Musique et fêtes au Haut-Atlas [Reprint 2020 ed.] 9783112321430, 9783112310243


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French Pages 164 [160] Year 1980

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Table of contents :
ORIGINE DE LA RECHERCHE
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION. LE HAUT-ATLAS ET LES AYT MGUN
CHAPITRE I. LA MUSIQUE DE VILLAGE CIRCONSTANCES ET CONDITIONS DE SON EXÉCUTION
CHAPITRE II. POÈTES ET MUSICIENS DE VILLAGE
CHAPITRE III. POÈTES ET MUSICIENS PROFESSIONNELS
CHAPITRE IV. LES GENRES
CHAPITRE V. LES FORMES MUSICALES
CHAPITRE VI. LA FÊTE COMME CADRE DE PRODUCTION POÉTIQUE ET MUSICALE
CHAPITRE VII. LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
CHAPITRE VIII. APERÇUS SUR LE SYSTÈME MUSICAL
CHAPITRE IX. GLOSSAIRE DES PRINCIPAUX TERMES TECHNIQUES
ANNEXE I. TEXTE DES CHANTS ET TRADUCTION
ANNEXE II. PHONÈMES DU CHLEUH DES AYT MGUN
BIBLIOGRAPHIE
DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE
CARTES
TABLE DES MATIÈRES
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Musique et fêtes au Haut-Atlas [Reprint 2020 ed.]
 9783112321430, 9783112310243

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MUSIQUE ET FÊTES AU HAUT-ATLAS

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

CAHIERS DE L'HOMME

Ethnologie - Géographie - Linguistique NOUVELLE

SÉRIE

XX

MOUTON ÉDITEUR - PARIS - LA H A Y E - NEW YORK ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES - PARIS

BERNARD LORTAT-JACOB

MUSIQUE ET FETES AU HAUT-ATLAS Ouvrage publié avec le concours du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

MOUTON ÉDITEUR - PARIS - LA HAYE - NEW YORK ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES - PARIS

Transcriptions musicales dessinées par Violante Fleurquin

Ce volume est accompagné m fine d'un disque 33 tours, 17 cm. Il a été tiré à 1200 exemplaires, dont 700 pour l'École des Hautes Études en Sciences sociales, Paris I Mouton Éditeur, et 500 pour la Société Française de Musicologie. ISBN

: 2-7132-0697-9 (EHESS) 2-7193-0464-6 (Mouton IParis) 90-279-7877-8 (Mouton ILa Haye)

© 1980 École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris Imprimé en France

ORIGINE DE LA

RECHERCHE

J e ne me serais probablement pas intéressé à la musique berbère si Gilbert Rouget ne s'y était intéressé avant moi. Il avait rapporté d'un bref séjour au Maroc en 1964 des enregistrements qu'il me fit entendre et que très spontanément il me confia lorsque quelques années plus tard, à la fin de l'année 1968, je vins le voir au Département d'Ethnomusicologie du Musée de l'Homme. Ce large échantillonnage de musique comprenait surtout des chants de mariage et des chants de meule qui montraient la musique berbère sous un aspect complètement neuf. Rien à voir avec les mélodies au lyrisme plus ou moins sophistiqué de Madame Amrouche. Rien à voir non plus avec les percussions brillantes publiées notamment par J . Mazel et M. Benitah et, aux États-Unis (chez Ethnie Folkways), par H. Cowell ou C. Wanklyn et dont l'originalité m'apparaissait d'ailleurs mal. Les enregistrements de G. Rouget nous faisaient entrer dans un monde esthétique nouveau : des voix très tendues, monnayant avec une extrême concision de petites unités musicales. J e m'enthousiasmai immédiatement pour la beauté des voix et pour la rigueur du discours, et passai plusieurs mois à transcrire et analyser cette musique dont la forme centonisée correspondait fort bien à mes préoccupations scientifiques d'alors. J ' y relevai une économie de fonctionnement très particulière : peu de constituants de départ (peu de notes, si l'on préfère) et une très grande multiplicité de combinaisons. J ' y voyais, un peu naïvement, un trait particulier à la musique berbère. Cette caractéristique formelle, lorsque j'y pense maintenant après avoir entendu de nombreuses autres musiques berbères, serait plutôt à mettre en relation avec la fonction de cette musique et serait attribuable à une origine géographique et culturelle commune (ces enregistrements provenaient pour la plupart du Moyen-Atlas et des régions orientales du Haut-Atlas). Un peu plus tard, pendant l'été 1969, j'ai découvert au Haut-Atlas une tout autre musique. J e me suis rendu au Haut-Atlas sur l'invitation de Hassan Jouad que j'avais rencontré la même année au cours de berbère de Lionel Galand (il était alors répétiteur de berbère). L'orientation de mes recherches s'est vue assez directement liée à notre amitié et c'est chez lui, en pays Ayt Mgun, que j'ai effectué la plupart de mes missions1. 1. Missions en pays A y t Mgun et chez les groupes voisins : 1969 (30 août-30 sept.), 1970 (20 août-15 sept.), 1971 (17 août-2 oct.), 1975 (27 juil.-30 sept.). J ' a i en outre fait avec Hassan Jouad une mission au Haut-Atlas oriental en 1973 (18 août-21 sept.) et plusieurs courts séjours dans différents groupes : chez les Zayan du Moyen-Atlas, où j'ai également travaillé sans lui

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MUSIQUE

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FÊTES

AU

HAUT-ATLAS

J'ai, depuis 1969, toujours travaillé de très près avec Hassan Jouad. La nature même de notre collaboration fait qu'il m'est difficile, au delà de la présentation des faits, de distinguer ses idées des miennes. Cette collaboration a, par ailleurs, eu une autre suite : un ouvrage que nous avons conçu et écrit ensemble sur les fêtes du Haut-Atlas (Jouad et Lortat-Jacob 1978). Lors de rencontres hebdomadaires (parfois même quotidiennes) et au cours de conversations le plus souvent informelles, nous avions l'habitude de nous remémorer et de réinterpréter ce que nous avions vécu ensemble. Nous avons raisonné sur les problèmes de sa culture. Le plus souvent, je le suivais plus que je ne le précédais dans l'explication des faits. Dans certains cas, les divergences de nos vues se sont en elles-mêmes montrées fécondes. Aussi ce travail lui doit-il énormément. Le matériel collecté durant mes trois premières missions m'a permis d'écrire et de soutenir une thèse de doctorat de 3 e cycle sous la direction de Nicolas Ruwet (Lortat-Jacob 1973), qui a fourni la base du présent travail et qui comprenait déjà bon nombre d'éléments que l'on retrouvera ici. L'idée de la réalisation de ce livre revient à Gilbert Rouget que je remercie ici très vivement. En outre, bon nombre de ses remarques et de ses critiques, faites au fil des pages que je lui donnais à lire au fur et à mesure que le travail avançait, ont contribué à améliorer cette étude. Le manuscrit a aussi bénéficié des remarques de Dan Sperber, de François Lesure, de Claude Blanc, de Pribislav Pitoëff et, notamment pour ce qui est des problèmes épineux du berbère, des conseils et des corrections de Lionel Galand. Que tous soient ici remerciés de leur amicale attention. Qu'il soit cependant clair que les inexactitudes, qui demeurent en dépit de ces lectures bienveillantes, me sont exclusivement imputables.

pendant six semaines {1970), chez les A y t Hddidu (1970 et 1971), au Haut-Atlas occidental, dans la vallée de l'Ourika, chez les A y t Atman (1971 et 1975). Pour toutes ces missions, j'ai bénéficié d'une prise en charge financière du C N R S (RCP 178 et E R 165 ; responsable de formation : G. Rouget, Département d'Ethnomusicologie du Musée de l'Homme) à l'exception toutefois de la dernière pour laquelle je n'ai bénéficié que de prêt de matériel. Enfin, depuis la remise du manuscrit à l'éditeur, j'ai en 1978 effectué une mission au Haut-Atlas central, chez les Igliwwa, et au Moyen-Atlas oriental (15 sept.7 nov.).

AVANT-PROPOS L'Encyclopédie de l'Islam, consacre, dans son édition de 1967, une vingtaine de pages aux Berbères et à peine un paragraphe (une dizaine de lignes) à leur musique. On mesure immédiatement par là même à quel point l'ouvrage qu'on va lire est spécialisé. Ceci d'autant plus qu'il ne concerne pas la dizaine de millions de Berbères vivant actuellement au Maghreb ni même les huit millions de Berbères marocains, mais principalement un groupe du Haut-Atlas central, les A y t Mgun (à peu près huit mille personnes). Une monographie est toujours pourvue d'une certaine grandeur due à la disproportion qui existe entre les efforts que demande sa réalisation et le caractère limité des résultats qu'elle présente. Il me semble pourtant que peu de musiques sont, autant que la musique berbère du Haut-Atlas, justiciables d'une approche monographique. Pour deux raisons au moins. La première est que le Berbère a une existence mythique très vivace. Elle tire d'ailleurs ses origines des manipulations manichéistes du Protectorat français qui, en exploitant au maximum à des fins politiques la différence entre les Arabes et les Berbères, entretenait une idéologie plus que suspecte. De nos jours, le mythe a changé de mains. Dans les six grandes pages que consacrait au Maroc un numéro récent du journal Le Monde (19 novembre 1976), le mot « berbère » n'est pour ainsi dire pas mentionné et la Berbérie semble avoir perdu toute existence, hormis celle — procédant d'une récupération opportuniste — qu'affichent les panneaux publicitaires touristiques où l'on voit des femmes berbères occupées à danser. La deuxième est que la musique berbère a presque toujours été divulguée sous des traits falsifiés. Qu'on songe aux prestations de Madame Amrouche par exemple ou encore aux notices des disques de Jean Mazel. Souvent quelques jugements, dont l'apriorisme a de quoi effrayer, remplacent une connaissance réelle Alexis Chottin fait cependant ici figure d'exception ; son grand mérite (cf. notamment Chottin 1938) a été de reconnaître à la musique berbère une originalité. Encore faut-il noter, pour être tout à fait juste, le déséquilibre chez lui entre le nombre de pages consacrées aux musiques arabe et berbère : trois quarts pour un quart.



