoire considéré. Ceci est un élément important qu’il faille intégrer. L’ethnicité peut être à l’origine, soit de l’exclusion, soit de la participation. A ce titre, sur le plan social, on est passé aujourd’hui d’une approche d’économie politique à une approche de culture politique. Ainsi, des variables telles que l’ethnicité, bloquent aujourd’hui la démocratie. C’est vrai, la République centrafricaine est aujourd’hui en « déliquescence » et quels que soient les belles expressions utilisées et les théories savamment exhibées, ce pays se porte chaque jour plus mal, comme atteint du syndrome immunodéficitaire acquis (SIDA), du fait de la colonisation. C’est pourquoi, le règlement des conflits en RCA passe aujourd’hui par la « décolonisation du corps politique et de l’esprit ». Aussi, pour comprendre la crise militaro-politique que le pays vit depuis plusieurs mois, il faut en répertorier les grands moments : En septembre 2012, des groupes armés « centrafricains » au sein de la coalition Séléka, lancaient une offensive dans le nord du pays. Le 24 mars 2013, à l’issue de quatre mois d’intenses combats, cette coalition menée par Michel Djotodja prenait la capitale Bangui et chassait du pouvoir, le général François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 2003. Au cours de l’été 2013, des groupes armés d’autodéfense pro-Bozizé, les Anti-Balaka, attaquaient de plus en plus régulièrement les Séléka et les populations musulmanes auxquels ils sont assimilés.
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Le 05 décembre 2013, les Anti-Balaka menaient une attaque surprise coordonnée sur Bangui à la veille du déploiement des forces françaises de l’opération Sangaris, autorisée par la résolution 21 22 du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour venir en aide à la force africaine (MISCA) qui n’arrivait à faire stopper les massacres des populations civiles. Le 09 juillet 2014, sous la pression de la Communauté internationale, Michel Djotodja quittait le pouvoir et les Séléka se retiraient du sud et de l’ouest du pays pour se regrouper au nord et à l’est. Les miliciens Balaka profitaient de ce retrait pour attaquer systématiquement les populations musulmanes, qu’ils accusaient de complicité et de soutien envers les Séléka. Bref, le conflit en République centrafricaine a provoqué le déplacement de plus d’un million des quatre millions d’habitant du pays, et près de 500 000 personnes sont réfugiées dans les pays voisins. En deux décennies marquées par un enchainement de putschs, de mutineries et de rebellions ayant entrainé une déliquescence de l’Etat, la République centrafricaine a déjà vu passer des missions internationales chargées de l’accompagner vers une sortie de crise : MISSAB, MINURCA, FOMUC, FOMAC, MICOPAX, pour ne citer que quelques-unes des acronymes des forces africaines ou de l’ONU qui se sont succédés et n’ont pas su briser la spirale mortifère. La tâche incombe désormais à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en RCA (MINUSCA) de protéger la population, appuyer le processus politique et contribuer à la restauration de l’Etat. C’est l’ambition affichée par son chef, le général sénégalais Babacar Gaye. Mais au sein de son entourage comme au sein du Secrétaire Général des Nations Unies, des voix se sont fait entendre pour dénoncer de graves violations des droits de l’homme 73
(scandales sexuels) : 17 policiers de la RDC impliqués dans des graves violations des droits de l’homme, ont été sortis in extremis du dispositif. Certains des membres de cette unité de la police congolaise auraient participé dans leur pays à des opérations plus que plus que douteuses. 3. L’élection mitigée de Madame Samba-Panza à la tête de la transition En effet, suite au départ de Michel Djotodja et de Nicolas Tiangaye, contraints à la démission devant leur incapacité à gérer la transition politique et à favoriser le retour à l’ordre constitutionnel, Madame Catherine Samba-Panza a été « désignée » pour assurer la continuité de la transition. Une première dans l’histoire politique et institutionnelle de la République centrafricaine, qui se voit doter d’une présidente élue au suffrage indirect par une assemblée coptée d’avance. Seulement, cette désignation a suscité beaucoup de réactions, car nombreux sont ceux qui ont pensé que le Conseil National de Transition (CNT), constitué pour les ¾ des personnes acquises à la cause du duo DjotodjaTiangaye, aurait conditionné le vote de Madame Catherine Samba-Panza par des enveloppes fraichement et gracieusement distribuées pour la circonstance. Conduite, semble-t-il, dans la discrétion totale, cette opération aurait été menée de bout en bout pour l’AFDT (Alliance des Forces Démocratiques pour la Transition), par trois principales personnalités politiques de la transition. Cette victoire de Catherine Samba-Panza au second tour par 75 voix contre 54 pour Désiré Kolingba (parrainé par Idriss Deby), souligne l’ascendant pris par le CongoBrazzaville sur le Tchad. D’ailleurs, bien qu’absent à son investiture le 23 janvier 2014, le Président Dénis Sassou Nguessou a contrôlé de bout en bout la désignation de 74
Catherine Samba-Panza comme Présidente en R.C.A., avec la caution de Paris et de Washington. Toutefois, les dix-sept critères d’éligibilité arrêtés par le Conseil National de Transition (CNT) ont largement servi la candidate Catherine Samba-Panza, au détriment des autres successeurs potentiels de Michel Djotodja, tels que Josué Binoua ou Karim Meckassoua, tous deux, anciens ministres de François Bozizé. A première vue, la déclaration faite à chaud après sa désignation, selon laquelle « je suis une mère. Je vous ai écouté parler et j’ai ressenti la rancœur. Il faut une mère pour régler cette situation. », laissait entrevoir un brin d’espoir pour le peuple meurtri. Malheureusement, ce peuple a perdu aujourd’hui tout espoir de retrouver le bien-être. Pour preuve, depuis sa désignation, Madame Samba-Panza a attendu plusieurs semaines avant de commencer à faire le tour des camps des déplacés. L’on se demande même si elle aura le courage pour se rendre au chevet des malades dans les hôpitaux ? Quel est le profil de la nouvelle Présidente de transition ? En effet, née à Sahr au Tchad d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine d’ethnie banziri, Madame Samba-Panza, 59 ans, est connue à Bangui pour avoir été vice-présidente de l’Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC), puis représentante du réseau des ONG de défense des droits de l’homme. Juriste d’entreprise diplômée de l’Université Assas à Paris, elle a également été formatrice pour Amnesty International. Désignée vice-présidente du dialogue national organisé en 2004 après le putsch de François Bozizé le 15 mars 2003, Madame Catherine Samba-Panza avait ensuite été choisie pour diriger le Comité de suivi du dialogue national (CSDN). En 2007, elle a tenté d’obtenir un rapprochement entre le Président François Bozizé et Ange Félix Patassé, qui était alors réfugié à Lomé (au Togo). Ce dernier s’en est toujours 75
méfié, en raison de son franc-parler et de son intégrité. Après avoir été remerciée du CSDN, Madame Catherine SambaPanza a fait son retour en politique en juin 2013, à la faveur de sa nomination par un décret de Michel Djotodja comme Présidente de Délégation Spéciale de la ville de Bangui. Il est à noter que l’époux de Catherine Samba-Panza, Cyriaque Samba-Panza fut ailleurs un collègue de travail de l’ex leader de la Séléka au ministère de l’économie et du plan. 4. Le déficit de consensus autour du forum de Brazzaville, au Congo Le déficit de consensus autour du forum de Brazzaville a été perçu par l’opinion nationale et internationale comme le signe fort du réveil de l’orgueil national, un sursaut patriotique qui ne s’est pas trompé d’ennemis de la paix en République centrafricaine. En effet, les ténors de la coalition Séléka de Djotodja, Dhaffane, Nourredine, Djono Ahaba, etc., qui ont pesé, agacé et mis aux pièces des argentiers des artifices et les politiques, n’ont pas pu accorder leurs violons sur les tenants et les aboutissants de cet accord. Et l’installation d’un Etat major des forces de la Seleka (Alliance de plusieurs mouvements politicomilitaires) à Bambari, n’est que le prétexte d’un rêve de l’Etat du Nord-Oubangui dont l’initiateur serait sans aucun doute Monsieur Michel Djotodja, contraint finalement à la démission, suite à la résistance des forces d’auto-défense « Antibalaka. » Malheureusement, le manque de cohésion et la dysharmonie ambiante de ces forces d’autodéfense ont beaucoup pesé sur l’application de l’accord de cessation des hostilités. Le peuple ayant trop souffert, il y a donc lieu que les chefs de la Séléka et des Antibalaka s’entendent dès maintenant ; ces derniers gagneraient en crédibilité, en sérieux et en lisibilité, sans quoi, ils 76
continueraient à trainer l’étiquette de « nébuleuse » qui pourrait les rapprocher de l’axe du mal, et leurs baisers de Brazzaville seraient confondus à celui de Juda. En dépit des promesses de paix signées le 23 juillet à Brazzaville, les groupes politico-militaires (Séléka et Antibalaka) n’ont toujours pas rendu les armes. Beaucoup d’entre eux attendent de toucher des dividendes du nouveau processus de désarmement mais, selon plusieurs sources, les « durs » de la Séléka se sont de nouveau rééquipés ces derniers temps. Beaucoup d’intellectuels pensent que la République centrafricaine est en « déliquescence », mais plus nombreux sont ceux qui pensent qu’elle est en « désintégration ». Cependant, audelà des tiraillements sur les discussions sur ces concepts dont raffolent les intellectuels, et quelles que soient les belles expressions utilisées et les théories huilées et savamment exhibées, la République centrafricaine se porte chaque jour plus mal, comme atteinte du syndrome immunodéficitaire acquis (SIDA). Pour ces mêmes intellectuels, le règlement des conflits en Centrafrique passe par « la décolonisation du corps politique et de l’esprit », c'est-à-dire la nécessité pour les centrafricains de prendre eux-mêmes en charge les problèmes du pays. Ils sont tentés d’utiliser la notion d’ « auto-pacification ». Pour le peuple, c’est la paix à tout prix, quel que soient les moyens utilisés pour y parvenir et quel qu’en soit le contenu. Peu importe que cette paix vienne d’Allah ou de Satan. Hélas ! L’occident, à travers la fameuse « Communauté internationale », est devenu aujourd’hui le tuteur autoproclamé du processus de démocratisation et le distributeur des brevets de « bonne gouvernance » en RCA. Probablement, il s’apprête déjà à s’autoproclamer « autorité morale » pour juger de la régularité des
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prochaines consultations populaires prévues d’ici la fin de l’année, et de la proclamation des résultats. D’ailleurs, la paix onusienne, c’est d’abord la Pax americana, britannica, franca, russe ou même aussi chinoise. Cette paix imposée comme une nouvelle forme de paix coloniale est trop fragile pour ne pas nous emballer. De là à considérer que l’ONU est une entreprise de charité pour les « petits pays » comme la RCA et que ceux-ci devraient être reconnaissants envers les « grands », il n’y a qu’un pas vite fait. Il y a lieu ici de relever les insuffisances de ce système onusien où certains ont tout à dire dans le cadre du Conseil de sécurité et les autres pas assez à dire ou rien à dire, sinon applaudir et rire lors des assemblées générales qui offrent d’ailleurs à plusieurs chefs d’Etat africains et à leurs ministres une occasion de faire du tourisme à New York et dans ses environs. Le général de Gaulle n’avait pas pour sa part manqué de qualifier l’ONU de « machin », mais ni le général, ni ses successeurs ne se sont retirés du « machin ». C’est aussi le général qui avait enseigné : « Les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts ». Depuis, cette leçon fait partie de l’héritage spirituel de la France. Alors, ne pouvons-nous pas (nous centrafricains) nous auto-pacifier et nous réconcilier sans l’ONU ? C’est la question fondamentale que chaque centrafricain devrait se poser avant de proposer des solutions. La plupart des conflits qui secouent notre pays depuis ces dernières années sont intimement liés au phénomène de l’ethnicité ou du tribalisme, c'est-à-dire l’exploitation de certains groupes par d’autres, la marginalisation de certaines régions par le pouvoir central, ou sont la conséquence de l’autoritarisme des gouvernants sur les gouvernés. D’autres sont commandités par des forces extérieures à la RCA.
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C’est pourquoi, il faut combattre à la racine le mal à la base des conflits si l’on veut aboutir à une paix durable. Les racines sont nombreuses en Centrafrique et ont pour noms : ethnicisme, tribalisme, régionalisme marginalisation, oppression et développement inégale. Même si une fois obtenus les premiers résultats économiques souhaités par tous, le pays n’engage pas de sérieuses réformes démocratiques, alors il n’aboutira en fin de compte qu’à une croissance désincarnée, source d’inégalités accrues et des désordres sociaux à venir. Le Secrétaire générale des Nations Unies, à l’époque disait : « Je le répète, seule la démocratie donne sa signification au développement » (Ghali 1993 : 16). On ne peut ni vivre ni survivre sans la paix. C’est donc l’absence de démocratie en RCA, au sens le plus large, institutionnel et socio-économique, qui est à la base de tous les conflits qui font rage dans le pays et qui le placent en hypertension. Il est évident que tant qu’il y aura des hommes en Centrafrique, il y aura toujours des conflits. La démocratie demeurera toujours le cadre idéal de règlement de ces conflits. Elle ne les supprimera jamais, mais elle les réduira et les conflits les plus graves, comme ceux que le pays est en train de connaitre, ne pourront être résolus pacifiquement que par l’application des règles de droit et par le dialogue. Jamais, il n’y aura de mariage entre la paix et la servitude, entre la démocratie et la (re)colonisation, pas plus qu’il n’y en aura entre le paradis et l’enfer. La démocratie et la paix sont inconcevables en Centrafrique, en l’absence d’une réelle indépendance ou de l’exercice de la souveraineté. C’est dire qu’une fois que nous aurons réussi par la démocratisation et l’ « auto-pacification » du pays, nous pourrons alors avec plus d’énergie et de succès nous attaquer au problème de l’intégration de la République centrafricaine au plan politique, économique, social et culturel. 79
Seuls les efforts par la lutte démocratique et par le peuple centrafricain remis au travail après avoir gagné le combat de la démocratisation, permettront de financer et d’entretenir les institutions nationales comme une force centrafricaine d’intervention en faveur de la paix. La démocratie consolidée, la paix et le développement diminueront considérablement le nombre de réfugiés ou feront en sorte qu’il n’y en ait plus du tout, les raisons pour se faire « réfugié » ayant totalement disparu. Mais ne brûlons pas les étapes et ne nous laissons pas distraire, le défi majeur que la République centrafricaine doit aujourd’hui affronter est celui de la réussite du processus de démocratisation et de consolidation de celle-ci. Dans cette lutte contre la « désintégration » ou la « déliquescence » de la RCA et le règlement de ses conflits, la réflexion scientifique a une place prédominante et les débats ont leur importance. II. BONNE GOUVERNANCE ET CITOYENNETE EN RCA 1. La bonne gouvernance Confus et jugé parfois peu opératoire, le concept de bonne gouvernance doit son succès en partie à l’usage qui en a été fait dans la littérature anglo-saxonne et par les institutions de Breton Wood, à savoir, la Banque mondiale, le F.M.I. (Fonds Monétaire International) et les bailleurs bilatéraux. Parfois galvaudé, ce concept est par ailleurs souvent perçu par les pays en voie de développement, comme un alibi à une sorte de nouvel impérialisme des pays riches sur les pays pauvres, ou suspecté de servir de justificatif à des ingérences dans les affaires intérieures, instaurant ainsi une conditionnalité à l’aide internationale. 80
Le concept de bonne gouvernance est donc apparu sur la scène africaine en 1989 et est devenu un axe principal des politiques de coopération internationale ; c’est dans ce contexte qu’un grand symposium sur la bonne gouvernance et le développement s’est tenu à Dakar en 1996. Selon ce symposium, les critères de la bonne gouvernance se caractérisent par la participation, la transparence, l’efficacité, la primauté de l’Etat de droit, l’indépendance de la justice, la responsabilité politique. La bonne gouvernance se définit également comme l’ensemble des mesures mises en œuvre pour assurer et optimiser la gestion des affaires publiques sur le plan économique, politique, social et administratif. En d’autres termes, c’est la non observation des principes de transparence, de responsabilisation, de participation, de la primauté du droit et de l’Etat de droit qui a conduit l’Afrique à la mal gouvernance qui se traduit par la personnalisation du pouvoir, la gestion patrimoniale du domaine public, la violation des droits de l’homme, le marasme économique et financier, la misère et la corruption. La Banque mondiale utilise ce concept où les bailleurs de fonds bilatéraux utilisent les conditionnalités. C’est pourquoi, on peut dire que la démocratie est nécessaire à la bonne gouvernance. 2. La citoyenneté Dans le langage courant, nous entendons souvent dire qu’un individu est un bon ou mauvais citoyen ; d’une manière générale, un citoyen est une personne qui relève de l’autorité et de la protection d’un Etat et par suite, jouit des droits et des devoirs envers ce même Etat. Chaque citoyen exerce à sa manière la citoyenneté, telle qu’elle est établie par les lois et règlements et intégrée dans
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l’ensemble des coutumes et mœurs de la société à laquelle il appartient. En démocratie, chaque citoyen est détenteur d’une partie de la souveraineté politique, c'est-à-dire que l’ensemble des citoyens qui, par l’élection, choisissent librement leurs gouvernants. C’est donc à travers l’Etat, cadre institutionnel, que les citoyens exercent leurs droits et leurs devoirs. Toutes les doctrines, y compris le marxisme, reconnaissent aujourd’hui la nécessité de l’existence de l’Etat. 3. Les droits et les devoirs du citoyen centrafricain La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ratifiée par la RCA en 1981, définit les droits et les devoirs du citoyen centrafricain ; ces droits et devoirs sont repris par les différentes constitutions de la République centrafricaine, notamment celles de 2004 et de 2015. a) Droits du citoyen centrafricain Les droits civils et politiques : Egalité de traitement pour tous ; droit à la vie et à la sécurité ; interdiction de torture et de mauvais traitement ; liberté et sécurité ; procès équitable ; liberté d’expression et d’opinion religieuse ; liberté de réunion, d’association et de circulation ; participation à la direction des affaires publiques. Les droits économiques, sociaux et culturels : Propriété ; travail ; syndicat ; éducation et culture ; famille ; logement ; nourriture.
