Osiris aux sources du Nil (French Edition) 9789042944190, 9789042944206, 9042944196

Les pretres d'Egypte ont tres tot cherche a rendre compte du mystere de la creation; dans le vieux pays ou tout ou

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Osiris aux sources du Nil (French Edition)
 9789042944190, 9789042944206, 9042944196

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Sylvie Cauville

Osiris aux sources du Nil

PEETERS

OSIRIS AUX SOURCES DU NIL

Sylvie CAUVILLE (CNRS) a publié une soixantaine d’ouvrages sur la religion et les textes de l’Égypte ancienne, tant à l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (IFAO) qu’aux éditions Peeters. Photographies (sauf mention contraire) :

Frédéric MÜLLER et Sylvie CAUVILLE

Maquette et mise en page :

Soheir LOTFALLA

Osiris aux sources du Nil Sylvie CAUVILLE

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2021

© 2021

Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven

Droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute reproduction d’un extrait quelconque, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, de même que la diffusion sur Internet ou tout autre réseau semblable sont strictement interdites. ISBN 978-90-429-4419-0 eISBN 978-90-429-4420-6 D/2021/0602/42

INTRODUCTION

INTRODUCTION

Si l’on omet d’effectuer tous les rituels d’Osiris en leur temps dans ce nome, ainsi que toutes les fêtes saisonnières, le pays sera privé de ses lois. Ouvrez les livres, voyez les paroles divines, veillez à suivre les desseins des dieux ! C’est ainsi qu’on s’éloigne d’une mort prématurée, car c’est le dieu qui accorde une longue durée de vie ou qui l’abrège. Osiris vit des écrits de Rê. Papyrus Jumilhac, Louvre E 17110, XVIII

Chaque Égyptien, pharaon ou paysan, aspire à devenir un Osiris, à partager le destin, somme toute heureux, d’un dieu qui a triomphé de la haine perpétuelle d’un frère impie et gagné l’immortalité. Osiris, vénéré dans l’Égypte entière pendant trois millénaires, est omniprésent ; son nom figure dans les temples, sur les stèles, sur les sarcophages, sur les papyrus. Il incarne l’éternel retour, la certitude que tout peut recommencer. Du corps divin suinte la crue du Nil ; le limon charrié par le grand fleuve se transforme en grain nourricier, une fois l’eau retirée. Ce processus naturel est en quelque sorte reproduit par le meurtre d’Osiris, la dispersion de ses membres, la découverte de ceux-ci par les sœurs divines, enfin par la plénitude retrouvée grâce à l’embaumement d’Anubis. Osiris ressuscité, Isis conçoit et enfante l’héritier, la vie naît de la mort.

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Paradoxalement, Osiris est aussi vulnérable qu’indestructible ; proie périodique du mal, il est régénéré de la même manière par les dieux. Cette dernière action, récurrente, fonde le culte rendu par les Égyptiens à la divinité multiforme, culte qui garantit à son tour au vieux pays l’unité politique et la pérennité sans limites. Vie, mort, renaissance, cette destinée à caractère proprement cosmique constitue le Grand Mystère que tout temple d’une certaine importance célébrait dans des chapelles dédiées à Osiris. La décomposition d’Osiris est aussi indispensable à la création continue que les métamorphoses de Rê, l’astre qui doit disparaître la nuit pour ressurgir au matin. Osiris a été découpé en quatorze morceaux, de même que la Lune décline pendant quatorze jours avant de se reconstituer pendant un pareil laps de temps. C’est sur le toit des temples que le rite héliopolitain mettait en scène l’adoration du luminaire nocturne ; celui-ci, déjà brillant de sa propre lumière, y était aussi rajeuni par le Soleil.

introduction

Le couple formé par Osiris et Rê − temps éternel et durée mouvante − est complémentaire et indissociable. Rê prend soin d’Osiris, irradie la momie lors de la préparation funèbre et lui confère par ses rayons une nature transcendante ; Osiris, quant à lui, abolit le temps et produit cette étincelle divine qui permet à Rê de se recréer chaque nuit. Par ailleurs, Rê domine sur l’univers terrestre d’ici-bas tandis qu’Osiris garantit l’au-delà ; tous deux, en fusionnant, perpétuent la vie sans fin et assurent l’existence de l’Égypte. Rê plonge dans le monde souterrain pour s’unir à la momie d’Osiris et ses rayons s’unissent à ses chairs. [Edfou I, 167] Cette manière d’alchimie divine donna naissance à Horus, gage de la grandeur future du pays et prototype de Pharaon. Dans toutes ses représentations, Osiris exprime la sérénité, mélange de perfection et d’équilibre, qui est celle d’un être à la plénitude légitime ; porphyrogénète, il a reçu l’uræus du commandement dès le ventre de sa mère. C’est en vain que son frère Seth, contestant sa primauté, a tenté de détruire son enveloppe charnelle : Osiris, principe nourricier et spirituel, moteur éternel de l’univers, est par essence antithétique au néant et au chaos. Il est de surcroît protégé par des cohortes divines redoutables et les rituels complexes élaborés par les hiérogrammates. Osiris de Busiris, souverain vivant, règne sur le Delta ; Osiris d’Abydos, dans la Vallée, est un roi mort. Memphis unit harmonieusement les deux entités dans la figure de Sokar, lequel meurt pour renaître à la fin des mystères. Quant à Héliopolis, la maîtresse des rituels et des génies-gardiens, elle organisa le repos d’Osiris dans la nécropole et plaça le dieu auprès de Rê ; aussi bien l’Égyptien ne pouvait-il vivre sans la lumière de Rê et sans la faveur d’Osiris. Les cris de joie se répandent dans le palais sacré, Osiris est venu, son corps est en possession de toutes ses reliques. La vie est auprès de lui, la mort est sous son contrôle, destin et destinée sont comme il en décide, il donne des nourritures à qui il aime, mais retire le pain à celui qu’il hait ; il abrège la durée de vie de celui qui se met en travers de son chemin. [Dendara X, 425]

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Cette grâce s’allie à la plus pure beauté dans le domaine du dieu à Abydos ; le décor des murs des temples y est dû aux meilleurs artistes de l’Égypte, ceux de Memphis dont le patron est Ptah en personne. Osiris, certes fils aîné de Geb et de Nout et seigneur de la cour divine, fait aussi l’objet d’une conception végétale ; celle-ci s’opère par le truchement d’une figurine en orge symbolisant le renouveau agricole cyclique du pays. L’actrice principale de ce drame, Isis, devient alors Chentayt « la Veuve » quand elle transmue la figurine végétale d’orge en or ; ce grand œuvre a lieu le quatrième mois de l’année, quand le paysan sème dans la boue fertile. La gestation divine durait quatorze jours, elle associait l’eau aux grains et le Soleil de la fertilisation au temps lunaire de la renaissance. Du sud au nord du pays, les lieux du mystère se nomment « Temple-de-l’or », « Sanctuaire-de-vie-des-simulacres », « Sanctuaire-de-Chentayt ». C’est pour Osiris qu’on a créé, à Memphis, le rituel de l’enterrement ; le dieu, avant tout seigneur des morts, est momifié par les soins d’Anubis. La procédure de cet embaumement et les divers rites funéraires qui l’accompagnent sont longuement détaillés. Aucun témoignage concret sur la royauté d’Osiris, assurément sage et juste, n’est fourni par les textes ou les représentations. On ne sait non plus comment survint la mort du dieu ; toujours est-il que ce « grand malheur » était indispensable au renouveau éternel et qu’Osiris repose à jamais, aux côtés de son père Rê, à Héliopolis dans le Temple-duPhénix, le symbole par excellence de la renaissance.

introduction

Dendara, Osiris en gloire.

De ce dieu, le plus grand d’Égypte, c’est bien d’une personne en deux natures − humaine et divine, terrestre et céleste − qu’il est partout question. La conception volontariste des Égyptiens a fait d’Osiris un être dont on n’attend rien, mais qu’il faut protéger en tout. En outre, l’essence propre du dieu reste largement inconnue et les considérations générales qui cherchent à la décrire, érodées d’ailleurs au fil des siècles, s’appliqueront pour nombre d’entre elles à d’autres divinités. Tous les temples accueillaient Osiris et le célébraient, beaucoup consacraient des chapelles entières à ses mystères du mois de khoiak : Philæ, Edfou, Karnak, Dendara, Hibis (dans l’oasis de Khargeh). Ces lieux usaient des mêmes archives qu’ils adaptaient en fonction de

la théologie locale, que ce soit autour d’Amon, d’Isis ou bien, en tant qu’ancêtre, d’Horus d’Edfou. Chaque sanctuaire présente le dieu sous un aspect différent ; celui-ci est Nil à Philæ, roi mort à Edfou, il naît à Thèbes, est momifié à Memphis, enterré à Héliopolis. Dendara constitue la plus grande source subsistante sur les mystères d’Osiris, avec six chapelles, sises sur le toit du temple d’Hathor, qui recèlent l’équivalent de quatre

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cents pages d’une richesse incomparable. Philæ abrite, sur le toit de son temple d’Isis, une cour et une chapelle dont les textes et représentations, d’une étendue quarante ou cinquante fois moindre, présentent cependant un intérêt remarquable, une fois replacés dans l’ensemble de la documentation disponible. Dans la suite de ces pages ainsi, chaque tableau de Philæ sera confronté aux images et inscriptions d’autres lieux osiriens. À côté d’une certaine parenté avec Hibis, par exemple, on relève l’influence déterminante des archives d’Abydos et, surtout, la singularité de Philæ : Osiris crue du Nil.

LES TEMPLES D’AMON (Hibis, Karnak, Deir el-Medineh) Le temple d’Amon à Karnak, tout en réservant une large place à Rê-Horakhty et à Ptah, fait la part plus belle encore à Osiris dont la théologie trouve son expression la plus subtile dans le passablement énigmatique Akhmenou, « Lieu de transcendance » et d’inititation pour le pharaon. Il y a lieu de supposer, d’ailleurs, qu’Osiris investit avant Amon la terre d’Ipetsout, plus précisément le secteur sud-ouest actuel où se trouve le temple commémorant la naissance du dieu, survenue en ce lieu le premier jour épagomène. Le sanctuaire d’Amon à Hibis (vers 500 av. J.-C.), chaînon essentiel de la diffusion des archives politico-religieuses égyptiennes, est situé en plein désert. Véritable bibliothèque conservant les images les plus sacrées du pays, il offre aussi sur ses parois, tels des papyrus déroulés, des représentations divines insolites. Certes d’obédience thébaine du fait de la proximité relative de la métropole méridionale, il doit tout autant à Héliopolis et à Memphis, les villes du savoir. On y trouve ainsi un conservatoire des formes d’Osiris momifié provenant de nombreuses localités, tant du Delta que de la Vallée. Deux ensembles osiriens figurent dans le temple d’Hibis − un peu comme à Dendara ; l’un est situé dans l’angle nord-ouest du niveau inférieur, l’autre se trouve dans l’angle sudouest sur le toit. Ces salles, fortement influencées par la doctrine abydénienne, mettent en scène le mythe osirien en exaltant la résurrection du dieu et la manière dont il est protégé et veillé. Nout, la mère d’Osiris, Heket, la grenouille d’Abydos, et Chentayt président au bon déroulement des rituels dans le Sanctuaire-de-vie-des-simulacres.

introduction

Temple d’Hibis, chapelle d’Osiris.

Le déroulement figuratif que propose la paroi reproduite ci-dessus est le suivant : − Min, dieu de la fertilité agricole, est enfoui dans le sol. − Isis et Nephthys veillent le corps momifié d’Osiris que porte ensuite le taureau Apis, précédant la barque d’apparat de Sokar. − Osiris est couché sur un lit en dessous duquel sont disposés les quatre vases canopes; il est entouré par Horus-Rê et les deux sœurs. − Osiris est allongé à l’intérieur d’un serpent sur la tête duquel un personnage creuse la terre, image de la crue surgissant du monde souterrain.

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À Karnak, à côté du temple de Khonsou, se trouve celui de la naissance d’Osiris (traditionnellement désigné, de manière impropre, par l’expression « temple d’Opet »).

Cette partie de

l’enceinte sacrée, située dans l’angle sud-ouest, est qualifiée de « Première émergence de la création ». La scène la plus digne d’intérêt figure le réveil d’Osiris auquel s’unit l’oiseau-âme d’Amon, défini comme l’âme vénérable d’Osiris qui prend place sur son cadavre dans le Temple-de-sa-naissance. La naissance, la mort et la destinée future du dieu − roi sur terre et Lune au ciel − sont alors décrites.

Karnak, temple de la naissance d’Osiris, chapelle nord. [ J. Maucor©CNRS-CFEETK].

Sur l’autre rive du Nil, à Deir el-Medineh, Amon et Osiris revêtent tous deux l’aspect de dieux morts. La procession de la barque de Sokar illustre la fin des mystères du mois de khoiak.

introduction

EDFOU Le temple d’Edfou consacre trois chapelles à Osiris ; leurs noms − « Salle secrète », « Temple-du-Prince », « Annexe de la salle secrète » − évoquent à des degrés divers les sanctuaires de Memphis et d’Héliopolis : le « Prince » est héliopolitain ; Sokar, faucon en état de léthargie qui vient de Memphis, devint partie constituante de la divinité bientôt nommée Sokar-Osiris. La première chapelle, la chetyt, reproduit le tombeau de Sokar à Memphis et représente sur ses parois les rites évoquant les pratiques funéraires de l’antique cité. Osiris renaît ensuite dans une chapelle dont les textes vénérables montrent le dieu entouré d’Isis et de Nephthys et pourvu d’un arsenal protecteur. Là se déroulaient les étapes initiales des mystères de khoiak : gestation divine et préparation à la résurrection. Dans la troisième chapelle, salle à fonction plus théologique que rituelle, Osiris transmet son pouvoir à son fils. Les prêtres d’Edfou y ont exposé la doctrine du lieu : Osiris est l’ancêtre d’Horus auquel est dédié le temple.

Osiris sur le pylône d’Edfou [©D. Budde].

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DENDARA À Dendara, de chaque côté du toit, se trouvent respectivement deux chapelles et une cour à ciel ouvert ; les chapelles médianes possèdent des fenêtres, les dernières en sont dépourvues : elles abritent le mystère du dieu. Dans les cours, ouvrant sur le toit du temple éclairé par le Soleil et sur le monde extérieur, l’Égypte entière donne libre cours à l’allégresse universelle que suscite la renaissance d’Osiris. De celle de l’est partent les processions qui s’achèvent dans la cour occidentale où culminent les mystères, lors du matin divin du 26 khoiak. Les deuxièmes chapelles sont à tous égards des pièces intermédiaires ; d’un côté, l’espace est réservé à la naissance d’Osiris, de l’autre, à la mort du dieu. À l’est, la figurine végétale est préparée et les reliques divines rassemblées. À l’ouest, on se prépare à accéder au tombeau qui va accueillir pendant un an le simulacre sacré. Les prêtres de Dendara puisèrent, bien sûr, dans les compositions traditionnelles et les connaissances ancestrales ; ils ont cependant opéré un choix dans cette matière considérable, créant ainsi un programme décoratif approprié à leur seul temple. L’originalité remarquable qui en découle se fait jour, entre autres, dans la richesse lexicale ou l’érudition mythologique.

Dendara : le temple d’Hathor, vue depuis l’ouest.

PHILÆ : ISIIS ET T OSIIRIS

PHILÆ : ISIS ET OSIRIS

Peut-être le site géographiquement le plus séduisant de la vallée du Nil, Philæ insère ses différents monuments dans un cadre grandiose où se mêlent lumière et eau, bleu et camaïeu de beiges.

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La crue règne sur Philæ à travers trois figures divines, masculine et féminines : Osiris le flot blanc, Isis qui donne la vie et Hathor, le flot rouge et violent venu d’Abyssinie. L’île recevait de plein fouet le fleuve en quelque sorte androgyne et le corps d’Osiris, enterré dans la voisine Biggeh, recrachait cette eau censée surgir de ses deux jambes.

Philæ, avant son déplacement, dans le bassin de Senemet [Photo Berlin n° 1635].

Philæ ne devint terre sacrée qu’à partir de 700 avant J.-C. environ, au temps des pharaons Taharqa et Amasis. Le culte d’Isis se développa sous le règne de Nectanébo (380-362 av. J.-C.)

dans tout le pays et supplanta à Assouan ceux, plus anciens, de Khnoum

et d’Hathor. Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.) entreprit la construction du grand temple, bientôt entouré d’édifices plus modestes. Il y a encore un siècle un quart, aux yeux de qui descendait le Nil depuis la Nubie, l’île apparaissait comme un havre protecteur dans le bassin de Senemet.

philæ : isis et osiris

Et fortunés étaient ceux qui, débarquant de leur dahabieh, admiraient à loisir depuis les terrasses le flot déchaîné qui s’écoulait des deux côtés de l’île. À cette époque relativement récente, des bâtiments en briques occupaient la totalité de l’espace laissé libre par les sanctuaires bâtis en pierre.

À l’extrême fin du dix-neuvième siècle, le site d’Assouan fut choisi pour accueillir un barrage qui retiendrait une partie des eaux de la crue annuelle. Le 2 février 1899, le duc de Connaught (fils de la reine Victoria) posa la première pierre de l’ouvrage qui fut inauguré en 1902, puis surélevé en 1912 et 1933.

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L’eau fit son œuvre destructrice et Philæ vit disparaître briques et couleurs. Les récits anciens vantent l’éclat de celles-ci, dont la Description de l’Égypte donne par ailleurs une image évocatrice.

Le pronaos, en couleurs [Description de l’Égypte, vol. IV, pl. 18].

Pour préserver l’inestimable patrimoine culturel que représentaient Philæ et les temples de Nubie, l’Académie prussienne des sciences mit sur pied une expédition dirigée par Heinrich Schäfer et Hermann Junker. Le photographe de l’équipe, Friedrich Koch, prit, lors des hivers 1908-1910, quelque 2000 photos qui sont désormais numérisées et publiées grâce à la diligence éclairée du professeur Horst Beinlich, de l’université de Würzburg, et du musée de Berlin. Hermann Junker (1877-1962), grand parmi les grands égyptologues, consacra ses premières études à Dendara ; il se passionna également très tôt pour les mystères osiriens. Actif ensuite en Nubie, puis dans la région de Memphis, il laissa une centaine d’ouvrages − publications de textes, travaux archéologiques, études diverses − dont beaucoup font encore autorité. Ce livre est dédié à sa mémoire.

philæ : isis et osiris

En 1956, Gamal Abdel Nasser décida d’élever un autre barrage en amont du précédent ; l’Unesco lança alors une campagne internationale destinée à sauver les temples de Nubie. Il fut décidé de démonter le complexe architectural de Philæ et de le remonter sur l’île artificielle d’Agilkia, à 300 m de son emplacement originel ; la forme de l’île initiale et l’orientation de chaque bâtiment furent respectées.

Emplacement virtuel de Philæ avant le déménagement (©google earth).

La photo ci-dessus, à gauche, montre l’île vue du ciel en 2020 ; à droite, une distorsion permet de restituer la situation antique de Philæ, lorsque Biggeh formait une grande île incluant Agilkia. Quand le Nil est bas, on discerne aisément, depuis l’île de Biggeh, l’emplacement ancien de Philæ.

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Le 11 mars 1980, le « haut barrage » fut inauguré ; pendant trois quarts de siècle, le temple d’Isis avait été recouvert par les eaux plusieurs mois par an.

Le sanctuaire d’Isis − qui trônait là depuis des millénaires au sommet d’une colline chargée de temples, de colonnades et de statues − émerge encore à demi, seul et bientôt noyé lui-même. Pierre Loti, La mort de Philæ.