i. Notamment Bousquet (1974 : 92) : a Pour ce qui est de la musique, qui a été peu étudiée, mais qui sans doute a dû être influencée par la musique arabe, il n ' y a rien à signaler qui paraisse intéressant. »

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MUSIQUE

ET

FÊTES

AU

HAUT-ATLAS

La thèse de ce livre est somme toute banale et tourne autour du thème suivant : la musique berbère ne serait pas ce qu'elle est si la société berbère n'était pas ce qu'elle était. Les pages qui suivent ne sont pas autre chose qu'une suite de variations sur cet aphorisme. La manière dont la musique est réglementée et pratiquée suit des schémas qui ne sont pas différents de ceux qui amènent les gens à irriguer leurs champs, cultiver leurs terres, inviter leurs alliés ou leurs amis, ouvrir les terres de pacage aux animaux, autoriser le gaulage des noix, commander des travaux collectifs (tiwizi), pratiquer une entraide systématique où chacun n'hésite pas à se déposséder de ce qu'il a pourvu que cela serve à la communauté. Aussi le trait fondamental de la musique du Haut-Atlas est-il à chercher d'abord en deçà de ses caractéristiques formelles ; dans ses principes de production, la musique est d'abord une activité collective. Elle n'est en aucune façon un art individuel ni un art d'agrément, mais répond à une conduite hautement socialisée. On ne saurait faire de musique sans entrer dans un jeu où les décisions relèvent du groupe et que, de ce fait, on ne peut appeler autrement que politique. Qui va-t-on inviter, et pour quoi ? Qui va chanter, et pour qui ? Que va-t-on chanter, et pour quoi ? Que peut-on faire sans choquer personne et que faut-il faire pour occuper tout le monde plusieurs soirs avec de la musique ? Comment danser sans bouleverser l'ordre social, sans mettre en cause la pudeur des hommes ni, surtout, celle des femmes ? Voici les principales questions que l'on se pose à l'entrée de chaque fête, avant que la musique ne commence, et auxquelles on est tenu de répondre par un choix collectif. « A l'entrée de chaque fête », car musique et fête vont de pair : l'existence de la musique est liée à celle de la fête. Pas de fête sans musique ni musique en dehors de la fête, si ce n'est quelques chants qui, dans la majorité des cas, ont été rendus publics lorsque la fête battait son plein et qui sont donc en quelque sorte des produits de récupération que l'on chante seul, à l'abri des oreilles indiscrètes. Ces fêtes — mariage et circoncision principalement — sont des fêtes d'été. La musique qui s'y trouve liée est donc une activité essentiellement saisonnière, une activité de belle saison. L'été est une période climatiquement et socialement chaude, tranchant avec la saison d'hiver qui, du fait de l'altitude, est particulièrement rigoureuse. Pendant l'hiver, les chemins sont impraticables ; les villageois vivent sur les réserves d'été, sans guère bouger de chez eux : les activités d'hiver sont surtout des activités de survie. L'été au contraire voit la société soudainement s'ouvrir. Les gens se reçoivent fréquemment et se déplacent sans risquer de trouver le mauvais temps en chemin. En cette saison, le travail ne manque pas. Les moissons sont faites (et l'on sait de combien d'argent on dispose pour les fêtes sans risquer de se ruiner définitivement), mais d'autres travaux sont en cours : transport des récoltes, du fumier, constitution de réserves de bois pour l'hiver, construction ou reconstruction des maisons, premiers labours, allers et retours dans les pâturages d'été où les bêtes sont gardées... Ce travail, comme la musique et les fêtes qui l'interrompent, intéresse tout le monde. Pendant l'été, au fil des besoins et des réjouissances, les groupes se forment et se reforment incessamment. Cette saison, à plus d'un titre donc, est le moment idéal de l'enquête ethnomusicologique.

INTRODUCTION

LE HAUT-ATLAS ET LES AYT MGUN Tuf tiqi zzitun Yuf udrar azagar Tuf ASa ibba eli Urs? « Le genévrier [arbre de montagne] vaut mieux que l'olivier [arbre de plaine] La montagne vaut mieux que la plaine Acha vaut mieux que le père Ali Est-ce sûr ? » (Comptine imitant le roucoulement pigeon)

du

Pendant le Protectorat, l'administration française avait dénommé « Maroc utile » les grandes plaines dont les terres, ouvertes à toute pénétration et limitées seulement par les hautes montagnes de l'Atlas, laissaient libre cours aux exploitations de vaste envergure. La montagne à l'occasion fournissait un filon : celui de ses mines (manganèse, plomb, zinc et cuivre). Mais elle était trop pauvre pour intéresser sérieusement le pouvoir central et justifier quelque investissement. Aussi, durant ce siècle comme durant les précédents, elle fut en grande partie tenue à l'écart des courants de colonisation qui, par ailleurs, marquèrent si profondément les sociétés maghrébines qu'on a pu écrire que de facto leur histoire se confondait avec celle de leur invasion. Mais la montagne n'était pas qu' « inutile ». Elle était en fait inutilisable. D'abord à cause de l'absence de routes (de nos jours encore le Haut-Atlas n'est traversé, du nord au sud, que par deux routes goudronnées distantes à vol d'oiseau de plus de deux cent cinquante kilomètres : route du Tichka à l'ouest, route de Midelt à l'est). Ensuite parce qu'elle était dans une situation de conflit endémique avec le pouvoir central (makhzen). Pendant toute la première moitié de ce siècle, c'est-àdire durant la « pacification » (à ce terme délicat, les montagnards préfèrent le mot « guerre », plus exact), l'alliance ou le refus d'alliance avec le pouvoir, selon un schéma bien connu, divisa la montagne en deux partis antagonistes : hostile au makhzen d'une part, collaborateur de l'autre. Mais lorsque maintenant on parle de cette période, pourtant récente, le mot qui vient à l'esprit est celui de « folie » (dans le sens de « chose insensée »).

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MUSIQUE

ET

FÊTES

AU

HAUT-ATLAS

De nos jours, en dépit des tracas qui surgissent des rapports souvent difficiles avec l'administration et malgré des conditions de vie exceptionnellement dures où le recours à une émigration quasiment obligatoire et l'organisation d'une pénurie endémique tiennent lieu d'expansion, les montagnards vivent dans une relative liberté. A sa façon, cette étude sur leur musique en est le témoignage. i. Orientation Il y a plusieurs façons de trouver le pays A y t Mgun sur une carte du Maroc : on peut remonter d'ouest en est le cours de la Tasawt (orthographiée Tessaoute sur les cartes d'état-major), jusqu'à trente kilomètres environ en amont du barrage de A y t Aadel, ou on peut prendre du nord au sud une ligne joignant Demnate et Ouarzazate et marquer son milieu x. Cette dernière façon de se repérer est plus familière pour les A y t Mgun. Pour eux, la Tasawt n'a d'existence que parce que son eau claire permet une irrigation sans laquelle il n'y aurait pas de cultures. On sait qu'elle prend sa source chez les A y t Âffan qui sont leurs voisins ; on ne se soucie pas trop de savoir où elle va : vers la plaine. En revanche, tous les A y t Mgun (du moins, tous les hommes) connaissent Demnate et beaucoup connaissent Ouarzazate. Chacun de ces bourgs est distant de chez eux de soixante kilomètres : un jour de marche ou de mule. Mais c'est à Demnate que l'on va le plus volontiers ; c'est un gros bourg desservi par une piste pratiquante huit mois sur douze et qui s'arrête (pour l'instant, car des travaux sont en cours) sur la frange ouest du pays A y t Mgun. En outre, c'est à Demnate que se trouvent les Ibiru (bureaux de l'administration) 2 . Lorsqu'ils s'y rendent, les A y t Mgun entrent en contact avec le monde des villes, mais aussi avec la langue et la culture arabes. 2. Les bases de la société « A y t Mgun » désigne à la fois un pays (c'est-à-dire une unité territoriale) et une population. A y t Mgun est une fraction — taqbilt dans la terminologie de l'administration 3 — appartenant à l'unité administrative (tribu) Infdwak ou Ftouaka 4 1. La carte i (in fine) montre que le pays A y t Mgun se trouve à un point de contact entre le socle cristallin de l'ouest et les sols calcaires plissés de l'est. Inséré entre ces deux ensembles, le sol a y t mgun est fait de roches tendres du trias. Les montagnes qui l'entourent sont calcaires. L a comparaison avec la carte 2 (in fine) met en évidence une relation assez étroite entre la nature du sol et le mode d'économie (à dominante agricole ou pastorale). 2. Actuellement des travaux sont en cours pour l'installation des bureaux du khalifa, adjoint du caïd, à A y t Tamllil, en bordure du pays A y t Mgun. 3. Le mot taqbilt a un sens différent pour les autochtones. Il désigne la société rurale montagnarde dans son ensemble, sans restriction de territoire. Pour désigner la fraction, les A y t Mgun utilisent volontiers le mot timgra, formé sur amgar « chef ». Chaque fraction en effet a son amgar, coopté en assemblée (Ijumuea) et rétribué, d'ailleurs modiquement, par l'administration. L'amgar représente les siens auprès d'un caïd qui, lui, est nommé par le pouvoir central. L a fraction, qui donc est la plus grosse unité politique non directement dépendante du pouvoir central, constitue une entité dans laquelle les Berbères de la montagne se reconnaissent le plus volontiers. 4. Ftouaka est la forme arabisée, adoptée par l'administration, du berbère infdwak.