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b) Devoirs du citoyen centrafricain La charte déclare que chaque individu a des devoirs envers la communauté et envers l’Etat, et qu’il doit exercer ses droits et libertés sans porter atteinte à ceux des autres. Les devoirs personnels : Traiter les autres sans discrimination ; préserver le développement harmonieux de la famille ; payer les impôts fixés par la loi ; veiller à la préservation des valeurs culturelles, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation ; promouvoir l’unité nationale. Les devoirs envers l’Etat : Ne pas compromettre la sécurité de l’Etat ; préserver et renforcer la solidarité sociale et nationale ; préserver et renforcer l’indépendance, l’intégrité territoriale du pays et contribuer à sa défense dans les conditions fixées par la loi. c) Conditions d’une bonne gouvernance et de la citoyenneté en RCA La culture démocratique ; Le respect des textes ; La stabilité politique et paix ; La séparation des pouvoirs, sans empiètement des uns dans le domaine des autres ; les pouvoirs doivent nécessairement collaborer dans un respect et une considération réciproques. En conclusion, bonne gouvernance et citoyenneté n’ont de sens que dans des conditions minimales de prospérité. Le chômage et la pauvreté sont les pires ennemis de la bonne gouvernance. S’agissant de la citoyenneté, Platon disait que pour que les individus soient pleinement citoyens, ils doivent être guidés par l’esprit de justice et de pudeur qui conduisent au respect de soi et de l’autre.
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III. COMMENT CONCILIER DEMOCRATIE ET TRIBALISME ? Bien que l’on avance souvent à tort ou à raison la thèse de la corruption, le tribalisme est probablement le principal moteur des multiples crises militaro-politiques en République centrafricaine, autant de réactions violentes ayant leurs racines dans le ressentiment par un ou quelques groupes, contre la domination des autres. On constate invariablement qu’à peine les accusateurs accèdent-ils au pouvoir, qu’ils sont eux-mêmes accusés des mêmes méfaits. S’ils ne sont pas renversés à leur tour, une situation de tension tribale permanente s’installera. Plus tragiques assurément sont les nombreuses crises militaro-politiques aux nuances « ethniques » - sauvagement menées par des chefs d’Etat (Bokassa, André Kolingba, François Bozizé, Djotodja…) et chefs de guerres en quête de pouvoir politique – qui se sont payés et se paient encore, aux prix de pertes considérables en vies humaines et en biens, d’une immense souffrance et de la famine. L’image que notre pays, la République centrafricaine, offre aujourd’hui au monde entier, est par conséquent celle du chaos absolu, de la barbarie et du délabrement économique. Forcément perçu comme facteur d’instabilité, comme un mal qui rongerait et finirait par détruire tout ce qui est sur son passage, quels que soient ses mérites, c’est à juste titre que le tribalisme figure au premier plan du débat sur la démocratie en République centrafricaine, au fur et à mesure que des régimes (Bokassa, Dacko, Kolingba, Patassé, Bozizé, Ndjotodja, Samba-Panza) ont cédé à la pression populaire. Depuis l’indépendance du pays jusqu’à nos jours, nombreux ont été les partisans d’un Etat à parti unique (MESAN de David Dacko et de Jean Bedel Bokassa ; RDC d’André Kolingba) ou de régimes militaires (Bokassa, 84
Kolingba, Bozizé et Djotodja) qui se sont servis de la nécessité de juguler le tribalisme et de promouvoir l’unité nationale pour justifier le monopole du pouvoir par une poignée de personnes. Cette position a aujourd’hui engendré des dictatures et le règne de la terreur dans notre pays. Ces inconditionnels du monopartisme et du régime militaire qui on soit pensé à tort qu’il serait possible d’étouffer le tribalisme, soit par la persuasion, soit par la contrainte, afin de modeler une nation « servile », se sont finalement, lamentablement trompés. D’ailleurs, d’une façon surprenante aujourd’hui, même les défenseurs d’un système de gouvernement multipartiste semblent commettre la même erreur de jugement, en affirmant que les idéaux du parti, la liberté et la justice, le respect des droits de l’homme et autres principes incarnés par la démocratie, sont si caressants et plus séduisants qu’on pourrait sans peine les proposer aux Centrafricains en échange du tribalisme. La République centrafricaine, déclarent-ils, n’a pas le monopole du tribalisme. Ses dirigeants devraient créer les conditions favorables à son éradication. Ces « démocrates » aspirent à la création d’une société centrafricaine homogène sans laquelle, disent-ils, « la démocratie centrafricaine multipartiste serait en danger » ; comme s’il était possible de parvenir à une telle homogénéité en trente ans, voire soixante années, et comme si cela n’exigeait pas comme condition minimale une langue commune. De tels raisonnements trahissent une incompréhension de la psychologie et de la nature véritable du tribalisme centrafricain. Nous ne parlons pas ici de la rancune ressentie par certaines minorités (Pygmées, Peuhls, etc.) qui, après des décennies ou des siècles d’oppression, cherchent à obtenir réparation ou sécession (de tels troubles ont également lieu). Nous parlons de ce qu’est 85
essentiellement l’impulsion primitive du cœur du Centrafricain Défini comme le sentiment d’appartenance à un groupe de clans revendiquant un ancêtre commun, le tribalisme est, comme l’ont montré les travaux de Sigmund Freud, lié au totémisme, une phase nécessaire et universelle de l’évolution humaine. Cette définition diffère considérablement de la compréhension populaire négative qui perçoit le tribalisme comme « la haine ou la discrimination dirigée contre d’autres peuples ou tribus », une conception renforcée par la situation politique actuelle en République centrafricaine, que nous venons de décrire et qui, pour beaucoup en Centrafrique, est un véritable repoussoir. Un tribalisme qui implique la haine et la domination des autres est un sentiment dont beaucoup de Centrafricains ont honte, même s’ils sont, par nature, tribalistes. Faisons alors une brève psychanalyse du tribalisme centrafricain, nous devons commencer par admettre le postulat freudien selon lequel, en ce XXIe siècle, « il y a des sociétés qui ont retenu, plus que d’autres, ce sens de l’union avec la nature dont était imprégnée l’humanité entière à l’époque primitive, et que ce sens a une influence considérable sur l’organisation de la vie, trouvant le plus souvent son expression dans l’animisme et dans le culte des ancêtres. Telle est la société centrafricaine, encore extrêmement rurale ; celle-ci se caractérise principalement par le culte des ancêtres, une religion traditionnelle dont la loyauté absolue, non seulement envers la famille mais aussi envers le clan ou la tribu. Dans les sociétés occidentales, ce sens primitif a été fortement refoulé dans l’inconscient, bien que l’on en trouve encore des traces dans certains gestes, superstitions et rituels. Même si l’on observe un certain regain du sens de la « tribu » parmi les minorités, aiguisé par des motivations 86
politiques et économiques, la famille en tant qu’unité y a généralement laissé place à l’individu, la société devenant un ensemble d’individus, contrastant en cela avec la République centrafricaine où la société est constituée de familles et de tribus. L’attachement du Centrafricain à sa famille ou son adhésion au système de la famille étendue est trop bien connu pour que l’on s’y attarde. La loyauté envers le clan, telle que l’exige la religion traditionnelle, de même que la peur et la méfiance à l’égard des autres tribus, acquises au cours de longues périodes des autres conflits tribaux, d’incursions et d’esclavages, ont souvent engendré dans la psychologie centrafricaine un sentiment « d’insécurité en dehors du groupe ». Il ne faut donc pas s’étonner que le centrafricain témoigne d’une plus grande allégeance envers sa tribu qu’envers son soi-disant pays. En effet, son système de valeurs privilégie instinctivement la famille par rapport à la tribu par rapport au pays. Beaucoup de centrafricains expriment aujourd’hui leurs craintes à propos du remplacement de ce qu’ils appellent péjorativement « l’impérialisme blanc par l’impérialisme noir ». Un jour, un député de l’opposition déclarait avec ferveur à la tribune de l’Assemblée Nationale : « J’aime l’indépendance, j’ai combattu pour elle et sa conquête est pour nous un honneur. Toutefois, il existe certains doutes et certaines expériences déplorables, nés de l’attitude peu sincère, antidémocratique, oppressive, vindicative et tribale de certains de nos dirigeants. Je dois dire que je viens d’une tribu dont on estime qu’elle est la troisième du pays, par sa taille et son ancienneté : je veux parler des Yakoma. A présent que nous avons obtenu l’indépendance depuis 1960, nous voulons être indépendants dans cette tribu pour reconstruire et repenser l’organisation administrative de sorte que tous les individus parlant mongbandi soient unis et forment leur propre province ou 87
Etat, au sein d’une Centrafrique indépendante. » Il ne voulait pas que son peuple soit gouverné par les régions septentrionales. Un autre député ne voulait pas non plus, quant à lui, que son peuple soit ainsi gouverné par ceux qu’il appelle les « sudistes ». « Je pense, Monsieur le Président de l’Assemblée », déclarait-il « nous ne serons pas en sécurité entre les mains de ces prétentieux sudistes. Vous savez certainement qu’avec le général André Kolingba pour président, nous, peuples des régions du nord, connaissons foncièrement l’enfer. » Les partis politiques qui ont émergé au cours de ces trois dernières décennies, bien qu’ayant en principe une vocation nationale, sont aujourd’hui chacun dominés par une tribu. Il s’agit, entre autres, des partis suivants : le Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC) d’André Kolingba, dominé par les Yakoma et assimilés ; le Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) du Président Ange Félix Patassé, dominé par les Gbaya et assimilés ; la Convention Nationale, dominée par les Banda, etc. Malheureusement, l’amertume causée chez les « nordistes » par la scission du MLPC (tendance Patassé et tendance Ziguélé) et la naissance du parti KNK de François Bozizé, ont favorisé des graves troubles politiques, et entrainé une suite d’évènements catastrophiques : coup d’Etat militaire de François Bozizé en 2003 et entrée des Séléka avec Michel Djotodja en 2013. Attentive à ces expériences, la présente constitution en cours de conception, qui semble marquer le véritable retour à un gouvernement réellement démocratique, va exiger des partis politiques qu’ils soient vraiment nationaux, c'est-à-dire présents sur le territoire de la République centrafricaine, et que le Président de la République remporte les élections dans les deux- tiers au 88
moins de l’ensemble des circonscriptions votantes. En attendant, les formations politiques qui émergent aujourd’hui ne sont encore qu’une résurrection des partis d’après l’indépendance, toujours aussi ethniquement noyautés qu’auparavant, et dirigés presque par les mêmes personnalités. Certes, dans le cadre d’un autre retour aux règles démocratiques prévu en 2016, un certain nombre de mesures seraient en train d’être prises pour éviter que cette situation ne se reproduise. Y parviendra-t-on ? Assurément, nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions générales et généralisables de la psychanalyse du tribaliste centrafricain : La première est que le tribalisme est un sentiment naturel et irrépressible. Il est lié à la personnalité, et à la véritable identité du centrafricain. La seconde est que la République centrafricaine n’a que peu, voire pas d’expérience dans la mise en œuvre d’une démocratie basée sur des modèles occidentaux au moment de son indépendance, et éprouve aujourd’hui encore d’énormes difficultés à assimiler ces mécanismes. La troisième est que les politiciens centrafricains ne peuvent s’empêcher d’être dominés par des sentiments tribaux. Il suffit de considérer les résultats des élections présidentielles de 1993 en Centrafrique où, malgré le sentiment général d’avoir à faire à un désir de changement largement répandu, après plus d’une décennie de règne du pouvoir de Kolingba, la part des votes recueillie par le candidat Ange Félix Patassé émanait presque exclusivement des communautés des régions du nord. Tout cela au seuil de ce qui était censé être une nouvelle ère démocratique en République centrafricaine.
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Il faut tout de même dire que la démocratie, depuis son apparition dans les cités grecques, a toujours démontré sa supériorité par rapport à tous les autres systèmes politiques. C’est un système qui a triomphé du totalitarisme de l’Europe orientale, et qui rencontre un succès croissant dans l’ensemble du Tiers monde. La pauvreté n’est pas un obstacle. Après tout, la plus grande démocratie du monde, l’Inde, est un pays pauvre. Et il ne fait aucun doute que la paix et la prospérité futures de la Centrafrique dépendraient de l’enracinement de la démocratie dans ce pays. Le problème aujourd’hui est que les Centrafricains n’ont jamais essayé de construire la démocratie avec réalisme, en se basant sur les institutions dont ils disposent. Ils ont cédé, et ils cèdent encore, à la facilité de l’imitation. Aucune des grandes démocraties actuelles n’a copié en bloc le système d’une autre. Quel que soit le système adopté, il est à la fois le reflet du caractère national et de l’histoire de chaque pays : le Royaume-Uni, monarchie constitutionnelle depuis Guillaume et Marie en 1689 ; La France, système présidentiel unitaire depuis 1958, après une longue période d’instabilité gouvernementale et de quête d’un système plus durable – en fait depuis la révolution de 1789 ; les Etats-Unis, un système présidentiel fédéral depuis 1789, année d’entrée en vigueur de la Constitution des Etats-Unis. Les pères fondateurs de cette constitution, nous-a-t-on dit, ont examiné tous les systèmes politiques connus – monarchie, oligarchie et démocratie – et les ont tous rejeté comme dangereux, préférant les fondre tous trois en un système d’équilibre des pouvoirs, affiné il est vrai par divers amendements. Il s’agit d’un document important, qui convient au tempérament américain, et qui a résisté à l’épreuve du temps.
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Condamnés à vivre ensemble dans des Etats modernes, les Centrafricains doivent trouver une formule pour la paix. Le tribalisme, tel qu’il vient d’être décrit, ne devrait pas être considéré comme un facteur de division, mais comme une institution naturelle (un pluralisme intégré ou des circonscriptions électorales naturelles si l’on veut) avec laquelle construire une démocratie, serait l’idéal recherché. C’est ce à quoi tendent tous les vœux pieux des centrafricains. Mais, y parviendra-t-on sans se heurter aux esprits « démoniaques » de division. La question qui se pose inévitablement aujourd’hui en Centrafrique, c’est celle de savoir, comment concilier pratiquement le tribalisme et la démocratie. Il faut naturellement commencer par établir une constitution qui mette l’accent sur les principes de base intangibles de la démocratie, c'est-à-dire le respect des droits de l’homme, celui des droits des minorités, la liberté d’expression et la liberté de la presse, l’indépendance des pouvoirs législatif et judiciaire, une distribution équitable des richesses de la nation, des services sociaux et des équipements, l’éducation pour tous et l’obligation pour le gouvernement d’agir constitutionnellement. Un système tel que celui suggéré dans la nouvelle constitution en cours de promulgation, signifie nécessairement des pouvoirs réduits pour quiconque sera choisi, par quelque moyen que ce soit, pour occuper la tête de l’Etat. Il signifie également des pouvoirs plus étendus pour le gouvernement et le pouvoir législatif. Ce système ne fonctionnera effectivement que sur base d’un engagement à respecter. Ignorer, déplorer ou essayer de s’aveugler sur le tribalisme pour construire une démocratie forte, équivaut à rêver tout éveillé demain dans ce pays.
