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French Pages [685]
ECKHART: TEXTS AND STUDIES
VOLUME 11
métaphysique et connaissance testimoniale une lecture figurale du « super Iohannem » (jn 1,7) d’albert le grand
Julie Casteigt
PEETERS
MÉTAPHYSIQUE ET CONNAISSANCE TESTIMONIALE
Eckhart: Texts and Studies EDITED BY
MARKUS VINZENT (King’s College, London & Max-Weber-Kolleg, Universität Erfurt)
ADVISORY BOARD
CHRISTINE BÜCHNER (Fakultät für Geisteswissenschaften, Universität Hamburg)
MARKUS ENDERS (Theologische Fakultät, Universität Freiburg)
GOTTHARD FUCHS (Kultur-Kirche-Wissenschaft, Bistümer Limburg und Mainz)
FREIMUT LÖSER
(Philosophisch-historische Fakultät, Universität Augsburg)
DIETMAR MIETH (Katholisch-Theologische Fakultät, Universität Tübingen)
REGINA D. SCHIEWER (Sprach- und Literaturwissenschaftliche Fakultät, Katholische Universität Eichstätt-Ingolstadt)
LORIS STURLESE (Storia della filosofia medievale, Università del Salento)
RUDOLF K. WEIGAND (Sprach- und Literaturwissenschaftliche Fakultät, Katholische Universität Eichstätt-Ingolstadt)
Eckhart: Texts and Studies VOLUME
Métaphysique et connaissance testimoniale Une lecture figurale du Super Iohannem (Jn ,) d’Albert le Grand
PAR
JULIE CASTEIGT
PEETERS LEUVEN — PARIS — BRISTOL, CT
ISBN ---- eISBN ---- D/// A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © , Peeters, Bondgenotenlaan , B- Leuven, Belgium
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À Baldine Saint Girons
En tout cela, en effet, comme dit Augustin dans le douzième du Super Genesim ad litteram, ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale. (In omnibus enim talibus, ut dicit Augustinus in XII Super genesim ad litteram, id quod figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione, immateriali luce et in figurali splendet intelligentia.) ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -.
Sommaire Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX
Abréviations et sigles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XV
INTRODUCTION : QUESTIONS ET
MÉTHODE
. . . . . . . . . .
CHAPITRE I – LA POSSIBILITÉ DE CONNAÎTRE LE PREMIER PRINCIPE : LA FIGURE DE LA CHAUVE-SOURIS . . . . . . . . . . . . . . . .
Section I : L’architectonique de la connaissance humaine du divin : le corpus aristotélicien . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’ascension graduelle de l’intellect humain jusqu’au premier principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Gradation des capacités visuelles et fonction corrrélative de la figure de la chauve-souris . . . . . . . . . . . . . . . . III. Les degrés de visibilité et d’intelligibilité . . . . . . . . . IV. L’ascension continue à travers la hiérarchie des sciences . . V. La hiérarchie des intellects . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. La difficulté rémanente de la connaissance du divin pour l’intellect humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section II : L’animal volant nocturne dans les corpora textuels non aristotéliciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. « La chauve-souris ne voit rien dans la lumière du soleil » . II. Une connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Une connaissance médiate . . . . . . . . . . . . . . . . IV. La nécessaire manuduction du sensible pour la chauvesouris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. Un art des images pour « conduire » la chauve-souris « par la main » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
X
S OMMAIRE
VI. Les exemples et les paraboles, poursuite noétique de l’incarnation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion du premier chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice du chapitre I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les modes de l’intelligible et l’étude des sciences théorétiques correspondantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE II – LA MANUDUCTIO, UN MODE DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN ADAPTÉ À L’INTELLECT HUMAIN . . . . . . .
Section I : Problématique unifiant le réseau textuel, origine et circulation de la figure de la manuductio . . . . . . . . . . .
I. L’origine dionysienne de la manuductio . . . . . . . . . . II. Le transfert de la figure de la manuductio dans le corpus aristotélicien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. La « translation en retour » de la manuductio vers le corpus dionysien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Section II : La fonction pédagogique de la manuductio ou le commencement de la connaissance . . . . . . . . . .
I. « Qui doute et admire semble ignorer » : l’admiration, commencement de la philosophie et de la poésie . . . . . II. Admiration et médiation sensible, vecteurs de la sortie de l’ignorance : l’enseignement en paraboles . . . . . . . . . III. La manuductio, une didactique adaptée aux commençants
Section III : La conception de la médiation manuductrice dans les corpora non aristotéliciens . . . . . . . . . . . . . .
I. Vision oblique de l’animal volant nocturne et miroir dans un vase noir et obscur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. ‘En voyant, ils ne voient pas’ : le paradoxe isaïen au fondement de la médiation manuductrice . . . . . . . . . . . . Section IV : Le statut de la médiation manuductrice : fin ou moyen ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. L’interdiction de s’installer dans les figures . . . . . . . . II. Le statut épistémologique des discours selon leur usage des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
S OMMAIRE
XI
Section V : La manuductio, logique de manifestation du principe divin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. Manuductio et continuité du mouvement circulaire du retour de l’âme vers le principe . . . . . . . . . . . . . . II. La dynamique du latent et du manifeste comme logique de manifestation du principe . . . . . . . . . . . . . . . III. La dynamique de la présence et de l’absence propre à la médiation manuductrice . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section VI : Le Super Iohannem ou la médiation comme mode de connaissance in via . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’intention d’Albert le Grand dans son commentaire du Prologue de l’Évangile de Jean . . . . . . . . . . . . . . . II. Le témoignage, une connaissance dans le milieu de la médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Cosmos de degrés : multitude de sens de ‘médiation’ . . .
Section VII : De la manuductio dans la voie de la métaphysique et dans celle de l’intelligence figurale : un bilan provisoire de l’enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. La conception de l’intellect humain, enjeu majeur de l’alternative entre les voies vers le principe que sont la métaphysique et l’intelligence figurale . . . . . . . . . . . . II. L’imaginatio, acte dans lequel coïncident la manifestation du principe et sa connaissance par l’intellect humain . . . III. Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe : esquisse d’un chemin de questionnement pour l’enquête sur la connaissance médiate . . . . . . . . . . . Appendices du chapitre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Les occurrences des termes de la famille de manuductio dans les œuvres de Denys Pseudo-Aréopagite . . . Appendice : Les médiations sensibles manuductrices, une condition noétique inhérente à la nature humaine . . . . Appendice : La manuductio, didactique et communauté de savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Les manuductores et leur fonction pédagogique
XII
S OMMAIRE
Appendice : « Toute nature possède-t-elle de la matière ? » De l’équivocité des termes ‘matière’ et ‘nature’ dits de l’intellect humain et des intelligences célestes . . . . . . . . . . . . . Appendice : L’interprétation du topos aristotélicien de la conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps selon Xénophane, Alexandre et Tertullien et le risque de la confusion du noûs et de la hylè . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE III – MÉTAPHYSIQUE ET THÉORIE DE L’ACTE DE L’INTELLIGENCE FIGURALE ET DU SIGNE MANUDUCTEUR . . . . . .
Section I : L’intelligence figurale en acte et les propriétés métaphoriques des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. Imaginatio comme mise en image du principe divin . . . II. « Le plus habile juge des songes est qui peut inspecter les similitudes » . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Transsumptive sive symbolice. L’eau du baptême et la propriété métaleptique des signes manuducteurs . . . . . . . IV. En guise de conclusion : une esquisse de l’opération métaphorique propre à l’intelligence figurale . . . . . . . . . . Section II : Statut métaphysique de la médiation manuductrice I. Interpréter les signes manuducteurs, est-ce faire l’ange ou la bête ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. La manuduction, une conversion vers la manifestation du principe ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Lux et lumen ou la distinction de la lumière en sa source et de la lumière manifestée . . . . . . . . . . . . . . . . IV. Le témoin « comme un vase de lumière » . . . . . . . . . Appendices du chapitre III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Une occurrence de manuductio dans le deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia . . . . . . . . . . . Appendice : La fonction manuductrice du sacrement et l’originalité de l’interprétation albertienne par rapport à ses sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : La source de la définition lombardienne du sacrement et sa forme originelle . . . . . . . . . . . . . . . .
S OMMAIRE
XIII
CHAPITRE IV – LE TÉMOIN ET LE FILS. LECTURE D’ALBERT LE GRAND À LA LUMIÈRE DE LA SUBVERSION ECKHARTIENNE DU TÉMOIGNAGE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’enjeu herméneutique de la division du texte : témoignage ou filiation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Du témoin au fils, passage métaphysique du devenir à l’être en tant qu’être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. L’enjeu épistémologique : l’engendrement trinitaire comme structure de tout acte, une source unique de vérité ? . . . . IV. L’articulation herméneutique du sens patent et du sens latent comme point de passage de la médiation à l’immédiateté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. La conception albertienne du témoignage est-elle subvertie par celle d’Eckhart ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . EN
GUISE DE CONCLUSION :
INTELLIGENCE FIGURALE
CONNAISSANCE TESTIMONIALE ET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. À propos des questions initialement posées par une première lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Métaphysique et théorie de la manifestation . . . . . . . III. Anthropologie et théorie de l’intellect . . . . . . . . . . IV. Noétique : la connaissance testimoniale, une alternative à la métaphysique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. Une théorie du signe et de l’acte propre à l’intelligence figurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. Une philosophie de la médiation . . . . . . . . . . . . VII. Les figures du témoin . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. Méthode de lecture figurale . . . . . . . . . . . . . . .
Index des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index des textes cités d’Albert le Grand et de Maître Eckhart
Index des citations bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Abréviations et sigles ‘…’ : Citation biblique AHDLMA : Archives d’histoire littéraire du Moyen-Âge, Paris, -. Arist. Lat. : (Aristoteles Latinus) Corpus Philosophorum Medii Aevi Academiarum consociatarum auspiciis et consilio editum, Desclée de Brouwer, Brugges et Paris, -. BGPM : Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, begründet von C. Baeumker und G. von Hertling, Aschendorff, Münster in W., -. BGPTM : Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, begründet von C. Baeumker, fortgeführt von M. Grabmann in Verbindung mit B. Geyer, L. Ott, F. Pelster und A. M. Landgraff, hrsg. von M. Schmaus, Aschendorff, Münster in W., - ; N. F. : -. c : ALBERTUS MAGNUS, Postilla in euangelium beati Iohannis, Johann Guldenschaff, Colonia, non post . CCAA : Corpus commentariorum Averrois in Aristotelem. Versionum Latinarum, Cambridge, Massachussetts, - (The Mediaeval Academy of America Publication). CCCM : Corpus christianorum. Continuatio medievalis, Turnholti, -. CCSL : Corpus christianorum. Series latina, Turnholti, -. CSEL : Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, editum consilio et impensis Academiae litterarum Caesareae Vindobonensis, -. D : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Düsseldorf Dominikanerkl. () f. r-v. Dionysiaca : Recueil donnant l’ensemble des traductions latines des ouvrages attribués au Denys de l’Aréopage, tomes, éd. Ph. Chevallier, Desclée de Brouwer et Cie, Bruges, et . DW : Meister Eckhart, Die deutschen Werke, hrsg. im Auftrage der Deutschen Forschungsgemeinschaft, Kohlhammer Verlag, Stuttgart, -.
XVI
A BRÉVIATIONS
ET SIGLES
E : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Emmerich Pfarrarchiv St. Aldegundis , Depositum Bistumsarchiv Münster () f. r-r. Ed. Colon. : (Editio Coloniensis) Albertus Magnus, Opera omnia, edenda curavit Institutum Alberti Magni Coloniense Bernhardo Geyer praeside, Monasterii Westfalorumin in aedibus Aschendorff, -. Ed. Leon. : (Editio Leonina) Thomas de Aquino, Opera omnia, iussu Leonis XIII P. M. edita, cura et studio Fratrum Praedicatorum, Romae, -. Ed. Lugd. : (Editio Lugdunensis) Albertus Magnus, Opera, studio et labore P. Jammy, Lugduni, . Ed. Paris. : (Editio Parisiensis) Albertus Magnus, Opera omnia, cura et labore A. et Æ. Borgnet, vol, Vivès, Parisiis, -. G : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Gotha Forschungsbibl. Ch A () f. ra-ra. h : ALBERTUS MAGNUS, Postilla apprime magistralis Ioannis Evangeliare. Venerabilis domini Alberti magni quondam Ratisponensis Episcopi Ordinis Predicatorum, ed. Bursa Laurentii (Colonia), Iohannes Rynman et Henricus Gran, Augsburg et Hagenau, -. In Ex. : Meister Eckhart, Expositio Libri Exodi, [LW II], hrsg. von K. Weiss, -. In Gen. I : Meister Eckhart, Expositio libri Genesis, [LW I/] hrsg. von K. Weiss und [LW I/] hrsg. von L. Sturlese, -. In Gen. II : Meister Eckhart, Liber parabolarum Genesis, [LW I/], hrsg. von K. Weiss und [LW I/] hrsg. von L. Sturlese, -. In Ioh. : Meister Eckhart, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, [LW III], hrsg. von K. Christ, B. Decker, J. Koch, H. Fischer, L. Sturlese und A. Zimmermann, -. K : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Köln HAStK, Best. , [olim Köln HistASt W f. et W VIII ]. Kl : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Klosterneuburg StiB (ca. ) f. ra-ra. l : ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in Ioannem, in Alberti Magni Opera omnia, ed. P. Jammy, vol. XI, Lugduni, . LW : Meister Eckhart, Die lateinischen Werke, hrsg. im Auftrage der Deutschen Forschungsgemeinschaft, Kohlhammer Verlag, Stuttgart, -.
A BRÉVIATIONS
ET SIGLES
XVII
M : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in München, Bayerische Staatsbibliothek Clm (XIIIe s.) f. ra-va. M : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm , f. ra-vb. M : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm , f. vb-vb. N : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Nürnberg, StB Cent. I. () f. ra-rb (a f. ra deficiens). N : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in Napoli, BN VIII C , f. ra-va. OLME : Libera, A. (de), Wéber, É.-H. et Zum Brunn, É. (texte latin, introduction, traduction et notes), Maître Eckhart, L’Œuvre latine de Maître Eckhart, Commentaire sur le prologue de Jean (chap. , -), tome , Le Cerf, Paris, . p : ALBERTUS MAGNUS, Enarrationes in Ioannem, in Beati Alberti Magni Ratisponensis Episcopi Ordinis Praedicatorum Opera omnia, ed. A. & Æ. Borgnet, vol. XXIV, Vivès, Parisiis, . PG : (Patrologia Graeca) Patrologiae Cursus completus. Series Graeca, accurante J.-P. Migne, Parisiis, -. PL : (Patrologia Latina) Patrologiae Cursus completus. Series Latina, accurante J.-P. Migne, Parisiis, -. Po : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in Pommersfelden, Gräflich Schörnbornsche Bibl., B , f. vb-va. Pr. (suivi d’un chiffre arabe) : Meister Eckhart, Predigte, [DW I-IV], hrsg. und übersetzt von J. Quint, -. PTS : Patristische Texte und Studien, im Auftrag der patristischen Kommission der Akademien der Wissenschaften in der Bundesrepublik Deutschland, hrsg. von K. Aland und E. Mühlenberg, Berlin und New York, -. RSPT : Revue des sciences philosophiques et théologiques, Librairie philosophique J. Vrin, avec le concours du C.N.R.S. et du C.N.L., Paris, -. S : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Sevilla, Colomb. -- [olim -- (Y--)] () f. ra-ra. T : ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem, in Toulouse, BM f. ra-rb (XIIIe s.). V : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. , f. rb-va.
XVIII
A BRÉVIATIONS
ET SIGLES
W : ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, in Wien, Dominikanerkloster /, f. va-ra. Les références aux sources et aux études sont données de manière complète la première fois que celles-ci sont citées, puis de manière abrégée. Les références bibliographiques données en notes sont classées par ordre chronologique de publication.
Introduction
Questions et méthode Le témoignage, une notion clef de l’Évangile de Jean selon Albert le Grand Et il touche le mode du témoignage en particulier, en disant : ‘pour rendre témoignage à la lumière (lumine)’. Et, bien qu’en elle-même elle soit très manifeste, cependant, notre intellect est, par rapport à elle, comme les yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. C’est pourquoi aussi, comme dit Denys, il faut qu’il soit conduit par la main au moyen d’une lumière (luce) qui lui soit proportionnée et, quant à cela, il a besoin d’un témoignage.
V
oici les quelques lignes qui délimiteront rigoureusement le territoire de notre enquête philosophique. Elles sont extraites du commentaire qu’Albert le Grand donne, dans son Super Iohannem, du verset Jn , : . En raison de la différence conceptuelle qu’établit Albert le Grand entre les termes lux et lumen, nous signalons entre parenthèses le terme que traduit le français « lumière ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Iohannem (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, Peeters, Leuven, Paris et Bristol, C.T., (Eckhart : Texts and Studies ), p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Et tangit specialiter modum testimonii, dicens : ‘ut testimonium perhiberet de lumine’. Quod licet in se sit manifestissimum, tamen noster intellectus est ad ipsum ut oculi uespertilionis ad lumen solis. Et ideo, sicut dicit Dyonisius, oportet ut luce sibi proportionata manuducatur et, quo ad hoc, indiget testimonio. » . La perspective philosophique que nous adoptons tient, d’une part, à une certaine manière de lire l’œuvre d’Albert le Grand à partir de ce qu’Alain de Libera nomme la « double exigence » dans laquelle « réside l’originalité propre » du maître de Cologne, cf. LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique. Albert le Grand, chap. , Vrin, Paris, (Problèmes et controverses), p. : « Il a à la fois reconnu la rationalité du théologique, sans replier la théologie sur la raison naturelle, et la spiritualité du philosophique, sans engager la philosophie dans l’irrationnel ». Elle tient, d’autre part, à la spécificité du Super Iohannem. Dans cette œuvre exégétique, l’intention du Doctor universalis est, en effet, de proposer une lecture philosophique de l’évangile, sinon exclusivement, du moins pour une grande part. Cf. sur ce point SENNER, W., O. P., Alberts des Großen Verständnis von Theologie und Philosophie, Aschendorff, Münster, (Lectio Albertina – Albertus-Magnus-Institut Bonn), p. : « Das Johannesevangelium bietet sich für eine philosophische Auslegung besonders an ».
INTRODUCTION
‘Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui’. Le propos de Maître Albert y est d’exprimer synthétiquement ce qui fonde non seulement l’acte de témoignage que rend Jean le Baptiste au Verbe divin mais, plus généralement, le mode de connaissance médiat du principe divin dont le témoignage de Jean-Baptiste offre un exemple paradigmatique dans le cadre de l’Évangile de Jean. Dans cet essai philosophique, nous avons, par conséquent, pour intention d’explorer la manière dont Albert le Grand comprend le mode de connaissance du principe divin qu’il reconnaît dans le témoignage de Jean le Baptiste. Celui-ci se distingue du mode de connaissance du principe divin que le Docteur universel attribue, dans la préface au Super Iohannem intitulée le Prologue dans lequel l’évangéliste est loué , à l’évangéliste Jean. Celui-ci contemple, en effet, directement la Trinité et, en particulier, la propriété et la divinité de la personne médiane dans la Trinité, c’est-à-dire du Verbe. Seule la grâce unique qui lui est accordée, prenant appui sur ses qualités exceptionnelles, en particulier sur ses facultés visuelles qui . Jn , secundum Vulgatam, in Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, adiuvantibus B. Fischer, I. Gribomont, H. F. D. Sparks, W. Thiele, recensuit et brevi apparatu critico instruxit R. Weber, . ed. praeparavit R. Gryson, Deutsche Bibelgesellschaft, Stuttgart, (. ed. ), , p. : « Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent per illum. » Par convention, nous utiliserons les guillemets simples pour les citations bibliques. . ALBERTUS MAGNUS, Enarrationes in Ioannem, Prol., ed. A. et Æ. Borgnet, Ed. Paris. XXIV, Vivès, Parisiis, , p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « […] usque ad coelum Trinitatis se attollens, quando mediae in trinitate personae (hoc est, Verbi) describit proprietatem et divinitatem. » (« […] se portant jusqu’au ciel de la Trinité, quand il décrit la propriété et la divinité de la personne médiane dans la Trinité, c’est-à-dire du Verbe. » . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « Quinta proprietas est, quod in praeruptis et in locis inaccessis nidificat : quod soli Joanni competit. Praerupta signat alta divinitatis et personalis proprietatis : quae praerupta sunt non in se, sed quia accessus ad ea per viam rationis praeruptus est : quia ratio non potest ad illa, et ideo inaccessa dicuntur. » « La cinquième propriété est qu’il fait son nid dans des lieux escarpés et inaccessibles, ce qui revient à Jean seul. Les escarpés désignent les hauts de la divinité et de la propriété personnelle qui sont des escarpés non pas en eux-mêmes, mais parce que l’accès à eux par la voie de la raison est escarpé. Parce que la raison ne peut accéder à eux, ils sont dits inaccessibles. » ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « Hoc enim primus fecit Joannes et solus, quod ab aeternitate incipiens, Dei sapientiam per omnem effectum sapientiae in esse naturae, gratiae, et gloriae stylum scribendi reduxit. »« Car ceci, Jean, le premier et le seul, l’a fait : en commençant par l’éternité, le style d’écriture a reconduit la sagesse de Dieu à l’être de la nature, de la grâce et de la gloire à travers tout effet de la sagesse. » . Sur le nom de Jean, qui signifie grâce, renvoyant aux dons de l’illumination et de la pureté du corps, sur le privilège de l’aigle parmi les animaux du trône divin, symboles des évangélistes, sur
QUESTIONS
ET MÉTHODE
l’assimilent à l’acuité de l’aigle, autorise Jean l’évangéliste à contempler la génération éternelle du Verbe en Dieu. Or celle-ci ne saurait être pleinement et clairement connue de la raison humaine. La cause efficiente d’une contemplation si élevée est, en Jean, la sagesse divine. Nous viserons, pour notre part, dans cet essai, le mode de connaissance médiat du principe qu’aperçoit le Doctor magnus dans le témoignage de Jean le Baptiste. Bien que Jean, le témoin, soit le premier homme désigné singulièrement par un nom propre dans l’Évangile de Jean et bien qu’à la suite de la tradition patristique, Maître Albert souligne son
l’incorruption de la chair virginale de Jean, sur son élection divine et sa vocation, cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prologi S. Hieronymi in Evangelium secundum Joannem explanatio, Ed. Paris. XXIV, p. b-a. . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « Aquila enim acute videt, ita ut etiam solem in rota, irreverberata acie oculi, adspicere dicatur : propter quod visus acumen aquila (ab acumine nomen accipiens) vocatur, et ad hoc pullos an sui sint probare dicitur. Cum enim de ovis egressi, jam per naturam coadunatos habent oculos, quemlibet pullorum ad rotam solis videndam disponit : et cujuscumque oculos lacrymari conspexerit, illum abjicit : et quem illorum pati solem irreverberata pupilla deprehenderit, hunc tamquam suum fovet et nutrit. » « L’aigle voit de manière perçante, de telle sorte qu’on dit aussi qu’il regarde le soleil dans la roue, sans que le regard perçant de son œil ait reçu de réverbération. C’est pourquoi la pointe de la vision est appelée aquila (le nom est tiré d’acumen) et l’on dit que c’est à cela qu’il reconnaît après examen que les petits sont les siens. Puisque, dès qu’ils sont sortis des œufs, ils ont déjà par nature des yeux coadunés, il dispose chacun des petits à voir la roue du soleil et s’il observe que les yeux de l’un d’entre eux pleurent, il le rejette. Et s’il surprend l’un d’eux à supporter le soleil, sans que la pupille ne reçoive de réverbération, il le couve et le nourrit comme le sien. » . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « Antelucanum enim mistum tenebris doctrina est aeternae generationis, quae ad plenum cognosci non potest. » « ‘Avant le jour’, mêlée de ténèbres, est la doctrine de la génération éternelle, qui ne peut être connue pleinement. » . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. - : « Efficiens enim causa prima, sapientia divina est se in Verbo increato Joanni manifestans, et in Verbo incarnato Joannem erudiens et movens ad scribendum. Matth. X, : ‘Non vos estis qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui loquitur in vobis’. ‘Spiritus’ autem ‘Patris’, Spiritus est sapientiae loquentis […]. « La cause efficiente première est la sagesse divine qui se manifeste à Jean dans le Verbe incréé, qui enseigne Jean dans le Verbe incarné et le meut à écrire ; Mt , : ‘Ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous’. Or ‘l’Esprit’ du ‘Père’ est l’esprit de la sagesse qui parle […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « ‘Hic’, scilicet Iohannes discrete et signanter demonstratus […]. » (« ‘Celui-ci’, Jean désigné à part et de manière distincte […]. » . Pour un enchaînement des topoi sur la vie de l’évangéliste Jean, cf., par exemple, BEDA VENERABILIS, Homeliarum evangelii libri II, lib. , hom. , in Bedae Venerabilis Opera, pars III : Opera homiletica, ed. D. Hurst et J. Fraipont, CCSL CXXII, Brepols, Turnhout, , p. , l. -p. , l. , spéc. p. , l. - ; p. , l. - ; BEDA VENERABILIS, In S. Joannis evangelium expositio, Auctoris commendatio, ed. J.-P. Migne, PL XCII, Parisiis, , col. -.
INTRODUCTION
caractère exceptionnel, nous entendons montrer qu’une lecture précise du Super Iohannem, à partir du premier chapitre, permet d’établir qu’en vertu des réseaux d’images qu’il emploie, Albert le Grand rend ce mode de connaissance médiat du principe accessible en droit à chacun. La mise au jour de ce deuxième sens de la fonction testimoniale, au-delà de l’exceptionnalité du témoin Jean, s’avère indissociablement liée à la manière dont En particulier, sur la tradition patristique au sujet de Jean, dont le nom signifie grâce, cf., par exemple, HIERONYMUS STRIDONENSIS, Liber interpretationis hebraicorum nominum, ed. P. de Lagarde, CCSL LXXII, Brepols, Turnhout, , p. , l. . ISIDORUS HISPALENSIS, Etymologiarum siue Originum libri XX, lib. , cap. , n. , ed. W. M. Lindsay, Oxonii, (Scriptorum Classicorum Bibliotheca Oxoniensis), sans pagination, l. -. UGUCCIONE DA PISA, Agiographia, in De dubio accentu, Agiographia, Expositio de Symbolo Apostolorum, ed. G. Cremascoli, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, Spoleto, , p. , l. : « Joannes interpretatur Domini gratia […]. » BEDA VENERABILIS, In Lucae euangelium expositio, lib. , cap. , n. , ed. D. Hurst, CCSL CXX, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « ‘Iohannes’ ergo interpretatur ‘in quo est gratia uel domini gratia’. » HRABANUS MAURUS [RABANUS MAURUS], Expositio in Matthaeum, lib. (, ), ed. B. Löfstedt, CCCM CLXXIV, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « Iohannes ‘in quo est gratia’ uel ‘Domini gratia’ dicitur. » PASCHASIUS RADBERTUS, Expositio in Mattheo (libri XII), lib. (, ), ed. B. Paulus, CCCM LVIA, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « ‘Iohannes’ vero ‘gratia’ Dei vel ‘in quo est gratia’. » HEIRICUS AUTISSIODORENSIS, Homiliae per circulum anni, hom. , II, ed. R. Quadri, iuuamen praestante R. Demeulenaere, CCCM CXVI, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « […] interpretatur enim gratia siue in quo est gratia, uel cui donatum est. » ; ibid., p. , l. - : « Quaeritur quid uocabatur : ‘Cui nomen erat Iohannes’, quod interpretatur gratia Dei, siue in quo est gratia, siue cui donatum est ; uere enim Dei gratia donatum est illi regem regum non solum praecurrere, uerum etiam baptizare. ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « In quarum prima commendatur testis, et omni exceptione maior ostenditur. » (« Dans la première d’entre elles, est mis en valeur le témoin et il est montré omni exceptione maior. ») L’expression juridique omni exceptione maior désigne un témoin « irréprochable » ou « au-dessus de tout soupçon ». Pour les occurrences de cette expression, cf. LEWIS, Ch. T., SHORT, Ch. (revised and elarged by), ANDREWS, E. A. (transl.) and FREUND, W. (st ed.), A Latin Dictionary founded on Andrew’s edition of the Freund’s Latin dictionary, Oxford University Press, Oxford, . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « In prima harum, commendatur testis a quatuor que eum omni exceptione faciunt maiorem. Primo quidem, a natura ; secundo, ab officio ; tertio, ab auctoritate mittentis ; quarto, a nomine et a nominis significatione. » « Dans la première de celles-ci, est mis en valeur le témoin par quatre qui le rendent omni exceptione maiorem : en premier lieu, par la nature ; en deuxième lieu, par la fonction ; en troisième lieu, par l’autorité de celui qui envoie ; en quatrième lieu, par le nom et la signification du nom. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Enarrationes in Lucam (Luc , ), ed. A. et Æ. Borgnet, Ed. Paris. XXII, Vivès, Parisiis, , p. b-b.
QUESTIONS
ET MÉTHODE
le Doctor expertus enchaîne les figures qui composent la formule synthétique que nous avons citée en exergue. Nous allons entrer dans la compréhension plus précise de ces phrases étonnantes et dans le mode de lecture qu’elles requièrent après avoir, au préalable, expliqué en quoi la notion de témoignage est centrale, aux yeux de Maître Albert, dans l’interprétation de l’Évangile de Jean. Pourquoi choisir, parmi tous les passages du Super Iohannem, celui-ci, relatif au témoignage, dans l’exégèse albertienne de Jn , ? La première raison est exégétique, au sens de la compréhension immédiate du texte. Il s’agit du désir de rendre compte de ce qui étonne tout lecteur du texte johannique, lorsque apparaît la figure du témoin au verset , à savoir la rupture soudaine du discours à l’imparfait au sujet de ce qui était (erat) de toute éternité dans le principe. Ce discours sur les origines – cette archéologie, pour ainsi dire – est brisé par le brusque surgissement d’un parfait (fuit) : ‘Il y eut un homme’. La deuxième raison de notre choix portant sur cet extrait de l’exégèse de Jn , ressortit à la métaphysique : comment le maître de Cologne conçoit-il, à partir de ce verset, la manifestation du principe divin comme une dynamique d’effectuation et de singularisation qui épouse les conditions humaines de réception ? Albert le Grand, qui a longuement développé les raisons de l’imparfait erat, ne commente pas, en effet, ce changement dans les temps des verbes latins. Il porte, en revanche, toute son attention sur l’avènement de la figure du témoin comme un homme auquel est donné un nom propre : ‘Son nom était Jean’. La troisième raison de notre choix relève de l’herméneutique au sens de l’inteprétation du quatrième évangile en tant que témoignage. La figure du témoin, Jean le Baptiste, dans le discours johannique apparaît, en effet, si décisive au Doctor magnus qu’il en fait la césure majeure du quatrième évangile tout entier. Il annonce, en effet, qu’à partir du verset , il ne sera plus question, à ses yeux, que de témoignage : d’abord, celui que Jean le Baptiste rend au Verbe, puis celui que le Verbe se rend à lui-même. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Et diuiditur in duas partes secundum duo testimonia quibus manifestatur. Quorum primum est testimonium factum per alium. Et secundum est testimonium factum per seipsum. » (« Et elle est divisée en deux parties selon deux témoignages par lesquels il est manifesté. Le premier des deux est le témoignage rendu par un autre. Et le second est le témoignage rendu par lui-même. »)
INTRODUCTION
Notre hypothèse au sujet du statut qu’il convient, d’après cette thèse albertienne, d’accorder aux cinq premiers versets de l’évangile est qu’il s’agit de la vision qu’il est donné à Jean l’évangéliste d’avoir de l’engendrement du Verbe dans le principe. Nous en traiterons en un autre lieu. La quatrième raison de notre choix prend donc appui sur ce qui peut apparaître seulement comme une question interne d’exégèse johannique, à savoir « qui est témoin ? » selon la lecture albertienne, et qui, plus profondément encore, interroge la méthode de lecture requise par le Super Iohannem. La qualification de l’Évangile de Jean comme un témoignage par le Doctor universalis n’est pas énoncée seulement à propos du verset Jn , . Elle s’appuie, notamment, sur le dernier chapitre du même évangile : ‘C’est ce disciple qui rend témoignage de ces et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai’ (Jn , ). Dans ce verset, la voix du texte qui s’énonce à la première personne du pluriel se distingue, en effet, du narrateur et de l’auteur de l’évangile et désigne ce qu’il écrit comme un témoignage que cette voix affirme savoir être vrai. Le quatrième évangile serait, par conséquent, tout entier structuré comme une séquence de témoignages, à tel point que le Docteur universel conclut son commentaire en s’inscrivant lui-même, en tant qu’exégète, dans la lignée des témoins, acteurs du quatrième évangile, et en appelant ses lecteurs à poursuivre cette œuvre testimoniale à leur propre manière. Or une lecture continue du Super Iohannem, commençant par les préfaces albertiennes, fait apparaître que la fonction testimoniale est réservée à des personnalités exceptionnelles : d’abord, dans le prologue au Super Iohannem, Jean l’évangéliste qui contemple le Verbe divin dans la Trinité et narre ce qu’il a vu dans son évangile puis, dans le commentaire du premier chapitre, Jean le Baptiste. L’alternative, pour le lecteur, est, par conséquent, la suivante : ou bien être témoin est une fonction réservée à quelques personnalités privilégiées et, par suite, l’hypothèse albertienne concernant la structure testimoniale de l’Évangile de Jean ne concerne pas le lecteur ; ou bien il est . Jn , , in ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Ed. Paris. XXIV, p. b ; a : ‘Hic est discipulus ille qui testimonium perhibet de his, et scripsit haec : et scimus quia verum est testimonium eius.’ . Qu’il me soit permis de renvoyer, sur ce point, à CASTEIGT, J., « Le Super Iohannem d’Albert le Grand : commenter un témoignage », in P. Bermon et I. Moulin (éd.), Actes du colloque international de l’Institut d’Études médiévales de l’Institut Catholique de Paris (ICP) : « Commenter au Moyen Âge », Vrin, Paris (Collection de l’Institut d’Études Médiévales de l’Institut Catholique de Paris ), à paraître.
QUESTIONS
ET MÉTHODE
nécessaire de trouver, dans le texte albertien, des traces de la singularisation de la fonction testimoniale susceptible d’être exercée par tout homme. Nous adoptons, dans cet essai, à titre d’hypothèse de lecture cette seconde branche de l’alternative en nous fondant sur le mouvement même que suit le Super Iohannem qui nous conduit, de la préface au commentaire du dernier chapitre de l’Évangile de Jean, de Jean l’évangéliste à Jean le Baptiste, en passant par une foule de témoins pour aboutir à Albert lui-même et à un appel à tout lecteur à devenir lui-même témoin. La quatrième raison du choix des phrases que nous avons citées en exergue est, par conséquent, qu’elles ont ceci de remarquable, à nos yeux, qu’elles appellent la mise en œuvre d’un autre mode de lecture, susceptible de conduire à une telle singularisation de la fonction testimoniale qui pourrait en droit être exercée par tout individu, en complément du mode de lecture linéaire et continu qui aboutit à cette théorie des témoins exceptionnels. En guise de cinquième raison, la micro-lecture du Super Iohannem que nous nous proposons de mener dans cet essai, à partir de l’extrait cité initialement, concerne au premier chef le problème philosophique que le Docteur universel discerne dans le témoignage johannique. La décision exégétique d’Albert le Grand quant à la division du texte johannique et à la figure du témoin possède une portée philosophique majeure. Son intention est, en effet, de montrer que l’Évangile de Jean, en tant que témoignage, se présente comme une réponse à l’aporie des philosophes. C’est pourquoi il s’appuie sur l’autorité de Jean Chrysostome, qui soutient que Jean l’évangéliste lui-même s’adresse aux « sages grecs nourris de philosophie ». . IOHANNES CHRYSOSTOMUS, Commentarius in sanctum Ioannem Apostolum et Evangelistam, Hom. [désormais : Hom. in Io.], n. , ed. J.-P. Migne, PG LIX, Vivès, Paris, , col. -, transl. Burg. Paris, BNF, Lat. , f. rb-va ; cf. Glossa marg. in Ioh. , in ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] secundum Crisostomum, quod Iohannes Grecis sapientibus et in philosophia nutritis loquebatur […] » (« […] selon Chrysostome, que Jean parlait aux sages grecs et à ceux qui étaient nourris dans la philosophie […] ») ; Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Sed ad hoc ualde bene respondet Crisostomus quod, sapientibus loquens, […] » (« Mais, quant à cela, Chrysostome répond fort bien que, parlant aux sages, […] ») ; Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] et hec est questio Crisostomi –, precipue cum sapientibus loquitur […] » (« […] et cela est la question de Chrysostome –, principalement quand il parle à des sages […] ») ; Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] sapientibus et perfectis loquebatur et in philosophia enutritis […] » (« […] il parlait aux sages et à ceux qui étaient nourris dans la philosophie […] »).
INTRODUCTION
La nécessité de passer d’une lecture linéaire à une lecture transversale et figurale Portons un instant notre attention sur le réseau d’images qu’Albert le Grand nous propose dans ces phrases ainsi que sur les problèmes qu’elles posent et auxquels notre parcours de lecture cherchera à répondre. En premier lieu, Maître Albert pose la lumière comme ce qui est en soimême le plus manifeste. Il emploie le relatif quod et le pronom démonstratif ipsum au neutre singulier pour renvoyer à l’antédécent lumine dans le verset Jn , , de telle sorte qu’il est spontanément évident au lecteur que ces deux termes neutres se rapportent directement à lumine. Il nous faut, néanmoins, remarquer que le Doctor expertus n’explicite pas ce rapport à l’antécédent en le nommant, par exemple, de nouveau. En laissant, par deux fois, le neutre singulier de manière indéterminée, il appelle le lecteur à un questionnement de portée métaphysique plus générale : s’agit-il seulement, dans ce passage, d’opposer la lumière du verset Jn , , qui est la plus manifeste en elle-même, à une lumière proportionnée à l’intellect humain ? Ou bien la réflexion albertienne porte-t-elle, plus généralement, sur tout ce qui est très manifeste en soi-même, ouvrant ainsi l’exégèse du verset à une interrogation métaphysique ? En isolant ces deux termes neutres de leur contexte, nous pourrions oser la traduction suivante : Bien que cela soit en soi-même le plus manifeste, notre intellect est, cependant, par rapport à cela , comme les yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière du soleil. En deuxième lieu, le Doctor magnus établit une comparaison à quatre termes. Celle-ci pose une analogie entre le rapport de notre intellect avec la lumière très manifeste en elle-même, d’un côté, et, de l’autre, celui de l’œil de la chauve-souris avec la lumière du soleil. Deux questions se posent quant à ce deuxième point : comment se caractérise le rapport de l’œil de la chauve-souris à la lumière du soleil, d’une part, et, d’autre part, pourquoi Albert de Cologne recourt-il à cette image à propos de l’intellect humain ? . Cf. supra introduction, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -).
QUESTIONS
ET MÉTHODE
En troisième lieu, le maître dominicain en déduit la nécessité d’une « conduite par la main » (manuductio) de l’intellect humain par une lumière qui soit proportionnée à ce même intellect. D’une part, en quoi cette lumière proportionnée diffère-t-elle de la lumière très manifeste en elle-même ? D’autre part, que vise Albert de Cologne par la conjonction de l’intellect et de la main et, par suite, de l’acte intellectif et du toucher ? Enfin, à quel propos exactement convoque-t-il Denys l’Aréopagite ? Est-ce au sujet de la manuductio, à celui de la lumière proportionnée ou bien cela regarde-t-il davantage la première idée exprimée au moyen de la comparaison de l’intellect humain et de l’œil de la chauve-souris ? En quatrième et dernier lieu, Maître Albert pose une condition à cette « conduite par la main » de l’intellect par une lumière qui lui soit proportionnée : l’intellect humain a besoin d’un témoignage. Cela soulève la question suivante : cette condition porte-t-elle davantage sur la « conduite par la main » ou bien sur la proportion de la lumière ? La fidélité au texte johannique implique qu’Albert le Grand se concentre, en ce point de son commentaire, sur le témoignage (ut testimonium perhiberet de lumine) et non plus sur le témoin qui a été introduit au verset . Cependant, la conjonction des images surprend et suspend la lecture : comment un témoignage pourrait-il « conduire par la main » ? Maître Albert n’explicite pas en ce lieu cette conjonction figurale étonnante. Pour en déchiffrer la signification, il appartient au lecteur d’effectuer une traversée de l’œuvre albertienne en ses différents corpora et ses disciplines variées, guidée par la recherche des occurrences de ce dispositif figural. Il s’agit, en effet, de tenter de repérer la fonction de ces images (chauve-souris, manuduction et lumière proportionnée) dans les différents modes de discours dans lesquels elles sont employées, en particulier lorsqu’elles apparaissent conjointement. C’est cette pratique de lecture que nous désignons comme à la fois transversale et figurale. Comment rendre compte de la différence entre ces deux modes de lecture : continu, d’un côté, transversal et figural, de l’autre ? Cette question se déploie sur deux plans distincts. Du point de vue de l’auteur, quel mode d’interprétation adopte-t-il, de telle sorte qu’il soit conduit à un mode d’écriture figural ? Du point de vue du lecteur, quels indices textuels donnés par le Frère prêcheur rhénan lui-même fondent-ils une pratique de lecture transversale et figurale ? À notre connaissance, le Docteur universel n’explicite, en effet, nulle part, dans
INTRODUCTION
un traité qui lui serait spécifiquement consacré, le mode de lecture transversal et figural qu’il nous apparaît nécessaire de mettre en œuvre pour déchiffrer le sens de l’étrange montage figural mentionné plus haut. Cela implique-t-il, pour autant, que nous projetions sur son texte des présupposés méthodologiques qui lui sont exogènes ? Notre hypothèse est plutôt que, loin d’être subjectivement projeté par le lecteur, ce mode d’interprétation, que nous allons nommer, avec le maître de Cologne, « intelligence figurale », trouve des fondements objectifs dans l’œuvre albertienne et qu’une théorie de cette modalité herméneutique se trouve bien chez lui, mais de manière implicite. Elle se trouve, en effet, mise en œuvre dans la pratique du commentaire exégétique, et non pas sur un mode doctrinal. Nous réfléchirons, en conclusion, sur la distinction méthodologique entre la pratique albertienne et la nôtre en dégageant les caractéristiques de la méthode que nous aurons mise en œuvre en suivant les réseaux textuels albertiens. En quoi ce mode de lecture figural se distingue-t-il d’autres modes d’écriture exégétiques médiévaux recourant aux images ? Prenons deux exemples. En guise de premier exemple, le Doctor magnus vient de procéder, au verset , à un alliage de citations empruntées à différents livres bibliques à propos du père de Jean le Baptiste, ou de la manière dont ce dernier a été conçu dans le sein maternel, de sa nature et de sa mission. Or il appert qu’en citant Isaïe et Jérémie, par exemple, au sujet de leur vocation prophétique dès le sein maternel, Maître Albert fait glisser la figure du témoin, Jean, vers celle du prophète qui peut à son tour s’entendre à propos de la figure du Verbe incarné, de telle sorte qu’elles se recouvrent l’une l’autre, se complètent, montrent leurs ressemblances et leurs différences en transparence. De même, à propos de la mission de Jean, le maître de Cologne la rapproche à la fois de la . Cf. infra chapitre III, p. , note et l’analyse de ce texte central pour notre enquête au début du troisième chapitre de cet essai, section I, I : ALBERTUS MAGNUS, Summa theologiae sive de mirabili scientia Dei, q. -A, lib. , pars I, tr. , q. , cap. , ed. D. Siedler, P. A., collaborantibus W. Kübel et H. G. Vogels, Ed. Colon. XXXIV/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « In omnibus enim talibus, ut dicit Augustinus in XII Super Genesim ad litteram, id quod figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione, immateriali luce et in figurali splendet intelligentia. » « En tout cela, en effet, comme dit Augustin dans le douzième du Super Genesim ad litteram, ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale. »
QUESTIONS
ET MÉTHODE
bonne nouvelle annoncée par Paul et de la prophétie de Jérémie, pour souligner que chacun des trois énonce des paroles qui ne viennent pas de lui-même, mais lui sont données par Dieu. Par suite, du point de vue de la mission, la figure du témoin appartient, aux yeux d’Albert le Grand, au même réseau que celle du prophète et que celle de l’apôtre Paul. Par cette technique fréquente chez les exégètes patristiques et médiévaux de mise en relation des citations bibliques, l’exégète colonais ne vise pas, pour autant, à identifer ces trois figures. Preuve en est qu’il rappelle aussitôt la spécificité de Jean comme « fin de la loi des faits qui ne conféraient pas la grâce ». Il n’entend en aucune façon produire une confusion entre les figures du témoin, du prophète, de l’apôtre Paul et du Verbe incarné. Autrement dit, il ne s’agit pas, pour lui, d’affirmer que l’une s’identifie à l’autre. Mais, s’inscrivant dans la tradition patristique qui lit, dans Isaïe, l’annonce du Christ, il fait entendre que ce qui se dit de l’une, sous un certain rapport, peut se dire de l’autre, sous ce même rapport. Cette méthode d’écriture installe le lecteur dans une écoute des résonances figurales le long de réseaux de citations qui suspend le processus d’identification stricte des acteurs et laisse advenir des ressemblances, voire des points d’identité, inédits. Cette exposition est confirmée par une autre traduction qui dit ainsi : ‘Il s’est fait homme, il a été envoyé par Dieu, son nom était Jean’. De ce fait, le père, la manière d’être fait, la nature de Jean et mission sont rapportés à Dieu. Et le nom indiquait cela et, de la manière d’être fait, il tirait un indice ; Is. : ‘Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère etc.’ ; Jr : ‘Avant que je ne te forme dans le sein , je t’ai connu et, avant que tu ne sortes des entrailles , je t’ai sanctifié’. Or, sur la mission qui vient de Dieu, il est dit en Ga. : ‘Je vous fais connaître l’évangile qui a été annoncé par moi, parce qu’il n’est pas selon l’homme. Et je ne l’ai, en effet, pas reçu ni appris d’un homme, mais par révélation de Jésus Christ’ ; Jr : ‘Tu iras à tout ce à quoi je t’enverrai et tu’ leur
. Is. , . . Jr , . . Ga. , -. . Jr , .
INTRODUCTION
‘diras ce que je te commanderai’. Quant à ce sujet, beaucoup a été dit dans Super Lucam. De ce fait, parce que Jean est la fin de la loi des faits qui ne conféraient pas la grâce et qu’ le début de la loi du Christ, qui confère la grâce, le nom de grâce lui convient ; Mt : ‘La Loi et les prophètes jusqu’à Jean. Or, depuis les jours de Jean, le Règne des cieux souffre violence ; et les violents s’en emparent’. Cependant, le réseau de citations bibliques convoquées dans ce passage ne saurait être identifié à une constellation figurale. Les versets qui composent ce groupe n’ont pas, d’une part, une récurrence suffisante et n’apparaissent pas non plus, d’autre part, ensemble de nouveau, de telle sorte que cet assemblage de citations puisse être reconduit à une thèse ou à un questionnement albertiens récurrents susceptibles d’unifier ces occurrences. L’image du castellum (le village fortifié), qui fournit un second exemple d’écriture recourant à des images, apparaît, quant à lui, en de nombreuses occurrences dans l’œuvre d’Albert le Grand. Au nombre d’environ cent six, elles se trouvent notamment pour une grande part dans l’Évangile de Luc. Les autres se répartissent surtout dans les autres commentaires exégétiques (Isaïe, Matthieu, Marc, Luc, Jean) ou dans les . Mt , ; . . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Hec expositio confirmatur per aliam translationem que sic dicit : ‘Factus fuit homo, missus fuit a Deo, nomen eius Iohannes’. Vnde pater et factura et natura Iohannis et missio ad Deum referuntur. Et nomen hoc indicabat, et ex factura indicium erat illi ; Is. XLIX : ‘Dominus ab utero uocauit me etc.’ ; Ier. I : ‘Priusquam te formarem in utero, noui te et, antequam exires de uentre, sanctificaui te’. De missione autem a Deo dicitur Gal. I : ‘Notum uobis facio ewangelium quod ewangelizatum est a me, quia non est secundum hominem. Neque enim ex homine accepi illud neque didici, sed per reuelationem Ihesu Christi’ ; Ier. I : ‘Ad omnia que mittam te ibis et que mandauero tibi loqueris ad eos’. De hoc autem multa Super Lucam dicta sunt. Vnde, quia Iohannes finis est legis factorum que gratiam non conferebant et initium legis Christi, que gratiam confert, ideo congruit ei nomen gratie ; Matth. XI : ‘Lex et prophete usque ad Iohannem. A diebus autem Iohannis regnum celorum uim patitur ; et uiolenti rapiunt illud’. » . Is. , (ca. autres occurrences) ; Jr , (ca. ), pas d’autre occurrence du verset Ga. , - à notre connaissance ; Jr , (ca. ). . Il y en a quinze dans le commentaire de l’Évangile de Matthieu, dix-sept dans le commentaire de l’Évangile de Marc, trente-sept dans le commentaire de l’Évangile de Luc, dix-sept dans le commentaire de l’Évangile de Jean, trois dans celui d’Isaïe, cinq dans le De natura boni, dix dans le sermon XXXI sur l’assomption de la Vierge, deux dans le De Laudibus Mariae.
QUESTIONS
ET MÉTHODE
sermons. L’usage de castellum ne permet pas de circuler dans toute l’œuvre du Doctor universalis, à travers les différents champs de savoir. Il se circonscrit à une dimension intra-scripturaire qui inscrit le terme dans un réseau de versets tirés du Premier et du Second Testaments. Les caractéristiques qui ressortent de l’emploi de castellum par Albert le Grand sont, d’un côté, l’explicitation de la réalité historico-géographique du castellum et, de l’autre, sa dimension allégorique, en particulier référée à la Vierge Marie. Il en résulte que le nombre de ses occurrences ne suffit pas pour conférer à une image un statut figural. Elle doit, d’une part, être employée dans des œuvres ressortissant à des genres différents ou commentant des corpora de textes distincts et relevant de champs de savoir variés. Elle doit, d’autre part, pouvoir être repérée comme appararaissant au sein d’un réseau de citations marqué par une certaine constance. Elle doit, enfin, exercer, à travers les différents contextes dans lesquels elle est citée, une fonction argumentative cohérente, de telle sorte que le lecteur puisse la reconduire à un questionnement unifiant ses différentes occurrences. Pourquoi user d’un mode d’écriture spécifique qui requiert un mode de lecture propre ? Nous supposons que Maître Albert a recours à ce mode figural d’intelligence des images qu’il écrit et offre à son lecteur précisément pour exprimer une manière de penser qui ne saurait être saisie dans une rationalité conceptuelle. Autrement dit, l’intelligence figurale ne s’applique pas à un récit pris dans sa narrativité linéaire, mais dans ses structures implicites et dans les relations latentes qu’il peut entretenir avec des images homologues appartenant à d’autres séquences narratives. Le travail d’interprétation mené par l’intelligence figurale consiste, en particulier, à repérer certaines images spécifiques, à déterminer la fonction qu’elles exercent de manière récurrente dans différents contextes de l’œuvre albertienne et à déchiffrer le questionnement fondamental auquel elles reconduisent. La raison pour laquelle cet essai se concentre sur la conjonction figurale qui apparaît dans l’exégèse du verset Jn , n’est donc pas seulement herméneutique au sens où cet assemblage d’images est particulièrement susceptible de nous révéler la compréhension albertienne du témoignage qui qualifie, aux yeux du Doctor expertus, la nature et la structure de l’Évangile de Jean. Mais ce dispositif figural nous apparaît également comme un des lieux majeurs à partir desquels peut être
INTRODUCTION
déployé et explicité le discours albertien sur sa propre méthode d’interprétation figurale. Autrement dit, la constellation figurale formée par la chauve-souris, la manuductio et la lumière proportionnée offre à Maître Albert l’occasion d’un méta-discours sur l’intelligence figurale qu’il emploie lui-même dans son mode d’interprétation des textes (pas exclusivement sacrés), dans son mode d’écriture et qu’il appelle son destinataire à pratiquer, à son tour, dans son propre mode de lecture. Ainsi donc le propos de cet essai consiste-t-il, plus précisément, à explorer en quoi la connaissance médiate du principe que représente le témoignage johannique est indissociable de la pratique interprétative que Maître Albert met en œuvre sous le nom d’intelligence figurale. Observons comment les éléments composant l’extrait choisi de l’exégèse de Jn , invitent le lecteur à un parcours figural. Déploiement du parcours figural et des questions philosophiques qu’il pose En quoi Albert le Grand reprend-il, dans la formule mise en exergue, sa thèse du témoignage johannique comme réponse au problème philosophique de la connaissance du principe ? Le maître de Cologne formule ici cette aporie noétique au moyen de la figure de la chauve-souris qu’il emprunte à Aristote : de même que la chauve-souris ne peut voir la lumière du soleil en face, sans en être aveuglée, de même l’intellect humain ne saurait connaître le principe directement. Le témoignage apparaît ainsi, aux yeux d’Albert de Cologne, comme l’issue johannique face à l’écueil que représente, pour la possibilité de la métaphysique, la disproportion du principe par rapport à l’intellect humain. Le verset Jn , fournit, en effet, au Doctor magnus l’occasion de poser le problème noétique suivant : est-il possible à l’intellect humain de connaître directement le principe ? Or la réponse offerte par la métaphysique s’adresse à l’intellect en tant qu’il est séparé de la matière. Qu’en est-il, dès lors, du point de vue noétique, de la connaissance du principe à laquelle peut parvenir l’intellect humain dans ses conditions d’existence unie au corps, c’est-à-dire en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination ?
. Cf. infra chapitre I, p. , note , ARISTOTELES, Metaphysica, α, ( b -).
QUESTIONS
ET MÉTHODE
Puisqu’à propos de ce verset, le Doctor magnus pose la question du fondement du témoignage d’un homme nommé Jean, il le reconnaît comme le lieu adéquat pour affirmer que c’est précisément à l’intellect humain, en tant qu’il est humain, qu’est approprié le témoignage qu’Albert le Grand propose comme voie alternative vers le principe face à la métaphysique. Pourquoi faudrait-il, en effet, un témoignage, si la lumière est en elle-même très manifeste ? A fortiori, pourquoi est-ce un témoin humain que dispose le Prologue de Jean, au verset , alors même qu’au seuil de l’évangile johannique est annoncée la venue de ce témoin singulier du principe divin qu’est le Verbe incarné, identique en nature à celui auquel il rend témoignage et dont il est affirmé que le témoignage est plus grand que le témoignage de Jean ? Ce redoublement du dispositif du témoignage a, aux yeux du maître de Cologne, précisément pour fonction de remédier à l’incapacité où se trouve l’intellect humain de connaître directement le principe divin. Et, bien que le témoignage du Verbe rendu par le Verbe luimême soit plus grand que le témoignage rendu par un autre et qu’ainsi il semble être avant, cependant, quant à nous et à notre introduction au Verbe, le témoignage rendu par un autre est avant le témoignage rendu par le Verbe. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « In secunda autem ex parte nostra necessitas testimonii inducitur […]. » (« Dans la deuxième , pour sa part, est introduite la nécessité du témoignage de notre côté […]. ») ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) : « Quorum primum est : ut nobis congruat. » (« La première d’entre elles est qu’elle nous convienne. ») ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ) : « Dicit igitur : ‘Fuit homo’, ut nobis et humanato Verbo, prout Glossa innuit, congrueret. Si enim alium testem humanatum Verbum ad homines haberet, testimonium eius non congrueret, quia ex homine testimonium non proferret. Ideo etiam pontifex, qui preest hominibus in hiis que ad Deum sunt, homo eligitur ; Hebr. V : ‘Omnis namque pontifex, ex hominibus assumptus, pro hominibus constituitur in hiis que ad Deum sunt’. » (« Il dit donc : ‘Il y eut un homme’ pour qu’elle convienne à nous ainsi qu’au Verbe fait homme, comme indique la Glose. Si le Verbe fait homme avait, en effet, un autre témoin pour les hommes, son témoignage ne conviendrait pas, parce qu’il ne proférerait pas un témoignage à partir de l’homme. C’est pourquoi aussi le pontife, qui est à la tête des hommes dans ces qui ressortissent à Dieu, est choisi homme ; He. (, ) : ‘Car tout pontife, pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans ces qui ressortissent à Dieu’. ») . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Et, quamuis testimonium Verbi factum per ipsum Verbum maius sit testimonio facto per alterum, et sic prius uideatur esse, tamen, quo ad nos et nostram inductionem ad Verbum, testimonium factum per alterum prius est testimonio facto per Verbum. »
INTRODUCTION
Sans ce témoin humain qu’est Jean, notre intellect courrait, en effet, le risque d’être aveuglé par la lumière divine qui reluit dans le Verbe fait chair. Selon les termes albertiens, le témoignage de ce second témoin qu’est Jean tient lieu d’une « lumière proportionnée » à l’intellect humain. C’est à une telle lumière que le Docteur universel confie la charge de « conduire » l’intellect humain « par la main » vers le principe qu’il ne saurait connaître immédiatement. Cependant, si la médiation d’une lumière proportionnée suffisait à ce que l’intellect humain connaisse la lumière divine, alors pourquoi aurait-il besoin d’un autre moyen d’accès à elle, à savoir d’une manuduction ? Ici se pose le problème de l’interprétation du texte albertien. L’intellect humain voit-il le principe, même faiblement, ou n’est-il pas du tout capable de le voir ? De la réponse à cette question dépend l’alternative suivante qui détermine le choix du mode de lecture : soit l’intellect humain peut en quelque manière connaître le principe, alors l’assemblage figural de la chauve-souris et de la manuduction forgé par Albertus Magnus n’est pas cohérent. Pourquoi, en effet, l’intellect humain aurait-il besoin de changer de moyen d’accès au principe, s’il parvient à connaître le principe au moyen d’une médiation noétique ? Soit l’interprète adopte un mode de lecture radical pour attribuer une cohérence à l’ensemble figural de Jn , . La chauve-souris devient, avec une telle lecture, l’exemple paradigmatique de l’aveuglement total. Mais, si l’intellect humain n’est pas du tout en mesure de voir le principe et si Albert le Grand lui assigne un autre moyen d’accès à la lumière divine, alors pourquoi la médiation dont l’intellect humain a besoin est-elle qualifiée par Maître Albert de lumière proportionnée ? Une main suffirait à le conduire comme c’est le cas des prisonniers platoniciens guidés hors de la caverne vers la lumière. De plus, pourquoi Albert de Cologne choisit-il l’exemple de la chauve-souris dont l’ouïe est extrêmement développée, s’il l’associe à l’image tactile de la manuductio ? L’enjeu de notre interprétation et de la méthode figurale que nous choisissons de suivre consiste à interroger la cohérence de l’usage que fait Albertus Magnus
. PLATO, Politeia, lib. (c-a) in La République, livres VI-VII, éd. et trad. É. Chambry, Œuvres complètes VII/, Les Belles Lettres, Paris, (Collection des Universités de France), p. .
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ET MÉTHODE
de la configuration du commentaire de Jn , à travers les occurrences de ses éléments dans l’œuvre albertienne. Comment le Doctor expertus justifie-t-il la voie alternative dans la connaissance du principe qu’il propose à travers le témoignage johannique ? Le lecteur remarque que, dans l’exposition du verset Jn , , Maître Albert n’introduit pas la réponse de l’Évangile de Jean à l’aporie des philosophes au moyen d’un exposé doctrinal ou d’une démonstration. Face à l’aporie à laquelle pourrait mener la figure aristotélicienne de la chauve-souris, il ouvre une voie au moyen de la figure de la manuduction effectuée par une lumière proportionnée à l’intellect humain, faisant ainsi se percuter deux images. L’une ressortit à la vue, l’autre au toucher. L’une est empruntée à Aristote, l’autre à Denys. Aux démonstrations des philosophes, le Doctor magnus se contenterait-il, dès lors, d’opposer des figures ? S’il n’argumente en ce lieu ni ne propose d’exposé doctrinal pour expliciter sa pensée, c’est peut-être alors qu’il . Dans STEEL, C., Der Adler und die Nachteule. Thomas und Albert über die Möglichkeit der Metaphysik, Aschendorff Verlag, Münster, (Lectio Albertina – Albertus-Magnus-Institut Bonn), l’auteur retrace l’histoire du motif de la chauve-souris à travers l’histoire de la philosophie et des commentaires du passage de la Métaphysique auquel il est emprunté, en exposant, notamment, les textes d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin. Si le motif de la chauve-souris permet de délimiter le corpus de textes étudiés et le problème philosophique aristotélicien qui leur confère leur unité, néanmoins, l’intérêt de l’auteur ne porte pas sur la théorie de la figure et la méthode de lecture ainsi mise en œuvre. . Le terme manuductio n’est pas signalé dans le texte latin de la Vulgate au quatrième siècle, cf. Concordantiae sacrorum bibliorum vulgatae editionis, Walfreay et de la Roche, Lugduni, . L’on trouve une occurrence de manuductrix au sixième siècle chez MUTIANUS SCHOLASTICUS, Interpretatio Homiliarum S. Joannis Chrysostomi in Epistolam ad Hebraeos, hom. , ed. J.-P. Migne, PG LXIII, Parisiis, , col. -, l. - : « Paupertas est manuductrix quaedam in via quae ducit ad coelum, unctio athletica, exercitatio quaedam magna et admirabilis, portus tranquillus. » Cf. BLAISE, A., Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Brepols, Turnhout, (re éd. : ) , p. . Une occurrence de manuductio se trouve chez IOHANNES SARISBERIENSIS, lib. , Epist. , ad Baronium, autour de , (Epistola CXL ad Thomam Cantuariensem, in Epistolae, ed. J-P. Migne, PL CXCIX, Parisiis, , col. A, ligne ) ; Epistularium Iohannis Sarisberiensis : Epistulae Iohannis et aliorum contemporeanorum,, Ep. , ed. by C. N. L. Brooke, D. E. Greenway and M. Winterbottom, Clarendon Press, Oxford, , p. , l. et in CAESAR BARONIUS [CESARE BARONIO], Annales ecclesiastici, tomus XIX, typis Leonardi Venturini, Lucae, , p. , col. , par. ; p. : « Dicunt enim quod Pisani et Genuenses et etiam Arelatenses mare ingressi sunt ex mandato Teutonici tyranni, ut ei tendant insidias, et piraticam exercent, ut sine manuductione eorum nulli omnino liceat nauigare in illo mari. » Cf. Glossarium ad Scriptores mediae et infimae Latinitatis, auctore Carolo Dufresne, Domino du Cange, tomus quartus, sub Oliva Caroli Osmont, Parisiis, , p. , col. . Une occurrence de manuductor est signalée dans le dictionnaire de latin classique, cf. Oxford Latin Dictionary, ed. P. G. W. Glare, at the Clarendon Press, Oxford, , p. .
INTRODUCTION
nous convie à un autre mode de lecture de son œuvre. Tel est, du moins, l’un des fondements de l’hypothèse qui guide la recherche menée dans cet essai. Cette méthode, imposée par la manière dont Maître Albert exprime sa pensée dans ce passage de l’exégèse de Jn , , dicte, par conséquent, la manière dont nous mènerons notre enquête. Pour déployer la pensée fulgurante qui est exprimée dans le choc de ces figures, Albert le Grand nous invite à parcourir avec lui les lieux de son œuvre où elles apparaissent. Or non seulement la méthode d’interprétation, en général, mais ces figures, en particulier, ne correspondent, dans les traités albertiens, à aucun titre de chapitre, à aucune question disputée. Elles ne ressortissent en propre à aucun domaine du savoir spécifique. Elles traversent les disciplines et les corpora de textes. Et leurs lieux d’émergence sont signalés par un réseau d’arguments et de sources récurrents qui leur permet d’exercer des fonctions déterminées dans chacun des contextes où elles apparaissent. La méthode de lecture qu’appellent, par suite, ces quelques lignes de l’exposition du verset Jn , suppose de repérer ces figures, en traversant l’œuvre albertienne, d’en circonscrire les contours, en identifiant leurs éléments structurels et les fonctions argumentatives que ceux-ci leur confèrent. Au terme de la traversée de l’œuvre du Docteur universel, nous proposerons au lecteur, en conclusion, les éléments qui nous apparaissent essentiels pour interpréter l’intention philosophique de Maître Albert, lorsqu’il conjoint ces figures à propos du témoignage de Jean, et nous dégagerons les caractéristiques principales du mode de connaissance médiat du principe que le Doctor magnus aperçoit, dans l’Évangile de Jean, comme réponse à l’aporie des philosophes. Or son propos consiste, à travers la signification philosophique qu’il discerne dans le témoignage johannique, à mettre au jour le cadre métaphysique général auquel correspond l’Évangile de Jean. . Pour une esquisse de la répartition de la figure de la manuductio dans les divers corpora de l’œuvre albertienne, cf. CASTEIGT, J., « Manuductio ou conduits par la main à travers l’œuvre d’Albert le Grand », in I. Attucha, D. Calma, C. König-Pralong et I. Zavattero (éd.), Mots médiévaux offerts à Ruedi Imbach, F. I. D. E. M., Brepols, Porto, (Textes et études du moyen âge), p. -. . Bien que nous ne proposions pas, dans cette étude, une interprétation systématique du Super Iohannem dans son intégralité, nous espérons donner des éléments utiles pour la compréhension de sa structure et de sa visée du point de vue métaphysique, dans la mesure où le témoignage
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ET MÉTHODE
La médiation, enjeu philosophique de la notion johannique de témoignage selon Albert le Grand En suivant une telle méthode de lecture, il apparaît, en effet, que l’enjeu philosophique majeur du réseau que tissent, au sujet du témoignage johannique, les figures de la chauve-souris, de la manuductio et du vase constitue la notion fondamentale à partir de laquelle Albert le Grand établit la division de l’évangile tout entier et où le réseau de textes auquel appartient le témoignage en révèle la portée philosophique. En ce qui concerne les études albertiennes portant sur le Super Iohannem, elles sont encore peu nombreuses. Une étude monographique porte sur Jean l’évangéliste dans le Prologue de l’Évangile de Jean, notamment sur sa pédagogie contemplative, cf. HOFER, A., « He Taught Us How to Fly : Albert the Great on John the Evangelist », Angelicum / (), p. -. Les autres monographies portant sur l’Évangile de Jean sont principalement consacrées à la pneumatologie et à la théorie du temps. Cf. FERRARO, G., « L’esegesi dei testi pneumatologici nelle Enarrationes in Joannem di Sant’Alberto Magno », Angelicum / (), p. - ; FERRARO, G., « Il tema pneumatologico nelle Enarrationes in Joannem di Sant’Alberto Magno », Angelicum / (), p. - ; FERRARO, G., « La terminologia temporale del quarto vangelo nelle Enarrationes in Joannem di Sant’Alberto Magno », Gregorianum / (), p. - ; FERRARO, G., Lo Spirito Santo nei commentari al quarto vangelo di Bruno di Segni, Ruperto di Deutz, Bonaventura e Alberto Magno, Libreria editrice Vaticana, Città del Vaticano, . . Un panorama des études mentionnant le terme de manuductio montre combien l’usage qui y est fait ne possède pas l’ampleur que lui confère le réseau de textes dans lequel Albert le Grand l’insère, afin de poser le problème de la médiation. Le bénéfice de notre méthode de lecture consistera donc à mettre en lumière la signification philosophique de cette notion, notamment, en lui reconnaissant le statut de figure. Celle-ci est, en effet, susceptible d’unifier un réseau de textes très différents à partir d’une problématique philosophique sous-jacente à leur thème explicite principal. Sur la manuductio effectuée par le maître chez Thomas d’Aquin, cf. GEORGE, M. I., « Mind Forming and manuductio in Aquinas », The Thomist (), p. -. Sur la manuductio comme manière de passer de la ratio nominis des perfections spirituelles ou des productions dans les créatures à leur cause suréminente en Dieu, cf. PARK, S.-C., Die Rezeption der mittelalterlichen Sprachphilosophie in der Theologie des Thomas von Aquin, Brill, Leiden, Boston und Köln, (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters ), chap. .... : « ratio nominis und manuductio », p. -. Sur la manuductio et la théologie symbolique, cf. la bibliographie indicative suivante ordonnée de manière chronologique dans laquelle la notion de manuductio est abordée de manière assez ponctuelle : ROQUES, R., L’univers dionysien. Structure hiérarchique du monde selon le Pseudo-Denys, Aubier, Paris, (Théologie - ; BURRELL, D. B., Analogy and Philosophical Language, Yale University Press, New Haven and London, , p. - ; PÉPIN, J., « Aspects théoriques du symbole dans la tradition dionysienne : Antécédents et nouveautés », in Simboli e simbologia nell’alto medioevo. Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, Spoleto, - aprile , t. , La Sede del Centro, Spoleto, , p. - ; PÉPIN, J., La tradition de l’allégorie de Philon d’Alexandrie à Dante, Études augustiniennes, Paris, , surtout p. (sur la manuductio comme « sollicitude pédagogique des symboles matériels »), p. (sur le dépassement d’eux-mêmes auxquels contraignent les symboles), p. - (sur l’Épître IX de Denys et l’opposition entre la théologie symbolique-initiatique et la théologie philosophique-démonstrative) ; TEUWSEN, R., Familienähnlichkeit und Analogie. Zur Semantik genereller Termini bei Wittgenstein und Thomas von Aquin, Alber, Freiburg und München, (Symposion ), p. ; BONINO, S.-T., « ‘Les voiles sacrés’ : à propos d’une citation de Denys », in San Tommaso d’Aquino ‘Doctor Humanitatis’. Atti del
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de lumière, comme exemple de lumière proportionnée, est celui du statut de la médiation qui traverse toute la pensée du maître de Cologne. Or, du point de vue des études albertiennes, la notion de médiation ne fait directement l’objet d’aucune monographie. Elle se situe, cependant, de manière implicite, au fondement de ce que les spécialistes du maître de Cologne reconnaissent comme une métaphysique IX Congresso Tomistico Internazionale, Roma, , t. : Storia del Tomismo : Fonti e Riflessi, Pontificia Accademi di S. Tommaso, Libreria Editrice Vaticana, (Studi Tomistici ), p. ; BURGER, M., « Die Herrlichkeit göttlicher Gegenwart manifestiert sich in Theophanien. Albertus Magnus in der Tradition des Dionysius Ps.-Areopagita », in R. Kampling (Hrsg.), Herrlichkeit. Zur Deutung einer theologischen Kategorie, Paderborn und Wien, , p. - ; SUCHLA, B. R., Dionysius Areopagita. Leben – Werk – Wirkung, Herder, Freiburg und Basel, , p. - ; BAKOS, G. T., On Faith, Rationality, and the Other in the Late Middle Ages. A Study of Nicholas of Cusa’s Manuductive Approach to Islam, Pickwick Publications, Eugene (OR), (Princeton theological monograph series, ), notamment le chapitre : « On the manuductive strategy of Nicholas of Cusa’s mystical theology », p. - ; CALIXTO FERREIRA FILHO, P., « Symbolisme et métonymies du sensible au divin chez Denys l’Aréopagite », RSPT (), p. - ; GIRAUD, V., « Signum et vestigium dans la pensée de saint Augustin », RSPT (), p. -, sur la manuductio notamment p. -. . Suivre le fil conducteur des figures de la chauve-souris et de la manuductio nous permettra de traverser différents problèmes qui font l’objet des études albertiennes et de les relier entre eux dans une configuration inédite. Nous en donnerons, en notes, les indications bibliographiques en leur lieu propre. Il s’agira ainsi de signaler les champs de recherche que notre enquête traverse sans que son propos soit, pour autant, de les développer. . Trois titres mentionnent la notion de médiation, mais ces deux articles et ce livre prennent exclusivement en compte le domaine de la mariologie : BITTREMIEUX, J., De mediatione universali B. Maria V. quoad gratias, Beyaert, Bruges, ; ALBERS, H., « La mediación de la S. Virgen según el B. Alberto Magno », La vita sobrenatural (), p. - ; - ; - ; La vita sobrenatural (), p. - ; p. - ; DESMARAIS, M. M., S. Albert le Grand, docteur de la médiation mariale, Ottawa et Paris, Institut d’études médiévales et Vrin, (Publications de l’Institut d’études médiévales d’Ottawa, ) et, en outre, au chapitre , p. -, un développement sur le concept du Christ médiateur et le choix du terme medium à partir des Commentarii in III Sententiarum, d. , a. , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXVIII, Vivès, Parisiis, , p. -. De plus, le Super Iohannem est mentionné dans deux études menées, sur l’ensemble de l’œuvre albertienne, par Walter Senner au sujet des notions de vérité et de théologie, cf. SENNER, W., O. P., « Wahrheit bei Albertus Magnus und Thomas von Aquin », in M. Enders und J. Szaif (Hrsg.), Die Geschichte des philosophischen Begriffs der Wahrheit, Walter de Gruyter, Berlin und New York, , p. - ; SENNER, W., Alberts des Großen Verständnis von Theologie und Philosophie. C’est dire combien le commentaire albertien de l’Évangile de Jean est un champ qui reste à explorer. La question de la connaissance médiate ou immédiate de Dieu est, cependant, explicitement posée dans MCGINN, B., The Presence of God. A History of Western Christian Mysticism : The Harvest of Mysticism in Medieval Germany, Herder, New York, (The Presence of God. A History of Western Christian Mysticism ), p. - à partir d’une présentation doctrinale synthétique de la mystique albertienne. . Cf. LIBERA, A. (de), Raison et foi : Archéologie d’une crise d’Albert le Grand à Jean-Paul II, Le Seuil, Paris, (L’Ordre philosophique), p. - ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. - ; ANZULEWICZ, H., « Die Emanationslehre des Albertus Magnus :
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du flux ou un système d’émanation et de conversion reposant sur la production de différents degrés. Le bénéfice de notre méthode consiste, par conséquent, à mettre en lumière le réseau auquel appartient la notion de médiation ainsi que la manière dont une telle notion circule transversalement dans toute l’œuvre albertienne – dans le corpus aristotélicien, dionysien, scripturaire – et dans tous les champs de sa pensée – théologique, ontologique, noétique, physique, cosmologique, biologique, minéralogique… Pourquoi le témoignage constitue-t-il le lieu philosophique privilégié pour déployer la notion de médiation ? Le témoignage n’est pas, d’une part, entendu ici au sens large de la connaissance qu’un tiers donne au sujet d’une personne ou d’une situation donnée à d’autres individus qui ne les connaîtraient pas directement. Il ne se limite pas, d’autre part, au mode noétique probable portant sur ce qui, du point de vue ontologique, est contingent et variable. Un tel mode noétique permet, en effet, à Aristote d’en opposer le mode de certitude à la « certitude démonstrative », qui convient, pour sa part, à l’universel et au nécessaire. Enfin, il n’est pas non plus restreint au domaine juridique. Il est plutôt spécifiquement entendu ici comme la connaissance médiate que nous pouvons avoir au sujet du principe. Seul ce sens de témoignage « métaphysique » – au sens large où il vise le premier des étants séparés – sera considéré ici. Par conséquent, au sens noétique de la médiation qui intervient dans divers modes de connaissance le témoignage en ce sens strict Genese, Gestalt und Bedeutung », in L. Honnefelder, H. Möhle und S. Bullido del Barrio (Hrsg.), Via Alberti. Texte - Quellen - Interpretationen, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), p. - ; MOULIN, I., « Éduction et émanation chez Albert le Grand : des commentaires sur Denys le Pseudo-Aréopagite au De causis et processu universitatis a prima causa », in L. Honnefelder, H. Möhle und S. Bullido del Barrio (Hrsg.), Via Alberti. Texte - Quellen - Interpretationen, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), Bd. , p. - ; MOULIN, I. and TWETTEN, D. B., « Causality and Emanation in Albert », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. Cf. etiam BONIN, M.-Th., Creation as Emanation : The Origin of Diversity in Albert the Great’s On the Causes and the Procession of the Universe, University of Notre Dame Press, Notre Dame (Indiana), et MILAZZO, S. (intro., trad., notes), Le Traité du flux : Tractatus de fluxu causatorum a causa prima et causarum ordine, Les Belles Lettres, Paris, (Sagesses médiévales). . ARISTOTELES, Ethica Nicomachea, lib. , cap. ( b ), transl. antiquior : ‘Ethica nova’, ed. R. A. Gauthier, Arist. Lat. XXVI/-, Brill et Desclée de Brouwer, Leiden et Bruxelles, , p. , l. - ; Ethica Nicomachea, lib. , cap. ( a ), Arist. Lat. XXVI/-, p. , l. -. Cf. THOMAS DE AQUINO, Summa theologiae II/IIae, q. , a. , resp., Opera omnia IX, Editio Leonina, Romae, , p. .
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permet d’articuler un sens métaphysique de la médiation. Celui-ci ne dépend pas seulement du principe sur lequel porte le témoignage, mais aussi de celui qui le rend. Par conséquent, le témoignage, tel que l’entend ici Maître Albert, comprend, d’une part, la définition noétique du moyen sensible et imaginaire par lequel et dans lequel le connaissant vise la chose perçue et à partir duquel il abstrait sa définition ; et il y ajoute, d’autre part, le sens de la médiation qui correspond à l’activité de celui qui témoigne. Autrement dit, au premier sens objectif, il adjoint un sens subjectif ou, plus exactement, intellectif. Or, à un tel intellect capable de recevoir la lumière du principe et de la transmettre à son tour, Albert le Grand attribue une fonction paradigmatique dans son système métaphysique. Un tel degré dans l’émanation permet, en effet, de diffuser la lumière du principe à tous les étants sans qu’elle soit confondue avec eux. Une telle médiation a ainsi pour fonction de garder la métaphysique du flux, d’un côté, du risque moniste ou panthéiste de l’identification de la source lumineuse avec ce qui émane d’elle et, de l’autre, de sa dissemblance radicale d’avec les étants qu’elle produit. Faire du témoignage le point de départ de notre enquête au sujet du principe dans l’œuvre d’Albert le Grand revient, par conséquent, à interroger le statut de la médiation dans sa métaphysique. Méthode de l’enquête et corpus de textes Nous nous proposons d’explorer cette seconde voie vers le principe à laquelle le maître de Cologne donne, en suivant l’Évangile de Jean, le nom de témoignage et qui requiert la mise en œuvre d’un mode d’interprétation spécifique qu’il appelle intelligence figurale. Notre hypothèse est que la découverte de ce mode médiat de connaissance du principe est indissociable du mode d’écriture que le Doctor expertus adopte pour l’exprimer et, par suite, du mode de lecture et d’interprétation auquel il invite son destinataire. C’est pourquoi nous considérons le témoignage en tant qu’aspect particulier que prend ce mode de connaissance du principe dans le cadre du commentaire albertien de l’Évangile de Jean. Il renvoie, en effet, à nos yeux, plus généralement au mode de connaissance et, nous le découvrirons, de manifestation du principe qu’est l’intelligence figurale.
QUESTIONS
ET MÉTHODE
Du point de vue méthodologique, puisqu’Albert de Cologne ne peut exposer les principes de sa méthode que dans la praxis scripturale et interprétative qu’il met en œuvre, nous suivrons l’enchaînement des textes dans lesquels sont contenus au moins l’une des images de la conjonction figurale de Jn , . Voici désormais les moments qui scanderont notre recherche. Dans les deux premiers moments, du point de vue de la noétique et de la conception de l’intellect qu’elle engage, nous enquêterons sur la manière propre à la métaphysique, d’un côté, et au témoignage, de l’autre, de répondre au problème que pose l’incapacité pour l’intellect humain de saisir directement le principe qui est, pourtant, le plus manifeste en soi-même. Dans la première section du troisième moment, du point de vue d’une théorie de l’acte et d’une théorie du signe, nous déterminerons les opérations de l’intellect propres à la connaissance testimoniale, ou à l’intelligence figurale, ainsi que les propriétés des médiations auxquelles celle-ci recourt. L’intelligence figurale désigne ici la méthode herméneutique spécifiquement déployée dans la connaissance testimoniale du principe. Dans la seconde section du troisième moment, du point de vue métaphysique, nous réfléchirons au statut accordé à un tel intellecttémoin dans le système général de la pensée d’Albert le Grand. Dans un quatrième moment, nous interrogerons cette seconde voie albertienne vers le principe que constitue le témoignage à partir du point de vue d’un autre dominicain rhénan : Maître Eckhart. Du point de vue du corpus de textes choisi et de la méthode suivie, nous nous proposons d’éclairer les quelques lignes de l’exposition du verset Jn , citées ci-dessus par les seuls textes albertiens dans lesquels surgissent les figures de la chauve-souris, de la manuductio et des figures qui apparaissent dans certains réseaux secondaires, comme la figure du vase de lumière que ces chaînes textuelles permettent d’identifier comme lumière proportionnée. Au fil de l’exploration de ces réseaux de textes, nous entendons montrer que ces images désignent de manière paradigmatique la spécificité de ce que, en suivant l’expression albertienne d’intelligence figurale, nous nommons figures par rapport à d’autres images textuelles. Et nous esquisserons, en conclusion, une caractérisation synthétique de la spécificité des figures et du mode de lecture qu’elles appellent.
Chapitre I
La possibilité de connaître le premier principe : la figure de la chauve-souris
L
es textes sur lesquels nous nous appuierons dans ce premier chapitre appartiennent au réseau de la chauve-souris. La source de laquelle provient l’image de la chauve-souris dans la citation du Super Iohannem que nous avons prise pour point de départ de notre enquête est la Métaphysique aristotélicienne. Au-delà du commentaire du texte aristotélicien dont est extraite la citation du Super Iohannem (Jn , ), Albert le Grand reprend cette citation dans d’autres corpora textuels et dans d’autres contextes où il traite de questions différentes. Cette extension de la citation au-delà de son lieu d’origine permet de repérer une cohérence inhérente au réseau de la figure de la chauve-souris et de déterminer la fonction argumentative spécifique qu’elle exerce. Cependant, certaines des caractéristiques fondamentales de la figure sont également modifiées, lorsque celle-ci est transférée dans d’autres domaines de savoir et usages de la rationalité. Et le questionnement initialement aristotélicien s’en trouve, par suite, infléchi. Nous procéderons en montrant, dans un premier moment, les caractéristiques principales de la figure de la chauve-souris dans le corpus aristotélicien, puis nous examinerons, dans un second moment, les caractéristiques de la figure de la chauve-souris et sa fonction argumentative dans d’autres corpora textuels commentés par Albert le Grand.
SECTION I : L’ARCHITECTONIQUE
DE LA CONNAISSANCE HUMAINE
DU DIVIN : LE CORPUS ARISTOTÉLICIEN
L’unité du réseau de textes de la chauve-souris dans le contexte aristotélicien présente trois caractéristiques majeures. Cette figure traite, premièrement, de la possibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe
CHAPITRE I
absolument premier. Deuxièmement, la chauve-souris est décrite comme un animal qui n’est pas complètement aveugle mais qui voit d’une certaine manière la lumière, lorsque celle-ci est mêlée aux ténèbres. Troisièmement, la métaphysique est rendue possible en vertu d’une remontée par degrés vers le principe que l’intellect humain, semblable à la chauve-souris, ne saurait, d’emblée, voir directement. La métaphysique est entendue comme science non seulement de l’étant en tant qu’étant mais aussi du premier principe. I. L’ascension graduelle de l’intellect humain jusqu’au premier principe Si, dans le Super Iohannem, Albert le Grand évoque de manière allusive la figure de la chauve-souris, il en donne, dans son commentaire de la Métaphysique, une interprétation très développée dans l’exégèse qu’il propose du contexte d’origine de cette figure : Métaphysique, α, ( b -). Le maître de Cologne y soutient la thèse qu’un animal volant nocturne peut en quelque manière voir la lumière du soleil. Ainsi l’intellect humain peut-il aussi connaître le premier principe immédiatement. C’est pourquoi nous allons maintenant lire ce texte en détail. Nous commenterons, d’abord, les différentes traductions du terme grec qui correspond, dans le Super Iohannem, à vespertilio. Puis, nous décrirons les différentes hiérarchies que le Dominicain rhénan déploie : celle des phases de la lumière et des capacités visuelles, d’un côté, et, de l’autre, celle des intelligibles, des sciences qui leur correspondent et, enfin, celle des intellects. A. Le chiasme de l’intellection humaine du premier principe Dans le commentaire de Métaphysique, α, ( b -), le Doctor magnus compare le rapport de l’intellect humain au premier principe avec le rapport de trois animaux volants nocturnes à la lumière du soleil. La figure de l’animal volant nocturne offre une formule synthétique du chiasme de ce qui est le plus manifeste en soi et l’est le moins pour . ARISTOTELES, Metaphysica, α, ( b -) in ALBERTUS MAGNUS, Metaphysica, lib. , cap. , ed. B. Geyer, Ed. Colon. XVI/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Sicut enim nycticoracum oculi ad lucem diei se habent, sic et animae nostrae intellectus ad quae omnium natura manifestissima ».
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
l’intellect humain, d’un côté, et, de l’autre, de ce qui est le moins manifeste en soi et l’est le plus pour l’intellect humain. Il apparaît donc clairement que, comme les yeux du corbeau de nuit ou de la chouette ou de la chauve-souris se rapportent à la lumière (lucem) du jour, ou du soleil, ainsi aussi l’intellect de notre âme se rapporte-t-il à ce qui est, parmi tout ce qui est connaissable, le plus manifeste par sa nature. Le contexte duquel cette citation est tirée correspond à celui de la possibilité, pour l’intellect humain, de la métaphysique, entendue comme . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Patet igitur, quod sicut oculi nycticoracis vel noctuae sive vespertilionis ad lucem diei sive solis se habent, sic et intellectus animae nostrae habet se ad ea quae natura sua omnium cognoscibilium sunt manifestissima. » . Sur la possibilité de connaître le principe au moyen de la raison naturelle, cf. GRÜNWALD, G., Geschichte der Gottesbeweise im Mittelalter bis zum Ausgang der Hochscholastik, Aschendorff, Münster, (BGPTM /), p. - ; BAEUMKER, C., Witelo : Ein Philosoph und Naturforscher des XIII. Jahrhunderts, Aschendorff, Münster, (BGPTM /), p. - ; HENRY, C., « Histoire des preuves de l’existence de Dieu au moyen âge jusqu’à la fin de l’apogée de la Scolastique », Revue thomiste (), p. - ; p. - ; notamment p. - ; SCHMIEDER, K., Alberts des Grossen Lehre vom natürlichen Gotteswissen, Herder, Freiburg i. Br., , p. - ; WEISHEIPL, J. A., « The Celestial Movers in Medieval Physics », in W. E. Carroll and J. A. Weisheipl (eds), Nature and Motion in the Middle Ages, Catholic University of America Press, Washigton D.C., (Studies in Philosophy and the History of Philosophy ), p. -, spéc. p. - ; RIBES MONTANÉ, P., Cognoscibilitad y demonstración de Dios según San Alberto Magno, Editorial Balmes, Barcelona, ; CRAEMER-RUEGENBERG, I., Albertus Magnus, völlig überarbeitete, aktualisierte und mit Anmerkungen versehene Neuauflage der Originalausgabe herausgegeben von H. Anzulewicz, Benno Verlag, Leipzig, (Dominikanische Quellen und Zeugnisse ), p. - ; ELDERS, L., « La Naturaleza de la metafísica segun San Alberto Magno y Santo Tomas de Aquino », Scripta theologica (), p. - ; RIBES MONTANÉ, P., « Razón humana y conocimiento de Dios en San Alberto Magno », Espiritù (), p. - ; TYN, T. M., « L’ascesa metafisica a Dio : Una lettura albertina del XII libro della metafisica di Aristotele », Sacra Doctrina (), p. - ; TWETTEN, D. B., « Albert the Great on Whether Natural Philosophy proves God’s Existence », AHDLMA (), p. - ; TWETTEN, D. B., « Albert’s Arguments for the Existence of God and the Primary Causes », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. Sur la possibilité d’une connaissance théologique du principe, cf. BURGER, M., « Möglichkeiten theologischer Gotteserkenntnis », in M. C. Pacheco et J. F. Meirinhos (éd.), Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. III, Brepols, Turnhout, , p. -. Du point de vue de la relation entre la théorie de l’intellect et la félicité à laquelle elle conduit, nous citerons ici l’article de J. MÜLLER, « La vie humaine comme tout hiérarchique. Félicité contemplative et vie active chez Albert le Grand », in Ch. Trottmann (éd.), Vie active et vie contemplative au Moyen Âge et au seuil de la Renaissance, École française de Rome, Rome, (Collection de l’École française de Rome ), p. -, selon lequel il existe, pour l’intellectus adeptus, la possibilité d’une compréhension intuitive des substances séparées. Celle-ci repose sur l’actuation complète des formes acquises à partir de la perception sensible dans des degrés de connaissance inférieurs qui sont dépassés, dès lors que la connaissance directe a lieu. Cet aspect de la question de la possibilité de la connaissance du principe
CHAPITRE I
la connaissance des étants séparés de la matière et, au plus haut point, du premier d’entre eux. Il est, en effet, question, dans ce passage du Stagirite, d’une des difficultés noétiques fondamentales que pose à l’intellect humain la connaissance du principe. Il s’agit de la disproportion de notre intellect par rapport à l’essence de la cause première ou à celle des intelligibles purs. Bien que ceux-ci soient en leur nature même les plus manifestes et, par suite, les plus susceptibles d’être connus, l’intellect humain se trouve, néanmoins, dans l’impossibilité de les appréhender immédiatement, parce que les facultés cognitives de l’intellect humain ne leur sont pas naturellement adaptées. L’enjeu épistémologique est, par conséquent, celui de la possibilité de la science du premier principe. Examinons, d’abord, comment le maître de Cologne rapporte la citation aristotélicienne, puis comment il en déploie le commentaire. En premier lieu, dans cet extrait, la traduction que le Doctor universalis donne du texte d’Aristote nomme trois animaux nocturnes volants : le corbeau de nuit, la chouette, la chauve-souris. Les emploie-t-il comme des synonymes ou bien discerne-t-il, entre eux, des différences ? Une première réponse pourrait nous orienter, d’une part, vers l’hypothèse de la synonymie. Maître Albert semble, en effet, mettre en parallèle trois traductions différentes de l’original aristotélicien (νυκτερίδων) : la chouette (noctua) correspond à la translatio vetus ; ce que nous proposons de et « l’aristocratisme intellectualiste » qui en découlent nous donne l’occasion de renvoyer à la bibliographie indiquée infra au début de la seconde section du chapitre III, p. , note . . La proposition qui contient la figure de l’animal volant nocturne, ici plus précisément le corbeau de nuit (nocticorax), a pris le statut d’adage : cf. Les Auctoritates Aristotelis. Un florilège médiéval. Étude historique et édition critique, J. Hamesse (éd.), Publications universitaires de Louvain, Louvain et Paris, (Philosophes médiévaux ), p. : « Sicut se habet oculus nocticoracis ad lumen solis vel diei, sic se habet noster intellectus ad manifestissima naturae, ad deum, et ad substantias separatas, et ad naturas rerum subtilium. ». Cette figure est mentionnée, notamment, dans ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita », Teología y vida, vol. LI (), p. -, spéc. p. . . Thomas d’Aquin, pour sa part, ne donne qu’une traduction de ce terme, à savoir nycticorax : ARISTOTELES, Metaphysica, α, ( b -) in THOMAS DE AQUINO, In duodecim metaphysicorum Aristotelis expositio, lib. , lectio , n. , ed. M.-R. Cathala, Marietti, Taurini et Romae, , p. ab : « Forsan autem et difficultate secundum duos existente modos, non in rebus, sed in nobis est eius causa. Sicut enim nycticoracum oculi ad lucem diei se habent, sic et animae nostrae intellectus ad ea quae sunt omnium naturae manifestissima. » . Sur la traduction gréco-latine, noctua, cf. ARISTOTELES, translatio Iacobi, in Metaphysica, libri I-IV.. Translatio Iacobi Venetici sive ‘vetustissima’ cum Scholis, ed G. Vuillemin-Diem, Arist. Lat. XXV/, Desclée de Brouwer, Bruxelles et Paris, , p. , l. - : « Sicut enim noctuarum lumina ad lunam habent quod est secundum diem, sic nostre anime intellectus ad natura manifestissima omnium » et translatio composita sive ‘vetus’ in Metaphysica libri I-IV..,
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CHAUVE-SOURIS
traduire ici par « corbeau de nuit » (nycticorax) renvoie à la translatio media ; et la chauve-souris, attachée étymologiquement au soir (vespertilio), coïncide avec la translatio nova. Lorsque le Doctor expertus cite ce passage de la Métaphysique en d’autres lieux de son œuvre, il a coutume de choisir l’une ou l’autre de ces trois traductions possibles. Nous préciserons, pour chacun de ces textes, la traduction qu’il a choisie. Mais, lorsque nous ferons référence en général à la figure aristotélicienne désignée par l’original grec νυκτερίδων, nous la désignerons, par convention, par le terme générique « animaux volants nocturnes ». Cependant, il ne s’agit pas seulement, pour Albertus Magnus, de porter à la connaissance du lecteur les différentes possibilités de traduction du terme aristotélicien ainsi que de leurs états historiques successifs. Une réponse plus exacte à la question posée doit prendre en compte, d’autre part, la différence de ces différents animaux quant à leur capacité visuelle respective. Après avoir déployé le commentaire albertien de ce passage de la Métaphysique, nous nous reporterons à la description que propose le maître de Cologne lui-même de ces animaux dans son De animalibus et examinerons l’emploi qu’il en fait dans les réseaux de textes dans lesquels ils apparaissent. L’enjeu est, en effet, de savoir s’il y a des différences entre ce que voit chacun de ces animaux et si le Docteur universel les présente, dans les traductions du grec dont il fait état, selon une gradation de leur faculté visuelle.
ed G. Vuillemin-Diem, Arist. Lat. XXV/, Desclée de Brouwer, Bruxelles et Paris, , p. , l. - : « […] sicut enim noctuarum visus quod est diei ad lunam habent, sic nostre intellectus anime ad omnium nature manifestissima ». Remarquons qu’il s’agit, dans ces traductions, du rapport de la faculté visuelle des chouettes à la lune. Au sujet de ces différences de traduction, cf. STEEL, C., Der Adler und die Nachteule (), p. . L’auteur retrace la réception médiévale de cette citation aristotélicienne, en particulier par Thomas d’Aquin et Albert le Grand, mais ne considère pas sa fonction figurale. . Pour la traduction gréco-latine, nicticorax, cf. translatio media, in ARISTOTELES, Metaphysica : libri I-X ; XII-XIV. Translatio anonyma sive ‘media’, ed G. Vuillemin-Diem, Arist. Lat. XXV/, Brill, Leiden, , p. , l. - : « […] sicut enim nicticoracum oculi ad lucem diei se habent, sic et anime nostre intellectus ad que omnium natura manifestissima ». . Pour vespertilio, cf. la traduction arabo-latine de la Métaphysique dans translatio Michaelis Scoti, in AVERROES, In Aristotelis librum II (α) Metaphysicorum Commentarius. Die lateinische Übersetzung des Mittelalters auf handschriftlicher Grundlage mit Einleitung und problemgeschichtlicher Studie, hrsg. von G. Darms, Paulusverlag, Freiburg (Schweiz), (Thomistische Studien ) p. , l. - : « Dispositio enim intellectus in anima apud illud, quod est in natura valde manifestum, similis est dispositioni oculorum vespertilionis apud lucem solis ».
CHAPITRE I
Une deuxième remarque concernant la traduction du grec en latin est l’alternative posée entre la lumière du jour et celle du soleil. La première expression se refère au milieu dans lequel la lumière se diffuse. La seconde expression renvoie à sa source. L’enjeu, du point de vue de la connaissance du principe, touche la possibilité de connaître le principe divin en sa source ou bien en sa manifestation. Une troisième remarque quant au transfert du texte aristotélicien en latin permet de préciser la conception du principe déployée dans ce passage. Il y est question de connaître ce qui est le plus manifeste en soi-même, parmi tout ce qui est connaissable. Autrement dit, il ne s’agit pas du principe comme un, c’est-à-dire du principe pris dans son absolue simplicité, mais de celui-ci en tant qu’il est connaissable intellectuellement. Une dernière remarque concerne l’expression « l’intellect de notre âme ». Est-ce l’intellect en lui-même, c’est-à-dire en tant qu’il est séparé, qui est ici visé ou bien l’intellect en tant qu’il est conjoint aux autres facultés de l’âme ? L’interprétation albertienne doit rendre compte de tous ces aspects du texte latin du Stagirite. En deuxième lieu, du point de vue de la structure même du commentaire albertien que nous allons désormais développer, le Dominicain rhénan choisit de répondre à l’aporie à laquelle conduit le chiasme aristotélicien par une série de tripartitions hiérarchiquement disposées : celle des capacités visuelles qui correspond à celle des différents états de la lumière qui renvoient elle-même à la tripartition des intelligibles et . Sur la question de l’intelligible dans le contexte général de la théorie de la connaissance au treizième siècle, cf. HÖDL, L., « Das intelligibile in der scholastischen Erkenntnislehre des . Jahrhunderts », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie (), p. -. Nous signalons également ici le thème des universaux auquel les degrés de l’intelligible sont liés : MCINERNY, R., « Albert on Universals », in F. J. Kovach and R. W. Shahan (eds), Albert the Great : Commemorative Essays, University of Oklahoma Press, Norman, , p. - ; WÉBER, É.-H., « Un thème de la philosophie arabe interprété par Albert le Grand », in W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder und K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. - ; LIBERA, A. (de), « Théorie des universaux et réalisme logique chez Albert le Grand », RSPT / (), p. - ; LIBERA, A. (de), « Albert le Grand et le platonisme. De la doctrine des idées à la théorie des trois états de l’universel », in E. P. Bos and P. A. Meijer (eds), On Proclus and his Influence in Medieval Philosophy, Brill, Leiden, (Philosophia Antiqua ), p. - ; LIBERA, A. (de), La querelle des universaux : de Platon à la fin du Moyen Âge, Le Seuil, Paris, , chap. , p. ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. - ; TKACZ, M. W., « Albert
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à celle de différents types d’intellects. Du côté aristotélicien, la figure de l’animal volant nocturne conduit à l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe directement. Du côté albertien, en revanche, le chiasme de l’intellection humaine devient une gradation qui permet aux intellects qui se situent à un niveau inférieur de progresser par degrés vers le niveau où se situent les intellects les plus élevés et vers la connaissance des intelligibles séparés, inaccessible, d’abord, aux intellects inférieurs. Ce passage est rendu possible, aux yeux de Maître the Great on Logic, Knowledge and Science », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -, notamment p. - ; NOONE, T. B., « Albert and the Triplex Universale », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . Albert le Grand formule très clairement ce chiasme au début de son commentaire du De anima, relativement à la science de l’âme, ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , ed. C. Stroick et B. Geyer, Ed. Colon. VII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Et est certissimarum demonstrationum, quoniam licet quoad nos sit occulta habens principia, eo quod nostri intellectus oculus se habet ad ea quae manifestissima sunt secundum naturam, sicut oculus vespertilionis ad lumen solis, tamen nihil manifestius est in natura quam fons et origo omnis cognitionis, quod est lumen intelligentiae in nobis. » « Et relève des démonstrations les plus certaines, parce que, bien que, quant à nous, elle possède des principes obscurs, pour cette raison que l’œil de notre intellect se rapporte à ce qui est, selon la nature, le plus manifeste comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lumen) du soleil, cependant rien n’est plus manifeste dans la nature que la source et l’origine de toute connaissance, qui est la lumière (lumen) de l’intelligence en nous. » Maître Albert a, de nouveau, recours à la citation d’Aristote, extraite du deuxième livre de la Métaphysique, pour préciser que, selon le Stagirite, ce sont les étants séparés, en eux-mêmes tout à fait intelligibles, que l’intellect humain pourrait ne pas être en mesure de connaître. De même, il ne nous est pas possible de voir le soleil, qui excède l’harmonie de la capacité visuelle de notre œil. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « […] quoniam in omnibus virtutibus corporeis sic est, quod aliquid quod in se valde est activum, non percipitur quoad nos, eo quod excellit harmoniam virtutis, sicut sol, qui est valde visibilis, non videtur a nobis. Et similiter posset esse, quod separata, quae secundum se sunt valde intelligibilia, non intelligerentur a nobis, sicut etiam Aristoteles videtur dicere, quod “dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae est dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. ». « […] puisque, dans toutes les puissances (virtutibus) corporelles, il est ainsi que quelque chose qui est très actif en soi n’est pas perçu quant à nous, pour cette raison que cela l’emporte sur l’harmonie de la puissance (virtutis), comme le soleil qui est très visible n’est pas vu par nous. Il pourrait, de la même façon, être que ce qui est séparé et est très intelligible selon soi-même, ne soit pas intelligé par nous, comme Aristote aussi semble dire que : ‟la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste est la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil”. » Il est remarquable qu’est ici absent le terme de la comparaison entre le rapport de notre intellect à ce qui est le plus manifeste avec le rapport des yeux de la chauve-souris avec la lumière du soleil. La ressemblance s’en trouve assimilée à une identité. C’est la seule occurrence de cette identité, à notre connaissance, dans l’œuvre albertienne.
CHAPITRE I
Albert, par l’effort, en général, et, plus précisément ici, par l’étude (per studium facit). Celle-ci correspond, comme nous le verrons en détail, à l’exercice réglé des diverses sciences selon leur ordre : de la physique, par la mathématique jusqu’à la métaphysique comme science du premier principe. Elle autorise, en effet, l’intellect humain à passer graduellement d’un stade de connaissance caractérisé par une « intellection obscure », comparée à la vision du corbeau de nuit et de la chouette, à la connaissance de la source de la lumière, semblable à la vision que l’aigle a de la lumière du soleil en sa roue. Autrement dit, à l’aporie aristotélicienne le Doctor magnus substitue un chemin gradué (per gradus ascendens) : notre connaissance doit nécessairement commencer par les intelligibles les moins clairs en eux-mêmes, dans la mesure où ils sont mêlés à la matière, afin de s’orienter graduellement vers les intelligibles séparés. Suivons la manière dont Albert le Grand déploie ces différentes tripartitions.
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. ; l. . . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Intellectus autem humanus, eo quod est animae intellectus, quae imaginatione distenditur et sensu patitur et alteratur, coniunctus est imaginationi et sensui. Et ideo incipit ab eo lumine quod est permixtum tenebris, et per separationem apud se factam tandem venit in intelligibile sincerum ; propter quod est sicut visus nycticoracis in inceptione sua. Sed quia praeexistentium cognitio multum confortat lumen ipsius, per studium facit, quod visus noctuae non habet. Venit enim ab intellectu obscuro ad lumen sincerum, et a lumine sincero coadunato visu venit ad lumen perpurum et per gradus ascendens tandem accipit ipsum in fonte luminis, sicut aquila contuetur lumen in rota solis. Et haec est summa felicitas ; et in eo finitur desiderium, quo ‟omnes homines natura scire desiderant”. » « Or l’intellect humain, pour la raison qu’il est l’intellect de l’âme qui est distendue par l’imagination, pâtit et est altérée par les sens, est conjoint à l’imagination et aux sens. C’est pourquoi aussi il commence par cette lumière (lumine) qui est mêlée aux ténèbres et, par une séparation auprès de lui-même, il parvient à la fin à l’intelligible pur. Pour cette raison, il est, en son commencement, comme la vision du corbeau de nuit. Mais, parce que la connaissance de ce qui préexiste conforte beaucoup sa lumière (lumen), il fait par l’étude ce que la vision de la chouette ne possède pas. Il vient, en effet, de l’intellect obscur vers la lumière (lumen) pure et, de la lumière (lumine) pure, il parvient, par une vision focalisée (coadunato), à la lumière (lumen) très pure et, en s’élevant par degrés, il la reçoit à la fin dans la source de la lumière (luminis), comme l’aigle fixe la lumière (lumen) dans la roue du soleil. Et cela est la suprême félicité. Et c’est en cela que trouve son terme le désir par lequel ‟tous les hommes désirent par nature savoir”*. » * ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( a ) transl. anonyma sive ‘media’, in Arist. Lat. XXV/, p. , l. et in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. .
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CHAUVE-SOURIS
B. La tripartition des capacités visuelles et des états de la lumière Le Docteur universel présente la possibilité, pour l’intellect humain, d’accéder à la connaissance métaphysique à partir d’une double tripartition : celle des capacités visuelles et celle des états de la lumière. Cette double série vise à rendre compte de la comparaison entre le rapport des yeux des animaux volants nocturnes avec la lumière du jour, ou du soleil, d’un côté, et, de l’autre, celui de « l’intellect de notre âme » avec ce qui, parmi ce qui est connaissable, est le plus manifeste par nature. Ce qui apparaît ici essentiel pour la caractérisation de la figure des animaux volants nocturnes, dans le corpus aristotélicien, est la précision faite par le Doctor expertus qu’ils appartiennent à une catégorie d’animaux qui ne sont pas aveugles mais voient faiblement. Les trois états de la lumière que le Docteur universel distingue sont, d’abord, la lumière du soleil dans le soleil, puis la lumière du soleil dans l’air clair et serein, enfin, la lumière du soleil mêlée aux ténèbres. Or, d’emblée, le critère n’apparaît pas appliqué de manière homogène à ces trois états lumineux. D’un côté, le Dominicain rhénan présente deux manières dont la lumière « est dans » quelque chose. De l’autre, il la décrit comme mélangée à quelque chose. D’autre part, du point de vue qu’il adopte, il est fort différent de parler de la lumière du soleil, en tant que source, et de la lumière du jour, en tant que milieu, alors que ces deux expressions sont ici reliées par un sive explétif. Cette tripartition des phases de la lumière semble donc désigner la lumière en sa source, la lumière dans un milieu transparent dans lequel elle procède et se diffuse et la lumière mêlée à son contraire, les ténèbres. La lumière (lux) du soleil, ou du jour, se montre de trois manières : dans le soleil, dans l’air serein et clair, et mêlée aux ténèbres, comme au crépuscule ou au point du jour.
. Dans la suite du texte, le maître de Cologne précise que la lumière du soleil est la cause du jour, cf. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et isti sunt modi intelligibilis primi, quod luci solis comparatur, quae est causa diei. » « Et ceux-ci sont les modes du premier intelligible qui est comparé à la lumière (luci) du soleil, qui est la cause du jour. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Lux solis sive diei tripliciter se ostendit, scilicet in sole, in sereno et claro aëre et immixta tenebris, sicut in crepusculo vel diluculo. » (ponctuation légèrement modifiée).
CHAPITRE I
En ce qui concerne les capacités visuelles qu’Albertus Theutonicus distingue, le lecteur s’attendrait à une correspondance exacte avec les trois états de lumière qu’il vient de différencier. Or nous allons voir immédiatement que les deux tripartitions ne se correspondent pas exactement. Le degré le plus haut est occupé par l’aigle qui voit la lumière du soleil dans sa roue, parce qu’il a une « vue bien focalisée (coadunato) et forte ». Bien qu’il soit le plus haut sur l’échelle des capacités visuelles, ce degré est limité : ses yeux sont « vaincus et surpassés par la splendeur du soleil, si l’aigle regarde longtemps le soleil ». Bien que la vue du soleil en son centre même puisse faire penser que l’aigle se situe au même degré que la lumière du soleil dans le soleil, il n’en est rien ou, du moins, cette correspondance provisoire ne dure pas. Du côté de celui qui reçoit, il ne semble pas possible de se tenir dans la source. Cela signifie-t-il, dès lors, que l’état durable de l’aigle consiste à se situer plus naturellement au degré médian de la hiérarchie des capacités visuelles qui correspondrait davantage à l’air clair et serein ? Cela semble, en effet, suggéré par l’expression et clare qu’emploie Maître Albert au sujet du second degré. Le degré médian représente les nombreux yeux qui « voient la lumière du soleil également clairement (et clare), sans être blessés, parce qu’ils ont tous une pupille pure et un esprit plein et fort, qui est appelé “esprit capable de voir” (spiritus visivus) ». . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Et in rota quidem solis non adspicitur nisi a visu valde coadunato et forti, sicut aquilae oculum solem videre dicunt, cuius tamen oculos, si diu adspiciat aquila solem, splendor solis vincit et excellit. In sereno autem diei et aëris multi vident oculi lumen solis et clare, non offensi, omnes videlicet habentes pupillam mundam et spiritum plenum et fortem, qui vocatur visivus spiritus. Immixtum autem lumen tenebris vident oculi debiles, spiritum obscurum visivum habentes et pupillam humoris non coadunatam. » « Et, dans la roue du soleil, elle n’est, certes, aperçue que par une vue bien focalisée et forte, comme l’œil de l’aigle est dit voir le soleil, dont les yeux sont, cependant, vaincus et surpassés par la splendeur du soleil, si l’aigle regarde longtemps le soleil. Dans la sérénité du jour et de l’air, beaucoup d’yeux voient la lumière (lumen) du soleil également clairement, sans être blessés, parce qu’ils ont tous une pupille pure et un esprit plein et fort, qui est appelé “esprit capable de voir” (spiritus visivus). Mais la lumière (lumen) mêlée aux ténèbres est vue par des yeux faibles, parce qu’ils ont un “esprit capable de voir” obscur et la pupille de l’humeur non focalisée. » . D’après la doctrine de la vision de Chalcidius, la vision en acte coïncide avec l’émission du rayon venant de la lumière intérieure à l’œil. Le spiritus visivus (évoqué dans les traités d’optique arabes) vient du cerveau par le nerf optique jusqu’à l’œil. Il peut, selon les espèces animales, être plus ou moins concentré et unifié.
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CHAUVE-SOURIS
Le degré inférieur correspond à ceux qui ont « des yeux faibles, parce qu’ils ont un “esprit capable de voir” obscur et la pupille de l’humeur non focalisée ». Ils ne voient que « la lumière mêlée aux ténèbres ». C’est à ce troisième et dernier degré que ressortissent, nous allons le voir dans la suite de l’analyse de ce texte, les animaux volants nocturnes, bien qu’ils ne soient pas explicitement mentionnés de nouveau ici par le maître de Cologne. Donc les animaux volants nocturnes sont, dans le commentaire de la source aristotélicienne de la figure de la chauve-souris, caractérisés par leur vision faible. Ils ne peuvent voir la lumière qu’au point du jour ou au crépuscule, lorsqu’elle est mêlée à son contraire, les ténèbres. Cette interprétation vaut, nous allons le voir, comme caractéristique majeure pour l’ensemble du corpus aristotélicien des œuvres albertiennes : la chauve-souris n’y est pas décrite comme aveugle. Albert de Cologne déclare qu’à ces trois modes de la lumière du soleil – « dans le soleil », d’une part, « dans l’air serein et clair », d’autre part, « mêlée aux ténèbres, comme au crépuscule ou au point du jour », enfin – correspondent de manière proportionnée un « triple intelligible » qu’étudient trois groupes différents de sciences théorétiques et un « triple intellect » que, pour sa part, nous détaillerons ensuite. L’intelligible est, en effet, comme la lumière (lumen) du soleil dans le soleil. Et il est triple comme la lumière (lumen) du soleil dans le soleil aussi est triple. La correspondance de la tripartition des intelligibles avec celle des états de la lumière s’avère-t-elle plus exacte que celle des capacités visuelles avec ces mêmes états de la lumière ?
Cf. ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars II : quae est de homine, q. , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXXV, Vivès, Paris, , p. b ; De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , ed. W. Kübel, Ed. Colon. XXVI, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -. Cf. STEEL, C., Der Adler und die Nachteule (), p. . Quant à l’analyse de la manière dont, selon le commentaire albertien de la Métaphysique, l’animal volant nocturne peut devenir aigle, cf. STEEL, C., Der Adler und die Nachteule (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Est autem his proportionatum triplex intelligibile et triplex intellectus. » « Or leur sont proportionnés un triple intelligible et un triple intellect. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Est enim intelligibile sicut lumen solis in sole, et hoc est triplex, sicut et lumen solis in sole est triplex. »
CHAPITRE I
C. La tripartition des intelligibles et des sciences correspondantes Le Doctor universalis décline le caractère triple de l’intelligible et des sciences correspondantes à partir des trois états de la lumière initialement présentés. La lumière du soleil dans le soleil coïncide avec le « connaissable premier et divin » ainsi qu’avec la science qui le vise et qui n’est pas ici explicitement nommée. La lumière du soleil dans l’air serein correspond à l’intelligible mathématique et aux sciences arithmétique, géométrique et astronomique. « La lumière (lumen) mêlée aux ténèbres et à l’air agité, non serein » concorde avec l’intelligible mêlé au continu et au temps et avec la science physique, elle-même subdivisée en trois degrés. L’enjeu de la tripartition des intelligibles consiste à parcourir leur genèse conçue comme un flux continu de lumière à partir du principe jusqu’à leur détermination par le continu et le temporel, afin de préparer la possibilité, pour l’intellect humain, d’effectuer le chemin en sens inverse jusqu’à la source de la lumière, en se séparant progressivement des déterminations matérielles. Par conséquent, l’enchaînement ordonné des sciences correspond, sur le plan épistémologique, au flux des intelligibles, sur le plan de la genèse de l’univers intelligible. Ce système de . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « cognoscibile primum et divinum ». . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] lumen tenebris permixtum et aëri inquieto, non sereno. » . Sur la théorie générale de l’émanation albertienne, cf. supra les indications bibliographiques données en introduction, p. , note . . Sur la question de la lumière en général dans le contexte philosophique du treizième siècle, cf. KOCH, J., « Über Lichtsymbolik im Bereich der Philosophie und der Mystik des Mittelalters », Studium Generale (), p. - ; MCEVOY, J., « The Metaphysics of Light in the Middle Ages », Philosophical Studies (), p. - ; HEDWIG, K., Sphaera lucis. Studien zur Intelligibilität des Seienden im Kontext der mittelalterlichen Lichtspekulation, Münster, . Et, plus spécifiquement, sur la relation de la lumière à la connaissance, cf. TROTTMANN, Ch., « Lumière et niveaux de connaissance chez Albert le Grand et Henri de Gand », in Ch. Trottmann et A. Vasiliu (éd.), Du visible à l’intelligible : lumière et ténèbres de l’Antiquité à la Renaissance, H. Champion, Paris, (Le savoir de Mantice), p. - ; FÜHRER, M., « Albertus Magnus’ Theory of Divine Illumination », in W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder und K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. -. . Nous développerons plus loin, dans ce chapitre, la compréhension albertienne du continu et du temporel auxquels l’intellect humain est conjoint, cf., dans ce chapitre, le paragraphe de la section I.IV.C. : « La conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temporel », p. .
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
correspondances vise, par conséquent, à fonder la possibilité, pour l’intellect humain, d’accroître son acuité visuelle, afin de contempler les intelligibles qui sont par nature les plus manifestes et ainsi d’atteindre la suprême félicité. La continuité assurée par le flux de lumière est particulièrement clairement établie dans la description des trois modes du premier intelligible, le « connaissable premier et divin ». Albert de Cologne les relie entre eux grâce à une comparaison avec le flux continu de la lumière du soleil considérée selon trois phases : d’une part, « la nature du soleil », d’autre part, « le caractère et la forme du soleil », enfin « la première cause formelle de l’illumination du côté de ce qui est illuminé ». « La nature du soleil » désigne la lumière solaire en elle-même ; « le caractère et la forme du soleil » se réfèrent à sa propriété constitutive ; et « la première cause formelle de l’illumination à partir de ce qui est illuminé » la saisit dans son mouvement de procession à l’extérieur. La distinction de ces trois phases de la lumière du soleil s’accompagne de leur intégration dans une même dynamique de propagation du rayon lumineux : l’incorporation au soleil, la sortie demeurante et la procession. Il y a la lumière (lumen) du soleil dans le soleil incorporée au soleil, la lumière (lumen) du soleil qui sort du soleil, mais qui est dite dans le soleil, pour cette raison que son éclat est dans la clarté du soleil, en aucune partie tempérée par quelque chose d’autre ni ayant un peu de tempérament, et il y a la lumière (lumen) du soleil qui procède du soleil, certes susceptible d’être tempérée, mais qui n’est pas encore tempérée. C’est à ces phases de « la lumière (lumen) du soleil dans le soleil » que le Docteur universel fait correspondre les trois modes du premier . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Primum est solis natura, secundum solis character et forma, tertium illuminationis ex parte illuminatorum prima formalis causa. » « La première est la nature du soleil, la seconde est le caractère et la forme du soleil et la troisième est la première cause formelle de l’illumination du côté de ce qui est illuminé. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Est enim lumen solis in sole soli incorporatum et lumen solis a sole exiens, sed in sole dictum, eo quod fulgor eius est in solis claritate, nulla parte per aliud aliquid temperatum vel parum habens temperamenti, et est lumen solis a sole procedens temperabile quidem, sed non adhuc temperatum. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] lumen solis in sole […] ».
CHAPITRE I
intelligible. La cause première donne à connaître sa lumière, premièrement, en elle-même, deuxièmement, en tant qu’elle procède dans l’intelligence comme vertu illuminante et, troisièmement, en tant qu’elle procède à l’extérieur dans l’être substantiel de toute chose, indépendamment de toute détermination catégoriale ultérieure (quantitative et contraire), et en fonde ainsi l’intelligibilité. Et ainsi le connaissable premier et divin est triple. Le premier est, certes, la lumière (lux) de la première cause en elle-même ; le deuxième est la lumière (lux) de la première cause qui procède d’elle dans l’intelligence dans la vigueur de l’éclat de sa lumière (lucis) ; et le troisième est la lumière (lux) qui procède d’elle dans la première entité et substance des choses, avant qu’elle ne soit contractée par la détermination de la quantité et de la contrariété quant à ce qui est imaginé et senti. Il résulte de cette comparaison que le maître de Cologne considère le premier intelligible à la fois en soi et en tant qu’il procède et est reçu dans un autre, qu’il s’agisse de l’intelligence ou de la substance des choses, à condition que l’être substantiel des choses ne soit pas affecté de déterminations accidentelles. Regarder le soleil en son centre même embrasse, par conséquent, aux yeux du Dominicain rhénan, non seulement le principe en sa source mais également dans sa procession à l’extérieur de soi, en tant que condition de la détermination catégorielle des substances.
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et sic triplex est cognoscibile primum et divinum : et primum quidem est lux primae causae in seipsa ; et secundum est lux primae causae procedens ab ipsa in fulgoris suae lucis vigore in intelligentia ; et tertium est lux procedens ab ipsa in prima rerum entitate et substantia, antequam contrahatur determinatione quantitatis et contrarietatis ad imaginata vel sensata. » . C’est pourquoi le Doctor universalis récapitule l’ensemble de la procession universellement productrice d’être et de connaissance en ces termes : « […] la lumière (lux) de la cause première de toutes les formes est la première hypostase qui précontient les formes, les possède absolument et immatériellement et est d’une vertu éminente, conférant à toutes la formation et ne recevant quoi que ce soit de rien. » ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] lux causae primae omnium formarum prima est hypostasis, formas praehabens et simpliciter habens et immaterialiter habens et virtutis eximiae, omnibus conferens formationem et a nullo aliquid recipiens. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Ce déploiement du « connaissable premier et divin » a, du point de vue de la question du sujet de la métaphysique, pour enjeu fondamental d’attribuer à celle-ci la connaissance non seulement de l’étant en tant qu’étant – c’est-à-dire du troisième mode du premier intelligible –, mais aussi celle de sa cause. En ce sens, la science du premier intelligible s’identifie ici à la métaphysique entendue comme theologia, au sens aristotélicien de la connaissance de la cause première et universelle. . Sur la différence entre la métaphysique entendue comme ontologie générale et comme théologie, cf. ZIMMERMANN, A., Ontologie oder Metaphysik ? Die Diskussion über den Gegenstand der Metaphysik im . und . Jahrhundert, Brill, Leiden und Köln, (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters ), p. - ; THOMASSEN, B., Metaphysik als Lebensform. Untersuchungen zur Grundlegung der Metaphysik im Metaphysikkommentar Alberts des Großen, Aschendorff, Münster i. W., (BGPTM, N. F. ) ; NOONE, T. B., « Albert the Great on the Subject of Metaphysics and Demonstrating the Existence of God », Medieval Philosophy and Theology (), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Die Denkstruktur des Albertus Magnus. Ihre Dekodierung und ihre Relevanz für die Begrifflichkeit und Terminologie », in J. Hamesse et C. Steel (éd.), L’élaboration du vocabulaire philosophique au Moyen Âge. Actes du Colloque international de Louvain-la-Neuve et Leuven - septembre organisé par la Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie Médiévale, Turnhout, (Rencontres de Philosophie Médiévale ), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Die Rekonstruktion der Denkstruktur Alberts des Großen. Skizze und Thesen eines Forschungsprojektes », Theologie und Glaube (), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Pseudo-Dionysius Areopagita und das Strukturprinzip des Denkens von Albert dem Großen », in T. Boiadjiev, G. Kapriev und A. Speer (Hrsg.), Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter. Internationales Kolloquium in Sofia vom . bis . April unter Schirmherrschaft der Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie Médiévale, Turnhout, (Rencontres de Philosophie Médiévale ), p. - ; NOONE, T. B., « Albert the Great’s Conception of Metaphysical Knowledge », in L. Honnefelder, R. Wood, M. Dreyer und M.-A. Aris (Hrsg.), Albertus Magnus und die Anfänge der AristotelesRezeption im lateinischen Mittelalter. Von Richardus Rufus bis zu Franciscus de Mayronis, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), p. - ; FONFARA, D., « Das Ringen von Theologie und Metaphysik um die erste Wissenschaft bei Albertus Magnus und Thomas von Aquin vor dem Hintergrund ihrer Aristoteles-Rezeption », in G. Krieger (Hrsg.), Herausforderung durch Religion ? Begegnungen der Philosophie mit Religionen in Mittelalter und Renaissance, Könighausen und Neumann, Würzburg, (Contradictio ) ; ANZULEWICZ, H., « Metaphysics and its Relation to Theology in Albert’s Thought », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - ; TREMBLAY, B., « Albert on Metaphysics as First and Most Certain Philosophy », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . Sur Dieu comme être et sa causalité propre, cf., notamment, LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. -. Sur l’être au sens transcendantal du principe, cf. AERTSEN, J. A., Medieval Philosophy as Transcendental Thought. From Philipp the Chancellor (ca. ) to Francisco Suárez, Brill, Leiden and Boston, (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters ), p. - ; AERTSEN, J. A., « Albert’s Doctrine on the Transcendentals », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - (pour les publications précédentes de cet auteur sur ce sujet, cf. la bibliographie générale). Sur le principe comme acte d’être qui diffère de l’essence comme lucere diffère de lux, cf. DUCHARME, L., « Esse
CHAPITRE I
Il ressort de cette description des « modes du premier intelligible qui est comparé à la lumière (luci) du soleil, qui est la cause du jour » que la possibilité de passer de l’un à l’autre de ces trois modes est assurée par la continuité qu’établit la description génétique qu’en donne Albertus Magnus comme un flux de lumière jaillissant du principe. Néanmoins, ces phases de la lumière solaire ou celle de l’intelligibilité sont décrites sans produire les raisons pour lesquelles le premier intelligible sort de lui-même. La comparaison avec la lumière du soleil sert ici en quelque sorte de raison génétique. Lorsqu’il décrit le deuxième et le troisième intelligibles, en revanche, Albertus Theutonicus semble davantage recourir à une logique architectonique. Le deuxième intelligible, analogue à la lumière dans l’air serein, est l’intelligible mathématique. L’analogie avec la lumière qui procède dans la transparence de l’air repose sur le caractère ferme et stable des théorèmes mathématiques qui caractérise la vérité mathématique et sa séparation d’avec la matière, selon sa définition, autrement dit même si elle est reçue dans un étant matériel. Le deuxième intelligible est comme la lumière (lumen) du soleil dans l’air serein. Et il est comme l’intelligible mathématique qui n’est pas conçu avec la matière sensible inquiète et obscure, mais qui en est séparé selon la définition, qui possède des théorèmes stables et fermes, conçu avec ce qui est imaginé, comme la lumière (lumen) du soleil qui est transfusée à partir du soleil vers l’air. chez saint Albert le Grand. Introduction à la métaphysique de ses premiers écrits », Revue de l’Université d’Ottawa (), p. - ; GEIGER, B., « La vie, acte essentiel de l’âme, et l’esse, acte de l’essence, d’après Albert le Grand », Études d’histoire littéraire et doctrinale (), p. -, notamment p. - ; WIELAND, G., Untersuchungen zum Seinsbegriff im Metaphysikkommentar Alberts des Grossen, Aschendorff, Münster, (BGPTM ), p. ; SARANYANA, J. I., « Sobre la contribución de Alberto Magno a la doctrina del ‘actus essendi’ », in A. Zimmermann und G. Vuillemin-Diem (Hrsg.), Albert der Grosse : Seine Zeit, sein Werk, seine Wirkung, Walter de Gruyter, Berlin, , p. - ; VARGAS, R. E., « Albert on Being and Beings : The Doctrine of Esse », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et isti sunt modi intelligibilis primi, quod luci solis comparatur, quae est causa diei. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Intelligibile autem secundum est sicut lumen solis in sereno aëre. Et hoc est sicut intelligibile mathematicum, cum materia sensibili inquieta et obscura non conceptum, sed secundum diffinitionem ab ea separatum, stantia et firma habens theoremata, cum imaginatis conceptum, sicut lumen solis a sole in aërem transfusum. »
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CHAUVE-SOURIS
Le deuxième intelligible comporte également des degrés. Ils sont engendrés par des opérations mathématiques : du plus simple et absolu (le théorème arithmétique) en procédant par addition, par la médiation de ce qui est géométrique, vers ce qui est le plus lié aux raisons physiques (théorème astronomique). Mais cet engendrement mathématique correspond, selon la comparaison avec la procession de la lumière, à un mélange croissant des intelligibles séparés avec la matière. Et celui-ci est également triple, puisque ce qui est le plus serein en lui est ce qui est absolu et simple, qui existe en soi-même, séparé de tous les autres : et cela est le théorème arithmétique. Et ce qui est moins serein en lui est ce qui se rapporte à lui à partir d’une addition, à la manière du théorème géométrique, comme nous avons dit dans ce qui précède. Et ce qui est davantage attiré vers l’inclination vers le bas (declinationem) est ce qui a besoin de l’un et de l’autre dans les démonstrations et est, dans l’autre partie, conjoint également aux raisons physiques : et cela est le théorème astronomique. Si les degrés de l’intelligible mathématique ainsi que les sciences qui respectivement les étudient correspondent à la manière dont la lumière du soleil se propage dans l’air serein, tel n’est pas, en revanche, le cas de l’intelligible physique. Celui-ci correspond, pour sa part, à « la lumière de la contemplation ». Autrement dit, le degré inférieur de l’intelligible ne coïncide pas avec un moment de diffusion de la lumière, selon sa nature et son mouvement propres, mais à un point de vue adopté sur elle. Le troisième intelligible correspond, analogiquement, à la lumière mêlée aux ténèbres et à l’air privé de sérénité. Il correspond à l’intelligible physique, c’est-à-dire dont l’intelligibilité est mêlée au continu et au temporel, objet de l’intellect en tant qu’il est conjoint aux sens et à
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et hoc etiam est triplex, quoniam id quod serenissimum in eo est, illud est quod est absolutum et simplex in seipso existens, ab omnibus aliis separatum, et hoc est theorema arithmeticum ; et id quod minus serenum est in eo, est id quod ex additione se habet ad istud sicut theorema geometricum, sicut diximus in antehabitis ; et id quod magis trahitur ad declinationem, est id quod utroque istorum indiget in demonstrationibus, et in altera parte sui coniungitur etiam rationibus physicis, et hoc est theorema astronomicum. »
CHAPITRE I
l’imagination. À son degré le plus bas, cet intelligible n’est plus l’objet de la science mais de l’opinion. La troisième lumière (lumen) de la contemplation est celle qui est comme la lumière (lumen) mêlée aux ténèbres et à l’air inquiet, non serein. Et cela est la théorie physique conçue avec ce qui est continu et avec le temps, comme nous avons dit souvent. C’est pourquoi aussi elle tombe de l’intellection dans les opinions, en tenant que les sens sont plus dignes que la raison. Le troisième intelligibile comporte, à son tour, des degrés : du plus universel et susceptible de produire une science certaine fondée en démonstration à ce qui est le plus mêlé de matière en mouvement d’actualisation vers une forme qui produit autant d’opinions que d’arguments fondés en raison. Deux logiques se font concurrence dans la description du troisième intelligible. D’un côté, une dynamique descendante tente d’intégrer tous les degrés de cet intelligible dans l’unité d’une chute de la lumière dans la matière. De l’autre, des domaines ontologiques sont nettement distingués : l’universel, d’une . Cf., par exemple, ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -. Albert de Cologne précise ici qu’il énonce souvent la thèse de la conjonction de l’intellection humaine avec ce qui est continu et temporel. Cette thèse apparaît à de nombreuses reprises dans le réseau figural des animaux volants nocturnes. Cependant, elle ne s’y circonscrit pas. C’est pourquoi le réseau de textes du continu et du temporel constitue un réseau secondaire par rapport à celui de la figure des animaux volants nocturnes, dans la mesure où la figure des animaux volants nocturnes n’apparaît pas systématiquement dans ce réseau, d’un côté, et que, de l’autre, la thèse de la conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temps apparaît également indépendamment de la figure des animaux volants nocturnes. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Tertium autem lumen contemplationis est, quod est sicut lumen tenebris permixtum et aëri inquieto, non sereno ; et hoc est theoria physica concepta cum continuo et tempore, sicut saepe diximus, et ideo occumbit ab intellectu in opiniones, sensum digniorem habens quam rationem. » . Dans sa Metaphysica, la figure du nycticorax est associée aux premiers hommes qui ont énoncé la vérité en une théorie de la vérité et dont nous avons reçu des opinions douteuses et faibles, cf. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et eodem modo est de enuntiantibus veritatem in theoria veritatis. A quibusdam enim primis et laudabilibus viris quasdam accepimus opiniones dubias et debiles, eo quod illi nycticoracis oculis in invio viam panderunt, et postea alii meliores et acceptabiliores dederunt opiniones, quas et nos accepimus. » « Et il en est de même de ceux qui énoncent la vérité dans une théorie de la vérité. Nous avons reçu quelques opinions douteuses et faibles de la part de certains hommes de premier dignes de louange pour cette raison que ceux-là, avec des yeux de corbeau de nuit, ont ouvert la voie là où il n’y avait pas de voie et qu’ensuite d’autres ont donné des opinions meilleures et plus acceptables que, nous aussi, avons reçues. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
part, ce qui est capable de se mouvoir localement, d’autre part, tout ce qui appartient au devenir formel, enfin. Ces domaines ontologiques correspondent également à des champs de savoir et à des modes de connaissance différents. Et, en cela, il a aussi trois degrés. Il est pris dans l’universel, est davantage certain et possède une voie de démonstration, comme cela apparaît avec évidence dans la physique. Il est également pris dans ce qui est susceptible de se mouvoir vers un lieu, plus abaissé et moins élevé, mélangé, tendant tantôt à la démonstration et tantôt à la raison, comme cela est apparu clairement dans Du ciel et du monde. Et il est pris dans ce qui est susceptible de se mouvoir vers la forme, tendant en même temps à la raison et à l’opinion ; et là il est très mélangé aux ténèbres en raison de la puissance de la matière à laquelle il est dans cette partie le plus mêlé. Il résulte de la tripartition des intelligibles que l’étude des sciences théorétiques selon leur ordre d’abstraction croissante – physique, mathématique, métaphysique – permet donc à l’intellect humain de parcourir le chemin inverse de la genèse de l’intelligible et de remonter vers le « connaissable premier et divin ». Et la possibilité de la métaphysique repose, pour l’intellect humain, sur la capacité à dépasser à la fois les limites qui le touchent en tant qu’intellect conjoint aux sens et à l’imagination et celles qui concernent l’intelligible mêlé à ce qui est contraire et temporel qu’il est déterminé à connaître d’abord. En passant du chiasme aristotélicien à ces tripartitions hiérarchiques, Maître Albert tente donc, pour ainsi dire, de rendre possible aux animaux volants nocturnes de devenir des aigles.
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « In quibus et habet etiam tres gradus : est acceptum in universali et magis certum et habens viam demonstrationis, sicut patet in physicis ; et est acceptum in mobili ad situm, magis inclinatum et minus elatum, mixtum, nitens modo demonstrationi et modo rationi, sicut in Caelo et mundo patuit ; et acceptum in eo quod mobile est ad formam, nitens simul rationi et opinioni, et ibi multum est permixtum tenebris propter potentiam materiae, cui in parte illa plurimum permiscetur. » . Pour un texte parallèle dans le commentaire albertien de la Physique, cf. l’appendice du chapitre I : Les modes de l’intelligible et l’étude des sciences théorétiques correspondantes, p. .
CHAPITRE I
D. La tripartition des intellects Aux trois états de la lumière du soleil – dans le soleil, dans l’air serein et clair et mêlée de ténèbres – Maître Albert fait correspondre, enfin, trois types d’intellects : l’intellect divin, l’intellect de l’intelligence séparée et l’intellect humain. L’intellect, pour sa part, est triple : l’intellect divin, de l’intelligence séparée et de l’homme. L’intellect divin, quant à lui, est par lui-même la cause de tous ceux-là. C’est pourquoi aussi, en les contemplant tous en lui-même, selon qu’il est la cause de tous, et, pour cette raison, en les précontenant tous absolument et universellement, il intellige et ne tombe jamais. Il est aussi comme la lumière (lumen) du soleil dans la roue du soleil, parce qu’elle est la cause de toutes les lumières (luminum) et les précontient universellement. La correspondance des trois phases de la lumière avec les trois intellects éclaire la structure commune de ces deux tripartitions : la lumière du soleil dans le soleil est cause de toute lumière, comme l’intellect divin est cause de tout intellect. Les deux autres types d’intellects ont en commun d’être également causés – ce qu’Albertus Magnus traduit par deux noms au génitif, tandis que l’intellect divin est désigné par un adjectif au nominatif. Ils se distinguent, cependant, l’un de l’autre en ceci que l’intellect de l’intelligence est, comme l’intellect divin, par nature, séparé de la matière. Sa nature est, en effet, indépendante de la procession de la lumière pure qu’il contemple vers la matière et ses déterminations. L’intellect humain est, pour sa part, caractérisé par sa conjonction avec les sens et l’imagination. Donc l’intellect divin et l’intellect de l’intelligence séparée se distinguent de l’intellect humain en tant qu’ils ne sont pas mêlés à la matière et à la non-intelligibilité. Même si l’intelligence séparée correspond à la lumière en tant qu’elle est reçue dans quelque chose d’autre que sa source, ce récepteur est assimilé à la transparence . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Triplex est autem intellectus : divinus et intelligentiae separatae et hominis intellectus. Est autem divinus omnium horum causa per seipsum et ideo omnia haec contemplans in seipso, secundum quod causa est omnium, et ideo iste simpliciter et universaliter omnia praehabendo intelligit et numquam occumbit, et est sicut lumen solis in rota solis, quod omnium luminum est causa et universaliter praehabet ea. »
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de l’air clair et serein. C’est pourquoi l’intelligence séparée conserve les propriétés que lui confère la seule lumière intelligible, bien qu’elle soit causée. Tel n’est pas le cas de l’intellect humain. Nous reviendrons sur cette différence en étudiant les autres textes du corpus aristotélicien. Remarquons, d’emblée qu’entre la tripartition des intelligibles et celle des intellects, il ne s’agit pas exactement d’un système de correspondances terme à terme, puisque, d’une part, l’intelligence séparée par nature ne correspond pas à l’intelligible mathématique qui n’est séparé de « la matière sensible agitée et obscure » que selon la définition. D’autre part, l’intellect divin, « qui contemple tout en lui-même », n’est mis en correspondance qu’avec le premier mode de l’intelligible premier et divin. Car l’intellect divin « est comme la lumière (lumen) du soleil dans la roue du soleil, parce qu’il est cause de toutes les lumières (luminum) et les précontient universellement ». Le Docteur universel fonde la capacité contemplative universelle de l’intellect divin dans sa . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Intellectus autem intelligentiae separatus participando lucem primae causae, quae universaliter praehabet omnia, sic intelligit omnia per lumen, quod est causa omnium ; et hoc exsequitur quaelibet intelligentiarum per motum sui orbis et hoc modo desiderat ipsum. Et ideo isti duo intellectus a lumine incipiunt et tenebris numquam permiscentur, quia licet lumen formae, quae ab ipsis est, occumbat et tenebris permisceatur, hoc accidit lumini, non secundum quod ex ipsis est, sed secundum esse, quod habet in continuo et contrarietate, quae tempus metitur. » « L’intellect de l’intelligence, séparé, en participant la lumière (lucem) de la première cause, qui précontient tout universellement, intellige ainsi tout par la lumière (lumen) qui est la cause de tout. Et c’est elle que suit toute intelligence par le mouvement de son orbe et, de cette manière, elle la désire . C’est pourquoi aussi ces deux intellects commencent à partir de la lumière (lumine) et ne sont jamais mêlés aux ténèbres, parce que, bien que la lumière (lumen) de la forme qui vient d’eux tombe et soit mêlée aux ténèbres, cela arrive à la lumière (lumini), non pas selon qu’elle vient d’eux, mais selon l’être qu’elle possède dans le continu et dans la contrariété que mesure le temps. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Intelligibile autem secundum est sicut lumen solis in sereno aëre. Et hoc est sicut intelligibile mathematicum, cum materia sensibili inquieta et obscura non conceptum, sed secundum diffinitionem ab ea separatum, stantia et firma habens theoremata, cum imaginatis conceptum, sicut lumen solis a sole in aërem transfusum. » « Le deuxième intelligible, quant à lui, est comme la lumière (lumen) du soleil dans l’air serein. Et il est comme l’intelligible mathématique qui n’est pas conçu avec la matière sensible inquiète et obscure, mais en est séparé selon la définition, a des théorèmes stables et fermes, conçu avec ce qui est imaginé, comme la lumière (lumen) du soleil est diffusée à partir du soleil vers l’air. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] omnia haec contemplans in seipso […] ». . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] et est sicut lumen solis in rota solis, quod omnium luminum est causa et universaliter praehabet ea. »
CHAPITRE I
capacité productive (virtus), en tant qu’intellect universellement agent. En résulte une tension entre la tripartition des intelligibles et celle des intellects. Du point de vue de cette dernière, l’intellect divin contemple tout, dans la mesure où il précontient tout ce dont il est la cause. C’est pourquoi il est identifié à « la lumière du soleil dans la roue du soleil ». Mais, du point de vue de la tripartition des intelligibles, l’intellect divin contemple en propre la première hypostase, « lumière (lux) de la cause première de toutes les formes », qui les précontient toutes sur un mode éminent, par laquelle Albert le Grand présente le premier intelligible du point de vue de la causalité. Et l’intellect divin ne se rapporte pas directement aux deux autres modes du premier intelligible. La différence de perspective adoptée par Albert le Grand dans la manière dont il rapporte, d’un côté, les intelligibles et, de l’autre, les intellects aux trois états de la lumière montre qu’il ne vise pas à établir de strictes correspondances entre les intelligibles et les intellects, mais seulement à déduire deux tripartitions distinctes à partir des trois phases de la lumière qu’il a présentées. De plus, la tripartition des intellects ne correspond pas non plus à la tripartition initiale des facultés visuelles, puisque l’aigle, qui en occupe le degré supérieur, possède une capacité visuelle limitée : si l’œil de l’aigle voit la lumière du soleil, il ne peut en soutenir longtemps la vue sans être vaincu par elle. Notre hypothèse pour expliquer cet écart entre les deux hiérarchies est qu’Albert le Grand insisterait ainsi sur la différence entre l’intellect divin et l’intellect créé, celui de l’homme ayant atteint le stade noétique caractérisé par l’aigle. Si l’intellect humain est promis à une vision aquiline de la lumière du soleil et, par là, à l’acquisition de la science métaphysique entendue comme theologia, cependant, il se distingue de l’intellect divin qui est, pour sa part, identifié à la . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] lux causae primae omnium formarum prima est hypostasis […]. » Cf. supra chapitre I, p. , note pour la traduction de ce passage. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Est autem divinus omnium horum causa per seipsum et ideo omnia haec contemplans in seipso, secundum quod causa est omnium, et ideo iste simpliciter et universaliter omnia praehabendo intelligit et numquam occumbit. » « De tout cela , divin est par lui-même la cause , par suite, contemple aussi tout cela en lui-même selon qu’il est cause de tout et, partant, en précontenant tout absolument et universellement, il intellige et ne périt jamais. »
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lumière du soleil dans sa roue, comprise comme universellement productrice. Observons, désormais, ce qu’au sein de la tripartition des intellects, le maître de Cologne dit spécifiquement de l’intellect humain. E. La comparaison finale de l’intellect humain avec le corbeau de nuit, la chouette et l’aigle Bien que l’intellect humain soit conjoint aux sens et à l’imagination, le Doctor universalis déclare qu’il n’est pas, pour autant, condamné à n’apercevoir que la lumière qui est mêlée aux ténèbres, à la manière des animaux volants nocturnes, ou de ceux dont le spiritus visivus est obscur. Il lui donne l’espoir d’entrevoir le soleil en sa roue, à la manière de l’aigle. Bien que ce qu’il est possible à chaque intellect de connaître soit fixé par nature, selon la comparaison avec le spiritus visivus des diverses espèces animales, il est encore possible de passer d’un intelligible à l’autre ou de remonter le flux de lumière jusqu’à sa source. Albert de Cologne recourt à deux logiques : d’une part, la séparation statique de degrés d’intelligibilité et d’intellects ainsi que celle des espèces naturelles, sur le plan biologique et, d’autre part, la dynamique du flux de lumière qui établit une continuité entre ces degrés fermement distingués. Si l’intellect humain peut passer du stade de la connaissance physique, qui ressortit à ce que voient les animaux volants nocturnes, au stade de la connaissance métaphysique, assimilé à la vision de l’aigle, ce passage doit reposer, d’après les tripartitions exposées par Maître Albert, sur la possibilité, d’un côté, de contempler les intelligibles en tant que séparés de la matière et, de l’autre, de se séparer de sa propre conjonction avec les sens et l’imagination. Voici comment le Doctor magnus décrit la dynamique ascensionnelle de l’intellect humain à travers les différents degrés de la hiérarchie des intelligibles. Tandis que l’intellect divin est comparé à la lumière du soleil dans sa roue, et non pas à l’aigle qui la voit, et que les intellects séparés ne sont comparés à aucun animal, le corbeau de nuit et la chouette sont, dans ce dernier passage relatif à l’intellect inférieur, explicitement assimilés à l’intellect humain. La chauve-souris n’y est pas, pour sa part, . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. .
CHAPITRE I
mentionnée à nouveau. Malgré l’écart entre l’aigle et ces oiseaux de nuit, Albert de Cologne, qui lit la Métaphysique d’Aristote à la lumière d’Averroès, affirme qu’il est possible d’accorder à l’intellect humain de pouvoir remonter, par degrés, grâce à l’effort que constitue l’étude (per studium), jusqu’à la source de la lumière. Bien que « l’intellect de l’âme qui est distendue par l’imagination, qui pâtit et qui est altérée par le sens » soit semblable à « la vision du corbeau de nuit », cette ressemblance ne marque, toutefois, que le commencement du chemin de connaissance pour l’intellect humain (in inceptione sua). S’il « commence à partir de cette lumière qui est entièrement mêlée aux ténèbres », il passe, en effet, « de l’intellection obscure à la lumière pure. Et, de la lumière pure, il vient, par une vision appelée focalisée (coadunata), à la lumière entièrement pure. Montant ainsi par degrés, il reçoit, enfin, . Nous nous référons ici spécifiquement à la théorie de l’intellect à l’œuvre dans l’interprétation albertienne de ce passage de la Métaphysique. Sur l’influence générale d’Averroès sur la pensée albertienne, cf., notamment, WÉBER, É.-H., « Les Emprunts majeurs à Averroès chez Albert le Grand et dans son école », in F. Niewöhner und L. Sturlese (Hrsg.), Averroismus im Mittelalter und in der Renaissance, Spur, Zürich, , p. - ; MOJSISCH, B., « Grundlinien der Philosophie Alberts des Großen », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie /- (), p. - ; FLASCH, K., Meister Eckhart. Die Geburt der « Deutschen Mystik » aus dem Geist der arabischen Philosophie, C. H. Beck, München, , p. - ; FLASCH, K., D’Averroès à Maître Eckhart. Les sources arabes de la « mystique » allemande, Vrin, Paris, (Conférences Pierre Abélard), p. -. Sur la théorie de l’intellect albertienne et l’influence qu’y exerce Averroès ou ce qu’Alain de Libera nomme, à la suite de R.-A. Gauthier, « l’aristotélisme total », cf. les indications bibliographiques données supra au chapitre I, p. , note et infra au début de la seconde section du troisième chapitre, p. , note . Pour éviter le risque de réduire ici la lecture albertienne de la Métaphysique au seul héritage averroïste, cf. les études portant, notamment, sur l’influence décisive d’Avicenne dans la conception de l’être en tant qu’être comme objet de la métaphysique et dans l’intention attribuée à cette science de prouver l’existence de Dieu comme causa essendi. Averroès accorde, pour sa part, à la physique de prouver l’existence de Dieu comme principe du mouvement et du changement. Cf. NOONE, T. B., « Albert the Great on the Subject of Metaphysics and Demonstrating the Existence of God », Medieval Philosophy and Theology (), p. - ; NOONE, T. B., « Albert on the Subject of Metaphysics », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - ; TWETTEN, D. B., « Albert the Great on Whether Natural Philosophy proves God’s Existence », AHDLMA (), p. -. Sur l’influence avicennienne dans le commentaire albertien de la Métaphysique d’Aristote, cf. BERTOLACCI, A., « Subtilius speculando. Le citazioni della Philosophia prima di Avicenna nel Commento alla Metafisica di Alberto Magno », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale (), p. - ; BERTOLACCI, A., « Le citazioni implicite testuali della Philosophia prima di Avicenna nel Commento alla Metafisica di Alberto Magno », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale (), p. - ; BERTOLACCI, A., « Albert’s Use of Avicenna and Islamic Philosophy », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -.
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la source de la lumière, comme l’aigle regarde la lumière dans la roue du soleil. Et à la vision aquiline du métaphysicien revient la félicité la plus haute. En elle le désir s’apaise enfin. En elle s’accomplit le désir par lequel « tous les hommes par nature désirent savoir » ». Cette montée « par degrés » distingue l’intellect humain de la chouette et de sa capacité visuelle. Cette ascension progressive est rendue possible à l’intellect humain « par la séparation effectuée auprès de lui-même », par rapport aux sens et à l’imagination, et par la confortation que lui procure « la connaissance de ce qui est avant », c’est-à-dire des intelligibles visés par les sciences physiques et mathématiques, qui le rend peu à peu capable de voir la lumière des intelligibles séparés. Et ce qu’il est promis à l’intellect humain de contempler, au terme de cette ascension, est « ce qui est, par nature, le plus manifeste, parce que, existant comme manifeste par soi, cela est, pour tous les autres, la cause de la manifestation ». Conclusion sur le texte-source de la figure de l’animal volant nocturne Il résulte donc du commentaire albertien de la Métaphysique d’Aristote que la figure des animaux volants nocturnes surgit dans le contexte de la question de ce qu’il est possible, à l’intellect humain, de connaître. L’animal volant nocturne figure le chiasme de l’intellection humaine du divin. Or ce texte pose le problème de la connaissance possible à l’intellect humain à partir de deux dynamiques contradictoires : d’un côté, une lecture qui accorde un sens naturalisant aux espèces animales évoquées dans le texte tendrait à fixer l’écart entre les stades noétiques de l’intellect humain dans une comparaison avec les différences d’espèces biologiques du point de vue de leurs propriétés visuelles. Et, de l’autre, les phases de lumière décrites dans la dynamique d’un flux soulignent la continuité inscrite dans la gradation des sciences et des intelligibles qu’elles visent, de telle sorte qu’il paraît possible, à l’intellect humain, de parcourir l’ensemble des intelligibles jusqu’à la cause de leur manifestation. La condition de cette anabase de l’intellect humain vers l’intelligible le plus élevé est le détachement progressif qu’il effectue par rapport au temporel et au continu, qui accompagnent l’intelligible qu’il appréhende d’abord, ainsi que par rapport aux sens et à l’imagination, auxquels l’intellect humain est conjoint en tant qu’il est humain. Or, dans le commentaire de l’œuvre aristotélicienne, la possibilité de la métaphysique
CHAPITRE I
comme science se fonde sur l’hypothèse selon laquelle la figure de l’aigle puisse être attribuée à l’intellect humain comme son stade noétique suprême. Toutefois, nous avons observé que la figure de l’aigle n’est pas strictement identifiée au plus haut des intellects, à savoir l’intellect divin qui possède la science divine. Il contemple directement le premier intelligible mais ne peut en supporter longtemps la vue. Autrement dit, du point de vue de la logique des figures instaurée dans le texte, tout se passe comme s’il apparaissait possible à l’intellect humain de transgresser les limites des espèces naturelles auxquelles les stades noétiques de l’intellect peuvent s’apparenter. En vertu des tripartitions hiérarchiques déployées par le commentaire albertien, le problème du chiasme de l’intellection humaine du divin ne vaut plus, dès lors, pour l’intellect humain qui, au terme de la remontée graduelle de science en science, semble contempler la cause universelle de la manifestation, qui est la plus manifeste par elle-même, mais seulement pour un peu de temps. Cependant, l’absence de concordance exacte entre la tripartition des capacités visuelles, d’une part, celle des intelligibles, d’autre part, et, enfin, celle des intellects rend problématique cette ascension continue à travers les hiérarchies. La méthode que nous nous sommes proposée en guise de fil conducteur consiste à observer, désormais, la cohérence de la question que déploie Albert le Grand à travers les occurrences de ces trois animaux volants nocturnes dans le reste de son œuvre et les précisions qu’il y ajoute au gré des différents contextes dans lesquels il en traite. Reprenons, d’abord, la première question ouverte par la citation aristotélicienne de Métaphysique, α, ( b -) : pourquoi le Doctor universalis prend-il soin de donner trois traductions différentes de l’original grec νυκτερίδων ? Puis, nous nous interrogerons sur la fonction exercée par la figure des animaux volants nocturnes, quant à la tripartitition des intelligibles et celle des intellects. Ce qui suit est une étude détaillée de l’ensemble des textes albertiens qui contiennent une occurrence de la figure de l’animal volant nocturne. Elle est requise pour une compréhension fine de la méthode herméneutique propre à l’intelligence figurale selon Albert le Grand, c’est-à-dire pour observer la manière dont le maître de Cologne déploie dans différents contextes cette figure, en circonscrit les caractéristiques structurelles et introduit des variations selon les problèmes spécifiques qu’il traite.
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II. Gradation des capacités visuelles et fonction corrrélative de la figure de la chauve-souris Le réseau textuel relatif à l’animal volant nocturne montre que les trois termes de chauve-souris, chouette et corbeau de nuit ne sont pas seulement employés par Albert le Grand en tant que synonymes, dans son commentaire de la Métaphysique. Ils renvoient également à des distinctions dans les capacités de voir respectives de ces animaux volants nocturnes. Tandis que, nous l’avons vu, ils pourraient être présentés seulement comme trois états distincts de la traduction du même mot grec employé par Aristote, ils désignent également, comme le Doctor expertus le précise dans son De animalibus, des espèces animales différentes. Dans cette section, nous allons montrer, d’une part, que, du point de vue de leur description zoologique, elles ont des capacités visuelles distinctes et que la chauve-souris possède la vision la plus faible. Cependant, elle voit d’une certaine manière la lumière du soleil. D’autre part, cette position extrême sur l’échelle des capacités visuelles des animaux volants nocturnes confère à la chauve-souris une fonction logique spécifique. Mise en relation avec l’aigle qui voit le soleil en sa roue, elle est utilisée comme exemple paradigmatique de couple d’opposés. . Sur l’ornithologie albertienne, cf. KILLERMAN, S., Die Vogelkunde des Albertus Magnus (-), G. J. Manz, Buch- und Kunstdruckerei a.-g., Regensburg, ; BALSS, H., « Albertus Magnus als Zoologe », Münchener Beiträge zur Geschichte und Literatur der Naturwissenschaften und Medizin, Heft /, München, , p. - ; BALSS, H., Albertus Magnus als Biologe : Werk und Ursprung, Wissenschaftliche Verlaggesellschaft, Stuttgart, (Grosse Naturforscher ) ; LINDEN, K., Von Falken, Hunden und Pferden : Deutsche Albertus-Magnus-Übersetzungen aus der ersten Hälfte des . Jahrhunderts, Berlin, (Quellen und Studien zur Geschichte der Jagd, vol. ) ; HÜNEMÖRDER, Ch., « Die Zoologie des Albertus Magnus », in G. Meyer und A. Zimmermann (Hrsg.), Albertus Magnus – Doctor Universalis /, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, (Walberberger Studien ), p. -. Sur le détail des chapitres sur l’aigle dans le De animalibus ainsi que sur ses sources et sur l’hypothèse d’un travail de première main, de la part du Doctor universalis, quant à l’observation des oiseaux, cf. OGGINS, R. O., « Albertus Magnus on Falcons and Hawks », in J. A. Weisheipl, Albertus Magnus and the Sciences : Commemorative Essays , Pontifical Institute of Medieval Studies, Toronto, , p. -. Sur Thomas de Cantimpré comme source implicite d’Albert le Grand, cf. AIKEN, P., « The Animal History of Albertus Magnus and Thomas of Cantimpré », Speculum (), p. -. Vide THOMAS CANTIMPRATENSIS, Liber de natura rerum. Editio princeps secundum codices manuscriptos, vol. , Walter de Gruyter, Berlin et New York, . Sur l’histoire du débat concernant la dette d’Albert par rapport à Thomas de Cantimpré, cf. BALLESTER, G. (ed.), « Comentarios a la ediciòn facsímil », in THOMAS CANTIMPRATENSIS, De natura rerum (lib. IV-XII), Universitad de Granada, Granada, , p. - ; TKACZ, M. W., « Albert the Great on Logic, Knowledge and Science », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -, notamment p. -.
CHAPITRE I
A. La chauve-souris, la chouette et le corbeau de nuit : synonymes ou espèces biologiques distinctes ? En ce qui concerne la description de la chauve-souris dans le De animalibus, nous y apprenons que celle-ci tient son nom du fait qu’elle vole la nuit selon une interprétation de son nom, vespertilio, comme vespere alis utens. Elle ressemble à une souris volante dont la tête de souris possède la forme de celle d’un chien dotée de quatre oreilles. Plusieurs caractéristiques l’assimilent davantage au chien qu’à la souris. Ses dents de scie diffèrent de celles de la souris dont les deux dents . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , in De animalibus libri XXVI nach der Cölner Urschrift,, ed. H. Stadler, Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, Band XVI, Aschendorff, Münster in W., , p. , l. - : « Vespertilio dicta est quasi vespere alis utens eo quod vespere volat et est quasi volans mus : caput enim habet muris, sed est in figura capitis canis et aliquando invenitur cum quatuor auribus. Dentes habet serrales, non ut mus in quo duales anteriores sunt valde longi, sed potius ut canis qui caninos dentes longos habet, et imitatur voce exili grunitum et latratum canum potius quam sibilos murium. Corpus habet pilosum fulvo pilo, alas habet membranales et in cubitis alarum habet unum digitum cum ungula acuta qua tenet se quando haeret parietibus. Caudam habet valde latam membranalem, et in cauda est figura duorum pedum cum quinque digitis et acutis ungulis quibus inferius se tenet quando haeret parietibus : non enim habet statum vel sessionem sicut alia animalia : sed cum non volat, aut suspenditur in parietibus in rimis umbrosis, aut iacet in cavernis. Cibus eius est muscae et culices : et hunc quaerit nocte volans. Comedit autem et carnes : et ideo in bachonibus suspensis damna infert. In calidis climatibus efficitur maior quam in frigidis. Unde et in epistola Alexandri dicitur quod in India sunt sicut columbae et cadunt in facies hominum vulnerando eos et membra aliquando auferentes. Sanguinem vespertilionis cum carduo mixtum dicit Plinius praecipuum esse remedium contra ictus serpentum. Avicenna dicit unguentum de pinguedine vespertilionis restringere exuberantiam uberum puellarum si eo ante ortum uberum et in ortu continue usae fuerint usque ad aetatem in qua stant ubera. » . Sur les oreilles de la chauve-souris, cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , in De animalibus libri XXVI nach der Cölner Urschrift,, ed. H. Stadler, Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, Band XV, Aschendorff, Münster in W., , p. , l. - : « Vespertilio enim habet aures, sed est pilosa : et licet non habeat nisi duos pedes in membrana suae caudae, tamen habet duos digitos pedis in cubitis alarum suarum, quibus utitur loco duorum pedum ; et ideo cum cadit, excipit se alis : et quia accedit ad naturam quadrupedis, ideo habet aures sicut quadrupes in superiori parte laterum sui capitis. » . Pour une comparaison des dents de la chauve-souris et de celle de la souris, cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « […] et similiter quaedam animalia habentia dentes in utraque mandibula sicut mus et vespertilio et sibi similia. » « […] et, de même certains animaux qui ont des dents dans l’une et l’autre mâchoires, comme la souris, la chauve-souris et leur similaires. » Sur la ressemblance entre les chauves-souris et les souris, cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De causis proprietatum elementorum, lib. , tr. , cap. , ed. P. Hossfeld, Ed. Colon. V/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Similiter autem consentiendum videtur stellas posse ad productionem animalium non multum dissimilium, sicut sunt mures et
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antérieures sont plus longues. Et elles s’approchent davantage de celles du chien dont les canines sont longues. De même, elle imite, d’une voix ténue, le grognement et l’aboiement des chiens plutôt que les sifflements des souris. Son corps est couvert d’un poil fauve. Ses ailes sont des membranes. Puis, le Doctor universalis donne d’autres détails anatomiques et précise qu’elle n’a pas la même assise que les autres animaux, lorsqu’elle ne vole pas : soit elle se suspend aux murs dans les fentes ombrées, soit elles se tient dans les cavernes. Ensuite, il décrit sa nourriture et l’usage qui peut être fait de son sang comme remède. Ce qui étonne, d’emblée, le lecteur est de ne trouver, dans cette description, aucune remarque relative à la capacité visuelle de la chauve-souris ni à sa faculté de s’orienter au moyen de l’ouïe. Tel n’est pas, pour leur part, le cas du corbeau de nuit et de la chouette dont Albert le Grand traite dans un même article de son De animalibus. La distinction n’est, d’abord, pas claire entre ces deux animaux qui sont identifiés, contrairement à la chauve-souris, à des oiseaux. En quoi se distinguent-ils l’un de l’autre ? L’éditeur a dû, à ce propos, corriger le manuscrit colonais autographe : « La chouette
vespertiliones, et quidquid huiusmodi est in animalium generibus ; licet enim huiusmodi instrumenta habeant motus sicut alas et crura, tamen brevia habent et non multum differentia. » « Or, de même, il semble qu’il faille être d’accord sur le fait que les étoiles ont le pouvoir de produire des animaux qui ne soient pas très dissemblables, comme c’est le cas des souris et des chauves-souris et de tout ce qui est de cette sorte et se trouve dans les genres des animaux. Car, bien qu’ils aient des instruments de mouvement de cette sorte, comme les ailes et les pattes, cependant, ils n’ont pas non plus beaucoup de différences. » . Sur les ailes membraneuses de la chauve-souris, cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Inter volatilia autem quae alis moventur de loco ad locum, quaedam habent plumas sicut aquila et accipiter. Et quaedam volatilia, quae sunt rugosi corporis sicut apis et sibi similia, habent alas quae videntur esse de substantia media inter naturam pennae et membranae : quoniam sunt duriores membranis et sunt magis molles et magis tenues quam plumae, quae adhaerent stipitibus pennarum. Ex volatilibus etiam est, quod volat et habet alas membranales sicut vespertilio secundum omne genus suum. » « Or, parmi les volatiles qui sont mus par des ailes de lieu en lieu, certains ont des plumes, commes l’aigle et l’épervier. Et certains volatiles qui sont de corps rayé, comme l’abeille et autres semblables, ont des ailes qui semblent être d’une substance médiane entre la nature de la plume et celle de la membrane, puisqu’elles sont plus dures que les membranes et sont plus molles et plus fines que les plumes qui adhèrent aux racines des plumes. Parmi les volatiles, il en est aussi un qui vole et possède des ailes membraneuses, comme la chauve-souris selon tout son genre. » . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. -. . Le Codex Coloniensis Köln se trouve actuellement sur le site de l’Historisches Archiv der Stadt Köln sous la cote Best. (W) A : (http://historischesarchivkoeln.de:/actaproweb/
CHAPITRE I
est le corbeau de nuit, comme certains disent mensongèrement de manière fausse ». La chouette est un oiseau qui a des pattes emplumées mouchetées, une très grosse tête, un bec incurvé, plus grand que celui de l’épervier. Avant de développer son régime alimentaire et ses moyens de défense, le Doctor expertus fait allusion à la faiblesse de sa vue : « En raison de la verdeur de yeux, elle ne supporte pas le soleil mais vole la nuit ». Si la capacité visuelle de la chauve-souris aux yeux pers n’est pas précisément explicitée, celle de la chouette est, quant à elle, caractérisée non pas par sa faiblesse mais par une particularité oculaire, sa couleur glauque, ou vert-gris, qui la rend inapte à soutenir la vue de la lumière du soleil, à tel point que Maître Albert précise qu’elle peut apparaître de jour mais qu’elle court alors le risque d’être déplumée par d’autres oiseaux.
archive.xhtml?id=Vz++++++HupElko - Vz______HupElko), cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, Einleitung, ed. H. Stadler, BGPM XV, p. VII-X. . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. : « Noctua est nocticorax, ut quidam falso mentiuntur. » . Dans le De animalibus, le Doctor magnus érige la chouette en exemple d’oiseaux dont la vue est confortée la nuit. Il précise que « certains ont, de jour, la vue qui s’évanouit et voient de nuit, leur vue étant confortée, et ils sont dits avoir des yeux de chouettes. » Cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Quidam autem visum evanescentem habent in die, et vident confortato visu in nocte, et dicuntur habere oculos noctuae. » Le maître de Cologne observe une gradation entre la faculté visuelle de la chouette et celle du corbeau de nuit : la chouette voit mieux de nuit que l’animal du genre des corvidés. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Bubo autem et similiter noctua nocte quando melius videt quam corvini generis animal quod est monedula, rapit et comedit ova monedulae. » « Quant au hibou et, de même, à la chouette, de nuit, quand ils voient mieux que l’animal du genre du corbeau qu’est le choucas, ils dérobent et mangent les œufs du choucas. » . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - : « […] propter glaucedinem oculorum solem non sustinens sed de nocte volans [….]. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Avis autem quae hem vocatur, et ea quae vocatur glauces, sunt genera bubonem, et aliae quaedam genera sunt noctuarum non bene videntia de die, sed venantur in nocte, et congregant cibum, nec venantur per totam noctem, sed in duobus crepusculis noctis […]. » . Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Aliae etiam aves de die volant in circuitu bubonis et noctuae et nocticoracis de die et deplumant eos, eo quod in nocte istae aves infestae sunt ovis earum et etiam ipsis avibus, quando eas superare possunt. Et ideo aucupes ligando bubonem vel noctuam iuxta retia deprehendunt cum eis alias aves multorum generum, quae deplumandi causa accedunt ad eas. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Pour sa part, le nicticorax est décrit comme un corbeau de nuit de variété noire dont le cri est « cho ». Quand il pousse ce cri, il tournoie en se retournant dans l’air. Il est plus petit que la chouette mais est assimilé à elle non seulement en vertu de ce qu’il chasse et de ses mœurs mais surtout parce que « comme elle, c’est un oiseau qui fuit la lumière ». La chouette et le corbeau de nuit ressortissent, par conséquent, aux lucifuges. Seulement lorsqu’il évoque, plus loin dans le traité, les habitudes de chasse de ces animaux volants nocturnes, Albert le Grand fait allusion au fait que la chauve-souris ne peut soutenir la lumière du soleil. C’est pourquoi elle chasse de nuit. Cela pourrait également, ajoute-t-il, être . Ce terme reçoit plusieurs orthographes dans les œuvres albertiennes : nocticorax, nycticorax, nicticorax. . Le Doctor expertus est fidèle sur ce point à Aristote, cf. ARISTOTELES, De historia animalium, lib. , cap. ( b -), transl. Guillelmus de Morbeka, ed. P. Beullens et F. Bossier, Arist. Lat. XVII/.I., Brepols, Turnhout, , online : « Bubones autem et nycticoraces et reliqua quecumque non possunt de die videre, nocte quidem venantia alimentum acquirunt, non per totam autem noctem hoc faciunt, sed vespere et circa matutinum. » « Les hiboux, les corbeaux de nuit et certains autres, quant à eux, ne peuvent voir de jour. Ils acquièrent leur nourriture en chassant, certes, de nuit. Toutefois, ils ne font pas cela toute la nuit mais le soir et aux alentours du matin. » La pointe de ce passage ne semble pas de dénier absolument la faculté de voir la lumière au corbeau de nuit, mais d’opposer à son incapacité de voir le jour à la possibilité, pour lui, de chasser la nuit. . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - : « […] est lucifuga avis sicut et noctua. » Par ailleurs, Albert de Cologne reconnaît dans la propriété de fuir la lumière une caractéristique de l’intellect humain par rapport à ce qui est le plus manifeste en soi et qu’il désire, pourtant, au plus haut point connaître, cf. infra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] et intellectus noster manifestissima et prima fugiet et non quiescet in eis. » « […] notre intellect fuit ce qui est le plus manifeste et premier, et ne repose pas en cela » Nous rapprochons ponctuellement ici, comme en d’autres notes de bas de page, un texte du corpus des traités théologiques albertiens d’une thèse soutenue dans le corpus aristotélicien, afin de souligner, dans la section II de ce chapitre, consacrée aux corpora non aristotéliciens de l’œuvre albertienne, les caractéristiques qui sont propres à ces corpora de textes. . Dans les Quaestiones de animalibus, le même argument se rapporte à la chouette et à la chauve-souris : l’une des raisons pour lesquelles elles cherchent leur nourriture de nuit est qu’elles ne peuvent soutenir la lumière du jour. Cf. supra chapitre I, p. , note , la source aristotélicienne référée au corbeau de nuit : ARISTOTELES, De historia animalium, lib. , cap. ( b -), transl. Guillelmus de Morbeka, Arist. Lat. XVII/.I., online. ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , ed. B. Geyer, Ed. Colon. XII, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Dicendum, quod quaedam animalia magis quaerunt nutrimentum de nocte quam de die propter multas rationes. Una potest esse, quod aliquod animal non sustinet lumen diei, ut vespertilio et noctua, sed in nocte confortatur eorum visus etc. »
CHAPITRE I
la raison pour laquelle le hibou, la chouette et le corbeau de nuit acquièrent leur nourriture de nuit, outre leur crainte des attaques des autres animaux. « Il faut dire que certains animaux cherchent davantage leur nourriture de nuit que de jours pour de nombreuses raisons. L’une peut être qu’un certain animal ne soutient pas la lumière (lumen) du jour, comme la chauve-souris et la chouette, mais que leur vue est confortée dans la nuit etc. » Dans le commentaire du livre de Baruch, la chouette, le hibou, la chauve-souris et le corbeau de nuit se trouvent, de nouveau, réunis autour d’une propriété commune : ils chassent des souris dans les ténèbres. Ils figurent les prélats qui fondent de nuit sur les voleurs et les femmes publiques, qui, pour leur part, aiment les ténèbres. ALBERTUS MAGNUS, Super Baruch, cap. , v. , in Commentarii in Baruch, ed. A. Borgnet, Ed. Paris. XVIII, Vivès, Parisiis, , p. a : « ‘Supra corpus eorum’, idolorum scilicet, ‘et super caput eorum’, quod magis corpore ornatum est, ‘volant noctuae’, infaustae aves tenebras amantes, ‘et hirundines’, aves varie instabiles, ‘et aves’, aliae scilicet infaustae, ut bubo, vespertilio, et nycticorax, ‘similiter et cattae’, quae a capiendo dicuntur, eo quod in tenebris mures venantur : mures enim in vestibus et cavernis putredinis idolorum abscondebantur, et cattae insidebant capitibus, ut muribus insidiarentur. Haec autem in Praelatis significant quod noctibus advolant eis latrones, et meretrices, quae tenebras amant, similiter lenones et lenae. ». « ‘Au-dessus de leur corps’, c’est-à-dire des idoles, ‘et au-dessus de leur tête’, qui a été davantage ornée que le corps, ‘volent des chouettes’, funestes oiseaux qui aiment les ténèbres, ‘et des hirondelles’, oiseaux variablement instables, ‘et des oiseaux’, c’est-à-dire d’autres funestes, comme le hibou, la chauve-souris et le corbeau de nuit, ‘de même que des chattes également’, qui se disent à partir de ‘prendre’, pour cette raison qu’elles chassent les souris dans les ténèbres. Les souris se cachaient, en effet, dans les tentures et les cavités de la putréfaction des idoles et les chattes s’installaient sur têtes, pour être à l’affût des souris. Or, dans les prélats, cela signifie que les voleurs fondent de nuit sur eux, ainsi que les femmes publiques, qui aiment les ténèbres, comme les entremetteurs et les entremetteuses. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , ed. F. Siepmann, Ed. Colon. XIX, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Vespertiliones autem, qui de nocte venationi insistunt, nocturnos significant latrones vel fraudulentos, qui in tenebris, hoc est in occulto, venantur. » « Quant aux chauves-souris qui s’adonnent à la chasse de nuit, elles signifient les voleurs et les fourbes nocturnes, qui chassent dans les ténèbres, c’est-à-dire dans ce qui est occulte. » De nouveau, la chouette est associée à la fourberie, cf. ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Bar. VI () : ‘Supra corpus deorum et supra caput deorum volant noctuae et hirundines et aves similiter et cattae’ noctuae per fraudulentiam […]. » « Bar. , : ‘Au-dessus du corps des dieux et au-dessus de la tête des dieux volent des chouettes et des hirondelles, des oiseaux, de même aussi que des chattes’ : des chouettes par fourberie […]. » Les chouettes et les corbeaux de nuit sont, de nouveau, qualifiés de funestes in ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Ululae sunt aves infaustae sicut noctuae et nocticoraces. » « Les chouettes effraies sont des oiseaux funestes, comme les chouettes et les corbeaux de nuit. » . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Amplius autem quaedam ipsorum ad venationem moventur nocte, aut quia lumen solis non sustinent, ut vespertilio, aut quia timent incursus aliorum animalium, aut forte propter utrumque istorum : et ideo aqquirunt sibi victum de nocte, sicut bubo, noctua et nocticorax et vespertilio. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Il résulte de la description qu’Albert de Cologne donne, dans son De animalibus, des trois animaux volants nocturnes cités dans son commentaire de la Métaphysique qu’il n’accorde pas, dans son traité Des animaux, une importance majeure à leur capacité visuelle, à tel point que cet aspect n’est pas même évoqué dans la description de la chauve-souris. Nous pouvons en déduire que c’est dans le cadre du commentaire de la Métaphysique, et non dans celui du traité zoologique du Doctor magnus, que la chauve-souris prend un statut figural qui tient lieu d’un argument relatif à la vision. Mais, pour préciser les fondements naturels de cette figure et de sa fonction argumentative, tentons de répondre, en nous appuyant sur le réseau de textes relatifs à la vespertilio, à la question suivante : la chauve-souris voit-elle, selon le maître de Cologne, quelque peu ou ne voit-elle absolument rien ? La réponse à cette question vise à éclairer le choix fait par Albertus Theutonicus du terme vespertilio, plutôt que des deux autres traductions attestées, dans le Super Iohannem et de l’absence de cette même vespertilio dans la comparaison finale de l’intellect humain avec les animaux volants nocturnes, dans le passage que nous venons de lire de la Métaphysique. B. La fonction corrélative de l’aigle et de la chauve-souris en tant que termes opposés Dans le commentaire de Métaphysique, α, ( b -), le maître de Cologne oppose les animaux volants nocturnes à l’aigle. Cette opposition apparaît en d’autres textes du corpus aristotélicien d’Albert le Grand. Dans le cadre de cette opposition logique, le Dominicain rhénan se prononce clairement sur le fait que la chauve-souris peut voir la lumière du soleil mais faiblement et dans certaines conditions. Après avoir énuméré, dans son commentaire de la Métaphysique, les trois animaux volants nocturnes qui correspondent au terme aristotélicien de νυκτερίδων, Albert de Cologne les intègre dans une hiérarchie dont le critère qui régit les différents degrés est précisément la capacité « Davantage, certains d’entre eux se mettent en mouvement pour chasser de nuit, ou bien parce qu’ils ne soutiennent pas la lumière (lumen) du soleil, comme la chauve-souris, ou bien parce qu’ils craignent les attaques des autres animaux, ou bien peut-être pour ces deux . C’est pourquoi aussi ils acquièrent leur nourriture de nuit, comme le hibou, la chouette, le corbeau de nuit et la chauve-souris. »
CHAPITRE I
visuelle. Il en résulte que, contrairement à la description générale qu’il en propose dans son De animalibus, le Doctor universalis a ici recours à la chauve-souris, à la chouette et au corbeau de nuit comme des figures spécifiquement référées à leur capacité visuelle. Et, contrairement à sa discrétion à ce sujet dans le De animalibus, Albertus Theutonicus donne, dans son commentaire de la Métaphysique, très clairement son avis sur les capacités visuelles de ces animaux volants nocturnes : en raison de la faiblesse de leur vision, ils voient la lumière à condition que celle-ci soit mêlée aux ténèbres, comme au crépuscule ou au point du jour. Le commentaire de la Métaphysique ne constitue pas un cas isolé dans l’œuvre albertienne du point de vue de la structure et de la fonction de la figure des animaux volants noctunes, parmi les textes dans lesquels se trouve une occurrence de cette figure. Le maître de Cologne y évoque la chauve-souris du point de vue de sa faculté visuelle mais il le fait en la mettant en relation avec la capacité visuelle de l’aigle. La caractéristique principale de l’interprétation albertienne de la figure de la chauve-souris dans le corpus aristotélicien est qu’elle n’est pas aveugle. De plus, la fonction que ces animaux volants nocturnes exercent dans la gradation proposée par Maître Albert opèrent de manière relationnelle, au sens où elle est saisie en lien avec deux autres capacités visuelles : celle de l’œil de l’aigle, d’un côté, qui peut fixer la lumière du soleil dans sa roue, c’est-à-dire en son centre, même si cela a une durée limitée, et, de l’autre, celle de beaucoup qui sont capables de voir clairement la lumière diffusée par les rayons du soleil, sans en être blessés. Il s’ensuit que la figure des animaux volants nocturnes semble devenir opérante, du point de vue de la capacité visuelle, dans sa relation avec la vision d’autres animaux. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. . . Le lien de la chauve-souris, de la chouette et du corbeau de nuit avec leur faculté visuelle respective occupe une place importante dans le discours du Doctor magnus, comme le confirme l’analyse de la fréquence des occurrences dans l’œuvre albertienne consultée : des occurrences de vespertilio ont trait au rapport de l’œil de cet animal nocturne volant à la lumière du soleil (soit , % des cas où est évoquée la capacité visuelle de l’un de ces trois animaux nocturnes volants par rapport à la lumière du soleil), des occurrences de noctua présentent la même caractéristique (soit , %) et des occurrences de nycticorax ou de nocticorax (soit , % des cas pour les deux orthographes du nom de cet animal).
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Par exemple, dans le traité De animalibus, la vision de la chauve-souris surgit dans le chapitre qui traite des membres qui composent le corps des animaux. Maître Albert y propose une comparaison entre l’œil de la chauve-souris et celui de l’herodius – héron qui est traité par le Docteur universel comme une sorte d’aigle –, du point de vue de la manière dont tous deux pâtissent la lumière du soleil. Le fait qu’elle pâtit la lumière témoigne que la chauve-souris la reçoit et qu’elle voit dans une certaine mesure. Dans ce cas, ni la chouette ni le corbeau de nuit ne sont cités. La capacité visuelle de la chauve-souris semble donc avoir pour fonction d’être l’antithèse de celle de l’aigle ou de l’herodius, en tant que ces derniers regardent « la lumière dans la roue du soleil ». Le choix d’opposer l’aigle à la chauve-souris n’est pas arbitraire. Il repose sur des fondements physiologiques. Albert de Cologne décrit, en effet, précisément le système anatomique permettant la focalisation visuelle et la plus ou moins grande unification, ou concentration, du . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « In passione autem fit huiusmodi comparatio sicut in oculis herodii et vespertilionis : qui discrepant in passione luminis solaris. ». « Or c’est par rapport au fait de pâtir qu’est faite une comparaison de cette sorte, comme dans les yeux de l’herodius et de la chauve-souris qui diffèrent dans le fait de pâtir la lumière (luminis) du soleil. » Michel Angel avoue son ignorance quant à la nature exacte de l’herodius, cf. ALBERTUS MAGNUS [ALBERT LE GRAND], Le monde minéral, chap. , commentaire, trad. Michel Angel, Le Cerf, Paris, , p. : « Le terme erodialis ainsi que l’allusion au genus erodiorum qui sunt heroes avium nous semblent difficiles à interpréter. Herodio signifie normalement « héron », tandis que heros désigne un héros, personnage mythique ou demi-dieu. Y a-t-il là une confusion entre ces termes, un jeu de mots peut-être ? Ou une variété d’aigle, l’aigle royal par exemple, a-t-elle été désignée à une certaine époque par l’expression erodius ? Nous avouons notre ignorance à ce sujet. » Conrad Gesner, pour sa part, propose une longue description de l’aquila germana désigné sous le nom d’herodius par Maître Albert, cf. GESNER, C., Historiae Animalium Liber III qui est de Auium natura, Froschover, Zurich, , p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - : « Omnis enim aquila viget acumine visus, maxime vero illa quae nobilis aquila vocatur, et haec herodius Latine, quasi heros avium vocatur. » « Tout aigle a, en effet, une vigoureuse pénétration visuelle, mais au plus haut point celui qui est appelé aigle noble et, en latin, herodius, comme s’il était appelé le héros des oiseaux. » . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Herodius autem, de quo dicitur, quod respicit lucem in rota solis, non potest hoc habere ex sui oculi puritate, ut quidam aestimant, quia ex hac sola causaretur velox oculi corruptio, sicut patet ex ratione inducta, sed habet hoc ex visus coadunatione. » « L’herodius dont il est dit qu’il regarde la lumière (lucem) dans la roue du soleil, ne peut posséder cela à partir de la pureté de son œil, comme certains estiment, parce que par elle seule serait causée la rapide corruption de l’œil, comme cela apparaît avec évidence à partir de la raison introduite, mais il possède cela à partir de la focalisation de la vue. »
CHAPITRE I
rayon qui provient du cerveau et qui est acheminé par le nerf optique vers l’œil lui permettant ainsi de voir plus ou moins bien. Il n’y a que deux focalisant la vision : l’un par soi, l’autre par accident. par soi est, certes, le noir qui l’empêche de se désagréger. C’est pourquoi aussi le noir terrestre est placé autour de l’humeur glaciale, il l’unifie et le froid de cette humeur naturelle est également constringent et empêche de se dissoudre. Et ces deux sont plus grands dans les yeux de cet oiseau. C’est la raison pour laquelle aussi il voit la lumière (lucem) dans la roue du soleil. Je ne pense pas, cependant, qu’il puisse faire cela longtemps. Un signe en est que, dans tout ce qui possède la vue, la nature plonge les yeux presque fermés dans un vase et entoure du noir des paupières et des sourcils, de telle sorte qu’en vertu de l’obscurité du trou et de celle de la noirceur des sourcils, la vue est focalisée et fortifiée. La capacité que possède l’herodius de mieux focaliser sa vision que les autres animaux provient, selon le Doctor expertus, de deux facteurs qui sont davantage présents dans cet oiseau que dans les autres : le noir plus intense de sa pupille, d’une part, et l’humeur glaciale, d’autre part, qui contraignent la focalisation, unifient la vision et l’empêchent de se désagréger. Il est remarquable qu’Albert le Grand énonce en première personne, dans ce texte, un doute quant à la capacité de cet aigle à fixer le soleil dans sa roue longtemps. Il confirme et fonde ainsi la suggestion qu’il a faite en ce sens dans son commentaire de la Métaphysique. Il appuie ce doute sur une observation qu’il étend universellement à tous les étants naturels : leurs yeux sont placés au fond d’une orbite dont la fonction lui paraît d’être un dispositif naturel de soutien à la focalisation de la vision. La capacité visuelle de l’aigle est, par conséquent, comme celle de tous les étants naturels, limitée. Elle ne lui permet pas de soutenir la vue du soleil en sa roue de manière durable. . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Coadunantia autem visum non sunt nisi duo, unum per se, aliud per accidens. Per se quidem nigrum, quod non sinit ipsum disgregari. Et ideo terrestre nigrum circumpositum umori glaciali, adunat ipsum, frigiditas etiam ipsius umoris naturalis constringit et non sinit dissolvi. Et haec duo in oculis avis illius maiora sunt, et ideo lucem in rota solis intuetur ; non tamen puto, quod diu hoc possit facere. Signum autem huius est, quod natura oculos in omnibus habentibus visum profundat quasi clausos in vase et circumponit nigredinem palpebrarum et superciliorum, ut ex obscuro foveae et nigredinis superciliorum visus coadunetur et fortificetur. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
En ce qui concerne la chauve-souris, le Doctor magnus déclare très explicitement, dans ses Quaestiones de animalibus, qu’elle est capable de voir en fondant sur des raisons physiologiques la faiblesse de sa vision et sa meilleure adaptation à la nuit. Précisément en adoptant également ce point de vue physiologique, Albert le Grand affirme que la lumière est nocive à certains animaux, comme c’est le cas de la chauve-souris. Il précise que cette dernière voit mais que sa vue est faible et que le jour désagrège sa vision, tandis que la nuit l’assemble, autrement dit qu’elle l’unifit et la focalise. L’opposition de la chauve-souris et de l’aigle du point de vue de leur capacité visuelle se fonde donc sur des raisons physiologiques. Au-delà de celles-ci, néanmoins, le Docteur universel se sert du couple formé par l’aigle et par la chauve-souris comme exemple paradigmatique de termes opposés dont il décrit les propriétés dans son commentaire du cinquième livre de la Métaphysique ( a -). La chauve-souris y est mise en relation avec l’aigle du point de vue de leur capacité visuelle respective. Mais le Doctor magnus les cite comme un exemple de contraires qui « “ne peuvent pas inhérer dans un même” substrat en raison du nombre “de différences selon le genre prochain” » et qui sont plus proprement appelés contraires, parce qu’ils sont « “sous la même puissance” du genre “diffèrent au plus haut point” selon les différences les plus éloignées », selon la paraphrase qu’Albert le Grand donne du Stagirite. Donc il est impossible que l’herodius et la chauve-souris, qui appartiennent au même genre prochain des animaux volants, soient confondus . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « […] lux quibusdam animalibus magis nociva est quam conferens, ut vespertilioni propter debilem visum, quem disgregat et nox congregat […]. » « […] la lumière (lux) est plus nocive à certains animaux qu’elle n’apporte , comme à la chauve-souris en raison de sa faible vue que désagrège et que la nuit congrège […]. » . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( a -), transl. anonyma sive ‘media’, Arist. Lat. XXV/, p. , l. - : « Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem, differentium secundum genus, et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate, et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem. » et in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] “quae” de numero “differentium secundum genus” proximum “non possunt simul eidem” subiecto “inesse”. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] “quae sub eadem” generis “potestate” “plurimum differunt” secundum remotissimas differentias. »
CHAPITRE I
ou inhèrent dans un même substrat en raison de leurs propriétés respectives qui sont les plus éloignées l’une de l’autre. Ainsi l’herodius et la chauve-souris illustrent-ils les contraires qui s’opposent du point de vue de leur passivité, ou capacité réceptive. La vue introduit, en effet, dans la chauve-souris, le fait de pâtir, tandis qu’elle provoque, dans l’herodius, la délectation, signe de l’accomplissement de l’acte de voir. Ce qui importe, dans ce texte, du point de vue de la structure de la figure de la chauve-souris, est qu’elle soit convoquée par le Docteur universel comme exemple paradigmatique des contraires. Les propriétés inhérentes à cette relation de contrariété sont développées dans le commentaire albertien Des catégories. Celui-ci permet d’établir que la fonction corrélative de l’aigle et de la chauve-souris, comme deux termes logiquement opposés, caractérise ce couple paradigmatique au-delà même de la capacité de chacun de ses membres à recevoir la lumière. Dans ce texte, ce n’est pas, en effet, seulement du point de vue de leur capacité visuelle respective que l’aigle et la chauve-souris sont à la fois unis, en tant que termes corrélatifs, et opposés. Albert de Cologne les désigne ici, de manière plus générale, comme critères distinctifs qui divisent l’espèce « animal ailé » tout entière. Dans ce traité de logique, le maître de Cologne vise les caractéristiques des termes corrélatifs dont l’aigle et la chauve-souris constituent un exemple privilégié à ses yeux. En particulier, Maître Albert commente ici la notion aristotélicienne de simultanéité en tant qu’elle concerne les prédicaments. Les propriétés des termes opposés que le Docteur universel énonce ici au niveau de la division du genre valent également, pour l’aigle et la chauve-souris, au niveau de la division de l’espèce.
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Alia autem dicuntur contraria, quia contrariorum sunt “passiva”, sicut potentiae, quibus “talia” inferunt passionem, sicut visus visui contrarius, sicut visus herodii ad visum vespertilionis, eo quod lumen uni infert passionem, alii autem delectationem. » . ARISTOTELES, Categoriae, cap. ( b - a ), transl. Boethii, ed. L. Minio-Paluello, Arist. Lat. I.-, Desclée de Brouwer, Bruges et Paris, , p. , l. -p. , l. : « Et ea quae ex eodem genere in contrarium dividuntur simul natura esse dicuntur. In contrarium vero dividi dicuntur secundum eandem divisionem, ut volatile, gressibile et aquatile ; haec enim in contrarium dividuntur, cum ex eodem genere sint ; animal enim dividitur in volatile, gressibile et aquatile, et nullum horum prius est vel posterius, sed simul haec videntur esse natura (dividitur autem et unumquodque eorum in species iterum secundum eandem divisionem, ut gressibile animal et volatile et aquatile). » Cf. transl. Guillelmi de Moerbeka, p. , l. -.
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Or sont dits d’une autre manière simultanés par nature absolument selon ce que leur nature est substantiellement ceux qui se divisent l’un par rapport à l’autre en une seule et même division à partir d’un même genre à partir de ce qui est différent ou de ce qui est opposé, et ce sont ceux qui divisent un même genre par une division immédiate. Ils sont, en effet, dits être divisés à partir de ce qui est différent ou de ce qui est opposé chaque fois qu’ils sont pris selon la même division à partir d’un genre unique, comme également sous le genre animal selon une unique division ce qui peut marcher, ce qui peut voler, ce qui est aquatique, ou ce qui peut nager. Aucun de ceux-là ne sera par rapport à un autre par un autre mais il participe immédiatement « animal » et ils sont, en lui , contemporains. C’est pourquoi aussi ils sont dits être divisés à partir de ce qui est différent, parce qu’ils proviennent d’un même genre immédiatement, en tant qu’égaux. « Animal » est, en effet, également divisé en ce qui est capable de marcher, de voler, ce qui est aquatique, ou ce qui peut nager. Et aucun de ceux-là n’est antérieur ou postérieur par rapport à l’autre dans « animal » mais ils semblent être simultanés par la nature de l’animalité. Sur le plan de la division de l’espèce, l’aigle et la chauve-souris sont, par conséquent, des termes logiquement simultanés par nature dans ce qu’ils divisent, à savoir l’espèce des animaux volants, selon le critère que constituent les ailes. C’est précisément sous ce rapport, celui des ailes, que se définit et se circonscrit, dans ce texte, leur corrélativité, c’est-à-dire leur simultanéité et leur opposition. . ALBERTUS MAGNUS, De praedicamentis, tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. I, Vivès, Parisiis, , p. a : « Dicuntur autem alio modo simul natura simpliciter secundum id quod substantialiter natura ipsorum est, illa quae in una et eadem divisione ex eodem genere ex diverso sive ex opposito dividuntur ad se invicem, et illa sunt quae immediata divisione idem genus dividunt : ex diverso enim sive ex opposito dicuntur dividi, quaecumque sunt sumpta secundum eamdem divisionem ex uno genere, sicut sub animali tanquam genere secundum unam divisionem gressibile, volatile, aquatile sive natatile : horum nullum ad alterum erit per alterum, sed animal participatur immediate, et sunt coaequaeva in illo : et ideo e diverso dividi dicuntur, quia sunt ex eodem genere aequa immediate : animal enim aequaliter dividitur in gressibile, et volatile, et aquatile sive natatile : et nihil horum prius et posterius est altero in animali, sed simul per naturam animalitatis haec esse videntur. » . Sur la notion d’espèce biologique, cf. VALDERAS, J. M., « La noción de especie biológica en el San Alberto », Folia Humanistica (Barcelona) / (), p. -. Sur la méthode de division des genres et des espèces, cf. TKACZ, M. W., « Albert the Great on Logic, Knowledge and Science », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -.