INTRODUCTION

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qui, sur une superficie de l'ordre de mille kilomètres carrés, regroupe plusieurs dizaines de milliers d'habitants. La fraction des A y t Mgun est située en haut pays Ftouaka (les villages les moins élevés sont à 1 700 m d'altitude, les plus élevés à 2 200 m ; les pâturages d'été sont à 2 400 m et plus) ; elle occupe une superficie d'environ deux cents kilomètres carrés et comprend plus de huit mille habitants. Une fraction comprend un certain nombre d'îgss « os » 1 ; il y a cinq « os » ayt mgun. L'igss, comme la fraction, recouvre un certain espace (généralement quelques villages d'une même vallée) et implique une relation de lignage : sont d'un même igss les hommes vivant sur un même sol. Ils appartiennent à cet igss parce que leurs pères en faisaient partie. Leurs épouses peuvent être d'un igss voisin, mais les enfants appartiennent à l'igss de leur père. Un igss est composé d'un certain nombre de foyers (takat « feu ») ; une takat rassemble les hommes, femmes et enfants vivant au même feu, nourris par la même cuisine. Devenus adultes, les enfants peuvent rester avec leurs parents et grands-parents ou, s'ils ont des terres et un peu d'argent hérités de leur père, ils peuvent, après leur mariage, habiter dans une maison voisine ; ils y fonderont une takat distincte faisant partie du village. On compte environ trente-cinq villages ayt mgun ; les plus petits ont soixantedix habitants, les plus gros sept cents 2 . Ils sont situés en bordure des cours d'eau, à proximité de l'étroite bande de terre que rend cultivable une irrigation régulière. Pratiquée sur ces terrains aménagés en terrasses, l'agriculture fournit aux villageois l'essentiel de leur subsistance ; orge et blé d'une part, maïs et millet de l'autre, cultivés en alternance, donnent la nourriture de base que l'on consomme sous forme de pains, de galettes, de crêpes, de couscous... L'élevage était autrefois pratiqué surtout pour le fumier qu'il rapportait. De nos jours, avec l'augmentation de la population, l'élevage est devenu une nécessité vitale. Il existe cependant encore quelques familles qui ne vivent que d'agriculture. Les bêtes sont durant l'hiver confiées à un garçon de la famille ; elles sont gardées, à proximité du village, dans la forêt où elles se nourrissent de branches d'arbustes. Au début de l'été, avant les premières fêtes, les bêtes sont conduites sur les hauteurs, dans les Itzib. Généralement un Izzib n'est pas seulement un pâturage : une partie des terres est aménagée pour la culture des céréales et, durant tout l'été, une partie importante des hommes et des femmes du village y résident pour travailler, habitant dans des bergeries qui, comme la plupart des maisons des vallées, sont construites en pierre. Les noyers qui — pourvu qu'ils aient de l'eau — s'accommodent d'une forte altitude (jusqu'à 2 400 m) et les amandiers qui poussent dans les parties basses du pays (environ 1 800 m) sont les principaux arbres fruitiers. Noix et amandes sont vendues aussitôt après avoir été cueillies (en septembre). Les noyers du HautAtlas sont superbes. Des sociétés de menuiserie et d'ébénisterie les achètent sur pied lorsqu'ils produisent encore. Elles n'hésitent pas à aménager, dans le lit même des rivières, des pistes éphémères, utilisables un seul été, qui livrent à leurs camions GMC l'accès aux plus beaux arbres. 1. Dans la littérature ethnographique marocaine (notamment Montagne 1930a et Berque 954). I e mot igss — transcrit ikhs — est traduit par >

ahwas tamgra

Précisons que la contrainte d'enchaînement s'exerce dans le sens Imsaq-ahwaS et tagzzumt-tamgra, et non dans le sens inverse. Il est toujours possible, après un court silence, de faire suivre un ahwaé par un autre ahwaé ou par une tamgra, une tamgra par une autre tamgra ou par un ahwaé, bref d'enchaîner plusieurs danses. Le cycle complet se présente de la façon suivante (la flèche interrompue signale un silence entre les exécutions) : Genre 2

Genre 3

Imsaq

>

ahwas

tagzzumt

>

tamgra

^^

tamgra *

ahwas

1. L ' a h i d u s des A y t  f f a n est, comme son nom l'indique, originaire de chez les A y t  f f a n (Imghran) où il a pour nom amigar. Son air est utilisé — mais de façon non systématique — pour la danse aSala (cf. chapitre v i : I I I . i . b ) . Autre forme venant, elle, de chez les A y t Mdiwwal qui s'en sont fait une spécialité : VahwaS-arjdal « ahwai boiteux », désigné ainsi à cause de son rythme asymétrique. Les exécutions a y t mgun de Yarjdal, comme de VamSgar, sont souvent maladroites ; Vamzgar est, semble-t-il, moins prisé qu'autrefois. Uarjdal au contraire, sans doute parce qu'il renouvelle heureusement une forme très appréciée (Vahwai), est en net progrès. Quoi qu'il en soit, ces deux formes, nettement marginales dans le répertoire, ont été délibérément écartées de notre inventaire. 2. Le couple Imsaq-ahwai est appelé bumzdi, mot surtout utilisé pour désigner deux fruits (surtout des noix) poussant sur une même branche.

MUSIQUE

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Tableau

Genres

Composantes

a. Vers rituels chantés

vers

b. Poésie à chanter

c. Musique à danser Type i :

Type 2 :

vers

ET

FÊTES

AU

HAUT-ATLAS

i

Formes

\ llèa

urar

llga

Imsaq, tagzzumt, tazrrart i

agnza

tamgra, tazrrart 2

\

tambour

\

danse

/

tambour

\

danse

agnza

/

\ ahwaS

vers (tahwa.it) \

/ Uga

air (;tallgat)

/

a. Les vers rituels chantés se composent d'un llga (vers + air). Ce genre comprend plusieurs types de structure poético-musicale (ce qui n'apparaît pas dans le tableau) qui, tous, portent le nom à.'urar. b. L a poésie à chanter se compose, comme les vers rituels, d'un llga. Cependant, alors que dans le genre précédent on relève plusieurs types de structure poético-musicale, ici les différentes formes sont d'un type unique : chacune d'elles comprend une seule et unique structure. c. Dans la musique à danser, deux composantes au moins sont attestées : tambour et danse. Plusieurs formes appartiennent à ce genre, mais il en est au moins une (la plus complexe de toutes) qui associe les composantes des deux premiers genres avec celles propres au troisième ; il s'agit de YahwaS. Entre parenthèses sont portés les mots qui, dans VahwaS, sont utilisés pour définir les composantes poétique et musicale (respectivement tahwaSt « vers » et tallgat « air »). On remarque ici que, comme dans les autres formes de musique à danser, le jeu du tambour et la danse qui l'accompagne sont globalement dénommés par un seul terme (ahwas) qui inclut donc à la fois une notion de forme tambourinée (non spécifiquement nommée), une danse (également non spécifiquement nommée), un vers (tahwait) et un air (tallgat). E n outre, ces deux termes vernaculaires sont génériques et englobent plusieurs structures poétiques et musicales.

LES

GENRES

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Après la danse, on a soit un retour à la poésie, soit une nouvelle danse. Il n ' y a pas de limite théorique au nombre de formes de genre (c) enchaînables, mais entre chaque danse il y a des interruptions plus ou moins longues. A u cours de ces interruptions, les équipes de tambourinaires se renouvellent et les tambours sont à nouveau chauffés au-dessus du feu 1 ; on notera qu'entre les genres (b) et (c) il n ' y a pas d'interruptions : après la poésie, la danse. Dans le couple Imsaq-ahwaS, la danse s'amorce presque insensiblement et l'enchaînement entre les deux formes se fait de façon très progressive. L e schéma ci-dessus rend encore compte d'un fait important : un poème n'est jamais exécuté seul, il est toujours suivi d'une danse. Poème et danse constituent un ensemble mais, de par sa place dans le couple, la danse (un peu comme un finale) a une fonction spécifique, conclusive, car une exécution musicale ne s'achève jamais sur un poème, mais toujours sur une danse. Il y a danse juste avant les repas, avant le sommeil, avant qu'un groupe de musiciens ne reparte chez lui, etc. Si la danse a une fonction conclusive, cette fin est heureuse : la danse, et en particulier Yahwaà où participent ensemble tous les hommes et toutes les femmes (dans les limites, et parfois au delà des limites qu'imposent les dimensions de la place du village), a le caractère d'une réconciliation générale. L a poésie chantée, elle, est rarement réconciliatrice ; elle est plutôt facteur de désordres. Dans son principe même, elle est fauteur de troubles : tour à tour, les poètes du village et des villages invités prennent la parole (« prennent le chant », diraient les A y t Mgun). Ils donnent des informations sur le monde et amènent les gens à se remettre en question. Parfois aussi ils dialoguent entre eux et les prises de position sont aussi des « prises de bec ». Les querelles de poètes sont parfois à l'origine de conflits importants ; souvent elles font suite à une situation conflictuelle entre hommes et femmes, entre villages ou entre groupes. L a danse — conclusive — sauve au moins la face : elle occupe le corps, distrait et réjouit.

i. E n 1975, une mode est apparue à A y t Mgun : elle consistait à enchaîner toutes les formes tambourinées possibles (agnza), de toutes les façons imaginables, sans ménager entre chaque forme de moments de silence. Cet exercice de style, brillant du fait des mécanismes musicaux et de la maîtrise instrumentale qu'il suppose, ne se fait encore qu'à la leamt entre musiciens ; ce n'est qu'un amusement qui bouleverse les conceptions traditionnelles selon lesquelles chaque genre et chaque forme à l'intérieur des genres a une fonction spécifique, mais il n'est pas exclu qu'il passe un jour les frontières de la leamt pour s'imposer, un peu comme un spectacle, sur la place publique.