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CHAPITRE III Vers une nouvelle vision du développement de la RCA
Comme nous l’avons déjà dit à juste titre au début de cet ouvrage, l’obtention de l’indépendance (politique) de la République centrafricaine, le 13 août 1960, avait naturellement engendré à l’époque de l’euphorie et de l’espoir pour un avenir plus ou moins prospère. L’espoir était fondé sur l’hypothèse selon laquelle le contrôle politique de nos propres affaires ou l’auto-administration, devrait nous apporter : le respect de nous-mêmes, le pouvoir de gérer nos propres affaires – et partant, de contrôler notre propre destin, la liberté et la possibilité de créer des institutions appropriées pour le développement du pays, et surtout, augmenterait notre bien-être économique, avec tout ce que cela devrait comporter. L’amélioration du niveau de vie devrait résulter, d’une certaine façon, de la conviction selon laquelle une bonne part des richesses de la République centrafricaine décolonisée, qui étaient auparavant détournées vers la métropole coloniale, allaient désormais rester dans le nouvel Etat centrafricain indépendant. C’était là un espoir légitime et sensé, qu’on pouvait s’attendre à trouver chez un peuple au seuil de l’indépendance politique. Mais, cela fait presque soixante
ans maintenant que la République centrafricaine a conquis son indépendance, et ce pays continue toujours de lutter pour sortir de la misère. Nous devons nous demander, à juste titre, ce qui a mal tourné. Car, l’espoir d’un bien-être économique – d’une vie d’abondance matérielle et d’amélioration du niveau de vie, est aujourd’hui brisé par des séries de crises militaro-politiques et économiques. Il est donc impératif de revisiter ou de réviser les éléments de base de ce qui va constituer désormais la nouvelle vision pour le développement de la Centrafrique. A cet égard, il faut qu’il y ait un large consensus sur cette destination et la façon d’y parvenir. Le leadership, le renforcement du consensus, ainsi que l’engagement politique, peuvent être des facettes importantes du processus de développement et de mise en œuvre d’une vision stratégique. Le lieu de telles initiatives se situe d’abord au niveau local. I. QU’EST-CE QU’UNE VISION DE DÉVELOPPEMENT DE LA RCA ? Une vision du développement de la RCA serait une articulation de la condition ou de la situation la plus souhaitable et réaliste à laquelle ce pays aimerait parvenir, et de la ligne de conduite la plus plausible pour sa réalisation. C’est une conception d’idéaux, de ce qui devrait être – du meilleur type de société ou de condition qu’il faudrait créer. Ainsi, cette vision peut être la source d’une entreprise normative et comporterait (i) une orientation claire de là où notre pays devrait aller, (ii) la façon dont il peut y parvenir, et (iii) des programmes d’action spécifiques. Cette vision est essentiellement axée sur des objectifs à long terme et leur réalisation. Des plans à court et à moyen terme devraient, non seulement, être basés sur cette vision, 94
mais également lui être conformes. Essentiellement formée d’idéaux, cette vision pourrait ne pas être réalisable de la manière souhaitée ; mais elle pourrait être réalisée, et devrait, en fait inspirer la recherche d’idées et de stratégies profondes et novatrices dans la poursuite de ses objectifs. Une vision est une incarnation de nos futurs espoirs – les types d’individus que nous aimerions être ou devenir, le type de société que nous aimerions avoir créée dans l’avenir. Dans l’histoire de l’humanité, la vision a ouvert la manche vers le progrès et la transformation culturelle, a tiré l’humanité des bas-fonds de l’accablement, de la frustration, du désespoir et de la résignation, pour l’élever aux plateaux de l’espoir et d’une vie nouvelle. Ainsi, à la lumière des échecs et des frustrations politiques et économiques manifestes de la République centrafricaine postcoloniale, et des problèmes décourageants auxquels le pays fait face en ce moment, au début de ce troisième millénaire, une nouvelle vision devrait servir de guide pour s’attaquer à la crise actuelle du développement. Il s’agit, entre autres, de traiter les problèmes ayant trait à la capacité du pays d’être compétitif dans l’économie continentale et même mondiale, à améliorer le niveau de vie de la population, à bâtir une nation forte où devrait régner la cohésion sociale à partir de plusieurs groupes ethnoculturels différents, à instaurer de nouveaux loyalismes pour un nouvel Etat centrafricain, de former de nouvelles identités, et de créer des institutions politiques fortes, démocratiques et viables. Nombreux sont aujourd’hui des centrafricains qui sont conscients de la nécessité urgente d’articuler une nouvelle vision du pays, pour servir de phare devant éclairer notre chemin et nous guider vers le futur. Il est indéniable que l’articulation d’une nouvelle vision de la République centrafricaine devra être réaliste et servir de plateforme de lancement pour traiter les multiples crises que nous connaissons aujourd’hui. 95
II. PROCESSUS D’ARTICULATION D’UNE VISION DE DÉVELOPPEMENT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Le processus d’articulation de visions de développement de la Centrafrique doit être une entreprise globale. Il doit établir collectivement des objectifs de ce que ce pays a l’intention de réaliser, comment atteindre ces objectifs, et susciter la compréhension et l’engagement des parties intéressées quant à leur mise en œuvre. L’origine locale de cette vision est fondamentale pour générer la compréhension et l’engagement requis pour l’action. Même s’il faut un leadership ferme pour guider le processus, un consensus sur des visions stratégiques est une condition sine qua non pour susciter un sentiment d’intérêt et d’engagement national. Dans cette recherche du consensus, il faudra considérer et aplanir en amont les différences potentielles entre les groupes d’intérêts très divers du pays. Il faut dans ce cas une base commune pour forger une vision partagée à long terme pour la République centrafricaine. Cette vision devra englober un vaste éventail d’intérêts, et nécessiter de la tolérance dans le processus d’établissement de compromis inévitables. En principe, il y a trois aspects fondamentaux dans tout processus de définition d’une vision : La fixation des objectifs réalistes en vue des contraintes potentielles ; L’évaluation des gagnants et des perdants potentiels à court terme, tout en indiquant clairement les avantages dont tous devant jouir à long terme ; L’engagement suscité par toutes les parties concernées à l’égard de l’action, en particulier des leaders politiques.
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Ainsi, l’articulation d’une vision du développement de la Centrafrique doit être compatible avec la conception d’un cadre d’une politique saine et la création de structures administratives et institutionnelles réelles pour la mise en œuvre et le contrôle des performances. C’est pourquoi, nous pensons qu’il serait nécessaire d’établir des points de référence clairs pour les performances et les horizons réalistes, ce qui permettra d’éviter l’inaction et les frustrations inutiles nées d’attentes irréalistes. Des résultats provisoires positifs sont aussi importants pour soutenir l’effort et l’engagement, qu’un bon leadership. En définitive, quel que soit le soutien extérieur que la Centrafrique pourrait recevoir pour élaborer et mettre en œuvre ses stratégies de développement, ce soutien devra être considéré comme un complément de sa propre initiative. Cela revêt une importance particulière si l’on considère la dépendance actuelle du pays vis-à-vis des idées, ressources et pressions extérieures relativement à des actions particulières et à la réalisation des objectifs fixés. III. NOUVELLE VISION DE LA RCA : QUESTIONS CRITIQUES ET PROGRAMMES D’ACTION 1. Le leadership L’absence de véritables leaders politiques en République centrafricaine doit être considérée comme étant l’une des principales causes de la crise du développement dans ce pays. La raison en est que, si nous avions eu de bons leaders incorruptibles et responsables, nous aurions pu traiter de façon assez satisfaisante au moins, d’autres questions ou problèmes qui ont sans nul doute contribué aux différentes crises que le pays a connues ces dernières décennies. Ce doit être des leaders personnellement intègres, engagés vis-à-vis notamment du développement du pays et 97
de la poursuite des intérêts et du bien-être de la population centrafricaine toute entière, et non des intérêts des membres de leurs propres groupes ethniques ou de coteries de chercheurs de pouvoirs ayant le même esprit, et guidés par l’intérêt personnel, des leaders qui ne se considèrent pas comme indispensables. Comment ce futur Etat centrafricain peut-il avoir ou produire un bon leadership ou un leader qui soit efficace et responsable, un leader intelligent et imaginatif, un leader moralement intègre et qui agira selon des principes et opérera dans le cadre de la structure constitutionnelle existante, sait ce qu’il veut faire et où il veut aller, un leader qui soit sensible aux intérêts et au bien-être de tous les citoyens centrafricains, qui soit sincèrement engagé à l’égard du progrès de l’Etat ? Produire ou obtenir un bon leader pour la République centrafricaine est une question ardue, si l’on considère les imperfections que comportent aussi bien l’être humain que les institutions humaines. Cependant, la création d’un système démocratique centrafricain qui non seulement pourrait proscrire l’entrée de dirigeants (militaires) autoproclamés, mais mettrait en place un (ou des) processus connus et acceptés qui consisteraient à choisir un bon leader et à destituer un mauvais leader. Grace à des procédures structurées, il serait difficile, sinon impossible, pour les leaders sans scrupule, d’essayer de subvertir le système de sélection et de destitution d’un leader. 2. Les institutions politiques Les institutions politiques introduites jadis en République centrafricaine par les dirigeants « coloniaux » ont très peu tenu compte des valeurs et pratiques locales. Les centrafricains étaient (devaient être) à l’école de ces institutions importées. Cependant, ils n’ont pas pu les 98
appliquer avec succès, et au profit de la population centrafricaine. A la place de la politique consensuelle qui était la facette dominante de la culture politique précoloniale centrafricaine, on a fait appel à ces institutions pour pratiquer la nouvelle politique de confrontation. La politique traditionnelle centrafricaine de compromis ainsi que d’harmonie et de participation « communale » fut remplacée par la politique du « tout pour le gagnant ». Les procédures de prise de décision qui permettaient la contribution individuelle et favorisaient la tolérance mutuelle, la patience et le respect des opinions des autres furent mises à l’écart dans l’Etat colonial et postcolonial centrafricain. La notion de l’Etat en tant que res publica – chose publique – en tant qu’organisation politique dont la survie, le bien-être et la réussite étaient l’affaire de tous, était très bien comprise, surtout dans le milieu centrafricain traditionnel. L’idée politique de la démocratie était donc parfaitement connue d’une bonne partie de la tradition centrafricaine ; mais cette idée était exprimée de manières différentes de celle introduites par les dirigeants coloniaux, et qui avaient leur préférence. L’échec de la politique centrafricaine est à maints égards le manque de fonctionnement efficace avec des institutions étrangères imposées et le manque de compétence bureaucratique appropriée. Alors, la grande question est de savoir, quelles sortes d’institutions politiques et socio-économiques (pouvant être mises en œuvre de la façon la plus satisfaisante par les centrafricains eux-mêmes), la République centrafricaine doit-elle se développer ? Devons-nous ignorer les institutions coloniales héritées lorsque nous essayons de créer de nouvelles institutions, ou de les adapter, et comment ? Nos propres institutions traditionnelles ont-elles une place dans
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le renforcement institutionnel dans l’environnement mondial moderne ? Les échecs institutionnels de l’époque postcoloniale semblent suggérer que l’Etat centrafricain doit ériger ses propres institutions. Ces institutions devraient susciter la compréhension et la légitimité locales. Si on considère que les institutions coloniales héritées en valent la peine, on doit se les approprier, les domestiquer et, par conséquent, leur permettre de s’enraciner dans la culture politique traditionnelle de République centrafricaine. 3. La construction d’une nouvelle société civile La gouvernance (système d’administration) postcoloniale a été essentiellement basée sur l’Etat, avec très peu ou pas de contribution de la part des associations et institutions bénévoles non gouvernementales. Dans la mesure où la société civile se réfère à l’existence d’institutions, d’organisations et d’activités qui sont nettement non gouvernementales et en même temps vont au-delà de l’échelle familiale et du ménage, on peut dire qu’il y avait très peu d’éléments de cette société civile dans la République centrafricaine postcoloniale. Ils étaient tantôt inefficaces, tantôt sans aucune influence, tantôt ignorés par des régimes despotiques comme celui de Bokassa. A la question de savoir comment des éléments viables de la société civile pourraient-ils totalement émerger en République centrafricaine, et être reconnus comme des institutions importantes et appropriées dans l’élaboration d’une société centrafricaine véritablement démocratique ? Nous pensons que pour parvenir à une réalisation concrète de la notion de société civile, l’Etat centrafricain devra aujourd’hui permettre l’émergence et le fonctionnement effectif d’organisations et d’activités viables, non gouvernementales, non personnalisées, telles que la presse privée, 100
les syndicats, et autres organisations bénévoles. Cela aboutira à l’émergence d’une culture de tolérance et surtout de pluralisme. Une telle société exigerait au moins cinq règles, il y en a certainement d’autres que nous allons énumérer ci-après. Cette énumération ne saurait donc être exhaustive. D’abord, nous ne prenons en ligne de compte que les règles politiques de la « société civilisée ». Ensuite, même à l’intérieur de ces règles, nous ne mettons peut-être pas l’accent sur celles qui nous semblent être plus intéressantes par rapport à la situation politique centrafricaine actuelle. Premièrement, l’ensemble des acteurs politiques centrafricains doivent s’accorder sur les principes selon lesquels, la politique ne doit pas être considérée comme un jeu sans règles et qui, a priori, exclut de la scène politique toute référence au « bien » et à la « vérité », ou qui interprète ces derniers uniquement en termes pragmatiques d’efficacité et de succès. Deuxièmement, l’ensemble de ces acteurs politiques doivent s’accorder sur le principe qu’aucune décision ou mesure politique ne saurait être considérée comme légitime à moins d’être acceptée par les citoyens dans les conditions qu’il faut, en vue d’une opinion libre et éclairée. Il ne s’agit pas simplement d’éduquer les gens politiquement, il faut que ceux qui sont censés dispenser cette éducation soient eux-mêmes politiquement éduqués. Cela n’est pas toujours le cas, même si cela semble aller de soi. Il s’agit également de comportement concret de la part des acteurs. Par exemple, ils doivent éviter toute forme de clientélisme ou « idiotisation » des gens ; ils doivent également éviter la démagogie populaire qui se nourrit de sentiments irrationnels chez les adultes. Troisièmement, tous ces acteurs doivent s’accorder sur le principe que le pouvoir démocratique peut et doit naturellement être conquis et/ou maintenu uniquement par 101
des moyens démocratiques. Entre autres : la fiabilité et la responsabilité de la part de ceux qui gouvernent ; leur respect strict des droits et aspirations légitimes des citoyens, y compris ceux de l’opposition ; l’accord de tous les participants sur le principe de l’alternance, d’où la nécessité d’élections libres et transparentes ; le respect par la minorité des droits légitimes de la majorité à gouverner tant que c’est dans le cadre des règles, principes et valeurs démocratiques. Quatrièmement, l’ensemble des acteurs politiques centrafricains doivent s’entendre sur le principe que la politique est un moyen pour l’homme et non l’inverse. Cela veut dire que toute politique qui est directement ou indirectement dirigée contre la dignité humaine, la liberté et la sécurité, est illégitime et immorale. Sur cette base, toute forme de violence intellectuelle, psychologique et physique contre la personne humaine doit être exclue des méthodes politiques de gouvernement ou de conquête du pouvoir. Cinquièmement, l’ensemble des acteurs doivent convenir du principe que pour constituer le fondement humain de la société centrafricaine, toute politique doit relever de la conscience de solidarité et de subsidiarités des populations. Il ne s’agit pas là de simples préalables de base de la vie sociale en tant que telle, mais également d’enrichissement de soi à travers le contrat avec les autres. D’où la nécessité de bannir l’intolérance du comportement politique et social, à commencer par les relations entre différentes entités culturelles au sein de la société centrafricaine. L’ethnicité, le régionalisme, le tribalisme et le racisme, etc., pour cette raison pourraient être considérés comme étant incompatibles avec une « société » politiquement « civilisée », et donc totalement inacceptables.
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Les principes autant que les règles d’une telle société, rapidement brossés ci-dessus, parfois directement ou indirectement tirés des présuppositions et du concept de démocratie délibérative, débouchent sur une compréhension tout à fait nouvelle de ce qu’est ou devrait être la politique pour qu’elle soit pratiquée dans l’intérêt des personnes. C’est pourquoi, la politique du pays doit passer du paradigme de « l’exclusion » et du « conflit », à un nouveau paradigme de « communication » et de « dialogue ». Certes, la tension et l’hostilité, n’ont pas, bien entendu complètement disparu, ni dans les relations sociales et politiques qui existent au sein de notre société, ni au niveau local. Toutefois, on constate désormais que chaque centrafricain est de plus en plus disposé à regarder au-delà des contradictions, et à saisir une tendance différente et plus décisive qui tente de s’affirmer à travers les évènements et circonstances de la vie politique courante. Il s’agit d’une tendance vers une nouvelle Centrafrique « plus communicative », laquelle va vraisemblablement déboucher sur un environnement positif où chaque individu ou groupe particulier pourrait vivre en sécurité, sans se sentir menacé par la présence des autres et vice versa. Pour autant, cela ne veut pas dire que les différences politiques et sociales, traduisant les intérêts divergents des individus ou groupes actifs en RCA, vont disparaître comme par enchantement, pour céder la place à un nouvel ordre social exempt de toutes contradictions. Ces différences vont demeurer en tant qu’éléments constitutifs de toute société dans sa réalité concrète et unique. Ce qui va changer, c’est l’esprit dans lequel on va les aborder désormais, ainsi que la méthode utilisée pour les transcender. D’avantage, préférence devra être accordée aux procédures consensuelles de résolution de contradictions politiques et sociales, dans la mesure où elles seront moins « onéreuses » et donc, plus rationnelles. 103
4. La construction d’un Etat-Nation cohésif en République centrafricaine La République centrafricaine est un Etat qui comporte, entre autres, plusieurs groupes ethniques. Le problème très ardu qui consiste à bâtir une « nation » centrafricaine, une et indivisible, résulte en partie de l’imposition à cet Etat des frontières artificielles établies, jadis, par les Européens dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Ces frontières étaient telles qu’elles n’ont pas pu tenir compte des caractéristiques des populations vivant à l’intérieur des mêmes frontières territoriales. Résultat, certains compatriotes mettent aujourd’hui en question la valeur d’un pseudo « Etat-Nation » en Centrafrique, et vont jusqu’à recommander un Etat basé sur l’Ethnie comme étant plus adapté à leur identité qu’un Etat-Nation multiethnique. Cette vision semble être l’un des points de revendication de la coalition Séléka qui continue de réclamer la balkanisation du territoire national, où les préfectures de la Bamingui-Bangoran et du Vakaga constitueraient un territoire islamique autonome. Questions : Comment un Etat-Nation en Centrafrique peut-il développer ainsi un Etat cohésif, avec une culture et une identité nationales ? Comment peut-il surmonter la difficulté qui consiste à transférer les loyalismes locaux ou ethniques à l’Etat et à son autorité politique centrale ? Comment peut-on empêcher les conflits ethniques, et mettre fin aux menaces constantes de sécession de tel ou tel groupe ? Bref, comment l’Etat-Nation qui est postcolonial, multiethnique, peut-il parvenir à l’unité ? Action : Il y a plusieurs mesures à prendre dans la tentative de construction d’un Etat-Nation centrafricain cohésif et viable, avec des citoyens pluriels au plan ethnique et culturel. Le nouvel Etat-Nation centrafricain devra viser l’égalité culturelle afin que ses membres, bien 104
qu’étant de différents milieux ethno-culturels, se sentent reconnus à la fois en tant que citoyens politiques et membres culturels. La reconnaissance de la valeur morale et de la dignité de chaque être humain sera impérative, étant donné que ce sont là les bases de tout traitement – social, politique, juridique – réservé au citoyen d’un EtatNation. Ainsi, la nécessité de créer une société ouverte, démocratique, qui donnerait des chances égales à chacun de ses membres, s’impose d’ores et déjà. Société dans laquelle il faudrait partager le pouvoir politique de manière satisfaisante entre les différentes communautés ethnoculturelles et répartir équitablement les ressources destinées au développement du pays. De même, la nécessité de créer un Etat minimal qui donnerait de grandes latitudes aux activités économiques des individus, des familles, des clans et surtout des communautés (comme autrefois) sera de toute première urgence. Le nouvel Etat-Nation centrafricain ainsi créé, devra imprégner ses citoyens d’un profond sentiment d’appartenance. Une structure politique, administrative et fiscale largement décentralisée sera fort indispensable pour susciter un sentiment d’équité et d’appartenance. 5. Le développement du capital humain De nombreux centrafricains – grâce à leur intellect, leurs idées, leurs talents, leurs capacités et leurs visions – sont des agents de développement. Ces caractéristiques ou qualités constituent le capital humain de la République centrafricaine. Une fois améliorées, ces capacités humaines sont essentielles pour une production efficace du pays. Mais, le développement de ce capital est essentiellement fonction de la santé, de l’alimentation, de l’éducation et de la formation. Même si les différents 105
gouvernements centrafricains qui se sont succédés ont fait beaucoup d’efforts en matière d’éducation, il n’en demeure pas moins que la République centrafricaine semble être la lanterne rouge en Afrique centrale, pour ce qui est de l’éducation globale des individus, en particulier dans les domaines de l’enseignement professionnel, technique et nutritionnel, si importants pour la production d’une main-d’œuvre qualifiée, intermédiaire. La formation professionnelle n’a pas joui d’un grand succès en Centrafrique, très probablement à cause des attitudes sociales négatives à l’égard de la formation aux compétences et aux métiers manuels. Ce manque de soutien a eu pour conséquence une pénurie de personnes qualifiées pour accomplir des tâches routinières telles que l’entretien des machines et des bâtiments, une situation qui a laissé le pays dans un état de délabrement lamentable. L’enseignement supérieur est, bien entendu, de la plus haute importance dans le développement du pays. La migration des meilleurs diplômés, en vue de suivre des formations de troisième cycle à l’étranger, a constitué un sérieux inconvénient pour le développement des formations spécialisées de haut niveau en République centrafricaine. Dans tous les cas, nombreux sont aujourd’hui les meilleurs cerveaux centrafricains qui contribuent aux résultats de la recherche dans des pays étrangers comme : la France, la RDC, le Cameroun ou le Tchad. Cette situation est aujourd’hui aggravée par des difficultés socio-économiques auxquelles est confrontée l’unique université du pays (l’Université de Bangui) depuis le début des années 1990, qui ont abouti à l’appauvrissement des ressources des bibliothèques, et à une fuite constante des universitaires du pays vers les universités étrangères.