Le bassin de Senemet accueille plusieurs îles : El-Hesa, Biggeh et Philæ. La partie nordest forme une anse dans laquelle l’eau tumultueuse et rouge s’apaise. Hathor, la lionne déchaînée de Nubie, se transforme en une chatte douce. Le grand faucon femelle, maîtresse des eaux tumultueuses, la reine de Haute et Basse Égypte, Hathor la grande, maîtresse de Senemet, venue de Nubie, atteint le bassin de Senemet sous la forme d’Oupeset la grande ; sa violence est celle de Sekhmet, elle s’apaise en devenant Bastet-Ouadjyt qui fait verdir le pays grâce à sa force de verdeur et de vie. Chapelle de Ptolémée VIII et Tibère [Philæ – Photos Berlin nos 57-58]

La déesse tourne le dos à la Nubie et regarde vers le nord ; devenue déesse-campagne fertilisée par la crue qu’elle charrie elle-même, Hathor rejoint son père Rê à Héliopolis. Isis est au service d’Osiris et son domaine « fonctionne » religieusement avec la grande île de Biggeh. Celle-ci, appelée « Éminence-pure » (Iat-ouâbet) ou « Haute-Colline » (DjouKa), reçut des voyageurs antiques le nom d’« Abaton » (« Lieu que l’on ne doit pas fouler »).

philæ : isis et osiris

Les Égyptiens situaient ainsi l’une par rapport à l’autre :

Philæ se trouve en face de l’Éminence-pure, une grande étendue d’eau est entre elles. Osiris est enterré à Biggeh, lieu protégé où des rituels se déroulaient pour le dieu tous les dix jours. On se rendait à cette nécropole depuis un portique aux représentations singulières (voir plus loin). Par ailleurs, les mystères osiriens se déroulaient sur le toit du temple d’Isis, dans l’angle nord-ouest face à Biggeh, où se trouvent une chapelle et une cour attenante.

Les textes et représentations de ces chapelles ont été publiés à la fin du dix-neuvième siècle par Georges Bénédite ; les premiers, parfois malaisés à comprendre, n’ont guère été étudiés que par Hermann Junker (Das Götterdekret über das Abaton, 1913). Avec la publication des photos anciennes de Berlin, puis la récente ouverture au public du toit du temple, il est devenu possible de tenter un commentaire de l’ensemble.

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La décoration des lieux osiriens dans les temples d’Hibis (vers 500 av. J.-C.), d’Edfou (vers 200 av. J.-C.)

et de Dendara (vers 50 av. J.-C.) est, à l’intérieur de chacun de ces temples,

chronologiquement homogène. À Philæ, la décoration fut réalisée en deux temps bien distincts. La chapelle, conçue en même temps que le pronaos, fut décorée sous le règne de Ptolémée VIII Évergète II (vers 130 av. J.-C.), ainsi qu’en font foi les cartouches de ce souverain qui décorent la feuillure de la porte faisant communiquer la cour et la chapelle. Plusieurs mains se distinguent à l’intérieur : une paroi offre un dessin quelque peu figé à l’est tandis que, à l’ouest, on relève une manière plus réaliste avec, par exemple, des profils négroïdes et la souplesse de certaines attitudes corporelles. Pendant deux siècles et demi, les mystères se déroulèrent dans cette seule chapelle. À l’époque d’Hadrien (117-138 ap. J.-C.), Osiris connut un regain de faveur (voir plus loin) ; peu après, Antonin le Pieux (138-161 ap. J.-C.), dont le nom est inscrit dans la cour, fumige de l’encens devant Osiris. Le style est alors fort différent et l’on rencontre parfois des graphies qui trahissent une forme d’incompréhension de la part des scribes. À l’inverse, la chapelle témoigne d’une connaissance approfondie des archives. Les images sacrées qu’elle a empruntées à la théologie du nord du pays sont souvent dépourvues d’inscriptions explicatives ; elles permettent cependant, grâce aux autres lieux osiriens, de suivre la pensée des derniers prêtres vivant aux sources du Nil.

LA COUR OSIRIE ENNE

LA COUR OSIRIENNE

Le premier pylône franchi, on accède à une large cour bordée d’une colonnade à l’est et du mammisi à l’ouest. Le deuxième pylône ouvre sur le pronaos décoré sous le règne de Ptolémée VIII Évergète II, à la date même où fut conçue la chapelle du toit ; les archives sont communes et les architraves du pronaos prolongent les rituels osiriens.

On gagne ensuite la salle du couronnement d’où, vers l’ouest, un escalier mène au toit.

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osiris aux sources du nil

LA PROTECTION DE L’ENTRÉE Depuis celui-ci, un autre escalier conduit à  la cour osirienne située à  un niveau intermédiaire.

Cet escalier antique était doublé d’une rampe ; un autre, en bois, est désormais installé sur toute la largeur, masquant ainsi le plan incliné qui permettait de hisser la barque de Sokar (voir plus loin).

la cour osirienne

Au bas de l’escalier, Horus menace de sa lance quiconque voudrait forcer le passage. Tous les lieux osiriens recelant le Grand Mystère sont protégés par des cohortes divines ; ici, Horus assure seul la garde.

Horus d’Edfou, le grand dieu maître de l’horizon, celui dont le plumage est bigarré, qui abat les ennemis de son père Osiris. [Bénédite, Philæ, 121] Le dieu est tourné vers la sortie, dans la position de la marche ; il a gardé les ailes et la queue du faucon, qui lui permettent d’agir et sur terre et dans l’espace : Seth, le frère maléfique, ne pourra pas entraver le processus de renaissance. Son corps, son ombre, son nom même doivent disparaître ; il a souillé le pays et contemplé le cadavre d’Osiris : il a enfreint la loi suprême. Rê, qui aide Isis à retrouver le corps de son époux et à installer Horus sur le trône de son père, a ordonné la destruction du Maudit, décision confirmée par tous les dieux réunis. Dans la première cour de Dendara, Seth est massacré sous la forme d’un taureau et d’un âne ; il est dépecé, brûlé, honni.

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Dendara, protection de la chapelle-tombe d’Osiris (ouest n° 3).

À l’entrée de la chapelle qui sert aussi de tombeau, Horus et Onouris tiennent une lance et percent les animaux maléfiques : âne, serpent, crocodile et hippopotame. Horus d’Edfou, le champion qui transperce le Mauvais. Onouris maître de This, le héros dressé sur le pavois, le maître du harpon, qui massacre le corps de tous ceux qui viennent avec violence. Horus maître de Mesen : « Je saisis la lance, je frappe l’hippopotame. » Onouris maître de Sébennytos : « J’empoigne le harpon d’airain dans mes mains, j’abats Apophis : il ne viendra plus. » [Dendara X, 411-412, 417-418, pl. 246]

la cour osirienne

La porte qui ouvre sur la chapelle de Philæ est gardée (à gauche) par la lance d’Horus et par une entité propre à Philæ, Pharaon de Senemet ; il s’agit d’un souverain divinisé de la région d’Assouan.

LA PAROI OUEST Plusieurs dieux hybrides (égyptiens et nubiens) prennent place sur l’île ; on remarque, outre Pharaon de Senemet, Arensnouphis, Thot de Pnoubs et Mandoulis. Ce dernier est placé à côté d’Horus au bas de l’escalier (voir plus haut) : Mandoulis, le grand dieu dans la nécropole, le dieu divin qui brille au ciel et sur terre. [Bénédite, Philæ, 121] C’est le dieu protecteur local, plus particulièrement honoré dans le temple de Kalabcha. Mandoulis maître de Kalabcha, celui dont la puissance est violente dans les contrées désertiques, dont la force est grande face aux nomades et dont la force est grande dans le défilé du Nil. [Photos Berlin nºs 294 et 313]

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Les parois latérales mettent en scène le rituel funéraire : purifications et embaumement. Anubis en est l’acteur essentiel ; placé devant Mandoulis, il apporte les onguents. Anubis placé au-dessus de sa montagne dans Senemet, qui enterre son père Osiris.

Au-dessus du tableau, un graffite explique le rôle du dieu : Formule pour l’embaumement avec de la myrrhe sèche  : «  J’oins ton corps avec de l’oliban sec, Osiris Ounennefer, le souverain, le grand souverain qui préside à  l’Occident  ; j’amène le dieu dans le temple des déplorations.  » [Bénédite, Philæ, 121]

Dans les tableaux suivants, Harendotès purifie Osiris par l’encens et l’eau, la scène étant encadrée par un grand jet.

la cour osirienne

Isis qui donne la vie, maîtresse de Philæ, qui fait une libation pour son frère dans Philæ. Nephthys, la sœur du dieu, l’excellente pour son frère dans le Sanctuaire-de-vie-des simulacres : « Je suis ta sœur l’excellente qui se lamente à ton sujet, mon ventre est prosterné par terre jusqu’à ma tête, j’essuie mon œil en larmes, mes bras sont devant toi en déploration, mon cœur est consumé à l’intérieur de mon ventre, un grand feu brûle dans mon ventre. » [Bénédite, Philæ, 121]

Dans ce texte placé au-dessus du tableau, l’expression «  Sanctuaire-de-vie-dessimulacres » désigne la cour où l’on commençait à préparer la figurine osirienne pour les mystères du mois de khoiak (voir plus loin). La dernière scène de la paroi est remarquable.

Cour, paroi ouest, tableau II.

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Isis et Nephthys entourent Osiris qui préside à l’Occident qu’elles protègent, en un geste gracieux et tendre, de leur ailes étendues. Sur la droite, le Nil, père des dieux, fait jaillir l’eau de son sein grâce à une grenouille qui crache (cette fontaine animale décorait parfois l’orifice des bassins de libation). Rappelons que ces batraciens se reproduisent juste avant la montée du

Nil ; à la saison des amours, ils peuvent couvrir une colline entière et l’assourdir de leurs coassements – on comprend aisément la lecture hefenou (« un grand nombre ») de la sauteuse qui semble surgir du flot. Fidèles à leurs pratiques rédactionnelles, les scribes exploitent le double sens de l’hiéroglyphe : la grenouille se comprend et se lit aussi « eau de jouvence ».

Cour, paroi ouest, tableau II, détail.

Quatre figurines momifiées, les Enfants d’Horus (voir plus loin), associées à autant de médaillons portent l’image de huit divinités présentes lors des mystères : – Montou et Amon de Thèbes, Chou et Rê d’Héliopolis. – Ouadjyt et Neith, Sekhmet et Bastet, quatre déesses de la sphère memphito-héliopolite. Les trois capitales politiques, qui ont façonné la pensée religieuse égyptienne, participent ainsi aux cérémonies.

la cour osirienne

Au milieu de la paroi ouest, une fausse-porte ouvre vers l’île de Biggeh située elle-même à l’ouest. Une cavité, dans le sol, permettait de recevoir les linges souillés par le rituel de la momification.

Cour, paroi ouest, fausse-porte.

Au-dessous du disque ailé, le texte hiéroglyphique rappelle qu’Osiris s’assimile à la crue du Nil : Tu es Hâpy, l’eau du renouveau qui se rajeunit en son temps, au milieu des dieux et des hommes, par ses humeurs. Il est celui qui vient en son temps, enfanté au bon moment et qui rajeunit son corps chaque année. [Bénédite, Philæ, 120-121]

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Sur les montants, Osiris est exhorté à se réveiller : Éveille-toi bellement en paix ! Tu demeureras pour l’éternité, tu renouvelles d’éclat chaque jour, Osiris, Celui dont la perfection demeure, prince des dieux, roi dès le ventre de sa mère, tu renouvelles ta forme en tant qu’œil gauche de Rê, tu rajeunis tous les trente jours ; on fait pour toi la fête de la Nouvelle Lune dans Philæ, la fête du deuxième jour, la fête du quinzième jour dans le temple. Éveille-toi bellement  ! Tu vois la lumière, ton père Rê brille, il se montre au-dessus de ta représentation léthargique. [Bénédite, Philæ, 121-122] Osiris, déjà eau, terre et crue qui revient chaque année, est aussi la Lune au rythme mensuel et immuable. Ce dernier aspect est présenté en images et en mots dans tous les temples, en particulier à Dendara : L’âme d’Osiris est venue, elle s’est posée sur son cadavre, Osiris entre et sort avec Rê ; son âme vit, ses vaisseaux sanguins sont solides, il voit clair dans les chemins de ténèbres. Rê vient à lui, il lui donne ses rayons, ses yeux lui font un disque solaire; les rayons de Rê brillent devant lui, sa lumière resplendit sur sa tête; son âme vit, elle se pose au lieu qu’il aime, elle s’installe à côté de sa majesté ; son âme est divine parmi les dieux, vivant pour l’éternité en tant qu’Orion dans la voûte céleste. Ton corps se réjouit tous les trente jours en ta représentation secrète de Lune, tu apparais dans la barque vespérale, ton apparence se rajeunit à la Nouvelle Lune. On ne cessera pas de faire tes rites, conservés à jamais et pour toujours, ainsi que l’a dit Rê de sa propre bouche. [Dendara X, 67-68] Osiris, tu sors en tant qu’âme vénérable, tu t’envoles en tant qu’ombre, tu te poses en tant qu’esprit glorieux pour voir ton cadavre, tu resplendis en tant que momie dans l’œil gauche qui est la Lune ; ton âme est vivante en tant qu’Orion pour l’éternité, tu te lèves dans le ciel au milieu du jour devant ton temple − le ciel de ton âme sur terre. [Dendara X, 249]

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LA PAROI NORD

Cour, paroi nord.

La paroi nord met en scène l’embaumement d’Osiris par Anubis : Anubis fils d’Osiris qui transfigure son père dans la ouâbet. [Bénédite, Philæ, 119] Au-dessus du corps d’Osiris, Isis sous forme d’oiselle protège son frère. Deux pleureuses encadrent le lit ; elles mettent la main à la tête dans le geste de la déploration. Ces doubles d’Isis et de Nephthys portent en commun le nom de Chentayt, « la Veuve », lors des mystères d’Osiris. Chentayt l’excellente, la sœur du dieu dans Philæ, qui parfait son frère Osiris dans la ouâbet. Chentayt l’excellente, la sœur du dieu dans Philæ. [Bénédite, Philæ, 119] Cette déesse transmue l’orge en or et reconstitue le corps divin dans le temple-de-l’or : Chentayt rassemble les humeurs, fait la quête des membres de Celui dont les membres sont réunis ; les grains d’or sont mélangés. Les membres s’agglomèrent sous la forme d’une momie ; il est paré de ses étoffes, il est enveloppé selon la règle. [Dendara X, 270] Je viens, je t’apporte ton corps, tes membres, ton âme, tes noms, tes places : ton image divine est complète. [Dendara X, 208-209]

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Au-dessous du lit, quatre vases contiennent les parties internes du corps (voir plus loin). L’image est reproduite, plus ou moins identique, dans tous les lieux osiriens ; un bel exemple est fourni par le temple d’Hibis.

Temple d’Hibis, chapelle H2, paroi nord.

Horus, faucon, domine la scène : Horus d’Edfou, le grand dieu maître du ciel, celui dont le plumage est bigarré, Rê dans l’horizon. [Bénédite, Philæ, 119]

la cour osirienne

Roi du Sud et du Nord (ce qu’exprime sa double couronne), l’héritier reçoit symboliquement l’héritage de son père. Il est installé sur un socle (

) qui masquait,

peut-être, l’entrée d’une cachette (voir p. 38). Au-dessous de ce socle, on discerne l’image d’un taureau sacrifié (

) : les forces du mal abolies, Horus peut monter sur le trône.

La scène est représentée dans la cour de Dendara où débutaient les cérémonies.

Dendara, cour est, paroi est, massacre du taureau.

Le taureau maléfique est sur le billot sans que personne ne puisse le sauver. Le boucher en fait un massacre, il est dépecé membre par membre, sa tête est tranchée, ses pattes sont découpées, son cœur jeté à terre. Ton fils Horus sort en procession triomphale, les acolytes d’Horus se délectent de ses viscères, ses os sont sur l’autel, le fumet de sa graisse atteint le ciel. [Dendara X, 51-52] Le rituel funéraire de L’Ouverture de la bouche prescrit de découper un taureau et d’offrir à Osiris la patte antérieure et le cœur de l’animal. Un autre rituel enjoignait d’abattre un taureau, au milieu de la journée, à la porte de la ouâbet, mot qui signifie « place pure ». Or cette cour de Philæ est elle-même une ouâbet, lieu où l’on préparait le corps royal pour sa vie éternelle (voir plus loin).

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Le bandeau supérieur décrit les tableaux ; Isis s’adresse à Osiris : Salut à toi, Celui qui dort, Celui qui dort dans son sarcophage ! Tu vois ton fils Horus sur ton trône à côté des Maîtres de l’éternité, sans te réveiller sur ta couche. Rê, viens, redresse le dieu ! Le ciel sur ses quatre piliers veille sur toi, les dieux se hâtent vers toi. Ceux qui sont préposés aux autels te protègent, leurs cœurs se lamentent sur toi. Je suis celle qui se lamente sur toi. [Bénédite, Philæ, 119]

Paroi nord-ouest.

Les Maîtres de l’éternité sont les huit divinités, poings serrés sur la poitrine en signe de déploration, qui encadrent la scène : Rê-Horakhty, le grand dieu, maître du ciel, le père des dieux dans Senemet. Chou fils de Rê, Arensnouphis, maître de Philæ. Geb, le père des dieux, maître de la nécropole des deux sœurs, qui fait la protection de son fils Osiris. Thot, le très grand, maître d’Hermopolis, qui transfigure Osiris dans l’Abaton.

la cour osirienne

Paroi nord-est.

Tefnout, fille de Rê, maîtresse de Philæ, qui fait la protection de son fils Osiris installé sur son lit. Nout la grande, qui met au monde les dieux, qui protège son fils Osiris. Hathor souveraine de l’Occident, qui protège Osiris dans la ouâbet de Philæ. Sekhmet, qui fait la protection d’Osiris dans la ouâbet. [Bénédite, Philæ, 119] Rê est en quelque sorte l’alter ego céleste d’Osiris. Chou et Tefnout, Geb et Nout sont les ascendants du dieu. Sekhmet représente la force sans cesse en action, l’énergie qu’il convient perpétuellement de canaliser. Ciel et vache dès l’aube des temps, Hathor symbolise aussi la montagne thébaine qui accueille le pharaon défunt. La scène représente probablement les statues divines, en bois, qui participaient à l’action. Pour les fêtes d’Osiris, certains grands sanctuaires envoyaient en effet une effigie, ainsi qu’ils le faisaient à l’occasion des jubilés royaux.

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LA PAROI EST La paroi orientale se divise en trois tableaux : Osiris, oiseau-âme, reçoit de l’eau provenant du sein d’Hâpy et de la grenouille ; la thématique est proche de celle de la paroi ouest. Hâpy du Nord, père des dieux : « Salut à toi, Âme d’Osiris ! » [Bénédite, Philæ, 120]

Hâpy, crue du Nil, cour, parois ouest et est

la cour osirienne

Sur la paroi est (photo de droite), l’âme est posée sur le buisson sacré de Biggeh (voir plus loin).

Le thème du végétal sacré n’est pas réservé à Philæ.

Dendara, chapelle osirienne est n° 3 [Dendara X, pl. 107].

Ainsi Bastet de Bubastis (dans le Delta) s’adresse à Osiris posé sur l’arbre sacré de sa ville : « Tu viens en esprit glorieux, tu reposes sur ton cadavre. » Osiris est jeune à nouveau ; Osiris, le flot divin, recommence à vivre. [Dendara X, 232]

Osiris est « libre », victorieux de la mort, et se déplace dans l’espace, ainsi que l’espèrent pour eux-mêmes tous les Égyptiens ; cette représentation du défunt connut une faveur générale. L’image, toujours gracieuse, de l’oiseau à tête humaine orne les frises supérieures des chapelles osiriennes de Dendara.

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Sur une des frises, quarante-quatre tableaux montrent Isis présentant à l’oiseau-âme d’Osiris l’offrande funéraire composée de pain et de bière, ainsi qu’une libation d’eau fraîche ; les appellations du liquide sont variées.

L’intégrité retrouvée après les rites de momification, l’âme va prendre son envol vers le ciel ; elle sort à la première heure de la nuit et se pose sur son cadavre, qui vit grâce à cette union mystique. Isis s’adresse à son frère : « Viens à ma voix, mon frère bien-aimé ! Viens à ma voix, viens dans la paix au lieu où se trouve ta statue ! » « Ton âme se pose auprès de ton cadavre, ton ka s’éveille à l’intérieur de ton sarcophage. » Osiris est vivant pour l’éternité, il redevient jeune pour l’éternité. [Dendara X, 208-209]

Hâpy, androgyne, est l’entité spécifique de la Cataracte ; recensé par le conservatoire du temple d’Hibis, il porte sur la tête le roseau signifiant « sud » ; Nil du Sud par excellence, il demeure à Assouan.

Hâpy assimilé à Khnoum [Hibis III, pl. 4].

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Le dieu remet à Osiris ce qui émane du corps de celui-ci.

Harendotès fils d’Isis, le purificateur de son père Osiris dans la place où l’on dispose les offrandes. [Bénédite, Philæ, 120]

Cour, paroi est, tableau II.