CHAPITRE I
[…] ce qui vole en aigle et chauve-souris dont l’un a des ailes formées de membranes et l’autre des ailes formées de plumes […]. Ils sont aussi égaux dans leur rapport à l’espèce, puisque aucun ne participe l’espèce des animaux volants par l’intermédiaire de l’autre. Leur égalité découle, par conséquent, de leur commune immédiateté par rapport à l’espèce des animaux volants. Enfin, ils sont simultanés également au sens de contemporains : aucun des deux n’est antérieur ou postérieur à l’autre dans leur rapport à leur espèce commune. Donc, à partir des textes que nous venons de lire, il ressort que Maître Albert discerne des différences entre la capacité visuelle des trois animaux volants nocturnes qu’il cite dans son commentaire de la Métaphysique. Il n’est donc vraisemblablement pas fortuit qu’il ne mentionne pas de nouveau la chauve-souris, lorsqu’il décrit l’intellect humain dans la tripartition des intellects. Le corbeau de nuit et la chouette sont, certes, lucifuges. Néanmoins, le Doctor expertus précise, dans la description qu’il en donne dans son traité Des animaux, que ces deux oiseaux nocturnes voient, même si cela est faiblement. La chauve-souris, pour sa part, n’est mentionnée qu’en termes de passion antithétique à celle de l’aigle vis-à-vis de la lumière, c’est-à-dire d’un pâtir extrême ou d’une réception sans délectation. Dans les textes que nous avons lus, le maître de Cologne se garde de dire que la chauve-souris ne voit rien. Il a plutôt recours à elle comme un exemple paradigmatique d’un terme corrélatif qu’il oppose toujours à l’aigle qui, quant à lui, est capable de fixer le rayonnement extrêmement intense du disque solaire. Un signe de la fonction logique d’opposition corrélative exercée par la figure de la chauve-souris vis-à-vis de l’aigle est l’usage qu’en fait le Doctor magnus dans des traités de logique, comme exemple paradigmatique des termes opposés. Ce statut paradigmatique de contrariété, fondé manifestement sur la capacité visuelle des deux animaux, vaut à tel point que leur opposition est étendue à la nature des ailes comme division de l’espèce « animal volant » tout entière.
. ALBERTUS MAGNUS, De praedicamentis, tr. , cap. , Ed. Paris. I, p. a : « […] volatile in aquilam et vespertilionem, quorum unum est habens alas membranales, alterum autem pennatas […]. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Donc les trois animaux volants nocturnes cités dans le commentaire de Métaphysique, α, ( b -) rappellent non seulement les trois états de la traduction de l’original aristotélicien mais ils signifient surtout une hiérarchie dans la capacité visuelle. Les yeux de la chouette et ceux du corbeau de nuit ont une vision faible par rapport à la lumière du jour, tandis que la chauve-souris représente un extrême inférieur dans cette faible réceptivité des rayons du soleil. Cependant, dans ce contexte, Albert le Grand maintient qu’elle peut voir la lumière mêlée de ténèbres. Et le choix de vespertilio, dans le Super Iohannem, plutôt que des autres traductions possibles de la citation aristotélicienne, indique qu’Albertus Magnus y vise à assimiler l’intellect humain à la plus faible capacité de connaître le principe divin. Dans le commentaire albertien de la Métaphysique, la figure des animaux volants nocturnes ne joue pas seulement comme argument relatif aux différentes capacités visuelles. Elle possède également, comme élément structurel, un rapport à la visibilité, ou à l’intelligibilité, de ce qui est visé. III. Les degrés de visibilité et d’intelligibilité Dans cette section, nous visons à montrer que certains éléments structurels que nous avons repérés dans le commentaire de la Métaphysique, notamment ici la tripartition du visible, de l’intelligible et des sciences, sont confirmés en d’autres textes de l’œuvre albertienne, en particulier dans ses traités De intellectu et intelligibili et De causis et processu universitatis a prima causa. Ces œuvres n’appartiennent pas stricto sensu et du point de vue de notre connaissance des textes au corpus aristotélicien, entendu comme l’ensemble des commentaires albertiens des œuvres du Stagirite. Cependant, d’une part, elles ont été reçues comme appartenant à la tradition aristotélicienne et, d’autre part, elles traitent des questions que nous avons rencontrées dans le commentaire albertien de la Métaphysique en recourant à la même architectonique tripartite concernant la lumière ou le visible, l’intelligible, les sciences et l’intellect. La caractéristique commune des tripartitions décrites dans ces textes est la continuité génétique et noétique assurée, entre les différents degrés, par le flux de lumière. Cependant, vraisemblablement en vertu de la tradition complexe de laquelle relève cette œuvre, Albert de Cologne ose formuler,
CHAPITRE I
dans le premier livre du De intellectu et intelligibili, une interprétation radicale de la figure de la chauve-souris qui diverge de la lecture qu’il en donne généralement dans l’ensemble du corpus aristotélicien de son œuvre. D’après elle, l’intellect humain ne peut connaître l’intelligible divin. Cette interprétation radicale montre que, parmi des textes qui recourent à la même architectonique, Albertus Theutonicus ose introduire des écarts entre les tripartitions, ébranler la symétrie de la comparaison, en vue d’accentuer la difficulté. Cela le conduit également à rompre la symétrie du chiasme de l’intellection humaine, puisque l’intelligible physique est déclaré au-dessous de l’intellection humaine et que la science physique ne peut être certaine. Cependant, la suite du traité montre qu’il s’agit là davantage d’une formulation paradoxale du problème de la connaissance humaine, et non d’une modification de l’interprétation de la figure de la chauve-souris entendue, désormais, comme l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe divin. L’ascension continue à travers les degrés de l’intelligible apparaît finalement comme la réponse albertienne à ce problème noétique. A. Du corps dont émane la lumière au verre coloré La pointe de l’argument que représente la figure des animaux volants nocturnes n’est pas qu’ils voient faiblement tout ce qui est visible mais qu’ils ne peuvent soutenir la vue de la source lumineuse, le soleil. Ils partagent cette difficulté avec la majorité des yeux, puisque seuls ceux de l’aigle peuvent fixer le disque solaire quelque temps sans en être blessés. Mais la fonction rhétorique de la figure consiste à accentuer le manque de proportion entre la capacité visuelle la plus faible et la luminosité la plus forte. C’est cet écart maximal entre ce qui voit faiblement et ce qui est au plus haut point visible qu’accentue Albert de Cologne dans son traité De intellectu et intelligibili. Dans le chapitre consacré à la diversité des intelligibles, il convoque la figure de la chauve-souris pour déclarer sa défaite face au scintillement de certaines couleurs. De même, la capacité de connaître propre à l’intellect humain est vaincue par la luminosité des intelligibles les plus manifestes en soi. Or certains vainquent, par leur lumière (luce), notre intellect qui est avec le continu et le temps, de même que sont très manifestes en nature ceux qui se rapportent à notre intellect comme la lumière (lumen) du soleil ou celle d’une cou-
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CHAUVE-SOURIS
leur qui scintille très fortement par rapport aux yeux de la chouette ou de la chauve-souris. Dans ce chapitre du traité De l’intellect et de l’intelligible, Maître Albert reprend à la fois la tripartition des intelligibles, telle qu’il l’a déployée dans son commentaire de la Métaphysique mais aussi celle des sciences qui leur correspondent (théologique, mathématique, physique) ainsi que la tripartition des phases de la visibilité eu égard aux couleurs, plus précisément. Dans ce cadre général, la figure des animaux volants nocturnes – chouette et chauve-souris – a ici pour fonction de formuler la position cognitive de notre intellect par rapport à l’intelligible théologique semblable à un corps diaphane lumineux dont le scintillement est tellement fort qu’il repousse l’intellect humain. Cette figure signifie, . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , ed. A. et Æ. Borgnet, Ed. Parisiensis IX, Vivès, Parisiis, , p. a (collatio S. Donati : Po, f. va) : « Quaedam autem luce sua nostrum intellectum qui cum continuo et tempore est, vincentia sunt, sicut sunt manifestissima in natura quae se habent ad nostrum intellectum, sicut lumen solis vel fortissime scintillantis coloris ad oculos noctuae vel vespertilionis. » Po : Pommersfelden, Gräflich Schörnbornsche Bibl., B , f. vb-va. Que Silvia Donati soit ici remerciée d’avoir bien voulu me communiquer les résultats de sa collation provisoire du De intellectu et intelligibili en vue de l’édition critique qu’elle prépare pour l’Editio Coloniensis dans le cadre de l’Albertus Magnus-Institut. Dans toutes les citations du De intellectu et intelligibili qui seront faites au cours de cette enquête, le texte de base sera, par conséquent, celui de l’Editio Parisiensis corrigé par les manuscrits qui ont paru à Silvia Donati les plus pertinents. Ils seront mentionnés entre parenthèses. . Dans son commentaire du De anima, à propos duquel il évoque la vision de l’herodius qui fixe le soleil dans sa roue, Albert le Grand mentionne que l’un des sens du terme ‘invisible’, ou privé de couleur, est : « ce qui ne se voit pas sans corruption de la vue, de même que la lumière (lux) du soleil dans la sphère du soleil est invisible ». Il appuie cette définition sur une description physique de la réflexion des rayons lumineux et une explication physiologique de leur réception par l’œil : « La cause en est que la lumière (lux) du soleil, très forte sur l’œil sphérique et poli, produit de nombreuses réflexions des rayons au milieu de l’œil où se trouve l’humeur glaciale dans laquelle s’impriment les formes de ce qui est visible, et cette réflexion chauffe et dissout cette humeur et tantôt la consume tantôt fait fortement fluer une humidité étrangère dissoute autour de l’œil sous les miringues* (myringas) et les tuniques de l’œil et, alors, elle engendre une tache dans l’œil ou conduit à un autre empêchement de la vision. Et cela est la cause pour laquelle les yeux pleurent, quand on voit d’extrêmement lumineux. C’est pourquoi aussi cela est dit invisible. » * Terme médiéval désignant les méninges, cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , note . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Aliquando autem dicitur invisibile sive privatum colore, quod non nisi cum corruptione visus videtur, sicut lux solis in sphaera solis est invisibilis. Et huius causa est, quia lux solis fortissima super oculum sphaericum et politum multas facit radiorum reflexiones ad medium oculi, ubi est umor glacialis, in quo sigillantur formae visibilium, et reflexio illa calefacit et dissolvit umorem illum et forte consumit vel forte fluere facit umidum alienum dissolutum circa oculum infra myringas et tunicas oculi et tunc generat maculam in oculo vel aliud impedimentum visus inducit. Et haec est causa, quare lacrimantur oculi, quando excellens lucidum viderit aliquis, et ideo dicitur hoc invisibile. »
CHAPITRE I
par conséquent, la limite de la connaissance possible à l’intellect humain quant à ce qui est au plus haut point intelligible. Par rapport aux éléments dégagés dans le commentaire albertien de la Métaphysique, la particularité de ce texte consiste, en premier lieu, à offrir une confirmation de la structure complexe de la figure des animaux volants nocturnes. Celle-ci ne représente pas seulement le chiasme de l’intellection humaine du divin. Elle replace, d’une part, la capacité visuelle de ces animaux volants nocturnes et, par suite, la capacité cognitive de l’intellect humain, dans le cadre général des différentes phases de la lumière et, par suite, de la visibilité. Elle situe, d’autre part, leur capacité visuelle au sein des différents degrés d’intelligibles auxquels les phases de la lumière sont comparées et des sciences qui leur correspondent. Notre hypothèse est que les hiérarchies de visibles, d’intelligibles et de sciences, déployées explicitement dans le De intellectu et intelligibi et dans la Métaphysique, sont engagées de manière implicite dans les différentes occurrences de la citation empruntée à Aristote. Dans le traité De l’intellect et de l’intelligible, le Doctor magnus prend en considération le rapport des couleurs à la vue qu’il compare à celui des intelligibles à l’intellect humain. Les trois rapports des couleurs à la vue qu’il distingue renvoient aux trois phases de la lumière qu’il a exposées dans le premier chapitre du même traité. La lumière en tant qu’elle est en sa source, la lumière en tant qu’elle émane de sa source et la lumière en tant qu’elle est reçue par le corps illuminé ne sont pas distinctes réellement mais seulement selon la raison. Disons donc que, dans la lumière (luce), il y a trois qui sont lux, lucere et lumen. Et s’ils sont considérés en euxmêmes, ils ne sembleront comporter absolument aucune différence réelle ou bien une peu importante. Si, en revanche, ils sont considérés dans leur rapport à certains autres, alors ils ont, entre eux, une grande différence, parce que lux est la forme de la lumière (luminis) dans un corps qui diffuse la lumière (lucem) ; lucere est l’émanation de cette forme dans un autre et lumen est cette forme déjà reçue par ce qu’elle illumine en premier. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. ra-b ; V, f. vb) : « Dicamus igitur quod in luce tria sunt, quae sunt (quae sunt] sunt quae Ed. Paris.) lux, lucere, et lumen : quae si considerentur in se, differentiam nullam realem omnino vel parvam videbuntur habere. Si autem considerentur relata ad
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Les éléments qui composent la lumière sont réellement identiques en elle et ne se distinguent que relativement les uns aux autres. Lux correspond à la lumière en acte dans sa source. C’est une forme pure. Lucere coïncide, pour sa part, avec l’acte par lequel la source diffuse sa lumière vers d’autres. Elle est déjà reçue dans un autre, fût-il l’air transparent, mais elle est considérée du point de vue de l’acte d’émaner et non pas de celui de recevoir. Et lumen est, pour sa part, cette même forme de la lumière mais en tant qu’elle est reçue dans un autre corps qui est ainsi illuminé. Albert le Grand emprunte cette distinction à Avicenne qui l’applique, plus précisément, à la couleur. Lux est « la qualité que la vue appréhende dans le soleil et dans le feu, de telle sorte que la blancheur, la noirceur ou la rougeur ne puissent en être discernées ». Dans la source de lumière, aucune couleur n’est visible ni distinguée. Il s’agit du pur acte de briller en soi-même. Tandis que lux, ou la lumière en sa source, tient d’elle-même l’acte de briller, lumen est son utilitas, c’est-à-dire ce qui la rend profitable à d’autres du fait qu’elle effectue un mouvement de sortie hors de sa source. Lumen est, pour sa part, « ce qui resplendit à partir du soleil et du feu, c’est-à-dire la splendeur qu’on voit tomber sur les corps et mettre à découvert en eux la blancheur, la noirceur, la verdeur ». Seulement avec l’émanation de lumen hors de sa source apparaît la distinction des couleurs. Mais seulement aussi, lorsqu’elle émane, la lumière devient splendeur. Autrement dit, elle devient visible. Avicenne suggère déjà quaedam alia, tunc magnam inter se habent differentiam : quia lux est forma luminis in corpore quod fundit lucem, et lucere est emanare formam illam in aliud, et lumen est jam recepta forma illa ab eo quod primo lucet. » V : Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. , f. rb-va. . AVICENNA LATINUS, Liber de anima seu sextus de naturalibus I-III, lib. , cap. , édition critique de la traduction latine médiévale par S. Van Riet, ouvrage publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique, Peeters et Brill, Louvain et Leiden, , p. , l. -p. , l. : « Loquamur autem prius de lumine, dicentes quod, quia dicitur lumen et dicitur lux et dicitur radius, videtur quantum ad impositionem nominum non esse inter illa maxima distantia ; unde nobis necesse est ut, postquam de eis loquimur, distinguamus ea inter se. Sunt autem hic tres intentiones extendentes se, quarum una est qualitas quam apprehendit visus in sole et igne, ita ut non discernatur esse albedo aut nigredo aut rubor aut aliquis aliorum ; secunda est id quod resplendet ex his, scilicet splendor qui videtur cadere super corpora et detegitur in eis albedo aut nigredo aut viriditas ; tertia est quae apparet super corpora veluti si disgregetur et veluti tegat colorem eorum et quasi sit aliquid emanans ab eis : si autem hoc fuerit in corpore acquirenti hoc ex alio corpore, vocabitur radiositas, si vero fuerit in corpore quod habet hoc ex seipso, vocabitur radius. Nunc autem non sunt nobis necessaria radiositas vel radius, sed duae primae. Sit autem una earum, scilicet ea quae habet illud ex seipsa, lux, et utilitas eius sit lumen. »
CHAPITRE I
implicitement que lux, en tant qu’acte de lumière en sa source, est d’une certaine manière invisible. Lux s’apparente davantage à une qualité qui est supposée, dans le soleil ou dans le feu, pour rendre compte de leur acte de briller sans que l’œil ne puisse fixer la source lumineuse ni soutenir longtemps son regard. Du point de vue du récepteur et non plus de la lumière qui émane, est appelé radius « ce qui apparaît sur les corps comme si cela était séparé et recouvrait leur couleur, comme si quelque chose émanait d’eux ». Avicenne décrit la lumière, en tant qu’elle est reçue dans un corps illuminé, comme une émanation lumineuse secondaire qui se détache de la matière dans laquelle la lumière (lumen) est reçue. Plutôt qu’une absorption de la lumière dans la matière, la réception de la lumière est décrite comme une émanation réfractée. Avicenne distingue ces deux modes d’émanation par deux termes. Radiositas est le nom de « ce qui est dans le corps qui l’acquiert d’un autre corps », tandis que radius désigne « ce qui est dans le corps qui le tient de soi-même ». La terminologie avicennienne permet de comprendre le point de vue adopté par le Doctor magnus dans le passage du De intellectu et intelligibili qui comporte la figure de la chouette et de la chauve-souris. Non seulement il intègre les trois phases de visibilité dans un même rayonnement lumineux. Celles-ci correspondent à des distinctions selon la raison. Mais il le fait, plus spécifiquement que dans son commentaire de la Métaphysique, du point de vue de l’émanation lumineuse primaire et secondaire, c’est-à-dire produite ou reçue, et de la couleur qui devient ainsi visible. La première phase de visibilité, décrite dans ce passage, correspond à ce que le Doctor magnus a nommé, dans le premier chapitre de ce traité, lumen ainsi qu’à la radiositas avicennienne. Il s’agit d’une lumière reçue qui produit sur le corps illuminé le scintillement de la couleur. Le Docteur universel décrit des corps qui sont suffisamment mêlés de transparence pour scintiller et illuminer, ainsi, d’autres corps. Quand ceux-ci sont totalement transparents, comme le verre coloré, ils peuvent laisser passer la lumière à travers eux, de telle sorte qu’ils colorent les corps sur lesquels cette lumière se pose. Albert le Grand n’examine pas en détail les corps opaques illuminés par les corps transparents qui transmettent la lumière qu’ils reçoivent. Il les considère seulement en tant qu’ils reçoivent la lumière à travers un autre. L’unité de cette première phase de visibilité consiste, par conséquent, en ce que ces corps, qu’ils soient
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transparents ou opaques, reçoivent la lumière et que la couleur qui devient visible à travers eux ou sur eux soit une émanation secondaire de la lumière (lumen) qu’ils reçoivent. En raison de l’abondante victoire et du mélange de transparent clair dans les corps délimités (terminati), nous voyons certaines couleurs, dans l’avènement de la lumière (luminis), être rendues scintillantes et répandre la lumière (lumen) en vue de l’illumination des autres. Et parfois, si le corps coloré est presque totalement transparent (perspicuum) et que la lumière (lumen) survient, ces couleurs colorent les autres corps qui sont en vis-à-vis de lui, comme nous voyons dans le verre coloré par lequel la lumière (lumen), en venant, entraîne avec elle la couleur du verre et la dépose sur le corps sur lequel la lumière (lumen) tombe à travers le verre. La deuxième phase de visibilité représente les corps transparents rendus tellement rayonnants que l’œil ne peut soutenir leur vue. Dans la mesure où Albertus Theutonicus emploie, à propos de ces corps, le passif (efficiuntur), il semble plus adéquat de rapprocher cette deuxième phase de visibilité de la phase émanative de la lumière (lucere) dans l’air transparent qui la reçoit, telle qu’elle est décrite dans le premier chapitre du troisième traité au premier livre et telle qu’elle est exposée, dans la nomenclature avicennienne, sous le terme lumen, plutôt que de la catégorie active de lux. Car, contrairement à la catégorie avicennienne de lux, ces corps ne produisent pas la lumière qu’ils diffusent, mais ils la reçoivent. Cependant, par rapport à la classification avicennienne et à la nomenclature albertienne présentée au premier chapitre du De intellectu et intelligibili, apparaît ici manifestement qu’Albert de Cologne entend souligner la grande difficulté de voir la lumière dans cette phase de procession hors des corps transparents rendus lumineux. Cette caractéristique rapproche cette deuxième phase de visibilité de la difficulté d’ap. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. rb ; V, f. ra) : « Propter multam enim victoriam et permixtionem perspicui clari in corporibus terminatis, videmus quosdam colores in luminis adventu effici scintillantes et spargentes lumen ad illuminationem aliorum : et aliquando si fere (fere] vere Ed. Paris.) in toto sit perspicuum corpus coloratum, si lumen superveniat, illi colores colorant alia corpora sibi opposita, sicut videmus in vitro colorato, per quod lumen veniens secum trahit colorem vitri, et ponit eum super corpus cui per vitrum incidit lumen. » . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. ra-b ; V, f. vb).
CHAPITRE I
préhender lux dans la source de lumière, selon la description avicennienne. C’est pourquoi l’unité de cette deuxième phase de visibilité, par rapport aux corps transparents lumineux de la première phase de visibilité, consiste en ce que ces corps constituent, à leur tour, une source de lumière, même si cette source est secondaire. Le Doctor universalis insiste, ici, sur le fait que la lumière que ces corps transparents reçoivent et diffusent, à leur tour, les rend difficiles à discerner par la vue. D’autres, pour leur part, l’emportent tellement dans la pureté du diaphane qu’ils sont rendus si rayonnants qu’ils vainquent l’harmonie de l’œil et ne peuvent être vus sans grande difficulté. La troisième phase de visibilité correspond au corps qui est dépourvu de lumière et qui est lui-même si peu composé de la transparence qui rend possible la vision qu’il est invisible à nos yeux. Ce degré infime de visibilité, invisible à nos yeux, n’entre pas dans la classification des termes déployée dans le premier chapitre du traité , livre du De intellectu et intelligibili et par Avicenne. La leçon retenue par l’Editio Parisiensis (spargentia au lieu de expertia) entraîne un contresens sur ce passage, dans la mesure où elle suppose l’identification des corps qui répandent la lumière avec le terme lux qui désigne la lumière considérée à la fois comme forme et dans une source de lumière. Il s’agit ici, en revanche, du degré infime de visibilité que représentent les corps opaques. D’autres, quant à eux, sont tellement dépourvus de lumière (luminis) et de diaphane qu’ils peuvent à peine être discernés par la vue en raison de la pauvreté de composition à partir de ce qui est transparent (perspicuum), dont l’acte propre est la lumière (lumen). . Sur la conception albertienne du diaphane, cf. VASILIU, A., « Le mot et le verre. Une définition médiévale du diaphane », Journal des savants (), p. - ; VASILIU, A., Du diaphane, image, milieu, lumière dans la pensée antique et médiévale, Vrin, Paris, (Études de philosophie médiévale LXXVI). . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati, Po, f. rb-va) : « Quaedam autem sunt ita vincentia in puritate diaphani, quod adeo radiantia efficiuntur, quod vincunt harmoniam oculi, et videri sine magna difficultate non possunt. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a (collatio S. Donati : Po, f. va ; V, f. ra) : « Quaedam autem sunt expertia (expertia] spargentia Ed. Paris.) tantum luminis et diaphani, quod vix discerni possunt visu propter parvitatem suae compositionis ex perspicuo, cujus proprius actus est lumen. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Replacée dans son contexte général, la tripartition du visible ou, plus précisément, du rapport de la couleur à la vue donne donc une présentation dynamique des trois phases de la lumière annoncées au premier chapitre du traité , livre du De l’intellect et de l’intelligible. Avec les corps tellement transparents qu’ils en deviennent lumineux et difficiles à appréhender par la vue, Maître Albert donne, en effet, un exemple de lux comme « forme de la lumière (luminis) dans un corps qui diffuse la lumière (lucem) », notamment dans l’exposition de la deuxième phase de visibilité. En montrant que ces corps transparents reçoivent la lumière qu’ils transmettent avec éclat, le Doctor expertus intègre, de manière dynamique entre l’émetteur et le récepteur de lumière, l’acte d’émanation de la lumière dans un autre (lucere). En ce qui concerne la lumière considérée dans le corps illuminé qui la reçoit (lumen), le Dominicain rhénan apparente les corps récepteurs de lumière à la fois aux corps transparents colorés et aux corps opaques. En outre, cette exposition dynamique ajoute aux nomenclatures précédentes le degré infime de visibilité dans les corps opaques, dépourvus de lumière. Comme c’est aussi le cas dans le commentaire albertien de la Métaphysique, ces phases du visible sont, ensuite, comparées aux degrés des intelligibles. Le maître de Cologne procède de manière descendante du plus manifeste en soi vers ce qui l’est le moins. Le premier degré d’intelligible, c’est-à-dire le degré le plus haut d’intelligibilité en soi, est caractérisé par son absence de mélange avec la matière et avec la privation que cette dernière implique. Il existe, en outre, une gradation dans l’ensemble de ces formes simples et universelles. À celles qui sont au plus haut point simples et universelles est également reconnue une capacité productrice d’intelligibilité : elles confèrent aux autres la capacité à être intelligées à leur tour. Or il en est de même dans les intelligibles, parce que les formes de ceux-là du fait qu’elles sont simples, universelles et n’ont rien de mêlé à la privation de la matière, sont une sorte d’intellect, . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. ra-b ; V, f. vb). . quidam Ed. Paris.] quiddam M, N ; quiddam ex correctione Po ; quidam V, i.e. München [M], Bayerische Staatsbibliothek, Clm , f. b et Napoli [N] BN VIII C , f. vb ; Pommersfelden [Po], Gräflich Schörnbornsche Bibl., B , f. va ; Città del Vaticano [V], Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. , f. ra.
CHAPITRE I
comme les couleurs claires sont une sorte de lumière (luminis) mais, selon qu’ils sont, selon la nature, davantage antérieurs, à la fois plus universels et plus simples, ainsi ceux qui confèrent aux autres la lumière (lucem) de l’intelligibilité sont-ils plus intelligibles, comme les dignités. L’absence de mélange avec la matière apparente ce degré suprême d’intelligibilité au degré suprême de visibilité, caractérisé par la pureté du diaphane et par la difficulté, pour la capacité visuelle humaine, de percevoir une clarté si intense. Néanmoins, selon la leçon de l’Editio Parisiensis (sunt intellectus quidam sicut colores clari sunt luminis quidem : « elles sont un certain intellect, comme les couleurs claires relèvent, certes, de la lumière »), il conviendrait, à ce degré supérieur d’intelligibilité, de distinguer les formes simples et universelles des intelligibles, puisque leur rapport à l’intellect est comparé au rapport des couleurs claires à la lumière. Quidem oblige, en effet, à construire le génitif luminis comme un génitif d’appartenance : « les couleurs claires relèvent, certes, de la lumière ». Selon cette leçon, le degré supérieur des intelligibles présenterait un écart par rapport au degré suprême du visible dans lequel les couleurs ne sont pas distinguées. Cependant, la leçon des manuscrits de München, de Napoli, de Pommersfelden et de Città del Vaticano (sunt intellectus quiddam sicut colores clari sunt luminis quiddam) incline davantage à comprendre ce rapport comme une identité : les formes simples et universelles des intelligibles sont une sorte d’intellect, comme les couleurs claires sont une sorte de lumière. Selon cette leçon, le degré supérieur des intelligibles est, par cette identité dans . quidem Ed. Paris.] quiddam M, N, V ; quidam corr. in quiddam Po . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. va ; V, f. ra) : « Similiter autem est in intelligibilibus, quoniam formae illorum per hoc quod sunt simplices et universales, et nihil de privatione materiae immixtum habentes, sunt intellectus quidam (quidam] quiddam ex correctione Po ; quidam V) sicut colores clari sunt luminis quiddam (quiddam] quidam corr. in quiddam Po ; quiddam V ; quidem Ed. Paris.) : secundum autem quod sunt magis secundum naturam priora et universaliora et simpliciora, sic (sic] sicut Ed. Paris.) sunt intelligibiliora et lucem intelligibilitatis aliis conferentia, sicut dignitates. » . München [M], BSB, Clm , f. vb-vb. . Napoli [N], BN VIII C , f. ra-va. . Pommersfelden [Po], Gräflich Schörnbornsche Bibl., B , f. vb-va. . Città del Vaticano [V], Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. , f. rb-va.
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laquelle intelligibles et intellect ne sont plus distingués, structurellement conforme au degré suprême de visibilité dans lequel les couleurs se confondent dans la lumière. Le degré médian de l’intelligible est caractérisé par le fait de n’être intelligible que par la médiation d’un autre. L’intellection qui lui correspond dépend, par conséquent, de la confiance mise dans les prémisses. D’autres, pour leur part, ne sont manifestés que dans la lumière (lumine) d’un autre, comme ce à quoi on accorde foi à partir de ce qui est premier et vrai. Ce degré médian d’intelligibilité s’apparente à la phase réceptive de la lumière (lumen), dans la mesure où il s’agit d’insister sur le fait que l’intelligibilité, comme l’illumination, est reçue. Autrement dit, si l’air est rendu translucide en acte et un intelligible intelligé en acte, cela advient en vertu de la lumière qu’ils reçoivent. Cependant, l’intelligibilité du degré médian dans la lumière d’un autre suppose l’activité (lucere) de cet autre illuminant le degré médian. Lumen et lucere constituent des termes corrélativement inséparables, comme l’a montré le déploiement albertien des trois phases de visibilité. Structurellement, les degrés médians de visibilité et d’intelligibilité ont donc en commun d’être reçus dans un autre. Cette réception désigne, du côté de l’actif, l’émanation de la lumière hors de la source lumineuse ou du principe d’intelligibilité et sa réception dans un autre et, du côté du réceptif, le fait que celui-ci tient sa visibilité ou son intelligibilité d’un autre. Il faut remarquer que le caractère dynamique de l’exposition des phases de visibilité pourrait entraîner une confusion dans la comparaison avec les tripartitions suivantes, celle des intelligibles et celle des sciences qui leur correspondent. Le degré médian d’intelligibilité diffère, en effet, manifestement du degré médian de visibilité, en ce que les intelligibles auxquels on accorde foi en vertu de prémisses vraies ne sauraient correspondre à ce qui est si rayonnant qu’il ne saurait être vu sans grande difficulté. Mais il s’agit ici d’une simple question d’ordre dans l’exposition des termes lux, lucere, lumen qui sont entrelacés l’un dans l’autre dans la procession de la lumière jusqu’aux corps opaques, qui en sont . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. va) : « Quaedam autem non manifestantur nisi lumine alieno, sicut ea quae ex primis et veris accipiunt fidem. »
CHAPITRE I
dépourvus. Le deuxième degré d’intelligibilité correspond, par conséquent, davantage aux phases de visibilité qui coïncident avec lucere et lumen. Le troisième et plus bas degré d’intelligible ne peut être parfaitement connu. Sa caractéristique est, par opposition au premier, son mélange avec la matière. D’autres, quant à eux, en raison d’un trop grand mélange avec la privation, ne peuvent être compris par une parfaite intellection (intellectu), comme le mouvement, le temps et la matière première. Le degré inférieur d’intelligibilité corrrespond au degré inférieur de visibilité en ce que, dans celui-ci, Albert de Cologne souligne la difficulté de discerner, par la vue, des corps opaques, dépourvus de lumière et de transparence, et, dans celui-là, est mise en exergue l’impossibilité d’une parfaite intellection, en raison du mélange de certains intelligibles avec la privation que représentent le mouvement, le temps et la matière première. Donc la tripartition des intelligibles adopte pour critère le rapport de ces intelligibles à la lumière de l’intelligibilité dont ils sont de moins en moins traversés à mesure qu’ils sont davantage mêlés à la matière. Elle s’apparente, de ce point de vue, à la tripartition du visible qui considère le rapport des corps à la lumière qui, à partir de sa source et par la médiation des corps transparents, produit, sur eux, le scintillement de la couleur. Notamment, les deux tripartitions ont en commun de distinguer la lumière en sa source, même seconde, d’une part, la lumière qui émane et est reçue dans un autre qui est, par conséquent, illuminé ou connu par cette lumière dont il n’est pas la source, d’autre part, et, enfin, la lumière reçue dans la matière. Albert de Cologne poursuit en offrant une autre perspective sur ces trois genres d’intelligibles. Il les identifie à trois domaines de sciences théorétiques. Le degré le plus haut d’intelligibilité coïncide avec ce qui est théologique. Parce que celui-ci est au plus haut point manifeste, il est peu . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. va) : « Quaedam autem ex nimia permixtione cum privatione, perfecto intellectu comprehendi non possunt, sicut motus, tempus, et materia prima. »
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intelligé, tandis que le degré médian est au plus haut point intelligé. Le troisième degré d’intelligible, ou ce qui est physique, bénéficie, pour sa part, rarement d’une intellection certaine et ferme. La raison en est que la matière fait en quelque sorte écran à l’intelligibilité de la lumière qu’elle reçoit : dans ce qui est physique, « la lumière (lumen) de l’intellect est comme éclipsée par l’interposition de l’obscurité de la matière et de la privation ; et vient sur ce une lumière (lumen) ombrée et obscure ». Il résulte de cette tripartition des sciences que les deux extrêmes ne permettent qu’une faible intellection. Le degré médian, pour sa part, correspond à une parfaite intellection, dans la mesure où elle est adaptée aux capacités cognitives humaines. Du point de vue de l’adéquation des différentes tripartitions déployées dans ce texte (le visible, l’intelligible, les sciences), le mouvement graduel descendant de la lumière qui émane de sa source jusque dans les corps dépourvus de lumière et de diaphane s’applique donc également à la tripartition des sciences. De plus, de même que, dans la deuxième phase de visibilité exposée, les corps tellement transparents qu’ils scintillent et diffusent la lumière qu’ils reçoivent sont difficiles à appréhender par la vue, de même le plus haut degré d’intelligible, à savoir le divin qui correspond à la science théologique, l’emporte sur notre capacité d’intellection. Le Dominicain rhénan énonce la raison de la plus ou moins grande possibilité et certitude de ces diverses sciences. Il l’attribue précisément au double rapport de ces intelligibles à la lumière et à notre intellect. Comme la visibilité repose sur deux relations, celle de la lumière aux couleurs, d’une part, et celle des couleurs à notre capacité visuelle, d’autre part, ainsi aussi l’intelligibilité implique-t-elle à la fois la relation à la lumière, source de l’intelligibilité, et à notre intellect. Autrement dit, il déploie ici le rapport figuralement formulé par la citation de Métaphysique, α, ( b -) entre notre intellect et ce qui est le plus manifeste en soi. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. va) : « Ex his clarum est, quod theologica maxime manifesta parum intelliguntur, et mathematica maxime intelliguntur, et physica certum et firmum raro habent intellectum. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. va ; V, f. rb) : « […] quaedam sunt (sunt] om. Ed. Paris.) in quibus quasi eclipsatur lumen intellectus ab interpositione obscuritatis materiae et privationis, et venit supra ea lumen umbrosum et obscurum. »
CHAPITRE I
Cela arrive, en effet, parce que ce qui est divin, en vertu de sa lumière (luce), vainc notre intellect et repousse, tandis que ce qui est mathématique proportionné à notre intellect et, en soi, est mêlé à l’intellect et à la lumière de l’intellect. Ce qui est physique, quant à lui, en raison de la privation, de la matière et du mouvement, tombe hors de l’intellectualité. C’est pourquoi ce qui est divin est dit au-dessus de l’intellection, ce qui est mathématique dans l’intellection et ce qui est physique sous l’intellection. Le Docteur universel souligne ici l’écart entre les différents degrés d’intelligibles. Aux deux extrémités de la hiérarchie des intelligibles, l’excès d’intelligibilité en vertu de la pureté des uns et le défaut d’intelligibilité lié au caractère mélangé des autres entraînent une même incapacité de l’intellect humain à les saisir directement. Il énonce, en effet, très clairement désormais l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître ce qui est théologique, c’est-à-dire ce qui touche la lumière en sa source. Le divin se situe, pour nous, au-dessus de toute compréhension. Il modifie ainsi les termes de la comparaison entre le visible et l’intelligible, tels qu’il les avait d’abord posés dans ce texte. Le visible qui répandait tellement de lumière qu’il ne pouvait qu’à peine être discerné ne peut plus du tout, en tant qu’intelligible, être connu. Il radicalise ainsi son interprétation de la figure de l’animal volant nocturne quant à l’incapacité de l’intellect humain de connaître immédiatement ce qui est divin. Une deuxième modification apparaît dans le transfert du degré médian du visible au degré médian de l’intelligible. Mais il s’agit là seulement d’une variation dans l’ordre d’exposition. Le visible dont la transparence est tellement pure qu’elle l’emporte sur l’harmonie de l’œil, de telle sorte qu’elle ne peut être aperçue sans grande difficulté, ne correspond pas au deuxième degré d’intelligible, à savoir à l’intelligible le plus approprié à notre connaissance, mais plutôt au degré le plus haut d’intelligibilité, c’est-à-dire au divin. La raison de cette convenance est
. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. va ; V, f. rb) : « Hoc enim contingit ideo, quod divina sua luce nostrum vincunt intellectum et reverberant : mathematica autem intellectui nostro proportionata et in se (et in se] in se et Ed. Paris.) intellectui et lumini intellectus permixta sunt : physica autem propter privationem et materiam et motum, ab intellectualitate cadunt : hinc est, quod divina sunt super intellectum, mathematica in intellectu, et physica sub intellectu esse dicuntur. »
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que ce qui est mathématique existe dans la matière mais est connu en tant que séparé de la matière. Il est, par suite, proportionné à l’intellect humain qui existe en conjonction avec les sens et l’imagination et connaît ce qui est mathématique indépendamment de sa conjonction avec le corps, du moins avec les sens et, par suite, avec le temps. Le mélange d’intellect et de lumière de l’intellect qu’évoque Albert le Grand ici pourrait se référer à la double caractéristique qu’il a formulée au sujet du visible médian : celui-ci reçoit la lumière d’un autre, d’un côté, mais, de l’autre, il est tellement transparent qu’il en est rayonnant, comme une source seconde de lumière. De même, l’intellect humain, en tant qu’intellect seulement, est un intellect qui reçoit l’intelligibilité de ce qu’il connaît, et ne la produit pas. En tant qu’il est séparé de la matière et participe la lumière intellective, il s’unit à l’acte de la lumière, dans son acte d’intellection des intelligibles mathématiques, sans rien leur ajouter qui proviendrait de sa propre conjonction avec les sens. De même, l’intelligible mathématique, parce qu’il existe dans un substrat, est perceptible par l’imagination mais, en tant qu’il est connu indépendamment de ce substrat, participe la lumière de l’intellect et reçoit son intellection de la clarté des premiers principes. La troisième transformation dans la logique des tripartitions concerne ce qui est physique. D’une part, le maître de Cologne radicalise son jugement au sein même de la tripartition des intelligibles. Tandis qu’il soulignait la difficulté d’obtenir une parfaite intellection des exemples qu’il avait donnés pour ce troisième genre d’intelligible, à savoir le mouvement, le temps, la matière première, il les place désormais en deçà et hors de l’intellection. Autrement dit, ce qu’il était difficile de connaître avec une ferme certitude par la science physique devient maintenant impossible à connaître en raison de la privation attachée à leur . La traduction manuscrite consultée atteste différentes leçons qui peuvent être classées selon la typologie suivante : ) et in se intellectui et lumini intellectus Po, V : « ce qui est mathématique proportionné à notre intellect et, en soi, est mêlé à l’intellect et à la lumière de l’intellect. » ) et in se et intellectui et lumini intellectus M, N : « ce qui est mathématique proportionné à notre intellect et, en soi, est mêlé à la fois à l’intellect et à la lumière de l’intellect. » (M : München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm , f. ra-vb, ici f. rb ; N, f. vb) Les leçons () et () sont proches et diffèrent syntaxiquement de l’Editio Parisiensis qui propose, pour sa part : ) in se et intellectui et lumini intellectus Ed. Paris. : « ce qui est mathématique , en soi, proportionné à notre intellect et est mêlé à l’intellect et à la lumière de l’intellect. »
CHAPITRE I
définition. D’autre part, le caractère inconnaissable de ce qui est physique contraste avec le degré du visible auquel il correspond selon la comparaison albertienne. Le degré physique coïncide avec les corps qui « sont tellement dépourvus de lumière (luminis) et de diaphane qu’ils peuvent à peine être discernés par la vue ». Dans les deux tripartitions, il s’agit du degré infime de visibilité et d’intelligibilité. Dans la tripartition du visible, le maître de Cologne insiste sur le scintillement second, c’est-à-dire seulement transmis, de la couleur dans les corps qui reçoivent la lumière jusqu’à l’opacité et l’invisibilité. Dans la tripartition des sciences, il souligne l’obscurcissement de la lumière dans la matière. La privation qui appartient à la définition de la matière projette une ombre sur la lumière de l’intelligibilité et devient un obstacle à la science physique. Il résulte de ce texte que la figure des animaux volants nocturnes ne se limite pas à signifier la corrélativité entre la capacité visuelle la plus forte, celle de l’aigle, et celle des animaux volants lucifuges, qui est la plus faible. Elle suppose une double relation du point de vue de l’acte de voir : celle de la lumière avec le visible et celle du visible avec les différentes facultés visuelles. En outre, cette figure s’accompagne d’une comparaison du rapport de l’intellect humain avec les différentes sortes d’intelligibles. Il est remarquable que, dans ce texte, le Dominicain rhénan n’adopte que le point de vue de l’intellect humain et décrive son rapport aux trois genres d’intelligibles qu’il distingue. Contrairement à son commentaire de la Métaphysique, il ne traite pas ici du rapport de l’intellect divin et de l’intellect séparé avec les intelligibles. Comme le commentaire albertien de la Métaphysique, le traité De intellectu et intelligibili possède la particularité de déployer plusieurs tripartitions : celles de la couleur, de l’intelligible et des sciences. Il en ressort donc, d’une part, que le commentaire de la Métaphysique ne transmet pas une construction isolée dans l’œuvre albertienne, élaborée ad hoc, mais trouve sa place dans une architecture récurrente qui allie, dans les textes du maître de Cologne, les phases de la lumière, celles de
. Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a (collatio S. Donati : Po, f. va ; V, f. ra).
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la visibilité, les différentes sortes d’intelligibles, d’intellects et de sciences. Il s’ensuit, d’autre part, que la comparaison de la connaissance intellectuelle avec le flux lumineux intègre les différentes sciences dans un mouvement continu. Si chacune a trait à un champ spécifique des étants qui correspond, pour sa part, à un certain aspect du rayonnement lumineux, néanmoins, elles sont issues d’un même mouvement de propagation de la lumière. Or, sur ce point, le texte extrait du De intellectu et intelligibili diffère du commentaire albertien de la Métaphysique. Dans ce dernier, la continuité du flux lumineux semble fonder la possibilité, pour l’intellect humain, de remonter jusqu’à la source de la lumière. De plus, la connaissance des intelligibles physiques apparaît comme ce qui est le plus adapté à l’intellect humain. À l’inverse, dans le traité De l’intellect et de l’intelligible, non seulement la connaissance de ce qui est divin et relève de la théologie est située au-dessus de l’intellection humaine mais, en outre, la connaissance de ce qui est physique, siégeant au-dessous d’elle, ne rend pas possible la physique comme science certaine. Albert de Cologne ne mène pas ici explicitement jusqu’à son terme la comparaison entre le visible et l’intelligible. Il faudrait, pour poursuivre la comparaison de manière cohérente, conclure que les deux extrêmes de la visibilité sont, en fait, pour les yeux humains, invisibles, comme le sont les deux extrêmes de l’intelligibilité. Du point de vue de l’usage de la figure des animaux volants nocturnes, il nous faut, par conséquent, en déduire qu’Albert le Grand radicalise sa portée argumentative. Elle ne signifie plus que ces animaux voient faiblement la lumière du soleil mais qu’ils ne la voient pas du tout. Nous verrons que cette radicalisation de la figure des animaux volants nocturnes caractérise l’usage que fait Maître Albert de cette figure dans un autre corpus de textes. Cependant, ce passage du De intellectu et intelligibili présente bien de nombreuses ressemblances, que nous . Cette tripartition n’est pas mentionnée dans le texte que nous venons de lire du De intellectu et intelligibili. . Nous y ajoutons la possibilité d’acquérir l’intellect dit adeptus par l’étude, qui est reprise dans le second livre, cf. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Parisiensis IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. ra) : « Jam autem relinquitur ut de intellectu adepto per studium disseramus, qualiter et ipse est de hominis perfectione : hoc autem congruentius fit si ipsam perspiciamus nominis rationem. Sicut igitur in priori istius scientiae libro diximus, adeptus est qui acquiritur per studium. Adeptus igitur intellectus est, quando per studium aliquis verum et proprium suum adipiscitur intellectum, quasi totius laboris utilitatem et fructum. »
CHAPITRE I
avons mises en lumière, avec le corpus aristotélicien et avec sa problématique. Cette appartenance au corpus aristotélicien se trouve confirmée par la suite du texte que nous allons immédiatement lire. B. La possibilité de passer de l’intelligible physique à l’intelligible théologique Comme l’extrait du premier livre que nous venons de commenter, le second livre du De intellectu et intelligibili met en évidence le lien de l’animal volant nocturne avec la distinction des intelligibiles. Le Doctor magnus y fait de nouveau appel à la figure de la chauve-souris pour répondre au chiasme de l’intellection humaine de ce qui est le plus manifeste en soi par la possibilité d’un passage progressif de l’intelligible physique à l’intelligible théologique. Cette continuité et la connaissance du principe divin qu’elle autorise caractérisent l’emploi de la figure des animaux volants nocturnes dans le corpus aristotélicien des œuvres d’Albert le Grand. Le Doctor expertus fonde cette possibilité, d’une part, sur la nature des intelligibles et sur le processus par lequel l’intellect humain, peu à peu conforté par les lumières des intelligibles de plus en plus séparés de matière qu’il connaît, peut passer de la science physique à la science mathématique jusqu’à l’intellection des réalités divines. Pour qualifier les trois degrés qu’il distingue dans les intelligibles, le Docteur universel adopte le critère de leur rapport à la matière selon (« Or il reste encore à disserter de l’intellect acquis (adeptus) par l’étude, de la manière dont lui aussi appartient à la perfection de l’homme. Or cela devient plus adéquat, si nous percevons la raison même du nom. De même donc que nous avons dit dans le livre précédent de cette science [De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a], adeptus est celui qui est acquis par l’étude. Adeptus est donc l’intellect, quand une intellection vraie et propre est obtenue par l’étude comme utilité et fruit de tout un labeur. ») . Sur le thème des universaux auquel les degrés de l’intelligible sont liés, cf. MCINERNY, R., « Albert on Universals », in F. J. Kovach and R. W. Shahan (eds), Albert the Great : Commemorative Essays, p. - ; WÉBER, É.-H., « Un thème de la philosophie arabe interprété par Albert le Grand » (), p. - ; LIBERA, A. (de), « Théorie des universaux et réalisme logique chez Albert le Grand », RSPT / (), p. - ; LIBERA, A. (de), « Albert le Grand et le platonisme. De la doctrine des idées à la théorie des trois états de l’universel », in E. P. Bos and P. A. Meijer (eds), On Proclus and his Influence in Medieval Philosophy, p. - ; LIBERA, A. (de), La querelle des universaux : de Platon à la fin du Moyen Âge, chap. , p. - ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. - ; TKACZ, M. W., « Albert the Great on Logic, Knowledge and Science », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - ; NOONE, T. B., « Albert and the Triplex Universale », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the
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le double point de vue de l’être et de la raison. La dynamique progressive qui permet de s’élever de l’intelligible physique à l’intelligible métaphysique coïncide avec une séparation d’avec la matière à ce double point de vue. Le contexte est celui de la détermination des intelligibles, de telle sorte qu’ils soient susceptibles de rendre l’intellect possible en acte. Il vient, en effet, d’être établi que « les formes des choses sont rendues en acte par la lumière (lumine) unique de l’agent et , rendues en acte, elles rendent l’intellect possible en acte sans médiation ». Or « plus l’intellect possible est devenu séparable du corps ou de la chair, d’autant plus il perçoit la lumière (lumen) de l’intellect agent diffusée dans la forme de la chose intelligible ». Mais il semble que tous les intelligibles ne soient pas susceptibles de conduire l’intellect possible à l’acte d’une vision également claire. C’est pourquoi Maître Albert introduit, en ce point, une distinction entre les intelligibles. Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . Dans le Liber de natura et origine animae, Albert le Grand distingue trois types d’intelligibles reçus, chacun, par une faculté distincte. L’intelligible qui est avec le temps est reçu par les sens, celui qui est avec le continu l’est par l’imagination, l’intelligible par nature, en revanche, est reçu par l’intellect simple. Il décrit comment l’âme progresse d’une sorte d’intelligible à l’autre, de l’une par l’autre. Cf. ALBERTUS MAGNUS, Liber de natura et origine animae, tr. , cap. , ed. B. Geyer, Ed. Colon. XII, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Et cum sit triplex intelligibile ipsius animae, scilicet cum tempore et cum continuo et id quod secundum sui naturam est intelligibile, primum quidem est acceptum cum sensu et secundum cum imaginatione et tertium est per intellectum simplicem acceptum. Et est ordo in intelligibilibus, quoniam per hoc intelligibile quod est cum tempore, venit anima ad id quod est cum continuo, et per id quod est cum continuo, venit ad id quod est per seipsum intelligibile. » « Et, puisque l’intelligible de cette âme est triple – à savoir, avec le temps, avec le continu et ce qui est intelligible selon sa nature –, le premier est, certes, reçu avec les sens, le deuxième avec l’imagination et le troisième est reçu par l’intellect simple. Et est l’ordre dans les intelligibles, puisque, par cet intelligible qui est avec le temps, l’âme vient vers celui qui est avec le continu et, par celui qui est avec le continu, elle vient à celui qui est intelligible par lui-même. » Sur l’élévation intellective qui permet de passer de ce qui est sujet au temps (objet de la physique) à ce qui n’est lié qu’au lieu (objet de la mathématique), puis à la connaissance des substances séparées et, grâce à leur lumière, à la connaissance de la cause première (théologie et métaphysique), cf. ANZULEWICZ, H., « Zur Entwicklung und Stellung der Intellekttheorie im System des Albertus Magnus » AHDLMA (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] formae rerum uno lumine agentis fiunt in effectu, et factae in effectu, faciunt in effectu possibilem intellectum sine medio. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; W, f. rb) : « […] intellectus possibilis quo fuerit a corpore sive carne separabilior, eo magis percipit lumen intellectus agentis diffusum in forma (forma] formam Ed. Paris.) rei intelligibilis. »
CHAPITRE I
L’intelligible physique est, en effet, « conçu avec la matière selon l’être et la raison ». L’intelligible mathématique est, pour sa part, « conçu avec la matière sensible selon l’être, et non selon la raison, bien que, selon la raison, il soit conçu dans la quantité ». Passer de l’intelligible physique à l’intelligible mathématique suppose, par conséquent, que l’intellect humain délaisse son propre attachement à la matière dans la considération des étants, du moins selon la raison. Pour considérer les étants séparés, ce détachement s’effectue, en revanche, selon la raison ainsi que selon la réalité, dans la mesure où l’intelligible métaphysique est, quant à lui, « séparé de la matière sensible et de la quantité à la fois selon l’être et selon la raison. ». Il apparaît, par conséquent, qu’il est possible d’établir une liaison entre le continu et le temporel, d’un côté, et l’intelligible séparé, de l’autre, à la fois du point de vue de la raison et de celui de la réalité, en prenant appui sur la nature des étants eux-mêmes. Nous avons dit, dans le troisième livre De l’âme, que cet intelligible se présentait sous une triple différence. Il est, en effet, conçu avec la matière selon l’être et selon la raison et conçu avec la matière sensible selon l’être, et non selon la raison, bien que, selon la raison, il soit conçu dans la quantité, et il est séparé de la matière sensible et de la quantité à la fois selon l’être et selon la raison. Et cette division intelligible est prise selon l’être de la lumière (luminis) de l’intelligence agente, qu’elle possède dans les choses auxquelles elle donne l’être et la raison. Si elle est, en effet, prise, comme diffuse dans les principes de l’être et de la substance, elle a seulement une définition qui n’est pas conçue selon cet être avec la quantité et la qualité sensible, puisque l’être de la substance est avant la quantité et la qualité. Si, en revanche, on la prend selon l’être qu’elle a en tant qu’immergée . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] conceptum cum materia secundum esse et rationem […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] conceptum cum materia sensibili secundum esse et non secundum rationem, licet secundum rationem conceptum sit in quantitate […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] separatum a materia sensibili et quantitate et secundum esse et secundum rationem. » . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. -p. , l. .
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CHAUVE-SOURIS
dans les principes du corps selon qu’elle est un corps, elle aura une raison conçue avec les principes de la quantité. Et, si elle est prise comme immergée dans la quantité et le mouvement, elle aura une raison conçue avec la matière sensible. L’introduction de la figure de la chauve-souris possède ici la fonction de formuler l’écart qui sépare les deux termes extrêmes que sont l’intelligible le plus manifeste en lui-même, d’un côté, et, de l’autre, l’intellect obscur qu’est l’intellect humain. La visée de ce texte consiste à établir la possibilité d’un passage continu entre les sciences et, par conséquent, entre les intelligibles qu’elles visent respectivement. Cependant, la particularité du discours albertien, dans cet extrait, est de situer l’intellect humain dans une double relation. D’un côté, en tant qu’il est attaché à un corps, il est plus conjoint aux facultés des sens et de l’imagination qu’il ne l’est à l’intellect agent premier. De l’autre, en tant qu’intellect, il ressemble davantage à ce qui est divin. Et ainsi avons-nous dit que notre intellect est plus conjoint à l’imagination et aux sens qu’à l’intellect agent premier. C’est pourquoi il est obscur et il se rapporte à ce qui relève d’une raison absolument séparée comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lumen) du soleil. C’est pourquoi aussi il est d’abord imprégné de physique et, ensuite, de mathématiques, de telle sorte, qu’ainsi conforté par les lumières (lucibus) de multiples intelligibles, il s’élève vers l’intellection de ce qui est divin. Dans tous ces intelligibles, cependant, du moment qu’il est in effectu, . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a (collatio S. Donati : Po, f. vb ; W, f. rb) : « Istud tamen intelligibile in libro tertio de Anima sub triplici differentia esse diximus. Est enim conceptum cum materia secundum esse et rationem, et conceptum cum materia sensibili secundum esse et non secundum rationem, licet secundum rationem conceptum sit in quantitate, et est separatum a materia sensibili et quantitate et secundum esse et secundum rationem. Et haec divisio intelligibilis est accepta secundum esse luminis intelligentiae agentis, quod habet in rebus quibus dat esse et rationem. Si enim hoc (hoc W] hic Ed. Paris. ; om. Po) accipiatur diffusum in principiis esse et substantiae, tantum diffinitionem habet secundum illud esse non conceptam cum quantitate et qualitate sensibili : quoniam substantiae esse est ante quantitatem et qualitatem. Si autem accipiatur secundum esse quod habet immersum principiis corporis (corporis] corporum Ed. Paris.) secundum quod est corpus, habebit rationem conceptam cum principiis quantitatis. Et si accipiatur ut immersum quantitati et motui, habebit rationem conceptam cum materia sensibili. » . Nous choisissons de laisser le latin in effectu pour respecter la distinction effectuée par Albert le Grand, dans ce texte même, par rapport à l’expression in actu qu’il utilise au sujet de l’intellectus in effectu (cf. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a). Il s’agit également de ne pas surdéterminer l’identification de l’intellectus in effectu
CHAPITRE I
quant à n’importe lequel d’entre eux, il se trouve lui-même, agissant aussi par le mode que nous avons dit plus haut. Or, bien qu’il soit plus proche de la physique et des mathématiques en raison de son lien avec le corps, cependant, il est plus semblable par nature à ce qui est divin. C’est pourquoi aussi il trouve davantage ce qui est sien dans ces intelligibles qui sont divins que dans ceux qui sont mathématiques et physiques. Deux conséquences s’ensuivent pour la figure des animaux volants nocturnes. D’une part, la tripartition des intelligibles, qui constitue le fondement sous-jacent de cette figure, est indissociablement liée à une assertion concernant la nature de l’intellect humain. D’autre part, le chiasme de l’intellection humaine du divin repose sur la tension inhérente à l’intellect humain partagé entre sa nature d’intellect qui l’entraîne vers ce qui est divin et sa condition anthropologique qui le conjoint aux facultés des sens et de l’imagination. Donc les divergences entre les différentes tripartitions du visible, de l’intelligible et des sciences et l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître à la fois l’intelligible théologique et l’intelligible physique, énoncées dans le premier livre du De intellectu et intelligibili, se résolvent dans une interprétation continuiste de l’ascension de l’intellect humain vers l’intelligible suprême. Cette interprétation continuiste est récurrente dans le corpus aristotélicien et dans les textes qui lui sont assimilés, comme le montre le traité De causis et processu universitatis a prima causa.
avec les différents candidats possibles dans l’héritage d’Alexandre d’Aphrodise selon le débat terminologique dont Alain de Libera rend compte in LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. ab. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. vb ; W, f. rb) : « Et sicut diximus, quod intellectus noster plus conjungitur imaginationi et sensui quam intellectui primo agenti, ideo obscurus est, et ad ea quae sunt separatae penitus rationis, habet se sicut oculus vespertilionis ad lumen solis : et ideo prius est imbuendus (imbuendus] in add. Ed. Paris.) physicis, et deinde mathematicis, ut sic confortatus lucibus (lucibus] multis luminibus Ed. Paris.) multorum intelligibilium, consurgat ad intellectum divinorum. In omnibus tamen istis intelligibilibus, cum ille fuerit in effectu quodlibet illorum, invenit seipsum et agentem per modum quem supra diximus. Licet autem ex obligatione corporis sit physicis et mathematicis propinquior, tamen divinis est per naturam similior : et ideo plus sui in his intelligibilibus invenit quae divina sunt, quam in eis quae mathematica sunt et physica. »
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CHAUVE-SOURIS
C. La nécessité, pour l’intellect humain, de connaître par médiation et la possibilité d’ascension par l’étude Dans le De causis et processu universitatis a prima causa, la distinction entre différents types d’intelligibles et le rappel du chiasme de l’intellection humaine du divin représenté par la figure de la chauve-souris donnent au Doctor magnus l’occasion de rappeler la thèse qu’il a formulée dans son commentaire de la Métaphysique, à savoir la possibilité, pour l’intellect humain, de remonter peu à peu vers la connaissance de l’intelligible le plus manifeste en soi grâce à l’étude. Le texte fait apparaître un autre élément structurel de la figure de l’animal volant nocturne : il situe l’intellect humain par rapport à d’autres intellects. La fonction de la figure de la chauve-souris consiste, dans ce passage, à distinguer l’intellect humain d’un intellect par essence susceptible de connaître l’être supérieur. Elle vise, en outre, à poser comme nécessaire la médiation des intellects qui lui sont supérieurs, en recevant « l’influx d’une cause supérieure à nous » : l’intelligence première qui demeure la cause plus influente à travers toutes les médiations flue à travers elles jusqu’à l’intellect humain. Loin que les causes primaires soient ici déclarées inconnaissables pour l’intellect humain, Albert le Grand affirme, comme dans son commentaire de la Métaphysique, α, ( b -), qu’il est possible à l’intellect humain d’acquérir par l’étude la puissance de connaître propre aux intellects supérieurs dont il reçoit l’influx. Voici le contexte dans lequel Maître Albert emploie ici la figure de la chauve-souris en citant Aristote. Le septième chapitre du second livre du De causis et processu universitatis a prima causa traite de l’être des causes primaires universelles : l’être, la vie, l’intelligence, l’âme noble. Ainsi l’être de la première cause, celui de l’intelligence et celui de l’âme noble ressortissent à l’être supérieur qui « n’est pas étendu par la grandeur ni étiré par le mouvement ni contracté par la matière ni incliné à la malice par la privation ». Il s’agit d’intelligibles séparés. Ils s’opposent . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , ed. W. Fauser, Ed. Colon. XVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Esse quidem superius est, quod nec magnitudine distenditur nec motu distrahitur nec materia contrahitur nec privatione ad malitiam inclinatur. »
CHAPITRE I
à l’être médian qui « est étendu par la quantité et, pour cette raison, par le mouvement local étiré de où en où » et à l’être le plus bas – celui de la matière première, du mouvement et du temps – qui « est contracté par la matière, déterminé par la contrariété, continûment étiré par le mouvement vers la forme et par le changement, se rapportant autrement dans le passé, dans le présent et dans le futur ». Nous ne nous arrêtons pas ici à l’explication détaillée de ces expressions pour nous concentrer sur la visée principale du texte. Il nous suffit de montrer que le Dominicain rhénan esquisse, dans ce contexte, les distinctions que nous venons de commenter attentivement. En s’appuyant sur Boèce, Maître Albert décline ces trois types d’êtres du point de vue de leur capacité à être connus. Quant au supérieur, « en raison de l’excellence de son être, il ne peut être connu par une intellection parfaite, comme la cause première, l’intelligence et l’âme noble ». En ce qui concerne l’être le plus bas, « en raison de son imperfection, il fuit l’intellection parfaite et déchoit de l’intellection, à l’instar de la matière première, du mouvement et du temps ». « Les intermédiaires sont intelligés plus parfaitement, pour cette raison qu’ils ne sont déterminés que par la quantité et ne sont distendus que par un mouvement régulier et égal, comme cela apparaît avec évidence dans les mathématiques qui sont reçues par l’intellection par une démonstration très certaine », tandis que « même dans les . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Esse vero inferius est, quod quantitate distensum est et propter hoc motu locali de ubi in ubi distractum. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Infimum autem esse est, quod contractum est per materiam et contrarietate determinatum et motu ad formam et mutatione continue distractum, aliter se habens in praeterito et aliter in praesenti et aliter in futuro. » . BOETHIUS, Contra Eutycen et Nestorium, cap. , ed. C. Moreschini, in De consolatione philosophiae. Opuscula Theologica, ed. C. Moreschini, in aedibus K. G. Saur, Monachii et Lipsiae, (Bibliotheca Teubneriana), p. -, p. , l. -p. , l. : « Deus et materia integro perfecto que intellectu intelligi non possunt sed aliquo tamen modo ceterarum rerum privatione capiuntur. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -p. , l. : « Propter quod dicit Boethius, quod quaedam propter excellentiam sui esse perfecto intellectu intelligi non possunt, sicut causa prima, intelligentia et nobilis anima. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Quaedam autem propter sui imperfectionem intellectum perfectum effugiunt et ab intellectu decidunt, sicut materia prima, motus et tempus. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Media autem perfectius intelliguntur eo quod illa non nisi quantitate
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naturels, sont trouvées beaucoup d’opinions de philosophes variées et diverses ». Quant à l’être qui est supérieur, notre intellect est déficient par rapport à lui pour cette raison que nous n’avons pas un intellect qui est intellect par essence, mais plutôt un intellect qui reçoit l’influx d’une cause supérieure à nous, dont la vertu n’est acquise que par l’étude. C’est pourquoi Aristote dit que « la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste est comme la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil ». Or l’être des premières causes est dit supérieur, parce que, bien qu’il s’éloigne du premier par différents degrés, il ne tombe, cependant, pas ni ne s’abaisse au point de s’éloigner vers les ombres, mais il se tient dans la lumière (lumine) de la cause première, qui illumine tout, sans être jamais mêlée aux ombres de la privation du changement. Comme dans le commentaire de la Métaphysique et dans le second livre du traité De l’intellect et de l’intelligible, la tripartition des intelligibles et la difficulté, pour l’intellect humain, de connaître le plus manifeste en lui-même sont associées, dans le De causis et processu universitatis a prima causa, à l’affirmation de la possibilité de remonter vers l’intelligibile supérieur par l’étude ainsi que par l’accumulation progressive de la lumière provenant de la connaissance des intelligibles physiques puis mathématiques et par la fortification qu’elle entraîne pour l’intellect humain.
determinata sunt et motu regulari et aequali distracta, sicut patet in mathematicis, quae per demonstrationem certissimam accipiuntur ab intellectu. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Cuius signum est, quod etiam in naturalibus multum variae et diversae inveniuntur opiniones philosophorum. » . Le latin albertien rend le datif grec φύσει par un génitif. Nous respectons ce choix dans la traduction plutôt que de traduire « par nature ». . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Ab esse autem, quod superius est, deficit noster intellectus eo quod non habemus intellectum, qui per essentiam intellectus sit, sed potius intellectum, qui ex superiori causa influxus est nobis, cuius virtus non nisi per studium adepta est. Propter quod dicit Aristoteles, quod ‟dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae se habet sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. Esse autem primariarum causarum superius dicitur, quia quamvis differentibus gradibus recedat a primo, tamen non tantum occumbit vel deprimitur, quod recedat ad umbras, sed stat in lumine causae primae totum illustrante nusquam umbris mutationis privationis immixtum. »
CHAPITRE I
La lecture de ces deux extraits du De intellectu et intelligibili et du passage tiré du De causis et processu universitatis a prima causa nous a permis de mettre en lumière un élément structurel de la figure des animaux volants nocturnes : la tripartition des intelligibles. Elle s’y trouve déployée explicitement, tandis qu’elle demeure signifiée parfois implicitement par cette figure, lorsque celle-ci apparaît dans d’autres contextes. La tripartition des intelligibles constitue, à nos yeux, un des fondements de l’architectonique composée des intellects, des intelligibles et des sciences que cette figure signale au lecteur. La figure des animaux volants nocturnes ne renvoie pas seulement à une architecture statique. Elle met celle-ci également en mouvement : un mouvement descendant correspondant à la genèse de l’intelligible et à sa procession, d’une part, et un mouvement ascendant coïncidant avec la connaissance humaine, d’autre part. Cette possibilité d’ascension est assurée par la continuité par laquelle il est possible de passer d’une science à l’autre en se fondant sur la nature même des intelligibles correspondants. Ce trait nous conduit à une troisième caractéristique que possède la figure des animaux volants nocturnes : celle de la distinction et de la continuité des sciences. IV. L’ascension continue à travers la hiérarchie des sciences Cette section vise à détailler le processus cognitif par lequel il est possible, à l’intellect humain, de remonter de manière continue de la science physique à la science du premier principe, ou à la métaphysique entendue comme théologie. L’acte de connaissance qui procède à la fois de la séparation de l’intellect humain par rapport au continu et au temporel, auxquels est mêlé l’intelligible qu’il appréhende d’abord, ainsi que par rapport à ses propres facultés que sont les sens et l’imagination nous conduira à expliciter, ensuite, ce que le Docteur universel entend par le continu et le temporel. L’ascension noétique vers les intelligibles séparés repose également sur un processus cognitif par lequel l’intellect humain est peu à peu renforcé dans sa capacité de connaître par la lumière des intelligibles qu’il connaît. A. Hiérarchie épistémique et séparation d’avec le continu et le temporel La raison pour laquelle le principe de la science, au sens de son commencement, n’est pas, pour l’intellect humain, le principe métaphysique
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le plus manifeste en lui-même, au sens de ce qui est premier et simple, peut être, d’abord, comprise sur un plan pédagogique. La figure de la chauve-souris est employée dans le premier livre de la Métaphysique pour montrer l’opportunité de commencer l’enseignement par ce qui est le plus opportun pour la facilité de l’apprentissage. Cette raison pédagogique repose sur un fondement d’ordre cognitif qui relie les capacités du connaissant et les critères des sciences qui lui sont le mieux adaptées. Dans le septième livre de la Métaphysique, la figure de la chauve-souris est également employée dans le registre épistémique pour qualifier les sciences qui ont leur point de départ dans l’expérience et commencent, d’une manière plus adéquate que la science mathématique notamment, par ce qui est connu de nous, puis procèdent vers ce qui est le plus manifeste par nature. Puisque, pour l’intellect humain, la connaissance commence par les sens et qu’elle . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Et tunc dicitur principium, unde sive a quo primo optime fit unumquodque, sicut quando aliquis debet fieri imbutus disciplinis. Ille enim non fit primo incipiens a principio rei illius quam debet discere, quia sic inceptio doctrinae esset a divinis metaphysicis, ad quae se habet dispositio nostri intellectus sicut oculi vespertilionis ad lumen solis ; unde a tali rei principio in docendo non est incohandum, sed a primo, unde ille qui docendus est, opportunius discat. » « Et, alors, est dit principe d’où ou à partir de quoi en premier et de la meilleure manière advient chaque chose, comme quand quelqu’un doit devenir imprégné de disciplines. Celui-là ne commence pas, en effet, d’abord à partir du principe de cette réalité qu’il doit apprendre, parce que le commencement de l’enseignement serait à partir des divines métaphysiques par rapport auxquelles la disposition de notre intellect se tient comme les yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. De ce fait, il ne faut pas débuter, en enseignant à partir du principe d’une telle , mais par le premier d’où celui qui doit être enseigné apprendrait de manière plus opportune. » . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -). . Sur l’induction chez Albert le Grand, cf. MANSION, A., « L’induction chez Albert le Grand, Revue néo-scolastique de philosophie (), p. - ; p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , tr. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Omnes autem aliae scientiae ab experimento sumentes initium convenientius a nobis notis incohantur et sic procedunt ad ea quae manifesta sunt in natura, ad quae “dispositio nostri intellectus est sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. » . Notre connaissance prend sa source dans les sens, cf., par exemple, ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « […] videt omnem nostram scientiam oriri de sensu […]. » ; ALBERTUS MAGNUS, Super Dionysium De divinis nominibus, cap. , ed. P. Simon, Ed. Colon. XXXVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « […] cum omnis nostra cognitio oriatur a sensu […]. ». L’intellect humain connaît à partir des sens et de l’imagination : cf. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Sed intellectus hominis continuus est cum continuo et tempore per imaginationem et sensum […]. ». Selon le modèle que constituent « toutes les autres sciences qui prennent leur point de départ dans l’expérience », elles « commencent de manière plus conforme par ce qui
CHAPITRE I
procède par l’intermédiaire des sens et de l’imagination, alors la fonction de l’architectonique des sciences consiste à permettre à un tel intellect d’aller, de manière continue, de ce qui lui est le plus proportionné vers est connu de nous et procèdent ainsi vers ce qui, en nature, est manifeste » : ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Omnes autem aliae scientiae ab experimento sumentes initium convenientius a nobis notis incohantur et sic procedunt ad ea quae manifesta sunt in natura, ad quae ‟dispositio nostri intellectus est sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. » . L’emploi de la figure de l’animal volant nocturne n’est pas circonscrit par le Docteur universel à la hiérarchie des sciences physique, mathématique, métaphysique. Dans le cadre de son commentaire de l’Éthique à Nicomaque, Albert de Cologne l’emploie également pour établir que, pour parvenir à la connaissance de ce qui est le plus haut, l’intellect humain doit, d’abord, passer par tous les degrés des modes cognitifs précédents. Mais, dans ce cas, il s’agit, d’abord, de l’art, qui consiste davantage dans l’usage par lequel une opération est effectuée avec rectitude que dans la raison. Puis, il est question de la prudence, qui est plus proche de la raison, et, enfin, de la science qui procède par syllogismes. Ces modes de connaissance médiats se distinguent de l’utime degré de connaissance, à savoir l’intellection immédiate du principe. ALBERTUS MAGNUS, Ethicorum libri X, lib. , tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. VII, Vivès, Parisiis, , p. ab : « Sapientia autem cum sit ex altissimis ad quae intellectus noster se habet sicut oculus vespertilionis ad solem, non potest innasci in nobis nisi scientia et prudentia prius innatis : et ideo sapientia quarto loco accedit. Intellectus autem extra hoc ultimo ponitur, non propter hoc quod ultimo fiat in nobis, sed quia acceptio est sine medio, quod aliud genus acceptionis est et veritatis quam sit in quatuor quae dicta sunt. » « Or, parce que la sagesse est à partir de ce qui est le plus haut à quoi notre intellect se rapporte comme l’œil de la chauve-souris au soleil, elle ne peut naître en nous que si la science et la prudence sont auparavant nées. C’est pourquoi aussi la sagesse arrive en quatrième lieu. L’intellection, pour sa part, est posée en dernier en dehors de cela, non pas parce qu’elle advient en dernier en nous, mais parce que sa réception est sans médiation, ce qui est un autre genre de réception et de vérité que celui qui se trouve dans les quatre qui ont été dits. » ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica commentum et quaestiones, lib. , lect. , n. (), ed. W. Kübel, Ed. Colon. XIV/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, ; , p. , l. - : « Ad sextum dicendum, quod non differunt tantum materialiter, sed etiam formaliter, quia scientia procedit per medium necessarium, quod est permixtum continuo et tempori ; sed sapientia per medium necessarium absolutum ab his, cum sit per causas altissimas, ad quarum cognitionem[,] se habet intellectus noster sicut oculus vespertilionis ad lucem solis, ut dicit Philosophus. » « Quant au sixième , il faut dire qu’elles ne diffèrent pas seulement matériellement, mais aussi formellement, parce que la science procède par une médiation nécessaire qui est mêlée au continu et au temps ; mais la sagesse par une médiation nécessaire, déliée d’eux, puisqu’elle est par les causes les plus hautes à la connaissance desquelles notre intellect se rapporte comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lucem) du soleil, comme dit le Philosophe. » (avec une légère modification de ponctuation). . Cf. infra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Lumen ergo intelligibilium istius sapientiae colligit in omnibus aliis entibus particularibus, quae nostro intellectui, qui continuo et tempori coniungitur, naturalius proportionantur. Paulatim igitur magis ac magis accipit luminis ex resolutione intelligibilium physicorum et mathematicorum ad divina ; et ideo quoad nos etiam incohat haec scientia a physicis et mathematicis et terminatur ad speculationes divinorum. Propter quod ultimo docetur, et philosophi ab aliis scientiis manuducti in ista terminabant totam vitam. Modo autem postquam inducti et eruditi sumus ex aliis, per contrarium modum incohabimus, sumentes exordium doctrinae ab altissimo genere causarum et principiorum. »
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ce qui l’est, d’abord, le moins pour lui. Les sciences physiques, puis mathématiques exercent, par conséquent, un rôle de préparation et d’éducation de l’intellect en vue de la connaissance des réalités divines. Donc la figure de l’animal volant nocturne permet de mettre au jour une dynamique interne aux sciences elles-mêmes qui sont structurées, de telle sorte qu’une progression soit rendue possible à l’intellect humain depuis l’expérience sensible jusqu’à la connaissance des intelligibles séparés. Cet ordre épistémique implique, pour le connaissant, un certain mode d’activité cognitive. B. La confortation de l’intellect humain par la lumière des intelligibles L’acte opéré par l’intellect humain dans cette remontée par degrés est décrit dans le De natura animae. La figure de la chauve-souris y est employée pour souligner la possibilité, pour l’intellect humain, de se hisser peu à peu jusqu’à la connaissance des intelligibles séparés du temps et du continu, bien que l’intellect humain se rapporte à ce qui est intelligible par soi comme les yeux de la chauve-souris à la lumière du soleil. C’est pourquoi aussi, bien que, par lui-même, notre intellect se rapporte à ce qui est intelligible par soi comme les yeux de la chauve-souris à la lumière (lumen) du soleil, cependant, avec ces lumières (luminibus), il est rendu d’une lumière (luminis) plus forte, de telle sorte que sa faculté est déjà proportionnée à ce qui est par soi intelligibile et, de même qu’il vient de l’intellection avec le temps à l’intellection avec le continu et de l’intellection avec le continu à l’intellection de l’intelligible par soi, qui est, cependant, selon l’être, dans le temporel et le continu, ainsi, il vient de l’intellection de cela à l’intellection de l’intelligence et, conforté par la lumière (lumine) de l’intelligence, il vient à l’intellection de la première cause et se tienne là, parce qu’elle est l’intellection ultime, qui est la lumière (lumen) de toutes les intellections. . Sur la division des sciences, cf. TKACZ, M. W., « Albert the Great on Logic, Knowledge and Science », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. : « Et ideo licet per seipsum intellectus noster se habeat ad ea quae per se intelligibilia sunt sicut oculi vespertilionis ad lumen solis, tamen cum his luminibus efficitur fortioris luminis, ita quod iam proportionatur facultas eius his quae per se sunt intelligibilia, et sicut venit ab intellectu cum tempore ad intellectum cum continuo et ab intellectu cum continuo ad intellectum intelligibilis
CHAPITRE I
Ce passage du De natura et origine animae a la particularité de distinguer très précisément toutes les étapes noétiques. L’intellect humain passe de la connaissance de l’intelligible mêlé au temps à l’intelligible mêlé au continu, vers l’intelligible en soi, puis de celui-ci vers l’intelligence ellemême pour parvenir, enfin, à la cause première. Le passage au degré noétique supérieur est rendu possible par la confortation progressive de l’intellect humain par la lumière des intelligibles qu’il connaît à chaque étape. Cette confortation rend l’intellect humain proportionné à accueillir un intelligible davantage séparé. Ce qui est avec le continu et avec le temps possède, en effet, la lumière (lumen) du côté par lequel il est intelligible et cette lumière (lumen) illumine l’intellect et, sous cette lumière (lumine) de ce double intelligible, l’intellect est rendu d’une capacité plus ample qu’il ne fut auparavant et il est disposé vers le plus haut par la double lumière (lumen) de l’intelligible physique qui est reçu avec le temps. Et, quand l’intellect qui se fut réfléchi sur les sens se retourne vers luimême, il retient la lumière (lumen) de l’intelligible, pour cette raison que celle-ci était propre à lui, et non aux sens, bien qu’elle ait été reçue avec les sens selon un mode et par les sens selon un autre mode. Or qu’elle soit propre à l’intellect, et non aux sens, apparaît avec évidence par ceci que l’intelligible luimême est incorruptible, puisque la raison du blanc et la raison du chaud, qui sont reçues par les sens, sont perpétuelles et inchangeables. La confortation de l’intellect humain provient de la lumière de la raison intelligible qu’il reçoit en appréhendant des étants physiques à partir des sens. Connaître signifie, pour lui, non seulement être renforcé dans sa capacité à accueillir des intelligibles davantage séparés de matière et, par per se, quod tamen secundum esse est in temporali et continuo, ita venit ab intellectu istius ad intellectum intelligentiae et confortatus a lumine intelligentiae venit ad intellectum primae causae et stat ibi, quia ipsa est ultimum intellectum, quod est lumen omnium intellectorum. » . ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Id enim quod est cum continuo et tempore, lumen habet ex parte, qua est intelligibile, et illud lumen illuminat intellectum, et sub ipso lumine duplicis illius intelligibilis efficitur intellectus amplioris capacitatis, quam ante fuit, et disponitur ad altius per duplex lumen physici intelligibilis, quod est cum tempore acceptum. Et quando intellectus, qui reflexus fuit ad sensum, revertitur ad seipsum, retinet lumen intelligibilis, eo quod hoc sibi et non sensui erat proprium, licet cum sensu secundum unum modum et a sensu secundum alium modum sit acceptum. Quod autem intellectui et non sensui sit proprium, patet per hoc quod intelligibile ipsum incorruptibile est, quoniam ratio albi et ratio calidi, quod a sensu accipitur, perpetua est et incommutabilis. »
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suite, plus lumineux. Mais connaître implique aussi, pour l’intellect humain, de retenir en lui la lumière intelligible qui provient, certes, de l’intelligible mêlé au temps, mais qui est principalement propre à l’intellect en lui-même. L’intellect humain n’est, par conséquent, pas renforcé dans sa capacité cognitive par une force étrangère à lui. Il reconnaît, dans l’intelligible physique, la raison immuable dont il est lui aussi, par nature, capable et qui trouve son origine dans l’intellect agent. Son acte de connaissance consiste, d’une part, dans une réflexion sur les sens, afin de dégager de l’étant physique appréhendé la lumière intelligible, et, d’autre part, dans une conversion sur lui-même par laquelle il retient la lumière intelligible de l’étant physique, qui lui est connaturelle. Le premier degré noétique concerne donc les étants physiques qui existent avec le temps et sont appréhendés par les sens. Le deuxième degré noétique est celui de la connaissance des intelligibles qui existent avec le continu et sont appréhendés par l’imagination. Cependant, leur raison, comme celle des étants physiques, n’est . ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Incommutabilitas autem, quae aeternitas vocatur, in talibus est a lumine intellectus agentis, per quod moventur in intellectum possibilem […]. » . ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Omni autem eodem modo dicimus de his quae intelliguntur cum continuo ex intellectu reflexo ad imaginationem. Haec enim non imaginationis sunt propria, sed intellectus, et ipsorum aeternitas est ab intellectu, sicut quod diameter est asymmeter, et senarius numerus est perfectus, et alia quaecumque sunt talia. Haec igitur lumina retinet intellectus ad se reversus et ex his luminibus illuminatur et sic illuminatus efficitur amplioris facultatis in intelligendo, quam sit per seipsum. » . Sur les définitions albertiennes de l’imagination, leurs sources et le rapport des différentes facultés de l’âme entre elles (phantasia, imagination, estimative, cogitative), cf. BLACK, D. L., « Imagination and Estimation. Arabic Paradigms and Western Transformations », Topoi / (), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Konzeptionen und Perspektiven der Sinneswahrnehmung im System Alberts des Grossen », Micrologus () : I cinque sensi / The Five Senses, p. - ; BOTTIN, F., Filosofia medievale della mente, Il Poligrafo, Padova, (Subsidia medievalia Patavina ), II. Sensazione e intenzionalità, . « dall’intentio imaginata della psicologia araba alla conoscenza intenzionale », p. - ; BRENET, J.-B., Transferts du sujet, La noétique d’Averroès selon Jean de Jandun, Vrin, Paris, , p. - ; DI MARTINO, C., Ratio particularis. Doctrine des sens internes d’Avicenne à Thomas d’Aquin, Vrin, Paris, (Études de philosophie médiévale), spéc. p. ; TELLKAMP, J. A., « Natur- und Erkenntnisphilosophische Grundlagen der passiones animae bei Albert dem Großen », in Ch. Schäfer und M. Thurner (Hrsg.), Passiones animae. Die « Leidenschaften der Seele » in der mittelalterlichen Theologie und Philosophie, Akademie Verlag, Berlin, (Veröffentlichungen des Grabmann-Institutes zur Erforschung der mittelalterlichen Theologie und Philosophie ), p. - ; ASHLEY, B. M., « Anthropology : Albert the Great on the cogitative Power », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. , spéc. p. - ; ANZULEWICZ, H., « Anthropology : The Concept of Man in Albert the Great », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -.
CHAPITRE I
pas le propre de l’imagination mais celui de l’intellect. Comme dans le cas des intelligibles qui existent avec le temps, l’intellect humain, converti sur lui-même, retient la lumière des intelligibles qui existent avec le continu. Ainsi illuminé par leur lumière, il est rendu plus capable de recevoir la lumière plus lumineuse encore des intelligibles séparés. De manière continue, par degrés, l’intellect humain atteint ainsi, d’après le traité De la nature et de l’origine de l’âme, la connaissance des intelligibles purs, de l’intelligence et de la cause première. Ainsi donc l’esprit véritable et pur progresse vers la félicité contemplative, en suivant et en rassemblant, dans toutes les choses, ce qui appartient à l’intellect pur et en s’exhaussant en cela jusqu’à la plus haute des intellections. Pour cette raison, plus que tous sont heureux les philosophes qui, ayant étudié, d’abord, en physique, sont venus, ensuite, aux mathématiques et, en dernier, en se tournant vers l’étude de ce qui est divin, ont terminé en cela vie. Le traité De la nature et de l’origine de l’âme affirme de nouveau la confiance, exprimée par le Docteur universel dans son commentaire de la Métaphysique, dans la possibilité, pour l’intellect humain de passer par degrés de manière continue de la science physique, par la mathématique, jusqu’à la science de ce qui est divin. Il promet explicitement aux philosophes qui auront suivi le chemin gradué des sciences la félicité de la contemplation : « Celui-ci est donc le statut de l’âme rationnelle après la mort, très heureux dans ces lumières (luminibus) selon la nature ». Cherchons, désormais, à préciser ce que signifie la conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temporel quant aux propriétés de l’intellect considéré dans sa condition anthropologique et à clarifier la place du réseau textuel du continu et du temporel par rapport à celui de l’animal volant nocturne.
. ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Sic igitur proficit in contemplativam felicitatem verus et purus animus sequens et colligens id quod est puri intellectus in omnibus rebus, et exaltans se in illo usque ad supremum intellectorum. Propter quod prae omnibus beati philosophi studentes primo in physicis venerunt postea ad mathematica et ultimo se ad studium divinorum vertentes in eis vitam finiverunt. » . ALBERTUS MAGNUS, De natura et origine animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Hic igitur est status animae rationalis post mortem felicissimus in luminibus istis secundum naturam. »
LA FIGURE DE LA
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C. La conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temporel La conjonction qui caractérise l’intellect humain, considéré selon sa condition anthropologique, présente une double dimension : à la fois psychique – au sens des facultés de l’âme – et ontologique. En rappelant fréquemment que l’intellect humain est conjoint au continu et au temporel dans les textes où apparaît la figure de l’animal volant nocturne, le maître de Cologne se place sur le plan des facultés de l’âme et affirme que l’incapacité de l’intellect humain à connaître directement les étants séparés provient de sa conjonction avec les sens et avec l’imagination. Or la pointe de l’interprétation albertienne au sujet des conditions anthropologiques de l’intellect consiste à conjoindre les facultés de l’âme et les catégories par lesquelles le langage dit l’être. Que l’intellect humain soit conjoint aux sens et à l’imagination suppose, en effet, qu’il soit lié au temps et au continu. . Dans le corpus aristotélicien, comme nous l’avons vu, ainsi que dans les corpora non aristotéliciens, cf., par exemple, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] noster intellectus coniunctus est continuo et tempori et ad manifestissima se habet sicut oculus vespertilionis, qui non comprehendit lumen nisi mixtum tenebris […]. » . Pour une étude de la relation entre les catégories et l’ontologie albertienne, cf. MANZANEDO, M. F., O. P., « Doctrina de San Alberto Magno sobre los seis ùltimos predicamentos », Angelicum (), p. - et, en général, entre la logique et l’ontologie albertiennes, cf. BEUCHOT, M., « La naturaleza de la lógica y su conexión con la ontología en Alberto Magno », Dianoia (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Liber de natura et origine animae, tr. , cap. , ed. B. Geyer, Ed. Colon. XII, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Sed intellectus hominis continuus est cum continuo et tempore per imaginationem et sensum. » . Sur la conception albertienne du temps, cf. ARIOTTI, P., « Celestial Reductionnism of Time. On the Scholastic Conception of Time from Albert the Great and Thomas Aquinas to the End of the Sixteenth Century », Studi internazionali di filosofia 4 (1972), p. 91-120 ; QUINN, J. M., O. S. A., « The Concept of Time in Albert the Great », in F. J. Kovach and R. W. Shahan (eds), Albert the Great : Commemorative Essays, University of Oklahoma Press, Norman, , p. - ; JECK, U. R., Aristoteles contra Augustinum. Zur Frage nach dem Verhältnis von Zeit und Seele bei den antiken Aristoteleskommentatoren, im arabischen Aristotelismus und im . Jahrhundert, Grüner, Amsterdam, (Bochumer Studien zur Philosophie) ; BLASBERG, R., « Duplex tempus. Il duplice concetto di tempo in Alberto Magno », in G. Alliney e L. Cova (ed.), Tempus aevum aeternitas. La concettualisazione del tempo nel pensiero tardomedievale. Atti del Colloquio internazionale, Trieste, - Marzo , Olschki, Firenze, , p. - ; SNYDER, St. C., « Thomas Aquinas and the Reality of Time », Sapientia 55 (2000), p. 371-384 ; STEEL, C., « Dionysius and Albert on Time and Eternity », in T. Boiadjiev, G. Kapriev und A. Speer (Hrsg.), Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter. Internationales Kolloquium in Sofia vom . bis . April unter Schirmherrschaft der Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie Médiévale, Brepols, Turnhout, (Rencontres de Philosophie Médiévale ), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Aeternitas - aevum - tempus. The Concept of Time in the System of Albert the Great », in P. Porro (ed.), The Medieval Concept of Time. Studies
CHAPITRE I
Cette affirmation, fondée sur l’autorité d’Aristote dans le De anima, l. , chap. ( b ), est élevée au rang d’adage par Maître Albert. Elle constitue, par suite, l’un des éléments structurels de la figure de l’animal volant nocturne, même si ses occurrences ne se limitent pas au réseau de l’animal volant nocturne. Nous rencontrons ici le premier carrefour de réseaux textuels de notre étude. Le réseau du continu et du temporel auxquels l’intellect humain est conjoint constitue, par conséquent, un réseau secondaire par rapport à celui de l’animal volant nocturne. on the Scholastic Debate and its Reception in Early Modern Philosophy, Brill, Leiden, Boston and Köln, (Studien und Texte zur Geistgeschichte des Mittelalters ), p. - ; BLASBERG, R., « Qui tempus ab aevo iures. Zur positiven Theologie der Zeit im Frühwerk und in der Summa des Albertus Magnus », in W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder und K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. - ; LINDGREN, U., « Abschied von Aristoteles. Die Zeit als Problem », W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder und K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Aeternitas - aevum - tempus. Der Zeitbegriff im System des Albertus Magnus », Przegląd Tomistyczny (), p. - ; SNYDER, St. C., « Place, Time and the Continuum in Albert’s Physica 4-6 », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. : « […] intellectus hominis cum continuo et tempore cognoscere natus est » ; Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Umbrosus enim et continuo et tempori coniunctus est hominis intellectus. » ; Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] noster intellectus est cum continuo et tempore. » ; Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -, cf. infra chapitre II, p. , note : « Humanus enim intellectus quamvis non habeat materiam, ex qua fit, non tamen caret potentia materiali, inquantum accipit cum continuo et tempore et inquantum intelligit per diversum a se, quia recipere diversum a se non accidit nisi habenti materialem potentiam. Accipere autem cum continuo et tempore accidit ei quod inclinatur ad materiam determinatam forma continuitatis et contrarietatis. » Sur la conception albertienne du continu, cf. SNYDER, St. C., « Place, Time and the Continuum in Albert’s Physica - », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - et plus généralement sur la question de la dimensionalité et de sa divisibilité, cf. l’article et les indications bibliographiques de DONATI, S., « Materie und räumliche Ausdehnung in einigen ungedruckten Physikkommentaren aus der Zeit von etwa - », in J. A. Aersten und A. Speer (Hrsg.), Raum und Raumvorstellungen im Mittelalter, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediavalia ), p. -. . ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( b ), transl. Iacobi Venetici, ed. J. Decorte et J. Brams, Arist. Lat. XII/, Brepols, Turnhout, , online et in ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. : « Iterum autem in his quae in abstractione sunt, quoniam sicut rectum sic simum, cum continuo enim. ». Cf. THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, Commissio Leonina et Vrin, Roma et Paris, , p. b.
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Le Doctor magnus précise la relation entre les plans psychique et ontologique de la manière suivante. Si la conjonction de l’intellect humain avec les sens entraîne, en effet, son lien avec le temps, celle avec l’imagination implique, quant à elle, sa relation au continu. En premier lieu, que désigne le terme ‘temporel’ et en quoi se distingue-t-il du continu qui échoit à l’imagination, du point de vue de ce que les sens nous font percevoir quant à ce qu’ils reçoivent ? Le temps est homogène au continu, dans la mesure où il désigne l’instant qui est continué jusqu’à un autre instant. Cependant, le temps diffère du continu en ce qu’il ne possède pas de parties. Car l’instant indivisible ne possède pas de parties. Le temps pourrait être dit, au sens large, continu, dans la mesure où il est produit, du point de vue subjectif, par une protension de l’âme vers le passé et vers le futur. Il n’est pas, en effet, composé de parties, mais coïncide plutôt avec l’acte même par lequel l’âme, se protendant vers le passé ou vers le futur, tisse une continuité . ALBERTUS MAGNUS, Physica, lib. , tr. , cap. , ed. P. Hossfeld et W. Kübel, Ed. Colon. IV/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Quod autem momentaneum est, hoc est in nunc et hoc non habet principium, quia quod habet principium, est compositum ex nunc et tempore, quod ad nunc continuatur. » « Quant à ce qui est momentané, c’est-à-dire dans le maintenant et le ceci, n’a pas de principe, parce que ce qui a un principe est composé à partir du maintenant et du temps qui est continué jusqu’au maintenant. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. : « […] quod enim vere est, cum sit compositum ex partibus continuis, habet partes existentes, ex quibus est sua continuitas ; sed tempus non habet partes existentes ; ergo tempus non videtur esse. » « […] ce qui est vraiment, parce qu’il est composé de parties continues, a, en effet, des parties qui existent à partir desquelles est sa continuité ; mais le temps n’a pas de parties existantes ; donc le temps ne semble pas être. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Amplius, si tempus continuum est, sicut dicunt affirmantes tempus, tunc oportet, quod distinguantur partes indivisibili nunc, quod est terminus temporis sicut punctus lineae. » « Davantage, si le temps est continu, comme disent ceux qui affirment le temps, alors il faut que les parties du maintenant indivisible soient distinguées, parce qu’il est le terme du temps comme le point de la ligne. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Cum autem momentorum aggregationem sic dicant illi esse tempus, dicunt tamen, quod anima comparat momentum momento secundum successionem motus, et ideo tempus est per modum extensionis continuae ; protenditur enim imaginatio vel alia vis animae in praeteritum ex praesenti vel in futurum, et hanc protensionem vocant isti temporis continuitatem. » « Or, bien que ceux-là disent ainsi que le temps est l’agrégation des moments, ils disent, cependant, que l’âme compare le moment au moment selon la succession du mouvement. C’est pourquoi aussi le temps est par le mode de l’extension continue. L’imagination ou une autre puissance (vis) de l’âme sont, en effet, protendues vers le passé ou vers le futur à partir du présent. Et ceux-ci appellent cette protension la continuité du temps.
CHAPITRE I
entre des instants indivisibles. C’est donc du point de vue subjectif que le temps peut être dit une quantité continue. Le caractère continu du temps provient du mouvement qui est, quant à lui, continu en lui-même, et non en vertu de l’espace dans lequel il a lieu. En second lieu, le terme continuum désigne, pour sa part, selon le Docteur universel, ce qui se divise à l’infini. Un tel infini ne s’entend pas au même sens que l’infini divin. Si Dieu était infini au sens où l’est le continu, il serait très imparfait. Le continu auquel l’imagination est liée qualifie en propre, quant à lui, la quantité et suppose la matière qui le précède logiquement. Ce qui est temporel et ce qui est continu entretiennent entre eux un rapport ordonné fondé sur le rapport des intelligibles entre eux. « Par cet . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Constat autem, quod tempus est vera quantitas continua. » « Or c’est un fait que le temps est une véritable quantité continue. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. . . Sur le lien entre l’âme, qu’elle soit entendue comme une substance composée ou comme une forme simple, et le continu entendu comme le divisible, vide ALBERTUS MAGNUS, Epistula IX, in Super Dionysii mysticam theologiam et epistulas, ed. P. Simon, Ed. Colon. XXXVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « () Praeterea quaeritur, unde veniat divisibile et indivisibile in anima, et maxime si anima sit forma quaedam simplex. » « De plus, il est demandé d’où viennent le divisible et l’indivisible dans l’âme et, au plus haut point, si l’âme est une forme simple. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Epistula IX, in Super Dionysii mysticam theologiam et epistulas, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Antiphon autem rudis fuit valde et quadrare voluit circulum et negavit principium geometricum, quod est continuum dividi in infinitum. » « Antiphon, pour sa part, fut bien un rustre : il voulut le cercle carré et nia le principe géométrique, qui est que le continu est divisé à l’infini. » ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « […] continuum est divisibile in infinitum […]. » « […] le continu est divisible à l’infini […]. » ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « […] tunc enim continuum est, quod dividitur in infinitum […]. » « Alors, le continu est, en effet, ce qui est divisé à l’infini […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Si enim deus diceretur esse infinitus, sicut infinitum dicitur quantum discretum vel continuum, sequeretur deum esse imperfectissimum […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « […] sic enim divisio non diffinitur nisi per continuum, ergo non invenietur umquam extra illud ; non ergo convenit materiae, quae est ante continuum per naturam. » « […] ainsi la division n’est-elle, en effet, définie que par le continu ; donc elle ne sera jamais trouvée en dehors de lui ; elle ne convient donc pas à la matière, qui est, par nature, avant le continu. »
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intelligible qui est avec le temps, l’âme vient à celui qui est avec le continu et, par celui qui est avec le continu, elle vient à celui qui est intelligible par lui-même ». Le réseau textuel du continu et du temporel possède, par conséquent, la double fonction d’énoncer, d’une part, la raison anthropologique du chiasme de l’intellection humaine du divin et, d’autre part, de relier les dimensions psychique et ontologique impliquées par la figure de l’animal volant nocturne. Si l’intellect humain doit « se séparer d’auprès de luimême » pour connaître ce qui est divin, selon les termes du commentaire albertien de la Métaphysique, cela touche non seulement son détachement par rapport aux facultés à partir desquelles il reçoit ce qu’il connaît, mais aussi sa séparation par rapport aux catégories à partir desquelles il appréhende la réalité. Une quatrième caractéristique structurelle de la figure des animaux volants nocturnes touche la nature de l’intellect humain non pas en tant qu’intellect mais précisément pris dans les conditions de l’existence humaine. V. La hiérarchie des intellects L’analogie entre les animaux volants nocturnes et l’intellect humain que propose le Doctor expertus s’autorise de la description que fait Aristote de la chauve-souris. Celle-ci « participe deux genres », celui des oiseaux et celui des animaux terrestres, sans appartenir expressément à aucun.
. ALBERTUS MAGNUS, Lib. de nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Et est ordo in intelligibilibus, quoniam per hoc intelligibile quod est cum tempore, venit anima ad id quod est cum continuo, et per id quod est cum continuo, venit ad id quod est per seipsum intelligibile. » . ARISTOTELES, De partibus animalium, lib. , cap. ( b -), transl. Guillelmi Morbeka, ed. P. Rossi, Arist. Lat. XVII..IV, Brepols, Turnhout, online : « Boves enim marini sicut aquatiles non habent, ut autem campestres habent (posteriores enim pedes pisceos habent valde, adhuc autem dentes omnes karkarodontas et acutos) ; et vespertiliones ut volatilia quidem habent pedes, ut quadrupedia autem non habent, et neque caudam habent neque uropigion, propterea quidem quod volatilia caudam ; quia autem pedestria uropigium. » Cf. etiam in ALBERTUS MAGNUS, In Posteriora Analytica, lib. , tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. II, Vivès, Parisiis, , p. ab ; cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - ; cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unic., cap. . n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. -.
CHAPITRE I
Mammifère, elle est un animal ailé sans être, pour autant, un oiseau. Chéiroptère, ses ailes membraneuses n’ont pas la structure des ailes empennées. Il s’agit d’organes analogues, et non homologues. C’est pourquoi le Stagirite la classe dans la catégorie des dermoptères. Or la double nature de l’intellect humain lui confère également le caractère ambigu de ce qui ne saurait être classé seulement dans les étants dotés de sensibilité et d’imagination ni seulement dans les étants purement intellectifs. Plusieurs occurrences de la figure des animaux volants nocturnes exercent la fonction argumentative de désigner la spécificité de l’intellect humain par rapport à d’autres sortes d’intellects. L’intellect humain est décrit comme matériel, c’est-à-dire réceptif, et conjoint aux sens et à l’imagination qui appréhendent ce qui est temporel et ce qui est continu. Nous nous concentrerons ici sur deux textes. L’un est issu du De fato. L’autre ne ressortit pas au corpus aristotélicien du Doctor universalis. Il est emprunté à sa Summa de creaturis et montre le rôle qu’exerce l’argument aristotélicien que recèle la citation du deuxième livre de la Métaphysique dans un débat d’origine augustinienne. Dans le cinquième article du De fato, par exemple, la figure de la chauve-souris sert à distinguer l’intellect des intelligences séparées et celui . Cf. etiam ARISTOTELES, De historia animalium, lib. , cap. ( b -), transl. Guillelmi de Morbeka, ed. P. Beullens et F. Bossier, Arist. Lat. XVII/.I., Brill, Leiden, Boston et Köln, , p. , l. - : « Volatile autem tantum nullum est, sicut natatile tantum piscis ; et enima dermoptera peditant, et vesperitilioni pedes sunt, quemadmodum et bovi marino colobati pedes. ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Quod autem supra diximus volatilia nota nobis non habere aures, intelligi habet de volatili plumoso et bipedi. Vespertilio enim habet aures, sed est pilosa. » . ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - : « Ex volatilibus etiam est, quod volat et habet alas membranales sicut vespertilio secundum omne genus suum. » ALBERTUS MAGNUS, In Posteriora Analytica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. ab : « Dicimus autem hoc divisum pennis, hoc est alis, quod alas habet pennis multis consitas : pennatum autem (hoc est, alatum) quod habet alas membranales ad modum vespertilionis, qui habet alas non consitas pennis divisis. » . ARISTOTELES, De historia animalium, lib. , cap. ( a -), ed. P. Beullens et F. Bossier, Arist. Lat. XVII/.I., p. , l. - : « Volatilium autem hec quidem pennata sunt, puta aquila et accipiter, hec autem pilota, puta apis et melolontha, hec autem dermoptera, ut puta alopex et vespertilio. » . Cf. ANZULEWICZ, H., « Der Anthropologieentwurf des Albertus Magnus und die Frage nach dem Begriff und wissenschaftssystematischen Ort einer mittelalterlichen Anthropologie », in J. A. Aertsen und A. Speer (Hrsg.), Was ist Philosophie im Mittelalter ?, Walter de Gruyter, Berlin und New York, , p. -, notamment p. .
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de l’homme. Elle permet à Albert de Cologne de contester l’analogie entre l’intelligence céleste et l’âme rationnelle proposée par ses adversaires. Son argument consiste à souligner la différence qui provient de ce que l’intellect de nature inférieure qu’est celui de l’homme ne peut connaître immédiatement les premières vérités des choses. La raison en est, précise-t-il, que l’intellect humain est lié au continu et au temporel et qu’il connaît en mettant en rapport les éléments qu’il connaît déjà. L’intelligence céleste, quant à elle, n’a nul besoin de saisir son objet. Elle est, d’emblée, dans la vérité première des choses. C’est pourquoi ces deux intelligences sont distinctes spécifiquement. La figure de la chauve-souris vient, par conséquent, soutenir ici, avec l’autorité du Stagirite, la thèse de la différence entre l’acte d’intellection d’une intelligence séparée du
. Ce même argument de la distinction de l’intellect humain et de l’intelligence céleste se trouve dans le De natura et origine animae où il précède la figure de la chauve-souris. Il repose plus précisément sur la nécessité, pour l’intellect humain, de commencer par les intelligibles qui existent dans le temporel et le continu pour s’élever vers les intelligibles par soi. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « His igitur sic determinatis dicimus, quod anima rationalis differt ab intelligentia caelesti, eo quod per intelligibilia, quae sunt cum tempore et continuo, venire habet ad intelligibile, quod secundum esse et essentiam per se est intelligibile, et si est ordo in illis per se intelligibilibus, habet devenire ad primum intelligibile, quod est causa omnium aliorum, et in illo stat sicut in vertice suae sapientiae et contemplationis finalis. » « Une fois cela ainsi déterminé, nous disons donc que l’âme rationnelle diffère de l’intelligence céleste pour cette raison que, par les intelligibles qui sont avec le temps et le continu, elle doit venir vers l’intelligible qui est intelligible par soi selon l’être et selon l’essence ; et s’il y a un ordre dans ces intelligibles par soi, elle doit venir vers le premier intelligible, qui est la cause de tous les autres, et elle se tient en lui comme au sommet de sa sagesse et de la contemplation finale. » . La conclusion qu’en tire le Doctor universalis, en ce qui concerne la question précisément posée dans cet extrait, est que, contrairement à l’avis de ses adversaires, ces deux intelligences n’ont pas de relation unique au corps de même nature, ici à l’étoile. L’article du De fato pose, en effet, la question suivante : à quel genre de cause appartient le destin ? La thèse albertienne est qu’il n’y a pas de cause proprement dite mais quelque chose de la cause, c’est-à-dire des causes par accident, telles que la forme de l’ordre qui possède l’image de la vie et la vertu du cercle céleste. Dans le cadre de cette discussion, le Docteur universel réfute, notamment, une thèse qu’il attribue aux philosophes égyptiens selon laquelle les âmes intellectuelles descendent d’étoiles « co-égales » (compares). L’argument aristotélicien signalé par la figure de la chauve-souris intervient précisément pour combattre la thèse selon laquelle « des formes dont il y a une nature unique, il y a une relation unique par rapport au corps d’une nature unique, si elles sont dites être dans quelque corps. Or il y a une relation de l’intelligence céleste avec l’étoile ou l’orbe lui co-égaux (comparem). Donc il y aura aussi une relation de la nature intellectuelle dans l’homme avec l’étoile co-égale (comparem) » [ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , ed. P. Simon, Ed. Colon. XVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « () Inde ulterius : Quarumcumque formarum est una natura, illarum una relatio est ad corpus unius naturae, si in aliquo corpore esse dicantur ; sed intelligentiae caelestis relatio est ad stellam vel ad orbem comparem sibi ; ergo et intellectualis naturae in homine erit relatio ad stellam comparem. »].
CHAPITRE I
continu et du temps, d’un côté, et, de l’autre, celui de l’intelligence qui leur est conjointe. Par rapport à ce qui est objecté par la raison, il faut dire qu’il y a une nature unique de ce dont il y a un unique acte essentiel à égalité. Or intelliger et contempler de manière intellectuelle n’appartiennent pas à égalité à l’intelligence céleste et à l’âme rationnelle, mais par l’antérieur et le postérieur, parce que l’intellect de l’intelligence est sans ce qui est continu, sans le temps, sans mise en rapport (collatio) et est dans la vérité première même des choses, tandis que notre intellect est avec le continu et le temps, se rapportant aux premières vérités des choses comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lucem) du soleil. Or, de même, il arrive à l’intelliger à partir d’une nature supérieure et inférieure, qui diffèrent spécifiquement d’être par l’antérieur et le postérieur. Le rapport d’antérieur et de postérieur entre deux intelligences distinctes spécifiquement et ordonnées elles-mêmes selon une relation de supérieur et d’inférieur entraîne qu’il n’y a pas d’univocité de l’acte d’intelliger. L’acte d’intelliger se dit antérieurement de l’intelligence séparée et postérieurement de l’intelligence conjointe à ce qui est continu et temporel. Le cinquième article du De fato met non seulement en lumière la fonction argumentative exercée par la figure de la chauve-souris qui consiste à signifier la nature de l’intellect humain conjoint au temps et au continu. Par cette conjonction, l’intellect humain se distingue des . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « () Ulterius etiam hoc videtur de anima rationali, quia dicit Philosophus, quod intellectus noster est cum continuo et tempore. Temporalia autem et continua sensu et imaginatione percipiuntur […]. » « De plus, cela apparaît aussi à propos de l’âme rationnelle, parce que le Philosophe dit que notre intellect est avec le continu et avec le temps. Or ce qui est temporel et continu est perçu par le sens et par l’imagination. » . Par le terme de collatio, Albert le Grand vise la différence entre la discursio mentis par laquelle l’intellect met en rapport deux vérités et l’intellection immédiate. . ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « () Ad illud quod obicitur per rationem, dicendum, quod quorum ex aequo est unus essentialis actus, illorum est una natura. Intelligere autem et contemplari intellectualiter non ex aequo est intelligentiae caelestis et animae rationalis, sed per prius et posterius, quia intellectus intelligentiae est sine continuo et tempore et sine collatione et in ipsa prima rerum veritate, intellectus autem noster est cum continuo et tempore, habens se ad primas rerum veritates sicut oculus vespertilionis ad lucem solis. Sic autem per prius et posterius habere intelligere contingit ex superiori et inferiori natura, quae specifice differunt. »
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intelligences séparées et de leur acte d’intellection. Mais, en outre, cet article montre que la seule évocation de cette figure suffit à faire peser l’autorité d’Aristote du côté de l’argument exposé par Albert le Grand. Pour exposer la fonction rhétorique de la figure des animaux volants nocturnes qui permet au Docteur universel de s’appuyer sur l’autorité du Stagirite, nous nous contenterons de citer ici, sans en approfondir le commentaire, un article de la Summa de creaturis, précisément parce qu’il ne ressortit pas au corpus aristotélicien et fait apparaître l’identité de la fonction argumentative exercée par cette figure, lorsqu’elle est transférée dans une autre discipline du savoir. Le Doctor magnus traite, dans ce passage de la Somme des créatures, de la double vision des anges : celle par laquelle ils connaissent les créatures en elles-mêmes, selon leur nature propre, sans aller au-delà d’elles, d’une part, et celle par laquelle ils connaissent les créatures en les rapportant à leur créateur, d’autre part. Cette dernière vision est appelée vespertinale. Dans le contexte de cette distinction augustinienne, la citation d’Aristote, mentionnant ici les yeux des chouettes, est introduite, sans être citée de manière littérale, pour signifier la différence entre l’intellect humain et l’intellect séparé, ou angélique. Le premier connaît les choses en elles-mêmes et dans leur cause naturelle. Le second les connaît dans leur cause première. Ce second mode de connaissance est qualifié de plus simple, meilleur et plus véritable. La figure de la chouette est ainsi convoquée en vue de prévenir les objections à la thèse selon laquelle la vision matutinale est meilleure et plus noble que la vision vespertinale. La fonction de la figure de l’animal volant nocturne consiste ici à fonder sur l’autorité du Stagirite le chiasme de ce qui est connu de manière plus vraie et plus noble, quant à nous, à savoir la nature propre des choses, d’une part, et de ce qui l’est quant à l’intellect déiforme qui échoit aux anges, à savoir les choses dans leur cause première, d’autre part. Nous disons donc, quant au premier , que la vision matutinale est meilleure et plus noble que vespertinale, comme le prouvent les deux premières raisons.
. Sur la différence entre l’ange et l’homme dans les différents modes de connaissance, cf. AUGUSTINUS HIPPONENSIS [SAINT AUGUSTIN], La Genèse au sens littéral en douze livres, I-VII. De Genesi ad litteram, introduction, traduction et notes par A. Agaësse et A. Solignac, Institut d’Études Augustiniennes Paris, (Bibliothèque augustinienne, Œuvres de saint Augustin , e série : Exégèse), note complémentaire, p. -.
CHAPITRE I
Quant à ce qui est objecté là contre, il faut dire que toute vision d’une chose en elle-même n’est pas dite vision vespertinale, mais celle qui considère le vestige et l’image qui sont par la raison de la sagesse de celui qui crée de manière ombrée, comme il a été dit. Ou bien il pourrait être dit que la lumière (lux) de la cause par laquelle une chose est connue est considérée de deux manières : en tant qu’elle est le milieu proportionné dans une démonstration et dans la cause médiate. Et ainsi, elle est mieux connue que dans la cause première. Si, en revanche, la condition de cette lumière (lucis) est considérée de manière absolue en tant qu’elle est un milieu, alors la cause créée est beaucoup plus obscure que la incréée. À ce point, cependant, il peut être dit de meilleure manière que, bien que, quant à nous, la chose soit connue de manière plus vraie et meilleure dans nature propre, cependant, quant à l’intellect déiforme, qui est le propre des anges, elle est connue de manière plus vraie et meilleure dans la cause première. Une chose est, en effet, connaissable de manière plus simple dans la cause première que dans la cause naturelle. Et la cause de cette sorte est traitée par le Philosophe, dans le deuxième de la Métaphysique où il dit : Comme les yeux (lumina) des chouettes à la lumière (lumen) qui est pendant le jour, ainsi l’intellect de notre âme à ce qui est, de nature, plus manifeste. . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXXIV, Vivès, Parisiis, , p. a : « […] cognitio creaturae per vestigium quae demonstrat creatorem : creator enim in rationibus aeternis quae sunt in Verbo, monstratur in plena luce : in rationibus autem vestigii et speculi creaturarum monstratur ut sub umbra vesperae. » « […] la connaissance de la créature par le vestige qui démontre le créateur : le créateur est montré en pleine lumière (luce) dans les raisons éternelles qui sont dans le Verbe, tandis que, dans les raisons du vestige et du miroir des créatures, il est montré comme sous l’ombre du soir. » . Conformément à la citation aristotélicienne, nous proposons de lire nostrae à la place de nostri. . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. ab : « Dicimus ergo ad primum, quod visio matutina melior est et nobilior quam vespertina, ut probant primae duae rationes. Ad id quod contra objicitur, dicendum quod non quaelibet visio rei in se dicitur visio vespertina, sed illa quae considerat vestigium et imaginem quae sunt ratione sapientiae creantis umbrose, ut dictum est. Vel dicatur, quod lux causae per quam cognoscitur res, duobus modis consideratur, scilicet ut est medium in demonstratione proportionatum et in mediata causa : et sic melius cognoscitur quam in prima causa. Si autem consideratur conditio lucis illius absolute prout est medium, tunc multo obscurior est causa creata quam increata. Adhuc tamen melius potest dici, quod licet quoad nos verius et melius cognoscatur res in natura propria, tamen quantum ad intellectum deiformem qui proprius Angelorum est, verius et melius cognoscitur in prima causa : res enim simplicius cognoscibilis est in prima causa
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Donc la figure des animaux volants nocturnes, qu’il s’agisse de la chauve-souris ou de la chouette, possède la caractéristique structurelle de signifier la différence entre l’intellect humain et l’intellect séparé. Du point de vue rhétorique, elle permet, en outre, à Albert le Grand, dans les différents contextes où il l’utilise, de fonder l’argument qu’il est en train de produire sur l’autorité d’Aristote en rappelant le chiasme de l’intellection humaine du divin. Examinons désormais, pour terminer notre enquête sur le corpus aristotélicien des œuvres albertiennes, les limites du modèle de l’ascension graduelle de l’intellect humain vers le principe divin, telles qu’elles sont formulées dans le réseau textuel de la chauve-souris, de la chouette et du corbeau de nuit. Bien que nous ayons remarqué que la figure des animaux volants nocturnes s’accompagne à plusieurs reprises et, notamment dans le texte-source que constitue le commentaire de la Métaphysique, de l’affirmation selon laquelle il est possible de remonter de manière graduelle et continue de l’intelligible physique à l’intelligible théologique, cette figure permet au Docteur universel de formuler, à quelques occasions, la difficulté de la connaissance du premier principe pour l’intellect humain. VI. La difficulté rémanente de la connaissance du divin pour l’intellect humain A. Le défaut de l’intellect humain Dans le passage du De causis et processu universitatis a prima causa que nous allons maintenant commenter, le maître de Cologne démontre que « le retour de celui qui sait à son essence constitue la science la plus stable, qui ne vacille jamais, mais la plus parfaite selon ellemême ». Or le vacillement d’une science peut être imputé à deux causes : le défaut soit de ce qui est connu, soit de ce qui connaît. Le Doctor expertus développe, notamment, les raisons pour lesquelles l’imquam in causa naturali : et hujusmodi causam tangit Philosophus in II Metaphysicae, ubi dicit : Sicut noctuarum lumina ad lumen quod est super diem, sic animae nostri intellectus ad manifestissima naturae. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Talis autem reditus scientis ad essentiam suam scientia stabilissima est nusquam nutans, sed perfectissima secundum seipsam. »
CHAPITRE I
perfection de la science, en particulier celle qui est relative à l’intelligible le plus manifeste en soi, est imputable à l’imperfection de l’intellect. La figure de la chauve-souris est assortie ici des facteurs qui contribuent à l’imperfection de l’âme rationnelle : son lien avec les passions du corps, avec l’ignorance qui l’enveloppe de ténèbres, son caractère possible, et non en acte, ainsi que la nécessité où l’âme rationnelle se trouve d’intelliger par la médiation d’un autre intellect qu’elle reçoit, en outre, seulement à la mesure de sa propre capacité de l’accueillir, et non selon la perfection de la nature de cet intellect en tant qu’intellect, c’est-à-dire en tant qu’il participe la lumière de l’intellect agent premier. Ces facteurs entraînent que l’intellection humaine demeure imparfaite et s’effectue avec peine. La science du côté de celui qui sait est imparfaite de deux manières : ou bien parce qu’il ne peut pas atteindre parfaite. Certains textes du corpus scripturaire, du corpus théologique et du corpus dionysien formulent également le chiasme de la connaissance humaine du divin et ses conséquences quant à la difficulté, pour l’intellect humain, de connaître le principe divin à partir de la citation aristotélicienne. Dans le Super Matthaeum, Albertus Magnus situe la double cause qui empêche la propagation de la vérité à la fois du côté du connaissant et de celui du connu. Il fait référence à la Métaphysique, α, ( b -), cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Matthaeum, cap. , , ed. B. Schmidt, Ed. Colon. XXI/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Et ista sunt duo veritatis propalationem impedientia ; primum est per tegumentum sensus carnalis, qui est quasi velamen tegens, secundum occultum suae altitudinis, quia dispositio nostri intellectus est ad eam sicut visus noctuae ad lumen solis, sicut dicit Philosophus. » « Et ceux-ci sont les deux qui empêchent la propagation de la vérité : le premier est par le recouvrement le sens charnel, qui est comme un voile qui couvre ; le second ce qui, de sa hauteur, est occulté, parce que la disposition de notre intellect par rapport à elle est comme la vue de la chouette par rapport à la lumière (lumen) du soleil, comme dit le Philosophe. » Dans le commentaire de la Théologie mystique, Albert le Grand fait varier les deux obstacles à la connaissance humaine du principe divin, à savoir du côté du connaissant et de celui du connu, en les inversant : soit Dieu, le plus manifeste en soi, est caché à l’intellect humain, incapable de le recevoir comme tel, soit Dieu, le plus caché en soi, devient manifeste à l’intellect humain en se communiquant à lui. ALBERTUS MAGNUS, Super Dionysii mysticam theologiam, cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Solutio : () Dicendum ad primum, quod dicitur deus supersplendens in se, occultus autem nobis, quia manifestissima naturae se habent ad intellectum nostrum sicut oculus noctuae ad lumen solis. Vel dicendum, quod est occultus secundum se in altitudine suae naturae, supersplendens autem, secundum quod se nobis immittit. » « Solution : () Il faut dire, quant au premier , que Dieu est dit sur-resplendissant en soi, mais qu’il nous est occulté, parce que ce qui est, de nature, le plus manifeste se rapporte à notre intellect comme l’œil de la chouette à la lumière (lumen) du soleil. Ou bien il faut dire qu’il est occulté selon lui-même dans la hauteur de sa nature, mais il est sur-resplendissant selon qu’il s’immisce en nous. »
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ment ce qu’il sait ou bien parce que la science ne conduit pas totalement celui qui sait à sa perfection. De la première manière, certes : comme l’intellect de l’âme imparfaite et dépourvue de noblesse (ignobilis), qui est nuageux et enveloppé de ténèbres, ressortit à la fois aux passions du corps auquel il est conjoint et aux états d’ignorance, parce qu’il est possible, et non pas en acte. C’est pourquoi « notre intellect, comme dit Aristote, se rapporte à ce qui est, de nature, le plus manifeste comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lumen) du soleil ». Et il en découle qu’il découvre avec peine ce qu’il sait en raison de l’empêchement des passions. Or il tient du fait qu’il est possible et potentiel d’intelliger non pas par lui-même, mais par quelque chose d’autre. Et, puisque l’autre par lequel il intellige n’est pas en lui selon la perfection de l’agent premier, mais selon l’imperfection de celui qui reçoit, il reste que tout ce qu’il intellige, il l’intellige de manière imparfaite, de même que l’œil de la chouette comprend de manière imparfaite la lumière (lumen) du soleil, bien qu’elle soit parfaite dans le soleil. La mention de la chouette permet de préciser que l’intellect humain n’est pas aveugle à la lumière du premier principe mais qu’il ne peut connaître ce dernier qu’imparfaitement. Le corpus aristotélicien de l’œuvre albertienne contient, par conséquent, des textes qui restent prudents quant à la possibilité, pour l’intellect humain, de remonter des intelligibles physiques à l’intelligible divin. Cette difficulté quant à la possibilité de la métaphysique est attribuée à l’intellect humain et à sa capacité de réception limitée. Thomas d’Aquin, pour sa part, formule le paradoxe de la manière suivante : si la difficulté était principalement du côté des choses, il . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon XVII/, p. , l. - : « Scientia autem ex parte scientis imperfecta est dupliciter : aut enim quia scitum perfecte attingere non potest aut quia scientia non totum perficit scientem. Primo quidem modo sicut intellectus animae imperfectae et ignobilis, qui nubilosus est et tenebris obvolutus et passionum corporis, cui coniunctus est, et ignorantiarum, quia possibilis et non in actu est. Propter quod “noster intellectus, ut dicit Aristoteles, ad manifestissimum naturae se habet sicut oculus vespertilionis ad lumen solis”. Et ex hoc est quod cum labore invenit ea quae scit, propter passionum impedimentum. Ex hoc autem quod possibilis est et potentialis, habet, quod non per se, sed per aliud intelligit. Et cum aliud, per quod intelligit, non est in ipso secundum perfectionem agentis primi, sed secundum imperfectionem suscipientis, relinquitur, quod omne quod intelligit, imperfecte intelligit, sicut oculus noctuae imperfecte comprehendit lumen solis, quamvis in sole sit perfectum. » (avec légère modification de ponctuation pour permettre la construction syntaxique) . THOMAS DE AQUINO, In duodecim metaphysicorum Aristotelis expositio, lib. , lectio , n. , ed. M.-R. Cathala, p. a : « Et hoc sic probat. Quia, si difficultas esset principaliter ex parte
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s’ensuivrait que ce qui est le plus connaissable selon sa nature et le plus en acte, c’est-à-dire les étants immatériels et immobiles, serait, cependant, le moins connu de nous. De ce fait, il est manifeste que la difficulté qui advient dans la connaissance de la vérité est surtout due au défaut de notre intellect. B. L’impossibilité de voir l’essence de la cause première en elle-même Dans ses Quaestiones de animalibus, Albert le Grand traite de la question : est-il possible à notre intellect de parvenir à la connaissance de la cause première ? La figure du corbeau de nuit dans la citation du deuxième livre de la Métaphysique rappelle qu’il est « impossible à l’œil du corbeau de nuit de soutenir et de percevoir la lumière (lumen) du soleil ou du jour sans être blessé ou corrompu ». La réponse du Doctor expertus affirme l’impossibilité, pour l’intellect humain, de voir l’essence de la cause première en elle-même. Il reconnaît sa capacité à la voir dans son effet. Conformément à l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne, le Docteur universel accorde au corbeau de nuit et à la chauve-souris, qu’il cite dans sa réponse, une certaine capacité visuelle. Mais celle-ci est faible. Albert de Cologne rend compte de cette limite de la connaissance humaine par une tripartition des objets de connaissance et des capacités de connaître qui doivent être proportionnés les uns aux autres. La puisrerum, sequeretur, quod illa magis cognoscibilia secundum suam naturam : sunt autem maxime cognoscibilia secundum naturam suam, quae sunt maxime in actu, scilicet entia immaterialia et immobilia, quae tamen sunt maxime nobis ignota. Unde manifestum est, quod difficultas accidit in cognitione veritatis, maxime propter defectum intellectus nostri. Ex quo contingit, quod intellectus animae nostrae hoc modo se habet ad entia immaterialia, quae inter omnia sunt maxime manifesta secundum suam naturam, sicut se habent oculi nycticoracum ad lucem diei, quam videre non possunt, quamvis videant obscura. Et hoc est propter debilitatem visus eorum. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. : « Praeterea, “sicut oculus nocticoracis se habet ad lumen solis vel diei, sic intellectus noster ad ea quae manifestissima sunt in natura” per Philosophum II Metaphysicae ; sed impossibile est oculum nocticoracis sustinere et percipere lumen solis vel diei, quin laedatur vel corrumpatur ; ergo etc. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. : « Ad secundam rationem dicendum, quod sicut oculus nocticoracis vel vespertilionis non potest sustinere lumen diei, sic nec intellectus noster potest intueri essentiam primae causae in se, sed in suo effectu potest ; etc. » « Quant à la deuxième raison, il faut dire que, de même que l’œil du corbeau de nuit ou de la chauve-souris ne peut soutenir la lumière (lumen) du jour, de même notre intellect ne peut pas non plus voir l’essence de la cause première en elle-même, mais peut dans son effet, etc. »
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sance de connaître sensitive est, en effet, dans la matière et utilise un organe. L’intellect séparé, celui de la première cause ou de la substance séparée, n’est pas dans la matière et n’utilise pas d’organe. L’intellect humain est dans la matière, c’est-à-dire dans le corps de l’homme, mais n’utilise pas d’organe. L’objet proportionné qui correspond à la puissance de connaître sensitive est, par conséquent, matériel : il est dans la matière. L’objet adapté à l’intellect séparé est absolument séparé de matière. L’objet propre à l’intellect humain existe dans la matière mais n’est pas connu en tant qu’il est dans la matière. Il s’agit de la quiddité, ou de la substance, de la chose matérielle singulière qui est appréhendée de manière immatérielle et universelle. En résultent plusieurs modes de connaissance. Certains intellects se connaissent eux-mêmes par leur essence. Ainsi la cause première s’intellige-t-elle par elle-même et, en se connaissant, elle voit tous les autres comme dans un miroir qui lui représente tout. Car ce miroir porte tout en lui-même. D’autres intellects se connaissent par leurs espèces. Ce mode de connaissance nous concerne ainsi que les intelligences, à la différence que nous connaissons par des espèces acquises et qu’elles connaissent par des espèces innées. D’autres intellects sont connus par leur effets. C’est de cette manière que nous connaissons les substances séparées, parce que, par l’intermédiaire du mouvement, qui . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Et huius ratio est, quia obiectum proportionatur virtuti cognoscitivae et triplex est virtus cognoscitiva : Quaedam est in materia et organo utitur ; alia nec est in materia nec organo utitur ; tertia est in materia, sed organo non utitur. Prima est sensitiva, secunda est intellectus separatus, sicut primae causae vel substantiae separatae, tertia est intellectus humanus, qui est in materia, ut in corpore hominis, sed organo non utitur. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Sed istis tribus proportionantur obiecta. Primae correspondet obiectum materiale et, ut in materia est ; secundae correspondet obiectum a materia simpliciter separatum ; tertiae correspondet obiectum in materia existens, sed non, ut in materia est. Unde obiectum intellectus nostri proprie est quiditas vel substantia rei materialis, quia in materia est. Sed quia organo non utitur, ideo istam quiditatem materialiter non apprehendit, immo quod in materia est, apprehendit immaterialiter, et quod in singulari est, apprehendit universaliter. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Intelligendum tamen est, quod multipliciter possunt aliqua cognosci. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Quaedam enim cognoscuntur per suas essentias, et sic intelligit se per se prima causa et se cognoscendo omnia alia intuetur tamquam in speculo sibi omnia repraesentante. Nam ipse est speculum in se omnia gerens. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Quaedam vero cognoscuntur per eorum species, et sic cognoscimus nos et intelligentiae, sed nos per species acquisitas et intelligentiae per species innatas. »
CHAPITRE I
est un sensible commun, nous concluons la nature des intelligences. C’est aussi par ses effets que nous pouvons connaître Dieu comme « premier, très vrai, très doux, puissant depuis l’éternité et dans les siècles des siècles et régnant pendant des siècles sans fin par ses effets ». Enfin, d’autres objets sont connus par privation, comme nous connaissons le point et les indivisibles. C’est aussi notre manière de connaître la cause première en tant qu’elle est incorporelle, immatérielle, impassible, inengendrable, dépourvue de grandeur. Dans cette question du De animalibus, Maître Albert déploie, comme dans son commentaire de la Métaphysique et dans le De intellectu et intelligibili, des séries ternaires d’intellects et d’objets appropriés à la capacité cognitive des intellects correspondants. La différence est que ces hiérarchies ne conduisent pas l’intellect humain jusqu’au degré supérieur d’intellection de l’intelligible suprême. L’intellect humain occupe, d’ailleurs, ici le degré médian de la hiérarchie, et non le degré inférieur. Ces séries ternaires servent plutôt de modalités cognitives qui fixent à l’intellect humain ses limites : il ne peut connaître la cause première en son essence, mais seulement en ses effets ou par privation. C. Les différents modes de contemplation du divin Dans son commentaire de l’Éthique, Albert de Cologne s’appuie sur la figure de la chauve-souris pour affirmer qu’il ne nous est pas possible de poursuivre la contemplation sapientielle par rapport à laquelle nous sommes le plus insuffisants, à la manière dont l’œil de la chauve-souris l’est vis-à-vis de la lumière du soleil. Le Doctor magnus se réfère à . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Et quaedam cognoscuntur per suos effectus, et sic cognoscimus nos substantias separatas, quia per motum, qui est sensibile commune, concludimus naturam intelligentiarum. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Alio modo potest cognosci ipse primus, deus verissimus, dulcissimus, potens ab aeterno in saecula saeculorum et per interminata saecula regnans per suos effectus. » . ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Unde duobus modis ultimis possumus in cognitionem primae causae, scilicet per privationem, ut intelligendo, quod est incorporalis, immaterialis, impassibilis, ingenerabilis, nullam habens magnitudinem et ita de talibus consimilibus in ipso repertis. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica commentum et quaestiones, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - : « Illud enim ad quod minime sumus sufficientes, non possumus continuare ; sed ad contemplationem sapientialem sumus maxime insufficientes, quia sunt supra nos et habet se intellectus noster ad illas sicut oculus vespertilionis ad lucem solis ; ergo etc. »
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Michel d’Éphèse et répond à l’objection énoncée par rapport à la possibilité accordée à l’intellect humain de contempler le divin de manière continue en distinguant deux états de l’intellect humain et deux modes de contemplation. […] selon qu’il est imparfait, l’intellect n’est pas suffisant pour la contemplation des divines. Mais, selon qu’il est rendu parfait par l’habitus de la sagesse, il est ainsi suffisant pour la contemplation philosophique et, selon qu’il est rendu parfait par les théophanies qui descendent de Dieu, il est ainsi rendu parfait pour la contemplation divine. Ce texte s’inscrit bien dans l’usage que fait Maître Albert de la citation d’Aristote dans le corpus aristotélicien de son œuvre. Il témoigne d’une complète confiance dans la possibilité pour l’intellect humain de connaître et de contempler ce qui est divin. Cependant, la caractéristique de ce texte consiste à circonscrire cette possibilité sous plusieurs aspects. Non seulement l’intellect humain, quand il est dit capable de connaître ce qui est divin, n’est pas considéré en tant qu’il est imparfait mais, en outre, il faut distinguer entre les modes de connaissance du divin. La connaissance philosophique requiert l’acquisition de la sagesse. La connaissance de Dieu dépend, quant à elle, des théophanies qui viennent de lui. Il s’ensuit que, dans son corpus aristotélicien, Albert le Grand se place sur le plan de la métaphysique. La figure de l’animal volant nocturne y évoque le chiasme de l’intellection humaine du divin. Le Doctor universalis la détourne de sa signification originelle dans le deuxième livre de la Métaphysique : cette figure ne signifie plus l’aporie à laquelle l’intellect humain pourrait être confrontée dans la connaissance du divin mais, bien plutôt, la possibilité pour lui de remonter par degrés jusqu’à
. MICHAEL EPHESIUS, In Eth. Nicom., lib. , cap. , in Eustratii et Michaelis et Anonyma In Ethica Nicomachea Commentaria, ed. Gustavus Heylbut, G. Reimer, Berolini, (Commentaria in Aristotelem Graeca, vol. XX), p. , l. -p. , l. ; transl. Gross : The Greek Commentaries on the Nicomachean Ethics of Aristotle, ed. H. Paul F. Mercken, Leuven University Press, Leuven, (Corpus Latinum in Aristotelem Graecorum VI, ), p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica commentum et quaestiones, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - : « […] quod intellectus, secundum quod est imperfectus, non est sufficiens ad contemplationem divinorum, sed secundum quod perficitur per habitum sapientiae, sic sufficiens est ad contemplationem philosophicam et, secundum quod perficitur per theophanias descendentes a deo, sic perficitur ad divinam contemplationem. »
CHAPITRE I
la première cause. Mais ce texte du commentaire de l’Éthique le précise : il s’agit là d’une connaissance métaphysique. Il résulte, par conséquent, des textes que nous avons lus dans cette section qu’ils indiquent les limites de la confiance quant à la possibilité de connaître le principe divin que le Doctor magnus exprime clairement dans son commentaire de la Métaphysique et dans le reste du corpus aristotélicien de ce réseau textuel. D. Des arguments communs dans les textes du corpus non aristotélicien Plusieurs textes appartenant au corpus non aristotélicien des œuvres d’Albert le Grand posent le problème des limites de la connaissance du premier principe que l’intellect humain peut acquérir. Nous les . Dans son article « Albert the Great and the Hierarchy of Sciences », Faith and Philosophy / (), p. -, M. D. JORDAN considère que le récit de l’ascension de l’intellect selon la hiérarchie des sciences échoue à rendre compte de la continuité de sa remontée vers le principe. À ses yeux, Albert le Grand propose, pour résoudre cette difficulté, que la théologie, reine des sciences, possède le pouvoir rhétorique de persuader ceux qui étudient d’avancer vers Dieu dans la foi. Face à la solution rhétorique avancée par M. D. Jordan au problème de la hiérarchie des sciences, nous formulons l’hypothèse selon laquelle l’interprétation albertienne de la figure de l’animal volant nocturne et, notamment, son articulation avec la figure de la manuductio suffisent à rendre compte de la continuité de l’ascension de l’intellect dans les sciences jusqu’à la connaissance du divin, entendue comme science métaphysique. En guise d’ouverture sur une toute autre manière d’aborder le problème du système des sciences, dans son article « Wisdom on the Way of Science : Christian Theology and the Universe of Sciences according to St Albert the Great », Angelicum / (), p. -, L. HONNEFELDER propose d’articuler les sciences avec la théologie selon une logique non aristotélicienne dite dialectique ou de « synergie ouverte ». Il s’agit de restreindre la portée et la prétention hégémonique de la métaphysique et de la théologie (la théologie comme vera philosophia) pour leur accorder, en revanche, toute leur autonomie dans leur domaine restreint et spécifique (l’histoire contingente du salut, par exemple, pour la théologie). La sagesse humaine s’articule ainsi en une pluralité de sciences. Il reprend cette thèse dans HONNEFELDER, L., Albertus Magnus und die kulturelle Wende im . Jahrhundert – Perspektiven auf die epochale Bedeutung des großen Philosophen und Theologen, Aschendorff, Münster, (Lectio Albertina – Albertus-Magnus-Institut Bonn), notamment p. - ; p. - (à propos de la théologie), en évoquant le « tournant » que représente ce modèle alternatif d’articulation de la théologie avec les autres sciences en un réseau (« Netzwerk ») dans lequel la théologie recevrait une place en tant que science sui generis, et non plus en tant que science unifiante. Selon un tel modèle non aristotélicien d’articulation des sciences entre elles, la question de la continuité de la dynamique qui conduit au principe ne se pose plus. Nous pouvons seulement remarquer que la figure de l’animal volant nocturne, dans le corpus aristotélicien, ne manifeste pas un tel tournant et que, dans les autres corpora, elle ne porte plus la question de l’organisation des sciences. Néanmoins, l’organisation des sciences en réseau est un modèle qui rend compte de la circulation des figures dans les différentes parties de l’œuvre et dans les registres de discours d’Albert le Grand.
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regroupons ici pour des raisons de cohérence thématique et dans la mesure où l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne n’y diffère pas de celle qui est développée dans le corpus aristotélicien. Les autres textes du corpus non aristotélicien seront examinés dans le second moment de cette première partie de l’enquête en recherchant ce que l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne y possède de spécifique. Cette section montre que certains arguments relatifs aux limites de la connaissance humaine du principe divin apparaissent communs au corpus aristotélicien et au corpus non aristotélicien, notamment la différence entre l’ensemble des intelligibles et Dieu (Quaestio de raptu) ; la difficulté pour l’intellect de connaître ce qu’il ne peut connaître sans l’aide des sens et de l’imagination (Summa de creaturis, pars I : De IV coaequaevis, tr. , q. , a. ) ; l’impossibilité, pour l’intellect humain, d’avoir une connaissance parfaite de Dieu en son essence (premier chapitre des Noms divins). La figure de la chauve-souris est employée, dans la Question sur le rapt, en vue d’établir une différence entre la connaissance de Dieu et celle des intelligibles. Elle vise, en effet, à introduire une rupture entre l’ascension graduelle dans la connaissance des intelligibles et la possibilité de connaître Dieu. Au terme du processus de séparation constante d’avec le continu et le temporel ainsi que de détachement par rapport aux sens et à l’imagination par lequel l’intellect humain se dispose à connaître les intelligibles les plus purs, il appert qu’il n’est, cependant, pas possible de connaître Dieu. Maître Albert recourt à la figure de la chauve-souris pour accentuer la différence entre l’ensemble de ce qui est connaissable et Dieu qui l’est le plus en soi et ne l’est pas pour nous. Le doute concerne, par conséquent, la capacité du modèle de la continuité épistémique à atteindre sa fin : la connaissance du premier principe. Or, pour . Dans son commentaire du premier livre des Sentences, le Doctor magnus introduit cette distinction entre le surnaturel et le naturel. Il a, en effet, recours à la citation du deuxième livre de la Métaphysique à propos de la charité incréée mais il brise la symétrie de la comparaison : si « l’œil de notre intellect est, par rapport à ce qui, de nature, est le plus manifeste, semblable à la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil, donc beaucoup plus par rapport à ce qui est surnaturel » ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in I Sententiarum, d. , a. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. XXV, Vivès, Parisiis, , p. b : « . Item, Si dilectio de qua loquitur, est charitas increata regulativa et exemplaris nostrae charitatis, videtur omnino falsum quod dicit : quia oculus nostri intellectus ad manifestissima naturae est similis dispositioni oculorum vespertilionis ad lumen solis : ergo multo magis ad ea quae sunt supernaturalia. »
CHAPITRE I
traiter d’une question théologique concernant la connaissance de Dieu entendu comme « objet des bienheureux », le Doctor universalis recourt à une démonstration qui s’appuie sur l’organon aristotélicien. Le doute ne porte pas sur la connaissance des principes au sens des incomplexes. Celle-ci a, en effet, lieu par l’intermédiaire de l’intellect agent. Il ne concerne pas non plus le cas de la science de ce qui est complexe. Celle-ci est, en effet acquise à partir des principes évidents par eux-mêmes que l’intellect possède auprès de lui-même. En ce qui concerne la connaissance du créé, qu’il s’agisse d’objets incomplexes ou complexes, notre intellect s’y rapporte toujours de manière médiatisée. Cette médiation rend la connaissance de ces objets possible à l’intellect humain. Le Doctor expertus développe, dans ce contexte, une théorie de la médiation noétique. En ce qui concerne les incomplexes, elle s’effectue par l’intermédiaire de la lumière de l’intellect agent et, quant aux complexes, elle a lieu par les principes évidents qui sont dans l’intellect humain ou bien par la connaissance des termes. Albert de Cologne précise, d’ailleurs, que cette médiation peut tout autant être ce qui est le plus intelligible (la lumière de l’intellect agent ou les principes évidents par soi) que ce qui l’est moins (ce qui est perçu par les sens et l’imagination). Cette double nature de la médiation noétique ne fait pas partie des éléments structurels que nous avons rencontrés jusqu’à présent dans le réseau textuel de l’animal volant nocturne. Albertus Magnus rappelle que ces médiations ne possèdent pas le même degré de facilité pour l’intellect humain. Celles qui se donnent à lui par le truchement de plusieurs facultés (sens, imagination et intellect), comme c’est le cas des étants physiques, lui permettent de connaître plus facilement que celles qui lui parviennent par l’imagination et l’intellect, comme les étants mathématiques, ou a fortiori par le seul intellect comme les étants séparés. Du point de vue de la figure de la chauve-souris dans ce texte, elle y exerce bien sa fonction caractéristique en ce qui concerne la connaissance du créé : elle pose le problème de la manière de connaître la plus facile pour l’intellect humain et la plus adaptée à lui, en vue de le conduire vers la connaissance des intelligibles purs. Albert de Cologne met ici en relief la fonction des médiations noétiques : ce qui est donné aux sens, par l’imagination vers ce qui n’est appréhendé que par l’intellect ainsi que l’illumination par l’intellect et par les principes évidents par soi.
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Le propre de ce texte consiste à circonscrire au créé le domaine d’extension de la figure de la chauve-souris. Au-dessus de ces trois objets – naturel, mathématique, métaphysique –, se tient Dieu, objet de la contemplation des bienheureux, qui n’est soumis ni à la lumière de l’intellect agent, ni à celle des principes. C’est pourquoi dans les conditions de la connaissance en chemin (status viae), il ne peut être ainsi connu. Quant à l’autre , il faut dire que l’intellect se rapporte de trois manières aux objets. Il se rapporte, en effet, aux incomplexes par la lumière (lumen) de l’intellect agent, mais il reçoit la science des complexes par principes qu’il a auprès de lui qui sont connus par soi ; quant à ces principes eux-mêmes, à partir de la connaissance des termes. De ce fait, ils sont d’une certaine manière auprès de lui naturellement, comme disent Augustin et Boèce, dans le livre De la consolation. Et, à ce sujet, il est vrai qu’il n’intellige pas moins, à partir de ce qui est au plus haut point intelligible, ce qui est moins intelligible, bien qu’il reçoive plus facilement ce qui accède à lui de plusieurs manières que ce qui par des manières moins nombreuses, comme ce qui est naturel qui est manifesté aux sens, à l’imagination et à l’intellect, que ce qui est mathématique, qui est manifesté à l’intellect et à l’imagination seulement, ou que ce qui est métaphysique, qui est manifesté à l’intellect seulement. C’est pourquoi le Philosophe dit que « la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, manifeste est comme la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil ». Mais Dieu, dans la . Cf. AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De libero arbitrio, lib. , cap. , n. , § , ed. W. M. Green, CCSL XXIX, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « Humana quippe anima naturaliter diuinis ex quibus pendet conexa rationibus, cum dicit : “melius hoc fieret quam illud”, si uerum dicit et uidet quod dicit, in illis quibus conexa est rationibus uidet. » AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De libero arbitrio, lib. , cap. , n. , § , CCSL XXIX, p. , l. - : « Non enim ante omne meritum boni operis parum est accepisse naturale iudicium quo sapientiam praeponat errori et quietem difficultati, ut ad haec non nascendo sed studendo perueniat. » . BOETHIUS, De consolatione philosophiae, lib. , metr. , ed. C. Moreschini, in aedibus K. G. Saur, Monachii et Lipsiae, (Bibliotheca Teubneriana), p. , l. : « summamque tenet, singula perdens ? » Cf. etiam BOETHIUS, Quomodo substantiae in eo quod sint bonae sint cum non sint substantialia bona, I, ed. C. Moreschini, Monachii et Lipsiae, in aedibus K. G. Saur, (Bibliotheca Teubneriana), p. , l. - : « Communis animi conceptio est enuntiatio, quam quisque probat auditam. »
CHAPITRE I
mesure où il est l’objet des bienheureux, n’est pas soumis à la lumière (lumini) de l’intellect agent ni à la lumière (lumini) des principes par lesquels l’âme reçoit les sciences, mais il est au-dessus de l’un et de l’autre. C’est pourquoi aussi, selon l’état du chemin (statum viae), il ne peut lui être naturellement conjoint de cette manière. Il résulte de ce texte que la figure de la chauve-souris, interprétée comme dépassement du chiasme de l’intellection humaine, vaut pour la connaissance de tous les intelligibles sauf pour Dieu. La continuité de la remontée vers les intelligibles séparés assurée par l’architectonique des sciences semble donc, néanmoins, requérir ultimement un saut. Dans la Summa de creaturis, pars I, tr. , q. , a. , la figure de la chauve-souris empruntée à la Métaphysique d’Aristote vise à souligner la difficulté de la connaissance métaphysique. Cette difficulté, pour l’intellect humain en tant qu’il est humain, provient de sa conjonction avec les facultés des sens et de l’imagination. L’admiration y est décrite comme le moteur qui oriente le désir humain vers la métaphysique et qui l’arrache aux imaginations et aux données des sens. Nous reviendrons, dans le chapitre suivant, sur la fonction manuductrice de l’admiration. La citation aristotélicienne contenant la figure de la chauve-souris intervient dans le contexte d’une question concernant la nature des chérubins. Afin de déterminer s’ils relèvent de la sapientia, Albert le Grand distingue la sagesse accompagnée d’affect, qui est la connaissance des réalités divines selon Augustin, et la sagesse spéculative. Celle-ci se dit en trois sens. Selon le deuxième de ces sens, le sage est « celui à qui . ALBERTUS MAGNUS, Quaestio de raptu, a. , in Quaestiones, ed. A. Fries, W. Kübel et H. Anzulewicz, Ed. Colon. XXV/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « () Ad aliud dicendum, quod intellectus tripliciter se habet ad obiecta. Ad incomplexa enim habet se per lumen intellectus agentis ; sed complexorum scientiam accipit per principia, quae habet apud se, quae sunt per se nota, ipsa autem principia ex notitia terminorum ; unde quodammodo sunt apud eum naturaliter, ut dicit Augustinus et Boethius in libro De consolatione. Et de his verum est, quod ex maxime intelligibili non minus intelligit minus intelligibile, licet facilius accipiat, quod pluribus modis accedit ad ipsum quam id quod paucioribus, sicut naturale, quod manifestatur sensui et imaginationi et intellectui, quam mathematicum, quod manifestatur intellectui et imaginationi tantum, vel metaphysicum, quod manifestatur intellectui tantum. Propter quod dicit Philosophus, quod “dispositio nostri intellectus ad manifesta naturae est sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. Sed deus, prout est obiectum beatorum, nec subicitur lumini intellectus agentis nec lumini principiorum, quibus accipit anima scientias, sed excellit utrumque, et ideo secundum statum viae naturaliter non potest ei coniungi sic. »
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il revient de connaître ce qui est difficile à l’homme , et n’ pas sans importance ». Ce deuxième sens de la sagesse correspond au mode abstrait propre aux mathématiques. Tandis que l’homme parvient facilement à connaître les choses naturelles, parce qu’il y est aidé à la fois par les sens, par l’imagination et par l’intellect, il n’a pas autant de facilité dans la connaissance des mathématiques à laquelle ne l’aident que l’imagination et l’intellect. A fortiori, il est d’autant plus difficile à l’homme de connaître les réalités métaphysiques qu’il ne peut y recevoir l’aide que de l’intellect. La citation d’Aristote, qui n’est pas rapportée ici de manière littérale, fonde sur l’autorité du Stagirite cette difficulté de la connaissance métaphysique pour l’intellect humain, qui est enveloppé d’imaginations au sens des phantasiae et des sens. Or il est difficile à l’homme de parvenir à ce qui est métaphysique, parce qu’il ne vient à cela que par l’admiration, pour . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. a : « Postea cui est difficilia et non levia homini cognoscere […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. a : « Et ideo in naturalia potest homo de facili : quia ad illa homo juvatur a sensu, et imaginatione, et intellectu. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. a : « In mathematica autem non habet tantam facilitatem : quia ad illa non juvatur nisi imaginatione et intellectu. » . Dans le commentaire albertien du livre de Job, la figure de la chauve-souris est associée à la citation aristotélicienne pour qualifier le rapport des Athéniens au « Dieu inconnu » comme à ce qui est éloigné de leurs sens, selon le discours de Paul sur l’Aréopage (Ac. , -), cf. ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in Iob, cap. , n. , ed. M. Weiss, Herder, Friburgi Brisgoviae, , p. , l. - : « Et hoc est, quod dicit : ‘sapientia de occultis’, hoc est a sensu remotissimis, haec enim occulta sunt homini, quamvis in se manifestissima sint, unde dicit Philosophus, quod dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae est sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis. Propter hoc dicitur Act. XVII, (-), ubi Paulus Atheniensibus loquitur : ‘Viri Athenienses, per omnia quasi superstitiosos vos video. Praeteriens enim et videns simulacra vestra, inveni et aram, in qua scriptum erat : Ignoto Deo ! Eo quod Deus noster absconditus est a sensibus vestris’. Is. XLV, () : ‘Vere, Tu es Deus absconditus.’ Is. LIII, () : ‘Quasi absconditus vultus eius.’ Horum autem occultorum potissimum est inspiratio et revelatio. Unde Iob IV, (), ubi Eliphaz scientiam Dei accepisse testatur, sic dicit : ‘Stetit quidam, cuius non agnoscebam vultum, imago coram oculis meis’, et ibidem (IV, ) : ‘Quasi furtive suscepit auris mea venas susurrii eius.’ Furtive fit quod in furvo fit, hoc est in nigro sive in abscondito. » « Et cela est ce qu’il dit : ‘sagesse de ce qui est occulté’, c’est-à-dire de ce qui est le plus éloigné des sens car cela est occulté à l’homme, bien que soit en soi le plus manifeste. De ce fait, le Philosophe dit que la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste est comme la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. Pour cette raison, il est dit en Ac. (, -) où Paul parle aux Athéniens : ‘Hommes athéniens, je vous vois, en tout points, comme scrupuleux. En passant devant vos simulacres et en
CHAPITRE I
cette raison que seul l’intellect se tourne vers cela , lui qui est, cependant, aussi enveloppé par les imaginations (phantasiis) et les sens. Pour cette raison, le Philosophe dit aussi, dans le deuxième de la Métaphysique : « Comme les yeux des chouettes se rapportent à la lumière (lumen) qui est selon le jour, ainsi l’intellect de notre âme à ce qui, entre tous, est, de nature, le plus manifeste. La citation d’Aristote intervient dans le cadre des trois degrés de difficulté des sciences spéculatives. Cet extrait de la Summa de creaturis diffère des passages du traité De l’intellect et de l’intelligible que nous avons lus, notamment dans la mesure où la connaissance mathématique, qui était dans le De intellectu et intelligibili la plus appropriée à l’intellect humain, ne l’est pas ici. Mais la caractéristique principale par laquelle ce texte, comme le précédent, se distingue du commentaire de la Métaphysique et des textes du corpus aristotélicien que nous avons lus est l’affirmation de la difficulté, pour l’intellect humain, d’atteindre la connaissance métaphysique. Dans son commentaire du premier chapitre des Noms divins, le Docteur universel a recours à la figure de la chauve-souris dans la réponse à un argument posant la possibilité, pour des noms affirmatifs, d’être dits de Dieu au sens propre et de manière la plus vraie. La figure de la
voyant, j’ai même trouvé, en effet, un autel sur lequel avait été écrit : “Au dieu inconnu” pour cette raison que notre Dieu est caché à vos sens. Is. (, ) : ‘Vraiment, tu es le dieu caché’. Is. (, ) : ‘Son visage comme caché’. Or l’inspiration et la révélation de ces occultées est très puissante. De ce fait, Jb (, ) où Eliphaz atteste avoir reçu la science de Dieu, dit ainsi : ‘Quelqu’un s’est tenu debout dont je ne connaissais pas le visage, image devant mes yeux’ et là-même (, ) : ‘Comme furtivement, mon oreille a perçu le cœur (venas) de son murmure’. Furtivement est advenu ce qui advient dans ce qui est sombre, c’est-à-dire dans ce qui est noir ou dans ce qui est caché. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. ab : « In metaphysica autem est difficile venire homini : quia ad illa non venit nisi per admirari, eo quod solus intellectus vertitur ad illa : qui tamen etiam intellectus involutus est phantasiis et sensibus. Propter quod et dicit Philosophus in II Metaphysicae : “Sicut noctuarum lumina ad lumen quod est secundum diem, sic animae nostrae intellectus ad naturae manifestissima omnium”. » . Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad idem : de illo verissime nomen dicitur, cui natura significata per nomen convenit in termino sicut calidum de igne ; sed res significatae per plura affirmativa nomina conveniunt deo simplicissime et in termino, ut sapientia, vita et huiusmodi ; ergo verissime et proprie dicuntur de deo, et sic potest habere nomen affirmativum. »
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chauve-souris permet précisément au Doctor magnus de répondre qu’« il ne nous est pas parfaitement possible de le connaître ni de le nommer ». L’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître Dieu parfaitement est fondée sur le fait que nous ne pouvons connaître que « par une intellection confuse » celui qui par lui-même possède, pourtant, « très parfaitement d’où il pourrait être connu et nommé, parce qu’il est parfait et acte pur et ne possède rien de mêlé d’imperfection ». « De Dieu, nous ne comprenons, en effet, pas ce qu’il est mais seulement qu’il est, et cela de manière confuse, parce que nous le connaissons par l’effet qui lui est univoque, immédiat et essentiel ». « C’est pourquoi aussi nous ne pouvons le nommer de manière affirmative selon ce qu’il est, mais seulement par ce qui est dans les effets par « Quand au même , le nom est dit de manière la plus vraie au sujet de ce à quoi la nature signifiée par le nom convient au plus haut degré, comme le chaud du feu ; mais les réalités signifiées par plusieurs noms affirmatifs conviennent à Dieu de manière très simple et au plus haut degré, comme sagesse, vie et les de cette sorte. Ils sont donc dits de Dieu proprement et de manière très vraie et il peut ainsi avoir un nom affirmatif. » Que Silvia Donati soit ici remerciée pour notre discussion au sujet de la traduction de l’expression in termino dans ce contexte. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad quintum dicendum, quod quamvis deus, quantum est in se, sit maxime cognoscibilis, tamen intellectus noster se habet ad rerum manifestissima sicut oculus vespertilionis ad lucem solis, ut dicit Philosophus, et ideo non est nobis perfecte cognoscibilis neque nominabilis. » « Quant au cinquième , il faut dire que, bien que Dieu, autant qu’il est en lui, soit au plus haut point connaissable, cependant, notre intellect se rapporte à ce qui, des réalités, est le plus manifeste, comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lucem) du soleil, comme dit le Philosophe. C’est pourquoi aussi il ne nous est pas parfaitement possible de le connaître ni de le nommer. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « A nobis tamen non est cognoscibilis nisi confuso intellectu […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Ipse enim perfectissime habet, unde cognosci et nominari possit, cum sit perfectus et purus actus, nihil habens imperfectionis admixtum. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] quia non comprehendimus de deo, ‘quid’ est, sed tantum ‘quia’, et hoc confuse, cum non cognoscamus ipsum per effectum univocum sibi et immediatum et essentialem. » . De même, dans ses Quaestiones de animalibus, Albertus Magnus convoque la figure du corbeau de nuit pour rappeler que nous ne pouvons connaître la cause première par son essence, mais seulement par ses effets, cf. ALBERTUS MAGNUS, Questiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Ad primam rationem ad oppositum dicendum, quod etsi prima causa a nobis non intelligatur per suam essentiam, quod propter hoc non sit incognoscibilis, sicut sol non est frustra visibilis, etsi non videatur a nocticorace. Sic licet nos non intelligamus primum per suam essentiam, satis tamen per effectum ; etc. » « Quant à la première raison en faveur de contraire, il faut dire que, même si la cause première n’est pas intelligée par nous par son essence, pour cette raison, [qu’] elle n’est pas
CHAPITRE I
lesquels nous le connaissons qui, de manière plus vraie par ce mode, sont éloignés de la cause non univoque dans laquelle ils sont. Pour cette raison aussi, il est nommé en propre et au plus haut point par nous de manière négative ». Dans ce contexte dionysien, la figure de la chauve-souris exerce, par conséquent, toujours la même fonction d’indicateur de l’écart qui sépare l’intelligible divin de l’intellect humain. L’interprétation que le maître de Cologne en tire diffère, cependant, de la continuité épistémique qu’il a développée dans le corpus aristotélicien et dans les textes qui lui sont assimilés. Dans cet extrait de son commentaire des Noms divins, il s’en tient strictement à énoncer les limites de la possibilité de connaître et de nommer Dieu pour l’intellect humain. Ce dernier ne peut connaître de Dieu que le fait qu’il est (quia est), et non inconnaissable, comme le soleil n’est pas visible en vain, même s’il n’est pas vu par le corbeau de nuit. De même, bien que nous n’intelligions pas le premier par son essence, suffisamment par l’effet, etc. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Et ideo non possumus ipsum affirmative nominare secundum quod ‘quid’ est, sed tantum per ea quae sunt in effectibus, quibus ipsum cognoscimus, quae verius per modum illum removentur a causa non univoca, quam insint, et ideo negative maxime et proprie nominatur a nobis. » . Dans le commentaire albertien de l’Évangile de Luc (Lc , : ‘quia abscondisti haec’), le Dominicain rhénan a recours à l’opposition entre la chauve-souris et l’herodius sur lesquels brille également la lumière du jour, pour souligner qu’il tient à l’incapacité de l’intellect humain de connaître le principe divin, puisque celui-ci se manifeste également à tous, cf. ALBERTUS MAGNUS, Enarrationes in Lucam (Luc. , ), Ed. Paris. XXIII, p. a : « De primo dicit, quia ‘absconditi haec’, hoc est, talia fecisti, quae secundum se abscondita sunt. Invisibilia enim Dei, sua excellentia abscondita sunt ab oculis hominum : non propter illorum defectum, sed propter defectum oculorum cordium humanorum. Sicut fulgor solis absconditus est ab oculis vespertilionis : quia propter sui claritatem, quae excellit oculos vespertilionis, vespertilio involvitur tenebris, et non potest videre lumen : cum tamen lumen solis nihil faciat ad hoc quod abscondatur, sed potius manifestat se clare quantum in se est, et vespertilioni, et herodio aequaliter : sed herodius potestate sui oculi videt lumen in rota solis : et vespertilio sui oculi defectu, et obvolvitur tenebris, et lumen solis nec in rota nec in aere limpide lucens videre potest. Job XXXVII, : ‘Ostende nobis quid dicamus illi : nos quippe involvimur tenebris’. Sic ergo ‘absconditi haec’ lucidissima in se. » « Au sujet du premier , il dit : ‘parce que tu as caché cela’, c’est-à-dire que tu as fait tel que cela est selon soi-même caché. Ce qui, de Dieu, est invisible et ce qui, de ce qui est sien, est excellent est caché aux yeux des hommes, non pas à cause du défaut mais en raison du défaut des yeux des cœurs humains. De même que l’éclat du soleil est caché aux yeux de la chauve-souris, parce qu’en raison de sa clarté qui l’emporte sur les yeux de la chauve-souris, la chauve-souris est enveloppée de ténèbres et ne peut voir la lumière (lumen), bien que la lumière (lumen) du soleil ne fasse rien pour se cacher, mais plutôt se manifeste clairement, autant qu’il est en elle, à la fois à la chauve-souris et à l’herodius à égalité, mais l’herodius par la puissance de son œil voit la lumière (lumen) dans la roue du soleil et la chauve-souris par le défaut de son œil à la fois est enveloppée de ténèbres et ne peut voir la lumière (lumen) du soleil ni dans la roue ni lorsqu’elle brille dans l’air limpide. Jb , : ‘Montre-nous que lui dire : nous sommes, certes, enveloppés de ténèbres’. Ainsi donc ‘tu as caché ce’ qui est le plus brillant en soi. »
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ce qu’il est (quid est). Et il ne saurait le nommer de la manière la plus propre que de façon négative. . Plus loin, dans son commentaire du septième chapitre des Noms divins, le maître de Cologne a recours à la figure de la chouette pour soutenir, de nouveau, la thèse selon laquelle, de Dieu, il ne nous est pas possible de connaître le quid est, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod quaedam non possunt intelligi perfecto intellectu, ut dicit Avicenna, duplici ratione : aut propter eminentiam suae perfectionis, sicut deus, de quo dicit Philosophus, quod manifestissima rerum se habent ad intellectum nostrum sicut lumen solis ad oculum noctuae, aut propter defectum a perfectione, sicut potentia, ut materia et ea quae sunt semper admixta potentiae, ut motus et tempus. Et haec quidem dicuntur non comprehendi perfecto intellectu, quia cognoscimus de ipsis tantum ‘quia est’ et non ‘quid est’ ; sed quicquid sit de aliis, de deo certum est, quod non cognoscimus de ipso ‘quid est’, sed tantum ‘quia est’, et hoc etiam confuse, quia intellectus noster non tangit terminum eius. Et si dicatur, quod ‘quid est’ non invenitur nisi in his quae habent diffinitionem, quae omnia sunt composita, deus autem simplex est et ita non habet ‘quid est’ et ita ignorantes ‘quid est’ ipsius nihil ipsius ignoramus, dicendum, quod non solum de diffinitis scimus ‘quid est’, quae habent quiditatem, quae explicatur per diffinitionem, sed etiam de quolibet diffinientium, quorum unumquodque est quiditas ipsa, quae tamen tota clauditur et accipitur per intellectum nostrum. Similiter et deus est quiditas et essentia quaedam, quamvis non habeat quiditatem per modum compositorum ; tamen quiditas eius non clauditur nec accipitur in intellectu nostro, et ideo dicitur, quod nescimus de ipso ‘quid est’. » « Solution : Il faut dire que certains ne peuvent être intelligés d’une intellection parfaite, comme le dit Avicenne*, pour une double raison : ou bien en raison de l’éminence de leur perfection, comme Dieu au sujet duquel le Philosophe dit que ce qui, des réalités, est le plus manifeste se rapporte à notre intellect comme la lumière (lumen) du soleil à l’œil de la chouette, ou bien en raison d’un défaut par rapport à la perfection, à l’instar de la puissance, comme la matière, et ce qui est toujours mêlé à la puissance, comme le mouvement et le temps. Et ces sont certes dits n’être pas compris d’une parfaite intellection, parce que nous connaissons d’eux seulement qu’ils sont (le quia est), et non ce qu’ils sont (le quid est) ; mais quoi qu’il en soit des autres, au sujet de Dieu, il est certain que nous ne connaissons pas de lui ce qu’il est (le quid est), mais seulement qu’il est (le quia est), et même cela confusément, parce que notre intellect ne touche pas son terme. Et, s’il est dit que ce qu’il est (le quid est) ne se trouve que dans ces qui possèdent une définition qui sont toutes composées, tandis que Dieu est simple et qu’ainsi, il n’a pas de quid est et qu’ainsi, en ignorant son quid est, nous n’ignorons rien de lui, il faut dire que non seulement nous connaissons le quid est au sujet de ce qui est défini, qui a une quiddité qui est expliqué par la définition, mais que aussi au sujet de n’importe lequel des qui définissent dont chacun est la quiddité même qui est, cependant, tout entière enfermée et reçue par notre intellect. Et, de manière semblable, Dieu est une certaine quiddité et une certaine essence, bien qu’il n’ait pas de quiddité par le mode de ce qui est composé. Cependant, sa quiddité n’est ni enfermée ni reçue dans notre intellect. C’est pourquoi aussi il est dit que nous ne connaissons pas de lui le quid est. » * [PS.-]AVICENNA, De causis primis et secundis (de intelligentiis), cap. , ed. R. de Vaux, Vrin, Paris, (Bibliothèque thomiste ), p. , l. - : « […] omnem materiam ex quibusdam qualitatibus consistere invenimus, quibus si nudata fuerit, cum nulla ratione per seipsam comprehendatur, unaqueque autem species qualitatis ratione subiecto separatur. » ; p. , l. - : « […] sine ipsa informis est materia et in nullo intelligi potest. » ; ibid., cap. , p. , l. - : « […] qualiter causa prima est supra omnem rationem et intellectum […]. ». Cf. etiam BOETHIUS, Contra Eutychen et Nestorium, ed. C. Moreschini, p. , l. -p. , l. : « […] Deus et materia integro perfectoque intellectu intelligi non possunt. »
CHAPITRE I
Conclusion de la section I Donc la figure des animaux volants nocturnes trouve sa source en Métaphysique, α, ( b -). La signification de cette figure est particulièrement déployée dans le commentaire albertien de ce passage. La plupart du temps employée comme citation de ce contexte original, elle possède la fonction rhétorique, dans le corpus aristotélicien des œuvres du Doctor universalis et dans les textes qui lui sont assimilés, de fonder sur l’autorité du Stagirite l’argument du chiasme de l’intellection humaine du divin. La variation des traductions du grec νυκτερίδων ne semble pas seulement provenir des différentes phases du transfert du texte aristotélicien en latin. D’après la description que donne le Doctor expertus dans son De animalibus, les oiseaux de nuit que sont le nycticorax et la noctua sont lucifuges mais voient la lumière même faiblement, tandis que la vespertilio constitue le terme extrême de la faiblesse de la vision en relation avec son corrélatif, l’aigle, qui, à l’opposé, peut fixer le soleil en sa roue. Cependant, nous avons pu observer que, dans le corpus aristotélicien d’Albert le Grand, la chauve-souris n’est pas aveugle : elle voit la lumière mais seulement dans la mesure où celle-ci est mêlée aux ténèbres, comme au crépuscule ou au point du jour. Dans un texte qui ne comporte pas d’occurrence de la figure de l’animal volant nocturne mais qui appartient au réseau secondaire de l’origine sensible de la connaissance pour un intellect conjoint au continu et au temps, Albert le Grand énonce, de nouveau, la thèse selon laquelle nous ne connaissons pas le quid est de Dieu, mais seulement son quia. Il s’agit d’un commentaire de DIONYSIUS AREOPAGITA, De divinis nominibus, cap. , n. , ed. B. R. Suchla, Corpus Dionysiacum I, PTS XXXIII, Walter de Gruyter, Berlin et New York, , p. , l. -p. , l. et in Recueil donnant l’ensemble des traductions latines des ouvrages attribués au Denys de l’Aréopage, tomes, ed. Ph. Chevallier, Desclée de Brouwer et Cie, Bruges, (tome ) et (tome ) [désormais noté : Dionysiaca], I, p. -, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod hoc quod dicitur, quod deus non cognoscitur ex sui natura, dupliciter potest exponi : aut quia non cognoscimus de ipso ‘quid est’ – quiditas enim rei dicitur natura rei – aut quantum ad acquisitionem cognitionis, quia cum omnis nostra cognitio oriatur a sensu, et acquirimus cognitionem ipsius ex suis causatis, ex quibus tandem devenimus in naturam ipsius, ‘quia est’ cognoscendo, et sic significamus eam. Sed prima expositio magis competit secundum intentionem litterae. » « Solution : Il faut dire que ce qui est dit, à savoir que Dieu n’est pas connu à partir de sa nature propre, peut être exposé de deux manières : ou bien parce que nous n’en connaissons pas le quid est (ce qu’il est) – la quiddité de la chose est dite, en effet, la nature de la chose –, ou bien quant à l’acquisition de la connaissance, parce que, puisque toute notre connaissance naît à partir des sens et nous acquérons la connaissance de lui à partir de ce qu’il cause, à partir de quoi, enfin, nous accédons à sa nature, en connaissant qu’il est (le quia est), et, ainsi, nous la signifions. Mais la première exposition convient davantage selon l’intention de la lettre. »
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Même si toutes les occurrences de la figure des animaux volants nocturnes ne l’explicitent pas, notre parcours de lecture à travers le corpus aristotélicien a montré que cette figure repose sur une tripartition des phases de la lumière, des intelligibles, des sciences qui leur correspondent ainsi que des intellects qui sont en mesure de connaître ces intelligibles. La fonction argumentative de cette figure, dans le corpus aristotélicien, ne se limite pas à rappeler brièvement le chiasme de l’intellection humaine du divin mais à affirmer la possibilité, pour l’intellect humain, de remonter graduellement de la connaissance de ce qui est physique, par la connaissance de ce qui est mathématique, vers la contemplation de ce qui est divin. Le moyen en est l’étude et la séparation progressive qu’opère l’intellect par rapport à son attachement aux sens et à l’imagination à mesure qu’il connaît des étants de plus en plus séparés de matière. Or, dans d’autres contextes que le corpus aristotélicien, il semble que la figure des animaux volants nocturnes n’exerce pas la même fonction. Comme il l’esquisse très brièvement dans le De intellectu et intelligibili en guise de formule acérée du problème que pose le chiasme de l’intellection humaine du divin, Albert de Cologne y radicalise l’écart entre la capacité visuelle des animaux volants nocturnes et l’intelligible le plus manifeste en lui-même. Qu’advient-il, si ces animaux ne peuvent en aucune manière voir le soleil ? L’intellect humain peut-il s’approcher de ce qui est divin, si la remontée progressive par les sciences est trop difficile, voire n’est plus possible ? SECTION II : L’ANIMAL VOLANT NOCTURNE DANS LES CORPORA TEXTUELS NON ARISTOTÉLICIENS
Nous n’entendons pas ici établir des frontières strictes entre ce que nous avons étudié sous le nom de corpus aristotélicien et ce que nous désignons désormais, par différence avec le premier, comme corpus non aristotélicien de l’œuvre albertienne. La raison en est qu’au-delà du texte commenté chaque fois par le maître de Cologne, la figure de l’animal volant nocturne peut y jouer une fonction rhétorique et argumentative qui n’est pas caractéristique du corpus de textes dans lequel elle apparaît. Nous avons vu, par exemple, comment la citation d’Aristote pouvait remplir, au sein d’une distinction augustinienne dans la Summa de
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creaturis, la fonction argumentative qui carcatérise le corpus aristotélicien. De même, dans le commentaire d’Isaïe, Albert le Grand précise que « les chauves-souris ne peuvent soutenir la lumière (lucem) du soleil à moins qu’elle ne soit mêlée avec les ténèbres ». La capacité visuelle accordée aux chauves-souris, fût-elle faible, est, nous l’avons vu, l’une des caractéristiques principales de l’interprétation déployée dans le corpus aristotélicien. À l’inverse, dans le traité De l’intellect et de l’intelligible, la figure de l’animal volant nocturne donne lieu à une formulation aiguisée du problème noétique que pose la disproportion radicale qui sépare l’œil humain et les corps qui émettent la lumière, de telle sorte qu’il est impossible à l’œil humain de les regarder. Nous regrouperons, dans cette deuxième étape, tous les textes albertiens dans lesquels est complètement mise en cause la capacité visuelle de la chauve-souris. Qu’advient-il, en effet, si celle-ci ne voit absolument pas ? Lui est-il encore possible de remonter, de manière continue, les degrés de visibilité jusqu’au plus haut ? Et la figure de l’animal volant nocturne peutelle assumer les mêmes fonctions que celles qu’elle exerce dans le corpus aristotélicien ? Notamment, l’analogie avec l’animal volant nocturne sertelle ici aussi à rétablir une continuité entre les intelligibles purs et l’intellect humain par une série de hiérarchies, de telle sorte que ce dernier puisse remonter peu à peu vers la connaissance métaphysique de la cause première ? Ou bien lui faut-il changer de moyen pour continuer sa route et être, par exemple, conduit par la main, comme un aveugle ? I. « La chauve-souris ne voit rien dans la lumière du soleil » Dans le cadre du prologue de sa Summa theologiae, Albert le Grand examine les six aspects par lesquels la théologie surpasse toutes les autres sciences à partir de la citation du Psaume , qu’il met en exergue. Il donne, à ce propos, une interprétation radicale de la figure de la chauve-souris et de la citation aristotélicienne à laquelle elle est empruntée : « L’œil de la chauve-souris ne voit rien dans la lumière du soleil ». Et il en est de même de notre intellect vis-à-vis du « premier connaissable », objet de la théologie. Cette radicale impossibilité de voir distingue clairement ce texte du corpus aristotélicien. . ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Vespertiliones autem lucem sustinere non possunt, nisi sit mixta cum tenebris. »
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Nous visons à déterminer la fonction qu’y joue, dès lors, la figure de la chauve-souris et ses éléments constitutifs. La citation du Stagirite soutient l’objection selon laquelle il n’est pas vrai que l’âme humaine trouve son repos dans la théologie, entendue comme science du premier connaissable. Le Doctor magnus répond à cette objection en livrant une autre manière de lire le texte tiré de la Métaphysique. L’interprétation qu’en donne Albert de Cologne consiste à translater la tension caractéristique du chiasme aristotélicien du côté de l’écart entre la capacité de connaître de l’intellect humain et son désir naturel de trouver son repos dans ce qui est premier. Les limites inhérentes à ses facultés cognitives l’empêchent absolument d’atteindre le terme dans lequel son désir serait assouvi. L’intellect humain est repoussé (reverberari) précisément par ce qu’il désire au plus haut point connaître. De même, l’incapacité des yeux de la chauve-souris à fixer la lumière du soleil lui fait fuir la lumière du soleil, qui est la plus manifeste. Au contraire, les yeux de l’herodius trouvent leur repos dans cette lumière qui est première. Ainsi le chiasme aristotélicien de l’intellection humaine du divin est-il déplacé par le maître de Cologne à l’intérieur du connaissant. L’intellect humain se trouve écartelé entre la fin dans laquelle son désir s’apaiserait et ses capacités cognitives limitées. Bien plus, il fuit ce qu’il désire le plus connaître. Il se distingue, de ce point de vue, de l’intellect pur qui peut atteindre ce qu’il aspire à connaître et reposer dans le premier principe dans lequel son désir trouve son assouvissement. . De même, dans son commentaire du premier livre des Sentences, Albert le Grand emprunte à Aristote la citation du deuxième livre de la Métaphysique pour illustrer la difficulté, pour l’intellect humain, de connaître ce qui est par nature le plus manifeste, ici le Père, le Fils et le Saint Esprit : « la lumière (lux) suprême et la plus manifeste nous est cachée en raison de l’imperfection de notre œil ». ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in I Sententiarum, d. , A, divisio textus, Ed. Paris. XXV, p. ab (avec légère modification de la ponctuation) : « Si autem quaeritur, Quare non in aliis libris tangitur primus modus deveniendi in scientiam ipsorum, sicut hic ? Dicendum, quod hoc contingit propter difficultatem hujus materiae, quae licet sit summa lux et manifestissima, nobis tamen propter imperfectionem nostri occuli est occulta. Unde, Psal. CXXXVIII, : ‘Mirabilis facta est scientia tua ex me : confortata est, etc. Et, in II Metaphysicae : Sicut est dispositio oculorum vespertilionum ad lumen solis, ita est dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae. » « Or, s’il est demandé pourquoi le premier mode pour parvenir à la science de cela n’est pas traité dans les autres livres comme ici, il faut dire que cela arrive en raison de la difficulté de cette matière qui, bien qu’elle soit la lumière (lux) la plus haute et la plus manifeste, nous est, cependant, occultée en raison de l’imperfection de notre œil. De ce fait, Ps. , : ‘Ta science a été rendue admirable d’après moi : elle a été confortée etc.’. Et, en Métaphysique II, de même qu’ la disposition des yeux des chauves-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil, de même est la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste. »
CHAPITRE I
Cependant, Maître Albert ne se contente pas de donner une autre formulation du chiasme aristotélicien. Comme dans son commentaire de la Métaphysique, il propose à l’intellect humain une manière d’échapper à l’aporie. Dans le prologue de la Somme de théologie, cette voie de sortie n’est pas la continuité établie par la hiérarchie épistémique mais la distinction entre l’intellect en tant qu’il est humain et l’intellect en tant qu’intellect. De même qu’il convient de distinguer les yeux en tant qu’ils sont ceux de la chauve-souris et les yeux pris en leur nature propre, de même, l’intellect en tant qu’il est celui de l’homme est conjoint au continu et au temporel et ne peut connaître immédiatement ce qui est premier et le plus manifeste, tandis qu’en tant qu’intellect, il peut le connaître et y trouver son repos. Une fois cette distinction établie, certains traits structurels de la figure de la chauve-souris peuvent être transférés dans le contexte de cette interprétation qui diffère, pourtant, nettement de celle du corpus aristotélicien. Quant à un premier trait commun, la possibilité, pour l’intellect humain, d’accéder à la première des sciences, la théologie, se fonde sur sa capacité à se séparer de ce qui ressortit, du point de vue des facultés de l’âme, aux sens et à l’imagination et, du point de vue ontologique, au temporel et au continu. En ce qui concerne un second trait commun, la référence à Alfarabi est reprise, dans le contexte de la Somme de théologie, pour rappeler que ce qui est premier en soi – le divin et sa science – est atteint en dernier par nous et que la science théologique est le terme dans lequel culmine une vie de philosophe passée à étudier. Puisqu’il est donc déjà établi que cette science traite du premier connaissable, dans la mesure où la lumière des lumières (lux luminum) est en elle-même et reluit en tous les autres, il est établi qu’en elle, l’esprit de l’homme repose au plus haut point. Et s’il est objecté que le Philosophe dit que « la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est le plus manifeste de nature est comme la disposition des yeux des chauves-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil », l’œil de la chauve-souris, quant à lui, ne voit rien dans la lumière (lumine) du soleil, mais il la fuit, donc aussi notre intellect fuit ce qui est le plus manifeste et premier, et ne repose pas en cela, nous disons que cela arrive aux yeux de la chauve-souris, en tant qu’ils appartiennent à la chauve-souris, et non en tant qu’ils sont des yeux. Les yeux de l’herodius s’appliquent, certes, à la lumière (lumini)
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du soleil dans la roue et reposent en elle. Et il arrive de même à l’intellect, en tant qu’il est nôtre, c’est-à-dire avec le continu et le temps, d’être repoussé (reverberari) par ce qui est, de nature, le plus manifeste et premier. Mais, en tant qu’il est intellect et une certaine nature divine, comme dit le Philosophe au X des Éthiques, rien ne lui convient aussi bien que de reposer dans ce qui est premier. C’est pourquoi les philosophes enseignent aussi que, par la séparation par rapport au continu et au temps, c’est-à-dire à ce qui est imaginable et à ce qui est sensible, l’on acquiert son intellect et, une fois l’intellect possédé, en l’appliquant au divin, il se repose. Augustin, dans le deuxième des Confessions : « Tu nous as faits, Seigneur, pour toi, et notre cœur est inquiet, jusqu’à ce qu’il parvienne à toi ». Sous ce rapport, la théologie, qui est par nature la première de toutes les sciences, atteint sa perfection en dernier, dans l’ordre de l’étude et de la recherche. C’est pourquoi Alfarabi dit que les philosophes ont achevé leur vie dans l’étude de celle-ci. . ARISTOTELES, Ethica Nicomachea, lib. , cap. ( b ), Guillelmus de Morbeka reuisor transl. Aristotelis sec. exempl. Parisiacum (‘recensio Recognita’ – Roberti Grosseteste transl. recensio), ed. R.-A. Gauthier, Arist. Lat. XXVI, -, Brill et Desclée de Brouwer, Leiden et Bruxelles, , p. , l. -. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. ; cap. , Ed. Paris. IX, ab ; a-b. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, Confessionum libri XIII, lib. , cap. , n. , ed. L. Verheijen O. S. A., CCSL XXVII, Brepols, Turnhout, , p. , l. -. . ALFARABI, De intellectu et intellecto, ed. É. Gilson, in « Les sources gréco-arabes de l’augustinisme avicennisant », Archives d’Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge (= AHDLMA) (), Paris, p. ad sensum. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Cum igitur iam constet, quod haec scientia est de scibili primo, prout lux luminum est in seipso et relucens in omnibus aliis, constat, quod in ipsa maxime quiescit animus hominis. Et si obicitur, quod dicit Philosophus, quod ‟dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae est sicut dispositio oculorum vespertilionum ad lumen solis”, oculus autem vespertilionis nihil videt in lumine solis, sed fugit ipsum, ergo et intellectus noster manifestissima et prima fugiet et non quiescet in eis : dicimus, quod hoc accidit oculis vespertilionis, inquantum sunt vespertilionis, non inquantum sunt oculi. Oculi quippe herodii applicantur lumini solis in rota et quiescunt in ipso. Et sic accidit intellectui, inquantum noster est, hoc est cum continuo et tempore, reverberari a naturae manifestissimis et primis. Inquantum autem intellectus est et quaedam natura divina, ut dicit Philosophus in X Ethicorum, nihil adeo convenit ei sicut quiescere in primis. Et ideo docent philosophi, quod aliquis per separationem a continuo et tempore, hoc est ab imaginabilibus et sensibilibus, suum adipiscatur intellectum et possesso intellectu applicando eum ad divina quiescat. Augustinus in II Confessionum : “Fecisti nos, domine, ad te, et inquietum est cor nostrum, donec perveniat ad te”. Hoc respectu theologia, quae natura omnium scientiarum prima est, ultima efficitur ordine studii et inquisitionis. Propter quod dicit Alfarabius, quod in studio illius philosophi vitam finierunt. »
CHAPITRE I
D’autres textes du corpus non aristotélicien confirment la spécificité de l’interprétation de la figure de la chauve-souris que Maître Albert développe ici. Le commentaire du premier chapitre de la Hiérarchie céleste propose également une interprétation de la figure de la chauve-souris qui diffère nettement de celle qui est livrée dans le corpus aristotélicien. Le Doctor expertus y déclare, en effet, que la vue de la chauve-souris est complètement émoussée par la lumière du soleil. De même, est aussi modifiée la dynamique de la comparaison entre la vue de l’aigle et celle de la chauve-souris. Celle-ci n’est plus directement identifiée à l’homme. Elle se situe au niveau inférieur d’une hiérarchie des capacités visuelles dont l’homme occupe le niveau médian et l’herodius le degré supérieur. . En commentant le De caelesti hierarchia, au sixième chapitre, Albert le Grand propose une tripartition des capacités visuelles similaire. L’aigle occupe le degré supérieur : il voit le soleil dans son éclat ; l’homme représente le degré médian ; à la chauve-souris est assigné le degré inférieur : elle est « capable de recevoir cette même lumière enténébrée ». À la différence du premier chapitre, toutefois, le Doctor magnus affirme, conformément à ce qu’il soutient dans le corpus aristotélicien, que la chauve-souris voit la lumière à condition qu’elle soit « mêlée d’ombre, en s’approchant immédiatement de ce qui est continu et temporel ». Ces trois degrés appartiennent à une unité de genre et diffèrent selon la quantité de capacité. ALBERTUS MAGNUS, Super Dionysium De caelesti hierarchia, cap. , ed. P. Simon et W. Kübel, Ed. Colon. XXXVI/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Est capax oculus aquilae luminis solis in suo fulgore et oculus vespertilionis eiusdem obtenebrati, et oculus hominis ut medio modo se habet, et ideo habent diversam speciem proportionis ad capiendum lucem solis. Similiter quidam angelorum sunt capaces divini luminis, prout est in suo fulgore, quidam vero non, nisi obumbretur vicinando immediate ad continuum et tempus, quomodo obumbratum nos recipimus et ita efficitur proportionatum nobis, quidam vero medio modo se habent, cum inter duo extrema distantia sit medium, et sufficit accipere unum in genere. Et secundum hoc accipiunt tres hierarchiae ex diversa proportionis specie in capiendo divinum lumen secundum diversam rationem capacitatis. Sed secundum diversam quantitatem capacitatis, quae est eiusdem rationis, differunt ordines eiusdem hierarchiae et diversi in eodem ordine. » « L’œil de l’aigle est capable de la lumière (luminis) du soleil en son éclat, l’œil de la chauve-souris de la même enténébrée et l’œil de l’homme s’ rapporte comme sur un mode médian. C’est pourquoi aussi ils ont une espèce de proportion différente pour saisir la lumière (lucem) du soleil. De même que certains parmi les anges sont capables de lumière (luminis) divine, selon qu’elle est dans son éclat, tandis que d’autres non, à moins qu’elle ne soit obombrée, en s’approchant immédiatement de ce qui est continu et du temps, comme nous recevons ce qui est obombré, ainsi aussi nous est-elle rendue proportionnée, tandis que certains s’y rapportent sur un mode médian, parce qu’entre deux extrêmes distants il y a un médian et qu’il suffit de prendre l’unité de genre. Et, selon cela, les trois hiérarchies reçoivent à partir d’une espèce de proportion différente en saisissant la lumière (lumen) divine selon une raison de capacité différente. Mais, selon une quantité de capacité différente qui relève de la même raison, les ordres de cette même hiérarchie diffèrent et plusieurs dans un même ordre. » Dans le traité Des sacrements, la tripartition des capacités visuelles dans laquelle l’homme occupe le degré médian, entre l’herodius et la noctua, présente un quatrième degré au bas de la hiérarchie : celui de la taupe. Le critère adopté pour cette hiérarchie est physiologique : la coadunation et la condensation de la lumière.
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
La vue de l’homme, pour sa part, en raison de sa faiblesse, tremble à la vue du soleil, tandis que la vue de l’herodius en est confortée et peut fixer le soleil en sa roue. Cette hiérarchie des visions corporelles sert d’analogie pour la vision spirituelle. La tripartition des capacités visuelles est modifiée, lorsqu’elle est transférée aux capacités spéculatives intellectuelles. L’intellect humain n’occupe pas seulement la position médiane de la hiérarchie noétique. Il est identifié aux trois degrés. La position de certains par rapport à la clarté divine est comparée à celle de la chauve-souris face au soleil. Il s’agit de ceux qui sont pris dans les affects et l’imagination liés au corps : leur vue est totalement émoussée. Il convient, désormais, de trouver une manière d’échapper à l’aporie noétique selon laquelle il n’est pas possible de remonter vers le principe de la lumière intelligible par le même moyen de connaissance que celui qui est utilisé pour la connaissance des étants physiques, parce que ce moyen visuel est complètement émoussé. ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. [n. ], ed. W. Kübel, Ed. Colon. XXVI, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -p. , l. : « Et coadunatio et condensatio illius luminis secundum plus et minus est in diversis animalibus. In herodio enim, ut dicit Philosophus, est ut multum, et ideo aspicit solem in rota ; in homine autem non sic est, et ideo non potest aspicere solem sic, sed videt in lumine solis, quod diffunditur in aëre. In quibusdam etiam oculis non est densum, sed tamen adunatum, sicut in oculo noctuae, et ideo reverberatur a multo lumine, sed directe videt in lumine permixto umbris, sicut est lumen vespertinum et lumen noctis. Et quaedam est virtus visiva in oculo cum lumine debili non-adunato, et hoc indiget velo tenebroso ad hoc, ut non reverberetur, sicut est virtus visiva in oculo talpae, quae habet oculos sub pelle, ut dicit Philosophus, et hoc ideo, quia in maiori parte habitatio eius est sub terra. » « En différents animaux, la focalisation (coadunatio) et la condensation de cette lumière sont selon le plus et le moins. Comme dit le Philosophe, elle sont, en effet, au plus dans l’herodius. C’est pourquoi aussi il regarde le soleil dans la roue, tandis que, dans l’homme, il n’en est pas ainsi. Et, pour cette raison, il ne peut regarder le soleil ainsi, mais il voit dans la lumière (lumine) du soleil qui est diffusée dans l’air. Dans certains yeux également, elle n’est pas dense, mais focalisée (adunatum), comme dans l’œil de la chouette. C’est pourquoi aussi il est repoussé par beaucoup de lumière (lumine), mais il voit directement dans la lumière (lumine) mêlée d’ombres, comme sont la lumière (lumen) du soir et la lumière (lumen) de la nuit. Et il y a une certaine puissance (virtus) visuelle dans l’œil avec une lumière faible qui n’est pas focalisée (non-adunato) et, de cette manière, elle a besoin d’un voile ténébreux pour ne pas être repoussée, comme est la puissance (virtus) visuelle dans l’œil de la taupe, qui a les yeux sous la peau, comme dit le Philosophe, et ce, parce que, pour la plus grande part, son habitation est sous terre. » Mais cette structure de tripartition n’est pas propre au corpus non aristotélicien. Nous en avons repéré une occurrence dans le corpus aristotélicien du réseau textuel des animaux volants nocturnes. Cf. supra chapitre I, p. III, note , ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -.