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Questions : Comment l’Etat centrafricain peut-il effectivement assurer des niveaux satisfaisants d’éducation à ses populations, susciter chez les jeunes, garçons et filles, d’un intérêt pour l’enseignement professionnel, technique et agricole ? Comment pouvonsnous maintenir dans nos institutions d’enseignement supérieur des chercheurs et universitaires de haut niveau ? Action : A cause de l’insistance des programmes d’ajustement sur la réduction des dépenses publiques, certains soutiennent que le gouvernement centrafricain ne peut plus se permettre de garantir des soins de santé et une éducation appropriés à se citoyens. Cependant, il est plus important pour la Centrafrique de mobiliser des ressources suffisantes pour atteindre des objectifs qui font l’objet d’un consensus national et universel, et qui ont trait à la santé, à la baisse de la mortalité infantile, à l’alphabétisation et à l’enseignement primaire, à l’approvisionnement en eau potable, à l’hygiène et à l’alimentation à des coûts réduits et avec une efficacité accrue. Afin de faire progresser le développement basé sur la technologie, il faut accorder la priorité absolue à la formation aux compétences et métiers manuels. La formation professionnelle et technique au niveau de l’enseignement secondaire est de la plus haute importance, et doit être intégrée dans la culture éducative générale, autrement, la technologie moderne demeurera étrangère et ne prendra pas racine en République centrafricaine. La création de centres professionnels non formels dans les zones rurales et périurbains doit être prioritaire. La formation dispensée doit être fonction des situations des individus et de leurs besoins environnementaux. Dans ces zones rurales où l’agriculture est l’activité principale, la formation doit inclure la construction d’entrepôts pour les récoltes, l’irrigation, la protection de l’environnement, la 107
santé et la nutrition, le traitement et la conservation des aliments, le travail des métaux, la poterie, la vannerie, le bâtiment, la sculpture sur bois, etc. Toutes ces activités traditionnellement exercées par les ruraux, doivent être améliorées par l’utilisation de techniques modernes. Par ailleurs, il faut prêter une plus grande attention à la formation des travailleurs sanitaires et des villages. Pour une éducation encore plus appropriée en République centrafricaine, l’utilisation de la langue Sango est un volet essentiel. La réforme du programme de l’éducation de base devra inclure des rudiments de sciences de la santé, l’alimentation et la nutrition, la science et la technologie de base, l’écologie et l’environnement. Il faut développer des institutions purement centrafricaines d’enseignement supérieur, consacrés au pays. La recherche universitaire devrait ainsi intégrer les besoins locaux et nationaux. 6. Comment gérer la fuite des cerveaux en République centrafricaine ? Chaque année, plusieurs cadres centrafricains quittent le pays pour l’étranger, emportant avec eux une bonne partie de la capacité intellectuelle de la République centrafricaine. Bien que le taux d’expatriation ne soit pas très élevé qu’ailleurs, le problème ici est celui du seuil critique atteint, lequel produit un effet dommageable pour le pays. Il est aujourd’hui question d’identifier les voies et moyens pour juguler une telle saignée, même si certains préfèrent parler d’exil ou de migration plutôt que de fuite. Tout en reconnaissant que le phénomène est incontournable, difficile à gérer, beaucoup de gens s’accordent sur la nécessité de le limiter en améliorant les conditions socio-économiques et politiques qui poussent au départ.
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La fuite des cerveaux est un débat qui masque la misère intellectuelle des étudiants centrafricains en Occident. Des cerveaux fuient la misère d’un système éducatif irresponsable et défaillant devenu en Centrafrique une rampe de lancement vers l’immigration et l’errance. Tous les dirigeants centrafricains crient leur impuissance face à ce phénomène. Chaque année, de nombreux jeunes quittent le pays et l’Université de Bangui pour poursuivre leurs études à l’étranger et particulièrement dans les universités européennes (surtout françaises). La République centrafricaine a perdu plusieurs professionnels ces dernières décennies. L’Université de Bangui et certaines grandes écoles, en raison de l’exode des cerveaux vers l’occident, souffrent de plus en plus de l’insuffisance d’enseignants et de chercheurs. Les jeunes intellectuels quittent généralement le pays à cause de la médiocrité des salaires, le statut précaire des chercheurs, les problèmes politiques, etc. La République centrafricaine accorde une attention particulière à cette diaspora centrafricaine du savoir et puise dans ce vivier de compétences utiles pour le pays. Nous sommes face à une reproduction de la dynamique du sous-développement à travers la dérobade de la matière grise centrafricaine. La nouveauté dans les politiques de l’immigration de certains pays développés comme la France est de contribuer à renforcer les déséquilibres qui existent dans le domaine des savoirs en puisant dans le réservoir centrafricain des ressources pour son propre développement Des secteurs vitaux en République centrafricaine sont désormais dépossédés de ressources humaines nécessaires pour le développement. Mais, comment la République centrafricaine peut-elle crier au scandale de la fuite des cerveaux si elle ne contribue pas aux frais de formation de sa jeunesse ? En Centrafrique, ce sont les conditions 109
difficiles et l’absence de perspectives d’avenir qui conduisent bon nombre de jeunes centrafricains et d’intellectuels à s’exiler. Nous sommes passés à une époque où les intellectuels centrafricains oublient le chemin du retour et le devoir de secourir la « mère patrie ». Plusieurs raisons expliquent ce phénomène des masses d’étudiants centrafricains qui partent et ne reviennent plus. L’Etat centrafricain ne favorise pas assez la formation de ses élites à l’étranger, aussi le voyage des étudiants vers les grandes universités du monde est-il une aventure individuelle. Le devoir de retour est une histoire de choix individuel. L’attribution de bourses d’études à l’étranger est réservée à une catégorie d’étudiants centrafricains. L’absence d’une politique éducative responsable conduit à des pratiques discriminatoires dans le domaine de la formation des intellectuels centrafricains. Ceux qui bénéficient de subventions, s’il en existe, sont d’abord et avant tout les fils des élites. Le clientélisme et le clanisme politiques ambiants sont des canaux de sélection qui excluent ceux dont les parents sont en dehors de ces sphères. Une autre catégorie de boursiers est constituée par des étudiants qui dérangent par leurs luttes syndicales à l’université. Souvent récupérés par l’appareil politique, ils sont exilés à l’étranger par la voie des études. Beaucoup d’étudiants voient d’ailleurs dans cet engagement syndical universitaire une stratégie de sortie de leur pays. Cependant, le chemin du retour au pays ne leur est pas garanti en raison des obstacles liés à la peur de l’intellectuel revenant. En effet, ceux qui sont demeurés sur place voient d’un mauvais œil le retour de ces étudiants et éventuels cadres. Ils bénéficient d’une autre mentalité de la gestion des affaires, ils concurrencent les savoir-faire établis, ils modifient les comportements administratifs, ils accèdent plus facilement à des fonctions 110
convoitées, ils supplantent les cadres du parti au pouvoir, ils menacent les privilèges acquis… Autant de raisons d’avoir peur des intellectuels expatriés et d’empêcher leur retour rendu hypothétique. Mais, nous ne sommes plus dans la période où les étudiants centrafricains étaient porteurs d’idéaux, de changement, de démocratie, porteurs des rêves pour la majorité illettrée de leur peuple. Nos aînés avaient porté le rêve du « panafricanisme » et se battaient pour la réhabilitation de leur culture et pour le développement. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes intellectuels centrafricains quittent le pays dans l’espoir de trouver une vie et des conditions meilleures par la voie des études. Ils n’échappent pas au mirage de l’Occident qui frappe la jeunesse africaine. Ils partent souvent pour embrasser une réalité de l’exclusion implacable dans les sociétés occidentales. Sans ressources ni aides pour réussir leur séjour scolaire, ils se battent dans des conditions sordides pour vivre et finissent par peupler les avenues, les rues et les métros des grandes villes d’Europe. Quelquefois ceux qui sont parvenus à leur fin avec un doctorat ou des diplômes de haut niveau occupent exclusivement des postes valorisants en Occident. Les autres errent avec leurs bagages intellectuels et ne daignent pas penser à un éventuel retour au pays. En République centrafricaine, un très bon diplôme ne garantit pas du travail. Pour cette raison, évoquer le retour est une décision presque suicidaire pour certains étudiants qui, de surcroît, ne se sentent pas redevables à leur pays d’origine, la République centrafricaine. Les parcours souvent personnels, sans aucune aide, sont vécus comme une nonassistance à personne dans le besoin. Les études à l’étranger relèvent du parcours du combattant et sont marquées par des privations de toutes sortes quand on n’a pas les ressources nécessaires. Dans les grandes capitales 111
des pays développés, errent de nombreux intellectuels centrafricains, leurs diplômes en bandoulière sont souvent bons pour les petits boulots du monde riche. Ils ont franchi le mur du non-retour, perdus à jamais par le pays qui a tant besoin d’eux. Pourtant, face à cette fatalité, des solutions doivent être envisagées par les centrafricains, eux-mêmes, à travers la mise en œuvre de stratégies devant retenir ou récupérer les cerveaux de ce pays. Ces cerveaux sont la matière nécessaire pour le renouvellement des élites centrafricaines. L’héritage intellectuel de ce pays revient à cette nouvelle génération qui est pour l’instant tiraillée entre le patriotisme centrafricain et l’attrait de l’étranger. Leur rétention à travers la formation est le gage d’un nouvel élan pour le développement du pays. Dans tous les domaines du savoir, et plus particulièrement dans celui du développement, la République centrafricaine a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils pour façonner son destin. Redonner une fierté et un idéal à tous les jeunes va permettre d’endiguer la fuite des cerveaux pour inscrire notre jeunesse dans un projet qui a pour nom le redressement intellectuel et spirituel de la République centrafricaine. Pour cela, il est plus qu’urgent de développer notre enseignement supérieur et notre système éducatif pour fournir à nos intellectuels les conditions idéales, pour une recherche tournée vers le développement. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser se durcir une situation qui vide la Centrafrique de ce dont elle a le plus besoin : des cerveaux capables de réfléchir sur les conditions de notre progrès et de trouver des solutions aux difficultés que vivent nos populations. Cette nouvelle élite doit être convaincue par les valeurs africanistes en faisant sien l’héritage. Elle doit s’éveiller aux défis du monde actuel pour apporter des réponses novatrices aux questions du troisième millénaire. 112
Cette nouvelle élite centrafricaine devra rompre avec les pratiques de l’élite issue de la période coloniale et faire des Droits de l’Homme son combat pour la libération du peuple centrafricain du joug de l’arbitraire et de l’inconscience. Elle sera appelée à relever les défis de la gouvernance, de la démocratie et du développement qui sont les vecteurs d’un progrès respectueux de nos valeurs de paix et de réconciliation. L’asservissement intellectuel de la Centrafrique a trop duré, alors que la place qu’occupera notre pays dans le concert des nations rayonnera d’autant plus que le regard qui sera porté sur elle sera couronné d’estime et de respect. Nous saurons ainsi montrer à la face du monde que la renaissance centrafricaine est arrivée et qu’il faudra compter avec la République centrafricaine, sur la base d’autres considérations. Le troisième millénaire sera ainsi celui de la Centrafrique qui verra ses hommes d’affaires triompher dans l’économie, ses hommes politiques dignes de confiance, et son peuple regagner sa fierté. Les mesures incitatives, dissuasives voire compensatoires ne sont pas sans limites. Moderniser la coopération scientifique et créer des pôles d’excellence ne sont-ils pas plus efficaces, au moment où s’ouvrent, à travers des « diasporas scientifiques », de nouvelles voies susceptibles de permettre une rentabilisation des intelligences exilées ? 7. La sécurité alimentaire La sécurité alimentaire, c’est la disponibilité, à tout moment, de quantités au plan nutritionnel, pour satisfaire les besoins d’une population. Par conséquent, la sécurité alimentaire dépend de la capacité productive d’une population, de ses niveaux de revenus, du mode de distribution des revenus, et bien entendu, du fonctionnement des marchés. En République 113
centrafricaine, où la majorité de la population (75%) tire ses moyens d’existence de l’agriculture, la sécurité alimentaire dépend de façon cruciale d’un secteur agricole compétitif. A cet égard, la performance de la République centrafricaine a été de loin largement insuffisante. L’insécurité alimentaire, exprimée en termes à la fois de sous-nutrition et de malnutrition, s’est au cours des quatre dernières années, touchant maintenant ¼ de la population totale de la République centrafricaine. D’exportateur net de produits alimentaires au début des années 1960, le pays est devenu importateur commercial net de produits alimentaires, important en termes nets l’équivalent de 27% de sa propre production alimentaire. Question : Comment la République centrafricaine pourrait-elle atteindre constamment un niveau suffisant de production alimentaire, et réussir à écarter les risques de famine ? Action : La durabilité de la sécurité alimentaire en République centrafricaine dépendrait en principe de l’augmentation de la production alimentaire, ainsi que d’un secteur agricole efficient et en plein essor, qui croît sur une base durable, et produit des aliments bon marché pour toute la population. Pour réaliser ces objectifs, la République centrafricaine devra accorder une haute priorité à la recherche agricole, améliorer les infrastructures, renforcer toutes les institutions qui servent l’agriculture tant en termes de fourniture d’intrants que d’offices de commercialisation, et faire des réformes dans l’environnement de la politique économique pour soutenir l’agriculture à long terme. L’expansion agricole rapide nécessitera des infrastructures rurales qui, pour l’essentiel, soutiennent davantage l’économie du pays. Il faut donc améliorer la formation du capital tant pour l’infrastructure physique 114
(i.e., pistes rurales, électricité, marchés, conservation de la fertilité des sols) que pour l’infrastructure humaine (i.e., amélioration des soins de santé, formation professionnelle). En outre, il faudra tenir compte des besoins des petits exploitants dans la répartition spatiale de l’investissement public. Des investissements publics soutenus en milieu rural nécessiteront la mobilisation des recettes publiques suffisantes grâce à la réforme fiscale, une réorientation des excédents miniers vers l’agriculture, le développement de systèmes d’épargne et de crédit dans les zones rurales ainsi qu’une nouvelle approche macroéconomique de la gestion de la dette et des flux de ressources extérieures. Par-dessus tout, il doit se développer en République centrafricaine une réelle stabilité politique et une paix sociale : un climat de confiance est une condition préalable pour soutenir la croissance aussi bien dans la production agricole que dans d’autres secteurs de l’économie du pays. En conclusion, notre propos dans ce chapitre est d’articuler une nouvelle vision de la République centrafricaine pour ce troisième millénaire, une vision dont les éléments de définition comporteraient les traits nobles et élégants du patrimoine culturel de la Centrafrique, les significations ou implications des expériences qui consistent à s’attaquer aux problèmes déclenchés dans ce pays, ainsi que notre sentiment de ce que devrait être l’Etat centrafricain et comment il peut devenir ce qu’il devrait être. Cette vision a été exprimée en termes de questions, objectifs et programmes d’action à adopter.