Harendotès (Horus vengeur de son père) dispense l’eau depuis trois aiguières ; deux filets d’eau entourent le signe de vie ( ), puisque la crue est la vie elle-même. De sa main gauche, le dieu tient trois tiges qui représentent les années ( au sol sur une grenouille, tenant le signe de la fête jubilaire ( tectrices (

), fichées

) et les amulettes pro-

). Des fêtes par centaines de mille alors que la vie se déroule dans la durée

et la force loin de la souillure du chaos, tel est le présent que l’héritier remet à son père. Osiris-Sokar, quant à lui, est protégé par deux déesses Chentayt.

Cour, paroi est, tableau III.

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L’empereur-pharaon Antonin le Pieux ouvre le tableau suivant ; il purifie l’espace sacré avec l’encens et l’eau (

) :

« Je viens auprès de toi, mon père Osiris ; je t’apporte l’encens provenant de Pount et l’eau pure provenant de Senemet. » [Bénédite, Philæ, 120] Lorsque les textes sont plus étendus, il est précisé que bras, mains et doigts sont purifiés ; la bouche, qui récite les paroles divines, doit l’être avec de l’eau de natron. Les vases précieux étaient conservés dans le trésor − aiguières en lapis-lazuli et turquoise, en argent et or, remplies jusqu’au bord de l’eau primordiale. Rappelons que les plus anciens rituels de purification furent établis à Memphis. Chou, dont le nom signifie « air », apporte une voile gonflée par le vent (

).

Chou, fils de Rê, maître de Philæ, donne le souffle de vie à son fils Osiris. [Bénédite, Philæ, 120]

Devant lui se trouvent les Enfants d’Horus  : Amset dans le Sanctuaire-de-vie-des simulacres, Hapy, Douamoutef et Kebehsenouf ; garde rapprochée d’Osiris, ils assistent Anubis lors de l’embaumement. Le texte qui court tout au long de la paroi s’adresse à Osiris et résume les étapes du rituel : protection, réunion des reliques, renaissance, transmission du pouvoir à l’héritier : Ô Osiris, tu viens à ta sœur Isis qui se réjouit de l’amour que tu lui portes ! Elle te voit, elle voit tes jambes, elle te protège en ton corps d’immergé dans l’eau, elle donne le souffle de vie à ton nez.  Ta sœur Nephthys vient à toi, elle attache ta tête, elle relie tes os, elle réunit tes membres, elle donne le souffle à ton nez, tu vis, elle ouvre ta gorge. Ton fils Horus est le roi sur ton trône, le pays en totalité t’est soumis. Hathor fait l’offrande funéraire pour toi. Heket dispense les offrandes à ton ka pour toujours et à jamais. [Bénédite, Philæ, 120]

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L’hiéroglyphe d’Osiris immergé est explicite.

Selon la légende, le corps du dieu tué par Seth a été jeté par celui-ci dans le Nil et a dérivé entre deux eaux avant d’être recueilli par Isis et par Nephthys. Il a fait qu’il dérive sur l’eau  :

.

Les noyés sans sépulture suscitaient la défiance des vivants qui les considéraient comme des êtres certes sanctifiés, mais néanmoins inquiétants. Osiris flotta dans ce qui était issu de la décomposition de son propre corps − la crue −, comme s’il retournait à son état premier, dans le liquide amniotique. À Dendara, Osiris est représenté sous cet aspect ; l’iconographie est exceptionnelle.

Dendara, chapelle osirienne ouest n° 3 : Osiris « le noyé ». [Dendara X, pl. 251 et 256]

Le corps nu flotte dans ce qui semble être un sarcophage, il est veillé par deux Anubis, l’un se frappant la poitrine en déploration, l’autre tenant un tambourin. Puis Osiris se réveille au milieu de la végétation symbolisée par deux déesses. Les pieds au sud et la tête au nord, le corps d’Osiris est consubstantiel au Nil ; les humeurs qui suintent de son corps en décomposition constituent la terre, le limon assure la prospérité.

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Juste avant le début de la crue, l’eau du Nil, verdâtre, dégageait une odeur nauséabonde probablement due à une brusque floraison d’algues minuscules. Une image d’Osiris, dans la tombe de Toutânkhamon, semble illustrer les malodorantes sanies divines.

Par contraste, le blanc du linceul et de la couronne évoque le flot régulier sortant du lac Victoria. Ajoutons que la couleur rouge sombre de la peau de Toutânkhamon rappelle celle du Nil bleu qui est, en fait, d’un brun rougeâtre à l’arrivée de la crue.

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Les artistes excellaient en tout, architecture, gravure et couleurs ; ainsi dans la tombe de Ramsès  Ier, on ne peut qu’être saisi et admiratif devant le tableau reproduit ci-contre. Les rouges se juxtaposent, comme si les bras de Rê pénétraient la terre  ; la couronne blanche est dessinée d’un fin trait rouge, le vert du Nil en décomposition appliqué aux visages des dieux se sublime par les tons chauds. Les sédiments du Nil occidental ont été absorbés par les marécages du Sadd (le « Styx » que les soldats de Néron tentèrent, en vain, de franchir) ; la couleur « blanche » résulte d'une eau riche en sels minéraux. Le Nil bleu, quant à lui, d’un apport relativement modeste pendant des mois, fournit l’essentiel des eaux de la crue (à partir du mois de juin) ; il change alors de couleur et devient brun-rouge, car il charrie les terres arrachées par la violence de son courant. Les deux flots ne se mélangent pas immédiatement à la pointe nord de Khartoum : pendant deux kilomètres environ, on peut voir le blanc et le rouge juxtaposés pour fusionner ensuite, tout en gardant une couleur sombre.

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L’ATELIER D’EMBAUMEMENT L’atelier d’embaumement, la « salle pure », est consacré à la préparation des cérémonies funéraires. La momification est seconde ; à l’origine, mythique, on ne retient que le fait principal : Osiris est tué et dépecé par son frère Seth ; Isis, sur l’ordre et avec l’aide de Rê, rassemble les membres de son frère-époux et conçoit l’héritier grâce à ce corps revenu à la vie. Par la suite, Anubis refaçonnera, de manière à la fois magique et rituelle, le corps démembré. Le dieu-chacal est l’archétype de l’embaumeur dans le premier atelier, celui de Memphis qui a Ptah pour patron divin. Il est le préposé aux mystères dont on ne parle pas, qu’un père ne transmet qu’à son fils. Le corps est ouvert, vidé et refermé lors d’une succession de lavages et d’opérations déshydratantes ; par ailleurs, le natron est associé à divers baumes odorants et protecteurs. Les viscères sont ensuite entourés de bandelettes et placés dans quatre vases confiés chacun à la protection d’un des Enfants d’Horus ; les bouchons de ces récipients sont à l’effigie de ceux-ci. Les quatre dieux sont associés chacun à une déesse et à un point cardinal respectifs. − Foie : Amset-homme − Isis − sud. − Rate ou poumons : Hapy-babouin − Nephthys − ouest. − Poumons et trachée : Douamoutef-canidé  − Neith − nord. − Entrailles : Kebehsenouf-faucon − Serket − est. Ces vases dits « canopes » sont nommés ainsi du fait de leur ressemblance avec des récipients trouvés dans la ville de Canope, non loin d’Alexandrie. Les textes de Dendara définissent leur rôle de manière circonstanciée [Dendara X, 407-408] : Amset protège la momie d’Osiris dans l’atelier d’embaumement sacré. Hapy embaume son père Osiris dans le Temple-de-l’or le jour de l’enterrement de sa momie vénérable. Douamoutef assouplit le corps de son père par le travail d’Anubis, rend jeune sa momie par l’œuvre de ses mains. Kebehsenouf revigore les quatre viscères dans le ventre, propres, opérationnels et sans défaut en eux.

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Les Enfants d’Horus portent le corps de Celui dont les membres sont réunis, la momie de l’Âme-recomposée. Ils ont surgi du corps d’Osiris. [Dendara II, 158] Conformément à l’ordre de Ptah, les quatre petits dieux rattachent la tête à la colonne vertébrale, rassemblent les membres et, surtout, remettent le cœur à sa place. À l’origine, ils représentent les quatre membres − bras et jambes − des défunts ; conséquemment, ils conduisent le cadavre à la nécropole, tels les porteurs du catafalque (voir plus loin). Ils sont régulièrement représentés dans la salle du puits des tombes royales. Le puits de certaines de celles-ci atteint une profondeur de près de dix mètres ; un plancher, aujourd’hui disparu et remplacé par une passerelle moderne, permettait de le franchir.

Tombe de Taousret, salle du puits, Anubis et les Enfants d’Horus.

Dans ces salles, Osiris accueille le roi avec Hathor, Anubis, Horus-Douamoutef, les Enfants d’Horus et les déesses protectrices du sarcophage. Le décor présente les divins taricheutes veillant sur le corps avant que celui-ci repose dans son dernier réceptacle ; ils y procèdent mystiquement à l’achèvement de l’embaumement. Les sanies et linges souillés, soigneusement conservés, étaient entreposés dans le puits, pourvu au demeurant d’aménagements raffinés ; ils rendaient à la terre de Geb des bribes, fussent-elles putrescentes, de l’essence royale. La ouâbet de Philæ est l’équivalent de cette pièce des tombes royales ; elle est adaptée pour Osiris, d’une façon symbolique et non plus pratique.

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Plusieurs textes de Dendara résument le rôle de chacun des acteurs : Osiris le héros, les deux sœurs, Horus l’héritier, Anubis l’embaumeur assisté par les quatre Fils d’Horus. Ô Sokar-Osiris, tu es le Vivant, vivant dans le Sanctuaire-de-vie-des-simulacres, mis en valeur par le travail de Chentayt. Ta sœur Isis, elle rénove tes règles, elle renouvelle tes rites, elle fait perdurer tes rituels, sans fin. Nephthys, la sœur du dieu, elle est ta protection chaque jour, elle t’entoure avec le sistre. Les deux pleureuses sont réunies, elles protègent ta statue. Ton fils aîné introduit ta momie lors de ta fête. Le Faucon divin purifie tes membres. Celui qui prend soin de son père, le Triomphateur, il prend soin de son père en enveloppant celui qui l’a créé de l’étoffe immaculée. Alors ton fils Anubis vient, il est chargé du vase à onguents pour embaumer ton corps, il inspecte l’atelier d’embaumement pour son maître. Les Enfants d’Horus suivent ta majesté dans l’atelier d’embaumement, leurs bras portant les vases à onguents sont purifiés. Amset et Douamoutef sont à ta droite, Hapy et Kebehsenouf à ta gauche. Tu entends les glorifications de Thot. Chou et Tefnout te donnent le souffle de vie. Tu réapparais cycliquement en tant que Lune. [Dendara X, 271 et 404]

la cour osirienne

L’ACCÈS À LA CHAMBRE DES MYSTÈRES

Les vantaux du ciel sont ouverts, Isis resplendit, Isis et Nephthys apparaissent pour protéger leur frère Celui-dont-la-perfection-demeure ; il renouvelle de jeunesse, leur eau de purification est apportée dans les temples où il demeure. Le temple est pour le roi, régent des vivants, les sanctuaires possèdent ses statues, son image est sacrée dans le bassin de Senemet, le pays sacré qu’aime son cœur, le roi de l’éternité en son nom d’Infini, infinie est sa puissance.

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Les vantaux du ciel sont ouverts dans l’horizon, les vantaux sont ouverts dans Busiris, les portes sont ouvertes dans Abydos dans le palais vénérable. Ton âme resplendit dans le ciel avec Rê, les âmes des dieux sont à tes côtés, ta majesté apparaît dans le pays auprès de ton père Geb, les images divines sont installées auprès de toi, les deux sœurs reçoivent ta momie en te transcendant par leurs lamentations. [Bénédite, Philæ, 122]

Cet hymne était récité lors de la sortie de la barque de Sokar au matin divin ; le dieu, alors libéré, s’élançait hors de son enveloppe première. Le ciel s’ouvre pour toi, la terre s’ouvre pour toi, les portes de la nécropole s’ouvrent pour toi. Puisses-tu sortir en tant qu’oiseau-âme, puisses-tu venir sous la forme d’un esprit glorieux ! [Edfou IV, 65] Le ciel est ouvert pour toi, le firmament détenant ton âme ; la terre laisse place pour toi à ton être, la crue surgit pour toi en abondance chaque année. [Dendara X, 270]

LA CHAPELLE OSIRIEN NNE PAROIS LA ATÉRALES

LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROIS LATÉRALES

ANUBIS À l’entrée de la chapelle, Anubis monte sa garde millénaire. Anubis qui préside à la tente divine, installé sur sa montagne dans Senemet. [Bénédite, Philæ, 127]

Anubis, paroi nord, 1er registre.

À l’affût au sommet des montagnes, le chacal veille sur les rois comme sur Osiris ; il défend ainsi l’accès au domaine de celui-ci dans le temple d’Abydos.

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À Dendara, Anubis garde la chapelle la plus sacrée, celle qui conservait les figurines d’Osiris pendant une année avant leur enterrement dans la nécropole. Les scribes, célébrant sa fonction de façon multiple, ont porté sur l’embrasure de la porte un texte énigmatique qui combine les différentes valeurs phonétiques de l’hiéroglyphe du chacal (dont la lecture fondamentale, par ailleurs, est res « veiller » avec le déterminatif de l’œil).

Les veilleurs veillent, les grands dieux, le myste et le prêtre pur veillent, Anubis veille sur le dieu, il veille sur son père Osiris. [Dendara X, 402] Le myste est « le supérieur qui veille sur le secret » ; ci-dessus, il est écrit avec le chacal (= le secret)

couché sur le ciel (= le supérieur), personnification à lui seul du mystère.

Les membres retrouvés et momifiés du corps d’Osiris doivent être protégés d’une deuxième mort. Ils sont conservés dans un réceptacle dont Anubis du coffre a la garde.

Anubis du coffre et le coffre secret (tombe de Ramsès VI).

Cette garde vigilante d’Anubis, dès le seuil de la porte, repousse à jamais les assauts de Seth. Les parois, divisées en trois registres, offrent les représentations suivantes : – Parois latérales ouest et est : la cour divine. – Paroi sud : la renaissance du corps et de la crue. – Paroi nord : le départ pour Biggeh, Osiris en gloire, transmission de la légitimité. Au bas des parois latérales, les enseignes divines symbolisent toutes les villes. Au registre médian, l’escorte divine assiste à la résurrection ; il en est de même des principaux collèges divins, telles l’Ogdoade conduite par Amon et l’Ennéade emmenée par Ptah et Rê.

la chapelle osirienne, parois latérales

LES ENSEIGNES

La ligne des hiéroglyphes, qui surmonte les enseignes, explique leur rôle : elles assistent au cérémonial qui a pour principaux protagonistes Osiris, Isis et Horus/Harendotès. Paroi est Tant que les grandes enseignes des temps originels participeront au rituel de renouvellement d’Osiris, il sera vivant sur terre, pour l’éternité. Faire cela, et stable pour lui sera le ciel quand il y apparaît sous la forme d’Orion dans le ventre de Nout l’eau céleste. Il sort en procession dans le pays, dans ses sanctuaires à elle, Horus est avec eux. Le monde souterrain enveloppe sa momie, il est le régent dans la nécropole. Son fils Harendotès, l’excellent, dispense les offrandes à son ka, les pleureuses se lamentent chaque jour. Paroi ouest Tous les dieux et déesses du Sud et du Nord forment la protection de ce dieu vénérable, Osiris qui préside au Temple-de-l’or, en revigorant le cœur d’Isis la grande, la mère du dieu, quand elle fait revivre Osiris sur terre, pour l’éternité ; elle pérennise pour lui les sanctuaires contenant ses représentations, tous les jours. Il est le régent dans l’Occident, elle place son fils Horus en régent des vivants. [Bénédite, Philæ, 124 et 126]

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Lors de la procession qui clôt les mystères de khoiak, les enseignes ouvrent le chemin et protègent la manifestation d’Osiris, ainsi que le précise un texte de Dendara : Les enseignes t’ouvrent les chemins en protégeant ton corps dans tous les lieux, le ciel est ouvert pour toi, le firmament détenant ton âme, la terre laisse place pour toi à ton être, la crue surgit pour toi en abondance chaque année. [Dendara X, 270] Les symboles des enseignes sont posés sur un pavois tenu par la vie et la force pourvues de bras. Le chacal qui ouvre chacune des processions est celui du premier nome : Éléphantine/Assouan. Ces pavois se retrouvent, à Dendara, dans la cour osirienne orientale d’où part la grande procession du 26 khoiak ; ils y sont portés par deux prêtres : Celui qui exalte Rê. Le prophète de Hâpy. Dendara, chapelle osirienne est nº 1 [Dendara X, pl. 9].

Dans la chapelle où s’assemble le cortège divin, les chacals sont en tête : Les reliques divines, elles sortent du Premier-des-Nomes. Le Premier-Nome d’Ounennefer, victorieux, déverse la crue exactement en ce nome pour faire des offrandes aux dieux. La crue jaillit là, de la jambe d’Osiris. [Dendara X, 204]

Dendara, chapelle osirienne est nº 3 [Dendara X, pl. 98].

la chapelle osirienne, parois latérales

Ces symboles représentent les formes archaïques des divinités, jadis simples images fichées sur un bâton. En l’absence de texte accompagnateur, il n’est pas toujours aisé de les attribuer tous avec certitude à une ville précise ; l’inconvénient n’existe pas à Dendara, où chaque symbole est flanqué du nom de la ville correspondante. À Philæ, Abydos est représentée par une tête humaine ; il en est de même à Dendara où celle-ci est toutefois septuplée, selon le chiffre sept qui correspond aux sept ouvertures de la tête et, par ailleurs, peut écrire le mot « vie » (

= « 7 » = « vie »).

Dendara, chapelle osiriennne est n° 1, paroi sud.

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osiris aux sources du nil

KHNOUM ET PTAH, LES POTIERS DIVINS À suivre les règles adoptées dans tous les grands temples, les divinités du Sud doivent se trouver sur la paroi orientale. Cependant, si c’est bien le roi de Haute Égypte qui ouvre le registre, il s’adresse à Ptah de la septentrionale Memphis. Une anomalie similaire se trouve sur la paroi occidentale, où le roi de Basse Égypte s’adresse à Khnoum de la Cataracte.

Khnoum façonne sur le tour les chairs divines d’Osiris en lui donnant la vie. Ptah, le père des ancêtres, façonne l’œuf parfait d’Osiris. [Bénédite, Philæ, 123 et 126] Le tour est posé sur un signe qui représente une étendue d’eau ou un canal (

),

car c’est l’eau qui est à l’origine du monde, antérieure à la création divine. D’autre part, Khnoum d’Assouan et Ptah de Memphis « ouvrent » la crue, le premier à la Cataracte, le deuxième à la pointe du Delta. De ce fait, tous deux façonnent Osiris, Ptah en créant l’embryon, Khnoum en greffant la tête divine au corps mutilé. Je t’apporte la tête divine, tu la mets sur ton cou, tu redeviens comme tu as été mis au monde à Thèbes. [Dendara X, 76]

la chapelle osirienne, parois latérales

Khnoum façonne les cuisses d’Osiris pour les rendre actives sur son corps en pleine vie. [Bénédite, Philæ, 152 – photo Berlin nº 1184]

Khnoum potier (Dendara, chapelle osirienne est nº 3) et pronaos de Dendara (base de la colonne nº 9).

Khnoum tourne la tête d’Osiris, il crée la vie. La tête deuxième lecture, celle de ânkh, la vie

(voir plus haut).

se lit tep, mais peut avoir, en

La tête sur le tour de potier se lit

ânkh comme le montre l’exemple ci-dessus, emprunté au bas d’une colonne de Dendara ; les cartouches de Néron sont suivis de la formule classique ânkh djet, vivant éternellement – on imagine volontiers le plaisir du scribe à rompre la monotonie et à introduire de

.

Dendara, mammisi de Nectanébo.

au lieu

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osiris aux sources du nil

Lors des mystères de khoiak, les dieux créateurs assistent Chentayt dans l’accomplissement du grand œuvre.

Dendara, chapelle osirienne est nº 2, paroi nord.