CHAPITRE V

LES FORMES MUSICALES Ce chapitre présente les différentes formes entrant dans les genres que nous avons définis dans le chapitre précédent et précise les circonstances dans lesquelles chacune d'elles est normalement exécutée. Il a pour indispensable complément la suite d'illustrations sonores donnée dans le disque encarté. I. LES D I F F É R E N T E S

FORMES

L'urar, la tagzzumt, le Imsaq, la tazrrart, la tamgra et l'ahwaé sont les principales formes musicales ayt mgun. i. Urar L'urar est toujours exécuté sans accompagnement instrumental par un double chœur de femmes chantant en alternance dans des conditions bien déterminées : mariage ou circoncision (cf. chapitre vi : I I I . i et 2). Ces fêtes ne sont en principe pas célébrées sans l'urar qui, lui-même, n'est jamais chanté en dehors d'elles ; l'urar a donc tous les traits d'un chant rituel où aucune place ne reste à l'improvisation ou à la création. La marge de liberté laissée aux choristes se limite au choix d'un petit nombre de vers dont la tradition a fixé la forme et le contenu. En dépit du contenu de certains de ses vers, l'urar n'est pas à proprement parler un chant religieux. Sa fonction est d'accompagner un ensemble de gestes, très importants d'un point de vue social mais qui ne mettent la communauté en relation avec aucun dieu ni aucun marabout. Au demeurant, la religion (ou, plus exactement, sa pratique) est un domaine surtout réservé aux hommes. De nos jours, les femmes ayt mgun n'ont qu'une connaissance fragmentaire de l'urar : dans la plupart des cas, seuls quelques vers sont chantés. Lorsque le rituel traditionnel s'est conservé, l'urar est chanté quand les enfants sont conduits chez le circonciseur (mallem) et à quatre moments du mariage : le départ de la mule qui va chercher la mariée chez elle, le départ de la mariée de sa maison, son arrivée chez son mari et enfin le lendemain de la fête. Les vers, par leur contenu même, sont plus ou moins adaptés à ces différents événements. Certains ne se rapportent pas à un moment précis du déroulement du rituel ; c'est le cas, par exemple, du vers bismillah ya rrhman irahim « au nom de Dieu, clément et miséricordieux », formule coranique berbérisée. D'autres sont plus étroitement liés au rituel : ainsi tuàkid d ad am ig rbbi lewan « tu es venue, que Dieu te vienne en aide »,

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MUSIQUE

ET

FÊTES

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chanté exclusivement au moment du départ de la mariée vers la maison de son mari et s'adressant aux isnnayn, c'est-à-dire à ceux qui sont venus la chercher. Les femmes mariées ou divorcées chantent l'urar, pas les jeunes filles ; de jeunes enfants, accompagnant leur mère, peuvent se trouver alors parmi les femmes, mais bien entendu ils ne chantent pas. Les choristes ne sont ni des professionnelles ni même des spécialistes ; elles ne sont jamais rétribuées. Ce sont des parentes ou amies soit de la famille de la mariée pour les chants se rapportant à la cérémonie du départ de la mariée de son village, soit de la famille du marié pour ceux se rapportant à la cérémonie de son arrivée (cf. chapitre vi : III.i.c et d). Il n'y a pas à proprement parler de chef de chœur ; c'est la femme qui connaît le mieux l'urar et les traditions s'y rapportant qui, tout en suivant le déroulement des différents moments de la cérémonie, prend l'initiative des départs et des interruptions du chant. C'est également elle qui, lorsque c'est nécessaire, indique à voix basse les vers qu'il faut chanter. Elle n'en donne pas l'air : chacun de ces vers, on le verra, est toujours associé à un seul air (ttga). L'urar du disque encarté (face A, plage i) a été enregistré au moment du départ de la mule vers la maison de la mariée. Comme tous les urar semble-t-il, il est précédé de trois youyous nettement espacés 1 et suit un schéma antiphonal. On repérera trois phrases musicales correspondant à trois vers chantés en alternance par chaque partie du double chœur. Chaque phrase se termine par une note tenue sur laquelle le chœur opposé fait un tuilage en chantant sa propre phrase avant que l'autre chœur n'ait terminé la sienne. C'est toujours le même chœur qui entonne un nouveau vers, l'autre ne faisant donc que répéter ce que le premier a dit. Dans chaque chœur, les femmes chantent en homophonie ; cependant on remarquera le jeu existant entre certaines notes différentes chantées simultanément, ce qui donne au chant une épaisseur harmonique. Ce phénomène est probablement systématique ; il est trop fréquent pour être purement accidentel, compte tenu surtout de ce que ce chant est exécuté dans des conditions rituelles, c'est-à-dire dans des conditions qui, du point de vue musical, offrent les meilleures garanties de bonne exécution. 2. Tagzzumt Selon les régions du Haut-Atlas, tagzzumt désigne des formes poétiques différentes 2. La tagzzumt ayt mgun n'est, semble-t-il, pas connue en dehors de chez eux et de leurs voisins immédiats. De ce fait, les vers de tagzzumt constituent un répertoire spécifique au groupe ; dans le cadre de ce répertoire, l'emprunt n'a pas cours. La tagzzumt, comme la tamgra qui la suit, est assez étroitement liée au mariage. On ne la chante guère que sur la place publique et jamais dans d'autres situations que celles créées par la fête. Actuellement la tagzzumt et la tamgra sont de moins en moins chantées et dansées (alors que nombreux sont les hommes à savoir improviser des Imsaq, peu ont une pratique suffisante pour improviser des tagzzumt). Ceci est à mettre au compte d'un appauvrissement général du rituel (cf. ci-dessous I.5 et Jouad et Lortat-Jacob 1978 : 97-98) et des transformations des conditions d'exécution de ces deux formes. L'urar est, bien entendu, la première victime 1. L a naissance d'un garçon est également annoncée par trois youyous. Ce fait est signalé par L e g e a y (1926). 2. Cette observation est généralisable à un nombre important de termes. D'une région à l'autre de l'Atlas, un même signifiant véhicule souvent des signifiés différents mais de même famille.

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de cet état de choses, mais la tagzzumt et la tamgra — qui sont aussi, quoique à des degrés moindres, liées au rituel du mariage (et non, comme l'ahwaS, uniquement à son aspect profane) — en souffrent également. Tagzzumt et tamgra sont le plus souvent exécutées le premier jour de la fête. Les femmes sont, dit-on, trop fatiguées pour danser la tamgra le deuxième jour ; parfois, on danse à nouveau la tamgra (après la tagzzumt, comme il se doit) le troisième jour. La tagzzumt se chante sans accompagnement instrumental. Les hommes, qui sont les seuls à improviser des vers en public (et donc à chanter la tagzzumt), se disposent en deux lignes se faisant face ; la première forme un chœur sans tambours, la deuxième un chœur avec tambours (qui ne sont pas utilisés pour la tagzzumt mais seulement pour la tamgra). Les solistes appartiennent à l'un ou l'autre chœur. Les femmes ne chantent pas. Dans l'espace compris entre les deux rangs d'hommes, elles danseront la tamgra ; en attendant, elles écoutent les tagzzumt en restant groupées près des hommes. Un vers de tagzzumt comprend dix-huit syllabes métriques {cf. chapitre v i n : 1 et Jouad 1977 :183 sq.) groupées en deux phrases musicales de huit et dix syllabes \ se terminant par une longue note tenue et séparées par un long silence. Chacune des phrases se subdivise en trois séquences musicales ; la première groupe 4 + 2 + 2 syllabes et la deuxième 5 + 3 + 2 syllabes. Les treize premières syllabes (4 + 2 + 2 + 5), soit une phrase et demie, sont chantées par des solistes, les cinq dernières (la fin du vers) par le chœur. Celui-ci, en chantant en même temps que les solistes, doit donc retrouver (en l'inventant ou en le réinventant) la fin du vers d'après son début. Généralement, à partir des treize syllabes initiales, la fin d'un vers de tagzzumt se laisse aisément deviner. Cependant, à cause de cette particularité formelle, il arrive que la fin d'un vers soit confuse. Les choristes en effet ne connaissent pas toujours le vers chanté par le soliste, ne savent pas en deviner la fin ou encore proposent un texte différent. 3. Lmsaq Le lmsaq est chanté dans toutes les fêtes à partir de l'après-midi du premier jour, alors que les femmes ne sont pas encore sorties des maisons et ne se sont pas encore rendues sur la place du village pour chanter et danser (elles ne le feront qu'à la tombée de la nuit, avant et après le repas du soir). Hommes et garçons, groupés sur une place ou sur une aire de battage, s'entraînent à jouer des agnza et chantent le lmsaq. En situation de fête, le lmsaq (comme l'ahwas qui lui fait suite) est chanté successivement par un ou plusieurs solistes, par le chœur des hommes et par celui des femmes. Lorsque les conditions d'improvisation sont réunies, les vers peuvent être inventés ; c'est en particulier le cas lorsque les poètes du village ont à affronter ceux des groupes voisins {cf. annexe I). Mais les vers peuvent aussi provenir d'improvisations antérieures dont on se souvient ou encore être empruntés au répertoire de trruysa (poésie chantée du Sous). Comme l'avait déjà remarqué A. Chottin (1938 : 24) à propos de l'ahwai, le soliste qui « prend le chant » (asi arasai) tient son tambour devant la bouche, sans doute 1. Il arrive aussi que l'on ne chante que la moitié d'un vers, c'est-à-dire une seule phrase musicale. C'est le cas notamment dans le tagzzumt du disque Lortat-Jacob et Rouget (1971 : face A, plage 3).