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Eu égard à tout ce qui précède nous recommandons une autre vision de la République centrafrique : dont la population aura de plus en plus besoin de prendre en main sa propre destinée, avec un sentiment profond de détermination et d’engagement ; dont la population développera des capacités intellectuelles, culturelles et technologiques qui lui permettront d’apporter des réponses adéquates à l’ensemble du corps de conditions (matérielles) d’existence dans lesquelles elle va fonctionner en tant qu’être humain ; dont les dirigeants considèreront le pouvoir politique comme une occasion de servir le peuple centrafricain, et non comme un moyen de se grandir, de grandir les membres de leurs groupes ethniques et leurs proches associés, et du peuple centrafricain ; dont la population sera indépendante au plan culturel et intellectuel – mais nullement arrogante, et respectera et sera fière de ses propres créations culturelles, s’étant débarrassés du vieil habit avilissant de la mentalité coloniale d’un siècle antérieur, et de la sorte, développera sa propre identité ; dont les pensées et les actes de la population seront imprégnés de l’ethos humaniste qui est sensible aux intérêts, au bien-être et à la dignité de chaque être humain pris individuellement, étant conscients du fait que non seulement, la République centrafricaine semble être le berceau historiquement reconnu des bantous, mais également que, aussi développé que sera l’Etat centrafricain au sens technologique et industriel, il ne faudra jamais oublier que cela ne nous servira à rien de conquérir le monde technologique dans sa globalité, si nous devions perdre l’âme – l’essence – de notre humanité.
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Comme mécanisme d’initiation de la réalisation de notre vision, il est recommandé de créer un nouveau mouvement national, parallèle au mouvement d’indépendance d’il y a deux ou trois générations, de le galvaniser et de le conduire avec une nouvelle série d’idées et un nouveau sens de la direction et de l’espoir, un mouvement qui suscitera un ethos de confiance en nous-mêmes, nos capacités, nos qualités humaines, nos valeurs et identités, alors que nous faisons face aujourd’hui à de nouveaux défis. IV. DÉFI DU TROISIÈME MILLÉNAIRE EN CENTRAFRIQUE Aujourd’hui, beaucoup d’observateurs plaident de tous leurs vœux en faveur d’une nouvelle croisade vers ce que nous pouvons appeler la « deuxième libération de la Centrafrique ». Au début de ce troisième millénaire, le plus grand défi auquel le peuple centrafricain doit faire face est celui de trouver une stratégie globale et efficace pouvant le mener à son développement social, son indépendance économique, son renouveau culturel et spirituel, et à sa véritable libération de la domination étrangère. 1. La restauration de la dignité et de la liberté du peuple centrafricain L’un des grands défis de ce XXIe siècle c’est de restaurer définitivement la dignité et la liberté du peuple centrafricain partout où il s’avère encore nécessaire. Ce défi doit se traduire par le respect de soi pour tous les centrafricains dans le monde. L’exclusion à l’état pur ou sous des formes subtiles qui sévit en Centrafrique n’atteste en fait que d’un manque de respect pour ce pays et pour certains de ses dirigeants. Ainsi donc, le réarmement moral du peuple centrafricain au début de ce millénaire 117
signifie qu’il doit renouer avec les valeurs profondes du respect de soi, de dignité, de fierté, d’intégrité morale, d’autonomie et surtout d’indépendance. L’unité du peuple centrafricain constitue le ciment qui garantit sa victoire sur les forces du mal, car il ne vaincra pas dans la « désunion ». La priorité doit être de parvenir à l’unité du pays, autour des valeurs fondamentales de liberté, de dignité, d’indépendance, de démocratie et de développement. Un nouveau pays réellement uni politiquement, intégré économiquement, et prospère, avec à sa tête des dirigeants dignes et intègres, fournira des bases solides pour la désaliénation et la liberté du peuple centrafricain. Reconstruire une autre Centrafrique se révèle être certainement une tâche complexe et affolante, étant donné les énormes difficultés actuelles auxquelles notre pays et notre peuple font cruellement face. Cependant, ce n’est nullement « mission impossible ». Un grand penseur révolutionnaire, leader politique et éminent homme d’Etat, Mao Tsé Tung, disait que « tout était possible sur cette terre, pourvu qu’on ose relever le défi, quels que soient les difficultés et les obstacles que l’on puisse rencontrer. » Cette attitude révolutionnaire et résolument optimiste doit guider résolument le peuple centrafricain aujourd’hui, dans sa volonté de venir à bout des défis nombreux et complexes qui l’interpellent à l’orée de ce troisième millénaire. Pouvons-nous y parvenir en acceptant le fardeau de l’histoire, ou devons-nous fuir nos responsabilités et continuer d’accepter ad vitam aeternam la soumission et la dépendance ? Tel est le choix fondamental qui s’impose aux enfants de Centrafrique : prendre notre destinée en main ou en laisser le soin aux autres. Il n’y a pas de troisième voie. Si nous optons pour la première qui consiste à relever les défis qui interpellent notre pays et à jeter les bases de la construction ou de la reconstruction 118
d’une autre Centrafrique, nous devons procéder à des changements et à de profonds choix politiques sur différents fronts. Sur le front idéologique et intellectuel : la bataille s’avère plus difficile et plus complexe à ce niveau. Une de nos tâches premières sera de mener une lutte serrée contre l’idéologie de « suprématie » extérieure et la tendance à accepter « l’infériorité » de la République centrafricaine, et à minimiser la contribution du pays à son édification. A partir de cette perspective, nous devons systématiquement remettre en question tous les canons, critères, valeurs et modèles qui nous ont été imposés sans succès. Pour parvenir à discréditer ce que nous appelons « l’idéologie de la suprématie extérieure », il nous faudra impérativement vulgariser des idées nouvelles que prônent nos propres approches de développement et de nouvelles formes de gouvernance. Cette nouvelle Centrafrique doit avant tout apprendre à compter sur elle-même. L’aide étrangère doit juste être considérée comme un complément à nos efforts, et non comme la principale source de financement de notre développement économique et social. En outre, cette assistance ne doit pas être utilisée comme une arme pour dicter à la République centrafricaine ce qui est dans les intérêts de l’extérieur. En d’autres termes, nous devons apprendre à rejeter les conditionnalités idéologiques et politiques attachées à « l’aide extérieure ». Une autre tâche tout aussi importante qui attend nos « intellectuels » est de proposer de nouvelles approches alternatives de développement économique et social, et de nouvelles formes de gouvernance alliant démocratie, responsabilité, participation du peuple, créativité et efficacité. La capacité réelle de nos intellectuels et de nos institutions à arracher des mains de l’extérieur notre machine de développement, déterminera nos efforts à fixer 119
nos propres approches de développement, et à créer de nouvelles formes de gouvernance. De même, le contrôle de nos esprits est l’arme la plus efficace dans la stratégie globale de domination extérieure. Il ne faut pas oublier que celui qui contrôle votre esprit, contrôle votre vie. Tant que la Centrafrique restera prisonnière – consciemment ou inconsciemment – des valeurs de l’extérieur, les concepts d’indépendance et de développement autonome n’auront aucun sens. Ils resteront au contraire lettres mortes comme l’a démontré l’expérience ces décennies de crises. Depuis le début de ces crises récurrentes que connait le pays, la liste des « experts » étrangers envoyés par leurs gouvernements et les institutions sous leur contrôle, n’a cessé de croître tous les jours. Cette « assistance » coûte des milliards de dollars à la République centrafricaine pour presque rien en retour. En fait, comme un éminent spécialiste du développement l’a justement observé, cette « assistance technique » a fourni à la Centrafrique plus de mauvais conseils par « centimes dépensés ». Il est aujourd’hui nécessaire de tracer de « nouvelles perspectives sur la coopération bien pensée », son contenu, ses méthodes, sa finalité, sa dénomination même qui est apparue à bien des égards obsolète. Elles devront être explorées et traduites en termes opérationnels. C’est le vœu formulé par de nombreux centrafricains. Il apparait aussi que si la coopération entre la France et la République centrafricaine devait être privilégiée et devait le rester, elle devait l’être sans exclusive. La réalité d’aujourd’hui impose cette couverture sur d’autres mondes, européens, francophones ou d’ailleurs encore...
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2. Les leçons à tirer d’une catharsis nationale Les hommes passent, les institutions passent, dit-on. Les régimes politiques naissent et disparaissent, mais la République centrafricaine est sensée demeurer. Comme César en son temps, des grandes personnalités politiques centrafricaines telles que Barthélémy Boganda, David Dacko, Jean Bedel Bokassa, André Kolingba, François Bozizé, Michel Ndjotodja, pour ne citer que celles-ci, si illustres qu’ils furent, n’ont fait qu’emprunter la roue de l’histoire nationale pour y jouer chacun sa partition, bonne ou mauvaise, avec altruisme ou égoïsme, dans l’honneur ou l’infamie, avant de passer le témoin à la postérité. Ainsi dit, nous pensons qu’une des approches les plus indiquées pour bien baliser l’avenir de la République centrafricaine, consiste à bien saisir les contours de son passé. Personnellement, il nous est donné de penser que c’est actuellement pour les centrafricains une nécessité vitale de bien scruter leur histoire nationale, à travers les mailles de tous tumultueux évènements ayant jalonné ces dernières décennies, dans une autocritique sincère pouvant favoriser le retour à un développement durable du pays. En effet, c’est en se fondant sur une telle remise en question, que les élites de ce pays se rendront bien compte que c’est bien la politique d’exclusion qui est bien la cause centrale de toutes les grandes crises militaro-politiques qui ont endeuillé le pays, depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui. A ce propos, il est symptomatique de constater que plus de cinquante ans après l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale, la vie politique centrafricaine reste toujours rivée sur des concepts réducteurs du genre « bokassistes », « patassistes », « bozézistes », « djotodjistes ». La conséquence logique de cette situation est la traditionnelle tendance de la classe politique centrafricaine à se cloisonner de façon presque grégaire, en des 121
regroupements politiques dépourvus de fond idéologique et de projets de société adaptés aux réalités existentielles du pays. Ainsi dit, nous voudrions attirer l’attention de l’opinion publique sur le fait que l’actuelle destruction de la République centrafricaine et l’avilissement de son peuple, qui en a résulté, sont des griefs opposables à tous les citoyens de ce pays, indépendamment des bords politiques ou ethnico-régionalistes. A l’exception de Barthélémy Boganda, tous les leaders politiques et autres élites centrafricaines partagent collectivement la responsabilité de tous les malheurs de la République centrafricaine, qui ne sont que des conséquences logiques des turpitudes de chacun à son niveau. En effet, une réalité quelque peu occultée est qu’à l’instar de ce que firent leurs pairs de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et plus récemment encore de l’Afrique du Sud, les pionniers de l’indépendance de la République centrafricaine avaient l’opportunité d’imprimer au pays un bon élan de départ sur les sentiers du développement. Autant il est vrai que les systèmes Dacko, Kolingba, Patassé, Bozizé, Ndjotodja ou Catherine Samba-Panza portent la responsabilité historique d’avoir fait des Centrafricains, un des peuples les plus avilis du monde vivant dans un pays doté d’une de meilleures potentialités de développement du continent, autant il serait illogique de penser que le fait d’avoir évolué dans ces systèmes suffisait à certains citoyens de mériter d’être au ban de la communauté nationale. Un principe élémentaire de droit est que l’infraction est individuelle. Autant certains Patassistes, Bozézistes et N’dotodjistes s’illustrèrent dans le passé par la corruption et le fossoyage systématique de l’économie nationale, autant il y aura des représentants de la transition dont la prospérité retiendra des griefs comme la propension très prononcée au régionalisme et des notoires limitations à garantir la sécurité 122
et la souveraineté nationale. Une fois de plus, c’est la loi naturelle des contradictions. Autant il a existé de bons et mauvais citoyens dans les systèmes politiques passés, autant il en sera pareil pour les systèmes futurs. Nous avons ci-haut suffisamment décrit la manière dont les collaborateurs de Kolingba, Patassé, Bozizé et Ndjotodja sont parvenus, notamment par des crises multiples à mettre en moule à la fois l’ensemble du secteur de sécurité du pays, les assises de l’économie nationale et l’ensemble des structures de l’Etat, vouant ainsi la République centrafricaine au déclin et à la perte de sa dignité dans le concert des nations. Par contre, que penser de tous ces viols et massacres des Centrafricains, pillages systématiques des ressources nationales et des destructions continues des infrastructures socio-économiques du pays au profit de certains pays voisins de la République centrafricaine. Chaque centrafricain portant sa petite part de responsabilité dans toutes les crises que tout le monde regrette, l’attitude la plus raisonnable pour les filles et fils de ce pays serait plutôt celle d’une intériorisation de la logique de la réconciliation nationale devant déboucher sur un dialogue sincère inter centrafricain. Cette approche est sensée permettre aux anciens frères ennemis centrafricains de parvenir à un pardon mutuel sincère, préalable indispensable à la réconciliation nationale et à une synergie pour affronter ensemble un avenir dont les perspectives paraissent plus que sombres. Aujourd’hui, tout le monde souhaite voir le prochain pouvoir de Bangui, issu des élections à venir, œuvrer davantage dans le sens de la réconciliation nationale, de la justice et de la vérité. Nous pensons que ces mots de la rue ne procèdent pas d’anodines agitations politiques, et qu’ils sont bien pesés par rapport à l’avenir sombre du pays. Ces paroles tiennent d’un véritable cri de détresse émanant du 123
fond du cœur des citoyens, conscients d’une menace réelle sur l’existence de la République centrafricaine. Peu importe qu’on soit pour ou contre le pouvoir en place, ce cri d’alarme de la rue est sensé attirer l’attention de chacun de nous sur cette évidente réalité qu’une République centrafricaine qui démarre sur des bases d’un vieux clivage géopolitique, d’une justice qui ne rassure pas tous les citoyens ou d’une démocratie naissant sur des suspicions de corruption et de mensonge est un parfait château des cartes. Au regard du tableau sombre que présente actuellement la Centrafrique, en termes d’évanouissement des structures de l’Etat, de déliquescence du secteur de sécurité, d’occupation du territoire national par des groupes armés incontrôlés, du pillage systématique des ressources nationales, de la détérioration très avancée du tissu socioéconomique du pays et de hauts risques de sa balkanisation ; il y a effectivement lieu de craindre pour l’avenir. En effet, que reste-t-il encore aujourd’hui à la République centrafricaine de dignité et d’indépendance, dès lors que ses gouvernants sont en réalité « dépossédés » de tout imperium au profit des organisations internationales et « pays amis » ? Quel attribut de souveraineté nationale reste-t-il encore de nos jours aux Centrafricains, lorsque leur armée nationale (les FACA) n’est plus aujourd’hui qu’un appendice des forces de la communauté internationale ? Que reste-t-il encore du patrimoine national centrafricain, dès lors que son sol, son sous-sol et ses biodiversités ne sont plus qu’une copropriété partagée avec des prédateurs de tout genre ? Pourrait-on dès lors dire que nous, les élites de ce pays, nous dressons nos fronts longtemps courbés ? Ce n’est aucunement ici une
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question de chauvinisme ou de nationalisme à essence extrémiste. Face à une menace réelle de perte de l’âme et du fondement de toute une nation, les Centrafricains ont tout intérêt à se ressaisir, à transcender des clivages géopolitiques et à mettre fin à un suicide collectif. A notre entendement, c’est ici que le mot d’ordre « …fini la récréation… » du Président Ange Félix Patassé trouverait bien toute sa quintessence. Les exigences de la refondation de la nation centrafricaine impliquent que les élites du pays, tous bords géopolitiques confondus, ouvrent un débat de fond portant sur un diagnostic sans complaisance de l’Etat actuel de la Nation, et sur des actions correctrices à mener avec diligence. Nantis des conclusions de cette réflexion sur le chemin déjà parcouru et sur un avenir dont la voie est jonchée de nombreux enjeux et défis d’ordre sécuritaire, sociopolitique et économique ; les élites Centrafricaines pourront affronter avec sérénité les vagues qui s’annoncent très houleuses sur la route du prochain navire centrafricain. Des questions fondamentales et pertinentes se posent à tous les Centrafricains, indépendamment des clivages politiques ou géopolitiques : comment passer du simple vœu pieux à une action salvatrice ? Comment les prochains gouvernements centrafricains entendent-ils assumer leurs obligations constitutionnelles de rejoindre les préoccupations de la population en matière de sécurité et de requalification de son vécu quotidien ? Quelles seraient les approches indiquées pour que la République centrafricaine retrouve les pistes de la paix, de la stabilité et de la prospérité ? Nous disons qu’autant des personnages comme Dacko, Kolingba, Patassé, Bozizé, Ndjotodja, Samba-Panza, si illustres qu’ils ont été, n’ont pu apporter une réponse 125