Chentayt est agenouillée devant une balance et pèse des ingrédients puisés dans deux paniers placés devant elle : Elle fait croître l’orge par son travail secret et, du crépuscule à l’aube, transmue l’orge dont le pouvoir est magique. Khnoum est celui qui façonne les hommes, qui fait les dieux, qui transmue les humeurs du dieu dans le Temple-de-l’or : « Je protège l’orge dans le Sanctuaire-de-Chentayt, j’ajoute sans cesse de l’eau, je malaxe la matière alchimique mélangée à l’orge : ce qui vient à l’existence, c’est une figurine d’orge. » Ptah de Memphis : « Je protège l’orge dans le Sanctuaire-de-Chentayt, l’embryon est fait comme il convient dans le Sanctuaire-de-Chentayt, à l’intérieur de la cuve-jardin. » [Dendara X, 71 et 82]

la chapelle osirienne, parois latérales

L’action, qui se déroule pendant la nuit, a pour objet principal une transmutation proprement alchimique de l’orge en or ; les mots désignant, en égyptien, les deux matières sont d’ailleurs quasi homonymes, tant phonétiquement que graphiquement. La tête d’Osiris démembré par Seth le Vil fut retrouvée à Abydos ; d’autres villes avec leur divinité poliade se targuent cependant de la protéger, ainsi est-il dit de Ptah : Ptah-Tenen qui protège la tête à l’intérieur du coffre mystérieux : « J’apporte les reliques divines, je les reconstitue en une momie, elle est préparée pour l’enterrement en sa représentation secrète dans le Temple-de-l’or. » [Dendara X, 83]

La tête d’Osiris dans un coffre, représentée à l’extrémité de la paroi ouest, figure aussi sur une vignette du papyrus Jumilhac.

Dans les deux cas, Osiris est Celui qui préside à l’Occident, le souverain du royaume des morts. Le rattachement de la tête, siège de la pensée, et des jambes, la naissance divine à Thèbes aussi, tout trahit la patte des meilleurs théologiens du pays. À la tête d’Osiris répond, sur l’autre paroi, un chef féminin, lui aussi conservé dans un coffre ; on aperçoit, dans le coin inférieur du coffre, le symbole de l’étoffe ( ). Peut-être (les hiéroglyphes sont largement détruits) doit-on lire au-dessus du coffre : l’étoffe provient de lui,

c’est-à-dire qu’un linge est placé dans ce coffre dont les parois sont décorées d’une tête féminine.

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osiris aux sources du nil

Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3, Hathor d’Atfih et le coffre d’étoffes de Philæ (paroi est).

Dans une des chapelles de Dendara, des officiants venus de l’Égypte entière offrent les étoffes spécifiques de leur région. Hathor bucéphale est originaire d’Atfih, une ville située immédiatement au sud de Memphis. Sur l’étoffe que tient la déesse figure le signe

, de

lecture oup et de sens multiples – « crâne, trancher, jugement ». Le nom de l’étoffe, semen oupet, peut ainsi se traduire de deux façons, qui conviennent au fonds mythologique d’Atfih : Celle qui confirme le jugement du maître de Metenou. Celle qui met en place le crâne de la maîtresse de Metenou. [Dendara X, 410, pl. 245]

Différentes légendes rapportent qu’Horus, dans un mouvement de colère, avait tranché la tête de sa mère Isis qui avait épargné la mort à Seth. Mandaté par Rê, Thot avait rapporté la tête de vache trouvée dans la ville d’Atfih et l’avait replacée sur le cou d’Isis.

la chapelle osirienne, parois latérales

Derrière les dieux potiers, l’eau est apportée par la double personnification de la crue qu’est Hâpy. Nil de Senemet. Nil du Nord qui surgit de la terre à Héliopolis, qui donne une libation à Osiris. [Bénédite, Philæ, 123 et 126]

Après le bassin de Senemet où elle s’apaisait, la crue du Nil poursuivait tout au long de la Vallée jusqu’au Sanctuaire-d’Hâpy, au sud d’Héliopolis ; là, elle devait franchir le promontoire calcaire d’Athar al-Nabi, ultime obstacle arrêtant l’eau avant l’entonnoir du Delta.

Dessin de Juan Friedrichs.

La différence de traitement pictural entre les deux Nils est remarquable : corps de profil, nez arrondi et bouche épaisse pour le Nil du Sud, classicisme pour celui du Nord aux épaules représentées de face et au visage fin.

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Pendant les cérémonies de khoiak, les nomes personnifiés apportaient l’eau purificatrice de leurs canaux osiriens ; les dieux locaux sont alors associés à Osiris : Osiris-Khnoum maître du Premier-des-Nomes, de la sueur duquel suinte la crue, qui donne les offrandes divines aux dieux. Tu es Khnoum qui crée toutes choses, tu surgis en tant que Crue en son temps pour donner des offrandes divines aux dieux et une offrande funéraire aux bienheureux. [Dendara X, 323]

LE CORTÈGE DIVIN

Plusieurs divinités participent à la résurrection d’Osiris et montent la garde autour du corps. À Philæ, bon nombre d’entre elles se répondent d’une paroi à l’autre ; certaines, déplacées, ne sont pas en position symétrique de leurs vis-à-vis habituels. Paroi est

1. 2. 3. 4. 5. 6-7.

Ptah de Memphis Nil du Nord Horus Khentykhety d’Athribis Osiris de Coptos Isis de Thèbes Neith. Serket

8. 9. 10. 11.

Osiris de Tell Tebilleh Ourethekaou d’Abydos Horus d’Abydos Nekhbet

12. 13. 14.

Horus d’Edfou Sokar et Khouyt Tête d’Hathor et Khouyt

1. 2. 3. 5. 4. 6. 7. 8. 10. 9. 11. 11’. 12. 14. 13.

Paroi ouest

Khnoum d’Assouan Nil du Sud Haroéris et Heket de Qous Osiris de Thèbes Isis de Coptos Horus d’Akhmim/Panopolis Osiris de Dendara Isis de Tell Tebilleh Horus-Iounmoutef d’Akhmim/Panopolis Renenoutet d’Abydos Bastet et Sekhmet Le Grand Dieu d’Héliopolis Onouris-Chou d’Abydos Tête d’Osiris Osiris et Khouyt

la chapelle osirienne, parois latérales

Les temples choisissent leurs différents dieux selon l’affinité qui lie ceux-ci, et aussi du fait de leur proximité géographique. On connaît par ailleurs la prédominance théologique d’Héliopolis dont les archives, à n’en pas douter, étaient présentes dans les maisons de vie de la plupart des grands sanctuaires régionaux. La mise à l’honneur de divinités à la fois anciennes et de rayonnement limité reste en revanche quelque peu énigmatique.

Horus Khentykhety d’Athribis et Haroéris de Qous sont des protecteurs d’Osiris : Horus Khentykhety, le grand dieu dans Athribis qui préserve le cœur divin du grand dieu sous sa forme. Haroéris, dont la force est grande, fils de Nout qui préside au Grand-Siège. [Bénédite, Philæ, 123 et 126]

Le premier vient du centre du Delta où Athribis conservait le cœur divin, celui qu’Horus tient entre ses mains (

).

Haroéris, lion dressé à tête de faucon, est né à Qous, au nord de Thèbes ; sa mère, Nout-Heket, prend place derrière lui sous la forme d’une grenouille. La déesse revêt souvent cette apparence dans les contextes osiriens, ainsi dans le temple d’Hibis et à Dendara où, dans un tableau consacré à Osiris d’Abydos, elle assiste au réveil de celui-ci.

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Heket de Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3, paroi est [Dendara X, 420, pl. 253].

La scène montre Osiris allongé sur son lit et fécondant de son ithyphalle une oiselle ; l’héritier, mis au monde incontinent, vole au-dessus des pieds du corps divin. Hathor, la souveraine de l’Occident, est au chevet ; elle se lamente sur son frère. Coptos, non loin de Qous, est un peu au nord de la ville d’Haroéris : Osiris aimé de son père. (paroi ouest, nº 5) Isis la grande, la mère du dieu qui prend place dans Thèbes. (paroi est, nº 5) Osiris de Coptos qui préside au temple de l’or. (paroi est, nº 4) La grande déesse qui prend place dans Coptos. (paroi ouest, nº 4) [Bénédite, Philæ, 123 et 126]

la chapelle osirienne, parois latérales

Les dieux momifiés de Thèbes et de Coptos, aux sceptres croisés sur la poitrine, sont accompagnés d’Isis, ici la grande déesse. Plus au nord encore, Dendara est représentée par deux Osiris également momiformes.

Osiris dans l’atelier de momification. Osiris dans le pavillon divin. [Bénédite, Philæ, 126]

Parmi les noms réservés aux ateliers funéraires, les mots hemag et seh-neter sont les plus caractéristiques ; ils décrivent les pratiques mortuaires. Les dieux explicitement rattachés à celles-ci sont adorés en plusieurs lieux, dont Dendara, Abydos, Memphis et Héliopolis. Dans la progression géographique – plus ou moins respectée – de la paroi de Philæ, ils évoquent Dendara où ils figurent à l’intérieur de la salle-tombeau : Osiris dans le pavillon divin. Osiris dans l’atelier de momification, le grand dieu dans la chapelle mystérieuse. [Dendara X, 421 et 423]

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Abydos, plus en aval, se caractérise par la présence d’anciens Horus aux uræus : Horus sur sa colonnette, le grand dieu qui éclaire le pays. (paroi est, nº 10) Ourethekaou qui prend place dans le palais. (paroi est, nº 9) Renenoutet qui préside à la tente divine. (paroi ouest, nº 9) [Bénédite, Philæ, 123 et 126]

Le dernier, originaire d’Abydos même, y occupe une place éminente, dans la grande salle d’Osiris. Dans le temple d’Hibis, le faucon est accompagné de deux serpents-uræus crachant leur venin ; à Philæ, ce sont deux déesses-serpents anthropocéphales, du reste également vénérées à Abydos. Provenant également de cette dernière, Onouris-Chou à la couronne à quatre plumes est placé, en queue de procession, dans une position symétrique de celle d’Horus d’Edfou sur la paroi est : les deux divinités tiennent une lance. Onouris-Chou fils de Rê. (paroi ouest, nº 12) Horus d’Edfou, le grand dieu maître du ciel. (paroi est, nº 12) [Bénédite, Philæ, 124 et 126]

la chapelle osirienne, parois latérales

Viennent ensuite les Horus de la région d’Akhmim : Horus aux liens qui prend place dans Akhmim. (paroi ouest, nº 6)

Le faucon placé sur un socle, importé de Panopolis/Akhmim, se voit à Dendara et à Hibis. Il est préposé à la garde du cœur divin ; l’organe est décrit par les mots dans la première de ces villes, simplement représenté dans la seconde. Le scribe de Philæ a commis une double erreur : sur le socle, une trachée figure à la place d’un cœur ; le personnage porte le nom d’un autre dieu de la région d’Akhmim, Horus aux liens. Ce dernier, à Dendara, tient un long bâton ; une iconographie assez semblable est attribuée, à Philæ, à Horus-Iounmoutef (« pilier de sa mère ») lui aussi originaire d’Akhmim. L’inventaire d’Hibis ajoute à ces différentes images celle d’un crocodile pourvu de deux têtes de faucon.

La complexité de cet éventail iconographique explique, dans une certaine mesure, les choix parfois erronés de clergés provinciaux, placés devant une matière à la fois antique et géographiquement éloignée. La présentation des dieux et territoires égyptiens ne va pas au-delà de la région d’Abydos.

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Suivent ensuite, selon un choix qui nous échappe, des entités insolites ; ainsi un dieu à corps de scarabée qui ne se retrouve qu’à Hibis (où il est enregistré dans le secteur d’Héliopolis).

Le grand dieu lors de la première fois. [Bénédite, Philæ, 126]

Certaines divinités recensées, surtout celles du Delta, ont disparu avec la destruction totale des sites concernés ; ce qu’en fait revivre le temple de Philæ est d’autant plus précieux : Osiris de la salle d’onction, le grand dieu. (paroi est, nº 8) Isis maîtresse de Ra-nefer. (paroi ouest, nº 8) Ce couple divin est originaire de Tell Tebilleh dans le nord-est du Delta. Au lieu du nom antique de la ville, Ra-nefer, le scribe a écrit Ra-Mennefer : Mennefer/Memphis lui était assurément plus familier. Sur les cinq Osiris du cortège, trois portent des noms en rapport avec l’embaumement, qu’il s’agisse de la salle où celui-ci avait lieu, des bandelettes (hemag) ou de l’huile d’onction (khes). Les cinq déesses mentionnées sont toujours partie prenante dans les mystères osiriens ; l’une est le vautour d’Elkab, les autres ressortissent à la sphère religieuse d’HéliopolisMemphis : Neith la grande, la mère du dieu, maîtresse du ciel. (paroi est, nº 6) Serket, la souveraine des dieux. (paroi est, nº 7) Bastet, maîtresse de la campagne du dieu. (paroi ouest, nº 11) Sekhmet la grande, aimée de Ptah. (paroi ouest, nº 11) Nekhbet, la blanche d’Hiérakonpolis, le vautour maître de Fâg, douée de vie. (paroi est, nº 11) [Bénédite, Philæ, 123 et 126]

la chapelle osirienne, parois latérales

Le texte du rituel de khoiak conservé à Dendara constitue, il faut le rappeler, la source la plus complète concernant les dieux et villes qui participaient aux mystères.

Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3 [Dendara X, pl. 97 et 101].

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Le cortège de Philæ se termine avec Sokar et Osiris, tous deux couverts par l’aile protectrice d’Isis que désigne le terme de Khouyt, « la Protectrice » : Sokar-Osiris, le grand dieu dans le ciel. (paroi est, nº 13) Khouyt qui enveloppe le grand dieu. Osiris qui préside à l’Occident. (paroi ouest, nº 13) Khouyt qui enveloppe le dieu. [Bénédite, Philæ, 124 et 126]

Les représentations, d’une venue harmonieuse, le cèdent cependant à celles d’Abydos.

la chapelle osirienne, parois latérales

LE REGISTRE SUPÉRIEUR Au-dessus de ces divinités plus modestes, les prêtres ont placé les grands collèges divins : l’Ennéade d’Héliopolis et l’Ogdoade d’Hermopolis. Cette dernière comprend quatre couples des forces élémentaires du passé ; antérieurs à la création, ils évoquent le néant, le noir, l’indétermination. Ils sont grenouilles et serpents et sortent de l’espace liquide ; ils apparaissent à Hermopolis (ce qui explique la présence de Thot, patron d’Hermopolis, en fin de cortège). loin de Médinet Habou),

Après leur mort, ils ont élu pour résidence Djeme (non

sur la rive opposée de Karnak.

Amon-Rê, maître du Trône-des-Deux-Terres, qui préside à Ipetsout, le dieu vénérable qui brille dans la voûte céleste. Noun d’Hermopolis – Nounet qui fait le ciel et crée la terre. [Bénédite, Philæ, 123]

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Amon se rendait tous les dix jours à cette nécropole, comme faisait Isis à Biggeh pour Osiris. C’est donc légitimement qu’il conduit la procession, représentant aussi la capitale thébaine.

Atoum maître d’Héliopolis, le père des ancêtres, advenu par lui-même. Thot le grand, qui fait tout. Nehemetâouay la grande qui prend place dans Senemet est en protection. [Bénédite, Philæ, 123]

Quand Osiris se réveille, post mortem, dans le temple de sa naissance à Karnak, il fusionne avec Amon entouré de l’Ogdoade.

Karnak, temple de la naissance d’Osiris, chapelle nord [J.Maucor © CNRS-CFEETK].

la chapelle osirienne, parois latérales

Atoum, placé sur la paroi est devant Thot d’Hermopolis, représente l’achèvement, le passage au créé et au défini. Il suscite l’Ennéade qui siège sur la paroi est. Ptah de Memphis et Rê-Horakhty d’Héliopolis mènent trois groupes divins.

– L’Ennéade, Chou, Tefnout, Geb, Nout, Osiris, Isis, Haroéris, Nephthys. – Khnoum et Satis, les dieux d’Assouan. – Hathor de Dendara et les dieux-enfants, Ihy et Harsomtous. Tout en haut de la paroi, le gracieux décor est prophylactique : pilier-djed d’Osiris, nœud d’Isis et scarabée du devenir perpétuel. Entre les bandelettes, les taricheutes glissaient des amulettes, gages d’éternité, représentant ces objets. Le nœud d’Isis est en jaspe rouge, le pilier en obsidienne ou lapislazuli ; pour le scarabée, plusieurs matériaux étaient utilisés : lapis-lazuli, jaspe, turquoise, hématite, obsidienne, faïence verte.

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LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI SUD

LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI SUD

La paroi du fond des chapelles expose, selon la loi qui privilégie la symétrie de la décoration de part et d’autre de l’axe, le noyau théologique du lieu. Celle d’Osiris à Philæ est, à cet égard, un véritable modèle. Sur l’axe lui-même se trouve représentée la triple – agraire, liquide et spirituelle – revivification. La figurine végétale d’Osiris, composée d’orge et d’eau, croît pendant quatorze jours ; elle prend place sur le registre du bas. Au milieu de la paroi, la crue du Nil qui surgit des cuisses d’Osiris, image spécifique du dieu de Philæ, baigne toutes les phases de la renaissance. Le registre supérieur montre la réunion du corps à la tête, symbole de l’intégrité divine et de celle de l’Égypte.

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La paroi s’organise ainsi autour des thèmes régionaux et nationaux. La ville sainte d’Abydos occupe une diagonale est-ouest (tableaux nºs 3 et 9). Le reliquaire de Philæ (tableau nº 7) contenant le corps léthargique d’Osiris est égalé à ceux, prestigieux, de Busiris (tableau nº 8) et d’Abydos (tableau nº 9). La momification (tableaux nºs 2 et 3), le réveil (tableau nº 4) et la marche vers la nécropole (tableau nº 5)

sont des thèmes nationaux, adaptés localement.

Le registre supérieur expose la tête dans trois villes : – Éléphantine-Philæ ; l’Osiris léthargique ressemble à une tête posée sur une jambe, celle d’où sort la crue du Nil (tableau nº 7). – Busiris, au centre, conserve le pilier-djed, l’antique fétiche qui symbolise l’affermissement sur le sol (tableau nº 8). – Abydos, la ville la plus sacrée d’Égypte, recueille la tête d’Osiris (tableau nº 9).

la chapelle osirienne, paroi sud

Au registre médian figure la renaissance : – Le jaillissement de la crue (tableau nº 6). – Le réveil après la momification (tableau nº 4). – Le départ vers la vie éternelle (tableau nº 5). Au registre inférieur, la gestation et le processus de revivification sont mis en scène : – La gestation végétale (tableau nº 1). – La réunion du corps divin et la momification (tableaux nºs 2 et 3). L’étagement vertical des représentations épouse en quelque sorte, de bas en haut, la structure du corps humain : le grain monte de la terre grâce à l’eau qui sort de la jambe, laquelle reprend une vie qui culmine dans la tête d’où émanent activité spirituelle et commandement royal.