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pour des raisons de Ihsmat (car on ne doit pas montrer sa bouche ouverte ni ses dents) mais également à des fins musicales : en approchant ou éloignant le tambour de sa bouche, il peut donner à sa voix un modelé qui lui permet de phraser son chant avec de nombreuses nuances. E n reprenant la phrase musicale du dernier soliste, les chœurs — hommes d'abord, femmes ensuite •— ne répètent pas le vers lui-même ; aux mots du texte, ils substituent des unités syllabiques, toujours les mêmes, dont le nombre, la nature et l'agencement ne varient pas d'un Imsaq à l'autre. Pour chanter le Imsaq, hommes et femmes sont debout ; les hommes qui ont entre les mains un tambour sont, de préférence, au centre du groupe. Ils se sont disposés ainsi surtout pour YabwaS qui v a suivre. Ici (et contrairement à l'ahwas) il n'y a pas d'instrumentistes solistes : tous les tambours ont un même rôle qui se limite à ponctuer les différents segments de vers. Pour cela, les tambours font ce qu'on appelle le thrrim, onomatopée désignant le bruit du tambour frappé par la main de l'instrumentiste. Pour faire le thrrim, les doigts de la main qui frappe le tambour ne doivent pas être tendus ; c'est le bord du tambour qui, en heurtant avec force la tête des premières phalanges, fait porter les doigts sur la peau {cf. chapitre v u : I.4). Dans le Imsaq, les coups de thrrim ne doivent pas être donnés simultanément par l'ensemble des tambourinaires ; ce qui est recherché ce n'est pas un coup sec, mais au contraire une succession de coups « en grappes », légèrement espacés les uns des autres. Un vers de Imsaq comprend douze syllabes groupées en trois phrases musicales de 3, 4 et 5 syllabes. Chaque phrase est séparée par un silence pendant lequel on fait deux coups de thrrim ; la phrase centrale se compose de deux séquences sans thrrim. Les trois phrases sont chantées successivement par un soliste, par le chœur des hommes et par celui des femmes. L'ensemble forme un tour (ar??um) qui est répété un nombre indéterminé de fois ; indéterminé également est le nombre de vers chantés par les solistes. Un soliste chante un seul vers, que le chœur reprend immédiatement après lui sous une forme syllabisée, ou bien plusieurs vers ; un autre soliste peut le relayer avant que les chœurs n'interviennent ; celui d'entre eux qui veut « prendre le chant » frappe d'une pichenette le bord de son tambour (ce geste s'appelle tifnqrt et est utilisé par les enfants dans le jeu de noix). Dans le Imsaq (comme dans Yahwaà), soliste(s), chœur des hommes et chœur des femmes chantent dans un registre commun x . Celui-ci est en fait plus celui des femmes que celui des hommes qui bien souvent ont du mal à l'atteindre et souffrent de la convention formelle qui veut qu'ils aient à chanter dans le même registre que les femmes. Lorsqu'ils chantent le Imsaq seuls (en dehors de la fête) les hommes placent leur voix dans un registre nettement plus grave. L a tagzzumt, où les femmes n'interviennent jamais, est toujours chantée dans un registre nettement plus grave que le Imsaq qui, lui, est chanté avec elles. Les A y t Âffan (dont 1. On peut penser avec Chottin (1938 : 24) que le choix d'un registre commun aux hommes et aux femmes répond à une exigence spécifique : éviter le saut d'octave. E n ce qui concerne les A y t Mgun en tout cas, il est clair que chanter à l'octave d'un homme pour une femme ou à l'octave d'une femme pour un homme est une faute de goût. Dans les régions orientales de l'Atlas, en pays à'izlan, le saut d'octave est fréquent. L a forme antiphonale des izlan fait qu'hommes et femmes chantent la même phrase mélodique soit dans un registre commun soit — surtout lorsque les voix se fatiguent — à l'octave. Ce sont les hommes qui le plus souvent « décrochent » ; ils commencent à chanter dans le registre des femmes, puis, s'y trouvant mal à l'aise, choisissent au cours même du chant un registre plus confortable, à l'octave inférieure.

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le pays jouxte à l'est celui des A y t Mgun) ont une façon bien à eux de chanter le Imsaq : chaque soliste transpose le llga du Imsaq dans le registre qui lui convient et les chœurs d'hommes et de femmes s'en accommodent comme ils le peuvent. Chez les A y t Mgun, comme d'une façon générale dans la musique du Sous, le soliste choisit son registre en fonction des capacités vocales des hommes et des femmes et de leurs caractéristiques physiques ; il choisit un registre aigu (souvent trop aigu pour les hommes, mais jamais trop grave pour les femmes) qui sera conservé d'un tour à l'autre, pendant toute la durée du Imsaq. Dans le Imsaq, certains solistes chantent dans un style quasi syllabique ; il importe peu pour eux que les phrases musicales soient ornées ou non : ce qui compte c'est de pouvoir comprendre ou reconnaître les vers. Les meilleurs chanteurs cependant sont ceux qui « s'étendent en chantant » (cf. chapitre i x : 2) et qui font un grand nombre de mélismes au point qu'il arrive que les vers sont à peine compréhensibles et que les unités qui les composent sont difficiles à identifier. Le Imsaq est parfois chanté par les hommes et les femmes en dehors de la fête (cf. chapitre 1 : 1 ) . E n l'absence de contraintes imposées par l'exécution collective et également de celle — rythmique — donnée par la pulsation du thrrim, les variantes individuelles sont importantes. Les femmes notamment, que l'on n'entend jamais chanter en solo dans les circonstances de fête, chantent un Imsaq très beau, assez éloigné du modèle suivi dans l'exécution collective (cf. disque Lortat-Jacob et Rouget 1971 : face A , plage 2). 4. Tazrrart Par le mot tazrrart, les A y t Mgun entendent deux formes différentes : l'une appartient à la poésie chantée, l'autre à la musique de danse. L a tazrrart 1 est une forme chantée ; la tazrrart 2 est un rythme de tambour (ou, pour être plus précis, une forme qui se caractérise par un rythme de tambour) qui suscite la danse et qui accompagne fréquemment la tazrrart 1. C'est cette exécution simultanée des tazrrart 1 et 2 qui est responsable de l'amalgame des deux formes sous un même terme. Tazrrart 1 et 2 peuvent cependant se dissocier. L a tazrrart 1 peut s'intercaler à des moments précis de Yahwas et, d'une façon générale, se chanter sur n'importe quel agnza ; la tazrrart 2 peut consister en un simple rythme de tambour, mais il n ' y a pas de danse qui lui soit propre, alors que pour chacune des autres formes du genre (c) (cf. chapitre i v : 2.c) il y en a une. Les hommes peuvent ponctuer le rythme de tambour de mouvements du corps, mais ils ne font pas à proprement parler de chorégraphie et la tazrrart se passe de la participation féminine (ce qui n'est pas le cas pour les autres danses). En outre, la tazrrart 2 a une fonction bien précise qui renforce son caractère particulier : elle est surtout jouée durant les déplacements rituels, et le jeu des tambours accompagne alors le c o r t è g e 1 . Il est probable que la tazrrart 2 était à l'origine une musique à danser (et peut-être l'estelle encore en d'autres lieux de l'Atlas). Sa fonction a subi semble-t-il une mutation : chez les A y t Mgun, elle est surtout une musique « à marcher ». Il faut encore préciser que les tazrrart 1 et 2 ne constituent pas chacune une forme autonome ; 1. Au Haut-Atlas, les déplacements rituels sont généralement accompagnés de chants a cappella. Les Igliwwa, qui sont relativement proches des A y t Mgun, chantent durant leurs marches rituelles la tazrrart 1 et ne connaissent pas la tazrrart 2. Pour leurs déplacements rituels, les A y t Mgun ont préféré emprunter un agnza qu'ils ont en quelque sorte dépouillé de sa danse ; ils l'utilisent pour marcher.

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chez les A y t Mgun, la tazrrart i ne se chante jamais sans accompagnement instrumental mais avec d'autres agnza (tazrrart 2, et aussi ahwaè et tamgra). Si maintenant, sur un tout autre plan, on se tourne vers la tazrrart 2, on ne manque pas de remarquer qu'en comparaison avec d'autres formes du répertoire son élaboration formelle a — si j'ose dire — quelque chose d'un peu indigent. Si l'on considère son intérêt musical (et non sa fonction dans la fête qui, elle, est tout à fait centrale), la tazrrart 2 se présente comme une forme mineure : bien souvent on ne la joue que pour une courte durée et presque toujours on y enchaîne l'ahwaS. A v e c celui-ci, l'improvisation et la danse reprennent leurs droits. La tazrrart 1, qui est chantée de façon discontinue sur la tazrrart 2 et aussi sur la partie agnza de l'ahwas, scelle alors le tout ; c'est ce que montre le schéma suivent : tazrrart 1 tazrrart 2

tazrrart 1 -> agnza d'ahwaè

a. Tazrrart chantée : tazrrart 1 La tazrrart chantée occupe, on l'a dit, une place à part dans le répertoire. Elle n'est pas exécutée en chœur mais en solo et, chez les A y t Mgun tout au moins, ne se chante pas sans accompagnement instrumental. A u cours d'un agnza, lorsque les tambourinaires déploient toute leur virtuosité et que les chœurs font silence (notamment dans Y ahwaS), un homme (jamais une femme), de sa propre initiative, chante des tazrrart. Ce sont donc des chants d'accompagnement qui se superposent à tout agnza et qui ne sont pas spécifiques d'un agnza particulier ; cependant un bon agnza ne manque pas d'inspirer les chanteurs et, au cours d'une même danse, il est courant d'entendre plusieurs tazrrart. D'une façon générale, on peut dire d'un agnza qu'il n'est bon que s'il comprend de nombreuses tazrrart. Le mot tazrrart est peut-être dérivé de tazrurt « frange » (de foulard par exemple). L a tazrrart frange Y agnza ; sa structure musicale ne suit pas terme à terme celle de Y agnza mais s'y superpose et se présente surtout comme un ornement vocal. Ce chant « frangé » est très libre ; il utilise un registre aigu et se construit toujours sur une échelle de faible ambitus. Son texte, composé de quelques mots, est généralement peu compréhensible : il est recouvert par le jeu des tambours 1 . Une tazrrart est toujours introduite par un cri chanté à hauteur fixe par l'ensemble des hommes : c'est Yahayyu2. Uahayyu est un signal qui provoque l'arrêt des chœurs et annonce un déploiement de virtuosité de tambours. C'est souvent l'homme qui veut chanter des tazrrart qui fait Yahayyu le premier, entraînant les autres à le suivre et provoquant ainsi l'arrêt des chœurs ; il peut alors chanter en solo sur les improvisations de tambours. E n fin de tazrrart, s'il n'est pas relayé par un autre chanteur et s'il est à bout de souffle (ce qui arrive fréquemment, car les tazrrart se chantent le plus fort possible et qu'il faut qu'elles émergent du jeu bruyant des tambours), il fera un nouvel ahayyu. 1. On sait le plus souvent avant que la musique ne commence qui v a chanter des tazrrart, car les bons chanteurs d'une équipe de jeu sont toujours connus. Ce ne sont pas forcément de bons instrumentistes ; cependant quelques bons musiciens parviennent simultanément à tenir un rôle de tambour solo et à chanter une tazrrart (c'est-à-dire à faire un solo vocal), mais ce cas est plutôt rare. 2. Ahayyu est apparenté à shuyy « crier pour faire peur aux oiseaux » et les éloigner des champs. Shuyy ne doit pas être confondu avec le verbe sguyy « crier, gémir ».