exhaustive à tous ces questionnements, autant les élites qui sont censées détenir actuellement les rennes de la destinée de la Centrafrique, qu’elles soient de l’administration publique, de la classe politique ou de la société civile, ont l’obligation morale et citoyenne de vaincre la dictature de l’égoïsme matériel, de l’ethnocentrisme et du clientélisme politique pour donner des chances de survie à la Nation centrafricaine, face à tous ces soubresauts de tout genre qui l’assaillent. Pour ce faire, les garants actuels de l’imperium centrafricain et leurs partenaires extérieurs devraient commencer par se départir de leur sempiternel mode de management des questions de défense et de sécurité qui, ne se fondant pas sur une évaluation à la fois objective et globale de l’équation sécuritaire, ignorant superbement moult réalités sociologiques nationales, et empruntant constamment les raccourcis de l’exclusion et de l’iniquité, ont systématiquement été à la base de tous les rendez-vous manqués avec le développement de ce pays. En effet, sans DDR harmonieux, il ne pourrait-être possible, ni de créer une armée centrafricaine réellement républicaine, gage de la sécurisation de tous les acteurs politiques et des communautés ethniques, ni d’accomplir l’ensemble de la réforme du secteur de sécurité indispensable à la consolidation de la paix et au retour des investisseurs et à la reconstruction nationale. Or, cette lacune constitue aussi l’amorce d’un fatidique cercle vicieux, allant de la culture de l’exclusion à la persistance de la pauvreté, en passant par des crises politiques et des mouvances insurrectionnelles génératrices de la violence de sang. C’est pourquoi, nous disons que la résolution de l’actuelle équation sécuritaire centrafricaine exige des approches qui vont au-delà de seuls conciliabules diplomatiques et accords militaires pour intégrer une dimension spirituelle comme soubassement à la promotion 126
de toute une culture de paix et d’une campagne d’assainissement des mœurs politiques. Percevant le mal centrafricain plus moral et spirituel que politique et sécuritaire, nous pensons que les approches de solution indiquées devraient être articulées sur deux paliers. Il faut d’abord aborder cette crise dans son essence immatérielle, pour se pencher ensuite sur sa composante sociale qui n’est qu’une simple conséquence. La double racine du mal ayant ainsi été en évidence, il deviendrait alors plus aisé d’y appliquer une approche dialectique orientée également sur deux vecteurs en fonction de la structure binaire de la problématique décrite précédemment. En ciblant les approches des solutions sur l’essence spirituelle de la crise, les élites de ce pays pourraient parvenir à une requalification de la superstructure de l’Etat, en se débarrassant des vices comme la manie du détournement des biens publics, l’ethnocentrisme, la corruption, le despotisme, etc., qui rongent la société centrafricaine depuis plusieurs décennies. La superstructure de la société centrafricaine ayant ainsi découvert la lumière qui émane des préceptes divins d’amour du prochain et du pardon, de tolérance et de concorde ; interviendra alors une radicale reconversion des mentalités et la fin de l’actuelle culture de mauvaise gouvernance. Par la force des choses, les élites centrafricaines se referaient ainsi une légitimité qu’ils ont perdue depuis belle lurette auprès de la population. Donc, nous disons que la multiplication des arrangements politiques, n’est pas en soi une mauvaise chose, mais elle devrait être couplée à des approches plus structurelles ; celles qui procèdent essentiellement d’une mobilisation par la diffusion des idéaux d’équité dans l’exercice de l’imperium, d’égalité entre les citoyens et la droiture morale. 127
Ce perfectionnement intérieur du citoyen centrafricain nous parait constituer l’antidote la plus indiquée contre tous ces fléaux qui rongent actuellement la République centrafricaine, entravant ainsi toute perspective de retour vers la stabilité et de prospérité au pays et dans toute la sous-région d’Afrique centrale. S’agissant du deuxième volet de notre approche dialectique, nous disons que celui-ci devrait procéder d’un dédouanement de la classe politique centrafricaine et des pesanteurs liées à l’absence notoire de l’éthique politique. Manquant généralement de philosophie politique, l’opérateur politique centrafricain travaille généralement sas projet de société crédible, ce qui entrave l’élaboration des stratégies sensées guider son action politique et garantir ainsi la communion entre lui et la population. Il y a lieu de noter que depuis l’indépendance du pays jusqu’à ce jour, le gros des politiciens centrafricains est plus un produit des décrets présidentiels et autres modes de cooptation que d’un choix délibéré du souverain primaire. Il faudrait dorénavant changer cet état des choses par la promotion d’une véritable démocratie, où le politicien devrait se sentir plus mandataire de la population qu’un parfait suppôt de l’imperium. Il devrait lui être loisible de se rapprocher de sa base, pas seulement lors des campagnes électorales, pour y propager aussi bien son message politique que la culture de paix. Notre profonde conviction est que la diffusion des idéaux d’amour du prochain, d’acceptation de la différence, de fraternité universelle des enfants de Dieu, est un excellent moyen de lutter contre l’actuelle pratique politique assujettie au seul prisme réducteur de l’ethnocentrisme, lequel fait que celui qui n’est pas de son milieu d’origine est vite l’objet de méfiance et de stigmatisation. Une fois de plus, nous voulons souligner ici la nécessité d’une didactique socioculturelle de 128
proximité qui amènerait aussi bien les élites que les masses populaires du pays à intérioriser les idéaux de chrétienté et de solidarité citoyenne. Cette promotion de la culture de paix est sensée à la fois favoriser la réconciliation nationale et combattre la très nocive propension de l’homme politique centrafricain à emprunter le raccourci de l’exclusion pour palier à ses limitations à assumer la dynamique contradictionnelle de la pratique démocratique. A ce propos, il est curieux de constater que partout des multiples sommets de Libreville, Brazzaville et Ndjamena, en passant par les négociations de Nairobi ou de Bangui ; autant toutes ces assises destinées à la recherche d’une solution durable à la crise centrafricaine ont toujours mis un accent particulier sur la nécessité de la réconciliation nationale comme préalable à la consolidation de la paix, autant les choses sont toujours restées au stade de simples discours destinés à la consommation extérieure. Or, c’est justement cette réconciliation nationale qui est censée permettre le véritable rétablissement de la confiance mutuelle entre les anciens belligérants, notamment en dissipant la méfiance mutuelle, et faciliter ainsi les opérations de désarmement, dans le cadre du processus DDR qui se trouve être le point de départ de tout processus de paix intervenant après un conflit armé. En effet, en tant que pierre angulaire de toute dépollution sécuritaire post-conflit, le DDR constitue le passage obligé vers la création d’une armée nationale sensée mettre en confiance, sécuriser toutes les sensibilités géopolitiques nationales, et favoriser ainsi le retour des investisseurs dans le cadre de la reconstruction nationale. Pour terminer, nous disons que la conjugaison du déficit de leadership et de la culture d’exclusion constituant les deux racines profondes du mal centrafricain, toute solution structurelle à la crise que 129
traverse le pays, nécessite une solution bidimensionnelle : celle qui procède à la fois de la diffusion de la vraie lumière et de la requalification de la pratique politique. Nous voudrions préciser que par le concept de vraie lumière, nous n’entendons pas un réveil spirituel où JésusChrist serait réduit au rôle humain de pourvoyeur des visas, des mariages, des emplois, etc. Pour nous, la « vraie lumière » signifie la faculté d’une réelle observance des préceptes divins d’amour du prochain et de droiture morale que nous avons préconisée comme une antidote contre la culture de l’exclusion, l’ethnocentrisme, les détournements des biens publics, l’intolérance, la violence, etc. ; dont le seul mérite est d’inhiber toute perspective de concorde nationale et de justice redistributive, deux facteurs de retour de la paix sociale et de la prospérité dans le pays. Les « garants » du processus de cohésion sociale en République centrafricaine n’ont pas de choix que d’œuvrer pour l’application des nouvelles approches décrites ci-dessus, dans le cas où ils tiennent à la restauration de la cohésion nationale indispensable à la consolidation de la paix, à la mise en œuvre effective des chantiers de retour à la stabilité, de la reconstruction et de la prospérité du pays. C’est une question d’amour du prochain et de la patrie, de volonté politique, de droiture morale, de confiance au génie créateur du peuple centrafricain et de foi à la vocation africaine de la République centrafricaine. 3. Le rêve biaisé d’une Centrafrique véritablement unifiée Le rêve d’une Centrafrique unifiée tarde à devenir une réalité, malgré la prise de conscience des difficultés liées à la faiblesse de l’Etat. La division historique de l’espace, des groupements socioculturels, le néocolonialisme et la 130
mondialisation constituent des phénomènes majeurs devant lesquels les Centrafricains, comme tant d’Africains, demeurent désarmés. S’il en est ainsi, c’est que la volonté politique nécessaire pour la République centrafricaine, comme pour les Etats africains ne cesse d’abdiquer devant les conflits d’intérêts et l’omniprésence de la main étrangère. Au lieu d’opposer un projet de société différent, la République centrafricaine continue de dépendre d’un système international qui lui est défavorable. Cette infériorisation de la République centrafricaine dans les rapports qui caractérisent le monde moderne, puise ses sources dans la lointaine histoire au cours de laquelle il n’a jamais été question de prendre en compte les intérêts des citoyens centrafricains. L’exploitation des richesses du pays au détriment de toute considération pour le peuple centrafricain a plongé la Centrafrique dans la pire des postures : celle d’une main tendue pour quémander les moyens de sa survie. Placés ainsi à la face du monde, les centrafricains ont aujourd’hui renoncé à tout rêve devant un monde toujours plus déséquilibré et injuste. Devant les défis colossaux et nombreux liés au développement, la Centrafrique continue de survivre grâce à la miséricorde et au bon vouloir des autres pays. Devenus les grands mendiants du siècle, les gouvernements centrafricains, qui se sont succédés au pouvoir, ont fait rentrer le peuple centrafricain dans le nouveau millénaire dans l’incertitude totale. L’absence d’alternatives et l’impasse faite sur la question des Droits de l’Homme, de la Démocratie et de la Paix n’augurent rien de bon dans les prochaines années, alors que le monde attend beaucoup de ce pays. La République centrafricaine qui s’éveille lentement, mais peut-être sûrement, se heurte toujours à cette 131
anesthésie qui se débat encore avec ses propres démons. Devant le vide symbolique et les contraintes politiques et économiques, il existe une Centrafrique pour qui tout est possible et qui n’accepte pas de subir continuellement son destin. Cette Centrafrique-là n’a pas accepté l’idée de son infériorité et, partant, son impuissance à renverser le cours de l’histoire. Mais, le problème de ce pays dépasse les raisons d’être optimiste sans une réelle prise de conscience des problèmes qui s’accumulent avec le temps. La complexité de la situation de sous-développement dans laquelle se trouve la République centrafricaine exige une approche multidimensionnelle et s’oppose à une vision simpliste ou uniforme. Affirmer que le retard de la Centrafrique est culturel relève d’une certaine ignorance du passé fastueux des civilisations qui ont existé et prospéré sur le sol « centrafricain ». De nombreux travaux ont montré le caractère progressif des populations centrafricaines attestant du coup leur capacité à surmonter les obstacles. L’absence de prise en compte de cette histoire et la substitution de notre vision du monde par d’autres visions a fait que les Centrafricains ont perdu leurs repères et se sont fiés au mirage d’une modernité sans projet. Dès lors, la question qui se pose est celle du modèle de développement qu’on construit sur la base de ce que l’on est. Le modèle que l’on met en face des défis qui assaillent l’évolution humaine est relatif à la vision que l’on peut avoir de la vie et de l’humain. Il est courant d’entendre de la bouche de pseudo analystes que le problème centrafricain est lié aux mentalités de son peuple. Dans la réalité, une telle analyse n’a aucun fondement scientifique. Il n’existe aucune contrée au monde où les mentalités seraient à ce point uniforme et tout ouvertes à l’idée de progrès. Il n’est pas vrai qu’en Centrafrique, les habitudes, les façons de penser le monde soient des obstacles au 132
progrès. Que l’on ne nous fasse pas accepter l’idée selon laquelle, le retard économique de ce d’Afrique centrale est lié principalement à son système culturel.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Construire une autre Centrafrique peut paraître utopique, vue la situation maussade du pays : son économie à la dérive, ses infrastructures sociales entièrement délabrées et un bilan de la gouvernance négatif. Le tableau s’assombrit encore plus avec les crises militaro-politiques à répétition et le fléau du SIDA et des autres maladies qui menacent de décimer des régions entières du pays. De surcroît, l’application incontrôlée de sa politique néolibérale comme solution à la situation effroyable du pays est un appel au désastre qui affaiblit d’avantage l’intervention de l’Etat, et accentue. A l’heure actuelle, il se développe de plus en plus au niveau d’une large partie de l’opinion publique, mais aussi chez les leaders, décideurs politiques, penseurs et activistes sociaux centrafricains, l’idée selon laquelle le redressement et le développement de la République centrafricaine se trouvent dans l’invention d’une nouvelle approche de développement économique et social. La nouvelle approche de la République centrafricaine doit donner une large priorité à la créativité et à l’inventivité, placer la dignité humaine au centre des préoccupations et subordonner tous les autres objectifs à cette fin. Par conséquent, le modèle centrafricain doit être fondé sur le renouveau spirituel du peuple centrafricain,
c'est-à-dire une philosophie qui selon Campbell (1996 : 97) est : « ...une force qui ne peut être ni assimilée, ni éliminée. Dans les ménages, la vie politique et sociale doit être l’instrument de mesure de la vertu et non du vice, de la justice et non de l’injustice, de la liberté et non de l’oppression, de la pureté et non de la perversion, de la richesse et non de la pauvreté, et d’ un avenir fait d’amour universel et non de la haine. » Durant la dernière décennie, la République centrafricaine et ses enfants ont subi de nombreuses crises militaro politiques et d’autres indignités qui leur ont été infligées. Nous pouvons dire que les mots liberté et dignité acquerront leurs lettres de noblesse si et seulement si le peuple centrafricain est réhabilité dans sa dignité et sa liberté entière, et que l’humiliation à son encontre sera totalement éradiquée. Quant au bilan de la gouvernance du pays, il est largement négatif, en partie, parce que sa gestion est chaotique et cahin cahan, parce que le recours aux diktats népotistes est devenu la règle. C’est pourquoi, tout le monde appelle aujourd’hui à une bonne gouvernance afin d’accroître la légitimité de ce pays si riche ; car la persistance des crises militaro-politiques risque de porter un coup fatal à la démocratisation en cours. Aussi inacceptable qu’elle soit, la démotivation est devenue finalement l’option pour de nombreux centrafricains frustrés et marginalisés. D’ailleurs, cette démotivation comporte aujourd’hui de nombreuses dimensions négatives, parmi lesquelles, l’exode de plus en plus massif de compatriotes les mieux formés vers l’occident ou vers des organisations internationales, la montée de la grande corruption et des trafics d’influences. De même, cette démotivation engendrée en partie par le comportement irresponsable des gouvernants, finit par
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rendre la promotion de l’émulation plus atomisée, complexe et difficile. C’est pourquoi, très affaibli par de multiples scandales politico-financiers et sociaux, le gouvernement actuel de la transition est continuellement dénoncé et critiqué pour sa faible performance opérationnelle, sa politisation à outrance, son ethnicisation béante et ses excuses méthodiques qui n’arrivent souvent pas à éradiquer plusieurs maux : arrogance, provocations, mépris des autres, règlements de compte, népotisme, politisation des postes de responsabilité, corruption, mauvaise gouvernance, etc. A cet égard, on sait finalement que la Présidence de la République et la Primature sont devenus, au vu et au su de tous, des grands espaces marchands dans lesquels tout se monnaye, où de nombreuses prestations se négocient au plus offrant. Une telle ambiance fait peu de place à l’éthique et à la déontologie et encore moins à l’intérêt du pays. La situation de la République centrafricaine ainsi brossée à grands traits, donne une image désolante où l’on est rapidement passé rapidement au néo népotisme, avec aggravation de la politisation. D’ailleurs, certains acteurs politiques encouragés par le gouvernement en place n’ont plus honte de proclamer leur haine contre certains compatriotes qu’ils ont juré de marginaliser et de combattre jusqu’au bout, s’activant ainsi à peindre l’image d’un pays qu’ils veulent rendre bipolaire, c'est-à-dire là où le distinguo devra désormais être fait entre d’un côté, les citoyens soumis, assidus, renonçant à toute revendication identitaire, et de l’autre, ceux qui s’affirment et qui de fait sont des « opposants » de routine. La lumière ne viendra assurément pas du Nord, pourvoyeur de grandes leçons et surtout d’humanisme. L’instrument humanitaire en cours d’utilisation en 137
République centrafricaine, qui correspond désormais à une nouvelle mission civilisatrice, n’a d’effet que de corrompre encore nos humanités et d’asservir nos consciences. La seule vérité est mue par des intérêts éloignés de l’aspiration du peuple centrafricain dont la souffrance sert les projets inhumains les plus machiavéliques. Aussi difficile que cela puisse paraître, rien n’est figé et il y a toujours possibilité de changer, d’où la nécessité d’une réflexion permanente, autonome et soucieuse de la défense des intérêts du peuple centrafricain. Notre élan vers le progrès exige une prise de conscience des problèmes de notre pays, la Centrafrique, et un engagement sans faille pour leurs résolutions afin de garantir une autonomie au peuple centrafricain et la maîtrise de son destin.