CHAPITRE I
Maître Albert n’abandonne pas la chauve-souris et son analogue spirituel qui demeure attaché aux imaginations et aux affects corporels assignés au degré de connaissance qui est propre à leur nature. Il leur propose un chemin vers le principe divin. Ce chemin consiste en un éloignement progressif vis-à-vis de ce qui est corporel pour connaître ce qui est spirituel, d’abord, par les principes de la raison (degré médian), puis pour être conforté dans cette connaissance par la lumière de la foi. L’intellect humain est, par conséquent, identifié successivement aux trois stades de cette remontée noétique vers le principe : en tant que faculté attachée aux affects terrestres et aux images corporelles, d’une part, en tant qu’elle s’en détache pour spéculer intellectuellement selon les principes de la raison, d’autre part, en tant qu’elle est confortée par la foi, enfin. Il est remarquable que le terme de cette ascension dans la hiérarchie ne coïncide pas, comme c’est le cas du corpus aristotélicien, avec la connaissance métaphysique – ou théologique – du principe, mais avec la foi. De même, la figure de la chauve-souris présente ici la même caractéristique que dans le corpus aristotélicien : elle permet de poser une continuité entre ces trois degrés de connaissance. Cependant, cette continuité diffère de la continuité noétique décrite dans le corpus aristotélicien. D’une part, cette remontée débute par l’imagination, passe par la raison, pour être aidée, enfin, par la lumière de la foi, tandis que la voie du corpus aristotélicien se meut des sens, par l’imagination, vers l’intellect. D’autre part, la lumière de la foi n’équivaut, par définition, en aucune manière à une vision directe de Dieu, contrairement à ce qui est promis à la vision aquiline de l’intellect séparé auquel l’intellect humain est identifié au stade suprême de connaissance. La continuité noétique . L’idée de confortation par quelque moyen se trouve associée à la faiblesse des yeux de la chouette face à Dieu qui est le plus manifeste en soi dans la Question au sujet de la vision de Dieu dans la patrie, cf. ALBERTUS MAGNUS, Quaestio de visione dei in patria, ed. W. Kübel, Ed. Colon. XXV/, p. , l. - : « () Ad ultimum dicendum, quod Augustinus loquitur de visione apparitionis in subiecta creatura, quomodo apparuit antiquis patribus, quibus voluit et quando voluit ; et tamen ratio non valet, quia licet ipse sit summa veritas et prima, tamen intellectus noster se habet ad manifestissima rerum sicut oculus noctuae ad lucem diei propter suam imbecillitatem, nisi aliquo modo confortetur. » « Quant au dernier , il faut dire qu’Augustin parle, au sujet de la vision de l’apparition dans la créature soumise, de la manière dont elle est apparue aux anciens Pères, à qui elle a voulu et quand elle voulu. Et, cependant, la raison ne vaut pas, parce que, bien qu’il soit la suprême et première vérité, cependant, notre intellect se rapporte à ce qui, des réalités, est le plus manifeste comme l’œil de la chouette à la lumière (lucem) du jour en raison de sa faiblesse, à moins qu’il ne soit conforté de quelque manière. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
développée ici à partir de la figure de la chauve-souris demeure dans la connaissance médiate. Elle ne présuppose pas le saut de la connaissance médiate à la connaissance immédiate, comme c’est le cas dans le corpus aristotélicien. Précisons, désormais, quel est le mode de connaissance propre à l’intellect humain dont la capacité de connaître le principe divin est émoussée. La voie noétique proposée dans le De caelesti hierarchia est bien une anagogie, une remontée vers le principe divin. Mais elle ne consiste pas à se séparer des étants physiques pour aller progressivement des étants mathématiques aux intelligibles purs. Elle vise plutôt à regarder la lumière divine dans et à travers les symboles, entendus ici non pas au sens général de ressemblances corporelles mais au sens restreint de ces mêmes similitudes corporelles en tant qu’elles représentent ce qui est spirituel et, plus précisément en ce qui concerne notre enquête, ce qui est divin. Il ne s’agit pas de s’arrêter à ces « ‘symboles figurés’ », c’est-àdire ces « figures corporelles exprimées » mais de voir en (in) elles, à partir d’elles (ex) et à travers elles (per) le principe en tant qu’il est participé par les créatures et le principe en tant qu’il est éminemment au-dessus d’elles. « Et nous considérerons, autant que nous en sommes capables, les hiérarchies » – c’est-à-dire les principautés sacrées, « des esprits (animorum) célestes », c’est-à-dire des esprits (spirituum), à savoir des anges – les hiérarchies, dis-je, « qui nous sont manifestées par eux », c’est-à-dire par les discours ou par les pères, « de manière symbolique » – c’est-à-dire par des similitudes corporelles ; est, en effet, ici appelée ‘symbole’ la similitude corporelle qui représente ce qui est spirituel, bien que toute similitude puisse être dite ‘symbole’ ; et cela se réfère à la réception de l’illumination – « et anagogiquement » – c’est-àdire d’une manière « sursumductive », autrement dit en nous conduisant, par des symboles, vers ce qui est supérieur ; et cela se réfère à la reconduction de la lumière (luminis) qui procède ; car ‘vers le haut’ se dit en grec ana et ‘conduite’ gogos. Et nous, . Au sujet de DIONYSIUS AREOPAGITA, De coelesti hierarchia, cap. , n. , ed. G. Heil und A. M. Ritter, Corpus Dionysiacum II, PTS LXVII, Walter de Gruyter, Berlin et Boston, . überarbeitete Auflage, , p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -, transl. Iohannis Eriugena in Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . Les guillemets indiquent, ici ainsi que dans la traduction des autres commentaires dionysiens du Maître de Cologne, le texte de Denys commenté par Albert le Grand.
CHAPITRE I
en invoquant Jésus, « en regardant par les yeux de l’esprit immatériels et ne tremblent pas » : de même, en effet, que la vue corporelle de certains est complètement émoussée par la lumière (lumine) du soleil, comme de la chauve-souris, et que la vue d’autres s’érige en quelque sorte pour regarder le soleil mais, en raison de faiblesse, les yeux tremblent, comme la vue de l’homme, tandis que la vue d’autres est confortée, de telle sorte qu’elle voit le soleil comme dans la roue, comme la vision de l’herodius, et ainsi la vue de l’esprit naturel de ceux qui sont détenus par les affects terrestres et par les images corporelles est tout à fait émoussée par la clarté divine. Mais, en s’éloignant d’eux vers la spéculation intellectuelle, elle est rendue immatérielle mais, encore tremblante, parce qu’elle voit ce qui est divin, pour ainsi dire, de loin, par les principes de la raison, tandis qu’en ne tremblant pas, elle est rendue confortée par la lumière (lumine) de la foi. Il dit donc « immatériels », quant à l’intellect, « qui ne tremblent pas », quant à la confortation de l’intellect par la foi. En regardant, dis-je, dans ces hiérarchies mêmes, « la clarté du Père divin, qui est propre au principe (principalem) », parce qu’ le principe de toute hiérarchie, en tant qu’elle est considérée participée en elles , et « propre à ce qui est au-dessus du principe », dans la mesure où elle est considérée en elle-même en raison de son éminence, clarté « qui nous manifeste les bienheureuses hiérarchies dans des symboles figurés », c’est-à-dire dans des figures corporelles exprimées. Nous, dis-je, en regardant « de nouveau à partir d’elle », à savoir la clarté, en d’autres termes par elle, « nous sommes restitués à son rayon simple (simplum) », c’est-à-dire à ce qui est simple (simplicem), comme cela a été exposé auparavant. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. : « “Et considerabimus, quantum potentes sumus, hierarchias”, idest sacros principatus “caelestium animorum”, idest spirituum, angelorum scilicet ; hierarchias, dico, “manifestatas nobis ab ipsis”, scilicet eloquiis vel patribus, “symbolice”, idest similitudinibus corporalibus ; symbolum enim dicitur hic similitudo corporalis spiritualia repraesentans, licet quaelibet similitudo symbolum possit dici, et hoc refertur ad illuminationis acceptionem ; “et anagogice”, idest sursumductive, idest ducendo nos in superiora per symbola, et hoc refertur ad reductionem luminis procedentis. Ana enim Graece dicitur sursum, gogos ductio. Et nos invocantes Iesum “respicientes immaterialibus et non-trementibus oculis mentis” : sicut enim quorundam visus corporalis omnino
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Cette voie anagogique de l’intellect humain vers le principe divin est intégrée à un mouvement universel de procession à partir du principe, un et simple, et de retour à ce principe en y reconduisant l’intellect humain d’une manière qui soit conforme et proportionnée à sa nature. « Et ce n’, en effet, jamais en quelque lieu non plus etc. » Il avait dit, dans ce qui précède, que le rayon qui procède nous reconduit à l’unité simple de laquelle il procède et que cela advient de manière proportionnelle et connaturelle à nous. Et il manifeste les deux dans cette partie. De ce fait, elle est divisée en deux parties. Dans la première, il manifeste le premier , dans la seconde le second, ici : « Car il n’ pas non plus possible ». La première en trois . Dans la première, il dit que le rayon qui procède dans sa simplicité demeure en lui-même ; dans la deuxième, qu’il est multiplié dans ce qui reçoit, ici : « mais vers l’ anagogique » ; dans la troisième, qu’il reconduit ce qui reçoit à l’unité, autant qu’il est possible, ici : « et en lui, autant que cela est licite ». L’interprétation de la figure de la chauve-souris dans le corpus non aristotélicien diffère de celle que déploie Maître Albert dans le corpus aristotélicien en ceci que l’impossibilité, pour l’intellect humain conjoint
obtunditur lumine solis, ut vespertilionis, et quorundam visus erigitur aliqualiter ad inspiciendum solem, sed propter debilitatem tremunt oculi, ut visus hominis, quorundam vero visus confortatur, ut videat solem ut in rota, ut visus herodii ; et ita visus mentis naturalis eorum qui terrenis affectibus et corporeis imaginibus detinentur, omnino retunduntur a divina claritate. Sed ab his recedens in intellectualem speculationem immaterialis efficitur, sed adhuc tremens, quia rationis principiis velut a longinquo divina conspicit, sed non tremens efficitur lumine fidei confortatus. Dicit ergo “immaterialibus” quantum ad intellectum, “non-trementibus” autem quantum ad confortationem intellectus per fidem. Respicientes, dico, in ipsis hierarchiis “claritatem divini patris principalem”, quia principium omnis hierarchiae, prout participata in ipsis consideratur, “et superprincipalem”, prout in se consideratur propter sui eminentiam, “quae” claritas “manifestat nobis beatissimas hierarchias in symbolis figuratis”, idest figuris corporalibus expressis. Nos, dico, respicientes “iterum ex ipsa”, scilicet claritate, idest per ipsam, “restituimur in simplum”, idest simplicem, “suum radium”, ut prius expositum est. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « “Etenim neque ipse usquam umquam etc.” Dixerat in praecedentibus, quod radius procedens nos reducit in simplicem unitatem, a qua progreditur, et quod hoc fit proportionaliter et connaturaliter nobis. Quae duo manifestat in parte ista. Unde dividitur in partes duas ; in prima manifestat primum, in secunda secundum, ibi : “Etenim neque possibile”. Prima in tres ; in prima dicit, quod radius procedens in sua simplicitate in se permanet ; in secunda, quod in recipientibus multiplicatur, ibi : “ad anagogicam vero” ; tertio, quod recipientia in unitatem, quantum possibile est, reducit, ibi : “et in se, quantum fas est”. »
CHAPITRE I
aux sens et à l’imagination, de connaître immédiatement le principe divin n’est plus résolue par une élévation progressive et continue de l’intellect humain, à travers la hiérarchie des sciences, vers la connaissance des intelligibles purs. La figure de la chauve-souris permet, au contraire, au Dominicain rhénan d’ouvrir une voie vers le principe divin à partir des ressemblances corporelles qui représentent celui-ci. Il n’est plus question ici de métaphysique mais plutôt de ce qui pourrait tenir lieu d’une théologie symbolique. En quoi consiste ce mode de connaissance adapté à l’intellect en tant qu’il est conjoint au continu et au temps ? II. Une connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain Le premier trait de la connaissance adaptée à l’intellect en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination est d’advenir à partir du sensible. Albertus Magnus a recours à la figure de la chauve-souris dans son commentaire du deuxième chapitre du De caelesti hierarchia précisément pour asseoir sur l’autorité du Stagirite le caractère plus approprié à l’intellect humain de la connaissance de ce qui est spirituel à partir du sensible. Nous avons déjà étudié ce trait structurel de la figure des animaux volants nocturnes à propos de la hiérarchie épistémique qu’elle implique. Cependant, la spécificité du corpus non aristotélicien est d’adapter cette caractéristique fondamentale de la figure aux images. La figure de la chauve-souris apparaît, en effet, dans la réponse d’Albertus Theutonicus à la question de savoir si la connaissance de ce qui est spirituel – à savoir ici les anges – advient bien de la meilleure manière et selon l’art par ce qui est corporel – notamment, dans ce contexte, par les images des Écritures saintes. La fonction de la référence à la chauve-souris de la Métaphysique demeure identique : elle consiste également ici à formuler le chiasme de l’en soi et du pour nous. Si ce qui est le plus manifeste en soi est aussi le plus connaissable, en revanche, . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] tertio, utrum cognitio spiritualium per corporalia valde et optime et artificialiter fiat. » « […] en troisième lieu, si la connaissance de ce qui est spirituel advient bien de la meilleure manière et selon l’art par ce qui est corporel. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
pour nous, en raison de la faiblesse de notre faculté de connaître, il est le moins connaissable. C’est pourquoi il nous faut recourir à la médiation de ce qui nous est le plus apparenté, à savoir le sensible. Le Docteur universel rapporte quatre objections à la thèse selon laquelle, en raison des limites du connaissant, il est meilleur que la connaissance de ce qui est spirituel commence par le sensible. Ces objections valent aussi bien pour le mode de connaissance proposé dans le réseau textuel non aristotélicien que pour la voie aristotélicienne à travers la hiérarchie des sciences physique, mathématique et métaphysique. Elles mettent en lumière les limites des modes de connaissance qui commencent par le sensible, quant à la certitude et à la congruité de ces modes de connaissance par rapport à ce qui est en soi le plus manifeste. Il est, en premier lieu, possible d’objecter à cette thèse, à partir de l’autorité d’Augustin, que ce que nous connaissons le mieux est ce qui est en l’âme par son essence et qui n’est pas sensible. À cette objection, le maître de Cologne répond que, par soi-même et selon sa nature, cela est connu de façon optimale, mais cela n’est pas le cas en ce qui nous concerne. En deuxième lieu, la connaissance des conclusions fait l’objet d’une très grande certitude et n’a pas lieu par la médiation des sens. Maître Albert répond que la connaissance des conclusions dérive, certes, de la connaissance des premiers principes connus à partir de l’analyse de leurs termes. Néanmoins, la connaissance des premiers principes repose sur la . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Genesi ad litteram libri duodecim, lib. , cap. , ed. J. Zycha, CSEL XXVIII/, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Tempsky et Freytag, Pragae, Vindobonae et Lipsiae, , p. , l. -, passage qu’évoque Thomas d’Aquin de cette manière : THOMAS DE AQUINO, Summa theologiae, I, q. , a. , arg. , Ed. Leonina V, Romae, , p. a : « Dicit etiam, XII super Gen. ad Litt., quod visio intellectualis est eorum quae sunt per essentiam suam in anima. Huiusmodi autem non sunt corpora. » ; AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De trinitate, lib. , cap. , n. , ed. W. J. Mountain, CCSL L, auxiliante Fr. Glorie, Brepols, Turnhout, , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Videtur enim, quod non sit congruissima cognitio nobis per sensibilia. Sicut enim dicit Augustinus, ea quae per suam essentiam sunt in anima, optime cognoscuntur a nobis ; huiusmodi autem non sunt sensibilia ; ergo cognitio per ea non est maxime congrua nobis. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad primum ergo dicendum, quod ea quae secundum suam essentiam sunt in anima, optime cognoscuntur per se secundum eorum naturam, sed non secundum quod competit nobis. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Praeterea, cognitio conclusionum certissima nobis est ; quarum tamen acceptio non est per sensum ; ergo huiusmodi cognitio non est nobis maxime congrua. »
CHAPITRE I
connaissance des incomplexes que nous recevons par les espèces sensibles. Cette objection concerne, par conséquent, seulement la science de ce qui est complexe et ne touche pas le propos de Denys qui propose, pour sa part, dans le De caelesti hierarchia, une voie vers la connaissance de ce qui est simple. En troisième lieu, la connaissance de l’âme est plus certaine et meilleure et est antérieure à la connaissance du corps, selon le traité aristotélicien De l’âme. Or le maître de Cologne répond en soutenant que la connaissance de l’âme est dite meilleure et première en tant qu’elle est la science du principe du corps. En revanche, elle est, pour nous, moins certaine que celle des sensibles. C’est, en effet, par sa propre espèce que l’intellect se connaît lui-même et connaît les autres . Car il reçoit son espèce dans les espèces des étants qui sont auprès de lui, et qui participent son espèce, en tant qu’elles sont rendues intelligibles. Par conséquent, la connaissance que l’âme a d’elle-même, en tant qu’elle est intellective, passe par la médiation de la connaissance des sensibles rendus intelligibles dans les espèces que l’âme en possède. C’est pourquoi, bien que selon la nature de l’intellect, cette connaissance soit plus certaine, elle l’est moins que celle des sensibles pour nous. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad secundum dicendum, quod ipse hic loquitur de cognitione incomplexorum, quae accipitur per species sensibiles, ex quibus etiam accipiuntur prima principia, quae per terminos cognoscuntur, per quae etiam conclusiones fiunt notae. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad idem : Philosophus in principio de anima dicit, quod scientia de anima, quia est certior et melior, debet esse ante scientiam de corpore ; anima autem non est sensibilis sicut corpus ; ergo cognitio sensibilium non est certissima. » . ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a -), transl. Iacobi Venetici, Arist. Lat. XII/, online : « Bonorum et honorabilium notitiam opinantes, magis autem alteram altera que est secundum certitudinem aut ex eo quod meliorum que et mirabiliorum, propter utraque hec anime historiam rationabiliter utique in primis ponamus. ». Cf. transl. vetus in ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. -. Cf. THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. a. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad tertium dicendum, quod cognitio animae dicitur certior et prior, inquantum est principium corporis talis, unde etiam ibi subditur ; videtur enim esse principium quoddam animalium. Sed tamen ipse intellectus se intelligit sicut et alia, sicut dicit Philosophus, idest per speciem suam, quam accipit in speciebus rerum, quae sunt apud ipsum, participantibus speciem eius, prout intelligibiles factae sunt. Unde secundum nos eius cognitio est minus certa sensibilibus, licet in se magis. » . Cf. supra chapitre I, p. III, note , ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -.
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Enfin, puisqu’il n’est pas possible à une même chose d’être simultanément principe d’occultation et de manifestation et que la dissemblance est un principe d’occultation, alors les anges ne peuvent se manifester à nous par des corps qui leur sont dissemblants. Mais, en se référant à l’autorité de Denys, le Doctor universalis rappelle que, si les corps ne peuvent manifester les anges, en tant qu’ils leur sont dissemblables, en revanche, ils le peuvent, en tant qu’ils possèdent une ressemblance proportionnelle à ce qui est spirituel en ce qui concerne leurs actes propres. Ainsi, ce n’est pas le corps mais son acte propre qui sera la médiation par laquelle les anges seront manifestés. C’est en ce sens que Denys affirme que ce qui est spirituel est connu dans « la dissemblance par rapport au ressemblant ». Le principe général dont use Albert de Cologne pour répondre à ces objections consiste à distinguer la congruence ou la certitude d’une connaissance selon la condition de ce qui est connu, d’une part, et selon la condition de celui qui connaît, d’autre part. C’est en vue d’illustrer la première, à savoir la condition de ce qui est connu, qu’il fait appel à l’image de la chauve-souris : la connaissance de ce qui est intellectuel est plus adaptée, lorsqu’elle est acquise selon la nature intellectuelle du connaissable. Cependant, elle est moins adaptée à notre nature, nous qui connaissons. Selon notre condition, en tant que nous connaissons, la connaissance de ce qui est sensible nous est davantage adaptée. Et il s’agit là, d’ailleurs, d’une connaissance imparfaite, puisque, si nous voulons . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad idem : idem non potest esse principium occultationis et manifestationis ; dissimilitudo autem est principium occultationis; ergo angeli non congruissime manifestantur nobis per corporalia dissimilia. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., in Opera omnia quae extant, studio et opera B. Corderii, accurante et denuo recognoscente J.-P. Migne, PG III, Parisiis, , col. A, [cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -] : « […] per omnia dissimiles ejuscemodi elucidantium eloquiorum similitudines describunt. » DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., transl. Eriugenae in Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. : « […] describuntur per omnia deformes clare manifestativorum eloquiorum similitudines. ». Tandis qu’Érigène transcrit ἀνόμοιοι ὁμοιοτῆτες par deformes similitudines, et Sarracenus traduit par dissimiles similitudines (in Scholia S. Maximi in opera beati Dionysii, ed. J.-P. Migne, PG IV, Parisiis, , col. D). . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad quartum dicendum, quod inquantum dissimilia sunt, non manifestant, sed inquantum habent similitudinem proportionalitatis ad spiritualia in respectu ad proprios actus. Et ideo Dionysius dicit, quod cognoscuntur in dissimilitudine simili. »
CHAPITRE I
avoir une parfaite connaissance de ce qui est sensible, alors il faut la recevoir par les intelligibles, en reconduisant les substances sensibles vers les premiers principes de la substance, qui ne sont pas sensibles. Solution : Nous disons qu’une connaissance peut être dite plus congruente ou plus certaine de deux manières : ou bien selon la condition du connu ou bien du connaissant. Or la connaissance de ce qui est intellectuel est plus congruente selon la nature de ce qui est connaissable lui-même, tandis que, selon notre nature, nous qui sommes connaissants, moins. La connaissance de ce qui est sensible nous est, en effet, davantage apparentée. De ce fait, le Philosophe dit que notre intellect se rapporte à ce qui est, de nature, le plus manifeste, c’est-à-dire selon la nature, comme l’œil de la chauve-souris au soleil. Si, cependant, nous voulons avoir une parfaite connaissance de ce qui est sensible, il faut recevoir par ce qui est intelligible, en reconduisant les substances sensibles aux premiers principes de la substance qui, selon qu’ils sont de cette sorte, ne sont pas sensibles. La figure de la chauve-souris permet de fonder, dans ce texte, la thèse selon laquelle connaître ce qui est spirituel par et dans ce qui est sensible n’est donc pas la connaissance la plus parfaite. Cela est, néanmoins, la connaissance qui est la plus appropriée à notre nature. Comment advient, dès lors, la connaissance de ce qui est spirituel dans et par ce qui est sensible ? III. Une connaissance médiate A. La lumière reçue dans un autre Le sensible exerce, à l’égard de l’intellect humain, la fonction d’une médiation dans laquelle la lumière de ce qui est le plus manifeste est . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, , p. , l. - : « Solutio : Dicimus, quod cognitio potest dici magis congrua aut certa dupliciter : aut secundum condicionem cogniti vel cognoscentis. Cognitio autem intellectualium est magis congrua secundum naturam ipsorum cognoscibilium, secundum autem nostram naturam, qui sumus cognoscentes, minus ; magis enim nobis est cognata cognitio sensibilium. Unde dicit Philosophus, quod intellectus noster se habet ad manifestissima naturae, idest secundum naturam, sicut oculus vespertilionis ad solem. Si tamen sensibilium perfectam cognitionem habere velimus, oportet accipere per intelligibilia, resolvendo substantias sensibiles in prima principia substantiae, quae secundum quod huiusmodi non sensibilia sunt. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
reçue. Dans et par cette médiation, l’intellect humain est en mesure d’appréhender la lumière du principe divin sur un mode médiat ou oblique, selon le commentaire albertien du quinzième chapitre de la Hiérarchie céleste. Le maître de Cologne y convoque la figure de la chauve-souris et l’oppose à son terme corrélatif, aquila, précisément selon le critère de la vision immédiate et directe, d’un côté, et de la vision médiate et oblique, de l’autre. La pointe de ce texte consiste à lier le caractère oblique de la vision faible de la chauve-souris avec la condition qu’elle soit « reçue, d’abord, dans un autre ». Le couple d’opposés, aigle et chauve-souris, permet à Albert le Grand d’ouvrir ici la question de la médiation dans laquelle est reçue la lumière du principe divin, de telle sorte que notre intellect puisse l’appréhender de manière oblique ou médiate. La fonction de la médiation comme ce dans quoi l’intellect humain peut, indirectement ou de manière oblique, connaître le principe divin constitue un trait caractéristique de l’interprétation albertienne de la figure des animaux volants nocturnes dans les corpora non aristotéliciens. . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Ipsam dehinc aquilae regale et altiferum et citivolum et ad potentificum alimentum acutum et sobrium et agile et bene machinatum et ad copiosum et multolucentem radium divini solis desiderio in speculativarum virtutum sanis obtutibus immediate, recte et inflexibiliter contemplativum. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. : « […] receptum primo in alio sicut nos ». . Une autre occurrence de vespertilio se trouve dans la seconde partie de la Somme de théologie à propos d’une des deux lumières de la théophanie, qui ne constitue pas une médiation entre la lumière incréée et l’intellect de l’ange mais qui conforte ce dernier, afin qu’il puisse apercevoir la lumière incréée. À propos de ce qui est davantage une vertu, ou puissance (virtus), confortant l’intellect qu’une médiation (medium), Albert le Grand oppose l’herodius qui est capable de voir le soleil dans sa roue et la chauve-souris ou la chouette qui ne le peuvent pas. Cette vertu permet de voir immédiatement et non pas de voir ce qui, de Dieu, demeure caché. ALBERTUS MAGNUS, Summa theologiae, lib. , pars II, tr. , q. , m. , a. , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXXII, Vivès, Parisiis, , p. b-a : « Ad dictum Dionysii ad Gaium monachum, dicendum quod hoc verum est, quod intellectus angelicus juvatur aliquo ad videndum Deum, sine quo Deum videre non posset : sed hoc non habet operationem medii ad Deum qui videtur, sed operationem virtutis ad intellectum videntis, ut dictum est. Et est simile, quod herodius adunationem visus habet, per quam potest intueri solem in rota : quam quia non habet noctua vel vespertilio, solem in rota videre non potest. » « Quant au dit de Denys Au moine Gaius, il faut dire qu’il est vrai que l’intellect angélique est aidé de quelque chose pour voir Dieu sans quoi il ne pourrait voir Dieu, mais, par cela, il n’a pas l’opération du moyen par rapport à Dieu qui est vu, mais l’opération de la vertu par rapport à l’intellect de celui qui voit, comme il a été dit. Et semblable est le fait que l’herodius possède la focalisation (adunationem) de la vue par laquelle il peut voir le soleil dans la roue, , parce que la chouette ou la chauve-souris ne la possèdent pas, elles ne peuvent pas voir le soleil dans la roue. »
CHAPITRE I
« De là », il faut juger que « cette » forme « de l’aigle » signifie « quelque chose de royal » (regale), quant à la dignité de la nature, comme on dit le roi des oiseaux, « et porté en haut » (altiferum), selon qu’il est porté vers le haut, « et au vol rapide » (citivolum), c’est-à-dire volant rapidement, « perçant pour s’emparer avec puissance » (acutum ad pontentificum), c’est-à-dire « aliment » (alimentum) acquis de manière puissante, selon qu’il le voit de loin par une vue perçante, […] « et susceptible de contempler le rayon du soleil divin » (et contemplativum ad radium divini solis), quant aux anges, « abondant » (copiosum), quant à ce qu’il rend clair, « et brillant » (et lucentem), quant à la manière de rendre clair, et cela « dans de saines visions (in sanis obtutibus) », c’est-à-dire des visions (visibus), « la vertu des spéculatives » (virtutem speculativarum), comme la vision de l’aigle voit le soleil sans se blesser, « immédiatement » (immediate), sans l’avoir reçu d’abord dans un autre, comme nous, « de manière droite » (recte) : certains regardent vers le soleil de manière oblique d’une vision plus faible, « et de manière inflexible » (inflexibiliter), en tant qu’il n’est pas repoussé par l’abondance de la lumière (luminis), une puissance par l’acte, susceptible de contempler, dis-je, « d’un grand désir » (multo desiderio). En quoi la médiation sensible est-elle adaptée à un intellect qui ne peut saisir que de manière médiate et oblique ? B. « Dans la vie présente, on ne peut avoir de connaissance de Dieu sans médiation » Dans sa Somme de théologie, Albert le Grand a recours à l’image de la chauve-souris, explicitement référée à Aristote, à propos de la question . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - ; p. , l. - (ponctuation légèrement modifiée) : « “Dehinc” censendum est “ipsam” speciem “aquilae” significare “regale”, quantum ad dignitatem naturae, ut dicitur rex avium, “et altiferum”, secundum quod in altum fertur, “et citivolum”, idest velociter volans, “et acutum ad pontentificum”, idest potenter acquisitum “alimentum”, secundum quod ipsum acuto visu de longe intuetur, […] “et contemplativum ad radium divini solis”, quantum ad angelos, “copiosum”, quantum ad ea quae declarat, “et lucentem”, quantum ad modum declarandi, et hoc “in sanis obtutibus”, idest visibus, “virtutem speculativarum”, sicut visus aquilae sine laesione sui intuetur solem, “immediate”, non receptum primo in alio sicut nos, “recte”, quaedam enim debilioris visus in ipsum solem oblique intuentur, “et inflexibiliter”, inquantum copia luminis non repellitur potentia ab actu, contemplativum, dico, “multo desiderio”. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
de savoir si nous pouvons, en cette vie, connaître Dieu sans médiation. Sa réponse est négative. La connaissance caractéristique des conditions présentes de notre existence – appelée, pour cette raison, connaissance du chemin (viae) – n’a lieu que par médiation. Solution : Il faut dire que, dans la vie présente, on ne peut avoir de connaissance de Dieu sans médiation. Et cette médiation est l’effet de Dieu dans la nature ou dans la grâce dans lesquelles il se montre. Une telle connaissance par médiation appartient, en effet, au chemin (via) et est appelée connaissance du chemin. De ce fait, Augustin, dans son Sur Jean : « Nous usons maintenant, dans la vie présente, de la dispensation des similitudes ».
. La distinction entre la nature de l’intellect et ce qu’il peut connaître dans l’état de cette vie donne lieu à la distinction de deux modes de connaissance dans la lumière propre ou dans la lumière d’un autre, cf. ALBERTUS MAGNUS, Comm. in I Sent., lib. , dist. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b : « Si ergo quaeratur, Quomodo intellectus sit potentior ad intelligendum ? distinguendum est : quia de natura sui magis se habet ad superius, de statu autem hujus vitae magis ad inferius. Similiter distinguo ex parte ejus quod noscitur : aliquid enim ita noscitur secundum sui potestatem, quod ipsum est lux et ratio ad alia cognoscenda : et si attendatur potestas notitiae vel intellectus ex parte objecti moventis intellectum, magis erit notum quod noscitur in luce propria et est ratio cognoscendi alia, quam id quod tantum cognoscitur in luce aliena : et hoc modo dicit Philosophus in principio de Anima, quod notitia de anima certior est quam notitia de corpore animato : quia anima est principium quo cognoscuntur accidentia et opera et passiones animalium. Alia notitia est secundum potestatem noscentis et intellectus qui movetur ab eo quod noscitur, et secundum illum modum frequenter magis noscuntur quae in natura sunt posteriora, sicut effectus plus quam causa : et hoc modo dictum est, quod intellectus noster, sicut visus noctuae ad lumen solis, se habet ad ea quae sunt in natura manifestissima. » « Si donc il est demandé comment l’intellect est plus capable d’intelliger, il faut effectuer des distinctions, parce que, par sa nature, il se rapporte davantage à ce qui est supérieur, tandis que, par l’état de cette vie, davantage à ce qui est inférieur. De même, je distingue du côté de ce qui est connu : quelque chose est connu ainsi selon sa puissance, parce qu’il est la lumière (lux) et la raison pour connaître les autres, et si la puissance de la connaissance ou de l’intellect est considérée du côté de l’objet qui meut l’intellect, ce qui est connu dans a lumière (luce) propre et est la raison de connaître les autres sera plus connu que ce qui est seulement connu dans une lumière (luce) étrangère. Et, de cette manière, le Philosophe dit, au début du De anima, que la connaissance au sujet de l’âme est plus certaine que la connaissance au sujet du corps animé, parce que l’âme est le principe par lequel sont connus les accidents, les œuvres et les passions des animaux. Une autre connaissance est selon la puissance de celui qui connaît et de l’intellect qui est mû par ce qui est connu. Et, selon ce mode, est plus fréquemment connu ce qui est postérieur en nature, comme l’effet plus que la cause. Et, de cette manière, il a été dit que notre intellect se rapporte à ce qui est le plus manifeste en nature comme la vision de la chouette à la lumière (lumen) du soleil. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De trinitate, lib. , cap. , n. , CCSL L, p. , l. : « […] ut necessaria non sit dispensatio similitudinum […]. ».
CHAPITRE I
Et Denys Au moine Gaius : « Qui dit qu’il a vu Dieu, s’il sait ce qu’il voit, ne le voit pas, mais voit quelque chose de ce qui vient de lui et qui lui appartient ». Il est donc vu seulement par une médiation, tandis que, dans le futur, face à face, Co. , : ‘Nous voyons maintenant par miroir et en énigme, mais, alors, face à face’. La comparaison de la relation qu’entretient notre intellect avec ce qui est le plus manifeste et du rapport des yeux de la chauve-souris avec la lumière du soleil est convoquée, par Maître Albert, à propos de la médiation, dite spéciale, du côté de celui qui voit. Cette médiation se distingue de l’acte par lequel le visible devient vu en acte – ou médiation du côté du visible – et de la médiation commune, du côté du voyant, qui porte la forme du visible à la vue sous différents aspects ou positions. Cette médiation spéciale concerne spécifiquement l’excellence de ce qui est vu. Elle vise à donner une réponse au problème suivant : comment adapter la faiblesse du regard propre à l’esprit humain à l’excellence de ce qui est suprêmement visible ? Le Doctor expertus propose de concevoir une telle médiation à partir des expériences en astronomie qui adapte le regard humain au soleil en disposant un voile ou un miroir dans un vase noir et obscur. Quant à ce qui est demandé en premier lieu, il faut dire que le milieu est double : du côté du visible et du côté du voyant. Du côté du visible, le milieu est de manière formelle et effective, parce qu’en tant qu’acte de ce qui est visible, il rend ce qui est visible en puissance visible en acte. Du côté du voyant, la médiation est double : commune et spéciale. Commune est celle qui, sous une ou deux positions, porte la forme du visible à la vue. Spéciale est celle qui est utilisée en vue de l’excellence, . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epistula I, transl. Iohannis Sarraceni, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod in praesenti vita cognitio dei sine medio non potest haberi ; quod medium effectus dei est in natura vel gratia, in qua deus monstratur. Talis enim cognitio per medium ad viam pertinet et cognitio viae vocatur. Unde Augustinus Super Iohannem : ‘Utimur nunc in praesenti vita dispensatione similitudinum’. Et Dionysius ad Gaium monachum : ‘Qui dicit se vidisse deum, si cognovit, quod vidit, non ipsum vidit, sed aliquid eorum quae sunt ab ipso et quae sunt eius’. Modo ergo videtur per medium, in futuro autem facie ad faciem. I Cor. XIII () : ‘Videmus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem’. » . Nous traduisons ici medium comme ‘médiation’ pour distinguer les dispositifs qui concernent celui qui voit, d’un côté, et le milieu, au sens de diaphane, du côté du visible, de l’autre.
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
comme pour voir le soleil dans la roue, c’est-à-dire aussi en adaptant l’excellence du visible à la vue, de même qu’en ce qui concerne les astronomiques, est enseigné que si l’on veut considérer le soleil, on le considérerait, après avoir étendu un linge subtil devant les yeux ou avoir posé un miroir dans un vase noir et obscur, opposé directement au soleil. Ainsi considère-t-on, en effet, comment la lune, en coïncidant avec le soleil, produit une éclipse de soleil. Et, de cette manière, il est nécessaire pour nous qu’il y ait une médiation en raison de l’excellence de la lumière (lucis) divine sur laquelle « le regard (acies) faible (invalida) de l’esprit humain n’est fixé » que si elle est adaptée à nous, diffusée dans un tel milieu. Le Philosophe dit, en effet, que « la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste est la disposition des yeux des chauves-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. S’il n’est pas possible à l’intellect humain en tant qu’il est en chemin, c’est-à-dire dans sa condition anthropologique, conjoint aux sens et à l’imagination, de connaître le principe divin sans médiation, le Doctor magnus compare ces médiations sensibles à la fonction qu’exercent le voile ou le miroir dans un vase noir et obscur, afin de permettre aux . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « In herodio enim, ut dicit Philosophus, est ut multum, et ideo aspicit solem in rota ; in homine autem non sic est, et ideo non potest aspicere solem sic, sed videt in lumine solis, quod diffunditur in aëre. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De trinitate, lib. , cap. , n. , CCSL L, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Ad id ergo quod primo quaeritur, dicendum, quod medium est duplex, ex parte visibilis scilicet et ex parte videntis. Ex parte visibilis formaliter et effective medium est, quod ut actus visibilium visibilia potentia actu facit esse visibilia. Ex parte videntis medium duplex est, commune scilicet et speciale. Commune est id quod sub uno vel duplici situ formam visibilis ad visum est deferens. Speciale est, quo utitur ad excellens sicut ad solem in rota videndum. Et hoc est excellentiam visibilis visui contemperans, sicut in astronomicis docetur, quod si quis vult considerare solem, panno subtili extenso ante oculos consideret vel speculo in vase nigro et obscuro posito et directe soli opposito. Sic enim consideratur, qualiter luna soli incidens facit eclipsim solis. Et hoc modo nobis necessarium est medium propter divinae lucis excellentiam, in qua ‘mentis humanae acies invalida non figitur’, nisi in tali medio diffusa nobis contemperetur. Dicit enim Philosophus, quod “dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae est dispositio oculorum vespertilionum ad lumen solis”. » . Au plus bas de degré de la hiérarchie des capacités visuelles, la taupe est dite avoir besoin d’un voile de ténèbres pour que son regard ne soit pas repoussé par la lumière du soleil, cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. [n. ], Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. : « Et quaedam est virtus visiva in oculo cum lumine debili non-adunato, et hoc indiget velo tenebroso ad hoc, ut non reverberetur, sicut est virtus visiva in oculo talpae, quae habet oculos sub pelle, ut dicit Philosophus, et hoc ideo, quia in maiori parte habitatio eius est sub terra. »
CHAPITRE I
astronomes de regarder la lumière du soleil. Les images sensibles correspondent donc à la fonction de rendre la lumière du principe divin oblique et médiate en vue de son appréhension par l’intellect humain. Dans son traité De l’incarnation, le Doctor universalis complète la fonction des images par rapport à la lumière divine : elles en sont l’ombre. C. L’ombre, fonction de la médiation sensible La fonction du sensible comme médiation de la lumière de l’intelligible divin consiste à former l’ombre dans laquelle l’intellect humain, semblable à l’œil de la chauve-souris, peut regarder ce qu’il ne peut voir directement. Dans le De incarnatione, Albert de Cologne répond à un argument concernant les paroles prononcées à l’annonciation. Il conjoint, dans sa réponse, la citation aristotélicienne relative à la chauve-souris à une citation de Denys l’Aréopagite concernant l’ombre dans laquelle seulement la lumière excellente peut être intelligée. La troisième signification du terme ‘ombre’ qu’il propose ressortit au domaine noétique. Elle met en rapport la condition du connaissant – l’intellect créé qui est dans une certaine ombre – avec celle du connu qui, en vertu de son excellence, lui est disproportionné. Il en ressort qu’est requis un milieu adéquat au connaissant, de telle sorte que la lumière puisse y être connue. La lumière sera donc reçue par l’intellect humain sur le mode de ce dernier, à savoir sur le mode de l’ombre. Quant à l’autre , il faut dire que, par ‘ombre’, l’on entend trois . L’une est le rafraîchissement de la chaleur du péché originel ou plutôt son refroidissement, ce qui « Et il y a une certaine puissance (virtus) visuelle dans l’œil avec une lumière (lumine) faible qui n’est pas focalisée (non-adunato) et, de cette manière, elle a besoin d’un voile ténébreux pour ne pas être repoussée, comme la puissance (virtus) visuelle dans l’œil de la taupe, qui a les yeux sous la peau, comme dit le Philosophe, et ce, parce que, pour la plus grande part, son habitation est sous terre. » . Sur l’ombre chez le Doctor magnus, cf. ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo : die Theologische Relevanz des Bildbegriffs und des Spiegelbildmodells in den Frühwerken des Albertus Magnus, Teil II, Kap. II, ., Aschendorff, Münster, (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters /), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De incarnatione, tr. , q. , a. , ed. I. Backes, Ed. Colon. XXVI, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « () Deinde quaeritur de ratione umbrae ; verbum enim, ut dicit Augustinus, est, in quo lucent omnia ; et ita rationem non habet umbrae, sed lucis. Praeterea, ante resurrectionem dicitur de transfiguratione, quae fuit in pleno lumine. Quaeritur ergo, quare ante conceptionem dicatur de umbra. »
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CHAUVE-SOURIS
a été fait par l’opération de l’Esprit Saint dans la Vierge. Une autre est la nature humaine qui est comme l’ombre qui tempère la puissance de la nature de la Vierge, de telle sorte qu’elle puisse porter l’excellente lumière (lucem) de la divinité. La troisième est l’excellence du mystère qui passe la mesure, puisqu’elle ne peut être perçue par un intellect créé que dans une certaine ombre. Et cela est noté dans la parole de Denys dans la Théologie mystique où il dit que la lumière excellente est intelligée par l’ombre. Et concorde avec cela qu’il est dit, au début du deuxième de la Métaphysique, que « la disposition de notre intellect dans l’âme auprès de ce qui est très manifeste en nature est comme la disposition des yeux de la chauve-souris auprès de la lumière (lucem) du soleil ». Les images sensibles du principe divin exercent, précisément, la fonction de l’ombre dans laquelle l’intellect humain peut apercevoir la lumière divine. Elles exercent cette fonction en plusieurs sens. Les images se trouvent ainsi placées au carrefour de deux mouvements de provenance de l’ombre. D’un côté, l’ombre provient du substrat qui est éclairé. De l’autre, l’ombre provient du divin. En ce qui concerne la première provenance de l’ombre, à savoir celle qui vient du substrat éclairé, cette interprétation s’appuie sur la citation aristotélicienne qui introduit la signification de la ténèbre ou de la privation qui entre dans la définition de la matière. Or, en vertu de la citation empruntée à La Théologie mystique, le Doctor magnus aperçoit, dans la fonction tempérante d’un tel substrat, la condition pour que . DIONYSIUS AREOPAGITA, De mystica theologia, cap. , n. , ed. A. M. Ritter, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; cap. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca I, p. - ; p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De incarnatione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. : « () Ad aliud dicendum, quod per umbram intelliguntur tria. Unum est refrigerium caloris peccati originalis vel potius infrigidatio ; quod spiritus sancti operatione factum est in virgine. Aliud est natura humana ; quae est quasi umbra contemperans potentiam naturae virginis, ut posset ferre excellentem lucem divinitatis. Tertium est excellentia nimia mysterii, quod a creato intellectu non nisi in umbra quadam percipi potest. Et hoc notatur in verbo Dionysii in Mystica Theologia, ubi dicit, quod per umbram intelligitur excellens lux. Et huic concordat, quod dicitur in principio II Metaphysicae, quod “dispositio nostri intellectus in anima apud ea quae sunt valde manifesta in natura, est sicut dispositio oculorum vespertilionis apud lucem solis”. » . Cf., pour ce sens de ténèbres, parmi de nombreuses autres occurrences, ALBERTUS MAGNUS, Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b : « Et dicitur obumbrata, quia ex privatione est, eo quod creatura est post nihil, et ex hoc quod non est simplex creatura : illa enim duo trahunt ad umbram, quod id quod est in spirituali natura, non est sicut in luce prima creatrice. »
CHAPITRE I
nous puissions regarder la lumière la plus éclatante. De même, en effet, que la chauve-souris ne peut voir la lumière du soleil que lorsqu’elle est mêlée aux ténèbres, de même l’intellect humain ne peut voir la lumière divine que lorsqu’elle se mêle à la privation de la matière dans une image. Ainsi Maître Albert répond-il à l’aporie du deuxième livre de la Métaphysique par la fonction médiatrice de l’ombre développée par Denys l’Aréopagite. Quant au deuxième sens du terme ‘ombre’, il rejoint, du point de vue de sa fonction, le troisième sens. La nature humaine, en tant que substrat, tempère l’excellence de la nature de la Vierge qui, par son exceptionnalité, est rendue digne de porter le Verbe divin. Quant à la seconde provenance de l’ombre, le premier sens du terme ‘ombre’ met, pour sa part, en lumière l’influence venant du divin. L’opération de l’Esprit Saint consiste à projeter une ombre rafraîchissante sur le feu inhérent à la nature humaine depuis le péché originel. Rafraîchir la brûlure du péché est une fonction traditionnellement attribuée à l’Esprit Saint. Toutefois, pourquoi, dans ce contexte, l’influence de ce qui vient d’un principe supérieur n’est-elle pas exprimée en termes de projection de lumière ? Albert le Grand répond à cette question en expliquant que l’ombre signifie la diminution de puissance. Autrement dit, à mesure qu’il s’éloigne de sa source, le flux de lumière du principe s’obombre. Pour expliciter cette fonction, le Doctor universalis se réfère souvent, dans son œuvre, au livre Des définitions d’Isaac Israeli. Que l’âme soit créée dans l’ombre de l’intelligence signifie, par exemple, que la puissance de l’intelligence consiste à produire des formes par elle-même, tandis que la puissance de l’âme, qui est sous l’intelligence, a, quant à elle, pour fonction de recevoir ces formes intellectuelles et de les déterminer en quiddités . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Et hoc est, quod dicit Isaac, quod anima creatur in umbra intelligentiae, umbram vocans diminutionem potestatis. Prima enim potestas intelligentiae est formas producendi ex seipsa. Proxima autem potestas sub illa est formas intellectuales intellectualiter recipere et ad quiditates rerum determinare. » . Cette citation est rapportée de la façon suivante en ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , m. , a. , Ed. Paris. XXXII, p. a : « Adhuc, Isaac in libro Definitionum sic dicit : “Ratio creatur in umbra intelligentiae, sensus in umbra rationis, vita vegetabilis in umbra sensus”. » ISAAC ISRAELI, Liber de definicionibus, ed. J. T. Muckle, AHDLMA (-), p. , l. - : « Sublimiore ergo animarum gradu et meliore ordine est anima racionalis, quoniam ipsa in horizonte intelligenciae et ex umbra eius generata est ».
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des choses. Autrement dit, l’ombre de la lumière qui flue signifie qu’elle s’éloigne de la limpidité et de la clarté de la source première. De l’intelligence à la constitution de l’âme, elle passe, en effet, de l’activité à la passivité. Il est remarquable que, dans le texte de l’annonciation, l’Esprit Saint ne renforce pas la nature créée de la Vierge par sa lumière mais, plutôt, par son ombre. Sans signifier la diminution de puissance du côté de l’émetteur divin, l’ombre suggère ici qu’à mesure qu’elle s’éloigne de sa source, la lumière du principe divin s’estompe en ombre, de telle sorte qu’elle s’accorde davantage aux limites de la nature créée, sa réceptrice. Les images se situent au carrefour de ces deux provenances de l’ombre : la tempérance de la lumière du principe effectuée par la privation inhérente au substrat, d’un côté, et, de l’autre, l’influence du supérieur qui s’adapte aux capacités réceptives de l’inférieur. Les images sont leur point de conjonction. En outre, par rapport à la fonction médiatrice exercée par le voile ou le miroir, le maître de Cologne insiste ici davantage sur l’épaisseur corporelle des images. Il les compare, notamment, au corps de la Vierge, marqué par la faiblesse de la créature, auquel l’ombre de l’Esprit Saint apporte le soutien et la protection nécessaire pour que s’accomplisse, dans ce corps, l’incarnation du Verbe éternel. Quant aux deux premières, elles sont notées dans les paroles de Cassien qui dit : « Afin qu’éventuellement ne subsiste pas l’infirmité humaine par rapport à l’introduction de la divinité, la vertu du Très-Haut a donné vigueur à la Vierge qui doit être vénérée en tous , de telle sorte qu’il affermisse la faiblesse corporelle par la protection de son ombre diffusée autour et que l’infirmité humaine que l’obombrement divin soutient ne fasse pas défaut au sacrement inénarrable de sa conception sacrée, qui doit être consommé ». . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Secundo autem modo contingit hoc secundum umbram luminis fluentis, ex hoc scilicet quod distat a limpiditate primi fontis. Sicut fluit ad animae constitutionem, quae propter dependentiam ad corpus necesse est, quod primae limpiditatis et sinceritatis patiatur adumbrationem. » . IOHANNES CASSIANUS, De incarnatione Domini contra Nestorium, lib. , cap. , ed. M. Petschenig, CSEL XVII, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, F. Tempsky, Wien, , editio altera supplementis aucta, cura G. Kreuz, , p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, De incarnatione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Prima autem duo notantur in verbis Cassiani dicentis : “Ne ad introitum divinitatis humana
CHAPITRE I
Les images sensibles ne sont pas seulement les ombres de la lumière divine ou les médiations qui permettent de dévier de manière oblique le rayon divin. Albert le Grand leur accorde également la fonction de « conduire par la main » l’intellect humain. Dans les deux textes suivants, il lie précisément deux des images qu’il emploie dans son Super Iohannem : la chauve-souris et la manuductio. Ce lien figural nous alerte sur le caractère central de ces deux textes pour l’interprétation du commentaire albertien de Jn , . IV. La nécessaire manuduction du sensible pour la chauve-souris Dans son commentaire du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia, le Doctor magnus fait appel à la figure de la chauve-souris pour réfuter l’objection selon laquelle « par la lumière (lumen) naturellement introduite en nous, nous pouvons vers ce qui est seulement intelligible, puisque la métaphysique est, parmi les sciences libérales, celle qui traite de ce qui est seulement intelligible, comme disent les philosophes ». fortassis infirmitas non subsisteret, venerandam omnibus virginem virtus altissimi roboravit, ut corpoream imbecillitatem circumfusa umbrae suae protectione firmaret et ad consummandum conceptus sacri inenarrabile sacramentum humana infirmitas non deficeret, quam divina obumbratio sustineret”. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De ecclesiastica hierarchia, cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -, in ALBERTUS MAGNUS, Super Dionysium De ecclesiastica hierarchia, cap. , ed. M. Burger, commentariis a P. Simon et W. Kübel praeparatis usa, Ed. Colon. XXXVI/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Necessario igitur primi nostrae hierarchiae duces ex superessentiali deitate ipsi repleti divino dono et in id ipsum deinde praeire ex divina bonitate missi sunt, ipsi vero copiose amantes tamquam dii eorum qui post se sunt, reductionis et deificationis, sensibilibus imaginibus supercaelestia et varietate et multitudine conexum et in humanis divina et in materialibus immaterialia et his quae secundum nos sunt, superessentialia scriptis suis et non scriptis doctrinis secundum sacras nobis dederunt leges, non propter immundos solum, quibus nec symbola tangere fas, sed quia et symbolica quaedam est, quod quidem dixi, proportionaliter nobis ipsis nostra hierarchia, desiderans sensibilia in eam ex eis ad invisibilia diviniorem nostram reductionem. » . Cf. ARISTOTELES, Phys., lib. , cap. ( a -), textus , Guillelmus de Morbeka reuisor translationis Aristotelis (translatio ‘noua’ – Iacobi Venetici translationis recensio) in Thomas de Aquino, Commentaria in octo libros Physicorum Aristotelis, Editio Leonina II, Commissio Leonina, Romae, , p. , l. - : « Unde tria negotia sunt : haec quidem circa immobile ; alia vero circa mobile quidem, incorruptibile autem; quaedam autem circa mobilia corruptibilia. » Cf. AVICENNA, Liber de philosophia prima sive scientia divina, tr. , cap. , édition critique de la traduction latine médiévale par S. Van Riet, introduction doctrinale par G. Verbeke, Avicenna Latinus I, Peeters et Brill, Louvain et Leiden, , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Praeterea : per lumen naturaliter nobis inditum possumus in ea quae sunt tantum
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Quant au troisième , il faut dire que, parce que ce dont traite la métaphysique est seulement intellectuel, notre intellect s’y rapporte comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lucem) du soleil, bien que cela soit en soi le plus manifeste, comme dit le Philosophe. La thèse d’Albert de Cologne est la suivante : « puisque notre intellect reçoit avec ce qui est continu et avec le temps », il « ne peut pas s’accomplir de manière adéquate sans la conduite par la main ce qui est sensible ». Et cette thèse est posée contre l’assimilation de l’intellect humain à un intellect séparé. Nous étudierons ce texte dans son ensemble dans le chapitre suivant consacré à la manuductio. Il paraît, toutefois, utile d’annoncer ici les deux objections qui reposent sur l’assimilation de l’intellect humain à un intellect séparé. La spécificité du corpus non aristotélicien du réseau des animaux volants nocturnes consiste, en effet, par rapport au corpus aristotélicien, précisément à déployer un mode de connaissance adapté à l’intellect humain en tant qu’il est humain. En premier lieu, puisque, comme les intellects séparés, nous recevons ce qui est spirituel et que les anges connaissent sans les symboles – médiations matérielles du principe immatériel –, l’intellect humain ne pourrait-il pas lui aussi se passer des symboles ? En guise de réponse à cette objection, le maître de Cologne rappelle que notre mode d’intelliger diffère de celui des anges, « parce que notre intellect est conjoint aux sens, recevant des sens, ce qui n’est pas le cas de l’intellect de l’ange ».
intelligibilia, cum inter scientias liberales sit metaphysica de intelligibilibus tantum, ut dicunt Philosophi ; ergo multo magis potest lumen gratiae nos ducere in intelligibilia sine sensibilibus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad tertium dicendum quod quia ea de quibus est metaphysica, sunt tantum intellectualia, ideo intellectus noster se habet ad ea sicut oculus vespertilionis ad lucem solis, quamvis in se sint manifestissima, ut dicit Philosophus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum quod non potest congrue perfici nostra hierarchia nisi manuductione sensibilium, cum intellectus noster accipiat cum continuo et tempore. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Et videtur quod sine symbolis possit reduci ; quorum enim est potestas una, est perfectio una; sed nostrae hierarchiae et angelicae est eadem accipiendi, spiritualia scilicet, alias nostra non reduceretur in spiritualia ; cum igitur angelica perficiatur sine symbolis, et nostra etiam hoc modo poterit perfici. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad primum ergo dicendum quod licet in potestate intellectiva nos communicemus
CHAPITRE I
En second lieu, notre faculté intellective nous rend proportionnés à la réception des intelligibles, comme notre faculté sensitive nous confère une proportion pour accueillir les sensibles. Face à cette objection, le Doctor universalis rétablit un ordre entre les proportionnalités respectives des facultés à leurs objets. Le fait d’avoir un intellect n’entraîne pas paradoxalement que nous puissions accéder directement à l’intelligible. « Notre intellect reçoit des sens. C’est pourquoi aussi il faut qu’il soit accompli par des sens ». Comme nous l’avons annoncé, nous reviendrons sur le détail de ce texte dans le chapitre consacré à la figure de la manuductio. Cependant, il apparaît utile de faire ici une remarque méthodologique. Du point de vue herméneutique, nous nous trouvons, avec les deux textes qui conjoignent des occurrences de la figure de la chauve-souris et de celle de la manuductio, en un point central pour l’interprétation de l’ensemble figural de Jn , . C’est pourquoi il nous apparaît utile de déployer sous les yeux du lecteur la manière dont ces figures sont entrelacées, en exposant ces textes à la fois dans le chapitre réservé à l’exploration de la figure des animaux volants nocturnes et dans celui qui est consacré à la figure de la manuductio. Au prix d’une légère répétition, nous saisissons ainsi l’opportunité d’observer comment ces deux textes résonnent dans le contexte de l’exégèse de chacune de ces deux figures considérée dans la totalité de ses occurrences. En présentant des points de passage d’une figure à l’autre, ces deux textes permettent de surprendre quelle est, aux yeux d’Albertus Magnus, la transition de la problématique sous-jacente à la première figure à celle que recouvre la seconde. Dans le second texte dans lequel les deux figures de la chauve-souris et de la manuductio apparaissent liées, Maître Albert précise le mode de connaissance du principe divin par les images sensibles et le statut de ces images dans la procession universelle de la lumière divine à partir de sa source. cum angelis, tamen in modo intelligendi differimus, quia intellectus noster coniunctus est sensui, accipiens a sensu, quod non est de intellectu angeli. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Praeterea : sicut habemus sensum, ita et intellectum ; ergo sicut propter sensum est proportionale nobis accipere sensibilia, ita propter intellectum erit nobis proportionale accipere intelligibilia. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad secundum dicendum quod licet habeamus intellectum sicut sensum, tamen intellectus noster accipit a sensu, et ideo oportet, ut per sensibilia perficiatur. »
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V. Un art des images pour « conduire » la chauve-souris « par la main » Dans la Summa theologiae sive de mirabili scientia dei, traité , question , chapitre , il est question de savoir si la théologie a le mode de la science ou de l’art. Il s’agit pour Albert de Cologne, à l’orée de sa Somme de théologie, de fixer les principes méthodologiques qui distinguent la théologie des autres sciences ou des autres discours : ici, de la philosophie et de la poésie notamment. C’est l’occasion de réfléchir à la fonction des images dans les différents types de connaissance ou disciplines. Contrairement à ce qui ressort du prologue de la Somme de théologie, la figure de la chauve-souris est ici interprétée comme elle l’est dans le corpus aristotélicien des œuvres albertiennes. Elle n’est pas aveuglée par la lumière du soleil. Elle voit la lumière, si celle-ci est mêlée aux ténèbres. Ce qui est, en revanche, propre à ce texte est la très précise réflexion sur le statut des images comme médiation et milieu de la connaissance du principe divin par l’intellect humain en tant qu’il est humain. La condition anthropologique de l’intellect humain sert de point de départ à la réflexion méthodologique albertienne pour préciser le mode de connaissance adapté à un intellect conjoint à ce qui est continu et temporel. La nécessité de recourir à la médiation des images découle de la condition d’existence de l’intellect humain. Cette conjonction diminue sa capacité à recevoir l’intelligible, de telle sorte qu’il ne peut l’appréhender que mêlé au continu et au temporel. C’est pourquoi il doit se rapporter de manière médiate à ce qui est premier, « le plus simple et le plus manifeste ». Les images ont, par conséquent, par rapport au principe divin visé par l’intellect humain, la fonction du mélange des ténèbres à la lumière, tel qu’il accompagne la figure de la chauve-souris, notamment, dans le corpus aristotélicien. Cette fonction correspond également à celle de l’ombre évoquée dans le De incarnatione. En outre, Albertus Magnus emprunte ici à Denys le PseudoAréopagite le terme de voile. Le rôle du voile est, en effet, d’envelopper le rayon divin, de telle sorte que nous puissions le regarder. Il relie ainsi le voile utilisé dans l’expérience astronomique et la fonction du voile . Sur cette question, cf. notamment DAHAN, G., L’Exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe s.), Paris, , p. -, notamment p. où il est montré comment Albert le Grand reprend Alexandre de Halès. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. : « […] propter quod simplicissima et manifestissima […]. »
CHAPITRE I
dans le contexte dionysien. Il en résulte que les images constituent, aux yeux du Dominicain rhénan, des similitudes matérielles de l’intelligible, et au plus haut point du principe divin, dans lesquelles celui-ci peut être aperçu par l’intellect humain. La connaissance s’avère, dès lors, pour l’intellect humain, selon les termes que le Doctor magnus emprunte à La Hiérarchie céleste de Denys le Pseudo-Aréopagite, une imaginatio (ἀπεικόνισμα) que nous traduirons ici au sens actif, ou productif, de « mise en image ». Connaître signifie, pour l’intellect humain, donner à ce qui est le plus simple et le plus manifeste en soi une forme susceptible d’être perçue par les sens et susceptible d’être imaginée. Cette production d’images par l’intellect humain repose sur une activité primordiale : celle du principe divin. Selon la glose que le Dominicain rhénan propose du traité augustinien, le Super Genesim ad litteram, au douzième livre : « […] ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale ». Autrement dit, l’acte de connaître le plus propre et connaturel à l’intellect considéré dans sa condition anthropologique réside dans la considération de la peinture figurative et matérielle de ce qui est divin dans ses propres facultés sensitive et imaginative. L’intelligibilité propre à ce qui est divin rayonne, en effet, à travers cette image sensible et imaginaire. Ce travail de l’intellect humain en tant qu’il est humain et le lieu où ce travail est effectué sont nommés par Albert le Grand : « intelligence figurale ». Nous verrons, dans le troisième chapitre de cet essai, en quoi consiste plus précisément l’activité propre de l’intelligence figurale. L’essentiel est ici de noter que l’interprétation proposée par le Doctor universalis de la figure de la chauve-souris, dans le cadre de sa Summa theologiae, conduit à préciser les contours d’un mode de connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est conjoint à ce qui est temporel et continu. Connaître le principe divin, pour un intel-
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. : « imaginationes ». . Cf. infra chapitre III, p. , note , AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ad sensum. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] XII super Genesim ad litteram, id quod figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione, immateriali luce et in figurali splendet intelligentia. »
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lect humain, ne signifie pas se détacher des images pour s’élever vers les intelligibles séparés mais, au contraire, apercevoir, au sein de la picturalité matérielle et figurative des images, la lumière divine. Il s’agit d’un mode de connaissance productif. L’activité de l’intelligence figurale s’effectue dans le prolongement de l’acte même par lequel le rayon divin se figure dans des images matérielles et resplendit dans ces figurations reçues par les sens et l’imagination. La continuité assurée par l’architectonique des sciences, dans le corpus aristotélicien, est, par conséquent, relayée ici par le prolongement de l’activité divine productrice d’images dans l’intellect humain. L’intellect humain « forme de manière imaginable et sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste », parce qu’il s’assimile à l’œuvre divine par laquelle, selon Denys le Pseudo-Aréopagite, en vue de sa théophanie, le principe prépare le rayon divin « proprement et connaturellement pour nous par la providence paternelle », dans la mesure où nous ne saurions recevoir ce rayon directement, à moins qu’il ne soit « enveloppé par la variété des voiles sacrés ». Le travail de l’intelligence figurale consiste non seulement à mettre en image ce qui est le plus simple et le plus manifeste mais aussi à interpréter ce qui est appréhendé par les sens et l’imagination comme une « mise en image » (imaginatio) du divin, comme l’indique de nouveau Denys : « pensant les formes d’une beauté invisible comme des mises en images d’une beauté invisible ». Autrement dit, l’intelligence figurale est à la fois le lieu et la faculté active dans et par lesquels la lumière divine peut illuminer les figures matérielles perçues par les sens et par l’imagination, afin d’y apercevoir la lumière divine. Le mode de connaissance propre à l’intelligence figurale diffère de l’architectonique des sciences aristotélicienne. Cependant, la figure de la chauve-souris conserve ses éléments structurels. Ceux-ci se trouvent seulement interprétés d’une autre manière. Par exemple, le mode de connaissance de l’intellect humain lui permet de s’élever graduellement du sensible vers l’intelligible pur, le principe divin, selon la méthode que nous avons décrite dans le corpus aristotélicien de l’œuvre albertienne. L’acte de connaître consiste, pour l’intellect humain, à assembler peu à peu la lumière intelligible contenue dans les images appréhendées par les . Cf. les termes cités dans le passage de la Summa theologiae : « imaginabiliter et sensibiliter » ; « figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione » ; « in figurali » ; « in figuris aenigmaticis ».
CHAPITRE I
sens et par l’imagination, à se laisser fortifier par cette lumière peu à peu assemblée, de telle sorte qu’il puisse s’élever peu à peu vers une lumière plus claire, c’est-à-dire davantage séparée du continu et du temporel. Cependant, cet assemblage de lumière et cette fortification progressive s’effectuent, dans le cadre de la Summa theologiae, à partir de l’activité de la lumière divine même qui poursuit sa production d’images à travers le travail de l’intelligence figurale qui les reçoit et les interprète, comme nous le verrons dans le troisième chapitre de cette enquête. La confortation de l’intellect humain a donc lieu ici dans l’élément même des images. Le maître de Cologne élabore, par conséquent, une voie anagogique qui permet à l’intellect humain de s’élever de manière continue vers la connaissance du principe divin. Cependant, cette continuité anagogique, trait commun aux corpora aristotélicien et non aristotélicien, conduit, dans ce texte, à une « connaissance seulement selon le mode qui nous est possible ». L’interprétation albertienne de la figure de la chauve-souris dans le cadre de la Summa theologiae diffère de celle qui est livrée dans le corpus aristotélicien, dans la mesure où il n’est pas ici promis à la chauve-souris de devenir un aigle ni à l’intellect humain de connaître immédiatement le principe divin. Cependant, la figure de la chauve-souris conserve certains de ses traits fondamentaux. Elle permet, notamment, à l’intellect humain de parcourir un chemin continu qui conduit de ce qui est donné aux sens et à l’imagination vers le principe divin. Mais les modes de connaissance proposés dans le corpus aristotélicien et le corpus non aristotélicien diffèrent. La méthode proposée, en ce qui concerne la théologie, s’adresse à l’intellect humain en tant qu’il demeure conjoint au continu et au temps. Elle consiste, pour lui, à ne cesser de passer des figures sensibles et imaginaires au divin que celles-ci figurent et dans lesquelles celui-là se figure. Nous reviendrons à plusieurs reprises, dans la suite de cette enquête, sur ce texte central pour l’interprétation de l’ensemble figural du verset Jn , , dans la mesure où il conjoint la figure de la chauve-souris et celle de la manuductio. () Quant à l’autre , il faut dire que, comme il a été dit précédemment, notre intellect est conjoint au continu et au temps et il se rapporte à ce qui est le plus manifeste . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon.XXXIV/, p. , l. - ; l. -.
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comme l’œil de la chauve-souris qui ne comprend (comprehendit) la lumière (lumen) que mêlée aux ténèbres. C’est pourquoi il forme de manière imaginable et sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste, de telle sorte qu’à partir de cela, comme conduit par la main et élevé de manière anagogique, il atteigne enfin ce qui est invisible et le plus simple et qu’il en reçoive une certaine connaissance selon le mode qui lui est possible. De ce fait, Grégoire, sur ce de Mt (, ) : ‘Le Royaume des cieux est semblable à un trésor’, dit ainsi : « Le Royaume des cieux est dit être semblable aux choses terrestres, de telle sorte qu’à partir de ce que l’esprit connaît, il s’élève vers l’inconnu, qu’il ne connaît pas, et qu’à partir de ce qu’il apprend par l’usage, il s’enflamme comme s’il était frotté ». C’est pourquoi aussi Boèce dit qu’il est difficile à notre intellect d’intelliger quelque chose de simple sinon sur le mode du point. Et Denys, dans La Hiérarchie céleste, chap. : « Il est impossible que le rayon divin brille sur nous autrement qu’enveloppé par la variété des voiles sacrés et, pour ce qui est selon nous, préparé d’une manière qui nous soit connaturelle et propre par la providence paternelle ». En tout cela, en effet, comme dit Augustin dans le douzième du Super Genesim ad litteram, ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale. C’est pourquoi la théologie, qui traite de la lumière (luce) qui ne peut être comprise use de tels pour ainsi dire poétiques proprement selon son mode. Les autres sciences philosophiques, . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . GREGORIUS MAGNUS, Homiliae in Evangelia, hom. in Matth. , -, n. , ed. R. Etaix, CCSL CXLI, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « Caelorum regnum, fratres carissimi, idcirco terrenis rebus simile dicitur, ut ex his quae animus nouit surgat ad incognita, quatenus exemplo uisibilium se ad inuisibilia rapiat, et per ea quae usu didicit, quasi confricatus incalescat, ut per hoc quod scit notum diligere, discat et incognita amare. » . BOETHIUS, De consolatione Philosophiae, lib. , prosa , n. , ed. C. Moreschini, p. , l. -p. , l. : « […] si quid uero illi se medio conectat et societ in simplicitatem cogitur diffundi que ac diffluere cessat […]. » Trad. in BOÈCE, La Consolation de Philosophie, éd. C. Moreschini, trad. et notes d’É. Vanpeteghem, intro. de J.-Y. Tilliette, Le Livre de Poche, Paris, (Lettres Gothiques), p. : « […] si un cercle s’attache et s’associe à ce point médian, il est contraint à l’unicité et cesse de se déployer et de s’étendre […]. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. . . Cf. infra chapitre III, p. , note , AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ad sensum.
CHAPITRE I
pour leur part, qui traitent de la lumière (luce) qui nous est proportionnelle, pèchent, si elles utilisent de tels . Ce qu’elles visent à rendre clair est, en effet, obscurci par de tels . Ce qui est plus clair est, en effet, proposé en soimême plutôt que dans des figures énigmatiques. Dans la théologie, quant à elle, ne sont pas proposées de telles en raison de ce qu’elle vise à rendre clair, mais en raison de notre intellect matériel qui assemble peu à peu la lumière (lucem) dans ce qui lui est connaturel et, ainsi fortifié par la lumière (luce) assemblée, se lève enfin pour considérer ce qui est le plus clair. De ce fait, Denys, dans La Hiérarchie céleste, au premier chapitre : « Et il n’est pas possible à notre esprit de s’élever vers cette imitation et vers cette contemplation non matérielles des hiérarchies célestes, à moins que, pour ce qui est selon lui , il n’use d’une conduite par la main matérielle, jugeant les formes, certes, visibles comme les mises en images (imaginationes) de la beauté invisible, les douceurs ou les fragrances sensibles comme les figures de la distribution invisible, les lumières (lumina) matérielles comme l’image de la luminosité immatérielle et les disciplines discursives selon l’intellection de la beauté contemplative », où la scolie, traduite du grec en latin, dit : « “Les disciplines discursives” sont les preuves de ce qui est spirituel par le visible, parce que tout ce qui est envoyé aux intellects perpétuellement et de manière soudaine est effectué par des réalités plus larges ». . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -. . Au sujet des discursae disciplinae, cf. infra chapitre II, p. , note . . Scolion : cf. infra chapitre II, p. , note , MAXIMUS CONFESSOR, Scholia S. Maximi in opera Beati Dionysii, PG IV, col. BC ; Paris, BNF, Latin , f. vb. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -p. , l. : « () Ad aliud dicendum, quod, ut ante habitum est, noster intellectus coniunctus est continuo et tempori et ad manifestissima se habet sicut oculus vespertilionis, qui non comprehendit lumen nisi mixtum tenebris ; propter quod simplicissima et manifestissima format imaginabiliter et sensibiliter, ut ex his quasi manuductus et anagogice elevatus tandem attingat ad invisibilia et simplicissima et de illis secundum modum sibi possibilem accipiat notitiam aliquam. Unde Gregorius super illud Matth. XIII (, ) : ‘Simile est regnum caelorum thesauro’ sic dicit : ‘Regnum caelorum ideo terrenis rebus simile esse dicitur, ut ex his quae animus novit, surgat ad incognita, quae non novit, et ex his quae usu didicit, quasi confricatus incalescat’. Et ideo dicit Boethius, quod difficile est nostro intellectui aliquid simplex intelligere nisi per modum puncti. Et Dionysius in Caelesti hierarchia cap. : “Impossibile est nobis aliter superlucere divinum radium, nisi varietate sacrorum velaminum circumvelatum, et his quae secundum nos sunt, providentia paterna connaturaliter nobis et proprie praeparatum”. In omnibus enim talibus, ut dicit Augustinus in XII Super Genesim ad litteram, id quod figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione, immateriali luce et in figurali splendet intelligentia. Hinc est, quod theologia de incom-
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
La figure de la chauve-souris se trouve ici placée dans un réseau de citations fort distinct des références présentes dans le corpus aristotélicien. Le maître de Cologne fait, en effet, appel au douzième livre du Commentaire de la Genèse au sens littéral, chap. , n. d’Augustin, à la onzième homélie de Grégoire sur les évangiles (sur Mt , -), à la Consolation de la philosophie de Boèce et au premier chapitre de la Hiérarchie céleste de Denys le Pseudo-Aréopagite. Nous verrons qu’il constitue un réseau récurrent qui permet de repérer la fonction spécifique de la figure de la chauve-souris dans le corpus non aristotélicien, notamment à déterminer le mode de connaissance le plus approprié à l’intellect en tant qu’intellect : il s’agit ici d’une théologie symbolique. Bien que la métaphysique soit qualifiée de la plus haute des sciences, en vertu de son objet, à savoir les premiers principes, Albertus Magnus affirme, dans son commentaire de l’Épître IX de Denys le PseudoAréopagite, que la theologia symbolica est encore plus élevée que la métaprehensibili luce agens, talibus quasi poeticis utitur proprie secundum suum modum. Aliae autem scientiae philosophicae, quae de luce nobis proportionali agunt, peccant, si talibus utuntur ; illud enim quod intendunt declarare, obscuratur per talia. Clariora enim sunt in seipsis proposita quam in figuris aenigmaticis. In theologia autem non proponuntur talia propter ea quae declarare intendit, sed propter nostram materialem intellectum, qui in connaturalibus sibi paulatim lucem colligit et luce collecta fortificatus sic tandem ad contuenda clarissima consurgit. Unde Dionysius in Caelesti hierarchia cap. : “Neque est possibile nostro animo ad non-materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur, visibiles quidem formas invisibilis pulchritudinis imaginationes arbitrans, sensibiles suavitates sive fragrantias invisibilis distributionis figuras, et immaterialis luculentiae imaginem materialia lumina et secundum intellectum contemplativae pulchritudinis discursas disciplinas”. Ubi dicit scolium de Graeco in Latinum translatum : “ ‘Discursae disciplinae’ sunt probationes eorum quae spiritualia sunt, per visibilia, quia per res latiores efficiuntur, quaeque perenniter et repente intellectibus immittuntur”. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. ; cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -. . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epistula IX, n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. - : « Sanctus quidem Thimotheus, o pulcherrime Tite, nescio si aliquid est cognitorum mihi theologicorum signorum quod non audierit ; sed in Theologia symbolica bene discrevimus ipsi eloquiorum omnes de deo visas esse multis prodigiales locutiones. Etenim incongruentiam duram imprimunt imperfectis animabus, quando secretae sapientiae patres per quaedam occulta quidem et praesumpta aenigmata manifestant divinam et mysticam et inviam immundis veritatem. Propter quod et increduli sumus multi sermonibus de divinis mysteriis ; videmus enim illa cum sensibilibus signis assistentibus illis. Oportet autem et reddentes ipsa in seipsis nuda et munda facta videre ; ita enim videntes honoremus fontem vitae ad seipsum effusum atque in seipso stantem, videntes et unam quandam virtutem simplicem, per se mobilem, per se operantem, seipsam non reliquentem, sed cognitionem omnium cognotionum existentem et semper per seipsam insipicientem. »
CHAPITRE I
physique. Son objet excède, en effet, dans une plus forte mesure encore que celui de la métaphysique la proportion de notre intellect. Le transfert de la métaphysique aristotélicienne dans l’échelle des disciplines de l’esprit propre au corpus dionysien provoque cette régression hiérarchique de la science qui occupe le sommet de l’architectonique épistémique dans le corpus aristotélicien. Ce changement de degrés explique la nécessité d’un recours à la manuductio d’images susceptibles de nous « conduire par la main » par l’intermédiaire de ce qui nous est connaturel. Par le recours de la théologie symbolique à des signes sensibles (sensibilibus signis), nous sommes en mesure de voir la vérité divine et cachée (mystica) dont les Pères manifestent la sagesse secrète au moyen d’énigmes (aenigmata) et de choses cachées (occulta). Mais, quant au premier , il faut dire que de la science la plus haute nous proportionnée, telle qu’est la métaphysique, le mode doit être le plus haut par les premiers principes. Mais la théologie est plus haute, en excédant notre proportion. C’est pourquoi aussi il faut que nous soyons conduits par la main vers elle par ce qui nous est connaturel. Le commentaire albertien de l’Épître IX rend, par conséquent, compte du lien effectué au seuil de la Summa theologiae entre la figure de la chauve-souris et celle de la manuductio. Par rapport à un principe qui est déclaré plus disproportionné encore que le plus haut des intelligibles, cause de toute manifestation, dans le commentaire de la Métaphysique, l’intellect humain requiert d’être pris « par la main » au point de conjonction au continu et au temporel où le place sa condition anthropologique, afin d’être conduit, au moyen des signes sensibles, vers le principe divin qui s’y figure. Nous allons, dans le chapitre suivant, explorer la spécificité de la méthode manuductrice dans le corpus non aristotélicien par rapport à la continuité épistémique du corpus aristotélicien. Nous approfondirons également la différence entre la théologie symbolique, la philosophie et la poésie dans leur usage respectif des images.
. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad primum vero dicendum, quod scientiae altissimae proportionatae nobis, cuiusmodi est metaphysica, modus debet esse altissimus per prima principia ; sed theologia est altior, excedens nostram proportionem, et ideo oportet, quod manuducamur in ipsam per connaturalia nobis. »
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Esquissons, cependant, dès à présent la réponse albertienne au problème précis posé au début de sa Somme de théologie. Nous avons annoncé que le Doctor universalis introduit la figure de la chauve-souris dans le contexte de la spécificité de la science théologique par rapport aux autres sciences. Il s’agit, par cette figure, de fonder sur la conjonction de l’intellect humain au continu et au temps la méthode propre à la théologie qui procède à partir d’images. Contrairement aux sciences philosophiques dont l’objet est proportionné à l’intellect humain, l’objet de la théologie, qui est le plus manifeste en soi, est disproportionné par rapport à l’intellect humain. C’est pourquoi, tandis que l’usage des images obscurcit les objets de ces sciences philosophiques, il est requis, en théologie, pour « conduire » notre intellect matériel « par la main » progressivement vers la connaissance de ce qui est, par nature, le plus clair. La méthode de la théologie permet de préciser deux aspects relatifs au statut épistémologique de la théologie par rapport à la philosophie et à la poésie. D’une part, la nécessité du recours aux figures et aux images poétiques, dans la science théologique, provient non pas de l’objet même de la théologie, qui est en soi le plus manifeste, mais de la disproportion de l’intellect humain par rapport au principe divin, en raison de la conjonction de notre intellect à ce qui est continu et temporel. D’autre part, une dissymétrie apparaît entre la philosophie et la théologie quant aux recours aux moyens poétiques. Les images obscurcissent ce qui est proportionné à l’intellect et lui est, par suite, clair. Dans le cas de la connaissance des réalités divines, les images apparaissent comme le seul moyen de « conduire » le destinataire « par la main » de ce qui est proportionné à sa faculté cognitive vers ce qui lui est disproportionné. À travers la méthode philosophique et la méthode théologique se font donc jour deux rationalités à l’œuvre dans les sciences selon la relation de proportion de leur objet respectif à l’intellect humain. Comment comprendre le statut théologique, métaphysique et cosmologique des imaginationes comme « mises en images » de la lumière divine qui procède à partir de sa source ? Dans son De la nature du bien, le maître de Cologne identifie ce processus d’imaginatio avec l’événement de l’incarnation. Le mode ontologique par lequel le Verbe divin éternel se fait chair fonde le mode noétique auquel correspond la connaissance de Dieu à travers ce qui est sensible et imaginable.
CHAPITRE I
VI. Les exemples et les paraboles, poursuite noétique de l’incarnation Dans son De natura boni, Albert le Grand, en proposant une interprétation du verset Ps. , – factus sum sicut nycticorax in domicilio –, relie la capacité visuelle des animaux volants nocturnes avec le mode de donation de la vérité : en exemples et paraboles. L’interprétation de la figure des animaux volants nocturnes livrée dans ce texte se distingue nettement de l’interprétation récurrente dans le corpus aristotélicien des œuvres albertiennes. Bien qu’il ne compare pas l’intellect humain explicitement à la chauve-souris, dans ce texte, mais à la chouette et au corbeau de nuit, le Doctor expertus interprète, en effet, de manière radicale la faiblesse (tenues) des yeux de ces animaux volant de nuit. Conformément à l’interprétation qui caractérise les corpora non aristotéliciens, Albertus Magnus déclare que ces oiseaux nocturnes ne peuvent voir le soleil. Quel mode de connaissance du principe divin, ici nommé déité, est, par suite, approprié à l’intellect humain ? Selon le Doctor universalis, lui est adaptée l’explication du Verbe coéternel au Père dans des exemples et des paraboles. Ce mode de connaissance est fondé sur l’incarnation elle-même. Ou, plus précisément, Maître Albert suggère que la manière dont les exemples et les paraboles expliquent ou déplient la vérité divine reflète le procès par lequel la chair a enveloppé le Verbe, lorsqu’il s’est fait chair. Elle correspond également à la façon dont les langes disposés par la Vierge ont enveloppé l’enfant à sa naissance. L’incarnation plie. Les exemples et les paraboles déplient. Ils appartiennent à un même mouvement qui cache et manifeste. Connaître à travers des exemples et des paraboles appartient à la dynamique même de l’incarnation et en poursuit le mode. Plus encore, cette connaissance en déploie le moment de la manifestation, tandis que la naissance enveloppe et recouvre la vérité divine. Comme la chair assumée par le Verbe coéternel nous est connaturelle, de même « les exemples vulgaires et grossiers ainsi que les paraboles » sont-ils connaturels à l’intellect humain, de telle sorte que l’incarnation comme la connaissance parabolique rendent possible une « connaissance plénière » à la mesure de l’intellect humain – à la mesure . ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , « secunda interpretatio ‘stella maris’ », n. , ed. E. Filthaut, Ed. Colon. XXV/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. .
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
du bœuf (« le clergé simple ») et de l’âne (« le laïc, qui est un âne dans la science des Écritures »). Clergé et laïc représentent, par conséquent, deux modes de médiations, les sacrements et les paraboles, par rapport à la connaissance du Verbe divin. Il s’agit, par conséquent, ici d’une connaissance limitée de « qui ne pénètre pas les subtilités de la déité ». Elle se circonscrit aux « rudiments de la foi par les articles de foi ». Mais elle suffit au salut, précise le Dominicain rhénan. Et cette connaissance est nourriture qui restaure. Elle est féconde. En aucune façon, Maître Albert ne promet ici à l’intellect humain la connaissance plénière de la déité en tant que telle. Mais il lui présente une connaissance qui correspond à la plénitude de ses facultés. L’intellect humain ne saurait pénétrer à l’intérieur de la vérité. Du point de vue de l’usage de la figure de l’animal volant nocturne, le Doctor magnus radicalise ici son usage. Il ne mentionne pas la chauve-souris qu’il situe, pourtant, à l’extrêmité de la faiblesse de la capacité visuelle. Au contraire, en s’appuyant sur une chaîne de citations bibliques, il fait appel à la chouette et au corbeau de nuit dont les yeux sont faibles mais dont il rappelle qu’ils voient la lumière, lorsque celle-ci est mêlée aux ténèbres. Contrairement au corpus aristotélicien, le Docteur universel ne prend pas appui sur la faible faculté visuelle de ces oiseaux de nuit pour les conduire peu à peu à voir la lumière du soleil dans sa roue. Au contraire, malgré le rappel de leur capacité à voir la lumière, lorsqu’elle est mêlée aux ténèbres, il considère ici, de manière radicale, qu’ils « ne peuvent voir le soleil ». Cela lui permet de proposer à « l’intellect humain grossier et obscur » auquel il les compare un chemin spécifique : connaître la déité en paraboles. Le fondement de ce mode de connaissance est limité, du point de vue de la déité, et plénier par rapport à la capacité de l’intellect humain est l’incarnation elle-même. Il s’agit de la conjonction paradoxale d’un mode de connaissance imparfait, parce que l’excellence du connu est limitée par la capacité de l’intellect humain, et de sa garantie divine : ce qui demeure une connaissance condamnée à rester à l’extérieur de la déité correspond au mode même choisi par cette même déité pour se manifester à l’intellect humain par l’incarnation du Verbe divin. La raison de la manifestation du Verbe de Dieu dans la chair est que celle-ci est connaturelle à notre intellect qui ne peut voir la lumière que mêlée de ténèbres. Il en résulte qu’Albert le Grand présente ainsi l’incarnation du Verbe de Dieu comme le remède même à l’impossibilité de
CHAPITRE I
connaître la déité et qu’il fonde en elle le mode de figuration qu’elle inaugure pour connaître les réalités divines : celui des paraboles et des sacrements. Et, s’ils ont des yeux faibles par rapport à la connaissance de la déité, comme les animaux volant de nuit ne peuvent voir le soleil, elle revêt l’enfant d’une chair nous connaturelle et, ainsi revêtu, elle l’enveloppe de langes et le place aussi dans la crèche pour la connaissance plénière du sens propre au bœuf et à l’âne. Vérité revêtue de chair, le fils de Dieu s’est, en effet, fait homme, ‘enfant enveloppé de langes’ (Lc , ), le Verbe coéternel au Père a été expliqué dans des exemples grossiers et vulgaires et des paraboles, de telle sorte qu’il est la nourriture qui restaure même l’intellect des bêtes de somme, c’est-à-dire du bœuf et de l’âne, autrement dit du clergé simple, qui est le bœuf, en labourant les sillons des cœurs, et du laïc, qui est un âne dans la science des Écritures. Que qui ne pénètre pas, en effet, les subtilités de la déité reçoive le Verbe de Dieu dans les rudiments de la foi par les articles de foi et il sera sauvé, parce que selon Jb , : ‘Les bœufs labouraient et les ânesses paissaient à côté d’eux’ et, selon une autre traduction : elles étaient ‘fécondes’. ‘Les bœufs labourent’, en effet, quand le clergé, en administrant les sacrements ainsi que le Verbe de Dieu et en fendant les sillons des cœurs, sème le fruit de la justice, tandis que ‘les ânesses paissent’, quand le peuple est restauré dans ses mœurs dans des paraboles vulgaires et par une foi implicite et qu’il est fécondé par l’Esprit Saint, comme dit Is. , - : ‘De ta crainte, Seigneur, nous avons conçu et comme enfanté et engendré l’esprit du salut’. De même qu’à notre chouette (noctuae), c’est-à-dire à notre intellect, qui ne voit la vérité qu’en similitudes, la Vierge mère, comme l’étoile de la nuit, administre la vérité, tandis qu’elle revêt celle-ci aussi chair et l’enveloppe de langes et le dépose dans la crèche en nourriture des bêtes de somme. Je pense qu’il veut dire cela, quand, certes, il dit de lui-même : ‘Je suis devenu comme le corbeau de nuit dans la demeure’. ‘Le corbeau de nuit’ est, en effet, un oiseau qui ne voit la lumière (lucem) que mêlée aux ténèbres et il signifie l’intellect humain grossier et obscur qui ne saisit le mystère du Règne céleste qu’en paraboles. Et c’est pourquoi il habite aussi ‘dans la demeure’, en considérant ce qui, de la maison du Seigneur, est le plus . Cf. Glossa interlinearis : « et hic fetae apud Grecos leguntur ».
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
extérieur, c’est-à-dire les rudiments, sans pénétrer à l’intérieur. Il avait dit, en effet, de lui-même : ‘Je n’ai pas reçu d’instruction (litteraturam), j’entrerai dans les puissances du Seigneur’. Connaître le principe divin à travers des exemples et des paraboles correspond, par conséquent, au mode par lequel le Verbe divin s’est fait chair. Autrement dit, il s’agit de déployer cette imaginatio, cette « mise en image » par laquelle le principe divin, non seulement dans le Verbe incarné mais dans toute image créée, se livre à nos sens et à notre imagination. Connaître le principe divin à travers ce qui est sensible et susceptible d’être imaginé poursuit la procession de la lumière divine à partir de sa source ou, plutôt, accomplit son retour au principe duquel elle provient. Bien que ce mode cognitif ne permette pas une connaissance parfaite de Dieu dans son essence, il s’agit, néanmoins, d’un acte noétique qui recèle une portée théologique, métaphysique et cosmologique. CONCLUSION DU
PREMIER CHAPITRE
En guise de conclusion du premier moment de notre enquête, nous reprendrons synthétiquement les traits distinctifs de la figure de l’animal volant nocturne dans le corpus aristotélicien initialement annoncés et . ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , « secunda interpretatio ‘stella maris’ », n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - : « Et si tenues habent oculos ad cognitionem deitatis, quemadmodum animalia nocte volantia non possunt videre solem, induit infantem carne connaturali nobis et sic indutum involvit pannis et in praesepio collocat etiam ad bovini et asinini sensus plenariam cognitionem. Carne enim veritas induta filius dei humanatus est, ‘infans pannis involutus’ verbum patri coaeternum est in grossis et vulgaribus exemplis et parabolis explanatum, ut sit cibus reficiens etiam intellectum iumentorum, scilicet bovis et asini, hoc est simplicis clerici, qui bos est, exarans sulcos cordium, et laici, qui asinus est in scientia scripturarum. Qui enim subtilia deitatis non penetrat, verbum dei in rudimentis fidei per articulos fidei accipiat et salvus erit, quia secundum Iob (, ) ‘boves arabant et asinae pascebantur iuxta eos’, et secundum aliam translationem ‘fetae’ erant. ‘Boves’ enim ‘arant’, cum clerici ministrando sacramenta et verbum dei sulcos cordium scindendo frugem iustitiae seminant, ‘asinae’ autem ‘pascuntur’, cum in parabolis vulgaribus et implicita fide populus in moribus reficitur et per spiritum sanctum fecundatur, sicut dicit Is. XXVI (-) : ‘A timore tuo, domine, concepimus et quasi parturivimus et peperimus spiritum salutis’. Sic noctuae nostrae, hoc est intellectui nostro, nonnisi in similitudinibus videnti veritatem, virgo mater ut stella noctis ministrat veritatem, dum eam et carnem induit et pannis involvit et in praesepio in cibum reclinat iumentorum. Hoc puto significare, cum quidam de se dicit : ‘Factus sum sicut nycticorax in domicilio’. ‘Nycticorax’ enim avis est, quae non videt lucem nisi mixtam tenebris, et significat humanum intellectum grossum et obscurum, non capientem mysterium regni caelestis nisi in parabolis. Et ideo etiam ‘in domicilio’ habitat, domus dei extrema, scilicet rudimenta, considerans et non penetrans ad interiora. Ipse enim de se dixerat : ‘Non cognovi litteraturam, introibo in potentias domini etc.’ »
CHAPITRE I
déployés à travers la lecture des textes de la première section de ce chapitre : la figure des animaux volants nocturnes signifie, dans le corpus aristotélicien, la possibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe absolument premier ; la chauve-souris y est décrite comme n’étant pas absolument aveugle mais comme pouvant voir la lumière, lorsque celle-ci est mêlée aux ténèbres ; la métaphysique est rendue possible par une remontée progressive continue à travers la hiérarchie des sciences. Puis, nous formulerons la spécificité de l’interprétation albertienne de cette figure dans le corpus non aristotélicien en énonçant, tout d’abord, des réserves méthodologiques quant à la possibilité d’une partition stricte de l’œuvre albertienne, puis en nous interrogeant sur les traits structurels de la figure qui garantissent une continuité entre les deux corpora. Il résulte du réseau de textes examinés que la figure de l’animal volant nocturne permet à Albert le Grand de penser la possibilité, pour l’intellect humain, de la science métaphysique entendue comme science du divin. Au moyen de cette figure, le maître de Cologne pose le problème noétique du chiasme de ce qui est le plus manifeste en soi et qui l’est, pourtant, le moins pour l’intellect humain, d’un côté, et, de l’autre, de ce qui est le moins manifeste en soi et l’est le plus pour l’intellect humain. La figure de l’aigle, pour sa part, vise, en vertu de son statut de corrélat logique de la chauve-souris, à creuser l’écart entre l’intellect humain représenté par la figure de l’animal volant nocturne et la fin dans laquelle il accomplit son désir de connaître et trouve la félicité, à savoir la contemplation de la cause première. Dans le corpus aristotélicien des œuvres albertiennes, la chauve-souris tient lieu de terme extrême opposé à l’aigle, notamment du point de vue de leur capacité visuelle respective. La chauve-souris n’est pas absolument dépourvue de faculté de voir : contrairement à la vision perçante de l’aigle, elle voit de manière extrêmement faible et seulement lorsque la lumière est mêlée aux ténèbres, au crépuscule ou au point du jour, précise le Doctor expertus. À l’aporie noétique aristotélicienne, Albertus Magnus substitue, dans son commentaire de la Métaphysique, une autre interprétation de la figure de l’animal volant nocturne : la possibilité, pour l’intellect humain, de remonter par degrés de la connaissance des étants physiques à celle des intelligibles purs jusqu’à la cause première. Cette figure a pour fonction d’établir une continuité entre ces degrés d’intellects éloignés les uns des autres. La possibilité de la métaphysique est, par suite, instaurée à
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CHAUVE-SOURIS
partir de trois éléments. En premier lieu, les caractéristiques de l’intellect humain qui proviennent de sa conjonction aux sens et à l’imagination sont prises en compte en tant que point de départ de la connaissance. Cette conjonction effectuée sur le plan psychique a pour conséquence ontologique de river l’intellect humain aux catégories du continu et du temporel. En deuxième lieu, l’acte intellectif propre à l’intellect humain consiste en une opération de confortation progressive de la capacité noétique de l’intellect humain par la lumière proportionnée des intelligibles physiques, puis des intelligibles mathématiques, de telle sorte qu’il lui est peu à peu possible de saisir la lumière des intelligibles de plus en plus séparés. Cette opération de réception et de rétention de la lumière de l’intelligible permet à l’intellect humain de passer progressivement, sur le plan ontologique, des étants continus et temporels aux étants séparés et, sur le plan des sciences, de la physique à la métaphysique. Le corpus non aristotélicien de l’œuvre albertienne est, pour sa part, caractérisé par le fait que la figure de la chauve-souris est interprétée comme incapable de voir la lumière du soleil. Nous avons déjà remarqué que les frontières ne sont pas strictes entre les deux corpora textuels. Dans le De intellectu et intelligibili est brièvement évoqué le fait que l’intellect humain ne peut regarder immédiatement les corps qui produisent la lumière. Mais une lecture attentive du texte dans son contexte nous a montré qu’il s’agissait là vraisemblablement d’une formulation aiguisée du problème noétique posé par le chiasme de l’intellection humaine du divin. Ce problème trouve, plus loin dans le traité De intellectu et intelligibili, une résolution conforme à celle qui est proposée communément dans le corpus aristotélicien. Souvent, dans le corpus non aristotélicien, est également fait mention, outre l’incapacité de voir des animaux volants nocturnes, du fait qu’ils ne peuvent voir la lumière que mêlée de ténèbres. Réciproquement, nous avons également observé que, dans le prologue de la Somme de théologie, par exemple, la figure de la chauve-souris est liée à la possibilité, pour l’intellect humain, de se détacher du continu et du temporel pour s’élever peu à peu vers l’objet propre de la théologie. La figure de la chauve-souris indique, dans ce texte, une voie d’ascension progressive vers les intelligibles séparés dans le cadre de la détermination d’un mode de connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain.
CHAPITRE I
La partition du discours albertien entre le corpus aristotélicien et le corpus non aristotélicien ne présente pas, par conséquent, une cohérence infaillible. Cependant, nous avons dégagé suffisamment de traits caractéristiques pour distinguer clairement les tendances majeures de l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne dans l’un et l’autre corpus. D’ailleurs, le fait qu’il n’est pas possible, dans tous les cas, de séparer avec une absolue netteté l’interprétation de cette figure dans les différents corpora textuels est, précisément, ce qui rend la lecture de ces textes difficile. La fluidité de la figure incite également le lecteur à être attentif à la dynamique propre de chaque texte, replacé dans son corpus textuel d’appartenance et dans l’univers théorique dont il provient. Ceux-ci déterminent l’interprétation que déploie Albert le Grand en chaque occurrence de la figure des animaux volants nocturnes. C’est pourquoi, dans un corpus non aristotélicien, même si le Doctor universalis suggère parfois que la chauve-souris peut voir la lumière du soleil lorsqu’elle est mêlée de ténèbres, le contexte lui-même oriente l’interprétation vers une solution pour s’approcher du principe divin qui diffère de la continuité épistémique développée dans le corpus aristotélicien. L’intellect humain doit connaître Dieu à partir des conditions anthropologiques qui lui sont assignées et par la médiation des images. La figure de l’animal volant nocturne représente, dans le corpus non aristotélicien, l’intellect humain en tant qu’il est conjoint au continu et au temps. Ce trait caractéristique du corpus non aristotélicien se voit nuancé par le fait qu’apparaît parfois, dans ce corpus, une tripartition que nous n’avons rencontrée qu’une fois dans le réseau figural de l’animal volant nocturne dans le corpus aristotélicien : l’homme n’est pas identifié à l’animal volant nocturne mais occupe un degré médian entre cet animal et l’aigle. Cette tripartition diffère de la comparaison aristotélicienne qui assimile l’animal volant nocturne à l’intellect humain et renvoie les textes du corpus non aristotélicien concernés aux coordonnées du problème dans le corpus aristotélicien : l’intellect humain voit un peu la lumière du principe. . Cf. supra chapitre I, p. III, note , ALBERTUS MAGNUS, Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - et, pour une quadripartition, ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. [n. ], Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. .
LA FIGURE DE LA
CHAUVE-SOURIS
Après avoir formulé ce qui nous est apparu, au terme de l’enquête textuelle sur la figure de l’animal volant nocturne, comme les limites méthodologiques d’une volonté de systématiser à l’excès la partition des textes albertiens, concentrons-nous sur les traits distinctifs de l’interprétation de cette figure par le maître de Cologne dans le corpus non aristotélicien de son œuvre, puis sur les caractéristiques communes aux deux corpora qui garantissent la continuité et la cohérence de la figure, lorsqu’elle circule à travers les diverses parties de l’œuvre albertienne. À partir de la caractéristique fondamentale du corpus non aristotélicien, la question devient dès lors : comment l’intellect humain peut-il atteindre en quelque manière le principe divin ? Le mode de connaissance approprié à l’intellect humain en tant qu’il est humain consiste à discerner la lumière divine à travers les images dans lesquelles celle-ci prend figure. Cette connaissance ne coïncide en aucune manière avec la vision immédiate que l’aigle peut avoir de la lumière du soleil dans sa roue. Contrairement à ce qui est promis au terme de l’ascension à travers la hiérarchie des sciences dans le corpus aristotélicien, l’intellect humain ne peut atteindre ici qu’une connaissance extérieure du principe divin selon le mode qui lui est possible. Malgré cette différence radicale dans l’interprétation de la capacité visuelle de la chauve-souris, la figure de l’animal volant nocturne conserve ses principaux traits structurels. Ceux-ci se trouvent seulement déplacés dans un autre contexte. Notamment, la continuité que la figure de l’animal volant nocturne a pour fonction d’établir entre l’intellect humain et le principe divin demeure. Contrairement au corpus aristotélicien, elle ne s’appuie plus sur l’architectonique des sciences et des intelligibles. Elle advient plutôt dans le mode de connaissance par et dans les images. Au caractère continu de la connaissance qui commence par les sens et conduit au principe divin s’ajoute la situation théologique, métaphysique et cosmologique de l’acte noétique accompli par l’intellect humain. Il s’agit, dans les deux corpora textuels, de retourner au principe divin dont la lumière de la manifestation procède. Dans le corpus non aristotélicien, Albert le Grand insiste sur le statut de déploiement que possède la connaissance par images par rapport à la manifestation, ou procession, divine. L’intellect humain, conjoint aux sens et à l’imagination, reçoit les imaginationes dans lesquelles le principe divin « se met en images » et, en y discernant la lumière divine qui luit à travers ces médiations
CHAPITRE I
sensibles, il les reconduit à leur source divine. Ainsi l’intellect humain achève-t-il le mouvement de procession de la lumière à partir du principe divin en participant au retour de la lumière à sa source. Dans le corpus aristotélicien, ce retour a lieu par la séparation de l’intellect humain d’avec le continu et le temporel. Celle-ci assimile l’intellect humain à un intellect séparé. Surtout, la figure des animaux volants nocturnes conserve sa fonction argumentative principale : signifier le chiasme de l’intellection humaine du divin. Dans le corpus non aristotélicien, l’écart qui sépare l’intelligible le plus manifeste et l’intellect humain se trouve mis au cœur d’une autre problématique noétique. Il ne s’agit pas, comme dans le corpus aristotélicien, d’offrir à l’intellect humain une voie épistémique vers le principe qui exige qu’il se sépare peu à peu de sa condition anthropologique. Au contraire, le mode de connaissance du principe divin que propose le corpus non aristotélicien s’adresse à l’intellect en tant qu’il est conjoint au continu et au temps. Il advient à partir du sensible, par et dans la médiation des images. La tension plus intense que le corpus non aristotélicien introduit entre l’intellect humain en tant qu’il est humain et l’intelligible le plus manifeste appelle, par conséquent, un changement de moyen noétique. À la chauve-souris qui ne peut voir en aucune manière la lumière du soleil le Doctor universalis propose, dans le Super Iohannem, de changer de moyen de connaissance. Elle doit se laisser « conduire par la main ». Il est remarquable que, précisément dans le corpus non aristotélicien, la figure de la manuductio se trouve, par deux fois, associée à celle de l’animal volant nocturne, comme c’est également le cas dans le Super Iohannem. Le corpus non aristotélicien fournit, par conséquent, une clef fondamentale pour l’intelligence de l’enchaînement figural qui apparaît dans l’exégèse de Jn , . En quoi consiste plus précisément la « conduite par la main » proposée par les imaginationes dans lesquelles le principe divin se met en images ? C’est ce que nous allons explorer dans le deuxième chapitre de cette enquête.
Appendice du chapitre I LES MODES DE L’INTELLIGIBLE ET L’ÉTUDE DES SCIENCES THÉORÉTIQUES CORRESPONDANTES
Un texte du commentaire de la Physique, parallèle à celui du commentaire de Métaphysique, α, ( b -), permet d’apercevoir comment le Docteur universel fait apparaître la continuité qui relie les différents intelligibles et les sciences qui les étudient, là où précisément la capacité visuelle des « yeux faibles » est présentée comme inapte à voir la lumière la plus manifeste, celle du soleil en sa roue. Albert de Cologne adopte, dans ce passage de la Physique, une progression ascendante, afin d’établir que l’architectonique des sciences mène à la philosophie première, appelée métaphysique ou théologie, selon une méthode scientifique continue. En commençant par ce qui lui est plus connu, c’est-à-dire par la lumière mêlée aux ténèbres, l’intellect humain appréhende, à la fois par les sens, l’imagination et la faculté intellective, l’intelligible qui existe dans la matière et qui est connu selon sa conjonction au continu et au temporel. Dans son mode de considération du corps, la science physique se distingue, d’une part, de la science divine qui prend le corps absolument et simplement selon sa reconduction à l’étant en tant qu’étant et, d’autre part, de la science géométrique qui regarde le corps selon la diversité des figures qu’elle trouve en acte en lui. La science physique, pour sa part, a trait au corps naturel selon trois points de vue qui correspondent à différentes parties de la science physique : en tant que le . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Et haec est philosophia prima, quae dicitur metaphysica vel theologia. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Doctrina enim non semper incipit a priori secundum rem et naturam, sed ab eo a quo facilior est doctrina. Constat autem, quod humanus intellectus propter reflexionem, quam habet ad sensum, a sensu colligit scientiam, et ideo facilior est doctrina, ut incipiatur ab eo quod possumus accipere sensu et imaginatione et intellectu, quam ab eo quod possumus accipere imaginatione et intellectu, vel ab eo quod accipimus intellectu solo. Et ideo etiam nos tractando de partibus philosophiae primo complebimus deo iuvante scientiam naturalem et deinde loquemur de mathematicis omnibus et intentionem nostram finiemus in scientia divina. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Sic ergo patet, quod corpus absolute et simpliciter sumptum est ante mathematicum et ante naturale, et secundum reductionem ad ens considerat ipsum divinus. Corpus autem mathematicum secundum diversitates figurarum actualiter in ipso inventarum considerat geometres. Corpus autem naturale in universali subiectum est naturalis philosophiae, et corpus hoc physicum vel illud, scilicet mobile ad locum tantum vel mobile ad formam et locum vel corpus simplex vel mixtum, cadit in considerationem alicuius partis scientiae naturalis. »
CHAPITRE I
corps est mobile par rapport au lieu seulement, en tant qu’il est mobile par rapport à la forme et au lieu et, enfin, en tant que corps simple ou mêlé. La science physique considère, en effet, l’étant physique, d’abord, du point de vue de son devenir quant à la forme, qu’il s’agisse de l’altération ou de la génération des étants sublunaires, puis du point de vue de son mouvement local dont l’étude est étendue, dans le traité Du Ciel et du monde, aux étants supra-lunaires et, enfin, d’un point de vue universel, comme étude du corps en tant qu’il est susceptible de mouvement et de repos, dans la Physique. Par ce mouvement de séparation progressive d’avec la matière, la science physique acquiert une certitude croissante quant aux conclusions auxquelles elle parvient par la voie démonstrative. En poursuivant de manière continue ce processus, l’intellect humain sépare les intelligibles qu’étudie la physique de la matière dans laquelle ils ne laissent, pourtant, d’exister. Et il les connaît, par suite, comme des intelligibles mathématiques séparés dont la définition vise uniquement la forme du substrat naturel, et non pas l’unité hylémorphique considérée, en revanche, par la physique. Pour autant, l’intelligible mathématique n’est pas absolument dépourvu de matière, dans la mesure où sa capacité à être figuré implique la quantité imaginable qui est une matière intelligible. De même, si l’on définit le cercle mathématique ou la ligne, on ne posera pas dans sa définition le bois ou l’airain ou quelque autre matière sensible dans laquelle le cercle peut être figuré. Autrement, le cercle serait du bois ou de l’airain équivoques, ce qui n’est pas vrai. Rien donc de la matière sensible ne tombe dans la raison de ce qui est mathématique, mais plutôt de la matière intelligible, qui est la quantité imaginable. C’est pourquoi aussi, en abstrayant de toute matière sensible, il est défini, quand Euclide dit que le cercle est la figure plane contenue par une seule ligne dans le milieu de laquelle il y a un point . Ce qui est susceptible de mouvement par rapport à la forme l’est aussi par rapport au lieu. Mais cette propriété n’est pas réciproque. Ce qui est susceptible de mouvement par rapport au lieu précède en nature ce qui est susceptible de mouvement par rapport à la forme. C’est pourquoi aussi le premier est connu par l’intellect humain après le dernier, selon l’ordre des sciences. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , ed. P. Hossfeld, Ed. Colon. V/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « In consequentibus enim libris subicitur corpus mobile ad formam, et bene scimus, quod quidquid est mobile ad formam, est etiam mobile ad locum, sed non convertitur ; et ideo quia non convertitur consequentia a mobili ad locum ad mobile ad formam, prius erit natura mobile ad locum quam mobile ad formam. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. -.
APPENDICE
qui est appelé centre à partir duquel toutes les lignes produites vers la circonférence sont égales. Parallèlement à la séparation qui touche les intelligibles – celle d’avec la matière dans laquelle ils existent –, l’intellect humain se sépare, quant à lui-même, de l’usage de la faculté des sens et n’a recours qu’à l’imagination et à l’intellect. Le travail de l’imagination est, dans les mathématiques, lié à la faculté de produire des figures des intelligibles. L’enseignement ne commence pas toujours par ce qui est antérieur selon la réalité et la nature, mais par ce par quoi l’enseignement est plus facile. Or c’est un fait que l’intellect humain en raison de la réflexion qu’il possède par rapport aux sens rassemble la science à partir des sens. C’est pourquoi aussi l’enseignement est plus facile, pour cette raison qu’il commence par ce que nous pouvons recevoir des sens, de l’imagination et de l’intellect, que par ce que nous pouvons recevoir par l’imagination et l’intellect ou par ce que nous recevons par l’intellect seul. C’est pourquoi aussi, en traitant des parties de la philosophie, nous achèverons, avec l’aide de Dieu, d’abord, la science naturelle et, ensuite, nous parlerons de toutes les mathématiques et nous achèverons notre projet dans la science divine. La continuité du processus de séparation d’avec la matière et de la gradation épistémique qu’il entraîne consiste, en ce qui concerne le passage de la physique à la mathématique, à ne se détacher que de la matière dans la définition et à se séparer des sens dans l’usage des facultés de l’âme. L’existence dans la matière demeure, en effet, commune aux intelligibles physiques et mathématiques, comme le travail de l’imagination l’est dans les sciences physiques et mathématiques. Mais ce qui est physique – que nous visons ici – est conçu tout entier avec la matière par l’être et par la définition. . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. : « Similiter, si quis diffinierit circulum mathematicum vel lineam, non ponet in diffinitione eius lignum vel aes vel aliquam aliam materiam sensibilem, in qua circulum possibile est figurari, alioquin circulus esset aequivocus ligneus et aereus, quod non est verum. Nihil ergo cadit in ratione mathematicorum de materia sensibili, sed potius de materia intelligibili, quae est quantitas imaginabilis, et ideo abstrahens ab omni sensibili materia diffinitur, quando dicit Euclides, quod circulus est figura plana, una linea contenta, in cuius medio est punctum, quod vocatur centrum, a quo omnes lineae ad circumferentiam productae sunt aequales. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -, cf. supra l’apparat du chap. I, p. , note . . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « Sed physica, de quibus hic intendimus, sunt in toto concepta cum materia per esse et diffinitionem. »
CHAPITRE I
C’est pourquoi, en vertu de la continuité inhérente au processus de séparation d’avec la matière, l’intellect humain est en mesure de traverser les trois subdivisions internes à la science mathématique en passant de l’astronomie, en partie conjointe aux raisons physiques, à la géométrie, qui procède à partir d’additions d’éléments, et, enfin, à l’arithmétique, qui étudie les nombres en tant qu’ils sont séparés. Enfin, c’est par l’abstraction à l’égard de la détermination par la quantité et par la contrariété qui affecte les étants perçus par les sens et par l’imagination que l’intellect humain parvient à ce que le Docteur universel désigne comme « la science divine » ou comme « la science universelle qui prend en miroir l’étant en tant qu’étant ». Or, à présent, puisque la quiddité de l’essence absolue ressortit à l’étant pris universellement qui n’est pas contracté en quelque partie et que, pour sa part, la quiddité de l’essence contractée par rapport à la matière quantitative ou à celle qui possède les formes contraires de l’action et de la passion ressortit à l’étant pris selon une partie, il s’ensuit nécessairement que la métaphysique est la science universelle qui prend en miroir l’étant en tant qu’étant. Mais il y a deux autres sciences particulières qui ne prennent pas en miroir l’étant en tant qu’étant, mais des parties de l’étant, à savoir ce qui est soumis à la quantité ou soumis à la qualité et au mouvement. Ainsi le commentaire de la Physique du Doctor magnus offre-t-il un passage parallèle à son commentaire de Métaphysique, α, ( b -) susceptible d’éclairer en détail sa conception des différents modes de l’intelligible, des sciences qui leur correspondent ainsi que de la progression continue qui mène l’intellect de l’une à l’autre.
. Sur l’abstraction selon Albert le Grand, cf. GESSNER, J., « Die Abstraktionslehre in der Scholastik bis Thomas von Aquin, mit besonderer Berücksichtigung des Lichtbegriffes », Philosophisches Jahrbuch (), p. - ; LAUER, R., « St. Albert and the Theory of Abstraction », The Thomist (), p. - ; JOHNSTON, H., « Intellectual Abstraction in St. Albert the Great », Philosophical Studies (), p. -. . Cf. infra appendice du chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - : « […] scientia universalis, speculans ens inquantum ens […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. : « Adhuc autem, cum quiditas essentiae absolutae sit entis in universali non contracti in partem aliquam, quiditas autem essentiae contractae ad materiam quantitativam vel contrarias formas passionis et actionis habentem sit entis secundum partem accepti, sequitur necessario, quod metaphysica sit scientia universalis, speculans ens inquantum ens. Aliae autem duae sunt scientiae particulares, non speculantes ens inquantum ens, sed quasdam partes entis, scilicet subiectum quantitati vel subiectum qualitati et motui. »
Chapitre II
La Manuductio, un mode de connaissance médiat du divin adapté à l’intellect humain
L’
ensemble figural du Super Iohannem ne trouve proprement sa cohérence que dans le contexte de l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne donnée dans le corpus non aristotélicien, comme le montrent les textes qui conjoignent des occurrences des figures de la chauve-souris et de la manuductio. C’est seulement à la condition que la chauve-souris ne puisse en aucune manière voir la lumière du soleil qu’elle doit, en effet, changer de moyen noétique pour l’atteindre. Albert le Grand propose qu’elle soit « conduite par la main » vers ce qu’elle ne saurait voir. Cette méthode par le toucher diffère de l’idéal de la vision aquiline qui promet à la chauve-souris de voir le soleil en sa roue. De même, l’intellect humain en tant qu’il est humain doit-il également changer de moyen noétique : il doit être « conduit par la main », à travers des médiations noétiques, vers le principe divin qu’il ne saurait voir immédiatement. La manuductio est la figure de ce changement dans le mode de connaissance. C’est pourquoi elle n’apparaît en lien avec la figure de l’animal volant nocturne que dans les textes issus du corpus non aristotélicien. La visée première de ce deuxième chapitre consiste, par conséquent, à montrer que l’origine de la figure de la manuductio se trouve dans le corpus dionysien et à déployer la problématique qui lui est sous-jacente et qui est en mesure d’unifier toutes les occurrences du terme, à savoir la problématique de la connaissance médiate du principe divin pour l’intellect humain. Cependant, des occurrences de la figure de la manuductio se trouvent également dans le corpus aristotélicien sans y être, néanmoins, jamais conjointe à la figure de l’animal volant nocturne. Le deuxième objectif de ce chapitre consiste à s’interroger sur la fonction qu’y exerce la manuductio. Y a-t-il des sources aristotéliciennes ou reliées au corpus
CHAPITRE II
aristotélicien de la figure de la manuductio ? Ou bien celle-ci est-elle transférée dans le corpus aristotélicien à partir du corpus dionysien ? Notre hypothèse est qu’elle y est transférée. La raison qui autorise un tel transfert est anthropologique. Il s’agit de la conception de l’intellect humain en tant qu’il est conjoint au continu et au temporel. Le corpus aristotélicien développe une réflexion épistémologique sur les conséquences d’une telle conception de l’intellect. Ce transfert implique, néanmoins, entre le corpus dionysien et le corpus aristotélicien, des différences quant à la conception de la médiation et de l’acte de l’intelligence qui s’y applique. Le troisième objectif de ce chapitre consiste à déduire de la manière dont Albert le Grand élabore et diffuse la figure de la manuductio qu’il reconduit la métaphysique et l’intelligence figurale à une même méthode noétique dans la connaissance du principe, du moins dans la mesure où la métaphysique, en son point de départ, a elle aussi partie liée avec l’intellect en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. SECTION I : PROBLÉMATIQUE UNIFIANT LE RÉSEAU TEXTUEL, ORIGINE ET CIRCULATION DE LA FIGURE DE LA MANUDUCTIO
I. L’origine dionysienne de la manuductio Dans le premier chapitre du De caelesti hierarchia, apparaît explicitement le terme de manuductio. Ce passage est la citation qui est principalement reprise par un ensemble de textes albertiens formant le réseau de la manuductio. Cette citation constitue, par conséquent, l’indice majeur que ces textes forment un réseau unifié autour de la figure de la manuductio dont la source se trouve dans le corpus dionysien. Notre hypothèse est que la figure de la manuductio est, pour ainsi dire, dans un . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. , in ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Quoniam neque est possibile nostro animo ad non materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum et imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur. » . Parmi les nombreuses occurrences de termes de la famille de manuductio dans les œuvres de Denys l’Aréopagite, notre hypothèse est qu’Albertus Magnus choisit précisément ce passage du De caelesti hierarchia comme indice majeur caractérisant le réseau figural de la manuductio pour une raison doctrinale. L’occurrence de manuductio est ici explicitement liée à la question de la connaissance médiate du principe divin par l’intellect humain en tant qu’il est humain. Pour d’autres occurrences des termes de la famille de manuductio, cf. appendice du chapitre II, p. .
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
second moment, exportée dans des champs connexes qu’elle peut éclairer ou dont elle peut recevoir une lumière différente. Le commentaire albertien de ce texte fondamental pour l’interprétation de la conjonction figurale du verset Jn , dans le Super Iohannem nous indique-t-il quelle problématique sous-jacente à la figure est en mesure d’unifier les différents textes du réseau de la manuductio ? Voici comment Albert le Grand glose ce passage du De caelesti hierarchia : « Puisqu’il n’est pas possible à notre esprit », c’est-à-dire à notre intellect, « de s’élever vers cette imitation et vers cette contemplation non matérielles des hiérarchies célestes », parce qu’en les contemplant, nous les imitons, « à moins que l’on ait recours à une conduite par la main matérielle qui est selon », c’est-à-dire à une représentation par ce qui est matériel qui lui soit connaturelle. Le constat dont part cet extrait est l’impossibilité, pour notre âme, c’està-dire pour l’intellect humain en tant qu’il est conjoint à notre corps, de s’élever vers la connaissance de ce qui est spirituel. La raison invoquée en est que la contemplation, ou connaissance théorique, est une imitation de ce qui est vu par celui qui le voit. Or un intellect, en tant qu’il est conjoint au corps, ne saurait imiter ce qui est purement spirituel. La solution proposée par Denys, dans ce texte, pour sortir de cette aporie est la manuductio. Sa fonction, dans ce contexte dionysien, consiste à tenir lieu de mode de connaissance qui sert de médiation entre une faculté de connaître limitée et les réalités spirituelles qu’elle vise à connaître et qui lui sont disproportionnées. Ce mode de connaissance repose sur la représentation de ce qui est spirituel par ce qui est matériel. Une telle représentation est qualifiée de connaturelle à l’intellect humain, dans la mesure où celui-ci est conjoint au corps. C’est pourquoi lui est attribuée la fonction de « conduire » l’intellect « par la main » vers ce qu’elle représente.
. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « “Quoniam neque possibile est nostro animo”, idest intellectui, “ascendere ad illam non-materialem imitationem et contemplationem caelestium hierarchiarum”, quia contemplando eas imitamur, “nisi utatur ea materiali manuductione quae secundum ipsum est”, idest repraesentatione materialium sibi connaturali. » . Materialium est lu ici comme un génitif subjectif.
CHAPITRE II
Ainsi le passage du texte de Denys le Pseudo-Aréopagite qui fournit la source littérale de la figure de la manuductio dans le commentaire albertien est-il aussi le lieu où surgit la problématique noétique fondamentale que recouvre cette figure. Il s’agit de la nécessité, pour la connaissance humaine des réalités spirituelles, de recourir à des médiations sensibles. Le caractère central de cette question pour la figure de la manuductio apparaît manifestement, lorsque Albertus Magnus la reprend et la développe dans le commentaire du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia de Denys que nous avons évoqué au premier chapitre, dans le contexte de l’interprétation de la figure de l’animal volant nocturne. La conjonction de la figure de la manuductio et de celle de la chauve-souris, dans ce texte, signale que nous nous situons ici aussi en un lieu majeur pour l’interprétation du passage du Super Iohannem qui lie également ces deux figures. Le terme manuductio apparaît dans la solutio, celui de vespertilio dans la réponse à la troisième objection. Ils ont transmis, dis-je, « supra-célestes par des images sensibles », c’est-à-dire par des symboles, et ils ont transmis ce qui est en soi « connexe », c’est-à-dire ce qui est simple et un, à savoir spirituelles, « à la fois par la variété et la multitude » des symboles, et ils ont transmis « les divines dans » les choses « humaines, immatérielles dans » les choses « matérielles et suressentielles par » ces choses « qui sont selon nous », et ils ont transmis par ce mode « non seulement en raison des impurs », c’est-àdire des infidèles ou des pécheurs, « pour qui il n’est pas juste », c’est-à-dire licite, « de toucher les symboles », c’est-à-dire les espèces sensibles des sacrements ; « mais parce que » notre hiérarchie est « une certaine » hiérarchie « symbolique », c’est-à. Cf. supra chapitre I, p. , note , DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -, in ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Necessario igitur primi nostrae hierarchiae duces ex superessentiali deitate ipsi repleti divino dono et in id ipsum deinde praeire ex divina bonitate missi sunt, ipsi vero copiose amantes tamquam dii eorum qui post se sunt, reductionis et deificationis, sensibilibus imaginibus supercaelestia et varietate et multitudine conexum et in humanis divina et in materialibus immaterialia et his quae secundum nos sunt, superessentialia scriptis suis et non scriptis doctrinis secundum sacras nobis dederunt leges, non propter immundos solum, quibus nec symbola tangere fas, sed quia et symbolica quaedam est, quod quidem dixi, proportionaliter nobis ipsis nostra hierarchia, desiderans sensibilia in eam ex eis ad invisibilia diviniorem nostram reductionem. »
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
dire transmise par des symboles, « parce qu’en vérité j’ai dit » plus haut qu’ils adviennent « proportionnellement à nousmêmes » qui sommes faits par nature pour recevoir par « sensibles », « hiérarchie », dis-je, « qui désire », c’est-à-dire qui recherche, « notre retour plus divin vers elle » par ces mêmes sensibles, qui « advient à partir d’eux », à savoir des sensibles, « vers ce qui est invisible ». Le Docteur universel lit chez Denys le Pseudo-Aréopagite que, pour revenir vers ce qui est supra-céleste, vers ce qui est simple et un, les hommes ont besoin de symbola, ou de formes sensibles. Autrement dit, les images sensibles conduisent l’intellect humain vers ce qui possède les propriétés contraires aux leurs : vers ce qui est spirituel, immatériel, suressentiel, invisible. La raison que le texte donne dépasse la simple morale, c’est-à-dire l’interdiction faite à ceux qui sont impurs de s’approcher des espèces sensibles des sacrements. Elle ressortit, plus fondamentalement, à l’anthropologie : les hommes sont par nature « symboliques », c’est-à-dire qu’ils reçoivent la connaissance du divin par la médiation du sensible. Or, à partir de la lettre même du texte de Denys, Maître Albert soulève, aussitôt, la question de la nécessité ou non de médiations dans la connaissance humaine du principe : notre hiérarchie a-t-elle besoin de symboles pour son retour ? C’est dans la formulation de la solutio que le Doctor magnus mentionne explicitement la manuductio. Voici sa position : dans la mesure où notre intellect reçoit ce qu’il connaît dans ce qui est continu et temporel, il ne peut parvenir à connaître de manière adéquate sans ce qui constitue le commencement de son . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Tradiderunt, dico, “supercaelestia sensibilibus imaginibus”, idest symbolis, et tradiderunt id quod in se est “conexum”, idest simplex et unum, scilicet spiritualia, “et varietate et multitudine” symbolorum, et tradiderunt “divina in” rebus “humanis et immaterialia in” rebus “materialibus et superessentialia his” rebus “quae sunt secundum nos”, et tradiderunt hoc modo “non solum propter immundos”, idest infideles vel peccatores, “quibus nec fas”, idest licitum, est “tangere symbola”, idest species sensibiles sacramentorum ; “sed quia nostra hierarchia est quaedam” hierarchia “symbolica”, idest symbolis tradita, “quod quidem dixi” supra fieri “proportionaliter nobis ipsis”, qui per “sensibilia” nati sumus accipere, hierarchia, dico, “desiderans”, idest requirens, “in eam nostram reductionem diviniorem” ipsis sensibilibus quae est “ex eis”, scilicet sensibilibus, “ad invisibilia”. » . Sur les médiations sensibles manuductrices comme condition noétique inhérente à la nature humaine, cf. chapitre II, appendice , p. . . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Deinde quaeritur de hoc quod dicit quod nostra hierarchia desiderat symbola ad suam reductionem. »
CHAPITRE II
mode de connaissance, c’est-à-dire sans que les sens ne le « conduisent par la main » : Solution : Il faut dire que notre hiérarchie ne peut s’accomplir de manière adéquate que par la conduite par la main ce qui est sensible, puisque notre intellect reçoit avec ce qui est continu et avec le temps. La manière dont le maître de Cologne fonde la nécessité du recours à la méthode de la « conduite par la main » effectuée par les sens ressortit à la noétique : notre connaissance commence par les sens. La signification qu’il attribue à la manuductio apparaît, alors, comme la dépendance de l’intellect humain par rapport aux conditions de son existence, en tant qu’elle relie l’intellect humain à ce qui est continu et temporel. Cette thèse est posée contre l’assimilation de l’intellect humain à un intellect séparé. Dans la discussion autour de la raison noétique de la nécessité de médiations sensibles dans la connaissance humaine du principe, le Doctor universalis considère trois arguments principaux. Voici la question que soulève la première objection : puisque, comme les intellects séparés, nous recevons ce qui est spirituel et que les anges connaissent sans les symboles – médiations matérielles du principe immatériel –, l’intellect humain ne pourrait-il pas lui aussi se passer des symboles ? Cette objection prend son point de départ dans la différence entre le mode d’intellection de l’intellect angélique et celui de l’intellect humain. Ce qui est visé ici, du point de vue philosophique, est l’hypothèse d’un intellect dont la connaissance ne commence pas à partir des sens et qui ne procède pas à l’abstraction de la matière pour connaître l’intelligible. Un tel modèle intellectif, représenté par l’intellect angélique, connaîtrait directement l’intelligible. Dès lors, il n’aurait pas besoin d’une médiation symbolique. Si donc, selon la première objection, l’intellect angélique trouve sa perfection sans la médiation des symbola, l’intellect humain, qui a également accès à ce qui est spirituel, ne devrait pas non plus requérir de médiation. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum quod non potest congrue perfici nostra hierarchia nisi manuductione sensibilium, cum intellectus noster accipiat cum continuo et tempore. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Et videtur quod sine symbolis possit reduci ; quorum enim est potestas una, est perfectio una ; sed nostrae hierarchiae et angelicae est eadem accipiendi, spiritualia scilicet, alias
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À cette objection, le maître de Cologne répond que notre mode d’intelliger diffère de celui des anges, « parce que notre intellect est conjoint aux sens, recevant des sens, ce qui n’est pas le cas de l’intellect de l’ange ». La comparaison des paradigmes angélique et humain de l’intellect permet à Albert de Cologne de préciser que le recours nécessaire à une médiation sensible ne provient pas de la fin de la connaissance, à savoir l’accès à l’intelligible, mais concerne plutôt son mode. La condition d’existence de l’intellect humain en conjonction avec ce qui est continu et temporel détermine, en effet, un mode de connaissance, tel que l’intellect intellige en recevant des formes par la médiation des sens. La deuxième objection considérée par le Docteur universel dans cette discussion introduit l’idée de proportion des facultés de connaître par rapport à leur objet respectif. La question soulevée par la deuxième objection est la suivante : notre faculté intellective ne nous rend-elle pas proportionnés à la réception des intelligibles, comme notre faculté sensitive nous confère une proportion pour accueillir les sensibles ? Si tel est le cas, nous devrions pouvoir recevoir les intelligibles sur le même mode que l’intellect angélique les reçoit. À la deuxième objection Albertus Magnus répond de telle sorte qu’il rétablit un ordre entre les proportionnalités respectives des facultés à leurs nostra non reduceretur in spiritualia ; cum igitur angelica perficiatur sine symbolis, et nostra etiam hoc modo poterit perfici. » « Il semble que, sans symboles, on ne puisse retourner. Car ce dont la puissance est une, la perfection est une. Mais c’est le propre de notre hiérarchie et de angélique de recevoir les mêmes , à savoir ce qui est spirituel. Autrement, notre ne retournerait pas vers ce qui est spirituel. Puisque donc angélique est accomplie sans symboles, la nôtre aussi pourra être accomplie sur ce mode. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad primum ergo dicendum quod licet in potestate intellectiva nos communicemus cum angelis, tamen in modo intelligendi differimus, quia intellectus noster coniunctus est sensui, accipiens a sensu, quod non est de intellectu angeli. » « En ce qui concerne le premier , il faut dire que, bien que, dans la puissance intellective, nous ayons des points communs avec les anges, cependant, dans le mode d’intelliger, nous différons, parce que notre intellect est conjoint aux sens, recevant des sens, ce qui n’est pas le cas de l’intellect de l’ange. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Praeterea : sicut habemus sensum, ita et intellectum ; ergo sicut propter sensum est proportionale nobis accipere sensibilia, ita propter intellectum erit nobis proportionale accipere intelligibilia. » « De plus, de même que nous avons les sens, de même aussi l’intellect. Donc, de même qu’en raison des sens, il nous est proportionnel de recevoir les sensibles, de même en raison de l’intellect, il nous sera proportionnel de recevoir les intelligibles. »
CHAPITRE II
objets. Le fait d’avoir un intellect n’entraîne pas paradoxalement que nous puissions accéder directement à l’intelligible. Ce qui prime, dans l’ordre de la connaissance, est, en effet, la médiation des sens qui nous conduisent vers l’intelligible, conformément à notre complexion cognitive. La troisième objection à la thèse albertienne de la connaissance médiate compare la capacité que possèdent respectivement la lumière naturelle et la lumière de grâce de nous faire accéder à ce qui est seulement intelligible. Si, en effet, la première, à l’œuvre dans la métaphysique, notamment, est en mesure de conduire l’intellect humain vers ce qui est purement intelligible, d’autant plus l’action immédiate de la grâce pourra-t-elle l’y mener sans la médiation des sensibles. La réponse du Dominicain rhénan se concentre sur la disproportion de notre faculté de connaître avec ce qui est purement intelligible et par nature le plus manifeste, en se référant à la figure de la chauve-souris empruntée à la Métaphysique, α, d’Aristote. Quant au troisième , il faut dire que, parce que ce dont traite la métaphysique est seulement intellectuel, notre intellect s’y rapporte comme l’œil de la chauve-souris à la lumière (lucem) du soleil, bien que cela soit en soi le plus manifeste, comme dit le Philosophe. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad secundum dicendum quod licet habeamus intellectum sicut sensum, tamen intellectus noster accipit a sensu, et ideo oportet, ut per sensibilia perficiatur. » « Quant au deuxième , il faut dire que, bien que nous ayons l’intellect comme les sens, cependant, notre intellect reçoit à partir des sens. C’est pourquoi aussi il faut qu’il soit accompli par sens. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Praeterea : per lumen naturaliter nobis inditum possumus in ea quae sunt tantum intelligibilia, cum inter scientias liberales sit metaphysica de intelligibilibus tantum, ut dicunt Philosophi ; ergo multo magis potest lumen gratiae nos ducere in intelligibilia sine sensibilibus. » « De plus, par la lumière (lumen) naturellement introduite en nous, nous pouvons vers ce qui est seulement intelligible, puisque la métaphysique est, parmi les sciences libérales, celle qui traite de ce qui est seulement intelligible, comme disent les philosophes*. D’autant plus, la lumière (lumen) de grâce peut donc nous conduire vers les intelligibles sans les sensibles. » * Cf. supra chapitre I, p. , note , ARISTOTELES, Phys., lib. , cap. ( a -), textus , Guillelmus de Morbeka reuisor translationis Aristotelis (translatio ‘noua’ - Iacobi Venetici translationis recensio) in THOMAS DE AQUINO, Commentaria in octo libros Physicorum Aristotelis, Editio Leonina II, p. , l. - ; AVICENNA, Liber de philosophia prima sive scientia divina, tr. , cap. , éd. S. Van Riet, Avicenna Latinus I, p. , l. -. . Cette proposition a pris le statut d’adage : cf. Les Auctoritates Aristotelis : un florilège médiéval, p. . . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « () Ad tertium dicendum quod quia ea de quibus est metaphysica, sunt tantum
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Autrement dit, le Doctor expertus ne répond pas directement à l’argument de la grâce qui pourrait nous faire accéder aux intelligibles sans la médiation des sens. Il met plutôt en cause la possibilité, pour la métaphysique, de nous conduire à ce qui est seulement intelligible en raison de la disproportion de notre intellect avec ce qui est purement intelligible. Il ressort de cette discussion qu’aux yeux d’Albertus Theutonicus, ce qui prime, par rapport à la nature de l’intellect en lui-même séparé de la matière ou par rapport à ce qui est par soi le plus manifeste, est la condition d’existence de l’intellect humain conjoint au continu et au temporel et la nécessité que celle-ci implique que toute connaissance intellective passe par la médiation des sens. C’est sur cette attention aux conditions d’existence de l’intellect humain et aux limites que celles-ci imposent que se fonde, pour le Docteur universel, la nécessité, pour la connaissance humaine du principe divin, de passer par des médiations sensibles. Il précise, en outre, que cette médiation ne modifie pas la fin de la connaissance, à savoir la possibilité d’atteindre les principes immatériels. Elle concerne seulement le mode par lequel la connaissance s’exerce dans la médiation du sensible vers l’intelligible. C’est précisément ce mode qu’exprime la figure de la manuductio. En d’autres termes, dans le corpus non aristotélicien, le mode de connaissance humain du divin passe par la médiation du sensible. À la différence du corpus aristotélicien, il ne s’agit pas ici de se séparer peu à peu du sensible. Cependant, la finalité de la connaissance n’en reste pas moins d’atteindre le principe divin. Nous y reviendrons. La fonction des médiations sensibles est de « conduire » l’intellect humain « par la main », dans la mesure où la connaissance commence pour lui par les sens. D’une telle manuduction, l’intellect angélique n’a nullement besoin. La manuductio caractérise, par conséquent, le mode de connaissance du divin propre à l’homme. C’est un mode noétique anthropologique. Il résulte de ce texte majeur dans le réseau figural de la manuductio qu’il en révèle le fondement noétique et la problématique susceptible d’unifier la diversité des textes de ce réseau figural. La constellation figurale de la manuductio permet d’affirmer, là où elle apparaît, que l’intellect humain, en tant qu’il est humain, et non séparé, requiert des médiations pour connaître le principe. Nous reviendrons également sur le désir intellectualia, ideo intellectus noster se habet ad ea sicut oculus vespertilionis ad lucem solis, quamvis in se sint manifestissima, ut dicit Philosophus. »
CHAPITRE II
manifesté par les hiérarchies célestes que l’intellect humain retourne vers elles. Concentrons-nous, pour l’instant, sur le fondement anthropologique du mode de connaissance médiat du divin signifié par la figure de la manuductio. Avant d’explorer, sur le plan doctrinal, comment la médiation est conçue dans la manuduction vers le principe, au sein du corpus dionysien des œuvres d’Albert de Cologne, observons, sur le plan herméneutique, la manière dont procèdent les transferts d’un terme dionysien dans les problématiques traitées dans le corpus aristotélicien. II. Le transfert de la figure de la manuductio dans le corpus aristotélicien A. De la physique à la métaphysique : l’élévation dans la hiérarchie des sciences assurée par la manuductio Bien qu’elle trouve sa source dans le corpus dionysien, la manuductio exerce, dans la voie métaphysique vers le principe que dessine le corpus aristotélicien, la fonction de conduire l’intellect humain de la connaissance des étants physiques à la connaissance des étants séparés de la matière jusqu’à celle du principe. À la fois sur les plans ontologique et noétique, elle établit une continuité entre les étants étudiés par chaque science et les différentes facultés de connaître requises par chacune de ces sciences. Dans le domaine épistémologique, elle est identifiée à la méthode inductive. Puisque, pour l’intellect humain, la connaissance commence par les sens et qu’elle procède par l’intermédiaire des sens et de l’imagination, alors la fonction de la manuduction consiste à permettre à un tel intellect d’aller, de manière continue, à travers l’architectonique des sciences, de ce qui lui est le plus proportionné vers ce qui l’est, d’abord, le moins pour lui. Cette fonction est précisément décrite en Metaphysica, l. , tr. , chap. . Albertus Theutonicus s’y interroge sur la gradation de la connaissance qui conduit des objets qui sont proportionnés à l’intellect humain jusqu’à ce qui est divin. Albert de Cologne convoque la figure de la . Cf. supra chapitre I, p. , note . . Sur ce point ainsi que sur la méthode inductive, cf., notamment, les notes à de la section I, IV, intitulée « Hiérarchie épistémique et séparation d’avec le continu et le temporel » dans le premier chapitre, p. -.
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manuductio au sujet de la double méthode, inductive ou déductive, en vue de l’acquisition de la connaissance des principes. La lumière (lumen) des intelligibles de cette sagesse rassemble donc, en tous les autres étants particuliers, ceux qui sont plus naturellement proportionnés à notre intellect qui est conjoint au continu et au temps. Peu à peu, il reçoit donc davantage et davantage de lumière (luminis) à partir de la reconduction des intelligibles physiques et mathématiques à ce qui est divin. C’est pourquoi aussi, quant à nous également, cette science commence à partir de ce qui est physique et mathématique et se termine aux spéculations de ce qui est divin. Pour cette raison, elle est enseignée en dernier ; et les philosophes qui sont conduits par la main à partir des autres sciences terminaient leur vie entière en celle-ci. Or, seulement après avoir été introduits et instruits à partir des autres, nous commencerons par le mode contraire, en prenant comme point de départ de l’enseignement le genre le plus haut des causes et des principes. Le maître de Cologne présente ainsi la sagesse comme la science qui rassemble, en les totalisant, les études des différents étants, depuis les étants physiques et mathématiques jusqu’au divin, comme autant d’étapes d’un . Cf. infra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. . L’induction ne se réduit pas à la progression qui conduit du particulier au général [ARISTOTELES, Topica, lib. , cap. ( a -) et ALBERTUS MAGNUS, In Topica, lib. , tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. II, Vivès, Parisiis, , p. -], qu’elle repose sur un examen complet (inductio perfecta) ou non (inductio probabilis) des cas particuliers. Elle correspond aussi à la manière d’appréhender les premiers principes ou universaux à partir des sens (ALBERTUS MAGNUS, In Posteriora Analytica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. -). Vide RUZICKA, P., « Induktion », in K. Gründer (Hrsg.), Historisches Wörterbuch der Philosophie, Bd. , , col. . Sur les bases bibliques et anthropologiques de l’induction dans la connaissance du divin, ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. l. - ; l. - ; ALBERTUS MAGNUS, De homine, De homine secundum statum eius in ipso, De anima ipsius, De substantia et natura eius, ed. H. Anzulewicz et J. Söder, Ed. Colon. XXVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - ; ibid., De differentia intelligibilis, De anima rationali, p. , l. -. Cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. . . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Lumen ergo intelligibilium istius sapientiae colligit in omnibus aliis entibus particularibus, quae nostro intellectui, qui continuo et tempori coniungitur, naturalius proportionantur. Paulatim igitur magis ac magis accipit luminis ex resolutione intelligibilium physicorum et mathematicorum ad divina ; et ideo quoad nos etiam incohat haec scientia a physicis et mathematicis et terminatur ad speculationes divinorum. Propter quod ultimo docetur, et philosophi ab aliis scientiis manuducti in ista terminabant totam vitam. Modo autem postquam inducti et eruditi sumus ex aliis, per contrarium modum incohabimus, sumentes exordium doctrinae ab altissimo genere causarum et principiorum. »
CHAPITRE II
cheminement qui se déploie au cours de la vie entière depuis l’initiation effectuée par les sciences des étants naturels jusqu’à l’aboutissement dans les spéculations divines. La méthode de cette sagesse procède, dans l’ordre de la découverte, par l’induction à partir des étants sensibles plus proportionnés à notre intellect, qui est conjoint au temps et à ce qui est continu. Elle se reprend synthétiquement, ensuite, dans l’ordre de l’exposition, selon le mode de la déduction à partir des principes et des causes les plus élevés. L’enjeu de ce texte pour la figure de la manuductio est donc le rôle nécessaire qu’exercent les sciences physiques et mathématiques dans la préparation et l’éducation de l’intellect en vue de ce qui est divin. La raison de la fonction exercée par la manuduction est double. Elle tient, d’une part, aux conditions d’existence de l’intellect humain, conjoint au temps et au continu. Elle procède, d’autre part, de la proportion des intelligibles physiques adéquate à l’intellect humain, dans la mesure où ils sont considérés, du point de vue de la science physique, en tant qu’ils sont mêlés à la matière. La manuductio constitue, par conséquent, une réponse au chiasme de l’intellection humaine du divin qui se trouve au fondement de la figure de l’animal volant nocturne. Elle résout la tension en proposant un chemin continu depuis le sensible, qui est le moins manifeste en soi et le plus manifeste pour nous, jusqu’à l’intelligible pur, qui est le plus manifeste en soi et le moins manifeste pour nous. À propos d’une autre occurrence du terme manuductio, en Metaphysica, l. , tr. , chap. , Albertus Magnus distingue précisément la voie qui commence par ce qui est premier par nature et celle qui commence par ce qui est premier pour nous. Il effectue cette distinction à l’occasion de la discussion des arguments des Péripatéticiens au sujet de la connaissance des principes de l’étant premier qu’est la substance ou des principes de la démonstration. La figure de la manuductio apparaît, dans ce texte, comme le mode propre à la voie de l’induction, à partir des données des sens qui sont premières pour nous ou bien par l’exposition des termes dont la signification est ignorée. La « conduite par la main » effectuée par les sens, dans la mesure où ils nous font accéder à ce qui nous est plus connu, a pour fonction de nous permettre d’acquérir progressivement la connaissance des principes. Elle apparaît, par conséquent, comme la méthode la plus sûre, dans la mesure où elle semble moins audacieuse que celle de la déduction à partir des principes qui sont premiers par nature.
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C’est pourquoi aussi, sans nul doute, la vérité de cette question est, comme il a été aussi inévitablement prouvé, qu’il appartient à cette même sagesse de connaître non seulement par l’usage, mais par l’enquête autant au sujet des principes de la substance, qui est l’étant premier, qu’également des principes premiers des démonstrations à partir desquels tous démontrent universellement. Mais l’enquête à leur sujet est double, à savoir par rapport à l’homme et par rapport à la nature de la chose. Et la première se fait, certes, mieux en déduisant vers l’impossible, si l’homme manque de mesure et qu’il erre, ou bien par la voie des sens, par induction, s’il doit être conduit par la main et sur le chemin (in via) de recevoir la science à partir de ce qui nous est connu, ou bien par l’exposition des termes, s’il ignore ce que signifient les mots. Et, de cette manière, ce sage enquête au sujet des principes des démonstrations. Il suit de ces deux textes issus de la Métaphysique que la manuductio apparaît comme un moment nécessaire à la voie métaphysique vers le principe. Elle a le statut noétique de la méthode par induction qui procède à partir des sens et de ce qui est plus connu pour nous et davantage proportionné à notre intellect. La figure de la manuductio répond, par conséquent, à la difficulté ouverte par le chiasme de l’intellection humaine en proposant une voie continue de remontée inductive des sens vers l’intelligible à travers la hiérarchie des sciences aristotélicienne. Il ressort donc de l’examen de ces textes que les caractéristiques épistémologiques pour lesquelles la figure de la manuductio est convoquée par Maître Albert, dans les débats aristotéliciens, reposent sur une raison commune qui semble rendre nécessaires le recours à la méthode de l’induction et la médiation de la connaissance sensible pour connaître l’intelligible. Cette raison ressortit aux conditions d’existence de l’intellect humain conjoint à ce qui est temporel et continu et apparaît, à la lumière du corpus aristotélicien, comme le fondement anthropologique . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Et ideo procul dubio quaesiti istius veritas est, sicut et inevitabiliter probatum est, ad istam eandem sapientiam pertinere cognoscere non modo per usum, sed per inquisitionem tam de principiis substantiae, quae est ens primum, quam etiam de principiis primis demonstrationum, ex quibus omnes demonstrant universaliter. Sed inquisitio de eis duplex est, ad hominem videlicet et ad naturam rei. Et prima quidem melius fit deducendo ad impossibile, si protervus et errans sit homo, aut per viam sensus per inductionem, si manu ducendus sit et in via accipiendi scientiam ex nobis notis, aut per terminorum expositionem, si sit ignorans significata nominum. Et hoc modo sapiens iste inquirit de principiis demonstrationum. »
CHAPITRE II
de la figure de la manuductio. Dans le cadre du topos de la conjonction de l’intellect humain avec ce qui est continu et temporel, que nous avons étudié au chapitre précédent, l’intellect n’est pas entendu comme perfection dernière de l’homme, mais, selon les conditions d’existence de ce dernier, comme une puissance matérielle susceptible de recevoir, par l’intermédiaire des sens et de l’imagination, ce qui est différent de lui, à savoir des formes sensibles. Ensuite seulement, peu à peu fortifié par la lumière intelligiible, il connaît la chose sur le mode intelligible, en vérité, en sa quiddité. Que signifie le transfert, dans le corpus aristotélicien, du terme manuductio et de la problématique dont il est la figure ? B. Modalités de transfert de la figure de la manuductio hors de son corpus d’origine L’origine de la figure de la manuductio se trouve, nous l’avons vu, dans le corpus dionysien. Or non seulement cette figure apparaît dans le corpus aristotélicien des œuvres albertiennes mais elle y reçoit également une fonction noétique spécifique au début de la connaissance et dans le passage d’une science à l’autre dans l’architectonique des sciences. En outre, elle se trouve liée à d’autres autorités. Selon notre enquête, il s’avère que cet entrelacs ne renvoie pas à des sources multiples de la figure de la manuductio qui apparaîtrait dans les œuvres des auteurs cités par Maître Albert. Ce dernier aperçoit plutôt, chez ces auteurs, la présence implicite de la question récurrente à laquelle renvoie, originairement dans le corpus dionysien, la figure de la manuductio. Il s’agirait, par conséquent, d’un transfert figural fondé non pas sur la correspondance de corpora de textes qui comportent un même terme, mais sur l’intuition albertienne de la . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Humanus enim intellectus quamvis non habeat materiam, ex qua fit, non tamen caret potentia materiali, inquantum accipit cum continuo et tempore et inquantum intelligit per diversum a se, quia recipere diversum a se non accidit nisi habenti materialem potentiam. Accipere autem cum continuo et tempore accidit ei quod inclinatur ad materiam determinatam forma continuitatis et contrarietatis. » « Bien que l’intellect humain n’ait pas de matière à partir de laquelle il devient, il ne manque, cependant, pas de puissance matérielle, en tant qu’il reçoit avec le continu et avec le temps et en tant qu’il intellige par ce qui est différent de lui, parce que recevoir ce qui est différent de soi n’arrive qu’à ce qui possède la puissance matérielle. Or recevoir avec le continu et le temps échoit à ce qui est incliné vers la matière déterminée par la forme de la continuité et de la contrariété. »
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convergence d’un questionnement, de sa fonction argumentative et de la structure de pensée qu’il implique. Prenons pour exemple la convergence aperçue par Albert de Cologne entre la problématique que recouvre la figure de la manuductio et celles qui apparaissent dans le corpus hermétique. Dans le De caelo et mundo, l. , tr. , chap. , lorsqu’il commente le passage d’Aristote tiré du De caelo, l. , chap. ( a -), le Doctor universalis explicite des références textuelles auxquelles il pourrait avoir puisé la figure de la manuductio. C’est pourquoi aussi, dans la Loi de Pythagore dans laquelle il a enseigné à rendre un culte au dieu, « nous nous sommes nousmêmes appliqués à magnifier, par les sacrifices » et le culte, « un dieu unique » selon ce nombre, « puisque nous magnifions » dieu « créateur » qui « est éminent par rapport aux propriétés » de toutes « les créatures » et, en lui rendant un culte trois fois par jour, pour cette raison que son acte est manifesté dans les naturelles qu’il rend parfaites en trois dimensions à la manière que nous avons dite et il rend aussi parfaite la connaissance qui est à son sujet de trois , par les sens, par la raison et par l’intelligence, comme dit Mercure Trismégiste, dans le livre De la nature des dieux : certes, par les sens par lesquels nous sommes conduits par la main, par la raison par laquelle nous suivons la piste du vrai à partir de ce qui nous conduit par la main et par l’intellect, par lequel nous regardons ce qui a été trouvé par l’esprit. La référence à Mercure Trismégiste, dans le livre De la nature des dieux, renvoie à l’Asclepius du Pseudo-Apulée, chap. . N’y est citée que la . ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. (ARISTOTELES, De caelo, lib. , a -), Ed. Colon. V/, p. , l. - (ponctuation légèrement modifiée dans la traduction) : « Et ideo in Lege Pythagorae, in qua docuit colere deum, “adhibuimus nos ipsos magnificare sacrificiis” et cultu “deum unum” secundum istum numerum, “quoniam magnificamus” deum “creatorem”, qui “eminet proprietatibus” omnium “creaturarum”, [tribus sacrificiis] et tribus vicibus colendo eum per diem, eo quod eius actus manifestatur in naturalibus, quae perficit tribus dimensionibus modo, quo diximus, et etiam tribus perficit cognitionem, quae est de ipso, sensu, ratione et intelligentia, sicut dicit Trismegistus Mercurius in libro De natura deorum ; sensu quidem, quo manuducimur, ratione, qua indagamus verum ex his quae nos manuducunt, et intellectu, quo mente conspicimus inventum. » . [PS.-]APULEIUS, Asclepius, cap. , in Corpus hermeticum II, traités XIII-XVIII. Asclepius, tome , éd. A. D. Nock, trad. A.-J. Festugière, e tirage, Belles Lettres, Paris, (Collection des Universités de France), p. , l. - : « […] praebere dignaris condonans nos sensu, ratione,
CHAPITRE II
gradation des sens, de la raison et de l’intelligence qui permettent respectivement de connaître le dieu, de faire des recherches à partir d’hypothèses et de jouir de sa connaissance. L’interprétation albertienne de cette citation du Pseudo-Apulée consiste, pour sa part, à reprendre la tripartition de la connaissance en ajoutant une précision quant à la modalité de l’acte des sens : ils nous « conduisent par la main ». L’Asclepius indique, quant à lui, seulement la finalité – connaître le dieu – et sa modalité – en insistant sur les données des sens qui demeurent le point de départ du travail de la raison. C’est pourquoi l’Asclepius ne saurait être considéré, à nos yeux, comme la source à laquelle le Doctor magnus aurait puisé la figure de la manuductio. Pour cette raison, notre hypothèse est que cette référence au corpus hermétique provient de l’acte interprétatif de Maître Albert qui traduit en termes de manuductio dionysienne une problématique noétique qui fait écho à la question épistémologique de la gradation des sciences, elle-même reprise dans les termes de la Métaphysique d’Aristote, tels que nous les avons examinés dans le premier chapitre.
intellegentia : sensu, ut te congnouerimus ; ratione, ut te suspicionibus indagemus ; cognitione, ut te cognoscentes gaudeamus. » De nombreuses occurrences de l’Asclepius se trouvent chez Albert le Grand, bien qu’il affirme ne pas savoir qui était Hermès (ALBERTUS MAGNUS, Super I librum Sententiarum, d. , cap. , ed. M. Burger, Ed. Colon. XXIX/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « […] quod nescio quis fuit iste Trismegistus, et credo quod liber confectus est. »). Le maître de Cologne affirme que tout ce qu’Hermès a dit se trouve formulé dans l’ouvrage d’Alain de Lille qui est composé de propositions générales et suppose leur commentaire : « Omnia enim quae dicitur dixisse Trismegistus, inveni in quodam libro Magistri Alani, qui confectus est de quibusdam propositionibus generalibus et supponitur commentum eorundem. » (Super I librum Sent., d. , cap. , Ed. Colon. XXIX/, p. , l. -). En d’autres lieux, le Doctor magnus affirme posséder une connaissance directe des ouvrages du Trismégiste : « Adhuc, dicunt dixisse Trismegistum Mercurium, quod tamen in libro eius non invenitur : “Monas monadem genuit et in se reflexit ardorem”. » (Summa theologiae, lib. , pars I, tr. , q. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -). C’est ce qui lui permet de repérer de manière critique les différentes sources dans le Contra Haereticos libri quattuor d’Alain de Lille, lib. , cap. . La citation : « philosophus ait : monas gignit monadem et in se suum reflexit ardorem » (ALANUS DE INSULIS, De fide catholica contra Haereticos sui temporis, praesertim Albigenses, libri quattuor, lib. , cap. , ed. J.-P. Migne, PL CCX, Parisiis, , D) est, en effet, un écho du Liber XXIV philosophorum, prop. I, [ed. C. Baeumker, in Studien und Charakterisken zur Geschichte der Philosophie insbesondere des Mittelalters, Gesammelte Vorträge und Aufsätze von Clemens Baeumker, hrsg. von M. Grabmann, Verlag der Aschendorffschen Verlagsbuchhandlung, Münster i. W., (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, Bd XXV, Heft /), p. , l. -] : « Deus est monas, monadem gignens, in se suum reflectens ardorem. ».
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
La fonction qu’exerce l’acte de « conduire par la main » inhérent au processus de connaissance permet, par conséquent, le transfert de la figure de la manuductio à des corpora de textes très différents. Une référence à Hermès Trismégiste apparaît, par exemple, en Metaphysica, l. , tr. , chap. , dans le contexte des degrés spéculatifs qui « conduisent par la main » vers la science divine. La gradation des sciences est envisagée, dans ce passage, non pas du point de vue des objets des sciences qui sont davantage proportionnés à notre intellect, mais de celui de la part humaine et de la part divine de notre intellect. Nous étudierons, d’abord, la référence faite à Hermès dans ce texte, puis la mention d’Abubacher. Or ces spéculations sont des degrés et des conduites par la main vers la spéculation divine, comme dit de la meilleure manière Maurus Abubacher dans l’Épître qu’il a écrite au sujet de la contemplation. Cette spéculation de notre intellect existe, en effet, non pas en ceci qu’il est humain, mais en ceci que c’est en tant que quelque chose de divin qu’il existe en nous. Car, comme le dit subtilement Hermès Trismégiste dans le livre qu’il a composé au sujet Du dieu des dieux pour collègue Esclepius (sic), l’homme est le nœud du dieu et du monde, existant au-dessus du monde par une double recherche, à savoir physique et doctrinale, dont les deux sont accomplies par la vertu de la raison humaine et, de cette manière, il est adéquatement appelé timonier du monde.
. [PS.-]APULEIUS, Asclepius, cap. -, Corpus hermeticum II, éd. A. D. Nock, p. - ad sensum. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - : « De proprietatibus autem hominis praecipua est quam dicit Hermes ad Esclepium scribens, quod « solus homo nexus est Dei et mundi : eo quod intellectum divinum in se habet : et per hunc aliquando ita supra mundum elevatur, ut etiam mundi materia sequatur conceptiones ejus, sicut in optime natis videmus hominibus, qui suis animabus agunt ad corporum mundi transmutationem, ita ut miracula facere dicantur. Et ideo etiam in ea parte qua homo mundo nectitur, non mundo subjicitur, sed praeponitur ut gubernator. Hinc etiam causatur fascinatio, qua anima unius agit ad alterius impedimentum vel expeditionem per visum vel alium sensum ». » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Speculationes autem istae gradus sunt et manuductiones ad speculationem divinam, sicut optime loquens dicit Maurus Abubacher in epistula, quam de contemplatione conscripsit. Haec enim speculatio existit intellectus nostri non in eo quod est humanus, sed in eo quod ut divinum quiddam existit in nobis. Sicut subtiliter enim dicit Hermes Trismegistus in libro, quem de deo deorum ad Esclepium collegam composuit, homo nexus est dei et mundi, super mundum per duplicem indagationem existens, physicam videlicet et doctrinalem, quarum utraque virtute rationis humanae perficitur, et hoc modo mundi gubernator congrue vocatur. »
CHAPITRE II
Le livre Du dieu des dieux attribué à Hermès Trismégiste est cité par Albertus Magnus pour appuyer l’idée que cette part divine place l’homme dans une position cosmique précise de « timonier du monde », chargé de veiller à la direction que le monde prend, dans la mesure où l’homme est le nœud qui relie Dieu et le monde. Cette place médiane de l’homme fonde, ainsi, le double aspect « physique et doctrinal » de ses recherches. De nouveau, en raison de son orientation thématique, cette référence à Hermès, plus précisément à l’Asclepius, ne saurait constituer une source directe de la figure de la manuductio. L’occurrence de ce terme dans ce contexte nous indique plutôt le travail herméneutique effectué par le Doctor universalis. Il conjoint différents corpora textuels et doctrinaux autour de la figure de la manuductio, parce qu’il discerne, dans l’argument hermétique de l’homme comme nœud entre le dieu et le monde, la fonction de la médiation qu’il reconnaît également, chez Abubacher, aux spéculations qui conduisent vers la spéculation divine. Le fondement commun qui autorise cette conjonction est la nécessité d’une médiation noétique impliquée par la conception anthropologique de l’homme comme médiateur entre le monde matériel et les réalités divines. Il ressort donc de l’examen de ces textes que, même si l’influence d’Hermès Trismégiste et celle du Pseudo-Apulée sont signalées dans le contexte épistémologique de la gradation des sciences, elles n’impliquent pas qu’il y ait une occurrence directe du terme de manuductio dans leurs œuvres. Ces textes éclairent plutôt le fonctionnement propre à une figure, telle que la manuductio, dont la plasticité permet d’être transférée d’un domaine de l’expérience humaine à l’autre, en tissant chaque fois des associations textuelles nouvelles, plus ou moins lointaines par rapport aux significations originaires de la figure, selon les champs de réflexion ainsi traversés. Le passage de Metaphysica, l. , tr. , chap. , dans lequel apparaît la référence à Hermès Trismégiste, comporte également une mention d’Abubacher. Sur le plan doctrinal, celle-ci nous permet de déterminer la raison anthropologique de la circulation de la figure de la manuductio entre les corpora dionysien et aristotélicien. Sur le plan herméneutique, elle met également en lumière l’acte interprétatif propre à Albert le Grand par lequel il permet à une figure de se propager dans des contextes variés.
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
La raison de la présence de la manuductio à la fois dans le corpus dionysien et dans le corpus aristotélicien, avec des fonctions distinctes, est la conception de l’intellect humain en tant qu’il est conjoint au continu et au temps. Elle est rappelée par Albertus Magnus dans le textesource de la figure de la manuductio dans le corpus dionysien, à savoir le commentaire du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia. Un tel intellect conjoint aux sens et à l’imagination est le point de départ de l’ascension à travers la hiérarchie des sciences aristotélicienne. Au terme de celle-ci, l’intellect humain est considéré en tant qu’intellect, c’est-àdire en tant qu’il est séparé de la matière et des autres facultés de l’âme. En son point de départ, la conception de l’intellect dans la voie métaphysique vers le principe rejoint celle qui caractérise la voie de l’intelligence figurale vers le principe. Or la conjonction de l’intellect humain avec ce qui est continu et temporel détermine un certain mode de connaissance propre à l’intellect humain en tant que puissance matérielle, c’est-à-dire en tant que capacité de réception par l’intermédiaire des sens et de l’imagination. C’est précisément ce qu’indique la référence que fait le Doctor expertus à l’Épître de Maurus Abubacher en lien avec l’occurrence de la figure de la manuductio dans le corpus aristotélicien, Metaphysica, l. , tr. , chap. , cité plus haut. Le Dominicain rhénan se réfère, en maints passages de son œuvre, à l’Épître de Maurus Abubacher. La source en . Sur le mode équivoque dont se prédique ‘matière’ des différents types d’intelligences, cf. l’appendice du chapitre II, p. : « Toute nature possède-t-elle de la matière ? » De l’équivocité des termes ‘matière’ et ‘nature’ dits de l’intellect humain et des intelligences célestes. . Vide AVERROES, De anima, lib. , n. , in Averrois Cordubensis Commentarium magnum in Aristotelis De anima libros, rec. F. Stuart Crawford, CCAA (Corpus Commentariorum Averrois in Aristotelem. Versionum Latinarum), vol. VI/, Cambridge, Massachussetts, (The Mediaeval Academy of America, Publication n. ), p. , l. -p. , l. : cf. infra chapitre II, p. -, notes -. . Cf. les citations d’Abubacher dans l’œuvre d’Albert le Grand : ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. ; l. ; p. , l. ; lib. , tr. , cap. , p. , l. ; De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. ; tr. , cap. , p. , l. ; tr. , cap. , p. , l. ; l. ; tr. , cap. , p. , l. ; tr. , cap. , p. , l. ; l. ; tr. , cap. , p. , l. ; De unitate intellectus, pars I, ed. A. Hufnagel, Ed. Colon. XVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - ; p. , l. - : Abubacher appelé aussi Haly ; p. , l. : Haly Abubacher ; p. , l. ; De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - ; Summa theologiae, lib. , pars II, tr. , q. , membrum , via , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXXIII, Vivès, Parisiis, , p. a : « Hanc viam invenit quidam nomine Abubaker, qui alio nomine Almassor dicitur ». Sur « Haly », cf. LIBERA, A. (de), Raison et foi (), chap. , p. -.
CHAPITRE II
est citée par Averroès, dans le De anima, l. , n. , et renvoie à la discussion sur l’intellect matériel. C’est à partir d’elle que nous reconstruirons le débat et la raison de l’occurrence du terme manuductio dans ce texte. Le Commentateur expose la discussion des arguments d’Abubacher et d’Alexandre d’Aphrodise au sujet de l’intellect humain comme puissance matérielle. L’opinion d’Abubacher est la suivante : l’intellect matériel est la seule faculté qui puisse être le substrat de ce qui est intelligé en acte. Il ressortit à l’imagination qui prépare les espèces qu’elle contient à être intelligées en acte. Abubacher, quant à lui, semble vouloir dire, dans ce qui, de son sermon, est manifeste, que l’intellect matériel est la vertu imaginative selon qu’elle est préparée pour que les intentions qui sont en elle soient intelligées en acte et qu’il n’y a pas d’autre vertu qui soit le substrat de ce qui est intelligé, sinon cette vertu. Il s’oppose à la solution d’Alexandre qui, à ses yeux, aboutit à des conséquences impossibles. Alexandre pense, pour sa part, que le substrat des espèces est le corps lui-même ou une faculté corporelle. Mais cela entraînerait, d’une part, un mode d’être matériel des espèces dans l’âme, identique à leur mode d’être en tant que formes naturelles en dehors de l’âme. Cela impliquerait, d’autre part, que l’intellect aurait recours à un instrument corporel, à l’instar des sens. Or Abubacher semble viser cela, en fuyant les impossibles qui échoient à Alexandre, à savoir que le substrat qui reçoit les formes intelligées est le corps fait à partir d’éléments ou une vertu dans le corps, puisque, s’il en était ainsi, il arriverait soit que l’être des formes dans l’âme serait leur être hors de l’âme et ainsi l’âme sera non compréhensive, soit que l’intellect aurait
. Vide AVERROES, De anima, lib. , n. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. p. , l. : cf. infra chapitre II, p. -, notes -. . Sur le matérialisme psychologique et Alexandre d’Aphrodise, cf. LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. -. . AVERROES, De anima, lib. , n. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. - : « Abubacher autem videtur intendere in manifesto sui sermonis quod intellectus materialis est virtus ymaginativa secundum quod est preparata ad hoc quod intentiones que sunt in ea sint intellecte in actu, et quod non est alia virtus subiecta intellectis preter istam virtutem. »
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
un instrument corporel, si le substrat pour ce qui est intelligé était une vertu dans le corps, comme c’est le cas des sens. À la lumière de la discussion sur l’intellect matériel, la convergence entre Abubacher et la figure de la manuductio apparaît comme un acte interprétatif propre au Doctor magnus qui nomme « conduite par la main » la fonction de « préparation » qu’exercent certaines spéculations par rapport aux spéculations divines, dans le texte de la Métaphysique, l. , tr. , chap. qui contient à la fois la référence à Abubacher et une occurrence de manuductio. Le terme manuductio ne se trouve pas explicitement chez Abubacher, du moins dans ce qu’Averroès nous en rapporte. Il s’agit plutôt d’une interprétation proprement albertienne en termes de manuductio de la préparation des formes à être intelligées en acte, selon Abubacher. Averroès, pour sa part, critique la manière dont Alexandre conçoit la préparation à ce qui est intelligé à partir de la nature et de la substance des éléments. Il ne saurait, en effet, en surgir une « vertu qui distingue et qui soit susceptible de comprendre ». À partir de la substance des éléments et à partir de leur nature ne peut, en effet, advenir une vertu qui distingue et qui soit susceptible de comprendre. Il semble absurde, aux yeux du Commentateur, d’accorder à la complexion physique la faculté de préparer des formes à être intelligées, alors qu’Aristote invoque, pour cela, le pouvoir d’un moteur extrinsèque. Selon Abubacher, en revanche, c’est la vertu imaginative – ou intellect matériel – qui est elle-même préparée pour que les formes qui sont en elle soient intelligées en acte.
. AVERROES, De anima, lib. , n. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. - : « Abubacher autem videtur intendere istud fugiendo impossibilia contingentia Alexandro, scilicet quod subiectum recipiens formas intellectas est corpus factum ab elementis, aut virtus in corpore ; quoniam, si ita fuerit, continget, aut ut esse formarum in anima sit esse earum extra animam, et sic anima erit non comprehensiva, aut ut intellectus habeat instrumentum corporale, si subiectum ad intellecta sit virtus in corpore, sicut est de sensibus. » . AVERROES, De anima, lib. , n. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. - : « A substantia enim elementorum et a natura eorum non potest fieri virtus distiguens comprehensiva. »
CHAPITRE II
Et le plus inconcevable quant à l’opinion d’Alexandre est ce qu’il a dit, à savoir que les premières préparations à ce qui est intelligé et aux autres perfections ultérieures concernant l’âme sont les choses faites à partir de la complexion, et non les vertus faites à partir d’un moteur extrinsèque, comme ce qui est célèbre depuis l’opinion d’Aristote et de tous les Péripatéticiens. Outre son lien récurrent avec le réseau de la conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temps, la figure de la manuductio renvoie donc, par le truchement de la référence à Abubacher, au débat sur la conception de l’intellect matériel. L’intellect est une puissance matérielle, c’est-à-dire susceptible de recevoir à partir des sens et de l’imagination. La matérialité de l’intellect fonde l’emploi d’une méthode manuductrice à partir des médiations sensibles dans la connaissance du principe. La réceptivité qui caractérise l’intellect humain est interprétée comme une inclination « vers la matière déterminée par la forme de la continuité et de la contrariété », dans le commentaire albertien de la Métaphysique, l. , tr. , chap. , à propos de Metaphysica, l. , chap. ( a -). Cette réceptivité le rend apte à connaître ce qui est différent de lui, c’est-à-dire ce qui est matériel et, plus précisément, ce qui est déterminé par le continu et le temporel. Bien que l’intellect humain n’ait pas de matière à partir de laquelle il devient, il ne manque, cependant, pas de puissance matérielle, en tant qu’il reçoit avec le continu et avec le temps et en tant qu’il intellige par ce qui est différent de lui, parce que recevoir ce qui est différent de soi n’arrive qu’à ce qui possède . AVERROES, De anima, lib. , n. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. - : « Et magis inopinabile de opinione Alexandri est hoc quod dixit quod prime preparationes ad intellecta et ad alias postremas perfectiones de anima sunt res facte a complexione, non virtutes facte a motore extrinseco ut est famosum ex opinione Aristotelis et omnium Peripateticorum. » . Sur la distinction entre la matière, passibilité immédiate par elle-même, et la puissance matérielle qui rend le noûs capable, par la médiation des sens et de l’imagination, de recevoir des formes, vide etiam ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. et l’appendice du chapitre II, p. : L’interprétation du topos aristotélicien de la conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps selon Xénophane, Alexandre et Tertullien et le risque de la confusion du noûs et de la hylè. . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. , ( a -), transl. anonyma, sive media, Arist. Lat. XXV/, p. , l. -p. , l. : « Amplius autem restat dubitatio, si compositum est intellectum ; transmutatur enim in partibus totius. Aut indivisibile omne quod non habet materiam – ut humanus intellectus aut quod compositorum, habet […] bene in hoc aut in hoc, sed in toto quodam, quod nobilissimum est, aliud quid – sic autem se habet ipsa et huius intelligentia eternaliter. »
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
la puissance matérielle. Or recevoir avec le continu et le temps échoit à ce qui est incliné vers la matière déterminée par la forme de la continuité et de la contrariété. De ce texte, il résulte qu’il convient de distinguer clairement la matière que n’a pas, au sens propre, l’intellect humain et la puissance matérielle qui est l’indication de sa faculté à recevoir ce qui est différent de lui. Il s’ensuit, d’un point de vue doctrinal, que la propagation de la figure de la manuductio dans le corpus aristotélicien donne lieu à une reformulation des raisons noétiques et anthropologiques de la nécessité de médiations sensibles dans la connaissance du principe. D’un point de vue herméneutique, il s’avère que la présence de la figure de la manuductio dans un réseau d’autorités multiples ne correspond pas à une pluralité de sources, mais plutôt à un geste interprétatif d’Albert de Cologne qui aperçoit des convergences doctrinales entre Abubacher et la fonction manuductrice assumée par les spéculations de l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination vers la connaissance du principe divin. Les références à Hermès ou à Abubacher, dans les différents passages des commentaires aristotéliciens relatifs à la conjonction de l’intellect avec ce qui est continu et temporel, accompagnent plutôt le transfert de la figure de la manuductio dans le contexte de débats noétiques, en particulier sur l’intellect matériel. Elles paraissent, en effet, avoir pour fonction de compléter, d’étoffer cette figure, lorsque celle-ci est transportée en dehors de son domaine dionysien d’origine. Ainsi établissent-elles des liens qu’elles ne font que suggérer, sans les fonder explicitement de manière conceptuelle, entre des termes, tels que manuductio et praeparatio, qui facilitent le transport d’une problématique générale relative aux médiations sensibles dans la connaissance du principe divin à un débat spécifique sur les facultés cognitives, telles que les sens ou l’imagination, qui collaborent avec l’intellect matériel.
. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Humanus enim intellectus quamvis non habeat materiam, ex qua fit, non tamen caret potentia materiali, inquantum accipit cum continuo et tempore et inquantum intelligit per diversum a se, quia recipere diversum a se non accidit nisi habenti materialem potentiam. Accipere autem cum continuo et tempore accidit ei quod inclinatur ad materiam determinatam forma continuitatis et contrarietatis. »
CHAPITRE II
III. La « translation en retour » de la manuductio vers le corpus dionysien La figure de la manuductio peut circuler d’un corpus à l’autre et transporter dans le corpus dionysien, un débat noétique sur l’intellect, tel qu’il se trouve développé, dans le corpus aristotélicien, en discutant les opinions des Péripatéticiens sur l’intellect matériel. L’indice d’une telle « translation en retour », pour ainsi dire, après le déplacement de la source dionysienne vers les débats aristotéliciens, est, notamment, la reprise de l’argument selon lequel la connaissance commence à partir des sens. La figure de la manuductio revient en quelque sorte en contexte dionysien, chargée de citations aristotéliciennes qui l’enrichissent et la rendent signe d’un débat noétique auquel le lecteur est invité à se reporter, s’il désire approfondir l’exposé synthétique qui en est fait. Ainsi dans le commentaire d’un passage de l’Épître IX de Denys l’Aréopagite, le Docteur universel étend-il le débat noétique entre les Péripatéticiens relatif à l’intellect à « tous les philosophes » et aux « Saints grecs ». Il discute, en effet, la question de savoir si ce qui reçoit les réalités divines par l’intellect sans symboles ne doit pas les voiler par des figures. Car les figures que sont les symboles apparaissent comme des moyens de comprendre ce qu’elles représentent et visent. Mais, une fois que l’intellect humain possède une certaine intellection de cette fin, le moyen par lequel cet intellect l’a atteinte en quelque façon ne semble plus nécessaire. La figure de la manuductio soutient, dans ce texte, conformément à la caractéristique principale du réseau de la manuductio, la ligne argumentative de la réponse du maître de Cologne. Celle-ci consiste à rappeler la nécessité des médiations, quelle que soit la théorie noétique adoptée. Des médiations sensibles sont, en effet, nécessaires en vue de la connaissance du principe divin aussi bien dans une théorie noétique . Cf. notes et de la section I, IV, A intitulée « Hiérarchie épistémique et séparation d’avec le continu et le temporel » dans le premier chapitre, p. . . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epist. IX, n. -, secundum Sarracenum, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. - : « Et monstrant quicumque et antevelamina extra theologiam planam cum audierint, in seipsis componunt figuram quandam ad intellectum dictae theologiae ipsos manuducentem. Et ipsa etiam apparentis omnis mundi operatio est invisibilium Dei propositio, quemadmodum dicit et Paulus et verus sermo. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Sed videtur, quod qui accipit per intellectum divina sine symbolis, non debeat ea figuris velare ; figurae enim symbolorum sunt ad accipiendum intellectum eorum quae ipsis proponuntur ; sed habito fine non indigemus his quae sunt ad finem. »
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
selon laquelle la connaissance est envisagée comme une collaboration des sens et de l’imagination, inhérents à l’âme sensitive, avec l’âme intellective, que dans une théorie noétique selon laquelle deux parties sont distinguées dans l’âme, possédant toutes deux un mode d’appréhension propre, à savoir l’intellect simple et l’intellect qui procède à partir des phantasmata. L’enjeu théorique de ce texte pour la figure de la manuductio apparaît donc d’étendre sa validité à différentes doctrines noétiques à propos de l’intellect en tant qu’il est lié aux sens et à l’imagination. La manuductio a pour fonction de rappeler qu’un tel intellect requiert des médiations sensibles pour la connaissance du principe divin. Solution : À cela, il peut y avoir une double réponse. L’une, selon l’opinion de tous les philosophes qui parlent des forces (viribus) de l’âme et aussi des Saints grecs qui tous posent que . Ex. ARISTOTELES, De memoria et reminiscentia, cap. ( a -) ; ARISTOTELES, De memoria et reminiscentia, cap. ( a -) in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I..........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item, Aristoteles : “Cuius quidem igitur eorum quae sunt animae memoria sit, manifestum, quoniam quidem cuius et phantasia est” ; sed phantasia est animae sensibilis ; ergo et memoria. » ARISTOTELES, De memoria et reminiscentia, cap. ( a -) in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I..........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item Aristoteles : “Memorabilia haec quidem per se sunt quorum et phantasia, secundum accidens autem quaecumque cum phantasia”, sed phantasia non est nisi sensibilium ; ergo et memoria non est nisi sensibilium. Et exinde sequitur ulterius quod memoria sit potentia sensibilis animae. » Cf. ALGAZEL, Metaphysica, pars II, tr. , cap. , in Algazel’s Metaphysics, ed. J. T. Muckle, Toronto, (St Michael’s Medieval Studies), p. , l. - in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I..........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Dicit Algazel : “Memoria est conservatrix harum intentionum quas apprehendit aestimativa, et ideo est arca intentionum, sicut imaginativa conervatrix formarum est arca formarum”. » Cf. AVICENNA, Liber de anima seu Sextus De Naturalibus, pars IV, cap. ; pars I, cap. , éd. S. Van Riet, Avicenna Latinus, tomes IV-V, p. , l. - et in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « […] omnis virtus animae sensibilis, ut dicit Avicenna, accipit speciem cum appendiciis materiae. » Cf. AVICENNA, Liber de anima seu Sextus De Naturalibus, pars I, cap. , éd. S. Van Riet, Avicenna Latinus, tomes I-III, p. , l. -p. , l. in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item, Avicenna in VI De naturalibus probat in rationali anima non esse memoriam. » . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - où Albert le Grand donne l’indice des « Saints » auxquels il pourrait se référer. Il s’agit de Grégoire de Nysse, c’est-à-dire vraisemblablement de Némésius d’Émèse, et de Jean Damascène : « Solutio : Dicimus quod memoria multipliciter dicitur, scilicet pro habitu et potentia et obiecto. Dicitur enim memoria ipsa potentia quandoque, et hoc dicitur proprie memorativum, et dicitur duobus modis. Uno modo ponitur pro potentia, quae reflectitur in rem in praeterito acceptam a sensibus per imaginem rei permanentem apud animam cum consideratione temporis praeriti. Et de hac memoria locuti sunt philosophi et quidam sancti, scilicet Gregorius Nixenus et Damascenus, dicentes ipsam per se esse sensibilis animae et per accidens intellectivae […]. »
CHAPITRE II
la mémoire n’est pas une partie de l’âme intellective, mais de sensitive. C’est pourquoi aussi pour que celui qui reçoit le divin nu le conserve, il faut qu’il le compose à certaines formes sensibles qui sont conservées dans le trésor des formes ou des intentions sensibles, de telle sorte que, par elles, il soit conduit par la main à intelliger en acte, quand il veut, comme enseigne aussi Tullius, pour conserver dans la mémoire ce Cf. NEMESIUS EMESENUS, De natura hominis, cap. , ed. M. Morani, Leipzig, (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana), p. , l. - ; transl. Burg. cap. , traduction de Burgundio de Pise, éd. critique avec une introduction sur l’anthropologie de Némésius par G. Verbeke et J. R. Moncho, Leiden, (Corpus Latinum Commentarium in Aristotelem Graecorum, suppl. ), p. , l. - in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item, Gregorius Nixenus : « Memorari dicimur, quae prius scivimus vel audivimus aut aliter qualiter cognovimus. Prius autem relationem habet ad praeteritum tempus. Manifestum est ergo quod memorabilia sunt, quae fiunt et corrumpuntur, quae in tempore consistunt » ; talia autem non sunt nisi sensibilia ; ergo memoria est vis sensibilis animae. » Cf. NEMESIUS EMESENUS, De natura hominis, cap. , ed. M. Morani, p. , l. - ; transl. Burg. cap. , ed. G. Verbeke et J. R. Moncho, p. , l. -p. , l. in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item Gregorius Nixenus diffinit multipliciter memoriam secundum diversos philosophos sic dicens : “Memorativum est memoriae et rememorationis causa et promptuarium”. ». IOHANNES DAMASCENUS, De fide orthodoxa, lib. , cap. , PTS XII, p. , l. -, transl. Burg. cap. , versions de Burgundio et Cebanus, ed. E. M. Buytaert, St Bonaventure, N. Y., Louvain and Paderborn, (Franciscan Institute Publications, Text Series n. ), p. , l. - in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item, Damascenus : “Cum typos eorum quae opinatus est aliquis, et eorum quae intellexit, custodit, memorari dicitur”. Typi autem sunt figurae et imagines ; ergo memoria proprie est figurarum et imaginum ; imagines autem sunt sensibilis animae ; ergo memoria est sensiblis animae. » IOHANNES DAMASCENUS, De fide orthodoxa, lib. , cap. , PTS XII, p. , l. -p. , l. , transl. Burg. cap. , versions de Burgundio et Cebanus, ed. E. M. Buytaert, p. , l. in ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Item, Damascenus : “Sensibilia secundum seipsa memoriae commendantur” ; sed sensibilia non sunt nisi sensibilis animae ; ergo memoria non est nisi sensibilis animae. » Cf. textes parallèles : ALBERTUS MAGNUS, De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. - ; ALBERTUS MAGNUS, De memoria et reminiscentia, tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. IX, Vivès, Parisiis, , p. -. . Cf. Incerti auctoris De ratione dicendi ad C. Herennium libri IV (M. Tulli Ciceronis Ad Herennium libri VI), lib. , cap. -, n. -, ed. F. Marx, Teubneri, Lipsiae, (M. T. Ciceronis scripta quae manserunt omnia, fasc. ), p. , l. -p. , l. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De mem. et remini., tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. ab : « Et ideo aliquando utuntur homines imagine ut imagine : et bene et distincte reflectitur et attribuitur rebus : sed tamen quia laesa est phantasia sive sensus communis in adunando imagines eorum quae circumstabant rem quam quaerimus, non contingit nobis reminisci eorum quae intendimus. Et hujus causa bene volentes reminisci trahunt se a publico lucido, et vadunt ad obscurum privatum : quia in publico lucido sparguntur imagines sensibilium, et confunduntur motus eorum. In obscuro autem adunantur et ordinate moventur. Hinc est quod Tullius, in arte memorandi quam ponit in secunda Rhetorica, praecipit ut imaginemur et quaeramus loca obscura parum lucis habentia. Et quia multas imagines et non unam quaerit reminiscentia, praecipit ut similibus multis id quod
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DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
qui est traité dans les procès, de telle sorte qu’elles soient figurées par certains sensibles, comme l’obscurité dans l’être dans l’obscurité du lieu, celui qui plaide en accusateur par le bélier et l’accusé par le chevreau et ainsi pour les autres, parce que, comme il est dit dans un certain traité De la mémoire et de la réminiscence, les formes, plus elles sont spirituelles, plus elles reviennent difficilement à la mémoire. Et ainsi la solution à ce qui est objecté apparaîtra-t-elle facilement, parce qu’elle ne compose pas de figures de telle sorte qu’elle soit conduite par la main vers l’acquisition de l’intellection de ce qui est divin, mais seulement vers la conservation. Il peut être d’une autre manière dit que, dans l’âme, il y a deux parties : l’une qui reçoit cela même qui est simple selon soimême, comme l’intellect simple, et l’autre qui reçoit à partir des phantasmata. Et celle-ci est plus connaturelle à l’âme selon sa nature et nous sommes plus fréquemment dans son acte, parce que nous recevons les sciences à partir des sens. Mais, selon la première partie, elle atteint les intelligences. C’est pourquoi aussi, quand même ce qui est divin a été reçu sans symboles, pour que nous puissions mieux l’inspecter, nous le reconduisons à ce qui est sensible, qui nous est habituel et qui est connaturel à notre connaissance. volumus retinere et reminisci, figuremus, et figuras adunemus : sicut si volumus recordari ejus quod adversatur nobis in judicio, imaginemur aliquem arietem in obscuro magnis cornibus et magnis testiculis contra nos venientem. Cornua enim ducunt in recordationem adversarii, et testiculi ducent in dispositionem testium. » . AVERROES, De memoria et reminiscentia, Ed. Veneta, , t. VII, f. E : « Formae autem facilis reductionis sunt illae quae sunt apud virtutem imaginativam et sensum communem multae corporalitatis et modicae spiritualitatis, et forma difficilis reductionis est multae spiritualitatis et paucae corporalitatis » ; ibid., f. C. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De mem. et remini., tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a ; a. . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. : « Solutio : Ad hoc potest duplex esse responsio, una secundum opinionem omnium philosophorum qui de viribus animae loquuntur, et etiam sanctorum Graecorum, qui omnes ponunt, quod memoria non est pars intellectivae animae, sed sensitivae. Et ideo ad hoc quod ille qui accipit divina nuda, servet ea, oportet, quod componat ad formas quasdam sensibiles, quae conserventur in thesauro formarum vel intentionum sensibilium, ut per eas manuducatur ad intelligendum actu, quando vult, sicut etiam docet Tullius, ad conservandum in memoria ea quae aguntur in causis, ut figurentur quibusdam sensibilibus, sicut obscuritas in esse in obscuritate loci et actor per arietem et reus per haedum et sic de aliis, quia, sicut dicitur in quodam tractatu De memoria et reminiscentia, formae quanto sunt spiritualiores, tanto difficilius reducuntur ad memoriam. Et sic facile patebit solutio ad obiecta, quia non componit figuras, ut manuducatur in acquisitionem intellectus divinorum, sed tantum in conservationem. Aliter potest dici, quod in anima sunt duae partes, quaedam quae accipit ipsa simplicia secundum se, ut intellectus simplex, quaedam vero quae accipit a phantasmatibus, et ista magis est
CHAPITRE II
Albertus Theutonicus distingue deux conceptions de l’âme. En ce qui concerne la première qui considère que, parmi les forces (vires), ou puissances, de l’âme, la mémoire n’appartient pas à l’âme intellective mais à l’âme sensitive, le recours aux médiations sensibles lui est nécessaire, lorsqu’elle a reçu directement des intelligibles divins. Il lui faut, en effet, conserver les intelligibles simples en les composant à des formes sensibles, afin de pouvoir les intelliger en acte, lorsqu’elle le désire. La fonction manuductrice exercée par les formes sensibles conservées dans la mémoire permet à l’âme de penser en acte, de nouveau, les intelligibles purs qu’elle a reçus directement mais auxquels elle n’aurait pas facilement accès, une nouvelle fois, en raison de leur simplicité. En ce qui concerne la seconde conception de l’âme, l’âme possède deux parties distinctes : une partie simple qui reçoit ce qui est simple selon lui-même et une partie qui reçoit à partir des images provenues des sens. Parce que cette dernière est plus connaturelle à l’existence de notre intellect en conjonction avec le sensible, même quand la partie simple de l’intellect reçoit ce qui lui est disproportionné, à savoir le divin, et sur un mode « nu », sans symboles, l’âme doit recourir aux images sensibles élaborées dans l’autre partie de l’intellect. La raison du recours aux figures, images et symboles est donc ici leur connaturalité avec notre intellect conjoint au sensible et à l’imaginaire. Ainsi donc la figure de la manuductio peut-elle circuler dans les deux sens : de sa source dionysienne vers des champs de l’expérience humaine où elle s’enrichit de liens textuels nouveaux par rapport à son domaine d’origine, d’une part, et, d’autre part, comme en retour, vers son corpus d’origine, afin de l’éclairer par des contextes de problèmes et des corpora textuels différents. La source dionysienne de la figure de la manuductio nous a permis d’identifier la problématique qu’elle signifie figuralement ainsi que son fondement anthropologique et noétique : l’intellect humain, en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination, a besoin de médiations sensibles pour connaître le principe divin. Cette figure est transférée dans le corpus aristotélicien où elle tient lieu de méthode inductive au commencement connaturalis animae secundum naturam ipsius, et in actu eius frequentius sumus, quia accipimus scientias ex sensibus ; sed secundum primam partem attingit intelligentias ; et ideo quando etiam divina sine symbolis accepta sunt, ut melius ea possimus inspicere, reducimus ad sensibilia consueta nobis et connaturalia cognitioni nostrae. »
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DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
de la science physique, qui débute par les sens, avant de progresser dans l’architectonique du savoir vers la connaissance des intelligibles purs par un intellect séparé des facultés sensitive et imaginative. La figure de la manuductio s’enrichit, par conséquent, de ses translations à travers différents corpora textuels et disciplines de l’esprit, tout en maintenant une forte unité autour d’une problématique unique et de son fondement anthropologique et noétique. SECTION II : LA FONCTION
PÉDAGOGIQUE DE LA MANUDUCTIO OU
LE COMMENCEMENT DE LA CONNAISSANCE
La manuductio a pour fonction d’établir une continuité noétique là où règne une discontinuité, voire une disproportion, à savoir entre l’intellect humain et le principe divin. La première raison anthropologique de la nécessité de la manuductio est la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination. Elle influe sur la méthode de connaissance adaptée à un tel intellect. Une seconde raison, de nature noétique, est le fait que la connaissance métaphysique ainsi que l’intelligence figurale commencent par l’admiration. I. « Qui doute et admire semble ignorer » : l’admiration, commencement de la philosophie et de la poésie Dans le cadre du réseau de l’animal volant nocturne, nous avons remarqué, dans le premier chapitre, qu’Albert le Grand le liait au thème de l’admiration dans la première partie de la Summa de creaturis (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula . L’admiration répond à la difficulté, pour l’intellect humain, de connaître ce qui est métaphysique, dans la mesure où il est conjoint aux sens et à l’imagination. Nous rappelons ici le texte commenté au chapitre précédent. Or il est difficile à l’homme de parvenir à ce qui est métaphysique, parce qu’il ne vient à cela que par l’admiration, pour cette raison que seul l’intellect se tourne vers cela , lui qui est, cependant, aussi enveloppé par les imaginations (phantasiis) et les sens. Pour cette raison, le Philosophe dit aussi, dans le deuxième livre de la Métaphysique : « Comme les yeux des chouettes se rapportent à la lumière
CHAPITRE II
(lumen) qui est selon le jour, ainsi l’intellect de notre âme se rapporte à ce qui, entre tous, est, de nature, le plus manifeste. Or, en Metaphysica, l. , tr. , chap. , lorsqu’il paraphrase Métaphysique, l. , chap. ( b -), le Doctor universalis reprend la thèse selon laquelle commencer de philosopher dépend de l’admiration et de l’étonnement face à ce qui éveille une question ou un doute. L’étonnement se porte, d’abord, sur ce qui se trouve à proximité (« sous la main ») et inaugure ainsi la recherche. C’est pourquoi aussi « depuis le commencement », quand, de grossiers jusqu’à présent, ils ont commencé à philosopher, ils « s’étonnaient » (mirantes) de certaines susceptibles de doute qui étaient « davantage sous la main » à résoudre […]. L’admiration apparaît, par suite, aux yeux du Stagirite, comme le signe de l’ignorance : « Qui doute et admire semble ignorer », affirme-t-il en Métaphysique, l. , chap. ( b -). C’est sur la base de leur commune ignorance que celui qui commence à philosopher et le poète, qui aime les mythes et forge des fables, sont rapprochés par Aristote. La production d’images poétiques provient, en effet, selon le Stagirite, de l’ignorance du poète face à ce qui l’étonne. De même, le philosophe recherche les causes de ce qui l’étonne et qu’il ignore. Par la connaissance des causes, il s’éloigne ainsi de sa première ignorance. C’est pourquoi, en s’appuyant sur l’identité des deux lexèmes philo- dans les lemmes philomythos et philosophos, Aristote accorde au poète d’être également un amoureux de la sagesse.
. Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. ab : « In metaphysica autem est difficile venire homini : quia ad illa non venit nisi per admirari, eo quod solus intellectus vertitur ad illa : qui tamen etiam intellectus involutus est phantasiis et sensibus. Propter quod et dicit Philosophus in II Metaphysicae : “Sicut noctuarum lumina ad lumen quod est secundum diem, sic animae nostrae intellectus ad naturae manifestissima omnium”. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et ideo “a principio”, cum adhuc rudes philosophari inceperunt, “mirantes” erant quaedam “dubitabilium”, quae “paratiora” erant ad solvendum […]. » . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -), Arist. Lat. XXV/, p. , l. et in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI, p. , l. - : « Qui vero dubitat et admiratur, ignorare videtur. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. ( b -), Ed. Colon. XVI/, p. , l. : « Quare philomythos ipse philosophus est. Fabula namque ex mirandis constituitur. »
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Car, en raison de l’admiration, des hommes, à la fois maintenant et pour la première fois (primum), ont commencé à philosopher, s’étonnant depuis le commencement (a principio) de ce qui, parmi ce qui est susceptible de doute, est davantage « sous la main », puis procédant peu à peu et doutant de plus grandes, comme des passions de la lune et de ce qui est au sujet du soleil et des astres ainsi que de la génération de l’univers. Or qui doute et admire semble ignorer. C’est pourquoi celui qui aime les mythes (philomythos) est lui-même philosophe (philosophus). Car la fable est constituée à partir de ce qui étonne (mirandis). C’est pourquoi si, pour fuir l’ignorance, ils ont philosophé, manifestement c’est parce qu’ils ont poursuivi la science en raison de la connaissance, et non pas à cause de quelque usage. Il ressort du texte aristotélicien que l’admiration est à la fois le signe de l’ignorance du philosophe et de celle du poète. Ce dernier peut, par suite, en un certain sens, être appelé philosophe, bien que le poète ne se mette pas nécessairement en quête des causes. L’admiration n’est donc pas désignée par Aristote comme la cause du commencement de la connaissance, mais seulement comme le signe de l’ignorance. C’est pourquoi il faut au Doctor universalis, pour attribuer à l’admiration le rôle de catalyseur dans la recherche philosophique, développer et, d’une certaine manière, renverser la thèse d’Aristote. C’est vraisemblablement à Denys qu’Albertus Theutonicus emprunte ce rôle déterminant de l’admiration. Les « disciplines discursives » , selon l’appellation dionysienne, sont, en . Cf. ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -) in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Nam propter admirationem homines et nunc et primum inceperunt philosophari, a principio quidem paratiora dubitabilium mirantes, deinde paulatim procedentes et de maioribus dubitantes, ut de lunae passionibus et quae sunt circa solem et astra, et de universi generatione. Qui vero dubitat et admiratur, ignorare videtur. Quare philomythos ipse philosophus est. Fabula namque ex mirandis constituitur. Quare si ad ignorantiam effugiendam philosophati sunt, palam, quia propter notitiam scientiam prosecuti sunt et non usus alicuius causa. » . Albert le Grand fait ici référence à l’expression discursas disciplinas empruntée à la traduction que donne Érigène de Denys le Pseudo-Aréopagite dans le De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. ; Dionysiaca II, p. et in IOHANNES SCOTUS ERIUGENA, Expositiones super Ierarchiam caelestem S. Dionysii, ed. J.-P. Migne, PL CXXII, Parisiis, , C : « sacras disciplinas διεξοδικάς nominat ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - (cf. traduction infra chapitre II, p. , note ) ; tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - ; tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - ; Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , m. et , Ed. Paris. XXXIII, p. a ; a. Dans son commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu, le Doctor universalis interprète la scientia discursa de
CHAPITRE II
effet, « acquises par la recherche et commencent par l’admiration ». Cette probable influence dionysienne permet au Dominicain rhénan de prendre trois décisions interprétatives quant au texte du Stagirite. D’une part, il souligne et développe, davantage qu’Aristote, le rôle de l’admiration dans le passage de l’ignorance à l’élan de la recherche. Alors que l’admiration n’est, chez Aristote, que le signe d’une privation de connaissance, elle coïncide, selon Maître Albert, avec le commencement de la recherche. D’autre part, le maître de Cologne nomme explicitement l’élan de connaissance, anonyme dans le texte aristotélicien, qui naît de l’admiration. Il s’agit, dès le commencement, d’une recherche des causes. C’est pourquoi s’étonner et produire un mythe est déjà, d’une certaine manière, être philosophe. Le rapprochement entre le poète et le philosophe n’est plus, chez Albertus Magnus, fondé sur l’ignorance commune dont l’admiration est le signe mais, bien plutôt, sur leur mouvement commun vers la connaissance. Enfin, le Doctor expertus ajoute un développement sur la production de la fable, selon la poétique, dans lequel il précise le rôle qu’y joue l’admiration. À celle-ci Albert le Grand attribue le rôle de cause finale dans la production du mythe. C’est, en effet, en vue de susciter l’admiration en son destinataire que le poète forge une fable. Cette admiration éveillée par les images poétiques conduira leur destinataire à rechercher les causes de ce qui l’étonne et qu’il admire. Le mythe peut, par conséquent, rendre celui qui est capable Denys comme une discipline qui procède par les signes du vestige et de l’image, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Matthaeum (Mt , ), Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Anima enim rationalis, quae, sicut dicit Dionysius, discursam habet disciplinam per signa vestigii et imaginis acceptam, sine sensu perfici non potest […]. » La traduction de Sarracenus propose, en revanche, « diffusas disciplinas » (cf. PG III, A). C’est à elle que se réfère le scholion de Maxime, in MAXIMUS CONFESSOR, Scholia S. Maximi in opera Beati Dionysii, PG IV, col. BC ; Paris, BNF, Latin , f. vb : « Diffusas. Diffusae, seu copiosae disciplinae sunt planiores per ea, quae videntur et per actiones demonstrationes intelligibilium quae unite et confertim cogitationibus incumbunt. ». Cf. DONDAINE, H., Le Corpus dionysien de l’Université de Paris au XIIIe siècle, Ed. di Storia e letteratura, Roma, , p. , note où il est signalé qu’Albert de Cologne traduit par scientia collativa dans ses premières œuvres : « […] et causat scientiam collativam quam Dionysius vocat discursam disciplinam » (ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in I Sententiarum, d. , a. , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXVI, Vivès, Parisiis, , p. b). . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Propter quod a Dionysio scientia hominis discursiva vocatur disciplina ; cum inquisitione enim acquiritur et incipit ab admiratione. » . Sur le rôle médiateur des images dans « le désir et la crainte infinis » par lesquels ce qu’Olivier Boulnois nomme « l’irreprésentable » émeut, cf. BOULNOIS, O., Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel au Moyen Âge (Ve-XVIe siècles), Le Seuil, Paris, (Des travaux), p. .
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de s’en étonner philosophe. L’étonnement précède donc la production du mythe, en ce que la fable est constituée à partir de ce qui étonne. Il la suit également, dans la mesure où la poésie vise à propager la vertu cognitive de l’étonnement, en l’éveillant en son destinataire. […] l’admiration est, en effet, le mouvement de l’ignorant qui procède vers la recherche, afin de connaître la cause de ce qui l’étonne (miratur). Le signe en est que celui qui aime les mythes (philomythos) selon ce mode est philosophe, parce qu’il construit sa fable à partir de ce qui étonne (mirandis). J’appelle philomythos le poète qui aime forger des fables. Mython, accentué sur l’initiale, sonne comme fable, et philomythos sonne comme l’amateur de fables, si la pénultième [plutôt : l’antépénultième] est accentuée. Dans cette partie de la logique qu’est la poétique, Aristote montre que le poète forge une fable, pour exciter à l’admiration et que l’admiration excite, ensuite, à la recherche et qu’ainsi est constituée la philosophie. La pointe du commentaire albertien consiste à interpréter le rapprochement effectué par Aristote entre le philosophe et le poète, ou entre celui qui aime la sagesse et celui qui aime les mythes, autrement qu’à partir de l’ignorance commune dont l’étonnement est en eux le signe. L’étonnement produit immédiatement, dans le premier, la recherche des causes. Il la produit médiatement dans le cas du poète, parce que celui-ci passe par la médiation de la production de mythes, d’une part, et, d’autre part, parce qu’il transmet cet étonnement à son destinataire, de telle sorte que celui-ci, à son tour, devienne philosophe. Il ressort de ce rapprochement que la recherche philosophique et la production d’images poétiques s’inscrivent toutes deux dans une dynamique d’admiration pour ce qui est inconnu et qui étonne. Elles . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] est enim admiratio motus ignorantis procedentis ad inquirendum, ut sciat causam eius de quo miratur. Cuius signum est, quia ‟ipse philomythos” secundum hunc modum ‟philosophus est”, quia ‟fabula” sua ‟construitur” ab ipso ‟ex mirandis”. Dico autem philomython poetam amantem fingere fabulas. Mython enim, prima producta, fabulam sonat, et philomython sonat amatorem fabularum, si penultima producatur. In ea parte logicae quae poetica est, ostendit Aristoteles, poeta fingit fabulam, ut excitet ad admirandum et quod admiratio ulterius excitet ad inquirendum et sic constet philosophia. » . L’admiration ne marque pas seulement le passage de l’ignorance aux premiers moments de la connaissance, mais est également le signe de l’accomplissement promis à l’intellect. Dans ALBERT LE GRAND, Commentaire de la « Théologie mystique » de Denys le pseudo-aréopagite suivi de celui des épîtres I-V, intro., trad., notes et index par É.-H. Wéber, Le Cerf, Paris, (Sagesses chrétiennes), p. , É.-H. Wéber écrit, citant le paragraphe de son commentaire de l’Épître V
CHAPITRE II
diffèrent en ce que la philosophie, en tant que science, procède selon le mode de la preuve, tandis que la poésie procède, en tant que philosophie, au sens de recherche de la sagesse, selon le mode de l’admiration. […] c’est pourquoi aussi la poésie donne le mode de philosopher, comme les autres sciences logiques. Mais les autres parties logiques donnent le mode de prouver le propos par une argumentation parfaite ou imparfaite, tandis que la poésie ne pas. Mais elle donne le mode d’admirer, par lequel celui qui cherche est excité. La philosophie, comme science, et l’intelligence productrice d’images poétiques ressortissent, par conséquent, toutes deux, aux yeux d’Albert le Grand, à la philosophie, en tant qu’amour de la sagesse et recherche de causes, mais selon deux modes différents : celui de la preuve et celui de l’admiration. Si, en tant que manière de procéder, l’admiration caractérise la poésie, elle ne lui est, néanmoins, pas exclusivement réservée. En tant que mouvement de sortie de l’ignorance qui pousse à chercher les causes de ce qui étonne, l’admiration est l’une des réponses que Maître Albert puise chez Aristote, qu’il interprète probablement à la lumière d’une thèse dionysienne. L’admiration permet au Doctor universalis de répondre à la question suivante : comment l’intellect humain peut-il commencer à connaître le principe divin qui lui est, par nature, disproportionné ? Avant de développer la caractérisation de la manuductio comme commencement de la connaissance pour l’intellect humain, en suivant le réseau des occurrences de la figure de la manuductio, il convient, toutefois, avec le Doctor magnus, de formuler une objection à cette thèse : l’admiration caractérise la contemplation suprême du bien par l’intellect séparé des sens et de l’imagination. Dans le De intellectu et intelligibili, de Denys : « la surabondance divine qui, comblante, suscite “une admiration supérieure à notre capacité d’admirer”. Ce caractère ineffable dans l’admiration, Albert le qualifie du terme d’“expérience”, suggérant par là, malgré les attaches de ce terme avec le niveau sensible, que le silence mystique résulte d’une plénitude intérieure et qu’il est la marque d’un accomplissement par approche de la félicité du fait de la relation immédiate à “Dieu perfection ultime de notre intellect” (§ - ). » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] et ideo poesis modum dat philosophandi sicut aliae scientiae logices. Sed aliae partes logices modum dant probandi propositum argumentatione perfecta vel imperfecta, poesis autem non, sed modum dat admirandi, per quod excitatur inquirens. »
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l. , tr. unique, chap. , le Dominicain rhénan qualifie le bien suprême d’admirable. Dans sa contemplation, la nature humaine, en tant qu’elle est définie en propre par l’intellect, trouve son accomplissement et « refleurit ». L’admiration accompagne, par conséquent, le mouvement de la connaissance depuis son commencement jusqu’à son terme. Or on sait à partir de cela que la contemplation de ce qui est vrai et admirable ressortit à la plus haute délectation et qu’elle est ce qui est le plus naturel et que, en elle, la nature tout entière de l’homme, en tant qu’il est homme, refleurit et, principalement, dans la contemplation de ce qui est divin, pour cette raison que, selon ce qui a été dit, en cela l’intellect se trouve au plus haut point selon sa nature propre, pour cette raison que l’homme en tant qu’homme est l’intellect seul. La manuductio est, précisément, la figure qui, de manière récurrente, apparaît dans des contextes dans lesquels la question du commencement de la connaissance est posée. II. Admiration et médiation sensible, vecteurs de la sortie de l’ignorance : l’enseignement en paraboles L’admiration, comme impulsion vers la recherche philosophique, est développée par Albertus Magnus dans un réseau de textes cohérent. Celui-ci exerce, par rapport à l’ensemble figural du Super Iohannem, une fonction secondaire ou indirecte, comme celui de la conjonction de l’intellect humain avec ce qui est continu et temporel, au sens où il n’est pas explicite dans la conjonction figurale johannique. Par ce réseau textuel relatif à l’admiration, le maître de Cologne relie la source aristotélicienne de cet argument au corpus biblique dans lequel les occurrences de la . Dans son Albert le Grand, Commentaire de la « Théologie mystique » de Denys le pseudo-Aréopagite (), trad. É.-H. Wéber, p. ; p. , Édouard-Henri Wéber distingue l’admiration au sens matériel qui correspond à l’objet d’admiration qui est le plus éminent et l’admiration au sens formel qui désigne ce qui excède notre pouvoir d’admirer. Il réfère le premier sens à Aristote, le second à Augustin. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. rb ; W, f. vb) : « Scitur autem ex hoc quod contemplatio verorum admirabilium est summae delectationis et naturalissimum, et quod in ea tota refloret natura hominis in quantum est homo, et praecipue in (in] om. Ed. Paris.) contemplatione divinorum : eo quod secundum praedicta in illis maxime intellectus invenit se secundum naturam suam (suam] om. Ed. Paris.) propriam, eo quod homo in quantum homo solus est intellectus. »
CHAPITRE II
figure de la manuductio sont, notamment, concentrées sur l’enseignement du Christ en paraboles ou par miracles, c’est-à-dire au moyen de signes visibles. Le Dominicain rhénan y affirme le caractère indispensable de la manuductio dans l’apprentissage de ce qui est encore inconnu. Dans le commentaire du verset du treizième chapitre de l’Évangile selon Matthieu – ‘C’est pourquoi je leur parle en paraboles : parce qu’en voyant, ils ne voient pas et, en entendant, ils n’entendent ni n’intelligent’ –, la question que pose l’exégète colonais touche les conditions de l’apprentissage : comment celui qui est ignorant de ce qui est spirituel, celui qui ne possède pas les capacités de connaître adaptées à ce qui est divin, voire celui qui doute de l’enseignement reçu, peut-il sortir de son état d’ignorance ? La réponse du Doctor magnus est qu’il s’agit, pour lui, de s’appuyer sur son admiration initiale de ce qui lui est encore inconnu. Dans ce texte, le Doctor universalis pose la manuductio par les sens, en particulier ici par la vue et l’ouïe, notamment par les miracles et les paraboles, comme condition indispensable pour la connaissance du principe. Celui qui ne serait pas « conduit par la main » vers le principe devrait être « jeté hors » de ce chemin noétique, écrit le maître de Cologne, en paraphrasant l’Évangile de Matthieu , (‘Et jetez le serviteur inutile dans les ténèbres extérieures’). Qui n’est, en effet, jamais conduit par la main par la vue vers la puissance et par l’ouïe vers la vérité doit être jeté dehors, parce qu’il est totalement inutile. Cette fonction de la manuductio permet au Docteur universel de donner du verset Mt , une interprétation radicale. ‘C’est pourquoi en paraboles’ : la raison de l’enseignement du Christ en paraboles, c’est-à-dire . Mt , in ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Ideo in parabolis loquor eis, quia videntes non vident et audientes non audiunt neque intelligunt. » . Au début de cet ensemble de versets, Albert le Grand a annoncé ce développement sur les paraboles, à savoir que l’audition charnelle doit être instruite en paraboles, en ALBERTUS MAGNUS, Super Matthaeum, cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Secundo redit ad auditum carnalem ostendens, quoniam ille parabolis est instruendus. » . Cf. Mt , in ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. : ‘Et inutilem servum eicite in tenebras’. . Cf. infra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . Au début de cet ensemble de versets, Albert le Grand a annoncé ce développement sur les paraboles, à savoir que l’audition charnelle doit être instruite en paraboles, en ALBERTUS
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en images proportionnées à celui dont l’intellect est conjoint à ce qui est temporel et continu, est que la médiation des similitudes corporelles s’avère une condition noétique sine qua non pour la recherche du principe divin. Nous ne développerons pas ici la distinction albertienne de l’ouïe et de la vue comme sens susceptibles d’instruire ni la dynamique de la croyance dans laquelle est reprise et interprétée ici l’admiration, afin de nous concentrer sur les caractéristiques récurrentes qui permettent de circonscrire la figure de la manuductio. ‘C’est pourquoi en paraboles’. Deuxième partie à laquelle il retourne, en montrant que la parabole convient à de tels . Pour comprendre cela, à savoir que ceux qui viennent ainsi vers le maître de vérité, en ne connaissant pas les spirituelles et en ayant des doutes au sujet de l’enseignement, mais en admirant, viennent et ont la seule admiration, en soi louable, qui appartient, pourtant, à celui qui ne sait pas, mais désire déjà fuir son ignorance. C’est pourquoi aussi, si les spirituelles lui sont proposées de manière nue, il n’en a pas de capacité et recule, comme le chassieux est aveuglé par rapport à la claire lumière, mais il faut qu’elles soient proposées dans la similitude des corporelles qu’il a apprises par la vue, de telle sorte qu’à partir des corporelles, les spirituelles reçoivent la probabilité qu’il en soit ainsi que le maître dit et qu’ainsi, celui qui ne sait pas et admire, étant introduit plus facilement, croie. Et c’est ce qu’il dit : ‘C’est pourquoi je leur parle en paraboles’. Cela est signifié en Nb , où il est ordonné aux Caathites de ‘porter enveloppé’ ce qui est à l’intérieur du tabernacle que, cependant, Aaron et ses fils ont touché et ont vu à nu. Ex. , - : ‘Prépare-toi à MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Secundo redit ad auditum carnalem ostendens, quoniam ille parabolis est instruendus. » . Sur les deux sensus disciplinales, la vue et l’ouïe, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. cum nota : « Et sic per duos sensus disciplinales instructi sufficienter fuerunt certificati. » ; ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et cum duo sint sensus disciplinales, visus et auditus, et visus deserviat disciplinae, secundum quod est per inventionem, auditus autem, secundum quod est per doctrinam. » ; ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Et per auditum disciplinalem describit eum, cum dicit : audit. Est autem auris non audiens idoli ; et est auris audiens, sed non interius percipiens, stolidi, qui est quasi bruti ; et est auris audiens et disciplinam interius accipiens. De prima dicitur : ‘Aures habent, et non audient etc.’. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. unicus, cap. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. .
CHAPITRE II
monter sur la montagne et que personne ne monte avec toi et qu’à la fois les brebis et les bœufs n’y paissent pas’. Et c’est ce qu’il dit : ‘Parce qu’en voyant’ en similitudes corporelles les spirituelles, ‘ils ne voient pas’ elles-mêmes, dans la vérité nue, mais ils mépriseraient plutôt ce qui ne leur est pas proposé selon l’analogie. La similitude corporelle persuade, en effet, qu’il en est ainsi qu’il est dit à partir de ce qui est possible pour nous. ‘Et, entendant, ils n’entendent pas’. Il fait mention de deux sens susceptibles d’instruire, parce qu’ils ont à la fois vu les signes par la vue et entendu les paraboles par l’ouïe, les signes, certes, pour la preuve de la déité et de la puissance et les paraboles pour la preuve de la sagesse et de la vérité, de telle sorte qu’ils sont aidés par les deux pour passer ainsi des corporelles aux spirituelles. Is. , : ‘Toi qui vois beaucoup, ne veilles-tu pas ? Toi qui as les oreilles ouvertes, n’entends-tu pas ?’ Ils ont vu beaucoup en signes et ont entendu beaucoup en paraboles. Is. , : ‘Conduis dehors le peuple aveugle qui a, pourtant, des yeux, et sourd, alors qu’il a des oreilles’. Qui n’est, en effet, jamais conduit par la main par la vue vers la puissance et par l’ouïe vers la vérité doit être jeté dehors, parce qu’il est totalement inutile. ‘Et ils ne comprennent pas’, c’est-à-dire qu’ils ne lisent pas les spirituelles à l’intérieur, mais il faut que, par une leçon sensible, elles leur soient proposées comme jusqu’à présent il faut que les spirituelles soient proposées aux laïcs. Jr , - : ‘Tes fils se sont éloignés de moi et ne subsistent pas ; leurs pasteurs les ont conduits stupidement, et ils n’ont pas recherché le Seigneur. À cause de cela, ils n’ont pas compris’. Ps. , : ‘Il n’a pas voulu comprendre pour bien agir’. Cela est bien exprimé dans le Ps. , - : ‘Parce que je n’ai pas été instruit, j’entrerai dans la puissance du Seigneur. Je me souviendrai, Seigneur, de ta justice, la seule. Dieu, tu m’as enseigné dès ma jeunesse et jusqu’à maintenant’. Il faut, en effet, que celui qui ne comprend pas l’ ‘instruction’ de l’esprit soit conduit par la main par les ‘puissances’ admirables des miracles et des paraboles et qu’il médite en elles la ‘justice’ de Dieu. Et ainsi est-il enseigné ‘depuis’ la première ‘jeunesse’ de la grossièreté ‘jusqu’à maintenant’, quand il dit : ‘J’écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi’, non plus par similitudes, mais par la vérité nue. Et qu’il soit fait, alors, . Cf. supra chapitre II, p. , note , Mt , . . Ps. , .
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annonciateur des merveilles de Dieu. Et, alors, il n’est plus besoin de paraboles, parce qu’alors il est imprégné de la vérité elle-même. Si. , - : ‘En tout, par ton esprit, approche-toi de la sagesse et enquête à son sujet, et elle se manifestera à toi’. On s’en approche, en effet, ainsi, et non autrement et, à la fin de cette approche, s’accomplit ceci, en Jn , : ‘Qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi, je l’aimerai et me manifesterai moi-même à lui’. Ainsi aussi Moïse délaça-t-il, d’abord, sa sandale en peau de chèvre et, se dépouillant peu à peu du sens charnel et animal et s’approchant alors, il vit la vision révélée de Dieu. Or, si ce lieu est exposé ainsi, l’inconvénient semble suivre que même à celui qui n’est guère intelligent, il semble frivole que la sagesse de Dieu propose quelque chose aux hommes pour qu’ils ne voient pas et pour qu’ils soient, à partir de cela, davantage condamnés. . Cf. Si. , in ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Eccli. XXXVI () : ‘Festina tempus et memento finis, ut enarrem mirabilia tua’. » Cf. etiam Ps. , in ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Ps. (CXLIV, ) : ‘Magnificentiam gloriae sanctitatis tuae loquentur et mirabilia tua narrabunt’. » . Cf. Ex. , -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -p. , l. : « ‘Ideo in parabolis’. Secunda pars, in qua redit ostendens, quoniam talibus competit parabola. Ad quod intelligendum, quod illi qui sic ad doctorem veritatis veniunt, ignorantes spiritualia et dubitante de doctrina, sed admirantes veniunt et solam habent admirationem in se laudabilem, quae tamen est ignorantis, sed iam ignorantiam fugere desiderantis. Et ideo, si illi spiritualia nude proponantur, non est capax et recedet, sicut lippus excaecatur ad clarum lumen, sed oportet, quod in similitudine corporalium, quae visu didicit, proponantur, ut ex corporalibus spiritualia probabilitatem, quod ita sit, ut doctor dicit, accipiant et sic ignorans et admirans facilius inductus credat. Et hoc est quod dicit : ‘Ideo in parabolis loquor eis’. Hoc significatur Num. IV (), ubi praecipitur, quod interiora tabernaculi Caathitae ‘portent involuta’, quae tamen Aaron et filii eius nuda tetigerunt et viderunt. Exod. XXXIV (-) : ‘Esto paratus, ut ascendas in montem, et nullus ascendat tecum, et oves et boves non pascantur e contra’. Et hoc est quod dicit : ‘quia videntes’ in similitudinibus corporalibus spiritualia ‘non vident’ eadem in veritate nuda, sed potius contemnerent eis secundum analogiam non proposita ; persuadet enim similitudo corporalis ita esse, ut dicitur, ex nobis possibilibus. ‘Et audientes non audiunt’. De duobus facit mentionem disciplinalibus sensibus, quia et visu signa viderunt et auditu parabolas audiverunt, signa quidem in probationem deitatis et potestatis et parabolas in probationem sapientiae et veritatis, ut sic a duobus iuvarentur, quod a corporalibus ad spiritualia transirent. Is. XLII () : ‘Qui vides multa, nonne custodies ? Qui apertas habes aures, nonne audies’ ? Multa in signis viderunt et multa in parabolis audiverunt. Is. XLIII () : ‘Educ foras populum caecum et oculos habentem ; et surdum, et aures ei sunt’. Qui enim numquam manuducitur visu ad potestatem et auditu ad veritatem, eiciendus est, quia ille penitus est inutilis. ‘Neque intelligunt’, hoc est : spiritualia non intus legunt, sed oportet, quod sensibili lectione proponantur eis, quemadmodum adhuc laicis spiritualia oportet proponi. Ier. X (-) : ‘Filii tui exierunt a me et non subsistunt ; stulte egerunt pastores eorum et dominum non quaesierunt ; propterea non intellexerunt’. Ps. (XXXV, ) : ‘Noluit intelligere, ut bene ageret’. Hoc bene exprimitur in Ps. (LXX, -) : ‘Quoniam non cognovi litteraturam, introibo in potentias domini, domine,
CHAPITRE II
Albert le Grand donne, dans ce texte, la raison anthropologique de la nécessité de la médiation des similitudes sensibles. Mais il ne la formule pas au moyen de l’argument de la conjonction de l’intellect humain avec ce qui est continu et temporel. Il a plutôt ici recours à l’argument augustinien du chassieux aveuglé par la claire lumière, variante de la figure aristotélicienne de l’œil de la chauve-souris face à la lumière du soleil. La lippitude, cette humeur jaunâtre secrétée par les paupières, obscurcit, en effet, la vue. Le défaut provient entièrement de celui qui voit, et non de la lumière qui l’éclaire. La convergence implicite de la figure de l’animal volant nocturne et de la manuduction fait, par conséquent, de ce texte memorabor iustitiae tuae solius. Deus, docuisti me a iuventute mea et usque nunc’ ; qui enim ‘litteraturam’ spiritus non intelligit, oportet, quod admirandis ‘potentiis’ miraculorum et parabolarum manuducatur et in his ‘iustitiam’ dei meditetur; et sic ‘a’ prima ‘iuventute’ ruditatis docetur ‘usque nunc’, quando dicit : ‘Audiam, quid loquatur in me dominus deus’ iam non per similitudines, sed per veritatem nudam ; et tunc pronuntiator mirabilium dei efficiatur. Et tunc non est opus parabolis, quia tunc est imbutus ipsa veritate. Eccli. VI (-) : ‘In omni animo tuo accede ad sapientiam et investiga eam, et manifestabitur tibi’ ; sic enim acceditur et non aliter, et in fine illius accessus impletur illud Ioh. XIV () : ‘Qui diligit me, diligetur a patre meo ; et ego diligam eum et manifestabo ei meipsum’. Sic etiam Moyses primo solvit calceamentum pecorinae pellis exuendo paulatim sensum carnalem et animalem et tunc appropians vidit visionem dei revelatam. Nisi autem iste locus sic exponatur, videtur sequi inconveniens, quia etiam parum intelligenti frivolum videtur, si dei sapientia proponat aliquid hominibus ad hoc, ut non videant et ut ex hoc magis condemnentur. » . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Licet enim id quod simpliciter primum est et causa omnium, sit praeveniens intellectum et sic sit obscurum, non est haec obscuritas in ipso, sed in lippitudine et imperfectione cognoscentis intellectus ». « Bien que ce qui est absolument premier et cause de tout devance, en effet, l’intellect et soit ainsi obscur, cette obscurité n’est pas en lui, mais dans la lippitude et dans l’imperfection de l’intellect qui connaît. » Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - cum nota : « Unde Augustinus in I De trinitate : “Si quis alii digito solem ostenderit et ille solem ostensum non viderit, culpet potius oculi sui lippitudinem quam digiti ostensionem”. ». « De ce fait, Augustin dans le premier De la Trinité : “Si quelqu’un montre à un autre le soleil du doigt et que celui-ci ne voit pas le soleil montré, qu’il accuse plutôt la lippitude de son œil que la monstration du doigt”. » Cette proposition se trouve chez ALEXANDER DE HALES, Glossa in quatuor libros sententiarum Petri Lombardi, I Sent., d. , n. , ed. PP. Collegii S. Bonaventurae, t. , Quaracchi, Florentiae, (Biblioteca Franciscana Scholastica medii aevi, t. -), p. , l. - où, tirée du De doctrina christiana, Prol., n. , CSEL LXXX, ed. G. M. Green, Hoelder, Pinchler et Tempsky, Vindobonae, , p. , l. - ad sensum, elle est alléguée pour l’interprétation de la proposition d’Augustin extraite du De trinitate, lib. , cap. , n. , CCSL L, p. à laquelle se réfère PETRUS LOMBARDUS, I Sent., d. , cap. , in Magistri Petri Lombardi Parisiensis Episcopi Sententiae in IV libris distinctae, Editio tertia, t. , Editiones Collegii S. Bonaventurae ad Claras Aquas, Grotta Ferrata (Romae), (Spicilegium Bonaventurianium ), p. , l. -. Cf. etiam AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Iohannis evangelium tractatus CXXIV (Ioh. , ), tr. , cap. , ed. R. Willems, CCSL XXXVI, Brepols, Turnhout, , p. , l. .
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DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
une pièce majeure pour l’interprétation de la constellation figurale de Jn , . La figure de la manuductio se trouve insérée dans le dispositif du chiasme de l’intellection humaine exprimé par la figure de la verspertilio. Elle permet une sortie de l’aporie. En témoigne l’interprétation de la suite du verset Mt , : « ‘Parce qu’en voyant’ en similitudes corporelles les spirituelles, ‘ils ne voient pas’ elles-mêmes, dans la vérité nue, mais ils mépriseraient plutôt ce qui ne leur est pas proposé selon l’analogie ». La médiation sensible vient remédier à l’impossibilité, pour l’intellect humain, de voir la vérité nue des réalités spirituelles. En lui proposant une ressemblance corporelle qui soit proportionnée à ses facultés de connaître, elle permet à l’intellect humain de s’approcher d’elles sans en être ébloui, précisément parce que la similitude sensible ne présente pas directement la réalité spirituelle dans sa nudité. La fonction des médiations sensibles consiste à proposer à l’intellect humain, qui ne saurait appréhender directement la vérité nue, une « analogie », ou une proportion, par rapport à ses propres facultés cognitives. Nous approfondirons plus loin la fonction du dispositif noétique que constituent les médiations sensibles. Nous nous concentrons ici sur la manière dont la manuductio est présentée comme ce qui permet le commencement de la connaissance. Au moyen du verset Nb , , Albertus Theutonicus compare les médiations sensibles à des voiles qui permettent d’envelopper et de porter (portent involuta) au dehors ce qui est à l’intérieur du tabernacle et que les prêtres touchent et voient à nu. Le commentaire du verset Mt , apparaît fondamental pour la question de la connaissance médiate du principe divin. Le Dominicain rhénan use de cet enchaînement de versets bibliques pour mettre en lumière le rôle de la connaissance par les paraboles, en particulier, et, en général, par les « similitudes des corporelles » : la médiation est à fois indispensable et provisoire dans la connaissance du principe divin. Le mode de connaissance médiat correspond à ce que, d’après le Ps. , -, le maître de Cologne appelle la grossièreté de la première jeunesse, celle de celui qui n’est pas instruit. Cependant, cette médiation est appelée à devenir inutile, lorsque l’intellect pourra appréhender « la vérité nue » et qu’il sera « imprégné de la vérité elle-même ». Si donc . Cf. section III du chapitre II : « La conception de la médiation manuductrice dans les corpora non aristotéliciens », p. .
CHAPITRE II
la manuductio est nécessaire pour initier, auprès de l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination, la recherche du principe divin, elle n’est pas destinée à demeurer. Elle « conduit » l’intellect humain « par la main » vers la révélation directe du principe divin. Nous reviendrons sur ce point. La manuductio est donc un dispositif nécessaire, dans la mesure où l’intellect humain est conjoint au continu et au temporel, mais provisoire. La méthode de l’approche du principe divin trouve, en effet, son accomplissement qui est promis par le Verbe divin incarné lui-même selon Jn , (‘Qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi, je l’aimerai et me manifesterai moi-même à lui’) qui s’appuie sur la révélation directe de Dieu à Moïse, lorsque celui-ci s’est approché du buisson de la manifestation en déliant, avec le lacet de ses sandales, ses attaches avec le « sens charnel et animal ». Deux facteurs permettent donc à celui qui ignore les réalités spirituelles de commencer à connaître : l’admiration et les médiations sensibles. Aux fondements anthropologique et noétique que nous avons étudiés, à savoir la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination et la dynamique du désir de connaître, s’ajoute ici la relation du maître et du disciple. La conséquence de cet apprentissage par les miracles et les paraboles, qui part de ce qui est connu plus facilement par les sens, n’est pas, immédiatement, la connaissance de ce qui est spirituel, mais la croyance en la probabilité de ce qui est enseigné. Ainsi l’enseignement en paraboles renvoie-t-il au maître qui enseigne en exerçant sa fonction de manuductor. L’enseignement en paraboles instaure, par conséquent, une série de dispositifs de médiations qui requiert, pour passer des choses corporelles vues aux images dans le discours et de celles-ci aux réalités divines, la confiance en chacune des étapes de l’apprentissage. Or cette persuasion apparaît rationnelle, dans la mesure où elle est fondée sur ce qui nous est le plus facilement et directement connu et, par suite, sur ce qui est vérifiable. Elle s’accroît progressivement par la croyance en ce qui semble possible. Il s’agit donc, dans l’enseignement en paraboles, d’opposer à la connaissance immédiate du principe divin, disproportionné par rapport aux capacités de l’intellect humain à l’appréhender dans les conditions normales de son existence, . Cf. section IV, II, C du chapitre II : « La fin de la manuductio : la vision de la vérité divine « nue », p. .
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
une connaissance médiatisée non seulement par une suite d’analogies sensibles mais aussi par une séquence de médiateurs. La manuductio fonde une communauté autour de la transmission du savoir. III. La manuductio, une didactique adaptée aux commençants Comment commencer à apprendre pour les minores, les juvenes, les simplices, les parvuli et autres agents désignés par des indices lexicaux portant la marque de la disproportion de la faculté de connaître de l’apprenti par rapport à ce qu’il désire apprendre, sinon par la manuductio ? N’étant pas en mesure de connaître directement par lui-même le principe, celui qui commence doit y être, d’abord, « conduit par la main » au moyen d’images sensibles. De même que l’admiration touche à l’élan originaire de la recherche comme désir de la sagesse, de même elle est considérée par le Doctor magnus comme le meilleur remède pour vaincre les résistances dans le processus de connaissance. Ainsi la nécessité d’être « conduit par la main » pour connaître ce qui est disproportionné par rapport à notre faculté de connaître n’est-elle pas seulement exigée par les conditions d’existence de l’intellect humain conjoint à ce qui est temporel et continu, mais aussi par la dynamique inhérente au désir dans le processus de connaissance. De nombreux textes appartenant au réseau de la manuductio confirment l’application prioritaire de cette méthode de connaissance médiate à ceux qui commencent à s’approcher du principe divin. Le lecteur pourra se reporter à ces textes en appendice. De plus, ceux qui mettent en œuvre cette pédagogie à l’égard des commençants sont appelés manuductores. Cette fonction de médiateur est attribuée à plusieurs reprises, dans les commentaires dionysiens, aux anges, aux prophètes, aux prêtres, aux maîtres, investis de la mission commune de « conduire par la main » ceux qui retournent au principe divin. Nous renvoyons également le lecteur à l’appendice concernant les occurrences de ces manuductores qui
. Cf. l’appendice du chapitre II : La manuductio, didactique et communauté de savoir, p. . . Cf. l’appendice du chapitre II : Les manuductores et leur fonction pédagogique, p. .
CHAPITRE II
esquissent un système ressortissant à la fois aux hiérarchies angélique et humaine, à l’enseignement et à la liturgie sacramentaire. Tournons, désormais, notre attention vers la fonction de la médiation noétique introduite par la figure de la manuductio. Quel est le mode opératoire des médiations sensibles qui « conduisent par la main » ? SECTION III : LA
CONCEPTION DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE DANS
LES CORPORA NON ARISTOTÉLICIENS
Nous avons déterminé l’origine dionysienne de la figure de la manuductio et sa problématique centrale, à savoir la nécessité, pour l’intellect humain, de recourir aux médiations sensibles dans la connaissance du principe. Nous avons observé les modalités de transfert de la figure de la manuductio dans les différents corpora textuels de l’œuvre albertienne. Nous en avons mis au jour les raisons noétiques et anthropologiques. Nous avons dégagé la dimension pédagogique de cette figure. Déterminons, maintenant, la nature et le mode de fonctionnement de la médiation spécifiquement visée par cette figure, telle qu’elle naît dans le corpus dionysien et est diffusée dans l’œuvre albertienne. Si, selon le commentaire du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia, l’intellect humain requiert, en effet, des symbola pour . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Tradiderunt, dico, “supercaelestia sensibilibus imaginibus”, idest symbolis, et tradiderunt id quod in se est “conexum”, idest simplex et unum, scilicet spiritualia, “et varietate et multitudine” symbolorum, et tradiderunt “divina in” rebus “humanis et immaterialia in” rebus “materialibus et superessentialia his” rebus “quae sunt secundum nos”, et tradiderunt hoc modo “non solum propter immundos”, idest infideles vel peccatores, “quibus nec fas”, idest licitum, est “tangere symbola”, idest species sensibiles sacramentorum ; “sed quia nostra hierarchia est quaedam” hierarchia “symbolica”, idest symbolis tradita, “quod quidem dixi” supra fieri “proportionaliter nobis ipsis”, qui per “sensibilia” nati sumus accipere, hierarchia, dico, “desiderans”, idest requirens, “in eam nostram reductionem diviniorem” ipsis sensibilibus quae est “ex eis”, scilicet sensibilibus, “ad invisibilia”. » . Sur la notion de symbole au XIIIe siècle et son héritage dionysien, cf. l’analyse de DAHAN, G., L’Exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe s.), p. - ; LADRIÈRE, J., L’Articulation du sens, t. II : Les Langages de la foi, Le Cerf, Paris, (Cogitatio fidei ), p. (« Le discours théologique et le symbole ») ; ROQUES, R., Structures théologiques, de la Gnose à Richard de Saint-Victor, Paris, (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses ), p. - (« Symbolisme et théologie négative chez le Pseudo-Denys » ; PÉPIN, J., La Tradition de l’allégorie de Philon d’Alexandrie à Dante, notamment p. - (« La Théorie du symbolisme dans la tradition dionysienne ») ; p. - (« La Lettre IX de Denys sur le symbolisme et sa traduction par Jean Scot Erigène ») ; p. - (« Mystère et symbole chez Jean Scot Erigène ») ; JEAUNEAU, É., Études érigéniennes, Études augustiniennes, Paris, ; JEAUNEAU, É., « Artifex Scriptura », in G. Van Riel, C. Steel and J. McEvoy (eds), Iohannes Scottus Eriugena. The
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connaître le principe divin, comment le réseau figural de la manuductio nous permet-il de saisir plus spécifiquement en quel sens le Dominicain rhénan entend ce terme ? Dans la glose du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia, qui précède immédiatement le débat que nous avons examiné sur la nécessité des médiations sensibles, le maître de Cologne en donne plusieurs équivalents : « signe sensible », « image sensible », « espèce sensible des sacrements ». Symbolon s’applique, par conséquent, tout aussi bien, en un sens large, à l’ensemble des réalités sensibles en tant qu’elles sont des images du principe qu’en un sens restreint aux espèces des sacrements, dans la liturgie. Aux termes signum et imago pour désigner symbolon s’adjoint celui de figura, lorsqu’Albertus Magnus glose le terme symbolon par « figures sensibles » et transcrit l’expression invisibilibus non velatis par « en transmettant ce qui est invisible sans Bible and Hermeneutics, Leuven University Press, Louvain, (Ancient and medieval philosophy. De Wulf-Mansion Center ), p. - ; CHYDENIUS, J., « La Théorie du symbole médiéval », Poétique (), p. - ; ZAMBON, F., « Allegoria in verbis : per una distinzione tra simbolo e allegoria nell’ermeneutica medioevale », in D. Goldin (ed.), Simbolo, metafora, allegoria. Atti del IV Congresso italo-tedesco, Liviana, Padova, , p. -. Le lecteur pourra également, à propos de la notion de symbole en général, se reporter aux analyses de RICŒUR, P., La Métaphore vive, Le Seuil, Paris, , p. - (« Le mode symbolique ») ; TODOROV, T., Théories du symbole, Le Seuil, Paris, (Points Essais) ; Symbolisme et interprétation, Le Seuil, Paris, . . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « idest sensibilium signorum ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. (Dionysiaca II, p. ) : « “sensibilibus imaginibus”, idest symbolis ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. (Dionysiaca II, p. ) : « […] “tangere symbola”, idest species sensibiles sacramentorum […]. ». . Dans le contexte du traité De sacramentis, la fonction de médiation assumée par le terme signum est associée aux figures pauliniennes de speculum et aenigma ( Co. , ), tissant ainsi un autre réseau que le corpus dionysien. La thèse albertienne, dans ce contexte sacramentaire, correspond à celle qui unifie le réseau de textes rassemblés par la figure de la manuductio, à savoir que les conditions d’existence de l’âme rationnelle impliquent qu’elle ne peut connaître les choses divines sans médiation. ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , ed. A. Ohlmeyer, Ed. Colon. XXVI, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. - : « Contra : Anima rationalis posita in corpore non elevatur in deum nisi per medium. Unde etiam indiget ‘speculo et aenigmate’. Ergo in cognitionem salutis non veniet nisi mediantibus signis ostendentibus salutem. Sed signum materiale ostendens salutem sacramentum est. Ergo necessaria sunt sacramenta. » « Contre : L’âme rationnelle posée dans le corps n’est élevée vers Dieu que par une médiation. De ce fait, elle a aussi besoin de ‘miroir et d’énigme’. Donc elle ne vient vers la connaissance du salut que par la médiation de signes qui montrent le salut. Mais un signe matériel qui montre le salut est un sacrement. Donc les sacrements sont nécessaires. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] videre “in symbolis”, idest sensibilibus figuris […]. »
CHAPITRE II
le voile des figures ». Dans les corpora dionysien, biblique et théologique du moins, les médiations manuductrices dans la connaissance du principe divin présentent, par conséquent, une modalité spécifique que le Dominicain rhénan étend communément au signe, à l’image et à la figure. Il apparaît donc manifestement que l’enjeu philosophique de la question albertienne au sujet de ces médiations sensibles soit l’élaboration d’une théorie spécifique du signe. Quel est ce mode spécifique de fonctionnement de la médiation sensible manuductrice en tant que signe matériel du principe ? Dans la gradation des sciences vers la métaphysique décrite dans le corpus aristotélicien, les médiations que constituent les étants physiques et mathématiques proportionnent, par leur dimension sensible et imaginaire, la lumière de l’intelligible à la capacité que possède l’intellect humain de l’accueillir. Peu à peu conforté, ce dernier est rendu capable de recevoir davantage de lumière intelligible. À mesure que celle-ci est augmentée, la nécessité de la médiation décroît, par conséquent, jusqu’à finalement disparaître. Dans les corpora dionysien, scripturaire et théologique, pour leur part, la manuductio exercée par les médiations sensibles consiste à proportionner à la capacité réceptive de l’intellect humain la lumière divine à laquelle ce dernier ne saurait par nature se rendre proportionné. Elle ressortit fondamentalement au processus même de manifestation du principe divin à l’intellect humain. Son office ne consiste, par conséquent, pas à exercer l’intellect humain ni à fortifier sa capacité cognitive. La médiation s’identifie, au contraire, aux ténèbres auxquelles la lumière divine doit être mêlée, afin d’être aperçue de l’intellect humain, comparé à l’œil de la chauve-souris. Il ne peut, en effet, fixer directement la « lumière immatérielle » en sa nue manifestation. Celle-ci adopte un mode de manifestation adéquat : dans l’incarnation, elle enveloppe sa divinité de langes, selon les termes employés par le maître de Cologne dans le De natura boni. De même, dans la création et l’économie par laquelle le principe divin se dispense, la lumière immatérielle se donne à voir à travers des médiations sensibles dotées d’une fonction manuductrice spécifique. Le mode inhérent à la médiation manuductrice consiste . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - (Dionysiaca II, p. ) : « […] tradendo invisibilia sine velamine figurarum […]. »
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à mêler la lumière du principe divin aux ténèbres de la matière, de telle sorte que l’intellect humain puisse l’appréhender. L’acte de mélanger la lumière et l’obscurité constitue la spécificité de la médiation manuductrice dans les corpora dionysien, biblique et théologique, par rapport au rôle que lui attribue le corpus aristotélicien. Dans ce dernier, parce que la médiation manuductrice est ontologiquement mêlée, l’intellect humain, qui s’élève vers le principe à travers la hiérarchie des sciences, se doit de séparer la lumière intelligible de la ténèbre inhérente à la matière. Le mélange ontologique et la conduction vers la lumière caractérisent également la médiation manuductrice dionysienne et biblique. Mais il ne s’agit pas, dans le cas de cette dernière, de séparer l’intelligible de la matière mais, bien plutôt, de s’appuyer sur le mélange de la lumière divine et de la ténèbre, parce que, seul, il autorise l’accès de l’intellect, en tant qu’il est humain, au principe divin. De plus, la médiation manuductrice, dans les corpora non aristotéliciens, répète l’acte par lequel le principe divin se mêle à la matière pour se manifester. Elle poursuit ainsi le mode de manifestation du principe divin, qui est à la fois lumière et ténèbre, suprêmement connaissable et éminemment inconnaissable. La fonction de la médiation s’avère, par conséquent, paradoxale : pour le rendre clair à notre « intellect matériel », la médiation sensible mêle « l’un spirituel » à l’obscurité inhérente aux sens et à l’imagination. Dans le corpus non aristotélicien, Albert de Cologne décline cette fonction paradoxale de la médiation sensible, en particulier, à propos des paraboles et du mode allégorique des Écritures. D’une part, il s’agit, pour nous, de comprendre en quoi l’intellect humain requiert le dispositif d’une médiation à partir de la comparaison avec la chauve-souris et avec le regard oblique que celle-ci jette vers la lumière. D’autre part, nous suivrons la manière dont le Docteur universel expose, à partir de la prophétie d’Isaïe – ‘En voyant, ils ne voient pas’ – les propriétés de la médiation noétique dont la fonction paradoxale est d’obscurcir la lumière divine pour la rendre claire à l’intellect humain. La médiation sensible s’avère, dès lors, être une proportion du disproportionné qui est adaptée . Cf. infra chapitre II, p. , note , pour l’expression unum spirituale, vide ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. . . Cf. infra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -.
CHAPITRE II
aux conditions ordinaires de la connaissance « du chemin », celui-ci étant caractérisé par la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination. Explorons la conception albertienne de la médiation comme ce qui permet de voir la lumière dans les ténèbres, en revenant à la figure de l’animal volant nocturne. Nous avons déjà croisé les deux textes suivants au sein du réseau exploré dans le premier chapitre. Nous les lisons ici du point de vue du modèle optique qu’ils proposent, à savoir celui de la vision oblique. D’un point de vue herméneutique, cette nouvelle lecture nous permet d’examiner la manière dont les deux réseaux figuraux s’entrelacent et dont ces textes résonnent différemment selon qu’ils sont insérés dans la problématique signifiée par l’une ou par l’autre figure. I. Vision oblique de l’animal volant nocturne et miroir dans un vase noir et obscur La fonction de la médiation noétique répond aux dispositions de l’intellect humain en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. La vision de celui-ci, comparé à la chauve-souris, est opposée à celle, immédiate, de l’aigle : il ne peut voir la lumière du soleil que de manière oblique. Nous avons vu, en effet, que, dans son commentaire du quinzième chapitre du De caelesti hierarchia, le Docteur universel oppose, d’une part, « la vision de l’aigle voit le soleil sans se blesser, “immédiatement” (immediate), sans l’avoir reçu d’abord en autre chose, contrairement à nous, “de manière droite” (recte) » à, d’autre part, la manière dont « certains regardent vers le soleil lui-même de manière oblique d’une vision plus faible ». Lorsque, dans sa Summa theologiae, tr. , q. , chap. , Albertus Magnus transfère la figure de la chauve-souris au domaine de l’astronomie, il développe sa conception de la médiation noétique comme le moyen de rendre le rayon lumineux oblique, afin de l’adapter à la capacité visuelle humaine.
. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] sicut visus aquilae sine laesione sui intuetur solem, “immediate”, non receptum primo in alio sicut nos, “recte”, quaedam enim debilioris visus in ipsum solem oblique intuentur. »
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Il appartient, selon Maître Albert, aux conditions générales de la vision de requérir, de trois points de vue différents, des médiations . Des médiations sont, en effet, d’une part, nécessaires du côté du visible, pour le rendre vu en acte. Elles sont, d’autre part, indispensables du côté du voyant en général, comme espèce du visible dans l’œil. Enfin, elles sont exigées du côté du milieu lumineux entre le voyant et le vu. La fonction de la médiation consiste à opérer le passage de la puissance à l’acte de voir. Mais, en ce qui concerne la connaissance de Dieu particulièrement, est, en outre, requise une médiation spéciale en vertu de l’excellence de ce qui se donne à voir. Le caractère oblique de la vision de la chauve-souris fournit alors un modèle pour inventer un dispositif optique, en vue de remédier à l’incapacité de l’œil humain de voir directement une éclipse, par exemple. Le caractère oblique de la vision de la chauve-souris, dans les dispositifs utilisés en astronomie pour adapter « l’excellence du visible à la vue », prend la forme d’un linge subtil étendu devant les yeux ou d’un miroir dans un vase noir et obscur, opposé directement au soleil. Spéciale est qui est utilisée en vue de l’excellence, comme pour voir le soleil dans la roue, c’est-à-dire aussi en adaptant l’excellence du visible à la vue, de même qu’en ce . Au sujet de la double médiation, cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Ad id ergo quod primo quaeritur, dicendum, quod medium est duplex, ex parte visibilis scilicet et ex parte videntis. Ex parte visibilis formaliter et effective medium est, quod ut actus visibilium visibilia potentia actu facit esse visibilia. Ex parte videntis medium duplex est, commune scilicet et speciale. Commune est id quod sub uno vel duplici situ formam visibilis ad visum est deferens. Speciale est, quo utitur ad excellens sicut ad solem in rota videndum. Et hoc est excellentiam visibilis visui contemperans […]. » . Sur le voyant, le vu et le medium, comme conditions de la perception, cf. DEWAN, L., O. P., « St. Albert, the Sensibles and Spiritual Being », in J. A. Weisheipl (ed.), Albertus Magnus and the Sciences, Commemorative Essays , Pontifical Institute of Medieval Studies, Toronto, , p. -. Sur la théorie de la perception albertienne, cf. THEISS, P., Die Wahrnehmungspsychologie und Sinnesphysiologie des Albertus Magnus. Ein Modell der Sinnes- und Hirnfunktion aus der Zeit des Mittelalters, mit einer Übersetzung aus De anima, Peter Lang, Frankfurt a. M., Berlin, Bern, New York, Paris und Wien, (Europäische Hochschulschriften) ; ANZULEWICZ, H., « Konzeptionen und Perspektiven der Sinneswahrnehmung im System Alberts des Grossen », Micrologus (), p. - ; PANTI, C., « I sensi nella luce dell’anima. Evoluzione di una dottrina agostiniana nel secolo XIII », Micrologus (), p. - ; KNUUTILA, S., « Aristotle’s Theory of Perception and Medieval Aristotelianism », in S. Knuutila and P. Kärkkäinen (eds), Theories of Perception in Medieval and Early Modern Philosophy, Springer, Berlin, (Studies in the History of Philosophy of Mind ), p. -. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « In herodio enim, ut dicit Philosophus, est ut multum,
CHAPITRE II
qui concerne les astronomiques, est enseigné que, si l’on veut considérer le soleil, on le considérerait, une fois avoir étendu un linge subtil devant les yeux ou avoir posé un miroir dans un vase noir et obscur, opposé directement au soleil. Ainsi considère-t-on, en effet, comment la lune, en coïncidant avec le soleil, produit une éclipse de soleil. Et, de cette manière, il est nécessaire pour nous qu’il y ait une médiation en raison de l’excellence de la lumière (lucis) divine sur laquelle « le regard (acies) faible (invalida) de l’esprit humain n’est fixé » que si elle est adaptée à nous, diffusée dans un tel milieu. Le Philosophe dit, en effet, que « la disposition de notre intellect par rapport à ce qui est, de nature, le plus manifeste est la disposition des yeux des chauves-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. Le linge subtil ou le miroir dans un vase noir et obscur tiennent lieu de la matière sensible et imaginaire qui voile de ses ténèbres la lumière du principe dont l’intensité, reçue directement, éblouirait la faiblesse de l’intellect humain. Ce qu’il s’agit de penser, à travers le transfert de la figure de la chauve-souris au domaine de l’astronomie, est le dispositif que constitue la médiation noétique en vue d’assurer le caractère oblique de la vision humaine du principe. Cette fonction de la médiation est reprise par Albert de Cologne dans son commentaire de la Hiérarchie céleste, au treizième chapitre. L’obscurité qui atténue l’intensité lumineuse est associée, dans la médiation, à la réverbération du rayon. Quand le soleil ne peut pas être vu en face, il faut que sa lumière soit « réverbérée par quelque chose de condensé », comme les nuages.
et ideo aspicit solem in rota ; in homine autem non sic est, et ideo non potest aspicere solem sic, sed videt in lumine solis, quod diffunditur in aëre. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De trinitate, lib. , cap. , n. , CCSL L, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Speciale est, quo utitur ad excellens sicut ad solem in rota videndum. Et hoc est excellentiam visibilis visui contemperans, sicut in astronomicis docetur, quod si quis vult considerare solem, panno subtili extenso ante oculos consideret vel speculo in vase nigro et obscuro posito et directe soli opposito. Sic enim consideratur, qualiter luna soli incidens facit eclipsim solis. Et hoc modo nobis necessarium est medium propter divinae lucis excellentiam, in qua ‘mentis humanae acies invalida non figitur’, nisi in tali medio diffusa nobis contemperetur. Dicit enim Philosophus, quod “dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae est dispositio oculorum vespertilionum ad lumen solis”. »
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De ce fait, la lumière (lux) n’est vue que si la lumière (lumen) émet du lumineux en direction du voyant ou bien si elle est réverbérée par quelque chose d’épais. Et, pour cette raison, quand le soleil est déjà couché, sa lumière (lumen) ne peut être vue, à moins qu’elle ne soit quelque temps réverbérée par des nuages. La médiation noétique est donc pensée par Albert le Grand à partir de la condition anthropologique qui la requiert, à savoir la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination, et à partir de la difficulté noétique qu’elle entraîne, exprimée par la figure de la chauve-souris. Elle exerce, par conséquent, une fonction paradoxale, dans la mesure où elle obscurcit le rayon lumineux dans la matière, en vue d’offrir à l’intellect humain la perception oblique, ou médiatisée, de ce qu’il ne saurait apercevoir de manière directe. Les dispositifs astronomiques et les nuages fournissent au Docteur universel des exemples de l’obscurcissement réverbérant qu’ils opèrent, en tant que médiations, de la lumière du soleil par rapport aux yeux humains. Ces dispositifs artificiels ou ces éléments naturels exercent, aux yeux du maître de Cologne, la même fonction que les paraboles ou que le mode allégorique des Écritures. Dans son commentaire de l’Évangile selon Matthieu, il expose en quoi la médiation sensible est non seulement une proportion de ce qui est et demeure par nature disproportionné à l’intellect humain, mais aussi une condensation matérielle qui permet en quelque sorte de réverbérer le rayon lumineux du principe, afin d’en permettre une vision oblique. II. ‘En voyant, ils ne voient pas’ : le paradoxe isaïen au fondement de la médiation manuductrice Revenons sur le commentaire albertien du verset Mt , – ‘C’est pourquoi je leur parle en paraboles’ – et examinons-le non plus du point de vue de l’introduction pédagogique à la connaissance du principe divin offerte par les médiations sensibles, mais de celui de leur structure paradoxale : les médiations sensibles réverbèrent la lumière du . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Unde lux non videtur, nisi luminosum immittat lumen in directum videntis vel reverberetur ab aliquo spisso, et propter hoc, quando sol iam occidit, non potest videri lumen eius, nisi quamdiu reverberatur a nubibus. »
CHAPITRE II
principe divin tout en en proposant à l’intellect humain une analogie. Cette tension interne de la fonction des médiations manuductrices s’appuie sur l’analyse de la suite du verset Mt , : ‘En voyant, ils ne voient pas et, en entendant, ils n’entendent pas’ (Mt , ). Ce verset évangélique reprend littéralement la prophétie d’Isaïe (Is. , -). A. La réverbération Le paradoxe isaïen donne à Albertus Magnus l’occasion, dans ce passage, de décrire le fonctionnement paradoxal de la médiation sensible susceptible de déjouer le chiasme de l’intellection humaine du divin. D’un côté, ceux qui fixent directement leur regard sur la lumière du principe ‘ne voient’ pas ce qui les éblouit en raison de l’excellence de ce qui se donne à voir et de leur manque d’acuité visuelle. […] si les spirituelles lui sont proposées de manière nue, il n’en a pas de capacité et recule, comme le chassieux est aveuglé par la claire lumière. Autrement dit, en fixant directement la lumière divine, comme le soleil en sa roue, l’intellect humain ne peut la voir. Son regard est repoussé par la violence du rayonnement qu’il ne peut supporter. L’œil sain ne peut soutenir l’éclat le plus lumineux, celui du soleil, comme la maladie ophtalmique empêche son sujet d’endurer la lumière du jour. La comparaison de l’intellect humain avec le chassieux modifie légèrement celle de l’intellect humain avec l’animal volant nocturne. Dans cette dernière comparaison, les deux termes sont considérés dans leurs facultés visuelles et cognitives naturelles. La pointe de la comparaison touche leur disproportion par rapport à l’excellence de leur objet, le principe divin ou le soleil. Dans la comparaison de l’intellect humain avec le chassieux, pour sa part, les facultés cognitives normales de l’intellect humain par rapport au principe divin sont assimilées à l’état pathologique du patient atteint de lippitude par rapport à la clarté moyenne du jour. Il résulte de cette . Mt , in ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : ‘Et adimpletur eis prophetia Isaiae dicens : Auditu audietis et non intelligetis et videntes videbitis et non videbitis.’ . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -.
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comparaison que l’intellect humain requiert un remède : une médiation sensible et imaginaire qui lui permette de voir la lumière du soleil de manière oblique et mêlée à l’obscurité de la matière. De l’autre côté, la médiation manuductrice, supposée faire voir le principe divin, ne le fait pas voir stricto sensu. Le caractère médiat de la vision prive d’une certaine manière l’intellect humain de son objet qu’il ne voit pas en lui-même. En ce sens, la médiation sensible réverbère le regard de l’intellect humain. C’est ainsi que le Docteur universel interprète la prophétie d’Isaïe : tout en le voyant dans la médiation sensible, l’intellect humain ne voit pas le principe divin, autrement dit ne le voit pas en lui-même. C’est en déviant le trait de la lumière divine que la médiation permet à l’intellect humain de voir le principe. ‘Parce qu’en voyant’ en similitudes corporelles les spirituelles, ‘ils ne voient pas’ elles-mêmes, dans la vérité nue, mais ils mépriseraient plutôt ce qui ne leur est pas proposé selon l’analogie. Nous voyons ici combien la seconde voie vers le principe inaugurée par l’intelligence figurale ne transgresse pas les limites imposées à l’intellect humain. Par la voie métaphysique comme par celle de l’intelligence figurale ouverte par les médiations sensibles, il n’est pas possible à l’intellect humain en tant qu’humain de connaître le principe en tant que tel de manière compréhensive. De plus, en ce qui concerne l’intelligence figurale, il appert que connaître par des médiations ressortit à une dynamique noétique qui possède des aspects contradictoires. D’un côté, les médiations se présentent comme les conditions pour qu’advienne un acte de connaissance, alors même que le principe divin est disproportionné par rapport à l’intellect humain. De l’autre, ce qui permet la connaissance l’empêche aussi en quelque sorte, dans la mesure où voir le principe . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . Sur la dimension négative inhérente à la connaissance du principe, notamment dans le contexte dionysien et la dynamique de ce qui reste in occulto dans ce que M. Führer nomme « l’épistémologie mystique » d’Albert le Grand, cf. WÉBER, É.-H., « L’interprétation par Albert le Grand de la Théologie mystique de Denys Ps.-Aréopagite », in G. Meyer und A. Zimmermann (Hrsg.), Albertus Magnus – Doctor Universalis /, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, (Walberberger Studien ), p. - ; WÉBER, É.-H., « Éléments néoplatoniciens en théologie mystique au XIIIe siècle », in K. Ruh (Hrsg.), Abendländische Mystik im Mittelalter. Symposion Kloster Engelberg , Germanistische Symposien-Berichtsbände, J. B. Metzler, Stuttgart, , p. - ;
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dans sa médiation ne coïncide pas avec le fait de le voir en lui-même, excepté lorsque cette médiation est le Verbe divin incarné lui-même. B. « Selon l’analogie de leur faculté » Selon sa seconde caractéristique énoncée dans le commentaire de Mt , ci-dessus, la médiation sensible est l’alternative au mépris, entendu comme absence de connaissance des réalités spirituelles : « Ils mépriseraient plutôt ce qui ne leur est pas proposé selon l’analogie » . Comment entendre ici analogia ? Le maître de Cologne définit l’analogie, dans ce passage, comme une similitude corporelle qui présente les réalités spirituelles selon une proportion sensible. En outre, il emploie le terme, auparavant, dans l’expression secundum ipsorum facultatis analogiam qui apparaît dans le commentaire du verset Mt , , dans le même contexte que celui du commentaire de Mt , . Dans l’exégèse de Mt , se trouve, d’ailleurs, une occurrence de manuductio. Le nom TUGWELL, S., Albert and Thomas. Selected Writings, Paulist Press, New York, (Classics of Western Spirituality), introd. p. - ; WÉBER, É.-H., « Négativité et causalité : leur articulation dans l’apophatisme de l’école d’Albert le Grand », in M. J. F. M. Hoenen und A. de Libera (Hrsg.), Albertus Magnus und der Albertismus. Deutsche philosophische Kultur des Mittelalters, Brill, Leiden, New York und Köln, (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters ), p. - ; HOYE, W. J., « Mystische Theologie nach Albert dem Grosse », in W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder, K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. - ; MOONAN, L., « Was ist negative Theologie ? », in W. Senner, O. P., H. Anzulewicz, M. Burger, R. Meyer, M. Nauert, P. Sicouly, O. P., J. Söder und K.-B. Springer (Hrsg.), Albertus Magnus. Zum Gedenken nach Jahren : Neue Zugänge, Aspekte und Perspektiven, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, N. F. ), p. ; JONES, J. D., « Mystical Union and Beatific Vision », in M. C. Pacheco et J. F. Meirinhos (éd.), Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. III, Brepols, Turnhout, , p. ; MEIS, A., « El misterio de la alteridad en Alberto Magno Super Mysticam Theologiam Dionysii », Teología y Vida / (), p. - ; MEIS, A. (introduction, traduction et notes), « Alberto Magno, Sobre el texto de la Editio Coloniensis », Anales de la Facultad de Teologìa /-, Pontificia Universidad Catòlica de Chile, Santiago, , p. - (« introducción », p. -) ; WEISMANTEL, T., Ars nominandi Deum. Die Ontosemantik der Gottesprädikate in den Dionysiuskommentaren des Albertus Magnus, P. Lang, Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford und Wien, (Regensburger Studien zur Theologie ) ; FÜHRER, M., « Albert the Great and Mystical Epistemology », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. . . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -.
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analogia prend là un sens relationnel, dans la mesure où il désigne une proportion établie, de manière adéquate, entre les deux termes de la relation de proportion : ce qui est connaissable et purement spirituel, d’un côté, et notre faculté cognitive qui reçoit ce qu’elle connaît à partir des sens, de l’autre. L’importance de ce passage pour notre enquête repose, précisément, en ce que le Doctor expertus relie explicitement cette proportion à la fonction manuductrice de la médiation. Elle permet, en effet, que l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination soit progressivement « conduit par la main » vers la connaissance des réalités spirituelles. (Sg , ) : ‘La sagesse ne s’introduira pas dans l’âme malveillante et n’habitera pas dans le corps soumis aux péchés’. ‘Il ne leur a donc pas été donné’. C’est pourquoi aussi il faut que, peu à peu, par des similitudes congruentes, ils soient conduits par la main de la chair vers l’esprit et que leurs désirs s’y plient, selon l’analogie de leur faculté. La sagesse ne saurait s’introduire dans ce qui n’en est pas digne. Cependant, elle ne reste pas étrangère à l’âme malveillante et au corps soumis aux péchés. Au caractère immédiat de la première introduction, déclarée impossible dans ces conditions, le Dominicain rhénan substitue une seconde voie qui adapte la sagesse aux facultés humaines, afin que celles-ci la reçoivent. Le caractère relationnel de l’établissement de cette proportion consiste en ce que lui soit suppléé un mode progressif et graduel. Ce chemin de connaissance médiat se déploie dans le temps en tenant compte de la contingence du désir humain. Il progresse selon la double adéquation inhérente aux ressemblances qui doivent être à la fois congruentes aux réalités spirituelles et adaptées aux facultés cognitives humaines. . Sur le lien entre manuductio, analogia et similitudo, cf. également ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; p. , l. -. Sur le caractère proportionné des symboles de l’Écriture sainte pour conduire vers Dieu, cf. MEIS, A., « El misterio de la alteridad en Alberto Magno Super Mysticam Theologiam Dionysii », notamment p. ; sur la convenance, la proportion et l’imitation, comme les trois clefs pour la connaissance « mystique » de Dieu développée dans le Super Mysticam Theologiam Dionysii, cf. MEIS, A., « El misterio de la alteridad en Alberto Magno Super Mysticam Theologiam Dionysii », p. . . Sur la dimension temporelle impliquée par l’acte de proportionner l’intellect humain à ce qui est divin, vide ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io. (Ioh. , ), Ed. Paris. XXIV, p. b-a. . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « (Sap. , ) : ‘In malevolam animam non introibit sapientia nec habitabit in corpore subdito peccatis’. Igitur illis non est datum, et ideo oportet, quod paulatim similitudinibus congruis a carne ad spiritum manuducantur et mos eis geratur secundum ipsorum facultatis analogiam. »
CHAPITRE II
Cependant, la congruence des réalités spirituelles avec leurs similitudes corporelles pose problème. Leur disproportion par nature est précisément ce qui fonde, aux yeux de Maître Albert, la nécessité de la manuductio. D’après le commentaire albertien du verset Jn , , il y a « une certaine proportion de l’œil corporel à la lumière (lucem) extérieure. Mais il n’y a aucune proportion de l’œil intérieur par rapport à la lumière (lucem) incirconscriptible ». Le Docteur universel affirme que l’œil corporel est naturellement préparé à appréhender la lumière extérieure en tous les points où celle-ci éclaire. Tel n’est pas le cas de l’intellect par rapport à la lumière spirituelle. Voir une seule vérité n’entraîne pas nécessairement qu’il puisse les voir toutes. Au contraire, il peut en voir une et être aveugle à l’autre. De plus, quant à l’œil corporel, parce qu’il préparé à la lumière (lucem) qui fulgure en une partie, il est préparé à toute lumière (lucem) qui fulgure de toutes parts. Mais il n’en est pas ainsi dans la lumière (luce) spirituelle, parce que qui est voyant quant à une vérité est aveugle quant à une autre. C’est pourquoi aussi il a besoin pour l’une de quelqu’un qui le conduise par la main, mais pas pour l’autre. Par la mention de l’aveuglement, Albert de Cologne radicalise la comparaison de l’intellect humain avec l’animal volant nocturne. Selon son interprétation de la comparaison aristotélicienne, l’intellect humain peut connaître le principe divin, dans la mesure où celui-ci est aperçu dans des ressemblances corporelles. Selon le Super Iohannem, en revanche, l’intellect humain peut être aveugle à certaines vérités spirituelles. Cette dissymétrie entre les sens et l’intellect par rapport à leur objet respectif fonde la nécessité de la manuductio pour la faculté que le Doctor magnus nomme « l’œil intérieur ». Celui-ci doit être « conduit par la main » vers les réalités spirituelles qu’il ne voit pas. Il doit changer, à leur égard, de mode de connaissance, précisément parce qu’il ne peut les voir. La . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad. p. , l. -) : « […] aliqua est proportio oculi corporalis ad lucem exteriorem. Sed nulla est proportio oculi interioris ad lucem incircumscriptam. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad. p. , l. -) : « Adhuc autem, quia oculus corporalis preparatus ad lucem in una parte fulgentem, paratus est ad omnem lucem undique fulgentem. Sed non est sic in luce spirituali, quia qui uidens est ad unam ueritatem cecus est ad aliam. Et ideo ad unam indiget manuductore, sed non ad aliam. »
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médiation des ressemblances sensibles a pour fonction de le conforter dans son chemin noétique vers le principe divin. Albert le Grand n’écrit pas qu’elle a pour fonction de faire voir le principe divin. L’analogie offerte par les similitudes corporelles des réalités spirituelles permet à l’intellect humain, en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination, de s’approcher d’une certaine manière, selon le mode qui lui est possible, des réalités spirituelles. La proportion des ressemblances sensibles avec les facultés humaines constitue donc la réponse albertienne au chiasme de la prophétie d’Isaïe : ‘En voyant, ils ne voient pas’. Nous avons vu que la réverbération redouble l’éloignement de l’intellect humain par rapport à la possibilité d’appréhender le principe divin. D’un côté, le principe n’est pas vu directement, en raison de l’incapacité de l’intellect humain de le recevoir comme tel et d’appréhender tout ce qui ne lui est pas proportionné. De l’autre, le principe n’est pas vu non plus avec et, pour ainsi dire, malgré la médiation. Dans la mesure où celle-ci voile la lumière du principe, elle en dévie, en effet, également le rayon. Dans la médiation matérielle, ce n’est pas le principe lui-même qui est aperçu. Si donc les médiations permettent d’une certaine manière de voir le principe, ce n’est plus en lui-même qu’il est vu. Et ce n’est pas non plus lui-même qui est vu en tant que tel. La manière dont Maître Albert entend la prophétie isaïenne semble, par suite, abolir la connaissance du principe que les médiations tentaient, pourtant, de rendre possible. Cependant, l’analogie des ressemblances corporelles avec les réalités spirituelles selon la proportion des facultés humaines permet une sortie de cette aporie : les médiations manuductrices ne font pas voir le principe ni en lui-même ni en elles-mêmes, mais elles proposent un changement de moyen noétique. Elles « conduisent » l’intellect humain « par la main » vers lui. Cependant, cette conduite s’effectue sur un mode paradoxal qui demeure, en elles, la trace du principe divin. Sans la trace du disproportionné, elles seraient peut-être l’objet d’un mépris en tant que simples réalités sensibles.
. Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « C’est pourquoi il forme de manière imaginable et sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste, de telle sorte qu’à partir de cela, comme conduit par la main et élevé de manière anagogique, il atteigne enfin ce qui est invisible et le plus simple et qu’il en reçoive une certaine connaissance selon le mode qui lui est possible. »
CHAPITRE II
C. Le mode parabolique de la vérité L’analogie des similitudes corporelles avec les réalités spirituelles selon la capacité que possède l’intellect humain de commencer à connaître à partir des sens, d’une part, et, d’autre part, la réverbération de la lumière du principe et du regard humain qui se porte vers elle s’avèrent, à partir du commentaire de Mt , , les deux caractéristiques de la médiation sensible. Elles signalent le caractère spécifique de la médiation qui « conduit par la main » vers le principe par un mode de fonctionnement paradoxal dont Maître Albert décrit la dynamique à partir de la prophétie d’Isaïe. Ces propriétés s’appliquent à la parabole en tant qu’elle communique la vérité évangélique sur un mode qui est adéquat à l’intellect conjoint au continu et au temps. Ce mode n’est pas adapté aux intellects des spirituels parfaits, qui se sont rendus capables par habitus de saisir ce qui est spirituel et d’exercer leur jugement éthique. Dans ce passage du commentaire du verset Mt , , le Docteur universel appuie sa thèse sur l’autorité de Denys : la vérité évangélique est « la forme de l’enseignement qui nous est proportionnée ». Ici, il traite de la vérité évangélique quant à la forme de l’enseignement qui nous est proportionnée. Il est tout entier parabolique. L’intellect de l’homme, conjoint au continu et au temps, n’intellige pas bien, en effet, comme dit Denys, ce qui n’est pas adapté aux similitudes des corps. Il ne saisit pas, en effet, ce qui est purement spirituel, à l’exception de l’intellect des spirituels ‘parfaits’ ‘qui’, comme il est dit en He. , , ‘par l’habitude ont le jugement exercé au discernement du bien et du mal’. Du point de vue de la prophétie d’Isaïe sous l’angle de laquelle nous examinons le commentaire albertien du treizième chapitre de l’Évangile . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -, Dionysiaca II, p. : « Neque enim potest aliter divino principalis ille radius nobis illucescere, nisi sacrorum varietate operimentorum anagogice obvelatus, nobis quoque paterna providentia connaturaliter ac proprie accomodatus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Hic agit de veritate evangelica quantum ad formam doctrinae proportionatam nobis. Et est totus parabolicus. Intellectus enim hominis coniunctus continuo et tempori non bene intelligit, ut dicit Dionysius, quae similitudinibus corporum non sunt adaptata ; pure enim spiritualia non capit nisi ‘perfectorum’ intellectus spiritualium, ‘qui’, sicut dicitur Hebr. V (), ‘pro consuetudine exercitatos habent sensus ad discretionem boni ac mali’. »
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de Matthieu, la « similitude corporelle » que forme la médiation parabolique constitue, par conséquent, un paradoxe. En mêlant la lumière aux ténèbres, pour la proportionner à l’intellect humain, elle obscurcit ce qui est clair du point de vue des « intellects des spirituels parfaits » qui saisissent « ce qui est purement spirituel ». Cependant, du point de vue de l’intellect humain conjoint au continu et au temporel, elle est éclairante. Et, dans la mesure où elle dévie le rayon du principe dont elle rend ainsi possible une certaine connaissance, elle détourne, par là même, le regard de l’intellect humain vers la médiation sensible. Le mode parabolique inverse ainsi le chiasme de l’intellection humaine du divin. Ce qui est en soi obscur, à savoir les étants sensibles, subit, dans le prisme de notre intellect conjoint aux sens et à l’imagination, un renversement qui lui permet d’éclairer, pour nous, ce qui est en soi manifeste, c’est-àdire l’intelligible pur et a fortiori le divin. Par exemple, le sens allégorique des Écritures qui, pour un « intellect uniforme et simple », ne mène qu’à un obscurcissement, « conduit », en revanche, « par la main » notre intellect matériel vers le principe divin qu’il ne saurait atteindre en tant qu’il est un et spirituel. Donc le mode allégorique procède de manière paradoxale en obscurcissant ce qui est le plus clair, afin d’y conduire l’intellect le plus obscur. C’est la raison pour laquelle un discours absolument impropre (sermo alienus) peut devenir pour nous éclairant. Albert le Grand utilise le chiasme isaïen en réponse au chiasme aristotélicien. . Il s’agit ici du contexte de discussion sur les quatre modes d’exposition de l’Écriture sainte : historique ou littéral, allégorique, tropologique, anagogique, dans la Summa theologiae, lib. , pars I, tr. , q. , cap. . Sur cette question en général, cf. LUBAC, H. (de), Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Aubier, Paris, - (Théologie , , ) ; OHLY, F., Schriften zur mittelalterlichen Bedeutungsforschung, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, ; BRINKMANN, H., Mittelalterliche Hermeneutik, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, ; FREYTAG, H., Die Theorie der allegorischen Schritfdeutung und die Allegorie in deutschen Texten, besonders des . und . Jahrhunderts, Francke Verlag, Bern und München, (Bibliotheca Germanica) ; PÉPIN, J., La tradition de l’allégorie de Philon d’Alexandrie à Dante ; ESNEVAL, A. (d’), « Les quatre sens de l’Écriture à l’époque de Pierre le Mangeur et de Hugues de Saint Cher », in C. Viola (éd.), Mediaevalia christiana, XIe-XIIIe siècles. Hommage à R. Foreville, Éditions universitaires, Paris, , p. - ; MEIER, Ch., « Wendepunkte der Allegorie im Mittelalter : von der Schrifthermeneutik zur Lebenspratik », in R. E. Lerner (Hrsg.), Neue Richtungen in der hoch- und spätmittelalterlichen Bibelexegese, R. Oldenbourg, München, , p. - ; DAHAN, G., L’Exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe s.), Paris, (Patrimoines christianisme), p. - ; DAHAN, G., Lire la Bible au Moyen Âge : essais d’herméneutique médiévale, Droz, Paris, (Titre courant ), p. - ; -. . Pour cette interprétation étymologique, cf., par exemple, IOHANNES BELETH, Summa de ecclesiasticis officiis, , ed. H. Douteil, CCCM XLIA, Brepols, Turnhout, , p. , l. -.
CHAPITRE II
Quant à ce qui a été dit au sujet de l’allégorique, il faut dire que serait vrai ce qu’il objecte, si notre intellect était uniforme et simple. Or maintenant, parce qu’il est matériel, il faut qu’à partir de ce qui est multiple et largement dispersé à travers des disciplines discursives, il soit conduit par la main vers l’Un spirituel. Donc, bien que le discours soit absolument impropre, il est, cependant, pour nous susceptible d’exposer et d’éclairer. Le chiasme isaïen s’avère donc constitutif de la dynamique propre à la médiation qu’est la parabole évangélique. Puisque ce qui est le plus manifeste en soi ne peut être vu par l’intellect humain qui en est ébloui, la médiation sensible que voit l’intellect humain et qui est en soi-même plus obscure ne fait pas voir la vérité divine en elle-même. L’obscurcissement de l’analogie et la réverbération, conditions de visibilité de ce qui est le plus manifeste en soi, constituent également les raisons pour lesquelles « la vérité nue » n’est pas vue par et en elle-même. Néanmoins, la dialectique isaïenne de la médiation s’offre comme la voie nécessaire aux intellects qui ne sont pas ceux des « spirituels parfaits » pour connaître le principe. Si la voie des « spirituels parfaits » est fermée à l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination, le Docteur universel ne laisse, dans son commentaire du verset Mt , , aucune alternative possible à la manuductio pour celui dont la connaissance commence par les sens et qui désire connaître le principe : « Qui n’est, en effet, jamais conduit par la main par la vue vers la puissance et par l’ouïe vers la vérité doit être jeté dehors, parce qu’il est totalement inutile. ».
. ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Similiter obicitur de allegorico. Est enim allegoria alienus sermo, qui non ad explanationem, sed ad obscuritatem videtur facere. » . Sur les discursae disciplinae, cf. supra chapitre II, p. , note . . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « () Ad id quod de allegorico dicitur, dicendum, quod hoc verum esset quod obicit, si noster intellectus esset uniformis et simplex. Nunc autem, quia materialis est, ex multis et late sparsis per discursas disciplinas oportet eum manuduci ad unum spirituale. Licet ergo simpliciter alienus sermo sit, nobis tamen est expositivus et declarativus. » . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -.
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D. Synthèse sur la médiation noétique, proportion du disproportionné Ce qui est en jeu ici, dans la nature de la médiation noétique, est qu’elle apparaît précisément comme ce qui tient ensemble deux éléments hétérogènes, sans commune mesure l’un avec l’autre : ce qui est le plus manifeste en soi, d’une part, avec ce qui l’est le moins en soi et l’est, en revanche, le plus pour nous, d’autre part, ou encore l’unité et la simplicité qui ressortissent à ce qui est spirituel, d’un côté, avec le multiple qui caractérise ce qui est corporel, de l’autre. Les médiations noétiques ouvrent un chemin médian entre l’aporie éventuelle de l’étude philosophique en vue de connaître le principe en lui-même par une voie syllogistique et par la gradation épistémique, d’un côté, et, de l’autre, la nécessité d’un saut ou d’une discontinuité au terme de la « conduite par la main » de l’intellect humain vers la révélation directe du principe divin dans sa « vérité nue ». Les médiations manuductrices proposent un chemin continu qui va de similitude en similitude. Elles se caractérisent par la tension, formulée par la prophétie d’Isaïe, entre le fait qu’elles permettent de voir le principe divin à l’intellect humain qui ne peut le voir directement et que, se faisant, elles ne l’autorisent pas à le voir en lui-même. C’est pourquoi les médiations manuductrices constituent, dans les corpora non aristotéliciens, un changement de paradigme noétique que Maître Albert exprime par l’image du toucher. L’intellect humain, dans les médiations manuductrices, voit le principe divin sans le voir. C’est pourquoi la question se pose de savoir si le mode manuducteur d’accès au principe divin constitue une fin pour l’intellect humain in via ou bien s’il n’est qu’un moyen appelé à laisser place à une vision immédiate. SECTION IV : LE STATUT FIN OU MOYEN ?
DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE :
I. L’interdiction de s’installer dans les figures À propos du deuxième chapitre du De caelesti hierarchia, le Doctor magnus développe la question de la manière dont opèrent les médiations . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. - et in Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] et ad qualem oportet ascendere per formas veritatem, ut non et nos eodem modo multis immunde aestimemus caelestes
CHAPITRE II
que sont les figures et les formes dans la connaissance de ce qui est spirituel. Elles manifestent leur fonction de médiations précisément en ceci qu’il ne s’agit pas, pour l’intellect humain, d’y demeurer, de s’y installer (sistere), mais bien de les traverser. Le terme manuductio est, par conséquent, employé ici en vue d’indiquer qu’il ne s’agit pas de confondre la médiation et l’objet de connaissance. Dans la voie symbolique, c’est par les figures, et non par les sciences, que nous nous élevons vers le principe divin. Elles nous sont transmises, comme le rappelle Albert le Grand, non pas pour que nous en fassions un objet de contemplation qui possède sa fin en lui-même, mais pour qu’elles nous « conduisent par la main », afin que nous passions à travers elles et que nous y distinguions le principe divin qu’elles figurent. « Et » il faut dire que, « vers une telle vérité » dans ce qui est spirituel, « il faut s’élever par les formes », c’est-à-dire par les figures transmises. Elles ne sont pas, en effet, transmises en vue que nous nous installions en elles, comme cela est montré de manière conséquente, mais en vue que, par elles, nous soyons conduits par la main vers ce qui est spirituel d’une manière qui nous soit proportionnée. Il ressort de ce texte que la figure de la manuductio décrit, par une image, la fonction même de la médiation noétique. Elle apparaît à la fois, en premier lieu, comme ce sans quoi notre faculté cognitive ne connaîtrait pas ce qui ne lui est pas immédiatement proportionné, en deuxième lieu, comme ce par quoi nous connaissons, c’est-à-dire à la fois comme le moyen par lequel notre intellect connaît et le milieu dans lequel il connaît et, en troisième lieu, comme ce dans quoi nous sommes appelés à ne pas demeurer, mais que nous sommes aidés à traverser. Tout l’être de média-
et deiformes animos multipedes esse quosdam et multorum vultuum et ad boum pecudalitatem aut leonum bestialem imaginationem formatos et ad aquilarum curvo rostro spectiem aut ad volatilium tripartitam alarum commotionem effiguratos et rotas quasdam igneas super caelum imaginemur, et thronos materiales divinitati ad recubitum necessarios et equos quosdam multicolores et armiferos archistrategos, et quaecumque alia ex eloquiis nobis sacre et formabiliter in varietate manifestativorum symbolorum tradita sunt. Etenim valde artificialiter theologia poeticis sacris formationibus in non figuratis intellectibus usa est, nostrum, ut dictum est, animum revelans, et ipsi propria et connaturali reductione providens, et ad ipsum reformans anagogicas sanctas scripturas. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « “Et” oportet dicere, “ad qualem veritatem” in spiritualibus “oportet ascendere per formas”, idest per figuras traditas ; non enim traduntur, ut in eis sistamus, sicut consequenter ostenditur, sed ut per haec in spiritualia proportionaliter nobis manuducamur. »
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tion de la figure consiste justement à « conduire par la main », au-delà d’elle-même, vers le principe divin. La médiation sensible dans la connaissance du principe ressortit, par suite, à une théorie générale du signe (symbole, figure, image), dans la mesure où elle ne possède pas le statut d’un objet existant pour luimême. Elle n’est pas, en effet, une réalité qui serait à elle-même sa propre fin, mais plutôt un moyen qui s’efface pour laisser place à sa fin, c’est-àdire à ce qu’il signifie et vise. Dans le projet dionysien qu’Albert de Cologne semble reprendre à son compte, il s’agit d’élaborer des dispositifs symboliques pour « conduire » leurs destinataires progressivement « par la main » vers le principe. Or ces dispositifs apparaissent comme des « mises en images », ou en figures, de ce qui, par nature, ne se laisse pas circonscrire dans les limites des formes de la sensibilité et de l’imagination ou des catégories de l’intellect humain. Ce qui est ici en question est, notamment, le statut de l’image dans le langage et dans la rationalité spécifique qu’elle met en œuvre. Puisque l’intellect humain ne saurait connaître le principe tel qu’il est en lui-même, sans la médiation sensible des images, il en résulte que ne saurait être exprimé de manière adéquate ce qui est par nature disproportionné par rapport à nos facultés de comprendre et de nommer. Cependant, ces images, ou figures, n’ont pas la prétention de constituer en elles-mêmes l’achèvement de la connaissance du principe divin. Elles sont plutôt des modes de passage vers le divin, des manières de ne cesser d’aller et venir du sensible au divin. Le passage par et dans l’image manuductrice ne s’entend pas au sens d’une traversée au-delà de l’image. Il est bien plutôt à comprendre comme une manière de se laisser « conduire par la main » vers le divin dans et par l’image qui le figure. L’image constitue la médiation du principe divin qui s’y figure au sens du milieu même dans lequel l’intellect humain accède au principe divin. Le rapport à l’image comme moyen ou comme fin détermine le statut épistémologique du discours qui l’emploie. Le discours sur le principe déployé par l’intelligence figurale possède-t-il le statut de science du principe ou bien de poésie ? Et l’intelligence figurale ressortit-elle aux mêmes usages des images que la science philosophique ou que l’art de la poésie ? Telles sont les questions que pose le Doctor universalis, dans le domaine épistémologique, en réfléchissant à la nature de la science théologique et à la méthode qui lui est propre. . Nous approfondirons ce point dans le chapitre III, première section, I, p. .
CHAPITRE II
II. Le statut épistémologique des discours selon leur usage des images A. L’usage des images selon les rapports de l’objet de la philosophie et de celui de la théologie à notre faculté de connaître Au seuil de sa Somme de théologie, Albertus Magnus traite des principes méthodologiques de la philosophie, de la théologie et de la poésie. Le . Nous signalons ici seulement les études les plus significatives au sujet de la différence entre la philosophie et la théologie. Pour une étude approfondie, le lecteur pourra tirer profit de la bibliographie générale en prêtant attention à la polysémie du terme scientia, appliqué à la théologie, selon les différents contextes où il est employé. Cf. CHENU, M.-D., La théologie comme science au XIIIe siècle, Vrin, Paris, e éd., (Bibliothèque thomiste ) ; SENNER, W., « Zur Wissenschaftstheorie der Theologie im Sentenzenkommentar Alberts des Grossen », in G. Meyer und A. Zimmermann (Hrsg.), Albertus Magnus – Doctor Universalis /, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, (Walberberger Studien ), p. - ; WÉBER, É.-H., « La relation de la philosophie et de la théologie selon Albert le Grand », Archives de philosophie (), p. - ; LIBERA, A. (de), « Philosophie et théologie chez Albert le Grand et dans l’école dominicaine allemande », in A. Zimmermann (Hrsg.), Die Kölner Universität im Mittelalter, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. - ; HÖDL, L., « Von der theologischen Wissenschaft zur wissenschaftlichen Theologie bei den Kölner Theologen Albert, Thomas und Duns Scotus », in A. Zimmermann (Hrsg.), Die Kölner Universität im Mittelalter. Geistige Wurzeln und soziale Wirklichkeit, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. - ; TROTTMANN, Ch., « La théologie des théologiens et celle des philosophes », Revue thomiste / (), p. - ; SICOULY, P. C., « Filosofía y Teología en San Alberto Magno, comentador del Corpus Dionysiacum », Studium. Filosofía y Teología /IX (), p. - ; LIBERA, A. (de), Raison et foi (), chap. , p. - ; p. - ; SICOULY, P. C., « Prima Philosophia y theologia en san Alberto Magno », Fe y Razón. Encuentro y Mediación, ed. UNSTA, Tucumán, , p. - ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. - ; BURGER, M., « Die Bedeutung der Aristotelesrezeption für das Verständnis von Theologie als Wissenschaft bei Albertus Magnus », in L. Honnefelder, R. Wood, M. Dreyer und M.-A. Aris (Hrsg.), Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelalter. Von Richardus Rufus bis zu Franciscus de Mayronis, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), p. - ; HONNEFELDER, L., « Die philosophiegeschichtliche Bedeutung Alberts des Großen », in L. Honnefelder, R. Wood, M. Dreyer und M.-A. Aris (Hrsg.), Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelalter. Von Richardus Rufus bis zu Franciscus de Mayronis, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), p. - ; BECCARISI, A., « Statuto della metafisica e teoria dell’intelletto nelle opere di Alberto il Grande », Quaestio (), Pagina et Brepols, Bari et Turnhout, mai , p. - ; ANZULEWICZ, H., « Zwischen Faszination und Ablehnung: Theologie und Philosophie im . Jahrhundert in ihrem Verhältnis zueinander », in Archa Verbi. Subsidia I, Münster, , p. - ; MÖHLE, H., « Zum Verhältnis von Theologie und Philosophie bei Albert dem Großen », in S. Schmidt, K. Gross, H. Horst und W. Wessel (Hrsg.), Rheinisch-Kölnisch-Katholisch. Beiträge zur Kirchen- und Landesgeschichte sowie zur Geschichte des Buch- und Bibliothekswesens der Rheinlande. Festschrift für Heinz Finger zum . Geburtstag, Erzbischöffliche Diözesan- und DomBibliothek, Köln, (Libelli Rhenani ), p. - ; BURGER, M., « Theologie als Wissenschaft unter der Herausforderung aristotelisch-arabischer Wissenschaftstheorie », in L. Honnefelder (Hrsg.), Albertus Magnus und der Ursprung der Universitätsidee. Die Begegnung der Wissenschaftskulturen im . Jahrhundert und die Entdeckung des Konzeptes der Bildung durch Wissenschaft, Berlin University Press, Berlin, (Anmerkungen und Literatur),
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cœur de sa présentation consiste à tirer du rapport proportionné ou disproportionné de l’objet de chaque discipline à l’intellect humain une typologie des relations de ces disciplines aux images et, plus généralement, à ce qui est symbolique. En premier lieu, dans la mesure où l’objet de la philosophie est proportionné à l’intellect humain, le recours aux images obscurcit la clarté de son discours. Puisque son objet est clair par lui-même, il doit, en effet, être proposé en lui-même. C’est pourquoi il convient au philosophe d’abandonner les images et de connaître sur le mode d’une science démonstrative, en étant peu à peu fortifié par la lumière intelligible et en se séparant ainsi progressivement du sensible et de l’imaginaire. Les autres sciences philosophiques, pour leur part, qui traitent de la lumière (luce) qui nous est proportionnelle pèchent, si elles utilisent de tels . Ce qu’elles visent à rendre clair est, en effet, obscurci par de tels . Ce qui est plus clair est, en effet, proposé en soi-même plutôt que dans des figures énigmatiques. En deuxième lieu, en ce qui concerne la théologie, le Docteur universel la situe au-dessus de la métaphysique, dans la mesure où elle vise p. - ; p. - ; KOBUSCH, Th., « Meister Eckhart », in Th. Kobusch, Die Philosophie des Hoch- und Spätmittelalters, Beck, München, (Geschichte der Philosophie ), spéc. p. - ; ANZULEWICZ, H., « The systematic theology of Albert the Great », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. Nous signalons l’existence d’une étude de cette question que nous n’avons pas pu consulter : MARTIN, W. J., The Relation of Aristotle’s First Philosophy to Sacred Doctrine in Albertus Magnus, Dalhousie University, Halifax, , non publié. Sur le rapport entre théologie et philosophie dans le contexte dionysien, cf. BURGER, M., « Das Verhältnis von Philosophie und Theologie in den Dionysius-Kommentaren Alberts des Großen », in J. A. Aertsen und A. Speer (Hrsg.), Was ist Philosophie im Mittelalter ?, p. -. . Sur l’usage des métaphores en théologie et dans les autres sciences : ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. . . WÉBER, É.-H., « L’interprétation par Albert le Grand de la Théologie mystique de Denys Ps.-Aréopagite » (), p. -, spéc. p. où l’auteur distingue notre savoir philosophique qui résulte des choses qui sont l’objet de notre connaissance connaturelle, d’un côté, et, de l’autre, la connaissance qui, dans l’ordre théologique, est suscitée par celui qui est supérieur à notre pensée dans la mesure où il se communique à nous de manière proportionnée à notre capacité intellective. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. Sur la double nature de la théologie, en tant qu’expositio et probatio, doctrina et ars, dont la fin est à la fois exhortari in doctrina sacra et contradicentes revincere, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des
CHAPITRE II
son objet, Dieu, au-dessus des transcendantaux dans lesquels le vise la philosophie, comme le maître de Cologne le précise dans son commentaire de l’Épître IX de Denys. […] dans la théologie qui transmet ce qui est propre qu’il dit philosophique, il dit que Dieu est au-dessus de la vie et au-dessus de l’être, tandis que, par la philosophie, il n’est reçu que comme vie et être […]. Par conséquent, ce n’est pas en raison de la nature de son objet, qui est en soi le plus manifeste, mais précisément en raison de la disproportion de notre intellect matériel par rapport à lui, que la théologie doit, pour sa part, nécessairement recourir aux images manuductrices. Bien qu’elle soit plus haute encore que la métaphysique, la théologie, parce qu’elle « excède notre proportion », ne peut procéder à partir de principes à la manière de la métaphysique. « C’est pourquoi aussi il faut que nous soyons “conduits par la main” vers elle par ce qui nous est connaturel », c’est-à-dire par des images. La théologie expose, par conséquent, l’objet le plus haut en usant de moyens inférieurs à ceux de la raison. Visant son objet au plus haut point que l’intellect humain puisse le viser, c’est-à-dire au-dessus de l’être et de la vie, la théologie le communique à l’intellect humain par les moyens de l’art poétique. Reprenons la lecture du texte de la Somme de théologie que nous venons de citer à propos de la philosophie. Dionysius Areopagita » (), p. et note et sur le développement de la théologie comme science, p. , note . . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] in theologia, quae tradit propria, quam philosophicam dicit, dicit, quod deus est super vitam et super ens, cum per philosophiam non accipiatur nisi vita vel ens […]. » . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad primum vero dicendum, quod scientiae altissimae proportionatae nobis, cuiusmodi est metaphysica, modus debet esse altissimus per prima principia ; sed theologia est altior, excedens nostram proportionem, et ideo oportet, quod manuducamur in ipsam per connaturalia nobis. » À propos de la supériorité de la théologie sur toutes les sciences, notamment sur la métaphysique, et au sujet de la correspondance de la philosophie rationnelle, morale et réelle (physique, mathématique, métaphysique) avec les capacités naturelles de la raison discursive, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. a. . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad primum vero dicendum, quod scientiae altissimae proportionatae nobis, cuiusmodi est metaphysica, modus debet esse altissimus per prima principia ; sed theologia est altior, excedens nostram proportionem, et ideo oportet, quod manuducamur in ipsam per connaturalia nobis. »
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C’est pourquoi la théologie, qui traite de la lumière (luce) qui ne peut être comprise utilise de tels pour ainsi dire poétiques proprement selon son mode. Les autres sciences philosophiques, pour leur part, qui traitent de la lumière (luce) qui nous est proportionnelle, pèchent, si elles utilisent de tels . Ce qu’elles visent à rendre clair est, en effet, obscurci par de tels . Ce qui est plus clair est, en effet, proposé en soi-même plutôt que dans des figures énigmatiques. Dans la théologie, quant à elle, ne sont pas proposées de telles en raison de ce qu’elle vise à rendre clair, mais en raison de notre intellect matériel qui assemble peu à peu la lumière (lucem) dans ce qui lui est connaturel et, ainsi fortifié par la lumière (luce) assemblée, il se lève, enfin, pour considérer ce qui est le plus clair. De ce fait, Denys, dans La Hiérarchie céleste, au premier chapitre : « Et il n’est pas possible à notre esprit de s’élever vers cette imitation et vers cette contemplation non matérielles des hiérarchies célestes, à moins que, pour ce qui est selon lui , il n’use d’une conduite par la main matérielle, en jugeant les formes, certes, visibles comme les mises en images (imaginationes) de la beauté invisible, les douceurs ou les fragrances sensibles comme les figures de la distribution invisible, les lumières (lumina) matérielles comme l’image de la luminosité immatérielle et les disciplines discursives selon l’intellection de la beauté contemplative », où la scolie, traduite du grec en latin, dit : « “Les disciplines discursives” sont les preuves de ce qui est spirituel par le visible, parce que tout ce qui est envoyé aux intellects perpétuellement et de manière soudaine est effectué par des réalités plus larges ». . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier. cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -. . Nous signalons une autre occurrence de manuductio empruntée à cette citation de Denys dans le cadre de la vision de ce qui est caché et ne peut être vu par soi-même mais en similitude, cf. ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , a. , in Commentarii in IV Sententiarum, ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXIX, Vivès, Parisiis, , p. b : « Ad aliud dicendum, quod Augustinus vocat ibi tectum id quod non per se videtur, videtur tamen in similitudine, et hoc quod dicit Dionysius in Ecclesiastica hierarchia : “Non possibile est nostro animo ad immaterialem coelestium hierarchiarum ascendere imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est materiali manuductione utatur : visibiles quidem formas invisibilis pulchritudinis imaginationes arbitrans sensibiles suavitates et figuras invisibilis distributionis”. » . Cf. supra chapitre II, p. , note , à propos de cette scolie et de l’expression discursae disciplinae. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Hinc est, quod theologia de incomprehensibili luce agens, talibus quasi poeticis utitur proprie secundum suum modum. Aliae autem scientiae philosophicae, quae de luce nobis
CHAPITRE II
Cependant, si, dans sa Somme de théologie, Albert le Grand rapproche la science théologique, entendue comme theologia symbolica, de la poésie, dans la mesure où toutes deux usent d’images, en revanche, dans son commentaire de l’Épître IX de Denys le Pseudo-Aréopagite, il distingue radicalement la méthode poétique et la méthode théologique par l’usage qui y est respectivement fait des images. proportionali agunt, peccant, si talibus utuntur ; illud enim quod intendunt declarare, obscuratur per talia. Clariora enim sunt in seipsis proposita quam in figuris aenigmaticis. In theologia autem non proponuntur talia propter ea quae declarare intendit, sed propter nostram materialem intellectum, qui in connaturalibus sibi paulatim lucem colligit et luce collecta fortificatus sic tandem ad contuenda clarissima consurgit. Unde Dionysius in Caelesti hierarchia cap. : “Neque est possibile nostro animo ad non-materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur, visibiles quidem formas invisibilis pulchritudinis imaginationes arbitrans, sensibiles suavitates sive fragrantias invisibilis distributionis figuras, et immaterialis luculentiae imaginem materialia lumina et secundum intellectum contemplativae pulchritudinis discursas disciplinas”. Ubi dicit scolium de Graeco in Latinum translatum : “ ‘Discursae disciplinae’ sunt probationes eorum quae spiritualia sunt, per visibilia, quia per res latiores efficiuntur, quaeque perenniter et repente intellectibus immittuntur”. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , - : « […] modum communem symbolicae theologiae, quo in corporalibus symbolis accipiuntur spiritualia et divina. » « […] le mode commun de la théologie symbolique par lequel, dans les symboles corporels, sont reçues les spirituelles et divines ». Sur la théologie symbolique, cf. BOULNOIS, O., « La théologie symbolique face à la théologie comme science », RSPT (), p. -, spéc. p. - et p. -. Sur le fait que la théologie symbolique nous « conduit par la main » au cœur de la théologie (ars manuductionis in Dei cognitionem), dans la mesure où elle est la médiation naturelle qui permet une correspondance là où les capacités naturelles de notre intellect ne nous permettent pas de connaître Dieu, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. et note et les références à ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; Super Dion. De cael. hier. cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - ; Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon.XXXIV/, p. , l. . Sur la theologia symbolica perdue de Denys ou jamais écrite et sur sa reconstruction par Albert le Grand, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. ; sur la nécessité de la théologie symbolique, p. ainsi que MEIS, A., « El misterio de la alteridad en Alberto Magno Super Mysticam Theologiam Dionysii », p. -. . Cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. - ; . Cf. SIMON, P., « Albertus Magnus und die Dichter », in Xenia Medii Aevi historiam illustrantia oblata Thomae Kaeppeli O. P., Roma, (Storia e Letteratura ), p. -. . Thomas d’Aquin opte, pour sa part, pour un mode métaphorique, symbolique ou parabolique de la science théologique en raison de son but – la narration des signes en vue de la confirmation de la foi – et des conditions noétiques du connaissant – l’intellect humain in statu viae. Ce dernier n’est pas proportionné aux principes de la théologie, parce qu’il doit recevoir la connaissance par les sensibles et être « conduit par la main » par des ressemblances sensibles, vers la connaissance des principes. Cf. THOMAS DE AQUINO, In I Sent., q. , a. , resp., in Scriptum super libros Sententiarum magistri Petri Lombardi Episcopi Parisiensis, ed P. Mandonnet, vol. , Lethielleux, Paris, , p. - : « Utrum modus procedendi sit artificialis » : « Oportet etiam quod modus istius scientiae sit narrativus signorum, quae ad confirmationem fidei faciunt : et, quia etiam ista principia
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B. Poésie et théologie : deux rapports différents aux images Examinons de plus près pourquoi, dans son commentaire de l’Épître IX, le Doctor magnus distingue l’usage que la poésie fait des images de celui qu’en fait la théologie symbolique. L’enjeu philosophique de ce passage de l’Épître IX est l’alternative entre l’image en tant qu’objet poétique, d’une part, et, d’autre part, en tant que signe qui « conduit par la main » vers le principe divin. Dans le cadre de la théologie symbolique, l’image a, en effet, le statut d’un signe qui, ne pouvant renvoyer de manière adéquate au principe divin qu’il tente de signifier, s’en approche à travers la chaîne des signes auxquels il est relié. non sunt proportionata humanae rationi secundum statum viae, quae ex sensibilibus consuevit accipere, ideo oportet ut ad eorum cognitionem per sensibilium similitudines manuducatur: unde oportet modum istius scientiae esse metaphoricum, sive symbolicum, vel parabolicum. » Se trouve, cependant, chez Thomas d’Aquin, la même distance de la théologie par rapport à l’usage poétique des métaphores. Toutes deux, la poésie et la théologie dont les objets ne sont pas proportionnés à l’intellect humain, ressortissent au mode symbolique. Néanmoins, la poésie traite de ce qui ne peut être saisi par l’intellect humain, en raison d’un défaut de vérité de l’objet. C’est pourquoi elle utilise les similitudes pour séduire l’intellect, tandis que la théologie traite de ce qui est au-dessus de l’intellect humain. Cf. l’argument sur l’usage de locutions métaphoriques en théologie : THOMAS DE AQUINO, In I Sent., q. , a. , arg. , ed P. Mandonnet, vol. , p. : « Praeterea, scientiarum maxime differentium non debet esse unus modus. Sed poetica, quae minimum continet veritatis, maxime differt ab ista scientia, quae est verissima. Ergo, cum illa procedat per metaphoricas locutiones, modus hujus scientiae non debet esse talis. » Et la réponse de Thomas d’Aquin in THOMAS DE AQUINO, In I Sent., q. , a. , ad , ed P. Mandonnet, vol. , p. : « Ad tertium dicendum, quod poetica scientia est de his quae propter defectum veritatis non possunt a ratione capi ; unde oportet quod quasi quibusdam similitudinibus ratio seducatur : theologia autem est de his quae sunt supra rationem ; et ideo modus symbolicus utrique communis est, cum neutra rationi proportionetur. » . Notre objet ici n’est pas de discuter la conception albertienne de la poésie, sa pertinence, ses limites. Nous la prenons comme un modèle de discours qu’Albert le Grand rapproche et distingue tout à la fois de la théologie à propos de la question de savoir si celle-ci est un art ou une science. Le modèle poétique albertien consiste en un système rhétorique clos sur lui-même, au sens où il n’est pas ouvert à la possibilité d’un transfert vers un principe qui lui serait disproportionné. Il nous semble, d’ailleurs, que la Divine Comédie de Dante Alighieri ou de nombreux aspects de la poésie moderne et contemporaine, en particulier, s’apparentent davantage au modèle albertien de la théologie symbolique qu’à celui qu’il propose de la poésie. Lorsque, dans le cadre du corpus aristotélicien, le Docteur universel situe la poésie comme une partie de la logique, il la décrit en ces termes : « elle procède à partir de ce qui est fictif et qui fait la délectation ou l’abomination ». Elle est, alors, distincte des autres parties de la logique que sont, notamment, la rhétorique, qui procède à partir de signes qui produisent le préjugé, de la dialectique, qui procède à partir de réalités communes probables qui se trouvent en plusieurs, de la logique démonstrative, qui procède à partir des causes essentielles et propres, et de la sophistique, qui procède à partir de ce qui a l’apparence d’être, mais n’est pas en réalité. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De praedicabilibus, lib. , tr. , cap. ; cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. I, Vivès, Parisiis, , p. ab ; a ; Epist. VII, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -.
CHAPITRE II
[…] le mode de la théologie symbolique est autre que le mode de la poésie, parce que le mode de la poésie est faux. L’intention du poète est, en effet, que l’âme s’attache (inhaereat) à ses fictions dans lesquelles elle conçoit soit l’horreur soit la délectation pour ce qu’il vise à persuader ou à dissuader, et si, par ces fictions, elle est conduite vers quelque chose, cela nous est tout entier proportionné. Mais la théologie ne nous propose pas des symboles, pour y adhérer (adhaereatur), mais elle entend nous en écarter et, par les similitudes qui y ont été trouvées, nous conduire par la main vers ce qui est au-dessus de notre proportion. La théologie symbolique diffère, en premier lieu, de la poésie, du point de vue de sa modalité, qui est, aux yeux du Docteur universel, fausse. Car l’intention du poète, qu’elle ressortisse à l’illusion ou au mensonge, est fondée sur le fait que ce qui compose la poésie « naît de la fiction humaine et oriente, en raison de la représentation, vers ce qui est humain ». Selon le maître de Cologne, la théologie symbolique diffère, en deuxième lieu, de la poésie, du point de vue de la fin de son art. Le poète vise, en effet, par l’intermédiaire des images, à faire « inhérer l’âme dans ses fictions », au sens où elle s’y attacherait, afin de l’y faire « concevoir . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] modus symbolicae theologiae est alius a modo poetriae, quia modus poetriae est falsus ; est enim intentio poetae, ut inhaereat anima suis figmentis, in quibus concipiat vel horrorem vel delectationem eius quod intendit persuadere vel dissuadere, et si per illas fictiones in aliquid ducatur, illud totum est proportionatum nobis ; sed theologia non proponit nobis symbola, ut eis adhaereatur, sed intendit removere ab eis et per similitudines in eis repertas manuducere in id quod est supra nostram proportionem. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , cap. , q. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , - : « In poesi autem philosophorum mira, ex quibus fabula componitur, ex fictione humana oriuntur et propter repraesentationem ad humana dirigunt, et ideo deceptoria sunt et mendosa. Unde Aristoteles in primo Metaphysicae* : “Poetae secundum philosophiam multa mentiuntur cantantes”. » * ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( a -) in transl. Iacobi, ed. G. Vuillemin-Diem, Arist. Lat. XXV/-a, p. , l. : « […] sed secundum fabulam multa mentiuntur cantantes » et in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. . « Or, dans la poésie, les étonnants des philosophes à partir desquels la fable est composée naissent de la fiction humaine et, en raison de la représentation, ils orientent vers ce qui est humain. C’est pourquoi aussi ils sont trompeurs et décevants. De ce fait, Aristote au premier de la Métaphysique : “Les poètes, selon la philosophie, disent beaucoup de mensonges en chantant”. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Epist. VII, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. -.
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de l’horreur ou de la délectation pour ce dont il essaie de la persuader ou de la dissuader ». Le modèle albertien de la poésie est, par conséquent, un système clos en son origine, en ses moyens et en sa fin. Son seul horizon est humain. Le maître de Cologne développe ces deux premières différences, plus loin dans son commentaire de l’Épître IX. L’usage que la théologie symbolique fait des images coïncide, par conséquent, avec le fait de les traverser en direction de la vérité « simple » et « surnaturelle ». Les images ne constituent en aucune manière une fin en elles-mêmes mais sont les signes de la science divine. La théorie du signe que construit Albert de Cologne, à la suite de Denys, à propos des symboles qui figurent le principe divin, se caractérise, en premier lieu, par le fait que la finalité de ces signes, contrairement à celle des images poétiques, n’est pas d’y adhérer ni de se laisser séduire par eux. La deuxième caractéristique de ces signes consiste à cacher ce qu’ils dévoilent. Leur faculté de signifier est, en effet, indissociable de la dynamique du désir de celui qui les déchiffre. Pour ceux qui n’aiment pas ce qui est divin et ne prennent que le sensible en compte, ils n’apparaissent pas comme des signifiants de la vérité divine. Ils n’acquièrent le statut de signes qu’aux yeux de ceux qui cherchent à connaître ce qui est divin. La troisième caractéristique de ces signes consiste à requérir une interprétation susceptible d’aller au-delà de l’imagination portée par la figuration symbolique de ce qui est divin. Demeurer attaché à une signification imaginaire et l’attribuer à Dieu est qualifié par Denys de puéril. Les signes du divin appellent celui qui les interprète à s’élever vers l’intellect capable de saisir la simplicité divine à travers ses multiples significations. La quatrième caractéristique de ces signes matériels du divin est de trouver leur accomplissement dans une vérité dont les propriétés leur sont opposées. La vérité divine signifiée par ces signes matériels est immatérielle. Elle ne se laisse pas atteindre au moyen des raisons naturelles accessibles aux facultés de l’intellect humain qui appréhendent ces signes. La manuductio opérée par ces signes qui figurent le divin trouve, par conséquent, son accomplissement dans son autre. Les figures sensibles « conduisent par la main », par ce qui nous est proportionné, vers la vérité divine simple et immatérielle qui se trouve au-dessus de notre proportion.
CHAPITRE II
[…] il ne faut pas croire que les significations de ce genre aient été « composées » par l’Écriture « pour elles-mêmes ». C’est pourquoi aussi, si notre esprit s’y attache (adhaereat), ne cherchant rien d’autre en elles, il est séduit. Mais elles nous « sont proposées à cause » de la « science » divine cachée qui est tout à fait « invisible à beaucoup » qui ne s’étendent pas au-dessus des sens, de telle sorte que les divines ainsi cachées par les symboles « ne » peuvent « pas être saisies par ceux qui sont impurs » qui se moquent des divines, parce qu’ils ne perçoivent pas ce qui appartient à Dieu, mais qu’elles sont manifestées à ceux-là seuls qui « aiment » la vérité et qui ne la combattent pas qui, dans les locutions symboliques, « détruisent toute imagination (phantasiam) puérile », c’est-àdire qui n’imaginent pas que Dieu est figuré de cette manière, ce qui serait puéril, mais qui, une fois retirées de Dieu toutes les figures, « peuvent », en raison de « la simplicité de l’esprit et de la bonté de la contemplation, effectuer la traversée », par l’intellect, « vers la vérité » des symboles, c’est-à-dire signifiée par eux, « simple », selon qu’elle est séparée de la matière et des appendices de la matière, « surnaturelle », parce que les raisons naturelles ne l’atteignent pas. La théologie symbolique diffère, en troisième lieu, de la poésie, du point de vue de sa position par rapport au mode de rationalité. La poésie se meut en deçà de la raison, dans la sensibilité et les passions. Les images poétiques sont, pour elle, le moyen de séduire la raison qui, par ellemême, ne consentirait pas aux passions. La théologie symbolique, pour sa part, use des images qui sont naturellement proportionnées à l’intellect humain conjoint aux sens et à l’imagination, pour le guider vers ce qui est au-dessus de ce qui lui est proportionné. Tandis que la poésie prend les devants de la raison et la contraint en quelque sorte à consentir à ses . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] non est credendum, quod huiusmodi significationes sint “compositae” a scriptura “propter se” ; et ideo, si eis mens nostra adhaereat, nihil aliud in ipsis quaerens, seducitur. Sed “proponuntur” nobis “causa” divinae occultae “scientiae”, quae “multis” omnino est “invisibilis”, qui supra sensus se non extendunt, ut divina sic occultata symbolis “non” possint “capi ab immundis”, qui derident divina, quia non percipiunt, quae dei sunt, sed manifestentur solis illis qui “amant” veritatem et non impugnant, qui in symbolicis locutionibus “destruunt omnem puerilem phantasiam”, scilicet non imaginantes deum esse hoc modo figuratum, quod puerile esset, sed remotis a deo omnibus figuris sunt “sufficientes” propter “simplicitatem mentis et bonitatem contemplationis transire” per intellectum “ad veritatem” symbolorum, idest per ea significatam, “simplicem”, secundum quod est separata a materia et ab appendiciis materiae, “supernaturalem”, quia ad eam rationes naturales non attingunt. »
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séductions, la théologie se contente de manifester à l’intellect humain ce qu’il ne saurait, par ses propres moyens, connaître directement. […] le théologien n’entend pas devancer le jugement de la raison, mais manifeste à la raison, par ce qui lui est connaturel, ce qui est au-dessus de sa proportion, tandis que le poète propose ce qui est en défaut par rapport à la raison et à quoi la raison ne consentirait pas. C’est pourquoi aussi il devance par des étonnantes qui excitent la stupeur, ce par quoi l’âme est retenue. Du point de vue de la fin visée, des moyens employés et de la manière de procéder, la poésie, selon le modèle proposé ici par Albert de Cologne, offre à son lecteur un art qui est proportionné à sa sensibilité. Elle ne participe pas à l’élan de la recherche des causes de ce qu’il pourrait admirer. Elle ne semble pas non plus inciter l’intellect à aller au-delà de ce qu’il connaît déjà. À la mesure de celui qui la reçoit, elle ne se donne pas comme indice de ce qui outrepasserait cette mesure. Le théologien, quant à lui, désire empêcher son destinataire d’adhérer aux images et, par les similitudes découvertes dans les symboles, le conduire vers ce qui est au-dessus de la proportion de ses facultés de connaître. C’est, par conséquent, dans l’acte par lequel l’intellect s’écarte de la ressemblance qu’il appréhende le principe divin en tant que dissemblant. La théologie n’est pas une connaissance immédiate de Dieu. Par suite, l’usage négatif des images qu’elle propose ne vise pas à se séparer absolument de toute image, une fois accompli le saut vers la vérité divine, simple et immatérielle. Il vise plutôt à s’en séparer sans cesse, c’est-à-dire à se disposer pour qu’advienne de nouveau l’acte d’imaginatio – ou de « mise en image » de soi par le principe divin luimême que l’intelligence figurale tente de retracer –, précisément parce que l’objet de cette science est par nature disproportionné par rapport à toutes ses figurations. Le saut vers la vérité divine est, par conséquent, . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. -p. , l. : « […] theologus non intendit praevenire iudicium rationis, sed rationi manifestat ea quae sunt supra proportionem ipsius, per connaturalia sibi, poeta autem proponit ea quae deficiunt a ratione, quibus ratio non consentiret, et ideo praevenit quibusdam miris stuporem excitantibus, quo anima detinetur. » . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . Nous développerons ce point dans la première section du troisième chapitre à propos de l’acte de l’intelligence figurale, p. .
CHAPITRE II
sans cesse à recommencer au terme de la traversée des figurations sensibles du principe divin, elles-mêmes toujours renouvelées. De son côté, que l’image poétique soit proportionnée à ce qui est humain suppose que, prise comme objet en elle-même, au sens où elle n’a pas vocation à faire connaître ce qu’elle désigne, elle soit, d’une part, proportionnée aux émotions qu’elle suscite dans la sensibilité de son destinataire, et que, d’autre part, ce qu’elle signifie soit aussi proportionné à l’intellect humain. Il en résulte, du point de vue du statut épistémologique des discours philosophique, poétique et théologique selon leur usage respectif des images, que la différence de nature de l’objet de chacune de ces disciplines détermine la rapport qu’entretient cet objet avec notre faculté de connaître. Simple moyen au commencement de la connaissance philosophique qui vise un objet proportionné aux facultés cognitives humaines, l’image est abandonnée à mesure que l’intellect s’élève dans la hiérarchie des sciences pour atteindre l’intellection pure des quiddités. En ce qui concerne la théologie symbolique, les images sont également un moyen de s’approcher de ce qui demeure disproportionné par rapport à l’intellect humain. C’est pourquoi Albertus Magnus propose de s’écarter des ressemblances que les images offrent. Leur fonction manuductrice implique, en effet, une dimension négative. Elles apparaissent précisément comme un moyen de connaissance dans la mesure où, paradoxalement, l’intellect nie du principe divin ce qu’elles lui présentent comme des ressemblances. Puisque « de Dieu nous connaissons plus véritablement ce qu’il n’est pas que ce qu’il est », « ce qui ressortit à un retrait plus manifeste par rapport à lui convient davantage pour nous reconduire vers Dieu ». À l’emploi négatif des images par la théologie symbolique, le Docteur universel oppose l’usage positif que fait la poésie des images, au sens . Cette dimension négative du signe en théologie implique qu’il ne s’agit pas d’y demeurer, cf. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « Deinde manifestat hanc incongruentiam per effectum et connumerat se aliis et dicit, quod propterea multi, scilicet non sapientes, sunt incredibiles divinis eloquiis, videntes ea tradita per quaedam sensibilia, a quibus non se separant, sed in eis immorantur. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod de deo verius scimus, quid non est quam quid est, sicut patuit ex mystica theologia, et ideo ea quae sunt manifestioris remotionis ab ipso, sunt magis convenientia ad reducendum nos in deum ; et ideo modus per symbola est maxime conveniens theologiae. »
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où, loin de jouer sur le retrait ou l’écart que produit, en elles, la dissemblance d’avec ce qu’elles mettent en image, la poésie les pose comme l’objet même de son acte de production. C’est pourquoi, bien qu’elles soient des moyens pour produire certains effets dans leur destinataire, les images peuvent être également considérées commes des fins de l’art poétique en elles-mêmes. Puisque l’image n’est qu’un moyen du discours théologique et qu’elle impose à celui-ci une économie de l’écart toujours recommencé, est-elle destinée à s’abolir, lorsqu’il atteint sa fin ? C. La fin de la manuductio : la vision de la vérité divine « nue » La fin du parcours de la connaissance par médiations correspond à un renversement du moyen par lequel ce parcours s’est effectué : la médiation s’inverse en immédiateté. La connaissance par médiations s’accomplit dans le fait de se détacher de ces médiations qui se révèlent n’être qu’un moyen pour la connaissance de ce qu’Albert de Cologne nomme : « la vérité nue ».
. À propos de la manière dont les symboles conduisent au-delà de l’imagination vers l’intuition de la vérité divine et la saisie des quiddités simples, cf. notamment ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; p. , l. - ; p. , l. - ; l. - ; p. , l. - ; l. -p. , l. ; p. , l. -. Pour un commentaire de ces passages, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. ; . Vide etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - ; cap. , p. , l. -. Cf. également WÉBER, É.-H., « L’interprétation par Albert le Grand de la Théologie mystique de Denys Ps.-Aréopagite » (), p. -, spéc. p. où l’auteur signale que notre intellect connaît Dieu en l’atteignant en sa substance, soit en une théophanie d’assimilation durant notre état de voyageur où nous ne pouvons le connaître qu’en énigme et par manière de reflet, soit en une communion immédiate dans la patrie. Cependant, notre intellect n’est pas, par nature, proportionné en vue d’un pareil contact. Il peut, néanmoins, en acquérir l’aptitude en vertu de la lumière de gloire qui descend en lui pour le conforter et l’élever au-dessus de sa commensuration connaturelle. Cette union s’appelle théophanie et vision par mode de participation : ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. L’auteur attribue au Doctor universalis la création de ce qu’il appelle une épistémologie théologique nouvelle, à savoir per adhaesionem intellectus, c’est-à-dire par mode de contact noétique (p. ). Il note qu’il fait un emprunt à Averroès au sujet de l’immédiateté et au corpus dionysien. En cela, il s’oppose à MEERSSEMAN, G.-G., « La contemplation mystique d’après le Bx Albert est-elle immédiate ? », Revue thomiste (), p. -, notamment p. où l’auteur affirme qu’en deçà de la vision dans la gloire, il y a toujours une espèce intelligible intermédiaire. Selon É.-H. Wéber, en revanche, toute la noétique qu’Albert de Cologne définit pour la connaissance mystique se réfère à la connaissance directe de Dieu en lui-même.
CHAPITRE II
Nous avons vu, dans le vocabulaire du Super Matthaeum, que les paraboles et les similitudes sont, en effet, abandonnées au profit de la vérité elle-même, dénudée de ses figurations sensibles et imaginaires. Le détachement à l’égard des paraboles et des similitudes laisse la place à un rapport à la vérité décrit par l’image de l’imprégnation d’un liquide ou d’une teinture qui s’effectue par le contact. ‘J’écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi’, non plus par similitudes, mais par la vérité nue. Et qu’il soit fait, alors, annonciateur des merveilles de Dieu. Et, alors, il n’est plus besoin de paraboles, parce qu’alors il est imprégné de la vérité elle-même. Le Docteur universel reprend, dans son commentaire de l’Épître IX, les versets évangéliques (Jn , - ; Mt , ) qui opposent l’intelligence directe à l’intelligence en paraboles. Cela lui permet de formuler une objection quant à la fonction manuductrice des paraboles vers la connaissance de Dieu. Il semble que ce qui est formulé sans figure, dans la « vérité nue », y « conduisent » davantage les disciples « par la main » que ce qui a été exprimé en paraboles. Cette objection s’appuie sur la reconnaissance à laquelle parviennent les disciples, après cette formulation directe, de l’omniscience du Christ, indice de sa divinité. En outre, en Jn (, -), les discipes disent à Jésus : ‘Voici, maintenant tu parles ouvertement et ne dis aucun langage figuré (proverbium) ; maintenant nous savons que tu sais tout’ et, en Mt (, ), le Seigneur dit aux disciples : ‘Il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, tandis qu’aux autres en paraboles’. Il semble donc que ce qui est proféré ouvertement, sans figures conduise davantage par la main vers la connaissance de Dieu, parce qu’après la proposition de la vérité nue, ils confessent qu’il sait tout. . Ps. , . . Cf. Ps. , . . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre II, p. , note , DIONYSIUS AREOPAGITA, Epist. IX, n. -, secundum Sarracenum, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. -. . À propos de la manière dont les symboles conduisent au-delà de l’imagination vers l’intuition de la vérité divine et la saisie des quiddités simples, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. - ; . . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Praeterea, Ioh. XVI (-) discipuli dicunt ad Iesum : ‘Ecce, nunc palam loqueris et proverbium nullum dicis ;
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Cependant, les disciples ont accès à la parole « ouverte » du Christ, parce qu’ils bénéficient du privilège d’une révélation directe dans la présence du Christ. Cette absence de médiation peut-elle être étendue à tout intellect humain ? Il semble résulter de ces textes que les médiations manuductrices soient destinées à s’effacer pour laisser place à un enseignement direct au sujet du principe divin sur le mode de la « vérité nue ». Dans son commentaire de l’Épître IX, Maître Albert distingue clairement deux régimes. L’état du chemin dans lequel la vérité divine est vue à travers des symboles est, en effet, opposé à la fin qui coïncide avec l’accès immédiat à la « vérité nue ». […] quant au principe de la contemplation, il faut que, dans l’état du chemin (in statu viae), le rayon de la vérité divine brille pour nous par des symboles, mais, à la fin, par les symboles, nous arrivons à la vérité nue elle-même. Il paraît, par conséquent, que, du point de vue de sa fin, la manuductio conduise à l’abolition des médiations manuductrices, lorsque l’intellect humain a atteint le principe divin. Elle se renverse, ainsi, en son contraire : une connaissance immédiate qui s’exprime par les images de la nudité, du contact à la manière dont l’eau imbibe une matière. Dans le cas des disciples, un tel enseignement ouvert au sujet du divin leur est donné dans cette vie. Cet enseignement direct n’équivaut pas à la vision des bienheureux in patria. Cependant, dans les conditions normales de connaissance tant qu’il est in via, anthropologiquement conjoint au temps et au continu, l’intellect humain doit, pour sa part, avoir recours aux médiations manuductrices. Dans le commentaire de l’Épître IX, nunc scimus, quia scis omnia’, et Matth. XIII () dicit dominus discipulis : ‘Vobis datum est nosse mysterium regni dei, ceteris autem in parabolis’ ; ergo videtur, quod ipsa aperte prolata sine figuris magis manuducant in dei cognitionem, quia post propositionem nudae veritatis confitentur eum omnia scire. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] quantum ad principium contemplationis oportet, quod in statu viae per symbola luceat nobis radius divinae veritatis ; sed in fine per symbola in ipsam nudam veritatem venimus. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. : « Dicit ergo, quod “non solum” fuit necessarium, quod divina traderentur per symbola, quod divina “non contaminarentur a multitudine”, quod fuit prima causa, “sed et conveniens erat ipsam humanam vitam”, idest animam, quae est principium vitae, “simul existentem indivisibilem” quantum ad intellectum “et divisibilem” quantum ad rationem, “illuminari divinis cognitionibus”, utramque “iuxta proprietatem suam, et segregare”, idest distinctim reservare, “impassibile animae”, scilicet intellectum, qui omnino secundum actum a materia separatus est, “ad visiones simplices”, quia sine corporalibus compositionibus, “et intimas deiformium insignium”, idest processiones, quae sunt
CHAPITRE II
le Doctor magnus renvoie ces deux régimes de connaissance à une distinction psychologique, c’est-à-dire à l’âme, en tant que principe de vie, qui existe simultanément comme indivisible, d’un côté, autrement dit comme intellect impassible et séparé de la matière selon l’acte, recevant les quiddités simples, et, de l’autre, comme divisible, à savoir comme raison, susceptible de pâtir, procédant à partir de ce qui est extérieur et matériel et recourant aux symboles. S’il s’agit bien de la même âme,
imagines divinorum attributorum, sicut in vita creaturae a deo procedente repraesentatur prima vita sicut quoddam intimum ut exemplar in exemplato. Et hoc est secundum proprietatem intellectus, qui accipit simplices et intraneas quiditates rerum ; et ideo perficitur his quae proprie de deo dicuntur ; “autem”, idest sed, conveniens est “passibile ipsius” animae, scilicet rationem, quantum ad obiectum, quia per exteriora et materialia procedit, “connaturaliter” sibi “currere simul et extendere” se a “formationibus”, idest figurationibus, “signorum”, scilicet symbolis, “ante compositis ingeniose”, idest artificialiter, quia per assimilationem, “ad divinissima”, et hoc est naturale rationi, ut de signis exterioribus ad interiora percurrat. Et ideo fuit conveniens, ut perficeretur per symbola, a quibus discurreret in simplicem veritatem perquirendo proprietates symbolorum ; et ideo sequitur : “cui”, scilicet rationi, “talia velamina”, scilicet exteriora symbola, “naturaliter sunt cognata”, idest proportionata. Et notandum, quod dicit “ante compositis”, quia venire de simplici veritate in compositionem symbolorum est potius intellectus obliquantis se ad rationem quam rationis, cuius est proprie motus rectus, ut dictum est. » « Il dit donc que “non seulement” il fut nécessaire que ce qui est divin soit transmis par des symboles, de sorte que ce qui est divin “ne soit pas contaminé par la multitude” – ce qui fut la première raison –, “mais il convenait également que la vie humaine elle-même”, c’est-à-dire l’âme, qui est le principe de la vie, “qui existe simultanément indivisible”, quant à l’intellect, “et divisible”, quant à la raison, “soit illuminée par les connaissances divines” chacune des deux “selon sa propriété et qu’elle sépare”, c’est-à-dire qu’elle réserve distinctement, “ce qui, de l’âme, est impassible”, c’est-à-dire l’intellect qui est absolument séparé de la matière selon l’acte, “en vue des visions simples”, parce que, sans les compositions corporelles, “et ce qui, des caractéristiques déiformes, est le plus intérieur”, c’est-à-dire des processions, qui sont les images des attributs divins, comme, dans la vie de la créature, qui procède à partir de Dieu, est représentée la vie première, comme ce qui est le plus intérieur, à la manière du modèle dans la copie. Et cela est selon la propriété de l’intellect qui reçoit les quiddités simples et intérieures des choses. C’est pourquoi aussi il s’accomplit par ce qui est dit en propre de Dieu. “Or”, c’est-à-dire mais, il convient que “ce qui, de son” âme, “est susceptible de pâtir”, c’est-à-dire la raison, par rapport à l’objet, parce qu’elle procède par ce qui est extérieur et matériel, “coure et s’étende simultanément” “de manière connaturelle” à elle-même à partir “des formations”, c’est-à-dire des figurations, “des signes”, c’est-à-dire à partir des symboles, “composées auparavant de manière ingénieuse”, c’est-à-dire selon l’art, parce que par l’assimilation “à ce qui est divin” – et cela est naturel à la raison –, de telle sorte qu’elle effectue le parcours depuis les signes extérieurs jusqu’à ce qui est intérieur. C’est pourquoi aussi cela convint, de telle sorte qu’elle soit accomplie par les symboles à partir desquels elle courrait vers la vérité simple en recherchant soigneusement les propriétés des symboles. C’est pourquoi suit : “à laquelle”, c’est-à-dire à la raison , “de tels voiles”, c’est-à-dire les symboles extérieurs, “sont naturellement adaptés”, c’est-à-dire proportionnés. Et il faut remarquer qu’il dit “composées auparavant”, parce que venir, à partir de la vérité simple, vers la composition des symboles appartient plutôt à l’intellect qui s’avance de manière oblique vers la raison qu’à la raison à laquelle revient en propre le mouvement droit, comme il a été dit. »
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ces deux conceptions d’elle comme indivisible et divisible indiquent bien l’hétérogénéité des deux régimes noétiques qu’elle met en œuvre. Néanmoins, le passage du moyen à la fin, ou de la connaissance médiate à la connaissance immédiate, est conçu sur un mode continu, dans le commentaire albertien de la neuvième Épître de Denys, qui comprend plusieurs occurrences du terme manuductio. La raison parvient à l’intellection en accédant à l’intérieur de la chose par la recherche et le recueil de ce qui lui est extérieur. Ainsi la puissance inférieure qu’est la raison, en se portant à son point ultime, atteint-elle la puissance supérieure qu’est l’intellect. En ceci consiste notamment la manuductio effectuée par les symboles. Cependant, la continuité du mouvement par lequel les médiations sensibles « conduisent » la raison « par la main » peut laisser place, en ce point ultime d’elle-même auquel la puissance inférieure parvient, à une illumination divine qui accomplit ce mouvement. Mais l’hétérogénéité du moyen et de la fin et l’éventuelle intervention divine restent, dans ce texte, intégrées dans la continuité hiérarchique du cosmos albertien. La continuité du procès de la manuductio à travers les figures sensibles du divin et de son achèvement dans la vérité divine simple et immatérielle demeure assurée par le principe selon lequel l’inférieur touche la partie inférieure du principe supérieur et s’accomplit en lui de cette manière. […] la raison vient, par la recherche et le rassemblement de ce qui est extérieur, vers l’intérieur de la chose où elle atteint l’intellection, de même que la puissance ou la nature inférieure touchent toujours la supérieure dans
. Sur la fonction manuductrice des médiations dans l’apprentissage, qu’il me soit permis de renvoyer à CASTEIGT, J., « Comment passer de l’ignorance à la connaissance ? Une figure du maître manuductor selon Albert le Grand », in C. Noacco, C. Bonnet, P. Marot et Ch. Orfanos (éd.), Figures du maître, PUR, Rennes, (Interférences), p. -. . Sur la place des symboles dans l’œuvre de Denys, cf. ROQUES, R., « Symbolisme et théologie négative chez le Pseudo-Denys », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, e série (/), p. - ; CALIXTO FERREIRA FILHO, P., « Symbolisme et métonymies du sensible au divin chez Denys l’Aréopagite », RSPT (), p. - et les études plus générales suivantes : STEIN, E., Les Voies de la connaissance de Dieu. Théologie symbolique de Denys l’Aréopagite, Ad Solem, Genève, ; DE ANDIA, Y., Denys l’Aréopagite : tradition et métamorphoses, Vrin, Paris, (Histoire de la philosophie). . DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , PTS XXXIII, p. , l. - ; Dionysiaca I, p. in ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] et semper fines priorum coniugens principiis secundorum […]. ».
CHAPITRE II
son extrémité. Autrement, la recherche de la raison serait vaine. Et, selon cela, elles peuvent aussi être accomplies, quant à leur extrémité, par ce qui est divin. Face à la dualité des deux régimes, médiat et immédiat, et à la discontinuité introduite par la possibilité d’une illumination divine, le modèle de pensée qui prévaut demeure la continuité : la médiation s’accomplit dans l’immédiateté à laquelle elle conduit. Dans la suite de son commentaire de l’Épître IX, l’articulation entre le chemin manuducteur et sa fin, la vérité divine dénudée de symboles, est, en effet, pensée par le maître de Cologne comme la remontée de l’eau du fleuve à sa source. Les symboles permettent de voir le principe, comme l’eau sensible permet d’apercevoir en elle sa source. Cependant, il ne s’agit pas de demeurer dans les symboles mais de remonter à leur principe. Celui-ci garde toujours en lui-même ce que, pourtant, il ne cesse de diffuser à partir de lui-même. Ainsi la multiplicité des symboles conduit-elle à ce qui, parce qu’il est premier, est simple et est en acte par lui-même, sans être mû par un autre. Source du flux de la multiplicité des symboles dans lesquels il se met en figure, Dieu est, au-dessus d’eux, la source de tout ce qui est connaissable et qu’il connaît en lui-même, possédant tout en soi. Maître Albert articule ainsi la théorie du principe de la vie et de la connaissance, d’un côté, avec, de l’autre, le flux de la multiplicité vivante et connaissable à partir de lui. La multiplicité qui flue à partir du principe permet de l’apercevoir à travers elle en raison de la continuité de la procession. Cette continuité est pensée par analogie avec celle de l’eau qui sourd de sa source. Ensuite, il pose la seconde cause de la nécessité et dit qu’également du côté de la vérité elle-même, l’exposition des symboles est nécessaire, parce qu’il est nécessaire que nous les redonnions, par l’exposition, purs et nus de symboles et qu’ainsi nous les voyions, sans que nous demeurions dans les symboles, de même que Dieu est dit source de vie, comme dans le Ps. (, ) : ‘Auprès de toi est la source de vie’ ou de sagesse, en Si. (, ) : . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] ratio per inquisitionem et collationem exteriorum venit ad interiora rei, ubi attingit intellectum, sicut semper inferior potentia vel natura attingit superiorem in ultimo sui, alioquin frustra esset inquisitio rationis ; et secundum hoc etiam potest quantum ad ultimum sui perfici divinis. »
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‘La source de la sagesse est le Verbe de Dieu au plus haut’. Nous voyons, en effet, dans la source de l’eau sensible ce qu’est le principe qui diffuse l’eau par lui-même et , cependant, possède toujours l’eau qui se tient en lui-même du fait qu’elle sourd perpétuellement. C’est pourquoi aussi le principe de la source est pris en Dieu, parce qu’il est une certaine vertu simple, puisque ce qui n’est pas premier est composé, mais que le premier est simple, parce qu’il ne vient pas d’un autre, mais se meut par lui-même et opère par lui-même et que jamais il ne cesse, demeurant toujours dans la hauteur de sa nature. Et le fait qu’il est dit source de sagesse signifie qu’il est lui-même la connaissance de toutes les connaissances et qu’il possède par lui-même, non par un autre principe, le fait de tout regarder, comme la source diffuse par elle-même toute l’eau du fleuve. La continuité du fleuve avec la source dont il sourd permet à Albertus Theutonicus d’établir la continuité par laquelle nous sommes invités à passer d’un langage figuré à un langage qui restitue, de manière dépourvue de symboles, le discours par lequel le divin est exprimé à travers des symboles. Albert de Cologne expose en acte sa thèse en recourant aux exemples des versets Ps. , (‘Auprès de toi est la source de vie’) et Si. , (‘La source de la sagesse est le Verbe de Dieu au plus haut’), qui assimilent Dieu à une source de vie ou de sagesse. Le commentaire philosophique qu’il en donne déploie la théorie d’un principe, premier, simple, en acte par lui-même sans recourir à aucun autre principe, qui possède sur un mode intellectif tout ce qu’il produit. Le Doctor universalis expose, par exemple, cette doctrine au début de son exégèse de Jn , dans le Super Iohannem. La continuité et l’universalité de la connais. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. : « Deinde ponit secundam causam necessitatis et dicit, quod etiam ex parte ipsius veritatis necessaria est expositio symbolorum, quia necessarium est, ut per expositionem reddamus ea munda et nuda a symbolis et sic videamus ea non remanentes in symbolis, sicut quod deus dicitur fons vitae, sicut in Ps. (XXXV, ) : ‘Apud te est fons vitae’, vel sapientiae, Eccli. I () : ‘Fons sapientiae verbum dei in excelsis’. Videmus enim in fonte aquae sensibilis, quod est principium fundens aquam per se et tamen semper aquam habet in se stantem propter perpetuam scaturitionem, et ideo principium fontis accipitur in deo, quod est quaedam virtus simplex, quia quod non est primum, est compositum ; sed primum simplex est, quod non ab alio, sed per se movetur et per se operatur et numquam se relinquit, semper manens in altitudine suae naturae. Et quod dicitur fons sapientiae, significat, quod ipse est cognitio omnium cognitionum et quod per se, non ab alio principio habet, quod inspiciat omnia, sicut fons per se fundit totam aquam fluminis. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -).
CHAPITRE II
sance de ses propres effets par le principe sont présentées comme la traduction philosophique de l’image biblique de la diffusion de toute l’eau du fleuve par sa source. Maître Albert propose ici une lecture philosophique du symbole biblique en guise de connaissance immédiate du principe in via. Tout se passe comme si, d’une certaine manière, la manuductio donnait à l’intellect humain conjoint au continu et au temporel l’élan pour un saut dont la cause ressortit au divin. Dès lors, le mode d’intellection qui correspond aux médiations sensibles s’avère hétérogène à celui auquel, pourtant, il conduit et qui caractérise la fin de ce parcours de connaissance : la contemplation de la « vérité nue ». Mais qu’il y ait une continuité entre le moyen et la fin n’empêche pas, néanmoins, que ce ne soit pas l’intellect humain en tant qu’il est humain qui connaisse, mais bien l’intellect en tant que séparé. Le Doctor magnus repère, en effet, dans ces deux modes d’intellection, l’opération de deux parties distinctes de l’âme rationnelle : une « partie qui est immergée dans le corps, par une puissance qui est tournée vers le recueil des intentions corporelles et contingentes » et une autre qui « demeure non mêlée ». Celle-ci « est suivie par une puissance indivisible qui reçoit les quiddités simples des choses et, dans cette partie, elle atteint les intelligences à leur sommet ». Bien que la connaissance des étants séparés reviennent à l’intellect en tant qu’intellect, néanmoins, le problème de la connaissance est formulé à partir des conditions anthropologiques de l’intellect humain. Dans les conditions de son existence, celui-ci est, en effet, conjoint au continu et au temps et, par suite, intellige selon l’antérieur et le postérieur par opposition à l’intelligence céleste des intellects séparés. Celle-ci n’a nul besoin de saisir son objet, parce qu’elle est d’emblée dans la vérité première des choses.
. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] manifestatio colorum : ita animam rationalem ex parte illa qua est immersa corpori, consequitur potentia, quae versatur in collatione corporalium intentionum et contingentium, ex parte vero altera, secundum quod remanet immixta, consequitur ipsam potentia indivisibilis, quae accipit simplices quiditates rerum, et in ista parte attingit intelligentias in sua summitate. » . Cf., supra dans le premier chapitre, p. , note , le commentaire, ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -.
LA MANUDUCTIO, UN MODE
SECTION V : LA MANUDUCTIO,
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
LOGIQUE DE MANIFESTATION DU
PRINCIPE DIVIN
I. Manuductio et continuité du mouvement circulaire du retour de l’âme vers le principe La continuité de la source et du fleuve qui en écoule déplace la question de la manuductio des plans anthropologique, noétique et pédagogique au plan métaphysique. Rendue nécessaire par les limites noétiques des conditions anthropologiques qui touchent l’intellect conjoint au temps et au continu, la manuductio s’avère également inscrite dans la structure des choses elles-mêmes. Dans le De natura boni, Maître Albert attribue à la bonté qui se trouve, par nature, en tout étant créé, la fonction de « conduire par la main » vers le principe divin. La perspective de ce texte inverse le point de vue du connaissant jusqu’à présent majoritairement adopté dans les textes du réseau de la manuductio. Il est ici question de la nature ontologique même du connu. La bonté qui provient de son créateur tire de lui ses caractéristiques. Elle est à la fois une par le substrat dans lequel elle se trouve et trine, dans la mesure où elle y déploie les vestiges de la Trinité que sont l’espèce, la mesure et le poids. Tout étant créé, parce qu’il reçoit de Dieu sa bonté, possède donc, par nature, une faculté manuductrice en puissance. Celle-ci requiert, pour se déployer en acte, l’acte cognitif d’un intellect. Nous développerons ce point dans le chapitre suivant. Cette bonté de la nature se trouve donc en toute créature de Dieu. Mais cette bonté ordonne et conduit à la fois par la main vers Dieu. Ce bien est, en effet, un vestige de la Trinité et de . Cf. AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - : « […] alio loco scripturarum ei dicitur : ‘omnia in mensura et numero et pondere disposuisti’*, atque ita cogitet anima, quae potest, inuocato in auxilium deo et inpertiente atque inspirante uires, utrum haec tria, mensura, numerus, pondus, in quibus deum disposuisse omnia scriptum est… » * Sg , . ALBERTUS MAGNUS, De bono, tr. , q. , a. , ed. H. Kühle, C. Feckes, B. Geyer et W. Kübel, Ed. Colon. XXVIII, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -p. , l. : « Quomodo ista tria sunt vestigia trinitatis increatae. Tertio quaeritur, quomodo ista sint vestigium trinitatis increatae. Non enim videtur ratio, quid istorum referatur ad patrem vel filium vel spiritum sanctum. Si numerus enim rei speciem praebet, ut dicit Augustinus, et species pertinet ad cognitionem, tunc videtur potius pertinere ad filium quam ad patrem, cum tamen sit primum inter ea quae
CHAPITRE II
l’unité : de l’unité, parce que c’est en une seule chose qu’elles se trouvent ; de la Trinité, parce qu’elles sont trois qui sont considérées en chaque chose. La manuductio, inscrite dans la nature des étants créés, a pour fonction de reconduire vers le principe divin, un et trine, qu’elle manifeste. Tout se passe donc comme si le principe divin avait disposé les moyens ontologiques et noétiques pour que l’intellect humain puisse être « conduit par la main », afin de retourner vers lui. C’est pourquoi du côté du connaissant, la manuductio appartient à la structure même du mouvement de l’âme qui retourne vers le principe. Dans son commentaire du quatrième chapitre du De divinis nominibus, Albert de Cologne décrit le mouvement circulaire de l’âme, enumerantur in Sap. , . Similiter mensura non videtur habere rationem, quare referatur ad aliquam personarum. Et idem facile est videre in aliis supra enumeratis. Praeterea quaeritur, quare haec dicantur vestigium, et quid differt vestigium ab imagine. Solutio: Dicendum ad primum, quod unumquodque istorum potest referri ad quamlibet personam diversis rationibus, sicut numerus, inquantum dicit primam potentiam ad esse rei, per hoc quod supponit numerum principiorum, refertur ad patrem. Inquantum vero praebet speciem, per quam cognoscitur res, refertur ad filium. Similiter est de pondere. Hoc enim dicit potentiam dispositam ad esse, et per hoc refertur ad patrem, et dicit inclinationem ad perfectum, et per hoc refertur ad spiritum sanctum. Similiter mensura, quae dicit terminabilitatem et continentiam, et quantum ad hoc refertur ad spiritum sanctum. Quia vero terminatio fit per speciem, respicit etiam filium. In aliis autem facilius est videre, et idcirco illa praeterimus. Ad aliud dicendum, quod vestigium trinitatis dicitur, eo quod tria sunt in uno. Vestigium autem dicitur, eo quod est obscura similitudo dei in viis eius, quae sunt creata vel creaturae. Et haec ratio invenitur plene assignata in quaestione De imagine. » . ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars I, Ed. Colon. XXV/, p. , l. - : « Ista igitur bonitas est naturae in omni creatura dei inventa ; sed et haec bonitas ordinat et manuducit ad deum. Est enim vestigium trinitatis et unitatis bonum istud : unitatis, quia in una re ista inveniuntur ; trinitatis, quia tria sunt, quae in re qualibet considerantur. » . Cf. les occurrences des termes de la famille de reditus dans ce passage : ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. ; p. , l. ; p. , l. ; p. , l. . . DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , secundum Sarracenum, PTS XXXIII, p. , l. - ; Dionysiaca I, p. - : « Animae autem motus est circularis quidem ad seipsam introitus ab exterioribus et intellectualium ipsius virtutum uniformis convolutio sicut in quodam circulo, non-errare ipsi largiens et a multis exterioribus ipsam convertens et congregans primum ad seipsam, deinde sicut informem factam uniens unitive unitis virtutibus et ita ad pulchrum et bonum manuducens, quod est super omnia existentia et unum et idem et sine principio et interminabile. » . Cf. AVERROES, De anima, lib. , comm. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. -p. , l. : « Dicit quod non est rectum opinari quod anima sit corpus, cum intellectum fuerit per “animam” intellectus, ut declaratum est quod hoc intendebatur in Timaeo per hoc nomen “anima”. Et ideo fecerunt corpus spericum ; Actio enim intellectus similis est circulationi. Et non intelligebatur illic per “animam” aut sensibilis aut desiderativa ; motus enim istarum et actio earum non assimilatur circulationi sicut actio intellectus apud eos assimilatur circulo quia revertitur supra se et intelligit se. Et ideo assimlat ipsum Aristotoles spere. »
LA MANUDUCTIO, UN MODE
DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN
AVERROES, De anima, lib. , comm. , ed. F. S. Crawford, CCAA VI/, p. , l. -p. , l. : « “Et si necesse est intelligere” etc. Idest, et si necesse est intelligere ut intellectus tangat per totum circulum rem intellectam, et tunc intelliget, (et ista est secunda pars trium divisionum), quo igitur indigetur ut tangat per partes ? Ociosum est enim tangere per partes. Deinde dixit : “Quomodo intelligit per indivisibile”, etc. Idest, et quocunque modo posuerimus quod tangit, sive per partem indivisibilem, sive per divisibilem, sive illud divisibile fuerit totum, aut pars, aut utrunque, scilicet quod tangit partem per partem et totum per totum, impossibile est nobis dicere quomodo intelligit per tactum. Quoniam, si dixerimus quod habet partes indivisibiles, quomodo tangit per partes indivisibiles partes divisibiles rerum ? Et si dixerimus quod habet divisibiles, quomodo tangit per eas ? Tangens enim debet esse superpositum. Et omnia ista contingunt eis, quia ponunt quod intellectus, in eo quod est intellectus, habet partes, et quod non intelligit nisi tangendo. Deinde dixit : “Et necesse est ut iste intellectus sit circulus ipse”. Idest, et necesse est ut intellectus sit ipsum corpus circulare, non quod intellectus sit proprium aliquod corpori circulari. Manifestum est igitur quod contingit ex hoc quod intellectus est corpus circulare. Et sillogismus sic componitur : actio intellectus est circulatio ; et circulatio est corporis circularis ; ergo actio intellectus est corporis circularis. Et illud cui attribuitur actio intellectus est intellectus ; ergo intellectus est corpus circulare. Et cum declaravit quod contingit necessario ut intellectus sit corpus circulare et eius actio sit circulatio, notificavit quod est necesse, si intelligere eius sit circulatio, et circulatio etiam fuit in eo semper secundum quod est corpus celeste, ut eius intelligere sit semper et in infinitum. Et dixit : “Et si intelligere est circulatio”, etc. Idest, et si intelligere est circulatio, tunc etiam circulatio existens in intellectu erit intelligere. Et circulatio erit semper ; unde manifestum est quod intelligere erit semper et infinitum. Deinde incepit dare impossibile quod sequitur ex hoc. Et dixit : “Et quid intelligit semper”, etc. Idest, et cum secundum hanc opinionem necesse est ut semper intelligat, quid possunt dicere quod semper intelligit ? Hoc enim necesse est propter hoc quod ponunt quod circulatio est semper. Et nichil possunt dicere in hoc, quoniam intelligere per operationem est finitum. Omne enim intellectum apud operationem non intelligitur nisi propter aliud, et omnia propter ultimum finem qui intenditur in illa operatione mechanica. Et cum declaravit quod intelligere est finitum in intellectu mechanico, incepit declarare quod ita est in speculativo. Et dixit : “Et intelligere speculativum” (“et est diffinire per sermones”) “similiter”. Idest, similiter est in omnibus rebus speculativis. Deinde dixit : “Et omnis sermo est diffinitio aut demonstratio”. Idest, et omnis actio intellectus aut est diffinitio aut demonstratio. Et cum declaravit hoc, incepit declarare quod utraque istarum actionum est finita. Et dixit : “Et demonstrationes accipiuntur ex principio”. Idest, et demonstrationes habent principium ex quo accipiuntur, et sunt propositiones ; et habent finem, et est sillogismus qui fit ex propositionibus et conclusione. Deinde dixit : “Et quamvis in eis non cadat conclusio”, etc. Idest, etqui concludit aliquam conclusionem, non facit revertere illam conclusionem, sicut facit in sillogismo circulari, sed addit ei aliam propositionem, per quam impossibile est ut demonstratio revertatur circulariter, scilicet ut principium fiat finis et finis principium ; sed additur ille terminus medius alius et extremum maius aliud et alia conclusio ; et erit motus intellectus tunc secundum rectitudinem, non secundum circulationem. Circulatio autem, quam opinantur esse actionem intellectus, non intelligitur ab hoc intellectu, id est qui procedit secundum rectitudinem, sed revertitur. Et cum declaravit hoc in demonstratione, incepit declarare hoc in diffinitione. Et dixit : “Et omnes diffinitiones sunt finite”. Idest, et diffinitiones rerum, cum perficiuntur per intellectum, sunt finite, sicut res que exigunt ut credantur. Et intelligere non revertitur in eis circulariter, sicut fides non revertitur in demonstrationibus circulariter. Deinde dixit : “Et etiam si totus motus idem est multotiens”. Idest, et si motus intellectus est circulatio eius fuerit in eodem intellecto, tunc comprehendet ipsum infinities. Et in alia translatione est manifestius sic : “Et cum motus intellectus fuerit circularis, non spiralis, tunc comprehendens comprehendet idem multotiens”. Et ideo possibile est ut sermo sit sic : Et si motus intellectus fuerit circulatio, tunc intelliget omnia multotiens. Deinde dixit : “Et intelligere dignius est ut attribuatur quieti quam motui”. Et intendit ex hoc, quod apparet ; quoniam actio nostra per ipsum apud quietem est magis perfecta quam apud motum. Et ideo melius est attribuere actionem intellectus quieti quam motui, sicut fecerunt isti. »
CHAPITRE II
composé d’un passage de l’extérieur à l’intérieur, de telle sorte qu’elle entre en elle-même, puis d’un retournement uniforme de ses vertus intellectuelles vers elle-même comme en un cercle, de telle sorte qu’elle s’unit et se rassemble, enfin d’une manuductio vers le Bien et le Beau. Il est remarquable que le Dominicain rhénan convoque la « conduite par la main » pour qualifier précisément le dernier moment du mouvement de l’âme qui la conduit vers le principe qui est un, beau et bon. Dans la première partie, il dit trois au sujet du mouvement circulaire de l’âme : l’entrée de l’âme de l’extérieur vers elle-même ; en deuxième lieu, son retournement en elle-même ; en troisième lieu, la conduite par la main d’elle-même vers l’Un beau et bon. Voici comment le Doctor magnus, après avoir décrit ce mouvement circulaire dans les deux premiers moments, purgatif et contemplatif, . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « In prima parte tria dicit de motu circulari animae, scilicet introitum animae ab exterioribus ad seipsam ; secundum est convolutio eius in seipsa ; tertium est manuductio sui ipsius ad primum pulchrum et bonum. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, , p. , l. -p. , l. : « Solutio : Dicendum, quod, sicut dicit Commentator, motus circularis est essentialis animae et est de motibus eius simplicibus, et ideo oportet quaerere motum circularem animae in eo quod in ipsa simplicius et nobilius est, et hoc est lumen intellectus agentis, quod etiam dat formam suam omnibus intelligibilibus et illuminat intellectum possibilem virtute luminis divini micantis in ipso. Sicut autem quando visus accipit lumen solis, secundum quod est forma coloris, aspiciendo in album, et secundum quod est determinatum, inquantum vero est in se simplex et universale, non determinatum ad hoc vel ad illud, non potest aspicere ipsum, nisi subtrahat se ab omnibus coloribus qui sunt materia ipsius : ita etiam anima considerando res exteriores non inspicit lumen intellectus agentis nisi particulatum ad hoc vel illud intelligibile, secundum quod est forma huius vel illius. Unde si debeat ipsum lumen secundum se inspicere, oportet, quod retracta ab omnibus exterioribus infigat oculum mentis in se, sicut etiam dicit Augustinus in IX De trinitate, quod anima numquam considerat, quod sui semper meminerit et se semper intelligat et diligat, nisi quando retrahitur ab exterioribus ad seipsam. Et ideo in motu circulari animae primo ponit introitum ipsius ab exterioribus ad seipsam, non tamquam partem circularis motus, sed sicut remotionem impedimenti. Quando autem anima conversa est ad seipsam, lumen proveniens a primo in ipsam secundum esse reflectit in primum secundum intellectum, et sic concluditur circulus in ipso primo, sicut dictum est supra de motu circulari angeli. Unde convolutio, quam secundo dicit, est pars circularis motus et etiam sicut arcus quidam, inquantum scilicet considerat lumen, quod secundum esse in ipsa est, incipiens reflectere in primum. » ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « “Et convertens”, idest retrahens, “ipsam” animam, quantum ad terminum a quo, “a multis exterioribus”, idest quae sunt multa et divisa ab invicem, “et congregans primum ad seipsam”, quantum ad terminum ad quem ; convolutio, dico, “deinde”, idest post conversionem ab exterioribus, “uniens” per inspectionem luminis simplicis intellectus agentis ipsam animam, “sicut” iam “uniformem factam” in recessu ab exterioribus et multis “virtutibus”, et primo ipsi et intellectui
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développe le troisième moment appelé « conduite par la main ». La manuductio s’applique ici, précisément, au moment de la conclusion du cercle et au rapport avec le principe divin. Elle n’est pas ici réservée au commencement de la connaissance du principe divin. Dans ce contexte dionysien, elle confirme, par conséquent, qu’il ne s’agit pas de se séparer des médiations qui « conduisent par la main » au commencement de la recherche, comme c’est le cas dans le corpus aristotélicien. La manuductio caractérise l’ensemble du parcours jusqu’à ce qu’elle s’abolisse dans l’immédiateté avec le principe. Elle permet, alors, d’intelliger le principe un-bien-beau de façon simple à la manière d’un point. Cependant, l’analogie du point avec l’intellection du principe n’est pas à prendre quantitativement ni statiquement. Elle enveloppe aussitôt le double mouvement de la périphérie vers le centre et du centre vers la périphérie. Ce mouvement est inhérent au principe qui, néanmoins, demeure simple et en lui-même. Quant au troisième dont il parle, à savoir la conduite par la main vers le Premier beau et bon, il appartient à la conclusion du cercle lui-même, c’est-à-dire selon que et le Bon eux-mêmes, qui sont selon l’être dans l’âme, sont intelligés comme un certain point “uniformément” circonduit, parce que toujours dans la raison de la lumière (luminis) simple, à partir du Premier vers soi et à partir de soi vers le Premier. Dans le corpus dionysien, la « conduite par la main », loin de s’opposer à l’intellection simple du principe et de ce qui procède de lui, y conduit. Le Doctor expertus glose la dernière partie de la citation dionysienne en insistant sur la continuité avec laquelle le retour de l’âme sur elle-même la « conduit par la main » vers ce qui « est au-dessus de tout ce qui existe, ce qui est un, le même, sans principe et indéterminable ». […] « et ainsi » le retournement « qui conduit l’âme par la main » « vers le Beau et le Bon », qui sont au-dessus de tout agenti, quae dicuntur “unitae” virtutes propter lumen simplex et indivisum in multis, unitive, inquantum non exit a simplicitate praedicti luminis. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Tertium autem, quod dicit, scilicet manuductio ad primum pulchrum et bonum, pertinet ad conclusionem ipsius circuli, secundum scilicet quod ipsum et bonum quod secundum esse est in anima, intelligitur ut punctus quidam circumductus “uniformiter”, quia semper in ratione simplicis luminis, a primo in se et a se in primum. »
CHAPITRE II
« ce qui existe » qui sont Dieu « et » sont « un », quant à la simplicité « et » « le même », quant à l’immutabilité, « et sans principe et indéterminables » en euxmêmes, bien qu’ils soient principe et terme du mouvement de l’intellect vers eux. Il ressort donc du commentaire du quatrième chapitre des Noms divins que la manuductio est également inscrite dans la structure même du mouvement de retour de l’âme vers le principe divin. Dans cette perspective métaphysique, la « conduite par la main » ne marque pas le commencement de la remontée vers le principe, comme c’est le cas de la perspective anthropologique, noétique et pédagogique. Elle désigne, bien plutôt, le moment conclusif du cercle qui permet à l’âme, convertie en elle-même, d’atteindre l’Un simple qui est au-dessus de tout ce qui existe. Donc, du point de vue structurel, la manuductio s’oppose, par ses caractéristiques propres, à l’immédiateté avec le principe dans laquelle elle n’est plus requise. Néanmoins, Albertus Magnus insiste sur sa présence tout au long du processus du retour de l’âme vers le principe et, en particulier, en son point ultime. L’universalisation de la méthode de la manuductio et de la structuration de l’univers en un ensemble de médiations qui conduisent vers le principe transfère la question anthropologique, noétique et pédagogique de la « conduite par la main » sur le plan métaphysique. Le Doctor universalis confère ainsi aux propriétés inhérentes à la médiation manuductrice que nous avons développées le statut de logique de manifestation du principe divin dans l’ensemble du réel. Proportion et réverbération caractérisent, nous l’avons vu, la médiation sensible susceptible de proportionner les réalités divines à la capacité de l’intellect humain. Tandis que, dans la remontée épistémique propre à la voie métaphysique, l’intellect humain doit se détacher des médiations sensibles auxquelles il recourt nécessairement au commencement de son ascension, cette nécessité anthropologique de connaître par les médiations sensibles coïncide, au contraire, dans la perspective de la connaissance médiate propre à . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] “et ita” convolutio “manuducens” animam “ad pulchrum et bonum”, quod est super omnia “existentia”, quod est deus, “et” est “unum”, quantum ad simplicitatem, “et idem”, quantum ad incommutabilitatem, “et sine principio et interminabile” in se, quamvis sit principium et terminus motus intellectus in ipsum. »
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l’intelligence figurale en contexte dionysien ou scripturaire, avec la manière dont le principe se manifeste. Nous avons aperçu cette dimension métaphysique, au premier chapitre de notre enquête, dans un passage du De natura boni, comportant à la fois des occurrences de la figure de l’animal volant nocturne et de celle de la manuductio, à propos de l’incarnation du Verbe divin. La dynamique propre à la médiation manuductrice trouve ainsi son fondement dans le mode de manifestation du principe dans le Verbe incarné. La conception albertienne de la médiation, dans les corpora non aristotéliciens, se trouve ipso facto inscrite dans une logique du latent et du manifeste. Celle-ci caractérise, notamment, l’apparition de la lumière dans les ténèbres par opposition à une logique de la manifestation directe. II. La dynamique du latent et du manifeste comme logique de manifestation du principe Dans le deuxième traité sur la résurrection, relatif à la raison de la multiplication des apparitions du Christ après la résurrection, la connaissance par manuductio est considérée du point de vue de la logique de manifestation du divin. Le recours à la méthode de la manuductio ne repose pas ici directement sur les conditions d’existence de l’âme rationnelle, mais plutôt sur la dynamique du latent et du patent inhérente à la manifestation de la puissance divine dans la faiblesse de la condition humaine. La puissance divine est, en effet, latente dans l’humilité, l’infirmité et la souffrance humaines qui caractérisent la passion du Christ. Ne pouvant manifester sa gloire avec évidence, la puissance divine propose de se faire connaître par des signes qui peuvent faire passer celui qui les reçoit de la difficulté de croire à une plus grande facilité à adhérer à la divinité du Christ. En cela, la puissance divine s’adresse au mode de connaissance propre à la confiance, c’est-à-dire à la foi, et non pas à celui de la connaissance immédiate, caractérisée par son évidence. Quant à la foi en la résurrection, les apparitions doivent la « conduire par la main », parce qu’elle s’est trouvée entravée par l’infirmité de la passion. La manuductio apparaît, par conséquent, comme le mode de . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , « secunda interpretatio ‘stella maris’ », n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. -.
CHAPITRE II
connaissance qui permet de révéler ce qui est caché dans l’infirmité de la passion. L’aveuglement n’est donc plus seulement inhérent aux conditions subjectives, c’est-à-dire à la condition de l’intellect humain disproportionné par rapport aux réalités divines qu’il désire connaître, selon la figure aristotélicienne de l’animal volant nocturne, mais aux conditions objectives de ce dans quoi le principe divin se manifeste, à savoir à la puissance occultante de la souffrance humaine par rapport à la gloire divine. Pourquoi, en effet, les médiations sensibles que sont les apparitions demeurent-elles après la résurrection du Christ, alors que celle-ci suffirait à manifester directement la divinité de Jésus de Nazareth ? Une première réponse consiste à rendre raison de ces apparitions comme des médiations manuductrices qui conduisent le spectateur à croire à la puissance divine, manifeste dans la résurrection, alors qu’elle est latente dans les souffrances de la passion. Les médiations sensibles seraient, selon cet argument, nécessaires pour manifester clairement le divin qui est caché dans son contraire, la faiblesse de la passion. Solution : Nous disons que, par la nécessité de la fin, c’est-àdire de la congruence, il fut nécessaire qu’il y eut des apparitions, et cela pour cette raison que la puissance (potestas) du Seigneur qui se relève avait été tout à fait occultée dans l’infirmité de la passion et, pour cette raison, le crédit n’aurait pas fait . Sur ce point, cf. également l’occurrence du verbe manuducere, dans le commentaire albertien du troisième livre des Sentences, dans le contexte de l’apparition comme signe de la résurrection, miracle qui « conduit par la main » vers la foi : ALBERTUS MAGNUS, Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b : « Ad aliud dicendum, quod signum duplex est, scilicet quod accipitur de natura rei probandae, licet non sit immediata causa ejus : et hoc signum facit opinionem topicam. Aliud est signum persuasivum per modum miraculi, in cujus rationem non possumus ex nobis : et hoc manuducit ad fidem, sicut apparitio signum est resurrectionis, et unum fuit ita latens rationem sicut alterum : et per tale bene probatur fides : sed propter illam probationem non efficitur ipsa de apparentibus : quia et ratio probans et conclusio probata, sunt de non apparentibus, eo quod in neutrum possumus ex ratione. » « Quant à l’autre , il faut dire que le signe est double : celui qui est reçu de la nature de la réalité à prouver, bien qu’elle ne soit pas sa cause immédiate – et ce signe produit l’opinion topique – ; l’autre est le signe susceptible de persuader par le mode du miracle vers la raison duquel nous ne pouvons de nous-mêmes – et celui-ci conduit par la main vers la foi, comme l’apparition est le signe de la résurrection. Et l’un comme l’autre cachèrent ainsi la raison. Et, par un tel , la foi est bien prouvée. Mais, en raison de cette preuve, elle n’est pas produite à partir de ce qui apparaît, parce qu’à la fois la raison qui prouve et la conclusion prouvée sont à partir de ce qui n’apparaît pas, pour cette raison que nous ne pouvons vers aucun des deux à partir de la raison. »
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partie des faciles, si la foi n’avait été aussi conduite par la main par les apparitions. La fonction manuductrice de la médiation ressortit à la dynamique du désir du connaissant d’adhérer à ce qu’il voit : ce qui est manifeste fait croire à ce qui est vu. Les signes sensibles de la passion, pour leur part, cachent la puissance divine et ne permettent pas par eux-mêmes d’y adhérer. La dimension du désir est exprimée, dans ce passage, par le Dominicain rhénan, quand il recourt au vocabulaire du commerce : il s’agit d’accorder crédit, au sens de créance, à un débiteur. Mais les caractéristiques de la pédagogie de la manuductio qui s’adresse aux plus-petits sont reprises ici du point de vue de la logique de la manifestation divine elle-même. Il y a donc deux régimes d’apparition : des médiations sensibles qui occultent le principe divin et des médiations sensibles qui le manifestent. Sous le régime du latent comme sous celui du patent, il est possible de le reconnaître. La manuductio possède donc une fonction auxiliaire : dans le passage du régime de latence du principe à celui de sa manifestation, elle aide à reconnaître le principe divin dans ses aspects contraires. Dans la réponse à la première objection du même article, Maître Albert fonde la nécessité des médiations manuductrices que sont les apparitions sur le pouvoir qu’ont les apparences contraires à une réalité de brouiller la clarté de la connaissance de cette réalité. Il s’agit, pour lui, de répondre à l’objection suivante qui s’appuie sur les versets Co. , et Co. , opposant la vision médiate, ou « en miroir » (speculum), à la vision immédiate, dite « en espèce » (species), pour distinguer un régime de manifestation direct du divin et un régime de manifestation indirect. Cette objection porte, plus précisément, sur le caractère contradictoire . ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Solutio : Dicimus, quod necessitate finis, hoc est congruentiae, necesse fuit apparitiones fieri, et hoc ideo, quia potestas resurgentis domini omnino fuerat occultata in infirmitate passionis, et ideo non de facili creditum fuisset, nisi fides quoque manuducta fuisset per apparitiones. » . Sur la certitude de foi, cf. WÉBER, É.-H., « L’interprétation par Albert le Grand de la Théologie mystique de Denys Ps.-Aréopagite » (), p. -, spéc. p. où l’auteur précise que la lumière de foi est une réalité qui convainc l’intellect, le persuade d’adhérer à une vérité supérieure à toute autre. C’est pourquoi la foi est dotée d’une meilleure certitude que tout savoir pratique ou théorique. Or la certitude est double : il y a celle de la vérité spéculative et celle de la vérité qui est objet de désir (veritatis affectivae). Cette dernière ne dérive pas des principes de la raison, mais provient d’une lumière qui est une similitude issue de la vérité première et suscite le désir par rapport à la vérité de ce qui est à croire.
CHAPITRE II
du maintien des médiations sensibles en régime de vision immédiat du principe divin dans le Christ ressuscité. Du côté de la foi, il n’y a en rien médiation (medium) entre l’espèce et le miroir. Donc, du côté des arguments de la foi, il n’y aura en rien médiation (medium) entre la preuve de la foi dans le miroir et sa preuve dans l’espèce. Mais, par l’incarnation, elle a été prouvée en miroir. Donc, par la résurrection, elle doit être prouvée en espèce. Et ainsi ne dut-il pas y avoir d’apparitions, mais une monstration expresse de la gloire. Entre la vie soumise à la mort et la résurrection, advient un changement dans la modalité même de la manifestation. Après la résurrection, celui qui objecte prétend que des médiations sensibles ne sont plus requises pour faire connaître le principe divin. Cette objection repose sur l’opposition de deux régimes de manifestation : celui, médiat, plus obscur, de l’incarnation, appelé « en miroir », et celui, immédiat, clair, de la résurrection, dit « en espèce ». Conformément à cette opposition, il devrait y avoir après la résurrection, du moins du côté du principe divin qui se manifeste, « monstration expresse de la gloire ». Aucune médiation sensible, aucun argument de persuasion ne devraient plus être requis pour fonder l’adhésion propre à la foi. Or le Dominicain rhénan s’oppose au rapprochement immédiat et général entre le mode de l’espèce, la vision claire immédiate, et celui du miroir, la vision médiate, plus obscure. Il refuse également la conséquence que celui qui objecte tire concernant l’identité des arguments de la foi dans ces deux modes de vision. Il préfère distinguer la fin – l’objet de l’adhésion de foi – et le chemin – le processus par lequel l’assentiment est donné. Si, en effet, du point de vue de la fin, c’est-à-dire de la foi accordée, il n’y a pas de degré entre la vérité vue en miroir et celle qui est vue en espèce, en revanche, dans le processus qui consiste à accorder progressivement son crédit, la médiation d’arguments manuducteurs . ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Ex parte fidei nihil est medium inter speciem et speculum ; ergo ex parte argumentorum fidei nihil erit medium inter probationem fidei in speculo et probationem eius in specie ; sed per incarnationem probata est in speculo ; ergo per resurrectionem debet probari in specie, et ita non debuerunt fieri apparitiones, sed ostensio gloriae expressa. » . Cf. l’occurrence du terme manuducens dans le contexte de la foi accordée ex auditu, dans le commentaire albertien du troisième livre des Sentences : ALBERTUS MAGNUS, Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b-a : « Solutio. Dicendum, quod fides habet actum qui
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est, à ses yeux, nécessaire à l’intellect qui connaît sur le mode de la foi pour traverser ce qui se cache dans les apparences. Cela vaut particulièrement, aux yeux de Maître Albert, pour la résurrection du Christ : les médiations sensibles que sont les apparitions sont requises pour discerner, dans les apparences contraires à la résurrection, à savoir l’infirmité de la passion, la puissance du principe divin. Quant au premier , il faut donc dire que, dans l’objet de la foi auquel on donne son assentiment, il n’y a en rien médiation entre la vérité en miroir et [entre] la vérité en espèce. Mais, selon que la foi nous est conjointe, elle a une réflexion au sujet du crédit et, de ce côté, elle a besoin de la conduite par competit ei secundum se, et habet actum qui competit ei secundum quod est ex auditu, secundum quod dicit Apostolus, ad Roman. X, : ‘Fides ex auditu : auditus autem per verbum Christi’. In se secundum quod est lumen informans intellectum, non competit ei nisi assentire invisibili ostenso. Secundum autem quod est ex auditu, tunc assentit cum cogitatione de hoc quod audivit de ratione non probante quidem, sed manuducente : ita tamen, quod auditus generaliter accipiatur : sicut supra diximus de signo, quando exponebatur credere Deo, scilicet quod includit in se auditum exteriorem per verbum, et visum miraculi et operum Dei, et auditum interiorem : auditus enim causat cognitionem. Et hoc modo diffinitur credere in duobus, ut cogitatum habeat ab auditu, et assensum ex seipso : quia bene concedo, quod non assentit propter cogitatum. » « Solution. Il faut dire que la foi possède l’acte qui lui revient selon elle-même et possède l’acte qui lui revient selon qu’elle provient de l’écoute (auditu), conformément à ce que dit l’Apôtre en Rm , : ‘La foi à partir de l’écoute (auditu) mais l’écoute (auditus) par la parole (verbum) du Christ’. Par soi selon qu’elle est une lumière (lumen) qui informe l’intellect, il ne lui revient que de donner son assentiment à l’invisible montré, tandis que, selon qu’elle provient de l’écoute (auditu), elle donne alors son assentiment avec une réflexion au sujet de ce qu’elle a entendu (audivit) provenant de la raison qui, certes, ne prouve pas, mais qui conduit par la main, de telle sorte, cependant, que ce qui est entendu (auditus) est reçu en général, comme nous avons dit plus haut à propos du signe, quand était exposé le fait de croire en Dieu, c’est-à-dire qu’elle inclut en lui l’écoute (auditum) extérieure par la parole (verbum) ainsi que la vue du miracle et des œuvres de Dieu, , et, l’écoute (auditum) intérieure. L’écoute (auditus) cause, en effet, la connaissance. Et, de cette manière, le fait de croire est défini en deux : en tant qu’il tient ce qu’il pense de l’écoute (auditu) et assentiment à partir de lui-même, parce que je concède bien qu’il ne donne pas son assentiment en raison de ce qui est pensé. » Cf. également, dans le même livre, l’occurrence du verbe manuducere dans le contexte du crédit accordé dans l’acte de foi, ALBERTUS MAGNUS, Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. a : « Ad primum ergo dicendum, quod credere est essentialiter in assensu : tamen per accidens, in quantum nutritur et fovetur et manuducitur, habet se ad cogitativam virtutem inquirentem de credito : non quia dubitat, sed quia ejus cui consentit a Deo petit rationem : non qua certificetur, sed in qua jucundetur et admiretur. » « Quant au premier , il faut donc dire que le fait de croire est essentiellement dans l’assentiment. Cependant, par accident, en tant qu’il est nourri, entretenu et conduit par la main, il est en rapport avec la puissance (virtutem) cogitative qui enquête au sujet de ce à quoi il est donné crédit, non pas parce qu’elle doute, mais parce qu’elle demande à Dieu la raison de ce à quoi elle consent, non pas par laquelle elle est rendue certaine, mais dans laquelle elle se réjouit et admire. »
CHAPITRE II
la main des arguments et principalement dans la résurrection du Christ, parce qu’on tenait certaines apparences pour contraires à la résurrection par l’infirmité de la passion. Qu’enseigne le cas des apparitions après la résurrection sur la dynamique du latent et du patent inhérente aux médiations manuductrices ? Les méditions sensibles sont, du point de vue du connaissant, et non pas de celui du connu, nécessaires à la dynamique de la manifestation du principe divin à travers les apparences contraires dans lesquelles il est caché. Du point de vue de la fin, le régime de vérité propre à la résurrection exigerait, en effet, une vision immédiate. Mais il n’en est rien, du point de vue du processus par lequel cette fin est atteinte. La manifestation de la vie divine dans le Christ ressuscité ne laisse d’obéir à la dynamique du latent et du manifeste. Celle-ci requiert, en effet, la manuductio de médiations sensibles qui, par le mode de fonctionnement contradictoire que le Doctor universalis exprime au moyen de la prophétie d’Isaïe, permettent à l’intellect humain de passer par degrés de l’évidence contraire des apparences à ce qui, en elles, est caché. Parce que les apparences contraires occultent la vision immédiate – ou en espèce –, elles ouvrent la possibilité de cheminer vers l’évidence, désormais rendue opaque, à travers des médiations inhérentes à la vision en miroir – le tombeau vide, le linceul plié, les témoignages, les apparitions. Ces dernières permettent d’adhérer progressivement à un événement admirable et disproportionné par rapport aux données immédiates de l’expérience. Qu’il s’agisse donc du voilement de la vie divine dans la chair, par l’incarnation (De natura boni), ou de son dévoilement, par la résurrection, le mode de manifestation du principe divin ne saurait être immédiat. Par ce texte, Albertus Magnus intègre les médiations manuductrices dans le procès de dévoilement du principe divin. Leur fonction manuductrice s’exerce de deux manières : elle rend manifeste ce qui était caché . ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. : « () Ad primum ergo dicendum, quod in obiecto fidei, cui assentitur, nihil est medium inter veritatem in speculo et inter veritatem in specie. Sed secundum quod fides coniungitur nobis, habet cogitationem de credito, et ex parte illa indiget manuductione argumentorum et praecipue in resurrectione Christi, quia quaedam apparentia contraria resurrectioni habebatur per infirmitatem passionis. »
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(dans les apparences contraires, par exemple l’infirmité de la passion du Christ) et elle ouvre la possibilité d’un chemin d’adhésion progressive au principe divin, pourtant, manifeste. Autrement dit, les médiations manuductrices ressortissent au processus de manifestation du principe divin, dans la mesure où celui-ci tient compte des conditions humaines de désir, de connaissance et d’adhésion. Le mode propre de manifestation du principe dans le créé s’apparente, d’ailleurs, précisément à ce mouvement de retrait par rapport à l’évidence des apparences sensibles, afin de conduire vers une vérité latente, immédiatement inaccessible. Le caractère immédiat propre à l’adhésion finale ne dispense pas des médiations qui caractérisent la connaissance du viator. Celles-ci lui permettent d’accorder progressivement son assentiment à ce qui se donne comme une lumière mêlée aux ténèbres, adaptée à la capacité de l’intellect humain. La rémanence des médiations sensibles que sont les apparitions après la résurrection permet, par conséquent, à Albert de Cologne de montrer qu’elle correspond, en vertu de la dynamique du latent et du patent qu’elle engage, à l’ordre même de la manifestation du principe. Comment le mode de fonctionnement des médiations manuductrices agence-t-il le retrait des apparences sensibles pour permettre à l’intellect humain d’accéder au divin qui s’y manifeste ? III. La dynamique de la présence et de l’absence propre à la médiation manuductrice Les médiations manuductrices mettent en œuvre un processus de signification qui permet à l’intellect humain de passer à un autre mode de manifestation du divin à partir de l’enchaînement de causes et d’effets directement accessibles à l’observation physique. Dans son commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu, l’exégète colonais développe une des caractéristiques de l’enseignement que le Christ donnait à travers les miracles : la dynamique de la présence et de l’absence de l’agent dans le signe qu’il accomplit, notamment dans le miracle. L’hypothèse que nous allons vérifier ici est que cette dynamique constitue le procédé par lequel la médiation sensible « conduit par la main » du signifié premier, à savoir l’acte opéré, au signifié second, à savoir la cause efficiente première.
CHAPITRE II
Le problème philosophique posé par le paradigme des miracles du Christ est, en effet, le suivant : celui qui les accomplit est en même temps celui dont il s’agit de reconnaître la divinité, précisément à travers ce qu’opère le miracle. Autrement dit, deux déplacements sont à effectuer par le destinataire. D’une part, il s’agit, pour lui, de ne pas se fixer sur l’action réalisée en tant que telle, c’est-à-dire de ne pas s’arrêter à la guérison, sans se poser la question du type d’agent susceptible d’accomplir une telle action. D’autre part, il convient de ne pas idolâtrer l’agent humain visible comme cause efficiente du miracle, sans s’interroger sur ce dont il tire sa puissance d’agir. Le miracle appartient à la pédagogie du Christ, en ceci précisément qu’il constitue un signe visible, proportionné à la faculté de connaître du destinataire, susceptible de le « conduire par la main » vers sa cause efficiente première. Voici comment procède l’analyse qu’en donne Albert le Grand. Tout d’abord, dans le commentaire du verset Mt, –‘Tandis qu’il leur adressait ces ’ – à propos duquel le maître de Cologne évoque le verset Mt , – ‘Et alors que Jésus venait dans la maison du premier ’ –, le doute au sujet de la déité du Christ entraîne la nécessité de sa présence sur laquelle seule peut s’appuyer la confiance des destinataires. Cette présence est, précisément, ce qui les « conduit par la main ». : ‘Et alors que Jésus venait dans la maison du premier ’. Cette division est, quant à elle, prise selon trois par rapport auxquels la monstration de l’autorité fut utile. L’un d’eux fut la foi de ceux qui doutaient de la déité. C’est pourquoi aussi ils requéraient présent, en pensant qu’il soignerait par invocation, comme les saints ; il consentit, cependant, à aller vers eux, pour les conduire par la main vers la foi. Or, au verset Mt , , à propos de la libération des démoniaques dans la région des Géraséniens, Maître Albert traite du problème de la pré. ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « () : ‘Et cum venisset Iesus in domum principis’. Ista autem divisio sumitur secundum tria, ad quae fuit utilis auctoritatis ostensio, quorum unum fuit fides eorum qui de deitate dubitabant et ideo praesentem requirebant putantes, quod invocatione curaret sicut sancti, quibus tamen ire consensit, ut eos ad fidem manuduceret. » . Mt , : « Et cum venisset trans fretum in regionem Gerasenorum, occurrerunt ei duo habentes daemonia de monumentis exeuntes saevi nimis, ita ut nemo posset transire per viam illam. », in ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -.
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sence de l’agent prochain du miracle, lorsqu’il l’accomplit. Il y répond, en effet, à la question suivante : pourquoi le Christ n’a-t-il pas fait ces miracles, tout en étant absent, dans la mesure où cela aurait davantage montré la puissance divine ? Sa réponse commence par énoncer la thèse qui est reprise au verset Mt , : la présence du Christ apparaît comme une condition nécessaire pour que ceux qui n’adhèrent pas à sa déité puissent le reconnaître comme celui à qui le miracle, ou signe visible de la puissance divine, doit être attribué. La présence du Christ dans les miracles possède, en effet, une fonction manuductrice. Elle constitue la médiation sensible dont la fonction est de « conduire par la main » progressivement ceux qui doutent de la déité du Christ vers la puissance divine invisible qui se donne à connaître dans les miracles. Mais le Docteur universel apporte une précision qui renseigne sur le mode opératoire du signe efficace représenté par la médiation manuductrice. Lorsque le Christ a effectué des miracles, tout en étant absent, par exemple dans la guérison du fils du centurion à laquelle se réfère explicitement le Doctor universalis, c’est le Verbe qui, par la parole efficace par laquelle il opérait, était présent et sensible aux oreilles de ceux pour qui le miracle était accompli. Par conséquent, le signe qu’est le miracle possède un double mode opératoire, quant à sa face sensible : pour renvoyer à la puissance divine invisible, il procède soit par la présence de la personne de l’agent divin qu’est le Christ, soit par sa seule parole efficace. La pédagogie inhérente aux médiations manuductrices que sont les miracles agence, par conséquent, des degrés dans la progression de l’interprétation par leurs destinataires. Ceux-ci peuvent remonter peu à peu de l’attribution du miracle à la cause efficiente prochaine que représente la personne de l’agent à une cause efficiente plus lointaine qu’est sa parole, afin d’accéder à la cause efficiente première qu’est le principe divin. Il est essentiel à la logique de manifestation des miracles que celui par lequel il s’accomplit se retire et s’absente, afin qu’il n’en apparaisse pas comme la cause ultime. C’est pourquoi la dynamique de la manifestation du principe, en tant qu’il est agissant, semble tenir compte de la pédagogie requise par ses destinataires humains. Le dispositif de signification graduel mis en œuvre par les médiations manuductrices témoigne de cette adaptation du principe à l’intellect humain in via. Celui-ci doit . Jn , -, cf. etiam Mt , -.
CHAPITRE II
à la fois affermir son manque de confiance en s’appuyant sur la présence d’un médiateur qui prononce une parole efficace, notamment ici en vue de soigner (verbum curationis), et le traverser pour se laisser « conduire par la main » jusqu’à ce qu’il puisse véritablement reconnaître la divinité de la puissance qui est dans le médiateur. Le double acte qui consiste à s’appuyer sur la présence de l’agent prochain du miracle et à aller au-delà de lui jusqu’à l’agent premier permet à l’intellect humain de reconnaître que le miracle ne s’accomplit ni par hasard ni par le seul médiateur. Quant à cela, il faut dire que, s’il avait fait un miracle, tout en étant absent, ne lui aurait pas été attribué par les infidèles et par ceux qui étaient d’une foi imparfaite. C’est pourquoi aussi il a fait, tout en étant présent, en tant qu’il conduit par la main notre infirmité et instruit peu à peu, en sorte qu’il enseigne que la puissance était en lui. Et, ainsi conduits par la main, il les a élevés parfois plus haut, en soignant certains, tout en étant absent, de telle sorte, cependant, que, présents, ils ont entendu la parole (verbum) du soin et qu’on ne pense pas que le miracle ait été fait par hasard, et non par lui-même. C’est pourquoi l’enseignement donné par le Christ à travers les miracles précise le mode opératoire des médiations sensibles dans la connaissance du principe du point de vue de la remontée d’une signification prochaine (référence à l’acte et à l’agent sensibles) à une signification éloignée mais première ontologiquement (le principe divin en tant que premier agent). Par leur dimension sensible, ces signes « conduisent », d’une part, « par la main » l’intellect humain in via, auquel ils sont proportionnés. Du point de vue du dispositif de signification graduel qu’ils mettent en œuvre, les miracles agencent, d’autre part, la remontée de leurs interprètes depuis la référence sensible à laquelle ils renvoient à la signification première qu’est l’agent divin. Les miracles ne signifient pas, en effet, seulement l’action qui en résulte, la guérison par exemple, ni l’agent prochain,
. ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -p. , l. : « Ad hoc dicendum, quod si absens fecisset miraculum, fuisset ab infidelibus et ab his qui imperfectae erant fidei, non sibi attributum, et ideo ut manuducens nostram infirmitatem et paulatim instruens fecit praesens, ut doceret sibi inesse potentiam. Et sic manuductos aliquando elevavit altius curans aliquos absens, ita tamen, quod verbum curationis praesentes audirent, ne casu et non per ipsum putaretur factum esse miraculum. »
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ici le Christ-homme qui guérit. Mais ils renvoient ultimement à l’origine de la capacité que possède la cause efficiente prochaine de les accomplir. Les textes albertiens sur les miracles comme médiations manuductrices définissent une typologie spécifique des signes. En premier lieu, certaines médiations manuductrices ressortissent aux signes efficaces, tels que les miracles ou les sacrements. En deuxième lieu, leur mode de signification ne se satisfait pas d’une interprétation littérale qui se limiterait à la fonction référentielle, ni même, comme pour un signe linguistique quelconque, à la seule intellection du signifié abstrait (miracle, guérison…). Le « signifié » ultime dont il est question ici, le principe divin en acte, a pour trait caractéristique de demeurer incommensurable à toutes les « mises en images » par lesquelles il ne laisse de se manifester. Cette typologie des signes manuducteurs met au jour les dimensions ontologique et métaphysique de la manuductio comme logique de manifestation du principe divin selon la dynamique du latent et du manifeste. En quoi les dimensions anthropologique, noétique, pédagogique, ontologique et métaphysique que nous avons explorées, en parcourant le réseau textuel de la manuductio, éclairent-elles le passage du Super Iohannem qui constitue le point de départ de cette enquête ? SECTION VI : LE SUPER IOHANNEM OU LA
MÉDIATION COMME MODE DE
CONNAISSANCE IN VIA
I. L’intention d’Albert le Grand dans son commentaire du Prologue de l’Évangile de Jean La figure de la manuductio comporte les caractéristiques suivantes : la médiation caractérise l’intellect en tant qu’il est humain et, dans la mesure où il est considéré dans une perspective anthropologique, sa connaissance du principe requiert des médiations. Or ces caractéristiques appartiennent aux fondements établis par le Doctor universalis dans le commentaire du Prologue de Jean. À la divisio textus qui place le témoignage en clef de voûte de l’ensemble de l’Évangile de Jean s’ajoute la direction qu’il imprime au début du premier chapitre de son Super Iohannem. Par deux fois, en des points stratégiques (au seuil de la première partie, qui . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh., in Ioh. , b ; in Ioh. , a ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. ; p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ; p. , l. -p. , l. ).