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Normalement un ahayyu est chanté homophoniquement et le chanteur de tazrrart en donne la hauteur ; mais il arrive — et ceci est plutôt un défaut — que celui-ci ne parvienne pas à se faire entendre et que l'ahayyu, par accident, ait une certaine épaisseur harmonique. Lorsque la cohésion entre les choristes est bonne, Yahayyu est chanté à l'unisson ; ceux d'entre e u x qui sont à proximité du chanteur de tazrrart en communiquent la hauteur à leurs voisins sitôt qu'ils l'ont perçue. T o u t ceci se passe en une fraction de seconde. Un vers de tazrrart est composé de dix syllabes distribuées dans la chaîne par petits groupes (deux ou trois syllabes), séparés comme dans la tagzzumt par de longues notes tenues. Ce monnayage fait que les vers de tazzrart sont, au cours d'une danse, peu compréhensibles. Mais on reconnaît que ceci n'est pas d'une très grande importance ; en dehors du chanteur lui-même, personne ne sait très bien ce qui se dit dans une tazrrart. L a structure syllabique n'est pas en correspondance avec la structure d'agnza : elle l'orne un peu à la façon d'une frange de foulard (tazrurt) qui, a u x pas de la danse, suit des m o u v e m e n t inverses de ceux du foulard. D a n s une tazrrart alternent groupes syllabiques et notes tenues dont la longueur a pour limite le souffle du soliste. U n e bonne tazrrart doit en effet durer le plus longtemps possible, et le chanteur utilise au m a x i m u m ses ressources vocales, un peu comme dans la tamawayt (ou Imayt) du Moyen-Atlas avec laquelle la tazrrart a de nombreux points communs. b. Tazrrart

avec tambour : tazrrart 2

Tazrrart, on le sait, désigne également une forme instrumentale (agnza). L a tazrrart avec tambour (ou tazrrart 2) s'accompagne le plus souvent de tazrrart 1. Elle est jouée durant les déplacements rituels par les hommes marchant en file indienne. E n dehors des déplacements, les musiciens se regroupent et continuent de jouer ensemble ; c'est le cas n o t a m m e n t dans les mariages, lorsqu'ils attendent la mariée d e v a n t la maison de son père {cf. chapitre v i : I I I . 1.a). L a tazrrart 2 est aussi jouée par les hommes de la leamt lorsqu'ils se rendent sur la place publique ou sur une aire de b a t t a g e pour jouer des agnza ou lorsqu'ils ont fini de jouer et qu'ils retournent à la maison où ils sont hébergés. L a tazrrart 2 se compose d'unités en relations asymétriques [cf. chapitre v m : III.2) qui entrent dans une cellule dont la durée est d'une seconde environ. Cette asymétrie et le tempo sur lequel ce r y t h m e est joué (et qui varie assez peu d'une version à l'autre) font qu'il est t o u t à fait impropre à la marche. Il y a en effet incompatibilité entre le caractère symétrique de la marche et le caractère asymétrique de la tazrrart. Les marches rituelles sont en outre assez lentes, plus lentes en t o u t cas que le r y t h m e des tambours. De fait, la tazrrart ne scande pas la marche (c'est-à-dire qu'elle n'en marque pas les pas) : elle la frange, comme la tazrrart 1 frangeait l'agnza. 5.

Tamgra

En chleuh, tamgra veut dire « fête » (fête de mariage principalement) mais désigne aussi une danse, la danse de mariage par excellence. E n principe, la tamgra n'est pas jouée en dehors du mariage 1 et elle a — moins que Vurar cependant — un 1. Elle peut exceptionnellement être jouée dans d'autres fêtes que le mariage, pour répondre à la demande de certaines femmes qui veulent danser.

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caractère rituel assez marqué. De certaines femmes mariées qui n'aiment pas danser, on dit un peu ironiquement qu' « elles n'ont dansé qu'une fois dans leur vie, la tamgra, le jour de leur mariage » ; traditionnellement, en effet, aucune femme ne se marie sans tamgra. Quelques tambours munis d'un timbre suffisent pour jouer une bonne tamgra. Entre les hommes disposés de part et d'autre de la place, les femmes dansent individuellement en virevoltant. Elles tiennent dans leurs mains la barre de lisse du métier à tisser (de la maison de leur mari) qu'elles ne lâchent pas pendant les deux ou trois jours que dure la fête. Une tamgra n'est jamais jouée sans être précédée d'improvisations poétiques tagzzumt. Les séquences musicales qui la composent sont les suivantes : 4 fin des tagzzumt

ahayyu et cris modulés

formule chantée en chœur + claquements de mains

tazrrart

jeu de tambours (agnza n tmgra)

La longueur de chacune de ces quatre séquences est variable, car les tazrrart peuvent s'enchaîner les unes aux autres sans que leur nombre ou leur durée soient limités. Pratiquement, le temps réservé aux tazrrart v a jusqu'à deux minutes ; Vahayyu ne dure jamais plus de dix secondes, les chants et les cris modulés font entre vingt et quarante secondes. Entre les cris modulés, il y a toujours quelques secondes de silence avant une nouvelle tazrrart ou un nouvel ahayyu. Durant ces silences, les hommes font souvent entendre des sifflements ou des bruits de bouche. Addition faite, les séquences 2, 3 et 4, qui peuvent cycliquement être répétées un nombre de fois indéterminé, durent de une à trois minutes. Il n'y a pas de limites théoriques à la longueur d'une tamgra ; dans la pratique, elle dure une quinzaine de minutes, mais en fait on s'arrête lorsqu'on est fatigué. La tamgra est surtout épuisante pour les femmes dont la danse, virevoltée et assez athlétique, ressemble à celle des danseurs solo de l'ahwaé. Il convient encore de remarquer que seule la séquence 3 est propre à la tamgra. Elle est, par de nombreux points, semblable aux formules d'ahidus du Haut-Atlas oriental et du Moyen-Atlas. Comme dans Y ahidus, ces formules sont métriquement dépendantes de la partie agnza (elles s'inscrivent ici dans deux cellules rythmiques), alors qu'ahayyu et tazrrart ne le sont pas. Les cris modulés de la séquence 2 sont du type de ceux que les hommes poussent en dehors des fêtes pour s'appeler ou durant les fêtes (notamment avant ou après les agnza) pour manifester leur enthousiasme. Dans la tamgra, les improvisations au tambour sont rares. Contrairement aux autres agnza (et surtout à YàbwaS), il n'y a pas en principe de tambours solo ; les tambourinaires se contentent de jouer un des rythmes de base et de s'y tenir. La tamgra est en voie de disparition chez les A y t Mgun ; elle fait ancien et, comme on le dit souvent, accorder trop de prix au passé « n'est pas bon ». Cette danse, peut-être moins pour son esthétique que du fait de son caractère rituel et aussi parce qu'elle est surtout une danse de femmes, est combattue à la fois par les moder-