TABLEAU No 1 LES MYSTÈRES D’OSIRIS PENDANT LE MOIS DE KHOIAK

C’est l’image secrète que l’on ne peut connaître, façonnée grâce à la crue nouvelle. [Bénédite, Philæ, 125]

Le quatrième mois de l’année (ka-her-ka en égyptien, khoiak en copte) marque la fin de la saison de l’inondation ; celle de la germination s’ouvre alors : des champs recouverts de l’eau

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nouvelle émerge la nourriture. Osiris, tout ensemble grain et eau, se redresse et se réveille ; l’Égypte entière célébrait, par le truchement d’une figurine d’orge, la résurrection du dieu. Le simulacre végétal garantissait la survie individuelle et la prospérité des moissons. On faisait pousser la céréale dans un moule en forme de silhouette osirienne ; une fois solidifiée, elle subissait, comme une momie, le rituel de l’embaumement. L’orge, arrosée quotidiennement, germait du 12 au 21 du mois de khoiak ; à Philæ, l’eau de la première crue était gardée précieusement pour cette opération par le prophète d’Hâpy. Le 21 du même mois, on retirait du moule la figurine qui était séchée au soleil ; la momie ainsi obtenue mesurait 52,5 cm, la longueur canonique d’une coudée : Ajouter de l’eau, chaque jour, au moyen d’une situle d’or en récitant sur elle les formules intitulées « Verser l’eau sur les humeurs ». Les dieux protecteurs de la cuve-jardin la protègent jusqu’au 21 khoiak. Retirer de la cuve-jardin. Donner la forme d’une momie coiffée de la couronne blanche, avec de la myrrhe sèche. Lier avec quatre cordelettes de papyrus. Mettre à sécher en exposant au soleil tout le jour. [Dendara X, 29]

À Dendara, le détail de ces mystères est intégralement conservé ; le matériel utilisé, les acteurs divins, les actes rituels sont minutieusement décrits. Ce véritable traité est divisé en sept livres dont chacun commence par les mots : Connaître le mystère de… Le dernier permet de connaître le mystère que l’on ne voit pas, dont on n’entend pas parler et que le père transmet à son fils. Le corps d’Osiris avait été dépecé en quatorze morceaux et les dieux des quarante-deux nomes d’Égypte apportaient chacun la relique – tête, cœur, poumons, etc. – qu’ils étaient censés conserver. Attendu le nombre supérieur des divisions administratives, certaines de ces reliques, telle la jambe divine, existaient en plusieurs exemplaires. Il s’agissait, concrètement, d’un fragment de pâton destiné à s’agglomérer aux autres pour former la matière alchimique : l’orge allait se transformer en or, nuitamment, dans la salle appelée Templede-l’or. Le processus créateur s’éleva peu à peu au-dessus de son support matériel et prit une dimension mystique ; la figurine végétale, archaïque et populaire, s’efface alors devant un corps divin symboliquement reconstitué par l’offrande multiforme de tout le pays.

la chapelle osirienne, paroi sud

Chentayt, l’hypostase d’Isis, veille au déroulement correct d’un rituel tant médical qu’alchimique : Les capitales des nomes, c’est ton corps, c’est ton ka. Je t’apporte ton nom, ton âme, ton ombre, ta forme matérielle, ton image et tes capitales de nome – les quarante-deux nomes sont ton corps. Le pays entier est constitué pour toi en fondation là où tu es, tu y vas, tu y viens. Tes os sont attachés pour toi, tout le pays conserve ta sépulture. [Dendara X, 82-83]

Le corps divin est, d’une certaine manière, identique et coextensif à la terre égyptienne ; Osiris meurt pareillement, se dissout, puis est recomposé et refaçonné pour l’éternité. La matière, grâce aux reliques venues de toute l’Égypte, opère une transmutation ; le corps fonctionne de nouveau, comme s’il avait subi plusieurs greffes. Les textes mentionnent le substitut en orge de la forme première du dieu enfanté par Nout à Thèbes ; la germination symbolise ainsi la gestation dans le ventre de la déesse céleste. Chacune des quarante-deux capitales conservait, outre sa relique, une image propre du dieu momifié. Le temple de Dendara constitue une manière de musée de ces différents Osiris ; on y trouve ainsi le dieu d’Éléphantine-Assouan :

Osiris d’Éléphantine [Dendara X, 229, pl. 105].

Osiris qui préside à l’Occident, le grand dieu maître du nome de Nubie. Neith, le grand vautour, la mère du dieu, qui protège le Prince de la couronne blanche dans le Premier-Nome-d’Ounennefer, victorieux. [Dendara X, 229]

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Le faucon et le vautour sont aussi représentés sur la colline de pierre de Biggeh (voir plus loin, p. 149) ; le serpent au pied du vautour représente Hathor-Uræus veillant sur le buisson

sacré (voir plus loin, p. 118). L’orge germait dans du sable maintenu constamment humide ; celui-ci provenait de Biggeh où la figurine végétale était enterrée. Le moule était placé dans une cuve de pierre. Un grand trou percé au fond de celle-ci permettait d’évacuer l’eau qui y était versée chaque jour avec une situle en or ; un bassin recevait l’excédent de liquide.

Dendara, chapelle osiriennne est nº 1, paroi ouest.

Le papyrus Jumilhac, dont une citation ouvre le livre, offre une représentation du dieu végétal. Ce sont les humeurs qui sont sorties du corps divin d’Osiris dans ce nome. De l’orge est placée dans l’eau, cela dans la cuve-jardin, des joncs sont placés au-dessous et au-dessus. On verse de l’eau chaque jour pour le faire pousser.

la chapelle osirienne, paroi sud

Ce document, d’où proviennent les textes et représentation donnés ci-dessus, décrit les pratiques en usage dans la Moyenne Égypte dont il est issu. Il est contemporain des chapelles de Dendara (vers 50 av. J.-C.) ; la chapelle de Philæ, quant à elle, est antérieure d’un siècle environ. Chentayt rassemble les humeurs, fait la quête des membres de Celui dont les membres sont réunis ; les grains d’or sont mélangés, le prêtre verse de l’eau. Les membres s’agglomèrent sous la forme d’une momie portant la couronne blanche, crosse et flagellum empoignés dans son poing. Son corps est frotté d’onguent ; il est paré de ses étoffes, il est enveloppé selon la règle. [Dendara X, 270]

La figurine végétale est prête le 26 du mois, quatorze jours – le laps de temps pendant lequel la Lune croît – après le début des rites : L’embryon d’orge sert de substitut pour qu’Osiris se manifeste.

TABLEAUX NºS 2-3 LA MOMIFICATION D’OSIRIS La figurine végétale est ensuite entourée de bandelettes entre lesquelles s’inséraient des amulettes. Parmi d’autres divinités, Anubis, l’embaumeur par excellence, entre alors en scène : Osiris qui préside à l’Occident, maître de Philæ, le grand dieu qui prend place sur le grand trône. Nephthys, la sœur du dieu, elle dit : « Comme cela est beau, ce que fait ta sœur, elle loue son frère de ses mains ! » Anubis qui préside à la tente d’embaumement, il dit : « Mes bras sont sur toi, mes mains te protègent, mes doigts assainissent tes chairs. » Isis, elle dit : « Ton image est sacrée dans tous les nomes, tu apparais sous ta forme secrète de roi pour l’éternité. » [Bénédite, Philæ, 125]

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À Philæ, Osiris emprunte beaucoup au dieu abydénien en se proclamant, par exemple, Celui qui préside à l’Occident et maître d’Abydos. Par ailleurs, de l’autre côté de la paroi (tableau nº 3),

le corps divin est coiffé de la couronne blanche propre à Osiris d’Abydos :

C’est l’image qui est dans le Sanctuaire-de-Chentayt, c’est la représentation d’Osiris. Chentayt, « doublure » d’Isis, régit le lieu qui porte son nom : Chentayt, la souveraine du Sanctuaire-de-Chentayt, fait croître l’orge par son travail secret. Du crépuscule jusqu’à l’aube, elle transmue l’orge au pouvoir magique. C’est le mystère que l’on ne voit pas, dont on n’entend pas parler et que le père transmet à son fils. [Dendara X, 71 et 46]

Le corps est par ailleurs loué par Harsiesis (Horus fils d’Isis) et Heket, la déesse à tête de grenouille ; les deux entités sont originaires d’Abydos. C’est encore Heket qui assiste Anubis embaumant le dieu d’Abydos, dans un tableau de Dendara.

Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3, Osiris d’Abydos [Dendara X, 421-422, pl. 255].

la chapelle osirienne, paroi sud

Les deux protagonistes de l’embaumement n’ont pas toujours été chacal et grenouille ; ainsi, le temple de Ramsès II à Abydos les représente avec une tête humaine.

Abydos, temple de Ramsès II, Heket et Anubis.

À Hibis, Heket maîtresse d’Abydos veille sur la déploration d’Osiris effectuée par Isis et Nephthys.

Tu demeureras pour l’infini des temps, ton âme apparaît dans la voûte céleste avec l’âme de Rê, tu es la lumière du jour, tu es la Lune pendant la nuit. Citons encore des textes de Dendara qui illustrent les scènes, moins explicites, de Philæ et d’Hibis. « Mes yeux sont remplis de pleurs, mon cœur est plein de tristesse. Mes bras sont tournés vers toi en déploration, mon cœur est brûlant dans ma poitrine, mes yeux remplis de pleurs ne sont pas secs pour toi ! » [Dendara X, 215]

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La pleureuse qui pousse des cris de lamentation sur le grand dieu – elle coupe ses cheveux, elle se lamente dans la terre entière, elle crie de douleur à cause de la mort de son frère –, la pleureuse des pleureuses qui se lamente pour lui avec affliction, ses paupières sont brûlées de larmes, ses yeux sont remplis de pleurs. [Dendara X, 413]

Les premières chapelles d’Osiris connues datent de l’époque de Séthi Ier  ; elles se trouvent respectivement à Abydos et à Gourna. Du reste, la période est celle de la perfection artistique et de l’harmonisation théologique.

Thèbes, Gourna, temple de Séthi Ier, Osiris momifié.

Le roi et Horus sont agenouillés de part et d’autre d’Osiris, leurs mains posées sur une boucle (

) qui exprime la totalité, l’infini, l’indestructible (cette boucle, allongée pour former

un cartouche, enserre d’ailleurs le nom du pharaon).

cheveux tombant devant le visage.

Isis et Nephthys se courbent en avant, les

la chapelle osirienne, paroi sud

TABLEAU No 4 LE RÉVEIL D’OSIRIS Le grand œuvre une fois terminé, le prêtre invitait le dieu à se réveiller : Que s’éveille ton Temple-de-l’or qui protège ta figurine d’orge constamment ! Chentayt t’assemble en son heure. Que s’éveille ton Sanctuaire-de-vie-des-simulacres qui crée tes simulacres à la perfection ! Tu redeviens jeune annuellement. Alors le dieu se réveille ; il est Ounennefer, « La-perfection-existe-éternellement », il a triomphé de la mort : Ounennefer, triomphant, le roi des dieux. Isis qui pleure son frère chaque jour en disant : « Mon frère est mort, mon frère est mort ! » Nephthys, la sœur du dieu, qui se lamente sur son frère. Les deux sœurs sont en adoration devant Osiris, lui qui est caché dans l’Abaton, le pays sacré. [Bénédite, Philæ, 125] Nu et ayant retrouvé sa vigueur originelle, Osiris porte la main à sa tête ; il va se mettre à parler. La plus belle représentation de ce moment se trouve dans le temple d’Abydos (voir aussi le remarquable tableau de Karnak, p. 76).

Abydos, temple de Séthi Ier, réveil d’Osiris d’Abydos.

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La figurine végétale protège le temple pendant un an. Osiris reste éveillé dans son sarcophage ; il parle, mange et reçoit les offrandes rituelles tous les dix jours. Simultanément, il dépouille son enveloppe terrestre pour rejoindre la voûte céleste. Les hymnes d’éveil sont tenus en grand honneur dans la littérature égyptienne : Éveille-toi de manière heureuse et dans la sérénité chaque matin de chaque jour, ô Osiris-Sokar qui prend place dans le reliquaire mystérieux ! Tu es sain dans le GrandTemple dans Héliopolis. Tu prends place dans le Temple-du-Prince. Ta marche est aisée dans le Temple-du-Phénix. [Deir Chelouit III, 80-81 nº 124] Enfanté dans Thèbes en étant paré des uræus, il est conduit aux côtés de Ptah-Tenen dans Memphis, puis son corps est installé dans le monde infernal d’Héliopolis aux côtés d’Atoum. Il est le flot éternel qui se renouvellera éternellement. Il est mis au monde chaque année dans le temple-horizon éternel d’Amon dans Thèbes. On inventorie les reliques de sa grande enveloppe charnelle dans la Butte de Djeme. [Deir Chelouit III, 92-94 nº 127]

TABLEAU No 5 VERS LA NÉCROPOLE

Discours récité par Isis à l’intention de son frère Osiris Ounennefer, maître de Senemet : « Je façonne pour toi un temple pour l’éternité, je fais que demeure ton nom pour toujours et à jamais. Tu entres dans la nécropole, tu es victorieux, les dieux te protègent pour toujours. » [Bénédite, Philæ, 124-125]

la chapelle osirienne, paroi sud

Lors des mystères, on façonnait deux figurines. L’une, celle d’Osiris, était en orge ; l’autre, celle du hiéracocéphale Sokar, était composée de matières odorantes et de pierres précieuses pulvérisées. Sokar est acheminé à la nécropole de Biggeh, franchissant le pylône gardé par Arensnouphis. Cette divinité-lion originaire de Nubie garde l’Égypte au sud, de même qu’Horus de Mesen fait face, à la frontière nord-est du pays, aux incursions asiatiques.

Philæ, vue vers le sud et la colonnade, les lions protecteurs devant le premier pylône.

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La translation de Sokar avait lieu le 24 du mois de khoiak, deux jours avant la sortie en procession d’Osiris au matin divin qu’est le 26. À Dendara, les deux simulacres sortaient de la chapelle-tombeau.

Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3 [Dendara X, pl. 176].

Le corps de Sokar est porté par les quatre Enfants d’Horus : Lors de sa belle fête où l’on prépare le corps pour l’enterrement, on fait entrer le grand dieu sur les épaules des Enfants d’Horus. On fait pour lui la conduite du rituel. Ceux qui sont dans le monde souterrain sont assemblés en joie quand Osiris entre dans la nécropole. [Dendara X, 426-427] Isis, Mout et Nephthys emmènent Osiris à Héliopolis et s’adressent à lui : « J’ouvre pour toi le chemin vers le Temple-du-Phénix, en t’installant à côté du père de tes pères. Ceux qui sont dans Héliopolis te reçoivent en joie, on t’installe dans le Templedu-Phénix. » [Dendara X, 389-390] Les textes affirment que le dieu repose auprès de son père Rê à Héliopolis ; cette affirmation eschatologique n’exclut pas l’existence probable de deux figurines, l’une étant destinée à Héliopolis et l’autre à Dendara.

la chapelle osirienne, paroi sud

TABLEAU No 6 LA SOURCE DU NIL Le centre de la paroi représente la source du Nil, qui semble se répandre vers Busiris et Abydos, les cités les plus sacrées d’Osiris.

Isis-Sothis (reconnaissable à l’étoile figurant sur sa tête) annonce l’arrivée de la crue depuis la caverne du Nil ; l’étoile – Sirius – réapparaît dans le ciel, après une éclipse de soixante-dix jours, juste avant le lever du Soleil ; le phénomène, annuel, est à peu près concomitant de l’arrivée de la crue. L’eau bouillonne de nouveau, non loin du Caire actuel, à Kherâhâ ; Isis (coiffée du scorpion)

y ouvre la caverne pour diffuser l’eau dans la Basse Égypte.

Isis et Sothis tiennent sur leurs genoux un corps privé de tête ; les hiéroglyphes, au-dessus d’elles, expliquent :

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La grande pleureuse, elle vogue vers l’Abaton, elle entre dans le monde souterrain, elle trouve rapidement les cuisses d’Osiris, elle les place sur elle avec une grande complainte. Elle se rend à Héliopolis, elle ouvre son cœur à Rê. Alors Rê, il fait tout ce qu’elle dit, car elle est son aimée ; Isis la grande, la mère du dieu, en est apaisée. Rê-Horakhty, il pèse ses mots et envoie des ordres dans toutes les villes et tous les nomes dans le Sud et dans le Nord : « Allons, faisons qu’Osiris renouvelle sa vie ! » Anubis le grand, il lance la crue dans les canaux, vers les villes apportant toutes les bonnes choses. [Bénédite, Philæ, 124-125] Isis, ayant retrouvé les cuisses d’Osiris, les porte à Héliopolis. L’image est parlante grâce, entre autres, à l’homonymie : l’eau jaillit des « cuisses » (menty) et d’autres inscriptions de Philæ mentionnent les « deux collines rocheuses » (menty), situées à l’est de l’île qui, par leur forme même, évoquent effectivement des cuisses. C’est bien à Philæ – la topographie même y invite – qu’il faut situer la source de la crue.

Isis fait la quête des reliques d’Osiris ; elle est aidée par Khnoum-Rê, le dieu d’Assouan : Khnoum-Rê, maître de la région de la Cataracte, fait surgir la crue des Deux Cavernes pour faire pousser les céréales : « Je viens auprès de toi, Osiris ; prends pour toi la jambe gauche, tu reçois la jambe droite dans tes mains. » [Dendara X, 73] Khnoum-Rê, maître de la Cataracte, modèle sur le tour, il façonne les cuisses. [Bénédite, Philæ, 148 – photos Berlin nºs 1192-1193]

la chapelle osirienne, paroi sud

Khnoum-Thot vogue de Memphis au nome de Nubie, il façonne les cuisses pour son fils Osiris. [Bénédite, Philæ, 150 – photo Berlin nº 1187] Khnoum façonne les cuisses d’Osiris pour les rendre actives sur son corps. [Bénédite, Philæ, 152 – photo Berlin nº 1184]

Le corps, inerte et acéphale, est enfoui dans le monde souterrain. Ses pieds sont à la Cataracte, puis il se redresse le long de la Vallée et enfin, pourvu de sa tête, domine au centre du Delta à Busiris. La crue, jaillie donc des deux cuisses que symbolisent les rochers, forme deux jets recourbés recueillis par les déesses. Le phénomène est ingénieusement représenté à Dendara (pronaos, plafond).

Venue du tropique du Cancer au moment où se lève le signe zodiacal du même nom, la crue sort de la jambe d’Hathor pour entrer dans l’espace égyptien ; le crabe qui la symbolisait devient alors scarabée. La partie antérieure, « incréée », de l’hybride est formée de deux anses en guise de pattes arrière ; le vert, qui est peint à l’intérieur de celles-ci, reflète la couleur de l’eau juste avant la crue – ces ovales évoquent les deux moitiés de la Cataracte. La ligne qui sépare les deux moitiés du scarabée semble marquer la frontière entre l’Afrique profonde et la Méditerranée. À Philæ, le tableau fait presque songer à une pietà où les sœurs tiendraient le rôle de la mère.

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Dendara met en avant la naissance-création d’Osiris à Thèbes et Hathor d’Héliopolis prend sur ses genoux le corps qui va être placé aux côtés de son père Rê dans le temple d’Héliopolis. Le faucon Harendotès domine la scène, le vautour et l’uræus protègent tous les angles ; ce sont les trois figures divines animales qui veillent sur Biggeh.

Dendara, chapelle osirienne est nº 3, scène centrale [Dendara X, 199-200, pl. 96].

La naissance divine est longuement décrite à Dendara : Ô Osiris, ta mère Nout est enceinte de toi, elle prend soin de ton embryon à l’intérieur de son ventre, elle façonne harmonieusement tes os, elle donne la jeunesse à ton corps, elle donne la vie à ta peau pour envelopper tes membres, elle dilate tes vaisseaux pour faire circuler ton sang. Ta couronne blanche et l’uræus sont installés sur ton front. Elle te retire du moule et te met à nouveau sur terre comme elle t’a mis au monde à Thèbes. [Dendara X, 199-200]

la chapelle osirienne, paroi sud

TABLEAU No 7 LE RELIQUAIRE DE PHILÆ

Osiris ressuscité figure au registre supérieur sous un double aspect, local et national ; il est l’âme vénérable d’Osiris, assimilé à Khnoum, il prend une tête de bélier. Devant lui, Sokar garde l’apparence classique du dieu hiéracocéphale : Osiris-Sokar qui préside au sanctuaire, le grand dieu qui préside à la tente d’embaumement, le maître de Philæ. [Bénédite, Philæ, 124] Satis et Anoukis encadrent le reliquaire, une main placée en protection. Ces assistantes de l’antique dieu d’Éléphantine veillaient avec lui sur l’arrivée de la crue. La première est une archère assimilée à Sothis-Sirius, Anoukis porte la coiffure africaine composée de larges plumes. Ces déesses de la Cataracte régulent le flot, l’une fait monter l’eau primordiale, l’autre la fait diminuer. Le nom de Satis signifie « celle qui lance », Anoukis est « celle qui retient » ; toutes deux gardent la barrière de pierre noire (= la Cataracte). À Edfou, le rôle des trois divinités est clairement défini : Khnoum-Rê maître de la Cataracte façonne au tour les hommes, modèle les dieux, enfante toute vie de ses mains. Sothis maîtresse d’Éléphantine, Isis dans Senemet, protège la princesse dans le reliquaire de Khnoum, elle lance le flot au bon temps de l’année pour donner les provendes aux dieux. Anoukis, Nephthys-Kherseket dans Éléphantine, protège la princesse avec Satis, elle reprend la crue quand il convient chaque année pour laisser pousser les champs en cultures. [Edfou I, 115]

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Les déesses sont représentées à Dendara aux côtés d’Hâpy, la crue personnifiée :

Dendara, chapelle osirienne ouest nº 3 [Dendara X, pl. 102].