CHAPITRE II
commence au verset , et avant d’entrer dans la partie narrative de l’évangile avec le verset ), il y évoque, en effet, la question de la connaissance compréhensive de Dieu. Observons comment Albert le Grand formule explicitement son intention dans le commentaire du verset Jn , – ‘Dieu, nul ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a narré’. Il y répond à la question suivante : est-il possible – et, si oui, à qui – de connaître Dieu immédiatement, tel qu’il est, de manière compréhensive ? Son présupposé demeure fidèle aux destinataires que Jean Chrysostome attribue à Jean l’évangéliste, ces « sages grecs » et « ceux qui étaient nourris dans la philosophie ». Il considère, en effet, le « pur homme vivant dans ce corps », c’est-à-dire l’homme qui connaît à partir des seules conditions normales de sa vie humaine. Une fois exclues les conditions extraordinaires, sa réponse est nette : personne qui soit pur homme ne voit Dieu. Cela implique que, dans la mesure où il connaît « par
. Sur la question générale de la médiation et de l’immédiateté dans la connaissance de Dieu, cf. MCGINN, B., The Presence of God. A History of Western Christian Mysticism : The Harvest of Mysticism in Medieval Germany, p. - ; BURGER, M., « Möglichkeiten theologischer Gotteserkenntnis », in Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. III, p. -. Cf. etiam MEERSSEMAN, G.-G., « La contemplation mystique d’après le Bx Albert est-elle immédiate ? », Revue thomiste (), p. - ; DONDAINE, H.-F., « L’objet et le medium de la vision béatifique chez les théologiens du XIIIe siècle », Revue de théologie ancienne et médiévale (), p. -. . Sur la connaissance du quid est divin, cf. DONDAINE, H.-F., « Cognoscere de Deo ‘quid est’ », Revue de théologie ancienne et médiévale (), p. - ; HOYE, W. J., « Gotteserkenntnis per essentiam im . Jahrhundert », in A. Zimmermann (Hrsg.), Die Auseinandersetzungen an der Pariser Universität im . Jahrhundert, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. -, notamment p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. Casteigt, p. , l. - (trad. p. , l. ) : « […] Grecis sapientibus et in philosophia nutritis […] ». Cf. également, ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. Casteigt, p. , l. - : « […] sapientibus et perfectis loquebatur et in philosophia enutritis » trad. p. , l. - : « […] Il parlait aux sages, aux parfaits et à ceux qui étaient nourris dans la philosophie […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. Casteigt, p. , l. (trad. p. , l. ) : « […] purus homo uiuens in hoc corpore […]. ». Cf. Glossa marg. super Jn , : « ‘Deum nemo vidit etc.’ : idest nullus purus homo vivens in hoc corpore vidit Deum ut est. » . Sur les limites de la connaissance humaine de Dieu, cf. RIBES MONTANÉ, P., Cognoscibilitad y demonstración de Dios según San Alberto Magno, Editorial Balmes, Barcelona, ; RUBIO, M., Los límites del conocimiento de Dios según San Alberto Magno, Universidad de Navarra, Pamplona, (Cuadernos de Anuario Filosófico ) ; MEIS, A. (intro., trad., not.), Alberto Magno. Sobre la Teología Mística de Dionisio / Super Mysticam Theologiam Dionysii. Según el texto de la Editio Coloniensis traducido y editado por Anneliese Meis. Latín-español (Anales de la Facultad de Teología LIX/, Cuaderno /), Pontificia Universidad Católica de Chile, Santiago, , p. -, intro. p. - ; WEISMANTEL, T., Ars nominandi Deum, p. -.
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l’habitus du pèlerin et seulement du pèlerin», même « l’intellect pur », ainsi « parfait », « n’a jamais vu Dieu tel qu’il est ». Pour l’intellect humain en tant qu’il est humain, le milieu dans lequel il connaît est, par conséquent, la médiation. En considérant l’intellect humain en tant qu’il est humain, le Doctor magnus écarte non seulement l’hypothèse de l’intellect séparé, inhérente à la possibilité de la métaphysique, mais aussi les conditions exceptionnelles, mentionnées par certaines citations des Écritures qui témoignent de la possibilité d’une telle vision – Nb , ; Gn , ; Ex. , ; I R , . Il s’appuie sur deux arguments principaux qu’il emprunte à l’autorité de Jean Chrysostome et à celle de Denys le Pseudo-Aréopagite. Le premier, relatif à la disproportion entre le connu et le connaissant, tient à l’impossibilité, pour une créature, de connaître ce qui est incréé. Selon Jean Chrysostome, en effet, « ni les anges, ni les Séraphins euxmêmes n’ont jamais vu Dieu tel qu’il est ». Le second, concernant . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « habitu uiatoris perfectus et modo uiatoris » . Sur la théorie de la vision de Dieu dans le contexte général du début du treizième siècle, cf. CONTENSON, P.-M. (de), « La théologie de la vision de Dieu au début du XIIIe siècle », Revue des sciences philosophiques et théologiques (), p. -, spéc. - ; HERGAN, J. P., St. Albert the Great’s Theory of the Beatific Vision, P. Lang, New York, . . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] intellectus purus habitu uiatoris perfectus et modo uiatoris numquam uidit Deum ut est. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a) ; ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Contra hoc est quod Numer. XII : ‘Ore ad os loquar ei palam ; et non per enigmata’ ‘apparebo ei’ ; Gen. XXXII : ‘Vidi Dominum facie ad faciem, et salua facta est anima mea’ ; Exo. XXXIII : ‘Loquebatur Dominus Moysi facie ad faciem, sicut solet homo loqui ad amicum suum’ ; Reg. XII : ‘Vidi Dominum sedentem super solium suum et omnem exercitum celi assistentem ei a dextris et a sinistris’. » « Contre cela, est le fait qu’en Nb (, ) : ‘Je lui parlerai bouche à bouche ouvertement et ‘je’ ‘ne lui’ ‘apparaîtrai’ ‘pas par énigmes’ ; Gn (, ) : ‘J’ai vu le Seigneur face à face, et mon âme a été sauvée’ ; Ex. (, ) : ‘Le Seigneur parlait à Moïse face à face, comme un homme a l’habitude de parler à son ami’ ; R. ( R. , ) : ‘J’ai vu le Seigneur assis sur son trône et toute l’armée du ciel qui se tenait auprès de lui à droite et à gauche’. » . Une première citation albertienne de Jean Chrysostome se réfère à IOHANNES CHRYSOSTOMUS, Commentarius in sanctum Ioannem Apostolum et Evangelistam, Hom. in Ioh. n. , PG LIX, col. - ; transl. Burg. Paris, BNF, Lat. , f. vb et ra : « Quod autem creabilis naturae est, qualiter et videre poterit, quod increabile est ? ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; Epist. V, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. ; cap. , p. , l. - ; p. , l. - ; cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. ; Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] nec angeli nec ipsa Seraphim Deum umquam ut est uiderunt. »
CHAPITRE II
l’impossible immédiateté de la connaissance de Dieu en lui-même, c’està-dire en son essence, s’inspire de Denys dans sa au moine Gaius : « Si quelqu’un a vu Dieu, s’il a connu ce qu’il a vu, il n’a pas vu lui-même, mais quelque chose de ce qui est autour de lui ». Or ce qui découle d’une telle conception de l’intellect humain en tant qu’il est humain, dans les conditions normales de la connaissance, est une multiplicité de degrés concernant non seulement l’intellect, mais aussi ce qu’il connaît, la lumière par laquelle il connaît ainsi que son mode de connaissance. En premier lieu, du côté de la puissance de connaître, Albertus Theutonicus établit une hiérarchie entre les intellects. Il distingue, d’abord, les deux extrêmes que sont, d’une part, « l’intellect pur », comme celui du « premier homme », « qui est sans péché », et, de l’autre, l’intellect des bienheureux après la mort, qui voit « Dieu tel qu’il est ». Le premier degré correspond à notre intellect « enténébré » par la peine du péché. Plus obscur, comme « obnubilé », celui-ci a, en outre, Cette seconde référence à Jean Chrysostome se rapporte à IOHANNES CHRYSOSTOMUS, Hom. in Ioh., n. , PG LIX, col. , transl. Burg. Paris, BNF, Lat. , f. vb non ad verbum. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. ; De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. ; Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b. . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epist. I translatio Iohannis Sarraceni, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. -. Cf. transl. Sarr. in Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. et ALBERTUS MAGNUS, Epist. I, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Et si aliquis videns deum intellexit, quod vidit, non ipsum vidit, sed aliquid eorum quae sunt eius, quae existunt et cognoscuntur. » ; De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - ; Summa de creaturis, pars I (De IV coaequevis), q. , a. , qla. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. XXXIV, Vivès, Parisiis, , p. b ; Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; Quaestio , a. , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - ; Quaestio de raptu, a. , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Si quis uidit Deum, si cognouit quod uidit, non ipsum uidit, sed aliquid eorum que sunt circa ipsum. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ). . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -) : « Purus quidem qui sine peccato est, sicut intellectus primi hominis […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - : « Aliquis autem intellectus confortatur habitu glorie siue raptim in hac uita, quamuis tunc non uiuat uita sensuum, sed uita beatorum siue etiam post mortem in beatitudine. Et illi uident Deum ut est. » (trad., p , l. -) : « Un autre intellect est conforté par l’habitus de gloire ou par le rapt en cette vie, bien qu’alors il ne vive pas par la vie des sens mais par la vie des bienheureux, ou bien aussi après la mort, dans la béatitude. Et ceux-là voient Dieu tel qu’il est. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. ) : « obtenebratus ».
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« augmenté cette obnubilation du premier péché par les péchés actuels ». Le deuxième degré, intermédiaire entre les extrêmes, coïncide avec un intellect plus lumineux. Il s’agit de celui qui « par l’habitus, l’application et l’exercice, a affaibli cette obnubilation de la grâce et s’est entraîné vers la lumière (lucem) et , bien qu’il ne voie pas sans médiation, [il] voit, cependant, avec une médiation ce qui est conforme à la lumière (lumine) ». Le troisième degré est plus lumineux encore. Il s’agit de « l’intellect élevé aux théophanies divines (sic) par la vertu de Dieu », c’est-à-dire par « une lumière (lumen) plus grande que la lumière (lumine) de grâce dans laquelle l’intellect voit les divines ». Enfin, détaché provisoirement de sa conjonction avec les conditions de l’existence humaine, l’intellect peut être « conforté par l’habitus de gloire ou par le rapt en cette vie, bien qu’alors il ne vive pas par la vie des sens mais par la vie des bienheureux, ou bien aussi après la mort, dans la béatitude. ». Mais les conditions de connaissance par rapt sont exclues de l’analyse qu’Albert de Cologne conduit dans son . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. ) : « […] illam obnubilationem primi peccati adauxit per actualia peccata. » . Une autre traduction possible consiste à considérer medio comme l’antécédent de quod : « il voit, cependant, avec une médiation qui est conforme à la lumière ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Aliquis est qui habitu et studio et exercitio gratie obnubilationem illam debilitauit et ad lucem se traxit et, quamuis sine medio non uideat, tamen cum medio uidet quod conforme est lumini […]. » . Sur la théophanie comme don divin, cf. WÉBER, É.-H., « L’apophatisme dionysien chez Albert le Grand et dans son école », in Y. de Andia (éd.), Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, Paris, (Collection des études augustiniennes ), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] intellectus ad theophanias diuinas uirtute Dei eleuatus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] lumen maius lumine gratie, in quo intellectus uidet diuina […]. » . Sur le rapt, cf. MEIS, A., « Alberto Magno, Sobre el texto de la Editio Coloniensis », Anales de la Facultad de Teologìa /-, p. - ; FAES DE MOTTONI, B., « I piacieri del profeta, del rapito, del contemplativo. Riflessioni di un anonimo medievale, di Alberto Magno, di Tommaso d’Aquino », in C. Casagrande e S. Vecchio (ed.), Piacere e dolore. Materiali per una storia delle passioni nel medioevo, SISMEL-Ed. del Galluzzo, Firenze, (Micrologus’ Library ), p. -. . Sur la vision béatifique, cf. HERGAN, J. P., St. Albert the Great’s Theory of the Beatific Vision. Cf. etiam supra chapitre II, p. , note , DONDAINE, H.-F., « L’objet et le medium de la vision béatifique chez les théologiens du XIIIe siècle » (), p. - ; cf. supra chapitre II, p. , note , DONDAINE, H.-F., « Cognoscere de Deo ‘quid est’ » (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Aliquis autem intellectus confortatur habitu glorie siue raptim in hac uita, quamuis tunc non uiuat uita sensuum, sed uita beatorum siue etiam post mortem in beatitudine. »
CHAPITRE II
commentaire du verset Jn , . Celle-ci porte, en effet, exclusivement sur l’intellect humain en tant qu’il est humain. Car, rappelle-t-il, « ils appellent ‘pur homme’ celui qui n’a en lui rien que les humaines qui relèvent de la vision du pèlerin. Et ainsi n’appellent-ils pas ‘pur homme’ celui qui a déjà revêtu l’habitus de gloire. ». Du point de vue de la puissance de connaître, une fois exclues la connaissance par rapt et celle des bienheureux après la mort, l’intellect humain s’avère, par conséquent, une faculté dont la clarté peut connaître des degrés différents. Connaître, pour un intellect humain, signifie, par suite, traverser les degrés de clarté croissante de son acte d’intelliger, éprouver comme son milieu même ces grades de l’intellect, jusqu’à la fin dans laquelle ces médiations s’aboliront. En deuxième lieu, le Docteur universel ménage des médiations également du point de vue du connu. Puisque l’incréé ne saurait être immédiatement connu par l’intellect humain, il s’agit de penser les médiations dans lesquelles il est, alors, connu. La pointe de l’interprétation albertienne consiste ici à esquisser une ontologie du signe compris comme indice, vestige, ou encore comme ressemblance, allégorie, énigme, bref des images qui voilent l’essence divine et la rendent proportionnée à l’intellect humain. Il ne s’agit pas, dans ce mode de connaissance, d’atteindre la quiddité même de la chose. Les étants créés sont plutôt considérés comme les signes du principe divin, en tant qu’ils sont les effets de la cause première. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « ‘Purum’ autem ‘hominem’ uocant qui nichil in se habet nisi humana que sunt de uiatoris uisione. Et sic ‘purum hominem’ non uocant illum qui iam induit habitum glorie. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Ex parte autem eius in quo uidetur Deus distinguunt, quia hoc est aliquando uestigium creature, aliquando enigma obscure allegorie et similitudinis ymaginarie ; Ozee XII : ‘Ego uisiones multiplicaui eis, et in manibus prophetarum assimilatus sum’. » « Du côté de ce en quoi Dieu est vu, d’autre part, ils font une distinction, parce que cela est tantôt le vestige de la créature, tantôt l’énigme d’une obscure allégorie et celle d’une ressemblance imaginaire ; Os. (, ) : ‘Moi, j’ai multiplié pour eux les visions et, dans les mains des prophètes, j’ai été mis en similitudes’. » . Sur les notions albertiennes de symbolum ainsi que de figura, imago, similitudo, vestigium, cf. les analyses détaillées de ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo, Teil II, Kap. II, ., p. - (signum), p. - (figura), p. - (imago), p. - (similitudo), p. - (symbolum), p. - (vestigium) et ANZULEWICZ, H., « Der Bildcharakter der Seinswirklichkeit im Denksystem des Albertus Magnus », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie (), p. -.
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En troisième lieu, le milieu même dans lequel Dieu est connu est, aux yeux de Maître Albert, affecté de degrés. La nature de la lumière par laquelle se diffuse ce qui est vu dans le milieu qui le relie au voyant connaît, en effet, à son tour, des degrés de clarté différents qui déterminent, par suite, le mode de vision de celui qui connaît. Le Dominicain rhénan les énonce : grâce de foi, théorie ou contemplation, gloire. Enfin, en quatrième lieu, le mode de connaissance dépend des médiations qui s’interposent entre l’homme qui vit dans son corps et Dieu. Le Docteur universel les désigne, en ce texte, dans les termes suivants : la distance (procul) qu’implique la médiation (medium) du péché, le voile (velum) de l’infidélité. Qu’est-ce donc que connaître le principe divin, pour un intellect humain en tant qu’il est humain ? Cela signifie habiter un cosmos hiérarchisé en degrés qui à la fois l’affectent, en tant que connaissant, et qui touchent aussi ce qui se donne à sa connaissance, le milieu de lumière . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Aliquando autem est lumen gratie fidei, aliquando est lumen theorie, siue contemplationis, aliquando est lumen theophanie, aliquando lumen glorie, que omnia Deum ostendunt plus et minus. » « Il y a, en revanche, tantôt la lumière (lumen) de la grâce de la foi, tantôt la lumière (lumen) de la vision (theorie), ou de la contemplation, tantôt la lumière (lumen) de la théophanie, tantôt la lumière (lumen) de la gloire, qui montrent toutes Dieu plus ou moins. » . Pour une interprétation de l’exposition du verset Jn , et sur le point particulier de la grâce de foi, cf. SENNER, W., Alberts des Großen Verständnis von Theologie und Philosophie, p. . . Dans la perspective que nous adoptons de suivre le corpus de textes délimités par les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, les termes touchant les distinctions relatives au connu, au milieu et au mode de connaissance n’apparaissent pas. C’est pourquoi nous ne développerons pas ici ces concepts. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ) : « Ex parte modi uidendi etiam distinguunt, quia est uisio Dei procul, quando est in peccato, aliquando sine medio peccati, aliquando cum uelamine infidelitatis, aliquando sine illo ; Cor. III : ‘Usque in hodiernum diem, cum legitur Moyses, uelamen est positum super cor eorum. Cum autem conuersus fuerit quis ad Dominum, auferetur uelamen. Deus enim spiritus est’. Aliquando uidet modo uiatoris, aliquando modo comprehensoris. Dicunt ergo quod intellectus purus habitu uiatoris perfectus et modo uiatoris numquam uidit Deum ut est. » « Du côté du mode de voir, ils font également une distinction, parce qu’il y a la vision de Dieu de loin, quand elle est dans le péché, tantôt sans la médiation du péché, tantôt avec le voile de l’infidélité, tantôt sans lui ; Co. (, -) : ‘Jusqu’au jour d’aujourd’hui, quand on lit Moïse, un voile a été posé sur leur cœur. Mais, quand l’on se sera converti vers le Seigneur, le voile sera retiré. Car Dieu est esprit’. Tantôt il voit à la manière du pèlerin, tantôt à la manière de celui qui comprend. Ils disent donc que l’intellect pur, parfait par l’habitus du pèlerin et seulement du pèlerin, n’a non plus jamais vu Dieu tel qu’il est. »
CHAPITRE II
dans lequel il voit et le mode de vision qui en découle. Il s’agit, pour Albert le Grand, de penser la médiation en distinguant ces degrés d’une origine et d’une fin dans lesquelles ils trouveraient un accomplissement en termes d’immédiateté. Le signe que son intention principale consiste à déployer la fresque de ces médiations est le fait qu’il ne prend pas soin d’articuler les uns aux autres les degrés qu’il vient de distinguer. Il ne lui tient manifestement pas à cœur ici d’indiquer le mode de la progression qui permettrait de passer de l’un à l’autre. Il entend surtout rappeler à son lecteur la position dans laquelle il se trouve en tant qu’intellect humain, au seuil de la narration évangélique. Avant d’entendre le témoignage que rend au Verbe divin « un autre », à savoir Jean le Baptiste, et le témoignage que le Verbe divin se rend à lui-même, il importe au maître de Cologne de faire mémoire du fait que nul intellect humain, en tant qu’il est humain, ne saurait connaître le principe ut est. II. Le témoignage, une connaissance dans le milieu de la médiation En quoi la question disputée du verset Jn , introduit-elle le témoignage comme réponse au problème noétique formulé par la figure de l’animal volant nocturne et comme voie vers la connaissance du principe alternative à celle de la métaphysique ? Le témoignage auquel prépare la réponse d’Albertus Magnus dans le commentaire du verset consiste, en premier lieu, en une connaissance caractérisée de toutes parts par la médiation. Il constitue, en second lieu, une connaissance destinée à l’intellect humain en tant qu’il est humain. Elle s’adresse à lui en tant qu’il demeure dans la condition du pèlerin, dans la condition de celui qui n’a précisément pas atteint la fin de son voyage. Alternative, cette réponse suppose de distinguer, d’un côté, la vision de l’homme, limitée aux conditions corporelles de la connaissance et, de l’autre, la vision dans la lumière de gloire, la vision par rapt en cette vie ou celle qu’ont les bienheureux après la mort. La première est caractérisée par la médiation et, par suite, par l’obscurcissement de la lumière du principe. Les critères distinctifs de la seconde sont, en revanche, l’immédiateté, la vision de Dieu tel qu’il est et la compréhension entendue . Cf. WÉBER, É.-H., « L’interprétation par Albert le Grand de la Théologie mystique de Denys Ps.-Aréopagite » (), p. -. L’auteur précise que la vision de Moïse dans la ténèbre n’est pas encore une vision face à face dans la patrie mais une connaissance dans une théophanie de grâce (p. , note ). Il décrit le caractère immédiat surnaturel de la vision eschatologique (p. -).
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comme la possibilité d’« atteindre en esprit la substance divine sans comprendre ce qu’elle est en raison de son infinité ». Mais l’alternative n’est pas exclusive. S’intéresser à l’intellect en tant qu’il est humain ne revient pas, en effet, à évincer radicalement la possibilité d’une vision immédiate du principe divin. Cela équivaut plutôt à ne pas uniquement subordonner le mode de connaissance « du pèlerin » à la fin de son « chemin ». Albert le Grand nous invite ainsi à être attentifs à ce qui se passe justement in via, en ce milieu humain qui pourrait trouver son accomplissement sur un tout autre mode : celui de l’immédiateté. Or il semble que, dans le mode de connaissance inauguré par le témoignage, la médiation qui le caractérise se dise en plusieurs sens. III. Cosmos de degrés : multitude de sens de ‘médiation’ La notion de médiation peut, en premier lieu, se rapporter aux traits distinctifs de la connaissance de l’intellect en chemin qu’Albert de Cologne développe dans son exégèse du verset Jn , . Elle désigne alors, d’une part, ce dans quoi le principe incréé, qui ne peut être connu immédiatement, est connu de manière proportionnée aux capacités du connaissant, ici dans le vestige, l’énigme ou la similitude. Elle signifie, d’autre part, le milieu de la connaissance par lequel le connaissant est relié au connu par un certain type de lumière. Elle se réfère, en outre, à la manière dont la puissance de connaître – considérée en tant qu’elle est conjointe aux conditions de l’existence humaine, et non pas comme intellect pur – se rapporte au principe, distinguant ainsi des types ou des degrés d’intellects selon leur capacité de recevoir la lumière du principe. ‘Médiation’ désigne aussi la quatrième caractéristique de la connaissance de l’intellect pèlerin : les modalités de la connaissance qui dérivent de la détermination des trois précédentes. . Sur l’infinité divine, cf. CATANIA, F. J., « Divine Infinity according to Albert the Great’s Commentary on the Sentences », Medieval Studies (), p. - ; SWEENEY, L., « Albert the Great on Divine Infinity. A Response to Francis Kovach », in W. Carroll (ed.), Greek and Medieval Studies in Honor of Leo Sweeney, S. J., P. Lang, New York, , p. - ; WEISMANTEL, T., Ars nominandi Deum, p. - ; CÔTÉ, A., L’infinité divine dans la théologie médiévale (-), Vrin, Paris, (Études de philosophie médiévale ) ; ARBIB, D., Descartes, la métaphysique et l’infini, PUF, Paris, (Épiméthée). . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « […] mente attingere substantiam diuinam, et non comprehendere quid est propter ipsius infinitatem. »
CHAPITRE II
En deuxième lieu, la notion de médiation correspond aux degrés que représentent les différentes relations des intellects au principe et les modes de connaissance qui s’ensuivent. Elle ne se situe plus alors seulement dans le champ noétique, mais dans le domaine métaphysique. Si, en effet, la connaissance du pèlerin est, d’un quadruple point de vue, caractérisée par la médiation, elle signifie, par suite, que non seulement l’intellect, mais aussi ce à travers quoi il connaît le principe, tout comme la lumière intelligible par laquelle il connaît et le mode de connaissance rendu ainsi possible, dessinent un univers métaphysique de médiations dans lequel le principe se fait connaître aux différents étants intellectifs selon la place qu’ils y occupent respectivement. En troisième lieu, ‘médiation’ peut aussi s’entendre dans l’acception du moyen par rapport à la fin. La question que le Docteur universel pose, à travers ce sens de ‘médiation’, est celle du statut de la connaissance de l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination comme point de départ et comme moyen par rapport à la fin dans laquelle elle s’accomplit en connaissance immédiate du principe. Cependant, tant qu’il n’a pas atteint la connaissance immédiate du principe, l’intellect humain in via circule à travers des médiations prises en tous ces sens. Elles le « conduisent par la main » jusqu’à l’étape ultime qui marque la fin de la connaissance médiate. La connaissance médiate qu’inaugure la réponse albertienne du témoignage invite le lecteur à glisser d’une signification à l’autre pour embrasser la multiplicité des aspects de la médiation qui la caractérise. C’est pourquoi cette étude se déploie à partir des figures qu’utilise Albert le Grand en vertu de leur capacité à ne pas réduire la médiation à l’une ou à l’autre de ses acceptions et à faire jouer différentes significations ensemble. SECTION VII : DE LA MANUDUCTIO DANS LA VOIE DE LA MÉTAPHYSIQUE ET DANS CELLE DE L’INTELLIGENCE FIGURALE : UN BILAN PROVISOIRE DE L’ENQUÊTE En guise de conclusion de ce deuxième moment du parcours figural à partir de Jn , , reprenons synthétiquement les étapes de notre enquête autour des points suivants : en quoi l’intelligence figurale et sa déclinaison sous forme de témoignage dans le Super Iohannem ouvrent-elles une
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autre voie vers le principe que celle qu’emprunte la métaphysique ? En quoi l’enjeu majeur des voies alternatives vers le principe que constituent la métaphysique et l’intelligence figurale s’avère-t-il la conception de l’intellect humain qui se trouve au fondement de chacun de ces modes de connaissance ? Quelle conception de la médiation manuductrice se trouve déployée dans les corpora dionysien, scripturaire et théologique ? Quels champs de réflexion ouvre désormais pour notre étude la conception de la manuductio inhérente à l’intelligence figurale ? Nous répondrons, dans l’ordre, à ces quatre questions. I. La conception de l’intellect humain, enjeu majeur de l’alternative entre les voies vers le principe que sont la métaphysique et l’intelligence figurale A. Le chiasme de l’intellection humaine du divin : point de départ des deux chemins vers le principe De la dynamique de la continuité inscrite dans le commentaire albertien de la Métaphysique, il résulte qu’il est possible, pour l’intellect humain assimilé à la figure de l’animal volant nocturne, de connaître le principe divin, connaissance réservée à l’intellect en tant qu’intellect et appelée science divine par le Doctor universalis. Comment devient possible ce qui semble, d’abord, très difficile à l’intellect mêlé aux ténèbres ? En vertu d’une comparaison des degrés noétiques de l’intellect avec les espèces biologiques et avec les différents stades de la lumière dans sa procession à partir du soleil, l’intellect humain se voit, en effet, assigné à une place à partir de laquelle l’accès à la connaissance métaphysique suppose une transformation radicale de lui-même. La figure de la manuductio permet de penser à la fois un point de départ de la connaissance qui soit proportionné à l’intellect humain conjoint au continu et au temporel, d’une part, et, d’autre part, sa progression par degrés vers la réception de la lumière propres aux intelligibles de plus en plus séparés. Cependant, la réponse des philosophes par la possibilité de la métaphysique au problème noétique du chiasme dont la figure de l’animal volant nocturne se présente comme la formule synthétique suppose que la fin de la manuductio à travers l’architectonique des sciences coïncide avec l’identification de l’intellect humain avec un intellect séparé. Autrement dit, selon une telle conception de la connaissance du principe, en
CHAPITRE II
vertu de l’ultime solution de la continuité assurée par la manuductio, l’animal volant nocturne se transforme en aigle et les médiations sensibles et imaginaires que sont les intelligibles physiques et mathématiques disparaissent pour laisser place à la contemplation immédiate du principe de toute manifestation. Ce retournement de la médiation en immédiateté dans lequel tout le parcours épistémique s’abolit suppose que l’intellect humain puisse se séparer d’avec lui-même, c’est-à-dire d’avec sa conjonction avec les sens et l’imagination, et d’avec la manière dont il se rapporte au réel, à savoir selon les catégories du continu et du temporel – ou hypercatégories, pourrait-il être dit, puisque le continu subsume les catégories de l’espace et de la quantité. Or un examen plus approfondi de la figure de l’animal volant nocturne a montré que l’ambiguïté du cas de la chauve-souris (vespertilio), en particulier, représente celle de l’intellect, en tant qu’humain et en tant que séparé. Autrement dit, la figure de la chauve-souris, en vertu de sa plasticité, ne signifie pas seulement la différence des espèces biologiques, notamment de leur capacité visuelle respective (par rapport à l’aigle ou à l’herodius, en particulier). Elle n’engage pas seulement la détermination de correspondances naturelles entre les stades noétiques de l’intellect et leur objet respectif. Elle implique aussi, en vertu de la difficulté de classer cet animal, la double nature ou la double dimension de l’intellect humain en tant qu’il est humain et en tant qu’il est intellect. Il s’avère alors que l’articulation des deux dimensions de l’intellect humain selon un rapport de moyen et de fin ne correspond pas aux occurrences de la figure de l’animal volant nocturne et de celle de la manuductio dans les contextes dionysien et scripturaire. B. L’intellect en tant qu’intellect et l’intellect en tant qu’humain Déjà, dans le corpus aristotélicien, si le mode de connaissance par les sens « conduit par la main » l’intellect humain vers son accomplissement en tant qu’intellect dans la connaissance du principe divin, réciproquement, en tant que l’intellect demeure dans les conditions de sa conjonction avec les sens et l’imagination, tout le divin qui lui serait donné immédiatement devrait être reconduit aux images sensibles, afin d’être mieux examiné et retenu. À cela, les commentaires dionysiens ajoutent que l’intellect humain n’est pas angélique, au sens où il ne pourrait se passer de la médiation des symboles, qu’il n’est pas non plus purement intellect, au
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sens où il serait libéré de sa dépendance par rapport aux sens et que ce n’est pas dans les conditions normales de son existence en tant qu’il est humain qu’il connaît finalement le principe en sa « vérité nue ». L’usage de la figure de l’animal volant nocturne et de celle de la manuductio, dans les corpora dionysien, scripturaire et théologique, circonscrit, en effet, le problème noétique ainsi énoncé dans les strictes limites des conditions anthropologiques qui incombent à l’intellect. Le problème formulé au moyen de la figure de l’animal volant nocturne devient, par suite, selon les termes utilisés par Albert de Cologne dans son commentaire du Prologue johannique : comment est-il possible de connaître le principe, en tant que pur homme ou pour un homme en chemin ? À partir de la détermination dionysienne et scripturaire de la conception de l’intellect humain, ce qu’opère la réponse albertienne au problème énoncé synthétiquement par la figure de l’animal volant nocturne consiste donc, dans son commentaire johannique, à remettre en cause l’hégémonie du modèle de connaissance propre à l’intellect séparé. Le milieu de la connaissance caractéristique de l’intellect humain s’identifie, en effet, à la médiation que constitue sa conjonction avec les sens et l’imagination. L’enjeu en est, d’un côté, une réflexion anthropologique sur ce qu’il en est, pour un intellect, d’être conjoint aux facultés des sens et de l’imagination et, de l’autre, une interrogation noétique sur le type de connaissance du principe qu’autorise une telle conjonction. Du point de vue de la conception de l’intellect humain que déploie le maître de Cologne, il apparaît que, tout en constituant un moyen en vue de la préparation de l’intellection des intelligibles purs, l’intelligence figurale représente une opération spécifique par laquelle ce qui est un et le plus manifeste est figuré de manière sensible et imaginaire. Autrement dit, cette opération effectue en quelque sorte le parcours inverse de celui qui est accompli dans l’élévation de l’intellect vers l’intellection des purs intelligibles, lui qui est peu à peu conforté par la lumière de l’être intelligible des étants physiques et mathématiques à partir des données des sens et de l’imagination. La condition de possibilité d’une telle « mise en image » du principe est, par suite, que l’intelligence figurale participe de quelque manière à l’acte par lequel le principe lui-même se manifeste. L’acte de l’intelligence figurale de l’intellect humain et ce qu’il implique, à savoir la dimension métaphysique d’imitation de l’acte par lequel le principe divin se manifeste, feront l’objet du chapitre suivant.
CHAPITRE II
Il appert que, dans la voie vers le principe inaugurée par l’intelligence figurale, le maître de Cologne ne nie pas la rémanence des doutes soulevés au sujet de la possibilité, pour la manuductio, de conduire l’intellect vers la connaissance métaphysique du principe, telle qu’elle est conçue dans la perspective des commentaires aristotéliciens. D’abord, pas plus qu’avec la manuductio dans la voie métaphysique, la connaissance par les médiations sensibles ne saurait faire accéder l’intellect humain au principe en lui-même et en tant que tel. Les images manuductrices ne donnent à connaître, en effet, le principe qu’en déviant la lumière intelligible si puissante, voire violente, qu’elle aveuglerait l’intellect qui la regarderait en face. En ménageant une vision oblique, elles font voir le principe non pas en lui-même, mais en cet autre qu’est la médiation sensible. Ensuite, la solution de continuité qui caractérise le moment ultime de la connaissance métaphysique du principe, au terme de la progression épistémique, touche également la manuductio accordée par les médiations sensibles à l’intelligence figurale. Le disproportionné ressortit à l’Un et n’est pas saisi en tant que tel dans les proportions proposées par les images manuductrices. La voie ouverte par la connaissance ayant recours aux médiations sensibles se place donc, certes, au lieu d’origine même où se constitue la métaphysique et propose un autre cheminement vers le principe à partir du chiasme noétique qui met la philosophie première en mouvement. Néanmoins, elle ne se substitue pas à la métaphysique. Elle n’entend pas lui dérober son hégémonie de reine des sciences. Elle ne dénie pas les limites de la connaissance auxquelles se borne l’intellect humain et ne promet pas une connaissance qui dépasserait celle qui revient au « pur homme », c’est-à-dire à l’homme seulement homme. Bien plus, elle se fonde sur le constat même de la nécessité anthropologique de recourir aux médiations, même lorsque le divin s’est donné immédiatement, ne serait-ce que pour en faire mémoire. La conception de l’intellect qui se trouve au soubassement de la connaissance par médiation constitue donc le principe directeur de la voie vers le principe qu’élabore Albert le Grand sous le nom d’intelligence figurale. C’est elle aussi qui détermine la conception de la médiation déployée dans les contextes dionysien et scripturaire sous l’auspice du paradoxe isaïen comme proportion du disproportionné et réverbération de la lumière du principe.
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II. L’imaginatio, acte dans lequel coïncident la manifestation du principe et sa connaissance par l’intellect humain La médiation sensible par laquelle le principe se manifeste est aussi une manière pour lui de se cacher ou plutôt de se voiler dans son imaginatio, c’est-à-dire dans sa « mise en image ». Or ce voilement apparaît comme la condition de possibilité même de sa manifestation à l’intellect humain conjoint aux sens et à l’imagination. La mise en image, en symbole ou en récit parabolique, parce qu’elle figure le principe de manière proportionnée à la capacité réceptive de l’intellect humain, rend la disproportion propre au principe d’une certaine manière latente. L’imaginatio obscurcit, en effet, la lumière de la source, de telle sorte que l’intellect humain puisse la voir. Cependant, l’intellect humain ne connaît, par la médiation, ni directement le principe ni même le principe en lui-même. Lumière dans les ténèbres, la médiation coïncide aussi avec une réverbération du rayon lumineux qui provient de la source. Ce que l’intellect humain connaît est, en effet, la médiation sensible en tant que celle-ci est essentiellement caractérisée par une disproportion, celle du principe dont elle est précisément la figure. Cette disproportion trans-figure – ou transperce pour ainsi dire – nécessairement ces signes particuliers que sont les signes manuducteurs. Les productions d’images du disproportionné sont, en effet, inévitablement débordées par l’incirconscriptible que, pourtant, elles inscrivent ou circonscrivent d’une certaine façon en le figurant. La manuductio propre à ces signes manuducteurs consiste, par conséquent, dans l’acte de recevoir ce qui excède la proportion qu’est la « mise en image ». En d’autres termes, la continuité élaborée par la manuductio dans le champ des images qui sont des proportions de ce qui demeure disproportionné est le mode sur lequel se déploie en acte le rapport, certes oblique, mais sans cesse poursuivi de figure en figure, avec la disproportion propre au principe. La réverbération oblique de la lumière du principe dans la médiation sensible ouvre ainsi la possibilité, pour l’intellect humain, d’être « conduit par la main », au cœur du signe manuducteur, vers ce qui dépasse la proportion. L’inadéquation de toute proportion au principe que la médiation sensible figure apparaît, alors, comme le ressort de l’acte de figuration : l’inadéquation de la proportion au
CHAPITRE II
disproportionné manifeste le principe dans son irréductibilité à toute figuration dans un étant dont il est le principe. Ainsi la médiation sensible cache-t-elle le principe, de telle sorte que celui-ci peut être aperçu d’une manière proportionnée par l’intellect humain sans l’éblouir, tout autant qu’elle le manifeste en vertu de son inadéquation même. La dynamique du latent et du manifeste inhérente au signe manuducteur fonde, par conséquent, la continuité assurée par la manuductio, dans la mesure où, pour continuer de manifester le principe, il faut que la médiation sensible ne laisse de le cacher. Or l’acte de se figurer, sans cesse recommencé, est, d’abord, celui du principe lui-même qui, selon l’interprétation albertienne, se met en récit parabolique, en s’incarnant, comme si, tel un enfant, il se laissait envelopper de langes. Et, dans la mesure où l’intellect humain reçoit les signes manuducteurs en vertu de sa capacité réceptive qui est proportionnée au temporel et au continu, il peut lui-même imaginer, c’est-à-dire mettre en images proportionnées la disproportion du principe, aperçue dans le débordement même des proportions figurales. III. Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe : esquisse d’un chemin de questionnement pour l’enquête sur la connaissance médiate Deux champs de questionnement s’ouvrent désormais devant nous. Le premier ressortit à la métaphysique et à la théorie de la manifestation. Il se décline en trois questions et sera développé dans la seconde section du prochain chapitre. Nous examinerons en quoi « imaginer » revient, pour l’intelligence figurale, à s’approprier l’acte même par lequel le principe prend figure ; comment l’opération par laquelle l’intelligence figurale « imagine » le principe s’articule avec la manifestation du principe par lui-même ; et nous verrons en quoi la pratique herméneutique qu’impliquent les médiations sensibles de la part de l’intellect humain, telle qu’elle trouve sa source dans le corpus dionysien et est diffusée dans les corpora scripturaire et théologique, ressortit à l’intelligence figurale, en se différenciant de la conception de la manuductio dans le cadre de la possibilité de la métaphysique. Le second champ de questionnement relève d’une théorie de l’acte, à la fois noétique, poétique et pratique, propre à l’intelligence figurale et
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d’une théorie du signe. Nous décrirons les opérations qui caractérisent l’activité de l’intelligence figurale. Celle-ci vise, d’une part, à connaître le principe à travers des médiations sensibles. Elle produit, d’autre part, des images en figurant le principe de manière sensible et imaginaire. Enfin, cette opération la « conduit par la main » vers ce principe même qui se laisse figurer et défigurer dans les médiations manuductrices. Nous indiquerons en quoi consiste plus précisément la manuductio propre aux signes manuducteurs qui tentent de mettre en proportion le disproportionné et ce que signifie cette continuité de l’acte d’imaginatio par lequel l’intelligence figurale poursuit en quelque manière, de figuration en figuration, l’acte par lequel le principe se manifeste lui-même. C’est à ces champs de questionnement qu’est consacrée la première section du prochain chapitre. Ce n’est donc pas au moyen d’un concept ni d’un discours syllogistique que Maître Albert choisit de déployer sa réflexion sur la nécessité de médiations sensibles dans tous les domaines de l’expérience qui touchent la connaissance du principe. Bien plutôt, il a recours à une figure, celle de la manuductio, qui lui permet de transporter cette question d’un champ de pensée à un autre tout en conservant son unité thématique et en l’enrichissant de la diversité des facettes du problème qui se révèlent peu à peu grâce à la faculté métaleptique de la figure. Tournons-nous, désormais, vers l’acte propre à l’intelligence figurale et vers la conception de la médiation manuductrice qu’il entraîne, du point de vue d’une théorie du signe, puis vers le statut métaphysique attribué à celui qui pratique une telle intelligence figurale.
CHAPITRE II
Appendices du chapitre II APPENDICE : LES
OCCURRENCES DES TERMES DE LA FAMILLE DE
MANUDUCTIO DANS LES ŒUVRES DE
PTS De coel. hier., cap. , LXVII, p. , l. n. , secundum p. , l. Eriugenam
DENYS PSEUDO-ARÉOPAGITE
Dionysiaca II, p. -
De coel. hier., cap. , LXVII, p. , l. - II, p. n. , secundum Eriugenam
De coel. hier., cap. , LXVII, p. , l. - n. , secundum Eriugenam
De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam
II, p. -
LXVII, p. , l. - II, p. -
Quoniam neque est possibile nostro animo ad non materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum imitationem et contemplationem nisi ea quae secundum ipsum est materiali manuductione utatur uisibiles quidem formas inuisibilis pulchritudinis imaginationes arbitrans, sensibiles suauitates figuras inuisibilis distributionis, et immaterialis luculentiae imaginem materialia lumina, et secundum intellectum contemplatiuae plenitudinis discursas sacras disciplinas. Etenim non solum et in superpositis et in subiectis animis, sed et in aeque potentibus ipsa lex diffinitur ex superessentiali omnium ordinationis principio, hoc est per unam quamque hierarchiam primas et medias et ultimas esse et ordinationes et virtutes, et minorum esse diviniores doctores et manuductores in divinam adductionem et illuminationem et communicationem. Sed et eloquium illud secundum ipsam sacram intelligentiam accipiendum, non ut partiente Deo cum alteris diis aut Angelis nostrum ducatum et Israel in gentis principatum et gentis ducatum contento ; sed ut ipsa quidem una simul omnium excelsa prouidentia omnes homines salutariter propriorum Angelorum restitutoriis manuductionibus distribuente, solo fere ultra omnes Israel in ueri domini illuminationem et cognitionem conuerso. Ait ergo haec dicens uisionem ab illa susceptam fuisse theologo per unum imperantium nobis sanctorum et beatorum angelorum, et ante illuminatiuam ipsius manuductionem in illam sanctam contemplationem reposuisse.
APPENDICES
PTS
Dionysiaca
De div. nom., cap. , XXXIII, p. , l. n. , secundum Sarracenum
I, p.
[…] et ad ipsam sursumactorum suscitatiua manuductio […].
De div. nom., cap. , XXXIII, p. , n. , secundum l. -p. , l. Sarracenum
I, p.
Si enim aliquis quidem est qui totaliter eloquiis resistat, longe omnino erit et a nostra philosophia ; et si non ipsi cura est Dei uenerationis ex eloquiis, quomodo nobis cura sit illius manuductionis ad theologicam scientiam ?
De div. nom., cap. , XXXIII, p. , n. , secundum l. - Sarracenum
I, p. -
Animae autem motus est circularis quidem ad seipsam introitus ab exterioribus et intellectualium ipsius virtutum uniformis convolutio sicut in quodam circulo, non-errare ipsi largiens et a multis exterioribus ipsam convertens et congregans primum ad seipsam, deinde sicut informem factam uniens unitive unitis virtutibus et ita ad pulchrum et bonum manuducens, quod est super omnia existentia et unum et idem et sine principio et interminabile.
De eccl. hier., cap. , LXVII, p. , l. - II, p. - Mysterion, n. , secundum Eriugenam
Et quodam sacerdote ex descriptione ipsum et anadochum praedicante ipse quidem a sacerdotibus ad aquam ducitur ad summi sacerdotis manum ad eum manuductus.
De eccl. hier., cap. , LXVII, p. , l. - II, p. - II. theôria, n. , secundum Eriugenam
Sunt enim, ut in ea quae est de invisibilis et sensibilibus, actione aperte disputatum est, quaedam quidem sensibiliter sacra invisibilium imaginationes et in ea manuductio et via, invisibilia vero eorum quae sunt secundum sensum, hierarchicorum et principium et scientia.
De eccl. hier., cap. , LXVII, p. , III. theôria, n. , l. - secundum Eriugenam
II, p. - Sacrarum autem tabularum post pacem recitatio praedicat sancte firmatos et ad strenuae vitae consummationem immutabiliter advenientes, nos quidem per similitudinem eorum in beatissimum habitum et deiformem quietem hortans et manuducens, quibus tamquam viventibus pradicat et, ut theologia ait, non moruis, sed in divinissimam vitam ex morte transeuntibus.
CHAPITRE II
PTS
Dionysiaca
De eccl. hier., cap. , LXVII, p. , l. - II, p. - Sacerdotum autem luciducus ordo in n. , secundum sanctas hostiarum inspectiones manuEriugenam ducit perfectos sub diuinorum pontificum ordine, et post eum sacrificans proprias sacras actiones, in quibus hoc quidem ipse agit, deificas ostendens per sacratissima symbola et contemplatores aduenientes perficiens et sacrarum teletarum communicatores, in summum autem sacerdotem remittens scientiam contemplatarum sacrificationum desiderantes. De eccl. hier., cap. , LXVII, p. , l. - p. - Coinquinationibus autem pleni et theôria, n. , immundis maculis, qui quidem secundum sacram quamdam consecuti sunt docEriugenam trinam ipsi uero eam ex proprio animo perdite repercutientes, in corrumpentes sponte se dederunt concupiscentias, cum ad finem ueniunt huius uitae, imparati ut eos bene spernens manifestat eloquiorum diuina legislatio perditas propriis passionibus uoluptates aliis oculis inspicientes et sacram uitam a qua stulte recesserunt beatificantes, miserabiliter et coactiue rescinduntur hac uita, ad nullam sacram spem manuducti propter pessimam uitam. LXVII, p. , II, p. - Etenim divinissimus nostrae sanctitatis Epist. VIII, n. , l. -p. , l. secundum perfector in mansuetudine docet resisSarracenum tentes doctrinae Dei. Doceri enim, non puniri convenit ignorantes, sicut et caecos non punimus, sed manuducimus. Epist. IX, n. -, LXVII, p. , I, p. - Et monstrant quicumque et antevelsecundum l. -p. , l. amina extra theologiam planam cum Sarracenum audierint, in seipsis componunt figuram quandam ad intellectum dictae theologiae ipsos manuducentem. Et ipsa etiam apparentis omnis mundi operatio est invisibilium Dei propositio, quemadmodum dicit et Paulus et verus sermo. Epist. IX, n. , LXVII, p. , I, p. - Humidum autem, diffusiuae simul et secundum l. - ad omnia procedere studentis affluenSarracenum tiae et adhuc per uaria et multa et diuisibilia ab istis ad simplicem et non tremulam Dei cognitionem nutritos iuxta proprietatem suam bonitate manuducentis.
APPENDICES
APPENDICE : LES MÉDIATIONS
SENSIBLES MANUDUCTRICES,
UNE CONDITION NOÉTIQUE INHÉRENTE À LA NATURE HUMAINE
La nécessité des médiations dans la connaissance ne vient pas, selon le Doctor magnus, d’un état acquis marqué par la chute, mais d’un état inné inhérent à la condition humaine. Une occurrence de manuductio l’atteste. Dans la troisième question du premier traité De sacramentis, relative à l’institution des sacrements, la première objection produit l’argument selon lequel l’homme sans péché a besoin d’être « conduit par la main » par des signes, afin d’établir que les sacrements ont été institués avant le péché. Les médiations sensibles manuductrices, ici celles des sacrements, sont, par conséquent, présentées comme une condition noétique inhérente à la nature humaine dans son chemin vers le principe divin. Il semble, en effet, qu’ils aient dû être institués avant le péché, parce que, comme il a été dit plus haut, même l’homme sans péché a besoin de la conduite par la main par les signes qui montrent le salut. Dans sa réponse, Albert le Grand ne reprend pas le terme manuductio. Il distingue deux manières de considérer le sacrement : « pour autant qu’il signifie quelque chose qui doit être possédé dans la patrie céleste ou seulement pour autant qu’il signifie quelque chose qu’il inclut in via ». C’est seulement en ce second sens que les sacrements sont distingués. Si la réponse du maître de Cologne se spécialise dans la distinction des modes de signification des sacrements, néanmoins, ce que présuppose l’objection ne fait pas l’objet d’une réfutation par le Doctor universalis : c’est bien parce qu’elles sont un moyen noétique requis par la condition humaine en elle-même, considérée indépendamment du péché, que les médiations manuductrices peuvent signifier ce qui est in patria ou ce qui est in via.
. ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « () Videtur enim, quod ante peccatum institui deberent, quia, sicut dictum est supra, etiam homo sine peccato indiget manuductione signorum, quae demonstrent salutem. » . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Respondeo, quod sacramentum consideratur dupliciter, scilicet prout significat aliquid in caelesti patria habendum, vel tantum prout significat aliquid quod includit in via, et respectu illius significati ultimi distinguuntur sacramenta et non respectu primi. Et sic patet solutio ad primum obiectum. »
CHAPITRE II
APPENDICE : LA MANUDUCTIO, DIDACTIQUE ET COMMUNAUTÉ DE SAVOIR Plusieurs caractéristiques émergent de la méthode d’apprentissage propre à la manuductio : ce qui est à connaître n’est pas évident, voire même est objet de doute, non pas en soi, mais pour l’intellect humain ; la faculté de connaître est disproportionnée par rapport à son objet, si bien que le terme qui la qualifie est infirmitas ; le mode de connaissance est progressif ; la présence de celui qui « conduit par la main » est ce sur quoi se fonde la confiance, voire l’assentiment de celui qui adhère. Ces caractéristiques appellent la formation d’une communauté didactique adaptée à tous les états du désir de ceux qui apprennent vis-à-vis de ce qu’ils apprennent. Nous en mettrons successivement en lumière trois aspects. Cette communauté doit, en effet, se montrer en mesure d’accueillir et de guider les débutants, d’adoucir les résistances des récalcitrants et de purifier leur désir, afin de les rendre plus ressemblants à ce qu’ils désirent connaître. À travers ces différentes modalités pédagogiques, cette communauté ne laisse de reposer sur la méthode de la manuductio qui suppose la « mise en image » de la doctrine enseignée sous les médiations sensibles. En premier lieu, est indiquée la disproportion de ceux qui apprennent par rapport à ce qui leur est enseigné. Notamment, à propos du quatrième chapitre du De caelesti hierarchia où apparaît explicitement le terme manuductio dans le texte de Denys, ceux qui enseignent les plus petits sont appelés doctores minorum. […] « plus divins », c’est-à-dire plus parfaits dans les divines parmi trois degrés d’une unique hiérarchie : « sont les docteurs des plus petits », c’est-à-dire des inférieurs, quant aux révélations, « et ceux qui conduisent par la main », quant au retour. . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b : « Ad aliud dicendum, quod fides manuducitur auctoritate patrum qui emerunt eam : sed non consentit propter hoc, imo propter ipsam veritatem sine ratione consentit. » « Quant à l’autre , il faut dire que la foi est conduite par la main par l’autorité des Pères qui l’ont reçue, mais elle ne donne pas son assentiment pour cette raison, elle le donne plutôt en vertu de la vérité sans raison. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. : « Etenim non solum et in superpositis et in subiectis animis, sed et in aeque potentibus ipsa lex diffinitur ex superessentiali omnium ordinationis principio, hoc est per unam quamque hierarchiam primas et medias et ultimas esse et ordinationes et virtutes, et minorum esse diviniores doctores et manuductores in divinam adductionem et illuminationem et communicationem. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] “diviniores”, idest magis perfectos in divinis inter tres gradus unius hierarchiae, “esse doctores minorum”, idest inferiorum, quantum ad revelationes, “et manuductores”, quantum ad reductionem. »
APPENDICES
Ceux qui sont « conduits par la main » du sensible vers l’intelligible sont évoqués par le terme simplices, dans le commentaire du quatrième chapitre du De divinis nominibus. Et, pour cette raison, alors que les simples doivent être conduits par la main par ce qui est sensible vers ce qui est intellectuel […]. Dans le commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu, apparaît le terme parvuli dans le même réseau de textes tissé par la figure de la manuductio autour du thème de l’enseignement. Par exemple, dans le commentaire du verset Mt , , l’enseignement en paraboles s’avère le mode adapté aux tout-petits. Ils sont décrits comme ceux dont la faculté de connaître est disproportionnée par rapport à ce qu’elle vise à connaître, ceux qui requièrent un mode d’enseignement progressif et qui partent des ressemblances corporelles pour être « conduits par la main » vers les réalités spirituelles qu’ils ont à connaître. ‘Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?’ Jusqu’à présent, en effet, les disciples charnels ont ignoré la distance entre les tout-petits et les parfaits, ignorant que les tout-petits ne peuvent être instruits, s’ils ne sont conduits par la main par les similitudes des corps vers l’enseignement des spirituelles. Les ressemblances corporelles des réalités spirituelles données par la manuductio sont comparées au lait dont les tout-petits (parvuli) sont abreuvés, parce qu’ils ne peuvent pas encore absorber de nourriture solide. Le Doctor expertus précise que ces parvuli doivent être doués de raison, bien qu’ils ne soient pas des esprits parfaits capables de saisir ce
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , PTS XXXIII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. - : « Quando autem mens per sensibilia moveri studet ad contemplativos intellectus, pretiosiores omnino sunt manifestiores sensuum portationes, sicut planiores orationes, planiora visibilium. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Et propter hoc, cum simplices per sensibilia manuduci ad intellectualia debeant […]. » . Cf., par exemple, ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. ; . . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « ‘Quare in parabolis loqueris eis ?’ Adhuc enim carnales discipuli nesciverunt distantiam inter parvulos et perfectos, nescientes, quod parvuli instrui non possunt nisi manuducti per similitudines corporum ad doctrinam spiritualium. »
CHAPITRE II
qui est spirituel et d’exercer leur jugement éthique. Leur connaissance commence par les sens. Il traite ici de la vérité évangélique quant à la forme de l’enseignement qui nous est proportionnée. Il est tout entier parabolique. L’intellect de l’homme, conjoint au continu et au temps, n’intellige pas bien, en effet, comme dit Denys, ce qui n’est pas adapté aux similitudes des corps. Il ne saisit pas, en effet, ce qui est purement spirituel, à l’exception de l’intellect des spirituels ‘parfaits’ ‘qui’, comme il est dit en He. , , ‘par l’habitude ont le jugement exercé au discernement du bien et du mal’. Or un tel ajustement est appelé ‘lait’, qui est donné aux tout-petits, toutefois doués de raison, afin qu’ils croissent en lui, comme il est dit en P , ; Co. , - : ‘Je vous ai donné du lait boisson, non pas une nourriture solide, comme à des tout-petits dans le Christ. Vous n’avez pas pu encore, et, certes, pas même jusqu’à présent vous pouvez’. Toute notre faculté de recevoir est, en effet, par les sens et nous ne pouvons intelliger les divines, si elles ne sont pas adaptées aux sensibles, comme dit Grégoire, à savoir que « le Royaume des cieux est dit être semblable aux réalités terrestres, de telle sorte qu’à partir de ce que l’esprit connaît, il s’élève vers ce qui est inconnu qu’il ne connaît pas ». Or il introduit ici sept paraboles […].
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -, Dionysiaca II, p. : « Neque enim potest aliter divino principalis ille radius nobis illucescere, nisi sacrorum varietate operimentorum anagogice obvelatus, nobis quoque paterna providentia connaturaliter ac proprie accomodatus. » . Cf. supra chapitre I, p. , note . . Cf. supra chapitre I, p. , note , GREGORIUS MAGNUS, Homiliae in Evangelia, hom. in Matth. , -, n. , CCSL , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Hic agit de veritate evangelica quantum ad formam doctrinae proportionatam nobis. Et est totus parabolicus. Intellectus enim hominis coniunctus continuo et tempori non bene intelligit, ut dicit Dionysius, quae similitudinibus corporum non sunt adaptata ; pure enim spiritualia non capit nisi ‘perfectorum’ intellectus spiritualium, ‘qui’, sicut dicitur Hebr. V (), ‘pro consuetudine exercitatos habent sensus ad discretionem boni ac mali’. Talis autem coaptatio vocatur lac, quod datur parvulis, rationalibus tamen, ut in eo crescant, sicut dicitur I Petr. II (). I Cor. III (-) : ‘Tamquam parvulis in Christo lac vobis potum dedi, non escam ; nondum enim poteratis, sed nec adhuc quidem potestis’. Omnis enim nostra acceptio est per sensus, et intelligere non valemus divina nisi sensibilibus coaptata, sicut dicit Gregorius, quod ‘regnum caelorum ideo terrenis rebus simile esse dicitur, ut ex his quae animus novit, surgat ad incognita, quae non novit’. Inducit autem hic parabolas septem […]. »
APPENDICES
Dans son commentaire de l’Éthique, le maître de Cologne emploie le terme juvenes. Il est, en effet, bien difficile d’obtenir par le sort d’un jeune ce qui est droit quant à la vertu par l’éducation ou par le fait de nourrir, à moins que le jeune lui-même, nourri des meilleures lois de cette sorte, ne soit conduit par la main vers la vertu. Or la cause en est que vivre avec tempérance et persévérer en cela n’est pas agréable à la multitude commune et surtout aux jeunes qui bouillonnent tout entiers dans les passions. Parvuli, minores, simplices, juvenes sont autant d’indices lexicaux du fait que, selon Maître Albert, l’enseignement en paraboles, ou par la similitude des choses corporelles, trouve sa justification dans le fait qu’il s’adresse aux tout-petits, à ceux qui sont dans l’ignorance. La médiation des images sensibles apparaît, alors, comme la condition sine qua non pour qu’ils se mettent en marche vers la connaissance du principe divin. Le Doctor magnus confère, par conséquent, à la communauté des maîtres et des disciples, réunie par la manuductio, des traits particuliers. L’un d’eux est que la manuductio n’est pas destinée à ceux qui ont la prétention de savoir ou à ceux dont l’intellect est parfait, mais aux tout-petits, aux jeunes, aux simples, à ceux qui résistent. Or la disproportion de notre intellect conjoint au continu et au temporel par rapport à ce qui est spirituel n’apparaît pas comme la seule raison de la difficulté de connaître. Albertus Magnus, à la suite de Denys le Pseudo-Aréopagite, dans l’Épître VIII, attribue cette dernière également à une résistance qu’il compare à l’aveuglement de l’ignorance qu’il ne s’agit pas de punir, mais précisément de « conduire » avec douceur « par la main ». Paul enseigne que ceux qui résistent à la vérité sont enseignés dans la douceur, Tm (, -), parce qu’il convient que les ignorants soient enseignés, et non pas punis, de même que nous ne punissons pas les aveugles, mais nous les conduisons par la main. . ALBERTUS MAGNUS, Ethicorum libri X, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. VII, p. ab : « Difficile enim valde est recta sortiri ad virtutem educatione sive nutritione ex juvene, nisi ipse juvenis ex talibus optimis legibus enutritus et manuductus sit ad virtutem. Hujus autem causa est, quia temperate vivere, et in his perseverare multitudini communi non est delectabile, et maxime juvenibus qui toti in passionibus bulliunt. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epist. VIII, n. , secundum Sarracenum, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. - : « Etenim divinissimus nostrae sanctitatis perfector in mansuetudine docet resistentes doctrinae Dei. Doceri enim, non puniri convenit ignorantes, sicut et caecos non punimus, sed manuducimus. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. VIII, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Paulus docet in mansuetudine doceri resistentes veritati, ad Tim. II (-), quia ignorantes convenit doceri et non puniri, sicut nec caecos punimus, sed manuducimus. »
CHAPITRE II
En second lieu, l’enseignement par la médiation des images s’avère capable de prendre en compte la dynamique du désir inhérente à la connaissance, en s’appuyant notamment sur l’admiration pour convertir une résistance en goût de connaître. À propos du deuxième chapitre du De divinis nominibus où est mentionné le terme manuductio, le Docteur universel souligne, en effet, que la vénération, c’est-à-dire une certaine docilité et admiration intérieures qui permettent de vaincre la résistance de celui qui se met en chemin pour connaître, constitue une condition nécessaire pour qu’il se laisse « conduire par la main » vers la science divine. Une transformation de l’état intérieur paraît, par conséquent, accompagner nécessairement le processus de connaissance, selon la méthode de la manuductio. « Et si pour celui-là », c’est-à-dire pour celui qui objecte, qui résiste totalement, « il n’y a pas de soin de la vénération de Dieu à partir des paroles », c’est-à-dire s’il ne prend pas soin de vénérer Dieu en vénérant l’Écriture sainte, « comment ce soin nous incombe-t-il », c’est-à-dire devra-t-il y avoir, « de cette conduite par la main », c’est-à-dire de telle sorte que nous le conduisions par la main « vers la science théologique », c’est-àdire divine, comme s’il disait : d’aucune manière. En troisième lieu, la dynamique du désir dans le processus de l’apprentissage des commençants comme de ceux qui résistent est assumée par la méthode de la manuductio. Elle prend en charge la purification du connaissant. Une autre caractéristique de l’enseignement dans les . DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , secundum Sarracenum, PTS XXXIII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. : « Si enim aliquis quidem est totaliter qui eloquiis resistat, longe omnino erit et a nostra philosophia. Et si non ipsi cura est Dei venerationis ex eloquiis, quomodo nobis cura sit illius manuductionis ad theologicam scientiam ? » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « “Et si ipsi”, scilicet obicienti, qui totaliter resistit, “non est cura venerationis dei ex eloquiis”, idest si non curat venerari deum venerando sacram scripturam, “quomodo nobis cura sit”, idest debebit esse, “manuductionis illius”, idest ut manuducamus eum, “ad scientiam theologicam”, idest divinam, quasi dicat : nullo modo. » . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXIX, p. b : « Ad aliud dicendum, quod illa eruditio est per viam rationis quae contemplatur exigentiam peccati nostri : quia per rationem congrui, peccantem oportet manuduci per connaturalia : sed, ut dicit Dionysius, ut per similitudines corporalium surgat ad incognita : et per ea quae modo didicit, discat spiritualia quae non novit. Licet enim ratio quaerat salutem in elementis corporalibus, non tamen quaerit ex ipsis, ut supra notatum est in auctoritate Magistri Hugonis. » « Quant à l’autre , il faut dire que cette érudition est par la voie de la raison qui contemple l’exigence de notre péché, parce que par la raison de ce qui est conforme, il faut que le pécheur soit conduit par la main par ce qui est connaturel, mais, comme dit Denys, pour qu’il s’élève vers ce qui est inconnu par les similitudes de ce qui est corporel et qu’il apprenne, par ce
APPENDICES
commentaires dionysiens est, par conséquent, d’être composé de deux moments, purgatif et contemplatif, qui constituent le mode du retour selon la méthode de la manuductio. Et cela, je le dis « dans la conduite divine », c’est-à-dire vers Dieu, et cela quant à la purgation par laquelle commence la conduite, « et dans l’illumination et dans la communication », quant à la perfection par laquelle les divines sont communiquées. De même, à propos du treizième chapitre du De caelesti hierarchia, le Doctor magnus détaille la manuductio mentionnée par Denys, celle qui incombe au prophète ou à l’ange inférieur, comme le processus qui commence par une opération purgative, avant de reposer dans la contemplation illuminative. […] « et » il dit que la « conduite par la main » inférieure, c’està-dire une opération par laquelle le prophète a été conduit par la main, « la sienne », c’est-à-dire celle du prophète ou d’un ange inférieur, « a reposé avant l’illuminative », c’est-à-dire celle que la première disposition, comme une vertu première, opère à l’avance par sa lumière (lumine), « a reposé », dis-je, « dans cette sainte contemplation », c’est-à-dire en contemplant les premiers. C’est pourquoi aussi il montre que le supérieur purge. C’est la raison pour laquelle « aussi » le prophète « voit combien il faut dire » voir « en symboles », c’est-à-dire en figures sensibles. Car il voit de cette manière. que, dans cette mesure, il a appris, ce qui est spirituel et qu’il ne sait pas. Car, bien que la raison recherche le salut dans les éléments corporels, elle ne cherche, cependant, pas à partir d’eux, comme cela a été remarqué plus haut dans l’autorité de maître Hugo. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Et hoc, dico “in adductionem divinam”, idest in deum, et hoc quantum ad purgationem, a qua incipit adductio, “et illuminationem et communicationem”, quantum ad perfectionem, per quam communicantur divina. » . Cf. DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Ait ergo haec dicens visionem ab illa susceptam fuisse theologo per unum imperantium nobis sanctorum et beatorum angelorum et ante illuminativam ipsius manuductionem in illa sanctam contemplationem reposuisse. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. : « […] “et” ait inferiorem “reposuisse manuductionem”, idest operationem, qua manuductus est propheta, “ipsius”, scilicet prophetae vel inferioris angeli, “ante illuminativam”, idest quam praeoperatur suo lumine prima dispositio sicut virtus prima, reposuisse, dico, “in illam sanctam contemplationem”, idest in primos contemplantes. Et propter hoc ostendit superiorem purgare, “et” ideo propheta “videt, quantum dicendum” est videre “in symbolis”, idest sensibilibus figuris, sic enim vidit. »
CHAPITRE II
La manuductio concerne donc un processus de connaissance du principe divin qui prend en compte la dynamique de désir inhérente à la connaissance et opère, en s’accomplissant, une purification de l’être de celui qui connaît. Cette dimension du désir et de sa purification est indiquée par des termes, tels que suscitativus et excitativus, dans le commentaire albertien du premier chapitre du De divinis nominibus. Le terme manuductio employé par Denys y est entendu au sens de direction pour l’illumination ou la purgation. Mais, quant à la direction dans le mouvement, il est dit : « la conduite par la main », c’est-à-dire la direction ou celle qui dirige, « est susceptible d’éveiller », c’est-à-dire d’exciter, « quant à celle des actes qui vers le haut », c’est-àdire quant à l’affermissement de ceux qui tendent vers le haut, vers la perfection. Ainsi donc, dans le champ de l’enseignement par la médiation d’images, la figure de la manuductio indique une méthode qui s’adresse à ceux dont la faculté de connaître n’est pas encore proportionnée à ce qu’ils apprennent. Dans ces textes, la manuductio définit une pédagogie et décrit la communauté de transmission du savoir qu’elle fonde : depuis l’admiration qui donne aux plus petits, aux simples, l’élan pour sortir de leur ignorance jusqu’aux nécessaires purifications du désir en passant par les résistances sur le chemin de la connaissance. Or l’intellect, figuré par l’animal volant nocturne, ne sera-t-il pas toujours en état d’ignorance face au principe divin, parce que celui-ci est par nature disproportionné par rapport non seulement à la faculté humaine de connaître in via, mais aussi à toutes ses tentatives pour le connaître, qu’il s’agisse d’ailleurs de science syllogistique ou de connaissance par images ? Dès lors, la question « comment commencer ? » ne concerne pas seulement le point initial de la connaissance, mais bien cette recherche en chacun de ses moments. Car la connaissance du principe divin va, pour ainsi dire, de commencement en commencement.
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , secundum Sarracenum, PTS XXXIII, p. , l. - ; Dionysiaca I, p. : « […] collocatio sancta et stantium firmatio et ad ipsam sursumactorum suscitativa manuductio et eorum quae illuminantur […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Quantum vero ad directionem in motu dicitur : “ad ipsam sursum actorum”, scilicet firmationem eorum quae sursum tendunt in perfectionem, “suscitativa”, idest excitativa, “manuductio”, idest directio sive dirigens. »
APPENDICES
APPENDICE : LES MANUDUCTORES ET
LEUR FONCTION PÉDAGOGIQUE
Les occurrences des manuductores esquissent un système ressortissant à la fois aux hiérarchies angélique et humaine, à l’enseignement et à la liturgie sacramentaire. C’est, en effet, au sujet de l’enseignement et de la fonction du maître qu’apparaît, dans le texte même de Denys le Pseudo-Aréopagite, le terme manuductio, au neuvième chapitre du De caelesti hierarchia. Pour le gloser, le Doctor magnus décline les différentes fonctions recouvertes par la manuductio angélique comme autant d’actions de guider et de garder. Les manuductores peuvent également désigner les docteurs instruits depuis Moïse qui constituent le troisième degré dans la hiérarchie humaine. Ils correspondent aux trois éléments dans la hiérarchie humaine, développés au quatrième chapitre du De ecclesiastica hierarchia où figure le terme manuductor, quant à la Loi mosaïque. Ceux qui « conduisent par la main » sont appelés mystas. . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Sed et eloquium illud secundum ipsam sacram intelligentiam accipiendum, non ut partiente Deo cum alteris diis aut Angelis nostrum ducatum et Israel principatum et gentis ducatum contento, sed ut ipsa quidem una simul omnium excelsa providentia omnes homines salutariter propriorum Angelorum restitutoriis manuductionibus distribuente, solo fere ultra omnes Israel in veri Dei illuminationem et cognitionem converso. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] “manuductionibus”, idest ducatibus sive custodiis, ‘restitutoriis’, idest quibus restituuntur in deum. » « […] par “des conduites par la main”, c’est-à-dire par des guides ou des gardes, “des restaurateurs”, c’est-à-dire par qui ils sont restitués en Dieu. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , theôria , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Post illam vero caelestem et supermundanam hierarchiam in ea quae secundum nos sunt, benefice deitas sacratissimas suas donationes affert, crassis quidem existentibus, secundum eloquium, donavit iuxta legem hierarchiam obscuris verorum characteribus et longissimis principalium exemplorum imaginis et difficilibus ad intelligendum aenigmatibus et figuris non facile discretam habentibus occultam eis contemplationem, in ipsis lucem infirmis aspectibus innocue declarans. Huic autem secundum legem hierarchiae teleta quidem ad spiritualem Dei cultum anagoge ; manuductores autem ad eam ipsi sanctum illud tabernaculum a Moysi sacre eruditi, primo secundum legem pontificum doctore et duce, ad quod sanctum tabernaculum introductive sacroscribens secundum legem hierarchiam impaginemque formae ostensae ei super Sina montem vocate omnia secundum legem sanctificanda. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « “Manuductores”, idest doctores, “eruditi sanctum tabernaculum”, idest de observantiis eius, “a Moyse primo doctore et duce pontificum secundum” veterem “legem, ad quod sanctum tabernaculum” Moyses “sacre scribens” ipsum tabernaculum “introductive”, idest prout competit introductioni rudium, “secundum legem”, idest secundum quod competebat veteri legi, que, idest et, secundum “imaginem”, idest similitudinem, “formae”, idest exemplaris, “ostensae etc.”, Exod. XXV (sqq.). » « “Ceux qui conduisent par la main”, c’est-à-dire les docteurs, “instruits quant au tabernacle saint”, c’est-à-dire au sujet de ceux qui suivent ses observances, “par Moïse, le premier docteur et chef des pontifes selon” l’Ancienne “Loi”, le saint tabernacle vers lequel Moïse , “écrivant
CHAPITRE II
Dans le commentaire du De ecclesiastica hierarchia, cette fonction médiatrice est étendue aux membres de la hiérarchie ecclésiastique, en particulier aux prêtres, dans le contexte du baptême qui se montre, dans le De sacramentis, un lieu central pour la figure de la manuductio et pour le tissage de sources patristiques à propos du sacrement. Ainsi, à propos du deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia où apparaît le terme manuductus, Albertus Theutonicus décrit comment le baptisé est « conduit par la main » des prêtres vers la main de l’évêque, comme une initiation dans la hiérarchie de l’Église qui est l’indice de l’entrée du catéchumène dans le corps ecclésial. Ou encore, à propos du baptême, évoqué au deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia, apparaissent le terme manuductor et la « conduite par la main » opérée par l’instruction que le sacrement implique.
de manière sacrée”, “de manière introductive quant à” ce même tabernacle, c’est-à-dire dans la mesure où il est propre à l’introduction des ignorants, “selon la Loi”, c’est-à-dire selon qu’il était propre à l’Ancienne Loi, et selon “l’image”, c’est-à-dire la similitude, de la “forme”, c’est-à-dire du modèle, “montrée etc.” Ex. (sqq.) » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Post illam vero etc. Hic ostendit haec tria esse in hierarchia humana quantum ad veterem legem. Et primo ponit modum traditionis huius hierarchiae ; secundo ostendit, quae sit teleta eius, ibi : Huic autem etc. ; tertio mystas, ibi : Manuductores autem etc. ; quarto imbutos, ibi : Ad quod sanctum tabernaculum etc. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , Mysterion, n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Et quodam sacerdote ex descriptione ipsum et anadochum praedicante ipse quidem a sacerdotibus ad aquam ducitur ad summi sacerdotis manum ad eum manuductus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] “ipse quidem”, scilicet baptizandus, “ducitur a sacerdotibus ad aquam” iam sanctificatam et “ad manum” episcopi. Et sic postquam est baptizandus “manuductus ad eum”, scilicet episcopum […]. » « […] “lui-même”, certes, c’est-à-dire celui qui doit être baptisé, “est conduit par les prêtres vers l’eau” déjà sanctifiée et “vers la main” de l’évêque. Et ainsi après que le baptisé “eut été conduit par la main vers lui”, c’est-à-dire vers l’évêque […]. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , II. theôria, n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Quorum est symbolum sacrum summo a sacerdote advenienti donatum signaculum et sacerdotum salutaris descriptio in salvatis eum connumerans et memoriis sacris, ponens apud eum anadochum, tamquam vivificae ad veritatem viae amatorem quidem verum et consequentem ducis divini, non errantemque Deo traditis ductionibus sequentis manuductorem. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] ponens anadochum tamquam “non errantem”, quantum ad se, “sed manuductorem sequentis” eum, scilicet baptizandi, “ductionibus”, idest instructionibus, “traditis” sibi “a deo”. » « […] posant l’anadoque comme “ qui n’erre pas”, quant à lui-même, “mais qui conduit par la main celui qui” le “suit”, c’est-à-dire celui qui doit être baptisé, “par des conduites”, c’est-à-dire par des instructions, qui lui ont été “transmises par Dieu”. »
APPENDICES
À propos du deuxième chapitre du De divinis nominibus qui cite le terme manuductor, c’est l’apôtre Paul qui est désigné dans la fonction de celui qui enseigne en « conduisant par la main » Denys et Hiérothée dont il est le maître et, par suite, Denys, disciple à son tour de Hiérothée. C’est à cette fonction médiatrice qui « conduit par la main » vers le principe que se rattache, aux yeux d’Albert de Cologne, le témoin qui apparaît au verset du Prologue de l’Évangile de Jean. Par extension, une fonction médiatrice est, par la figure de la manuductio, reconnue à tout ce qui est susceptible de donner un enseignement. Il peut, par suite, aussi s’agir de livres, comme dans le commentaire du troisième chapitre du De ecclesiastica hierarchia qui emploie le terme manuducens.
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De div. nom., cap. , n. , PTS XXXIII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. - : « Et hoc supernaturaliter intelligens communis noster et ducis ad divinam illuminationem manuductor, qui est multus in divinis, qui est lumen mundi, haec dicit motus a Deo in sanctis eius litteris. » . Cf. MAXIMUS CONFESSOR, Scholia in librum de Divinis nominibus, PG IV, col. B ; B : « “Intelligens communis noster”. Communis magister et institutor nimirum apostolus Paulus : illius enim ope credidit, sicut legimus in Actis. Notandum etiam, sanctum Hierotheum a sancto Paulo edoctum. ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. cum nota. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. : « Dicit ergo : Et hoc quod dictum est, “intelligens supernaturaliter”, idest divina inspiratione, quae super naturalem rationem, “communis manuductor noster et ducis”, idest Hierothei ; fuit enim Paulus magister Dionysii et Hierothei et deinde Hierotheus fuit dux Dionysii. » « Il dit donc : Et ce qui est dit “intelligeant de manière surnaturelle”, c’est-à-dire par une inspiration divine qui est au-dessus de la raison naturelle, “celui qui nous conduit par la main, communément nous et guide”, Hiérothée, fut, en effet, Paul, le maître de Denys et de Hiérothée, et ensuite Hiérothée fut le guide de Denys. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , III. theôria, n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Sacrarum autem tabularum post pacem recitatio praedicat sancte firmatos et ad strenuae vitae consummationem immutabiliter advenientes, nos quidem per similitudinem eorum in beatissimum habitum et deiformem quietem hortans et manuducens, quibus tamquam viventibus pradicat et, ut theologia ait, non moruis, sed in divinissimam vitam ex morte transeuntibus. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Dicit ergo primo quod recitantur nobis ex sacris libris illi qui sancte mortui sunt et pervenerunt ad beatum finem sanctae vitae praeteritae, ut nos eorum exemplo manuducamur ad illam beatam quietem. » « Il dit, d’abord, que nous sont récités à partir des livres sacrés ceux qui sont morts saintement et qui sont parvenus à la fin bienheureuse de la vie sainte passée, pour que, par leur exemple, nous soyons conduits par la main vers ce repos bienheureux. »
CHAPITRE II
Enfin, dans la Postilla super Isaiam, chap. , v. , la main de Dieu elle-même apparaît comme manuductrice. Il est, en effet, fait allusion, dans ce passage, à Assyrius qui n’est conduit que par la raison, à savoir par l’exercice de la philosophie et des vertus naturelles. Le Dominicain rhénan oppose cette manière de procéder à partir des seules forces naturelles à la parole du Psalmiste (Ps. , ) : ‘Tu as tenu ma main droite et tu m’as conduit dans ta volonté et m’a pris avec la gloire’. Celle-ci introduit une manière de se laisser guider par Dieu qui passe par la médiation de la main. Le travail exégétique albertien met en lumière que cette médiation suppose qu’une main soit donnée par les deux acteurs : du côté de celui qui est conduit, selon le psaume, et du côté de Dieu qui conduit, selon l’ajout d’un double génitif que formule le Doctor expertus dans l’expression opere manus auxilii domini indiget qui introduit, en une glose, le terme manuductione. Le propos du maître de Cologne est de montrer qu’à la conduite par la seule raison manque la « conduite par la main » de Dieu. La figure de la manuductio a pour fonction de souligner l’insuffisance des vertus et des facultés naturelles humaines qui requièrent le secours divin et d’insister sur le caractère matériel et médiat de l’aide divine. Celle-ci passe par la main donnée par Dieu et par celle de celui qu’il conduit. ‘Béni, mon peuple d’Égypte’, à savoir pour cette raison qu’il vient au Seigneur par la conduite de la philosophie et par des vertus naturelles, le Seigneur illuminera les ténébreux. Lc , : ‘Illuminer ceux qui sont sis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort’. ‘Et l’œuvre de mes mains par l’Assyrien’. Jérôme ne pose pas ‘soit’, qu’ont certains livres. Assyrius, comme nous avons dit, vient, en effet, par la seule conduite de la raison. C’est pourquoi, également, il a besoin de ‘l’œuvre de la main’, de l’aide du Seigneur et de sa conduite par la main. Ps. , : ‘Tu as tenu ma main droite et tu m’as conduit dans ta volonté et m’a pris avec la gloire’. . Is. , in ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. ; ; ; - : ‘Cui benedixit dominus exercituum dicens : “Benedictus populus meus Aegypti. Et opus manuum mearum Assyrio. Hereditas autem mea Israel”. ’. » . HIERONYMUS STRIDONENSIS, Commentariorum in Esaiam libri duodeviginti, lib. , cap. , n. , ed. M. Adriaen, CCSL LXXIII, Brepols, Turnhout, , p. , l. - ; ibid., lib. , cap. , n. , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - (avec légère modification de la ponctuation) : « ‘Benedictus populus meus Aegypti’. Propter hoc scilicet, quod ductu philosophiae et per virtutes naturales ad dominum venit, dominus illuminabit tenebrosos. Luc. () : ‘Illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis sedent’. ‘Et opus manuum mearum Assyrio’. Hieronymus non ponit ‘sit’, quod quidam libri habent. Assyrius enim, sicut diximus, solo ductu rationis venit et ideo ‘opere manus’, auxilii domini, indiget et manuductione. Ps. (, ) : ‘Tenuisti manum dexteram meam et in voluntate tua deduxisti me et cum gloria suscepisti me’. »
APPENDICES
APPENDICE : « TOUTE NATURE POSSÈDE-T-ELLE DE LA MATIÈRE ? » DE L’ÉQUIVOCITÉ DES TERMES ‘MATIÈRE’ ET ‘NATURE’ DITS DE L’INTELLECT HUMAIN ET DES INTELLIGENCES CÉLESTES
Dans le treizième chapitre du deuxième livre de sa Métaphysique , Albert le Grand introduit une citation du Stagirite qu’il lit à la lumière d’Averroès : « Toute nature a peut-être de la matière ». Elle lui permet de distinguer l’intellect humain de l’intellect des substances séparées. Le premier est perfection du corps corruptible, qui est en puissance à la fois par rapport au lieu et à la forme, tandis que les intelligences motrices sont la perfection des corps célestes incorruptibles, qui ne sont en puissance que par rapport au lieu. La thèse du Doctor magnus consiste à affirmer que ‘nature’ et ‘matière’ se disent de manière équivoque de ces deux types d’intelligences. Cette distinction nous permet d’éclairer la conception albertienne de l’intellect comme puissance matérielle. Le maître de Cologne formule cette distinction à propos d’un passage d’Aristote en Metaphysica, l. , chap. , ( a -). Y est exposé l’un des empêchements de l’intellect humain par rapport à la contemplation de la vérité, à savoir qu’il ne faut pas rechercher l’exactitude de la démonstration mathématique en toutes choses. Le Doctor universalis préfère, en effet, distinguer, à la suite du Stagirite, différents modes de démonstration non seulement à l’intérieur d’une même science, entre le quia et le quid est, mais aussi a fortiori entre les diverses sciences. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Propter quod etiam hic modus istius sapientiae proprius, in quo modo sumus, non naturalis est nec in eo physica quaerenda est a nobis certitudo. Omnis enim natura forsan materiam habet. “Forsan” dico propter intellectum, qui est ultima perfectio hominis, qui a materia est separatus sicut ipsae intelligentiae, quae secundum Peripateticos ultimae sunt perfectiones caelorum. Sed intellectus hominis continuus est cum continuo et tempore per imaginationem et sensum ; et quoad hoc aliquam inclinationem habet ad materiam, quam non habent intelligentiae, quas Peripatetici dicunt esse caelorum perfectiones. Tamen materia aequivoce est in his quae sunt in potentia ad ubi tantum, et in his quae sunt in potentia ad ubi et formam. Et ideo etiam natura aequivoce dicitur de illis, quoniam “natura est principium motus et quietis, in quibus est per se et non secundum accidens”, et ideo de reiteratis in ubi secundum substantiam incorruptibilem semper motis non per eandem rationem dicitur cum his quae secundum substantiam corruptibilem moventur. » . AVERROES, In Aristotelis librum II (α) Metaphysicorum Commentarius, p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. : « “Omnis enim natura forsan materiam habet”. » . Cf. ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. , ( a -), transl. anonyma sive ‘media’, Arist. Lat. XXV-, p. , l. - : « Acrimologia vero mathematica non in omnibus est appetenda, sed in non habentibus materiam. Propter quod non naturalis est modus ; omnis enim forsan natura materiam habet. Ideo que primum perscrutandum quid est natura ; ita namque et de quibus est physica, manifestum erit, et si unius scientie aut plurium est causas et principia considerare. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et ideo acribologia sive demonstratio sive perscrutatio mathematica non in omnibus est appetenda, quo-
CHAPITRE II
Tandis que, dans ce qui ne possède pas de matière, tout en existant dans la matière, une certitude mathématique doit, en effet, être recherchée à propos des étants physiques, la démonstration propre à la science physique doit, pour sa part, tenir compte de la matière et du mouvement et ne saurait, par conséquent, atteindre la certitude mathématique. En ce qui concerne la rhétorique et l’éthique, il suffit d’introduire la persuasion. Or Aristote introduit, face à la distinction à la fois des modes d’être et des sciences qui leur correspondent, une objection : si toute nature possède de la matière, alors toute science sera subordonnée à la physique et relèvera du mode de certitude de la physique. Il en va donc de l’existence et de la légitimité d’une pluralité de sciences d’enquêter sur ce qu’est une nature. L’enquête albertienne, à ce propos, consiste à distinguer la nature de l’intellect humain de celle de l’intellect des substances séparées. Il en conclut que ‘nature’ se prédique d’eux en un sens équivoque. Sa démonstration procède de la manière suivante. L’intellect est, en effet, la perfection dernière de l’homme qui est séparé de la matière, comme le sont les intelligences elles-mêmes dont les dernières, selon les Péripatéticiens, sont les perfections des cieux. L’intellect de l’homme est, pour sa part, conjoint au continu et au temps par les sens et par l’imagination. C’est pourquoi il a une inclination vers la matière que n’ont pas les intelligences célestes. Il convient, dès lors, d’entendre la thèse aristotélicienne selon laquelle « toute nature a peut-être de la matière » au sens où la matière est de manière équivoque dans ce qui est en puissance seulement par rapport au lieu, à savoir les intelligences motrices, et dans ce qui est en puissance par rapport au lieu et à la forme, c’est-à-dire les intelligences conjointes à un corps corruptible. C’est pourquoi aussi ‘nature’ se dit de ces deux types d’intelligences de manière équivoque, puisque « la nature est le principe du mouvement et du repos dans ce qui est par soi, et non par accident ». Par conséquent, elle ne se dit pas selon la même raison niam si in una scientia differunt demonstrationes, ita quod demonstratio primae certitudinis est demonstratio propter quid et ea quae est secundae certitudinis, est demonstratio quia, multo magis in diversis scientiis erit diversitas demonstrationis. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et sic comparando scientias, in genere primae certitudinis demonstratio erit mathematica, quia illa est de non-conceptis cum materia, licet secundum esse sint in materia. Secundae autem certitudinis demonstratio est physica, in quibus ipsa materia et motus varietatem inducunt et casum a certitudine prima, sicut in principiis istius scientiae diximus. Igitur in non-habentibus materiam, esse tamen habentibus in materia appetenda acribologia mathematica. In rhetoricis autem et ethicis sufficiat persuasionem inducere. » . Cf. ARISTOTELES, Physica, lib. , cap. ( b -), transl. Vaticana, ed. F. Bossier et J. Brams, Arist. Lat. VII/, Brill, Leiden et New York, , p. , l. - et in ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] “natura est principium motus et quietis, in quibus est per se et non secundum accidens” […]. »
APPENDICES
de la substance incorruptible et de la substance corruptible, c’est-à-dire de ce qui est réitéré dans le lieu selon la substance incorporelle, en étant toujours mû, et de ce qui se meut selon la substance corporelle. Il ressort de cette distinction que la sagesse, bien qu’elle concerne certaines réalités physiques, ne les considère pas en tant qu’elles sont physiques. Par conséquent, elle ne saurait posséder le mode de la science mathématique ni celui de la physique mais elle possède un mode plus universel que ces deux sciences, et ses preuves se situent en deçà de la certitude mathématique et de la certitude physique et au-dessus de la certitude topique, ou logique. La discussion albertienne de l’objection formulée par Aristote par rapport à la diversité des modes d’être et des sciences qui leur correspondent, à savoir que « toute nature possède peut-être de la matière », intéresse notre enquête au sujet de l’intellect comme puissance matérielle. Albertus Magnus énonce ici la thèse selon laquelle l’intellect humain, en tant qu’il est conjoint au continu et au temps, est une puissance matérielle dont ‘nature’ et ‘matière’ ne se prédiquent que sur un mode équivoque avec les natures que sont les intelligences célestes. APPENDICE : L’INTERPRÉTATION DU TOPOS ARISTOTÉLICIEN DE LA CONJONCTION DE L’INTELLECT AVEC LE CONTINU ET AVEC LE TEMPS SELON XÉNOPHANE, ALEXANDRE ET TERTULLIEN ET LE RISQUE DE LA CONFUSION DU NOÛS ET DE LA HYLÈ
La distinction entre la matière, passibilité immédiate par elle-même, d’une part, et, d’autre part, la puissance matérielle qui rend le noûs capable, par la médiation des sens et de l’imagination, de recevoir des . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « ‘Forsan’ dico propter intellectum, qui est ultima perfectio hominis, qui a materia est separatus sicut ipsae intelligentiae, quae secundum Peripateticos ultimae sunt perfectiones caelorum. Sed intellectus hominis continuus est cum continuo et tempore per imaginationem et sensum ; et quoad hoc aliquam inclinationem habet ad materiam, quam non habent intelligentiae, quas Peripatetici dicunt esse caelorum perfectiones. Tamen materia aequivoce est in his quae sunt in potentia ad ubi tantum, et in his quae sunt in potentia ad ubi et formam. Et ideo etiam natura aequivoce dicitur de illis, quoniam “natura est principium motus et quietis, in quibus est per se et non secundum accidens”, et ideo de reiteratis in ubi secundum substantiam incorruptibilem semper motis non per eandem rationem dicitur cum his quae secundum substantiam corruptibilem moventur. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Ista vero sapientia, quamvis sit de physicis quibusdam, tamen non est de eis, prout sunt physica […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Ex his enim quae ibi dicta sunt, scitur, quod ista sapientia nec naturalem modum nec mathematicum habere potest, sed universaliorem utroque modo ; et probationes eius erunt citra certitudinem mathematicam et physicam et supra certitudinem topicam, quae est in logicis. »
CHAPITRE II
formes est traitée en Metaphysica, l. , tr. , chap. . Cette distinction nous permet d’éclairer l’interprétation albertienne du topos de la conjonction de l’intellect humain avec ce qui est continu et temporel à partir de la discussion qu’engage Albertus Magnus avec les physiologues antiques. Dans ce chapitre de son commentaire de la Métaphysique, à la suite du Stagirite, le Dominicain rhénan discute et réfute, en effet, l’opinion de Xénophane suivi par Alexandre et par Tertullien. La thèse de Xénophane consiste à déduire du fait que le noûs flue de la substance de l’âme, en tant qu’entéléchie du corps, qu’il assume une forme . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Similiter dicere, quod per corporeitatem assumptam sit mobilis, omnino est falsum et a nobis improbatum in Physicis. “Secundum hoc enim maneret corporeitas” una numero in toto et omni motu et mutatione, sicut subiectum motus et mutationis manet unum numero ; et secundum hoc corpus naturale constitueretur dimensionibus quantitatum, et mathematica secundum esse accepta erunt principia physicorum, quae ambo sunt absurda apud omnes qui aliquid noverunt de peritia Peripateticorum. Ideo in Physicis determinavimus corpus physicum ab aptitudine mensurationis trium diametrorum constitui et non ab actuali mensuratione quantitatis mathematicae secundum esse acceptae ; haec enim aptitudo subiecti et materiae, quae unum numero manet in toto motu et mutatione, et ab hac habet mobilitatem. Receptibilitatem autem formae habet ante hanc a seipsa ; et si passibilitas dicitur receptibilitas, tunc passibilitatem habet a seipsa hyle. Si autem passio est a contrario, tunc passibilitatem habet a contrariorum susceptibilitate, et passionem ipsam habet a contrariis susceptis et secundum actum agentibus, quia haec “passio magis facta abicit a substantia”, et non fit nisi agentibus ad invicem contrariis et mutuo se abicientibus a subiecto. Noys autem non sic se habet ad imaginationem, quoniam cum noys in anima hominis habet imaginationem, habet illam ex potentia organica, cuius organum non recipit nisi figuras corporum. Et haec potentia fluit ab animae substantia, secundum quod ipsa est endelechia corporis organici physici habentis potentiam ad vitae opera, et non est ex hoc quod ipsa noys anima per hoc efficiatur quod formam assumat corpoream, sicut iste fatuus dicit, et eum Alexander secutus est. Et fuit hoc principium haeresis cuiusdam Tertulli Graeci opinantis animam habere effigiem membrorum. Si enim sic dimensiones corporum accipit sicut hyle, eo quod idem est noys et hyle, ut isti dicunt, oportebit, quod sicut hyle corporeitate vestita et contrarietate disposita nullum prorsus actum habet extra corporis et contrarietatis permissionem, ita noys induta forma animae, quae est dimensionis, ut iste dicit, nullam habeat operationem separatam a corporis mensuratione et similitudine ; et sic nulla esset in nobis operatio intellectus omnino, quod experta docent esse falsum. Sed isti concedunt hoc, adducentes pro se, quod dicit Aristoteles, quod noster intellectus est cum continuo et tempore. Sed nos iam in praehabitis ostendimus, quod licet sit cum continuo et tempore in prima intelligibilis acceptione, tamen apud se invenit sine continuo et tempore intelligibile, quod est ipsa rei veritas et quiditas ; et tunc omnino est sine tempore et continuo. Deus autem sine syllogismo inducitur sic se habere ad caelum et ad mundum et ideo esse noym et hylen. Et secundum hoc nec divinus intellectus esset sine continuo et tempore, quin immo secundum hoc hyle in omnibus rebus esset intellectus apud se et cum continuo et tempore intelligeret in omnibus, et secundum hoc secundum prudentiam dictus intellectus esset in omnibus. » . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -), transl. anonyma sive ‘media’, Arist. Lat. XXV/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et haec potentia fluit ab animae substantia, secundum quod ipsa est endelechia corporis organici physici habentis potentiam ad vitae opera, et non est ex hoc quod ipsa noys anima per hoc efficiatur quod formam assumat corpoream, sicut iste fatuus dicit, et eum Alexander secutus est. »
APPENDICES
corporelle. Albertus Theutonicus tient cette thèse pour insensée ainsi que celle de Tertullien qui affirme, pour sa part, que l’âme possède l’effigie des membres. Voici comment procède sa réfutation concernant l’une des thèses de Xénophane, à savoir que la hylè, selon elle-même, est indivisible, immobile et impassible, tandis qu’elle devient divisible et mobile, en recevant la corporéité, et qu’elle devient passible et sensible, en recevant la contrariété. Xénophane affirme également que le noûs, d’une part, et Dieu, d’autre part, se rapportent d’une manière semblable, le premier à la réception des sens et de l’imagination ; et le second au fait de revêtir la quantité des cieux et des éléments. Le Doctor universalis tient cette opinion pour très déraisonnable et absolument impossible et abominable. De l’opinion de Xénophane, à savoir que la matière est rendue mobile par la corporéité qu’elle assume, il suivrait, selon le Dominicain rhénan, que la corporéité resterait une en nombre en tout mouvement et en tout changement, comme le substrat du mouvement et du changement demeure un en nombre. Or c’est, selon Albert le Grand, plutôt le propre du substrat et de la matière de demeurer un en nombre en tout mouvement et en tout changement. Ils tiennent la mobilité précisément de cette aptitude. Contrairement à ce qu’affirme Xénophane, ce n’est pas, en effet, de la mobilité que le substrat ou la matière tiennent la capacité de recevoir une forme, c’est-à-dire la passibilité, ou la capacité de recevoir les contraires, mais bien plutôt, avant elle, d’eux-mêmes, c’est-à-dire de la propriété même de la hylè. En revanche, le noûs ne se . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et fuit hoc principium haeresis cuiusdam Tertulli Graeci opinantis animam habere effigiem membrorum. » « Et cela fut le principe de l’hérésie d’un certain Grec, Tertullien, qui pensait que l’âme possédait l’effigie des membres. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Quod autem tertio adducit, quod hyle secundum se est impartibilis et immobilis et impassibilis, et quod hyle accepta corporeitate efficitur divisibilis et mobilis, et accepta contrarietate efficitur passibilis et sensibilis, et quod noys similiter se habet ad acceptationem imaginationis et sensus, et deus similiter ad indumentum quantitatis caelorum et elementi, multum est irrationabile et totum penitus impossibile et abominabile. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Similiter dicere, quod per corporeitatem assumptam sit mobilis, omnino est falsum et a nobis improbatum in physicis. Secundum hoc enim maneret corporeitas una numero in toto et omni motu et mutatione, sicut subiectum motus et mutationis manet unum numero […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] haec enim aptitudo subiecti et materiae, quae unum numero manet in toto motu et mutatione, et ab hac habet mobilitatem. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. : « Receptibilitatem autem formae habet ante hanc a seipsa ; et si passibilitas dicitur receptibilitas, tunc passibilitatem habet a seipsa hyle. Si autem passio est a contrario, tunc passibilitatem habet a
CHAPITRE II
rapporte pas ainsi à l’imagination qu’il possède dans l’âme humaine. Il la possède à partir d’une puissance (potentia) organique dont l’organum ne reçoit que les figures des corps. Autrement dit, le noûs ne tient pas de lui-même sa capacité de recevoir son objet, mais il la tient d’un organe physique. La raison en est que « cette puissance », à savoir le noûs, « flue à partir de la substance de l’âme selon qu’elle est l’entéléchie du corps physique organique qui possède une puissance (potentia) en vue des œuvres de la vie ». C’est en ce point, nous l’avons annoncé, que le Doctor universalis se sépare de Xénophane et de ses disciples qui prétendent que le noûs assume une forme corporelle, voire qu’il possède l’effigie des membres. Ils prétendent déduire la thèse de la forme corporelle possédée par le noûs de la thèse d’Aristote, empruntée au De anima, l. , chap. ( b ), selon laquelle notre intellect est avec le continu et le temps. L’interprétation proposée par Xénophane et par ses disciples du topos aristotélicien de la conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps consiste à déclarer que si le noûs reçoit les dimensions du corps à la manière de la hylè, parce qu’ils supposent que noûs et hylè sont identiques, alors il faudra que le noûs, en tant qu’il est revêtu de la forme de l’âme, comprise comme dimension, n’ait aucune opération séparée de ce qui ressemble au corps et de ce que le corps mesure, de même que la hylè, revêtue de la corporéité et disposée par la contrariété, ne possède aucun acte en dehors de ce que permettent le corps et la contrariété. contrariorum susceptibilitate, et passionem ipsam habet a contrariis susceptis et secundum actum agentibus, quia haec “passio magis facta abicit a substantia”*, et non fit nisi agentibus ad invicem contrariis et mutuo se abicientibus a subiecto. » * ARISTOTELES, Topica, lib. , cap. ( a -), transl. Boethii, fragmentum recensionis alterius et transl. anonyma, ed. L. Minio-Paluello, adjuvante B. G. Dod, Arist. Lat. V/-, Desclée de Brouwer, Bruxelles et Paris, , p. , l. - : « Omnis enim passio magis facta abicit a substantia […]. » et transl. ant. in Topicorum Aristotelis libri VIII, An. Manl. Sev. Boetii Interprete, ed. J.-P. Migne, PL LXIV, Parisiis, , col. B. . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Noys autem non sic se habet ad imaginationem, quoniam cum noys in anima hominis habet imaginationem, habet illam ex potentia organica, cuius organum non recipit nisi figuras corporum. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et haec potentia fluit ab animae substantia, secundum quod ipsa est endelechia corporis organici physici habentis potentiam ad vitae opera […]. » . ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( b ), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. b et in ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. : « Iterum autem in his quae in abstractione sunt, quoniam sicut rectum sic simum, cum continuo enim. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Si enim sic dimensiones corporum accipit sicut hyle, eo quod idem est noys et hyle, ut isti dicunt, oportebit, quod sicut hyle corporeitate vestita et contrarietate disposita nullum prorsus actum habet extra corporis et contrarietatis permissionem, ita noys induta forma animae, quae est dimensionis, ut iste dicit, nullam habeat operationem separatam a corporis mensuratione et similitudine ; et sic
APPENDICES
Or à ceux qui affirment qu’il n’y a pas en nous d’opération de l’intellect pris absolument, Albert de Cologne répond que l’expérience elle-même démontre le contraire. C’est précisément sur leur interprétation du topos aristotélicien que le Doctor magnus s’oppose aux physiologues antiques. La conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps ne concerne que sa première réception de l’intelligible physique à partir des sens et de l’imagination. Elle ne touche pas son appréhension de l’intelligible séparé de la matière, acte de l’intellect qui s’est détaché des facultés reliées au corps. […] bien qu’il soit avec le continu et le temps dans une première réception de l’intelligible, il trouve, cependant, auprès de lui-même, sans continu et sans temps, de l’intelligible qui est la quiddité et la vérité même de la chose. Et il est alors absolument sans temps et sans continu. C’est pourquoi le Doctor expertus dénonce comme une conclusion introduite sans démonstration celle que soutiennent Xénophane et ses disciples, à savoir que Dieu se rapporte au ciel et au monde, qu’il est noûs et matière, que l’intellect divin n’est pas sans temps et sans continu, que l’intellect est, par suite, en toutes choses matière et qu’il intellige en tout avec le temps et le continu. Selon eux, il s’ensuit qu’un tel intellect est en tout. Il ressort de ce texte, pour notre enquête sur l’intellect comme puissance matérielle, conjoint au temps et au continu, que, selon Albertus Magnus, si l’intellect a nécessairement recours à la médiation des sens et de l’imagination pour recevoir des formes sensibles, différentes de lui, il a, en revanche, par lui-même rapport à l’intelligible dénudé de tout élément temporel et continu, dès qu’il connaît la quiddité et la vérité de la chose elle-même. Le Doctor universalis entend combattre une interprétation de la conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps comme matérialisme universel qui confondrait, jusque dans le principe divin, le noûs et la hylè. nulla esset in nobis operatio intellectus omnino, quod experta docent esse falsum. Sed isti concedunt hoc, adducentes pro se, quod dicit Aristoteles, quod noster intellectus est cum continuo et tempore. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « […] licet sit cum continuo et tempore in prima intelligibilis acceptione, tamen apud se invenit sine continuo et tempore intelligibile, quod est ipsa rei veritas et quiditas ; et tunc omnino est sine tempore et continuo. » . ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Deus autem sine syllogismo inducitur sic se habere ad caelum et ad mundum et ideo esse noym et hylen. Et secundum hoc nec divinus intellectus esset sine continuo et tempore, quin immo secundum hoc hyle in omnibus rebus esset intellectus apud se et cum continuo et tempore intelligeret in omnibus, et secundum hoc secundum prudentiam dictus intellectus esset in omnibus. »
Chapitre III
Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe manuducteur SECTION I : L’INTELLIGENCE FIGURALE EN
ACTE ET LES PROPRIÉTÉS
MÉTAPHORIQUES DES IMAGES
D
u point de vue de la théorie de l’acte à laquelle ressortit l’intelligence figurale et de la théorie spécifique du signe qu’elle implique, quelles sont les opérations propres de l’intelligence figurale qui « imagine » le principe dans des signes manuducteurs ? Du point de vue de la méthode, le réseau de la manuductio nous conduira, pour tenter de répondre à ces questions, à un réseau que nous nommerons « secondaire ». Cette appellation signifie qu’un texte, au moins, contenant la figure de la manuductio croise un autre réseau textuel. Ici, il s’agit de la figure du « juge des songes » empruntée à Aristote. Ainsi la figure de la manuductio nous guidera-t-elle, dans ce troisième moment de notre enquête, dans le champ de l’interprétation des rêves, puis de la théologie sacramentaire. Enfin, elle tentera de déterminer l’acte propre de l’intelligence figurale en situant les modalités métaphoriques spécifiques de la poésie et de la théologie. I. Imaginatio comme mise en image du principe divin Dans la perspective de l’intelligence figurale, la conjonction entre ce qui est « le plus simple et le plus manifeste », d’un côté, et les similitudes corporelles, de l’autre, s’élabore à partir de la production d’une forme imaginaire et sensible. L’enjeu des médiations manuductrices réside ici dans le fait de produire une pluralité de figures sensibles et imaginaires susceptibles de mettre en image les réalités divines qui ont des propriétés contraires, puisqu’elles sont invisibles et simples. Dans le passage de la
CHAPITRE III
Somme de théologie, l. , p. I, tr. , q. , chapitre que nous avons lu au premier chapitre de cette enquête et repris dans le second, parce qu’il contient à la fois une occurrence de vespertilio et une occurrence de manuductio, Maître Albert propose à l’intellect humain, qui se rapporte à ce qui est le plus manifeste en soi comme l’œil de la chauve-souris au soleil, non pas de recevoir des images du principe divin mais de les former. Le Dominicain rhénan déclare cette activité productrice capable de « conduire » l’intellect humain « par la main » vers une connaissance du principe, dans son unité et sa simplicité, selon ses facultés cognitives conjointes aux sens et à l’imagination. C’est pourquoi il forme de manière imaginable et sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste, de telle sorte qu’à partir de cela, comme conduit par la main et élevé de manière anagogique, il atteigne enfin ce qui est invisible et le plus simple et qu’il en reçoive une certaine connaissance selon le mode qui lui est possible. Une telle médiation reçoit le nom d’imaginatio, « imagination » ou, plus précisément, « mise en image », « production d’image », précisément en raison de l’acte de mise en forme imaginaire et sensible de ce qui est, par nature, un et simple. La finalité de la manuductio est bien d’atteindre le principe en tant qu’il est simple et invisible. Le chemin noétique s’accomplit, dès lors, dans ce qui possède des propriétés contraires à la méthode par laquelle ce qui est simple et invisible est figuré en une pluralité d’images sensibles. Cependant, le Docteur universel nuance, d’emblée, la possibilité d’une connaissance immédiate et compréhensive du principe en rappelant l’adage du secundum modum recipientis : l’intellect humain en reçoit une certaine connaissance selon le mode qui lui est possible, à la mesure de ses facultés. C’est par la fonction active de la mise en image que le visible peut figurer l’invisible, selon la glose albertienne du deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia.
. Cf. supra, chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -.
INTELLIGENCE FIGURALE EN ACTE
ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
« […] certaines sacrées de manière sensible », c’est-à-dire les sacrées sensibles, « sont des mises en images » (imaginationes), c’est-à-dire des figures, « des invisibles ». Plus bas, dans le même passage de la Somme de théologie, l. , p. I, tr. , q. , chapitre , le Doctor expertus décrit l’acte de l’intelligence figurale comme un acte pictural. La médiation sensible qu’il produit représente « ce qui est le plus simple et le plus manifeste » en tant que l’intellect le « dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination ». Albert le Grand donne à cet acte propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain un nom qu’il introduit par rapport à la source augustinienne qu’il cite : celui d’« intelligence figurale » . Il associe, d’emblée, l’acte de l’intelligence figurale à un autre agent, la lumière immatérielle qui resplendit et fait ainsi connaître à l’intelligence figurale, à travers les peintures produites qui se trouvent en elle, la source divine dont elle provient. En tout cela, en effet, comme dit Augustin dans le douzième du Super Genesim ad litteram, ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale. Comment comprendre la notion de figure qui est introduite ici ? Et que signifie la lumière immatérielle de laquelle resplendit la figure ? À propos du premier point, le Docteur universel s’appuie ici sur l’autorité d’Augustin dans le douzième livre de Super Genesim ad litteram. Au chapitre XXVIII, , Augustin décrit une troisième sorte de . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] “quaedam quidem sensibiliter sacra”, idest sensibilia sacra, “sunt imaginationes”, idest figurae, invisibilium […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. : « […] in figurali […] intelligentia. ». . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. ; cap. et surtout cap. (où il faut lire à la l. avec la PL mundata au lieu de mandata), CSEL XXVIII/, p. , l. - ; p. , l. -, p. , l. - ad sensum. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « In omnibus enim talibus, ut dicit Augustinus in XII Super Genesim ad litteram, id quod figurative et quasi materialiter pingitur in sensu vel imaginatione, immateriali luce et in figurali splendet intelligentia. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. CSEL XXVIII/, p. , l. - : « Quapropter si hoc tertium uisionis genus, quod superius est non solum omni corporali,
CHAPITRE III
vision, la vision par la mens. Elle se distingue de la vision corporelle dans laquelle les corps sont perçus par les sens, d’une part, et, d’autre part, de la vision spirituelle dans laquelle les ressemblances des corps sont appréhendées par le spiritus. La vision intellectuelle, par la mens, est supérieure à ces deux visions. Elle ne fait voir ni les corps ni les similitudes des corps. Elle correspond à ce que saint Paul nomme le troisième ciel ( Co. , ), c’est-à-dire à la vision de la gloire de Dieu, ou de Dieu en son essence. Cette vision face à face, c’est-à-dire directe, fait voir Dieu par l’espèce par laquelle il est tout ce qu’il est. Elle est opposée, en Co. , – ‘Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, en énigme, mais alors nous verrons face à face’ –, à la vision médiate qui advient « par une signification figurée de manière corporelle ou spirituelle ». L’évêque d’Hippone explicite la distinction entre vision immédiate et vision médiate en recourant à la notion de figure. Il identifie ce qu’il quo per corporis sensus corpora sentiuntur, uerum etiam omni illo spiritali, quo similitudines corporum spiritu, non mente cernuntur, tertium caelum appellauit apostolus, in hoc uidetur claritas dei, cui uidendae corda mundantur. unde dictum est : ‘beati mundicordes, quia ipsi deum uidebunt’, non per aliquam corporaliter uel spiritaliter figuratam significationem tamquam per speculum in aenigmate, sed facie ad faciem, quod de Moyse dictum est “os ad os”, per speciem scilicet, qua deus est quidquid est, quantulumcumque eum mens, quae non est quod ipse, etiam ab omni terrena labe mandata (mandata] mundata PL), ab omni corpore et similitudine corporis alienata et abrepta capere potest […]. » . Sur les trois modes de vision dans l’œuvre albertienne, cf. ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo, Teil II, Kap. III, ..., p. -. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - : « […] siue cum mente intelleguntur, quae nec corpora sunt nec similitudines corporum […]. » . Co. , , in AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - : ‘scio hominem in christo ante annos quattuordecim, siue in corpore nescio, siue extra corpus nescio, deus scit, raptum eius modi usque in tertium caelum.’ . Co. , , in AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Ioh. ev. tr. CXXIV, tr. , n. , CCSL XXXVI, p. , l. - : ‘uidemus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem.’ . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - : « […] non per aliquam corporaliter uel spiritaliter figuratam significationem […]. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - : « cur autem non credamus, quod tanto apostolo gentium doctori, rapto usque ad istam excellentissimam uisionem, uoluerit deus demonstrare uitam, in qua post hanc uitam uiuendum est in aeternum ? et cur non dicatur iste paradisus excepto illo, in quo corporaliter uixit Adam inter ligna nemorosa atque fructuosa ? quandoquidem et ecclesia, quae nos congregat in caritatis sinum, “paradisus” dicta est cum “fructu pomorum”. sed hoc figurate dictum est, tamquam illo paradiso, ubi proprie fuit Adam, ecclesia significata sit per formam futuri. quamquam diligentius considerantibus fortassis occurrat illo paradiso corporali, in quo Adam corporaliter fuit, et istam uitam sanctorum significatam, quae nunc agitur in ecclesia, et illam quae post hanc erit in aeternum […]. »
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est donné de voir à Paul, ravi en cette vision face à face, à la vie dans laquelle il vivra éternellement après cette vie. Il reconnaît en cette vie le paradis corporel dans lequel a vécu Adam. Cette identification est autorisée, à ses yeux, par le lien figural entre le paradis où Adam a vécu et l’Église dont le verset Ct , dit qu’elle est un jardin d’arbres chargés de fruits. Ce trait commun aux deux jardins fait du paradis d’Adam la figure qui signifie l’Église « par la forme du futur ». Or ce rapport d’annonce de la vie que les saints mènent maintenant dans l’Église par le paradis corporel, décrit dans le livre de la Genèse, peut être étendu à la vie qui, après celle-ci, se déploiera dans l’éternité. C’est pourquoi Paul voit de manière directe ce qui est décrit et annoncé en figure dans les Écritures. Ainsi Albert le Grand cite-t-il le douzième chapitre de La Genèse au sens littéral d’Augustin non pas en raison de la vision directe mais, bien plutôt, de la vision médiate, en figure, qui lui permet de décrire l’acte de l’intelligence figurale. Celle-ci met en image le principe divin et les réalités spirituelles en déclinant leur unité et leur simplicité dans la multiplicité et la variété des figures matérielles. L’acte de mettre en figures le principe divin implique que l’intelligence figurale repère les traits communs qui relient entre elles les figures au principe divin et puisse considérer les premières comme les annonces figurales du second. La référence à Augustin révèle la complexité de l’acte propre à l’intelligence figurale. Celle-ci ne pourrait mettre en figure le principe divin et les réalités spirituelles, si elle n’interprétait les ressemblances qui permettent aux figures matérielles d’annoncer ce qui ressortit au divin et au spirituel. La notion de figure héritée d’Augustin désigne donc, lorsqu’elle est appliquée à l’intelligence humaine, aussi bien la fabrication d’image du principe divin dans les sens et l’imagination que l’interprétation des ressemblances corporelles qui peuvent signifier le principe « par la forme du futur (per formam futuri) », selon les termes chronologiques employés par Augustin à la suite de Paul (Rm , : forma futuri), ou, en termes de causalité, comme principe et fin des étants créés qui y trouvent leur accomplissement. . Sur la fonction annonciatrice de la figure, cf. AUERBACH, E., « Figura », Archivum Romanicum (), p. - ; rééd. in Neue Dantestudien, I. Horoz, Istanbul, (Istanbuler Schriften ) et in Gesammelte Aufsätze zur romanischen Philologie, A. Francke, Bern und München, , p. -, spéc. p. ; p. . Trad. française par Diane Meur : AUERBACH, E., Figura. La Loi juive et la Promesse chrétienne, préface et traduction de l’allemand par Diane Meur, postface de Marc de Launay, Macula, Paris, (Argô), spéc. p. - ; p. .
CHAPITRE III
De plus, notre hypothèse est que Maître Albert renvoie à l’autorité de l’évêque d’Hippone, en ce passage, parce qu’il y aperçoit en acte l’opération de l’intelligence figurale. En s’appuyant sur les distinctions pauliniennes entre la vision face à face et la vision en énigme ou en miroir, Augustin déploie son interprétation en une série de médiations textuelles. Il relie la vision immédiate de Paul en rapt à l’Église, par l’intermédiaire de la figure du jardin, qu’il associe au jardin corporel où Adam a vécu. De nouveau, il conjoint la vie des saints actuelle dans l’Église à la vie éternelle en prolongeant le mouvement d’annonce par lequel l’Éden préfigure « par la forme du futur » l’Église présentée comme un jardin par le Cantique des cantiques. Augustin d’Hippone, comme Albert de Cologne, pratiquent l’interprétation figurale dont ils produisent simultanément la théorie en acte. À propos du second point – que signifie la lumière immatérielle de laquelle resplendit la figure ? –, l’acte de l’intelligence figurale ne suffit pas à rendre compte des figures matérielles produites dans les sens et dans l’imagination. Celles-ci resplendissent d’une lumière immatérielle, écrit le maître de Cologne. S’agit-il d’un complément de manière qui qualifie la lumière ou d’un complément de cause qui indique un autre agent que la seule intelligence figurale dans la production des images du principe divin et dans leur capacité à manifester le principe divin ? Dans le douzième livre du Super Genesim ad litteram, au chapitre , Augustin décrit la vision médiate qu’est la vision spirituelle comme le fait de voir les similitudes des corps d’une lumière incorporelle propre à ce mode de vision. Il compare cette lumière incorporelle à la lumière corporelle dans laquelle est le ciel, que nous regardons au-dessus de la terre et dans lequel brillent les luminaires et les étoiles. La lumière incorporelle est, par conséquent, à la fois le milieu dans lequel se trouvent les figures des réalités spirituelles et la condition qui permet de les voir. Elle ne saurait tenir lieu proprement d’agent. Augustin attribue plutôt ce rôle aux anges. Ce sont eux qui, selon des modes admirables, font voir . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. -l. : « Sicut autem in ista luce corporea est caelum, quod super terras suspicimus, unde luminaria clarent et sidera, quae corpora longe sunt meliora terrestribus, sic in illo genere spiritali, in quo uidentur corporum similitudines luce quadam incorporali ac sua, sunt quaedam excellentia et merito diuina. quae demonstrant angeli miris modis : utrum uisa sua facili quadam et praepotenti iunctione uel conmixtione etiam nostra esse facientes, an scientes nescio quomodo nostram in spiritu nostro informare uisionem, difficilis perceptu et difficilior dictu res est. »
INTELLIGENCE FIGURALE EN ACTE
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des réalités excellentes et divines à celui qui les regarde spirituellement. Le mode d’action de ces intelligences séparées est, reconnaît Augustin, difficile à percevoir et à dire. Il fait l’hypothèse que, par une jonction (iunctione) ou un mélange (conmixtione) faciles et très puissants, les anges rendent leurs visions nôtres ou qu’ils sachent, par quelque moyen inconnu de nous, informer notre vision dans notre esprit. La mention de la lumière immatérielle faite par Albert de Cologne à propos de ce qui est dépeint de manière figurative et comme matérielle dans une intelligence figurale dans les sens ou dans l’imagination fait donc précisément référence au douzième livre du Super Genesim ad litteram. La lumière immatérielle désigne, d’une part, le milieu dans lequel advient la vision spirituelle des similitudes des corps et, d’autre part, la condition qui nous permet de les apercevoir. Elle renvoie également à l’agent de cette vision qui n’est pas seulement l’intelligence figurale. Celle-ci ne fait en quelque sorte que recevoir la lumière envoyée par les intelligences séparées que sont les anges. Ils communiquent à l’intelligence figurale leurs propres visions. Ce texte central pour l’interprétation du complexe figural de Jn , ouvre donc deux questions majeures. La première concerne le mode d’activité interprétative qui se conjoint à l’activité productrice d’images de l’intelligence figurale. La seconde porte sur la causalité à l’œuvre dans ce que voit l’intelligence figurale. Nous traiterons la première dans cette section du chapitre à propos de l’acte de l’intelligence figurale. Nous développerons la seconde dans la section suivante du même chapitre. À la lumière de ce passage de la Summa theologiae, l. , p. I, tr. , q. , chap. et du rôle actif que joue l’intelligence figurale, il est possible d’interpréter le texte-source pour les occurrences du terme de manuductio, issu du premier chapitre du Super Dionysium De caelesti hierarchia. L’intelligence figurale forge des représentations figuratives et matérielles qui resplendissent dans les sens et dans l’imagination par la lumière immatérielle. Cette activité de l’intelligence figurale éclaire L’activité de l’intelligence figurale éclaire le sens de l’imitation qui advient dans la contemplation des « hiérarchies célestes » et à laquelle seule la manuductio, par des représentations matérielles, nous permet d’accéder. Produire . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -.
CHAPITRE III
de telles images et les interpréter coïncident, pour l’intelligence figurale, avec l’acte même par lequel l’intellect humain contemple le principe divin. En engageant les facultés des sens et de l’imagination, l’acte théorique de l’intellect humain enveloppe ainsi une dimension pratique. Former des images du principe et les interpréter reviennent, pour l’intellect humain, à imiter le principe qui se manifeste dans des médiations matérielles. II. « Le plus habile juge des songes est qui peut inspecter les similitudes » Aux yeux du Doctor universalis, l’intelligence figurale entretient le même rapport avec les peintures « figuratives et comme matérielles dans les sens et l’imagination » que l’interprète avec les rêves. Que signifie, en effet, interpréter des songes ? Le Doctor magnus s’appuie sur le De divinatione per somnum où Aristote signale que « le plus habile juge des songes est celui qui peut inspecter les ressemblances ». Le trait commun à l’interprétation des songes et à la manuduction effectuée par les images est, par conséquent, selon le Maître Albert, l’examen des ressemblances. . Sur l’oneirologie albertienne, cf. KRUGER, S. F., Dreaming in the Middle Ages, Cambridge University Press, Cambridge, (Cambridge Studies in Medieval Literature), p. - ; RICKLIN, Th., Der Traum der Philosophie im . Jahrhundert. Traumtheorien zwischen Constantinus Africanus und Aristoteles, Brill, Leiden, Boston und Köln, (Mittellateinische Studien und Texte, ), p. - ; ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo, Teil II, Kap. III, .., p. - ; SÖDER, J., « Albert der Große über Sinne und Träume. Beobachtungen am Traumtraktat von De homine », in Micrologus () : I cinque sensi / The five senses, p. -. . Cf. SÖDER, J., « Albert der Große über Sinne und Träume », notamment p. et sur la différence entre le sens étroit qu’Albert le Grand attribue à l’imagination, dans le cadre de son traité du rêve, dans le De homine, quand il l’identifie à la phantasia, et son sens large selon lequel elle désigne la faculté d’imaginer qui comprend l’imaginatio, la vis aestimativa et la phantasia, cf. p. . . ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -), transl. vetus, in De insomniis et De divinatione per somnum. A new edition of Greek text with the Latin translations by H. J. Drossaart Lulofs, vol. : . Preface, Greek Text ; . Translations, Index verborum, Brill, Leiden, (Philosophia antiqua. A series of monographs on ancient philosophy, ed. W. J. Verdenius and J. H. Waszink ), in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. - : « Artificiosissimus autem est iudex sompniorum, qui potest similitudines inspicere. » . À propos du travail de l’intelligence figurale dans les rêves, cf. les exemples donnés dans AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. ; cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ; p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. IX, Vivès, Parisiis, , p. b : « Artificiosissimus autem judex est somniorum, qui bene similitudines potest ex facultate naturae et artis inspicere. » . À propos de l’examen de la similitude, vide etiam ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. Sur l’expression per inspectionem similitudinem, cf. ANZULEWICZ,
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
Le texte dans lequel le terme manuductio est relié au réseau du juge des songes est tiré du commentaire de l’Épître IX de Denys le PseudoAréopagite dans lequel le Dominicain rhénan développe le mode selon lequel l’Église est « conduite par la main » vers la connaissance de Dieu. Elle procède par des similitudes, des figures qui, selon une certaine proportionnalité, se rapportent à Dieu. La méthode est ici comparée à celle de l’interprétation des songes dans le De divinatione per somnum et à la langue des prophètes à partir des citations de Dn , et Os. , . Le contexte de la manuductio universelle de l’Église vers la connaissance de Dieu fournit, par conséquent, au maître de Cologne l’occasion de rassembler, dans la même méthode de la « conduite par la main » au moyen de médiations sensibles, le langage prophétique et l’interprétation des rêves. Ce qui permet de les rassembler sous une même méthode est leur recours commun à l’inspection de la similitude. Celle-ci consiste, d’une part, à considérer les propriétés des choses comme des figures dans lesquelles le principe divin se décrit et, d’autre part, à s’élever vers lui à partir d’elles en s’appuyant sur la similitude de proportionnalité que nous expliciterons plus loin. Dans le passage du De divinatione per somnum auquel il est fait ici allusion, Aristote signale précisément que « le juge des songes est au plus haut point habile dans l’art qui peut inspecter les similitudes ». Et sont appelés postérieurs et inférieurs les effets de celui-ci, remplie desquels l’Église militante est conduite par la main vers la connaissance de Dieu lui-même. Or le mode de l’exposition est par l’inspection de la similitude, de même aussi que dit le Philosophe au sujet des expositions des songes, quand, une fois inspectées les propriétés des choses sous la figure desquelles H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), spéc. p. - ; -. . DIONYSIUS AREOPAGITA, Epist. IX, n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca I, p. - : « Etenim incongruentiam duram imprimunt imperfectis animabus, quando secretae sapientiae patres per quaedam occulta quidem et praesumpta aenigmata manifestant divinam et mysticam et inviam immundis veritatem. Propter quod et increduli sumus multi sermonibus de divinis mysteriis ; videmus enim illa cum sensibilibus signis assistentibus illis. Oportet autem et reddentes ipsa in seipsis nuda et munda facta videri ; ita enim videntes honoremus fontem vitae ad seipsum effusum atque in seipso stantem, videntes et unam quandam virtutem simplicem, per se mobilem, per se operantem, seipsam non relinquentem, sed cognitionem omnium cognitionum existentem et semper per seipsam seipsam inspicientem. » . Cf. supra chapitre III, p. , note , ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -), transl. vetus, ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. -.
CHAPITRE III
Dieu est décrit, nous nous élevons vers ce qui est divin par la similitude de proportionnalité. C’est pourquoi aussi il est dit en Dn () : ‘Besoin est de l’intelligence dans la vision’, c’est-àdire qui réfère les similitudes à Dieu. Et cela est noté dans ce qu’il dit : ‘Dans les mains des prophètes, j’ai été mis en similitudes’ ; et il est dit ‘être mis en similitudes dans les mains’, parce que les prophètes signifiaient ce qui, de Dieu, est caché non seulement par des paroles, mais aussi par des œuvres, de même que cela apparaît clairement au sujet d’Osée (, ) qui a conduit une femme fornicatrice et dans beaucoup d’autres . Albertus Theutonicus, dans le De somno et vigilia, l. , tr. , chap. , commente ce passage en développant ce en quoi consiste l’art d’interpréter les rêves : le juge des songes compare les ressemblances qui apparaissent dans les rêves à la fois aux réalités célestes, au lieu, à la complexion de celui qui rêve, à ce qui affecte le rêveur et il fonde son interprétation sur ces comparaisons. L’art d’interpréter les songes est particulièrement requis dans le cas des songes qui ne sont pas « droits », c’est-à-dire dont la référence à la réalité extérieure au songe n’est pas immédiatement évidente. De tels songes requièrent, de la part de l’interprète, un mouvement pour ainsi dire oblique, pour reprendre le terme que nous avons rencontré dans le cadre de la médiation manuductrice. Albertus Theutonicus désigne ici ce mouvement d’interprétation comme métaphorique, c’est-à-dire comme un déplacement. La manière métaphorique dont les images des rêves signifient appelle un mode d’interprétation tout aussi métaphorique, capable de circuler dans les mouvements des phantasmata. Cet art s’apparente à la reconnaissance des images (idola) qui apparaissent sur la surface mouvante des eaux. Les parties des formes véritables se reflètent . Os. , . . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Et dicuntur posteriora et inferiora ipsius effectus, quibus impleta militans ecclesia manuducitur in ipsius dei cognitionem. Modus autem expositionis est per inspectionem similitudinis, sicut etiam dicit Philosophus de expositionibus somniorum, quando inspectis proprietatibus rerum, sub quarum figura describitur deus, per similitudinem proportionalitatis in divina conscendimus. Et ideo dicitur Dan. X () : ‘Intelligentia opus est in visione’, quae scilicet similitudines in deum referat. Et hoc notatur in hoc quod dicit : ‘In manibus prophetarum assimilatus sum’ ; et dicitur assimilari in manibus, quia prophetae non solum verbis, sed etiam operibus occulta dei significabant, sicut de Osee (, ) patet, qui duxit uxorem fornicariam, et in multis aliis. » . Sur le terme idolum dans l’œuvre albertienne, cf. ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo, Teil II, Kap. II, ., p. -.
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
sur elle comme « confuses », « désordonnées » et « distordues ». Celui qui sait interpréter de telles images est celui qui sait les rassembler et en composer ce qui se donne comme divers et distordu. De même, celui qui interprète des songes transfère les simulacres à leurs signifiés selon des mouvements qui permettent de rapporter les images (idola) à leur cause et, ainsi, à leur forme. C’est ce travail d’interprétation que décrit le Doctor expertus, lorsqu’il affirme que les mouvements propres aux conjectures sur les images des songes s’effectuent selon les lieux, les temps, les complexions physiques et les mœurs du rêveur. Ce qui, dans l’interprétation des rêves ici convoquée, intéresse les modes symboliques par lesquels est exprimée la connaissance du principe est le développement détaillé de l’art de reconduire les phantasma des songes à leurs signifiés selon des modalités répertoriées. Ainsi la médiation des images dicte-t-elle sa propre manière de signifier et leur interprétation suppose des règles propres aux images des rêves pour relier les signifiants à leurs signifiés. Le plus habile juge des songes est qui peut bien inspecter les similitudes à partir de la faculté de la nature et de de l’art, de telle manière qu’il compare les similitudes à la fois en elles-mêmes et aux célestes, au lieu, à la passion du rêveur ainsi qu’à complexion et qu’alors, selon cela, il prophétise. Car les songes qui sont appelés droits sont également rêvés en tout comme ils adviennent ; et c’est le propre de quiconque, fût-il dépourvu d’expérience, de interpréter. Mais les songes qui ont besoin des compréhensions intellectives (intelligentiis) qui sont dans les seuls mouvements des phantasmata, désignés métaphoriquement selon divers modes, interpréter n’appartient qu’à celui qui possède l’art et l’usage dans l’interprétation et qui a aussi conjecturé déjà beaucoup de de cette sorte et y a été attentif. Or j’appelle similitudes les phantasmata qui sont dans le songe. Les phantasmata de ceux qui rêvent adviennent, en effet, dans le songe, semblables à ces images qui apparaissent dans l’eau, comme nous avons dit aussi précédemment plus souvent : . D’un point de vue paléographique, in se est parfois difficile à distinguer de uise. C’est pourquoi il serait également possible de proposer la traduction : « […] qu’il compare les similitudes vues à la fois aux célestes, au lieu […] ». Mais la leçon in se semble confirmée par le et qui précède similitudines in se qu’il coordonne à et ad coelestia et ad locum et passionem somniantis et complexionem.
CHAPITRE III
s’il advient beaucoup de mouvement dans l’eau, une apparition qui n’est pas semblable à la réalité advient, mais, plutôt, les images qui apparaissent alors dans l’eau ne sont pas semblables aux formes vraies, mais possèdent des parties confuses, désordonnées et distordues de cette forme ; et le juge sera prompt en de tels , qui conjecture et compose aisément ce qui, des images, est déchiré en sens divers et distordu, en disant ainsi à partir du mouvement de ce qui est confus, que ceci appartient à un homme, et cela à un cheval et ainsi de n’importe quel autre. Celui-là, par une faculté semblable qu’il possède de juger les images dans les eaux mues, peut, en effet, aussi juger ce songe-ci ou ce -là. Et, lorsqu’il détient des simulacres, il n’a besoin que de transférer à ce qui est signifié selon le mode que nous avons dit. Et, alors, le songe est conjecturé. Or il percevrait avec diligence toutes les images qui apparaissent selon la cause, même si elles semblent déchirées en sens divers, parce que le mouvement du substrat empêche fréquemment le songe droit ; et, puisque la cause du mouvement est connue, l’image est également rapportée à la forme, alors le songe peut être conjecturé, pourvu que soient principalement pris en considération les temps, les lieux, les complexions et les mœurs des rêveurs, comme nous avons dit plus haut. Or enseigner cela appartient à la science de la magie, et non à la physique. . ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-b : « Artificiosissimus autem judex est somniorum, qui bene similitudines potest ex facultate naturae et artis inspicere, hoc modo quod et similitudines in se et ad coelestia et ad locum et passionem somniantis et complexionem comparet, et tunc secundum hoc vaticinetur. Somnia enim quae recta vocantur, et somniantur per omnia sicut eveniunt, cujuslibet etiam imperiti est interpretari : sed somnia quae carent intelligentiis quae in solis sunt motibus phantasmatum metaphorice designata secundum modos diversos, non est interpretari nisi habentis artem et usum in interpretando, et qui multa jam talia conjecit et advertit. Dico autem similitudines phantasmata quae sunt in somnio. Phantasmata enim somniantium similia accidunt in somnio idolis illis quae sunt in aqua apparentia, sicut et prius saepius diximus : in aqua enim si multus fiat motus, non similis rei fit apparitio, sed potius idola tunc in aqua apparentia non sunt similia formis veris, sed habent partes illius formae confusas et inordinatas et distortas : et promptus erit judex in talibus, qui cito conicit et componit divulsa et distorta idolorum, sic ex motu confusorum dicens, quoniam hoc est hominis, et hoc est equi, et sic de quibuslibet aliis. Ille enim simili facultate quam habet in aquis motis judicandi idola, potest etiam judicare somnium hoc vel illud : et cum habet simulacra, non est ei opus nisi quod transferat ad significata secundum modum quem diximus : et tunc conjecturatum est somnium : idola autem diligenter perspiciat quaecumque sunt secundum causam apparentia, etsi divulsa videantur, quia motus subjecti frequenter impedit rectum somnium : et cum scitur causa motus, et idolum ad formam redigitur, tunc potest conjici somnium, dummodo attendantur praecipue tempora et loca et complexiones et mores somniantium, sicut superius diximus. Hoc autem docere magicae scientiae pertinet et non physicae. »
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
Explorons, d’abord, ce que signifie l’expression « le plus habile juge des songes est qui peut bien inspecter les similitudes » dans le cadre de l’interprétation des rêves, afin d’observer, ensuite, ce que cette comparaison avec l’oneirologie nous enseigne sur les opérations propres à l’intelligence figurale. Les songes s’apparentent aux images, au sens d’idola, projetées sur la surface mouvante des eaux sur laquelle se reflètent des parties des choses ou formes véritables. Mais ces reflets se donnent comme « confus », « désordonnés » et « distordus ». Comment établir, dans ces conditions, une science des rêves ? A. Science des rêves ou art de l’interprétation ? Selon Albertus Theutonicus, l’interprétation des songes ressortit davantage à l’art qu’à la science. D’après le traité sur l’âme sensible du De homine, la science spéculative ne s’acquiert, d’abord, que par l’habitus des propositions premières qui mènent à la conclusion par l’intermédiaire d’un moyen terme, ce qui n’est pas le cas des songes. Ensuite, les rêves portent, d’après l’opinion d’Averroès, sur « le particulier que nous Que Silvia Donati soit ici remerciée, qui a bien voulu me communiquer les résultats de sa collation provisoire du De somno et vigilia, à partir de huit manuscrits, en vue de l’édition critique qu’elle prépare pour l’Editio Coloniensis dans le cadre de l’Albertus Magnus-Institut. . ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b : « […] partes illius formae confusas et inordinatas et distortas […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Illa non acquiritur nisi per habitudines propositionum primarum ad conclusionem, et per habitudinem medii termini ; quorum nihil est in somniis. » . Cf. AVERROES, De somno et vigilia, in Averrois Cordubensis Compendia Librorum Aristotelis, qui Parva naturalia vocantur, rec. Aemilia Ledyard Shields adiuvante Henrico Blumberg, CCAA VII, Cambridge Mass., , p. , l. -. . Bien que l’édition de Cologne mentionne Alfarabius, il semble qu’Albert le Grand se réfère ici à AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. Sur l’influence d’Alfarabi dans l’œuvre d’Albert le Grand, cf. les études de CORTABARRÍA, A., « Doctrinas psicológicas de Alfarabi en los escritos de S. Alberto Magno », La Ciencia tomista (), p. -. Reprint in Abu Nasr Muhammad ibn Muhammad al-Farabi (d. -/), Institut für Geschichte der Arabisch-Islamischen Wissenschaften an der Johann Wolfgang Goehte-Universität, Frankfurt am Main, (Texts and Studies ), p. - ; CORTABARRÍA, A., « Tabla general de las citas de Alkindi y Alfarabi en las obras de San Alberto Magno », Estudios Filosóficos (), p. -. Reprint in Abu Nasr Muhammad ibn Muhammad al-Farabi (d. /), p. - ; CORTABARRÍA, A., « Las obras y la filosofía de Alfarabi en los escritos de San Alberto Magno », La Ciencia tomista (), p. - ; La Ciencia tomista (), p. - ; CORTABARRÍA, A., De Alpharabii et Alkindi operibus in scriptis sancti Alberti Magni, [Dissertation] La Caldas de Besaya, .
CHAPITRE III
utilisons pour comprendre ce qui est utile ou nuisible dans les réalités futures », ce qui ressortit davantage aux principes de l’opération qu’à ceux de la spéculation. Enfin, « presque tous les rêves sont reçus dans des propriétés métaphoriques. Or rien n’est inféré à partir de ce qui est métaphorique selon l’intellect spéculatif. Donc le rêve n’est pas un principe de spéculation ». Si l’acte de relier l’image des rêves ou le signe manuducteur à ce que l’un et l’autre signifient est qualifié d’art, c’est, par conséquent, selon l’Éthique à Nicomaque, qu’il relève, d’abord, d’une vertu dianoétique, tout en étant une disposition à produire, accompagnée de règle vraie. Ensuite, puisque la matière du rêve ressortit au particulier et à ce qui ne saurait être articulé en un syllogisme, quelles ressemblances le Docteur universel nous invite-t-il à examiner dans ce qui se donne comme « distordu » et désordonné ?
. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Somnia omnia vel fere omnia sunt de “particularibus”, ut dicit Alfarabius, “quibus utimur ad comprehendendum utile vel nocens in rebus futuris” ; particularia autem utilia vel nocentia sunt, in quibus est operatio ; ergo somnialis scientia erit principium operis, et non speculationis. » . Nous suivons ici la variante de O H alp. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Praeterea, somnia fere omnia accipiuntur in proprietatibus metaphoricis ; ex metaphoricis autem nihil infertur secundum intellectum speculativum ; ergo somnium non est principium speculationis. » . Sur l’art de l’interprétation des songes et des symboles comme vertu dianoétique et disposition à produire, accompagnée de règle vraie, cf. ARISTOTELES, Ethica Nicomachea, lib. , cap. ( b -), Arist. Lat. XXVI, p. , l. - : « Sint utique quibus verum dicit anima affirmando vel negando, quinque secundum numerum. Hec autem sunt ars, sciencia, prudencia, sapiencia, intellectus. » et ibid., lib. , cap. , ( a ), Arist. Lat. XXVI, p. , l. : « […] ars et habitus cum racione vera factivus. » ; ibid. ( a -), Arist. Lat. XXVI, p. , l. - : « Ars quidem igitur, ut dictum est, habitus quidam cum racione vera factivus est. » ; cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. -. Sur le concept d’art, cf. MERLE, H., « Ars », Bulletin de philosophie médiévale (), p. -. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Non enim habitudo syllogistica est inter imaginem somnialem et interpretationem somnii. »
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B. Opérations de « glissement » à partir de ce qui est « déchiré en tous sens » et « distordu » dans les images Que signifie le caractère « déchiré en sens divers » et « distordu » des images des rêves ? Et comment construire une interprétation à partir de ces caractères des images des rêves ? Il semble qu’Aristote dise que sera prompt à juger les signifiances des rêves celui qui peut percevoir aisément ce qui est déchiré en sens divers (divulsa) et qui peut inspecter ce qui, des images (idolorum), est distordu (distorta), que ceci appartient à un homme et cela à un cheval. Le Doctor magnus propose différentes hypothèses quant à la nature divulsa et distorta des images des rêves. Et il esquisse, pour chacune, des opérations de glissement susceptibles de construire une interprétation du rêve. Première hypothèse sur la nature divulsa et distorta des images des rêves : observations physiques La première hypothèse est que ces traits désignent la manière troublée dont certaines images « descendent du lieu de la phantasia (loco phantastico), comme certains disent ». Mais, dans ce cas, puisqu’un tel mode ne saurait avoir lieu, selon Avicenne, à la fin du sommeil, il n’y . ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -), transl. vetust., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-b. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Et videtur Aristoteles dicere quod “promptus erit significias somniorum iudicare, qui cito potest sentire divulsa et inspicere distorta idolorum, quoniam hoc quidem hominis, hoc vero equi”. » . Cf. ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. - ; AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -p. , l. . Sur l’influence d’Algazel dans les œuvres d’Albert le Grand, cf. CORTABARRÍA, A., « Literatura algazeliana de los escritos de San Alberto Magno », Estudios Filosóficos (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Quaeratur ergo, quae sint divulsa et distorta idolorum. Si enim illa sunt quae turbato modo descendunt a loco phantastico, ut quidam dicunt. » . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars IV, cap. , ed. S. Van Riet, Avicenna Latinus II, p. , l. -.
CHAPITRE III
aura pas d’interprétation des rêves de la fin du sommeil, dans la mesure où celui-ci est, pour sa part, paisible. Il faut, alors, produire une deuxième hypothèse en vue de la possibilité d’interpréter tous les rêves. Deuxième hypothèse : art mnémonique et recomposition de la genèse d’une image dans la mémoire Ces caractères renverraient alors plutôt, selon Algazel, à l’opération que doit faire l’interprète des songes pour tenter de reconstruire ce qui, « de la forme de ce qu’il a été davantage possible que l’âme ait vu que la phantasia ait changé cela en ceci, est resté dans la mémoire ». Dans l’exemple que cite le Doctor universalis, Algazel explique le caractère « déchiré » et « distordu » des images des rêves par une analogie avec la mnémonique. Dans le cadre de la recomposition du travail de la mémoire par l’interprète, Albertus Magnus propose, en effet, le terme de « glissement ». « Le mode de la réminiscence arrivera par réduction. Ainsi, il dira quelle est seulement cette phantasia, comment elle est venue dans ma mémoire et, alors, il se rappellera la cause qui a fait qu’elle doive être celle-ci. Et, ensuite, en considérant cette cause-ci, il se souviendra de cette cause-là et, ainsi par réduction, parfois il se heurtera à la première . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « […] tunc non erit interpretatio somniorum illorum quae sunt in fine dormitionis apud quietem spirituum, cuius contrarium dicit Avicenna. In fine enim dormitionis non distorte nec divulse descendunt simulacra. » . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Praeterea dicit Algazel, quod “sensus interpretationis somniorum est, ut interpres praemeditetur de hoc quod de forma remansit in memoria eius, quod fuit possibilius vidisse animam, quod phantasia commutavit illud in hoc”. » . Sur la mnémonique (mnemonica) ou art de la mémoire, vide supra au chapitre II, p. , note , Incerti auctoris De ratione dicendi ad C. Herennium libri IV, lib. , cap. -, n. -, ed. F. Marx, p. , l. -p. , l. . Cf. etiam MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, De institutione oratoria, lib. , cap. , ed. L. Radermacher et V. Buchheit, Bd , Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana, Teubner, Leipzig, (= ), p. , l. -p. , l. . Cette référence à Cicéron à propos de la mnémonique se trouve également dans un texte appartenant au réseau de la figure de la manuductio dans lequel Albert le Grand affirme qu’il convient même à l’intellect qui reçoit les réalités divines par l’intellect sans symboles de les voiler par des figures, afin de les conserver, à la manière dont l’orateur retient son propos à l’aide d’images mnémotechniques. Vide supra au chapitre II, p. , note : ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. .
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par laquelle, en glissant, il est tombé sur cette dernière ». Interpréter les rêves suppose ainsi d’être capable d’accomplir, en sens inverse, le chemin par lequel le moyen mnémonique pour penser à « cette cause-là » a été élaboré. L’image des rêves est, par conséquent, manuductrice, dans la mesure où elle « conduit » l’interprète « par la main » en l’invitant à effectuer des déplacements qui permettent d’inventer – au sens de découvrir – un enchaînement d’images, d’abord, éparses, et de recomposer ainsi la manière dont elles ont pu se former. Les transferts n’adviennent donc pas d’une image vers son référent extérieur dans la réalité, mais d’une image vers la cause mnémonique qui a rendu vraisemblablement possible son apparition dans la mémoire. De la sorte, l’image des rêves « conduit » le juge des songes « par la main », afin qu’il entre dans une logique propre aux images et à leur genèse plutôt que de demeurer dans le seul rapport référentiel de l’image à la réalité qui lui est extérieure. Or, à la modalité de glissement que suggère Algazel, Albert le Grand ajoute une autre. Troisième hypothèse : transfert des causes passées des rêves à la signification future des songes Puisqu’aux yeux du maître de Cologne, Algazel ne parle que des songes qui sont causés par une sensation passée ou par une pensée qui est venue pendant la veille et puisque c’est à partir de leurs mises en images . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. : « Verbi gratia modus reminiscendi fiet per resolutionem, sic dicet haec phantasia quae modo est, quomodo venit in memoriam meam, et tunc recordabitur causae, quae fecit hanc esse debere, et deinde considerando istam causam recordabitur causae illius, et sic resolvendo aliquando offendet in primam, per quam labendo cecidit in istam ultimam. ». Cf. ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. -, l. . . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Ad aliud dicendum quod Algazel loquitur de illis somniis tantum quae causantur a praeterito sensu vel cogitatione. Ex imaginibus enim illorum praecipue occurrunt significationes futurorum. » Vide etiam ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Phantasmata enim somnialia causantur ab operatione sensuum, vel a cogitationibus, quae sunt in vigilia ; et secundum hoc omne somnium significabit aliquid in praeterito sensatum vel cogitatum, quod falsum est, cum multa somnia significent aliquid in futuro ».
CHAPITRE III
(imaginationes) qu’arrivent principalement les significations du futur, il convient à l’interprète d’ajouter une troisième hypothèse quant à la nature divulsa et distorta des images des rêves. Il s’agit du glissement qui fait passer de la reconstruction a posteriori de la manière dont l’image a pu se former dans la mémoire à sa signification pour le futur. Les images appelées « distordues » sont, en effet, celles qui « ne sont pas des images du futur selon elles-mêmes, mais selon des propriétés éloignées ». Il convient, par conséquent, principalement à l’interprète des songes de « séparer “ce qui, des images, est distordu et déchiré en tous sens” de ces images elles-mêmes qui signifient quelque chose dans le futur ». Selon l’exemple exposé dans le Livre des songes de Daniel , celui qui est affamé « rêve qu’il mange des œufs. À partir des images de ce rêve n’est, en effet, signifiée que la faim présente dans le corps. Cependant, puisqu’on ne mange un œuf qu’en cassant et que, quand il est cassé, ce qui est caché dans l’œuf est révélé, en vertu de cette propriété est signifiée, dans le fait de manger des œufs, la révélation de ce qui est caché dans le futur ». Interpréter l’image des rêves comme révélation de ce qui est caché dans le futur invite, par conséquent, à effectuer des trans. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicuntur enim idola distorta, quae secundum se non sunt idola futurorum, sed secundum proprietates remotas. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Praecipuum tamen est quod sciat segregare “distorta et divulsa idolorum” ab illis idolis quae significant aliquid in futurum. » . The Somniale Danielis. An Edition of a medieval Latin Dream Interpretation Handbook, ed. L. Th. Martin, University of Wisconsin, Madison, , p. , n. ; GRUB, J., Das lateinische Traumbuch im Codex Upsaliensis C (. Jh.). Eine Frühmittelalterliche Fassung der lateinischen « Somniale Danielis- » Tradition, (Lateinische Sprache und Literatur des Mittelalters ), p. , n. . Sur le Liber somniorum Danielis, ou Somniale Danielis, manuel médiéval d’interprétation des rêves, ordonné alphabétiquement, vide KRUGER, S. F., Dreaming in the Middle Ages, p. . Cf. etiam ARTEMIDORUS EPHESIUS [ARTÉMIDORE D’ÉPHÈSE], La Clef des Songes (Oneirocriticon), trad. A.-J. Festugière, J. Vrin, Paris, ; BERRIOT, F., Exposicions et significacions des songes et les songes Daniel (Manuscrits français de la Bibliothèque nationale de Paris et de la Staatsbibliothek de Berlin, XIVe, XVe et XVIe siècles), librairie Droz S. A., Genève, ; GREGORY, T. (ed.), I sogni nel Medioevo, Seminario internazionale (Rome, ), Ed. dell’Ateneo, Roma, ; LE GOFF, J., « L’imaginaire médiéval », chap. V : « Les rêves », in Un autre Moyen Âge, Gallimard, Paris, (Quarto), p. ; MACROBIUS AMBROSIUS THEODOSIUS, Commentarii in Somnium Scipionis. Saturnalia, ed. J. Willis, Teubner, Leipzig, . . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Similiter est de somnio famelici, qui somniat se comedere ova ; ex idolis enim illius somnii non significatur nisi fames praesens in corpore, tamen quia ovum non comeditur nisi frangatur, et cum frangitur, occultum in
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ferts entre des éléments plus éloignés que ne le sont la cause mnémonique et l’image dont elle permet l’apparition : « On appelle images “déchirées en tous sens”, quand la phantasia tombe de l’une dans une deuxième et de la deuxième dans une troisième et ainsi de suite. Il faut, en effet, alors recourir à la première qui a eu une certaine signification du futur ». Le juge des songes élabore donc son interprétation à partir de ce qui est « déchiré en tous sens » et « distordu » dans les images des rêves en effectuant différents glissements vers la cause mnémonique ou vers une signification future des images. La manuduction propre à l’image, telle qu’elle se donne en songe, consiste, par conséquent, dans l’effectuation de ces différents transferts. Puisque le juge des songes est au plus haut point habile à examiner les ressemblances qui rendent ces déplacements possibles, quels sont les critères qui permettent de les distinguer ? C. « L’examen des ressemblances » se dit en plusieurs sens La règle générale des similitudes métaphoriques et ses exceptions : sens figuré et sens propre des rêves Albert de Cologne indique une règle générale pour examiner les ressemblances dans les images des songes et pour interpréter ce qui y est « déchiré en tous sens » et « distordu » : le juge des songes doit être attentif aux similitudes métaphoriques. Mais il précise aussitôt que ces déplacements – selon le sens large de ‘métaphore’ – doivent s’entendre selon divers modes. Or c’est précisément en ce point du traité De homine où le Doctor universalis explique ce qu’il entend par l’examen des similitudes métaphoriques qu’il reprend la citation aristotélicienne du iudex somnorum. À la question : les rêves signifient-ils toujours sous
ovo revelatur, propter illam proprietatem significatur in comestione ovorum revelatio occultorum in futuro. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Divulsa vero idola vocantur, quando phantasia cadit ab uno in alterum et ab altero in tertium, et sic deinceps ; tunc enim oportet recurrere ad primum, quod aliquam futuri habuit significationem. » . ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b : « […] in solis sunt motibus phantasmatum metaphorice designata secundum modos diversos. »
CHAPITRE III
des ressemblances métaphoriques ou non ?, il répond : « c’est ce qui arrive fréquemment ». Car « l’expérience enseigne que la colère future est rêvée sous le feu et la pluie sous les poissons ». L’image du feu et celle des poissons qui apparaissent dans le songe signifient métaphoriquement, selon Albert le Grand, des manifestations psychologiques, comme la colère qui aura lieu, pour le feu, et des événements climatiques, comme la pluie à venir, pour le simulacre des poissons. Cependant, cela n’est pas toujours le cas. « En raison des dispositions de ceux qui rêvent, cela se passe aussi différemment. Il y a, en effet, des rêveurs aux âmes très claires et de la meilleure complexion. Et, par conséquent, en eux, la véritable intelligence vainc l’imagination et reçoit la révélation du songe dans la ressemblance propre de la chose. Et cela sera le rêve dont parlent Avicenne et Algazel qui n’a pas besoin d’interprétation. Il y a, d’autre part, ceux qui sont moins puissants en intellect et plus forts en imagination. Et, alors, l’imagination ne forme pas des images propres, mais métaphoriques. Et ce rêve a besoin d’interprétation. De ce fait, plus les images effectuent des distorsions par rapport à la véritable intelligence de la chose, plus le songe est obscur ». Interpréter un rêve revient donc, d’abord, pour l’interprète, à repérer le type de rêveur qui se présente à lui, la qualité de son intellect et la force de son imagination. De ses facultés dépendent la production . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Praeterea quaeritur iuxta hoc, utrum somnia semper significentur sub metaphoricis similitudinibus vel non. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « […] dicendum quod frequenter sic contingit. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Praeterea, experimentum docet hoc quod ira futura somniatur sub igne et pluvia sub piscibus ». . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars IV, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. ; p. , l. -. . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « […] tamen propter dispositiones somniantium contingit etiam aliter. Sunt enim quidam somniantes clarissimarum animarum et optimae complexionis, et ideo vera intelligentia in ipsis vincit imaginationem, et accipit revelationem somnialem in propria similitudine rei ; et hoc erit somnium, de quo dicunt Avicenna et Algazel, quod non indiget interpretatione. Quidam vero sunt minus potentes in intellectu et fortiores in imaginatione, et tunc imaginatio non format imagines proprias, sed metaphoricas : et hoc somnium indiget interpretatione. Unde quanto plus distorquent imagines a vera rei intelligentia, tanto somnium est obscurius. »
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des images et leur capacité à livrer une ressemblance propre ou figurée de la chose. L’habileté de l’interprète incline, par conséquent, vers une lecture des images au sens propre ou au sens figuré selon le degré de clarté des facultés intellective et imaginative du rêveur et de sa complexion physique. Il en résulte que le déplacement qu’est invité à opérer le juge des songes peut avoir lieu soit de l’image vers son référent extérieur, lorsque celle-ci porte la ressemblance véritable de la chose, soit de l’image métaphorique vers les éléments qui permettent d’en donner une interprétation. Ce sont les facultés cognitives du rêveur – intellect et imagination – et le rapport qu’elles entretiennent entre elles qui déterminent, par conséquent, la modalité du déplacement : référentielle ou métaphorique, terme qu’il convient de prendre encore en un sens large. Une fois considérées les dispositions intellectives et imaginatives du rêveur, examiner les similitudes dans les images des songes implique d’être prompt à repérer les songes qui ont un sens et ceux qui n’en ont pas et qui proviennent seulement « d’un mouvement des simulacres », comme le dit Aristote. Parmi ceux qui ont un sens, le juge des songes doit pouvoir discerner quelle est la relation spécifique des images avec ce qu’elles signifient. Le juge des rêves, écrit Maître Albert dans le De somno et vigilia, compare les ressemblances vues dans les rêves à la fois aux réalités célestes, au lieu, à la complexion de celui qui rêve et à ce qui affecte le rêveur et il tire son interprétation de ces comparaisons.
. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicendum quod somnium est phantasma “a motu simulacrorum”, ut dicit Philosophus. » . ARISTOTELES, De insomniis, cap. ( a –) ; transl. vetus., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber secundus, p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Et dicit Aristoteles in secundo libro De somno et vigilia : “Phantasma quod est a motu simulacrorum, cum in dormiendo fuerit, eo quod animal dormit, hoc est somnium”. » (« Et Aristote dit dans le deuxième livre Du songe et de la veille : “Le phantasma qui vient du mouvement des simulacres, du moment qu’il arrive en dormant, du fait que l’animal dort, cela est le songe”. » ; ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b.
CHAPITRE III
Par ailleurs, dans le De homine, le Doctor universalis donne des manières d’interpréter une autre description. Il distingue, en effet, ces éléments d’interprétation en trois classes : les propriétés des images du rêve, ou des simulacres, d’une part, les propriétés du rêveur, d’autre part, et, enfin, les propriétés de ce qui se meut dans le rêve et qui provient de l’âme, du corps, des étoiles ou des éléments. De quelle nature est, dès . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Ad ultimum dicendum quod interpretatio somnii aut accipitur de proprietatibus simulacrorum, de quibus est somnium, aut ex proprietatibus somniantis, aut ex proprietatibus moventium in somnio. Et si primo modo, tunc est interpretatio secundum singularia, in quibus est somnium. Si vero secundo modo, tunc est secundum dispositiones, quae sunt in somniante praecipue ex complexione vel cibo. Si tertio modo, tunc movens erit intus vel extra. Et si intus, tunc erit ex parte animae vel ex parte corporis. Et si ex parte animae, tunc erit ex proprietatibus artificii ; artifices enim singuli sub metaphoris suorum instrumentorum et suorum officiorum somniant futura […]. Si vero est movens ex parte corporis, tunc est infirmitas. Si autem est movens extra, sive sit ex parte stellarum sive ex parte elementorum, tunc variatur secundum tempora. » (« Quant au dernier , il faut dire que l’interprétation du songe soit est prise à partir des propriétés des simulacres sur lesquels porte le songe, soit à partir des propriétés de celui qui rêve, soit à partir des propriétés de ce qui se meut dans le songe. Et, si selon le premier mode, alors l’interprétation est selon ce qui est singulier dans lequel le rêve se trouve. Si , en revanche, selon le deuxième mode, alors l’interprétation est selon les dispositions qui sont dans le rêveur, principalement à partir de complexion ou de la nourriture. Si selon le troisième mode, alors ce qui se meut sera intérieur ou extérieur. Et, si intérieur, alors ce sera du côté de l’âme ou du côté du corps. Et, si du côté de l’âme, alors ce sera à partir des propriétés du métier. Les gens de métier, pris individuellement, rêvent ce qui est futur sous les métaphores de leurs instruments et de leurs charges […]. Si c’est, en revanche, en se mouvant du côté du corps, alors c’est l’infirmité. Si c’est, d’autre part, en se mouvant à l’extérieur, que cela soit du côté des étoiles ou du côté des éléments, alors cela varie selon les temps. ») . Cf. la distinction entre les mouvements qui vont du corps à l’âme, tels que, pour la sensation, la réception des espèces sensibles à partir des organes corporels par le sens propre, le sens commun, la phantasia et les autres facultés d’appréhension passives ou, pour le songe, le lien des sens à partir d’une évaporation refroidie dans un lieu du cerveau qui descend en pesant sur les organes des sens, d’un côté, et, de l’autre, les mouvements qui vont de l’âme vers le corps ainsi que les œuvres des arts qui vont de l’intellect pratique vers le corps, in ALBERTUS MAGNUS, Comm. in III Sent., d. , a. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. XXVIII, Paris, , p. a : « Solutio. Dicendum, quod anima Christi et omnis anima in statu mortalitatis hujus, quamdiu conjuncta est corpori, passibilis est compatiendo corpori, et patiendo ex corpore. Sunt enim (ut dicit Philosophus) motus quidam ex corpore venientes in ipsam animam, et quidam e contrario venientes ex anima in corpus. Ex corpore autem in animam veniunt, sicut in sentiendo et in somno : in sentiendo quidem, scilicet recipiendo in organis corporalibus species sensibiles, secundum quod sensus proprius, et communis, et phantasia, et caeterae vires apprehensivae passivae dicuntur, secundum quod pati dicitur a graeco παθεῖν, quod sonat recipere. In somno autem, quia somnus est ligamentum sensuum ex evaporatione infrigidata in loco cerebri, et descendendo gravante organa sensuum. Alii autem motus sunt ab anima in corpus, ut processus, et opera artium quae fiunt ab intellectu practico : sed hoc modo non quaeritur hic de animae passibilitate. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. -.
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lors, le déplacement effectué par le juge des songes depuis les images du rêve vers chacun de ces éléments ? Plus précisément, la relation des images à ces différents facteurs d’interprétation est-elle une relation causale, une relation de signe ou bien une rencontre accidentelle ? L’interprétation des rêves comme transfert des images à leurs causes La relation causale qualifie la compréhension des images à partir de ce qui leur est propre, par exemple le froid ou le chaud dans une partie . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicendum cum Philosopho quod somnia dupliciter fiunt, quandoque enim habent significationem et quandoque non. Illa que non habent significationem, non sunt nisi motus simulacrorum, ut supra dictum est. Illa vero quae significationem habent, tripliciter habent relationem ad significata, scilicet causae, signi et incursus accidentalis. Id enim quod cognoscitur, aut cognoscitur ex propriis aut ex communibus. Et si ex propriis, tunc per causam habet cognosci. Si autem ex communibus, hoc est per propinqua vel remota. Si per propinqua, tunc cognoscitur ex signis, quia propinqua accidentia sunt signa. Si vero per remota, tunc cognoscitur per incursum accidentalem. Quocumque autem modo cognoscatur in somnis res futura, semper communior modus cognoscendi erit per proprietates metaphoricas, et huius ratio infra dicetur. » (« Il faut dire avec le Philosophe que les songes adviennent d’une double façon : parfois ils ont une signification et parfois ils n’en ont pas. Ceux qui n’ont pas de signification ne sont que des mouvements des simulacres, comme cela a été dit plus haut*. Ceux qui, en revanche, possèdent une signification ont une triple relation à ce qui est signifié, c’est-à-dire de cause, de signe et de rencontre accidentelle. Ce qui est, en effet, connu ou bien est connu à partir de ce qui est propre ou bien à partir de ce qui est commun. Et si c’est à partir de ce qui est propre, alors cela doit être connu par la cause. Si, en revanche, c’est à partir de ce qui est commun, cela l’est soit par ce qui est proche, soit par ce qui est éloigné. Si c’est par ce qui est proche, alors cela est connu à partir des signes, parce que les accidents proches sont des signes. Si, en revanche, c’est par ce qui est éloigné, alors cela est connu par une rencontre accidentelle. Mais de quelque manière qu’une réalité future soit connue dans les songes, ce sera toujours un mode de connaître plus commun par les propriétés métaphoriques, et la raison de cela sera dite plus bas**. ») * Cf. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., p. , l. - ; De homine, ...., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. ; cf. supra chap. III, p. , note , De homine, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -. ** Cf. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -. . Cf. supra chap. III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Id enim quod cognoscitur, aut cognoscitur ex propriis aut ex communibus. Et si ex propriis, tunc per causam habet cognosci. » ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Si vero cognoscitur per causam, tunc est res quae causam habet ex parte corporis, vel ex parte animae. » (« Si, pour sa part, cela est connu par la cause, alors c’est une réalité qui a une cause du côté du corps ou du côté de l’âme. »)
CHAPITRE III
ou dans la totalité du corps ou bien la complexion des humeurs dans celui qui rêve. Le déplacement effectué de l’image des rêves à la complexion du rêveur et à ce qui provient de son corps ou de son âme et qui se meut dans les rêves ressortit, par conséquent, au registre causal. L’interprétation des images des songes comme signes La relation de signe se réfère, quant à elle, au rapport des images avec ce qui est commun tout en étant proche, comme les étoiles ou les éléments climatiques, externes au rêveur, ou encore d’autres facteurs qui lui sont internes. Les astres, par exemple, ne sauraient être appelés causes des guerres ou des actes volontaires, dans la mesure où ces derniers ne les suivent pas comme leurs effets. En revanche, les astres peuvent en être tenus pour des signes, dans la mesure où ils sont signifiés dans les dispositions des corps qui tirent les volontés humaines vers telles affections ou vers tels mouvements. Car, contrairement à la cause, ils ne rendent pas compte d’un phénomène comme leur effet, mais permettent à son sujet d’établir une conjecture incertaine. L’interprétation selon la relation accidentelle : un art disproportionné par rapport à l’intellect humain La relation accidentelle entre les images et ce qu’elles signifient est, pour sa part, connue à partir de ce qui est à la fois commun et éloigné, par exemple « une guerre navale future, la subversion de royaumes ou . Cf. supra chap. III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Si autem ex communibus, hoc est per propinqua vel remota. Si per propinqua, tunc cognoscitur ex signis, quia propinqua accidentia sunt signa. » ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Signum vero est triplex, scilicet in caelo et in elementis et in somniante. » (« Le signe est triple : dans le ciel, dans les éléments et dans le rêveur. ») . Cf., par exemple, la distinction entre signe et cause à propos du De somno et vigilia d’Aristote in ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in II Sententiarum, d. , a. , ed. S. C. A. Borgnet, Ed. Paris. XXVII, Vivès, Parisiis, , p. b. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Si vero per remota, tunc cognoscitur per incursum accidentalem. Quocumque autem modo cognoscatur in somnis res futura, semper communior modus cognoscendi erit per proprietates metaphoricas. »
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tout l’état futur du monde, comme dans le rêve de Nabuchodonosor ». Le Doctor magnus précise qu’aux dires d’Aristote lui-même, les relations accidentelles dépassent ce que notre prudence peut connaître par ellemême. C’est pourquoi la relation accidentelle entre les images des rêves et ce qu’elles signifient repose sur l’interprétation des transferts métaphoriques et suppose une révélation, c’est-à-dire une connaissance qui ne provienne pas seulement de l’intellect humain, mais de sa conjonction avec les intelligences supérieures. Nous reviendrons sur ce point . L’interprétation des propriétés métaphoriques des images des songes et la connaissance de ce qui n’est pas proportionné à notre intellect apparaissent donc au plus haut point liées – et cela au sens le plus strict de la similitude entendue comme métaphore. La connaissance des futurs contingents, dans la mesure où ils dépendent du libre-arbitre, tient lieu, dans le cadre de la théorie des rêves, de figure de ce qui excède notre capacité naturelle de connaître et permet ainsi le rapprochement avec l’enseignement qu’Albert le Grand nous dispense, à travers la comparaison avec l’interprétation de songes, sur la fonction des signes manuducteurs dans la connaissance du principe. Donc examiner les ressemblances dans les images des rêves et dans ce qu’elles ont de « déchiré en tous sens » et de « distordu » repose, en général, sur des déplacements, ou métaphores entendues au sens large, quand, d’une part, ces images ne se réfèrent pas directement à la chose extérieure dont elles portent la ressemblance véritable, en vertu de la . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Accidens autem sive incursus est “de his quae procul sunt” tempore vel loco et quorum notitia “supra nostram videtur esse prudentiam”, ut dicit Philosophus, sicut est de navali bello futuro, vel de regnis subvertendis, vel de toto statu mundi futuro, sicut in somnio Nabuchodonosor. Et notitia huiusmodi somniorum non fit sine revelatione. » Nous traduisons le contexte de cette citation sur lequel nous reviendrons : « L’accident ou la rencontre touche “ce qui est éloigné” selon le temps ou le lieu et ce dont la connaissance semble “outre-passer notre prudence”, comme dit le Philosophe, comme c’est le cas d’une guerre navale future, de la subversion de royaumes ou de tout l’état futur du monde, comme dans le rêve de Nabuchodonosor. Et la connaissance des rêves de cette sorte n’advient pas sans révélation. » . ARISTOTELES, De divinatione per somnum, lib. , cap. ( b - ; a -b), transl. vetus, ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. - ; p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b ; tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a. . Nous développerons ce point dans la seconde section de ce chapitre, p. .
CHAPITRE III
clarté et de la force de l’intellect du rêveur, et quand, d’autre part, ces images ont un sens et ne sont pas circonscrites à une suite de simulacres. Dans ces deux derniers cas, nulle interprétation n’est, au sens propre, nécessaire. Dans les autres cas, la modalité des déplacements effectués par le juge des songes dépend des éléments d’interprétation qu’il relie aux images. Les sens de ‘métaphore’, dans l’acception de glissement, se chargent alors de modalités particulières. S’il s’agit de ce qui a trait à la complexion du rêveur, le déplacement ressortit à l’ordre de la cause. S’il s’agit d’éléments communs et proches, tels que les astres et les éléments climatiques ainsi que la manière dont ils affectent le corps du rêveur, ce transport relève plutôt de la dynamique du signe. Si ces éléments sont communs et éloignés, le transfert adviendra selon une relation accidentelle. Il ne semble pas s’agir ici, pour le Doctor universalis, d’esquisser une théorie précise de la métaphore. La double description des éléments d’interprétation du rêve, dans le De somno et vigilia et dans le De homine, montre qu’il s’agit moins, pour le Doctor magnus, d’en établir un classement exhaustif et fixe que de donner des indications en vue de la multiplication possible de l’interprétation. Ainsi approuve-t-il Algazel, quand celui-ci affirme que « les échanges de phantasmata ne sont pas retenus seulement sur un mode, mais , pour cette raison, les modes d’interprétation sont multipliés et varient selon ce qui est singulier, selon les dispositions, les métiers, les temps de l’année et l’infirmité de celui qui dort ».
. La multiplication possible des interprétations rejoint une propriété des signes manuducteurs, développée à propos du deuxième chapitre du De caelesti hierarchia : les formes ou figures ne nous sont pas transmises pour que nous nous y installions, mais pour nous laisser « conduire par la main » par elles vers ce qui est spirituel. Vide ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - in DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. ; l. - ; Dionysiaca II, p. : « “Et” oportet dicere, “ad qualem veritatem” in spiritualibus “oportet ascendere per formas”, idest per figuras traditas ; non enim traduntur, ut in eis sistamus, sicut consequenter ostenditur, sed ut per haec in spiritualia proportionaliter nobis manuducamur ». Cf. trad. supra chapitre II, p. , note . . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Item dicit Algazel quod “quia commutationes phantasmatum non retinentur tantum in uno modo, idcirco multiplicantur modi interpretationis et variantur secundum singularia et secundum dispositiones, et artificia et tempora anni et infirmitatem dormientis”. »
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D. Interprétation des images des rêves et des médiations manuductrices Que signifie le rapprochement albertien entre l’interprétation des songes et celle des signes manuducteurs ? Interpréter les songes, en étant attentif à la variété des sens des similitudes qui peuvent y être découvertes, ressortit, par conséquent, à un art. Et la règle d’interprétation des signes manuducteurs apparaît, dès lors, principalement liée à l’habileté de l’interprète ainsi qu’à la particularité et à la contingence de l’agencement des images selon des modalités multiples de ressemblance. Deux conséquences résultent de cette analogie pour l’interprétation des médiations manuductrices. La première concerne la situation de la connaissance relative aux signes manuducteurs dans le champ de l’art plutôt que de l’épistémè. La seconde touche l’examen des ressemblances dont dépend essentiellement l’art de l’interprétation des médiations manuductrices. La dimension pratique de l’interprétation des images manuducrices comme art En premier lieu, en plaçant, d’emblée, l’interprétation des images des rêves dans le champ de l’art, et non dans celui de la science, le maître de Cologne souligne la double dimension dianoétique et pratique de cette connaissance. Les règles d’interprétation des images des rêves, en particulier, et des signes manuducteurs, en général, semblent faire appel à . Sur la théologie comme art de l’interprétation de la Sacra pagina, SENNER, W., « Zur Wissenshaftstheorie der Theologie im Sentenzenkommentar Alberts des Grossen », p. - ; GAYBBA, B. P., Aspects of the Mediaeval History of Theology : th to th Centuries, University of South Africa, Pretoria, (Studia originalia ) ; SENNER, W., Alberts des Großen Verständnis von Theologie und Philosophie ; LEINSLE, U. G., Einführung in die scholastische Theologie, Schöningh, Paderborn, , p. - ; DOHMEN, Ch., « Hermeneutik des Alten Testaments », in Ch. Dohmen und G. Stemberger (Hrsg.), Hermeneutik der Jüdischen Bibel und des Alten Testaments, Kohlhammer, Stuttgart, Berlin und Köln, (Studien Bücher Theologie), p. - ; ANZULEWICZ, H., « The systematic theology of Albert the Great », p. -, spéc. p. . Sur la manière dont Albert le Grand interprète l’Écriture, cf. VACCARI, P. A., S. J., « S. Albertus Magnus Sacrae Scripturae interpres », in Alberto Magno. Atti della Settimana Albertina celebrata in Roma nei giorni - Nov. , F. Pustet, Roma, , p. - ; VOSTÉ, J.-M., O. P., S. Albertus Magnus. Sacrae paginae magister. I. In Novum Testamentum, Collegio Angelico, Romae, (Opuscula Biblica Pontifici Collegii Angelici), également dans Angelicum (), p. - ; VACCARI, P. A., S. J., « S. Alberto Magno e l’esegesi medievale », Biblica (), p. - ; - ; VOSTÉ, J.-M., S., Albertus Magnus. Sacrae paginae magister. I : In Novum Testamentum, Collegio Angelico, Romae, ; II. In Vetus Testamentum, Collegio Angelico, Romae, - (Opuscula Biblica Pontifici Collegii Angelici).
CHAPITRE III
l’habileté de l’interprète lui-même qui, à travers son expérience, a acquis l’art de juger de son objet principal, à savoir la propriété métaphorique des images. Vertu dianoétique, l’art se distingue de la science, dans la mesure où les signes manuducteurs qu’il interprète ne se donnent ni pour nécessaires ni pour universels. Quel mode de connaissance donne une telle interprétation ? N’est-ce qu’une connaissance du particulier soumise, en outre, à l’arbitraire des compositions de la faculté imaginante ? Nous nous interrogerons sur ce point plus loin dans ce chapitre. Disposition à produire, l’interprétation des rêves, comme des autres médiations manuductrices, selon l’indication du Docteur universel, appelle donc, chez le juge des songes, également des dispositions pratiques. « Conduit par la main », leur interprète est par là-même invité à ne pas en rester à une simple saisie cognitive. La dimension dynamique induite par le mouvement de la main suggère, d’une part, que l’interprète soit appelé à jouer une part active, inventive dans le processus de connaissance qui diffère de l’activité abstractive ou de la composition syllogistique. Ainsi, en multipliant les interprétations, selon les ressemblances qu’il repère dans les images, le juge des songes produit-il une sorte toujours nouvelle et singulière de savoir. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Ad id autem quod obicitur quod omne quod scitur, per causam scitur, dicendum quod hoc est intelligendum de scientia intellectiva, quae accipitur per medium demonstrationis et syllogismi. Scientia autem somnialis est, quae habetur per proprietates imaginum apparentium. Unde dicit Philosophus : “Artificiosissimus est iudex somniorum qui potest similitudines inspicere”. » (« Par rapport à ce qui est objecté, à savoir que tout ce qui est su est su par la cause, il faut dire que cela est à intelliger de la science intellective qui est reçue par le moyen de la démonstration et du syllogisme. Or la science des songes est celle qui est possédée par les propriétés des images qui apparaissent. De ce fait, le Philosophe dit : “Le plus habile juge des songes est celui qui peut inspecter les similitudes”. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - ; ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Sicut Aristoteles* dicit fieri motus in dormientibus vel per visiones certas intellectuales, quas dicit somnia non esse, vel etiam per signa, quae dicit** esse somnia significativa verorum, non tamen necessariorum. » * ARISTOTELES, De insomniis, cap. ( b - ; a -), ed. H. J. Drossaart Lulofs, vol. ., p. , l. - ; p. , l. - ; transl. vetus, vol. , p. , l. - ; p. , l. -. ** ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -), ed. H. J. Drossaart Lulofs, vol. , p. , l. - ; vol. , p. , l. -. . Cf. infra chapitre III, en conclusion de la première section, IV : « Propriétés spéciales des images manuductrices », p. .
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Le mouvement de la main signifié par la manuduction implique, d’autre part, que l’art de l’interprétation engage la corporéité du juge des songes. C’est en tant qu’intellect humain, conjoint aux sens et à l’imagination, que l’interprète peut se laisser affecter par la particularité des images et leur logique propre d’associations. Examiner des ressemblances, relier entre eux des éléments, d’abord « déchirés en tous sens » et « distordus », n’est donc pas seulement le fruit d’une vertu dianoétique. Cela met en œuvre une pratique qui engage l’interprète dans sa singularité. L’interprétation comme « examen des ressemblances » En second lieu, qu’est-ce donc, pour une intelligence figurale, qu’interpréter une médiation manuductrice en examinant les ressemblances ? Sens littéral et référence : ce qui n’entre pas dans la métaphore prise au sens large Le terme de ‘ressemblance’ s’entend, nous l’avons vu dans le cas des images des rêves, en de nombreux sens et leur propriété métaphorique est à prendre selon diverses modalités. Le Docteur universel semble entendre le terme ‘métaphore’ en un sens très large. Ce sens de glissement, ou de déplacement, regroupe des modes aussi variés que la relation de causalité, de signification, de rencontre accidentelle. Cependant, Albert de Cologne délimite le champ de la métaphore, dans la mesure où il exclut de l’activité interprétative la relation de référence de l’image à la chose extérieure dont elle porte la ressemblance véritable et le pur enchaînement de simulacres. Extérieurs à la métaphore seraient donc le sens littéral d’une image, entendu comme référence en dehors d’elle, et le phénomène physique de la concaténation de simulacres. Il serait, néanmoins, possible d’objecter que ces sortes de rêves seraient à leur tour susceptibles d’être l’objet de déplacements herméneutiques. Il ne convient peut-être pas d’entendre alors qu’Albert le Grand désigne des types de rêves dont certains seraient dépourvus de propriétés métaphoriques, mais plutôt de tels sens ou niveaux d’interprétation. Une fois écartés l’analyse physique du rêve et son sens littéral, tout enchaînement d’images pourrait, dès lors, être mis en relation avec la complexion
CHAPITRE III
psychique ou physique du rêveur, avec le lieu où il rêve, avec ce qu’il subit, avec les étoiles et les éléments cosmiques sous l’aspect de la cause, du signe ou de la rencontre accidentelle. Une absence de définition de la métaphore en vue de la prolifération des interprétations Une fois la frontière posée avec la référence et l’analyse physique, en quel sens, néanmoins, entendre l’examen des similitudes ? Les modalités de la ressemblance et les divers champs qui peuvent être ainsi mis en relation paraissent définis de manières si multiples qu’ils ne semblent pas disposés en vue d’établir une nomenclature herméneutique close. Au contraire, Albert de Cologne semble déployer les modalités des ressemblances en vue de faire proliférer l’interprétation selon les propriétés métaphoriques des images, conformément à une acception très vaste du terme ‘métaphore’. L’art de l’examen des ressemblances consiste, par conséquent, à rassembler et à composer ce qui, dans les images, est « déchiré en divers sens » et « distordu » par une analyse de la particularité des simulacres qui se présentent dans le rêve. Il peut s’agir alors d’une reconstruction des différents glissements qui sont à l’origine de la manière dont une forme s’est conservée dans la mémoire sous l’aspect de tel phantasma. Mais il peut être aussi question, à partir de telle image, de réfléchir à sa signification possible pour le futur. L’interprète peut également saisir les propriétés métaphoriques de telle image singulière en la rapprochant d’une multitude d’autres éléments qui ne sauraient, à eux seuls, en constituer les principes d’une explication suffisante. Chacun à sa manière, sous l’aspect de la cause, du signe ou de l’accident, participe à la multiplication des interprétations des images des rêves. Enfin, l’examen des similitudes touche le transfert des images des choses sensibles aux « concepts divins et célestes ». Et cela ne saurait . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Sed quando applicat conceptibus intellectus imagines et intentiones congruas, tunc adhuc indigent interpretatione compositiones imaginum et intentionum, eo quod non conveniunt conceptibus divinis et caelestibus imagines et intentiones sensibilium nisi secundum metaphoram. De his autem in scientia de somno et vigilia* dicemus. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. . « Mais, quand elle applique les images et les intentions congruentes aux concepts de l’intellect, alors les compositions des images et des intentions requièrent désormais une interprétation, pour cette raison que les images et les intentions de ce qui est sensible ne conviennent
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advenir autrement que sur un mode métaphorique. C’est, d’ailleurs, à l’interprétation des songes qui touchent les choses futures qu’Albertus Magnus réserve l’emploi en un sens plus strict de transfert métaphorique. De même, les images véhiculées par les signes manuducteurs peuvent-elles paraître « confuses », « distordues », privées d’une rationalité marquée du sceau de l’universel. À tel signe manuducteur ne correspond pas systématiquement, en effet, une signification qui lui soit propre. Nulle nomenclature figée ne régit une telle relation. Il s’agit plutôt, pour l’interprète, de faire jouer ensemble les diverses modalités de la propriété métaphorique des figures examinées. Il lui incombe de trouver de l’ordre – ou des ordres – dans le désordre, de produire du droit – ou un faisceau de droites – dans les courbes du « distordu ». De quelle nature est cet ordre produit par l’interprétation ? Le rapprochement albertien avec le travail du juge des rêves permet de poser l’hypothèse qu’aux modes d’élaboration de l’interprétation peuvent s’ajouter indéfiniment d’autres modalités de déplacements et d’autres champs de l’expérience mis ainsi en relation. C’est, en effet, par glissement de sens et par transfert d’un champ à un autre que l’interprète traversera l’espace de signification – et de la dé-signifiance qui lui est toujours conjointe selon l’enseignement dionysien – qui relie les images à leur cause première. Autrement dit, l’interprétation des signes manuducteurs ne consiste pas à se détacher de la singularité des images prises dans leur matérialité, dans l’épaisseur de leur enchaînement et dans la logique propre de leur genèse. L’interprétation ne s’identifie pas, en effet, à une science qui vise des catégories universelles. Bien plutôt, la multiplicité des règles données pour l’art d’interpréter les songes permet d’ouvrir une autre voie que celle de l’abstraction. Elle nous rend attentifs à un autre mode d’opération de l’intellect que celui du concept, de la démonstration et de la recherche d’une cause universelle et nécessaire. Dans le mode d’opérativité de l’intelligence figurale, le temps de la traversée herméneutique et la multiplicité des occurrences des figures en aux concept divins et célestes que selon la métaphore. Nous en avons parlé dans la science du sommeil et de la veille. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -, cf. supra chap. III, p. , note : « Quocumque autem modo cognoscendi erit per proprietates metaphoricas. » . Albert le Grand se réfère au traité d’Aristote De divinatione per somnum, cap. ( b -), au début de son Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -.
CHAPITRE III
leur divers contextes apparaissent comme des facteurs essentiels pour qu’advienne la « conduite par la main » propre à ces signes. Temps et multiplicité s’avèrent, en effet, indispensables pour que l’interprète soit touché et pris par la main en quelque sorte. Or une telle manuductio ne survient que dans la relation singulière de l’interprète avec son art, avec les figures considérées selon la particularité de leur enchaînement et avec la manière tout aussi singulière dont le principe se livre dans chaque instant de sa manifestation. « Bien que les symboles de cette sorte occultent la vérité, en tant qu’ils sont des sensibles, cependant, en tant qu’ils sont reliés à ce qui est spirituel, il le manifeste . Or les symboles de ce qui est sensible sont référés à ce qui est spirituel par l’inspection de la similitude ». Quelle est la spécificité de cette similitude inhérente à la propriété métaphorique des images manuductrices qu’observe l’interprète des songes, lorsqu’elle est appliquée au principe disproportionné par rapport à la capacité de tout intellect créé ? III. Transsumptive sive symbolice. L’eau du baptême et la propriété métaleptique des signes manuducteurs A. Transfert des médiations manuductrices dans le champ sacramentaire : comment une réalité corporelle peut-elle ressembler à une réalité spirituelle ? Suivons, pour découvrir la propriété des signes manuducteurs, l’exemple d’interprétation que le Docteur universel en donne dans le De sacramentis, en citant un passage du premier chapitre du De ecclesiastica hierarchia de Denys. En quoi l’eau, dans le sacrement du baptême, apparaît-elle comme un signe manuducteur ? Interpréter le signe baptismal de l’eau . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « () Ad quartum dicendum, quod quamvis huiusmodi symbola occultent veritatem, inquantum sunt sensibilia quaedam, tamen inquantum sunt relata ad spiritualia, manifestant ea. Referuntur autem symbola sensibilium in spiritualia per similitudinis inspectionem. » . Pour une présentation synthétique de la doctrine sacramentaire d’Albert le Grand, cf. ANZULEWICZ, H., « The systematic theology of Albert the Great », p. -. . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. : « Quoniam neque est possibile nostro animo ad non materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum et imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur. »
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requiert, de la part de l’intelligence figurale, un double déplacement. Celui-ci repose, d’une part, sur le fait que la matière du sacrement n’est pas seulement une chose pour elle-même – l’eau –, mais un signe sensible, une figure qui mette en image ce vers quoi elle conduit. Il repose, d’autre part, sur le fait que la finalité du sacrement n’est pas seulement de coïncider avec ce que signifie le mot ‘baptême’, mais bien plutôt avec l’acte effectif, disproportionné par rapport à toute tentative humaine de le saisir, par lequel la grâce divine opère le salut. En se déplaçant dans le champ de la théologie sacramentaire, la figure de la manuductio permet, en effet, désormais de s’interroger sur la possibilité, pour une réalité corporelle, d’avoir une ressemblance avec une réalité spirituelle et ainsi, pour un signe, de renvoyer à l’acte qu’il signifie par ressemblance. Le premier déplacement, de la chose au signe, caractérise l’opération qu’effectue l’intelligence, en général, quand elle articule un signe avec ce qu’il signifie, d’une part, et avec ce à quoi il se réfère, d’autre part. Le second déplacement est, en revanche, propre à ce que nous nommons ici Cf. également, sur cette question, infra dans l’appendice du chapitre III, p. , la référence au chapitre du De ecclesiastica hierarchia dans laquelle se trouve une occurrence de manuductio et le commentaire albertien, DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , II. theôria, n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - et ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. . . Cependant, la ressemblance ne suffit pas à caractériser le sacrement, comme le développe l’une des sources principales d’Albert le Grand pour cette question : [PS.-]HUGO DE S. VICTORE, Summa sententiarum, tr. , cap. , ed. J.-P. Migne, PL CLXXVI, Parisiis, , col. AB : « Unumquodque enim sacramentum ejus rei similitudinem debet habere cujus est sacramentum. Unde Augustinus : Si enim sacramenta quamdam similitudinem earum rerum quarum sacramenta sunt non haberent, omnino sacramenta non essent. Opponitur quod praedicta diffinitio non solis competat sacramentis, cum et ante sanctificationem hoc congruat aquae ut sit visibilis forma invisibilis gratiae ; quia, sicut aqua auferuntur sordes corporis, ita per gratiam sordes animae. Sed ut solis sacramentis competat, sic intelligendum est : Sacramentum est visibilis forma invisibilis gratiae in eo collatae, quam scilicet confert ipsum sacramentum. » (« Chaque sacrement doit, en effet, posséder la ressemblance de cette réalité dont il est le sacrement. De ce fait, Augustin : si les sacrements ne possédaient pas une certaine ressemblance des réalités dont ils sont les sacrements, ils ne seraient pas du tout des sacrements. Est opposé le fait que la définition qui vient d’être dite n’est pas propre aux seuls sacrements, puisqu’également avant la sanctification, elle s’accorde avec l’eau, afin qu’elle soit la forme visible de la grâce invisible, puisque, de même que les souillures du corps sont enlevées par l’eau, de même c’est par la grâce que les souillures de l’âme . Mais, pour que soit propre aux seuls sacrements, il faut comprendre de la manière suivante : le sacrement est la forme visible de la grâce invisible qui lui est conférée, c’est-à-dire que ce sacrement même confère. ») Toutefois, Albert le Grand critique cette conception de la grâce conférée au sacrement, en précisant, dans la solutio, que ce qui rend sacré peut, ou non, être contenu dans le sacrement. Remarquable est, néanmoins, dans la référence à cette source, l’usage de l’eau du baptême comme exemple paradigmatique du sacrement.