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ANNEXES
ANNEXE 1. Accord de Nairobi sur le cessez-le feu et la cessation des hostilités entre les Ex-Séléka et les AntiBalaka de la République centrafricaine Nous, les représentants des Ex-Séléka et des Anti-Balaka ci-après désignés comme les Partis, ayant participé aux négociations tenues à Nairobi, sous la facilitation du Président de la République du Kenya, Son Excellence M. Uhuru Kenyatta, à la demande du Médiateur International de la crise en République centrafricaine, Son Excellence M. Denis Sassou N’guesso, Président de la République du Congo, et sous la médiation de l’Honorable Kenneth Otiato Marende. Suite à une analyse approfondie des causes historiques du conflit en R.C.A. durant les périodes précoloniale, coloniale et postcoloniale, et conclu que les origines et les causes profondes des conflits politiques et armés sévissant en RCA, émanent des injustices historiques non contestées liées à la mauvaise gouvernance, à la répartition inéquitable du développement et à la manipulation des dirigeants et des populations de la République centrafricaine par des acteurs étatiques et non-étatiques externes en quête de leurs propres intérêts ; Déterminés à mettre de côté nos différences et promouvoir les facteurs qui nous sont communs et qui nous unissent, afin de relever les défis auxquels nous faisons
face en tant que Nation, et prenant l’engagement de régler immédiatement tous nos différends passés, présents et futurs par des moyens pacifiques et légaux, et nous abstenir de la menace et de l’usage de la violence. Conscients du fait qu’à moins qu’il n’ait immédiatement un cessez-le-feu et la cessation des hostilités entre les combattants armés des Ex-Séléka et des Anti-Balaka, l’Etat de la République centrafricaine court le risques imminent, désintégration et de causer à ses population le préjudice irréparable conséquent et de les exposer au danger de devenir apatrides. Nous rappelant du fait que sans notre engagement aux principes cardinaux de bonne gouvernance, de tolérance et coexistence pacifique, le peuple de la République centrafricaine ne peut réaliser une croissance globale, ni des progrès politiques, sociaux, économiques et technologiques pour les générations actuelles et futures ; Rappelant les initiatives précédentes prises par la communauté internationale, en vue d’instaurer un règlement négocié du conflit en République centrafricaine, et notant que l’accord précédent de cessation des hostilités en République centrafricaine, signé le 23 juillet 2014 à Brazzaville, n’a pas été mis en œuvre de façon concluante ; et regrettant les violations persistantes des accords précédents de cessezle feu et de cessations des hostilités, ainsi que la violence et la destruction continuelles causées par ces violations et les pertes inévitables de vies et de biens engendrés par ce conflit ; Prenant conscience du fait que la responsabilité de déterminer le destin de notre pays nous incombe selon les réalités de notre pays et sur la base des valeurs de justice, de démocratie, de bonne gouvernance, du respect des droits et libertés fondamentaux des personnes, d’unité, de solidarité, d’entente mutuelle et de coopération parmi les différentes communautés ethniques, races et groupes religieux libres de toute forces négatives ; 142
Nous nous engageons par les présentes à être liés par les dispositions de l’Accord de Nairobi sur le cessez-le feu et la Cessation des hostilités en R.C.A, ci-après désigné l’Accord ; En présence de : a) b) c) d) Article 1 : Dans les 72 heures qui suivent la signature du présent accord, les parties sont tenues de publier conjointement une ordonnance inconditionnelle de cessez-le feu et de cessation des hostilités contre le personnel armé de l’une et de l’autre partie et contre tous les civils, à travers tout le territoire de la République centrafricaine. Article 2 : Dans les 48 heures qui suivent la publication conjointe des ordres inconditionnels de cessez-le feu et de cessation des hostilités, l’usage des armes, ainsi que les actes offensifs, tels que la délivrance de nouvelles armes et munitions, le recrutement de nouveaux combattants, le regroupement des troupes, le recrutement et l’utilisation des enfants soldats, l’appel aux renforcements de l’intérieur ou de l’extérieur de la République centrafricaine, le lancement de nouvelles attaques contre les civils et le fait de commettre tout acte pouvant constituer ou faciliter une violation du cessez-le feu prévu dans le présent accord, doivent cesser de suite. Article 3 : Dans les 30 jours suivant l’entrée en vigueur du présent Accord, les parties s’embarquent notamment sur une opération détaillée de mappage et d’échange d’informations transparentes entre elles, sous la supervision des institu143
tions tierces, neutres et indépendantes, stipulées à l’article 8, et définiront : a) Les zones démilitarisées devant servir de zones tampons entre les deux combattants armés respectifs ; b) Les lignes de désengagement ; c) Les lignes à partir desquelles ou vers lesquelles les forces doivent se retirer ; d) Les points de rassemblement dans chaque commune, sous-préfecture et préfecture dans lesquelles les forces doivent être cantonnés ; e) Les endroits où les observateurs doivent se stationner dans chaque zone. Article 4 : Les parties sous la supervision des institutions tiers neutres et indépendantes énumérées à l’article 8, définissent des conditions pour les activités initiales pour le plan DDRR global tel que stipulé dans le présent accord, comprenant, mais ne se limitant pas à ce qui suit : La sécurité du personnel et des experts techniques impliqués dans la mise en œuvre et le suivi du présent accord ; L’assemblage et le stockage des équipements de guerre et autres armes offensives, et le mouvement, le rassemblement et le cantonnement, sans danger, des combattants désarmés. Article 5 : En outre, et dans les trente (30) jours suivant la date d’entrée en vigueur de l’accord, et dès la déclaration d’un cessez-le-feu inconditionnel, les hauts commandements politiques respectifs des parties, prennent individuellement 144
et collectivement, des mesures conjointes spécifiques pour sensibiliser leurs partisans respectifs, et les populations en général de la R.C.A. pour qu’ils cessent des actes hostiles les uns contre les autres sur la base d’ethnicité, de religion et de genre, et de toutes autres motivation, y compris l’intimidation, les prises d’otages, l’extorsion ou le vol, l’usage de propagandes hostiles et l’incitation pour porter atteinte à la vie et aux biens des autres. Article 6 : Aux fins des objectifs de protection et de promotion de la paix parmi les civils, les deux parties doivent individuellement et collectivement prendre des mesures conjointes dans les quatorze (14) jours qui suivent la signature du présent accord, afin de créer des corridors sécurisés pour la libre circulation des personnes civiles, le libre accès pour l’aide humanitaire, la libération et l’échange des prisonniers civils, etc., dont les détails seront définis par les parties en collaboration avec les agences nationales et internationales d’aide humanitaire, et sous l’égide des institutions pertinentes de l’UA et de l’ONU. Article 7 : Dans la perspective de faciliter le soutien populaire et la mise en œuvre participative, le suivi et l’évaluation du présent accord, les parties s’engagent à accorder un soutien inébranlable et coopératif, à tous les partenariats nécessaires pour assurer le lancement immédiat du processus de consolidation de la paix en République centrafricaine, et parmi les populations de la R.C.A. en général.
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Article 8 : Afin de réaliser pleinement et efficacement la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des termes du présent accord, les parties s’engagent en outre à collaborer et à travailler avec les commissions et agences pertinentes de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), du Groupe de Contact International pour la République centrafricaine (GCIRC), de l’Union Africaine (UA), de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et toutes autres parties étatiques et non-étatiques de bonne volonté, en vue de mettre en place dans les trente (30) jours qui suivent la signature du présent accord, des cadres institutionnels de facilitation pour sa mise en œuvre et son suivi, à savoir : a) Un Comité Conjoint de Suivi (CCS) composé des représentants des deux parties signataires du présent accord, ceux de la CEEAC, du Gouvernement national de transition de la République centrafricaine, de l’U.A. et des Nations Unies ; et dont la responsabilité principale est de vérifier, d’évaluer, de superviser et d’assurer le suivi de la mise en œuvre du présent accord de cessez-le-feu et de cessation des hostilités. Le CCV doit vérifier les informations fournies par chacune des parties signataires du présent accord, quant à leurs effectifs, leurs équipements militaires, ainsi qu’aux emplacements et positions géographiques de leurs combattants respectifs, etc. b) Une Commission Nationale de Désarmement, de Démobilisation, de Réhabilitation et de Réinsertion (CNDDRR) disciplinaire et indépendante, appelée coordonner les activités du DDRR. La CNDDRR sera composée des représentants du Gouvernement national de transition de la République centrafricaine, des parties au présent accord, de la 146
MINUSCA et du CCS. La fonction principale de cette commission est de superviser et de coordonner le désarmement, la réhabilitation et la réinsertion des combattants, en collaboration avec le CCS, la MINUSCA et de toutes autres agences nationales et internationales pertinentes, tout en s’assurant en outre que le Programme du DDRR élaboré soit intégré et harmonisé avec le processus DDR actuellement en cours. Article 9 : Bien que les parties reconnaissent et apprécient la présence de la MINUSCA en République centrafricaine, ces mêmes parties en appellent au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour qu’il place toutes les autres forces étrangères sous l’unique structure de commandement et de contrôle de la MINUSCA ; Par ailleurs, les parties lancent un appel aux Nations Unies pour qu’elles reconstituent la MINUSCA avec des troupes dont les pays contributeurs doivent être approuvés par une Assemblée législative constituante intérimaire qui sera mise en place, conformément aux dispositions de la Charte de Transition de la République centrafricaine. Article 10 : La violation du cessez-le-feu et de la cessation des hostilités, aux termes du présent accord, comprend, entre autres : a) Toutes attaques par l’une des parties contre les combattants et positions de l’autre ; b) Actes de sabotage et saisie de tout matériel militaire ou non militaire, d’une partie par l’autre ; c) Harcèlement, attaque, prises d’otages et arrestation des combattants d’une partie par l’autre ; 147
d) Harcèlement, attaque, tuerie, viol, incendie des villages, prises d’otages et arrestation illégale ou toute autre forme de violence contre les civils et le personnel des agences humanitaires, par une partie ; e) Extraction minière illégale, braconnage et toute autre activité non autorisée, non réglementaire et non justifiée entrainant la destruction des autres ressources naturelles. f) Actes de sabotage ciblant les biens de l’Etat et des civils, ainsi que la saisie des propriétés des civils et du personnel des agences humanitaires, par une partie. g) Tentatives réussies ou non de recruter de nouveaux combattants, d’occuper de nouveaux territoires et positions, et le déplacement des forces militaires et biens stratégiques d’un point à l’autre, sans l’accord préalable avec Comité Conjoint de Suivi (CCS) ; h) Importation de tous approvisionnements militaires ou stratégiques, y compris des munitions, armes de guerre et actifs stratégiques ; i) Toute obstruction ou interdiction des activités légitimes du Comité Conjoint de Suivi, de la MINUSCA et des agences humanitaires accréditées ; j) Toutes propagandes et provocations hostiles par une partie contre l’autre, ou contre les populations en général, sur la base de leur appartenance ethnique, religieuse, genre ou toutes autres motivations, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de la République centrafricaine. Article 11 : Le désengagement des forces et des combattants des parties au présent accord, conformément aux principes du 148
présent accord de cessez-le-feu, commence dans les 72 heures qui suivent la date d’entrée en vigueur du présent accord, étant entendu que l’expression « désengagement des forces et des combattants », signifie la rupture immédiate de contact tactique entre les groupes militaires belligérants des parties aux endroits où ils sont en contact direct. Article 12 : Lorsque le désengagement immédiat n’est pas possible, un cadre et un calendrier de désengagement doivent être convenus par toutes les parties au cessez-le-feu, par l’entremise du Comité Conjoint de Suivi (CCS) dans les 30 jours qui suivent l’entrée en vigueur du présent accord. Article 13 : Au cas où le désengagement par mouvement est impossible ou n’est pas pratique, des solutions alternatives requérant la sécurisation des armes seront conçues par la MINUSCA, conjointement avec les parties, le Comité Conjoint de Suivi et la Commission Nationale de Désarmement, Démobilisation, Réhabilitation et Réinsertion (CNDDRR). Article 14 : Les parties s’engagent à assurer la mise en œuvre immédiate et efficiente d’un processus national de cantonnement, de désarmement, de démobilisation, de réhabilitation, de réintégration et de réinstallation de leurs forces et combattants respectifs, et conjointement de toutes leurs forces et combattants.
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Article 15 : Aux fins d’assurer la clarté de l’obligation de rendre compte des procédures de mise en œuvre envisagées pour le processus DDRR, les responsabilités des divers acteurs sont définies comme suit : a) La MINUSCA, conjointement avec le Comité Conjoint de Suivi (CCS) est responsable du désarmement de tous les combattants et forces des parties, y compris les groupes civils armés qui leur sont alliés au sein et hors de leurs zones géographiques respectives de contrôle, le cas échéant, et subséquemment les armes, munitions et équipements stratégiques seront tous placés sous la garde sécurisée de la MINUSCA ; b) Le Comité Conjoint de Suivi (CCS) vérifie les données et informations fournies par les parties, relatives à leurs forces ou combattants. c) Il sera demandé à la MINUSCA de consigner toutes les forces et tous les combattants aux endroits/positions déclarés et enregistré, où ils doivent rester jusqu’à ce qu’ils participent aux programmes de réintégration et de recyclage en vue de leur entrée dans les nouvelles Forces Armées Centrafricaines, ou leur réinsertion dans la vie civile et, à cette fin, la MINUSCA peut se déployer dans toutes les zones de désarmement et de démobilisation, dans la perspective de faciliter la mise en œuvre et le suivi du programme DDRR. d) Tous les mouvements des forces et combattants des parties durant la période du programme DDRR jusqu’à sa conclusion et finalisation définitives, conformément aux principes du présent accord, doivent être autorisés exclusivement par la MINUSCA travaillant conjointement avec le CCS. 150
Article 16 : Il est prévu la réhabilitation et la restructuration des nouvelles forces de sécurité nationale de la République centrafricaine, dotées d’une nouvelle structure de commandement et de contrôle, et composées d’effectifs équitables des ex combattants éligibles des parties au présent accord, des membres de l’actuelle armée centrafricaine, ainsi que de nouvelles recrues qualifiées à partir des populations civiles de la République centrafricaine ayant l’aptitude et les qualifications requises. Article 17 : Aux fins de la réhabilitation et de la reconstitution des nouvelles forces de sécurité de la République centrafricaine, les parties lancent un appel et sollicitent auprès de l’Union Africaine (UA), des Nations Unies et du Groupe de Contact International pour la République centrafricaine, la mise à disposition d’experts consultatifs, équipements, logistiques, et formateurs expérimentés nécessaires pour la réforme globale du secteur de la sécurité de la RCA, ainsi que leur assistance pour mobiliser les ressources requises pour assurer la mise en œuvre du programme de reconstruction. Article 18 : Immédiatement après la signature du présent accord par les parties, des négociations en vue de la révision de la Charte de Transition doivent être lancées. Les négociations doivent réunir des tendances très variées représentant les parties, tous les autres partis politiques de la République centrafricaine, ainsi que les leaders religieux et les principales parties prenantes de la République centrafricaine. Les négociations porteront sur la reconstruction du Gouvernement National de la Transi151
tion de la République centrafricaine, conformément à l’article 99 et à toutes les autres dispositions pertinentes de la Charte de Transition de la RCA. Article 19 : Immédiatement après la date d’entrée en vigueur de l’accord, et au plus tard à la date de lancement du processus de désengagement et de désarmement des forces et combattants des parties, il doit être demandé au Conseil de Sécurité des Nations-Unies d’autoriser la MINUSCA à prendre le contrôle des opérations militaires de la RCA, et que tous les éléments restants de l’actuelle armée centrafricaine soient consignés à leurs casernes, et leurs armes placées sous la garde sécurisée des dépôts d’armes du gouvernement, jusqu’à la mise en service officielle des Forces Armées Centrafricaines (FACA) nouvellement réhabilitées et reconstituées. Article 20 : Le Gouvernement national de transition de la République centrafricaine, conformément aux critères des Nations-Unies pour l’octroi d’amnistie, aura l’obligation d’envisager l’octroi d’une amnistie générale à toutes les personnes et parties engagées ou impliquées dans les combats durant le conflit en RCA. Article 21 : Les parties au présent accord, s’engagent à respecter et à mettre en exécution les dispositions du présent accord, afin d’assurer avec succès l’instauration et la consolidation d’une paix durable en République centrafricaine. Les parties doivent s’efforcer d’assurer que les termes du présent accord et les ordonnances écrites exigeant la conformité au 152
dit accord, soient immédiatement communiqués à toutes leurs forces, combattantes et partisanes. Les termes de l’accord doivent être simultanément communiqués à la population civile par radio, télévision, presse écrite et électronique ainsi que par d’autres moyens de communication. En foi de quoi, les représentants dûment mandatés des parties ont signé l’accord à NAIROBI, AU KENYA, le………janvier 2015 en 10 originaux en Anglais et en Français. Signé par les Parties :
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ANNEXE 2. Accord de Brazzaville sur la cessation des hostilités en République centrafricaine Préambule Considérant les dispositions pertinentes de la Charte des Nations-Unies, les Résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, notamment les résolutions 2121 (2013) ; 2127(2014) ; 2134(2014) et 2149(2014), l’Acte constitutif de l’Union Africaine et les décisions pertinentes du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique centrale (COPAX) ; Considérant la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique, signée à Kampala, le 23 octobre 2009 ; Considérant les résolutions régionales relatives au règlement du conflit en République centrafricaine, notamment, l’Accord de Paix Global de Libreville de 2008 et de 20013, ainsi que les déclarations de Ndjamena 2013 et 2014 ; Considérant les initiatives nationales relatives au règlement des conflits, notamment, les Recommandations du Dialogue Politique Inclusif du 20 décembre 2008, la Charte constitutionnelle de Transition de 2013 et la Feuille de Route de la Transition qui en découlait ; Conscient de la nécessité du dialogue pour l’instauration d’une paix durable et de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, condition essentielle à la reconstruction du pays et à l’édification de la démocratie ; Considérant la volonté constante de Son Excellence Madame Catherine SAMBA-PANZA, Chef de l’Etat de Transition, réitérée dans ses différentes déclarations (Bruxelles, Paris, Oslo, Malabo) et la dernière adresse à la nation, le 04 juillet 2014, de promouvoir le dialogue politique et la réconciliation nationale de tous les fils et de toutes les filles de Centrafrique ; Considérant la dynamique nationale, notamment celle des institutions de la Transition, des Forces vives de la 154