Satis, maîtresse du début de l’année, maîtresse du ciel, souveraine des étoiles, régente des défunts, souveraine de Ceux qui sont dans la nécropole, qui crée la lumière pour Ceux qui sont dans les ténèbres. Anoukis, l’efficiente pour Osiris, selon le désir de laquelle la crue se gonfle et se répand. Hâpy le grand, qui vient en son temps, le père de l’apparition de toute vie, maître des dieux, qui répand de l’eau fraîche pour les défunts, qui donne de l’eau au ventre d’Osiris. [Dendara X, 214] Chaque capitale, on l’a vu, conservait une partie du corps d’Osiris, relique qui pouvait être désignée par le mot très vague de chose ou lambeau. Le premier nome, à la frontière de la Nubie, détenait la jambe dont toutes les désignations – ouâret, sebeket, seret, siatyt – sont féminines : Les reliques divines, elles sortent du Premier-des-Nomes, le Premier-Nome d’Ounennefer victorieux qui crache la crue depuis ce nome pour faire des offrandes aux dieux. La crue sort là, de la jambe d’Osiris. [Dendara X, 204]

la chapelle osirienne, paroi sud

L’image est représentée par l’inventaire d’Hibis dans la partie consacrée au premier nome de Haute Égypte, celui d’Éléphantine. La jambe est placée dans le reliquaire d’Abydos, unissant ainsi les deux villes.

[Hibis III, pl. 4].

À Edfou, un inventaire de même nature que celui du temple d’Hibis et situé au même endroit (autour du sanctuaire) la décrit et la chapelle de la Jambe représente l’obélisque qui contient la jambe d’où sort la crue :

Éléphantine du nome de Nubie renferme la grande princesse dans son obélisque. [Edfou I, 337]

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L’obélisque, présent également à Edfou, est figuré à Hibis dans la chapelle osirienne du temple.

Le personnage aux bras levés symbolise tant l’adoration que la notion de hauteur ; il est sur la colline-haute (djou-ka), la nécropole de Biggeh. Un homme creuse le sol pour faire jaillir la crue du corps d’Osiris. Le corps d’Osiris ithyphallique, quant à lui, est placé à l’intérieur d’un serpent ; les pieds reposent sur la tête de l’ophidien dont la queue se faufile sous l’obélisque. L’obélisque

, tekhen, est homonyme du mot tekhen « caché » ; il est ainsi suggéré

que la puissance divine, abritée dans le monolithe de pierre, est à l’abri de toute atteinte. Rappelons aussi que les obélisques étaient extraits dans les carrières de granit d’Assouan, que la crue sourdait du granit de la Cataracte et que les deux rochers granitiques du bassin de Senemet évoquent les jambes d’Osiris.

la chapelle osirienne, paroi sud

Le reliquaire de Philæ renferme un corps de profil évoquant la silhouette d’Osiris ; cette représentation figure à la douzième heure du Livre de l’Amdouat, moment où le Soleil se lève. Ce livre funéraire, qui décrit le monde souterrain (Connaître les portes et le chemin qu’emprunte le Grand Dieu), orne plusieurs tombes royales. Les textes et illustrations en sont relatifs à la renaissance d’Osiris et constituent une source d’inspiration importante pour les prêtres des temples d’époque gréco-romaine.

Ainsi, à la première heure de la nuit, la momie d’Osiris sépare les eaux primordiales et deux serpents coupent les eaux souterraines. Les lettrés de Philæ et d’Hibis sauront s’en souvenir.

Tombe de Séthi Ier, Amdouat, 1ère heure.

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La barque traverse ensuite des champs fertiles et des cours d’eau qui s’infiltrent dans les grottes souterraines. Rê s’adresse aux défunts et à Osiris : « Que vos viscères se dessèchent sans que l’odeur de votre putréfaction soit insupportable et que vos bandelettes se déroulent ensuite pour que vos jambes se déplient et que vous puissiez marcher grâce à elles. » « Ton âme appartient au ciel, ô Osiris ; ton cadavre appartient à la terre, ô Celui qui préside au territoire du silence. » Le corps divin est conservé dans un monticule dont le nom est la Nuit ; Isis et Nephthys, sous forme d’oiselles, veillent sur le coffre. La magie d’Isis et des anciens magiciens intervient lors de la septième heure de la nuit, moment où les forces hostiles sont particulièrement dangereuses. Un crocodile protège alors Osiris : Lorsqu’il entend le bruit de la barque de Rê, l’œil d’Osiris sort de sa nuque. Celui qui sait cela, son âme ne sera pas avalée par le crocodile. La dixième heure de l’Amdouat met en scène les êtres immergés dans le flot du Nil ; divinisés, ils flottent dans la crue naissant des humeurs en décomposition du dieu. Horus se trouve devant eux et leur dit : « Vous sortez des flots, vous abordez aux rivages, vos membres ne sont pas pourris et vos chairs ne se décomposent pas, vous dominez le flot et vous respirez. »

Tombes d’Amenhotep II et de Ramsès VI, Amdouat, 10e heure.

À la fin du long voyage, Osiris léthargique demeure dans le royaume des morts.

la chapelle osirienne, paroi sud

La silhouette dans le reliquaire de Philæ mêle l’Osiris et la jambe d’où s’écoule la crue. Cette jambe, les textes de la scène le disent, se nomme seret âat, « la grande princesse » : Voici, l’image de la grande princesse est dans la colline, le corps divin du grand dieu est à l’intérieur du reliquaire, Satis et Anoukis le protègent chaque jour. C’est l’image de la grande princesse dans l’île pure qui se situe dans Senemet. [Bénédite, Philæ, 124]

À Dendara, la description commence par le temple de Coptos et poursuit avec Philæ, autour du Prince et de la Princesse, d’Osiris et de sa jambe : Le grand Prince de la Maison cachée à Coptos est fait en travail de la cuve-jardin du Sanctuaire-de-Chentayt avec de l’orge et du sable. L’Osiris qui préside à l’Abaton à Éléphantine est fait en travail de la cuve-jardin, à l’intérieur du Temple-de-l’or [……] la grande Princesse et du sable de la pièce d’eau de l’Abaton. [Dendara X, 26] Le mot « Prince » renvoie à Héliopolis où, dans le Temple-du-Prince, Osiris repose aux côtés de Rê. Huit capitales de nome, par ailleurs, se targuent de posséder la relique de la jambe ; seul le premier nome, toutefois, conserve les deux cuisses d’où surgissent les deux Nils. Les trois parties essentielles du corps humain sont représentées sur le registre : – Les jambes d’Assouan. – La colonne vertébrale de Busiris. La théologie de Basse Égypte la relie aux poumons, aux viscères, au phallus et aux jambes. Elle constitue l’armature sur laquelle se greffent les autres organes. La conception busirite semble avoir rayonné dans l’ensemble du Delta. – La tête d’Abydos. Les trois villes sont reliées par cette tête qui, rattachée directement à la jambe, réenclenche à elle seule le cycle vital.

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TABLEAU No 8 LE RELIQUAIRE DE BUSIRIS Busiris et Abydos, les villes osiriennes par excellence, tiennent une place de premier plan dans les lieux consacrés au dieu. Le dernier jour de khoiak – le 30 – voit se clore le rituel ; l’action, qui marque l’axe de la paroi, y consiste à redresser le pilier busirite. Le dieu de Busiris, appelé Osiris sous sa forme « vivante », porte la couronne à deux plumes arrondies et parfois simplifiées en volutes. Il est Sokar-Osiris quand il est mort. Osiris de Philæ est enterré sous le buisson sacré de Biggeh (voir plus loin, p. 115-118) ; Sokar de Busiris, certes reposant dans un sarcophage, est enterré sous un arbre.

Dendara, chapelle osirienne est nº 3, Sokar de Busiris [Dendara X, pl. 114].

la chapelle osirienne, paroi sud

Le texte de khoiak mentionne le coffre secret dont on ignore ce qui est à l’intérieur. La présence d’Anubis dans Busiris suggère qu’il s’agit d’un coffre conservé dans la ville du Delta. Celui-ci aurait alors contenu le vieux fétiche

, le pilier-djed surmonté de la tête

du dieu :

Dendara, chapelle osirienne est nº 3, le coffre secret [Dendara X, pl. 102].

Anubis dans Busiris, c’est Horus fils d’Isis, qui embaume son père Osiris dans l’atelier d’embaumement, qui emmaillote les reliques divines dans son sanctuaire, qui cache le corps à côté de son père : « J’embaume mon père. » [Dendara X, 215] Le cycle de l’année écoulée étant fermé, le pouvoir se transmet à l’héritier. Sur le relief de Philæ, il d’agit d’Harsiesis ; ce dernier est coiffé de la couronne blanche de la Haute Égypte, celle que porte Osiris.

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TABLEAU Nº 9 LE RELIQUAIRE D’ABYDOS

Le reliquaire abydénien

abritant le chef divin est représenté dans tous les lieux

osiriens. Thot et Horus en maintiennent le pied à Dendara ; à Philæ, un ibis et un faucon les remplacent. Khnoum, le bélier d’Éléphantine, et les chacals qui ouvrent la crue sont aussi présents : Le reliquaire vénérable protège la tête divine dans Abydos. Les plumes du reliquaire atteignent le ciel pour éloigner les ennemis d’Osiris. [Dendara X, 230-231]

À l’origine, le reliquaire était fait de roseaux, ainsi que l’explique minutieusement le rituel de khoiak : Quant au reliquaire, c’est une corbeille de roseaux, c’est-à-dire de jonc. La tête du dieu y est enveloppée. Autrement dit, le reliquaire est appelé « roi » à cause de la tête qui y est placée dans un coffre mystérieux que personne ne peut connaître. Celui-ci est une corbeille de joncs tressés, une châsse dont on ignore ce qui est à l’intérieur. La tête vénérable avec une couronne blanche est en elle, dans un vase, enveloppée d’or. Sa hauteur est de trois palmes, trois doigts (= 28,2 cm). C’est une corbeille plaquée d’or et gravée de dessins. Un pilier-djed est représenté sur elle, les bras croisés sur son cœur, tenant la crosse et le flagellum, les plumes sur la tête; deux faucons sont autour de lui pour le protéger de leurs ailes ; Isis et Nephthys sont à son côté, sur la face ; les Enfants d’Horus, ainsi qu’une image de Thot, sont figurés sur la partie postérieure. [Dendara X, 36-37]

la chapelle osirienne, paroi sud

La corbeille est en roseaux, mot qui se dit sout en égyptien ; le roi de Haute Égypte, quant à lui, est appelé ny-sout, «  celui qui appartient au roseau  ». Osiris est ainsi le souverain par excellence. Un relief remarquable, à Abydos, montre la tête divine de face, visible par transparence à l’intérieur. Isis et Osiris d’Abydos entourent le reliquaire abydénien de Philæ ; Harendotès remplit ce rôle à Dendara : « Je protège la tête dans la Ville-du-Scarabée, je mets à l’abri la tête dans le reliquaire vénérable ; la tête divine, tu l’attaches à ton cou ; la tête, elle est mise à sa place. Je t’apporte la tête divine, tu la mets sur ton cou, tu redeviens comme tu as été mis au monde à Thèbes, tu ouvres la bouche, tu dispenses les commandements aux puissances divines, tu écoutes les avis de ton fils, tu le vois sur son trône. » [Dendara X, 76] Le texte qui clôt la scène à Philæ désigne ainsi le reliquaire :

Le coffre très secret, très caché, que l’on ne découvrira pas, au grand jamais. [Bénédite, Philæ, 124]

Le réceptacle en bois est décrit par le rituel de khoiak : Le coffre de Celui qui préside à l’Occident est fait en sycomore. Sa longueur est d’une coudée un palme, sa largeur de trois palmes, sa profondeur de trois palmes. [Dendara X, 33]

Sur le toit du temple – au plus près du Soleil-Rê et de la Lune-Osiris –, les prêtres unissaient les villes saintes du pays par l’intermédiaire du Nil issu du corps d’Osiris.

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Après quatorze jours de germination et la transmutation de l’orge en or, la figurine divine est sortie en procession ; les prêtres invoquent le dieu selon ses manifestations locales respectives : Si tu es à Éléphantine, tu fais couler la crue de tes humeurs, ta sœur Sothis la fait s’écouler en son temps ; tu es Khnoum, celui qui crée toutes choses. Si tu es à Thèbes dans la Souveraine-des-capitales-des-dieux, ton lieu de prédilection où tu as été enfanté, tu es le roi de Haute Égypte qui coiffe la couronne blanche. Si tu es à Abydos, où se trouve ton âme alors que tu es vivant dans le sarcophage dont le nom est « maître de vie », tes reliques sont emmaillotées par le travail de Chentayt ; Harendotès fait une lustration pour ton ka. Si tu es à Busiris, les deux sœurs te protègent, ta momie se forme par le travail de Chentayt, les rayons de Rê s’unissent à ton image. Si tu es à Memphis, dans le Temple-de-l’or, le Sanctuaire-de-la-barque-d’apparat-deSokar est pour ta momie ; ton fils, le prêtre funéraire, sépare ta bouche de tes mâchoires, il verse l’eau de l’inondation pour ta statue. Si tu es à Héliopolis dans ton Ciel d’Égypte, tu viens en tant qu’oiseau-âme et phénix sur ton effigie aux cris de lamentation des pleureuses. [Dendara X, 282-290, cour ouest, litanies à Osiris]

Les composantes essentielles de la personnalité divine sont associées aux lieux concernés par des développements éclairants : – Thèbes : Naissance et royauté. – Abydos et Busiris : Reconstitution des reliques. – Memphis : Embaumement et rituel de l’ouverture de la bouche. – Héliopolis : Renaissance perpétuelle. Osiris est, par ailleurs, exalté sous ses aspects lunaires dans toutes les villes de premier plan : Héliopolis, Thèbes, Coptos, Dendara, Abydos et Memphis. À Éléphantine-Philæ revient le privilège suprême : le don vital du Nil par le dieu le plus vénéré du pays.

LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI NORD

LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI NORD

Un hymne à Osiris gravé sur une des colonnes du kiosque de Trajan commence par ces mots : « Quant à cette belle ville, c’est la ville d’Isis, c’est une avancée terrestre du Pays-bienaimé », dit-on à son nom. C’est une grande bande de terre surgie dans le bassin de Senemet, elle est advenue dès l’origine, depuis l’époque de Rê. Du premier pylône au sud jusqu’à la façade arrière du sanctuaire, tournée vers Héliopolis, Isis est tout entière au service d’Osiris. Celui-ci, de fait, est la grande divinité du temple situé à côté de sa dernière demeure, Biggeh, où se déroule sa régénération perpétuelle.

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La paroi nord de la chapelle synthétise, de la tombe à la renaissance, l’apothéose d’Osiris.

Le jaillissement de la crue occupe le centre de la paroi sud ; sur la paroi opposée figure Biggeh, le lieu du miracle annuel. Au registre médian, la barque de Sokar sort en procession le 26 khoiak au matin. Osiris, dans toute sa gloire, transmet la légitimité à son fils Haroéris.

la chapelle osirienne, paroi nord

BIGGEH : L’ARBRE SACRÉ

Dans le bassin de Senemet, qui abrite Biggeh et Philæ, l’impétueuse crue venue du cœur de l’Afrique déferlait autour des îlots et tournait dans la partie orientale, pour enfin s’apaiser et pénétrer dans la Vallée. Il fait peu de doute que cette eau vitale autant qu’inquiétante fut considérée très tôt dans sa double composante – rouge et blanche, féminine et masculine, Hathor et Osiris. La réunion spectaculaire des deux branches du fleuve, à la pointe nord de Khartoum, fut probablement observée à l’époque de Taharqa (690-664 av. J.-C.),

souverain auquel rend d’ailleurs hommage un autel dressé dans la cour

du temple. Réalités géographiques et spéculations théologiques ont toujours harmonieusement coexisté dans la pensée égyptienne. Khnoum a créé lui-même les deux îlots sacrés, « l’image mystérieuse » est celle de la patte de l’animal qui libère la crue (voir plus loin, p. 119). Je fais surgir les deux îlots dans le bassin de Senemet. L’Abaton sacré conserve mon image mystérieuse. La Montagne Secrète est la source de vie. L’eau divine jaillit du bosquet vénérable, génératrice de vie, c’est elle qui dispense la fertilité au pays, chaque jour. [Bénédite, Philæ, 127]

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Biggeh, l’ultime demeure d’Osiris, voit arriver la crue. Le nom de la colline, source de vie (khenemet-ânkh), signifie aussi « nécropole ». L’image montre un arbre abrité par un édicule. Deux prêtres tiennent aiguières et situle de lait : Le prêtre pur fait pour toi une libation de lait. Le prêtre funéraire est dans la place de purification. [Bénédite, Philæ, 127] Le rituel est expliqué (texte en deux colonnes à droite) : Ce vase de lait que je présente devant toi – lait trait au pis de la vache –, reçois-le, il est purifié d’impuretés. Ton cœur est revigoré, ton corps est rajeuni. Je dispose les reliques là où se trouvent les humeurs de ta majesté. [Bénédite, Philæ, 127] Du corps décomposé d’Osiris suintent, on l’a vu, des liquides qui nourrissent le fleuve et, donc, le pays tout entier. En rassemblant les membres dispersés de son frère-époux, Isis assure par ailleurs l’unité de l’Égypte. Sur le cadavre mutilé, Anubis greffe les lambeaux magiquement régénérés. Le présent abolit le passé : le flot nouveau s’écoule du corps divin. Ce tableau répond à ceux, en face, de la paroi sud ; l’eau de la première crue arrose la figurine végétale, puis la crue sort du corps d’Osiris en deux jaillissements. Enfin le corps humain est momifié ; la tête, conservée dans des reliquaires, garantit l’intégrité du dieu et celle du pays. Le prêtre apporte une situle de lait qu’il verse sur le buisson ; ce faisant, il met en pratique le décret divin souscrit par Rê lui-même (voir plus loin, p. 144) : Que jamais ne manque le lait dans cette nécropole où se trouvent le buisson sacré et la sépulture divine d’Osiris ! Le lait a la même couleur, blanche, que le linceul et la couronne d’Osiris. Sur un tableau du pronaos, le roi présente le précieux liquide qu’il a trait lui-même au pis des trois vaches placées devant lui.

la chapelle osirienne, paroi nord

Pronaos, architrave, côté est, offrande du lait [photo Berlin nº 1218].

Harsiesis remplace le roi et s’adresse à trois Osiris : Osiris du ciel. Osiris de la terre. Osiris du monde souterrain. Ce triple et impersonnel Osiris est exceptionnel ; le dieu apparaît aussi sous la forme de l’oiseau à tête humaine placé devant Isis. Coiffée d’un scorpion, celle-ci « ouvre » le flot ; elle appelle Osiris à venir se poser sur son corps, à Biggeh, pour déclencher la venue de la crue. Le texte, en trois colonnes, gravé à droite de l’arbre sacré (voir plus haut), s’adresse à l’uræus qui sort du buisson : Voici que la bouche du bassin fluvial est devant toi, toi l’Uræus-source, maître de vie. Voici le buisson vénérable ardent dans Senemet. Là est postée la vénérable et puissante venue de Nubie, le souffle brûlant de sa flamme se dirige contre les ennemis d’Osiris. [Bénédite, Philæ, 127]

Hathor, la fille de Rê apaisée par un breuvage couleur de sang, est comparée au flot rouge qui, dévalant des hauteurs de l’Abyssinie, irrigue l’Égypte.

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La déesse-uræus figure dans le pronaos, sur l’architrave centrale : Cette déesse excellente, c’est l’uræus excellent, c’est son image dans l’arbre, tel qu’il est dans Senemet.

L’inventaire du temple d’Hibis conserve l’image de l’arbre de Biggeh ; deux Anubis posent leurs mains sur celui-ci, comme s’il s’agissait du corps divin momifié. Khnoum est installé sur l’arbre ; en effet, Osiris s’identifie aussi au dieu local qui l’a précédé : Ô Osiris-Khnoum maître du Premierdes-Nomes, de la sueur duquel suinte la crue, tu es Khnoum qui crée toutes choses, tu surgis en tant que Crue en son temps. [Dendara X, 323]

Temple d’Hibis, section d’Éléphantine, le buisson de Biggeh [Hibis III, pl. 4].

la chapelle osirienne, paroi nord

Sur la paroi nord de la chapelle, à côté de l’arbre, Khnoum est représenté sous la forme d’une patte sommée d’une tête de bélier.