CHAPITRE III
le signe manuducteur. Comment, en effet, un élément matériel, accompagné d’une parole instituée, peut-il tenir lieu d’un acte qui est le signe d’une réalité spirituelle incommensurable à toute représentation ? Cela advient, affirme le Doctor magnus, en vertu de l’identité de la qualité de l’eau et de ce vers quoi elle « conduit par la main », à savoir l’acte de la grâce. Or leur qualité commune est la capacité purificatrice par lavement. Autrement dit, l’intelligence figurale peut exercer son art de l’interprétation, dès lors qu’une même qualité – la capacité de purification par lavement, en ce cas – peut se dire de deux manières : soit au sens propre, soit « par translation ou de manière symbolique » (transsumptive sive symbolice ou per translationem sive symbolice). Si cette seconde manière est possible, alors s’ouvre le champ du symbolon comme signe d’un intelligible irréductible aux catégories du sensible, distinct de tout signe linguistique. L’intelligence figurale est, par conséquent, invitée à conjoindre les deux corrélats du signe manuducteur, disproportionnés entre eux : l’eau et sa propriété de laver, d’un côté, la grâce et l’acte par lequel elle lave des péchés et, ainsi, purifie l’âme, de l’autre. En la déplaçant d’un domaine à l’autre, du corporel au spirituel, le signe manuducteur l’incite à apercevoir la « lumière immatérielle » dans la propriété que possède l’eau de laver. […] selon ce mode, la purification (par lavement) de l’eau et la purification (par lavement) de la grâce sont dites une seule qualité, parce que la purification (par lavement) de l’eau conduit de manière transsomptive ou symbolique vers la purification (par lavement) de la grâce. Et c’est ce que Denys dit, dans la . Cf. infra, chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -. Le Doctor magnus fait ici précisément appel à la citation de Denys, tirée de DIONYSIUS AREOPAGITA, De cael. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - (cf. infra chapitre III, p. , note ) pour établir que « […] selon ce mode, l’ablution de l’eau et l’ablution de la grâce sont dites une unique qualité, parce que l’ablution de l’eau conduit de manière transsomptive ou symbolique vers l’ablution de la grâce […]. » Sur la fonction manuductrice du sacrement et l’originalité de l’interprétation albertienne par rapport à ses sources, cf. l’appendice du chapitre III, p. . . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Quod autem obicitur, quod non potest esse similitudo corporalium et spiritualium, dicendum, quod una qualitas dicitur dupliciter, scilicet proprie vel per translationem sive symbolice. Et primo modo non est similitudo in sacramento, sed secundo. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. : « Quoniam neque est possibile nostro animo ad non materialem
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Hiérarchie céleste, chap. : « Il n’est pas possible à notre esprit de s’élever vers cette imitation et vers cette contemplation non matérielles des hiérarchies célestes, s’il ne fait pas usage d’une conduite par la main pour ce qui est selon lui , jugeant les formes, certes, visibles comme des mises en images (imaginationes) de la beauté invisible et les douceurs sensibles comme les figures de la distribution invisible ». Apparaît clairement, dans cet exemple, combien il n’est pas question, pour l’intelligence figurale, d’épuiser sa visée dans le seul concept du lavement et de s’y installer. Son pouvoir de saisir réside précisément dans le déplacement du sens propre au sens figuré : du lavement de l’eau à celui de la grâce. La propriété qu’a l’eau de laver ne fait pas, au sens strict, « voir » la propriété purificatrice de la grâce dans ce qu’Albert le Grand nomme sa nudité. Cette propriété demeure, dans sa simplicité, invisible, disproportionnée par rapport à toute saisie par les sens, par l’imagination ou par l’intellect dianoétique. Mais l’anagogie propre au signe manuducteur consiste plutôt dans ces déplacements auxquels il invite l’intelligence figurale, sans rien lui faire proprement saisir, comprendre, tenir. Davantage art que science, la manuduction engage une pratique plus qu’une simple saisie théorique. Cette pratique est métaphorique au sens où elle advient dans l’acte de glisser d’une image à ses différentes modalités de ressemblance. L’intelligence figurale ne voit qu’en se déplaçant et qu’en consentant à la manuduction. C’est pour ainsi dire une intelligence en chemin.
illam ascendere caelestium hierarchiarum et imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur. » . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « […] secundum hunc modum ablutio aquae et ablutio gratiae dicuntur qualitas una, quia ablutio aquae transsumptive sive symbolice ducit in ablutionem gratiae. Et hoc est quod dicit Dionysius in Caelesti hierarchia, cap. I : “Non est possibile nostro animo ad non-materialem illam ascendere caelestium hierarchiarum imitationem et contemplationem, nisi ea quae secundum ipsum est, materiali manuductione utatur, visibiles quidem formas invisibilis pulchritudinis imaginationes arbitrans, sensibiles suavitates figuras invisibilis distributionis”. »
CHAPITRE III
B. « La similitude est la qualité identique des réalités différentes » : l’objection boétienne à la possibilité pour les réalités sensibles de ressembler aux spirituelles Or une chose sensible peut-elle signifier quelque chose d’indéterminé ? C’est une objection que Boèce a formulée, dans le De differentiis topicis : « la similitude est la qualité identique des réalités différentes ». Il s’ensuit qu’il ne saurait y avoir de qualité identique par l’espèce entre des choses corporelles et des réalités spirituelles. Donc le sacrement ne saurait être le signe de la grâce. Cette objection est dirigée contre la deuxième définition du sacrement examinée par le Doctor universalis dans le quatrième livre des Sentences. Cette définition est attribuée à Pierre Lombard : « le sacrement est la forme visible de la grâce invisible, dont elle porte la similitude et dont elle est la cause ». Voici la formulation de cette objection dans le commentaire albertien du quatrième livre des Sentences de Pierre Lombard, distinction , B, article , intitulé : « Qu’est-ce que le sacrement ? », où le maître de Cologne adopte la structure même qu’il suit dans la question correspondante du De sacramentis. . BOETHIUS, De differentiis topicis, lib. , cap. , n. , in Boethius’ De topicis differentiis und die byzantinische Rezeption dieses Werkes, ed. D. Z. Nikitas, The Academy of Athens and Vrin, Athens, Paris and Bruxelles, (Corpus Philosophorum Medii Aevi. Philosophi Byzantini ), p. , l. : « Similitudo est eadem rerum differentium qualitas. » . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « De secunda obicitur de hoc quod dicit “cuius similitudinem gerat”, quia dicit Boethius, quod “similitudo est rerum differentium eadem qualitas”. Et non est eadem qualitas specie corporalium et spiritualium. Ergo sacramentum non habet similitudinem ad gratiam. » . Sur les définitions du sacrement par Albert le Grand, cf. MCGONIGLE, Th. D., O. P., « The Significance of Albert the Great’s View of Sacrament within Medieval Sacramental Theology », The Thomist / (), p. - ; MURRAY, C., « The Composition of the Sacraments according to the Summa de sacramentis and the Commentarium in IV Sententiarum of St. Albert the Great », Franciscan Studies (), p. -. . Cf. PETRUS LOMBARDUS, Sententiarum liber quartus, d. , cap. , Spicilegium Bonaventurianum V/, p. , l. - : « […] sacramentum est invisibilis gratiae visibilis forma ». Sur la source de cette définition et sa forme originelle, cf. infra l’appendice du chapitre III, p. . . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Item, in IV sententiarum ponitur alia, scilicet “sacramentum est invisibilis gratiae visibilis forma, cuius similitudinem gerat et causa existat”. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a. . Sur la lecture albertienne de Pierre Lombard, cf. MOULIN, I., « La définition du sacrement comme signe chez Albert le Grand dans sa lecture de Pierre Lombard », in Actes du colloque « Pierre Lombard en ses traditions », journée organisée par l’IEM, le GRPL et le Groupe de Recherche « Aquinas and the Arabs’ », à l’Institut Catholique de Paris, le mercredi mai , à paraître.
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De même, il est objecté au sujet de ce qui est dit : « dont elle porte la similitude ». La similitude est, en effet, comme dit Boèce, la qualité identique des réalités différentes en nombre. Mais il n’y a pas de qualité identique entre les spirituelles et corporelles. Donc, puisque ce sacrement est un élément matériel et corporel, il ne peut avoir, avec l’âme à l’intérieur, une qualité identique. Donc il n’y a pas de similitude. Dans la détermination générale de la question, le Dominicain rhénan donne, dans son commentaire des Sentences, une réponse très précise à cette objection à propos de la quatrième définition du sacrement qui considère ses dimensions à la fois matérielle et formelle. Le signifiant matériel qu’est l’eau possède une « propriété naturelle par laquelle a l’aptitude de représenter la grâce » en vertu de sa fraîcheur (refrigerium) et de son humidité (humidum). Mais la quatrième rassemble tout ce qui existe matériellement et formellement dans le sacrement, quant à la matière. Et la propriété naturelle par laquelle elle possède l’aptitude de représenter la grâce lui est conjointe, de même que le rafraîchissement de l’eau représente le rafraîchissement de la grâce par rapport à l’embrasement du bois sec, et l’humide de l’eau la vertu purificatrice (par lavement) . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a : « Item, objicitur de hoc quod dicitur, “cujus similitudinem gerat”. Similitudo enim (ut dicit Boetius) est rerum numero differentium eadem qualitas : non autem eadem qualitas est spiritualium et corporalium : cum ergo elementum sit materiale et corporale ipsum sacramentum, non potest habere eamdem qualitatem cum anima interius : ergo nec habet similitudinem. » . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a : « Hugo sic : “Sacramentum est corporale vel materiale elementum oculis extrinsecus suppositum, ex similitudine repraesentans, ex institutione significans, et ex sanctificatione invisibilem gratiam conferens”. » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -. (« Hugo ainsi : “Le sacrement est l’élément corporel, ou matériel, extrinsèque placé sous les yeux, qui représente à partir d’une similitude, qui signifie à partir d’une institution, qui confère la grâce invisible à partir d’une sanctification. ») Hugues de Saint Victor précise que, si, en vertu de sa qualité naturelle, l’eau possède une ressemblance avec la grâce divine et peut la représenter, en revanche, c’est en vertu d’une institution ajoutée par le Sauveur qu’elle peut signifier le pouvoir que possède la grâce divine de purifier les âmes. Cf. HUGO DE S. VICTORE, De sacramentis christianae fidei, lib. , pars , cap. , ed. R. Berndt, Corpus Victorinum I, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -p. , l. . Sur la définition du sacrement chez Hugues de Saint Victor, cf. MOULIN, I., Hugues de Saint-Victor. Sacrement et sacramentalité dans l’économie de la grâce, Parole et Silence, Paris, (Cahiers du Collège des Bernardins ), chapitre II., p. -.
CHAPITRE III
de la grâce pour se défaire (deponendas) des souillures spirituelles dans l’âme. Or elle tient d’une institution divine le fait que cette représentation conduit en acte vers la grâce mais, de la sanctification de la forme des paroles, elle tient de conférer la grâce invisible. » Sur quoi cette vertu signifiante se fonde-t-elle ? C. La réponse albertienne : la similitude de proportionnalité La vertu signifiante de l’eau ne provient pas directement et simplement d’une similitude entre deux qualités, mais plutôt d’une similitude entre deux proportions. L’interprète examine, par conséquent, des similitudes de rapports. « Examiner des ressemblances » suppose, d’une part, de passer de la notion de similitude, comme identité de deux termes différents, à celle de proportionnalité, comme similitude de rapports. Mais, d’autre part, il ne s’agit pas d’entendre cette proportionnalité au sens propre. « De même que l’élément dans la force rafraîchissante et purificatrice se rapporte au corps, de même la grâce à l’âme selon la métaphore ». C’est pourquoi – et c’est là l’essentiel – il s’agit d’entendre cette similitude de rapports de manière « allégorique ou métaphorique » (allegorice vel metaphorice). Quant à l’autre , il faut dire que la similitude est prise ici selon la proportionnalité. Cela est, en effet, selon Boèce dans le deuxième de l’Arithmétique : la similitude est la qualité identique des réalités différentes et la proportion est la similitude du rapport entre deux ; la proportionnalité, en revanche, . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a : « Sed quarta colligit omnia materialiter et formaliter existentia in sacramento materia, et huic conjuncta est proprietas naturalis qua aptitudinem habet repraesentandi gratiam : sicut refrigerium aquae repraesentat regrigerium gratiae ab incendio fomitis, et humidum aquae vim ablutivam gratiae ad deponendas sordes spirituales in anima. Quod autem haec repraesentatio actualiter ducat in gratiam, habet ex institutione divina : sed ex sanctificatione formae verborum habet conferre gratiam invisibilem. » . À propos de la similitude de proportionnalité dans le cadre de l’interprétation des songes, vide également ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -, cf. infra, chapitre III, p. ; -, notes ; - et Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -, cf. dans le même chapitre, p. et , notes et . Sur la proportionnalité comme analogie de rapport entre la chose sensible et sa qualité, d’une part, et entre une réalité spirituelle et son effet, d’autre part, cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. -.
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est la similitude des proportions entre quatre. Et nous dirons, alors, qu’il faut prendre la propriété de l’élément extérieur par rapport à l’effet qu’il a dans le corps en une partie et la propriété de la grâce par l’effet qu’elle a dans l’âme en une autre partie. Et il faut poser la similitude entre ces deux proportions de manière allégorique ou métaphorique (allegorice vel metaphorice). De même que l’élément dans la force rafraîchissante et purificatrice (par lavement) se rapporte au corps, de même la grâce à l’âme selon la métaphore. Et alors l’objection cesse. Quelle est donc la propriété des signes manuducteurs capable de susciter l’art de l’interprétation ? Cette faculté à inviter l’intelligence figurale au déplacement sera appelée ici la propriété métaleptique des signes manuducteurs. Qu’elle reçoive, dans les textes du Docteur universel, lorsqu’il tente de décrire le mode symbolique (symbolice), tantôt la dénomination de métaphore – dont nous avons pu observer l’extension à . ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. b-a : « Ad aliud dicendum, quod similitudo sumitur ibi secundum proportionalitatem : est enim secundum Boetium in II Arithmeticae, similitudo rerum differentium eadem quantitas (quantitas] qualitas corregi), et proportio est similitudo habitudinis inter duo, sed proportionalitas est similitudo proportionum inter quatuor. Et tunc dicemus, quod sumenda est proprietas elementi exterioris ad effectum quem habet in corpore in parte una, et proprietas gratiae per effectum quem habet in anima in parte alia : et ponenda est allegorice vel metaphorice similitudo inter illas duas proportiones. Sicut se habet elementum in vi refrigerativa et ablutiva ad corpus, ita gratia ad animam secundum metaphoram. Et tunc cessat objectio. » . Nous nous référons ici au sens conféré par la rhétorique moderne au terme ‘métalepse’ qui désigne l’acte de « faire entendre une chose par une autre, qui la précède, la suit ou l’accompagne, en est […] une circonstance quelconque, ou enfin s’y rattache ou s’y rapporte de manière à la rappeler immédiatement à l’esprit », vide FONTANIER, P., Les Figures du discours, Flammarion, Paris, rééd. , p. -. Pour son élaboration médiévale, cf. chapitre III, p. et , notes et . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. b-a. Albert le Grand emploie transsumptio comme synonyme de metaphora dans sa Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. et dans son commentaire du Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. À propos de l’élaboration antique et médiévale de la notion de métaphore et de son mécanisme de translatio ou transsumptio, vide MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « […] μετάλημψιν, quam nos varie translativam, transumptivam, transpositivam vocamus […]. » MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « […] in metalempsin quoque cadit eadem ratio dictorum […]. » MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « […] translatione dico, quae μεταφορά Graece vocatur. »
CHAPITRE III
propos de l’interprétation des rêves –, tantôt celle de translation, de transsomption, ou encore de métalepse – dans une traduction plus MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « transfertur ergo nomen aut verbum ex eo loco, in quo proprium est, in eum, in quo aut proprium deest aut translatum proprio melius est. » MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « metaphora enim aut vacantem locum occupare debet aut, si in alienum venit, plus valere eo, quod expellet. » MARCUS FABIUS QUINTILIANUS, Institutionis oratoriae, lib. , cap. , n. , Bd , p. , l. - : « Superest ex his, quae aliter significant, μετάλημψις, id est transsumptio, quae ex alio tropo in alium velut viam praestat […]. » AELIUS DONATUS, Ars grammatica (Ars maior), lib. , cap. , ed. H. Keil, Teubner, (Grammatici Latini IV), p. , l. - : « Metaphora est rerum verborum que translatio. haec fit modis quattuor, ab animali ad animale, ab inanimali ad inanimale, ab animali ad inanimale, ab inanimali ad animale : ab animali ad animale […]. » AELIUS DONATUS, Ars grammatica (Ars maior), lib. , cap. , p. , l. - : « Metalepsis est dictio gradatim pergens ad id quod ostendit, ut “speluncis abdidit atris” et post aliquot mea regna videns mirabor aristas. » Incerti auctoris De ratione dicendi ad C. Herennium libri IV, lib. , cap. , n. , ed. F. Marx, p. , l. - : « Translatio est, cum uerbum in quandam rem transferetur ex alia re, quod propter similitudinem recte uidebitur posse transferri. » Cf. DAHAN, G., L’Exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe s.), « La métaphore » p. - ; notamment sur la notion de translatio en actio dans les œuvres de Thomas d’Aquin, cf. DAHAN, G., « Saint Thomas et la métaphore. Rhétorique et herméneutique », Medioevo (), p. - ; pour un tableau général de la métaphore médiévale : KREWITT, U., Metapher und tropische Rede in der Auffassung des Mittelalters, Henn, Ratinger, Kastellaun und Wuppertal, (Mittellateinisches Jahrbuch Beiheft ), notamment sur l’exégèse biblique p. - ; DAHAN, G. et ROSIER-CATACH, I. (éd.), La Rhétorique d’Aristote, traditions et commentaires, de l’Antiquité au XVIIe siècle, Vrin, Paris, (Tradition de la pensée classique). . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. : « per translationem sive symbolice ». . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. : « transsumptive sive symbolice ». . La traduction de transsumptive par « métaleptique » est préférée ici à « métaphorique » pour respecter l’usage qu’Albertus Magnus fait des deux termes qu’il distingue tout en explicitant l’un par l’autre au sens large du transfert de signification qui doit avoir lieu « selon une certaine similitude », cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] cum transsumptio debeat fieri secundum similitudinem. » ; Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] cum omnis transsumptio debeat esse secundum aliquam similitudinem, ut dicit Philosophus* […]. » ; Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - : « […] transsumptio propter similitudinem […]. ». La référence (*) faite par le Doctor universalis à Aristote est : ARISTOTELES, Topica, lib. , cap. ( a -), transl. Boethii, fragmentum recensionis alterius et transl. anonyma, Arist. Lat. V/-, p. , l. - (transl. Boethii) ; p. , l. -p. , l. (transl. anonyma) et transl. ant. in Topicorum Aristotelis libri octo, An. Manl. Sev. Boetii interprete, PL LXIV, col. D-B, cf. ALBERTUS MAGNUS, In Topica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. a-b. Cet emploi non technique de transsumptio se trouve, par exemple, en ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « […] non metaphorico, qui transsumptivus est […]. ». Cet emploi est confirmé ici par le fait qu’Albert de Cologne écrit tantôt transsumptive sive
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technique qui vise à alerter le lecteur sur la spécificité du déplacement relatif aux réalités divines – indique au lecteur que l’important, aux yeux du maître de Cologne, est d’éviter de figer l’acte du déplacement précisément sous un terme déterminé et d’en épouser plutôt la liberté, de tenter de l’esquisser pour inviter l’esprit à entrer dans cette pratique figurale. Au-delà des questions de désignation de la propriété métaphorique des signes manuducteurs et de sa traduction, il semble que l’essentiel soit que le transfert impliqué par ces signes ne se limite pas à une signification et à un référent déterminés. La propriété des signes manuducteurs consiste, en effet, à indiquer un déplacement de sens de ce qui est proportionné au créé à ce qui lui est disproportionné. S’il s’agit bien d’un glissement de sens, tel qu’il est impliqué par le processus métaphorique en général, comment caractériser la propriété qu’un signe possède de signifier un acte qui n’est « en lui-même susceptible ni de forme ni de figure » ? Autrement dit, puisqu’aucune de leurs significations ne saurait adéquatement comprendre un acte qui est par définition « au-dessus de notre proportion », les signes manuducteurs invitent l’intelligence figurale à examiner leurs ressemblances, selon la logique propre des symbolice (cf. supra chapitre III, p. et , notes et , ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. et Super Dionysium De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -), tantôt per translationem sive symbolice (cf. supra chapitre III, p. et , notes et : ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. ). Ce sens de transsumptio est, d’ailleurs, proposé par G. DAHAN, dans le chapitre « Saint Thomas d’Aquin et la métaphore au Moyen Âge » de son livre Lire la Bible au Moyen Âge : essais d’herméneutique médiévale (), p. -, spéc. p. , et confirmé par les occurrences thomasiennes suivantes : « […] a quibusdam creaturis sensibilibus magis fit transumptio in divina per metaphoricas locutiones, quam etiam ab ipsa mente » (THOMAS DE AQUINO, Quaestiones disputatae de veritate, q. , a. , arg. , Ed. Leonina XXII/, Romae, , p. , l. - : « […] la transsomption, par les locutions métaphoriques, vers ce qui est divin advient davantage à partir de certaines créatures sensibles que même à partir de l’esprit lui-même ») et « metaphorice vel transumptive » in THOMAS DE AQUINO, In I. Sent., d. , q. , a. , arg. , in ed P. Mandonnet, vol. , p. : « Sed quandocumque nomen creaturae praedicatur de Deo, non est vera praedicatio, nisi intelligatur metaphorice vel transumptive […]. » (« Mais, toutes les fois qu’un nom de créature est prédiqué de Dieu, la prédication n’est vraie qu’à condition d’être intelligée de manière métaphorique ou transsomptive […] »). À propos de la notion de transsumptio au treizième siècle, vide PURCELL, W. M., « Transsumptio. A Rhetorical Doctrine of the Thirteenth Century », Rhetorica, Vol. (), Californian University Press, , p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] secundum se nec formabile nec figurabile est […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] id quod est supra nostram proportionem. »
CHAPITRE III
figures que nous avons pu explorer avec les images des rêves. Le mouvement de glissement d’un contexte figural à un autre, selon toutes les modalités de la ressemblance que l’intelligence figurale puisse découvrir, reproduit ainsi, à travers l’enchaînement des figures, l’échappée essentielle et sans cesse réitérée de ce qui ne se laisse pas saisir dans les catégories adéquates aux étants créés. Plus qu’une simple saisie intellective, le glissement selon les ressemblances des images implique une pratique qui constitue peut-être la dimension de cet art la plus susceptible de rapprocher l’interprète de l’acte par lequel le principe se manifeste, tandis que le procédé syllogistique, en vertu de sa visée déterminante, ne saurait appréhender ce dernier directement. En quoi la similitude de proportionnalité constitue-t-elle, aux yeux d’Albertus Theutonicus, parmi toutes les autres ressemblances examinées par l’interprète, le mode qui convient spécifiquement au rapprochement des images avec le principe divin ? D. Modalités métaphoriques en poésie et en théologie Tentons de préciser les caractéristiques des déplacements opérés par l’intelligence figurale, lorsque l’image se réfère à un acte divin. Empruntons, pour cela, l’exemple qu’Albert le Grand donne lui-même des transferts opérés dans le cas d’une image poétique et d’une image théologique. Dans le chapitre précédent, nous les avons distinguées, à partir de la Somme de théologie et du commentaire albertien de l’Épître IX, en invoquant la différence de nature de l’objet de l’une et de l’autre disciplines ou, plus précisément, la différence du rapport de cet objet avec notre faculté de connaître. Cette distinction conduit à opposer deux usages des images. La théologie procède d’un usage négatif de l’image, au sens de ce qui nie l’adéquation de l’image à ce à quoi elle est rapportée. La poésie, pour sa part, a recours à un usage positif des images, au sens où sa proportion avec les facultés humaines pose l’image comme l’objet même de la poésie. Nous adopterons ici une autre perspective sur le rapport de chacune de ces deux disciplines à l’image. Nous rechercherons en quoi elles indiquent, en fait, deux déplacements distincts opérés par l’intellect par rapport à une image, lorsqu’il ne possède pas un usage déterminant, ou définissant, de celle-ci comme signe, en vue d’établir ce que l’image signifie de manière adéquate.
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Une précision apparaît ici essentielle. Dans la description des déplacements auxquels l’image poétique et l’image théologique invitent l’intelligence figurale, il est capital de rappeler que le signe ne renvoie jamais, pour le Docteur universel, à un système clos de la langue. Non seulement le sens littéral, mais aussi ce que le Doctor magnus peut parfois appeler le « sens métaphorique » sont « pris à partir des propriétés de ce qui est signifié par les mots, référées à autre ». Ce sens métaphorique touche le réel extérieur au signe et espère même être une voie privilégiée pour effleurer le principe divin. C’est pourquoi, afin de s’approcher le plus adéquatement possible de ce qu’est le signe, ou le « symbole », albertien, nous n’emprunterons pas à la linguistique l’emploi de l’articulation du signifiant et du signifié ni celui du couple paradigme et syntagme, qui permet de penser d’une certaine manière la différence entre le procès métaphorique et le procès métonymique, tellement il nous semble fondamental d’insister sur le fait que, dans les déplacements opérés par l’intelligence figurale entre les signes, il est ici toujours question des choses elles-mêmes et du rapport qu’elles entretiennent avec leurs causes et, au plus haut point, avec la première d’entre elles : le principe divin. S’il y avait un « système » albertien des images, il faudrait dire qu’il est en chacun de ses points ouvert vers le principe et que les modalités des propriétés métaphoriques de ses signes visent à . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] quandoque vero non est sensus litteralis, quem verba faciunt, sed qui accipitur ex proprietatibus eorum quae per verba significantur, in aliud relatis, quia hoc est quod scribens intendit, et secundum hunc modum dicimus, quod sensus metaphoricus est litteralis […]. » (« […] parfois le sens littéral n’est pas celui que les mots font, mais celui qui est pris à partir des propriétés de ce qui est signifié par les mots, référées à autre , parce que cela est ce que celui qui écrit a* comme intention, et, selon ce mode, nous disons que le sens métaphorique est littéral […]. ») * Il est également possible de traduire : « […] que celui qui a écrit a eu comme intention […]. » . Sur la notion de signifié, cf. BENVÉNISTE, E., Problèmes de linguistique générale, I, section , chap. , Gallimard, Paris, (Tel), p. -. . Le couple paradigme / syntagme se réfère à l’opposition entre la fonction de sélection des entités linguistiques au sein d’une liste d’occurrences possibles en un point de la chaîne du langage qu’il est possible de substituer les unes aux autres, d’une part, et, d’autre part, à leur combinaison en unités linguistiques selon des règles de composition déterminées par lesquelles les signes s’enchaînent les uns aux autres. Cf. JAKOBSON, R., Essais de linguistique générale, trad. de l’anglais et préfacé par N. Ruwet, Éditions de Minuit, (Double), chap. .., p. - ; . « Le développement d’un discours peut se faire le long de deux lignes sémantiques différentes : un thème (topic) en amène un autre soit par similarité soit par contiguïté. Le mieux serait sans doute de parler de procès métaphorique dans le premier cas et de procès métonymique dans le second » (p. ).
CHAPITRE III
multiplier les possibilités pour que l’interprète se laisse « conduire par la main » vers le principe qu’il ne peut saisir directement. Les catégories du transfert poétique Selon quelle modalité advient le déplacement dans une image poétique ? Le transfert du signe métaphorique – ‘lion’, par exemple – au signe dont il est une image – ‘homme’ – peut advenir à partir d’une qualité – l’animositas, ou l’énergie au combat, notamment – qui serait participée par les deux référents de ces signes. Le Doctor magnus envisage aussi d’autres modalités métaphoriques. Le transfert peut, en effet, également s’effectuer selon une certaine « proportion » de l’un à l’autre ou bien selon un rapport de « quantité d’une même raison » entre les deux termes, par exemple être plus ou moins énergique. Pourquoi le déplacement entre les deux signes s’opère-t-il à partir d’une autre catégorie que celle de la substance ? Puisqu’il n’est pas possible de transférer immédiatement et au sens propre au signe ‘homme’ la raison première, c’est-à-dire celle qui est prise selon la catégorie de la substance, du signe ‘lion’, l’intelligence parcourt ce qu’Albert le Grand nomme les « raisons » du signe métaphorique ‘lion’ et se rapporte au . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « Referuntur autem symbola sensibilium in spiritualia per similitudinis inspectionem, ut dictum est, non quae sit secundum participationem eiusdem qualitatis, quia omnino differentes sunt qualitates corporalium et spiritualium, neque per proportionem ad illa, quia improportionabilia sunt, nec est eis quantitas eiusdem rationis, sed per similitudinem proportionalitatis […]. » (« Les symboles des sensibles sont référés aux divines par l’inspection de la similitude, comme il a été dit, non qu’elle soit selon la participation d’une qualité identique, parce que les qualités de ce qui est corporel et de ce qui est spirituel sont tout à fait différentes, ni par la proportion par rapport à elles , puisqu’elles ne sont pas susceptibles de proportion et qu’il n’y a pas pour elles de quantité d’une raison identique, mais par la similitude de proportionnalité […]. ») . Ces trois types de similitudes que l’interprète peut, selon Albert le Grand, observer dans les symboles sensibles montrent l’inadéquation de la désignation de ces transferts par le terme général de métaphore, tel qu’il se trouve, du moins, défini en termes rhétoriques ou linguistiques, comme mouvement qui passe, selon une relation d’analogie, d’un signifié à un autre. Cf. FONTANIER, P., Les Figures du discours, p. : la métaphore consiste à « présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue qui, d’ailleurs, ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie » ; DUCROT, O. et TODOROV, T., Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Le Seuil, Paris, , (Points Essais ), p. : « […] emploi d’un mot dans un sens ressemblant à, et cependant différent de, son sens habituel […]. » . Vide, par exemple, ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] praedicta signa “sunt manifestativae compositiones”, idest figurationes manifestantes ea, diversis tamen rationibus. »
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signe ‘homme’ selon l’une d’entre elles. Autrement dit, que l’image soit proportionnée aux facultés humaines signifie, notamment, que, selon l’une des catégories au moins, le signe ‘lion’ trouve une application au signe ‘homme’, jugée adéquate par l’interprète, lorsqu’il lui est transféré. Le transfert théologique selon la similitude de proportionnalité Selon quelle « raison » un tel transfert a-t-il, en revanche, lieu en théologie ? Reprenons l’exemple donné par le maître de Cologne, dans son commentaire de l’Épître IX de Denys : « […] la propriété du lion est l’énergie par laquelle il vainc tous les animaux qui lui résistent. De même Dieu, par sa vertu, renverse les superbes et ceux qui lui résistent. Ce n’est donc ni la vertu ni l’acte de la victoire qui appartiennent à la même raison dans le lion et en Dieu, mais seulement la comparaison, puisque, de même que la vertu du lion à sa victoire, de même la vertu divine à la sienne. Et telle est la similitude de la proportionnalité ». Autrement dit, ce n’est pas « selon la participation à une même qualité » que les signes des réalités corporelles, comme ‘lion’, et ceux des réalités spirituelles, et au plus haut point Dieu, peuvent être rapportés les uns aux autres, puisque les qualités de ces réalités sont « en tout point différentes ». Il est vain, en outre, de rechercher une proportion entre ce qui ne peut en avoir ou un rapport de « quantité d’une raison identique », là où il n’y a pas de raison commune. Le seul mode de déplacement est, selon le Dominicain rhénan, le suivant : « la similitude de proportionnalité dans laquelle il faut faire quatre : (a) prendre la propriété de la chose sensible, (b) la comparer à son acte et (d) trouver une comparaison semblable de (c) la propriété de (« […] les signes cités “sont des compositions susceptibles de manifester”, c’est-à-dire des figurations qui les manifestent, mais par des raisons différentes. ») . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] proprietas leonis est animositas, per quam vincit omnia animalia sibi resistentia ; similiter deus sua virtute superbos et resistentes sibi deicit. Non est igitur neque virtus neque actus victoriae eiusdem rationis in leone et deo, sed tantum comparatio, quia sicut se habet virtus leonis ad suam victoriam, ita virtus divina ad suam. Et haec est similitudo proportionalitatis. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] non quae sit secundum participationem eiusdem qualitatis, quia omnino differentes sunt qualitates corporalium et spiritualium […]. ». Cf. traduction supra dans le même chapitre, p. , note . . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] neque per proportionem ad illa, quia improportionabilia sunt, nec est eis quantitas eiusdem rationis […]. » Cf. traduction supra dans le même chapitre, p. , note .
CHAPITRE III
la réalité spirituelle avec son acte ». Plus précisément, la troisième opération (c) consiste à abstraire la propriété de la réalité spirituelle et la quatrième opération (d) à comparer cette propriété à l’acte de la réalité spirituelle. Les opérations (a) et (b) concernent la chose sensible ; les opérations (c) et (d) ont trait à la réalité spirituelle. Les opérations (a) et (c) consistent à abstraire une propriété de la chose, les opérations (b) et (d) à comparer la propriété et l’acte de la chose, c’est-à-dire à comparer ce qui appartient à deux catégories différentes : la qualité et l’action. J’ai délibérément inversé l’ordre des lettres (c) et (d) insérées dans le texte albertien pour mettre en relief la ressemblance entre les deux couples d’opérations (a) et (c), d’un côté, et (b) et (d), de l’autre. Quel mode métaphorique Albert de Cologne attribue-t-il, d’après ce passage du commentaire de l’Épître IX, aux images de la théologie ? L’usage dit négatif des images par la théologie signifie l’inadéquation de tout transfert de signification terme à terme, selon quelque raison ou à quelque degré de ressemblance qu’il soit pris, du signe métaphorique au signe dont il est une image, quand celui-ci est Dieu. Les propriétés métaphoriques de l’image poétique ne sauraient, en effet, opérer en théologie. Transférer le signe ‘lion’ au signe ‘Dieu’ n’est, en effet, pas possible en vertu du déplacement d’un signe à l’autre selon l’ordre des raisons, que celles-ci soient la substance, la qualité ou d’autres catégories. Il n’est pas non plus possible selon un rapport de proportion ou de quantité de la même raison entre ces deux signes directement. La propriété métaphorique des images en théologie invite l’intelligence figurale à tisser des rapports de rapports entre deux signes reliés selon des raisons diverses, ici une qualité et son acte. Que nous indique le Doctor universalis par un tel mode métaphorique des images en théologie ? Si, selon lui, la théologie doit, en raison de la disproportion de son objet par rapport à l’intellect humain, procéder par la médiation de signes manuducteurs, c’est dans la mesure où le déplacement auquel elle invite advient grâce à des transferts de relations de relations. Il semble, en effet, que ce qui ne saurait se laisser comprendre dans une signification déterminée se laisse, en revanche, entre. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - : « […] per similitudinem proportionalitatis, in qua oportet quattuor facere, scilicet accipere proprietatem rei sensibilis et comparare eam ad suum actum et similem comparationem invenire proprietatis rei spiritualis ad suum actum […]. »
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voir dans des relations entre les signes, non pas comparés terme à terme, mais à partir de la relation qu’entretiennent entre elles deux de leurs raisons. Ces opérations de glissement plus complexes appelées par les propriétés métaphoriques des images en théologie ou des symboles, selon le terme que Maître Albert emprunte à Denys, semblent, cependant, multiplier les voiles qui séparent l’intellect humain du principe. Tout se passe, en effet, comme si les catégories de substance, de qualité et de quantité ne suffisaient pas à désigner ce qui ressortit en propre à l’esprit et, au plus haut point, à figurer le principe divin et qu’il fallait non seulement recourir à la catégorie de la relation, mais encore la redoubler en relation de relations, pour exprimer le mode selon lequel les figures se rapportent à ce qui ne se laisse circonscrire qu’en manifestant en même temps son incirconscriptibilité. Les opérations propres de l’intelligence figurale par rapport aux images poétiques et théologiques Donc poésie et théologie invitent toutes deux l’intelligence figurale à se déplacer d’image en image, mais pour des raisons différentes et selon des modalités diverses. Il y a, en effet, une manière de se mouvoir d’image en image, de telle sorte que l’effet visé soit non pas de connaître ce qu’elle désigne, mais d’émouvoir celui qu’elle touche de manière proportionnée, en lui faisant accomplir, entre l’origine, les moyens et la fin, un parcours de part en part proportionné à ce qui est humain. Tel est le mode de la poésie. Il y a une autre manière de se mouvoir d’image en image caractérisée par le fait que l’intelligence ne saurait en aucune manière déterminer de façon adéquate la signification de ces images prises comme des signes du principe divin. Le caractère par nature disproportionné du principe divin par rapport à toute production de l’intellect humain empêche, en effet, l’intellect de trouver son repos dans la détermination de ce que signifie tel signe. Le rôle de l’imagination ne saurait, alors, être circonscrit à celui de moyen en vue de préparer l’intellection entendue comme saisie d’une signification déterminée adéquate à l’objet visé. Loin de s’orienter vers la préhension d’une signification dans l’intellection, l’intelligence figurale est, au contraire, selon les modalités métaphoriques propres aux images en théologie, responsable de la proliféra-
CHAPITRE III
tion des interprétations dans le glissement de signe en signe, sans se fixer sur aucun. En d’autres termes, l’objet de la théologie apparaît indissociablement lié à la matérialité du signe qui le vise et, à travers elle, aux rapports entre ses différentes significations reliées à elle sous diverses raisons. Par « matérialité du signe », il convient d’entendre ici que celui-ci fonctionne comme une image dont nous avons pu entrevoir la logique propre dans l’analyse de l’image des rêves. En d’autres termes, la possibilité, pour l’intelligence figurale, de retourner sans cesse à l’image, prise comme telle, pour ainsi dire en sa matière, est le fondement sur lequel repose la multiplicité des relations qu’elle pourra élaborer à partir de cette même image prise tour à tour comme effet, comme signe et comme accident. Trois traits caractérisent donc les images en théologie et les déplacements qu’elles invitent l’intelligence figurale à effectuer : la disproportion de leur objet par rapport à l’intellect humain, le rôle herméneutique de l’intelligence figurale, la modalité de leur propriété métaphorique. Le premier : la médiation manuductrice, lorsqu’elle se rapporte au principe divin, ne saurait, en effet, porter la connaissance à son accomplissement dans une signification déterminée qui prétende comprendre Dieu tel qu’il est. Par suite, l’imagination se trouve libérée du rôle de moyen en vue de préparer l’intellection entendue comme préhension d’une signification adéquate à l’objet. La médiation manuductrice est davantage – et c’est le deuxième trait – le milieu dans et par lequel ne cessent d’advenir des interprétations d’images qui ne sont pas circonscrites au statut de signes, mais qui peuvent être le fondement de relations multiples, telles que celle de cause à effet ou de rencontre accidentelle. À la multitude d’interprétations auxquelles les images, considérées comme supports matériels de ressemblances variées, peuvent conduire s’ajoute, en troisième lieu, un mode spécifiquement adapté à leur application aux réalités divines. Le travail auquel la modalité des propriétés métaphoriques des images en théologie appelle l’intelligence figurale consiste, en effet, à élaborer des similitudes de proportionnalité entre ces images. Autrement dit, ce que les images en théologie enseignent, par rapport à l’interprétation des songes, est que les modalités métaphoriques des déplacements selon l’ordre de la cause, du signe ou de l’accident ne sauraient advenir par des rapprochements directs entre deux termes, lors-
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qu’il s’agit des réalités divines. Il convient que l’examen des ressemblances mette en rapport des relations entre deux raisons de l’image et ces mêmes raisons dans le principe divin. IV. En guise de conclusion : une esquisse de l’opération métaphorique propre à l’intelligence figurale Le mode de connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain et n’a pas atteint la fin de la connaissance par médiation qu’est la vision immédiate du principe tel qu’il est apparaît donc marqué par deux caractéristiques majeures. A. Un art de l’interprétation qui imite l’acte par lequel le principe se manifeste Le mode de connaissance qui passe par la médiation des images manuductrices repose, en premier lieu, sur un art de l’interprétation – et non sur une science herméneutique. Dans la confrontation avec des images qui se dérobent face au désir d’en saisir la signification adéquate et qui ne révèlent pas immédiatement la logique de leur enchaînement, il dépend de la singularité de l’aventure de lecture de chaque interprète de découvrir de quels éléments ces images, ou figures, sont composées et selon quelles arcanes elles sont concaténées. Interpréter un rêve suppose, en effet, de relier les images, prises en leur matérialité et selon la logique propre de leur genèse, avec des éléments internes et externes à celui qui rêve, conformément à toutes les modalités de relations que permettent les propriétés métaphoriques des images manuductrices : de causalité, de signification, de rencontre accidentelle. C’est pourquoi la connaissance par manuduction est un art qui met en jeu la singularité de celui qui, en interprétant les images dans la particularité et la contingence de leur enchaînement, est ainsi « conduit par la main » vers le principe, selon une multitude de chemins, en fonction des relations de ressemblance qu’il découvre entre ces images. Art de l’interprétation, la connaissance figurale implique des dimensions à la fois dianoétique et pratique. L’imagination n’y est pas seulement servante de l’intellection qu’elle prépare. Tout se passe comme si elle était le milieu ou le chemin même sur lequel se déplaçait l’intelligence figurale selon les propriétés métapho-
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riques des images. En quoi cette pratique conduit-elle, dès lors, à une connaissance du principe ? Notre hypothèse est que, dans les glissements d’image en image selon les ressemblances que l’intelligence figurale y repère, l’intellect humain imite l’acte même par lequel le principe se manifeste. Tandis que l’intellection propre à l’intellect séparé lui promet de contempler l’essence du principe, le mouvement infini de l’interprétation « conduit » l’intelligence figurale « par la main » à travers le procès de manifestation du principe qui se met en figures, se met en images (imaginationes), « s’imagine » en quelque sorte. Or l’art de l’interprétation, parce qu’il est une pratique, permet à l’intellect humain de s’assimiler au mouvement même par lequel le principe se manifeste dans ses images. En examinant les ressemblances des figures, l’intelligence figurale intériorise en quelque sorte et fait sien le mouvement par lequel le Verbe se « dit » dans la matérialité des figures, en s’adressant à l’imagination et à sa capacité d’examiner des similitudes et de les tisser les unes avec les autres. En retraçant la genèse des images, l’intelligence figurale parcourt ainsi, en sens inverse, le mouvement par lequel le principe se manifeste et s’assimile à l’acte de l’imaginatio dans sa profusion. B. L’examen des ressemblances selon la similitude de proportionnalité En deuxième lieu, puisque l’intelligence figurale n’a pas affaire aux connexions universelles et nécessaires qui caractérisent la science, il lui incombe de repérer des ressemblances dans le particulier et le contingent qui s’offrent à elle. Ces ressemblances entre les images sont caractérisées par leur multiplicité, de telle sorte que l’acte d’interpréter puisse se poursuivre indéfiniment. Elles permettent de mettre en relation des champs variés de l’expérience humaine selon divers modes de relation (causalité, signification, rencontre accidentelle). Mais, pour ce qui est de leur mise en relation avec les réalités divines, la propriété métaphorique des images . Albert le Grand expose, au début de son commentaire du Prologue de Jean, la manière dont l’intellect « se dit », cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -p. , l. ) : « Si ergo per aliquid se manifestat, oportet quod id producat ex seipso, in quo se manifestat. Et sic in se habet in quo se manifestat. Cum autem sic se manifestat, non nisi se luce sua declarat. Et hoc est intellectui intellectualiter se dicere ». (« Si donc il se manifeste par quelque chose, il faut qu’il produise à partir de lui-même ce dans quoi il se manifeste. Et ainsi il a en lui ce en quoi il se manifeste. Or, quand il se manifeste ainsi, il ne se fait voir clairement que par sa lumière (luce). Et cela est, pour l’intellect, se dire intellectuellement. »)
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possède la modalité propre de la relation de relations, c’est-à-dire de la similitude de proportionnalité. C. Éléments de réponse aux questions portant sur les théories du signe et de l’acte propres à l’intelligence figurale Nous avions formulé, à la fin du deuxième chapitre, trois questions pour articuler l’enjeu relevant de la théorie du signe et de l’acte dont relève l’intelligence figurale : quelles opérations caractérisent l’activité de l’intelligence figurale ? En quoi consiste, plus précisément, la manuductio propre aux médiations sensibles qui tentent de mettre en proportion le disproportionné ? Que signifie la continuité de l’acte d’imaginatio par lequel l’intelligence figurale poursuit en quelque manière, de figuration en figuration, l’acte par lequel le principe se manifeste lui-même ? Le parcours que nous avons accompli permet d’y apporter quelques éléments de réponse. Voici ce que nous enseigne le réseau de textes impliquant les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, en nous entraînant non pas vers les développements doctrinaux du Docteur universel sur l’imagination (imaginatio ou phantasia), mais vers l’interprétation des songes, la théologie sacramentaire et la différence des modalités métaphoriques en poésie et en théologie. Du point de vue de la théorie de l’acte des opérations propres à l’intelligence figurale À la première question qui touche la théorie de l’acte à laquelle ressortit l’intelligence figurale, l’examen des similitudes dans les images des rêves et dans les sacrements apporte une réponse concernant la dimension pratique de l’opération de l’intelligence figurale. Elle montre en quoi cet examen engage à la fois la réceptivité du particulier propre à la sensibilité, la singularité de l’interprétation qui en naît et, peut-être aussi, l’assimilation de l’interprète à l’acte par lequel le principe se met en figure dans ses images. . Cf. supra chapitre II, section VII, III : « Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe : esquisse d’un chemin de questionnement pour l’enquête sur la connaissance médiate », p. .
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La dimension pratique de l’interprétation rejoint, dès lors, la dimension poétique consistant dans la production d’images, lorsque l’intelligence figurale « forme de manière imaginable et sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste ». Afin de retracer la manière dont les images des rêves ont été engendrées comme « distordues » et « déchirées en tous sens », le juge des songes développe une pratique analogue à l’art de celui qui produit les images. Associer ces images, selon diverses modalités de relations, équivaut, en effet, à produire ces images de nouveau, à en « imaginer » la genèse, au point de la « mettre en image » dans l’interprétation. C’est une telle assimilation de l’acte d’interprétation à l’activité imaginante, ou productrice d’images, qui fait connaître le principe qui se manifeste et qui constitue la dimension noétique de l’opération de l’intelligence figurale. L’activité de l’intelligence figurale se déploie, par conséquent, selon une triple dimension pratique, poétique et noétique. Et son interprète est, de ce fait, un « ymagier », un producteur d’images. Théorie de l’acte dont relève l’intelligence figurale et théorie du signe : la manuductio propre aux images proportionnées de ce qui est disproportionné Propriétés métaphoriques générales des images manuductrices En quoi consiste plus précisément la manuductio propre aux signes qui tentent de mettre en proportion le disproportionné ? Quant à cette deuxième question qui se situe à l’articulation d’une théorie de l’acte propre à l’intelligence figurale et d’une théorie du signe, l’examen des similitudes dans les images manuductrices enseigne que la manuductio qui y est à l’œuvre y diffère de l’intellection par laquelle, aux différents moments de la gradation des sciences, l’intellect humain reçoit la lumière des différents intelligibles, dans la mesure où elle est toujours proportionnée à sa capacité de la recevoir. L’intellect humain assemble la lumière des intelligibles et, s’y habituant, se trouve peu à peu conforté pour recevoir un intelligible plus pur. L’interprétation des songes, la théologie sacramentaire et les modalités de déplacements entre les . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . Sur le métier et la corporation des ymagiers à l’époque médiévale, cf. BOILEAU, É., Le livre des métiers, titres LXI-LXII, in Les Métiers et corporations de la ville de Paris. XIIIe siècle, éd. R. de Lespinasse et F. Bonnardot, Imprimerie Nationale, Paris, (Histoire générale de Paris), p. -.
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images poétiques et théologiques convergent en un point : ce sont les similitudes de proportionnalité qui permettent le transfert des signes manuducteurs aux réalités divines. Ce qu’Albert le Grand nomme les propriétés métaphoriques des images manuductrices touche précisément la possibilité de rapporter des relations entre ce que désignent deux raisons du signe et ce à quoi se réfèrent, en Dieu, ces mêmes raisons. La manuductio effectuée par les signes manuducteurs repose sur une opération de déplacement. Celui-ci est appelé en général métaphorique ou symbolique ou encore « transsomptif ». Mais l’opération de déplacement est spécifique des signes manuducteurs, lorsque ceux-ci mettent en relation non pas un étant créé avec un étant incréé, mais une relation dans les réalités créées avec une relation dans les réalités divines. Un signe manuducteur n’est, par conséquent, pas seulement un signe dont le signifié ne saurait se rapporter de manière adéquate et compréhensive à son référent, comme cela apparaît dans la conception de la médiation sensible en tant que proportion du disproportionné. Il est aussi un signe caractérisé comme support de relations que l’interprète découvre et élabore. Autrement dit, précisément parce que le signe manuducteur ne saurait se rapporter adéquatement au principe divin de manière directe, terme à terme, il requiert une interprétation qui déploie les relations impliquées par ses différentes raisons. Propriétés spéciales des images manuductrices Parmi la multiplicité de relations que met au jour l’interprétation, il apparaît que certaines « conduisent par la main » d’une manière qui qualifie en propre les propriétés métaphoriques des signes manuducteurs. Cette manuductio spéciale advient, en particulier, à l’occasion de l’élaboration d’une relation accidentelle. Ce mode de relation échappe, en effet, aux relations de contiguïté, que celle-ci soit proche, dans le cas des relations causales, ou lointaine, dans le cas des relations dont relève le signe. En élaborant une relation accidentelle, l’interprète se surprend à effectuer une association qui dépasse, d’une certaine manière, ses facultés cognitives naturelles, soumises au temps et au continu. La prémonition d’un futur contingent, par exemple, dépasse, en effet, ce qu’un intellect humain peut prévoir. Cet excès correspond à l’acte par lequel les ressemblances le « conduisent par la main » au-delà du système dans lequel elles pourraient se clore sur elles-mêmes ou ne renvoyer qu’aux
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causes par lesquelles des simulacres sont produits en nous. Ce sont donc les ressemblances en tant qu’elles excèdent notre faculté de connaissance humaine et subvertissent parfois la logique syllogistique qui sont manuductrices. Si elles sont proportionnées à nos sens et à notre imagination qui peuvent ainsi les recevoir, ces ressemblances ne sont, en revanche, pas proportionnées à notre faculté de les produire à partir de notre condition anthropologique, qui appréhende la réalité à partir du temps et du continu. Interprétation, imaginatio et manifestation du principe par lui-même L’interprétation des images manuductrices : une imitation de l’imaginatio qui les a produites Pour examiner les ressemblances des images des rêves, l’interprète des songes retrace en quelque sorte leur genèse. En s’appuyant sur la mnémonique, il parcourt, pour ainsi dire, le chemin inverse de celui par lequel les divers modes d’association ont présidé à la production des images. Interpréter revient, alors, à rêver les images des songes en remontant à leur origine, que celle-ci soit entendue au sens de la cause, du signe ou de la rencontre accidentelle. Ainsi l’interprète imite-t-il l’acte d’imaginatio du rêveur. La profusion des modes de ressemblance apparaît, par suite, comme autant de manières d’entrer dans la logique propre à ce que révèlent les images des rêves. Il en est de même pour les images qui ont en propre de tenter de figurer de manière proportionnée le principe, par nature, disproportionné par rapport aux facultés humaines. De telles images ne conduisent pas seulement vers les différentes significations inhérentes au songe. Elles « conduisent par la main » vers le principe divin. Parmi les images manuductrices dont l’interprète examine les ressemblances, la spécificité des mises en images de la disproportion qui caractérise le principe divin est, notamment, apparue dans les signes sacramentels, dans les images employées en théologie symbolique ainsi que dans les ressemblances déterminées, dans les images des rêves, par les rencontres accidentelles. Les premiers invitent l’intelligence figurale à passer de la détermination du concept propre au sacrement, ‘baptême’ par exemple, à l’impossi. Sur le paradigme du baptême, cf. OHLMEYER, A., O. S. B., « Die biblischen Vorbilder von Taufe und Eucharistie nach der Summa de creaturis Alberts des Grossen », in H. Ostlender
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bilité de circonscrire, par l’opération de l’intellect humain, l’acte propre à la grâce divine. Les deuxièmes se distinguent de la clôture propre au modèle poétique albertien en excédant la proportion humaine, à laquelle se limitent les moyens et la fin propres à la poésie, ainsi que la position de cette dernière par rapport à la rationalité. C’est pourquoi les images employées en théologie symbolique requièrent un mode d’interprétation spécifique qui recourt à des catégories qui ne font pas courir le risque de la confusion des étants finis avec le principe infini. Les relations de relations qu’établit alors l’interprète, en remplissant une telle fonction, l’entraînent, cependant, à s’éloigner peu à peu de la raison première du terme-image. Elles s’apparentent, dès lors, aux associations accidentelles selon lesquelles les troisièmes, c’est-à-dire certaines images des rêves, peuvent être interprétées. En quoi une telle interprétation ne ressortit-elle pas plutôt à une rêverie qu’à une connaissance du principe ? Retour sur la question des causes supérieures à l’œuvre dans l’interprétation des images manuductrices selon les rencontres accidentelles Revenons sur la question que nous avons laissée en suspens dans l’examen des similitudes propres aux images des rêves et ouvrons le champ du questionnement relatif à la métaphysique et à la théorie de la manifestation qui a été annoncé précédemment. De quel type de connaissance du principe s’agit-il dans cet art d’interpréter les images manuductrices ? S’agit-il seulement du travail de composition mené par l’imagination qui conduirait à une certaine connaissance du particulier ? D’après Aristote, établir certaines relations accidentelles à partir des images des rêves qui sont des révélations ou des prémonitions dépasse notre prudence. Il faut alors faire l’hypothèse qu’elles proviennent d’intelligences supérieures. L’alternative est, alors, la suivante. (Hrsg.), Studia Albertina. Festschrift für Bernhard Geyer zum . Geburtstag, Aschendorff, Münster, (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, Supplementband ) ; MÜLLER, A., Die Lehre von der Taufe bei Albert dem Grossen, Schöningh, München, Paderborn und Wien, (Veröffentlichungen des Grabmann-Instituts ). . Cf. supra chapitre II, section VII, III : « Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe : esquisse d’un chemin de questionnement pour l’enquête sur la connaissance médiate », p. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b - ; a -b), transl. vetus., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. - ; p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b ; tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a.
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Ou bien, ce qu’on appelle intelligence figurale du principe n’est qu’un jeu infini de l’imagination, au sens d’un mouvement continu d’interprétation qui parcourt les enchaînements d’images et de relations de relations que leurs propriétés métaphoriques invitent à découvrir. Elle se distingue alors de la science, non seulement du point de vue dianoétique, dans la mesure où elle se meut dans l’élément du sensible et du particulier, et non pas dans celui de l’universel et du nécessaire et où, contrairement à la science, elle ne détermine pas avec certitude son objet. Mais l’intelligence figurale diffère aussi de la science par la dimension pratique qu’en tant qu’art de l’interprétation, elle induit en engageant la singularité du juge des signes manuducteurs dans l’acte d’examiner les ressemblances et de parcourir les processus de mises en images du principe. Ou bien l’intelligence figurale n’a pas pour fin le particulier sensible dont elle part, parce qu’il est proportionné à l’intellect humain. Elle vise plutôt le principe divin mais sous une modalité différente de celle de la science syllogistique. Toutefois, puisque l’imagination n’y joue pas le rôle d’une préparation de l’intellection susceptible de déterminer un concept adéquat au principe, il faut supposer que l’examen des ressemblances auquel elle se livre correspond à l’acte d’intelligences supérieures qui lui donne de participer une vie intellective à laquelle ne donne pas immédiatement accès la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination. L’interprétation des rêves rejoint en ce point la manuductio opérée par le Verbe incarné : ce qui s’y révèle suppose que la connaissance y advienne par l’esprit divin. Ici, il commence à la conduire par la main vers la foi par la révélation des secrets que personne ne pouvait savoir, sinon par l’esprit divin. SECTION II : STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE Quel est le statut métaphysique de l’intelligence figurale et quelle est la place de son mode de connaissance, du point de vue d’une théorie de la manifestation du principe ? . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io. (Ioh. , -), Ed. Paris. XXIV, p. a : « Hic incipit eam ad fidem manuducere per revelationem secretorum, quae nemo poterat scire nisi per spiritum divinum. »
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Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous explorerons, conformément à la méthode suivie depuis le début de notre enquête, trois réseaux « secondaires » à travers lesquels nous conduisent les figures de la manuductio et de l’animal volant nocturne. Le premier touche l’interprétation des rêves qui sont des révélations et supposent, par conséquent, l’illumination effectuée par des intelligences supérieures à l’intellect humain. Le deuxième se déploie à partir de la distinction avicennienne entre lux et lumen. Le troisième est unifié par la figure du vase de lumière, que celui-ci tienne son origine de l’astronomie ou de la minéralogie. I. Interpréter les signes manuducteurs, est-ce faire l’ange ou la bête ? A. « Ils ne comprennent rien de plus que les bêtes, ceux qui en restent à la connaissance du singulier » Lorsque l’intellect humain en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination cherche à connaître le principe par la médiation des signes manuducteurs, cette connaissance le lie-t-elle au continu et au temporel ou bien lui offre-t-elle une voie oblique pour acquérir un certain art du principe ? Entre la connaissance de « ceux qui ne comprennent rien de plus que les bêtes » et la connaissance propre à l’intellect séparé L’alternative qui s’ouvre devant nous est abyssale. Alain de Libera la résume ainsi : du côté de la connaissance du singulier dont part l’intellect en tant qu’il est humain, il n’y a pas de philosophie au sens d’une science syllogistique ; du côté de la connaissance des « réalités divines et manifestes par soi dont traite la philosophie première », l’intellect séparé n’a, en revanche, plus « aucune attache avec le sensible ». . Sur la théorie albertienne de l’intellect, cf. LIBERA, A. (de), « Psychologie philosophique et théologie de l’intellect : pour une histoire de la philosophie allemande au XIVe siècle », Dialogue / (), p. - ; LIBERA, A. (de), Raison et foi (), chap. , p. - ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. - et sur sa place dans la pensée d’Albert le Grand, spéc. p. : « La noétique d’Albert est le cœur vivant de sa pensée, le foyer de son système, le principal terrain de son engagement philosophique » ; Métaphysique et noétique (), p. : « la théorie albertinienne de l’intellect est le couronnement de sa philosophie » ; STURLESE, L.,
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Le philosophe ne saurait pratiquer une autre sagesse que celle de la contemplation intellectuelle, car elle seule lui permet d’« opérer ce qui lui est propre ». Cette sagesse est et se veut péripatéticienne. Toute autre postulation est vaine. Il n’y a pas de philosophie du singulier. Tout épicurisme est bestial : « Ils ne comprennent rien de plus que les bêtes, ceux qui en restent à la connaissance du singulier. » Il y a diverses philosophies comme il y a divers types d’hommes. Les uns ont besoin d’enseignement et de beaucoup d’études. Leur intellect est comme prisonnier des sensibilia : « Il est obscur et ne reçoit rien de stable sans difficulté. Si on lui enseigne quelque chose, c’est à force d’exemples sensibles, mais de tels exemples ne permettent pas d’intelliger les réalités divines et manifestes par soi, dont traite la philosophie première ». Le philosophe péripatéticien n’a, au contraire, aucune attache avec le sensible. L’Agent n’est pas en lui simple puissance de l’âme ou cause efficiente produisant par abstraction les intelligibles. Le philosophe péripatéticien a quasi l’Agent pour forme – forme par laquelle il opère tout, s’élève à la félicité, à la sainteté, à la divinisation, à la Prophétie. Nul espoir ne demeure de connaître le principe, pour l’animal volant nocturne, à moins qu’il ne devienne un aigle. Il n’y aurait donc aucune voie pour penser ensemble la conjonction de l’intellect avec les sens et l’imagination, d’un côté, et, de l’autre, la possibilité de connaître le « L’origine dell’anima intellettiva e l’autonomia dell’intelletto in quanto intelletto » ; « La dottrina filosofica della felicità mentale », in Storia della filosofia tedesca nel medioevo. Il secolo XIII, Olschki, Firenze, , p. - ; ANZULEWICZ, H., « Zur Entwicklung und Stellung der Intellekttheorie im System des Albertus Magnus », p. - ; STURLESE, L., Vernunft und Glück. Die Lehre vom ‘intellectus adeptus’ und die mentale Glückseligkeit bei Albert dem Großen, Aschendorff, Münster, (Lectio Albertina ) ; STURLESE, L., « Intellectus adeptus. L’intelletto e i suoi limiti secondo Alberto il Grande e la sua scuola », in M. C. Pacheco et J. F. Meirinhos (éd.), Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. I, Brepols, Turnhout, , p. - ; TRACEY, M. J., « Revisiting Albert the Great’s Abhorrence for Latin Doctrine on Intellect », in M. C. Pacheco et J. F. Meirinhos (éd.), Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. III, p. - ; MÜLLER, J., « Der Einfluß der arabischen Intellektspekulation auf die Ethik des Albertus Magnus », in A. Speer und L. Wegener (Hrsg.), Wissen über Grenzen. Arabisches Wissen und lateinisches Mittelalter, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. . Pour une critique de l’hégémonie du modèle de la divinisation de l’intellect dans l’œuvre albertienne, cf. HÖDL, L., « Die ‘Entdivinisierung’ des menschlichen Intellekts in der mittelalterlichen Philosophie und Theologie », in J. O. Fichte, K. H. Göller und B. Schimmelpfennig (Hrsg.), Zusammenhänge, Einflüsse, Wirkungen. Kongressakten zum ersten Symposium des Mediävistenverbandes in Tübingen, , Walter de Gruyter, Berlin, , p. -. . LIBERA, A. de, Métaphysique et noétique (), chap. , p. .
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principe divin. La connaissance de Dieu serait ainsi, ultimement, une affaire d’anges. Cependant, le Docteur universel ne nous abandonne pas à cette alternative. Entre ces deux extrêmes, il dispose des médiations, notamment dans le De intellectu et intelligibili sur lequel s’appuie cette citation d’Alain de Libera. D’une part, quatre types d’intellects apparaissent graduellement distingués sur une échelle qui va de l’incapacité à connaître en raison d’une immense faiblesse à la séparation d’avec la matière : « il y a, en effet, un intellect davantage mêlé au continu et au temps, c’est-à-dire à l’imagination et aux sens, et un autre davantage séparé, un autre, quant à lui, sur un mode intermédiaire, un autre qui, pour sa part, n’a pas les forces d’imaginer et de recevoir quelque chose par les sens ou bien n’ a pas suffisamment en vue de l’intellection ». Il apparaît, d’autre part, dans cette gradation des quatre types d’intellects, que l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination n’est pas par nature le plus éloigné du principe. Il peut, en effet, déchoir encore. Le signe en est que, descendu à un niveau inférieur, il est rendu inapte à la philosophie. Un tel éloignement advient, selon le Dominicain rhénan, soit « par un vice de complexion, comme chez les fous », soit par « une longue habitude de ne pas s’élever au-delà de la réception des sensibles, comme c’est le cas de ceux qui sont appelés idiots ». Et Maître Albert de donner l’exemple de « ceux qui ont étudié depuis longtemps au sujet de ce qui est particulier, au sujet des actes humains par exemple, comme étudient ceux qui visent par les lois et qui ne recherchent pas en eux-mêmes les causes et les raisons sont rendus inhabiles à la
. ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; V, f. va) : « Est enim quidam intellectus plus continuo et tempori, hoc est, imaginationi et sensui immixtus : quidam autem plus separatus : quidam vero medio modo : quidam vero et vires imaginandi et aliquid accipiendi per sensus non habens vel non satis ad intellectum habens (vel non satis ad intellectum habens] om. Ed. Paris.). » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] et hoc aliquando est ex vitio complexionis, sicut in morionibus […]. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; V, f. va) : « […] aliquando autem ex longa (ex longa] om. Ed. Paris.) consuetudine non attollendi ultra sensibilium acceptionem, sicut est in his qui vocantur idiotae. »
CHAPITRE III
philosophie ». Ainsi, selon le maître de Cologne, la connaissance du singulier, si elle n’y vise pas le principe, comme la science juridique quand elle ne vise pas l’esprit des lois, peut-elle rendre l’intellect qui s’en occupe inapte à la philosophie. Toutefois, certains points de passage sont esquissés dans ce qui demeure des degrés intellectifs distincts. Certes, celui que nous avons appelé l’intellect humain en tant qu’il est humain, c’est-à-dire conjoint aux sens et à l’imagination, est décrit comme « obscur ne recevant rien sans labeur. Et, si quelque chose lui est enseigné, il faut que cela advienne par des exemples sensibles ». C’est pourquoi il ressortit, selon l’expression du De intellectu et intelligibili, aux « mauvais esprits qui sortent de la foule ». Cependant, de l’intellect séparé, il est dit qu’Aristote l’appelle, pour sa part, « intellect divin et cet intellect, avec un léger effort, reçoit l’illumination pour les prophéties et pour l’interprétation très véritable . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « Ex his patet qualiter qui longo tempore studuerunt circa particularia, sicut circa actus humanos, sicut student hi qui legibus intendunt, et in his ipsis causas et rationes non quaerunt, inhabiles efficiuntur ad philosophiam. » . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « […] non intelligunt plus quam bestiae quae in singularium semper remanent cognitione ». (« […] ils n’intelligent pas plus que les bêtes, qui demeurent toujours dans la connaissance de ce qui est singulier. ») . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « Et primus quidem est obscurus nihil accipiens nisi cum labore : et si docetur aliquid, oportet quod fiat per exempla sensibilia […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] et vocantur illi mali ingenii existentes a vulgo ». . Parce que les prophéties n’apparaissent que ponctuellement dans ce réseau de textes, nous consacrerons cette étude exclusivement aux rêves qui sont des révélations, dans la mesure où ceux-ci constituent le lien avec le réseau de textes unifié par la citation aristotélicienne relative au « juge des songes ». Sur la prophétie, cf. TORRELL, J.-P., « La question disputée De prophetia de saint Albert le Grand. Édition critique et commentaire », RSPT / (), p. - et RSPT / (), p. ; TORRELL, J.-P., Recherches sur la théorie de la prophétie au Moyen Âge, XIIe-XIIIe siècles, Éditions universitaires Fribourg (Suisse), Fribourg, (Dokimion ) ; FAES DE MOTTONI, B., « Profezia e consilium : ‘Deus mutat sententiam, non consilium’ », in C. Casagrande, C. Crisciani e S. Vecchio (ed.), Consilium. Teorie e pratiche del consigliare nella cultura medievale, SISMEL-Ed. del Galluzzo, Firenze, (Micrologus’ Library ), p. - ; RODOLFI, A., « Il ruolo delle immagini sensibili nella dottrina della conoscenza profetica di Alberto Magno », Annali del Dipartimento di Filosofia. Università degli Studi di Firenze, N. S. XI (), p. - ; RODOLFI, A., « Dallo speculum al phantasma : immagini sensibili e conoscenza profetica nel XIII secolo », Castelli di Yale (/), p. - ; RODOLFI, A., « Immaginazione e profezia da Alessandro di Hales a Tommaso d’Aquino », in M. Bettetini e F. Paparella (ed.), Immaginario e immaginazione nel Medioevo, F. I. D. E. M., Louvain-la-Neuve, (Textes et Études du Moyen Âge ), p. -.
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
des songes ». Il faut donc entendre par là que l’interprétation des songes, avec toute l’attention à la matérialité des signes qu’elle implique en vertu de la logique propre à la genèse et à l’enchaînement des images, n’est pas étrangère – bien au contraire – à l’intellect séparé. Il y a donc une certaine connaissance du particulier, caractéristique de l’art d’interpréter les songes, qui ressortit au plus haut point à la science d’un intellect appelé divin. De son côté, l’intellect « intermédiaire est celui qui est aidé d’un enseignement pour intelliger facilement autant ce qui est physique que ce qui est divin ». Il en ressort que la connaissance du principe divin n’est pas l’apanage de l’intellect séparé. L’intellect médian peut aussi y accéder avec l’aide d’un enseignement manuducteur. Par suite, la pratique propre à l’intelligence figurale qui est rapprochée par le Docteur universel de l’interprétation des rêves, loin de se confondre avec une connaissance de la particularité des images qui rive l’intellect au singulier et qui le détourne de la connaissance du principe, se rapproche, au contraire, de l’art qu’exercent, à partir de quelque chose de divin, les intellects séparés qui « le possèdent presque en guise de forme par laquelle l’âme intellectuelle tout entière opère ». Casus a prophetia et préfiguration ombrée de la lumière. De la différence de l’intellect médian et de l’intellect séparé dans leur rapport à l’interprétation des songes Néanmoins, une précaution s’impose d’emblée. Il ne faut pas confondre, avec tout juge des songes, la « véritable intelligence » dévolue à celui . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; V, f. va) : « Ab Aristotele autem dicitur intellectus divinus, et hic intellectus de levi (levi studio ad] studio ad levi Ed. Paris.) studio ad prophetias accipit illuminationem, et ad somniorum verissimam interpretationem. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; V, f. va) : « Medius autem est, qui juvatur doctrina faciliter ad intelligendum tam physica (physica] prophetica Ed. Paris.) quam divina. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] habent eum quasi pro forma, per quam anima intellectualis cuncta operatur […]. ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Id autem quod in somnis est vera intelligentia et non somnium, est, quod fit ex intellectu agente de scientiis. Sicut multi dormientes inveniunt subtilia, quae vigilantes invenire non potuerunt, eo quod intellectus a sensibus evocatur et tunc non profundatur circa intelligibilia. »
CHAPITRE III
qu’Aristote nomme l’intellect divin. La véritable intelligence dans les songes provient, en effet, de l’intellect agent, qui confère une science. Le signe en est que « de nombreux dormeurs trouvent des subtiles que ceux qui veillent n’ont pu trouver ». Il convient donc de prendre garde : toute interprétation des songes pratiquée par une intelligence figurale ne coïncide pas avec « l’illumination pour les prophéties et l’interprétation très véritable des songes », qui échoient à l’intellect séparé, et encore moins avec la fin qu’est « la félicité à laquelle tout philosophe vise à parvenir ». Pourquoi les songes qu’interprète l’intelligence figurale et que certains appellent des espèces de révélations ne sont-ils pas des prophéties claires, telles que les exerce l’intellect séparé ? Selon Maïmonide, ils sont « tombés de la prophétie » (casus a prophetia), « parce que si, par hasard, quelque chose de futur est signifié en eux , est plein d’ombre, pris à partir de conjectures fallacieuses et n’ayant rien de ferme ». Néanmoins, « être tombé de la prophétie » ou avoir « glissé » (prophetiae lapsum) à partir d’elle permet aux songes d’être des « préfigurations ». Ils préfigurent, en effet, l’ordre de « la lumière (luminis) d’une « Or ce qui, dans le sommeil, est la véritable intelligence, et non un songe, est ce qui provient de l’intellect agent et concerne les sciences, de même que de nombreux dormeurs trouvent des subtiles que ceux qui veillent n’ont pu trouver, pour cette raison que l’intellect est appelé loin des sens et qu’alors, il n’est pas dissipé en ce qui concerne l’intelligibile. » . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b. . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb) : « […] felicitatem esse diximus, ad quam intendit pervenire omnis philosophus […]. ». . MOSES MAIMONIDES, Dux seu director dubitantium aut perplexorum, lib. , cap. , ed. A. Iustinianus, (désormais cité Dux neutrorum), Parisiis, , réimpr. Francfort, , f. v : « […] casus prophetiae somnium est. » Cf. DECKER, B., Die Entwicklung der Lehre von der prophetischen Offenbarung von Wilhelm von Auxerre bis zu Thomas von Aquin, Müller und Seifert, Breslau, (Breslauer Studien zur historischen Theologie, Neue Folge VII), p. ; p. . . ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, Prol., Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Somnium enim et phantasia et sensus, quae a quibusdam species revelationis dicuntur, non prophetiae sunt, sed sicut dicit Rabbi Moyses, casus a prophetia, quia si aliquid forte aliquando futurum in talibus significatur, umbrosum est, coniecturis fallacibus acceptum et nihil habens firmitatis. » . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio S. Donati : Po, f. rb) : « […] somnium est praefiguratio quaedam hujus ordinis in imaginationibus et figurativis obumbrantibus claritatem talis ordinis intellectualis, ideo vocaverunt somnium casum a prophetia vel prophetiae lapsum. »
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intelligence ou même divine qui est une lumière (lumen) active, susceptible de former tout ce qui appartient à un ordre inférieur » dans des « mises en images » (imaginationibus) ou dans des figurations qui « obombrent » (figurativis obumbrantibus) la clarté de cet ordre trop lumineux pour être directement aperçu par les intellects médians. Parce que le songe relève de la préfiguration, l’interprète n’y discerne pas, par conséquent, « les espèces mêmes des choses, telles qu’elles sont, furent ou seront », comme des manifestations « fulgurantes » dans l’intellect. Telle est la raison pour laquelle le songe diffère de la vision, selon Augustin. Et, précisément parce qu’il ressortit parfois aux révélations par « la lumière de l’intellect agent », mais de manière « confuse » et « indistincte », le songe permet de penser la possibilité, pour un intellect de degré médian, de connaître ce qui ressortit au principe grâce au mélange de l’ombre et de la lumière que ménagent « les phantasmata des songes ». Une telle préfiguration n’est-elle le fruit que de l’imagination du rêveur ou de celle de l’interprète ?
(« […] le songe est une certaine préfiguration de cet ordre dans les mises en images à la fois susceptibles de figurer et qui obombrent la clarté d’un tel ordre intellectuel. C’est pourquoi ils ont appelé le songe une chute à partir de la prophétie ou un glissement de la prophétie. ») . ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. rb) : « […] illud lumen cujuscumque sit intelligentiae, sive etiam sit divinum, est lumen activum et formativum omnium eorum quae sunt ordinis inferioris […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, Prol., Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Visio autem est, ut dicit Augustinus in XII Super Genesim ad litteram, quando ipsae rerum species, ut sunt vel fuerunt vel erunt, in intellectum fulgentes demonstrantur. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ; l. - : « […] alterum per spiritum hominis, quo proximus et absens cogitatur […]. » ; « […] et praesentia uidentur in suis formis et absentia cogitantur in imaginibus animo impressis […]. » . ALBERTUS MAGNUS, De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - : « Alia est ex lumine intellectus agentis, cuius virtute, ut dicit Alfarabius*, fiunt revelationes quaedam, confusae tamen et indistinctae, sicut fit in phantasmatibus somniorum. » * Selon l’éditeur, cf. AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -p. , l. . Cf. etiam ARISTOTELES, De insomniis, cap. ( a -), transl. vetus., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber secundus, p. , l. - et De divinatione per somnum, cap. ( b -), transl. vetus., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. - d’après ALBERTUS MAGNUS, De homine, Proprietates eius : somnus, vigilia, somnium, ..., p. , l. - : « […] secundum Philosophum quod “quaecumque in somno fiunt verae intelligentiae praeter phantasmata” non sunt somnia, sed potius revelationes. »
CHAPITRE III
B. L’illumination effectuée par des intellects supérieurs dans l’âme du rêveur « Il y a, dans les songes, des révélations qui viennent des intelligences qu’on appelle anges » Comment l’intellect humain pourrait-il rendre possible une telle préfiguration qui ressortit à la lumière divine ? La condition, pour que l’interprétation des songes ne se limite pas à un travail de l’imagination sur les données sensibles, circonscrit au domaine de la particularité, est que la puissance intellective, à l’œuvre dans de tels songes, ne soit pas l’intellect humain en tant qu’il est conjoint au corps et enchaîné à lui comme par un lien (vinculum) pendant le sommeil. Cela advient, parce qu’« il y a, dans le sommeil, des compréhensions intellectives véritables (verae intelligentiae) qui n’ont pas la raison du songe, mais sont plutôt des oracles qui fluent à partir d’intellects supérieurs dans l’intellect de l’âme. Or c’est un fait que leur réception n’est que selon la conformité de l’âme humaine aux intellects supérieurs et célestes, et non selon quelque dépendance vis-à-vis du corps ». Le Docteur universel s’appuie, pour fonder cette thèse, sur l’autorité d’Avicenne, d’Algazel, d’Averroès et d’Augustin. Voici leurs arguments. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicendum quod prima diffinitio, quae est Aristotelis*, datur per esse somni, quod habet in proprio subiecto, quod est commune subiectum, non primum. Esse enim somni est quod sit immobilitas velut vinculum. » (« Il faut dire que la première définition, qui est d’Aristote, est donnée par l’être du sommeil qu’il possède dans le sujet propre, qui est un sujet commun, non pas premier. L’être du sommeil est, en effet, d’être l’immobilité ou le lien . ») * Sur cette définition aristotélicienne, vide ARISTOTELES, De somno et vigilia, cap. ( b -) ; cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a : « […] somnum dicimus per diffinitivam rationem esse vinculum quoddam et immobilitatem sensuum, et vigiliam esse sensuum solutionem et remissionem ad exteriores actus. » (« […] nous disons que le sommeil, par la raison susceptible de définir, est un certain lien et une immobilité des sens et que la veille est la déliaison des sens et la remise aux actes extérieurs. ») . ALBERTUS MAGNUS, De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - : « Et fuit ratio eorum, quod, sicut in Somno et vigilia* probatum est, quaedam sunt in somnis verae intelligentiae, quae non somnii habent rationem, sed potius oracula sunt, ab intellectibus supernis in intellectum animae influxa. Constat autem, quod horum receptio non est nisi secundum conformitatem animae humanae ad intellectus supernos et caelestes et non secundum aliquam dependentiam ad corpus […]. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IX, p. b-a : « Fiunt tamen somnia aliquando in quibus per influentiam causantur verae intelligentiae sive cum metaphoris, sive cum propriis similitudinis sumptae […]. ». (« Il y a parfois des songes dans lesquels, par influence, sont causées de véritables compréhensions intellectives soit prises avec métaphores soit prises avec des ressemblances propres […]. »)
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« L’âme, dans le sommeil, est conjointe aux intelligences supérieures, qui sont appelées anges, et elle reçoit d’elles des intellections pures, simples et immatérielles que sont les songes véritables par lesquels l’imagination prépare les images qui conviennent parfois et sont parfois contraires. À cause de ces dernières, le songe a besoin d’interprétation ». Selon Avicenne, Algazel et Averroès, le rêve met, par conséquent, en œuvre l’acte conjoint des intellects séparés et de l’imagination. Et les images des songes sont élaborées par l’imagination à partir des intellections simples que lui infusent les anges. De plus, dans le douzième livre du Super Genesim ad litteram, Augustin affirme que ce sont bien des anges qui, pour les bons, instruisent et, pour les mauvais, trompent, à travers la vision corporelle et les images des choses corporelles qui apparaissent dans l’esprit. En d’autres termes, l’hypothèse de l’intervention des anges apparaît nécessaire, aux yeux de l’évêque d’Hippone, pour rendre compte du caractère soit de connaissance véritable soit d’illusion du rêve. En outre, « celui qui donne la science des songes est », selon Averroès, « un intellect libéré de la matière » , c’est-à-dire une intelligence . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « () Item, dicit Avicenna et Algazel et Alfarabius quod in somnis anima coniungitur intelligentiis superioribus quae dicuntur angeli, et accipit ab eis intellectus puros simplices et immateriales, qui sunt somnia vera, quibus imaginatio praeparat imagines quandoque convenientes, quandoque contrarias, propter quas somnium illud indiget interpretatione. » . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars IV, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. ; p. , l. - ; p. , l. -p. , l. ; p. , l. -. . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. -. . Bien que le texte de l’édition de Cologne mentionne Alfarabius, l’éditeur, Henryk Anzulewicz, corrige cette référence par : AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -p. , l. ; p. , l. - ; p. , l. - ; p. , l. -. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. , CSEL XXVIII/, p. l. - : « Tamen et per corporalem uisionem et per imagines corporalium, quae demonstrantur in spiritu, et boni instruunt et mali fallunt. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicit enim Augustinus in XII Super Genesim ad litteram quod “per corporalem visionem et per imagines corporalium, quae demonstrantur in spiritu, et est somnium, aut ex proprietatibus somniantis, aut ex boni angeli instruunt et mali fallunt”. Cum igitur imagines corporalium fiant in somniis, per ipsas imagines et boni angeli instruunt et mali fallunt homines. » . Bien que le texte établi par l’édition de Cologne signale « Alfarabius », l’éditeur indique que la référence correcte est : AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Item, Alfarabius dicit quod
CHAPITRE III
angélique. C’est pourquoi, selon Alfarabi, la science des songes vient d’une réalité divine en vertu d’une « parfaite sollicitude pour l’homme ». Enfin, le Doctor magnus insiste en citant, à nouveau, Algazel et Avicenne qui disent que « l’âme, dans les songes, est conjointe aux substances spirituelles, qui sont appelées anges, et reçoit d’elles les révélations des songes ». De ces arguments, le Docteur universel conclut « qu’il y a, dans les songes, des révélations qui viennent des intelligences qui sont appelées anges ». Une illumination angélique secundum modum recipientis : « pour cette intellection simple, l’imagination forme des images » Mais, pourrait-il être objecté, pourquoi l’intellect agent à l’œuvre dans les songes qui contiennent des révélations à propos du futur, notamment, ne pourrait-il être un intellect humain ? “dator scientiae somnialis est intellectus liberatus a materia” ; talis autem intellectus est intelligentia angelica ; ergo videtur quod dator cognitionis somnialis sit intelligentia angelica. » . Bien que le texte établi par l’édition de Cologne indique « Alfarabius », il s’agit ici encore d’AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Item, Alfarabius : “Scientia somnialis est a re divina ex perfecta sollicitudine circa hominem”. » . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. - ; cap. , p. , l. -. . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars IV, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. ; p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Item, Algazel et Avicenna dicunt quod anima in somniis coniungitur substantiis spiritualibus, quae dicuntur angeli, et recipit revelationes somniales ab ipsis. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Dicendum quod in somniis fiunt revelationes ab intelligentiis, quae dicuntur angeli ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaeq.), tr. , q. , a. -, Ed. Paris. XXXIV, p. -a ; De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - ; Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Hoc igitur supposito quaeratur de illo agente, utrum sit agens humanus vel angelicus. Si dicatur, quod humanum, contra […]. » . Sur la connaissance qu’ont les intelligences séparées du futur, en particulier du futur contingent, cf., notamment SUAREZ-NANI, T., Connaissance et langage des anges, Vrin, Paris, (Études de philosophie médiévale ), p. -. À partir de son étude de Thomas d’Aquin, l’auteur énonce les conditions de la connaissance angélique du futur. Parce que l’ange est un « microcosme
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À une telle hypothèse s’opposent les arguments suivants. D’abord, un intellect « agent humain n’extrait de la puissance possible que par des propositions premières et par l’ordre qui va des prémisses à la conclusion ». Or, nous l’avons vu précédemment, une telle éduction n’a pas lieu dans la science des songes. Donc elle n’advient pas par un intellect humain. Ensuite, il convient de déterminer si cette science a lieu par un intellect angélique ou divin. Selon le Livre des causes, « l’intelligence est pleine de formes » et, d’après le commentaire albertien de ce livre, « l’âme rationnelle est l’instrument [au lieu de : la strate] de l’intelligence ». Par suite, « il semble que l’intelligence doive imprimer les formes dans l’âme rationnelle. Et, puisque, dans le sommeil, elle est davantage faite pour être conjointe aux intelligences que dans la veille, elle recevra davantage les impressions de cette sorte dans le sommeil que dans la veille ». Donc il semble que les révélations des songes aient lieu par les intelligences séparées. intellectuel, rempli des représentations de la totalité du réel », il connaît celui-ci « a priori et de manière parfaite » sans être affecté par « l’espace et la distance qui séparent les objets les uns des autres ». Néanmoins, parce qu’il est une créature, il est « marqué par la temporalité qui en fait un être fini, incapable de ramener à soi la totalité du temps ». Bien qu’il ne puisse pas « ramener la succession temporelle à l’unité et à la présence », néanmoins, en vertu du principe hiérarchique dionysien, les anges supérieurs s’approchent du Verbe divin et peuvent ainsi connaître certains futurs radicalement contingents. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Humanus agens non extrahit possibilem de potentia nisi per propositiones primas et per ordinem praemissarum ad conclusionem ; talis autem eductio possibilis non est in scientia somnialis ; ergo non fit per agentem humanum. » . Cf. supra chap. III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -. . Liber de causis, prop. IX (X), ed. Pattin, Uitgave van Tijdschrift voor Filosofie, Leuven, , p. , l. : « Omnis intelligentia plena est formis. ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. (IX/X), Ed. Colon. XVII/, p. , l. ; l. -. . Liber de causis, prop. III, ed. Pattin, p. , l. - : « […] posuit eam sicut stramentum intelligentiae […]. » (« […] il l’a posée comme la strate de l’intelligence […]. »). ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. ; p. , l. - ; ibid., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. ; cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Relinquitur igitur quod fiat per angelicum vel divinum. Praeterea dicitur in Libro causarum quod “intelligentia est plena formis” ; et dicitur in commento eiusdem libri quod anima rationalis est instrumentum intelligentiae ; ergo videtur quod intelligentia habeat imprimere formas in animam rationalem. Et cum in somnis magis apta nata sit coniungi intelligentiis, quam in vigilia, magis accipiet impressiones huiusmodi in somnis quam in vigilia ; ergo ab intelligentiis fiunt revelationes somniorum. »
CHAPITRE III
Mais les opinions d’Alfarabi, d’Isaac Israeli et d’Avicenne s’y opposent. Ces derniers disent, en effet, que, « dans les intelligences, il n’y a que des formes universelles simples comme leurs substances sont simples ». Si donc elles impriment des formes dans les âmes, il ne s’agira que des formes qu’elles ont : des formes « universelles et simples » – ce qui est contradictoire avec le fait que « tous les songes sont dans des phantasmata particuliers ». De plus, il n’y a pas de similitudes corporelles dans un intellect pur simple ou de lui. « Tous les songes sont, en effet, dans des similitudes corporelles ». Donc aucun songe ne provient des intellects simples et purs, comme le sont les intellects des anges. Pour répondre à ces objections, il faut trouver un moyen de résoudre la différence qui sépare les intellections des intelligences séparées, d’un côté, et les images des songes, de l’autre. Comment ce qui est universel et simple pourrait-il être la cause de ce qui est, dans les images des rêves, particulier et composé ? Voici comment procède le Dominicain rhénan. Il répond à ces arguments en invoquant l’autorité . L’éditeur propose de corriger la référence du texte de l’Editio Coloniensis à « Alfarabius » par AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. . ISAAC ISRAELI, Liber de definicionibus, ed. J. T. Muckle, p. , l. -, l. ; ISAAC ISRAELI, Liber de elementis, pars II, Lugduni, , f. ra. . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars IV, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Sed contra : () Dicunt Alfarabius et Isaac et Avicenna quod in intelligentiis non sunt nisi formae universales simplices, sicut substantiae ipsarum simplices sunt ; si igitur imprimunt in animas, non impriment nisi formas quales habent ; ergo non imprimunt nisi universales et simplices. Sed somnia omnia sunt in particularibus phantasmatibus ; ergo non faciunt aliquam impressionem in somniis. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « () Item corporales similitudines non sunt in intellectu puro simplici nec ab ipso ; omnia somnia sunt in corporalibus similitudinibus, ut supra est probatum ; ergo nulla somnia sunt a puris et simplicibus intellectibus ; sed tales sunt intellectus angelorum ; ergo nulla somnia sunt ab angelis. » . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. : « Ad id autem quod in contrarium obicitur, dicendum secundum supra habita* quod licet formae simplices sint in angelis, tamen quia angelus et intelligentia sunt substantiae agentes in “hyle mundi” et in animas humanas, ut dicunt philosophi, formae illae quae in eis sunt simplices, recipiuntur a materia vel ab animabus ut particulares et corporales. Et haec est solutio Alfarabii. Posset etiam dici quod intelligentia infundit intellectum simplicem, et huic intellectui simplici imaginatio format imagines. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. -.
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d’Averroès. Bien que, dans les anges, il y ait des formes simples, cependant, puisque les anges et les intelligences sont des substances qui agissent dans la « matière du monde » et dans les âmes humaines, « elles sont reçues, par la matière et par les âmes, en tant que particulières et corporelles ». Par conséquent, le Doctor magnus suggère que l’intelligence infuse une intellection simple et que, pour cette intellection simple, l’imagination forme des images. Tel est le rêve. C. L’interprétation par l’intelligence figurale : une remontée vers l’acte par lequel le principe se manifeste Il résulte de ce qui précède que, loin que la connaissance du particulier auquel s’identifient les images des rêves nous fasse comprendre seulement autant que les bêtes, ces rêves spécifiques que sont les révélations nous enseignent, au contraire, que l’intellect humain reçoit la lumière des intellects supérieurs. Or cette lumière ne produit pas en lui des visions purement intellectives. Elle se conjoint, par le travail de l’imagination, à des figures qui l’ombrent en quelque sorte, dans la mesure où les intellections universelles et simples provenant des intelligences séparées sont reçues sur le mode du particulier et du composé, selon la capacité de l’intellect humain. C’est, d’ailleurs, la composition d’images par l’imagination pour ces intellections simples qui les livre aux interprétations de l’intelligence figurale. « Tombés de la prophétie », ces songes révèlent, par conséquent, qu’en accomplissant, à rebours, le travail herméneutique qui consiste à comprendre la genèse des images, selon leur logique propre, et à en élaborer diverses interprétations, l’intelligence figurale remonte vers l’acte même par lequel les intelligences séparées ont produit ces songes et les ont infusés dans le rêveur. Dès lors, l’intelligence figurale s’assimile à l’acte par lequel les intellects supérieurs infusent dans les intellects inférieurs les manifestations des réalités divines.
. L’éditeur propose de corriger la référence du texte de l’Editio Coloniensis à « Alfarabius » par AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -p. , l. ; p. , l. -p. , l. . . ALGAZEL, Metaph., pars II, tr. , cap. , ed. J. T. Muckle, p. , l. ; l. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. -.
CHAPITRE III
L’art d’interpréter de tels rêves s’avère, dès lors, une pratique qui « conduit par la main », par la médiation des intelligences séparées, vers une certaine connaissance du principe divin, dans la mesure où le juge des songes fait sien l’acte par lequel le principe se manifeste dans les signes qu’il dispose. Interpréter se donne alors, pour l’intelligence figurale, comme une praxis imitatrice de l’acte de manifestation du principe lui-même. Telle est donc la connaissance vers laquelle les signes manuducteurs « conduisent » l’intelligence figurale « par la main ». Il ne s’agit pas, pour l’intellect humain en tant qu’il est en chemin, de viser le principe tel qu’il est en son essence, de manière compréhensive, en lui-même, tel qu’il est. Cela est absolument exclu, pour tout intellect créé, dans les conditions normales de son existence. En revanche, il peut, en déployant son art de l’interprétation et en prenant pour point de départ tout signe manuducteur, retourner vers le principe en tant que celui-ci se manifeste. De plus, parce qu’il ne se circonscrit pas à une vertu dianoétique, l’art de l’interprétation des signes manuducteurs, loin d’appréhender, comme un objet théorique, l’acte par lequel le principe se manifeste, en adopte la forme même, dans la mesure où il la pratique. Cependant, une objection surgit. De même que tout rêve n’est pas une révélation, toute interprétation des songes n’est pas reçue des intelligences supérieures. D. Les causes supra-mondaines des rêves et les limites de la prudence dans l’interprétation Tout rêve n’est pas nécessairement une révélation, parce qu’il faut, pour qu’il en soit une, qu’il puisse être reconduit à une cause extérieure au rêveur. Or, puisque, d’après l’opinion d’Averroès, un songe n’arrive pas par hasard, multiples sont les causes qui peuvent être assignées à un . L’éditeur propose de corriger la référence du texte de l’Editio Coloniensis à « Alfarabius » par AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - : « Dicendum quod nullum somniorum accidit ab eventu, quia eventus nulla est scientia nec interpretatio, ut dicit Alfarabius. Unde quodlibet somnium reducibile est ad aliquam causam efficientem, quae causa efficiens vel est in somniante vel extra ipsum vel partim in ipso et partim extra. Et si est in somniante, tunc est ex parte corporis vel ex parte animae. Et si ex parte corporis, tunc est ventris plenitudine vel inanitione. Si autem ex parte animae solum est in somniante, tunc est cogitatione solum. Si vero est extra, tunc
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rêve. Voici le protocole que Maître Albert dispose pour régler l’identification des rêves-révélations. Cette cause peut se trouver, en effet, soit dans le rêveur, soit en dehors de lui, soit en partie en lui et en partie hors de lui. En premier lieu, si elle est dans le rêveur, elle vient d’une partie du corps ou d’une partie de l’âme. Si elle vient d’une partie du corps, alors elle vient du plein ou du vide du ventre. Si elle vient, en revanche, d’une partie de l’âme seulement dans le rêveur, elle est seulement une pensée. En deuxième lieu, si la cause est en dehors de lui, alors elle vient soit des bons anges, soit des mauvais. Des mauvais vient une illusion, tandis que des bons vient une révélation. Si, en troisième lieu, elle se trouve en partie à l’intérieur et en partie à l’extérieur, alors cela viendra soit des mauvais anges soit des bons. Si cela provient des bons, alors le songe viendra d’une pensée et d’une révélation. S’il provient, au contraire, des mauvais, il viendra d’une pensée et d’une illusion. Cela entraîne-t-il que, pour tous les rêves qui ne peuvent être reconduits à une cause extérieure supra-mondaine, l’interprétation des songes ne puisse d’aucune manière être reliée à l’activité des intelligences séparées ? D’une part, il semble, en effet, que le Doctor magnus prenne soin de distinguer « l’interprétation très véritable des songes » qui échoit aux intellects séparés, d’un côté, de l’interprétation des songes que pratique l’intellect médian, de l’autre. Celui-ci, même lorsque le songe provient de causes supra-mondaines, n’accède pas, toutefois, directement à une vision vraie qui proviendrait d’une intelligence angélique. Il doit, en effet, exercer son jugement pour savoir si la révélation est une prophétie obscure, dans l’hypothèse qu’elle provienne de bons anges, ou une illusion, si elle est envoyée par de mauvais anges. vel est a malis angelis vel a bonis. Si a malis, tunc est illusione ; si a bonis, tunc est revelatione. Si vero est partim intus et partim extra, tunc vel erit a bonis vel a malis angelis. Et si a bonis, tunc est cogitatione et revelatione ; si a malis, tunc est cogitatione et illusione. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « A supermundanis autem est duobus modis ; aut enim est ab angelis bonis aut ab angelis malis. Et si est ab angelis bonis imagines in somnio ordinantibus, tunc est quidam obscurus modus prophetiae sicut somnium Pharaonis et Nabuchodonosor et Mardochaei. Si autem est ab angelis malis imagines perturbantibus, tunc est illusio, quia etiam si vera est aliquando visio, tamen intendit semper decipere, sicut ostenditur in somnio uxoris Pilati. » (« vient de supra-mondaines sur deux modes : ou bien elle provient de bons anges ou bien de mauvais anges. Et, si elle vient de bons anges qui ordonnent les images dans le songe, alors il s’agit d’un certain mode obscur de prophétie, comme
CHAPITRE III
Il convient, d’autre part, au juge des songes d’interpréter, selon les propriétés des images, les modalités selon lesquelles effectuer les déplacements sur lesquels se fondera son interprétation, puisque « les images et les intentions de ce qui est sensible ne conviennent aux concepts divins et célestes que selon la métaphore ». Enfin, le maître de Cologne rappelle, à la suite d’Aristote, que c’est dans la mesure où le juge des songes, en examinant les ressemblances, établit des relations accidentelles entre les images des rêves et les événements futurs que sa prudence ne saurait suffire à fonder une telle relation et que poser de telles rencontres accidentelles suppose une révélation. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que de telles rencontres accidentelles puissent être établies en tout songe pour que l’intellect intermédiaire puisse connaître à partir de l’influx en lui des intellects séparés. La seule possibilité de cette illumination dans certains songes suffit, en effet, pour établir que l’art de l’interprétation des songes, pour l’intelligence figurale, ne soit pas circonscrit au travail de composition effectué par l’imagination à partir des données de la sensibilité et de la mémoire. Par conséquent, un tel art de l’interprétation ne constitue pas une connaissance qui rive l’intelligence figurale au particulier sensible et imaginaire. Il permet, au contraire, à l’intellect humain de connaître les réalités divines, à partir de la lumière des intellects séparés, en tant que ce dernier est, cependant, conjoint aux sens et à l’imagination.
le songe de Pharaon, de Nabuchodonosor et de Mardochée. Mais, si elle vient de mauvais anges qui perturbent les images, alors il s’agit d’une illusion, parce que, même si la vision est parfois véritable, elle vise, cependant, toujours à décevoir, comme cela est montré dans le songe de l’épouse de Pilate. ») . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Sed quando applicat conceptibus intellectus imagines et intentiones congruas, tunc adhuc indigent interpretatione compositiones imaginum et intentionum, eo quod non conveniunt conceptibus divinis et caelestibus imagines et intentiones sensibilium nisi secundum metaphoram. De his autem in scientia de somno et vigilia* dicemus. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. -, Ed. Paris. IX, p. a-b. . Cf. supra chap. III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b - ; a -b), transl. vetus., ed. H. J. Drossaart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. - ; p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b ; tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a.
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E. Enjeux métaphysique et noétique de l’illumination de l’intellect médian par les intellects séparés Une possibilité apparaît ainsi, pour l’animal volant nocturne, de voir en quelque manière le principe sans, pour autant, devenir aigle. Le modèle noétique proposé par le Docteur universel comme alternative au modèle péripatéticien ne suppose pas, pour l’intellect humain, de se séparer des sens et de l’imagination. Mais, au cœur de la pratique de l’intelligence figurale qui articule les sens, l’imagination et l’intellect, il permet de découvrir que l’intellect humain est « conduit par la main », par les figures mêmes qu’il interprète, jusqu’au principe, non pas considéré en son essence, mais en tant que celui-ci se manifeste en prenant figure. Et une telle connaissance du principe n’advient pas au terme d’un long parcours épistémique gradué au cours duquel l’intellect se sépare peu à peu de son lien avec le continu et le temporel, de telle sorte qu’il soit conforté et puisse recevoir la lumière des intelligibles purs. Cette connaissance advient au cœur de l’examen des ressemblances par lequel le juge des songes scrute les multiples propriétés métaphoriques des images des rêves et, parmi elles, se surprend parfois à tisser une relation qui dépasse sa prudence. Le juge des songes ou l’herméneute qu’est l’intelligence figurale doit supposer, pour en rendre compte, l’illumination d’une intelligence supérieure. Mais, dans les cas, peut-être exceptionnels, des rêves qui annoncent des événements futurs ou qui sont tenus pour des prophéties obscures, est rendue manifeste la trame sur laquelle se tisse le travail herméneutique de l’intellect humain : une intellection universelle et simple provenant des intellects séparés pour laquelle l’imagination forme des images. Si les signes manuducteurs peuvent « conduire » l’intelligence figurale « par la main » vers une certaine connaissance du principe, la raison en est qu’ils sont eux-mêmes des manifestations du principe. Ils sont disposés par le principe lui-même en guise de « mises en images » (imaginationes), ou de figurations, de lui-même. Par suite, en partant des sens et de l’imagination, l’intellect humain n’a pas à conquérir une liberté entendue comme séparation par rapport à eux, afin de jouir d’un rapport pur à la lumière intelligible. Il bénéficie, au contraire, de l’ombre ainsi mêlée à la lumière du principe pour remonter à la source de ce qui se donne, d’emblée, comme acte de manifestation du principe auprès de l’intellect humain.
CHAPITRE III
L’alternative entre la connaissance du singulier réservée aux intellects si liés aux sens et à l’imagination qu’ils ne connaissent pas plus que des bêtes, d’un côté, et la connaissance de l’intellect séparé qui a presque la forme de l’intellect universellement agent et qui est nommé intellect divin, de l’autre, révèle donc, entre ces deux extrêmes, l’existence de degrés intermédiaires. La prophétie et l’interprétation des songes apparaissent, dans cette perspective, comme des points de passage. Selon le degré des intellects qui les pratiquent, la prophétie et l’interprétation des songes revêtent des modalités distinctes. « L’interprétation très véritable des songes » qui échoit à l’intellect séparé se distingue de l’interprétation des prophéties obscures qui incombe à l’intellect médian. Cependant, à des degrés divers, il apparaît que les intellects médians comme les intellects séparés reçoivent les illuminations des intelligences séparées : les premiers comme influx extérieurs, les seconds parce qu’ils possèdent l’agent quasi comme forme. Et la possibilité de cet événement révèle, pour les intellects intermédiaires, d’une part, qu’être conjoints aux sens et à l’imagination ne les livre pas, pour autant, à une connaissance bestiale et que, d’autre part, si les intellects séparés pratiquent également l’interprétation des songes, la connaissance qui prend pour point de départ et pour milieu ce qui ressortit aux sens et à l’imagination n’est pas étrangère à la connaissance du principe. Or il se pourrait, nous l’avons suggéré, que le pont construit par l’interprétation des songes entre l’intellect médian et la connaissance du principe, jusque-là réservée à l’intellect séparé, ne se limite pas à l’événement de l’illumination du rêveur – et, par suite, de l’interprète qui en imite l’acte d’imaginatio – effectuée par les intelligences séparées dans les songes qui sont des révélations. La question des causes supra-mondaines de certains rêves nous a permis d’établir que la connaissance qui part du particulier sensible ne s’y limite pas pour autant. Elle ouvre une voie oblique pour acquérir un certain art du principe. Et cela repose sur la possibilité que l’opération par laquelle l’intelligence figurale examine les ressemblances dans les images manuductrices lui permette de remonter à l’acte même par lequel le principe se manifeste dans ces médiations. . Cf. supra chap. III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. -.
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II. La manuduction, une conversion vers la manifestation du principe ? Pourquoi les signes manuducteurs permettent-ils de fonder l’anabase de la pratique herméneutique exercée par l’intelligence figurale vers l’acte par lequel le principe divin se manifeste lui-même ? Plusieurs questions se posent en vue d’éclairer ce problème. A. Les images, un mode de manifestation spécifique du principe par lui-même En premier lieu, en quoi les images constituent-elles un mode privilégié de la communication de soi effectuée par le principe divin ? Le Docteur universel mentionne, à ce sujet, deux faits qu’il réfère à l’autorité des philosophes arabes. Le premier est que, selon Alfarabi – écrit Maître Albert, mais l’Editio Coloniensis fait l’hypothèse qu’il se réfère plutôt au De somno et vigilia d’Averroès –, l’intellection des réalités divines dans l’Écriture sainte se manifeste tout entière à nous dans des images. Sa constatation initiale ressortit, par conséquent, à la contingence historique : le fait est que le mode par lequel le principe se manifeste à nous, dans ces témoins que sont les textes sacrés, est l’ensemble des images auxquelles recourt l’Écriture. Le second : selon Alfarabi, « par les formes des intelligences que les intelligences elles-mêmes impriment dans les âmes, les propriétés métaphoriques sont plus ressemblantes (similes) que les vraies images des . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Tertia est quam tetigit Alfarabius, et veritas illius patet per intellectum divinorum in sacra scriptura, qui totus manifestatur nobis in huiusmodi imaginibus. Et de hoc plura sunt notata superius in quaestione de imaginibus angelorum*. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaeq.), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. a-b. . Sur la différence entre les deux formes de la chose sensible : la forme spirituelle, ou forme semblable, et la forme corporelle, ou forme de la chose sensible qui n’est pas semblable, cf. AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -p. , l. . . Bien que le texte établi par l’édition de Cologne ait « Alfarabius », l’éditeur indique que la référence correcte est : AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. -. Sur les transferts d’images dans le rêve, cf. AVERROES, De somno et vigilia, CCAA VII, p. , l. - : « Ista enim virtus est semper in motu et in actione continua et in translatione de una ymagine ad aliam ymaginem. »
CHAPITRE III
choses. C’est pourquoi aussi les intelligences impriment les intellections de ce qui est futur sous des propriétés métaphoriques, et non sous les vraies images des choses ». Le Doctor magnus renverse, avec un tel argument, le rapport de ressemblance entre les propriétés métaphoriques, d’un côté, et les vraies images des choses, de l’autre, avec les événements futurs qu’elles annoncent ou avec les réalités divines qu’elles révèlent. Les propriétés métaphoriques des choses nous conduiraient, selon lui, en vertu de leur ressemblance, davantage vers ce qu’elles dévoilent que ne le font les véritables images de ces choses. Il en résulte que les images apparaissent comme les médiations non seulement historiquement attestées comme mode de communication du principe à l’intellect humain, mais aussi comme les plus ressemblantes. B. Du double statut des médiations du côté du principe et de l’intellect humain En deuxième lieu, les images sont-elles seulement les médiations requises par la disproportion de l’intellect humain par rapport au principe qui se manifeste ? Les symboles nous sont proportionnés, dans la mesure où, selon l’enseignement dionysien, ce n’est pas à cause du principe divin ou à cause des anges qui le reçoivent sans voile qu’il est nécessaire qu’adviennent de telles figurations, mais à cause de nous à qui il est connaturel de recevoir ce qui est divin par le truchement de ce qui est sensible. Selon La Hiérarchie céleste, en effet, « il est impossible que le rayon divin brille sur nous autrement qu’enveloppé par la variété des voiles sacrés . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - : « Ad id quod ultimo quaeritur, respondet Alfarabius quod formis intelligentiarum, quas ipsae intelligentiae imprimunt in animas, magis similes sunt proprietates metaphoricae quam verae imaginationes rerum, et propter hoc intelligentiae intellectus futurorum imprimunt sub proprietatibus metaphoricis et non sub veris imaginibus rerum. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] quia non propter ipsum, non propter angelos, qui sine velamine accipiunt, fuit necessarium tales figurationes adinvenire, sed propter nos, quibus connaturale est per sensibilia accipere divina. » . Sur la contemplation du rayon divin à travers le voile des signes et des effets, cf. MEIS, A. « Alberto Magno, Sobre el texto de la Editio Coloniensis », p. - ; BURGER, M., « Die Herrlichkeit göttlicher Gegenwart manifestiert sich in Theophanien. Albertus Magnus in der Tradition des Dionysius Ps.-Areopagita », p. -. Sur la citation de Denys extraite du De coel. hier., chap. , n. et sa place dans l’œuvre de Thomas d’Aquin, cf. BONINO, S.-T., « ‘Les voiles sacrés’ : à
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et, pour ce qui est selon nous, préparé d’une manière qui nous soit connaturelle et propre par la providence paternelle ». Ce que le Docteur universel lit chez Denys le Pseudo-Aréopagite est, en premier lieu, la raison anthropologique des symbola. Dans la mesure où les hommes sont par nature « symboliques », c’est-à-dire qu’ils reçoivent la connaissance du divin par la médiation du sensible, ils requièrent, pour revenir vers ce qui est de l’ordre de l’esprit, vers ce qui est simple et un, des images sensibles qui leur soient proportionnées. Mais ce qu’il entend, en second lieu, est que, si notre hiérarchie a besoin de symboles pour son retour, c’est qu’il en va, dans l’existence de ces médiations, non seulement de notre accomplissement, mais aussi de la manifestation même du principe. Ces médiations ne sont, en effet, pas seulement le signe de la disproportion du principe par rapport à la capacité de l’intellect humain. Elles n’indiquent pas seulement l’incapacité, pour ce dernier, de s’aventurer au-delà de ce qui est continu et temporel et qui est donné à ses sens et à son imagination. Elles sont aussi les traces mêmes de la manifestation de soi que, selon le Doctor expertus, à la suite de Denys, le principe divin dispose à notre égard. La symbolisation, pour le dire à partir du symbolon dionysien, et l’imaginatio (mise en image) – entendues au sens de l’acte d’élaboration de symboles et d’images – s’avèrent les modes par lesquels l’un et le simple, propres aux réalités spirituelles, se transmettent à l’intellect humain. Autrement dit, l’intelligence figurale a pour fonction de déchiffrer ce que le principe divin scelle propos d’une citation de Denys », in San Tommaso d’Aquino ‘Doctor Humanitatis’. Atti del IX Congresso Tomistico Internazionale (Roma, ), t. : Storia del Tomismo : Fonti e Riflessi, Pontificia Accademi di S. Tommaso, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano, (Studi Tomistici ), p. -, notamment p. - : « Tout porte donc à penser que nous sommes ici en présence d’une de ces citations clés qui, répandue dans l’ensemble de l’œuvre, tissent un lien secret entre des problématiques apparemment indépendantes et manifestent par là-même l’unité et la cohérence profonde de la pensée thomasienne ainsi que l’intention de sagesse qui y préside. » . DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. , transl. Eriugena in ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Et Dionysius in Caelesti hierarchia cap. : “Impossibile est nobis aliter superlucere divinum radium, nisi varietate sacrorum velaminum circumvelatum, et his quae secundum nos sunt, providentia paterna connaturaliter nobis et proprie praeparatum”. » . Cf. chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -.
CHAPITRE III
dans les images sensibles et de repérer les ressemblances qu’il y imprime. Elle accomplit, en sens inverse, le chemin parcouru par la manifestation du principe par lui-même qui va de l’invisible vers le visible, de l’immatériel vers le matériel, de l’un et du simple vers le multiple. C. Multiplicité de la manifestation du principe et de l’interprétation des images En troisième lieu, en quoi se fonde la multiplicité qui caractérise la pratique herméneutique de l’intelligence figurale ? Le Doctor universalis pose en Dieu le fondement de la multiplicité des symboles : « […] ceux qui, par son autorité, ont transmis l’Écriture sainte l’ont transmise sous des signes variés et l’ont signifié, lui , de manière multiple en raison de ses multiples vertus qui reluisent dans ses effets ». Du côté de ce qui est vu, la diversité des figures correspond, par conséquent, aux modalités selon lesquelles plusieurs voient les effets de la multitude des vertus divines. Le maître de Cologne montre, en outre, que cette multitude de signes a pour corollaire une multiplicité de modalités d’appréhension à la fois du côté du voyant et de ce qui est vu. Les visions elles-mêmes sont, en effet, multipliées de plusieurs manières, quant à ceux qui voient : l’un voit par une vision sensible, l’autre par une vision imaginaire – qui est ainsi appelée parce que, dans le songe, les sens
. ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] quia ipsius auctoritate tradentes sacram scripturam sub variis signis tradiderunt, significantes ipsum multipliciter propter multas ipsius virtutes, quae in ipsius effectibus relucent […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Secunda multiplicatio est ex parte visorum, secundum quod diversis figuris ipsum diversi viderunt, vel hominis vel ignis et cetera quae in littera tanguntur. » (« La seconde multiplication est du côté de ce qui est vu, selon que divers l’ont vu par diverses figures, soit celle de l’homme soit celle du feu et d’autres qui sont touchés dans la lettre. ») . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Multiplicantur autem visiones dupliciter, scilicet quoad videntes, quorum alius videt sensibili visione, alius imaginabiliter, alius intellectualiter, ut dicit Augustinus*. » * AUGUSTINUS, De Gen. ad litt., lib. , cap. ; cap. ; cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ; p. , l. - ; p. , l. -p. , l. . . Sur les trois modes de vision, cf. ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. -. Sur les trois modes de la vision prophétique, cf. ANZULEWICZ, H., De Forma Resultante in Speculo, Teil II, Kap. III, ..., p. -.
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sont inoccupés et que l’imagination est visée « dans son acte » –, un autre encore par une vision intellectuelle – ‘Tu verras le Seigneur en face, et non par des énigmes et des figures’, ce qui est « le plus haut mode de contemplation selon l’état de la voie » –, comme le dit Augustin. C’est pourquoi l’acte d’interpréter les signes manuducteurs a pour caractéristique la multiplication. Or la connaissance de ces signes par lesquels le principe se manifeste lui-même est comparée, par Albertus Theutonicus, à l’interprétation des songes : « Le mode de l’exposition est par l’inspection de la similitude, comme le Philosophe dit aussi au sujet des expositions des songes, quand, une fois inspectées les propriétés des choses sous la figure desquelles Dieu est décrit, nous nous élevons, par la similitude de la proportionnalité, vers ce qui est divin ». Pour épouser le mouvement par lequel le principe se manifeste en disposant un grand nombre de médiations, l’intelligence figurale doit, en effet, examiner de multiples ressemblances possibles selon diverses modalités que lui ouvrent les propriétés métaphoriques des images. Albert de Cologne pose donc lui-même la possibilité d’étendre le mode de connaissance qu’il développe au sujet des songes à l’examen des ressemblances portées par la multitude des signes disposés par le principe pour se communiquer. D. Les intellects séparés, agents de diffraction du spectre lumineux En quoi la multitude des signes par lesquels le principe se manifeste relie-t-elle l’intelligence figurale aux intelligences séparées ? Voici ce que dit le Doctor universalis : de même que « ce qui est divin ne peut être . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] visio imaginaria, quia in somnio sensus exteriores vacant et imaginatio intenditur in suo actu […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « ‘Et palam, non per aenigmata et figuras dominum videt’, in quo ostenditur altissimus modus contemplationis secundum statum viae, et hic est intellectualis visio, quia ad contemplationem patriae non pervenit. » . Cf. supra chapitre III, p. , note , AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. ; cap. ; cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ; p. , l. - ; p. , l. -p. , l. . . Cf. ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -) ; transl. vetus, ed. Drossart Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Modus autem expositionis est per inspectionem similitudinis, sicut etiam dicit Philosophus de expositionibus somniorum, quando inspectis proprietatibus rerum, sub quarum figura describitur deus, per similitudinem proportionalitatis in divina conscendimus. »
CHAPITRE III
reçu par des connexions probables ou nécessaires à partir des principes premiers » et qu’il faut que « lui advienne la lumière (lumen) d’un intellect angélique qui multiplie, dans nos âmes, certaines espèces dans lesquelles soient vues les divines qui, auprès d’elle, sont davantage unies, comme cela a été montré dans la Hiérarchie céleste », de même « le Philosophe dit des divinations des songes que, parce qu’elles ne peuvent être conclues à partir des principes premiers par le mode de la science spéculative, notre intellect est uni à des moteurs supérieurs, pour les recevoir ». Autrement dit, le maître de Cologne érige l’art d’interpréter les songes et la multiplicité des interprétations à laquelle il donne lieu au rang d’analoga d’une connaissance alternative à la science spéculative et à sa méthode syllogistique, lorsque, dans le cas de ce qui est divin, cette dernière n’est pas possible à l’intellect humain. La connaissance du principe divin, lorsqu’elle ne peut procéder sur le mode syllogistique, ainsi que l’art d’interpréter les rêves ont, en effet, tous deux pour condition la médiation des intelligences séparées. Or c’est précisément à ces dernières qu’est attribuée la multiplication, dans l’intellect humain, des espèces dans lesquelles il peut voir le principe divin à la manière de la diffraction spectrale de la lumière. À mesure que le flux lumineux s’éloigne de sa source, ce qui est encore uni dans les intellects séparés apparaît ainsi multiplié dans les intellects qui leur sont inférieurs. Il s’ensuit que la multiplicité n’est plus seulement la marque de ce qui est le plus éloigné de l’Un. Elle s’avère, au contraire, ce qui
. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. , notamment p. , l. -p. , l. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. et l’autorité à laquelle il renvoie : IOHANNES DAMASCENUS, De fide orth., lib. , transl. Burg. cap. , n. , ed. Buytaert, p. , l. -p. , l. . . ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( b -), transl. vetus, ed. H. J. Drossaart-Lulofs, in Aristotelis de sompno et vigilia liber tertius, p. , l. -p. , l. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Cum igitur divina non possint accipi per conexiones probabiles vel necessarias ex principiis primis, in quae sola potest lumen intellectus agentis sicut in propria sua instrumenta, oportet, quod ad huiusmodi cognoscenda adveniat sibi lumen intellectus angelici, quod multiplicat in animas nostras species quasdam in quibus videntur divina, quae apud ipsum sunt magis unitae, sicut in Caelesti hierarchia ostensum est, sicut etiam dicit Philosophus de divinationibus somniorum, quod quia ex principiis primis per modum scientiae speculativae concludi non possunt, unitur ad ea accipienda intellectus noster motoribus superioribus […]. »
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permet d’y retourner. Elle provient de l’Un lui-même, par le truchement des intellects angéliques, et favorise le retour de l’intellect humain, lorsqu’il n’est pas possible à ce dernier de connaître par syllogismes. Que l’influence des intelligences supérieures dans la connaissance de l’intellect humain n’est pas limitée à quelques rêves prémonitoires apparaît clairement dans le fait que, si, selon Aristote, « la disposition de notre intellect par rapport aux les plus manifestes de la nature est comme la disposition des yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière du soleil », la raison en est que « nous n’avons pas un intellect qui soit intellect par essence, mais plutôt un intellect qui est, pour nous, l’influx provenant d’une cause supérieure dont la vertu n’est acquise que par l’effort ». C’est pourquoi, sans recourir à l’être qui nous est supérieur, nous n’appréhendons que de manière incertaine l’être varié des choses qui doivent être connues par leur être même. « Or l’être des causes primaires est dit supérieur, parce que, bien qu’il s’éloigne du premier par différents degrés, il ne tombe, cependant, pas ni ne s’abaisse au point de s’éloigner vers les ombres, mais il se tient dans la lumière (lumine) de la cause première, qui illumine tout, sans être jamais mêlé aux ombres de la privation du changement. » Nous pouvons, dès lors, apercevoir combien il importe que des degrés soient sauvegardés entre l’intellect rivé au particulier et l’intel. Pour une interprétation métaphysique de l’origine du multiple à partir du De causis et processu universitatis a prima causa, cf. BONIN, M.-Th., Creation as Emanation. . ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -). . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Nulla enim res sciri potest nisi per esse suum, et esse varium incertam facit acceptionem. Ab esse autem, quod superius est, deficit noster intellectus eo quod non habemus intellectum, qui per essentiam intellectus sit, sed potius intellectum, qui ex superiori causa influxus est nobis, cuius virtus non nisi per studium adepta est. Propter quod dicit Aristoteles, quod “dispositio nostri intellectus ad manifestissima naturae se habet sicut dispositio oculorum vespertilionis ad lumen solis”. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Esse autem primariarum causarum superius dicitur, quia quamvis differentibus gradibus recedat a primo, tamen non tantum occumbit vel deprimitur, quod recedat ad umbras, sed stat in lumine causae primae totum illustrante nusquam umbris mutationis privationis immixtum. » . Sur la structure métaphysique des degrés et sa source dionysienne, cf. BURGER, M., « ‘Hierarchische Strukturen’. Die Rezeption der Dionysischen Terminologie bei Albertus Magnus », in J. Hamesse et C. Steel (éd.), L’élaboration du vocabulaire philosophique au Moyen Âge. Actes du Colloque international de Louvain-la-Neuve et Leuven, - septembre , organisé par la Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie Médiévale, Brepols, Turnhout, (Rencontres de Philosophie Médiévale ), p. -.
CHAPITRE III
lect séparé. La gradation des intellects vise, en effet, à éviter que l’intellect médian ne soit assimilé à la forme de l’agent et, par suite, ne soit identifié à son rôle actif. Être passif, pour l’intellect humain, signifie, en effet, recevoir « l’influx provenant d’une cause supérieure ». Et ce mode de connaissance par la médiation des intellects séparés ne concerne pas seulement certains rêves. Il touche, au contraire, la connaissance de tous les étants, dès lors qu’ils sont connus dans leur être même. E. La multiplicité des signes manuducteurs, fondement de l’anabase de l’interprétation vers l’acte par lequel le principe se manifeste Quatre points résultent de ce faisceau de questions pour tenter de répondre au problème initialement posé : pourquoi les signes manuducteurs permettent-ils de fonder la conversion de la pratique herméneutique de l’intelligence figurale vers l’acte par lequel le principe divin se manifeste lui-même ? Le premier : la possibilité, pour la pratique herméneutique de l’intelligence figurale, d’être une anabase vers l’acte par lequel le principe se manifeste ; le deuxième : la généralisation de la manifestation du principe par lui-même du cas particulier des songes prémonitoires ou révélateurs à tous les signes manuducteurs ; le troisième : le rôle désormais assigné aux intellects angéliques dans la manuductio par rapport à celui qui leur est dévolu dans les rêves ; le quatrième : le statut métaphysique de la médiation manuductrice qui met au centre de la connaissance figurale la relation de l’intellect humain au principe. La pratique herméneutique de l’intelligence figurale, un retour vers l’acte par lequel le principe se manifeste Premièrement, « dans la vie présente, on ne peut avoir de connaissance de Dieu sans médiation. Et cette médiation est l’effet de Dieu dans la nature ou dans la grâce dans lesquelles Dieu se montre ». Autrement . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. : « […] qui ex superiori causa influxus est nobis […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod in praesenti vita cognitio dei sine medio non potest haberi ; quod medium effectus dei est in natura vel gratia, in qua deus monstratur. »
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dit, la nécessité pour notre hiérarchie symbolique d’être enseignée par des médiations sensibles qui lui soient proportionnées apparaît inséparablement corrélative de l’acte par lequel le principe se manifeste. C’est, en effet, en se symbolisant, en s’« imaginant » et en se figurant que ce dernier se fait connaître. Il résulte de cela que la manuductio est, du côté de l’intellect humain, le corrélat de la manifestation, du côté divin. Du cas particulier des songes prémonitoires comme manifestations du principe à tous les signes manuducteurs Deuxièmement, la possibilité de recevoir l’influx d’une intellection supérieure, pour l’intelligence figurale qui examine les ressemblances portées par les signes manuducteurs, n’est pas, contrairement aux rêves, réservée à des cas spécifiques de prémonition ou de révélation. Dans la mesure où les images et les symboles sont les modes mêmes par lesquels le principe se manifeste, tous les signes manuducteurs que l’intelligence figurale examine peuvent la « conduire par la main » vers l’acte de manifestation du principe qui est à leur origine.
. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Tradiderunt, dico, “supercaelestia sensibilibus imaginibus”, idest symbolis, et tradiderunt id quod in se est “conexum”, idest simplex et unum, scilicet spiritualia, “et varietate et multitudine” symbolorum, et tradiderunt “divina in” rebus “humanis et immaterialia in” rebus “materialibus et superessentialia his” rebus “quae sunt secundum nos”, et tradiderunt hoc modo “non solum propter immundos”, idest infideles vel peccatores, “quibus nec fas”, idest licitum, est “tangere symbola”, idest species sensibiles sacramentorum ; “sed quia nostra hierarchia est quaedam” hierarchia “symbolica”, idest symbolis tradita, “quod quidem dixi” supra fieri “proportionaliter nobis ipsis”, qui per “sensibilia” nati sumus accipere, hierarchia, dico, “desiderans”, idest requirens, “in eam nostram reductionem diviniorem” ipsis sensibilibus quae est “ex eis”, scilicet sensibilibus, “ad invisibilia”. » (« Ils ont transmis, dis-je, les “supra-célestes par des images sensibles”, c’est-à-dire par des symboles, et ils ont transmis ce qui est en soi “connexe”, c’est-à-dire simple et un, à savoir les spirituelles, “à la fois par la variété et la multitude” des symboles et ils ont transmis “les divines dans” les choses “humaines, les immatérielles dans” les choses “matérielles et les suressentielles par” ces choses “qui sont selon nous” et ils ont transmis par ce mode “non seulement en raison des impurs”, c’est-à-dire des infidèles ou des pécheurs, “pour qui il” n’est “pas juste”, c’est-à-dire licite, “de toucher les symboles”, c’est-à-dire les espèces sensibles des sacrements ; “mais parce que notre hiérarchie est une certaine” hiérarchie “symbolique”, c’est-à-dire transmise par des symboles, “parce qu’en vérité j’ai dit” plus haut qu’ils adviennent “proportionnellement à nous-mêmes” qui sommes faits par nature pour recevoir par “des sensibles”, “hiérarchie”, dis-je, “qui désire”, c’est-à-dire qui recherche, “notre retour plus divin vers elle” par ces mêmes sensibles, qui advient “à partir d’eux”, à savoir des sensibles, “vers ce qui est invisible”. »)
CHAPITRE III
Le rôle des intellects angéliques dans la manuductio et leur rôle dans les rêves Troisièmement, si l’acte par lequel le principe se manifeste en tout signe manuducteur permet à l’intelligence figurale de remonter vers lui, pourquoi le maître de Cologne agence-t-il la figure de la manuductio, de telle sorte qu’elle fasse passer le lecteur par l’illumination des intelligences séparées dans certains rêves ? Il semble nécessaire de passer par la médiation de l’illumination angélique reçue par l’intellect médian pour établir, d’une part, que le travail de l’intelligence figurale ne borne pas l’intellect humain à une connaissance du particulier et, d’autre part, que l’activité de l’imagination n’est pas circonscrite à la préparation de l’intellection ou à la composition des données de la sensibilité ou de la mémoire. Dans la mesure où elle peut être parfois le lieu où les intelligences séparées impriment des formes qui lui permettent de recevoir la révélation de ce qui est divin, l’intelligence figurale peut surprendre, au cœur de son examen des multiples ressemblances portées par les images, l’acte même par lequel le principe se met lui-même en images pour se faire connaître. Toutes les causes du rêve ne sont certes pas angéliques. Cependant, le juge des songes peut découvrir, dans son travail d’interprétation, que tel rêve possède des causes supra-mondaines ou que certaines de ses images autorisent des similitudes de proportionnalité qui permettent de remonter vers le principe divin. L’éventualité d’une connexion avec les intelligences séparées, dans le travail herméneutique mené par l’intelligence figurale, fonde dès lors pour cette dernière, la possibilité que son interprétation des signes manuducteurs la relie à l’acte par lequel le principe se manifeste en eux. Le statut métaphysique de la médiation manuductrice Quatrièmement, la médiation manuductrice ne possède pas le statut d’instrument requis par l’intellect humain, à la manière dont, en astronomie, un linge subtil ou un miroir au fond d’un vase constituent des dispositifs construits pour remédier à l’impossibilité, pour l’œil humain, de voir la lumière du soleil en face. Elle est l’indice dans lequel le principe, en se manifestant lui-même, imprime sa ressem-
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blance. Et elle permet ainsi à l’intelligence figurale de remonter vers cet acte de manifestation par une multitude de voies qui retracent les manières dont le principe s’y figure. Le renversement de la perspective noétique à propos de la médiation manuductrice – présentée comme un remède exigé par l’infirmité de l’intellect humain – dans une perspective métaphysique déplace, par suite, la question relative au mode de connaissance de l’intelligence figurale. Il s’avère qu’il y est principalement question du mode de relation de l’intellect humain avec le principe divin. Or la différence des modes de relation de l’intellect avec le principe est pensée, par Albert le Grand, en termes de degrés de proximité ou d’éloignement par rapport à la source dont flue la lumière. De cette position métaphysique signifiant le rapport de l’intellect au principe – que le Doctor magnus décrit aussi, nous le verrons, comme celui des cœurs à Dieu – dépend la capacité de l’intelligence figurale à connaître à partir de ce qu’Albert de Cologne appelle les intelligences supérieures, et non à partir de ses seules facultés. L’intelligence figurale reçoit des intellects séparés, par la médiation des signes manuducteurs, la lumière sur l’acte par lequel le principe se manifeste en « s’imaginant ». C’est un tel mode de connaissance qui la rend, alors, témoin du principe qu’elle connaît à travers les images manuductrices. De quoi témoigne, dès lors, l’acte par lequel celle-ci connaît le principe, à travers les propriétés métaphoriques des images ? Il témoigne plus précisément de la relation de l’intelligence figurale au principe. L’intelligence figurale, parce qu’elle est illuminée, comme le juge des songes, par des intellects angéliques et parce qu’elle s’assimile par sa pratique herméneutique à l’acte du principe qui se manifeste en s’« imaginant », offre un modèle pour penser le statut du témoin qui, d’un côté, reçoit passivement une connaissance du principe et, de l’autre, doit la transmettre en tant qu’elle provient du principe, c’est-à-dire comme acte. Comment, dès lors, penser à la fois la distinction et la conjonction entre, d’une part, la passivité de l’intellect humain qui reçoit l’illumination de la part des intellects séparés et, d’autre part, l’acte même de ces intellects supérieurs en lui qu’il lui faut communiquer en tant qu’acte ?
CHAPITRE III
III. Lux et lumen ou la distinction de la lumière en sa source et de la lumière manifestée A. Lux et lumen, deux aspects de la lumière distingués par Avicenne Dans le commentaire du verset Jn , , le maître de Cologne pose précisément le problème de la distinction du témoin et de ce à quoi celui-ci rend témoignage. Or l’Écriture appelle d’un même nom, lux, à la fois le témoin – Ep. , : ‘Vous étiez autrefois ténèbres. Mais maintenant vous êtes lumière (lux) dans le Seigneur’ – et celui dont il témoigne. Il s’agit, cependant, pour le témoin, non seulement de manifester la lumière du principe, mais aussi d’en témoigner en tant qu’elle est principe, c’est-à-dire en tant qu’elle ne provient pas de lui. Il apparaît donc urgent, aux yeux du Docteur universel, d’éviter de les confondre, afin de sauver la possibilité du témoignage et de se garder du péril de la crase du principe sur son témoin. C’est pourquoi il distingue, dans la lumière, deux aspects : actif et passif. Lux, quand le terme désigne la lumière du principe, signifie, en effet, la source de lumière. Purement active, elle illumine sans être illuminée. Lux, quand ce nom se réfère à la lumière de la médiation ou du témoin, en revanche, est à la fois lumière illuminante et illuminée. Il s’agit, en effet, aux yeux du Doctor magnus, d’une lumière qui émane directement de la source lumineuse et qui diffuse la lumière qu’elle reçoit et ne produit pas. Pour penser la communication par le principe de sa propre lumière à ce qui sera susceptible de la manifester comme provenant de lui, le maître de Cologne conçoit, pour la médiation, ce qui se donne d’emblée comme un oxymore : une activité réceptive. Comment penser la possibilité de diffuser la lumière sans, pour autant, en être la source ? Il lui faut, pour cela, discuter les distinctions établies par Avicenne entre lux et lumen et scinder d’une certaine manière la . Dans l’article CASTEIGT, J., « La figure du témoin et la question de la médiation dans le Prologue de Jean lu par Albert le Grand », in J. Meirinhos et O. Weijers, (éd.), Florilegium mediaevale. Études offertes à Jacqueline Hamesse à l’occasion de son éméritat, Brepols, Louvain-laNeuve, (Textes et études du Moyen Âge ), p. -, l’analyse de lux et lumen est située dans une problématique différente : celle de la recherche d’une lumière proportionnée à l’intellect humain. . Sur la distinction entre lux et lumen dans les commentaires bibliques de Maître Eckhart, cf. HILLE-COATES, G., Lux und lumen in den Bibelkommentaren Meister Eckharts, Cuvillier, Göttingen, .
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lumière-lux, afin d’y réunir ce qu’Avicenne avait distingué en deux termes. Voici comment il procède. Pour Avicenne, au troisième livre de sa Physique, les noms lux et lumen désignent deux moments de la diffusion de la lumière. Lux se réfère à ce qui « possède la lumière à partir de soi-même », c’est-à-dire à « la qualité que la vue appréhende dans le soleil et dans le feu, de telle sorte qu’on ne discerne pas qu’il y a du blanc, du noir, du rouge ou quelque autre ». Lumen désigne « ce qui resplendit à partir de cela, c’està-dire la splendeur que l’on voit tomber sur les corps et qui met à découvert en eux la blancheur, la noirceur ou la verdeur ». Or, en maints de ses propres textes, Maître Albert emprunte cette distinction à Avicenne. Dans le Super Dionysium De divinis nominibus, par exemple, il oppose lux comprise comme « ce qui est dans le corps brillant en acte » à lumen entendu « selon ce qui provient de la réverbération dans le corps illuminé ». Dans le De anima, l’activité de lux est transcrite en termes de forme – « la forme de la lumière (lumi. AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars III, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. : « Loquamur autem prius de lumine, dicentes quod, quia dicitur lumen et dicitur lux et dicitur radius, videtur quantum ad impositionem nominum non esse inter illa maxima distantia ; unde nobis necesse est ut, postquam de eis loquimur, distinguamus ea inter se. Sunt autem hic tres intentiones extendentes se, quarum una est qualitas quam apprehendit visus in sole et igne, ita ut non discernatur esse albedo aut nigredo aut rubor aut aliquis aliorum ; secunda est id quod resplendet ex his, scilicet splendor qui videtur cadere super corpora et detegitur in eis albedo aut nigredo aut viriditas ; tertia est quae apparet super corpora veluti si disgregetur et veluti tegat colorem eorum et quasi sit aliquid emanans ab eis : si autem hoc fuerit in corpore acquirenti hoc ex alio corpore, vocabitur radiositas, si vero fuerit in corpore quod habet hoc ex seipso, vocabitur radius. Nunc autem non sunt nobis necessaria radiositas vel radius, sed duae primae. Sit autem una earum, scilicet ea quae habet illud ex seipsa, lux, et utilitas eius sit lumen. » . Vide, par exemple, supra au chapitre I, p. , note , la différence, dans la lumière (luce) entre lux, lucere et lumen dans ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b. Lux est la forme de la lumière (luminis) dans un corps qui diffuse la lumière (lucem), lucere est l’acte par lequel cette forme émane dans un autre et lumen est la forme une fois reçue par ce qu’elle illumine en premier. . Sur la théorie albertienne de la lumière et des couleurs, cf. HUDECZEK, M., « De lumine et de coloribus », Angelicum (), p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Ad evidentiam huius quaestionis praenotandum est, qualiter differant lux, lumen et radius secundum Avicennam. Dicit enim, quod lux est, secundum quod est in corpore actu lucido, lumen vero, secundum quod est ex reverberatione fit in corpore illuminato, radius autem, secundum quod procedit secundum lineam rectam a corpore luminoso. » . ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - : « Ista igitur sunt luminis subiecta. Differunt luminare, lux et lumen et splendor. Luminare enim est corpus, quod in se ut formam habet lucem, sicut sol et luna et stellae. Lux autem dicitur forma luminis in luminari sive in eo quod est fons luminis primus. Lumen autem est, quod receptum est in alio corpore illuminato. »
CHAPITRE III
nis) dans un luminaire ou bien dans ce qui est la source première de lumière (luminis) » – et opposée au caractère réceptif de lumen – « ce qui est reçu en un autre corps illuminé ». Dans le De homine, il insiste davantage sur la corrélativité des deux aspects, actif et passif, d’un même processus lumineux. Lux signifie, en effet, lumen en tant qu’elle est prise dans sa nature propre, et non pas illuminée, tandis que lumen est « dans le substrat qui reçoit ». Dans le Super Matthaeum, lux s’identifie à ce « qui est dans la nature première et propre », tandis que lumen est assimilé à « la transformation de la lumière dans le milieu ». B. La réélaboration albertienne de la distinction avicennienne en contexte johannique Ce qui importe, aux yeux d’Albertus Magnus, dans le commentaire johannique, n’est pas de suivre Avicenne, mais plutôt d’insister sur l’identité de la . ALBERTUS MAGNUS, De homine, De anima sensibili, De partibus apprehensivis deforis : de visu, ..., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. -p. , l. : « Ad id quod ultimo quaeritur, dicendum quod secundum rationem nominum, ut dicit Avicenna*, lux est in natura propria, lumen autem in subiecto recipiente, radius vero est exitus luminis secundum rectam lineam. Sed radiosum est corpus politum, in se non habens lumen, reflectens tamen radios. Splendor autem est reflexio luminis procedens a reflexione radiorum. In hoc enim differt radius a lumine quod radius non procedit immutando nisi rectilinee, lumen autem etiam non ad non-rectam lineam immutat, sicut est videre in sole ingrediente per fenestras, ubi radii ad rectam lineam ingrediuntur, lumen autem etiam sub fenestra iuxta parietem illuminat aërem, quo non potest trahi recta linea ab illuminante. Similiter est de splendore et radiositate et reflexione. Radiositas enim reflectit radium et splendor lumen. Luminare autem secundum Damascenum** est “receptaculum luminis”, ut corpus lunae vel solis. » * Cf. supra chapitre III, p. , note , AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars III, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. . ** IOHANNES DAMASCENUS, De fide orth., lib. , cap. , PTS XII, p. , l. -, transl. Burg., cap. , ed. Buytaert, p. , l. -. La citation précédente est donnée de manière plus large que sa traduction, afin de déployer l’ensemble des termes utilisés par le Docteur universel dans ce contexte et d’y situer les luminaires dont nous traiterons par la suite. Dans le premier livre des Sentences, comme dans le De homine, Albert le Grand cite à la fois Damascène et Avicenne pour la définition de luminare : cf. la question intitulée « quae sit differentia inter lumen, lucem, splendorem, radium, reflexionem radii, splendoris et luminis : et utrum exemplum de splendore sit conveniens etc. » dans ALBERTUS MAGNUS, Comm. in I Sent., d. , a. , sol., Ed. Paris. XXV, p. ab. . Expression reprise littéralement en ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Dicit Auicenna quod lux dicit lumen in propria natura et illa non est illuminata. » (« Avicenne dit que lux dit la lumière (lumen) dans nature propre et qu’elle n’est pas illuminée. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « . ‘Vos estis lux mundi’. Hic tangit lucem verae sapientiae quoad illuminationem fidei de cognitione dei. Haec enim sapientia vere est lux ; quia lux et lumen differunt, quia lux est in prima et propria natura, lumen autem est immutatio lucis in medio. »
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lumière qui flue. C’est pourquoi le maître de Cologne, pour rendre compte de l’emploi du terme lux dans le texte du verset Ep. , , critique Avicenne qui n’a pas aperçu, selon lui, le caractère double de lux. C’est la même lumière, en effet, qui est, selon lui, diffusée activement par le principe et passivement en quelque sorte par le témoin. Une telle théorie de la manifestation garantit, par conséquent, le fait que la médiation témoigne du principe lui-même tout en indiquant qu’il est principe, c’est-à-dire en rappelant que la médiation-témoin n’est pas la source de ce qu’elle communique. ‘Celui-là n’était pas la lumière (lux)’. Ici, il touche la distinction de celui qui rend témoignage et de celui à qui il rend témoignage. Et cela a deux parties. En premier lieu, il montre cette différence par ce qui est le propre du témoin et, ensuite, par ce qui est le propre du Christ, ici : ‘Il était la lumière (lux) véritable’. Il dit donc là : ‘Celui-là’, Jean, ‘n’était pas la lumière (lux)’. Au contraire, en Ep. (, ) : ‘Vous étiez autrefois ténèbres. Mais maintenant lumière (lux) dans le Seigneur’ ; donc les bons sont la lumière (lux). Mais il faut dire que les bons sont la lumière (lux) illuminée, mais autre est la lumière (lux) illuminante, qui est le Christ. Mais, contre , Avicenne dit que lux dit la lumière (lumen) dans nature propre et qu’elle n’est pas illuminée. En outre, il est dit en Mt (, ) : ‘Qu’ainsi votre lumière (lux) brille etc.’. Donc les bons sont la lumière (lux) qui illumine et qui n’est pas seulement illuminée. Quant à cela, il faut dire que la lumière (lux) est double. L’une la première, qui est source de lumière (lucis), qui illumine, sans être illuminée. Et c’est la lumière (lux) divine. L’autre, pour sa part, est comme un vase de lumière (lucis), qui à la fois illumine et est illuminée. Et c’est la lumière (lux) des hommes parfaits, comme de Jean et d’autres. Et cela est le luminaire dont émane la lumière (lucem) qui lui est infusée ; Ph. (, ) : ‘parmi lesquels vous brillez comme des luminaires dans le monde’. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ) : « ‘Non erat ille lux’. Hic tangit distinctionem testificantis ab eo cui fert testimonium. Et habet partes duas. Primo, ostendit hanc differentiam per propria testis et deinde per propria Christi ibi : ‘Erat lux uera’. Dicit igitur hic : ‘Non erat ille’, Iohannes, ‘lux’. Contra. Eph. V : ‘Fuistis aliquando tenebre. Nunc autem lux in Domino’ ; ergo boni sunt lux. Sed dicendum quod boni sunt lux illuminata, sed alia lux est illuminans, que est Christus.
CHAPITRE III
La médiation qui manifeste le principe a donc pour statut, du point de vue du principe, d’appartenir par soi à l’ordre par lequel celui-ci se manifeste. En d’autres termes, si elle est requise par la disproportion de la capacité de l’intellect humain par rapport au principe, elle n’en est pas pour autant subordonnée à l’intellect humain comme un instrument ou un dispositif noétique semblable aux artifices optiques inventés en vue de l’observation astronomique. Cela entraîne que connaître par une telle médiation implique, pour l’intellect humain, de s’élever d’une certaine manière vers ce qui est plus proche du principe que l’intellect humain ne l’est lui-même en vertu de sa conjonction avec les sens et l’imagination. Or cette lumière, à la fois illuminante et illuminée, est comparée à un « astre qui diffuse la lumière qui lui est infusée ». Cette comparaison introduit une autre figure empruntée au registre de la lumière : celle du vase de lumière. IV. Le témoin « comme un vase de lumière » A. Le vase de lumière, figure d’un certain degré dans le rapport des corps et des cœurs à la lumière du principe « La lumière des hommes parfaits, comme de Jean et d’autres » est « comme un vase de lumière (lucis) qui illumine et est à la fois illuminée ». Si diffuser la lumière reçue apparaît comme le mode d’émission de la lumière qui caractérise le témoin par rapport à ce dont il témoigne, que nous indique le maître de Cologne par la figure du vase de lumière qu’il associe au témoin ? Albert le Grand nous en fournit des indices par l’emploi qu’il fait de cette figure dans son commentaire du verset Jn , b-. Il y compare le rapport des corps à la lumière du soleil avec celui des cœurs à la lumière du principe.
Sed contra. Dicit Auicenna quod lux dicit lumen in propria natura et illa non est illuminata. Preterea, Matth. V dicitur : ‘Sic luceat lux uestra etc.’. Ergo boni sunt lux illuminans, et non illuminata tantum. Ad hoc dicendum quod duplex est lux. Vna quidem prima, que est fons lucis et illuminans, non illuminata. Et hec est diuina lux. Altera autem est ut uas lucis et illuminans et illuminata. Et hec est lux perfectorum uirorum, sicut Iohannis et aliorum. Et hoc est luminare emanans lucem sibi infusam ; Phil. II : ‘inter quos lucetis sicut luminaria in mundo’. » . Cf. supra chapitre III, p. , note : ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -).
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Le Docteur universel distingue trois degrés selon la capacité des corps et des cœurs à recevoir la lumière du soleil ou celle du principe. Ainsi y a-t-il, d’abord, des corps opaques ou noirs. La lumière qui se réfracte sur eux ne fait qu’en manifester la noirceur. Il se trouve, ensuite, des corps qui reçoivent la lumière, mais seulement en vue d’un éclat extérieur qui contribue à leur beauté. Il y a, enfin, des corps qui reçoivent la lumière en profondeur. C’est à leur propos qu’Albertus Theutonicus évoque les vases de lumière qu’il décline en corps transparents, en pierres précieuses ou encore en luminaires (luminaria) – qui ne se limitent pas aux astres, comme nous le verrons. Ils ont pour trait commun qu’émane d’eux la lumière qu’ils ont reçue. Aux premiers correspondent les « hommes aveuglés en esprit et horribles en œuvres », aux deuxièmes ceux qui ont, de l’extérieur, « la beauté de la vertu, mais pas la vérité », parce qu’ils « n’ont pas la dévotion intérieure » que possèdent, en revanche, les troisièmes. . Quant à la notion de devotio, voici comment Albert le Grand l’emploie dans le commentaire du Prologue de Jean (Jn , c) en transférant le sens éthique et pratique vers le champ ontologique. Son rôle est, en effet, pensé à partir d’un parallèle avec l’incarnation qui unit dans l’être la forme de Dieu et l’homme-Christ. D’après le maître de Cologne, la dévotion de la foi conjoint en nous cette forme et nous rend fils par adoption. ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , c), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ) : « Sicut enim forma Dei in homine Christum fecit Filium Dei per naturam et unionem in esse, ita hec forma coniuncta in nobis per fidei deuotionem facit nos Dei filios per adoptionem. Gal. III : ‘Omnes uos filii Dei estis per fidem in Christo Ihesu’. » (« De même, en effet, que la forme de Dieu dans l’homme a rendu le Christ Fils de Dieu par nature et qu’elle a produit l’union dans l’être, de même cette forme conjointe à nous par la dévotion de la foi nous rend fils de Dieu par adoption ; Ga. (, ) : ‘Vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus’. ») En ce qui concerne plus généralement la notion de devotio, Albert le Grand insiste sur le caractère intérieur du culte rendu à Dieu dans la dévotion. Elle comprend différents aspects : l’adjonction de prosélytes, l’adhésion de la charité, l’expression du respect, l’honneur retrouvé et l’humble soumission, cf. ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Hic tangit devotionem et dicit quinque, scilicet proselytorum adiunctionem, caritatis adhaesionem, reverentiae exhibitionem, honorabilem reductionem et humilem subiectionem. » ou encore la dévotion consiste dans la dévotion de la prière, la connaissance de la foi, la sainteté du culte, l’oblation des vœux, cf. ALBERTUS MAGNUS, Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - : « Devotio autem exprimitur in quattuor, scilicet in orationis devotione, in fidei cognitione, in cultus sanctitate et in votorum oblatione ». D’autre part, la dévotion ressortit à l’affect dont la vertu est la charité, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « […] in devotione, quia est plenae caritatis sacramentum […] » (« […] dans la dévotion, parce qu’elle est le sacrement de la pleine charité […] ») ou encore avec une référence à Ambroise, ALBERTUS MAGNUS, Comm. in IV Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXIX, p. b-a : « Devotio enim est quidam fervor animi in compunctione peccatorum, vel amore charitatis, ut dicit Ambrosius super Epistolam ad Romanos […]. » (« La
CHAPITRE III
De ce fait, de même que les corps se rapportent de trois manières à la lumière (lucem) du soleil, de même les cœurs se rapportent-ils à cette lumière (lucem). Certains corps qui sont conjoints aux ténèbres ne reçoivent pas, en effet, la lumière (lucem), sinon en vue de la manifestation de leur noirceur et de leur turpitude, comme ce qui est noir, horrible et opaque. Certains, pour leur part, la reçoivent en vue de leur illustration et de leur beauté extérieures. D’autres la reçoivent dans leur profondeur, tels que ce qui est transparent, comme les pierres précieuses, et ils sont faits comme des vases de lumière, qui sont appelés luminaires. Ainsi les hommes aveuglés en esprit et horribles en œuvres ne reçoivent-ils pas cette lumière (lucem), sinon en vue de la manifestation de leur turpitude. Jn (Jn , ) : ‘Qui agit mal hait la lumière (lucem) et ne vient pas à la lumière (lucem)’. Jb (Jb , ) : ‘Ceux-là furent rebelles à la lumière (lumini) et ont ignoré ses voies’, bien que la lumière (lux) soit, pourtant, présente à de telles . D’autres, quant à eux, sont ceux qui de l’extérieur, par une certaine beauté de l’opération, sont ornés par cette lumière (lucem), mais n’ont pas la dévotion intérieure, eux qui ont certes la beauté de la vertu, mais pas la vérité ; dernier Pr. (Pr. , ) : ‘La beauté est une grâce’, ou une image, ‘fallacieuse et vaine’. Quant aux troisièmes, qui accueillent la lumière (lucem) en vue d’une dévotion intérieure, ils brillent de l’intérieur comme des luminaires dans le ciel ; Ep. (recte : Ph. , ) : ‘Vous brillez, parmi eux, comme des luminaires dans le monde’ ; de même, en Ex. (Ex. , ) : ‘La face de Moïse a été rendue resplendissante, tandis que le Seigneur le regardait’. dévotion est, en effet, une certaine ferveur de l’esprit dans la componction des péchés ou dans l’amour de charité, comme dit Ambroise Sur l’Épître aux Romains […]. »). . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Vnde, sicut tripliciter corpora se habent ad lucem solis, sic tripliciter se habent corda ad lucem istam. Quedam enim corpora tenebris coniuncta non recipiunt lucem nisi ad manifestationem nigredinis et turpitudinis sue, sicut nigra, tetra et opaca. Quedam autem recipiunt eam ad exteriorem sui illustrationem et pulchritudinem. Quedam recipiunt eam in sui profundum, sicut perspicua, ut lapides pretiosi, et efficiuntur quasi quedam uasa lucis, que ‘luminaria’ uocantur. Ita homines mente cecati et operibus tetri non recipiunt lucem istam nisi ad sue turpitudinis manifestationem ; Ioh. III : ‘Qui male agit odit lucem et non uenit ad lucem’ ; Iob XXIV : ‘Ipsi fuerunt rebelles lumini et ignorauerunt uias eius’, cum tamen lux presens sit talibus. Alii autem sunt qui exterius pulchritudine quadam operationis per hanc lucem uenustantur, sed deuotionem interiorem non habent, habentes quidem speciem uirtutis, sed non ueritatem ; Prou. ultimo : ‘Fallax
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Comment les luminaires et les pierres précieuses, ces vases de lumière, peuvent-ils nous « conduire par la main » pour l’articulation, au sein du témoin, de sa position métaphysique dans le flux qui émane du principe, de son mode de connaissance du principe et de la manière dont, par suite, il manifeste celui-ci ? B. Briller d’une lumière reçue en profondeur Qu’est-ce qu’un témoin selon la figure du vase de lumière à laquelle Albertus Magnus fait appel pour évoquer immédiatement dans l’esprit de son lecteur quelques traits communs aux astres, à la lune et aux pierres précieuses ? ‘Vase de lumière’ est le nom donné à un corps dont le mode d’émission de la lumière est intrinsèquement lié au mode selon lequel il reçoit cette même lumière. En d’autres termes, vase de lumière est ce dont l’activité illuminatrice est essentiellement corrélative à la passivité avec laquelle il est illuminé. Or qu’un vase de lumière émette la lumière qu’il reçoit fait surgir trois questions quant à l’application de cette figure au témoignage. La première : que signifie, pour le témoin, de ne transmettre que ce qu’il reçoit ? Ne transmettre que ce qui est reçu Le premier point de réponse à cette question situe le vase de lumière dans le cadre général de tous les étants illuminés. Le second annonce son mode propre de réception et de diffusion de la lumière.
gratia’, siue ymago, ‘et uana est pulchritudo’. Tertii autem, qui ad interiorem deuotionem lucem excipiunt, intus lucent, sicut luminaria in celo ; Eph. V : ‘Inter quos lucetis sicut luminaria in mundo’ ; sic Exod. XXXIV : ‘Splendida facta est facies Moysi, dum respiceret in eum Dominus’. » . Sur la minéralogie albertienne, cf. STRUNZ, H., « Die Mineralogie bei Albertus Magnus », Acta Albertina (-), p. - ; RIDDLE, J. M. and MULHOLLAND, J. A., « Albert on Stones and Minerals », in J. A. Weisheipl (ed.), Albertus Magnus and the Sciences, Commemorative Essays , Pontifical Institute of Medieval Studies, Toronto, , p. - ; JECK, U. R., « Albert der Grosse über die Nature der Steine », Reformatio. Zeitschrift für Kultur, Politik, Kirche (), p. - ; WEILL-PAROT, N., « Encadrement ou dévoilement. L’occulte et le secret dans la nature chez Albert le Grand et Roger Bacon », Micrologus (), p. -, notamment p. -.
CHAPITRE III
Il s’avère, d’une part, que tel est le cas de tout ce qui est capable de propager la lumière, comme l’affirme le Docteur universel à la suite « d’Aristote et d’autres philosophes » : tous les corps, inférieurs . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Similiter ex victoria formae solis consequitur ipsum lux, et ab ipso habent omnia alia corpora lucem, tam inferiora quam superiora, secundum Aristotelem et alios philosophos, eo quod quicquid reperitur non aequivoce in pluribus, oportet in aliquo uno primo esse ». (« De même, de la victoire de la forme du soleil suit la lumière (lux) elle-même et, par lui , tous les autres corps, autant les inférieurs que les supérieurs, possèdent la lumière (lucem), selon Aristote et d’autres philosophes, pour cette raison que tout ce qui est trouvé de manière non équivoque en plusieurs doit être en un premier. ») Sur la lumière qui « brille dans les étoiles à partir de la participation de la lumière (luminis) du soleil », cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « […] et in stellis lucet ex participatione luminis solis. » . Cf. ARISTOTELES, Metaph., lib. , cap. ( b -) ; [PS.-]ARISTOTELES, De causis proprietatum elementorum, Aristotelis opera omnia cum commentariis Averrois, Ed. Veneta VI, Venetiis, - (Reprint : Minerva, Frankfurt, ), f. B : « Lumen lunae et stellarum acquisitum est a sole » (« La lumière [lumen] de la lune et des étoiles est acquise à partir du soleil ») et in ALBERTUS MAGNUS, De causis proprietatum elementorum, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « […] lumen lunae et stellarum est acquisitum a sole […]. » AVICENNA, Liber de philosophia prima, tr. , cap. , ed. S. Van Riet, vol. , p. , l. -. ALPETRAGIUS [AL-BITRÛJÎ], De motibus celorum VII, ; XVI, -, ed. F. J. Carmody, Berkeley University of California Press, Abbeville, , p. , l. -, p. , l. -p. , l. . Sur l’influence d’Al-Bitruji dans l’œuvre d’Albert le Grand, cf. CORTABARRÍA-BEITIA, A., « Deux sources de S. Albert le Grand : Al Bitruji et Al-Battani », in Mélanges de l’Institut Dominicain d’Études Orientales du Caire (), p. -. Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] de lumine solis, a quo omnia corpora superiora et inferiora illuminantur secundum Philosophos […]. » (« […] à propos de la lumière (lumine) du soleil, par laquelle tous les corps supérieurs et inférieurs sont illuminés, selon les Philosophes […]. » ; ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « […] aliae stellae, sive quae sunt supra solem, sive quae sunt infra, non habent lumen de se, sed tantum a sole ; unde lumen earum non erat comparabile primae causae ; et in hoc concordant Aristoteles, Ptolemaeus, Avicenna, Averrois, et Messelach […]. » (« […] les autres étoiles, soit celles qui sont au-dessus du soleil, soit celles qui sont au-dessous, ne possèdent pas la lumière (lumen) par elles-mêmes, mais seulement à partir du soleil. C’est pourquoi leur lumière (lumen) n’était pas comparable à de la première cause. Et en cela concordent Aristote, Ptolémée, Avicenne, Averroès et Mesellach […]. » ; ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Quod autem adhuc difficiliorem reddit istam quaestionem, est, quod tradit Aristoteles in secundo libro De causis proprietatum elementorum et planetarum, quod videlicet omnes stellae illuminantur a sole sicut et luna. In quod dictum consentit Ptolemaeus in Almagesti et suus commentator similiter et Avicenna ; et Meseellach in libro De sphaera mota ponit ad hoc figuram, ut ostendat convenientiam dicti illius. Si enim sic est, tunc videntur omnes stellae habere naturam luminis solis […]. » (« Or ce qui rend à présent cette question plus difficile est ce que rapporte Aristote dans le deuxième livre Des causes des propriétés des éléments et des planètes, à savoir que toutes les étoiles sont illuminées par le soleil, comme également la lune. À ce dit donnent leur assentiment Ptolémée, dans l’Almageste, pareillement son commentateur ainsi qu’Avicenne ; et Meseellach, dans le livre De la sphère mue, pose une figure pour montrer la convenance de ce dit. » ;
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et supérieurs, reçoivent la lumière du soleil. D’autre part, pour le vase de lumière en particulier, accueillir la lumière et la transmettre sont en quelque sorte un seul et même acte. Tel un globe en quelque mesure translucide, illuminé de l’intérieur par la lumière accueillie, le corps devenu ainsi vase de lumière illumine à son tour d’une lumière plus diffuse que ne l’est la lumière éclatante de la source. Penser le témoignage selon cette figure revient, par conséquent, à le concevoir comme un mode de diffusion de la connaissance essentiellement lié au fait qu’elle est elle-même reçue par celui qui rend témoignage et la transmet à partir d’une passivité première. La deuxième question est, par conséquent, la suivante : sur quoi repose, dès lors, une telle propriété du vase de lumière ? ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Sed quod hoc nullo modo sit verum, probant egregii viri in philosophia, sicut diximus, Aristoteles et Avicenna et Ptolemaeus et suus commentator et Meseellach in libro De sphaera mota. » (« Mais le fait que cela n’est en aucune manière vrai, d’éminents hommes en philosophie le prouvent, comme nous avons dit : Aristote, Avicenne, Ptolémée, son commentateur et Meseellach, dans le livre De la sphère mue. ») ; ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , ed. Colon. V/, p. , l. - : « […] consentientes dicimus cum illustribus viris, quod omnis stella caeli illuminatur a sole sicut et luna. » (« […] en accord avec d’illustres hommes, nous disons que toute étoile du ciel est illuminée par le soleil, comme est aussi la lune. ») ; ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. -, notamment l. - : « “Luna” autem et ceterae “stellae” non habent “lumen”, nisi quod est eis “acquisitum ex sole” […]. » (« “La lune” et les autres “étoiles” n’ont que la lumière (lumen) qu’elles “acquièrent du soleil” […]. ») ; ALBERTUS MAGNUS, Problemata determinata, q. , ed. I. Weisheipl, Ed. Colon. XVII/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -p. , l. : « Vicesima tertia et quae sequitur, sunt de luce stellarum et sunt fundatae super hoc, quod stellae per se luceant et lumen fundant, quod negant Aristoteles et Avicenna et Ptolemaeus et omnes magni philosophi, qui dicunt, quod per se sint non lucida, sed pervia, et ideo lucem a sole recipientia recipiunt eam in sui profundum et ideo ad omnem partem fundunt lumen sicut luminaria. » (« La vingt-troisième et celle qui suit portent sur la lumière (luce) des étoiles et sont fondées sur ceci que les étoiles brillent par elles-mêmes et produisent de la lumière (lumen) par fusion, ce que nient Aristote, Avicenne, Ptolémée et tous les grands philosophes qui disent que, par soi, ce ne sont pas brillants (lucida), mais peuvent être traversés et qu’il en résulte que ce qui reçoit la lumière (lucem) du soleil la reçoit dans sa profondeur et que, par suite, cela produit, de toute part, de la lumière (lumen) par fusion, comme des luminaires. ») Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , Ed. Paris. XXXII, p. a. . Sur l’astronomie albertienne, cf. DUHEM, P. M. M., Le Système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, vol. , Hermann, Paris, , p. - ; HOSSFELD, P., « Die naturwissenschaftliche / naturphilosophische Himmelslehre Alberts des Grossen (nach seinem Werk De caelo et mundo) », Philosophia naturalis / (), p. - ; PRICE, B. B., « Interpreting Albert the Great on Astronomy », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -.
CHAPITRE III
L’escarboucle, paradigme du mode de réception de la lumière propre au vase de lumière Quant à cette deuxième question, elle touche le mode propre au vase de lumière. Pour y répondre, interrogeons-nous un instant sur la raison pour laquelle le Docteur universel évoque l’escarboucle en guise d’exemple de vase de lumière. On rapporte, en effet, dans la tradition des lapidaires, que certaines gemmes, telles que l’anthrax, nom grec de l’escarboucle (carbunculus), ont la propriété d’emmagasiner la lumière à laquelle elles sont exposées et de la restituer quelque temps. Ainsi, selon Théophraste, que reprend Pline l’Ancien, « exposée au soleil, rend la couleur du charbon ardent ». C’est pourquoi, d’après Épiphane, on la trouve de nuit, dans la mesure où « elle apparaît à distance et de loin, à l’instar d’une lampe ou d’un charbon qui scintille ». Or l’escarboucle, en raison de la densité de sa matière, contrairement à l’air par exemple, possède d’une certaine manière la lumière qu’elle reçoit, dans la mesure où elle la retient. La comparaison de l’air et de cette gemme fait ainsi saisir la différence entre les corps qui reçoivent la lumière en profondeur et ceux qui ne l’accueillent qu’à la surface . Le Docteur universel hérite cette tradition. Vide ALBERTUS MAGNUS, De mineralibus, lib. , tr. , cap. , ed. A. Borgnet, Ed. Paris. V, Vivès, Parisiis, , p. b-a. . PLINIUS, Naturalis historiae liber XXXVII, cap. , ed. D. E. Heichholz, Pliny Natural History, vol. X, Heinemann, London, , p. -. . THEOPHRASTOS, Traité des pierres, traduit du grec avec des notes physiques et critiques traduites de l’anglais de Sir J. Hill, J.-Th. Hérissant, Paris, B, p. , l. - : « […] rubeus quidem colore, soli autem expositus, ardentis carbonis facit colorem. » . EPIPHANUS, Libri de XII gemmis, ed. J.-P. Migne, PG XLIII, Parisiis, , col. D : « Sunt qui ita inveniri hanc gemmam dicant : interdiu quidem non videri, sed noctu instar lampadis et carbonis scintillantis eminus ac procul apparere. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. -, spéc. l. - : « […] anima recipit et tenet lumen intellectuale sicut carbunculus […] » (« […] l’âme reçoit et retient la lumière (lumen) intellectuelle, comme l’escarboucle […] ». . ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Col. V/, p. , l. - : « […] et lumen quidem in aliquibus recipitur in profundum ipsarum et in quibusdam diffunditur in superficie ; et in quibus quidem recipitur in profundum, efficiuntur luminaria sicut stellae lucentes ut candelae, in quibus autem diffunditur in superficie, efficiuntur candida et quasi lactea, sicut est via, quae lactea vocatur, quae galaxia dicitur, eo quod ibi spissior est orbis propter multitudinem stellarum parvarum. » (« […] et la lumière (lumen) est, certes, reçue dans quelques-unes dans le profond d’elles-mêmes et, dans certaines, elle est diffusée en superficie ; et, dans lesquelles elle est, certes, reçue en profondeur sont rendues luminaires, comme les étoiles qui brillent comme des chandelles ; dans lesquelles elle est diffusée en superficie sont rendues blanches et presque laiteuses, comme est la voie qui est appelée lactée,
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d’eux-mêmes. Ces derniers, tels que l’eau et l’air, ne recevant la lumière qu’en surface, ne peuvent la garder, tandis que les premiers, comme la lune et les étoiles, sont rendus plus brillants par la lumière même qu’ils
qui est dite galaxie, pour cette raison que, là, l’orbe est plus condensé en raison d’une multitude de petites étoiles. ») ; ALBERTUS MAGNUS, Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « […] et ideo lucem a sole recipientia recipiunt eam in sui profundum […]. » (« […] c’est pourquoi aussi ce qui reçoit la lumière (lucem) à partir du soleil la reçoit dans le profond de soi-même […]. ») . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Solutio : Dicimus, quod Dionysius vocat hic lucidiorem et primo recipientem lumen, quod et recipit lumen et est tentivum luminis, sicut luna et aliae stellae retinent lumen receptum a sole propter inspissationem partium, aliae vero partes caeli, quae raritatem quandam habent, recipiunt lumen solis propter diaphaneitatem, sed non retinent, sicut aqua et aër ; et illa quae sunt tentiva luminis, lucidiora efficiuntur et magis visibilia, unde et luminaria dicuntur, quasi vasa luminis. Et si dicatur, quod superioribus non sunt rarum et densum, quae sunt quantitates tangibiles inferiorum, dicendum, quod non per eandem rationem sunt ; in inferioribus enim causantur ex calore et frigore, et non in superioribus. » (« Solution : Nous disons que Denys appelle ici plus brillante et qui reçoit en premier la lumière (lumen) ce qui reçoit aussi la lumière (lumen) et est capable de conserver la lumière (luminis), comme la lune et les autres étoiles retiennent la lumière (lumen) reçue du soleil en raison de la condensation des parties, tandis que d’autres parties du ciel qui ont une certaine rareté reçoivent la lumière (lumen) du soleil en raison de la diaphanéité, mais ne la retiennent pas, comme l’eau et l’air. Et ceux qui sont capables de conserver la lumière (luminis) sont rendus également plus brillants (lucidiora) et plus visibles ; de ce fait, ils sont aussi appelés luminaires, comme des vases de lumière (luminis). Et si l’on dit que le rare et le dense qui sont les quantités tangibles des inférieurs n’appartiennent pas aux supérieurs, il faut dire que ce n’est pas par la même raison qu’ils appartiennent . Dans les inférieurs, ils sont, en effet, causés à partir de la chaleur et du froid, et non dans les supérieurs. ») . Sur les étoiles et la lune qui reçoivent la lumière en profondeur, cf. ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , ed. Colon. V/, p. , l. - : « Quaedam enim sunt purissimae et nobilissimae, et ideo lumen receptum ab ipsis statim penetrat a superficie una, quae est opposita soli, usque ad superficiem aliam, ita quod tota sphaera stellae impletur limpido lumine, ita quod nihil obscuritatis remanet in ipsis et lumen earum non declinat aliquid a candore primo, sicut facit Iupiter et quaedam aliae stellae sibi similes. » (« Certaines sont très pures et très nobles. C’est pourquoi aussi la lumière (lumen) reçue par elles pénètre aussitôt par une superficie qui est opposée au soleil jusqu’à l’autre superficie, de telle sorte que toute la sphère de l’étoile est remplie d’une lumière (lumine) limpide, de sorte que rien de l’obscurité ne demeure en elles et que leur lumière (lumen) ne détourne rien de la blancheur première, comme font Jupiter et d’autres étoiles qui lui sont semblables. ») ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. -p. , l. : « Haec igitur duo elementa sunt diversarum formarum, quae in primis componentibus caelum inveniuntur. Apparet igitur manifeste, quod substantia corporis stellarum et lunae alia est a substantia corporis solis ; sicut enim candela speculum illuminat per substantiam luminis, quod est in ea, et hoc recipit speculum per substantiam et formam perspicui terminati, quod est in eo, et est alia substantia candelae et speculi, sic oportet aliam esse substantiam solis illuminantis et lunae et stellarum, quae illuminatur. In qua tamen similitudine hoc differentiae est, quod speculum non recipit lumen nisi in superficie diaphani politi, quod exstinctum est et terminatum non traducens visum ; sed stellae et luna recipiunt lumen in sui profundum, sicut ostendimus in
CHAPITRE III
sont capables de retenir. La capacité de rétention de la lumière que possèdent les corps qui la reçoivent en profondeur est comparée, par ailleurs, à une certaine « imbibation » qui entraîne ainsi le don de la forme reçue et accueillie par ces corps à tel point qu’elle en imprègne toutes les parties. Autrement dit, lorsque le maître de Cologne compare les témoins à des vases de lumière, il fonde le témoignage sur une condition : la réception en profondeur de la lumière que le témoin diffuse. Que cela signifie-t-il pour le témoin ? Nous sommes ainsi conduits vers la troisième question. Recevoir la lumière en profondeur Quelle condition ce mode de réception de la lumière propre au vase de lumière suppose-t-il ? Témoin est celui qui reçoit ce à quoi il rend témoignage en son être même, et non pas seulement comme un accident, à la manière d’une espèce intelligible en son intellect. De même, recevoir la lumière en profondeur signifie, pour le vase de lumière, la recevoir selon l’être, et non selon le devenir. Pour cette qualité transparente qui se secundo libro de caelo et mundo. Ex dictis igitur manifestum est aliam esse substantiam solis et aliam lunae et stellarum. » (« Ce sont donc deux éléments de diverses formes que l’on trouve dans les premiers composants du ciel. Il apparaît donc manifestement que la substance du corps des étoiles et de la lune est autre que la substance du corps du soleil. De même, en effet, que la chandelle illumine le miroir par la substance de la lumière (luminis) qui est en elle et que le miroir reçoit celle-ci par la substance et la forme de ce qui est transparent délimité qui est en lui et que la substance de la chandelle et celle du miroir sont différentes, de même il faut que la substance du soleil qui illumine et celle de la lune et des étoiles qui est illuminée soient différentes. Dans cette similitude, il y a, cependant, ceci de différent que le miroir ne reçoit la lumière (lumen) que sur la surface de ce qui est diaphane lisse qui est éteint et délimité et ne laisse pas passer la vue au travers, mais les étoiles et la lune reçoivent la lumière (lumen) dans leur profondeur, comme nous avons montré dans le deuxième livre du De caelo et mundo. À partir de ce qui a été dit, il est donc manifeste que la substance du soleil et celle de la lune et des étoiles sont différentes. ») . ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Dicitur autem vera coniunctio, quia cum stellae sint luminaria imbibentia sibi lumen, quod ad eas dirigitur, tunc inferior imbibit sibi lumen superioris usque ad centrum suum et informat ipsum sua virtute. » (« On dit qu’il y a véritable conjonction, parce que, puisque les étoiles sont des luminaires qui s’imbibent de la lumière (lumen) qui est dirigée vers elles, l’inférieure s’imbibe de la lumière (lumen) de la supérieure jusqu’en son centre et lui donne forme par sa vertu. ») Sur la notion d’imbibitio, cf. ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon V/, p. , l. - ; Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. . . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. , spéc. p. , l. -p. , l. (ponctuation légèrement modifiée) : « Quaedam autem
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trouve dans l’essence de certains corps, le Doctor universalis donne, à la suite d’Avicenne, l’exemple non seulement de l’escarboucle, mais aussi de certains corps luminescents, tels que le bois de chêne putréfié ou certains vers. Telle l’escarboucle, ces corps brillent dans la nuit, alors même que le soleil ne les illumine plus. Un corps illuminé selon le devenir ne l’est, en revanche, pas continuellement, comme l’air qui peut s’obscurcir, quand surviennent les ténèbres. C’est, par conséquent, sa transformation selon l’être qui fait du vase de lumière un témoin. Un corps illuminé seulement en surface ou en vue de l’illustration (illustratio) extérieure, de la beauté (pulchritudo) ou de l’embellissement comme par ornement (venustari ), ne rend, en revanche, pas témoignage. Ce qui rend le témoin tel tient à son être même. Témoigner n’est, par conséquent, pas de l’ordre d’une morale, au sens où sa vertu et ses opérations (pulchritudo operationis) pourraient à elles seules constituer un homme en témoin. Il faut que l’être même de l’agent, transformé par la lumière reçue, se manifeste à travers elles. recipiunt lucem ab ipso secundum esse, sicut ea quae semper sunt lucida, ut carbunculus et quaedam putrefacta et vermes quidam, propter hoc quod partes igneae trahuntur ad superficiem : et ideo semper lucent, nisi obtenebrentur maiori lumine, in debili autem luce videntur lucere. Alia autem recipiunt lucem ab ipso secundum fieri, et ideo, si non continue illuminentur, fit tenebra, sicut patet in aëre, et ideo dicitur sol quasi ‟solus lucens”. » (« Certains , pour leur part, reçoivent la lumière (lucem) de lui selon l’être, comme ce qui est toujours brillant (lucida), par exemple l’escarboucle et certains putréfiés ainsi que certains vers, pour cette raison que les parties ignées sont entraînées à la surface ; c’est pourquoi aussi ils brillent toujours, s’ils ne sont pas enténébrés par une lumière (lumini) plus grande. On les voit, toutefois, briller, dans une lumière (luce) faible. D’autres , en revanche, reçoivent de lui la lumière (lucem) selon le devenir. C’est pourquoi aussi, s’ils ne sont pas continuellement illuminés, survient la ténèbre, de même que cela apparaît manifestement dans l’air. De ce fait, il est dit aussi du soleil qu’il est comme solus lucens (‟le seul qui brille”). » . AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, pars III, cap. , ed. S. Van Riet, Vol. , p. , l. - ; p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. ( a -), Ed. Colon. VII/, p. , l. -p. , l. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -. . Cf. le verbe venustare ici employé dans ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Et ideo dixit Deus : ‘Fiat lux’ qua formis uenustaretur materia. » (« C’est pourquoi aussi Dieu a dit : ‘Que la lumière (lux) soit !’, par laquelle la matière serait ornée de formes. ») . Selon la leçon des manuscrits Gotha (G), Klosterneuburg (Kl), Toulouse (T), München (M), Sevilla (S), tandis que les manuscrits Düsseldorf (D), Emmerich (E), Köln (K) ainsi que les éditions proposent la leçon : « compositionis ». Les références de ces manuscrits et éditions se trouvent dans les notes suivantes.
CHAPITRE III
D’ailleurs, n’est-ce pas à la personne même du témoin que ses adversaires s’en prennent ? Condamner ses propos ou ses actes ne suffit pas à effacer la trace de ce à quoi il rend témoignage. Il en va, en effet, dans le témoignage, de l’être même du témoin. Que l’être du témoin soit irradié par ce dont il témoigne et qu’il éclaire à son tour, à la mesure dont il en est comme « imbibé », telle est la condition du témoignage. « Son nom est grâce », dit Albert le Grand de Jean, comme pour déceler dans la signification même du nom propre la condition même du témoin : son être est un don de ce père qu’est le principe. Or, en ce lieu même, les scripteurs des manuscrits de Düsseldorf, Emmerich et Köln ainsi que les éditions imprimées Guldenschaff, Hagenau, l’editio Lugdunensis et l’editio Parisiensis, qui savent bien que le père de Jean est Zacharie, écrivent patet quod au lieu de pater : « ‘Factus fuit homo, missus fuit a Deo, nomen eius Iohannes’. Vnde pater et factura et natura Iohannis et missio ad Deum referuntur » (« ‘Il s’est fait homme, il a été envoyé par Dieu, son nom était Jean’. De ce fait, le père, la manière d’être fait (factura), la nature de Jean et mission . Le manuscrit Düsseldorf Dominikanerkl. () f. r-v. . Le manuscrit Emmerich Pfarrarchiv St. Aldegundis , Depositum Bistumsarchiv Münster () f. r-r. . Le manuscrit Köln HAStK, Best. , [olim Köln HistASt W f. et W VIII ]. . Venerabilis domini Alberti magni predicatorum ordinis : quondam Ratisponensis episcopi : postilla in euangelium beati Iohannis, Johann Guldenschaff, Colonia, pas après (c). . Postilla apprime magistralis Ioannis Evangeliare. Venerabilis domini Alberti magni quondam Ratisponensis Episcopi Ordinis Predicatorum, ed. Bursa Laurentii (Colonia), Henricus Gran, Hagenau, - [USB Köln GBIV] (h). . L’Editio Lugdunensis des Enarrationes in Ioannem : Alberti Magni Opera omnia, ed. Petrus Jammy, Vol. XIa, Lugduni, (l). . L’Editio Parisisiensis des Enarrationes in Ioannem : Beati Alberti Magni Ratisponensis Episcopi, Ordinis Praedicatorum Opera omnia, ed. A. et Æ. Borgnet, t. XXIV, Vivès, Parisiis, (p). . pater] patet quod D E K c h l p . et] ex add. T . factura et natura] natura et factura D . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -). . Au lieu de pater, les mss. D E K, suivis des éditions c h l p, ont : patet quod. . Pour l’emploi de factura au sens de creatio, cf. ALBERTUS MAGNUS, Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVI, p. a : « factura sive creatione ». Vide etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - : « ad totius mundi facturam » ; Enarr. in Io. (Ioh. , -), Ed. Paris. XXIV, p. b : « factura primi hominis ». Au sens de l’opération divine qui a présidé à l’incarnation et par opposition avec le mode de production qui correspond à l’engendrement du Fils, cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - ; p. , l. - (trad., p. , l. - ; p. , l. -) : « ‘Et Verbum’ divinum aeternum divina factura
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sont rapportées à Dieu »). Cette correction, introduite par les manuscrits les plus tardifs et suivie par les incunables et par les éditions imprimées, indique la difficulté de reconnaître dans le témoin, en tant que témoin, une totale passivité. Non seulement ce qu’il fait connaître, mais également tout son être proviennent, en effet, du principe auquel il rend témoignage. Si donc l’être du vase de lumière est rapporté au principe par la lumière qu’il en reçoit, à quoi tient-il que les luminaires nous semblent permanents ? Loin d’indiquer l’autosuffisance substantielle de ce qui est par soi, cette permanence est, au contraire, le signe d’une dépendance ‘caro factum est’, hoc est homo factum est. […] Iste autem modus facture non importatur in nomine ‘filii’. Et ideo non dicit : Filius caro factus est. » (« ‘Et le Verbe’ divin éternel, fait de manière divine, ‘s’est fait chair’, c’est-à-dire qu’il s’est fait homme. […] Or cette manière d’être fait n’est pas impliquée dans le nom de ‘fils’. C’est pourquoi aussi il ne dit pas : Le Fils s’est fait chair. ») . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Permanentia autem est, quam quidam fixionem vocant, per continuam reductionem ipsius in principium. Nihil enim eorum permanet quae sunt, nisi per continuam reductionem eius in actum principii constituentis, sicut nihil corrumpitur nisi per distantiam ab actu principiorum constituentium. Permanentia ergo intelligentiae est ex continua receptione influentiae bonitatis primi. Prima enim bonitas pura fons est bonitatis, cuius haustus ad plenitudinem capacitatis eius quod constituitur, est causa esse. Continuus autem haustus est causa permanentiae. Propter quod Avicenna dicit, quod omnium esse est continuum fieri. Cuius simile est in luce solis, quae hausta in Iove luminare constituit, quod Iupiter est, et continuo affluxu Iovem tenet in esse luminaris. In luna autem propter diversum respectum lunae ad solem continuis successibus haurit partem ad partem. Et quando perpendiculariter sol lunae influit, totam lunam in esse luminaris constituit. Et recessus a perpendiculari oppositione secundum quantitatem recessus deficere facit ab esse luminaris. Patet igitur, quod intelligentia secundum genus suum hoc modo a prima bonitate et pura efficienter et formaliter sui esse habet constitutionem et permanentiam. » (« La permanence, que certains appellent une fixation (fixio), advient par sa reconduction continue au principe. Rien de ce qui est n’est, en effet, permanent, sinon par sa reconduction continue à l’acte du principe qui constitue, de même que rien n’est corrompu, sinon par la distance par rapport à l’acte des principes qui constituent. La permanence de l’intelligence provient donc de la réception continue de l’influence de la bonté du premier. La première bonté est, en effet, la source pure de la bonté dont le puisement jusqu’à la plénitude de la capacité de ce qui est constitué est cause d’être. Or l’acte continu de puiser est cause de la permanence. C’est pourquoi Avicenne dit que l’être de tout est un continuel devenir. semblable à cela se trouve dans la lumière (luce) du soleil qui, puisée, constitue dans Jupiter (Iove) le luminaire qu’est Jupiter (Iupiter) et, par un afflux continu, maintient Jupiter (Iovem) dans l’être de luminaire. Dans la lune, en revanche, en raison du rapport différent de la lune au soleil, elle puise graduellement, en continuelles successions. Et, quand le soleil influe sur la lune de manière perpendiculaire, il la constitue tout entière dans l’être de luminaire. Et l’éloignement de l’opposition perpendiculaire selon la quantité de l’éloignement la met en défaut par rapport à l’être de luminaire. Il apparaît donc clairement que l’intelligence selon son genre possède de cette manière, à partir de la première et pure bonté, de manière efficiente et formelle la constitution et la permanence de son être. »)
CHAPITRE III
essentielle du vase de lumière par rapport au principe. « Rien de ce qui est n’est, en effet, permanent, sinon par sa reconduction continue à l’acte du principe qui constitue, de même que rien n’est corrompu, sinon par la distance par rapport à l’acte des principes qui constituent ». Car la cause de l’être, pour le vase de lumière, est en quelque sorte le fait qu’il puise continuellement à la source du principe jusqu’à sa pleine capacité et, par là, se constitue. L’enjeu de la figure du vase de lumière pour penser le témoin tient donc dans le fait que son acte de transmettre la lumière est essentiellement lié à celui par lequel il la reçoit. Cela vaut – c’est le premier point – en général, parce qu’aucun étant ne saurait produire par soi la lumière. Cela est, en deuxième lieu, l’acte propre du principe. Mais cela vaut également, en particulier, du mode propre selon lequel le vase de lumière ne diffuse que la lumière qu’il a accueillie en profondeur et qu’il a également retenue. En troisième lieu, cette manière de recevoir la lumière transforme son être même. Cependant, là où Maître Eckhart conclurait de cette propriété du vase de lumière qu’en tant que vase de lumière, il est la lumière qu’il reçoit, bien qu’en tant que composé, il s’identifie à son substrat naturel, que celui-ci soit escarboucle, étoile, planète ou satellite d’une planète, Albert de Cologne, au contraire, insiste sur la condition de possibilité d’une telle diffusion réceptive de la lumière : le composé.
Sur la thèse alléguée par Albert le Grand selon laquelle l’être de tout est en continuel devenir, cf. AVICENNA, Liber de philos. prima, tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. - ; p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. ; p. , l. - ; p. , l. -p. , l. ; p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. - ; p. , l. - ; tr. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Nihil enim eorum permanet quae sunt, nisi per continuam reductionem eius in actum principii constituentis, sicut nihil corrumpitur nisi per distantiam ab actu principiorum constituentium. » . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Prima enim bonitas pura fons est bonitatis, cuius haustus ad plenitudinem capacitatis eius quod constituitur, est causa esse. Continuus autem haustus est causa permanentiae. »
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
C. Composé de lumière et de corps La figure du luminaire, en guise de vase de lumière, place d’emblée la réflexion dans le champ du composé. Le Docteur universel tient, en effet, de Jean Damascène la comparaison du luminaire et du vase de lumière. Il en hérite aussi la note fondamentale pour le paradigme du luminaire : la composition de la lumière avec un corps. Le luminaire est, en effet, comme dit Damascène, un vase de lumière (luminis) et, ainsi, il faut qu’il y ait en lui une composition : de lumière (luminis) et d’un corps qui possède la lumière (lumen). « a posé ‘luminaire’, parce qu’il nomme les deux : à la fois la lumière (lumen) et ce qui émet la lumière (lumen) », glose Maître Albert. Comment se propage la lumière, lorsqu’elle est mêlée à un corps dense ? La densité du corps, condition et mesure de l’accueil de la lumière Composé, ce corps conjoint la transparence et la pureté de la substance, qui déterminent la réception de la lumière, à la condensation de ses parties, qui permet, pour sa part, la rétention de la lumière en lui. Autrement dit, la cause de la lumière dans les étoiles, par exemple, est
. IOHANNIS DAMASCENUS, De fide orth., lib. , cap. , transl. Burg. cap. , n. , ed. E. M. Buytaert, p. , l. - : « Luminare enim est non ipsum lumen, sed luminis receptaculum » (« Un luminaire n’est pas, en effet, lui-même lumière (lumen), mais réceptacle de lumière (luminis). » Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. b : […] quia, sicut dicit Damascenus, aliud est luminare, aliud lumen, et aliud lux. Luminare enim est receptaculum luminis transfundens ipsum super alia corpora, lux autem est ipsa natura in se, lumen vero est ipsius diffusio in aliquo quod recipit lumen. Unde luna bene luminare est, licet non habeat lumen a se. » (« […] parce que, comme dit Damascène, autre est le luminaire, autre lumen et autre lux. Le luminaire est, en effet, un réceptacle de la lumière (luminis) qui la diffuse sur les autres corps, lux est la nature même en soi, tandis que lumen est sa diffusion en quelque chose qui reçoit la lumière (lumen). De ce fait, la lune est bien un luminaire, bien qu’elle ne possède pas la lumière (lumen) par elle-même. ») . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Luminare enim, ut dicit Damascenus, est vas luminis, et ita oportet, quod sit in eo compositio, luminis scilicet et corporis habentis lumen. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Et ideo posuit ‘luminare’, quod utrumque nominat, et lumen scilicet et emittens lumen. »
CHAPITRE III
précisément leur condensation. De même, c’est la condensation du corps diaphane qui fait que la lumière échoie au feu, qui ne la possède pas comme sa propriété essentielle. L’illumination inhérente au feu provient, en effet, du mélange de la lumière avec ce corps transparent condensé. En quoi le corps en tant que composé influe-t-il sur la réception de la lumière ? Dans cette composition, le maître de Cologne, à la suite d’« hommes qui excellent en philosophie, Aristote, Ptolémée, Avicenne, Messealach et de nombreux autres », distingue . ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Et causa lucis in stellis est spissitudo earum […]. » (« Et la cause de la lumière (lucis) dans les étoiles est leur condensation […]. » . ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Eodem autem modo dicimus de illuminatione, quia lumen non est proprietas ignis, sed potius accidit igni, sicut dicit Alexander Peripateticus, cum commiscetur corpori diaphano spissato per aliquam causam […]. » (« De la même façon, nous disons de l’illumination que la lumière (lumen) n’est pas une propriété du feu, mais qu’elle advient plutôt au feu, comme dit Alexandre le Péripatéticien, quand elle est mêlée à un corps diaphane condensé par quelque cause […]. »). Sur Alexander Peripateticus, cf. AVERROES, De substantia orbis, cap. , in Aristotelis Opera omnia. Averrois Cordubensis in ea commentarii, Ed. Veneta IX, Venetiis, , f. a, l. - : « Et expositores dant secundam causam, scilicet illuminationem, dicunt enim quod lux, in eo quod lux, videtur calefacere, quando reflectitur, et dicunt quod non est de accidentibus propriis igni, sed de accidentibus communibus igni, et coelesti corpori. » . Cf. supra chap. III, p. , note , [PS.-]ARISTOTELES, De causis proprietatum elementorum, Ed. Veneta VI, f. B et in ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Dico ergo, quod substantia corporis solis est alia a substantia corporis stellarum et lunae ; quod est, quia sol habet lumen et lumen lunae et stellarum est acquisitum a sole […] ». (« Je dis donc que la substance du corps du soleil est différente de la substance du corps des étoiles et de la lune. Et cela est parce que le soleil possède la lumière (lumen), tandis que la lumière (lumen) de la lune et des étoiles est acquise à partir du soleil […]. ») . PTOLEMAEUS, C., Almagestum, dictio , cap. , ed. Petri Liechtenstein Coloniensis Germani, Ed. Veneta, Venetiis, , f. v-r. . AVICENNA, Liber de philosophia prima, tr. , cap. , ed. S. Van Riet, Vol. , p. , l. -. . MESEELLACH : cf. THORNDIKE, L., The Sphere of Sacrobosco and Its Commentators, University of Chicago Press, Chicago, , p. . . Sur les degrés de rareté et de densité des astres comme causes de leur degré de luminosité, cf. AVERROES, De substantia orbis, cap. , Ed. Veneta IX, f. a, l. -. Sur les degrés de luminosité des astres, cf. AVERROES, De caelo et mundo, lib. , comm. (in a -), in Commentum magnum super libro De celo et mundo Aristotelis, ed. F. J. Carmody et R. Arnzen, pref. G. Endress, Tomus II : Libri II-IV, Indices, Peeters, Leuven, , p. , l. -p. , l. . Sur la signature spectrale des astres, cf. ALPETRAGIUS [AL-BITRÛJÎ], De motibus celorum VII, ; XVI, -, ed. F. J. Carmody, Berkeley University of California Press, Abbeville, , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Adhuc autem, quia prope solem sunt, statim implentur lumine solis, et quia remotiores
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
plusieurs degrés. La lune, d’une part, en raison de son caractère terrestre et opaque, n’est illuminée que jusqu’en son centre par la lumière solaire. Les étoiles, d’autre part, sont traversées de part en part et illuminées en chacune de leurs parties. La substance avec laquelle la lumière est composée détermine, par conséquent, le mode de diffusion de cette dernière. En guise de facteurs déterminant la modalité de la propagation de la lumière, la composition des vases de lumière s’ajoute à leur place dans la hiérarchie. Selon leur rang dans l’émanation à partir du principe, les corps contractent, en effet, plus ou moins la lumière qu’ils reçoivent. Ainsi le rouge de l’escarboucle est-il le signe d’un éloignement plus grand par rapport à la source lumineuse que ne l’est le blanc. sunt a nobis, sunt puriora luminaria quam luna, et ideo per totam suam substantiam lumine penetrantur a superficie in superficiem per centrum corporum suorum, et ideo in quacumque parte attingit ea radius solaris, statim sunt plena lumine, quod non contingit in luna propter suam naturalem opacitatem et terrestreitatem ; haec enim licet lumen in profundum sui recipiat, tamen non penetratur lumine, sed profundatur in ipsa usque ad medium centrum ipsius. Et in hoc concordant excellentes in philosophia viri, Aristoteles et Ptolemaeus et Avicenna et Messealach et plures aliorum. » (« Or, en outre, parce qu’elles sont proches du soleil, elles sont aussitôt emplies de la lumière (lumine) du soleil et parce qu’elles sont plus éloignées de nous, elles sont des luminaires plus purs que la lune. C’est pourquoi aussi, par leur substance tout entière, elles sont pénétrées de lumière (lumine), d’une surface à l’autre, par le centre de leur corps. De ce fait également, en quelque partie que le rayon solaire les atteigne, elles sont sur le champ remplies de lumière (lumine), ce qui n’arrive pas dans la lune en raison de son opacité et de sa terrestréité naturelles. Bien que celle-ci reçoive la lumière (lumen) dans le profond d’elle-même, elle n’est, cependant, pas pénétrée de lumière (lumine), mais est profuse en elle jusqu’en son centre médian. Et, en ce , concordent des hommes qui excellent en philosophie : Aristote, Ptolémée, Avicenne, Messealach et de nombreux autres. ») . Sur la notion de « terrestréité » de la lune et sur l’histoire de la transmission de l’autorité aristotélicienne, cf. GRANT, E., Planets, Stars and Orbs. The medieval Cosmos, -, Cambridge University Press, Cambridge, (. ed) , , p. -, note . Cf. ARISTOTELES, De generatione animalium, lib. , cap. , ( b -), transl. Guillelmi de Morbeka, ed. H. J. Drossaart Lulofs, Arist. Lat. XVII/.V, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « Est autem luna principium propter coniunctionem ad solem et transsumptionem luminis ; fit enim ut alius sol minor : propter quod confert in omnes generationes et perfectiones. » AVERROES, De caelo et mundo, lib. , comm. (in a -), in Commentum magnum super libro De celo et mundo Aristotelis, ed. F. J. Carmody et R. Arnzen, pref. G. Endress, Tomus II : Libri II-IV, Indices, Peeters, Leuven, , p. , l. - : « Unde dicit Aristoteles in Animalibus quod natura lune est similis nature terre. » AVERROES, De substantia orbis, cap. , Ed. Veneta IX, Venetiis, , f. a, l. - : « Et in libro de Animalibus dixit Aristoteles, quod natura eius est vnigenea natura terrae plusquam caeterarum stellarum. » Sur la notion de terrestréité, cf. AVICENNA LATINUS, Liber tertius naturalium de generatione et corruptione, cap. XIV, A , ed. S. Van Riet et G. Verbeke, Peeters et Brill, Louvain-la-Neuve et Leiden, , p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « […] et ideo revelatio fit secundum partem pro capacitate et praeparatione eorum quibus lumen se
CHAPITRE III
Témoigner à partir du degré de réception d’un intellect conjoint aux sens et à l’imagination De même, il n’y aurait pas de témoignage sans, pour ainsi dire, la composition de la lumière du principe avec le corps du témoin. Cela implique que le témoignage est à concevoir comme un mode de connaissance qui ne coïncide pas avec un mode de diffusion de la lumière entendu de façon purement intelligible. Propager la lumière, pour le vase de lumière, dépend de la composition de la lumière et de la substance qui la reçoit. Densité et transparence de la « substance du corps », conditions de la réceptivité et de la capacité de transmettre du témoin En premier lieu, comment comprendre que le témoignage soit un mode de connaissance pour lequel la matérialité ou « la substance du corps » du témoin constitue un facteur essentiel de la connaissance qu’il transmet ? Il s’agit, en un premier sens, de prendre acte du fait que la figure du vase de lumière ne se rapporte pas à l’intellect séparé, mais à l’intellect infundit. In quibus videmus, quod aliter recipit carbunculus et aliter sapphirus et aliter smaragdus et sic de aliis, quae in profundum sui illuminantur. Et similiter diversimode recipiunt ea quae non illuminantur nisi in superficie exterius, quia aliter recipit album et aliter viride et aliter nigrum, quod stat in lumine quasi caecum. » (« […] c’est pourquoi aussi la révélation advient selon la partie à proportion de la capacité et de la préparation de ce dans quoi la lumière (lumen) s’infuse. En cela, nous voyons que l’escarboucle reçoit différemment du saphir, de l’émeraude et des autres qui sont illuminés dans le profond d’eux-mêmes. Et, de même, ce qui n’est illuminé qu’à l’extérieur, en surface, reçoit de diverses manières, parce que le blanc reçoit d’une façon, le vert d’une autre et le noir d’une autre encore, lui qui se tient dans la lumière (lumine) comme un aveugle. ») Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - : « Solutio : Dicendum, quod sicut natura lucis est aliter in sole et aliter in luna et aliter in carbunculo et iterum aliter in corporibus opacis differens secundum puritatem et permixtionem, et quanto purior est, tanto etiam puriorem actum lucis habet, propter quod, quae videntur in lumine solis alba, videntur et in lumine lunae pallida, et quanto magis lux permixta et obnubilata, tanto magis contrahitur ad colorem ruboris, ita est de natura intellectuali […]. » (« Solution : Il faut dire que, de même que la nature de la lumière (lucis) est d’une manière différente dans le soleil, dans la lune et dans l’escarboucle et, derechef, dans les corps opaques, puisqu’elle diffère selon la pureté et le mélange et que, plus pure elle est, plus pur aussi est l’acte de la lumière (lucis) qu’elle a, – pour cette raison, ce qui apparaît blanc dans la lumière (lumine) du soleil apparaît aussi pâle dans la lumière (lumine) de la lune et d’autant plus la lumière (lux) est mélangée et obnubilée, d’autant plus elle se contracte vers la couleur rouge –, de même en est-il de la nature intellectuelle […]. ») . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Apparet igitur manifeste, quod substantia corporis stellarum et lunae alia est a substantia corporis solis. » (« Il apparaît donc manifestement que la substance du corps des étoiles et de la lune est autre que la substance du corps du soleil. »)
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
humain en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. La dimension corporelle du témoignage est à entendre ici en un second sens, plus largement, comme la condition de la transmission réceptive du principe auquel il est rendu témoignage. En ce sens plus large, la dimension corporelle du témoignage est conçue à l’image de la conjonction des facteurs de transparence et de densité, tous deux nécessaires à la réception et à la rétention de la lumière par le vase de lumière. D’un côté, sans le corps du témoin ainsi entendu et, pour ainsi dire, sans la densité de sa matière, la lumière du principe ne saurait être retenue et offerte au regard de ceux qui reçoivent son témoignage. De l’autre, sans la transparence du témoin, le témoignage ne serait qu’éclat des œuvres ou connaissance brillante d’une lumière seulement réfractée en surface. De même, le maître de Cologne évoque-t-il en termes de dévotion intérieure, plutôt que de beauté de l’opération vertueuse, la capacité de réception du principe propre au témoin, lorsque, dans son commentaire johannique, le Doctor magnus compare le rapport des corps avec le soleil et celui des cœurs avec le principe. La matière du composé, détermination du degré de réceptivité du principe par le témoin En deuxième lieu, la dimension corporelle du témoin implique également que la matière du composé qui reçoit la lumière entraîne une réception partielle du principe. La manifestation du principe est accueillie en proportion de la capacité du récepteur. Et celle-ci dépend à son tour de la place de cet étant dans la hiérarchie métaphysique. Par suite, la corporéité du témoin signifie aussi immédiatement son degré de réception du principe. Ce même corps, entendu au sens de composé dont la matière le rend réceptif, détermine la modalité de l’accueil qu’il accorde à ce dont il témoigne, celle de la manière dont il se laisse « fouler » (calcatione) par la lumière reçue, selon le terme que le Doctor universalis emprunte à Avicenne. La constitution de chaque témoin détermine, par conséquent, la modalité de sa composition avec la lumière et celle de sa transmission. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . Cf. à propos du verset Mt , (‘vous êtes la lumière du monde’), ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « Luminaria autem hanc lucem fundentia
CHAPITRE III
Semblable à la manière par laquelle l’astre illumine, le mode de diffusion propre au témoin advient, affirme Albert le Grand, par fusion, image de sa transformation essentielle, comme si, entre la réception de la lumière et sa diffusion, intervenait l’embrasement même du composé qu’est celui qui est sur le point de la propager. Ce qui constitue celui qui reçoit la lumière en vase de lumière est, par suite, la conjonction profonde de la lumière avec un corps. La manifestation du principe par lui-même se livre, par conséquent, à la singularité de chacun des étants qui le reçoit selon sa capacité et qui s’en laisse transformer ainsi qu’au mode selon lequel ils transmettront la lumière ainsi reçue, pour ceux qui en sont changés en leur être même. Que nous enseigne la figure du vase de lumière sur le mode de manifestation du principe et sur la place qu’y prend le témoin ? D. « Une lumière semblable à la première source de lumière » Si, dans une perspective noétique, le témoin peut apparaître comme le remède à l’infirmité de l’intellect humain qui n’est pas proportionné au principe, en revanche, dans une perspective métaphysique, le témoin s’avère la condition par laquelle passe la manifestation du principe, qui n’est pas directement connaissable. Autrement dit, du point de vue de la noétique ou de la théorie du signe et de l’acte à laquelle ressortit la connaissance testimoniale, la médiation manuductrice disposée par le principe qui se manifeste est distincte de l’intelligence figurale qui l’interprète. Du point de vue de la place métaphysique occupée par le témoin, en revanche, il devient désormais possible de penser ensemble les deux actes par lesquels l’intellect médian, parce qu’il le reçoit en profondeur, connaît le principe et le fait, par là même, connaître. Or
et vasa lucis sunt […]. » (« Les luminaires qui diffusent cette lumière (lucem) sont aussi des vases de lumière (lucis) […]. ») . ALBERTUS MAGNUS, Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Ex puritate enim substantiae luminis receptiva, et ex spissitudine et constantia partium sunt luminis retentiva, et ex calcatione multi luminis, ut dicit Avicenna*, sunt luminis fusiva. » * AVICENNA, Lib. VI Nat., pars III, cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. , spéc. p. , l. -. (« En raison de la pureté de la substance, ils sont susceptibles de recevoir la lumière (luminis), du fait de la condensation et de la constance des parties, ils peuvent retenir la lumière (luminis) et, à partir du ‟foulage” (calcatione) de beaucoup de lumière (luminis), comme dit Avicenne, ils peuvent produire de la lumière (luminis) par fusion. »)
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cette possibilité est précisément ouverte par la figure du vase de lumière. Que nous enseigne, dès lors, cette figure sur la place du témoin dans une métaphysique du flux ? En premier lieu, pourquoi la manière dont le témoin fait connaître le principe constitue-t-elle la condition par laquelle le principe est rendu connaissable ? Identité et différence du témoin par rapport au principe, condition de la manifestation du principe De l’invisibilité de lux sans lumen : le témoin, condition pour la réception de la manifestation du principe Selon Avicenne, souvenons-nous, lux désigne « la qualité que la vue appréhende dans le soleil ou le feu, de telle sorte qu’on ne discerne pas qu’il y a du blanc, du noir, du rouge, etc. ». Elle est à la fois la cause et la condition de possibilité de la visibilité, mais elle n’est pas son effectuation. Car, dans le disque solaire, l’œil humain ne discerne rien. Il est aveuglé, tel l’animal volant nocturne. Les couleurs n’apparaissent pour lui que lorsque « la splendeur » « tombe sur les corps et met à découvert en eux la blancheur, la noirceur ou la verdeur ». Autrement dit, pour que le principe se manifeste à l’intellect humain, il faut que lux devienne lumen. De ce point de vue, le témoignage est présenté comme le mode même sans lequel la manifestation du principe à l’intellect humain ne serait pas possible. Identité de la lumière transmise aux divers degrés de l’émanation, pourtant distincts du principe : le témoignage, pierre de touche de la métaphysique du flux En deuxième lieu, comment, dès lors, penser la possibilité que ce soit par le témoin que le principe devienne connaissable pour les étants inférieurs sans que, pour autant, l’identité de ce qui est transmis en soit altérée ? Autrement dit, nous avons vu que le composé, à la fois dense et transparent, qu’est le vase de lumière représente la condition pour que la lumière du principe soit reçue et propagée selon divers modes, conformément à . Cf. supra chapitre III, p. , note , AVICENNA, Liber de anima seu Sextus de naturalibus I-III, lib. , cap. , ed. S. Van Riet, p. , l. -p. , l. .