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nistes et par les religieux : pour les premiers, ceux qui l'aiment et la pratiquent sont des « sauvages » ; pour les seconds, ils sont des « athées ». Son existence est de nos jours menacée, non pas peut-être pour elle-même mais pour ce qu'elle représente. 6. Ahwaà ~L'ahwaà est de loin la principale danse, celle qui rassemble le plus de monde, le plus de tambours (tagnza et bngri) et qui suscite le plus d'invention musicale. Il n'y a pas de fête sans ahwaà ; alors qu'il peut arriver qu'on omette de jouer, danser ou chanter d'autres pièces du répertoire, on ne manquera jamais, même dans une petite fête, de jouer Y ahwaà. L'ahwaà n'est pas une danse spécifique aux A y t Mgun ; il est connu dans tout le Haut-Atlas occidental et aussi dans les principales régions du Haut-Atlas central. Le pays A y t Mgun marque la limite orientale de son extension. Chez les A y t Mgun, on pense que la patrie d'origine de l'ahwas est le pays Glaoua (Igliwwa). Les ahwaà joués au temps du Protectorat dans la kasbah de Telouet (Tluat) ont laissé de très vivaces souvenirs ; de nos jours encore, des Igliwwa sont d'excellents joueurs d'ahwas, mais ceci ne prouve pas pour autant que l'ahwaà vienne effectivement de chez eux. Actuellement on parle couramment au Haut-Atlas de « pays d'ahwaà » et, sans conteste, A y t Mgun en est un ; on y joue Yahwaà, on l'aime et on le joue bien Pour l'ahwaà, le nombre des hommes qui jouent du tambour n'est pas limité : plus ils sont nombreux, mieux c'est 2 . Les équipes de tambourinaires se relaient et chaque équipe doit jouer lorsque vient son tour. La notion de tour est traduite par le mot afus « main » ; on a fait une « main » lorsqu'on a joué un ahwaà complet. L'espace séparant le chœur des hommes de celui des femmes est occupé par des enfants qui participent à la danse : fillettes d'un côté, éventuellement garçons leur faisant face de l'autre. Cependant, lorsqu'à l'occasion des grandes fêtes beaucoup de monde est rassemblé, il n'y a plus de place (dans les deux sens du mot) pour les enfants. Lorsque l'espace disponible pour la danse est en longueur (comme c'est souvent le cas), le cercle de l'ahwaà s'allonge et devient ovale, incluant alors le feu au-dessus duquel on chauffe la peau des tambours ; autour du feu se tiennent souvent quelques enfants et, dans le cercle même de la danse, parfois des hommes 3 . 1. Plusieurs réflexions cueillies au vol lors de mes missions vont dans ce sens; chez les Imghran, par exemple, on nous a dit : « Vous autres, gens d'ahwai, on ne vous laissera pas enregistrer si le jeu n'est pas bon. » Cette réflexion prend tout son poids lorsqu'on sait que les Imghran sont, avec les Igliwwa, réputés pour la qualité de leur ahwaS. 2. Ce qui pratiquement limite le nombre des joueurs, c'est le nombre insuffisant de tambours. Taslli et Azrzm sont deux villages voisins (ils sont dans le même igss) : pour les trois cent cinquante habitants de Taslli, il y a une dizaine de tambours et à Azrzm (soixante habitants), jusqu'en 1971, il n'y en avait pas. Lorsqu'on devait faire une fête (ce qui arrivait rarement du fait du petit nombre d'habitants et des faibles ressources des villageois), on empruntait ceux de Taslli (en 1971, nous avons apporté à Azrzm quelques tambours que les hommes de Taslli empruntent lorsqu'ils en ont besoin). Pour les fêtes, il est d'usage (à A y t Mgun en tout cas, car selon les régions du Haut-Atlas, les habitudes sur ce point changent) que les invités apportent leurs propres tambours ; de ce fait, le nombre de tambours peut aller jusqu'à vingt-cinq ou trente ; alors les ahwaS ne manquent pas d'être beaux, car — selon les A y t Mgun eux-mêmes •— un ahwaS doit rassembler beaucoup de monde pour être réellement beau. 3. On n'aime pas beaucoup que les hommes se tiennent ainsi au centre de la danse, car ils S

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Dans la danse, hommes et femmes sont face à face, formant deux demi-cercles autour des tambours [cf. fig. ia, p. 27) : ce sont les chœurs de l'ahwaS. Les hommes sont appelés ayt idikl « ceux qui frappent des mains » ; le chœur des femmes n'a pas de nom particulier : il suffit de dire « les femmes », car elles ne peuvent avoir plusieurs rôles dans Yahwas (elles n'en ont que deux : danser et chanter). Elles ne frappent pas à proprement parler dans leurs mains : les mouvements de mains suivent le rythme de la danse. Il y a dans le jeu un déséquilibre évident entre le rôle des hommes et celui des femmes : l'invention et la virtuosité reviennent aux hommes (improvisations poétiques, jeux de tambours, figures de danse) ; il n'y a guère que les youyous que les femmes puissent faire à discrétion — encore ne le font-elles le plus souvent que pour saluer les performances vocales ou instrumentales des hommes. Danse des femmes et danse des hommes sont assez différentes. Les aspects les plus caractéristiques en ont été notés par A. Chottin (1938). Les photographies de la planche 1 1 , tirées d'un film réalisé avec ma collaboration par A. Bruneton en 1969, montrent certains mouvements caractéristiques des femmes dans l'ahwai. Ces mouvements ne sont pas, contrairement à ceux des hommes, dirigés explicitement. Chez les hommes, en effet, le chef de leamt assure le plus souvent la direction de la danse. S'il donne des indications aux femmes c'est seulement dans le but d'imprimer un peu d'énergie à leur danse ou pour les remettre en mesure lorsque, comme cela arrive parfois, elles s'égarent un peu. Le chef de hamt se tient debout devant les chœurs et indique, en les faisant lui-même, les gestes musicaux (claquements de mains exécutés à main plate) et les figures chorégraphiques (vastes mouvements des bras et du corps) qu'elles doivent effectuer. Lorsque les mariées sortent de leur réclusion et se rendent sur la place pour danser, elles occupent généralement l'espace compris entre les musiciens et les chœurs des femmes et dansent seules. Leur danse est très différente de la danse collective des autres femmes ; elles se tiennent exagérément droites et font des pas saccadés ; elles ont dans leurs mains la barre de lisse du métier à tisser de leur nouvelle maison. Parfois se joignent à elles les jeunes filles qui doivent se marier dans l'année et aussi quelques femmes (jeunes mariées ?) qui dansent comme elles, mais sans tenir de barre de métier à tisser. Parfois un homme se détache du groupe de danseurs et, dans l'espace opposé à celui qu'occupent les mariées lorsqu'elles se produisent, exécute une danse assez semblable à la leur, mais — semble-t-il — il ne danse que lorsque les mariées, elles, ne dansent pas. Au début de YahwaS, tous les hommes sont debout. Après quelques minutes de jeu, lorsque la cohésion est bonne entre chœurs et tambours, les tambourinaires mettent un ou deux genoux à terre. Les musiciens qui n'ont pas les premiers rôles {cf. chapitre vin : III.1) s'accroupissent ou s'asseoient sur leurs pieds. Les autres, pour être plus haut et en meilleure position de jeu, restent le plus souvent dressés sur leurs genoux. De cette façon, les musiciens ne gênent pas le champ visuel des hommes et des femmes qui les entourent et la cohésion de l'équipe est assez facile à assurer. Il semble que pour l'acoustique également cette disposition soit bonne ; les tambours ne se masquent pas mutuellement. Avant que ne commence l'ahwai, tout le monde parle : les hommes entre eux et les femmes entre elles. Lorsque les garçons ou les hommes s'adressent aux femmes, ce n'est que très rapidement, à la dérobée. C'est dans cette atmosphère qu'un sont trop près des femmes et c'est, pour les maris dont les femmes dansent, le motif d'un mécontement qui peut dégénérer en dispute.

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homme — exceptionnellement une femme — commence à chanter, à « prendre le chant » (asi arasai). Selon l'heureuse expression de A. Essyad (1967 : 246). il propose un vers (en fait une tahwaét, c'est-à-dire un couple de vers) et le répète deux ou trois fois de façon que les chœurs des hommes et des femmes aient le temps de le mémoriser. Dans la majorité des ahwaè, le premier vers est repris par le chœur des femmes 1 , le second par celui des hommes, sur une ligne mélodique qui — chez les hommes comme chez les femmes — ira en se simplifiant tout au long du déroulement de l'ahwaè. Parfois on change de vers en cours à'ahwaè et l'on substitue au premier couple de vers un autre couple, sur le même air ou sur un air différent, mais c'est plutôt exceptionnel. Le passage d'un vers à l'autre et surtout d'un air à l'autre n'est pas simple à réussir, surtout lorsque l'ahwaè rassemble beaucoup de monde et que la cohésion du groupe est difficile à maintenir (pour ce phénomène voir notamment BM/D 69.43.17). Un ahwaè dure de douze à vingt minutes environ. Pendant son déroulement, s'enchaînent invariablement cinq séquences musicales {cf. disque encarté : face B, plage 2) : 1. Chant solo par un homme (deux phrases musicales correspondant aux deux vers de la tahwaét, répétées éventuellement plusieurs fois). 2. Chœur d'hommes puis de femmes, reprenant en alternance le chant solo. 3. Chœur d'hommes puis de femmes, mais avec tambours. Cette séquence, pendant laquelle l'ahwaè accélère — on dit qu'il « monte » (ali) — , est la plus longue (de huit à quinze minutes) et se subdivise en deux parties : une partie « lourde » (zzay) qui aboutit à un changement de rythme ; c'est le passage du « col » (tizi) ; une partie « après tizi » qui conduit à la séquence suivante. 4. Ahayyu puis solo de tambours et éventuellement improvisations vocales (tazrrart) en nombre indéterminé ; pendant ce temps, l'ahwaè continue de monter. 5. Ahayyu conclusif 2 et formule finale des tambours. Lorsque l'ahwaè est enchaîné au Imsaq, ce déroulement normal est bouleversé. A u lieu des séquences 4 et 5, on a reprise de la séquence 3, c'est-à-dire retour à un tempo relativement lent et nouvelle accélération, moins progressive, sans ahayyu et sans interruption des chœurs. L a danse se termine par la réexposition de la séquence 1 : le soliste reprend le vers en le chantant dans son tempo initial, ou en tout cas en esquissant son début. Les passages d'une séquence à une autre se font généralement sur l'initiative et sur l'ordre du principal soliste (txllif) qui pour cela dispose de plusieurs moyens : pichenettes au centre du tambour (tifnqrt), ralentissement en fin de phrase, exceptionnellement paroles ou invectives, le plus souvent gestes du bras tenant le tam1. Il n'en est cependant pas toujours ainsi. Les femmes peuvent être seules à dire alternativement chaque vers ; les hommes complètent alors le llga par des syllabes sans signification (cf. chapitre v m : I . i et 2). 2. L a fonction de l'ahayyu varie selon les moments de la danse. Dans la séquence 5, il introduit le solo des tambours, mais on le fait également durant ce solo à chaque fin de tazrrart. U n tambour solo qui v e u t se faire relayer peut provoquer un ahayyu : un autre prendra sa place. Parfois aussi, les ayt idikl qui ont, à leur tour, envie de tenir les tambours font l'ahayyu. Ce faisant, ils diminuent d'autant la longueur de VahwaS, car il est d'usage qu'après un certain nombre d'ahayyu YahwaS finisse. U n ahayyu dure en général une dizaine de secondes et utilisé un registre qui peut varier d'une exécution à l'autre mais qui est de plus en plus aigu à mesure que YahwaS monte. Il est presque toujours doublé par les youyous des femmes.