Khnoum sous sa forme de patte antérieure. L’arbre est haut pour celui qui est caché dans le bassin de Senemet. [Bénédite, Philæ, 127] Khnoum, sous sa forme de patte antérieure, il vogue vers l’Abaton, il entre dans le monde inférieur pour faire des libations, des fumigations et une offrande funéraire, cela afin de renouveler la vie d’Osiris. C’est le premier jour de l’année que la crue est lancée, il la libère sans que quiconque puisse voir ou entendre, sauf Ptah ; la crue dévale chaque jour en hâte. [Bénédite, Philæ, 150 – photo Berlin no 1187]

Khnoum ouvre les verrous de la Cataracte, selon un processus secret et silencieux ; au nord, seul Ptah entend surgir cette dernière, depuis la caverne du Noun sur laquelle il règne. Depuis le troisième millénaire, Khnoum le bélier règne sur Éléphantine, « la porte du goulet méridional » ; il détient les clefs de la crue et son clergé reçoit les taxes douanières.

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Au milieu du premier millénaire, Isis qui donne la vie s’empare de ce privilège et son époux, Osiris, est le flot source de vie. Une parité relative entre Khnoum et Osiris fut d’abord respectée ; elle s’effaça peu à peu au profit d’Osiris devenu le seul auteur de la crue. La patte antérieure du bélier représente le bras actif du dieu, mais aussi la targette qui actionne les verrous d’un nilomètre ou d’une retenue d’eau et, plus symboliquement, ouvre la Cataracte pour libérer la crue.

Le nilomètre du temple de Khnoum à Éléphantine.

la chapelle osirienne, paroi nord

LA BARQUE DE SOKAR ET LES QUATRE FILS D’HORUS Amset parle au nom des dieux du Sud : « Ton cœur est rasséréné, Isis la grande, la mère du dieu », ainsi disent les maîtres du pays. Hapy s’adresse aux dieux du Nord : « Osiris est de nouveau mis au monde, comme cela est beau, là, depuis l’origine des temps ! » Douamoutef s’adresse aux dieux de l’Ouest : « Que vienne votre maître, frappez pour lui ses ennemis. » Kebehsenouf parle au nom des dieux de l’Est : « Que ton cœur soit rasséréné, nous avons fait venir la grande Ennéade : Osiris est rajeuni ! » [Bénédite, Philæ, 127] Les quatre entités conduisent la barque de Sokar le 26 khoiak de même que, sur la paroi sud, ils menaient la momie à la nécropole. La momie est visible, par transparence, dans la châsse posée à l’intérieur de la barque. La proue de celle-ci est décorée d’une tête d’antilope ; la peau de l’animal renforce les flancs du bateau, c’est la dépouille des ennemis. De la tête tranchée d’un taureau sort la chaîne par laquelle on tire la barque. Un poisson conduit cette dernière dont plusieurs faucons décorent le bord supérieur. Chentayt de Busiris et Chentayt d’Abydos accompagnent le cortège  ; fermant la marche et protégeant ainsi le dieu, elles psalmodient les hymnes d’éveil et invoquent le dieu par ses différents noms. Les cérémonies préalables terminées, la procession s’ébranle depuis la cour ; les hymnes gravés sur les montants de la porte exhortent le dieu. Puis la barque est halée vers le toit, sur la rampe flanquant l’escalier (voir la photo, p. 26). Dendara conserve un long texte relatif à la procession du matin divin ; Harendotès, héritier légitime et légitimé par Rê, s’y adresse à son père Osiris : Redresse-toi dans la barque d’apparat de Sokar, la terre est éclairée au matin divin. Redresse-toi en vie, ta fête est célébrée dans la joie, Osiris qui préside à l’Occident. Redresse-toi au milieu de la barque d’apparat de Sokar, la terre est éclairée lors de la fête de Sokar, les temples des dieux sont en fête. Redresse-toi dans la barque de Sokar, tu mets en pièces Seth, tu renverses tes ennemis avec ton uræus.

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Redresse-toi, les prières sont récitées dans les lieux de culte de tous les dieux et dans leurs villes. [Dendara X, 243]

Deir el-Médineh, temple d’Hathor, chapelle d’Osiris [Temple d’Hathor, 58 nº 59].

Une des plus belles barques osiriennes, celle du temple d’Hathor à Deir el-Médineh, fait place au dieu Min ; à Philæ, celui-ci est représenté juste au-dessus. Min de Coptos participe avec Isis à la préparation de l’orge qui se transmuera en or : Le vase rempli d’orge contient les graines de vie, tu les prépares pour Osiris dans les nomes de Haute Égypte et de Basse Égypte, tu fais vivre son image chaque année, sans fin. [Edfou V, 189] Le dieu est du reste présent dans toutes les chapelles osiriennes des grands temples : Min fait reverdir la cuve-jardin au moment fixé chaque année, il est celui dont le bras est levé contre l’ennemi, il repousse le Vil du Sanctuaire-de-vie-des-simulacres. [Edfou I, 181]

la chapelle osirienne, paroi nord

Temple d’Hibis, chapelle d’Osiris [Hibis III, pl. 20].

Dans la salle osirienne du temple d’Hibis, Min assiste à la renaissance tant du corps momifié que du Nil (voir p. 9) ; le début des rites de khoiak et l’emploi des céréales et de l’eau dans le Sanctuaire-de-vie-des-simulacres sont autant d’éléments qui évoquent la grande fête de Sokar-Osiris. Min, dieu de la fertilité agricole, est enfoui dans le sol, tel Osiris symbole de la crue. Il se redresse, ensuite, car il est le garant du perpétuel retour de la fertilité. Derrière les déesses, Osiris est invisible dans le reliquaire abydénien.

OSIRIS EN GLOIRE Le dieu a triomphé de la mort ; il est l’eau qui irrigue la Vallée et le Delta, l’orge qui sort de la terre, l’astre de la nuit qui disparaît pour renaître, et il transmet son pouvoir à son héritier : tel est le sens du dernier tableau de la chapelle. Celui qui préside à l’Occident est assis en gloire.

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Ouadjyt du Delta et Anubis ont terminé le rituel funéraire. Les deux sœurs veillent, Harendotès et Heket d’Abydos représentent l’avenir. Ouadjyt, la souveraine du pays, qui exerce sa protection. Anubis préposé à l’embaumement, le maître du pays sacré, qui donne des bandelettes à son père. Isis la grande, la mère du dieu : « Je place mes bras sur ta tête, je protège ton corps chaque jour. » Nephthys, la sœur du dieu, l’efficiente  : «  Mes bras sont derrière toi, mes mains te protègent. » Harendotès. Heket, la grande qui prend place dans Abydos, protège le fils d’Osiris né d’Isis. [Bénédite, Philæ, 126]

LE PRONAOS

LE PRONAOS

LE PRONAOS : ESPACE FÉRIAL ET COSMIQUE Le pronaos (littéralement, salle en avant du naos), fermé par le deuxième pylône, fut décoré sous le règne de Ptolémée VIII Évergète II (145-116 av. J.-C.). Isis et Osiris sont invoqués dès l’entrée : Osiris-Orion, Isis-Sothis, Osiris-Nil, Isis-Campagne, Osiris-Celui dont la perfection demeure, Isis-Celle qui viendra toujours, Osiris qui crée la terre, Isis vent du nord. Sur le côté ouest, une porte ouvre en direction de Biggeh ; l’angle de la salle est dévolu à Osiris, qui y reçoit le doux lait qui vient du troupeau d’Hathor. Isis, en un geste de protection, pose sa main droite sur l’épaule gauche du dieu et lui dit : « Je suis ta sœur Isis, je place mes bras derrière toi, je protège ton image secrète. Viens à ma voix chaque dix jours, viens à ta ville, ne t’éloigne pas de ton nome, ne traverse pas vers une autre terre, viens en ton sanctuaire, ne t’éloigne pas de ton temple. Quand tu resplendis dans le ciel, que vienne ton esprit lumineux. Quand tu reposes dans le monde infernal, que vienne ton cadavre. Entre dans ton sanctuaire, Isis est avec toi, l’escorte à ta suite, Thot éloigne de toi les ennemis, ton fils Horus est un lion à ta droite, Horus Khentyirty est ton protecteur à ta gauche. Quand tu resplendis dans le ciel, que vienne ton esprit lumineux. Quand tu reposes dans le monde infernal, que vienne ton cadavre. Viens dans tes villes, ne t’éloigne pas de ton nome, ne te tourne pas vers un autre pays. » [photos Berlin nos 672 et 674]

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Le roi accomplit le rituel funéraire en déclarant : « Je viens auprès de toi, Osiris, le grand dieu dans le territoire du silence, en faisant pour toi l’offrande funéraire – pains, libations et encens – que t’apporte ta sœur Isis ; tu la reçois de sa main tous les dix jours. » Au centre, sur l’architrave surplombant la porte qui mène vers la salle suivante, Osiris est entouré de sa sœur-épouse Isis et de leur fils Harsiesis ; tous trois sont placés dans un disque lunaire. Les dieux qui participent à la reconstitution de l’astre, au cours de la phase ascendante, se dirigent vers eux. Le Soleil-scarabée reçoit la lumière du jour, la Lune garde l’entrée du temple. L’âme d’Osiris se manifeste à la première heure de la nuit, quand les luminaires nocturnes s’allument et que la lumière de Rê décline.

LES ARCHITRAVES Sur la face inférieure des architraves, les heures du jour et de la nuit marquent l’écoulement du temps ; elles protègent aussi Osiris. Iconographie et texte, tirés d’un corpus ancien, se retrouvent dans d’autres temples, tels ceux d’Edfou et de Dendara. Sur les faces latérales des architraves, trente-deux barques se dirigent du nord vers le sud ; toutes portent le signe « sud » à la proue et le signe « nord » à la poupe :

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le pronaos

Pour redonner la vie à son frère-époux, ou bien pour transmettre l’héritage à son fils légitime, Isis fait appel à Rê ; en ces occasions, elle se rend sur le toit du temple : Isis parle et sa voix monte au ciel. Les âmes des dieux dans le ciel l’entendent afin de trancher le conflit en faveur d’Harsiesis et de donner la fonction royale à Celui qui est dans les sanctuaires. Celui qui l’entend, c’est Rê avec ses enfants, ce sont les âmes des dieux dans le ciel. Ils viennent ensemble sur ce pylône dans le sanctuaire d’Isis qui donne la vie, ils exécutent l’ordre émis par Rê avec les dieux du tribunal réunis tous ensemble. [Philæ I, nos 9 et 15] Les inscriptions qui séparent les barques sont exceptionnelles. Cependant les vieilles photos de l’Expédition de Berlin, souvent trop noires ou floues par la force des choses, ne permettent pas toujours d’établir un texte correct. Par ailleurs, celui-ci, même exempt de difficultés de lecture, se laisse parfois malaisément comprendre. On pressent que les rédacteurs, déconcertés par des formulations antiques, ont mis un hiéroglyphe pour un autre ou ont interverti l’ordre primitif. Ce matériau provient d’archives septentrionales, surtout héliopolitaines (les mentions du temple du Pyramidion et le rôle prépondérant de Rê, par exemple, le montrent amplement). Les prêtres de

Philæ en ont tiré une forme de répertoire des dieux, des sanctuaires et des rituels : Inventaire des places où l’on dépose les offrandes de ce nome conformément aux écrits anciens concernant l’île-nécropole. Ce nome, il est sorti de l’eau primordiale à l’aube des temps. [Bénédite, Philæ, 152 – photo Berlin no 1206]

Osiris figure dans huit barques différentes (en bleu sur le dessin ci-dessus) ; les autres esquifs accueillent une divinité qui vient, de son lieu d’origine, rendre hommage au dieu.

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Barque d’Amon. En haut, Khnoum et Amon entourent le cartouche d’Hâpy [photo Berlin no 1186].

Chaque embarcation est encadrée par deux divinités placées dans un signe  (« sanctuaire ») ;

elles représentent les villes primordiales du pays :

– Sphère osirienne : Isis, Nephthys, Horus, Harsiesis, Oupouaout. – Horus et Thot, purificateur et ritualiste. – Hathor de Dendara et Horus d’Edfou, protecteurs. – Assouan : Khnoum, Satis et Anoukis, Arensnouphis, Hathor. – Thèbes : Amon, Mout et Khonsou. – Memphis : Ptah, Sekhmet, Nefertoum, Hathor-vache. – Héliopolis : Rê, Chou, Tefnout, Ourethekaou, Serket, Bastet : Le grand collège des dieux et le cortège des dieux du nome de Nubie sont réunis dans l’Abaton, les dieux et déesses des nécropoles sont là pour rendre hommage à Osiris, le très grand, le roi de Haute et Basse Égypte, Ounennefer qui repose dans l’Abaton, et à l’épouse de la majesté du roi de Haute et Basse Égypte, la mère du roi, Isis, la souveraine de l’uræus dans la Haute et la Basse Égypte. [Bénédite, Philæ, 146-147]

le pronaos

Ces dieux viennent, on l’a vu, sur l’ordre de Rê sollicité par Isis : Isis, la grande Deuillante, vogue vers l’Abaton ; elle entre dans le monde souterrain, elle trouve rapidement les cuisses d’Osiris, elle les place sur elle avec une grande complainte. Elle vole vers Héliopolis, elle ouvre son cœur à Rê. Alors Rê fait tout ce qu’elle dit, car elle est son aimée ; le cœur d’Isis est rasséréné. Rê-Horakhty décide alors d’envoyer des ordres dans toutes les villes et tous les nomes dans le Sud et dans le Nord : « Allons ! ». [Bénédite, Philæ, 147] Tu es rassérénée, Isis la grande, la mère du dieu. Rê-Horakhty décide : il envoie des ordres à toutes les villes et toutes les capitales du Sud et du Nord : « Allons ! Renouvelons la vie d’Osiris après son embaumement ! » Osiris crache pour vous la crue vers vos villes. Naviguez et protégez l’Abaton, pour toujours et à jamais. [photo Berlin no 1198]

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D’autres textes nous renseignent sur la nécropole d’Osiris et le rôle des différents acteurs divins. LA NÉCROPOLE D’OSIRIS : LAMENTATIONS, LIBATION DE LAIT ET PROTECTION C’est le nome où se trouve le temple de la déploration, Isis et Nephthys se lamentent dans cette place, voilà pourquoi on l’a appelée « Temple-du-silence » jusqu’à ce jour. Isis, voici ce qu’elle abomine : des cris à l’intérieur de la salle et le fait de courir sur l’esplanade. Quant à cette île, « Terre-de-lumière-lunaire » est son nom, c’est l’avant-poste de la Terrenoire, c’est le premier nome de Rê. Cette ville est pure, Isis s’y trouve avec Nephthys ; Isis cache Osiris dans l’Abaton après qu’Anubis a fait son travail d’embaumement. Isis fait une libation de lait avec sa sœur pour Osiris qui est dans ce lieu primordial. [Bénédite, Philæ, 146 et 152 – photos Berlin nos 1210-1213 et 1206-1209]

Cette nécropole, « Senemet » est son nom, c’est la place où se tient Oupeset, qui vient de Nubie. Isis et Nephthys cachent Osiris à l’intérieur de la haute montagne de Senemet, elles l’enterrent pour toujours, elles se lamentent sur lui chaque jour. Isis fait une libation de lait tous les dix jours, ce sera pour l’éternité. [photo Berlin no 1197] Isis se lamente sur lui tous les jours ; elle fait une libation de lait tous les dix jours ; elle repousse Seth hors de l’Abaton. [photo Berlin no 1196]

le pronaos

Philæ est le palais d’Isis, la maîtresse du parfum, de la myrrhe et de l’encens. Tefnout, Hathor la grande, maîtresse de Senemet, est aux côtés de Chou pour repousser Seth du lieu où se trouve la majesté d’Osiris. [photo Berlin no 1196] Isis et Nephthys cachent le corps d’Osiris dans l’Abaton, il est installé à l’intérieur du Temple-de-la-purification, ses linges mortuaires sont déposés dans l’atelier funéraire. « Temple-de-la-purification » est le nom de cette ville où l’on installe la tête pour toujours et à jamais. [photo Berlin no 1199] Horus et Thot naviguent vers l’Abaton, ils cachent le corps divin d’Osiris dans l’Abaton, sans que quiconque puisse voir ou entendre, sauf Horus et Thot. [photo Berlin no 1208]

KHNOUM, OUVREUR DE LA CRUE Khnoum, à la source de la crue, modèle les cuisses et rattache la tête au corps (voir plus haut) ;

il vient de Memphis sur l’ordre des grands dieux :

Khnoum, sous la forme de sa patte antérieure, il vogue vers l’Abaton, il entre dans le monde inférieur pour faire des libations, des fumigations et une offrande funéraire, cela afin de renouveler la vie d’Osiris. C’est le premier jour de l’année que la crue est lancée, il la libère sans que quiconque puisse voir ou entendre, sauf Ptah ; la crue dévale chaque jour en hâte. [Bénédite, Philæ, 150 – photo Berlin no 1187]

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LE GRAND VOYAGE DU NORD AU SUD POUR REVIVIFIER OSIRIS Les dieux remontent le fleuve, depuis Memphis ou Thèbes, dans la barque où ils sont représentés. Sekhmet la très grande entreprend le trajet jusqu’à l’Abaton : « Allons, allons avec le grand collège des dieux de Memphis ! ». Elle navigue et retrouve Khnoum, elle écarte les ennemis du lieu où se trouve Osiris. Khnoum-Thot vogue de Memphis au nome de Nubie, il façonne les cuisses pour son fils Osiris. [Bénédite, Philæ, 147 et 150 – photos Berlin nos 1211-1212, 1187] Hathor, la grande Vache, elle navigue vers l’Abaton, elle prend dans ses cornes son fils Rê. [Bénédite, Philæ, 149 – photo Berlin no 1192] Amon dans Thèbes, il navigue vers l’Abaton, c’est la ville d’Osiris ; il apporte le bon vent du nord au nez du Grand dans Busiris, le bon vent du nord et le renouvellement de vie pour Osiris. Amon, Celui du nord, il ordonne aux pères et aux enfants de venir dans le nome ombite. [Bénédite, Philæ, 150 – photo Berlin no 1186] Amon-Rê, roi des dieux, il navigue depuis Thèbes vers l’Abaton. Il est alors avec Harsiesis, fils d’Osiris, dieux et déesses autour de lui. Anubis embaume son père Osiris dans l’Abaton. Les cuisses d’Osiris produisent une végétation abondante, son phallus crache la crue jusqu’à sa ville de Thèbes. [photo Berlin no 1209] Ce phallus producteur de la crue accompagne une barque où se trouve Harsiesis ; dans le cartouche médian, le nom d’Hâpy remplace celui d’Osiris. L’image se substitue au texte :

Architrave centrale du côté est, barque no II [photo Berlin no 1207].

Seuls sont retenus le phallus fécondateur ( (

).

) et la campagne d’Égypte florissante

le pronaos

ISIS ET OSIRIS Isis et Nephthys cachent leur frère Osiris maître de l’Abaton. Horus et Thot naviguent afin de purifier le corps divin d’Osiris maître de Philæ. Il est enseveli dans l’Abaton pour toujours et à jamais. Les deux sœurs sont en déploration à cause du Grand dans Busiris. Osiris est au milieu d’elles, montant dans la grande barque-nechemet. Elles naviguent vers l’Abaton, c’est la place du Nil-Osiris, lui qui inonde le pays de ses bienfaits ; la grande barque est en joie et acclamation devant Osiris maître de l’Abaton. [Bénédite, Philæ, 147-148 – photos Berlin nos 1212-1213]

Dans la barque la plus proche de la porte axiale, Osiris est entouré d’Isis et de Nephthys. De part et d’autre du cartouche du dieu figurent Harsiesis en adoration et Thot qui lit le rituel. Tous deux purifient le corps d’Osiris maître de Philæ.

Cette barque-nechemet, qui reçoit le reliquaire abydénien, est propre à Osiris d’Abydos ; à Philæ, elle apporte la tête divine à Khnoum qui la rattachera au bas du corps.

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LA NÉCROPOLE D’OSIRIS

LA NÉCROPOLE D’OSIRIS

BIGGEH Le Nil rassemble d’abord autour de Philæ ses flots errants et vagabonds. Philæ est une île d’accès difficile, escarpée de toutes parts, elle a pour ceinture deux rivières qui, à leur confluent, deviennent le Nil et portent ce nom. Le premier accroissement du Nil se manifeste au bord de cette île. Un faible intervalle la sépare d’un rocher qui divise le fleuve, et que les Grecs nomment Abaton, parce que nul, excepté les prêtres, n’y met le pied ; c’est là que la crue commence à devenir sensible. Sénèque [Questions naturelles, Livre IV] La « rivière » de l’est se répandait dans le bassin de Senemet ; de la terrasse du kiosque de Trajan, on pouvait contempler le flot, ou bien se mettre à l’abri des crypto-portiques du temple d’Hathor quand il était trop impétueux.

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De l’autre côté de l’île, effectivement, la berge est plus escarpée ; c’est de là que les prêtres se rendaient sur l’île de Biggeh.

Depuis les hauteurs de Biggeh, vue ancienne vers Philæ [photo Berlin nº 485].

Les rochers provoquaient des bouillonnements d’eau, particulièrement sur la rive ouest, qui suscitaient un violent contre-courant (encore attesté par les voyageurs du xixe siècle) ; celui-ci permettait aux embarcations de remonter jusqu’à Kalabcha, notamment pendant les mois d’été (le premier barrage a modifié le cours du fleuve, faisant disparaître le phénomène). Le quai se trouvait devant la porte monumentale, en face du portique d’Osiris de Philæ ; la plus grande partie en a été détruite. Vivant Denon décrivait ainsi l’île : Ces ruines consistent en un petit sanctuaire, précédé d’un portique de quatre colonnes avec des chapiteaux très élégants, auquel on avait ajouté postérieurement un autre portique qui tenait sans doute à la circonvallation du temple.

Des vestiges du Moyen Empire y furent retrouvés, ainsi que des statues d’Amenhotep II et de Thoutmosis III et des graffites de plusieurs époques, surtout de la XXVIe dynastie (vers 600 av. J.-C.).

la nécropole d’osiris

Le plus remarquable est celui de Khâemouaset, célèbre fils de Ramsès II, qui fut chargé d’annoncer dans tout le pays, dont l’extrémité sud, la célébration des fêtes royales : le roi se régénérait comme le Nil. An 30, première des fêtes jubilaires. An 34, renouvellement des fêtes jubilaires. An 37, troisième des fêtes jubilaires. Sa Majesté a chargé le prêtre-sem, le fils royal, Khâemouaset, d’annoncer les fêtes jubilaires dans tout le pays. Le temple de Biggeh datait de Ptolémée VIII Évergète II ; il est ainsi contemporain des compositions osiriennes qui se trouvent dans le pronaos et la chapelle du toit du temple d’Isis.

Depuis le Portique d’Osiris, vue ancienne vers Biggeh.

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Dès le début de son règne, ce souverain confirma les privilèges fiscaux accordés aux temples ; on lui doit aussi la mise en chantier – ou la poursuite de la construction – de nombreux sanctuaires qu’il visitait assidûment.

Il arrive, suivant l’époque de l’année, que le porche d’accès ait les pieds dans l’eau ; cette circonstance, ajoutée à la végétation verdoyante, prête un côté romantique à des tableaux d’un haut niveau d’élaboration iconographique.

la nécropole d’osiris

LE PORTIQUE D’OSIRIS

Trajan avait célébré Osiris dans le kiosque qui porte son nom. Hadrien, son fils adoptif, fit édifier le Portique d’Osiris. Chacun connaît la fin de son favori Antinoüs, noyé dans le Nil le 30 octobre 130 ap. J.-C. L’empereur, à l’occasion de cet événement tragique, manifesta envers le Nil une piété qui se traduisit par des mesures de clémence fiscale. Le portique fut peut-être édifié en témoignage de reconnaissance. Cette dévotion envers le dieu-fleuve fut perpétuée par ses successeurs, Antonin le Pieux, Lucius Vérus, Marc-Aurèle et Commode. Le premier fit aussi ériger dans l’Iseum du Champ de Mars une statue du Nil, et de nombreuses monnaies datant de son règne représentent Hâpy assis dans un temple. C’est sous son règne enfin, rappelons-le, que la cour osirienne du toit du temple fut décorée en ajout à la chapelle.

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Le Portique est avant tout un embarcadère : un escalier descendait de sa terrasse jusqu’au rivage. On y célèbre Biggeh, le court voyage de la momie vers la nécropole et la transmission du pouvoir à son héritier. De part et d’autre de la porte, les emblèmes d’Abydos et de Busiris sacralisent l’accès à la dernière demeure du dieu.

Celle qui est dissimulée et cachée, la haute colline dans Biggeh. Dans l’angle droit, on représente Biggeh elle-même ; de l’autre côté figure le voyage de la momie sur le dos du crocodile. Le vautour et le faucon sont posés au-dessus des rochers : Neith et Horus gardent la momie (voir plus haut, p. 85). Le décret divin, tout en haut de la paroi, définit l’action :

Prescription pour faire venir l’âme d’Osiris à sa place. L’âme d’Osiris se pose sur son cadavre dans l’Abaton, elle est un faucon divin avec un visage humain. Elle s’installe sur un arbre du bosquet sacré.

la nécropole d’osiris

Isis, à tête de vache, verse de l’eau sur le buisson : « Osiris, reçois l’eau de mes mains, je suis ta sœur, je suis ton épouse. » Isis la grande, la mère divine, maîtresse de Philæ, la régente et maîtresse du nome du Sud, qui place tout souverain sur le trône : « Parle-moi, mon frère Osiris, je suis ta sœur, je suis ton épouse divine. » Tous les dix jours, Isis traversait d’une île à l’autre en empruntant le Portique d’Osiris ; elle y faisait des purifications et exhortait l’âme d’Osiris à rejoindre son cadavre. Le rythme décadaire est traditionnel en Égypte ; à Thèbes ainsi, Amonope se rend, selon cette périodicité, sur la tombe des ancêtres près de Medinet Habou : Amon verse l’eau et dispense les offrandes pour ceux qui ont créé son corps, il traverse le fleuve à l’ouest de Thèbes, jusqu’à la Butte de Djeme, tous les dix jours, afin de déposer les offrandes devant la grande Âme d’Égypte. [Temple d’Opet, 25 et 262]

Depuis les profondeurs de la terre, Hâpy déverse la crue androgyne qui passe par le canal étroit (entre la queue et la tête du serpent),

illustration de la Cataracte. Du

vase

coule le liquide bouillonnant du

Nil blanc ; de l’aiguière

se répand le

flot dense du Nil rouge.

Isis et Nephthys, Khnoum et Satis aussi, font surgir cette crue ; Anoukis la contrôle. Le débit doit en être normal (ce qui arrive dans 60 % des cas environ)  ; il est parfois trop fort, parfois trop faible. Le flot, impressionnant à son arrivée dans le bassin de Senemet, s’apaise par la magie des prêtres ; il coule alors, lent et majestueux, en épousant la faible pente de la Vallée. Lors de l’étiage, à la fin du mois de mai, le Nil roule des eaux vertes (elles sont chargées d’algues,

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voir plus haut, p. 46),

puis le débit quadruple vers la mi-juillet. À Philæ, la puissance la plus

grande s’observait à la fin d’août, au moment où le soleil est le plus ardent : Osiris et Rê étaient égaux dans l’harmonie. Pendant la décrue progressive, les « terres neuves », composées des sables les plus lourds, s’exhaussent dans le fleuve ; les argiles plus légères se déposent sur les berges en un limon de couleur noire. Le sol alluvial se dessèche ensuite, aérant le sol et enfouissant les sels minéraux nuisibles aux cultures. Osiris-Nil a fécondé Isis-Campagne ; le mariage divin s’accomplit grâce à une remarquable action conjointe – sans autre exemple dans le monde – de l’eau, de la terre et du soleil. Le serpent, la vie qui jaillit du centre de la terre, Osiris-âme qui se pose sur son cadavre pour mieux renaître, ces différents thèmes issus du Livre de l’Amdouat (voir plus haut, p. 103) et du Livre des Cavernes rendent les compositions osiriennes différentes des litanies de Rê qui accueillent le pharaon à l’entrée de la tombe.

Livre des Cavernes, sections 3 et 4.

Dans le Livre des Cavernes, Rê se métamorphose en homme criocéphale pour pénétrer dans les profondeurs de la terre où réside Osiris (voir p. 47). Les théologiens de Philæ ont substitué à Rê leur propre dieu, Khnoum. Rê, soleil des ombres, régénère Osiris et Khnoum possède les clefs de la crue. Khnoum d’Éléphantine devient ainsi Khnoum-Rê, il revitalise Osiris pour que celui-ci irrigue la terre d’Égypte. Khnoum entre dans le monde inférieur pour faire des libations, des fumigations et une offrande funéraire, cela afin de renouveler la vie d’Osiris. [Bénédite, Philæ, 150 – photo Berlin nº 1187]

la nécropole d’osiris

Rê s’adresse à Osiris : « Je suis Rê dans le ciel supérieur, j’entre dans les ténèbres, j’ouvre la porte du ciel inférieur dans le monde caché, je marche dans le beau monde caché pour prendre soin d’Osiris. » Au centre de la caverne nº 3, Celui dont la décomposition est tenue secrète et dont la putréfaction est dissimulée est allongé dans un serpent ; la renaissance, toutefois, se manifeste par l’érection du sexe du dieu. Horus et Anubis préparent le corps d’Osiris, le lavant et l’enveloppant de bandelettes. Une fois les membres retrouvés et le corps reconstitué – par l’art d’Anubis tout particulièrement –, un nouvel être naît : L’âme d’Osiris se pose sur son cadavre. Anubis invoque le régent de l’autre monde, il inventorie le corps caché de celui qu’il a recomposé, il fait que le cadavre repose dans sa caverne. L’âme dont il est question est celle même qui se pose sur le buisson de Biggeh. Le cadavre est dissimulé par le végétal, qui joue le même rôle que les figures ovales ou les serpents des livres funéraires renfermant le corps divin. Dans le Livre des Cavernes encore, Isis et Nephthys exhaussent Osiris dans son mystère ; le corps incurvé de ce dernier, animé par le disque solaire, affecte la forme de l’astre lorsqu’il plonge dans la terre lors de son coucher. À Philæ, les déesses veillent sur le buisson sacré. Aux côtés de Rê figure Ptah, Celui qui crée les naissances, le façonneur des dieux, celui qui éjacule la semence qui forme les êtres. C’est lui qui façonne, sur son tour, le corps divin dans la chapelle du toit (voir plus haut, p. 60-61). Dans la dernière caverne, la lumière est créée dans l’Autre Monde : la vie provient des profondeurs de la terre. Il en va de même à Philæ où la vie que produit la crue a sa source, elle aussi, dans le sol. Après la momification, le cadavre est emporté à la nécropole par les quatre Enfants d’Horus (voir plus haut, p. 92).

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La traversée du bras d’eau est dévolue au crocodile ; la monture aquatique est pourvue d’une tête de faucon, puisqu’il s’agit d’Horus. En effet, si Isis procède à la quête terrestre des reliques sur terre, Horus récupère celles qui étaient tombées dans l’eau. Dans le Livre de Ce qu’il y a dans l’Autre Monde, le soleil de Rê chemine heure par heure durant la nuit.

Tombe de Ramsès VI, Livre de l’Amdouat, deuxième heure.

Pendant la deuxième heure, il voyage en compagnie d’autres barques réservées, respectivement, au dieu des céréales, au crocodile, à Hathor et à la Lune : le crocodile fait couler le flot, Hathor apporte le soleil matinal (sous forme de scarabée) et la Lune est guidée par Celui qui apporte l’ordre cosmique. La tête d’Osiris surplombe le crocodile, car c’est le dieu qui décide de la venue de la crue dont la couronne blanche symbolise l’origine.

la nécropole d’osiris

À la septième heure et grâce aux anciens magiciens, les ennemis d’Osiris sont entravés et décapités. Un crocodile sort alors de l’eau, il se pose sur un monticule où la tête d’Osiris est mise à l’abri des forces du mal : Lorsqu’il entend les voix de l’équipage de Rê, l’œil d’Osiris sort de sa nuque et ensuite la tête émerge depuis le rivage où elle est installée. Celui qui sait cela, son âme ne sera pas avalée par le crocodile. Dans cette représentation, l’intégrité et la légitimité sont symbolisées par l’œil ; la tête représente le pouvoir et le verbe.

Le reptile prend sa course du côté sud de la porte qui ouvre sur Biggeh ; il est encore sur la berge représentée par les fourrés de papyrus en feuilles et en boutons. Il fait nuit, comme l’indique la présence de la Lune : les rochers de la rive opposée sont à peine visibles alors que, dans la scène symétrique, ils se détachent nettement. Orion, assis, incarne l’âme d’Osiris dans le ciel ; devant lui, l’enfant représente à la fois le soleil levant et l’héritier. Les détails de la scène – reliques réunies et tête de faucon sur le corps d’un crocodile – expriment, là encore, l’intégrité retrouvée du pays, un fait du reste souligné par l’une des significations de l’hiéroglyphe du crocodile : « réunir, agglomérer ».

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Sur les îles de Senemet poussent le palmier-dattier, l’acacia, le tamaris et autres épineux ; les papyrus, quant à eux, ont disparu. Le tombeau ancien, dont aucun vestige n’a été retrouvé, devait se dissimuler sous tel ou tel de ces arbres. Quoi qu’il en soit, il était désigné par l’hapax menta, mot que l’on pourrait traduire par « la terre permanente ». Osiris ressuscité est entouré d’Isis et de Nephthys. La scène montre les buissons de l’île de Biggeh plantés au bord du canal (

) qui conduisait à la tombe du dieu. Du corps

en décomposition de celui-ci suinte le limon fécondant. Silence, recueillement et secret, telles sont les conditions à respecter dans ce lieu vénérable ; Rê lui-même les édicte : Que jamais ne manque le lait dans cette nécropole où se trouvent le buisson sacré et la sépulture divine d’Osiris ; que jamais ne cesse l’approvisionnement en eau. Que l’on ne frappe jamais le tambourin, que l’on ne joue pas de la harpe ou de la flûte. Que l’on n’y laisse entrer quiconque, ni un puissant ni un faible. Que l’on n’attrape ni oiseaux, ni poissons dans un large périmètre, au sud, au nord, à l’ouest et à l’est. Que personne ne parle à voix haute pendant les cinq jours épagomènes.

CONCLUSION

Dessin de Juan Friedrichs.

CONCLUSION

Salut à toi, Hâpy, qui jaillit de la terre pour faire vivre la Terre noire ! On ignore d’où il vient, on n’a pas trouvé sa source dans les écrits sacrés.

Des générations d’écoliers ont recopié ce classique de la littérature hymnique égyptienne. Et, de fait, les bienfaits du Nil étaient immenses : l’eau salvatrice, qui ne se tarit pas sous les brûlants rayons de Rê, assainit le pays et repousse les miasmes délétères ; elle engendre aussi l’abondance des récoltes nourricières. L’importance du grand fleuve était telle que l’on fit coïncider le début de l’année avec le premier jour de la crue. Les pharaons, d’autre part, n’ont jamais cessé de célébrer des cérémonies garantissant le retour du flot vivifiant. Encore au siècle des Antonins, le culte de l’empereur est étroitement associé à celui de la crue. Dans les grandes capitales religieuses, les prêtres ont très tôt cherché à rendre compte du mystère de la création ; dans le vieux pays où tout ou presque dépend de l’eau et de son vecteur souverain – le Nil –, les récits explicatifs ont mis celui-ci en rapport avec Osiris. L’endroit de cette fusion cosmique s’imposa naturellement ; il ne pouvait s’agir que du lieu où le fleuve, apaisé, prend sa physionomie définitive : le bassin de Senemet avec ses îles de Philæ et de Biggeh.

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Remarquable est la subtilité théologique avec laquelle l’événement prodigieux est mis en scène. Osiris, déjà auréolé du prestige revenant aux noyés, s’identifie complètement au fleuve avec ses singularités : les deux jambes divines deviennent les deux branches du Nil, séparées par les rochers de la Cataracte ; le corps décomposé se transforme en un limon fertilisateur ; le cadavre enfin repose à Biggeh, l’île inaccessible au milieu des eaux. Les dieux créateurs accompagnent le processus : Ptah de Memphis, « le père des dieux » et « l’eau primordiale et souterraine » ; Khnoum d’Éléphantine qui détient les clefs de la Cataracte et façonne les vivants avec la glaise du fleuve. Osiris épouse aussi le cours du Nil. Apparu très tôt à Busiris dans le Delta, il gagne bientôt Abydos au cœur du pays ; de ces centres principaux de son culte, il remonte plus tard à la source du fleuve. Assimilé à celui-ci, il aura été, du nord au sud et de l’aube de l’histoire à la femeture du temple de Philæ en 539 ap. J.-C., la divinité la plus universelle du pays. Seule Isis, la déesse suprême de l’Égypte des derniers feux, pouvait être la servante de « Celui qui vit éternellement ». Tes rituels seront éternels, ils continueront. Ta fête processionnelle, on ne l’oubliera pas. Tes temples seront conservés plus que ne durera le Soleil, tes fêtes ne cesseront d’être célébrées. Ton rituel éternel, il sera en vigueur ; les rites exécutés pour ton ka, ils seront renouvelés. Ta place sera approvisionnée tant que durera la Lune, sans qu’on cesse de prononcer ton nom. [Dendara X, 284, 289]

conclusion

TEXTES CITÉS DANS CET OUVRAGE BEINLICH Horst,

Die Photos der Preussischen Expedition 1908-1910 nach Nubien, Studien zu den Ritualszenen altägyptischer Tempel, Dettelbach, 2010-2018.

BÉNÉDITE Georges,

Le Temple de Philæ, Le Caire, 1883-1885.

BOURGUET Pierre du,

Le temple de Deir al-Médîna, Le Caire, 2002.

CAUVILLE Sylvie,

Le temple de Dendara X. Les chapelles osiriennes, Le Caire, 1997. [photographies : A. Lecler — dessins : B. Lenthéric].

CHASSINAT Émile,

Le temple d’Edfou IV et V, Le Caire, 1929-1930.

CHASSINAT Émile,

Le temple de Dendara II, Le Caire, 1934.

DAVIES N. de Garis,

The Temple of Hibis in el Khargeh Oasis III, New York, 1953.

DE WIT Constant,

Les inscriptions du temple d’Opet, à Karnak, Bruxelles, 1958.

JUNKER Hermann,

Das Götterdekret über das Abaton, Vienne, 1913.

JUNKER Hermann,

Der grosse Pylon des Tempels der Isis von Philä, Vienne, 1958.

ROCHEMONTEIX M. de, Le temple d’Edfou I, Le Caire, 1892. VANDIER Jacques,

Le papyrus Jumilhac, Paris, 1961.

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TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ..........................................................................................

3

PHILÆ : ISIS ET OSIRIS ................................................................................ 15 LA COUR OSIRIENNE................................................................................... 25 la protection de l’entrée ...................................................................................

26

la paroi ouest .......................................................................................................

29

la paroi nord .......................................................................................................

35

la paroi est ...........................................................................................................

40

l’atelier d’embaumement ....................................................................................

48

l’accès à la chambre des mystères ......................................................................

51

LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROIS LATÉRALES .................................... 55 anubis ....................................................................................................................

55

les enseignes ........................................................................................................

57

khnoum et ptah, les potiers divins ....................................................................

60

le cortège divin ...................................................................................................

66

le registre supérieur ...........................................................................................

75

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LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI SUD .................................................... 81 tableau nº 1. les mystères d’osiris pendant le mois de khoiak .......................

83

tableaux nºs 2-3. la momification d’osiris .........................................................

87

tableau nº 4. le réveil d’osiris ............................................................................

91

tableau nº 5. vers la nécropole .........................................................................

92

tableau nº 6. la source du nil ............................................................................

95

tableau nº 7. le reliquaire de philæ ..................................................................

99

tableau nº 8. le reliquaire de busiris ................................................................ 106 tableau nº 9. le reliquaire d’abydos .................................................................. 108 LA CHAPELLE OSIRIENNE, PAROI NORD ................................................ 113 biggeh : l’arbre sacré .......................................................................................... 116 la barque de sokar et les quatre fils d’horus .................................................. 121 osiris en gloire .................................................................................................... 123 LE PRONAOS .................................................................................................. 127 le pronaos : espace férial et cosmique .............................................................. 127 les architraves ..................................................................................................... 128 LA NÉCROPOLE D’OSIRIS ........................................................................... 139 biggeh ................................................................................................................... 139 le portique d’osiris ............................................................................................. 143 CONCLUSION ................................................................................................ 155 textes cités dans cet ouvrage ............................................................................ 157