CHAPITRE III
la nature même de ce composé. Une telle diversité autorise-t-elle, néanmoins, la diffusion du principe en son identité ? Si le témoin est la médiation par laquelle le principe se manifeste, il faut alors penser ensemble les deux catégories qu’articule la notion de médiation : l’identité avec le principe qu’elle fait connaître et par lequel elle est, d’un côté, et, de l’autre, la différence par rapport à ce qui, pour se manifester, la dispose. D’une part, qu’il soit possible de parler de l’identité du principe et de son témoin se fonde sur le fait que c’est la même lumière qui, d’un côté, flue du principe et, de l’autre, est reçue et communiquée par le témoin. N’est-ce pas, d’ailleurs, pour sauvegarder cette identité que le Doctor magnus critique la distinction entre lux et lumen selon Avicenne, qu’il reprend, pourtant, en d’autres lieux de son œuvre, comme nous l’avons vu ? Il s’agit, pour lui, en effet, conformément à un verset de l’Écriture sainte, d’insister sur l’identité de la lumière qui flue depuis le principe. Or comment l’acte de lux ne serait-il pas amoindri en devenant celui de lumen ? Pour prouver que c’est bien la même lumière qui est diffusée aux différents étants depuis la source lumineuse, le maître de Cologne s’appuie, pour étayer sa doctrine du flux, sur la thèse selon laquelle les luminaires sont constitués de la lumière même du soleil : « De même que de la lumière (luce) procède le rayon et que ce rayon constitue, en ce en quoi il tombe, par sa diffusion, sa multiplication et sa réflexion, une lumière (lumen) semblable à la première source de lumière (luminis), autant que cela est possible, de même les philosophes ont transmis que les luminaires des étoiles sont constitués par la lumière (luce) du soleil ». Cette affirmation nous place au cœur d’un enjeu métaphysique majeur. La figure du vase de lumière, par l’exemple des luminaires, sert de pierre de touche pour la métaphysique du flux. Le système émanatiste, . Cf. supra chapitre III, p. , note . . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - (avec légère modification de ponctuation) : « Sicut a luce procedit radius, et ipse radius in eo cui incidit, per sui diffusionem et multiplicationem et reflexionem constituit lumen simile primo fonti luminis, quamtum possibile est. Sicut tradunt philosophi constitui luminaria stellarum a luce solis. » . Sur la place des moteurs célestes dans le système métaphysique d’Albert le Grand, cf. LIBERA, A. (de), « Ex uno non fit nisi unum. La Lettre sur le Principe de l’univers et les condamnations parisiennes de », in B. Mojsisch und O. Pluta (Hrsg.), Historia Philosophiae Medii Aevi. Studien zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, vol. , B. R. Grüner, Amsterdam, p. -. Sur la théorie cosmologique des moteurs célestes, cf. WEISHEIPL, J. A., O. P., « The Celestial Movers in
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ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
emprunté aux « plus anciens Péripatéticiens », consiste précisément en un mode de production par lequel la forme procède à partir du premier Medieval Physics », in W. E. Carroll and J. A. Weisheipl (eds), Nature and Motion in the Middle Ages, p. -. . Cf. ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Et cum ista scientia sit de existentium omnium primis fundamentis, erit ista scientia de deo et divinis supradicto modo dictis, quae Dionysius vocat processiones divinas, eo quod sunt essentiae primae simplices a deo procedentes, in quibus tota mundi fundatur universitas. Platoni autem hi consentire videntur, qui talia vocat formas, quarum imagines esse dicit eas essentias, substantias, vitas et alia huiusmodi, quae in sensibilibus apparent. Secutus enim est dogma Socratis, qui hoc a Trismegisto Hermete, primo huius dogmatis auctore, suscepit. » (« Et, puisque cette science traite des premiers fondements de tout ce qui existe, cette science traitera de Dieu et du divin dits sur le mode dit plus haut, que Denys appelle les processions divines, pour cette raison qu’elles sont les essences premières simples qui procèdent de Dieu, dans lesquelles toute l’universalité du monde est fondée. Or ceux-là semblent être d’accord avec Platon, qui appellent de tels des formes dont les images sont, dit-il, ces essences, substances, vies et les autres de cette sorte qui apparaissent dans les sensibles. Il suit la thèse de Socrate qui l’a pris d’Hermès Trismégiste, premier auteur de cette thèse. ») Sur la tradition platonicienne dans l’œuvre d’Albert le Grand, cf. ANZULEWICZ, H., « Die Platonische Tradition bei Albertus Magnus. Eine Hinführung », in S. Gersh and M. J. F. M. Hoenen (eds), with the Assistance of P. Th. Wingerden, The Platonic Tradition in the Middle Ages. A Doxographic Approach, Walter de Gruyter, Berlin and New York, , p. - ; AFÉ, P., « Alberto Magno e Nicola Cusano interpreti dell’ ‘Asclepius’ », in M. Thurner (Hrsg.), Nicolaus Cusanus zwischen Deutschland und Italien. Beiträge eines deutsch-italienischen Symposium in der Villa Vigoni, Akademie Verlag, Berlin, (Veröffentlichungen des Grabmann-Instituts zur Erforschung des mittelalterlichen Theologie und Philosophie ), p. - ; MOJSISCH, B., « Aristoteles mit oder ohne Platon », in L. Honnefelder, R. Wood, M. Dreyer und M.-A. Aris (Hrsg.), Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im lateinischen Mittelalter. Von Richardus Rufus bis zu Franciscus de Mayronis, Aschendorff, Münster, (Subsidia Albertina ), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Die Timaios-Rezeption bei Albertus Magnus », in Th. Leinkauf und C. Steel (Hrsg.), Platons Timaios als Grundtext der Kosmologie in Spätantike, Mittelalter und Renaissance, Leuven, (Ancient and Medieval Philosophy, Ser. /XXXIV), p. - ; ANZULEWICZ, H., « Plato and Platonic / Neoplatonic Sources in Albert », in I. M. Resnick (ed.), A Companion to Albert the Great. Theology, Philosophy, and the Sciences, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. Cf. etiam [PS.-]APULEIUS, Asclepius, passim ; ex. gr. cap. , éd. A. D. Nock, p. , l. - : « nec immerito ipse dictus est omnia […] » ; cap. , p. , l. -, éd. A. D. Nock, p. , l. - : « genus ergo deorum ex se deorum faciet species » ; cap. , p. , l. -, éd. A. D. Nock, p. , l. - : « […] non ignarus se etiam secundum esse imaginem dei, cuius sunt imagines duae, mundus et homo. » ; cap. , éd. A. D. Nock, p. , l. - ; l. - : « […] solus deus et meritus solus ; ipse enim in se est et a se est et circum se totus est plenus atque perfectus […] cum in eo sunt omnia et in omnibus ipse est solus […]. » ; cap. , éd. A. D. Nock, p. , l. - : « huius dei imago hic effectus est mundus, aeternitatis imitator » ; cap. , p. , l. : « omnia enim ab eo et in ipso et per ipsum […]. » ; cap. , éd. A. D. Nock, p. , l. - : « […] deus summus aut ab ipso deo qui secundus effectus est deus […]. » . ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Ex his patet, quod fluxus est simpliciter emanatio formae a primo fonte, qui omnium formarum est fons et origo. » (« À partir de cela, il apparaît clairement que le flux est absolument l’émanation de la forme à partir de la première source, qui est la source et
CHAPITRE III
sans diminution de soi. Il en résulte, du point de vue du statut de la médiation ou du témoin, que loin de constituer un défaut ou une diminution par rapport au principe, c’est la lumière même de ce dernier qu’il reçoit et manifeste. D’autre part, une fois établie l’identité du principe dans ce qu’il transmet, il reste à fonder la distinction du témoin d’avec le principe auquel il rend témoignage. Être témoin signifie n’être pas ce dont il est rendu témoignage. Ce souci de différenciation vient immédiatement après la nomination du témoin dans l’Évangile de Jean. Décliner l’identité du témoin se produit, d’emblée, du moins dans le Prologue de Jean, sous forme négative : ‘Il n’était pas la lumière’ (Jn , : Non erat ille lux). Cette différence constitue précisément la condition de possibilité pour rendre témoignage : sed ut testimonium perhiberet de lumine (Jn , ). Solus lucens, seul le soleil brille et possède par lui-même la lumière, rappelle le Docteur universel à la suite d’Isidore de Séville. « La lune l’origine de toutes les formes. »). Pour une présentation de la processio dans l’œuvre albertienne, cf., références bibliographiques dans la note de l’introduction, p. . . C’est précisément dans le cadre de la présentation de la théorie de la procession qu’Albert le Grand a recours à la notion de luminaire, cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Istum modum fluxus antiquissimi Peripatetici et primi ‘processionem’ vocaverunt eo quod in ipso ipsa prima origo formae simplicis communicando se de se emittit formam a se procedentem sine sui diminutione. Sicut a luce procedit radius, et ipse radius in eo cui incidit, per sui diffusionem et multiplicationem et reflexionem constituit lumen simile primo fonti luminis, quamtum possibile est. Sicut tradunt philosophi constitui luminaria stellarum a luce solis. » (« Ce mode de flux, les plus anciens Péripatéticiens aussi l’ont appelé “procession” du premier, pour cette raison que, en lui, la première origine elle-même de la forme simple, en se communiquant, émet, à partir d’elle-même, une forme qui procède d’elle sans diminution de soi. De même que de la lumière (luce) procède le rayon et que ce rayon constitue, en ce en quoi il tombe, par sa diffusion, sa multiplication et sa réflexion, une lumière (lumen) semblable à la première source de lumière (luminis), autant que cela est possible, de même les philosophes ont transmis que les luminaires des étoiles sont constitués par la lumière (luce) du soleil. ») . ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. : « solus luceat ; habet lumen ex se. » Cf. etiam Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. . . ISIDORUS HISPALENSIS, Etymologiarum sive originum libri XX, lib. , cap. , n. , PL LXXXII, Parisiis, , col. C ; ed. W. M. Lindsay, Oxonii, (Scriptorum Classicorum Bibliotheca Oxoniensis), sans pagination : « Sol appellatus, eo quod solus appareat, obscuratis fulgore suo cunctis sideribus. » ; M. TULLIUS CICERO, De natura deorum, lib. , cap. , n. , ed. C. F. W. Mueller, Lipsiae, (M. T. Ciceronis scripta quae manserunt omnia, fasc. ), p. , l. - ; ed. H. Rackham, Heinemann, London, , p. , l. - : « Cumque tu Solem, quia solus esset, appellatum esse dicas : Soles ipsi quam multi a theologis proferuntur ? » (« Et, bien que tu dises que le soleil tire son nom du fait qu’il est seul (solus), combien de soleils sont cités par les théologiens ? »)
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et les autres étoiles, en revanche, ne possèdent pas la lumière (lumen), sinon celle qu’elles ont acquise à partir du soleil ». N’être pas la cause première à laquelle il rend témoignage apparaît comme la différence constitutive de l’identité du témoin. Cependant, cette distinction s’avère aussi la condition pour que lux, qui demeurerait invisible à nos yeux, prenne, grâce à sa manifestation en lumen, couleurs pour nous. Vases de lumière, la lune et les étoiles, comme le témoin, reçoivent, par conséquent, du principe la lumière qu’ils diffusent et qui demeurent celle d’un autre. Une illumination immédiate et, néanmoins, seconde Témoigner du principe lui-même et en témoigner en tant qu’il est précisément principe Une fois le témoin posé comme la médiation qui, dans une métaphysique de l’émanation, rend le principe connaissable aux étants inférieurs, quelle est, dès lors, sa fonction propre ? Identité du flux et différence de sa manifestation en ses diverses médiations permettent au Doctor universalis de forger, pour l’acte noétique auquel correspond le témoignage, le concept d’illumination immédiate et, néanmoins, seconde. Constitutives du témoignage sont, en effet, d’un côté, l’identité du flux de lumière qu’il reçoit immédiatement du principe et communique comme tel et, de l’autre, la différence, comprise comme secondarité, qui permet à ceux qui reçoivent son témoignage de ne pas être aveuglés par l’éclat (fulgor) de la lumière en sa source. C’est, d’ailleurs, comme « lumière (lux) véritable, mais secondaire » que l’édition Hagenau glose l’expression uas lucis et illuminans et illuminata, faisant ainsi une addition par rapport à l’explicitation de illuminans et illuminata donnée par l’incunable Guldenschaff : « une lumière (lux) participée à partir de
. ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Luna autem et ceterae stellae non habent lumen, nisi quod est eis acquisitum ex sole. » . À ce passage que les manuscrits Düsseldorf, Emmerich, Köln omettent « Et hec est divina lux. Altera autem est ut uas lucis et illuminans et illuminata », l’édition Hagenau ajoute, d’abord, « alia quidem est lux a prima luce participata et alios consequenter illuminans, ideoque illuminans et illuminata », puis corrige en marge : « alia est lux vera sed secundaria et a prima luce participata et alios consequenter illuminans ideoque illuminans et illuminata ».
CHAPITRE III
la première lumière (luce) », « illuminant les autres en conséquence ». La notion d’illumination immédiate et seconde permet, par conséquent, à Albert le Grand de penser la possibilité, pour ce qui est inférieur, de recevoir une illumination qui advienne à la fois par l’intermédiaire de ce qui est supérieur à lui et immédiatement à partir du principe. Immédiateté de l’Un et degrés qui le préservent de sa confusion avec ce qu’il produit : le témoin, pilier de la métaphysique du flux L’enjeu touche au cœur de la métaphysique albertienne. Il s’agit d’élaborer un système qui puisse tenir ensemble, d’une part, l’immédiateté du principe à chaque élément et, d’autre part, des degrés qui empêchent la crase du tout et de l’Un et permettent la réception partielle de l’influence du principe selon la capacité de chacun. D’un côté, de l’Un simple ne provient immédiatement que l’Un selon l’ordre de la nature, comme l’ont affirmé tous les philosophes avant lui, aux dires du Doctor . Au passage « Et hec est divina lux. Altera autem est ut uas lucis et illuminans et illuminata », l’incunable Guldenschaff ajoute : « alia quidem est lux a prima luce participata et alios consequenter illuminans et illuminata ». . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « […] inferiores recipiunt illuminationes mediantibus primis et immediate a primo. » (« […] les inférieurs reçoivent les illuminations par la médiation des premiers et immédiatement à partir du premier. ») Cf. la glose albertienne de DIONYSIUS AREOPAGITA, De coelesti hierarchia, cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. -p. , l. in ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Supponentes autem propositionem, quam omnes ante nos philosophi supposuerunt, scilicet quod ab uno simplici immediate non est nisi unum secundum naturae ordinem. » . Vide De epistula de principio universi esse, cf. LIBERA, A. (de), Albert le Grand et la philosophie, chap. , Vrin, Paris, (À la recherche de la vérité), p. -. et LIBERA, A. (de), « Albert le Grand et Thomas d’Aquin, interprètes du Liber de causis », RSPT (), p. -, spéc. p. - ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. -. ARISTOTELES, De generatione et corruptione, lib. , cap. ( a -), transl. vetus, ed. J. Judycka, Arist. Lat. IX/, Brill, Leiden, (Corpus philosophorum medii aevi Academiarum consociatarum auspiciis et consilio editum), p. , l. - : « Idem enim et similiter se habens semper idem innatum est facere », cf. ALBERTUS MAGNUS, De generatione et corruptione, lib. , tr. , cap. , ed. P. Hossfeld, Ed. Colon. V/, Monasterii Westfalorum in aedibus Aschendorff, , p. , l. -. ALFARABIUS, Fontes quaestionum, cap. , ed. A. Schmoelders, A. Schmoelders, Documenta philosophiae Arabum, ex codd. mss. primus edidit, Latine vertit, commentario illustravit, Bonnae, , p. : « Prima creatura, ab illo [scil. ente primo] profecta, una est numero : intellectus scilicet primus ». AVICENNA, Liber de philosophia prima, tr. , cap. , ed. S. Van Riet, vol. , p. , l. - : « […] nosti etiam, quod ex uno, secundum quod est unum, non est nisi unum. » ; cf. ALBERTUS
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universalis. De l’autre, il faut sauvegarder des degrés, afin d’éviter que tout ce qui est soit formé immédiatement à partir de l’essence même du premier. Cela impliquerait que le premier puisse être mêlé à la matière ou recevoir l’être matériel, ce qui est par définition impossible, puisqu’il est tout entier en acte. Tel est l’enjeu de la métaphysique du flux : « […] il n’est pas difficile de voir que l’ordre de l’univers est selon tous les degrés de ce qui
MAGNUS, Super Ethica, lib. , lect. , n. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. -, spéc. l. - : « […] ex primo uno simplici procedat unum […] ». AVERROES, Metaphysica, lib. , comm. , in Aristotelis Opera cum Averrois Cordubensis Commentariis, Ed. Veneta VIII, apud Iunctas, Venetiis, – (Reprint : Minerva, Frankfurt am Main, ), f. B : « […] ab uno autem et simplici non provenit nisi unum […]. » ALGAZEL, Metaph., pars I, tr. ; tr. , ed. J. T. Muckle, p. , l. - : « […] ex unoquoque proveniat unum. » ; ibid., tr. , ed. J. T. Muckle, p. , l. - : « […] ab uno non provenit nisi unum. » ; l. -. Cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. : « […] ex necesse esse non provenit nisi unum quid, nullo mediante. » ; cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. ; cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. : « Ab uno enim primo non est nisi unum. ». MOSES MAIMONIDES, Dux seu director dubitantium aut perplexorum, lib. , cap. , ed. A. Iustinianus, f. v : « Aristoteles et omnes qui profundaverunt in philosophia, convenerunt in hac propositione, quod ex simplici non potest provenire nisi unum simplex », cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII, p. , l. -. Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « […] ab uno simplici non est nisi unum. » . ALBERTUS MAGNUS De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Et opinio quidem antiquorum* pessimus error est et destruit omnes gradus entium. Secundum eos enim omne quod est, formatur immediate ab ipsa primi essentia. Et secundum hoc primum materiae commiscibile est et esse materiale accipiens. » * Pour les références à Alfarabius, Avicenna, Algazel, Liber de causis, Moses Maimonides, cf. chapitre III, note . Cf. etiam AVICEBRON, Fons vitae ex Arabico in Latino translatus ab Iohanne Hispano et Dominico Gundissalino, tr. , n. , ex codicibus parisinis, amploniano, columbino primum edidit C. Baeumker, BGPTM /-, Münster, -, p. , l. -p. , l. . Sur Apollo, Hermes Aegyptius et l’influence de la tradition hermétique supposée ici par l’éditeur : cf. STURLESE, L., « Saints et magiciens : Albert le Grand en face d’Hermès Trismégiste », Archives de Philosophie / () : Albert le Grand. Septième centenaire, p. - ; STURLESE, L., « Il razionalismo filosofico e scientifico di Alberto il Grande », in Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, I/ (), p. - et sa version allemande : in STURLESE, L., Geschichte der deutschen Philosophie im Mittelalter. Von Bonifatius bis zu Albert dem Großen -, Beck, München, , p. - ; LIBERA, A. (de), Albert le Grand et la philosophie, chap. , p. - ; - ; LIBERA, A. (de), La philosophie médiévale, PUF, Paris, (Premier Cycle), p. - ; LIBERA, A. (de), « La face cachée du monde », Critique (), p. - ; LUCENTINI, P., « Sulla questione della magia nella storia del pensiero medievale », Giornale critico della filosofia italiana (), p. ; LIBERA, A. (de), Métaphysique et noétique (), chap. , p. -. Cf. etiam LUCENTINI, P., « L’ermetismo magico nel secolo XIII », in M. Folkerts, R. Lorch (Hrsg.), Sic itur ad astra. Studien zur Geschichte der Mathematik und Naturwissenschaften (Festschrift für den Arabisten Paul Kunitzsch zum . Geburtstag), Harassowitz, Wiesbaden, , p. -.
CHAPITRE III
existe, selon que cela flue à partir du premier principe ». Or tel est aussi le point où s’insère le témoin, tel que le conçoit le maître de Cologne, d’après la figure du vase de lumière. Représentant un certain degré dans la hiérarchie des étants, il fonde donc, par le mode de connaissance indirect ou second qu’est le témoignage, la possibilité que tous les degrés soient illuminés par la même lumière, celle du principe, quoique sur des modes distincts. Donc, même si, du point de vue noétique, le témoin pourrait apparaître comme un simple instrument qui vient au secours de la faiblesse de l’intellect humain, dans la mesure où celui-ci ne peut avoir accès à la connaissance immédiate du principe, il n’en est, en revanche, rien, du point de vue de vue métaphysique. Le témoin constitue, dans cette perspective, la condition à laquelle le principe est rendu connaissable pour les étants inférieurs. La figure du vase de lumière apparaît, en effet, centrale dans la présentation que fait le Doctor universalis de sa métaphysique du flux. Si la procession est nécessaire pour la manifestation du principe qui ne saurait être connu en lui-même, le caractère partiel de la réception du flux dans les différents principiés n’amoindrit pas l’acte du principe, et le caractère second de la diffusion de la lumière par eux n’abolit pas l’identité du principe et l’immédiateté de son influence. Dans une perspective métaphysique, le témoin, tel un vase de lumière, s’avère essentiel au caractère second, c’est-à-dire médiat, exigé par la manifestation du principe lui-même. Le composé, facteur de différence dans l’identité du flux à partir du premier Ce fondement métaphysique éclaire l’importance accordée par Maître Albert au composé. Si l’identité de ce qui est communiqué ressortit au don effectué par le principe, la différence provient de l’accueil que lui font les principiés. Ainsi, « dans ce qui est corporel, tous les degrés de ce qui est illuminable peuvent être illuminés immédiatement par la première lumière (lumine) du soleil, comme la lune, l’air et la terre, de telle sorte, cependant, que l’un reçoive parfaitement selon tout acte de la . ALBERTUS MAGNUS De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « His itaque praelibatis ordinem universi esse secundum omnes gradus existentium, secundum quod fluunt a primo principio, non est difficile videre. »
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lumière (luminis), comme la lune qui, à partir de la lumière (lumine) du soleil, est rendue visible, claire et illuminante, tandis qu’un autre reçoit sur le mode le plus bas selon un seul acte, comme la terre qui est rendue seulement visible et d’autres sur un mode médian ». Ces différents modes de réception de la lumière du soleil par les planètes et leurs satellites, telle la lune, selon la composition de leur substrat, permettent, par suite, que la lumière du soleil apparaisse selon des aspects différents. La lumière traverse de part en part la planète Jupiter, éclatante, parce qu’elle reçoit un afflux continu de l’acte du principe. Sur Mars, la lumière décline vers le rouge, en raison de la moindre noblesse du corps qui reçoit la lumière. Sur Vénus, la lumière devient pâle, tandis qu’elle paraît plus obscure en Saturne. Enfin, parce que la lune s’éloigne, selon ses phases, d’une position perpendiculaire par rapport au soleil et parce que le flux de lumière ne pénètre que peu en elle, il semble en elle voilé. De même qu’en vertu de son degré de composition, le substrat de chaque luminaire reçoit la lumière du soleil selon son mode propre, de même les conditions de réception du principe liées à la constitution propre aux différents étants déterminent-elles la modalité de leur témoignage respectif. Par suite, puisque le rapport au principe n’est pas uniformément assumé, les témoins en manifestent aussi divers aspects. Ce qui est ici remarquable est que le Doctor magnus ne vise pas à reconduire uniformément le rouge de Mars, la pâleur de Vénus, l’obscurité de Saturne à l’éclat de Jupiter. Au contraire, la figure du vase de lumière apparaît comme le véhicule de la différence dans l’acte par lequel le rayon lumineux qui provient du principe se diffuse, se multiplie, se . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - : « Sicut in corporalibus possunt a primo lumine solis immediate illuminari omnes gradus illuminabilium, ut luna, aër et terra, ita tamen quod unum recipiet perfecte secundum omnem actum luminis, ut luna, quae efficitur ex lumine solis visibilis, clara et illuminans, alterum vero recipit infimo modo secundum unum actum tantum, sicut terra, quae efficitur tantum visibilis, et alia medio modo. » . Cf. supra chapitre III, p. , note . Sur les caractéristiques des différentes planètes et sur les sources albertiennes en matière d’astronomie, cf. STEIN, G., « S. Alberto Magno e l’Astronomia », Angelicum (), p. - ; GREGORY, T., « Natura et qualitas planetarum », Micrologus : Natura, scienze, e società medievali (), p. -. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon V/, p. , l. -, spéc. l. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -.
CHAPITRE III
réfléchit en ce qu’il rencontre. Sans les vases de lumière, il n’y aurait, en effet, ni rouge, ni vert, ni même blanc ou noir. Pour que la qualité lumineuse de lux dans le disque solaire apparaisse en un spectre coloré, il faut à la fois que la lumière procède en un rayon en dehors du soleil et qu’elle rencontre un corps. Il semble, par conséquent, que, par la figure du vase de lumière, Albert le Grand nous emmène loin de la reconduction de l’animal volant nocturne à l’aigle. Dans l’identité du flux à partir du principe, la différence est, en effet, introduite par les principiés. Les vases de lumière inaugurent ainsi une illumination seconde ou indirecte pour les étants qui leur sont inférieurs. Il s’ensuit que le rayon lumineux direct en provenance de la source de lumière ne représente pas la seule manière de voir celle-ci. Le témoignage ouvre-t-il à l’intellect humain une autre voie de connaissance du principe que celle que lui promet sa ressemblance avec la nature divine en tant qu’intellect séparé ? E. Témoin n’est pas fils Recevoir selon l’être n’est pas être engendré dans l’identité d’être Selon la figure du vase de lumière, le mode de réception en profondeur de l’acte de lux n’entraîne pas, dans celui qui l’accueille, une ressemblance parfaite avec le premier. L’acte par lequel le principe lumineux informe celui qui reçoit sa lumière sur ce mode respecte, en effet, la spécificité de ce dernier. Ainsi la lumière du soleil qui, dans le soleil, est chaude et sèche, devient-elle froide et humide, lorsqu’elle est reçue par la lune. Car la nature de la lumière varie selon la pureté ou le mélange du corps qui la reçoit.
. ALBERTUS MAGNUS, De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - : « Ita facit quilibet planeta qui recipit lumen ab alio, et hoc cognoscimus in luna, quae accipit lumen a sole et format ipsum ad virtutem suam, ut sit frigidum et umidum, cum in sole sit calidum et siccum temperate. » (« Ainsi fait toute planète qui reçoit la lumière (lumen) d’un autre, et nous connaissons cela dans la lune qui reçoit la lumière (lumen) du soleil et la forme par rapport à sa propre vertu, de telle sorte qu’elle est froide et humide, alors que, dans le soleil, elle est chaude et sèche d’une manière tempérée. ») Cf. etiam ALBERTUS MAGNUS, De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - ; ibid., lib. , tr. , cap. , p. , l. -. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. -.
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Autrement dit, la place du témoin n’est pas celle du fils. Et les effets du principe en eux diffèrent. Envoyé comme témoin, celui-ci ne devient pas pour autant semblable à celui qui l’envoie. Il diffuse – conformément à la figure de l’escarboucle et des luminaires – la connaissance de ce dont il rend témoignage, dans la mesure où il en est d’une certaine façon imprégné de l’intérieur. C’est en cela qu’il ne saurait se contenter de donner une information ou une simple relation à propos de ce dont il rend témoignage. Cependant, il se distingue, selon plusieurs aspects, du fils qui est, pour sa part, engendré dans le même être que le père.
. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. : « Solutio : Dicimus, quod hierarchia dicit altitudinem quandam, per quam quis sortitur divinum gradum, et perficitur iste divinus gradus in tribus, scilicet in participatione divini doni et in consortio divinae potestatis et in similitudine divini effectus. Sicut enim si dicamus solem esse fontem corporalis luminis, omnibus quidem lumen ab ipso proveniet, sed inaequaliter ; ignis enim efficietur sibi simile, scilicet luminosum per lumen receptum ab ipso, et habebit potestatem eius in transfundendo lumen in alterum et poterit in effectum eius faciendo alterum lucere, sicut ipse lucere habet a sole, sed in carbunculo ex commixtione et dominio ignis erit quidem lumen, in quo similatur soli, et poterit transfundere lumen in alterum, non tamen habebit eundem effectum in ipso, ut faciat illud simile primo. Aliquid vero recipiet tantum lumen in superficie, non potens transfundere lumen in alterum, sicut terrestria corpora. Et sic etiam in receptione spiritualis luminis sunt quidam gradus ex diversitate recipientium. Quaedam enim recipiunt donum spirituale a deo, per quod efficiuntur sicut deus, non per aequiparantiam, sed per imitationem. Participant etiam potestatem divinam percipientes lumen doni in virtute transfundendi in alterum, et habent similem effectum deo, reducendo alterum in similitudinem dei, ut luceat et possit similiter in alterum lumen transfundere, sicut et hoc deus in eis operatus est. » (« Solution : Nous disons que la hiérarchie dit une certaine hauteur par laquelle on se voit assigner par le sort un degré divin, et ce degré divin trouve son accomplissement en trois : dans la participation du don divin, dans la communauté de la puissance divine et dans la ressemblance avec l’effet divin. De même, en effet, que si nous disons que le soleil est la source de la lumière (luminis) corporelle, pour tous, certes, la lumière (lumen) proviendra de lui, mais de manière inégale. Le feu sera, en effet, rendu semblable à lui-même, c’est-à-dire lumineux par la lumière (lumen) reçue de lui et il aura sa puissance , en diffusant la lumière (lumen) en un autre et il aura de la puissance dans son effet en faisant briller un autre, de même que lui-même doit briller à partir du soleil ; mais, dans l’escarboucle, à partir du mélange et de la propriété (dominio) du feu, il y aura, certes, une lumière (lumen) dans laquelle elle ressemblera au soleil et elle pourra diffuser la lumière (lumen) dans un autre, mais elle n’aura, toutefois, pas le même effet en lui, de telle sorte qu’elle le rende semblable au premier. Un autre recevra, pour sa part, la lumière (lumen) seulement en surface, ne pouvant diffuser la lumière (lumen) dans un autre, comme les corps terrestres. Et ainsi aussi dans la réception de la lumière (luminis) spirituelle, certains degrés proviennent de la diversité de ce qui reçoit. Certains reçoivent, en effet, de Dieu le don spirituel par lequel ils sont rendus comme Dieu, non par équivalence, mais par imitation. Ils participent aussi la puissance divine en percevant la lumière (lumen) du don dans la vertu de diffuser dans un autre et ils ont un effet semblable à Dieu en reconduisant un autre vers la ressemblance de Dieu, de telle sorte qu’il brille et peut d’une semblable façon diffuser la lumière (lumen) en un autre, de même aussi que Dieu a opéré cela en eux. »)
CHAPITRE III
Du point de vue de la participation, l’escarboucle ressemble moins que le feu à la lumière du soleil, bien qu’elle lui ressemble plus que les corps terrestres. Du point de vue du pouvoir de transmettre le don reçu, contrairement au feu, cette gemme ne saurait conférer à ce qu’elle illumine la ressemblance avec le principe lumineux qu’elle ne possède pas elle-même. Elle peut, en revanche, communiquer la lumière reçue, contrairement aux corps opaques. De même, le témoin n’a pas le pouvoir de transformer l’être de ses destinataires comme lui-même a été changé en profondeur par la lumière du principe. Le vase de lumière, instrument de la lumière Comme la lumière qui n’est pas la cause efficiente de la transformation ontologique de ce qui la reçoit, mais son instrument, le vase de lumière n’est pas lui-même cause de l’illumination des étants qui reçoivent la lumière qu’il diffuse, mais l’instrument par lequel la cause efficiente agit en eux. Albertus Magnus précise que l’effet de la cause efficiente est l’engendrement de la forme dans ce sur quoi elle agit. Le rôle de l’instrument qu’est la lumière consiste, en revanche, à « dissoudre la matière », afin que celle-ci puisse assumer la forme donnée, ou encore à « dissiper les ténèbres de la privation ». L’universalité de la causalité exercée par la seule source de lumière n’empêche pas, pour autant, la lumière d’avoir, dans ce processus, un rôle médiateur, conformément à la comparaison suivante qu’introduit le Docteur universel dans son commentaire de l’Évangile selon Matthieu. De même que, sur le plan corporel, la lumière . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - : « Constat enim, quod virtus primi motoris est in omnibus generatis, lux autem est instrumentum motoris primi, secundum quod movet omnia inferiora ad suas formas, cum sit forma primi alterantis non alterati, ut per se accidens, et ideo oportet, ut extendat se ad omnia ad quae extendit se virtus primi motoris […]. » (« Car c’est un fait que la vertu du premier moteur est dans tout ce qui est engendré, tandis que la lumière (lux) est l’instrument du premier moteur selon qu’il meut tout ce qui est inférieur vers ses formes, puisqu’elle est la forme du premier qui altère sans être altéré, en tant qu’accident par soi. C’est pourquoi aussi il faut qu’elle s’étende à tout ce à quoi la vertu du premier moteur s’étend. ») . ALBERTUS MAGNUS, Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - et notamment, l. : « […] dissolvens materiam […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -, spéc. l. - : « […] depellit ab ipsis privationis defectum […]. » . ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - : « In corporibus est attendere solem, qui secundum naturam omnium nascentium in terra est pater et
INTELLIGENCE FIGURALE EN ACTE
ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
est la cause médiatrice par laquelle le soleil exerce sa propre causalité, de même, sur le plan noétique, l’intellect est, en effet, la cause de sa propre manifestation qui advient par l’intermédiaire du Verbe, dans la mesure où ce dernier connaît le principe intellectif dans la plénitude de sa « vertu universelle » et où il est réciproquement pleinement connu de lui. Ainsi le Verbe, telle l’escarboucle d’une certaine manière, reçoit-il tout ce qu’il transmet à son tour sans rien ajouter de lui-même. Il en résulte, pour la théorie du témoin, que celui-ci n’est pas la cause de la manifestation du principe dans ceux qui reçoivent son témoignage, mais l’instrument qui prépare en quelque sorte les conditions pour l’accueil de la manifestation du principe par lui-même à travers le témoignage. Le témoin n’est, en effet, pas appelé, en vertu de la réception en profondeur de la lumière du principe, à se substituer à la causalité du principe. Illumination seconde, il demeure un simple instrument de la manifestation du principe dont ce dernier demeure seul la cause. En guise de conclusion : enjeux métaphysique et herméneutique de la figure du vase de lumière pour le témoin Il s’ensuit que le témoignage n’entre pas dans la dynamique de la divinisation de l’homme, de l’engendrement comme fils du principe ou de la conjonction avec l’intellect universellement agent. La question du causa, ut dicunt philosophi, sed non causat aliquid nisi per lumen, quod est perfecta similitudo suae lucis et exit ab ipso per conformitatem suae formae et virtutis. Et ideo lumen simul habet formam solis et omnem virtutem eius secundum omnem diversitatem generatorum et corruptorum in terra et aquis et aëre. Et ideo, si lumen haberet cognitionem et interpretationem, dicere posset, quod omnia tradita sibi essent a sole et quod non infunderentur alicui nisi per ipsum ea quae sunt solis originaliter, et quod in ista universali virtute nemo nosset solem nisi lumen et lumen in universali virtute accepta nemo nosset nisi sol et cui lumen, quantum vellet, vellet revelare, cum tamen nihil in terra inveniretur, quod omnium capax esset simul, quae lumen accipit a sole […]. » (« Dans les corps, il faut observer le soleil qui, selon la nature de tout ce qui naît sur la terre, comme disent les philosophes, est père et cause, mais il ne cause quelque chose que par la lumière (lumen), qui est la similitude parfaite de sa lumière (lucis) et qui sort de lui par la conformité de sa forme et de sa vertu. C’est pourquoi aussi la lumière (lumen) a en même temps la forme du soleil et toute sa vertu selon toute la diversité de ce qui est engendré et corrompu sur la terre, dans les eaux et dans l’air. Pour cette raison aussi, si la lumière (lumen) avait la connaissance et l’interprétation, elle pourrait dire que tout ce qui lui a été transmis provient du soleil, que ce qui appartient originellement au soleil ne serait infusé à quelqu’un que par elle, que personne ne connaîtrait le soleil, dans cette vertu universelle, sinon la lumière (lumen) et que personne ne connaîtrait la lumière (lumen), entendue dans sa vertu universelle, sinon le soleil et celui à qui la lumière (lumen), pour autant qu’elle veut, veut le révéler, puisque rien ne se trouve sur la terre qui puisse, cependant, simultanément contenir (capax) tout ce que la lumière (lumen) reçoit du soleil. »)
CHAPITRE III
témoignage s’insère plutôt, d’après les textes albertiens, dans une réflexion sur le degré médian, sans que soit envisagée sa résolution dans ce qui lui est supérieur. Telle apparaît l’une des fonctions principales de la figure du vase de lumière. Qu’il s’agisse des paradigmes de l’escarboucle ou des luminaires, cette figure correspond, en effet, toujours à la place médiane dans la hiérarchie des étants qui émanent du principe. Ainsi Maître Albert reprend-il la comparaison avec la lumière corporelle qui émane du soleil. Il distingue, à partir d’elle, trois degrés qu’il nomme de diverses façons selon les textes : le feu, l’escarboucle, les corps terrestres ou le soleil et la lune pour lesquels l’acte de lumière est plus pur, d’une part, les étants qui sont suffisamment éloignés du principe pour être considérés comme mêlés aux ténèbres, voire aveugles, d’autre part, et, enfin, les corps opaques. En minéralogie, comme en cosmologie ou en métaphysique, ce qui est médian est, par conséquent, caractérisé, selon le Dominicain rhénan, par le mélange de la lumière avec les ténèbres. Le Doctor universalis ne mentionne pas, dans ce contexte, la purification de la substance du composé, de telle sorte que celui-ci devienne complètement transparent ou, a fortiori, semblable à la source de lumière. Le mélange apparaît, par conséquent, un élément fondamental de la figure du vase de lumière. Si la raison minéralogique du choix de l’escarboucle comme l’un des principaux paradigmes du vase de lumière est, nous l’avons dit, le fait qu’« exposée au soleil, elle rend la couleur du charbon ardent », sa raison exégétique repose, quant à elle, sur une comparaison proposée par Augustin, dans le De Genesi contra Manicheos : celle de « l’éclat de l’escarboucle qui n’est pas vaincu par la nuit » avec . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -. . La distinction entre les corps opaques et les corps qui illuminent les autres en recevant la lumière du soleil se trouve également chez Thomas d’Aquin : cf. par exemple, THOMAS DE AQUINO, Compendium theologiae, cap. , n. , Ed. Leonina XLII, Editori di San Tommaso, Roma, , p. , l. - ; THOMAS DE AQUINO, De potentia, q. , a. , arg. , in Thomas d’Aquin, Questions disputées sur la Puissance. De potentia. I. Questions à , texte latin de l’édition Marietti, trad. et notes par R. Berton, introd. du fr. E. Perrier, Les Presses universitaires de l’IPC, (Parole et Silence), p. - ; THOMAS DE AQUINO, In librum de causis expositio, prop. , n. , ed. C. Pera, Marietti, Taurini, , p. ; THOMAS DE AQUINO, In II Sent., d. , q. , a. , ad , ed. P. Mandonnet, p. ; THOMAS DE AQUINO, Summa theol., supplementum, q. , a. , ad , Ed. Leonina XII, p. . . Cf. supra chapitre III, p. , note , THEOPHRASTOS, Traité des pierres, p. , l. -.
INTELLIGENCE FIGURALE EN ACTE
ET STATUT MÉTAPHYSIQUE DE LA MÉDIATION MANUDUCTRICE
« la vérité qu’aucune fausseté ne vainc », expression dont la tradition se fera l’écho chez Isidore de Séville, Bède le Vénérable, Raban Maur, Marbode et Vincent de Beauvais, par exemple. Les propriétés physiques de l’escarboucle semblent autoriser l’évêque d’Hippone à en rapprocher la fonction de l’expression du Prologue de Jean : « la lumière dans les ténèbres ». Et le maître de Cologne reprend précisément l’expression « briller dans les ténèbres » dans la manière dont il désigne l’escarboucle, lorsqu’il décrit cette pierre dans son traité Des minéraux. Ce trait structurel de la figure de l’escarboucle permet sa circulation dans différents domaines de savoir et son attribution, notamment, à l’intellect humain apparenté, comme l’animal volant nocturne, à la lumière mêlée aux ténèbres. Il en résulte que, lorsqu’elle est attribuée au témoin, dans le commentaire de l’Évangile de Jean, la figure du vase de lumière lui revient également en tant qu’il est un composé auquel se mêle la lumière du principe. C’est en tant que composé, en effet, que son « éclat n’est . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Genesi contra Manicheos, lib. , cap. , n. , ed. J.-P. Migne, PL XXXIV, Parisiis, , col. B : « […] et veritatem quam nulla falsitas vincit, sicut carbunculi fulgor nocte non vincitur. » . ISIDORUS HISPALENSIS, Etymologiarum libri XX, lib. , cap. , PL LXXXII, col. C sive ed. W. M. Lindsay, sans pagination. . BEDA VENERABILIS, In Pentateuchum commentarii, ed. J.-P. Migne, PL XCI, Parisiis, , col. C. . HRABANUS MAURUS [RABANUS MAURUS], De universo libri XXII, lib. XVII, cap. , « de gemmis », ed. J.-P. Migne, PL CXI, Parisiis, , col. B. . MARBODUS REDONENSIS, Liber de gemmis, ed. J.-P. Migne, PL CLXXI, Parisiis, , col. B. . VINCENTIUS BURGUNDUS, Speculum maius, lib. , cap. , tomi quatuor, Venetiis, , p. b. . ALBERTUS MAGNUS, De mineralibus, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. V, p. b-a. . La cohérence de la méthode figurale apparaît manifestement ici dans la convergence du réseau « secondaire » constitué autour des vases de lumière avec la conjonction des deux figures « primaires » que sont l’animal volant nocturne et la manuductio. Ce point de convergence coïncide avec l’un des traits principaux de cette connexion figurale : le mélange de la lumière et des ténèbres qui caractérise l’intellect humain. Vide, par exemple, ALBERTUS MAGNUS, Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - : « Umbrosus enim et continuo et tempori coniunctus est hominis intellectus. » (« L’intellect de l’homme est ombreux et conjoint au continu et au temps. ») ; cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - ; cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , « secunda interpretatio ‘stella maris’ », n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - : « ‘Nycticorax’ enim avis est, quae non videt lucem nisi mixtam tenebris, et significat humanum intellectum grossum et obscurum, non capientem mysterium regni caelestis nisi in parabolis. » ; cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « […] sicut oculus vespertilionis, qui non comprehendit lumen nisi mixtum tenebris […]. ».
CHAPITRE III
pas vaincu par la nuit », sans que soit même évoquée la possibilité, pour le vase de lumière, de devenir soleil ou, pour le témoin, de devenir le principe auquel il rend témoignage. Ni connaissance immédiate et compréhensive de Dieu tel qu’il est dans la béatitude, ni connaissance par rapt, le témoignage se tient en ce lieu médian qu’est « la connaissance du chemin ». L’enjeu théorique du témoignage consiste, par conséquent, à ne pas recourir à des modèles épistémologiques dans lesquels la fin de la connaissance coïncide avec l’identification à un intellect toujours en acte qui pense la totalité du pensable en se pensant lui-même. Ce modèle qui promet à l’intellect humain un point de vue dominant l’ensemble du panorama du pensable ou, plus encore, qui lui promet de devenir ce qui engendre tout le pensable ne paraît pas concerner le témoin. Penser le témoignage consiste, au contraire, pour le maître de Cologne, à concevoir un mode de connaissance adapté à la fois aux conditions de l’existence humaine, à la corporéité de celui qui reçoit partiellement la lumière du principe et à la conjonction de son intellect avec les sens et l’imagination. Le témoignage offre, par conséquent, un modèle noétique et métaphysique libéré de l’empire d’une fin dans laquelle l’illumination du principe serait totale et immédiate et dans laquelle les conditions de la connaissance seraient radicalement différentes de celles qui sont imparties à l’intellect humain en tant qu’il est humain. Le témoignage ne se présente pas comme le moyen proposé à l’animal volant nocturne de devenir aigle. Non pas moyen en vue d’une fin, mais milieu, degré médian, le témoignage offre un modèle à l’intellect humain pour connaître la lumière mêlée aux ténèbres ou plutôt en acquérir un certain art.
. ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - : « Talis enim cognitio per medium ad viam pertinet et cognitio viae vocatur. » (« Une telle connaissance par médiation appartient au chemin et est appelée connaissance du chemin. »)
APPENDICES
Appendices du chapitre III APPENDICE : UNE OCCURRENCE DE MANUDUCTIO DANS LE DEUXIÈME CHAPITRE DU DE ECCLESIASTICA HIERARCHIA À propos du deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia dans lequel se trouve une occurrence de manuductio, Albert de Cologne expose, dans le contexte de la place des symboles dans le sacrement du baptême, le mode de connaissance qui caractérise la manuductio de l’intellect humain, conjoint au continu et au temporel, vers ce qui est spirituel. Dans ce mode, interviennent des médiations, telles que les figures qui « mettent en images » sensibles ce qui est invisible. Or la pédagogie propre au sacrement relève de la manuductio, dans la mesure où, d’une part, elle consiste en ce que la matière du sacrement ne soit pas seulement une chose pour elle-même, mais un signe sensible, une figure qui « mette en image » ce vers quoi elle conduit, et où, d’autre part, cette finalité du sacrement ne soit pas seulement le concept de baptême, par exemple, mais la grâce invisible et opérante elle-même. « Comme il faut discuter ouvertement », c’est-à-dire largement, « dans cette action », c’est-à-dire dans ce traité, « qui traite à la fois de ce qui est invisible et de ce qui est sensible », livre que nous ne possédons pas, « certes, certaines sacrées de manière sensible », c’est-à-dire les sacrées sensibles, « sont des mises en images » (imaginationes), c’est-àdire des figures, « des invisibles », quant à la matière du sacrement, « et des conduites par la main vers celles-là », c’est-à-dire vers les invisibles, quant à la totalité du sacrement, « et la voie », quant à la réalité du sacrement, qui conduit déjà vers les invisibles. « Mais les invisibles » sont « et », c’est-à-dire aussi, « le principe de ce qui est hiérarchique et qui est selon les sens », c’està-dire des symboles sensibles, en tant que les sensibles sont recherchées en vue de celles-là « et » sont « la science » des choses, en
. DIONYSIUS AREOPAGITA, De eccl. hier., cap. , II. theôria, n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. - : « Sunt enim, ut in ea quae est de invisibilis et sensibilibus, actione aperte disputatum est, quaedam quidem sensibiliter sacra invisibilium imaginationes et in ea manuductio et via, invisibilia vero eorum quae sunt secundum sensum, hierarchicorum et principium et scientia. »
CHAPITRE III
tant qu’elles sont reçues par comme la science des conclusions à partir des prémisses. D’après la glose albertienne du texte de Denys le Pseudo-Aréopagite, le sacrement se compose, par conséquent, d’une matière sensible, d’une part, – ici, les « mises en images », ou figures, des réalités invisibles –, de ce qui constitue la « totalité » du sacrement, d’autre part, – dans ce texte, le mode par lequel ces figures « conduisent par la main » vers ce qui est invisible – et enfin, d’une « réalité » du sacrement – ce que le texte désigne comme ces mêmes figures en tant qu’elles sont la voie vers l’invisible. Il en résulte que ce qu’opère le sacrement, à travers ses composantes, est le retour vers ce qui est à la fois la réalité invisible signifiée et le principe des symbola sensibles. Les médiations sensibles du sacrement constituent donc la matière ainsi que la médiation de l’acte de connaissance et de transformation ontologique qu’est le sacrement pour celui qui le reçoit. Ce type de signe désigné par le symbolon dionysien possède une propriété déterminée, de telle sorte qu’il puisse « conduire par la main » vers un signifié qui ne soit pas seulement une représentation mentale, mais l’acte même par lequel le principe divin se manifeste, incommensurable à toute représentation. APPENDICE : LA FONCTION MANUDUCTRICE DU SACREMENT ET L’ORIGINALITÉ DE L’INTERPRÉTATION ALBERTIENNE PAR RAPPORT À
SES
SOURCES
La figure de la manuductio n’apparaît pas dans le texte parallèle que représente le commentaire du quatrième livre des Sentences sur la question du sacrement. Son apparition, par le truchement de la citation dionysienne du De caelesti hierarchia, dans le De sacramentis, surgit . ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. : « Ut “enim disputandum est aperte” idest latius, “in ea actione”, idest tractatu*, “quae est et de invisibilibus et de sensibilibus”, quem librum non habemus, “quaedam quidem sensibiliter sacra”, idest sensibilia sacra, “sunt imaginationes”, idest figurae, “invisibilium”, quantum ad materiam sacramenti, “et manuductiones in ea”, scilicet invisibilia, quantum ad totum sacramentum, “et via”, quantum ad rem sacramenti, quae iam ducit in invisibilia. “Invisibilia vero” sunt “et”, idest etiam, “principium eorum hierarchicorum, quae sunt secundum sensum”, idest sensibilium symbolorum, inquantum quaeruntur sensibilia propter illa, “et” sunt “scientia” rerum, inquantum accipiuntur per ea sicut scientia conclusionum ex praemissis. » * Cf. ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. . Le traité de Denys l’Aréopagite au sujet De invisibilibus et sensibilibus ne nous est pas parvenu. . DIONYSIUS AREOPAGITA, De cael. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. -. . ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -.
APPENDICES
comme un acte interprétatif albertien spécifique. Cependant, s’agit-il d’un acte interprétatif original du maître de Cologne qui aurait transféré cette figure dans le champ de la théologie sacramentaire, afin d’en éclairer un aspect de la théorie du signe qui y est sous-jacente ? Ou bien est-il possible de déterminer si Albertus Magnus l’hérite de quelque source ? Au sujet de la fonction symbolique, métaphorique, métaleptique de la médiation dans le sacrement comme manuductio, deux indices doctrinaux semblent nettement empruntés par le Docteur universel à ses sources. En premier lieu, le sacrement apparaît, dans le De sacramentis Christianae fidei, l. , partie , chap. de Hugues de Saint Victor, comme le signe visible matériel d’une réalité invisible spirituelle, ce qui relie deux dimensions qui traversent à la fois l’homme – le corps et l’âme –, et les Écritures – la lettre et le sens. Il est, néanmoins, un signe spécifique en ceci qu’il est caractérisé à la fois par le fait de représenter à partir d’une similitude avec la réalité dont il est le sacrement, d’une part, de signifier à partir d’une institution qui l’ordonne à cette signification, d’autre part, et, enfin, de contenir une grâce invisible et spirituelle à partir d’une sanctification par laquelle il contient la grâce et qui le rend efficace pour la conférer. Les différentes composantes du sacrement mentionnées par Albert de Cologne semblent, par conséquent, provenir de . HUGO DE S. VICTORE, De sacramentis christianae fidei, lib. , pars , cap. , Corpus Victorinum I, p. , l. - : « Quid sit sacramentum, doctores breui descriptione signauerunt : Sacramentum est rei sacre signum. Quemadmodum enim in homine duo sunt corpus. & anima in una scriptura similiter duo. littera. & sensus. sic in omni sacramento aliud quod uisibiliter foris tractatur. & cernitur. Aliud quod inuisibiliter intus creditur & percipitur. quod foris est uisibile & materiale sacramentum est. Quod intus est inuisibile. & spiritale. res siue uirtus sacramenti. Semper tamen sacramentum quod foris tractatur & sanctificatur. signum est spiritalis gratie que res sacramentum est. & inuisibiliter percipitur sed quia non omne signum sacre rei sacramentum est eiusdem conuenienter. » . HUGO DE S. VICTORE, De sacramentis christianae fidei, lib. , pars , cap. , Corpus Victorinum I, p. , l. -p. , l. : « dici potest. quoniam & litere sacrorum sensuum & forme siue picture. sacrarum rerum signa sunt quarum tamen sacramenta rationabiliter dici non possunt. iccirco super memorata descriptio ad interpretationem siue expressionem uocis. magis quam ad diffinitionem referenda uidetur. Si quis autem plenius & perfectius quid sit sacramentum diffinire uoluerit. potest dicere quia sacramentum est corporale. uel materiale elementum. foris sensibiliter propositum ex similitudine representans. & exstinctione significans. & ex sanctificatione continens aliquam inuisibilem et spiritalem gratiam. Hec diffinitio ita propria ac perfecta cognoscitur ut omni sacramento solique conuenire inueniatur. Omne enim quod hec tria habet. sacramentum est. Et omne quod his tribus caret. sacramentum proprie dici non potest. Debet enim omne sacramentum similitudinem quandam habere. ad ipsam rem cuius sacramentum est. secundum quam habile sit. ad eandem rem suam representandam. Institutionem quoque per quam ordinatum sit ad illam significandam. Postremo sanctificationem per quam illam contineat. & efficax sit ad eandem sanctificandis conferendam. »
CHAPITRE III
ses sources. Mais, dans la théorie du signe développée à ce sujet par Hugues de Saint Victor, nulle mention n’est faite de la capacité de la propriété de ressemblance inhérente au signe de « conduire par la main », de manière métaleptique ou symbolique, vers le signifié qu’est la grâce divine. En second lieu, l’exemple paradigmatique que Hugues de Saint Victor donne du sacrement est celui du baptême, comme dans le De sacramentis albertien et dans la Summa sententiarum du PseudoHugues de Saint Victor, autre source du Docteur universel. De plus, Hugues de Saint Victor développe, plus amplement que ne le fait l’évêque de Regensburg dans la réponse qui contient le terme manuductio, la raison pour laquelle l’eau est signe de la grâce. C’est, en effet, à la fois en vertu d’une ressemblance naturelle et de l’adjonction par le Sauveur de l’institution de l’eau visible pour la purification (par lavement) des corps, comme signe de la purification des âmes par la grâce spirituelle, que l’eau est le signe sacramentel de la grâce. En revanche, nulle trace littérale du terme manuductio n’est repérable dans ces sources du De sacramentis albertien. C’est donc un terme que le maître de Cologne ajoute en cet endroit, interprétant ainsi ces deux sources, issues directement de la théologie sacramentaire, à la lumière du premier chapitre du De ecclesiasica hierarchia de Denys.
. HUGO DE S. VICTORE, De sacramentis christianae fidei, lib. , pars , cap. , Corpus Victorinum I, p. , l. - : « Ut ergo in uno sacramento. ea que de omnibus dicta sunt. tria hec qualiter sint agnoscamus. aquam baptismi per exemplo assumimus. Ibi enim est aqua uisibile elementum quod est sacramentum. & inueniuntur hec tria in uno. Representatio ex similitudine. Significatio ex institutione. uirtus ex sanctificatione. & ipsa similitudo ex creatione est. Ipsa institutio ex dispensatione. ipsa sanctificatio ex benedictione. Prima indita per creatorem. Secunda adiuncta per saluatorem. Tercia ministrata per dispensatorem. Est ergo aqua uisibile sacramentum. & gratia inuisibilis res. siue uirtus sacramenti. » . [PS.-]HUGO DE S. VICTORE, Summa sententiarum, tr. , cap. , PL CLXXVI, col. A : « Idem : Sacramentum est invisibilis gratiae visibilis forma, ut in sacramento baptismatis figuratur ablutio interior per illam exteriorem et visibilem. » . HUGO DE S. VICTORE, De sacramentis christianae fidei, lib. , pars , cap. , Corpus Victorinum I, p. , l. -p. , l. : « Habet autem omnis aqua ex nateriali qualitate similitudinem quandam cum gratia sancti spiritus. quia sicut hec abluit sordes corporum. ita illa mundat inquinamenta animarum. Et ex hac quidem ingenita qualitate omnis aqua spiritalem gratiam representare habuit. priusquam etiam illam ex superaddita institutione significauit. Venit autem saluator & instituit uisibilem per aquam ablutionem corporum ad significandam inuisibilem, per spiritalem gratiam emundationem animarum & ex eo iam aqua non ex sola naturali similitudine representat. sed ex superaddita etiam institutione significat gratiam spiritualem. sed quia hec duo ut diximus nondum adhuc ad perfectum sufficiunt. accedit uerbum sanctificationis ad elementum et fit sacramentum. Ut sit sacramentum aqua uisibilis. ex similitudine representans. ex insitutione significans. ex sanctificatione continens gratiam spiritualem ad hunc modum in ceteris quoque sacramentis tria hec considerare oportet. »
APPENDICES
Il ressort donc du champ de la théologie sacramentaire où apparaît la figure de la manuductio, d’une part, qu’elle opère dans le cadre d’une théorie d’un signe spécifique, celui de la grâce invisible, et, plus précisément, d’un signe efficace, comme le mentionne explicitement le PseudoHugues de S. Victor, dans sa Summa sententiarum, tr. , chap. , et, d’autre part, que le transfert de la figure de la manuductio au champ de la théologie sacramentaire semble un geste interprétatif original de Maître Albert par rapport à ses sources. APPENDICE : LA
SOURCE DE LA DÉFINITION LOMBARDIENNE
DU SACREMENT ET SA FORME ORIGINELLE
En ce qui concerne la source et la forme originelle de la définition attribuée par Albert de Cologne à Pierre Lombard, dans le quatrième livre des Sentences : « le sacrement est la forme visible de la grâce invisible, dont elle porte la similitude et dont elle est la cause », la première portion de cette définition dérive d’Augustin que cite Béranger de Tours. Cette portion de la définition est reprise littéralement par Pierre Lombard en renvoyant, pour sa part, au De civitate Dei de l’évêque d’Hippone.
. [PS.-]HUGO DE S. VICTORE, Summa sententiarum, tr. , cap. , PL CLXXVI, col. B : « Non enim est solummodo sacrae rei signum, sed etiam efficacia. Et hoc est quod distat inter signum et sacramentum ; quia ad hoc ut sit signum non aliud exigit nisi ut illud significet cujus perhibetur signum, non ut conferat. » . Cf. PETRUS LOMBARDUS, Sententiarum liber quartus, d. , cap. , Spicilegium Bonaventurianum V/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, Epistula , cap. , n. , ed. A. Goldbacher, CSEL XXXIV/, F. Tempsky et G. Freytag, Pragae, Vindobonae et Lipsiae, , p. , l. - : « […] operatur per illum deus uisibilem sacramenti formam, ipse autem donat inuisibilem gratiam ? » . BERINGERIUS TURONENSIS, Rescriptum contra Lanfrannum, pars I, ed. R. B. C. Huygens, CCCM LXXXIV, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « […] est enim sacramentum prescribente beato Augustino invisibilis gratiae visibilis forma […] » ; ibid., pars II, p. , l. - : « […] ‘sacramentum est’, inquit, ‘invisibilis gratiae visibilis forma’. » ; p. , l. ; l. -. Cf. etiam GRATIANUS, Decretum magistri Gratiani (Concordia discordantium canonum), pars III (de consecratione), d. , canon , textus, ed. E. Friedberg, ex officiis Bernhardi Tauchnitz, Lipsiae, (Corpus iuris canonici, pars prior), p. , l. . . PETRUS LOMBARDUS, Sententiarum liber quartus, d. , cap. (), Spicilegium Bonaventurianum V/, p. , l. - : « Augustinus in libro De civitate Dei : “Sacramentum est invisibilis gratiae visibilis formae”. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De civitate Dei, lib. , cap. , ed. B. Dombard et A. Kalb, CCSL XLVII, Brepols, Turnhout, , p. , l. - : « Sacrificium ergo uisibile inuisibilis sacrificii sacramentum, id est sacrum signum est. »
CHAPITRE III
En ce qui concerne la seconde portion de la définition, l’apparat critique du De sacramentis d’Albert le Grand indique que l’expression cuius similitudinem gerat et causa existat serait empruntée à la Summa sententiarum du Ps.-Hugo. Elle se trouve, légèrement modifiée, dans le quatrième livre des Sentences de Pierre Lombard : Sacramentum eius rei similitudinem gerit, cuius signum est ainsi que dans le texte cité par le maître de Cologne. Dans son commentaire, le Dominicain rhénan la modifie de la manière suivante : “Sacramentum est invisibilis gratiae visibilis forma”, cujus similitudinem gerat, et causa existat. Cette seconde portion de la définition se trouve chez Augustin sous la forme cuius illa res similitudinem gerit, qui est citée par Béranger de Tours.
Cf. etiam AUGUSTINUS HIPPONENSIS, Quaestionum in Heptateuchum libri septem, lib. , Quaest. Leuitici, q. , ed. J. Fraipont, CCSL XXXIII, Brepols, Turnhout, , p. , l. p. , l. : « Quomodo ergo et Moyses sanctificat et dominus ? Non enim Moyses pro domino, sed Moyses uisibilibus sacramentis per ministerium suum, dominus autem inuisibili gratia per spiritum sanctum, ubi est totus fructus etiam uisibilium sacramentorum. » . [PS.-] HUGO DE S. VICTORE, Summa sententiarum, tr. , cap. , PL CLXXVI, col. AB. . PETRUS LOMBARDUS, Sententiarum liber quartus, d. , cap. , n. , Spicilegium Bonaventurianum V/, p. , l. -. . ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in IV Sententiarum, d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. : « Sacramentum enim proprie dicitur quod ita signum gratiae Dei, et invisibilis gratiae forma, ut ipsius imaginem gerat et causa existat. ». . ALBERTUS MAGNUS, Commentarii in IV Sententiarum, d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De catechizandis rudibus, cap. , n. , ed. J.-B. Bauer, CCSL XLVI, Brepols, Turnhout, , p. l. - : « […] de sacramento sane quod accipit, cum ei bene commendatum fuerit, signacula quidem rerum diuinarum esse uisibilia, sed res ipsas inuisibiles in eis honorari ; nec sic habendam esse illam speciem benedictione sanctificatam, quemadmodum habetur in usu quolibet : dicendum etiam quid significet et sermo ille quem audiuit, quid in illo condiat, cuius illa res similitudinem gerit. » . BERINGERIUS TURONENSIS, Rescriptum contra Lanfrannum, III, CCCM LXXXIV, p. , l. - : « Augustinus in libro de catechizandis rudibus : De sacramento quod accipit cum ei bene commendatum fuerit, signacula quidem rerum divinarum esse visibilia sed res invisibiles in eis honorari, nec sic habendam spetiem benedictione sanctificatam, quemadmodum in usu quolibet ; dicendum etiam quid significet, cuius illa res similitudinem gerat. »
Chapitre IV
Le Témoin et le fils. Lecture d’Albert le Grand à la lumière de la subversion eckhartienne du témoignage
D
es versets Jn , - – ‘Il y eut un homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean. Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Celui-là n’était pas la lumière (lux), mais en vue de rendre témoignage à la lumière (lumine)’ – Maître Eckhart donne une interprétation très différente de celle d’Albert de Cologne. Ces versets johanniques apparaissent comme l’un des lieux majeurs où se manifeste la position divergente des deux dominicains rhénans à propos de la question : l’intellect humain connaît-il le principe divin de manière médiate ou immédiate ? Examinons, d’abord, la conception eckhartienne du témoignage, avant de tenter une comparaison avec celle de Maître Albert, afin de voir si celle-ci est renversée par
. Jn , -, in ECKHARDUS TEUTONICUS, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, n. , hrsg. und übersetzt von K. Christ, B. Decker, J. Koch, H. Fischer, L. Sturlese und A. Zimmermann, Die lateinischen Werke III, Bd. III, Kohlhammer, Stuttgart, - (désormais cité In Ioh. avec la mention des pages et des lignes suivant le numéro du volume), p. , l. - : « […] ‘fuit homo missus a deo, cui nomen erat Iohannes. Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent per illum. Non erat ille lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine’. » . Pour une comparaison philosophique générale entre l’œuvre d’Albert le Grand et celle de Maître Eckhart, cf. GEYER, B., « Albertus Magnus und Meister Eckhart », in H. Moser, R. Schützeichel und K. Stackmann (Hrsg.), Festschrift Josef Quint anläßlich seines . Geburtstages, Bonn, , p. - ; RUELLO, F., La Notion de vérité chez saint Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin de à , Nauwelaerts, Louvain et Paris, ; IMBACH, R. und FLÜELER, Ch. (Hrsg.), Albert der Große und die Deutsche Dominikanerschule. Philosophische Perspektiven, Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie , Universitätsverlag Freiburg, Fribourg (Suisse), ; MOJSISCH, B., « Grundlinien der Philosophie Alberts des Großen », p. - ; FLASCH, K., « Von Dietrich zu Albert », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie (), p. - ; LIBERA, A. (de), « Philosophie et théologie chez Albert le Grand et dans l’école dominicaine allemande », in A. Zimmermann (Hrsg.), Die Kölner Universität im Mittelalter. Geistige Wurzeln und soziale Wirklichkeit, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. - ; LIBERA, A. (de), Albert le Grand et la philosophie (), Épilogue, p. - ; LIBERA,
CHAPITRE IV
la subversion de la connaissance médiate opérée par le maître thuringien. Il ne s’agira pas, par conséquent, ici d’exposer la doctrine eckhartienne du témoignage pour elle-même et d’en expliciter les fondements, mais seulement d’en énoncer les traits principaux, afin de mettre en lumière les présupposés de la thèse albertienne. I. L’enjeu herméneutique de la division du texte : témoignage ou filiation ? A. Deux manières de diviser le texte de l’ Évangile de Jean Du point de vue herméneutique, d’abord, tandis que le Docteur universel accorde une place centrale au témoignage dans l’architecture de l’ensemble du quatrième évangile, Maître Eckhart place, pour sa part, la césure prinA. (de), « Albert le Grand et Maître Eckhart : les raisons d’une ‘mystique’ », Communio /- (Mars-Juin ), p. - ; LIBERA, A. (de), La mystique rhénane d’Albert le Grand à Maître Eckhart, Éditions du Seuil, Paris, (Points Sagesse), spéc. p. -, réédition de l’Introduction à la mystique rhénane, O. E. I. L., Paris, ; LIBERA, A. (de), Raison et foi (), chap. , p. - ; LIBERA, A. de, Métaphysique et noétique (), chap. , p. - ; conclusion, p. - ; SENNER, W., « From Albert the Great to Meister Eckhart. The Wholeness of Science and Wisdom », Listening / (), p. - ; QUERO-SÁNCHEZ, A., « San Alberto Magno y el Idealismo Alemán de la Edad Media tardía (Maestro Eckhart y Teodorico de Freiberg) », Revista española de filosofía medieval (), p. - ; QUERO-SÁNCHEZ, A., Über das Dasein. Albertus Magnus und die Metaphysik des Idealismus, Kohlhammer, Stuttgart, (Meister-Eckhart-Jahrbuch, Beihefte ). . Qu’il me soit permis de signaler les textes suivants au lecteur qui désirerait connaître plus précisément la doctrine eckhartienne du témoignage et ses fondements métaphysiques, noétiques et logiques : CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice. Connaissance et vérité chez Maître Eckhart, Vrin, Paris, (Études de philosophie médiévale ), spéc. p. - ; p. , note ; CASTEIGT, J., « La figure du témoin et la question de la médiation dans le Prologue de Jean lu par Albert le Grand », p. - ; CASTEIGT, J., « Le Commentaire d’Albert le Grand au Prologue de l’Évangile selon Jean. Un texte liminaire au XIIIe siècle sur le seuil du commentaire exégétique et de l’œuvre philosophique », in P. Marot (éd.), Les Textes liminaires, vol. , PUM, Toulouse, (Essais de littérature – cribles), p. - (version électronique : http://w.pum.uni-tlse.fr/⁓Les-textesliminaires⁓.html) ; CASTEIGT, J., « La question de la médiation dans le commentaire du Prologue de l’Évangile selon saint Jean de Thomas d’Aquin », in Th.-D. Humbrecht (éd.), Saint Thomas, Le Cerf, Paris, (Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie), p. - ; CASTEIGT, J., « D’Albert le Grand à Maître Eckhart : transformation du genre du commentaire exégétique à propos des versets Jn , - », in D. James-Raoul (éd.), Les Genres en question, Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, (Eidôlon ), p. - ; CASTEIGT, J., « ‘La science de l’âme est plus certaine que toute autre science’. Une interprétation eckhartienne du témoignage (Jn , ) », χώρα, REAM - (-), p. - ; CASTEIGT, J., « Quelques propositions synthétiques pour une lecture des interprétations albertienne et eckhartienne de Jn , - », Archa Verbi. Subsidia, vol. , Aschendorff Verlag, Münster, , p. -. En ce qui concerne la bibliographie générale sur Eckhart, nous présupposons celle qui figure dans CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice (), p. -, et signalerons seulement les publications plus récentes citées dans cette étude.
LE TÉMOIN
ET LE FILS
cipale du seul Prologue de Jean au verset Jn , a – Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis. C’est, à ses yeux, en effet, l’incarnation et, plus précisément, la possibilité qu’elle ouvre à ‘ceux qui ont reçu’ le Verbe incarné d’être engendrés fils de Dieu qui tiennent lieu de point focal du . Sur les fondements augustiniens de cette lecture, cf. IMBACH, R., « La Filosofia nel ‘Commento al Prologo di S. Giovanni’ di S. Agostino, S. Tommaso e Meister Eckhart », in Studi , Istituto S. Tommaso, Roma, , p. -. . En complément bibliographique, sur les études récentes concernant la naissance de Dieu dans l’âme et la naissance en tant que fils de Dieu selon Maître Eckhart, cf. SACCON, A., Nascita e logos : conoscenza e teoria trinitaria in Meister Eckhart, La Città del Sole, Napoli, (Il pensiero e la storia ) ; STEER, G., « Meister Eckharts Predigtzyklus von der êwigen geburt. Mutmaßungen über die Zeit seiner Entstehung », in W. Haug und W. Schneider-Lastin (Hrsg.), Deutsche Mystik im abendländischen Zusammenhang. Neu erschlossene Texte, neue methodische Ansätze, neue theoretische Konzepte. Kolloquium Kloster Fischingen , Niemeyer, Tübingen, , p. - ; REAIDY, J., « Trinité et naissance mystique chez Eckhart et Tauler », Revue des sciences religieuses (), p. - ; VANNIER, M.-A., « Nouvelles perspectives sur la naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart », in A. Dierkens et B. Beyer de Ryke (éd.), Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec. Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe-XIVe siècles), Université de Bruxelles, Bruxelles, (Problèmes d’histoire des religions ), p. - ; MIETH, D., « Das Johannesevangelium in der ‘Mystik’ : Meister Eckharts Kommentar », Bibel und Kirche (), p. - ; LARGIER, N., « Kontextualisierung als Interpretation. Gottesgeburt und speculatio im Paradisus anime intelligentis », in A. Speer und L. Wegener (Hrsg.), Meister Eckhart in Erfurt, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. - ; WOLLBOLD, A., « Gottesgeburt und Christsein bei Meister Eckhart » Geist und Leben (), p. - ; PASQUA, H., « On the birth of God in the soul, Sermons - » Revue philosophique de Louvain (), p. - ; GUERIZOLI, R., Die Verinnerlichung des Göttlichen ; eine Studie über den Gottesgeburtszyklus und die Armutspredigt Meister Eckharts, Brill, Leiden und Boston, (Studien zur Geistesgeschichte des Mittelalters ) ; MÖSCH, C. F., « Daz disiu geburt geschehe » : Meister Eckharts Predigtzyklus Von der êwigen geburt und Johannes Taulers Predigten zum Weihnachtsfestkreis, Academic Press Fribourg, Fribourg, (Dokimion ) ; VANNIER, M.-A. (éd.), La naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues, Le Cerf, Paris, (Patrimoines christianisme) ; WITTE, K. H., « Von Straßburg nach Köln : Die Entwicklung der Gottesgeburtslehre Eckharts in den Kölner Predigten », in A. Quero-Sánchez und G. Steer (Hrsg.), Meister Eckharts Straßburger Jahrzehnt, Kohlhammer, Stuttgart, (Meister-Eckhart-Jahrbuch ), p. - ; VANNIER, M.-A., « Die Gottesgeburt in der Seele in Eckharts Straßburger Predigten », in A. Quero-Sánchez und G. Steer (Hrsg.), Meister Eckharts Straßburger Jahrzehnt, Kohlhammer, Stuttgart, (Meister-Eckhart-Jahrbuch ), p. ; version française : « La naissance de Dieu dans l’âme dans la prédication d’Eckhart à Strasbourg », p. - ; LAVAUD, L., « Naître hors du monde. Deux phénoménologies de la naissance : Maître Eckhart et Michel Henry », RSPT / (), p. - ; FLASCH, K., Meister Eckhart. Philosoph des Christentums, Beck, München, , p. - ; WOLZ-GOTTWALD, E., Meister Eckhart oder Der Weg zur Gottesgeburt im Menschen. Eine Hinführung, Hinder und Deelmann, Gladenbach, ; SCHWAETZER, H., « Die Verkündigung der Gottesgeburt : Meister Eckhart, Cusanus und Jan van Eyck », in H. Schwaetzer und G. Steer (Hrsg.), Meister Eckhart und Nikolaus von Kues, Kohlhammer, Stuttgart, (Meister-Eckhart-Jahrbuch ), p. - ; TSOPURASHVILI, T., Sprache und Metaphysik. Meister Eckharts Prädikationstheorie und ihre Auswirkung auf sein Denken, B. R. Grüner, Amsterdam, (Bochumer Studien zur Philosophie ), p. - ; KÜHN, R., « Anfang als transzendentale Genealogie. Geburt Gottes in der Seele bei Meister Eckhart », in M. Enders und R. Kühn, ‘Im Anfang war der Logos’. Studien zur Rezeptionsgeschichte des Johannesprologs von der Antike bis zur Gegenwart, Herder, Freiburg im Br., (Forschungen zur
CHAPITRE IV
Prologue johannique. Le signe de cette césure est, notamment, la reprise des versets Jn , à Jn , en un bref résumé entre les paragraphes et qui les constituent ainsi en unité textuelle distincte. Il s’ensuit, pour l’exégèse des versets à du Prologue, concernant Jean-Baptiste, qu’elle s’articule en deux moments différents. Le commentaire de ces versets selon la consécution linéaire de l’évangile, au paragraphe , énonce, d’une part, une théorie générale de la manifestation du principe par un envoyé. La reprise des versets à , dans le « bref résumé », donne lieu, d’autre part, à une théorie de l’altération et de la génération. Nous nous interrogerons plus tard sur la signification philosophique de cette lecture en termes physiques du rapport entre Jean-Baptiste et le Christ. Mais, tout d’abord, pourquoi ce décalage dans les manières albertienne et eckhartienne de diviser le texte ? B. La finalité de l’ Évangile de Jean : témoignage ou engendrement en tant que fils de Dieu ? L’enjeu philosophique en est l’interprétation de la finalité de l’évangile johannique. S’agit-il d’insister davantage, avec Eckhart, sur l’annonce qui y est faite de la possibilité, pour ‘ceux qui ont reçu’ le Verbe divin de europäischen Geistesgeschichte ), p. - ; KÜHN, R., « ‘Seelengeburt’ als ‘Anfang’ bei Meister Eckhart : zur lebensphänomenologischen Rezeption seines Johannesprologs », Münchener Theologische Zeitschrift (), p. - ; KOBUSCH, Th., « Meister Eckhart », in Th. Kobusch, Die Philosophie des Hoch- und Spätmittelalters, p. -, spéc. p. - ; PASQUA, H., « La naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues », Revue thomiste / (), p. - ; GUERIZOLI, R., « Le cycle de sermons sur la ‘naissance de Dieu dans l’âme’ », in J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Le Cerf, Paris, (Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie), p. - ; HÖSLE, V., « Die Gottesgeburt in der Seele : Anfänge deutschsprachigen Philosophierens im Mittelalter bei Meister Eckhart. Nikolaus von Kues’ Vollendung und Sprengung des mittelalterlichen Denkens », in Eine kurze Geschichte der deutschen Philosophie : Rückblick auf den deutschen Geist, Beck, München, , p. -. . Pour une présentation générale des œuvres latines de Maître Eckhart, cf. BECCARISI, A., « Eckhart’s Latin Works », in J. M. Hackett (ed.), A Companion to Meister Eckhart, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. - et, plus précisément, de l’Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, cf. FLASCH, K., « Meister Eckhart », in Das philosophische Denken im Mittelalter. Von Augustin zu Machiavelli, Reclam, Stuttgart, (Reclams UniversalBibliothek ), p. - ; BECCARISI, A., Eckhart, Carocci, Roma, (Pensatori ), p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , ] : « resumendo breviter » (« en résumant brièvement »). . Cf. LIBERA, A. (de), WÉBER, É.-H. et ZUM BRUNN, É. (éd.), L’Œuvre latine de Maître Eckhart, Commentaire sur le prologue de Jean (chap. , -), texte latin, introduction, traduction et notes, Paris, (OLME ), note complémentaire n. , p. -.
LE TÉMOIN
ET LE FILS
devenir fils de Dieu, c’est-à-dire de découvrir leur identité de nature avec l’être divin, en un certain sens de l’être ? Ou bien est-il plutôt question, avec le Doctor universalis, de souligner la dimension testimoniale de l’évangile johannique avec le témoignage que le Verbe incarné rend au principe (Jn -), avec celui que Jean-Baptiste rend au Verbe incarné (Jn , -) et peut-être aussi avec celui que Jean l’évangéliste rend au principe à partir de la vision qui, selon le prologue albertien, lui en a été directement donnée (Jn , -) ? Cette différence dans l’interprétation de l’intention majeure de l’œuvre johannique entraîne des conséquences noétiques et métaphysiques qui distinguent radicalement la pensée d’Eckhart de celle d’Albert le Grand. C. La connaissance médiate, celle qu’un aveugle a des couleurs ? Si, pour le Doctor magnus, le témoignage correspond à une connaissance médiate du principe, pour le Thuringien, en revanche, connaître par une quelconque médiation revient à connaître comme un aveugle connaît les couleurs sans jamais les avoir vues ou comme un pie qui babille maîtrise
. Le Dominicain rhénan compare la contemplation de l’évangéliste Jean à la vision de l’aigle capable de voir le soleil en sa roue : cf. supra introduction, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. . Jean aperçoit, selon le Doctor magnus, la génération du Verbe divin dans la Trinité, cf. supra introduction, p. , notes -, ibid., p. ; cf. supra introduction, p. , note , Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. ; cf. supra introduction, p. , note , Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. -. En outre, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « […] et in ipso incircumscripto lumine per contemplationem volare ». (« voler, par la contemplation, dans la lumière (lumine) incirconscrite même ») ; Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « Sic ergo Joannes ‘aquila grandis alarum magnarum’ est, quibus in coena recubuit supra pectus Domini, ‘in quo sunt omnes thesauri sapientis et scientiae’, Dei, ‘absconditi’, sicut dicitur, ad Coloss. II, . ». (« Ainsi donc Jean est-il ‘le grand aigle aux grandes ailes’ par lesquelles il reposa pendant la Cène sur la poitrine du Seigneur ‘dans laquelle se trouvent tous les trésors de la sagesse et de la science de ce qui est caché’, c’est-à-dire de Dieu, comme il est dit en Col. , . ») ; Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. : « […] Joannes, qui arcana Verbi ab ipso sacro Dominici pectoris fonte potavit. » (« […] Jean qui a bu les secrets du Verbe à la source sacrée elle-même de la poitrine du Seigneur. »). . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , (Jn , ), [LW III, , -, ] : « Non sic quae ab extra discimus videndo vel audiendo ; nisi tales simus per inesse et per esse, possumus quidem de talibus loqui sicut caecus de coloribus, nequaquam tamen scire possumus. » (« Il n’en est pas ainsi de ce que nous apprenons en voyant ou en entendant de l’extérieur. Si nous ne sommes tels par “l’être dans” et par l’être, nous pouvons certes parler de tels comme un aveugle des couleurs et, cependant, nous ne pouvons en aucune façon savoir. »
CHAPITRE IV
le langage sans, pour autant, articuler les images acoustiques à leurs signifiés. Celui qui prétend connaître par le truchement d’un témoin n’a, en réalité, selon Eckhart, aucune expérience intérieure de ce qu’il prétend faire connaître. Et sa connaissance n’est, en outre, fondée sur aucune certitude. Ce que Maître Eckhart opère, au paragraphe , est, par conséquent, une véritable subversion du témoignage considéré comme connaissance médiate. En reconduisant le témoignage à sa condition de possibilité, le Thuringien montre que la connaissance médiate, loin de seulement conduire à la connaissance immédiate, la présuppose, au contraire. Pour témoigner en vérité, le témoin doit, en effet, connaître ce dont il témoigne. Or cette connaissance suppose l’engendrement de celui qui témoigne dans l’être de ce dont il témoigne : « Nul ne rend témoignage à la justice, sinon le juste, le fils engendré par elle ». Telle est, du moins, l’interprétation eckhartienne du troisième livre du De anima. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , (Jn , ), [LW III, , -] : « Secundo notandum quod nemo potest scire nec videre nec testari super virtute aut veritate et iustitia nisi in se ipso iustus fuerit. Unde Matth. dicitur : ‘scimus quia verax es et viam dei in veritate doces’ et Cor. : ‘nemo potest dicere “dominus Iesus” nisi in spiritu sancto’. Potest quidem verba dicere materialiter sicut pica et sicut caecus de coloribus. » (« Deuxièmement, il faut remarquer que personne ne peut savoir, voir ni témoigner de la vertu ou de la vérité et de la justice, s’il n’est en lui-même juste. De ce fait, il est dit en Mt (, ) : ‘Nous savons que tu es vérace et que tu enseignes la voie de Dieu dans la vérité’ et en Co. ( Co. , ) : ‘Personne ne peut dire “Seigneur Jésus”, sinon dans l’Esprit Saint’. Certes, il peut dire des paroles matériellement comme une pie et comme un aveugle au sujet des couleurs. ») . Sur les limites de la connaissance, en complément bibliographique, cf. KOBUSCH, Th., « The limits of theoretical Reason », in M. C. Pacheco et J. F. Meirinhos (éd.), Intellect et imagination dans la philosophie médiévale, t. , p. -, spéc. p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In. Ioh., n. , [LW III, , -] : « Nemo dat testimonium iustitiae nisi iustus, filius genitus ab ipsa. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Tertium est quod potentia passiva seu receptiva universaliter et naturaliter per id, quod quid est potentia, totum suum esse accipit ab obiecto, et ab ipso solo, non plus a suo subiecto quam ab alio quolibet alieno subiecto. Adhuc autem accipit idem esse quod est obiecti, inquantum est potentia. Et hoc est quod dicit philosophus : non solum in separatis a materia, sed etiam in corporalibus sensum et sensibile in actu esse idem. Licet enim sensibile non det esse oculo secundum id quod oculus est sive ens est, nec etiam oculus dat sensibili esse secundum id quod ens est – nam secundum hoc duo sunt sensus et sensibile –, tamen ut actu sunt, hoc videns, illud visum, sic unum sunt, uno sunt et eodem actu sunt hoc videns, illud visum. Unde Augustinus IX l. De trinitate c. sic ait : “liquido tenendum est quod omnis res, quamcumque cognoscimus, congenerat in nobis notitiam sui.” Hoc Augustinus. Tolle ergo videre oculo, tollis videri obiecto. Et e converso : tolle videri obiecto, tollis videre oculo. Videre et videri unum sunt, idem, id est : simul incipiunt, stant, cadunt et resurgunt, simul oriuntur et moriuntur. Nec natura nec intellectus nec deus ista separare potest. »
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Ce en quoi consiste tout acte de connaissance sensitive ou intellective est, en effet, l’union en acte de l’actif et du passif, du voyant et du vu, du percevant et du perçu. Cette union en acte est interprétée par Maître Eckhart comme une production d’identité de nature dans la différence de relation entre l’actif et le passif. Il donne à ce mode de production le nom d’engendrement. La théorie générale de la manifestation du principe qui est, par conséquent, formulée dans le paragraphe pose que la connaissance médiate qu’est le témoignage repose « Le troisième : la puissance passive ou réceptive reçoit universellement et par nature, par le fait qu’elle est puissance, tout son être de l’objet et de lui seul, pas plus de son substrat que de n’importe quel autre substrat. Or, en outre, elle reçoit le même être que celui de l’objet, en tant qu’elle est en puissance. Et c’est ce que dit le Philosophe : non seulement dans les séparés de matière, mais aussi dans les corporels, le sens et le sensible sont identiques en acte. Car, bien que le sensible ne donne pas l’être à l’œil selon qu’il est un œil ou un étant et que l’œil, lui non plus, ne donne pas au sensible l’être selon lequel il est un étant – car, selon cela, le sens et le sensible sont deux –, cependant, en tant qu’ils sont en acte, celui-ci voyant, celui-là vu, ils sont un et, par un seul et même acte, ils sont, celui-ci voyant, celui-là vu. Ainsi dit, par suite, Augustin au neuvième livre, douzième chapitre du De trinitate : “Il faut tenir pour évident que toute chose que nous connaissons coengendre en nous la connaissance d’elle-même”. Ceci Augustin. Ôte donc à l’œil de voir, tu ôtes à l’objet d’être vu. Et, à l’inverse, ôte à l’objet d’être vu, tu ôtes à l’œil de voir. Voir et être vu sont un, identiques, c’est-à-dire qu’ils commencent, durent, tombent et se relèvent ensemble ; ensemble ils naissent et ils meurent. Ni la nature, ni l’intellect, ni Dieu ne peuvent les séparer. » Cf. ARISTOTELES De anima, lib. , cap. ( b - a ), spéc. ( b - et a -), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, Commissio Leonina et Vrin, Roma et Paris, , p. ab et in ALBERTUS MAGNUS, De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, de p. , l. - à p. , l. - : « Sensibilis autem actus et sensus idem quidem est et unus, esse autem ipsorum non idem. […] Quoniam autem unus quidem est actus sensibilis et sensitivi, esse autem alterum est, necesse est ergo simul corrumpi et salvari […]. » (« L’acte sensible et le sens sont, certes, identiques et un, mais leur être n’est pas identique. […] Puisque l’acte du sensible et du sensitif est, certes, un, mais que leur être est autre, il est donc nécessaire qu’ils soient ensemble corrompus et conservés […]. ») Sur l’interprétation de ce passage, cf. WELTE, B., « Meister Eckhart als Aristoteliker », in M. Müller und M. Schmaus (Hrsg.), Philosophisches Jahrbuch der Görresgesellschaft (), Freiburg i. Br. und München, p. - ; WELTE, B., Auf der Spur des Ewigen, Herder, Freiburg i. Br., Basel und Wien, , p. - ; BORMANN, K., « Das Verhältnis Meister Eckharts zur aristotelischen Philosophie. Zu einer aristotelischen Lehre bei Meister Eckhart », in U. Kern (Hrsg.), in Verbindung mit H. Falcke und F. Hoffmann, Freiheit und Gelassenheit. Meister Eckhart heute, Kaiser, München und Mainz, , p. - ; HELTING, H., « Aristotelische Intellekttheorie und die ‘Sohnesgeburt’ bei Meister Eckhart. Einführende Überlegungen in die Problematik dieses Verhältnisses », Zeitschrift für Philosophie und Theologie (), p. - ; CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice (), p. - ; BECCARISI, A., « Der hoehste under den meistern. Eckhart e il De anima di Aristotele », in L. Sturlese (ed.), Studi sulle fonti di Meister Eckhart I, Academic Press, Fribourg, (Dokimion ), p. - ; CASTEIGT, J., « Le De anima dans l’Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem de Maître Eckhart : une révolution aristotélicienne dans la noétique eckhartienne ? », in R. Friedman and J.-M. Counet (eds), Medieval Perspectives on Aristotle’s De Anima, Institut Supérieur de Philosophie, Peeters, Louvain-la-Neuve et Leuven, , p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In. Ioh. n. , [LW III, , -] : « Notandum ergo quod iustus, inquantum iustus, participat quidem ipsam iustitiam, et ipse ut sic mittitur sive missus est
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sur la condition de possibilité qu’en constitue la connaissance immédiate et intérieure qui fait du témoin un fils, identique en son être à ce qu’il connaît et qu’il fait, par suite, connaître. Ce que révèle le témoin est, par conséquent, l’identité d’être et l’immédiateté propres à la relation d’engendrement qui le lie au principe dont il témoigne. Or ce qui apparaît comme le renversement eckhartien de la conception du témoignage, en vertu de sa doctrine de la connaissance comme engendrement, consonne très exactement avec la lettre de l’évangile. Jean-Baptiste n’annonce-t-il pas, en effet, que celui qui vient derrière lui était avant lui (Jn , ) ? Si le témoin précède le fils chronologiquement, il le suit logiquement. Mais cela implique de faire varier les sens de l’être. D. Le fils, condition de possibilité du témoignage : une question de sens de l’être ? En quel sens Maître Eckhart nous invite-t-il à entendre ce renversement de la médiation testimoniale dans l’immédiateté filiale ? Si être témoin suppose, selon le Thuringien, d’être fils, c’est que témoin et fils ne se disent pas selon le même sens d’être. Le sens de l’être qui échoit au témoin suppose que celui-ci se tienne de manière extérieure au principe dont il témoigne. En ce sens, le témoin est considéré, du point de vue de l’être selon la nature, comme un substrat humain auquel incombe un certain nombre d’accidents dont celui d’être juste, par exemple. D’un tel accident ‘juste’ découle que l’homme juste fasse connaître, par ses actes, ses paroles ou tout autre moyen, la justice à laquelle il rend ainsi témoignage. Être témoin signifie, par suite, se tenir, par rapport au principe dont il témoigne, sous le régime de l’analogie.
a iustitia, et ipse est qui testimonium perhibet de ipsa iustitia, et quia est et qualis illa, sed ipse non est iustitia, sed missus et genitus ab ipsa. Nemo enim nisi iustus novit iustitiam, Matth. : ‘nemo novit patrem nisi filius’ ; et Apoc. : ‘nemo novit, nisi qui accipit’. Et propter hoc consequenter nemo dat testimonium iustitiae nisi iustus, filius genitus ab ipsa. » « Il faut donc remarquer que le juste, en tant que juste, participe bien la justice elle-même et que lui-même, comme tel, est ou a été envoyé par la justice et qu’il est lui-même celui qui rend témoignage à la justice elle-même, à la fois qu’elle est et quelle elle est, mais qu’il n’est pas lui-même la justice, mais qu’il est envoyé et engendré par elle. Nul, en effet, ne connaît la justice, sinon le juste, Mt (, ) : ‘Nul ne connaît le Père, sinon le Fils’ ; et Ap. (, ) : ‘Nul ne connaît, sinon celui qui reçoit’. Et, pour cette raison, nul ne rend, par conséquent, témoignage à la justice, sinon le juste, le fils engendré par elle. »
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Le fils, en revanche, est, en son être même, identique à celui qui l’engendre. Dès lors, le juste ne saurait être identique à la justice que selon l’être opératoire, c’est-à-dire dans l’acte même par lequel la justice est l’unique cause formelle qui le rend juste et lui donne ainsi de porter le nom ‘juste’. Selon la causalité formelle, le juste tient par définition tout son être juste de la justice. Être fils signifie, par suite, se tenir, par rapport au principe qui l’engendre, sous le régime de l’univocité, selon l’être opératoire. Si donc être témoin et être fils ne se disent pas selon le même sens d’être, il est, dès lors, possible qu’un même homme soit à la fois témoin, selon le sens analogique, et fils, selon le sens univoque de l’être. C’est pourquoi un homme qui existe dans un substrat, selon l’être de la nature, est, selon l’être univoque, fils du principe. En revanche, dans la perspective albertienne, l’intellect humain qui est conjoint aux sens et à l’imagination, dans l’existence, et l’intellect séparé qui a quasi la forme de l’agent pourraient-ils être attribués simultanément au même homme, selon deux points de vue différents ? Ces deux états de l’intellect sont, aux yeux de Maître Eckhart, deux manières selon lesquelles l’être se dit. En d’autres termes, la justice est à la fois – selon le régime de l’analogie – l’accident qui échoit à l’homme juste et – selon le régime de l’univocité – la cause formelle unique qui lui donne de porter le nom ‘juste’ en tant qu’il est juste. Tout témoin doit donc être fils. Selon l’être de la nature, le témoin fait, en effet, connaître de manière extérieure et médiate ce qu’il connaît en son être même, immédiatement, selon l’être opératoire, dans l’acte même par lequel il connaît le principe dont il témoigne. Il ressort de la théorie générale de la manifestation du principe et de la connaissance exposée dans le paragraphe de l’Expositio sancti evangelii secundum Iohannem que l’exégèse des versets Jn , - soulève un . Sur la différence entre sujet (entendu comme support) et image comme rempart eckhartien contre le panthéisme et les deux théories complémentaires de l’image qu’elle entraîne, cf. BOULNOIS, O., Au-delà de l’image (), p. -. . Sur les fondements averroïstes de la conception eckhartienne de l’intellect, cf. LIBERA, A. (de), « Averroïsme éthique et philosophie mystique », in L. Bianchi (ed.), Filosofia e teologia nel trecento. Studi in ricordo di Eugenio Randi, Textes et études du Moyen Âge , Fédération internationale des Instituts d’études médiévales, Louvain-la-Neuve, , p. - ; FLASCH, K., Meister Eckhart. Die Geburt der « Deutschen Mystik » aus dem Geist der arabischen Philosophie, p. - ; FLASCH, K., D’Averroès à Maître Eckhart. Les sources arabes de la « mystique » allemande, p. -.
CHAPITRE IV
problème métaphysique crucial : comment articuler le témoin au fils, l’analogie à l’univocité de l’être, le devenir à l’être en tant qu’être, la physique à la métaphysique ? II. Du témoin au fils, passage métaphysique du devenir à l’être en tant qu’être A. Le paradigme du juste et de la justice, opérateur du passage logique, ontologique et causal du témoin au fils C’est le paradigme du juste et de la justice – modèle pour une théorie sémantique des paronymes abstraits et concrets et pour une théorie . Cf. Mag. Echardi Responsio ad articulos sibi impositos de scriptis et dictis suis I, n. , in Acta et regesta vitam magistri Echardi illustrantia n. , hrsg. von L. Sturlese, in MEISTER ECKHART, Die lateinischen Werke, Bd. V, Kohlhammer, Stuttgart, -, [LW V, , -, ] : « Primum est quod li ‘in quantum’, reduplicatio scilicet, excludit omne aliud, omne alienum etiam secundum rationem a termino. Licet enim in deo sit idem esse et intelligere, dicimus tamen deum non esse malum, quamvis dicamus eum intelligere malum. Et quamvis in deo patre idem sit essentia et paternitas, non tamen generat in quantum essentia, sed in quantum pater, quamvis essentia sit radix generationis. Procedunt enim actus divinorum etiam absoluti a deo, secundum proprietatem attributorum, ut dicit quaedam maxima theologiae. Unde Bernardus V l. De consideratione dicit quod deus amat ut caritas, novit ut veritas, sedet ut aequitas, dominatur ut maiestas, operatur ut virtus, revelat ut lux, etc. » « Le premier est qu’ ‘en tant que’, c’est-à-dire la reduplication, exclut du terme tout autre (aliud), tout étranger, ne fût-ce que selon la raison. Car, bien qu’en Dieu être et intelliger soient identiques, nous disons, cependant, que Dieu n’est pas le mal, bien que nous disions qu’il intellige le mal. Et, bien qu’en Dieu-Père, l’essence et la paternité soient identiques, il n’engendre, cependant, pas en tant qu’essence mais en tant que Père, bien que l’essence soit la racine de la génération. Les actes des divins, même absolus, procèdent, en effet, de Dieu, selon la propriété des attributs, comme dit une maxime de théologie. De ce fait, Bernard dit, au cinquième livre du De consideratione, que Dieu aime en tant que charité, connaît en tant que vérité, siège en tant qu’équité, est seigneur en tant que majesté, opère en tant que vertu, révèle en tant que lumière, etc. » Votum theologorum Avenionensium, a. , n. , in Acta et regesta vitam magistri Echardi illustrantia n. , hrsg. und kommentiert von L. Sturlese, Die lateinischen Werke, Bd. V, Kohlhammer, Stuttgart, (désormais noté AE), [LW V, , -] : « Istum articulum verificat, quia Christus caput et nos membra ; cum loquimur, in nobis loquitur. Item in Christo tanta fuit unio verbi cum carne quod communicat sibi idiomata, ut deus dicatur passus et homo creator caeli. Et ipsi Christo proprie competit quod dicatur iustus in quantum iustus. Li ‘in quantum’, reduplicatio, excludit omne alienum a termino. In Christo autem non est esse aliud hypostaticum nisi verbi. In aliis autem hominibus verificatur plus et minus. Iustus etiam dicitur generator verbi aeterni et hoc dicit Augustinus, quia inter cognoscens et cognitum generatur verbum et inter amans et amatum. » « Cet article vérifie que le Christ la tête et que nous les membres. Quand nous parlons, il parle en nous. De même, dans le Christ, l’union du Verbe avec la chair fut si grande qu’elle lui communique les idiomes* (idiomata), comme Dieu est dit avoir souffert et l’homme créateur du ciel. Et il revient en propre au Christ lui-même d’être dit juste en tant que juste. ‘En tant
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ontologique des relations entre principe et principié – qui opère le passage du témoignage à l’engendrement et permet de dire d’un même que’, la reduplication, exclut tout étranger au terme. Or, dans le Christ, il n’y a pas d’autre être hypostatique que celui du Verbe. Dans les autres hommes, en revanche, cela est vérifié plus ou moins. Le juste est même dit ‟celui qui engendre le Verbe éternel”. Et Augustin** dit cela, parce qu’entre le connaissant et le connu, un verbe est engendré ainsi qu’entre l’amant et l’aimé. » * Les idiomes (idiomata) sont les propriétés exclusives de la nature divine et de la nature humaine. ** AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De trinitate, lib. , cap. , n. , CCSL L, p. , l. -. Au sujet des raisons du choix du paradigme du juste et de la justice, cf. PIESCH, H., « Meister Eckhart’s Lehre vom ‘Gerechtem’ », in Festschrift der Nationalbibliothek Wien, herausgegeben zur Feier des jährigen Bestehens des Gebäudes, Österreichische Staatsdrückerei, Wien, , p. - ; QUINT, J., « Anmerkungen zu Buoch der goetlîchen troestunge », n. , in ECKHARDUS TEUTONICUS, Die deutschen Werke, hrsg. J. Quint, Bd V, Kohlhammer, Stuttgart, , [DW V, ] ; BINDSCHEDLER, M., « Meister Eckhart’s Lehre von der Gerechtigkeit », Studia philosophica. Jahrbuch der Schweizerischen Philosophischen Gesellschaft (), p. - ; VANNINI, M., « La Justice et la génération du Logos dans le Commentaire eckhartien à l’Évangile selon saint Jean », in É. Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart. Textes et études, J. Millon, Grenoble, , e éd. , p. -. Pour une interprétation philosophique de ce paradigme, cf. notamment MOJSISCH, B., Meister Eckhart, Analogie, Univozität und Einheit, Felix Meiner Verlag, Hamburg, , p. - ; - ; ZUM BRUNN, É. et LIBERA, A. (de), Maître Eckhart, Métaphysique du Verbe et théologie négative, Beauchesne, Paris, (BAP ), p. ; CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice (), p. ; et dans le cadre d’une présentation générale de la doctrine des transcendantaux chez Maître Eckhart, cf., en particulier, AERTSEN, J. A., « Meister Eckhart : eine außerordentliche Metaphysik », Recherches de théologie et philosophie médiévales / ( ), p. -. En complément bibliographique, voici les études plus récentes à ce sujet : FADEN, G., « Zur Metaphysik der Gerechtigkeit bei Meister Eckhart », Prima Philosophia (), p. - ; KROLL, S., ‘Die Gerechten werden leben ewiglich bei Gott’. Eine Studie zur Dialektik des Gerechtigkeitsbegriffs bei Meister Eckhart unter Berücksichtigung formal-methodologischer Fragestellungen, P. Lang, Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford und Wien, ; MOJSISCH, B., « Perfectiones spirituales – Meister Eckharts Theorie der geistigen Vollkommenheiten », in M. Pickavé (Hrsg.), Die Logik des Transzendentalen (Festschrift für Jan A. Aertsen zum . Geburtstag), Walter de Gruyter, Berlin, , p. – ; BERIASCHWILI, M., « Meister Eckharts Auslegung zum Begriff der biblischen Gerechtigkeit », in W. Geerlings und C. Schulze (Hrsg.), Der Kommentar in Antike und Mittelalter, Bd : Neue Beiträge zu seiner Erforschung, Brill, Leiden, Boston und Köln, (Clavis Commentariorum Antiquitatis et Medii Aevi ), p. - ; SCHIRPENBACH, M. P., Wirklichkeit als Beziehung. Das strukturontologische Schema der Termini generales im Opus tripartitum Meister Eckharts, Aschendorff, Münster, (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, N. S. ) ; SCHIRPENBACH, M. P., « Alles auf Gott hin denken. Meister Eckharts Aufdeckung der Beziehungsstruktur der Wirklichkeit im Opus Tripartitum », in T. Marschler und C. Ohly (Hrsg.), Spes nostra firma. Festschrift für Joachim Kardinal Meisner zum . Geburtstag, Aschendorff, Münster, , p. - ; FRÖHLING, E., Der Gerechte werden. Meister Eckhart im Spiegel der Neuen Politischen Theologie, Matthias Grünewald Verlag, Ostfildern, ; TSOPURASHVILI, T., Sprache und Metaphysik (), p. -. . Pour un plus ample développement de ce point sémantique et ontologique capital, cf. LIBERA, A. (de), Le Problème de l’être chez Maître Eckhart : logique et métaphysique de l’analogie, Cahiers de la revue de théologie et de philosophie , Genève, Lausanne et Neuchâtel, ; LIBERA, A. (de), « À propos de quelques théories logiques de Maître Eckhart », Revue de théologie et de philosophie (), p. - et une bibliographie plus précise ainsi que les références aux textes eckhartiens dans le chapitre , III de CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice (), p. -.
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homme qu’il est témoin de la justice, selon le sens analogue de l’être, et fils de la justice, selon son sens univoque. Ce paradigme est à ce point essentiel, aux yeux du maître de Thuringe, qu’il fait, dans son sixième sermon allemand, la promesse selon laquelle « celui qui saisit la distinction de la justice et du juste comprend tout ce que je dis ». La formule « juste en tant que juste » est un opérateur logique et métaphysique qui exclut tout ce qui est étranger au terme redupliqué, notamment le substrat et le régime de la causalité extérieure, à savoir les causes efficiente et finale, pour se concentrer purement sur la causalité formelle. La fonction de l’en tant que est ainsi de produire à la fois de l’exclusivité et de l’éminence. La vertu de l’inquantum de la formule « le juste en tant que juste » consiste, en effet, à viser, dans l’être juste d’un substrat qui existe selon le devenir, à la fois son sens éminent (ce qui est vraiment) et son sens restrictif (ce qui n’est que cela) au sens de la pureté d’être. Celui qui est juste et connaît la justice, selon le sens analogue de l’être, de manière médiate et extérieure est, en tant qu’il est juste, identique à elle et la connaît immédiatement et intérieurement, selon l’être . ECKHARDUS TEUTONICUS, Pr. , Iusti autem in perpetuum vivent et apud dominum est merces eorum (Sap. , ), in Predigten -, hrsg. und übersetzt von J. Quint, Die deutschen Werke, Bd. I, Kohlhammer, Stuttgart, , [DW I, , -] : « Swer underscheit verstât von gerehticheit und von gerehtem, der verstât allez, daz ich sage. » (« Celui qui saisit la distinction de la justice et du juste comprend tout ce que je dis. ») ECKHARDUS TEUTONICUS [MAÎTRE ECKHART], Traités et sermons, traduction, introduction, notes et index d’A. de Libera, GF-Flammarion, Paris, (re éd.), (e éd. corrigée et mise à jour, ), p. . . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, Votum theologorum Avenionensium, a. , AE n. , n. , [LW V, , -] : « Et ipsi Christo proprie competit quod dicatur iustus in quantum iustus. Li ‘in quantum’, reduplicatio, excludit omne alienum a termino. » (« Et il revient en propre au Christ lui-même d’être dit juste en tant que juste. ‘En tant que’, la reduplication, exclut tout étranger au terme. »). Cf. supra chapitre IV, p. , note , Mag. Echardi Responsio ad articulos sibi impositos I, Proc. Col. I, AE n. , n. , [LW V, , -] : « Primum est quod li ‘in quantum’, reduplicatio scilicet, excludit omne aliud, omne alienum etiam secundum rationem a termino. » (« Le premier est qu’ ‘en tant que’, c’est-à-dire la reduplication, exclut du terme tout autre (aliud), tout étranger, fût-ce selon la raison. »). Pour une étude de la reduplicatio dans le Votum theologorum Avenionensium, cf. CASTEIGT, J., « Reduplicatio excludit omne alienum a termino. Accident et qualité redupliquée à partir de l’article d’Eckhart condamné dans la bulle pontificale In agro dominico », Revue thomiste (), p. -. . En complément bibliographique sur l’intériorité chez Maître Eckhart, cf. WITTE, K. H., « Meister Eckharts Philosophie des Innen. Zur ‘Enthöhung’ der Transzendenz », in R. Kühn und S. Laoureux (Hrsg.), Meister Eckhart – Erkenntnis und Mystik des Lebens. Forschungsbeiträge der Lebensphänomenologie, Alber, Freiburg und München, , p. – ; FLASCH, K., Meister
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opératoire. Par le paradigme du juste et de la justice, Maître Eckhart cherche à penser l’articulation de l’être en tant qu’être et du devenir. L’être en tant qu’être, loin d’être donné immédiatement et en tant que tel au terme du devenir, lorsque l’intellect humain n’est plus soumis aux conditions naturelles de l’existence, se manifeste immédiatement dans le devenir, mais selon un autre sens d’être que celui de la nature en devenir, à savoir selon l’être opératoire. Autrement dit, l’être en tant qu’être est à la fois la condition de possibilité du devenir et son accomplissement, de même qu’être fils du principe est présupposé par le témoignage et accomplit le mode de connaissance extérieur et incertain qu’est ce dernier en un mode immédiat et certain. B. La génération, terme du processus de l’altération ? C’est à partir des rapports de l’altération et de la génération que Maître Eckhart propose de penser les relations de l’être selon la nature et de Eckhart. Philosoph des Christentums, spéc. sur l’intériorité fondée sur l’unité du connaissant et du connu, p. - ; KOBUSCH, Th., « Mystik als Metaphysik des Inneren », in R. D. Schiewer und R. K. Weigand (Hrsg.), Meister Eckhart und Augustinus, Kohlhammer, Stuttgart, (Meister-Eckhart-Jahrbuch ), p. - ; BECCARISI, A., « Hic imaginatio deficit. Die Metaphysik des Intellekts bei Meister Eckhart », in G. M. A. Margagliotta and A. A. Robiglio (eds), Art, intellect and politics. A diachronic perspective, Brill, Leiden, (Studies on the interaction of art, thought and power ), p. -. . Sur l’articulation entre temps et éternité, cf. LARGIER, N., Zeit, Zeitlichkeit, Ewigkeit. Ein Aufriß des Zeitproblems bei Dietrich von Freiberg und Meister Eckhart, Peter Lang, Bern, Frankfurt a. M. und New York, (Deutsche Literatur von den Anfängen bis , ) ; LARGIER, N., « Time and Temporality in the ‘German Dominican School’. Outlines of a Philosophical Debate between Nicolaus of Strasbourg, Dietrich of Freiberg, Eckhart of Hoheim and Ioannes Tauler », in P. Porro (ed.), The Medieval Concept of Time. The Scholastic Debate and its Reception in Early Modern Philosophy, Brill, Leiden, Boston and Köln, (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters ), p. - ; HAUG, W., « Der Durchbruch durch die Ordnung der Zeit in der abendländischen Mystik », in T. Schabert und M. Riedl (Hrsg.), Das Ordnen der Zeit, Königshausen und Neumann, Wiesbaden, (Eranos, N. F. ), p. - ; KERN, U., « Aeternitas, aevum und tempus als modi durationum. Zu Eckharts theoontologischer Verortung der Dauer », Neue Zeitschrift für systematische Theologie und Religionsphilosophie / (), p. - ; SCHÖNBERGER, R., « Meister Eckhart. Denken und Innewerden des Einen », in Th. Kobusch (Hrsg.), Große Philosophen, Bd. : Philosophen des Mittelalters, WBG, Darmstadt, , p. - ; BRUNNER, F., « Peut-on dépasser l’espace et le temps ? », in Études sur Maître Eckhart, Hermann, Paris, , p. - (re éd. : ) ; BRUNNER, F., « Le dépassement de l’espace et du temps chez Maître Eckhart », in Études sur Maître Eckhart, Hermann, Paris, , p. - (re parution : ) ; GABRIEL, J., « Meister Eckhart – aus der Ewigkeit in die Zeit », in J. Gabriel, Rückkehr zu Gott : die Predigten Johannes Taulers in ihrem zeit- und geistesgeschichtlichen Kontext ; zugleich eine Geschichte hochmittelalterlicher Spiritualität und Theologie, Echter, Würzburg, (Studien zur systematischen und spirituellen Theologie ), p. -.
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l’être en tant qu’être. L’articulation entre le changement selon la qualité, que constitue, d’après le De generatione et corruptione, l’altération, d’un côté, et, de l’autre, le changement selon la substance, que représente la génération, fournit, en effet, un modèle pour concevoir les rapports des processus qui s’inscrivent dans une durée chronologique avec les événements qui ressortissent plutôt à l’instant. En quelle mesure l’altération prépare-t-elle, notamment, la génération ? Celle-ci est-elle le fruit de celle-là ? Ne lui est-elle pas, au contraire, hétérogène ? Pour répondre à ces questions, Maître Eckhart procède de la manière suivante : il transpose des citations de l’Évangile de Jean relatives au rapport de Jean-Baptiste et du Christ en sept propriétés physiques, afin de penser ensemble les relations de l’altération et de la génération, d’un côté, et celles du précurseur, Jean-Baptiste, et de l’incarnation du Verbe divin, de l’autre. En une formulation synthétique, ces sept propriétés se laissent regrouper sous trois thèses principales. La première thèse : l’altération des accidents prépare la génération de la forme De même que « le mouvement est l’acte imparfait », de même l’altération se rapporte-t-elle à la forme qui sera produite dans la génération . ARISTOTELES, De generatione et corruptione, lib. , cap. ( b -), Arist. Lat. IX/, transl. vetus, p. , l. -p. , l. et in THOMAS DE AQUINO, Commentaria de generatione et corruptione, lib. , lect. , textus , Ed. Leonina III, Romae, , p. b. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Dicamus ergo ad praesens quod alteratio septem quasdam habet proprietates in verbis ultimo hic iam adductis figuratas. » (« Disons donc à présent que l’altération possède sept propriétés figurées dans les paroles déjà présentées ici en dernier lieu. ») . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Prima est quod alteratio et generatio se habent sicut moveri et motum esse sive fieri et factum esse, sicut informe et imperfectum ad formam et perfectum. “Motus enim actus imperfecti” est. Et hoc est quod hic dicitur ex persona Iohannis : ‘ego vox’. Vox enim ad verbum se habet sicut informe et imperfectum ad formam et perfectum : ‟vox Iohannes, verbum Christus”. » « La première est que l’altération et la génération se rapportent entre elles comme se mouvoir et s’être mû ou devenir et être devenu, de même que l’informe et l’imparfait par rapport à la forme et au parfait. “Le mouvement est, en effet, l’acte de l’imparfait”. Et c’est ce qui est dit ici à partir de la personne de Jean : ‘moi, la voix’. La voix se rapporte, en effet, au verbe comme l’informe et l’imparfait à la forme et au parfait : ‟la voix, Jean, le Verbe, le Christ”. » ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Secundo consequenter : haec duo, alteratio, generatio, Iohannes, Christus, se habent sicut via et terminus. Unde de Iohanne Luc. dicitur : ‘tu puer altissimi vocaberis’ ; ‘puer’ via, ‘altissimus’ terminus. Unde sequitur : ‘praeibis ante faciem domini parare vias eius’. Unde et in proposito, cum praemisisset : ‘ego vox’, subie
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cit : ‘dirigite viam domini !’ Alteratio via est dirigens in formam, via utpote participans et sapiens ipsam formam ; motus enim est ipsa forma fluens. » « En deuxième lieu, par conséquent, ces deux, l’altération, la génération, Jean, le Christ, se rapportent l’un à l’autre comme la voie au terme. De ce fait, il est dit de Jean en Lc (, ) : ‘Tu seras appelé enfant du Très-Haut » : l’ ‘enfant’ la voie, le ‘Très-Haut’ le terme. De ce fait, suit : ‘Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies’. De ce fait aussi, dans ce qui est proposé, étant donné qu’il a posé comme prémisse : ‘Moi, je suis la voix’, il a ajouté : ‘Rendez droite la voie du Seigneur !’. L’altération est la voie qui conduit droit à la forme ; elle est voie en tant qu’elle participe la forme elle-même et qu’elle en a la saveur. Le mouvement est, en effet, la forme même qui flue. » ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Sexta est quod alteratio et generatio se habent ut prius et posterius diversis respectibus. Est enim generatio prior et posterior quam alteratio intentione et natura, alteratio vero prior est generatione solo tempore : sic de Iohanne et Christo. Et hoc est quod hic dicitur Ioh. : ‘hic est de quo dixi : post me venit vir qui ante me factus est, quia prior me erat’. Nota, duo dicit : ‘ante me factus est’ et ‘prior me erat’. Dupliciter enim forma prior est alteratione : primo quidem, ut ipsa est in apprehensione et intentione operantis, secundo quod ipsa est finis, terminus, quies exsecutionis et alterationis. » « La sixième est que l’altération et la génération se rapportent l’une à l’autre comme l’antérieur et le postérieur sous différents aspects. La génération est, en effet, antérieure et postérieure à l’altération selon l’intention et selon la nature, tandis que l’altération n’est antérieure à la génération que selon le temps. Il en est ainsi de Jean et du Christ. Et c’est ce qui est dit ici en Jn (, ) : ‘C’est de lui que j’ai dit : après moi vient un homme qui fut fait avant moi, parce qu’avant moi il était’. Remarque- : il dit deux : ‘Il fut fait avant moi’ et : ‘Avant moi il était’. La forme est, en effet, antérieure de deux manières à l’altération : la première, en tant qu’elle est dans l’appréhension et dans l’intention de celui qui opère ; la seconde, parce qu’elle est ellemême la fin, le terme, le repos de l’exécution et de l’altération. » ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Septima proprietas alterationis est et generationis, quod dispositio, quae est necessitas ad formam, non pertinet ad alterationem, sed potius ad generationem ; sapit enim et concomitatur potius formam, quae generatur, quam formam, quae corrumpitur alteratione, et talis dispositio est quasi vinculum et corrigia uniens formam materiae, calciamentum pedi. Et hoc est quod hic dicit Iohannes : ‘ante me factus est, cuius non sum dignus, ut solvam corrigiam calciamenti’. Alteratio enim non tantae perfectionis seu dignitatis est, ut possit attingere et inducere seu imprimere dispositionem, de qua dictum est, unientem formam cum materia. » « La septième propriété de l’altération et de la génération est que la disposition, qui est une nécessité par rapport à la forme, n’appartient pas à l’altération, mais plutôt à la génération. Elle a, en effet, la saveur de la forme qui est engendrée et lui est concomitante plutôt que la saveur de la forme qui est corrompue par l’altération. Et une telle disposition est comme un lien et une courroie unissant la forme à la matière, la sandale au pied. Et c’est ce que Jean dit ici : ‘Avant moi fut fait celui dont je ne suis pas digne de délier la courroie de la sandale’. L’altération n’est pas, en effet, d’une si grande perfection ni d’une si grande dignité qu’elle puisse atteindre, introduire ou imprimer la disposition dont il vient d’être question, celle qui unit la forme à la matière. » . ARISTOTELES, Physica, lib. , cap. ( b -), transl. vetus, Arist. Lat. VII/., p. , l. - : « […] et motus quidem actus quidam videtur esse, inperfectus est […]. » et in THOMAS DE AQUINO, Commentaria in octo libros physicorum Arisotelis, lib. , cap. , lect. , textus , Ed. Leonina II, p. b : « Et motus quidem actus quidam videtur esse, imperfectus autem […]. » ; ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a ), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. a : « […] motus enim inperfecti actus. ». Cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - : « Adhuc, omnis ‟motus actus imperfectus est”, ut dicit Aristoteles in III Physicorum. »
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comme la puissance se rapporte à l’acte. Ainsi l’altération, dans la mesure où elle est la voie qui achemine vers la génération, participe-t-elle la forme qui sera engendrée. Altération et génération apparaissent, par conséquent, liées par la continuité d’un flux qu’Eckhart emprunte aux définitions avicennienne et averroïste du mouvement : « le mouvement est la forme qui flue ou le ‘où’ qui flue », selon la première, « le mouvement est la forme après la forme ou le ‘où’ après le ‘où’ dans le flux continu », selon la seconde. Selon cette première thèse, altération et génération apparaissent donc comme deux moments d’un flux continu, l’altération se tenant par rapport à la génération comme la puissance par rapport à l’acte. La deuxième thèse : la génération est radicalement hétérogène à l’altération Une différence de nature pour ainsi dire – ou plus précisément de catégorie (comme ce qui distingue la substance des accidents) – sépare . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ]. . AVICENNA, Sufficientia, lib. , cap. , in Opera in lucem redacta, Venetiis, , f. ra : « […] de ubi quoddam est quietum et quoddam pertransiens, qui est motus in loco. Et de quali quoddam est quietum et quoddam pertransiens, et hic est motus alterationis. » (« De ‘où’ vient un certain repos et un certain passage qui est le mouvement dans le lieu. Et de ‘quel’ vient un certain repos et un certain passage, et celui-ci est le mouvement de l’altération. »). Cf. ALBERTUS MAGNUS, De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -. . AVERROES, Physica, lib. , comm. , in Aristotelis Opera cum Averrois Cordubensis Commentariis, Ed. Veneta IV, apud Iunctas, Venetiis, - (Reprint : Minerva, Frankfurt, ), f. D : « Motus enim nihil aliud est quam generatio partis post aliam illius perfectionis, ad quam intendit motus. » (« Le mouvement n’est, en effet, rien d’autre que la génération d’une partie après l’autre de cette perfection à laquelle le mouvement tend. »). Cf. etiam AVERROES, Phys., lib. , comm. , Ed. Veneta IV, f. CD : « Motus est translatio rerum existentium de forma quiescente in formam quiescentem. » (« Le mouvement est le transfert des réalités qui existent de la forme en repos à la forme en repos. »). . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Quarto : alteratio afficit passum tantum secundum accidentia et accidentibus, generatio vero afficit passum forma substantiali. Sic de Iohanne et Christo. Unde Iohannes infra de se ait ; ‘veni ego in aqua baptizans’, de Christo subicit dicens : ‘hic est qui baptizat in spiritu sancto’. » « En quatrième lieu, l’altération n’affecte le patient que selon les accidents et seulement par les accidents, alors que la génération affecte le patient par la forme substantielle. Ainsi en est-il de Jean et du Christ. De ce fait, Jean dit plus bas de lui-même : ‘Moi, je suis venu baptisant dans l’eau’ ; et il ajoute au sujet du Christ : ‘Voici celui qui baptise dans l’Esprit Saint’. » Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ].
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la génération de l’altération. En d’autres termes, la génération n’est pas le résultat nécessaire d’un changement dans l’ordre de la qualité, aussi intense soit-il. Ainsi le Thuringien souligne-t-il, à la suite d’Aristote, la solution de continuité entre le dernier instant T de l’altération de l’état A qui s’inscrit dans la durée et le premier instant T+ de l’état non-A qui est, pour sa part, un instant discret. C’est pourquoi, selon cette deuxième thèse, la génération constitue un événement nouveau dont aucun processus graduel ne suffirait à rendre compte. Néanmoins, la génération demeure, conformément à la première thèse, la cause finale du devenir et rend ce dernier possible. Quelle ‘courroie’ lie donc l’altération à la ‘sandale’ de la génération ? Une première réponse relève de la causalité finale. Ce n’est pas la génération qui dépend de l’altération qui la précéderait, mais bien l’inverse. En vertu des relations entrelacées de l’antériorité et de la postériorité, la génération, qui est la cause finale de l’altération, précède . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -]. . ARISTOTELES, Physica, lib. , cap. ( b -), transl. Vaticana, Arist. Lat. VII/, p. , l. -p. , l. et THOMAS DE AQUINO, Commentaria in octo libros physicorum Arisotelis, lib. , lect. , textus , Ed. Leonina II, p. b et in ALBERTUS MAGNUS, Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. . . Le passage de l’inaccompli à l’accompli est discontinu : il n’y a pas d’accès graduel qui y conduise. Cf. Pr. , in ECKHARDUS TEUTONICUS, Predigten -, hrsg. und übersetzt von J. Quint, Die deutschen Werke, Bd. III, Kohlhammer, Stuttgart, (désormais noté DW III), [DW III, , -] : « Die wile man zuonimet in der gnade, so ist ez gnade und ist kleine, dar inne man got bekennet von verre. Wenne aber diu gnade wirt volbraht uf daz hoehste, so enist ez niht gnade ; ez ist ein götlich lieht, dar inne man got sihet. Sant Paulus sprichet : got wonet und innewonet in einem liehte, da niht zuoganges enist. Da enist kein zuoganc, da ist ein darkomen. » Traduction par J. Ancelet-Hustache in Maître Eckhart, Sermons, tome III : sermons -, Éditions du Seuil, Paris, , (désormais noté A.H. III), p. (modifiée d’après la traduction de L. Sturlese et de M. Vinzent in Meister Eckhart, The German Work : Homilies for the Liturgical Year. De tempore, Introduction, translation and notes by Loris Sturlese and Markus Vinzent, Peeters, Leuven, Paris and Bristol, C.T., (Eckhart : Texts and Studies ) [désormais noté : L. Sturlese and M. Vinzent (transl.), Meister Eckhart, The German Works I ], p. ) : « […] tant que l’on croît en grâce, c’est encore la grâce, et elle est petite, celle dans laquelle on connaît Dieu de loin. Mais quand la grâce est accomplie dans ce qui est le plus haut, ce n’est pas la grâce, c’est une lumière divine dans laquelle on voit Dieu. Saint Paul dit : ‘Dieu habite et réside dans une lumière à laquelle il n’est pas d’accès’. À cela, il n’y a pas d’accès, c’est une réception. » . D’après les termes de Jn , , repris par les mots vinculum et corrigia dans la septième propriété, cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ]. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Tertio : alteratio secundum id quod est a forma et propter formam est et propter generationem. Unde in quibus non cadit generatio, nulla unquam cadit alteratio, sed nec tactus physicus. Et IX Metaphysicae dicitur : non
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cette dernière au sens logique – ou dans l’ordre de l’intention –, en tant que condition de possibilité de l’altération qui ne serait pas sans elle, bien qu’elle la suive dans l’ordre de l’exécution. Une seconde réponse ressortit à la théorie de la manifestation. La forme substantielle, qui est latente et en puissance dans la matière, devient manifeste dans la forme engendrée, tandis que l’accident est, dans contingit moveri, quod non contingit motum esse. Alteratio autem servit generationi et formae : a forma est, ab ipsa venit et mittitur, inquantum forma et generatio prior est intentione ; propter formam et generationem est, inquantum ista ultima sunt in exsecutione. Sic Iohannes a Christo mittitur et venit et propter Christum. Et hoc est quod supra dictum est de Iohanne : ‘fuit homo missus a deo’, quantum ad primum, et sequitur : ‘hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine’. » « En troisième lieu, l’altération, selon ce qu’elle est, est par la forme, en vue de la forme et en vue de la génération. De ce fait, en ce en quoi ne tombe pas la génération, nulle altération ne tombe jamais, et nul toucher physique. Et il est dit au livre IX de la Métaphysique : il n’arrive pas d’être mû à ce à quoi il n’arrive pas d’avoir été mû. Or l’altération sert à la génération et à la forme. Elle est par la forme, elle vient d’elle et est envoyée par elle, en tant que la forme et la génération sont antérieures selon l’intention. Elle est en vue de la forme et de la génération, en tant qu’elles sont dernières dans l’exécution. Ainsi Jean est-il envoyé par le Christ et ainsi vient-il aussi en vue du Christ. Et c’est ce qui a été dit plus haut au sujet de Jean : ‘Il y eut un homme envoyé par Dieu’, quant au premier , et suit : ‘Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière’. » Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -]. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Quinto : alteratio ad hoc est et propter hoc, ut substantialis forma latens in materia innotescat et cognoscatur de potentia in actum reducta. Res enim cognoscitur, inquantum actu est, IX Metaphysicae. Est ergo alteratio ad hoc, ‘ut manifestetur’ forma substantialis ‘in Israel’, id est in cognitione. Et hoc est quod hic dicit Iohannes in figura de se et de Christo : ‘ut manifestetur in Israel’, scilicet Christus, ‘propterea veni ego’ : et prius ibidem : ‘ego baptizo in aqua, medius autem vestrum stetit, quem vos nescitis’. ‘Medius’, inquit, ‘vestrum’, quia forma substantialis quasi latet incognita in abditis, in medio, in corde materiae, in ipsa scilicet essentia materiae ; est enim ipsa substantia materiae sua potentia. De accidente autem non sic, quia accidens potius est in subiecto, quod foris videtur, patet, non latet. Sic ergo alteratio missa est ab auctore naturae propter formam substantialem et eius generationem, Iohannes missus a redemptore naturae propter Christum et eius adventum in mundum. » « En cinquième lieu, l’altération est relative à ceci et en vue de ceci que la forme substantielle latente dans la matière, en étant reconduite de la puissance à l’acte, vienne à la connaissance et soit connue. Une réalité est, en effet, connue en tant qu’elle est en acte, Métaphysique IX. L’altération est donc relative à ceci que la forme substantielle ‘soit manifestée en Israël’, c’est-à-dire dans la connaissance. Et c’est ce que Jean dit ici en figure à propos de lui-même et du Christ : ‘C’est afin qu’il’, à savoir le Christ, ‘soit manifesté en Israël que je suis venu’ ; et, auparavant, là même : ‘Moi, je baptise dans l’eau, mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas’. ‘Au milieu de vous’, dit-il, parce que la forme substantielle se cache pour ainsi dire, inconnue, dans les secrets, au milieu, au cœur de la matière, c’est-à-dire dans l’essence même de la matière. La substance même de la matière est, en effet, sa puissance. Or il n’en va pas de même de l’accident, car l’accident est plutôt dans un substrat qui est vu à l’extérieur : il apparaît clairement, il n’est pas latent. De même, l’altération a donc été envoyée par l’auteur de la nature en vue de la forme substantielle et de sa génération, Jean a été envoyé par le Rédempteur de la nature en vue du Christ et de sa venue dans le monde. »
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le substrat, à l’état manifeste. C’est pourquoi l’altération qui touche les accidents advient pour que, dans la génération, soit manifestée la forme substantielle. La génération équivaut, par conséquent, à une manifestation. La troisième thèse : l’altération trouve son accomplissement dans la génération de la forme C’est pourquoi la troisième thèse s’entend à la fois sur le plan du rapport de causalité finale et de manifestation : l’altération trouve son accomplissement dans la génération de la forme. En ce qui concerne les rapports du témoin et du fils, il en ressort que, malgré leur radicale différence, si le témoignage semble préparer la connaissance immédiate et intérieure propre au fils, cette dernière précède, néanmoins, le témoignage, à la fois en tant qu’elle est la cause finale de ce dernier et en tant qu’elle est ce qui est, dans le témoignage, latent. Si le témoin prépare l’advenue du fils, il ne la produit, en revanche, en aucune façon. Et, loin que le témoignage manifeste la connaissance immédiate à laquelle correspond la filiation, cette dernière demeure, en lui, latente. Il en résulte que la connaissance immédiate du principe n’est pas donnée, selon Eckhart, au terme du devenir, une fois que l’intellect humain est sorti du régime de l’altération auquel le soumet sa conjonction avec les sens et avec l’imagination. Elle advient comme la manifestation de ce qui est latent dans l’être selon la nature. Latentes, la filiation ainsi que la connaissance immédiate et intérieure du principe qui coïncide avec elle sont d’une certaine manière à tout instant disponibles pour l’intellect en tant qu’il est engendré par le principe. III. L’enjeu épistémologique : l’engendrement trinitaire comme structure de tout acte, une source unique de vérité ? Pourquoi le Thuringien développe-t-il, au sujet de l’articulation entre le témoin et le fils, une théorie physique des propriétés de l’altération et de la génération ? . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -]. Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ].
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A. De la vérité historique de l’Écriture à « la vérité des réalités naturelles et de leurs propriétés » De même que l’incarnation du Verbe divin n’est pas limitée, aux yeux d’Eckhart, à un événement historique singulier, mais qu’elle signifie l’événement de l’engendrement possible de tout homme dans l’être originaire, c’est-à-dire dans l’être divin, de même les vérités historiques concernant Jean-Baptiste et le Christ signifient les propriétés de l’altération et de la génération. Le mode de lecture que le maître de Thuringe propose consiste, par conséquent, à lire, dans l’Écriture, un enseignement sur la nature et les propriétés générales des choses physiques et morales. Or, pour passer de la vérité historique de l’Écriture à « la vérité des réalités naturelles et de leurs propriétés », Eckhart postule des principes uni. Pour la thèse selon laquelle il ne suffit pas que le juste soit né de Dieu une fois, mais il faut qu’il naisse toujours de Dieu par l’intermédiaire de chaque œuvre de justice, Maître Eckhart fait appel à Origène, cf. ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Origenes super illo : ‘inventa est coniuratio’, Ier. , sic ait : felix ille “qui semper a deo nascitur ; non enim dicam semel iustum ex deo natum, sed per singula virtutis opera semper ex deo nascitur”. Nam et in divinis filius semper natus, semper nascitur. ». (« Origène sur ce -là : ‘La conjuration a été découverte’, Jr (, ) dit ainsi : Heureux est “celui qui naît toujours de Dieu ; je ne dirais pas que le juste naît une seule fois de Dieu, mais qu’il naît toujours de Dieu par chaque œuvre de vertu”. Car, même dans les divines, le Fils est toujours né, il naît toujours. ») Cf. ORIGENES, In Ieremiam Homiliae , in HIERONYMUS STRIDONENSIS, Translatio homiliarum Origenis in Jeremiam, hom. , ed. J.-P. Migne, PL XXV, Parisiis, , col. AB : « Rursumque multum beatus qui semper ex Deo nascitur. Neque enim semel dicam justum ex Deo natum, sed per singula virtutis opera semper justus nascitur ex Deo. […] Sic igitur Salvator semper nascitur, et idcirco dicit : ‘Ante omnes colles generat me’, non, ut quidam male legunt, ‘generavit’. Si semper ex Patre nascitur Dominus, etiam tu in similitudinem ejus tantum adoptionis scriptum habens, semper generaris a Deo per singulos intellectus, per singula opera, et efficeris filius Dei in Christo Jesu, cui est gloria et imperium in saecula saeculorum. Amen. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Notandum autem quod haec omnia, quae nunc dicta sunt de Iohanne et Christo, res quaedam gesta sunt historica veritate, sed in ipsis veritates rerum naturalium et earum proprietates requiramus. Sciendum ergo quod singula quae de Iohanne dicuntur, naturam indicant alterationis, qua res fiunt et procedunt ad esse, sive quantum ad formas naturales sive ad habitus morales. Ea vero quae de Christo Iohannes testatur, manifeste praeferunt proprietates ipsarum formarum substantialium in materia et habituum moralium in anima. » « Or il faut remarquer que tout ce qui a été dit maintenant au sujet de Jean et du Christ représente des événements qui se sont accomplis selon la vérité historique, mais, en eux, nous recherchons les vérités des choses naturelles et leurs propriétés. Il faut donc savoir que chaque qui est dite de Jean indique la nature de l’altération par laquelle les choses deviennent et procèdent vers l’être, soit quant aux formes naturelles soit quant aux habitus moraux. Ce dont Jean témoigne, pour sa part, au sujet du Christ porte en avant de manière manifeste les propriétés des formes substantielles elles-mêmes dans la matière et celles des habitus moraux dans l’âme. »
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versels qui valent pour les réalités divines comme pour les réalités créées et, dans celles-ci, pour les réalités morales comme pour les réalités physiques. La condition de possibilité d’une telle universalité des principes consiste dans l’hypothèse d’une rationalité unique à l’œuvre en toutes choses. La conséquence en est la remise en cause de la séparation entre révélation et raison naturelle, d’une part, et entre les sciences, telles que la physique et l’éthique, d’autre part. La transgression des limites strictes qui circonscrivent les sciences et leurs modes de discours apparaît donc comme l’expression la plus adéquate de cette remontée à une racine unique de vérité à l’œuvre dans les différentes rationalités épistémologiques. B. L’objet de l’évangile et celui de la philosophie première : une source de rationalité commune à Aristote, à Moïse et au Christ Il y aurait, en effet, selon Eckhart, une source de rationalité commune d’où proviendrait qu’Aristote, Moïse et le Christ enseigneraient la même chose. Les Écritures saintes et la métaphysique coïncident, dans la . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Secundum hoc ergo convenienter valde scriptura sacra sic exponitur, ut in ipsa sint consona, quae philosophi de rerum naturis et ipsarum proprietatibus scripserunt, praesertim cum ex uno fonte et una radice procedat veritatis omne quod verum est, sive essendo sive cognoscendo, in scriptura et in natura. » « Selon cela, l’Écriture est donc bien exposée convenablement ainsi, de telle sorte qu’en elle ce qu’ont écrit les philosophes au sujet des natures des choses et au sujet de leurs propriétés consonne, surtout parce que c’est à partir d’une source unique et d’une racine unique de vérité que procède tout ce qui est vrai, soit dans l’être soit dans le connaître, dans l’Écriture et dans la nature. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Idem ergo est quod docet Moyses, Christus et philosophus, solum quantum ad modum differens, scilicet ut credibile, probabile sive verisimile et veritas. » « C’est donc la même qu’enseignent Moïse, le Christ et le Philosophe ; ils ne diffèrent que quant à la manière, c’est-à-dire comme croyable, probable ou vraisemblable et comme vérité. » . À propos de l’influence de Maïmonide sur Maître Eckhart, cf. LIEBESCHÜTZ, H., « Meister Eckhart und Moses Maimonides », Archiv für Kulturgeschichte (), p. - ; SCHWARTZ, Y., « Meister Eckharts Schriftsauslegung als Maimonidisches Projekt », in G. K. Hasselhoff (Hrsg.), Moses Maimonides (-) : his religious, scientific, and philosophical Wirkungsgeschichte in different cultural contexts, Ergon, Würzburg, , p. - ; SCHWARTZ, Y., « Zwischen Einheitsmetaphysik und Einheitshermeneutik : Eckharts Maimonides-Lektüre und das Datierungsproblem des Opus tripartitum » in A. Speer und L. Wegener (Hrsg.), Meister Eckhart in Erfurt, Walter de Gruyter, Berlin und New York, (Miscellanea Mediaevalia ), p. - ; FLASCH, K., Meister Eckhart. Die Geburt der « Deutschen Mystik » aus dem Geist der arabischen Philosophie, p. - ; FLASCH, K., D’Averroès à Maître Eckhart, p. - ; HEIDRICH, P., « Maimuni-Zitate bei Meister Eckhart », in P. Heidrich und H. M. Niemann (Hrsg.), Im Gespräch mit Meister Eckhart und Maimonides, LIT, Berlin, , p. - ; STEER, G., « Meister Eckhart und Moses Maimonides », in U. Köpf und D. R. Bauer (Hrsg.), Kulturkontakte und Rezeptionsvorgänge in der Theologie des
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mesure où l’évangile considère, selon lui, l’être en tant qu’être. Il ressort de ce fondement épistémologique que les thèses de la physique sur le devenir ont la même source de vérité que les versets Jn , - ou que le discours de la théologie ou celui de la philosophie sur le témoin. C. L’intention de Maître Eckhart dans l’explication des Écritures C’est donc en une origine commune des rationalités et des méthodes à l’œuvre dans les différentes sciences que repose l’intelligibilité réciproque que jettent l’une sur l’autre la raison qui part de la révélation dans les Écritures et celle qui part de sa propre expérience dans les sciences, la morale et la technique. C’est pourquoi, quand il déchiffre le monde créé comme une parabole des réalités divines, l’intention de Maître . und . Jahrhunderts, Aschendorff, Münster, (Archa Verbi. Subsidia ), p. - ; CASTEIGT, J., « Sous l’écorce de la lettre. De la parabola, comme procédé rhétorique et herméneutique hérité de Maïmonide, à l’opérateur métaphysique qu’est l’imago dans le Livre des paraboles de la Genèse de Maître Eckhart », in J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Le Cerf, Paris, (Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie) p. - ; SCHWARTZ, Y., « Maître Eckhart et Moïse Maïmonide. Du rationalisme judéo-arabe à la théologie vernaculaire chrétienne, in J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, p. - ; SCHWARTZ, Y., « Meister Eckhart and Moses Maimonides : From JudaeoArabic Rationalism to Christian Mysticism », in J. M. Hackett (ed.), A Companion to Meister Eckhart, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. ; DI SEGNI, D., « Verba sunt Rabbi Moysis : Eckhart e Mosè Maimonide », in L. Sturlese (ed.), Studi sulle fonti di Meister Eckhart II, Academic Press, Fribourg, (Dokimion ), p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « De praemissis patet quod evangelium et lex vetus se habent ad invicem sicut demonstrator et topicus, sicut metaphysicus et physicus : evangelium contemplatur ens inquantum ens. » « À partir de ce qui précède, il apparaît clairement que l’évangile et l’ancienne Loi se rapportent l’un à l’autre comme celui qui use de démonstrations et celui qui use des topiques, comme le métaphysicien et le physicien : l’évangile contemple l’étant en tant qu’étant. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Patet ergo, sicut frequenter in nostris expositionibus dicitur, quod ex eadem vena descendit veritas et doctrina theologiae, philosophiae naturalis, moralis, artis factibilium et speculabilium et etiam iuris positivi, secundum illud Psalmi : ‘de vultu tuo iudicium meum prodeat’. » « Il apparaît donc clairement que, comme il est dit fréquemment dans nos expositions, d’une même veine descendent la vérité, la doctrine de la théologie, de la philosophie de la nature, de la morale, de l’art de ce que l’on peut faire et penser et aussi du droit positif, selon cette du psaume (Ps. , ) : ‘De ta face provient mon jugement’. » . Cf. FLASCH, K., « Die Intention Meister Eckharts », in H. von Röttges, B. Scheer und J. Simon (Hrsg.), Sprache und Begriff. Festschrift für Bruno Liebrucks, Verlag Anton Hain, Meisenheim am Glan, , p. - ; FLASCH, K., Meister Eckhart. Philosoph des Christentums, en particulier p. - ; HÖDL, L., « Naturphilosophie und Heilsbotschaft in Meister Eckharts Auslegung des Johannesevangeliums », in La Filosofia della natura nel medioevo. Atti del terzo congresso internazionale di filosofia medievale, Società editrice Vita et Pensiero, Milano, , p. -.
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Eckhart est d’exposer les paroles de l’Écriture à l’aide des propriétés de la nature et de montrer que les propriétés divines se donnent à lire dans les propriétés créées. Cependant, il ne faut pas confondre l’être selon la nature et l’être selon l’esprit ou le sens littéral et le sens figuré. Ce n’est pas, en effet, le sens littéral – ou l’être de la nature – qui révèle l’univocité entre le créé et l’incréé : ‘Qui a des oreilles pour entendre !’ (Mt , )… La spécificité du geste eckhartien apparaît clairement, lorsqu’il est replacé dans la perspective historique de la possibilité de lire, dans l’Écriture, un enseignement sur la nature et les propriétés générales des choses physiques et morales. Ce mode d’interprétation n’est, en effet, pas nouveau dans la tradition exégétique. Jérôme, par exemple, dans son Épître , répartit le canon des Écritures selon la tripartition des sciences, en physique, éthique et logique : la Genèse et l’Ecclésiaste ont trait à la nature, les Proverbes à la morale, tandis que le Cantique des cantiques et les évangiles ressortissent, enfin, à la logique qu’il interprète comme theologikè. Maïmonide, pour sa part, fait correspondre le Récit . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « In cuius verbi expositione et aliorum quae sequuntur, intentio est auctoris, sicut et in omnibus suis editionibus, ea quae sacra asserit fides christiana et utriusque testamenti scriptura, exponere per rationes naturales philosophorum. » « Dans l’exposition de cette parole et des autres qui suivent, l’intention de l’auteur, comme également dans toutes ses éditions, est d’exposer par les raisons naturelles des philosophes les sacrées qu’affirment la foi chrétienne et l’Écriture des deux Testaments. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Rursus intentio operis est ostendere, quomodo veritates principiorum et conclusionum et proprietatum naturalium innuuntur luculenter – ‘qui habet aures audiendi !’ – in ipsis verbis sacrae scripturae, quae per illa naturalia exponuntur. » « De plus, l’intention de l’œuvre est de montrer comment les vérités des principes, des conclusions et des propriétés naturelles sont indiquées de manière lumineuse – ‘Qui a des oreilles pour entendre !’ – dans ces paroles de l’Écriture sacrée qui sont exposées par ces naturelles. » . HIERONYMUS STRIDONENSIS, Epistula , n. , ed. I. Hilberg, CSEL LIV, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, Tempsky et Freytag, Vindobonae et Lipsiae, et et editio altera supplementis aucta , p. , l. - : « […] quomodo philosophi solerent disputationes suas in physicam et ethicam logicamque partiri, ita et eloquia divina aut de natura disputare, ut in Genesi et Ecclesiaste, aut de moribus, ut in Proverbiis et in omnibus sparsim libris, aut de logica, pro qua nostri θεολογικὴν sibi vindicant, ut in Cantico canticorum et evangeliis. » (« […] comment les philosophes avaient l’habitude de partager leurs disputations en physique, en éthique et en logique, et ainsi de les paroles divines ou de disputer au sujet de la nature, comme dans la Genèse et l’Ecclésiaste, ou au sujet des mœurs, comme dans les Proverbes et, dans tous les livres ici et là, ou bien au sujet de la logique à la place de laquelle les nôtres revendiquent pour eux-mêmes la théologique, comme dans le Cantique des cantiques et dans les évangiles. ») . MOSES MAIMONIDES, Dux seu director dubitantium aut perplexorum, Proemium, v : « […] opus de Bereshit est scientia naturalis, et opus de Mercaba est sapientia spiritualis. »
CHAPITRE IV
de la création – ou le premier chapitre de la Genèse – aux principes de la physique et, dans l’Œuvre du Char – ou les chapitres et d’Ézéchiel associés à Isaïe –, il distingue l’équivalent des enseignements de la sagesse spirituelle. Mais la position singulière d’Eckhart se caractérise, d’une part, par le fait qu’il ne circonscrit pas l’enseignement physique des Écritures à certains livres, mais l’étend à tous en lui conférant le statut de principe universel de lecture. Ainsi, selon lui, la structure de tout acte de la nature, de la technique ou de l’art et de la morale correspond à celle de l’engendrement trinitaire. S’y retrouvent toujours structurellement, en effet, un producteur, un produit, dans l’unité de leur être opératoire. C’est dans cette intention philosophique majeure qui oriente l’œuvre de Maître Eckhart que se comprend la méthode de lecture selon laquelle la révélation divine dans les Écritures guide la raison naturelle, afin que celle-ci repère, dans son expérience, les structures mêmes de l’être, à partir d’une homologie entre le divin et le créé, et afin qu’elle discerne, dans le créé, les similitudes fondamentales qui régissent la nature, l’art et la morale. Et, en retour, la raison naturelle permet d’éclairer les mystères de l’Écriture par les arguments des philosophes. Le geste propre à Maître Eckhart consiste, d’autre part, à indiquer un mode d’articulation spécifique pour ce qui ressortit à la physique et ce qui relève des réalités spirituelles. Ce mode ressortit au registre herméneutique. Au sujet du Christ et de Jean-Baptiste, Eckhart affirme, (« […] l’œuvre de la Genèse est la science naturelle et l’œuvre du Char est la sagesse spirituelle. ») . La chaîne des textes dont l’argument est l’émanation trinitaire qui se trouve exprimée comme image en chaque acte créé comprend, notamment, les textes suivants : ECKHARDUS TEUTONICUS, Expositio Libri Exodi (désormais noté : In Ex.), n. , hrsg. und übersetzt von K. Weiss, Die lateinischen Werke, Bd. II, Kohlhammer, Stuttgart, -, [LW II, , -, ] ; Expositio libri Sapientiae (désormais noté : In Sap.), Tabula auctoritatum In Sap. , , hrsg. und übersetzt von J. Koch, Die lateinischen Werke, Bd. II, Kohlhammer, Stuttgart, -, [LW II, , -] ; In Sap., n. , [LW II, , -] ; In Sap., n. , [LW II, , -, ] ; In Sap., n. , [LW II, , -, ] ; In Sap., n. , [LW II, , -] ; In Sap., n. , [LW II, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -, ] ; In Ioh., n. , [LW III, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -] ; In Ioh., n. , [LW III, , -, ] ; In Ioh., n. , [LW III, , -]. . Voici quelques textes appartenant à la chaîne des passages relatifs à la concordance des ordres divin, naturel, artistique, moral : ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -, ] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -] ; n. , [LW III, , -, ] ; n. , [LW III, , -, ].
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en effet, que le sens historique ne saurait suffire, qu’il faut lire ce qui se cache sous l’écorce de la lettre. Qu’entend-il, dès lors, par ce qui est latent ? IV. L’articulation herméneutique du sens patent et du sens latent comme point de passage de la médiation à l’immédiateté Au sens manifeste, le témoignage signifie une connaissance relayée par une médiation extérieure qui ne produit, selon Eckhart, que de l’incertitude. Au sens latent, en revanche, la connaissance testimoniale revient, à ses yeux, à connaître le principe comme un fils connaît son père, au sens d’une génération selon l’esprit, c’est-à-dire à partir d’une identité de nature et d’une différence selon la relation. Mon hypothèse est que l’articulation du sens patent et du sens latent est précisément le lieu du passage de la médiation à l’immédiateté. Elle constitue le point où l’engendrement perce au cœur du devenir, le point où le fils se révèle au fondement du témoin, à la fois condition de possibilité et cause finale de ce dernier, hétérogènes et, néanmoins, l’un dans l’autre. Or le modèle de cette articulation est fourni par le double sens des Écritures. Observons ce que le Thuringien en dit précisément dans un autre verset de l’Évangile de Jean relatif au témoignage – Jn , : ‘Le témoignage de deux hommes est vrai’. En premier lieu, en quoi le sens latent de ce verset diffère-t-il du sens patent ? A. Le témoignage selon la Loi ou selon le sens patent Le sens patent du verset est donné par sa conformité avec la Loi. Le livre du Deutéronome – Dt , et Dt , – stipule, en effet, que, du point de vue juridique, pour qu’un témoignage soit recevable, deux ou trois . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ]. . Jn , secundum Vulgatam in ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : ‘Duorum hominum testimonium verum est’. . Dt , in ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] Deut. : ‘in ore duorum vel trium testium stabit omne verbum’. » . Dt , in ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] ‘Deut. de tertio teste dictum est : ‘in ore duorum vel trium testium stabit omne verbum’. »
CHAPITRE IV
témoins sont requis. Eckhart résume cette première lecture ad litteram en ces termes : « […] tout témoignage se tient, au sens littéral, en deux témoins ou en trois au moins, y compris la personne de l’accusateur ». Le maître thuringien renvoie également à la Somme de théologie, II/IIae, q. , a. où Thomas d’Aquin pose le problème du critère de la certitude dans le domaine de ce qui est, du point de vue noétique, probable et qui est, du point de vue ontologique, contingent et variable. La règle est, selon le Docteur angélique, la suivante : « Quand il y a un accusé qui nie, mais que de nombreux témoins affirment la même que l’accusateur, il a été institué de manière raisonnable, de droit divin et humain, que l’on s’en tienne au dit des témoins ». Or, le chiffre trois étant, d’après Aristote, ce qui caractérise la perfection de la multitude, il est préférable que deux témoins s’ajoutent à l’accusateur contre l’accusé pour obtenir une plus grande certitude. Le sens patent du verset Jn , correspond, par conséquent, aux conditions juridiques du témoignage et de sa réception. Or Maître Eckhart ne s’en tient pas à cette interprétation. La lecture selon le sens latent qu’il propose conduit à la coïncidence du sens de ce verset avec les propos d’Aristote, dans le traité De l’âme : « […] la science de l’âme est plus certaine que toute autre science, pour cette raison que rien n’est autant en nous ou n’est nôtre que l’âme ». Autrement dit, il . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] omne testimonium stat in duobus testibus aut in tribus ad minus, connumerata persona actoris, ad litteram. » . THOMAS DE AQUINO, Summa theol., II/IIae, q. , a. , resp., Editio Leonina IX, p. : « Et ideo, cum reus sit unus qui negat, sed multi testes asserunt idem cum actore, rationabiliter institutum est, iure divino et humano, quod dicto testium stetur. » . ARISTOTELES, De caelo, lib. , cap. ( a ), ed. F. Bossier, Arist. Lat. VIII/, Brepols, Turnhout, online : « […] propter tria omnia esse et ter omniquaque » et in THOMAS DE AQUINO, Commentaria in libros Aristotelis De caelo et mundo, lib. , cap. , lectio , textus , Ed. Leonina III, Romae, , p. b : « […] propter tria omnia esse, et ipsum ter omniquaque. Quemadmodum enim aiunt et Pythagorici, totum et omnia tribus determinata sunt. » (« […] pour la raison que trois est tout et que trois fois lui-même est en toutes . Car, comme le disent aussi les Pythagoriciens, le tout et toutes sont déterminés par trois. ». Cf. etiam Summa theol., II/ IIae, q. , a. , resp., Editio Leonina IX, p. a : « […] unde secundum Philosophum, in I De Coelo, ‘omne et totum in tribus ponimus’. » (« […] Nous posons tout et la totalité dans trois. ») . ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a -), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. a : « Bonorum et honorabilium noticiam opinantes, magis autem alteram altera aut secundum certitudinem aut ex eo quod meliorum quidem et mirabiliorum est, propter utraque hec anime ystoriam rationabiliter utique in primis ponemus. » (« Estimant que la connaissance relève de ce qui est bon et honorable et qu’une est plus grande que l’autre soit selon la certitude soit du fait qu’elle ressortit à ce qui est, certes, meilleur et
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n’est nul besoin d’autres témoignages pour attester celui du témoin, qui connaît de l’intérieur que son témoignage est vrai. Quelle conception du témoignage implique le déplacement de la multiplicité à l’unicité, de l’extériorité à l’intériorité dans le passage du sens patent au sens latent du verset Jn , ? B. « Nul ne témoigne pour le témoin » : de la pluralité des témoins au témoin unique « Sous l’écorce de la lettre » et apparemment contrairement à elle, ce verset révèle non pas que ‘le témoignage de deux hommes est vrai’, mais que le témoignage d’un seul, à savoir le Christ, est vrai. Trois caractéristiques opèrent cette reconduction de la pluralité des témoins à l’unicité du témoin qui coïncide également avec l’extension des propriétés du témoin divin qu’est le Christ aux témoins humains. Reconduction du témoignage rendu à un autre au témoignage sur le principe de son propre être En premier lieu, le fait qu’il n’y a pas, selon le sens latent du témoignage, besoin d’une pluralité de témoins provient de l’intériorisation du processus de connaissance sur lequel le sens latent du témoignage repose. De même, en effet, que, selon Aristote, la science que l’âme possède d’ellemême est plus certaine que toute connaissance d’un tiers à son sujet, de même le témoin de la justice n’a pas besoin du témoignage d’un autre pour le certifier. L’acquisition d’un habitus noétique ou éthique met en lumière l’interprétation qu’Eckhart donne de l’avoir en termes d’être. Selon l’Éthique à Nicomaque, dans les habitus éthiques, et non pas techplus admirable, pour ces deux raisons, nous posons raisonnablement, en tout cas, l’histoire de l’âme dans ce qui est premier. ») ; et in ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Hinc est quod philosophus I De anima dicit scientiam de anima esse certiorem omni alia scientia, eo quod nihil tam in nobis est aut nostrum est quam anima. » . CELAN, P., « Aschenglorie » (Gloire de cendres), in Renverse de souffle, trad. J.-P. Lefebvre, édition bilingue, Le Seuil, Paris, . . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a -). . Cf. ARISTOTELES, Ethic. Nicom., lib. , cap. ( b -), transl. Grosseteste in lib. , cap. , Arist. Lat. XXVI/-, p. , l. - : « Set tamen neque habitus cum racione solum. Signum autem quoniam oblivio talis quidem habitus est, prudencie* autem non est. » (« Cependant, non plus seulement un habitus accompagné de raison. Le signe que l’oubli relève certes d’un tel habitus, mais il ne ressortit pas à la prudence. »). * Nous choisissons la leçon prudencie, plus conforme au grec, suivie par les mss. LRtRp. Cf. ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Verbi gratia, habitum scientiae et virtutis esse in me totus mundus non probaret mihi, nisi ipsa scientia et virtutes in me essent et ipsas in me haberem. Propter quod et habitus dicti sunt ab habendo […]. » (« Par exemple, que l’habitus de la science et celui de la vertu sont en moi, le monde entier ne me le prouverait pas, si la science et les vertus n’étaient en moi et si je ne les avais en moi. C’est pourquoi aussi les habitus sont dits à partir de l’avoir […]. ») . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « […] si vero in me sit virtus, puta iustitia, nullius prorsus indigeo testimonio quod sim iustus. Nam eo ipso quod iustus sum, inquantum iustus, ex me ipso in esse meo et in esse iustitiae testimonium habeo et scio me esse iustum, nullius alius testimonio indigeo. » Cf. etiam ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Adhuc autem sciendum quod iustus per hoc scit et cognoscit iustitiam quod ipse est iustus, sicut habens habitum virtutis scit ea quae virtutis sunt et quae secundum virtutem agenda per hoc quod est virtuosus. Unde ipsi idem est esse virtuosum et scire virtutem. Unde Hierotheus didicit divina patiendo, non discendo ab extra, ut ait Dionysius. Et hoc est quod dicitur Eccli. : ‘qui continens est iustitiae, apprehendet illam’, quia ipsam tenere et habere est ipsam apprehendere, id est cognoscere. Et hoc supra dictum est : ‘vita erat lux hominum’, id est “vivere est viventibus esse”, et esse lux est, id est cognitio seu cognoscere hominum divinorum. Et hoc est quod hic dicitur : ‘qui est in sinu patris, ipse enarravit’, quia ibi esse est scire et enarrare. Secus de aliis non habentibus habitum et esse virtutis, qui per studium ab extra accipiunt cognitionem virtutis audiendo. Secundum hoc potest exponi illud Iob : ‘auditu audivi te, nunc autem oculus meus videt te’, et hic infra : ‘mulieri dicebant : iam non propter tuam loquelam credimus ; ipsi enim scimus quia hic est vere salvator mundi’, secundum illud Ioh. : ‘quod oculis nostris vidimus’ etc., ‘annuntiamus vobis’. » « En outre, il faut savoir que le juste sait et connaît la justice par ceci qu’il est lui-même juste, de même que celui qui a l’habitus de la vertu sait ce qui appartient à la vertu et ce qu’il faut faire selon la vertu, par le fait qu’il est vertueux. C’est pourquoi, pour lui, être vertueux et savoir la vertu sont identiques. De là vient qu’Hiérothée apprit les divins en pâtissant, non pas en apprenant de l’extérieur, comme dit Denys. Et c’est ce qui est dit en Si. (Si. , ) : ‘Celui qui porte en lui la justice l’appréhendera’. Car la porter en soi et l’avoir, c’est l’appréhender, c’està-dire la connaître. Et cela a été dit plus haut : ‘La vie était la lumière des hommes’, c’est-à-dire que “vivre, pour les vivants, c’est être” ; et l’être est lumière, c’est-à-dire la connaissance ou le connaître des hommes divins. Et c’est ce qui est dit ici : ‘Celui qui est dans le sein du Père, lui l’a narré’, parce que, là, être est savoir et narrer. Il en va autrement des autres, qui n’ont pas l’habitus et l’être de la vertu, qui reçoivent de l’extérieur la connaissance de la vertu, par l’étude et en écoutant. Selon cela, peut être exposée cette en Jb (Jb , ) : ‘En écoutant, je t’ai entendu, mais maintenant mon œil te voit’, et ici plus bas : ‘Ils disaient à la femme : nous ne croyons plus à cause de ta parole ; car nous savons nous-mêmes que celui-ci est vraiment le sauveur du monde’, selon cette en Jn ( Jn , ; ) : ‘Ce que nous avons vu de nos yeux’ etc., ‘nous vous l’annonçons’. »
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Le témoignage selon le sens latent constitue, par conséquent, une connaissance certaine, dans la mesure où son critère est intérieur. Pourquoi, dès lors, le témoignage du seul juste sur la justice suffit-il ? Le témoignage d’un seul témoin suffit en l’occurrence, parce qu’en témoignant au sujet de la justice, le juste témoigne du fait qu’il reçoit d’elle tout son être juste. Et, parce qu’il aperçoit en lui-même et immédiatement le fondement de son être juste, sa connaissance est certaine. Toutefois, il ne faut pas croire que la certitude du juste provienne de l’auto-attestation de lui-même. Bien plutôt, elle s’enracine dans ce principe selon l’être en acte qu’est, pour lui, la justice. Ce processus d’intériorisation appliqué au juste et à la justice est tel que la justice ainsi acquise devient, en effet, plus intérieure que tout ce que le juste possède. Si le juste perdait tout ce qu’il avait, il ne pourrait, néanmoins, pas perdre la justice. Car elle constitue le principe inamissible de son être juste. Ce qui est constitutif de soi, pour l’être juste, est, en effet, d’être engendré par la justice. Il en va ici de l’être même du « je », selon les termes mêmes de Maître Eckhart qui prend, en ce lieu de l’exposition, la parole à la première personne. ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -, ] : « Notandum quod homo ante habitum virtutis, antequam sit virtuosus, habens esse virtutis, noscit quidem virtutem testimonio alieno per auditum, per fidem, informando, credendo ‘per speculum in aenigmate’ ‘intuetur procul’, Iob . Postquam vero est virtuosus, habens esse virtutis, iam cognoscit virtutem per id quod est ex se ipso, per esse suum, esse, inquam, virtutis et per esse virtuosi quod idem est. Hoc est cognoscere ‘facie ad faciem’, Cor. , et Gen. : ‘vidi dominum facie ad faciem, et salva facta est anima mea’. Hoc orat sponsa Cantici in principio : ‘osculetur me osculo oris sui’. Haec est cognitio vera et perfecta per priora et per propria: quando actus cognoscuntur per esse, effectus per causam, iam non indiget homo foris testimonio alieno, sed intus in se ipso habet testimonium ipsius sui esse et virtutis, secundum illud : ‘sicut pater habet vitam in semet ipso, sic dedit et filio vitam habere in semet ipso’, Ioh. . » « Il faut remarquer que l’homme avant l’habitus de la vertu, avant qu’il ne soit vertueux, ayant l’être de la vertu, connaît, certes, la vertu par le témoignage d’autrui par l’ouïe, par la foi, en donnant forme, en croyant ‘par miroir en énigme’, ‘il voit de loin’, Jb (, ). Mais, du moment qu’il est vertueux, ayant l’être de la vertu, il connaît déjà la vertu par ce qu’il est à partir de lui-même, par son être, être, dis-je, de la vertu et par l’être du vertueux, qui est le même. Cela est connaître ‘face à face’, Co. ( Co. , ) et Gn (Gn , ) : ‘J’ai vu le Seigneur face à face, et mon âme a été rendue sauve’. C’est ce que prie l’épouse du Cantique (Ct , ), au début : ‘Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche’. Cela est la connaissance véritable et parfaite par ce qui est antérieur et propre : quand les actes sont connus par l’être, les effets par la cause, l’homme n’a plus besoin du témoignage d’autrui à l’extérieur, mais il possède à l’intérieur, en lui-même, le témoignage de son propre être et celui de la vertu, selon cette : ‘Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné également au Fils d’avoir la vie en lui-même’, Jn (, ). » . Cf. supra chapitre IV, p. -, notes ; -, ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , ] : « in me […] mihi » ; ibid., [LW III, , ] : « in me […] in me » ; ibid.,
CHAPITRE IV
Si la reconduction de la pluralité des témoins à un témoin unique repose, d’abord, sur l’intériorité du critère de la certitude, le fait que le témoignage d’un seul est suffisant coïncide également avec le caractère auto-référentiel de la vérité. Le témoin comme iudex sui : le caractère auto-référentiel de la vérité Eckhart interprète le témoignage que le témoin rend au principe même de son être à partir du critère aristotélicien de la certitude : le droit est iudex sui. Mais le Thuringien dépasse le sens aristotélicien du premier livre du De anima qu’il cite : « Le droit est juge de lui-même et de l’oblique ». Selon Aristote, en effet, « l’un des deux termes d’une contrariété est suffisant pour juger de lui-même et de son opposé ». Maître Eckhart en propose plutôt l’interprétation suivante : de même que le droit et le juste sont juges d’eux-mêmes et de l’oblique, de même, le seul témoignage recevable avec certitude est celui qui est fondé sur l’autorité de celui qui, tel le juste, est juge de lui-même, au sens où il témoigne du principe qui lui permet d’être ce qu’il est, autrement dit de la justice qui lui est à la fois intérieure et qui est de même nature que lui. Intériorité du principe et identité de nature avec lui garantissent, en effet, la vérité et la certitude de la connaissance. Elles en fondent aussi l’autorité. Dans cette acception auto-référentielle, le témoignage repose, en effet, sur une conception de la vérité qui a autorité par elle-même et « sans laquelle l’autorité elle-même ne vaut pas ». Cependant, une telle vérité fondée [LW III, , ] : « in me » ; ibid., [LW III, , ] : « sim […] iustus sum […] ex me » ; ibid., [LW III, , -] : « meo […] habeo et scio […] indigeo […] ». . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Rectum autem et iustum iudex est sui et obliqui, ut dicitur I De anima. ». Cf. ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a -), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. b : « Recto enim et ipsum et obliqum cognoscimus ; iudex enim utrorumque canon est [recto], obliqum autem neque sui ipsius neque recti. » (« C’est par le droit que nous connaissons à la fois lui-même et l’oblique. Car la règle est juge de l’un et de l’autre, tandis que l’oblique n’est ni de lui-même ni du droit. »). Cf. etiam Les Auctoritates Aristotelis, ed. J. Hamesse, p. , n. . . ARISTOTELES, De anima, lib. , cap. ( a ), in THOMAS DE AQUINO, Sentencia libri de anima, lib. , cap. , Ed. Leonina XLV/, p. b : « […] sufficiens est enim altera pars contrarietatis se ipsam diiudicare et oppositam. » ; trad. J. Tricot in ARISTOTE, De l’âme, Vrin, Paris, , p. . . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Et Augustinus dicit : “fiat ipsa veritas auctoritas, sine qua nec valet ipsa auctoritas”. » (« Et Augustin dit : “Que la vérité même devienne autorité, sans laquelle l’autorité elle-même ne vaut pas non plus”. »). Cf. [PS.-]
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en elle-même n’est pas simplement tautologique. Elle enveloppe la relation d’engendrement et la différence qu’elle implique sans lesquelles il n’y aurait pas de connaissance possible, mais pure identité à soi de l’un sans autre. Or cette relation d’auto-référence caractérise en propre, aux yeux d’Eckhart, la vérité qui, elle aussi, est dite juge d’elle-même. C’est pourquoi le témoignage devient, dans cette perspective, un mode de connaissance par lequel, éminemment, la vérité se communique. « Quant au sens latent, écrit-il, il faut remarquer que tout témoignage est en vue de ceci seulement : qu’apparaisse et se fasse connaître la vérité de ce qui est dit ». Or une telle assertion n’est pas seulement à entendre au sens où, comme toute connaissance médiate, prise au sens patent, « tout témoignage est en vue de cela seulement qu’apparaisse et que soit connue la vérité de ce qui est dit », à la condition d’entendre plusieurs témoins et de faire, par l’enquête menée, la part du vrai et du faux. Cette affirmation est bien plutôt à comprendre comme la mise en lumière du fondement du témoignage au sens latent : la relation d’engendrement du témoin par le principe dont il témoigne et dont il est, par suite, seul juge. Il n’est donc point besoin de deux, voire de trois témoins. Le témoignage d’un seul suffit, à condition qu’il soit fils du principe dont il témoigne. La reconduction de la pluralité des témoins à un témoin unique repose, par conséquent, sur le fait qu’il est question, dans le témoignage au sens latent, de l’identité de nature entre le principe et celui qui rend témoignage, de telle sorte que cette identité essentielle est le fondement et le garant intérieur d’une vérité dont le critère soit l’auto-référence. Or Eckhart étend cette conception du témoignage appliquée au seul Fils unique, dans le verset Jn , à tous les hommes, dans la mesure où ils sont engendrés, selon l’être en acte, par le principe auquel ils rendent ainsi témoignage.
AUGUSTINUS, De assumptione beatae Mariae virginis, cap. , ed. J.-P. Migne, PL XL, Parisiis, , col. : « fiat ipsa veritas auctoritas, sine qua necesse est nec valeat auctoritas ». . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Quantum vero ad sensum latentem notandum quod omne testimonium ad hoc solum est, ut appareat et innotescat veritas eius quod dicitur. »
CHAPITRE IV
Extension des propriétés trinitaires du témoignage du Fils aux témoins humains Maître Eckhart fonde la vérité de sa conception du sens latent du témoignage précisément sur le caractère auto-référentiel de la vérité dans le verset Jn , . Or, en rappelant que « ces paroles » sont « au plus haut point » celles « du Christ qui est la vérité », le Thuringien renverse le sens patent de cette proposition. Elle ne signifie pas, en effet, que le fait que le témoignage d’un seul suffit soit réservé au Fils unique. Au contraire, elle étend à tous les témoins humains, en tant qu’ils sont engendrés par le principe auquel ils rendent témoignage, les conditions qui caractérisent le témoignage du Fils unique. Quel est l’enjeu d’une telle extension aux témoins humains du sens latent du témoignage, réservé, selon le sens patent, au témoin divin ? La visée de Maître Eckhart consiste à étendre la consubstantialité des personnes divines à tous les étants créés, en tant qu’ils sont engendrés, selon l’être en acte, par le principe dans une identité de nature et une différence selon la relation. Comment procède-t-il à une telle extension de cette propriété trinitaire ? Si, d’abord, comme nous l’avons vu, le témoin au sens latent témoigne du principe en témoignant de sa propre identité, celle-ci ne saurait alors être entendue au sens d’individualité, c’est-à-dire qu’elle ne . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] in verbis maxime Christi qui veritas est […]. » . En complément bibliographique, sur les études récentes concernant l’anthropologie eckhartienne et l’articulation entre l’individualité du substrat et l’identité avec le principe, cf. RIZEK-PFISTER, C., « Meister Eckhart – Selbstrepräsentation durch Selbstverlust », in P. Michel (Hrsg.), Symbole im Dienste der Darstellung von Identität, P. Lang, Bern, (Schriften der Symbolforschung ), p. - ; VIANU, S., « L’intellect divin et l’intellect humain selon Maître Eckhart », Revue de Théologie et de Philosophie (), p. - ; FROMAGET, M., « De l’anthropologie tripartite chez Maître Eckhart / Three-Fold Anthropology in Meister Eckhart », Mystics Quarterly (), p. - ; WENDEL, S., Affektiv und inkarniert. Ansätze deutscher Mystik als subjekttheoretische Herausforderung, Pustet, Regensburg, (Ratio fidei ) ; BECCARISI, A., « Isticheit nach Meister Eckhart. Wege und Irrwege eines philosophischen Terminus », in Meister Eckhart in Erfurt, p. - ; JAMES, M., « Individuation and mystical union. Jung and Eckhart », Studies in spirituality (), p. - ; BERGENGRÜEN, M., « Also sind wir in Christo nur einer. Menschheit als theologisches Fundament soziozentrierter Mystik (Eckhart, Tauler, Böhme) », Poetica – Zeitschrift für Sprach und Literaturwissenschaft (), p. - ; HAAS, A. M., « …Das Persönliche und Eigene verleugnen. Mystische vernichtigkeit und verworffenheit sein selbs im Geiste Meister Eckharts », in A. M. Haas (Hrsg.), Mystik als Aussage. Erfahrungs-, Denkund Redeformen christlicher Mystik, Verlag der Weltreligionen, Frankfurt a. M., (Verlag der Weltreligionen ), p. - (antérieurement paru : Suhrkamp, Frankfurt a. M., et in
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saurait être définie par l’inhérence dans un substrat, selon l’être de la nature, mais plutôt par le fait d’être engendré par son principe selon l’être en acte. Ensuite, le fait que rendre témoignage à la justice revient, pour le juste, à témoigner de son propre être juste engendré par la justice est rendu possible par l’instrument logique, noétique et métaphysique privilégié de Maître Eckhart dont nous avons parlé : le paradigme du juste et de la justice. Par conséquent, l’intention eckhartienne principale qui consiste à discerner la structure de l’engendrement trinitaire en tout acte se trouve vérifiée dans le cas du témoignage. Puisque le juste et la justice sont un et que, leur unité de nature entraînant leur unité d’acte, leur témoignage est un, alors il est vrai que, selon l’être en acte, « en toute nature, tout verbe et tout témoin se tiennent et sont stables ‘dans la bouche de deux ou trois témoins’ ». L’identité de tout témoin – ou juste – comme fils du principe qui l’engendre est, en effet, constituée par sa relation d’engendrement avec son père, c’est-à-dire la justice, dans l’unité de l’esprit. Ainsi le sens latent du témoignage révèle-t-il une identité entendue comme engendrement trinitaire, à savoir comme l’unité et l’être-l’undans-l’autre de l’engendrant et de l’engendré dans l’esprit. M. Frank und A. Haverkamp (Hrsg.), Individualität, W. Fink, München, (Poetik und Hermeneutik ), p. - ; HEIMERL, Th., « Die theologische Anthropologie Meister Eckharts », in V. Leppin und H.-J. Schiewer (Hrsg.), Meister Eckhart aus theologischer Sicht, Kohlhammer, Frankfurt a. M., (Meister-Eckhart-Jahrbuch ), p. - ; HART, J., « Die Individualität des wahren göttlichen Selbst. Eine Eckhartianische Meditation », in R. Kühn und S. Laoureux (Hrsg.), Meister Eckhart – Erkenntnis und Mystik des Lebens. Forschungsbeiträge der Lebensphänomenologie, Alber, Freiburg und München, , p. - ; MORGAN, B., « Meister Eckhart’s anthropology », in On becoming God : late medieval mysticism and the modern Western self, Fordham University, New York, , chap. , p. - ; VANNIER, M.-A., « L’anthropologie d’Eckhart », in J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, p. - ; CASTEIGT, J., « ‘Ni Conrad, ni Henri’ : le fond de la personne est-il personnel, impersonnel ou sans fond dans les sermons allemands de Maître Eckhart ? », Archives de Philosophie, Cahier n. / (automne ), p. - ; KERN, U., « Eckhart’s Anthropology », in J. M. Hackett (ed.), A Companion to Meister Eckhart, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, Pr. , [DW I, , -]. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] scilicet quod in omni natura omne verbum et testimonium stat et stabile est ‘in ore duorum vel trium testium’. » . Pour l’application de l’intériorité réciproque aux rapports du corps et de l’âme à partir du verset Jn , : ‘Dieu est amour, et celui qui est dans l’amour est en Dieu, et Dieu est en lui’ (in ECKHARDUS TEUTONICUS, Pr. , [DW III, , -] : ‘got ist mynne, vnd der in der mynne ist, der ist in got, vnd er ist in ime’), cf., par exemple, ECKHARDUS TEUTONICUS, Pr. , [DW III, , -] : « [Die geschrift spricht :] die sele die wirt ain mit gotte vnd nit veraint. des nement am
CHAPITRE IV
C’est pourquoi, à la suite d’Augustin, Maître Eckhart rappelle, en guise d’exergue et de clausule de l’exposition du verset Jn , , que les paroles du Christ, rapportées dans le huitième chapitre de l’Évangile de Jean, sont dites « dans le mystère de la Trinité ». Car, comme le dit l’évêque d’Hippone que cite Eckhart, « la bienheureuse Trinité est la fermeté et le fondement stable de la vérité perpétuelle ». L’extension à glichnüsß. füllet man ain vass wassers, so ist das wasser im vas veraint vnd nit ain, wann da[s] wasser ist, da[s] ist nit holcz, vnd da holcz ist, da ist nit wasser. nu nement das holcz vnd werfent das enmitten in das wasser, so ist doch das holcz nit wan veraint vnd nit ain. also ist es vmb die sele nit ; die wirt ain mit gotte vnd nit veraint ; won wa got ist, da ist die sele, vnd wa die sel ist, da ist got. » Traduction par J. Ancelet-Hustache in A.H. III, p. (modifiée d’après L. Sturlese and M. Vinzent (transl.), Meister Eckhart, The German Works I, p. ) : « l’âme devient un avec Dieu, et non unie . Prenons-en une comparaison : si on remplit d’eau un tonneau, l’eau est unie dans le tonneau et n’est pas un, car où est l’eau, là n’est pas le bois et où est le bois, là n’est pas l’eau. Maintenant, prenez du bois et jetez-le au milieu de l’eau, le bois n’est qu’uni, et non pas un. Il n’en est pas ainsi de l’âme ; elle devient un avec Dieu, et non pas unie, car où est Dieu, là est l’âme et là où est l’âme, Dieu est. » Cf. etiam les textes parallèles : ECKHARDUS TEUTONICUS, Pr. , [DW III, , -, ] ; Sermo VI, , n. , in Sermones, hrsg. und übersetzt von E. Benz, B. Decker und J. Koch, Die lateinischen Werke, Bd. IV, Kohlhammer, Stuttgart, , [LW IV, , -, ] et le commentaire de ces textes dans CASTEIGT, J., « Aimer l’un dans l’autre ou d’un désordre amoureux condamné », in D. Mieth, M-A. Vannier, M. Vinzent and C. M. Wojtulewicz (eds), Meister Eckhart in Paris and Strasbourg, Peeters, Leuven, (Eckhart : Texts and Studies ), p. -. Cf. etiam MIETH, D., « Der Leib ist in der Seele. Eine Perspektive zum Verständnis des Glaubens an der Schöpfung », in R. Boschki (Hrsg.), Religionspädagogische Grundoptionen. Elemente einer gelingenden Glaubenskommunikation : für Albert Biesinger, Herder, Freiburg, , p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Consonat etiam illi quod Augustinus hic dicit : haec verba ‘duorum testimonium verum est’ dicta esse in mysterio trinitatis. » « Cela consonne également avec ce que dit Augustin ici : Ces paroles – ‘le témoignage de deux est vrai’ – sont dites dans le mystère de la Trinité. » Cf. AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Ioh. ev., tr. , n. , CCSL XXXVI, p. , l. - : « […] et ualde mihi uidetur in mysterio res esse constituta, ubi Deus dixit : ‘In ore duorum uel trium testium stabit omne uerbum’. » « […] et il me semble bien que c’est dans le mystère que la réalité a été constituée, là où Dieu a dit : ‘Dans la bouche de deux ou de trois témoins se tiendra tout verbe’. » . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Ioh. ev., tr. , n. , CCSL XXXVI, p. , l. - : « Si ergo populus constans ex magna hominum multitudine, falsus testis inuentus est, quomodo accipiendum est : ‘In ore duorum uel trium testium stabit omne uerbum’, nisi quia hoc modo per mysterium Trinitas commendata est, in qua est perpetua stabilitas ueritatis ? Vis habere bonam causam ? Habeto duos uel tres testes, Patrem et Filium et Spiritum sanctum. » « Si donc un peuple, composé d’une grande multitude d’hommes, a été découvert comme faux témoin, comment doit-on entendre : ‘Dans la bouche de deux ou trois témoins se tiendra tout verbe’, sinon parce que, de cette manière, elle a été mise en valeur par le mystère de la Trinité en laquelle se trouve la stabilité perpétuelle de la vérité ? Veux-tu avoir une bonne cause ? Aie deux ou trois témoins : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] trinitas beata firmitas est et stabilimentum perpetuae veritatis […]. »
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tout témoignage divin ainsi que créé de ce qui a lieu dans le témoignage singulier du Christ, dans lequel intervient la Trinité, n’est pas littéralement présente dans le traité d’Augustin. Mais le mode caché (in occulto) par lequel se présente la Trinité, quant à lui, s’y trouve justement à travers l’argument de Suzanne accusée par deux faux témoins. Cet argument est produit par l’évêque d’Hippone pour indiquer la manière dont la Trinité rend témoignage à l’innocente : « Enfin, quand Suzanne, femme chaste, épouse fidèle, était accablée par deux faux témoins, la Trinité lui donnait son suffrage en conscience et en secret (in occulto). Cette Trinité fit du secret (de occulto) se lever Daniel, témoin unique, et confondit les deux ». Ainsi donc Maître Eckhart reçoit-il d’Augustin, sinon l’héritage de l’extension du témoignage divin au témoignage humain, du moins la manière trinitaire d’entendre le témoignage au sens latent. Le passage du sens patent du témoignage à son sens latent fait donc apparaître l’intériorité du critère de certitude, l’auto-référentialité de la vérité qui y est manifestée et le transfert des propriétés du témoin divin à tout témoin dans la mesure où celui-ci est engendré selon l’être en acte par le principe auquel il rend témoignage. C. Typologie du renversement du témoignage au sens patent par le sens latent Il ressort des caractéristiques du témoignage selon le sens latent qu’il correspond au modèle de la génération du fils développé dans l’exégèse des versets Jn , -. En passant du sens patent du témoignage au sens latent, le maître thuringien renverse ainsi la conception habituelle du témoignage selon plusieurs points de vue. Premièrement, loin d’être le fondement d’une vérité probable, comme le suggère Thomas d’Aquin, le témoignage comme connaissance médiate n’est, au contraire, aux yeux d’Eckhart, que crédulité sans assurance de vérité. Et le témoignage au sens latent est, au contraire, la connaissance la plus certaine. Il est à lui-même son propre critère de vérité. . Dn, chap. . . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Ioh. ev., tr. , n. , CCSL XXXVI, p. , l. -p. , l. : « Denique quando Susanna casta femina fidelisque coniux duobus falsis testibus urgebatur, Trinitas illi in conscientia atque in occulto suffragabatur ; illa Trinitas de occulto unum testem Danielem excitauit, et duos conuicit. »
CHAPITRE IV
Deuxièmement, au lieu de représenter une connaissance indirecte, en ceci que ses destinataires n’ont pas immédiatement accès à ce dont il est rendu témoignage, le témoignage, selon le sens latent, coïncide avec une connaissance directe. Troisièmement, au lieu que l’objet du témoignage soit extérieur, il est, au contraire, intérieur et vise ce qu’il y a de plus propre au témoin, c’està-dire son être même. La condition du témoignage au sens latent, par conséquent, est qu’il soit reconductible à une connaissance de soi, au sens du principe constitutif de l’identité, à savoir l’unité de nature avec le principe dans l’esprit. En ce sens, il comprend le fondement de sa vérité : l’acte noétique du témoignage coïncide avec l’acte d’engendrement du témoin par son principe, qui est ontologique au sens de l’être en acte. Pourquoi donc le passage d’ordre noétique du sens du témoignage comme connaissance indirecte à son sens comme connaissance immédiate coïncide-t-il avec le passage herméneutique du sens patent au sens latent ? D. L’articulation du sens patent et du sens latent « sous l’écorce de la lettre » La règle de lecture eckhartienne Pour rendre compte du processus par lequel la médiation se renverse en immédiateté, Maître Eckhart énonce une règle de lecture. Selon celle-ci, il convient d’entendre certains versets en deux sens : « […] l’un qui apparaît clairement selon la surface (planum) et la superficie de la lettre, l’autre qui se cache sous l’écorce ». Or les versets que le Thuringien cite en guise d’exemples d’une telle double lecture correspondent précisément à ce qui se cache « sous l’écorce de la lettre » du verset Jn , . En son sens latent, le premier exemple, à savoir le verset Jn , – ‘Moi, je suis dans le Père et le Père est en moi’ –, énonce l’intériorité . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] unum qui patet secundum planum et superficiem litterae, alium qui latet sub cortice. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Haec verba ponuntur supra capitulo decimo et ibidem sunt exposita ; tamen hic signanter est advertendum quod Philippo petenti patrem ostendere responsum est : ‘ego in patre et pater in me est’. Hoc enim proprie solum scimus quod in nobis est, ut supra plane ostensum est. » « Ces paroles sont posées plus haut, au dixième chapitre, et ont été exposées là-même. Cependant, ici, il faut avertir de manière significative qu’à Philippe, qui a demandé qu’il montre le Père,
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comme critère noétique de la connaissance certaine, conformément au modèle noétique aristotélicien de la science de l’âme, cité dans le commentaire du verset Jn , : « Nous savons au sens propre seulement ce qui est en nous ». Le second exemple, à savoir le verset Jn , – ‘Le Père est en moi et moi, je suis dans le Père’ –, formule, dans son sens latent, le fondement métaphysique de l’autorité de celui qui se rend à lui-même témoignage : « Rien n’est autant dans le juste engendré que la justice qui engendre. De nouveau, rien n’est autant dans la justice que le juste en tant que juste engendré par elle ». « Sous l’écorce de la lettre » de ces versets se cache donc la connaissance intérieure que le fils a du père – entendu de tout fils au sens de l’être opératoire et corrélationnel – ou celle que le juste a de la justice. Que signifie ce modèle du double sens pour l’articulation de la connaissance médiate et de la connaissance immédiate, de l’altération et de la génération, de l’être selon la nature et de l’être en acte ? Maître Eckhart en donne un indice : le sens demeure latent « sous l’écorce de la lettre », comme « dans le Christ même, le Verbe se cache sous la chair et, en nous, l’âme ou l’esprit se cache dans le corps ». Le modèle de l’union hypostatique pour l’articulation du sens patent et du sens latent Pourquoi recourir au modèle de l’union hypostatique des deux natures, divine et humaine, dans le Christ ? Maître Eckhart semble hériter du fait qu’Augustin associe également ce modèle au double sens des Écritures. La règle de lecture que l’évêque d’Hippone donne, au seuil de son commentaire du huitième chapitre de l’Évangile selon saint Jean, consiste, il a été répondu : ‘Moi, je suis dans le Père et le Père est en moi’. Nous savons au sens propre seulement ce qui est en nous, comme cela a été clairement montré plus haut. » . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , ]. . Jn , selon la version clémentine : ‘Pater in me est et ego in patre’. Le texte de la Vulgate est le suivant : ‘in me est pater et ego in patre’. Cf. Biblia Sacra Vulgatae Editionis Sixti Quinti iussu recognita (et auctoritate Clementis Octavi edita), Romae, et et . . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] nihil enim est tam in iusto genito quam iustitia gignens. Rursus nihil est tam in iustitia quam iustus inquantum iustus genitus ab illa. » . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Nam et in ipso Christo est verbum latens sub carne et in nobis anima seu spiritus latens in corpore. »
CHAPITRE IV
en effet, à attribuer à l’humanité du Christ ce qui relève de son humilité et de son être de serviteur, d’un côté, et, de l’autre, à sa divinité « tout ce qui est sublime, ce qui est élevé au-dessus de toutes les créatures et divin, tout ce qui est égal et coéternel au Père, au sujet de cela, vous entendrez ou vous lirez que cela est établi dans l’évangile […] ». Ce principe d’interprétation permet de maintenir uni en une seule et même personne ce qui ressortit, pourtant, à deux natures hétérogènes. Or Maître Eckhart adopte la règle de lecture augustinienne et la généralise à la fois sur les plans ontologique et herméneutique. Sur le plan ontologique, il la place au seuil de son commentaire du verset Jn , et, loin de la circonscrire, comme l’évêque d’Hippone, à la double nature du Christ, il l’applique aussitôt à l’union de l’âme et du corps : « L’âme ou l’esprit se cache dans le corps ». Autrement dit, ce qui ressortit à la vie de l’esprit et qui se formule comme l’être-l’un-dans-l’autreréciproquement du juste et de la justice se cache dans l’extériorité des substrats les uns aux autres, tels qu’ils se donnent dans l’être selon le devenir, à l’instar du sens latent sous le sens patent. En passant de l’union hypostatique des natures divine et humaine dans le Christ à l’union de l’âme et du corps ou en passant du cas singulier du Christ qui se rend témoignage à lui-même, dans le huitième chapitre de l’Évangile de Jean, à la science que toute âme peut avoir d’elle-même, lorsqu’elle se découvre comme la plus certaine, Eckhart étend, par suite, ce modèle à l’articulation, dans tous les étants, de l’être selon la nature et de l’être en tant qu’être. Si le passage du sens patent au sens latent s’avère la condition pour comprendre dans quelle mesure le témoignage, au sens de connaissance immédiate reposant sur une structure trinitaire rendue manifeste par le paradigme du juste et de la justice, s’applique universellement aux témoins créés, c’est donc que les versets Jn , et Jn , , donnés en exemples de la clef de lecture eckhartienne nous introduisent dans un sens de l’intériorité hétérogène à la physique caractéristique de la manière dont l’esprit est dans le corps. Y être introduit signifie pénétrer dans la logique propre au sens latent : celle de l’être en acte caractérisé par l’intériorité réciproque du juste engendré et de la justice qui l’engendre. . AUGUSTINUS HIPPONENSIS, In Ioh. ev., tr. , n. , CCSL XXXVI, p. , l. - : « […] quidquid autem sublime et supra omnes creaturas excelsum atque diuinum, et Patri aequale atque coaeternum de illo audieritis in euangelio poni, uel legeritis […]. » . Cf. supra chapitre IV, p. , note , ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -].