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bour, etc. Les passages à l'intérieur d'une séquence (comme, par exemple, celui du chœur des hommes à celui des fenlmes) sont automatiques (c'est-à-dire inscrits dans la forme) : ils ne nécessitent aucune intervention autoritaire. Une des grandes difficultés de l'ahwaS réside dans sa lente accélération, sa « montée » ; il n'est pas bon de choisir au début de la danse un tempo trop rapide, car l'accélération risque alors d'être de trop courte durée. Pour une bonne exécution, il faut faire en sorte qu'en fin de 2 le tempo soit doublé par rapport à la fin de 1 et, une deuxième fois, en fin de 3. L'accélération doit être menée de la façon la plus progressive et continue possible. L'ahwaS réussi est celui dont la montée est à peine perceptible d'une phrase à l'autre, mais musiciens et choristes auraient plutôt tendance à bousculer cette lente accélération, garante de la réussite de la danse. C'est aux tambours solo qu'il revient de stabiliser le tempo. Ils doivent « appuyer avec les pieds » (akwl) — en fait, bouger tout le corps — pour marquer nettement le tempo. Si un homme ne joue pas en mesure, on dira qu'il « s'écarte » ou qu'il « n'est pas avec les autres » 1 ; ce faisant, il peut « faire tomber » (sdr) YahwaL Mais la régulation du tempo peut (et doit) être obtenue par des moyens strictement musicaux. Chaque soliste a ses recettes qui répondent toutes au même principe : si les coups solo sont frappés juste avant le coup principal du thrrim, Yahwaè monte ; s'ils sont au contraire frappés juste après lui, le tempo a tendance à se stabiliser (ou même à ralentir) et l'ahwaS ne monte plus. Si le soliste perd le contrôle de la conduite de l'ahwaS, on dit qu'il le laisse « tomber » (aiu), le verbe aiu étant utilisé pour désigner toute chute accidentelle ; dans ce cas, d'autres solistes peuvent intervenir pour tenter de le « remettre sur ses pieds », le « ramener » (huz) ou le « (re)soulever », le « remettre à sa place » (rar). 7. Ahidus, ahwai : deux cultures musicales A. Chottin (1948) fut sans doute le premier à distinguer en les opposant les deux principales danses de l'Atlas : l'ahidus et l'ahwai. A l'est et au nord de l'Atlas, c'est le pays de l'ahidus ; à l'ouest et au sud, c'est celui de Y ahwaS. La frontière précise entre ces types de danse passe par les sommets de Rat et de l'Ighil Mgun, à l'est du pays A y t Mgun. La tribu des Infdwak (Ftouaka), qui inclut la fraction A y t Mgun, est la tribu la plus orientale de tout l'Atlas à pratiquer YahwaS 2. Il semble bien, en outre, que la zone de l'ahwaS ait tendance à s'étendre au détriment de celle de Y ahidus. Les A y t Mgun ont commencé à jouer Y ahwas il n'y a guère plus d'une cinquantaine d'années ; les A y t Bu Ulli, qui vivent à l'est des A y t Mgun, ont entrepris d'apprendre à le jouer il y a une dizaine d'années ; auparavant, comme leurs voisins orientaux, ils jouaient la tamgra 3. Ahidus et ahwaS ne sont que deux des nombreuses formes musicales connues par les Berbères de la montagne. Bon nombre de danses de l'Atlas ne sont pas désignées par les termes ahwaé ou ahidus alors même qu'elles ont le caractère de 1. D'autres expressions plus métaphoriques encore peuvent traduire la même idée. On dira du musicien qu'il « n'est pas d'ici », qu'il « ne suit pas le (bon) chemin », etc. (Pour l'utilisation de la métaphore, voir chapitre ix.) 2. Chez les Infdwak même, une partie des A y t Mdiwwal ne le danse pas... ou pas encore ! 3. « Ils jouent comme des enfants de chez nous ! » Cette boutade d'un A y t Mgun en visite chez les A y t B u Ulli rend compte de l'inexpérience de ces derniers en matière d'ahwaS. E n 1971, les hommes et les garçons a y t bu ulli jouaient surtout entre eux ; les femmes, peut-être plus réticentes à la nouveauté, se joignaient rarement à eux et, lorsque cela arrivait, elles faisaient les pas de Vahidus.

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l'une ou l'autre de ces danses. La situation la plus fréquente est celle où les mots ahwaà ou ahidus sont eux-mêmes spécifiés par des termes seconds (par exemple, ahwaà arlial « ahwaà boiteux », ahidus Ihit, ahidus Imena, ahidus adrsiy, ahidus atz...) qui désignent le plus souvent des figures chorégraphiques particulières. Ahidus et ahwaà ont en commun d'être de la musique de village, chantée par des chœurs le plus souvent mixtes, accompagnés par une batterie de tambours sur cadre et des claquements de mains ; les principales différences portent sur la disposition des musiciens (cf. fig. 1, p. 27) et plus encore sur les formes chorégraphiques et musicales. Une des caractéristiques de l'ahwaà réside dans le fait que tous les tambours n'y ont pas le même rôle ; il y a, dans le jeu, différentes parties à tenir, un ensemble et un ou plusieurs solistes. Sous sa forme la plus typique, l'ahidus ne suit pas le même principe de distribution des tâches : tous les tambourinaires ont ordinairement le même rôle. Un ahwaà, contrairement à un ahidus, comprend normalement deux parties constituant un tout organique (il est exclu de jouer l'une sans l'autre) ; au cœur de la danse (au « col »), il y a une transformation rythmique. L'ahidus, de ce point de vue, n'est jamais composite. Certes l'on peut passer d'un rythme à l'autre, mais ce passage, improvisé, n'est pas — à l'opposé de l'ahwaà — inscrit dans la forme. Le rythme de l'ahidus, contrairement à ce que l'on peut généralement lire sur ce sujet (notamment Chottin 1938 : 28) n'est pas toujours à cinq temps. Les deux rythmes constitutifs de Yahwaà qui apparaissent successivement dans la danse sont d'abord un rythme lent à deux ou quatre temps se subdivisant binairement et ensuite un rythme rapide à deux temps asymétriques. C'est sans doute sur le plan mélodique que se différencient le plus nettement l'ahidus et Yahwaà. Les mélodies à'ahwaà sont très généralement pentatoniques ; celles de Y ahidus — qui peuvent du reste également être celles des chansons (izlan) — sont fréquemment composées de petits intervalles s'inscrivant dans un ambitus étroit. On rappellera enfin que les tambours d'ahidus sont munis d'un timbre ; ceux d'ahwaà n'en ont pas. On l'a dit, les formules chantées de la tamgra rappellent incontestablement celles de Y ahidus ; les deux formes ont d'ailleurs d'autres traits communs : l'asymétrie du rythme et aussi le fait que les tambours (ici comme dans les régions plus orientales du Haut-Atlas) sont munis d'un timbre. La tamgra — dont le caractère rituel a été signalé — représentait, il y a quelques dizaines d'années, le répertoire de base de la musique dansée ayt mgun. De nos jours encore, dans certains igss de la fraction des A y t Mdiwwal (qui, comme les A y t Mgun, sont des Infdwak), elle est le seul agnza que l'on joue durant les fêtes. En fait, la tamgra semble bien être un ahidus qui a changé de fonction et qui, chez les A y t Mgun, est devenu une danse rituelle. « Vous jouez Yahwaà, vous ne voulez donc plus rester A y t Mgun ! » Cette réflexion que les Imghran font quelquefois à propos de leurs voisins A y t Mgun illustre bien le changement qui s'est récemment opéré chez ces derniers et le fait qu'avant la suprématie de Yahwaà, qui s'est établie progressivement en une cinquantaine d'années, ils appartenaient à une culture musicale différente : celle de Yahidus. Uahwaà, venu du sud-ouest, s'est imposé au détriment de celui-ci.

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II. HOMMES E T FEMMES DANS LE CHANT ET LA DANSE A l'intérieur des deux genres profanes (poésie à chanter et musique à danser), les différentes formes ont leur spécificité propre. Toutes ne sont pas également reçues par les villageois ; en d'autres termes, elles n'ont pas pour eux la même valeur. La tamgra, par exemple, plaît surtout aux femmes ; c'est, d'une certaine façon, « leur » danse. De l'aveu des femmes (ou pour être plus précis, de celui des hommes qui connaissent leur goût et observent leur comportement), cette danse est irrésistible. En jouant au tambour la tamgra, les hommes ont la quasi-certitude d'attirer les femmes sur la place 1. L'ahwas est la danse la plus importante : la plus valorisée d'abord, la plus difficile à jouer ensuite, celle enfin qui se renouvelle le plus. Mais, surtout, l'ahwai est la manifestation musicale la plus englobante ; contrairement à la tamgra, elle peut regrouper les hommes et les femmes de tout le village et tout le monde peut jouer du tambour, chanter et danser. La qualité de l'ahwas est déterminante dans la réussite de la fête. En ce qui concerne la poésie chantée, les deux principales formes (Imsaq et tagzzumt) ne se différencient pas uniquement par leurs structures formelles propres. Le Imsaq, qui utilise une forme métrique très répandue dans tout le Haut-Atlas, sert de cadre à un répertoire immense ; pour des raisons qui tiennent peut-être de l'évolution respective des deux formes, la tagzzumt en situation de fête ne donne lieu qu'à des improvisations restreintes 2. Dans la création comme dans l'exécution de poésies et de musiques, hommes et femmes n'ont pas des rôles équivalents {cf. 1.6 et chapitre 1 : 4 ) . Outre qu'elle est différente selon les régions de l'Atlas, leur participation, à l'intérieur même d'un répertoire comme celui des Ayt Mgun, varie sensiblement selon les genres et selon les formes (tableau 2). Tableau 2 Poésie à chanter

Imsaq

Agnza

air

tazrrart

1

tazrrart

2

tamgra

S

vers Liga

tagzzumt

¿9

s

Vers rituels chantés

Musique à danser



tambour

i

S

danse

¿

9

dhwaS

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(î ou 9

9