Nation, y compris la plateforme des autorités religieuses, la société civile et les partis politiques, à construire une société de paix et de concorde nationale, en apportant leur soutien au cadre de l’actuelle Transition ; Réaffirmant leur volonté de contribuer au retour définitif de la paix, de prendre part au Forum de Brazzaville et de signer un accord de cessation des hostilités ; Réaffirmant leur détermination inébranlable à mettre un terme aux causes profondes de l’état continu de violence, d’insécurité, d’instabilité politique. Son Excellence, Dénis SASSOU NGUESSO, Président de la République du Congo, Médiateur de la crise centrafricaine, appuyé par Monsieur BOUBEYE MAÏGA, Représentant de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine et Monsieur Abdoulaye BATHILY, Représentant Spécial du Secrétaire Général des NationsUnies pour l’Afrique centrale, mise en place lors de la Concertation des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), en marge du 23ème Sommet Ordinaire de l’Union Africaine, tenu à Malabo, en Guinée Equatoriale, le 27 juin 2014, sur la situation en République centrafricaine ; Les ex-combattants et éléments armés centrafricains conviennent de ce qui suit : Article 1èr : Le présent Accord de Cessation des Hostilités est établi entre les belligérants pour prendre effet sur l’ensemble du territoire de la République centrafricaine ; Les belligérants acceptent d’observer la cessation des hostilités dès la signature de l’accord ;
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Article 2 : La cessation des hostilités implique : L’arrêt immédiat des hostilités et l’abstention de tout acte militaire en toute autre forme de violence ; La cessation de tous les actes de violences contre les populations civiles et militaires, le respect et la protection des droits humains. Ces actes de violences incluent les exécutions sommaires, la torture, le harcèlement, les incendies volontaires de villages, des biens publics et privés, les destructions des édifices religieux, le pillage, la détention et l’exécution arbitraires des civils et militaires, ainsi que le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, la violence sexuelle et l’armement des civils ; La dénonciation de tous les actes de violences et des violations des droits de l’homme et droit humanitaire international ; L’arrêt et l’abstention de toutes actions et incitations, de nature à nuire aux efforts visant à faire valoir l’esprit de fraternité et de concorde nationale ; L’engagement des parties à communiquer publiquement et dans un délai de 24 heures, à compter de la date de signature du présent accord, la cessation des hostilités par leurs chaines de commandement respectives ainsi qu’à la population civile. Article 3 : Dès l’entrée en vigueur du présent accord : a) Les parties s’obligent à cesser toute entrave à l’exercice de l’autorité de l’Etat dans les zones où elles se trouvent notamment : les barrières illégales et les administrations parallèles. b) Les parties s’engagent entièrement à s’impliquer dans le processus global de réconciliation nationale 156
qui se poursuivra en RCA, à s’abstenir immédiatement d’entraver la libre circulation des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire, ainsi que le travail des Forces nationales et internationales dans l’exécution de leurs mandats donnés par les différentes résolutions des Nations-Unies. c) Les parties s’engagent systématiquement à extirper de leurs rangs et à rapatrier tous les mercenaires, afin qu’ils regagnent leurs pays respectifs, avec l’appui de la communauté internationale. d) Les parties s’engagent à renoncer à tout projet de partition de la R.C.A. Article 4 : Tous les ex-combattants et éléments armés signataires du présent accord doivent être regroupés dans un délai raisonnable, sous réserve de mobilisation des ressources nécessaires sur les sites à convenir d’un commun accord, avec le Gouvernement de Transition et la Communauté Internationale. Article 5 : Les parties s’engagent également à : a) Respecter et faire respecter les droits humains ; b) Interdire et condamner toute violence contre les populations civiles et militaires, y compris les violences sexuelles ; c) Mettre en place au sein de leurs mouvements respectifs, un mécanisme de suivi des engagements, en portant connaissance de ces violations aux autorités compétentes, afin de lutter contre l’impunité ; d) Mettre fin et prévenir toutes violations commises à l’égard des enfants, notamment, les actes de 157
meurtre, de mutilations, d’exploitation des enfants, ainsi que les viols et autres violences ; e) Ne pas recruter des enfants comme combattants, en conformité avec la Charte Africaine des Droits et du Bien-être des enfants, la Convention sur les droits de l’enfant et le Protocole Facultatif à la Convention relative aux droits. Article 6 : Les parties s’engagent enfin à : a) Respecter la libre circulation, en général, des convois humanitaires en particulier, les enclaves humanitaires, et à créer des conditions favorables pour l’assistance aux réfugiés et aux déplacés. b) Promouvoir un environnement socio-sécuritaire favorable, en vue de permettre le retour des réfugiés et des placés dans leurs communautés. Article 7 : Un programme prioritaire doit être mis en place en urgence dans le but de : a) Créer les conditions de retour, de réinstallation et de réinsertion des personnes déplacées en raison du conflit ; b) Lutter contre la criminalité, particulièrement celle prévue à l’article 2 ; c) Réhabiliter les zones affectées par le conflit. Article 8 : Les parties signataires mettent en place une commission de suivi de l’application du présent accord composé comme suit : 01 représentant par groupe politico-militaire ; G8-RCA ; 06 représentants des institutions de la Transition (Présidence, CNT, Gouvernement). 158
Cette commission devra établir des sous-commissions régionales et locales, chaque fois que le besoin se fera sentir. En cas de nécessité, la commission de suivi de l’application du présent accord peut faire appel à toute personne qualifiée. Article 9 : En cas de différend ou de difficulté sur l’application du présent accord, l’une ou l’autre partie peut avoir recours à la commission de suivi. En cas de non satisfaction, elle pourra faire recours à la Médiation Internationale. Article 10 : Le présent accord entre en vigueur dès sa signature. Fait à Brazzaville, le 23 juillet 2014 Ont signé : 1. LES EX-COMBATTANTS ET ÉLÉMENTS ARMÉS : Pour le Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), Général Mohamed Moussa DHAFANE (Ex coalition Séléka) Pour les Anti-Balaka, Monsieur Patrick Edouard NGAISSONA Pour le Front Démocratique du Peuple Centrafricain Monsieur André-le-Gaillard RINGUI Pour « Révolution et Justice » (R.J.) Monsieur Armel SAYO Pour le Mouvement de Libération Centrafricaine pour la Justice (MLCJ), Monsieur Abakar SABONE 159
Pour l’Union des Forces Républicaines (U.F.R.) Monsieur Florian N’DJADDER BEDAY Pour l’Union des Forces Républicaines Fondamentales (UFRF), Monsieur Dieu-Bénit GBEYAKIKOBET 2. EN PRÉSENCE DE : Conseil National de Transition : Honorable Alexandre Ferdinand N’GUENDET Alternative Citoyenne pour la Démocratie et la Paix (ACDP) Monsieur Enoch DERANT LAKOUE Ancienne Majorité Présidentielle Monsieur Laurent NGON-BABA Groupement des Partis Politiques/Républicains, Travaillistes, Légalistes (GPP/RTL) Monsieur Bertin BEA Union des Partis Politiques pour la Reconstruction Nationale (UPPRN) Pierre Abraham MBOKANI Rassemblement des autres Partis Politiques Monsieur Auguste BOUKANGA Partis Politiques sans Plateforme Monsieur Henri GOUANDIA 3. PERSONNALITÉS INDÉPENDANTES : Madame Alphonsine BOGANDA-YANGONGO Monsieur Jean Félix Wulfrand RIVA Monsieur Abdel-Aziz AROUFAÏ 4. ORGANISATION DES FEMMES CENTRAFRICAINES (OFCA) : Madame Marie-Annick SERVICE 160
5. COMITÉ CONSULTATIF DES FEMMES LEADERS : Dr. SOKAMBI DIBERT BEKOY 6. HAUT CONSEIL DE LA COMMUNICATION : Monsieur José Richard POUAMBI 7. SYNDICAT DES TRAVAILLEURS : Monsieur Michel LOUDEGUE 8. CONFÉDÉRATION NATIONALE DES AGRICULTEURS ET ÉLEVEURS : Madame Brigitte ANDARA 9. CONFESSIONS RELIGIEUSES : Monseigneur Dieudonné NZAPALAINGA 10. GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL CENTRAFRICAIN : Monsieur Giles POTOLO NGBANGANDIMBO 11. LA DIASPORA : Monsieur Maurice OUAMBO 12. DÉPLACÉS INTERNES : Monsieur Jean Claude MALABI 13. COMMUNAUTÉS À RISQUES : Monsieur Atahirou BALLA DODO Madame Adja Asta MOUSSA 161
14. LA MÉDIATION INTERNATIONALE : Pour les Nations-Unies : Le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU en Afrique centrale, Monsieur Abdoulaye BATHILY Le Vice-Médiateur, Monsieur Soumailou BOUBEY MAIGA Pour la CEEAC Le Rapporteur, le Secrétaire Général de la CEEAC Ambassadeur Ahmad ALLAM-MI Le Médiateur international Le Président de la République du Congo, Son Excellence Monsieur Dénis SASSOU N’GUESSOU
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TABLE DES MATIÈRES
DU MÊME AUTEUR ................................................................ 7 REMERCIEMENTS ................................................................ 11 PRÉFACE ................................................................................ 13 INTRODUCTION ................................................................... 17 CHAPITRE I La difficile voie de la souveraineté et de l’indépendance de la Centrafrique .............................. 23 I. EUPHORIE ET ESPOIR APRÈS L’INDÉPENDANCE DU PAYS................................................................................. 23 II. CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DU PAYS................................................................................. 24 1. Le développement humain et la situation sociale de la RCA ....32 2. La situation du pays au plan politique et économique ..............33 3. L’absence de vrais leaderships politiques en RCA ...................44
III. OÙ SONT PARTIS LES INTELLECTUELS CENTRAFRICAINS ? ............................................................. 46 IV. L’IDENTITÉ DU PAYS ET LE RESPECT DE SES CITOYENS ................................................................ 50 V. ÊTRE PAUVRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ............................................................... 51 1. Les hypothèses de la pauvreté en République centrafricaine ....52 2. Les visages de la pauvreté en République centrafricaine ..........54
3. La définition de la pauvreté selon le rapport mondial sur D.H. 1997 ................................................................................57 4. Les quelques exemples d’activités de lutte contre la pauvreté en R.C.A. .........................................................58
CHAPITRE II Le pays à la recherche de la cohésion sociale ...................... 65 I. ÉTAT DES LIEUX DU PROCESSUS DE DÉMOCRATISATION ........................................................... 66 1. Le patrimoine centrafricain .......................................................68 2. Les contours cachés de la transition en République Centrafricaine .......................................................70 3. L’élection mitigée de Madame Samba-Panza à la tête de la transition...............................................................................74 4. Le déficit de consensus autour du forum de Brazzaville, au Congo .......................................................................................76
II. BONNE GOUVERNANCE ET CITOYENNETE EN RCA ................................................................................... 80 1. La bonne gouvernance ..............................................................80 2. La citoyenneté ...........................................................................81 3. Les droits et les devoirs du citoyen centrafricain ......................82
III. COMMENT CONCILIER DEMOCRATIE ET TRIBALISME ? ................................................................. 84 CHAPITRE III Vers une nouvelle vision du développement de la RCA ..... 93 I. QU’EST-CE QU’UNE VISION DE DÉVELOPPEMENT DE LA RCA ? .......................................................................... 94 II. PROCESSUS D’ARTICULATION D’UNE VISION DE DÉVELOPPEMENT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ............................................................... 96 III. NOUVELLE VISION DE LA RCA : QUESTIONS CRITIQUES ET PROGRAMMES D’ACTION ...................... 97 1. Le leadership .............................................................................97 2. Les institutions politiques .........................................................98
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3. La construction d’une nouvelle société civile .........................100 4. La construction d’un Etat-Nation cohésif en République centrafricaine ......................................................104 5. Le développement du capital humain .....................................105 6. Comment gérer la fuite des cerveaux en République centrafricaine ?....................................................108 7. La sécurité alimentaire ............................................................113
IV. DÉFI DU TROISIÈME MILLÉNAIRE EN CENTRAFRIQUE ........................................................... 117 1. La restauration de la dignité et de la liberté du peuple centrafricain................................................................117 2. Les leçons à tirer d’une catharsis nationale.............................121 3. Le rêve biaisé d’une Centrafrique véritablement unifiée ........130
CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................ 135 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................... 139 ANNEXES ............................................................................. 141 ANNEXE 1. Accord de Nairobi sur le cessez-le feu et la cessation des hostilités entre les Ex-Séléka et les Anti-Balaka de la République centrafricaine .....................141 ANNEXE 2. Accord de Brazzaville sur la cessation des hostilités en République centrafricaine .................................154
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La Centrafrique aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions dialogue (Le) islamo-chrétien en Centrafrique
Ndéma Justin
Pour éviter toutes sortes de manipulations du religieux par le politique, et surtout pour prévenir les risques d’un conflit interreligieux en République centrafricaine, cet ouvrage propose une médiation de l’humanité du Christ comme chemin du dialogue islamo-chrétien. Qu’est-ce que nous disons du Christ qui nous permette d’entrer en dialogue avec les autres croyants ? (Coll. Croire et savoir en Afrique, 17.00 euros, 166 p.) ISBN : 978-2-343-04304-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36095-9 Église (L’) et la démocratie en Centrafrique
Appora-Ngalanibé Richard
Cet ouvrage se propose d’étudier les Lettres pastorales publiées lors de la Conférence Épiscopale Centrafricaine pour dire la position de l’Église et accompagner le processus démocratique en Centrafrique, régulièrement mis à mal par d’interminables rebellions et coups d’État ces dernières décennies. Ces lettres constituent un témoignage éloquent de la participation de l’Église centrafricaine à l’éveil d’une conscience lucide et responsable de la population. (Coll. Croire et savoir en Afrique, 12.00 euros, 104 p.) ISBN : 978-2-343-04305-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36104-8 Où en est l’urbanisation en Centrafrique ?
Mossoa Lambert
C’est ce phénomène prodigieux d’un monde nouveau en gestation dans les villes centrafricaines que l’auteur a essayé d’observer et de comprendre, et c’est dans une perspective géographique qu’il a tenté d’en aborder l’étude. L’objectif est de fournir une première réponse toute provisoire et imparfaite qu’elle soit, à cette seule question : où en est l’urbanisation en Centrafrique ? (12.50 euros, 118 p.) ISBN : 978-2-343-03864-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35737-9 Centrafrique La dérive singulière
De Sassara Honki
L’histoire de la Centrafrique est une suite de drames humains qui se déroulent loin des regards et dont on parle à peine. En 1905, le pays est intégré à l’AEF
comme colonie française et va connaître le système colonial le plus féroce. En 1959, à la veille de l’Indépendance, l’équipe politique est décimée par un attentat et les médiocres ne cesseront ensuite de se coopter entre eux à la tête du pays, jusqu’à aujourd’hui. (18.50 euros, 190 p.) ISBN : 978-2-343-03193-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35381-4 Repenser la sécurité en République centrafricaine
Doui-Wawaye Augustin Jérémie
En République centrafricaine, la lutte obsessionnelle pour le pouvoir et la guerre civile ont provoqué massacres, tensions intercommunautaires et haines viscérales. Mais comment sortir de cette fatalité ? Le défi à relever serait d’amorcer une réconciliation entre les couches sociales fracturées, rétablir la confiance entre les Centrafricains et leurs leaders et restaurer l’autorité des institutions étatiques. Il faudrait aussi redéfinir le mot : sécurité. (Coll. Études africaines, 12.00 euros, 104 p.) ISBN : 978-2-343-04140-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35696-9 Répertoire de l’administration territoriale de la République centrafricaine
Serre Jacques, Fandos-Rius Juan
Le présent travail trace l’évolution du commandement des différentes unités administratives, aujourd’hui préfectures et sous-préfectures, de la République Centrafricaine depuis leur création jusqu’à nos jours. Le répertoire est accompagné des notes historiques dans l’optique des découpages des unités administratives. Au présent la République Centrafricaine veut s’engager dans une politique de la décentralisation et de la régionalisation en faveur de la démocratie locale et d’une administration plus proche des administrés. (19.50 euros, 294 p.) ISBN : 978-2-343-01298-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35580-1 De l’Oubangui-Chari à la République centrafricaine indépendante
Simiti Bernard
La République centrafricaine, ex Oubangui-Chari, a célébré le 13 août 2010 le cinquantenaire de son accession à la souveraineté internationale. Cette marche vers l’indépendance s’inscrit dans le contexte global de revendications de l’autonomie politique par les anciennes colonies françaises d’Afrique. Cet ouvrage est une justice faite à Barthélemy Boganda, leader de la lutte pour l’indépendance et fondateur de la République centrafricaine. (Coll. Études africaines, 10.50 euros, 66 p.) ISBN : 978-2-336-29347-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53187-1 troupe (La) de Bemba était tombée sur nos têtes
Bepou-Bangue Johanes Arnaud
Pays peu peuplé, la République de Centrafrique a été secouée par une énième tentative de putsch en octobre 2002. Pour renforcer l’armée loyaliste affaiblie, les autorités en place ont fait appel à une rébellion étrangère en renfort : Le
Mouvement de la Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba Gombo. Les hommes de la troupe ont commis viols, pillages et autres exactions. L’auteur se remémore des souvenirs pénibles et révèle sa version des faits. (10.00 euros, 68 p.) ISBN : 978-2-296-99552-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51702-8
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Où va la Centrafrique ? La République centrafricaine est aujourd’hui en « déliquescence ». Tel est le constat unanime dressé par la plupart des monographies dédiées à l’énumération des causes et conséquences du « sousdéveloppement ». Pour les centrafricains, tout semble perdu et il est même vain de vouloir faire montre d’optimisme et d’espoir. La misère matérielle est effectivement le lot quotidien d’une bonne partie de la population centrafricaine. Cependant, les conditions matérielles difficiles ne doivent pas exempter les Centrafricains de réfléchir sur leur devenir. Certes, ils ne changeront pas le monde, mais ils devront y trouver leur place. La nouvelle configuration géopolitique du monde impose des ruptures qu’une nouvelle génération d’élites africaines, surtout centrafricaines, devra assumer pour façonner un autre destin pour ces populations. C’est parce qu’elle a besoin d’être considérée, plutôt qu’assistée, que la Centrafrique, forte économiquement et certainement politiquement, pourra rompre avec l’humanitarisme ambiant qui sape l’avènement d’un autre possible pays. Non, la Centrafrique n’est pas en « déliquescence », elle n’est pas pauvre et sous-développée. Ce pays n’est pas « mal parti », et n’a jamais refusé le développement. Seule une prise de conscience historique peut permettre aux Centrafricains de se prévaloir d’atouts garants d’un autre modèle de développement. Lambert MOSSOA, né en Centrafrique, est diplômé des universités françaises d’Aix-Marseille-II, III et de Bordeaux-III. Titulaire d’un doctorat puis d’un diplôme d’habilitation à diriger des recherches (H.D.R.) en géographie et aménagement, il est professeur titulaire et dirige depuis quelques années l’École doctorale de l’université de Bangui. Photographie de couverture (CC) tirée des Plumes de RCA Où va la Centrafrique, quel avenir pour le pays ? 30 juillet 2014.
ISBN : 978-2-343-078083
18.50 €