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Une clef de lecture comme opérateur du passage d’un sens à l’autre du témoignage Sur le plan herméneutique, dans le prologue du Commentaire des paraboles de la Genèse où se trouve une autre occurrence de l’expression sub cortice, Eckhart donne, à partir du modèle du sens patent et du sens latent, une formule nouvelle de son intention générale. Pour celui qui sait . Sur la question herméneutique du langage figuré chez Eckhart, cf. LARGIER, N., « Figurata locutio. Hermeneutik und Philosophie bei Eckhart von Hocheim und Heinrich Seuse », in K. Jacobi (Hrsg.), Meister Eckhart. Lebensstationen-Redesituationen, Akademie Verlag, Berlin, (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, Neue Folge ), p. - ; LARGIER, N., « Intellekttheorie, Hermeneutik und Allegorie : Subjekt und Subjektivität bei Meister Eckhart », in R. L. Fetz, R. Hagenbüchle und P. Schulz (Hrsg.), Geschichte und Vorgeschichte der modernen Subjektivität, Walter de Gruyter, Berlin und New York, , p. - ; MANSTETTEN, R., « Meister Eckharts Verfahren der Schriftauslegung », in G. Bonheim und P. Kattner (Hrsg.), Mystik und Schriftkommentierung, Weißensee-Verlag, Berlin, (Böhme-Studien. Beiträge zu Philosophie und Philologie ), p. – ; BRAY, N., « Auctoritates bibliche e Quaestiones dottrinali nell’Opus Tripartitum di Eckhart e nella Summa theologiae di Tommaso d’Aquino », in A. Beccarisi, R. Imbach und P. Porro (Hrsg.), ‘Per perscrutationem philosophicam’. Loris Sturlese zum . Geburtstag gewidmet. Neue Perspektiven der mittelalterlichen Forschung, Meiner, Hamburg, (Corpus philosophorum Teutonicorum medii aevi, Beihefte ), p. - ; MILNE, J., « The Linguistic Imagination : Meister Eckhart’s Poetic and Speculative use of Scripture », Eckhart Review (), p. - ; CASTEIGT, J., « Un baiser entre ciel et terre : mouvance générique et exégèse dans le commentaire du Cantique des cantiques de Maître Eckhart », Cahiers de Recherches médiévales (décembre ), p. - ; CASTEIGT, J., « Le Livre des paraboles de la Genèse de Maître Eckhart : d’une réflexion sur l’écriture mythologique – ou des images dans l’Écriture – à une théorie métaphysique de l’image », in J.-P. Aygon, C. Bonnet et C. Noacco (éd.), La mythologie en question de l’Antiquité à la Modernité. Appropriation, adaptation, détournement, PUR, Rennes, (Interférences), p. - ; CASTEIGT, J., « Sous l’écorce de la lettre. » (), p. -. Et sur l’herméneutique biblique de Maître Eckhart, cf. KOCH, J., « Sinn und Struktur der Schriftsauslegungen », in U. M. Nix und R. Öchslin (Hrsg.), Meister Eckhart der Prediger. Festschrift zum Eckhart-Gedankjahr, Herder, Freiburg im Br., Basel und Wien, , p. - et in Kleine Schriften, Bd. I, Ed. di Storia e Letteratura, Roma, (Storia e letteratura, Bd. ), p. - ; WEISS, K., « Meister Eckharts biblische Hermeneutik », in La Mystique rhénane. Colloque de Strasbourg - mai , Travaux du Centre d’études supérieures spécialisé d’histoire des religions de Strasbourg, PUF, Paris, , p. - ; WINKLER, E., Exegetische Methoden bei Meister Eckhart, Mohr, Tübingen, ; WEISS, K., « Die Hermeneutik des Meister Eckhart », Studia theologica (), p. - ; WINKLER, E., « Wort Gottes und Hermeneutik bei Meister Eckhart », in U. Kern (Hrsg.) in Verbindung mit H. Falcke und F. Hoffmann, Freiheit und Gelassenheit. Meister Eckhart heute, Kaiser, München und Mainz, , p. - ; ENDERS, M., « Die Heilige Schrift – das Wort der Wahrheit. Meister Eckharts Verständnis der Bibel als eines bildhaften Ausdrucks des göttlichen Wissens », in R. Schönberger und S. Grotz (Hrsg.), Wie denkt der Meister ?, p. - ; DUCLOW, D. F., « Hermeneutics and Meister Eckhart », Philosophy Today (), p. - ; DUCLOW, D. F., « Meister Eckhart’s Latin Biblical Exegesis », in J. M. Hackett (ed.), A Companion to Meister Eckhart, Brill, Leiden and Boston, (Brill’s Companions to the Christian Tradition ), p. -. . ECKHARDUS TEUTONICUS, Liber parabolarum Genesis editio altera, [In Gen. II], Prologus, n. , hrsg. und übersetzt von K. Weiss, Die lateinischen Werke, Bd. I/, Kohlhammer, Stuttgart, , [LW I/, , -] : « […] elicere quaedam ‘sub cortice litterae’ parabolice contenta et tecta quantum ad sensum latentiorem […]. ». (« […] faire ressortir certains contenus ‘sous l’écorce de la lettre’ de manière parabolique et couverts quant au sens plus latent […]. »).
CHAPITRE IV
lire en paraboles les différents champs de l’expérience humaine et des disciplines du savoir et qui sait découvrir, en eux, ce qui y demeure latent, la même propriété se trouve à la fois dans ce qui est divin et dans ce qui est créé. La parabole s’avère, en effet, un des lieux privilégiés pour passer du sens patent – ou de l’être selon la nature, qui concerne l’homme juste, au sens du substrat de l’accident juste – au sens latent – ou l’être en acte, qui correspond, selon Maître Eckhart, au paradigme du juste en tant que juste. Car, pour qu’un tel passage advienne, il faut qu’il y ait des lieux, dans le discours, dans lesquels des logiques contradictoires, telles que l’extériorité des substrats dans le devenir et l’intériorité réciproque dans la génération, puissent non seulement cohabiter, mais se trouver l’une dans l’autre. La parabole est le lieu où cette percée advient : « sous l’écorce » de la médiation, se trouve l’immédiateté. Passer du témoignage à l’engendrement n’est-il, alors, qu’affaire de lecture ? Il n’en est rien. Lire engage une connaissance en acte. Et cet acte implique de connaître à partir d’une certaine modalité d’être ou d’un certain sens de l’être. Percer l’écorce de la lettre et appréhender le sens qui y demeure latent équivaut, en effet, à connaître en acte cela même qui s’y révèle : la connaissance immédiate de la justice par le juste. Sinon, l’écorce n’a pas été brisée et la connaissance demeure extérieure, tout comme l’est le sens de l’être appréhendé. Connaître, en revanche, immédiatement le principe de son propre être, à la manière dont le juste connaît la justice, s’identifie à un acte par lequel celui qui connaît est de nouveau constitué dans l’être de son principe. Le témoignage qui est ainsi rendu possible coïncide, dès lors, avec l’acte d’engendrement du connaissant par le principe qui l’engendre et qui se fait connaître ainsi en lui. L’enjeu d’une telle conception du témoignage consiste, par conséquent, dans le statut que Maître Eckhart lui confère désormais : celui de réinterprétation philosophique de la question de la consubstantialité du Fils et du Père, qui témoigne en sa faveur. Connaissance médiate et connaissance immédiate : un rapport de sens patent à sens latent ? Quelle articulation Maître Eckhart propose-t-il donc entre le témoignage comme connaissance médiate et le témoignage comme connaissance immédiate ?
LE TÉMOIN
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En premier lieu, le modèle du sens patent et du sens latent permet de reconnaître, dans le même étant, deux logiques hétérogènes : deux modèles noétiques (médiat et immédiat), deux modes de production (l’altération et la génération), deux sens de l’être (selon la nature et en acte), deux rapports au principe (analogue et univoque). En deuxième lieu, ce modèle permet que l’une des logiques ne remplace pas l’autre en s’y substituant et en l’abolissant. Ce qui relève de l’esprit ne prend pas la place de ce qui ressortit au corps en éliminant ce dernier. L’un est dans l’autre. En troisième lieu, ce à quoi se réfère le sens latent révèle la condition de possibilité de ce que désigne le sens patent. De même que le sens latent se cache « sous l’écorce de la lettre », de même toute médiation, requise dans l’être selon la nature, repose sur l’immédiateté qui la constitue, selon l’être opératoire. Découvrir le sens caché « sous l’écorce de la lettre » signifie, en effet, pour l’interprète, mettre au jour le fait que toute connaissance par médiation repose, selon le sens latent, sur la certitude intérieure que le connaissant, juste par exemple, engendré dans l’être du principe qu’il connaît – la justice – et qui le constitue comme juste possède à la fois sur lui-même et sur son principe. Tout témoignage, dans l’ordre du devenir, s’avère ainsi fondé dans un engendrement, selon l’être en tant qu’être. Apercevoir l’immédiateté dans la médiation exige, dès lors, de changer de manière de lire ce qui ressortit à l’altération. Il s’agit, en effet, de distinguer, « sous l’écorce de la lettre », c’est-à-dire dans l’altération et à son fondement, ce qui relève de l’engendrement. Comment l’articulation du sens latent et du sens patent correspond-elle à celle de la génération et de l’altération ? L’être en acte s’avère la condition de possibilité de l’être selon la nature. Et il est latent dans ce dernier, comme le paradigme du juste en tant que juste dans l’homme juste, substrat de l’accident juste. Ainsi l’être en acte propre à la génération se lit-il dans l’être selon la nature qui ressortit à l’altération, comme le sens latent dans le sens patent. Il apparaît donc que l’articulation du sens patent et du sens latent, sur le plan herméneutique, constitue l’un des opérateurs majeurs par lesquels Maître Eckhart fonde sa conception du témoignage comme connaissance immédiate et par lesquels il met ainsi en relation le médiat et l’immédiat, l’altération et la génération, le devenir et l’instant de l’acte ainsi que toutes les dimensions impliquées par le témoignage et l’engendrement.
CHAPITRE IV
V. La conception albertienne du témoignage est-elle subvertie par celle d’Eckhart ? La doctrine albertienne du témoignage se trouve-t-elle renversée par la conception eckhartienne, comme le témoignage au sens patent, à savoir entendu comme connaissance médiate, se trouve subverti par le témoignage au sens latent ? Voici quelques points de comparaison des conceptions eckhartienne et albertienne du témoignage. A. Le critère de la certitude Pour Maître Eckhart, le témoignage est l’occasion de poser le problème du critère de la certitude. Or toute médiation est synonyme, selon le Thuringien, de crédulité et d’incertitude. Le critère de la certitude est, au contraire, selon lui, intérieur et immédiat. Il est fondé dans l’être en acte de celui qui connaît en tant qu’il connaît. S’il existe une connaissance médiate, elle requiert, par conséquent, que la médiation qui la constitue soit reconduite à l’immédiateté, c’est-à-dire à l’union en acte entre le connaissant qui est engendré et le connu qui l’engendre dans la même nature que lui avec une différence de relation. En ce qui concerne la connaissance médiate qu’est le témoignage, l’urgence semble consister, aux yeux de Maître Eckhart, à réduire la multiplicité en puissance des témoins – deux, voire trois, témoins sont requis selon la Loi deutéronomique – à l’unité du connaissant, juge de la vérité de sa connaissance. En revanche, selon Albert le Grand, le témoignage, tel qu’il est déployé à travers les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, n’est pas le lieu pour poser la question du mode de certitude propre à la connaissance testimoniale. En ouvrant, à propos du témoignage, la question de la nécessité des médiations dans la connaissance du principe par l’intellect humain, le Docteur universel, loin de recentrer l’intellect humain sur ce que produit pour lui et en lui l’acte de connaissance du principe, insiste sur la multiplication des médiations qui permettent de retourner vers le principe, alors même que l’intellect humain, en tant qu’il est humain, se trouve conjoint aux sens et à l’imagination. Tout étant sensible, dans la mesure où il est créé, constitue d’une certaine manière une mise en proportion de la disproportion du principe. Par suite, tout étant peut tenir lieu, pour l’intellect humain,
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de médiation dans son chemin vers le principe. De plus, l’acte de l’intelligence figurale qui correspond à la connaissance testimoniale repose sur le principe méthodologique de la multiplication possible des interprétations de ces médiations en vertu de la multiplication, virtuelle du moins, des règles qui président à l’examen de leurs ressemblances. B. L’articulation de l’être et du devenir et les conditions anthropologiques de la connaissance intellective Le témoignage est, pour Maître Eckhart, l’occasion de penser l’articulation du devenir avec l’être en tant qu’être. L’altération et la génération lui fournissent, en effet, un modèle physique pour penser les rapports de deux sens de l’être. L’être selon la nature considère les étants à partir de leur être dans un substrat et de la causalité extérieure, à savoir efficiente et finale, ainsi que de la relation d’analogie avec le principe. L’être selon l’acte, pour sa part, les regarde à partir du paradigme du juste et de la justice, de la stricte causalité formelle et d’une relation d’univocité avec le principe. De même que la génération n’abolit pas l’altération qui l’a préparée, sans en constituer, pour autant, une cause suffisante, de même le juste selon l’être en acte n’élimine pas l’homme juste qui existe dans un substrat particulier et dans des conditions contingentes. Comme la génération par rapport à l’altération, il lui est simplement hétérogène. Néanmoins, leur articulation se pense moins sur le mode du passage de la puissance à l’acte que sur celui du sens latent caché « sous l’écorce de la lettre ». Comme la roue dans la roue du char du livre d’Ézéchiel qui permet à Eckhart de penser la relation entre engendrement trinitaire et création, le sens latent qui concerne la génération par le principe selon l’être en acte est caché dans le sens manifeste qui touche le devenir du substrat et de ses accidents selon l’être de la nature. Pour Maître Albert, en revanche, le témoignage n’est pas le lieu de penser l’articulation du devenir et de l’être en tant qu’être. Il représente plutôt l’occasion d’insister sur les conditions anthropologiques qui affectent la connaissance intellective. Tant qu’il n’est pas dans la . Pour l’interprétation eckhartienne de Ez. , , cf. LOSSKY, V., Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, Vrin, Paris, (re éd.), (Études de philosophie médiévale XLVIII), p. -, notamment p. ; CASTEIGT, J., Seul le juste connaît la justice (), p. - et les références bibliographiques qui y sont données.
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connaissance des bienheureux après la mort ou tant qu’il ne reçoit pas une illumination particulière susceptible de le sortir des conditions ordinaires la vie humaine, l’intellect humain est conjoint aux sens et à l’imagination. En quel sens le témoignage trace-t-il, toutefois, un passage vers le principe ? La figure de la manuductio appliquée aux médiations sensibles qui constituent des proportions de la disproportion propre au principe, si elle met l’intellect humain progressivement en mesure de recevoir l’intelligible pur, comme cela est le cas de la manuductio dans le cadre de la progression à travers la hiérarchie des sciences, telle qu’elle apparaît dans le corpus aristotélicien, se distingue, comme un mode de connaissance propre, de la vision immédiate du principe. L’accès à celle-ci est également marqué par une solution de continuité qui abolit la connaissance médiate. Contrairement à la manuductio dans le corpus aristotélicien, la manuductio spécifique de l’intelligence figurale ne fait pas passer du particulier et du composé propres au sensible à l’universel simple des étants séparés, comme cela est le cas de la gradation épistémique qui rend la métaphysique possible. La manuductio des images, en tant que telle, demeure dans l’ordre du particulier et fait sans cesse retour vers le sensible et vers l’imaginaire dont elle part. Cependant, les ressemblances que l’intelligence figurale découvre dans les images manuductrices permettent d’élaborer des similitudes de proportionnalité sur lesquelles se fonde leur transfert aux réalités divines. Ces similitudes de proportionnalité font passer l’intelligence figurale de l’image d’un terme, qu’il s’agisse d’une substance sensible ou de ses déterminations quantitatives ou qualitatives, à des relations de relations. L’intellect humain n’est donc pas immédiatement conduit à l’intelligible pur des étants séparés. Il demeure dans le particulier sensible et imaginaire comme en son milieu noétique propre. Cependant, le passage de la considération d’un élément catégoriel, qu’il soit substantiel ou accidentel, dans les réalités créées, à celle de relations de relations modifie son mode d’appréhension des étants finis. Ceux-ci ne sont ni seulement des objets des sciences physique ou mathématique ni seulement des manifestations du principe en tant qu’ils en sont les effets. Ils représentent plutôt la multiplicité des modes possibles par lesquels, selon des relations variées, le principe se manifeste dans le sensible. L’intellect humain est donc « conduit par main » par
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l’acte même par lequel il examine les ressemblances possibles des signes manuducteurs avec le principe et retrouve ainsi l’acte par lequel le principe lui-même se manifeste à travers eux. Ces ressemblances ne se trouvent pas cachées dans les images manuductrices, comme le sens latent dans le sens manifeste. Elles se donnent plutôt à l’intellect comme des relations à examiner et à reconstruire, en parcourant d’une certaine façon le chemin inverse de celui par lequel le principe s’est lui-même « mis en image ». C. Le paradigme du juste et de la justice et imaginatio-imitatio Le paradigme du juste et de la justice est ce qui permet à Maître Eckhart de passer du sens du témoignage comme connaissance médiate extérieure à celui du témoignage que le témoin se rend à lui-même, fondé sur la certitude intérieure, qui constitue aussi la connaissance la plus certaine. Or le renversement de l’extériorité en intériorité repose sur la reconduction de la noétique à l’ontologie (selon le sens opératoire de l’être) effectuée en vertu du paradigme du juste et de la justice. Connaître comme le juste connaît la justice suppose un engendrement en acte dans l’être même du principe qui est ainsi connu. C’est, par conséquent, toujours en quelque sorte notre propre être que nous connaissons en tant qu’il dépend, dans son acte de constitution même, du principe qui le constitue. En revanche, pour Albert de Cologne, l’acte de l’intelligence figurale n’assimile pas ontologiquement l’intellect humain au principe qu’il connaît « selon le mode de connaissance qui lui est possible ». Le témoin ne devient pas fils du principe. Cependant, parce que l’art de l’interprétation qu’il déploie n’est pas seulement théorique, sa dimension pratique lui permet de s’approprier l’acte même par lequel le principe se manifeste en « s’imaginant ». L’imaginatio, ou la mise en image, coïncide avec une certaine imitatio du principe en tant qu’il se manifeste. Telle est la manière dont l’intellect humain s’approche en quelque sorte du principe en tant qu’il se manifeste en dehors de lui. Par rapport à la constitution du connaissant en tant que connaissant qui advient dans l’acte de connaître, la connaissance testimoniale albertienne permet donc à l’intellect humain de se saisir comme il est, tout entier – sensibilité, imagination et intellect noétique –, en tant qu’il participe, en vertu de l’activité de son intelligence figurale, l’acte même par lequel le principe se manifeste.
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D. Le rapport au particulier : détachement ou enracinement Selon Maître Eckhart, l’identité du témoin, loin de coïncider avec le substrat particulier dans lequel il inhère et qui ne saurait le constituer qu’en médiation extérieure, est à entendre au sens trinitaire. Si le Thuringien rappelle que les paroles du Christ au verset Jn , sont dites « dans le mystère de la Trinité », cela signifie, en effet, que le témoin parle à partir de son être engendré dans l’unité de nature avec le principe divin et dans la différence selon la relation de fils et de père, de passif et d’actif. Tout homme peut, par conséquent, être témoin, dans la mesure où, selon son être opératoire, il est engendré par son principe dans l’unité de nature. Et, inversement, le témoin est « l’âme de l’homme » en général, c’est-à-dire dans la mesure où elle est détachée de toutes les déterminations particulières qui la rend l’âme de tel homme. Le témoin est, selon Albertus Magnus, l’intellect humain en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. Il apparaît comme la figure même de l’homme, considéré dans les conditions ordinaires de son existence, de l’homme en chemin, c’est-à-dire de celui qui n’a pas encore atteint la fin de son périple. Il peut être considéré, d’un côté, comme le témoin dont nous voyons les actes et dont nous entendons les paroles. Son statut correspond, alors, à celui d’une médiation sensible, proportion du disproportionné. Il peut s’apparenter, de l’autre, à celui qui reçoit le témoignage du principe pour le communiquer à son tour. Il est, dès lors, assimilé à l’acte de l’intelligence figurale qui, dans l’acte par lequel elle examine les ressemblances, reçoit ce qu’elle sait du principe de l’illumination d’une intelligence supérieure et qui diffuse à son tour, tel un vase de lumière, la connaissance reçue selon le mode qui lui est propre et qui est déterminé par sa composition particulière ou son rapport singulier au principe. Lumière illuminée et illuminante, le témoin albertien est donc composé de ces deux dimensions qui sont distinguées dans la médiation, du côté objectif, et dans le vase de lumière, du côté subjectif. Il ne revient, par conséquent, pas à tout homme d’être témoin. Le témoin correspond, au contraire, à une place déterminée dans la hiérarchie des étants. D’un côté, cette place s’avère la plus proche du principe, parce que, tel un vase de lumière, il brille de l’intérieur. Ainsi tous les témoins ont-ils ceci en commun qu’ils reçoivent le principe en
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profondeur, dans leur être même et selon une dévotion intérieure. De l’autre, cette place est intermédiaire entre le principe et les étants opaques qui ne reçoivent pas directement la lumière du principe et ne le reconnaissent pas comme tel. Le témoin leur transmet la lumière du principe de manière oblique ou indirecte. La place centrale de la composition dans la conception albertienne du témoin indique le souci du maître de Cologne de penser les témoins dans leur singularité et dans leur diversité. De même que Mars ne renvoie pas la lumière du soleil à la manière de Vénus, de Saturne ou de la lune, de même chaque témoin diffuse la lumière du principe selon le mode qui lui est propre et qui est déterminé par sa capacité réceptive par rapport au principe. La diversité des témoins rend ainsi possible la diffraction du rayon lumineux provenant du principe et le fait connaître selon une multiplicité de modes. Elle prolonge en quelque sorte l’acte par lequel l’Un se fait connaître dans le multiple et participe ainsi à la fois l’acte par lequel le flux émane de sa source, en le diffractant, et l’acte par lequel les étants retournent au principe, en témoignant précisément du principe qui est l’origine de cette lumière reçue. E. L’immédiateté du fils dans le témoin et la médiation des intelligences séparées Être témoin au sens latent, celui de la connaissance intérieure et immédiate, est synonyme, selon Maître Eckhart, d’être fils. Le témoignage d’un tel iudex sui fait autorité, dans la mesure où il se fonde dans ce qu’il connaît comme son propre être, à savoir son identité de nature avec le principe. Cette connaissance par l’être se donne, par conséquent, comme une connaissance naturelle qui ne requiert pas d’autre don que celui de cet engendrement en acte dans l’être même du principe. En tant que témoin de la justice, le juste témoigne, par conséquent, à partir de sa nature même en tant qu’elle est détachée de toute autre considération que la justice. Par rapport à ce fond essentiel, la différence selon la relation que constitue la passivité de l’engendré par rapport au principe qui l’engendre ressortit à l’ordre de la manifestation. De même, le témoin du principe l’est à partir du fond indéterminé dans lequel il est engendré dans la même nature que le principe, à l’exclusion de toute détermination. Son être-fils qui reçoit tout ce qu’il est et ce qu’il fait exclusivement
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du principe signifie la passivité qui apparaît en tant qu’il manifeste l’être et l’agir de son père. Être témoin, selon Maître Albert, repose sur la réception, par l’intellect humain, de l’illumination d’une intelligence supérieure. Dans l’acte par lequel l’intelligence figurale examine les ressemblances des images manuductrices, elle se surprend parfois, en effet, à élaborer des associations selon une relation accidentelle qui, selon les mots d’Aristote, « dépassent notre prudence » . La manuductio des médiations sensibles « conduit », par conséquent, l’intellect humain « par la main » vers une intellection qui dépasse sa propre faculté noétique et requiert l’illumination d’un intellect séparé du continu et du temporel. L’intellect humain découvre ainsi, au cœur de son activité d’examen des ressemblances, une passivité qui le rend apte à recevoir ce qu’il sait d’une intelligence supérieure à lui. Ce qui fonde son autorité de témoin est ainsi la passivité – ou la transparence du vase de lumière – par laquelle il reçoit ce qu’il sait du principe et, comme le vase de lumière, illumine de la seule lumière qu’il a reçue. F. Témoigner du principe de son être ou du principe dans ses manifestations Témoigner, pour Maître Eckhart, revient, pour le témoin, à connaître et faire connaître le principe même de son être, celui qui est constitué dans chaque acte par le principe. Dans l’acte de connaître, le connaissant devient, en effet, un avec ce qu’il connaît et en acquiert, sur le plan noétique, la forme. Si voir une pomme rouge équivaut, pour le voyant, à devenir un avec le rouge, a fortiori la connaître signifie, pour le connaissant, être uni au principe de son être, de son être-un, de son être-bon et des autres termini generales. Or ce qui vaut pour la connaissance des étants particuliers vaut également pour la connaissance du principe. Tout acte de connaître est fondamentalement un engendrement dans l’être du principe. Cette remontée du particulier à l’universel en tout acte de connaissance s’accompagne d’une anabase de l’extérieur vers l’intérieur. Toute connaissance de quelque chose qui soit visé hors de l’âme reconduit, en effet, celui qui connaît à la connaissance du principe de son propre être . ARISTOTELES, De divinatione per somnum, cap. ( a -b), transl. vetus, ed. H. J. Drossaart Lulofs, p. , l. - : cf. supra chapitre III, p. , note ; ibid., cap. ( b -), transl. vetus, ed. H. J. Drossaart Lulofs, p. , l. - : cf. supra chapitre III, p. , note .
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ou, plus précisément, à l’acte par lequel il est engendré par le principe. Connaître revient, alors, fondamentalement à connaître le principe de son propre être. Et témoigner signifie manifester l’expérience intérieure par laquelle le témoin ne cesse d’être engendré en acte par son principe. Maître Eckhart ouvre ainsi la voie d’une vie de fils appelé à demeurer, en chacun de ses actes, au contact de l’acte d’engendrement par lequel son principe le constitue. Connaître vise à percer le devenir et à atteindre l’être en tant qu’être sur lequel il repose et qui le constitue. Connaître vise à briser l’écorce de la lettre des phénomènes dans leur multiplicité pour les reconduire à l’Un qui les engendre dans l’immédiateté. Cette connaissance caractérisée par l’intériorité et par l’universalité ne s’identifie pas à une science, telle que la métaphysique, dans la mesure où elle s’enracine dans l’acte d’engendrement de celui qui connaît par le principe qu’il connaît. Cette expérience intérieure d’être engendré par le principe donne au témoin qui en est fils la connaissance, pour ainsi dire, pratique, mais plus encore ontologique (au sens de l’être en acte), de la vie même du principe qui est engendrement, en tant qu’il se manifeste. Au-delà, il y a l’essence pure de la déité qui n’est rien de tout ce qui, d’elle, pourrait recevoir une détermination. De cette essence, il n’y a pas d’acte de connaissance. En elle, il n’y a pas de distinction entre le passif et l’actif. Le Doctor universalis trace, en revanche, un chemin de connaissance de toutes les médiations sensibles qui portent le sceau de la disproportion par laquelle le principe imprime sa marque dans les étants sensibles à travers lesquels il se manifeste. Il s’agit, pour l’intelligence figurale, dans chacune de ces médiations, d’apercevoir la disproportion susceptible de la « conduire par la main » au-delà des proportions continues et temporelles de ses commencements. Connaître les médiations sensibles du principe, en étant attentif à leur dimension disproportionnée par rapport aux sens et à l’imagination, signifie, dès lors, demeurer réceptif à la disproportion inhérente à l’opération de l’intelligence figurale. Autrement dit, ce qui « conduit par la main », dans l’interprétation des signes manuducteurs, est l’acte qui précisément surprend l’intelligence figurale, parce qu’elle constate que toutes ses facultés naturelles ne sauraient suffire à rendre compte de la production de la connaissance à laquelle l’interprétation la mène. Tandis que toutes les opérations de l’intellect dans la gradation des sciences doivent pouvoir être suffisamment expliquées et que ce qui est déduit doit être entièrement impliqué dans les prin-
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cipes, l’analogon de l’interprétation des songes et l’hypothèse de l’illumination angélique figurent un acte de connaissance qui ne saurait être complètement expliqué par les données des sens et de l’imagination ainsi que par les opérations cognitives qu’elles entraînent. Même si d’aucuns résisteront peut-être à reprendre à leur compte, dans toutes les situations noétiques, l’hypothèse de l’illumination par des intelligences supérieures, ce qui est par là figuré demeure, néanmoins, à mes yeux, pertinent pour lire les expériences dans lesquelles nous ne sommes pas en mesure de rendre suffisamment compte, de manière analytique, à partir des prémisses, du jugement que nous produisons et qui s’avère, cependant, parfaitement adéquat. L’interprétation des songes prémonitoires qui établit des relations accidentelles vraies entre les images des rêves et les événements qui s’y trouvent secrètement annoncés fournit un modèle, même à ceux qui n’adhéreraient pas aux principes métaphysiques albertiens, pour rendre compte de ces expériences noétiques que représentent les « idées qui nous viennent d’ailleurs », au sens où elles ne proviennent ni des sens, ni de l’imagination, ni de l’intellect dianoétique. La tentative albertienne contribue ainsi à l’élaboration d’un modèle théorique pour rendre compte de certains phénomènes à la fois intérieurs et si étranges que leur origine est assignée à l’extérieur du sujet. Que le témoin soit appelé vase de lumière implique, par conséquent, que son attention à la disproportion inscrite dans toutes les médiations sensibles et, en particulier, à celle qui peut le surprendre dans l’activité même de son intelligence figurale le place dans une position de médiation par rapport au principe. Sa réceptivité à la disproportion caractéristique du principe au sein du continu et du temporel le rend semblable à la transparence du vase de lumière dont l’activité consiste à diffuser la seule lumière qu’il reçoit. La singularité de sa relation au principe l’apparente, en effet, à la composition particulière qui caractérise chaque luminaire et qui entraîne en lui une réfraction de la lumière selon un rayonnement déterminé dans le spectre lumineux par la capacité de recevoir inhérente à sa composition propre. Il découle donc de la passivité qui dépend du fait que l’intellect humain est une puissance matérielle et du degré qu’il occupe dans la hiérarchie universelle qui détermine sa capacité de réception que le témoin albertien n’a, certes, pas accès à l’essence du principe en luimême, mais seulement à sa manifestation et que l’opération de son intel-
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ligence figurale consiste à déchiffrer la multiplicité des manifestations du principe dans la variété des médiations sensibles. G. La place du témoin dans la communauté de ses destinataires Dans la perspective eckhartienne, pourquoi le fils témoigne-t-il ? Son chemin de connaissance consiste, en effet, en toute connaissance de quelque chose d’autre, à revenir à l’acte de constitution de lui-même par le principe. Autrement dit, connaître revient, pour lui, à se concentrer sur l’acte d’engendrement intérieur qui est la vie même du principe en lui. Or le témoignage ne semble pas, d’emblée, s’apparenter à une activité inhérente à ce processus d’intériorisation dans la vie du principe qui sourd dans le connaissant. Ce qui témoigne envers les autres est peutêtre, dans le fils, la manifestation de son enracinement dans la vie du principe en lui. La relation du témoin à ses destinataires est ainsi comprise dans sa relation de fils à l’altérité du principe qui l’engendre et auquel il est, certes, identique selon la nature, mais dont il est différent selon la relation. Loin d’être esseulé par son orientation radicale et exclusive vers la relation avec le principe, le témoin « communie », pour ainsi dire, au sens d’être-un-avec-les-autres, dans la mesure où il perce à travers leur être-les-uns-en-dehors-des-autres, selon l’être de nature, et où il se découvre, de ce point de vue et au sens de l’être opératoire, tellement uni à eux que « ni la nature, ni l’intellect, ni Dieu ne peuvent les séparer ». Le vase de lumière est, au contraire, selon Albert de Cologne, caractérisé par sa position intermédiaire entre le principe et les étants qui en sont plus éloignés. Réverbérer la lumière du principe, de telle sorte que ceux qui ne peuvent la voir immédiatement puissent, néanmoins, la recevoir de manière oblique appartient à son être même. Au titre de médiation sensible, la conjonction de l’intellect humain avec les sens et l’imagination permet au témoin de « conduire », à son tour, « par la main » ceux qui reçoivent son témoignage. Par sa dimension corporelle, le témoignage inscrit celui qui le porte dans la communauté des hommes en chemin. . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « Nec natura nec intellectus nec deus ista separare potest. »
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Conclusion La conception eckhartienne renverse-t-elle donc la conception albertienne du témoignage, à la manière dont les propriétés du témoignage se trouvent inversées en passant de son sens patent à son sens latent ? Il ressort des caractéristiques que nous venons d’exposer que la conception albertienne du témoignage, comme une connaissance qui se déploie de part en part dans le milieu de la médiation, n’est pas subvertie par la reconduction eckhartienne de la médiation à l’immédiateté. La raison en est que le témoignage est placé au cœur même de la métaphysique du flux de Maître Albert comme ce qui fait tenir ensemble les deux exigences simultanées de l’émanatisme albertien : l’immédiateté et la nécessité qu’il y ait des médiations. La visée métaphysique de Maître Eckhart se situe, quant à elle, à l’opposé de la manière dont Albert le Grand interprète la procession à partir du principe. Selon le Thuringien, la doctrine du flux, loin de ménager des médiations, fonde exclusivement l’immédiateté du principe à tout ce qu’il illumine. […] Dieu, la véritable et pure lumière, illumine ou bien tous ou bien aucun. Ce n’est pas aucun, donc c’est tous. La conséquence paraît avec évidence : il se rapporte à tous de manière égale, uniforme, et immédiate, et il leur est présent et est présent au premier de tous. Cependant, si la théorie albertienne du témoignage n’est pas renversée par la subversion eckhartienne de la médiation en immédiateté, ce n’est pas seulement en raison de la visée apparemment radicalement opposée de leur métaphysique respective. C’est aussi pour une raison plus profonde. Le vase de lumière albertien et le fils eckhartien coïncident, en effet, en ceci que l’un et l’autre tiennent tout leur être en acte – leur être illuminant-illuminé ou leur être engendré – du principe. Le pilier qui soutient la métaphysique du flux consiste précisément en une telle médiation. Celle-ci contribue à tenir ensemble le système des degrés, dans la mesure où, quoique éloignée du principe, elle n’en reçoit pas . ECKHARDUS TEUTONICUS, In Ioh., n. , [LW III, , -] : « […] deus, lux vera et mera, vel omnes illuminat vel nullum ; non autem nullum, ergo omnem. Consequentia patet : omnes enim aequaliter, uniformiter et immediate respicit et ipsis adest, et primo omnium adest. »
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moins immédiatement sa lumière. Cependant, la médiation n’est pas fille du principe. Et tel est le point où Eckhart diffère d’Albert. Chacun des deux accorde, pour ainsi dire, son attention à un aspect différent de la médiation et, néanmoins, complémentaire de l’autre. Là où Albertus Magnus considère la particularité du composé qui fait connaître un aspect singulier du principe, Eckhardus Teuthonicus insiste sur la transparence, à tel point que celle-ci est comprise comme identité. Or déclarer, à la suite d’Eckhart, que le caractère composé dans lequel consiste la substance de la médiation n’est rien et que celle-ci, en tant qu’elle est illuminée en acte par le principe, entraîne nécessairement l’abolition de la médiation et l’entrée dans le règne de la filiation. Il n’en demeure pas moins que les deux extrêmes – médiation albertienne et immédiateté eckhartienne – coïncident en un point : le cœur de leur métaphysique est l’acte par lequel le principe illumine immédiatement ce dont il est le principe.
En guise de conclusion
Connaissance testimoniale et intelligence figurale
P
our conclure, rappelons les enjeux des deux phrases, empruntées au commentaire du verset Jn , de l’Évangile selon Jean, que nous avons prises pour point de départ et fil conducteur de notre enquête. I. À propos des questions initialement posées par une première lecture
Au seuil de ce parcours figural, une première lecture de la formule synthétique citée en exergue nous a permis de poser quelques questions auxquelles il est désormais possible d’apporter des réponses. En premier lieu, le parcours de textes au fil des réseaux de l’animal volant nocturne et de la manuductio confirme l’hypothèse selon laquelle, dans l’exposition du verset Jn , , le maître de Cologne ne traite pas seulement, sur un plan exégétique, de l’opposition entre la lumière évoquée par ce verset comme la plus manifeste en elle-même et une lumière proportionnée à l’intellect humain. Il vise, bien plutôt, une question métaphysique plus vaste : celle du rapport de l’intellect humain à ce qui est en soi le plus manifeste, à savoir le principe divin. Il appelle ainsi à une double lecture : sous l’écorce exégétique, le lecteur est invité à entendre simultanément le noyau métaphysique. Nous avons montré que, de cette double lecture, le Doctor universalis fait la théorie en même temps qu’il la pratique. Cette dimension métaphysique ne se circonscrit pas à la considération du rapport de l’intellect humain avec le principe divin, du point de vue de l’intellect humain. Elle prend également en vue la dynamique de manifestation propre au principe divin. À la lecture des textes, il nous est apparu que la présupposition albertienne selon laquelle la nature de la lumière est de se manifester elle-même indique le fondement même
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GUISE DE CONCLUSION
du témoignage johannique, en particulier, et, plus généralement, de l’intelligence figurale comme voie de connaissance médiate vers le principe divin. Ce fondement est le dynamisme qui anime le principe divin luimême. Celui-ci ne demeure pas seulement latent, caché en sa propre essence. Il se manifeste par nature. L’engendrement intra-trinitaire du Fils a pour corollaire le devenir-chair du Verbe divin, par lequel celui-ci témoigne du principe, mais aussi l’être créé tout entier qui n’est autre qu’une théophanie. En deuxième lieu, l’analogie du rapport de l’intellect humain à la lumière divine, d’un côté, et, de l’autre, du rapport de l’œil de l’animal volant nocturne à la lumière du soleil a, au seuil de notre enquête, ouvert deux questions : comment se caractérise le rapport de l’œil de la chauve-souris à la lumière du soleil, d’une part, et, d’autre part, pourquoi Albert de Cologne recourt-il à cette image à propos de l’intellect humain ? Au sujet de la première question, le réseau textuel de l’animal volant nocturne nous a dévoilé une différence eu égard à la faculté visuelle de la chauve-souris : bien qu’elle représente le plus bas degré de la capacité de voir, la chauve-souris peut, néanmoins, voir la lumière, lorsqu’elle est mêlée aux ténèbres, dans le corpus aristotélicien, tandis que nous avons découvert qu’Albert de Cologne affirme, en plusieurs lieux des corpora dionysien, scripturaire et théologique, qu’elle ne voit absolument rien. Cette différence structurelle dans la construction de la figure a impliqué, pour nous, de distinguer le corpus aristotélicien des corpora non aristotéliciens, en notant, chaque fois que cela était utile, les dangers de vouloir imposer une séparation trop stricte entre ces ensembles de textes. Il nous est apparu que seul le fait que la chauve-souris ne voit rien rend l’ensemble figural du verset Jn , parfaitement cohérent. La nécessité de changer de moyen noétique et l’obligation, pour elle, d’être « conduite par la main » trouvent, en effet, seulement leur raison d’être dans le complet aveuglement de la chauve-souris. Quant à la seconde question, la différence entre le corpus aristotélicien et les corpora dionysien, scripturaire et théologique nous est apparue également structurante en ce qui concerne la manière dont Albertus Magnus compare l’intellect humain à la chauve-souris. Dans le corpus aristotélicien, l’intellect humain peut, comme la chauve-souris, voir la lumière mêlée aux ténèbres, c’est-à-dire l’intelligible physique, ou mêlé à la matière sensible. L’intellect humain a recours à la manuductio selon
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la méthode de l’induction pour passer à la connaissance des intelligibles mathématiques puis métaphysiques. Pour connaître ces derniers, l’intellect humain, désormais séparé des facultés sensitive et imaginative, n’a plus besoin d’être « conduit par la main » par ce qui est continu et temporel. En vertu de l’étude, l’intellect humain est, en effet, dans la voie métaphysique vers le principe, conduit de manière continue de la vision de la lumière mêlée à la matière sensible à celle de la source de la lumière. Il n’en est, en revanche, pas ainsi dans les corpora dionysien, scripturaire et théologique. Le Dominicain rhénan paraphrase Mt , pour exclure radicalement de la connaissance du principe divin celui qui n’aurait pas recours à la manuductio par les signes sensibles, ici visuels et auditifs. Qui n’est, en effet, jamais conduit par la main par l’intermédiaire de la vue vers la puissance et par l’intermédiaire de l’ouïe vers la vérité doit être jeté dehors, parce qu’il est totalement inutile. Dans les corpora non aristotéliciens, la comparaison de l’intellect humain avec la chauve-souris, en tant qu’elle ne voit absolument rien, entraîne la nécessité, pour ce dernier, d’être « conduit par la main » à travers les médiations sensibles jusqu’à ce qu’il soit en mesure de voir le principe directement. En troisième lieu, l’apparition de la lumière proportionnée dans le complexe figural du verset Jn , a soulevé, à l’orée de notre enquête, les trois questions suivantes : d’une part, en quoi cette lumière proportionnée diffère-t-elle de la lumière très manifeste en elle-même ? D’autre part, que vise Albert de Cologne par la conjonction de l’intellect et de la main et, par suite, de l’acte intellectif et du toucher ? Enfin, à quel propos exactement convoque-t-il Denys le Pseudo-Aréopagite ? Est-ce au sujet de la manuductio, à celui de la lumière proportionnée ou bien cela regarde-t-il davantage la première idée exprimée au moyen de la comparaison de l’intellect humain et de l’œil de la chauve-souris ? Quant à la première question, le réseau secondaire du vase de lumière nous a enseigné que la lumière proportionnée à l’intellect humain diffère de la lumière manifeste comme la lumière réfractée par les pierres précieuses, telles que l’escarboucle, et par les corps célestes diffère de la . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -.
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lumière du soleil. Celui-ci est la source de toute lumière. Tous les autres corps lumineux reçoivent la lumière qu’en tant que premier dans le cosmos, il propage. C’est en tant qu’ils sont seconds et qu’ils renvoient la lumière du soleil de manière indirecte qu’ils constituent des médiations proportionnées à la capacité de l’intellect humain à la recevoir. En ce qui concerne la deuxième question, Albert le Grand ne développe pas explicitement le rapport de l’intellect et de la main, du visuel et du tactile, dans le cadre du réseau textuel de la manuductio. Cependant, le parcours de toute l’étendue de ce réseau nous a montré que l’intellect humain doit être « conduit par la main », au commencement de son chemin vers le principe divin, parce qu’il n’est pas en mesure de voir directement ce qu’il désire connaître. Le recours au registre tactile indique que l’intellect humain est invité à un parcours herméneutique à travers les médiations manuductrices qui l’entraînent sur une autre voie que celle de la connaissance métaphysique. Il ne s’agit pas, pour lui, sur la voie de l’intelligence figurale, d’abstraire des quiddités intelligibles, mais de passer continûment d’une image à une autre selon des règles de proportionnalité qu’il doit établir selon la genèse des images et le rapport qu’elles entretiennent entre elles. Le caractère tactile de la manuductio désigne, par conséquent, davantage un mouvement de glissement, une translation, ou métaphore, qui se distingue de la visée directe de l’intelligible dans le modèle visuel. C’est pourquoi la fin de la manuduction, à la fois au sens de terme et de finalité, requiert de « lâcher la main » de celui qui conduit, afin d’entrer dans une immédiateté avec le principe. Eu égard à la troisième question, il nous est apparu que Maître Albert convoque Denys le Pseudo-Aréopagite au sujet de la manuductio. Les textes de ce dernier constituent la source de cette figure. Il s’est avéré que tel n’est pas le cas pour la figure de la chauve-souris et pour la lumière proportionnée. En quatrième lieu, Albertus Theutonicus affirme-t-il que l’intellect humain a besoin d’un témoignage comme condition pour être « conduit par la main » ou bien pour que la lumière lui soit rendue proportionnée ? C’est pourquoi aussi, comme dit Denys, il faut qu’il soit conduit par la main au moyen d’une lumière (luce) qui lui soit proportionnée et, quant à cela, il a besoin d’un témoignage. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) : « Et ideo, sicut dicit Dyonisius, oportet ut luce sibi proportionata manuducatur et, quo ad hoc, indiget testimonio. »
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La traversée des réseaux textuels, primaires et secondaires, relatifs au complexe figural de Jn , nous a enseigné que le Doctor universalis tisse ensemble ce que, dans une première lecture, nous avions séparé comme deux branches d’une alternative. L’intellect humain a besoin d’un témoignage susceptible de « conduire par la main » celui qui ne voit pas directement le principe. Ce témoignage constitue simultanément la médiation même qui transmet la lumière du principe en la rendant proportionnée à l’intellect humain. Après avoir, au terme de notre parcours des réseaux textuels albertiens, répondu aux interrogations nées d’une première lecture de la constellation figurale du Super Iohannem au verset Jn , (I), tournons-nous, désormais, vers les enjeux philosophiques de cette enquête : (II) sur le plan de la métaphysique et de la théorie de la manifestation ; (III) sur le plan de l’anthropologie et de la théorie de l’intellect ; (IV) sur le plan noétique ; (V) sur le plan d’une théorie du signe et de l’acte propre à l’intelligence figurale ; (VI) sur le plan d’une philosophie de la médiation ; (VII) sur le plan des figures du témoin ; (VIII) sur le plan de la méthode de lecture figurale. II. Métaphysique et théorie de la manifestation Du point de vue métaphysique, Albert le Grand voit dans le Prologue de Jean une réponse au problème philosophique posé par Aristote de l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe directement. À la suite de Jean l’évangéliste, c’est aux philosophes que le Docteur universel adresse en quelque sorte sa lecture du quatrième évangile comme un double témoignage : celui qu’un autre rend au Verbe et celui que le Verbe se rend à lui-même. Sa manière de poser ses pas dans les traces de l’évangéliste consiste, notamment, à recourir à des interprétations philosophiques pour élaborer son exégèse. Ce qui lui importe est, d’une part, de montrer que le témoignage est un mode de connaissance qui permet à l’intellect humain de connaître d’une certaine manière le principe, alors même qu’il ne possède pas la capacité de le connaître immédiatement et que, d’autre part, ce mode de connaissance trouve son fondement dans la façon même dont le principe se manifeste : l’acte d’imaginatio. La voie ouverte par l’incarnation du Verbe divin, annoncée dans le Prologue de Jean, change ainsi le statut conféré à la nécessité, pour
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l’intellect humain, de recourir à des médiations en vue de connaître le principe divin. Cette necessité n’apparaît plus seulement comme une « infirmité » de laquelle il conviendrait de se détacher. La voie métaphysique propose, à l’inverse, de se défaire de l’attachement de l’intellect humain au continu et au temporel à mesure que celui-ci s’élève dans la hiérarchie des sciences. Pour la connaissance du chemin, quant à elle, les médiations manuductrices constituent le milieu même dans lequel la connaissance du principe s’accomplit et dont elle ne saurait sortir, dans les conditions normales de la vie des hommes. Et, loin de s’apparenter à un expédient, l’acte d’imaginatio qui se trouve au fondement de la dimension testimoniale propre à la connaissance du chemin imite la manière même dont le principe se manifeste, en se mettant en images, en paraboles, en sacrements, à la façon dont le Verbe divin s’enveloppe de langes, en naissant comme un enfant. III. Anthropologie et théorie de l’intellect Métaphysique et témoignage apparaissent, selon l’exposition du verset Jn , , comme deux modes de réponse au problème noétique posé par le chiasme de ce qui est le plus manifeste pour nous et l’est le moins en soi, d’un côté, et de ce qui est le plus manifeste en soi et l’est le moins pour nous, de l’autre. Or la raison de la voie alternative à la métaphysique qu’ouvre l’intelligence figurale s’avère anthropologique. Le cœur de la réponse albertienne consiste, en effet, à montrer que l’intelligence figurale est adressée à l’intellect humain en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. Elle constitue le mode de connaissance consacré par l’Évangile de Jean, sous la figure du témoignage, comme celui que choisit le principe pour se manifester aux hommes, notamment par l’événement de l’incarnation de son Verbe. Contrairement à la fonction de la manuductio dans la gradation péripatéticienne des sciences, qui conduit à la métaphysique, celle qu’exerce la manuductio . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - : « […] sed propter nostram infirmitatem, ut nos manuduceret ad lucem. » (trad., p. , l. - : « […] mais en raison de notre infirmité, pour nous conduire par la main vers la lumière. ») ; Super Ioh. (Ioh. , b), p. , l. - (trad., p. , l. -p. , l. ) : « Vnde hec lucerna manuducit ad lucem propter nostri cordis infirmitatem. » (« De ce fait, cette lampe conduit par la main vers la lumière en raison de l’infirmité de notre cœur. »).
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dans l’intelligence figurale ne vise pas directement, quant à elle, à détacher l’intellect des facultés des sens et de l’imagination, ni des catégories du réel que sont le continu et le temporel. Sa manière de conduire au principe divin consiste à circuler à travers ces catégories du réel au moyen du jeu de ses facultés sensitive et imaginative, jusqu’à ce qu’advienne éventuellement une connaissance immédiate du principe divin. La voie vers le principe qu’est le témoignage ne prétend pas résoudre les doutes qui pèsent sur la possibilité, pour la métaphysique, de connaître le principe comme tel ou de devoir recourir ultimement à un saut vers l’Un, malgré la continuité qu’assure précisément la manuductio entre les degrés de l’intelligible, entre les états de l’intellect et entre les grades des sciences. L’intelligence figurale ne promet rien d’autre à l’intellect humain qu’« une certaine connaissance du principe selon le mode qui lui est possible ». Ce qu’elle lui assure principalement, mais certainement, est de ne pas le scinder en un intellect humain, d’un côté, et un intellect en tant qu’intellect, de l’autre. L’enjeu que discerne, par conséquent, Albert de Cologne dans la réponse du Prologue de Jean aux philosophes est une voie alternative à celle du dixième livre de l’Éthique à Nicomaque en vue de l’accomplissement de la vie humaine. IV. Noétique : la connaissance testimoniale, une alternative à la métaphysique A. Métaphysique et intelligence figurale, deux voies vers le principe à partir du même chiasme de l’intellection humaine du divin Dans le commentaire du verset Jn , , deux modèles noétiques s’offrent pour penser la possibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe qui ne saurait être appréhendé à partir des catégories qui conviennent aux étants finis, en particulier à partir du continu et du temporel. Le premier modèle est péripatéticien. Le Doctor magnus le déploie à partir de sa lecture de la Métaphysique d’Aristote à la lumière d’Averroès. Puisque des médiations sont requises pour la connaissance du principe, celles-ci sont comprises comme le point de départ de la progression effectuée par l’intellect humain depuis les sciences physiques, par les sciences . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -.
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mathématiques jusqu’à la philosophie première entendue comme théologie où la vie du philosophe peut, selon les termes d’Alfarabi que reprend le Docteur universel, trouver un achèvement. Les médiations sensibles ne sont, en effet, nécessaires qu’au commencement. En suivant la voie ascendante à travers la hiérarchie des sciences, l’intellect humain est peu à peu conforté dans sa réception de la lumière de l’intelligible qui existe séparément de la matière. Par la manuductio comprise comme une confortation continue qui permet d’accueillir la lumière intelligible, il se prépare, en effet, à recevoir des intelligibles de plus en plus purs. Il passe, ainsi, de l’étant à la fois temporel et continu de la physique, qu’il appréhende avec les sens et l’imagination, à l’étant continu des mathématiques, qu’il conçoit avec la seule imagination, à l’étant métaphysique, purement intelligible, qui existe séparément. Au terme de cette gradation épistémique, noétique et ontologique, l’intellect uni à l’intellect agent, le possédant quasi comme forme, voit immédiatement le principe, comme l’aigle regarde le soleil en sa roue. Plusieurs problèmes se posent face à une telle voie métaphysique vers le principe. Du point de vue de l’unité et de l’identité de l’intellect humain, quel rapport entretient l’intellect séparé qui contemple le principe avec l’intellect humain du début de son chemin, celui qui était, par rapport à la connaissance du principe, comparable à un animal volant nocturne ébloui par la lumière du soleil ? Du point de vue de la fin de la connaissance, connaître en intellect séparé est-il possible, dans les conditions de l’existence, autrement que par instants, de manière discontinue, pour peu de temps, comme le suggère Aristote lui-même ? Du point de vue de l’objet de la connaissance métaphysique, est-il, même au terme d’un long et patient parcours à travers la hiérarchie des sciences, possible, pour un intellect créé, de connaître le principe dans son essence même ? . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALFARABIUS, De intellectu et intellecto, ed. É. Gilson, AHDLMA , p. ad sensum. Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , cap. ; , Ed. Paris. IX, p. a ; a-b. . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b. . ARISTOTELES, Eth. Nicom., lib. , cap. ( b - a ) ; cap. ( b -), Guillelmus de Morbeka reuisor transl. Aristotelis sec. exempl. Parisiacum (‘recensio recognita’ – Roberti Grosseteste transl. recensio), Arist. Lat. XXVI/-, p. , l. - ; p. , l. -p. , l. ; ARISTOTELES, Metaph. lib. , cap. ( b - ; -), Translatio Anonyma sive ‘media’, Arist. Latinus XXV/, p. , l. - ; l. -.
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Or cela est moins pour nier ces difficultés inhérentes aux limites mêmes de la connaissance humaine que pour offrir à l’intellect en tant qu’il est humain une possibilité de cheminer vers le principe qu’Albertus Magnus trace une seconde voie. Le second modèle noétique qu’il propose est destiné à l’intellect médian, celui qui est conjoint aux sens et à l’imagination et, néanmoins, tourné vers la connaissance du principe, ne serait-ce que par l’élan que suscite en lui l’admiration. Même si le maître de Cologne laisse entrouverte la possibilité, au terme de la manuductio, de voir le principe divin face à face en sa « vérité nue », ce modèle est, quant à lui, de part en part, caractérisé par la médiation. Et cette caractéristique dépend du destinataire du mode de connaissance selon l’intelligence figurale, et non pas de son objet. Le recours nécessaire aux médiations ne provient pas, en effet, de la nature du principe, mais de l’incapacité où se trouve l’intellect humain de le recevoir immédiatement tel qu’il est. Les médiations ont, par conséquent, pour fonction de « conduire » l’intellect humain « par la main » depuis le continu et le temporel qui sont proportionnés à son mode de réception jusqu’au principe divin, qui est spirituel et ne saurait être subsumé sous les catégories qui conviennent aux étants créés. Le chemin emprunté par l’intelligence figurale ne saurait, dès lors, coïncider avec la voie ascendante à travers la hiérarchie épistémique qui caractérise le premier modèle. Un tel chemin se déploie tout entier dans le milieu que constituent les médiations. B. Deux sens de la manuductio, deux conceptions de la médiation La manuductio dans le corpus aristotélicien D’après les éléments disposés par le Doctor expertus dans son exposition du verset Jn , et d’après le réseau de textes auquel elle appartient, le mode de connaissance métaphysique repose, en son commencement, sur la manuductio. Les deux voies de connaissance du principe ouvertes par le Doctor universalis à partir du problème noétique du chiasme de l’intellection humaine du divin possèdent, par conséquent, ce point commun de résoudre l’écartèlement propre au chiasme par la fonction . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; p. , l. - ; p. , l. - ; l. - ; p. , l. - ; p. , l. -p. , l. ; p. , l. - ; Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; l. - ; Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - ; cap. , p. , l. -.
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de continuité assurée par la manuductio. Cependant, ce terme ne s’entend pas dans le même sens pour chacune de ces voies. En ce qui concerne la métaphysique, la manuductio s’identifie à une opération par laquelle l’intellect humain se voit peu à peu conforté par la lumière de l’intelligible qu’il assemble et retient, de telle sorte qu’il puisse recevoir des intelligibles de plus en plus séparés de matière. La manuductio permet ainsi à l’intellect humain de passer progressivement, sur le plan ontologique, des étants continus et temporels aux étants séparés de la matière et, sur le plan des sciences, de la physique à la métaphysique. De proportion en proportion, passage vers le disproportionné : la manuductio dans les corpora non aristotéliciens La manuductio testimoniale ou, plus largement considérée, celle qui s’exerce dans l’intelligence figurale est, en revanche, entendue en un autre sens que l’opération de recueil de la lumière intelligible qui se déploie dans la connaissance métaphysique. La manuductio propre à l’intelligence figurale est, pour sa part, constituée de deux dimensions principales. D’une part, elle consiste en une production, une mise en image proportionnée de ce qui est, par essence, disproportionné par rapport à notre intellect. En ce sens, l’intellect humain est engagé dans une activité à la fois théorique et pratique par laquelle il imite l’acte par lequel le principe divin se manifeste dans tous les étants, d’un côté, et, de l’autre, dans l’incarnation du Verbe divin et dans la mémoire vive qu’en constituent les paraboles et les sacrements. D’autre part, la manuductio propre à l’intelligence figurale s’apparente, pour l’intellect humain, à un art de l’interprétation des signes manuducteurs qui sont autant de « mises en images » ou de figurations du principe. Cet art ne s’identifie pas à une connaissance intellective en tant que celle-ci viserait seulement à déterminer la signification des images du principe et à l’appliquer adéquatement à ce dernier. En relation avec ce qui est, par définition, au-delà de la mesure de l’intellect humain, cet art ne saurait se déployer que comme multiplicité d’interprétations qui, selon diverses raisons, associent les figures et les mettent en rapport selon des similitudes de proportionnalité. Seules ces relations de relations semblent, en effet, permettre d’approcher le principe divin sans le réduire à une idole forgée par l’intellect humain.
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À ces deux conceptions de l’acte de la manuductio correspondent deux conceptions différentes de la médiation. Dans le corpus aristotélicien, l’espèce sensible et imaginaire « conduit » l’intellect humain « par la main », lorsqu’il commence son ascension vers l’intelligible pur à partir de la science physique. Dans les corpora non aristotéliciens, pour leur part, le signe sensible et imaginaire constitue le milieu même dans lequel l’intellect humain est « conduit par la main » à travers son interprétation des images dans lesquelles le principe divin prend figures. Moyen sensible et imaginaire vers la connaissance purement intelligible : la médiation dans le corpus aristotélicien Dans la voie métaphysique, la médiation manuductrice s’identifie avec le mode selon lequel l’intelligible est reçu dans la perception qui est élaborée, ensuite, par l’intellect dans la science physique. Parce que l’intelligible se donne, d’abord, à l’intellect humain selon les catégories du continu et du temporel, il constitue une médiation en ceci que c’est en se détachant de ce mode premier d’appréhension que l’intellect humain est « conduit par la main » vers un mode de connaissance mathématique puis métaphysique. La médiation sensible et imaginaire constitue, par conséquent, un point de départ du processus cognitif, un moyen en vue d’une fin qu’il s’agit de dépasser pour atteindre celle-ci. Milieu de la connaissance testimoniale : la médiation dans les corpora non aristotéliciens La médiation propre à l’intelligence figurale ne se limite pas, pour sa part, aux images des étants extérieurs qui se trouvent dans les sens et dans l’imagination. Elle se caractérise, d’abord, par un acte d’imaginatio. En effet, qu’il la reçoive comme telle ou qu’il la produise lui-même, l’intellect humain se rapporte à la médiation propre à l’intelligence figurale comme à la mise en proportion du principe, par nature, incommensurable par rapport à l’intellect humain. En ce sens, toutes les images sensibles ne sauraient être immédiatement manuductrices. Elles doivent être élaborées, de telle sorte que l’intellect humain puisse y discerner l’aspect selon lequel elles offrent une figuration proportionnée du principe. Le travail qu’opère l’intellect humain sur les images, dans l’intelligence figu-
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rale, s’apparente à une comparaison des ressemblances. Seule la recherche de similitudes de rapports qu’il mène peut, en effet, rendre l’intellect humain susceptible de déceler le caractère manuducteur de telle ou telle image. De plus, la médiation testimoniale repose sur un paradoxe dont le Doctor magnus trouve une formule dans la prophétie d’Isaïe. La médiation manuductrice donne, en effet, de voir sans voir. D’un côté, sans la figuration proportionnée à la faculté intellective qu’elle offre, « selon l’analogie », et sans le dispositif de vision oblique qu’elle agence, nulle connaissance du principe divin ne serait possible. Tel l’animal volant nocturne ébloui par la lumière du soleil, l’intellect humain ne pourrait voir le principe. De l’autre, le fait précisément qu’elle réfracte le rayon lumineux qui provient du principe, de telle sorte qu’il ne blesse pas l’œil trop faible pour en recevoir la clarté, entraîne que la médiation manuductrice ne permet pas à l’intellect humain de voir le principe en lui-même tel qu’il est. Il ne saurait, en effet, le contempler qu’en cet autre qu’est la médiation sensible. L’intellect humain ne saurait, en ce sens, pour connaître le principe, se passer du témoignage des signes manuducteurs. Cependant, l’intellect humain n’est pas, pour autant, enchaîné aux médiations manuductrices. Par le fait même qu’elles sont des mises en proportion du disproportionné, celles-ci ressortissent, en effet, à une dynamique du latent et du manifeste. Elles cachent pour manifester ce qui ne peut apparaître immédiatement et manifestent ce dont l’évidence doit être dépassée pour laisser apparaître ce qui y demeure plus secrètement. Autrement dit, les médiations manuductrices propres à la connaissance testimoniale signalent d’emblée qu’elles ne sauraient circonscrire ce qu’elles figurent dans leurs limites. Et elles ne se donnent pas pour la chose même dont elles sont la mise en image. Elles ne prétendent pas en être le substitut. Par conséquent, avec l’image manuductrice qu’il emprunte aux corpora dionysien et théologique ainsi qu’aux commentaires scripturaires, le Dominicain rhénan s’éloigne, en premier lieu, de la conception aristotélicienne de l’image sensible et imaginaire de l’étant physique et mathématique comme moyen de l’ascension dans la hiérarchie des sciences. Il élabore, en deuxième lieu, une théorie du signe auquel il n’est pas possible d’assigner un signifié déterminé, puisque tous les
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signifiés qui lui seraient attribués le seraient, afin d’être à leur tour dépassés. Il conçoit, en troisième lieu, une théorie de la figuration sensible et imaginaire du principe, dans sa dimension à la fois productrice et interprétative. Il s’agit, en effet, pour l’intellect humain, par l’acte d’imaginatio et d’interpretatio sans cesse renouvelé, de ne cesser de s’approcher de ce qu’il ne saurait atteindre directement et de manière compréhensive. C. La voie de l’intelligence figurale vers le principe est-elle une connaissance proprement dite ? Vue et toucher engagés dans la figure de la lumière proportionnée qui « conduit par la main » Les signes dans lesquels l’intellect humain reconnaît la manifestation du principe que sont les médiations manuductrices distinguent celles-ci d’une théorie générale du signe, articulant un signifiant à un signifié déterminé. La seconde voie albertienne vers le principe ressortit au témoignage, comme l’une des déclinaisons de l’intelligence figurale, précisément parce qu’à propos du principe, il ne suffit pas de communiquer un message ou de donner une définition. Et la connaissance testimoniale possède cette caractéristique propre de ne pouvoir être seulement reconduite à l’information que le témoin délivre. Elle engage, en effet, la personne même du témoin ainsi que celle, unique, de chacun de ses destinataires. Elle implique, pour ainsi dire, tout leur être, c’est-à-dire non seulement leur intellect, mais aussi leurs sens et leur imagination, pour le dire dans le seul langage de la théorie des facultés de l’âme. N’est-ce pas, en effet, ce que le Doctor universalis nous invite à entendre, lorsqu’il emploie conjointement, à propos du témoignage évoqué en Jn , , les figures d’une main qui conduit et d’une lumière proportionnée qui permet de voir le principe ? Alliant ainsi le toucher à la vision, le témoignage engage le corps percevant. Mais il le fait en troublant la théorie générale de la perception : la main donne ici à voir et la lumière touche. À travers le brouillage des opérations propres à chacun des sens, Maître Albert nous invite à entendre, dans la voie testimoniale vers le principe qu’il inaugure dans son commentaire du Prologue de Jean, la connaissance dans un autre sens que la theoria métaphysique qui est régie principalement par le modèle de la vision.
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Le statut de la connaissance du particulier Connaître à partir des images sensibles, sans prétendre les dépasser par l’intellection pure de leur quiddité, constitue-t-il à proprement parler une connaissance ? Il n’y a, du point de vue aristotélicien, du moins, à propos du singulier, pas de philosophie, au sens d’une science syllogistique des principes. Comment Albert de Cologne tient-il ensemble la particularité des images manuductrices comme milieu de la connaissance testimoniale, ou de l’intelligence figurale, et le fait qu’il s’agit bien, dans le témoignage et dans l’intelligence figurale, d’une certaine connaissance ? Pour démontrer la coexistence de ces deux caractéristiques dans la voie vers le principe que constitue le témoignage – ou sa mise en œuvre herméneutique dans l’intelligence figurale –, le Doctor universalis passe par l’exemple de l’interprétation des rêves qui sont des révélations du futur. Il avance deux arguments. Le premier est que l’intellect séparé lui-même, « avec un léger effort, reçoit l’illumination pour les prophéties et pour l’interprétation très véritable des songes ». Le second est que l’intellect humain, conjoint aux sens et à l’imagination, bien que cela outrepasse les limites de sa prudence, comme le dit Aristote, peut interpréter les rêves prémonitoires qui lui échoient – certes, d’une manière obscure – en vertu de l’illumination opérée en lui par les intellects séparés. Même si l’illumination qui échoit à l’intellect séparé lui confère une connaissance plus claire que celle à laquelle peut parvenir l’intellect conjoint aux sens et à l’imagination, il n’en demeure pas moins que le point visé par l’argument albertien est que la médiation sensible particulière que constitue l’image des rêves et sans laquelle il ne saurait y avoir interprétation des songes, même pour l’intellect divin, ne représente pas un obstacle à une connaissance véritable. De plus, le cas des rêves qui sont des révélations et qui, par conséquent, excèdent les facultés cognitives de l’intellect humain met en lumière la causalité des intelligences séparées à l’œuvre dans la connaissance qui lui incombe. Leur illumination garantit – si cela était nécessaire – qu’à travers les images sensibles et imaginaires, seul le principe soit visé. Autrement dit, l’exemple des révélations en songe apparaît comme un lieu de circulation entre les moteurs célestes et la connaissance du . Cf. supra chapitre III, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b.
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particulier, de telle sorte qu’à des degrés de clarté divers l’intellect séparé aussi bien que l’intellect humain, en tant qu’il est humain, prennent part à leur interprétation. C’est pourquoi un tel exemple fonde la possibilité pour l’intelligence figurale à l’œuvre dans le témoignage de viser une certaine connaissance du principe à travers les images sensibles qui constituent son milieu noétique. Dimension pratique et théorique de la connaissance testimoniale comme art de l’interprétation La connaissance testimoniale se distingue de la métaphysique également en ceci qu’elle n’est pas purement théorique. La comparaison du témoin avec le juge des songes permet de considérer à plusieurs égards la connaissance testimoniale dans sa dimension pratique en tant qu’art de l’interprétation. Il s’ensuit qu’en premier lieu, elle repose sur la multiplicité des interprétations possibles. En deuxième lieu, elle se fonde sur les images considérées dans la logique propre de leur genèse et de leurs associations. Le juge des songes ou des images manuductrices est ainsi convié à entrer dans cette dynamique inhérente à la matérialité des signes. En troisième lieu, la connaissance testimoniale dispose d’un organon susceptible de multiplier les relations ouvertes par les propriétés métaphoriques de chaque image – selon la cause, le signe, la rencontre accidentelle – et selon les champs de la réalité ainsi reliés – la complexion du rêveur, ce qui se meut dans le rêve en provenance de son corps ou de son âme, le lieu où il rêve, les éléments cosmiques et les étoiles, les événements futurs… À la fois dianoétique et pratique, cet art de l’interprétation engage la singularité de l’interprète et de chacune de ses interprétations. Et il s’adresse à son intellect en tant qu’il est conjoint aux sens et à l’imagination. C’est pourquoi les signes manuducteurs le « conduisent par la main » et ne sont pas seulement des dispositifs optiques destinés à contribuer à la connaissance propre à l’intellect séparé. Cet art de l’interprétation coïncide, par conséquent, avec une pratique dans la mesure où il engage aussi les dimensions sensible et imaginative auxquelles est lié l’intellect humain, autrement dit son lien avec le corps qui se laisse toucher, afin d’être « conduit par la main » vers le principe.
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Bien que les médiations manuductrices aient pour fonction propre de « prendre par la main » celui qui les reçoit, afin de le conduire vers le principe, elles ne permettent pas, néanmoins, d’atteindre immédiatement le principe. L’enjeu de la conception albertienne de la médiation manuductrice, telle qu’il la découvre dans les corpora dionysien, scripturaire et théologique, et de son élaboration de la connaissance testimoniale comme un art de l’interprétation consiste, par conséquent, à élaborer une théorie très spécifique du signe. V. Une théorie du signe et de l’acte propre à l’intelligence figurale La spécificité de la médiation propre à l’intelligence figurale conduit Albert de Cologne à décrire la spécificité des opérations effectuées par celle-ci à l’égard des images manuductrices. Voici quelques traits caractéristiques de l’intelligence figurale du principe qui est, d’abord, caractérisée, nous venons de le rappeler, par sa dimension interprétative. A. La dimension pratique de l’interpretatio-imaginatio En premier lieu, l’interprétation des images manuductrices apparaît, aussitôt, dans sa dimension pratique comme une production d’images. Elle s’identifie, en effet, à une imaginatio, dans la mesure où, pour entrer dans la logique propre aux images, il convient au juge des songes, par exemple, de s’appuyer sur la mnémonique. Cette mnémotechnie, qui propose des moyens à l’orateur, notamment, pour se souvenir de son discours par la médiation d’images, offre, inversement, au juge des songes la possibilité de comprendre la manière – ou plutôt les manières – dont les images des rêves ont pu être engendrées. La mnémonique lui permet également d’en découvrir la genèse. En ce sens, interpréter revient à imiter l’acte par lequel les images sont produites. De même que cela vaut pour le rêveur, cela convient également à l’interprète du principe qui se manifeste à travers la multitude des signes que constituent les étants créés. B. Une image proportionnée du disproportionné En deuxième lieu, l’opération de l’intelligence figurale inhérente à la connaissance testimoniale possède cette caractéristique propre de ne pou-
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voir se borner à la saisie d’un sens déterminé. De ce point de vue du moins, l’interprète-témoin se distingue du juge des songes. Il ne saurait se satisfaire des relations qu’il établit entre les images des rêves et les étants finis, lorsque celles-ci ressortissent à la cause ou au signe. L’image manuductrice correspond, en effet, à ce signe spécifique qu’est l’image de ce qui est disproportionné par rapport aux facultés humaines de connaître. C’est pourquoi la comparaison de l’interprète-témoin avec le juge des songes vaut principalement pour les associations accidentelles que ce dernier effectue ainsi que pour les relations de causalité ou de signification, dans la seule mesure où celles-ci relient l’image manuductrice au principe divin. Le signe sacramentel apparaît, par conséquent, décisif pour fixer clairement ce qui pourrait disparaître dans la comparaison avec le De divinatione per somnum d’Aristote. L’eau du baptême n’atteindrait pas sa finalité propre, si elle était seulement associée à l’élément aquatique qu’elle signifie en premier lieu. Elle constitue une médiation manuductrice, dans la seule mesure où elle est mystérieusement reliée à l’opération de la grâce divine. C. Une interprétation à partir de la catégorie de la relation : les similitudes de proportionnalité En troisième lieu, l’opération de l’intelligence figurale propre aux images manuductrices consiste, par conséquent, à se détacher des ressemblances fondées sur les catégories adéquates aux étants naturels. Pour éviter de ramener la disproportion caractéristique du principe à la mesure des étants finis, l’intelligence figurale se rend, en effet, attentive aux similitudes de proportionnalité qu’il lui est possible d’apercevoir dans les images manuductrices. La catégorie de la relation et, a fortiori, les relations de relations sont susceptibles de garantir à l’interprète-témoin de faire mémoire de la disproportion inhérente aux images manuductrices. En d’autres termes, la proportion sensible et imaginaire qu’offre la mise en image du principe, dans les signes manuducteurs, constitue le milieu dans lequel et par lequel l’interprète connaît. Néanmoins, s’il n’est pas qu’interprète, mais bien témoin, cela provient précisément de ce qu’il veille à la disproportion du principe qui se manifeste dans la proportion des images. C’est cette seule disproportion que l’interprète-témoin vise. La proportion des images
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manuductrices lui offre le chemin sur lequel elles le « conduisent par la main ». Cependant, en quatrième lieu, même une similitude de proportionnalité fait courir le risque de clore l’interprétation dans les limites des proportions humaines. C’est pourquoi à l’unicité du principe correspond une profusion de médiations manuductrices et d’interprétations. La multiplicité des images dans lesquelles le principe se manifeste et des lectures que déploie à leur sujet l’interprète-témoin se substitue, dans les conditions du viator, au caractère unique, total et définitif d’une connaissance compréhensive du principe. Le chemin qu’emprunte le témoin vers le principe procède ainsi de commencement en commencement. Aucune de ses interprétations ne saurait, en effet, prétendre avoir circonscrit le principe en son essence même. Tant que le témoin vit, il interprète. L’acte par lequel il ne cesse d’examiner des ressemblances et d’« imaginer » tisse en quelque sorte la continuité de son chemin vers le principe. C’est ainsi dans le milieu même de son cheminement vers le principe que, pour reprendre les paroles d’Alfarabi dans un autre ordre, sa vie de témoin trouve son achèvement. Son témoignage s’apparente alors à une interprétation vivante au sens d’une interprétation attentive à la vie même du principe qui se manifeste. VI. Une philosophie de la médiation A. L’intention albertienne dans le commentaire du Prologue de Jean : les médiations noétiques En ouvrant la voie de la connaissance testimoniale, dans son commentaire du Prologue de Jean, Maître Albert répond à ce qu’il perçoit comme l’intention majeure du quatrième évangile. Par deux fois, il prend soin de disposer son lecteur à recevoir le double témoignage johannique. Au seuil du verset et au verset du Prologue, il rappelle, en effet, que la connaissance compréhensive de Dieu en lui-même tel qu’il est n’est pas à la portée de l’homme en tant qu’homme dans les conditions normales de son existence. C’est pourquoi la réponse johannique aux philosophes est un mode de connaissance du principe qui se déploie de part en part dans le milieu de la médiation. Le fondement . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALFARABI, De intellectu et intellecto, ed. É. Gilson, AHDLMA , p. .
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métaphysique de cette réponse consiste dans le cosmos de médiations auquel appartient l’intellect humain. L’existence de degrés affecte, en effet, toutes les dimensions de son acte cognitif : ses propres états en tant qu’intellect, l’intelligible qu’il reçoit, le milieu lumineux qui lui permet de voir, le mode par lequel il connaît… De ce point de vue, la connaissance testimoniale, parce qu’elle est caractérisée par des médiations, selon ces quatre aspects, s’adresse à un intellect médian. Celui-ci n’est ni complètement obscurci par les ténèbres ni libéré de tout mélange avec elles. La philosophie des médiations qui se trouve au soubassement du mode de connaissance par témoignage ne vise donc pas, contrairement à la métaphysique, à l’élévation de l’intellect humain vers un état séparé des « ténèbres de la privation » et de la matière, qui le rendrait susceptible d’accueillir immédiatement la lumière de l’intelligible. B. Les médiations peuvent-elles échapper au rapport de moyen à fin ? D’un point de vue philosophique plus général, les différents aspects noétiques de la médiation ne sauraient être seulement pensés comme des moyens en vue d’une fin. Dans le déploiement de l’intelligence figurale, la médiation ne peut, en effet, être simplement reconduite à une fin dans laquelle elle trouverait son accomplissement en s’abolissant. La médiation manuductrice dans la voie de l’intelligence figurale se distingue ainsi de la médiation sensible et imaginaire dans la hiérarchie des sciences qui conduit vers la métaphysique. Il s’agit ainsi, à partir des corpora dionysien, scripturaire et théologique, de penser la médiation comme un degré médian destiné à le demeurer, c’est-à-dire à être toujours de nouveau réactivé, tant que l’intellect humain est in via et ne bénéficie pas de conditions de connaissance extraordinaires, jusqu’à ce qu’il puisse connaître le principe divin dans sa « vérité nue ». C. Fondement métaphysique des médiations dans le système émanatiste albertien Ces différentes significations de la médiation sont, en effet, fondées, du point de vue métaphysique, dans le système de l’émanation qui attribue . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) : « tenebras priuationis ».
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à tout étant une place déterminée par rapport à la source dont provient le flux de lumière, de vie, d’intelligibilité, d’être. La connaissance testimoniale répond, par conséquent, à la nécessité que chaque degré soit maintenu à sa place dans l’ordre du tout. Aussi ceux qui reçoivent le témoignage johannique ne sont-ils pas, pour autant, aussitôt appelés à devenir des témoins du principe. De même, la lune n’est-elle pas invitée à devenir Mars ou Jupiter. Il ne s’agit pas là, pour autant, d’une limite au témoignage. Si celui-ci n’est pas en vain, s’il atteint efficacement sa fin, cela signifie principalement que son destinataire accueille la manifestation médiate du principe et qu’il connaît, par là, que celui-ci le constitue immédiatement en tout son être. Accueillir le témoignage revient ainsi à connaître le fondement même de la métaphysique albertienne du flux, selon laquelle l’immédiateté du principe se communique à travers la médiation. Si le principe était immédiat à tout étant, tout ne serait, en effet, qu’un. À l’autre extrémité du monisme et du panthéisme, s’érige le risque de la dissemblance du fini par rapport à l’infini, dans l’hypothèse où le rapport avec le principe ne serait que médiat. C’est pourquoi le recours au flux de lumière permet au Dominicain rhénan de conserver l’immédiateté avec le principe dans tous les degrés du cosmos, fussent-ils les plus éloignés. Or le témoin est placé par le Docteur universel au cœur même de sa métaphysique du flux. Pour exposer les deux principes fondamentaux de son système émanatiste, Maître Albert fait, en effet, appel à la figure du vase de lumière qu’il applique, par ailleurs, également au témoin. Autrement dit, l’immédiateté du principe à tout ce qui flue à partir de lui est figurée par la transparence du vase de lumière, tandis que la nécessité de degrés qui empêchent la confusion du principe avec tout ce qui émane de lui est représentée par la densité du corps des astres sans laquelle le rayon lumineux provenant de la source de lumière ne serait pas diffusé de manière indirecte. Vase de lumière, le témoin figure éminemment cette double dimension de réception immédiate de la lumière du principe et de communication indirecte de ce qu’il a reçu. Lumière à la fois illuminante et illuminée, il signifie le cœur même de la méta-
. ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , c), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) : « […] non est frustra, sed habet finem ». (« […] il n’est pas en vain, mais il a une fin. »)
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physique albertienne : la co-appartenance de l’immédiateté du principe à tout élément du système et de la nécessité des médiations. Celles-ci garantissent, certes, l’absolue différence du principe d’avec tout ce qui émane de lui. Mais, en outre, elles rendent possible sa manifestation plurielle. Selon la capacité de réception que détermine leur degré dans la hiérarchie des étants, elles manifestent, en effet, le principe selon une multitude de modalités, prolongeant de manière diffractée l’acte par lequel lui-même se manifeste. Les médiations fondent ainsi, dans le système métaphysique albertien, la possibilité de la multiplicité et sa relation avec l’Un, en tant qu’à la fois elles manifestent le principe et qu’elles dépendent radicalement de lui. VII. Les figures du témoin En ce qui concerne le témoin, le parcours de textes à travers lesquels nous conduisent les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio nous amène, dans le deuxième chapitre, à penser le témoin comme une médiation sensible quelconque. Sa personne, ses actes, ses paroles se donnent, en effet, comme les médiations à partir desquelles l’intellect humain est « conduit par la main » vers la connaissance du principe dont ils témoignent. Inversement, au sens large de témoignage, à toute médiation sensible qui apparaît comme une mise en proportion du principe, en tant qu’il est disproportionné aux capacités réceptives de l’intellect humain, peut échoir la fonction de témoigner du principe. Ce premier moment d’analyse de la figure du témoin ne suffit, cependant, pas à en penser la spécificité. Il met, en revanche, en lumière le statut général de médiation auquel le témoin ressortit. Dans la première section du troisième chapitre, le témoin est identifié plutôt à la fonction de l’interprète. C’est à ce point de l’enquête qu’intervient l’expression ‘intelligence figurale’ pour désigner l’art de l’interprétation mis en œuvre dans la connaissance testimoniale. L’office de témoin revient, en effet, davantage au juge des songes qu’au rêveur. Il s’ensuit que l’activité du témoin consiste à examiner les ressemblances, à y découvrir des associations d’images selon diverses modalités de relations, à élaborer des similitudes de proportionnalité qui puissent permettre le transfert des ressemblances au principe. Le témoin n’est plus, dès lors, du côté de la médiation sensible, mais de celui de l’intelligence
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figurale qui examine les propriétés métaphoriques des médiations. L’activité noétique d’interprétation propre au témoin apparaît donc comme le corollaire des médiations manuductrices. Elles ne « conduisent par la main », en effet, vers le disproportionné que dans la mesure où l’activité de l’intelligence figurale en examine les ressemblances et élabore ces dernières en similitudes de proportionnalité. Médiations manuductrices et opérations de l’intelligence figurale ne sauraient, par conséquent, être pensées indépendamment les unes des autres. Il en résulte que le témoin n’est pas seulement celui qui se donne à voir et à entendre pour que soit manifesté ce à quoi il rend témoignage. Il est aussi, d’une part, celui qui suscite en ceux qui reçoivent son témoignage une activité d’interprétation attentive aux glissements que permettent les signes manuducteurs à travers lesquels il rend témoignage. D’autre part, si jamais le témoin n’est pas, comme le rêveur, la plupart du temps inconscient de la signification de ses rêves, quand il rêve, et s’il est lui-même impliqué, par l’acte même par lequel il rend témoignage au principe, dans la connaissance de ce dernier, alors son mode de connaissance du principe, à moins qu’il ne provienne d’une illumination directe de la part du principe, procédera lui aussi à partir des médiations manuductrices qu’il perçoit ou produit lui-même dans son témoignage. Cette activité interprétative qui correspond aux propriétés métaphoriques des signes manuducteurs complète, par conséquent, une conception du témoignage circonscrite aux signes que recevraient les destinataires du témoignage. Elle engage une réflexion métaphysique sur la position du témoin par rapport au principe. Dans la seconde section du troisième chapitre, l’activité de l’intelligence figurale, parce qu’elle dépasse parfois les propres capacités de l’intellect humain et qu’elle suppose une illumination de la part des intellects séparés, fait du témoin celui qui est réceptif à un influx direct de la part de ce qui est purement intellectif. Le témoin correspond, par suite, à une certaine position par rapport au principe qui est désignée par la figure du vase de lumière. Il s’agit ici de caractériser la personne du témoin dans son rapport au principe à l’intérieur du système métaphysique général dans lequel il prend place. Être témoin signifie, dès lors, une immédiateté par rapport au principe reposant sur une totale réceptivité par rapport à la lumière qui flue de lui. La seule activité du témoin consiste, en effet, à transmettre cette seule lumière reçue.
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Cependant, son témoignage n’est pas absolument identique à la lumière du principe, dans la mesure où il est aussi marqué par la singularité de la personne du témoin, à la manière dont la couleur de la lumière diffusée par tel astre dépend de sa composition physique particulière. En outre, son témoignage se distingue de la lumière à laquelle il rend témoignage, dans la mesure où, contrairement à elle, il ne saurait rendre le destinataire de son témoignage semblable au principe dont il témoigne. Il n’a pas, en effet, la même efficience que le principe. Le témoin, considéré du point de vue métaphysique, correspond, par conséquent, à une place déterminée dans le système émanatiste albertien, que tous ne sont pas appelés à occuper. Sous la figure du vase de lumière, il constitue donc, nous l’avons esquissé, une pièce maîtresse de la métaphysique du flux du Doctor magnus, parce qu’il tient ensemble deux éléments fondamentaux du système albertien : l’immédiateté de l’influence du principe à tous les degrés de l’émanation, fussent ceux qui sont les plus éloignés de la source lumineuse et donc les plus obscurs, d’une part, et, d’autre part, l’existence de degrés distincts selon leur composition propre. VIII. Méthode de lecture figurale A. Fondement de la lecture figurale Du point de vue herméneutique, quel est l’enjeu de la méthode de lecture figurale du Super Iohannem d’Albert le Grand que nous avons mise en œuvre ? Elle permet principalement de mettre en lumière des aspects du témoignage quasi inapparents dans le commentaire de l’Évangile de Jean lu de manière suivie selon l’ordre linéaire du discours. En premier lieu, quant au corpus de textes, la méthode de lecture figurale se caractérise par l’articulation de la micro-lecture d’un point fondamental du Super Iohannem exprimé dans quelques phrases de l’exposition du verset Jn , avec un champ extrêmement large de textes qui sont empruntés à tout le spectre des œuvres albertiennes et qui permettent d’éclairer ce point. En partant, en effet, de la conjonction des figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio qui apparaît dans l’exégèse du verset Jn , , cette méthode de lecture confère une règle précise pour
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délimiter un corpus cohérent de textes issus de contextes différents qui ne sont pas apparemment liés entre eux. Par suite, elle ouvre la possibilité d’une lecture transversale réglée de l’œuvre albertienne en traversant les différents champs du savoir étudiés par le Docteur universel (métaphysique, théologie, cosmologie, noétique, physique, minéralogie, biologie, oneirologie…) et les divers corpora qu’il commente – aristotélicien, dionysien, scripturaire, notamment. La méthode de lecture figurale permet, par conséquent, de mettre au jour, au sein de l’œuvre albertienne, des relations entre des textes qui ne sont pas, d’emblée, manifestes. En deuxième lieu, du point de vue du mode de discours auquel elle conduit, la méthode de lecture figurale permet d’élargir le champ de l’enquête sur le témoignage, notamment, à des textes qui n’appartiennent pas apparemment et de manière directe à cette problématique. Elle étend, par suite, l’horizon de la recherche au-delà des exposés doctrinaux que le Docteur universel propose explicitement à propos de la notion de témoignage, dans ses prologues au Super Iohannem, par exemple, ou, pour s’en tenir au Prologue de Jean, dans les expositions des versets Jn , à ou Jn , . Or, considérés du point de vue de l’intention démonstrative de l’auteur, les textes albertiens thématiquement consacrés au témoignage ne font pas apparaître exactement le même propos, lorsqu’ils sont lus dans leur ensemble. Le mode de discours propre à la visée exégétique répond, en effet, à ses propres règles d’analyse minutieuse du sens des mots dans les contextes extrêmement précis que forment les portions de versets commentées, d’une part, et de mise en relation avec d’autres versets de l’Écriture, d’autre part. Ce mode de discours explicatif peut également donner lieu, nous l’avons vu, à l’insertion de questions disputées à certains moments stratégiques de l’exégèse. Les modes de discours auxquels conduit la méthode de lecture figurale, en revanche, ne se limitent pas, pour leur part, à produire un jugement déterminant sur la notion de témoignage, ni à l’analyser ou à composer une chaîne de raisons syllogistiques à son sujet. Ils permettent plutôt une approche oblique, pour ainsi dire, ou . ALBERTUS MAGNUS, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. -. . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , -), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ). . ALBERTUS MAGNUS, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , l. -p. , l. ).
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indirecte, de cette notion, dans la mesure où celle-ci ne se trouve pas nécessairement au centre des textes du corpus circonscrit par les figures suivies. Ces modes de discours ne sauraient, par conséquent, prétendre à la démonstration propre à la science syllogistique ni même à la persuasion inhérente à la rhétorique. Ils relèvent plutôt de l’art de l’interprétation. Ils ressortissent, par suite, à la diversité d’approches et à la singularité de l’interprète qui caractérisent l’examen des ressemblances selon la multiplicité des raisons qui s’est déployée devant nous à l’occasion de l’analyse des propriétés métaphoriques des images manuductrices. La méthode figurale permet donc, du point de vue des modes de discours, de se rapporter de manière indirecte et variée à la notion de témoignage, par exemple, à partir de textes qui ne la prennent pas immédiatement pour objet et d’en mettre ainsi en lumière des aspects qui peuvent demeurer inapparents dans son traitement direct sur le mode explicatif ou démonstratif. En troisième lieu, du point de vue du type de questions auquel elle donne accès, la méthode figurale ouvre un champ plus vaste que celui de la seule intention de l’auteur. Il ne paraît pas, en effet, adéquat de prétendre qu’Albert de Cologne dispose intentionnellement des agencements de figures, tel que celui qui conjoint la figure de l’animal volant nocturne à celle de la manuductio, pour traiter thématiquement du témoignage. Il semble plutôt que se dispose, à travers les différents modes d’écriture du maître de Cologne, un enchaînement de figures qui témoigne d’un questionnement lancinant, tenace, qui travaille le cœur de sa pensée et traverse ainsi les champs de savoir variés qu’elle examine tour à tour. Cette interrogation reçoit, dans l’œuvre du Doctor universalis, des formules différentes. Notamment, la connaissance du principe est-elle possible et, si oui, l’est-elle directement ou indirectement ? La métaphysique est-elle la seule réponse à cette question ? Quel mode de connaissance du principe découle du fait que des médiations soient nécessaires pour l’intellect humain ? Maître Albert traite parfois ces questions explicitement et directement. Son exposé prend, alors, la forme d’une argumentation pro et contra. Cependant, ce mode de développement doctrinal ne semble pas parvenir à épuiser la source de son interrogation. Celle-ci surgit de nouveau, dans un autre contexte et, cette fois, elle advient sur un mode figural. Le dispositif figural se donne moins alors comme le produit
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d’une intention explicite de l’auteur que comme le témoin d’un questionnement qui l’habite. Celui-ci se poursuit, dès lors, sur un mode ouvert, au sens où il ne se clôt pas dans une conclusion déterminante, en se manifestant précisément sous la forme d’images qui lui permettent d’allier des aspects hétérogènes, tels qu’une lumière proportionnée qui « conduit par la main », pour ne citer que cet exemple. Il ne s’agit pas, pour autant, à travers ces expressions figurales, de fulgurances de pensée isolées et désordonnées. Bien qu’elles ne se donnent pas immédiatement comme un ensemble cohérent du point de vue de la visée de l’auteur, les occurrences de ces figures sont, néanmoins, suffisamment nombreuses et récurrentes à travers des contextes variés pour attester qu’elles constituent un réseau qui présente une certaine cohésion que l’interprétation selon la méthode figurale est, par conséquent, appelée à découvrir et à construire. En quatrième lieu, du point de vue de la logique propre aux images qu’elle scrute dans les textes, la méthode figurale permet de ne pas exclure, d’emblée, la dimension complexe, ambiguë, voire contradictoire des questions examinées. Par exemple, la conjonction de la lumière proportionnée et de la main qui conduit, dans la mesure où elle est transversale par rapport aux propriétés de la vue et du toucher, relève proprement de la logique des images et appelle une méthode de lecture figurale. Appartiennent également à la logique des images les dynamiques contradictoires inhérentes à la figure de l’animal volant nocturne, en particulier sous l’aspect de la chauve-souris. Elles ressortissent, en effet, tour à tour, dans le commentaire de la Métaphysique, par exemple, à la logique de la continuité qui mène l’intellect humain des images sensibles vers la connaissance des intelligibles séparés propre à la vision immédiate qu’en a l’aigle, d’un côté, et, de l’autre, à la logique de la discontinuité inhérente à la distinction des espèces animales et à l’incommensurabilité de l’Un par rapport au multiple dans lequel demeure la science, fût-elle métaphysique. Les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio ont, par conséquent, ceci de pertinent pour l’analyse de la condition anthropologique inhérente à la connaissance du principe par l’intellect humain qu’elles portent simultanément, dans leurs éléments structurels, des traits contradictoires, ce que ne permet pas le syllogisme.
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La méthode figurale permet, par conséquent, de mettre au jour des tensions rémanentes que la logique du tiers exclu propre au syllogisme est contrainte d’éliminer ou de séparer en éléments disjoints, au risque de faire ainsi disparaître la complexité vivante du problème envisagé. En cinquième lieu, du point de vue topologique, la méthode figurale révèle la spécificité des modes opératoires d’une figure selon les différents lieux des œuvres du maître de Cologne où elle est employée. Les occurrences des figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, dans les contextes des commentaires aristotéliciens, dionysiens ou scripturaires, ne sont pas, en effet, accompagnées des mêmes citations qui permettent de les repérer et ne semblent pas avoir la même visée. Dans le corpus aristotélicien, par exemple, la conjonction de l’intellect avec le continu et le temporel, telle qu’elle est formulée par Aristote, dans le De anima, III, chap. ( b ), apparaît comme le signal disposé par le Doctor magnus pour permettre de reconnaître la présence de ces figures. Du point de vue de leur visée, elles conduisent principalement à un modèle de continuité qui permet de passer de l’étant mêlé au temps et au continu, dans la physique, à l’étant intelligible par soi et séparé de la matière, objet de la métaphysique. De plus, les médiations sensibles et imaginaires agencées en vue d’atteindre les étants purement intelligibles sont vouées à disparaître, dès que l’intellect séparé parvient à la vision immédiate du principe. Dans les exégèses bibliques, les traités théologiques et les commentaires dionysiens, les mêmes figures n’ont, en revanche, pas les mêmes effets. Elles apparaissent, d’abord, entourées d’autres compagnons que . Les citations qui accompagnent les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio dessinent le réseau figural relatif aux modes de connaissance du divin naturellement possibles à l’homme. Nous allons les détailler dans les notes suivantes. Ce réseau de citations apparaît, notamment, dans les œuvres suivantes d’Albert le Grand : Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Col. XXXIV/, p. , l. -p. , l. (cf. supra chapitre I, p. , note ) et le Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -p. , l. (cf. supra chapitre II, p. , note ). H. ANZULEWICZ y ajoute la référence à BOETHIUS, De consolatione philosophiae, lib. , prosa , n. , ed. C. Moreschini, p. , l. -p. , l. (cf. supra chapitre I, p. , note ) qui apparaît, par exemple, dans ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -p. , l. : « Et ideo dicit Boethius, quod difficile est nostro intellectui aliquid simplex intelligere nisi per modum puncti » (« C’est pourquoi Boèce dit qu’il est difficile à notre intellect d’intelliger quelque chose de simple sinon sur le mode du point »). Cependant, il ne nous a pas semblé que cette citation apparaissait de manière suffisamment récurrente pour la constituer en tant que l’un des indices des réseaux d’arguments et de sources que forment les figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio. Il s’agit là, à nos yeux, d’une image renvoyant à une citation d’auto-
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ceux qui les avaient escortées dans le corpus aristotélicien. Quelques citations de Denys surgissent de manière récurrente avec, à leurs côtés, la onzième homélie sur les versets Mt , - de Grégoire et une référence au De Genesi ad litteram d’Augustin. Ces citations jouent le rôle de signaux qui indiquent au lecteur que ces figures opèrent, en ces lieux, différemment. Leurs éléments constitutifs – la disproportion de l’intellect humain et du principe divin, la conjonction de l’intellect avec le temps et le continu et, corollairement, avec les sens et l’imagination – ne « conduisent » plus « par la main », peu à peu certes, mais avec certitude, vers la fin qu’est la vision du principe. Ces figures rendent, au contraire, le lecteur attentif à la nécessité noétique de recourir à des médiations qui constituent le milieu noétique adapté à ce qu’avec Denys, Maître Albert appelle notre « hiérarchie » symbolique. Est-il, dès lors, possible, selon ces corpora non aristotéliciens, que notre chemin de connaissance s’éloigne de la médiation des images ? Le modèle de la continuité impliqué par la figure de la manuductio qui « conduit » l’animal volant nocturne « par la main » vers une vision d’aigle, dans le corpus aristotélicien, n’empêche pas qu’à la fin du chemin (dans la vision in patria) ou hors de ce chemin (dans les conditions spéciales de l’extase ou du rapt, par exemple), la connaissance médiate s’accomplisse en connaissance immédiate. Mais traiter la question de la vision ultime de ce qu’il appelle la « vérité nue » n’est pas le propos du Docteur universel à travers ces figures. Il donne plutôt à celles-ci d’opérer, en ces corpora théologique, dionysien et scripturaire, différemrité qui ne possède pas le statut d’une figure. Cf. ANZULEWICZ, H., « Albertus Magnus über die ars de symbolica theologia des Dionysius Areopagita » (), p. . . Cf. supra chapitre I, p. , note , DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , PTS LXVII, p. , l. - ; Dionysiaca II, p. , secundum Eriugenam, in ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - ; cf. supra chapitre I, p. , note , DIONYSIUS AREOPAGITA, De coel. hier., cap. , n. , secundum Eriugenam, PTS LXVII, p. , l. -p. , l. ; Dionysiaca II, p. -, transl. Eriugena in ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre I, p. , note , GREGORIUS MAGNUS, Homiliae in Evangelia, hom. in Matth. , -, n. , CCSL CXLI, p. , l. - in ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre III, p. , notes et , AUGUSTINUS HIPPONENSIS, De Gen. ad litt., lib. , cap. ; cap. et surtout cap. , CSEL XXVIII/, p. , l. - ; p. , l. -, p. , l. - ad sensum in ALBERTUS MAGNUS, Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -. . Cf. supra conclusion, p. , note .
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ment de la manière dont elles se déploient dans les commentaires aristotéliciens. Elles laissent, pour ainsi dire, l’animal volant nocturne voler de ses propres ailes et connaître selon son mode. Disproportion de l’intellect humain par rapport au principe divin et conjonction avec le temporel et le continu ou avec les sens et l’imagination n’entraînent plus désormais une sortie des médiations, une fois atteinte la fin (au sens de terme et de télos à la fois) de la gradation épistémique. Si les médiations passent, ce n’est pas qu’un mode de connaissance susceptible de comprendre Dieu tel qu’il est en lui-même se soit, enfin, présenté. Mais c’est plutôt qu’il appartient à la nature même du signe d’être traversé, de n’être pas une demeure qui puisse être habitée. La disproportion même du principe empêche que la figure « conduise par la main » vers une signification déterminée et adéquate. Sa manuductio emmène le lecteur vers une autre image qui surgit dans un autre contexte et permet de découvrir les similitudes de proportionnalité qu’elles entretiennent. Autrement dit, le mode de déploiement des figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, dans les corpora non aristotéliciens, figure à son tour le mode de lecture qu’elles appellent. La méthode figurale permet donc de faire apparaître qu’une figure requiert un examen topologique et qu’elle n’est pas homogène selon les différents corpora et modes de discours dans lesquels elle est employée. En sixième lieu, du point de vue des sources et des dénominations historiographiques, la méthode figurale ouvre des frontières arbitrairement dressées par le souci de classement inhérent à l’enquête historique. Elle permet ainsi d’en renouveler le champ des recherches. Souvenonsnous, par exemple, du De natura boni : Et, s’ils ont des yeux faibles par rapport à la connaissance de la déité, comme les animaux volant de nuit ne peuvent voir le soleil, elle revêt l’enfant d’une chair qui nous est connaturelle et, ainsi revêtu, elle l’enveloppe de langes et le place aussi dans la crèche pour la connaissance plénière du sens propre au bœuf et à l’âne. . Cf. supra chapitre II, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -. . Cf. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , « secunda interpretatio ‘stella maris’ », n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. -.
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La manière dont Albertus Magnus procède, dans ce texte, consiste à conjoindre directement le commentaire du Psaume , – factus sum sicut nycticorax in domicilio – et la glose de l’Évangile de Luc à laquelle il donne lieu, d’un côté, avec l’image aristotélicienne de l’animal volant nocturne, de l’autre, empruntée à la Métaphysique et reliée par son contexte d’origine au problème de la possibilité de connaître les étants séparés, en soi les plus manifestes. La conjonction d’images hétérogènes, telles que celles de l’animal volant nocturne et de l’enfant enveloppé de langes dans la crèche, indique que le Docteur universel n’hésite pas à tisser des correspondances entre des domaines apparemment hétéroclites : à la réflexion métaphysique sur la possibilité de la connaissance du principe, renforcée par des observations zoologiques sur les facultés visuelles des animaux, répond en quelque sorte directement le langage parabolique de l’évangile. Écrire ainsi, en provoquant des rencontres de champs de textes, de modes de discours et de types de savoirs, suppose que le regard perce à travers les présupposés épistémologiques de chacun de ces domaines pour y discerner des problèmes communs. De plus, le mode de lecture figural fait apparaître la liberté avec laquelle le maître de Cologne déjoue les frontières doctrinales dressées par l’historiographie. Il commente, en effet, le Prologue de l’Évangile de Jean à partir de l’autorité du Liber de causis, d’Averroès, d’Avicenne et, en suivant la chaîne des textes où nous entraînent les figures, à partir de celle d’Algazel, d’Alfarabi, d’Abubacher… Autrement dit, le Doctor expertus ne présente pas ces autorités dites païennes comme subordonnées à la révélation divine dans les Écritures. Il nous invite à aller au-delà de ce rapport de moyen à fin. À travers les courants doctrinaux distincts dont son activité critique consiste, pourtant, par ailleurs, à repérer les contours, le Doctor universalis vise, en effet, un mode de questionnement identique ou bien une intuition similaire. Dans les textes où apparaît la figure du vase de lumière, qu’il s’agisse des astres ou de l’escarboucle, par exemple, Albert de Cologne traite à la fois de l’universalité de la causalité propre à la source de lumière qui brille également sur tous . Cf. e.g. supra chapitre I, p. , note , ALBERTUS MAGNUS, De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - ; cf. supra chapitre I, p. , note : De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. -. Cf. supra chapitre I, p. , note , ARISTOTELES, De historia animalium, lib. , cap. ( b -), transl. Guillelmus de Morbeka, Arist. Lat. XVII/.I., online.
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et d’une réception proportionnelle de la lumière selon la place occupée dans la hiérarchie métaphysique. Il donne ainsi à penser d’un même coup la révélation théologique, la structure ontologique et cosmologique de l’univers et ses propriétés physiques ainsi que la capacité noétique qui permet à chaque intellect, en retournant vers la source de la lumière, de recevoir la félicité. Il serait difficile de déterminer ce qui appartient ici strictement à l’émanatisme et ce qui relève exclusivement du johannisme. Ces corpora de textes et les différents courants d’interprétation auxquels ils donnent lieu se trouvent, en effet, entrelacés pour décrire ce qui se donne sur ces différents plans comme un mode de manifestation du principe en termes de diffusion lumineuse. Albertus Magnus saisit en leur point de conjonction philosophique ce que l’historiographie distingue en deux courants doctrinaux : le principe se manifeste par un flux de médiations. D’un côté, la lumière est, en effet, sur le plan métaphysique, la cause médiatrice par laquelle le principe produit l’être et le connaître, de même que, sur le plan physique, elle est la médiation par laquelle le soleil exerce sa propre causalité. De l’autre, les étants qui reçoivent l’acte lumineux sont autant de degrés dans l’échelle théologique, ontologique, noétique, cosmologique… Par cette manière figurale d’écrire et de penser, Maître Albert fait voir des aspects du johannisme qui n’apparaissent peut-être pas d’emblée à la lecture du Prologue de Jean et qui, pourtant, sont en mesure de rendre compte de dynamiques plus secrètes qui travaillent ce texte. L’intelligence figurale met, par conséquent, en lumière une manière de questionner qui transgresse les limites imposées par les doctrines, les disciplines du savoir, les genres littéraires. Ces frontières sont traversées par la façon dont l’agencement figural de ces différents ensembles textuels et doctrinaux les oriente vers une question qui demeurait peut-être inaperçue tant que ces éléments apparemment hétérogènes étaient disjoints. Particulièrement adaptée à la manière d’écrire et de penser propre au maître de Cologne, la méthode de lecture figurale convient plus généralement toutes les fois que surgit, dans un discours philosophique, une pensée qui recourt, pour s’exprimer, à la logique de la figure que nous venons de décrire. Pour chaque auteur, néanmoins, la méthode de lecture figurale est appelée à déceler le mode propre selon lequel se déploient,
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dans sa manière d’écrire, les figures. C’est pourquoi l’enquête sur le témoignage comme voie vers le principe, telle que nous l’avons développée à partir des figures de l’animal volant nocturne et de la manuductio, constitue également un parcours – à lire lui aussi de manière figurale – au sujet du mode opératoire des figures dans le discours philosophique albertien. B. Caractérisation de la figure et de l’intelligence figurale qu’elle appelle Tentons, pour finir, de dégager les caractéristiques principales de l’intelligence figurale albertienne, telles qu’elles nous sont apparues. L’intelligence figurale a pour point de départ des images sensibles : naturelles, artificielles, langagières. Ces dernières sont enracinées dans une tradition qui permet de les identifier (dans le cadre de cette étude, Aristote, Denys, une expression empruntée à la cosmologie gréco-arabe). Ces images qui assurent la continuité de l’intellect humain qui les vise avec les facultés sensitive et imaginative sont caractérisées par une disproportion qui imprime, en elles, le sceau du principe divin. Dans le cadre de cette étude, il s’agit du nouage étonnant de trois corpora d’origines différentes pour ces citations qui associent, en outre, deux sens distincts (la vue et le toucher). Ce nouage provoque l’étonnement du lecteur. Ce signe étrange invite à passer d’une lecture linéaire à une lecture transversale qui fait traverser des champs du savoir et des domaines de réalité variés. L’enjeu de cette traversée de l’œuvre albertienne consiste à parvenir à une question unificatrice qui se dégage d’un acte de lecture. Celui-ci consiste à rassembler les occurrences éparses de cette conjonction figurale dans l’œuvre du maître rhénan. Cette question ne s’identifie pas à une question d’école qui puisse être traitée au moyen d’un discours démonstratif. Il s’agit plutôt d’une interrogation récurrente, presque lancinante, qui ne saurait peut-être recevoir de solution définitive. Dans le cadre de cette étude, voici la question qui s’est dégagée de notre parcours de textes : comment est-il possible de connaître le principe divin in via, autrement dit dans les conditions anthropologiques qui caractérisent l’intellect humain conjoint aux sens et à l’imagination ? Ainsi ces images, ou constellations d’images, accèdent-elles au statut de figures en raison de
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leur récurrence et de leur usage comme arguments ayant une fonction spécifique en différents contextes discursifs. Comment ce nouage transforme-t-il l’être de l’herméneute ? La figure de la manuduction invite, d’une part, à entendre que le lecteur, pris par la main, est touché par les images manuductrices au cours de la pratique de son art de l’interprétation. La figure du vase de lumière conduit, d’autre part, à concevoir la pratique de l’intelligence figurale comme une diffusion de la lumière du principe qui continue de « s’imaginer » à travers l’herméneute et, ainsi, constitue ce dernier en tant qu’intelligence figurale. Par suite, l’herméneute des images manuductrices les reçoit autant qu’il les produit et les interprète. S’ouvre ainsi une voie esthétique vers le principe, alternative à la voie métaphysique qui s’appuie, elle aussi, sur les images en guise de points de départ, mais qui s’en abstrait pour produire des concepts et pour viser l’intelligible en soi. L’intelligence figurale, pour sa part, prend les images non seulement pour points de départ, mais pour milieu opératoire et y revient sans cesse en exerçant un art de l’interprétation caractérisé par la singularité de l’interprète et de ce que, chaque fois, il interprète. L’herméneute produit, en effet, pour chaque constellation d’images, de nouveaux rapports de proportionnalité à partir de ceux que lui fournissent les images d’origine, en vue de rendre raison du transfert à un contexte textuel nouveau de ces images. C. L’intelligence figurale albertienne : fonction paradigmatique et spécificité En quoi cette méthode est-elle spécifique à la pratique albertienne et en quoi peut-elle être appelée matricielle ? Une première spécificité albertienne est d’ordre métaphysique. Elle concerne le statut de ce qu’il entend par image manuductrice, c’est-à-dire un signe matériel qui contient un principe de disproportion. Autrement dit, la réalité créée qui, en elle-même, pourrait faire l’objet d’une définition, d’une circonscription dans les catégories de l’intellect humain, se révèle traversée par des rapports entre les régimes de réalité, créé et incréé, tels qu’ils ne sont pas accessibles à une rationalité mathématique. Cette faille intelligible est susceptible de faire vaciller l’intellect humain dans sa pratique épistémique.
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En résulte une deuxième spécificité albertienne : dans le système universel de l’analogie, s’ouvrent des failles qui empêchent de passer de manière continue d’objet en objet, d’étant en étant, de domaine de savoir en domaine de savoir selon une proportionnalité réglée. C’est cette disproportion dans le système analogique qui contraint l’intelligence figurale, ainsi entraînée dans la danse des associations proportionnelles, à un saut vers le principe divin. Dans le cadre de notre étude, tandis que la figure de la lumière proportionnée qui « conduit par la main » met le lecteur en route, la transparente diffusion de la lumière dans un corps qui devrait être, pourtant, opaque, qu’induit la figure du vase de lumière glisse, dans la sandale du lecteur, le scandalon d’une corporéité de l’incorporel. Le passage au principe divin, au-delà du régime créé impliqué par les images, est induit par le rapport du vase au soleil, comme cela est également le cas, dans la figure aristotélicienne, du rapport de l’œil de la chauve-souris au soleil. L’image elle-même comporte ainsi le saut vers le principe divin qui est effectué par l’intelligence figurale, sans que ce soit cette dernière qui en force l’introduction comme de l’extérieur. Comment le fini conduit-il, dès lors, le lecteur vers l’infini ? Le soleil ressortit au régime du fini, ou du créé, mais il représente la fonction exercée par le principe divin. Le caractère paradoxal de l’image qui allie l’opaque et le transparent, le matériel et l’immatériel, le corporel et le lumineux éveille le lecteur à ce saut du créé vers l’incréé. La fonction manuductrice des images consiste, par suite, à ce que, par leur médiation sensible, un principe incorporel prenne le lecteur par la main et le guide dans un mouvement qui implique une discontinuité, un changement de régime et d’ontologie. La fonction du nouage consiste, pour sa part, à mettre en rapport ce qui, par nature, ne peut l’être. La figure constitue, par conséquent, la poudre qui fait exploser l’analogisme universel. Elle retire le principe divin de l’ensemble des objets qui se trouve à la portée de l’intellect humain. Il s’agit, par conséquent, dans une certaine mesure, d’une pensée de la discontinuité, de la grâce, du saut, sans que celui-ci soit, pour autant, assimilable à une extase. Discontinue est, en effet, la pratique toujours renouvelée de l’intelligence figurale dans le milieu des images manuductrices qui, en suivant le mouvement d’association des signes selon les similitudes de proportionnalité, saute en quelque sorte vers la disproportion propre au divin. Albert le Grand dynamite-t-il vraiment le système de l’analogisme universel ? Ou bien l’analogisme strict fendu par
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une disproportion qui ouvre à la grâce ne renvoie-t-il pas à une certaine conception du christianisme ? Dans cette dernière perspective, il ne s’agirait pas de concevoir ce dernier comme une religion qui consisterait à prendre les moyens humains pour construire une tour plus élevée, afin d’offrir un sacrifice susceptible d’être davantage agréé par la divinité, mais plutôt comme la venue de quelqu’un qui vient prendre d’autres personnes par la main en marquant leur chair du sceau d’une disproportion en vue de les conduire vers leur Père, c’est-à-dire vers le principe divin duquel ils proviennent. Une troisième spécificité albertienne consiste, par conséquent, dans une métaphysique de la corrélationalité et en un sens de l’être entendu comme opératoire. Le système métaphysique albertien établit universellement des proportions analogiques et les fissure en certains points, de telle sorte que la manifestation du principe divin dans ses créatures rende possible une collaboration humaine à la manifestation du divin par la médiation de l’activité de l’intelligence figurale. Autrement dit, la pratique de l’intelligence figurale s’avère être l’acte par lequel le principe divin s’auto-interprète et constitue ainsi l’herméneute humain dans son vase de lumière de manière corrélationnelle – en d’autres termes, comme le corrélat de sa manifestation continuée. En découle une quatrième spécificité albertienne qui concerne la constitution du sujet : l’imagination créatrice, c’est-à-dire une imagination qui projette le rayon divin et produit des images, parce qu’elle est elle-même fondée dans l’intuition directe d’une illumination divine médiatisée par les intelligences angéliques. Tandis que ces dernières diffractent le rayon divin, l’âme le colore et l’offre en retour à travers la contemplation et l’activité productrice d’images. L’intelligence figurale ressortit, par conséquent, davantage à un sujet prophétique qu’à un sujet aristotélicien. Suivre la répercussion de figures telles que la chauve-souris aristotélicienne, la manuduction dionysienne et la lumière proportionnée, dans l’exemple du vase de lumière qui fait appel à la cosmologie gréco-arabe, se fonde objectivement sur les textes albertiens mais relève aussi déjà d’une interprétation. Autrement dit, la description de cet art d’interpré. Pour rendre hommage au titre de Henry CORBIN, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’ Arabî, Flammarion, Paris, (Idées et recherches).
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ter les signes sensibles du principe repose, elle aussi, sur une compréhension corrélationnelle : définition et méthode s’entre-expliquent. Elles mettent en œuvre un cercle herméneutique inhérent à ce qu’en définitive, cet art de l’interprétation cherche à mettre en exergue : l’incessante constitution corrélative du principe et de l’herméneute, comme interprétant et interprété réciproquement, ainsi que de l’ensemble des corrélats impliqués par cette connaissance. La mise au jour de la théorie herméneutique albertienne dépend, par conséquent, de notre art singulier de l’interprétation, en tant que lecteurs, à partir des éléments disposés par le texte du maître de Cologne et de sa propre pratique exégétique. Une telle pratique herméneutique ne vise pas, en effet, la fixation d’une nature humaine ou d’une nature divine dans une définition enserrée dans des concepts mais consent à ce que la manifestation en acte du principe et, réciproquement, la constitution de l’herméneute n’adviennent que dans ce mouvement d’interprétation. Celui-ci n’a d’autre fin que la vie même de l’un et de l’autre dans une dynamique corrélationnelle, une vie sans savoir, sans avoir, sans pouvoir, dirait peut-être Eckhart qui serait rejoint en ce point d’absence de finalité externe – au sens de mainmise théorique ou pratique – par son propre maître.
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[Ps.-]Augustinus - Averroes , , -, , , , , , , -, -, , , -, , , , , Avicebron Avicenna , , -, , , , , , -, , , -, , -, -, , -, -, -, -, , [Ps.-]Avicenna Beda Venerabilis -, Beringerius Turonensis - Bernardus Claraevallensis Boethius , , -, , -, , , , Caesar Baronius Chalcidius Cicero, M. Tullius Dante Alighieri De epistula de principio universi esse [Pseudo-]Dionysius Areopagita , , , , , , , , , , , , , -, -, -, , , -, -, , , , -, -, , , -, -, , , , , , -, -, , -, -, , , , -, , , , -, , , , , , -, , -, , , , -, , Epiphanus Gesner, C. Glossa , , , Gratianus Gregorius Magnus -, , Gregorius Nixenus - Heiricus Autissiodorensis
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DES AUTEURS
Vianu, S. Vinzent, M. , Vosté, J.-M. Wéber, É.-H. , , , , , , -, , , , Weill-Parot, N. Weisheipl, J. A. , Weismantel, T. , , Weiss, K. Welte, B. Wendel, S. Wieland, G. Winkler, E. Witte, K. H. , Wollbold, A. Wolz-Gottwald, E. Zambon, F. Zimmermann, A. Zum Brunn, É. ,
Index des textes cités d’Albert le Grand et de Maître Eckhart I. Albertus Magnus Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b Comm. in I Sent., d. , A, divisio textus, Ed. Paris. XXV, p. ab Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b Comm. in I Sent., d. , a. , sol., Ed. Paris. XXV, p. ab Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXV, p. b Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVI, p. a Comm. in I Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVI, p. b Comm. in II Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVII, p. b Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. a Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. - Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b-a Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. a Comm. in III Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXVIII, p. b Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a -, Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a
Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. a Comm. in IV Sent., d. , B, a. , Ed. Paris. XXIX, p. b-a Comm. in IV Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXIX, p. b Comm. in IV Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXIX, p. b Comm. in IV Sent., d. , a. , Ed. Paris. XXIX, p. b-a Commentaire de la « Théologie mystique » de Denys le pseudo-Aréopagite (), trad. É.-H. Wéber, p. Commentaire de la « Théologie mystique » de Denys le pseudo-Aréopagite (), trad. É.-H. Wéber, p. Commentarii in Iob, cap. , n. , ed. M. Weiss, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. --p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - , De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. ; l. ; p. , l. De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. , De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. -p. , l. De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. De anima, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. VII/, p. , l. - , , De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - , De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - , De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. -
ET DE
MAÎTRE ECKHART
De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XV, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. , cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , note De animalibus, lib. , tr. unicus, cap. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. De animalibus, lib. , tr. , cap. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. unic., n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - , De animalibus, lib. , tr. unic., cap. , n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. - De animalibus, lib. , tr. unic., cap. . n. , ed. H. Stadler, BGPM XVI, p. , l. -. , De bono, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVIII, p. , l. -p. , l. De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Col. V/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , ed. Colon. V/, p. , l. - De caelo et mundo, lib. , tr. , cap. , ed. Colon. V/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l.
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. , De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. ; p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
ET DE
MAÎTRE ECKHART
De causis et proc. univ. a prima causa, De causis propriet. elem., lib. , tr. , lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - p. , l. - De causis et proc. univ. a prima causa, De causis propriet. elem., lib. , tr. , lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. p. , l. - p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, De causis propriet. elem., lib. , tr. , lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, cap. , Ed. Colon. V/, p. , p. , l. - l. - De causis et proc. univ. a prima causa, De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, l. - p. , l. - De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , De causis et proc. univ. a prima causa, l. - lib. , tr. , cap. (IX/X), Ed. De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , Colon. XVII/, p. , l. ; l. - l. - De fato, a. , Ed. Colon. XVII/, p. , De causis et proc. univ. a prima causa, l. - , lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, De homine, De homine secundum p. , l. - statum eius in ipso, De anima ipsius, De causis et proc. univ. a prima causa, De substantia et natura eius, Ed. lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, Colon. XXVII/, p. , l. - p. , l. - De homine, De anima sensibili, De parDe causis et proc. univ. a prima causa, tibus apprehensivis deforis : de visu, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon XVII/, ..., Ed. Colon. XXVII/, p. , p. , l. - l. -p. , l. De causis et proc. univ. a prima causa, De homine, I.........., Ed. lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVII/, Colon. XXVII/, p. - p. , l. - De homine, I..........., Ed. De causis propriet. elem., lib. , tr. , Colon. XXVII/, p. , l. - cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. De homine, I..........., Ed. , Ed. Colon. V/, p. , l. - Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De homine, I..........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , De homine, I.........., Ed. cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , De homine, I.........., Ed. cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. Colon. XXVII/, p. , l. - De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - De causis propriet. elem., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. V/, p. , l. - De homine, I.........., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. -
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DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, ...., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. De homine, Proprietates eius : somnus, vigilia, somnium, ..., p. , l. - De homine, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - , De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - , De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - , De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
ET DE
MAÎTRE ECKHART
De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. vigilia et somnium, .., Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ..., Ed. Col. vigilia et somnium, ., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, ., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. vigilia et somnium, ..., Ed. Col. XXVII/, p. , l. -p. , l. XXVII/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
De homine, De proprietatibus animae (collatio S. Donati : Po, f. vb) sensibilis in se, quae sunt somnus et vigilia et somnium, .., Ed. Col. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. ab XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae sensibilis in se, quae sunt somnus et De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b vigilia et somnium, .., Ed. Col. - XXVII/, p. , l. - De homine, De proprietatibus animae De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. bsensibilis in se, quae sunt somnus et a (collatio Donati : Po, f. vb ; vigilia et somnium, .., Ed. Colon. W, f. rb) XXVII/, p. , l. - De homine, De differentia intelligibilis, De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a De anima rationli, Ed. Colon. XXVII/, p. , l. - De incarnatione, tr. , q. , a. , Ed. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b Colon. XXVI, p. , l. - De incarnatione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. ab De incarnatione, tr. , q. , a. , Ed. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., Colon. XXVI, p. , l. - cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , S. Donati : Po, f. rb ; W, f. vb) cap. , Ed. Paris. IX, p. b , , , De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio cap. , Ed. Paris. IX, p. b - S. Donati : Po, f. rb) De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a (collatio , S. Donati : Po, f. rb) De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a , De intellectu et intelligibili, lib. , tr. unic., cap. , Ed. Paris. IX, p. a-b - De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , De memoria et reminiscentia, tr. , cap. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b Ed. Paris. IX, p. - De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , De memoria et reminiscentia, tr. , cap. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a Ed. Paris. IX, p. a ; a De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b , De memoria et reminiscentia, tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. ab , De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , De mineralibus, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. V, p. b-a , cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio S. Donati : Po, f. vb ; V, f. va) De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. , Colon. XII, p. , l. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. cap. , Ed. Paris. IX, p. b (collatio Colon. XII, p. , l. S. Donati : Po, f. vb) - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. De intellectu et intelligibili, lib. , tr. , Colon. XII, p. , l. ; l. cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a
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DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. ; l. De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - De natura boni, tr. , pars I, Ed. Colon. XXV/, p. , l. - De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - , De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. De natura boni, tr. , pars III, cap. , II, , A, a, I, , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - De praedicabilibus, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. I, p. ab De praedicabilibus, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. I, p. a De praedicamentis, tr. , cap. , Ed. Paris. I, p. a - De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -
ET DE
MAÎTRE ECKHART
De resurrectione, tr. , q. , a. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De resurrectione, tr. , q. , a. , n. [n. ], Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. , De resurrectione, tr. , q. , a. , n. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - , De resurrectione, tr. , q. , a. , n. [n. ], Ed. Colon. XXVI, p. , l. -p. , l. De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - , De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - -, De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De sacramentis, tr. , q. , Ed. Colon. XXVI, p. , l. - De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-a
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a De somno et vigilia, lib. , tr. -, Ed. Paris. IX, p. a-b De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. a , , De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IX, p. b-a De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b , , De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b , , , De somno et vigilia, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. IX, p. b-b , De unitate intellectus, pars I, Ed. Colon. XVII/, p. , l. - De unitate intellectus, pars I, Ed. Colon. XVII/, p. , l. - Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. - - Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. - Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. , Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. - Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. , Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. -, Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. - , Enarr. in Io., Prol., Ed. Paris. XXIV, p. Enarr. in Io., Prologi S. Hieronymi in Evangelium secundum Joannem explanatio, Ed. Paris. XXIV, p. ba Enarr. in Io. (Ioh. , -), Ed. Paris. XXIV, p. a Enarr. in Io. (Ioh. , ), Ed. Paris. XXIV, p. b-a
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Enarr. in Io. (Ioh. , -), Ed. Paris. XXIV, p. b Enarr. in Io. (Ioh. , ), Ed. Paris. XXIV, p. b ; a Enarrationes in Lucam (Luc. , ), Ed. Paris. XXII, p. b-b Enarrationes in Lucam (Luc. , ), Ed. Paris. XXIII, p. a Epist. I, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. V, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. VII, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. VII, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. VIII, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. l. - ; l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , , , Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. -p. , l.
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , , Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - ; l. - , Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - , , Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. , Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - -,
ET DE
MAÎTRE ECKHART
Epist. IX, Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , l. , Epist. IX, Ed. Col. XXXVII/, p. , l. - Ethicorum libri X, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. VII, p. ab Ethicorum libri X, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. VII, p. ab In Posteriora Analytica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. ab In Topica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. - In Topica, lib. , tr. , cap. , Ed. Paris. II, p. a-b Lib. de nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Lib. de nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Lib. de nat. et orig. animae, tr. , cap. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. ( b -), Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. , Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. , Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. , Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - , Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - , Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. , Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - , Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. , Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. -p. , l. Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , cap. , tr. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - Metaph., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. XVI/, p. , l. - , , Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - , Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -
ET DE
MAÎTRE ECKHART
Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. - Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -. Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. Phys., lib. , tr. , cap. , Ed. Colon. IV/, p. , l. -p. , l. Postilla super Isaiam, Prol., Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, Prol., Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. ; ; ; - Postilla super Isaiam, cap. , , Ed. Colon. XIX, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. -p. , l. Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - Probl. det., q. , Ed. Colon. XVII/, p. , l. - Quaestio , a. , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - Quaestio de raptu, a. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - Quaestio de raptu, a. , n. , Ed. Colon. XXV/, p. , l. - Quaestio de visione dei in patria, Ed. Colon. XXV/, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - , , Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - , Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Quaestiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. -p. , l. Questiones de animalibus, lib. , q. , Ed. Colon. XII, p. , l. - Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. b
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. a-b Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. a Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. ab Summa de creaturis, pars I (De IV coaequevis), tr. , q. , a. , qla. , Ed. Paris. XXXIV, p. b Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. -, Ed. Paris. XXXIV, p. -a Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. a Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , particula , Ed. Paris. XXXIV, p. ab , Summa de creaturis, pars I (De IV coaequaevis), tr. , q. , a. , Ed. Paris. XXXIV, p. a Summa de creaturis, pars II quae est de homine, q. , ed. Ed. Paris. XXXV, p. b Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - , Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon.XXXIV/, p. , l. - ; l. - Summa theol., lib. , pars I, prologus, Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -p. , l. Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Col. XXXIV/, p. , l. p. , l. Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
ET DE
MAÎTRE ECKHART
Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - , , , , , l. - , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon.XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. l. - , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. -p. , l. l. Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - , l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - , , l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. l. - Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. - l. - Summa theol., I, tr. , q. , cap. , Ed. Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Colon. XXXIV/, p. , l. - cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , l. - cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , l. - cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , l. - cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , l. - cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , Summa theol., I, tr. , q. , cap. , Ed. l. - Colon. XXXIV/, p. , l. Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , q. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , cap. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , l. l. - Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , Summa theol., lib. , pars I, tr. , cap. , m. , a. , Ed. Paris. XXXII, p. a q. , Ed. Colon. XXXIV/, p. , -
INDEX
DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , m. , a. , Ed. Paris. XXXII, p. b-a Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , membrum , via , Ed. Paris. XXXIII, p. a Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , m. et , Ed. Paris. XXXIII, p. a ; a Summa theol., lib. , pars II, tr. , q. , Ed. Paris. XXXII, p. a Super Baruch, cap. , v. , Ed. Paris. XVIII, p. a Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier. cap., Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - , Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - , Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. , Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - , , Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , l. , Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. ; l. Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -
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DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
ET DE
MAÎTRE ECKHART
Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Colon. XXXVII/, p. , l. - ; l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Colon. XXXVI/, p. , l. - Ed. Colon. XXXVII, p. , l. - Super Dion. De cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. de cael. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. l. p. , l. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. p. , l. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Colon. XXXVII/, p. , l. - Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Colon. XXXVII/, p. , l. - Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. Super Dion. De div. nom., cap. , n. , p. , l. Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - l. , Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -
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GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - , , Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. -p. , Colon. XXXVI/, p. , l. - , l. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. , Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - , Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. -p. , Super Dion. De div. nom., cap. , Ed. l. , Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De div. nom., cap. , n. , Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - , Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - , , , Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVII/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Dion. myst. theol., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. Colon. XXXVII/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Colon. XXXVI/, p. , l. - , Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. Colon. XXXVI/, p. , l. - , XIV/, p. , l. - Super Ethica, lib. , lect. , n. (), Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. Ed. Colon. XIV/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - , Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. Super Dion. De eccl. hier., cap. , Ed. XIV/, p. , l. - Colon. XXXVI/, p. , l. - Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. , XIV/, p. , l. -
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GRAND
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Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, Colon. XIV/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ethica, lib. , lect. , Ed. Colon. XIV/, p. , l. - , Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) Super I librum Sent., d. , cap. , Ed. Colon. XXIX/, p. , l. - Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt , Super I librum Sent., d. , cap. , Ed. p. , l. -p. , l. (trad., p. , Colon. XXIX/, p. , l. - l. -p. , l. ) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , p. , l. - (trad., p. , l. -) l. -). Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -p. , Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, l. ) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad. p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad. p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , c), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , b), ed. J. Casteigt, p. , l. (trad., p. , l. -) p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ) p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , -), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ) p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ). p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -). Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , c), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. - ; p. , l. - (trad., p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - ; p. , l. -)
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GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , ), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ) p. , l. -p. , l. (trad., p. , Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, l. -p. , l. ) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a) ; ed. J. Casteigt, p. , l. - (trad., p. , l. -) p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, p. , l. -p. , l. (trad., p. , p. , l. - (trad., p. , l. -) l. -p. , l. ) Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. p. , l. -p. , l. (trad., p. , XXI/, p. , l. - l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. (trad., p. , l. ) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. ) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. p. , l. - (trad., p. , l. -) XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. -p. , l. p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. p. , l. - (trad., p. , l. -) XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. p. , l. - (trad., p. , l. -) XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - Super Ioh. ( (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, Super Matth., cap. , , Ed. Colon. p. , l. -p. , l. (trad., p. , XXI/, p. , l. - , , l. -p. , l. ) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Ioh. (Ioh. , a), ed. J. Casteigt, XXI/, p. , l. - p. , l. - (trad., p. , l. -) Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -
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DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND
ET DE
MAÎTRE ECKHART
Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. ; XXI/, p. , l. - ; l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - , , Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. -p. , l. , XXI/, p. , l. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - XXI/, p. , l. - Super Matth., cap. , , Ed. Colon. XXI/, p. , l. - ; p. , l. -
II. Meister Eckhart In Ex., n. , [LW II, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Gen. II, Prologus, n. , [LW I/, , , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] , In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] - In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] , In. Ioh. n. , [LW III, , -] In. Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] - In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , ] , In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] , In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] , In Ioh., n. , [LW III, , -]
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DES TEXTES CITÉS D’ALBERT LE
GRAND ET DE MAÎTRE ECKHART
In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Sap., Tabula auctoritatum In Sap. , In Ioh., n. , [LW III, , -] , , [LW II, , -] In Sap., n. , [LW II, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] - In Sap., n. , [LW II, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Sap., n. , [LW II, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Sap., n. , [LW II, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Sap., n. , [LW II, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] Mag. Echardi Responsio ad articulos In Ioh., n. , [LW III, , ] sibi impositos de scriptis et dictis In Ioh., n. , [LW III, , ] suis I, n. , in Acta et regesta vitam In Ioh., n. , [LW III, , -, ] magistri Echardi illustrantia n. , [LW V, , -, ] Mag. Echardi Responsio ad articulos In Ioh., n. , [LW III, , -] sibi impositos I, Proc. Col. I, AE In Ioh., n. , [LW III, , -] n. , n. , [LW V, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] Pr. , [DW I, , -] , In Ioh., n. , [LW III, , -] Pr. , [DW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] Pr. , [DW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] Pr. , [DW III, , -, ] Pr. , [DW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] Sermo VI, , n. , [LW IV, , -, ] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] Votum theologorum Avenionensium, a. , AE n. , n. , [LW V, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -, ] Votum theologorum Avenionensium, a. , AE n. , n. , [LW V, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -] In Ioh., n. , [LW III, , -]. In Ioh., n. , [LW III, , -]
Index des citations bibliques I. Vetus Testamentum Gen. cap. , , Ex. , - cap. (sqq.) , , - - ,
, , , , , , , , Prov. ,
Num. , , , ,
Cant. , ,
Deut. , ,
Sap. , , , ,
I Reg. , Iob , - , - , - , , , , Ps. , , - , , - -, ,
Eccli. , , - , , Is. cap. , - , , - - , - , - , - , , -
INDEX
DES CITATIONS BIBLIQUES
Ier. , , - , - , Bar. ,
Dan. , - cap. Os. , , , -
Ez. cap. ; ,
II. Novum Testamentum Matth. , , , , , , - , , , , - , , , , , , -, -, , , , , -, , , -, , , , , - , - , , , , , , Luc. , , , , , Ioh. , , ,
, a , , , , b , - , a , , , , , b- , a , b , -, , , , - , , , , - , - , -, , , -, -, , , , , , , , , , , , -, -, , , , a , , b , , , , c , , , a - , b , c , , , a , , , , - , a -, , , , , , , -
INDEX
, - , , , , -, -, , , , - , - , , , , , - , Act. , - Rom. , I Cor. , - , , , , , , II Cor. , - , ,
DES CITATIONS BIBLIQUES
Gal. , - - , Eph. , , Phil. , Col. , II Tim. , - He. , , , I Petr. , I Ioh. , ; Apoc. ,
Index thématique Les mots de la même famille sont rangés sous les substantifs de cette famille. Les antonymes se trouvent à la fin de la rubrique du substantif correspondant.
A abeille abstraction , , , , , , accident , , , , , , , , , , , -, , , , -, -, accidentel , -, -, , -, , , , , acte , , , , , , -, -, , -, , , , , , -, -, , , , , -, , , , , -, -, , , -, -, -, -, -, , -, -, -, , , -, , , -, , , , , -, , , -, -, , -, , , -, -, -, , -, , -, -, , , -, -, -, - adeptus (intellectus) cf. intellect admiration -, , -, , , aenigma cf. énigme aenigmaticus cf. énigme afflux cf. flux aigle -, , -, , -, , -, , , , , -, , , , , , , , , , , , , aimer cf. amant allégorie allégorique , , , -, -
altération , , -, , , amant , , , , aimer , -, , , , -, - âme , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , anabase , , , anagogique , , -, , , analogie , , , , , , , , , -, -, , , , , , , , , , , , , analogique, analogue, analogon -, , , , , , , , - âne -, ange -, , -, , , -, -, -, , , , , , , -, , , , -, - angélique , , -, , , , , -, , -, -, animal volant nocturne , -, , , , -, , -, -, -, , -, -, , -, -, -, , , , -, -, , , , -, -, -, , , , , , , , , -, , -, , , , , , , -, , , , , , , -, antérieur -, , , , , , , ,
INDEX
THÉMATIQUE
anthrax anthropologie , , - anthropologique , -, , , -, , , , , -, , , , -, , , , , , -, , , , , , , , , apparition , -, apprentissage , , , , , architectonique (des sciences) , -, , , , , , , , , , aristocratisme intellectualiste cf. intellect arithmétique , , , art , , , , , , -, , , , , -, , , , -, -, , , , , -, , , , , , , , , , , -, , , - assentiment -, , , Assyrien astre , , , -, , , , , astronomie , , -, , , , astronomique , , , , , aveugle , , , , , , , , , , , , , - aveuglé , , , , , , -, , aveuglement , , , , aveugler
B baptême , -, , , , baptisé baptiser , baptismal béatitude -, beauté , , , , -, , beau -
bélier bêtes , -, , , bienheureux -, , -, , , bœuf -, , bonté , , , -, , bon , , , , -, , , , , -, , ,
C caché, cacher , , , , , , , , , , -, , -, , , , , , -, , , , , castellum - casus a prophetia - catégorie , , , , , , , , , -, , , , , , , catégoriel , causalité , , , , , -, -, , , , , , , , - cause , -, -, , , , -, , -, , , , -, , -, , -, , , , , , , -, -, , -, , , , , , , , -, , , , , , -, , -, , , -, , , , cause créée cause efficiente , , -, , , , cause essentielle cause extérieure - cause finale , , , , cause formelle , cause immédiate cause incréée cause médiate, médiatrice , , cause naturelle - cause nécessaire cause par accident
INDEX
cause première , -, -, , , -, , , -, -, , , , , -, , , -, , cause primaire , cause prochaine , cause suffisante cause supérieure , cause supra-mondaine -, , cause suréminente cause universelle , , cause univoque certitude , , , , , , , -, , , , -, , -, , certain , , -, , , , , , , , , , , , , , -, incertain , , incertitude chair , , , -, , , , , , , , changement , -, , , , chat chauve-souris , -, , -, -, , -, , , , -, -, , , , , , -, , -, , , -, , -, -, -, , -, -, -, -, , , , , -, , , , -, , - chéiroptère chevreau chiasme de l’intellection humaine du divin , -, , -, , , , -, , , -, , , -, -, , -, , -, , , , , , , chien - chouette -, , , , -, -, , , -, , , , , , -, noctua -, , -, , , , , -, -, , , -,
THÉMATIQUE
Christ -, , , -, -, -, , , , , -, -, , -, , , , -, -, coéternel cf. éternité composé , -, , , , , -, -, , -, , composer , , -, -, , compréhension , , , , conduite par la main cf. manuduction configuration cf. figure conjonction (astronomie) (de l’intellect avec le continu et le temporel) , , , -, , , , -, , , , , -, , , -, -, - (de l’intellect avec les conditions anthropologiques) , (de l’intellect avec les sens et l’imagination) , , , , , , -, , , , -, , , , , , (de l’intellect humain avec l’intellect universellement agent) (de l’intellect humain avec les intelligences supérieures) , conjoint (astronomie) , - (à la forme divine par la dévotion de la foi) (le corps aux ténèbres) (l’intellect à Dieu) (l’intellect au continu et au temporel) , , , , , -, , , , , , -, , , -, -, , -, , -, -, , , (l’intellect aux passions du corps) , , , (l’intellect aux sens et à l’imagination) , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , -, , , , , -, , , , ,
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THÉMATIQUE
, , , -, , , nocticorax , -, , , -, , , , , , nycticorax -, , , -, , , -, -, , , , , , (l’intellect humain avec les intelligen- corporéité -, , , , ces supérieures) - corporel , -, , , (l’intelligible aux raisons physiques) , -, -, -, , , , , , , , , connaturalité -, , -, , -, connaturel , , -, -, , -, -, -, , -, , -, , , -, , , , , -, -, , , , , , , , corps , , , , , -, -, - -, , -, , -, , consubstantialité , contemplation , -, , , -, , , -, , , , , -, , -, , -, , , -, , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , -, , -, , contemplatif , -, -, -, , , -, , , , , -, -, -, contempler , -, -, , contingence , , , , , -, , , , contingent , , , , , corrélationalité , , -, , corrélatif , , , , , , , continuité , , , , , -, , -, , , , , , corrélationnel - , , , -, , -, corrélativité , , , -, , -, , , -, , -, , , cosmologie , , , cosmique , , , -, continu -, , -, -, , cosmologique , , , , , -, , -, , -, , , -, , , , , , - couleur , -, -, , , , , , , , -, , , , , , , -, -, -, , , -, crédulité , -, , -, , , , croire , -, , -, -, , , , croyance , , -, , -, -, incrédule , -, -, -, , , , , , -, , , , D , -, -, -, contrariété , , , , , , , démonstration , , -, -, , -, -, , , , , , -, , contraire , , , , -, , , , , , , , -, , démonstratif , , , , -, -, -, démontrer , , , conversion , , , , dépeint cf. peinture corbeau de nuit -, , , -, déplacement cf. métaphore -, -, , , -, - désir , , , , , , , , nicticorax , , , , , -, , ,
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, , -, , , , , , , devenir , , , , , , , , -, , , , -, , , , , , -, , - dévoiler cf. voile dévotion -, , dianoétique , -, , , , , , diaphane , , , , , , , didactique , différence selon la relation , , , , - diffraction, diffracter -, , , discipline , , , , , , , , , , disciplines discursives , , , disproportion cf. proportion disproportionné cf. proportion
E eau , -, , -, -, -, , , , , , éducation , , Église , -, émanation -, , -, , , , , , , , émanatif émanatisme, émanatiste , , -, , émaner , -, -, -, -, , , , - émeraude en chemin cf. in via engendrement , , , -, , -, , -, -, , , , -, , , -, , , engendré , , -, , , , , -, -, , -, , -, -, -, , , engendrer , , -, , -, , , , ,
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énigme , , , , , , , , , , aenigma , , -, , , , , , , , aenigmaticus , , énigmatique , , enseignement , , , -, , , , , , , -, -, , , , , - enténébré cf. ténèbre épervier - escarboucle , , , -, , , espace , , espèce , , -, -, , , , -, , , , , , -, -, , , , , , , , Esprit Saint , -, , , , essence , , , , , , -, , -, , , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , étant en tant qu’étant , , , , être en tant qu’être , , , , , , , éternité , , , , -, , coéternel , -, éternel , , , , , -, -, - éthique , , , , , -, , , , , , , étoile , , , , , , , -, -, , -, étonnement , -, étonner , , -, , , être en tant qu’être cf. étant en tant qu’étant être opératoire , , , , , , étude , , , -, , , , , -, , , , , extériorité , , , extérieur -, , , , , , -, , , , , , , -, , , , , , -, , , -,
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, , , , -, , , , -, , , , -, , ,
F fable -, félicité , , , , , , , , , fiction figure , , -, , -, , -, , , , , -, -, , -, , , -, -, -, -, -, -, , -, -, , -, -, , -, , -, -, -, -, -, -, -, , , -, , -, -, , , -, , -, , , -, -, -, , -, -, , , , , , -, -, , -, , -, , , , -, , , -, -, , -, -, -, , , , , , , , -, , , -, - configuration , figural -, , -, , , , , , , , -, , , -, , , , -, , , , , , , , , -, -, , , , , , , -, , , -, -, -, -, -, -, -, , , -, -, , -, , -, - figuratif , -, , , - figuration , , , -, , , -, , , , , , - figuré -, , , , , , , , , , , , , , figurer , , -, , , , , , , , , ,
préfiguration -, préfigurer transfigurer , filiation , , Fils, fils , , , , , , -, -, , , -, -, -, -, , , -, , , -, , -, flux -, -, , , , , , , , , , , , -, , , , , , afflux , influx , , , -, foi , , , , -, , , , , , , , , , forme , -, -, -, , -, -, , , , , , , , -, , , , , , , , -, , , -, , , , -, -, , -, -, , , , , -, , , , , -, -, , , , , , -, -, , -, , , formel , , , , , , futur -, , , -, , , -, -, , -, -, futur contingent , ,
G gemme , génération , , , -, , -, , , , -, genre , -, -, , -, , , , , , , géométrie géométrique , , , glissement cf. métaphore glisser cf. métaphore gloire , , -, , -, , grâce , , -, , -, , , -, , , , , , -, , , -
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H harmonie , , herméneute , - herméneutique , , , , , , , , -, -, , , , , , -, , , , -, , -, , , , herodius -, , , -, -, , , hibou - hiérarchie , , -, , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , , -, , , , , Hiérothée , hirondelle histoire , historique , , -, , , , hypostase , hypostatique -, -
I idiomata - idole , , idolum -, , - ignorance , -, -, , , , ignorer , -, -, , , , , , , , , illumination , , , , , -, -, , , -, , , -, , , -, -, , , -, , -, , , , , , , , illuminatif , illusion , - image , -, , , , , , , , , , , , , , , -, , -, , -,
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-, , , -, , , -, -, , , , -, , -, , , , -, -, , -, , , -, -, -, -, , -, , -, , , , , -, , , , , , -, , -, - images (mettre en) , -, , , , , , , , images (mise en) -, , , , , , , , , , , -, , , , , , , , - imaginable cf. imagination imaginaire cf. imagination imaginatif cf. imagination imagination , , , -, -, , , -, -, -, -, , , -, , , -, , , -, , , , -, -, , , , -, , , -, , , -, , -, , -, -, -, -, -, , , -, , -, -, , -, , -, , , -, -, -, , , -, , , , -, -, , , , -, , -, , -, -, , imaginable , , , , , , , imaginaire , , , , , , , , , , , , , -, , , , , -, , , imaginatif , -, , , , , , imitation -, , -, , , , , , , , imiter , , , , , , , , , , immatériel cf. matière immédiateté cf. médiation immédiat cf. médiation
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immobile cf. mouvement in effectu (intellectus) cf. intellect in patria , , in via , , , , , -, -, , , , en chemin , , , , , , , , incarnation , -, , , , , , , , , , , incarné , -, , , , , , , , incarner (s’) incertitude cf. certitude incertain cf. certitude incrédule cf. crédulité induction , -, inductif -, , inférieur , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , -, , , infini , , , , , -, , influx cf. flux instruction , , instrument , -, , , , , , , - intellect(s) , , , -, , -, -, -, , , , -, , , , , , , , , , , , intellectus adeptus , - intellect agent ou intellect agent premier , -, , , -, , -, - intellect déiforme - intellect des bêtes - intellect des bienheureux après la mort intellect dianoétique , intellect divin -, , , , , , -, , , , intellect en acte , intellect en chemin , , , intellect humain , -, -, -, -, -, -, , , -,
-, -, -, -, , , -, -, -, -, , , -, -, -, , -, -, , -, -, -, , -, , -, , -, -, , , , -, , -, -, -, -, , -, , -, , -, -, -, -, -, -, -, -, -, , , , -, , , -, , , , , , , , -, -, , -, -, -, -, intellect matériel -, , , , , -, , , (cf. etiam matérielle [puissance]) intellect médian , , -, , , , , intellect obnubilé intellect pèlerin -, - intellect possible , , , intellect pratique intellect premier intellect réfléchi - intellect séparé ou en soi ou pur ou en tant qu’intellect ou angélique , -, , -, -, , -, , -, -, , -, , , , , -, , , , -, , , , , , , , -, , , -, -, , , , , -, -, -, -, -, -, , , , , , -, -, , , intellect simple , , , , - intellect spéculatif intellect universellement agent , , , , intellectif , , , , , , , , , -, , -, , , , , , , , , , , , , , , , -, , ,
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intellection , , , , , , -, -, -, -, , , -, -, , , -, , , , , , -, , , , , , , , , , , , -, , , , -, -, , -, -, , , intellectualiste (aristocratisme) - intellectualité intellectuel , , -, -, -, , -, , , , , , , , , , , , , -, , intellectus in effectu - intelligence figurale , -, -, , -, , , , , , , , -, -, , , , -, , , , -, , -, -, , -, -, -, , -, , -, , -, -, -, -, -, - intelligibilité , -, , , , -, , , intelligible , , -, -, -, -, -, -, , -, -, , -, , -, , , -, , , , , , , , -, , -, -, -, -, -, -, , , , -, , , , , , , , intériorité , , , , -, , , , intérieur , , , , , , , , -, , , , , , , , -, , , , , , , , -, -, -, interprétation , -, -, , , , , , , , , , , , , , , -, , -, , , , , , , , , , , -, , -, , -, , -, , , , , , -, ,
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-, -, -, -, , -, , , -, -, , , , -, , , -, , -, , , -, , , , , , , , , , , -, , , - interprétation des rêves , -, , -, -, , , , -, -, -, -, -, , , , , - invisibilité cf. visibilité invisible cf. visibilité Isaïe -, , , -, -, , , , iudex sui , iudex somnorum cf. juge des songes
J Jean-Baptiste -, -, -, , , -, , , -, , , , , Jean l’évangéliste -, -, , , , juge des songes , -, , , , , , , -, , , , -, -, -, iudex somnorum Jupiter cf. planète justice , , , -, , , , -, -, , , juste , , , -, , -, , -, -, , ,
L latent , -, -, , , -, -, , -, -, , , libérale (science) cf. science lion - littéral (sens) , , , , , liturgie -, logique (de manifestation du principe divin) , -, , , ,
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(propre aux images) , , , , -, , , , -, , (science aristotélicienne) , , , , , , , , , , , , , , , lumière -, -, -, -, -, -, -, -, , -, -, -, , , -, , -, -, , -, , -, , , , , -, , , , , , -, -, , -, , , , , , , , , -, -, , , , -, , -, , , , , -, , , -, -, -, , -, , , , , -, , -, -, , , -, -, , , - lucere , , , , -, lumen , , -, -, , , -, -, , -, -, , -, , -, , -, , -, -, -, , , -, -, , , , , -, -, , , , , , , -, -, -, -, -, -, -, luminaire , -, -, -, , , , , , , , , , lumineux , , , -, -, , , -, -, , , , -, , , , , -, , , , , , -, , , lux , , -, , , -, , , -, , , , , -, , , , -, , -, -, , , , , , lune , , , -, -, , -, -, -, , ,
M maître , , -, , , , manifestation , , , -, , , -, , -, , , -, -, , , , -, , , , -, , -, , , -, -, , , , -, , , , , , , -, , -, -, , , , -, , - manifeste en soi, très manifeste, le plus manifeste , -, , , -, -, , , -, , , , -, , , , , -, , -, , , -, , , -, , -, , -, , , -, , , -, -, , , , , -, , -, , , , manifeste (sens) , , manifester , , , -, , , , , , , , , , -, , , , , , , -, , , , , -, , -, , - manifester (se) , , , , , -, , , , , , , , , -, -, , , -, , , , , -, , -, -, , , , , manuduction , -, -, , , , , , , conduite par la main , , , , , , , , , , , , , , , -, , , -, -, , , , , , manuducteur , , , -, , , , -, -, , , , , , , -, -, , -, -, , , , -, , , , , , , -, -, -, , , , -, -, ,
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, -, , -, , , , , -, , , -, , -, , - manuductio , , -, , , , , -, , -, , -, -, -, , , , -, , , , , -, -, , , , , -, -, -, -, , , , , -, -, -, , -, , , , -, -, , , -, -, manuductor , -, , , , , - Mardochée Mars cf. planète matérialité cf. matière matériel cf. matière matérielle (puissance) -, , -, , , , mathématique , , -, , , , , -, -, -, -, , -, -, , , , , matière , , , -, , , -, -, -, -, , , -, , , -, -, , -, , , , -, , -, , , -, -, , , , , , , -, , , , , , , , , -, , , , matérialité , , -, , , matière du rêve matière du sacrement , , matériel , , , , , , , -, -, , -, , , -, , -, , , -, -, , , -, , , , -, -, , , , , , , , , - immatériel , , -, , , , , , -, , , ,
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, , , , -, , , , , matutinal médian cf. médiation médian (intellect) cf. intellect médiat cf. médiation médiateur cf. médiation médiation , -, , -, , , , , , -, -, , , -, -, , , -, , , , , -, -, -, , , , -, , -, -, -, -, -, , , , , -, , -, -, , , , , , -, , , , -, -, -, , , , -, - médian , , , , -, , , -, , , , , , , , , -, , , , , -, , , , , médiat (mode de connaissance) -, , , -, , , , -, , , , , , , , , -, , -, , -, , , , -, -, , , , , , -, -, , , médiateur , -, , , , , , -, - médiatisé , , , immédiat , , , , , , , , , , -, , , , , -, , , , , , , -, , , , , -, , , , -, , -, -, , , , , , , , , , , , , , , , , -, immédiateté , , , -, , , -, , , mélange , , -, , , , , , , , , -, -, mélangé , , , mélanger
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mêlé , , -, -, -, , , , , , -, -, , -, , -, , -, , , , -, -, , , -, , , , , , , , -, , -, -, mémoire -, , -, , , métalepse - métaleptique , , -, métaphore , , , , -, -, -, , , , déplacement , , , , , , -, -, , , , , -, -, -, glissement -, , -, , -, , , , glisser , , , , , métaphorique -, , -, , -, -, -, , -, , , -, , , , , , transfert , , , , , , , , , , , , , , , -, -, -, , , , , , , , , translatio (traduction) , -, , translatio (transfert) , , , -, , , métaphysique , , -, -, -, -, -, , -, , -, -, -, -, -, , , , -, -, -, , -, , -, -, , -, , -, -, -, -, , , , , , -, , , -, -, , , , , , -, , , , -, -, , , , , -, , -, -, , -, -, -, , , , , , , -, , , , -, -, , , , , -, -, ,
métaphysicien , métonymique milieu , , , , -, , , -, -, , -, , -, -, , , , , , , , , , -, -, , - minéralogie , , miracle , , , , , - miroir , , -, , , , -, -, , , , , speculum , , , -, , , mnémonique -, , , mnémotechnie mnémotechnique mobile cf. mouvement Moïse , , , -, , , - morale (la) , , , moral , -, mouvement , -, , , , , , -, , , -, , -, , , , , , , , , -, -, -, , , , -, -, -, , , , , , -, , , mobile , , , -, , immobile , , mythe - mythique
N Nabuchodonosor , - naissance , naître , nécessité (des médiations sensibles pour la connaissance du principe divin par l’intellect humain) , , , , , -, -, , , , , , -, , , , , -, , , , , , , , , , -, nécessaire (médiation sensible pour la connaissance du principe divin par l’intellect humain) , ,
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, , , , , -, , obscurcir , , , , , , , , , -, , , , , , -, -, , , , œil , , , -, , -, , , , -, , , , , -, , , , , -, -, , -, , , , , -, -, nécessaire (science aristotélicienne) -, , , , -, -, , , , , , , , , -, , , -, , , , , , , , , , -, , , , , , , , -, , , , , , , nicticorax cf. corbeau de nuit , , , -, , , nocticorax cf. corbeau de nuit Œuvre du Char noctua cf. chouette Œuvre du commencement noétique , , -, , , -, oiseau , -, -, -, , oiseau de nuit , , , -, -, , -, , , -, , -, -, -, -, -, -, -, , , ombre , , , -, -, , , -, , -, -, -, -, ombré , , , , -, -, , , obombrement , , , , -, , , obombrer , , , -, , , , , , ombrer , , , , , , , , ombreux , -, , -, , , , , , -, , - oneirologie , , ontologie , , , , , , , ontologique , -, , , , nuit , -, , , , , , , , , , , -, , , , -, , , -, , nycticorax cf. corbeau de nuit , , , νυκτερίδων -, , , opacité , opaque -, , , -, O -, , , , oblique -, , , -, , opinion -, , , -, , , , , , optique -, , , obnubilation P obnubilé , parabole -, -, -, , obombrement cf. ombre , , , , -, , obombrer cf. ombre , , obscurité , , , , , , parabolique , -, , , , , , , obscur -, -, , , -, , , -, , , -, particulier , , -, , , -, -, , , -, -, -, , -, , , , , -, , , , , , , , , , - , , , -, , , passé , , , passion , , , -, , , obscurci , , , , , -, -, , , obscurcissement , , -, , , -
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passif , , , -, , , , passivité , , , , , , -, patent , , -, -, -, -, Paul de Tarse , , , , -, péché , , , -, , , , , pécher , , pécheur , , pédagogie , , , -, , pédagogique , , -, , , , , , peinture , , dépeint , , , , pèlerin , - Père, père , -, , , , , , , , , , , , , , -, -, -, , , , Péripatéticiens , , , , , , , -, - phantasma , , -, , , , , , , , Pharaon - Philippe (disciple) philosophie , , , , -, , , , -, -, , , , , -, , -, , , , , - philosophe , -, , , , -, , , , -, , -, , , , , , -, , , , , , -, , -, Philosophe (le) , , , , , -, , -, , , , -, , , , , , , , , -, , philosopher -, philosophique -, , , -, , , , , , , , , , , , -, , , -, , , , , , , , , , -
physicien cf. physique physique , , , -, -, -, -, -, -, , , , , , , , -, -, -, -, , , , , , -, -, -, , , , , , -, , , physicien pie - pierre -, , , planète , , - Jupiter , , , Mars , , Saturne , Vénus , poésie , -, , -, , -, , , , , poète -, , poétique , , , -, , -, -, -, , -, -, -, poisson postérieur -, , , , , précontenir , - préfiguration cf. figure préfigurer cf. figure prémisse , , , , prémonition , , prémonitoire -, , présent , , -, -, , , privation -, -, -, , , , , , probabilité probable , , , , , , , , procession -, , , , , , , , , -, -, , , -, , procéder , -, , -, , , , , , -, , , , - Prologue de Jean , , , , , , , , , -, , , , , ,
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prophétie , -, -, , , , , -, , , , , prophète -, , , , proportion , , , , -, , , , , , -, , , -, , , -, , , -, -, -, , -, , , , , -, -, , proportionnalité , , , , -, , -, , , , , , , , , , -, , - proportionné , -, , -, , , , -, -, , -, , , , -, , , , , , , , , -, , -, -, , , , , , , -, , , , , , , , , , -, , , , , -, , -, , , - proportionnel , , , , , , , , , , , , , proportionner , , , disproportion , , , , , , , , , , , -, , , , , , -, , , , -, , -, - disproportionné , -, , , , -, , , , , , , , , -, , , -, -, , , -, , , -, , , , , -, prudence , , , , -, , , puissance (de la matière, du genre) , , , , -, , -, -, , , , , -, , , , , -,
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(faculté, virtus ou puissance divine) , , , -, , , -, , -, , , , , , , , -, , -, , , , , , , , , , pureté , , , , , , , , , pur , , , , , , , , , , , -, , -, , , , , , -, , , , -, , , , -, , -, , , , -, , , , -, -, , , , , , , , ,
Q quadripartition qualité -, , , , , , -, , , , , , quantité , -, , , , , , , , -, , quia est , -, , quid est -, , , , quiddité , -, , , , -, , , , , ,
R rapt -, , , , , rayon , , , , , , -, , , , , -, , , , , , , , , -, , , , radiositas -, - radius -, , -, , , , , , -, , , rayonnement , , , , rayonner -, , , -, réception , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , -, , -, , , , , , -, -,
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récepteur , , réceptif , , , , -, , , , , , , , - réceptivité , , , -, , Récit de la création - reduplication - redupliqué réflexion , (de l’intellect) , (des rayons) , , , , réfléchi cf. intellect réfléchir (se) , , , ressemblance cf. similitude résurrection -, - retour , , , , , , , , , -, rêve , -, -, , , -, -, -, -, , -, -, , -, rêveur -, -, , , , , -, -, , , - songe , -, -, -, , , -, , -, -, -, , -, révélation , , , , , , , , , -, , -, -, -, , -, , -, , , - réverbération , , , -, , , -, réverbéré , , -, réverbérer rhétorique , , , , -, , , , , ,
S sacrement , -, -, , , , , -, -, , , , , - sacramentaire cf. théologie sagesse -, , , , -, , , , -, , -, -, , , -, , , , ,
saphir Saturne cf. planète science , , -, -, , -, , -, -, -, -, -, -, , -, , -, , -, -, , , , , -, -, -, , , , -, -, , , , , , -, -, , -, , , , , -, -, -, -, , -, , -, -, -, , , -, , , -, , -, , , -, -, , , science divine , , -, , , , science intellective science libérale -, sciences théorétiques , , , sens (les) , , -, -, , , -, -, , , , , , , -, , , -, , , -, , , , , - sensibilité , , -, , , , sensible , , , , , -, , , , , -, , , -, -, -, , , , -, -, -, -, , -, -, -, , , -, , , , -, , -, -, -, -, , , , -, , , , , -, , , , , , , -, , , -, , , -, , , , , -, -, , , , , , -, , , sensible commun sensitif -, , , , , , , , sens charnel , , sens littéral cf. littéral sens manifeste cf. manifeste sens patent cf. patent
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séparation , , , , , , , , , , , -, , , , , séparé , , -, -, -, -, , , , -, -, , , -, -, -, , , , , , , , -, , , , , , -, , , , , , , , -, -, -, , , , , -, -, , , , , , , , , , , , -, , , -, séparer , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , signe , , , , , , , , -, , -, , , , -, , -, , -, , , , -, , -, -, , , , -, , , , -, , , , , , -, -, , , -, similitude , , , , -, -, , , -, , , , , , -, , , , -, , , , , -, , , -, , -, , , , , , , , , , , , ressemblance -, , , , , , , , , -, , -, , , -, , , , -, , -, , , -, -, , -, -, , , -, , -, -, -, , -, , , -, -, simplicité , , , , -, , , , simple , -, , , , , , , -, , , , -, -, -, , , -, , , -, -, -, -, , , , , -, ,
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, -, -, , -, , -, -, , simulacre , -, -, , -, simultanéité - simultané -, , , , , , , , , soleil , , , , -, -, -, -, , -, -, -, -, , , , -, , -, , , , , -, , -, , , -, -, , , , , -, , , , , , , -, , -, -, -, -, , , , , , , , , , songe cf. rêve souris -, spectre , , spéculation , -, -, , , , , spéculatif , , , -, , , , -, speculum cf. miroir spiritus visivus , substance , , , -, , , , -, , , , -, , , -, , -, , -, , , , , , , , substantiel , , , , , substrat -, , -, , -, , , , , , , -, , -, , , -, , supérieur , -, -, , , , , , , -, , , , , , , , -, , , -, , -, , -, , , , , syllogisme , , , , , , syllogistique , , , , , , , -, , , - symbole , , -, , -, , -, -, , , , , -, , , , , , , -, , -, , symbolice , , -, -
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symbolique , , -, , -, , -, -, , , , , , , -, symbolique (théologie) cf. théologie symbolisation symboliser symbolon , , symbolum -, , -, , , , , , -, , , , , , , , , ,
T technique , , , , témoignage -, -, , -, -, , , -, , , , , -, -, , -, , -, , -, -, , , -, -, -, , -, -, -, témoin -, -, -, , , , -, -, , -, , -, -, -, , , -, , , , , -, , , -, , , , -, -, testimonial , -, , , , , , -, , , , -, - temps , , , -, , , , , , , , -, -, -, , -, , , , , , , , -, , , -, , , , , -, , , , -, , -, , , -, , , , , , , , - temporel , -, , , , , -, , , , -, , -, , -, , -, -, -, , -, , , , -, , , , , , , , , , , , , , -, , , , ténèbre , , -, -, -, , , , -, , , , , -
, , , -, -, , , -, , , , , , , , , , , , , , -, , enténébré , , ténébreux , , théologie , -, , , , , , -, , -, -, , , -, -, , , , , , , , , théologie sacramentaire , , -, - theologia symbolica , théologie symbolique , , , -, , , théologique , , , , , -, , , -, , , , , , , -, , , , -, , , , , , -, , , , , -, , , , , théophanie , , , , , , théorème -, topique , , toucher , , , , , , , , , , , , , , , , , transcendantal transcendantaux , transfert cf. métaphore translatio cf. métaphore translation cf. métaphore transfigurer cf. figure translucide cf. transparence transparence , , , , , , -, , , , translucide , transparent , -, -, , -, , , , , transsomption - transsomptif , , transsumptio -, transsumptive , -, Trinité , , -, , -, trinitaire , , -, , , , ,
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tripartition , -, -, , -, , -, -, , -, , , -, , , tropologique
U Un (l’) , , , , , , , , , unité , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , unité cf. Un (l’) universel , -, -, , , -, , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , , univocité , -, univoque -, , ,
V vase de lumière , , , -, , , , -, -, , -, , -, -, , , -, , , -, , - Vénus cf. planète Verbe -, -, -, -, , , -, , , , , , , , , , , , -, -, , , , , -, vérité , , , , -, , , , , -, , -, -, -, , , , -, , -, -, , -, , , -, , , , , , , , , , -, , -, , , , , vrai , , , -, , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , -, vertu , , , -, , , , , , , , , , ,
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, -, -, , , , , -, -, -, , , , , - vertueux , - vespertilio cf. chauve-souris vespertinal -, vestige , , , , Vierge Marie -, -, , , vinculum , , visibilité , -, -, -, , , visible , -, -, -, , , -, , , -, , -, , , , , , , , - invisibilité , invisible -, , , , , , , -, -, , -, , -, , , , , -, , -, , , , - vision , , , -, -, , -, , , , , -, , -, , -, , , , -, , -, , , , , , -, , -, -, , , -, , , , , , -, , , , , , - vision corporelle , vision imaginaire vision intellectuelle , vision prophétique vision sensible vision spirituelle , - voile , , -, , , , , , , , , voilement , , voiler , , , , , , dévoiler , voix , , -
Y yeux cf. œil
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Table des matières Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX
Abréviations et sigles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XV
INTRODUCTION : QUESTIONS ET
MÉTHODE
. . . . . . . . . .
CHAPITRE I – LA POSSIBILITÉ DE CONNAÎTRE LE PREMIER PRINCIPE : LA FIGURE DE LA CHAUVE-SOURIS . . . . . . . . . . . . . . . .
Section I : L’architectonique de la connaissance humaine du divin : le corpus aristotélicien . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’ascension graduelle de l’intellect humain jusqu’au premier principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Le chiasme de l’intellection humaine du premier principe B. La tripartition des capacités visuelles et des états de la lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. La tripartition des intelligibles et des sciences correspondantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D. La tripartition des intellects . . . . . . . . . . . . . . E. La comparaison finale de l’intellect humain avec le corbeau de nuit, la chouette et l’aigle . . . . . . . . . . . Conclusion sur le texte-source de la figure de l’animal volant nocturne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Gradation des capacités visuelles et fonction corrrélative de la figure de la chauve-souris . . . . . . . . . . . . . . . . A. La chauve-souris, la chouette et le corbeau de nuit : synonymes ou espèces biologiques distinctes ? . . . . . B. La fonction corrélative de l’aigle et de la chauve-souris en tant que termes opposés . . . . . . . . . . . . . . III. Les degrés de visibilité et d’intelligibilité . . . . . . . . . A. Du corps dont émane la lumière au verre coloré . . .
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B. La possibilité de passer de l’intelligible physique à l’intelligible théologique . . . . . . . . . . . . . . . . C. La nécessité, pour l’intellect humain, de connaître par médiation et la possibilité d’ascension par l’étude . . . IV. L’ascension continue à travers la hiérarchie des sciences . . A. Hiérarchie épistémique et séparation d’avec le continu et le temporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. La confortation de l’intellect humain par la lumière des intelligibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. La conjonction de l’intellect humain avec le continu et le temporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. La hiérarchie des intellects . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. La difficulté rémanente de la connaissance du divin pour l’intellect humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Le défaut de l’intellect humain. . . . . . . . . . . . . B. L’impossibilité de voir l’essence de la cause première en elle-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Les différents modes de contemplation du divin. . . . D. Des arguments communs dans les textes du corpus non aristotélicien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion de la section I . . . . . . . . . . . . . . . . . Section II : L’animal volant nocturne dans les corpora textuels non aristotéliciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. « La chauve-souris ne voit rien dans la lumière du soleil » . II. Une connaissance propre à l’intellect humain en tant qu’il est humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Une connaissance médiate . . . . . . . . . . . . . . . . A. La lumière reçue dans un autre . . . . . . . . . . . . B. « Dans la vie présente, on ne peut avoir de connaissance de Dieu sans médiation » . . . . . . . . . . . . C. L’ombre, fonction de la médiation sensible . . . . . . IV. La nécessaire manuduction du sensible pour la chauve-souris. V. Un art des images pour « conduire » la chauve-souris « par la main » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI. Les exemples et les paraboles, poursuite noétique de l’incarnation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion du premier chapitre . . . . . . . . . . . . . . . .
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Appendice du chapitre I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les modes de l’intelligible et l’étude des sciences théorétiques correspondantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE II – LA MANUDUCTIO, UN MODE DE CONNAISSANCE MÉDIAT DU DIVIN ADAPTÉ À L’INTELLECT HUMAIN . . . . . . .
Section I : Problématique unifiant le réseau textuel, origine et circulation de la figure de la manuductio . . . . . . . . . . .
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I. L’origine dionysienne de la manuductio . . . . . . . . . . II. Le transfert de la figure de la manuductio dans le corpus aristotélicien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. De la physique à la métaphysique : l’élévation dans la hiérarchie des sciences assurée par la manuductio . . . B. Modalités de transfert de la figure de la manuductio hors de son corpus d’origine . . . . . . . . . . . . . . III. La « translation en retour » de la manuductio vers le corpus dionysien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Section II : La fonction pédagogique de la manuductio ou le commencement de la connaissance . . . . . . . . . .
I. « Qui doute et admire semble ignorer » : l’admiration, commencement de la philosophie et de la poésie . . . . . II. Admiration et médiation sensible, vecteurs de la sortie de l’ignorance : l’enseignement en paraboles . . . . . . . . . III. La manuductio, une didactique adaptée aux commençants
Section III : La conception de la médiation manuductrice dans les corpora non aristotéliciens . . . . . . . . . . . . . .
I. Vision oblique de l’animal volant nocturne et miroir dans un vase noir et obscur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. ‘En voyant, ils ne voient pas’ : le paradoxe isaïen au fondement de la médiation manuductrice . . . . . . . . . . . . A. La réverbération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. « Selon l’analogie de leur faculté » . . . . . . . . . . . C. Le mode parabolique de la vérité . . . . . . . . . . . D. Synthèse sur la médiation noétique, proportion du disproportionné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Section IV : Le statut de la médiation manuductrice : fin ou moyen ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’interdiction de s’installer dans les figures . . . . . . . . II. Le statut épistémologique des discours selon leur usage des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. L’usage des images selon les rapports de l’objet de la philosophie et de celui de la théologie à notre faculté de connaître . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Poésie et théologie : deux rapports différents aux images C. La fin de la manuductio : la vision de la vérité divine « nue » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section V : La manuductio, logique de manifestation du principe divin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. Manuductio et continuité du mouvement circulaire du retour de l’âme vers le principe . . . . . . . . . . . . . . II. La dynamique du latent et du manifeste comme logique de manifestation du principe . . . . . . . . . . . . . . . III. La dynamique de la présence et de l’absence propre à la médiation manuductrice . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section VI : Le Super Iohannem ou la médiation comme mode de connaissance in via . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’intention d’Albert le Grand dans son commentaire du Prologue de l’Évangile de Jean . . . . . . . . . . . . . . . II. Le témoignage, une connaissance dans le milieu de la médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. Cosmos de degrés : multitude de sens de ‘médiation’ . . .
Section VII : De la manuductio dans la voie de la métaphysique et dans celle de l’intelligence figurale : un bilan provisoire de l’enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. La conception de l’intellect humain, enjeu majeur de l’alternative entre les voies vers le principe que sont la métaphysique et l’intelligence figurale . . . . . . . . . . . . A. Le chiasme de l’intellection humaine du divin : point de départ des deux chemins vers le principe . . . . . .
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B. L’intellect en tant qu’intellect et l’intellect en tant qu’humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. L’imaginatio, acte dans lequel coïncident la manifestation du principe et sa connaissance par l’intellect humain . . . III. Métaphysique et théorie de l’acte de l’intelligence figurale et du signe : esquisse d’un chemin de questionnement pour l’enquête sur la connaissance médiate . . . . . . . . . . . Appendices du chapitre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Les occurrences des termes de la famille de manuductio dans les œuvres de Denys Pseudo-Aréopagite . . . Appendice : Les médiations sensibles manuductrices, une condition noétique inhérente à la nature humaine . . . . Appendice : La manuductio, didactique et communauté de savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Les manuductores et leur fonction pédagogique Appendice : « Toute nature possède-t-elle de la matière ? » De l’équivocité des termes ‘matière’ et ‘nature’ dits de l’intellect humain et des intelligences célestes . . . . . . . . . . . . . Appendice : L’interprétation du topos aristotélicien de la conjonction de l’intellect avec le continu et avec le temps selon Xénophane, Alexandre et Tertullien et le risque de la confusion du noûs et de la hylè . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE III – MÉTHAPHYSIQUE ET THÉORIE DE L’ACTE DE L’INTELLIGENCE FIGURALE ET DU SIGNE MANUDUCTEUR . . . . . .
Section I : L’intelligence figurale en acte et les propriétés métaphoriques des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. Imaginatio comme mise en image du principe divin . . . II. « Le plus habile juge des songes est qui peut inspecter les similitudes » . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Science des rêves ou art de l’interprétation ? . . . . . . B. Opérations de « glissement » à partir de ce qui est « déchiré en tous sens » et « distordu » dans les images Première hypothèse sur la nature divulsa et distorta des images des rêves : observations physiques. . . . . . . . . . . . . . . Deuxième hypothèse : art mnémonique et recomposition de la genèse d’une image dans la mémoire . . . . . . . . . . .
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Troisième hypothèse : transfert des causes passées des rêves à la signification future des songes. . . . . . . . . . . . . . . C. « L’examen des ressemblances » se dit en plusieurs sens La règle générale des similitudes métaphoriques et ses exceptions : sens figuré et sens propre des rêves . . . . . . . . . . L’interprétation des rêves comme transfert des images à leurs causes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’interprétation des images des songes comme signes . . . . . L’interprétation selon la relation accidentelle : un art disproportionné par rapport à l’intellect humain . . . . . . . . . . . D. Interprétation des images des rêves et des médiations manuductrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La dimension pratique de l’interprétation des images manuducrices comme art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’interprétation comme « examen des ressemblances » . . . . Sens littéral et référence : ce qui n’entre pas dans la métaphore prise au sens large . . . . . . . . . . . . . Une absence de définition de la métaphore en vue de la prolifération des interprétations . . . . . . . . . . III. Transsumptive sive symbolice. L’eau du baptême et la propriété métaleptique des signes manuducteurs . . . . . . . A. Transfert des médiations manuductrices dans le champ sacramentaire : comment une réalité corporelle peutelle ressembler à une réalité spirituelle ? . . . . . . . . B. « La similitude est la qualité identique des réalités différentes » : l’objection boétienne à la possibilité pour les réalités sensibles de ressembler aux spirituelles . . . . . C. La réponse albertienne : la similitude de proportionnalité D. Modalités métaphoriques en poésie et en théologie . . Les catégories du transfert poétique . . . . . . . . . . . . . Le transfert théologique selon la similitude de proportionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les opérations propres de l’intelligence figurale par rapport aux images poétiques et théologiques . . . . . . . . . . . . IV. En guise de conclusion : une esquisse de l’opération métaphorique propre à l’intelligence figurale . . . . . . . . . . A. Un art de l’interprétation qui imite l’acte par lequel le principe se manifeste . . . . . . . . . . . . . . . .
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B. L’examen des ressemblances selon la similitude de proportionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Éléments de réponse aux questions portant sur les théories du signe et de l’acte propres à l’intelligence figurale Du point de vue de la théorie de l’acte des opérations propres à l’intelligence figurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Théorie de l’acte dont relève l’intelligence figurale et théorie du signe : la manuductio propre aux images proportionnées de ce qui est disproportionné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Propriétés métaphoriques générales des images manuductrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Propriétés spéciales des images manuductrices . . . . . Interprétation, imaginatio et manifestation du principe par lui-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’interprétation des images manuductrices : une imitation de l’imaginatio qui les a produites . . . . . . . . Retour sur la question des causes supérieures à l’œuvre dans l’interprétation des images manuductrices selon les rencontres accidentelles . . . . . . . . . . . . . . . Section II : Statut métaphysique de la médiation manuductrice I. Interpréter les signes manuducteurs, est-ce faire l’ange ou la bête ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. « Ils ne comprennent rien de plus que les bêtes, ceux qui en restent à la connaissance du singulier » . . . . . Entre la connaissance de « ceux qui ne comprennent rien de plus que les bêtes » et la connaissance propre à l’intellect séparé . . Casus a prophetia et préfiguration ombrée de la lumière. De la différence de l’intellect médian et de l’intellect séparé dans leur rapport à l’interprétation des songes . . . . . . . . . . B. L’illumination effectuée par des intellects supérieurs dans l’âme du rêveur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Il y a, dans les songes, des révélations qui viennent des intelligences qu’on appelle anges » . . . . . . . . . . . . . . . . Une illumination angélique secundum modum recipientis : « pour cette intellection simple, l’imagination forme des images » C. L’interprétation par l’intelligence figurale : une remontée vers l’acte par lequel le principe se manifeste . . . . . .
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D. Les causes supra-mondaines des rêves et les limites de la prudence dans l’interprétation. . . . . . . . . . . . E. Enjeux métaphysique et noétique de l’illumination de l’intellect médian par les intellects séparés . . . . . . . II. La manuduction, une conversion vers la manifestation du principe ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Les images, un mode de manifestation spécifique du principe par lui-même . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Du double statut des médiations du côté du principe et de l’intellect humain . . . . . . . . . . . . . . . . C. Multiplicité de la manifestation du principe et de l’interprétation des images . . . . . . . . . . . . . . . D. Les intellects séparés, agents de diffraction du spectre lumineux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . E. La multiplicité des signes manuducteurs, fondement de l’anabase de l’interprétation vers l’acte par lequel le principe se manifeste . . . . . . . . . . . . . . . . La pratique herméneutique de l’intelligence figurale, un retour vers l’acte par lequel le principe se manifeste . . . . . Du cas particulier des songes prémonitoires comme manifestations du principe à tous les signes manuducteurs . . . . . . . Le rôle des intellects angéliques dans la manuductio et leur rôle dans les rêves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le statut métaphysique de la médiation manuductrice . . . III. Lux et lumen ou la distinction de la lumière en sa source et de la lumière manifestée . . . . . . . . . . . . . . . . A. Lux et lumen, deux aspects de la lumière distingués par Avicenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. La réélaboration albertienne de la distinction avicennienne en contexte johannique . . . . . . . . . . . . IV. Le témoin « comme un vase de lumière » . . . . . . . . . A. Le vase de lumière, figure d’un certain degré dans le rapport des corps et des cœurs à la lumière du principe B. Briller d’une lumière reçue en profondeur . . . . . . . Ne transmettre que ce qui est reçu . . . . . . . . . . . . . L’escarboucle, paradigme du mode de réception de la lumière propre au vase de lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recevoir la lumière en profondeur . . . . . . . . . . . . .
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C. Composé de lumière et de corps . . . . . . . . . . . . La densité du corps, condition et mesure de l’accueil de la lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Témoigner à partir du degré de réception d’un intellect conjoint aux sens et à l’imagination . . . . . . . . . . . . . Densité et transparence de la « substance du corps », conditions de la réceptivité et de la capacité de transmettre du témoin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La matière du composé, détermination du degré de réceptivité du principe par le témoin . . . . . . . . . D. « Une lumière semblable à la première source de lumière » Identité et différence du témoin par rapport au principe, condition de la manifestation du principe . . . . . . . . . . De l’invisibilité de lux sans lumen : le témoin, condition pour la réception de la manifestation du principe Identité de la lumière transmise aux divers degrés de l’émanation, pourtant distincts du principe : le témoignage, pierre de touche de la métaphysique du flux . . Une illumination immédiate et, néanmoins, seconde . . . . Témoigner du principe lui-même et en témoigner en tant qu’il est précisément principe . . . . . . . . . . . Immédiateté de l’Un et degrés qui le préservent de sa confusion avec ce qu’il produit : le témoin, pilier de la métaphysique du flux . . . . . . . . . . . . . . . . . Le composé, facteur de différence dans l’identité du flux à partir du premier . . . . . . . . . . . . . . . . E. Témoin n’est pas fils . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recevoir selon l’être n’est pas être engendré dans l’identité d’être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le vase de lumière, instrument de la lumière . . . . . . . . En guise de conclusion : enjeux métaphysique et herméneutique de la figure du vase de lumière pour le témoin . . . . Appendices du chapitre III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appendice : Une occurrence de manuductio dans le deuxième chapitre du De ecclesiastica hierarchia . . . . . . . . . . . Appendice : La fonction manuductrice du sacrement et l’originalité de l’interprétation albertienne par rapport à ses sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Appendice : La source de la définition lombardienne du sacrement et sa forme originelle . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE IV – LE TÉMOIN ET LE FILS. LECTURE D’ALBERT LE GRAND À LA LUMIÈRE DE LA SUBVERSION ECKHARTIENNE DU TÉMOIGNAGE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. L’enjeu herméneutique de la division du texte : témoignage ou filiation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Deux manières de diviser le texte de l’Évangile de Jean B. La finalité de l’Évangile de Jean : témoignage ou engendrement en tant que fils de Dieu ? . . . . . . . . . . . C. La connaissance médiate, celle qu’un aveugle a des couleurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D. Le fils, condition de possibilité du témoignage : une question de sens de l’être ? . . . . . . . . . . . . . . . II. Du témoin au fils, passage métaphysique du devenir à l’être en tant qu’être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Le paradigme du juste et de la justice, opérateur du passage logique, ontologique et causal du témoin au fils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. La génération, terme du processus de l’altération ? . . La première thèse : l’altération des accidents prépare la génération de la forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La deuxième thèse : la génération est radicalement hétérogène à l’altération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La troisième thèse : l’altération trouve son accomplissement dans la génération de la forme . . . . . . . . . . . . . . . III. L’enjeu épistémologique : l’engendrement trinitaire comme structure de tout acte, une source unique de vérité ? . . . . A. De la vérité historique de l’Écriture à « la vérité des réalités naturelles et de leurs propriétés » . . . . . . . B. L’objet de l’évangile et celui de la philosophie première : une source de rationalité commune à Aristote, à Moïse et au Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. L’intention de Maître Eckhart dans l’explication des Écritures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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IV. L’articulation herméneutique du sens patent et du sens latent comme point de passage de la médiation à l’immédiateté . A. Le témoignage selon la Loi ou selon le sens patent . . B. « Nul ne témoigne pour le témoin » : de la pluralité des témoins au témoin unique . . . . . . . . . . . . . . . Reconduction du témoignage rendu à un autre au témoignage sur le principe de son propre être . . . . . . . . . . . . . . Le témoin comme iudex sui : le caractère auto-référentiel de la vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Extension des propriétés trinitaires du témoignage du Fils aux témoins humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Typologie du renversement du témoignage au sens patent par le sens latent . . . . . . . . . . . . . . . . D. L’articulation du sens patent et du sens latent « sous l’écorce de la lettre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . La règle de lecture eckhartienne . . . . . . . . . . . . . . Le modèle de l’union hypostatique pour l’articulation du sens patent et du sens latent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une clef de lecture comme opérateur du passage d’un sens à l’autre du témoignage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Connaissance médiate et connaissance immédiate : un rapport de sens patent à sens latent ? . . . . . . . . . . . . . . . . V. La conception albertienne du témoignage est-elle subvertie par celle d’Eckhart ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Le critère de la certitude . . . . . . . . . . . . . . . . B. L’articulation de l’être et du devenir et les conditions anthropologiques de la connaissance intellective . . . . C. Le paradigme du juste et de la justice et imaginatioimitatio. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D. Le rapport au particulier : détachement ou enracinement E. L’immédiateté du fils dans le témoin et la médiation des intelligences séparées . . . . . . . . . . . . . . . . F. Témoigner du principe de son être ou du principe dans ses manifestations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . G. La place du témoin dans la communauté de ses destinataires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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GUISE DE CONCLUSION :
INTELLIGENCE FIGURALE
CONNAISSANCE TESTIMONIALE ET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I. À propos des questions initialement posées par une première lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Métaphysique et théorie de la manifestation . . . . . . . III. Anthropologie et théorie de l’intellect . . . . . . . . . . IV. Noétique : la connaissance testimoniale, une alternative à la métaphysique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Métaphysique et intelligence figurale, deux voies vers le principe à partir du même chiasme de l’intellection humaine du divin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Deux sens de la manuductio, deux conceptions de la médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La manuductio dans le corpus aristotélicien. . . . . . . . . De proportion en proportion, passage vers le disproportionné : la manuductio dans les corpora non aristotéliciens . . . . . Moyen sensible et imaginaire vers la connaissance purement intelligible : la médiation dans le corpus aristotélicien . . . Milieu de la connaissance testimoniale : la médiation dans les corpora non aristotéliciens . . . . . . . . . . . . . . . . . C. La voie de l’intelligence figurale vers le principe est-elle une connaissance proprement dite ? . . . . . . . . . . Vue et toucher engagés dans la figure de la lumière proportionnée qui « conduit par la main ». . . . . . . . . . . . . Le statut de la connaissance du particulier . . . . . . . . . Dimension pratique et théorique de la connaissance testimoniale comme art de l’interprétation . . . . . . . . . . . . . V. Une théorie du signe et de l’acte propre à l’intelligence figurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. La dimension pratique de l’interpretatio-imaginatio . . B. Une image proportionnée du disproportionné . . . . C. Une interprétation à partir de la catégorie de la relation : les similitudes de proportionnalité . . . . . . . VI. Une philosophie de la médiation . . . . . . . . . . . . A. L’intention albertienne dans le commentaire du Prologue de Jean : les médiations noétiques . . . . . . . .
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B. Les médiations peuvent-elles échapper au rapport de moyen à fin ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Fondement métaphysique des médiations dans le système émanatiste albertien . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII. Les figures du témoin . . . . . . . . . . . . . . . . . . VIII. Méthode de lecture figurale . . . . . . . . . . . . . . . A. Fondement de la lecture figurale . . . . . . . . . . . . B. Caractérisation de la figure et de l’intelligence figurale qu’elle appelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. L’intelligence figurale albertienne : fonction paradigmatique et spécificité . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Auteurs anciens et médiévaux . . . . . . . . . . . . . . II. Auteurs modernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index des textes cités d’Albert le Grand et de Maître Eckhart I. Albertus Magnus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Meister Eckhart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index des citations bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Vetus Testamentum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Novum Testamentum . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Index thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .