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MÉMOIRE DE GASSENDI
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Les styles du savoir Défense et illustration de la pensée à l’âge classique Une collection dirigée par Pierre Caye et Sylvie Taussig Le dix-septième siècle souffre de sa majesté : tout en lui semble grand, en particulier le savoir et la pensée dominés par les imposants systèmes philosophiques et théologiques. Pourtant, ce siècle n’est pas moins riche que le précédent en minores inventifs, en expériences de pensée ponctuelles mais fécondes, qui structurent, en tous domaines, le savoir et la paideia des hommes de façon aussi solide et durable que les grandes constructions théoriques auxquelles nous sommes habituellement renvoyés. Les Styles du savoir visent à corriger cet effet de mirement qui affecte la compréhension de ce siècle, en insistant sur un certain nombre des notions et de textes oubliés, négligés, méconnus qui s’avèrent pourtant fondamentaux pour la constitution des savoirs et des institutions à l’âge classique. En republiant des textes aujourd’hui inaccessibles et en proposant aux lecteurs des essais peu soucieux des frontières tracées par les interprétations dominantes, cette collection se propose ainsi de dessiner les contours d’un « autre » dix-septième siècle.
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MÉMOIRE DE GASSENDI Vies et célébrations écrites avant 1700
éditées, avec introductions et commentaires, par
Sylvie Taussig & Anthony Turner traductions du latin par
Sylvie Taussig
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© 2008, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2008/0095/184 978-2-503-52385-9 Printed in the E.U. on acid-free paper
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Table des matières
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Préface.
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1 Édition critique de la lettre d’Antoine de la Poterie, « La Vie, actions & les mœurs… de Messire Pierre Gassendi… » Introduction. Texte autographe d’Antoine de la Poterie. Texte de Pierre Gassendi, neveu.
43 45 71 100
2 Nicolas Taxil, Oraison funèbre pour Messire Pierre Gassendi… prononcée le 14 novembre 1655. Introduction. Texte.
125
3
177 179 179 212 231 231
Célébrations de Gassendi I – Un écrit congratulatoire : Soteria pro Petro Gassendo… 1654. Introduction : les Soteria. II – Les écrits « in memoriam ». Pièces anonymes. « Sonnet sur la mort de Monsieur Gassendy », BM Grenoble ms 4139 f.37. « Sans titre », BM Grenoble ms 4139 f. 38. de Gravissimo Petri Gassendo Morbo ode. « In obitum & », BM Grenoble ms 4139 f. 40. « Petro Gassendo Doctoro Celeberrimi Epicedium », BM Grenoble ms 4139 f. 44.
127 134
232 234 236
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table des matières
Pièces signées. Antoine Agarrat, « Petri Gassendi Tumulus », BM Grenoble ms 4139 f. 36.
242
Joseph Brun, « Epitaphium D. D. Petri Gassendy digniensis præpositi 246 nec non Astrologorum sagicissimi », BM Grenoble ms 4139 no 41. Charles Dupérier, In morbvm Petri Gassendi…carmen, 1655
248
Alexander Dupont, « In obitum Doctissimi Petri Gassendy Gymnosophistæ ». BM Grenoble ms 4139 no 43.
250
David Lautaret, « In obitum D.D. Petri Gassendy, Eclesia Dignensis 252 Præpositi & Omniskii », BM Grenoble ms 4139 f. 39. J. Loret, La Muze historique, 30 octobre 1655.
256
J. Paulus, « In obitum d.d. Petri Gassendi diniensis Ecclesiæ Præpositi 259 dignissimi Eruditissimique ». BM Grenoble ms 4139 no 45 J. A. Portner, Lessvs mortvalis illustri viro Petro Gassendo… Cantatvs, 1656.
262
C[laude] Q[uillet], In obitu Petri Gassendi Lugubre encomivm, 1655 286 Andreas Rochabrun « Epitaphium d.d. Petri Gassendi Eruditissimi 296 phi. et mathematici », BM Grenoble ms 4139 no 42. Samuel Sorbière, Lettre à Jean Bertet du 13 novembre 1655 envoyant 298 l’Epitaphium dicatum Præstantissimo Petro Gassendo, du 24 octobre 1655 de Abraham Du Prat, Thomas Martel, Samuel Sorbière & François Bernier. Charles Spon, [Épitaphe de Gassendi].
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J. H. Ursin, Nobilissimo Viro Dn. Iohanni Albertoi Portnero Salut. & Amorem.
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table des matières
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Adrien Valois, « De obitu & laudibus Petri Gassendi Diniensis Ecclesiæ Præpositi ».
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Henri Valois, « Elegia in obitum P. Gassendi ».
324
Balthasar de Vias, Petro Gassendi…Epicedium, 1656.
330
4 Gassendi par Michel de Marolles, 1656. Introduction.
359 361
5
Gassendi par Samuel Sorbière, 1658. Introduction. i – Vers pour un portrait de Gassendi, 1656. ii – La vie de Gassendi : préface aux Opera omnia, 1658.
367 369 372 374
6 François Bernier, « Vie de Gassendi » tirée des préliminaires de son Abrégé de la philosophie de Gassendi, 1684. Introduction.
503
7 Charles Perrault, « Gassendi » dans Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle auec leurs portraits au naturel, 2 volumes, Paris 1696-1700. Introduction.
519
8
529 531 537 581
Appendices. I – Un poème de Gassendi sur la mort de Wilhelm Schickard. II – Biographies des personnages mentionnés. III – Dédicace par Antoine de la Poterie pour un ouvrage de Gassendi sur la Dialectique.
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9 Bibliographie.
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10 Illustrations.
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Illustrations 1 Une page manuscrite de la main de Gassendi, extraite de ses travaux sur Épicure.
Bibliothèque Municipale de Tours ms 706
2
Portrait de Gassendi par Jean Frosne entre 1653 & 1655. Signé « Frosne fecit » Burin, 204mm x 132mm. « Cinq planches de cuivre, deux representant deffunct Monsieur le Duc d’Angoulesme [= Louis Emmanuel, Comte d’Alais], deux autres representant ledict deffunct Sr Gassendi et l’autre le sieur prieur de la Vallette [= Joseph Gaultier] », figuraient dans l’inventaire après décès de Gassendi (Bailhache & Fleury 47). En l’absence de tout autre portrait de Gaultier, Fleury & Bailhache (29) proposent d’identifier ces cinq planches comme celles des gravures faites par Frosne de Gaultier, Gassendi et Louis Emmanuel. En effet la collection de la Bibliothèque nationale comporte deux états du portrait de Gassendi par Frosne – celui reproduit ici sans autre inscription que celle qui se trouve sur le cartel (Turner & Gomez 177, D1), et le deuxième (Turner & Gomez 236/D2) qui porte en plus les dates de naissance et décès de Gassendi. Frosne était Parisien ; il semble raisonnable de conclure de l’absence d’autres noms d’artisan sur ses gravures qu’il faisait luimême les dessins préparatoires. On peut donc supposer qu’il a fait ce portrait après le retour de Gassendi à Paris en 1653.
3 Projet pour le tombeau de Gassendi, Dessin à la plume.
Bibliothèque municipale de Grenoble ms 4139.
4 Le tombeau de Gassendi à l’église St Nicolas des Champs, gravure des Opera omnia. 5 « Epitaphium […] Gassendi » par Andreas Rochabrun.
Bibliothèque municipale de Grenoble ms 4139 n° 42.
6 Le Ciel funèbre de Gassendi. Disposition du ciel au matin du 24 octobre 1655 suivant la description de Balthazar de Diaz dans son Epicedium. Carte dressé par Denis Savoie, Palais de la Découverte, Paris. 7 Portrait de Gassendi gravé par Cornelis Visser, avec les vers de Sorbière, préparé pour la troisième édition de l’Institutio astronomica… publiée par Adriaan Vlacq à La Haye en 1656.
Turner & Gomez 177-8, D3.
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illustrations
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Le portrait officiel par Nanteuil pour les Opera signé « Nanteuil faciebat 1658 ». Taille douce, burin et pointille, 200mm x 294mm. Ce portrait fut commandé par Habert de Montmor pour illustrer les Opera omnia. Le contrat conclu entre Montmor et Laurent Anisson spécifie que « l’édition comprendra […] un portrait gravé de lui par Nanteuil » ( Jurgens & Fleury 191). En novembre 1657, Patin note que Nanteuil est au travail (Petitjean & Wickert 198). Commandé à un des graveurs-portraitistes les plus réputés de son époque, ce portrait, réalisé presque certainement, d’après un dessin original de Nanteuil (Petitjean & Wickert 198), est en quelque sorte le portrait « officiel » de Gassendi, c’est-à-dire l’image de Gassendi que ses amis ont voulu diffuser. Il ont réussi : c’est de cette gravure que dérivent la plus grosse partie des portraits édités par la suite. Ce portrait existe en cinq états distingués par Petitjean & Wickert. Celui que nous reproduisons ici est le cinquième état.
8
Turner & Gomez p. 180, 245/ G.1
9 Copie du portrait de Nanteuil gravée par Lubin pour Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle avec leurs portraits au naturel de Charles Perrault 2 vols, Paris 1696 - 1700).
Turner & Gomez p. 180,246/G2.
10 Une version tardive du portrait gravé de Frosne (fin XVIIe siècle). Burin sur cuivre, 205mm x 130mm, impression de la plaque 208mm x 133mm. Signé « AParis Chez F. Iollain laisné rue S. Iacques à la Ville de Cologne » Ce portrait, récemment retrouvé1, est l’œuvre de François Jolin ou Jollain (1641-1704), fils aîné de Gérard Jollain (mort en 1683). L’image qui dérive du portrait de Gassendi fait par Jean Frosne entre 1653 et 1655 est à mettre en relation avec le portrait gravé par Jacques Jollain (Turner & Gomez 239/D5). La courte biographie de Gassendi, malgré ses erreurs, n’est pas sans intérêt. « Pierre Cassandi2 [sic] Chanoine de Dijon[sic] et ensuitte Professeur Royal de Mathematique a Paris mit touts [sic] ses soins et son erudition pour rendre cette Philosophie utille a la Religion, qui luy esté autre fois si contraire et corrigeât plusieurs peruers sentiments de Democrite et d’Epicure3 il mourut a Paris l’an 1655 agé de 64 ans et y fut enterré dans l’Eglise de S. Nicolas des Champs ».
Photo : Roger Gaskell, Warboys (GB).
1
Roger Gaskell, [Catalogue of] Scientific and Medical Portraits, Warboys 2007, no 52. Cf. l’erreur semblable fait sur le nom de Gassendi par Vincent de Paul. Voir la citation p. 130, note 8. 3 Ce texte, remarquable par son imprécision, prend la défense de Gassendi contre ceux qui l’ont attaqué pour sa fréquentation des atomistes anciens. 2
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« Les Ouvrages de Gassendi… ne craignent point l’atteinte des Temps, & qu’ils ne sçauroient périr que dans les ruines générales du Monde : Predisons hardiment, autant que la raison nous peut faire pénétrer dans l’Avenir, que dans mille ans d’icy ils se feront lire auec admiration, & que nos Neveux rechercheront alors aussi curieusement le temps de la naissance de Gassendi, que nous recherchons presentement celuy des plus illustres de l’Antiquité ». François Bernier, Abrégé de la Philosophie de Gassendi en vii tomes, 2e édition 1684, Préface, Sig. e6r-v.
« Il étoit bien juste en effet que cet illustre mort qui s’étoit attaché à perpétuer la mémoire des autres, trouvât lui-même un Historien, qui détaillant ses actions, exposât au grand jour & sa vertu & son profond scavoir ». Jacques Philipe de La Varde, Lettre critique et historique à l’auteur de la Vie de Pierre Gassendi, 1737, 2.
« Dieu me préserve d’employer trois cents pages à l’histoire de Gassendi ! » Voltaire à l’Abbé Dubos 30 octobre 1738.
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Préface La philosophie et son écriture ont souvent l’ambition de mener une existence autonome et d’effacer sinon l’histoire en général, du moins celle de leurs auteurs, jugée anecdotique par rapport à la Vérité. Pour autant les philosophes ont une vie. Cette opposition apparente, qui renvoie au jeu trouble de la contingence et de la nécessité, conduit les textes, puis leurs interprètes soit à affirmer que la vie de l’auteur ne compte pas et que seule compte son œuvre, de telle sorte qu’ils dissocient les deux, soit à faire de la philosophie une manière de vivre et à réduire l’une à l’autre. Le présent recueil a pour ambition de contribuer à sortir du duel infécond où s’affrontent intérieur et extérieur, auteur et texte ; il s’agit d’étudier les textes à portée biographique dans la pensée que la postérité hérite de l’image d’un personnage historique qui ne repose pas seulement sur son œuvre, mais également sur la manière dont sa biographie est transmise. Le choix d’écrire la vie de tel ou tel auteur constitue déjà un indice de ce qu’aux yeux de ses contemporains, au-delà des sentiments d’amitié, il passait pour avoir élaboré une pensée qui, par sa valeur et son importance, méritait d’être transmise à la postérité. Dans le siècle de Gassendi, dont la culture est marquée d’un double héritage, antique et chrétien, et donc, du point de vue des récits de vie, de la lecture de Plutarque et des différentes vies de saints1, toute écriture biographique est fondée sur une conception téléologique telle que l’évolution d’un philosophe est marquée du sceau de la nécessité : son enfance, par exemple, dont témoignent ou non quelques parents, doit naturellement contenir déjà les germes de l’œuvre à venir. Ainsi une vie devient-elle la concrétisation d’une 1 D’autres formes contemporaines s’inspirent de ces deux modèles : oraisons funèbres au sens strict du terme, sermons, élégies et épitaphes. En revanche il est difficile d’imaginer que les proches de Gassendi soient influencés par les panégyriques de rois, qui constituent aussi une forme d’écriture biographique mixte, à la fois païenne et chrétienne.
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préface
pensée. Le récit d’une vie est de la sorte censé conduire à la découverte d’une œuvre, et Gassendi théorise lui-même le fait que le plaisir du récit est une bonne propédeutique avant l’apprentissage de pensées plus abstraites2. L’histoire séduit, l’histoire instruit, et l’existence d’un homme doit être l’incarnation de sa pensée ; inversement, c’est sa pensée qui a dû lui permettre de se diriger dans les espaces de cette vie : il y a une intrication profonde de la vie active et de la vie contemplative, pour reprendre l’opposition définie par toute la tradition. Les biographes ont alors pour tâche de transformer en une figure historique marquante un individu dont la vie est, dans le cas de Gassendi, fort peu héroïque et d’une grande simplicité. Si au XVIIe siècle cette correspondance entre la vie et l’œuvre semble faire peu de doute, le travail biographique s’impose toujours davantage : s’agissant des philosophes, le fait de laisser une vie dans l’obscurité peut faire naître le soupçon que leur vie n’a pas correspondu à leur pensée, qu’il y a désaccord entre la pensée et la pratique, et que du coup leur doctrine n’est pas recommandable. Épicure est, au moins aux yeux de Gassendi, victime de cette logique, et c’est pour remédier à cette injustice qu’il s’est employé à réhabiliter le fondateur du Jardin du point de vue de sa vertu : sa mauvaise réputation interdisait l’accès à sa pensée, condamnée dès lors que l’homme était suspect de vices3. De Gassendi dont la vie, pourtant simple, a suscité, dans son temps, des critiques acérées, en tant que « libertin »4, il était donc d’autant plus nécessaire à ses disciples et amis de présenter une vie modérée en toutes choses et bonne à imiter.
Sur l’éducation des enfants, voir dans les Lettres latines la lettre à Reneri du 8 février 1630 n° 22. 3 Voir la lettre à Valois du 11 octobre 1641 n° 158 où Gassendi affirme qu’il faut commencer par laver Épicure de tous les reproches d’immoralité qu’on lui impute d’ordinaire ; à moins de cela, l’homme de bien ne saurait justement s’intéresser à sa doctrine : « Il semble que ce soit seulement une fois que l’extrême honorabilité de ses mœurs sera établie que ses maximes pourront devoir être moins désapprouvées ». 4 Principalement de Morin qui l’accuse d’avoir « mis en lumière dans sa Philosophie d’Épicure », « les fausses doctrines », « des hérésies touchant l’Éternité de Dieu et des faux dogmes contre le Concile de Trente » qu’avec Bernier « ne s’estudient qu’a seduire les Esprits Libertins par leur fausses doctrines & donner », et d’être « un dangereux hypocrite à contrefaire l’agneau et l’homme de bien ». « Dénonciation de Jean Baptiste Morin contre Bernier et Gassendi » dans Murr II, 215-20. Ce soupçon, réaffirmé dans la Grammaire de Port-Royal et ensuite par Antoine Arnauld (voir Spink 16-17), dure presque jusqu’à aujourd’hui. Pour son expression au XXe siècle, voir Osler. 2
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préface
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La notion de modèle doit être présente à l’esprit du lecteur de ces textes que nous avons rassemblés ici pour la mémoire de Gassendi. À son époque, l’histoire d’un philosophe est l’histoire de sa pensée, et la formation du système de pensée ne recouvre pas son existence. Pour n’avoir pas été un héros ou un grand homme marquant son temps par ce qui fait ordinairement la gloire d’un homme – honneurs et pouvoir –, Gassendi doit devenir le héros de sa propre histoire. Les différents textes qui constituent ce volume vont tous dans le sens de cette unité, de cette tension téléologique, de cette révélation en l’homme mûr des promesses de l’enfant, et ils ne s’attachent pas à restituer l’exhaustivité des détails spéciaux et des subtilités anecdotiques. Notre intention, en publiant ces textes, est de mettre à la disposition du public les documents de l’époque essentiels à la constitution d’une biographie « moderne » de Gassendi, qui manque toujours, tout en soulignant que ces sources sont lacunaires5. Et le lecteur moderne peut s’étonner de tel ou tel manque, alors même que les auteurs avaient sous la main tous les témoignages possibles, et avant lui, nous avons ressenti une certaine frustration à voir des particularités nous échapper encore. Il n’y a rien de l’enquêteur chez nos biographes, et, finalement, aucune historiette, aucune anecdote qui soit susceptible de faire tomber le lecteur dans la distraction et la curiosité. Cette absence, toute surprenante qu’elle nous paraît, était peut-être inévitable dans la mesure où Gassendi fut érigé en monument de son vivant même. Il n’en faut pour preuve que la digression qu’introduit Guillaume Colletet dans son Histoire des poètes français, alors qu’il est en train d’évoquer Jacques Pelletier du Mans : « Mais dans les sciences éternelles [c’est-à-dire mathématiques] nous possédons auiourd’huy deux hommes qui scavent exactement tout ce qu’ont sceu Eudoxe & Hipparchus. […] J’entens parler du R. Pere Marin Mersenne, & Pierre Gassendi, esprits qui malgré l’ignorance du siècle nous representent en quelques sortes ces deux fameuses & durable colonnes animées6, qui malgré les eaux du deluge vniuersel conservent au monde tous les 5
Parmi les aspects de la vie de Gassendi qui manquent dans nos textes : les détails de son œuvre astronomique, sa vie d’administrateur ecclésiastique, son travail de seigneur féodal de Notre-Dame du Bourg à Digne, son engagement dans la vie pratique, quotidienne, ainsi que sa sociabilité intellectuelle à Paris, Digne et ailleurs. 6 Les deux colonnes sur lesquels, d’après Flavius Josèphe (Antiquités des juifs I, 68-71), les héritiers de Seth gravaient leurs connaissances astronomiques pour les préserver du déluge universel. On lit ce lieu commun également chez Gassendi (Lettres latines, à Valois, 13 février 1642, n° 183) : « Le premier homme est célébré comme le premier sage, c’est-à-dire philo-
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arts & toutes les sciences, où ils excellent comme à l’enuy l’vn à l’autre. De sorte que ie puis dire d’eux auec verité, que par leur haute suffrance ils n’ont pas moins merité des Français que le vieux Berose de Chaldée merite des Atheniens qui prirent le soin de luy eriger dans leurs Escoles publiques vne statuë d’un metail precieux, & dont la langue mesme estoit d’or ». L’ouvrage de Colletet n’a pas été publié, et nous empruntons ce passage à Hilarion de Coste qui le cite, sans doute d’après le manuscrit, dans son éloge de Mersenne7. Hilarion de Coste dont le projet est précisément d’ériger un monument pour son maître défunt s’appuie ainsi sur la réputation dont Gassendi jouit déjà pour mettre en valeur celle de Mersenne. Il contribue par-là, intentionnellement ou non, à figer Gassendi en une figure exemplaire. Ces Vies ressemblent ainsi d’une certaine manière à la Vie d’Épicure, telle que rapportée par Diogène Laërce, qui tranche étrangement par rapport à celles de la plupart des philosophes, racontées dans les neuf livres précédents. De fait, si l’auteur des Vies et doctrines des philosophes illustres, est bien le père d’une certaine écriture des Vies, truffée de propos rapportés et d’anecdotes significatives, voire hautes en couleur, mais de peu de densité intellectuelle et pauvre en doctrine, il semble renoncer au genre qu’il invente s’agissant du fondateur du Jardin : le Xe livre reste jusqu’à aujourd’hui une de nos principales sources sur l’épicurisme. On ne saurait en dire de même des Vies de Gassendi, qui ne s’emploient pas à transmettre une philosophie qui aurait pu s’appeler le gassendisme assurément, mais elles sont néanmoins de la plus grande sobriété du point de vue de l’anecdote. La vie de Gassendi, transparente et simple comme il semble qu’elle l’a été, est bien une épure de la vie philosophique. Pour autant cet ensemble de textes est précieux : malgré leur très évident parti pris d’ignorer les aspects les plus privés de l’homme et de ne pas fouiller dans les éventuels secrets de son quotidien8, les différents biographes enrisophe, et on en trouve la preuve en ce qu’il a imposé un nom aux choses et qu’il a laissé des monuments de sagesse qui, sculptés dans deux colonnes, sont cités chez Josèphe ». 7 Hilarion de Coste, La Vie dv R.P. Marin Mersenne theologien, philosophe et mathematicien de l’ordre des peres Minimes… Paris 1649, 42-3. Resté à l’état manuscrit, la Vie des poètes de Colletet fut détruite lors de l’incendie qui ravagea la bibliothèque du Louvre le 24 mai 1871. 8 Parti pris de toute évidence, car ses contemporains avaient facilement accès à des témoins de sa vie et pouvaient en outre raconter des quantités de souvenirs personnels. C’est du reste ce que Gassendi fait lui-même quand il raconte la vie de Peiresc.
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chissent notoirement notre connaissance de la vie de Gassendi, parce qu’ils sont de première main (parfois de seconde). Ils contribuent aussi à éclairer l’émergence de l’idée classique de la biographie. De la biographie idéale de Gassendi, telle qu’elle devrait être écrite, nous pensons aujourd’hui qu’elle doit être un exposé informé des différents événements de la vie privée et publique du personnage et comporter une analyse des rapports entre la vie de l’auteur et son œuvre. Évitant la dimension panégyrique ou apologétique, elle doit reconstituer l’histoire d’un moment spécifique de la culture et faire le lien entre une pensée et une époque, entre une production intellectuelle et une façon de vivre. Or les chercheurs contemporains n’ont pas eu accès à tous ces textes – nous éditons certains inédits – et auront voulu se concentrer sur l’œuvre même et la doctrine, sans pressentir ce que ces documents pouvaient apporter à la connaissance du philosophe. Car l’histoire de sa postérité, de son influence, fait aussi partie de l’histoire de sa pensée, et on ne peut que s’étonner de l’oubli relatif dans lequel Gassendi est tombé aujourd’hui, par rapport à Descartes, Hobbes ou Pascal, et qui contraste fort avec la notoriété qu’il connut de son vivant9. On peut certes imputer cette situation à la prétendue moindre importance de sa pensée, qui a bien du mal à exister par elle-même, comme elle se trouve le plus souvent étudiée par rapport à tel ou tel de ses contemporains10. Mais nous voulons aussi chercher les raisons dans les différents récits de sa vie qui ont été conçus par ses proches. De fait, ériger un monument à quelqu’un traduit la volonté de faire connaître une œuvre. Il s’agit d’enterrer quelqu’un de façon telle que sa survie soit assurée. Nul ne mérite de devenir un héros de son vivant ; Gassendi n’y accède qu’après sa mort, et ainsi n’entre-t-il pas en contradiction avec une de ses devises, tirée d’Épicure : Cache ta vie11. Nous avons mis en exergue, avec un peu d’esprit de provocation, à côté de propos favorables à Gassendi, une boutade sévère et définitive de Voltaire. 9 Pour les débuts d’une exploration de la réputation de Gassendi, voir Murr II ; Turner I ch. 1 passim. 10 La difficulté du latin qu’il emploie dans ses différents écrits scientifiques ou philosophiques joue un rôle évident dans cette désaffection, alors même que le travail de vulgarisation / traduction assumé par son disciple Bernier, vingt ans après la mort de son maître, est d’une qualité inférieure à sa source. 11 En dehors des chefs de guerre (Condé et autres grands), il n’attribue le titre de héros qu’aux morts, indifféremment anciens ou modernes, philosophes ou astronomes, à l’exception notable d’Éléazar Féronce, ce jardinier qui est une figure très emblématique de sa conviction que le savoir doit être partagé par le plus grand nombre.
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Par son manque de compréhension du projet de Gassendi, le bon mot du philosophe des Lumières permet de comprendre comment et pourquoi Gassendi a mal survécu à son siècle. La situation ne s’est guère améliorée avant la fin du XXe siècle. En 1841 Marx fait preuve d’une incompréhension aussi complète que celle de Voltaire en écrivant « Gassendi, qui a libéré Épicure de l’interdit dont l’avaient frappé les Pères de l’Église et tout le Moyen Âge, ne présente dans son exposé qu’un moment intéressant. Il cherche à accomoder sa foi catholique avec sa science païenne, Épicure avec l’Église – ce qui est assurément peine perdue : c’est comme si on voulait jeter la défroque d’une nonne chrétienne sur le corps splendide et florissant de Laïs la courtisane grecque »12. Certains des textes que nous présentons ici, en particulier ceux de Taxil, Sorbière et Bernier, faisaient parti du projet d’ériger un monument à Gassendi, projet qui a échoué sur le long terme, puisque le voile de l’oubli a occulté sa pensée. N’y auraient-ils pas même contribué ? Depuis le début de cette introduction, nous parlons de biographies, et c’est à tort : non seulement le mot apparaît seulement en 172113 et les textes relèvent du genre des Vies, mais en outre ils ne répondent en rien aux exigences du genre biographique, qui repose sur une recherche d’exhaustivité et implique une mise en perspective par rapport aux événements contemporains. Assurément les Vies sont un genre historiographique en pleine évolution au XVIIe siècle, et on ne trouve pas plus de biographies que de biographes (le terme apparaît à la fin du siècle14), ni le mot ni la chose. Pour ne pas entrer dans le débat autour de ce passage d’un genre à l’autre, comme signe ou non de modernité et comme symptôme de la rupture de temps modernes par rapport à la tradition héritée des Anciens et à leurs modèles15, nous avons appelé ce recueil de textes Mémoire, au féminin, et nous le définissons comme l’ensemble des textes écrits immédiatement après le décès de Gassendi, survenu en 1655, par ses proches et familiers qui avaient l’intention de le protéger contre l’oubli. Nous assumons ce titre jusque dans les tensions auxquel-
12 Karl Marx, Thèse de doctorat sur le physique épicurienne, Berlin 1841, traduit par J. Ponnier, Paris 1970, Préface. 13 Robert, i 481. Cf. la discussion dans l’Oxford English Dictionary, qui montre que « biography » fut un mot en formation pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle. 14 Av. 1693 chez Ménage d’après Trévoux 1752. 15 Fumaroli I, 3-30.
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les il renvoie, à une époque où la mémoire, selon l’Augustinus16, caractérise la théologie et est récusée par les philosophes qui font usage de la raison. La boutade de Voltaire, philosophe anti-religieux par excellence, invoquant Dieu pour se débarrasser de la mémoire de Gassendi, a plus de profondeur qu’elle n’y paraît : si les chercheurs actuels voient dans Gassendi avant tout un innovateur qui a contribué à l’élaboration de la science moderne et de ses méthodes, ses « biographes », sans minimiser cet aspect, insistent fortement sur sa religion et sa piété, soit qu’ils aient eu l’impression qu’il fallait le défendre contre la calomnie et la mauvaise réputation de « libertinage » au sens moderne du terme, c’est-à-dire libertinage des mœurs, qui aurait pu interdire l’accès à son œuvre, soit que de fait Gassendi ait mis au premier plan cette dimension. Les Vies de Gassendi assurent donc sa mémoire, et l’éclipse du philosophe semble être assurée, sous cet entassement de vies et autres célébrations. Aussi Gassendi n’intéresse-t-il pas l’âge des Lumières. Nous n’imputons pas à la seule insistance de ses biographes sur sa personnalité de « bon pasteur » le relatif enterrement de notre philosophe. À côté de la difficulté d’accès de son œuvre, en latin17, de l’épineuse question du devenir de ses disciples18, le dispositif mis en place par les cartésiens a joué un grand rôle dans l’éviction des pensées concurrentes, et le goût rhétorique pour les couples d’opposition, qui se fait jour avec la Querelle des Anciens et des Modernes, a assurément contribué à la relégation de Gassendi. Nous donnons du reste le texte « en parallèle » de Perrault ; en tout cas, la simplification que ce genre suscite, forcément frappante, fait leçon. Pour autant si, sous la plume de Perrault, Gassendi devient la figure du sage en face de Descartes incarnant le philosophe, cela n’implique alors aucune forme de jugement, ni même une préférence affichée pour Descartes ; au contraire, Gassendi est en quelque sorte le contrepoids moral qui confère au savoir acquis grâce à une attitude de rupture la plénitude de sa valeur19. Cf. le très célèbre Liber prœmialis du deuxième tome de l’Augustinus de Jansenius. Voir sur le latin, Waquet II. 18 Bernier part en Inde, Chapelle fait scandale, Sorbière a mauvaise réputation, à cause de sa conversion qui passe pour intéressée, sur Neuré pèse toujours le soupçon de sa roture, à une époque où la naissance joue un rôle important, pour ne rien dire de Cyrano dont la qualité de disciple de Gassendi est plus complexe à établir… En revanche, l’influence du prévôt de Digne est plus durable en Angleterre même si cette influence reste cachée. 19 Car tout au long de son œuvre, Gassendi s’emploie à démontrer, même au plus fort de ses hardiesses méthodologiques ou intellectuelles, que les Anciens l’avaient déjà dit. 16 17
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Il n’en reste pas moins que les deux termes s’opposent, le philosophe étant celui qui sait raisonner purement (l’homme du bon raisonnement, assimilé au Moderne par Perrault), le sage celui qui sait vivre purement (l’homme de la bonne vie, de la vertu : les Anciens). Alors que le terme de philosophe comporte, avant Perrault, une pluralité de sens dont témoignent les différents dictionnaires de l’époque (Furetière ou l’Académie), il tend à se simplifier avec les Lumières : déjà chez Perrault, le philosophe est celui qui est un auteur, c’est-à-dire une autorité, qui institue une rupture, a la hardiesse de l’innovation, un homme qui contribue à la grandeur du siècle. Chez Gassendi au contraire, les Modernes sont autant de continuateurs, brillants et nécessaires, qui se rapprochent toujours plus d’une vérité du reste inatteignable ; et le fait qu’ils puissent et doivent être des novateurs, pour le bien de l’humanité, ne s’opposent pas à l’évidence qu’ils ne sont jamais que des dérivations d’une source ancienne. Pour Perrault, l’opposition entre les deux figures repose plus sur une question d’attitude que sur la substance de leurs systèmes respectifs ; la différence s’inscrit dans l’existence plus que dans l’œuvre, dans une psychologie plus que dans la doctrine. Face à Descartes qui incarne, durablement, le philosophe, la dénomination de Gassendi telle qu’elle se fait jour dans notre recueil est bien moins simple. Outre la pluralité de sens du philosophe, que reflète l’article du dictionnaire de Furetière, ce n’est même sous ce seul nom que Gassendi paraît dans cet ensemble de textes, en français, latin ou translittéré du grec. Il est tour à tour gymnosophiste, philosophe, auteur, homme de dieu, omniskii, astrologue, astronome, mathematicus, doctor, prévôt, professeur, théologien et sage, mais encore makaritès (bienheureux) et même « dignosophiste » (de sa ville de Digne), suivant les différentes activités qu’il a menées dans le cours de sa vie. D’un biographe à l’autre, seul le superlatif ne varie pas : il est toujours excellent, supérieur. Or la réputation de mathématicien médiocre s’étant répandue – elle est encore reprise par Perrault – et le fait qu’il ait écrit ses œuvres en latin font qu’il a basculé du côté des « sages », donc des Anciens. Ce sera aux Lumières, et donc en particulier à Voltaire de transformer en hiérarchie ce qui dans l’esprit de Perrault (et de toute la période qui précède la Querelle) est de toute évidence un point d’équilibre20. Une étape supplémentaire sera franchie au siè20 Par la suite, Gassendi souffrira moins de cette réputation de sagesse qu’il ne sera rangé du côté des historiens de la philosophie, voire, avec le jugement critique que cela implique, des compilateurs ou des penseurs éclectiques, et il faudra attendre la fin du XIXe et en particulier Guyau dans La Morale d’Épicure (1878), 275, pour qu’il soit réintégré dans le chœur des
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cle suivant, quand Gassendi ne sera même plus statufié en sage, par opposition au philosophe qu’est Descartes, mais enterré comme un Ancien et ainsi distingué du Moderne par excellence qu’est devenu son ancien adverse de la Disquisitio. Il suffit pour s’en assurer de lire le passage des Essais sur l’histoire des belles lettres, des sciences et des arts (Lyon, 1740) que Juvenel de Carlencas consacre à Gassendi : « En France, M. Gassendi homme d’une grande littérature, ennemi déclaré de tout ce qui avait quelque air de nouveauté, & fort prévenu en faveur des Anciens, prit d’Épicure & de Démocrite ce que ces philosophes paraissaient avoir de plus raisonnable, & en fit le fonds de sa physique ; ainsi il parle peu de son chef, & ne fait que prêter son style à ses modèles : son érudition nuit assez souvent à ses raisonnements ; elle les affaiblit & en cache la liaison. Gassendi avait, ce semble, ramassé toutes les forces des Anciens, pour tâcher de soutenir leur physique chancelante : mais quoiqu’elle fût en possession depuis tant de siècles de se faire respecter : elle se vit enfin obligé de céder la place à une nouvelle Physique qui, par une mécanique bien entendue, faisait travailler la nature dans ses ouvrages de la même manière que l’Art travaille dans les siens »21. Quoi qu’il en soit de sa réception future, le bouquet de dénominations dont Gassendi est gratifié dans les textes ici édités, et leur ambivalence, peuvent expliquer pourquoi les biographes ne parlent pas du tout de son activité d’administrateur ; il s’agit aussi de creuser la différence entre les grands hommes héros de la vie publique et l’homme qui « aime la sagesse » et cherche par excellence ce qui est absent de la vie apparente des hommes. La figure de philosophes. Guyau qui fait d’Épicure le maître à penser de tous les incrédules décrit le travail de réhabilitation de Gassendi, sans du tout mentionner la christianisation du fondateur du jardin, pour qu’il soit enrôlé dans un nouveau parti, celui des libres penseurs matérialistes et athées, pratiquant le double discours propre à la littérature clandestine, ce qui est paradoxal pour un philosophe dont ses contemporains ont voulu faire l’image même du bon pasteur. Au contraire, Marx, reconnaît, sans l’approuver, la christianisme du fondateur du jardin. 21 Juvenel de Carlencas, Essais sur l’histoire des Belles-Lettres, des Sciences et des Arts (Lyon, 1740-44), p. 173. À ce jugement lapidaire s’ajoute un commentaire plaisant sur Mersenne : « Le Père Mersenne, n’osant ni prendre son parti, ni s’en détacher, flotta entre Gassendi, Descartes, Fermat, & Roberval ». Quant à Antoine Léonard Thomas (1732-1785), l’évocation qu’il fait de Gassendi dans son Essai sur les éloges (publié en 1822, posthume) le montre relégué à une place subalterne : « Après tous ces noms, on en trouve d’autres qui sont encore célèbres dans des genres différens ; le président de Thou, immortel par son histoire ; et le président Jeannin, qui fut négociateur et ministre ; et le cardinal D’Ossat, qui se créa lui-même ; et le père Mersenne, digne d’être l’ami de Descartes ; et Gassendi, presque digne d’être son rival ».
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Gassendi est ainsi emblématique du couple action/contemplation22. À la différence de Perrault, qui achève de trancher l’opposition entre le philosophe et le sage, les biographes antérieurs montrent donc plus un philosophe (c’està-dire un homme qui a différentes activités visant à la connaissance qui règle la vie) plus qu’un sage (car le sage est celui qui intervient dans la vie publique, par ses conseils, comme on le voit chez Diogène Laërce pour Solon et autres) ; Gassendi peut d’autant moins incarner le sage que son action « politique » tendrait à le rendre moins facile à imiter, à faire de sa vie à la limite un roman, et non pas une suite d’événements non spectaculaires que devraient reproduire chacun dans sa sphère les ouailles de ce peuple chrétien philosophe libertin qu’il s’agit de susciter. Représenter Gassendi comme du reste il se montre un peu dans les Lettres latines23 à Valois, tâchant de faire l’intermédiaire entre les Provençaux et leur gouverneur, conduirait à faire verser la Vie dans la fiction et la littérature, et peut-être à la faire sortir de l’histoire24. En revanche la mention de son rôle comme agent du clergé pressenti est nécessaire à plusieurs titres : d’abord la reconnaissance ecclésiale a forcément de l’importance pour un catholique romain de la Contre Réforme, mais il est également précieux de l’inscrire en rupture par rapport au système ; cet aspect vaut pour le philosophe – et dans ce sens Gassendi est « socratisé » – mais aussi pour le saint, toujours en butte à sa hiérarchie25 ; enfin la retraite, à condition qu’elle soit prise après une véritable activité dans le monde, une Selon l’ancienne opposition entre vita activa et vita contemplativa (saint Thomas, Somme théologique) qui est sous-jacente à tous ces textes, même si la ligne se brouille parfois. Voir passim. 23 Au nombre de six cent quatre-vingt-huit, les Lettres latines occupent trois cent trente deux pages du sixième et dernier tome des Opera omnia. Rassemblées et choisies selon les instructions très précises de Gassendi lui-même, elles couvrent les années 1621 à 1655. En leur sein, les lettres adressées au prince de Valois (472) constituent un peu plus que les deux tiers. Voir Lettres latines i, x. 24 Mais ce n’est sans doute pas la seule raison qui explique l’absence très singulière du Prince de Valois dans les textes qui composent notre recueil, et qu’il faut peut-être interpréter en termes politiques. C’est aussi que parmi ces pièces, un nombre significatif est dédié ou s’adresse à Montmor, et on peut imaginer qu’auprès d’un nouveau mécène, il vaut mieux ne pas évoquer le précédent, à moins qu’il y ait eu, du vivant même de Gassendi, une certaine tension entre son « époque Valois » et son « époque Montmor ». 25 Or Gassendi, selon l’interprétation de Sorbière, est comme le fondateur d’un nouveau type de communauté monastique, avec vœux implicites, d’autant moins prononcés qu’ils sont plus mis en pratique, tel le chrétien idéal de l’Épître aux Romains, n’ayant pas besoin de la Loi puisqu’il a la pureté du cœur. 22
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retraite fructifiée par l’écriture de livres, l’élaboration d’un système et la diffusion d’un savoir fait partie du portrait idéal du philosophe. Une vie philosophique présente bien des traits communs avec une vie monastique26. Pierre Hadot, qui décrit tout particulièrement la tradition de leur rapprochement depuis Philon d’Alexandrie, conclut, après une analyse du monachisme sous ce rapport, de Grégoire de Nazianze à Bernard de Clairvaux et Jean de Salisbury, qu’« on ne saurait trop insister sur ce phénomène d’assimilation entre christianisme et philosophie »27. Cette existence philosophico-monacale implique bien évidemment une communauté fraternelle, dont les biographes ne manquent pas d’évoquer la familiarité et la compagnie régulière, et la pluralité de personnages qu’ils mentionnent, plus ou moins connus, renvoie assurément à la thématique de l’amitié, si chère à Épicure et à ses disciples28, mais renforce également la stabilité de son univers ; cet ensemble d’existences multiples apporte en outre au lecteur des éléments de comparaison et assure par là même ses particularités, sa distinction. Quant aux Grands de ce monde, leur présence auprès d’un penseur d’origine fort modeste lui confère la noblesse de l’esprit qui manque à sa naissance. Il faut toutefois noter qu’il manque certains personnages qui auront cependant marqué la vie de notre philosophe : Lord Herbert de Cherbury, Caramuel de Lobkovitz, Anna Maria von Schurman… On pourrait dans chaque cas s’ingénier à trouver des raisons : la présence d’une femme, ou bien l’évolution spirituelle et religieuse de la savante du nord, pour cette dernière, l’intervention de Gassendi en sa qualité de théologien ou bien l’actualité brûlante du thème gallican, pour le second, enfin pour le premier le fait que l’ouvrage de Cherbury fut mis à l’Index le 23 août 1634 et que la réponse de Gassendi, rédigée un peu à contrecœur, n’a pas été éditée de son vivant29. On peut s’étonner aussi de ce que rien ne soit dit, à côté de sa formation scolaire, des auteurs si fon26
Voir Taussig I. Voir Hadot II, 79 sqq. 28 Si Gassendi reprend à Épicure l’essentiel des vocations de la philosophie, dans sa dimension d’exercice personnel et spirituel (mode de vie, choix de vie, et thérapeutique) et récuse la notion d’une philosophie qui cultiverait la nouveauté pour elle-même (construction d’un édifice conceptuel, loin de la vie concrète…), il va cependant plus loin que le fondateur du Jardin dans la vie en communauté, qui est, pour lui, moins la vie quotidienne que la vie intellectuelle et philosophique. Il n’en faut pour preuve que la manière dont il corrige le texte du testament (Vie et mœurs d’Épicure, II, 1), le philosophein devenant sous sa plume un sumphilosophein. 29 Voir Rochot V, passim. 27
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damentaux qui lui apprennent à penser « librement » et qu’il cite dans la première des Lettres latines (Montaigne, Charron) ou ailleurs Francis Bacon, et dont il serait intéressant de dresser une liste exhaustive. Le Syntagma philosophicum montre bien qu’il ne se contentait pas de la littérature antique. Enfin, la question de la langue maternelle de Gassendi n’est jamais posée, ce qui cependant ne saurait nous étonner, dans la mesure où l’intérêt porté aux dialectes et patois appartient à notre époque. Néanmoins la question se pose : quelle langue parlait-on chez les Gassendi ? Quelle langue parlait-il avec Peiresc ? Son français, tel qu’on le découvre dans ses Lettres familières à Luillier, porte-t-il la trace du dialecte méridional, ou du patois de Digne ? Qui plus est, avait-il conservé un accent ? Cet ensemble de questions nous permet d’imaginer les réunions savantes, qui rassemblaient des hommes venus de toutes les provinces, comme un concert d’accents et de parlers très différenciés, et, sinon de les entendre, du moins d’en faire la projection. Outre ces absents30, certains thèmes font également défaut : la mort de Louis XIII31, l’intérêt de Gassendi pour l’actualité et l’histoire. D’autres absents pourront frustrer le lecteur moderne étant donné qu’on aime à se représenter Gassendi comme leur maître à penser : ainsi Cyrano de Bergerac, qui assurément commençait juste à se faire un nom sur la scène littéraire par ses Lettres (1654) ou ses pièces de théâtre (La Mort d’Agrippine et Le Pédant joué – 1654) ou 30
Auxquels on peut ajouter dans une certaine mesure Peiresc, qui n’apparaît pas autant qu’on pourrait l’attendre, alors que le principal titre de renommée de Gassendi est la Vie qu’il lui a consacrée, en plus de l’amitié qui a uni les deux hommes. Comment interpréter cette éclipse du grand mécène ? Un changement de conjecture politique alors que Peiresc était un parlementaire, donc supposé hostile à la monarchie telle qu’elle se renforce après la Fronde ? Ou bien le fait que les auteurs qui glorifient ici Gassendi ne l’ont pas connu personnellement ? 31 Ce récit a du reste quelque chose à voir avec la rhétorique de l’exemplarité, réalisant l’intime intégration du motif philosophique et du motif chrétien dans la pensée de Gassendi et mettant en évidence l’importance qu’il accorde aux grands de ce monde pour ce qui est de montrer la voie au peuple en matière de vertu. Cette lettre édifiante clôt la série des lettres philosophiques à Valois, et ce n’est sans doute pas un hasard si le portrait du sage épicurien parfait, ici Louis XIII en proie à de terribles douleurs tel Épicure souffrant de la vessie, affrontant la mort sans se départir de la sérénité et du bonheur, figure comme en miroir à la fin de l’exposé philosophique : « Je suis sûr que ni Socrate, ni Canius, ni aucun homme semblable à eux, n’a vu la mort avec plus d’intrépidité. […] Il apparut toujours avec au cœur une sérénité, une tranquillité, une assurance telles que je me persuade de ce que j’ai dit avant : aucune mortel ne peut aller au-devant de la mort ni l’attendre avec plus de constance ou plus de résolution imperturbable ».
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Molière dont le talent d’auteur n’avait pas encore percé et qui n’était encore que chef de troupe. Laissons à Sorbière le soin d’expliquer pourquoi les auteurs de ces vies ne s’inquiètent pas d’être exhaustifs : « Je ne pense pas qu’il lui soit arrivé plus de choses qui méritent d’être notées s’agissant d’un philosophe de telle sorte que je ne dois pas être plus disert dans ces circonstances plus légères de la vie ». Il énonce le principe même de rédaction des vies. Sans préjudice d’interprétations plus précises des différentes lacunes, il faut peut-être évoquer ici la fidélité à la mémoire de Gassendi, qui mettait la morale en premier32 et considérait les autres thèmes comme secondaires. Il l’exprime du reste explicitement dans la critique qu’il propose du genre littéraire des Vies, dans le catalogue des Œuvres d’Épicure : « Sur les modes de vies, 4 livres. C’est exactement comme s’il s’intitulait Sur la vie et les mœurs. Car il ne semble pas qu’Épicure ait développé dans ces livres l’histoire de quelques hommes remarquables, comme nous concevons que Plutarque et Diogène Laërce l’ont fait, dans leurs livres qui sont nommés Vies (ce qui a cependant paru bon à un homme érudit et à un ami), mais qu’il ait proposé des raisonnements permettant de mener une vie tranquille, comme on le déduit assez clairement de l’intitulé des livres moraux et des passages encore cités par Diogène Laërce lui-même »33. C’est toujours dans le sens d’un enseignement moral que Gassendi défend la recherche historique, suivant en cela le thème de l’historia magistra en tant qu’elle permet l’imitation ou la répétition, et se déploie formellement sur la base de la comparaison34. Quelques décennies plus tard, selon l’expression de Hartog, chez Perrault 32
Voir Taussig III, 250-2. Vie et mœurs d’Épicure, I, 10. 34 Du reste c’est bien l’histoire qui est « maîtresse de vie ». Le modèle qu’elle pose à imiter a lui aussi ses faiblesses, et Gassendi condamne sévèrement l’arrogance des stoïciens (lettre à Valois du 8 novembre 1641), parce qu’ils proposent un modèle fictif et mensonger, celui d’un sage qui dépasse la condition humaine : ce sont « des mots, des mots de bel aspect, mais des mots ». Le vrai modèle ne nie pas la faiblesse humaine en lui et reconnaît qu’il cherche en toutes choses le plaisir : sans la connaissance de la nature humaine et de ses limites, le sage ne peut être exemplaire. Le sage épicurien n’est pas dépourvu de passion, il n’est pas l’homme indifférent que proposent les stoïciens. Par là même, il ouvre la voie à la réhabilitation des passions comme pouvant être à l’origine des actions vertueuses. Gassendi fait sienne l’exhortation de Sénèque à Lucilius : « Prends en main une table des philosophes. Cette lecture te sera un vif stimulant. Tu verras combien de penseurs ont peiné pour toi : l’envie te prendra de compter à ton tour parmi ces hommes ». 33
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l’historia magistra traditionnelle « marche[ra] pour ainsi dire sur la tête »35. Sans doute les ouvrages de Gassendi qui eurent du succès en son temps (Vie de Peiresc et Vie et mœurs d’Épicure) et le très petit nombre de textes dont nous disposons de la tradition épicurienne (pour ne rien dire du système gassendiste que son disciple Bernier, malgré tous ses efforts, n’a pas réussi à diffuser véritablement) ont renforcé cet éclairage particulier sur les mœurs de l’homme, qui laissait par ailleurs le souvenir d’un homme affable et souriant, très loin de l’image stéréotypé du philosophe nouveau style, mais en tout état de cause il paraît évident que le parallèle établi par Perrault, bientôt transformé en couple d’opposition, puis en jugement de valeur hiérarchisant, explique pour une bonne part le choix des Lumières, celui du philosophe contre le sage36, d’autant que ce sage était de surcroît un sage chrétien. La manière dont les biographes de Gassendi reviennent sur cet aspect et y insistent joue sans doute un rôle fondamental dans la critique de Voltaire ; il suffit du reste de penser à la manière dont il se déchaîne contre Pascal, dont la Vie par sa sœur était aussi un modèle de vie philosophique, scientifique et chrétienne, et de mort héroïque, exemplaire. De même que le récit de la vie de l’auteur des Pensées devait conduire à la conversion du lecteur, et a de fait été lu comme tel, ainsi en est-il de l’éloge funèbre du chanoine Taxil ; le caractère résolument pastoral de son approche étonne cependant moins par le désir de christianiser notre philosophe, naturel chez un homme d’Église, que par la teneur scientifique et philosophique de son exposé. D’autres événements plus aléatoires peuvent contribuer aussi à expliquer que cet « enterrement » ait été difficilement suivi d’une résurrection : les auteurs des différents éloges posthumes sont peu connus, et les amis de Gassendi, occupés à rassembler les textes pour les Opera omnia, n’ont pas pris soin de les rassembler dans un opuscule, comme cela se faisait souvent, par exemple pour Peiresc, dans la Panglossie que rassemble Bouchard. Du reste, la vie qui précède les Opera omnia a pour fonction, dans l’organisation des six volumes, non pas de constituer une biographie qui devrait se lire comme un tout autonome, mais bien d’inviter le lecteur à poursuivre sans s’arrêter 35
Hartog, 161-171. Du reste la biographie « officielle » de Baillet, christianisant Descartes et mêlant des détails anecdotiques à foison avait fait l’objet de nombreuses critiques et polémiques, si bien qu’une autre tradition, non biographique, a pu en faire, contre son propre biographe, le vrai philosophe. 36
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sur ce seuil et à entrer dans l’œuvre même. Elle est une sorte de captatio benevolentiæ, et cette mise en appétit, une fois son office rendu, doit surtout s’effacer. Au demeurant, la vie de Gassendi telle qu’elle figure en avant texte des Opera omnia ne sait pas même remplir sa fonction : circonstance malheureuse, l’auteur pressenti pour la rédiger n’a pas pu le faire, et c’est Sorbière qui a finalement rédigé un peu à la va-vite un texte que les éditeurs des Œuvres complètes seront les premiers à critiquer. Au-delà de la question de savoir si cette vie constitue un marchepied dans sa propre carrière37, elle est de fait peu soignée, d’une construction méandreuse, d’un style souvent lourd et difficile, hésitant entre plusieurs genres, manquant notamment de l’objectivité requise. Entre christianisation et personnalisation, le pari était difficile pour assurer la résurrection de Gassendi par l’écriture de sa vie38, et ce fut une gageure pour ses amis que de tracer un portrait de l’homme à la fois comme héros et grand homme, tout en demeurant fidèle à son souvenir et l’obligation de discrétion à laquelle il a toujours prétendu. Revient donc la question même qui ouvre notre réflexion : comment hausser à un niveau historique et inscrire dans une téléologie capable d’abolir la contingence la vie d’un homme se proclamant modeste par excellence ? Pourtant, le genre de la Vie qui, comme nous l’avons dit, ne se soucie pas de l’exhaustivité et de l’objectivité de la biographie, mais vise à l’exemplarité, se prête bien à l’existence de Gassendi et à sa doctrine, voire à sa théorie implicite de la biographie : à la fois dans les différentes Vies qu’il a composées, mais également dans différentes lettres, il développe la notion de modèle, qu’il tire à la fois d’Épicure et de sa pastorale, ce modèle valant à la fois au moral et au physique39. Les différents biographes s’appliquent en effet à donner à leur récit un tour très exemplaire : ils décrivent une enfance précoce, voire un génie pré37
Et nous aurions tendance à nuancer cette affirmation, dans la mesure où si, assurément, Sorbière met en œuvre toute une stratégie de flatterie et de démonstration de sa propre suffisance, il exprime aussi une émotion très sincère, mais qui du coup étonne dans un projet biographique et relève plus de l’éloge funèbre. 38 Sur cette question voir Taussig II, passim. 39 Gassendi présente à ses lecteurs potentiels deux modèles à imiter, le sage, qui correspond à la philosophie naturelle, toutes les disciplines scientifiques, politiques, etc. n’étant pas directement impliquées par la Révélation, mais se trouvant éclairées par la lumière naturelle (le sage est alors Épicure), et le Christ, un modèle certes inatteignable.
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coce, soulignent la noblesse symbolique de la famille qui se substitue à une noblesse réelle, ils mentionnent les bonnes dispositions de son cœur et de son esprit – un bon naturel (ingenium) – qui lui permirent de traverser l’école et d’annuler les effets néfastes de la scolastique sans être emprisonné par le discours d’autorité. Ces différents traits permettent de le faire passer pour un autodidacte, quoiqu’il ne l’ait pas été ; car, dans une vision presque romantique du génie, l’autodidaxie est la marque même des grands penseurs40. Ils le montrent encore menant une vie ascétique, non seulement par son régime alimentaire et ses habitudes quasi monacales, entre la prière et l’étude, mais aussi parce qu’il reste à l’écart des universités, de la foule et des honneurs. Son portrait physique est à l’avenant. Les biographies semblent donc osciller entre célébration imaginaire et forme historique, ou historiographique. Cette vie de héros de la pensée, déclinant toute gloire, fait ainsi la synthèse entre le modèle hagiographique, voire christique de l’enfant né dans la chaume et révélé par des étoiles (ou les révélant), et le modèle antique philosophique, mettant ses pas dans les pas d’Épicure, un des rares philosophes de l’Antiquité (avec Socrate) à avoir très peu voyagé41. Le voyage, immobile, sera, avec Épicure, dans le temps, et non pas dans l’espace. Toutefois, ce double modèle est ici d’autant moins plaqué que Gassendi eut pour vocation spirituelle singulière et principale de concilier effectivement, dans sa vie et dans ses écrits, la philosophie naturelle et la foi chrétienne, dans le cadre plus général de la reformulation du catholicisme propre à la Contre Réforme. Ses biographes initient donc bien le lecteur à cette ambition singulière, quoiqu’ils le fassent avec des outils intellectuels et conceptuels moins élaborés que l’auteur du Syntagma, voire avec une certaine naïveté. Nous avons essayé autant que faire se peut d’interpréter les différents détails mentionnés par les biographes, mais également d’interroger leurs silences. Nous nous sommes aussi étonnés de certaines mentions dont la pertinence ne nous est pas apparue au premier abord, mais que nous avons jugées difficile d’exclure de notre zèle interprétatif. Certains de nos commentaires 40
Ainsi d’Épicure chez Gassendi même. Épicure rompt ainsi avec la tradition du voyage initiatique en Égypte : ce n’est pas un détail anecdotique, mais révèle bien un des caractères fondamentaux de sa philosophie, comme de celle de Gassendi, à savoir qu’elle ne repose pas sur une quelconque initiation, pour ce qui est de sa transmission, et, quant au contenu, récuse les conceptions que ces philosophies « à mystère » impliquent, à savoir le plus vouent l’idée de l’âme du monde et sous quelque forme que ce soit le principe des correspondances (macrocosme / microcosme, etc.). 41
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peuvent ainsi paraître forcés : nous ne les formulons en tout cas que comme des hypothèses, en nous référant, si l’on veut, à une esthétique baroque. Audelà de la clairvoyance de nos analyses, il n’en reste pas moins que le récit des souvenirs réels ne s’entend jamais que dans la quête de l’exemplarité : ainsi de l’histoire de Maridat, qui, peut-être, s’est bien passée, mais qui renvoie en même temps à un même événement arrivé à Platon. La petite histoire ne relève jamais de l’anecdote au sens banal42, mais elle doit faire sens, même si ce sens nous échappe. Plus généralement, elle permet cette synthèse de l’action et de l’étude, elle donne une part importante au concret dans la définition du statut de philosophe. Nous avons évoqué le portrait physique de l’homme43, mais il en va de même d’autres détails, comme par exemple sa pratique de la promenade44, ses longues nuits d’observation astronomique45, son goût pour les jardins46. Parmi ces détails typiques, il faut néanmoins souligner quelques 42
Ou du remplissage, comme on l’a reproché à Baillet. Pour Gassendi, après Épicure, le chemin de la philosophie épicurienne passe par l’homme qui doit guider, stimuler, encourager, voire dresser. Sénèque cite Épicure (Lettre à Lucilius, XI, 7) : « Il nous faut faire choix d’un homme de bien et l’avoir constamment devant nos yeux de manière à vivre comme sous son regard et à régler toutes nos actions comme s’il les voyait ». La nécessité d’avoir sous les yeux un modèle que l’on puisse suivre en toutes choses est posée par l’attitude de Gassendi au respect de l’immobilité de la vertu et de l’aveuglement de l’homme : il est possible que l’on se rende mal compte du point où l’on en est, et la vertu échappe à l’homme qui pense l’avoir atteinte. La vertu consiste en la similitude avec le premier modèle, c’est-à-dire avec la perfection divine, et la présence d’un mentor sur le chemin difficile de la constance est une compagnie de toute première importance. Gassendi pose la présence tutélaire et inspiratrice du sage non seulement comme une nécessité morale ou abstraite : il insiste à se procurer un portrait d’Épicure, pour avoir, concrètement et en permanence, ses traits devant les yeux. Ainsi faut-il également interpréter son hésitation à faire figurer sa propre effigie en tête de ses œuvres, quoiqu’elle soit exécutée par Mellan, Varin, Frosne ou un autre, parce qu’il se prétend indigne de devenir un modèle. La qualité morale d’un individu ne se voit pas à ses paroles : Gassendi juge les hommes à leurs actes et propose plusieurs variations à une expression qu’il emprunte plusieurs fois à Cicéron (De finibus, II, 81) : « Tout ce que d’autres hommes se bornent à dire sans le faire, tu t’es plutôt borné à le faire sans le dire ». 44 Et tous les détails de régime qui rappellent l’attention que porte Gassendi à la santé du corps et de l’esprit, sous les auspices de la tempérance qui nous confère « le plus grand bien dont la nature nous permette de jouir, un esprit sain dans un corps sain », comme il l’écrit à Valois, citant Juvénal, le 14 juin 1641. 45 Bien réelles mais en même temps révélatrices de ses exigences épistémologiques. 46 Là encore à lire à plusieurs niveaux : le jardin philosophique, lieu évident pour un épicurien, le jardin du botaniste et du naturaliste, soucieux d’observer les phénomènes de la 43
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traits qui, incontestablement, révèlent la personnalité plus intime : ainsi des rougeurs intempestives de notre philosophe, manifestement timide. Néanmoins, ces Vies très officielles, même si l’on s’attache à leurs interstices, font apparaître un homme très différent du Gassendi des Lettres familières. Ce n’est pas seulement sa langue, savoureuse, parfois difficile, portant peut-être trace de son parler méridional, mais c’est également sa personnalité : les lettres à Luillier dessinent un homme plus social, voire convivial, pas du tout cette austère machine à travailler. Il passe ses soirées, à Digne, à jouer de la musique avec la famille Taxil, et joue lui-même de la basse de viole47… D’autres aspects de sa biographie, notamment son conflit de juridiction avec les régents de Digne à propos de Notre Dame du Bourg permettent d’entrevoir un homme que sa timidité, peut-être, rend un peu agressif, en tout cas pointilleux, sans doute plaideur et chicanier selon la maladie du siècle. Si le critère qui, dans l’ensemble de ces Vies, détermine le choix de tel ou tel événement renvoie donc bien au questionnement fondamental de Vie et mœurs d’Épicure comme de tous les travaux biographiques de Gassendi – à savoir non pas ce qu’est le philosophe, mais ce qu’il fait, qu’est-ce que c’est que la recherche de la sagesse, quelles activités sont propres au philosophe, la philosophie étant un exercice, si bien que tout homme peut être philosophe, quels que soient son origine sociale ou géographique, son sexe, son époque, son âge, etc.– les biographes se gardent bien de fournir trop de détails personnels : le genre des Vies s’oppose ainsi à celui des ana, car les recueils de bons mots, outre leur caractère souvent décousu et fort anecdotique, tendent le plus souvent à renvoyer dos à dos les philosophes à cause de leurs multiples opinions, suivant Lucien dont ils partagent l’humour48. En revanche le rapport de Gassendi à la parole est de part en part exemplaire. Assurément le méridional aime à s’entretenir avec ses amis, et il met l’amitié au cœur de sa vie, dont le récit résonne du reste de la présence de nombreux familiers49 ; malgré sa timidité, il est tout aussi curieux de converser avec un cercle plus large de visiteurs. Sa conversation est décrite dans nature, le souvenir de l’amitié partagée avec Peiresc et de son jardin de Belgentier, mais encore, avérée historiquement, le développement de jardins, en ville, voire d’ermitage. 47 « J’en aye une très bonne », écrit-il à Luillier le 6 janvier 1633, avant d’ajouter « Je n’ay point […] encore rencontré ma harpe ». 48 Au contraire Gassendi est celui qui fait la synthèse des philosophies. On lui a assez reproché son éclectisme. 49 Le souvenir de la Tétrade est d’ailleurs passé à la postérité.
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chaque texte, et il faut en rendre compte sur les deux plans, celui de la réalité d’une pratique mondaine, empreinte de courtoisie et d’attention à l’autre, telle qu’elle se développe tout au long du siècle, à la fois dans les académies et dans les salons50, mais aussi comme élément dans le portrait synthétique de l’homme de savoir et de l’homme de foi : la parole de Gassendi est une bonne parole, et il s’agit de la transmettre et qu’elle porte beaucoup de fruits. Le philosophe chrétien ne parle pas trop haut, il s’impose par son esprit et non par la force. Forte de sa vie vertueuse et de sa bonne nature, de son accueil de l’autre qui renvoie à la philoxénie, sa parole est paradoxalement puissante, alors même qu’elle s’énonce dans la plus grande douceur. Le « commerce littéraire », ces échanges épistolaires évoqués à maintes reprises dans les Vies51 comme l’équivalent « entre absents » de la conversation52 et dont nous avons conservé plus que la trace53, manifestent jusqu’à aujourd’hui ces mêmes qualités de pédagogie, d’attention à l’autre, de recherche d’une langue adéquate pour la conversation. Là l’absence de sources, c’està-dire de tout enregistrement de la parole vivante de Gassendi, ne fait pas vraiment préjudice, et l’on peut vérifier au fil des lettres l’exactitude de ces traits de la personnalité de Gassendi. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte le plus, dans cette mention particulière de sa parole ou de sa pratique du commerce littéraire, est qu’ils permettent l’un comme l’autre de faire le lien entre la vie philosophique et le discours philosophique. Chez Gassendi, de façon très singulière, c’est dans le genre des lettres que s’opère l’articulation entre d’un côté la pratique philosophique, ou le mode de vie philosophique, et de l’autre le discours philosophique, c’est-àdire l’œuvre dans sa dimension de système fermé, détaché de l’existence. Les Opera omnia témoignent du reste de la spécificité de l’écriture philosophique de Gassendi qui travaille beaucoup par lettre, se fâchant le plus souvent de voir ses amis les éditer, comme si la conversation n’était pas terminée et qu’on ne pût la figer ainsi sur un énoncé qui paraîtrait définitif. Là encore les biographes ne manquent pas de souligner à quel point ils ont dû lui faire violence, voire lui forcer la main, pour lui extorquer son « bon à tirer ». Les 50
Voir à ce sujet, Fumaroli II ; Waquet III ; Elias. Cf. Bots et Waquet ; Waquet I. 52 Gassendi emploie lui-même cette expression, empruntée à Cicéron, dans une lettre à Kircher du 2 août 1633. 53 Pour les échanges officiels, voir les Lettres latines ; pour les lettres plus familières à Luillier voir Rochot II, pour les lettres à Peiresc, Tamizey IV. 51
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conversations entre amis devaient ainsi être sans fin, comme on le voit dans ses lettres (latines ou autres) soucieux de recevoir toutes critiques et contributions, qu’il examine pour les intégrer ou les rejeter. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de ce que sa philosophie systématique, dont la publication a été préparée de son vivant et par son soin même, ne paraisse qu’après sa mort ; car il n’aura cessé de la remanier, telle une œuvre ouverte, et les différents commentateurs modernes ont fourni les preuves, par l’étude des manuscrits, de ces remaniements permanents auxquels il l’aura soumise. L’étude du vocabulaire va également dans ce sens : les biographes ne lui donnent pas le nom d’auteur et rappellent ainsi en creux la modestie de l’homme et son refus d’assumer une parole d’autorité, close sur elle-même54. En revanche, la publication des Œuvres complètes, et surtout du Syntagma, lui confère ce statut d’auteur, et c’est ainsi que Sorbière le nomme à la toute fin de sa Vie, en relation avec la publication posthume que Montmor doit assurer. Avec la conversation et le commerce littéraire, qui sont tout un, vie philosophique et discours philosophique ne sont pas « incommensurables » autant que le voudrait Pierre Hadot affirmant que, chez les Anciens, « ils sont d’ordre totalement hétérogène. Ce qui fait l’essentiel de la vie philosophique, le choix existentiel d’un certain mode de vie, l’expérience de certains 54 C’est ce qui d’ailleurs a rebuté Saint-Évrémond comme il explique dans ses Entretiens sur toutes choses, « Dans ce temps où l’entendement s’ouvre aux connaissances, j’eus un désir curieux de comprendre la nature des choses, et la présomption me persuada bientôt que je l’avais connue : la moindre preuve me semblait une certitude : une vraisemblance m’était une vérité […]. À la fin quand l’âge et l’expérience, qui malheureusement ne vient qu’avec lui, m’eurent fait faire de sérieuses réflexions, je commençai à me défaire d’une science toujours contestée, et sur laquelle les plus grands hommes avaient eu de différents sentiments. Je savais par le consentement universel des nations, que Platon, Aristote, Zénon, Épicure, avaient été les lumières de leur siècle ; cependant on ne voyait rien de si contraire que leurs opinions. Trois mille ans après, je les trouvais également disputées […]. Au milieu de ces méditations, qui me désabusaient insensiblement, j’eus la curiosité de voir Gassendi, le plus éclairé des Philosophes, et le moins présomptueux. Après de longs entretiens, où il me fit voir tout ce que peut inspirer la raison, il se plaignit que la nature eut donné tant d’étendue à la curiosité, et des bornes si étroites à la connaissance : qu’il ne le disait point pour mortifier la présomption, ou par une fausse humilité […] ; que peut-être il n’ignorait pas ce que l’on pouvait penser sur beaucoup de choses ; mais de bien connaître les moindres, qu’il n’osait s’en assurer. Alors, une science qui m’était déjà suspecte, me parut trop vaine, pour m’y assujettir plus longtemps : je rompis tout commerce avec elle, et commençais d’admirer comment il était possible à un homme sage de passer sa vie à des recherches inutiles ». « Jugement sur les sciences où peut s’appliquer un honnête homme » (1660-1661) dans Bensoussan 18.
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états, de certaines dispositions intérieures, échappe totalement à l’expression du discours philosophique »55. La christianisation du discours philosophique, c’est-à-dire sa transformation de parole en bonne parole, assure ainsi la fécondation mutuelle de l’expérience philosophique et de l’œuvre. Le texte de Taxil pourrait donc bien être ici la plus importante des contributions à la connaissance de Gassendi : cette oraison tenue en chaire, dans l’église de Digne, dans la paroisse même de Gassendi, n’est-elle pas un échantillon de ce que furent les homélies de notre philosophe, opérant cette synthèse étonnante d’une pastorale et d’une érudition philosophique, qui d’ailleurs se retrouve dans la plupart des consolations et exhortations des Lettres latines, où se mêlent les deux types de références, où s’imbriquent citations bibliques et païennes, où la considération de l’ici et maintenant enrichit sans cesse la perspective de l’autre monde et réciproquement ? Ainsi les Lettres peuvent-elles suggérer ce que fut Gassendi comme directeur spirituel56. Le texte du chanoine Taxil, qui s’adresse à ce même public de fidèles dignois et ne peut donc présenter de grand écart par rapport à la vérité des faits, révèle ainsi l’ambition constante de la démarche philosophique et pastorale de son prédécesseur, sa hardiesse tranquille peut-être, entre refus de savoir ésotérique et volonté pédagogique affichée : le peuple chrétien sera aussi un peuple philosophe, puisqu’il y a identification pour Gassendi entre 55
Hadot I, 267. Par exemple Gassendi propose au prince une consolation inspirée de Plutarque et énumère un grand nombre de personnages illustres, qui doivent leur renommée non pas à leurs enfants, mais à leurs actes ou à leurs écrits. Le prince peut acquérir « gloire et splendeur » comme ces grands hommes du passé s’il démontre sa vertu dans le deuil qui l’atteint et qui doit l’affecter sans l’anéantir. L’ambition de Gassendi porte plus loin : il ne suffit pas que Valois s’inspire de la moralité d’Épicure et adopte sa philosophie, mais il faut encore qu’il devienne à son tour un exemple pour les autres hommes, d’une part pour le peuple qui se trouve sous son gouvernement, mais encore pour les autres princes : il faut devenir des « exemples dont d’autres princes peuvent s’inspirer, et que les particuliers aient un peu honte de ne pas s’en faire soigneusement les émules ». Dans la lettre du 7 août 1641, Gassendi énonce le principe de cet enseignement : « Tu es tenu à continuer du même pas que tu as commencé, ne fût-ce que parce que tu vis aux yeux de tous, à la plus claire lumière, et que tu ne peux pas, dans cette dépravation des mœurs, ne pas servir d’exemple. […] N’est-ce pas à ton avis, une chose divine : marchant sans te laisser fléchir sur ce sentier, tu répands en même temps, sans y penser, une odeur qui attire bien des gens et les conduit sur la même voie » ? La juxtaposition de deux figures, celle du philosophe marchant sur le chemin de la vertu et celle du saint répandant son « odeur de sainteté », révèle la complexité du projet pédagogique de Gassendi, entre l’édification pastorale et l’exhortation philosophique. 56
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philosophe et chrétien ; son enseignement est une prédication, en quelque sorte, et cet aspect justifie la construction de l’oraison de Taxil qui célèbre le « philosophe Naturel, Moral et Chrestien ». Pour Gassendi, la connaissance de la nature par la science n’est pas contraire à la connaissance par la Révélation, mais au contraire la soutient. Ainsi les biographies de Gassendi continuent-ils son geste, celui-là même qui l’isole pour ce qui est de la postérité, à savoir celui d’un homme qui a plus parlé qu’écrit, mais surtout parlé en dehors de l’université – et s’agissant de ces leçons au Collège royal, ils prennent soin de noter que le public n’est pas principalement constitué d’étudiants de l’université, futurs professionnels de la philosophie, mais bien d’un public d’amateurs, d’une « foule » encore ignorante qui vient se libérer de l’emprisonnement de l’autorité, de la scolastique, de la professionnalisation : l’oraison de Taxil, le texte de Perrault, la Vie en position de préface aux Opera omnia, autant de textes qui s’adressent aux « gens », à une époque où, avec la diffusion du livre, ils prennent connaissance du débat philosophique du temps. Aussi le discours de Taxil permet-il également d’apprécier leur niveau de formation, et donc les fruits de l’enseignement de Gassendi. Le philosophe n’est donc pas, au miroir de ces Vies, le penseur abstrait qui évolue au ciel des idées, celui que Gassendi critique à maintes reprises du reste, le professeur d’université qui se contente d’un public à lui acquis et répétant ce que « le maître a dit », c’est-à-dire un discours qui sert toujours d’autres fins que la vérité, mais bien l’homme qui non seulement observe réellement les astres et autres phénomènes naturels, mais qui de plus fait cet aller et retour souligné par Ramus puis par Bacon entre les mots et les choses, dans une mise à l’épreuve réciproque. Telle est la philologie, telle est la physique et l’astronomie, enfin toute la science moderne dont Gassendi contribue à définir les méthodes. La vie philosophique comme elle se dégage des Vies de Gassendi est la pierre de touche du concept, et le concept est la condition de possibilité de la vie philosophique. La question de savoir si l’œuvre explique la vie ou la vie explique l’œuvre n’a dès lors plus besoin d’être abordée en ces termes. Pour notre philosophe, la division entre vita activa et vita contemplativa n’est donc pas pertinente, ou du moins elle est sans cesse dépassée, puisque la contemplation implique la reconnaissance de Dieu et de la vérité, et donc la mise en pratique, ici exemplaire ; le negotium ou commerce savant, de même que la prière du moine, n’est pas une paresse, mais un exercice de piété, sinon
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l’exercice de piété par excellence, s’il est vrai que, pour Gassendi, et à en croire Vie et mœurs d’Épicure, le grief de haine des sciences libérales est bien le plus grave de tous. Cette synthèse entre vie du grand homme (héros, roi, homme d’action, comme chez Plutarque57) et hagiographie58 se manifeste encore par un dernier aspect : Gassendi est l’homme dont la trajectoire se déploie entre une naissance chrétienne, une vie philosophique et une mort chrétienne, la souffrance étant l’ultime démonstration de l’imitatio Christi59. Cette synthèse a du reste déjà été expérimentée au siècle précédent, dont les différents penseurs, qualifiés de renaissants ou post renaissants, se sont souciés, suivant les traces de ce grand précurseur qu’est Pétrarque, de conjuguer héritage chrétien et héritage païen qu’ils redécouvraient60. Leurs biographes qui ont changé de perspective et sont peu à peu entrés dans le détail de la vie publique de l’homme de pensée, se sont ainsi employés à réintroduire une dimension d’action dans une vie contemplative, afin de faire de l’homme du savoir et de la connaissance un modèle à imiter pour tout individu. Par cette synthèse, qui se manifeste dans le détail même de la vie de Gassendi et dans le choix rhétorique et formel du genre de la Vie, Gassendi est appelé à passer à la postérité comme le vrai philosophe c’est-à-dire comme le vrai chrétien. L’ironie voltairienne peut alors s’exercer61. 57
Du reste le modèle de Plutarque au sens strict du terme connaît aussi une forme de résurrection avec André Thevet, Les Vrais pourtraits et vies des hommes illustres Grecs, Latins, et Payens recueillez de leurs tableaux, livres, medalles antiques et modernes, Paris 1584 dont la traduction anglaise de 1657 apparaît sous la forme d’un appendice à la traduction par Thomas North de la traduction française de Jacques Amyot des Vies de Plutarque. Ou encore le livre d’Alexandre de Campion, les Hommes Illustres (Rouen, 1657) ou les vies d’Hilarion de Coste (voir annexe II à ce nom). 58 Les vies de saint écrites à partir du IVe siècle, en parallèle ou en concurrence avec les Vies des philosophes néoplatoniciens, constituent des sortes de récupération des biographies païennes par la culture chrétienne, qui opère un déplacement dans la définition du grand homme, posant comme modèle absolu – et hors de portée – le Christ, en s’appuyant sur le dogme de l’Incarnation. L’homme le plus modeste peut ainsi avoir part à la vraie gloire, ou plutôt la révéler. 59 Qui plus est, le philosophe épicurien n’est pas un soi-disant héros stoïcien, insensible et comme un Dieu, mais un être qui est accessible à la souffrance, parce qu’il est homme et donc faible. 60 Voir la liste des auteurs de Vies dans Ribard 94 sqq. 61 Bien plus que contre Descartes dont les aspects chrétiens, mis en évidence par Baillet, relèvent davantage du merveilleux et ne constituent pas le miroir de son œuvre.
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Notre Mémoire de Gassendi rassemble deux sortes de textes, dont les genres s’opposent à ceci près qu’ils sont les uns et les autres de portée biographique : les Vies d’un côté, les éloges funèbres de l’autre. Le premier genre décrit le particularisme pour mieux atteindre l’exemplarité et transforme ainsi les événements d’une vie, choisis avec soin, en exempla. Le portrait physique de l’auteur participe de cette volonté d’ériger en modèle un héros parfait. Il n’en reste pas moins que ce genre trouve sa place dans le genre de l’histoire. Le deuxième genre en revanche y échappe entièrement et relève davantage de la littérature ; sans compter que sa forme est particulièrement travaillée, non sans excès parfois, dans des vers extrêmement recherchés, il est aussi plus personnel : il témoigne des sentiments des auteurs, de leurs souvenirs et impressions. Si le premier genre peut se rapprocher de l’hagiographie, le second a des traits communs avec le panégyrique. Cette opposition entre deux genres vaut pour la généralité. Ici les limites se brouillent singulièrement, car les Vies comportent – et tout particulièrement chez Sorbière – beaucoup de notations personnelles, racontant l’histoire du point de vue de ceux qui l’ont vécue62, tandis que les Célébrations comportent aussi des présentations de la doctrine. De surcroît certaines sont le fait de gens qui ont à peine connu personnellement Gassendi. Ces textes, auxquels nous avons ajouté le Soteria, démontrent s’il en était besoin que l’on se situe bien dans la période qui précède le conflit des facultés ; de même que l’activité de Gassendi englobe encore tout ce qui se classe en son temps dans les lettres en général, de même ses célébrations présentent-elles toute une diversité de formes, prose et vers, littérature et philosophie ; de même ses différents laudateurs sont-ils indifféremment hommes de science et hommes de lettres. Les éloges funèbres insistent davantage sur le caractère unique et inimitable de celui dont on constitue le tombeau : ils lui dessinent une place unique dans le ciel, de même qu’ils évoquent le rôle unique que le défunt a joué dans leur vie. La recherche d’exemplarité n’est pas ici de mise, même si les textes s’organisent, d’un point de vue rhétorique, autour d’un certain nombre de lieux communs, qui appartiennent au genre. Par exemple, à la place du récit de la mort qui clôt naturellement les Vies, les laudateurs évoquent aussitôt l’immortalité qui lui est promise. Le tombeau n’est ainsi qu’un passage, et le texte verse dans la littérature. Pour un astronome, la tradition poétique a un Toutefois sans la profondeur et l’exhaustivité de la Vie de Peiresc.
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précédent bien utile, avec le poème de Callimaque sur la chevelure de Bérénice, déjà adapté en latin par Catulle. La pratique toponymique moderne qui conduit à effectivement nommer tel cratère de la lune ou telle constellation du nom de son découvreur donne à ces fleurs rhétoriques une réalité plus dense et concrète ; les auteurs semblent alors constituer comme un groupe de pression qui travaillera à l’inscription réelle du nom dans l’espace stellaire. Ainsi l’astronome recevra-t-il l’immortalité promise en ce monde ; il sera divinisé dans la limite que Lucrèce donne à cette pratique. L’homme peut ainsi avoir part à la divinité telle que décrite dans les limites de la raison, c’est-à-dire la divinité promise par Évhémère, et Lucrèce63. Gassendi propose donc une interprétation originale de l’évhémérisme, qui apparaît dans la matière des lettres sous la forme d’un substantif, ho makaritès, le bienheureux, qu’il réserve exclusivement aux morts ; de son vivant, un homme peut être doté de quantités de perfection et recevoir de Gassendi des épithètes parfois dithyrambiques, mais le makaritès est forcément mort. Cette interprétation de la doctrine d’Évhémère se manifeste encore sous le nom d’épicède, qui est le nom qu’il donne à la poésie funèbre réservée aux grands hommes, tel Mersenne64. Gassendi adopte la proposition d’Évhémère en l’interprétant, en ce que les hommes qui ont bien mérité ont une part à l’immortalité : ils deviennent des bienheureux, des sortes de daimones, de démons ; leurs œuvres et leur nom demeurent éternellement dans la mémoire humaine ; leur statut se rapproche de celui des saints. Les poètes qui célèbrent Gassendi font comme si leurs vers devaient figurer sur le tombeau ou sur le socle d’une statue65, et ainsi avertir le passant d’imiter le grand homme. Vers, Vies, portraits, les éloges dépassent la personne : tel est, selon Antoine Léonard Thomas réfléchissant sur la tradition des éloges66, « le secret de l’orateur, du poëte, du statuaire et du peintre » : un artiste, loin de se contenter de fonder la statue colossale d’un héros, et d’imiter parfaitement ses traits, « tâchera encore de réveiller dans l’ame de la postérité qui doit contempler ce monument, l’idée de tous les obstacles qu’un grand homme eut à vaincre, l’idée de son courage et de sa vigilance, l’idée de l’envie et de la haine, qui, dans tout pays, s’acharnent après les grands hommes ». 63
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Voir Taussig IV. Pour l’épicède, voir le chapitre 3, « Célébrations ». Voir notre figure 7. Thomas, op. cit. (p. 21 n. 21), conclusion.
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Les hommages funèbres ainsi que les tombeaux, réels ou littéraires, ont cette fonction d’enterrer pour mieux assurer l’immortalité promise. Alors que le récit des Vies a pour fonction, en s’effaçant, de permettre la lecture de l’œuvre, le tombeau se rapproche bien davantage d’un culte de la personne, ainsi fleurie, honorée. Le tombeau présente en une unité formelle compacte, très travaillée (statuaire ou forme poétique) une vie qui est déjà un mythe : la gloire de Gassendi tient de l’unité de sa vie tendue tout entière vers l’élaboration d’un unique système. Que ce soit par volonté de se mesurer à Lucrèce ou parce que le thème de l’astronomie offre des ressources infinies d’images et de figures poétiques, il convient de noter cependant que les auteurs des hommages insistent plus sur la dimension de savant et d’astronome que les Vies. C’est aussi que leur destination théorique, c’est-à-dire leur inscription dans la pierre, dans l’architecture funéraire ou dans la statuaire les soumet à de nouvelles exigences, celles du culte des grands hommes qui fleurira au siècle suivant, sacrifiant la vérité biographique au nom de l’exemplarité. Les Vies ne falsifient pas les faits, alors que les poèmes inclinent vers l’hyperbole, la généralisation, la déformation, et Gassendi s’y retrouve exerçant des savoirs qui permettent de boucler l’universalité de son génie, mais auxquels il se sera peu consacré. Là encore, c’est Antoine Léonard Thomas qui, un siècle plus tard, donne la clef de cette amplification, qui n’est pas seulement rhétorique67 : « Faites agir ou penser les grands hommes ; vous verrez naître vos idées en foule ; vous les verrez s’arranger, se combiner, se réfléchir les unes sur les autres ; vous verrez les principes marcher devant les actions, les actions éclairer les principes, les idées se fondre avec les faits, les réflexions générales sortir ou des succès, ou des obstacles, ou des moyens ; vous verrez l’histoire, la politique, la morale, les arts et les sciences, tout ce système de connoissances liées dans votre tête, féconder à chaque pas votre imagination, et joindre partout, aux idées principales, une foule d’idées accessoires. […] Celui qui, sans s’écarter, et en remplissant toujours son but, saura donc le plus semer d’idées accessoires sur sa route, sera celui qui attachera l’esprit plus fortement. […] Peintres des grands hommes, voilà notre modèle ! Qu’une foule d’idées se joigne à l’idée principale, et l’embellisse ». Dans nos textes, on voit la notion de grand homme osciller entre le Grand de ce monde et le héros de la pensée, et le culte se déplacer de l’un à l’autre. C’est ainsi qu’en dépit de la médiocrité littéraire parfois patente de Ibid.
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ces textes, rarement gracieux, il convient peut-être d’attribuer à ces auteurs une intuition, voire une sorte d’anticipation. Car la transformation du savant en héros telle que l’opère la rédaction des Vies constitue une première étape dans un processus fondamental qui caractérise la modernité : elle annonce le rôle de plus en plus crucial que joue le savant, puis aujourd’hui le scientifique au cœur de nos sociétés. Le « premier » XVIIe siècle a tous les traits d’une période charnière à cet égard, dans la mesure où les savants se constituent en Académies, privées, avant qu’elles ne soient reprises en main et contrôlées par le souverain, si bien que le pouvoir politique ne prend pas encore complètement l’initiative dans l’organisation et le financement de la recherche. La tension entre deux valeurs – la science et la nation – se retrouve du reste tout au long de la vie de Gassendi, et dans ses Vies : il professe l’amour de la patrie en même temps que le cosmopolitisme, il défend l’intérêt que trouverai le prince à favoriser le travail des savants, en même temps qu’il invoque le progrès de l’humanité dans son ensemble. Les vies de Gassendi permettent de voir qu’il n’existe pas à cette date de tension entre les objectifs de la science et son application. La recherche poursuit des objectifs de vérité, de liberté, et ne contredit jamais la morale. Le bien de l’humanité en est la perspective première et aussi ultime, puisque dans le cas de Gassendi la connaissance est conçue comme une exploration des grandeurs et puissances de Dieu, et non pas en terme de rupture : elle est le devoir d’un chrétien qui témoigne par là de son obéissance, et non pas le geste d’Adam, premier pécheur. Il n’est pas inutile de rappeler ici à quel point Gassendi ou Galilée ont toujours soutenu que leurs recherches et découvertes servaient les intérêts de Dieu ; cette certitude qu’ils avaient, trop souvent oubliée, voire occultée, tend à confondre, pour le pire plutôt que pour le meilleur, le progrès de la science avec une vision prométhéenne ou faustienne. Il se peut que, donnant en Gassendi le portrait du savant « naturel, moral et chrétien », ses biographes aient ainsi mis le doigt sur une caractéristique fondamentale des savants de la période, leur humanisme au sens où Pierre Magnard le décrit68. Gassendi n’est jamais le maître et possesseur de la nature, jamais le spectre de l’apprenti sorcier ; et si le rappel de son orthopraxie prend parfois le style de l’homélie et sent bien son curé de la Contre Réforme, en particulier chez Taxil, il n’en reste pas moins que l’insistance sur ce point renvoie à une vision de l’homme
Voir Magnard, passim.
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très différente de celle qui est attachée le plus souvent à nos scientifiques contemporains. En outre, il est important de rappeler qu’il n’allait pas de soi que l’homme d’Église soit un savant69 ; il faut remettre cette oraison en perspective par rapport à l’insuffisance intellectuelle, sinon à la complète défaillance des curés du temps70. Le savoir y compris théologique était loin d’être partagé ; Taxil insiste sur le problème que constitue le « défaut d’un savant pasteur », et cela par rapport à des objectifs religieux. Ainsi peut-on découvrir dans son texte, en filigrane, l’activité pastorale de Gassendi qu’il rapproche de celle de François de Sales dont la terre d’évangélisation était du reste géographiquement assez proche. Il ne s’agit pas de surinterpréter cependant, mais seulement d’ouvrir des pistes de réflexion, en ayant bien présent à l’esprit que les jugements portés sur Gassendi nous apprennent peut-être moins sur Gassendi lui-même que sur ses biographes et leurs lecteurs. Notre Mémoire de Gassendi rassemble des textes qui paraîtront à d’aucuns peut-être hétérogènes. Ils ne le sont qu’en apparence, d’une part parce que nous pensons, après Gassendi, que la définition du philosophe est historique et qu’elle ne recouvre pas les mêmes réalités aujourd’hui, au XVIIe siècle ou encore dans l’Antiquité, quoique le nom ne change pas. Nous l’avons démontré, avec Perrault, dans les quelques décennies qui séparent la rédaction des premières Vies de la formulation du Parallèle. Par ailleurs, la mémoire est indispensable, contre l’atomisation, et rien ne fut plus dommageable à la réputation de Gassendi et à sa postérité que l’éparpillement de ses souvenirs et de ses disciples. Dans l’attente de l’ouverture d’un chantier biographique au sens contemporain du terme, le choix de publier des vies, qui associent intimement des éléments souvent présentés comme antithétiques, nourrira aussi, à n’en point douter, l’étude des grandes contradictions où l’on enferme notre philosophe (ancien ou moderne ? épicurien ou catholique ? philosophe ou historien de la philosophie ? sceptique ou dogmatique ? penseur éclectique ou novateur ?) et aidera à leur dépassement. Car la question n’est pas : qu’est-ce que la philosophie ? mais qu’est-ce qu’un philosophe ?
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De même que l’instruction des Grands n’allait pas de soi. Voir Deslandres.
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Note sur le texte En transcrivant les textes originaux nous avons essayé de respecter l’orthographe et la ponctuation. Nous avons restitué silencieusement les mots écrits en abrégé avec les signes habituels de contraction. D’autres mots contractés sont restitués entre crochets. Les personnes mentionnées dans les textes sont identifiées dans l’index biographique qui constitue l’appendice II. Un numéro entre crochets [21] dans le texte de Pierre Gassendi neveu renvoient aux notes explicatives attachées au texte de La Poterie. Pour la bibliographie, nous avons cité en abrégé les ouvrages modernes et ceux, plus anciens, que nous utilisons plusieurs fois. Cependant, pour les ouvrages anciens cités seulement une ou deux fois, nous donnons la référence complète dans les notes de bas de page. Tout travail de recherche dépend étroitement de l’ensemble des travaux de la république des lettres. En dehors des dettes envers nos prédecesseurs que nous reconnaissons par nos citations, nous tenons à remercier tous ceux qui, en répondant à nos questions, nous ont fait part de leurs connaissances et ont ainsi amélioré cet ouvrage. À John Bergsagel, Copenhagen ; Daniel Bizien, Nice ; Paulette Choné, Dijon-Nancy ; Rémy Garçin Archives municipales, Digne-les-Bains ; Howard Jones, Hamilton (Canada) ; Carlos Lévy, Paris ; Emmanuel Poulle, Paris ; Yvonne Poulle, Paris ; Brian Scott, Dublin ; Jacqueline Ursch, Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, notre profonde gratitude ; nos remerciements aussi à Denis Savoie, Palais de la Découverte, Paris, qui a dressé la « carte du ciel » de Gassendi.
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LA VIE, LES ACTIONS & LES MŒURS de
PIERRE GASSENDI édition critique du manuscrit original d’Antoine de La Poterie transcrit du ms 4139 de la Bibliothèque municipale de Grenoble et du résumé préparé par Pierre Gassendi neveu transcrit du ms français 12270 de la Bibliothèque nationale de France
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INTRODUCTION Les vies de savants, qu’elles soient élogieuses ou critiques, sceptiques ou hagiographiques, évoquent rarement les « domestiques », secrétaires, factotums, hommes de confiance, qui entouraient les Illustres. Et pourtant, leur rôle n’est pas négligeable : ils protégeaient leur maître, facilitaient sa vie et étaient mis dans la confidence de ses lettres. Si le rôle de Thiriot1 à côté de Voltaire est relativement bien connu, celui d’Antoine de La Poterie à côté de Gassendi l’est bien moins, et il restera probablement dans l’oubli, à moins d’une découverte inattendue et de nouvelles archives. Néanmoins l’histoire lui doit beaucoup ; car c’est La Poterie qui, le premier, a dressé une biographie de son maître, et cette biographie est, comme René Pintard l’a justement fait remarquer2, notre principale source pour les premières années de la vie de Gassendi. Cette vie de La Poterie est restée longtemps inconnue3. Elle a été composée en janvier 1656, donc peu de temps après le décès du philosophe, sous la forme d’une lettre adressée à un correspondant qui n’est pas nommé, mais qui a dû être un ami de Gassendi. Pintard4 suggère le nom de Laurent Mesme dit Neuré5 qui était censé préparer une vie de Gassendi qu’il ne terminera sans doute jamais6. Quoique probable, cette hypothèse souffre toujours d’un Nicolas Claude Thiriot ou Thériot (1696-1772) pour qui voir NBG xlv 202-3. Pintard I, 597. 3 Cachée dans la bibliothèque de Pierre Gassendi neveu, la vie écrite par La Poterie était inconnue de Bernier et de tous les autres biographes de Gassendi aux XVIIe et XVIIIe siècles. 4 Op. cit. 597. 5 Pour la vie de Neuré, voir ci-dessous appendice ii, ainsi pour les autres personnages mentionnés sans autre identification. 6 Pour des détails voir Bougerel, « Préface » et La Varde, 6-8, 13, 18-24. Cf. Pintard I 425 & 642 n.1. 1 2
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introduction
manque de preuves. Par des chemins que l’on ignore, le texte de La Poterie est assez rapidement7 tombé entre les mains de Pierre Gassendi neveu qui, pour des besoins également inconnus, l’a réarrangé à son goût. Ce deuxième document est quant à lui devenu, comme Tamizey de Larroque l’a souligné8, un document de famille. Pour autant, il n’est pas facile de déterminer la relation exacte entre les deux rédactions de cette vie de Gassendi. Il est clair, d’après son titre et son contenu, que la version de Gassendi neveu repose largement sur celle de La Poterie. En outre, plusieurs phrases communes aux deux textes confirment cette dépendance9. Néanmoins La Poterie n’est pas la seule source de Gassendi neveu, car certaines des informations ou des compléments d’information que ce dernier propose manquent à La Poterie. Celui-ci a écrit sa vie sous la forme d’un récit chronologique, indiquant les années en marge, mais n’hésitant pas à faire des sauts quand il n’a pas de précision particulière à indiquer. En revanche Gassendi neveu a voulu présenter de véritables annales de la vie de son illustre aïeul, ce qui le force à mentionner chaque année même quand il n’a rien à rapporter. Là où La Poterie passe sous silence vingt-six années (mais certains des événements qu’il décrit s’échelonnent sur plusieurs années), pour chaque année Gassendi neveu mentionne scrupuleusement l’âge de son oncle « moins vingt deux jours ainsy qu’à la suite il faudra toujours remarquer » comme il souligne dans son style caractéristique d’avocat plutôt pédant, et le lieu où il se trouvait. Mais quand La Poterie est dépourvu d’informations, il a fort peu de choses à dire de son crû10.
7 La lettre de La Poterie est datée de Paris, du 30 janvier 1656 ; la version de Gassendi neveu a certainement été préparée avant 1666. Voir plus loin, ** à **. 8 Dans les notes ajoutées à sa publication du texte dans la Revue des questions historiques, xxii 1877, 211-40, par exemple la note 2 de la page 213 et dans plusieurs autres endroits. Pour la nature familiale du document, voir plus loin la description du manuscrit. 9 Sous 1618, par exemple, La Poterie écrit » Les Peres Jesuites s’introduisans adroitement dans Aix, & s’emparant aussitôt du Collège ». Gassendi neveu, mais sous 1621, donne « Les Peres Jesuites s’introduisant dans cete ville, & s’emparant tout aussitôt du Collège ». 10 Comme exemple de redistribution, voir sous 1593-94. La Poterie développe sur deux ans l’histoire du cautère appliqué au jeune Gassendi, tandis que Gassendi neveu la place entièrement en 1594, date pour laquelle La Poterie ne mentionne aucun autre événement. Même chose l’année suivante où ce que La Poterie dit concernant les premières lectures de Pierre Gassendi est transposé par Gassendi neveu, presque mot pour mot, à l’année 1596.
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Table 1 Anné non mentionnées par La Poterie 1597 1598 1600 1604 1605 1608 1610 1613 1619 1620 1621 1622 1625 1626 1627 1633 1635 1636 1637 1639 1640 1646 1647 1650 1651 1652
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Informations données par Gassendi neveu, l’âge et la résidence de Gassendi oncle mis à part Rien Rien Gassendi apprend l’arithmétique à Digne Rien Rien Rien Rien Rien Rien Observation d’une éclipse à Aix avec Gaultier Début de sa correspondance érudite, observation d’une éclipse avec son frère Jean Rien, mais il ajoute ici l’histoire de l’arrivée des jésuites à Aix Observation d’une éclipse à Paris, retour en Provence Rien Rien, sauf observations à Digne Observations à Aix et à Digne Observations avec Peiresc à Marseille Lettre à Naudé Mauvais comportement du Baron de Rians Rien Lettres à Liceti et Dupuy Rien Rien, mais il donne ici la fin de ce que La Poterie raconte pour 1646 Extrapolations du texte de La Poterie pour 1649 Extrapolations du texte de La Poterie pour 1649 Rien
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La Poterie considère les dates qu’il inscrit en marge de son texte comme de simples repères, permettant au lecteur de se retrouver facilement dans une narration continue ; mais pour Gassendi neveu les dates sont la structure essentielle, la colonne vertébrale dont dépend tout le reste. L’examen de la table 1 nous montre très clairement que Gassendi neveu manquait de matériel pour mener à bien son projet de rédiger des « annales » complètes de la vie de son oncle, et chaque information qu’il consigne est une pure et simple réutilisation des matériels que La Poterie laisse sous une autre année ; sinon il se contente de la constatation aride que Gassendi a soit fait des observations soit écrit à tel ou tel. Il n’est cependant pas exclu que ces indications soient autrement signifiantes, et nous suggérons quelques pistes, sous toute réserve. Il est vrai que la fréquentation des Lettres latines inspire quelquefois une lecture cum grano salis11, ou bien, plus généralement, le lecteur moderne ne saisit pas toujours les réalités qui étaient évidentes pour les contemporains, au XVIIe siècle, et sont devenues pour nous opaques12. Gassendi a ainsi souvent un style oblique. Mais le risque d’extrapolation ou de surinterprétation demeure. En tout cas, tout indique que Gassendi neveu a puisé dans le Diaire astronomique13 et dans les Lettres latines tout ce qu’il utilise pour le remplissage des années que l’histoire de La Poterie laisse vides, à l’exception notable de certains détails concernant la mauvaise conduite du Baron de Rians à l’égard de Gassendi. Ce qui reste peut nous aider à trouver une fourchette de dates pour la composition du texte de Gassendi neveu. Sous l’année 1622, il note qu’Antoine Arbaud « pour lors chanoine d’Aix » est « a present Euesque de Sisteron ». Arbaud fut évêque de Sisteron de 1648 11
Par exemple pour des cas d’humour. Par exemple le canal de Briare. 13 Pendant toute sa vie, Gassendi consacre ses nuits bien souvent à observer le ciel et multiplie ainsi les observations des différents astres, qu’il consigne dans un diaire, ou journal continu des phénomènes astronomiques, qu’il nomme communément dans les Lettres latines ses Commentaires (Commentarii de rebus cælestibus). Le diaire se trouve dans les Opera omnia, iv, 75-498, et couvre les années 1618 à 1655. Gassendi s’inspire de la méthode mise au point par Tycho Brahé, qui consiste en l’accumulation des données. Car si des observations isolées sont inutiles, en raison même de leur dispersion, quelle que soit leur exactitude, en revanche, pourvu qu’elles soient renouvelées quotidiennement, leur consignation fidèle doit permettre de les confronter dans un second temps et de les interpréter. Il s’agit donc de noter absolument tout, sans présumer de l’utilité de telle ou telle donnée, car l’astronome (ou ceux qui lui succéderont) pourra s’y reporter plus tard et y puiser le type d’information qui conviendra au problème posé. 12
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à 1666. La date de composition du texte de Gassendi neveu ne peut donc pas être postérieure à 1666. Elle ne peut pas, non plus, se placer avant le 30 janvier 1656, date à laquelle La Poterie termine sa lettre à son correspondant. Cependant, vu que Gassendi neveu emprunte aux Opera omnia ses renseignements pour les années non mentionnées par La Poterie, notamment aux Lettres latines, il ne peut pas avoir rédigé avant l’automne de 1658, date de parution des Œuvres complètes, éditées à Lyon par Laurence Anisson et Jean-Baptiste Devenet. Il convient de situer sa rédaction entre septembre/octobre 1658 et 166614. Si le texte de Gassendi neveu est moins détaillé et moins circonstanciel que celui de La Poterie, il n’en est toutefois pas totalement dérivé. À plusieurs endroits Gassendi neveu donne des bribes d’information indépendantes, dont les plus importants sont les suivants : 1592 les détails sur le baptême ; 1593 l’enterrement d’une femme dont il vérifiera par la suite qu’il a bien eu lieu ; 1595 l’observation de la lune par le jeune Gassendi et les remarques qu’elle lui inspire ; 1609 la date de la mort de Fesaye ; 1614 l’identité des examinateurs de Gassendi à Avignon ; 1628 les circonstances de sa rencontre avec Luillier ; 1635 l’expédition à Marseille avec Peiresc pour mesurer l’altitude du soleil à midi ; 1637 certains éléments de la mauvaise conduite du Baron de Rians ; 1638 la prédiction de Nostradamus ; 1647 l’affaire du prieuré de Roumoules. Pour l’expédition à Marseille avec Peiresc, Gassendi neveu a pu puiser dans les écrits publiés de Gassendi, notamment la Vie de Peiresc, mais les autres informations proviennent de sources privées, probablement orales et familia14
Cette datation contredit l’argument de Tamizey I selon lequel le fait que Gassendi neveu note sous 1655 « Ses escrits sont sous les mains de Monsieur de Montmor lequel il a prié par testament d’en auoir soin » prouve que la publication des écrits n’a pas encore eu lieu et que par conséquent la rédaction de Gassendi neveu doit être placée avant l’automne de 1658. Mais la phrase de Gassendi neveu n’oblige pas à conclure ainsi. Elle nous dit simplement où se trouvent les manuscrits de Gassendi. En fait, Montmor remet les manuscrits à François Henry en juillet 1656, et sans doute Gassendi neveu ne l’a-t-il pas su, dans la mesure où il ne jouait aucun rôle dans cette affaire. On ne sait pas qui les a conservés par la suite.
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les. On ne les trouve nulle part ailleurs. Peut-être Gassendi neveu a-t-il reçu quelques informations directement de son oncle – l’enterrement d’une femme en 1593 par exemple – quoique celui-ci, dont tous les commentateurs décrivent la modestie extrême, n’était sans doute guère enclin à parler de lui-même. Plus probablement, la source de ces anecdotes est la belle-mère de Gassendi neveu, Catherine Bodoul, sœur cadette du philosophe, morte en 1673, voire peut-être son propre père André Gassend. Il n’en reste pas moins que les anecdotes racontées par Gassendi neveu peuvent avoir un fondement de vérité. Elles ont leur place dans un document familial. Mais il est étonnant que Gassendi neveu ait exclu des informations concernant sa famille qui se trouvent dans l’écrit de La Poterie. De fait, dans son histoire, qui est beaucoup mieux écrite et bien plus instructive que le simple résumé de Gassendi neveu, La Poterie inclut des anecdotes qui semblent avoir le même statut que celles que rapporte son épigone, c’est-à-dire familiales, intimes. La Poterie ne fut le secrétaire de Gassendi que pendant les six dernières années de sa vie. Ce qu’il dit de l’enfance et de la jeunesse de son maître n’a pas plus d’autorité que ce que raconte Gassendi neveu. Ni l’un ni l’autre n’ont été les témoins de ce qu’ils écrivent, et ils dépendent tous les deux des informations qui leur ont été fournies par la famille et des intimes du philosophe. Néanmoins, l’autorité de La Poterie est peut-être mieux assise que celle de Gassendi neveu ; car, vivant avec Gassendi lui-même, rencontrant quotidiennement ses proches, La Poterie a eu la possibilité de recueillir de nombreuses informations de la bouche même des personnes directement concernées. Qui plus est, il semble que La Poterie se soit davantage impliqué, du vivant même du philosophe, dans la mesure où, dès 1653, il dresse une généalogie de la famille Gassend, ce qui invite à conclure qu’à cette date il avait déjà l’intention de consacrer un mémoire à son maître. En outre, il éditera une sélection des lettres de Gabriel Naudé15, ce qui suggère qu’il a compris tout l’intérêt que représentent les différents matériaux susceptibles d’enrichir la connaissance de la vie des savants en vue de l’étude y compris de leur doctrine. Le modèle à suivre en avait été donné par Gassendi lui-même qui compose une Vie de Peiresc16 puis les vies d’astronomes célèbres et ses prédéces Gabrielis Navdæi Parisini… Epistolæ, editæ cura Ant. de la Poterie, Genève 1667. Cette biographie paraît en 1641 sous le titre De Nicolaï Claudii Fabrici de Peiresc, Senatoris Aquisextiensis, Vita per Petrvm Gassendvm præpositvm Ecclesiæ Diniensis ; elle est 15
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seurs, Tycho Brahé, Copernic, Peurbach et Regiomontanus17. Si les biographies de Gassendi et l’entreprise de son secrétaire diffèrent grandement en terme de volume de texte, il y a aussi des similarités qu’il convient de souligner. Toutes sont organisées chronologiquement, année après année, et se terminent par des réflexions d’ordre général qui, procédant à une synthèse de l’existence du héros, en constituent un portrait psychologique. Elles poursuivent un double objectif, à la fois de relation factuelle et d’exemplarité, des sortes de miroirs des princes adaptés aux savants18. Enfin elles témoignent d’un souci d’exhaustivité : comme Gassendi oncle n’omet aucune des observations qu’il a pu faire, de même le neveu note-t-il tous les détails qui ont pu lui parvenir, les citant sans les hiérarchiser, comme s’il était incapable de présumer ce qui serait important aux yeux de la postérité. Gassendi n’agit pas autrement dans la vie de Tycho Brahé dont il rapporte à la fois les activités d’astronome, de politique, de médecin, ce qui allait de soi s’agissant de Peiresc dont les talents étaient multiples et qui retient l’attention précisément par cette polymathie, mais prend véritablement sens dans le cas des astronomes, comme si leur biographe avait voulu éviter à tout prix une vision réductrice, fausse, due aux priorités interprétatives de son propre temps. Le neveu semble reprendre ce programme, à l’exception notable toutefois du goût que Gassendi témoigne pour l’actualité, dont témoignent de très nombreuses lettres à Valois alors qu’il raconte par le menu à la fois la guerre de Trente ans, les affres de la couronne anglaise avant l’exécution du roi, ou encore les progrès de la Fronde de Provence. Pour les amis qui se sont regroupés autour de Montmor en vue de préparer les Opera omnia, il était important de les orner d’un mémoire biographique et d’un portrait au sens propre du terme19, auxquels s’ajoute le portrait par synecdoque et tout en mouvement que constitue le dernier volume, les reprise dans les Opera tome v sous un autre titre, Viri illustris Nicolaï Claudii Fabrici de Peiresc, Vita, mais le texte n’est pas modifié. 17 Tychonis Brahei, equitis dani, astronomorum coryphæi… Nicolai Copernici, Georgii Peurbachii et Joannis Regiomontani, astronomorum celebrium, Vita (Paris, 1654 ; réédité La Haye, 1655). L’ouvrage est repris dans les Opera omnia, v, 363-534. 18 Rappelons que la traduction anglaise de la Vie de Peiresc, datant de 1657 (du reste la première et la seule qui fût intégrale en langue vernaculaire avant la traduction en français de 1992) porte le titre The Mirrour of True Nobility and Gentility¸qui met bien en évidence les intentions des éditeurs anglais, à la date où ils proposent cette traduction – et non pas nécessairement les intentions de Gassendi qui a à dessein évité de les préciser. 19 À ce sujet voir Turner & Gomez 172-89 en particulier 180 n° 245.
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lettres formant un véritable miroir qui résume en l’amplifiant toute la vie du savant. La Poterie écrivit très certainement son mémoire pour contribuer à ce projet, sans le destiner toutefois à la publication, ce qui lui permit une plus grande souplesse d’expression et une approche plus personnelle, plus affectueuse que n’y autorise un mémoire plus officiel. Car rédiger la vie d’un savant était un phénomène relativement nouveau, dont Gassendi est lui-même un des principaux promoteurs avec sa vie de Peiresc, « un liure nouveau fort curieux », comme Patin le souligna au moment de sa publication20. Sans doute y a-t-il des précédents pendant l’Antiquité et au Moyen Âge, mais les œuvres dites « biographiques » sont presque exclusivement consacrées aux princes, aux souverains et aux guerriers (ainsi les Vies parallèles de Plutarque21), aux ecclésiastiques, aux saints, et très rarement aux philosophes22. L’approche était le plus souvent hagiographique23, édifiante, visant à l’exemplarité : le sujet était présenté comme emblématique de quelques vertus ou vices, et sa personnalité, voire le détail de ses actions, étaient secondaires par rapport aux leçons morales qui s’en dégageaient et qui devaient peu à peu constituer un stock d’anecdotes qui passeraient en proverbe ou en lieux communs, en topoi et exempla et feraient la matière de florilèges. Tout en étant un ouvrage pionnier, la Vie de Peiresc trouve assurément quelques précédents, dont la vie de Pinelli, le grand ami de Peiresc, par Paolo Gualdo24, la Vie d’Erasme par Beatus Rhenanus, l’éditeur d’Erasme (Bâle, 1541), la Vie de Budé, par Louis Le Roy (Bâle, 1557, pour précéder l’édition des Œuvres complètes), voire l’autobiographie de Cardan, De vita propria liber (1575), éditée par Gabriel Naudé en 1643. Il n’en était pas moins encore tout à fait novateur, voire exceptionnel, de consacrer toute une œuvre à un collectionneur et mécène, comme Gassendi le fait, d’autant 20
Reveillé-Parise, i. 82. Ainsi de Plutarque ou de Suétone. Voir, dans une perspective très proche de la nôtre, MacIntyre. 22 Il convient de citer ici l’ouvrage de Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, dont Gassendi édite et commente le dixième livre, consacré à Épicure, et qui constitue jusqu’à aujourd’hui une source fondamentale pour la connaissance des vies des philosophes – secondairement de leur pensée, à l’exception notable d’Épicure. 23 Le genre des Vies de saints n’a pas perdu de son actualité au XVIIe siècle : il n’en faut pour preuve que la traduction, par Arnauld d’Andilly, des Vies des saints Pères des déserts en 1647. 24 Paolo Gualdo, Vita Joannis Vincentii Pinelli, patricii genuensis…, Augustæ Vindelicorum, 1607, in-4?. 21
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qu’il donne à le découvrir dans son existence quotidienne ; la perspective morale y est toute aussi présente qu’elle l’est chez La Poterie et dans toutes les autres Vies de Gassendi, et à cet égard il y a continuité par rapport au modèle « hagiographique ». La différence radicale vient d’un renversement de perspective, car la morale de la fable (c’est-à-dire la haute vertu de l’Illustre) n’est pas donnée a priori, mais elle vient au contraire comme au couronnement d’une existence, c’est-à-dire au couronnement du livre, dans l’ultime phase de la récapitulation. Et ce n’est pas seulement une affaire de rhétorique. Outre qu’il aura toute une postérité, dont l’étude a été récemment ouverte25, le genre que Gassendi contribue à créer trouve un parallèle en Angleterre avec les écrits biographiques d’Izaak Walton sur John Donne (1640) et Sir Henry Wotton (1651)26 ; elle est suivie de près par La Vie du R. P. Marin Mersenne Théologien, Philosophe et Mathématicien de l’ordre des Pères Minimes par Hilarion de Coste (1649), qui est écrite également en langue vernaculaire. En revanche sont en latin la Vie de Jules César Lagalla par Léon Allaci, avec une dédicace de Gabriel Naudé à Guy Patin (1644), la Vie de Pierre Dupuy par Nicolas Rigault (1652), et la Vie d’Henri de Valois par son frère Adrien (1677)27. Quant à la Vita Renati Cartesii, summi philosophi, compendium, auctore Petro Borello medico regis (1656)28, Gassendi en connaissait l’auteur, Pierre Borel, qui lui a même envoyé quelques additions Ribard passim. Sur le genre biographique et son histoire, voir Dosse. Sur Izaak Walton (1593-1683) et The Lives of Dr. John Donne, Sir Henry Wotton, Mr. Richard Hooker, Mr. George Herbert, and Dr. Robert Sanderson, voir Martin. Par la suite, en 1681, William Bates publie à Londres son Vitæ selectorum aliquot virorum, un recueil de vies de savants européens, comprenant les biographies de grands humanistes ou protecteurs de l’humanisme érudit en Angleterre et sur le continent. Pour l’influence de Gassendi et sa vie de Peiresc en Angleterre, en particulier sur John Evelyn et William Wotton travaillant, dans les années 1690, sur une biographie de Robert Boyle voir Hunter xlviii-xlix. 27 Respectivement Allatius, Julii Cæsaris Lagallæ philosophi Romani vita (Paris, 1644) ; Nicolas Rigault, Viri eximii Petri Puteani, regi christianissimo a consiliis et bibliothecis vita (Paris, Cramoisy, 1652) ; Adrien de Valois, De Vita Henrici Valesii (Paris, 1677). Par la suite, Fontenelle créera la tradition des éloges académiques de savants (le premier recueil date de 1719). 28 Rééditée en 1657. Il en existe une version française, dont aucun exemplaire n’est connu et qui date de 1658. Une traduction anglaise est publiée en 1670. Le privilège fut obtenu en 1653, qui permet de donner une date approximative de sa rédaction. Voir Chabbert 314, 319 n.1 341 n° XI. 25 26
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pour sa vie de Peiresc, incorporées dans la quatrième édition (La Haye, 1655)29. Si le projet d’écrire la vie de Gassendi s’intègre dans un genre nouveau de la littérature européenne, qui trouvera son plein épanouissement à partir des années 1650, le mémoire de La Poterie répond aux préoccupations de son temps : il ne s’agit pas de faire des révélations sur son caractère de Gassendi, sa vie privée ou sa pensée30. La Poterie cherche plutôt, à travers le récit des événements publics de la vie de son héros, à montrer l’estime dont il jouit, la considération avec laquelle les Grands l’ont traité, bref à rendre honneur à Gassendi31. Il n’en faut pour preuve que son choix de rapporter que le duc d’Angoulême a envoyé sa propre litière à deux reprises pour chercher Gassendi ; ce détail, insignifiant pour nous, est primordial pour La Poterie32. Ce En revanche, Vie et mœurs d’Épicure ne répond pas au même objectif, dans la mesure où, si les deux premiers livres sont effectivement consacrés au récit documenté de la vie et de la mort du fondateur du Jardin, les six autres visent expressément à sa réhabilitation morale, en vue de l’étude de son système philosophique. Les détails biographiques (nourriture, sexualité, etc.) sont rapportés en vue de cette fin, et non pas pour constituer un portrait. Quoi qu’il en soit, Gassendi ne laisse de côté aucun des témoignages sur Épicure qui aient survécu à l’injure du temps. 30 Les Lettres latines n’offrent pas davantage d’indication sur l’existence de Gassendi au quotidien ; en revanche sa pensée s’y reflète clairement. Pour trouver des renseignements plus personnels, il faut se reporter aux lettres que Gassendi ne destinait pas à la publication, soit les lettres à Peiresc, soit celles à Luillier. Le simple fait qu’elles soient en français démontre que leur auteur leur confère un statut différent. En tout état de cause, elles ne devaient pas figurer dans les Œuvres complètes, en latin, qui sont son legs à la postérité. 31 On peut mesurer l’importance que les auteurs attachent au fait d’être honoré, et de l’être publiquement, par le fait que Michel de Marolles, malgré la modestie qu’il affiche (« Je n’ai jamais eu l’hardiesse de prononcer une parole déshonnête… je ne suis jamais mis dans le bain pour la même raison »), a néanmoins publié dans son Discours… sur l’œuvre d’Ovide (s.d.) un « Dénombrement Où se trouvent les Noms de ceux qui m’ont donné de leurs Livres, ou qui m’ont honoré extraordinairement de leur civilité ». Publier un tel catalogue était aussi une manière de rendre honneur aux gens qui ont honoré Marolles. La liste en est longue : republiée par Goujet dans son édition des Mémoires de Marolles (Amsterdam 1755) elle n’occupe pas moins de 149 pages. Cf. les remarques de Lisa Sarasohn « … le patronage reflète la société des honneurs du dix-septième siècle. L’honneur à proprement parler signifie être honoré par les autres, être reconnu comme un gentilhomme et être soi-même honorable, posséder vertu, honnêteté et civilité. L’honneur ne caractérise pas seulement les Grands et les officiers de l’État, mais est aussi une valeur recherchée par les philosophes qui revendiquent une place de renom dans leur propre constellation de pairs, et plus largement dans le public des lecteurs et la bonne société », 212. 32 Voir ci-dessous 1648 et 1649. 29
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faisant il renverse le sens même de la mention qu’en fait Gassendi, qui quant à lui ne le rappelle que pour remercier encore son protecteur, lui rendre compte du bon usage qu’il fait de ses biens, protester de son humilité et déplorer sa mauvaise santé33. La Poterie considère, au rebours de la modestie du philosophe, que ce fait montre l’estime des puissants pour Gassendi, leur désir de l’honorer, comme si la simple mention dans son récit d’un personnage de haut rang pouvait orner la vie de Gassendi, lui donner un éclat supplémentaire. Mais surtout il découvre ainsi une partie de l’influence que Gassendi a pu exercer et, ce qui est plus important, révèle son statut social singulier. Quoique dépourvu de richesses et de titres nobiliaires, et alors qu’il n’occupait pas une place très élevée dans la hiérarchie ecclésiastique, Gassendi était traité avec une considération sans commune mesure avec sa position sociale. Rappelons cependant qu’en qualité de lecteur au collège royal, il est aussi, en principe, le conseiller du roi, son commensal, et qu’il jouit du privilège de committimus. Mais pour Gassendi aussi, il importe de ne pas être confondu avec la domesticité34. Les amis de Gassendi, et plus encore sa famille devaient apprécier tout particulièrement ce rappel des titres de gloire du philosophe. Indéniablement, l’émotion n’est pas absente des deux versions de la vie écrites par La Poterie, et il évoque même son maître d’une manière très personnelle, mais il sélectionne et organise les faits qu’il raconte avec attention. Souligner la gloire de Gassendi était un de ses objectifs. Ce faisant, il dessine la place que le savant occupe dans la société moderne, à côté du poli33 Lettres latines, à Louis de Valois du 28 novembre 1648 : « J’ai bien songé à des chevaux et j’en ai même déjà loué pour pouvoir finir ce qui me reste de voyage ; mais comme il insistait, j’ai enfin donné mon accord, pour ne pas te causer ce léger déplaisir et pour ne pas stimuler mon indisposition, bien réelle, quoique légère (je n’en suis pas encore complètement remis). J’attends donc ce que ta volonté exprimera à mon égard, en faisant toujours le vœu qu’il me soit permis bientôt de t’embrasser avec vénération ». Puis, au même, du 10 novembre 1649 : « Même si j’avais voulu ne pas trop abuser de ton indulgence et que je me fusse préparé un cheval pour ne pas voyager de façon malcommode, je prends maintenant la décision de ne pas refuser la litière pour laquelle tu as donné des ordres ». 34 Lettres latines, à Louis de Valois, 30 août 1647 : « Tu daignes faire mention de la chambre ornée dans laquelle ta bonté va me recevoir : je t’en prie, qu’il me soit permis de séjourner chez toi, mais seulement à l’extérieur de ton palais. Ce n’est pas qu’être reçu dans ton hospitalité soit un honneur qui dépasse mes mérites, mais je prévois que je pourrai me consacrer à toi d’autant plus longtemps que je semblerais moins faire partie de ton personnel. Il n’est pas nécessaire que j’indique ici des causes que je ne pourrais te dire qu’en ta présence ; qu’il suffise qu’il n’y ait jamais rien de plus sincère ni de plus constant que ma soumission pour toi ».
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tique, c’est-à-dire instrumentalisé par lui, puis l’instrumentalisant peutêtre35. La volonté édifiante propre à l’écriture biographique se manifeste clairement, et l’élaboration de sa philosophie apparaît comme un parcours spirituel. Gassendi apparaît, comme Peiresc dans la Vita Peireskii, sous les traits idéalisés d’un modèle de la vie érudite et vertueuse36 : s’il incarne par excellence le sapiens dans sa double dimension de savoir intellectuel et de sagesse philosophique, il est pareillement fait démonstration de sa piété, de sa dévotion à Dieu et de sa soumission à l’Église, si bien qu’il est un exemplum d’orthodoxie théologique et d’orthopraxie37. Car la réputation de Gassendi a souffert, de son vivant même, non seulement de l’opprobre attaché au nom d’Épicure dont il assure la réhabilitation morale et philosophique38, mais également du renom de « libertinage » qui entoure certains de ses amis comme Naudé et Luillier. Pour La Poterie, écrire la vie de Gassendi, c’est entreprendre un travail de réhabilitation ; Gassendi neveu, quand il adaptera La Poterie, aura la même intention39. La lecture de ces textes, si elle est indispensable à toute étude biographique de Gassendi, exige cependant un regard critique, celui-là même que prônait sans relâche l’homme dont ils dressent le portrait. Cette distance s’impose d’autant plus que l’objectif premier de La Poterie était de célébrer Gassendi. Dans le dossier de Grenoble40, la copie autographe du texte de La Poterie est précédée de quelques feuilles (Fol. 18r - 21v) qui n’ont encore jamais 35
Salomon. Pour la présentation de Peiresc par Gassendi comme « modèle de méthode intellectuelle solide et de sociabilité érudite », voir Miller P, 16-21. 37 Encore plus pour Taxil dans son oraison funèbre reproduite ci-dessous. Pour la gloire de Gassendi révélée par la distinction de ceux qu’il connaissait, voir en particulier les paragraphes qui termine la section « le philosophe moral ». 38 Voir par exemple les lettres à Campanella, où Gassendi répond aux soupçons d’athéisme que l’auteur de l’Atheismus triumphatus fait peser sur lui (Lettres latines, 2 novembre 1632). 39 Tamizey de Larroque fait semblablement en publiant le texte de Gassendi neveu : « Les assertions si précises de celui qui fut le témoin de la vie de Gassend ne permettent pas de douter de la profonde piété du prétendu disciple d’Épicure… la publication des pages que l’on va lire… rendre incontestable la vivacité des sentiments religieux dont Gassendi fut animé jusqu’à son dernier jour… le replacer définitivement parmi les plus fidèles croyants ». Tamizey I, 213. On retrouve la même préoccupation chez les autres biographes de Gassendi – Bernier, Bougerel et La Varde. 40 Infra la présentation des sources. 36
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retenu l’attention des chercheurs. Elles contiennent une version de la vie de Gassendi par La Poterie plus courte que celle de janvier 1656. Ces huit pages sont pour l’essentiel identiques aux douze pages de l’autre version, à l’exception du début et de la fin du texte qui présentent des variantes importantes. En outre, le style est fort différent, cette première version ayant été rédigée pour être prononcée en public : c’est un discours d’occasion, et non pas un écrit destiné à la lecture silencieuse. Matériellement, la graphie est rapide, parfois mal formée, et le texte comporte plusieurs ratures et corrections. Comparée avec l’écriture de la version de janvier 1656, une écriture soignée, sans corrections, claire et agréable à lire, celle de la première version est plus cursive, utilisant des lettres plus arrondies – en particulier pour les ‘A’ majuscules qui sont allongés et pointus dans la version de janvier 1656. Néanmoins les formes de base de la plupart des lettres se ressemblent. On peut considérer que les deux textes sont de la même main – celle de La Poterie lui-même. Sans doute a-t-il écrit cette toute première version de la vie de son maître immédiatement après le décès de Gassendi. Il semble qu’il l’ait prononcée en public, car le ton est celui d’un discours. La Poterie commence : La memoire de l’illustre Gassendus qui vient de quitter cete vale de misere après y avoir laissé des glorieux marques de sa sagesse & de sa pieté est fort fraiche dans vos esprits, Messieurs, mais y est encore sans doute plus douce & plus venerable pour les excellentes qualitez venoit l’enrichy.
Gassendi « vient de quitter » le monde, sa mémoire est encore « fort fraîche » dans l’esprit de ces « messieurs » à qui La Poterie s’adresse. Il n’y a guère qu’un groupe de proches de Gassendi susceptibles d’avoir voulu honorer sa mémoire, devant qui La Poterie ait pu tenir si rapidement un discours de ce genre : c’est le groupe de savants qui a commencé à se rassembler de façon informelle autour de Gassendi dans la maison de Habert de Montmor41, continua de se réunir après son décès et prit finalement, en décembre 1657, le titre plus officiel d’Académie de Montmor42. La Poterie aura augmenté et peaufiné, avant de l’envoyer à Neuré en janvier 1656, le texte de ces quelques feuilles oubliées dans le dossier de Grenoble, qui est la première ébauche de sa vie de Gassendi et qu’il a sans doute lu à haute voix immédiatement après le décès de son maître lors d’une séance de cette pré-académie de Montmor. 41 Ce groupe est lui-même issu de celui qui se réunissait autour de Mersenne dans le couvent des minimes. Voir Maury. 42 Pour cette préhistoire de l’Académie de Montmor, voir Brown I 68-7.
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Il faut y reconnaître une partie de sa contribution à l’édifice – les Opera omnia – que les amis de Gassendi étaient en train d’ériger à sa mémoire. Une partie importante de ce discours étant identique à la version de janvier 1656, il n’est pas nécessaire de la reproduire ici dans son intégralité, et nous nous contenterons de reproduire les variantes : Je n’estonne pas Mess[ieu]rs que le St Evangile commence par la genealogie du Sauveur, & qu’on y voit vne longue suite de Roy iusqu’à Joseph espouse de Marie pour prouver aux Juifs que Jesu Christ estoit le messie promis a leurs peres, il falloit necessesairement leur prouvoit qu’il descendait de David, mais je ne vois pas qu’il soit necessaire de commencer l’oraison fvnèbre des bons Ecclesiastiques de la mesme sorte.
Il poursuit sur quelques lignes pour expliquer que les hommes d’Église ne tirent pas leur dignité de leur ascendance et de leur famille ; car au contraire, leur « plus grand honneur est de participer au Sacerdoce » qui la remplace en quelque sorte. Contrastant nettement avec Taxil qui insiste sur la dimension quasi christique de Gassendi, La Poterie, en signalant cette différence, est sans doute plus proche de l’image que Gassendi voulait donner de lui et de sa conception de l’humanité – dont son rejet des prétendus prophètes rend aussi compte. Il faut ici se représenter les conditions d’élaboration du discours de La Poterie : il l’adresse à une petite communauté de savants, tous amis et proches de Gassendi pour qui ce rappel de la foi catholique très orthodoxe de Gassendi ne peut manquer de faire sens, fidèle à la mémoire de Gassendi qui n’avait de cesse d’affimer la séparation des vérités de la foi et de celle de la science, sans que cette séparation fût une contradiction. Cette conviction, qui rappelle fortement la lettre à la grande Duchesse de Toscane, Christine de Lorraine (1615), fait l’objet d’un échange important entre Gassendi et Boulliau43, que Gassendi conclut dans une lettre du 13 août 1633 : 43
Informé par Luillier de l’interrogatoire de Galilée, Boulliau écrit le 21 juin 1633 (soit la veille de la sentence et de l’abjuration de Galilée) une lettre à Gassendi où il refuse d’envisager la condamnation : « On ne me fera jamais croire que le pape veuille étendre son autorité aux domaines qui ne relèvent pas de la foi. […] Si l’opinion de la mobilité de la terre s’oppose aux écritures ou aux décrets des pontifes, ou aux canons des conciles, j’emploierais le zèle que je mets à la trouver vraisemblable et plus conforme à la nature à la corriger, très facilement ; et même j’exècrerais ceux qui l’ont inventée et les poursuivrais d’une haine accomplie. Car il est sûr que saint Jérôme écrivant au pape Damase a enseigné que celui qui ne se rassemble pas avec toi se disperse, c’est-à-dire que qui n’est pas du Christ est de l’Antéchrist. Mais en quoi est-ce une insulte pour le Christ, l’église ou le pasteur œcuménique de l’église, et en quoi blasphème celui qui dit que la terre bouge ? Tout homme, même s’il n’a qu’une faible teinture de philosophie ou de théologie, voit que les écritures, partout où elles parlent de l’immobilité
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« Ton raisonnement sur le sens des écritures cadre complètement avec le mien. Or vois avec quelle adresse cet excellent vieillard traite le même sujet dans sa lettre ». En tout cas, sous ses apparences quelque peu saugrenues, cette précision ne manque pas de pertinence, comme évoquant les convictions profondes de Gassendi auprès d’un auditoire qui ne peut manquer de les connaître. La Poterie continue : Je vous diraiÿ donc que fort peu de choses de la naissance de Pierre Gassendy… qui a voulu toute sa vie estre traité comme le plus pauvre des hommes. Ce n’est pas que la famille des Gassends qui est originaire d’une bourgade nommé Champtercier au dioces de Digne ne soit recommandable & par la vertu qui a tousjours estait…, & par l’honneur que ses descendants se sont tousjours conservé sans tasche & sans reproche vus par le Monde en gens de bien dans la foi Catholique Apostolique & Romaine.
L’énumération de la famille de Gassendi est la même que dans la version de janvier 1656. L’histoire de son baptême et la manière dont son oncle lui a donné le nom de Pierre, qui manque à la version de janvier 1656, est ici présentée avec encore plus de détails que l’on en trouve dans le texte de Pierre Gassendi neveu. Ce dernier a eu, semble-t-il, connaissance des deux versions de la vie écrite par La Poterie. Cette hypothèse est confirmée par la comparaison entre la première version de La Poterie avec la liste des nouveautés que Gassendi neveu introduit et que nous avons dressée (voir supra p. 49). Cinq des dix éléments apparemment indépendants que donne le texte de Gassendi neveu se retrouvent dans la première version de la vie donnée par La Poterie : les détails du baptême (1592) ; la date de la mort de Fesaye
de la terre, peuvent facilement être interprétées dans le sens de la durée, ou de l’assemblage des parties, ou de sa solidité, qui est refusée aux autres éléments. Puisse le vrai esprit du Saint Siège apostolique et de l’église nous révéler toujours les fondements et les principes de toutes les sciences et nous découvrir les causes inconnues, pour que nous ne flottions pas davantage, ballottés dans des doutes presques infinis ! Mais il se donne du mal pour faire ce qui suffit au salut des hommes, en illuminant nos esprits de la lumière de la foi supra-céleste, et les conduisant dans la juste voie ; les autres sciences sont construites par la lumière naturelle du génie humain. Je sais que le souverain pontife Zaccharie (vers 745) a condamné Virgilius, l’évêque de Salzbourg, parce que cet évêque, mathématicien et plus instruit au regard de son époque, inculte et ignorante, a enseigné l’existence des antipodes : pourquoi l’a-t-il condamné ? Je crois que ce n’est pas parce qu’il a simplement enseigné l’existence d’antichtoniens, mais peut-être parce qu’il en induisait deux Christ, ce qui est un blasphème et une impiété. Nous serions tous condamnés à juste titre, nous autres qui prétendons que la terre bouge, si nous désirions construire quelque hérésie (Dieu nous en préserve !) contre la foi catholique ».
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(1609) ; l’expédition à Marseille avec Peiresc (1635) ; les prédictions de Nostradamus (1638) ; et l’affaire de Roumoules. En dehors de ces éléments que La Poterie supprime dans la version de janvier 1656, les deux textes sont plus ou moins identiques, si ce n’est la fin où La Poterie souligne : Il faut pas Messieurs se contenter du Honneur & de l’admiration des ses actions dont vous avez ouy le recit par ma bouche, ce n’est pas la bonne façon d’honnorer la memoire de l’Illustre Gassendi, ce n’est pas ainsi qu’il se fait louer dignement. Quand j’aurois employé toutes mes richesses & eloquence pour faire ses [illisible] ie serois obligé de confesser que mes louanges sont en dessous de sa vertu.
Faire profession de modestie devant son sujet, d’autant plus que c’est son maître que l’on évoque, telle était évidemment la règle pour l’auteur d’un tel discours. Il n’en reste pas moins que l’on peut prendre au sérieux ce que La Poterie dit et s’interroger sur ses intentions. C’est l’oraison funèbre de Taxil qui comblera bientôt l’éventuel déficit de louanges ; mais s’il affirme qu’il n’a pas trouvé « la bonne façon » pour honorer Gassendi, il veut peutêtre par là inciter ses auditeurs à le faire correctement en s’employant à faire paraître les Œuvres complètes. Quoi qu’il en soit, l’étude de ces feuillets confirme que, sauf en cinq endroits, la vie de Pierre Gassendi neveu dépend de celle de La Poterie et que ce travail a son origine dans les réunions de l’Académie de Montmor.
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Antoine de La Poterie Antoine de la Poterie entra au service de Gassendi avant août 164944. Faisait-il parti de ses domestiques auxquels, d’après Taxil, Gassendi « … enseignait non seulement les lettres, dont ils étoient capables, mais encore la pratique des vertus morales par ses exemples »45, ou était-il déjà un homme formé ? On ne sait rien, car la vie de La Poterie avant 1649 demeure un mystère. Il est originaire du Pas-de-Calais, quelque part dans le diocèse de Boulogne-sur-Mer. Il a peut-être eu quelques relations avec l’évêque de Boulogne, François Perrochel (1602-1682 ; év. 1645 à 1675), car il le mentionne dans une lettre imprimée à J. A. de Thou46. Était-il parent de François de la Poterie (mort en 1703)47 adjoint et éventuellement successeur de Naudé à la Bibliothèque Mazarine ? Nous l’ignorons. Si tel était le cas on peut imaginer qu’une recommandation pour Antoine soit passée de François de la Poterie à Naudé et de Naudé à Gassendi. En tous les cas, Antoine de la Poterie a dû savoir assez 44 Il convient de fait de corriger Pintard I, 384 qui, suivant Opera omnia I 203-16 ; IV 317-19, date d’un peu avant février 1650 l’entrée de La Poterie au service de Gassendi, puisque Gassendi écrit dans une lettre à Valois du 20 août 1649 : « J’écrivais moi-même ces mots quand le paroxysme de fièvre qui m’a envahi a arrêté ma main et l’a privée de tout mouvement. Maintenant qu’il commence à cesser de bouillonner, c’est la faiblesse qui m’empêche de reprendre la plume de ma main. Mais tu feras bon accueil à ce que mon secrétaire Antoine de la Poterie écrive les dernières lignes et prenne sous ma dictée ce que j’avais eu l’intention de t’écrire en plus ». Les Lettres latines évoquent ses différents secrétaires dont les biographes ne disent rien. Il écrit à Schickard le 13 août 1633 qu’il manque d’un « secrétaire compétent » ; le 15 février 1641, il recommande à Louis de Valois de recourir « à mon secrétaire André, un jeune homme tout à fait serviable » ; en 1642, son secrétaire « le jeune et laborieux Antoine Agarrat » est dans les rangs de l’armée à Barcelone. 45 Taxil, infra p. 162. 46 Épître dédicatoire », voir appendice 3. 47 Pintard I, 643 dit catégoriquement que « il n’a rien de commun avec François La Poterie », mais il n’étaye son affirmation sur aucun document.
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de latin pour pouvoir écrire sous la dictée de Gassendi ou encore lui faire la lecture à haute voix48. D’après Taxil, qui l’a connu, La Poterie ne s’attache au service de Gassendi « que pour apprendre dans ses entretiens les sciences les plus curieuses »; il ajoute que Gassendi l’a instruit pendant une douzaine d’années. Si cela est le cas, leur relation doit remonter à 164349. À partir de 1650, La Poterie reste le plus souvent auprès de son maître, et ses absences ont dû être rares. Neuré, dans une lettre qu’il termine en recommandant à Gassendi « conservez vous tousjours » dit que pour cela « Je me repose sur l’admirable soing du cher fidel M. Anthoine à qui je baise auec votre permission très cordialement les mains ». « Il y a longtemps que je conte pour moy tout celuy qu’il vous rend »50. On retrouve La Poterie à Toulon, le 19 décembre 1650, en train de classer la bibliothèque de Louis de Valois51 ; puis en avril 1652 il aide à l’observation d’une éclipse du soleil avec Bernier52, et l’année suivante, il observe une éclipse de la lune à Digne. Quand Gassendi s’installe chez Montmor en mai 1653, La Poterie l’accompagne. Il 48
Voir plus loin les remarques de Gassendi neveu à ce sujet. Taxil infra p. 162. 50 Tamizey II appendice XI, lettre de Neuré à Gassendi 14 avril 1651, 90-91 de l’édition séparée. 51 Lettres latines, à Louis de Valois 19 décembre 1650 : « Je vais souvent visiter ta bibliothèque à laquelle mon La Poterie donne aussi le plus grand soin qu’il peut. Il est en train de dérouler tout ce qui est enroulé et de le tirer d’un tas obscur ; à cela il va ajouter les livres dépourvus de sommaire et passer tout le reste en revue de telle sorte qu’à mon départ, je pourrai tout laisser à Belmont selon un classement distinct et avec une bonne explication ». Puis 26 décembre 1650 : « Mon La Poterie persiste à passer en revue les textes qui ne l’ont pas été, de telle sorte que Luillier pourra découvrir tout ce dont il a besoin sans se donner trop de mal ». Au même, 2 janvier 1651 : « Mon La Poterie a tout classé et réparti en paquets, les lettres du Roi, de la Reine, des administrateurs, de ton père, de tes parents, de tes proches, d’autres et les miennes aussi, en grand nombre ; les documents aussi et les décisions variées, les contrats de même, les comptes des fermiers et autres, en plus des libelles et nombreuses cartes géographiques et cadastrales et un fatras sans valeur ». Au même le 16 janvier 1651 : « Mon La Poterie est maintenant en train de composer un catalogue succinct de tous les livres, dans l’ordre où ils sont répartis sur les étagères, pour qu’il soit plus facile pour Belmont de les compter et de les marquer ». Le travail est achevé le 10 avril 1651 : « Mon Antoine de la Poterie a achevé de faire l’index que Belmont a signé de sa propre main ». 52 Lettres latines, à Boulliau du 14 avril 1652 : « Une petite fièvre m’a encore pris trois jours avant l’éclipse elle-même, et j’en suis maintenant à peine remis ; elle ne m’a cependant pas empêché de m’occuper de tout préparer pour observer l’éclipse et de confier à Bernier qui se trouvait là par hasard, à mon secrétaire La Poterie et à d’autres amis plein de zèle tout ce qui devait être accompli pas à pas ». 49
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devait rester dans l’hôtel de la rue du Temple jusqu’au décès de Gassendi, et même plus longtemps, car Montmor le charge, avec Bernier, d’organiser les papiers du défunt53. Ensuite c’est lui qui va à Lyon pour corriger les épreuves des Opera omnia, et c’est dans cette ville que Sorbière lui envoie, le 9 avril 1658, « tout ce qui manquoit à mon éloge [de Gassendi] ; il n’y a plus à innover ; travaillez, mais ouvrez tous vos yeux quant il vous plaira de regarder les épreuves »54. La Poterie a peut-être été trop diligent : à croire Patin, Montmor n’était pas content du travail de La Poterie parce que il a « changé et ajouté en divers endroits quelque chose dans les écrits de son maître »55. Mais le désaccord n’a pas duré. La Poterie, qui reste à Lyon au moins jusqu’à la fin octobre 165956, continue à être, dès son retour, un membre habituel de l’Académie de Montmor. Le 9 novembre 1660, il s’oppose avec une telle véhémence à un discours de Girard Desargues sur la réalité du point mathématique57 que, d’après Christiaan Huygens (1629-1695), il se ridiculise58. L’année après, le 8 février, il fit un exposé sur le « feu elementaire sous le ciel de la lune ». Si le « Catalogue des livres de Mathematiques qu’il vouloit faire imprimer », mentionné par Henri Justel dans une lettre à Henry Oldenberg comme préparé par « Monsieur dela [sic] Poterie » peut être aussi bien l’œuvre de François de la Poterie que d’Antoine59, il est tout à fait possible qu’il 53 Sur le Testament de Gassendi, voir Infra. Les Lettres latines contiennent des notes en italique qui révèlent la contribution de La Poterie. Le volume se termine par les mots suivants : « Voilà les lettres écrites en latin que son secrétaire a pu récupérer ». C’est sans doute lui aussi qui rédige les différents renvois aux cinq autres tomes des Opera omnia (« Il faut se reporter à l’opuscule… », etc.). C’est aussi lui sans doute qui donne des titres aux différentes lettres de Gassendi et regroupe celles qui doivent l’être. Voir la Table dans les Lettres latines. 54 La Varde, 12, 16. Rochot [I], 19, suggère que c’est La Poterie qui a ajouté la note des Opera omnia, iii, 210, expliquant pourquoi l’Exercitatio ne fut jamais complétée. 55 Reveillé-Parise ii 403, à Spon 5 juillet 1658. 56 Corres Huygens ii 675. 57 La question dite « problème de Poysson » largement traitée par Gassendi dans deux lettres à Mersenne du 2 novembre et du 13 décembre 1635. Voir Rochot III. 58 Les détails sont donnés dans une lettre de Constantin Huygens à Lodowick Huygens, 18 novembre 1660, rapportant les nouvelles envoyées par Christiaan Huygens de Paris. Un long discours de Desargues sur la proposition an punctum geometricum fit ens revera existens, « se suscita un adversaire [La Poterie] qui se mit a luy contredire avec une furie si grande qu’à touts coups il sembloit se mettre en posture de luy sauter au col » Corres. Huygens iii 182, lettre 808. 59 Justel à Oldenberg 16 mai 1666 dans Hall & Hall iii, 133. Les éditeurs disent, sans discussion, que le compilateur était Antoine de la Poterie, mais il est tout aussi probable qu’un tel sujet ait pu être traité par le bibliothécaire François de la Poterie.
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gagna sa vie durant cette période en travaillant pour des éditeurs. En 1662 sort par ses soins un œuvre de Théophile Raynaud (1583-1663)60. Deux lettres qu’il écrit à Samuel Sorbière61 en décembre 1667 offrent le rapport le plus détaillé que nous possédions des expériences de Jean Denis autour de la transfusion du sang, expériences effectuées avec l’appui de Montmor62. Du reste c’est à Montmor que La Poterie dédie les lettres de Naudé dont il assure le recueil et l’édition63. Quand Bernier rentre de ses voyages en 1669, La Poterie s’installe chez lui et il assumera les mêmes fonctions de secrétaire amanuensis (valet toutemain) qu’il a remplies chez Gassendi64. Mais un commentateur anonyme de la scène littéraire, actif dans les années 1670, nous livre une information déconcertante. Pour lui, La Poterie était « bel esprit bon politique », qui ne parlait que de « son Aristote dont il est entesté »65. Malgré cela, vers 1670, La Poterie envisage l’édition de « l’introduction ou l’initiation dialectique à toutes les parties de la philosophie », que Gassendi « a composée à l’Académie d’Aix en préliminaire à ses leçons philosophiques pendant six ans, augmentées tous les ans d’une nouvelle interprétation et de nouvelles réflexions »66. Ces textes furent confiés à La Poterie par Pierre Gassendi neveu67, avec qui La Poterie semble avoir entretenu une relation assez proche68. 60 Hagiologium Lugdunense complectens ea quæ de sanctis Lugduni præsidibus, aut aliquatenus ad hanc urbem spectantibus, disputavit Theophilus Raynaldus…, Accessit dissertatio de primata sedis Lugdunensis… [edidit Antonius de la Poterie], Lyon (A. Molin), 1662. 61 Sur Sorbière, ami de Gassendi, membre également de l’académie de Montmor, voir l’introduction à la vie de Gassendi pour les Opera omnia, infra. 62 Les lettres sont éditées par Brown II, 21-3 : cf. Brown III, chapitre 5. Pour Denis, voir Peumery et, pour une notice contemporaine, BNF ms nouvelle acquisition fr 4333 ff 102v-103r. 63 Gabrielis Naudæi Epistolæ, nunc primum in lucem prodeunt [cura A de la Poterie], Genève 1667. 64 De Lens II, 8; Collection Fillon n° 655. 65 BNF ms nouvelle acquisition fr 4333 f 248v. Ledit commentateur connaissait Patin (« M. Patin m’a dit… »), voir f. 13v. Ce témoignage est confirmé par une remarque de Christiaan Huygens à Lodowick Huygens du 26 avril 1662 « J’ay oy entendu souvent cet Aristotelicien [de La Poterie] qui dispute auec tant de furie, et s’il eust dependu de moy, je l’aurrois banni de là [les assemblées de Montmor] ». Corres. Huygens iv 117, lettre 1007. 66 « Épître dédicatoire ». 67 Ibid. 68 Gassendi neveu l’appelle « Monsieur Mon Cher Amy » dans une lettre du 24 octobre 1655. BnF ms fr 12270 f. 68r.
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Enfin Gassendi n’oublie pas La Poterie dans son testament69 : Et pour tesmoigner la satisfaction qu’il a des bons et agréables services que luy a rendu depuis longtemps et que luy rent encore Antoine de la Potterie son serviteur, et aucunement l’en récompenser, il veult et ordonne qu’il ait et reçoipve les mil livres… promis de faire donner par le sieur de Roberval, en considération de ce que ledict sieur testateur a consenty qu’il soit pourveu en survivance de sa chaise de professeur royal aux Mathematiques. Item il donne et lègue encore de plus audict La Potterie son serviteur la somme de cinq cens livres à une fois payé.
En plus de ces sommes d’argent, Gassendi légua à La Poterie « tous ses habitz, hardes et tous les meubles qui se trouverront en cette ville de Paris », « tous et chacvns les livres a luy appartenantz »70 à Paris à l’exception de trois que Montmor doit choisir et trois autres laissés à la préférence de Jean Chapelain. Qui plus est, Gassendi lui laisse « tous les instrumentz de mathematiques, leurs estuitz et toutes deppendences qui se trouverront luy appartenir » à Paris à l’exception de la lunette que Galilée lui a offerte et de la grande lunette de Divini que Gassendi réserve, toutes les deux, à Montmor. En léguant ses manuscrits à Montmor, Gassendi ajoute que La Poterie peut aider à « les mettre et ranger dans l’ordre que ledict sieur testateur luy a autrefois déclaré ». Si, par chance, « ilz se trouvent de quelque valeur… ce qui pourroit provenir » doit aussi être donné à La Poterie « n’ayant pas eu moyen de le recompenser si adventageusement qu’il [Gassendi] auroit souhaitté ». C’est sans doute en vertu de cet arrangement que La Poterie a reçu le privilège pour l’impression des Opera omnia que Gassendi a obtenu peu avant son décès. De toute évidence La Poterie a eu bien du mérite aux yeux de son maître. Les mille livres qu’il lui laisse représentent une somme de vingt pour cent supérieure aux émoluments que Gassendi recevait chaque année en sa qualité de professeur au Collège royal ; et la valeur des livres et instruments n’était pas non plus négligeable. Le 26 octobre 1655, Patin informe son correspondant à Lyon, Charles Spon, que Gassendi « a laissé tous ses écrits auec la cession de son privilège » à La Poterie, et il lui demande de transmettre cette nouvelle à Guillaume Barbier, l’imprimeur-éditeur de Gassendi dans la même ville. Il ajoute que celui-ci « traitera auec ceux qui les voudront avoir, et ne les laissera qu’au 69 Toutes les citations qui suivent sont tirées de l’édition du testament donnée par Fleury & Bailhache. 70 Pour des détails, voir l’inventaire après décès dressé le 26 octobre et le 17 novembre 1655 publié par Fleury & Bailhache, 44-49.
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plus offrant et dernier enchérisseur, c’est-à-dire moyennant de l’argent comptant et quelques copies ». En effet, le 29 octobre La Poterie céda à François Henry ses droits sur le privilège pour cinq cents livres, mais le contrat conclu en juillet 1656 pour l’impression des Opera omnia confie à La Poterie la mission de travailler sur les épreuves à Lyon où il doit être nourri et logé aux frais de Laurent Anisson, l’imprimeur qui a finalement entrepris l’affaire71. Biographe et correcteur de l’œuvre de son maître et ami défunt, La Poterie a bien mérité l’éloge que Taxil fait de lui « … le plus fide [sic], le plus sage, et le meilleur de ses serviteurs… »72. Les manuscrits Il y a une relation étroite entre le ms 4139 de la Bibliothèque municipale de Grenoble et le manuscrit français 12270 de la Bibliothèque nationale de France73. Les deux manuscrits ne sont, en réalité, que les deux parties du dossier que Pierre Gassendi neveu a compilé au sujet de son oncle. À l’origine aucune des deux parties n’était reliée. Aujourd’hui le manuscrit de Grenoble ne l’est toujours pas, mais celui de la BNF est protégé par une reliure en demi-chagrin rouge avec plats en papier marbré, réalisée par Weber en 1858 et dorée au bas du dos d’un ‘N’ impérial. Les dossiers de Pierre Gassendi neveu ont été déposés, à une date inconnue, à la Bibliothèque publique de Digne. Le naturaliste, collectionneur et antiquaire Simon-Jude Honnorat (1783-1852) les emprunte, apparemment dans les années 1830, mais il meurt sans les avoir rendus74. Enfouis dans sa bibliothèque, ils sont vendus avec celle-ci, une partie étant acquise par la Bibliothèque municipale de Grenoble, l’autre par la Bibliothèque impériale, aujourd’hui la BNF, à Paris.
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Reveillé-Parise, ii. 215-6 ; Turner & Gomez 99. Kirsop donne davantage de détails concernant la préparation des Opera, finalement édités par Anisson, qui s’était associé pour la circonstance avec Devenet. Seule une telle association pouvait permettre de rassembler les fonds nécessaire pour l’impression des six volumes si gros. Voir Jestaz i 256 et ailleurs dans les lettres de Patin. 72 Patin fut d’un autre avis. Pour lui La Poterie fut « un fripon qui a rendu de très mauvais services à nostre ami après sa mort ». Il le traite de « pendart ». Jestaz i 256 n 3. 73 = ancien supplément 5252. 74 Andrieux. Pour le contexte des travaux d’Honnorat, voir Turner I, 31-3, 52-4.
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Aujourd’hui conservé en plusieurs liasses, le manuscrit de Grenoble contient75 : I. Oraison fvnèbre pour Messire Pierre Gassendi prononcée par Nicolas Taxil, Lyon (Guillaume Barbier, 1656) ; II. Menc, Eloge de Pierre Gassendi Prévôt de l’Eglise de Digne, Professeur de Mathématiques au Collège Royal, & Savant Philosophe du dix-septième siècle, Marseille (François Brebion), 176776 ; III. Soteria pro Petro Gassendo, hvivs ætatis philosophorvm principe, recèns peripneumoniâ recreato, Lyon (Guillaume Barbier), 165477 ; IV. Collection d’éloges funéraires sur Gassendi et autres pièces78 ; V. « L’illustre Gassendus ou Le Philosophie Naturel, Moral et Chrétien », manuscrit de l’oration funèbre de Taxil, avec cette note de Gassendi neveu : « originale de l’Oraison funèbre de Taxil »; VI. Antoine de la Poterie, « La Vie, actions & moeurs… de Pierre Gassendi », première et deuxième versions ; VII. Dessin pour la pierre tombale de Gassendi ; épitaphe par Agarrat ; « Sonnet sur la mort de Monsieur Gassendy » ; huit épitaphes en latin sur Gassendi ; VIII. « Amis de feu Monsieur Gassend… », liste de la main de La Poterie79 ; IX. « Mémoire de la dépense de l’Enterrement de M. gassendy » ; X. « A Daphnis prest à faire un grand voyage Sonnet » ; XI. Recueil de documents officiels 1608-1626 ; XII. Reçus et autres documents concernant l’argent passés entre Anne de Cuilly (femme Blondel) à Lhuillier par l’intermédiaire de Gassendi80 ; XIII. Généalogie de Gassendi par La Poterie ;
75
Les numéros ne correspondent pas à ceux du dossier. Probablement une addition au dossier constitué par Honnorat. 77 L’exemplaire porte une dédicace de l’auteur à Pierre Gassendi neveu. 78 Certaines de ces pièces imprimées (celles du numéro VII en particulier), sont extraites de la troisième édition de l’Institio astronomica. donnée par Vlaacq à La Haye en 1656. Voir l’introduction au chapitre 5.i. 79 Transcrite partiellement par Andrieux 23-4. 80 Ce groupe de documents est à comparer avec les quelques reconnaissances de dette de Gassendi à Luillier qui sont contenues dans BNF ms fr 12270 ff 96r - 103. 76
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rie81 ;
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XIV. Textes concernant les dernières maladies de Gassendi par La Pote-
XV. Copies du testament de Gassendi, l’avenant au testament et l’inventaire après décès ; XVI. Documents concernant l’administration du testament de Gassendi ; XVII. Copie de la Resignation que Monsieur Gassendi a fait de sa Prevosté de l’Eglise Cathedrale de Digne en faveur de M. Taxil Chanoine en la même Eglise ; XVIII. Lettre de Gassendi à Pierre Gassendi neveu du 8 octobre 1655 concernant la résignation de sa prévôté à Taxil ; XIX. Lettres de Chapelain 20 janvier 1656 et de Montmor 28 janvier 1656 à Taxil ; XX. Lettre de l’évêque de Senez nommant Gassendi agent du clergé pour la Province d’Embrun ; XXI. Deux billets pour l’enterrement de Gassendi ; XXII. Lettre de Pierre Gassendi à Pierre Gassendi neveu, imprimée le 26 février 1656 avec l’épitaphe de Gassendi ; XXIII. Vers de Jean Loret sur Gassendi tirés de La Muse historique du 30 octobre 1655. Le manuscrit français 12270 de la Bibliothèque nationale de France contient : . ff1r - 21v . ff22r-32 . ff33r-v . ff34-5 . ff36r-66v
lettres de famille, Gassendi à son frère ; son frère à Bodoul ; le mémoire de La Poterie ; lettre de Gassendi ; lettre de Jean Gassendi - à Tournant 1628 ; à Jehan Bodoul ; lettres de Pierre Gassendi neveu à Pierre Gassendi 1650-165582 ; . ff68r-69v lettre de Pierre Gassendi neveu à La Poterie ; 81 En rédigeant ces textes La Poterie a-t-il songé à publier une relation de la mort édifiante de Gassendi, comme l’avait fait, l’année précédente, pour Guez de Balzac l’avocat au Parlement d’Angoulême Moriscet, sous le titre Relation de la mort de M. de Balzac, Paris (A. Courbé), 1654 ? 82 Ces lettres sont à comparer avec trois autres, conservées parmi les autographes Requien ère (1 série n° 4063, 4064 & 4065) à la Bibliothèque municipale d’Avignon.
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. ff70r-73 lettre de Catherine Gassendi à Pierre Gassendi neveu ; . ff79r-88 lettres diverses de Pierre Gassendi ; . ff89r-95v pièces diverses concernant Digne ; . ff96r-103 Varia – reçus de Gassendi pour ses honoraires comme professeur au Collège royal ; reconnaissances à Luillier pour plusieurs sommes. Au premier regard, ce dossier a bien l’air de miscellanées : assemblé par Gassendi neveu, il comporte des pièces familiales, des pièces récupérées à droite et à gauche et des documents officiels. Quelques documents néanmoins viennent indubitablement de La Poterie : i les deux versions de « La vie, actions & mœurs… de Pierre Gassendi » ; ii « Amis du feu Monsieur Gassend… » ; iii Généalogie de Gassendi ; iv Textes concernant les dernières maladies de Gassendi ; auxquels nous pouvons raisonnablement ajouter les copies du testament et les documents concernant son administration. Il semble légitime d’interpréter cet ensemble comme une petite collection de matériaux en vue de l’élaboration d’une vie de Gassendi et, pourquoi pas, pour celle-là même que La Poterie a effectivement écrite. La comparaison de ces documents avec la vie de Mersenne faite par Hilarion de Coste en 1649 ou le volume « in memoriam » préparé pour Gabriel Naudé par Louis Jacob en 1659 met en évidence des ressemblances frappantes. Non seulement La Poterie et Hilarion de Coste commencent, tous les deux, avec le lieu d’origine de leur héros, les circonstances de sa naissance et de son baptême, en précisant dans les deux cas les noms des parrains et marraines respectifs83 ; mais il faut encore noter que tous les deux insistent sur l’exemplarité de leur objet d’étude. Gassendi, alors qu’il n’a pas seulement dix-huit mois, « fait paroistre son esprit par la force de sa memoire, […] commençant desja a s’expliquer & a faire des questions a sa nourrice, qui estoit sa mere ». Mersenne a eu « une ardente inclinaison à la Piété, […] à peine avait-il la langue déliée, qu’il ne parloit que de bonnes choses84 ; enfin les deux savants n’ont jamais eu d’autre souhait que d’étudier. Comme La Poterie pour Gassendi, Hilarion 83 Hilarion de Coste se justifie de donner ce genre de « petites particularitez », alors que Plutarque ne le fait pas, en rappelant précisément que l’auteur des Vies parallèles se plaint d’avoir manqué de détails de ce genre. 84 Hilarion de Coste 6.
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de Coste précise le nom des maîtres de Mersenne et donne le détail de son ordination. Il décrit ses livres et commente longuement sa mort pieuse et exemplaire. Il termine sur quelques mots de conclusion sur la vie de son héros. La célébration de Naudé offre également des similitudes avec l’ensemble du dossier assemblé par Gassendi neveu85. Outre les poèmes in memoriam (46 pour Naudé, 20 pour Gassendi) on retrouve la liste de leurs œuvres (mais tirée de la 3e édition des Institutiones astronomicae…. 1656 dans le dossier de Pierre Gassendi neveu), et on peut mettre la liste de personnes qui ont honorés Naudé en face de la liste des amis de Gassendi dressée par La Poterie. Même si les travaux de La Poterie ou de Pierre Gassendi neveu n’ont pas abouti à la réalisation effective d’un volume in memoriam pour Gassendi, l’existence de ce dossier prouve à elle seule l’intention d’honorer la mémoire du grand homme qui préside à sa constitution. La comparaison avec Coste et Jacob démontre à quel point il correspond aux habitudes littéraires de l’époque. On peut raisonnablement conclure qu’il est l’ébauche d’un volume de célébration. Que ce volume n’ait finalement pas été réalisé s’explique peut-être par l’insuffisance de la notoriété de La Poterie et de l’éloignement, géographique et social, de Pierre Gassendi neveu des circuits de la République des Lettres. Quoi qu’il en soit, le texte de Gassendi neveu n’est pas terminé : le manuscrit comporte des additions intercalées et des notes ajoutées au bas des pages ou dans les marges ; plusieurs des références sont incomplètes. Gassendi neveu a très clairement eu l’intention de compléter son travail, par exemple avec le discours que Gassendi a prononcé lors de sa réception comme Régent du Collège de Digne. Les Textes Les deux textes qui suivent ont déjà été publiés. Le texte original de La Poterie l’a été par Honnorat86, à l’époque où il détenait le manuscrit. Sa transcription est assez exacte, mais il ne donne ni commentaire ni explications. Le résumé par Pierre Gassendi neveu a été publié par Philippe Tamizey de Larroque87. Sa transcription, généralement correcte, comporte néanmoins quelques erreurs de détail ; elle est par ailleurs trop libre dans son traitement des majuscules et de la ponctuation. Elle est enrichie d’une introduction et d’une 85
Pour davantage de détails sur ce volume voir plus loin, p. 214-6. Annales des Basses-Alpes iv 1841, 33-52. 87 Tamizey I. 86
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grande quantité de notes explicatives. Quoique Tamizey ait travaillé une trentaine d’années après Honnorat, il ne semble pas qu’il ait connu la publication de son prédécesseur – du moins n’y fait-il aucune allusion –, ce qui permet de comprendre les hypothèses qu’il avance sans les justifier88. Pour cette nouvelle édition, les deux textes ont été transcrits de nouveau à partir des manuscrits, puis comparés avec les versions d’Honnorat et de Tamizey. Le texte de La Poterie est annoté en détail ; un numéro de renvoi est inséré, entre crochets, dans le texte de Gassendi neveu quand il y est question du même sujet. Texte autographe d’Antoine de la Poterie Monsieur89 Pour satisfaire à vostre curiosité je vous raconteray icy grossierement, & en peu de paroles ce qui m’est venu en La connoissance touchant la Vie, les actions, & les moeurs de nostre Amy commun qui nous a laissé des marques glorieuses de sa Sagesse, de sa Pieté, & de sa Doctrine. Messire Pierre Gassend90, Docteur en Theologie, Prestre, Preuost de l’Eglise Cathedrale de Digne91, Con[seill]er Lecteur, & Professeur ordinaire du Roy aux Mathematiques est issu de la famille des Gassends, qui est originaire d’vne Bourgade, nommé Champtercier92 au diocese de Digne, laquelle est fort recommandable & par la vertu & par l’honneur que ses descendans se sont tousjours conserué sans tasche, & sans reproche vivans parmi le Monde 88 Par exemple sa remarque, n. 3 p. 213, que le fait que Gassendi neveu note que Gassendi est né « entre six et sept heures du matin » est « un détail que seul pouvait donner un neveu habitué a entendre raconter les plus petits incidents de la vie de celui qui était l’honneur de la famille » est invalidé par le fait que ce même détail est donné dans le texte original de La Poterie. Que Tamizey ajoute « Ce détail n’est indiqué par aucun autre biographe », confirme qu’il ignorait l’édition du texte de La Poterie par Honnorat. 89 Peut être Laurent Neuré, voir l’Introduction p. 45, mais si on accepte l’hypothèse avancée p. 57, que la Poterie a préparé la première version de sa vie pour l’Académie de Montmor en devenir, il semble possible que la version définitive fut dressée à l’intention de Montmor lui-même. 90 La forme « Gassend » est rarement utilisée par La Poterie qui écrit le plus souvent « Gassendi ». Pour une discussion sur ce nom, voir Honnorat, 36-40 ; Pintard I, 596-7 ; Turner & Gomez 9, mais leur affirmation que La Poterie a seulement utilisé la forme « Gassendi » doit maintenant être corrigée. 91 Notre-Dame du Bourg. Pour son histoire voir l’ouvrage collectif Bourg édité à l’occasion d’une exposition couronnant une longue série de fouilles et la restauration du bâtiment. 92 8,5 kilomètres à l’ouest de Digne à une hauteur de 750m.
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en gens de biens dans la Foy Catholique Apostolique & Romaine. Son Pere s’appelloit Antoine Gassend93, son grand-Pere Esperit, Son Ayeul François : Sa Mere Françoise Fabry fille legitime de Pierre. Jean Gassend son cadet qui mourut a Auignon l’an 1630 estoit bien versé dans les langues Latine, Grecque, Hebraïques, auoit acquit le bonet de docteur en Theologie & pris l’ordre de Sousdiacre desirant estre aussi de l’Eglise. Il reste encore Catherine Gassend sa sœur, mariée au S[ieu]r Jean de Bodoul94 qui a donné a mariage Lucrece95 sa fille vnique Pierre Gassend[,] fils d’André Bourgeois de Digne, qui a embrassé le Barrau, l’Ocean de l’Eloquence96. 1592 Il nasquit dans Champtercier l’année mil cinq cens nonante deux, le jour de St Vincent97 vingt deuxiesme du mois de Januier entre six & sept heures du matin, & fut baptisé dans la mesme lieu par le Curé Thomas Fabri frere de sa Mere. Ses parrain & marraine furent Bertrand Gayon & Marie Boudoul qui lui donnerent le nom de Pierre d’vne façon plaisante98. On l’esleue dedans ce lieu, ou 93
L’esquisse de la famille de Gassendi qui suit est un résumé de la généalogie composé par La Poterie en 1653. Bibliothèque municipale de Grenoble ms 4139 f 65 voir Féraud. Il reste un travail généalogique important à faire sur les les relations des différentes familles « Gassend » de la région de Digne. En particulier il serait intéressant de savoir le lien exacte entre André Gassend, père de Pierre Gassendi neveu, et la famille de Champtercier, voire la famille de cet Aloysius Gassendus de Digne fils de Jean, qui est inscrit au matricule des Chevaliers du Saint Sépulchre à Jérusalem le 14 octobre 1602 (Anno domini 1602. Mense Octobris. Die 14. Octobris. Aloysius Gassendus dignensis Gallus filius Io[ann]is Gassendi). 94 Ou Boudoul. 95 Ce nom a été ajouté après, au-dessous de la ligne, entre « marriage » et « sa ». 96 Pierre Gassendi neveu n’avait que vingt-deux ans au moment du décès de son oncle. La Poterie, dans la première version de sa vie de Gassendi, dit du neveu « l’esperance doit estre grand & par la vertu qui parroit en luy & par l’emulation que doit faire naistre l’exemple glorieux du feu Monsr son Oncle ». 97 Arrivé d’Afrique en Europe selon Gassendi vers 310, il participe avec Marcellin et Domnin à l’évangélisation de la France. C’est en 375 qu’il succède à Domnin comme évêque de Digne, dont il est le saint patron ; il est mort vers 380. Pour ce que Gassendi dit de lui et de Domnin, voir Notitia (partie II, chapitre 7, « Leçons pour la fête de S. Vincent, deuxième évêque de Digne, célébrée le 22 des calendes de Février, soit le 22 janvier » : « C’est depuis longtemps, de temps immémorial, que nous célébrons la fête de saint Vincent le 11 des calendes de février. Serait-il arrivé qu’il mourût le même jour que le saint martyr Vincent » Ou aurait-on décidé d’une même fête pour les deux ? Pour moi ce n’est pas clair… ». Voir aussi la liste des évêques, Partie III, chapitre 23 (respectivement p. 44 et p. 127 de l’édition moderne.) 98 Cette remarque s’explique en partie par ce que Gassendi neveu raconte de cet épisode (voir plus loin p. 100) et encore plus par la première version du texte de La Poterie. Thomas
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1593 dés l’aage [sic] de dixhuict [sic] mois il fait paroistre son esprit par la force de sa memoire, retenant par coeur tout ce qu’on luy disoit, commençant desja a s’expliquer & a faire des questions a sa nourrice, qui estoit sa mere. En ce temps il vit qu’on portoit vne femme en terre, dont l’idée luy demeura toute sa vie99. Son education ne donna pas beaucoup de peine a sa Mere, son naturel estant fort doux & tranquille, quoy qu’il fust sujet a de ses petites maladies de repletions d’humeurs100, pour a quoy remédier on lui appliqua vn cautere101 au bras, lequel on laissa reboucher peu de temps après, voyant que cela n’y fesoit aucvne chose. 1594 Dans ce bras gauche la toute sa vie il ressenty plus de froid que dans l’autre, & la tenu tousjours plus couuert. Il auoit vne si grande affection pour les liures, qu’il pleuroit pour en auoir entre ses mains. Il commenca desja a lire, & 1595 se plaisoit a considerer les Astres, il estoit fort aise quand il pouuoit sortir le soir de la maison pour aller regarder le Ciel, & souuentesfois102 on Fabri, lit-on, « donnoit le nom de Pierre d’vne façon admirable. Le Curé qui désiroit qu’il est ce nom ayant su par [vide] que les parrains luy est vouloit donner vn autre, l’atrapa de cete sorte, l’Enfant estant sur le fons, le Curé… le disoit je le baptise Pierre au nom du Pere & du fils & du St Esprit amen & se tournant vers le parrain luy dit, ne voulez vous pas qu’il porte ce beau nom, ce qu’il n’osat refuser, Ainsy il est nommé Pierre ». 99 Remarque confirmée par ce qu’il ajoute Gassendi neveu. Voir ci-dessous, p. 100. 100 Furetière, s.v. Repletion : « Abondance d’humeurs, et sur tous de sang. La saignée, la diette, sont de grands remedes, quand on est incommodé de repletion. La repletion est encore plus dangereuse que l’inanition ». 101 Un cautère est un instrument à pointe chauffable au rouge, servant à brûler les tissus. Furetière (s.v. Cautère) : « Terme de chirurgie : C’est un remède brûlant, dont on se sert pour guérir quelque ulcère, ou la carie des os, ou pour détourner et faire sortir les mauvaises humeurs. Le cautère actuel est un bouton de feu, ou fer roussi qu’on applique sur la partie, comme aux fistules lacrimales, ou aux chevaux sur les boutons de farcin. Les cautères actuels sont aussi des fers recourbés, dont on se sert selon le besoin : car il y en a de cultelaires, de punctuels, d’olivaires, c’est-à-dire de la figure d’olives, etc. Le cautère potenciel (sic) est un sel artificiel qui fait une brûlure sur la chair. Il se compose de chaux, d’eau forte, de cendre de gravelée, de figuier, de vigne, de tithymale, de tronc de choux ou d’autres caustiques. Il s’appelle pierre à cautère. Il fait une petite plaie ronde, qui s’entretient avec un pois, ou boule de lierre, qui se met dedans, afin que les mauvaises humeurs du corps se purgent par-là. On doit avoir soin de penser et d’essuyer souvent son cautère. Ambroise Paré enseigne la manière de faire des cautères de velours, qu’il a ainsi nommés, à cause qu’ils ne font point de douleur, surtout quand ils sont appliqués sur des parties exemptes d’inflammation ». 102 Adverbe signifiant « maintes fois ».
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l’a trouué seul dans des jardins loins de la maison, assis sous vn arbre, contemplant attentiuement le Ciel, les Estoiles, & la Lvne. Il s’amusoit tousjours a lire dans les premiers liures qu’il recontroit, & racontoit a ses compagnons ce qu’il apprenoit par coeur, se mettant au milieu d’eux, montant aucvnesfois103 sur vn 1596 escabeau pour estre plus grand & mieux entendu, aucvnesfois aussi il se mettoit a la fenestre, & preschoit la vie de Jesus Christ qu’il auoit apprise presque toute par coeur. Voyant que ses compagnons trauailloient a tout ce qu’on leur commandoit, il se mocquoit d’eux & ne vouloit rien faire de tout cela, il voudroit tousjours auoir soit aux champs, soit a la maison vn liure entre ses mains, & lors que ses Pere & Mere le vouloient foüetter pour le faire trauailler il se mettoit a pleurer, & cryer qu’il n’en feroit rien, qu’il vouloit estudier au Latin. 1599 Ses Parens s’appercevans bien qu’il estoit né seulement pour les Lettres, sur la fin de l’année ils le menerent à Digne pour y estudier, le mirent en pension chez vne personne de leurs Amis, ou l’allant voir souuent, & croyant qu’il seroit mieux auec vn Prestre de leur amis, qui demeuroit dans la ville de Riez104, & leur promettoit de prendre, & de l’instruire, ils le tirerent de Digne pour 1601 le mettre à Riez, ou il ne demeura qu’vne année, a cause qu’il ne s’y plaisoit pas tant qu’a Digne, ce que voyant ses parens 1602 ils l’y remenerent. Vn jour comme il sceut que l’Evesque de Digne deuoit aller faire sa visite a Champtercier, il y alla ayant fait & appris par cœur vne petite Oraison Latine, laquelle il recita fort bien en presence d’Antoine de Bouloigne cet Euesque, dont il fut auec toute sa suite esmerueillé, admirant l’esprit de ce jevne Enfant. 1603 L’année suivante il prit la Confirmation, & la Tonsure de ce mesme Euesque. Le desir & l’amour des Lettres s’enflammant en luy tousiours de plus en plus, l’on voyoit qu’il fesoit de grands progrez dans les Escholes, qu’il auoit vne passion extreme de deuenir Sage trouuant ses delices dedans les veilles, et prenant pour sa deuise ces mots, sapere aude105, qu’il escriuoit sur 103
Ou aucvnefois = quelquefois. Cette commune se trouve approximativement à 41 kilomètres au sud sud ouest de Digne. 105 [Ose savoir] Horace, Épître, I, 2, 41. Dimidium facti, qui cœpit, habet ; sapere aude, incipe (« Ce qui est commencé est moitié fait ; ose savoir, commence »). 104
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ses liures. Il fesoit honte a de plus grands que luy, & dans les compagnies, aussi bien que dans les Escholes il tenoit tousiours le dez106. 1606 Il fesoit representer souuentesfois par ses compagnons, en leur enseignant & la prononciation & les gestes, des petites Tragedies & Comedies au grand contentement & satisfaction d’vn chacvn, ou luy mesme il tenoit son personnage107. Voyant qu’il ne pouuoit plus gueres profiter dans les Escholes de Digne, il se retira chez soy a la maison pour y estudier en son particulier, afin de se rendre capable d’aller estudier en Philosophie a Aix, Ses Pere & Mere estoient bien estonnez de le voir tous les jours passer presque toutes les nuicts dans l’estude prenant a peine quatre heures dv sommeil108. Ils jugerent bien par là que c’estoit sa coustume, qu’il en fesoit autant quand il n’estoit pas chez eux. Ils avoient beau le prier de ne pas tant veiller, sa passion l’emportoit, & n’en fesoit ni plus, ny moins. 1607 Vn jour en descendant l’Escallier il glissa, & se desmit109 le pied droit auprez la cheuille, ou au moindre froid il a tousiours senty douleur, quoy qu’il tint cette partie là bien couuerte pour la rendre chaude. 1609 Il s’en alla après estudier en Philosophie a Aix sous le R. Pere Fezayi Religieux Carme, auquel jay ouy dire qu’il ne sçauoit point s’il estoit son
Escholier, ou son Maistre110, tant il auoit de capacité & d’esprit, & qu’il le prioit de faire la leçon en son absence, de quoy il s’en acquittoit fort
C’est-à-dire « dais » du Provençal deis, ici dans un sens particulier que Furetière explicite, s.v. dais : « Il y a aussi des dais portatifs sur quatre colonnes, sous lesquels on porte le St Sacrement. On les appelle aussi le ciel ». 107 Les productions théâtrales dans les collèges, relativement rares pendant la première moitié du XVIe siècle, sont devenues de plus en plus courantes pendant la seconde moitié, suivant l’exemple des éducateurs jésuites qui faisaient écrire des pièces à leurs élèves ; ils les utilisaient comme des exercices permettant de former à l’art de la rhétorique, mais y puisaient également leurs exemples pour leur inculquer des leçons morales et politiques. Voir Dainville II, 473-503 ; Brockliss, 163-77. On peut soupçonner que le rôle très actif ici attribué à Gassendi était au moins encouragé, sinon dirigé, par ses professeurs. Voir Bernier, infra p. 512. 108 Cette remarque est sujette à caution. Diogène Laërce, entre autres, rapporte qu’Aristote ne dormait que quatre heures par nuit, et la même caractéristique était attribuée à d’autres savants remarquables. Il semble préférable de la prendre pour un topos à même de souligner l’ardeur de l’étudiant plutôt que d’y voir un fait authentique. 109 C’est-à-dire qu’il souffre d’une inflammation d’un ligament. 110 Cf. Taxil, Oraison fvnèbre… qui note : « Le P. Fesaye… m’a dit cent fois que M. Gassendi, estudiant sous luy et n’ayant encore que 15 ans commencés, il estait assez capable pour estre son maistre plutôt que son escholier ». Il est assez probable que Fesaye ait pu dire 106
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bien111 ; aussi les Escholiers disoient-ils qu’ils apprenoient plus a faire des repetitions auec luy, que d’aller a l’Eschole.
1611 Il estudia en suite en Theologie partie sous le mesme Pere, partie sous M. Raphäelis112 Professeur dans l’Vniuersité, ou il n’eust pas grande peine acause qu’il sçavoit fort bien auparavant tout le compendium de St. Thomas113. Ayant acheué son Cours de Philosophie, & de Theologie114 il ne refusa pas l’offre que lui fesoient les Messieurs de la Ville de Digne 1612 de la direction de leur petit college115 ; il s’y en alla aussitôt, & dans l’Oraison qu’il leur fit a son Entrée il leur tesmoigna l’amour qu’il conseruoit pour la Patrie, Exigit hoc, leur dit-il, Patriæ debitum vestraque in me in jubendo authoritas, vt quod ab inævnte ætate oppigneratum est ; florescente jam jam exhibere incipiam. Ipso itaque animo meum suscipitite obsequium, quo majora multùm voueo, si quod mihi in votis est aliquando fuero consequutus116. Il monstra par ses disputes, & par le progrez de ses Escholiers qu’il estoit aussi capable que tous ceux qui s’y vouloient presenter, quoi qu’ils fussent & plus grands, & plus aâgez que luy. Tout le Monde publioit hautement qu’il estoit la même chose à chaque auteur. Pour l’influence de Fesaye et la tradition des Carmes en philosophie sur Gassendi, voir Armogathe. 111 Cf. Bernier, Préface a4r-v. 112 Trois ans plus tard, le 28 décembre 1614, la classe de Raphaelis comporte vingt-cinq étudiants. Leur salle manquait de bancs et de pupitres. Plantié 139, 140. 113 C’est-à-dire un abrégé du système philosophique de Thomas d’Aquin. 114 Cf. Bernier, Préface a4v. 115 La Poterie sème ici une certaine confusion. La Régence et les chaires de l’école ou collège de Digne étaient données aux candidats qui se montraient les plus doués dans la « dispute » qui, organisée chaque année, servait de concours. C’est peut-être à cette dispute que La Poterie fait allusion quelques lignes plus bas. Le poste de Régent ne fut proposé à Gassendi qu’après il a eu fait sa dispute. Son salaire comme Régent principal était de douze écus par trimestre, le premier paiement étant versé en juin 1613. Voir Isnard E, I 428. D’après Bougerel, il a été professeur de Rhétorique pour l’année 1608-9. Arnoux, 20-22. 116 [Ma dette envers la patrie et la légitimité des ordres que vous me donnez exigent que je prenne cet engagement en avançant en âge ; je commencerai déjà à en faire preuve dès la fleur de l’âge. Daignez donc recevoir de tout cœur mon obéissance dans cet état d’esprit qui est le mien quand je m’engage à vous donner bien davantage, si je peux obtenir un jour ce dont je fais le vœu] Gassendi neveu propose de donner le texte de l’oraison, mais il ne le fait pas, soit que, tout en connaissant l’existence du texte, il ne l’ait jamais vu, soit qu’il l’ait eu en main, mais ne l’ait jamais ajouté à son écrit. En tout état de cause l’oraison semble être perdue.
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digne non seulement de gouuerner un petit College ; mais vne Vniuersité toute entiere. Et c’estoit a qui des Principaux de la Ville pourroit auoir l’honneur de le loger chez soy. 1614 Il alla prendre les Quatre Mineurs117 & le sousdiaconat118 a Senez119 de Jacque Martin120 Euesque audit lieu, ensuite il alla a Auignon disputer & obtenir le Bonet de docteur en Theologie, lequel il acquit auec gloire en la presence de Stephanus Dulcis Archeuesque dudit lieu, & Vicelegat de Nostre St. Pere le Pape. Sur la fin de la mesme année tout Digne s’employa pour luy faire donner la Theologale vacante par la mort de s[ieu]r Araby121, & les Messieurs du Chapitre luy confererent un Canonicat122, mais Pelissier de Bouloigne Chapelain ordinaire du Roy luy disputa sur vn bresuet de joyeux aduenement a la Couronne123 1615 & le fit aller au grand Conseil a Paris, ou il alla & gaigna son procez auec despens. Entre les raisons de son Advocat, je me ressouuiens que celle cy en fut vne, que ledit Pelissier ayant voulu monter en chaire dans l’Eglise de Digne, n’auoit peu acheuer son discours acause [sic] de son ignorance, qu’il estoit demeuré tout court a l’Aue Maria a sa confusion & a la risée de tout le Monde124, & qu’il n’estoit point capable de ce Canonicat, qui requeroit vn bon Predicateur, tel qu’on auoit desja reconnu celuy pour qui il parloit. Il prit l’ordre de diacre a Paris, & estant de retour en Prouence
Furetière, s.v. mineur : « On appelle les quatre Ordres mineurs ou les quatre Mineurs les Ordres qui ne sont point sacrez, qu’on reçoit entre la Tonsure & le Sousdiaconat, qui sont ceux de Portier, de Lecteur, d’exorciste et d’Acolyte ». 118 Furetière, s.v. sousdiaconat : « le premier des ordres sacrez ». 119 Au bords de la rivière Asse, à quelque 31 kilomètres de Digne. 120 Senez, évêché suffragant d’Embrun que Jacques Martin occupa de 1601 à 1623. 121 La formule « tout Digne » est une exagération de la part de La Poterie. Elle s’explique par le fait que ce fut le conseil municipal de Digne lui-même qui présenta Gassendi au choix des chanoines pour la place de théologal. Isnard E, I, 428. D’après Bernier (Préface a4r), c’est grâce à la qualité de ses prédications que Gassendi fut pressenti pour la fonction de théologal qui avait pour principales tâches la prédication et l’enseignement de la théologie. Au moment de la rédaction de sa préface, Bernier possédait « quelques’vns de ses Sermons qu’on me conseille de donner au public, tant on y remarque de piété, d’éloquence, & de bon sens ». 122 Le 1er septembre 1614 d’après un acte notarial de la même date publiée par Cruvelier dans Bulletin de la Société des Basses-Alpes i, 18. 123 C’est-à-dire que Pelissier s’est vu promettre la place par brevet royal, sans que cela ait été confirmé par la ville et le chapitre. 124 Sur la France terre de mission et l’ignorance crasse des curés, voir Deslandres. 117
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1616 Torrecella Euesque de Marseille le fit Prestre ; le jour St Pierre ezliens125, premier du mois d’Aoust il celebra sa premiere Messe dans l’Eglise des Peres de l’Oratoire d’Aix. Il se preparoit a enseigner dans l’Vniuersité d’Aix quelques petits Traitez de Theologie lors que les Messieurs de la Ville luy vinrent proposer s’il vouloit enseigner la Philosophie, qu’vn de leurs Professeurs n’estant point revenu après les vacances de l’Espaigne son Pays ou il alloit souvent se promener, qu’estant peutestre [sic] mort en chemin, ayant laissé son cours a demy, il pourroit prendre sa place, ce qu’il accepta & il reussit, donnant vne Philosophie 1617 qu’il auoit composé luy mesme presque toute contraire a la commune & remplie de Paradoxes126. Il continua d’y professer publiquement six années entières127, durant lequel temps il se fit admirer d’un chacun, se craindre des Antagonistes, & s’aimer des vrais amateurs de la verité, ainsi Mr. Le Prieur 125 C’est-à-dire Pierre es-liens. Les chaînes de Pierre sont vénérées le 1er août, par une christianisation d’une fête païenne rendue en l’honneur d’Auguste. Voir le Bréviaire romain : « Au temps de l’empire de Théodose le jeune, Eudoxie son épouse vint à Jérusalem pour accomplir un vœu ; elle y fut comblée de nombreux présents, dont le principal consistait en une chaîne de fer ornée d’or et de pierreries, qu’on assurait être celle dont l’Apôtre Pierre avait été lié par Hérode. L’impératrice, l’ayant pieusement vénérée, l’envoya ensuite à Rome à sa fille Eudoxie qui l’apporta au Souverain Pontife; celui-ci à son tour lui montra une autre chaîne dont le même Apôtre avait été chargé sous Néron. Comme donc le Pontife comparait la chaîne romaine avec celle qu’on avait apportée de Jérusalem, il arriva qu’elles se joignirent entre elles de telle sorte qu’elles parurent, non pas deux, mais une seule chaîne faite par le même ouvrier. Ce miracle fut pour ces liens sacrés le point de départ des plus grands honneurs; sous le nom de Saint-Pierre-èsliens du titre d’Eudoxie, on fit sur l’Esquilin la dédicace d’une église dont la fête anniversaire fut établie aux calendes d’août. De ce moment les solennités profanes des Gentils que l’on continuait de célébrera ce jour, cédèrent devant l’hommage rendu aux chaînes de Pierre. Le contact de ces chaînes guérissait les malades et chassait les démons. Ainsi arriva-t-il que, l’an du salut neuf cent soixante-neuf, un certain comte, familier de l’empereur Othon, possédé par l’esprit immonde, se déchirait de ses propres dents ; conduit par ordre de l’empereur au Pontife Jean, à peine la chaîne sacrée eut-elle touché son cou, que le malin esprit s’échappant le laissa délivré. En suite de quoi, la dévotion des saints liens se répandit dans Rome ». 126 Furetière, s.v. paradoxe : « Proposition surprenante & difficile à croire, à cause qu’elle choque les opinions communes & receuës, quoy qu’elle ne laisse pas quelquefois d’estre veritable ». Le terme renvoie bien évidemment au livre de Gassendi contre les aristotéliciens. 127 Probablement de l’automne 1616 à 1622, comme le dit Bougerel 8. La Poterie semble ici devoir être déchargé de l’erreur que Pintard I, 597, suivant le texte de Gassendi neveu, lui attribue. La même confusion se trouve dans Joy, 238 n. 2. Gassendi a enseigné la logique à 60-80 élèves qui l’appréciaient, au Collège royal de Bourbon (fondé en 1603). Plantié 142 n. 6.
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de la Valette128 le cherit, Mr. du Peiresk129, Mr. Le Premier President d’Oppode, Mr. Decormis Ad[vo]cat g[ene]ral & presque tout le reste de ce Parlement qui prenoient grand plaisir d’aller escouter, assister a ses disputes, le faire connoitre a tous leurs amis, & luy rendre leurs Bibliotheques communes, luy prestant tous les liures qu’il desiroit. Mr. Le Prieur de la Valette dés ce temps là l’excita a s’appliquer aux Mathematiques, qui font la plus belle partie de la Philosophie, la plus certaine, & la plus recherchée, souuentesfois ils fesoient ensemble des observations, notament ils virent le Comete qui parut cete année la130. 1618 Les Peres Jesuites s’introduisans adroitement dans Aix, & s’emparant aussitôt du College131, il se vit contraint par honneur, ayant commencé son Cours de l’aller acheuer dans vne grande sale que Mr. L’Evesque de Sisteron132 son ami luy presta pour cet effet. 1623 Il se retira ensuite en son Benefice a Digne, ou il s’addonna a faire souuent des predications aux chanoines ses Confreres, & au Peuple133. Le Chapitre le deputa pour aller a Grenoble134, ou pendant ses heures de repos 128
Joseph Gaultier. La mention de Peiresc sous cette année n’implique pas, comme plusieurs commentateurs l’ont pensé sur la foi de la version de Gassendi neveu, que Gassendi ait fait la connaissance de Peiresc durant cette période. 130 Gassendi rend hommage à Gaultier et à ses encouragements à la fin de la préface de son Diaire (Opera omnia IV, 75), mais la première observation est celle de la comète du 28 novembre 1618. 131 En 1621, mais ce ne fut pas arrivé aussi subrepticement que la phrase de La Poterie veut bien le suggérer. C’est l’évêque Alphonse de Richelieu qui a invité les jésuites à s’installer à Aix, mais il eu du mal à obtenir du parlement la ratification indispensable de leur contrôle sur le collège de la ville. 132 La « grande sale » a été mise à disposition par Antoine Arbaud de Matheron qui était à cette date chanoine de l’église métropolitaine de Saint-Sauveur à Aix et devint ensuite évêque de Sisteron (1648 – 1666). C’est à la requête des ses élèves en 1621 que Gassendi a pu achever son cours. Plantié 142 n. 6 note que l’année suivante Gassendi « se porte candidat à la deuxième régence en théologie, ainsi que Fesaie et trois autres, mais la dispute n’a pas eu lieu cette année-là ». Gassendi ne s’est plus présenté par la suite. 133 Gassendi préparait ses prédications avec beaucoup de soins. Dans une lttre à Luillier du 6 janvier 1633, il explique que « …chacune de mes prédications me couste deux journées entières, mais je devois dire trois, car pour la préparation il me faut deux jours, et ce sont ceux que j’entendoy, un pour de[s]signer et grossoier mon affaire, l’autre pour le mettre au net, et après j’employe le IIIe à apprendre par cœur, et à dire ce que j’ay préparé ». Aussi « la satisfaction du peuple…véritablement est plus grande que je ne vous ozerois dire, ». Rochot II, 53. 134 Gassendi fit ce voyage à Grenoble, où il demeura du 28 novembre 1623 à juillet 1624, afin d’affirmer les droits féodaux du chapitre de Digne sur le prieuré de Notre-Dame de Gaubert. Pour les détails de cette longue affaire, voir Isnard E, II, 59-67. 129
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il fit imprimer a la sollicitation pressante de ses amis son premier livre adversus Aristoteleos135, lequel ils vouloient faire imprimer ailleurs sur les copies qu’ils en avoient136. Les Messieurs de Grenoble137 l’ayant ouy quelquesfois prescher, le prierent instament de vouloir demeurer dans leur ville, luy promettant de luy donner tout ce qu’il voudroit, mais il s’en excusa honnestement. M. de Valois Thresorier de France son amy lui donna la connoissance de Mr. Le Duc Lesdiguieres lequel estoit fort aise de sa conversation138. 1624 Il retourna a Paris au mois de Septembre139, ou il eut la connoissance de plusieurs personnes de condition & de Lettres, & s’en alla en Prouence le mois d’Avril suiuant. Son 1628 troisieme Voyage pour Paris fut l’an 1628, ou estant Mr. Luillier son amy le mene en Flandres, Holland, Angleterre140, auec dessein de pousser plus loin leur promenade si la facilité des chemins l’eust permis ; dans ce voyage il connut tous les sçavans & curieux de ce pays là, il vit Erycius Puteanus, d’Heinsius, Myræus, Helmontius141, &c ou il fit son livre de Parhelijs142, [Contre les aristotéliciens] Exercitationvm paradoxicarvm adversvs Aristoteleos Libri septem. In quibvs præcipva totius peripateticæ doctrinæ fvndamenta excutivntur, opiniones vero aut novæ, aut ex vetustioribvs obsoletæ stabilivntur, Grenoble 1624. Pour les détails de sa publication, voir l’introduction de l’édition et traduction par Rochot I. Repris dans les Opera omnia, iii (livre I suivi du livre II), 10-212. Dans son projet originel, ce premier texte philosophique de Gassendi devait comprendre sept livres et passer en revue les « fondements principaux de toute la doctrine péripatéticienne et de la dialectique ». À la place des opinions qu’il aura renversées, l’auteur promet d’établir des « opinions nouvelles ou renouvelées des Anciens ». 136 Ses amis, en particulier le médecin David Tavan, sieur de Lautaret, le menacèrent d’éditer une version non autorisée. La publication d’un ouvrage à la suite des encouragements de ses amis – et de leurs menaces – est une constante de l’histoire des textes de Gassendi, et on peut se demander si sa réticence n’était pas quelque peu simulée. Ce qui est réellement important dans cette histoire est le fait que des copies manuscrites des conférences de Gassendi étaient en train de circuler. 137 C’est-à-dire les membres du Parlement. D’après Taxil ils ont proposé à Gassendi la chaire de l’église de Saint-André avec un traitement de 300 écus. Infra p. 151. 138 Titre que l’employeur de Valois, Charles de Blanchefort, Comte de Créquy (1578-1638), ne reçoit qu’en 1626. 139 Gassendi quitte Digne le 20 septembre. Il n’arrive pas à Paris avant le 15 octobre après avoir séjourné à Grenoble et à Lyon. La raison de ce voyage était toujours le procès du chapitre concernant Gaubert, transféré à Paris. Isnard E, II, 64. 140 Pour ce voyage voir Turner & Gomez 64-66, mais Gassendi n’a jamais visité l’Angleterre. 141 Van de Putte, Heinsius, Le Mire et Van Helmont. 142 [Sur les parhélies] Parhelii, sive Soles quatuor, qui circa verum apparuervnt Romæ, die XX. Mensis martii anno 1629, et de eisdem Petri Gassendi ad Henricum Renerium epistola, 135
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1629 Mr. Du Peiresk luy ayant envoyé ce qui auoit esté imprimé a Rome sur les quatre Soleils qu’on y auoit veu, sur quoy il le prioit de luy mander son sentiment afin de l’enuoyer aux Cardinaux Barberini a Rome, qui l’en supplioient143. 1630 Le R. Pere Mersenne144 son amy l’ayant prié d’examiner la Philosophie chymique de Fluddus145, apres plusieurs supplications reïterées il se mit a coucher par escrit son sentiment & le luy bailla, lequel il fit imprimer aussitôt sous le titre Exercitatio Epistolica aduersus Fluddum146. 1631 Keppler ayant donné aduis147 qu’on verroit Mercure dans le soleil, il s’apresta a l’obseruer, & la descouurit par son mouuement fort distinctement ainsi qu’il la expliqué dans son liure Paris (Antoine Vitray), 1630. Pour des détails sur l’édition précédente, d’Amsterdam, non autorisée, Turner & Gomez 129. 143 Barberini est en partie à l’origine de la réflexion sur les parhélies. Peiresc écrit à Dupuy le 16 avril 1629 : « Le sieur Suarès m’a envoyé (de la part de M. le cardinal Barberin, ce dit-il) une figure d’un phénomène bien extravagant de cinq soleils apparus à Rome sur Saint-Pierre en plein midi le 20 dudit mois de mars, laquelle je vous aurais aussi bien envoyée très volontiers, par cette voie extraordinaire, mais nos curieux d’ici me l’ont ôté des mains tantôt pour le voir ». Puis Gassendi évoque dans une lettre à Wendelin du 21 mai 1629 « la description que l’illustre cardinal Barberini a envoyée à notre ami ». 144 Mersenne a probablement fait connaissance de Gassendi au moment de sa deuxième visite à Paris fin 1624. Voir la discussion détaillée dans Correspondance Mersenne i, 192-3. 145 Dans ses Quæstiones celeberrimæ in Genesim…, Paris 1623, Mersenne a lancé une attaque très violente contre les doctrines de l’alchimie philosophique, de la Rose-croix et de l’hermétisme syncrétique défendues par le médecin anglais, Robert Fludd (1574-1637). Dans son Sophiæ cum moria certamen, in quo lapis Lydius a falso structore, Fr. Marino Mersenno, monacho reprobatus, celeberrima voluminis sui Babylonici (in Genesim) figmenta accurata examinat…, n.p. 1629, Fludd riposte violemment à l’attaque personnelle de Mersenne ; dans Summum bonum, quod est verum Magiæ, Cabalæ, Alchymiæ, Veræ, Frattrum Rosæ-crucis verorum subjectum, in dictarum scientiarum laudem, et insignis calumniatoris Fratris Marinin Mersenni dedcus publicatum…, n.p. 1629, il défend les frères de la Rose-croix, la cabale et l’alchimie en général. 146 [Essai épistolaire contre Fludd] Petri Gassendi theologi Epistolica Exercitatio, In qua Præcipua principia philosophiæ Roberte Fluddi medici retegvntur, & ad recentes illius libros, aduersus R.P.F. Marinum Mersennum… respondetur. Cum appendice aliquot obseruationem cœlestium, Paris 1630, repris dans les Opera omnia, iii, 213-265. 147 Dans les éphémérides qu’il prépare pour les années 1629-31. En 1630, après la mort de Kepler, son gendre Jacob Bartsch réédite cet avertissement, Johannis Kepleri… Admonitio ad astronomos, rerumque cœlestium studisus, de raris mirisque anni 1631 phænomenis, Veneris puta et Mercurii in solem incursa : excerpta ex ephemeride anni 1631, & certo authoris consilio huic præmissa, iterumque edita a Jacobo Bartchio, Francfort 1630.
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1632 Mercurius in sole visus, & Venus inuisa148, cette dame ne s’y estant point monstrée149 quoy que Kepler l’eust aussi promis. Hortensius150 & Schickardus qui luy addresseront aussitôt leurs obseruations, comme au premier qui en auoit fait la descouuerte, asseurent que cette obseruation ne perira jamais, & que la Posterité luy en scaura gré. Voicy ce que dit Schickard, Tua hoc obseruatio (parlant a luy) nequit mori, quoniam ipsius interest scientiæ Sideralis ne moriatur. Durabit ergò ad seros nepotes quamdiu supererunt qui cælos metabuntur, & ut nunc Priscorum Timocharis, aut Hipparchhi nomina in Almagesto leguntur hodie : ita olim Gassendi memorabitur in Annalibus Posterorum151, &c. Sur la fin de l’année il s’en retourna en Prouence, ou la veille de Noël il fut receu Preuost de l’Eglise Cathedrale de Digne, 1634 le Parlement de ce Paijs ayant condamné le Sr Auslet152 d’en sortir a cause de son incapacité153. Le mesme Pelissier luy intenta encore procez a Paris sur son bresuet de joyeux aduenement a la couronne 154 qu’il perdit encore auec despens. M. de Peiresk son amy mourut a Aix155 & luy legua par [Mercure vu dans le soleil, Vénus non vue] Mercvrivs in sole visvs, & Venvs invisa Parisiis, anno 1631. Pro voto, & admonitione Kepleri… Cujus heic svnt ea de re Epistolæ dvæ, cum obseruatiis quibusdam alijs, Paris 1632. Repris dans les Opera omnia, iv, 499-510. 149 La plaisanterie sur Vénus comme une dame coquette se trouve un parallèle dans les plaisanteries de Lautaret concernant la lune citées plus loin (p. 253). 150 Par mauvais temps Van den Hohe (Hortensius) n’a pas pu voir, lui-même, le passage de Mercure, mais il accepta immédiatement les observations de Gassendi ; il les défendit même contre les critiques de Schickard dans sa Dissertatio de Mercurio in sole viso (Leyde, 1633, in-4°). Pour une discussion du passage et son importance voir van Helden III, chapitre 9, et Lettres latines, à Schickard du 13 août 1633 et à Van den Hohe à la même date. 151 [Ton observation ne peut mourir, puisqu’il est de l’intérêt de la science des astres elle-même qu’elle ne meure pas. Elle durera donc jusqu’à des descendants lointains aussi longtemps que survivront ceux qui mesureront les cieux, et de même qu’on lit aujourd’hui dans l’Almageste les noms des Anciens, Timocharis ou Hipparque, de même se souviendrat-on du nom de Gassendi dans les Annales de nos descendants]. 152 Blaise Ausset, neveu du prévôt Blaise Brunel (1581-1625), qui résigna le poste en sa faveur en 1625. 153 Ausset négligea de passer son diplôme de théologie pendant l’année suivant son élection, ce qui permit à Gassendi d’obtenir l’année d’après du cardinal Barberini, vice-légat à Avignon, une bulle pour l’occupation de la prévôté. Néanmoins il conclut un arrangement avec Ausset, lui cédant trois cents livres de pension par an et la jouissance de la maison du prévôt à vie. Mais il y eut d’autres conflits par la suite, et Gassendi dut attendre le 24 décembre 1634 pour être installé. Pour davantage de détails, voir Isnard E, II, 113-22. 154 Voir note 123 p. 77. 155 En 1637. 148
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son Testament 100 volumes de ses liures a choisir, & tous ses Instrumens de Mathematiques, dont Mr. Le Baron de Rians son heritier156 s’en est assez mal acquitté. Mr. 1638 Le duc d’Angoulesme157 Gouuerneur en ce pays l’ayant pris en affection dès la premiere fois qu’il l’entendit discourir dans le cabinet de Mr. Du Peiresk, estoit bien aise de jouir de sa conuersation & le mena auec Mr de Champigny Intendant de Justice dans toute sa visite de la Coste maritime de Prouence. Dans l’assemblée de Mante158 il fut esleu agent du clergé du Pays pour aller a l’assemblée generale du clergé de France159, 1641 qui se tenoit a Paris, ou y estant & voyant de puissantes brigues pour cette charge, que le S[ieu]r Hugues grand Vicaire de l’Eglise d’Ambrun160 luy disputoit cet employ, d’autre costé considerant qu’il le plaisoit beaucoup plus a son estude particulier, que aller faire le singe a la Cour, ou le 156 Ces deux mots sont ajoutés au-dessus de la ligne. Cette explication ne suffit pas. Le légataire universel de Peiresc était son frère, Palamède de Valavès, qui continua à augmenter la collection. Elle ne passa à son fils, le baron de Rians, qu’au moment de son décès en 1645 ; ce dernier essaya presque immédiatement de s’en débarrasser. Elle existait toujours le 29 août 1646 quand Balthasar de Monconys l’a visitée en compagnie de l’un des frères de Champigny (Monconys i 166-67 ; Henry 28). Suivant la remarque de La Poterie il semble que ni l’un ni l’autre, mais pour des raisons opposées, n’aient respecté le legs de Peiresc à Gassendi. Voir aussi les remarques de Gassendi neveu plus loin p. 109. 157 Il fut nommé gouverneur de La Provence en 1637. 158 L’assemblée de Mantes, qui devait s’ouvrir le 25 février, a été convoquée par Richelieu, peut-être en dehors des assemblées régulières du clergé. Celles-ci étaient de deux sortes, les grandes assemblées qui se réunissaient tous les dix ans pour « renouveler auec le Roi le contrat des décimes ordinaires et pour accorder… des secours extraordinaires ou dons gratuits » (d’Angeau), et les petites assemblées qui se tenaient entre deux grandes, tous les cinq ans, pour examiner les comptes du receveur général du clergé et pour faire un présent au Roi. Normalement chacune des seize provinces ecclésiastiques envoyait un député à l’assemblée qui nommait deux agents pour siéger au Conseil des Parties chargé de veiller aux intérêts du clergé pendant les cinq années qui séparaient chaque assemblée. Un tel poste conférait une influence certaine à son possesseur, ce qui explique les rivalités pour l’obtenir. Pour plus de détails sur cette institution, voir la description de l’administration ecclésiastique de France de l’Abbé d’Angeau (vers 1693) publiée par Dainville I, 282-85. L’évêché de Digne faisait partie de la province d’Embrun. Une copie de la lettre de l’évêque de Senez demandant à la province d’Embrun de nommer Gassendi à l’assemblée se trouve dans le dossier de Grenoble, ms 4139 f. 113r. Voir aussi Blet. 159 Voir tout un ensemble de lettres à Valois du 30 juillet 1639 au 19 avril 1641. 160 Neveu du puissant Guillaume d’Hugues, archevêque d’Embrun 1612-1648.
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temps se passe dans l’oiseveté mesme, il luy quitta sa pretension après s’estre accomodé auec luy161. En ce temps là il fit imprimer la vie de Mr. Du Peiresk son amy162, & ayant refusé auparavant fort ciuilement Mr. Le President de Mesmes163 qui le prioit de vouloir accepter sa maison il se consenta de celle de Monsieur Luillier son amy, chez Mr. L’Abbé de Champigny Chanoine de Nostre Dame de Paris164, ou il a demeuré huit ans entiers165. Mr. De Chan161
L’« accommodation » était de quatre mille livres. Pour davantage de détails sur l’affaire voir Tamizey I, 227, n. 4. 162 Viri illustris Nicolai Clavdii Fabricii de Peiresc. Senatoris Acqvisextensis Vita…, Paris 1641. Avec son Astronomia, cette Vie fut la plus diffusée des œuvres de Gassendi. Plusieurs fois rééditée, elle fut aussi abrégée et traduite en anglais. Voir Turner & Gomez 56-7. Néanmoins il fallut attendre trois siècles et demi avant qu’elle ne paraisse en français, traduite par Roger Lassalle avec la collaboration d’Agnès Bresson, Peiresc 1580-1637. Vie de l’illustre NicolasClaude Fabri de Peiresc, Conseiller au Parlement d’Aix par Pierre Gassendi, Paris 1992. 163 Cette invitation semble dater de 1632. Gassendi la refuse. Il donne des précisions sur l’affaire dans une lettre à Luillier du 11 janvier 1633 : « Je l’ai fagottée (la lettre au président de Mesmes) je ne sais comment, tellement je suis empêtré en parlant de cette affaire ». Voir Lettres latines, à Naudé, du 16 juillet 1633 (Mesmes est « l’autre homme »: « Mon évêque, qui te salue avant de partir bientôt pour Paris, en reviendra avant l’hiver. Mais je ne pars pas avec lui, dans la crainte de perdre quelque peu ma liberté. […] Au moment où cessent les adieux, il y a un autre homme que tu connais bien qui me prie étonnamment de bien vouloir lui promettre une communauté fraternelle, indivisible, perpétuelle. Il garantit dès le début qu’il ne veut pas que je mette le pied chez lui avant qu’il ne m’ait assuré un bénéfice et une pension de trois mille livres. C’est un homme que je ne pourrais jamais éviter, si je me rendais à Paris, tellement il désire m’avoir pour ami et tellement je suis incapable de refuser quoi que ce soit ouvertement. Je me cantonnerai donc dans cette cabane : elle est humble, mais elle me garde mon indépendance. Avec cela, que crois-tu qu’il arriverait de Luillier, le seul homme avec qui je puisse vivre très librement, comme tu le sais ? Par amour sincère pour moi, il ne me déconseille pas d’accepter ces propositions fort honorables en apparence, mais je me rappelle mes promesses (je les ai objectées également au grand homme) et je veux lui prodiguer plus qu’il ne l’exige. Je ne rappelle pas qu’il a voulu presque se donner au même homme pour éviter que nous ne vivions séparés, en sorte d’offrir de lui-même la même somme et même plus, ni qu’il a cherché à m’obtenir une profession royale que j’ai récusée ; c’est sûr, tu n’es pas sans connaître son amour pour moi ». Voir aussi le résumé de Rochot [II], xxiv-xxvi. 164 Cette affirmation de La Poterie confirme l’hypothèse de Pintard I, 619-20, que Gassendi habita la maison de Champigny comme hôte de Luillier, Luillier étant soit le propriétaire du bâtiment soit le locataire de Champigny. 165 De retour à Paris la première semaine de février 1641, Gassendi quitta presque immédiatement la capitale pour Mantes où il arriva avant le 23 du même mois. Il se réinstalla à Paris en août où il resta jusqu’à son retour à Digne en octobre 1647. La mention par La Poterie de ces huit années est largement fausse.
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teclerc166 personne de merite, de vertu & de condition luy legua par testament 1 000 livres entre plusieurs autres sçauans Personnages auxquels il laissa d’autres sommes d’argent. Il fit imprimer son liure, de Sole humili, 1642 & sublimi167, & celui du proportione quâ grauia decidentia accele168 rantur , pour satisfaire au R. Pere Cazreus169 de la compagnie de Jesus. Monsieur le duc d’Angoulesme estant reuenu a la Cour, le mena passer les festes de Pasques a sa Maison d’Ecouen170, ou il 1643 escriuit sa lettre a Mr. Naudé, de nouem Stellis circa Jovem visis171, luy ayant demandé son Sentiment sur le liure que le R. Pere Rheita Capucin 166
Gassendi évoque une observation astronomique qu’il a réalisée avec Chantecler et La Mothe le Vayer dans une lettre à Naudé du 11 mai 1632. Quant à son testament, Patin le considérait « fort bizarre par lequel il a laissé entre autres à M. de la Motte le Vayer son amy 8 000 livres ». Cité de Pintard I, 180. 167 [Du soleil haut et bas] De Apparente magnitudine solis humilis et sublimis epistolæ quatuor, in quibus complura physica opticaque problemata proponvntur et explicantur…, Paris 1642. Reprise dans les Opera omnia, iv, 420-477. Ce traité se compose de quatre lettres écrites à partir de 1636 (à Naudé du 5 décembre 1636, à Liceti du 13 août 1640, à Boulliau du 28 décembre 1640 et à Chapelain du 13 janvier 1641). On peut noter que l’exemplaire de cette œuvre conservé à la Bibliothèque municipale de Digne porte l’ex-libris du chanoine Taxil. 168 [Sur la proportion dans laquelle sont accélérés les corps pesants qui tombent] De Proportione qva gravia decidentia accelerantur. Epistolæ tres quibus ad totidem Epistolas R.P. Petri Cazræi… respondetur, Paris 1646. Repris dans les Opera omnia, iii, 564-650. L’opuscule se compose de trois lettres à Le Cazre, du 15 mars 1645, du 7 mai 1645 et du 8 décembre 1652, avec en complément une lettre à Philibert de la Mare du 8 décembre 1652. Quand il dit que cette œuvre a été éditée en 1642, La Poterie se trompe. Sans doute confond-il avec le De Motv impresso a motore translato. Epistolæ duæ, in qvibvs aliqvot præcipuæ tvm de motv vniversè, tvm speciatim de motv terræ attribvto difficultates explicantvr, Paris 1642, ouvrage dans lequel Gassendi explique pourquoi un poids qu’on laisse tomber du haut d’un mât de bateau en mouvement atterrit sur le bateau quoiqu’il soit en mouvement. 169 Pour une étude du débat entre Le Cazre et Gassendi et ses implications, voir Galluzzi. 170 La construction du château d’Écouen a commencé en 1528, pour Anne de Montmorency, par un architecte inconnu ; il fut remodelé et complété par Jean Bullant à partir de 1547. Il passa dans les mains de la famille Valois à la suite du mariage de Charles de Valois (1573-1650) avec Charlotte de Montmorency, les parents de Louis-Emmanuel. 171 [Sur les neuf étoiles vues autour de Jupiter] Novem stellæ circa Iovem visæ et de eisdem Petri Gassendi Ivdicivm. Accessit obseruatio geminatæ in singulos dies (æstus Maris instar) resiprocationis Perpendiculorum, Paris 1643. Cet opuscule est écrit sous la forme d’une lettre adressée à G. Naudé (repris dans les Opera omnia, iv, 511-522). Naudé s’occupait, à cette époque, de la bibliothèque de Mazarin, où Gassendi étudiait quand il était à Paris (voir Pierre d’Auberoche, Eminentissimo principi Julio Cardinali Mazarino, Paris 1644, 4, 9, 10) et où il acheta quelques volumes – doublets – quand Naudé les mit en vente en 1647/48 (B.N. ms fr 5764 ff 5). Clarke, 2 & 78.
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auoit fait172, ou il disoit qu’au lieu des quatre Satellites ordinaires de Jupiter, il en auoit trouvé neuf. Le R. Pere Mersenne luy ayant aussi fait voir la Philosophie de Mr. Descartes173, & plusieurs de ses amis le pressant d’examiner sa Metaphysique, il escriuit par civilité a Mr. Descartes ce qu’il en pensoit, lequel s’en picqua, & fit imprimer aussitôt cette lettre auec vne Responce assez aigre174, que l’oblige a faire part au public de la connoissance de la cause de ce different. Il enuoya son sentiment par escrit a Mr. Sorbiere son ami175 qui estoit en Hollande, ou il la fit imprimer sous le titre de, Disquisitio Metaphysica 1644 aduersus Cartesium176. Mr. Aubary du Maurier177 qui fut tué dans la bataille de Norlingue178 a la suite de Mr. Le Duc d’Engien179 luy legua par Rheita publie son opuscule Novæ stellæ circa Iovem visæ, circa Saturni sex, circa Martem nonnullæ, a P. Ant Rheita detectæ, Louvain 1643, assez tôt en 1643 pour que Gassendi ait pu faire sa réponse dans le courant de la même année. 173 Probablement au début février. Gassendi rendit visite à Mersenne le 9 février immédiatement après son retour à Paris ; mais, préoccupé par l’Assemblée de Mantes et l’édition de sa Vie de Peiresc, il semble n’avoir pas complètement formulé sa réponse à Descartes avant avril. Pour les détails voir Adam & Tannery, III, 363-5 ; VII, v-xviii ; Turner & Gomez 77-9. 174 René Descartes, Meditationes de prima philosophia, in quibus Dei existentia, & animæ humanæ immortalitas, demonstratur, Paris 1641 ; deuxième édition augmentée, 1642. 175 Sorbière se trouvait plus précisement à Sluse. 176 [Recherches métaphysiques contre R. Descartes] Disquisitio Metaphysica seu Dvbitationes et instantiæ aduersus Renati Cartesii Metaphysicam et responsa, Amsterdam 1644. Repris dans le tome III des Opera omnia. Pour les différences entre les deux textes, voir Rochot IV, 1119-1121. Voir aussi l’introduction de son édition et traduction de la Disquisitio, (Rochot VIII). 177 Lettres latines, à Valois, 18 août 1645, Gassendi se dit « touché du regret de la tête très chère qui s’est inclinée en luttant vivement dans le conflit ; il s’agit de Daniel Aubier Maurier, ce noble jeune homme dont le duc d’Enghien a lui-même déclaré qu’il devait la prise de Philippsbourg à son industrie. À son caractère généreux, il avait ajouté l’étude de la philosophie et le culte des belles-lettres et, entre autres, il avait mis sur pied un ensemble d’instruments pour observer les phénomènes célestes, en sorte que l’on espérait à juste titre qu’il serait l’Hipparque et le Tycho français. Mais les dieux d’en haut en ont décidé autrement, et il nous a été ravi (en tout premier à Chapelain et à moi, avec qui il était très uni par les liens de l’amour) : il contemple maintenant de près ce qu’il aurait dû ne contempler que de loin ». 178 Le bataille de Nordlingen (60 kilomètres au nord-est d’Augsbourg) eut lieu le 3 août 1645 ; l’armée française, placée sous le commandement de Turenne et de Condé, vainquit sur l’armée de la Bavière sous les ordres de François, Baron de Mercy qui lui-même trouva la mort sur le champ de bataille. 179 Louis II de Condé (1621-1686), dit le Grand Condé. Pendant la vie de son père Henry II, Prince de Condé (1588-1646) il portait le titre de duc d’Enghien réservé aux aînés de la famille Condé. Pour un des éloges que Gassendi fait de lui, voir lettre à Valois du 9 septembre 1644 : « Ce n’est pas à tort que tu crains pour ton cher duc d’Enghien ; en réalité, il y a 172
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Testament180 tous ses Instruments de Mathematiques, & quelques volumes de ses liures a choisir, ce qu’il laissa a la disposition de Mr. Le Marquis son Frere181. Monsieur le Cardinal de Lyon grand Aumosnier de France182 l’ayant en affection depuis sa connoissance a Grenoble, & le pressant d’accepter la chaire Royale aux Mathematiques qui 1645 estoit vacante par la mort du S[ieu]r Stella il ne peut la refuser voyant d’autre costé que tous les amis de Paris le desiroient ardement afin de jouir plus longtemps de sa presence, aussi dans l’Oraison qu’il fit a son entrée183, parlant a ce Cardinal, ou il assista auec grands nombre d’Euesques il luy dit, Sanè verò ad me quod spectat, non sine pudore rem aggrederer, si ipsam quidam ex spontaneo proprioque delectu obirem, si non semel, ac iterum, tertiumque jussus obsequi, obtemperarem voci, quam licuit interpretari esse diuinam. Ipsa porro tua vox est, Eminentissime Cardinalis, qua184, &c. Il en fait aussi mention parlant a Mr. L’Euesque de185 Coustance, Voluerat ille eximiè bonus, lui dit il, fælicisque memoriæ Cardinalis Lugdunensis vt renutans licet danger qu’il ne se jette au devant des dangers plus qu’il n’est juste, tellement il est généreux. Ce qu’on a dit de César, comme tu le sais, lui va comme un gant : “Sa valeur ne sait pas tenir en place : il n’a honte de rien, sauf de vaincre sans combat ; fougueux et indompté, partout où l’appelait l’espoir ou la colère, il y portait la main ; jamais il n’épargnait un fer souillé de sang, il pressait ses succès, s’attachait à la faveur divine, repoussait tout obstacle au pouvoir suprême, heureux de se frayer un chemin par les ruines” ». 180 Les mots « par Testament » sont répétés. Sans doute est-ce la date du testament qui a conduit La Poterie à placer ces détails en 1644 plutôt qu’en 1645. 181 D’après Gassendi neveu, son oncle a reçu ce legs des mains de Louis Aubery du Maurier (? - 1687) mais il n’est nullement question qu’il était Marquis. Voir plus loin p. 182 Louis Alphonse du Plessis de Richelieu, archevêque de Lyon, cardinal et grand aumônier de France (pour sa carrière, voir Deloche), frère d’Armand du Plessis, cardinal de Richelieu, à qui Gassendi a été présenté par Peiresc en 1629. Habituellement, quand il voyageait de Digne à Paris ou l’inverse, Gassendi passait plusieurs jours chez le Cardinal à Lyon. 183 23 novembre 1645. 184 [Mais en vérité en ce qui me concerne, ce n’est pas sans honte que j’occuperais cette chaire, si je m’en étais chargé spontanément et par un véritable choix, et si je n’obtempérais pas à une voix à laquelle j’ai eu reçu une fois, deux fois, trois fois, l’ordre d’obéir, une voix qu’il est permis de prendre pour divine. De plus ta voix elle-même, Éminent Cardinal, par laquelle &c]. Oratio inavgvralis habita in Regio Parisiensi Collegio Anno 1645. Die Nouembris 23 dans Opera omnia iv, 66-73 (66). 185 Margin « Kal. Rom. », c’est-à-dire le Romanum calendarium…, Paris 1654 que Gassendi dédia à Claude Auvry, évêque de Coutances qui était grand vicaire de l’archevêque de Lyon et administrateur du Collège Royal.
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accenserer tamen Reg…s Professoribus186, &c. Il fit aussitôt ses leçons dans le College Royal, mais estant desja foible de poictrine il y gaigna vne bonne maladie, qui altera fort sa santé, dont il s’est ressenty tout le reste de sa vie. Voici ce qu’il en dit parlant au mesme Evesque de Coustance, Cum ipse verò subinde ad prælegendum me comparassem, occæpi [recte occepi] breui eam labem in pulmone contrahere, quæ aliquotdemum annorum progressu, visa est Medicis insanabilis euasisse187, &c. Il fit imprimer a la sollicitation de ses Auditeurs & de ses amis ce qu’il y dicta sous le Titre Institutio Astronomica188 ; & Mr. Lhuillier son amy l’ayant prié de luy faire voir ce qu’il auoit ramassé sur la vie du Philosophe Epicure, & l’ayant obtenu il l’enuoya aussitôt a Lyon, ou on l’imprima sous le nom de Vita Epicuri189, ce que voyant estre bien reçu d’vn chacvn il donna au mesme Imprimeur ce qu’il auoit fait en suite sur la Philosophie de ce mesme Autheur ancien, qui parut aujour en 1648 trois volumes in folio quelque temps après qu’il fut retourné en Prouence ou sa maladie le pressoit d’aller pour essayer de se remettre dans son air natal190. En son passage a Lyon il vit Mr. Le Cardinal qui l’enuoyoit querir souvent pour jouir de sa conversation, d’ou après trois semaines il parti, & s’en alla a Aix dans la Littiere que Mr. Le Duc d’Angoulesme luy envoya, d’ou il sortit après six mois pour s’en aller a Digne191, ce Prince en estant sorti 186 [L’éminent cardinal de Lyon d’heureuse mémoire avait voulu expressément qu’il lui soit permis d’être rattaché, malgré ses refus, aux professeurs du roi, &c], Romanum calendarium…, épître dédicatoire (Opera omnia V, 545). 187 [Mais alors que je m’étais préparé à faire des leçons publiques successives, j’ai commencé peu de temps après à contracter un mal dans le poumon qui, après avoir progressé pendant quelques années, a semblé aux médecins finir par devenir incurable, &c], ibid. 188 [Institution astronomique] Institvtio Astronomica Iuxta Hypotheseis tam vetervm, qvam Copernici, et Tychonis. Dictata à Petro Gassendo Regio Matheseos Professore. Eivsdem Oratio Inauguralis iteratò edita, Paris 1647. Reprise, on le lit dans les Opera omnia, IV, pp. 66-73. Pour les différentes éditions et rééditions de ce texte, voir Turner & Gomez 80-81. 189 [Sur la vie d’Épicure] De Vita et Moribvs Epicvri Libri Octo, Lyon 1647, repris dans les Opera omnia v 167-236. Vie et mœurs d’Épicure, version bilingue, traduction, introduction, annotation de Sylvie Taussig, 2e édition, 2 vols. Paris, 2006). Turner & Gomez 84-5. 190 Animadversiones in decimvm librvm Diogenis Laertii, qvi est De Vita, Moribus, Placitisque Epicvri…, 3 vols, Lyon 1649. Comme la Vita & moribvs Epicvri, l’ouvrage était fabriqué et publié par l’imprimeur du roi Guillaume Barbier. Malgré l’affirmation de La Poterie selon laquelle les volumes sont des folios, ils sont reliés in-4°. 191 Gassendi est de retour à Digne à la mi octobre 1648, mais il ne part pas pour Aix avant le 2 décembre (il est à Tarascon le 28 novembre 1648, selon une lettre à Valois). Il quitte Aix pour Digne entre le 28 avril 1649 (lettre à Valois datée d’Aix) et le 7 mai (lettre à Séguier datée
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a cause de la guerre ciuile, ou plustot sedition que ce Parlement & le Senethe y exciterent192. Estant a Digne & voyant que sa santé ne s’y restablissoit point, il condescendit aux prieres que luy fesoit 1649 Mr. D’Angoulesme de descendre a Tolon & accepta encore sa littiere pour cet effet193, ou il se porta fort bien contre l’opinion des Medecins parmy le grand air de la mer, & y demeura presque deux ans jusqu’au depart de ce Prince en Cour194 & de son amy Mr. Lhuillier en Italie195. Ayant dés un longtemps trauaillé a bastir vne sienne Philosophie après avoir bien consideré tous les Philosophes, il auoit enuie de la donner au public après y auoir mis la derniere main196, pour a quoy vacquer entierement il de Digne). Puis il retourne manifestement à Aix (une lettre à d’Auvergne du 16 mai), avant de repartir pour Digne (à Valois, 30 mai) où il demeure ensuite quelque temps. S’il est resté trois semaines à Lyon, il est aussi resté trois semaines à Digne avant de partir pour Aix. 192 Les perturbations de la Fronde de Provence pendant lesquelles le prince de Valois perdit sa charge de gouverneur. Si La Poterie passe très rapidement sur cette période, c’est peut-être que ses héros ne se sont pas couverts de gloire en cette occasion. Pour l’action de Gassendi comme médiateur voir Charron ; Pillorget. 193 D’après le texte de Gassendi neveu, Gassendi n’arrive à Toulon qu’en décembre. La première lettre à Valois date du 19 décembre 1650, de Toulon, mais la correspondance est interrompue depuis le 10 novembre 1649 (de Digne). Valois l’avait chargé, à Aix, de surveiller l’expédition de ses livres et collections à Toulon. Une fois arrivés, Gassendi et La Poterie ont travaillé à élaborer le catalogue. Billioud, 226-633. Quant à son départ pour Digne, il se date facilement du 3 avril 1651, puisque Gassendi signe une lettre à Claude-Barthélemy Morisot « Écrit à Toulon en partant pour Digne, le 3 avril 1651 ». 194 Euphémisme. Valois sera arrêté et emprisonné à Montrond. Voir Lettres latines, à Valois 19 août 1652. 195 1649-50. Luillier, en route pour l’Italie, s’arrête à Toulon. Il meurt à Pise en janvier 1652. Le 15 février 1652, Gassendi évoque (à Valois) « l’affligeant trépas de Luillier, de loin le plus cher de mes amis. Malgré ma répugnance à son projet, il était parti pour l’Italie, quoique sa santé ne fût pas encore consolidée et que, non content de courir le risque d’attraper une fièvre hectique, il en eût déjà presque les symptômes. Il est arrivé ce que je craignais : une épidémie l’a consumé, et il a passé son dernier jour à Pise, au début même de la dernière décade du mois dernier. Quoique préparé à l’idée de cette perte (ses lettres et celles de ceux qui étaient avec lui permettaient aisément de conjecturer ce malheur), je n’ai cependant pas pu ne pas être fortement ébranlé à l’annonce de ce coup du sort : mon regret d’une tête si chère ne put pas ne pas être violent. Il t’est facile plus qu’à quiconque de l’imaginer, puisque tu fus témoin de l’intimité du lien qui régnait entre nous depuis de si nombreuses années ». 196 Gassendi se consacre à la rédaction du Syntagma philosophicum qui ne devait être publié que de façon posthume dans les Opera omnia (Lyon, 1658). La « Philosophie » de Gassendi provient du dépeçage et de la réorganisation du travail qu’il a mené autour de la philosophie d’Épicure et qu’il a rédigé en deux temps, en 1636-37 et en 1641-45 ou 46, pour servir à
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1653 s’en retourna pour la cinquiesme fois a Paris, & descendit chez Mr. De Montmor197 son amy qui l’en auoit prié auparauant, & fait prier par de ses amis ainsy que luy mesme il luy dit, quia tu ante meum discessum conscius futuri reditus, præoccuparas, institerasque non modò humanissimis tuis, sed adhibitis etiam carrissimorum nobis capitum Capellani, ac Neuræi repetitis literis, ut necque aliò diuerterem, necque hospite alio vterer, quàm te, id concessi omninô tua erga me me & tam seruenti, & tam multorum iam annorum beneuolentiæ198, &c. Il fit 1654 imprimer Vita Tychonis Brahei, Copernici, Peurbachij, Regiomon199 tani , son Kalendarium Romanum200, & son Notitia Ecclesiæ Diniensis201, constituer ce qui devait s’appeler le De vita et doctrina Epicuri. En 1647, au grand dam de Gassendi, Luillier fait paraître le De vita et moribus Epicuri libri octo, apologie d’Épicure concernant sa vie et ses mœurs. En 1649 paraissent à Lyon les trois volumes in-4° des Animadversiones in decimum librum Diogenis Laertii cum nova interpretatione et nota (Remarques sur le Livre x de Diogène Laërce avec une nouvelle traduction et des notes) qui est l’édition du livre x de Diogène Laërce assortie d’un commentaire de Gassendi, réorganisé selon les trois parties de la philosophie hellénistique (canonique, physique et éthique). Le second volume contient un appendice, Philosophiæ Epicuri Syntagma, ou manuel abrégé des trois parties de la philosophie épicurienne, qui pose la fiction d’un Épicure s’exprimant à la première personne pour exposer les grandes lignes de sa philosophie. Pour l’étude des manuscrits voir Pintard II, 32 sqq. Rochot I ; Bloch 496 sqq. 197 L’Hôtel de Montmor, édifié en 1623 pour le compte de Jean Habert de Montmor, existe toujours au 79 rue du Temple, mais il a été largement reconstruit au milieu du XVIIIe siècle par le fermier-général Laurent Charron. Gassendi, protégé par Henry-Louis Habert de Montmor, maître des requêtes et mécène, y a eu ses appartements, au deuxième étage, du 9 mai 1653 jusqu’à son décès. Voir Hillairet ii 545 ; Fleury & Bailhache 26 & n. 27. 198 [Parce que toi, avant mon départ, informé de mon futur retour, tu m’avais écrit maintes lettres très humaines, auxquelles tu en avais ajouté de nos très chers amis Chapelain et Neuré, pour veiller à ce que je ne prenne gîte nulle part ailleurs et que je n’aie d’autre hôte que toi, cela je l’ai accordé entièrement autant à ta bienveillance à mon égard de tant d’années qu’à ton service &c]. 199 [Vie de Tycho Brahé, Copernic, Peurbach, Régiomontanus] Tychonis Brahei Eqvitis Dani astronomorum coryphæi Vita… accessit Nicolai Copernici, Georgii Pevrbachii, & Ionnis Regiomontani astronomorum celebrium Vita, Paris 1654. Repris dans les Opera omnia, v, 363-534. 200 [Calendrier romain] Romanum calendarium compendiose expositum. Accesit corollarium de romano martyrologio, Paris 1654. Repris dans les Opera omnia, tome V, p. 543 sqq. Il se trouve encore dans le huitième volume du Thesauri antiquitatum romanarum (Utrecht, 1698). 201 [Notice sur l’Église de Digne] Notitia ecclesiæ Diniensis… accessit Concilivm Avenionense, Anni M. CCC. XXV. Ex Manu-scripto Codice Statutorum eiusdem Ecclesæ, Paris
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pendant qu’il travailloit tousiours a donner la derniere main a sa Philosophie, tous ses amis luy ouurant leurs Bibliotheques, & luy prestant tous les liures necessaires. Mais soit a cause de l’air, ou du peu d’exercice du corps il ne fut pas longtemps en santé a Paris, au mois de Nouembre il fut attaqué d’vne fieure qui luy fit garder la chambre pres de trois mois202, & au 1655 mois d’Aoust de l’année suiuante il fut encore tourmenté d’vne fieure continüe auec des redoublemens les nuicts l’espace de soixante trois jours jusqu’au Vingtquatrieme Octobre qu’il rendit son Ame a dieu entre deux & trois heures après midi dans vne Constance Chrestienne & exemplaire après avoir reçeu deuotement le Saint Viatique, l’Extremonction, & s’estre resigné entierement a la volonté de son Dieu203. Son corps est enterré dans l’Eglise St Nicolas des champs sa paroisse pour lors204, & tous ses Manuscripts sont entre les mains de Mr. De Montmor pour en faire part au public le plustot qu’il le pourra205. Voilà, Monsieur, le recit grossier de ses actions, considerons, je vous prie, qu’elles ont esté ses moeurs, & sa façon de vivre ? Quant a ses moeurs, je pourrois appeler icy a tesmoins tous ceux qui l’ont approché soit familierement, soit par le commerce Literaire qu’il a eu & entretenu auec plusieurs personnes sçauantes & pieuses dans l’Europe, pour leur demander si jamais on a remarqué en sa vie aucvne action digne de reproche, sil ne s’est pas tousiours comporté parmy le monde en homme de bien, & d’honneur, s’il n’a 1654. Repris dans les Opera omnia, v, 659-740. L’Église de Digne, édition et traduction de M.-M. Viré, 1992. 202 L’attaque commença le 27 novembre pour s’atténuer pendant le mois de décembre. La Poterie donne des détails dans ses Notanda sur la maladie de 1654 à Paris publié par Andrieux, 100-102. D’après ce rapport, pendant les trois mois qu’il garda la chambre, Gassendi descendait cependant dîner avec Montmor ; et, le jour de la fête de la Purification de Marie (troisième dimanche d’octobre), il célébra la messe. 203 Les Notanda sur sa dernière maladie de La Poterie sont publiés dans Andrieux (n. 108) 102-8. Ils offrent une description presque au jour le jour de son état de santé pour conclure : « Le 24 octobre au matin son bras droit était tout enflé ; je ne pouvait plus empoigner… tout son corps était blanc comme neige, n’ayant plus que de l’eau au lieu de sang… fiez-vous donc de la médecine ! » 204 Pour quelques détails sur l’enterrement, voir ce que Gui Patin (qui a assisté aux obsèques) en dit à Charles Spon le 26 octobre 1655. Réveillé-Parise ii 217. 205 Gassendi légua par testament ses manuscrits à Montmor avec le souhait qu’il les conserve et qu’il fasse « imprimer ceux qu’il en jugera dignes, les laissant à son entière disposition et direction ». La Poterie et Bernier étaient censés aider à les remettre en ordre. Fleury & Bailhache 40.
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pas demeuré tousiours ferme dans la foy de ses Ancestres, s’il n’a pas monstré que toute son esperance estoit fondée dans l’Eglise s’y estant attaché dés sa jeunesse par l’ordre sacré qu’il prit volontairement pour estre vn de ses ministres, dont il a fait la fonction depuis l’aâge [sic] de vingt cinq ans, jusqu’à sa mort. Sola nempe est, dit-il, Orthodoxa, hoc est, quam accepi a Majoribus, Catholica Apostolica Romana Religio, cui vnice hæreo, & pro cuius fide sum paratus fundere vitam cum sanguino206. Il ne se passoit aucun jour de Dimanchce, ny de bonne feste de l’année qu’il ne celebrast deuotement la Ste Messe par deuotion, sans en retirer aucun profit temporel, & tousiours auant la celebrer, il se reconcilioit au premier Prestre Confesseur qu’il rencontroit. Lors qu’il estoit en voyage, ou qu’il estoit malade (comme souuentesfois il la esta a cause de ses grandes veilles) il estoit tres marry de ne pouuoir s’acquitter de sa deuotion. Les auantages de Monde ne luy ont point fait quitter l’heritage qu’il a prit en receuant la clericature, il s’est contenté de la Preuosté de l’Eglise Cathedrale de Digne, qui est vn simple Benefice, dont le reuenu est fort mediocre, & qui a esté plus qu’employé dans les reparations & nouuelles acquisitions qu’il y a faites. Il n’eust jamais d’affection pour les vanitez de la terre, n’y pour les richesses ny pour les plaisirs. Il a aimé la pauureté par le mespris de ce qui fait l’opulence, & qui trouble l’esprit. Dés sa jevnesse il s’est pleu aux liures estant veritable ce quil dit luy mesme quelque part dans ses opuscules, me eum esse nouit, parlant de Mr. Le Cardinal de Lyon, qui non possem otiose vitam traducere, quique si voce minùs valerem, at scripto saltem discentibus præirem207. Deuant qu’il fut Prestre, & bien longtemps après tant que ses forces l’ont permis on la souvent veu prescher dans l’Eglise de Digne, & des lieux aux environs, dans Aix, dans Grenoble ; mais depuis se voyant incapable acause de la foiblesse de sa poictrine de pouuoir parler publiquement il s’appliqua a mettre des penseés par escrit & en faire part a ses amis qui l’enprioient, & les rendroient aussitôt publiques par le moyen de l’Im206 [C’est un fait que la Religion catholique apostolique romaine, que j’ai reçue de mes ancêtres est la seule orthodoxe ; c’est à elle seule que je suis attaché et pour sa foi, je suis prêt à donner ma vie et mon sang] [Margin] ad. Arist. (Opera omnia, 101 ; Rochot VII, 10). Le terme orthodoxe désigne la foi catholique. Voir Lettres latines, où hétérodoxe désigne les protestants (à Valois, 22 novembre 1647 ; à Jean Caramuel de Lobkovitz, 25 juin 1644 ; à Sorbière pour désigner Hobbes, 28 avril 1646). 207 [Margin] « Kal. Rom. », c’est-à-dire le Romanum calendarium…, Paris 1654. Épître dédicatoire, deuxième paragraphe (Opera omnia 545). [Il sait que je suis quelqu’un qui ne peut passer sa vie dans l’oisiveté et que si ma voix perd de sa force, je guiderais au moins les élèves par mes écrits]
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pression. De cette façon ils ont obtenu de luy plusieurs pieces, & diuers Opuscules ont paru sous son nom auec grande approbation d’vn chacvn, la plus part desquels ne sont que pieces destachées de son grand trauail, qui reste a Imprimer en six ou sept volumes in folio. Dans tous ses liures il proteste tousiours de conseruer la Veneration qu’il doit a l’Eglise, comme ayant l’honneur d’estre vn de ses Ministres, Committo semper meque & omnia, dit-il208, dans le premier liuvre qu’il fit imprimer, judicio vnius sanctæ Catholicæ, Apostolicæ, Romanæ Ecclesiæ, cuius ego alumnus sum, & pro cuius fide sum paratus funder vitam cum sanguine, &c. Dans vn autre209 il dit encore, nôsti certe vt alioquin ex æquo affectus erga omnos Philosophos sim, omnibusque honorem habeam, ac solum veritatis studio, exercendique animi gratia nunc in huius, nunc in illius cognoscendis placitis non nihil studiosus incumbam ; sic in Religione, Majores, hoc est, Ecclesiam Catholicam Apostolicam et Romanam sequor, cuius hactenus decreta defendi, ac porrô defendam : nec me ab ea vllius vnquam docti, aut indocti separabit oratio. Il avoit vne tres grande connoissance des Langues Latine & Grecque, & n’ignorait point celle des Hebreux ainsy que font voir ses Liures210. Il auoit la memoire si bonne211, l’ayant exercée toute sa vie, qu’il sçauoit presque tous [Margin] « ad. Arist.» c-à-d Exercitationvm parodoxicarvm aduersus Aristoteleos… 1624, « Præfatio ad Iosephvm Gaulterivm », sig. **3r. [Je m’en remets toujours, moi et mes biens, au jugement de l’église, une sainte, catholique, apostolique, romaine, dont je suis l’enfant et pour la foi de laquelle je suis prêt à donner ma vie et mon sang] 209 [Margin] « Vita Epic. » [et tu sais sans doute comme je suis par ailleurs dans les mêmes dispositions à l’égard de tous, comme je les honore tous et comme c’est ma passion pour la vérité et mon désir de former mon esprit qui me poussent à me consacrer un peu plus passionnément à connaître tantôt l’un, tantôt l’autre), de même en matière de religion, je suis les Anciens, c’est-à-dire l’église catholique, apostolique et romaine, dont j’ai jusqu’à présent toujours défendu les décrets et que je continuerai à défendre ; et d’elle ne me séparera jamais le discours de quiconque, qu’il soit ou non savant] Vie et mœurs d’Épicure, lettre dédicatoire à Luillier. 210 Certes il y a quelques citations en hébreu. Il écrit aussi à Golius à qui il demande un dictionnaire d’arabe, parlant de Luillier et de lui-même (8 mars 1630) : « Nous possédons tous deux en tout cas l’hébreu à fond ». L’hébreu était peu enseigné dans les facultés de théologie des collèges et universités en France du XVIIe siècle. Il était rare d’être, comme Gassendi, relativement compétent dans la maîtrise de cette langue, réservée aux érudits. 211 Sur la mémoire, une lettre importante à Reneri du 8 février 1630, consacrée à l’éducation des enfants : « En ce qui concerne la mémoire que l’on cultive en apprenant, il est impossible de la recommander assez, et surtout à cet âge-là, dont la constitution est telle qu’il apprend facilement n’importe quoi, et qui est libre des soucis qui entravent d’habitude communément les gens plus âgés. Il est vrai qu’une riche mémoire donne de l’érudition à 208
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les bons autheurs par cœur, & pour se desennuyer lors quil ne pouvoit point estudier, son divertissement estoit de reciter a par soy six mille vers212 tout d’vne suite qu’il auoit trié des Proses Moraux, lesquels il repetoit sovuant en se promenant, en voyage, & dans le lict lors quil estoit malade. Son estude estoit continuel, le trauail luy esté repos, & il disoit luy mesme quil estoit comme malade quand il ne pouuoit estudier en santé, on le trouuoit tousiours a la table, tousiours parmi les liures, tousiours la main a la plume, le jour ne luy suffisoit point, il passoit encore les nuicts, son plus grand sommeil n’ayant jamais duré plus de trois ou quatre heures, & encore souuentesfois il estoit
un homme ; non seulement elle est un grand ornement dans la société des hommes, mais en plus, de son riche garde-manger, elle peut alimenter le jugement d’une abondance de sains conseils et de saines décisions. Sans avoir jamais approuvé ceux qui apprenaient beaucoup de choses non pour être très sages, mais pour être très savants et atteindre la gloire grâce à leur mémoire, je pense du moins qu’il n’y a rien de plus avantageux que d’apprendre beaucoup de choses pour renforcer son jugement et pour qu’il mûrisse dans la fleur même de l’âge. Je t’aurais donc engagé à leur faire toujours apprendre quelque chose, mais en veillant à ce qu’ils le rapportent toujours à leur jugement, pour qu’ils ne travaillent jamais à apprendre des choses qu’ils ne comprennent pas du tout. Car c’est ainsi qu’on tourmente l’esprit, et je ne sais comment il se fait qu’il devient comme étranger à lui-même. Qu’ils apprennent toujours des réalités plutôt que des mots ; et quand il faudra qu’ils récitent quelque chose, qu’ils le disent moins avec les mots qu’ils ont lus qu’avec ceux qui coulent d’eux-mêmes et de la réalité dont ils sont pénétrés et dont ils parlent. ? ce que j’en juge, celui qui raconte une petite histoire avec ses propres moyens et avec ses propres mots exerce plus utilement sa mémoire que celui qui récite l’Énéide tout entière sans la comprendre. Que voyons-nous les parents nous réclamer et la foule considérer ? Déclamer tout au long du jour ! C’est qu’ils estiment sans importance que l’on sache ou non ce que signifie ce dont on parle pourvu qu’on le dise de mémoire. Mais j’ai toujours estimé qu’il ne pouvait rien y avoir de plus stupide, d’autant plus que nous avons à notre disposition une autre méthode pour exercer notre mémoire en même temps que notre jugement. Un enfant peut bien parler, par ma faute, de façon incongrue et barbare, pourvu qu’il émette des mots qui viennent de lui et qu’il y ait ensuite quelqu’un qui l’avertisse de ses erreurs quand il s’arrête ! Qu’il continue seulement et qu’il le fasse de façon répétée ; il arrivera qu’à force de se faire corriger telle ou telle faute, il parle de tout et de n’importe quoi avec beaucoup de finesse, de facilité et d’éloquence ». 212 Le nombre de six mille, repris par les différents biographes, n’est pas à prendre littéralement. En fait c’est un multiple de six cents, qui désigne une quantité infinie. Ainsi Rabelais. Mais Gassendi lui-même dans Vie et mœurs d’Épicure (livre VI, chapitre 6) : Épicure est « allé au devant de la mort avec une plus grande constance que Zénon, le père des stoïciens, qui s’est étranglé, d’après Diogène Laërce ; ou que six cents de ce genre, qui ont pareillement fini leur vie, Speusippe, Ménippe, Métroclès et d’autres ».
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fort incommodé de sa toux213. Il estoit si curieux, & si patient pour obseruer le mouuement & les autres accidents des Astres qu’il oublioit les incommoditez que cette fatigue luy pouuoit apporter, n’ayant esgard ny au froid, ny au serain. Il disoit luy mesme qu’il ne pouuoit s’empescher d’obseruer les Eclipses soit de Soleil, soit de Lvne, comme aussi les cometes lorsquil en paroissoit, non plus que le chat qui regarde la souris peut s’empescher de courir sur214. La grande connoissance de toute sorte de sciences ne la point enflé, & ce Prouerbe scientia inflat215, s’est trouué faux en luy ; sa pieté a fait voir le contraire, & son humilité a monstré a tout le Monde (sa chambre ayant tousiours esté ouuerte a toute sorte de personne qui luy venoient rendre visite, ou demander l’esclaircissement de quelques difficultéz) qu’il n’auoit aucun marque de vaine gloire de son scauoir, disant d’autre part luy mesme en plusieurs endroits dans ses liures que ses plus serieuses meditations ne sont que des resueries nugæ216 & que son extraction ne prend point son origine de Princes ny de Rois, mais de mediocres gens parmy le peuple, ce qu’il ne cache point lors qu’il dit Cæteris non, inuideo, vt sint Palatiorum magnitudine, magnificentiaque gloriosi : ipse casis humilibus, paupereque cauo sim lætus217. Sa sobrieté ne fut qu’vn jeusne continuel, il ne prenoit des viures, que lors quil se sentoit foible ; les mets les plus familiers & communs luy estoient 213 Lettres latines, à Valois, 22 juin 1646 : « Ma toux s’est affaiblie : elle perd de sa fièvre, et commence à s’adoucir peu à peu ; mon poumon pour lequel j’avais des craintes se libère davantage de jour en jour. J’avais un régime sobre, comme tu le sais, mais maintenant j’ai résolu de vivre encore plus sobrement, et ce n’est pas absolument sans succès »; 12 avril 1647 : « Mon humeur importune continue à s’adoucir ; ma toux n’est plus si âpre ; mon exspectoration n’est plus si difficile ; ma respiration n’est plus si véhémente, et mon élocution beaucoup moins laborieuse » ; 21 octobre 1649 « ma toux importune qui avait perdu presque toute sa consistance lors de ma dernière fièvre semble devoir revenir en scène, comme de retour par l’effet du droit de rentrée ». 214 « On dit proverbialement, et figurément d’un homme qui en espie un autre, qu’il guette comme le chat fait la souris… » Dictionnaire de l’Académie. « Il le guette comme le chat guette la souris ». Dictionnaire de Richelet, cité de Gégou 96. 215 Texte latin de la Vulgate. « La connaissance nous gonfle d’orgueil ». Première Épître de Paul aux Corinthiens, I, 8. 216 [bagatelles] Dans les Lettres latines, Gassendi emploie très souvent le mot nugæ, bagatelles, pour désigner ses propres productions, dans un souci de modestie. C’est un lieu commun rhétorique, de captatio benevolentiæ sans que ce second aspect diminue en rien la sincérité du premier. 217 [Je n’envie pas aux autres la grandeur et la magnificence de leurs palais, moi qui me contente d’humbles chaumières] Préface de la Notice de l’Église de Digne.
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excellens : de l’eau chaude luy estoit delicieuse comme le meilleur hypocras218 (il ne prenoit point de vin). Vn peu de bouillon, cum intincto pane219, deux ou trois bouchées d’vne queüe de mouton bouilly auec vne pomme cuite, ou cinq ou six pruneaux bouilles luy seruoient d’vn bon disner. Jamais il ne desjeunoit le matin, & le soir il ne fesoit qu’vne simple colation d’vn peu de bouillon, d’vne pomme cuite auec deux verres d’eau chaude. Les jours de vigile au lieu de viande il mangeoit vn peu d’œufs cuits au laict ou au miroüer220, & le caresme au lieu d’œufs vn peu de Riz cuit au laict221. Ce n’est pas que lors quil estoit a Digne il n’eust tous les jours a disner des Ecclesiastiques a sa Table qu’il traittoit honnestement. Toutes les bonnes festes de l’année il y fesoit le service divin & amenoit a disner chez lui tous les Ecclesiastiques du choeur, & tous les ans a la nostre Dame d’Aoust qui est la dedicace de l’Eglise Cathedrale222 il donnoit a disner a tous les Ecclesiastiques en general, & a tous les officiers de sa Justice particuliere de Bourg son Benefice Seigneurial. Comme il estoit d’vne mine riante, d’vn accueil doux, facile, agreable a vn chacvn, il estoit aussi fort jouial a table, & ne manquoit pas d’entretiens pour recréer toute sorte de compagnie, sil goustoit aucunesfois a table de toutes les viandes c’estoit pour point commetre d’incivilité. Il ne manquoit jamais lors quil estoit a Digne d’assister au seruice a la Messe, aux Vespres, & tous les jours a son retours les pauvres se rangeoient aupres de la Furetière, s.v. hypocras : « Breuvage qu’on fait avec du vin, du sucre, de la canelle, du girofle, du zinzembre, & autres ingrédients. On fait de l’hypocras framboisé, ambré. On fait de l’hypocras soudainement avec des essences. On fait aussi de l’hypocras d’eau, que les Medecins appellent bouchet. On en fait aussi de biere et de cidre. On appelle chausse d’hypocras, le filtre par lequel on le passe plusieurs fois pour le purifier. […] L’hypocras passe pour vin de liqueur, & se boit par delices à la fin d’un repas. Si on boit trop d’hypocras, il engendre la squinancie, la paralysie, etc. ». 219 [avec du pain trempé dedans], mais probablement avec un jeu de mots sur intincto, « trempé » et « consacré ». 220 Furetière, s.v. miroir : « Les cuisiniers appellent des œufs au miroir des œufs cuits sur le plat sans estre brouillez ». 221 Il faut comparer cette description que La Poterie fait du régime de Gassendi à la fin de sa vie avec ce que Gassendi lui-même en dit dans une lettre à Luillier du 19 février 1633, où il explique que pendant le carême, dégoûté par les poissons salés « car pour en manger de fraiz nous somme trop loing de la mer… et noz rivières ou plustost nos torrentz d’allentour nous en fournissent si peu que rien », il préfère se ruer sur les fruits, herbes et racines. Pour le reste, « Je n’en refuse point la bonne chère quant l’occasion s’en présente, mais je n’y attache point tellement mon cœur que je ne la mette parmy les choses indifférentes » (Rochot 85-6). 222 Date de la consécration à la vierge de l’église. 218
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porte de sa chambre auquels il fesoit des aumosnes selon son pouuoir. Plusieurs particuliers de Digne qui luy devoient des rentes, lots ou censiues223 a cause de sa Seigneurie du Bourg trouuoient tous grace en la luy demandant, les pauvres ne luy donnoient rien, les autres vn tiers, vn quart ou la moitiée, & a tous il donnoit inuestiture224 comme content, les acquittant de leurs debtes. Après l’aâge de soixante ans, qui est l’aâge de l’honneste oisiueté, il ne scauois ce que c’estoit de repos, aussi comme dans sa jeunesse il a eu la prudence de vieillars, ainsy en ses vieux ans il a eu la vigueur des jevnes hommes soit pour le corps, soit pour l’ame ; son sang ne s’estoit point encore glacé dans ses veines, le feu de son esprit ne s’estoit point esteint, la viuacité de son imagination ne s’estoit point affoiblie, sa memoire luy estoit tousiours aussi fidele qu’auparavant225, & par dessus ces qualitez il auoit l’esperience de toute chose : les beaux liures, qu’il a fait sur diuerses matieres sont des preuues de son esprit, il n’a pas perdu vn seul moment des ses jours en oisiueté, aussi n’a il pas esté contrainct de passer les derniers en repos par foiblesse. Comme il vit sa fieure continue malgré toutes les saignées, il connut bien que Dieu le vouloit appeller de ce Monde, il purifia sa conscience par la confession qu’il reïtera trois ou quatre fois & se fortifia contre la mort par la reception de la Ste Euchariste, qui est le pain des forts & des foibles. Il fit son Testament226 par lequel il ordonne & laisse du fonds pour faire des aumosnes aux pauvres, chanter vn seruice a perpetuité dans l’Eglise Cathedrale de Digne 227, au V[énérable] Chapitre de laq[uel]le Eglise il donne sa chapelle consistant tant en argenteries qu’autres ornemens sacerdotaux, a faire dire des Messes a son
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Cens, redevance fixe payable par le possesseur d’une terre au seigneur du fief. L’acte ou cérémonie mettant quelqu’un en possession d’un bien. 225 Sur la mémoire de Gassendi voir Bernier, infra, p. 515. 226 Le testament de Gassendi a été édité pour la première fois par S. J. Honnorat dans Annales des Basses-Alpes I 1838, 338-4. Il est cité ici d’après l’édition annotée de Fleury & Bailhache. 227 Par son testament Gassendi légua une pension annuelle de soixante-trois livres, que lui doit le clergé de son diocèse, aux recteurs successifs de la Charité de Digne pour que soit célébrée annuellement une messe le jour de son décès, et cela à perpétuité, « voulant et ordonnant qu’à les prêtres qui assisteront audict service il soit donné le double de ce qu’on a accoustumé en tels rencontres; l’argent qui restait était destiné aux pauvres ». Testament (n. 147). Pour la première exécution de ce legs voir L[ieutaud]. 224
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intention228, & vn annuel dans l’Eglise de sa sepvlture229, ainsy il disposa de ses petites affaires. Il n’a pas esté surpris se voyant frappé a la mort de la main amoureuse du Seigneur, sa vie en estoit vne estude continuelle, il a eu non seulement la mort tousiours present deuant les yeux, mais il la veu venir, il la sentie, dés le Samedy au soir, & toute la nuict il auoit sa main sur son cœur, & prenoit celle de son homme quil possoit dessus, luy disant, voyez ce que c’est la vie de l’homme &c.230 Bien longtemps auparauant il auoit recommandé a son Confesseur de le venir voir souvent, & de luy faire apporter l’Extremonction aussitôt qu’il verroit quil on seroit temps, lequel sacrement il receut deuotement auec vne presence d’esprit aussi grande quil est peu auois dans sa plus parfaite santé. Dés la veille au soir & encore le matin dujour de son deces, il se reconcilia a son Confesseur, luy demanda la benediction, & les belles paroles pour sortir de ce monde, lesquelles il repeta souuent, parlant dans son lict comme vn homme desja a la veüe de Dieu, & par la Constance Chrestienne a souffrir la mort sans crainte quelconque, & par sa resignation entiere a la volonté de Dieu il a donné des leçons admirables a ne point craindre la plus terrible des choses terribles. Vn peu d’entrer en agonie, il suplie son Confesseur de luy donner l’absolution & vouloir prier Dieu pour luy aupres de son lict a fin que la Volonté de son Createur soit faite & n’ayant plus la parole libre, il donne encore des marques qu’il entend ce qu’on luy dit. Ainsy les yeux fichez au Ciel dans la meditation des merveilles de Dieu ce soleil se couche & seclipse de nos yeux sans autre mouement ny agitation, que celle de la langue & du coeur le Dimanche vingtquatrieme jour du mois d’Oc228 « Il donne et lègue au chapitre de ladicte eglize cathédralle de Digne sa chapelle consistant tant en argenterie qu’en habillementz et ornementz sacerdotaux pour célébrer à l’autel, le tout estant dans vne caisse audict lieu de Digne, se remettant à la discrétion des sieurs dudict chapitre de Digne de faire célébrer en considération du présent legs tels services qu’ilz adviseront ». Testament, 38 & n. 70. La similarité de la formulation de la première phrase de La Poterie avec celle du testament de Gassendi suggère que de La Poterie a eu une copie du texte. 229 Saint Nicolas des Champs, rue Saint Martin, la paroisse de l’Hôtel de Montmor. Pour une description détaillée, voir Hillairet ii 466-7. Une messe de souvenir devait être servie tous les ans par le sous-vicaire Fremont (sur lui, voir Fleury & Bailhache 60 n. 67 ; on peut présumer que c’est lui qui a donné les derniers sacrements à Gassendi), ou s’il était indisposé ou pour toute autre raison, par n’importe quel prêtre qui conviendrait aux exécuteurs testamentaires. Deux cent livres « deu » à Gassendi, « par M. Louis Dujard [recte Jean Doujat], professeur du roy en droit canon » au Collège royal (sur lui, voir Fleury & Bailhache 60 n. 68) auraient dû être données à Frémont pour cette célébration anniversaire. « Testament », 38. 230 Sorbière donne cette même phrase pour les ultimes paroles de Gassendi.
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tobre l’an mil six cens cinquante cinq, entre deux & trois heures après midy. Voilà, Monsieur, de quelle façon nostre amy commvn a finy la carriere de sa vie, voilà comment il a combattu le dernier combat. Qui peut douter qu’il n’ait receu la couronne de justice du juste Juge qui luy auoit donné la force pour combattre & dont il ne cherchoit que la gloire dans toutes ses actions. Je puis dire hardiment que sa mort a esté plutot la couronne, que la fin de sa vie ; que ce flambeau en l’esteignant a jetté vne lumiere qui esclaira a jamais ; que celuy qui durant tant d’années auoit esté la bonne odeur de Jesus Christ en terre, est deuenu vn parfum eternel dans la maison de Dieu & quil est monté dans le Ciel comme la fumée du sacrifice de l’encens en odeur de suauité. Dormez en paix, Illustre Gassendi. Toutes les mains pieuses & habiles jetteront des fleurs sur vostre tombeau, que vostre nom descouurira a tout le Monde. Quoy quil n’y ait encore ny marbre, ny figures, ny inscriptions, il est assez precieux par vos cendres. On y lit sans y voir aucunes lettres vostre Pieté, vostre Sagesse, vostre humilté, vostre charité, vostre Patience. Vostre Pieté par l’amour extreme que vous auiez pour l’Eglise, vostre sagesse par la grande connoissance que vous auez de toutes sortes de sciences ; vostre humilité par l’abjection de vous mesme, & le mepris de la vaine gloire ; vostre charité par la compassion que vouz auiez pour des malheurs de vostre prochain & par les aumosnes que vous doniez aux pauvres ; vostre Patience par la constance en vos maladies & le trauail continuel de l’estude. En parcourant les liures qu’il a composé, & les Lettres qu’il a escrites l’on trouuera bien d’autres choses. Voilà ce qu i’en sçais, je suis tousiours Monsieur Vostre tres obeissant & affec[tion]né seruiteur, A. de La Poterie. A Paris ce 30e Jan[vi]er 1656.
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Texte de Pierre Gassendi, neveu MEMOIRE DE LA POTERIE TOUCHANT LA NAISSANCE VIE ET MORT DE MONSIEURGASSENDY MON ONCLE Sa naissance, &c 1592 Nostre Pierre nasquit l’an 1592, le jour de Sainct Vincent [97] 22 Jan[vi]er231 entre six & sept heures du matin, dans le village de Champtercier [92] qui est sur vne petite coline regardant le midy, ou l’air est très frais. Il fut baptisé sur les fons de l’Eglise de Champtercier par son oncle Thomas Fabri [.] Ses parrin & marrine furent […]232. Ce parrin lui vouloit donner vn autre nom mais le Curé l’atrapa nommant devant luy, Pierre je le baptize &c disant au parrin ne Voulez vous pas &c.233 On l’esleve au Village. 1593 Aagé de deux ans, moins 22 jours ainsy qu’a la suite il faudra tousiours remarquer. Il est au village Il se souuient qu’au mois de Juillet de cete année lequel mois fesoit seulement son dixhuictieme, qu’on portait en terre vne certaine femme, de quoy par curiosité par après il s’est confirmé ayant vue dans la Registre de l’Eglise que dans vn tel mois vne telle femme auoit esté enterré234. 1594 Aagé de trois ans. il est au village, ou estant foible & fort maladif a cause d’abondance d’humeurs, on lui fit vn cautere au bras gauche, mais peu de temps après le laissa se reboucher voyant que cela ne luy fesoit rien. Nota235 que dans ce bras au moindre froid il sent douleur, & il a fallu tousiours tenir ce bras la [sic] plus couvert que l’autre. 1595 Aagé de quatre ans. il scais desia lire, & commence a escrire 231
La date est écrite dans la marge. Que Gassendi neveu laisse ici un vide est étonnant dans la mesure où La Poterie a donné les noms de Bertrand Gayon et Marie Bodoul. 233 Ces détails proviennent de la première version de La Poterie, voir la note 98 p. 72. 234 Détail qui n’apparaît pas chez La Poterie. 235 [À noter] 232
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Il est au village. Voyant la Lvne transparente parmy les nüeés, la regarde fort attentivement, & appelle ses compagnons pour la contempler, disant qu’il lui sembloit qu’elle marchoit viste, &c.236 Aagé de cinq ans. Il est au village & s’amusé tousiours a lire dans toute sorte de liures qu’il rencontre, les apprend par coeur, puis les recit a ses compagnons. Aagé de six ans. Il est au village Aagé de sept ans. Il est au village Aagé de huict ans. Sur la fin de l’année il va a Digne pour estudier au Latin237 Aagé de neuf ans. Il estudie a Digne & apprend l’arithmetique. Aagé de dix ans. Il va estudier dans la ville de Riez Aagé de onze ans. Il revient estudier a Digne Antoine de Boulogne Euesque de Digne fesant sa visite a Champtercier notre Pierre luy fit vne petite harangue latine dans l’eglise dudit lieu au grand estonam[en]t d’vn chacvn. Aagé de douze ans. Il prend la Tonsure & la Confirmation d’Antoine de Boloigne Euesque de Digne. Il continue d’estudier a Digne Aagé de treize ans. Il continue d’estudier a Digne. Aagé de quatorze ans. Il continue d’estudier a Digne. Aagé de quinze ans. Il continue d’estudier a Digne
236
Cf. Bernier, p. 512. Ni l’une ni l’autre des deux versions ne vient de La Poterie. Simplification – stylisation ? – des trois arts littéraires du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et les quatre disciplines mathématiques du quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, théorie musicale). 237
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dans cete année la [sic], comme dans les deux ou trois precedentes il fait representer par ses compagnons (fesant aussi son personnage) quelquefois des petites comedies & Tragedies [107]. Aagé de seize ans. Il s’en retourne a Champtercier son village, & la estudie a soy. descendant vn escallier de bois il glisse & se desmet [109] le pied droit prez la cheuille, ou au moindre froid il y sent douleur & il a fallu tenir cette partie la plus chaude que l’autre. Aagé de dix sept ans. Il continue d’estudier en son particulier au Village. Aagé de dix huict ans.Il va estudier en Philosophie a Aix sous le Pere Fezayi Religieux Carme[110], qui mourut comme nous estions a Aix l’an 1649238. Aagé de dix neuf ans. Il continuer d’estudie en Philosophie Aagé de vingt ans. il estudie en Theologie sous le mesme Pere Carme. il alla aussi escouter M. Raphælis Professor en Theologie a Aix Aagé de vingt & vn ans. Il s’en va a Digne & est Principal du College. Voilà l’oraison qu’il fit aux Messieurs de la Ville a son commencement &c.239 Aagé de vingt & deux ans. Il continue d’enseigner a Digne Aagé de vingt & trois ans. Il continue d’enseigner a Digne. Il prend les Quatre [ordres] mineurs [117] et le Sous-diaconat [118] de Jacques Martin, évesque de Senez. Il va à Avignon et se fait recevoir Docteur en théologie. Stephanus Dulcis, nonce du Pape et Archevesque de cete ville, assista à ses disputes, &c. Ses examinateurs furent Sebastien Sissoine docteur, et celuy qui estoit pour lors recteur de ladite Vniversité240.
238
Détail qui ne se trouve pas dans les textes de La Poterie. Le texte n’est pas donné. 240 Le directeur de l’Université d’Avignon, ne porte pas le titre de « recteur » mais de « primicier ». Il était élu chaque année le lundi de Pentecôte par les docteurs de la Faculté de droit auxquels s’ajoutaient quatre docteurs de la Faculté de théologie. Voir Marchand ch. III passim. 239
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Le premier jour de Septembre il fut eslue Theologal241 de l’Eglise de Digne, a cause de la mort du S[ieu]r Araby. Aagé de vingt & quatre ans. Au mois d’Auril il va a Paris pour respondre au procez que le S[ieu]r Pellicier chanoine de Digne luy auoit intenté au grand Conseil se disant fournie d’vn bresuet de joyeux aduenement a la Couronne par le Roy & que ce Benefice de Theologal luy appartenoit &c.242 A Paris il prendre l’ordre du diaconat des mains de [blanc] Euesque Au mois de Nouembre il retourne en Prouence ayant gaigné son procez auec despens. A Digne il exerce sa charge de Theologal, presche souvent au peuple, & faict des predications latines, ou plustot leçons Theologiques aux Chanoines ses confreres, &c Aagé de vingt & cinq ans. Il prendre l’ordre du Prestrise du Torrecella Euesque de Marseille, & dit sa premiere Messe le jour de St Pierre es liens [125] premier jour du mois d’Aoust dans l’Eglise des Peres de l’Oratoire d’Aix. Il se preparoit a enseigner a Aix vn traité de Theologie de jure & iustitia243 publiquement qu’il avoit jusque composé lors qu’on luy proposa la Philosophie. Aagé de vingt & six ans. Les Messieurs de la Ville d’Aix ne voyant pas reuenir leur Professeur Espagnol qui estoit allé faire vn tour en Espagne pendant les vacances de la St Pierre244 [?] prevalent sûr n[otr]e Pierre de prendre sa place. Il enseigne la Philosophie publiquement dans le College d’Aix, tout d’vne autre façon, que celle qu’il auoit prise auec succez, grand nombre d’escholiers au grand estonnement d’vn chacvn ayant composé vne phil[osophie] a sa mode. Aagé de vingt & sept ans.
241
Le théologal est un membre d’un chapitre cathédral ou collégial, chargé d’enseigner la théologie et de prêcher en certaines occasions. 242 [Note en bas de page du ms] « Il se souvient que ce Pelissier voulant prescher a Digne demeura tout court a l’aue Maria, ne peut jamais acheuer, sortit de la chaire a la risée d’vn chacvn ce que l’ad[voc]at de nostre Pierre representant au Conseil comme quoy luy qui pretendoit estoit ignorant estant demeuré a quia, &c ». 243 [du droit et de la justice] sujet extrêmement traité à l’époque. 244 Les vacances d’été, commençant à la saint Pierre, c’est-à-dire le 29 juin. Nous n’avons pas pu identifier ce professeur de philosophie.
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Il continue d’enseigner a Aix & fait connoissance auec Mr. Gautier Prieur de la Vallette son Amy. cometam obseruant ambo245 [130]. 1619246 Aagé de vingt & huict ans. Il continue d’enseigner a Aix. 1620 Aagé de vingt & neuf ans. Il continue d’enseigner a Aix. Eclipsis Lvnæ ambo247. 1621 Aagé de trente ans Il continue d’enseigner a Aix. Il commence d’escrire des lettres Latines aux Sçauans248, &c. Ep[istol]a ad Pybracium249. Eclipsis solis ambo frater germanus Joannes Gassendus aderat observabatque &c250. 1622 Aagé de trente & vn ans. 245
[tous les deux observent la comète] Le texte ici est en contradiction avec l’original de La Poterie qui place cette observation en 1617. Gassendi neveu faisait peut-être plus confiance au tome IV des œuvres de son oncle qu’à La Poterie. L’observation de Gassendi de la comète de 1618 se trouve dans son diaire (Opera omnia iv, 77). Il décrit longuement son observation dans une lettre à Snellius du 14 août, en 1625, sans préciser s’il était ou non avec Gaultier pour l’observer. Il en parle aussi à Galilée le 20 juillet 1625 également sans mention de Gaultier 246 La Poterie ne dit rien pour les années 1619 à 1622. Ce que dit Gassendi neveu a l’air d’être du remplissage répondant à son souci de raconter quelque chose pour chaque année de la vie de son oncle. 247 [les deux, éclipses de la lune] Gassendi décrit l’observation de l’éclipse de lune du 20 juin 1620 qu’il fait avec Gaultier dans son diaire (Opera omnia iv, 84). Voir aussi Pingré 52. 248 Sans doute le neveu désigne-t-il ici une de ses sources, mais cette mention souligne aussi l’importance de ces lettres, c’est-à-dire non pas du fait que Gassendi ait entretenu une correspondance avec des savants, mais bien plutôt qu’une sélection en ait été opérée en vue de leur publication. Le fait était alors nouveau. 249 [Lettre à Pibrac] Cette lettre du 8 avril 1621 à Henri de Faur, Seigneur de Tarabel et de Pibrac est la première des Lettres latines. On peut penser que c’est à ce titre qu’elle est ici notée, ce qui explique aussi qu’elle ne soit pas mentionnée par La Poterie. Comme pour la note suivante sur l’observation d’une éclipse par Gassendi en compagnie de son frère, Gassendi neveu semble avoir puisé dans les Opera omnia pour compléter sa chronologie. 250 [Il assista et observa une éclipse du soleil avec son frère Jean Gassendi] Gassendi décrit cette éclipse du 20 mai dans son diaire (Opera omnia iv, p. 88 ; voir aussi Pingré 55) ; il ajoute un exposé de sa méthode d’observation. Il l’observa à Aix, comme il le précise par exemple dans une lettre à Wendelin du 21 mai 1629.
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Il continue d’enseigner a Aix vide Præfat. Ad Ar[istote]les251. Les Peres Jesuites s’introduisant dans cete ville, & semparant tout aussitot du College [131], il fut contraint d’acheuer son Cours commencé dans le Quartier de St Jean, Monsieur252 Bargemon son amy, pour lors chanoine d’Aix, a present Euesque de Sisteron, luy donna vne grande sale chez luy pour cet effet. Il s’en va en son Benefice a Digne, & prescher souuent auec grande suite Aagé de trente deux ans. Eclijpsis lvnæ253. Il va a Grenoble pour les affaires de son Chapitre [134] & loge auec Mr. Le President de Chaffaut son amy254, ou a ses heures perdües il reuoit aduersos Ar[istotel]es & le fait imprimer par les priers de ses amis qui en ayant des copies le menacoient de le faire imprimer ailleurs. Vide Præfat. Ad Ar[istotel]es &c cum Valesio &c255. Aagé de trente & trois ans. Il est a Grenoble, ou fut publié son liure Intitulé, « Paradoxa aduersus Aristoteleos » 8° [135]256. Il va a Paris au mois de Septembre ou il fait connaissance auec Monsieur de Peiresk son Amy257. Aagé de trente & quatre ans. Il obserua l’Eclipse a Paris Au mois d’Auril il retourne en Prouence. Aagé de trente & cinq ans.
251
[voir la préface à Aristote]. [Repère 1 en marge] « Antoine d’Arbaud sr. dr en Eglise Metropolitaine de St Sauveur d’Aix ». 253 [éclipse de la lune] Voir le diaire (Opera omnia, iv, 92). 254 Ce détail ne se trouve pas dans le texte de La Poterie ; il semble que seul Gassendi neveu le donne. D’après Tamizey, Chaffaut (ou Chaffault selon Rochot) n’est mentionné par aucun autre biographe de Gassendi. Gassendi a fait le voyage entre Digne et Grenoble avec lui entre le 24 et le 28 novembre 1623. Isnard 181. 255 [Voir la préface des Exercitationes et la lettre à Valois]. Voir les références sous l’édition de Rochot, p. 4, notes 7 et 8. 256 [Paradoxes contre les aristotéliciens] 257 L’erreur que Gassendi neveu fait ici, et que Tamizey a soulignée (220 n. 2), est difficile à comprendre, dans la mesure où La Poterie indique clairement qu’ils étaient déjà en relation dès 1617. Ils se sont probablement rencontrés autour de 1609 - 1611. Voir Joy 238 n. 2. 252
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Aagé de trente & six ans. Il obseruoit a Digne. Aagé de trente & sept ans. Au mois d’Auril d’Aix il s’en va a Paris. Il fait connoissance auec Monsieur Luillier par le moien d’vne letre dont Monsieur du Perier258 le chargea pour luy donner, par la quelle il luy marquoit que celuy qui estoit porteur de la lettre estoit vn sçavantissime en toutes sciences ; Mr Luillier ayant receu sa lettre alla rendre visite a nostre Pierre, & comme il se plaisoit fort aux Romans luy demandant quels il jugeoit estre les plus beaux, voyant nostre Pierre se mocquer de la verité des Romans il se mit a dire aussitôt he’ ce n’est donc pas vous dont me parle Mons[ieu]r du Périer car vous ne scauez point tous les Romans, & il me dit que le porteur de ma letre est vn homme très sçavant en tout259 ! &c. Ep[isto]la ad Puteanum260. 1629 Aagé de trente & huict ans. 258
Il s’agit de Scipion Dupérier. Cette histoire ne vient pas de La Poterie. Cf. Lettres latines, à Reneri, 8 février 1630, sur la lecture des fables aux enfants, comme propédeutique : « Ce que j’approuve, puisqu’un âge tendre est tout à fait charmé par les récits, c’est que, du moins quand ils en seront à apprendre les rudiments de la géographie, on commence par leur lire des fables et des histoires pour que, charmés par ces manières de séduction, ils s’habituent à la lecture et qu’ensuite, quand ils seront un peu plus avancés, ils s’intéressent à la géographie avec plus de gaieté. Pourtant, en ce qui concerne les fables, je voudrais qu’on les avertisse toujours de ce que les récits qu’on leur fait sont faux et inventés seulement par jeu, pour éviter que la terreur des superstitions et l’appât des vices ne brisent leur si tendre nature et qu’ils ne s’abaissent à une mollesse sans noblesse ni honneur. Mais il semble néanmoins qu’il faille aussi séduire leur nature pour qu’ils se nourrissent de leur lecture : car le remède le plus commode contre l’ignorance est celui qui met à notre portée de comprendre ce que d’autres connaissent, mais qui est éloigné de nous dans l’espace et dans le temps ». 260 [Lettre à Van der Putte] Cette précision est ajoutée entre deux tirets. On peut s’interroger sur la raison de la présence de ce détail ici. Datant du 9 avril 1628, elle est la première des Lettres latines qui mentionne le nom d’Épicure et où Gassendi annonce son projet de travailler sur le fondateur du jardin : « Pour dire la vérité, depuis que j’ai lu ton éloge d’Épicure accompagné de la publication de son portrait, j’ai commencé à t’admirer et à t’aimer d’un sentiment muet. Car j’ai préparé pour cet homme si grand une Apologie, en projetant de consacrer un volume entier à sa doctrine dans l’idée de le joindre à mon volume des Exercitationes paradoxicæ contre les aristotéliciens dont j’ai déjà soumis au public le plan et le premier livre ». 259
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1630 1631 1632 1633 1634 1635
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Monsieur Luillier a contracté telle amitié auec luy, qu’il le mesne en Flandre, Hollande & Angleterre [140], ou ils voyent tous les sçauans, & contracte amitiés auec Erycius Puteanus, Grotius, Caramuele, Henisius [sic], Helmontius &c Miræus Antwerpiensy ecclesiæ decanus261. Fut publié son liure de Parrhelijs [142] 8°262. Aagé de trente & neuf ans. Il est a Paris Parut son liure Exercitatio in Fluddum, 8° [146]. Aagé de quarante ans. Il est a Paris Parut son liure, Mercurius in Sole Visus, & Venus inuisa, 8°.[148] Aagé de quarante & vn ans. Parut son liure Epistola de Mercurio, &c 4°263. Au mois d’Octobre il s’en retourne en Prouence. Au mois de Decembre il obserue l’eclipse à Digne. Aagé de quarante & deux ans. Au mois de May il obseruoit a Aix. Au mois de Juin il estoit a Digne. Aagé de quarante & trois ans. Au mois d’Auril il estoit a Aix Au mois de Decembre il estoit a Digne, car la veille de Noël il fut esleu Prouost de l’Eglise Cathedrale de la dite ville par la demission du S[ieu]r Ausset, auquel il remit la Theologale. Ledit S[ieu]r Pelissier de Boulogne cy deuant nommé luy forma encor procez a Paris en vertu de son breuet, qu’il perdit encor auec despens & nostre Pierre fut maintenu &c. Aagé de quarante quatre ans. Au mois d’Auril il estoit a Digne.
261 [doyen de l’église d’Anvers]. Il s’agit dans l’ordre de Van de Putte, Grotius, Jean Caramuel de Lobkowitz, Heinsius, Van Helmont et Aubert le Mire. 262 L’organisation des lignes ici est très confuse ; notre transcription la rationalise. 263 Pierre Gassendi neveu semble confondre la date du passage de Mercure sur le Soleil, qui est mentionnée sur la page de titre, avec la date de publication de l’œuvre. L’Epistola de Mercurio, qu’il date correctement de 1632, constitue la première partie de l’ouvrage.
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Il alla obseruer la hauteur Meridien a Marseille auec Mr. de Peiresk264. apres auoir obserué l’eclipse de lvne par laq[uel]le il descouvre le court chemin de l’orient265. Comes Marchævillans Orator Regius Constantinopolis Petrum vult ducere266 Claudius Hardyæus suum instrumento obseruatorio donat267. Antonius Arbaudus Bargemonius Aquensis Ecclesiæ Præpositus, Sistariensi episcopus amicus suus268. Nobilis Franciscus Villanonanus Flayosci Baro, Marchionis Transij germanus, fuit amicus Petrii linguæ græcæ, omni quæque historiæ callentissimus269. 1636 Aagé de quarante cinq ans. Au mois de Mars il estoit a Aix. Au mois d’Aoust il estoit a Digne. Au mois d’Octobre il estoit a Aix. 264 Sur cette expérience qui a eu lieu en juin 1636, et non pas en 1635 comme le voudrait Gassendi neveu, voir Pingré 112-113 ; Turner & Gomez, 163. 265 Il s’agit de l’éclipse du 27 août. Elle fut observée par une dizaine de personnes, informées par Peiresc, en Provence, en Italie, en Prusse, aux Pays-Bas, au Caire et à Alep. Il essaye même d’avoir quelques informations de la Nouvelle France. L’analyse des résultats a permis à Gassendi d’améliorer les cartes de la Méditerrannée qui lui mesuraient mille kilomètres de trop dans sa longueur. Voir Pingré 105-108 ; Bigourdan 33-37 ; Turner & Gomez 152-3. 266 [Le Comte de Marcheville, orateur royal, a voulu amener Pierre à Constantinople]. 267 [Claude Hardy lui donne son instrument d’observation] 268 [Antoine Arbaud de Bargemon, prévôt de l’église d’Aix, évêque de Sisteron, son ami] 269 [Le noble François de Villeneuve, Baron de Flayosc, frère du Marquis de Trans, était l’ami de Pierre, très bon connaisseur de la langue grecque et de tout qui concerne l’histoire] Ces quatre notes sont ajoutées en bas de page. Il n’y a pas lieu d’hésiter, comme le fait pourtant Tamizey, entre callentissimus et calentisimus, car cette note est tirée presque mot pour mot de la Vita Pereskii, 78 où, évoquant les relations de Peiresc, Gassendi écrit : Altera fuit cum nobili Francisco Villanova Flayosci Barone, & Marchionis Transij germano, qui linguæ Græcæ, omnigenæque historiæ Callentissimus (Le noble François de Villeneuve, baron de Flayosc et frère du marquis de Trans, qui, excellent en langue grecque et en histoire de toute nature, avait connaissance jusqu’au bout des ongles de tout ou presque en matière de monuments antiques sur l’ensemble de la Provence ; traduction de Roger Lassalle, 76). Issu d’une vieille famille de Provence, François de Villeneuve a sans doute fait la connaissance de Gassendi grâce à Peiresc avec qui il était en relation depuis 1605.
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au mois de Xbre [decembre] il escrit a Mr. Naudé vne letre de apparente magnitudine [solis]270 &c. Aagé de quarante six ans. Il estoit a Aix271. Au mois d’Aoust il estoit a Aix Monsieur du Peiresk Con[seill]er du Roy en ce Parlement luy legua par testament tous ses instruments de Mathematiques, & cent volumes de ses liures a choisir dans sa bibliothèque, dont il a receu seulement 1 000 l[ivre]s272 & encor auec beaucoup de peine Mr. le Baron de Rians son Neveu ne voulant aucunement executer sa volonté s’en moquant a cause de son auarice, & tout le monde scait encore ce que cet esprit malicieux a voulu faire aux habitudes de nostre Pierre273. Aagé de quarante sept ans. Au mois de Juin il estoit a Digne. au mois de feb[rier] Mr. Le duc dangoulesme le mena auec luy dans la visite de toute la coste de son gouuernement[.] Mr de Champigny son amy Intendant de Justice est de la partie, dans ce voyage il passe a Salon & on luy monstre la prediction de Nostradamus &c.274 Aagé de quarante huict ans. Au mois d’Auril il estoit a Aix. Aagé de quarante neuf ans. Au mois d’Aoust il estoit a Aix escrit vne Letre a Licetus de apparente magnitudine solis275 &c.
270 [Sur la grandeur apparente du soleil] Le soleil est indiqué par un symbole, qui est du reste couramment employé entre les astronomes, et donc dans les Lettres latines. 271 Les trois lignes qui suivent sont rayées. « Il alla a Digne pour la mort de son ami Mr. Sauveur Taxil Chanoine de ladite Eglise de Digne, oncle de Nicolas Taxil son successeur, & apres Prouost de lad[it]e Eglise ». 272 C’est-à-dire d’argent. Une note en marge ici, qui commence par le mot « Juillet… » et qui concerne Peiresc, est illisible. 273 Cette remarque énigmatique ne se trouve pas chez La Poterie. Tamizey a voulu ajouter « croire quant » entre « faire » et « aux habitudes ». Malicieux est à entendre au sens fort de diabolique. 274 Peut-être une des éditions des Prophéties de Me Michel Nostradamus qui ont suivi l’editio princeps donnée à Lyon en 1555. Nostradamus a vécut à Salons de 1544 jusqu’à sa mort le 2 juillet 1566. 275 [Sur la grandeur apparente du soleil] Le soleil est indiqué par un symbole.
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au mois de Xbre [décembre] il est a Aix escrit deux letres a Mr. Du Puy de motu impresso276 &c. 1641 Aagé de cinquante ans. Il va a Paris au mois d’Aoust ayant esté esleu dans l’assemblée du clergé a Mantes [158] Agent general du Clergé de la Prouince pour l’assemblé g[e]n[er]ale du Clergé de France qu’on tenoit a Paris, [159] mais vn certain Hugues Grand-Vicaire en l’Eglise d’Ambrvn luy disputa cete charge, & pour ne perdre pas son temps dans la chicane des procez &c il luy quitta cete charge & sa commoda auec luy moyennant 8 000 livres de quoy il a touché seulement 4 000 livres auec beaucoup de peine. Il obserua l’Eclipse a Paris. Monsieur de Chantecler luy legua par testament 1 000 livres. Qu’il a receu277. Parut son liure, Vita Peireskij Senatoris Aquensis, 4° [160]. Monsieur Luillier l’oblige a demeurer auec luy ce qu’il accepte & vivant a sa table & en amy il y demeure jusqu a son despart de Paris pour Prouence qui fut l’an 1648 au mois d’Octobre278. Monsieur de Mesmes President au Parlement de Paris le pressoit en ce mesme temps pour l’auoir chez luy pour Mons[ieur] d’Avaux son fils[163]. 1642 Aagé de cinquante & vn an. Il estoit a Paris. Fut publié son liure, Epistola de Sole humili. &c [167]. de motu impresso &c. 4° [168]
276 [Sur le mouvement imprimé] De Motu impresso a motore translato. Epistolæ duæ, in quibus aliquot præcipuæ, tum de motu universe, tum speciatim de motu terræ attributo, difficultates explicantur, Paris 1642. Cet opuscule qui se présente sous la forme d’une longue lettre datée d’Aix, le 11 décembre 1640, adressée à Pierre Dupuy, est repris avec pour complément deux autres lettres, une adressée à Pierre Dupuy, l’autre à Joseph Gaultier, dans les Opera omnia, iii, 478-563. Pour la description de l’expérience, voir aussi Lettres latines, à Valois, du 1er juin 1641. Pour les circonstances de sa rédaction, voir Turner & Gomez 160. 277 Addition postérieure écrite dans une encre différente. 278 Note en marge « Ep[isto]la ad Valesius » [Lettre à Valois]. Il est difficile d’expliquer pourquoi Gassendi neveu donne cette précision.
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au mois de xbre [décembre] il escrit vne letre au P[ère] Cazræus de proportione &c [168] l’adresse a Mr. De la Mare Con[seill]er ad Dijon279. 1643 Aagé de cinquante & deux ans. Fut publié son liure, Judicium de nouem stellis &c. 8° [171]280. Il estoit a Paris au mois d’Auril il escrit vne lettre a Mr. Naudé de nouem stellis [172], de la maison d’Escouen ou Mr le duc dangoulesme son ami l’auoit amené pour passer les festes de Pasques [170]281. 1644 Aagé de cinquante & trois ans. Il estoit a Paris. Parut son liure, disquisitio aduersus Cartesium. 4° [176] Monsieur Aubery [177]282 du Maurier luy legua par testament tous ses instruments de mathematiques & toutes ses machines283, & vingt volumes a choisir de ses liures. Lequels il a receu des mains de Monsieur son Frere cet illustre gentilhomme qui nous a donné disertatio de mari Balthico &c liure curieux pour l’histoire284. 1645 Aagé de cinquante & quatre ans. Il estoit a Paris. 279 Cette précision que Philibert de la Mare sert d’intermédiaire se trouve dans les Lettres latines, lettre du 8 décembre 1642, que les éditeurs donnent sous le titre « À Philibert de la Mare, Pour le prier de s’occuper de remettre sa lettre à Le Cazre ». 280 [Jugement sur les neuf étoiles] 281 Début de l’opuscule : « Je suis venu à Écouen, mon cher Naudé, avec l’excellent Prince et vice-roi de ma Provence, Louis de Valois, comte d’Alais : fuyant la foule par ces temps sacrés, il a décidé de me prendre avec lui pour l’accompagner dans sa retraite religieuse ». Dans le Recueil de lettres des sieurs Morin, de la Roche, de Neuré et Gassend, Gassendi écrit (p. 127) : « Pour tout cela il est à noter que Monsieur le Comte d’Alais notre gouverneur s’étant rencontré à Paris et m’ayant fait l’honneur de désirer que j’allasse passer avec lui la semaine sainte et les fêtes de Pâques de l’année 1643 en sa maison d’Écouen, je pris occasion d’employer quelques heures du loisir que j’y eus à faire et envoyer à Monsieur Naudé la lettre qu’il avait désirée touchant les neuf étoiles observées à l’entour de Jupiter par le Père Rheita capucin de Flandes… ». 282 Note en marge « daniel Auberius Maurerius ». 283 Ces instruments et machines, comme ceux légués par Peiresc, ont tous disparu. 284 Louis Aubery du Maurier, Dissertatio super vetere Austriacorum proposito de occupando mari Balthico, omnibusque et poloniæ et Septentrionalis Germaniæ mercaturis ad se attrahendis in Galliarum et fœderati Belgii detrimentum, vna cum mediis quæ hanc perniciem avertvnt, eminentissimo cardinali Mazazino dicata, Paris 1644.
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Il fut receu Professor du Roy ès Mathematiques par la mort de Mr. Stella a la sollicitation que luy en fit Monsieur le Cardinal de Lyon [183] grand Aumosnier de France & son amy. Parut son Oratio Inauguralis dedié a ce Cardinal 4°285. au mois de Mai il escrit deux letres au Pere Cazræus de proportione qua &c.286 1646 Aagé de cinquante & cinq ans Il estoit a Paris. Parut son liure, de Proportione qua grauia decidentia &c. 4°287. Aduersus Cazræum288. 1647 Aagé de cinquante & six ans. Il estoit a Paris. Parut son liure, Institutio Astronomica, 4° [188]. Parut aussi de Vita & moribus Epicuri. 4° [189]. Monsieur le Prince de Conty luy donna les prouisions du Prieuré de Romolles289 au dioceze de Riez en Prouence, mais comme il en alloit faire prendre possession, vn deuolutaire l’obtint par Arrest du Parlement de Prouence290. [Discours inaugural] Oratio inavgvralis habita in Regio Collegio die Nouembris XXIII a Petro Gassendo Regio Matheseos Professore, Paris 1645. Repris dans les Opera omnia, IV, pp. 66-73. 286 En fait Gassendi a écrit à Le Cazre le 15 mai et le 7 juin 1645, voir Lettres latines n° 361 et n° 373. 287 De proportione qva gravia decidentia accelerantvr. Epistolæ tres…, Paris 1646. Repris dans les Opera omnia, iii, 564-650. 288 [contre Le Cazre] 289 Roumoules, bourg qui se trouve approximativement 40 kilomètres sud sud ouest de Digne au-dessus de la rive gauche du Colostre, diocèse de Riez (le bourg est une possession du marquis Charles de Grimaldi, qui en a la juridiction universelle depuis 1646) : en 1647, le prince de Conti demande pour Gassendi les provisions du prieuré de Roumoules occupé par Denis Guillemin qui vient de mourir (c’est un correspondant et un familier de Peiresc), mais un dévolutaire l’obtient par arrêté du Parlement. Comme dans l’affaire de l’agence du clergé, Gassendi est au cœur d’une question politique fondamentale, celle de l’indépendance du clergé qui résiste cette fois-ci à la pression royale et aux nominations abusives. Voir Lettres latines, à Louis de Valois du 8 février 1647 et du 15 février 1647 : 290 En marge « Armandus de Bourbon ». « au mois de 7bre Galterius moritur Aquis sextiis ». [Au mois de septembre Gaultier meurt à Aix] Voir Lettres latines, à Valois, 19 septembre 1647 : « La lettre que j’ai d’Aix annonce les tristes funérailles de cet excellent et très ancien ami Joseph Gaultier, prieur de Valette : j’ai l’impression d’avoir perdu la moitié de 285
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1648 Aagé de cinquante & sept ans. Il s’en retourne en Prouence au mois d’octobre, Il s’en va tout droit a Aix pres monsieur le Comte d’Alais duc d’Angoulesme Gouverneur de Prouence, & la demeure six mois. 1649 Aagé de cinquante & huict ans. Au mois de May il s’en va a Digne. Parut son liure, Apologia aduersus Morinam, &c. 4°291. Parut aussi, Philosophia Epicuri Toti… [sic], fol°292. Au mois de decembre il va a Toulon, Monsieur le duc d’Angouleme luy enuoyant sa litiere pour le faire venir pres de lui [193]. 1650 Aagé de cinquante & neuf ans. Il est a Toulon. Monsieur Luillier son amy passant par la y tombe malade, il l’assiste, & ne le quitte point tant qu’il fut guery. 1651 Aagé de soixante ans. Au mois d’Auril il s’en va a Digne. Mr Luillier estant party pour l’Italie & Mr le Duc d’Angouleme pour Paris293 1652 Aagé de soixante & vn an. Il est a Digne 1653 Aagé de soixante & deux ans. Au moi d’Auril il s’en va a Paris, & loge chez Monsieur de Montmor Con[seill]er du Roy en ses Con[s]eils & Maistre des Requetes ordinaire de son hostel [197].
mon âme. Puisse-t-on avoir un jour le loisir de faire connaître au monde comme nous pûmes trouver en lui pendant tant d’années un homme si sage, bon et plein d’amour pour moi ! » 291 [Apologie contre Morin] Apologia in Io. Bap. Morini librum, cui titulus Alæ telluris fractæ : epistolæ IV de motu impresso à motore translato, Paris 1649. Ce texte n’est pas repris dans les Opera omnia. 292 [La philosophie de tout Épicure] (à noter la faute de latin totii ou totius). Le seul ouvrage de Gassendi sur Épicure in-folio est la partie reprise dans les Opera omnia de ces publications sur Épicure de 1649 qui se présentent sous la forme d’un grand in-4° ; en outre le titre donné par Gassendi neveu lui correspond mal. Est-ce qu’il pense au titre de l’Appendix altera, Philosophia Epicuri Syntagma, des Animadversiones ? 293 En marge « Luillerius moritur Pisis in Italia en fév[rier] 1652 » [Luillier meurt à Pise en Italie en février 1652]. « Petrus Puteanus moritur Parisy die 14 Xbris » [Pierre Dupuy meurt à Paris le 14 décembre].
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Il passe par Sisteron pour voir Mr. Arbaud S[ieu]r de Bargemon Euesque du d[it] lieu son amy, puis par Grenoble pour y voir aussi Mr. De Valois son amy, Mr le duc Lesdiguieres fut aussi bien aise de le voir. Il passe par Lyon & visite le lieu ou Mr. Le Card[ina]l Archeuesque dud[it] lieu son amy fut enterre &c.294 Au mois de Nouembre Valesius Princeps moritur Parisiis [illisible] le xi. Petrus Burdinus S.J. moritur Parisys die 27 xbre295. 1654 Aagé de soixante & trois ans. Il est a Paris. Parut son liure, Tychonis Brahei vita, &c. 4° [199]. Parut aussi, Notitia diniesis Ecclesiæ, 4° [201]. Parut Kalendarij Romani [200] Au mois d’Aoust il va prendre l’air des champs au chasteau de Monsieur de Montmor a sept lieues de Paris296, & la il obserua l’Eclipse du soleil & celle de la Lvne297. Il reuient a Paris au commencement d’octobre. Au mois de Nouembre il tombe malade le 27e jour & tient la chambre iusqu’au 6 Jan[vi]er jour des Rois 294
En marge « Le 30 iour au mois de Juillet Naudæus moritus Abanilla in Picardia rediens Suecia. Barancius moritus Lugdvni le 18e Juillet » [Naudé meurt à Abbeville en Picardie en revenant de la Suède. Barancy meurt à Paris le 18 juillet]. 295 [Le prince de Valois meurt à Paris [illisible] le 11. Pierre Bourdin SJ meurt à Paris le 27 décembre] 296 C’est-à-dire au Mesnil-Saint-Denis. Cette éclipse du 12 août 1654 est très importante, à cause de la vague de terreur qu’elle produit : Vincent de Paul rassure le supérieur de la mission de Varsovie grâce aux « très pertinentes raisons » de Monsieur Cassendieux (sic pour Gassendi), à qui est attribué un opuscule publié de façon anonyme destiné à détruire les vaines superstitions, le Discours sur l’éclipse. L’auteur y blâme « cette enfantine crédulité de notre populace, et la terreur panique qui lui avait saisi si fort le cœur, que quelques-uns achetaient de la drogue contre l’éclipse, les autres se tenaient à l’obscurité dans leurs caves ou dans leurs chambres bien closes et bien fermées, et les autres se jetaient à la foule dans les églises ; ceux-là appréhendant quelque maligne et périlleuse influence, et ceux-ci croyant d’être parvenus à leur dernier jour ». Cette éclipse donne lieu à une très abondante littérature étudiée par Labrousse. Contre l’attribution à Gassendi de cet opuscule, voir Halbronn. Pour les observations de l’éclipse partout en Europe voir Pingré 211-14 qui dit qu’elle a eu lieu le 11 août. Il y a eu deux éclipses de la lune en 1654. Gassendi a observé, avec difficulté, la seconde du 27 août. Pingré 215. 297 En marge « au mois de xbre Valesius moritur Gratianopoli » [Valois meurt à Grenoble]. Il s’agit de Jacques de Valois, l’astronome.
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1655 Aagé de soixante quatre ans. Il est a Paris Au mois d’Aoust le 23 il retombe malade, & vne fieure continue apres soixante trois jours & 13 saignées faites par ordonnances des Medecins le reduit au tombeau au grand regret de tous les sçauans le 24e jour d’Octobre [204] Ses escrits sont entre les mains de Monsieur de Montmor lequel il a prié par testament d’en auoir soin298 [205]. Son corps est enteré dans l’Eglise de St Nicolas des Champs sa Paroisse en la cave de la chappelle de Monsieur de Montmor Cete chapelle est dédié a St Joseph pres de la grande porte a main droite en entrant. Il auoit enuie de retourner en Prouence au commencement du Printemps de l’année 1656. Mais dieu ne l’a pas permit. Sa piété L’an 1616, il receut le sacrement de prestrise et depuis ce temps là jusqu’à la mort, il n’a jamais manqué de célébrer dévotement la messe tous les dimanches et festes de l’année, hormis que lorsqu’il estoit malade. Pour remercier Dieu, il ne manquoit jamais de dire la messe le jour de saint Vincent [97], en commémoration de sa naissance qui fut vn pareil jour, Le jour de saint Pierre son patron299, Le premier jour d’aoust, saint Pierre-ès-liens [125], pour remercier Dieu de ce que dans vn pareil jour il célébra sa première messe, Les deux jours des Trespassés qu’on feste en Prouence pour prier dieu pour ses parens et ses bons amis300. Lorsqu’il estoit en voyage et qu’il la pouvoit dire sur les chemins, il la disoit. Dans sa jevnesse, lorsqu’il auoit plus de force & qu’il ne se sentoit point encore incommodé de la poictrine devant mesme estre prestre & bien longtemps encore après il instruisoit & preschoit le peuple, on l’a veu dans Aix, 298
Selon Tamizey I, cette réflexion montre que les « Mémoires » sont antérieures à 1658, l’année où les Œuvres complètes sont publiées à Lyon, mais voir notre introduction. 299 Le 29 juin. 300 Les deux jours provençaux sont sans doute le 2 novembre et une autre « petite fete des morts », deux célébrations annuelles.
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dans Grenoble, faire des prédications, a Digne il en fesoit fort souvent et n’osoit point s’hazarder à tousjours prescher dans les grandes églises, mais il alloit le plus souvent prescher dans les petites, comme couvens de religieuses, &c. Il fut constraint de quitter ce saint exercice à cause des grandes maladies qu’il en auoit, & voyant cela il s’appliqua à instruire encore le peuple non de la voix, mais de la plume, en l’incitant par la connoissance des choses naturelles à la connoissance du vray Dieu Lors qu’il estoit dans son bénéfice à Digne, il ne manquoit jamais d’assister au service, d’aller à la grande Messe, ouïr la prédication, s’il y en auoit, & d’aller aux Vespres. Quand il luy estoit arrivé qu[elqu]e accident, il ne s’en estonnoit poinct disant que dans la condition des choses humaines beaucoup de choses peuvent arriver au-delà de nos attentes, qu’il se faut reposer seulement sur la volonté de Dieu. Quand il se voyoit malade, il estoit tousjours resolu de soufrir pour l’amour de Dieu tout ce qui luy pouvoit arriver. Il ne trouvoit rien d’estrange, on ne luy a jamais qu’ouy dire : Mon Dieu, je veux tout ce que vous voulez ; fiat volvntas tua, &c.301
Aussitôit qu’il se voyoit malade en moindre peril, il demandoit et recevoit le Saint Sacrement et reiteroit, quand la maladie estoit longue. Dans sa dernière, comme il se sentoit peu à peu mourir, craignant que son bénéfice ne tombast entre les mains de quelqu’vn incapable de bien faire l’office à la gloire de Dieu, il le résigna à une personne capable302. Il recommanda fort souvent à son Confesseur de le venir voir tous les jours & de bien prendre garde à luy faire recevoir le saint sacrement de l’Exstresme-onction lors qu’il verroit qu’il seroit temps, à quoy le Confesseur veilla & ne manqua de luy faire recevoir, lequel il receut dévotement & auec toute l’attention & saincteté d’esprit qu’on pourroit souhaiter. Le soir devant sa mort il pria encor son Confesseur de le reconcilier, luy donner l’absolution & luy dire les belles paroles pour sortir de ce monde ce qui fut fait. Le lendemain quatre heures devant mourir il luy demande encor l’absolution & le supplia de faire les prières tout bas auprès de luy, ce qu’il fit. 301
[Que ta volonté soit faite, &c.] Nicolas Taxil. Voir l’introduction au chapitre 2.
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Dans tous les liures qu’il a fait, il proteste tousjours que sa volonté est de suivre l’église Catholique, Apostolique & Romaine & de la deffendre au peril de sa vie, n’auoir jamais autre croyance que la sienne, & qu’il chantera la palinodie303 s’il y a quelques endroits douteux, etc. Vide præfationem vitæ Epicuri &c.304
Par son testament il donna vn fonds à l’Eglise de la charité de la ville de Digne pour dire à son intention vn service à perpétuité, & faire des aumosnes [227]. Il donne à son Eglise cathedrale tous ses ornements sacerdotaux, argenterie, &c [228]. L’on n’a jamais remarqué en luy qu’vne humilité très grande, jamais il n’a tiré gloire de son scavoir, & n’a point caché son extraction. Vide Præfationem notitiæ Ecclesiæ Diniensis305. Ea fuit humanitas, ut quoscumque adevntes benevole exceperit, & si quampiam difficultatem proposuerint illacco [pour illico] dissereruit ac declaravit306.
Lorqu’il était à Paris, il celebroit la Messe, pendant la vie du P. Mersenne307 au couvent des Minimes de la Place Royale308, après sa mort, à l’Hos303 Furetière, s.v. palinodie : « Discours contraire à un précédent. Le mot n’est en usage qu’en cette phrase proverbiale : Chanter la palinodie, pour signifier, Dire le contraire de ce qu’on avait dit auparavant ». Gassendi l’emploie couramment, voir Lettres latines, passim. 304 [Voir la Préface de la vie d’Épicure] Sur cette éventuelle palinodie, voir Vie et mœurs d’Épicure, Épître dédicatoire : « Car si j’avais été convaincu qu’Épicure s’était adonné à la luxure et abreuvé de voluptés obscènes, comme Sardanapale, Héliogabale et toutes les semblables pestes du genre humain, je le vouerais alors aux dieux infernaux et ne serais pas le dernier à jeter sur lui torches et rochers, avec l’ensemble de la faction »; puis « chaque fois que je rencontrerai un point susceptible de sembler en désaccord, même minime, avec la sainte foi, je ferai toujours mon possible pour ruiner son opinion par la force de la raison. Car s’il est vrai que je veux aborder l’explication de sa doctrine une fois que j’aurai achevé l’apologie de sa vie, je ne m’enrôle pas dans son parti ni ne me pose comme son garant ou comme sa caution ». 305 [Voir la Préface de la Notice de l’Église de Digne]. Il n’existe pas de préface à proprement parler à la Notitia, seulement une lettre, sorte de dédicace, adressée au « Clergé et au Peuple de Digne ». Si Gassendi avoue son attachement à Digne, ville « ni grande ni illustre », il ne parle pas de ses origines humbles, contrairement à ce que suggère son neveu ; il dit seulement qu’il se contente « d’une humble chaumière et d’une pauvre grotte », et cela sans doute par figure de style. 306 [Il fut d’une humanité telle qu’il recevait de bon cœur tous ceux qui venaient le voir et quelle que soit la difficulté qu’ils lui ont soumise, il l’a traitée et éclaircie aussitôt]. 307 C’est-à-dire jusqu’au 1er septembre 1648, date du décès de Mersenne. 308 Actuelle Place des Vosges.
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tel-Dieu309. A Tolon, il la disoit au couvent des religieuses de la Visitation310, aucunes fois au couvent des Jacobins311, pour y voir ensuite le P. Fulconis, son amy312. A Aix au couvent des Carmes313, à la Magdalène314, aux pères Jésuites315, à Digne, au couvent des Religieuses de la Visitation316, au couvent des Recollets317, lorsqu’il ne disoit point dans l’Eglise de Nostre-Dame-du-Bourg 309 Hôpital principal de Paris dont la fondation remonte au moins au XIIe siècle. En 1505 la responsabilité de l’administration de l’hôpital passa des chanoines de Notre-Dame à la ville de Paris qui le restaura et l’agrandit, en 1602-9 et entre 1619 et 1626. 310 Le couvent des sœurs de la Visitation, qui date de la première décennie du XVIIe siècle, situé près des remparts et du bastion de Sainte-Catherine. L’actuelle Place de la Visitation se trouve sur l’emplacement de l’ancien jardin des Visitandines. Le rapprochement avec l’ordre salésien est intéressant. Voir le texte de Taxil, qui montre Gassendi proche de cette spiritualité. 311 Le couvent des frères prêcheurs (les jacobins sont le nom que portent en France les dominicains qui dépendent de Saint-Jacques, couvent au nord de Gênes) installé dans l’ancien Palais Royal donné aux frères par la reine Jeanne en 1388. Supprimé en 1790, le bâtiment est devenue une caserne jusqu’à sa démolition par la municipalité en 1886. Les halles municipales actuelles occupent l’emplacement du jardin des moines. 312 Comme le remarque Tamizey I, cet ami n’est mentionné ni par Bougerel, ni par personne d’autre. 313 Le Couvent des Carmes se trouvait à l’emplacement de l’actuel Passage Agard du nom de Félicien Agard qui a racheté le couvent en 1846 pour le faire démolir par la suite. 314 L’église paroissiale de Sainte-Magdelaine fut construite à la fin du XIVe siècle au sud du Palais comtal et largement remaniée en 1676. Elle fut démolie en 1792 pour permettre le percement d’une rue qui sera nommée « rue de l’Ancienne-Magdelaine ». 315 La chapelle du Collège des Jésuites existe toujours rue Lacapède. 316 Le couvent de la Visitation se situait rue de la Traverse (actuelle rue de la Grande Fontaine), tout près de l’hôpital Saint-Jacques (l’actuel musée). Les religieuses s’y installent en 1630. Vendu comme bien national à la Révolution, il a plusieurs usages jusqu’à sa démolition en deux temps : une partie à la fin des années 1950, l’autre en 1981. Information fournie par Rémi Garcin, Archives municipales de Digne-les-Bains. 317 Le couvent des Récollets se situait « en dehors de la porte de Soleil-bœuf, quand on va vers les bains ». Selon Gassendi (Notitia 63), les Récollets s’y installent en 1603. Vendu comme bien national à la Révolution, il accueille plusieurs administrations. Depuis 1820, c’est le palais de justice de Digne. Information fournie par Rémi Garcin, Archives municipales de Digne-les-Bains. Il faut noter que tous les couvents mentionés par Pierre Gassendi neveu dépendent des ordres associés à la Contre-Réforme. Voir Denis Richet, « La Contre-Réforme catholique en France dans la première moitié du XVIIe siècle » dans Richet 83-95. D’après lui (87), les specificités de ce mouvement furent « respect de la hiérarchie épiscopale (à part les jésuites, les réguliers entendaient dépendre des évêques), ouverture aux tâches d’éducation des enfants et d’assistance aux pauvres, recours à l’observance la plus stricte de la règle primitive… ».
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[*] ou de Sainct Jérosme318. a Paris, en son dernier voyage, il la disoit au couvent des Pères de la Mercye319. Par son ordre, pendant sa dernière maladie, j’allay faire dire des messes à Sainct Nicolas, sa paroisse, et aux Pères de la Mercye pour son intention320. Par son testament il laisse vn fonds pour dire vn annuel à son intention en la mesme Eglise de sa sépulture, et prie son confesseur d’en vouloir prendre la peine. Sa façon d’Estudier Ille fuit qui non potuit otiose vitam traducere, quiqve si voce minus valuit, at scripto saltem discentibus præiit321. Ses grandes veilles & ses grands travaux ont bien monstré que jamais la paresse n’a peu mordre sur luy. Je luy ay souventes fois ouy dire qu’il auoit plus estudié le nuict que le jour, qu’il auoit veillé vne infinité de nuicts entières, principalement en sa jevnesse, tant l’amour des lettres luy estoit à coeur, et qu’il les chérissait de son propre mouvement, sans y auoir esté excité par aucvne personne, aucvn des siens ny des voisins ayant cultivé les Muses. L’on peut dire que parmy les rochers tout escharpez, dans les neiges dont son pays est environné, cete belle fleur nasquit glorieusement pour l’ornement des letres et des siens. Dans sa jevnesse, il s’amusoit à lire toutes sortes de liures & de les parcourir entièrement depuis le premier feuillet jusqu’au dernier. Peu à peu connoissant les bons, il délaissa tous ceux qui ne contenaient point vne doctrine solide, et s’appliqua tout de bon à la vraye Philosophie, à 318
La nouvelle cathédrale construite en 1490. Pour son histoire voir Paul Goffi, « Cathédrale Saint-Jérôme », Annales de Haute-Provence, cccxix 2002, 87-206. 319 Association mi-religieuse mi-militaire créée par Pierre Nolasque dans le sillage des croisades et consacrée à la libération des captifs qui se trouvent aux mains des Maures. Leur église était placée à l’emplacement des actuels numéros 45 et 47 rue des Archives. Elle longeait sur cinquante deux mètres la rue du Chaume. Le bâtiment, reconstruit de 1727 à 1731 par Godeau, fut démoli au début du XIXe siècle. Hillairet i 104. 320 Cette remarque est, pour nous, la seule indication que Pierre Gassendi neveu était à Paris pendant la dernière maladie de son oncle. 321 [Il fut tel qu’il ne put passer sa vie dans l’oisiveté et que si sa voix perdit de sa force, il guida au moins les élèves par mes écrits] Gassendi neveu adapte ici la citation que donne déjà le texte autographe de La Poterie. Voir donc la référence supra.
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séparer ce qu’il y a de bon dans les autheurs d’auec ce qui ne vaut rien, de connoistre parfaitement les bons autheurs, la belle latinité & de scauoir à fonds les langues Grecque et Latine, par le moien desquelles il a fait & monstré de grands progrez par les beaux liures qu’il a donné au public. Il auoit vne si grande facilité du Grec que sans liure & sur le champ les vers latins il les tournoit en grecs, & les grecs en latins, tousjours auec la mesme façon de vers, & de toutes les autres sortes qu’on désiroit. Il connoissoit aussi fort bien la langue Hébraïque, & s’en louait en des passages aux occurrences ; l’on en voit dans ses escrits [210]. Il auoit tousjours cultivé si bien sa mémoire qu’il scauoit presque tous les autheurs par cœur, & se rescouvroit fort bien des endroicts où ils traitoient telle ou telle chose. Ce qui est admirable, il sçavoit par cœur & récitoit souvent à par soy en voyage ou en maladie, pour se désenuyer, toute vne suite de six mil vers latins les plus beaux qu’il auoit tiré des poètes moraux [212]. Il auoit la mémoire si excellente qu’il n’oublia pas ce qu’vne fois il auoit appris par cœur. Il sçauoit encore tout son Despautère par règle, &c.322 Son estude principale estoit le matin, se levant tous les jours dès trois ou quatre heures, & ne quittant point sa table qu’il ne fut l’heure de disner323 ou que quelque compagnie luy survint. Après disner, il s’entretenoit vne couple d’heures auec la compagnie, puis s’alloit promener vne heure ou deux dans les jardins & se remettoit aussitôt à l’estude pour jusqu’à 8 heures du soir, qu’il fesoit sa colation après laquelle il se promenoit vn peu dans sa chambre, puis se mettoit au lict sur les 9 heures ou 9 ½324.
322
Jean Despautères (Jan van Pauteren) grammairien flamand (vers 1460 -1520) enseigna successivement à Louvain, Bois-le-Duc, Berge-Saint-Vinox et Comines. C’était probablement son traité général Commentarii grammatici que Gassendi savait par cœur, qu’il l’ait étudié soit dans sa version originale (Paris 1537, in-folio ; Lyon 1563 in-4°), soit dans une des nombreuses adaptations simplifiées courantes en France au XVIe et début du XVIIe siècle. 323 Probablement entre 11 heures et midi. 324 Cf. la Préface de Bernier, qui confirme les détails de ce régime. Gassendi adresse une lettre à Van Helmont (juin 1629) pour faire l’éloge d’un régime végétarien, contre la Créophagie (fait de manger de la viande). On le voit commencer à boire du lait d’ânesse sur le conseil des médecins (10 mai 1647). Il mène en tout une vie très ascétique, et Patin attribue sa mort à son obstination à vouloir faire carême.
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La toux l’incommodoit souventes fois la nuict & bien plus que le jour, si bien qu’aucvnesfois il ne reposoit poinct, demandoit de la chandele & se mettoit à l’estude des deux à trois heures. Il auoit coustume de tenir tousjours devant ses yeux vn morceau de papier, le mettant dans son chapeau ou son bonnet, lorsqu’il estudioit à la chandele pour empescher la grande lumière de ne blesser la veue ; & le jour aussi pour empescher la clarté, &c. Il auoit aussi la veue fort bonne. Il auoit coustume d’escrire fort menu325 & viste ; il aimoit mieux tout ecsrire de luy mesme que de dicter a son homme, à cause que le parler luy fesoit mal. C’estoit rarement qu’il luy dictoit, mais aucusnes fois il se faisoit dicter des passages, etc., afin de les escrire plus viste. Tousjours estant à table, il auoit la plume à la main ou lisoit dans des liures. Il s’approchoit jamais du feu, mais il s’habilloit fort chaudement, & se chaussoit de mesme. Il se tenoit fort droit lorsqu’il écrivoit, & il escrivoit bien lisiblement sans y prendre aucvne peine. Il auoit tant de patience & de perseverance au trauail qu’il ne s’estonnoit pas pour escrire des rames326 de papier tout de suite, sans discontinuer. Lors qu’il ne pouuoit sortir pour s’aller promener dans sa campagne, il se promenoit dans sa chambre & fesoit ainsy autant de chemin [que] s’il eust été bien loin. Lors qu’il estoit à Digne, après disner, presque tous les jours, il montoit vne heure ou deux à cheval, se promenant dans les champs, aucvnes fois à pied. Lors qu’il estoit à Paris, de ses amis le venoient aucvnes fois prendre en carosse & sortoient de la ville se promener, aucvnes fois il se contentoit de se promener dans le jardin. Lors qu’il estoit à Aix ou à Tolon, tous les jours il s’en alloit promener dans les oliviers auec de ses amis philosophant. Lorsqu’il estoit en voyage, tousjours il fesoit suivre ses liures & tousiours il estudioit. Lors qu’il étoit malade & il pouuoit supporter la lecture, il se fesoit lire ou escriuoit dans le lict, si bien que l’on peut dire qu’il n’a point perdu du temps, car il étoit très marry lorsqu’il ne pouuoit estudier, & il disoit 325
Voir figure 1. Furetière, s.v. rames, indique que le terme désigne une quantité de papier de vingt mains ou cinq cents feuilles, sans mentionner d’emploi au sens figuré (grande quantité ici). 326
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qu’il étoit mesme malade lorsqu’il ne le pouuoit pas faire, quand on le venoit destourner de son estude du matin principalement, il n’estoit pas trop aise, quoy que jamais il n’eust la hardiesse d’en tesmoigner le moindre mescontentement. Il receuoit tousjours son monde fort aimablement, joyeusement & civilement. Il auoit leu tous les bons autheurs, historiens, Philosophes, humanistes & auoit la memoire si bonne, qu’il sçauoit presque tout ce qu’ils contiennent de curieux & d’utile. Il aimoit tant l’estude & trouuoit le temps si cher & si précieux qu’il ne vouloit point le perdre en se fesant raser le poil. Seulement se contentoit-il, n’ayant jamais voulu passer pour joly, de se couper luy-mesme auec ses petits ciseaux d’estuy, quand il s’en ressouvenoit, & cela en estudiant. Sa façon d’obseruer Dans sa jevnesse, il fut fort curieux d’obseruer les choses célestes. Il prennoit vn plaisir très-particulier d’obseruer, il oublioit sa santé, demeurait des nuicts entières à l’air au froid, au serain, & je luy ay souuent ouy dire qu’il ne pouuoit point s’empescher, qu’il estoit comme le chat après la souris, que lorsque les eclipses arriuoient, il falloit qu’il courut après327, &c. Durant la comète dernière328, je l’ay veu tous les soirs & les matins au plus grand froid de l’hyver y passer des deux ou trois heures à l’obseruer, pendant mesme qu’il estoit à demy malade. Il estoit si exact & si patient dans ce travail qu’on n’y sçauroit rien adjouster.
[Particularités diverses]329 Jamais il ne célébroit la messe qu’il ne se réconciliait deuant au premier prestre confesseur qui recontroit. 327
Même anecdote dans la Poterie. Tamizey I, l’identifie à la comète passée au périhélie le 12 novembre 1652. Elle fut observée à Digne par Gassendi, à Avignon par Sorbière, à Aix par Honoré Gaultier, à Paris par Bouillau et à Gdansk par Hévélius. Voir Pingré, 207 qui la donne pour visible en décembre 1652 et janvier 1653. La description de Gassendi avec un dessin se trouve dans les Opera, iv 481, en appendice au De rebus cœlestis commentarii. 329 Ce titre est de Tamizey I, 240. 328
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Jamais il n’a voulu retirer aucvn argent pour toutes les messes qu’il disoit. Dans son Eglise Cathédrale de Digne, lorsqu’il y auoit des distributions fortuites, il n’en prenoit jamais, il donnoit sa part à quelques pauvres Ecclésiastiques ou bien les distribuoit en aumosnes aux pauvres. Jamais il n’entreprit d’actions qu’il ne se fit la bénédiction. Sa piété fut sans feintise, sa vie humble, innocente, débonnaire, ses moeurs douces, complaisantes, aggréables. De sa bouche jamais ne sont sorties que des paroles Chrestiennes, jamais on l’a oüy proferer le moindre jurement, & il ne pouuoit soufrir qu’on en fit aucvn dans sa compagnie sans en montrer son déplaisir tout doucement. Aussi il n’a jamais offensé personne ny querelé. Il a tousjours eu pour les choses saintes vne vénération très grande. Il a aimé son prochain comme soy mesme ayant consacré sa vie pour son instruction. Il portoit vn amour très tendre à ses parens. Aussi il aimoit cordialement ses amis pour lesquels il s’employoit entièrement, lorsqu’il sçauoit leur pouuoir rendre quelques services ; aussi jusqu’à la mort il a parlé d’eux. Il a tousjours eu vn respect si grand pour les commandemens de Dieu & de l’Eglise, qu’il a tousjours fait exactement les jevnes, veilles, les Caresmes, & que mesmes lorsqu’il estoit indisposé & malade, il ne pouuoit se resoudre à les enfraindre, quoy que ce fut par ordonnances des médecins & permissions des confesseurs.
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Introduction Nous reproduisons l’Oraison fvnèbre de Taxil d’après l’exemplaire conservé à la Bibliothèque municipale de Digne – l’exemplaire qui servit à Tamizey pour sa publication de 1880, puis pour l’édition fac-similé publiée dans le volume qui commémore le 350e anniversaire du décès de Gassendi1. Un autre exemplaire de ce texte imprimé rarissime se trouve dans le dossier de Pierre Gassendi neveu à Grenoble, qui contient également une copie manuscrite intitulée « L’illustre Gassendi ou le Philosophe Naturel, Moral et Chrétien », ce qui est le sous-titre du texte de Taxil. Cette copie est annotée par Gassendi neveu « originale de l’Oraison fvnèbre de Taxil ». Cette commémoration de Gassendi est prononcée par Taxil le 14 novembre, trois semaines exactement après la mort de Gassendi, et quinze jours après l’installation de Taxil comme prévôt de Digne. Il s’agit donc d’un discours « in memoriam », plutôt d’une « oraison funèbre » au sens strict du terme, Gassendi ayant été enterré à Paris le 26 octobre. Cette pratique d’une cérémonie différée n’est pas exceptionnelle, puisqu’il en fut de même à Rome pour Aleandro, décédé en janvier 1629, mais célébré en décembre 1631. Nous ignorons tout du déroulement de la commémoration de Gassendi, mais la description que Naudé (entre autres) rapporte de celle d’Aleandro2 nous permet de nous demander si certains des poèmes « in memoriam » que nous éditons chapitre 3 – au moins ceux écrits par les amis 1
Tamizey [II], Archives H-P. Après avoir décrit le décor, très faste, monté pour l’occasion dans la salle des funérailles, Naudé note que « l’Oraison funebre en Italien fust tres-bien & elegamment recitée par un nommé de Simeonibus Gentilhomme du Cardinal Iesse en presence de son Maistre, & de dix autres Cardinaux, devant lesquels on recita aussi plusieurs Epitaphes, Epigrammes, & Sonnets », Gabriel Naudé, Discours sur les divers incendies du Mont Vésuve, et particulièrement sur le dernier qui commença le 16 décembre 1631 à consulter dans l’édition de Taussig VIII. 2
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de Digne et sa région – non pas étés déclamés à cette occasion, voire accompagnés de quelque musique. L’intérêt de l’oraison de Taxil est double : d’une part, c’est une élégie qui présente un fort caractère encomiastique, et d’autre part elle fait de Gassendi le type même du philosophe chrétien. En outre Taxil a vécu dans une certaine familiarité avec Gassendi qui logeait, quand il était à Digne, dans un appartement au deuxième étage de la maison que le père de Taxil, Antoine Taxil, partageait avec son frère Sauvaire ou Salvaire Taxil, l’oncle de Nicolas3. Les anecdotes et autres détails que Taxil donne sur la vie de son prédécesseur et ami venaient donc en partie de Gassendi lui-même et de ceux qui l’ont connu. Aussi est-il intéressant de comparer ce qu’il dit avec les témoignages de La Poterie, Sorbière et Bernier. L’imprimeur, et ami de Gassendi, Guillaume Barbier, qui s’était déjà chargé du De vita et moribus Epicuri (1647) et du De vita et placitis Epicuri seu animadversiones in x librum Diogenis Lærtii (1649), profite du passage récent dans sa ville de Lyon de l’admiratrice reconnue de Gassendi, la reine Christine de Suède, pour lui dédier l’opuscule, ce qui n’est pas complètement incongru vu que Christine venait d’abdiquer pour se convertir au catholicisme ; ainsi le modèle du parfait chrétien, sanctifié par tous les aspects de sa vie, y compris profanes, que décline le texte de Taxil, ne pouvait-il que la conforter d’autant qu’elle avait en mémoire sans doute les propos forts que Gassendi lui avait écrits sur ce thème. Sans doute faut-il voir dans cette dédicace une sorte de concurrence des mémoires, déjà, entre Gassendi et Descartes, dont la reine de Suède a été également l’auditrice, cette dimension de parallèle entre les deux hommes trouvant son expression accomplie dans la biographie de Perrault (voir infra). Le texte de Taxil, marqué par de nombreuses amplifications qui relèvent du genre du discours funèbre, est d’un style extrêmement littéraire. Il commence de façon très artificielle par une entrée en matière chargée de fleurs rhétoriques, avec une protestation d’humilité paradoxale et l’affirmation, dans le style le plus orné qu’il soit, que l’auteur privilégiera une prose dépourvue d’ornement4, la suite du discours comporte certes des métaphores et des 3
S’il ne vivait pas dans la maison réservée au prévôt, c’est parce qu’il en avait cédé la jouissance à Blaisse Ausset. Voir p. 82 n. 153. 4 Telle aurait été la recommandation de Gassendi qui précisément, imitant en cela Épicure et s’appuyant sur lui pour se justifier, commence et termine plutôt abruptement ses écrits. Voir Vie et mœurs d’Épicure.
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figures, mais elle n’est pas dépourvue d’accents de vérité et d’émotion. Taxil présente Gassendi comme le couronnement de la connaissance, de la moralité et de la piété, un compendium de toutes les vertus, un résumé de toutes les perfections. La célébration devient une véritable hagiographie et s’inscrit tout à fait dans une perspective apologétique, conforme à la profession de son auteur. Si La Poterie avait pour dessein de présenter les événements de la vie de Gassendi de manière à mettre en évidence l’honneur et l’estime auxquels il est parvenu, celui de Taxil est de le transformer en modèle de bon chrétien et de montrer l’exemplarité de sa vie ; et si son oraison n’ajoute pas d’informations concrètes à ce que nous savons déjà de la biographie du savant, elle sait présenter, avec une insistance peut-être un peu exagérée, un des visages de Gassendi familiers à ses contemporains. Sous sa plume Gassendi devient le modèle du «savant pasteur » que tous les membres du clergé, séculier et régulier, devraient imiter. À la différence de La Poterie, qui avait pris soin de faire le départ entre le Christ et Gassendi, Taxil au contraire est de tous les biographes du philosophe celui qui construit le plus son récit en parallèle de la vie de Jésus, et cela depuis les premières lignes où sa mère est célébrée comme une nouvelle Marie. En revanche, pas un mot n’est dit du père ; cette attention donnée à la femme est une des voix qu’aura empruntée, au grand siècle, un proto féminisme que l’on retrouve par exemple dans Règlement donné par une dame de haute qualité à M***, sa petite fille de Jeanne Armande de Schomberg5. Outre la figure de la mère, cette naissance ressemble bien à celle de l’enfant à la crèche : villageois et rois mages, étoile et miracles. L’enfant est élu pour l’enseignement de la bonne nouvelle, ce qu’il fera au point qu’il inquiétera ses parents, qui devront le chercher tel le christ au temple, et qu’il devra par la suite rompre avec lui. Quant à la vie de l’érudit, elle est comme un avatar de la vie monastique, avec vœux et vie en communauté. La souffrance de sa maladie et ses derniers instants sont une nouvelle passion, avec une dimension rédemptrice, et pas plus que dans le cas de Jésus ce n’est une souffrance qu’il se serait infligée à lui-même. Il n’y a rien de doloriste dans cette vie, mais une véritable imitation du Christ6. Cette conception ne semble pas avoir été étrangère à 5
Voir l’excellente édition critique de Winn. Rappelons que Corneille fait paraître sa traduction entre 1651 et 1656. La proximité de ce texte est d’autant plus intéressante que, pour les Français qui préféraient le plus souvent l’attribuer à Gerson, l’Imitation n’était donc pas le fait d’un moine, comme l’est Thomas a 6
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Gassendi, qui écrit à un correspondant les détails héroïques de la mort de Louis XIII, tels qu’ils lui ont été rapportés par Valois7. Les différents poèmes que nous éditons infra poursuivent sur le chemin de cette assimilation ; mais Taxil, pasteur de son état, va le plus loin dans ce processus, et offre une parfaite application du catéchisme de la Contre Réforme dont le lecteur pourra ici mesurer l’imprégnation chez un curé de base. La vision de la foi est ici tout autre que celle qui aurait pu se faire jour au siècle précédent, et on comprend en fait que le genre des Vies n’ait pris son essor qu’après le Concile de Trente, à partir du moment où une vie profane pouvait être également sanctifiée, mais dès lors aussi que l’importance de la raison était réaffirmé. Il n’est que de se reporter, parmi les plus connus, au cathéchisme de Richelieu, L’Instruction du chrétien (1618) ou à L’Introduction à la vie dévote de François de Sales qui, ayant renoncé à ses titres de noblesse et à toute carrière ecclésiastique, œuvra à évangéliser les âmes perdues du Chablais ou de la Savoie et fut le premier à écrire en français les textes qu’il rédigea à l’attention des fidèles dans un but pédagogique. Dans son activité pastorale, Taxil présente un Gassendi prêchant et visitant les malades, une sorte de synthèse du fondateur de l’ordre de la Visitation et de Vincent de Paul qui fut du reste le supérieur du premier monastère parisien de l’ordre et qu’il a bien connu8. Taxil s’emploie donc, y compris par ce discours, à proKempis, mais trouvait en la personne du docteur très chrétien un auteur qui fut théologien et philosophe. 7 Lettres latines, à Louis De Cormis de Beaurecueil, 22 mai 1643. 8 Rappelons une lettre de Vincent de Paul à Ozenne, du 11 septembre 1654, sur l’éclipse : « Nos astrologues de deçà assurent le public qu’il n’y a rien à craindre du côté de l’éclipse. J’ai vu Monsieur Cassandieux (sic et cf figure 10) qui est un des plus savants et des plus expérimentés du temps, qui se moque de tout ce que l’on a fait craindre et en donne de très pertinentes raisons, comme, entre autres, celle-ci, que nécessairement il arrive une éclipse de soleil tous les six mois, soit en notre hémisphère ou en l’autre, à cause du rencontre du soleil et de la lune en la ligne écliptique, et que, si l’éclipse avait cette malignité que vous me marquez par les mauvais effets dont l’on nous menace, que nous verrions plus souvent la famine, la peste et les autres fléaux de Dieu sur la terre. Il dit de plus que, si la privation de la lumière du soleil venant de l’interposition de la lune entre nous et le soleil faisait ce mauvais effet à cause de la suspension des bénignes influences du soleil sur la terre, il s’ensuivrait que la privation de la lumière du même soleil pendant la nuit produirait des effets plus malins, à cause que cette privation dure plus longtemps et que le corps de la terre est environ un tiers plus épais que celui de la lune ; il s’ensuivrait que cette éclipse qui se fait la nuit serait plus dangereuse que celle qui est arrivée le douzième d’août de cette année ; et infère de là avec raison que cette éclipse n’est point à craindre ». Saint Vincent de Paul, Correspondance. Entretiens. Documents, iv, Paris 1921.
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longer l’œuvre de son prédecesseur et à continuer à défendre son idée de la foi, qui fait la part belle à la connaissance scientifique, insiste sur la dimension individuelle et la liberté de la personne9, l’insistance sur la nécessité d’acquérir le savoir par soi-même, la synthèse en chacun du naturaliste et du chrétien, du philosophe et du dévot ; et si, en raison de son style un peu trop orné, le discours ne doit pas sonner exactement comme les homélies de Gassendi, il ne fait cependant aucun doute que Taxil reste imprégné de ses arguments et que les fidèles ont reconnu dans les propos du disciple les raisonnements du maître, jusque dans l’entrelacement des références scripturaires et des références antiques si caractéristique des Lettres latines. Ainsi est-il raisonnable de penser que cette oraison rappelle quelque chose des homélies de Gassendi, dont il ne reste aucune trace. Quant au philosophe, le discours de Taxil invite à ne pas le scinder du chrétien, mais il montre au contraire que Gassendi aura parfaitement su en faire la synthyèse, en une philosophie à la fois « naturelle, morale et chrétienne », celle-là même dont il pare son élève le plus proche, le prince de Valois, qui vient d’être libéré (le 2 décembre 1652), dans une formule qui unit remarquablement épicurisme et christianisme : « La philosophie chrétienne qui est la tienne porte ses fruits : le hasard ne peut rien apporter qui trouble l’équilibre de ton cœur ou la sérénité de ton esprit ». Une pareille l’assimilation du christianisme à la philosophie se trouvait déjà chez les Pères de l’Église et dans le Moyen Âge latin10, et se trouve développée chez Érasme, qui appelle le christianisme philosophia Christi. L’objectif n’est donc pas d’être le « Prince » de la philosophie, c’est-à-dire le premier (en quoi on reconnaît là encore l’esprit de l’évangile), mais un serviteur. Le philosophe l’est de nature (par sa naissance), par la morale (c’est-à-dire par ses œuvres) et par la religion (c’est-à-dire par la grâce), et tel est l’ordre que suivra Taxil. Après avoir montré en Gassendi la vertu comme une nature, il la décrira comme une 9 Un des maîtres mot de la conception des raports entre l’homme et Dieu, définissant le culte qui doit être rendu au créateur, est selon Gassendi la croyance filiale, par opposition à une croyance servile, qui aurait marqué la théologie des Anciens. Ce thème est particulièrement développé par Taxil dans la partie consacrée au « philosophe moral », avec nommément l’évocation de l’esclave. 10 Voir Curtius chapitre xi, poésie et philosophie, 4, la philosophie et le christianisme, citant notamment un texte où Arnobe (Contre les nations, i, 38) affirme que le Christ est le grand Maître de la vérité pour toutes les questions qui appartiennent à la philosophie antique (la nature de Dieu, la naissance du monde, la nature des astres, la naissance des animaux et de l’homme, la nature de l’âme).
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fin, à laquelle il est possible d’arriver par l’exercice, en usant de sa liberté, mais qui est un don de Dieu. C’est précisément sur ce point que les chrétiens se distinguent des païens, comme Gassendi le rappelle lui-même maintes fois. Cette réinterprétation de la figure du philosophe chrétien passe par une élaboration conceptuelle, celle du terme de miracle qui court, dans toutes ses variantes grammaticales, dans le texte et dont il serait intéressant d’analyser les occurrences, dès lors que Taxil en propose une correction par rapport à la signification que lui en donne Platon. On connaît peu de choses sur la vie de Taxil. Il a dû naître autour de 1618, car l’acte de son enterrement (le 25 septembre 1682) précise qu’il était « âgé d’environ 64 ans ». Il était le fils d’Antoine Taxil, bourgeois de Digne, et sa femme Anne Plauchut, et le neveu de Salvaire Taxil (? – 1637), chanoine de Notre-Dame du Bourg, qui a été procurateur de Gassendi lors de son installation dans la prévôté. Son frère Etienne fut, lui-aussi, prêtre et sa sœur, Anne, fut la femme de Jean Feraud, de Saint-Estève11. Comme Taxil précise lui-même12 que Fesaye était son « lecteur en Théologie », on peut en conclure qu’il a étudié à Aix. Il est élu chanoine de Notre-Dame du Bourg à Digne en 1637. Il est en litige avec son évêque Raphaël de Bologne en 164113, mais c’est à lui que Gassendi résigne la prévôté à l’automne 165514. Quand l’Oraison fvnèbre sort des presses de Barbier à la fin décembre 1655 ou au tout début janvier 1656, Taxil s’occupe de le distribuer. Jean Chapelain lui écrit le 20 janvier 1656 pour le remercier de lui avoir envoyé un exemplaire ; dans une lettre du 28 janviers 1656, Montmor lui écrit à son tour qu’il a « receu beaucoup de Consolation des marques que vous donnez de vostre reconnoissance pour la mémoire de nostre illustre amy, comme il vous a donné des temoignages d’un tout particulier, & qui sont autant plus obligeons qu’ils precedent d’un si grand Personnage »15. Le ton de cette lettre de Montmor est assez dur : Gassendi a fait à Taxil un grand honneur de lui résigner la
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Viré dans Archives H.P. 54. Plus loin, page 142. 13 Viré, 55. 14 Isnard E, II. 198. Voir à ce sujet une copie de la résignation dans le dossier de Pierre Gassendi neveu à Grenoble, ainsi qu’une lettre de Gassendi à Pierre Gassendi neveu du 8 octobre 1655 dans le même dossier expliquant les raisons de cette résignation. Taxil fut installé le 30 octobre 1655, Gallia christiana xiii col 1440. 15 Grenoble ms 4139 ff106v-107r. 12
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prévôté, et le nouveau prévôt doit maintenant se montrer digne de cette distinction. Taxil s’y emploie. Fortement influencé par son prédécesseur, il continue, dans le sillage de Gassendi, à mettre de l’ordre dans les archives de NotreDame, notamment en publiant les Statuts de l’église cathédrale de Digne traduits de l’original Latin mss. Enrichis de l’abrégé de la vie des autheurs : de la doctrine des conciles : & de plusieurs remarques très-utiles aux ecclesiastiques. Auec deux tables necessaires pour rendre l’intelligence des statuts plus aisée ; la chronologie, & celles des chapitres & des matières décrites dans xviii statuts16. Il édite également les Actes du Concile de Seyne de l’an 1267 et écrit une relation des cérémonies faites dans la monastère des religieuses de la Visitation à Digne à l’occasion de la canonisation de saint François de Sales en 166517, ce qui confirme peut-être la proximité entre le saint docteur et notre Gassendi. Il laisse une œuvre qui, quoique inachevée, est directement inspirée de Gassendi naturaliste – et de Peiresc qui écrit une Histoire abrégée de Provence – à savoir une chorographie de Digne et de sa région dont le manuscrit vient d’être retrouvé18.
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Aix, Charles David 1682. « Triomphe de saint François de Sales, ou Relation des cérémonies qui ont esté faites à l’occasion de la solemnité de sa cononization dans la monastère des religieuses de la Visitation Sainte-Marie de la Ville de Digne, depuis le 21e may jusqu’au 1er juin de l’année 1667 » publié par H. Jeancler, Une Page de l’histoire religieuse de Digne. Relation de Messire Nicolas Taxil, Digne 1906. 18 Le fragment qui reste est intitulé simplement Digne, mais il représente que la première partie d’un ouvrage plus important. Il est édité par M.-M. Viré dans Autour de Gassendi (Archives HP), 53-80. 17
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Oraison fvnèbre povr Messire Pierre Gassendi, prestre, docteur en Théologie, Preuost de l’Eglise Cathédrale de Digne, Conseiller, Lecteur & Professeur du Roy aux Mathématiques Prononcée dans ladite église le 14 de Novembre de l’année mil six cens cinquante-cinq par Messire Nicolas Taxil, Prestre, Docteur en théologie, Chanoine en la mesme Eglise, son Resignataire & Successeur en la Preuosté. A la Serenissime Reyne de Svède Madame, Lors que l’on nous donna l’heureuse nouvelle de l’approche de Vostre Majesté19, Ie commançois à mettre sous la presse cette Harangue Fvnèbre de Monsieur Gassendi, que j’auois fréchement recuë de Provence. Ie ressentis d’abord, à dire le vray, vne bien violante tentation de quitter mon travail, & me ioindre à cette foule prodigieuses, qui sortit, par la porte du Rosne20 à ce soir là, comme si Lyon, tout hors de luy mesme en cette rencontre, eut voulu tesmoigner la ioye qui le transportoit à l’arrivée de V. M. Mais enfin vne passion plus dominante, comme elle estoit plus légitime, l’emporta sur ma curiosité, & le dessein que m’inspira tout à coup mon bon Génie, de consacrer ce discours à Vostre Majesté, me fit vaincre l’extreme desir que j’auois de la voir. Ie songeay que V.M. qui ne s’entend pas seulement aux subtilitez les plus déliées de l’Escole, comme les Philosophes ordinaires, mais qui possede parfaitement la belle Geometrie, & toutes les finesses de cette nouvelle Physique21, dont on découvre tous les iours des routes inconnuës, verroit de bon œil les loüanges d’vn Heros à qui cette Divine science est si fort obligée. Il me souvint d’avoir oüy dire à ce parfait Amy qu’il avoit eu l’honneur de recevoir de tres doctes & tres obligées lettres de Vostre Majesté, qui a tousjours fait cas de sa rare modestie, jointe auec vne erudition consommée22. Les Elo19
Christine arriva à Lyon le 14 août au soir. Pour son entrée voir Quilliet 230-31. = Rhône. 21 Pour l’intérêt que Christine manifeste à la philosophie naturelle, voir Bedini. 22 Pour les lettres échangées entre Christine et Gassendi, voir Opera VI, et leur traduction par Taussig ; Turner & Gomez 92. La correspondance entre la reine Christine et Gassendi comprend quatre lettres de Gassendi et deux de la reine, auxquelles s’ajoutent deux billets du secrétaire Du Piquet, chargé d’accuser réception, une lettre de Bourdelot (17 octobre 1652) et une de Naudé (19 octobre 1652). Elles constituent un ensemble classé à part dans le tome VI des Opera omnia, de même que les réponses de Louis de Valois qu’elles précèdent. Christine et ses proches écrivent en français, fait unique dans les six volumes des Œuvres complètes. La 20
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ges auantageux qu’il donnoit en diuerses rencontres à vos divines qualitez, me firent dès lors concevoir pour Vostre personne, vn ressentiment respectuëux, & vne estime infinie que j’ay tâché de faire paroître en toutes les occasions où mes characteres ont eü lieu de faire éclatter vos louanges23. & comme ie suis en possession iusques à cette heure d’imprimer tout ce qui est party de ce grand Philosophe, comme tout ce qui a paru icy de glorieux à V. M. je ne pouuois m’aquiter plus heureusement de l’vn & de l’autre deuoir, qu’en offrant à V. M. son Panegyrique. J’auray encore cette obligation à Monsieur Gassendi, maintenant mesme qu’il n’est plus, de m’avoir procuré ce glorieux auantage de rendre mes respets à vne Reyne dont tout Lyon est passionné ; dont les Sçavants adorent l’esprit merueilleux, les polis admirent l’adresse dans tous les exercices de galanterie, & de qui tout le peuple ne peut assez contempler la beauté, qui brille, comme sur son Trône dans ces yeux charmans, où la douceur meslée auec la seuerité, inspire l’amour & la veneration tout ensemble. Que si ie n’ose pas aspirer si haut, que d’approcher d’vne Princesse, dont les regards favorables peuuent rendre bien-heureux les plus grands Roys, ie seray trop glorieux, si jettant les yeux sur le present que ie luy offre, Elle y agrée la tres humble protestation de ie fais d’estre toute ma vie auec vn profond respect, Madame, D. V .M. Le très-humble, très-obeïssant & tres obligé serviteur, Guillavme Barbier, Imprimeur du Roy. Le philosophe Naturel, Moral et Chrestien Dans la commvne creance que tout le monde a conceüe de l’Illustre Gassendus, l’art de bien dire auec toute sa pompe ne peut aspirer en le loüant qu’à rendre moins glorieuse la suite de sa vie, & oster à ses rares perfections vne partie de leur éclat. Au lieu de luy prester de fausses loüanges, i’auray plustost de la peine à luy donner celles qui luy sont legitimement deües, & que personne ne luy oserait refuser. Ie ne m’attache point aux preceptes de la première lettre (perdue) aurait été envoyée par Chapelain. Puis l’intérêt de Christine pour les lettres anciennes s’affaiblit. On peut aussi lire ces lettres dans le livre de J.-F. Lacombe, Lettres de Christine de Suède, Paris 1760. 23 Note marginale Les Stances Sylues & Sonnets de Mr. de Boissat. La description de la reception de la Reyne en Italie, auec le portrait de Sa Majesté. Les particularités de sa Conuersion. Diuerses odes Sonnets, & autres pieces à sa loüange.
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Rhetorique, pour ne mettre mon esprit dans la contrainte, la vie d’vn Philosophe dans la seruitude, & pour ne pas parler auec Artifice du trespas d’vn Chrestien. L’Histoire, dont ie trace icy les premiers crayons (mon dessein estant de la donner vn iour entiere & acheuée)24 est seuere, & marche auec austerité : elle ne cherche aucvne gloire emprvntée, & ne veut point se faire voir parée d’vn éclat estranger, mais auec les marques de la simplicité de celuy qui en est l’Autheur & le Subject25. Comme ie preuois que ie seray obligé par la foiblesse de mes paroles, à dire des choses qui seront éloignées de son merite, ie crains auec raison de ne rien dire qui puisse plaire à ceux qui l’ont cogneu. Mais je me flatte de cét espoir, que la méme bonté de ce Philosophe fera sans doute, que l’on verra sans repugnance des qualités eminentes, rares & singulieres, descendre comme du Thrône, & souffrir icy vne espèce d’Eclipse dans la suite de ce discours : où il sera aisé de cognoistre combien les maximes, les clartés, les sciences & l’estude que l’interest & la curiosité establissent, sont éloignées de cette conduite auisée, de cette saincte Politique, de cette Philosophie Naturelle, Moralle & Chrestienne, de cette Piété iudicieuse, de cette Vertu raisonnable, que toute l’Europe a remarquée auec estonnement, aux mœurs, aux escrits, à la vie & en toutes les actions de ce grand Homme, que l’éternité jalouse de ses perfections, a voulu rauir au monde, pour luy donner vne demeure plus proportionnée à la gloire de ses vertus, que celle des Sages de la Terre. Aussi ay-ie toûjours estimé que l’âme de cét illustre Mort (comme on dit de ce fameux Autel de la Grece) tenoit au Ciel par vne precieuse attache26, & que de ce beau sejour, elle a puisé les lumieres de son entendement, qui persuadent aujourd’huy à toutes les nations, qu’il est non seulement le Prince de la Philosophie, mais le Philosophe Naturel, Moral & Chrestien : tiltres qui sont le riche prix de ses expériences sur les matieres sublunaires ; la recompense de ses obseruations sur les corps celestes, les fruicts de ses Vertus heroïques, & les couronnes de sa Piété Religieuse. De ce mesme sejour, son esprit a emprvnté tous ces raisonnemens, qui donnent tant de crédit à sa doctrine.
De ce lieu son ame a receu ses instructions auec tant d’auantage, qu’il 24
Chose que Taxil n’a jamais faite. Ce début est étonnant, dans la mesure où il transpose à l’Histoire les attributs habituels de la justice ou de la sagesse. 26 Dans les rites grecs antiques, la fumée odorante de l’offrande était censée monter des autels jusqu’à la divinité invisible adorée. 25
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semble que l’esprit Diuin du royal Prophete a voulu accommoder en faueur de mon Illustre Gassendus, les paroles que Dieu ne luy a dittes que pour le rendre le plus grand des Roys, & le plus éclairé des Prophetes. Ces mots que Dauid prononce27 releuent si haut la grandeur de ce Philosophe, qu’aucun Sçavant, ne doutera iamais, en y faisant reflexion, qu’il n’ayt receu de Dieu vn entendement tres-éclairé, & que le Ciel ne luy ait commvniqué vne science consommée. C’est Dieu seul qui en a voulu prendre soin, desirant d’estre toute sa lumiere, & voulant arrester ses yeux sur luy si auantageusement, que son esprit n’auroit point d’autres guides. Il a promis par la bouche de cette Teste couronnée, pour le combler de bon-heur que ses regards seroient les lumieres inseparables de son entendement, qu’il le publieroit durant vne eternité pour le Soustien de la Foy, l’Idée du Sage, l’Oracle des Muses, l’Interprete de ses opérations, & enfin son Philosophe Naturel, Moral & Chrestien, qui restabliroit l’éclat des lettres, les beautés de la Nature, les perfections de la Morale & le lustre de la Religion. Ces premieres pensées ne découurent-elles pas cette verité, que ie suis le plus languissant des Orateurs, & que mon artifice est deja criminel ? Ne parlé-ie point d’vn accident fvneste ? : & toutefois mes paroles ne sont pas suiuies de plaintes, & n’exprime pas bien ma voix, tristesse ; pourquoy ma langue se remüe-t-elle ? & comment ma main est elle occupée dans l’ardeur de son action, au lieu de verser des larmes & donner des marques de desolation, sur le trespas de celuy qui fait pleurer toutes les Vniversités, & qui conuertit le repos des Academies en de tristes gemissemens. Ne parle-ie pas sur la mort de celuy qui servoit d’exemple aux Prestres, de miroir aux parfaits, d’ornement à ce Chapitre, de flambeau à cette Eglise, de consolation à cette Ville, sans auoir assez d’éloquence pour vous faire ressouuenir qu’apres l’auoir perdu, Digne n’a plus sa félicité, cette Eglise sa lumiere, ce Chapitre son Soleil, & les sçavans leur Docteur. Plaignés vous donc Ville affligée ! annoncés partout vostre disgrace. Prestres infortvnés ! chere patrie ! on ne te cognoistra plus chez les Nations etrangeres. Ta loüange a cessé, venerable Chapitre ? on ne parlera plus de ta pieté, de ton zele, ny de tes vertus dans les Royaumes les 27 Intellectum tibi dabo, & instruam te in via hac qua gradieris : firmabo super te oculos meos (Psaume, 31 (32), vers. 10-11) : « Je t’instruirai, je t’apprendrai la route à suivre, les yeux sur toi je serai ton conseil ». Ce texte se trouve sur la page de titre, en forme d’épigraphe.
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plus éloignés : ton Orateur n’estant plus en estat d’y faire éclatter ton Panegyrique, toute ta magnificence se trouue esteinte. Le Seigneur ayant retiré de ce monde ton vnique ornement, le temps ennemy de ta fortune est arriué, & la Mort a enleué l’objet de tes plaisirs28. Pourquoy donc au milieu de ce pays affligé ne cherche-ie pas mon refuge dans l’abondance de mes larmes ? Mais comme les douleurs veritables ne souffrent point de regle, & comme les pleurs estouffent les fleurs de l’éloquence : donnons des paroles plus genereuses à la vie & au trespas d’vn Philosophe qui vit encore plus glorieux, apres sa mort, & dont la mémoire sera immortelle dans la durée de tous les siecles ; & enfin tirons nostre esprit de ces noires Idées, pour nous attacher à des objets moins affligeans, & ne dire rien dans ce discours Fvnebre qui soit contraint & indigne de la grandeur de son subjet. LE PHILOSOPHE NATUREL Si dans les villes bien policées on a solemnisé hautement la memoire des femmes, qui donnerent de bons Citoiens au public. De quelle assez violante passion, de quelles loüanges, & de quelle tendresse peut on reconnoître vne Mere29, à qui toute l’Europe doit vn fils qui ne sçauroit estre plus accompli, si la vertu pour en faire vn chef-d’œuvre l’avoit formé de ses propres mains ? Procurer vn parfait Philosophe à vn siecle, c’est détruire les vices, bannir l’ignorance, donner aux vertus leur plus beau-iour, affermir l’empire des lettres, & produire comme en vn corps vne belle ame pour le conduire, & l’embellir. C’est ce qu’a fait cette heureuse Mere, donnant à la France nostre Pierre Gassendi, qui peut passer en cet âge pour l’Ame vniuerselle, qui donne le mouuement & les lumieres aux esprits des hommes. Cét enfant n’a pas plûtost paru au monde qu’il a étonné tous les Sçauans par sa souueraine Sagesse ; & ce Soleil qui a éclairé tous les Doctes a possedé toutes ses clartés dés le point de son aurore. Ce celebre enfantement fut annoncé au monde par de nouueaux esclats de lumieres ; les astres paroissoient 28 Note marginale : Abstulit omnes magnificos meos Dominus de medio mei : vocavit adversum me tempus, ut contereret electos meos. Idcirco ego Plorans. Lamentations, I, 15 et 16 selon la Vulgate) : « Tous mes braves, le Seigneur les a rejetés du milieu de moi. Il a convoqué contre moi une assemblée pour anéantir mon élite. […] C’est pour cela que je pleure ». 29 Il faut noter ici l’absence de Joseph. La piété mariale est en plein essor à cette date, à la suite des réflexions du Concile de Trente autour de l’Immaculée conception, et après que Louis XIII a placé la France sous la protection de la Vierge (11 décembre 1637) et ordonné que son vœu soit commémoré tous les ans lors de l’Assomption. Notons aussi que l’Europe, continent, est représentée allégoriquement depuis le Moyen Âge comme la Vierge Europe. Cf. Taussig V.
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dans la nuict de cette merueilleuse naissance, enuironnés de leurs plus beaux rayons ; comme pour rendre hommage à celuy qui devoit estre le fidel obseruateur de leurs cours, & de leur nature30. Il paroit sur la terre, & le Ciel en mesme temps estale ses beautez, pour monstrer qu’il n’acceptoit des hommes qu’vne simple origine, & qu’il receuoit sa noblesse d’en haut. On le voit auec des marques asseurées d’vne extraction plus glorieuse que toute celle qu’il auoit peu tirer du sang de ses Ayeux, dont l’origine & le principe ne se voit que dans l’Histoire des vertus, l’honneur & la probité ayant esté tousiours inseparables de sa maison, & la malice, ny l’enuie n’ayant iamais peu noircir l’integrité de ses parens. Il naquit en l’année mille cinq cens quatre vingt & douze, dans vne serenité extraordinaire. Les villageois touchés de sentimens d’allegresse se pressoient pour aller en cette maison, où la gloire de leur patrie commençoit à paroistre, & sans que l’vn en eut donné la nouvelle à l’autre, ils accouroient tous par des mouvemens d’vne ioye tres-sensible & par des inspirations toutes secrettes. Tout est en feste & tout se rejouït dans Champtercier qui a receuilly les merueilles de sa naissance, & la terre même paroit couuerte cette année d’vne abondance tres remarquable en toutes sortes de grains & de fruicts. Il est l’Aymant de ce lieu, qui assemble, & enchaisne autour de son berceau jusqu’à la plus menuë poussiere, & attache à ses langes ces hommes de fer, & de terre. On parle dans le village de ce nouueau Citoyen comme d’vn Astre descendu du Ciel, qui inspire dans l’esprit des habitans vne veneration singuliere de son merite dés qu’il esclaire son païs des rayons de ses premieres années. A peine eut-il quitté la mammelle, que ce laict qu’il auoit abandonné commença à ce couler par la douceur de ses paroles. On ne pouuoit considerer ses inclinations qu’on ne dit qu’il estait sage auant qu’ils sçût parler. La majesté de son port, la grace & la liberté de ses actions, le feu qui commençoit à luire dans ses yeux, & la grauité des responses qu’il faisoit en toutes rencontres aussi tost qu’il pût parler distinctement, obligeoient chacun à dire qu’vn jeune enfant si accomply n’auoit iamais esté le pur ouurage de la nature. Aussi quoy qu’elle fasse des prodiges merveilleux en toutes les matieres ; elle ne sçauroit cacher les foiblesses des hommes, qui sont necessairement attachées 30 À la différence de l’étoile des rois mages qui paraît pour signaler la naissance du Christ, pour celle de Gassendi les astres se contentent de lancer un éclat plus vif ; il n’en reste pas moins que cette merveille signale la double vocation du petit Pierre, qui s’illustrera à la fois dans l’astronomie et par sa fonction apostolique.
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à leurs premieres années ; ce qui a obligé les Philosophes de croire, que les actions non communes en vn âge auquel la nature ne peut agir qu’auec contrainte, estoient des œuvres au dessus de ses forces, ou plustost des miracles pour parler auec les Platoniciens31. Fondé sur cette doctrine i’ose dire que c’est vn petit miracle de voir vn garçon âgé seulement de quatre ou cinq ans, qui presche à la fenestre de sa chambre, apres qu’on luy a mis vne chaize soubs les pieds ; & qui estant soutenu publie par les rües les Mysteres du Christianisme. Cette action ne surpasse-t-elle pas les efforts de la nature, & ne doit on pas aduoüer que Dieu seul avoit choisi cét innocent pour faire éclatter sa gloire ? Quel amoureux Spectacle d’oüir ce petit GASSENDI prescher la vie de IESUS-CHRIST qu’il auoit apprise par cœur auant ses premieres lectures ; parler hautement des miracle de son Maistre, & inspirer l’amour de la vertu dans les cœurs les plus grossiers, aux premiers momens qu’il marche sans ayde ? Que s’il est veritable que l’ame selon quelques vns dispose elle-mesme les organes du corps, les perfectionne, & les embellit pour y faire de plus nobles fonctions à mesure qu’elle est plus parfaite, il est vray aussi que les vertus inspirées à ce petite enfant au mesme temps que l’ame, ont fait de son corps vn auguste temple de pieté32, pour faire confesser à toute la terre, que Dieu voulut former vne Image parfaite de ses perfections en celuy, que sa sagesse auoit choisi pour estre le plus grand des Philosophes. Le progrés de son âge fut suiuy de celuy de ses connoissances, & n’ayant encore que sept ans il se déroboit aux yeux de ses parants pour se cacher au pied des arbres en la campagne, où il passoit des nuicts entieres tandis que ses pere, & mere le cherchoient dans les maisons, & par les maitéries des voisins. C’estoit pour considérer le mouuement & la beauté des Astres, la grandeur de la Lvne qu’il observoit au travers des branches des Peupliers, sans autre maistre que la force de son génie, apres qu’il auoit employé vne partie du iour à la contemplation des choses naturelles. N’est-ce pas vn miracle de voir vn Astronome si assidu à la speculation des estres superieurs, en vn âge où la nature ne permet pas aux hommes de se seruir de la raison. Qui pourroit exprimer quels sentimens estoient alors ceux
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Interprétation naturaliste ici du mot miracle. Seul Dieu fait des miracles. Sanctification et consécration d’un enfant, avant même qu’il n’entre dans les ordres. Expression très forte. 32
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de ce tendre Astrologue33, & quelles pensées il formoit dés lors de la grandeur de Dieu, voyant les merveilles du Ciel & les raretés de la Terre. Son estude & ses meditations, disposoient insensiblement le monde à la doctrine qu’il luy deuoit bien tost eneigner, & ce Soleil ne laissoit pas de donner beaucoup de lumieres, quoy qu’il fut couvert du nuage de l’enfance : il fit alors vne harangue latine âgé seulement de dix ans à feu Monseigneur Anthoine de Bologne Euesque de cette ville, qu’il prononça en l’Eglise de Champtercier l’an 1602. en la premiere visite que ce Prélat fit de son Diocese34 ; & le fit auec tant de feu & de grace, que ce grand homme en fut surpris d’estonnement, & dit par vn esprit prophetique que ce garçon seroit la merueille de son siecle, que sa vertu n’attendroit pas le nombre de ses années35, & que cét enfant dont le naturel estoit vif, genereux & docile feroit des choses mesme auant que d’auoir atteint la maturité, qui donneroient de l’admiration aux plus Sçauans. Certes si l’on obserue les moindres déportemens de son enfance, si l’on examine ses passions, ses discours, ses yeux36 & ses estudes ; on n’y trouvera rien de commvn ; on n’y verra rien de bas, & qui ne respire la grandeur de son genie. Si ses parens luy parloient de laisser les liures, & d’interrompre ses veilles si longues, qu’il ne prennoit ordinairement que quatre heures pour son repos ; c’estoit voulir empescher la pierre de tendre à son centre37 : son esprit estant si prompt & sa memoire si excellente, qu’il m’a dit souuent, qu’il n’auoit iamais rien oublié de tout ce qu’il avoit appris dans les estudes, & qu’il sçauoit encore tout ce que l’on enseignoit aux premiers rudimans de la jeunesse. Si ses amis le sollicitoient de donner quelque relâche à son travail, c’estoit vouloir, pour ainsi dire, interrompre le cours du Soleil, & arrester l’influence des Astres. 33
Illustration parfaite de l’interchangeabilité des mots astronome et astrologue ; du reste Gassendi aurait récusé pour lui-même l’acception actuelle de cette appellation. 34 Le détail que Gassendi ait prononcé une harangue devant Antoine de Bologne dans l’église de Champtercier se trouve aussi chez Gassendi neveu, mais n’est pas mentionné par La Poterie. L’épisode s’est probablement passé au printemps ou au début de l’été 1602, car Antoine de Bologne n’a été nommé évêque que le 27 mars de cette année. 35 Cf. Corneille, Le Cid, II, 2, Rodrigue au comte : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées / La valeur n’attend point le nombre des années ». 36 Sic, peut-être une erreur typographique pour « jeux ». 37 Modèle même de l’adynaton, n’impliquant pas que Taxil soit aristotélicien. Gassendi y a lui-même recours (Lettres latines, à Feyens 6 juin 1629) : « C’était souhaiter que le feu brûle ou que la pierre tombe d’elle-même ! ».
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En cet âge au milieu de ses paisibles meditations, son esprit qui découuroit les veritez de la nature plus nettement, & auec des lumieres plus pures que les plus grands hommes, ne pût souffrir plus long-temps la compagnie des villageois. Champtercier estoit trop estroit pour vne personne si extraordinaire, il fallut abandonner le lieu de sa naissance, n’ayant encore que dix ans. Son premier vol fut dans Digne, où en poursuivant ses estudes par le seul effort de son génie, il fit part à plusieurs jevnes hommes qui viuent encore auec éclat dans cette ville, des lumieres qu’il auoit apportées de sa solitude. Ils admirent encore sa facilité à les instruire, sa docilité à les corriger, & sa constance à passer ordinairement les nuicts à la lecture des bons liures. Il quitta Digne, & fut à Aix, où il acheua sa Philosophie soubs le Pere Fesaye, qui m’a dit cent fois estant mon lecteur de théologie, que Monsieur Gassendi estudiant soubs luy pendant les années 1605. 1606. et 1607. ausquelles il n’auoit encore que quinze ans commencez, il estoit assez capable pour estre son Maistre plûtost que son Escholier. Il reuint à Digne sur la fin de cette année pour se trouver à la dispute generale du College38, en laquelle il parut si éclairé en toutes les Sciences qu’il gagna le prix sur tous les Sçavants qui se trouuerent au concours. Comme il estoit tres petit de corps, il renuersa à l’imitation du petit David, ces Montagnes de chair, ces gros Geans venus des Alpes pour conduire les Escholes de Digne39. Les Arbitres de la dispute ayant remarqué que celuy qui ne paroissoit quasi point au milieu de ces grands Regens, auoit jetté des lumieres si fortes qu’elles avoient fait perdre le veüe, l’esprit, & selon leur terme, la carte 40 à ceux qui le surpassoient de toutes les espaules. D’abord qu’il eust acquis par son merite le gouuernement du College, il se rendit si recommandable par les leçons qu’il y faisoit tous les iours, et qu’il continua durant quelques années, que les Doctes de cette ville, dont le nombre a esté grand de tout temps, le regardoient comme vn homme miraculeux. 38
Si Taxil est ici plus précis que La Poterie sur la manière dont Gassendi a obtenu la Régence du collège de Digne, il se trompe quant à l’année, car ce n’était pas en 1607, mais en 1612. Voir au-dessus p. 76 n. 115. 39 On ne connaît rien de plus sur ces concurrents de Gassendi pour la direction du Collège de Digne. 40 Furetière, s.v. carte ne mentionne pas l’expression « perdre la carte ». « On dit proverbialement & figurément dans le même sens, qu’Un homme sait la carte, pour dire, qu’Il sait parfaitement les intrigues, les intérêts de la Cour, les manières du monde, d’un quartier, d’une société, d’une famille, &c. ».
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I’Estime que quelque intelligence enuoyée de la part du Createur luy expliquoit les Mystères, & luy montroit en vn instant tous les secrets de la Nature. Ie croy qu’elle l’éleuoit par la force de ses aisles bien plus heureusement que cette Aigle des anciennes fables qui ravit Ganimede iusques au Ciel41 : puisque son esprit durant tout ce temps volait au dela des nuës, comme ces Colombes dont David demandoit les aisles à Dieu, asseurant que la main du Createur le conduisoit en toutes ses voyes, & que la puissance de son bras luy servoit de soustien en toutes ses entreprises42. Sa belle ame estoit comme sur vne eminence d’où elle répandoit sa veüe & ses lumieres dans les espaces de la nature, & d’vn seule regard en découuroit toutes les raretés ; d’vn seul regard elle voyait le Ciel, les Eaux, la Terre, & les Montagnes qui la bornent ; les bois & les moissons qui l’enrichissent, tant d’Animaux qui la peuplent, tant de plantes qui la rendent si aggréable ; d’vn seul regard son entendement contemploit toutes ces choses naturelles, pour y découurir les causes de leur durée, & trouuer les raisons de leurs proprietez & de leurs compositions ; comme il a fait dans le beau livre qu’il a composé de la Nature des animaux, & dans cette riche partie de sa Philosophie, qu’il appelle Physiologie43, disant quelques fois que puisque ces choses priuées de raison, tenoient des voyes & des conduites extremement raisonnables, elles les receuoient sans doute d’vne premiere raison ; & qu’il failloit necessairement qu’vne main souveraine, & qu’vne intelligence diuine eut donné ces belles proportions à la matière, ces lois de societé à des formes ennemies, &
41 D’après Ovide (Métamorphoses, X, 152-61), l’aigle était une incarnation de Jupiter tombé amoureux du beau berger, Ganimède, fils de Tros, roi légendaire de Troie. Dans l’Antiquité, on considérait que ce mythe renvoyait à l’amour entre hommes. 42 Note marginale : Volabo super pennas ventorum. Pennæ columbæ deargentatæ. Si sumpsero pennas meas diluculo. Etenim illuc manus tua deducet me, & tenebit me dextera tua. Adaptés des Psaumes selon la Vulgate, respectivement 18 (17) 12 : « Je volerai sur les ailes du vent » ; 68 (67), 14 : « Les ailes de la colombe couvertes d’argent » ; et 139 (138), 9-10 : » Si je prends les ailes de l’aurore, […] même là ta main me conduit, ta droite me saisit ».. Ce passage de l’aigle à la colombe est une belle illustration de la manière dont Taxil jongle avec les références antiques et bibliques. 43 C’est-à-dire la longue « Epicuri physiologia seu Philosophiæ physica », dans Animadversiones in decimum librvm Diogenis Lærtii qvi est De Vita, Moribus, placitisque Epicvri…, Lyon 1649, 159-754. Cf. Rochot 143-4.
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ces maximes de prudance aux ames des Brutes44 qui sont d’elles mesmes seulement mobiles aux passions de l’appétit sensitif. Il voulut chercher des connaissances plus éleuées dans les maximes de la Theologie Chrestienne, & retournant dans la ville d’Aix sur la fin de sa 17. année, il y fut Auditeur de Monsieur Raphælis professeur en l’Vniversité, & comme s’il eut désiré de posseder cette Science auec toute sa perfection, & de penetrer clairement tous ses mystères, il ne suiuoit pas seulement l’opinion de son Lecteur, mais encore vouloit luy mesme escouter ce que luy inspiroit son genie45. Combien de fois fit-il des Académies46 dans cette celebre Vniversité ? Combien de fois expliqua-t-il à ses compagnons les matiéres les plus difficiles de nostre Religion ? Il y en a encore aujourd’huy qui asseurent qu’ils apprenoient d’auantage en escoutant ses reflexions, que les leçons de leur Professeur. Il commença dés ce temps de se concilier l’affection de deux grands personnages : ce fameux de Peires (sic), dont il a escrit l’Histoire ; & ce scavant Prieur de la Valete47, auquel il a dédié la preface de son livre des Paradoxes48, & le liure de Motu impresso à Motore translato49. Il se rendit si considerable par toute la Prouince que sa vertu & son sçavoir furent recompensés de la chaire Théologale du Chapitre de Digne, lequel l’attira d’Aix sur
44 Taxil rappelle ici sans doute que, contre Descartes, Gassendi reconnaît une âme aux bêtes. 45 Cette affirmation ne se comprend que si le génie désigne ici ce naturel que Dieu lui a mis de façon innée. Ainsi peut-il s’opposer à l’arbitraire des opinions du lecteur. Pour autant Gassendi était fort sceptique quant aux lumières naturelles, ainsi que le montre la controverse avec Herbert de Cherbury, et attachée à la tradition de l’Église, comme catholique orthodoxe, ainsi qu’on le voit dans sa discussion des pouvoirs respectifs des conciles et du pape (Lettres latines, à Caramuel de Lobkovitz, du 25 juin 1644). 46 Furetière, s.v. académie ne renvoie qu’aux assemblées de gens de lettres. Taxil a-t-il voulu dire que Gassendi animait des groupes informels d’étudiants ? 47 C’est-à-dire Joseph Gaultier. 48 Exercitationvm paradoxicarvm aduersus Aristoteleos Libri septem…, Grenoble 1624. Repris dans les Opera omnia, iii, 10-212. La préface, datée de Grenoble, est adressée à « Joseph Gaultier, docteur es-arts et en sacrée théologie, prieur de La Valette et ami jusqu’à l’autel » ; le livre I est quant à lui dédié à Maynier de Forbin, comte palatin, baron d’Oppède et président du sénat d’Aix. 49 De Motv impresso a motore translato. Epistolæ dvæ, in qvibvs aliquot præcipuæ tvm de motv vniversaè, tvm speciatim de motv terræ attributo difficultates explicantur, Paris 1642. Repris dans les Opera omnia, iii, 478-563. La troisième lettre de l’ouvrage, qui répond à l’Alæ telluris fractæ de Morin, est adressée à Gaultier.
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la fin de sa 20° année50 pour l’obliger à prendre possession de son benefice. Son retour à Digne combla de joye tout le Peuple, qui considera d’abord ce nouueau Theologal, comme vn homme enuoyé du Ciel, pour instruire les Habitans par sa doctrine, & les édifier par sa vertu. J’aurois vn riche subjet de former icy de paralleles de feu MONSIEUR GASSENDI, auec les plus zelez qui ayent trauaillé à la conqueste des Peuples, pour estendre la gloire de leur Monarque. Combien de fois a-t-il appellé dans l’Eglise les plus rebelles à la volonté de Dieu, lesquels apres l’avoir oüy tonner dans la chaire de vérité, laissoient les mauuaises pratiques de leur vie prophane, & releuoient ansi l’éclat de leur vainqueur. Le defaut d’vn Sçavant Pasteur51 est aussi funeste à vn Peuple que l’absence du Soleil est fatale à la Terre qui se peint apres vn long & facheux hyuer de ses plus riches ornements. Digne auoit relaché de sa première ferueur, mais ce terroir fit bien tost paroistre sa fécondité cachée soubs la neige, aux premiers rayons de l’Eloquence de nostre Orateur ; qui n’eust pas beaucoup de peine à iustifier, que si durant vne sombre nuict les plus viues couleurs sont mortes, la Terre est en deuil, les fleurs tiennent leurs beautés enfermées, & le silence est vniversel ; au premier moment que le iour paroist, les ombrages deuiennent éclattans, la Terre rit en toutes ses productions, & les beautés des fleurs se montrent dans leur plus haute pompe. Il persuada si bien toute cette ville des mal-heurs qui suiuent le libertinage52, que l’ordre fût restably en tous lieux, & le vice combattu par les forces de son ennemy redoutable. Apres auoir reiglé les mœurs par ses actions publiques, & temperé auec la douceur de son esprit, le pouuoir absolu qu’il auoit acquis sur les cœurs ; il adjustoit si bien les raisons auec la liberté de chacvn53, qu’au lieu de la rauir au personne [sic], il ne la captiuoit que pour leur oster les moiens de se perdre : il alloit à l’Hospital, il entroit dans la maison des pauvres, il frequentoit les prisons auec des succez si heureux, qu’il donnoit le repos à ceux qui estoient destinés pour estre les victimes de la Iustice, & seruoit de secours, & de consolation aux autres, que les miseres auoient rendus la proye d’vne infame neces50 En fait c’est en 1614 que Gassendi fut proposé pour la place de théologal ; il avait donc vingt-deux ans. 51 Expression importante : un pasteur doit être savant. 52 Le terme, attesté en français depuis 1603, désigne l’attitude de celui qui s’est affranchi des croyances religieuses. 53 L’insistance sur la liberté permet de comprendre la philosophie de Gassendi, dans le cadre là encore de la Contre Réforme
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sité ; il faisoit trouuer aux vns & aux autres vn nouvel art qu’on n’auoit point encore découuert, de se perfectionner [par] vne longue pratique de souffrance. S’il laissoit ce charitable exercice, ce n’estoit que pour reprendre les meditations de la Philosophie, & pour reparer dans le repos de l’estude, ses forces affoiblies par les longues pratiques de sa pieté. Il estoit si assidu en la lecture des liures, que pour ne perdre pas vn moment de temps qu’il estimoit si precieux, il faisoit son diuertissement d’vn autre estude, & cherchoit à se distraire dans les plaisantes fictions des Poëtes, sur lesquels il faisoit de riches remarques, & rendoit ainsi plus considérable la doctrine des Anciens par les notes qu’il faisoit à la marge de leurs liures54. Lors mesme qu’il se promenoit auec ses amis, il leur en expliquoit les plus beaux traits, dont l’vn qui est ce Lautaretius55 Medecin tres-excellent & tres-grand philosophe, duquel il a fait l’Eloge dans son Dinial56, asseure encore aujourd’huy d’auoir passé souuent plus de quatre heures auec luy dans cét exercice, & d’auoir tousiours admiré son genie, qui couronnoit de gloire les Poëtes, & y rencontroit des beautez que personne ne découvroit que luy, dans des endroits mesmes que les autres trouvoient languissants. Ce Gassendus est trop recommandable, pour n’estre point enuié à Digne par la ville d’Aix : cette superbe Cité veut reuoir celuy qui luy auoit laissé de si riches esperances : tous les Sçavans de son Vniversité le destinent aux charges les plus honnorables, & ne voyant personne qui pût plus dignement remplir les places de Théologie, & de Philosophie vacantes par l’absence ou par le decez des Professeurs, on le choisit à mesme temps pour la conduite du College de cette ville : il triomphe du sçavoir de celuy qui auoit esté son Lecteur : mais au lieu d’occuper le rang de premier Professeur de l’Vnivesité, il cede la place à celuy auquel il crût d’estre obligé de faire cette soumission57. Cette respectüeuse defferance obligea tout le monde à le prier d’accepter la chaire de Philosophie, ce qu’il fit au commencement de sa vingt-quatrième année l’an 1616. et comme il n’emprvntoit ses lumieres que du Ciel, pour en pouuoir mieux consulter les Oracles, il voulut en ce commencement rendre hommage à son Dieu de sa propre personne par le Sacrifice qu’il luy fit de 54 Ainsi les Animadversiones sont-elles ces remarques qui expliquent, interprètent et développent le livre X de Diogène Laërce. 55 David de Lautaret. 56 Ce terme original, sans doute un néologisme, désigne en tout cas la Notitia ecclesiæ Diniensis où il est question de Lautaret aux pages 32-3. 57 Philibert Fesaye. Gassendi a obtenu les deux postes par concours.
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luy mesme, en embrassant la Prestrise, & releuant la grandeur de son esprit par celui du Sacerdoce. Il parut si bien instruit dans cette Sçience, qu’il dicta par cœur son premier cours : il prononçoit autant d’Oracles qu’il faisoit de leçons, n’escriuant ses pensées & ses sentimens qu’apres que sa bouche les auoit prononcés, imitant ainsi ces illustres Senateurs qui ne chargent les registres qu’apres auoir prononcé leurs arrests. Ses problemes nouveaux eurent tant de Sectateurs, que le magnifique Parlement fût esclaue de sa doctrine, & la noblesse suiuit la nouvelle Sçience. Tous ses Auditeurs estoient adorateurs de son génie ; le plus foible de ses Disciples deuint Maistre de Philosophie soubs sa conduite, comme le plus timide des soldats, paroissoit Capitaine soubs le commandement d’Alexandre. Ce fût lors qu’il commença à découurir les erreurs de ceux qui s’attachent seulement à la Doctrine d’Aristote, qu’ils ne conçoiuent pas eux mesmes ; toutefois par respect il ne decria iamais ce Genie de la Nature58 : il imposoit silence aux Escholiers, & se contentant d’attaquer, & de vaincre ses principes, il pardonnoit à sa renommée, à l’imitation des Romains, qui estimant que de voir la plus superbe ville d’Affrique riuale de leur empire, c’estoit l’vnique moyen de releuer hautement la gloire de leurs exploicts, ne voulurent pas raser les hautes Tours, les Rampars, & les Bastions de Cartage, afin d’auoir lieu d’en triompher tous les iours, & de regouster à diuerses fois le plaisir qu’apporte vne belle conqueste59. Tous les iours, cette Academie estoit si pleine de Sçauans, qu’il n’y manquoit que ceux qui auoient de l’auersion pour les lettres. Tout le monde admiroit les prodiges de nostre GASSENDVS, & comme son esprit s’occupoit tout le iour aux disputes, la nuict il s’attachoit aux contemplations des Estoiles, auecque tant de bon-heur que ses experiences, & son travail de quarantesix ans, seruiront d’instructions eternelles aux plus excellens Astronomes, & luy acquerront à bon droict le tiltre du plus heureux & du plus exact obseruateur de nôtre siecle. Mais puisque ces merveilles sont infinies, ie ne suis
58 Gassendi cite souvent Aristote contre les aristotéliciens ; par exemple Exercitationes, i, 113a. Au contraire de ce que dit Taxil, Gassendi en privé fut moins respectueux d’Aristote. D’après Patin « Il [Gassendi] m’a dit fort souvent en plaisantant, que ce Philosophe avoit un nez de cire, qu’on faisait tourner comme on vouloit avec une chiquenaude » Patiniana 6. 59 Contrairement à ce que dit Taxil, Carthage fut entièrement rasée en l’an 146. Par la suite elle fut reconstruite et devint la deuxième cité de la Méditerranée au IIe siècle.
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pas obligé de compter ses œuures par le nombre de ses années. Cét Illustre60 est maintenant trop connu, & sa renommée est trop esclatante pour regler le recit de ses grandes actions à la suite des ans. Mon dessein n’a esté que de le conduire auec quelque ordre, jusques à sa vingt-cinquiéme année, pour mettre au iour ses premieres actions qui ne sont pas connuës aux Sçauans de l’Europe, ausquels je laisse sans enuie la gloire de décrire auec plus d’elegance la suite de sa belle vie ; mais ie suis obligé par vn droit de reconnaissance, de donner au public des choses, que l’amitié de cét excellent homme avoit communiquées à feu Messire Sauveur Taxil mon oncle, à Messire Tornatoris61 Chanoines ses amis intimes, & à moy mesme, durant le temps qu’il a esté à Digne, & dans nostre maison, où il a fait la plus grande partie de ses obseruations. Habeo enim (dit-il au commencement de celle qu’il fit imprimer à Paris 1630, à la fin du liure contre la doctrine de Fluddus), Digniæ penes Saluatorem Taxilem in eâdem mecum Ecclesia Canonicum, & amicum singularem ; cui cum cæteris meis adversariis plurimos quoque observationum fasciculos concredidi62. Je ne puis donc à présent le considerer que comme vne divinité, qui assemble toutes les lumieres de la Philosophie naturelle, qui regle tous les cours des Astres, qui monstre aux Mariniers par ses obseruations la facilité des voyages sur la mer : qui leur découvre des chemins plus courts, & des voyes plus asseurées63, qui mesure par le calcul des Eclipses, & par leur durée, l’éloignement des parties de la Terre, la largeur des mers, & la longueur des chemins des Royaumes les plus reculez64. Il découurit en peu de temps la vanité de 60
L’emploi comme substantif est mentionné par Furetière qui ne donne pas d’exemple. Le dictionnaire de l’Académie est plus riche (1694) : « Il s’emploie quelquefois substantivement, en parlant d’Une personne qui excelle en quelque chose, & principalement en quelque Art ». 61 Tourneur. Pour sa fonction entre Valois et Gassendi, voir les lettres de Gassendi à partir du 21 septembre 1646. Et infra. 62 [Car j’ai à Digne chez Sauveur Taxil, chanoine comme moi dans la même église et mon ami singulier, à qui j’ai confié plusieurs fascicules de mes observations contre mes autres adversaires]. Examen Philosophiæ Roberti Fluddi medici… dans Opera omnia iii, 211 - 68 (265). 63 Plusieurs des observations de Gassendi se trouvent dans Georges Fournier, Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, Paris 1643, rééditée 1667 et 1679. 64 Taxil pense, sans doute, au programme d’observations de l’éclipse du 27 août 1635 qui a permis à Peiresc et à Gassendi de corriger fortement la carte de la Méditerranée. Voir Turner & Gomez 152-3.
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l’Astrologie iudiciaire65 ; dont il voulut sçavoir le fonds en sa ievnesse : mais cét esprit estoit trop solide pour s’amuser long-temps apres ces vaines curiositez66 ; il foüille & déueloppe tous les principes de la Nature par l’assiduité de ses experiences, employe les diuerses especes de Sel, pour manifester la constance & l’immortalité des figures67. Il ne cherche dans la combinaison des Atomes que la sagesse du Createur, & ne trouue son vuide que pour montrer la perfection de Dieu qui remplit mesme le neant des effects de sa toute puissance, & qui veut que son esprit ne demeure sur les Eaux68 que pour assembler ces principes, dont il se sert à la production des estres, pour former la differance des Natures ; ses mains estant ce mouuement souuerain, & cette industrieuse cause efficiente qui vnit & resserre les figures de ces innocens Appelle à l’époque astrologie judiciaire celle qui permet de préjuger de l’avenir en dressant des horoscopes. C’est le nom générique de l’étude des thèmes, qui conduit à formuler un jugement sur ce qu’ils laissent prévoir. Voir Lettres latines, à Naudé, 21 août 1631. « À présent je me mets à un exercice contre les procédés judiciaires, puisque, même si Épicure a connu seulement ce qu’on appelle les signes, cependant il a, me semble-t-il, repoussé ce genre de divination exactement comme tous les autres. Cet exercice une fois terminé, j’entreprendrai aussitôt la dernière partie, sur les phénomènes sublimes, etc. » ; à Valois, 8 juin 1641. « Les astrologues bavardent ainsi, comme ils ont l’habitude de le faire pour les événements humains. Voici que mon serviteur est pris de fièvre ; les entrailles lui brûlent ; les artères lui élancent ; et eux, ils en recherchent la cause dans les astres et dans son thème natal ; quant à moi, je suis loin d’ignorer la cause la plus proche et récente ». Gassendi écrit encore dans sa conclusion à Mersenne de son Exercitatio contre Fludd : « Il existe si peu d’hommes que l’immortelle Uranie juge dignes d’elle ! Tu pourrais voir de toute part des astrologues judiciaires ; tu pourrais voir des hommes qui composent ou manient en connaissance de cause des tables des mouvements et des éphémérides ; enfin tu pourrais voir des hommes qui se charment de posséder comme des trésors sphères, armilles, astrolabes, quadrans et autres minuscules instruments de ce genre. Mais les hommes qui assument dignement des soins plus graves, ils sont à peine aussi nombreux que les portes de Thèbes ou que les bouches du Nil ». 66 Dans sa lettre à Morin de septembre 1649 (la cinquième pièce du Recueil de lettres des sieurs Morin, de la Roche, de Neuré et Gassendi, en suite de l’apologie du sieur Gassendi touchant la question De motu impresso a motore translato, où par occasion il est traité de l’astrologie judiciaire, 1650), Gassendi répond à Morin surtout sur la question de l’astrologie et réfute ses arguments prétendus scientifiques ; il avoue cependant qu’il a été « en sa jeunesse assez sot et assez faible pour […] ajouter quelque foi » à l’astrologie et demande « pardon à Dieu de n’avoir perdu que trop de temps » à cette étude. 67 Gassendi a travaillé aussi sur les figures géologiques et sur des cristaux de neige. Il consacre la fin de l’Epistolica exercitatio à une description de la neige. 68 Étonnante allusion à la Genèse (I, 2) : « L’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux ». 65
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insectiles69 dans la grandeur du vuide, pour en tirer ces miracles eternels, qui paroissent tous les jours en la diversité de ses œuvres. Comme j’ay esté fidele tesmoin de son trauail auec le susdit Messire Tornatoris le plus parfaict, & des-interessé de ses amis, qui sçavoit tous ses secrets, & qui gouvernoit ses affaires auec tant d’amour, & tant d’ingénuité, que dans la dernier declaration qu’il luy en enuoya de Paris, il luy marque en beaux termes, qu’il auoit reconnu que pour faire valoir les rentes de son petit benefice, il n’auoit pas seulement employé ses industries, mais mesme consommé son argent à son advantage ; qu’il estoit obligé de publier sa bonne conduite ; & semblables paroles de recognoissance. En escriuant à feu Monseigneur le duc d’Angoulesme70, il l’appelle ordinairement Vnicum & singularem Amicum71, & ce bon prince le nomme toujours dans ses lettres Tornatorem nostrum. Ie puis asseurer auec ce constant Amis que son esprit ne s’est iamais employé que pour éclairer les anciennes Academies, & donner à la Philosophie quelque nouveau iour, pour la connoissance de la Nature. Les premieres compagnies du monde l’ont admiré comme vn homme diuin, qui en expliquoit tous les secrets, & qui en penetroit tous les mystères, qui triomphoit de toutes les difficultez qu’on luy pouuoit opposer, & qui conuertissoit en faueur de ses sentimens toutes les opinions qui sembloient leur estre contraires. Ie n’oublieray pas la gloire qu’il receut dans Aix en expliquant les argumans
69 Le terme, de façon transparente, désigne les atomes. Il semble que ce soit un hapax. Taxil veut-il rapprocher les atomes des insectes, et de l’insecte paradigmatique qu’est le ciron ? Et cela d’autant que l’épithète « innocens » pourrait n’être rien moins qu’innocente, une sorte de présentation des atomes comme créatures de Dieu… En tout cas, le mot ne se trouve pas chez Furetière et n’existe pas non plus en latin (on trouve insecabilia corpora). Dans cet éloge du philosophe naturaliste, là encore synthèse de l’observateur et du naturel divinement éclairé, Taxil réussit à reprendre les théories de Gassendi, même les plus originales et encore suspectes : atomes, vide, etc. Il n’évoque pas l’héliocentrisme toutefois. 70 Louis de Valois. 71 [Ami unique et singulier] Lettres latines à Valois du 5 avril 1641 : « Noël Tourneur, un prêtre de notre église [a] besoin de ton autorité. […] Je ne peux et dois attester qu’une seule chose, c’est qu’il est un homme tout à fait bon, et qu’à Digne il n’y a personne à qui je sois plus lié. C’est lui qui prend personnellement soin de toutes mes petites affaires, qui habite dans ma demeure, que j’ai à ma table, qui s’en va si je lui dis va-t-en, qui vient si je lui dis viens, qui a un tel penchant pour moi que tout ce qui est important pour moi, il juge que c’est tout aussi important pour lui ». En revanche, on ne voit pas que Gassendi le nom comme le veut Taxil dans les Lettres latines.
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Hebreux qu’vn sçavant Pere de cette Compagnie72, qui ne s’entent pas moins en cette langue qu’en la Grecque & en la Latine, fit contre ses paradoxes. Tous les passages de l’Ecriture dont il vsa pour ruiner son opinion, ne seruirent que pour la rendre plus admirable & la mieux persuader à tous les Auditeurs qui assistoient aux theses publiques qu’il faisoit defendre, & fit paroistre qu’il avoit parfaitement la cognoissance de cette langue, aussi bien que de toutes les autres. Certes i’avouë que mon esprit ne peut plus conceuoir ses merueilles. Il n’est plus le Philosophe Naturel pour vne seule province, il est plustost le Philosophe de tout le monde. Tous les Royaumes le souhaittent, toutes les compagnies souueraines desirent de l’avoir ; Grenoble n’a que des passions pour sa presence ; cette sçavante Cité luy presente des richesses pour l’arrester quelques momens : son genereux gouverneur73, cette illustre suite du grand, & inuincible Connestable74 le prie de recevoir son Palais pour sa demeure ; tandis que le corps Auguste de cette Cour de Parlement luy offre l’employ de la chaire de S. André75 auec trois cens escus pour la recompense pour son travail76 : Lyon le voyant passer à travers ses ruës, fait courir les Sçauants apres luy, pour l’admirer & oblige les Docteurs d’abandonner leurs occupations pour aller profiter de ses entretiens. Ce fût alors que se renouuellerent, les affections de cette Eminence77, qui laissoit autrefois le desert de Grenoble, cette délicieuse & austere Chartreuse, pour estre quelques heures en sa conuersation78. Mais Paris qui sçavoit ses merites dépuis long-temps, & qui cognois72 Si « cette Compagne » désigne la Société de Jésus, cette dispute aurait dû avoir lieu en 1622, mais l’identité de l’adversaire demeure un mystère. 73 Charles de Blanchefort, Comte de Créquy et (à partir de 1626), duc de Lesdiguières. 74 François de Bonne, duc de Lesdiguières, Connétable de France (1543-1626). 75 Deuxième église de Grenoble, fondée en 1226 par le Dauphin Guigues André. 76 Cette information complète ce que La Poterie dit pour 1623. 77 Alphonse de Richelieu, archevêque de Lyon. 78 Lettres latines, à Valois, 4 novembre 1648 : « Le cardinal-évêque de cette ville ne veut pas du tout me laisser partir sans m’avoir auparavant emmené dans sa demeure et sans m’y avoir retenu quelques jours » ; au même 11 novembre 1648 : « Quoique l’excellent cardinal ait décidé de me recevoir dans sa demeure, il a laissé la décision à mon arbitrage en sorte que, lors de la visite qu’il a daigné me rendre hier, je n’ai pas eu besoin de parler pour m’excuser de ne pas le satisfaire ». Alphonse de Richelieu est très fier de sa maison de campagne qui se trouve à Roye et qu’il nomme ses « cavernes », son « nid d’hirondelle » ; pour elle, il délaisse le palais épiscopal « obscur et mélancolique ». Il aménage la maison et les jardins avec l’aide de Sourdis, qui a déjà collaboré à l’embellissement de la Grande Chartreuse, dont il retrouve l’inspiration à la fois rustique et antique. Comme Peiresc, il fait rechercher des statues et des
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soit ses perfections par les experiences qu’il en auoit euës pendant son sejour, interrompu par trois diuers voyages qu’il y auoit fait, cherche les moyens de le posseder entierement en inspirant à ce pieux Cardinal le dessein de le nommer Professeur du Roy aux Mathématiques79, ce qu’il fit auec tant d’approbation, que tous les grands hommes du Royaume luy rendirent des graces immortelles d’auoir sçeu arrester dans cette superbe Cité la Maîtresse du monde, celuy qui meritoit d’en estre le seul Oracle. Les plus Sçauants de toutes les Vniversités du Royaume font d’abord particuliere estime de sa doctrine : il est au milieu des delices de cette charmante Cité, & n’en trouve aucvne que parmy les liures, & les sçiences ; il paroist dans toutes les Academies80, on le consulte de toutes parts : sa presence dissipe les difficultés, & son entendement éclaircit tous les doutes qui naissent dans la Philosophie ou les Mathématiques ; son génie inspire de nouuelles pensées, pour expliquer les effects naturels ; il combat luy seul par les raisonnemens de tous les Philosophes, & les defend quand leurs sentimens ont esté raisonnables. En vn mot chacvn estime son party plus fortifié, lorsqu’il a ce grand homme fauorable, & ceux-là reçoiuent vn notable affoiblissement contre lesquels il se déclare. De mesme qu’vn monarque estant au milieu de ses trouppes81, quand vn escadron est sur le point de lâcher le pied, pour éuiter vne gresle de mousquetades, y volle comme vn éclair, & plein d’assurance, & de cœur, inspire la valeur à chacvn, rallie les fuyards, & leur commvniquant de nouuelles ardeurs, il combat luy seul par les mains de tous. Je ne mets point icy les riches productions de sa belle ame en diuerses rencontres, ny tous les miracles qu’il a faict dans Paris, durant le sejour d’enuiron vingt annees82. Ie laisse aux Sçauans de l’Europe cette matiere pour exercer leur eloquence. Ils pourront mieux que moy faire l’Eloge de ses diuines qualités, & trauailler à la description des merveilles de son sçavoir exquis. De plantes rares à travers l’Europe et constitue des collections, comme son ami aixois (coquillages, tombeaux, colonnes antiques, etc.) ; il rassemble encore une riche bibliothèque. « Je me trouve bien heureux quand je suis caché dans mes grottes rustiques et que je laisse le monde à part… Je ne pense qu’à Dieu et qu’à moi ». 79 En 1645. 80 C’est-à-dire les académies privées comme celle d’Étienne Pascal, ou de Montmor. Voir, plus loin, à ce sujet les remarques de Marolles. 81 Sur le roi au milieu de ses troupes, une pratique qui tend pourtant à disparaître, voir Cornette. 82 Taxil exagère. Gassendi a passé à peine treize ans de sa vie à Paris.
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peur qu’vne bouche qui ne doit se faire entendre, que parmy les échos, & dans le cœur des rochers, n’attire sur soy l’auersion des grands hommes en donnant de mauuaise grace des loüanges aux perfections de celuy pour qui toutes les plus eloquentes plumes du monde commencent à travailler, je me contente de dire en general qu’il n’y a point de ville sçauante dans toute l’Europe, qui ne connoisse mieux son merite & sa Philosophie, que son propre pays, qui seul ignore ses perfections83. Durant sa vie & apres sa mort, il est certain que tous les Peintres ont désiré de trauailler à son riche portrait84 ; que tous les Sculpteurs ont fait sa statue, que le burin s’est occupé, & la main du Fondeur a jetté ses medailles sur toutes sortes de metal85 ; on sçait que tous les Imprimeurs l’ont sollicité pour auoir ses pensées. Ceux des contrées septentrionales disputent ce choix auec ques les nostres. Amsterdam ne pretend pas de ceder à Paris ni à Lyon l’impression de ses ouvrages : ses liures ont partout vne si grande reputation qu’il n’est point d’ouuriers qui ne s’estime glorieux de mettre au iour sa doctrine. Ce grand nombre de volumes qu’il a donné au public, & celuy qui paroistra dans quelques jours par les soins & l’authorité du bien-facteur de tous les sçavans du Royaume, cét incomparable de Mommor86, depositaire de 83
Nul n’est prophète en son pays. Toujours ce parallèle avec la vie du Christ. De son vivant aussi. Mais Gassendi n’approuvait pas nécessairement ce culte de son visage. Voir Lettres latines, à Wendelin du 3 février 1646 : « N’est-il pas vrai que tu es trop bon et que tu m’aimes trop, quand tu me demandes de t’envoyer, en même temps que le portrait de Pythéas, le mien propre, et surtout dans le but que tu suggères ? Il peut suffire de faire figurer n’importe quelle mention de ma considération pour toi et de la diligence que j’ai mise pour te satisfaire par le moyen que je pouvais, à moins que tu ne sois encore à ce point prodigue que tu verses sur moi toutes tes viscères par ardeur pour moi. Quoique je ne sois pas assez austère pour accepter de rejeter une demande empressée à mes amis, je ne peux cependant pas manquer assez de vergogne pour voir mon portrait figuré sur une page. Après que Peiresc m’a extorqué que je me laisse graver dans le cuivre par la main de Mellan, j’ai aussitôt donné tous mes soins pour que cette gravure soit supprimée, de peur qu’un portrait destiné à des amis intimes et fidèles ne s’en aille chez d’autres. Je voudrais bien ici qu’il m’en reste maintenant un exemplaire que je puisse te donner (mais dans le seul but que te l’aies pour toi) ; mais comme il n’en reste pas, je donnerai mes soins pour te l’offrir à une autre occasion si je peux le recouvrer ». S’agit-il du portrait exécuté par Mellan, ou bien de celui que Nanteuil a gravé et que Guy Patin placera dans sa chambre parmi une trentaine d’autres portraits de savants ? Voir ses lettres à Spon du 1er décembre 1650 et du 6 mars 1656. 85 Pour les différents portraits de Gassendi, au-delà de ces remarques hyperboliques, voir Turner & Gomez 172-89. 86 Montmor. 84
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ses escrits persuadera à tous les siecles que l’Illustre Gassendus vaut luy seul tous les philosophes, sçait toutes les sciences, fait seul tout l’entretien des grands Hommes, des Seigneurs, des Princes & des Testes couronnées, par le commerce de ses Epistres ; qu’il a découuert par ses experiences les principes de toutes choses ; qu’il a establi les verités de la Nature, & expliqué des matieres auparauant incognuës. Aussi ne voit-on pas dans ses livres imprimez, que ie nomme en cette marge pour l’instruction des Curieux87, qu’il joint la Philosophie aux Mathematiques comme Pytagore, qu’il explique comme Platon ; qu’il raisonne comme Aristote, qu’il diuertit comme Epicure, qu’il deueloppe comme Keplerus, observe comme Tychobrahe (sic), invante comme Galilæus, range comme Mercennius. S’il parle comme Orateur, il est doux comme Eschines, il tonne comme Demosthene, il dissuade comme Appius, il persuade comme Ciceron. Et s’il s’éleue jusques à la Philosophie Chrestienne, N’y trouue-t-on pas alors qu’il instruit dans ses liures comme S. Jerome, qu’il détruit comme Lactance, qu’il corrige comme S. Basile, confirme comme S. Thomas, moralise comme S. Grégoire, raconte comme Eusebe, prouoque comme Paulin, penetre comme S. Augustin, parle en maistre comme S. Ambroise, et en vn La philosophie d’Épicure. 3. tom. Fol. III. De motu impresso a motore translato. IV Dans ses trois livres. De proportione qua gravia decidentia accelerantur. V Dans celuy qu’il nomme. Disquisitio metaphysica aduersus Cartesium. VI Dans ses Epistres, De apparente magnitudine solis. VII Dans son Apologie In Joan. Bapt. Morinum. VIII Dans son Institutio Astronomica. IX Oratio Inauguralis. X Vita Nic. Cl. Fabricy de Peiresch. XI Vita Epicuri. XII Vita Tichonis Brahei. Vita Nicol Copernici. Vita Georg. Peurbachij. Vita Joan. Regiomontani. XIII De Mercurio in sole. XIV Parhelia siue soles quatuor. XV Nouem stella circa Ioue visæ. XVI Romanum Calendarium. XVII De Romano Martyrologio. XVIII Notitia Ecclesiæ Diniensis. XIX Exercitationum paradoxicarum advers. Aristot. libri septem. XX Epistolica exercitatio aduersus Fluddum. Et dans ses beaux liures de Philosophie qu’on commence à imprimer à Lyon, qu’il n’auoit peu faire imprimer pendant sa vie. 87
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mot, il establit des principes qui luy conserveront dans tous les siecles l’auguste tiltre de Philosophe Naturel, autant que les riches mœurs de sa vie & sa souveraine sagesse luy meritent celuy de Philosophe Moral. Comme ie vay faire voir. LE PHILOSOPHE MORAL Povr estre persuadé que l’illustre GASSENDUS est ce Philosophe Moral, il ne faut que lire ce qu’il a écrit de la Morale, où ie puis asseurer que les Doctes ne trouueront point de ligne qui ne parle de la conduite de sa vie. Ie renuoye dans l’Histoire de ses vertus cette partie de ma harangue, mon dessein estant de dire vn iour quelque chose de ses perfections Morales sur les routes qu’il auoit luy mesme tracées, qui seruiront de guides fideles à mon esprit. Mais comme les effets ne brillent que par la gloire de leurs principes, comme les causes par l’éclat de leurs operations, pour connoistre la vie Morale de ce Philosophe, & bien parler des vertus qu’il a possedées, il en faut montrer l’origine, & en faire voir les actions en particulier. Tous ceux qui l’ont connu ont admiré en luy deux sortes de vertu, la premiere est la vertu Naturelle, c’est à dire ce riche principe Né auec luy, par lequel il a tousiours produit des actions conformes à la Nature ; & comme il auoit vn grand fonds d’innocence, de candeur, de probité, de prudence & de sagesse ; toutes ses actions ont esté bonnes, candides, innocentes, prudentes & sages. Cette vertu estoit accompagnée d’vne si grande facilité à faire du bien à tout le monde, qu’il disoit souuent qu’il ne pouvoit viure sans obliger. Iugez quels deuoient auoir esté les fruits de la grace dans vn si riche Naturel. Ce don precieux de la pure liberalité de son Createur, faisoit que tous les fruits que ses puissances interieures produisoient, estoient les commvnications de cét esprit que Dieu luy auoit donné, & qui randoit toutes ses actions agreables, paisibles, debonnaires & charitables88. Ceux qui ont conuersé auec luy, peuuent asseurer que la fin qui est le principe de la vertu Morale, estoit si pur en ses actions qu’il n’a iamais poursuivy le bien, l’honneur & la vertu, que pour leur propre excellence ; au contraire des anciens Philosophes Socrate, Seneque & les autres, qui ne furent iamais éclairés d’vn seul rayon de la veritable vertu, encore qu’ils soient en estime d’auoir acquis le tiltre de vertueux. Ces Philosophes politiques n’ont pas aymé la vertu, mais ils ont ambitieusement recherché son prix & ses 88 Note marginale : Fructus autem spiritus est charitas, gaudium, pax, bonitas, benignitas, etc. Épître aux Galates, 5, 22 (Vulgate) : « Mais le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, bonté, longanimité, etc. ».
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aduantages en toutes choses. En lisant leurs escrits, & en estudiant leurs actions, on voit clairement qu’ils ont dépoüillé les Autels de cette Diuinité, & qu’au lieu de faire la cour à vne Princesse, ils ont caressé la suiuante. Au contraire tous ces écueils où la plus haute resolution des Philosophes Moraux a parüe échoüée, n’a fait que releuer l’éclat de sa vertu, qui n’agissoit qu’en
veüe d’vn bien plus aymable.
Il a aymé la vertu toute nuë, demeslant si delicatement le veritable point de l’honneur, qu’il estimoit ce dessein iniuste, d’y arriuer par l’entremise mesme de la vertu. Il en a tousiours fait sa fin, & ne l’a iamais prostituée à vne simple apparence de bien : il n’a iamais fait obeïr la maistresse à l’esclaue : l’interest ny la gloire n’ayant trouué aucvn Empire sur ses actions. Sa candeur, sa modestie, sa paix & sa moderation ont tousiours faict paroistre, qu’il n’adoroit pas cette Idole comme ont faict ces grands hommes des siecles passés. Le bien (disoit-il ordinairement) est désirable de soy, il a son attrait, son charme, & qui le poursuit par vn autre motif que sa propre excellence, est infidelle, sans cœur & sans conduite. Cette gloire qui a aveuglé les anciens en est seulement vne marque : & de mesme qu’on tient sur les costes de l’Ocean des flambeaux allumés pour la conduite des vaisseaux qui font voile durant la nuict ; aussi (disoit-il) les honneurs & la gloire, sont autant de rayons, qui nous découurent le veritable sentier, qui conduit les hommes au temple de la vertu, & partant celuy des sages, qui s’en écartent pour aller aux honneurs par vn chemin détourné, n’est pas moins digne de blâme qu’vn pilote qui se laissant ébloüir à la clarté du Phare qui le conduit, y tourneroit son nauire, sans avoir égard qu’il abandonne le port89. Ces sages ambitieux par ces artificieuses pratiques de la Morale, ont faict vne singulière profession de cette apparente sainteté, que les peuples idolatroient dans les villes. Les Diogenes y goustoient auec plaisir, la recompense de leurs travaux ; les instrumens qu’ils employoient pour mespriser les voluptés, estoient les mesmes que ceux dont ils se seruoient pour entretenir leur fausse gloire. Ce tonneau si fameux n’a ce semble, mis à couvert ce Philosophe90, que, pour l’empescher de rendre ses respects au plus invincible des 89
Cette métaphore est sans doute de Gassendi lui-même. Allusion à la rencontre fameuse entre le philosophe cynique Diogène et Alexandre le Grand. Cette anecdote est un lieu commun par excellence. Mais ici Diogène est critiqué comme le philosophe qui prend la pose. Il est donc un imposteur, tout autant que les stoïciens qui affichent un masque de sévérité et froncent le sourcil (comme Gassendi le décrit 90
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Monarques, se persuadant qu’il ne rouloit soubs ses pieds que pour brauer ses conquestes, & qu’il ne luy servoit de demeure que pour luy laisser vne joüissance plus paisible de sa vanité. Au lieu que nostre Philosophe Moral estant arriué par le mespris des contentemens, à ce point bien-heureux où la vertu repose comme sur son thrône, l’a tousiours embrassée, mesme couronnée d’épines ; sa modestie faisant aduoüer qu’il ne se soucioit point de la fortune, qui ordinairement luy estoit ennemie, qu’il ne vouloit point auoir de gloire icy bas que le tesmoignage d’vne consçience bien saine & sans aucvn reproche. Il a possedé cette vertu naturelle d’vne maniere tres-excellente, & l’a renduë toute genereuse & heroïque par les graces que Dieu luy commvniquoit comme le Soleil, ses lumieres à la Terre : & s’il est vray, comme i’ay examiné, que les vertus ont degeneré & se sont abastardies dans les cœurs des Philosophes anciens, elles ont conserué leur éclat dans l’esprit de celuy-cy, qui a reparé les deffauts des maximes de l’ancienne Philosophie ; ce qui fait reconnoistre en sa personne la deuxieme vertu que tous les esprits esclairés de nostre siecle luy attribuent, & que ie nomme vertu morale. La vertu Morale dont l’office est de composer les mœurs a reglé si iustement toutes les siennes qu’on aura de la peine au siecle suiuant de remarquer vne plus exacte Morale que celle de ce Philosophe. Cette regle a eü vne authorité souueraine sur son esprit & sur son corps. Il a estouffé les complaisances interieures par le peu d’estime qu’il auoit de soy-mesme ; il n’a pas voulu permettre à ses sens de gouster les plaisirs, encore qu’ils fussent permis. La façon de se nourrir qu’il obseruoit estoit contraire à la volupté, & son goust estoit tousiours mortifié par l’insipidité des alimens. Les prvneaux, & les fruits faisoient la meilleure partie de sa nourriture. L’herbe que le vulgaire appelle du bon homme91, que les animaux refusent de gouster pendant l’hyver à cause de ses espines, & de son amertume, estoit meslée dans ses bouillons, dans lesquels cent fois il a versé secrettement de l’eau toute pure, lors qu’ils maintes fois). Platon déjà, selon Diogène Laërce (VI, 26 et 41) accuse Diogène de vanité et d’orgueil. 91 Herbe à bonhomme ou oreille de saint Cloud ou grand chandelier : surnom du bouillon blanc, dont la hampe peut dépasser deux mètres de hauteur. Il fleurit en été, avec des fleurs jaunes serrées les unes contre les autres. Les feuilles sont d’un gris blanchâtre, couvertes de poils laineux qui expliquent le nom donné au bouillon blanc. Elle guérit aussi bien les bronches que « les chevaux poussifs » d’après Pline.
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estoient trop chargés de sel, se servant de cét artifice pour éuiter le subjet de se plaindre contre l’indiscretion de ses valets. De quelque façon qu’on luy apprestat les viandes, il disoit que cela estoit trop bien. Toute la France sçait qu’il a beu de l’eau chaude pendant les ardeurs de la canicule ; i’ay mesme observé que les bruslans accès de ses fievres n’ont iamais empesché cette déplaisante boisson, ne s’en seruant pas comme vn remede à sa santé (selon le sentiment de plusieurs,) mais pour mortifier son apetit92. Aussi il m’a dit quelquefois qu’il falloit corriger nos passions par leurs contraires, & qu’on pouuoit dans la Philosophie Morale pratiquer les austerités des cloistres ; que les plaisirs les plus reglés pouuant tousiours affoiblir les vertus, il estoit bon de couper ces nœuds qui lient nos sens & nostre esprit à des objets qui leur sont agréables ; qu’il ne falloit iamais attendre que l’ame consultat plus d’vne fois, parce que les sens par vne douce imposture luy figurant que la vertu mesme permet ces plaisirs, elle a peine de s’en defendre, & de quitter des roses pour des espines & de l’absynte93. Aussi l’experience commune nous montre tous les iours, que quand les plaisirs conspirent à nous surmonter, on ne tesmoigne que bien peu de courage pour s’en dégager : à peine voit-on vn cœur de qui l’élection ne chancelle en vn si difficile détroit, & qui ne se rende du moins aux plaisirs légitimes ; Epicure mesme auoüant au milieu de sa sobriété qu’ils doiuent estre permis aux personnes moderées. Au lieu que nostre Philosophe, qui par sa riche Histoire a donné vne nouuelle vie à la reputation eclypsée de cét Ancien, en a fait vn moyen pour aller à la solide vertu, qu’il a preferée à toutes choses, & qui luy a tousiours inspiré vne joye interieure, qui l’a rendu insensible à ce que tout le monde, & les Cours des Princes ont d’agréémens. Les loüanges sont en possession d’enchanter les esprits, & toutefois elles ont essayé inutilement de chatoüiller le sien par les oreilles. Au milieu de Paris, dans les Academies, en la presence des Seigneurs, & parmy le grand monde, il se trouvoit 92
Un aspect inconnu de Gassendi, se livrant à la macération et mortification, loin de la volupté épicurienne. Y aurait-il eu une dimension mystique chez le personnage ? En tout cas, on se rapproche de l’Imitation du Christ. 93 Allusion sans doute à Lucrèce, IV, 11, sqq. : « Quand les médecins veulent donner aux enfants / l’absinthe rebutante, auparavant ils enduisent / les bords de la coupe d’un miel doux et blond / pour que cet âge étourdi, tout au plaisir des lèvres, / avale en même temps l’amère gorgée d’absinthe / et, loin d’être perdu par cette duperie, / se recrée au contraire une bonne santé ».
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receüilly dans luy mesme, pour y gouster des contentemens serieux, qui naissent de la paix interieure, qui suit vne bonne conscience, & vn esprit maistre de ses passions. Ne sçait-on pas qu’il a passé des quatre années dans Paris, sans sortir de son logis que pour l’exercice du sacerdoce. Toute l’Illustre & genereuse famille des Sarrons & des Champignys94 en peuvent estre les fidelles témoins. L’effort de cette vertu Morale a esté occupé à tenir toutes les vertus qu’elle luy inspiroit dans vn si juste milieu, qu’il n’a iamais panché ny à l’vne ny à l’autre des extremités : sa moderation a esté incomparable en toutes choses, singulierement au milieu des plaisirs, des acclamations publiques, & de l’estime vniuerselle, que l’on auoit pour son merite. Elle a esté la gloire de son grand cœur, elle a reglé ses mouuemens & les a accordé si bien auec la raison que les plaisirs les plus deliez, & spirituels qui naissent de la vertu mesme, n’ont jamais donné atteinte à son esprit, & sans donner dans l’insensibilité des Stoïciens95, il a retranché durant toute sa vie des contentemens, dont vne intelligence pourroit estre touchée, connoissant les avantages de sa Nature. L’on ne pourroit descouurir aucvn excez dans sa vie, si on n’y voyoit celuy de sa simplicité & de son innocence, & s’il y en a quelqu’vn c’est celuy de la méme vertu, qui luy a fait mespriser les honneurs. Tous ces agréables artifices qu’on inuente pour enchanter les esprits, n’ont iamais sçeu tenter sa belle ame, mesme en l’attaquant par vne surprise bien concertée. Il mesprisoit les charges, les dignités, & les plus honorables benefices : il a souvent obligé ses amis d’abandonner leurs desseins, lorsqu’ils lui sembloient trop aduanta94
La famille de Bochart dans ses deux branches Bochart de Sar[r]on et Bochart de Champigny. 95 Voir la critique de l’insensibilité des stoïciens dans Vie et mœurs d’Épicure, VII, 4 et Lettres latines, à Valois, 8 novembre 1641. Il l’applique à son cas personnel dans une lettre du 19 septembre 1642 : « Tu penses que je suis insensible [en grec, insensible aux passions], mais je me reconnais comme beaucoup plus sensible [ibid. sensible aux passions], qu’on ne pourrait le croire. C’est ton éminente bonté qui te fait interpréter très humainement tout ce qui est humain chez autrui, et surtout chez moi, car ton amour transforme mes verrues en lumières. Il est vrai que les passions du cœur, plus vives chez les uns, plus légères chez les autres, se déchaînent plus ou moins : mais il se trouve que plus l’affection est grave et plus elle bouillonne à l’intérieur ; même si la perturbation à l’intérieur n’est pas grande, on dit cependant avec beaucoup de vérité : “Chacun de nous souffre ses mânes”. On ne peut rien dire de plus vrai que ce que tu as remarquablement exprimé : “Il faut juger parfaits ceux qui sont les moins imparfaits”. Parmi les hommes, nul n’est totalement dépourvu de vices, et il faut tenir pour heureux celui qui possède les moins nombreux et les plus légers ».
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geux. Il a contraint la bonté du meilleur des Princes, ce Sçavant & pieux, autant qu’inuincible, Louys de Valois, de quitter la poursuite d’vn Prieuré qu’il plaidoit en sa faueur, en luy escriuant pour ce subjet ces innocentes & chrestiennes paroles : Multa bona habebimus, si timuerimus Deum, etc.96 dont ce charitable Seigneur se seruit pour arrester l’empressement d’vn de ses amis ce celèbre monsieur Aillaud, Professeur de Théologie, Directeur de tous les Sçauans de la ville d’Aix, arbitre de tous les differends, & dispensateur de tous les benefices de la Prouence, qui le sollicitoit ordinairement de procurer du bien à ce Philosophe, qui n’en vouloit point. Combien de fois a-t-il forcé ses amis à n’employer pas leur authorité pour son agrandissement. Ce qui ne parut iamais mieux que lorsqu’il renonça de bon cœur à vne Abaye, dont il devoit avoir la jouissance, s’il y eut voulu consentir. 96 Tobie, 4, 21 (Vulgate) : « Nous aurons une grande richesse si nous craignons Dieu, etc. ». Taxil évoque ici la lettre du 29 mars 1647 à Valois, qui accompagne l’envoi d’une Ode (perdue) de Chapelain : « En plus de la lettre que ta bonté a daigné me donner, j’ai aussi reçu celle que tu as écrite au baron de Rians. La première est très pleine de ton inquiétude continuelle pour ma santé et du désir sincère dont tu attends mon retour. Je me suis affligé de ce qu’un vieil ami ait fait un geste qui t’ait déplu, mais j’ai maintenant de quoi me réjouir de ce qu’à la Cour, tu aies bien obtenu satisfaction. Pour ta seconde lettre, je te rends grâce le plus possible pour ton affection si prodigue, mais je te prie de ne pas désapprouver la décision que j’ai prise de ne pas du tout remettre cette lettre ni celle d’Alliaud. Je n’aurais pas supporté d’acculer le baron dans une impasse à tel point qu’il doive refuser à moi (ou plutôt à toi) ce qu’on lui demande, ou qu’il doive exiger de son consanguin une chose qui lui fasse du tort à lui-même. Il me fut bien préférable et bien plus utile de négliger ce qui allait dans le sens de mon affaire et de ne pas retrouver le souci d’avoir un bénéfice après en avoir rejeté un. Ce mot me vient toujours à l’esprit : “Car rien ne manque à ceux qui craignent Dieu”. J’embrasse l’obligeance de Dieu : il m’a fait la largesse d’un cœur content de peu malgré ma mince fortune. Je le prie donc moins “qu’il me donne la vie, qu’il me donne des ressources”, mais surtout qu’il continue à fabriquer et conserver en moi un cœur égal qui me permette de juger que, pour me rendre riche, je ne dois pas ajouter à ma richesse, mais réduire mes désirs ». Taxil applatit ici ce qui fait le style unique de Gassendi, à savoir cette imbrication étonnante de thèmes épicuriens et de thèmes chrétiens. Notons que La Poterie donne toute la citation de la Vulgate dans le titre qu’il confère à l’ensemble de lettres dont celle-ci est extraite (La Poterie regroupe à chaque fois un certain nombre de lettres, ici du 22 février au 25 octobre 1647, soit 36 lettres) : « Pour répondre qu’il ne déplore pas la perte de son petit bénéfice, par ces mots : “J’embrasse la bonté de Dieu ; et je le prie moins pour qu’il me donne la vie, qu’il me donne des ressources, que pour qu’il continue à me donner un cœur égal ; car nous aurons une grande richesse si nous craignons Dieu”. Pour s’affliger de la mauvaise santé de Champigny. Pour lui promettre de rentrer en Provence une fois que sa santé sera assez affermie. Pour lui envoyer un exemplaire de son Institution astronomique. Pour prendre le deuil de la mort de Joseph Gaultier, prieur de Vallette ».
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Il a mesprisé les richesses & les recompenses que luy offroiont les Souverains. Sa vertu tenoit le milieu en toutes choses, & si la prospérité le caressoit & luy rioit en dêpit de ses efforts, sa volonté la regardoit d’vn œil serain, modeste, & indifferent. Son esprit ne sortoit point de son assiette, pour accëillir [sic] vne bonne fortune, quoy que ces joyes surprenantes troublent l’oeconomie du corps, & mettent les esprits en desordre. Mais comme l’Ocean reçoit l’abord impetueux des riuieres sans rien perdre de son égalité, les plus grandes prosperités, n’ont iamais alteré le repos de son ame, ny troublé la majesté douce, & paisible, qui paroissoit en son visage. Cette force d’esprit dont il estoit armé contre les flateries de la fortune, paroissoit victorieuse, & dans toute sa pompe contre les attaques de l’infortune, au moment qu’elle se presentoit pour l’affliger ; j’en pourrois alleguer plusieurs exemples que quelques raisons me defendent de publier97. Cette generosité a tousiours animé sa prudence, l’a asseuré dans le peril, & luy a communiqué à l’occasion vne vigueur heroïque ; combien de constance & de mespris dans les fourberies de la fortune, a-t-il tesmoigné dans les persécutions du Morinisme98 ? on n’a pas mesme remarqué en luy aucun mouuement qui ne fût conforme aux loix de la bien-seance : & s’il souffroit quelques soudaines émotions qui colloroient d’abord son visage, elles ne seruoient que pour releuer plus agreablement son éclat99 : ce naturel prompt, & bilieux luy estant laissé (comme il disoit) pour tenir en balance sa raison, & pour luy aprendre à profiter des passions qui la preuiennent lors qu’elle n’est pas sur ses gardes. Elle a fait en vn mot que sa débonnaireté ait esté pure des soubçons de vengeance, puisque l’on sçait qu’il brusla deux fois des mémoires, qu’vn Seigneur luy avoit presentés pour se
97 Les Lettres latines sont riches de considération sur la fortune et la nécessité de lui opposer la sérénité d’un cœur armé. Citons une lettre à Valois du 23 novembre 1646 : « Il me suffit donc de répéter à quel point tu connais bien la condition des choses humaines : tu perçois éminemment le caractère unique de la vertu contre laquelle se précipite toujours la fortune manchote. Pour ma santé, Dieu aidant bien, je me porte de façon assez prospère, même si pour le moment je ne sors de chez moi que pour entendre la messe ». 98 Néologisme et sans doute hapax. Malgré la fortune moderne de ce suffixe, il faut le placer plutôt dans le sillage des médiévaux qui y avaient également recours. Taxil désigne ici les violentes attaques que Jean-Baptiste Morin lance à partir de 1642 contre Gassendi et la théorie héliocentrique. Voir Turner & Gomez 90-91. 99 Étant donné cette précision et l’accent souvent mis par les différents biographes sur les rougeurs de Gassendi, on peut tenir ce détail pour renvoyant à quelque vérité : il devait s’empourprer facilement.
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venger d’vn Grand qui fauorisait ses ennemis, & qu’elle n’a esté susceptible d’aucvn sentiment iniurieux à personne du monde. Ce repos interieur luy auoit acquis vne simplicité, très-particuliere en toutes choses, en ses habits, en ses discours, en sa personne, & en celle de ses domestiques ausquels il enseignoit non seulement les lettres, dont ils estoient capables, mais encore la pratique des vertus Morales par ses exemples. Ie l’ay souvent surpris qu’il montroit à lire à son laquais100 : & le plus fide, le plus sage, & le meilleur de ses serviteurs La Poterie est vn tesmoin sans reproche de cette vérité, puis que ne s’estant attaché à son seruice que pour apprendre dans ses entretiens les sçiences les plus curieuses : son sçavoir aujourd’huy, & les recompenses qu’il luy a laissées par son testament, font l’Eloge de l’amitié, & des soins que ce bon maistre auoit pris pour l’instruire l’espace d’vne douzaine d’années. Enfin cette Philosophie luy auoit acquis vne habitude si remarquable en la modestie de ses paroles, qu’elle a fait l’estonnement de tous ceux qui conferoient auec luy, & qui ne pouuoient comprendre qu’vn homme si sçavant fût si diferant [sic], & que ses reponces si innocentes fussent en effet si releuées. 100 Il faut citer ici Éléazar Féronce, le jardinier du château de Vizille, où Gassendi part rencontrer son ami l’astronome écossais Valois. Cet homme, serviteur durant la journée, conquiert sa liberté au cours de la nuit et y réalise sa vocation d’homme en se consacrant aux « études libérale ». À la lumière des phénomènes vrais dont il recueille les apparitions sans les déformer, éclairé de son bon sens, aidé des instruments modernes et sans les préjugés des livres d’obédience ptoléméenne, il démontre l’astronomie véritable, celle de l’héliocentrisme. Lettres latines, à Blaeu du 1er octobre 1632 : « Mon ami Valois est un homme d’une fidélité totale, d’une érudition éminente, d’une patience infatigable. Ensuite, bien que son observateur appelé Éléazar soit un jardinier, il faut dire qu’aucun autre homme n’a jamais tenu des propos plus opportuns que lui. De même que Protagoras a un jour montré à Démocrite un échantillon de son talent par son savoir dans l’art de faire les fagots, de même Éléazar a offert à Jacques de Valois la preuve de son génie mathématique à travers son élégant entretien des jardins de Vizille. Ce n’est pas son seul talent : il est très vite parvenu à acquérir une très grande adresse à observer, à apprendre à fond toute la trigonométrie et à regarder les fondements de l’astronomie en sorte que, survenant parfois, je l’ai trouvé en train de défendre le mouvement de la terre et de résoudre par les principes premiers de cette science les problèmes que des érudits recouvraient, parce qu’ils pensaient mal. Ce dont tu t’étonneras, c’est qu’il se soit mis à tout cela vers l’âge de quarante ans, tout en s’occupant par ailleurs de sa femme et de ses enfants et en cultivant ses jardins avec soin, au point qu’alors que je le regardais au cours de la nuit en train d’observer et d’écrire, j’avais l’impression de voir Cléanthe, qui consacrait de la même manière ses journées à ses jardins et ses nuits à ses recherches. Troisièmement j’ai donc eu plus d’une fois l’occasion de voir par moi-même son application à observer, et j’ai moi-même vérifié les garanties qu’offre l’instrument dont il se sert ».
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Sa franchise fut inimitable, sa gayeté sans pareille, & sa liberalité à distribuer ses petits reuenus pour le soutien des pauvres, & pour la gloire de sa charge, fut sans exemple. Ordinairement vne partie du Clergé estoit à sa table, & l’on peut asseurer qu’au temps que les Prestres l’attendoient dans sa chambre pour disner, les pauures de la ville le retenoient à la porte de son logis, pour recevoir de sa libéralité leur pain ordinoire, & leurs pensions accoustumées. Cette naïfveté estoit pourtant accompagnée d’vne majesté respectueuse, lorsque sa vertu Moral faisoit de son front le plus glorieux throsne de sa grace ; par la force de laquelle il gagnoit l’amour des peuples & la bienveüillance des Grands. Il peut compter dans le nombre de ses amis qui estoient charmés de sa conuersation par lettres, ou qui estoient Admirateurs de ses entretiens : deux Papes, deux Testes couronnées, six Cardinaux, deux Princes du sang, deux grands Princes, vn Chancelier, vn nombre infiny d’Archevesques & d’Euesques, l’vn desquels me faisant l’honneur de m’écrire sur la nouvelle de sa mort a couché dans sa lettre ces douces & obligeantes paroles : J’ai esté fort touché de la perte que vous auez faite de MONSIEUR GASSENDI, que i’ay considéré, comme vne affliction publique pour les lettres. Ie le reuerois auec toute la France, comme le premier homme de son siecle en diuers genres de sciences. C’est ce docte & si renommé Archeuesque d’Ambrvn, la plus fameuse bouche du Royaume, l’Illustre Abbé de la Füeillade101 ; ie pourrois compter dans ce nombre toute l’élite des Cours souueraines ; combien de Senateurs ont-ils recherché son amitié ? combien de Seigneurs de France l’ont aymé auec des passions extremes102 : ie ne dis rien des fortes inclinations que tous les grands des Royaumes estrangers auoient pour luy ; ie dis seulement que tous les Sçauans de l’Europe ont désiré par leurs lettres sa bien-veüillance, & qu’ils luy ont donné des marques d’amitié, par des Eloges publics103 : combien de fois l’ont-
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George d’Aubusson de la Feuillade (1612-1697) a prononcé les oraisons funèbres de Mazarin et de Marie-Thérèse. Un recueil de ses harangues a été publié à Liège en 1674. 102 Est-ce ce passage de Taxil qui a suggéré à La Poterie de compiler les listes des dignitaires, « Amis du feu Monsieur Gassend… » conservés dans le ms 4139 de Grenoble f.31r-v ? S’il ne mentionne pas de papes, il énumère cinq têtes couronnées, six cardinaux, deux Princes de Sang, deux grands princes, un chancelier (Séguier), trois ducs, quatre duchesses, trois archevêques, sept évêques et huit abbés à côté des parlementaires et des savants. 103 Le travail reste à faire, de retrouver l’ensemble des citations dont Gassendi fait l’objet, de la part de ses contemporains.
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ils nommé leur Prince, & en combien de rencontres ne l’appellent-ils pas dans leurs Escris, leur Maistre, leur Oracle, leur Diuinité visible ? Apres ces verités connües ie ne dois pas oublier la dignité qu’il possedoit dans cette Eglise, dont il estoit Preuost depuis l’année 1634. Vous vous ressouuenez assez, Messieurs, qu’il a presché dans cette Chaire, qu’il a honoré ce Cœur par les témoignages de sa modestie, & par les actes de sa deuotion, & qu’il a remply cette Ville de l’odeur de ses Vertus chrestiennes104. Ie dois enfin adjouter pour la conclusion de cét Eloge, qu’il ne s’est pas contenté d’estre Philosophe Moral : mais qu’il a esté iusques au dernier soupir de sa vie vn Philosophe veritablement Chrestien. LE PHILOSOPHE CHRESTIEN Pour adjoûter à ces premiers degrez celuy du Philosophe Chrestien ; ie ne dois que joindre à ses vertus Morales la pureté, & la droiture de ses intentions, & l’amour de Dieu en toutes ses œuvres : & bien que toutes les vertus dont nous auons fait mention dans sa vie Morale, soient tout autant de marques, des dons surnaturels que Dieu auoit répendus dans son esprit auec la charité ; puis que sans la Foy & la Grace, il n’est point de vraye vertu Morale, comme enseigne sainct Augustin ; toutefois ie veux icy descouurir le charactere particulier de ses Vertus Chrestiennes, dont la premiere qui est l’Amour de Dieu, luy auoit appris, selon les temoignages qu’il m’en a donnés luy mesme, à desarmer toutes les passions. Il m’a dit très-souuant qu’il ne falloit qu’aymer Dieu pour nous mettre en liberté de leur tyrannie, nous affranchir de leur violence, & asseurer nostre paix en defaisant ces rebelles domestiques. 104
Si l’expression odeur de sainteté n’est attestée en français qu’après 1650, pour évoquer l’odeur agréable que serait censé produire le cadavre de certains saints ou bienheureux immédiatement après leur mort, l’odeur des vertus renvoie au saint-chrème (mélange d’huile d’olive et de baume), administré pendant le baptême et la confirmation, et considéré comme l’emblème de la douceur et de la bonne odeur des vertus d’un disciple de Jésus-Christ (les évangiles apocryphes et les grandes légendes médiévales développent le thème de l’odeur extraordinairement suave de la Croix et du parfum délicieux du sang du Christ). Gassendi lui-même emploie cette image dans une lettre à Valois du 26 juillet 1641, développant le thème de l’exemplarité : « Je fais si grand cas de ta vertu que je m’efforce de lui donner des stimulants plutôt que des entraves. Tu es tenu à continuer du même pas que tu as commencé, ne fût-ce que parce que tu vis aux yeux de tous, à la plus claire lumière, et que tu ne peux pas, dans cette dépravation des mœurs, ne pas servir d’exemple dont l’émulation enflammera tous ceux qui ont en eux de façon innée des étincelles de la vraie vertu. N’est-ce pas, à ton avis, une chose divine : marchant sans te laisser fléchir sur ce sentier, tu répands en même temps, sans y penser, une odeur qui attire bien des gens et les conduit sur la même voie ? »
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Que si ie prenois garde à ceux qui sont dans l’inquiétude, ie reconnoistrois tousiours par ses actions, que ces personnes n’auoient point d’amour pour leur Dieu. Vn iour m’entretenant auec luy des faux sentimens qu’vn homme de lettres auoit pour nostre religion, il me répondit que le defaut d’aymer Dieu estoit la perte des Sçavans, & le principe, le progrez & la fin de la vie prophane ; que pour s’empescher d’estre mauuais en ce monde, il falloit nous laisser conduire à cet amour par vne pure intention de plaire à Dieu : ensuite de quoy en vn entretien que nous eusmes ensemble la veille de la Pentecoste, il me fit remarquer dans la vie Chrestienne, comme Dieu vouloit establir les loix eternelles de son amour dans nous, de la mesme façon qu’elles sont au Ciel, allumant vn feu sacré dans nos cœurs, qui apres auoir banny tout ce qui s’y trouue de dereglé, & de prophane, n’y laisse que des affections parfaitement détachés des choses de la terre. Cette saincte ardeur faisoit qu’il pratiquoit toutes les vertus dans vn eminent degré. Le point heroïque de l’ancienne Philosophie, n’en est pas seulement la premiere marche, ny vn préparatif tres-éloigné, parce que la Nature n’a nulle proportion à cét estat, où Dieu eleue les chrestiens. Aussi sa prudence ne se contentoit pas de jetter sa veuë sur le passé, le present & l’aduenir, pour faire le choix des moyens conuenables à sa fin ; ses lumieres estoient plus vniuerselles, & plus pures, parce qu’elles luy venoient de l’éternité. Sa Foy le faisoit agir sur les ordres qu’il receuoit de la souueraine Sagesse, non seulement comme Subjet, mais comme Fils. Sa generosité auoit paru inuincible aux plus fascheuses rencontres, bien moins par les forces de son esprit que parce qu’il se consideroit soubs la protection du Monarque de l’Vnivers à le secours d’vne grace qui se plaist par se signaler dans les imbecillités de nostre Nature. Auec cet esprit, sa temperance tenoit sa suiection, mais non par le motif raualé d’vne Philosophie payenne ; ie diray plus veritablement que c’estoit par vne souueraine authorité, & par vn sainct dégagement des plaisirs du Monde, apres auoir gousté ceux du Ciel. Il accomplissoit en toutes ses parties de la Iustice distributiue ; rendant à Dieu ses deuoirs, par tous les actes de la religion, à soy mesme, en assujetissant les puissances sensitiues aux raisonnables, & ensuite au prochain par les effets de la Charité. Ayant ce sentiment de l’Amour de Dieu, il ne pouvoit viure qu’auec cette ferme resolution d’éuiter tout le mal, & de faire tout le bien possible, de suiure en toutes rencontres inuiolablement les preceptes de la Foy, les mouuemens de la Conscience, les lumieres de la Raison, & se conduire suiuant l’idée qu’il conceuoit d’vne vie parfaite.
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S’il est vray que nous ne sommes Chrestiens que par la communication de l’esprit de Iésus-Christ ; de mesme que nous ne sommes hommes que par celle de l’ame raisonnable, qui anime nostre corps, & le rend participant de la vie : Ie dis que ce qui constitue le chrestien, ne doit estre que l’esprit de Iésus-Christ, qui est comme son ame & sa forme, qui anime & son ame & son corps, les faisant viure de la vie diuine ; de sorte que comme l’ame raisonnable est absolument necessaire pour donner l’estre à l’homme, l’esprit de IESUS-CHRIST l’est autant pour nous conferer celuy de Chrestien, suiuant le sentiment du Disciple bien-aymé105, qui nous asseure que Dieu a enuoyé son Fils vnique au monde afin que nous viuions par luy, & qu’il soit en nous le Principe d’vne nouvelle vie106 ; qui peut nier qu’il n’ayt esté veritablement ce Philosophe tres-Chrestien ; puis que toute sa vie en est vne preuue conuaincante. S’il est vray aussi que le Christianisme n’est pas vne chose commvne, mais vn mystère caché, & vne merveille extraordinaire, & que les Chrestiens sont la fleur & l’ornement du genre humain (comme dit sainct Machaire l’Egyptien107) : il est vray aussi que l’on peut qualifier ce Philosophe de ce beau nom, & dire que ce tiltre n’a pas été vuide ny simplement appellatif, mais encore effectif, & qu’il n’a pas porté en vain celuy de Pierre, puisqu’il a esté la pierre, & l’appuy inesbranlable de cette Eglise108. Il a pû par les lumieres de son entendement penetrer les plus profonds mysteres, & deuelopper les merueilles de la Diuinité, dont il demontre visiblement l’existance dans le livre de la Morale, au traité de Dieu, de son estre, 105 Note marginale : Ep. 4, v. 9. Ibidem vers. 13, c’est-à-dire I Jean 4, 9 & 13 : « En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui » et « À ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné de son Esprit ». 106 Note marginale : Ioan 8, 9, c’est-à-dire I Jean, iv, 8 & 9. « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour. En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous, etc. ». 107 Note marginale : homil. 27 et homil. 5. Macaire l’Égyptien (c. 300 - 391), mystique et l’un des fondateurs de monachisme dans le désert de Scété. Dans l’homélie 27, la métaphore n’est pas présente directement. Elle l’est en revanche dans la cinquième homélie (22) : « […] les fleurs des champs sortent du sein de la terre, le sol se couvre et se revêt d’un manteau, et l’herbe pousse comme les lis. […] Ce sont là des exemples, des figures et des images pour les chrétiens à la résurrection ». 108 Note marginale : Non ad instar priorum meus ille Jesus nomen vacuum ac inane portat ; non est in eo magni nominis umbra, sed veritas. Saint Bernard, Sermon sur la Circoncision, sermon II, 2 [Car mon Jésus à moi ne porte pas, comme ceux de jadis, un nom vide et vain. En lui se trouve non seulement l’ombre d’un grand nom, mais sa pleine vérité]
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de ses perfections & de ses œuvres, qu’il nomme De deo vera sententia, & qu’il explique dans le chapitre De Notitia existentiæ Dei109. Et bien qu’il ait donné à la Doctrine d’Epicure tout le iour dont elle estoit capable ; ce Philosophe libertin n’a jamais eü de plus grand ennemy que Monsieur Gassendi, lorsqu’il s’est déclaré ennemy de la Prouidence110. Que l’on consulte sa Physiologie, où il dit clairement que la Providence de Dieu se montre en toutes choses contre la doctrine d’Epicure. Ce que les Doctes liront dans ces chapitres : Esse Deum Auctorem mvndi ; Esse Deum Rectorem mvndi ; Gerere Deum hominum curam, contra mentem Epicuri111, & dans l’autre qu’il appelle De magnitudine Dei112. Enfin au mesme liure, il adore la puissance de Dieu, dans les mysteres du Christianisme. Voicy ses propres paroles, que ie suis obligé de citer à raison de leur poids, & de leur excellence : quippe Deum Naturæ Auctor, eam talem constituit, qualem esse voluit, neque quam legem Naturæ dixit eandem præscripsit suæ potentiæ. Hoc vero insinuo ob sacra mysteria in quibus docemur, atque profitemur esse, & corpus sine extensione, & extensionem corporis sino corpore ipso consistentem ; nempe demonstrat illeic Deus solutum se esse legibus Naturæ, utpotè quas ipse pro arbitrio suo constituerit, neque ademisse sibi facultatem id peragendi quoties iubet, quod repugnare ipsis videtur113. On voit en plusieurs 109
[De la connaissance de l’existence de Dieu]. Il s’agit de deux chapitres de la troisième partie « Ethica, seu de moribvs », des Animadversiones in Decimvm Librvm Diogenis Laertii,… Lyon 1649, pp. 1250-64. 110 Le Syntagma philosophiæ Epicuri commence par une longue réfutation d’Épicure, à propos de la Providence et de Dieu, et le même thème est repris dans les chapitres préliminaires de la physique. Détaillons : Syntagma philosophiæ Epicuri (ici SE), Physique section iv, préface : Sur la Providence (repris Syntagma philosophicum, ici SP, Physique, section i, livre iv, chapitre 6) ; SE, section iv, chapitre 6 : Encore la Providence (SP, Physique, section iii, second tronçon, livre xiv, chapitre 6) ; SE, section iv, chapitre 7 : autres critiques sur la Providence (Ibid.). Voir aussi Vie et mœurs d’Épicure, notamment livre III, chapitre 4 ; et Lettres latines, à Valois, 11 octobre 1641 : « Il n’est pas nécessaire que je te rappelle pourquoi j’attaque avec ardeur toutes les maximes que je trouve chez lui contraires à la religion (de même qu’il n’y eut aucun philosophe qui ne péchât parfois). Car je me souviens que tu as examiné les objections que j’ai faites contre lui, surtout en faveur de la Providence ». 111 [Que Dieu est l’auteur du monde ; que Dieu est le conducteur du monde ; que Dieu prend soin des hommes, contre l’avis d’Épicure] Taxil ne suit pas ici le Syntagma philosophiæ Epicuri, mais le Syntagma philosophicum (ici SP), Physique, section i, livre IV, respectivement. Pour la réfutation de l’athéisme en général, Pierre Gassendi, Du principe efficient, c’est-à-dire des causes des choses. Syntagma philosophicum. Physique, Section I, Livre 4, Taussig, VI. 112 [De la grandeur de Dieu] voir SE. On ne le trouve pas dans le SP. 113 SE. « Car Dieu, auteur de la nature, l’a constituée telle qu’il a voulu qu’elle fût, et il n’a pas prescrit à sa puissance la loi qu’il avait donnée à la nature. Or je veux dire ceci pour
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endroits de ses liures le respect & l’amour qu’il auoit pour Dieu, & pour tous les Mysteres de l’Eglise : & comme par son bel esprit, il auoit découvert l’ignorance des hommes, il leur a montré par ses oeuures Chrestiennes l’art de conduire leur volonté à Dieu, qui seul doit estre la fin de tous les desseins des hommes, par le chemin infaillible de l’imitation du Sauveur, & singulierement de son humilité, de sa charité enuers le prochain, de sa liberalité, de sa pureté, & de toutes les autres vertus qu’il est venu enseigner aux Mortels. Touchant son humilité chrestienne, ie suis certain qu’on ne doutera jamais que l’illustre Gassendus n’ai eü vne ame merueilleusement eleuée, bien qu’il aît tousiours témoigné tant de passion pour oster à ses diuines vertus leur esclat, & leur prix. L’humilité a paru en luy neantmoins genereuse, & pleine de majesté : elle n’a point esté vne complaisance servile & basse. C’estoit plûtost le fruit d’vn sentiment Chrestien que son cœur avoit conçeu de l’excellence de Dieu. Pour auoir lieu de pratiquer vne si belle vertu, il rentroit quatre fois le iour dans soy-mesme, & y cherchoit de quoy combattre la bonne opinion, dont on vouloit le flatter. Il connoissoit son insuffisance & rougissoit (disoit-il) de ses propres defauts, & si sa Sagesse ne pouuoit se cacher à elle mesme les perfections interieures, & les vertus qui le paroient agréablement : elle contemploit ces precieux ornemens, du costé dont ils partoient d’en haut, ne les considerant iamais comme les effets de ses victoires, ny la recompense de ses merites. Apres vne serieuse reflexion sur son neant, il se seruoit de la veuë des attributs & de l’excellence de Dieu, qu’il asseure aux chapitres cités, estre tres-salutaires pour auoir vne entiere connoissance de nostre foible & des vanités que les ambitieux adorent icy-bas. Cette veuë efface toutes les splendeurs de la Terre, comme quand le Soleil auant que paroistre fait au matin cette agreable confusion de couleurs qui nous annonce son arrivée ; la lueur des estoiles insensiblement commence à se perdre, & se mesler auec la couleur du Ciel, & s’évanouït à mesme que ce bel astre auance dans sa carriere114. Ainsi quand la Majesté souueraine de Dieu se manifeste à quelqu’vn sans nuage, & sans voile, toutes les grandeurs disparoissent. Sa modestie eclatte particulieles mystères sacrés dont nous sommes instruits et dont nous professons la croyance, qu’il y a un corps sans extension et que l’extension de ce corps existe sans le corps lui-même ; car c’est ici surtout que Dieu démontre qu’il est affranchi des lois qu’il a données à la nature, selon son libre-arbitre, et qu’il ne s’est pas enlevé la faculté de le faire chaque fois qu’il lui plaît : ce qui semble répugner à nos adversaires ». 114 Cette description de l’aube est vraisemblablement empruntée à Gassendi.
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rement dans l’oraison qui servit d’entrée à ses leçons de Mathematiques qu’il nomme Oratio inauguralis115, où l’on voit en quelle estime il avoit ces vains phantomes d’ambition, à qui les libertins, & la plus part des Philosophes donnent leurs pensées & leurs hommages. Ie ne veux que rapporter vn seul exemple d’vne modestie qui paroistra inimitable aux hommes, & qui persuadera tout ce que i’ai auancé de son humilité interieure & exterieure116. Monsieur de Maridat Conseiller au grand Conseil, tres-sçavant & grand amateur des hommes de lettres, en a fait le récit à M. de Neuré son intime amy. Ce Conseiller qui est plein de vie & d’honneur en peut rendre encore auiourd’huy vn tesmoignage irreprochable. Il dit donc à M. Neuré qu’ayant fait il y a quelques années, le chemin de Paris en Dauphiné auec Monsieur Gassendi, sans l’auoir connu tout le long du voyage que par sa qualité de Preuost de Digne, & pour vn homme d’esprit & de litterature, s’estant logez ensemble en mesme hotellerie, à leur arrivée à Grenoble ; M. Maridat sortit pour aller visiter ses amis, dont il rencontra quelques vns par la ruë, qui luy dirent apres les civilités ordinaires, que leur dessein estoit d’aller visiter vn grand & tres-renommé Philosophe appellé Monsieur GassendI, qui autrefois auoit demeuré dans leur Ville auec grande reputation. Vrayment, dit alors M. 115 Oratio inauguralis habita in Regio Collegio die Nouembris XXIII a Petro Gassendo Regio Matheseos Professore, Paris (Louis de Hecqueville), 1645. Il y a une traduction moderne par Murr I. 116 Le récit qui suit est très révélateur du genre des Vies, qui opère un choix parmi des événements qui sont effectivement arrivés au héros, mais dont on trouve quelques précédents dans la littérature, de telle sorte que l’anecdote est élevée au rang d’exemplum. Dans le cas présent la même histoire est arrivée à Platon, selon Élien, Histoires variées, 4, 9 : « Platon, fils d’Ariston, étant à Olympie, se trouva logé avec des gens qu’il ne connaissait pas, et de qui il n’était pas connu. Il mangeait sans façon à la même table, et passait avec eux les jours entiers. Bientôt il sut tellement gagner l’amitié de ces étrangers, que, charmés de sa société, ils se félicitaient de l’heureux hasard qui leur avait fait rencontrer un tel homme. Il ne leur parla ni de l’Académie ni de Socrate, et se contenta de leur dire qu’il se nommait Platon. Quelque temps après, ces étrangers étant venus à Athènes, Platon les reçut avec toute sorte d’honnêteté. Eux alors adressant la parole au philosophe, “Faites-nous voir, lui dirent-ils, le disciple de Socrate, qui porte le même nom que vous, conduisez-nous à son école ; recommandez-nous à ce personnage célèbre, afin que nous puissions profiter de ses lumières”. Platon, avec un sourire qui lui était naturel, “C’est moi”, leur dit-il. Les étrangers furent extrêmement surpris d’avoir méconnu ce grand homme, dans le temps où il vivait familièrement avec eux ; ils ne pouvaient s’en prendre qu’à sa modestie. Ainsi Platon avait fait voir qu’il pouvait plaire et se faire des amis, sans le secours de sa philosophie ». La modestie de Gassendi se renverse alors et fait de lui l’égal du prince des philosophes.
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Maridat, ie serois bien aise d’estre de la partie, j’en ay tant oüy parler, & il y a si long-temps que j’ay enuie de sçavoir qui il est : aussi-tost s’estant joint auec les autres, il fut bien surpris de se voir ramener à son logis, & plus encore quand il s’apperçeut que cet Illustre Gassendus dont il sçauoit seulement le nom, & que ses amis embrassoient auec tant d’honneur, estoit le mesme auec lequel il venoit d’achever vn si long voyage117. N’ay-ie pas sujet de dire que cét exemple est sans pareil, puis que ie ne pense pas qu’on puisse faire vne demy journée, mesme auec le plus reserué des Religieux, qu’il ne prononce de bon cœur, Ego sum qui loquor tecum118, aussitost qu’on luy parleroit de ses qualités. Il est bien rare de conuerser, durant vn chemin de plusieurs iournées, auec vne personne, sans sçavoir ses desseins, sa Noblesse, ses inuentions, & les choses dont elle se pique ; Au lieu que cét Illustre Philosophe cache son nom auec tant de modestie durant vn si long voyage, en sorte qu’il ne fait paroistre aucvne qualité que son humilité profonde : Ce n’est pas merveille, s’il veut estre ignoré de ceux qui ne l’auoient iamais conuersé, puis-qu’il a sçeu se desrober aux loüanges de ceux qui cognoissoient ses merites, & son sçavoir. Son humilité a esté recogneüe, principalement dans cette Eglise. N’est-il pas vray qu’il paroissoit dans ce Choeur auec tant de modestie qu’il seruoit d’exemple à tous les Ecclésiastiques. Comme il estoit present à tous les Offices, son maintien composé servoit de reigle à tous les Prestres. Comme chef de ce venerable Chapitre, il inspiroit à ses membres la pratique de cette importante vertu. Le silence de ce Chœur rendoit tesmoignage de sa piété, & la devotion des Prestres estoit vne preuue asseurée de la puissance de cet illustre chef. Ie ne m’arresteray pas à decrire sa Charité enuers le prochain, puis que tout le monde sçait qu’elle a esté sans bornes ; il en a laissé de si riches marques au Legat qu’il a fait à la Charité de cette ville, que tous les pauures en seront les Orateurs eternels. Ny sa liberalité envers l’Eglise, puis que l’on a remarqué qu’il consommoit tous les revenus pour les reparations & l’accroissement de son Benefice119, qu’il a augmenté de plus de la moitié, par ses travaux, par ses 117 Même anecdote, chez Sorbière. De Lyon, Maridat écrit une lettre à Gassendi datée du 7 des calendes de novembre 54 (26 octobre 1654), où il évoque Morin et son horoscope cum grano salis. 118 [C’est moi, celui qui te parle]. Vulgate, Jean, 4, 26. 119 On peut présumer que par « bénéfice » Taxil entend la prévôté et non pas le propre bénéfice de Gassendi comme chanoine, qui fut titulaire de celui de La Robine de 1624 à 1637 avant de l’échanger pour celui de Bédejun.
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recherches, & par ses soings. Ce Legat qu’il a fait au Chapitre de sa Chapelle, & de tous ses Ornemens, est vn tesmoignage sans reproche, que son humeur, & son inclination se portoient aux actes de cette vertu120. Ie ne toucherai point à l’Eloge de sa pureté, cette aymable Princesse des vertus ; Il me suffira de dire que sa pureté interieure & exterieure a seruy d’ornement singulier à toute sa vie ; I’en pourrois dire des particularités, puisque j’en suis instruit, par les experiences, & les témoignages que i’en ay eus, ayant appris de sa bouche qu’il s’abstenoit de certaines viandes, singulierement de celles qui commvniquent au corps vne chaleur excessiue121, afin d’entretenir par ce retranchement sa pureté dans vne continuelle vigueur ; Il estoit si innocent, que les années de sa jevnesse, & tout le reste de sa vie ont tousiours paru sans flestrissure, & la malice n’a jamais osé l’attaquer, ny le noircir du moindre soupçon de cette nature. Ie n’examineray point sa doctrine : elle obligera les Escriuains d’en faire des Volumes entiers ; c’est assez que i’asseure qu’elle est toute Chrestienne. Elle est libre, mais ennemie du libertinage : & bien qu’elle ait occupé ses raisonnemens sur les pensées d’Epicure, ie puis dire que Monsieur Gassendy n’a trauaillé que pour corriger les erreurs d’Epicure, par la sagesse de ses sentimens ; ne destruit-il pas ses maximes, lors qu’il ne les trouve pas conformes à l’esprit du Christianisme ? Son dessein n’est-il pas d’aneantir ses raisons, 120
Voir à ce sujet le testament de Gassendi édité par Fleury et Bailhache. Pour quelques réparations faites à l’église sous la direction de Gassendi voir Viré dans Bourg, 52. 121 Voir sur la créophagie, Lettres latines, à Van Helmont 8 juin 1629 : « Je sens que l’on pourrait me faire cette objection : “Pourquoi ne m’abstiendrai-je donc pas moi-même complètement de viande pour ne me nourrir que de fruits et de céréales”, je pense que l’habitude acquise peut me servir d’excuse. C’est que la nature semble tellement transformée chez les hommes déjà adultes que, semble-t-il, on ne peut pas du tout supprimer cette manière de vivre venue de l’extérieur sans causer de tort ; pourtant je reconnais que, si j’étais sage et que j’arrête peu à peu de consommer de la viande pour me tourner moi-même peu à peu vers les dons mêmes de la terre nourricière, je ne doute pas de pouvoir jouir d’une bonne santé plus constante et expérimenter les forces plus énergiques de mon talent. Car la moisson des maladies et l’obscurité de l’esprit semblent surtout naître de ce que la viande, qui est un aliment plus riche et pour ainsi dire trop substantiel, alourdit l’estomac, est trop lourde pour l’ensemble du corps, rend la substance trop épaisse et les sentiments plus obtus, qu’en un mot, elle est un fil tissé pour notre malheur sur les métiers de la nature ». Sur la possibilité d’être végétarien, Gassendi fournit son témoignage dans les Exercitationes, livre ii, Diss. vi, art.3 : « Croyez-vous que les viandes aient la même saveur pour un vulgaire glouton et pour cet homme que j’ai eu comme élève autrefois et qui toute sa vie eut horreur de l’usage de la viande ? » Et plus loin : « Diogène préfère manger des légumes plutôt que flatter les rois ».
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puis qu’il ne s’occupe, comme il dit, que (contra mentem Epicuri122) dans toutes les rencontres où Epicure paroist impie, prophane & libertin. En vn mot, ie laisse volontairement l’Eloge de ses autres vertus interieures, dont i’auois vne particuliere connoissance ; aussi l’accident fvneste qui nous est arriué, & la malignité de cette fieure qui l’attacha au lict ces iours passés, & qui ne luy permettoit plus de respirer que par des efforts tres-pitoyables, me deffendent de poursuivre les merueilles de sa vie. Son esprit n’eust des lors pour objet que la necessité du trespas. Decidit in lectum, & cognovit quia moreretur123. C’est dans cet estat infortvné, où il se rend semblable à iesus-christ ; où il donne des preuues de la participation de son Esprit, où il tesmoigne qu’il veut estre le fidelle Imitateur de ses vertus, où il releue la grandeur de sa Philosophie par son abandonnement, & sa soumission à la volonté de son Dieu, prononçant iusques à la fin les douces paroles de son Maistre, Fiat volvntas tua124, occupant toutes ses pensées à cet objet Souuerain, & mettant en Dieu seul toutes ses esperances ; en ce Passage, comme durant sa vie, considerant que Dieu vouloit estre le tesmoin de son trespas, suiuant la promesse qu’il luy auoit faicte, Instruam te in via hac qua gradieris, &c.125 & il luy disoit souuent In te Domine speravi, non confvndar in æternum126 ; & pour marque qu’il estoit asseuré de son salut, il acheuoit ses prieres par les loüanges de son Créateur, en disant à la fin de tous les versets du Roy Prophète, qu’il recitoit auec vne grande devotion, Gloria Patri127, etc. Mais ce que ie trouue plus Chrestien en ce Philosophe, c’est sa patience & son égalité d’esprit. Apres auoir souffert les inquietudes d’vne fievre durant deux mois, auec plus de constance & de resignation à la volonté de Dieu qu’on ne sçauroit attendre de la plus insensible Philosophie ; l’amour qu’il auoit pour Dieu estoit si ardent, qu’il ne voulut dans sa chambre que son Confesseur, & son Iésvs sur la Croix. Il luy demande de luy faire part en l’adorable Eucharistie, de celuy dont il adoroit la sacrée Image ; il n’aperçeut pas si tost 122
[contre l’avis d’Épicure]. [Il dut s’aliter et connut qu’il allait mourir] Vulgate. Maccabées, I, 1, 6. 124 [Que ta volonté soit faite] Vulgate. Matthieu, 6, 10. 125 [Je t’apprendrai la route à suivre] Vulgate, Psaume 32 (31), 8. 126 [En toi Seigneur j’ai mon abri, sur moi pas de honte à jamais] Vulgate, Psaume 31 (30), 2 ; ou 71 (70), 1. Ce sont les dernières paroles du Te Deum. 127 [Gloire à Dieu] Telle est du reste la tradition de la doxologie (gloire au Père) qui invite à conclure ainsi la récitation de chaque psaume, ce qui confère à la prière de l’Ancien Testament un sens laudatif, christologique et trinitaire. 123
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son Sauueur entre les mains de Monsieur le Curé128, qu’il voulut se mettre à genoux pour receuoir son Maistre, bien qu’il ne peut pas se remuer, & l’on eust beaucoup de peine à l’en empescher. Ce sage Curé luy parla des dispositions, auec lesquelles il falloit recevoir le pain de vie. Il faut dit-il que Dieu les mette en moy, In te Domine speraui129 : ô sainctes Paroles, quelles hautes verités nous apprenez-vous, ô que l’esprit qui vous conceuoit estoit éclairé d’vne admirable lumiere ! que le cœur qui vous poussoit deuoit estre ardent ! on vit en nostre Chrestien mourant de visibles effets de la reception du sainct Viatique, puis que sa ferveur dans les esleuations à Dieu redoubla, & qu’il parla auec plus de force de la grandeur de celuy, à qui bien tost il esperoit de s’vnir pour l’Eternité. Apres auoir demande à son Confesseur la grace de ne l’abandonner point, il ordonna qu’on luy fit les Prieres que l’Eglise a accoutusmé de faire aux Agonizans, mais d’abord qu’il sentit les approches de la mort, il porta sa main droitte sur son cœur, prononçant ces paroles de l’Apostre, Mihi viuere Christus est, & mori lucrum130 ; ô admirable & saincte Philosophie : puis que 128 Très long ensemble de prières récitées par un prêtre, avec un cierge bénit allumé et tenu par un des assistants près du malade. Le rituel comporte, selon ce qu’il reste de vie aux malades, différentes parties, avec kyrié, litanies de saints, prières d’intercession, lecture (de saint Pierre Damien) oraisons, pour finir, si l’agonie se prolonge, par une lecture de la Passion de Notre-Seigneur selon saint Jean. Lorsque le malade est sur le point d’expirer on lui fait prononcer : Jésus, jésus, Jésus. S’il en est incapable, le prêtre ou l’un des assistants le fait pour lui ; on répète de temps en temps cette invocation et les suivantes à l’oreille de l’agonisant. Venez à son secours, Saints de Dieu ; courez à sa rencontre, Anges du Seigneur : * Recevez son âme : * Présentez-la au Très-Haut. Que Jésus-Christ qui vous a appelée vous reçoive, et que les Anges vous introduisent dans le sein d’Abraham. * Recevez son âme : présentez-la au Très-Haut. Donnez-lui, Seigneur, le repos éternel et que la lumière brille à jamais sur elle. * Présentez-la au Très-Haut ; Seigneur, ayez pitié. Christ, ayez pitié ; Seigneur, ayez pitié. Notre Père, à voix basse. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. Mais délivreznous du mal. Donnez-lui, Seigneur, le repos éternel. Et qu’il (elle) jouisse de l’éternelle lumière. De la porte de l’enfer. Seigneur, délivrez cette âme. Qu’elle repose en paix. Ainsi soit-il. Seigneur, exaucez ma prière. Et que mon cri parvienne jusqu’à vous. Le Seigneur soit avec vous. Et avec votre esprit. Oraison. – Nous nous recommandons, Seigneur, l’âme de votre serviteur (servante) N. afin qu’en sortant de ce monde elle vive unie à vous ; et, les péchés que l’humaine fragilité lui a fait commettre, daignez les effacer par un effet de votre miséricordieuse bonté. Par le Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il. 129 [En toi Seigneur j’ai mon abri] Référence supra. 130 [Pour moi, la vie c’est le Christ, et mourir représente un gain]. Vulgate, Épître aux Philippiens, 1, 21. Taxil propose donc ici une version différente des ultimes paroles de Gassendi (cf. Sorbière et de La Poterie).
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tu n’as enseigné à ce Philosophe Naturel, Moral, & Chrestien, que de vivre & de mourir en Iésvs Christ. O merueilleuses lumieres de cét entendement ! que vous estes diuines, de luy auoir appris qu’il n’y auoit point d’autre vie que celle de Iésvs ; qu’il n’y deuoit auoir d’autre mort qu’en Iésvs, & qu’il falloit prendre son cœur entre les mains à la fin de ses iours, pour le rendre à Dieu, & l’offrir en sacrifice aux merites de Iésvs-Christ. Il sçauoit trop bien qu’il n’y a point de vie où il n’y a point de mouvement ; il auoit tousiours asseuré que les choses viuoient, qui se mouuoient d’elles-mesmes, & qu’on ne pouuoit trouuer en l’homme la vie radicale & essentielle, qu’en ce qu’on descouvre en luy vn principe de mouuement : or ie nomme l’amour & l’affection du cœur, le principe de ce mouuement qui vnit l’ame à Dieu comme à son objet vnique, & à sa fin derniere, pource que par cét amour l’homme se meut à toutes sortes de bonnes œuures. C’est aussi par cette raison que les hommes appellent leur vie ce qu’ils ayment davantage. D’où ie conclus que ce Philosophe, portant la main sur son cœur, a recognu la source de sa vie, & sçachant que son ame alloit à Dieu, qui estoit le principe de sa vie, il veut mourir en cachant sa vie en Iésvs-Christ, & il veut viure en s’abandonnant à luy en sa mort. Il desire par cét acte Chrestien & heroïque, que toutes les Nations de la terre sçachent que l’amour de IésvsChrist a esté le principe de sa vie, & de toutes ses œuures, & que son trespas n’a esté que la recompense de son amour. Sa mort n’a esté qu’vn doux sommeil, & tenant son bien-aymé sur son cœur, il luy rend cette vie qu’il auoit receüe de sa pure liberalité ; cét Esprit éclairé, cette volonté droicte, cette ame enrichie de tant de perfections, auec vn si doux repos, qu’à peine s’apperçeuton qu’il auoit expiré. Il est mort cet Illustre Gassendus, ce Philosophe Naturel, Moral, & Chrestien, pour nous apprendre que la mort n’espargne personne, que les Lauriers ne garantissent point les Monarques de ses foudres, ny le sçavoir, les Philosophes de son Empire, & que de tant de Doctes qui ont donné des Loix aux peuples, gouverné des Princes, & instruit les hommes, il n’y en a pas vn qui ne nous ait appris cette verité par son trespas. Nous voyons leurs sepulchres dans nos Eglises : Paris131 reuere celuy de cet homme si sçauant & si pieux : les marques de la mort de son corps y sont meslées auec celles de l’immortalité de son esprit : Pierre Gassendi est mort comme eux, ce soleil
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Gassendi est enterré dans l’église Saint Nicolas des Champs.
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s’est eclipsé en son Occident, & ce Philosophe si Chrestien a suby vne loi dont Iésvs-Christ mesme ne voulut pas s’exempter. Il est mort : mais son trespas a esté sa gloire, sa sortie de la Terre, son entrée dans le Ciel : cét Astre ne fût iamais plus brillant que quand il voulut s’esteindre, & ce Philosophe ne parut iamais plus chrestien, que quand il fût sur le point d’aller accroistre le nombre des bien-heureux132. Le Ciel a permis que sa maladie ait esté lente dans les longueurs d’vne peripneumonie, & d’vne fievre qui la consumé peu à peu, afin que sa mort en fût plus belle, & que ceux qui pourroient s’instruire dans la lecture de ses liures, peussent aussi se conuertir par ses actions Chrestiennes, & par ses dernieres paroles133. Il est donc mort : mais plûtost comme vn Seraphin que comme vn mortel ; il est mort plûtost comme vn Sainct que comme vn Philosophe : aussi comme sa vie a esté douce, humble, accüeillante, charitable, innocente, & ses actions Chrestiennes ; n’ayant iamais manqué de s’approcher de la confession, à celebrer la Messe les Dimanches & les Festes, & à diriger ses Estudes pour la gloire de Dieu, & pour l’instruction du prochain, on ne deuoit point attendre autre chose en sa fin que des marques, des témoignages & des asseurances d’vne gloire bien-heureuse pour toute vne éternité.
Équivalent du makaritès grec que Gassendi aurait employé dans la circonstance. Voir la lettre sur la mort de Louis XIII, citée en introduction au discours de Taxil.
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Les pièces, latines ou françaises, en, prose ou en vers, présentées dans ce chapitre, sans être strictement biographiques, apportent néanmoins des éléments à notre connaissance de Gassendi ; car ayant été composées en mémoire du philosophe défunt, elles témoignent des sentiments qu’il inspirait à ses amis et disciples. Rassemblées par Pierre Gassendi neveu, elles se trouvent pour la plupart dans le recueil de Grenoble. Si bien évidemment les pièces manuscrites n’existent que dans ce recueil, les pièces imprimées sont elles aussi extrêmement rares. Ainsi nous a-t-il semblé utile de les rééditer ici avec les commentaires nécessaires. Les poèmes in memoriam qui datent tous de la fin de 1655 ou du début de 1656 sont présentés dans l’ordre alphabétique des auteurs, en commençant par les pièces anonymes. I – Un écrit congratulatoire : Soteria pro Petro Gassendo…, 1654 Introduction Soteria (pluriel de soterium), terme grec translittéré en latin, désigne, dans l’Antiquité, d’abord des sacrifices offerts aux dieux pour leur demander d’intervenir en faveur d’une personne en danger, ou pour commémorer sa délivrance. Dans un emploi plus limité, le terme renvoie aux présents offerts à un ami (ou groupe d’amis) sauvé d’un danger ou à un convalescent qu’il s’agit de féliciter de sa bonne guérison. Gassendi lui-même écrit, à sa sortie de maladie, dans une lettre à Worm du 13 septembre 1653 : « Me voici de retour, excellent Worm, non seulement de ma Provence en ville, mais encore presque à la vie depuis le seuil de l’Orcus ». Dans le registre littéraire, les Soteria deviennent un ensemble de pièces produites dans une sorte de festival, qui peut comporter des déclamations et des représentations dramatiques. Les soteria antiques connus remontent, pour la plupart, à l’époque hellénistique ; à l’époque moderne, les compositions en vers qui portent ce nom sont tout à fait caractéristiques de la littérature néo-latine des humanistes du XVIe et XVIIe siècles. On peut citer, dans le même esprit que les soteria adressées à Gassendi, le Sotericum Carmen offert par Abraham Ravaud (Remius) à son mécène René de Longueil en 1637, ou celui composé pour Balthasar de Vias par Jacques de La Fosse1. 1
Abraham Remmii [Ravaud], « Sotericum [recte soteriorum] Carmen ad Illustrissimum Renatus de Longueil subsidirum senatus principem, anno 1637 » dans Poemata, Paris 1645.
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Toute cette activité de composition poétique néo-latine est à inscrire dans le contexte de la République des lettres, qui implique la pratique permanente du latin. Écrire des vers d’occasion était aussi un moyen de s’exercer dans la langue ; et, si les vers étaient bien tournés, hommes de lettres et hommes de sciences pouvaient espérer y acquérir un surcroît de renommée. La composition poétique en latin était l’un des divertissements propres à cette élite, voire un acte social qui confirmait une appartenance, et tout prétexte était bon – un mariage, une guérison, une publication, un honneur, un décès1. Dans le contexte de l’astronomie on peut même citer les épigrammes de l’Écossais Thomas Seget, en l’honneur des observations de Galilée, qui figure à la fin de la Narratio de Kepler2. L’ambiguïté de cette culture du début de l’âge classique se retrouve là tout entière, entre la référence à l’Antiquité païenne et l’enracinement dans la tradition chrétienne, dans la mesure même où soteria au singulier désigne aussi la salvation par le christ. Le soterion à Pierre Gassendi est antiquisant pour l’essentiel, mais il se clôt sur la mention Sur Ravaud et ses relations avec Longueil voir Loskoutoff 723-28. Le poème est réédité avec traductions dans Turner II. Jacques de la Fosse, Nobilissimo Viro Balthazari De Vias Regi a Consiliis Soterion, Bibliothèque Mazarine ms 3910 ff. 138v-139v. La version imprimée ne comporte ni la date ni le lieu de publication. Les soteria furent aussi écrit en langue vernaculaire. Pour deux en italien offert par le Père B… à Christine de Savoie au début des années 1660 voir Monconys…, iv 525-6. 1 Voir par exemple le florilège d’épigrammes que des amis de Mersenne lui ont envoyées, contre Fludd et dont Gassendi critique manifestement l’usage intempérant [Epistolica exercitatio, Chapitre XVIII] : « Je t’inciterais donc aussi à envoyer promener cette macédoine poéticarde dont tu m’as envoyé un exemplaire [sans doute un cahier manuscrit]. J’ai lu non sans rire, je l’avoue, tous ces Épigrammes et Anagrammes. Ils sont gracieux, ils mettent le doigt sur la chose et, ce qui est l’essentiel, ce sont les symboles de la rare bienveillance que tes amis te témoignent ». 2 Narratio de observatis a se quatuor jouis satellitibus erronibus, quos Galilaevs Galilaevs mathematicus Florentinus iure inuentionis Medicæ sidera nuncupauit. Cvm Adivncta dissertatione de Nuncio sidero nuper ad mortales misso, Francfort 1611 [Rapport sur ses observations de quatre satellites de Jupiter que Galileo Galilei, mathématicien de Florence, a nommée astres Médicéens par le droit qui confère la découverte. Avec la discussion sur le Message céleste récemment envoyé aux mortels]. Nous avons utilisé l’édition et traduction de Pantin. Malgré la date que porte le livre, il est paru à la fin de l’année 1610 et peut être considéré comme une sorte de préface à la Dissertatio cum Nvncio Sidero nuper ad mortales misso à Galilaeo Galilaeo de Kepler édité à Prague en 1610 (voir Pantin cxxi). Pour Segett, qui a apporté à Kepler un exemplaire du Nuncio de la part de Julien de Médicis le 8 avril 1610, voir Rosen ; Pantin 148-9.
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de l’eucharistie qui le bascule entièrement dans une perspective chrétienne de victoire sur la mort et de célébration de la vie éternelle. La maladie à laquelle Gassendi a survécu et qui lui vaut ces poèmes de félicitations n’est pas mentionnée par La Poterie, ni par les autres biographes. D’après Furetière une péripneumonie est une « une inflammation du poulmon avec fievre aiguë, & difficulté de respirer. Quand l’inflammation vient d’un flegmon, on crache du sang tout pur. Quand elle est eresipelateuse, le crachat est jaune, & n’est gueres teint de rouge. En celle-cy la poitrine n’est pas si serrée, mais la fievre est beaucoup plus ardente. La péripneumonie est plus dangereuse que douloureuse ». Gassendi ne semble pas avoir eu de problèmes de santé pendant 1653, mais il tombe gravement malade, précisément « d’une inflammation de poumon »1 en novembre 1654. Il est traité par Patin qui évoque sa thérapeutique dans ses lettres à Charles Spon. L’attaque dure presque un mois, et ce n’est que le 20 décembre 1654 que Patin raconte qu’il est « chez M. Gassendi que j’ay trouvé dans une chaise auprès du feu, sain et gaillard, Dieu merci, sans fièvre et sans douleur ». Le jour suivant Gassendi est debout. Le 30 décembre, Patin nous livre un renseignement encore plus intéressant. « J’ay auj[ourd’hui] veu M. Gassendi au coin de son feu, lequel m’a dit qu’on lui avoit envoyé de Lion un petit poeme ms sur sa convalescence, d’un autheur anonyme qu’il pensoit pourtant estre un jesuite de Lion, et que j’y estois nommé. Je vous supplie de m’en retenir six exemplaires tout au moins, si M. Barbier les imprime »2. Jestaz identifie l’écrit manuscrit mentionné par Patin avec notre Soteria et l’attribue, suivant Sommervogel, à Jean Bertet qui était en effet jésuite à Lyon et en relation avec Gassendi. Mais si on accepte cette identification, il faut accepter aussi que Barbier a confondu la date de l’événement décrit avec la date de publication du poème ou que le Soteria était déjà sous presse au moment où la copie manuscrite mentionnée par Patin a été envoyée à Gassendi. Une autre information que Patin communique à Spon oblige à mettre en question cette attribution, aussi vraisemblable soit-elle. Car, le 20 décembre à 6 heures du soir, Patin alors que Gassendi est enfin « sain et gaillard », il précise : « J’ay trouvé la-dedans un jeune homme provençal nommé M. du Perrier, lequel m’a recité quelques vers Latins d’un poeme qu’il a fait sur la 1
Patin à Spon 28 novembre 1654. Jestaz ii 1299. Ibid. ii 1331.
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maladie de M. Gassendi. Dès qu’il sera achevé, il le fera imprimer et nous en donnera »1. Ce « M. du Perrier » peut être Charles Dupérier2 qui n’a que vingt-deux ans en 1654 et venait d’Aix-en-Provence. La situation est éclairée par une lettre de Balthazar de Monconys à Gassendi du 22 décembre 1654 où il accuse réception d’une copie des vers de Dupérier que Gassendi lui a envoyée. Il ne saurait le « remercier plus agréablement […] qu’en [lui] faisant part de ceux que le Pere B. a composéz sur le même sujet, & que Barbier imprimez ». Ce témoignage confirme que la Soteria que nous imprimons ici est bien de la main de Jean Bertet qui, d’après Monconys, « ne veut pas qu’on sçache qu’il en est l’Auteur, pour des raisons que vous pouvés conjecturer. Il m’a dit qu’il vous écriroit, & m’a chargé cependant de vous assurer, qu’il n’est personne, qui ait été plus touché de vôtre mal, & qui ai ressenti une joye plus sincere du rétablissement d’une santé, dont dépend celle de la Philosophie ». Bertet, ajoute Monconys, « vous aime avec passion, & ne parle de vous que avec des transports »3. L’œuvre de Charles Dupérier semble avoir été transformé en poème « in memoriam »4. Mais au moins deux poèmes soteria furent écrits pour Gassendi en cette fin d’année 1654. Jean Bertet (22 décembre 1622 – 29 juin 1692) est né à Tarascon. Il entre dans l’ordre des Jésuites le 25 janvier 1637. Élève d’Honoré Fabri (1607-1688), il est professeur d’humanités pendant huit ans, puis de philosophie pour huit autres années, et finalement de mathématiques, pendant douze ans. À Lyon, il compte François de Saint-Rigaud et Claude-François de Chales parmi ses collègues ; il est également en relation avec l’astronome Gabriel Mouton5 et les frères Monconys6. Il observe l’éclipse de la lune du 16 1
Patin à Spon 22 décembre 1654, Jestaz ii 1324. Voir infra 204-5. 3 Monconys, v 390-91. 4 Voir ci-dessous p. 248-9. 5 Mathématicien et astronome, il est le premier à avoir idée de prendre un degré du méridien comme unité de mesure, donc le premier à envisager la base de notre actuel système métrique, dans une époque où la question de l’unification des mesures est un souci constant dont témoigne la correspondance de Gassendi, comme celle de Mersenne et de tous les savants. Dans son ouvrage Observationes diametrorum Solis et lunæ… Huic adjecta est brevis dissertatio de nova mensurarum geometricarum idea, Lyon 1670, Mouton propose la longueur de l’arc de 1 minute comme base pour l’unité de mesure. Voir Bigourdan, 6-7. 6 Pour les frères Monconys, Sommervogel, 1373, neuvième entrée, attribue à Bertet la préparation éditoriale des Voyages… de Balthazar de Monconys. 2
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juin 1665 à Nîmes. À la même époque il soutient publiquement à Grenoble que les systèmes de Copernic et Tycho Brahé sont équivalents d’un point de vue mathématique et qu’il défend celui de Copernic à titre d’hypothèse. Il est ami de Sorbière et, d’après Dainville « un commerce épistolaire très actif unit les PP. Fabri, Bertet, de Chales avec Huygens et Leibniz, le Père de Billy et Petit ». Bertet fut aussi en contact avec les savants anglais grâce à la correspondance qu’il entretient avec Henry Oldenburg et John Collins. Pour Collins il fut un « Père très aimable, un homme érudit et un excellent mathématicien, le vrai Mersenne de la France ». C’est à Bertet, le 13 novembre 1655, que Sorbière adresse l’Epitaphium pour Gassendi qu’il a rédigé avec Prat, Martel et Bernier1. Devenu préfet d’études d’Emmanuel Théodose de la Tour, Cardinal de Bouillon (1644 – 1715), Bertet quitte Lyon pour Paris en 1671. En 1672, il accompagne le cardinal à Liège où il rencontre René Sluse (1622 – 1685). En 1681, ayant consulté une devineresse, il est obligé de quitter l’ordre. Il se retire chez les Bénédictins à Oulx où il meurt onze ans plus tard. Il laisse une quantité importante de manuscrits, concernant l’histoire, la linguistique et, entre autres sujets mathématiques, l’aimant, l’arpentage, les fortifications, la musique et des « Doutes sur les règles de mouvement de Descartes ». Parmi ses quelque vingt-et-une œuvres imprimées, on trouve, à côté des tables astronomiques et d’autres travaux de mathématique, plusieurs poésies, des vers d’occasion et de compliments, comparables à son Soteria pour Gassendi2.
Voir infra 298 ff. Jestaz ii 1331 n. 1. Dainville II, 220, 425 & 462. Sommervogel i, 1375, 18. Hall & Hall, tomes ii, vii, viii & ix. Stephen Jordan Rigaud (éd.) Correspondance of Scientific Men of the Seventeenth Century…, 2 vols Oxford 1841 (réédition Hildesheim 1965), i, 140. 1 2
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[ Jean Bertet]1, Soteria Pro Petro Gassendo, hvivs ætatis philosophorvm principe, recèns è peripneumoniâ recreato, Lvgdvni Apud Guillelmum Barbier, Typographum Regium M.DC.LIV2. Vicimus ! & nostris tandem exorata querelis Fata secaturas pretiosæ stamina vitæ Sustinuere manus. Spirat Gassendus, & illâ Quâ modò non licuit, securus vescitur aurâ. Hoc debet sibi noster amor : nec inanis ad aras Victima procubuit ; nec amore litata ministro Nequicquàm innocuas vacuavit sanguine fibras, Vt pia desereret nocuus præcordia sanguis. O quantum inuidiæ Superis ! cùm didita lævo Murmure Salluuias fama aspirauit ad urbes ! Quis clamor, quæ cura viris ! Vix primus ad aures Rumor ijt nostras, capitis discrimen amici Allatum, quanquam nomen reticetur amici, Vaticinatur amor. Vanis lactare timentem Artibus haud opus est (inquam :) Gassendus adhúc-ne Est super ? anne æui perijt Sapientia nostri ? Non responsa comes dederat, mihi funeris Augur Extudit ista dolor. Proh ! quantum Gallia luges Orba caput ! Quantus, veteris Provincia Romæ, Est tibi raptus honos ! Salvi plorate Penates Quem decorat mœrens communi Europa sepulcro,
1 L’exemplaire du Soteria conservé dans le ms Grenoble 3189 est dédicacé par Bertet à Pierre Gassendi neveu. 2 Il y a une réédition du texte dans Monconys, v, 392-99.
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Poème de convalescence pour Pierre Gassendi, prince des philosophes de ce temps, juste remis d’une péripneumonie, Lyon chez Guillaume Barbier imprimeur du Roi, 1654. Nous avons triomphé ! Et les destins, enfin fléchis par nos plaintes, Ont arrêté les mains qui allaient couper les fils De cette précieuse vie. GASSENDI respire, et c’est en toute tranquillité Qu’il jouit de cet air dont il était tantôt privé. Nous devons sa vie à notre amour : et ce n’est pas vainement qu’une victime Est tombée aux pieds de ses autels ; sacrifiée par l’amour faisant office de prêtre, Elle n’a pas inutilement vidé de leur sang ses viscères innocents Pour qu’un sang nuisible abandonnât les pieuses entrailles. Ô que de jalousie chez les Dieux ! quand la renommée, courant d’un néfaste Murmure a soufflé vers les villes salluviennes1 Quelle clameur, quelle inquiétude chez les hommes ! À peine la première rumeur Arrive-t-elle à nos oreilles de ce qu’une tête amie est dans une position critique Que l’amour prophétise, puisque sur le nom de l’ami le silence se fait. Il n’est pas besoin (dis-je) de leurrer par de vains artifices Celui qui craint. Est-ce que GASSENDI A survécu ? Le Savoir de notre époque a-t-il péri ? L’ami n’avait pas donné de réponse, et la douleur, Augure pour moi de funérailles, m’arracha ces mots. Hélas comme tu pleures cette tête, Ô Gaule qui en est privée ! Quel honneur, Province2 de l’antique Rome, T’a-t-il été retiré ! Gémissez, pénates salyens, Sur celui à qui l’Europe affligée offre un sépulcre commun
Les Salluviens (ou infra les Sallyens) étaient un peuple ligurien établi dans la Narbonnaise, entre Marseille et les Alpes. Le terme désigne donc les villes de Provence. 2 Ce n’est sans doute pas un jeu de mots sur Provincia qui veut dire à la fois Province et Provence. La Provence étant citée trois vers plus bas, il faut en conclure que le poète évoque ici seulement la France. 1
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Quique per ora virûm Saliaris adorea terræ Æternum extendet longinqua ad sæcula nomen, Fortè olim ambiguo mage litigiosus Homero. Huic-ne parem vidistis aui ? qui nosceret vnus Astrorum aspectus varios, cælique meatus, Ingentisque vices Totius, idoneus auctor Ardua metari1 dubio systemata mundo, Inde Syracusio doctas in puluere metas Ponere, Socraticæ nùnc impallere lucernæ. Iam studij austerum teneris fregisse Camœnis, Quàm paucis tribuere Dei ? Memini ipse fidelem Incipiens memori cùm redderet ore Maronem ; Nvnc MAGNUM Lucane tuum ; modò blanda Catulli Carmina, nunc Tragico Senecis cantata cothurno Fata ducum, nil non complexus mente capaci. Haud tamen hic tristes fastus, atroxue seuerâ Fronte supercilium, sed inambitiosa decenti Ora pudore nitens, cuius concedere palmam
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Ce mot est souligné dans la copie de Grenoble.
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Et qui, sur toutes les bouches des hommes de la Provence renommée1 Déploiera son nom éternel jusqu’aux longs siècles, Lui qui sera peut-être un jour plus disputé que Homère l’ambigu2. As-tu vu un homme égal à ce vieillard ? Comme lui seul connaissait Les différents aspects des astres, les courses du ciel, Les révolutions de l’immense Tout, car il était capable D’ériger, pour le monde en proie au doute, des systèmes difficiles, De poser des bornes savantes dans la poussière syracusaine3, Et tantôt de pâlir, la nuit, sur un travail socratique. Mais ne sont-ils pas rares ceux à qui les dieux ont attribué d’avoir brisé Ce qui, dans l’étude, est âpre pour les tendres Camènes4 ? Moi je me souviens Qu’à sa bouche nourrie par sa mémoire venait, fidèle, Maro5 ; Venait aussi tantôt ton GRAND6, Lucain ; tantôt de Catulle les séduisants Vers, tantôt les destins des chefs chantés à la mode tragique de Sénèque7, Vu qu’il n’est rien qu’il n’ait embrassé de son esprit puissant. Pour autant son front n’avait pas de fâcheux orgueils ni une atroce Arrogance, mais son visage, sans ambition, brillait D’une pudeur décente, pour laquelle il a obtenu Saliaris terræ venant de Salaviorum terra ou Salyor terra = Provincia, La Provence. Voir Graesse, Benedict, Plechl, Orbis Latinus. Lexikon lateinischer geographischer Namen…, 5e édition Braunschweig 1971, 282. 2 Allusion au fait que, dans l’Antiquité, maintes villes se disputaient la gloire d’avoir vu naître le poète. 3 Probablement une référence à L’Arénaire d’Archimèdes qui commence ainsi : « D’aucuns pensent, roi Gélon, que le nombre des grains de sable est infiniment grand ; et qu’ils visent ainsi, non seulement le sable des environs de Syracuse et du reste de la Sicile, mais encore celui qui gît dans toute contrée habitable ou inhabitable. D’autres soutiennent que ce nombre n’est pas infini, mais qu’on ne pourrait pas en énoncer un qui fût assez grand pour surpasser la multitude de ces grains de sable ». Traduction française de Paul ver Eecke, Les Œuvres complètes d’Archimède…, 2e édition, 2 vols, Liège 1960, i 353. 4 Déesses des fontaines aux chants prophétiques, plus tard identifiées aux Muses et introduites dans la poésie romaine par Horace (Horace, Odes, ii, 16, 38), après Livius Andronicus qui les translittère le premier dans sa traduction latine en vers saturniens (vers latin archaïque) de l’Odyssée (Odyssée, iii. 238). 5 Virgile. 6 Surnom de Pompée, héros de la Pharsale. 7 Littéralement, « pour le cothurne tragique ». Le cothurne étant la chaussure élevée des anciens portée en particulier par les acteurs tragiques en vient par synecdoque à désigner le genre tragique. « Je chausse ici le cothurne tragique », Boileau, Satire X. 1
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Emeritus, facilémque dare obnitentibus aurem ; Tantus erat candoris amor, nullique recessus Mentis, & antiquæ spirans Virtutis imago. Nam neque rancidulas (deliramenta Sophorum) Quisquilias legere, & farragine tinctus Iberâ1 Figere subtiles doctus per inane Chimæras : Sed Latiâ verè madido Grajâque Mineruâ, Democriti qui sancta viri sententia ponat, Aut Epicuréo fundat Lucretius æstro, Quidquid Anaxagoræ, Patrisve arcana Platonis Sacra ferant, aut quæ numerosâ obducta figurâ Pythagoras tacitæ pandat mysteria turbæ, Omnia nosse datum : nec Aristoteléa modestus Pulpita despiciens, sed veri afflatus amore Iurgia clamosæ non profectura Palæstræ, Mutauit meliore modo. Non barbara doctos
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Le droit de réclamer la palme, Et de prêter une oreille indulgente1 ; Si grand était son amour de la candeur, et son esprit n’avait Aucune cachette, et il était l’image incarnée de l’antique Vertu2. Car il ne savait pas ramasser les rebuts rances (extravagances des Sages) Ni, imbu de la macédoine ibérique3, forger Dans le vide de trop subtiles Chimères4 : Mais à cet homme imprégné de la Minerve latine et grecque, Tout ce que énonce la sainte pensée de l’homme Démocrite Ou tout ce que Lucrèce émet dans son délire poétique épicurien Tout ce que proposent les arcanes sacrés d’Anaxagore, Ou du vénérable Platon, ou les nombreux mystères recouverts de figures nombreuses Que Pythagore diffuse à la foule silencieuse, c’était tout cela Qu’il lui était donné de connaître ; et cet homme modeste, sans mépris Pour les chaires aristotéliciennes5, mais gonflé de l’amour du vrai A transformé de la meilleure manière les stériles disputes De la Palestre6 chicaneuse. Chez lui, les mots barbares
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Peut-être Descartes et Morin sont-ils ici visés. Les moralistes humanistes ont emprunté à Plutarque un paradigme de l’homme moral, que l’expression d’« antique vertu » formule par excellence (voir McIntyre). Le concept, déjà popularisé par le Livre du Courtisan de Castiglione (voir en particulier le livre IV), fut diffusé en France par les Essais de Montaigne. 3 Peut-être une critique du gongorisme, le style précieux associée au poète espagnol Luis de Gongora y Argote (1561-1627). Faut-il voir derrière cette remarque la critique plus générale de l’Espagne, désignée comme l’ennemi politique de la France ? Notons que le poème se termine aussi sur une allusion opaque à l’Espagne. 4 Sans doute est-il exagéré de voir ici une subtile attaque contre Descartes. En tout cas, la figure imaginaire de la chimère revient dans la Disquisitio, Gassendi cherchant à défendre qu’il ne revient pas au même d’imaginer un objet qui existe réellement et un objet entièrement forgé par l’esprit, contre Descartes qui affirme radicalement l’autonomie de l’entendement par rapport à la réalité. 5 Ici la scolastique ou l’Université plus généralement. 6 À l’origine la cour centrale d’un bâtiment bas utilisée pour enseigner l’art de la lutte. Le terme n’est pas lexicalisé chez Furetière. 2
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Verba premunt sensus ; verùm hoc duce puræ Suadæ Flumina rursus agris Sophiæ fluxere Latinis. Quid referam, quantus iuuenilibus insilit ardor Pectoribus, cæcas Naturæ euoluere leges, Et ductore novo (quid enim hoc ductore negatum ?) Prima per ignotos tentare pericula calles. Nunc datur audaces non nostra ad sidera vultus Tollere, & admotô propiùs cognoscere cælo, Quì geminas (quondam ut sua pignora) Falcifer Ansas Sorbeat, utque suis Iovis ardeat orbita Lunis, Quidve lacunosæ distent fraterna sorori Nubila, suspensons qua vis agat incita Mundos.
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N’écrasent pas les significations savantes1 ; mais mené par ce capitaine les fleuves De la pure Persuasion sont revenus couler dans les champs latins de la Sagesse. Pourquoi rappeler l’ardeur qui bondit dans les jeunes Poitrines, de dérouler les aveugles lois de la Nature, Et, sous un nouveau guide (car qu’est-ce qui est refusé, quand on a un tel guide ?), De tâter des dangers premiers par des sentiers inconnus. À présent il nous est donné de lever nos visages audacieux vers des astres2 Qui ne sont pas nôtres et de connaître de plus près, le ciel étant rapproché3, L’astre porte-faux qui avale les doubles anses4 (Naguère ses gages), et comment l’orbite de Jupiter étincelle de ses lunes5 Et ce qu’il y a de distance entre les nuages fraternels et leur sœur Qui a des cratères6, et quelle force déchaînée conduit les Mondes suspendus7. 1 De fait, Gassendi prônait la transparence, la saf»neia épicurienne, contre toute forme de jargon. 2 Lieu commun tiré notamment d’Ovide, Métamorphoses, I, 84 sqq. : « Tandis que, tête basse, tous les autres animaux tiennent leurs yeux attachés sur la terre, il a donné à l’homme un visage qui se dresse au-dessus ; il a voulu lui permettre de contempler le ciel, de lever ses regards et de les porter vers les astres ». 3 C’est-à-dire grâce à la lunette astronomique. Peiresc et Gaultier (à partir de 1610) et Gassendi (à partir au moins de 1619) ont été des pionniers de l’observation au télescope en France. Voir van Helden IV. 4 Saturne ; voir Ovide Métamorphoses 13, 218. Les anses de Saturne ont posé aux astronomes un problème d’interprétation à partir des premières observations de Galilée. Il ne fut résolu que avec la publication de l’explication de Huygens en 1672. Entre 1633 et 1655, Gassendi fit 51 observations de Saturne. Voir van Helden I & II. 5 Les quatre premiers satellites de Jupiter sont découverts par Galilée en 1610. 6 Une des révélations des télescopes de Galilée fut la découverte des montagnes et cratères de la lune (« la sœur »). Pendant l’été 1636, avec la collaboration de Claude Mellan, Peiresc et Gassendi ont commencé une série d’observations sélénographiques dans la perspective de créer un atlas de la lune. Mellan a gravé quelques planches. Le projet, quoique interrompu par la mort de Peiresc, a eu de l’influence sur des travaux ultérieurs. Voir Ashworth. Deux lettres à Hévélius (Lettres latines 329 & 517) montrent l’intérêt que Gassendi continue à porter au sujet. 7 L’effluvium magnétique de Kepler, les tourbillons de Descartes, un mouvement d’atomes d’après Gassendi ? Le problème de la force cosmique était l’une des questions d’astronomie la
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Sìn iuuat aspectus propiori obvertere terræ ; Quam pulchrum signatur iter ! nouus audet aruspex Conijcere, inspectis animantûm cominùs extis, Quos agat (Haruæo licèt indignante) recursus Voluendus sine fine cruor. Quid ponere leges Motibus, & rebus quæ momina parta caducis Districto numerare gradu ? Quo tenditis, eja Ignari rerum Artifices ! quò tenditis, atris Conserüisse manus Laruis ; Lucisque, Sonorisque Appulsus tenues, atque irrequieta Calorum Semina, fallaci verborum inuoluere fuco ? DISCITE, & ex vno summam comprehendite Motu. Heu sperare nefas : donec deserta Lycæis Exulat Vranie, passimque ingentia grandes Ingenia exercent nugæ, nostroque pudori Pinguia Divinâ feruent Hypocausta Mathesi.
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Si au contraire il plaît de tourner son regard vers la terre qui en est plus proche Quel beau voyage est tracé ! le nouvel haruspice ose Conjecturer, en regardant de près les entrailles des animaux1, Quels trajets accomplit (même si Harvey s’indigne) Le sang qui est voué à aller et venir sans fin2. Qu’est ce désir de donner des lois Aux mouvements et de calculer au degré près les impulsions données dès l’origine Aux choses nées périssables ? Où vous dirigez-vous, vous les experts, Qui êtes ignorants des choses ? pourquoi êtes-vous désireux de livrer bataille Contre les esprits des ténèbres et envelopper Sous le fard trompeur des mots les influences subtiles de la Lumière et du Son Et les semences qui n’ont pas de repos de la chaleur ? APPRENEZ, et comprenez la totalité d’un seul Mouvement. Hélas, il est sacrilège d’espérer, aussi longtemps qu’Uranie abandonnée par ceux du Lycée3 Est exilée et que partout de grandioses bagatelles4 Agitent des intelligences immenses et que, pour notre honte, Des hypocaustes5 gras bouillonnent de la divine connaissance. plus actuelle du XVIIe siècle. Pour une introduction, voir les chapitres de Stephen Pumfrey, Eric J. Aiton et J.A. Bennett dans Taton & Wilson. 1 Gassendi dissèque, notamment avec Peiresc. 2 On suppose que Harvey (William Harvey 1578-1657) s’indigne parce que le sang « est voué à aller et venir sans fin » au lieu de circuler. Ce passage est à mettre en relation avec le thème de la circulation dans les poumons et les années climactériques mentionnées plus loin. 3 C’est-à-dire par les aristotéliciens. 4 L’auteur du poème n’est en tout cas pas un partisan du géocentrisme… 5 Terme emprunté au grec et latinisé après Pline le Jeune, ii, 17, 11 : poêle, calorifère. Le mot est du genre féminin en français. Furetière (s.v. Hypocauste) : « Lieu souterrain où il y avait un fourneau qui servait à échauffer les bains chez les Anciens. C’est encore aujourd’hui ce qui échauffe les étuves ». Le terme sert à Gassendi pour paraphraser le mythe de la caverne, et c’est dans ce sens qu’il faut le lire ici. On le lit dans une lettre à Schickard du 12 mars 1630 n° 24, à Wendelin du 5 novembre 1644 n° 334, dans une lettre à Valois du 6 août 1651 n° 631 et dans différents traités (Vie de Tycho Brahé).
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Hoc erat in votis GASSENDO, agnoscere vultus Naturæ, Artificis numerosque & pondera mentis ; Dumque auidô, rerum tot tentamenta, labore Concipit, & morbo sapientum occurrit auito, Non sensit repsisse suum. Sic dulce sciendi Tormentum, & studij subit insidiosa voluptas. Scilicet ingenii sub mole minora fatiscvnt Corpora, vt inclusus vaginæ tegmina mucro Exedit, hopitij & violat jura improbus hospes ; Hìnc Petro properata dies. Sed fare ; sinister (Sìc tacitum, tandèm mihi redditus, hortor amicum) Fare satin’ certâ manauit origine, rumor ? Ille indignanti similis : Quid perdere inanes Pergis, ait, quæstus, falsoque præire dolori ? Quem præmaturo raptum modò funere ploras. Viuit adhuc, Bona verba precor, languore soluto DI meliora dabunt. Equidem spiramina Pulmo Liberiora negat, tenuique calentia febri Corda, vaporatum commôrunt sanguine pectus. Sed rogo (si Superis curæ terrena) timori Quis locus ? An rerum mitissimus ille, cruento (Et Phœbus videat) potis est occumbere fato ? Quid quòd plena Deo, & castis dudum hospita Musis Pectora, queis totâ Charitum immigrante choreâ, Ipsa suas (superatque locus) sapientia sedes Intulit, exiguus pulmone refusus aneho Obruet arcta cruor ? Sed Climacterica terrent
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GASSENDI avait fait le vœu de connaître les visages De la Nature, et les nombres et les poids de l’esprit du Créateur1 ; Et tandis qu’il conçoit d’un labeur avide tant d’expérimentations sur les choses Et qu’il marche contre la maladie ancestrale des sages2, Il n’a pas senti que la sienne rampait en lui. Ainsi agissent le doux tourment De savoir et la volupté perfide de l’étude. Mais les corps se fatiguent sous la masse d’une intelligence plus grande Qu’eux, de même que la pointe de l’épée ronge les enveloppes du fourreau Dans lequel elle est enfermée et que l’hôte malhonnête viole les droits de l’hospitalité ; C’est ainsi que le jour pour Pierre s’est approché. Mais dis, sinistre (C’est par ces mots qu’enfin revenu à moi j’exhorte l’ami qui se tait), Dis-moi si la rumeur sourd d’une origine assez certaine ? Lui, proche de l’indignation : pourquoi, dit-il, continues-tu de te perdre En vaines plaintes et d’anticiper une fausse douleur ? Tu pleures d’une manière prématurée et un homme et son rapt par la mort. Il vit encore, je prie que ce soit de bon augure – et une fois sa langueur dissoute, Les Dieux lui donneront des choses meilleures. Et certes son poumon refuse De respirer plus librement, et son cœur chauffé d’une fièvre ténue Envoie du sang dans sa poitrine remplie de vapeurs ? Mais, je te demande (si les Dieux d’en haut se soucient des choses terrestres), la terreur A-t-elle là sa place ? Cet homme, la plus douce des choses, peut-il succomber À un destin cruel (et que Phébus3 le souffre) ? Et sa poitrine pleine du Dieu et hôtesse depuis longtemps des chastes Muses En laquelle, après que tout le chœur des Charites s’y est introduit, La sagesse elle-même a installé sa demeure (et le lieu est élevé), Toute écrasée, est étouffée par le sang faible que répand le poumon essoufflé ? Mais les années climactériques4 te terrifieraient 1
C’est-à-dire connaître l’esprit (les intentions) du Créateur dans tous ses détails. Peut-être la scolastique aristotélicienne, peut-être la rejet de l’observation directe de la part des sages, trop tournés vers les livres. 3 Apollon. 4 Dans le corpus de médecine astrologique de l’Antiquité on désignait par le terme de climactérique indifféremment les heures, les jours, les mois ou les années considérés comme 2
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Te quoque ? Septenos noviès nempe attigit orbes, (Tempora præsago nimiùm funesta Platoni ;) Hæc potuit timuisse Platon. Dum pergimus ambo, Quà licet, incertum dictis mulcere dolorem. Ecce Parisino spectacula dira theatro ; Depositis jacet heu lectis lacrymabile pondus : Nulla quies oculis, fartum quatit arida pectus Tussis, & ora licèt deformet lutida pallor, Ardentes rubuere genæ : vox blanda recessit Faucibus, & gracilis successit gutture raucor, Luctantisque animæ, suspiriaque ægra trahentis Flebilis erumpit stridor ; sic sanguine Pulmo Æstuat, & nigro manant vitalia tabo. Qualis ubi affusus lychnis fumantibus humor Exuperat, crassoque bibvnt ellychnia succos ; Fit crepitus, pinguique natans luctatur oliuo Fomes, & extingunt tenues sua pabula flammas : Sic grauis exundat per torrida viscera pestis,
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Toi aussi1 ? Il a atteint le cercle de neuf fois sept2 (âge trop funeste au prophétique Platon) ; Platon a pu l’avoir redouté3. Tandis que nous continuons tous deux à converser, Pour apaiser autant que possible une douleur incertaine, Voici qu’un spectacle funeste se fait jour sur la scène parisienne ; Un poids lamentable gît hélas sur un lit déposé à terre4 : Ses yeux ne connaissent aucun repos, une toux sèche frappe sa poitrine Chargée, et quoique une pâleur déforme son visage livide, Ses joues ardentes sont rouges : sa voix caressante s’est retirée Dans son gosier, et une raucité maigre a envahi sa gorge, Et de son âme qui lutte et pousse des soupirs malades Jaillit un cri aigu plein de larmes ; ainsi le poumon bouillonne-t-il De sang ; et les parties vitales dégouttent de pus noir. Tel le craquement qui se produit quand une humeur Répandue par les lampes fumantes déborde, que les lumignons boivent les denses sucs, Que, nageant dans l’huile d’olive grasse, les brindilles, Luttent et que les fourrages éteignent les flammes malingres ; De même, la peste grave coule en masse dans les viscères secs Et obstrue les voies vitales et fait obstacle aux feux. spécialement dangereux pour la vie des hommes. Normalement ils étaient des multiples de sept ou de neuf ; ainsi 7 x 9 était particulièrement périlleux. La doctrine des climactériques, qui est fondée sur l’idée que le corps de l’homme change de caractère tous les sept ans, était toujours solidement implantée au XVIIe siècle, au point que même Gassendi utilise le terme, dans une lettre à Valois du 22 septembre 1645, pour déplorer la mort de « l’illustre Grotius : à son retour de Suède, il a succombé à la fièvre juste au cours de son année climactérique ». La soixante troisième année passait pour être « la grande climactérique ». Selon Furetière (s.v. Climactérique) : « Année dangereuse à passer et où on est en danger de mort, au dire des Astrologues. Suétone dit qu’Auguste félicita son neveu de ce qu’il avait passé la 63e année qu’on tient climactérique. Le fondement de cette opinion est dans Marsile Ficin, qui assigne une année à chaque planète, pour dominer sur le corps de l’homme chacune son tour ; et comme Saturne est la plus maléfique de toutes, il tient chaque révolution dangereuse, et surtout les 49, 56 et 63 années où on est déjà avancé sur l’âge ». 1 Question fortement ironique étant donné le rationalisme de Gassendi et de son cercle. 2 Gassendi étant dans sa 63e année en 1654. 3 C’est pendant sa 63e année que Platon (429-347) retourna à Syracuse où son séjour devait rapidement devenir désagréable, même dangereux. 4 Ou bien « dans un état désespéré ».
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Vitalésque vias præcludit, & ignibus obstat. Téne ego, grande decus literarum, orbisque periti Dulcis amor, te spes hominum, te cura Deorum Indignâ aspicio tantum non morte sepultum ? Et segnes Tymbræ moras, & Delphica proles Nectitis ! Hùc plenis, hùc munera fundite dextris ; Mella Cecrops, pullæque Ægypte ecligma medullæ, Manna pius Calaber : Natura laborat in uno Pectore, diluuio jam suffocanda cruento. Circunstant lecto intereà, certantque medentûm Turba sagax, auidi tantæ incubuisse saluti, Spémque metumque inter dubij : Cùm clarus ab arte Phœbæâ, (sanctæ forte hîc faciebat Hygéæ) Extremâ exclamat subitò PATINUS ab aulâ, Macti animis ! Et sunt (mihi credite) Numina cælo ; Audimur socii ; risit mihì dexter Apollo, Et subiens auras hæc verba novissima dixit : INVIDIÆ EST DANDVS SANGVIS ; quod pectora vincat Omnia solerti GASSENDUS pectore, Liuor Vrit edax, pestis primùm hæc vitalibus hæsit Frigida, sed rabido post paulò accensa furore Excitat in venis incendia ; sensit Alumni Penè sibi incautæ repsisse oblivia virtus,
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Et toi, ô grande gloire des lettres et du monde instruit, Doux amour, espoir des hommes, souci des dieux, Ne vois-je pas que tu n’es pas enseveli dans une mort indigne ? Et vous indolents Thymbréens1 et toi race delphique2 Vous enchaînez les retards ! répandez ici des cadeaux à mains pleines ; Cécrops du miel3, Égypte un écligme de moelle brune4, Pieux Calabrais du grain : la nature est en peine dans une seule Poitrine et risque d’être suffoquée sous un déluge sanguin5. Entre-temps le lit est entouré de la troupe sagace Des médecins, qui combattent, impatients de se consacrer à un tel salut, Et hésitant entre espoir et crainte : quand, illustre par l’art De Phébus (il intervenait ici peut-être fort de celui de la sainte Hygie) PATIN s’exclame soudain du fond de la cour, Haut les cœurs ! Et (croyez-moi) il y a au ciel des divinités ; Nous, ses amis, sommes entendus ; Apollon propice m’a souri, Et sous la forme d’une brise, il me dit ces paroles toute nouvelles : IL FAUT DONNER DU SANG À L’ENVIE ; c’est parce que GASSENDI vainc Tous les esprits de son esprit habile que la jalousie Vorace brûle. Cette peste froide s’arrête d’abord dans ses voies vitales ; Mais peu après avoir allumé l’incendie dans sa fureur et sa rage, Elle se déchaîne dans ses veines ; la vertu, Imprévoyante, oublieuse de son disciple, Se laisse submerger par elle. Et pour que le monstre implacable du Styx quitte la place6, 1
Disciples d’Apollon. Les prêtres d’Apollon à Delphes. 3 Dans la mythologie, Cécrops était le premier roi d’Athènes et un bienfaiteur de l’humanité. 4 Le terme, translittéré du grec, est pédant. Il n’est pas lexicalisé par Furetière. « Terme de pharmacie. Nom donné autrefois à des médicaments dont on enduisait des bâtons de réglisse pour qu’ils fussent sucés lentement ». Littré ii 1284. 5 Périphrase désignant la pléthore et, par là, allusion à la saignée, remède choisi par Patin pour soulager Gassendi, qui ne semble pas avoir été particulièrement pléthorique. L’auteur du poème est-il partisan de cette panacée ? En tout cas, la suite du poème montre qu’il lui attribue la guérison de Gassendi. 6 Le Styx, rivière d’Arcadie, tributaire du Craths, était considéré comme la principale rivière des Enfers, désigne couramment la mort. 2
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Utque loco cedat Stygis implacabile monstrum, INVIDIÆ EST DANDVS SANGVIS, sic Numina poscvnt. Vix bene desierat PATINUS, Apollinis arma Expedivnt moniti, paterisque capacibus instant Liuentem penitùs venis haurire cruorem. Tùm lapsæ redeunt vires, vigor ore reuixit Pristinus, adspirantque iterùm vitalibus auræ Follibus. O superi ! quot pectora respirare Vnus dat vacuo liber spiramine pulmo. Ite animis alacres, quibus est Sapientia cordi Tuque age votiuos, Provincia clara, triumphos : Plùs quàm Thessalicis dura excantauimus astra Carminibus ; ventura patent cui fata, MORINVS Conciliatus adest. At tu cui munere Diuûm Lux data, Nestorei sic lasses stamina fusi ;
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IL FAUT DONNER DU SANG À L’ENVIE, voilà ce que les dieux demandent. À peine PATIN avait-il fini de parler que les armes d’Apollon ainsi encouragé1 Se mettent à l’œuvre et mettent de l’insistance à vider complètement des veines Le sang jaloux dans des patères de bonne contenance. Alors les forces tombées reviennent, sur son visage revit son ancienne Vigueur, et les brises respirent à nouveau dans ses vitaux Poumons. Ô Dieux d’en haut ! à combien de poitrines un seul poumon libre Dans une narine vide permet de respirer ! Allez, d’un cœur allègre, vous à qui la Sagesse tient à cœur Et toi, claire Provence, fais des triomphes votifs : Plus que les Thessaliennes2, nous avons fléchi par nos vers incantatoires Les astres endurcis ; MORIN à qui les destins à venir se révèlent3 Est là, réconcilié4. Et toi5 à qui, par un présent des dieux, La lumière fut donnée, que ta vigueur revenue lasse les fils du fuseau nestoréen6 ; Mais qu’Atropos7 file pour toi un long temps sur nos années ; 1
Apollon est aussi dieu de la médecine, souvent sous son nom de Phébus (lumière et vie) ; c’est de lui que les médecins tiennent la science de retarder la mort. Il est le père d’Asklépios, qu’il a donné à instruire au centaure Chiron qui a appris la médecine d’Apollon lui-même. On distingue le père du fils en ce qu’Apollon a une action plutôt préventive, tandis qu’Asklépios est plus guérisseur. 2 Les Thessaliennes, et parmi elles avant tout Médée, passent pour être des sorcières dotées de pouvoirs sur les astres. Pour une critique des explications magiques des éclipses, voir la lettre de Gassendi à Gaffarel du 8 mars 1629 qui cite Médée. Selon Platon, Gorgias, 513a, Plutarque, 417a et Pline, xxx, 1, les Thessaliennes savent par sorcellerie faire descendre la lune. 3 Allusion à l’activité d’astrologue de Morin. 4 D’après une lettre de Guy Patin à Spon, le matin du 4 décembre 1654 Morin et Gassendi « ont juré amitié ensemble aujourd’hui avant midi ». Jestaz ii 1305. 5 Il s’adresse directement à Gassendi. 6 Dans l’Iliade (I.250 ff.), Nestor est présenté comme très âgé, ayant plus de deux générations (c’est-à-dire plus de soixante ans), mais Ovide (Met. 12. 187ff) lui donne deux cents ans. Gassendi a recours fréquemment à ce topos pour désigner le grand âge. Voir les Lettres latines, passim, surtout dans les lettres à Valois, pour des formules y faisant allusion (des années nestoréennes). 7 Des trois Parques, c’était Atropos qui tenait les ciseaux pour couper le fil de la vie. Gassendi commente les figures des trois Parques dans son livre sur la liberté, le destin, la divination (Syntagma philosophicum, dernier livre de l’Éthique). Voir Taussig VII.
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Sic tibi de nostris longùm neat Atropos annis ; Neu propera tibi sat noto succedere cœlo ; Viue diu terris, expectatumque serenus Sparge diem : nondum te pronus adorat Iberus ; Mille triumphato restant errore trophæa. Perge iterùm (nam quis non tanta ad nomina currat) Perge voluminibus tandem tua sensa daturis BARBERIUM ditare tuum. Sic spondet Apollo ; Olim tempus erit, cùm te schola docta magistrum Ambiat, atque altas tibi tota Lycæa secures Summitant, unisque Auctor laudêre cathedris, Inque tuas vulgò juret Sapientia leges. Dum nos accepti memores, plenique futuris Intereà, votis damnati, adstabimus aris Non sine Farre pio, & Viui libamine Vini. Finis.
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Et ne te hâte pas de te rendre au ciel que tu connais assez bien ; Vis longtemps sur nos terres et, serein, fais fuir Le jour attendu ; Ibère1 incliné ne t’adore pas encore ; Mille trophées te restent à conquérir, en triomphant de l’erreur. Continue encore (car qui ne courrait pas vers de tels titres ?) Continue enfin à enrichir ton BARBIER de volumes Qui exposeront tes pensées2. Voilà ce que me garantit Apollon ; Viendra un jour le temps où l’école savante des maîtres Te sollicitera et où tous les lycées poseront à tes pieds Les haches3 et où tu seras une autorité louée en chaire. Et où la sagesse jurera communément sur tes lois. Tandis que nous, nous rappelant ce que nous avons reçu et pleins des choses futures, Condamnés entre-temps à nous en tenir à nos vœux, nous resterons près des autels, Non sans gâteau sacré et sans libation du vin de la vie4. Fin.
Iberus pour Hiberus, c’est-à-dire l’Èbre en Espagne et, par extension, l’Espagne et ses habitants. Allusion difficile à interpréter : est-ce à dire que Gassendi n’est pas lu en Espagne ? Faut-il associer cette allusion à la « macédoine ibérique » du début du poème ? 2 Après avoir publié trois ouvrages en 1654, Gassendi est à cette date en train de préparer l’édition de ses Œuvres complètes par Barbier (Pintard I, 414). 3 Furetière, s.v. hache : « La marque des magistrats romains estoit un certain nombre de haches entourées de faisceaux de verges ». 4 Formulation de l’action de grâce qui, en évoquant la messe, fait basculer l’ensemble du poème dans la foi chrétienne et passer du soterion au Salut. 1
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Charles Dupérier Issu d’une famille ancienne, Dupérier est né à Aix-en-Provence le 31 janvier 1632 ; il est le neveu de François Dupérier dont l’ode de François Malherbe a fait passer le nom à la postérité (« Ta douleur, Dupérier, sera donc éternelle… »). Dupérier monte à Paris pour les besoins de sa carrière littéraire et il compose un bon nombre d’odes, sonnets, églogues et pièces semblables qu’il adresse aux notables pour les féliciter d’avoir reçu des gratifications du roi et de Mazarin. Il est couronné par l’Académie française en 1681 pour son églogue On voit toujours sa Majesté tranquil, quoique dans vn mouvement continuel et en 1683 pour Sur les grandes choses que la roi a faites pour la religion catholique. Il traduit plusieurs des odes de Jean de Santeul en français1, mais sa réputation reste surtout attachée à ses poésies latines, en particulier à sa Traduction latine de la fable des canards et du coq (1672). Dupérier écrit un éloge en vers latin pour la seconde édition de la traduction d’Horace par Marolles2. Il fut un proche de Ménage, de Bouhours, de Rapin et de Jean Commire (1625-1702). Scipion Dupérier, qui a présenté Gassendi à Luillier, était son cousin. Il décède à Paris le 28 mars 1692. Le Soteria qu’il compose pour Gassendi en 16543 est une pièce d’occasion dont il attend récompense : il vise en réalité le mécénat de Montmor dont les douleurs sont le vrai sujet du poème4. Un portrait de Montmor, gravé par N. Pitau en 1667 1
Il adresse à Habert de Montmor une pièce qui figure en tête des trois livres des Jeux poétiques de Pierre-Just Satel, Lusus Poetici Allegorici, sive Elegiæ Oblectandis, animis et modibus informandis accommodatæ, Paris, 1656. 2 « Dénombrement », 336. 3 Voir supra, 181-2. 4 Cf. Adrien Valois, Ad Henricum Ludovicum Habertum Mommorium Vir cl. Et ill. Libellorum suplicum magistrum. O te felicem, ter te, Gassende, beatum / Hospitio Illustris judicioque Viri ! / Quem sibi convivam sapiens adjunxit HABERTUS, / Extinctum patrio deposuit Tumulo. / Te quoque felicem, dignum te laudis HABERTE, / Per quem Doctrinæ tantus habetur honos. / Per te Gassendi, per eum tua gloria crescet : / Cujus, Haberte, tamen pars tua major erit. Valesiana, « Poemata » 83. « Que tu es heureux, trois fois heureux, Gassendi / Par l’hospitalité de l’homme illustre et le jugement qu’il porte sur toi ! / Toi que, dans sa sagesse, Habert s’est donné comme commensal. / Toi qu’il a déposé, une fois défunt, dans le tombeau de ses pères. / Et que tu es heureux toi aussi, Habert, et bien digne de louange / Puisque sa doctrine te doit l’honneur dans laquelle elle est tenue. / C’est par toi que grandira la gloire de Gassendi, et par lui la tienne : / Mais tu en auras cependant une part plus grande ».
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d’après le tableau de Philippe de Champaigne, comporte des vers latins de Dupérier1. Quant à la forme poétique, c’est une ode, composition lyrique d’origine grecque. C’est Pindare qui lui donne ses lettres de noblesse et en fixe la forme (strophe, antistrophe, épode). Peu apprécié des Romains, le genre de l’« ode » s’éclipse dans l’Europe médiévale pour ne réapparaître qu’au XVIe siècle. En France c’est Ronsard qui prétend être le premier à l’utiliser : j’« osai le premier des nostres enricher ma langue par ce nom d’ode »2. Au XVIIe siècle la forme pindarique de l’ode disparaît largement, comme ici, en faveur de poésies à strophes égales. Pour Thomas Sébillet3, l’ode est un chant lyrique, qu’il rapproche du cantique. Ce qui est surtout intéressant, c’est qu’il insiste sur le fait qu’une ode est le plus souvent mise en musique et chantée. Elle est accompagnée par prédilection du luth, mais pas exclusivement, et en tout cas « la matiere suit l’instrument » (p. 57). Il semble intéressant d’imaginer que les poèmes que nous lisons autour de Gassendi étaient peut-être destinés à être accompagnés de musique. Il manque à cette ode sa page de titre dans les deux exemplaires de la Bibliothèque nationale, dans ceux de la Bibliothèque Mazarine et dans celui de la Bibliothèque municipale de Grenoble. Le catalogue de la BN l’attribue à Du Périer. On peut expliquer l’absence de page de titre par l’hypothèse que Du Périer, à la suite de la mort de Gassendi et avant que son Soteria soit diffusé, a recyclé son texte, avec une courte addition, comme poème « in memoriam ». L’en-tête de la page 3 est le même que celui qu’utilise le libraire-éditeur Edmund Martin dans le Lessus mortualis de J.A. Portner dont les caractères typographiques sont également identiques. On peut donc raisonnablement attribuer l’édition de cette œuvre à Martin4.
1
Exemplaire à la BnF, département des estampes. Il est reproduit par Fauveau. Dans l’Épître au Lecteur de la deuxième édition des Odes (1550). 3 Thomas Sébillet, Art poetique françois. Pour l’instruction dés jeunes studieus, & encor peu avancéz en la pöesie françoise (1545). Et plus généralement Dubois. 4 Edmond Martin II (17 février 1618 – 12 mars 1670), libraire-juré et imprimeur, fils de Edmond Martin I de la même profession, et de Michelle Eschard. Edmonde II est reçu libraire-juré le 8 octobre 1642, est adjoint de la corporation en 1649 et syndic en 1663. En 1667 il est mentionné comme l’un des cinq imprimeurs en exercice à Paris sachant le grec et le latin. Son imprimerie se trouve « rue Saint-Jacques au Soleil d’or ». Renouard, 306. 2
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AD NOBILISSIMVM ET CLARISSIMVM VIRVM D. HENRICVM LUDOVICVM HABERTVM MON-MORIVM LIBELLORVM SUPPLICVM MAGISTRVM, ruri agentem, DE GRAVISSIMO PETRI GASSENDI MORBO ODE. NVNC ô dolenti MON-MORIO bonæ Addeste Musæ, carminis ô Pater Tymbræe, jucundumque lætas Carmen ama resonare sylvas. Auditis ? an vos macerat & dolor, Ex quo malignæ vis febris aridas Immanè GASSENDI medullis Implicuit, furiatque flammas ? O quæ per omnem jam videor mihi Audire lamenta Aoniam ! quibus Colles resultantes querelis Vraniæ lachrymosioris, Quam cerno ! sævis unguibus aureos Vellit capillos, dilacera genas, Pectusque ter tundit decorum, Ter vacuis ululavit agris. Pomona, vosque ô vos Dryadum manus, Vos & sacrorum Numina montium, Faunique, Sylvanique notis Cingite MON-MORIUM choreis.
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ODE SUR LA TRÈS GRAVE MALADIE DE GASSENDI AU TRÈS NOBLE ET TRÈS CÉLÈBRE D. HENRI LOUIS HABERT DE MONTMOR, MAÎTRE DES REQUÊTES, alors à la campagne. À présent bonnes Muses, assistez MONTMOR qui souffre, ô toi père des vers Thymbréens1 ; qu’il te plaise de faire résonner les forêts joyeuses D’un vers agréable. Vous entendez ? Est-ce que la douleur vous consume Depuis que la force d’une fièvre maligne cruellement A semé ses flammes arides dans les moelles de Gassendi Et les déchaîne ? Ô quelles lamentations je crois entendre Dans toute l’Aonie ! Quelles plaintes Les montagnes répercutent, D’Uranie plus en larmes. Je la vois ! elle arrache ses cheveux d’or De ses ongles sauvages, elle déchire ses joues Et frappe trois fois sa belle poitrine, Trois fois elle a hurlé dans les champs vides2. Pomone3, et vous, troupes de Dryades4 Et vous divinités des montagnes sacrées Faunes et Sylvains5, entourez MONTMOR De vos rondes bien connues. 1
Apollon à qui un temple est dédié dans cette ville de Troade. La description physique de la douleur de la déesse peut évoquer les vers de Catulle ou, plus récemment, ceux que Ronsard a consacrés à la « larmeuse déesse », Élégie elle-même, personnifiée dans le poème funèbre qu’il écrit en l’honneur d’Anthoine Chasteigner, à sa mort en 1553. Voir l’introduction aux poèmes in memoriam. 3 Nymphe étrusque, chargée de veiller sur les fleurs et les fruits. 4 Nymphes des chênes. 5 Faunes et Sylvains étaient des dieux des forêts, les premiers des forêts profondes, les seconds des vergers et des bois. Ils sont associés à Pan et, à partir du Ve siècle av. J.-C., à la danse des nymphes. 2
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Blandæ volucres aëra cantibus Mulcete blandis. Vana precor : Deæ, Favnique, pennatique cives MON-MORII gemuêre luctu. HENRICE quo te (Diis etiam tuo Dolore mæstis, Pieridum & choro) Solabor affatu ? sed illas Exere nunc animose vires, Queis fata supra sub pedibus vides Acerba sortis : Te gravioribus Fortuna tentavit ruinis, Nec solidâ quatit illà sede. Has prome vires. Stamina legerint Extrema Parcæ, clauserit & manus Amica jam in summâ natantes Morte oculos : meliore vivet Seros in annos parte superstite GASSENDVS : atri funeris hæc manet Secura, nec tantus Sabæis Messibus halat odor, fragranti Quantus favillâ : qua caput aureum Sol condit vndis, qua jubar exerit, Dicentur immensi labores Sidereos speculantis axes.
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Oiseaux caressants, frappez les airs De vos chants caressants. Je prie en vain : les déesses, Les faunes et les citoyens ailés Ont gémi sur le deuil de Montmor. HENRI, par quelle parole (alors que les dieux eux aussi Sont affligés de ta douleur, comme le chœur des Piérides1) Te consolerai-je ? Mais maintenant, courage, Déploie ces habiletés Par lesquelles tu mets les décrets amers du destin Sous tes pieds ; La Fortune t’a éprouvé Par des catastrophes plus rudes, Sans te chasser de ton siège solide. Produis ces habiletés. Les Parques auraient enroulé Les derniers fils, et une main amie aurait fermé Les yeux nageant déjà Dans la mort suprême : par sa meilleure partie Survivante vivra jusqu’à la fin des temps GASSENDI : ce qui relève des noires funérailles reste Ici tranquille, et les moissons sabéennes2 N’exhalent pas autant d’odeur que la senteur De la cendre : là où le soleil cache Sa tête d’or dans les ondes, là où il élève sa chevelure, Seront proclamés les immenses travaux De celui qui surveille la voûte étoilée.
1
Autre nom des Muses, selon leur lieu de séjour, la Piérie, en Macédoine. De l’Arabie heureuse, connue pour sa fertilité. Le terme renvoie à la fois à la tradition païenne (Horace) et à la tradition biblique (la reine de Saba). 2
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Hunc & Sorores & Proceres colent : CHRISTINA chari Vatis imaginem Servare gaudebit : quid ævo Conquereris memori ? loquetur Sæclis amores sera dies tuos : Quàm læta Vati feceris otia Hospes benignus : quas sacraris Manibus inferias verendis.
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Les Sœurs et les Grands Anciens lui rendront un culte : CHRISTINE se réjouira de conserver Le portrait de son cher devin1 : que te plains-tu De cette époque qui garde son souvenir ? Le jour tardif Dira aux siècles tes amours : Combien tu as offert au devin des loisirs heureux, Hôte généreux : les sacrifices que tu as offerts Aux mânes qui doivent être vénérés.
1 La mention de Christine peut paraître étrange ici ; elle s’explique cependant aisément par le fait que Christine a écrit, de sa propre main (ce qui était rare et que Gassendi souligne dans la réponse qu’il lui fait), une lettre à Gassendi, et cela à peine un an avant la composition du poème. C’est un argument de plus en faveur de l’idée que ce poème n’est pas in memoriam, mais relève bien des soteria. En tout cas, Dupérier ne pouvait pas manquer de signaler l’insigne honneur qui distingue Gassendi ainsi gratifié. Loret, le 23 novembre 1652, nous revèle l’impression que cette lettre a causée :
Plus loin il ajoute que
Je vis une lettre, lundy Ecrite à Monsieur Gaussendy [sic] Par cette reine qui posséde Le beau sceptre de la Süede ; Tous les mots en étoient charmans, Et, certes, jamais complimans De si belle et si rare etofe [sic] N’avoient loüé philosophe.
… l’on fit un cas merveilleux De cet écrit miraculeux. Pour sa part, Jean Chapelain signale la lettre à Nicolas Heinsius le 29 novembre 1652 : « Il m’a passé par les mains une lettre de la Reyne à Monsr Gassendi ». Le 17 janvier 1653 il ajoute « Sa Mté a escrit une belle lettre Françoise a Mr. Gassendi l’Aristote de ce temps si belle, si enflammée et je dis si sousmise qu’il y a apparence que sa principale estude sera desormais celle de ce grand Personnage… ». Bray 188.
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II – Les écrits In memoriam « Les Français ont eu de tout temps je ne sais quoy de plus excellent et naïf en fait d’Epitaphe que les autres nations », écrit François Garasse dans les Recherches des Recherches1. De fait, comme il était d’usage, dans les cercles humanistes, de composer les Soteria, il était tout aussi courant de constituer un recueil d’éloges funèbres à l’occasion de la mort d’un grand personnage. Peiresc est ainsi gratifié2, Pierre Dupuy également3 ou encore Naudé4. Avant d’écrire sur Gassendi, Balthazar de Vias compose une poésie funèbre à la louange de Schickard, comme il fait aussi Gassendi5. À la fin de la Vie de Copernic6, Gassendi cite un certain nombre de poèmes de circonstances, destinés à assurer la gloire posthume de l’astronome polonais. Plus tard l’autre grand « philosophe chrétien » du XVIIe siècle, Robert Boyle (1627-1691) sera honoré de la même manière7. Pour sa part, au milieu du siècle, en plus de la diversité très grande dont il fait preuve dans l’ensemble des poèmes du volume, Pierre Guillebaud consacre une partie de sa préface à l’évocation de l’histoire du genre et des thèmes utilisés8. Ces poèmes in memoriam constituent un genre à part entière dans la poésie de la renaissance et du début de l’âge classique. Qu’ils portent le nom François Garasse, Les Recherches des Recherches & autres œuvres de Me Estienne Pasquier, pour la defense de nos roys, contre les outrages, calomnies & autres impertinences dudit autheur (1622), p. 640. 2 Les « poèmes et épitaphes funèbres, les thrènes, les éloges, les panégyriques, qui furent énoncés dans diverses langues, tant en prose qu’en vers » sur Peiresc sont décrits par Gassendi à la fin de la Vita. Voir, dans la traduction de Lassalle avec Bresson, pp. 317-19. 3 Ces pièces en vers et en prose d’hommage funèbre, la plupart en latin, écrites par les habitués du cabinet Dupuy, accompagnent la Vita Petri Puteani de Nicolas Rigault. 4 V. Cl. Gabrielis Naudæi Tumulus, complectens elogia, epitaphia, carmina tum latina tum gallica variorium Cl. Virorum…Huic accessit catalogus omnium operum ejusdem Naudæi… Cura et labore R.P. Lud. Jacob Cabilonensis collectus (1659). La lettre de Gassendi à Neuré d’octobre 1653 est du reste reprise dans ce volume. 5 À titre de comparaison nous présentons ce poème en annexe. 6 Vie de Copernic, traduction, introduction et notes par M. Thirion. Thèse de doctorat de troisième cycle, 1973. (NB : il faut éviter Vie de Tycho Brahé, Copernic, Peurbach et Regiomontanus, traduit du latin par J. Peyroux, diffusé par la librairie A. Blanchard (Paris, 1996) dont la traduction est plus que aléatoire). 7 John F. Fulton, A Bibliography of the Honorable Robert Boyle Fellow of the Royal Society, 2e édition, Oxford 1961, 172-74 énumère huit célébrations (numéros 304-311). 8 Hortus epitaphorum selectorum, ou Jardin d’épitaphes choisies, où se voient les fleurs de plusieurs vers funèbres… tirés des plus fleurissantes villes de l’Europe, 2 parties, Paris 1647-48. 1
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de célébration, d’éloge funèbre, d’élégie, de tombeau, d’épitaphe ou d’épicède1, ils manifestent une double caractéristique : ils sont présentés comme repris de l’Antiquité et ils entretiennent un lien très étroit avec l’architecture puisque, tout en concevant des objets absolument littéraires, parfois destinés à la publication, leurs auteurs maintiennent la fiction qu’ils les ont imaginés pour qu’ils figurent sur la stèle même du grand homme qu’ils célèbrent2. Ainsi, comme dans les épitaphes réelles3, les poètes se situent-ils dans un temps imaginaire qui entremêle des détails biographiques et une sorte d’atemporalité de la poésie, ici de la réalité cosmologique et du destin du chrétien. Le ci-gît est la formule caractéristique, presque la clef de la nature de présent éternel qui marque ces compositions4. Pour autant il est difficile de définir la forme poétique qui serait définitivement, ou même exclusivement, attachée à ces poèmes. Au contraire la diversité est de rigueur. Dans l’Antiquité, l’épitaphe était considérée comme relevant de l’épigramme ; mais la distinction avec l’élégie n’était pas tranchée, puisqu’une épitaphe était le plus souvent écrite en vers élégiaques. La poésie néolatine ne conserve pas dans toute leur finesse les distinctions liées à la métrique. Le terme d’élégie en vient à caractériser les sentiments du poète, en pleurs, plus qu’il ne concerne le défunt. Les théoriciens de la Renaissance jusqu’à Scaliger ont beau dresser des listes des différents vers funéraires (epitaphium, epicedium, monodia, inferiæ, parentalia, threni, naeniæ), ils connaissent les limites des définitions formelles, qui deviennent surtout théoriques, abstraites voire vaines dès lors que le passé n’a pas transmis suffisamment de textes qui permettraient de les illustrer. C’est ainsi que les épitaphes modernes se rapprochent puis dépassent, en nombre de vers, les élégies. Ce faisant, elles 1 Michel Simonin souligne que le genre de l’épitaphe n’a pas été théorisé, si ce n’est par Thomas Correa dont il traduit un passage du « De toto eo poematis genere quod epigramma vulgo dicitur et de iis quæ ad illud pertinet libellus », que nous ne pouvons pas citer ici, mais qui rend parfaitement compte de la forme et des thèmes de nos poèmes. 2 Voir Moncond’huy ; Dugast et Touret. 3 Pour les stèles de Gassendi voir les figures 3 et 4. 4 Voir Ariès, 96 « L’épitaphe n’est plus une notice biographique proclamant le mérite et la piété du défunt. Elle devient le monument réputé impérissable qui assure la publicité – et par conséquent la durée – d’un marché conclu entre les possesseurs d’ici-bas et les représentants de l’au-delà. Les échanges (biens contre services religieux) prévus par testament font l’objet d’un contrat devant notaire, et l’épitaphe du tombeau transcrit le nom du notaire et décrit minutieusement les legs et donations, les services obtenus en échange à l’église, et les conditions qui assurent la pérennité de l’opération ».
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s’éloignent du genre sous lequel on devait les ranger, à savoir l’épigramme, qui au contraire se distingue par sa brièveté. L’épitaphe revient à sa définition première d’un poème écrit sur une tombe, qui concerne la mort, et dont la longueur peut varier considérablement. Quant aux thèmes, à la tonalité des vers et à leur forme métrique, le moins possible en est dit : la souplesse voire l’instabilité est de règle, qui du reste garantit au genre sa pérennité1. L’épitaphe littéraire présente ainsi bien des similitudes avec l’épitaphe gravée sur le tombeau réel qui combine souvent divers éléments de texte et d’image : inscription plus ou moins longue, effigie, voire véritable portrait. Le tombeau littéraire, généralement collectif, présente une forme qui renvoie à son origine architecturale : non seulement les poèmes sont mis en page de façon recherchée, mais les textes qui les constituent sont le plus souvent classés dans un ordre qui n’est pas laissé au hasard. Il s’agit de dresser une statue de vers, et la richesse de la personnalité du défunt se lit d’une part dans la variété des formes littéraires convoquées, et d’autre part dans la quantité de textes rassemblés. La nature et l’ampleur du corpus à la mémoire de chaque défunt témoignent de son rang social, de son influence politique ou de son autorité dans la République des lettres. Aussi l’hétérogénéité en est-elle une caractéristique majeure, à la fois dans la forme (sonnets, épigrammes…), dans la langue (latin ou langue vernaculaire), dans la longueur des textes, dans la coexistence de la prose et des vers, et cette diversité voulue est un signe de richesse plus que d’inaccomplissement, comme la preuve de la fécondité y compris posthume de l’homme qui est célébré. Quand l’épitaphe littéraire est intégrée à un texte relevant d’un autre genre (ici ce sont des lettres), le rapport avec la réalité d’une pierre tombale est encore plus manifeste, comme l’inscription double l’effigie. Le thème de la déploration funèbre présente en réalité peu de possibilités et varie ad nauseam les motifs de la plainte, de l’éloge ou de la consolation, avec les amplifications nécessaires pour augmenter la brûlure du regret et le dictame de la poésie. L’enjeu, pour les poètes, est de faire sentir leur tristesse réelle, et ils recourent à cette fin à deux moyens privilégiés : soit ils rappellent des souvenirs du vivant, soit ils utilisent des images. Dans le cas présent, la vie même de Gassendi et sa double activité d’astronome et d’homme d’Église, sont pour ainsi dire du pain bénit : le thème des Muses, qui scande toute élégie dans la mesure où le poète doit les invoquer pour pouvoir Julius Caesar Scaliger, Poetices Libri septem (Lyon, 1561), 111, cxxii.
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sortir de l’aphasie de sa douleur et qui se conclut en général sur la figure d’Uranie se déploiera ici tout naturellement, s’agissant d’un astronome, et permettra même une petite originalité avec l’invocation liminaire d’Uranie et une sorte de réalisme vu qu’il est traditionnel de donner à un astre le nom d’un astronome et que les poètes peuvent facilement imaginer que cela sera le cas, tôt ou tard, pour Gassendi1. Dès l’Antiquité, les Muses ne sont pas réservées aux poètes, mais peuvent aussi inspirer les philosophes, la philosophie étant dans ce cas considérée comme une forme de dévotion religieuse : Platon avait consacré l’Académie aux Muses2… Dans la continuité de cette dimension spirituelle, le sacerdoce de Gassendi, catholique et apostolique cette fois-ci, permet d’évoquer sa présence aux cieux et son illumination spirituelle, en même temps que sa déambulation au milieu des astres. Au-delà de l’hyperbole poétique et des formules d’usage, rien n’exclut de prendre au sérieux la fonction3, théorisée, de ces poèmes funèbres, qui assurent le commerce entre le ciel et la terre, en ce qu’ils déploient, derrière les compliments conventionnels, une invitation morale et religieuse à l’adresse de leur destinataire, que ce soit Montmor ou bien un passant anonyme. Le défunt devient un exemple, et sa célébration inspire à la fois étude, méditation, considération et contemplation. Le memento mori se double d’une description de la nature de la vertu et d’une évocation des vérités spirituelles. Le catastérisme, ou trans1
Van Langren, dans la carte lunaire qu’il publie en 1645, est le premier à avoir l’idée de donner, dans une sélénographie, des noms aux montagnes et autres particularités de la face visible de la lune : il choisit des noms célèbres dans la politique et dans les mathématiques, dont Gassendi. Quant à Van de Putte, il prétend immortaliser sa propre famille. Furetière donne plusieurs noms des reliefs de la lune, Aristarque, Mons porphyrites, le bord de Platon ou Lacus niger, Copernic ou Etna, Posidonius, Hygin, Mersenne, Tycho ou Sinaï, Gassendi, Dante, ou Athos et Appeninus et renvoie à la Sélénographie d’Hévélius. Les astronomes modernes ont rejeté la nomenclature trop politique de Van Langren et celle d’Hévélius (qui reprenait le relief de la terre), pour celle de Riccioli augmentée par Schröter, Mädler, Beer et Neison, qui désigne les reliefs avec des termes évoquant l’influence supposée de la lune sur la terre (sérénité, fécondité, etc.), tandis que les cirques portent les noms des astronomes. Ainsi Gassendi a-t-il de fait sa place sur la Lune. Pour une brève histoire de la nomenclature lunaire et la liste des noms actuellement employés, voir Evershed. 2 Voir la discussion de Carlos Lévy, renvoyant à Diogène Laërce, sur la formule de Pierre Boyancé, « Les Muses sont les saintes de l’Académie », qu’il juge sans doute excessive, mais finalement appropriée. La présence des Muses dans l’enceinte de l’Académie a bien une signification religieuse : « Honorer les Muses, c’était rendre grâces pour un ordre du monde dans lequel la beauté et l’intelligence étaient chez elles » (Lévy, 1029). 3 Comme y invite également Milgate, xviii.
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formation de figures d’ici-bas (homme, objets, animaux, etc.) est la figure poétique et astronomique majeure de ces poèmes, qui est un topos de la littérature antique : c’est Aratus de Soles1 qui invente cette notion de catastérisme et inspire toute une tradition de poésie astronomique, dont fait partie Manilius. Il constitue sans doute le principal modèle du poème de Vias, sinon de tous les autres poètes, sans doute moins obscurs. Vias en tout cas semble imiter son obscurité, peut-être sa virtuosité poétique. En tout cas, l’un et l’autre négligent la clarté de l’expression dans l’explication de la cosmologie. On peut noter aussi chez Vias comme chez Aratus, l’importance de la dimension météorologique liée à la disposition du ciel et des astres. Ce genre du recueil funèbre qui connaît son plein épanouissement au XVIe siècle disparaît assez vite au cours du XVIIe où la célébration ou l’hommage rendu au défunt prennent d’autres formes. Il laisse place au tombeau musical, qui connaîtra un réel développement jusqu’au XVIIIe siècle. Preuve que le genre est en train de se défaire, outre le fait qu’ils n’ont finalement pas été publiés ensemble, les poèmes qui célèbrent Gassendi expriment quelquefois une douleur intime, loin du formalisme attendu qui donne normalement au tombeau son caractère officiel, et ils insistent sur une dimension plus personnelle : les souvenirs du poète, ses rencontres dans la vie réelle avec le philosophe, des détails biographiques. Comme dans les autres biographies de Gassendi, ces célébrations présentent une tension entre la volonté d’évoquer l’homme réel et l’intention de l’ériger en modèle. S’il est vrai que les textes sont, pour être fidèles à cette seconde vocation, souvent hyperboliques, dans la mesure où ils identifient des qualités de Gassendi sans vraiment l’individualiser, font l’éloge des vertus qui existent indépendamment de sa personne et permettent de voir en lui l’expression éventuellement parfaite d’une norme, ils tirent aussi prétexte de la profession d’astronome de Gassendi pour déployer une vaste érudition qui mêle astronomie, astrologie, symbole du ciel réel et du ciel symbolique, dans une surenchère de virtuosité poétique, et souvent une certaine obscurité. Ils regorgent aussi de notations plus personnelles, que le lecteur contemporain a tendance à rechercher de préférence aux autres qu’il juge stéréotypées. Les sensibilités ont assurément changé, mais cet ensemble de pièces met particulièrement en lumière cet âge baroque et ses contradic1 Aratus de Soles (c. 315 av. J.-C. – c. 291), élève d’Eudoxe de Cnide, auteur des Phénomènes, où il met en vers l’enseignement de son maître (à noter une édition et traduction par Grotius en 1600). C’est lui qui a fixé la plupart des noms des astres que nous utilisons encore aujourd’hui.
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tions – dont Gassendi est du reste le reflet par excellence. Les textes s’emploient à conjurer le spectre de la mort physique et à célébrer le retour du défunt en développant les images de l’immortalité chrétienne et poétique, mais également l’imaginaire astral, scientifique ou astrologique. L’éloge du défunt et le récit de sa trajectoire biographique sont utilisés pour rappeler les fondements moraux et religieux de son action ; la mention de son épicurisme s’orne de son sens de l’amitié et de sa vocation pastorale. Quant au fait que les célébrations n’aient pas été publiées, si elles ont jamais dû l’être, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas été rassemblées dans un Monument à la différence de celles de Peiresc, il ne faut pas nécessairement en conclure que Gassendi ait manqué de cet ami qu’avait été Bouchard pour Peiresc, qui fût susceptible de le faire. Au contraire, il a peut-être eu trop d’amis, dont l’excès d’attentions a eu un effet funeste, puisque son monument s’est retrouvé morcelé en trois parties. Pour son légataire, Montmor, et ses collaborateurs La Poterie, François Henry et Samuel Sorbière, le monument essentiel à ériger fut celui que Gassendi lui-même avait esquissé avant son décès – l’édition des Œuvres complètes. En revanche d’autres personnes, en particuler J. A. Portner, ont voulu éditer immédiatement leur contribution, qu’ils aient été inspirés soit par l’émotion que causait la mort de l’ami, soit par ambition. Pour ce faire ils ont trouvé un allié, voire un complice en la personne de l’éditeur-libraire Edmund Martin, qui fit paraître quatre de ces pièces obituaires dans les mois suivant le décès de Gassendi. Certains de ces amis un peu trop empressés pour être tout à fait honnêtes, notamment Quillet, ont même réussi à faire éditer leur contribution plusieurs fois1. En même temps l’éditeur Adriaan Vlacq à La Haye, en préparant une nouvelle édition de l’Institutio astronomica en 1656, croit bon d’ajouter plusieurs pièces écrites à la mémoire de Gassendi, en plus des deux (celle de Portner et de Quillet) déjà publiées par Martin. Plus tard, Pierre Gassendi neveu a recueilli ces neuf pièces publiées dans sa propre collection en mémoire de son oncle, en ajoutant une dizaine des pièces qui, composées à Digne par les amis et admirateurs locaux du prévôt, étaient restées à l’état de manuscrit. On ne peut savoir dans l’état de nos connaissances s’il a ou non songé à une publication. Mais, des vingt poèmes in memoriam que nous éditons ici, tous, sauf celui de Spon,
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Quillet édite son poème sur Gassendi à la fois chez Edmund Martin, à la fin de l’édition de 1656 de son Callipædia et dans l’Institutio astronomica de 1656.
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sont présents dans le dossier du neveu, deux d’entre eux (Quillet et Portner) s’y trouvant même dans deux éditions différentes. Ainsi trouvons-nous : dix poèmes manuscrits écrits par des amis de la région de Digne ; huit poèmes imprimés écrits par des amis de la République des Lettres ; le poème écrit par le journaliste parisien Loret. L’absence d’un unique et ample volume consacré à Gassendi dont la mémoire pâtira de cette déréliction éditoriale témoigne peut-être aussi de la décadence d’un genre, qui n’aura pas su trouver le bon équilibre entre l’exercice rhétorique et l’expression d’une douleur authentique. Les poèmes perdant ainsi leur lieu propre échouent à assurer l’office pour lesquels ils ont été écrits, à savoir célébrer un défunt, assurer son renom auprès de la postérité et lui garantir une forme d’immortalité complémentaire à celle que lui assurent l’Église et la communion des saints1. Loin de faire revenir Gassendi à la vie, ces tombeaux opèrent une sorte de seconde mort. Pour autant, exceptionnellement, l’emploi massif du latin pour nos différentes épitaphes ne renvoie pas à un passé révolu, mais à une pratique bien réelle, contemporaine, et appelée à se prolonger encore : les inscriptions sur les tombes et tombeaux sont durablement écrites en latin, pour suivre la tradition de l’Église mais également pour marquer le lien avec la mode de l’architecture antique. Pellisson regrette de la même façon que les Immortels aient échoué à perpétuer la mémoire de leurs membres défunts. Car, dans le sillage des initiatives « privées » de constitution de recueils d’éloges funèbres, la toute jeune Académie française dut se demander, le moment venu, comment elle pouvait rendre honneur à ses membres décédés, en l’absence de tout règlement prévoyant les dispositions à prendre dans pareil cas. « Quand M. Bardin laissa la première place vacante dans l’Académie, la Compagnie ordonna qu’il lui serait fait un service dans l’église des Billettes; qu’on composerait aussi pour lui un éloge succinct, et sans affectation de louanges, qui fût comme un abrégé de sa vie. Quelques jours après il fut ajouté qu’on lui ferait encore deux épitaphes, l’une en prose, l’autre en vers, et que les mêmes choses seraient observées en la mort de chaque Académicien. […] Mais c’est le génie des Français de faire de très bons règlements, et de les exécuter très mal. On n’a presque rien pratiqué de celui-là, que ce qui regarde le service ; tout le reste, 1
Noter le rapport avec l’épitaphe réelle mentionnée dans plusieurs textes, et avec le frontispice des Opera omnia.
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qui pouvait instruire la postérité, qui pouvait contribuer à la gloire tant des particuliers que du Corps, a été laissé en arrière, par une négligence blâmable et entièrement indigne de cette illustre Compagnie » 1. Il faut attendre 1659 pour qu’une oraison funèbre prononcée par un académicien s’ajoute au service religieux, mais ce modèle n’est repris que douze ans et dix-sept décès plus tard. De même que les divers épitaphes de Gassendi basculent vers la religion, de même, ainsi « relié ainsi aux immémoriaux rites judéo-chrétiens, détaché de toute visée profane ou païenne, l’éloge académique acquiert une plus grande légitimité mais perd du même coup tout caractère spécifique : il se confond avec l’oraison funèbre, le corps de l’Académie étant absorbé dans celui de 1’Église »2. Ainsi la coutume de prononcer ou d’écrire l’éloge des savants ou hommes de lettres tombent-elles en désuétude, et seuls les Grands, qu’ils soient de la noblesse ou du clergé, y ont droit3. Une parenthèse se referme, celle de l’harmonie entre la foi chrétienne et les célébrations païennes, ouverte par les obsèques de Ronsard, couronnées par l’oraison funèbre de Du Perron, dont les poèmes « In memoriam » de Gassendi sont encore le reflet, mais dont la non publication marque bien la rupture entre les deux traditions, qui ne fera que se confirmer aux siècle des Lumières, après un moment de reprise en main par l’Église pendant la seconde moitié du XVIIe siècle. Cela dit, l’histoire n’est pas linéaire, non plus que la mort d’un genre : la célébration de Naudé paraît, grâce à Louis Jacob, en 1659, quoique l’érudit fût mort en 1653. Il est très intéressant de s’y reporter, non seulement parce qu’on trouve un nouvel et court éloge de Gassendi, sous la plume de Petrus Parvus dans la liste des amis de Naudé (« et ce mesureur [de la hauteur] du pôle, cet arpenteur du ciel et du sable aux grains infinis, GASSENDI, se révèle, par son bâton d’astronome [ou bâton de Jacob ou arbalète], comme un nouvel Archimède »4), mais parce qu’il constitue un modèle du genre, à Pellisson, Histoire 1 : 161-62. Pour Pellisson historien voir Ranum ch. VIII. Schröder, p. 669. 3 La Bruyère s’en indigne : « Devrait-il suffire d’avoir été grand et puissant dans le monde pour être louable ou non, et, devant le saint autel et dans la chaire de la vérité, loué et célébré à ses funérailles ? N’y a-t-il point d’autre grandeur que celle qui vient de l’autorité et de la naissance ? » (La Bruyère, Caractères 452). 4 V. cl. Gabrielis Naudaei tumulus, complectens elogia, epitaphia, carmina tum latina tum gallica variorum cl. Virorum (Paris 1659), p. 43 : Quique poli mensor, numeroque carentis arenæ, / GASSENDUS radio se probat Archimedem. La comparaison de Gassendi avec Archimède est étonnante ; en réalité, le parallèle le plus fréquent rapproche Archimède des méca1 2
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ceci près que, sans doute à cause des activités de bibliophile et bibliothécaire de Naudé, l’ensemble est précédé d’une véritable préface en guise d’hommage de Cramoisy, l’éditeur. L’ensemble présente, outre quarante-six textes différents, en prose ou en vers, en latin et en français, avec des imitations d’inscriptions réelles très spectaculaire1, un catalogue exhaustif des œuvres de Naudé, à la fois comme auteur et comme éditeur. On trouve encore une liste des œuvres à lui dédiées et enfin un liste des hommes qui ont fait son éloge, en dehors des textes rassemblés dans le recueil. Nous donnons toutes ces précisions, car plusieurs renvois prouvent que l’éditeur du recueil d’hommages de Naudé avait entre les mains les Opera omnia de Gassendi (mais à quel stade de finition ?) et inversement un détail prouve qu’il y avait communication de l’éditeur des hommages de Naudé à celui des Opera omnia de Gassendi : en fait, l’hommage de Gassendi à son ami défunt est une lettre à Neuré, reproduite dans les Opera omnia mais en deux morceaux. Dans le fil du texte, l’éditeur (La Poterie) précise que la fin de la lettre manque ; mais la fin de la lettre se trouve en addenda, après les lettres reçues par Gassendi, et il faut donc en conclure que c’est Jacob qui a fourni à La Poterie la fin de la lettre qui lui manquait. La chronologie de ces échanges éditoriaux reste entièrement à faire. L’aboutissement du recueil en l’honneur de Naudé renouvelle les interrogations sur l’échec de celui en faveur de Gassendi. Les textes pour Naudé sont adressés soit à Jacob, l’éditeur de l’ensemble, soit à Mazarin, soit à Mentel, de même que ceux pour Gassendi s’adressent principalement à niciens (ainsi le Landgrave de Hesse, Guillaume IV, appelle-t-il Jost Bürgi, en 1584, « un deuxième Archimède »). La comparaison fait sens cependant ; car, comme a fait des mesures dans le ciel avec son dioptre, Gassendi en a fait aussi avec son arbalète. Notons que Gassendi fait l’éloge d’Archimède, quoiqu’il soit mathématicien, parce qu’il n’est pas resté enfermé dans sa discipline, abstraite, mais s’est occupé de lui trouver des applications utiles et de la transposer à la physique. Il dit qu’il est possible de transposer les suppositions mathématiques pour leur donner une utilité et pour leur donner un sens dans le domaine de la physique, et que « l’immense Archimède l’a fait plus que tout autre, quand il a transposé la géométrie à tant d’utilités et de fins utiles à la vie et à sa patrie » (Syntagma Philosophicum, Physique I, livre III, 265b). Dans une lettre à Luillier du 20 janvier 1633 Gassendi dit qu’il mesure les distances de Mercure ou Vénus avec certaines étoiles fixes, « me servant d’un fort bon rayon… qui a prés d’une toise de longueur ». Rochot 64. 1 Le poème de Gaffarel, p. 32, est particulièrement spectaculaire. Un autre présente, comme on le trouve chez Portner qui limite cependant cette typographie aux quatre vers censés être gravés sur le monument de Gassendi (voir infra p. 284), un texte entièrement écrit en capitales, les mots étant séparés par des points.
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Montmor. Faut-il imaginer que ce dernier a été négligent pour célébrer son ancien hôte ? Ou bien que le pouvoir politique de Mazarin, pour qui Naudé travaillait, a permis de terminer cet ensemble. Ou bien le nombre d’auteurs ayant apporté des textes aurait-il été, dans le cas de Gassendi, insuffisant ? Si ces pièces ne font pas échapper Gassendi à l’injure du temps1, elles auront sans doute été utiles aux auteurs qui sont, eux, bien vivants. Elles ont de fait à jouer leur rôle en tant que pratique sociale avérée : circulant à l’intérieur de la République des lettres, elles assurent la renommée de celui qui les écrit. Elles permettent de rappeler le lien réel qui unissait l’auteur à l’illustre défunt, ou bien de le renforcer sinon de l’inventer complètement alors qu’il n’est plus là pour le nier. Ainsi Gassendi fait-il avec Kepler, qu’il ne connaissait pas, et sa lettre de célébration funèbre est typique du genre dans la mesure où elle s’orne de figures mythologiques et de références poétiques inspirées de la profession du défunt, désigne ses œuvres et découvertes de façon à la fois cryptée et transparente, et pour finir se réclame de son amitié2. 1
Il suffit de considérer l’état dans lequel est son monument à Saint-Nicolas-des-Champs, c-à-dire, non-existant. 2 En dehors d’une lettre qu’il lui écrit. Quant à sa mort, il l’évoque dans une lettre à Schickard du 13 janvier 1631 : « Dieu immortel ! L’illustre soleil des lettrés, Kepler, est mort : désormais, les ténèbres éternelles retiennent son si illustre visage ! Oh ! s’il y avait un lieu pour les plaintes, nous aurions raison de demander à la nature pourquoi elle n’a pas donné à cet homme divin, sinon l’immortalité, du moins la vie des Hamadryades. La terre lui devait au moins des années aussi nombreuses qu’à Nestor, après avoir reçu de lui une âme et une vie éternelles. La lune a témoigné une plus tendre affection, voulant elle-même connaître la disparition, après que son soleil a été éteint ; elle a semblé essayer de voir si la même charité que jadis pour les Dioscures pouvait le racheter de la mort éternelle. Mais, parce que les destins l’ont voulu ainsi, qu’au moins son âme vive désormais heureuse au-dessus de l’éther vers lequel il a dressé d’immenses échelles tant qu’il menait sa vie de mortel. Elle s’est rendue digne de participer maintenant à des mystères plus secrets, digne d’être maintenant reçue et remplie par cette harmonie si grande et si douce ; c’était pour l’entendre qu’elle avait ouvert pour elle la voie avec tant d’efforts. En ce qui nous concerne, son trépas mérite d’être pleuré par toutes les Académies endeuillées qui doivent marquer ce jour d’une pierre noire, si ce n’est que ce grand homme qui survit par le meilleur de lui-même semble ordonner que personne ne célèbre ses funérailles dans les pleurs. Son nom a bien meilleur droit que l’autre de voler sur les bouches très doctes des hommes ; et la postérité, à moins d’être une ingrate, ne taira jamais ses louanges. Ce sera la stupeur chaque fois qu’on se penchera sur le travail d’Hercule et le talent incomparable de cet homme. Pourquoi pas ? Puisqu’on ne peut que s’étonner, sans la concevoir, de la supériorité de son génie sur les dons de tous les autres génies, et de son vol sans fin au-dessus des nuées, semblable à celui de l’aigle. Si cela ne le concerne pas lui, je ne vois pas à propos de quel homme on dit que Minerve lui a donné un jour tous ses arts et
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Par là on voit que Gassendi n’est pas étranger au style des célébrations qui sont offertes à sa mémoire. Il n’en faut du reste que ce qu’il écrit à Mersenne1 : « Il faut approuver l’initiative qu’un homme qui jouit d’une bonne réputation et n’inspire aucune défiance prend faire précéder d’un éloge les œuvres d’un auteur mort ; mais que faut-il penser, à ton avis, de ceux qui, de leur vivant même, s’occupent eux-mêmes de la publication et de la diffusion de leurs œuvres, mendient des louanges hyperboliques, ou du moins supportent qu’il y en ait d’inscrites presque sur leur front ? Ou bien pensent-ils qu’on ne l’imputera pas du tout à leur vanité ? que cette caution qu’ils ont quêtée ne diminuera pas l’estime de leurs œuvres ? qu’un lecteur tout nez ne sera pas convaincu que ces poètes, cygnes ou corbeaux2, ont lu ou compris ce qu’ils commentent, ou bien ne saura pas que sont tout aussi illustres des hommes qui ne revendiquent aucunement la gloriole que l’on tire d’une inscription de ce genre ? » Par là on voit que Gassendi marque une très forte distinction entre les louanges adressées aux vivants et les éloges des morts. Cette réflexion, enracinée dans la Bible3, confirme ce qui est dit par ailleurs sur le makaritès, c’est-à-dire l’homme que l’on peut dire bienheureux, voire sur les hésitations de Gassendi à publier ses propres textes, qu’il ne trouvait jamais finis. Il se pourrait que, psychologiquement, l’édition posthume de son grand ouvrage philosophique ne soit pas la trahison que l’on dit souvent, quoique de fait le texte adopté par l’édition de Lyon présente bien des corrections d’éditeur par rapport aux manuscrits. Ces élégies et pièces diverses qui pleurent la mort de Gassendi célèbrent son protecteur, Montmor, dont elles prétendent attirer l’attention, en félicitant en lui le mécène et en l’invitant à poursuivre son œuvre (à conforter que Jupiter l’a admis au conseil des dieux. Il nous reste un bonheur : même si nous sentons qu’il est impossible de réparer une telle perte, nous aurons vécu dans une certaine mesure à l’époque de cet homme plein de gloire : car j’ai eu quelque part, et toi une part très grande, à sa société. Tu me pardonneras si je remplis ma lettre de regrets pour cette tête si chère ; c’est que je ne peux pas m’empêcher de décharger mon cœur auprès de toi. Puissé-je assez apaiser les mânes pieux pour qu’il apprenne lui aussi à quel point son souvenir me sera éternellement doux ! » Lettres latines, i, 77. 1 Epistolica exercitatio, Chapitre XVIII. 2 L’association du cygne et du corbeau est empruntée à Ovide (Métamorphoses, II, 531 sqq. : « Sa langue le perdit, et son bavardage fit succéder à sa blancheur primitive la couleur opposée »), peut-être par l’intermédiaire de Ronsard qui l’utilise dans les Amours, I, 3 (« et deviendray un cygne au lieu d’un corbeau noir ». 3 Ecclésiaste 4, 2 : « J’ai plutôt loué les morts que les vivants ».
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l’académie). Ces compliments tendent alors à bénéficier de l’autorité du défunt en détournant le capital symbolique qu’il a accumulé et sont alors pour une bonne part intéressés, comme si chaque poète souhaitait obtenir le patronage de Montmor en attestant de sa virtuosité poétique, en dehors de sa compétence dans les sciences qui font l’objet des réunions de l’académie. Ainsi donc, dans une sorte de compétition des mémoires, Montmor peut avoir l’idée qu’à sa mort, il rassemblera encore plus de textes ; et certains poètes étaient si reconnus qu’ils étaient, dans certains cas, rémunérés. Dans le même ordre d’idées, renvoyant à la politique de Louis XIV, on peut souligner la vision parfois nationale qui vient habiter les textes et concurrence l’universalisme revendiqué : le chagrin de la ville natale de Gassendi est souvent évoqué ; mais c’est souvent pour laisser place à la France, en deuil de ce philosophe qui contribuait à sa grandeur. L’esprit de l’Académie des sciences, arbitre bien français de tous les savoirs du monde, est déjà en place. Ces écrits in memoriam peuvent porter différents noms, dont certains sont théorisés, pour la poésie française, par Thomas Sébillet4. On trouve5 : Élégie : la définition en est originellement métrique et ne se rapporte en rien aux sentiments du poète. Est élégiaque tout poème qui utilise des vers élégiaques, c’est-à-dire qui alternent des hexamètres et des pentamètres en distiques. Mais le genre qui sert au départ à exprimer des considérations morales, voire des positions politiques, évolue vers l’expression de sentiments intimes, dès l’Antiquité, et a fortiori avec la Renaissance. Ces sentiments, qui peuvent être originellement de joie, s’orientent de plus en plus vers la douleur et déclinent des peines liées à l’amour, douleurs de l’exil, angoisse du temps qui fuit, peur de la mort, etc. L’élégie est finalement une plainte et, en tant que telle, se trouve très fortement marquée par la subjectivité du poète. Dans la poésie de 4 Thomas Sébillet, Art poetique françois. Pour l’instruction dés jeunes studieus, & encor peu avancéz en la pöesie françoise (1545). Voir aussi, Gilles et plus généralement Dubois, passim. 5 Pour l’ode, dont nous n’avons pas ici d’exemple, voir l’introduction aux Soteria. Rappelons seulement que l’ode funèbre constitue une catégorie à part entière parmi les quatre espèces d’odes classiquement distinguées (ode sacrée, ode héroique, ode philosophique ou didactique, et ode anacréontique ou badine) et que, dans ce cas, elle emprunte parfois son nom à la poésie grecque : qrhnèdh, dont il n’existe pas de translittération en français, qui se contente du thrène et fait ainsi disparaître l’ode, mais que l’anglais a conservé (threnode ou threnody). Notons que la célèbre ode de François de Malherbe à Dupérier porte le titre de Consolation. Les textes ne présentent pas non plus d’exemple de Madrigal.
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la Renaissance, qui se construit comme un retour mélancolique vers les formes antiques, les allusions à la mythologie sont courantes, et la nature est omniprésente. Pour Sébillet, qui n’évoque cependant pas les élégies funèbres, c’est un poème « triste et flebile ». Le poème, qui s’adresse le plus souvent à un destinataire invoqué au fil du texte à la deuxième personne, sert le plus souvent sublimer la souffrance par la création et doit s’achever sur une promesse, une consolation, un espoir, dès lors que les Muses ont soutenu le poète et lui ont permis d’atteindre la beauté, qui transcende la dureté de ses malheurs. Telle est la forme adoptée par Spenser dans les Larmes des Muses qui peuvent servir de point de départ pour l’analyse des présents poèmes. Le poème commence par une invocation aux Muses invitées à partager le deuil ; puis des strophes sont consacrées au deuil de chaque Muse en particulier, chacune selon le rôle qui lui est dévolu traditionnellement dans les belles-lettres. Le passage du deuil à la joie, lui aussi traditionnel, se fait avec l’apparition de la dernière Muse, Uranie. Le poème de Spenser a connu une telle diffusion en son temps qu’il en est presque devenu un modèle et renouvelle le déroulement classique de l’élégie qui passe par les trois temps de la lamentation, de la consolation et du panégyrique. Ici les poètes qui composent le monument de Gassendi jouent avec ce code fondamental, dans la mesure où l’on pleure un astronome, ce qui autorise des variations très intéressantes, et notamment tout un jeu avec Apollon qui est à la fois le maître des Muses et, bien sûr, le soleil, ou encore avec un double jeu de références, entre l’immortalité promise aux païens, par leur inscription parmi les astres, et l’éternité promise aux chrétiens, qui se conjuguent pour achever les poèmes sur une note de joie. La personnification d’Uranie permet aux poètes de donner une voix féminine à leur chagrin et d’introduire une tonalité amoureuse dans le portrait de Gassendi et de renvoyer l’élégie à une autre de ses origines importantes, à savoir les Héroïdes d’Ovide1. L’élégie d’Henri de Valois comme celle de Portner épouse à merveille le déroulement propre à l’épitaphe. On passe d’une situation d’aphonie, d’immobilité, de rupture produite par l’événement funeste à un retour apaisé au temps dans son mouvement et dans son devenir. L’image du passé rétablit le lien avec le temps, arrêté par la douleur, sous la forme de l’exemplum, puisque Gassendi est offert comme un modèle à imiter pour les vivants. 1 Pour le rapport entre l’élégie et la voix féminine, voir van Orden qui établit le lien entre des genres musicaux et la lamentation ou complainte poétique. Pour la présence d’Ovide dans l’élégie française depuis Marot qui donne le nom d’Élégies déploratives à des poèmes lamentant la mort de grands personnages, voir Scollen.
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Éloge funèbre (lugubre encomium) : Ce n’est pas un genre à proprement parler, pour un poème qui se démarque à la fois de l’épitaphe et de l’oraison. Cette expression a cependant quelque chose de l’oxymore, dans la mesure où l’enkomion, est, dans l’Antiquité, un chant de louanges spécifiquement utilisé à l’occasion du retour d’une personne aimée1. Néanmoins, dès l’antiquité, le genre de l’éloge peut être divisé en trois sous-ensemble, en fonction de la personne dont les louanges sont chantées : si c’est un vivant (auquel cas c’est un hymne), un mort (épitaphe) ou un dieu (hymne). L’éloge suit une topique particulière et décline trois sources : les biens de l’âme, les bien du corps et les biens extérieurs. Tout l’art des poètes réside dans le cas de Gassendi à faire l’éloge de sa modestie, à mettre l’accent sur la correspondance parfaite entre son âme et son corps et à insister sur le paradoxe de son rapport aux honneurs. C’est tout naturellement que l’éloge revêt le double sens qui la caractérise : il s’agit de vanter les mérites du défunt, mais également de chanter la poésie et les Muses qui permettent de triompher du silence qui semble ensevelir le poète : car à la thématique des angoisses littéraires, proprement élégiaque2, du poète qui se juge incapable de formuler ses sentiments s’ajoute la confusion aphasique du deuil. La consolation, voire la joie est double : c’est celle de la fluidité revenue, en même temps que la révélation du destin du défunt, promis à la gloire éternelle, dès lors que l’élaboration du poème, valant transformation des pleurs en paroles articulées, puis écrites voire gravées, et donc pérennes, garantit ou accomplit cette survie et la conjuration de l’oubli. Épicède : Poésie funèbre, pièce de vers sur des funérailles, un terme que Gassendi lui-même emploie dans ses lettres. Par exemple après la mort de Mersenne, il loue celui que Valois a composé3, dans une lettre du 25 septembre 1648 : « Tu ne pouvais offrir des funérailles plus munificents qu’en daignant apaiser les pieux mânes de notre Mersenne par un ™pikhde‹on si remarquable ». Servius, dans son commentaire sur Virgile (Ecl. V, 14), dit que l’épicède diffère de l’épitaphe, en ce que l’épitaphe se prononçait après, et l’épicède avant la sépulture. Dans la tradition hellénistique, l’épicède peut être réservé aux
1
Voir Catulle, IX. Elle hante les poètes de la Renaissance, notamment Du Bellay. 3 Car le 15 septembre, ce dernier avait longuement réagi au décès du minime, qui a atteint le ciel, les Anges, les Muses. Il a trouvé la béatitude : que la terre soit légère à ses os… 2
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lamentations sur la mort d’un animal, domestique ou non1. Du poème hellénistique, Vias conserve ici la virtuosité, la préciosité et un certain nombre de références. L’épicède n’appelle pas une métrique spécifique, mais la musique joue là encore un rôle certain, assumé par les Muses, qui cependant laissent leurs instruments2 pour entonner un planctus (voir infra, à l’article in obitum). Épitaphe : du bas latin epitaphium : « Inscription funéraire », lui-même du grec epitaphios : « qui concerne le tombeau, qui se célèbre sur un tombeau », de epi : « sur » et taphos : « tombe, sépulture ». Attesté pour la première fois en français en 1160, sous la forme de epitafe (substantif masculin), l’épitaphe devint un genre en vogue au XVIe siècle. Clément Marot, Maurice Scève (avec sa tendre « Épitaphe de la gentille et spirituelle Dame Pernette du Guillet »), Mathurin Régnier, dans le genre satirique, et surtout Ronsard en composèrent, dans le sillage des Anciens. Le genre se caractérise par sa variété, selon la personnalité du défunt, les circonstances de sa mort, mêlant les styles (exclamatif, interrogatif ), les tons (éloge des honneurs reçus par le défunt, de ses biens, malédictions contre l’âge, la maladie, la mort elle-même, les Parques, prières à Dieu), mentionnant les dédicataires (la pierre, le passant, la famille, la postérité) et visant à la consolation des proches. L’épitaphe combine ainsi la déploration, les louanges, la consolation, l’exhortation, l’exposé de la perte, l’amplification visant à augmenter le regret du mort. Sébillet (op. cit. p. 40) propose tout un commentaire sur le rapport entre l’épigramme et l’épitaphe : l’épitaphe est un genre d’épigramme, en raison de sa destination, puisque ce sont des inscriptions sur des édifices, bâtiments ou monuments funéraires, ce qui implique briéveté et concision. Une épitaphe peut aller de deux à trente ou quarante vers ; mais les meilleurs doivent en comporter douze. In obitum (sous-entendu carmen funebre) : poème funèbre pour la mort de… Parmi les différents textes qui se rangent sous cette catégorie, il faut noter le verbe qui sert à Paulus pour décrire le ton de son poème : plangere. Le planctus, qui fait partie du déroulement des funérailles chrétiennes, sans relever à proprement 1 Voir Catulle, III, sur le moineau de Lesbie. Ou l’élégie II, 6 des Amores d’Ovide, consacrée à la mort d’un perroquet. 2 Rappelons qu’en principe, et comme le rappelle la légende de sainte Cécile, les instruments renvoyaient à la musique profane alors que la musique religieuse devait ne faire appel qu’à des voix. Il serait cependant exagéré de voir dans ce geste une référence à un contexte chrétien.
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parler de la liturgie, renvoie aux lamentations exprimées sous une forme musicale, et consiste le plus souvent en une série d’exclamations répétitives et stéréotypées proches de la litanie (« hélas », etc.). Le terme planctus se rapporte donc aussi à une forme d’expression associée à des cris (ou à des pleurs) de douleur, involontaires et irrépressibles ; mais les cris étant cependant peu à peu proscrits par l’Église, le genre liturgique fait l’impasse de cette séquence, tout en conservant le nom1. Aussi le verbe plangebat suffirait-il donc ici à désigner un genre et à rappeler un moment non liturgique, mais néanmoins important, du rituel de l’office des morts, que Paulus aurait peut-être assumé, à Digne. L’évocation du planctus renforce la relation entre nos poèmes et la musique. Lessus : lamentation romaine, ou nenia, définie par Cicéron (Lois, II, 24, 62) quand il spécifie que la loi l’a interdite : « La loi supprime aussi les lamentations : “Que les femmes ne s’égratignent pas les joues; qu’elles s’abstiennent du lessus funéraire”. Les anciens interprètes Sext. Aelius, L. Acilius déclarent qu’ils ne comprennent pas bien ce mot; ils soupçonnent que c’est une sorte de vêtement de deuil. L. Aelius pense qu’il désigne une sorte de gémissement lugubre par onomatopée. Je croirais volontiers que cette interprétation est la vraie, parce que c’est précisément ce que défend la loi de Solon », renvoyant donc à la nenia grecque2. Le lessus est en réalité l’équivalent de l’élégie, du moins dans le poème de Portner qui porte les deux noms, lessus pour l’ensemble du recueil (lettres d’introduction et poème) et elegia en tête du poème lui-même. Il faut souligner que le lessus est dit cantatus, chanté, ce qui sousentend là encore un acccompagnement musical.
On retrouve cependant une version sécularisée du planctus liturgique dans la complainte, genre profane, et les cris sont alors transposés dans les refrains. Selon Vignal, article planctus (p. 1510) : « Le genre le plus repandu est la lamentation sur la mort d’un personnage important, dont fait partie l’un des plus anciens plancti conservés, A solis ortus usque ad accitua, sur la mort de Charlemagne (814) ». 2 À la mort de Sidney, qui suscita deux volumes d’élégies en latin, grec, hébreu et italien, l’entomologiste bien connu Moffet écrivit pour le neveu de Sidney, William Herbert, âgé de douze ans, un Nobilis et un Lessus Lugubris, soit une vie exemplaire et une élégie latine où l’on reconnaît, formellement notre « lessus lugubris » (mais ce texte n’a été publié qu’au XXe siècle sous le titre “Nobilis” , or a View of the Life and Death of a Sidney, and “Lessus Lugubris”). Notons cependant que Diodati aura diffusée l’Arcadia de Sidney à un de ses retours d’Angleterre, en 1624. 1
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Quatrain : c’est aussi une forme qui se rencontre souvent dans les épitaphes, à cause de sa concision. Nous n’avons pas ici de huitain, qui est également très appropriée. Sonnet : L’origine du sonnet est controversée, qu’on y voie une forme d’épigramme ou que l’on le distingue uniquement par sa métrique. Si Pétrarque utilise cette forme pour pleurer la mort de Laure, au XVIe siècle il est réservé aux poèmes d’amour. Il revient pour la célébration d’un défunt au début du XVIIe siècle1 et conserve ses liens avec la tradition emblématique et se rattache aux vanités, comme il convient pour des poèmes qui évoquent à la fois la gloire et le passage du temps, sinon sa fuite. Du sonnet, Sébillet dit que c’est une épigramme, « mais grave » (p. 45), et la rattache donc à deux sources, évoquant à la fois sa vocation antique, comme inscription sur des architectures, et la tradition italienne, amoureuse, par Pétrarque. On peut citer le sonnet préliminaire que Corneille adresse à Alexandre de Campion, pour son livre Les Hommes illustres (1657), dont : « J’ai quelqu’art d’arracher les grands noms du tombeau, / De leur rendre un destin plus durable et plus beau, / De faire qu’après moi l’avenir se souvienne. /Le mien semble avoir droit à l’immortalité, / Mais ma gloire est autant au-dessous de la tienne / Que la fable, en effet, cède à la vérité… » Tombeau : terme qui, par extension, englobe les compositions poétiques et les œuvres musicales2 qui honorent un grand homme défunt. La forme en est marquée, en France, par la vogue des stances et des quatrains. Les épitaphes semblent se prêter tout particulièrement à la célébration, en Gassendi, d’un épicurien chrétien. De fait ces poèmes opèrent un croisement très significatif de la consolation et de l’édification du souvenir. La remémoration du passé a un sens tout particulier dans la philosophie du jardin, et 1
Voir par exemple l’« Inscripcion para el sepulcro de Dominico Greco » de Gongora ou l’hommage de Quevedo au duc d’Osuna. 2 Selon Vignal, ii 1915 : « Tombeau 1. Au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, œuvre instrumentale composée par un musicien à la mémoire d’un maître ou d’un ami : le genre se développe d’abord chez les luthistes (E. Gaulter, Tombeau de Mézangeau…) puis chez les clavecinistes (L. Couperin, Tombeau de M. Blancrocher…), et les violistes (M. Marais, Tombeau de Lully et de Sainte Colombe). Le tombeau affecte l’allure d’une danse grave et lente, très proche d’une allemande ». Le tombeau disparaît au cours de la deuxième moitié du XVIIIe et au XIXe siecle pour être ressuscité par Ravel (Tombeau de Couperin, 1917).
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arracher Montmor, figure de l’ami par excellence, à sa tristesse revient à constituer Gassendi en souvenir, mais un souvenir fécond. Le poème devient le lieu de la mémoire heureuse, mais également l’expression d’une sorte de communion des saints si ce terme peut s’appliquer aussi à l’homme de sciences qui protège en quelque sorte tous les savants à venir, aussi longtemps qu’il y aura une postérité. Ainsi devient-il un exemple, mais aussi le garant d’un progrès dans la recherche de la vérité. Épicurienne est encore l’opposition entre le plaisir en mouvement qui caractérise les vivants, chargés de poursuivre l’investigation de la nature, et le plaisir au repos, dont jouit maintenant Gassendi, entré dans la contemplation des vérités qu’il aura cherchées toute sa vie. Épicurienne est encore sa divinisation, selon le processus évhémériste, dont Gassendi se sera servi pour justifier que Lucrèce puisse appeler Épicure un dieu. Les poèmes garantissent ainsi la guérison que promettent à la fois la philosophie épicurienne et la pastorale chrétienne. Ainsi l’harmonie entre les références païennes et les références chrétiennes, allant jusqu’à reproduire les inscriptions les plus habituelles de tombes, se réalise-t-elle à la fois au plan stylistique et au plan philosophique. Quant à la philosophie, les poètes s’emploient à rassembler toute la cohorte des philosophes antiques, de même que tous les amis défunts de Gassendi l’accueillent dans les Enfers qu’il parcourt tel Énée ou Ulysse. Cette présence massive des différentes écoles antiques n’illustre pas ici l’éclectisme de Gassendi, dont les doctrines sont souvent évoquées, au-delà de son opposition à la scolastique. Les allusions à l’épicurisme sont massives, sans que l’on perçoive de proximité stylistique du poème de Lucrèce. Il n’en reste pas moins que les poètes introduisent à l’occasion leur propre vision philosophique, que l’on découvre parfois dans l’emploi d’un mot, par exemple chez Quillet, la notion d’archétype renvoyant à Platon. On peut s’étonner de ne trouver ici aucun poème de Chapelle, ni de Chapelain, ni de Ménage, non plus que de contribution de La Mothe le Vayer ou de Diodati. Peut-être faut-il suspecter là aussi la décadence d’un genre. Pour le Monument romain élevé après sa mort à la gloire de Peiresc, Bouchard avait pu rassembler un bien plus grand nombre de contributions1.
Monumentum Romanum Nicolao Claudio Peirescio Senatori Aquensi doctrinae virtutisque causa factum, (Rome, Vatican, 1638, 114 pages). 1
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Pièces anonymes Sonnet sur la mort de Monsieur Gassendy BM Grenoble ms 4139 f 37 Deesse criminelle, ô Parque impitoyable dextre main de la mort, qui d’vn dard outrageux Renverses a tes pieds comme vn vent orageux Le plus juste Mortel, comme le plus coupable. Helas ! que t’auoit fait cet homme Incomparable dont la vertu rendit son Pays si fameux Pour arrester le cours de ses jours bienheureux Et rendre en le prenant La France inconsolable. Penses tu par ce coup effacer desormais Son nom qui parmi nous ne perira jamais, Le Ciel veut qu’il s’epande & vive sur la Terre Et touché des excez de ta severité Il veut pour t’en pvnir te liurer vne guerre qui ne finira point qu’auec l’Eternité.
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Sans titre : BM Grenoble ms 4139 no 38 Cuncta licet sciret Gassendus dogmata, tam quam vel natura, vel ars ingeniosa docent. Longinquas tametsi ille plagas visebat et orbes se scitis non nil addere posse ratus. At sibi cum nullum doctorem offenderet usquam nuper ad aligeros erudiendus ijt – vel ad cælum nuper multa docendus iit.
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Quoique Gassendi ait su tous les dogmes, ceux qu’enseigne La nature ainsi que l’art ingénieux, Il examinait les régions et les orbes quelque lointains qu’ils fussent, Sachant qu’il pouvait ajouter de nouveaux savoirs à ce qui était déjà connu ; Mais alors qu’il n’offensât jamais aucun docteur, Il s’en alla récemment pour s’instruire vers ceux qui ont des ailes – c’est dire Qu’il s’en alla récemment vers le ciel pour apprendre bien des choses.
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Sans titre, ni nom d’auteur : BM Grenoble ms 4139 no 40 In obitum & Qui mortem cæcam dixit, nihil ipse videbat, et videt, et nouit quod melius legere : vnus erat toto Gassendus amabilis orbe, vidit, et inuidit legit et eripuit. At fallor, cæca est : nisi enim mors cæca fuisset parsisset tanti tangere fata viri. Cui cedunt Seneca, Euclides, et Tullius, et quos Doctrina veluti numina Aonia colit. Cui cedunt, diæ quotquot pietatis amore, quotquot et intacta religione, micant Sed redeo : non cæca est mors, non inuida, at æqua dans cælo, superis, quem videt esse parem.
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Sur la mort de G Celui qui a dit que la mort est aveugle ne voyait rien lui-même1, Car elle voit et elle sait choisir ce qui est mieux : Sur tout l’orbe seul Gassendi était aimable, Elle le vit et d’envie le choisit et le ravit. Mais je me trompe, elle est aveugle ; car si la mort ne l’avait pas été, Elle se serait gardée de toucher les destins d’un tel homme, À qui cèdent le passage Sénèque, Euclide et Tullius, et ceux Que la science chérit, comme aussi les divinités d’Aonie. Lui cèdent le passage tous ceux qui étincèlent de l’amour de la piété divine, Tous ceux qui étincèlent d’une religion pure. Mais j’y reviens : la mort n’est pas aveugle ni envieuse, mais juste, Car elle donne au ciel et aux dieux celui dont elle voit qu’il est leur semblable.
1 Le thème de la mort aveugle n’est pas un lieu commun antique, où c’est plutôt la fortune, la jalousie ou l’amour qui est aveugle. On trouve ce thème associé précisément à la cécité de l’amour dans l’emblème CLV d’Alciat, et dans le poème de Guichardin qui le commente, que nous citons dans sa traduction de 1615 : « L’Amour & Mort se rencontrent / Et se monstrent : / La mort sa trousse portoit : / Amour ses flesches poinctues / Et aigues, / Dont les langoureux oultroit. / Lors ensemble s’arresterent, / Et logerent / En mesme lieu une nuict : / Amour ne voyoit à l’heure / Chose seure : / La mort aveugle se veit. / Car leurs traitz pleins de poincture / D’avanture / Changerent ensemblement : / Mort les traitz dorez emporte, / L’Amour porte / Les traitz d’os pareillement. / Pource la vieille personne / Fort s’addonne / A l’action de l’amour, / Il saulte, & mene la dance, / Et ne pense / Qu’à follastrer tout le jour. / De moy, jeune personnage, / C’est dommage / Que je me meurs si soudain, / Et que Cupidon se range / Par son change, / A me tuer de sa main. Hé Amour, laisse moy vivre, / Et joy’ suyvre, / Fay mourir le vieil perclus: / Toy mort, contre un autre jectes / Tes sagettes, / Le vieil presque ne vit plus ».
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Petro Gassendo Doctori Celeberrimo Epicedium B.M. Grenoble ms 4139 f 44 Petrus Gassendus per gradus ascendit Ad virtutis culmen cuius semper extat columen ; etsi multis dedecus ascendere ipsi decus Plures enim honorum præstigiis decepti ita ascendvnt ut incauti lapsu graviori ruant. Prudens Gassendus humiliter ausus ad sapientiam ascendere non Honoribus, sed virtutis oneribus sapienter aspirabat. Ratus non nisi per multos exantlatos labores ad virtutis apicem perveniri Doctorum hominum effatu florentia quasi apis prouida decerpebat. Gassendi prænomen Petrus fuit, futuræ gloriæ diuinum omen, eôdem ac Ap[os]t[ol]orum princeps fuit insignitus nomine, ut veluti Petrus Barjona Christi amore incensus sacerdotibus lumen exstitit, Sic Petrus Gassendus pro Christo sacri clericorum ordinis sacerdotibus culmen fuit Is ut alter Apostolus ad virtutis petram prærupti ac fere inaccessi montis pervenit Ut inde magnus ille animus ab Apostolo mutuans Magnanimis artium ac scientiarum alumnis foret exemplar virtutum, Et quos Petri Gassendi doctrina erudierat Eos quoque ejusdem virtus viros tutos efficeret. Inentis ætatis proscenio adhuc infans Christum fatur Puer ut senex ingenuarum artium fit magister ingenuus,
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Poème funèbre pour le très célèbre docteur Pierre Gassendi
Pierre Gassendi est monté une marche après l’autre Jusqu’au sommet de la vertu dont la colonne est toujours visible ; Même si c’est un déshonneur pour beaucoup de monter, pour lui ce fut un honneur Car si d’autres, nombreux, montent aussi trompés par l’illusion des honneurs, c’est pour s’effondrer Dans une chute plus lourde, car ils ne sont pas sur leurs gardes. Le prudent Gassendi, qui a osé humblement monter jusqu’à la sagesse, Aspirait sagement non pas aux honneurs, mais aux fardeaux de la vertu. Croyant que l’on ne parvient au faîte de la vertu que si l’on a enduré de nombreuses peines Telle une prudente abeille il cueillait les paroles florissantes des doctes1. Gassendi eut Pierre comme prénom, divin présage de sa future gloire. Ce même prénom qui illustre le premier des Apôtres De sorte que, comme Pierre Barjona2, enflammé par l’amour du Christ, est devenu lumière pour les prêtres, De même, Pierre Gassendi fut un sommet pour les prêtres de l’ordre sacré des clercs au nom du Christ Si bien que ce second apôtre est parvenu à la pierre de la vertu, montagne abrupte et presque inaccessible, Afin que, de là, ce noble cœur, empruntant à l’apôtre, Devienne un exemple de vertu pour les nobles nourrissons des arts et des sciences, Et que la vertu de Pierre Gassendi fasse des hommes tranquilles De ceux que sa doctrine déjà avait instruits. Sur la scène de l’âge le plus tendre, ou avant de savoir parler, il prononce « Christ » : De son enfance à son vieil âge, il fut des arts libéraux un maître libéral ; Allusion au topos de l’abeille du Matinus (Horace, Odes, IV, 2, 27). Barjona est un des trois noms de saint Pierre qui s’appela d’abord Simon Barjona, Simon voulant dire obéissant, ou se livrant à la tristesse, et Barjona, fils de colombe (en syrien bar veut dire fils, et en hébreu Jona signifie colombe) : ou bien fils de Jonas, selon certains commentateurs. 1 2
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Quem impavidum fortuna non repulit sed tanquam generosum iuvenem ad doctorum lauream iuuit. Ingenuos mores plus edocuit suis moribus quàm libris Liber fuit vivens, cujus litteræ, vitæ momenta ; horæ, verba ; folia, dies ; capita hebdomades ac quinquaginta quatuor eiusdem ætatis anni, totidem volumina hoc indelebili inscripta titulo nota omnibus Gassendi modestia et Doctrina. Quidni ergo, Galliæ, Hispaniæ, Italiæ, Germaniæ, Europæ, imo & totius orbis bibliothécam dixerim Præ summæ Doctrinæ copiâ mentis aciei metas ponebat, ne plus saperet quam oporteat sapere ac eô statu debere sapientis vitam institui ita ediscunt ex ejus ethica sapientes, ut omnia ex rationis præscripto & ad virtutis normam componant. Quapropter se tandiu Epicuri sectæ assensum ire asseuerat quamdiu contra fidem Catholicam honestos mores, ac immortalium animarum perniciem vesana dogmata non inuenerit. Quis Petrum Gassendum virili ætate notum non ter-maximum aut alterum Trismegistum Tullium Ter-Tulliumve aut Tertullianum Catonem alterum aut alteri Platonem et Aristotelis magistrum Postliminio revocatum non dixerit. Ausculta parumper viator ut (si tibi Gassendus ignotus, qui quâ salum, qua solum, sua cœlum qua sol notus est) hunc in operibus noris [pliure] ac inde omnium facultatum specimina demoreris. Vivit in operibus insepultus Gassendus. Ubi omnibus artium ac scientiarum Magistris ad omnia præsto adest
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La fortune n’a pas pu repoussé ce cœur impavide, Elle l’a aidé à obtenir le laurier des docteurs, comme s’il avait été un jeune noble. Il a démontré son naturel libéral plus par ses mœurs que par ses livres Il fut un livre vivant, lui dont les moments de sa vie furent des lettres ; les heures, des paroles ; les jours, des pages ; les semaines, des chapitres ; Et cinquante-quatre années de son âge, autant de volumes inscrits ici avec un titre ineffaçable. La modestie et la doctrine de Gassendi sont connues de tous. Pourquoi donc parler des bibliothèques de France, d’Espagne, d’Italie, de Germanie, d’Europe, voire du monde entier ? En raison de l’abondance de sa très haute doctrine, il posait comme limites à la vigueur de son esprit de ne pas savoir plus que nécessaire ; Et les sages apprennent par son éthique que le sage doit régler sa vie De manière à tout composer d’après le précepte de la raison et selon la règle de la vertu. C’est pourquoi il affirma qu’il adhérait à la secte d’Épicure aussi longtemps qu’elle n’inventait pas, contre la foi catholique À la place des mœurs honnêtes des dogmes insensés, ruine des âmes immortelles. Qui, s’il l’avait connu à l’âge vigoureux, n’aurait pas dit que Pierre Gassendi était rappelé par le droit du postliminium1 comme le Trois fois très grand, ou second Trismégiste, Tullius, Ter-Tullius ou Tertullien2, second Caton ou second Platon Maître d’Aristote. Écoute un peu, voyageur, pour que (si tu ne connais pas Gassendi, lui qui est connu à l’égal de la mer, de la terre, du ciel et du soleil) ses œuvres te le fassent connaître et que tu en retiennes des échantillons de toutes ses facultés. Gassendi mis en terre vit par ses œuvres Où il est à la disposition, à toutes fins utiles, de tous les maîtres en sciences 1 Étant donné la présence de ce mot, et la très grande similitude des thèmes et de leur traitement, on peut imaginer que ce poème a été fait sur la base de la préface de Sorbière. 2 Par un jeu de mot construit en référence au Trismégiste, trois fois très grand, le poète rapproche Gassendi, trois fois Tullius (Cicéron), c’est-à-dire orateur « valant trois fois Cicéron », et Tertullien, l’orateur païen du père de l’Église, de telle sorte que le philosophe de Digne fait une fois de plus la synthèse des deux traditions.
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Grammaticis etenim græci latinique idiomatis incongruentias indicat ; humanistis historiæ, veritatem, pœtices energiam & cotem acuminum tradit, & Rhetoribus artificium Oratoriarum rationum robur ordinemque confert & ornamenta concinnat ; ex Dialecticorum argumentis ac spineis mentium crucibus docet in omnium rerum notitia flores colligere, quos eruditissimus quisq[ue] in Diuinæ & humanæ sapientiæ fructus copiosissime transfert ; Regiis mathematicis demonstrationes subministrat, numquam fallentes numerandis modos arithmeticis, musicis harmoniæ concentum dirigit, detegit arcana physicis tamquam naturæ interpres ; Politicis Reispublica moderamen præferibit ; Terram dimetitur Geographis, Hydrographi[s] viam in aquis insinuat ; Metaphysicis entia, essentias, inhærentias, & hypotheses supra naturam existentes declarat ; Prælucet philosophis velut sapientiæ pharus ; confirmat Theologis orthodoxæ fide veritates, quas per vitam et fidelis Catholicus constanter professus per amicum conticinium in elucubrationibus cum stellarum orbes ac numerum Planetarum affectus, facies, accessus & regressus, solis & Lvnæ orbitas & cœlorum vias cum obseruando concepisset Hvnc Cœli cœperunt, ubi Eius beatos manes manet æterna fœlicitas ac immortalis vita in ineffabili Dilectione supersummi illius & superexcellentissimi boni quod non aliud est ut [illisible] erit [ ?] Ipse Ter maximus, Ter optimus ac Ter - Gloriosissimus Deus in vno Petrus Gassendus æternum quiescat. Fiat Petris… in gratiam ad… Eloquentis in… … mentissimus In Præpositam Eccl[es]ia Cathedralis Digniensis1.
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Ces deux dernières lignes sont incomplètes et largement illisible à cause de manques et pliures de la feuille manuscrite.
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Car il indique aux grammairiens les impropriétés du latin et du grec, aux humanistes la vérité de l’histoire, l’énergie de la poésie et la pierre à aiguiser le tranchant de l’esprit ; aux rhéteurs il apporte l’art, la force et l’ordre des raisonnements oratoires et il agence les ornements ; Jusque dans les arguments des dialecticiens et leurs croix si épineuses pour l’esprit, il enseigne, dans la connaissance de toutes choses, à cueillir des fleurs, Et ces fleurs les hommes les plus érudits les changent à profusion en fruits de la sagesse divine et humaine ; il fournit des démonstrations aux mathématiciens royaux, aux arithméticiens des méthodes de calcul sans erreur ; pour les musiciens il règle l’accord de l’harmonie ; aux physiciens, Comme interprète de la nature il dévoile les mystères ; aux politiques il présente le gouvernail de l’État ; il mesure la Terre pour les géographes, pour les hydrographes il trace un chemin dans les eaux ; aux métaphysiciens il expose les étants, les essences inhérentes et les hypothèses pour expliquer sur la nature ; Il apporte de la lumière aux philosophes comme un phare de sagesse ; il confirme, pour les théologiens, les vérités de la foi orthodoxe, qu’il a professée constamment durant sa vie, comme fidèle catholique ; après qu’il a conçu, à force de les observer, veille après veille, pendant la première partie de la nuit, sa mie, les orbes et le nombre des étoiles, les dispositions, les faces, les allées et venues des planètes, les orbites du soleil et de la lune, et les routes des cieux, Car les cieux l’ont commencé [illisible] où La félicité éternelle et la vie immortelle sont réservées à ses heureux mânes dans l’amour ineffable De ce bien sur-souverain et qui s’élève au-dessus de tout qui n’est pas [un mot illisible] Toi Dieu en un trois fois très grand trois fois très bon et très glorieux Que Pierre Gassendi repose pour l’éternité. Fiat [deux lignes, dont le déchiffrement est trop lacunaire, terminent le poème]
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Antoine Agarrat Né vers 1615 à Saint-Maximin en Provence, Antoine Agarrat fit, très jeune encore, partie du groupe d’observateurs qui tournait autour de Peiresc, dont il fut le secrétaire. Ses observations de l’éclipse du soleil du 8 avril 1633 furent publiées par Fournier1, et il ne cessa d’observer les astres de toute sa vie. Pingré, qui recense douze observations d’Agarrat entre 1636 et 1666, le décrit comme un « bon observateur »2. Il fut ensuite un des secrétaires de Gassendi avant La Poterie3 ; par la suite, il se consacra à l’enseignement des mathématiques. Sa grande habilité lui conféra un grand renom, les princes du sang et presque toute la noblesse ayant recours à ses services. Boulliau le considère parmi les plus célèbres astronomes, et Payen l’élève au-dessus de tous ceux de son temps. Pendant la campagne de 1642 en Catalogne, Agarrat servit dans l’armée française. Mais il n’oublie pour autant ni l’astronomie ni Gassendi. « Or pressentant qu’il y aurait une éclipse [pendant la nuit du 7 à 8 octobre] et dans l’intention de me faire plaisir, il s’écarta un petit moment de l’armée et se prépara à l’observer autant qu’il le put. Revenu par la suite à Paris, il rapporta qu’il avait été à peu près à une lieue de Ilerda (qui est appelée communément Lérida, c’est-à-dire Leida), et qu’il avait observé l’éclipse autant qu’il l’avait pu, ayant préparé un quadran et ayant en même temps une lunette »4. 1
Page 455 de l’édition de 1667 de l’Hydrographie. Pingré 202. 3 Gassendi nous fait le portrait d’Agarrat au travail chez Peiresc dans une lettre à Schickard du 17 juillet 1635 (Lettres latines i 134, n° 79). « Tu as jusque-là, mon cher Schickard, tout ce que j’ai observé à Aix à propos de Mercure. J’ai ensuite regagné mes lares (j’en avais été absent pendant toute l’année), mais je n’ai pas eu la chance de pouvoir observer de là-bas l’apparition suivante de Mercure le soir, après l’équinoxe du printemps. Tu sais déjà comme je me plains de ce que l’altitude des montagnes barre ici l’horizon ; de plus, les nuages qui se sont montrés assez fréquemment ne m’ont permis de voir Mercure que quatre fois et de le comparer seulement avec l’œil du Taureau. Prévoyant qu’il en serait ainsi, j’avais mandé à Agarrat que j’avais laissé chez l’excellent Peiresc d’y prêter lui-même attention là-bas et d’observer Mercure une fois découvert, selon la même technique dont il s’était servi pour m’aider. Il a fait tout ce qu’il a pu et, pour m’aider ici, il m’a envoyé tout ce qu’il avait observé ; mais parce que, reprenant ses feuillets, je n’ai pas trouvé celui qui aurait dû contenir les observations d’avril, je lui écris une seconde fois de me les communiquer le plus tôt possible, afin que je puisse les joindre au moins au bout de cette lettre en même temps que cette observation singulière qu’il a écrit avoir réalisée au mois de juillet au matin, à propos de Mercure ». 4 Gassendi à Wendelin 30 juillet 1643. Lettres latines i 305, n° 244. 2
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Devenu « domestique » de Gaston d’Orléans, il observe, sur sa demande, l’éclipse du soleil à Paris avec Morin pendant la nuit du 7 à 8 avril 16521 et celle de 1654 à Blois2. Le 2 juillet 1666 il observe, en compagnie de Payen et Barbier, une éclipse de soleil que Payen décrit dans une lettre adressée à Montmor et rapidement imprimée3.
1 Eclipsis solis observata Parisiis in Aurelianensi Palato, die 8 Aprilis 1652 .A Ioanne Baptista Morino… necnon Antonio Agarrato… Iussu ac in præsentia Serenissimi Principis Gastonis a Borbonio Ducis Aurelianensis. ; 1652. 2 Eclipses du Soleil observées aux années 1652 et 1654. Par le commandement de son altesse Royale, Paris (Jacques Langlois) 1654. Voir Labrousse 1 n. 1 et 88. 3 Extrait d’une lettre de Monsieur Payen… à Monsieur de Montmor…Contenant l’Observation de l’Eclispe de Soleil, arivée le 2 juillet 1666…, s. l. ni p. [Paris 1666].
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Projet d’une inscription pour le tombeau de Gassendi par Antoine Agarrat BM Grenoble ms 4139 f 36 Petri Gassendi Tumulus Hic iacet ille Poli assiduus spectator, iniqua, Flere licet faciant, fata vocare caue. Mortales tantùm exuuias hæc marmora condunt, Dum mens, humanis maior, ad Astra migrat, Astra placent toties meditata, viamque tenere Optauit, fuerat quæ bene nota prius : Terrenas ergo sedes cœlestibus Ille Mutauit cuius viuida fama manet. Persequerer, ni vana forent Conanima, dotes, Damna ut solentur, scripta relicta tenent. Agarratus
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Tombeau de Pierre Gassendi Ci-gît cet assidu spectateur du ciel, évite De qualifier les destins d’iniques, même s’ils te font pleurer. Ces marbres abritent seulement les dépouilles mortelles, Tandis que l’esprit, plus grand que les humains, migre vers les astres. Les astres qu’il a tant de fois étudiés lui plaisent, et il a souhaité prendre la route Qu’il connaissait déjà bien : Il a donc échangé le séjour terrestre pour le céleste Lui dont la réputation demeure vivante. Je raconterais ses talents, si mes efforts n’étaient vains ; Pour consoler notre perte, il reste des écrits, qui nous les conservent. Agarrat
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Joseph Bruno Joseph Bruno, par ailleurs inconnu, est probablement le Joseph Bruno de Gassendi de Tartonne qui fut élu chanoine de Notre-Dame du Bourg à Digne en 1657. Il est mort en 17041. Il est issu de la famille des Gassendi de Thorame et de Tartonne, de noblesse ancienne, mais ruinée à la suite des guerres de religion et ayant choisi de déroger pour rétablir sa fortune. Les Gassendi furent seigneurs de Tartonne de 1630 à 17892. Le lien de parenté avec la famille du prévôt de Digne à Champtercier reste à démontrer3.
Joseph Bruno, « Epitaphium… », BM Grenoble ms 4139 no 41. Epitaphium D.D. petri gassendy digniensis præpositi nec non Astrologorum sagacissimi Non secus ac Lucens phœbus diffundit in Astra Sic petrus Astrologos Lumine mentis agit Non potuit Lux Illa mori conamine mortis sed iuget et victrix non moritura manet natalem meritis sedem repetiuit in Astris quæ nobis cœli munere missa fuit. Observantissimus Australis. filius Josephus bruno de gassendi rhetor. 1
Isnard E II, 198. En 1704 également, un deuxième Joseph Bruno de Gassendi de Tartonne fut élu chanoine. Il résigna sa charge en 1719. Ibid. 199. 2 Isnard M. 401-2. 3 Annuaire de la Noblesse de France et des maisons souveraines d’Europe, xx 1863, 140-43.
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Joseph Bruno, Épitaphe de l’homme de dieu Pierre Gassendy, prévôt de Digne et le plus habile des astrologues De même que Phébus brillant se diffuse dans les astres, De même Pierre mène-t-il les astronomes par la lumière de l’esprit. Cette lumière ne put pas mourir par l’entreprise de la mort. Mais elle nous demeure, victorieuse, car elle ne devait pas mourir. Il a regagné dans les astres mérités son séjour natal Lui qui nous fut envoyé tel un don du ciel. Fils austral1 très obéissant Joseph Bruno Orateur au sujet de Gassendi
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Pour « méridional ».
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Charles Dupérier1 In morbvm Petri Gassendi. Ad Ægidivm Menagivm et Joannem Capelanvm Carmen, Paris ( Julian Iacquin), 1655. PETRI GASSENDI TUMULUS Quem latè immensâ tranantem ingentia mente Terrarum spatia, & campos stellantis Olympi Obstupuit Natura minor : Procerumque superbos Despectantem animi celsâ de sede triumphos Iamdudum pietas superos invexerat orbes, Exiguâ compostus humo GASSENDVS : at illum Fama canet populos insigni laude per omnes, Quam longùm Cæli & Sophiæ studia alta vigebunt. Hospite MON-MORIUS rapto mæstissimus hospes Supremum charo cineri sacravit honorem, Quémque domo excepit sociâ dum vita manebat, Morte obitâ patrio consortem amat esse sepulcro.
Pour Dupérier, voir supra p. 204-5.
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Charles Dupérier, Élégie sur la mort de Pierre Gassendi, adressée à Gilles Ménage et Jean Chapelain, Paris 1655. Tombeau de PIERRE GASSENDI Lui qui de son esprit immense franchit les gigantesques Espaces des terres et les champs de l’Olympe constellé, La nature de lui diminuée se tait ; lui qui regarde d’en haut Les triomphes superbes des Grands depuis le siège élevé de son esprit Avait déjà été élevé, du fait de sa piété, sur les orbes supérieurs, GASSENDI repose dans un petit coin de terre ; mais la renommée Le chantera d’une louange insigne parmi tous les peuples, Aussi longtemps que les profondes études du Ciel et de la Sagesse seront vigoureuses. MONTMOR, hôte affligé de son hôte à lui ravi A rendu les honneurs suprêmes à sa chère cendre, Et celui qu’il a reçu dans sa maison amie, tant que la vie l’habitait, Il aime être son compagnon dans un sépulcre commun, après la mort.
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Alexandre Dupont Cet ami inconnu de Gassendi est peut-être le « Mr Dupont aumosnier de Monsieur de Digne » à Paris au prieuré de Sainte-Catherine du Val des Écoliers dont le titulaire fut l’évêque de Digne, Raphaël de Bollogne. Pendant son séjour à Paris en 1628 /9, Gassendi loge dans ce prieuré. Gassendi mentionne Dupont dans plusieurs de ses lettres à Luillier1. Alexander Dupont, « In obitum Doctissimi Petri Gassendy Dyninosophistæ ». BM Grenoble ms 4139 no 43. Burgumdina Tuo Nimium Splendore Refulget deque Tuis libris Gloria multa Manet Naturam causas rerum, Astrorumque Recessus. Clarius in Tabulis Lumina prosequeris. Describens Burgum reparas Incendia Galbæ Et dominus Burgi construis in cinere Carolus hic Magnus posuit de marmore templa Tu patriam Chartis firmius edificas. Quam Tibi Dyna dedit vitam Cum fænore pendis Namque illam scriptis Eximet vlla dies Alexander Dupont causarius patronus octodyniensis Physicus, Astrologus, Sacer, Explicat, Aspicit, Orat, causas, Astra, deum, Carmine, Tubo Animo [qui doit être lu, en regroupant les mots en trois groupes de quatre] Physicus explicat causas carmine. Astrologus aspicit astra tubo. Sacer orat deum animo
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Mais une seule fois nominativement. Rochot II, 91, lettre du 28 février 1633.
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Sur la mort du très docte Pierre Gassendi sophiste de Digne Bourg de Digne1 brille de ta splendeur extrême Et une grande gloire te demeure en raison de tes livres Tu mes en lumière la nature, les causes des choses Et les mouvements des astres plus clairement dans les tables. En décrivant Bourg tu répares les incendies de Galba Et, seigneur de Bourg, tu construis sur les cendres Charlemagne, a édifié ici un temple en marbre2 Toi tu bâtis ta patrie plus solidement avec les écrits La vie que Digne t’a donnée tu le paie avec des intérêts Et en effet aucun jour ne l’arrachera aux écrits3
Alexandre Dupont, patron infirme Le physicien explique les causes dans ses vers L’astronome regarde les astres dans sa lunette L’homme consacré prie Dieu avec son cœur.
1
Peut être avec le double sens que Gassendi est « digne de Bourg ». « Il est d’une tradition solide et ancienne, que c’est une des églises que Charlemagne fit construire ». Gassendi, Notitia 64. 3 C’est-à-dire que jamais la vie de Gassendi ne disparaîtra puisqu’elle existe dans des écrits. 2
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David Lautaret Le médecin David Tavan de Lautaret est un proche ami de Gassendi qui le cite notamment dans la préface des Exercitationes (1624), affirmant qu’il a exercé sur lui un certain chantage pour la publication du premier livre de réflexions contre les aristotéliciens. En effet, ses amis le pressent de publier ses cours ; c’est parce qu’il refuse que Lautaret le menace de faire imprimer tels quels ces cahiers scolaires. Lautaret est né vers 1592, sans doute à Saint-Vincent-les-Forts dont il est châtelain (il cède sa charge à Joseph Lautaret son fils le 23 septembre ou le 29 octobre 1643). Il abjure la religion protestante à l’occasion de son mariage avec Isabeau Augier le 5 janvier 1616. Docteur en médecine (de Montpellier), il écrit Les Merveilles des bains naturels et des estuves naturelles de la ville de Digne en Provence, divisées en deux parties, la théorie et la practique. Avec un traicté de leurs serpents sans venin et une sommaire description de tous autres (Aix, 1620). Du reste, Gassendi qui recommande à Valois, pour son fils malade, les eaux thermales de Digne, suggère à son protecteur de demander directement conseil à Lautaret1 : « Tu ne feras rien d’indigne du zèle paternel si tu fais venir le médecin Lautaret pour le consulter. Ce n’est pas qu’il manque chez toi de médecins qui connaissent avant tout ce genre de bains et de vapeurs, mais Lautaret peut connaître la question mieux que tous, parce qu’il vit là-bas, et surtout à cause de sa sagacité et de sa diligence ». Valois semble ne pas avoir suivi ce conseil, puisque, quelques mois plus tard, Gassendi reprend sur ce thème2 : « Tu avais trouvé bien douces les informations que je t’avais données pour ton fils illustre et très cher ; j’avais moi-même voulu apprendre de Lautaret l’espoir qu’il y avait, si par hasard il avait entendu parler de la maladie. J’ai ici maintenant une lettre où il m’écrit qu’une conversation l’en a un peu informé : son expérience de trente années, durant lesquelles il a reconnu les qualités des bains et des thermes, lui suggère que ton fils n’a rien à craindre à prendre les eaux, mais le plus possible à espérer. […] Je pense que Lautaret participera à la prochaine assemblée ; il pourra profiter de l’occasion pour examiner autopsia [par son propre examen] la force et les conditions de la maladie et pour t’expliquer ce qu’il faudrait faire à son avis ». Enfin, le 15 janvier 1644 : « J’espère que tu vas maintenant Lettres latines, à Valois, 21 août 1643. Lettres latines, à Valois, 16 octobre 1643.
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enfin non seulement voir, mais encore étroitement embrasser Lautaret : c’est un homme très plein de mérite, un très cher ami à moi. Il désire intensément que ton très illustre fils retrouve sa bonne santé de naguère. Je pense que tu prendras des dispositions pour qu’avant de regagner les montagnes, il le voie, l’examine et apprenne avec grand soin et parfaitement tout ce qu’il trouvera digne d’être noté chez lui depuis sa naissance. Je suis toujours rempli du grand espoir qu’il se rétablisse dans la meilleure santé, si grande est la confiance que j’ai en l’habileté de l’homme et en les éminentes facultés des eaux, grâce à Dieu ». On apprend le 12 février 1644 que Valois a enfin montré son fils au médecin. Ces passages suggèrent que Lautaret est, quant à la médecine, de la nouvelle école, empiriste et observateur. Lautaret compose aussi, en 1622, une recherche intitulée Quæstio medica pro cathedra vacante, qui sera suivie d’un mémoire sur la peste de 1629 (11 pages manuscrites retrouvées au XIXe siècle) recopié par Gassendi dans sa Notice sur l’Église de Digne1. Lors de la peste de 1629, il soigne l’épidémie dès ses premiers commencements à Chenerilles avec autre médecin et chirurgien, puis il est mis en quarantaine fin mai, il tombe malade en août, mais sa guérison est assurée en octobre. Membre du bureau de santé en mars 1630 et du conseil général le 1er avril, à en croire une lettre de Gassendi, il l’est encore en 1643. Il assiste son ami lors de ses observations astronomiques, notamment en faisant des calculs, et semble avoir été un esprit enclin à plaisanter, selon Gassendi qui le cite dans une lettre à Schickard du 18 juillet 1634 : ce « célèbre médecin et ami rare, qui était là pour faire les calculs qu’il fallait d’après l’éphéméride de Kepler jusqu’à ce qu’il voie largement dépassé le temps que nous nous étions assigné, demanda bien souvent : “Et quoi ! Si tous ces préparatifs sont vains ? Si la lune veut se jouer de nous ? Si elle se prépare à attendre jusqu’à ce que l’impatience nous ait fait partir ?” et d’autres plaisanteries de ce genre, tandis que je réexaminais moi-même aussi les points… ». Lautaret meurt entre le 26 août et le 10 septembre 1656.
Notitia… chapitre vi, 34-40.
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« In obitum D. D. Petri Gassendy, Ecclesia Dignensis Præpositi, & Omniskii » BM Grenoble ms 4139 no 39 Dogmata, quæ Condit Sapiens Gassendus, honoro ; Sed quæ, sponte Silet, nobiliora puto. Exemplaris erat Vitæ, mentisque Beatæ : mortuus, et vivus, bibliotheca fuit. Sed quid aio[]s fallor[], non sortem mutat olympo : quippe perinde tenent, tellus, et astra virum. Hæc posuit D. Lautaretius D.M.M. Diniæ Regens
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David Lautaret, « Sur la mort de l’homme de dieu Pierre Gassendy, prévôt de l’église de Digne et omniscient »
J’honore les dogmes que le sage Gassendi a mis en place ; Mais je crois plus nobles ceux qu’il tait de lui-même1. Il a mené une vie exemplaire et eut un esprit heureux : Mort et vif, il fut une bibliothèque. Mais que dis-je ? Je me trompe ! Il n’a pas échangé son sort contre l’Olympe Car la terre et les astres tiennent l’homme en même honneur. Inscrit par D. Lautaret D.M.M2. Régent de Digne
1 La formule renvoie peut-être à l’opposition entre les vérités naturelles, accessibles à la physique et à la philosophie, et les vérités éternelles, relevant de la théologie, que Gassendi de fait réservait aux théologiens. 2 [Docteur en médecine de Montpellier]
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Jean Loret Né à Carentan en Basse-Normandie, Jean Loret n’a pas fait d’études, apprenant simplement à lire et à écrire. Il vient à Paris où il trouve cependant moyen, grâce à son esprit facile et gai, de s’approcher de quelques personnes bien placées qui le recommandent à Mazarin, dont il obtint une pension de deux cents écus. Au moment de la première Fronde (1649-50), il se fait une réputation par ses vers burlesques, dont le style interdit qu’on les classe au nombre des mazarinades. Puis, à partir de 1650, il commence sa Muse Historique, sorte de gazette en vers (entre 180 et 250 par semaine) qu’il remettait tous les dimanches à sa patronne la Duchesse de Longueville, d’abord sous forme de manuscrit, jusqu’en septembre 1652 ; puis, entre octobre 1652 et avril 1655, chaque livraison de la Muse est imprimé en douze exemplaires, et cela parce que Loret voulait protéger son travail contre d’éventuels imitateurs ; à partir de 1655, le tirage de ses vers hebdomadaires sera bien plus important, et tous les numéros précédents sont réimprimés. Le succès en fut considérable ; et pendant les quinze années qu’il poursuivit l’entreprise, Loret se constitua une fortune assez important, qu’il employa en bonne partie pour satisfaire sa passion du jeu. Pensionné à la fois par Mme de Longueville et par Foucquet, Loret soutint courageusement ce dernier, si bien qu’il fut rayé de la liste des pensionnaires par Colbert. Loret meurt à Paris en 1665.
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La Muze Historique ou recueil de lettres en vers contenant les nouvelles du temps écrites à son altesse Mademoizelle de Longueville, depuis Duchesse de Nemours, Paris 1655. Livre VI lettre xliii du samedi 30 octobre1. […] Gassendy, natif de Provence, Docte et scavant par excélence, Vertüeux au plus haut degré, Homme moral, Prestre sacré, La Perle des bons Personnages, Et de ce temps un des plus sages, Dimanche en mourant saintement, Acheva son dernier moment, Métant au fort de sa souffrance, En Dieu, toute son espérance. Le sage Monsieur de Monmor, Qui, comme un précieux trézor, Le gardoit en son domicile, Où ses vertus trouvoient azile, N’oubliant rien par sa bonté, Des devoirs d’hospitalité, Par on éfet [sic] d’amour extresme2, Le fit porter au Tombeau mesme Où ses devanciers renommez Ont été toujours inhumez. Or dautant que ce Philozophe, Dont je décris la catastrophe, Avoit pour moy quelque amitié3, Plein de tendresse et de pitié De le voir reduit en poussiére, Pour honorer sa fin derniére, 1 D’après l’édition de J. Ravenel & Ed. V. de la Pelouze (vol 1) & Ch.-L. Livet (vols 2 à 4), La Muze Historique ou recueil des lettres en vers contenant les nouvelles du temps écrites à son Altesse Mademoizelle de Longueville, depuis Duchesse de Nemours (1650-1665) par J. Loret, nouvelle édition revue sur les manuscrits et les éditions originales…, 4 volumes, Paris 1857-78, ii 116. 2 Faut-il imaginer une faute du typographe pour « un » effet ? 3 D’autres témoignages d’une relation entre Loret et Gassendi manquent.
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Soûpirant sus son monument, Je fis ce quatrain seulement1. Si la vertu, si la science, Si la douceur, si l’innocence, Pouvoient prolonger nôtre sort, Gassendy ne seroit pas mort. Belle âme à prézent dans la Gloire, J’aprens ces Vers à ta mémoire, Atendant que les grands Esprits Te fassent de meilleurs Ecrits : Car, auprés des leurs doctes veilles, Auprés de leurs rares merveilles, Auprés de leurs discours profonds, Mes Vers ne sont que des chifons2.
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Quatrain est mis ici pour poème. La synecdoque est rare. On peut comparer ces vers avec ceux que Loret consacre, le 23 novembre 1653, au commentaire de la lettre que Christine de Suède a écrite à Gassendi : 2
Ce Gaussendy [sic] dans sa province N’est comte, marquis, duc ny prince, Et, n’étant donc point grand seigneur, D’où vient qu’il reçoit tant d’honneur D’une personne couronnée De tant d’éclat environnée ? C’est à cauze que ce docteur Possède, de belle hauteur, Sur toutes sortes de matiéres De très-admirables lumiéres, Qu’il scait les sciences à fond, Qu’il est poly, qu’il est profond, Et qu’enfin c’est un personnage Qui fait grand honneur à nostre âge.
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J. Paulus De Paulus ne nous est ici précisé que son titre, beneficiatus, dans l’église de Notre-Dame de Bourg. Un beneficiatus est un homme qui est titulaire d’un beneficium (bénéfice), c’est-à-dire qu’il est chargé d’assister un membre du clergé séculier. Il est difficile de spécifier la nature de ce bénéfice, mais on peut préciser que le beneficiatus assistait le petit clergé, c’est-à-dire plutôt les vicaires que les curés ou chanoines ; or le rôle de ce petit clergé était bien souvent de diriger la liturgie, avec chanteurs et musiciens, et bientôt des chorales. Il ne serait donc pas étonnant que le Paulus ici nommé révèle des talents musicaux. Ces détails quant au beneficiatus en général, et le terme de plangebat en particulier permettent alors de préciser sinon l’identité, du moins la fonction de cet homme par ailleurs inconnu : il aurait été cantor1.
1
Voir Rice.
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J. Paulus, « In obitum d. d. Petri Gassendi diniensis Ecclesiæ Præpositi dignissimi Eruditissimique ». BM Grenoble ms 4139 no 45 Religione, fide, doctrina, moribus, orbi qui luxit, tenebris obrutus Ecce Iacet ! Jamque fit elinguis linguas qui Calluit omnes et latet heu nulli quem latuere Libri, qui scriptis variis, ter dena Volumina supra plus sole, Ingenio fulsit ubique, Jacet ; Non Jacet at stat ouans ; viuusque volabit In ævum primi Instar Genij docta per ora Virûm fama, scholæ, Libri, gentes, terra astra sonabunt Gassendum Innumeris oribus orbe, polo. Ita plangebat J. Paulus Eiusdem Ecclesiæ Beneficiatus
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Sur la mort de Pierre Gassendi, prévôt très digne et très érudit de l’église de Digne Lui qui par sa religion, sa foi, sa doctrine, ses mœurs, au monde a brillé, voilà qu’il gît, écrasé par les ténèbres ! Et il ne se sert plus de sa langue, lui qui savait toutes les langues, et il se cache ici, hélas1, lui à qui aucun livre n’était caché, lui qui, dans ses écrits variés, plus de trois fois dix volumes, brillait par son intelligence plus que le soleil ne brille, il gît. Non, il ne gît pas, il est debout en triomphe ; et vivant il volera pour l’éternité, À l’image du premier génie, par les bouches savantes la renommée vantera l’homme ; Les écoles, les livres, les nations, la terre, les astres acclameront Gassendi par des bouches innombrables, et par le globe, et par le pole2 Pleurs de J. Paulus, Bénéficiaire de cette même église3.
L’interjection signale le planctus. C’est-à-dire sur terre et au ciel. 3 Voir l’introduction pour l’explication de ce terme. 1 2
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J. A. Portner Issu d’une ancienne famille patricienne de la ville impériale libre de Ratisbonne, Johann Albrecht Portner (1628-1687) suit des études de droit, de philologie, de théologie et de rhétorique à l’université de Strasbourg avant de faire un assez long séjour à Montbéliard. Il devient par la suite conseiller d’État à la diète de Ratisbonne. Il s’est intéressé, toute sa vie durant, à la littérature et à l’érudition. Lors des deux séjours qu’il fait à Paris, il fréquente les habitués du cabinet Dupuy et en particulier Ismaël Boulliau. Par la suite, ils entretiennent, de 1652 à 1672, une riche correspondance qui traite des affaires politiques et scientifiques, des livres et des recherches en cours, et qui fournit des nouvelles des amis érudits1. Boulliau annonce à son correspondant la mort de Gassendi le 29 octobre 1655. Dans ses deux réponses du 5 novembre et du 15 décembre 1655, Portner en appelle avec insistance à la responsabilité des savants parisiens qu’il charge de garder vivant le souvenir de Gassendi, qu’il connaissait personnellement2. Il décide quant à lui de composer une élégie à laquelle il ajoute un extrait de la lettre de Boulliau décrivant la mort et l’enterrement de Gassendi3 et une lettre de Jean de Launoy sur le même sujet avec sa réponse. L’ouvrage qui paraît à Ratisbonne à la fin de 1655 est réédité à Paris l’année suivante par Edmund Martin. Nous reproduisons ici le texte de cette dernière édition, car c’était certainement celle que les amis de Gassendi connurent, plus que celle de Ratisbonne. Néanmoins, il faut signaler qu’il manque à cette deuxième édition un passage de la lettre de Boulliau où il décrit comment Montmor avait organisé et payé l’enterrement de Gassendi : ce passage fut de fait supprimé à la demande même de Montmor4. C’est aussi cette deuxième édition qui fut rééditée à la fin de la troisième édition des Institutio astronomica…5 L’un des deux exemplaires de la plaquette indépendante conservés à la Bibliothèque Mazarine est contenu
1
Pour Portner, voir Nellen ch. xiii et les références. Les Lettres latines ne contiennent pas de lettre que Gassendi lui aurait écrite, mais Portner est l’auteur d’une des lettres latines reçues par Gassendi et regroupées elles aussi dans le tome VI. Cette lettre date du 8 juillet 1655 : Portner s’y plaint des guerres civiles qui ont éliminé tous les savants d’Allemagne. 3 29 octobre 1655, BN ms fonds fr. 130941 F 158r. 4 Nellen 425-6. 5 La Haye (Adriaan Vlaacq), 1656, 312-321. 2
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dans un recueil qui semble avoir été donné au Couvent des Minimes par Hilarion de Coste (1595-1661), le biographe de Mersenne. Deux ans après la mort de Gassendi, Portner se lance encore une fois dans le genre des in memoriam en écrivant son Exequiæ Transrhenanæ Ill. viro J. Puteano…, qu’il dédie à Jacques Auguste II de Thou1. Il compose également un éloge de Jérôme Bignon2, dont il prévient dans sa lettre à Launoy qu’il est malade et retenu en province où il prend les eaux, au moment du décès de Gassendi. Il semble qu’il ait composé ces textes dans un esprit un peu intéressé, cherchant à bâtir sa réputation sur les tombeaux de ses amis3.
1 Dans Elegia in obitum illustrissimi viri Jacobi Puteani…, Paris 1657. Voir sur les circonstances de sa composition Nellen 25 n. 102 ; 225, 422-3. 2 Elogium, seu Breviarium vitæ Hieronymi Bignonii […] Johannis Alberti Portneri […] poema, seu Ominosum somnium in ejusdem luctuoso funere […] tum varia elogia a viris doctissimis edita in ejusdem obitum tumulumque (Paris, 1657). 3 Cf. le jugement de Nellen 423.
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LESSVS MORTVALIS ILLVSTRI VIRO PETRO GASSENDO PRÆ POSITO DINIENSI REGIOQVE MATHESEOS IN ACADEMIA PARISIENSI PROFESSORI CELEBERRIMO CANTATVS A JOANNE ALBERTO PORTNERO. REIP. RATISPON. A CONSILIIS Accessit Præfatio ejusdem ad Virum Cl. IOANNEM DE LAVNOY Theologum Parisiensem ; accesservnt simul ipsius LAVNOII, & Cl. itidem Viri ISMAELIS BVLLIALDI Epistolæ de supremis GASSENDI Parisiis, Ex Typographia Edmvndi Martini, vià Iacobæâ, Sub Sole aureo M. DC. LVI. IOANNES ALBERTUS PORTNERUS IOANNI DE LAVNOY THEOLOGO PARISIENSI, S.P.D. S[anctus] P[resbyter] D[ei] EPISTOLA JOANNIS DE LAVNOY THEOLOGI PARISIENSIS AD IO. ALBERTUM PORTNERUM JOANNES DE LAVNOY JOANNI ALBERTO PORTNERO. Ratisbon. Civitatis Consiliario S. P.D. Ad IX . Calend. Novembr. PETRUS GASSENDUS noster hora post meridiem circiter quarta demigravit ab hominibus ; cum annos impleret sexaginta quatuor. Hunc consumit lenta & assidua febris, qua menses duos, diésque totidem laboravit. Quo temporis spatio ut doloris multùm passus est, ita & patientiæ multùm præ se tulit. Ad magnum illud Christianorum viaticum semel, iterum & tertiò sumendum, identidem sese quo decet, ritu & sensu religionis, accinxit. Dum oleo infirmorum ungebatur, acri præsentique animo respondit ipse, &, quod mireris tu, nonnihil errantem presbyterum, cujus lingua menti præcurrit, lenissima voce quæ dicenda fuerant repetendo, correxit. Porrò mentem sanam in corpore non sano, imò insanabili, ad extremum usque spiritum conservavit. In hoc viro literæ artésque bonæ omnes, & cum primis Philosophia, & Mathematicæ disciplinæ id accipivnt vulneris, quod perdiu cicatrices ostendet, id ferunt damni, quod secula duo vix resarcient.
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Lamentations de mort pour l’illustre Pierre Gassendi, prévôt de l’église de Digne et très célèbre professeur royal de mathématique à l’académie parisienne, chantées par Jean-Albert Portner, conseiller de la République de Ratisbonne S’y est ajoutée une préface du même à Jean de Launoy, théologien parisien ; s’y sont ajoutées en même temps aussi des lettres du même Launoy et d’Ismaël Boulliau sur les derniers instants de GASSENDI. A Paris chez Edmund Martin, r. Jacques à l’enseigne du Soleil d’Or, 1656.
LETTRE DE JEAN DE LAUNOY THÉOLOGIEN DE PARIS À JEAN ALBERT PORTNER [S.P.D. saint prêtre de Dieu] Le IX Calend de novembre [24 octobre], notre cher PIERRE GASSENDI a quitté la société des hommes vers quatre heures de l’après-midi1, alors qu’il avait soixante-quatre ans accomplis2. Il fut consumé par une fièvre lente et permanente qui le fit souffrir pendant deux mois et le même nombre de jours. Pendant cette période, quoiqu’il ait enduré une très forte douleur, il fit cependant preuve de la plus grande patience. Il se prépara une première fois à prendre le grand viatique des chrétiens, puis une seconde, et une troisième, à chaque fois selon le rite et l’esprit de la religion, comme il convient. Au moment où il était oint de l’huile des malades, il répondit lui-même d’un esprit vif et présent, et, ce qui t’étonnera, il corrigea quelque peu le prêtre qui se trompait et dont la langue devança l’esprit, reprenant d’une voix très douce les paroles qui devaient être prononcées3. Qui plus est, il resta sain d’esprit jusqu’à son dernier souffle, alors même que son corps avait perdu la santé et qu’il était même incurable. Avec la perte de cet homme, toutes les lettres et les bons arts, et avant tout la philosophie et les disciplines mathématiques reçoivent une blessure telle qu’elle laissera des cicatrices durables, subissant un dommage que deux siècles auront de la peine à réparer. Je pense toujours 1
Mais d’après La Poterie, il est décédé entre 2 heures et 3 heures de l’après-midi. En fait il manquait trois mois (24 octobre au 22 janvier) à Gassendi pour que sa soixantequatrième année soit complète. 3 Même détail dans Sorbière. 2
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GASSENDUM semper cogito & intueor, GASSENDUM semper cogita & intuere, quem carum omnibus & laudabilem reddidervnt peracre ingenium & judicium, incredibile studium, labor indefessus, singularis in asserenda veritate methodus, varia eruditio, eaque exquisitissima, tersa & elaborata scriptio, bonitas eximia & pietas, vitæ gravitas, morumque integritas summa, frugalitas prisca, in explicandis rebus arduis facilitas mira, & intelligentia, comitas par, nec minor verecvndia affabilitasque sermonis. Mortem igitur obiit PETRUS GASSENDUS, Theologus insignis, Diniensis Ecclesiæ Præpositus, & in Academia Parisiensi Regius Matheseos Professor. Enimvero mortalitatem potiùs quam vitam deposuit ; nam vivit vivétque in sempiternum tempus, & in observationibus Mathematicorum, in scriptis & disputationibus Philosophorum, in ore doctorum omnium versabitur. GASSENDI memoriæ eadem erit conservatio, perpetuitas esadem & constantia quæ mvndi. In æde Beati Nicolai Campensis frequentissima celebritate conditus est intra sepulchrum Viri Nobilissimi & Clarissimi HENRICI LUDOVICI HABERTI MONMORII libellorum supplicum Magistri, apud quem ingenuè ac liberaliter manebat, mansitque ab anno M D CLIII quo è Provincia Lutetiam rediit. Non desvnt ex amicis complures, qui vitam GASSENDI commentariis illustrent suis, & cum omni posteritate adæquent. Sic loqui moris est : Ego dicerem : Non desunt, quorum Commentarii illustrabuntur vita GASSENDI, & consecrabuntur ad opinionem mortalium omnium. Enimverò commentariis hujuscemodi facilè carebimus. Quot enim libros GASSENDUS edidit, ii tot svnt vitæ GASSENDI exemplaria, in quibus qua ratione vixerit, tanquam in brevi quadam tabella, nemo non agnoscet. Vale, Lutetiæ Parisiorum VI. Calend. Novembr. An. Chr. MDCLV.
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à GASSENDI et je le vois toujours ; toi, pense toujours à GASSENDI et regarde-le toujours, lui qui s’est fait aimer de tous et a de tous mérité les louanges, grâce à son talent et son jugement très vif, à son savoir incroyable, à son labeur infatigable, à sa méthode singulière pour défendre la vérité, à son érudition variée et, avec elle, à son écriture très recherchée, élégante et élaborée, à sa bonté et à sa piété supérieures, à la dignité de sa vie, à la suprême droiture de ses mœurs, à sa frugalité digne des Anciens, à son aisance incroyable pour expliquer les choses difficiles et à son intelligence, à son affabilité tout aussi grande, à sa non moindre modestie et à l’amabilité dont il faisait preuve dans la conversation. PIERRE GASSENDI, insigne théologien, prévôt de l’église de Digne et professeur royal de mathématique à l’académie parisienne, a trouvé la mort. Non, il a quitté la nature mortelle plutôt que la vie ; car il vit et il vivra toujours pour l’éternité, il se promènera dans les observations des mathématiciens, dans les écrits et les discussions des philosophes, sur les lèvres de tous les savants. La conservation de la mémoire de GASSENDI durera ce que durera le monde, et elle aura la même perpétuité et la même constance que le monde. Il est enterré dans l’église de Saint-Nicolas-des-Champs, sous le regard de bien des gens, près du tombeau du très noble et très célèbre HENRI LOUIS HABERT DE MONTMOR, maître des requêtes, chez qui il vivait en homme libre et dans l’aisance après s’y être installé à son retour de Provence en 1653. Ne manquent pas, parmi ses amis, de très nombreux auteurs qui illustreront de leurs commentaires la vie de GASSENDI et qui la prolongeront aussi longtemps qu’il y aura une postérité. Ainsi est-il coutume de parler. Mais moi je dirais : Ne manquent pas les auteurs dont les commentaires illustreront la vie de GASSENDI & l’immortaliseront dans l’opinion de tous les mortels. Mais en réalité, si ce genre de commentaires venait à manquer, la perte serait légère : car tous les livres que GASSENDI a publiés sont tous autant qu’ils sont des échantillons de la vie de GASSENDI, dans lesquels tout le monde reconnaîtra la manière dont il a vécu, quelque petit que soit le dossier. Adieu, à Paris le VI des calendes de novembre [27 octobre] 1655.
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ISMAEL BULLIALDUS IOANNI ALBERTO PORTNERO S.P.D.1 Celeberrimi Viri PETRI GASSENDI fvnus die hujus mensis 26. decentissima pompa ornatum deduximus. Illustrissimus Dominus Mommorius, in cujus ædibus ab annis duobus cum vnius semisse vivebat, & amicorum mœrentium longum agmen adfuervnt, precibus ad Deum fusis beatas pacificitasque sedes ipsius animæ optantes. Sacris ritè procuratus animam die 24. quæ Dominica fuit, hora post meridiem tertia, exhalavit, postquam annos 63. cum mensibus novem vixisset. Talem tantumque Virum, doctrina æque ac morum probitate clarum ac præstantem, non sine magna lugendi causa omnes literarum studiosi desiderabunt. Communes cum cæteris non solùm jacturæ illius rationes habeo : verùm etiam eò gravior mihi illa accidit, quòd mutuam amicitiam per annos 24. integros sanctè coluerimus ; nullaque vel levissima rixa aut discordia ipsam temerari unquam contigerit ; etsi de quibusdam eadem semper non esset utriusque nostrûm sententia. Testamento de suis nondum editis scriptis, quid fieri vellet, statuit. Nondum illius tabulæ apertæ sunt, quas apud Illustrissimum Mommorium deposuit, ejusque fidei credidit. Peripneumonia extinctus est, qua ab annis quindecim continuis laboravit. Paucos superstites habemus Viros, qui eruditione ac nominis fama pares ipsi aliquando futuri sint etc. Lutetiæ Parisiorum 29. Octobr. 16552.
1
Portner ne publie ici que le deuxième paragraphe de la lettre qu’il a reçue de Boulliau. Dans la lettre originale de Boulliau (BnF Ms fr 13041 ff. 158r – 160v) les premières lignes sont : « Celeberrimi Viri Petri Gassendi funus die hujus mensis 26a deduximus, quod decentissima pompa Ill[ustrisi]mus D[omi]n[u]s Mommorius, in cujus ædibus ab annis duobus cum vnius semisse viuebat, suis impensis ornatum voluit, ipseque adfuit. Sacris rite procuratus animam die 24. quæ dominica fuit, hora post meridiem tertia exhalauit, postquam annos 63. cum mensibus nouem vixisset ». NB. Nous indiquons en italique les changements exigés par Montmor pour l’édition de Paris de 1656. 2
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ISMAËL BOULLIAU À JEAN ALBERT PORTNER S.P.D. Nous avons effectué dans une très belle pompe les funérailles du très célèbre PIERRE GASSENDI. Le très illustre seigneur de Montmor, dans la demeure duquel il vivait depuis deux ans et demi, était présent, ainsi que la longue colonne de ses amis affligés, souhaitant dans les prières qu’ils ont adressées à Dieu que le séjour de son âme soit heureux et qu’elle soit en paix. Purifié comme il faut par les rites sacrés, il rendit l’âme le 24, qui fut un dimanche, à trois heures de l’après-midi, après avoir vécu soixante-trois ans et neuf mois. Tous les fervents adeptes des lettres regrettent – et leur deuil a une juste cause – un homme si considérable et d’une telle qualité, renommé et supérieur autant par sa doctrine que par l’honnêteté de ses mœurs. Non content de faire comptes communs avec tous les autres en terme de perte, j’en suis encore plus gravement touché, parce que nous avons fidèlement cultivé une amitié mutuelle pendant vingt-quatre années entières, sans qu’elle soit jamais souillée d’aucune dispute ou d’aucun désaccord quelque léger qu’il fût, même si nous n’étions pas toujours du même avis sur certains sujets. Il a décidé par son testament ce qu’il voulait que l’on fasse de ses écrits restés impubliés. On n’a pas encore ouvert les dossiers qu’il a déposés chez le très illustre Montmor et qu’il a confiés à sa protection. Il s’est éteint d’une péripneumonie, dont il aura souffert en continu pendant quinze ans. Nous avons peu d’hommes encore en vie qui soient appelés à être un jour son égal en terme d’érudition et de notoriété, etc. À Paris, le 29 octobre 1655.
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IOANNES ALBERTVS PORTNERVS IOANNI DE LAVNOY THEOLOGVS PARISIENSI S. P. D. Remitto Tibi, Vir Clarissime, tuam de obitu GASSENDI nostri ad me Epistolam, sed alio habitu indutam, & carmine meo auctam. Id ego inter alias occupationes effudi veriùs quam elaboravi manibusque viri de omni studiorum genere, de me quoque privatim meritissimi consecratum ivi. Nihil in hoc conatu meo præter pietatem affectumque erga defunctum commendari debet ; cetera quæ huc spectant, quæque vel in aliis laudari, vel a me requiri possunt, elegantioribus, quorum tanta apud vos est copia, ingeniis lubens relinquo. Mihi ad veniam, imò ad gratiam valebit muneri meo qualicunque ratione satisfecisse, quod tunc plenè à me factum existimabo, cùm Tibi cæterisque amicis communibus (inter quos Illustrissimos & omni laude cumulatissimos Viros HIERONYMUM BIGNONIUM & IACOBUM PUTEANUM honoris causa nomino) officium meum non displicuisse intellexero. BIGNONIUM valetudinis causa apud Boios absentem in versibus meis constituo, quandoquidem eum, quo tempore ereptus nobis est GASSENDUS, nondum ad urbem rediise memorasti. Quod idcircò monendum duxi, ne quis fortè mea de Viro maximo verba incongruo ad præsens tempus sensu interpretaretur. Hic partem tantummodo illam literarum tuarum, quæ de supremis GASSENDI tractat, inserui, alteram, quæ de editione libelli tui agit, suo tempore seorsim publicabo. Adivnxi Clarissimi & communis amicitiæ vinculo utrique nostrum conjuctissimi Viri ISMAELIS BULLIALDI ad me de eodem argumento epistolam, fiducia humanitatis, quæ summa in introque vestrûm est, fretus, & perpetua GASSENDI nostro recordatione eò abreptus, ut nihil præter jucundissimas literas vestras ad manum habeam, quod concepto
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JEAN ALBERT PORTNER à JEAN DE LAUNOY THÉOLOGIEN PARISIEN. S.P.D. Je te renvoie, homme très reconnu, ta lettre sur la mort de notre Gassendi, mais dans une autre mise en forme1 et augmentée de mon poème. Je l’ai produit au milieu de mes occupations plus que je ne l’ai élaboré, et je suis allé le consacrer aux mânes de cet homme qui a éminemment bien mérité de tous les genres d’études, et en privé aussi de moi. De ma tentative poétique, rien d’autre ne doit être recommandé que la piété et l’affection envers le défunt ; tout ce qui, sinon, relève de cet art, et qui peut être loué dans d’autres poèmes, voire requis de moi, je le laisse volontiers à des talents plus élégants dont il y a chez vous une telle abondance. J’aurai pour excuse, que dis-je pour motif de pardon, de m’être d’une certaine manière acquitté de mon devoir, ce que j’estimerai avoir fait pleinement quand j’aurai appris que ma contribution n’a pas déplu, ni à toi ni à tous nos amis communs (parmi lesquels je nomme pour leur honneur les très illustres et couverts de toute louange Jérôme Bignon et Jacques Dupuy). Je place dans mes vers Bignon qui est absent, retenu dans le Bourbonnais pour des raisons de santé2, puisque tu as rappelé qu’il n’était pas encore de retour en ville à l’époque où notre Gassendi nous a été ravi. Je pense qu’il faut le mentionner pour éviter que quelqu’un d’aventure n’interprète mes paroles sur le très grand homme dans un sens qui ne convient pas à la présente situation3. J’ai inséré ici seulement la partie de ta lettre qui traite des derniers moments de Gassendi ; quant à l’autre, qui porte sur l’édition de ton opuscule, je la publierai séparément en son temps. J’ai joint la lettre que le très reconnu et très lié à chacun de nous deux par le lien d’une amitié commune Ismaël Boulliau m’a envoyée sur le même sujet, fort de la confiance que je mets dans l’humanité que vous avez l’un et l’autre à un degré suprême, alors que la réminiscence perpétuelle de notre Gassendi m’entraîne si loin qu’en dehors de vos très agréables lettres je n’ai rien sous la main
1
C-à-d imprimée. Pour le cas où quelqu’un viendrait à penser que Bignon est là réellement. 3 Peut-être Portner imagine qu’il doit préciser que Bignon est absent de Paris pour raisons de santé, et non pas pour des raisons politique, c’est-à-dire en raison des troubles de la Fronde. Quoi qu’il en soit, Bignon, effectivement malade, mourra peu après. 2
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ex obitu tanti Semonis dolori opponere possim. Vale, clarissime Vir, ac me tui studiosissimum amare perge. Dat. Ratisbon. Non. Decemb. O. R. [Orbis rectoris] MDCLV.
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que je puisse opposer à la douleur que j’ai conçu pour la perte d’un tel Sémo1. Salut, homme très reconnu, et continue à m’aimer en voyant en moi un homme qui brûle de zèle pour toi. Écrit à Ratisbonne le 5 décembre de l’an 1655 du Maître de l’univers2.
1 Peut-être une référence à Sémo Sancus Dius Fidius, un dieu d’origine sabin associé à la semence et à tout ce qui est divin ou céleste, ou à Sémos de Délos (c. 200 avant J.-C.) antiquaire et géographe. Ou bien cela renvoie à son prénom de Pierre, et alors il faut lire Simon ? 2 Rector mundi. Expression empruntée à la science des médailles, voir Desnier passim. Hévélius l’utilise (Orbis Rectorem Universi) à la fin de sa lettre (imprimée à part) du 10 juillet 1652 à Gassendi et Boulliau concernant l’éclipse du 8 avril 1652.
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IN OBITUM ILLVSTRIS VIRI PETRI GASSENDI, PRÆPOSITI DINIENSIS, REGIIQVE MATHEMATVM PROFESSORIS ELEGIA IOANNIS ALBERTIS PORTNERI AD V.C. IOANNEM DE LAVNOY, THEOLOGUM PARISIENSEM. Cedite vulgares lacrymæ ; geminare dolorem Res jubet, & motu plectra ciere novo. Si modò sufficiunt in acerbos carmina questus, Nec perculsa gravi vulnere lingua riget. Non mirum, si difficiles ad vota Camœnæ Sunt mihi, si numeros & pia verba negant. Ipsæ etenim in tanto tenuere silentia luctu, Visus & est voces exsuperasse dolor. Infremuitque imo Phœbi cortina recessu, Et Musæ positis obstupuere lyris. Pallida cælestis circumfert lumina Titan Axe, gemit casum Cynthia mœsta gravem. Tecta sub obscura flammas caligine condunt Sidera, nec sueta luce corusca micant. Non Eoa nitet solito Dea Cypria vultu, Non vespertinum spargit, ut ante, jubar. Cretæi Pallas cerebro prognata Tonantis Cecropiæ accusat tristia fata scholæ ; Hæc orba & posthac magno caritura magistro GASSENDUM frustra terque quaterque vocat. GASSENDUM nemus omne sonat, lugétque sepultum
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ÉLÉGIE POUR LA MORT DE L’ILLUSTRE PIERRE GASSENDI, PRÉVÔT DE L’ÉGLISE DE DIGNE ET PROFESSEUR ROYAL DE MATHÉMATIQUE À L’HOMME ILLUSTRE JEAN DE LAUNOY, THÉOLOGIEN PARISIEN Cessez, larmes vulgaires ; la réalité oblige À redoubler de douleur et à donner un nouveau coup de plectre, Si du moins des vers suffisent pour exprimer les plaintes cruelles Et si la langue ne se durcit pas sous le coup de sa grave blessure. Il n’est pas étonnant que les Camènes1 répondent difficilement À mes vœux et qu’elles me refusent les rythmes et les pieuses paroles. Elles-mêmes ont gardé le silence après un tel deuil Et la douleur a semblé triompher de leur voix. Le chaudron de Phébus a frémi du fond de sa retraite2, Les Muses ont déposé leurs lyres et se sont tues. Le Titan3 fait tourner ses pâles lumières sur l’axe céleste Cynthia4 affligée pleure son lourd malheur. Les étoiles recouvertes d’une atmosphère obscure cachent Leurs flammes et ne lancent pas leur scintillement habituel. La déesse Cypria5 ne resplendit pas à l’aurore de son visage normal, Ni ne répand au soir comme auparavant sa chevelure. Pallas née du cerveau du Tonnant crétois6 Accuse les tristes destins de l’école cécropienne7 ; Celle-ci, orpheline et privée maintenant d’un grand maître, Appelle en vain trois et quatre fois GASSENDI. Tout le bois consacré résonne du nom de GASSENDI, et le portique pleure 1
Les muses. La cortina ici (« chaudron) de Phébus/Apollon permet de rattacher ce vers à ceux qui le précèdent, à la vocation poétique et prophétique du dieu. Car cela désigne le couvercle placé sur le chaudron ou la partie creuse du trépied de Delphes, sur lequel la prêtresse s’asseyait pour recevoir l’inspiration divine et prononcer ses réponses. Il avait la forme d’un demi-globe, et il est fréquemment représenté de cette façon par les sculpteurs, seul sur le sol aux pieds d’Apollon ; mais quand il est placé sur ce chaudron, les deux ensemble forment un globe complet. Parfois le Dieu est assis dessus. 3 C’est-à-dire Phébus, le soleil. 4 La lune. 5 Vénus, honorée dans l’île de Chypre. 6 Zeus. 7 D’Athènes, ville de Cécrops. 2
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Porticus & tacitis squallet opaca locis. Zeno pater, tristisque a paupertate Cleanthes, Etque Epicuræi tota caterva gregis. Socraticique senes, & quam formarat Athenis Summus Aristoteles mœret amica cohors. Occurrvnt animæ illustres, quibus integra vitæ Mvnere Gassendi fama superstes agit. Huc Tycho Danorum generoso sanguine cretus, Huc quoque Peiresci nobilis umbra venit. Quique solum instabili Copernicus orbe moveri Credidit, in titulis funeris hujus adest. Bellorum exuvias alii, detractaque victis Tegmina, seu dextris Martia signa ferant ; Majorum effigies alii cerasve parentum, Aut priscæ ostentent nobilitatis avos. Quos juvat effuso cæsorum sanguine pasci, Quosque inopes propriæ laus aliena capit. Non hæc Gassendi spectes prælata feretro Arma, ducum cultus convenit iste rogis. Hoc minimum est quodcvnque vides in funere, pompam Posthuma defvncti gloria sola facit. Præfulget series operum, monumentaque chartis Tradita, fatorum nec subitura vices. Proxima subsequitur magnæ Virtutis imago, Cum probitate pudor, cumque pudore fides. Innocui mores, & nulli addicta potentum Libertas, tacito vita peracta lare. Mens æqui rectique tenax, & nescia fraudis Simplicitas animi pace quieta sui. Ultima Virtutum claudit Patientia victrix Agmen, in extremis quæ comes una fuit. Hæc animi totum prostant simulacra per orbem,
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L’homme mis en terre et, sombre, plongé dans le silence, porte le deuil. S’affligent le vénérable Zénon, et Cléanthe, pauvre et austère, Et tout le groupe du troupeau épicurien. Les vieillards socratiques, et la cohorte amie Que l’éminent Aristote avait formée à Athènes. Accourent des âmes illustres, dont la renommée reste bien entière Grâce au don de Gassendi. Vient là Tycho issu du généreux sang des Danois, Vient là aussi l’ombre noble de Peiresc. Et Copernic1, qui a cru que le sol se déplaçait sur un orbe instable, Est présent sur son épitaphe funèbre2. Que d’autres portent dans leur main droite les dépouilles des guerres Les casques soustraits aux vaincus et les enseignes de Mars ; Que d’autres montrent les effigies de leurs ancêtres et les portraits de leurs parents Ou leurs aïeux d’une ancienne noblesse. Il leur plaît de se repaître du sang répandu de ceux qu’ils ont tués, Et la gloire d’autrui les pare, privés qu’ils sont de gloire personnelle. Tu ne verras pas ces armes arborées sur le brancard de GASSENDI : Ce culte convient aux bûchers des généraux. Tout ce que tu vois dans ses funérailles est minimal, il n’est d’autre pompe Que dans la seule gloire du défunt. Étincèlent la série de ses œuvres, ces souvenirs de lui confiés Au papier et qui ne subiront pas les vicissitudes des destins. La grande image de la Vertu le suit, toute proche, La pudeur avec l’honnêteté, et avec la pudeur la bonne foi. Des mœurs innocentes, une liberté qui à aucun potentat N’est soumise, une vie passée dans ses foyers silencieux. Un esprit attaché au juste et au bien, une simplicité qui ignore la perfidie, Satisfaite de la paix de son âme. Dernière des vertus, la patience victorieuse ferme la troupe, Elle qui fut la compagne de ses dernières heures. Ces simulacres de son esprit3 se tiennent sur tout l’orbe, 1
Mentionnés ensemble car Gassendi a été le biographe de chacun. Sur son épitaphie poétique et figurée ; car sur le tombeau réalisé dans l’église de SaintNicolas-des-Champs, Copernic ne figure en aucune manière. 3 À prendre au sens épicurien. Selon Aulu-Gelle (V, 16, 3) : « Épicure pense qu’émane de tous les corps en flux constant certains simulacres de ces corps eux-mêmes, qu’ils se portent dans les yeux et que la sensation visuelle se produit ainsi ». 2
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Nec vitium longi temporis illa timent. Vivit adhuc ipsa spirans in imagine virtus, Et docet exemplo secula nostra suo. Sed gracile exiguæ corpus commititur urnæ, Vespilloque humeris flebile portat onus. Supremæ hoc pietatis opus Monmorius hospes Gassendo officiis præstitit ipse suis. Ad tumulum mœsti funus comitantur amici, Quos vivo Sophies conciliârat amor. Præses es in luctu, ceu præses in ordine summo Augusti effigies vera, Thuane, Patris. Quique tot elatis vivis Puteane superstes Fratribus, orbatæ gloria sola domus, Deliciæ Aonidum, quo jam custode tuetur Regia securos Bibliotheca lares, Tristia Gassendi cineres ad busta secutus Extincto solvis debita justa seni. Tecum docta cohors, Tecum pars magna Senatus Tendvnt purpureæ nomina magna togæ. Bignonus Themidos decus ac titela Minervæ, Quo minor est quisquis summus in orbe fuit, Bignonus cui Boiorum terra alma salubres Præbet aquas, absens & procul Urbe dolet. Tu questus Lavnæe graves suspiriaque imo Morte super tali pectore ducta moves. Qui gemitus Bullialde tui ! cui carior alter Non fuit, aut docto notus in orbe magis. Mœsta Valesiadæ properant ad minina fratres, Par, cui rara pares secula ferre solent. Hic etiam Capelanus adest, facunde Menagi Huc Tecum Halleum, Nubletiumque trahis. Famaque jam patulas latè diffusa per auras Omnibus hanc mortem publicat una locis.
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Et ils ne craignent pas de subir les attaques du temps. La vertu qui respire vit encore en image Et instruit nos siècles par son exemple. Mais son corps chétif est confié à une urne étroite, Et le croque-mort porte un poids affligeant sur ses épaules. Montmor, l’hôte de Gassendi, lui offre par ce service Cette marque de sa suprême piété. Les amis chagrinés accompagnent le cortège jusqu’au tombeau Que l’amour de la sagesse avait gagné au vivant. Tu présides au deuil, c’est-à-dire que tu es le premier dans l’ordre Toi, De Thou, vraie effigie du vénérable Auguste1 : Et toi Dupuy, seul survivant de tous tes frères décédés, Seule gloire d’une maison orpheline Délices des Aonides2, sous la garde duquel La bibliothèque royale veille sur les lares en toute sécurité, Suivant les cendres de Gassendi jusqu’aux tristes sépulcres Tu rends les honneurs funèbres au vieillard défunt. Avec toi la docte cohorte, avec toi la plus grande partie du sénat Déploie les grands noms de la toge pourpre. Bignon gloire de Thémis et protecteur de Minerve Lui qui est supérieur à tout homme qui fut immense dans le monde, Bignon, à qui la terre revivifiante du Bourbonnais offre ses eaux3 Salutaires, est absent et souffre loin de la capitale. Toi, Launoy, tu répands sur la mort des plaintes lourdes Et des soupirs que tu tires de ton cœur si imposant. Quels gémissements sont les tiens, Boulliau ! qui n’as pas eu De plus cher ami et dont la célébrité est sans égale dans le monde savant. Les frères Valois se hâtent vers les seuils chagrins, Couple tel que rares sont les siècles qui en aient porté d’égal. Chapelain est là aussi, et toi disert Ménage Tu traînes avec toi Hallé ; et Nublet. Et la renommée déjà répandue par les brises généreuses Annonce cette mort en tous lieux. 1
C’est-à-dire de son aïeul Jacques-Auguste. Autre nom des muses (surtout chez Ovide). La montagne d’Hélicon, l’un des deux lieux de leur culte, se trouve en Boétie, anciennement connue sous le nom d’Aonie. 3 Quelque deux ans plus tard, Portner écrira un poème in memoriam pour Bignon. 2
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Deformis lacero flet damna domestica vultu Gallia, & assiduo proluit imbre genas. Et queritur superinductas instare tenebras Artibus, ac densam surgere barbariem ; Scissa comas, confusa oculos, lacrumabilis ora Arguit heu ! sævæ jussa superba necis. Tristis in Oceanum descendit Sequana lento Amne, nec assueto murmure blanda fluit Matrona, nec solitum servat Ligérisque colorem, Et cohibet rapidos ipse Garumna sonos. Vicinus Diniæ casuque Druentia tali Turbatis Rhodanum decolor intrat aquis. Nec tamen ereptum tantùm sua Patria civem Luxit, & in manes officiosa fuit. Per medias Alpes celeri ruit impete raptus, Atque Apennini per juga celsa dolor. Eridanum ferit hic clamor, populique moventur Italiæ, & finem rebus adesse putant. Euganei colles, cum Tyrrheno Adria ponto Questibus implêrunt littus utrumque piis. Romulidæque Gassendi obitum cunctique Quirites Plorant, & Latii nota per arva gemvnt. Iste sed Hesperias rumor non solus ad urbes Pertulit ingentis nuncia verba mali ; Hæc etiam ad doctos properavit fama Batavos, Et lacrimas Vahalis cultaque Leida dedit. Neptunus pater infremuit, Tritonia pubes In luctu salsis ora rigavit aquis. Cis Rhenum & nostras eadem penetravit in oras Quâ Lycus & Boios alluit Œnus agros.
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La France défigurée, le visage mutilé, pleure Sa perte domestique et fait couler sur ses joues une pluie assidue. Et elle se plaint de ce que les ténèbres qui l’envahissent pèsent Sur les arts et de ce que surgisse l’épaisse barbarie ; La chevelure coupée, de la confusion dans les yeux, des larmes sur le visage, Elle incrimine, hélas, les ordres superbes de la mort sauvage. La Seine triste descend de son cours lent, Vers l’océan, et la Marne caressante ne coule pas De son murmure habituel ni la Loire ne conserve sa couleur normale, Et la Garonne elle-même retient ses sons rapides. La Durance voisine de Digne entre dans le Rhône qui en a perdu ses couleurs, Les eaux troublées par un tel malheur. Sa patrie cependant n’a pas porté le deuil de son si grand citoyen À elle ravi ; et elle fut obligeante envers ses mânes. La douleur emportée dans un élan rapide s’élance au milieu des Alpes Et passe par-dessus les cols élevés des Apennins. Cette clameur frappe l’Éridan1, et les peuples d’Italie S’émeuvent et pensent que le monde est arrivé à son terme. Les monts euganéens2, l’Adriatique avec la mer tyrrhénienne Ont rempli les deux rivages de leurs pieuses plaintes. Les Romulides et tous les Quirites3 déplorent le décès De Gassendi, et les Latins gémissent dans leurs plaines illustres. Mais cette rumeur n’a pas seulement apporté aux villes d’Hespérie4 Les mots annonciateurs d’un immense malheur ; Cette renommée s’est aussi hâtée vers les doctes Bataves, Et le Waal et Leyde cultivée ont donné des larmes. Le vénérable Neptune a frémi, les jeunes tritons Ont de deuil durci leur visage dans les eaux salées. En deçà du Rhin, elle a aussi pénétré nos rivages Par là où le Lech et l’Inn ont lavé les champs bavarois. 1
Autre nom du Pô. Petite chaîne de montagnes dans la Vénétie commençant au nord d’Abano et se terminant près d’Este. 3 Les Romulides étaient les descendants de Romulus ; les Quirites étaient les habitants plus anciens de Rome – les Sabins et les Latins. Plus tard quirite désignait un habitant de Rome non-militaire. 4 Strictement l’Italie et /ou l’Espagne. 2
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Ipse ego qui gelidum dego submotus ad Istrum, Bavaricique colo Norica castra soli, Indice Te, Lavnæe, acris primordia morbi Cognovi, & lentæ tempora tracta necis. Mox, ubi sublatum terris cæloque receptum Pagellæ primùm me docuere Tuæ, Obstupui, riguere comæ, vox hæsit in imo Gutture, & in vultu nil nisi pallor erat. Nec verba in numeros toties venere rogata, Et pulsare chelyn non potuere manus. Sed tamen in tanto vocem tenuisse dolore Dedecus, & fœdi criminis instar erat. Hinc castis cedvnt precibus, pia numina, Musæ, Annuit & votis lenis Apollo meis. Jamque Elegi fluxere satis ; jam claudere rivos Poscimur, & versus parca Thalia negat. Cetera posteritas pleno ventura loquetur Ore per Eoas Occiduasque plagas. Tu verò ætherias inter novus advena mentes Cœlica cum superis ocia lætus agis. Tu jam sidereos anima complecteris orbes, Gassende, & celsi candida regna poli. Hîc oculos explere tuos, hîc libera spissis Cernere sublimi nubibus astra licet. Emeritum caput Vranie fulgentibus addet Ignibus, & cælo sidera plura dabit. Interea molli frueris placidaque quiete Elysios inter, pulchrior umbra, choros, Sirmondiqve tui jvnctus, magnisque Petavi Manibus optatæ secula pacis inis. Te colit, umbrosisque arctè Rigaltus ulnis Hæret, & obverso totus in ore stupet. Te Pvteana domus multum de fratre Iacobo Quærit, & huic vitæ tempora longa vovet.
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Moi-même qui passe ma vie au loin au bord de l’Ister1 gelé Et cultive les camps noriques de la terre bavaroise, J’ai appris par toi qui me l’as indiqué, Launoy, les prémices De sa maladie cruelle et la longue durée de sa mort lente. Bientôt, quand tes petites pages m’ont appris Qu’il fut enlevé à la terre et reçu au ciel, De stupeur je me suis tu, mes cheveux se sont raidis, ma voix s’est figée Dans le fond de ma gorge, et mon visage n’était que pâleur. Et les mots demandés tant de fois ne sont pas venus en rythme, Et mes mains n’ont pas pu toucher la lyre, Mais enfin dans une telle douleur avoir retenu sa voix Eût été un vice, presque un crime horrible. Donc les Muses, pieuses divinités, cèdent à mes chastes prières, Et le doux Apollon exauce mes vœux. Et déjà les vers élégiaques ont assez coulé, et me voici prié De fermer ces torrents, et Thalie l’avare me refuse les vers. La postérité dira d’une bouche pleine tout ce qui est à venir Partout sur les étendues de l’Orient et de l’Occident. Mais toi nouvel arrivant parmi les esprits éthérés Heureux et content tu partages les loisirs2 célestes des dieux d’en haut. Tu embrasses déjà de l’âme les orbes étoilés, Gassendi, et les royaumes candides du pôle altier. Il t’est permis de remplir là tes yeux, de voir là, sublime3, Les astres dégagés des nuages denses. Uranie ajoutera ta tête qui le mérite aux feux Resplendissants et donnera au ciel plus d’étoiles. Pendant ce temps tu jouiras du repos doux et paisible Parmi les chœurs élyséens, ombre plus belle, Et, uni aux mânes de ton Sirmond et de ton Pétau, Tu entreras dans les siècles de la paix désirée. Rigault s’attache à toi et s’arrête tout contre Les aulnes ombragés. Et de se figer, immobile, le visage tourné vers toi. La maison Dupuy t’interroge beaucoup sur leur frère Jacques Et fait des vœux pour qu’il ait encore de longs instants de vie. 1
Danube. Lisant otia pour ocia. 3 À lire au sens propre de météore : Gassendi est « dans les airs ». 2
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Te socio Galilæus ovat, Naudæus amicum Excipit, & secum ad mollia prata vocat. Balzacii ad famam hanc genius caput extulit umbris, Gassendoque cupit proximus esse suo. Longævi senior venit ad loca nota Guyeti Spiritus, & claro cultu comes ire seni. Circumstant animæ Heroum mentesque beatæ, Cælicolæque novo laurea serta parant. Nos ima tellure satis vestigia tanta Quin sequimur, tuto quo licet usque sequi ? Marmore de Pario statuam ponamus, & aris Incisa hæc nostri stent monumenta senis. HOC. IACET. IN. TENUI. SAPIENTIA. CLAUSA. SEPULCRO. GASSENDUS. PATRIA. NOTIOR. ILLE. SUA. QUI. MERITIS. STUDIIS. COMPLEXUS. OLYMPUM. EST. HIC. SITUS. EST. ALTER. TOTIUS. ORBIS. ATLAS. Huic tumulo flores nexasque impone corollas, Ac pius inceptum siste Viator iter. Aspice quot modica dotes condantur in urna, Et dic ; GASSENDI MOLLITER OSSA CUBENT. Huc violas affer calathis mollesque hyacinthos, Liliaque & teneras hac sere parte rosas. Cinnama Arabs, dites affvndant thura Sabæi, Floraque solerti vestiat arte solum. Hoc Natura dabit. nobis sint carmina curæ, Et puro effigies ære dicanda Viri. Te, Gassende, loquor, quem, si modo fama perennat Quam tribuit virtus, non obiisse reor. Venturis illustre decus memorabere seclis : Te præsens ætas, Teque futura canet.
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Galilée te fait une ovation de joie comme à un allié, Naudé te reçoit Comme un ami et t’appelle avec lui dans les prés tendres. Le génie de Balzac a dressé la tête hors des ombres en entendant la rumeur Et désire être proche de son Gassendi. L’esprit plus vieux du très âgé Guyet vient jusqu’aux lieux connus Et veut être le compagnon du vieillard célèbre. Les âmes et les esprits heureux des héros se tiennent autour, Et les habitants des cieux préparent pour le nouveau venu des guirlandes de lauriers. Pourquoi ne pas suivre tes traces depuis la terre tout en bas Aussi longtemps que nous pouvons marcher en sécurité ? Posons une statue en marbre de Paros et que sur les autels Ces souvenirs de notre vieillard soient gravés1 CI.GÎT.LA.SAGESSE.ENFERMÉE.DANS.UN.PETIT.SÉPULCRE CE.GASSENDI.PLUS.CONNU.QUE.SA.PATRIE. QUI.PAR.SES.ÉTUDES.MÉRITOIRES.A.EMBRASSÉ.L’OLYMPE ICI.EST.PLACÉ.CE.NOUVEL.ATLAS.DE.TOUT.L’ORBE.DU. MONDE. Pose sur ce tombeau des fleurs et des couronnes Et interromps ta route, pieux voyageur. Regarde combien de talents sont enfermés dans une humble urne Et dis : QUE LES OS DE GASSENDI REPOSENT MOELLEUSEMENT. Apporte ici des violettes dans des paniers et de tendres hyacinthes Et sème par ici des lis et des roses tendres. Que les Arabes versent de la cannelle et les riches Sabéens de l’encens Et que Flore habille le sol de son art adroit. La nature y pourvoira. Pour nous, nous avons les vers à notre charge Et le portrait de l’homme à consacrer dans le bronze pur. Toi, Gassendi, dis-je, dont je crois que, pourvu que dure longtemps La renommée due à la vertu, tu n’as pas péri. Ta gloire illustre restera en mémoire dans les siècles à venir : L’âge présent te chante, l’âge futur te chantera.
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Les majuscules et les points entre les mots imitent la matérialité des inscriptions sur les pierres tombales.
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Claude Quillet Né à Chinon en 1602, il fait des études de médecine. Après son intervention imprudente, en sa qualité de médecin, dans l’affaire des possédées de Loudun1, il doit se réfugier en Italie ; il prend l’habit ecclésiastique à Rome où il devient le secrétaire de l’ambassadeur de France, le Maréchal Hannibal d’Estrées. C’est là qu’il commence à écrire sa Callipédie qu’il termine quand il revient à Paris après la mort de Richelieu (1642) et qui sera édité à Leyde sous le pseudonyme de Calvidius Lætius (anagramme de son nom) en 16552. Quoique médecin de Anne d’Autriche, pendant une courte période il est vrai, Quillet prend position contre Mazarin pendant la Fronde, insérant même des passages contre le cardinal-ministre dans la Callipédie. Il se range cependant par la suite dans le parti de Mazarin, qui le dote de la riche abbaye de Doudeville dans le diocèse de Boulogne. Il devient dès lors un de ses défenseurs les plus sûrs3. D’après Patin, « M. Quillet est un gros garçon rougeaud et à col court, d’environ cinquante-cinq ans. Je l’ai souvent entretenu ; il était fort ami de M. Gassendi ; il a bon esprit et est fort savant »4. Quillet qui fut ami de Tallemant était aussi très lié avec la famille Voiture et avec le Cardinal de Retz. À sa mort, qui survient à Paris en septembre 1661, Quillet laisse une traduction des satires de Juvénal5 et un Henricias, poème sur Henri IV, qu’il
1 Ami de Grandier, il est appelé, comme médecin, à assister à ses interrogatoires, et il le défend. Voir Pintard I, 222 ; Tallemant des Réaux ii, 90-91. Pour l’intervention efficace de Quillet dans une affaire de possédées dans sa ville natale voir Mandroux 252-6, 282-3. 2 Callipædia, seu de pulchræ prolis habendæ ratione, poëma didacticon ad humanum speciem belle conservandam apprime utile. 3 Antoine Léonard Thomas (1732-1785), Essai sur les éloges (publié en 1822, posthume) : « Quillet ennemi du cardinal, on ne sait pourquoi, dans la première édition de son ouvrage avoit inséré plusieurs morceaux contre lui. Mazarin le fit appeler, lui fit des reproches de ce qu’il traitoit si mal ses amis, et lui donna sur-le-champ une abbaye de quatre mille livres. Quillet eut d’abord la bassesse d’accepter ce bienfait d’un homme dont il avoit dit du mal ; et, comme s’il n’eût attendu qu’un salaire, dès qu’il fut payé, il fut flatteur. Il fit une dédicace au même homme qu’il avoit outragé, et substitua par tout l’éloge à la satyre, trouvant le moyen de s’avilir à-la-fois par tous les deux ». 4 Lettre à Spon 26 février 1656. Cf. Tallemant des Réaux ii, 42-3. 5 Cette traduction a disparu. Marolles aura du reste remarqué à ce propos qu’il ne sait pas si elle « verra jamais le jour, puisqu’il faut aujourd’hui payer les Editions des plus grand Poèmes ». « Dénombrement » 344.
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confie à Gilles Ménage, avec un legs de 500 écus, et la charge de le publier. L’ouvrage ne verra jamais le jour1. Quillet rencontre Gassendi chez Habert de Montmor, beau-frère du Maréchal d’Estrées. Outre l’admiration que le prévôt de Digne lui inspire d’emblée, il faut relever une certaine influence de ses idées2. Par exemple, pour expliquer le rôle de l’imagination sur la formation de l’enfant il se sert des idées d’Épicure, restaurées par Gassendi. Il n’en reste pas moins que la Callipédie est un texte insolite, présentant un curieux mélange de modernités scientifiques et de croyances populaires, dans lequel d’aucuns veulent voir la première formulation, encore balbutiante, de l’eugénisme. C’est dans l’édition de Paris de 16563, qui paraît sous son nom, que Quillet ajoute sa célébration de Gassendi, parue en opuscule séparée l’année précédente. Elle sera aussi rééditée à la fin de la troisième édition de l’Institutio astronomica…4
1
Pour la vie de Quillet et plusieurs de ses vers inédits, voir Montgrédien. Bayle détecte chez lui une forte influence de Lucrèce, dont Gassendi a sans doute été le passeur. 3 Cl. Quilleti Callipædia, seu de Pulchræ prolis habendæ ratione, poema didacticon, cum vno et altero ejusdem authoris carmine, Paris, T. Joly, 1656. 4 La Haye 1656, 322-5. Les pages 322-23 sont numérotées 116-117. 2
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IN OBITV PETRI GASSENDI LVGVBRE ENCOMIVM. Parisiis, Ex Typographia Edmvndi Martini, vià Iacobæâ, Sub Sole aureo M. DC. LV. LVGETE Aonides, tuque ô pulcherrima Pindi Vranie largis fletibus ora riga. Conspicuas lacerata genas, effusa capillos Plange ; sonent mœstis sidera pulsa modis. Ille tuus GASSENDVS obit, tua maxima cura Gassendus, studii gloria summa tui : Gassendus tam fida tibi qui præstitit usque Obsequia, æthereâ mente fidelis Amans. Ah quoties bifidi vigilem te in vertice montis Miratus, noctis frigora dura tulit ! Sidereos quoties tecum dum suspicit orbes, Atque altum sapiens tollit ad Astra caput, Immites sensit brumas, vernosque tepores, Noctiuagæque facem luminaque vda Deæ ! His crebris tandem studiis succumbit anhelus Gassendus ; tanto victus amore perit. Quippe altas rerum causas, mundique perennes Acri vestigat dum ratione vices ; Corporeæ tanto languent conamine vires, Pectoraque assiduo fessa labore gemunt. Hinc obit ; & corpus mens aspernata caducum Deserit optato restituenda polo.
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Sur la mort de Pierre Gassendi, éloge funèbre
Pleurez, Aonides1, et toi, ô la plus belle déesse du Pinde2, Uranie, baigne ton visage de larmes abondantes. Tes magnifiques joues déchirées, tes cheveux épars, Gémis ; et que les étoiles que tu frappes de ta tête résonnent de tristes mélodies3. Ton Gassendi est mort, ce grand homme, le plus grand de tes soucis, Gassendi, la plus haute gloire de ta discipline ; Gassendi qui te manifesta les preuves de son obéissance Toujours si fidèle, ce féal amant qu’un esprit éthéré anime. Ah que de fois sur le sommet de la montagne fendue en deux4 Pour t’admirer dans tes veilles5, il supporta les rudes froids de la nuit ! Chaque fois qu’avec toi il a regardé les orbes étoilés Et a levé sa tête de sage haut vers les astres Il a senti les cruautés de l’hiver et les tiédeurs du printemps, La torche de la Déesse noctambule et ses lueurs humides ! À ses études sans cesse reprises succombe enfin Gassendi essoufflé ; il périt la victime de son excès d’amour6. Car tout le temps qu’il explore d’une méthode perçante Les causes profondes des choses et les constantes révolutions du monde, Les forces de son corps sous un tel effort languissent, Et sa poitrine épuisée de ce labeur quotidien gémit. D’où il meurt ; et son âme quitte son corps labile qu’elle méprise 1
Voir note 2 p. 279. L’association des muses avec le Pinde (Thessalie) est faite par Horace (Odes I, 12, 6). 3 La couronne d’étoiles autour de la tête d’Uranie est un attribut qui ne fut ajouté aux représentations de la déesse qu’au XVIIe siècle. Hall 217 sans référence. 4 Quillet n’évoque sans doute pas ici les deux sommets du Cousson et du Tanaron, qui servaient à Gassendi de lieux d’observation, à Digne, mais l’Hélicon, comme le prouve l’évocation d’Aonie quelques vers plus bas. 5 C’est pendant la nuit qu’Uranie est éveillée. 6 Voir Gassendi neveu : « Il oublioit sa santé demeurant des nuits entiers à l’air froid, ou serain ». 2
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Ergo tuo Vranie nimiùm dum carpitur igni Gassendus tristi funere fata subit. Sed quid ego Aoniam lugens incuso sororem ? Quid querulis Elegis te, Dea amanda, peto ? Ille Hominum sutor omnipotens, verusque Prometheus Gassendum nobis qui dedit, ille rapit. Hunc rapit, & merito felicem donat Olympo ; Huic dat & æthereo cominus orbe frui. Quas Superum æternas sedes ; quæ lucida longo Gassendus studio quæsiit, Astra tenet. Quas rerum causas rebus scrutatus in ipsis, Has demùm in summo conspicit Archetypo. O divûm mensis sedeat quis dignior usquam ! Quis melior cælum promeruisse queat ? Ille indefessus veri servator & æqui, Præluxit cvnctis simplicitate sophis, Simplicitate quidem sanctâ, pietate peritâ, Et quam terrenus non violauit honos. Extremas, quamuis famâ celebratus ad oras ; Doctrinâ quamvis notus ubique suâ, Non ideò intumuit vanus : volitare per ora Dedignans, meritis laudibus erubuit. Otia conjvnxit Musis, doctamque quietem, Et mores verâ Relligione pios. Huic tenuis census, modicæ gratissima vitæ Commoda, & insontes huic placuere lares. Novi equidem (rabidus quoniam petit optima liuor) Huic Bavium insanis obstrepuisse modis :
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Pour trouver sa place au ciel qu’elle désire Donc tandis qu’à ton feu, Uranie, est GASSENDI Par trop ravi, il subit son destin par de tristes funérailles. Mais pourquoi dans mon deuil accuser Aonie, ta sœur ? Pourquoi te solliciter de mes vers plaintifs, aimable déesse ? Ce tout-puissant fabricateur1 des hommes et véritable Prométhée Qui nous a donné Gassendi nous le ravit. Il le ravit d’ici et en fait don légitime, pour son bonheur, à l’Olympe ; Il lui offre d’en jouir de tout près ainsi que de l’orbe étoilé. Gassendi habite les séjours éternels des dieux d’en haut, les luminaires Qu’au long de ses longues recherches il a recherchés. Les causes des choses qu’il a scrutées dans les choses mêmes, Il les contemple enfin dans leur souverain Archétype. Ô qui serait jamais plus digne de s’asseoir à la table des dieux ! Qui pourrait mieux avoir mérité le ciel ? Lui, cet infatigable serviteur du vrai et du juste, Sa simplicité le fait briller plus que tous les Savants2, Une sainte simplicité, nourrie de piété, Et telle que les honneurs terrestres ne l’ont pas souillée. Quoique sa renommée le rende fameux jusque sur des rivages les plus éloignés, Quoiqu’il soit partout célèbre à cause de sa doctrine Il ne s’est pas pour autant enflé de vanité ; dédaignant de voler de bouche En bouche, il a rougi sous les louanges qu’il mérite. Il a joint aux Muses le loisir et un docte repos, Et des mœurs rendues pieuses par la vraie religion. Il a préféré un maigre revenu, les avantages très agréables d’une vie Modeste et un foyer qu’habite l’innocence3. J’ai certes appris (puisque la jalousie mord avec rage ce qu’il y a de meilleur) Qu’un Bavius4 l’avait importuné de chansons insensées : Sutor, littéralement cordonnier. Pédantisme, en grec, Sophi. 3 Paraphrase d’Horace. 4 Mauvais poète, ennemi de Virgile et d’Horace. C’est probablement Morin qui est visé ici, parmi les détracteurs de Gassendi. 1 2
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Garrulus argutum grauiter tulit anser olorem, Et raucas fœdo miscuit ore sonos. Haud tamen iratas Gassendus reddere voces, Nec voluit diro bella fouere stylo : Ignouit strepero nebuloni, & temnere vanum Maluit, alternis quàm lacerare probris. Nimirum & calami & linguæ mala verba procacis, Gassendo semper displicuere bono. Huic magnos laudare viros fuit vnica cura : Huic gratus doctos concelebrare labor. Testis es, ô Salyæ PEIRESCI gloria terræ : Testis es, ô Danûm lucida stella TYCHO : PVRBACHIUS testis ; testis COPERNICUS ; & qui Monte a regali nobile nomen habet. Illustres animæ, Sophiæ cœlestis amantes, Vranies fidi, pectora sacra, proci : Vt vobis pulchros pius instauravit honores Gassendus ! vita vt vos meliore beat ! Vos Gassendææ ventura in sæcula chartæ Æternùm clarâ laude vigere dabunt. Interea nos eximii queis cernere docta Ora viri licuit, colloquioque frui ; Huius solemni manes pietate colamus ; Huius & in tumulum florea messis eat. At tu ô MON-MORI veræ virtutis amator, Gassendi columen, præsidiumque sophi, Quicum præstantum dulcis consensio morum Firmarat sanctæ fœdus amicitiæ : Quandoquidem ille tuus dudum spectabilis hospes
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L’oie bavarde a eu du mal à supporter le cygne mélodieux1 Et a produit de rauques sons de sa bouche perverse. Gassendi n’a pas voulu cependant dire des paroles de colère Ni entretenir les guerres à coup de plume cruelle : Il a pardonné au vaurien strident et a préféré Mépriser le fat, plutôt que de le déchirer en lui rendant ses insultes. Assurément les mauvais mots et de la plume et d’une langue impudente Ont toujours déplu au bon Gassendi. Il eut pour seul souci de louer les grands hommes ; Il eut pour agréable tâche de célébrer les savants. Tu en es le témoin, ô PEIRESC, gloire de la terre des Sallyens2 ; Tu en es le témoin, ô TYCHO, lumineuse étoile des Danois ; Témoin, PEURBACH ; témoin COPERNIC ; et celui qui Tire son noble nom d’un mont royal3. Illustres âmes, Amants de la céleste Sagesse, Féaux d’Uranie, ces poitrines saintes, tes soupirants : Comme le pieux Gassendi vous a élevé De beaux honneurs ! Comme il vous gratifie d’une vie meilleure ! Les pages gassendiennes pour les siècles à venir Vous donneront de prospérer éternellement d’une illustre louange. En attendant, nous qui avons eu la chance de voir le docte Visage de l’homme remarquable et de jouir de sa conversation : Nous devons rendre un culte à ses mânes en une solennelle piété ; Et qu’une moisson de fleurs aille sur sa tombe. Et toi ô MONTMOR, amateur de l’authentique vertu, Soutien et protection du sage Gassendi, Qui, grâce à la douce harmonie de tes mœurs excellentes, Avait tissé avec lui les liens d’une sainte amitié : Puisqu’il était ton hôte remarquable et que c’est sous tes lares 1
Les poètes classiques font du cygne la métaphore du bon poète et l’opposent à l’oie (Virgile, Bucoliques, IX, 36 : « Mais je criaille, telle une oie parmi des cygnes harmonieux »). La métaphore est ainsi reprise par les Modernes. Voir, par exemple, un proverbe français du xvie siècle : « Vous y serez cogneu comme un oyson parmy les cygnes ; je voulais dire comme un cygne parmy les oysons ». Balzac écrit à Chapelain, 10 juillet 1645 : « Que je veux mal à ces ridicules oisons qui veulent faire les cygnes ! ». 2 Peuple ligurien établi dans la Narbonnaise. 3 Regiomontanus.
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Sub laribus fudit verba suprema tuis, Consignata tibi pretiosi volumina, nobis Imperti, & cunctis da potiunda sophis. Nobilis hæc te cura manet, te spectat amicus Hic labor, & tanto debita fama viro. Sic tua Gassendi comes addita gloria laudi, Letheos spernet non peritura lacus. Sic pia Posteritas, & amantes pulchra nepotes, Persoluent curæ præmia digna tuæ. Tu verò ô nostræ decus immortale Camœnæ, O Gassendi animæ pars rediuiua piæ, Æterno charum celebra CAPELANE sodalem Carmine, lugubri pectine tange chelyn. Ille inconcusso qui se tibi iunxit amore, Hæc animi poscit munera grata tui. Ast ego cui notum seræ sub tempore vitæ Gassendum infelix abstulit interitus, Has lugens fundo lachrymas ; & quod mea tristis Musa potest, gemit hos officiosa modis. Gassendi duro tegitur sub marmore corpus, Gassendi doctâ simplicitate pii. Mens celsum è terris dudùm suspexit Olympum ; Nunc eadem è celso despicit axe solum.
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Qu’il a prononcé récemment ses dernières paroles, Accorde-nous les précieux volumes qui te sont consignés Et donne-les à boire à tous les sages. Ce noble soin t’incombe, ce travail amical T’attend, ainsi que la renommée due à un tel homme. Ainsi, ta gloire ajoutée comme compagne à la louange de Gassendi Méprisera les étangs léthéens et ne périra pas Ainsi la pieuse Postérité et nos descendants amant du beau T’accorderont-ils des récompenses à la hauteur de ton soin. Quant à toi, ô gloire immortelle de notre Camène1 Ô pieuse partie de l’âme de Gassendi revenue à la vie, CHAPELAIN, célèbre ton cher camarade dans des vers Éternels, touche ta lyre d’un plectre endeuillé. Lui qui s’est uni à toi d’un amour inébranlable, Il réclame ces agréables cadeaux de ton cœur. Et moi à qui la mort funeste a retiré Gassendi Que j’ai connu dans la fin de sa vie C’est plein de chagrin que je verse ces larmes ; et tout ce que ma triste Muse Peut, elle le gémit avec empressement dans ces vers. De Gassendi le corps est couvert d’un marbre dur ; Cet homme pieux d’une docte simplicité. Son esprit a longtemps regardé depuis les terres l’altier Olympe ; Maintenant il regarde le sol du haut de la voûte altière.
1
Les Camènes, à l’origine déesses romaines des eaux ont été identifiées aux muses à partir de l’Odyssée de Livius Andronicus.
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André Rochabrun (? – après 1676). Issu d’une famille de juristes, il est le fils de Jacques Rochabrun, procureur à Digne. Il a eu trois frères, Paul, notaire royal et procureur à Digne, Spérit, avocat à la cour, et Jean-Baptiste, procureur à Digne. Il est titulaire d’un doctorat en théologie1. Le 8 juin 1709, soit lui, soit un de ses successeurs du même nom laisse à l’église de Saint Christophe de Malijai une maison qui jouxte la maison curiale.2
Andreas Rochabrun, « Epitaphium d.d. Petri Gassendi Eruditissimi phi. et mathematici » BM Grenoble ms 4139 no 42 (figure 5) Æternâ fulget Gassendus mente creatus mortali fulget, Numine factus humo ; Ut mirum videat quidquid natura negabat humanis oculis ætheris atque Soli, et sinat Immensi secreta polique Solique Innumeris nostro picta Sub ore libris. Proh dolor ! Hic animus superbas euasit ad auras, Et petri nunquam mortua corda Jacent omnibus has natura Jubet persolvere leges, Talibus hac dantur præmia cœlo viris. Andreas Rochebrvn doctor theologus prior locorum maliiaj et belveze
1 Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Inventaire sommaire de la série B : B2240, p. 570. 2 Isnard, Y. 88.
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André Rochabrun, « Épitaphe sur l’homme de Dieu Pierre Gassendi philosophe et mathématicien très érudit. Gassendi brille, créé avec un esprit éternel, Il brille avec une volonté mortelle, lui qui est fait de terre, Pour qu’il voie toutes les choses merveilleuses du sol et du ciel que la nature refusait à ses yeux humains, Et qu’il ouvre les secrets de l’immense ciel et du sol Qu’il a peints pour nous dans des livres innombrables. Ô douleur ! Cette âme a abouti aux brises superbes Et le cœur de Pierre, jamais mort, gît ici ; La nature ordonne à tous d’obéir à ses lois, À de tels hommes ces récompenses sont données dans le ciel. André Rochabrun docteur, théologien prieur des lieux de Malijai1 et Beauvezet2
1 Malijai est un village des Alpes-de-Haute-Provence, sur la rive droite de la rivière de la Bléone, à dix-neuf kilomètres de Digne. 2 Beauvezet, lieu-dit voisin de Malijai.
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Samuel Sorbière1 Lettre à Jean Bertet envoyant une épitaphe écrite sur Gassendi par ses disciples François Bernier, Abraham Du Prat, Thomas Martel et Samuel Sorbière2. Viro Doctissimo, Sapientissimo & Reverendissimo PATRI JOANNI BERTETO, e Societate Jesu, Philosophiæ Professori eruditissimo : SAMUEL SORBERIUS S.P.D. Accepi Epistolam, humanitate & sincera affectu, non minus quam doctrina & ingenio plenam, quam ad me Barberio nostro curante scripsisti, Reverendissime Pater, diebus nonnullis post obitum Summi Viri Petro Gassendi, qui contigit IX. Kal. Nov. Quæ autem eo tempore reddita fuit, quo undiquaque per caput & circa saliebant latus negotia centum molestissima, unde me prorsus extricare nondum potui, ut confestim respondere honori quo medignatus es, penes me sane vix fuerit. Spero tamen futurum brevi, ut expeditis rebus urgentioribus redeam cum Musis in gratiam, non solum Parisiensibus, sed & exteris, renovato litterarum in Hollandiam, in Angliam, & Italiam commercio, unde perfacile certoque sciam, quid operum struat studiosa cohors, quid eruditi moliantur ; & amicis procul hinc dissitis, veluti in præsidiis quibusdam litterariis & bonæ mentis, cui plærumque limina majorum frigescunt, hybernis commorantibus referam. Quo lubens fungar munere, & tecum præsertim, Vir Erudissime, quem vicissim non pigebit nos edocere quid Lugduni, quid alibi terrarum paret societas sanctissima doctissimaque, per quam nunc a sæculo in toto orbe terrarum floruerunt humaniores severioresque litteræ, & viguit pietas, quam abiturientem majorum nostrorum culpa tot sapientissimi Viri, Martyres & Confessores vestri, lacinia retinuerunt. At nunc, quæso, Rev. P., ignoscas velim si in aliud tempus, scilicet oportunius, id quidquid est opellæ differam, qui jam totus in luctu & mœrore
1 Pour Sorbière voir l’introduction au chapitre 5. Notons que cette lettre contient bien des expressions que l’on retrouve dans la Vie de Gassendi que Sorbière compose pour les Opera omnia. Voir ce texte. 2 Institutio astronomica… 3e édition La Haye 1656, 325-28.
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Au très docte, sage et révérend Père JEAN BERTET1, de la société de Jésus, très érudit professeur de philosophie : SAMUEL SORBIÈRE J’ai reçu par les bons soins de notre ami Barbier la lettre aussi pleine d’humanité et d’affection sincère que de savoir et de talent que tu m’as écrite, très révérend Père, quelques jours après la mort du très grand Pierre Gassendi, qui eut lieu le 24 octobre. Mais elle me fut remise à un moment où m’assaillaient de toutes parts cent affaires très pénibles2, dont je n’ai pu encore me dégager tout à fait assez pour avoir le loisir de répondre sur-le-champ à l’honneur dont tu m’as jugé digne. J’espère cependant que le temps va bientôt arriver où, ayant réglé les plus grandes urgences, je vais me réconcilier avec les Muses, non seulement parisiennes, mais aussi de l’étranger, maintenant que le commerce épistolaire est rétabli avec la Hollande, l’Angleterre et l’Italie, ce qui me permettra de savoir facilement et avec certitude quelles œuvres la cohorte des savants édifie et ce que les érudits préparent ; et j’en rendrai compte à mes amis qui vivent loin d’ici, prenant leurs quartiers d’hiver pour ainsi dire dans les forteresses des lettres et de la sagesse à laquelle la plupart du temps les seuils des plus grands réservent un froid accueil. Je remplirai volontiers cet office, et surtout avec toi, homme très érudit, qui ne trouvera pas fâcheux de nous instruire à ton tour de ce que la société très sainte et très savante prépare à Lyon et ailleurs, elle qui a permis, depuis un siècle, le plein épanouissemement, partout dans le monde, des lettres, activité riche d’humanité et de gravité, et l’affermissement de la piété, qui s’est délitée par la faute de nos ancêtres, mais que vos très grands sages, martyrs et confesseurs ont à grand-peine réussi à conserver. Mais maintenant, de grâce, Révérend Père, je voudrais que tu me pardonnes si je remets à un autre moment, quand cela sera plus opportun, ce petit travail que tu me demandes ; car, en proie au deuil et au chagrin comme je le suis, je dois consacrer cette Pour Bertet voir l’introduction aux Soteria, ch 3.i. En cette fin d’année 1655 Sorbière était à Rome pour essayer de faire augmenter la pension de trois cents livres qui lui avait été accordée à la suite de sa conversion au catholicisme en 1653. 1 2
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positus debeam impendere Epistolam istam lugendo tecum amico mostro communi. Nostrum dico, cujus quidem jactura me peculiari quodam modo spectare videtur ; utpote quem ab annis hisce viginti colueram, a quo amari me senseram, & cujus ex ore fœcundissimo sæpius audiveram in familiarissmo congressu quicquid reconditioris sapientiæ excelsa mens illa amicis notæ interioris promere solebat. Et revera non aliter ego me in talem virum affectum sentiebam, quam in parentem quemdam optimum, cui acceptam referre debebam cognitionem quam pro modulo ingenii mei eram consequutus, tum nobilioris illius eruditionis, quæ tota sapientiam spirat, tum defœcationis illius Philosophiæ, quæ discussis demum nebulis animum solet vere philosophantium in tam tranquilla, ut Poëtæ verbis utar, & tam clara luce locare. Illuxerat quidem debilis olim, veluti per fugatus aliquatenus errorum nebulas, radius quidam hujusque consequendæ ex litterarum tractatione serenitatis ; & a teneris unguiculis apud Sam. Petitum Avuculum meum humanioribus disciplinis imbutus, ad præclara quæque & laude digna doctissimi Critici pollice efformatus fueram : Erat enim Vir ille Peireskio & Gassendo amicissimus, de quo memini ad me rescripsisse anno hujus sæculi quadragesimo Lutetiæ degentem, cum scilicet significassem benevolentiam, qua me Ð makar… thj prosequebatur, Gaudeo te in flagranti esse amicitia cum Petro Gassendo, Vir est optimus, apprime & sine fuco doctus, a quo numquam nisi doctior & melior recedas. Et varias deinceps in peregrinationibus meis occasiones habueram ex consortio Virorum totius Europæ Doctissimorum, ulteriores in sapientia progressus faciendi ; qui cum Petavio, Mersenno, Campenella, Naudæo, Vossio, Grotio, Hobbio, Cartesio (ut superstites præteream) & innumeris aliis versatus fueram. At semper unicum mihi & absolutissimum fuit Petrus Gassendus exemplar ; neque recentiores aut etiam veteres quidquam mihi exhibere potuerunt quod numeris suis omnibus consummatiori sapientia præditum videretur. Animi affectus, in nullis non hominibus subinde ferocientes in illius Viri purissimo pectore rationi placidè obsequuti omninò
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lettre à pleurer avec toi la perte de notre ami commun. Je dis notre, quoique sa disparition semble me concerner tout particulièrement, car je l’avais fréquenté pendant ces vingt dernières années, j’avais senti son amour pour moi et j’avais reçu de sa si agréable conversation, dans des rencontres très familières, tous les produits d’une sagesse plus cachée que son esprit sublime avait l’habitude de réserver à ses amis d’une catégorie plus intime. Et en réalité j’éprouvais pour cet homme les sentiments qui vont à un père excellent, à qui je devais rapporter la connaissance que je recevais de lui dans la mesure de ma maigre intelligence, que ce soit la connaissance de sa noble érudition, qui tout entière respirait la sagesse, ou celle de la pureté de sa philosophie qui, après dissipation des nuées, a l’habitude d’asseoir l’esprit des philosophes dans le calme et le clair absolus, pour utiliser les mots du poète1. Il était apparu naguère, lumineux malgré sa faiblesse physique, comme étincèle à travers les nuées de l’erreur qu’il met en fuite le rayon de la sérénité que procure le maniement des lettres ; et moi qui avais été nourri des disciplines humanistes auprès de mon oncle Samuel Petit, et cela depuis mes premiers ongles2, c’est par la caresse du pouce de ce remarquable Critique3 que j’avais été formé à tous les savoirs insignes et dignes de louange. Car c’était un homme lié par des liens d’amitié étroits avec Peiresc et Gassendi, et je me rappelle ce qu’il avait répondu à une de mes lettres que je lui avais envoyée de Paris en 1640 et où je lui avais rendu compte de la bienveillance dont Ð makar…thj m’entourait : « Je me félicite de ce que tu partages une amitié si ardente avec Pierre Gassendi ; c’est d’abord un homme excellent, un savant qui ne jette pas de poudre aux yeux, et nul ne revient de ses entretiens que plus savant et meilleur ». Et ensuite j’avais eu, dans mes pérégrinations, différentes occasions, par le commerce des hommes les plus doctes de toute l’Europe, de continuer à faire des progrès en savoir, pour avoir passé du temps avec Pétau, Mersenne, Campanella, Naudé, Vossius, Grotius, Hobbes, Descartes (pour ne pas citer ceux qui sont encore en vie) et encore bien d’autres, innombrables. Mais Pierre Gassendi fut pour moi toujours un modèle unique et tout à fait absolu ; et je n’ai pu trouvé, ni chez nos contemporains, ni chez les Anciens quoi que ce soit qui paraisse, dans toutes ses parties, pourvu d’une sagesse plus parfaite. Les passions de l’âme qui affectent avec férocité tous les hommes sans exception cédaient toujours, dans le cœur très pur de cet homme, aux prescriptions 1
Lucrèce, V, 12. La formule vient de Cicéron, qui l’emprunte au grec (Fam., I, 6, 1). 3 Au sens de philologue. La métaphore du pouce évoque la figure d’un potier. 2
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semper fuerant ; ex quo scilicet ratio adultior facta imperium suum consequuta fuerat, adeò ex ephebis senex, & qua cæteri ætate in errores & libidines facili & proclivi lapsu feruntur, sapientissimus evaserit ; eademque insistens viâ, pede firmissimo intitubanter per abrupta, per lubrica loca, ad extremum usque vitæ curriculum æquali gressu perrexerit. Et illa quidem Ratio, debilis corpusculi hospes divina fœliciter regnans functiones suas nobilissimas obeundo (terrestria scilicet & cœlestia, humana, divinaque perscrutando, ultra procedendo flammantia mœnia mundi, atque omne immensum peragrando mente animoque) eò usque provecta fuerat, quo potis est attingere legendo, meditando, perquirendo, & indefesto labore vestigando, solis naturæ viribus humanæ, mentis acumen. Necque enim arbitror diffitebitur quisquam, cui notus fuerit ore vel scriptis Gassendus, nullum ad nostra tempora in tam latè patenti literatorum imperio existisse exemplum ratiocinationis purioris, lucidioris, doctioris, subtiliorisve, vel Judicii limatioris, exquisitioris, subactioris ; aut vitæ cum sapientia actæ prudentioris & moderatioris. Quod profecto patebit institutâ comparatione Summi Viri cum Veterum vel Recentiorum sapientissimis : quamquam nolim in præsentiarum hujuscemodi parallelum ullum instituere ; cum supersint adhuc DEO benè propitio, plurimi, quos æmulatio tantæ virtutis proxime ad Gassendum nostrum facit accedere. Verùm sine controversia, nunquam tanta fuit solidæ eruditioni lugendi occasio invecta ; nunquam sapientia passa est majus detrimentum, nunquam tanta facta jactura est hominibus qui sese præstare cæteris animantibus doctrinâ & cultu ingenii student, quam in desiderio tam chari capitis, cui Pudor, Justitiæ soror incorrupta Fides, nudaque Veritas, quando ullum invenient
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paisibles de sa raison ; car, depuis que sa raison, devenue plus adulte, avait pris le pouvoir, il était devenu, parmi les jeunes gens, comme un vieillard et le plus sage des êtres, à l’âge où tous les autres se laissent porter vers les erreurs et les désirs, sur une pente où il est si facile de descendre ; et marchant sur cette route, du pas le plus ferme, et sans jamais chanceler, il était parvenu, à travers des passes abruptes et glissantes, dans une progression toujours égale à elle-même, jusqu’au terme ultime de la carrière de sa vie. Et cette raison, hôte divine de ce corps débile, et sa reine bienheureuse, en s’acquittant de ses fonctions les plus nobles (c’est-à-dire en scrutant les choses terrestres et célestes, humaines et divines, en s’élançant, bien loin des remparts enflammés du monde et en parcourant par la pensée l’univers infini1), était parvenue au plus haut sommet auquel la pénétration de l’esprit puisse parvenir à force de lectures, de réflexions, de recherches et d’investigations infatigables, et avec les seules ressources de la nature humaine. Car il n’existe, je pense, personne qui, ayant connu Gassendi directement ou par ses écrits, disconviendra de l’impossibilité de trouver, jusqu’à notre époque, dans le si large univers des hommes de lettres, un exemple de raisonnement plus pur, plus lumineux, plus savant, plus subtil, ou d’un jugement plus passé à la lime, plus raffiné, plus exercé, ou d’une vie conduite avec sagesse qui ait été plus prudente et plus tempérée. Et cela apparaîtra pleinement quand on aura comparé notre grand homme avec les plus sages des Anciens et des Modernes, quoique je ne veuille pas effectuer ce genre de parallèle dans la présente, vu que nous avons encore en vie, à la grâce de Dieu, un grand nombre de savants qui, imitant sa si grande vertu, tendent à se rapprocher de notre Gassendi. Mais, sans conteste, jamais l’occasion ne s’est encore présentée de pleurer sur une érudition si solide ; jamais la sagesse n’a subi un plus grand tort, jamais une perte aussi grande n’a affecté les hommes qui s’efforcent de dépasser tous les autres êtres vivants par leur savoir et par leur culture, que celle qui ne laisse dans le regret de cette si chère tête2. À cet homme, quand l’Honneur et, sœur de la justice, l’incorruptible bonne foi, quand la vérité nue Lui trouveront-ils un égal3 ? Il 1
Lucrèce, I, 73-74. Horace, Odes, I, 24, 2. 3 Horace, Odes, I, 24, 6-8. Cette même citation d’Horace, qui se retrouve dans tous les Florilèges de l’époque, orne une lettre de consolation que Gassendi envoie à Wendelin le 3 octobre 1646 à l’occasion de la mort de Van de Putte. Gassendi la prend pour preuve de l’épicurisme de Quintilius Varus dans Vie et mœurs d’Épicure, II, 6. On la retrouve dans l’épitaphe suivante, des quatre disciples les plus proches de Gassendi. Quant au deuxième 2
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parem ? Is erat nimirum in tam præclaro proposito dux & viæ monstrator optimus ; qui toties iterato cursu cuncta humanæ solertiæ pervia diligentissimè lustrarat ; qui non verborum inaniis & sterilibus illecebris, sed præsertim strenuè agendo & præundo veras vitæ rationes nobis ostendebat. Is erat Philosophiæ vindex & restaurator felicissimus, generis humani primarium decus ; atque in ista sæculi, eruditioni & virtutibus infensi, barbarie, prima ille in acie stabat fortituer oppugnans, & fœdas adulationes calamo suo vel ingenio abutentium, & vitiorum monstra, & ignorantiæ deformitatem. Bonis ille omnibus & erectiori genio præditis, quibus læva sub parte mamillæ quid rite salit, animos dabat, ut opprobrio sapientia liberaretur, atque suus Illi honos assereretur : dum scilicet fortuna ludum insolentius ludere pertinax, videtur rerum humanarum Imperium sibi soli vindicare ; illud præfracte probare contendens, bonorum & sapientum superbissimo contemptu, nullas esse reliquas in rebus sublunaribus sapientiæ partes. Occubuit igitur Gassendus nobili in certamine, calamo seu ense in cæcam illam Deam stricto, acclamationibus vero gentis humanæ incorruptioris in cælum evectus. Qua ovatione Heroëm nostrum, gloria proculdubio splendidiori præfulgidiorem existimabis, Reverendissime P. quam in contrarium prora conversa magnum quid egisse sibi videntur, ubi oppidula quædam expugnarint, militum, parvam quandam manum fuderint, vel quadam terræ jugera Imperiis suis addiderint ; vnde tamen nihilo beatiores evadunt & unde nihil aliud consequuntur, nisi ut plebecula aliquamdiu certa quadam in regione, angustis limitibus circumscripta, incondite talia concelebret. Verum mehercule Herois nostri gloria, solidiori innixa fundamento, non Pannuciæ Baucidis ore stridulo, vel anserum Parnassi rauco clamore resonabit ; non in tonstrina, in macello, lacuque audietur, non a famelico Poëta lucelli cujusdam spe decantabitur, non ineptis legetur
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était, sur le chemin qui conduit vers un but aussi remarquable, le meilleur guide et le meilleur éclaireur ; lui qui, reprenant tant de fois sa marche, avait parcouru avec la plus grande diligence tous les passages de l’adresse humaine ; lui qui nous montrait les vraies méthodes de la vie, non pas par les charmes vains et stériles des mots, mais surtout en agissant et en nous précédant avec énergie. Il était le défenseur et le restaurateur très heureux de la philosophie, une gloire de premier ordre du genre humain ; et dans la barbarie du siècle, hostile comme il l’est à l’érudition et aux vertus, il se tenait au premier rang pour combattre avec courage à la fois les honteuses adulations de ceux qui abusent de leur plume ou de leur talent, les monstres des vices et la laideur de l’ignorance. Lui, il donnait du cœur à l’ouvrage à tous les bons et aux hommes dotés d’un génie plus élevé qui ont, sous la partie gauche de leur poitrine, quelque chose qui bondit comme il se doit, pour que la sagesse soit libérée de l’opprobre et que l’honneur qui lui revient lui soit assuré ; assurément tant que la fortune s’acharne à jouer un jeu plein d’arrogance, il semble qu’elle revendique pour elle seule l’empire sur les choses humaines ; s’efforçant de prouver avec obstination, dans un suprême mépris des sages et hommes de bien, que la sagesse n’a aucun rôle qui lui revienne dans le monde sublunaire. Gassendi est donc mort dans un noble combat, ayant dégainé la plume ou l’épée contre cette déesse aveugle, lui qui est monté dans le ciel avec les acclamations de la famille humaine la moins dépravée. Et de cette ovation tu estimeras qu’elle confère à notre Héros l’éclat d’une gloire sans nul doute plus splendide, très Révérend Père, que ne le fait la grande action qui se transforme en son contraire, une fois que le cours des choses a changé mais qu’estiment avoir accomplie ceux qui auront emporté quelques petites places fortes, auront mis en déroute une petite troupe de soldats, ou bien auront ajouté à leurs empires quelques arpents de terre ; ce qui ne rend pas cependant plus heureux et dont ils ne tirent rien, si ce n’est qu’une plèbe misérable, circonscrite dans les limites étroites d’une région donnée, célèbre de tels exploits, grossièrement et pendant un certain temps. Mais par Hercule, la gloire de notre Héros, appuyée sur un fondement plus solide, ne résonnera pas de la bouche stridente de la Baucis en haillons1 ni de la rauque clameur des oies du Parnasse ; il ne sera pas entendu dans une échoppe de barbier, sur les marchés, dans les baquets des forgerons ; il ne sera pas chanté par un poète vers de la même ode (note précédente), il se retrouve également, repris et varié, maintes fois sous sa plume. 1 Perse, Satire IV, 21.
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in historiis ; sed clarescet doctis sapientium sermonibus, & suavi Cygnorum modulatione in omnem transmittetur posteritatem ; eaque erit consentiens laus bonorum, Incorrupta vox bene judicantium de excellente virtute. Ad quæ te voco, Reverendissime P. elogio & versibus quos nunc transmitto, & quorum omnium syllogem facio, ut subjungam vitæ amici nostri ; quam ut adornem multi haud renitentem suadere nituntur. Aggrediar enim forsan lubens, ut me ipsum in luctu soleo acerbissimo, atque ut ad imitationem tantæ virtutis in posterum comparatior existam ; non vero quasi possim facundia qualicumque mea ad recte factorum dignitatem assurgere. Vale, & me, vel propter amorem quo me Gassendus complectabatur, deinceps amare perge, qui te semper colam et venerabor. Lutetiæ Paris. Eid. Nov. A. S. MDCLV.
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famélique dans l’espoir de quelque léger profit, il ne sera pas lu dans les recueils d’histoires ineptes ; mais il resplendira dans les discours des sages doctes et sera transmis à toute la postérité par la suave modulation des cygnes ; et ce sera l’éloge unanime des gens de bien, l’expression fidèle de la pensée des hommes qui se connaissent en mérite éminent1. C’est à cela que je t’appelle, très révérend père, par l’éloge et les vers que je te transmets maintenant et dont je fais un assemblage pour le joindre à la vie de notre ami2 ; car ils sont nombreux à s’efforcer de me persuader de la rédiger, et je ne lutte pas là-contre. Car je m’y attacherai peut-être volontiers, comme je le fais habituellement dans un deuil très cruel, et pour mieux me préparer dans l’avenir à imiter une si grande vertu, et non pas comme si je pouvais par mon éloquence si quelconque m’élever à la dignité de ses bonnes actions. Adieu, et continue par la suite à m’aimer, ne fût-ce qu’en raison de l’amour dont Gassendi m’a entouré, moi qui te cultiverai et te vénérerai toujours. À Paris, le 13 novembre 1655.
Cicéron, Tusculanes, III, 2. Sorbière n’a pas ajouté de poèmes à la vie de Gassendi qu’il rédige pour les Opera omnia, mais on peut demander si ce n’est pas lui qui les a passés à Vlacq pour être joint à la troisième édition de l’Institutio astronomica. 1 2
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Abraham Du Prat, Thomas Martel, Samuel Sorbière et François Bernier1 Les quatre signataires de cette épitaphe, publiée dans la troisième édition de l’Institutio astronomica…2, sont les disciples les plus proches que Gassendi ait eus à la fin de sa vie. On remarquera à la fin du poème la mention du Memento mori, dont l’expression, empruntée aux triomphes romains, est devenue un genre autonome avec le christianisme. Elle complète ainsi l’ensemble des topos de la littérature funèbre que présentent les poèmes « in memoriam », dont le but est aussi de rappeler aux hommes qu’ils sont mortels. En revanche le pax perpetua des cimetières n’est pas devenu en tant que tel un genre esthétique, et les Vanités y renvoient rarement. EPITAPHIUM dicatum Præstantissimo Viro PETRO GASSENDO. HIC JACET NON unus e septem Sapientibus Verum Tota Sapientum Familia, Philosophi omnes, Politici, Philologi, Mathematici, Theologi Eodem Tumulo tegvntur, Academiæ veteris & novæ, Lycæi, Stoæ, Hortorum Rudera, Vestigia E Quibus Jam jam reparanda, & multo Splendidius restauranda Edita doctrina Sapientum Templa Serena. Ubi Veluti totidem Oracula Sistendi erant Redivivi & Audiendi Thales, Anaxagoras, Pythagoras, Hippocrates, Democritus Socrates, Plato, Aristoteles, Zeno,
1 Pour Abraham Du Prat et Thomas Martel, voir les notices dans l’Appendice 2, pour Sorbière voir l’introduction au chapitre 5 et pour Bernier celle du chapitre 6. 2 La Haye 1656, 329-30.
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ÉPITAPHE dédiée au très éminent PIERRE GASSENDI CI GÎT NON pas l’un des sept sages Mais Toute la famille des sages. Tous les philosophes, politiques, philologues, mathématiciens, théologiens Sont sous le même tombeau ; De l’ancienne Académie et de la nouvelle, du Lycée, du Portique, des Jardins Les ruines, les vestiges À partir desquels la doctrine des sages a dressé ses temples sereins Qu’il faut dès maintenant réparer et restaurer en bien plus splendide Là où Comme autant d’oracles Devaient être présentés de retour à la vie et doivent être écoutés Thalès, Anaxagore, Pythagore, Hippocrate, Démocrite Socrate, Platon, Aristote, Zénon,
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Epicurus, Lucretius, Cicero, Seneca, Plutarchus, Sextus Et quotquot hujuscemodi Heroum Ad nostra usque tempora exstitere. HIC JACENT, Cum Musis, Palade, & Apolline, Pudor, & Justitiæ Soror incorrupta Fides, Nudaque Veritas. Quæ Vniversa Magnum PETRO GASSENDI Nomen Complectitur. Tu Viator Erudite Luge Sortem Generis Humani Cui Mors invida eripuit Fidissimum, Diligentissimum Naturæ Interpretem, Virtutis, Solidæ Pietatis, Bonæ mentis, Cultorem, Vindicem, Propagatorem Integerrimum, Acerrimum, Felicissimum. Vixit Sine querela, sorte sua contentus, Interioris notæ Alicis Jucvndissimus, Viris Imperio, auctoritate, doctrina, sapientia præstantissimis Acceptissimus, Charissimus, Non apud Exteros solum, Sed & in patria sua, Amorem, Venerationem Meritus, consequutus, Annos LXIII. Mens. IX. Dies XIII. Æternum sui desiderium relinquens Lutetiæ Parisiorum A.d. IX. Kal. Nov. MD CLV
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Épicure, Lucrèce, Cicéron, Sénèque, Plutarque, Sextus Et tous les héros de cette trempe Qui ont survécu jusqu’à notre époque. GÉSISSENT ICI, Avec les Muses, Pallas et Apollon, L’honneur, et la foi incorruptible sœur de la Justice1, Et la vérité nue. Toutes choses Que le grand nom de PIERRE GASSENDI Signifie. Toi voyageur érudit Pleure sur le sort du genre humain À qui la mort jalouse a arraché L’interprète de la nature le plus fidèle, le plus diligent, De la vertu, de la piété solide, de la sagesse L’adorateur, le défenseur, le propagateur Le plus intègre, le plus subtil, le plus heureux. Il a vécu Sans se plaindre, content de son sort, Très agréable à ses amis les plus intimes, Des hommes très éminents par leur autorité, leur doctrine, leur sagesse. Il fut très aimable et très cher Non pas seulement aux étrangers, Mais aussi dans sa patrie, Ayant mérité et obtenu Amour, Vénération Pendant LXIII ans, IX mois et XIII jours. Laissant de soi regret éternel À Paris Le 9 des calendes de novembre2
1 Encore Horace, Odes, I, 24, 5, sqq., faisant écho à la lettre précédente de Sorbière au Père Bertet p. 000 2 [24 octobre]
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ABRAHAMUS PRATÆUS, THOMAS MARTELLUS, SAMUEL SORBERIUS, FRANCISCUS BERNERIUS. Amico Veteri, Præceptori bene merito, Grati animi Monumentum MMPP1
1
M[emento] M[ori] P[ax] P[erpetua]
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ABRAHAM DU PRAT, THOMAS MARTEL, SAMUEL SORBIÈRE, FRANÇOIS BERNIER. À leur vieil ami, leur précepteur couvert de mérites, Leurs cœurs pleins de reconnaissance offrent ce monument Souviens-toi que tu es mortel. Paix perpétuelle.
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Charles Spon Né à Lyon le 24 décembre 1609 d’une famille protestante originaire d’Ulm, Spon est éduqué dans la capitale des Gaules, avant de venir à Paris en 1625 poursuivre des études de médecine qu’il termine à Montpellier où il reçoit son doctorat en 1632. Il retourne alors pratiquer son métier à Lyon. Ce passionné de poésie latine se consacre également à l’étude de la philosophie, de la chimie et des mathématiques. C’est un grand ami de Gui Patin avec qui il entretient, pendant vingt-deux ans, une correspondance importante et volumineuse. En 1661 il publie une version en vers des pronostics d’Hippocrate (Sibylla medica, Lyon 1661). Il organise l’impression des Observationes medicæ de J. Schenck (1644), les Opera omnia de Cardan en dix volumes (1663) et la Pharmacopée de Lyon1. Il meurt à Lyon le 21 février 1684. Son épitaphe sur Gassendi se trouve dans le Naudæana et Patiniana ou singularitez remarquables prises des conversations de Mess. Naudé et Patin. Seconde édition revuë, corrigée & augmentée d’Additions aux Naudæana qui ne sont pas dans l’Édition de Paris, Amsterdam 1703, p. 7 des Patiniana2. Gassendus moritur, Sophiæ lugent, ingemit Orbis, Sponius in luctu est, solus Olympus ovat.
1 Nom du Dispensaire contenant « les médicaments simples et composés que les apothicaires devaient tenir dans leurs boutiques » (arrêt du Parlement de Paris 1590) prescrit officiellement dans les grandes villes. Chaque ville avait sa propre Pharmacopée qui était régulièrement rééditée. La codification en appparaît au XVIIe siècle. La première Pharmacopée de Londres remonte à 1618, d’Amsterdam à 1636, de Paris à 1638, de Lille à 1640, de Toulouse à 1695. Nous ignorons la date de la première Pharmacopée de Lyon. 2 La première édition est de 1701. D’après Pintard II 48, « cette réédition, complétée par des Additions aux Naudeanæ d’Antoine Lancelot, fut préparée par Bayle […], qui s’était vivement intéressé au livre dès l’apparition de la première édition […]. Antoine Lancelot, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine, ayant composé des additions et corrections pour les deux ana, les envoya à P. Vitry qui les fit parvenir à Bayle, celui-ci les donna au libraire Van der Plaats qui les ajouta à sa réimpression, exécutée dès 1702. La date de 1703 ne fut imprimée sur le livre que pour garder plus longtemps à celui-ci sa nouveauté ». Pour la correspondance de Patin et Spon voir Reveillé-Parise; Jestaz.
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Gassendi meurt, les Sagesses pleurent le monde gémit Spon est en deuil, seul L’Olympe est joyeux.
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Johann Heinrich Ursin Théologien et philologue, Ursin est né à Spire le 26 janvier 1608. Après les troubles de la guerre de Trente Ans, il devient pasteur dans sa ville natale en 1635 et surintendant ecclésiastique à Ratisbonne en 1655. Auteur prolifique, il publie plus de cinquante ouvrages sur l’histoire de la religion, la rhétorique, la philologie et l’histoire de l’Église dans les pays alémaniques. Parmi eux nous pouvons mentionner l’Arboretum Biblicum, Nurenberg 1663-5, curieuse étude sur les arbres mentionnés dans la Bible, et De Zoroastre, Hermete Trismegisto, Sanchoniathone eorumque scriptis, 1661. Sa célébration de Gassendi fut éditée à la fin de la troisième édition des Institutiones astronomicæ… donnée par Vlaacq à La Haye en 16561. Nobilissimo Viro Dn. IOHANNI ALBERTO PORTNERO Salut. & Amorem. Gallia Palladiis spectata utrinque triumphis, Artibus illa sagi nobilis, atque toga, Martis ubi in galea nidum fecere Columbæ, Usque adeo Marti est semper-amica Venus ; Gassendi amisit quod era mortale : nec ultra Exercere suum jus Libitina potest. Ille sui vivet meliori parte superstes, Dum super in terris doctior orbis erit. In pretio dum laurus erit Parnassia, Fama Hvnc penna solvi non metuente vehet. Tu lessum faciens, pariter, Portnere, Poëtam Quod decet ; & memorem legis amicitiæ, Officium præstas : Qui carpserit, hvnc ego dicam. Nec Musas, Philium nec coluisse Jovem. JOANNES HENRICUS URSINUS 1
p. 321.
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Au très noble Seigneur JEAN ALBERT PORTNER Mon salut et mon amour. La France admirée de part et d’autre pour ses triomphes chers à Pallas, Nation noble par les arts du sayon et de la toge Où les Colombes ont fait leur nid dans le casque de Mars À ce point que Vénus est toujours amie de Mars, A perdu ce qui de Gassendi était mortel : Libitina1 Ne peut pas exercer son droit au-delà. Lui il vivra toujours présent par sa meilleure part : Tant qu’il survivra plus savant sur les terres du monde, Tant que le laurier parnassien aura de la valeur, la Renommée Le transportera d’une aile qui ne craint pas d’être défaite. Toi, par tes lamentations, Portner, tu fais Ce qui convient à un poète et tu lui rends cet hommage Pénétré de la loi de l’amitié ; moi je dirai que qui l’a déchiré N’a fait honneur ni aux Muses ni à Jupiter Philius2. JEAN HENRI URSIN
Déesse des morts, citée par Horace, Ode, III, 30. Elle est très exceptionnellement mentionnée, n’a pas de légende ni d’attribut ni de visage associé. Elle est la contrepartie féminine d’Orcus, bien plus présent dans la littérature antique et néolatine. Notons cependant que par une fausse étymologie (avec libido, le plaisir) elle est, dès l’Antiquité, associé à Vénus et désigne ainsi l’ambivalence de la naissance et de la mort. 2 Jupiter comme dieu de l’amitié, largement honoré en Orient, et sans doute divinité tutélaire d’Antioche où un temple lui aurait été consacré. Eusèbe indique qu’une statue est dressée en son honneur (Histoire ecclésiastique, IX, 3). 1
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Adrien et Henri de Valois Issus d’une famille noble de la Basse-Normandie, les frères de Valois furent tous les deux nommés historiographes du roi en 1660. L’aîné Henri (10 septembre 1603 – 7 mai 1676) était seigneur d’Orcé, le cadet Adrien (14 janvier 1607 – 2 juillet 1692), seigneur de la Mare. Ils furent formés au Collège de Clermont ; ils nouèrent des relations étroites avec Pétau et Sirmond et devinrent tous deux des habitués du salon des frères Dupuy ; Henri fréquenta celui de Mme du Plessis-Guénegaud, ennemi déclaré de Mazarin, tandis qu’Adrien faisait partie du cercle qui se réunissait autour de Le FebvreChantéreau. Il y rencontre Jean de Launoy avec qui, vers 1660, il eut une controverse concernant les anciennes églises et monastères de Paris. En 1666 il se joint à Jean Christophe Wagenseil (1633-1705), pour montrer la fausseté d’un fragment De cœna Trimalchio attribué à Pétrone. Familier du Cardinal de Retz, Adrien participe dans l’attaque littéraire monté par ses clients contre Pierre de Montmaur, professeur de grec au Collège royal1. À la mort d’Henri, « avec lequel il [Adrien] avoit toûjours été aussi étroitement uni par le société de leurs études, que par les liens de la nature »2, Adrien compose son éloge. Il prépare aussi l’édition des extraits de Constantin Porphyrogenète (communiqués par Peiresc) qu’Henri n’avait pas eu le temps de publier, de même que son étude sur les historiens de l’église qui fut éditée à Amsterdam et à Cambridge en 1699 et 1720. Mais Henri de Valois se sera surtout distingué par la publication de textes antiques encore inédits, Ammien Marcellin, Diodore de Sicile, Polybe, Denis d’Halicarnasse, tandis qu’Adrien consacre ses travaux principalement à l’histoire française3. Ses Gesta francorum (3 vols 1646-1658) ont posé des fondations solides pour l’histoire de la France ; sa Notitia Galliarum… (1675), dictionnaire géographique et toponymique de la France, opère un vaste recensement des villes, cours d’eau, montagnes, forêts, etc. et analyse notamment Adam ii 99 ; pour des épigrammes latines contre Montmaur Valesiana « Poemata », 50-52, et pour un poème sur de Retz, 58. Les travaux sur Petrone furent édités, accompagnés d’une dissertation de Wagenseil, sous le titre De cœna Trimalchio, Paris 1666. Voir sur l’affaire Valesiana a12v – A1v. Plusieurs letres de Wagenseil à Valois se trouvent à la Bibliothèque de l’Institut ms 289 ff 220-232. 2 Éloge écrit par Cousin dans le Journal des Sçavans, 28 juillet 1692, rééditée dans Valesiana, sigs a8v - A4r (A2r). 3 Pour les ouvrages d’Adrien voir Valesiana 235-7. 1
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les noms de lieux tels qu’il les trouve chez les auteurs anciens, antiques ou médiévaux. L’un et l’autre ont composé des poèmes néolatins, dont plusieurs élégies et des soteria pour Louis XIV en 1663, à la demande de Chapelain1. D’après Tallemant, les frères étaient tenus pour des pédants, ce qui n’empêcha pas certains écrivains comme Ménage et Conrart de leur demander de corriger des textes grecs et latins2. Notre texte est tiré de la collection de pièces « in memoriam » placée à la fin de la troisième édition des Institutiones astronomicæ… publiée par Vlaacq à La Haye en 1656. Une copie de cette partie se trouve dans le ms 4139 de Grenoble. Le poème fut réédité (pp. 64-65) dans la collection de « Poemata » ajoutée, avec sa propre pagination, aux Valesiana.
1
Pour les sollicitations de Chapelain, voir Fabre 340. Tallemant vi 28 note ** ; v 168.
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HADRIANI VALESII De obitu & laudibus Petri Gassendi Diniensis Ecclesiæ Præpositi. Lugete Astronomi Sophique cuncti. Gassendus jacet, ille, qui per artem Admovit sibi curiosus Astra : Qui fixas numerare, qui vagantum Stellarum potuit notare motus, Sublimique Polum tenere mente. Ajvnt hvnc superos & inter ignes Deprendisse novas in axe flammas Hipparcho meliùs vel Archimede. Gassendus jacet, ille, qui Sophorum, Thracis Democriti ; senisque Graji In parvo juvenes decentis horto, Laudanda revocavit arte sectam, Et corpuscula quadra, vel rotvnda, Quas dicvnt Atomos, resuscitavit ; Ne vultu tamen ille præferebat Cultorem tetricum scientiarum : Sed comis fuit, omnibusque notis, Ignotis etiam serenus ore Arrisit roseo, atque singulorum Sermones studiis ferebat aptos. Humanus, sine felle litibusque, Clamorum fugitans, probansque cvncta : Nil ruris retinens nec inficeti, Tamquam non Diniæ vacantis agro Ortus, Lutecia sed esset almâ : De se sollicitus, sibique vivens, Ac mutum ex Italiæ trahens propinquis. Et nunc ille quidem suis libellis (Si curant animæ libors beatæ) Ac famæ fruitur calentis aura :
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ADRIEN VALOIS La mort et les louanges de Pierre Gassendi, prévôt de l’église de Digne. Pleurez astronomes et tous les sages. Gassendi gît, lui qui, par son art A, curieux qu’il était, rapproché de lui les astres : Il sut compter les fixes et noter des errantes Étoiles les mouvements Et contenir le ciel dans son esprit sublime. On dit que parmi les feux d’en haut Il a surpris de nouvelles flammes sur la voûte, Mieux qu’Hipparque ou qu’Archimède. Gassendi gît, lui qui, des sages, De Démocrite le Thrace et du vieillard grec Qui enseignait aux jeunes gens dans son petit jardin A fait revenir l’école par son art qui doit être loué Et qui a ressuscité les corpuscules carrés ou ronds, Que l’on appelle les atomes ; Il n’arborait cependant pas le visage De l’adorateur sévère des sciences : Mais il fut affable, et à tous ceux qu’il connaissait Ou ne connaissait pas, il souriait, serein, La bouche rose, et aux études de chacun Il apportait des réflexions adaptées. Humain, sans fiel ni querelles, Fuyant les huées et approuvant toutes les choses : Ne gardant rien de rustre ni de grossier Comme si ce n’était pas dans un champ de Digne vide Qu’il était né, mais à Lutèce la nourricière : Il avait souci de soi, vivait avec soi-même1, Et il apprenait bien des choses de ses semblables italiens. Et maintenant il jouit de ses livres (Si les âmes bienheureuses se soucient des livres) Et de la brise de la chaude renommée : 1
Le sage antique qui a le souci de soi et vit en autarcie.
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Tam dilecta sibi proculque visa Nunc felix propiùs tuetur Astra : Infra se videt emicare stellas Gaudens discere, si qua nesciebat. At vos signiferum ducemque vestrum, Dignum Nestoreâ virum senectâ, Raptum post decimum alterumque lustrum Lugete Astronomi Sophique cuncti.
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Les astres qui lui furent si chers et qu’il a vus de loin Il est maintenant heureux de les regarder de plus près : Il voit sous lui étinceler les étoiles Se réjouissant d’apprendre tout ce que il ne connaissait pas là-haut. Mais vous, ce porte-enseigne et votre chef, Cet homme digne d’une vieillesse nestoréenne Qui vous a été ravi après douze lustres1 Pleurez-le, astronomes et tous les sages.
1
C’est-à-dire soixante ans.
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HENRICI VALESII, Elegia in obitum P. GASSENDI Tristior Aonios peragrabam mane recessus, Gassendi ah nimium funera dura gemens : Immitésque fremens doctis haud parcere Parcas, Cumque malis æque sorte perire bonos. Siccine, dicebam, Musis pignora curæ ? Siccine cultores servat Apollo suos ? Quid juvat Aonidas Phœbumque arcessere Pindo, Quid prodest artes excoluisse bonas ? Doctos indoctosque simul mors obruit atra : Omnibus ad manes vna terenda via est. Tunc subitò ante oculos consistere visus Apollo Divino tales protulit ore sonos. Quid vanis pergis Superos onerare querelis ? Quid cassis vates fletibus ora rigas ? Non ea nunc primùm mortalibus edita lex est, Ut nati mortis tela cruenta ferant. Verùm nascentis jam prima ob origine mvndi Legem fatales hanc posuere Deæ. Diis etiam genitos rapit inclementia fati : Nec quemquam immunem Pluto manere sinit. Occidit Ismariis Orpheus celebratus in oris, Natus Calliope quamlibet Ille Deâ, Quid magnum Alcidem, sortem quid Thesea dicam ? Neptuni hic soboles occidit, ille Jovis. Ipse ego divino quantumvis numine pollens Servare haud potui pignora cara Linum. An mirum est homines fato concedere, quando Nec Superi natos eripuisse valent ? Ipsa quoque occasum patiuntur sidera, & ignes
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HENRI VALOIS Élégie sur la mort de P. Gassendi Très tristement je parcourais au matin les retraites d’Aonie, Gémissant sur les trop dures funérailles de Gassendi : Protestant contre les Parques cruelles qui n’épargnent pas les doctes Et frémissant de voir les bons avec les méchants succomber à un même sort. Est-ce ainsi, disais-je, que les Muses ont souci de leurs objets chéris ? Est-ce ainsi qu’Apollon conserve ses adorateurs ? À quoi bon faire venir les Aonides et Phébus sur le Pinde, À quoi sert d’avoir cultivé les bons arts ? La noire mort étouffe les doctes et ceux qui ne le sont pas : Et tous foulent une seule et même route pour aller vers les mânes. Quand soudain Apollon qui sembla s’arrêter devant mes yeux Proféra les sons suivants de sa bouche divine. « Pourquoi persistes-tu à accabler les dieux de tes vaines plaintes ? Pourquoi, ô poète, de pleurs futiles mouilles-tu tes joues Ce n’est pas aujourd’hui la première fois qu’a été fixée aux mortels la loi Qui veut qu’une fois nés ils portent les traits sanglants de la mort. Mais dès la première origine du monde en train de naître Les déesses fatales ont posé cette loi. L’inclémence du destin arrache leurs enfants même aux dieux, Et Pluton ne laisse personne demeurer sans poser la main sur lui. Orphée célèbre sur les rivages de l’Ismarus1 est tombé, Quoique né de la déesse Calliope. Que dire du grand Alcide, que dire de Thésée ? Le rejeton de Neptune est tombé, et celui de Jupiter. Moi-même tout armé que je suis d’une puissance divine Je ne pus conserver Linus mon objet chéri2. Est-il étonnant que les hommes cèdent au destin, puisque Même les dieux ne peuvent lui avoir soustrait leurs enfants ? Les étoiles elles aussi subissent des couchers, 1
Montagne de Thrace où séjourna Orphée. Linus, le fils d’Apollon et Psmathe, fut exposé par sa mère et dévoré par des chiens. Cette histoire est une des explications proposées pour rendre compte de l’origine du linus, une lamentation chantée au moment de la vendange (Il. 18.570) qui incorpore les mots [grecs] « hélas pour Linus ». 2
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Æther restingui conspicit ipse suos. Ergo tu Astrologos mirari desine posthæc Æqua sideribus conditione premi. Neu querere humana Gassendum sorte peremptum Fatales rigidæ mortis inisse vias. Occidit Hipparchus Bithyniæ gloria gentis, Eximiusque Conon quem tulit alma Samos : Qui Bereniceum dispexit in æthere crinem. O felix oculus tam procul ista notans ! Quid memorem reliquos ætas quos proxima vidit Siderea claros cognitione viros ? Occubuit leto Ticho, & Copernicus, & qui Regali a montis vertice nomen habet. Nec tamen indoctos ideo, mihi crede, peritis Exæquare valent fata, malosque bonis. Sors longè diversa manet post funus utrosque : Et sua pro meritis præmia quisque refert. Ingenio vitam sibi namque parare secundam, Et fati vires exsuperare licet. Quin etiam virtus doctis comes addita Musis Immortale valet conciliare decus. Talibus in terris animum qui dotibus auxit, Illum post cineres altera vita manet. Illi Pierides cingentes tempora lauro, Purpureis fundent lilia mixta rosis. Et Fama immensum latè diffusa per orbem Personat ærata cuncta theatra tuba : Facta viri & nomen referens doctosque labores :
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Et l’éther voit ses feux s’éteindre. Donc toi cesse après cela de t’étonner de ce que les astrologues Soient affligés de la même condition que les étoiles. Et ne te plains pas de ce que Gassendi soustrait au sort humain Soit entré sur les routes fatales de la mort rigide. Hipparque, la gloire de la nation bithynienne1, est tombé, Et l’éminent Conon que Samos la nourricière a porté, Lui qui a distingué la chevelure de Bérénice dans l’éther2. Ô heureux l’œil qui note ces choses si lointaines ! Pourquoi rappellerais-je tous les autres hommes dont cette époque A vu la célébrité due à leur connaissance des étoiles ? Tycho a succombé à la mort, et Copernic, et celui Qui tient son nom du sommet royal d’une montagne3. Ce n’est pas pour autant, crois-moi, que les destins peuvent Rendre égaux ignorants et experts, méchants et bons. Un sort de très loin différent attend les uns et les autres après leurs funérailles. Et chacun emporte des récompenses en fonction de ses mérites. Car il est permis à chacun de se préparer une seconde vie Et de triompher des forces du destin. Et bien plus, la vertu ajoutée comme compagne aux doctes Muses Peut se voir récompenser d’un honneur immortel. À celui qui, sur terre, a enrichi son esprit de telles dots Est réservée une autre vie après les cendres. Pour lui les Piérides4 qui ceignent ses tempes d’or Répandent des lys mêlés aux roses pourpres. Et la Renommée se diffuse largement dans tout l’orbe immense Dont elle fait résonner tous les théâtres de sa trompette d’airain : Rappelant les faits et le nom de l’homme, et ses doctes labeurs, 1
L’astronome Hipparque (c. 190 - après 126 av. J.-C.) était né à Nicée en Bithynie. Le géomètre et astronome Conon (IIIe siècle av. J.-C.) était un ami d’Archimède. Il est connu pour ses études sur les sections coniques et pour son calendrier météorologique. Il nomme une groupe d’étoiles Coma Berenice en honneur de l’épouse de Ptolémée III Évergète (247-222 av. J.-C.), Bérénice, qui avait consacré ses cheveux à la suite d’un vœu ; mais ces cheveux disparurent du temple où elle les avait déposée, et Conon décida qu’ils avaient été transportés dans la voûte céleste. Callimaque a consacré un poème célèbre à cette métamorphose, que Catulle imita. 3 Régiomontanus. 4 Autre nom pour les muses 2
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Nec sinit invidiæ morsibus esse locum. Illius effusi in laudes sacra turba Poëtæ Certatim ad tumulum carmina docta ferunt. Nunc quoque Gassendo tales debetur honores, Æquavit laudem qui Ptolomæe tuam. Qui varios cursus Astrorum ortusque notavit, Sive ea fixa Polo, seu vaga fortè meant. Arcanas rerum causas qui protulit orbi : Occultas Sophiæ qui patefecit opes. Atque Epicureæ contexens dogmata sectæ Reddidit Eloquio splendidiora suo. Nec jam Gargetti infamis censetur alumnus, Postquam Gassendi Musa tulisset opem. Moribus hic etiam doctrinam ornavit honestis, Candidus & veræ simplicitatis amans. Principibusque viris pariter dilectus & imis, Innocuos vestro duxit in orbe dies. At nunc cœlestes tandem translatus ad oras, Sublimis spretâ sidera calcat humo. Atque alium Solem majoraque suspicit astra Haud ulli in terris conspicienda viro. Illic cum Superis degit felicius ævum, Virtutis referens præmia digna suæ. Parce igitur Vates cœlum pulsare querelis Adque boni tumulum dic bona verba senis. Ite procul viles plebeia ad funera luctus Totum ubi mors hominem vindicat atra sibi. Gassendi tumulo flores Helicone petiti, Sertaque Musarum pollice texta levi : Et vario scriptæ debentur carmine laudes. Sic doctis fas est solvere justa viris. Hæc ubi dicta dedit, subito dilapsus Apollo Adventus liquit signa videnda sui. Protinus ex animo fregit dolor ac mihi versus Jam faciles vena limpidiore fluunt.
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Elle ne laisse pas place aux morsures de l’envie. Les poètes, troupe sainte, se répandent en louanges Et portent à l’envi leurs doctes vers sur sa tombe. Maintenant, de tels honneurs sont dus à Gassendi aussi, Lui qui a égalé ta louange de Ptolémée. Lui qui a noté les courses variées des astres et leurs levers, Soit qu’ils soient fixés dans le ciel, soit qu’ils se déplacent et errent. Lui qui fit connaître au monde les causes mystérieuses des choses, Qui découvrit les richesses cachées de la sagesse. Et qui, rassemblant les dogmes de l’école épicurienne Les rendit plus splendides par son éloquence. Car le rejeton de Gargette1 n’est plus jugé infâme Après que la Muse de Gassendi lui a porté secours. Il a aussi orné sa doctrine de mœurs honnêtes, En homme candide et amoureux de la vraie simplicité. Chéri également des princes et des plus humbles, Il a vécu des jours inoffensifs sur votre terre. Mais maintenant enfin transporté sur les rivages célestes, Il foule, sublime, les étoiles méprisés dans vos contrées, Et il voit un autre Soleil et des astres trop grands Pour être vus d’aucun homme sur terre. Là, il jouit d’un temps plus heureux avec les dieux, Remportant des récompenses dignes de sa vertu. Arrête donc, poète, de frapper le ciel de tes plaintes, Et dis de bons mots au tombeau du bon vieillard. Allez au loin, vils pleurs, rendez-vous aux funérailles plébéiennes Là où la noire mort réclame pour elle l’homme tout entier. À la tombe de Gassendi sont dues des fleurs cueillies sur l’Hélicon, Des guirlandes tissées du pouce léger des Muses Et des louanges écrites dans différents poèmes. C’est ainsi qu’il faut rendre les derniers hommages aux doctes. » Quand il eut dit ces mots, Apollon soudain évanoui Laisse des signes visibles de sa venue. Aussitôt la douleur fut domptée et arrachée à mon cœur : et facilement Désormais des vers coulent de moi d’une veine plus limpide. 1
Épicure.
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Balthasar de Vias Né en 1587, fils de Jacques de Vias, Maître des Requêtes de Catherine de Médicis, et de Delphine Sommati, Vias termine ses études en droit avec un doctorat à l’Université d’Aix. Ce proche de Peiresc dont il était aussi le parent1 s’intéresse aux différents savoirs, dont la numismatique et l’astronomie. D’après Gassendi, Vias « aima Peiresc au suprême degré et reçut de lui la plus haute estime ». Il était en outre, dit Gassendi2, « célèbre parmi les poètes “latins” de ce temps ». En 1606 il édite son Henriciæ ; en 1609 l’Astræ apologia qu’il dédie à Guillaume du Vair ; en 1610, la Harangue funèbre sur la mort du […] roi […] Henri IV et Genialis Erato, ubi præcepta Chironis ad Ludovicum XIII. En décembre 1615 Peiresc le présente à Jean Barclay, de passage à Marseille, et une ferme amitié se noue entre Barclay, sa femme Louise de Bonnaire et Vias. Conseiller du Roi en 1616, il est nommé en 1627 consul perpétuel de France à Alger, succédant à son père dans cette charge ; puis, en 1628, gentilhomme de la Chambre du Roi et Conseiller d’État en 1647. En 1623, Peiresc le charge de l’édition des poèmes du cardinal Barberini ; il compose aussi un Panégyrique d’Urbain VIII (1628). En 1637, à la mort de Peiresc, dont il fut un des exécuteurs testamentaires, il composa « une excellente louange […] avec beaucoup de délicatesse et beaucoup de précision »3. Vias lui-même fut honoré, mais à une date inconnue, d’un Soterion écrit par Jacques de la Fosse qui, d’ailleurs, le 1er janvier 1657, lui envoie une lettre en vers de Marseille4. Auteur prolifique, il écrit plusieurs tragédies et un poème sur la découverte de l’Amérique, mais ces textes sont perdus. Outre son épicède à Gassendi, il compose d’autres pièces de circonstance, dont un épicède en 1636 en mémoire de Schickard. On retrouve son nom, associé à celui de Gabriel de Beaumont, comme auteur d’un épithalame De Nuptis nobilium adressé à Henri de Séguiran, premier Président de la Cham-
1
Cette notice est largement basée sur Tamizey III. Vie de Peiresc, 317, 136 3 Ibid. 317. 4 L’édition imprimée du Soterion ne comporte pas de précision de date ni de lieu de publication. Une copie manuscrite se trouve dans un recueil des œuvres de La Fosse, Bibliothèque Mazarine, Paris ms 3910 ff 138r-139v. Pour la lettre de 1657, voir les ff 116 suivant. Cette lettre, parce qu’elle est en vers, confirme l’engouement de nos auteurs pour la poésie latine et les exercices littéraires. 2
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bre des comptes de Provence, beau-frère de Peiresc1. En 1660, il dédie à Montmor son Charitum libri tres… (publié à Paris par Edmund Martin), ouvrage qui renferme une quantité importante de données autobiographiques2. Vias meurt à Marseille en 1667. Nous avons quelques renseignements sur son « In memoriam » pour Schickard3 : « […] Je vous envoie les vers que vous avez tant désirés de moi, à la mémoire de feu Monsieur Schickard et en faveur de Monsieur Gassendi. Si j’ai tant tardé, attribuez en la faute à ma seule paresse […]. J’espère que l’invention et la disposition de ce poème vous agréeront ; vous n’y trouverez rien d’étrange ni de bas ; aussi, voulant suivre et tenir ces deux grands hommes dans les cieux, il a fallu que j’aie pris une grande volée pour monter si haut. Vous y remarquerez encore sur la fin, si daignez vous en ressouvenir, beaucoup de rares curiosités que j’ai apprises et prises de vous. Je ne sais si un jour l’humeur me prendra de les reprendre et de les vous rendre entiers et non point en détail, ni la montrer tant seulement, comme je fais. Quand vous considérerez de près cette pièce, vous y trouverez quelque chose plus que de moi et que l’enthousiasme qui m’a saisi a été grandement puissant pour lui donner crédit à présent et peut être un favorable génie à la postérité. Pardonnez-moi si je parle ainsi : il y a encore de la fureur qui me tient ».
Idem ff.123r-127v. Les deux poèmes des pièces liminaires sont dus à Gilles Ménage (Ad Balthazarem Viassium in eius elegeias) et à Claude Du Périer (Ad eundem. Ode). 3 Lettre à Peiresc du 13 novembre 1636. 1 2
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Balthasar de Vias, Petri Gassendi theologi et Regii Matheseos professoris Epicedivm, Ex Typographia Edmvndi Martini, viâ Iacobæâ, sub sole aureo, M. DC.LVI. AD NOBILISSIMVM ET CLARISSIMVM VIRVM D. HENRICVM LVDOVICVM HABERTVM MON-MORIVM Libellorum Supplicum Magistrum, PETRI GASSENDI THEOLOGI ET REGII MATHESEOS PROFESSORIS EPICEDIUM. A BALTHASARE DE VIAS, Massiliensi, regis a Consiliis Me quoque GASSENDI mors non præuisa coëgit Promere languenti carmina scripta manu. Hoc pietas, Musæque pares, suasitque volentem Qui fuit in gemino pectore priscus amor. Vraniæ laniata comas, mœrensque Thalia Taxea pro myrto serta virente ferunt. Et gemitus miscere iuuat, fidibusque relictis Lugubres tristi plangere voce sonos. MON-MORI facies quem grata, hilaresque serenant Aoniæ claro semper honore Deæ Ornatas tibi jam CHARITES offerre parabam, In quarum lætus luderet ore decor. Mutauere habitus, & marcescente corona
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ÉPICÈDE DE PIERRE GASSENDI, THÉOLOGIEN ET PROFESSEUR DE MATHÉMATIQUES AU TRÈS NOBLE ET TRÈS ILLUSTRE SEIGNEUR HENRI LOUIS HABERT DE MONTMOR, maître des requêtes, ÉPICÈDE DE PIERRE GASSENDI, THÉOLOGIEN ET PROFESSEUR DE MATHÉMATIQUES AU COLLÈGE ROYAL Par Balthasar de Vias, de Marseille, conseiller royal La mort imprévue de GASSENDI moi aussi me pousse À publier les vers que j’ai tracés d’une main abattue. La piété m’y a engagé, rencontrant mon désir, de même que la mère de la Muse1, et Mon amour pour lui, le sien pour moi, et d’emblée nos deux poitrines ainsi jumelles. Uranie, la chevelure en pièces, et Thalie2 affligée Portent à la place du myrte vert des guirlandes de gui3. Il leur plaît de mêler leurs plaintes et, laissant la lyre, De lamenter4 des sons lugubres de leur voix triste. MONTMOR, que le visage charmant et les déesses gaies De l’Aonie5 rendent serein, dans ton honneur toujours illustre, Je me préparais à t’offrir maintenant des CHARITES ornées6, Avec, badinant sur leur bouche, un joyeux ornement. Elles ont changé de vêtements et, portant une couronne flétrie, 1
Mnémosyne, mère des Muses, personnification de la mémoire. Une des trois Grâces. 3 Le myrte est une plante consacrée à Vénus ; car, selon un mythe, la déesse ayant un jour eu honte de sa nudité se vêtit de feuilles de myrte. C’est aussi un symbole de jeunesse éternelle. Le gui, employé comme une panacée, est symbole de la vie et de l’immortalité. 4 Le terme plangere est à prendre ici au sens technique du planctus, de la déploration funèbre. 5 Nom mythique de la Béotie, séjour des Muses. 6 Les Charites ou les Grâces, Euphrosyne, Thalie et Aglaé (ou Pasithaé), filles de Zeus 2
et d’Eurynomé, sont des divinités de la beauté associées à la végétation. Elles forment avec les Muses les chœurs qui entourent Apollon.
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Ad vultus horrent ingemuisse tuos. Quin pudet has coram te primùm adstare dolentes Et madidas fletu corripuisse genas. MON-MORI, sensere pari te forte dolentem, Nec lessu tristes dedecet esse tuo. Si cùm dat lachrymas Hyacintho mœstus Apollo Mœrenti iunxit Calliopea suas. Sed suaves has esse velim, ceu myrrhea stacte Dum fluit & vernis gemmeæ stilla rosis. Mens fuit æquata tecum ratione dolere, Iunctaque commvni vulnera forte pati. Mens fuit & tristes Elegos donare, sed ante Optassem in laudes plurimus ire tuas. Quis tibi det luctus, nec discat iustiùs abs te Fortiter ad charos posse dolere rogos ? Ingenia illa tibi quæ adsunt meliora videbunt Cùm tenue hoc manibus munus adesse tuis, Dic illis fessâ me iam retinente senectâ Flexisse ad Pindum vix potuisse pedem : Illa prior marcet dilecta ab Apolline Daphne, Nec suus est frondi, qui fuit antè viror :
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Elles tremblent de gémir devant ton visage. Et bien plus elles ont honte de se montrer à toi dans leur souffrance Et d’avoir vu tes joues baignées de larmes. MONTMOR, elles ont senti que tu souffrais, partageant leur sort Et le fait qu’elles soient tristes ne messied pas à ta lamentation, S’il est vrai que, quand Apollon dans l’affliction verse des larmes sur Hyacinthe1, Calliope a uni ses pleurs aux pleurs de l’affligé2. Mais je voudrais que ces larmes soient douces comme l’essence de myrrhe quand elle coule Et qu’elles soient goutte d’eau, telle une pierre précieuse sur la rose printanière. J’avais l’intention de souffrir autant que toi Et de souffrir de ces blessures aux tiennes mêlées dans un sort commun. J’avais l’intention d’écrire de tristes élégies, mais auparavant J’eusse souhaité me répandre en éloge de ta personne. Qui te donnerait des raisons d’être en deuil sans apprendre de toi À pouvoir souffrir courageusement auprès du cher bûcher ? Quand ces intelligences qui sont près de toi, meilleures que moi3, Verront ce maigre présent entre tes mains, Dis-leur que, retenu que je suis par une vieillesse lasse, J’ai eu du mal à porter mon pied vers le Pinde4 : Cette Daphné5 chère à Apollon fane la première Et n’a plus dans ses frondaisons la couleur verte qu’elle avait autrefois : 1 Apollon tombe amoureux de Hyacinthos, fils d’Amyclas, roi de Sparte, qui accorde ses faveurs au dieu, lequel le tue cependant, accidentellement, alors qu’il lance le disque. Apollon transforme le sang de la blessure en une jacinthe dont les pétales portent l’inscription Ai Ai (hélas). La source est ici Ovide, Métamorphoses, X, l’histoire d’Hyacinthe étant intégrée au mythe d’Orphée. 2 Si Calliope est associée à Apollon dont elle a deux fils, Orphée et Linos (pour d’autres ce dernier est plutôt fils de Psamathe ou d’Uranie), elle n’est pas associée classiquement à Hyacinthe. En outre, elle est plutôt la Muse de la poésie épique. Il faut imaginer peut-être une source moderne. 3 Par « ces intelligences », Vias désigne sans doute les membres de l’Académie de Montmor. 4 Montagne de Thessalie consacrée à Apollon et aux Muses. 5 Chasseresse qui fut le premier amour d’Apollon. Comme il la poursuit, elle prend la fuite, et c’est en invoquant son père, le dieu-fleuve Pénée, qu’elle fut transformée en arbre. Le dieu embrasse le tronc de l’arbre et décide que les feuilles de son beau laurier accompagneront ses chants et ses victoires.
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Implicitumque alios me Parca moratur ad usus Cum quibus Aonio fœdera pauca choro. GASSENDO EUPHROSYNE iam nostra indixit honores, Quæ totum in Cælo vidit adesse virum, Non prospecta priùs scrutantem signa, facésque, Mercuriique nouum Solis in orbe iubar Cornutam Venerem ; Medicæm fidus, & astra Borbonia, inque aliis altera plaustra Polis :
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La Parque m’a porté au jour pour d’autres desseins1 Avec lesquels le chœur aeonien passe rarement alliance. Notre EUPHROSYNE2 a déjà notifié des honneurs à GASSENDI, Elle qui voit à présent dans le ciel notre homme tout entier Scrutant des constellations jamais encore observées, ainsi que des météores, Et le nouveau panache de Mercure dans l’orbe du Soleil3, Vénus cornue4, l’étoile médicéenne5 et les astres 1 L’idée est que la Parque, déesse qui préside à la naissance, n’a pas voulu qu’il soit poète. C’est donc une sorte de captatio benevolentiæ tardive. Cela dit, elle est contredite par ce que Gassendi lui-même en dit dans la Vie de Peiresc, livre II (p. 136 de la traduction française) : Balthazar de Vias, « son voisin, célèbre parmi les poètes “latins” de ce temps ». 2 Parmi les trois Grâces, celle qui personnifie la joie à son sommet, l’allégresse, la joie de vivre telle qu’elle est représentée dans le banquet éternel des dieux auquel les hommes participaient, au début du récit de la Théogonie. 3 Les passages de Mercure sur le soleil sont peu fréquents et difficiles à voir. La
formule de Vias que Mercure brille de nouveau dans le soleil renvoie donc au fait qu’il est de retour, et que son panache brillant a une nouvelle allure parce que l’observation de Gassendi est la première jamais faite de Mercure sur le soleil. Gassendi fut conscient, lui-même, de l’importance de son observation du passage de Mercure sur le soleil. Le 2 février 1632, il écrit à Peiresc que « je ne rapporte pas un petit bonheur d’avoir fait ceste observation de Mercure devant le soleil ; elle est tres importante tant pour estre la premiere qui a esté faite de ce façon, que pour devoir servir à ceux qui viendront après nous soit pour determiner la grandeur et l’esloignement, soit pour regler les mouvemens de ce planete ». Corr. Peiresc 258. 4 Dans le débat sur le système copernicien, les phases de Vénus jouent un rôle important ; car, si on pouvait les prédire en utilisant les postulats de n’importe quelle des trois systèmes cosmologiques, le système de Ptolémée ne permettait pas de prédire toutes les phases de la séquence. Ainsi donc, quand Galilée, grâce à sa lunette, réussit à voir toutes les phases, il considéra cette observation comme une preuve en faveur de l’astronomie copernicienne. Pour Peiresc et Gassendi, les phases de Vénus furent donc du plus haut intérêt. Gassendi consigne ses observations de Vénus pour le 1er octobre 1636 « diaire astronomique », Opera omnia iv 356 et 360-61. Le 18 novembre 1636 Gassendi écrit à Galilée : « Je crois avoir vu dans Vénus (elle apparaît maintenant encore cornue, mais elle sera bientôt dichotomia [Vue dans sa moitié]), je ne sais quelle séparation entre son bord le plus intérieur et son bord le plus extérieur. Si, quand elle deviendra amphikurta [Biconvexe, c’est-à-dire dans son deuxième ou troisième quartier], on la trouve plus nuageuse au milieu que sur sa lisière, alors seulement on prouvera, ce qui est très vraisemblable, qu’elle a une face apparente comme la lune » (Lettres latines i 164). Que Gassendi utilise une terminologie normalement appliquée à la lune souligne l’importance de la similitude des phases de Vénus avec celles de la lune. 5 Nom générique, en l’honneur du prince de Médicis, que Galilée donna aux quatre satellites de Jupiter qu’il observa en 1610 (plus précisément Principharus, Victripharus, Cosmi-
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Cumque tuli celebres Schikardi in fvnere flammas, GASSENDI hoc etiam lumen in igne fuit. Pluraque VALESIO cum Principe condimus illi Elogia in Musis non peritura meis : Hoc tandem extrema donamus munere Manes, MAGNE VIR, in tumulo, quos habet urna tuo. Præmia, quæ meruit virtus, pietate rependis, Dum tumuli officium relligione probas. Hoc quidquid tamen est, nihil est, quod laudibus æquet Quam famam a toto cognitus orbe tulit. Ipsa nitet per se virtus, nullisque superba Præsidiis proprio clariùs igne micat. Sat mihi si nostrum dolor hic testetur amorem, Et veniat lachrymis iunctus, HABERTE, tuis. Ipse sibi tumultum fecit, non indiget ullo,
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Bourboniens1 et le deuxième chariot sous d’autres Pôles2 : Et quand j’ai porté les célèbres flammes aux funérailles de Schickard Cette lumière de GASSENDI fut aussi dans le feu. Avec le prince de Valois nous avons composé pour lui Beaucoup d’éloges qui, dans mon Musée3, ne périront pas4 : Nous gratifions enfin de cet ultime cadeau, GRAND HOMME, Les Mânes que l’urne retient dans ton caveau. Les récompenses que ta vertu t’a rapportées te paye de ta piété, Tandis que par le respect que tu inspires tu mérites le rite funéraire. Quelle que soit cependant la valeur de cela, il n’est rien qui mérite autant de louange Que la renommée qu’il a gagnée, en homme connu de tout l’univers. La vertu resplendit par elle-même, et sans qu’aucune citadelle la rende imposante, Elle brille plus par son feu propre. C’est assez pour moi si cette douleur témoigne de notre amour Et se présente jointe à tes larmes, HABERT. Il a fait pour lui-même son tombeau, et n’en a besoin d’aucun, pharus et Ferdinandipharus). Les noms de Io, Europe, Ganymède et Callisto, en vigueur aujourd’hui, furent donnés par Simon Marius en 1614 dans son Mundus Jovialis. 1 C’est-à-dire les taches du soleil, que l’on a prises parfois pour des planètes, notamment Jean Tarde (chanoine théologal et vicaire général de Sarlat) qui leur donne ce nom de bourboniennes, dans son Borbonia sidera, id est Planetæ qui solis limina circumvolitant motu proprio ac regulari, falso hactenus ab helioscopis maculæ solis nuncupati (Paris, 1620). Il propose lui-même une traduction française de son ouvrage (1623) sous le titre : Les Astres de Bourbon et apologie pour le soleil, montrant et vérifiant que les apparences qui se voient dans la face du soleil sont des planètes et non des taches. Dans ce livre dédié à Louis xiii, il cherche à prouver que ce que les savants ont pris pour des taches obscurcissant le soleil est en réalité de véritables planètes. 2 Peut-être « le petit chariot » l’autre nom de la Petite Ourse, Ursa minor, ici
appelée ainsi par opposition au « Grand chariot », la Grande Ourse, Ursa major. Les pôles sont décrits comme « autres » parce que ce sont les pôles – dont les Ours sont proches – de la voûte céleste vue de la Terre, à la différence des pôles des astres Bourbonniens (cf. note précédente) qui, s’ils sont pris pour des planètes tournant autour du Soleil, sont les pôles de la voûte céleste vue du Soleil. 3 Ou cabinet des Muses, museum, c’est-à-dire cabinet de travail. Hévélius, par exemple, signe ses lettres habituellement « è museo meo ». En tout cas cela confirme que Valois a écrit des textes dont il ne nous reste rien. 4
Pour l’éloge de Schickard par Gassendi voir l’Appendice 1 ; pour celui que composa Vias supra, p. 331.
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Cui Iovis in Creta vilior urna foret. Mausolea, rogos, cryptas, ingentias busta, Exsequias, cippos, pyramidasque vide : Millia sunt vno monumenta adjvncta sepulchro, Pluraque GASSENDI funera funus habet : Tota hoc immoritur collecta Scienta busto, Quique Viri cineres, hos ait esse suos. Continua attactum febri, morboque calentem Erigone inuasit deficiente lues Tempore quo candet radiis immanibus æstas, Et languet grauido fluxa calore salus : Hoc sidus nostri scelus est, & causa doloris, Vosque per adversas signa voluta domos. Vis quibus est nostris rata iura imponere fatis, Et tacita humanum flectere lege genus. Quæ funesta dies spondâ susceperat ægrum, Condidit hac radios luce Corona suos. Alcides latuit, stellisque stupentibus Orphei
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Fût-il plus précieux que l’urne de Jupiter en Crète1. Vois les mausolées, bûchers, cryptes, sépultures immenses, Sarcophages, cippes et pyramides : Des milliers de monuments sont attachés à un seul sépulcre, Et ces funérailles de GASSENDI en comportent plusieurs : Toute la Science rassemblée meurt dans ce bûcher Et dit que les cendres de cet homme sont les siennes. Attaqué d’une fièvre continuelle et brûlant de maladie Il fut envahi de pue, alors qu’Érigone2 quittait le ciel, À l’époque où l’été brille de rayons prodigieux Et où la chaleur pénible fait languir les santés chancelantes : Cette étoile est un crime3 et la cause de notre douleur, De même que vous, constellations qui tournez dans les maisons hostiles4, À qui appartient le pouvoir d’imposer des sanctions légales sur nos destins Et de contrôler la race humaine de son autorité silencieuse. En ce jour funeste qui avait enlevé le malade à son bois de lit Au matin la Couronne5 a caché ses rayons. L’Alcide6 s’est caché, et les étoiles étant figées de stupeur, 1
Jupiter enfant grandit en Grèce, nourri par Amalthée. Les Crétois qui prétendaient posséder son berceau affirmaient aussi qu’ils détenaient son tombeau. Cette affirmation était déjà dénoncée pendant l’Antiquité, et elle servait de topos pour documenter le mensonge crétois. Lucien notamment déchaîne son ironie contre cette prétention, mais elle est aussi démystifiée par Diodore de Sicile. Le roi Jupiter qui est inventé pour expliquer la présence de ce tombeau est une des figures centrales de l’évhémérisme. Le thème du tombeau de Jupiter est ensuite repris par les Pères de l’Église pour désigner les croyances païennes et la vanité des idoles. 2 La fille d’Icare, changée en constellation après qu’elle s’est donnée la mort à la suite du meutre de son père, désigne la Vierge du zodiaque. 3 Érigone/Virgo, en astrologie gouverne l’abdomen et les régions (entre autres) de Lyon et Paris. Elle est associée aux les chaleurs d’été. C’est un signe stérile qui apporte toujours malchances et catastrophes. C’est sans doute pour cela que Vias l’appelle un crime. 4 Les maisons sont le, ou les, signes du zodiaque « habités », c’est-à-dire contrôlés, par une planète. Les maisons hostiles sont celles qui sont habitées par Saturne (le Capricorne et le Verseau) et Mars (le Scorpion et le Bélier). 5 La Couronne boréale. Dans la mythologie grecque, Bacchus offre une couronne à Ariane pour la consoler de l’abandon de Thésée. La couronne fut placée dans les cieux après la mort d’Ariane. Vias décrit la disposition du ciel au matin du jour du décès de Gassendi. Voir f igure 6. 6 Constellation d’Hercule, enlevé au ciel par son père Jupiter du bûcher qu’il s’était luimême construit. Il faut surtout noter que la légende de cette constellation est liée, selon Eschyle, à la Provence, et plus spécialement à la plaine de la Crau. D’après Eschyle, après avoir enlevé les bœufs de Géryon, Hercule traverse le territoire des Ligures, qui tentent de lui arra-
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Audita est iterum plangere mœsta chelys. Mirabar citiùs solito cur subdola Cypris Cum sole occiduas ingrederetur aquas ; Scilicet adspectu radiauit uterque sinistro Scorpius extremo, quà ferus igne micat, Quadrataque minax acie, facibusque cruentis Excussit Lvnæ Mars Trepidantis equos : Nec minùs ore truci, frameaque timendus Orion, Armavitque suas Hydra maligna faces. Influxit prima inde mali lethalis origo, Vincere quod medicæ non potuêre manus. Heu ! piget hoc tanto cælum didicisse magistro, Funestâ hac crescit cognitione dolor.
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On entendit pleurer la lyre affligée d’Orphée1. Je me demandais pourquoi la fourbe Cypris2 allait plus vite que d’habitude Pour plonger avec le soleil dans les eaux occidentales3 ; Assurément chacune des deux d’aspect sinistre a rayonné Du côté où le sauvage Scorpion scintille d’un feu extrême Et Mars, conduisant ses chevaux en panique et dardant de son regard perçant Des boules de feu rouges comme le sang, s’éloignait de la Lune4. Orion qu’il ne faut pas moins craindre, avec son visage farouche et sa framée5, Et la perfide Hydra ont armé leurs torches.
S’est alors insinuée la première origine du mal létal Que ne purent vaincre les mains des médecins. Hélas ! il me chagrine d’avoir appris le ciel d’un tel maître : Ma douleur augmente de cette connaissance funeste.
cher le troupeau. Le combat s’engage, mais les ennemis plus nombreux semblent l’emporter sur le héros qui manque d’armes. Hercule, blessé, à genoux, est en mauvaise posture, quand Jupiter prend pitié et fait en sorte qu’il y ait autour de son fils une grande quantité de pierres dont il se servit pour mettre en fuite les Ligures. C’est pourquoi, d’après Eschyle, Jupiter le place au ciel dans cette attitude de combat. 1 L’une des noms de la constellation du Cygne est Orphée, placé dans le ciel à côté de sa Lyre. La mention d’Orphée renvoie naturellement au poète grec, mais également à la place qu’il joue dans la poésie néolatine et notamment chez Ronsard, pour qui il est le grand poète par excellence, à la fois prêtre et prophète. On ne saurait cependant s’étonner de la moindre présence d’Orphée dans les célébrations de Gassendi, à défaut de toute Eurydice. 2 Vénus. 3 C’est-à-dire pour se coucher. Vénus étant à l’est du soleil dans la position où elle est connue sous le nom d’Hesperos. 4 En effet Vénus était le 24 octobre dans le signe du Scorpion tandis que Mars, qui se trouvait dans le Capricorne, était très éloigné de la Lune. 5 Orion est à craindre parce qu’il amène les tempêtes d’hiver. La mention de cette constellation est encore liée au mythe du Scorpion, dans lequel le Soleil entre au mois d’octobre. Le soleil lève à cette période au moment où Orion se couche. Il y a plusieurs légendes autour de la mort et du catastérisme d’Orion, soit que Junon, jalouse de ses exploits, ait envoyé un scorpion pour le tuer ; les deux furent changés en constellation, mais Jupiter s’opposa aux vœux de Junon qui aurait souhaité que le scorpion puisse éternellement piquer Orion, et fit en sorte qu’Orion et le Scorpion ne puissent jamais s’atteindre ; d’où, quand Orion se lève à l’horizon est, le Scorpion se couche à l’horizon ouest. L’autre mythe veut que ce soit Apollon qui, craignant pour la virginité de sa sœur Diane la Lune, envoya d’abord un scorpion, qui échoue, puis ment à sa sœur pour qu’elle le tue elle-même, le prenant pour un autre. Du coup elle le place au ciel avec son chien, Sirius, lui-même annonciateur de tempêtes et de cataclysmes, en tant qu’une des étoiles les plus brillantes du ciel.
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Sed neque credibile est, pietas vetat, infima summo Ætheris adspectu corpora posse regi. Astra Dei iussu fulgent, surguntque, caduntque, Impositasque ferunt quas dedit ille vices. Quem penes arbitrium Cæli est, vitamque modumque Temperat, atque aurâ dat meliore frui. O quantùm illa animo species abevnits inhæret, Viuentem viuus quam mihi fingit amor ! Inter Ephemeridas Cæli momenta notantem, Quæ nunquam audivit rus Academe tuum. Cura fuit studiis huic nosse prioribus Artes, Quæ mores, linguas, tempora, Regna docent ; Qui nascente Status fuerint, quæ Numma mundo Ex quo stagnarunt Deucalionis aquæ ; Quanta Semiramidis numerentur iugera muris, Ægyptoque, ipsis vel qui Anubis erat ;
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Mais il ne faut pas croire, la piété l’interdit1, que les corps infimes Puissent être régis par le souverain aspect de l’éther. C’est sur l’ordre de Dieu que les astres brillent, apparaissent et s’en vont, Et supportent les vicissitudes imposées qu’il leur a données. Celui entre les mains duquel repose la maîtrise du ciel organise à la fois la vie Et son terme, et il donne de jouir d’une meilleure brise. Ô combien s’accroche à l’esprit de celui qui s’en va L’image vivante que mon amour vivant crée en moi ! Je le vois en train de noter dans les éphémérides les moments du ciel Que ta campagne n’a jamais entendus, ô académie2, Il eut à cœur de connaître par ses premières études les arts Qui enseignent les mœurs, les langues, les périodes, les règnes ; Quelle situation fut sur terre au tout début, et quelles divinités Ont régné depuis que les eaux de Deucalion3 l’ont inondée ; Combien d’arpents contient le mur de Sémiramis4, Et que signifie Anubis pour l’Égypte et les Égyptiens eux-mêmes5, 1 De fait le christianisme interdit les pratiques divinatoires et s’oppose à la notion de destin. 2 Derrière le terme « d’académie », il faut peut-être entendre l’ensemble de la philosophie grecque que le terme désigne par synecdoque. 3 Le fils de Prométhée qui, averti par son père que Zeus avait décidé de détruire tous les hommes par une inondation, construit un bateau qui lui permet de sauver sa vie, ainsi que celle de sa femme Pyrrha. 4 Les grandes murailles de Babylone dont la construction fut attribuée à la puissante, mais légendaire, reine de Ninive et Babylone Sémiramis. Sans doute Vias choisit-il de parler de cette reine à cause de la Reine Christine, avec qui Gassendi a correspondu et qui est surnommée la « Sémiramis du nord ». La réputation de la reine de Suède permet-elle d’effacer le scandale qui s’attachait auparavant à son nom et qui se retrouve intact au siècle suivant avec la pièce éponyme de Voltaire. En tout cas, après que Christine de Pisan a soulevé l’indignation pour lui avoir réservé une place de choix dans sa Cité des Dames, elle devient, en tant que l’épouse incestueuse de son fils Ninus, un des lieux communs de la misogynie de l’époque, dont il ne semble pas que Gassendi ait été affecté outre mesure. On trouve rarement son nom chez nos auteurs. Notons cependant que, dans la préface de l’Hortus epitaphorum selectorum, ou Jardin d’épitaphes choisies, où se voient les fleurs de plusieurs vers funèbres… tirés des plus fleurissantes villes de l’Europe de Pierre Guillebaud (deux parties, Paris 1647-8), on trouve que l’invention des épitaphes a été attribuée par certains à Sémiramis. 5 Le dieu des nécropoles dans l’Égypte ancienne qui conduit les âmes justifiées dans les régions de la vie éternelle. Il est representé avec une tête de chacal. À l’époque hellénistique Anubis fut assimilé à Hermès, puis, plus tard, à canis minor.
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Et qualis Cyrus tvnc, cùm Babylona subegit, Cùm mare frænabat, vel fodiebat Athon. Quis furor huic Iuueni, cui non sat Pella nec Hellas, Quaque patet mundus, nec satis unus erat. Quæ gens illa orbem, quæ totum una urbe tenebat, Quaque facit summos nunc quoque summa Deos. Protinus ad tacitos rerum conuertitur usus, Naturæque latens mente recludit opus. Quæ ventis dent antra viam, cur reflua Tetis, Vnde niues, toniturs, unde det Ætna rogos. Contrahat ut noctem breuiori lumine Cancer,
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Et quel était Cyrus, quand il soumit Babylone1 Quand il mit un joug sur la mer ou quand il creusa l’Athos2. Quelle fureur eut ce jeune homme3 à qui ni Pella ni l’Hellade ne suffisait Et qui ne se contentait pas d’un seul monde, partout où le monde s’ouvrait à ses pas. Quelle est cette nation qui tenait tout l’univers sous une seule ville4 Et qui, suprême, fait aujourd’hui encore les dieux suprêmes. Puis il se tourne vers les emplois secrets des choses Et découvre par son esprit l’ouvrage caché de la nature. Quels antres font passer les vents5, pourquoi Thétys6 reflue, D’où viennent les neiges, le tonnerre, d’où l’Etna fait sortir ses bûchers. Comment le Cancer resserre la nuit en abrégeant la lumière, 1
Cyrus le Grand (c. 559-529 av. J.-C.). Il prit Babylone en 529. C’est Xerxès et non pas Cyrus qui fit un pont de bateau à travers la mer et qui perça un canal dans l’Isthme de l’Acté, lors de la deuxième guerre médique, entre 483 et 481 av. J.-C. 3 Alexandre le Grand, à qui ne suffit ni Pella, c’est-à-dire la capitale de la Macédoine, ni l’Hellade, c’est-à-dire le reste de la Grèce, mais partit conquérir le monde. 4 Jeu de mots sur urbi et orbi pour désigner Rome. Vias évoque ici la Rome antique, puis la Rome chrétienne, et sa continuité. 5 D’après Aristote (Météorologie), les vents sont des « exhalaisons » de la terre réchauffée par le soleil. Identifier les sorties fut un divertissement intellectuel de savants pendant plusieurs siècles. Dans son Historia naturalis et experimentalis de ventis (Leyde 1638), Francis Bacon accepte l’idée d’Aristote, mais ajoute deux autres causes au phénomène : ils tombent d’en haut et sont des condensations de l’air (« aut exspirant et scaturiunt terra ; aut dejiciuntur e sublimi ; aut conflantur hic in corpore aëris »). Après avoir précisé que, du reste, pour les poètes, Éole est domicilié dans les caves et cavernes de la terre (« in antris et et cavernis sub terram »), il donne plusieurs exemples de ces « sorties » des vents. 6 Femme de l’Océan, mère des fleuves. Le flux et reflux de la mer resteront un problème pour les savants pendant tout le XVIIe et XVIIIe siècle, et Galilée lui consacre en particulier la dernière partie du Dialogue. Du reste à la fin d’une de ses lettres au savant florentin (1er novembre 1632), Gassendi précise : « Expliquant ton opinion à des hommes de qualité, j’ai fait naître plusieurs fois dans le cœur de mes auditeurs une si grande vraisemblance que l’hypothèse des mouvements de la terre que tu assumes devenait, grâce à ma déclaration, probable pour éclaircir le mouvement des marées ». Galilée défend l’idée que les marées sont l’unique preuve sensible du mouvement de la terre. Gassendi reprend avec quelques modifications la théorie de Galilée sur les marées : il accepte de voir dans le phénomène des marées une preuve sensible du mouvement de la terre et refuse d’attribuer à la lune une force (ou vertu) magnétique par laquelle elle attirerait les eaux de la terre (dans le De motu). Contre l’hypothèse de Morin, il nie toute influence du soleil, car il est impossible que la lune et le soleil puissent exercer des attractions analogues. 2
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Ut Caper exiguo contrahat igne diem. Aëris an-ne hausto viuant animalia motu, An-ne ferax vitæ semina sanguis alat. Certior haud cuiquam cælorum innotuit ordo, Quâ chorea excurrant sidera, quave cadant ; Aut iusto instabilem metiri tramite mvndum, Temporaque ad causas quæque referre suas. Quid cum Gradiuo Tegees protendat alumnus, Concordi quoties sidus ab igne furit. Scilicet infligunt per mille pericula cædes, Astrorum quoties vis geminata subit ; Aut cum fatales accendit flamma cometas, Pernicies regnis unde cruenta uenit. Cynthia quid moneat dum terrâ obstante laborat, Et dolet à rutilo fratre relicta soror ; Quid moneat fratris lucem prohibente sorore, Dum tegit obscuris vix iuga Phœbus equis.
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Comment le Capricorne resserre le jour en diminuant le feu1. Si les êtres animés vivent par le mouvement de l’air qu’ils avalent, Si le sang fertile nourrit les semences de la vie. Il connaît l’ordre des cieux de façon plus certaine que quiconque, Par quelle danse circulaire les étoiles s’avancent, par quelle danse elles s’en vont ; Il sait mesurer le monde instable par une juste méthode Et rapporter chaque saison à ses causes. Ce que le nourrisson de Tégée2 apporte avec Gradivus3 Chaque fois que l’étoile se déchaîne en accordant son feu au sien4. Assurément des massacres frappent à travers mille dangers, Chaque fois que se présente la force dédoublée des étoiles ; Ou quand une flamme allume les comètes fatales5, D’où une peste cruelle vient sur les royaumes. Il comprend ce qu’annonce Cynthia6 quand elle peine, la terre lui faisant obstacle, Et quand la sœur abandonnée par son frère rouge ardent souffre ; Ce qui est annoncé, quand la sœur empêche la lumière du frère7, Tandis que Phébus, ses chevaux dans les ténèbres, couvre à peine de lumière la chaîne de montagnes8.
1
Ces deux vers désignent respectivement le solstice d’été et le solstice d’hiver. Cité du sud-est de l’Arcadie. Son nourrisson est Mercure / Hermès, né sur le Mont Cyllène en Arcadie. 3 Mars. 4 C’est-à-dire, quand ils sont en conjonction. D’après Ptolémée (Tetrabiblos ii 9), les effets caractéristiques de Mars et Mercure sont les guerres, la chaleur et autres perturbations de la vie. 5 D’après Manilius les comètes sont des « exhalaisons » de la terre qui s’enflamment pendant les périodes sèches et chaudes. Elles sont présages de mort, de guerre, de révoltes et d’autres catastrophes. Astronomia I, 817-66 ; I, 893-7. D’après Ptolémée, Tetrabiblos II. 9, les comètes produisent les effets caractéristique de Mars et Mercure. Il n’est pas besoin de rappeler ici le rôle qu’a joué l’observation des comètes dans l’histoire de l’astronomie moderne. 6 Diane honorée sur le mont Cynthus, c’est-à-dire la lune. 7 C’est-à-dire la signification des éclipses, Artémis / Diane, la lune, sœur de Phébus / Apollon, le soleil. 8 Hypallage, et désigné comme tel par l’épithète obscuris qui évoque naturellement l’hypallage le plus célèbre de l’histoire de la littérature (« Ibant obscuri sola sub nocte per umbram ») et la marche d’Énée dans les enfers. 2
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Cum Iove cur iunctum Veneris det commoda sidus, Et sit falciferi fax truculenta Senis. Vt recta auertant sensim vestigia Solis Fixa Borystheneus quâ rotat astra Polus. Denique quæ Fixis se stella accommodet Errans, Quæ facies cæli sit bona, quæue nocens. Tellurem aspexit circum fixa astra vagantem, Quæ variat motu tempora cuncta suo, Nec solitis constare locis Hermemque, Cyprimque, Cæteraque alterutra sidera luce trahi. Aspexitque viis distantem immanibus æthram, Et Phæbo ignotas altiùs ire faces. Duxisse immotum nvnquam Phæthonta iugales,
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Pourquoi l’étoile de Vénus jointe avec Jupiter donne des avantages1 Et pourquoi la torche du Vieillard porteur de faux2 est terrible. Comment les traces droites du Soleil se tournent peu à peu Vers là où le pôle Borysthène meut en rond les astres fixes3. Enfin quelle étoile errante se marie bien avec quelles fixes, Quelle face du ciel est bonne et laquelle est nuisible4. Il a regardé la terre vagabondant autour des astres fixes Qui change de saison selon son mouvement ; Il sait que ni Hermès ni Cypris ne restent à l’arrêt dans des lieux habituels5 Et que toutes les autres étoiles sont traînées par l’une ou l’autre lumière6. Il a regardé aussi l’éther aux distances immenses Et la course d’astres inconnus de Phébus. Il sait que Phæton immobile n’a jamais dirigé son attelage
De ces quatre vers les deux premiers se réfèrent aux éclipses de la lune, le troisième à une éclipse du Soleil. Les « cimes » du quatrième sont celles des montagnes de la lune. 1 C’est-à-dire quand Vénus est en conjonction avec Jupiter. Cette conjonction est
favorable, parce que ce sont deux planètes bienveillantes. Voir Tetrabiblos i. 5. 2 Saturne. 3
Peut-être faut-il voir dans ces deux vers obscurs l’évocation d’un cadran solaire sur lequel les « traces droites du Soleil » (c’est-à-dire les ombres) tournent lentement de l’est à l’ouest, en passant par le nord. Mais, comme les ombres disparaissent dans la nuit, ce sont les étoiles fixes qui sont mises en mouvement autour du pôle nord. 4 Vias insiste dans ces lignes sur les significations astrologiques du ciel quoique Gassendi les ait vigoureusement refusées. Néanmoins, comme le poème ne relève pas de l’astrologie judiciaire, mais procède à un jeu avec les noms des astres et la description du ciel, il n’est pas en contradiction avec les convictions anti-astrologiques de Gassendi. 5 Vias fait ici allusion à un débat cosmologique toujours d’actualité. En réalité, à côté du système héliocentrique et du système géocentrique, d’autres hypothèses concurrentes se sont fait jour, dans la mesure où, si les preuves en faveur du le mouvement de Mercure (Hermès) et de Vénus (Cypris) autour du soleil étaient bien établies, il n’en allait pas de même pour Mars, Jupiter et Saturne. Tycho invente un système tel que toutes les planètes tournent autour du soleil qui tourne lui-même autour de la terre, certains astronomes imaginent encore un autre système : les deux planètes les plus proches du soleil gravitant autour de lui, tandis que les autres sont en révolution autour de la terre. Tel est le système décrit par Martianus Capella, mais qui remonte à Héraclide du Pont (voir Dreyer 123-35). Il faut citer parmi les savants favorables à cette hypothèse Francis Bacon, Joseph Blancan, Charles Malapert et Andreas Argoli. Une quatrième version, qui ajoute Mars à Mercure et Vénus, est proposée par Riccioli (Schofield dans Taton & Wilson 38). 6 Il s’agit du Soleil et de la Terre, les deux astres susceptibles d’être au centre du monde.
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Nec calcata vagis astra fuisse rotis. Hoc non Socraticæ studium sciuistis Athenæ, Nec talem nôsti solis Arate moram. Terra stet, aut currat, vel stent, aut sidera currant, Diuinæ tantum nos latet artis opus. Heu ! cur in Superos nos aussi furta Promethei Vulture corrosum nec timuisse iecur ? Indulsit natura viro, gremioque patenti Occultas ipsi larga reclusit opes. Hoc duce nunc melior Stois Epicurus habetur, Invidiâ cuius vita probante placet. Astrinxit laxos mores, luxataque membra Iunxit, & applaudunt docta Lycea viro. Sic membris fractus laceris reparante Dianâ Hippolytus pulchro Virbius ore redit : Sicque Pelops cæsus mensis in frustra paternis Parte esâ rutilum crescere gaudet ebur. Nunc cunctis Epicure places, quæ pagina doctæ Non cupiat studium promeruisse manus. Quas non restituit Peiresci annalibus artes
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Et que les astres ne furent jamais foulés par des roues qui se déplacent1. Toi l’Athènes de Socrate, tu n’as pas connu cette étude2, Et toi, Aratus, tu n’as pas conçu que le soleil soit à l’arrêt3. Que la terre soit immobile ou qu’elle coure, que les étoiles soient immobiles ou qu’elles courent L’œuvre si grande d’un art divin nous échappe4. Hélas ! pourquoi avons-nous osé contre les dieux ces vols prométhéens5 Sans craindre que le vautour ne nous dévore le foie ? La nature fut bienveillante pour l’homme, et, découvrant son sein, Elle lui a révélé avec largesse ses richesses occultes. Sous un tel guide, Épicure paraît meilleur que les stoïciens, Car sa vie nous agrée, la jalousie de ses détracteurs ayant été démontrée6. Il a resserré ses mœurs lâches, il a rejoint les parties de sa philosophie Disloquées, et les doctes lycées applaudissent l’homme. Ainsi, brisé au niveau de ses membres, lacérés, grâce à la réparation de Diane Hippolyte Virbius7 a retrouvé son beau visage ; Et ainsi Pélops, découpé en morceaux pour les tables de son père, Se réjouit que de l’ivoire éclatant remplace ce qui de son corps a été mangé. Maintenant, Épicure, tu plais à tous, quelle page Ne désire pas avoir mérité le zèle d’une main docte ? Quels raffinements n’a-t-il pas apportés aux annales de Peiresc 1 Allusion au naturalisme de Gassendi, c’est-à-dire à son refus de toute interprétation surnaturelle des phénomènes, doublée d’une affirmation nette du copernicianisme de Gassendi. 2 Allusion soit au fait que Socrate négligeait l’étude de la physique, et donc de l’astronomie, pour s’attacher à la seule éthique, soit à l’ensemble des connaissances astronomiques de l’époque. 3 Le lien entre les deux vers est clair : si Socrate n’a pas étudié l’astronomie, Aratus l’a fait quant à lui, mais il n’a pas imaginé que la terre puisse tourner autour du soleil, se contentant des apparences immédiates. Sur Aratus, voir l’introduction des poèmes In memoriam. 4 Il faut interpréter cette phrase soit comme une expression de la prudence dont les savants font preuve dans le sillage de l’affaire Galilée, soit comme un rappel de la conviction de Gassendi que la connaissance ultime des choses n’est pas accessible à l’homme, qui doit se contenter de la vraisemblance. 5 La quête de la connaissance, conçue comme un vol. 6 C’est une des démonstrations de Gassendi dans Vie et mœurs d’Épicure. 7 Nom d’Hippolyte ressuscité et admis au rang des divinités inférieures (Ovide, Métamorphoses, 15, 544 ; Fastes, 6, 76).
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Charta quibus nostrum plurima nomen habet. His fueram quod uterque mihi, studioque sodali Unus amor triadem iunxerat una fides. MON-MORI, quâm plura tibi euulganda reliquit, Quæ per te sperant publica ferre diem ? Agnosces caramque manum, doctosque labores, Et qui iam dextræ deficientis erant. Hos quoties cernes, quantum spirabit in illis Ingenij & mentis vis rediuiua suæ ? Sæpe etiam ex imo duces suspiria corde, Occurrentque animo vitaque, morsque tuo ; Et lessum accipies quem dant hoc fvnere Musæ Vt Phœbo absenti, vel moriente Lino. Præsica defuncto lachrymatur GALLIA, & omnes In luctum effusus Sequana vertit aquas. DINIA vix superest natalibus obruta thermis, Eque suo periit pulsa fluente salus. Massiliæque gradum observans quem PYTHIAS olim Cùm Cancri chelas summus Apollo ferit. Magnetem, sphæras, congesta Mathemata, punctos Vrbs recolens, obitus quam gemit illa suos. Quin gemit, & Tybris, Tamesis, Betisque, Nicerque, Quodque tuum relegit Rhenus & Ister opus.
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Dont de nombreuses pages mentionnent mon nom1 ? Je fus pour eux ce que chacun d’eux fut pour moi ; dans le zèle fraternel Et dans l’amour singulier, une foi singulière nous unit un accord parfait. MONTMOR, combien d’ouvrages t’a-t-il laissés à publier, Qui espèrent par toi voir le jour et atteindre le public. Tu reconnaîtras à la fois la main chère et les doctes travaux Et ceux qui d’évidence sont écrits d’une dextre défaillante, Chaque fois que tu les verras, combien respirera en eux La force revenue à la vie de son talent et de son esprit ? Souvent déjà tu feras monter des soupirs du fond de ton cœur, Et sa vie et sa mort viendront à ton esprit ; Et tu recevras les lamentations que les Muses donnent à ces funérailles, Même si Phébus est absent et que Linus2 se meurt. La FRANCE en pleureuse verse des larmes pour le défunt, et la Seine Éperdue de deuil retourne toutes ses eaux. Digne survit à peine, ensevelie sous ses thermes natales3, Sa sécurité, bannie de son cours d’origine, est perdue. Observant le degré de Marseille comme jadis PYTHÉAS Alors que Apollon le très haut frappe les pinces du Cancer4, Et se rappelant l’aimant, les sphères, l’ensemble des mathématiques, les points, Comme cette ville gémit sur ce décès. Et bien plus le Tibre, la Tamise, le Bétis5 et le Necker, le Rhin et l’Ister6, Versent des larmes sur ces œuvres que tout un chacun a lues 1 Vie de Peiresc, dans l’édition moderne, aux pages 136, 150, 163, 174, 195, 312, 317 sq. Cette dernière page renvoie au poème latin que Vias a composé pour la mort de Peiresc. « Vias, qui aima Peiresc au suprême degré et reçut de lui la plus haut estime, mais qui aussi s’imposa l’effort de composer un poème où il chanta une excellents louange de Peiresc avec beaucoup de délicatesse et beaucoup de précision ». 2 Joueur de lyre, maître d’Orphée et d’Hercule qui le tua en le frappant de sa lyre, un jour qu’il le reprenait. 3 Allusion à une sorte de déluge cataclysmique : les thermes débordent de pleurs et en inondent la ville. 4 À la demande de Wendelin, Gassendi et Peiresc ont refait l’observation de Pythéas de l’altitude du soleil à midi le jour du solstice d’été en juin 1636. Voir Solstitialis altitudo Massiliae, seu proportio gnomonis ad solstitialem umbram observata Massiliae, anno 1636, pro Wendelino voto, La Haye 1656. En 1636, le soleil est entré dans le signe du Cancer le 21 juin. 5 Guadalquivir. 6 Danube.
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Sufficient-ne amnes ? an cælo poscimus imbrem ? Nil nimis huic, & plus imputat ille Polo. Forsitan Elysias si nunc descenderet umbras Cum Styge lethæo luctus in amne foret. Tot cape MON-MORI lachrymas, & funere in isto Humentes credas ingemuisse Polos, Ille suo euectas in cælum lumine traxit Pleiadésque inter iussit habere locum. Munere tam raro repleuit Aquarius urnam Hisque Iovis potius mectara miscet aquis. Quod minimum ex illo est, iacet hîc, stant numina circum Iustaque supremis instituêre rogis. Vranie, Pallas, Sophie, Pithoque, Charisque Quæ Parcis numquam plus licuisse putant. Quique priùs radio summos descripserat orbes, Hos inter multo lumine sidus habet. Lætentur Superi, nos isti plangimus Astro, Quòd clarum a nostro transtulit orbe iubar. B. de Vias Massiliæ Kal. Decembris 1655.
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Les fleuves suffiront-ils ? demandons-nous la pluie au ciel ? Rien n’est trop pour lui, et il mérite plus que le ciel. Peut-être, s’il descendait maintenant dans les ombres élyséennes Le deuil frapperait le Styx dans le fleuve du Léthé. Recueille tant de larmes, MONTMOR, et crois bien que dans ces funérailles La voûte céleste et les deux pôles humides ont gémi ; Ces larmes, élevées aux cieux par leur propre lumière, Il les a attirées et disposées pour qu’elles prennent leur place parmi les Pléiades. Le Verseau a rempli son urne de ce rare cadeau Et il mêle à ces eaux les nectars de Jupiter. Le tout petit minimum1 qui est de lui gît là, les divinités sont debout tout autour Et ont décidé de ce qu’il est juste de faire pour son dernier bûcher. Uranie, Pallas, Sophie, Pithô2 et les Grâces Qui pensent que les Parques ne sont jamais autorisées à en faire autant. Et celui qui avait d’abord décrit de son rayon3 les plus hauts orbes A parmi eux son étoile dotée d’une grande lumière. Les Dieux se réjouissent, nous autres nous pleurons sur cet astre Qui a déménagé de notre orbe sa brillante chevelure4. B. de Vias Marseille 1er décembre 1655.
1
Nous gardons ce terme qui renvoie peut-être à la théorie matérialiste de Gassendi, à ce minimum physique que constitue l’atome. 2 Peithô, déesse de la persuasion, fille de Vénus. Elle se trouve ordinairement dans son cortège ou à ses côtés avec les Grâces. 3 Radio, peut-être une référence à l’instrument utilisé par Gassendi pour plusieurs
de ses observations célestes, le radius astronomicus ou « arbalète » ou bâton (rayon) d’astronome. 4
Le terme et l’expression sont le plus souvent employés pour les comètes, dites « astres chevelus ».
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Introduction Né à Marolles en Touraine le 22 juillet 1600, Michel de Marolles était destiné très tôt à la vie ecclésiastique, son père ayant obtenu pour lui dès 1609 le bénéfice de l’abbaye de Baugerais en Touraine. Éduqué à Paris au collège de La Marche, puis au collège de Montaigu, il embrasse très vite une carrière littéraire et, de caractère aimable, entre en relation avec les savants de l’époque comme Louis Habert, Guillaume du Val, Denis Pétau, Jacques Sirmond ou Antoine-Gérard de Saint-Amant ; il sera également un habitué du salon de Madame de Scudéry. Le duc de Nevers devient son protecteur et mécène après qu’il a composé pour ses enfants des comédies en prose et vers, et traduit quelques pièces de Plaute et de Sénèque. À la fin de 1626 il reçoit l’abbaye de Villeloin d’une valeur de 5 à 6 mille livres de rente et achète la jouissance, moyennant une rente, de la bibliothèque de son prédécesseur. Il devient prêtre le 23 février 1630. Protégé de la famille d’Estrées et de leur beau-frère Habert de Montmor à partir de 1644, Marolles réunit autour de lui le cercle littéraire le plus influent du mileu du siècle. Traducteur infatigable, il compense par la quantité la qualité médiocre de ses adaptations qui était déjà critiquées de son vivant par Gaspard de Tende1. Il est néanmoins l’auteur de la première traduction en français de Lucrèce (1650) qui fut également critiquée. Parmi les quelques soixante-dix publications de Marolles se trouvent aussi un catalogue de ses collections de gravures2, un mémoire du poète-menuisier Adam Billault de Nevers, et des descriptions en vers de Paris et du Roi et des gens de la cour. Ses deux volumes, Traité du poème épique (1662) et Considérations en faveur de la langue françoise (1677) le feront classer comme un Moderne au moment de la Querelle. Marolles est mort à Paris le 4 mars 1681. Ses Mémoires3 restent une source importante pour l’histoire des hommes de lettres ses contemporains et leur vie quotidienne. Le texte qu’il consacre à Gassendi se trouve aux pages 197-8 et 272 à 276 de la première édition (in-folio, 1656) de cette œuvre. Traité de la traduction, ou Règles de bien traduire… (publié sous le nom d’Estang en 1660). 2 Ce collectionneur de gravures accumule à partir de 1644 cent vingt trois mille pièces que Colbert achète en 1667 pour la bibliothèque du Roi. Cette acquisition est considérée comme l’acte de naissance du Cabinet des Estampes de la BNF (qui ne verra le jour administrativement qu’en 1720). 3 Il n’en existe pas d’éditions modernes, après celle de 1755. Sur Marolles on peut consulter Viala, 256-58, Wacquet II ; Fumaroli III, 534, 648. 1
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Texte Il y auoit tous les Mardys vne espece d’Académie chez Mons. Le Febvre1, pour conferer principalement de ces choses là [la chronologie], comme chez feu Mons. le Pailleur2, il y en auoit vne autre tous les Samedys, pour parler des Mathématiques3, où j’ai vû Mess. Gassendi, Boüillaud, Pascal, Roberval, Desargues, Carcavi, & autres illustres en cette science4, qui maintenoient tous que la Sphere de Copernic, qui met le Soleil au centre de nostre Monde, est beaucoup plus iuste & plus aisée à soustenir que non pas l’ancienne ; de sorte qu’il n’y a plus gueres d’Astronomes de reputation qui ne soient de leur auis, pour des raisons qui certainement parroissent inuincibles5, outre qu’on ne peut nier qu’elles ne soient fort considérables pour trouuer les causes du flus et reflus de la Mer, qui jusqu’icy ont esté si difficiles à découurir6. Mais attendons les Liures immortels qui se préparent sur ce sujet : Et puisqu’on vient de dire la mort de ce celebre Philosophe Chrestien7, Pierre Gassendi, arriuée le Dimanche vingt quatrième jour d’Octobre de l’année mil six cents cinquante cinq, arrestons-nous vn peu sur son suiet. Je n’en fut auerti que trois iours après son enterrement, qui fut à Saint Nicolas-desChamps, par l’inaduertance de ceux qui portent les billets, parce que le lieu où ie demeure encore à present dans le Faux-bourg S. Germain, est fort éloigné de l’Hostel de Mons. de Montmor, Maistre de Requestes, ou il étoit logé 1
Louis Chantereau-Le Febvre, dont Marolles dit ailleurs qu’il l’a rencontré dans la chambre de Gassendi chez Montmor. Mémoires ii 114. 2 Sur l’Académie de Le Pailleur voir Mesnard, passim. 3 On voit par la suite que le terme de « mathématiques » est ici entendu dans son acception ancienne : il englobe toutes les sciences et activités recourant d’une manière ou d’une autre au calcul, à la géométrie ou à la trigonométrie. 4 Pour l’importance et le contexte de ces réunions, voir Brown I 68ff. 5 L’héliocentrisme au milieu du XVIIe siècle était, plus que jamais, le sujet d’un débat acharné. Voir Kuhn ; Gapaillard. 6 La situation n’a guère changé soixante-dix ans plus tard. « Les Philosophes sont si partagez, & même si contraires les uns aux autres dans l’explication de cet admirable Phenomene de la Nature, que leur opposition est une preuve évidente du peu de fondement qui se trouve dans ce qu’ils en ont avancé », Jacques Alexandre, Dissertation sur les causes du flux et reflux de la mer…, Bordeaux 1726. Galilée a considéré que les marées résultaient de la rotation de la terre. Descartes les attribue à l’action des tourbillons ; Gilbert, suivit par Kircher (Magnes, 1654), à l’attraction magnétique de la lune. Même Newton ne réussira pas à expliquer tous les aspects du problème. La remarque de Marolles est bien justifiée. 7 Écho de Taxil ?
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[133]. Ce genereux Seigneur, après lui avoir donné tous les tesmoignages d’estime & d’amitié, qu’on sçauroit desirer, en eut encore des soins extraordinaires pendant sa maladie, qui dura deux mois entiers, & receut, de la main de son hoste infirme, tous ses nobles escrits de Philosophie, pour les donner quelque iour au public. Il y en aura plusieurs volumes, & nous pouuons bien iuger, par ceux que nous auons lus auec tant de satisfaction, du merite & de l’excellence de ceux qui nous restent à voir. Là, se trouueront toutes les observations qu’il a faites pendant sa vie, & vn raisonnement admirable sur les tesmoignages des Anciens. Ce personnage sçauant entre les doctes, estoit Preuost de l’Eglise cathedrale de Digne en Provence, dont il a escrit vne petite Histoire. Il auoit l’esprit agreable & doux : sa conuersation estoit aisée, & rendoit claires les choses les plus obscures, non tant par la netteté de l’expression qu’il auoit fort belle, que par la force & la solidité de ses raisons, qu’il accompagnoit d’ordinaire de similitudes très-propres, qui expliquoient naïfuement sa conception. Il disoit d’ordinaire que dans le monde, la part des Gens de Lettres estoit la meilleure, parce qu’ils n’auoient pas le loisir de s’ennuyer, ni même de se plaindre de tout ce qui afflige les autres, iusqu’au fond de l’ame. Comme ie lui demandois, vn jour, si nous pouvions connoistre l’avenir par les regles de l’Astrologie, ou par celles de quelqu’autre science, il me repondit qu’à la verité on pouuoit preuoir bien des choses, par la comparaison des passés & des presentes ; mais qu’il n’étoit nullement persuadé qu’on en pust rien connoistre par les regles imaginaires de l’Astrologie, donc il ne faisoit aucvn état ; & disoit aussi-bien que feu M. le Pailleur, M. Boüillaud, M. Pasqual, & tous les savans Astronomes, que ceux qui s’y appliquent, pour acquerir la reputation d’estre Mathematiciens, font connoître dès-là qu’ils ne sont point du tout, & qu’ils ont peu de génie pour la science des Principes des choses : en quoi il faisait bien aparoistre qu’il estoit du sentiment du Philosophe Phauorin, qui les meprisoit extremement, au rapport d’Aulugelle, dans le quatorzième Chapitre de son premier Liure1. Ainsi le Poëte Actius disoit qu’il ne falloit point d’aiouter de foy à ces sortes de Diuinateurs, qui peuuent bien
1 Nuits attiques 14, 1, 1 et suivant. Phavorin était un philosophe d’Arles actif au IIe siècle. L’école d’Épicure était fortement hostile à l’astrologie comme à toutes les sortes de divination (Barton 53-4). Gassendi était sur ce point fidèle à son maître.
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tromper les autres ; mais qui ne se trompent point eux-mêmes, parce qu’ils sont rarement persuadez de ce qu’ils auancent auec beaucoup de temerité1. Il [Gassendi] disoit que le temps & l’espace estoient infinis, & que quand le monde ne seroit point, ou qu’il n’auroit iamais été, l’espace, où il est, & la durée ne laisseroient pas d’estre, pour cela, comme l’vn & l’autre estoient sans doute auant la création ; puis qu’on ne sçauroit douter que Dieu ne soit de toute eternité. Il tenoit aussi, que rien ne se fait par hazard : mais qu’à le bien prendre, toutes choses sont necessaires, & dependantes, en quelque façon, les vnes des autres, par vn ordre immuable de la Prouidence. Il estoit persuadé du mouuement de la Terre, comme de toutes les autres Planettes, & tenoit que les Cometes estoient des Mondes, qui auoient leurs cours hors de la Sphere de celuy que nous habitons, c’est à dire de notre Monde solaire, où il renfermoit le Soleil, la Terre, la Lvne, & les Planettes de Mercure, de Venus, de Mars, de Iupiter & de Saturne, auec leurs Satellites, qui peuuent être autant de Lvnes autour de ces grands corps. Il estimoit aussi que si tout ce Monde Solaire estoit porté au lieu où sont les Etoiles fixes du Firmament, ils ne nous paroistroit pas plus grand que l’vne de ces Estoiles, tant elles sont éloignées de nous : que de toutes ces Estoiles qui sont là-haut, nous n’en voyons qu’vne bien petite partie : & que si nous estions eleuez au lieu où sont celles que nous decouurons de nos yeux, nous en pourrions encore appercevoir bien d’autres au-dessus : & de celles-là, encore d’autres : car rien n’est impossible à la Toute-puissance de Dieu : & c’est vn defaut de prudence & de pieté, de lui prescrire des bornes. Qu’au reste, tout cela ne fait point de préjudice à la Réligion ; parce qu’elle subsiste toute entière, quand bien vne infinité de Mondes seroient habités, n’estant pas impossible que les peuples n’en fussent d’autre nature que nous ne sommes pas ; ioint que les vns pourroient auoir peché, sans que Dieu leur eust fait misericorde, comme aux démons ; que d’autres, qui auroient peché, n’auroient peut-être pas esté exclus de la Misericorde infine, par des moyens que nous ne sçaurions comprendre ; & que d’autres encore seroient demeurez
1 Marolles renvoie ici à un très célèbre texte de Pontano, Actius, nommé d’après le grand ami de l’auteur, Jacques Sannazzar, l’illustre poète néo-latin de l’Arcadie, qui se fait appeler Actius Syncerus. Dans ce dialogue de Pontano, Actius, le poète, se confronte à l’historien, Giovanni Altilius, un autre ami de Pontano. La réflexion sur les différences entre les deux genres d’écriture prend sens dans une analyse de la contingence, le destin et la liberté. Ainsi l’Actius devient-il un des traités les plus important de l’époque de fato.
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dans l’innocence de leur création, comme les bons Anges ; car ce sont choses, dont nul homme sauroit établir de dogme asseuré. Il a eu encore d’autres Aduersaires pour la doctrine [de l’astrologie], le sçauant Professeur Iean Morin, qui a fait quelques Livres contre luy, & contre René des Cartes ; mais ils ne sont pas demeurez sans réplique. Et Mons. de Pagan, de qui la vuë de l’esprit n’est pas moins éclairée, que celle du corps est obscurcie1, est bien de son auis pour la Physique, & peut-être pour l’Astronomie, où il estoit l’vn des premiers hommes du monde ; mais non pas pour l’Astrologie, qu’on appelle iudiciaire, laquelle il [Gassendi] reiettoit comme vne science vaine & superstitieuse. Il eut soin en mourant de recommander sa Chaire de Professeur du Roi aux Mathématiques, pour M. de Roberual, Géometre, qui enseigne cette belle science auec tant de succès, & qui n’a rien à craindre contre luy, pour en obtenir les lettres, qu’vne plus grande faveur que la sienne2. Enfin M. Gassendi est mort saintement, en la 65e année de son âge3 & aprez les éloges qui luy ont desia donné M. de Lavnoy4 & M. Quillet5, ie puis esperer que sa belle vie sera escrite par quelqu’vn qui l’aura connu encore plus particulierement que nous. Un peu plus haut dans ses Mémoires (pp 197-8), Marolles avance la proposition que si de faire des livres, « doit estre le metier de quelqu’vn, c’est principalement d’vn Ecclesiastique, qui n’a point de Charge qui l’oblige à quelque sollicitude publique, ou fonction particuliere, afin qu’il se puisse occuper agreablement, sans deshonorer sa condition : car s’il a besoin de compagnie pour se diuertir, il est quelques fois en grand danger de mal passer son 1 Blaise François, Comte de Pagan (1604-1665), a perdu un œil pendant le siège de Montauban (1621) et le second pendant la campagne du Portugal en 1642-3. 2 En réalité l’obtention de la place de Gassendi a coûté 1 000 livres à Roberval. Ces « lectres de provision du Roy… de la charge de professeur du Roy en mathematicque vaccante par le deceds de Me Pierre Gassandy » furent expédiées en décembre 1655 et enregistrées le 3 juillet 1656. Pour des détails voir Fleury & Bailhache 23-6 ; Turner & Gomez 82 et, pour Roberval, Auger. 3 Dans l’exemplaire de la Mazarine il y a l’annotation manuscrite « aagé de 63 ans 9 mois, treize iours ». 4 Voir supra 264-267. 5 Voir supra 288-295. Goujet, dans ses notes à l’édition de Marolles qu’il donne en 1755, semble ne pas avoir vu ces ouvrages, car il remarque que Bougerel ne mentionne ni l’un ni l’autre.
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temps, ou de tomber dans la faineantise, & de-là, dans les vices infames, qui scandalisent tout le monde ; c’est pourquoy… ie me suis donné cette sorte d’exercice, selon l’auis de l’illustre Pierre Gassendi, dont la science est si profond & la douceur si charmante. I’ay suiui en cela les sentiments de cet excellent homme, qui a trouué l’art de ioindre l’humilité Chrestienne auec l’hauteur de la Philosophie : & ces qualitez si opposées entre elles compatisent heureusement en sa personne ».
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Introduction Samuel Sorbière est né à Saint-Ambroix dans le Gard à 85 kilomètres de Nîmes le 17 septembre 16151 ; il est le fils d’Étienne Sorbière et de Louise Petit, sœur du savant pasteur de Nîmes, Samuel Petit (1594-1643). Après la mort prématurée de son père, Sorbière est élevé chez son oncle, qui le destine à devenir ministre de l’Église réformée. Sorbière monte à Paris en 1639 où il abandonne l’étude de la théologie pour celle de la médecine. Grâce à des lettres d’introduction de Petit, Sorbière entre rapidement en contact avec les savants parisiens, en particulier avec Mersenne, les frères Dupuy, et avec Gassendi2. Devenu précepteur des enfants du Rhingrave Frédéric, Comte de Salm, il part avec eux aux Pays-Bas où il rend visite à Descartes à Endegeest (début 1642) et traduit de l’anglais en latin la description de la Grande-Bretagne préparé par William Camden pour l’Atlas Maior de Blaeu. Philosophe, sceptique, physicien et historien, Sorbière s’intéresse très tôt à la philosophie politique. En 1643 il publie (toujours chez Blaeu) une traduction de l’Utopie de Thomas More3. Après qu’il a découvert le De Cive de Thomas Hobbes en 1642, il accepte de le traduire en français, à la demande de Mersenne et de Gassendi, en travaillant sur le texte manuscrit que Hobbes continue à modifier jusqu’en 1646. L’œuvre paraît en 1649 dans une édition qui contient un Discours apologétique du traducteur, une lettre que lui a adressée Gassendi pour l’exhorter à mener à bien ce travail4 et une autre de Mersenne. En 1650 il devient principal du Collège d’Orange. À cette époque Patin dit de lui « qu’il parle [de Gassendi] comme d’un oracle »5. En 1652 il publie une traduction du Corpus politicus de Hobbes, paru à Londres en latin en 1650. Il se convertit au catholicisme en 1653, par l’intermédiaire de Joseph Marie Suarés, évêque de Vaison, ce dont Gassendi félicite l’un et l’autre6, à la diffé1
Ce qui suit est basé principalement sur la vie de Sorbière de Graverol, mais voir aussi Gouverneur 7-10. 2 Quant à Gassendi, presque certainement en 1641, car Baillet (ii 170) dit que Sorbière « Il s’étoit déjà donné tout entier à M. Gassendi avant que d’avoir vû M. Descartes ». 3 L’Utopie de Thomas Morus…traduite par Samuel Sorbière, Amsterdam, J. Blaeu, 1643. 4 Lettres latines, à Sorbière, 28 avril 1646. L’utilisation de cette lettre, ainsi que celle de Mersenne, dans l’ouvrage a été interdit à Sorbière. Voir Sarasohn 215-6. Notons que cette traduction du De cive latin est toujours celle qui est utilisée aujourd’hui. 5 Patin à Spon 26 juillet 1650, Jestaz i 700. 6 Lettres latines, à Suarés, 23 janvier 1654 : « Imagine donc à quel point je te félicite pour l’acte si remarquable par lequel tu as gagné à Dieu et à l’Église l’éminent Sorbière ? par lequel tu
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rence de certains de leurs contemporains, à commencer par Patin, qui la juge avant tout intéressée et lui réserve quelques propos mordants1. Sorbière passe une bonne partie des années 1650 à la recherche d’un protecteur et d’une position. En 1660 il reçoit un brevet d’historiographe du Roi avec des appointements de mille livres par an2, et il accumule ainsi au fil des années un ensemble de bénéfices suffisant pour lui permettre de vivre honorablement, mais peut-être un peu trop modestement à ses yeux, car il semble avoir aimé mener plus grand train3. En 1663 Sorbière voyage en Angleterre ; à son retour en France, il publie une Relation (Paris, 1644) ; mais l’ouvrage sera interdit à la demande des gouvernements anglais et danois4, et son auteur exilé à Nantes, à cause des remarques qu’il fait sur le Comte d’Ulfeld, de la manière dont il malmène John Wallis et de sa défense de Hobbes. Il meurt le 9 avril 16705. l’as attiré vers toi ? par lequel tu l’encourages et te charges du soin de sa fortune ? par lequel tu lui fais un don digne de ton généreux caractère et digne d’être célébré, dont le souvenir ne s’effacera jamais ? Il méritait bien de rencontrer un patron aussi considérable ; c’est un homme si bon, si candide, si singulièrement érudit, un homme dont la conversation a tant de grâce, et l’écriture tant d’élégance, un homme tel que, pour le dire brièvement, tu as appris à le connaître, tu l’as aimé, tu l’as choisi ; et ta bienfaisance a fait en lui l’expérience de ses forces ». À Sorbière, à la même date, il écrit « Pressé par le temps, je te félicite rapidement, la poitrine pleine, d’avoir pris une décision si généreuse et si conforme à la piété. Ton geste a une importance sans égale : il s’agit de ton salut suprême, que rien ne suffirait à compenser, ni la Terre tout entière avec son or ni l’ensemble du monde. Ce changement est l’ouvrage de la droite du très haut, et en choisissant la meilleure part, tu n’auras aucune raison de te repentir jamais de ton acte. Tu es heureux d’avoir rencontré un évêque si bon, si généreux, si érudit : capable d’aimer ta vertu et de t’apprécier à ta valeur, il deviendra pour toi un refuge dans la corruption des choses humaines ». 1 Lettre à Falconet du 25 novembre 1653 : « Notre ancien ami, M. Sorbière, directeur du collège d’Orange, a tourné sa jacquette en se faisant catholique romain à la sollicitation de l’évêque de Vaison, des cardinaux de Bichi et Barberin, qui lui en a lui-même écrit de Rome. C’est lui-même qui me l’a mandé, et qu’il s’en allait à Rome tout exprès, d’où il m’écrivait. Voilà des miracles de nos jours, mais qui sont plutôt politiques et économiques que métaphysiques. Il est veuf [la femme de Sorbière décéda en 1652] et bien adroit ; mais, tout fin qu’il est, je ne sais si, avec sa nouvelle chemise, il pourra réussir à faire fortune à Rome, qui est un lieu plein d’altérés et d’affamés ; au moins suis-je bien assuré qu’il ne deviendra jamais pape ». 2 D’après Chatelain, 315, il devait ce poste à Foucquet, Pecquet ayant joué le rôle d’intermédiaiare. 3 « Si Sorbière n’eût pas été un peu trop adonné à ses plaisirs, son successeur eût été mieux partagé, qu’il n’a été », dit de lui son biographe François Graverol. D’après Sophie Gouverneur, 8, en 1663 il a eu des revenus d’environ 3 300 livres par an. 4 Gouverneur 9 ; Sarasohn 223-4. 5 Une ode sur la mort de Sorbière se trouve dans le recueil de poèmes de Jacques de la Fosse, Bibliothèque Mazarine, Paris Ms 3910 f 121v.
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Tout au long de sa vie mouvementée, Sorbière aura publié à la fois des discours sur la médecine, des essais et des traductions, qui laissent sceptiques certains de ses contemporains. « Il n’est pas sans lumières et sans savoir », écrit de lui Chapelain, « mais il ne voit et ne sait rien à fond. Tout ce qu’il a fait a pour but la fortune et point la gloire. Ce qui est cause qu’il passe partout pour adulateur de ceux dont il espère et pour satirique contre ceux qui ne lui donnent pas ce qu’il prétend »1. Dans sa Vie de Descartes, Adrien Baillet porte un jugement encore plus sévère sur lui : « C’étoit un homme d’esprit & de scavoir, qui faisoit sa principal étude de rechercher les Sçavans repandus dans l’Europe, & de profiter de leurs conversations que des livres. De sorte qu’il étoit en réputation d’être encore plus curieux que sçavant, & plus coureur qu’homme du cabinet ». Pour Baillet « Il fut aussi l’espion continuel de M. Gassendi auprés de M. Descartes pendant tout le têms qu’il fut en Hollande ; & il n’oublia rien pour détruire celui-ci dans l’esprit de l’autre par des rapports desobligeans »2. Bien évidemment, ces remarques ne peuvent prétendre à aucune forme d’impartialité, Baillet étant un biographe engagé, thuriféraire, et sa Vie de Descartes une hagiographie. En tout cas, la relation que Sorbière entretient avec Gassendi permet de nuancer un peu le portrait du courtisan avant tout intéressé : de fait, alors qu’il ne pouvait certes rien attendre, matériellement, du prévôt de Digne et malgré quelques dissensions entre eux, il lui a toujours manifesté un profond attachement. Les Lettres latines en sont le reflet : il y en a dix de Gassendi à Sorbière, et onze de Sorbière à Gassendi, qui s’échelonnent de 1642 à 1654.
1
On peut penser que Sorbière fut conscient de ses propres limites. Dans l’épître dédicatoire au Duc de Chevreuse qu’il met en tête de l’ouvrage de Louis le Laboureur, Avantages de la langue française sur la langue latine, Paris 1669, qu’il édite, Sorbière se présente comme un travailleur de deuxième rang : « Si nos Savans qui travaillent aujourd’huy à l’avancement des sciences, n’ont pas estimé qu’il y eust en moy assez de merite pour y contribuer avec eux ; Je puis dire neanmoins que l’ancienne Republique des Lettres a fait autrefois quelque état de ma bonne volonté ». Sig. A iiiv. Même s’il faut faire la part de la captatio benevolentiæ, l’intérêt, chez Sorbière, ne contredit jamais un enthousiasme réel pour la vie savante. « Moy je ne scay… que j’ay merité du Public depuis vingt cinq ans que je mele à ecrire. Que si je n’ay guere trafiqué de mon fonds, au moins j’ay seû faire valoir celuy des autres ». Sig avi.r. 2 Baillet ii 170. Plus loin il ajoute que Sorbière « ne cherchoit dans toute sa conduite qu’à faire un illustre adversaire à M. Descartes », ii 206. Cf. ii 210 & 212-13.
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I – Vers pour un portrait de Gassendi 1656. En 1656, Adriaan Vlaacq, éditeur-imprimeur à La Haye, prépare une nouvelle (troisième) édition de l’Institutio astronomica… de Gassendi. Commencée avant la mort de Gassendi, peut-être avec l’aide de Sorbière, Vlaacq ajoute plusieurs opuscules astronomiques de Gassendi et au dernier moment, après qu’il reçoit la nouvelle du décès de Gassendi, quelques éloges et un catalogue des œuvres de Gassendi. Il orne le tout d’un portrait gravé par Cornelius Visscher (figure 7)1, pour lequel Sorbière rédige quelques lignes. Talis erat veterem excipiens GASSENDUS Amicum, Talis erat placido pectore vera sequens. Cernitur hic rerum prudentia rara, fidesque, Candor, cum cauta simplicitate patet Deficit ille unus nam cœlatura negavit Qui laudes temnens pinxerat ora pudor Cætera divini ingenii miracula, Lector. Facundi referet pagina docta senis. Samuel Sorberius M. P. [magister parisiensis]
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Turner & Gomez 177, n° 237/D3.
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Tel était GASSENDI recevant son vieil ami Tel était-il, poursuivant la vérité d’uncœur paisible. On voit ici une rare intelligence des choses ; et la droiture Et la candeur s’y révèlent avec une simplicité prudente. Seule manque (car l’art de la gravure ne l’a pas permis) La pudeur qui, méprisant la louange, rehaussait son visage. Tous les autres miracles de cet esprit divin, Lecteur, Les savantes pages de l’éloquent vieillard te le restituent. Samuel Sorbière M. P. [maître parisien]
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II – La vie de Gassendi tirée des préliminaires des Opera omnia… 1658, sigs a1r - o3v. (figure 8) Sorbière n’est sans doute pas dépourvu d’arrière-pensées quand il accepte de remplacer au pied levé Neuré, défaillant, pour rédiger la vie de Gassendi qui doit figurer en tête des Opera omnia, mais le texte qui rend bien compte de son souci de se mettre en avant n’en comporte pas moins de nombreuses marques de son affection. Sorbière termine son travail le 25 mars 1658. Il l’envoie à La Poterie à Lyon le 9 avril. François Henry en montre une copie à Patin le 18 juin un jour avant que les six volumes des Opera omnia ne soient formellement publiés. L’œuvre est rééditée dans le Syntagma philosophiæ Epicuri, cum refutationibus dogmatum quæ contra fidem christianum ab eo asserta sunt, oppositis per Petrum Gassendum… publié à La Haye par Adriaan Vlacq en 1659. Il y aura deux rééditions séparées de la vie de Gassendi (Londres en 1662 et Francfort en 1679), toujours en latin. Nous en publions ici la première traduction française. Le texte est celui des Opera omnia. La langue pompeuse, alourdie d’archaïsmes, et les erreurs textuelles révèlent la précipitation dans laquelle Sorbière a dû l’écrire. Il semble que son auteur, en dépit des nombreux éloges qu’il lui adresse, Montmor, qui la lui avait commandée, n’en fut lui-même guère content. « Mr de Montmor a mal reconnu ma preface sur les œuvres de Gassendi parce que je ne suis ni Poëte, ni Cartesien1 ». Il n’en reste pas moins que Sorbière a été très proche de Gassendi et qu’il a sans aucun doute été gagné par « la douceur & le savoir » que Marolles remarquait en lui2 ; en outre, il connaissait si bien sa doctrine qu’il mérite d’être appelé son disciple. « Peu de gens », nota Graverol, « ont sceu comme lui la Philosophie de Gassendi, aux sentimens duquel il s’était attacha depuis le tems qu’il commença de la connaître ; il voulu aussi faire la vie de cet excellent Philosophe, & j’ai souvent ouï dire à Monsieur Bernier, mon bon ami, qu’il ne connoissoit que Sorbière qui eu été meilleur Gassendiste que lui3 ».
1 Graverol, 126. Patin fut encore plus mécontent. Cf. note 3 p. 407. Mais Patin n’était pas un commentateur impartial. 2 Marolles ii 123. 3 Graverol ev, r.
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Au-delà de l’énumération des Grands qui peuvent faire avancer ses affaires1 et des mêmes absences singulières que les autres biographes, Sorbière insiste autant que Taxil, peut-être plus subtilement, sur la foi catholique de son héros, et cela à la fois parce que le genre de la Vie l’impose, qu’il faut détourner la censure de poursuivre plus avant dans la lecture des Opera omnia, qu’il continue à accréditer sa propre conversion et bien évidemment aussi parce que cela correspond à une réalité biographique profonde. À cette Vie dont la lecture qui pave la route à la lecture de l’œuvre, Sorbière donne une dimension allégorique forte, sans sacrifier pour autant les éléments biographiques dont il dispose. Il construit son texte apparemment pour qu’il soit le meilleur reflet de la synthèse gassendienne, puisque l’on trouve à la fois la dimension christique du personnage (son enfance miraculeuse, sa rupture avec ses parents alors qu’il en remontre aux doctes, etc.) et une dimension socratique (la manière dont il dissipe les sophismes, son ironie légère, etc. La fin du récit le rapproche de la sainteté, que ce soit la date de sa mort précisément un dimanche, jour du Seigneur, ou encore le rappel des derniers mots qu’il prononça à l’article de la mort (« Vois ce qu’est la vie, etc. »). Le texte est tissé de réflexions morales ou philosophiques qui rappellent peut-être la conversation même du maître, ou son point de vue sur les choses. Sorbière souligne à la fois la régularité monacale de cette existence, vouée à la recherche de la vérité, vérité naturelle, par l’exercice de la raison, et vérité surnaturelle, par la fois, il n’en défend pas moins le choix que Gassendi a fait du clergé séculier, dans ce que l’on pourrait appeler les paradoxes de la ville et du désert. Pour Sorbière, de toute évidence, la vie de Gassendi est plus utile à lire que celle des moines. Peut-être faut-il lire derrière la défense du « monde » une charge contre les solitaires de Port-Royal. Tous les arguments sont mis en place, qui permettraient de répondre à des accusations d’hétérodoxie, voire d’athéisme, mais le portrait n’est jamais défensif. Il révèle un engagement et propose une forme de vie inédite, marquée par ces vœux qui en remontre1
Mais certes la mention de Foucquet, encore non suspecte à cette date, aura pu compromettre la suite de sa carrière ; mais il écrira en 1663 un discours Au roi pour assurer son allégeance à Louis XIV. Voir Fumaroli IV, 247. Notons que Fumaroli, 239-40, fait de Sorbière un membre de l’Académie personnelle de Foucquet, à la fois scientifique et personnelle, réunie dans sa maison de Saint-Mandé en précisant qu’elle a été coordonnée en 1657, il est difficile de préciser si Sorbière fait cette référence dans sa Vie de Gassendi parce qu’il souhaitait entrer dans ce cercle et qu’il faille son éloge à cette fin, soit parce qu’il en était déjà membre et qu’il veuille remercier son protecteur.
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raient aux vœux des moines1. Peut-être faut-il évoquer ici l’influence de Jean de Launoy, plusieurs fois cités, dont le travail consistait à historiciser les pratiques et les doctrines, et donc à déstabiliser l’image du moine, tel qu’elle est devant les yeux de tous au XVIIe siècle. Il est en tout cas difficile de savoir dans quelle mesure Gassendi lui-même pouvait théoriser ses propres choix de vie, sinon au miroir de sa Vie d’Épicure, ou de celle de Peiresc. Son biographe sait du reste ici parfaitement donner la mesure de l’importance qu’a eue, pour Gassendi, le moment de sa vie où il a partagé celle de l’illustre Aixois : jusqu’à la fin de ses jours, nous est-il dit, à chaque nouvelle question qu’on lui posait, il plongeait dans ses souvenirs et se rappelait les conversations qu’ils avaient pu nouer à ce propos, à Belgentier ou ailleurs. Touchant exemple de fidélité affective et intellectuelle ! Autant Sorbière insiste sur la réalité d’un christianisme vécu et pratiqué, outre qu’il modèle les grands moments de sa vie (naissance, ordination et mort), autant il désencombre sa pensée de toute dogmatique chrétienne pour rendre à Gassendi sa vraie dimension de philosophe. Il y a certes le sage, mais ce n’est pas le principal aspect qu’il retient. En fait, Sorbière, peut-être parce qu’il est lui-même sous l’influence des deux pensées2, est le premier de nos biographes à mettre en présence Gassendi et Descartes, non pas en un parallèle, mais sur un pied d’égalité. La comparaison entre les deux ne porte que sur les mœurs – et c’est Gassendi, plus doux, plus sage, qui l’emporte ; pour ce qui est de la pensée, il y a dialogue, et authentique confrontation philosophique, avec non moins d’invention d’un côté que de l’autre, non moins de modernité : astronomie, mathématiques, physique, ils sont l’un et l’autre aux prises avec les nouveaux savoirs, et l’un et l’autre soucieux de les promouvoir, de les conceptualiser et de les illustrer, à la fois pour servir la vérité ou connaissance théorique, et en vue des usages publics que leur époque ou la postérité saura en faire. Jamais les deux hommes en réalité n’auront été à ce point rapprochés, comme deux pôles de la métaphysique la plus actuelle. Et, que cet équilibre révèle ou non, de façon quasi anecdotique, une étape dans l’évolution intellectuelle de Sorbière, il est 1 Pour autant s’agissant de la chasteté, Sorbière élude ( ?) le point et ne parle que du régime alimentaire. On peut s’en étonner. 2 En fait, maint détail dans cette vie tend à faire penser que Sorbière fréquente à ce moment de sa vie des cartésiens. Il ne suffit pas de rappeler que Habert de Montmor inclinait vers les idées cartésiennes, ce qui présente un certain paradoxe vu que Gassendi vivait chez lui. Ce point mériterait un plus ample travail. Mais nous pensons ici plutôt aux cartésiens héritiers de la Disquisitio qui professaient un anti-gassendisme sinon systématique du moins régulier.
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possible qu’il décrive ici, comme on peut le penser s’agissant d’une préface publiée, un moment privilégié dans l’histoire des idées, avant que les cartésiens ne triomphent et ne renvoient, du moins pour la France, Gassendi à la poussière des musées. Enfin Sorbière qui voit déjà les nuages de la mauvaise réputation menacer Gassendi en donne par avance l’interprétation : Gassendi était très silencieux en public, toujours à écouter, et peu loquace, ce qui contraste extraordinairement avec l’homme privé qu’il a bien connu et dont les différents témoignages, concordants sur ce point également, décrivent la conversation si riche. Là encore, c’est sa vertu qui lui porte ombrage. Sans doute faut-il faire la part du genre, mais cette Vie décrit un équilibre non seulement entre les deux philosophes, entre le siècle et la retraite, entre la théorie et leurs applications, mais également dans le rapport aux Grands de ce monde. Il est courant de présenter, après Patin, Sorbière comme un flatteur, et loin de nous l’envie de nier qu’il ait cherché à assurer sa position matérielle. Cependant, son discours sur les puissants est bien plus nuancé, et il propose une véritable réflexion sur le rapport entre les savants et le pouvoir, que la conversation de Gassendi lui a peut-être inspirée1. Il n’en faut pour preuve que le choix de Richelieu comme figure du pouvoir, de son bon et de son mauvais usage, alors que le cardinal est mort depuis quinze ans, de même que le choix de Descartes, tout aussi mort, comme emblème du philosophe s’étant frotté à ce pouvoir. Sans sortir de la biographie, mais en haussant des expériences de vie au niveau de l’exemple, Sorbière établit les critères du bon et du mauvais exercice du pouvoir, et décline, en face, la liberté du sage, celle d’accepter ou celle de refuser. Plus loin, ce sera La Mothe Le Vayer, et derrière lui, Sénèque. Dès lors que la figure menaçante de Néron se dresse, on ne saurait parler de flagornerie, mais bien plutôt d’une vigoureuse dialectique. Sorbière, qui construit la figure d’un philosophe, personnage public mais également un contemplatif, a indéniablement une ambition ; mais ce ne serait pas strictement celle de trouver un moyen de gagner sa vie. Car après avoir évoqué la Tétrade, déjà passée de son temps au rang de mythe philosophique ou quasi, il invente une triade où il s’inscrit lui-même, à côté de Martel et de Du Prat, espérant sans doute entrer dans la légende à son tour.
1 Ce point est difficile à établir. Le texte de Sorbière est nourri de réflexions morales et philosophiques qui semblent dépasser leur objet. Certaines sont directement rapportées à Gassendi, à la limite du style indirect libre, d’autres coulent peut-être de la plume de Sorbière.
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Texte AD VIRVM ILLVSTREM HENRICVM LVDOVICVM HABERTVM MON-MORIVM, LIBELLORVM SVPPLICIVM MAGISTRVM INTEGERRIMVM, SAMVELIS SORBERII PRÆFATIO, IN QVA DE VITA, ET MORIBVS PETRI GASSENDI DISSERITVR. Qualis, quantusque Vir fuerit PETRVS GASSENDVS Ð makar…thj, cuius uniuersa Opera in lucem nunc prodeunt, nemini notum non esse puto, qui in Imperio literario & bonæ mentis studio hospes omnino non fuerit ; adeo ut tanti Viri laudes pluribus prosequi Lectorum inscitiam arguentis esse videretur, vel hominis esset otio abutentis suo, & Soli lucem fœnerari præpostere gestientis. Pauca tantum prælibare est animus, quæ ad vitam Senis optimi, studia, mores, inualetudinem, & tandem placidum in Christo obitum, atque maturatam operum editionem pertinent. Quippe cæteris non iniucundum fore confido, testem in his rebus oculatum, amicum fidum, discipulum veterem audire. Mihi vero, in luctu & mærore posito tam chari Capitis desiderio, ingens dabit solatium procul dubio præteritorum memoria ; eximiæ virtutis, sine fuco pietatis solidissimæ, stupendæ eruditionis, ingenii acutissimi, iudicii subactissimi, & in primis intemeratæ, quamvis immeritæ, quâ me tamen dignatus est ab adolescentia, arctissimæque necessitudinis repræsentatio. Aggrediar itaque nonnulla præfari, quandoquidem Viri facundissimi,
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À l’illustre Henri Louis Habert de Montmor très intègre maître des requêtes, Préface de Samuel Sorbière où il est question de la vie et des mœurs de Pierre Gassendi.
Nul n’ignore, je pense, quel homme fut Pierre Gassendi, Ð makar… thj1, sa qualité et son importance, lui dont les œuvres complètes paraissent aujourd’hui2 ; car, dans l’empire des Lettres et l’étude de la sagesse, il ne fut pas, loin s’en faut, un hôte de passage, à telle enseigne que le simple fait d’accompagner de multiples propos les éloges d’un tel homme semble désigner la volonté d’incriminer l’ignorance des Lecteurs ou bien être le fait d’un homme qui mésuse de son loisir et désire rétrospectivement prêter de la lumière au soleil. Mon intention est ici seulement de dire succinctement quelques détails concernant la vie de l’excellent vieillard, ses recherches, ses mœurs, sa santé et enfin sa mort paisible en Christ ainsi que la mise au point de l’édition de ses œuvres. Car j’ai la ferme conviction qu’il ne sera pas désagréable aux autres d’entendre à cet égard un témoin oculaire, un ami fidèle, un vieux disciple. Quant à moi, que le regret d’une tête si chère3 plonge dans le deuil et le chagrin, je trouverai sans aucun doute une immense consolation à faire mémoire des
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[le bienheureux] Le terme est récurrent sous la plume de Gassendi qui le réserve exclusivement aux défunts. Il renvoie à la conception chrétienne de l’intercession, mais elle se combine à la notion épicurienne que les hommes deviennent des bienheureux après leur mort, c’est-à-dire que les vivants les déifient, en fonction des services éminents qu’ils ont rendus à l’humanité, en droite ligne de la doctrine attribuée à Évhémère. Ainsi les épicuriens peuvent-ils combiner leur atomisme et leur conviction que les hommes sont mortels (sans qu’il y ait de survie de l’esprit ou de l’âme, une fois que les atomes qui constituent le corps sont désagrégés) avec une certaine immortalité et une divinisation des grands hommes. Ainsi Lucrèce appelle-t-il Épicure un dieu. 2 Le 19 juin 1658. 3 Sorbière reprend l’expression qu’il a déjà utilisée dans sa lettre à Bertet (voir supra). Ce vers d’Horace (Odes, I, 24, 1 : « Peut-il connaître honte ou mesure, le regret d’une tête si chère ») se lit sous la plume de Gassendi à l’occasion de la mort de Van de Putte, dans une lettre à Wendelin du 3 octobre 1646. Montaigne cite la même ode pour évoquer la mort de La Boétie (Essais, i, 28, De l’amitié).
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quibus id oneris incumbebat, ob pleniorem rerum omnium informationem & maiorem dicendi copiam, silent nunc per negotia grauissima, quæ parentationem istam, & iustorum solutionem non permittunt. Meminerint illi, si quando vacat, reddere victimas ædemque votiuam piis Amici nostri Manibus ; interea nos humilem feriemus agnam. Ita iubes HENRICE LVDOVICE HABERTE MON-MORI, Vir Illustrissime ; suadent PRATÆVS & MARTELLVS, Animæ quales neque candidiores Terra tulit, neque queis me sit deuinctior alter ; optant Typographi, hortantur alii ; & sinit nunc prospera, Deo bene propitio, valetudo mea ; tum in Vrbem
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moments passés1, à décrire sa vertu souveraine, sa piété des plus solides et sans apprêt, sa stupéfiante érudition, son intelligence très aiguë, son jugement extrêmement exercé, et en premier lieu ces liens d’amitié les plus étroits et sans tache, dont il m’a jugé digne depuis mon jeune âge2, quoique je ne le méritasse pas. C’est pourquoi je dois dire quelques mots pour les introduire, puisque les hommes les plus éloquents, à qui cette tâche incombait à cause de leur savoir supérieur en toutes matières et de leur plus belle richesse de style, se taisent maintenant à cause d’affaires extrêmement sérieuses qui leur interdisent de rendre ce culte au mort et de s’acquitter des honneurs funèbres3.
Ils se rappelleront bien, s’ils en ont un jour le loisir, d’offrir des victimes et un temple votif aux pieux mânes de notre ami ; dans l’intervalle nous immolerons un humble agneau. Tel est ton ordre, Henri Louis Habert de Montmor, homme très illustre ; tels sont vos conseils, DU Prat & Martel, âmes les plus candides que la terre ait jamais portées, vous qui êtes plus liés à moi qu’aucun autre homme ; tel est le souhait des imprimeurs4 et l’exhortation de tous ; et ma santé prospère, avec Dieu bien propice, m’y 1
C’est une conception proprement épicurienne qui veut qu’on soulage son chagrin par la réminiscence des moments heureux passés avec le défunt ; à la limite, cet exercice de la mémoire devient un authentique plaisir. Gassendi l’explique à la fois dans Vie et mœurs d’Épicure (livre III, chapitre 7 : « Dans la lettre qu’Épicure a écrite mourant […] il a luimême opposé à ses souffrances “la joie du cœur au souvenir de ses conversations passées” ») et dans les Lettres latines, par exemple sur la mort de Naudé (lettre à Neuré du 26 octobre 1653 : « En ce qui me concerne, je fais l’expérience du mot du poète, « pleurer a aussi son charme », car je préfère adoucir ma peine par la douceur dont je suis pénétré à la pensée de Ð makar…thj et des relations très agréables et très anciennes que j’ai eues avec lui, plutôt que de m’épargner la douleur en m’ôtant en même temps ce genre de douceur. Tu sais comme les pères, comme les fils, comme tous les amis les plus liés, se rappellent et rapportent avec un vif plaisir les actions et les paroles de ceux qu’ils ont grandement chéris : rien ne peut leur être plus agréable que d’en voir d’autres encore raconter les mêmes souvenirs ou apprendre avec plaisir ce qu’on leur raconte. Pour moi, chaque fois que je rencontre des gens qui furent liés avec lui dans une relation semblable à la mienne, rien ne peut m’être plus doux que de rappeler les conversations dont nous nous sommes entretenus naguère sàn tù makar…tV : tout ce qui est venu de lui est digne de mémoire et de considération ». 2 Comme on le lit dans la lettre à Bertet, c’est grâce aux relations de son oncle Samuel Petit, notamment avec Mersenne et son cercle que Sorbière fait la connaissance de Gassendi pendant son séjour à Paris de 1641 à 1647. 3 Sorbière pense, peut-être, à Neuré et à Bernier. 4 Laurence Anisson et Jean-Baptiste Devenet les imprimeurs des Opera omnia à Lyon.
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reditus, sedata nonnihil mæstitia, reddita animo tranquillitas, relata mecum scriniola, libraria supellex, & otium, quibus abundo. PETRVS GASSENDVS vulgò Diniensis habitus, ob Ecclesiæ illius Præposituram, quo functus est munere annos viginti, non tamen Diniam quam appellauit patriam, sed Campotercerium agri Diniensis Pagum seu oppidulum, unâ ab urbe leucâ in occasum distans, natalitium habuit, anno superioris sæculi nonagesimo secundo, Ianuarij Die vigesima secunda. Pater illi fuit ANTONIVS GASSENDVS, & Mater FRANCISCA FABRIA, morum suauitate, & fidei in Religione maiorum perseuerantiâ potius quàm genere & diuitiis in patria conspicui. Quibus parentibus ad pietatem ita efformatus fuit a teneris unguiculis, ut non priùs voces nonnullas reddere potuerit, quin sublatis iam in Cælum oculis, & manibus iunctis paratus fuerit precibus ad Deum fundendis, quas, ut accepi, primas omnium pronunciare didicit. Vnde cum-primùm firmato gressu domo egredi quadriennis valuit, vel coætaneos inter contionatorem imitabatur, vel solus in multam noctem Cælo sudo, serenoque Lunam & Sidera contemplabatur ; non sine metu parentum multo per auia puerum in cunis Astrologizantem quæritantium. Vt primùm igitur grandior culturæ admoueri debuit, DINIAM missus est, ubi brevissimo temporis
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autorise maintenant ; ainsi que mon retour en ville1, ma tristesse quelque peu apaisée, la tranquillité revenue en mon cœur, mes papiers que j’ai rapportés avec moi, mon bagage de livres et le temps, dont je dispose en abondance2. Pierre Gassendi, communément dit de Digne3, à cause de la charge de prévôt de cette église qu’il a assumée pendant vingt ans, n’est pas né à Digne, même s’il a nommé cette ville sa patrie, mais à Champtercier, un bourg ou petit village de la campagne de Digne, à l’ouest de la ville, à une distance d’une lieue, en l’an quatre-vingt douze du siècle dernier, le vingt-deux janvier. Son père fut Antoine Gassend et sa mère Françoise Fabri, des personnes distinguées dans leur patrie par la douceur de leurs mœurs et la solidité de leur foi dans la religion de leurs ancêtres, plus que par leur noblesse ou leurs richesses. De tels parents l’éduquèrent à la piété depuis l’âge le plus tendre, si bien qu’avant de savoir parler, il était déjà prêt, les yeux tournés vers le ciel et les mains jointes, à adresser à Dieu des prières qui, comme j’en fus informé, furent les premières paroles qu’il apprit à prononcer4. De là vient que dès qu’il eut, à quatre ans, assez de force pour sortir de chez lui d’un pas ferme, ou bien il jouait au harangueur parmi les enfants de son âge, ou bien, tout seul, par temps clair et ciel serein, il contemplait la lune et les étoiles jusqu’à une heure avancée de la nuit, non sans inspirer quelque peur à ses parents qui trouvaient souvent leur fils, dans sa première enfance, en train d’astrologiser5 dans des lieux impraticables. Dès qu’un peu avancé en âge il dut se mettre à cultiver son esprit, il fut envoyé à Digne où, en un très bref 1
C’est-à-dire à Paris après son voyage à Rome (1655-6). À cette époque, Sorbière était à la recherche d’un emploi. 3 Cette expression rappelle la manière dont Épicure est appelé de Gargette, parce qu’il est né dans ce dème d’Athènes. Voir Vie et mœurs d’Épicure, livre I, chapitre 1. 4 Cette information ne se trouve dans aucune autre des vies de Gassendi, mais elle évoque les détails de l’exposé de Taxil. 5 L’emploi du terme peut surprendre, pour décrire un astronome qui n’a cessé de dénoncer l’astrologie ; par exemple, il critique l’astrologie et ses balivernes dans une lettre à Valois du 9 mai 1641. Il témoigne cependant à la fois de l’interchangeabilité des deux termes astrologue et astronome, mais également, sans aucun doute, du climat intellectuel dans lequel Gassendi a grandi, tel qu’il était naturel de croire aux relations entre les positions des astres et la destinée humaine. Gassendi lui-même raconte à Luillier (lettre du 20 janvier 1633, Rochot II, 64-5) que « la pluspart des honnestes gens [à Digne] s’estoient dit à l’oreille que depuis plus de douze ans j’avoy révélé à tel et tel tout ce qui est arrivé depuis ». Il ajoute, « je suis le plus estonné du monde de voir que n’ayant jamais faict estat des divinations, mais ayant plustost tousjours desclamé au contraire, cependant on me veuille ainsy faire passer pour prophète ». 2
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spatio specimina edidit, ingenij elegantissimi, usus Præceptore GODEFRIDO VENDELINO : quare nemine non exosculante virtutis præsentis & futuræ Doctrinæ tam clara pignora, vel inuito, at saltem inscio parentum altero, qui colendi agri magis quam promouendi ad bonas literas gnati sollicitus erat, non solùm Latinæ linguæ rudimenta superauit, sed in Rhetorica tantos progressus fecit, ut ab affine Diniensi, qui liberos paulò inferioris notæ nec eò, quo GASSENDVLVS prouectos habebat, Aquas Sextias missus fuerit, quo Philosophicis studiis sub FESAIO Minorita doctissimo, incumbere posset. Et circa VVENDELINVM audiendus est VALERIVS ANDREAS DESSELIVS in Bibliotheca Belgica edita 1643. Romam adiit, peragrataque Italiæ bona parte dum per Massiliensem Galliæ Prouinciam iter domum versus instituit, substitit ibidem aliquantisper, studiaque sua impensiùs excoluit, Diniensem instituendo ac formando iuuentutem, discipulum præ-multis vnum nactus PETRVM GASSENDVM, scriptis famaque celebrem. Vivit adhuc Senex optimus Tornaci Canonicus, nec quidquam eius in rem literariam affectui ætas illa detraxit. Assensit pater eâ conditione, ut redderetur pago suo post biennum filius, qui domestica curaret potiusquam ea, quæ nihil ad rem suam pertinere existimabat : nam Scientias omnes Vir ille bonus quamuis non haberet exosas ; at steriles tamen Camœnas seu leues nugas valere iubebat, ut filii sui fortunæ, non splendide quidem, verùm maturè & tutò consuleret. Idem
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espace de temps, il produisit des échantillons de son talent très élégant, et il eut Godefroy Wendelin pour précepteur1 ; c’est pourquoi, alors même qu’il n’y avait personne qui n’applaudît à des gages si clairs de sa vertu présente et de sa science future, il domina non seulement les premiers éléments de la langue latine, quoique ce fût à l’insu, sinon contre la volonté d’un de ses parents2 qui se préoccupait de voir son fils cultiver la terre plutôt que d’être entraîné vers les bonnes lettres, mais il fit aussi en rhétorique des progrès tels que son oncle de Digne3 qui avait des enfants l’envoya à Aix pour qu’il puisse se consacrer à ses études de philosophie sous l’autorité du très savant Fesaye, cordelier4. Et pour ce qui est de Wendelin, il faut prendre connaissance de ce que Valère Andreas de Dessel écrit à son propos dans sa Bibliothèque belge parue en 16435 : « Il alla à Rome, et après avoir parcouru une bonne partie de l’Italie, il entreprit de rentrer chez lui en passant par la province marseillaise de France ; mais il s’arrêta là quelque temps et perfectionna ses études avec plus d’énergie, éduquant et formant la jeunesse de Digne, ayant eu entre autres nombreux élèves Pierre GassendI, célèbre par ses écrits et par sa renommée ». L’excellent chanoine de Tournai vit encore, et son grand âge ne lui a rien ôté de son attachement pour le savoir6. Son père donna son accord à la condition que son fils revienne au pays au bout de deux ans, pour s’occuper des affaires domestiques plutôt que de matières savantes dont il estimait qu’elles ne concernaient en rien ses avoirs : car cet homme de bien, quoiqu’il n’ait point eu de haine pour le savoir en général, ordonnait à son fils de dire adieu aux stériles Camènes, c’est-à-dire aux bagatelles légères, pour veiller à sa fortune, sinon avec magnificence, du moins en toute sécurité et avec esprit d’à propos. En effet cet homme disait que seuls vivent bien ceux
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Ce qui est faux. Gassendi fut envoyé à Digne en 1599 et par la suite à Riez pour l’année 1600-1601. Wendelin n’a enseigné les mathématiques à Digne qu’en 1601. 2 Il semble que ce soit son père, voir infra. 3 Peut-être le père d’Antoine Gassend (1614- ?) marchand à Digne. 4 Littéralement « frère mineur » selon le nom que les franciscains prirent en France. En fait le père Philibert Fesaye était grand Carme. 5 Walter Driessens, Bibliotheca belgica ; De Belgis vita scriptiq. claris. præmissa topographica Belgii totius seu Germaniæ inferioris descriptione (Louvain, 1643) ; rééd. anastatique, 1973 (Monumenta humanistica belgica, 5). 6 Littéralement les lettres. Le terme désigne toute discipline intellectuelle, sans distinction entre sciences et les lettres dans l’acception moderne du terme, et, en général, la recherche de la connaissance.
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enim satis inter vilia fortis illos sapere, & solos aiebat bene viuere, quorum Conspicitur nitidis fvndata pecunia villis. Exacto Aquis-Sextiis biennio, Campotercerium non diu manere potuit GASSENDVS ; Diniam scilicet vocatus adolescens annorum sexdecim ut Rhetoricam doceret : unde rursum triennio post Aquas-Sextias reuerti coactus fuit fatis functo scilicet Minoritâ Præceptore, in cuius locum suffectus imberbis Philosophiæ Professor, agro tandem æternum vale dicere debuit, Musarum Castra sequuturus, & in illis quidem tanta cum gloria militaturus. Neque enim diutius euocatos inter & tumultuarios milites meruit, qui Sacramento religatus in Rempublicam literariam iuravit, imo statim agmen duxit, Exercitationes Paradoxicas conscribere aggrediens ut virium suarum periculum faceret. Quas ut vidit NICOLAVS FABRICIVS PEIRESKIVS, & IOSEPHVS GALTERIVS, Prior Valettæ, omen lubentes accepere, facilè diiudicantes quantus in studiis philosophicis futurus esset GASSENDVS.
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qui montrent assez de courage en temps de disette1 et dont on voit que « leurs revenus sont fondés sur d’opulentes fermes »2. Après ces deux années passées à Aix, Gassendi ne put pas demeurer plus longtemps à Champtercier ; il fut appelé à Digne, malgré son jeune âge de seize ans, pour enseigner la rhétorique3 ; puis, au bout de trois ans, il fut contraint de quitter la ville et de revenir à Aix, pour dire un éternel adieu à ce cordelier qui fut son précepteur et qui, tombé malade, succomba à son destin4. Les poils de sa barbe n’avaient pas encore poussé qu’il se fit élire à sa place professeur de philosophie5, et il fut ainsi appelé à faire campagne du côté des Muses et à y lutter avec une gloire si éclatante. Car, lui qui, après avoir prêté le serment militaire, a juré obéissance à la République des lettres, il ne servit pas parmi les vétérans ni les soldats enrôlés précipitamment ; mais bien au contraire il prit aussitôt la tête de ses troupes et entreprit la rédaction des Dissertations en forme de paradoxes pour mettre ses forces à l’épreuve du danger6. Et quand Nicolas Fabri de Peiresc et Joseph Gaultier, prieur de Valette, ont vu cet ouvrage, ils en ont reçu l’augure de fort bon cœur, jugeant sans peine quels sommets Gassendi devrait atteindre dans la discipline philosophique.
Horace Épîtres, I, 15, 43. Horace, Épîtres, i, 15, 46. Sorbière est le seul biographe à mentionner ces conflits entre Gassendi et sa famille concernant sa carrière Ce qu’il raconte est l’opposé de ce qu’a dit La Poterie. Sorbière a-t-il eu cette information directement de Gassendi ou a-t-il voulu construire la vie de son héros sur le modèle de celle d’un garçon pauvre qui doit vaincre les difficultés pour arriver ? À cet aspect s’ajoute le modèle christique, repris ici en mineur de chez Taxil. L’enfant doit rompre avec ses parents qui, éventuellement, le retrouvent en train d’en remontrer aux docteurs. 3 Gassendi obtient la place de Régent des écoles de Digne par concours en 1612. Il part pour Aix en 1609. Comme Sorbière, Bougerel dit que Gassendi a enseigné la rhétorique à Digne en 1608-9. Il est possible qu’il ait donné un cours de façon ponctuelle avant de partir à Aix et sans avoir une position fixe. Mais des témoignages pour confirmer cette hypothèse manquent. 4 Si Sorbière pense ici à Fesaye il semble qu’il se trompe ; car d’après Gassendi neveu, Fesaye est mort en 1649. D’après La Poterie, c’est en 1611 que Gassendi commence ses études de théologie à Aix. 5 Gassendi devient professeur de philosophie à Aix en 1616, mais il n’a pas succédé à Fesaye. 6 Sorbière amorce cette métaphore militaire dans sa lettre à Bertet. Pour autant, cette idée que la République des lettres puisse être une nation, une patrie, est intéressante. 1 2
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Hisce duobus Amicis & patronis, Scholæ ereptus suit, rixosæ nimis & altercationis funem semper trahenti, ut vitæ Ecclesiasticæ traderetur, quæ otium præbet securius, & tranquillitatem ad Philosophandum uberiorem. Id iam igitur ætatis ut Sacerdotii iugo cervicem submittere posset, sacris ordinibus se admovit, & Canonicatu donatus, mox Præposituram adeptus est Doctoratus sui priuilegio, cum de illo munere controuersia inter Canonicos Dinienses oriretur. Cuius litis occasione pluribus innotuit Viris literatis dignitate Senatoria conspicuis, & Gratianopoli & Lutetiæ Parisiorum, ubi decertandum fuit ut in possessionem Præposituræ suæ assereretur. Quid intereà temporis & per annos sequentes contigerit, nec satis compertum mihi præter initas amicitias multas, de quibus erit infrà dicendi locus, & scriptos Libros ; nec homini Philosopho plura contigisse notatu digna arbitror, ut in hisce leuioribus vitæ privatæ casibus pluribus esse non debeam. Unum sufficit animaduertere, susceptam a GASSENDO huius sæculi anno XXVIII. cum FRANCISCO LVILLERIO Parisino Rationum Magistro in Belgium peregrinationem, quæ unica fuit extra patriam : quare frustra sunt illi, qui scripserunt in Italiam appulisse, & Romæ cum ATHANASIO KIRCHERO Iesuita, imò cum doctissimis Cardinalium contulisse de rebus Philosophicis. Certò certius est iter Hollandicum unicum extra Gallias exstitisse ; quo in itinere ingeniosissimam scripsit adversùs ROBERTVM FLVDDVM, MARINO MERSENNO defendendo Exercitationem. Iste nimirum paulò acerbiùs exceperat deliria FLVDDANA in vægrandi Commentario suo
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Ces deux hommes, qui furent pour lui à la fois des amis et ses patrons, l’arrachèrent à l’école1, qui est trop querelleuse et qui tire toujours trop la corde de l’altercation, et ils le remirent à la vie ecclésiastique qui laisse plus de temps libre et assure une tranquillité plus conséquente pour philosopher2. Arrivé donc à l’âge où il pouvait charger ses épaules du joug du sacerdoce, il se présenta à l’ordination et, devenu chanoine, il fut bientôt chargé de la prévôté, à la faveur de son doctorat3, alors qu’une controverse était née entre les chanoines de Digne autour de l’attribution de cette charge. C’est à l’occasion de ce litige qu’il se fit connaître de plusieurs hommes de lettres, distingués par leur titre nobiliaire, à la fois à Grenoble et à Paris, et il lui fallut livrer bataille pour qu’il soit confirmé dans la possession de sa prévôté. Je n’ai pas connaissance assez précise de ce qui se passa à cette époque et dans les années suivantes4, si ce n’est qu’il noua de nombreuses amitiés dont il faudra parler plus bas et écrivit des livres ; du reste je ne pense pas qu’il lui soit arrivé plus de choses qui méritent d’être notées s’agissant d’un philosophe, de telle sorte que je ne dois pas être plus disert dans ces circonstances plus légères de la vie. Il suffit de remarquer un seul point, à savoir ce voyage en Belgique que Gassendi entreprit en cette année 1628 avec François Luillier, maître à la Cour des Comptes de Paris, qui fut son unique voyage hors de sa patrie ; car ils se trompent, ceux qui ont écrit qu’il avait abordé les rivages de l’Italie et qu’il avait débattu à Rome des questions philosophiques avec le jésuite Athanase Kircher, voire avec les plus savants des cardinaux. Il est sûr et certain que ce voyage en Hollande est le seul qu’il ait fait ; en route, il écrivit, pour défendre MARIN Mersenne, une Dissertation très ingénieuse contre Robert Fludd. Car ce dernier avait réagi de façon assez acerbe aux délires que Fludd avait publiés dans son chétif commen1 La philosophie officielle de l’Université, la scolastique, qui tire son nom de schola, école. Gassendi évoque-t-il sa propre expérience lorsqu’il écrit à Reneri (8 février 1630) une lettre où il l’approuve d’avoir renoncé à la charge de professeur d’université pour se consacrer aux jeunes gens dont il est le précepteur : « La philosophie que nous enseignons dans les écoles, nous sommes tenus de la rendre théâtrale ; et je ne sais si un homme de cœur peut se plaire à cette profession ». 2 Seul Sorbière avance que Peiresc et Gaultier ont poussé Gassendi vers la vie religieuse. 3 Gassendi prend le sous-diaconat et devient chanoine de Digne la même année 1614. Il n’est nommé prévôt qu’en 1632 pour être installé en 1634. 4 Remarque amplement justifiée par ses erreurs.
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ad VI. priora Libri Geneseos Capita, unde FLVDDVS excandescens malè habuerat Virum cæteroquin optimum, & litium fugientem animum passim ostendentem, in Libro recèns edito, quem MERSENNVS amico suo proficiscenti examinandum tradidit. Itaque exarata à GASSENDO desultoriè Epistola, quam Apologiæ vice publici iuris fecit MERSENNVS ; in qua verò Author noster Socratico more futilissimum aduersarium deridendum propinauit, intricata soluens, & obscura in lucem proferens, ut ineptissimarum cogitationum deformitas omnibus pateret. Qua in arte mirus fuit omninò GASSENDVS, quem sæpiùs audiui lacessitum a Sophistis nullam aliam responsionem adhibere præteream, quam ipsi sibi aduersarii faciebant. Quippe
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taire sur les six premiers chapitres du livre de la Genèse1 ; quoique Mersenne fût par ailleurs excellent et doté en général d’un esprit qui fuit les litiges2, Fludd, très irrité, l’avait maltraité dans le livre qu’il venait de publier et que Mersenne confia à son ami, alors sur le départ, pour qu’il l’examine. C’est donc pour ainsi dire à cheval que Gassendi rédigea la lettre3 que Mersenne a publiée sous le nom d’Apologie, dans laquelle notre auteur, à la manière socratique, a tourné en ridicule4 son si futile adversaire, en dissipant ses embrouillaminis et en mettant en lumière ses obscurités, de manière à ce que tous puissent voir le défaut de ses réflexions très ineptes5. Dans cet art Gassendi s’est révélé tout à fait admirable, lui que j’ai entendu assez souvent, alors que des sophistes le déchiraient, ne répondre qu’en se servant de la réponse même de ses adversaires. C’est qu’il avait l’habitude de dénuder Quæstiones in Genesim. Paris, 1623. C’est à l’occasion de la prétendue visite des frères de la Rose-Croix que Mersenne fait paraître son énorme ouvrage contre cette philosophie ; il y réfute en particulier les théories rosicruciennes dont le philosophe anglais prétend en assumer le double rôle d’interprète et de défenseur ; il le traite de « vil successeur » de Bruno et principal ennemi de la religion chrétienne. Mersenne a sans doute tort de faire l’amalgame, car on ne peut pas tout à fait confondre la confrérie des Rose-croix et la personne de Fludd, qui se montre néanmoins aussi porté que le minime vers une polémique plus faite d’invectives que d’arguments décisifs. Se sentant attaqué de toutes parts, le médecin anglais contre-attaque en publiant en 1629 deux ouvrages qui ne sont pas dépourvus de violence rhétorique, le Sophiæ cum Moria certamen (Combat de la sagesse et de la Folie) et le Summum bonum (Du souverain bien qui est le vrai sujet de la cabale, de la chimie et des frères de la Rose-croix), sans du tout se cacher, sinon, pour le second livre, sous un pseudonyme qui ne trompe personne, celui de Joachim Frisius. 2 Le caractère de Mersenne, cependant, ne semble pas avoir été des plus faciles. Voir Correspondance, passim, et Maury. 3 Epistolica exercitatio in qua principia philosophiæ R. Fluddi reteguntur, sous forme de lettre réponse à Mersenne, datée du 4 février 1629, publiée à Paris en 1630 et figurant dans les Opera omnia, iii, 213-265 (sans toutefois que soit reproduite l’Épître à Nicolas de Baugy de Mersenne (en latin) qui figure en tête de l’Epistolica exercitatio dans sa première édition). 4 Térence, Eunuque, v. 1087. 5 Voir aussi tout le développement sur la chiromancie dans la lettre à Naudé du 8 septembre 1634 : « Fludd proclame que l’art divinatoire est plein de charme et, à cette occasion, Mersenne lui avait présenté dans ses Commentaires les mains d’un de ses amis, Théodidacte, et il lui avait ordonné de se prononcer sur son caractère, en le menaçant de lui souligner insignement ses erreurs, s’il ne rapportait pas la vérité. Pour lui répondre, Fludd écrit maintenant un chapitre dans lequel il prétend que je suis ce Théodidacte et qu’il avait été question de mes mains. Mais quand Mersenne fit paraître ses Commentaires, je ne connaissais pas l’homme et je n’étais pas encore connu de lui, si bien que, sur ce point précis au moins, Fludd s’est fait un faux devin ». 1
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nudare solebat perplexa & inuoluta verborum cortice sophismata, probaturus an satis Authorum mentem assequeretur. Quod ubi concesserant, rogabat ut iam efferrent ratiocinia sua verbis istis eius captui magis magis accommodatis. Iucundum autem erat videre bonos istos Viros, quos ratiocinij sui suppudebat, qui verò inchoatum alacriter sermonem ægrè ad exitum proferre totum poterant : nam quibus erat ingenui pudoris quid reliquum durum erat retexere, quæ tunc apparebant ineptissima. Et circa MERSENNVM quidem eiusque Commentarium intempestiuè aliquando in latifundia Scientiarum Mathematicarum diuagantem, hic mihi venit in mentem, quod ad ANDREA RIVETO accepi & doctis contendentibus exemplo esse poterit Sixtum Amamam Frisum duriter tractauerat Mersennus ; ita que vapulabat in opere quod parabat Amama ; quæ de re certiorem fecit RIVETVS MERSENNVM per Epistolas, quarum facta est aliqua commutatio, donec ad Sixtum ipsum scripserit MERSENNVS, veniam petens vltro lacessiti Viri docti, & rogans, ut sine
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les sophismes entortillés et enroulés dans l’écorce des mots, pour se rendre compte s’il arrivait à suivre assez l’intention des auteurs1. Et une fois qu’ils étaient tombés d’accord avec sa formulation, il leur demandait de présenter leurs raisonnements avec des mots mieux adaptés à son entendement. Et c’était un plaisir que de voir les hommes de bien, un peu honteux de leur raisonnement, peiner pour mener à son terme un discours qu’ils avaient commencé gaiement : car ces hommes à qui il restait encore un noble sentiment de la honte trouvaient difficile de reprendre des arguments qui apparaissaient maintenant très ineptes. Quant à Mersenne et son commentaire qui s’aventurait parfois mal à propos dans les vastes territoires des sciences mathématiques2, je me rappelle ici qu’André Rivet lui fit bon accueil et qu’il servit d’exemple dans les débats des savants. Mersenne traita tout aussi durement Sixte Amama de Frise ; c’est pourquoi il fut étrillé dans l’ouvrage que Amama préparait3 ; chose dont Rivet informa Mersenne dans des lettres dont il fut fait tout un échange4, jusqu’à ce que Mersenne écrivît personnellement à Sixte pour demander pardon à cet homme sage qu’il avait excessivement assailli et le prier de bien vouloir répondre sur le sujet même, 1
Ici Gassendi devient un Socrate qui réfute les sophismes et confond les sophistes. Sorbière semble donc, comme il le fera plus loin pour Gassendi lui-même, contester les compétences de Mersenne en mathématiques. Cela signifie-t-il qu’il est alors sous l’influence d’un mathématicien dont il aurait été proche et qui les aurait lui-même tenus en piètre estime ? En tout cas, on ne sait retracer l’origine de cette mauvaise réputation. 3 Sixte Amama, Anti-barbarus biblicus, Amsterdam 1626. Gassendi évoque la dispute dans une lettre à Gaffarel du 8 juin 1629. 4 Pour cette dispute voir Corres. Mersenne i 62-3 ; ii 103 et lettres 61, 66, 70 & 92. La querelle entre Mersenne et Amama, essentiellement théologique et philologique, porte sur l’interprétation de la Genèse. Amama expose des arguments contre le texte de la Vulgate que défend Mersenne, et prône la consultation du texte hébraïque original. Mersenne n’épargne pas les insultes (dans les Questions sur la Genèse : Amama alius, Amama hæreticus, impia hæreticorum progenies, Amamæ impudentia, mendacium, etc.). Hilarion de Coste raconte la querelle entre les deux savants dans La vie du R.P. Mersenne : « Sixtin Amama, professeur en grammaire à Franeker en Frise et Robert Fludd ou des Flots, médecin anglais de l’Université d’Oxford, ont composé des livres contre notre Père Mersenne ; mais le premier ayant reconnu sa franchise et sa sincérité, fit depuis amitié avec lui, comme l’on peut le voir par les belles et les honorables lettres qu’il lui a souvent écrites. L’autre ayant vomi contre sa personne et contre ses livres plusieurs injures dignes d’un homme qui n’avait point de religion a vu à son grand déplaisir plusieurs savants prendre le parti du Père Mersenne contre lui […], et M. Gassendi, qui ont réfuté par de solides raisons les rêveries, les impertinences et les fausses opinions de cet homme furieux et mélancolique ». 2
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conuitiis ad rem ipsam responderetur. Quod ad Amama factum, & insuper initum amicitiæ fœdus ad mortem usque perseverauit. In Hollandia GASSENDVS tantam sui admirationem reliquit, ut cùm ego amœnam illam & eruditissimam regionem post annos ab ista peregrinatione quatuordecim incolerem, & frequens literarum commercium cum GASSENDO haberem, percunctabantur semper eruditiores solliciti quid ille pararet : Cùm autem significassem, vidisse me Lutetiæ Parisiorum Disquisitionem Metaphysicam, quam premebat ne litem ex lite moueret, auctores furere omnes ut mitti quam-primùm curarem ; & illa ipsa Princeps ELIZABETHA Serenissimi Regis Bohemiæ filia natu maxima, quæ tantùm fauit Cartesio, cum cæteris auebat editam perlegere. Itaque ad GASSENDVM iteratò scripsi, & per MERSENNVM, THOMAM MARTELLVM, atque Abrahamvm PRATÆVM effeci tandem, ut scripti copiam haberem ; illud inprimis ad expugnandam Viri modestiam afferens, efflagitasse CARTESIVM, quem in suburbano Leydensi Endelgeest dicto inuiseram, ne diutiùs ista Diatriba inter paucos ambularet, sed palam & apertè hostem adoriretur. Et memini cùm lares Lugduni Batauorum fixissem, ADRIANVM HEEREBOORDIVM & HENRICVM BORNIVM Viros amicissimos kaˆ filogassšndouj impulisse, ut Discursum illum Scepticum Gallica veste donarem, in quo IOANNEM VALLÆVM, Medicorum Belgicorum, ne quid maius dicam, facile Principem, & nimis propera morte rebus humanis exemptum, prouocarem ad refellendas GASSENDI obiectiones, contra Sanguinis circulationem & chyli per venas lacteas exsuctionem. Qua de re communicaui cum Authore, qui æqui bonique consuluit curas nostras, & sententiam demum mutauit ; præsertim ubi IOANNES PECQVETVS vivorum animalium sectionem instituens rarâ felicitate pepercit receptaculo illi lumbis imposito,
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et sans invectives. Ce que fit Amama, et le lien d’amitié qui s’instaura alors entre eux persévéra jusqu’à la mort. Gassendi laissa une telle admiration en Hollande que, quatorze ans après son voyage, alors que je résidais dans cette région agréable et très instruite, et que j’entretenais un échange épistolaire nourri avec Gassendi, les hommes les plus érudits me questionnaient toujours sur ce qu’il était en train de préparer ; et quand je leur eus appris que j’avais vu à Paris ses Recherches métaphysiques qu’il bloquait pour éviter de faire naître procès sur procès, ils m’ont tous conseillé de m’occuper de me les faire envoyer le plus rapidement possible ; et cette princesse, Élisabeth, la fille aînée du sérénissime roi de Bohême qui fut si favorable à Descartes, brûlait autant que les autres de les lire une fois qu’elles seraient publiées. C’est pourquoi j’ai écrit une nouvelle fois à Gassendi et j’ai enfin réussi à avoir une copie du texte1, par l’intermédiaire de Mersenne, Thomas Martel et Abraham Du Prat, non sans avoir d’abord expliqué à notre homme, pour combattre sa modestie, que Descartes à qui j’avais rendu visite à Endegeest2 près de Leyde avait instamment demandé que cette étude cessât de ne se promener qu’entre les mains de quelques-uns seulement, mais assaillît ouvertement et publiquement son ennemi. Et je me souviens qu’alors que j’avais installé mes lares à Leyde, mes très chers amis Adriaan Heereboord et Henri Bornius, kaˆ filogassšndoi [philogassendiens3] m’ont poussé à donner un costume français à ce Discours sceptique4 dans lequel j’incitais John Wallæus, qui est, pour le moins, le premier des médecins hollandais et qu’une mort trop précoce arracha aux choses humaines, à répondre aux objections de Gassendi contre la circulation du sang et l’exsudation du chyle par les veines lactées. Je suis entré en relation à ce sujet avec l’auteur qui a trouvé ma démarche juste et bonne, et qui changea enfin d’avis, surtout quand Jean Pecquet, entreprenant la dissection d’animaux vivants, eut réussi avec un rare bonheur à préserver ce réceptacle posé sur les reins, à l’aide duquel il mit Lettres latines, à Sorbière 27 septembre 1642. Faute : Sorbière écrit « Endelgeest », il faut lire « Endegeest ». 3 Ce néologisme est proprement gassendien, puisque Gassendi qui utilise dans les Lettres latines le philoalexandros forge lui même l’adjectif philovalésien. 4 Samuel Sorbière, Discours sceptiques sur le passage du chyle et sur le mouvement du cœur, Leyde 1648 à voir dans l’édition critique de Gouverneur. Voir Lettres latines, à Sorbière 13 décembre 1647. Pour une discussion du chyle et les idées de Patin à cet égard, voir Jestaz i 188-93. 1 2
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cuius ope ductum Chyliferum dorso adrepentem detexit. Non dubitauit enim ampliùs & circulationem sanguinis, iuxta HARVÆI demonstrationes fieri, & venas lacteas Asellianas Chylum exsugere, & in canalem Pecquetianum transfundere, & chylum guttatim in venas subclauias decidere, sanguineæ massæ permiscendum. Adfui non semel unà cum canum dissectionibus, in quibus omnibus PECQVETVS noster peculiari sollertia rem adeo fecit indubitatam, ut gauderet admodum Senex curiosissimus ob detectum sibi ante obitum Medicinæ GASSENDO utrumque Polum, veritates, inquam, tanti ponderis, quarum altera alteram confirmat, quibus verò sperabat ut deinceps ars tota Medica superstrueretur, illa saltem quæ à perspecta œconomia Animalis ad morborum curationem mechanico more procedet aliquando ubi maior lux affulserit : neque enim magni faciebat Iatricem illam, quæ tantum verbis verba nectere docet, & tota ludit in combinatione Qualitatum, in Elementorum, humorum, temperamentorum ficta proportione, in facultatum & ministrantium partium assignata subordinatione, atque in huiuscemodi præclaris cogitationibus ex politicis vel ex schola Rhetorum callidè desumptis. Et talia quidem axagitans [sic] figmenta facetè multa proferebat, sed coram amicis tantummodo, quorum censuram non vereretur. Erat quippe naturâ sua in Ironiam propensior, ut si quis audire vellet narratiunculas risui commouendo idoneas, haberet ille in numerato statim innumeras : verùm quibus non utebatur, nisi inter familiares & necessitudine coniunctissimos. Ut suspicionem autem prorsus amoliretur, quam de canali Cholidocho habue-
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à nu ce conduit chylifère et son cheminement1. Car cela mit fin à ses doutes quant au fait que la circulation du sang se produit selon la démonstration de Harvey et que les veines lactées d’Aselli absorbent complètement le chyle et le transvasent dans le canal de Pecquet, faisant tomber le chyle goutte à goutte dans les veines subclavières pour qu’il se mêle à la masse sanguine2. J’ai assisté plus d’une fois avec Gassendi à des dissections de chiens, au cours desquelles notre ami Pecquet mit son adresse singulière à rendre la chose indubitable, si bien que notre vieil ami, toujours aussi curieux d’apprendre, se réjouissait pleinement d’avoir eu accès, avant sa mort, à ces deux pôles de la médecine ; car c’est sur ces vérités qui sont, dis-je, d’une importance considérable, et qui se confirment l’une l’autre, qu’il espérait que l’ensemble de l’art médical allait pouvoir se construire, en tant du moins que cet art se fonde sur la connaissance de l’organisation de l’animal pour en venir de façon mécanique au traitement des maladies le jour où plus de lumière brillera ; car il ne faisait pas grand cas de l’iatrique3 qui enseigne seulement à enchaîner paroles sur paroles et qui joue toute sa partie dans la combinaison de qualités, dans l’analogie fictive entre éléments, humeurs et combinaisons, dans la subordination fixée une fois pour toutes des proportions, des facultés et des parties qui les fournissent, et dans ce genre de réflexions remarquables adroitement prises aux politiques ou à l’école des rhéteurs. Et s’il faisait de nombreux commentaires spirituels pour critiquer de telles inventions, il ne le faisait que devant ses amis, dont il ne craignait pas la censure. Car il était d’un caractère très enclin à l’ironie de telle sorte que si vous vouliez entendre des petits anecdotes susceptibles de vous faire rire, il vous en payait aussitôt d’innombrables en argent comptant ; mais il ne les sortait que quand il était avec ses familiers et des gens à qui il était lié par les liens les plus étroits. Pour revenir au canal cholédoque, qu’il préférait appeler 1
Pour les commentaires de Gassendi sur les expériences de Pecquet, « ce subtil médecin », voir dans les Lettres latines, la lettre à Bernier du 6 août 1652 à laquelle les éditeurs des Opera omnia donnent pour titre « Les expériences de Pecquet ouvrant une nouvelle voie au chyle et au sang, et différentes expériences pour démontrer le vide au moyen du mercure artificiel » et qui évoque nommément Pascal et l’expérience du Puy-de-Dôme, à côté des observations sur la pression barométrique que Gassendi a lui-même faites à Toulon. 2 Pecquet, dans son ouvrage (voir référence infra), évoque Wallæus mais ne dit rien de l’ouvrage de Sorbière. 3 Iatrix, mot pompeux, translittéré du grec iatrikè, sous-entendu technè, assorti d’une terminaison pédante (ix) désigne l’art médical. Il est ici employé dans un sens péjoratif, pour désigner l’ancienne médecine. Le terme ne se trouve pas lexicalisé par Furetière.
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rat ; quem Chylodochum dicere maluerat, equos, in quibus omnino deficit, introspicere voluit. Et memini offendisse me aliquando euntem cum MARTELLO, sæuiente admodum hyeme, ad loca illa, in quæ deportari solent viarum purgamenta & trahi equorum cadauera, quæ plura soluto pretio aperiri iussit. In mentem mihi revocat itinerum facta mentio, quod contigit Amplissimo Viro, PETRO MARIDATO, Senatori doctissimo, cùm Gratianopolim venisset comite GASSENDO, & sub noctem inuisisset amicum, qui veniam statim petiit non protractæ diutiùs conversationis, nam propero, ait, ad GASSENDVM, qui in urbem commodùm venit die crastina discessurus ; Ad quæ MARIDATVS annuens subiunxit, ego verò te lubens comitabor, & unà rediit ad hospitium suum, in quo reperit hominem, cum quo plures dies versatus fuerat illum ipsum esse GASSENDVM, quem quærebat. Nullum scilicet fui indicium fecerat Vir modestissimus ; quamvis de re literaria multi sermones habiti fuissent, nec facilè daretur vel nuper editorum librorum catalogum recensere, vel scientiarum historiam prosequi, cuius pars aliqua non esset Author noster, atque adeo cuius occasione de se ipso nonnulla ambitione procul prædicare potuisset. Nimirum iactantiam omnem tantopere auersabatur, ut de seipso vera dicere, quamuis necessarium foret aliquando, tamen pudibundus reformidaret. Atque honorum & lucri tam non erat appetens, ut inuitus in Matheseos Professorem Regium electus fuerit anno M. DC. XLV. GASSENDVM promouente & propemodum cogente Cardinali Lugdunensi ALPHONSO PLESSÆO, ARMANDI RICHELII Fratre. Exstat Oratio Inauguralis, & isti muneri debetur edita iam toties Institutio Astronomica prælectionibus
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chylodoque, c’est dans l’intention d’écarter complètement le soupçon qu’il avait eu à son propos qu’il voulut regarder à l’intérieur de chevaux qui en sont tout à fait dépourvus. Et je me rappelle l’avoir quelquefois rencontré allant avec Martel, malgré la morsure féroce de l’hiver, jusqu’à ces lieux où sont d’habitude transportées les ordures des rues et traînés les cadavres de chevaux dont il fit ouvrir plusieurs, après avoir payé le prix. La mention que j’ai faite de ses voyages me fait revenir à l’esprit ce qui est arrivé au très considérables Pierre de Maridat1 : ce très savant conseiller, venu à Grenoble en compagnie de Gassendi, rendit visite dans la soirée à un ami qui lui demanda sur-le-champ pardon de ne pas pouvoir prolonger plus longtemps la conversation ; car, dit-il, je me hâte d’aller voir Gassendi qui vient tout juste d’arriver en ville, mais qui doit repartir dès demain ; à ces mots Maridat opina et ajouta, je t’accompagnerai volontiers ; et il alla avec lui à son auberge, où il découvrit que l’homme avec qui il avait passé plusieurs jours était ce Gassendi même qu’il voulait voir. L’homme dans sa très grande modestie ne s’était pas fait connaître de lui, quoiqu’ils aient eu de nombreuses conversations sur des matières savantes et qu’il ne soit pas facile d’évoquer le catalogue des livres récemment édités ou d’aborder l’histoire des sciences, sans que notre auteur y joue un rôle quelconque dont il eût pu se prévaloir sans aucune forme de complaisance. Car il détestait si grandement la vantardise que sa pudeur lui faisait redouter de dire la vérité sur lui-même, quoique cela fût parfois nécessaire. Et il était à ce point dépourvu du désir des honneurs ou du gain qu’il fut élu contre son gré professeur royal de mathÉmatique en 1645, et c’est le cardinal de Lyon, Alphonse du Plessis, le frère d’Armand de Richelieu, qui l’a promu, en lui forçant presque la main2. Il en reste un Discours inaugural3, et nous sommes redevables à cette charge que son 1
La même anecdote est racontée par Taxil (supra). Lettres latines, à Valois 30 juin 1645 : « Le cardinal de Lyon qui, en tant que grand aumônier de France, a la charge des chaires au Collège royal m’avait conféré de son propre mouvement la chaire de mathématique ; devant mon refus plutôt constant, il avait presque employé les prières et avait encore envoyé chez moi l’acte officiel, pour qu’il me soit plus difficile de le refuser. J’ajoutais que tous mes amis, non seulement par leurs adjurations, mais aussi par leurs invectives (dirais-je presque), m’ont forcé à leur donner les mains et que, même vaincu, je ne me suis mis d’accord avec le cardinal qu’à la seule condition qu’il me soit permis, sa bienveillance sauve, de renoncer à cette charge dès qu’il me plaira ». 3 Oratio inauguralis habita in Regio Collegio die Nouembris XXIII a Petro Gassendo Regio Matheseos Professore, Paris (Louis de Hecqueville), 1645. Opera omnia iv 66-73. 2
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explicata, quibus non aderant tantum Auditorio frequentissimo adolescentes, sed omnis ætatis homines, senes quam-plurimi, & Viri doctissimi. Quod in honorem Scientiarum non memineram vidisse uspiam præterquam Amstelodami, GERARDO IOANNE VOSSIO prælegente non tyronibus quidem solis, sed grandævis & rude donatis undiquaque ad Varronem istum, vel Mercurio posthabito, confluentibus. Adversata est procul dubio illa Professio GASSENDI nostri bonæ valetudini ; tussis enim inde & pulmonis sequuta est inflammatio. Prouinciam itaque, ut aëre natali reficeretur, petiit. Nec tamen Diniæ concessum fuit diu manere, optimo Prorege eius consortio ita gaudente, ut sine GASSENDO degere non posset. Comitatus est igitur semper VALESIVM, non solùm ut Principis animùm studiorum amœnitate recrearet, sed turbatis tunc rebus ut
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Institution astronomique1 ait déjà été éditée tant de fois sous la forme même qu’il lui a donnée dans ses leçons qui furent fréquentées non pas seulement par des jeunes gens, mais aussi par des hommes de tous âges, un grand nombre de vieillards et des hommes très savants, constitués en un auditoire abondant. Je ne me rappelais pas avoir vu cela nulle part pour la gloire des sciences sinon à Amsterdam, à l’époque où GÉrard Jean VOSSIUS2 faisait des leçons non pas seulement pour les novices, mais encore pour des hommes de grand âge et déjà licenciés, qui affluaient de partout pour écouter ce Varron3, qu’ils préféraient à Mercure4. L’exercice de cette profession a sans aucun doute été contraire à la santé de notre Gassendi ; car une toux, puis une inflammation du poumon s’en sont suivies. Aussi regagna-t-il la Provence, pour reprendre des forces à son air natal5. Mais il ne lui fut pas permis de demeurer longtemps à Digne, vu que l’excellent vice-roi tirait un tel plaisir de leur relation qu’il ne pouvait vivre sans GASSENDI. Il a donc toujours accompagné Valois, non seulement pour divertir le cœur du Prince par le charme des études, mais aussi, en 1 Institvtio astronomici iuxta Hypotheseis tam vetervm, qvam Copernici et Tychnis… Paris (Louis de Heucqueville), 1647. Cet ouvrage fut, avec la Vita Peireskii, celui des écrits de Gassendi qui eut le plus de succès. Il en existe plusieurs rééditions (1653, 1656, 1675, 1680, 1682, 1683 et 1702). 2 On peut s’interroger sur la mention particulière de Vossius ici, parmi les différents auteurs que Sorbière pourrait citer. Les Lettres latines ne donnent pas de réponse satisfaisante, car la lettre que Gassendi lui envoie le 14 septembre 1629 n’est pas très importante. Il y a peut-être le fait que son fils, Isaac, est un personnage important, notamment à cause de la bibliothèque qu’il constitue et la diversité de ses travaux, mais on peut aussi l’expliquer par la double mention tout aussi inexplicable de Vossius dans Vie et mœurs d’Épicure, c’est-à-dire un ouvrage où il n’est pas fait mention d’autres auteurs modernes (livre I, chapitre 10 et livre VIII, chapitre 8). Gassendi s’était alors appuyé sur son autorité pour affirmer que Épicure n’a pas négligé l’histoire : « En tout cas, Vossius, un savant tout à fait bon et érudit, compte maintenant Épicure au nombre des historiens grecs à cause de son livre Des vies ». 3 Jérôme Bignon fut aussi surnommé le Scévola ou le Varron du siècle. 4 Mercure est entendu ici comme le dieu du commerce. Les auditeurs de Vossius affluaient à ses cours au détriment de leur intérêt économique. Cette précision incite-t-elle à conclure que des bourgeois venaient également écouter Gassendi, comme ils l’avaient fait pour Vossius ? 5 En réalité Gassendi n’a semble-t-il rien fait pour hâter son retour, que Valois réclame à cor et à cri. Il semble même qu’il ait prétexté sa maladie pour éviter de rentrer plus vite. En tout cas, Valois le croit médiocrement et envoie en Tourneur une sorte d’espion pour vérifier les allégations de Gassendi, qui ne rentrera qu’après avoir terminé son travail sur Épicure (voir les Lettres latines, année 1648).
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consiliorum particeps sapientiâ sua iuuaret ; donec in Aulam vocato Prorege Diniam ipse repetiit, commoratusque est ad annum usque M. DC. LIII. quo Lutetiam venit cum FRANCISCO BERNERIO, Andegauensi Medico, qui post elatum GASSENDVM in Ægyptum profectus, nunc Memphis Medicinam facit, & cum ANTONIO POTERIA suo, atque in ædibus tuis renidentibus, MONMORI Illustrissime, exceptus fuit tantâ comitate tua, lectissimæ que Coniugis tuæ, ac tantâ famulorum tuorum reverentiâ, ut Herus alter esse videretur : cùm tamen ille nullam omitteret partem debiti cultus natalium tuorum splendori, vel debitæ venerationis virtutibus illis, quibus Fortunæ munera superare contendis. Totus erat GASSENDVS in adornando Philosophiæ suæ Systemate, post publicatam Tychonis & Copernici vitam, cum in morbum incidit anno M.DC.LIV. quo leuatus quidem fuit studiorum facta intermissione, & educta ex senili corpore sat magna Sanguinis copia, qua fuere vires nonnihil infirmatæ. Siue enim morbi fomitem introrsum latentem, siue morbi remedium phlebotomiam, siue studiorum intemperantiam, siue ingrauescentem ætatem incuses, certum est GASSENDVM prospera ex illo tempore non usum esse valetudine, nec perambulationes, quibus in horto lætabatur, nec longas cum amicis confabulationes sustinuisse. Quare tandem anno sequenti, ineunte Autumno, in morbum letalem delabitur ; atque ab iisdem Medicis Lutetiæ
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ces temps troublés1, pour l’aider de sa sagesse en prenant part à ses décisions, jusqu’au moment où, le vice-roi ayant été rappelé à la Cour2, il revint luimême à Digne où il demeura jusqu’en 1653. À cette date, il monta à Paris avec François Bernier, médecin angevin, qui partit pour l’Égypte juste après que Gassendi nous a été enlevé et qui exerce aujourd’hui la médecine à Memphis3, et avec son Antoine de La Poterie ; c’est alors, très illustre Montmor, qu’il fut accueilli dans ton magnifique hôtel, avec toute ta bienveillance et celle de ton épouse si délicieuse et si distinguée4, où il fut entouré de tant de grande révérence de la part de tes serviteurs qu’il passait pour un second maître de maison, sans qu’il oubliât en rien le culte qui est dû à la splendeur de ta naissance et la vénération qui est due aux autres vertus par l’exercice desquelles tu t’efforces de dépasser les faveurs de la fortune. Gassendi était tout entier consacré à préparer l’assemblage de sa philosophie, après la publication des vies de Tycho et de Copernic, quand il fut atteint d’une maladie en 16545 dont il se releva par la prudence qu’il eut d’interrompre ses études et grâce à une saignée de son vieux corps, si importante toutefois qu’elle diminua quelque peu ses forces. En effet, que tu accuses le ferment de la maladie tapi à l’intérieur, le choix de la phlébotomie pour y remédier, le manque de modération dans les études ou l’âge qui avançait, il est certain que Gassendi n’a dès lors plus joui d’une bonne santé et qu’il n’a plus supporté les promenades dans le jardin, qui faisaient sa joie, ni les longues conversations avec ses amis6. C’est pourquoi, au début de l’automne, il présenta les symptômes de la maladie qui devait causer sa mort, et les mêmes remèdes lui furent administrés par les mêmes médecins tout à 1
C’est-à-dire la période de la Fronde de Provence. Pour cet euphémisme voir la note 194 p. 89. Sorbière est le seul biographe à montrer un Gassendi ainsi impliqué dans les activités politiques de son protecteur. Peut-être le fait-il parce que le lecteur des Opera omnia ne peut manquer de tomber sur les très nombreuses lettres à Valois qui confirment ce rôle de conseil, si ce n’est davantage. 3 Bernier a vécu plus d’un an en Égypte, où il fut atteint par la peste ; il partit ensuite pour l’Inde en 1657. 4 Henriette Marie de Buade Frontenac. 5 La péripneumonie qui est à l’origine des Soteria édités et traduits au chapitre 3. 6 Néanmoins, comme le montre une lettre de Gassendi à Doujat du 17 avril 1655, il envisageait de reprendre ses cours au Collège royal dès qu’il aurait eu terminé de corriger les épreuves que ses imprimeurs lui envoyaient au rythme de deux pages par jour. Turner & Gomez 82 n° 86. 2
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celeberrimis eadem fuere adhibita remedia. Nec sane Galeni & Hippocratis auctoritates defuerunt Viris doctissimis, quibus erat cordi procul dubio Amici restauratio : verum tristissima comprobatum fuit experientia tritum illud, Interdum doctâ plus valet arte malum. Cùm repetitis iam nouem sanguinis missionibus deiectas heu ! nimiùm vires suas sentiret Vir optimus, & adessent Medici percelebres & Amici, dubitanter proposuit, ne in alienam messem falcem suam iniscere videretur, an consultum esset abstinere à Phlebotomia, cui tolerandæ imparem se existimabat. Assidebat ægroto Medicorum Senior, qui arteriam consulens, & ad cætera attendens inclinabat iam cum sociorum suorum altero, ut sanguini parceretur ; cùm nescio quis alius grandi passu cubiculum perambulans præfractè in contrarium contendit, & collegas in sententiam suam veluti postliminio redeuntes pertraxit. Nec renuit GASSENDVS, qui non tanti ducens usuram vitæ in illa ætate adeò labefactatæ, ut vix spes esse posset restaurandæ in integrum bonæ valetudinis, sine qua non tam viuere debeas aliquem dice-
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fait en vogue à Paris. Les enseignements de Galien et d’Hippocrate n’ont pas manqué à ces hommes fort savants, qui avaient sans aucun doute très à cœur le rétablissement de leur ami. Mais ce proverbe rebattu trouva confirmation dans l’expérience la plus triste : Parfois le mal est plus fort que l’art1. Alors qu’à la neuvième saignée, l’excellent homme sentait, hélas, que ses forces étaient au plus bas, en présence des très réputés médecins et de ses amis, il mit en débat, avec quelque hésitation, pour ne pas sembler jeter sa faux dans la moisson d’autrui2, la question de savoir s’il serait avisé de renoncer à une phlébotomie qu’il se jugeait incapable de supporter. Le doyen des médecins3 était au chevet du malade : examinant l’artère et considérant son état général, il inclinait déjà avec un de ses auxiliaires à épargner son sang, quand je ne sais quel autre médecin4, traversant la chambre à grands pas, prétendit le contraire avec obstination et convainquit ses collègues de se ranger à son avis, comme de retour par l’effet du droit de rentrée5. Et GASSENDI ne refusa pas ; car il ne faisait pas assez grand prix de l’usage de sa vie qui était, à son âge, déjà si diminuée qu’il lui restait à peine d’espoir de retrouver la pleine jouissance de la bonne santé sans laquelle un homme vit moins qu’il ne se traîne péni Ovide, Pontiques, livre i, chant 3, v. 17. Repris en latin par Molière dans la scène 8 du Médecin volant dans la bouche de l’Avocat. 2 Trévoux (s.v. faucille) : « On dit figurément mettre la faucille dans la moisson d’autrui ; pour dire entreprendre sur le métier, sur les fonctions d’autrui ». C’est de fait une expression de Gassendi qui l’emploie dans une lettre à Valois du 19 août 1644 pour s’autoriser à mettre fin à ses commentaires sur l’actualité politique, sujet qu’il se sent peu habilité à traiter. 3 Le doyen de la Faculté de médecine était en 1655 Jean de Bourges (1654-1656), qui ne succéda pas directement à Guy Patin, doyen de 1650 à 1652, mais à Paul Courtois (1652-1654), voir Corlieu 113. 4 Sorbière vise probablement Guy Patin, qui saura lui rendre la monnaie de sa pièce, puisque, dans une lettre à Spon du 5 juillet 1658, il émet un jugement extrêmement sévère sur la contribution de Sorbière « toute mal faite et misérable qu’elle est… il ne passera jamais que pour un veau comme il est ». Les jeunes amis de Gassendi en voulurent à Patin du traitement qu’il conçut pour Gassendi pendant sa dernière maladie, pensant, comme La Poterie l’insinue, que ses trop fréquentes saignées l’ont achevé. Patin a dû se sentir affecté par leurs pensées, qui l’ont peut-être induit à douter de lui-même : « S’il y a quelque chose qui me regarde, je lui [Sorbière] pardonne… ma conscience me vaut mille témoins. J’ai fait ce que j’ai pu et que j’ai dû à M. Gassendi ». Pour une esquisse des idées médicales de Patin voir Jestaz i 193-202. 5 Formule présente très exactement dans la lettre de Gassendi à Valois du 21 octobre 1649 (n° 595). Pour le mot postliminium, Cic., Top., 8 : « C’est ainsi qu’on peut dire, pour défendre Mancinus, qu’il est revenu par droit de postliminium ; qu’il n’a pas été livré, puisqu’on ne l’a pas reçu ; car rien n’est livré, rien n’est donné, sans acceptation ».. 1
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re, quàm ægrè Spiritum in pœnas & dolores trahere ; secum verò reputans, nihil sine Numine contigere, providentiæ Diuinæ committendum se statim deliberauit ; quæ quidem fines suos habet præstitutos, nobis nequicquam supremam moriendi necessitatem tardare nitentibus. Nec illa fuit ultima Phlebotomia, sed insequutæ sunt aliæ quatuor, quarum unam cùm POTERIVS, conscio GASSENDO, eludere voluisset ; quasi peracta iam fuisset ante aduentum Medici, qui imperauerat, officiosum istud mendacium nescio quomodo detectum nihil aliud profuit, nisi ut grauiter fidus iste Amanuensis increparetur, & largior forsan copia liquoris accersito Chirurgo hauriretur. Quæ quidem recenseo historiæ, seu veritatis causa, non verò ut quemquam lacessam, vel ullius praxin Medicam inculpem : Amicus enim Socrates, amicus Plato, sed magis amica veritas. Si quid Lutetiæ verè eruditum & magni nominis fuit inter Medicos, totum illud adfuit sanando GASSENDO ; nec alia methodo itum esset a Viris præstantissimis ad Medicinæ finem in persanandis sanguine coniunctis, vel Principibus ipsis morbo consimili laborantibus. Haud itaque in culpa sunt Medici propter celebratam paulo frequentius Phlebotomiam ; quemadmodum innuere voluit PETRVS BORELLVS, quum Observationum Physico-Medicarum, seu Medico-Physicarum Centuria III.
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blement de tourment en douleur, comme on dit1 ; mais pensant en lui-même que rien ne se passait sans la volonté de Dieu, il résolut de se confier aussitôt à la Providence divine ; car elle décide des échéances à l’avance, et c’est en vain que nous luttons pour différer la suprême nécessité de notre mort. Ce ne fut pas là sa dernière phlébotomie, mais il y en eu quatre autres dont l’une que La Poterie, avec l’accord de Gassendi, avait voulu éviter, en faisant comme si elle avait été administrée avant l’arrivée du médecin qui l’avait ordonnée ; mais ce mensonge officieux découvert je ne sais comment n’eut d’autre effet que d’attirer de sévères blâmes sur ce fidèle secrétaire et de tirer une peut-être encore plus grande quantité de liquide de la main du chirurgien qu’on fit venir. J’en fais le récit pour servir l’histoire, c’est-à-dire la vérité2, et non pas pour faire un reproche à quiconque ou pour incriminer la pratique médicale de qui que ce soit3 : car j’aime Socrate, j’aime Platon, mais plus encore la vérité4. Tout ce qu’il y eut à Paris de médecins expérimentés et de grand renom fut entier présent pour soigner Gassendi, et des hommes très éminents, arrivés au sommet de la médecine, n’auraient pas adopté une autre méthode s’il s’était s’agi de soigner des parents à eux ou des princes souffrant d’une maladie analogue. C’est pourquoi je ne jetterai pas la pierre à des médecins à cause de leur engouement un peu excessif pour la phlébotomie, comme a également voulu le suggérer Pierre Borel, alors qu’il écrit dans ses Observations physico-médicales c’est-à-dire médico-physiques (obser Trahere pœnam et dolorem, nous n’avons pas trouvé de proverbe, alors que l’expression « comme on dit » implique une citation. 2 Cette assimilation entre l’histoire et la vérité est gassendienne s’il en est. 3 Et pourtant dans une lettre à Spon, 18 juin 1658, Patin écrit : « M. Henry m’a fait voir en hâte la Préface qui touche la vie de M. Gassendi. Sorbière n’est qu’un sot et un veau avec tout son fatras de latin ; il parle de la saignée, sans savoir ce qu’il dit, comme un aveugle des couleurs ; il est fat et ignorant, et, s’il en valoit la peine, je l’étrillerois bien ; tout son latin n’est qu’un malheureux panégyrique de quelques siens amis, qu’il a prétendu louer sous ombre de parler de feu M. Gassendi. Mais il y a bien des faussetés dont je pourrois convaincre, si bien qu’il n’est qu’un flatteur et un menteur, un impertinent avorton, avec sa prétendue bonne mine » (Reveillé-Parise ii 400). Dans La Saignée réformée (La Flèche, 1656), le pamphlétaire Binedeau appelle Patin « un grand Saigneur ». Quand Patin ne déchargeait pas sa rancune personnelle contre Sorbière, il en parlait tout autrement : « Je suis bien aise», écrit-il au même Spon, « que vous ayez vu M. Sorbière : c’est un honnête homme » (Lettre à Spon, Paris, 16 septembre 1650, ii, 44). 4 Sorbière joue avec une formule passée en proverbe, Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4. Gassendi l’emploie fréquemment dans les Lettres latines, mais c’est un tel lieu commun qu’il n’est pas utile de préciser les passages. 1
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observatione XI. scribit, Possem hîc Viri semper lugendi mortem dolorosam toti Europæ, immò Mundo, recensere nimio illo remedio sanguineo, & verba ab eius ore deprompta referre, quibus ante obitum fassus est, se nimio obsequio periisse, & cum Heroë suo ad Inferos cum viridi adhuc & stante senectute descendisse. Sed nimirum commouit diligentissimum Scriptorem quod accepit dictum à GASSENDO dum celebrandæ ultimæ Phlebotomiæ brachium præberet : Conuersus enim ad POTERIVM, satius est, ait, istâ virium infirmitate placidè obdormire in CHRISTO DOMINO, quam maiori cum sensu doloris suffocatione vitam amittere. Ex illo tempore ferme obmutuit, cum non posset vocem attollere, ut audiretur ab adstantibus BERNERIO & POTERIO extrema officia, quemadmodum in toto morbi decursu fecerant, ministrantibus. Extremam tamen horam imminentem sentiens, quod reliquum erat virium impendendum existimauit præparando ad mortem animo. Itaque significauit ut quam-primùm vocaretur Sacerdos, in cuius aurem, dum fari poterat, peccata sua effunderet ; quorum omnium veniam per sacrum ministrum à DEO peteret, atque per Confessionis Sacramentum obtinere ; ut inde paratior existeret sistendæ coram summo Iudice animæ suæ, ac veluti alba
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vation n° 11)1 : « Je pourrais ici toujours attribuer à ce remède sanguin excessif la mort douloureuse de cet homme dont toute l’Europe, voire le Monde doit porter le deuil, et rapporter les paroles qu’il a dites avant de mourir et que j’ai recueillies sur sa bouche, à savoir qu’il est décédé pour avoir été d’une déférence excessive et qu’il est descendu aux enfers avec son héros dans une vieillesse encore verte et valide ». Mais cet auteur très diligent fut ébranlé par la formule qu’a eue Gassendi quand il tendit son bras pour l’ultime phlébotomie : en effet, il se tourna vers La Poterie et dit « Il vaut mieux s’endormir doucement dans le Seigneur Jésus Christ avec ses forces ainsi diminuées, plutôt que perdre la vie par suffocation en souffrant d’une douleur plus violente »2. À partir de cet instant il se tut à peu près comme il ne pouvait pas lever la voix pour être entendu de Bernier et de LA POTERIE qui l’assistaient ainsi qu’ils l’avaient fait tout au long de sa maladie et lui administraient les derniers devoirs. Sentant cependant que sa dernière heure était imminente, il estima qu’il fallait consacrer ce qui lui restait de forces à préparer son âme à mourir. C’est pourquoi il signifia que l’on fît appeler au plus tôt un prêtre, à l’oreille duquel, tant qu’il put parler, il exposa librement tous ses péchés pour lesquels il demandait pardon à Dieu par le ministre sacré, ce qu’il obtient par le sacrement de la confession, pour que son âme soit dès lors plus prête à se présenter en face du suprême Juge et que, comme vêtu de la robe blanche de la pureté, Historiarium et Observationum Medico-physicarum Centuriæ IV. Paris 1657. Notons que Borel ne précise pas qu’il s’agit de Gassendi. Son nom est en revanche cité dans l’index de cet ouvrage qui ne suit pas un ordre des raisons mais passe d’un item à l’autre, mais il n’est pas fait de renvoi au livre pour les noms des personnalités. En revanche, dans le Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes : que les astres sont des terres habitées et la terre une estoile, qu’elle est hors du centre du monde dans le troisiesme ciel et se tourne devant le soleil qui est fixe, et autres choses très curieuses (Genève 1657), un ouvrage que certaines notices présentent comme faisant référence à Gassendi ne l’est pas légitimement dans la mesure où il n’est fait qu’une fois allusion à Gassendi, pour rapporter que (p. 31) « selon Gassendi, Napolitain Fontana a à présent le plus excellent télescope qui soit au monde », ce qui est par ailleurs faux, dans la mesure où Gassendi dit ses réserves quant à cet instrument (voir Lettres latines, du 15 octobre 1644, à Hévélius, n° 329) et en fait presque un paradigme de la fausse rumeur. Borel ne cite ici Gassendi que comme une autorité et prouve qu’ils avaient des relations peu étroites. 2 Cette description de Sorbière est plus conforme à l’idée que l’on peut avoir de Gassendi en sage épicurien, qui recherche une moindre douleur. Elle s’écarte aussi du récit que fait Taxil, qui tend à faire des derniers moments de la vie de son prédécesseur une véritable Passion. 1
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puritatis stola indutus nuptiis agni immaculati interesse posset, sacrum scilicet viaticum debitâ cum veneratione tertium accipiens : nam semel iam atque iterum sumpserat ingrauescente morbo. Dein, ut nihil perfectæ Christiani militis armaturæ deesset, sacro inungi oleo efflagitauit. Ad quam cærimoniam animo attendens cùm Sacerdos aures inungens pronuntiaret verba solemnia, & lapsu quodam memoriæ dixisset, Indulgeat tibi Dominus, quidquid per odoratum peccasti, reposuit statim æger, imò per auditum ; adeò intentus erat rei grauissimæ, & eluendarum sordium vel minimarum cupidum se & sitibundum gerebat. Ex illo scilicet momento, quasi se itineri accinxisset in æternas sedes breui migraturus, repudium misit omnibus aliis præterquam sacris cogitationibus, subinde versus nonnullos Psalmorum proferens ; sed leni murmure & tam summissa per interceptum spiritum voce, ut procul audiri non valeret. In ore quidem habuerat initio morbi loca Poëtarum Latinorum quam plurima, quibus recitandis tempus aliquando falleret : quum & memoriâ admodum polleret, & sibi temperare non posset, quin semper ad honesta studia animum conuerteret. Verum & Musis & amœniori literaturæ tum valedixit. Illud enim unicum Philosophantis ad extremum vitæ curriculum ingenii signum edidit, quod mortuo manus dextera reperta fuerit regioni cordis apposita ; cui parti non semel iusserat POTERIVM ut manum admoueret, notandæ Systolæ & Diastolæ ; quarum ipse titubantem gressum & deficientem vigorem aduertens, vides, ait, quid sit hominis vita. Quæ vox ultima fuit
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il puisse participer aux noces de l’Agneau immaculé, en recevant une troisième fois le suprême viatique avec la vénération qui lui est due ; car il l’avait déjà reçu une première, puis une deuxième fois alors que sa maladie s’aggravait. Ensuite, pour que rien ne manque à l’armure parfaite du soldat du Christ1, il réclama l’onction de l’huile sainte. Donnant toute son attention à ce sacrement, alors que le prêtre en oignant ses oreilles prononçait les paroles solennelles et avait dit, dans un trou de mémoire, « Le Seigneur te remet tous les péchés que tu auras commis par l’odorat », il répliqua aussitôt, malgré son mal, « mais non, par l’ouïe »2, tellement il était attentif à cette cérémonie si grave et tellement se montrait désireux et avide de laver ses taches si minces fussent-elles. À partir de ce moment, comme s’il avait mis sa tenue de voyage en vue de partir rapidement pour le séjour éternel, il annonça qu’il renonçait à tout ce qui n’était pas de saintes méditations et il prononça aussitôt quelques vers des Psaumes, mais dans un doux murmure et d’une voix si étouffée par les respirations qui l’entrecoupaient que c’est à peine si on pouvait l’entendre. Il avait eu en effet à la bouche, dans les commencements de sa maladie, de très nombreux passages de poètes latins qu’il récitait pour tromper le temps ; sa mémoire en était extrêmement riche, et il ne pouvait pas se retenir de consacrer son cœur à des études honorables. Mais il dit adieu également aux Muses et à la littérature plus plaisante. Car il exprima ce signe unique d’un esprit qui philosophe jusqu’aux dernières extrémités de la course de la vie, qu’une fois mort, on trouva sa main droite placée sur la région du cœur, laquelle partie il avait à plusieurs reprises ordonné à La Poterie qu’il y mette la main, pour noter la diastole et la systole3 ; remarquant lui-même que le rythme en titubait et que leur vigueur déclinait, il dit : « Vois ce qu’est la
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Expression courante, employée par les Pères de l’Église, amplifiée au moment de la croisade et de sa spiritualisation, renvoyant à saint Paul, Éphésiens 6, 13-170, sqq., Romains 13, 12-14, etc. 2 Telle est la formule rituelle de l’extrême onction, qui décline les différents organes qui ont péché (visum, auditum, odoratum, gustum et locutionem, tactum, gressum). Il faut donc comprendre ici que l’officiant aura oublié l’ouïe. 3 L’emploi ici de ces termes plus scientifiques pour désigner le pouls tend à prouver que Gassendi aura été un homme de science jusqu’à son dernier souffle. Mersenne n’agit pas autrement. Lettres latines, 4 septembre 1648 à Valois : « Voici que, déjà presque mourant, il a mandé aux médecins de disséquer son cadavre jusqu’à ce qu’ils apprennent la cause de sa maladie qu’ils avaient ignorée, aux fins qu’ils puissent porter secours à ceux qui souffriront ensuite d’une maladie semblable ».
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summi Philosophi ; quandoquidem philosophari tum desiit GASSENDVS, ut totum se CHRISTO & sanctissimis Meditationibus traderet ; quas inter placidè obdormiuit in Domino, & die quidem Dominica, horâ post meridiem quarta, vel circiter, IX. Kal. Novembris, Anni a Virgineo partu M.DC. LV. ætatis verò suæ exacto iam à novem mensibus LXIII. qui magnus Climacterius ab hominum perditione & fractura ¢ndroklast» dicitur. Atque ita nobis ereptus fuit Senex optimus. Mortuum luxit uniuersus Orbis Terrarum eruditus. Quod innumera testari possent tum prosâ, tum versu Encomia undiquaque ad Te Illustrissimum defvncti hospitem missa, qui funus ducens cadauer extulisti, & sepulcro Maiorum tuorum in Ecclesia Sancti Nicolai Campensis deposuisti, iuxta GVILLELMVM BVDÆVM parentis tui pro-auunculum, togatorum autem superioris sæculi doctissimum ; appositaque fuit aliquandiu post in MOMMORIANORVM sacello statua marmorea, cuius iconem reperire licet inter Operum istorum præludia. In Ecclesia autem patria Diniæ mortuo lessum fecit publicè NICOLAVS TAXILIVS Presbyter in Præpositura successor, oratione habitâ in obitum Philosophi Christiani, quem titulum præfixit cùm
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vie de l’homme »1. Telle fut le dernier mot de l’immense philosophe, puisque Gassendi cessa de philosopher pour se remettre entièrement à Christ et aux méditations les plus saintes, au milieu desquelles il s’endormit doucement dans le Seigneur, un dimanche, à environ quatre heures de l’après-midi, le 9 des calendes de novembre [23 novembre] de l’année 1655 de l’enfantement virginal, le neuvième mois de la 63 année de son âge, la grande année climactérique2, qui est dite ¢ndroklast»3 parce qu’elle perd et brise les hommes. Ainsi cet excellent vieillard nous fut-il ôté. Tout l’univers érudit pleura ce mort. Il n’en faut pour preuve que les innombrables éloges, en prose et en vers, que tu reçus de tout côté, toi, très illustre hôte de notre défunt qui, organisant les funérailles, as recueilli son corps et l’as déposé dans le tombeau de tes ancêtres à l’église Saint-Nicolasdes-Champs, à côté de Guillaume BudÉ, le grand-oncle de ton père, le plus savant des hommes en toge du siècle dernier4 ; et peu après fut installée à côté, dans la chapelle des Montmor, une statue de marbre dont on peut trouver l’image dans les préambules des présentes œuvres [voir figure 4]. Pour ce qui est de l’église de sa patrie de Digne, c’est Nicolas Taxil, lui-même prêtre, et son successeur dans la charge de prévôt, qui conduisit les
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Voir le témoignage congruent de La Poterie. Voir note 4 p. 195 supra. 3 Le terme extrêmement rare, que Sorbière traduit avant de l’indiquer en grec et qui désigne la principale année climactérique, se trouve dans la Mathesis de Julius Firmicus Maternus, voir au tome ii de l’édition de Pierre Monat, Livres III – V (Paris 1994), 195 para. 3. 4 Originaire de l’Artois, la famille Habert de Montmor, dont les ancêtres s’étaient enrichis dans le commerce de la farine, comme peuvent le faire supposer les armoiries familiales, « D’azur au chevron d’or accompagné de trois anilles d’argent », s’implanta en Ile-de-France en 1543, avec Philippe Habert, dans la châtellenie de Beaurain, sur la commune du MesnilSaint-Denis. C’est avec une licence en droit, que ce provincial vint tenter sa chance dans la capitale. Nommé clerc du greffe criminel puis conseiller au Parlement de Paris et en 1534 greffier des commissaires institués par François Ier à Alençon pour lutter contre la Réforme, il finira sa carrière comme procureur au Châtelet en 1540, avant de s’éteindre cinq années plus tard en 1545. En épousant Radegonde Hodon, fille et petite-fille de notaires et secrétaires du Roi, il fit un brillant mariage, d’autant plus que la jeune épouse était la nièce de l’illustre savant et humaniste Guillaume Budé (1467-1540). Ce mariage permit à la famille d’accéder rapidement à une fortune conséquente et d’être honorablement connue à Paris. Il faut noter que pour les hommes de lettres du XVIIe siècle Budé fut une figure exemplaire, un héros de la vie savante. Voir Ranum, 36-49. 2
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Lugduni Typis edendam curauit anno sequenti quinquagesimo sexto ; atque tanto ciuium omnis ætatis concursu, tam largo autem omnium fletu, ut non meminerint senes publicum luctum huic similem extitisse. Nec quidem temerè factum, ut mœror nullos non conterraneorum peruaserit ; quippe Vir pius summæ fuerat viuens valensque, non solùm uniuerso Diniensi populo, sed ipsi præsertim Clero suo, venerationi. Adeo ut pro concione hisce ego auribus audiuerim, cum aliquando Arausione GASSENDVM invisissem, factam Viri cum elogio mentionem ad sententiam aliquam pleniùs confirmandam. Vnde tantus homini modestissimo suffusus rubor, ut domum reuersus nondum pudoris commotio penitus sedata videretur. Et forsan in causa fuit quod à me una redeunte ingenti cum gaudio notatum, neminem occurrisse, qui non salutaret, idque ex animo, quemadmodum vultu præsignificabatur, & multis atrio suo vel officina exeuntibus, atque opus suum intermittentibus, ut venerando Seni debita præstaretur reuerentia. Quod demirans & adstantibus indicans, accepi à Lautaretio Medico, & ab aliis conciuibus, nihil illius esse impræsentiarum venerationis, si conferretur cum publica hilaritate, quâ obviam iri moris erat, si quando urbe abfuisset ; quod sæpissimè contigerat Illustrissimo Principe LVDOVICO VALESIO, PEIRESKIO, CAMPINIO, LVILLERIO, vel Te MON-MORI doctissime, tam clarum lumen patriæ suæ inuidentibus. Cum autem inquirerem paulo diligentius, quid Virum sortis huiuscemodi, in tenui repositum, uniuersis tam gratum redderet, imò adeo venerandum, ut nulla institui posset comparatio quod spectat ad cultum ultro præstitum cum ipso Præsule vel Præfecto Provinciæ Diniam aduentantibus ; comperi immensam eius erudi-
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déplorations publiques1 et prononça une oraison sur la mort du philosophe chrétien, selon le titre qu’il lui a donnée quand il s’est occupé de la faire publier à Lyon l’année suivante, en 1656, devant une telle affluence de citoyens de tous âges, tous en pleurs, à telle enseigne que les plus âgés ne se souviennent pas qu’il y ait eu jamais un semblable deuil public. Ce n’est pas sans raison que le chagrin n’a épargné aucun de ses compatriotes ; car l’homme pieux, tant qu’il fut en vie et en bonne santé, jouissait d’une vénération immense, non seulement auprès de l’ensemble du peuple de Digne, mais aussi surtout de son clergé, au point que moi j’ai entendu de mes propres oreilles, pendant l’homélie, alors que j’avais quelquefois rendu visite à Gassendi, venant d’Orange2, faire mention de l’homme dans des termes élogieux pour donner plus de poids à telle ou telle opinions. D’où le visage de notre homme si modeste s’empourprait à tel point qu’à son retour à la maison, l’émotion due à sa pudeur semblait ne pas être tout à fait apaisée. Et peut-être cela fut-il cause que, ce dont j’ai pris connaissance avec une joie intense en revenant ensemble avec lui, tous ceux que nous rencontrions le saluaient, de tout cœur qui plus est, comme cela se voyait sur leur visage, alors même que de nombreuses personnes sortaient tout exprès de leur maison ou de leur lieu de travail et interrompaient leur ouvrage pour témoigner au vénérable vieillard la révérence qui lui était due. Admirant cela et en le faisant remarquer à ceux qui étaient là, j’appris du médecin LAUTARET et d’autres de ses concitoyens que cette vénération n’était rien par rapport à l’allégresse publique qui se manifestait d’habitude sur son passage, chaque fois qu’il revenait en ville après une période d’absence, ce qui s’était très souvent produit alors que le très illustre prince Louis de Valois, Peiresc, Champigny, Luillier et même toi, très savant MONTMOR3, vous rendiez visite à la si claire lumière de sa patrie. Alors que je m’enquérais plus scrupuleusement de ce qui rendait un homme de sa condition et vivant de petits riens4, si plaisant à tout le monde, voire si vénérable, au point que pour ce qui est des hommages dont il fut spontanément gratifié, aucune comparaison ne tient avec ceux que reçoit l’évêque voire le gouverneur de la Provence en visite à Digne, j’ai découvert que son immense érudition lui avait acquis tous 1
Sans doute en partie chantées, elles ne relèvent pas de la liturgie à proprement parler, mais sont intégrées dans les messes de funérailles. 2 À partir de 1650 quand Sorbière est nommé directeur du Collège d’Orange. 3 Sorbière est le seul biographe qui évoque une visite de Montmor à Digne. 4 Expression empruntée à Horace, Épîtres, i, 20, 20.
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tionem doctos omnes sibi conciliauisse ; officia & liberalitatem seu eleemosynas pro virium modulo factas, plebeculam & egenos sibi deuinxisse, modestiam, comitatem, & morum niueum candorem, bonæ mentis amantium oculos perstrinxisse ; at pietatem & Sapientiam uniuersis amorem sui & admirationem creauisse. Et de pietate quidem ut primum dicam, attendendum sedulò ad ea, quæ GASSENDVS, voce, & scriptis docuit ; ad vitæ rationem, quam instituit, & à qua ne latum unguem unquam discessit ; ad Amicos, quibus coniunctissimus sine querela vixit ; & ad ea tandem quibus moriens ultimum vitæ actum clausit : Nam veræ voces tum demum pectore ab imo eiiciuntur, & eripitur persona, manet res. Ad doctrinam quod attinet, quam professus est tum priuatim tum publice, certum est, nunquam eius ore excidisse verbum ullum, quod summam non præ se ferret dogmatum Ecclesiæ Catholicæ venerationem, de quibus ne controversiam quidem debere moueri, nisi serio & grauiter, idque à Viris doctis, quibus id muneris sacra vocatione traditum, existimabat. Itaque sacras scripturas & Patrum, Conciliorum, Sanctæ Sedis Apostolicæ, & totius Ecclesiæ auctoritatem semper suspiciens, indignabatur, si quando dissentientes Christianos offenderet ingenio suo abutentes ad nectendas difficultates, vel frustra nitentes in explicandis vi ratiocinii sui, tam perplexi, tam nullius, rebus illis, quas Fides suscipiendas, haud enarrandas proponit. In Concionibus autem suis ad populum Diniensem, quas plurimas habuit, Theologiæ Doctorem egit egregium, dum iunior latere & pulmone valeret : nam ab istis exercitationibus temperandum necessario fuit, quandoquidem non poterat de
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les savants ; que ses bons services et sa générosité, c’est-à-dire ses aumônes faites à la mesure de ses forces, lui avaient attaché le petit peuple et les indigents ; que sa modestie, sa gentillesse et la candeur blanche comme la neige de ses mœurs avaient ébloui les yeux des amoureux de la sagesse, mais que sa piété et sa sagesse avaient suscité en tous l’amour et l’admiration de sa personne. Et pour parler d’abord de sa piété, il faut prêter une attention scrupuleuse à ce que Gassendi a enseigné en parole et par ses écrits, au mode de vie qu’il s’est choisi et dont il ne s’est jamais écarté, pas même d’une largeur d’ongle1, aux amis avec lesquels il a vécu dans la plus grande harmonie sans jamais se quereller et enfin à la manière dont il a scellé en mourant le dernier acte de sa vie ; car alors la vraie voix jaillit du fond du cœur ; et, quand le masque tombe, reste la vérité2. Pour ce qui est de la doctrine qu’il a professée, tant en privé qu’en public, il est certain que jamais n’a franchi sa bouche aucun mot qui ne comportât pas la plus grande vénération pour les dogmes de l’Église catholique, à propos desquels il estimait que pas une controverse ne devait être lancée si ce n’est avec esprit de sérieux et en toute gravité, et cela par des hommes savants, dont c’est la fonction par sainte vocation. C’est pourquoi vénérant toujours les Écritures saintes et l’autorité des Pères, des conciles, du Saint Siège apostolique et de son église, il s’indignait chaque fois qu’il rencontrait des chrétiens qui, en désaccord avec eux, utilisaient leur talent à nouer des difficultés ou qui multipliaient de vains efforts pour expliquer par la force de leur raisonnement, cette faculté pourtant si embarrassée, si nulle, les choses que la foi nous donne à adopter, et non pas à commenter. Dans ses homélies au peuple de Digne, qu’il tint en très grand nombre, il se révéla un remarquable docteur en théologie3, tant que sa jeunesse inspira la force dans son flanc et dans ses poumons ; car il lui fut ensuite nécessaire de modérer ces exercices, puisqu’il Expression proverbiale, que Gassendi employait couramment. Par exemple, Lettres latines, à Valois 30 août 1649. 2 Lucrèce, De rerum natura, iii, 57-58. Déjà cité Montaigne, Essais, Livre i, chapitre 18, « Qu’il ne faut juger de notre heure qu’après la mort » (deux vers précédés de « Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n’y a plus que faindre, il faut parler François ; il faut montrer ce qu’il y a de bon et de net dans le fond du pot »). 3 Ce n’est pas du tout banal à l’époque, la France étant décrite par l’Église comme terre de mission. François de Sales aussi bien que Richelieu et tant d’autres avec eux s’est employé à évangéliser en tenant un discours théologique construit. Voir Deslandres passim. 1
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rebus sacris, præsertim controuersis, sermonem e suggestu instituere, quin zelo flagrantior vocem attolleret, & erumperet dolor animi ob laceratam CHRISTI vestem in fletus & lamenta, quibus non firma valetudo conuelleretur. Ad scribendum verò ubi animum appulit, nullam prætermisit occasionem pietatis suæ comprobandæ : quod passim videre est in uberrimis refutationibus errorum circa Deum ter Maximum, Prouidentiam, Animæ immortalitatem ; in explicandis opinionibus Physicis, non damnatis quidem sed nondum probatis, & in lubrico loco positis, unde facilis esse posset lapsus in errorem. Nihil enim de Systemate Mvndi, iuxta COPERNICVM, ARISTARCHVMVE Samium, nihil de Atomis scribit, nisi menti aliorum exponendæ, & assensu iugiter cohibito, atque præfatus obseruantiam suam erga communem fidelium Matrem. Quo sanè intemerato ad Ecclesiæ nutus omnes obsequio meruit ut ad generalem Cleri Gallici consessum Diœceseos suæ nomine mitteretur anno huius sæculi XL. atque in generalem Agentem, ut vocant, seu Procuratorem totius sacri Ordinis eligeretur. Quo tamen non functus est munere, id honoris lubens concedens Ecclesiastico nescio cui, in quem Cardinalis RICHELII
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ne pouvait pas entreprendre en chaire un discours sur les choses sacrées, surtout quand elles étaient mises en question, sans élever vers le ciel la voix plus enflammée et sans exprimer la douleur de son cœur à cause de l’habit du Christ lacéré, avec force soupirs et lamentations ; mais à cela, sa santé chancelante l’a arraché. Quand il appliqua son esprit à écrire, il ne laissa de côté aucune occasion de faire preuve de sa piété, comme on peut le constater soit dans ses très abondantes réfutations des erreurs concernant Dieu très fois très grand, la Providence, l’immortalité de l’âme1 ; soit dans ses explications des opinions des physiciens, non pas ceux qui sont condamnés, mais ceux qui, n’étant pas encore éprouvés, sont placés dans un lieu glissant d’où il serait facile de tomber dans l’erreur2. Car il n’écrit rien sur le système du monde selon Copernic ou Aristarque de Samos, rien sur les atomes, si ce n’est pour exposer conception des autres interprètes et en retenant incessamment son assentiment et en commençant par déclarer son respect vis-à-vis de la mère commune des fidèles. Par son obéissance sans tache envers tous les commandements de l’Église, il a mérité d’être envoyé à l’assemblée générale du clergé français au nom de son diocèse en 1640 et d’être élu agent général, comme on l’appelle, c’està-dire procurateur de tout l’ordre sacré. Cependant il n’a pas rempli cet office, cédant très volontiers cet honneur à je ne sais quel ecclésiastique3 sur 1
Ce sont les différents points que Gassendi conteste dans la philosophie épicurienne et auxquels il consacre des développements dans la Syntagma philosophiæ Epicuri. 2 Probati, soit une formule classique des « hommes éprouvés » dans I Cor. 11, 19. S’agit-il du purgatoire ? Quant à ce dernier, Gassendi écrit à Valois le 22 novembre 1647 : « Il est digne de ta piété qu’à l’occasion de la fête des Morts tu aies disserté sur la nécessité qu’ont les âmes d’être purifiées par des funérailles ; et il est étonnant que les hétérodoxes rejettent la maxime dont la véracité se fonde non seulement sur l’Écriture sainte (dans le passage que tu indiques et encore dans quelques autres), mais aussi sur la lumière même de la nature : c’est en la suivant que des païens, et parmi eux tous les plus sages, comme Pythagore, Platon et d’autres de ce genre, ont reconnu la nécessité de la purification ». C’est une question importante dans le conflit entre catholiques et protestants, et tout ce passage, très conforme à l’orthodoxie du concile de Trente, fait écho à la conversion de Sorbière et aux différents points que Suarés a dû aborder dans sa catéchèse. En tout cas il défend l’existence du purgatoire dans son Discours sur sa conversion à l’Église catholique (1654, Paris), p. 205, affirmant qu’il faut qu’il y ait des « peines temporelles où il y a quelque adoucissement pour les moindres fautes », car l’inégalité des fautes est patente « à quiconque ne se veut pas déclarer stoïcien ». 3 Hugues, grand vicaire d’Embrun.
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favor procumbebat ; cùm non satis nosset GASSENDVM summus ille rerum nostrarum Administer, qui tamen eruditorum fautor ruit, sed ea infelicitate sua ut primarium Galliæ & æui sui decus ignorauerit. Obfuit nempe Viri sapientis modestia, cuius in nonnullis desiderium id semper efficit, ut Principibus notiores sint homines leuis armaturæ, petulanti ingenio & vulgari doctrina præditi, quam illi graves Musarum mystæ, qui famam aucupari ; Magnatum favorem ambire, & adulatione nummos conquirere virtuti suæ haud consonum putant ; Nec fumum ex fulgore, sed ex fumo dare lucem cogitant. Verùm obiter illud in GASSENDI laudem & RICHELII gratiam : quippe satius est illam assignare causam cur omnino præteritus ab isto Mæcenate fuerit GASSENDVS, quàm fateri haud ignotum exstitisse, sed insuper habitum ; quod cadere non potuit in Eminentissimum Heroëm, quem lugent adhuc Musæ & Gratiæ, quibus condire solebat quæ sunt alias amara ingratis & inuenuste doctis quam-multis pariter & indoctis deglutienda ; quoties scilicet clauo admouentur Numinum istorum contemptores. Quod procul à nobis
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lequel la faveur du cardinal de Richelieu était tombée, faute que ce suprême ministre de nos affaires ait suffisamment connu Gassendi, lui qui a favorisé les érudits, mais qui fut cependant assez malheureux pour ignorer la première gloire de la France et de son époque. Car la modestie de l’homme sage lui fut un obstacle alors que le manque de modestie si répandu ici-bas fait toujours que les hommes dotés d’une armure légère, d’un talent effronté et d’un savoir commun sont plus connus des princes que les graves mystes1 des Muses qui estiment peu conforme à leur vertu de guetter la renommée, de briguer la faveur des Grands et de rechercher la richesse par la flatterie ; chez eux, la fumée n’étouffe pas la flamme, mais c’est de la fumée que jaillit la lumière2. Mais que cela soit dit en passant pour l’éloge de Gassendi et la grâce de Richelieu : car s’il faut expliquer pourquoi ce mécène a complètement négligé Gassendi, il vaut mieux avancer cette raison plutôt que d’affirmer qu’il le connaissait, mais qu’il l’a dédaigné, ce qui ne se peut concevoir s’agissant du très éminent héros que pleurent jusqu’à aujourd’hui les Muses et les Grâces pour lesquelles il avait l’habitude de composer des écrits qui sont, ailleurs, amers aux ingrats et que de nombreux savants doivent avaler avec déplaisir, exactement comme les ignorants, chaque fois que ce sont les adversaires de ces Muses qui prennent la barre. Celui qui tout gouverne
1 Ce terme appartient au langage religieux et désigne un homme initié aux mystères. La métaphore qu’il induit implique une manière de similitude entre la religion et la science. Gassendi l’emploie lui-même, de façon étonnante, dans une des premières lettres latines (à Snellius 15 février 1625) ; il le développe davantage à Golius (8 mars 1630), s’agissant des Anciens : « Pour ma part, depuis que j’ai purifié mon esprit par la limpidité de la raison (si je puis dire) et que j’ai adopté une conduite plus modeste, j’ai l’impression d’avoir été admis dans la plupart de leurs sanctuaires, en sorte que je crois assister désormais en personne à la plupart de leurs mystères ». Voir encore une lettre de Van de Putte du 5 novembre 1629 (les éditeurs du tome VI des Opera omnia datent à tort cette lettre de 1636, mais il faut corriger l’erreur) ? Quand mettrons-nous fin à notre folie ? Quand les écoles de philosophes reconnaîtront-elles le bon, le sobre, le saint Épicure, véritable myste de la nature ? Toi, tu accompliras ce que j’avais résolu de faire si un jour je me détachais de mes soucis, et tu revendiqueras pour nous les Sentences souveraines après avoir lavé son grand nom de toute l’infamie qui le recouvre ». Ici cependant, utilisé dans le contexte de la poésie, il ne s’oppose pas aux convictions profondes de Gassendi, qui ne croit pas que la science doive être réservée à un petit nombre d’élus ni qu’elle entretienne un rapport d’analogie avec les matières de la foi. 2 Horace, Art poétique, 143.
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auertit, qui cuncta gubernat, ut eo Lucretii verba detorqueam, & temporum nostrorum felicitatem paucis perstringam. Verumtamen cùm eò deuenerin, ut nonnulla forsan scitu digna subnectere possim posteris profutura, quandoquidem monitis non eget ætas nostra, per tot egregia nimirum facinora, quorum rationes & argumenta in mores nostros iam abierunt ; nec GASSENDI tantùm, sed Philosophiæ causa agatur, non inconsultum erit uberius rem prosequi, & dolore incuriam, seu infelicitatem Principum, qui verè doctos & sapientes Viros, aut non aduertunt secum habitantes, aut temnunt mites & modestos, aut reformidant oculatos nimis & sagaciores. Et vide, quæso, RICHELII fatum, qui Philosophos quotidie admittens exercendi acuminis gratia Peripateticos, numquam audiuit illum, qui non solùm Peripatericorum saniorem Doctrinam, sed Syllogismorum captionumque Dialecticarum laqueos, kurieÚontaj, ºsuc£zontaj kaˆ sèreitaj, aliosque id genus gryphos in numerato habebat ; qui vero his superaddebat Stoæ, Hortorum, Academiæ, & nullius non Methodi Scientiam, qui nullas non disciplinas callebat, qui omne immensum peragrauerat mente animoque. O quàm deperiisset ARMANDVS si satis nosset Philosophum istum non ignaua opera, qui Philosopha erat sententia ; quandoquidem tan-
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détourne cela loin de nous1, pour le dire en déformant les paroles de Lucrèce et effleurer rapidement le bonheur de notre temps2. Mais en vérité, arrivé à ce point de mon propos, je pourrais ajouter quelques détails dignes d’être sus qui pourront être utiles à la postérité ; mais puisque notre époque ne manque pas de conseils, du fait de tant d’exploits remarquables dont les raisons et les arguments ont déjà abouti dans nos mœurs et qu’il ne s’agit pas seulement de Gassendi, mais aussi de la philosophie, il ne sera pas inconsidéré de décrire plus abondamment la chose et de se plaindre de l’insouciance des princes, c’est-à-dire de leur malheur, quand ils ne remarquent pas les hommes savants et sages de leur temps, méprisent les doux et les modestes, ou redoutent les gens trop clairvoyants et sagaces. Et vois, de grâce, le destin de Richelieu qui, recevant chaque jour des philosophes péripatéticiens pour exercer la pénétration de son intelligence, n’écouta jamais celui qui avait tout prêts non seulement une doctrine plus saine que les péripatéticiens3, mais aussi les pièges des syllogismes et des sophismes dialectiques, kurieÚontaj, ºsuc£zontaj kaˆ sèreitaj4et autres logogriphes de ce genre, mais qui y ajoutait encore la science du Portique, du Jardin, de l’Académie et de toutes autres méthodes philosophiques, qui était rompu dans toutes les disciplines, qui parcourait dans son cœur et dans son esprit toute immensité. Ô comme Armand aurait éperdument aimé notre philosophe s’il l’avait assez connu, lui qui afficha un si grand
1 Lucrèce, v, 107, à cette réserve près que Sorbière substitue Dieu à la fortune qui, chez Lucrèce, est le sujet des verbes. 2 C’est une allusion discrète au début du règne de Louis XIV, Dieudonné, qui inspirait les plus grands espoirs. Gassendi lui-même conclut son Discours inaugural au Collège royal sur un éloge du jeune roi dont « le cœur est dans la main de Dieu et qui, une fois grandi, sera un nouvel Hercule, égal à Salomon ». Le discours s’achève sur un éloge du pouvoir monarchique comme garantie de la paix. On retrouve le même éloge dans une lettre à Valois du 18 août 1651, à l’occasion des fêtes organisées pour la maturité de Louis XIV. 3 D’Estrées emploie le même argument, à Rome, pour défendre la pensée de Gassendi contre les accusations d’hétérodoxie. Voir Turner I, 17. On peut voir aussi dans cette remarque l’influence de la pensée de Launoy dont tout le travail consiste à démontrer la distinction entre l’aristotélisme et la pensée chrétienne primitive, non pas, pour juger la scolastique ou en appeler à un retour à l’Église primitive, mais pour historiciser les idées. Voir Lenoble, 125 et sq., présentant le De varia Aristotelis in Academia parisiensi fortuna Liber (1653). 4 [dominants, paresseux et sorites] Pour une définition de ces sophismes, voir Lettres latines, à Valois, 25 avril 1642 et 16 mai 1642.
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tùm præ se tulit amorem vulgaris illius Philosophiæ & humanioris literaturæ ! Hæc duo prima occurrunt Magnatibus in atriis & pergulis Palatiorum ; quæ torua, aspera, vel ludibunda & aliquando nugatoria, officiunt solidioris Doctrinæ existimationi ; quippe uno ordine censentur omnes disciplinæ, & crimine ab uno discuntur omnes. Ita Principes arbitrantur, totum illud quod Philosophiæ ambitu continetur simile esse rudimentis & progymnasmatis Scholarum, Rhetorum scilicet, Poëtarum, & Dialecticorum, quorum ipsi specimina edidere, vel quæ postmodùm Aulici nonnihil calamistrata in Aulam deportant & diuendunt ; quibus verò fucum facientes emptori, id consequuntur, ut nec probatæ nec lustratæ bonæ merces reiiciantur. Hinc exploduntur Artes ingenuæ, sana mens & vera eruditio ; nec parcitur illis scientiarum interpolatoribus, quorum conditio nequaquam melior existeret sorte bonorum, nisi semel in animum induxissent omnia perpeti opprobria, rumorem parui
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amour de cette philosophie vulgaire1 et de ces lettres humanistes2 ! Ces deux choses arrivent les premières aux Grands dans les cours et alcôves de leurs palais qui, sauvages, violentes, ou bien folâtres et parfois frivoles, font obstacle à la considération d’une doctrine plus solide ; car ils mettent toutes les disciplines sur le même plan, et ils les apprennent toutes sous le même prétexte. Ainsi les princes pensent-ils que l’ensemble de ce qui est contenu dans l’enceinte de la philosophie est semblable aux éléments d’apprentissage et propédeutiques des Écoles, à savoir des orateurs, des poètes et des dialecticiens, dont ils ont eux-mêmes produit des échantillons ou dont ils voient comme les courtisans, après les avoir un peu frisés au fer, les apportent et les vendent à la cour ; mais ces derniers jettent de la poudre aux yeux3 de l’acheteur et obtiennent ce résultat que les bonnes marchandises sont rejetées sans avoir été seulement éprouvées et purifiées. Voilà pourquoi les arts nobles, le bon sens et la vraie érudition sont chassés, et on ne se garde pas contre les falsificateurs des sciences qui ne verraient nullement s’améliorer leur condition s’ils subissaient le sort des gens de bien, à moins qu’ils ne se soient mis une fois dans la tête de subir tous les opprobres et de faire peu de cas de la 1
Cette expression désigne couramment la philosophie des Anciens, ici par opposition à la théologie. Voir Sorel, Première partie de la Science universelle, contenant la science des choses corporelles, qui est la vraie physique […] contre les erreurs de la philosophie vulgaire (1637) ; ou chez Descartes (Lettre au P. Dinet, Adam & Tannery VII 580) : « Les principes de la philosophie vulgaire, du moins à les prendre du temps qu’ils ont été inventés par Aristote, ou par d’autres, étaient nouveaux, et ils ne doivent pas à présent être estimés meilleurs qu’ils étaient alors ; or l’on n’en a encore rien déduit jusqu’ici qui ne soit contesté, et qui, selon l’usage ordinaire des écoles, ne soit sujet à être changé tous les ans par ceux qui se mêlent d’enseigner la philosophie, et qui, par conséquent ne soit aussi fort nouveau, puisque tous les jours on les renouvelle ». Bernier emploie l’expression dans sa biographie, voir p. 000 2 Pour la description de la section humaniste de la bibliothèque de Richelieu, voir Wollenberg. Nous lisons sous la plume de Sorbière la perception, plus conforme à la réalité, que les contemporains avaient du cardinal ministre, que Sorbière n’est certes pas en train de flatter, s’agissant d’un défunt. Selon Arnaud Teyssier (conversation privée) « Richelieu, le plus souvent présenté comme le politique machiavélien, apôtre de la raison d’État ou “raison d’Enfer”, est en réalité le véritable humaniste, en avance sur son temps : parce qu’il a bâti sa vision de l’homme sur la certitude qu’il est essentiellement faillible et doit donc être accepté comme tel, fût-il le roi de France. La politique, l’art de gouverner les hommes ne sont rien d’autre que la prise en compte de cette faiblesse de l’homme comme individu pour assumer au mieux le bien public, le bon intérêt de l’homme dans son essence collective ». Voir Teyssier. 3 C’est une expression récurrente chez Gassendi, que ce soit dans les Lettres latines, dans sa lettre contre Fludd ou dans sa Vie d’Épicure.
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facere, dum sit rumen qui impleant. Verùm aliter sit cum verè Philosophis, quibus cor ritè salit læva sub parte mamillæ, nec sustinet os honestum infrunitorum & maleferatorum hominum insaniam. Ita factum memini ut RENATVS CARTESIVS in Aulam vocatus, quam primùm in Hollandiam redierit ferme insalutato Aulæ limine. Neque renuerit tamen rursum se Oceano committere accersitus a Regina Sueciæ, quæ tunc temporis Viros doctos undiquaque accersebat. Sed neque eo loci satis conuenisse audio huic Philosopho cum Grammaticis & Pseudophilosophis, seu cum anseribus & coruis olores inter aduolantibus, quibus aurem facilè commodant Principes. Quidquid illius sit ut vineta cædamus nostra, non sine publico damno GASSENDI virtus in obscuro latuit apud rerum Ministros, qui Beneficia, munera, vel opes largiores nactus, uti potuisset in publicam utilitatem, ad arcana Naturæ detegenda, ad illustranda vitæ commoda, ad subleuandam pauperum inopiam. Vetus est quærela, bonæ mentis sororem esse paupertatem ; nec enim tam bene rebus humanis fato consulitur, ut bonis semper bene sit : quamquam non malè fuerit GASSENDO propter istam præteritionem, cui nihi eorum defuit,
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rumeur, tant qu’il y a un estomac à remplir. Mais il en est tout autrement de ceux qui sont vraiment philosophes, dont le cœur palpite à juste titre sous la partie gauche de la mamelle et dont le visage honnête ne supporte pas la folie des hommes niais et fainéants. Je me rappelle ce qui est arrivé à RenÉ Descartes qui, appelé à la cour, est reparti pour la Hollande le plus tôt possible, sans avoir presque salué le seuil de la cour1. Mais il ne refusa cependant pas de se confier à nouveau à l’Océan, à l’invitation de la reine de Suède qui faisait venir à l’époque des savants de toutes parts2. Pour autant je n’ai pas entendu dire que ce lieu ait convenu à ce philosophe, qui s’est retrouvé parmi les grammairiens et les pseudo-philosophes, c’est-à-dire avec les oies et les corbeaux volant parmi les cygnes3, auxquels les princes prêtent volontiers l’oreille. Quoi qu’il en soit, pour jeter des pierres dans notre jardin4, ce n’est pas sans une grande perte pour la communauté que la vertu de Gassendi est restée cachée dans les ténèbres et a manqué d’apparaître aux ministres d’État, alors que s’il avait obtenu des bénéfices, des charges ou des richesses plus abondantes, il aurait pu les utiliser dans l’intérêt général, pour dévoiler les arcanes de la nature, pour mettre en lumière les moyens de pourvoir aux exigences de la vie, pour soulager l’indigence des pauvres5. C’est une vieille plainte que de dire que la pauvreté est la sœur de l’âme vertueuse ; car le destin ne se soucie pas assez des choses humaines pour que les hommes de bien n’aient que du bien en partage ; du reste cet oubli dont Gassendi a été la victime n’a pas du tout été un mal pour lui ; car, même sans être connu de visage, ni pourvu d’une charge, ni couvert de richesses par les 1
Le 6 septembre 1647, Descartes reçoit des lettres patentes du roi pour une pension de 3 000 livres par an, pension qu’il touche pendant trois ans. Il revient à Paris en 1648 de son séjour hollandais. Mais la ville est bouleversée par la Fronde parlementaire, et il la quitte dès que possible D’après Baillet (ii 228) « Après l’expédition de ces lettres [patentes], M. Descartes sembloit de n’avoir rien de plus pressé que son retour en Hollande ». 2 Descartes part pour la Suède en 1649. Pour l’atmosphère à la cour de Christine, voir Pintard I, 389-93. 3 Sorbière renvoie-t-il ici à un proverbe ? Pour le cygne et l’oie, voir la note 1, p. 293. 4 Proverbe emprunté à Horace, Épîtres, II, 1, 220. 5 Ces dernières expressions rappellent fortement le but que Sorbière assigne à l’Académie Montmor, dans une lettre à Hobbes du 1er février 1658 où on lit cette première règle (Sorbière, Lettres et discours, 631-636) : « Que le but des Conferences ne sera point le vain exercice de l’esprit à des subtilités inutiles ; mais qu’on se proposera tousiours la plus claire cognoissance des oeuures de Dieu, & l’aduancement des commodités & de la vie, dans les Arts & les Sciences qui seruent à les mieux establir ».
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queis dolet humana sibi natura sorsque priuata negatis, licet non fuerit facie notus, vel munere auctus, vel opibus donatus à Magnatibus. Quod tamen recensundum duxi ad Viri modestiam & aÙtarke…an confirmandam, non verò quòd sperem ut in meliorem frugem reducantur, si qui oriantur olim, quod Deus auertat, rerum humanarum moderatores, quorum fortassè intererit, ut ingenii, virtutis, & pietatis rationes susque déque habeantur. At istarum omnium rerum interesse existimaui ut subinde audeat aliquis sæculo suo, si meruerit, gratulabundus, in prisca tamen oculos retorquere, & exoptare venturis, ne unquam in societate ciuili exoriantur vomicæ & carcinomata, quibus morbis genus humanum laborare videtur, quotiescunque regendum traditur inficetis, imperitis, ingloriis Terræ filiis, id sibi tantùm negotii datum existimantibus, ut Reipublicæ artus uniuersos depascantur, & succum nutritioni corporis destinatum in pus, tabem, & saniem introrsum latentem conuertat. Sed iterum è diuerticulo in viam. Ad priuatam Gassendi vitam sæpiùs attendens, Anachoretam aliquem cernere mihi videor, qui media in Vrbe vitam instituit plane ad Monachi seuerioris normam; adeò paupertatem, castitatem, & obœdientiam coluit ;
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Grands, il n’a en rien manqué des biens dont il suffit qu’ils soient refusés à la nature et la destinée humaines pour qu’elles souffrent de cette privation. Cependant, j’ai pensé qu’il fallait mentionner ce fait pour confirmer la modestie et l’aÙtarke…a1 de l’homme, non pas que j’espère voir faire amende honorable2 aux dirigeants des choses humaines, s’il en est à venir qui (que Dieu nous en préserve !) croiront peut-être servir leurs affaires en ne se souciant pas des intérêts du talent, de la vertu et de la piété. Mais j’ai estimé qu’il était de l’intérêt de l’humanité que quelqu’un osât de temps en temps, félicitant son siècle, s’il l’a mérité, retourner ses yeux vers les siècles précédents et espérer pour les siècles à venir qu’il ne naîtra plus jamais dans la société civile des pestes et des cancers, ces maladies dont le genre humain semble souffrir, chaque fois que le pouvoir échoie remis à des fils de la terre qui, dépourvus qu’ils sont d’esprit, d’expérience et de gloire, arrivent à penser qu’une telle charge leur est confiée pour qu’ils dévorent tous les membres de la République et transforment le suc destiné à la nutrition du corps en pus, ichor et sanie qui se cachent à l’intérieur3. Mais une seconde fois quittons ce détour et reprenons notre route. En me tournant vers la vie privée de Gassendi, j’ai l’impression de voir un anachorète qui, tout en vivant en plein cœur de la ville4, a complètement réglé sa vie sur les normes d’un moine ; tellement il a cultivé la pau1
[la sagesse de se suffire à soi-même] L’expression est plutôt stoïcienne que proprement épicurienne. 2 Pour cette expression, Cicéron., Cælius, 28 : ad bonam frugem se recipere. La formule est à la mode : par exemple, Patin l’emploie dans une lettre à Spon du 13 janvier 1639. Gassendi développe l’idée que le sage recevra avec plaisir l’homme qui fait amende honorable (se in frugem recipere), d’après Épicure, dans ses Notes sur les définitions du sage, Opera omnia, v, 117b, et introduit une réflexion de Sénèque, Lettres à Lucilius, XXVIII : « La conscience de la faute est le début du salut ». 3 Là encore, la métaphore médicale, qui peut renvoyer aussi à la conception classique de la philosophie comme médecine. Elle permet en tout cas de raviver la parabole rebattue des membres et de l’estomac évoquée en début de phrase. 4 Le paradoxe renvoie certes à un lieu commun qui oppose Babel à toute forme de thébaïde, mais très concrètement il évoque une pratique qui se développe de plus dans le courant du siècle, où les nobles se constituent des chapelles et ermitages en pleine ville à l’arrière de leurs hôtels particuliers. En outre, Gassendi rappelle d’Épicure « qu’il fut le premier à instituer la coutume de posséder à l’intérieur même de la ville des délices de verdures et de résidences appelées les Jardins » (lettre à Valois du 25 octobre 1641). Suivant la filiation Gassendi / Pascal mise en lumière par Antony McKenna, on pourrait évoquer, en plus du jardin d’Épicure, le « retrait intramondain du monde » évoqué et décrit par Lucien Goldmann. Mais
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quanquam sine ullo voto tria ista vota soluisse videatur. Paruo contentus vixit, nulli inuidens diuitias operosiores ; opulentiorum fauore nihilo factus ditior, elargiens autem ipse è suo liberali manu, quoties se dabat occasio sumptus faciendi. Abstemius erat sponte sua, ptisanam tepidam bibens pulmoni refrigerando humectandoque : nam existimabat altius liquorem penetrare vi caloris immixti ; asserebatque cùm tertiana laboraret aliquando expertum fuisse, vix quartam se adhibuisse siti exstinguendæ tepidi liquoris partem, cuius frigidi triplo maiorem mensuram hauserat in præcedentibus paroxysmis. Carne rarò, herbis sæpius, ac maceratâ ossa manè & vesperi utebatur. Spectandam præbuit in humilitate obœdientiam, quâ nulli unquam se præposuit, nulli contendenti non statim loco cessit, nihil scripsit quod suffenum & sui plenum hominem sapiat, quemadmodum excidit aliquando Viris magnis multa volumina scribentibus. Tu me vt voles alloquere (ad CARTESIVM respondens) nam per me quidem integrum tibi est affari non modò ut carnem, quæ vox solertiæ tuæ occurrit, vt esset menti ¢nt…qetoj, sed etiam vt
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vreté, la chasteté et l’obéissance, quoiqu’il n’ait pas eu besoin de prononcer ses vœux pour s’acquitter de ces trois vœux. Il vécut content de peu 1, sans envier à quiconque ses richesses qui coûtent beaucoup de peine2 ; loin de s’enrichir par la faveur des personnes opulentes, il a multiplié les largesses de sa main généreuse chaque fois que l’occasion de faire une dépense se présentait. Il était de sa propre volonté abstème, buvant de la tisane tiède pour rafraîchir et humecter son poumon, car il estimait que le liquide pénétrait plus profondément par la force de la chaleur, et il affirmait qu’en cas de fièvre tierce3 il avait parfois observé qu’un quart de liquide pris chaud permettait d’éteindre sa soif, à condition qu’il ait avalé dans ses précédents paroxysmes une mesure trois fois plus grande de liquide froid. Il prenait rarement de la viande, plus souvent des légumes et, matin et soir, des boulettes macérées4. Il fit preuve, dans son humilité, d’une obéissance admirable : car il ne s’est jamais imposé à quiconque, il n’est jamais arrivé qu’il ne cède pas à qui le prenait à partie, il n’a rien écrit qui ait goût d’un trissotin5 et d’un homme plein de soi, comme cela échappe parfois à des hommes qui ont écrit de nombreux volumes. « Toi, parle-moi comme tu le veux (répondant à Descartes) ; car moi je te donne entière licence de me parler non seulement comme à de la chair, mot qui s’est offert à votre finesse comme ¢nt…qetoj de l’esprit, mais il semble que Sorbière dirige certains de ses arguments contre Port-Royal et le choix de la retraite radicale. 1 Lieu commun tiré de Horace, Satires, ii, 2, 109. Dans les Lettres latines, à Valois du 29 mars 1647. (n° 486) : « J’embrasse l’obligeance de Dieu : il m’a fait la largesse d’un cœur content de peu malgré ma mince fortune ». 2 Divitias operosiores : formule épicurienne renvoyant à la typologie des différents biens. Gassendi la reprend à de multiples occasions dans les Lettres latines. 3 Furetière (s.v. Fièvre) : « Une fièvre tierce, qui ne prend que de deux jours l’un, et qui est causée par la bile. Une fièvre quarte est celle qu’on a tous les quatre jours, qui ne laisse que deux jours francs et qui est causée par la mélancolie ». 4 Le récit, ou plutôt l’interprétation d’une seule et même réalité, à savoir la frugalité de Gassendi, diffère ici de la vision de Taxil, qui voit de la mortification là où Sorbière pense mesure, l’hygiène, régime adapté à une santé chancelante. Taxil, ministre du culte, incline vers la religion chrétienne cette vivante synthèse qu’a été Gassendi, tandis que Sorbière l’incline vers le philosophe épicurien. La vérité de la personnalité de Gassendi est sans doute dans l’harmonie des deux inspirations, religieuse et philosophique, difficile à décrire, voire à percevoir et à concevoir pour qui ne la vit pas, mais que l’ambivalence de l’interprétation d’un même fait, ici, permet de deviner. 5 La traduction est ici bien évidemment anachronique, car Molière ne compose les Femmes savantes qu’en 1672.
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saxum, vt plumbum, & si quid putes esse obtusius. Et articulum illum claudens verba addit elegantissima, quibus & simul modestissime, solis de se ipso ausus est aliquid affirmare. Tametsi enim carneum me dicas, non ideo facis exanimem ; vt neque tametsi te mentalem geras, te idcirco facis excarnem. Quare & permittendum tibi, vt pro genio loquaris tuo ; sufficitque vt DEO propitio, neque ego sim planè caro sine mente, neque tu planè mens sine carne ; & neque tu supra, neque ego infra conditionem homninis simus : quamuis tu, quod est humanum, recuses, ego id à me alienum non putem. An in controuersiis Religionis pertractandis ullus unquam inter tot eximios religiosorum hominum ordines humilitatem professus, tantâ cum moderatione de se ipso sensit, tam modeste egit, ut arctius se continuerit intra iustum inculpatæ tutelæ moderamen ? Et illa fuit Modestia tanto ingenio & tantæ eruditioni coniuncta, quæ omnibus acceptissimum reddidit GASSENDVM. Quamuis enim magna quæque & excelsa sui admirationem facilè concitent ; non tamen ingenerant semper amorem sui & charitatem, si difficilem per superbiam & toruitatem, seu per ardua & abrupta accessum habeant. Nimirum nemo non exoptat sibi quod in alio ad probandum cernit ; & quantò quisque meliori luto ficta præcordia habet, tantò magis præcellere cupit. Accliuem igitur Virturtem qui bonus conspicit non desperat montem aliquando se superaturum, & templa illa Sapientum serena conscensurum, quæ radii solis iugiter illuminare videntur. Amabant omnes, cum primùm cernerent GASSENDVM, ob illam scilicet comitatem, mansuetudinem & modestiam, quibus se adeo demittebat ad cuiusque accedentis mensuram, ut modo puerum dixisses, vel è plebe litera-
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encore comme à de la pierre, à du plomb, etc., si tu crois qu’il y a quelque chose de plus stupide »1 ; et pour conclure cet article il ajoute les paroles les plus élégantes, les seules que l’on trouve sous sa plume, quand il ose affirmer, toujours en toute modestie, quelque chose en son nom. « En effet, bien que tu me traites de chair, tu ne me prives pas tout à fait d’âme pour cela ; de même que, tout en te conduisant en pur esprit, tu ne te désincarnes pas pour cela. Aussi faut-il bien te laisser parler à ta fantaisie ; il suffit que, Dieu aidant, je ne sois pas tout à fait une chair sans esprit, ni toi tout à fait un esprit sans chair ; et que nous ne soyons ni toi au-dessus, ni moi au-dessous de la condition humaine ; bien que tu refuses pour toi ce qu’il y a là d’humain, pour moi, je ne saurais croire que cela me soit étranger ». Est-ce que pour traiter des controverses de la religion un moine des si remarquables ordres religieux, ayant fait profession d’humilité, a jamais eu, parlant de soi, une pensée dotée de tant de modération et a agi si modestement qu’il s’est contenu de façon plus serrée à l’intérieur de la congrégation irréprochable ? Et cette modestie fut jointe à tant de talent et d’érudition que Gassendi fut toujours le bienvenu auprès de tous. Car toutes les réalisations grandes et élevées ont beau susciter facilement l’admiration, elles ne suscitent pas toujours l’amour et l’affection, si l’orgueil et une allure farouche, c’est-àdire si des chemins ardus et abrupts, les rendent difficiles d’accès. De fait, il n’est personne qui ne désire pour soi ce qu’il voit de louable chez autrui, et meilleure est l’argile dont sont faites les entrailles d’un homme2, et plus il désire prendre la première place. L’homme de bien qui voit la pente douce de la vertu ne désespère pas arriver un jour au sommet et grimper jusqu’à ces temples sereins des sages, que semblent illuminer sans interruption les rayons du soleil. Tous aimaient3 Gassendi dès qu’ils le voyaient, à cause de son affabilité, de sa bonté et de sa modestie, qui lui inspiraient de se mettre à la hauteur de chaque homme qui venait à lui, de telle sorte que tu aurais dit un Disquisitio, préambule, Instance I, art. 1, 274b sqq. (traduction Rochot p. 14) ; citation suivante, même référence. Sorbière modifie le début, pour des nécessités grammaticales, sans changer le sens. 2 Expression gassendienne (lettres à Valois du 19 juin 1643 n° 238, du 27 juillet 1644 n° 313 et à Castagny du 29 janvier 1655 n° 685). Juvénal., xiv, 34-35. Allusion au récit mythologique selon lequel le Titan Épiméthée, frère de Prométhée, a donné à chaque espèce ses attributs. Naudé utilise aussi la formule, sans la référer explicitement à Juvénal, dans l’Apologie (iv, p. 168). Montaigne le cite (Essais, i, 25, Du pédantisme). 3 Faute amabat pour amabant. 1
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torum aliquem, atque genio sese accommodans & captui auditoris. sibi quisque sperabat idem, nemo non existimabat facili negotio eodem se modo philosophaturum, & Naturæ arcana referaturum : verùm sudabat multum frustraque laborabat ausus idem. Itaque adeundus erat rursum blandus ille Doctor, qui semper paratus erat eandem amicis & merentibus operam nauare, & ulteriùs promouere veritatis amantes. Hinc charissimus vixit Viris quoque Nobilissimis & Principibus nonnullis, animo scilicet cultioribus quàm solet esse illud genus hominum. PEIRESKIVM quid memorem, vel CAMPINIOS, LVILLERIVM, aut CRISTINAM Serenissimam Sueciæ Reginam, cuius Epistolæ fidem faciunt quanti fecerit GASSENDVM, quum Musis aliàs Princeps illa operaretur, tantam sui doctis venerationem, & bonis Artibus tantam incrementi & futuræ laudis spem ingenerans ; vel Illustrissimum Cancellarium PETRVM SEGVIERVM, qui in illo honorum fastigio cum doctis congredi, & GASSENDVM imprimis audire gaudebat, vel illum denique, qui unus instar plurium esse poterit, LVDOVICVM ENGOLISMENSEM Ducem, ultimum
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enfant, ou bien un membre quelconque de la plèbe des demi-savants ; et vu comme il s’adaptait au génie et à l’entendement de son auditeur, chacun espérait pour soi atteindre à un même accomplissement que lui, personne ne doutait que ce serait tâche aisée que de philosopher de la même manière et de dévoiler les arcanes de la nature1, mais tout homme qui s’y hasardait suait énormément et s’épuisait en de vains efforts. C’est pourquoi il devait aller voir une seconde fois ce docteur délicieux2 qui était toujours prêt à rendre service à ses amis et à ceux qui le méritaient, et à faire avancer les amoureux de la vérité. Aussi a-t-il joui toute sa vie durant de la plus grande affection d’hommes nobles et de quelques princes, de ceux assurément qui s’ornaient d’un esprit plus cultivé que ne le sont d’habitude les hommes de cette qualité. Pourquoi rappeler Peiresc, ou les Champigny, Luillier, ou bien Christine, la sérénissime reine de Suède dont les lettres permettent de mesurer le grand cas qu’elle faisait de Gassendi3, puisque aussi bien cette princesse s’adonnait aux Muses, attirait sur elle la si grande vénération des savants et donnait aux Arts une espérance d’accroissement et de mérite futur, ou bien le très illustre chancelier SÉGUIER4 qui, au faîte des honneurs, se réjouissait de rencontrer les savants et d’écouter surtout Gassendi ; ou enfin celui qui eût pu valoir pour plusieurs, le duc Louis d’AngoulÊme, ultime 1
Expression galiléenne. Nous sommes tentés de voir dans cette expression singulière un jeu avec les surnoms des docteurs de la théologie médiévale, le docteur angélique, saint Thomas, le docteur séraphique, saint Bonaventure, le docteur irréfragable, Alexandre de Halès, le docteur subtil, Duns Scot, le docteur évangélique, Jean Gerson. Peut-être ses amis appelaient-ils réellement Gassendi de cette manière, dans ce mélange d’admiration, de bonne humeur et d’érudition qui semble avoir caractérisé sa conversation familière. 3 Pour la correspondance entre Gassendi et Christine voir note 22, p. 134. 4 Les Lettres latines comportent une lettre importante à Séguier, du 7 mai 1649 : « Tu m’as plus que souvent interrogé sur mes ouvrages, me demandant si j’allais bientôt les faire paraître ; à de multiples reprises, venant me voir chez moi ou m’invitant à t’accompagner dans tes promenades en dehors de la ville, tu as daigné non seulement m’entendre, mais encore exalter et illustrer par ta propre éloquence ce que j’avais exprimé plus brièvement et avec mon propre style sans apprêt ». Cela dit la lettre de Gassendi ne démontre précisément pas une proximité très grande entre le chancelier et le philosophe. On peut noter qu’à aucun moment les amis de Gassendi ne déplorent qu’il n’ait pas été membre de l’Académie française dont Séguier était le protecteur. En fait, l’Académie rassemblait assurément des philosophes et philologues, mais à condition qu’ils aient fait le choix du français pour composer leurs ouvrages. 2
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stirpis Regiæ VALESIORVM surculum ; & Te MON-MORI, cuius familia non minùs illustris est pietate in DEVM, quàm doctrina & nobilitate : nolo enim recensere Viros omnes kaˆ ¢xièmati genere claros GASSENDI Amicos, vel tuarum laudum præconium instituere. Testor tamen illa verba, quibus nuper significabas, Te non minus exosculatum esse in GASSENDO pietatem sinceram, quàm cæteras ingenii dotes eximias. Gratulor autem imprimis, quod mihi copiam feceris Commentariorum & schedularum optimi Principis, in quibus datum animaduertere quàm amicè egerit cum GASSENDO, de rebus grauissimis & ad Rem publicam spectantibus Philosophum, & de Sacris Theologum consulens. Etsi editæ testentur illud Epistolæ, bene multa sunt tamen ipsius VALESII manu exarata, quæ non minus confirmabunt aliquando, si tempore suo in lucem prodeant, illustrissima Heroinâ coniuge emittendi curam tibi tradente, intimam fuisse animi cum GASSENDO coniunctionem, quàm Principi doctissimo fuisse ingenium defæcatissimum & pietate Virtutibusque Pacis ac Belli instructissimum.
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rejeton de la branche royale des VALOIS, et toi, MONTMOR, dont la famille n’est pas moins illustre pour sa piété envers Dieu que pour son savoir et sa noblesse : je ne veux pas en effet citer tous les hommes illustres kaˆ ¢xièmati1 et par leur famille que Gassendi a eu pour amis2, ni me faire le héraut de tes louanges. Je témoigne cependant de ces paroles qui sont tiennes, par lesquelles tu signifiais récemment que tu ne chérissais pas moins en Gassendi sa piété sincère que les autres éminents atouts de son talent. Je te remercie en premier de m’avoir fait faire copie des commentaires et feuillets de l’excellent prince, qui permettent de comprendre quel ami il voyait en Gassendi, qu’il consultait en sa qualité de philosophe pour les événements extrêmement graves et touchant à la République, mais en sa qualité de théologien pour les choses sacrées3. À côté du témoignage en ce sens que constituent les lettres ici éditées4, très nombreuses sont celles qui, tracées de la main même de Valois, confirmeront à l’avenir, si elles viennent au grand jour en leur temps, à condition que la très illustre Héroïne, son épouse5, te confie le soin de les publier, qu’il eut avec Gassendi une relation intellectuelle très intime ; elles confirmeront tout autant que ce très savant prince eut un caractère des plus purifiés et pourvus de piété et des vertus de la paix et de la guerre6. 1
[par leur haut rang]. Sorbière pense-t-il ici aux listes des amis et relations illustres de Gassendi dressées par La Poterie qui existent toujours dans le ms de Grenoble 4139 ? 3 Cette séparation renvoie au thème de la « double personne » que Gassendi développe dans une lettre à Campanella du 2 novembre 1632 : « Car, en qualité de philosophe, je ne dois pas dissimuler d’élément qui aide à élucider les opinions du grand homme que j’interprète [Épicure] ; mais parce que je suis aussi chrétien et théologien, je dois me rappeler ce qui convient à ma double personne ». Elle est également thématisée par Jansénius dans le liber prœmialis du deuxième tome de l’Augustinus (1640) et ainsi reprise par Pascal au début des Provinciales. Sur ce point, refusant de mêler philosophie et théologie, d’être un théologien philosophe ou un philosophe théologien, Gassendi reste fidèle à saint Paul. 4 Pour les quatre cent soixante douze lettres que Gassendi écrit à Valois, le tome VI des Opera omnia contient un ensemble de 341 lettres (du 13 septembre 1639 au 14 mars 1653), édité à part de l’ensemble des réponses de ses correspondants, de même que les lettres de Christine, mais juste après elles (de la page 338 à la page 390), témoignant là encore de l’importance que la considération des Grands revête pour les éditeurs de Gassendi. 5 Henriette de la Guiche. 6 Sans doute ces textes de Valois ont-ils été perdus. Une autre liasse de la main de Valois nous manque, que Gassendi évoque dans sa correspondance avec le prince, et qu’il appelle ses « commentaires ». Cela doit avoir été un essai biographique de Valois, élargi en des consi2
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Cæterum, ut istorum finem faciam, in praxi Religiosa ex quo ad Sacrum Sacerdotium admotus fuit GASSENDVS, nulla dies Dominica vel Sanctorum publicæ commemorationi dicata præteriit, quandiu nulla sontica causa vel quid grauius impediit, quin augustissimam cærimoniam ad altare tremebundus accedens celebraret. Ritus Ecclecsiaticos ad unguem callebat omnes, & rationes expeditissimè reddebat, tempus assignabat, nominabat Authores, quibus singuli fuerant constituti : Quorum omnium curiosissimum exstitisse satis apparet, vel ex libro de Notitia Ecclesiæ Diniensis edito, ex Calendario Romano, & passim ex aliis. Nam inferri debet quid maius ex legatis Testa-
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Au demeurant, pour mettre fin à ce chapitre, pour ce qui est de la pratique religieuse, depuis que Gassendi fut élevé au saint sacerdoce, il ne se passa (avant que n’intervienne un empêchement sérieux et franchement plus grave) aucun dimanche ni aucun jour dédié à la commémoration publique des saints sans qu’il accède en tremblant1 à l’autel pour célébrer la plus auguste des cérémonies. Il connaissait sur le bout des doigts tous les rites de l’église, et il en rendait compte de la façon la plus claire, il en précisait la date, il citait les auteurs qui les avaient institués. Pour voir assez qu’il a été extrêmement curieux de l’ensemble de la question, il suffit de se reporter à son livre Notice de l’église de Digne2, à son Calendrier romain3 et à de nombreux passages des autres ouvrages4. Il n’en faut pour preuve que les deux cents livres dérations plus philosophiques, voire pour constituer un ouvrage de piété. « Voici que je te rebats les oreilles cette fois encore pour que tu puisses te souvenir qu’il faut commencer ce que je t’ai demandé deux fois, si tu ne t’y es pas encore mis. Je ne vois pas du tout pourquoi tu le diffères : aucune activité plus fructueuse ne pourrait t’occuper. Car, comme l’ordonne l’oracle, tu vaqueras à la connaissance de toi ; en recherchant ce que tu fus et en te rendant compte si tu aurais pu mieux entreprendre, tu comprendras quel homme il conviendrait que tu sois à l’avenir. Tu imiteras les grands princes qui ont écrit des commentaires sur leur vie et sur leurs actes : l’histoire ne connaît pas d’hommes plus généreux ou plus innocents qu’eux. Tu procéderas par feuillets ; pour ma part, je les rassemblerai et les conserverai en attendant, de telle sorte que tu trouveras toi-même un jour très doux de connaître la chose et de te reconnaître en elle. Il te plaira alors de te rappeler tout ce qui manquera et de l’ajouter, de retirer tout ce qui sera en trop, de déplacer tout ce qui ne cadrera pas et de donner leur chair et leur suc vital aux membres et aux articulations que tu disposeras à la place qui leur revient. Cependant, pour que cela puisse se faire un jour, il faut commencer promptement par les éléments les plus bruts ; car aucun produit ne s’élève à la perfection sans avoir été informe au début, et un ouvrage ne sera jamais excellent si l’on espère lui donner un commencement parfait », écrit Gassendi le 31 juillet 1643. 1 Le tremblement évoque peut-être l’émotion mais aussi la crainte, qui, pour un catholique, régit également les rapports entre l’homme et Dieu, quelle que soit sa miséricorde. Voir lettre à Valois du 29 avril 1644 : « Je ne t’engage pas à déposer la crainte sur laquelle s’appuie comme sur un étai la perfection de la religion chrétienne (car nous avons l’ordre de nous démener avec crainte et tremblement, et nous devons nous reconnaître comme des esclaves inutiles même si nous croyons en conscience n’avoir rien négligé) ». 2 Notitia Ecclesiæ Diniensis… accessit Concilium Avenionense, Anni M. CCC. XXVI ex manu-scripto Codice Statutorum eiusdem Ecclesiæ, Paris (Mathurin Dupuy), 1654. 3 Romanum calendarium compendiose expositum. Accessit corollarium de romano martyrologio…, Paris (Mathurin Dupuy), 1654. 4 Rappelons que Gassendi contribue aux Acta sanctorum bollandistes par ses commentaires sur les évêques de Digne qui se trouvent dans le second volume des saints de février, à la date du 13 février, sous le titre Vita sancti Dominini primi Diniensis episcopi in tres lectiones secundi
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mento ducentis libris Turonicis, ut quotannis die obitus sui sanctissima Missa, in quo sepeliendus erat sacello celebraretur ; tum aliis sexaginta tribus annui reditus concessis, ut idem Diniæ præstaretur, & in pauperes fierent largitiones. Verùm de pietate summi Viri satis dictum sit. Est nunc, ut de ingenio nonulla subiungam, quando quidem fuere, qui bonum Virum facile crediderint, magnum non adeo libenter. Vnde autem illud, paucis aperiam. Cùm neutiquam GASSENDVS careret ingenii acumine, sermonis facili nitore, urbanitate, & salibus Prouincialium suorum ingenito lepore, atque cæteris tîn carišntwn dotibus ; iudicii tamen & sapientiæ potiores esse partes existimans, tardior in dicendo & substrictior visus est in interiora nondum admissis ; quamquam blando & renidenti vultu obuios quosuis exciperet & alloqueretur. Verùm nequaquam eum sibi finem proponens in quem plerique collineare videntur, ut subtilitatis & dicacitatis laudem consequeretur ; præterea non ignorans, quàm difficile esset appositè loqui ex tempore,
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tournois1 qu’il a légués par testament pour que chaque année, le jour de sa mort, soit célébrée une très sainte messe dans la chapelle où il a été enseveli ; soixante-trois autres livres de son revenu annuel étant donnés pour qu’il en soit fait de même à Digne et que des largesses soient distribuées aux pauvres2. Mais j’en ai assez dit de la piété de ce très grand homme. Et maintenant il faut que j’ajoute quelques mots sur les qualités de son esprit, puisque certains, s’ils n’ont pas eu de mal à croire qu’il avait été bon, n’ont pas si volontiers reconnu qu’il était grand. D’où je vais brièvement exposer ce point. Alors que Gassendi n’était nullement dépourvu d’un esprit pénétrant, d’une parole à la fois brillante et souple, d’urbanité et de la grâce inhérente aux bons mots de ses compatriotes de la Provence et de toutes les autres qualités tîn carišntwn3, mais qu’il réservait un rôle plus important au jugement et à la sagesse, les personnes qui n’étaient pas admises dans l’intimité de son intelligence lui trouvèrent une éloquence un peu lente et trop contenue4, quoiqu’il offrît un visage doux et rayonnant à tous ceux qui se présentaient à lui et conversât ainsi avec eux. Mais vu qu’il ne se donnait nullement comme fin celle que la plupart des gens semblent viser, à savoir d’être loué pour sa subtilité et ses railleries ; qu’il n’était pas sans savoir à quel point il est difficile de s’exprimer de façon appropriée quand on s’exprime à nocturni distributa. Mais Gassendi ne voit pas l’édition de son texte, puisque, si les trois premiers tomes des Acta sanctorum, rédigés par Bolland, couvrant le mois de janvier, paraissent en 1643, les trois tomes de février, composés par Henschen, ne sont édités qu’en 1658. 1 La livre tournois est l’unité monétaire désormais acceptée du royaume (il existe longtemps, parallèlement, une livre parisis, un peu plus forte, tombée en désuétude). C’est une monnaie de compte, car aucune pièce d’or, d’argent et de billon ne lui correspond. La valeur des pièces, écus ou louis frappés depuis 1641, est en principe fixée par ordonnance royale (que les marchands suivent, ou non) et ne figure jamais sur la pièce. On mesure la livre par son poids d’argent ou parfois d’or, le rapport habituel d’un métal à l’autre avoisinant 1 à 14. Mais l’or et l’argent sont les seules réalités palpables. L’équivalent en argent (à 9 / 10e de fin) de la livre tournois est, sous Henri iv, d’environ onze grammes ; après quelques faiblesses, on retrouve la même équivalence en 1654. Gassendi consacre un opuscule à la monnaie, dédié à François Bochart de Champigny, et publié dans les Opera omnia, v, 533-543, Serstertiorum moneta gallica expressoreum abacum. Pour les termes du legs, voir Fleury & Bailhache 38. 2 Il fait ce legs aux Recteurs de la Charité de Digne, « Voulant et ordonnant qu’à tous les prebstres qui assisteront audict service il soit donné le double de ce qu’on a accoustumé en tels rencontres, et que le surplus desdicts soixante throis livres soit le mesme jour distribué à des pauvres à la disposition et discretion desdicts sieurs recteurs ». Fleury & Bailhache 38. 3 [des hommes de bon goût] 4 Faute subtrictior pour substrictior.
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neque id curans, ut nugis adderet pondus, quod passim faciunt nonnulli, tum voce veluti in minas elata, tum vultu ad audaciam quandam composito ; quàm vèro diuersa fierent de rebus etiam compertissimis iudicia ; sententiam suam promere temerarium ducebat, antequam expiscari potuisset, quæ mens esset auditoris, quas haberet præiudicatas opiniones, ne incassum loqueretur, vel ingratum faceret, aut pipulo se differendum exponeret. Itaque aduentantes Viros literatos non statim verbis obruebat inconditè prolatis ; pauca tantum in beneuolentiæ signum & grati animi testimonium proferens ; cùm se non existimaret dignum, quem eruditi inuiserent, ut quidquam addiscerent ; neque ipse eruditos inter nomen suum profiteretur ; sat magno apponens lucro, si æqui bonique consulerent affectum, quem in eruditionem & Philosophiam haberet. Studia sua ad aliud se numquam direxisse, nisi ut se ipsum erudiret & meliorem redderet. Si quæ autem in lucem prodiissent, factum id esse amicorum culpa siue consilio, qui exempli forent alicuius, & adhortamenti studiosis, ut Libris incumbentes aliquando maiora præstarent : neque ausum fuisse, quamuis reuera iure debuisset recusare ; Symbolam suam conferre, tenuem adeo & tam parui momenti, ac proinde prorsus inutilem iuuandis cæterorum studiis. Ast ubi in medium proferebatur quæstio de qua sententia sua rogaretur ; præfari solebat quàm angustis limitibus humanæ mentis scientia circa res naturales cohiberetur ; & ipse in primis quàm ignarus esset istorum ominum,
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brûle-pourpoint ; qu’il ne se souciait pas de donner de l’importance à des bagatelles, ce que certains font çà et là, soit qu’ils haussent la voix sur le ton de la menace, soit qu’ils inscrivent l’audace sur leur visage ; qu’il n’était pas sans savoir que des jugements les plus divers peuvent s’exprimer sur des réalités pourtant très évidentes, il jugeait téméraire de donner son avis avant d’avoir pu explorer l’état d’esprit de son auditeur et la nature de ses préjugés, et cela pour ne pas parler en vain ni lui causer quelque déplaisir ni s’exposer à ce qu’on clabaude sur lui1. C’est pourquoi, loin d’écraser sous des monceaux de paroles exprimées à tort et à travers les hommes de lettres qui venaient le voir, il se contentait de prononcer quelques mots en signe de bienveillance et pour témoigner de la joie de son cœur, car il ne s’estimait pas digne que des érudits vinssent le voir pour apprendre quelque chose de lui, et il ne mentionnait jamais de luimême son nom au nombre des érudits, trouvant qu’il en retirait un bénéfice assez grand s’ils trouvaient juste et bonne la passion qui était la sienne pour l’érudition et la philosophie. Il disait2 que, pour ce qui était de ses recherches, il ne les avait jamais dirigées vers un autre but que celui de devenir lui-même plus érudit et meilleur ; que tout ce qui, de ses travaux, paraissait au grand jour, c’était par la faute de ses amis ou sur leurs conseils3, parce qu’ils disaient que cela pourrait apporter un exemple et un encouragement aux doctes, afin que, se penchant sur ces livres, ils puissent fournir des productions de plus grande importance ; et qu’il n’avait pas osé leur refuser, alors qu’en vérité il aurait dû le faire à plus juste titre, de porter au public son écot, quoiqu’il fût si ténu et de si peu d’importance, et par suite tout à fait inutile pour ce qui est d’aider les recherches des autres. Mais quand une question était mise au public et qu’on lui demandait son avis4, il avait l’habitude de commencer par souligner que le savoir de l’esprit humain est, pour ce qui est des phénomènes naturels, enfermé dans des limites très étroites et qu’il en était lui-même le premier parfaitement ignorant et tout à fait incapable, à cause de la lenteur de son talent, de pro1 Expression empruntée à Plaute, Aul. 446. Il faut souligner que cette attitude peut être également dictée par la prudence. 2 Tout ce passage, au style indirect, rapporte les propos mêmes de Gassendi. 3 De fait, les Lettres latines évoquent, pour chaque ouvrage, la réticence de Gassendi devant la perspective de la publication. 4 On voit couramment cette méthode dans les Lettres latines comme dans tous ses ouvrages, et ce n’est pas pure rhétorique.
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atque inidoneus tarditate ingenii promouendis scientiæ istius pomæriis. Cùm non diffiteretur sæpius se animum suum torsisse in eadem illa quæstione enucleanda, neque quidquam adinuenisse quod sibi, nedum aliis sagacioribus satisfacere posset. Et quidem meminisse, non semel habitos hac de re sermones cum optimo PEIRESKIO, qui somnia sua enarrantem audiebat, & nugas suas per iustitiam in secessu Belgencenario amœnitate loci ductus lubens admittebat. Verùm ubi somnia, nugas suas, & deliramentæ enarranda suscipiebat, animo erat maxime attendendum, & doctissima atque sapientissima ratiocinia erant exspectanda. Præmittebat autem ut velitationem institueret veluti exploratores quosdam & primipilares propositiones quasdam uniuersaliores, quibus notum fieret quâ via incedere parabat ; quæ principia admitteret. Si quis autem in limine hærebat ob ignorata huc usque Elementa, seu iter non assuetum, calcar renitenti non addebat, sed præcedens quasi manu ducere conabatur. Cui operæ si morositas quædam obesset, & calcitronem quendam offenderet, verbum ultra nullum, aut operam sumebat inanem. Confestim igitur sinebat quemque sibi sapere, & è vestigio rursum causabatur infantiam suam & humanæ mentis caliginem, per quam non licet longum iter in inuestigatione rerum naturalium instituere. Dein aliis lampada tradens occasionem dabat fusè disserendi ; neque hilum ducebat, vel minimum commotior videbatur, si quando senex coram iuuene obmutesceret, & discipulum ageret, qui doctorem cœperat. Intereà libenter Sigalioni litans mirabatur tacitus multorum loquendi pruriginem, mores intempestiuos, temeritatem ; unde factum
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mouvoir les pépinières de cette science, et cela sans nier qu’il avait souvent torturé son esprit dans l’examen de cette même question et qu’il n’avait rien trouvé qui pût satisfaire lui-même, et à plus forte raison encore moins les autres, plus sagaces. Et qu’assurément il se rappelait qu’ils avaient plus d’une fois engagé la conversation sur ce sujet avec l’excellent Peiresc, qui l’écoutait raconter ses songeries et qui, séduit par l’agrément du lieu, admettait volontiers ses balivernes dans sa propriété de Belgentier1. Mais quand il se mettait à exposer ces prétendues songeries, bagatelles et divagations, il fallait y prêter la plus grande attention et attendre de lui les raisonnements les plus doctes et les plus savants. Or il envoyait d’abord, pour commencer l’escarmouche, comme autant d’éclaireurs et de primipiles, des propositions plus universelles qui permettaient de faire connaître la route qu’il s’apprêtait à prendre. Mais quand un de ses interlocuteurs présents qui s’arrêtait sur le seuil parce qu’il ignorait complètement les notions élémentaires ou parce qu’il n’était pas habitué au chemin, il ne donnait pas de coups d’éperon à cet homme qui résistait, mais il le précédait et essayait de le conduire par la main. Et quand un esprit chagrin s’opposait à cet effort et qu’il rencontrait de l’hostilité, il ne disait pas un mot de plus ni n’entreprenait un vain effort. Il laissait donc aussitôt chacun savoir pour soi-même et accusait sur-le-champ son propre défaut d’éloquence et les ténèbres de l’esprit humain, qui interdisent d’entreprendre un long voyage dans l’investigation des phénomènes naturels. Il passait ensuite le relais à d’autres et leur donnait l’occasion de disserter abondamment, se moquant comme d’une guigne et ne laissant pas paraître la moindre émotion toutes les fois que le vieillard qu’il était devait se taire et laisser la parole à un plus jeune, et que le professeur qu’il avait d’abord été se faisait ensuite élève. Dans certains cas, sacrifiant volontiers à Sigalion2, il s’étonnait sans rien dire de la démangeaison de parler qui affectait un grand nombre de personnes, de leurs mœurs intempestives, de leur 1 La référence à Peiresc, étonnante, prouve que Sorbière rapporte bien les propos de Gassendi lui-même. 2 Dieu du silence chez les Égyptiens. Une référence mythologique plutôt rare, qui renvoie au corpus hermétique. Selon, Dom Pernety, Dictionnaire mytho-hermétique, dans lequel on trouve les allégories fabuleuses des poètes, les métaphores, les énigmes et les termes barbares des philosophes hermétiques expliqués (1758) : « Figure ou statue d’un homme tenant deux doigts sur la bouche fermée, et cachant de l’autre main ce que la pudeur ne permet pas de montrer. Cette statue se trouvait dans tous les temples égyptiens, qui l’appelaient le dieu du Silence. On le mettait ainsi dans tous les temples pour faire souvenir les Prêtres qu’ils devaient garder le silence sur les secrets cachés sous leurs figures hiéroglyphiques. Ces secrets, selon que l’a très-
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proculdubio, ut istam ad silendum procliuitatem interpretati sint nonnulli tarditatem ingenij. Quæ quidem nulla fuit, ut coniicere licet licet vel ex acutissima Disquisitione Metaphysica, quam intra paucos dies tam miro ordinauit artificio, ut aduersario subtilissimo omnem respondendi ansam omninò præripuerit. Opus sanè tereti filo & eximia sagacitate ad umbilicum perductum satis mirari non poterat THOMAS HOBBIVS ; qui Heroëm nostrum nusquam maiorem apparere pronuntiabat, quàm in retundendis laruis, tenues in auras tam facile diffugientibus, gladio imperuiis, nec ictum clauæ excipientibus. Ita enim sentiebat Vir emunctæ naris de Meditationibus CARTESII & de illa GASSENDI Disquisitione, quæ primum posteris exemplum dedit refutationis numeris omnibus absolutissimæ, qualem esse decuit Philosophi acutissimi, Viri doctissimi, qui Gratiis non minus quàm Musis litauerat, & præsertim hominis Christiani, cui nefas loidoroumšnò ¢ntiloidore‹n, cui vetitum est obtrectandi & maledicendi serram reciprocare : sed cui licet in hostem tela sua amica manu, nec feriendi animo retorquere. Ita se gessit Vir optimus in refutando CARTESIO, ut præter lepidè quædam dicta nihil inuenias, quod aduersarium pungat : vel si quid tangat cutim extremam, illud quidem blandè, modestè, & cum significatione quadam beneuolentiæ introrsum latentis, & cui renouandæ paratissimus esset. Quemadmodum reipsa fuit, ubi elapso vix quinquennio occasionem habuit CARTESIVM Lutetiæ amplectendi, & pronum affectum in laudes tanti Viri
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caractère inconsidéré, ce qui explique sans aucun doute que certains aient interprété comme de la lenteur d’esprit ce qui était chez lui tendance à se taire. Quant à cette lenteur, elle n’existe pas, comme on peut en conclure des seules Recherches métaphysiques qu’il composa en l’espace de si peu de jours en faisant preuve d’une habileté si étonnante qu’il ôta par avance à son adversaire très subtil toute chance de réponse. Thomas Hobbes ne pouvait pas admirer assez cet ouvrage mené jusqu’au bout du rouleau1 dans un style si bien tourné et avec une éminente sagacité, lui qui déclarait que notre héros n’apparaissait jamais plus grand que quand il refoulait les spectres, qui s’enfuient si facilement dans les brises ténues, inaccessibles au glaive et insensibles au coup de la massue. Telle était en effet l’opinion que cet homme au flair subtil2 avait des Méditations de Descartes et des Recherches de Gassendi, qu’il donna comme exemple à la postérité d’une réfutation absolue et complète dans tous ses éléments, jugeant qu’il fallait qu’elle émanât d’un philosophe très pénétrant, d’un homme très savant qui ne sacrifiait pas moins aux Grâces qu’aux Muses, et surtout d’un chrétien à qui il était sacrilège loidoroumšnò ¢ntiloidore‹n3, qui s’était interdit d’actionner la scie du dénigrement et de la médisance, mais qui savait tourner vers son ennemi ses armes d’une main amicale, et sans l’intention de le frapper. L’homme excellent adopta, pour réfuter Descartes, une attitude telle que, en dehors de quelques paroles plaisantes, tu ne trouves rien dans son ouvrage qui poignarde son adversaire ; ou bien si quelque chose effleure la surface de sa peau, l’effet est celui d’une caresse, empreint de modestie, tout imprégné d’une bienveillance cachée qu’il est le plus prêt qui se puisse faire à la remettre en état. C’est ce qui se passa en réalité, quand, au bout d’à peine cinq ans, il eut l’occasion d’embrasser Descartes à Paris et de lui déclarer son affection toute disposée à faire les louanges d’un si grand homme4. Ce bien expliqué Michel Majer dans son Arcana Arcanissima, n’étaient autres que celui de la vraie Chymie, que l’on vante tant sous le nom du Grand Œuvre, ou de la Pierre philosophale ». 1 C’est-à-dire achevé. Le mot umbilicus désigne le bouton qui, placé aux extrémités du cylindre, sert à enrouler les manuscrits, d’où, par métonymie, le cylindre lui-même, Horace., Épîtres, XIV, 8 : « Un dieu, oui, un dieu, me défend de conduire au bout du rouleau les ïambes commencés, ce poème depuis longtemps promis ». 2 Expression empruntée à Horace, Satire, I, 4, 8. 3 [répondre par des injures quand on a été injurié] 4 La réconciliation a eu lieu en 1647. Adam & Tannery v, 199-200 & xii 448-49 hésitaient entre 1647 et 1648, mais voir note 7 p. 449. Cela implique que les « cinq ans » qu’évoque
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patefaciendi. Copulâ scilicet tantorum Virorum Abbate CÆSARE ESTRÆO, qui nunc Episcopus Laudunensis factus, inter Franciæ Pares gradum stirpi nobilissimæ non minus quam infulæ & meritis debitum obtinens, non tamen deposuit bonarum artium curam ; quod aliis contigit aliquando, non quidem illis quos euexit ardens ad Sidera virtus, sed quos illa ludum insolentem ludere pertinax fortuna rebus humanis præposuit. Illustrissimus ille Præsul prandio excipere voluit unà cum GASSENDO, CARTESIO, & IOANNE LAVNOIO suo Theologo Parisiensi, ÆGIDIVM PERSONERIVM ROBERVALIVM Mathematicum, MICHŒLEM MAROLLVM Abbatem Villalupensem, R. P. MARINVM MERSENNVM. & HILARIVM a COSTA, MARIVALLIVM illum Abbatem1, qui in Americam transfretaturus in ipso portu Lutetiæ Parisiorum naufragium fecit. GASSENDI oborta noctu inualetudo non permisit, ut conuiua adesset : Itaque ad illum sub vesperam properarunt, Magistro conuiuii duce, & deleta fuit omnino præteritorum memoria. Sarta enim tectaque deinceps mansit inter illos amicitia, saltem per GASSENDVM, qui honorificam in Opere posthumo nunc in
Recte pour « abbate,m »
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fut l’abbé CÉsar d’EstrÉes qui fit le lien entre eux deux ; aujourd’hui évêque de Laon, il occupe parmi les pairs de France le rang dû autant à sa noble lignée qu’à sa charge1 et à ses mérites, sans pour autant renoncer aux bons arts, ce qui arrive parfois non pas certes à ceux qu’une vertu ardente a élevés jusqu’aux astres2, mais ceux que la fortune acharnée à jouer3 un jeu excessif a mis à la tête des choses humaines. Ce très illustre prélat a voulu recevoir à déjeuner ensemble avec Gassendi, Descartes et Jean de Launoy4, son théologien parisien, Gilles Personne de Roberval, mathématicien, Michel de Marolles5, abbé de Villeloin, le Révérend Père Marin Mersenne et Hilarion de Coste, MARIVAUX son abbé6 qui fit naufrage dans le port même de Paris, alors qu’il se préparait à traverser l’océan pour aller en Amérique. Une indisposition qui frappa Gassendi à la tombée du jour ne lui permit pas de partager leur repas ; c’est pourquoi ils se rendirent chez lui en hâte à la tombée du soir, guidé par le maître du festin, et toute mémoire des événements passés fut complètement détruite. L’amitié est ensuite restée entre eux en bon état d’entretien7, grâce à Gassendi qui lui rend honneur dans son œuvre posthume Sorbière commencent avec le début de la querelle (1641-42) et non pas avec la publication de la Disputatio… en 1644. Adam & Tannery considère également que elapso vix quinquennio se rapporte à la publication des Meditationes (Paris 1641 ; Amsterdam 1642). 1 D’Estrées a été nommé par Louis XIV à l’évêché-pairie de Laon en février 1653, la nomination étant confirmée par le Pape le 30 août 1655. 2 Virgile, Énéide, vi, 129-131 (le texte dit æthera et non pas sidera). C’est un lieu commun. 3 Horace, Odes, iii, 29, 51. 4 Au Collège de Navarre, d’Estrées a été l’élève de Launoy avec qui il est resté étroitement lié. Il lui viendra souvent en aide, aux moments les plus dangereux de son existence (voir Lenoble, p. 121 sq.). 5 Voir le chapitre 4 supra. 6 Faute de composition, abbate,m pour abbatem. 7 Sartum tectumque. C’est une des expressions favorites de Gassendi, qui se trouve passim dans les Lettres latines. Elle se trouve d’abord au sens propre, couvert et réparé (Cicéron, Verr., i, 131) en parlant d’un édifice, puis au sens figuré, à propos d’une fortune ou d’un individu (par exemple, Cicéron, Fam., xiii, 50, 2) ; Plaute, Trin., 317 : « J’ai maintenu l’intégrité de tes préceptes ». On ignore cependant si la réconciliation de Descartes et Gassendi a eu lieu au cours du repas organisé par d’Estrées ou pendant un autre organisé par William Cavendish, Duc de Newcastle. Voir Rochot IV, xii. D’après Baillet « Les premiers momens de liberté que l’indisposition laissa à M. Gassendi furent employez à rendre la visite à M. Descartes… M. Descartes retourna encore depuis chez M. Gassendi avant son départ pour la Hollande », ii 342
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lucem prodeunte CARTESII mentionem fecit, quamquam non prorsus exuisse hostilem animum visus fuerit CARTESIVS in responsionibus Gallicis ad Instantias eodem anno editis. Atque utinam, si quæ oriantur in posterum, quod absit tamen, inter Viros doctos dissensiones, attendatur sedulò ad exemplum mansuetudinis, non minus quàm solertiæ & acuminis, cuius satis amplum specimen edidit GASSENDVS, vnde iudicari possit, an ingenij acutssimi titulum meritus fuerit. Desiderarunt alii nonnulli in Philosopho nostro Mathesin profundiorem, quia nihil, aiunt, scriptis protulit, unde coniciendum præbeat ulteriores
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qui paraît aujourd’hui1, alors même que les Réponses aux Instances que Descartes a fait paraître publiées en France la même année2 semblent montrer qu’il ne s’est pas complètement défait de son hostilité3. Mais si seulement, dans les dissensions qui naîtront à l’avenir entre les savants (puisse cela pourtant être loin de nous !4), on prêtait une attention consciencieuse à l’exemple de bonté, non moins que d’adresse et de pénétration, dont Gassendi nous a donné un assez large échantillon, permettant de juger s’il a mérité le titre de talent très aiguisé. D’autres, en grand nombre5, ont regretté en notre philosophe l’absence d’un savoir mathématique plus profond, parce que, disent-ils, il n’a rien Gassendi expose la logique de Descartes dans le Syntagma philosophicum, Logique, livre I, onzième et dernier chapitre. 2 C’est-à-dire en 1647, l’année de la réconciliation et de la publication par Clerselier dans sa traduction des Meditationes de prima philosophia… (1641) de la « Lettre de Monsieur DesCartes… seruant de réponse à vn recueil des principales instances faites par Monsieur Gassendi contres les precedants Réponses ». Dans cette courte riposte Descartes prétend « que toutes les objections que ce liure contient ne sont fondées que sur quelques mots mal entendus ou quelques supositions qui sont faussés », et il accuse Gassendi de recourir à l’équivoque, d’avoir déformé sa pensée, et d’avoir « trompé en tant de faux raisonnemens, dont il a grossi son liure ; car il n’est fait que composer les fausses majeures à sa fantasie… ». Adam & Tannery, ix 202-17 (593-606 de l’original) citations des pages 206 et 216. 3 Le commentaire de Baillet sur cette remarque est largement justifié : « Ce zélé boute-feu de leur brouïllerie… n’a point oublié de remarquer que M. Gassendi a gardé inviolablement de son côté toutes les lois de cette amitié rétablie. Mais son dégoût ordinaire pour les mérites de M. Descartes luy a fait commetre l’injustice de dire que celuy-ci s’étoit départi de son devoir depuis les solennitez de sa réconciliation. Pour donner quelque jour à cette fausseté il a fallu recourir à l’anachronisme, & rappeler une querelle vielle de plus de trois ans, comme une chose postérieure à leur réconciliation ». Sorbière situe « cette prétenduë infraction de paix dans la réponse de M. Descartes aux instances de M. Gassendi. Mais cet homme… n’a pu ignorer que cette réponse… avoit été composée…& qu’elle avoit été imprimée à Paris six mois avant son second voyage, auquel il met cettte fameuse réconciliation… quoiqu’elle se soit faite à son dernier voyage au mois de juillet de l’an 1648. C’est ainsi qu’au défaut de la science des têms, & de l’arrangement naturel des faits l’on sçait tourner la vérité en mensonge ». 4 C’est une préoccupation constante de Gassendi, comme on le lit passim dans les Lettres latines. 5 Il est assez difficile de savoir à qui Sorbière pense en faisant cette remarque basée, peutêtre, plutôt sur des réflexions orales que des critiques écrites. Dans son étude sur Gassendi et les mathématiques, Rochot, parlant de « certains contemporains » qui faisaient de telles réflexions, ne cite que ce passage de Sorbière, et Perrault (Rochot VI, 70). D’évidence, si Gassendi ne travaille pas dans le domaine de la mathématique pure, le considérant comme un nouveau formalisme qui ne vaut guère mieux que celui de l’École (Rochot VI, 75), il les 1
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in Geometria & Arithmetica progressus, & inde etiam eius acumen obtundere nituntur, vel quid laudibus immensis detrahere volunt. Verùm nihilo inferior summis Mathematicis fuit GASSENDVS, quamuis ignorauerit, vel potiùs discere neglexerit nonnulla, quæ nullius usus ese nouerat, impensæ verò, hoc est temporis in acquirendo sat longi. Nimirum satis esse duxit vitæ humanæ breuitatem aduertens, & angustias mentis nostræ dimetiens, necessaria tantum comparare, & ea sine quibus ad philosophandum se accingere non poterat, non inuidens aliis, qui toti Geometriæ vel Algebræ incumberent, subtilissimarum inuentionum gloriam. Præ oculis semper habuit ultimum philosophandi scopum Felicitatem, quæ in corporis bona valetudine & animi tranquillitate tota consistit. Ad utramque partium istarum rectà collineare existimauit rerum naturalium cognitionem : Itaque ex uniuerso scientiarum ambitu ea tantùm collegit, quæ præcipuè ad institutum suum facere viderentur ; haud imitatus imprudentem viatorem, qui ad loca quoque amœna deflectit, immemor patriæ vel termini peregrinationibus suis præfixi. Equidem ita se gerunt plerique eru-
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apporté dans ses écrits dont l’interprétation poserait les bases de progrès ultérieurs en géométrie et en arithmétique ; et ils s’appuient sur ce constat pour essayer d’émousser son acuité, voire ils veulent en retirer à ses immenses louanges. Mais Gassendi ne fut en rien inférieur aux meilleurs mathématiciens, quoiqu’il ait ignoré certaines choses, c’est-à-dire plutôt qu’il ait négligé de les apprendre, parce qu’il savait qu’elles n’étaient d’aucun usage, mais que leur acquisition demandait des dépenses, c’est-à-dire un temps assez long 1. C’est parce qu’il était conscient de la brièveté de la vie humaine et qu’il mesurait l’étroitesse de notre esprit qu’il jugea suffisant de se procurer seulement les choses nécessaires et celles sans lesquelles il était impossible de se préparer à la philosophie, sans envier aux autres qui se consacrent tout entiers à la géométrie ou à l’algèbre la gloire d’inventions extrêmement subtiles. Il eut toujours sous les yeux la félicité comme but ultime de la philosophie, qui consiste tout entière dans la bonne santé du corps et la tranquillité de l’âme2. Et c’est pour obtenir ces deux articles qu’il trouva bon de viser en droite ligne la connaissance des phénomènes naturels. Aussi dans tout le cercle des sciences, il n’embrassa que celles qui lui semblaient surtout avoir quelque efficacité au respect de son programme, loin d’imiter le voyageur imprudent qui détourne son itinéraire et fait voile vers des endroits agréables sans se rappeler sa patrie, c’est-à-dire le terme qu’il avait donné d’avance à ses pérégrinations3. Et assurément la plupart des érudits se comportent ainsi, entrant dans estime et les utilise. Notons que dans une lettre à Golius du 8 mars 1630, Gassendi donne une précision biographique intéressante : « Pour le reste, je n’ajoute rien sur les mathématiques vers lesquelles je me tourne de temps en temps. Tu sais toi-même qu’il n’est pas bien permis de les oublier et que c’est un crime surtout pour moi, puisque je leur dois d’avoir désappris à extravaguer ». Sur les qualités de mathématicien de Gassendi, voir Festa I, passim ; Rochot VI. 1 On retrouve la classification des biens, selon Épicure. Pour tous ces développements sur les différentes disciplines et l’inutilité relative des mathématiques, voir le huitième et dernier livre de Vie et mœurs d’Épicure. 2 Telle est la définition même de la volupté, c’est-à-dire du souverain bien, selon Épicure. Voir Vie et mœurs d’Épicure, mais également Lettres latines, à Valois, 8 novembre 1641 : «[Épicure] n’a cependant pas dit que le sage devait poursuivre n’importe quelle volupté, mais seulement celle qui consiste dans l’absence de douleur, c’est-à-dire dans la santé du corps et dans la tranquillité du cœur ». 3 Sorbière ici oppose deux types de voyageurs, et c’est une métaphore qui peut évoquer les sceptiques d’un côté, les dogmatiques de l’autre, Gassendi représentant là encore le point d’équilibre entre ces deux extrêmes, évitant Charybde et Scylla. Stylistiquement, il évite une pensée abstraite pour privilégier des anecdotes, des fragments de vie, exemplaires.
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ditorum, doctrinarum Oceanum ingressi & veluti varia appellentes ad littora. Nec tamen deteriores sunt illi vel insubidiores, quæ ætate nondum adulta studiorum cursum, ut vocant, instituentes, & libros omnis generis euoluentes, tradunt se alicui disciplinæ, cuius dulcedine capti fuerint præter mentem suam, vel contra propositum ad aliam concedendi, quæ paulò remotior erat. Quos nequaquam magis damnare velim, quàm Mercatorem Batauum culparem, si quis in Indias orientales nauigaturus mercibus reportandis, quibus ditior factus Amstelodami demum senex in otio degeret ; in Insulis tamen fortunatis vel alibi Terrarum manere vellet, & inquilinorum mores arridentes induere. Detinet Eloquentia quàm multos egregios Viros : quot alios Ars Poëtica, quot Mathematicarum partes singulæ, quot Iuris, Historiarum, Politices, Medicinæ Scientia ? Disciplinarum nulla est, quæ amatores suos non habeat, & sua cuique Minerua placet, adeò ut despectui sint aliæ, & pudeat Geometram ad orationis elegantiam & flosculos attendere, misereatur verò Oratorem infantiæ &
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l’océan des doctrines et abordant pour ainsi dire à des rivages variés. Mais ne sont pas plus mauvais ou plus inconsidérés ceux qui, décidant du cursus de leurs études, comme on l’appelle, alors qu’ils ne sont pas encore adultes, et parcourant toutes sortes de livres se vouent à une discipline dont la douceur les emprisonne, contre leur intention même, ou bien contre leur projet d’aller vers une autre qui était un peu plus loin. Ceux-là, je ne voudrais nullement les condamner plus que je n’incrimine tel marchand batave qui, voulant naviguer jusqu’aux Indes orientales1 pour en rapporter des marchandises qui lui permettront, enrichi à son retour à Amsterdam, de passer sa vieillesse dans le loisir, veut cependant demeurer dans les Îles Fortunées2 ou ailleurs sur terre et embrasser les mœurs souriantes de ses habitants. Combien d’hommes remarquables sont retenus et arrêtés par l’éloquence, combien d’autres par l’art poétique, et de même pour chaque partie des mathématiques, du droit, de l’histoire, de la politique, de la médecine ? Il n’est pas de discipline qui n’ait ses amateurs, et chacun aime sa Minerve à telle enseigne qu’il dédaigne les autres ; que le géomètre a honte de se soucier de l’élégance et des fleurs du discours ; que l’orateur a pitié du défaut d’éloquence et de la dissymétrie du
1 À comprendre soit au sens large du terme, c’est-à-dire tout ce qui est à l’orient du cap de Bonne-Espérance, soit de façon plus précise quatre grandes parties de l’Asie, savoir l’Indoustan, la presqu’île en deçà du Gange, la presqu’île au-delà du Gange, et les îles de la mer des Indes, dont les principales sont celles de Ceylan, de Sumatra, de Java, de Bornéo, les Célèbes, les Maldives, les Moluques, auxquelles on joint communément les Philippines et les îles Mariannes. Quand il n’est question que de commerce, on ajoute improprement le Tonkin, la Chine et le Japon. De toutes façons, Sorbière ne cherche pas la précision ici, mais la figure. Quoi qu’il en soit, la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fondée en 1602, est, du point de vue du volume des marchandises et de la richesse, la première compagnie au monde, dix fois plus riche que son homologue britannique, et peut-être le choix de Sorbière ici, dans son exemple, s’explique-t-il par le fait qu’en 1652 la Compagnie établit la colonie du Cap en 1652. Il est aussi possible qu’il y ait une sorte d’actualité française de la question, puisque la grande Compagnie française des Indes orientales qui voit le jour en 1664 naît après bien des débats qui auront difficilement épargné les cercles des savants. Depuis Richelieu, sa constitution est une affaire politique récurrente. 2 Nom antique des Canaries, qui ne sont redécouvertes par les Européens qu’au XIIe siècle. Ici Sorbière renvoie au mythe plus qu’à la réalité géographique et se réfère à l’Antiquité plus qu’à la période moderne ; car, situées précisément aux confins du monde connu, les îles Fortunées, refuges de l’âge d’or, ont longtemps joui d’une renommée fabuleuse favorisée par leur éloignement et leur caractère insulaire, au point de se confondre avec le paradis terrestre.
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inconcinnitatis styli Geometrici ; Poëtam rideat Iurisperitus, & ab inamœna Iurisperiti occupatione abhorreat qui fonte labra proluit caballino. Quidquid sit illius mutuæ subsannationis, verum est Mathesin illam abstrusissimam non multum conferre, ne quid grauius dicam, ad recti ratiocinij adeptionem, & ad rerum naturalium illustrationem. Cùm nemo non nôrit insignes in arte Analytica, vel in Sectionibus Conicis Mathematicos interdum nihilo in cæteris rebus existere oculatiores. Ideoque tempori parcendum, nec se pluribus impedimentis onerandum suscepit GASSENDVS noster, qui vel solo Euclide armatus, altior veluti præcinctus, satis instructus sibi videri potuisset debellandis errorum monstris, vel Physicæ difficultatibus reserandis, quæ potissimùm Felicitati obicem opponunt. Apparet quàm facili negotio penetraret in intricatissima quæquæ, ubi Astrologiam explodit, in cuius nugas non dedignatus est descendere, ubi FLVDDVM exagitauit, ubi in Aristoteleos signa contulit, ubi sola sermonis usus perspicuitate nihil enarrandum statuit, quod non statim percipiatur, sine ullo molimine, sine ullo figurarum apparatu, quas adhibent aliquando nonnulli ad ostentationem, vel solertiæ istius defectu, quæ certè sagacissimum ingenium, & ad omnia studia natum innuere videtur. Sed quid ego natum dico ad abstrusissima quæque disciplinarum Virum doctissimum, qui reipsa penetrauerat in adita, recessus omnes lustrauerat, nullum non mouerat lapidem, ut veritatem erueret ? An scilicet, qui in Scholasticorum Libris aliquandiu impalluit, qui Astrologiam, & nullas non scien-
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style géométrique ; que le poète se moque du jurisconsulte et que qui baigne ses lèvres à la fontaine d’Hippocrène1 se détourne avec horreur des occupations sans charme du jurisconsulte. Quoi qu’il en soit de cette moquerie mutuelle, il est vrai que cette très absconse mathématique n’est pas très utile, pour ne pas employer un mot plus sévère, pour ce qui est d’acquérir un raisonnement droit et pour éclairer les phénomènes naturels, et tout le monde sait que les mathématiciens, quelque insigne que soit leur compétence dans l’art analytique ou dans les sections coniques, ne sont pas pour autant plus clairvoyants dans les autres matières. Et c’est la raison pour laquelle notre Gassendi a entrepris d’épargner son temps et de ne pas s’accabler de plus de bagages : armé du seul Euclide, il avait pour ainsi dire la tunique assez retroussée2 et il pouvait se trouver suffisamment équipé pour lutter contre les monstres des erreurs, ou pour dévoiler les difficultés de la physique, qui constituent l’obstacle principal à la félicité. On voit comme il lui suffisait d’un mince labeur pour pénétrer dans toutes les choses les plus embrouillées, quand il rejette l’astrologie et ses sornettes dans lesquelles il n’a pas dédaigné de descendre, quand il a critiqué Fludd, quand il a engagé le combat contre Aristote, quand, sur la base de la seule évidence du discours, il a statué qu’il ne fallait rien exprimer qui ne soit aussitôt perçu, sans aucun effort, sans le déploiement des figures de style que certains appliquent parfois pour en faire étalage3, ou bien par manque de cette habileté qui semble assurément désigner un talent très sagace et né pour toutes les études. Mais pourquoi dis-je qu’était effectivement né pour les disciplines les plus abstruses un homme très savant qui avait pénétré dans tous les sanctuaires, avait parcouru tous les recoins et avait déplacé toutes les pierres pour déterrer la vérité ? Un homme qui a pâli un certain temps sur les livres des scolastiques, qui a désiré examiner l’astrologie et certaines disciplines, qui ne Fontaine sacrée sur le mont Hélicon. L’expression est empruntée à Perse, Prol., 1 Horace, Satires, i, 5, 6. 3 Sur les deux canons sur « l’usage légitime des termes », l’un concernant celui qui parle, l’autre celui qui écoute, dont Gassendi dit que « sans doute la fable de la vie se contente de ces acteurs », voir lettres à Valois du 5 et du 12 septembre 1642 : « Quand tu parles, choisis des termes communs et clairs pour qu’on n’ignore pas ce que tu veux dire ou pour que tu ne consommes pas en vain du temps à expliquer » ; « Quand tu écoutes, efforce-toi de comprendre la notion qui est placée sous les mots, de peur qu’ils ne t’échappent par leur obscurité ou ne te jouent par leur ambiguïté ». 1 2
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tias, etiam nugatorias excutere gestiit, omnium primarias præteriisset ? Quantus fuerit in Astronomicis nemo dubitat ; atque utinam sibi temperare potuisset ab Astrorum inspectione, qui nocte intempesta Siderum motus, quotiens cælum erat serenum, obseruabat, non sine magno valetudinis suæ dispendio, quamuis statim post occasum Solis caput muniret pluribus tegumentis, retundendæ æris noxæ quam grauem sæpius expettus fuerat. In Opticis autem haud minor exstitit, quod nos monet obseruatio de visione distincta per oculorum alterum facta. Quæ circa motum commentatus est Geometram acutissimum sapiunt, qualem se gessit in detegenda fallacia circa inuentionem Longitudinum, de qua non nemo gloriabatur. Etiam de Musica libellum scripsit ; nullam denique partem Mathematices intactam inexpugna-
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sont pas des sciences, voire débitent des sornettes, est-ce que cet homme aurait négligé les sciences les premières de toutes ? Personne ne doute du rôle considérable qu’il a joué dans l’astronomie. Ah, si seulement il avait pu se modérer dans l’observation des astres ! Mais il regardait jusqu’au cœur de la nuit les mouvements des étoiles, chaque fois que le ciel était serein, non sans exposer grandement sa santé, malgré les différentes protections dont il munissait sa tête dès le coucher du soleil pour émousser la nuisance de l’air dont il avait fait assez souvent l’expérience qu’elle pouvait être malsaine. Il ne fut pas moindre en optique, comme nous en sommes informés par l’observation qu’il a faite de la vision distincte avec un seul œil1. Ce qu’il a imaginé quant au mouvement a la saveur du géomètre le plus pénétrant, comme il révéla qu’il l’était en mettant en évidence la supercherie concernant la découverte des longitudes, dont tout le monde se glorifiait2. Il écrivit aussi un petit livre sur la musique3, et enfin il n’est pas de partie des mathématiques qu’il n’ait tou-
Outre les expériences avec Peiresc et le Syntagma in Opera ii 393a-397b, voir Lettres latines, à Galilée du 13 octobre 1637 à laquelle l’éditeur donne pour titre : Ayant appris par Diodati qu’il était privé d’un œil, pour le consoler en ajoutant le paradoxe, Même si nous voyons par les deux yeux, cependant nous voyons par un seul dans la vision dite distincte et où Gassendi console de fait l’astronome Galilée par différentes considérations morales et philosophiques, mais surtout en l’exortant d’en profiter pour faire certaines expériences sur la vision. Voir aussi Hatch, en particulier les pages 372-4 pour la vision avec un seul œil. 2 Gassendi multiplie les observations en 1625, pour contribuer à la détermination des longitudes (voir notamment lettre à Snellius du 14 août, en 1625) ; il les transmet à Blaeu pour ses atlas (1er octobre 1632). Mais Sorbière vise ici Morin qui propose en 1633 une solution au problème de leur relevé, qui intéresse au plus au point les gouvernements. Aussi Richelieu nomme-t-il quatre commissaires pour examiner sa solution, qu’ils rejettent, et Morin appelle Gassendi à la rescousse, qui, n’approuvant pas sa méthode, lui envoie une lettre latine (septembre 1634) pour le lui spécifier. Laquelle lettre n’est pas reproduite en entier dans les Lettres latines, et exceptionnellement c’est Gassendi lui-même qui précise : Je n’ai pas achevé ma lettre, parce que j’ai pensé qu’il pourrait ne pas lui plaire que je fasse intervenir mon jugement. Mais il lui envoie aussi une lettre en français, non retenue dans les Opera omnia, qui est complète et bien plus ferme. 3 Manuductio ad Theoriam seu partem speculativam Musicæ (1654), dédiée à César d’Estrées. Des deux traductions modernes existantes, par Guieu et par Bailhache, il faut préférer la seconde. 1
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tamque reliquit. Quare inter Mathematicos mirintò refertur a GERARDO IOANNE VOSSIO, qui de GASSENDO ita loquitur, Anno M.DC.XXVIII, ac deinceps variâ doctrinâ, imprimis Mathesi, eluxit PETRVS GASSENDVS Gallus, cuius singularem & multi-iugam eruditionem non potui non mirari, cùm Belgicam hanc lustrans Anno M.DC.XXIX. inter alios, me non semel salutatione & alloquio suauissimo dignaretur. Nec aliter Reuerendus Pater RICCIOLVS in Catalogo Chronologico Mathematicorum eximio operi præfixo, quod Almagestum Matheseos appellauit. Verùm à Sapientiâ, non a Mathesi, præcipuum esse GASSENDVM lubens concedam ; qui summus quidem Mathematicus, sed idem sapientissimus fuit, & sapientiæ suæ famulas disciplinas illas adhibuit.
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chée et prise d’assaut. C’est pourquoi il est compté à juste titre au nombre des mathématiciens par GÉrard Jean Vossius qui dit de lui1 : « En l’année 1628, et dans les années suivantes, s’est illustré dans les différentes sciences, et en premier lieu dans les mathématiques, le Français Pierre Gassendi, dont je n’ai pas pu ne pas admirer l’érudition singulière et diversifiée alors que, parcourant notre Belgique en 1629, il me jugea digne, moi entre autres, et plus d’une fois, de venir me saluer et m’offrir sa très douce conversation2 ». De la même manière, le révérend Père Riccioli l’inscrivit dans son Catalogue chronologique des mathématiciens qu’il a mis en tête de cet ouvrage remarquable qu’il a appelé Almageste des mathématiques3. Mais je concéderais volontiers que c’est la sagesse plus que les mathématiques qui place Gassendi au premier rang, lui qui, tout en étant un excellent mathématicien, fut l’homme le plus sage et employa ces disciplines comme autant de servantes de sa sagesse. 1 Dans son ouvrage de 1650, Quatuor artibus popularibus, de philologia et scientiis mathematicis, cui operi subjungitur chronologia mathematicorum (Amsterdam), « De scientiis mathematicis ». Sorbière ne précise pas que c’est le chapitre LXVI, Sur les astrologues latins, et qu’il coupe une partie du texte où Vossius explique qu’il a écrit « deux lettres à Pierre [sic] Schickard Sur mercure vu dans le soleil et vénus invisible, publiées à Paris en 1631. Il a ajouté à son Epistolica Exercitatio contre Fludd* (*Paris 1632 [en marge] un appendice d’observations célestes. Il a écrit bien d’autres choses ; et plus encore sont attendues aujourd’hui. Il est prévôt de l’église cathédrale de Digne ». Le même Vossius, dans la même section du même livre, mais dans le chapitre LXI, Sur les spécialistes de l’optique, évoque Gassendi à un autre titre, et cela après avoir cité Jean-Baptiste Morin : « Pierre Gassendi se distingue encore, lui qui a publié quatre lettres sur la grandeur apparente du soleil haut et bas, dans lesquelles il propose et explique de nombreux points de physique et d’optique. La première lettre fut écrite à Gabriel Naudé et date de 1636 ; la deuxième à Fortunio Liceti quatre ans après ; la troisième à Ismaël Boulliau, la quatrième à Jean Chapelain, les deux dernières datant de 1641. Le tout est édité à Paris l’année suivante. C’est un ouvrage élégant et érudit et qui nourrit l’esprit de bons fruits de même qu’il le divertit par le plaisir qu’il lui procure » (p. 356). Il est ajouté dans les addenda (p. 465), renvoyant à ce même passage : « Ce très grand homme a bien d’autres ouvrages, qui sont beaux, les uns prêts, les autres encore en cours d’élaboration. Je me rappelle que nous en avons parlé familièrement quand, il y a trente ans, il a entrepris son voyage en Batavie ». 2 Témoin de cette rencontre des deux hommes, une lettre du 14 septembre 1629 : « Adieu donc, homme très illustre, adieu, ô tête très chère. Je salue l’ensemble de ta très paisible maisonnée ; quant à tes trois nobles garçons, François, Matthieu et Denys, ces images déjà parfaites de ton éminente vertu, je voudrais qu’ils se portent le mieux possible ». 3 Giovanni Battista Riccioli, Almagestum novum astronomiam veterem novamque complectens observationibus aliorum, et propriis novisque theorematibus, problematibus, ac tabulis
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Non essent hîc loci innumera, quæ in confirmationem illius sapientiæ afferre possem, silentio prætermittenda, & memorandi iam occurrerent Viri Orbis totius literati sapientissimi, qui primariam illam virtutem in GASSENDO colebant : Sed in immensum opus excurreret. Id partim exsequentur Epistolæ ; & alibi ostendent illi ipsi Viri magni, qui in operibus suis amicam GASSENDI mentionem facere inter titulos suos meritò posuerunt. PEIRESKIVM quid nominem & GALTERIVM, VALESIVM Principem, VARIVM, & VARII in amando GASSENDO æmulum illustrissimum PETRVM SEGVIERVM togatorum nunc Principem, LVILLERIVM, CAMPINIVM utrumque, & alios quos iam innuimus, nec quisquam ignorare potest, qui GASSENDVM norit. Vel quid in medium afferam quottidie accedentes magno ambitu amicitiam suam optimo Virorum offerentes ; aut quos ille sibi in itineribus suis deuinxit, quod laudata Vossii verba satis demonstrant. Paucos igitur seligam, quos esset piaculum præterire, quippe interioris notæ & omnium horarum Amicos, vitæ testes, studiorum socios, eiusdem sapientiæ cultores.
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Il ne faudrait pas ici passer sous silence les innombrables signes que je pourrais apporter pour confirmer sa sagesse, et me viendraient déjà à l’esprit comme devant être cités les hommes de lettres les plus sages de tout l’univers qui honoraient en Gassendi d’abord cette vertu ; mais mon propos se prolongerait alors en un ouvrage immense. Les Lettres, pour partie, se chargeront de le montrer, et ces grands hommes eux-mêmes pourront en témoigner ailleurs en faisant à juste titre une mention amicale de Gassendi dans leurs ouvrages, parmi leurs titres. Pourquoi nommerais-je Peiresc et GAULTIER, le prince de Valois, Varius et rival de Varius1 dans son amour pour Gassendi, le très illustre Pierre SÉguier, aujourd’hui le premier des magistrats2, Luillier, les deux Champigny, et tous ceux que nous avons déjà indiqués et qu’aucun des hommes qui ont connu Gassendi ne saurait ignorer. Hé bien pourquoi ferais-je connaître le nom de tous ceux qui sont venus chaque jour rendre visite au meilleur des hommes et lui offrir leur amitié, pour son grand honneur ; ou bien ceux avec qui il s’est lié au cours de ses voyages, comme les paroles de louange de Vossius le montrent suffisamment. J’en choisirai donc un petit nombre, qu’il serait abominable de passer sous silence, en tant qu’ils sont des amis de chaque heure, parmi les plus intimes, des témoins de sa vie, des compagnons d’études, des adorateurs de sa sagesse.
promotam, in tres tomos distributam, Bologne, 1651. Dans le « Chronicon duplex astronomorum, vel astrologorum, cosmographorum, aut polyhistorum, qui Astronomica, vel Cosmographica propiùs attigerunt », nous trouvons les lignes suivantes (en latin) concernant Gassendi : « Pierre Gassendi, Chanoine de Digne, auteur de remarquables observations astronomiques qu’il a faites à Paris, Digne, Aix et Marseille, et homme d’une candeur admirable pour son style, son intelligence et ses mœurs, est encore aujourd’hui en pleine activité, et il l’est depuis 1625. Il a écrit en 1642 sur la grandeur apparente du soleil tantôt bas et tantôt haut sur l’horizon ; sur le mouvement imprimé par un objet en mouvement où il y a beaucoup d’arguments en faveur du mouvement de la Terre ; puis un jugement sur les neufs étoiles observées vers Jupiter et deux livres d’enseignement astronomique à l’occasion de la collation de sa chaire de mathématiques à Paris ». 1 Rufus Varius (Ier siècle av. J.-C.), poète, ami d’Horace, de Mécène et de Virgile. Son De Morte suit les principes d’Épicure. 2 C’est-à-dire chancelier.
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Primus occurrit R. P. MARINVS MERSENNVS, Religiosorum Ordinis Sancti Francisci à Paula, Minimorum decus & ornamentum, qui dum vixit Lutetiæ Parisiorum tersius Philosophantium commune centrum fuit. Ad illum pergebat GASSENDUS singulis diebus Dominicis manè, sacris operaturus, & deinde amico confabulaturus. Atque eò tum confluebant docti permulti, ut tantorum Virorum colloquia audirent. Visus ibi à me primum CAROLVS DVBOSCIVS, sîma sof…hj, quem per transennam kaˆ çj
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Me vient à l’esprit en premier le R. P. Marin Mersenne1, gloire et ornement des minimes de l’ordre religieux de saint François de Paule2, qui, tout le temps qu’il vécut à Paris, fut le centre commun de ceux qui philosophent de façon plus limpide. Gassendi allait le voir tous les dimanches, pour servir la messe et converser avec son ami3. Et venaient les retrouver de très nombreux savants, pour écouter les entretiens d’hommes si considérables. J’y ai vu d’abord Charles Du boSC, sîma sof…hj4, cet homme placé
1
L’amitié qui unit Mersenne et Gassendi est indéfectible. Gassendi, quand il était à Paris, assistait tous les dimanches à la messe chez les Minimes où il a peut-être côtoyé Coste en même temps que Mersenne. Il est présent au chevet de son ami et assiste à ses derniers instants, malgré les barricades de la Fronde qui rendent Paris dangereux – au point que Descartes préfère partir. Il compose une sorte d’éloge funèbre (lettre à Valois du 4 septembre 1648) : « Tu auras lieu sans aucun doute de t’affliger de ce que l’excellent Mersenne nous ait été ravi le premier de ce mois : il t’a tellement honoré durant toute sa vie et, même dans les extrémités de sa maladie, il rappela ton souvenir lors d’une de mes visites. Il a souffert pendant quarante deux jours d’une pleurésie pernicieuse au côté droit, avec une douleur continuelle, des insomnies perpétuelles et des difficultés pour respirer : il ne pouvait se coucher que sur la partie affectée. Il a eu une très grande abondance de sang, et surtout dans les débuts de sa maladie, mais on le lui ôta en vain ; on lui appliqua aussi un cautère, mais sa transpiration était trop chiche. Finalement on lui a ouvert le côté, mais sans guère de succès, car il a rendu l’âme quelques heures après. C’était un homme simple de cœur, irréprochable, raffiné, en qui la ruse n’avait pas sa place ; un homme tel qu’il n’en existe pas de plus curieux, de plus scrutateur, de plus entreprenant ; un homme à juste titre pleuré par tous les arts et toutes les sciences, car il s’est toujours montré infatigable à les promouvoir, explorant les uns, soumettant les autres à examen, stimulant d’autres hommes à d’autres encore. Veux-tu une preuve singulière de la bienfaisance qu’il eut envers le genre humain ? Voici que, déjà presque mourant, il a mandé aux médecins de disséquer son cadavre jusqu’à ce qu’ils apprennent la cause de sa maladie qu’ils avaient ignorée, aux fins qu’ils puissent porter secours à ceux qui souffriront ensuite d’une maladie semblable. Oh ! qu’il vive par son cœur dans les cieux comme il vit par sa renommée sur Terre parmi les hommes, puisqu’il eut souci de leur être utile, partout où il le pouvait, même mort ! Comme tu nous connais, tu peux deviner le regret que j’ai de cet homme ». 2 Sur les Minimes, voir Whitmore. 3 Mersenne, moine, était aussi consacré et aurait pu servir lui-même la messe. D’après de Waard (Corr Mersenne tome I p. xxiv), Mersenne reçoit le sous-diaconat et la prêtrise des mains de Henry de Gondy au couvent des Minimes de la Place royale en 1613. Il célébra sa première messe le 28 octobre 1613. Notons que c’est parfois Launoy qui dit la messe aux minimes (Lenoble, 129). 4 [le corps de la sagesse]
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™n parÒdù laudare Virum supra omnem laudem positum, non debeo ; & THOMAS HOBBIVS GASSENDO charissimus, cuius libellum de Corpore, manibus PRATœi nostri paucis ante obitum mensibus accipiens, osculatus est subiungens, mole quidem paruus est iste liber, verùm totus, ut opinor, medulla scatet. Annumerandi veniunt PVTEANI Fratres celeberrimi ; ISMAEL BVLLIALDVS, Philolaus alter, nec pietate minus & omnigena eruditione, quàm Astronomica Scientia conspicuus ; GABRIEL NAVDÆVS, librorum helluo, qui callebat varias cuiusque editiones, qui si quid fortè late-
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au-dessus de tout éloge, que je ne dois pas louer comme à travers un grillage1 kaˆ çj ™n parÒdù2 ; et Thomas Hobbes, que Gassendi aimait infiniment3 : il a du reste embrassé son petit livre De corpore4 sitôt qu’il l’a reçu des mains de notre ami Du Prat, quelques mois avant sa mort, en ajoutant : « C’est un livre assurément petit, pour ce qui est de son poids, mais il déborde tout entier de moelle5, à ce que je crois ». Prennent place ensuite dans mon énumération les très célèbres frères Dupuy ; Ismaël Boulliau, ce second Philolaüs6, non moins remarquable par sa piété et son érudition en toutes choses que par son savoir astronomique ; Gabriel NaudÉ, ce glouton de livres, qui était expert dans les différentes éditions de chacun et 1
Expression employée par Gassendi (lettre à Valois, 18 août 1651, n° 633), empruntée à Cicéron, De Or., i, 35, 162 (per transennam inspicere), passée en proverbe, Érasme, Adages iii, 1, 49. 2 [et en passant] 3 Gassendi rencontre Hobbes par l’intermédiaire de Mersenne. Malcolm, 17. Dans la maigre correspondance sauvegardée de Hobbes, deux lettres concernent ses échanges avec Gassendi après cette rencontre chez Mersenne (Lettre 62 et 66), dans Hobbes, Correspondence, ed. Noel Malcolm, Oxford, 1994. Sur les rapprochements à faire entre les deux philosophies, voir Skinner iii, 310 (réédition d’un article qui a fait date « Hobbes’s disciples in France and in England ». 4 Thomas Hobbes, De Corpore politico or the Elements of law, moral and politick, Londres 1650. Sorbière ne rappelle pas qu’il a traduit ce livre de Hobbes. Le Corps politique, ou les éléments de la loi morale et civile. Avec des réflexions sur la loi de nature, sur les serments, sur les pactes et sur les diverses sortes de gouvernements, leurs changements et leurs relations Leyden, 1652. 5 Un terme qui revient fréquemment sous la plume de Gassendi. Par exemple il conseille à Reneri (8 février 1630) de cultiver la vraie philosophie « avec la moelle des raisonnements qui conservent depuis les Anciens leurs traces pérennes ». 6 Boulliau est un « second Philolaüs » ; car il se réfère à l’astronome grec dans son ouvrage où il défend l’héliocentrisme et dont il dédie le dixième livre à Gassendi. Boulliau publie anonymement (« suppresso nomine meo », écrit-il à Blaeu le 10 juillet 1636) à Amsterdam son Philolaüs. Ce n’est qu’en 1645 que l’Astronomica philaloica paraît en France sous son nom. Le titre exact du livre de Boulliau : Astronomia philolaica opus novum, in qua motus planetarum per novam ac veram hypothesim demonstrantur… Addita est nova methodus cujus ope Eclipses solares expeditissime computantur. Historiæ ortus et progressus astronomiæ in prolegomenis describitur et breviter recendetur ea quæ in hac opera nunc primum prodeunt, Paris 1645. Cet ouvrage est envoyé en Hollande par l’intermédiaire de Grotius, qui écrit à Vossius le 1er juillet 1636 : « Dissimulant son nom, pour éviter toute forme de haine en l’occurrence, il s’est attribué celui d’un pythagoricien pour communiquer ses opinions ». Dans ce livre, Boulliau célèbre en Copernic le restaurator des hypothèse de Pythagore exactement comme Philolaüs de Crotone (né c. 470 av. J.-C.) a célébré Pythagore parce qu’il a inventé l’idée que la terre tourne autour d’un feu central.
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ret, Indice monstraret digito ; LVDOVICVS IACOB CABILONENSIS, hac in arte à NAVDÆO non diuellendus, sed morum suauitate potior ; ÆLIVS DIODATVS, Senex intemeratam probitatem eximiæ eruditioni & sagacitati coniungens ; & FRANCISCVS MOTHA VAHYERVS, Aulæ nostræ SENECA, cuius Sapientia Regibus & Regum Fratribus instituendis dudum selecta fuerat, in quem verò illud CASPARIS BARLAEI adscriptum Iconi Vossii usurpare possum Et puer, & iuvenis chartis impalluit, & Vir, Et nunc non alium se cupit esse senem. Non cessat enim inter Aulæ ministeria, & in senili ætate, eundem prositeri in bonas disciplinas affectum, & patriam suam Scriptis ornare ære perennioribus. Ad istum inter Amicos intimos vetustissimum hospitem diuertere solebat nonnumquam GASSENDVS Lutetiam appellens ; IACOBVS VALESIVS Gratianopoli Franciæ Thesaurarius, in Mathematicis versatissimus. Nec postremum locum obtinere debet IOANNES CAPELLANVS, cuius in Testamento meminit GASSENDVS, qui verò VIRGILII famam in Gallia Hero-
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savait montrer du bout de son index tout ce qui échappait d’aventure ; Louis Jacob de ChÂlons1 qui, dans cet art, ne peut pas être désolidarisé de NaudÉ2, mais qui lui est supérieur en terme de douceur de caractère ; Élie Diodati, un vieillard qui joint des qualités morales sans tache à une suprême érudition et sagacité ; et François La Mothe Le Vayer, le Sénèque de notre Cour3, qui a été choisi il y a quelque temps, en raison de sa sagesse, pour éduquer les rois et les frères de rois4 et dont je peux emprunter le portrait à cette inscription de Gaspard Van BaErlE sous l’image de Vossius5. Dans son enfance, dans sa jeunesse, à l’âge adulte il a pâli sur des papiers, Et maintenant, devenu vieillard, il ne se veut pas autre. De fait il ne cesse pas, au milieu de ses devoirs à la cour, et malgré son vieil âge, de professer la même passion pour les bonnes disciplines et d’orner sa patrie d’écrits plus pérennes que le bronze. Gassendi, quand il venait à Paris, avait quelquefois habitude de séjourner chez cet hôte le plus ancien parmi ses amis intimes. Jacques de Valois, trésorier de France à Grenoble, un homme très versé dans les mathématiques. Et je ne dois pas donner la dernière place à Jean Chapelain, que Gassendi mentionne dans son testament6, qui 1
La présence des majuscules pour désigner l’origine régionale de Louis Jacob s’explique peut-être par le fait qu’il a consacré des ouvrages aux écrivains locaux (De Claris scriptoribus cabilonensibus libri III…, Paris, 1652). 2 Les deux hommes se rencontrent à Rome, et c’est Naudé qui le pousse à constituer sa Bibliotheca pontificia, catalogue des œuvres qui se trouvent dans les bibliothèques pontificales. Ils se retrouvent à Paris, et c’est Jacob qui édite l’Advis pour dresser une bibliothèque de Naudé (1644). Comme Naudé, Jacob fréquente le cabinet Dupuy. C’est lui qui prépare le Tumulus pour Naudé. 3 Allusion à la bonne attitude qui doit être celle d’un philosophe à la cour, fût-il, autant que La Mothe Le Vayer, chargé d’honneurs et de responsabilités. Tel Sénèque, instruisant Néron, puis lui résistant, et finalement préférant renoncer à la vie que se compromettre dans les crimes de son ancien élève. Le philosophe reste un « petit » au milieu des Grands. La Mothe Le Vayer écrit lui-même : « Je ressemble ici [à la cour] à la christophoriane [plante à fleurs roses qui pousse mieux dans les vallons que sur les sommets], qui se tient d’autant plus petite qu’elle est dans un lieu plus élevé ». 4 L’éducation du duc d’Anjou (plus tard d’Orléans) fut confiée à La Mothe le Vayer en 1649, celle du roi en 1652. 5 Il s’agit probablement des vers qui ornent un portrait gravé de G. J. Vossius (1577-1649) qui fut un collègue de Baerle à l’Académie d’Amsterdam à partir de 1631. 6 À « son bon et chair amy » Gassendi lègue trois ouvrages à choisir dans sa bibliothèque de Paris. Fleury & Bailhache 39.
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ico Poëmate consequutus, excultum habet omnifaria eruditione & philosophica præsertim modestia ingenium ; vel M. NEVRÆVS, acerrimus ille GASSENDI defensor, quotiescunque dentata opus fuit charta Amico propugnando, quod plus satis probauit in illum IOANNEM BAPTISTAM MORINVM ferènumon, qui liuido morsu GASSENDVM petere præter omnem humanitatem ausus fuerat, forsan ut ista immanitate inclaresceret, qui aliunde non poterat. Quod tandem aduertens GASSENDVS, dolebat quidquam repositum fuisse ab Amicis, NEVRÆO, inquam, & BERNERIO, & uel Apologiam suam expungi Operum suorum catalogo æquo animo passus fuisset. Et præsertim si aduersario suo superuixisset, ne Legem Solonis violasse videretur : tÕn teqnhkÒnta m¾ kakîj ¢goršuein ; & illius Planci memor, cum mortuis nonnisi laruas luctari, vel Euripidis apud Stobæum GROTIO interprete, Mors iurgiorum finis est mortalibus : Nam maius aliud leto quid potest dari ? Molem quis autem saxeam hasta verberans Cicat dolorem, mortuumve iniuriis Frustra lacessens, nulla sensurum mala.
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a obtenu la renommée de Virgile par son poème héroïque de France1 et dont le talent s’embellit d’une érudition universelle et surtout d’une modestie toute philosophique ; ou encore M. NEURÉ2, ce très énergique défenseur de Gassendi chaque fois qu’il y a eu besoin d’un papier mordant pour combattre en faveur de son ami, ce qu’il a plus qu’assez prouvé contre ce Jean-Baptiste Morin ferènumoj3 qui, mordu par la blême jalousie, avait osé s’en prendre à Gassendi, en dehors de toute humanité, peut-être pour se rendre célèbre par cette cruauté, incapable qu’il était d’y parvenir autrement. Ce que sachant Gassendi souffrait que ses amis aient répliqué, à savoir donc NeurÉ et Bernier, et même il ne serait pas mis en colère s’il avait vu comme l’Apologie a été effacée du catalogue de ses œuvres4. Et surtout s’il avait survécu à son adversaire, de peur de sembler avoir violé la loi de Solon tÕn teqnhkÒnta m¾ kakîj ¢goršuein5 et se rappelant cette parole de Plancus6 qu’il « n’y a que les spectres qui se battent avec les mort », ou bien Euripide chez Stobée dans la traduction de Grotius7 : La mort est pour les mortels la fin des outrages. Car que peut-on offrir de plus grand que la mort ? Qui pourrait provoquer de la douleur en frappant une masse de pierre avec sa lance, ou en accablant en vain d’insultes un mort qui n’éprouvera aucune souffrance.
1 La Pucelle ou la France délivrée, poëme héroïque (1656). Pour le coup, cela semble être pure flatterie, étant donné la manière dont ce poème fut reçu, et unanimement raillé 2 Pourquoi Sorbière ne donne-t-il pas de prénom ? Cela renvoie-t-il au changement d’identité de Neuré ? 3 [Le bien nommé]. Sans doute un jeu de mots entre Morin et moria, la folie en grec, ou le substantif latin morio qui en est tiré, voulant dire un fou, un imbécile. 4 C’est une litote. De fait, les Opera omnia ne la reprennent pas. Pour cette querelle et la part que Neuré et Bernier y prennent, voir Turner & Gomez 89-91. 5 [Il ne faut pas dire du mal d’un mort] Plutarque, Vie de Solon, 21. 6 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Préface, 31. Telle est la réaction que Plancus oppose à la menace d’Asinius Pollion de faire publier après sa mort les discours qu’il est en train d’écrire contre lui. L. Munatius Plancus était un général qui commanda en Gaule sous César et fonda la ville de Lyon. Homme politique, bon orateur, il est aussi un disciple et un correspondant de Cicéron. Horace lui dédie une Ode (I, 7). 7 Dans son édition des Œuvres d’Euripède, Paris 1630, Amsterdam 1630 et 1631. Pour le travail de Grotius sur Stobée, voir Miller J, passim.
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Cæterum is ille NEVRÆVS est, qui GASSENDI Vitam unus potest immortalibus suis coloribus repræsentare. Aut FRANCISCVS BERNERIVS, qui non solùm stylo acutissimo confodit aduersarium, Muris ridiculi Anatomiam faciens, & fauillam muris dispergens, sed, quod pluris duco, qui secutus est optimum Præceptorem suum Tolonam, Diniam, & Lutetiam Parisiorum, lateri semper adhærens, nulla non reddens officia, & oculos demum mæstissimus tamquam parenti charissimo claudens. Inter Amicos istos ab annis hisce viginti sedem occupauerunt Viri duo GASSENDVM mirè ingenio & sapientia mihi nunc referentes, ABRAHAMVS PRATÆVS Medicus doctrina & iudicio cum paucis conferendus, nisi Socratem Hippocrati superaddens, utrumque fusikwtšron facias ; cuius quoque in Testamento suo mentionem fecit GASSENDVS ; & THOMAS MARTELLVS, qui Philosophica studia negotiis publicis absorptus non intermisit, ut quam in Theoreticis disciplinis solertiam præbuit, in rebus agendis retinuerit. Par istud Amicorum nunquam diuellebat GASSENDVS, & trigam ego sæpius faciebam, ex quo mihi conciliauerat amicitiam GASSENDI, SAMVEL PETITVS Auunculus meus. Nam unà Philosophum nostrum adire solebamus, & domum reduces eius aurea dicta excerpere, facta recolere, & in eius mentem veluti descendere. Quod illis sanè non parum profuit ut in tantos Viros euaderent.
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Du reste seul ce NeurÉ pouvait peindre la vie de Gassendi sous des couleurs immortelles1. Ou bien François Bernier2 qui non seulement a transpercé son adversaire de sa plume très aiguisée, faisant l’Anatomie de la souris ridicule3 et dispersant la cendre de la souris4, mais qui a aussi, ce qui a plus de prix à mes yeux, suivi son excellent précepteur à Toulon, Digne et Paris, s’attachant toujours à son côté, ne refusant aucun service à lui rendre et pour finir, accablé de chagrin, lui fermant les yeux comme on le fait à un père chéri. Ont occupé une place parmi les amis de ces vingt dernières années deux hommes qui me rappellent maintenant Gassendi en raison de leur caractère et de leur sagesse, à savoir Abraham Du Prat, médecin qui par sa science et son jugement, ne doit être comparé qu’à un petit nombre d’hommes, à moins d’ajouter Socrate à Hippocrate et de rendre l’un et l’autre fusikwtšroj5, et dont Gassendi fait aussi mention dans son testament6 ; et Thomas Martel qui n’a jamais interrompu ses études philosophiques en dépit des affaires publiques qui l’absorbaient, de telle sorte qu’il a maintenu dans l’action la même habileté qu’il a eu appliquée dans les disciplines théoriques. Gassendi ne séparait jamais cette paire d’amis ; et moi je faisais assez souvent la triade, depuis que mon oncle Samuel Petit m’avait gagné l’amitié de Gassendi. Car nous avions l’habitude de nous rendre ensemble chez notre philosophe et, de retour à la maison, de sélectionner ses paroles d’or7, de nous rappeler les faits et de descendre pour ainsi dire dans son esprit. Ce qui ne fut pas peu utile à ces hommes pour devenir de
1
Malgré ce qu’il dit après, Sorbière règle ici ses comptes avec Neuré et Bernier. Pour qui voir l’introduction au chapitre 6. 3 Anatomia ridiculi muris, hoc est dissertativnculæ J.-B. Morini astrologi, adversus expositam a P. Gassendo Epicuri philoophiam. Itemque obiter, prophetiæ falsæ a Morino ter evulgatæ de morte eiusdam Gassendi, Paris 1651. 4 Favilla ridiculi muris, hoc est dissertativnculæ ridicule defensæ a Jean Baptiste Morino astrologo adversus expositam a Petro Gassendo, Paris 1653. 5 [plus attentifs à la nature] 6 Dans son testament, Gassendi charge Abraham du Prat, « docteur en medecine, son bon amy » de récupérer son traitement de professeur royal (pour les années 1652, 1654 et 1655) et de le remettre à Habert de Montmor son exécuteur testamentaire. Fleury & Bailhache 40. 7 Expression empruntée à Lucrèce parlant d’Épicure, Lucrèce, De rerum natura, iii, 12. 2
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Nec reticendus Filius tuus LVDOVICVS HENRICVS, qui tum summæ spei Adolescens, iam Senator Parisiensis in Supremo Regni Senatu, vaticinia GASSENDI adimplere felicissimè, cœpit. Adeò ut vestigia tua arctè premens, non solùm Te, & HABERTOS omnes imitandos nunc sibi proposuerit ; sed vel in ipso literarum tyrocinio BVDÆVM suum Græcè loquentem auditorio frequentissimo retulerit. Neque semel iam memorasse sufficit Illustrissimum Laudunensem Episcopum CÆSAREM ESTRÆVM, eruditorum fautorem per-eruditum, qui non tantùm doctrinâ labore parta, vel Familiæ suæ splendore antiquissimo, verùm innatis excultisque virtutibus totus circumfulget. Hunc Præsulem inter paucos GASSENDVS habuit amicissimum. Redamauit præterea GASSENDVS egregios multos Viros, ÆGIDIVM MENAGIVM, quem nominare toto orbe Terrarum celeberrimum ut sat laudum tribuam, sufficit ; CONRARDVM, humanissimum Virum, auctoribus
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grands hommes. Et je ne dois pas taire le nom de ton fils, Louis-Henri1, qui, après avoir été ce jeune homme qui donnait de grands espoirs, est maintenant devenu conseiller parisien au Parlement suprême du roi, remplissant avec la plus grande félicité les prophéties de Gassendi. Au point que marchant sur tes talons, non seulement il s’est proposé de vous imiter, toi et tous les Habert2 ; mais, dès le début de son apprentissage des lettres, il a encore rappelé à son très nombreux auditoire son Budé parlant grec. Et il ne suffit pas d’avoir évoqué déjà une fois CÉsar d’EstrÉes, le très célèbre évêque de Laon, ce très érudit soutien des érudits qui resplendit tout entier non seulement de sa doctrine acquise avec labeur ou de la splendeur très antique de sa famille3, mais encore de ses vertus innées et cultivées. Gassendi a considéré ce prélat comme très ami cher entre tous. Gassendi a en outre rendu leur amitié à de nombreux hommes remarquables, Gilles MÉnage, qu’il me suffit de nommer comme un homme très célèbre sur toute la surface de la terre pour lui attribuer assez de louanges ; Conrart, homme très humain, accoucheur d’auteurs excel-
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Ou plutôt Henri-Louis, comme son père, dont il est le fils aîné : conseiller au Parlement en 1658 et maître des requêtes en 1667, il fit en 1669 une énorme banqueroute frauduleuse (600 000 livres), après s’être ruiné en musique et en bijoux. Sa femme, Anne Morin, « se fit séparer d’avec lui » et il fut enfermé à Saint-Lazare où il mourut en 1686. « C’était la perte de la fortune et le déshonneur de la famille. L’épreuve fut terrible pour M. de Montmor. Chapelain dit qu’il tomba dans une mélancolie mortelle, atteint physiquement et intellectuellement. Il fut obligé de résigner sa charge de maître des requêtes. Lui qui avait reçu tant de personnalités, lui qui avait participé à tant de travaux, lui qui avait tant aidé les savants, les lettrés et les artistes, il s’enferma durant dix ans dans l’isolement le plus complet avant de s’éteindre le 21 janvier 1679, dans son hôtel qui apporta tant aux sciences et dont l’influence fut si bienfaisante pour la langue française. Il fut inhumé le 23 suivant dans la chapelle funéraire des Habert de Montmor en l’église de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris, retrouvant ainsi sa femme, la fidèle compagne de toute sa vie, disparue trois ans plus tôt ». Chapelain à Regnier Graf 28 août 1671, Lettres ii, 750-1. Cf. Boulliau à Portner 17 avril 1669 cité par Nellen 281-2 n. 18. 2 Sur les cousins d’Henri-Louis – Nicolas, Philippe, Germain, Pierre et René Habert – voir Cauchie 86-89. 3 Sur la famille d’Estrées, qui remonte au milieu du XVe siècle, voir la série d’articles de M. Buffenoir dans le Bulletin de la Société archéologique, littéraire et scientifique de Soissons.
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optimis obstetricantem, aÙtodid£kton, nec tantum Gallicæ facundiæ summum Censorem, sed, quod stupendum, sine ullis Græcis Latinisue literis Veterum mentem ita assequutum, ut aliquando eorum Interpretes lapsuum & errorum monuerit. KENELMVM DIGBIVM, Equitem Anglum, non minùs doctrina & sapientia, quàm generis nobilitate, & dum res Regni stabant, publicis muneribus, Magni illius VERVLAMII desiderio patriam suam feliciter consolantem ; quo Viro Româ redeunte donatus fuit GASSENDVS Telescopio Eustachii illius Divini arte elaborato, quod Galileano suo anteponebat ; MICHAELEM MAROLLIVM Abbatem Villalupensem, oris præstantia, sed magis animi robore Heroas suos referentem, qui tot elegantissimorum Poëtarum Latinorum fidus interpres, patriam suam locupletauit quidem alienis opibus, verùm priuauit suis : nam Vir alti spiritus poterat eloquentiam, quam in fætibus aliorum suscipiendis impendit, in usus suos conuertere, & ipse ex fecundissimo ingenio suo plura promere immortalitate dignissima ; IOANNEM LAVNOIVM, Theologum Parisiensem, qui Conci-
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lents1, aÙtodid£ktoj2, non seulement suprême censeur de la verve française, mais encore, ce qui est stupéfiant, si capable de comprendre l’esprit des Anciens qu’il a parfois signalé à des traducteurs leurs fautes et erreurs quoiqu’il ne maîtrisât ni le latin ni le grec. Kenelm Digby, chevalier anglais, dont la doctrine et la sagesse, de même que la noblesse de sa famille et les charges publiques, du temps où les affaires du royaume étaient en état, dédommagent avec félicité sa patrie de la perte de ce grand Vérulam3 ; c’est à cet homme, qui revenait de Rome, que Gassendi a fait don du télescope qu’Eustachio Divini4 avait élaboré avec l’art et qu’il préférait à son télescope de Galilée. Michel de Marolles, abbé de Villeloin, qui rappelle ses héros par la supériorité de sa faconde, mais surtout par la vigueur de son esprit, lui qui, en traduisant fidèlement tant de très élégants poètes latins5, a enrichi sa patrie des œuvres d’autrui, mais l’a privée des siennes ; car cet homme d’un esprit profond aurait pu tourner à son profit l’éloquence qu’il a dépensée pour reprendre les propos d’autres auteurs et se promettre, grâce à son talent très plein de verve, davantage d’œuvres très dignes de l’immortalité. Jean de 1 Sur Conrart, voir Schapira. Il semble que le qualificatif d’accoucheur lui ait été associé de façon générale, puisqu’un biographe, Charles Ancillon (Mémoires contenant les Vies et les Ouvrages de plusieurs Modernes célèbres dans la République des Lettres, Amsterdam, 1709), dit de lui et de son rôle dans l’Académie française : « Il ne devrait point être oublié, car c’est lui qui lui a donné la naissance, et sa maison en a été comme le berceau pendant les premières années de son établissement ». Voir encore le titre très révélateur d’un article du même N. Schapira, « Conrart, auteur sans œuvre », Actes du colloque Une histoire de la fonction auteur est-elle possible ?, dir. N. Jacques-Lefèvre, Saint-Étienne 2001, 217-234. 2 [autodidacte] Le terme revient souvent sous la plume de Gassendi, et c’est pour lui une qualité, puisqu’il le commente dans Vie et mœurs d’Épicure (livre I, chapitre 4) comme « philosophe de son propre génie et par lui-même ». Voir pour la discussion sur Épicure accusé d’être autodidacte, Livre V, chapitre 6 et lettre à Valois 13 décembre 1641. Il loue également le chanoise de Sisteron d’être un autodidacte dans la barbarie ambiante (à Castagny le 29 janvier 1655). 3 Francis Bacon, baron de Vérulam. Il n’existe cependant pas de lien particulier entre Bacon et Digby que les savants et philosophes britanniques trouvaient au contraire un peu trop proche de la pensée française (sans doute aussi à cause de son catholicisme qui lui était reproché outre-Manche). 4 Nous ne savons pas interpréter les italiques du texte, que nous laissons tels quels. En réalité, Sorbière intervertit les faits. C’est Digby qui a offert la lunette de Divini à Gassendi (Opera omnia IV 480). Gassendi légua ce télescope à Habert de Montmor « s’il la trouve meilleure qu’vne pareille qu’il a ». Bailhache & Fleury 39. 5 Marolles a produit au moins soixante-neuf traductions des auteurs anciens, dont celle de Lucrèce, la première en français, en plus d’une quantité d’autres ouvrages.
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liis omnibus interfuisse videtur, unde aliis tot inaudita referre potest ; FRANCISCVM TALLEMANNVM Abbatem Græcis adeò literis imbutum, & inamœna studiorum Aulæue læto risu, vocatis scilicet Camæenis, temperantem ; FRANCISCVM BARANCIVM & BALTHAZAREM MONCONISIVM ad unguem factos homines, amara curarum eluere efficacissimos, quorum iste Regiones tot exteras lustrauit, & tanta quidem cum perspicacitate. PETRVM MOINERIVM nostrum d…bafon, virtutibus subactam mentem, & maceratum bonis artibus ingenium in Aula nunc retinentem ; FRANCISCVM HENRYÆVM Patritium Lugdunensem curiosissimum : cui quantum debeat editio ista nemini compertius quam tibi, MON-MORI illustrissime, quem sollicitudinum parte gravissima leuauit Vir iste lucubrationum GASSENDIANARVM ab interitu vindicendarum studiosissimus. GVILIELMVM BARBERIVM quidni in partes vocem, Typographum egregium, qui Vitam Epicuri, & Animaduersiones in X. Laërtii elegantissime excudit, & doctos omnes ita deperit, ut fortunarum suarum rationem non habeat, si quid operæ præstandum sit ; vel PETRVM GVISONIVM Cavallionensem, iuuenem in Philosophicis & Mathematicis versatissimum ; ELZEARIVM CAROLVM Abbatem Auenionensem, egregium prudentiæ & moderationis exemplum ; qui tot annos Aulæ fluctibus irrequietis ratim credidit, ut in eam quam assequutus est tandem tranquillitatem appelleret. Cùm primum enim potuit extricare se molestissimis negotiis, Oceano illi infido æternum Vale dixit, & in Musæum suum sese abdidit, solis literatis Viris visendus ; unde
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Launoy, théologien parisien qui semble avoir participé à tous les Conciles1, d’où il peut rapporter à tous les autres tant de choses inédites. L’abbé François Tallemant, imprégné de la langue grecque et tempérant de son rire joyeux tout ce que les études ou la Cour ont de désagréable, invoquant les Camènes2. François Barancy et Balthasar Monconys, tous deux hommes accomplis, très efficaces pour dissiper l’amertume des soucis, dont le second a parcouru tant de contrées étrangères, et cela avec une si grande perspicacité3. Pierre Moinier, notre d…bafoj4, qui consacre maintenant à la Cour son esprit pétri de vertus et son talent imprégné de bons arts. François Henry, patricien5 de Lyon d’une grande curiosité intellectuelle ; nul ne sait autant que toi tout ce que cette édition lui doit, très illustre Montmor, que cet homme a soulagé de la plus lourde partie des inquiétudes, car il a manifesté, depuis la mort de GASSENDI, son grand souci de prendre la défense de ses réflexions. Pourquoi ne pas citer Guillaume Barbier, remarquable imprimeur, qui a fait paraître la Vie d’Épicure et les Remarques sur le livre X de Diogène Laërce, et aime si éperdument tous les savants qu’il ne regarde pas à la dépense quand il s’agit de se mettre à leur service ? Ou bien Pierre Guison de Cavaillon, jeune homme très versé dans la philosophie et les mathématiques. ElzÉar Charles, abbé d’Avignon, remarquable exemple de prudence et de modération qui a si longtemps confié son radeau à la cour et à ses flots toujours recommencés que c’est seulement cette année-ci qu’il a abordé la tranquillité qu’il recherchait. Car dès qu’il put s’extraire des très pénibles affaires, il a dit un éternel adieu à cet océan déloyal et s’est retiré dans son cabinet des Muses6, pour ne recevoir de visite que celle des hommes de lettres ; mais de cet endroit, comme d’un
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Allusion de Sorbière aux connaissances profondes de Launoy en histoire ecclésiastique. En 1644, Launoy publie un ouvrage consacré spécifiquement à un point doctrinal du concile de Trente, De Mente concilii Tridentini circa satisfactionem in sacramento pœnitentiæ. 2 À l’origine déesses romaines de l’eau, depuis Livius Andronicus (Odissia, fr 1) les Camènes sont identifiées aux muses. 3 Son journal de ces voyages a été édité, soit par son fils, soit par Jean Bertet, en 1665-66 (rééditions en 1667 et 1695). 4 [Robe de pourpre]. Le terme désigne ici, sans le sens péjoratif que lui donne Cicéron (Fam. 2, 16), un membre de la noblesse de robe. 5 Notable. 6 Sorbière emploie le mot de Musée, qui désigne un cabinet de travail. Cf. note 3 p. 339.
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autem ipse, tamquam ex specula, videns nunc sua sine parte pericli sæuos maleferiatorum hominum lusus, quibus tamdiu iniquitate fati volens nolens interfuerat, ridet miseram ambitionem Aulicorum, qui feoda Magnatum mancipia, nec sui planè iuris esse sciunt, nec dominos graues adsciscere æquo prorsus animo possunt. Verùm semper de Fortuna conquerentes, Fortunam tamen venerari non desinunt : cuius neque rictum vanissimum audent spernere, neque superba fastidia perpeti, aut procul amoliri queunt. CAPELLAM LVILLERIVM, cuius versus illi hendecassyllabi cultissimum ingenium satis supérque monstrare videntur ; FRANCISCVM VERDVSIVM, Patricia familia Burdigalensi natum, qui tutoris fraude adolescens amplissimo patrimono priuatus, scilicet Dum peregrè est animuis sine corpore velox, solatium nunc quærit in bonis Artibus, quarum amorem agello & purpura potiorem habuit. Nobilissimum Virum ALEXANDRVM DELBENVM, rerum ad Physicam spectantium curiosissimum. LVDOVICVM NVBLÆVM, Iurisconsultum tam probitate, quàm doctrina & rara ingenii felicitate omnibus acceptissimum. BALTHASARVM DE VIAS, Apollinem Massiliensem ; CAROLVM PERERIVM, doctis adeò versibus ludentem, si quem Virum aut Heroa Lyra, vel acri tibia sumat celebrare. CAROLVM GVILLETVM,
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observatoire, voyant sans prendre sa part du danger1 les jeux sauvages des vils fainéants, auxquels il avait participé bon an mal an pendant tant d’années, du fait de l’injustice de son destin, il sourit à la misérable ambition des courtisans qui savent qu’étant la honteuse propriété des Grands, ils ne s’appartiennent pas et ne peuvent pourtant pas accepter d’un cœur tout à fait égal leurs maîtres pénibles ; mais s’ils se plaignent constamment de la fortune, ils ne cessent de la vénérer, loin d’oser mépriser son rire plein de vanité, supporter ses orgueilleux dédains ou se mettre à distance. Chapelle Luillier, dont les vers hendécasyllabiques2 semblent avoir plus qu’assez démontré son talent très cultivé. François du Verdus, né dans une famille patricienne de Bordeaux3, qui, privé dans sa jeunesse de son patrimoine par la déloyauté de son tuteur (mais « tant que son esprit vogue loin de son corps »4), cherche de la consolation dans les bons arts qui lui inspirent un amour plus fort que son petit champ et la pourpre. Le très noble Alexandre Delbenus, un homme très avide d’apprendre tout ce qui concerne la physique. LOUIS NUBLET, jurisconsulte qui jouit au près de tous de la meilleure réputation tant pour sa probité que pour son savoir et la rare félicité de son talent. Balthasar de Vias, l’Apollon de Marseille5 ; Charles [DU] PÉrier6 qui s’amuse à faire des vers savants, qu’il choisisse de célébrer un homme ou un héros de la lyre ou bien d’une flûte vive.
Paraphrase du célèbre Suave mari magno (Lucrèce, ii, 1, sqq.) que Gassendi reprend lui aussi couramment. 2 Une pointe d’ironie perce-t-elle ici contre le fils de Luillier, qui n’aura pas contribué à la célébration de son professeur ? Ou bien c’est son incapacité à mener les choses à bien, souvent rappelée par ses contemporains, qui souligne le brillant de sa conversation, mais sa propension à gâcher ses talents qu’il noie dans la paresse, l’indolence, les plaisirs et le vin. Il compose de la poésie, mais ne publie rien de son vivant, hormis les textes du Parasite mormon, œuvre collective anonyme parue sous la signature de La Mothe Le Vayer Le Fils (1650) et, avec son ami Bachaumont, la relation pittoresque d’un voyage en Languedoc, la Voyage de Chapelle et Bachaumont (Paris, 1663. 3 C’est-à-dire de l’aristocratie bordelaise. 4 Lieu commun tiré d’Horace, Épîtres, i, 12, 13. La fin de la phrase termine la paraphrase. Montaigne le reprend, Essais, i, 38 « De la solitude ». 5 Voir supra, pp. 330-1. 6 Voir supra, pp. 204-5. 1
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seu mauis, CALVIDIVM LÆTVM, quo primùm nomine usurpato Callipædiam suam emisit in lucem, an satis placeret opus elegantissimum probaturus. Et MARINVM CVRÆVM CAMBRÆVM, Medicum, qui primus Aristoteleam Philosophiam & Platonica ratiocinia cultiore cultu ornata deduxit in Aulam nostram. PETRVM GVILLIELMVM & CAROLVM SPONIVM, Medicos quoque Lugdunenses, non modò doctissimos, sed felicissimos, seu rectius dixerim, ut felicitatis istius causam complectar, sapientissimos. PETRVM PETITVM, Regiis arcibus muniendis præfectum, cum quo gaudebat experimenta plurima Physica facere. IOANNEM RIOLANVM, Anatomicum percelebrem, RENATVM MORÆVM & GVIDONEM PATINVM, Medicos & Professores Regios eruditissimos, itemque CLAVDIVM MARTINVM & IACOBVM IOVVINVM, Medicos prudentissimos. IACOBVM MENTELIVM, cuius nomini innatum videtur rarissimorum inventorum laude aliquandiu priuari : Artis enim Typographicæ inventionem luculentâ Dissertatione maioribus suis demum asseruit ; qui tamen rerum
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Claude Quillet1 ou si on préfère Calvidius Lætus2, puisque c’est le nom sous lequel il a donné la première édition de sa Callipédie pour tester si cet ouvrage très élégant plairait. Et Marin Cureau de la Chambre, médecin, qui a le premier apporté dans notre Cour la philosophie d’Aristote et les raisonnements platoniciens en les ornant des raffinements les plus étudiés ; Pierre Guillemin et Charles de Spon, également médecins de Lyon, non seulement très doctes, mais aussi très pleins de félicité, c’est-à-dire très savants, pour le formuler plus exactement avec le souci d’exposer la cause de cette félicité3. Pierre Petit, préposé à l’inspection des ponts royaux, avec qui Gassendi se réjouissait de faire un grand nombre d’expériences physiques4. Jean Riolan, le très célèbre anatomiste, RenÉ Moreau et Guy Patin, médecins et professeurs royaux très érudits, et de même Claude Martin et JACQUES JOUVIN, très prudents médecins5. Jacques Mentel dont le nom semble par nature condamné à être privé de la louange due aux plus rares inventeurs ; en effet il a écrit une lumineuse dissertation où il attribue à ses ancêtres l’invention de
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Sorbière l’appelle ici Charles Guillet, ce qui est une faute étonnante pour l’auteur de la Callipædia, seu de pulchræ prolis habendi ratione (Leyde, 1655) sous le nom de Calvidius Lætus. 2 Littéralement : le Chauve heureux. 3 Cette phrase et cette précision renvoient typiquement à la philosophie épicurienne où la connaissance est considérée comme une source de bonheur. 4 Lettres latines, à Valois, 31 mars 1645 : « J’ai reçu ces derniers jours la visite de P. Petit, un homme éminent ; tu sais qu’il t’est soumis par le droit de la naissance et qu’il est aussi célèbre pour son érudition en mathématique pratique qu’en mathématique théorique. Comme la discussion s’était orientée sur la question des fortifications de la Provence et que j’avais moi-même indiqué mon souhait de voir réaliser sous sa conduite surtout celles qui manquent à Toulon et aux îles d’Hyères, il a attesté que rien ne pourrait lui faire plus plaisir que s’il lui était accordé de développer son industrie sous ton autorité. Je me suis aussitôt chargé de t’écrire à ce sujet, croyant que, si tu n’en as pas déjà nommé un autre, c’est volontiers que tu le choisirais pour le mettre à la tête de l’ouvrage. J’écris donc plein de confiance : je ne doute nullement de ce que, par amour pour moi, tu fasses bon accueil à ma liberté, et je suis certain que, si par hasard tu l’emploies, tu ne regretteras jamais de l’avoir employé. Son talent est abondamment connu, de même que son expérience, et tout spécialement dans ce domaine : je crois que tu n’ignores pas que le cardinal Richelieu lui a confié le soin d’achever les places fortes ». 5 Comment interpréter ce prudentissimi ? Pourquoi Sorbière ne cite-t-il que les prénoms du premier, connu sous son nom de Laurendière ?
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suarum, ut ait, negligens noluit amico nostro iamiam nominando quidquam detrahere eius, quam meretur commendationis, quamuis constanter affirmare soleat, ante annos triginta, cùm BARTHOLOMŒI EVSTACHII locum & HEROPHILI apud Galenum legisset, quæsitum a se & inventum ductum Chyliferum. Verùm cùm non satis in illum aduerterit, mauult adhuc senex & Medicus, quod prorsus insolitum, sinere ut laus uniuersa cedat iuveni per quem reuera primùm res clarè & distinctè omnibus innotuit. Nimirum magno Viro, & plura tamen habituro, conuenit ista neglectæ laudis iactura. Addam igitur, MENTELIO annuente, ut agmen claudat, IOANNEM PECQVETVM, Medicum, cuius gloriam à repertâ Chyli via inuidendam pronuntiabat ; cùm laudaret prudentiam illustrissimorum FVCQVETORVM, qui-
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l’imprimerie1, lui qui, négligeant ses intérêts à lui, comme il dit, n’a pas voulu en nommant notre ami lui retirer rien de l’éloge qu’il mérite, quoiqu’il ait l’habitude d’affirmer constamment qu’il a cherché et découvert le canal chylifère avant l’âge de trente ans, après avoir lu un passage de BartolomMeo Eustachi et d’HÉrophile2 chez Galien. Mais jugeant son observation insuffisante, il préfère, ce qui est tout à fait insolite pour un vieil homme et un médecin comme il l’est aujourd’hui, en laisser toute la gloire à l’homme plus jeune3 grâce auquel la chose a en réalité été connue de tous de façon claire et distincte4. En effet, à un homme qui est grand et qui cependant est destiné à connaître de plus grands honneurs encore, il convient parfaitement de renoncer à la gloire et d’en faire le sacrifice. J’ajouterais donc, avec l’accord de Mentel, pour qu’il ferme le troupeau, le médecin Jean Pecquet, dont il proclamait la gloire digne d’être enviée de tous pour sa découverte de la route du chyle, alors qu’il louait la prudence des très illustres FouCquet5 auxquels l’homme, lié à eux comme il l’est par de multiples Jacques Mentel, De Vera typographiæ origine parænesis, Paris 1650 ; mais Mentel fabriquait lui-même les preuves pour appuyer sa thèse selon laquelle ce serait son ancêtre, Johann Mentelin de Strasbourg (mort 1478), qui aurait inventé l’imprimerie. Bigmore & Wyman ii 37. Rappelons que Naudé consacre tout un développement à l’histoire du livre et de l’imprimerie au chapitre VII de son Addition à l’histoire de Louys XI. 2 Hérophile, né en Asie mineure dans le dernier tiers du IVe siècle av. J.-C. ; médecin, il fait la synthèse entre le savoir clinique de Cos et la recherche de l’explication logique des causes, pratiquée à Cnide. Il est connu pour avoir disséqué de nombreux cadavres humains alors que ses prédécesseurs s’étaient contentés d’autopsier des animaux. Cet usage qui parut sacrilège à ses contemporains donna même lieu à une tradition dont la véracité est sujette à caution, puisqu’il fut accusé d’avoir fait des vivisections sur des condamnés. Galien le défendit en déclarant que cela permettait de connaître véritablement la nature et non d’avoir à raisonner par analogie. Ses écrits nous ont été transmis par Galien qui les cite. 3 S’il félicite Pecquet dans une lettre latine datée du 13 février 1651 (Pecquet l’adjoint à son livre, voir note pag. suiv.), Jacques Mentel, son ancien condisciple, tout en se réjouissant de cette découverte, lui rappelle que quand il était archidiacre des écoles, il avait déjà découvert les veines lactées et démontré le trajet du canal thoracique. 4 Le critère de ce qui est clair et distinct renvoie à la Troisième méditation de Descartes. 5 Le surintendant Nicolas Foucquet (1615 - 1680) avait cinq frères et six sœurs, toutes religieuses ; Sorbière évoque peut-être ici derrière ce pluriel à la fois sa seconde femme Marie-Madeleine de Castille-Villemareuil (1633-1716), et surtout son frère aîné, François, d’abord conseiller au parlement de Paris, puis évêque. Car François, alors évêque d’Agde, a été au moins jusqu’en 1648 le premier protecteur de Pecquet qui ne passe au service de Nicolas qu’en 1655. Fouquet fonde un salon à Saint-Mandé dès la fin de la Fronde, qui rassemble Paul Pellisson, Charles Perrault, Quinault, Ménage, La Fontaine ; il fréquente aussi 1
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bus Vir ille multis beneficiis deuinctus operam suam addixerat, Nempe quod bonis bene fit beneficium, ea gratia grauida est bonis, & famæ suæ in posterum sapienter consulunt, quibus sola desunt certa pignora victuræ in æternum post funera laudis. Dilabuntur opes, corruunt ædes, numerosissima deficit aliquando familia : at inserta præclaris inventis nomina nunquam intereunt,
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bienfaits, avait voué ses services. Car quand on fait du bien aux bons, c’est du bien qu’on en éprouve1, et c’est par leur renommée que pourvoient sagement à leur futur ceux à qui il manque seulement des gages certains de ce que leur louange durera pour l’éternité après leurs funérailles. Les richesses se dissipent, les maisons s’écroulent, une lignée même très nombreuse peut un jour venir à s’éteindre2, mais le nom entré dans la renommée d’un remarquable inventeur des scientifiques comme Sorbière ou le philosophe La Mothe Le Vayer, ou des théoriciens plus spécieux comme Cureau de la Chambre, mais semble avoir une prédilection pour les médecins, en raison en partie de son mauvais état de santé. Voir Chatellain 301suivant. Cf. Fumaroli IV, 239-41. 1 Plaute, Les Captifs, ii, 2, 108. 2 C’est une paraphrase de Gassendi qui écrit à Valois, le 27 juillet 1644 : « L’histoire nous avertit bien que toutes les familles jadis les plus heureuses par leur descendance se sont éteintes et qu’on ne trouve d’elles aucun vestige depuis longtemps. Jamais aucune ne fut plus longue que la très glorieuse famille des Capet, dont tu es toi aussi un drageon, mais vois le tout petit nombre des rameaux qui survivent encore, de si nombreux qu’ils étaient ? Je fais des vœux pour qu’ils soient quant à eux éternels ; mais qui pourrait cependant jurer qu’à court terme, le même destin ne leur soit pas réservé qu’à tous les autres hommes ? Admettons qu’ils survivront non pas un siècle ou deux, mais dix et plus encore ? Qu’est-ce que tout cela, je t’en prie, comparé à la longueur de tout le temps ? Ne diras-tu pas, d’accord avec Simonide, que, rapportée à l’Océan, une gouttelette d’eau n’est pas même un minuscule tout petit point de l’éternité ? De même que l’on a autrefois vu s’évanouir tant de séries de lignées dont furent tissées les dynasties des Égyptiens, des Assyriens, des Perses et de toutes les autres nations, de même n’y a-t-il aucun espoir que celles qui sont maintenant en honneur n’atteignent pas un jour la borne du temps dans la progression des années. Et, à ton avis, si par hasard quelques hommes se souviennent de nous après un ou deux, trois ou quatre mille ans, s’en souviendront-ils encore après dix, vingt et plus, pourvu que le monde dure ? […] Il nous est impossible (ou du moins ce serait très difficile) de dépouiller complètement l’homme du désir de la gloire (autrement dit de faire en sorte que ce désir ne nous touche pas). D’autre part, il est doux de voleter de bouche en bouche tant que nous sommes en vie, puis au cours des quelques siècles dont j’ai parlé : tu sais que c’est de la seule vertu qu’il est besoin d’étendre la renommée. En tout cas ni Alexandre, ni César, ni Aristote ni Tullius ne tiennent de leurs enfants la gloire qui fait leur éclat, mais ils la tiennent des actes et des écrits illustres auxquels ils se sont appliqués ». On retrouve le même thème avec variation dans l’Épître à Mazarin, datée du 1er mars 1654, que Sorbière met en tête du Discours sur sa conversion à l’Église catholique (1654, Paris) : « Le temps démolit les forteresses ; les plus grands et les plus beaux bâtiments deviennent des masures ; le marbre et le bronze périssent par la fuite des années ; les provinces sont quelquefois englouties toutes entières par un tremblement de terre ou submergées par une inondation. La mémoire des plus fameux exploits de guerre se dissipe et s’évanouit. Mais ce que les savants inventent pour la commodité de la vie ; ce que les législateurs établissent pour le bien de la société civile, et ce que les saints hommes entreprennent pour la gloire de Dieu
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& FVCQVETOS loquentur Doctorum Mecænates, PECQVETI liber exiguus, quo forsan tempore de iis, quæ in Republica gessere amplissimi rerum nostrarum administri nulla erit memoria, Civitates maximæ & Regna florentissima subuerti possunt : At genus humanum priùs uniuersum deleatur oportet, quàm pereat ductus ille Chyliferus, & ignorentur illi, quorum munificentia PECQVETVS honestum otium nactus, iter Medicis ignotum aperuit. Verùm in Amicis GASSENDI recensendis ne nimius sim vereor, qui paucos seligere constitueram ; breuior autem futurus, si vel integrum volumen cunctis memorandis impendere vellem. Quamquam nominare sufficit omni laude maiores SAMMARTHANOS & VALESIOS Fratres. HVGONEM GROTIVM tÕn p£nu, DIO-
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ne périt jamais, et le très mince livre de PECQUET1 parlera encore des Foucquet, les mécènes des savants, à une époque où, peut-être, il ne restera plus la mémoire de ce que nos plus grands ministres ont fait pour l’État2. Les plus grandes cités et les royaumes les plus florissants peuvent être renversés ; mais il faut que l’ensemble du genre humain soit détruit avant que ne périsse ce conduit chylifère et que soient oubliés ceux par la munificence desquels Pecquet a bénéficié d’un loisir honnête qui lui a permis d’ouvrir un chemin inconnu des médecins. Mais je crains d’être excessif dans ma recension des amis de Gassendi, moi qui avais décidé d’en choisir un petit nombre ; du reste il me faudrait être plus bref si je voulais consacrer fût-ce un volume entier à tous les rappeler. Enfin il suffit de nommer les hommes au-dessus de tout éloge, les frères Sainte-Marthe3 et les frères VALOIS, Hugo Grotius, Ð p£nu4, les transmet à la postérité d’une si puissante et authentique manière que non seulement on se souviendra d’eux jusques à la fin du monde ; mais que leur mémoire sera éternellement en bénédiction ». 1 Jean Pecquet. Experimenta nova anatomica, quibus incognitum hactenus chyli receptaculum, & ab eo per thoracem in ramos usque subclavios vasa lactea detenguntur. Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu. Huic secunda editioni, quæ emendata est, illustrata, aucta, accessit de thoracicis lacteis dissertatio, in qua Io. Riolani responsio ad eadem experimenta nova anatomica refutatur; & inventis recentibus canalis Virsungici demonstratur usus; lacteum ad mammas à receptaculo iter indigitatur… Quibus & adjungitur brevis destructio, seu litura responsionis Riolani ad ejusdem Pecqueti experimenta, 2e édition, Paris, 1654. Le « De thoracicis lacteis dissertatio » est ajoutée dans cette édition. Le texte de Pecquet lui-même est court, de fait, puisque sur les 250 pages du volume, il n’en occupe que les 137 premières. Mais surtout cette référence renvoie à la captatio benevolentiæ de la dédicace à François Foucquet qui parle d’un « liber parvulus ». Le reste du volume contient des lettres de médecins (p. 138 à 180), dont l’autorité accrédite la découverte (dont Mentel, p. 141-51), puis des réfutations des critiques de Riolan, le tout s’achevant par une charge, en vers, contre LANIUS ORE INSANO, anagramme satirique de Riolan (p. 249). L’art de Sorbière, dans sa Vie, est de faire cohabiter des personnalités incompatibles, ici Riolan, Patin et Pecquet. 2 Notons que p. 164 du livre de Pecquet, qui cite après son propre texte des lettres de soutien de médecins, nous en lisons une de Sebastianus Aletophilus, pseudonyme de Sorbière. 3 Compilateurs du Gallia Christiana, qua series omnia archiepiscoporum, episcoporum et abbatum Franciæ vicinarumque ditionum ab origine ecclesiarum ad nostra tempora per quattor tomos deducitur, et probator ex antiquæ fidei manuscriptis Vaticani, regnum, principum tabulariis omnium Galliæ cathedralium et abbatarium, 4 vols 1656, œuvre à laquelle Gassendi contribua en donnant la liste des évêques et d’autres ecclésiastiques de Digne. Gassendi contribue aussi aux Acta sanctorum des bollandistes (voir lettre à Wendelin du 11 juin 1644). 4 [Le fameux] Gassendi lui écrit le 2 avril 1632.
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NYSIVM PETAVIVM, qui pollîn ¢nt£xioj ¥llwn, HONORATVM FABRVM Romæ nunc magnum Pœnitentiarum, PETRVM BVRDINVM & IOANNEM BERTETVM Iesuitas, & innumeros alios, quos Religiosissima Societas quotidie fvndit Viros doctissimos. IACOBVM GAFFARELLVM Maimonidem Christianum. PETRVM FERMATIVM, tam longo intervallo Vietam, Diophantum, & Pythagoreos omnes post se relinquentem, NICOLAVM RIGALTIVM, PHILIBERTVM MARÆVM, & CLAVDIVM HARDYÆVM, Senatores, Viros omniscios. HIERONYMVM BIGNONVM, toà kaˆ ¢pÕ glèsshj mšlitoj gluk…wn ∙šen aÙd». OPPEDAM, B OISSIÆVM, DONNEVILLÆVM, ROCCAM, MOLÆVM, THVANVM, MEMMIVM, Senatum Præsides. CLAVDIVM AVVRIVM, Constantiensem Episcopum, cuius indolem officiosam, media in Aula ferratos postes portasque uni Marti & Mercurio aperienti, laudat in
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Denis PÉtau qui est pollîn ¢nt£xioj ¥llwn1, Honoré Fabri, aujourd’hui en charge de la pénitencerie à Rome, les jésuites Pierre Bourdin et Jean Bertet, et d’autres hommes innombrables que cette très religieuse société produit chaque jour. Jacques Gaffarel, le Maimonide chrétien2, Pierre Fermat qui laisse très loin derrière lui Viète, Diophante et tous les pythagoriciens3, Nicolas Rigault, Philibert De La Mare et Claude Hardy, conseillers et hommes savants en toutes choses. JérÔme Bignon, toà kaˆ ¢pÕ glèsshj mšlitoj gluk…wn ∙šen aÙd»4, OppÈde, Boissieu, Donneville, Rocca, MolÉ, de Thou, Mesmes, présidents de parlement. Claude Auvry, évêque de Coutances dont Gassendi loue, dans la lettre dédicatoire de son Calendrier5, le dévouement à l’égard de celui qui, au milieu de la Cour, n’ouvre les portes et les gonds de fer que pour Mars et pour Mercure6 ; il lui a également 1
[Égal en valeur à beaucoup d’autres]. Ainsi nommé par Sorbière probablement en vertu de sa connaissance profonde de l’hébreu et de la cabbale. Gassendi lui écrit le 8 mars 1629. Quant à Maimonide, Gassendi l’évoque dans une lettre du 16 mai 1649 à Siméon de Muis « Je te conseillerais aussi l’édition des remarquables opuscules du très savant Maimonide : je me rappelle en avoir parlé avec toi, lorsque Bignon, ce noble garçon les a traduits en notre présence ». 3 D’importants travaux de Fermat sur la théorie des nombres sont partis de sa lecture des Arithmétiques de Diophante. Les commentaires et notes qu’il écrit dans les marges de son exemplaire de l’ouvrage sont reproduits dans l’édition posthume que son fils Samuel réalisa des Opera de son père en 1670. Les travaux de Viète, en particulier son algèbre, furent également importants pour Fermat, par exemple dans sa reconstruction d’un traité perdu d’Apollonios de Pergè sur les « lieux plans », un recueil de constructions de droites ou de cercles satisfaisant des conditions données. Pour le « lien existant entre la méthode de détermination des points rationnels de la courbe cubique de Diophante… et la méthode des tangentes et des extremums de P. Fermat », voir Bachmakova, passim. La remarque de Sorbière (derrière l’expression « tous les pythagoriciens », il faut comprendre les quelques mathématiciens qui, avant Fermat, avaient travaillé sur les nombres) témoigne de la grande réputation qui était déjà celle de Fermat à la fin de sa vie. 4 [De sa bouche coule une parole plus douce que le miel] Vers de l’Iliade (II, 249) devenu lieu commun. 5 Romanum Calendarium compendiose expositum. Accessit Corollarium de Romano martyrologio, 1654 ; repris dans les Opera omnia, v, 543 sqq. ; il se trouve encore dans le huitième volume du Thesauri antiquitatum romanarum (Utrecht, 1698). 6 Paraphrase d’Ennius, Annales, VIII, 259. Celui qui est ici au cœur de la cour, c’est Louis XIV, qui n’ouvre les portes de fer que pour Mars (la guerre) ou pour Mercure (le commerce, les échanges). Dans le poème d’Ennius, un traître ouvre les portes de fer aux Gaulois pour qu’ils puissent entrer dans Rome. La référence est ici particulièrement pertinente si l’on songe 2
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Dedicatoria Calendarii sui ; ad quem verò Gallice Epistolam scripsit, firmandis multorum animis, qui Lutetiæ ingentem impendere ruinam arbitrabantur ab illo Solis defectu Anni M.DC.LIV. quem harioli tantopere reformidandum prædicauerant. ANTONIVM ARBAVDVM BARGEMONIVM Sistericensem,: ANTONIVM GODELLVM Venciensem, & IOSEPHVM MARIAM SVARESIVM Vasionensem, Episcopos pedo ligneo verè aureos ; qui omnes GASSENDI virtutem colere non dedignati sunt ; ut maiorum Gentium Deos omittam, Eminentissimos S. R. E. Cardinales BARBERINOS, FRANCISCVM, inquam, qui Musas ornans ornatur ab illis, teste SANGENESIO nostro, & ANTONIVM, Solem illum beneficum, Qui examine magno, ut eiusdem Poëtæ verbis animi mei sensa exprimam, Doctas pascit Apes & Terris mella ministrat. BALNEVM, „sÒqeon fèta, LVDOVICVM ALPHONSVM, PLESSÆVM RICHELIVM, qeÕn ¢pÕ mhcan¾j, IOANNEM FRANCISCVM PAVLVM GONDIVM RETZIVM, excelsi animi Mæcenatem, nec minoris facundiæ & eruditionis Chrysostomum, qui GASSENDVM audire apud
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écrit une lettre en français, pour raffermir les cœurs de ceux qui pensaient qu’un immense désastre menaçait Paris à cause de l’éclipse du soleil de 1654 dont les devins avaient prédit qu’il fallait la redouter grandement1. ANTOINE d’ARBAUD BARGEMON, évêque de Sisteron, ANTOINE GODEAU, évêque de Vence, JOSEPH-MARIE SUARÉS, évêque de Vaison-la-Romaine, évêques en or avec une houlette en bois qui, tous autant qu’ils sont, et pour ne rien dire des grands dieux2, n’ont pas dédaigné d’honorer la vertu de Gassendi, les très éminents cardinaux BARBERINI de la S[ainte] É[glise] de R[ome], à savoir FRANÇOIS, dis-je, qui « ornant les Muses est orné par elles », comme en témoigne notre SAINT-GENIEZ3, et ANTOINE4, ce soleil bénéfique qui, pour exprimer les sentiments de mon cœur avec les mots du même poète, « dans un grand essaim ». nourrit les doctes abeilles et distribue le miel aux terres. BEAUNE, „sÒqeoj fèj5, LOUIS ALPHONSE DU PLESSIS cardinal de RICHELIEU, c’est-à-dire qeÕj ¢pÕ mhcan¾j6, JEAN-FRANÇOIS PAUL DE GONDI cardinal de Retz, ce mécène d’un esprit très élevé et digne de rivaliser avec Chrysostome en termes de verve et d’érudition, qui avait l’habitude d’écouter GASSENDI pendant ses séjours chez CHAMPIGNY. aux victoires sur Condé et les Espagnols, en 1655, et à la signature du traité de commerce avec l’Angleterre de Cromwell en novembre 1655. Enfin, la trahison de Charles de Monchy, marquis d’Hocquincourt, la même année, donne toute sa portée à la référence à Ennius. 1 Sentimens sur l’eclipse qvi doit arriver le 12. du mois d’Aoust prochain. Povr servir de refvtation aux faussetez qui ont esté publiées sous le nom deu Docteur Andres, Paris 1654. Pour les circonstances de la publication de cet opuscule anonyme, voir Pintard I, 412-3 et supra note 296 p. 114, mais voir aussi la critique de cette attribution par Halbronn. 2 Les Romains ont distingué les douze « grands dieux » du Panthéon [dii majorum gentium] des dieux indigètes, souvent demi-dieux [dii minorum gentium]. 3 Peut-être dans les Johannis Sangenesii poemata, 1654, Elegantiores præstantium virorum Satyræ. 4 Deux lettres de Gassendi à Valois (2 et 28 février 1646) commentent l’exile et l’arrivée en France des trois frères (aux deux ici cités il faut ajoutée Thaddée) : « Il y a un mois que je t’ai écrit que la Cour n’avait pas de nouvelle plus récente que l’arrivée des Barberini en Provence et n’a pas à présent de nouvelle plus récente, que je sache, que l’entrée même du cardinal François en ville. De fait, il est arrivé hier et fut reçu à Charenton par les cardinaux de Lyon, Mazarin et une foule insigne de prélats et d’hommes de la Cour. Le cardinal Antoine n’est pas revenu avec son frère, mais on dit qu’il a continué vers la Provence ». 5 [Mortel semblable aux dieux] 6 [Deus ex machina]. Cette formule évoquerait plus facilement le cardinal ministrre, renvoyant à son goût pour le théâtre, et pour les machines.
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CAMPINIVM degentem solebat. Vel celsissimum BORBONIVM Principem CONTIVM, per quem non stetit, ut GASSENDVS frueretur Prioratu, quem ultrò dederat, cùm Indultarius superueniens Munificentiæ isti obicem opposuit. Aut Regiam VIRGINEM AVRELIANENSEM Heroïnam, quæ per illustrem affinem tuum FRONTENACI Còmitem sæpius GASSENDVM saluere iussit. Et Illustrissimam AGVILLONII Ducissam, RICHELIORVM Neptem dignissimam, quæ bene valenti GASSENDO Ruellium suum non semel obtulit, etiam Philosophicis studiis nobilitandum, post agitata olim amœnissimo in secessu negotia totius Europæ grauissima, quæ quidem sapientissima Fœmina illia totius Vniuersi pluris non facit : admodum enim sollicita de fato Philosophiæ, GASSENDO ægrotante, Medicum suum quotidie misit, non solùm ut sciscitaretur, quomodo se haberet ; sed ut con-
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Ou bien le très noble Bourbon prince de CONTI, dont il n’a pas dépendu que GASSENDI jouisse du prieuré qu’il lui avait donné de son propre mouvement, alors que le bénéficiaire du droit de l’indult est intervenu et a fait obstacle à cette munificence1. Ou bien l’héroïne vierge royale d’ORLÉANS2, qui a assez souvent demandé à ton illustre parent, le comte de FRONTENAC3, de bien vouloir saluer GASSENDI. Et la très illustre duchesse d’AIGUILLON, la très digne nièce des RICHELIEU qui a à plusieurs reprises offert son séjour de Rueil4 à GASSENDI, du temps où il était en bonne santé, pour que cette retraite des plus agréables doive une partie de son renom à ses études philosophiques, après avoir été naguère le lieu où furent agitées les affaires de l’Europe de la plus haute importance5 dont cette femme dans sa très grande sagesse n’a fait pas plus de cas que de tout l’univers : car tout à fait inquiète du destin de la philosophie, dès que GASSENDI tomba malade, elle envoya chaque jour son médecin, non seulement pour qu’il s’enquière de 1 Voir la lettre latine à Valois du 15 février 1647 : « Quoique le privilège de l’indult soit supérieur au droit dont je suis demandeur et que mes amis considèrent qu’il faut que je le défende, jusqu’à ce que les modalités des actes du privilège soient claires, moi qui me défie depuis le début des promesses de la fortune, je juge cependant qu’il ne faut rien espérer » 2 Anne Marie Louise d’Orléans, Duchesse de Montpensier dite Mademoiselle ou la Grande Mademoiselle, 1627-1693. Pour ses exploits à Orléans, voir Baguenault. Gassendi emploie le terme « héroïne » couramment pour désigner les femmes. 3 Louis de Buade de Frontenac, futur gouverneur du Canada, dont Montmor épouse la sœur, Henriette-Marie de Buade de Frontenac, en 1637. Les Frontenac ont été compagnons d’armes de la Grande Mademoiselle. Voir page suivante. 4 En 1635 Richelieu loue à l’abbé de Saint-Denis tout le territoire de Rueil où il a acheté un château dont il fait sa maison de campagne. À la mort de Richelieu, ce château passa à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon. On ne sait rien des rapports qu’elle a pu avoir avec Gassendi, si ce n’est qu’elle l’a soutenu en février 1641 dans l’affaire de l’Assemblée Générale du Clergé (voir Lettres latines i 185, Gassendi à Valois 15 février 1641). Sorbière est ici notre seule source pour une information nouvelle. On peut imaginer que l’intérêt de la duchesse pour Gassendi fut stimulé par son deuxième oncle Alphonse Louis de Richelieu et qu’après sa mort en 1653, elle lui a succédé dans son rôle de mécène auprès de Gassendi, tombé malade dans la même période. 5 C’est là que Louis de Marillac fut emprisonné en 1632 ; là que le traité d’alliance entre la France et la ville impériale de Colmar fut conclu en août 1635 ; là que le Père Joseph est mort en 1638 ; là qu’Anne d’Autriche se retire au début de la Fronde en septembre 1648 et c’est là, l’année suivante, que se négocia et se conclut le traité de paix entre Anne d’Autriche et Mazarin d’une part, et le président du parlement de Paris Mathieu Molé (11 mars), ainsi que le traité entre Turenne et Condé (30 mars), l’un et l’autre marquant la fin de la Fronde. Voir Destrais et Froment 336.
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silio iuuaret, & cuncta quæ in locuplete Domo reperiuntur pellendo ciborum fastidio Heræ suæ nomine, testandoque tam diutini morbi dolori, præsens larga manu offerret. Superesset iam ut de ista Operum GASSENDIANORVM editione multa dicerem, quæ in laudem tuam omnino cederent, MONMORI illustrissime ; sed ne plurimus sim vetas. Tibi nempe commendauit moriens Author scripta sua, quæ in ordinem digessisti tam aptum & concinnum, ut nullius rei præmonendus sit Lector in antecessu, quò faciliùs fruatur tantis opibus, tanta scilicet bonæ mentis & eruditionis segete. Elegisti quoque Typographos diligentissimos, qui nullis sumptibus pepercerunt, ut quam primùm thesauro isto omnes potirentur ; quibuscum autem egisti, Nobilissimo intercedente CAMPINIO, per præclarum Virum FRANCISCVM HENRYEAVM, cuius fidei Codices Manuscriptos committere voluisti, ut in Musæum tuum redirent inter Cimelia tua prætiosissima asseruandi : nempe cum tot voluminibus, manu Patrui tui exaratis, ex plurimis autem quæ Carthusianis cessere ; illius, inquam, PETRI HABERTI Cadurcensium Episcopi & Comitis illustrissimi, Dij cui diuitias dederant, artemque fruendi ; qui retinuerat, quod est difficillimum, ex Sapientia modum. ANTONII POTERII, Amanuensis illius GASSENDO clarissimi, patrocinium suscepisti, Familiæ tuæ orbatum Patrono adsciuisti, & Lugdunum misisti, ut editionem maturaret. Typographicis operis præesset, Codices seruaret, & quæ restabant digerenda iuxta mentem tuam disponeret. Iconem Amici insculptam cælo NANTOLII
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comment il se portait, mais aussi pour qu’il l’aide de ses conseils et qu’il lui offre en sa présence, au nom de sa maîtresse et d’une main libérale, tout ce qui se trouve dans sa riche demeure, pour chasser son dégoût des nourritures et attester du chagrin que causait à cette duchesse une maladie déjà longue. Il me resterait maintenant à dire beaucoup de choses de cette édition des œuvres gassendiennes, qui reviendraient toutes à faire ton éloge, très illustre MONTMOR, mais tu m’interdis d’être plus long. C’est à toi que notre auteur mourant a recommandé ses écrits que tu as répartis dans un ordre si adapté et si harmonieux que le lecteur n’a besoin d’être averti à l’avance sur aucun point, pour pouvoir jouir plus facilement de tant de richesses, d’une telle moisson de bon sens et d’érudition. Tu as également choisi des imprimeurs très diligents qui n’ont épargné aucun effort pour que nous soyons tous le plus tôt possible en possession de ce trésor et avec qui tu as traité, par l’intermédiaire du très noble CHAMPIGNY, du remarquable FRANÇOIS HENRY à la confiance duquel tu as voulu confier les manuscrits pour qu’ils soient conservés dans ton cabinet parmi tes très précieux trésors ; car avec tous les volumes tracés de la main de ton oncle, parmi les très nombreux qui sont partis pour les Chartreux1, de ce PIERRE HABERT, dis-je évêque de Cahors et très illustre comte à qui les dieux avaient donné des richesses et l’art de jouir, qui avait su apprendre la mesure, par l’étude de la sagesse, ce qui est très difficile. Tu t’es réservé le soutien d’ANTOINE DE LA POTERIE, le très cher secrétaire de GASSENDI ; le voyant privé de son patron tu l’as fait entrer dans ta maisonnée et tu l’as envoyé à Lyon pour qu’il accélère l’édition, prenne la direction du travail de l’imprimeur, conserve les manuscrits et dispose selon ton intention les textes qui restaient à répartir2. Pour que tout l’univers le puisse admirer, tu as veillé à faire faire le portrait de ton ami, gravé du burin de NANTEUIL qui sait exprimer le caractère même des hommes3, et tu l’as 1 Il y a de fait un célèbre couvent de chartreux à Cahors, détruit pour l’essentiel lors de la Révolution, mais il est difficile de préciser ce que sont les écrits de Pierre Habert dont il ne reste pas de trace. 2 Cela se fait selon les recommandations de Gassendi qui précise dans son testament que pour imprimer ses écrits, Montmor « se pourra servir, s’il l’a agréable, du ministere dudict Antoine de la Poterie pour les mettre et ranger dans l’ordre que ledict sieur testateur luy a autrefois declaré ». Bailhache & Fleury 40. 3 Notons que Sorbière ne dit rien des autres portraits de Gassendi, dont celui de Claude Mellan qui est, avec son travail auprès de Peiresc et Gassendi sur la carte de la lune, pourtant très important, encore un autre grand absent de ces Vies. Pour l’effet produit par les por-
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illius mores ipsos hominum exprimentis, toti Terrarum orbi suspiciendam curasti, & elegantissimo Epigrammate ornasti, quo paucis tersissimè complexus es ea omnia, quæ nos balbutiendo pluribus repræsentare non potuimus. Manum igitur de tabula, ne modum excedere videamur. Quamquam enim non iniussus calamo manum admouerim, tamen in publica commoda peccare non debeo, & tua vel aliorum tempora longo sermone morari. Perge porrò, Vir Illustrissime, de genere humano bene mereri, dum bonis impense faues, & philosophantium in ædibus tuis chorum moderaris. Regium illud sanè quod nuper suscepisti ad Physices arcana indaganda ; unde summi Opificis laus emergere, & in usus publicos plurima commoda redundare poteriunt. Vtinam ulterius tam præclara cœpta procedant, & mentem tuam penitus assequantur, qui tantam assequuti sunt aliarum rerum cognitionem. Adsis Tu quoque præsens, optime GASSENDE, ut modestiæ & sapientiæ tuæ semper omnium animis obuersetur imago ? Equidem post edita Opera tua nihil deerit, quominus te totum videamus ; neque tantùm vigiliis tuis & eruditione
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orné d’un épigramme très élégant où tu embrasses en peu de vers tersissimes1 tout ce que nous ne pûmes représenter dans les multiples mots de nos balbutiements. Levons donc la main de la tablette, pour éviter de sembler dépasser la mesure. Car quoique ce ne soit pas sans en avoir reçu l’ordre que j’aie mis la main à la plume, je ne dois cependant pas léser les avantages dont jouit le public ni vous faire perdre du temps par un trop long discours, ni à toi ni à quiconque. Continue donc, homme très illustre, à bien mériter du genre humain en favorisant les hommes de bien avec empressement et en organisant dans ta maison un chœur de personnes qui philosophent2. Et continue ce travail royal que tu as récemment entrepris pour découvrir les arcanes de la physique, dont la louange de l’artisan suprême peut sortir et de multiples avantages rejaillir dans des utilisations publiques3. Puissent poursuivre plus avant ces entreprises remarquables et rester totalement fidèles à tes intentions en les mettant en œuvre ceux qui se sont attachés à développer la si importante connaissance des choses ! Puisses-tu les assister toi aussi4, excellent GASSENDI, pour que les âmes de tous renvoient l’image de ta modestie et de ta sagesse ! Car après la publication de tes œuvres, il ne manquera rien pour que nous puissions te voir en entier5 et pour que nous puissions jouir non seuletraits et leur importance, voir Garcia 361 où il parle de l’impression fait par un portrait de Galilée. 1 Italianisme : très limpides. 2 Sorbière ne précise pas que cela doive être exclusivement des hommes, quoiqu’il ait été par ailleurs très discret sur l’idée que Gassendi a pu se faire d’une femme qui philosopherait. Notons que cette expression du « chœur des philosophes », se trouve sous la plume de Gassendi dans la Vie d’Épicure. 3 Probablement une référence aux travaux de l’académie de Montmor, voir Brown I, chapitres 3, 4 & 5. 4 Notons que Sorbière recopie ce texte, à partir de cette phrase et jusqu’à la fin, dans une lettre à Hobbes du 1er février 1658 où il fixe les règles de l’assemblée de Montmor (Sorbière, Lettres et discours, 631-636), en l’introduisant par les mots suivants : « Mais vous nous manqués au besoin, Monsieur, aussi bien que le bon Pere Minime, & le sage Monsieur Gassendi, auquel ie m’adresse en vne Preface que ie mettray au deuant de ses oeuures, & en laquelle ie parle de nostre Assemblée », avant de conclure avec tristesse : « Nous ne pourrons point profiter de la douceur, de la moderation, & du iugement exquis de celuy que i’ay depeint & proposé en exemple ». 5 Les Œuvres complètes sont à Gassendi ce que sont à Montaigne ses Essais : le vrai visage de l’homme, et même l’homme en totalité. On peut déduire du seul fait que cette réflexion se trouve énoncée en clôture de la Vie de Gassendi par Sorbière qu’elle était une sorte d’évi-
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tua fruamur, sed & oculis perpetuò in sapientiam tuam defixis, illa potiore tui parte imitemur veram, cuius tam clarum exemplum præbuisti, philosophandi rationem. Intereris quoque, quâ Terræ patent, post innumerabilem annorum seriem studiis hominum ad bonam mentem contendentium, ut si qui reperiantur olim, quos iuuet adhuc barbarè vel meteoreticè philosophantium lectio, unum illud Ciceronis in redargutionem usurpari possit : Quæ est autem ista inter homines tanta dementia ; frugibus inuentis, ut glande vescantur.
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ment du produit de tes veilles et de ton érudition, mais aussi pour que, les yeux fixés sans fin sur ta sagesse, nous puissions imiter par cette partie de toi plus puissante la vraie méthode de la philosophie dont tu as offert un si clair exemple1. Tu participeras encore, partout où les terres sont praticables, après une innombrable série d’années, aux recherches des hommes qui tendent vers la sagesse si bien que pour réfuter tous ceux qui d’aventure apprécieraient à l’avenir la lecture de ceux qui philosophent à la façon barbare ou la tête dans les nuages, il suffira de reprendre le bon mot de Cicéron : « Mais quelle bizarrerie, quand on a le blé, d’aller se repaître de gland2 ! »
dence à l’époque, où la notion de ressemblance était fort différente de ce qu’elle signifie aujourd’hui. 1 L’importance de ce que Sorbière évoque ici est soulignée par l’intérêt que suscite en Gassendi la perspective de recevoir un portrait d’Épicure qui se manifeste dans sa lettre à Naudé du 2 mars 1632. Le portrait d’Épicure que Van de Putte fait connaître le premier est célèbre : le philosophe est représenté de profil, chauve et avec une barbe ondulée. Van de Putte inscrit sous la gravure : « Contemple, mon ami, l’âme du grand homme qui respire encore dans ces traits. C’est Épicure, avec son regard et son visage. Contemple cette image qui mérite d’attirer tous les regards » ; Gassendi cite la phrase de Van de Putte dans la préface de son De vita. Du reste cette importance de la notion de modèle, y compris physique sous la forme d’une statue, est capitale dans la philosophie antique. 2 Cicéron, L’Orateur, ix, 31. C’est une phrase que Voltaire reprend dans le Traité de la Tolérance, chap. XX, S’il est utile d’entretenir le peuple dans la superstition : « Mais lorsqu’une fois les hommes sont parvenus à embrasser une religion pure et sainte, la superstition devient non seulement inutile, mais très dangereuse. On ne doit pas chercher à nourrir de gland ceux que Dieu daigne nourrir de pain ».
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Introduction À la différence de La Poterie, Taxil, Sorbière et des auteurs des poèmes sur la mort de Gassendi, qui ont tous écrit immédiatement après la mort de leur maître, Bernier attendit une vingtaine d’années avant de prendre la plume à son tour. Si ce fait explique un certain manque de précision dans l’esquisse de sa vie, il ne lui retire cependant pas toute autorité, dans la mesure où Bernier, comme ses prédécesseurs, a bien connu Gassendi. Il tient sa place au nombre de ses élèves et disciples. François Bernier est né à Joué dans l’Anjou le 25 ou le 26 septembre 1620, fils de Pierre Bernier, fermier du chapitre de l’église Saint-Maurice d’Angers. Après la mort de ce dernier vers 1625, il est élevé par son oncle et parrain, François, curé de Chanzeaux. Il est encore très jeune quand il rencontre Luillier qui le fait entrer au Collège de Clermont. C’est Chapelle, le fils naturel de Luillier, qui l’introduit auprès de Gassendi, probablement en 1641 ou 16421. Non seulement il suit ses cours au Collège royal, mais il tisse des liens plus personnels avec le philosophe, qu’il accompagne notamment à la messe aux Minimes, le dimanche. Il bénéficie ainsi d’une formation intellectuelle et scientifique plus individualisée, en échange de différents services, car il joue auprès de notre philosophe un rôle « assez vague, – sorte de famulus, à la fois disciple, secrétaire et valet », selon Pintard2. Bernier se considère comme le disciple de Gassendi, tel Lucrèce par rapport à Épicure ; mais on a très peu de témoignages sur leurs liens. En dehors du testament où Gassendi charge Bernier en même temps que La Poterie de mettre en ordre ses manuscrits en vue de l’édition du Syntagma philosophicum, il y a une lettre latine que Gassendi lui envoie le 6 août 1652 et qui rapporte différentes expériences et réflexions sur la circulation du sang. Pour la reste, comme dit Sylvia Murr, il est « assez difficile d’évaluer le temps que Bernier a effectivement passé en présence de Gassendi, s’il a tenu la plume pour écrire dans le manuscrit de l’éphéméride intitulé Observationes cœlestis… et quand, combien de temps exactement, il a servi de secrétaire, s’il a conservé pardevers lui des copies de textes de Gassendi… Nous ne connaissons pas l’écriture de Bernier »3. Le tome VI des Opera omnia ne retient aucune de ses lettres. Gracieux de sa personne et de l’esprit, mais un peu débauché dans sa 1
« Épître dédicatoire » de La Poterie à J. A. de Thou. Pintard I, 328-9 ; 624-5. 3 Murr II, 124. 2
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jeunesse, il fait partie de l’entourage du vicomte d’Arpajon, ambassadeur extraordinaire de France en Pologne et traverse avec lui les Pays-Bas et l’Allemagne pour arriver à Gdansk où il rend visite à Hévélius (1648-49). Gassendi remerciera l’astronome polonais de l’accueil qu’il a réservé à son disciple1. Au début de 1650 il rejoint Gassendi en Provence et l’accompagne à Toulon pour répéter l’expérience du vide. C’est à cette occasion qu’il fait connaissance de La Poterie avec qui, le 8 avril 1652, il observe une éclipse du soleil à Toulon2 ; il en fait de même, pour une éclipse de la lune, quelques mois après, en 1653. Entre-temps Bernier aura obtenu son bonnet de docteur à Montpellier3. En mai 1653, avec La Poterie, Bernier accompagne Gassendi chez Montmor à Paris. Il y publie la Favilla4 qui rouvre l’ancienne querelle entre JeanBaptiste Morin et les gassendistes5. Bernier part trop rapidement en Orient (au début de l’année 1656), pour déférer aux dernières volontés de son maître et contribuer à l’édition des Opera omnia. La chose déplaît à Montmor qui refuse de lui envoyer en Inde un exemplaire des Opera omnia6. Les pérégrinations de Bernier ne lui font pas oublier pour autant ce qu’il doit à Gassendi ; non seulement il traduit des larges extraits de Gassendi et de Descartes à l’attention de l’agha Daneshams Khan, gouverneur de Delhi, qui l’a chargé de l’informer des dernières nouveautés de la pensée européenne ; mais, dès son retour en septembre 1669, en même temps qu’il éclaircit ses compa Lettres latines, à Hévélius, 29 octobre 1652. Gassendi en parle dans une lettre à Hévélius du 14 avril 1652. 3 Bernier passe sa thèse le 26 juillet 1652, tardivement puisqu’il a alors trente-deux ans (par une procédure accélérée, car il est bachelier le 18 juillet). Les registres de la faculté de médecine de Montpellier tiennent que Bernier s’inscrit le 5 mai 1652 ; en juin 1652, André Mauduit, François Bernier et François Cureau de la Chambre sont admis à s’inscrire à l’examen de licence, malgré une absence de plusieurs jours, en raison de la menace de la peste (venue de Gênes) et de la guerre civile qui fait rage dans le midi. Bernier prend sa licence le 3 août et reçoit le bonnet de docteur le 26 août des mains du professeur Solignac. Murr II, 219-20 suivant de Lens. 4 Favilla ridiculi muris, hoc est Dissertativnculæ ridiculæ defensæ a Ion. Baptist. Morino Astrologo, adversus expositam à Petro Gassendo Epicuri Philosophiam. Itemque De Varia Aristotelis in Academia Parisiensi fortvna Liber, auctore Ioanne de Lavnoy, Paris 1653. L’œuvre suivit son Anatomia ridiculi muris hoc est Dissertativncula ridiculæ defensæ a J.-B. Morini, Astrologi, adversus expositam à Petro Gassendo Epicuri Philosophiam. Itemque obiter, Prophetiæ falsæ a Morino ter evulgatæ, de morte eiusdem Gassendi, Paris 1651. 5 Voir Martinet II. 6 Murr I, 122. 1 2
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triotes sur l’Inde moghole1, il prépare son résumé de la philosophie de Gassendi. Il rapporte des Indes une somme d’argent équivalente à 15 000 livres tournois et une grande quantité de diamants, qui lui servent en partie à acheter une rente viagère d’une valeur de 2 000 livres, lui permettant ainsi de devenir chapelain de la chapelle de Notre-Dame de la Gisante à Paris (la chapelle inférieure de la Sainte Chapelle). Il publie en 1684 dans le Journal des Sçavans une étude intitulée « Nouvelles divisions de la terre par les différentes espèces ou races d’hommes qui l’habitent ». Il part en 1685 visiter l’Angleterre où il retrouve Saint-Évremond. Sur le chemin du retour, il passe par la Hollande où il rencontre Pierre Bayle. Il devient ensuite un habitué du salon de Mme de la Sablière et un des trente membres fondateur de la Société des Belles-Lettres d’Angers. Il publie en 1688 l’éloge de Chapelle dans le Journal des sçavants. Il meurt le 22 septembre 16882. L’Abrégé de la philosophie de Gassendi…, commence à être édité à Paris in-8° par Jacques et Emmanuel Langlois en 1674. Un deuxième tome, traitant de l’astronomie, paraît en 1675, mais chez un autre éditeur, Étienne Michallet à l’Image St Paul, rue St Jacques, et sous un autre format, in-4°. Puis cette première édition s’interrompt, et il faut attendre 1678 pour qu’une nouvelle édition, cette fois-ci complète, c’est-à-dire en huit volumes, paraisse à Lyon chez Annison et Posuel en 1678. Puis une seconde édition de cette dernière « Reveüe, et augmentée par l’Autheur » est donnée, en sept volumes, par Annison, Posuel et Rigaud, en 16843. Bernier en offre un exemplaire à Marolles, sans que l’on puisse déterminer de quelle édition il s’agit4. Notre texte est tiré de la dernière édition, qui est à la fois plus ample et plus concise que les précédentes. 1 Histoire de la dernière révolution des États du Grand Mogul, 2 vols, Paris 1670 ; Suite des mémoires du sieur Bernier sur l’empire du Grand Mogul, 2 vols, Paris 1671. Ce livre a fait l’objet de nombreuses rééditions, dont, en 1981, Voyage dans les états du Grand Mogol. 2 Pour la vie de Bernier voir Pintard I, et, avec quelques précautions, la notice, un peu démodée et même erronée, dans NBG v 625-7, la notice dans Port i, 351-2 et Murr II, 211-12. 3 Réédition par Sylvia Murr & Geneviève Stefani dans la série Corpus des Œuvres de philosophie en langue française, Paris 1992. Voir en général « Éditions de l’Abrégé antérieures à celle de 1684 » dans Murr II, 241-63, qui suggère que « le volume paru en 1674 est en quelque sorte un échantillon publicitaire préparant les éditions complètes ». Si on adopte cette hypothèse il faut considérer l’édition de 1678 comme la véritable première édition même si elle n’est pas entièrement originale. 4 « Dénombrement », 238.
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Dans sa note biographique, Bernier évoque le Gassendi qu’il a connu. Peut-être a-t-il eu entre les mains les textes de Taxil et de Sorbière, mais il est peu probable qu’il ait lu ceux de La Poterie. Les différences importantes qui existent d’un texte à l’autre à propos de la lune (1595) incitent à conclure que leurs deux auteurs les tenaient tous les deux, indépendamment l’un de l’autre, de Gassendi lui-même. En tout cas, ce texte original, qui n’a aucune forme de rhétorique, est en cela peut-être le plus proche de Gassendi lui-même. Bernier insiste d’une part sur l’originalité de Gassendi et sa personnalité de philosophe, et d’autre part, avec la théorie atomiste, sur sa modernité de physicien. Peut-être répond-il ainsi à la cabale sourde qui se joue déjà contre son maître, émanant peut-être des cartésiens, et dont on devine un des aspects dans le texte de Perrault. Gassendi, à peine enterré, est déjà suspecté par certains de n’être pas philosophe, mais un historien de la philosophie, au mieux un sage ; on lui dénie souvent la dimension de découvreur. L’habileté de Bernier sera de poser d’entrée de jeu le caractère systématique et dogmatique de la philosophe gassendienne, justement rassemblée dans un Syntagma, ce qui lui permet de remettre à leur juste place les accusations d’éclectisme ou de manque de « solidité » ; le grief de scepticisme s’est donc transformé entre les années 1620, où le scepticisme s’oppose aux vérités de la religion, et la toute fin du siècle, où il désigne une pensée papillonnante, doxographique, en un mot surannée. Dès lors qu’il a réfuté cette accusation, Bernier, comme Gassendi dans Vie et mœurs d’Épicure, cherche à l’expliquer, et c’est cette justification qui, comme dans le cas du portrait du fondateur du jardin, donne son élan à la Vie qu’il présente. En réalité, cette mauvaise réputation dont Gassendi est la victime est malicieuse, c’est-à-dire diabolique : en réalité, Gassendi n’a pas les manières des Modernes, essentiellement leur arrogance, et du coup à cette malice s’oppose une certaine sainteté. Ainsi le lecteur contemporain peut-il se rendre compte à quel point les choses ont changé en trente ans, depuis que Bernier a quitté la France, et cette réflexion qu’il propose « au lecteur » révèle l’étendue de la modification de la réception. Il n’est plus question de la religion de Gassendi, ou du moins secondairement, puisqu’elle est mise au même niveau que le bon sens et les bonnes mœurs, mais bien de son statut de philosophe, qui semble contesté. C’est sans doute le texte le plus original de l’ensemble, et le texte qui nous permet le mieux de comprendre la méthode de Gassendi, de respirer son esprit, de deviner sa grande ombre. Il y a d’une part le fait que Bernier évite toute rhétorique en tant que telle et renonce aux blandices d’une cap-
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tatio benevolentiæ, et d’autre part que le récit de la vie s’inscrit dans un projet dynamique : il s’agit de laver un maître injustement calomnié de la mauvaise réputation qui condamne sa pensée, donc de donner accès à sa pensée même, et de construire sa vie non pas comme un simple récit, mais à elle seule comme une argumentation. Le fait que Bernier échoue à justifier Gassendi, comme Gassendi lui-même avait échoué à justifier Épicure et à donner pleinement accès à son œuvre1 jette une ombre sur leur vision très positive et lumineuse de l’amour des hommes pour le savoir, tel que toute flatterie devrait être inutile ; c’est un démenti cinglant apporté à leur conviction qu’il suffit de la vérité, qui brille par elle-même. Le succès de la rhétorique brillante, mais fausse, de Perrault, sera la pièce suivante de la démonstration. Les épicuriens sortent difficilement de la contradiction fondamentale par rapport à la rhétorique qu’Épicure lui-même a créée, condamnant la rhétorique. Ni Bernier ni Gassendi ne savent tirer pleinement profit de la leçon de Lucrèce, dont Gassendi sait remarquer l’importance puisqu’il cite souvent ce passage du chant IV (11-25)2 : « Quand les médecins veulent donner aux enfants l’absinthe rebutante, auparavant ils enduisent les bords de la coupe d’un miel doux et blond pour que cet âge étourdi, tout au plaisir des lèvres, avale en même temps l’amère gorgée d’absinthe et, loin d’être perdu par cette duperie, se recrée au contraire une bonne santé. Et moi, dont la doctrine paraît d’ordinaire trop amère à qui ne l’a point pratiquée, odieuse au vulgaire qui la fuit, de même j’ai voulu l’exposer dans la langue harmonieuse des Muses comme pour l’imprégner du doux miel de la poésie, espérant par mes vers captiver ton esprit le temps que tu perçoives en sa totalité ».
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Dans le cas de Bernier, l’échec à cet égard est encore plus patent. Voir notamment Vie et mœurs d’Épicure, livre VIII chapitre 8.
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Texte Au lecteur J’Ay creu Vous devoir icy avertir dés le commencement, que Gassendi, dont voicy les Ouvrages reduits en Abregé le plus clairement qu’il m’a esté possible, a veritablement admis les Atomes auec Democrite, & Epicure ; mais qu’il en a neanmoins usé à l’egard de ces deux Philosophes, comme à l’egard de Platon, d’Aristote, & de tous les autres soit Anciens, soit Modernes1 ; il a sceu faire le choix de ce qu’ils avoient de plus beau, & de meilleur dans leurs Livres, & l’a accommodé à son Systeme particulier2 ; & lorsque quelques-unes de leurs Opinions luy ont parû choquer ou le bon Sens, ou la Religion, ou les bonnes mœurs, non seulement il les a abandonnées, mais il les a combattues plus fortement, & plus judicieusement que qui que ce soit ; de sorte qu’a proprement parler cecy n’est point la philosophie de Democrite, ni d’Epicure, non plus que celle de Platon, ou d’Aristote, mais la Philosophie de Gassendi. Je me trouve encore obligé de Vous dire ce mot à l’egard de ceux qui par une espece de mepris, nomment Gassendi l’Historien de la Philosophie3, & Voir Vie et mœurs d’Épicure, épître à Luillier, les lettres à Valois qui contiennent l’exposé de la doctrine d’Épicure (31 janvier 1642 et 28 février 1642) ou encore la lettre au chancelier Séguier (7 juillet 1649). Voir aussi un « échantillon » de sa méthode appliquée aux « parties des animaux » dans une lettre à Naudé du 11 mai 1632. Voir encore une lettre à Golius du 8 mars 1630 où Gassendi décrit « ce que je fais pour le moment, je te le dirai en peu de mots : je philosophe. En effet, tu sais déjà que j’ai consacré mon activité à Épicure ; j’ai l’habitude de reprendre son œuvre de temps à autre tout en en explorant d’autres encore. Je réfléchis sur certains préceptes assez célèbres des philosophes antiques et je les compare ; et comme je les admire tous, je m’efforce de peser les opinions de chacun en particulier, comme si je me transvasais dans le tempérament de chacun. En fait, je n’ose en condamner aucun ; et comme ils furent tous des grands hommes, j’estime qu’aucun d’entre eux ne nous a exprimé ses maximes sans les avoir méditées et sans l’aide de la raison ». 2 Est-ce une invitation à traduire le Syntagma par la notion de système ? Notons que Bernier préfère utiliser plus simplement la « philosophie de Gassendi » dans le titre de son abrégé. Le système se comprend plus ici comme une intelligence des choses, c’est-à-dire une pensée qui sait concilier dogmatisme et scepticisme, empirisme et affirmation de l’existence de la vérité. En tout cas, commencer par évoquer un système répond par avance à l’accusation reprise dans le second paragraphe, à savoir que Gassendi fut sceptique. Enfin le mot même de Système apparaît (« le plan du système de philosophie ») comme le projet même de la vie du philosophe. 3 Formulation tout à fait exacte. Pour le rôle de l’histoire dans la pensée de Gassendi et ses rapports avec le scepticisme, voir Joy, passim, en particulier les chapitres 1 et 7. 1
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qui malicieusement disent qu’il est trop Sceptique. Il est vray qu’ayant à traitter une question d’importance, il rapporte premierement les differentes Opinions des Philosophes, persuadé qu’autrement il est presque impossible de jamais porter un jugement solide sur la chose dont il s’agit ; mais il ne faut que le suivre pour voir qu’il n’en demeure pas là, & pour peu qu’on aît d’intelligence, l’on découvre bientost quel est son dessein, & où il pretend porter son Lecteur. Pour ce qui est de la Sceptique, il est bien vray aussi qu’il se sert tres souvent des termes ordinaires de cette Secte, car l’on ne trouve par tout que des Videtur ; mais qui ne scait que les veritables Philosophes, & qui ont bien reconnu la foiblesse de l’Esprit humain, en usent de la sorte1 ? C’est par cela mesme qu’il marque sa sincerité, & sa modestie, & par où cependant il blasme secretement l’arrogance de quelques Modernes, qui sans considerer combien leurs veües sont courtes, & grossieres, decident magistralement de tout, comme s’ils n’ignoroient de rien, ou comme s’ils voyoient la Nature à découvert2. 1 Sur l’opposition entre vérité, qui existe mais qui est inaccessible, et vraisemblance, seule accessible, voir, entre autres, la lettre à Feyens du 6 juin 1629 : « Il ne sera peut-être jamais possible de découvrir la vérité dans son entier ; mais la vraisemblance, qu’il est de toute façon possible de traquer, a comme caractéristique de compenser la peine de la recherche par l’extrême plaisir qu’elle procure » ; à Golius du 8 mars 1630 : « Quoi qu’il en soit, tel est l’objet de mon investigation actuelle : même si elle échoue sur tout le reste, elle se délecte cependant même de la seule ombre de la vérité que j’épie en tout lieu. Je dis l’ombre, car à Dieu de voir ce qui en est d’elle-même. La vérité est divine et évite la société des mortels (pour autant que je le conçoive en mon cœur) en sorte qu’un esprit humain ne peut la rencontrer par conjecture. Il faut cependant la vénérer, en tant qu’elle nous plaît tellement par son ombre, c’est-à-dire par son apparence, que nous appelons vraisemblance. La vraisemblance est toute la vérité que j’exige tandis que je cultive l’humaine philosophie pour la divine ; je sens de la volupté quand je vois que tant d’âmes sublimes font ainsi l’unanimité sur elle » ; à Valois, du 12 septembre 1642 sur « l’imbécillité humaine : telle qu’elle est, elle ne peut rien connaître en dehors de l’écorce des choses, loin de pouvoir regarder à l’intérieur la nature intime, fût-ce de la plus petite chose ». 2 Cela peut accuser Descartes, après Herbert de Cherbury. Voir sur ce dernier une lettre de Gassendi à Diodati du 29 août 1634 donne sa réaction : « La vérité, selon mon jugement, est très cachée aux yeux des hommes, et Monsieur Herbert me semble être allé un peu bien vite et avoir eu un peu trop bonne opinion de son fait quand il a condamné si déshonnêtement les raisonnements des sceptiques. Il me semble même excéder un petit aux louanges qu’il se donne lui-même et à son ouvrage, comme s’il avait trouvé la fève au gâteau et que tous ceux qui l’ont précédé eussent été des aveugles. […] Il a d’autre côté principalement recours à l’instinct naturel et à la faculté testifiante intérieure qui est en chacun pour juger de la vérité intérieure des choses. Et si on en vient là, quelle raison pourrait-on rendre de la grande contrariété des jugements qui se rencontrent presque sur chaque sujet ? […] Je laisse ce point, l’instinct peut
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Après cecy j’ay creu qu’il ne Vous deplairoit peut estre pas d’entendre quelques petites particularitez qui regardent principalement le genie, & la vie de Gassendi, & qui font voir comme il a toujours donné dés l’Enfance mesme, des marques d’un Esprit extraordinaire. A peine avoit-il sept ans que s’estant emeu un different entre luy, & quelques-uns de ses camarades qui soûtenoient que c’estoit la Lune mesme qui marchoit, & non pas les Nuës, il s’avisa de les amener sous un arbre, & de leur faire remarquer que la Lune se voyoit toujours entre les mesmes fueilles, pendant que les Nues [sic] passoient outre1. A treize ans, ou environ, lorsqu’il étudioit le Latin à Digne la Ville de sa naissance, il surpassa tellement tous ses compagnons, qu’on ne l’appelloit presque que le Petit Docteur ; & dés ce temps là il se mit à composer de certaines petites Comedies meslées de Prose, & de Vers, que les jeunes Ecoliers recitoient au Carnaval chez les Principaux de la Ville2. bien servir pour le jugement des choses morales (encore est-il formé selon la préoccupation des lois, coutumes, conversation éducation, etc.), mais pour les vérités naturelles qui sont celles qui ont toujours principalement mis en peine tant de poursuivants, c’est là, à mon avis, un garant bien faible et un témoin bien inconstant ». Gassendi reprend sa critique de la lumière naturelle, contre Descartes qui l’adopte partiellement (Méditations métaphysique, iii), parce qu’il juge qu’elle ne garantit pas la clarté ni la distinction (Disquisitio, Contre la Méditation iv, Doute iii, Instance iv, 369a et suivants – Instance vii, notamment). Pour Gassendi, seul Dieu a une connaissance parfaite des choses, dont l’homme est ontologiquement privé, alors que Descartes affirme que l’homme peut obtenir la vérité, par la lumière naturelle et la suppression de tout ce qui est facteur d’erreur. 1 La Poterie et Gassendi neveu indiquent des observations de la lune en 1595, sans raconter pour autant cette anecdote. Celle-ci, cependant ressemble fort à ce que Diogène Laërce pourrait écrire de ses philosophes, comme une remarque hautement significative et dont la réalité historique peut être sujette à caution, ou encore de l’histoire d’Anaxagore démontrant l’innocuité des éclipses devant les soldats de l’armée de Périclès. Une anecdote que Gassendi appréciait, puisqu’il la cite dans une lettre à Valois (10 mars 1645) : « Mais quoique, privés de la lumière du soleil au cours des nuits entières où la Terre nous le ravit, nous n’ayons rien à craindre, ne faisons-nous pas tout à contretemps puisque, privés d’elle pendant le bref délai où la lune l’intercepte, nous pensons qu’il est juste de trembler comme si quelque grand malheur nous menaçait ? Comme Anaxagore, le précepteur de Périclès, adopta une conduite juste et sensée : voyant son armée prosternée à cause du spectacle d’une éclipse du soleil, il a redonné courage à ses soldats en cachant à leur regard le soleil derrière son manteau et affirmant qu’il revenait exactement au même de tendre un voile sur le soleil de près ou de loin ! ». 2 La Poterie et Gassendi neveu parlent des comédies en 1606, le second précisant « comme dans les deux ou trois [années] precedentes ». Ni l’un ni l’autre ne mentionnent que ces pièces auraient été présentées « au Carnaval chez les principaux de la ville ». Tout laisse penser que Gassendi approuvait les fêtes « populaires » et tolérées par l’église. Une lettre de
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A l’age de dix-sept ans il entra en Philosophie, où il fit de tels progrez en moins d’un ans, que lorsque le Professeur estoit oligé de s’absenter acause de ses infirmitez, ce qui arrivoit souvent, il faisoit la Leçon en sa place, & expliquoit. Il donnoit ensuite quatre ou cinq ans tant à la Theologie Scholastique, qu’a la lecture de la Sainte Ecriture, & des Saints Peres, ne negligeant toujours point cependant, comme il m’a avoüé plusieurs fois, sa chere Philosophie, car cet Esprit infatigable, & né à tout, suffisoit à toutes ces differentes études1. Il s’appliqua aussi à la Predication, ce qui luy donna beaucoup de reputation, & ce fut pour cela qu’on le fit Theologal, & ensuite Prevost de l’Eglise Cathedrale de Digne ; j’ay mesme entre les mains quelques-uns de ses Sermons qu’on me conseille de donner au public, tant on y remarque de pieté, d’eloquence, & de bon sens2. Mais pour en venir à la Philosophie qui a toûjours fait ses delices3, & sa principale occupation ; environ la vingt-cinquiéme année de son âge4, il arriva que le Professeur qui enseignoit dans le College Royal d’Aix venant à mourir, les premiers de la Ville, & entre autres l’illustre Du Peiresk, jetterent les yeux sur Gassendi, & le prierent de venir prendre la place du defunt, & achever le Cours qu’il avoit commencé ; il accepta volontiers le party, & enseigna
Valois lui décrit le carnaval dans une lettre du 6 mars 1647, et il ne répond par aucune forme d’indignation. Qui plus est, Neuré publie en 1645 un opuscule contre les rites et la superstition, Querela ad Gassendum de parum christianis provincialum suorum ritibus, niniumque sacris eorum moribus, ex occasione ludicorum quæ Aquis Sextiis in solemnitate Corporis Christi ridicule celebrantur (1645, réédité en partie dans la Collection des meilleurs dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France, par C. Leber, Paris 1838) dont le titre révèle à lui seul un désaccord entre les deux hommes. 1 Ce passage, qui donne des détails inédits, montre que Bernier tenait des informations directement de Gassendi, « dans la Source mesme, et dans les entretiens très frequens que j’ay eu avec luy », comme il dit dans « l’Avis au lecteur » de l’édition de 1674. On ignore si La Poterie lui a fourni aussi des informations. 2 Bernier n’a jamais fait publier ces sermons qui semblent maintenant être définitivement perdus. 3 L’expression de fait revient souvent sous la plume de Gassendi. Voir par exemple une lettre à Philibert de la Mare du 22 novembre 1641 : « En ce qui concerne mes recherches, c’est à peine si je reprends mes livres après cinq ans, mais je suis si malheureux que je ne sais quel destin m’en détourne immédiatement et me force à oublier ce qui fait mes délices ». 4 En 1616.
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six années de suite1 la Philosophie vulgaire2 auec un applaudissement tout à fait extraordinaire. Cependant comme les chicanes ordinaires des Ecoles luy deplaisoient extremement, & qu’il avoit une veneration particuliere pour les Dogmes des Anciens, il ne pouvoit s’empescher de retrancher plusieurs de ces questions inutiles qui se sont malheureusement introduites dans la Philosophie3, & de mesler toujours quelque chose de cette belle, & solide Philosophie des Anciens ; jusques là que la dernier année qu’il quitta le College, il fit soûtenir des Theses Pour, & Contre, & fit imprimer ses Dissertations, Contra Aristoteleos, ce qui fit grand bruit, comme s’il se fust levé quelque nouvelle Heresie, & que la Religion eus testé fondée sur les Dogmes d’Aristote4 : Mais toutes ces criailleries ne servirent qu’a l’animer davantage, il s’appliqua auec plus de courage que jamais à la recherche de la Verité, & jetta deslors5 le plan du Systeme de Philosophie qu’il nous a laissé après y avoir depuis travaillé assidûment, & sans relasche jusqu’a sa mort, qui fut en sa soixante & quatrieme année. 1
Jusqu’à l’année scolaire 1621-2. Voir note 127, p. 78. Pour cette expression, voir note1 sous Sorbière, p. 425. 3 C’est une expression de Gassendi. Lettres latines, à Feyens 6 juin 1629 : « Sinon, n’est-ce pas un débordement de tant d’inventions absurdes qui s’écoulent dans la philosophie ? » ; à Valois (2 janvier 1642), sur les sciences libérales : « Il y a lieu en général de les estimer libérales, c’est-à-dire dignes d’un homme libre et noble, mais il s’y est cependant introduit dans chacune bien des éléments qui sont trop vains, trop inutiles, trop épineux et trop pernicieux pour que le sage doive s’y intéresser » ; Vie et mœurs d’Épicure (Livre VIII, chapitre 6) : « S’il est vrai que les arts et les sciences ont tous été conçus en vue d’une certaine utilité, bien des préoccupations inutiles s’y sont cependant partout glissées ». 4 L’ironie de la formule renvoie peut-être à des propos même de Gassendi. De toute évidence, au moment où Bernier écrit, la scolastique a définitivement perdu son autorité, et il n’est plus guère besoin de démontrer, contre l’Université et les aristotéliciens, que Gassendi est plus chrétien que ceux qui font profession de l’être en s’appuyant précisément sur un philosophe de l’Antiquité païenne. Il est naturellement difficile de mesurer à quel point la parole même de Gassendi est inscrite dans la contribution de Bernier, mais l’anachronisme relatif de cette mention peut l’indiquer ici. Il faut souligner cependant que la situation italienne et française n’était pas comparable en cette fin de siècle, puisque, comme nous l’avons évoqué en note de la Vie par Sorbière, en 1677 d’Estrées a dû utiliser, cette fois-ci « sérieusement » le même argument à Rome pour éviter que les ouvrages de Gassendi ne soient mis à l’index. Voir Turner I, 17. 5 Après la rédaction du premier livre des Exercitationes, contre Aristote, et la découverte des théories de Galilée, Gassendi commence à s’intéresser à Épicure (les lettres à Peiresc confirment la date de 1626). Une lettre à Peiresc du 28 avril 1631 donne le plan du futur système – lequel plan ne sera d’ailleurs pas conservé tel quel. 2
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Il se levoit ordinairement à trois heures du matin, quelquefois à deux, jamais plus tard qu’à quatre, & etudioit jusqu’à onze, à moins que quelqu’un ne le vint detourner, ce qui arrivoit assez souvent, principalement lorsqu’il demeuroit à Paris : Car comme il estoit extremement humain, doux, & facile, un chacun pouvoit aisément l’aborder, principalement les gens de lettres, & entre ces derniers ceux qui avoient quelque difficulté de Philosophie à luy proposer. Sur les deux, ou trois heures de l’après midy, il se remettoit à l’étude jusques à huit, soupant alors legerement, & se couchant entre neuf & dix1 ; desorte qu’a considerer cette longue suite d’années d’etude continue, l’on pourroit douter s’il y a jamais eu Philosophe qui ait etudié autant de temps que luy. Aussi n’y avoit-il Livre de Science, ni mesme de belles Lettres qu’il n’eust leu, qu’il n’eust retenu, & dont il n’eust recueilly les plus beaux endroits, qu’il a sceu agreablement repandre par tous ses Ouvrages. La quantité prodigieuse de Vers Grecs, Latins, & François qu’il avoit choisy dans tous les Poëtes, & appris par cœur est une chose tout à fait remarquable : De Latins seuls, sans conter Lucrece tout entier, il en sçavoit six mille, dont il recitoit reglement trois cent tous les jours en se promenant, ou en faisant autre chose, comme pour se delasser l’Esprit. Il en est de la Memoire, disoit-il, comme de toutes les Habitudes, voulez-vous la fortifier, ou empescher qu’elle ne s’affoiblisse, comme il arrive ordinairement à mesure qu’on vieillit, exercez-la continuellement, & de bonne heure ; les beaux Vers qu’on apprend par cœur, & qu’on recite souvent, entretiennent l’Esprit dans une certaine elevation qui inspire de grands sentimens, & qui annoblit le style de ceux qui ecrivent, mais cecy soit dit en passant2. Ce que l’on peut dire estre tres remarquable, & de la derniere importance soit pour les Etudians, soit pour les Professeurs, c’est que lors qu’il rapporte les diverses Opinions des Anciens, & des Modernes, pour mettre l’Esprit en estat de bien juger de la difficulté qu’il traitte, il fait cela auec tant de clarté, & de netteté, que ces Opinions se trouvent chez luy beaucoup plus intelligibles que dans les Autheurs mesmes ; de façon qu’on peut dire que quand les Platons, & les Aristotes, Plutarque, Pline, Seneque, Ciceron, & les autres periroient, les Ouvrages de Gassendi nous demeurant, rien de ce qui
1 Cette description du régime de Gassendi s’accorde assez bien avec celle que donne Gassendi neveu. 2 Sur la mémoire, voir la note 211 au début de la récapitulation, dans le texte autographe d’Antoine de la Poterie, p. 93.
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est contenu de Philosophie dans ces Autheurs ne periroit1 : Il est luy seul une Biblioteque entiere, le Plutarque, & le Laërce Latin, le Thresor general de la Philosophie, & pardessus tout cela, il est, ce qu’on disoit autrefois à Aristote, Aureum Eloquentiæ Flumen, un vray torrent d’Eloquence2, le Ciceron des Philosophes. Pour ce qui est de cet Ouvrage que j’ay consacré à sa memoire, il est vray que je l’ay enrichy de quantité de rares decouvertes qui se sont faites de nos jours tant dans la Physique, que dans l’Astronomie ; je l’ay de plus augmenté dans cette derniere Edition de quelques Chapitres qui m’ont semblé necessaires, comme j’en ay en beaucoup d’endroits retranché quantité de choses qui me paroissoient superflues ; j’ay mesme tasché de le tirer de la barbarie ordinaire des termes Scholastiques, & de garder avec la force de l’expression la pureté de la Langue, afin de le rendre plus agreable, & plus intelligible3 : Mais à quelque perfection que j’aye sçeu le porter, je dois toûjours avouër ingenûment qu’il est infiniment au dessous de la perfection de l’Original ; Gassendi est toûjours la source vive où vous devez aller puiser, c’est le Pere, c’est l’Inventeur des choses, & je n’ay fait qu’imiter les Abeilles qui vont ramassant le miel qu’elles trouvent ça & là sur les fleurs dans la campagne : C’est ce que Lucrece disoit autrefois de son cher Epicure4, Tu, Pater, es rerum Inventor, tu patria nobis Suppeditas, præcepta, tuisque ex, Inclite, chartis, Floriferis ut apes in saltibus omnia libant, Omnia nos itidem depascimur aurea dicta, Aurea perpetuâ semper dignissima vitâ. 1 Bernier ne dit rien non plus finalement de ses lectures « modernes », et le trésor général de la philosophie exclut à la fois les penseurs chrétiens, tel Augustin, et les penseurs contemporains. Quelle que soit l’explication que l’on veuille y donner, il n’en reste pas moins que Bernier, ce faisant, met, sans doute sans le vouloir, sa pierre dans l’édifice de ceux qui font de lui un historien de la philosophie, un partisan des Anciens, et non pas un novateur. 2 Cicéron, Acad., II, 38, 119. 3 Bernier se place ici dans le sillage de Malherbe et de l’Académie française dont « la principale fonction », selon leur statut, « sera de travailler… à donner des règles certaines à notre langage, et à le rendre pur, éloquent, et capable de traiter les arts et les sciences ». Cité de Gégou, 22, et voir le chapitre 2 passim. 4 [Ô père, ô découvreur de l’univers, tu nous prodigues / tes préceptes paternels et dans tes livres, ô prince, / pareils à des abeilles dans les vallons en fleurs, / nous butinons tes paroles d’or, toutes d’or / et toujours les plus dignes de la vie éternelle] Lucrèce, De rerum natura, iii, 9 sqq.
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Ajoutons à l’imitation de ce qu’Ovide a predit des sublimes Vers de Lucrece1, Qu’ils ne periront que lors que le Monde perira Carmina sublimis tunc sunt peritura Lucreti, Exitio terras cùm dabit una dies. Ajoutons, dis-je, à plus forte raison, que les Ouvrages de Gassendi qui comprennent tout ce que Lucrece a de bon, & une infinité d’autres choses incomparables, ne craignent point l’atteinte des Temps, & qu’ils ne sçauroient perir que dans les ruines generales du Monde2 : Predisons hardiment, autant que la raison nous peut faire penetrer dans l’Avenir, que dans mille ans d’icy ils se feront lire avec admiration, & que nos Neveux3 rechercheront alors aussi curieusement le temps de la naissance de Gassendi, que nous recherchons presentement celuy des plus illustres de l’Antiquité : Heureuse Époque, diront-ils, heureux concours des choses ! Que du temps du plus grand des Rois, la Nature ait fait paroistre le plus grand des Philosophes ! Gassendi ecrivoit sous le Regne de LOUIS LE GRAND4 ce Monarque qui sçavant dans l’art de regner, sçeut toujours faire de grandes choses, & toujours en promettre de plus grandes, etendre les bornes de son Royaume injustement resserrées, & par le secret impenetrable de ses Conseils, tenir toute l’Europe en suspens5. 1
[Les poèmes du sublime Lucrèce ne périront / Que le jour où le monde entier sera détruit] Ovide, Amores, i, 15, 23. Gassendi cite ces deux vers dans une lettre à Valois du 21 mars 1642, après qu’il a déploré la perte de la plupart des œuvres d’Épicure. Ou encore dans Vie et mœurs d’Épicure, livre II, chapitre 6, où il dit alors que ces deux vers sont une « prophétie ». 2 C’est-à-dire la fin du monde. Pour l’opinion de Gassendi sur la fin du monde, à savoir qu’elle se produira sans qu’il soit possible de la dater, voir une lettre à Gaffarel du 8 mars 1629. 3 Au sens latin de nepotes, c’est-à-dire nos descendants. 4 Derrière une référence de circonstance plus ou moins obligatoire, il faut préciser que la remarque de Bernier est pour l’essentiel justifiée. Car si c’est sous Louis XIII que Gassendi constitue son système dès la fin des années 1620, publie quelques ouvrages essentiellement scientifiques (en dehors des Exercitationes et de la Vie de Peiresc) et connaît finalement sa maturité philosophique, l’essentiel de ses œuvres paraît après 1643. Gassendi lui-même place son travail sous les auspices du nouveau roi, Dieudonné, dans son Discours inaugural au Collège royal. 5 Écrivant en 1678, Bernier se fait l’écho des espérances de paix que suscite la conclusion des traités de Nimègue (10 août – 17 septembre 1678). Son texte reflète aussi la propagande royale (« les bornes de son royaume injustement serré ») dont il étend les destinataires à l’Europe entière. De fait le « siècle de Louis XIV » a maintenant commencé, qui éclipsera les réalisations des cinquante années qui le précèdent et dont il hérite. Voir Bluche 382-4 ; Destrai & Froment 250-51.
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Charles Perrault, « Pierre Gassendi » tiré de Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle : auec leurs Portraits au naturel, Paris 1696, 63-4
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Introduction De toutes les vies de Gassendi ici recueillies, cette esquisse de Charles Perrault est la plus éloignée de son sujet. Perrault (1628-1702)1 n’a jamais rencontré Gassendi. En outre, comme il l’écrit quarante ans après son décès, il a sans doute fort peu connu de ses élèves et disciples qui auraient pu lui donner une connaissance même indirecte de l’homme. Enfin, le portrait qu’il donne se trouve dans un ouvrage qui dissimule des intentions polémiques sous le couvert d’une présentation laudative d’une centaine d’illustres du siècle. Cette absence de précision factuelle peut étonner : d’ordinaire, avec l’éloignement dans l’espace et dans le temps, la plume devient plus objective, et le travail de recherche peut être débarrassé des passions, surtout soucieux de rassembler des documents et de les faire matériellement échapper à la destruction du temps qui passe. Ainsi Gassendi fait-il avec les grands astronomes du siècle précédent. Mais l’intention de Perrault n’est pas biographique, il ne vise pas non plus à la recherche : son livre sera lu dans les salons et c’est une écriture de mondain. Sa large diffusion et la notoriété de son auteur fournissent sans doute une clef fondamentale de l’éclipse durable de Gassendi et l’ensevelissement de sa pensée, alors que sa personne est ainsi statufiée. Aussi l’apport strictement biographique de Perrault à la vie de Gassendi est-il nul ; pire, il crée, par le jeu d’une rhétorique frappante, des déformations et des erreurs. L’on revient en quelque sorte à l’époque d’avant Gassendi, d’avant la réhabilitation des critères épicuriens, et l’on se complaît aux hallucinations des sens, comme si le bâton, qui semble courbé quand il est plongé dans l’eau l’était réellement2. En présentant Gassendi par opposition à Descartes3, et cela d’une manière purement formelle et au détriment de la 1
Pour sa vie, voir les principaux dictionnaires biographiques et ses propres « Mémoires ». 2 Gassendi reprend à maintes occasions cet exemple canonique s’il en est des illusions des sens (dans les Exercitationes, dans les Lettres latines, dans le Syntagma, etc.). Il le lit dans Sextus Empiricus ou chez Lucrèce. 3 À cet égard il est intéressant de rappeller ici la présentation de Gassendi dans la fantaisie philosophique de Gabriel Daniel (1649-1728), Voyage du monde de Descartes (éditions à Paris en 1690, 1696, 1702 et 1739 – nous citons ici de l’édition de 1702). Il imagine que les endroits de la lune conventionellement nommé pour les savants renommés, sont leurs vrais lieux de domicile. «Nous descendîmes dans la Gassendi. Ce lieu nous parut fort joli, & fort propre, & tel, en un mot, que l’a pû rendre un Abbé, comme Monsieur Gassendi, qui a de l’esprit, de l’art, de la science, & qui n’a que faire de ses revenus, pour joüer, & pour se bien
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vérité, non content de lui refuser une autonomie à sa pensée, Perrault contribue à la construction d’une vision binaire de l’histoire de la philosophie en même temps qu’il contredit ses propres préceptes, « s’il est vray qu’on doit avoir pour but de faire bien connoistre le veritable caractere de celuy dont on parle, il n’est pas moins vray que rien n’est plus propre pour y parvenir que le simple recit de ses actions, ou l’homme se peint mieux luy-mesme que ne sçauroit faire le meilleur Orateur auec les plus belles couleurs de l’Eloquence1 ». Gassendi, comme Perrault le présente, n’est plus qu’un exemple parmi d’autres dans la querelle des Anciens et Modernes ; à la limite, il lui refuse le nom de « philosophe » pour mieux le figer dans la figure du « sage », érudit un peu timoré qui n’arriva pas toujours à comprendre les découvertes récentes. Perrault est ici le premier à commettre la faute qu’il réprouve chez d’autres : « On sçait que la pluspart des Oraisons funebres où brille la plus haute éloquence, font plus l’affaire du Predicateur que du Défunct, & que si la réputation de celuy qui parle en reçoit souvent un accroissement considerable, celle du Mort reste presque toujours au mesme estat qu’elle estoit avant la Ceremonie »2. La piété de Gassendi, que ses disciples les plus proches avaient rappelée contre les accusations d’athéisme qui pouvaient peser sur un homme attaché à la réfutation de l’aristotélisme des écoles et à la démonstration du système de Copernic, devient ici une touche supplémentaire dans le portrait, à la limite, d’un anti-Moderne. Quant à Épicure, Gassendi ainsi présenté semble n’en avoir retenu que les conseils de sagesse et de bon sens, rien en tout cas qui puisse évoquer cette « tragédie » que les Exercitationes avaient menacé de soulever, ou les campagnes de Morin, qui avaient pourtant fait planer un danger certain sur le philosophe de Digne. On peut s’étonner de voir Perrault insister à ce point sur la circulation du sang, et de surcroît pour souligner les hésitations de Gassendi. Sans doute traiter. Nous n’y trouvâmes point le Seigneur du lieu, que nous aurions salüé volontiers : car on dit, qu’il conserve toujours l’honnêteté & la moderation, que lui étoient naturelle ; & quoi qu’il ait eu autrefois quelques démêlez avec M. Descartes, il reçoit toujours fort civilement, & distingue même les Cartesiens, qui vont lui tendre visite, & sur tout le P. Mersenne, qui étoit son ami intime. Gassendi étoit un homme qui avoit autant d’esprit de M. Descartes, une plus grande étendue de science, & beaucoup moins d’entêtement. Il paroit être en peu Pyrrhonien en Physique, ce qui à mon avis, ne sied pas mal à un Philosophe, qui, pour peu qu’il veüille se faire justice, connoît par sa propre experience les bornes de l’esprit humain, & la foiblesse de ses lumieres ».. 1 Preface aiiir. 2 Ibid.
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ignore-t-il que quelque cinquante ans auparavant on associait sous le même nom de circulatores, « charlatans », les partisans de Copernic et ceux d’Harvey1, comme l’était Gassendi quelles que soient par ailleurs ses erreurs sur le fonctionnement du flux sanguin, et sans doute, étant un littérateur lui-même, à une époque où le fossé entre lettres et sciences commence à se creuser, au détriment de l’universalité du savoir, n’a-t-il pas une idée bien précise de ce que sont les expérimentations scientifiques. Quoi qu’il en soit, on peut imputer cette fixation sur la question du sang au fait que Perrault semble vouloir mettre Pecquet au premier plan, et cela sans doute à cause de son frère Claude, médecin, qui devient un proche de Pecquet une fois qu’il se retrouve à la tête des anatomistes de l’Académie des sciences (grâce à l’entregent de Charles au demeurant)2. Au demeurant, Pecquet rend hommage à Gassendi dans son livre, puisqu’il écrit, p. 90, dans le chapitre De transcolatorio Jecinoris usu, pour répondre à une objection : « Je réponds d’abord que non seulement l’eau est un corps poreux, mais en plus qu’elle est creusée de différentes formes de pores. C’est le très savant Gassendi qui l’a démontré, avec une admirable sagacité. Or il serait inutile d’affirmer la diversité de figures dans les pores aqueux, si tu refusais d’admettre qu’elle se trouve dans les parties dont l’eau est constituée. Mais que les pores de l’eau comportent cette diversité de figures, voilà ce qu’a prouvé Gassendi dans une expérience connue »3. Le soupçon que Gassendi aurait été un mauvais mathématicien, que l’on lit pour la première fois chez Sorbière, devient ici une affirmation, voire une qualité du sage à qui est définitivement refusé tout apport dans les nouveaux savoirs, ce qui est bien paradoxal pour un philosophe qui aura mis sur pied toute une théorie du progrès scientifique. Le texte de Perrault est ainsi exemplaire de la manière dont une rumeur peut se transformer en vérité dans un texte de deuxième main, dont la plainte de Gassendi par rapport aux saignées de Patin est ici une illustration lumineuse. 1
Du reste, la circulation du sang est un fait si bien admis que Louis XIV crée en 1672 une chaire d’anatomie, indépendante, au Jardin du roi, où elle est enseignée. 2 On retrouve leurs noms associés dans une publication de 1676 : Lettres écrites par MM. Mariotte, Pecquet et Perrault sur le sujet d’une nouvelle découverte touchant la veine faite par M. Mariotte. 3 Respondeo primum aquam esse non porosum dumtaxat corpus, sed variis etiam pororum figuris cavernosum. Hoc mira doctissimus Gassendus sagacitate demonstravit. Frustra autem figurarum astruetur in aqueis poris diversitas quam in iis, quibus constat partibus, renuas admitterre. Esse vero poris aqueis figurarum diversitatem, nobili probavit Gassendus experimento.
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Il faut remarquer, ici plus qu’ailleurs, que si l’on dénie souvent à Gassendi la dimension de découvreur, la faute en revient en partie à ses mémorialistes qui ont fait presque complètement abstraction de ses travaux empiriques et de ses vraies découvertes. Perrault joue ici un grand rôle, moins son texte que le bruit qu’il a pu faire dans les salons ; et bientôt, chez Voltaire, Gassendi ne sera plus l’homme de sciences. Aucun de ses biographes immédiats ne semble avoir compris l’importance de l’observation du passage de Mercure sur le soleil, ni de son diaire astronomique. Au-delà de Perrault, même ses disciples n’ont pas pris soin de souligner l’importance de son apport, notamment en astronomie. Sommes-nous ici en face ici d’un mépris pour l’astronomie pratique de la part des ses disciples « philosophes », ou simplement un manque de compréhension ? Auraient-ils prêté plus d’importance à son activité astronomique si Gassendi, comme Copernic et Tycho, avait imaginé un nouveau système cosmologique ? Ou bien faut-il imputer cet étrange oubli de ses biographes à la transformation, alors en cours, des conditions d’exercice de l’activité scientifique, de l’institutionnalisation des académies privées et de l’émergence d’une nouvelle figure du savant ? Le texte de Perrault, qui semble avoir pour unique source la vie par Sorbière et paraît ignorer même le Bernier, pourtant facile d’accès, est déjà disponible dans une version moderne tirée de l’édition des Hommes illustres donnée par Pierre de Hondt à La Haye en 17361. Notre texte, qui diffère en rien sauf que nous avons gardé l’orthographe originale, est tiré de la première édition de l’œuvre de 1696 à Paris. Nous reproduisons le portrait par Jacques Lubin d’après Nanteuil qui orne l’ouvrage de Perrault (voir fig. 9).
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« Jugement de Gassendi par Charles Perrault » dans Murr II, 207-210.
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PIERRE GASSENDI Pierre Gassendi meritoit plustot le nom de Sage que celuy de Philosophe, parce que son ame estoit encore plus ornée de Vertus que son esprit ne l’estoit de connaissances. Il nâquit au mois de Janvier de l’année 1592 dans un Village proche de Digne, où dés l’âge de quatre ans on le voyoit la nuit contempler auec une attention incroyable La Lune & les Estoilles. Lorsqu’il fut un peu plus âgé on l’envoya à Digne y faire ses Estudes, où en peu de temps il donna des marques de son esprit & de ce qu’il seroit un jour. Il fit sa Philosophie à Aix, & au retour il enseigna la Rethorique à Digne n’ayant encore que seize ans1. Après avoir passé un temps considerable dans les Disputes de l’Ecole, il se consacra à l’Estat Ecclesiastique, Estat plus tranquille & plus propre à vacquer à la Philosophie2. Il fut pourveu d’un Canonicat dans la Cathedrale de Digne, & le degré de Docteur luy ayant obtenu une Dignité qui luy fut disputée par plusieurs Concurrens3, il fut contraint d’aller plaider & à Grenoble & à Paris, où son merite le fit connoistre & luy fit beaucoup d’Amis. En l’an 1628. Il fit un Voyage en Hollande auec Monsieur Lhuillier Maistre de Requestes, où il s’acquit une très-grande reputation par les Conferences4 qu’il eut avec les excellens Hommes de ce Pays-là. Quelque éclairé qu’il fust il ne laissa pas de combattre long temps la circulation du sang & la communication du Chyle avec le sang par les veines lactées ; mais il en fut desabusé par les dissections que Monsieur Pecquet, qui le premier a découvert le Canal Thorachique, fit devant luy plusieurs fois5, & lors qu’il fut convaincu de la verité de ces deux découvertes, il se réjoüissoit de les avoir connuës avant sa mort, ajoutant qu’il regardoit ces deux veritez qui se prouvent l’une par l’autre, comme les deux Poles de la Medecine sur lesquels elle devoir rouler desormais6, car il n’estimoit pas la Medecine ordinaire qui 1
C’est à seize ans que Gassendi commence ses études de philosophie à Aix ; il ne se met à enseigner à Digne que cinq années plus tard. Perrault répète ici les erreurs de Sorbière. 2 Phrase tirée directement de Sorbière. 3 Perrault est seul des biographes de Gassendi à suggérer qu’il y a eu d’autres prétendants que Pelicier de Boulogne pour la place de théologal à Digne. 4 C’est-à-dire « conversations ». 5 Voir la note 1 p. 489 pour le texte de Pecquet. 6 Cf. Sorbière dans son Discours… touchant diverses experiences de la transfusion dv Sang, Paris 1668, 6-7 parlant de la circulation d’Harvey et du passage de Pecquet : « & l’on crut avec raison que c’estoit là comme les deux Poles de la Medecine, sans la connoissance desquels on avoit iusqu’icy nauigé à l’avanture sur le Microcosme ».
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n’admet que le combat des qualitez, & les differentes temperatures des humeurs, pour les causes de toutes les maladies. Il s’est rendu celebre par bien des endroits ; mais rien ne luy a acquis plus de reputation que la dispute qu’il a eüe fort longtemps auec Monsieur Descartes. C’estoient deux très-excellens Hommes ; mais d’un caractere bien different, Descartes n’estoit jamais plus aise, que quand il avançoit des propositions contraire aux opinions receuës, & Gassendi se faisoit un plaisir de conformer les siennes autant qu’il le pouvoit à celles qu’il trouvoit establies. L’un se distinguoit par la profondeur de ses meditations, l’autre par l’estenduë de sa litterature ; L’un vouloit que tous ceux qui l’avoient devancé n’eussent presque rien connu dans les choses de la Nature ; L’autre taschoit à faire voir par des favorables interpretations, que les Anciens avoient pensé les mesmes choses qu’on regardoit comme nouvelles. L’un sembloit entraîné par ses propres lumieres, l’autre paroissoit tousjours en estre le maistre. En un mot on eust dit que l’un avoit des connoissances plus grandes que son ame, & que l’autre avoit l’ame plus grande que toutes ses connoissances. Ses Maximes de Philosophie estoient composées de ce qu’Epicure & Democrite ont eu de meilleur & de plus raisonnable, & il s’esloigna de tous les Paradoxes outrez, soit qu’il se trouvassent dans les Anciens, soit qu’il fussent soustenu par les Modernes les plus excellens. L’exacte pieté dont il fit profession pendant toute sa vie ne servoit pas peu à le rendre moderé & circonspect dans ses recherches Philosophiques. Jamais il ne luy est rien échappé, en traitant des nouveaux Systemes de Tycho-Brahé & de Copernic, qui pust blesser les dogmes de l’Eglise. Il disoit la Messe tous les Dimanches & toutes les Festes, & c’estoit ordinairement dans l’Eglise des Minimes de la Place Royale où l’attiroit le Pere Mersenne grand amateur de la Philosophie, & particulierement des Philosophes avec tous lesquels il avoit fait amitié, leur servant merveilleusement à se communiquer leurs pensées les uns aux autres par le commerce de Lettres qu’il avoit soin d’entretenir. Là, après la celebration des divins Mysteres, ils s’entretenoient ensemble, & avec plusieurs des leurs Amis de diverses matieres de Philosophie ou de Mathematique. On luy a reproché de n’en avoir pas sçû assez à fond quelques parties, comme l’Algebre & plusieurs secrets de Géometrie ; mais soit qu’il ayt ignoré effectivement ce qu’il y a de plus caché dans ces Sciences, soit Qu’il ayt negligé, il ne peut qu’estre plus loüable. Il y a quelque chose de petit à s’attacher trop à des petites choses, & mesme de l’imprudence à y consumer un temps, qu’on peut employer plus utilement à d’autres connoissances1. Il mourut le C’est un point que Gassendi développe tout particulièrement dans Vie et mœurs d’Épicure.
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neufviéme de Novembre 1655. âgé de soixante-trois ans. Persuadé qu’il mourroit pour avoir esté trop saigné, il dit après qu’on l’eut saigné pour la dernière fois, il vaut mieux s’endormir doucement au Seigneur, après avoir ainsi perdu toutes ses forces que de perdre la vie avec de plus vifs sentimens de douleur1. Jamais personne n’a vescu d’une vie plus égale & plus uniforme, personne n’a eu plus d’Amis illustres & dont il ayt esté plus aimé, particulierement depuis que Monsieur de Montmor Maistre de Requestes dont la maison estoit le rendez-vous de tout ce qu’il y avoit de Gens de merite & de Science, l’avoit pris chez luy. Il fonda en mourant une Messe annuelle & perpetuelle dans une Chapelle à Digne, & des aumônes aussi annuelles & perpetuelles aux pauvres du mesme lieu.
1 Cf. Sorbière. Le « calcul » épicurien face à la douleur, qui invite à peser les torts d’une douleur vive et brève ou d’une souffrance faible mais durable, revient souvent sous la plume de Gassendi, notamment dans ses lettres à Valois. Voir passim.
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I – Un poème de Gassendi sur la mort de Wilhelm Schickard1. À Matthias Bernegger, Pour pleurer le trépas de Schickard et, quoiqu’il n’ait pas voulu être un poète ni être salué comme tel, pour lui envoyer cependant ses quelques vers qu’il a composés dans son chagrin, poussé par Diodati2. À Bernegger, très sage modérateur de la curie suprême dans la célèbre Académie de Strasbourg. Je t’écris, excellent et très savant Bernegger, pour accomplir mon devoir et pour répondre aux vœux de Diodati, notre ami commun. Je ne peux me rappeler mon devoir sans rougir, car je n’ai jamais accompagné d’aucun témoignage de ma gratitude tes si fréquents services. Tant que notre ami Schickard, makar…thj était en vie, que de fois, je t’en prie, nous avons échangé de part et d’autre des lettres par ton intermédiaire ! Tu étais comme le dépositaire commun de chacun de nous deux ; et pourtant (je ne puis le mentionner sans honte), je ne t’ai jamais écrit personnellement, pas même un petit mot, pour me recommander à toi ou pour te remercier. Les témoignages que notre ami Diodati s’engageait à te donner m’ont toujours suffi, si grande était la confiance avec laquelle il me donnait la certitude de ta bonté. Mais maintenant, après que notre ami bien excellent a succombé à son destin, pourquoi différerais-je plus longtemps de te supplier de me pardonner, en faisant précisément ce que j’aurais dû faire depuis longtemps et plus souvent, c’està-dire en t’écrivant. J’écris aussi selon les vœux de Diodati, puisqu’il me presse vivement de te transmettre une épitaphe à la louange du défunt. Pourrais-je le faire sans rédiger quelques vers dont je dois excuser la rudesse ? Jamais je n’ai voulu être poète ni être salué comme tel et, une fois passé l’impétuosité de l’âge en fleur, j’ai tout à fait interrompu mes activités dans ce sens. Je n’ai jamais eu non plus le bonheur de me satisfaire moi-même, malgré une persévérance si grande que je me suis rongé les ongles à m’y essayer bien souvent. N’ai-je donc pas eu raison de repousser si longtemps ce qu’il m’a demandé, jusqu’au moment où j’ai préféré passer pour né sous la colère des Muses plutôt que de Déjà édité dans les Lettres latines i, 148-52 (texte), ii, 143-6 (notes). Le titre est de l’éditeur des Lettres latines, sans doute de La Poterie. Opera omnia vi, 84-5. 1 2
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ne pas lui obéir, même s’il me conjurait par ses Mânes heureux et par le droit de l’amitié ? Je dis cela pour que tu supportes avec assez de mansuétude que, sur cet homme qui emprunte pour ainsi dire la voie sacrée, j’entasse des vers capables de révulser l’estomac. Je le fais par nécessité, avec l’intention de prendre comme garant et avocat celui qui m’a engagé à les composer. L’espoir est-il mince que, par bonté, tu les corriges, malgré leur médiocrité, ou même que tu les détruises complètement ? Quoi que tu décides, cela me fera grand plaisir. Veille seulement à ce que Lantz (je sens bien qu’il m’aime grandement) ne pense pas que je l’ai oublié. Adieu. La gourde maladie, plus forte que Mars, Osant ce grand crime, a emporté cette tête, Qu’à travers tant de guerres et d’ennemis, Le destin avait déjà tant de fois épargnée ? La hideuse peste aux plaies affreuses A entraîné Schickard : neige plus blanche Et plus limpide jamais N’est venue des hauteurs de l’éther ! Lui qui aurait pu adoucir les tigres au cœur De fer, doux et innocent, Fut donc incapable De fléchir le tyran de l’Orcus ! Piété des dieux ! Foi des hommes ! Qu’est donc la vertu ? À quoi bon l’honneur ? Pourquoi avoir connu tant de sciences ? À quoi sert la sagesse à son comble ? À quoi sert d’avoir, avec les yeux et l’esprit, Exploré les routes des étoiles, si, tout comme Ceux qui sont vides des choses célestes, Il est oppressé dans le sein de la terre ? À quoi bon avoir enseigné avec les anciens rois Les langues de l’Asie et les droits en or,
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Si désormais la patrie avec son cippe frêle Le couvre et le rend muet ? Mais je me trompe ; car ce par quoi sa bonté s’est exprimée, Subsiste ; et comme il sait tant de choses, C’est ce qui lui vaut de se mêler aux dieux et de regarder D’en haut les actions humaines. Frappant l’éther du haut de la tête, Il se joint aux étoiles dont il a fait le tour ; Et il observe sur place Ce qu’il avait deviné de loin. Il respire, et il parle avec ses propres livres Plus haut que les Perses à qui il avait fait le don de la vie, Et digne de l’Olympe, Il se nourrit du nectar des dieux. Heureux qui, dans les maux de sa patrie, de sa famille, A pu vivre sans se laisser abattre, Et après en avoir souffert de plus graves, A trouvé la fin à ses maux. Si l’on honorait l’homme de ses larmes, On pleurerait non les maux qu’il a déjà endurés, Mais la perte qu’il nous fait subir en partant, Le regret qu’il nous laisse. Que l’éther se cache bien les yeux, Et épanche ses humeurs, couvrant de nuages Son visage, parce que ses espaces sacrés Sont désertés par le myste fidèle. Que Phébus couvre sa face et coupe Ses boucles de cheveux d’or ; car on ne saurait tirer Plus de gloire et d’éclat qu’en prenant ce sujet Et en le célébrant dans des hymnes.
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Que Cynthie arrêtant de conduire les danses Cache sous les ténèbres son brillant visage, Et qu’elle renouvelle, affligée, Sa course de déploration. Car, en changeant sans cesse jusqu’à maintenant, Son mouvement confus et sa forme inconstante Ont empêché qu’on apprenne Tout l’honneur qu’elle doit recevoir. Or il pouvait retisser les fils, Lui seul, et déjà il commençait de lui rendre son éclat, Par la puissance et la sagacité de son esprit, Quand Lachésis coupe son fil. Que sur ce malheur gémissent également tous les autres Astres errants qui voilent leurs rayons ; Auxquels, bien que retardé, il fut capable D’apporter tant de lumière. Mais à toi plus qu’à tout autre, illustre Mercure, Les soins de la veille et le zèle tenace, Pour te couvrir de noblesse, Sur mes conseils, il te les avait dédiés. Ton visage se montre si rarement, La plus grande part de ton chemin est si cachée Que personne ne peut assez bien dire Par où tu passes précipitamment. Or, informé par moi, qui l’ai vu pour la première fois, De ce que tu reviens sur tes pas, Lorsque tu es transporté sur le trône de Phébus Comme l’arbitre du ciel, Infatigable, il a toujours saisi l’occasion De tisser les nombres, pour montrer que ton orbite
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Est soumise à des lois certaines, Quand la fourbe mort l’a arrêté. Que mugisse la terre ébranlée, Qui, au cas où sa course obéirait aux loi De la gent samienne, ne pourra plus compter Sur un tel défenseur. Et, au cas où il faudrait l’arracher au fin fond où elle gît, Tirée des nuées d’erreurs dont elle suffoque, Elle ne pourra plus voir personne Capable d’en assumer le poids. Ainsi que la mer retentisse et gronde, et que Nérée Agite sa tête, car les vagues de la mer Ont perdu leur Tiphys, Qui en possédait la science. Et ainsi l’air puisque, qu’il s’agisse de scruter les parhélies Ou d’inspecter quelque chose de plus vaste Dans les profondeurs, Il n’y a pas de Dédale pour s’y porter. Ô, que de larmes ne doivent pas répandre Les nymphes qui doivent regagner Les prodigieux intérieurs de la nature : Elles sont désormais privées d’un tel guide ! Et quelles larmes aussi, la sacrée cohorte des Piérides Instruite à découvrir les arts libéraux, Puisque s’est retiré le chorège À qui Phébus avait donné des forces. Qu’il ait fallu dérouler les fictions poétiques Ou les vérités de l’histoire, Personne ne fut plus savant que lui, Personne plus élégant.
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Qu’il ait fallu, au contraire, parler aux diverses nations Que voit le soleil à son lever ou à son couchant, Nul n’a eu, en parlant, Une plus grande pratique des étrangers. Mais sa plus grande passion, son plus grand souci, Était de connaître la langue sacrée, qui sert D’ordinaire pour les choses immortelles, Gloire du premier des textes. C’est elle qu’en regagnant les demeures de l’éther Il a remontée embellie ; ainsi s’adresse-t-il Aux créatures célestes, ainsi les entend-il Comme il n’est pas permis aux mortels. Que là-bas donc, touchant le prix De sa vertu, il ait part aux honneurs de ceux d’en haut, Et qu’éternellement bienheureux, Il goûte aux délices des dieux. Mais en te souvenant de tous les pleurs Que sa mort t’a tirés, garde-toi de traîner en vain, Très doux Lantz, Un deuil perpétuel. Veille plutôt à ce qu’il repose dans la douceur, Lui qui, vivant, t’a considéré comme La moitié de son âme, et, en arrachant pieusement Aux destins ce qu’il a laissé en souvenir, Tu auras alors répandu des violettes et des roses, Tu auras mis au jour les rejetons qu’il t’aura laissés, Et, pour les savants et les hommes de bien, S’il s’en trouve d’éteints, tu leur auras rendu la vie.
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II – Biographies des personnages mentionnés Nota. Nous avons limité les développements consacrés aux figures les plus connues, qui se trouvent dans tous les dictionnaires. AIGUILLON, Marie Madeleine de Vignerot, duchesse d’ (Glénay Poitou 1604 – Paris 17 avril 1675), fille de René de Vignerot et de Françoise du Plessis (sœur de Richelieu) et nièce favorite de Richelieu. Mariée d’abord à Antoine de Combalet (tué en 1621 au siège de Montauban), elle est créée duchesse d’Aiguillon en 1638 grâce à son oncle ; elle s’adonne à la dévotion après la mort du cardinal. Grande amie de saint Vincent de Paul, elle se voue au Carmel et renouvelle périodiquement ses vœux sans pour autant cesser de vivre dans le monde. Corneille lui dédie Le Cid. Elle est aussi connue pour ses interminables procès avec les Condé. Elle s’intéresse aux travaux des philosophes, notamment de Descartes, qu’elle aide à publier ses ouvrages avec privilège ; deux lettres de Descartes à Mersenne (25 mai 1637 et 23 juin 1641) font son éloge. Elle soutient Gassendi dans l’affaire de l’Agence du clergé. AILLAUD, (mort avant 1675), professeur de théologie à Aix. Dans une remontrance universitaire de 1675, on dit de lui que « le travail qu’il a fait sur la théologie, tant désiré du public, peut être comparé à tout ce qu’il y a eu d’excellence dans cette Faculté »1. AMAMA, Sixte (Franeker 1593 – ibid. 9 novembre 1629), érudit hébraïsant allemand, élève et successeur du Drusius dans la chaire de langues orientales à l’Université de Franeker. Il suit les traces de son maître et proclame l’utilité pour l’étude de la Bible de la connaissance des langues sémitiques. Après avoir attaqué l’autorité de la Vulgate (1618), il provoque par un nouveau livre la réponse de Mersenne qui défend cette traduction traditionnelle. Mersenne ne ménage pas les mots aigres, mais comme Amama est peu rancunier, une correspondance s’établit par la suite entre les deux hommes (en partie conservée). Gassendi ne le connaît pas, mais il déplore l’existence d’une telle querelle. ANGOULÊME, Louis Emmanuel de Valois duc d’, voir Valois. 1
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Cité de Belin 341 n. 3.
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ANISSON, Laurent, sieur d’[H]Auteroche (mort en 1672), imprimeur – éditeur des Opera omnia de Gassendi en association avec Jean-Baptiste Devenet. Bourgeois de Lyon, il devient échevin et consul de la ville en 1670-71 et fut annobli. Ses fils Jean et Jacques lui succèdent. ARABI ou ARABY, Jehan ( ? – 1614), curé de Mées, élu chanoine de la cathédrale de Digne en 1584. ARBAUD, Antoine de Matheron, Sieur de Bargemon, chanoine de l’Église métropolitaine de Saint-Sauveur à Aix. Il fut évêque de Sisteron entre 1648 et 1666. ASELLI, Gaspard (Crémone c. 1581 – Milan 1626). Après avoir été chirurgien militaire, il devint professeur d’anatomie et de chirurgie à Padoue. À Milan, où il passe une bonne partie de sa vie, il découvre les vaisseaux lactés, mais sa découverte ne fut publiée qu’un an après sa mort par Alexandre Tadinus et Settala, De lactibus, sive lactis venis, quarto vasorum mesaraicorum genere, novo invento, Milan 1627. AUSSET [AUSLET], Blaise ( ? – c. 1644) neveu du Prévôt de Digne Blaise Brunel est élu chanoine de Digne en 1594. Il rivalise avec Gassendi pour la réversion de la prévôté1. AUVRAY, AUVRY ou AUBRY, Claude (1606 – 1687), évêque de Coutances (1646-1658), Trésorier de la Sainte-Chapelle. Héros parmi d’autres du Lutrin de Boileau, il est orphelin de bonne heure. En 1626, ayant déjà prit l’état ecclésiatique, il est envoyé en mission à Rome où il se lie avec la famille Barberini et où il devient un proche ami de Mazarin. Il est toujours à Rome quand, à la demande du pape il écrit un discours sur la naissance du Dauphin, futur Louis XIV (In natalem principis Delphini oratio) publié à Rome en 1638. De retour en France, il est nommé Maître de Chambre de Mazarin en 16432 et devient de facto l’administrateur du Collège royal en sa qualité d’aumônier du cardinal Antoine Barberini, chargé de la direction du Collège en tant que grand Aumônier de France. C’est sans doute pour cette raison 1
Isnard E, I, 198. Pour la carrière d’Auvry jusqu’en 1646, voir Cauchie, 77-82.
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que Gassendi lui dédie son Romanum Calendarium compendiose expositum. Accessit Corollarium de Romano martyrologio (1654). C’est à sa demande que Gassendi écrit son libelle sur l’éclipse du 12 août 16541. Comme évêque de Coutances, il est confronté au cas de Marie des Vallées et, à en croire les propos qu’il tient sur elle six mois après sa mort, on peut imaginer qu’il l’a défendue contre les accusations de sorcellerie, sans que cela veuille dire qu’il soit proche de la spiritualité eudiste2. BAERLE, Gaspard (Anvers 12 février 1584 – Amsterdam 16 janvier 1648), poète, médecin et théologien. Ministre de l’Église réformée, il perdit son emploi de professeur de logique à l’université de Leyde pour avoir pris position en faveur des Arminiens (1619). Il partit alors pour la France où il étudia notamment la médecine. Il obtint ses diplômes à Caen. À son retour en Hollande (1631), il est nommé professeur de philosophie et d’éloquence à Amsterdam. Il écrivit notamment l’histoire de la compagnie des Indes occidentales, qui lui fut commandée par Maurice de Nassau, ancien gouverneur du Brésil, et dont les cartes et illustrations sont fournies par Blaeu (1647). Il devint fou en 1647. Il est un des principaux représentants de la poésie en Hollande et se pose comme le successeur de Claudien. Il compose des Orationes célèbres pour leur latinité, et un éloge de Marie de Médicis, au moment où elle était au sommet de son pouvoir. Il entretint une riche correspondance avec les savants de son temps. DE BEAUNE, Florimond (Blois 7 octobre 1601 – ibid. 18 août 1652), conseiller au présidial de Blois. Avant tout mathématicien, il possède une belle bibliothèque, scientifique et littéraire (livres de géométrie, astronomie, optique, musique, physique, histoire naturelle, médecine, les classiques grecs et latins et les Italiens de la Renaissance), et dote sa maison d’un petit observatoire et d’une collection d’instruments (quatre lunettes de Galilée, un astro Sentimens sur l’éclipse qui doit arriver le 12 du mois d’aout prochain pour servir de réfutation aux faussetez qui ont esté publiées sous le nom du Docteur Andréas, Paris 12 Juillet 1654. Mais voir la note 296, p. 114. 2 Il déclare le 14 septembre 1658 : « Disons et déclarons que nous n’avons remarqué aucune chose en sa vie, mœurs et déportements, qui soit répréhensible ou condamnable, mais plutôt toutes les marques d’une excellente vertu et rare piété ; et tout sujet de croire qu’elle a été prévenue de grâces extraordinaires de Dieu, qui l’ont accompagnée jusqu’à la mort ; sans toutefois en faire le jugement qui doit être réservé au Saint-Siège apostolique ». 1
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labe, un gros globe céleste sur pied). Il se lie avec Descartes à partir de 1626 et se déclare partisan de sa Géométrie qu’il commente et cherche à développer en ce qui concerne les limites des équations. Avec les machines qu’il conçoit et fait fabriquer pour travailler les verres pour les lunettes, il cherche également à mettre en pratique les idées théoriques de Descartes sur ce sujet. Il est le premier à proposer d’étudier la nature des courbes par les propriétés de leurs tangentes, mais il est également célèbre pour un problème en géométrie attaché à son nom. Il ne reste de ses écrits que ce qu’Érasme Bartholin en a recueilli et qui est publié dans l’édition latine de la Géométrie de Descartes de 1659. BALZAC, Jean Louis Guez de (Angoulême 31 mai 1597 – ibid. 8 février 1654), célèbre littérateur qui fut éduqué chez les jésuites à Poitiers et à Paris. Des imprudences de jeunesse en politique le conduisent à partir pour l’Italie avec le futur Cardinal de la Valette, fils de son premier protecteur le duc d’Épernon. De Rome où il reste dix-huit mois, il envoie des lettres dont le renom, immédiat, sera encore consolidé par leur publication en 1624. Son succès provoque les attaques de rivaux, jaloux, et Balzac se retire dans ses terres (Charente). Admis dès 1634 à l’Académie française où ses apparitions durent être rares s’il y en a seulement eu, il est considéré comme un des réformateurs de la littérature en langue française les plus marquants. BARANCY, François, avocat ami de Gassendi, il le soutient dans sa querelle contre Morin et la poursuit après que Gassendi y met fin pour sa part. BARBERINI, Antoine (1607 – 1671) et François (1597 – 1679), tous deux neveux du Pape Urbain VIII qui les élève au cardinalat. Aussi ambitieux l’un que l’autre, ils devinrent très impopulaires du fait de leurs prétentions territoriales sur l’Italie. Après la mort de leur oncle, l’hostilité d’Innocent X les obligea à s’exiler en France (1646) où ils furent protégés par Mazarin. Antoine connaît peut-être déjà personnellement Gassendi, puisque c’est lui qui, en 1626, en tant que vice-légat du pape à Avignon, lui a conféré une bulle de provision pour la prévôté de Digne. Il est en tout cas un ami de Peiresc. Antoine qui accumule les offices de cardinal, archevêque-duc de Reims et Pair de France, évêque de Palestrina, duc de Segny, devient par la suite Grand Aumônier de France à la mort d’Alphonse de Richelieu (1653) et à ce titre protecteur du Collège royal. À sa mort, les Grands Aumôniers perdent la quasi
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totalité de leurs fonctions, car Colbert fait passer le Collège sous l’autorité du Secrétaire d’État de la Maison du Roi, c’est-à-dire la sienne. Quant à François, en sa qualité de diplomate, il fut envoyé par le pape pour servir d’iuntermédiaire entre la France et l’Espagne sur l’affaire de la Valteline (1624). Il fonda l’importante Bibliothèque Barberini dont Leo Allaci fut le premier directeur. BARBIER, Guillaume, imprimeur et libraire du roi à Lyon. En 1657 il s’associe avec Jean Girin et en 1662 avec François Combat. BARGEMON, voir Arbaud BERNEGGER, Mathias (Hallstadt 8 février 1582 – Strasbourg 3 février 1640) ; après des études à Strasbourg (1599), il devient professeur d’histoire et d’éloquence à l’académie (1608) et chanoine de Saint-Thomas ; en 1622, il est nommé recteur de la nouvelle université. Historien, mathématicien et humaniste calviniste, il publie un grand nombre d’ouvrages et entretient une riche correspondance, notamment avec Schickard et Kepler (les lettres échangées avec ce dernier sont éditées en 1672). Il traduit en latin, en les adaptant, deux ouvrages de Galilée. Légataire des instruments et manuscrits de Conrad Hasenfratz (Dasypodius), il cède en 1636 ses instruments et son importante bibliothèque à son université. BIGNON, Jérôme (Paris 24 août 1589 – ibid. 7 avril 1656), enfant prodige qui publie son premier ouvrage à l’âge de dix ans, Bignon se consacre à l’étude du droit. Avocat général au Grand Conseil en 1620 il devient Conseiller d’État et Avocat général du Parlement de Paris. Plus tard il succède à de Thou comme grand maître de la Bibliothèque du Roi. Il laisse une Chorographie de la Terre sainte, un traité De l’excellence des rois de France (1610). Il publie le périple de Pyrard aux Indes orientales. Il est un des quarante premiers savants nommés par Richelieu à l’Académie française. BOCHART voir de Champigny. BODOUL, Jean, originaire du village de Thoard à 15 kilomètres de Digne, épouse à Champtercier Catherine Gassend le 20 janvier 1613.
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BODOUL, Lucrèce (1637 – 18 octobre 1695), nièce de Pierre Gassendi par sa sœur Catherine ; mariée à Pierre Gassendi neveu (par alliance) le 11 septembre 1651. BOISSIEU Denis Salvaing de (Vourey 21 avril 1600 – 10 avril 1683), polygraphe et magistrat français. Il quitte l’armée pour faire du droit ; il est nommé vice-bailli du Graisivaudan en 1632, puis désigné comme orateur de l’ambassade extraordinaire du duc de Créquy à Rome ; premier président de la chambre des comptes de Grenoble, il écrit sur les merveilles du Dauphiné des pièces en vers latins qu’il porte au nombre « fatidique » de sept (Sylvæ septem de totidem miraculis Delphinatus, 1661) et dédie à Christine de Suède. Deux sont déjà rédigées en 1632 et font le tour du cercle de Gassendi (sur le Mont d’Aiguille en Vercors et sur la Tour sans Venin). Il publie aussi une Histoire du chevalier Bayard, 1651. Gassendi admire son éloquence lors de l’ambassade de Rome. L’affirmation de Sorbière qu’il était président d’un parlement est probablement une erreur. BOLOGNE, Antoine de ( ? – 24 septembre 1615). De la famille Capisucchi, il entre dans l’ordre des Minimes. Nommé évêque de Digne le 27 mars 1602, il reste en fonction jusqu’à sa mort. Pour ses démêlés avec le chapitre de sa cathédrale voir Gassendi Notitia…, chap. 23. BOLOGNE, Pierre Pélissier de, vicaire général de l’évêque de Digne et chapelain du roi, neveu d’un membre de la famille de Bologne attachée à ce siège. Élu chanoine de Notre-Dame en 1652 il meurt la même année1. BOREL, Pierre (c. 1620 – 14 septembre 1671), chimiste, médecin et botaniste français. Docteur de médecine à l’université de Montpellier (1640), il est nommé en 1654 médecin de Louis XIV. Il étudie notamment l’optique et des sujets très variés, allant de la botanique à l’histoire ancienne, de la philologie à la bibliographie2. Parmi ses livres, notons une Bibliotheca chimica (1654) et un De vero telescopii inventore (1655). Il a également écrit une vie de Descartes (Vitæ Renati Cartesii, summi philosophi, compendium, 1656,
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Isnard E, 198. Voir Chabbert.
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traduite en français en 1658, sans qu’il en reste aucun exemplaire, et en anglais en 1670), et un Discours nouveau… sur la pluralité des mondes. BORNIUS, Henri (Utrecht 1617 – Leyde 1675), philosophe, élève de Regius et Reneri dont il prononce l’oraison funèbre. Cartésien, il joue un rôle d’intermédiaire, même de provocateur, dans la querelle entre Descartes et Gassendi. Professeur, à partir de 1646, de logique et de morale et sous-régent à l’école de Breda, il devient professeur en 1651 de philosophie à l’Université de Leyde pour terminer en 1659 gouverneur du prince d’Orange Guillaume III. À sa mort il laisse une bibliothèque renommée. BOULLIAU, Ismaël (Loudun 28 septembre 1605 – Paris 25 novembre 1696), astronome français. Né d’une famille protestante, il hérite de son père le goût pour l’astronomie (il insère les observations de son père de 1605 à 1608 dans son Astronomia philolaica). Après la mort de son père en1626, il abjure le calvinisme et, en 1630, est ordonné prêtre. Il est un des vicaires d’Urbain Grandier et dessert la paroisse de Saint-Pierre-du-Marché pendant la première suspension de Grandier. Secrétaire de Dupuy et attaché au président de Thou, il l’accompagne en Hollande, Italie, Allemagne et Pologne. Il se fixe à Paris en 1632 et y fait la connaissance personnelle de Gassendi. Il s’applique à la théologie, à l’histoire, au droit et aux mathématiques, mais son étude de prédilection demeure l’astronomie et l’astrologie. En 1634, il prend position pour le mouvement de la terre. Il découvre notamment la périodicité de la variable Mira de la Baleine. Auteur d’un livre De natura luci et du Philolaüs (anonyme en 1639, Philolaüs seu dissertatio de vero systemate mundi, et sous son nom en 1645 Astronomia Philolaica). Il fait ensuite un voyage à Constantinople. Il a laissé une correspondance riche et détaillée. BOURDIN, Pierre (Moulins 1595 – Paris 27 décembre 1653). Il entre dans la compagnie de Jésus en 1612 et enseigne les humanités et la grammaire au collège de La Flèche de 1618 à 1623, la rhétorique en 1623 – 1624, les mathématiques en 1634. À partir de 1635, il est nommé professeur de physique et de mathématiques au collège de Clermont. Il nous reste son Cours de mathématiques professé en 1636 – 1637. Il compose encore des Prima geometriæ elementa (1640), une Introduction à la mathématique (1643), une Optique (1645). Il est connu surtout pour ses démêlés et sa réconciliation avec Descartes.
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CARAMUEL de LOBKOWITZ, Jean (Madrid 23 mai 1606 – Vigevano 8 septembre 1682) fut successivement ou en même temps contemplatif, homme d’étude ou d’action, guerrier et évêque. Il entre chez les cisterciens, reçoit le bonnet de docteur en théologie à Louvain et, en accumulant les bénéfices, grimpe rapidement dans la hiérarchie ecclésiastique. Il devient suffragant d’Anselme Casimir, électeur de Mayence, et porte le titre (sans avoir reçu la consécration) d’évêque de Misnie. Il passe ensuite à la cour de Ferdinand III, qui lui donne les abbayes de Montserrat, Prague, Vienne. Il remplit aussi les fonctions de vicaire général à Prague. Toujours sans consécration épiscopale, on le charge de l’évêché de Königsgratz en Bohême. Enfin le Pape le convoque à Rome, le consacre et lui confie les évêchés de Viterbe, Campagna et Satriano, puis de Vigevano. Il meurt dans cette charge et il est enterré dans sa cathédrale. Ni son état d’ecclésiastique ni son zèle à combattre les hérésies ne l’empêchent de prendre les armes contre les Français à Louvain ou contre les Suédois à Prague. À Frankenthal, il revoit les fortifications de la ville. En parallèle il travaille sur des questions scientifiques, en particulier en mathématiques, physique et astronomie. Il correspond sur toutes ces questions avec Gassendi, Kircher et Naudé. CARCAVI, Pierre de (Lyon 1600 – Paris avril 1684). D’abord Conseiller au Parlement de Toulouse, il vient à Paris où il obtient une charge de Conseiller au grand conseil avant de devenir bibliothécaire du Roi sous Colbert. Ce mathématicien de qualité faisait partie des assemblées chez Le Pailleur et probablement Montmor. En 1666 il est nommé parmi les premiers membres de l’Académie des Sciences. C’est par « ses soins obligeans » que les estampes de Marolles entrent à la Bibliothèque royale1. CHAMPIGNY, François Bochart de Saron de ( ? – Lyon 1665). D’abord Conseiller au Grand Conseil, puis maître des requêtes (lettres du 10 janvier 1634), il devient Intendant successivement en Provence (1637), en Dauphiné et du Lyonnais. Gassendi lui dédie son Abacus sestertialis (1654). Il fait occasionnellement des observations astronomiques. Il veilla sur la préparation des œuvres posthumes2. Nommé Intendant de Lyon en 1653, il se noie accidentellement en 1665 sous le pont de la Saône. 1
« Dénombrement » 251-2. Rochot II, xix-xx.
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CHAMPIGNY, Marc Bochart de ( ? – 14 juin 1652), chanoine de NotreDame à partir de 1632 et frère de François Bochart de Saron. C’est chez lui que Luillier installe Gassendi lors de son retour à Paris à partir de 1641. CHANTECLER, René de ( ? – 1641), sieur de Vaux, Président (1633) au Parlement de Metz. Ce penseur sceptique fréquentait Gassendi, La Mothe le Vayer et leurs cercles. Il est d’ailleurs représenté sous la figure de Melpoclitus dans les Quatre dialogues… (1632/3)1. Il fait à l’occasion des observations astronomiques avec Gassendi. CHANTEREAU-LEFEVRE, Louis (12 septembre 1588 – 2 juillet 1658) jurisconsulte et historien, spécialiste de la chronologie. Administrateur royal, Intendant successivement des fortifications de Picardie, des Gabelles et, à partir de 1633, des finances des duchés de Lorraine et de Bar. Défenseur acharné des prétentions de Louis XIV à la souverainété sur la Lorraine, il publie en 1641 une apologie pour son annexion, Considérations historiques sur la généalogie de la maison de Lorraine, Paris 1641. Ce livre est la première partie d’un ouvrage bien plus important dont les deux tiers sont restés parmi les manuscrits de la bibliothèque du Roi. Suivent sa Question Historique : Si les provinces de l’ancien royaume de Lorraine doivent être appelées terres de l’Empire, 1644 et son Traité des fiefs… publié par son fils en 1662. Il laisse à sa mort, à l’état de manuscrit, une importante étude sur la chronologie (3 vols in-folio)2. CHAPELAIN, Jean (Paris 4 décembre 1595 – ibid. 22 février 1674). Entré à l’Académie française dès sa fondation, il jouit tout au long de sa vie d’une grande autorité dans le monde des lettres. Membre de la « petite académie » de Colbert, il joue un rôle important dans la fondation de l’Académie des Inscriptions, mais son poème épique La Pucelle (1656), dont la composition a pris vingt ans, reçoit un accueil très mitigé. Marolles3 note qu’il ne le comprend pas, et Boileau le déchire. Mais Chapelain reste influent, et Colbert lui confie la tâche d’établir la liste des personnages qui doivent recevoir des gratifications de la part de Louis XIV4. Chapelain fait la connaissance de Gas1
3 4 2
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Pintard I, 179. Voir la notice dans le « Dénombrement » de Marolles, 255. « Dénombrement » 256. Voir Fabre.
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sendi, par l’intermédiaire de Chapelle, au plus tard, en 1633, et les deux hommes sont liés. La première lettre de Chapelain à Gassendi (mars / mai 1633) définit d’emblée le style de leurs relations, qui doivent tout de suite aller à l’essentiel sans s’arrêter à un formalisme stérile : « Accourcissons le chemin qui fait tant perdre du tout et jouissons d’abord de notre félicité sans consommer en paroles vaines et en préparatifs inutiles les heures que nous pouvons employer à de solides entretiens ». Gassendi lui adresse une des quatre lettres de l’Epistola de magnitudine solis humilis atque sublimis. CHAPELLE, Claude Emmanuel Luillier dit (La Chapelle-Saint-Denis 1626 – Paris septembre 1686), fils naturel de François Luillier, le grand ami de Gassendi qui a peut-être participé à son éducation. Ami de Boileau, de Cyrano de Bergerac, d’Assoucy, de Molière, de Bernier et de Racine, Chapelle bénéficie également de protections remarquables (prince de Condé, duchesse de Bouillon, ducs de Nevers et de Vendôme) et reçoit de son père une charge de Maître des Comptes (1633). Laissé à la tête d’une fortune importante à la mort de son père, il mène une vie indépendante de plaisir pendant laquelle il compose des épigrammes, des sonnets, des odes, des madrigaux et des stances que l’on lit dans le Voyage en Provence de Bachaumont et de Chapelle (1663) CHARLES, Elzéar, abbé, il vivait en Avignon. CHRISTINE, reine de Suède (Stockholm 7/18 décembre 1626 – Rome 19 avril 1689), fille de Gustave-Adolphe et de Marie-Éléonore de Brandebourg, régna en Suède de 1632 à 1654, date à laquelle elle abdiqua et se convertit au catholicisme. Cette intellectuelle dotée d’une curiosité débordante était un mécène notable des savants et a voulu attirer Gassendi à sa cour comme elle avait attiré Descartes, Bourdelot, Naudé et d’autres érudits renommés. CONRART, Valentin (Paris 1603 – 1675) homme de lettres protestant, cousin d’Antoine Godeau, il est une figure centrale du groupe de littéraires qui formait le noyau de l’Académie française dont il fut le premier secrétaire perpétuel. Malgré une très grande réputation pour son goût et sa maîtrise de la langue française, il n’a publié que peu de pièces (trois poèmes en 1647), mais il a laissé un nombre considérable de textes manuscrits, conservés à la bibliothèque de l’Arsenal, parmi lesquels un récit sur la Fronde qui a été édité
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au XIXe siècle, sous le titre de Mémoires, publié pour la première fois à Paris en 1826. CONTI, Armand de Bourbon Prince de (11 octobre 1629 – 21 février 1666), frère du Grand Condé. Il prit part à la Fronde, mais se réconcilia avec le pouvoir. À la suite des troubles, il épouse une nièce de Mazarin. Pourvu du gouvernement de Guyenne il commande avec succès l’armée de Catalogne. Il devient dévot sur la fin de ses jours et compose plusieurs livres moraux et théologiques. CUREAU DE LA CHAMBRE, Marin (N.-D.-des-Champs, aujourd’hui Saint-Jean-d’Assé (Sarthe) 29 septembre 1596 – Paris 29 novembre 1669) médecin, littérateur et savant. Protégé de Séguier, il devient médecin ordinaire de Louis XIII et membre de son conseil privé. Démonstrateur de botanique puis d’anatomie au Jardin des Plantes, il est membre de l’Académie française (1635) et de l’Académie des Sciences (1666). Auteur fécond, il publie des ouvrages sur diverses questions d’optique, de médecine, d’érudition et de philosophie. Il osa employer le français pour traiter les questions de physique, où il fait profession d’atomisme, en particulier dans son traité De la lumière où il développe une théorie atomiste de la sensation. Il était, dit Marolles « un des plus doctes & plus polis ecrivains de son tems »1. DE CORMIS ou DESCORMIS, Pierre ( ? – 1649). Avocat général au Parlement d’Aix, il fut giflé lors d’une dispute de précédence dans l’église du Couvent des Dominicains en juin 1628. Il résigne sa charge en faveur de son fils, Louis, en avril 1635. DE COSTE, Olivier, Minime sous le nom de père HILARION, élève et ami de Mersenne dont il écrit la vie quelques mois après sa mort La Vie du R. P. Marin Mersenne Théologien, Philosophe et Mathématicien de l’ordre des Pères Minimes, Paris 1649. Il avait entamé sa carrière en 1625 par une Histoire catholique où sont décrites les vies […] des hommes et dames illustres qui, par leur piété ou sainteté se sont rendus recommandables dans les XVIe et XVIIe siècles, et il donna ensuite en 1636 Les vrais portraits des rois de France (une galerie de gravures dont il rédige les légendes soins) et en 1643 Les Éloges des 1
« Dénombrement » 254.
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rois et enfants de France. Il excella aussi dans des biographies, cette fois-ci isolées, outre celle de Mersenne (1649), celle de François de Paule (1655), de François Le Picart (1658) et d’Isabelle de Castille (1661). Ses Éloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en pieté, en Courage & en Doctrine, qui ont fleury de nostre temps, & du temps de nos Peres (1647) sont remarquables en ce que des femmes en sont les héroïnes. DE LA MARE, Philibert (Beaune 1615 – 1687), magistrat, historien et humaniste français, conseiller au Parlement de Bourgogne. Il dédie à Gassendi un traité De proportione qua gravia decidentia accelerantur, mais se consacre principalement aux études sur l’histoire de la Bourgogne. Biographe infatigable, il rédige les Vies de Othe Guillaume, des frères Guijon, de Hubert Languet, de Pierre Legoux de la Berchère, de Patouillet, de Philippe Lantin, de Chasseneuz, de Denis Poillot, et même de personnages étrangers à la Bourgogne comme Cujas, saint Thomas d’Aquin et La Boétie. On lui doit une Vie de Saumaise. Il compose encore un Dictionnaire des anonymes, un Catalogue des hôtels de Dijon, autant d’ouvrages qui manifestent la diversité et l’étendue de son érudition. LAUNOY, Jean de (Normandie 2 décembre 1603 – 1678), docteur au Collège de Navarre (1634) et en Sorbonne (1634), esprit indépendant et auteur de nombreux ouvrages de controverse où souvent, à l’aide « d’une savante et rigoureuse critique, il ruina un grand nombre de légendes catholiques ». Patin parle de lui dans les termes suivants, « Le livre de M. de Launoy intitulé Dissertio Duplex… [Leyde 1642] veut prouver qu’il n’y eust jamais de saint René, et qu’il ne fut jamais evesque d’Angers. C’est le mesme qui a escript contre saint Denis l’Areopagite en disant qu’il n’est jamais venu en France, et je pense qu’il dit vray. Il a pareillement escript contre la Magdeleine, pretendant qu’elle n’est jamais venue en Provence, et je suis de son advis. Il a escript aussi, et fort bien refuté, le scapulaire des Carmes. C’est un docteur en Theologie de Navarre, normand, homme de mauvais mine mais sçavant, et principalement en l’histoire ecclesiastique. Il y en a icy qui l’appellent esprit ferré et ame damnée, disons qu’il se faut garder de luy, qu’il oste tous les ans un saint du Paradis et qu’il y a du danger qu’il n’en oste Dieu mesme à la fin ». Ces écrits sur l’arrivée de Marie Madeleine en Provence (Disquisitio disquisitionis de Magdalena Massiliensi advena) sont condamnés par le Parlement de Provence en 1644 et lui valent des citations élogieuses de Voltaire.
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Ami de Marolles, à qui il offre soixante-deux volumes de ses œuvres, de Sirmond, Pétau et des frères Dupuy, Launoy fut le précepteur (et le maître à penser) de César d’Estrées, chez qui (au Collège de Laon) il se retire vers 1648 après son expulsion du Collège de Navarre. Launoy cite les Exercitationes de Gassendi dans son De varii Aristotelii in Academia Parisiensi fortuna (1653) ; ce dernier texte est ajouté par Bernier à la fin de la Favilla ridiculi muris contre Morin1. DELBENUS, Alexandre, non identifié, peut-être un descendant de la famille d’historiens et diplomates lyonnais d’origine noble italienne qui servait Henri III et Henri IV. DESARGUES, Girard (Lyon 1591 – ibid. 1661), savant, ingénieur, architecte et mathématicien. Comme architecte il travaille pour le duc de Lesdiguières à Vizille, et une bonne partie du dessin du nouvel Hôtel de ville de Lyon (1646) lui est attribuée, en plus de quelques réalisations parisiennes. Il se trouve à Paris en 1630 où il participe à la vie scientifique et rencontre Mersenne et Gassendi. Il publie à Paris un ouvrage sur la perspective (Méthode universelle de mettre en perspective les objets donnés réellement, ou en devis, avec leurs proportions, mesures, éloignements, sans employer aucun point qui soit hors du champ de l’ouvrage 1636) où il formule en termes mathématiques les règles de la perspective développées par les architectes et les peintres de la Renaissance. Il publie sur la technique de la taille des pierres et sur la construction des cadrans solaires (1640), mais il est surtout connu pour ses travaux sur les coniques présentés dans son Brouillon project d’une atteinte aux événements des rencontres du cône avec un plan, où il pose les bases de la géométrie projective. Cet ouvrage, peu diffusé, est remarqué par Pascal qui reprend ses résultats et démonstrations en disant que son auteur fut « un des plus grands esprits de ce temps et des plus versés aux mathématiques »2. DE THOU, Jacques Auguste II (1609 – 1667), deuxième fils de Jacques de Thou. Institué abbé de Bonneval à l’âge de six ans, il renonce à sa carrière d’ecclésiastique à la suite de l’exécution de son frère François-Auguste (l’af1 Patin à Spon 16 novembre 1649, Jestaz i 545-6 ; « Dénombrement » 301 ; Pintard I, 279-80 & 409. 2 Pour des travaux récents sur Desargues voir Chaboud ; Field & Gray ; Actes « Desargues ».
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faire de Cinq-Mars) en 1642. Il achète une charge de conseiller-clerc au Parlement de Paris où il est installé le 20 mai 1643. Il se marie peu après avec Marie Picardet (mort le 14 février 1664). Devenu président de la première chambre des Requêtes (15 mars 1646), il prend part à la Fronde et doit par conséquent partir en exil. De 1657 à 1662 il est ambassadeur de France aux Pays-Bas. DE THOU, Jacques Auguste de (Paris 1553 – ibid. 1617), historien français, d’abord prêtre, puis juriste et président à mortier, Grand maître de la Bibliothèque du roi, il assume des missions diplomatiques ; il est notamment un des auteurs de l’Édit de Nantes. Il commence son Historia mei temporis, mais doit s’arrêter en 1607, au cent trente huitième livre. Il se constitue une bibliothèque, enrichie d’acquisitions précieuses faites au cours de divers voyages en France, Italie et Pays-Bas. Nommé maître de la Librairie du roi en 1593, il réunit autour de lui un cénacle de savants. Occupé par sa charge de bibliothécaire du roi, il confie à d’autres le soin de sa propre bibliothèque. DIGBY, Sir Kenelm (Gayhurst ou Gothurst, Buckinghamshire 11 juillet 1603 – Londres 11 juillet 1665), homme de lettres et diplomate dont la vie est très mouvementée. Outre le fait qu’il partit en 1627 pour écumer la Méditerranée avec deux corsaires et réalisa un coup de main à Seanderoon qui livra à sa merci la flotte franco-vénitienne, il fouilla Milo, Délos, en quête d’antiquités. Fils aîné du comte de Bristol, il se réfugie en France en 1643, où il devient Chancelier de la reine d’Angleterre, Henriette-Marie. Malgré ses voyages et son exil, il est auteur d’une quinzaine de volumes dont les plus connus sont le traité philosophique Two Treatises in the one of which the nature of bodies ; in the other the nature of mans soule is looked into in way of Discovery, of the imortality of reasonable soules, Paris 1644, et un traité médical sur la poudre de sympathie (1658), mais il étudia aussi en particulier la botanique. Il offrit en 1623 à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford les deux cent trentehuit manuscrits dont il avait hérité de son ancien précepteur Thomas Allen. DIODATI, Élie (Genève 1576 – Paris 1661), avocat suisse, d’origine italienne, parent du pasteur et théologien Jean Diodati, fils de Pompée Diodati, de Lucques, calviniste réfugié à Genève, et de Laure Calandrini. Après des études à Bâle (1590), Heidelberg (1591) et un doctorat en droit à Genève (1596), il
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s’installe à Paris (1602) pour devenir avocat au parlement. Il garde de nombreux contacts avec Genève et sert jusqu’en 1630 d’agent de liaison de la République à la cour de France, défendant les intérêts économiques de la Seigneurie. Richelieu le charge aussi de missions en Allemagne. Il ne laisse pas d’œuvre, mais aide d’autres savants à accomplir la leur. Membre du cabinet Dupuy, il correspond avec tous les grands esprits de son temps. Lié d’amitié avec Galilée depuis 1620, il lui sert d’intermédiaire avec le reste de l’Europe savante ; il forme la Tétrade avec Gassendi, La Mothe Le Vayer et Naudé. DIVINI, Eustachio (San Severino (Marches) 4 octobre 1610 – ibid. 1685), savant italien. Après avoir mis fin à sa carrière militaire (1629), il se forme auprès de Benedetto Castelli, disciple de Galilée, avant de s’établir à Rome en 1646 comme fabricant d’horloges et d’instruments optiques. En 1649, il publie une gravure d’une carte de la lune, basée sur ses observations faites avec ses propres instruments. Il apporte de constantes améliorations à la construction des instruments optiques grâce à ses expérimentations pratiques. Il écrit des ouvrages astronomiques, telle la Brevis annotatio in Systema Saturnium Christani Eugenii, dédiée à Léopold de Médicis (Rome 1660), où il revendique, contre Christian Huygens (1629-1695), la priorité de la découverte des satellites de Saturne. DONNEVILLE, Président du Parlement de Toulouse, protecteur de Maignan. DRIESSENS, Walter en latin Valerius Andreas (Brabant 27 novembre 1588 – 29 mars 1655), D.L. (1621), professeur, historien et juriste, auteur de la première histoire de l’Université de Louvain1. Professeur de droit à Louvain et bibliothécaire, il laisse une importante étude sur les écrivains des Flandres, la Bibliotheca belgica, de belgis vita scriptisque claris, éditée une première fois en 1623, puis revue et reprise en 1643. Gassendi le rencontre sans doute au cours de son voyage de 1629. DU BOSC, Charles (mort vers 1660), d’origine normande. Il fait ses études à Paris avant de passer en Angleterre où (peut-être de 1622 à 1628) il est, comme Hobbes, dans l’entourage du Duc de Devonshire. De retour en France, il joue 1
Nieuwenhuyze, iii 415-16.
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un rôle tout particulier auprès du chancelier Séguier, entre 1643 et 1646, auquel il fournit des nouvelles sur l’Angleterre. En 1646 il semble avoir eu un poste de secrétaire auprès d’Anne d’Autriche et avoir servi d’intermédiaire entre elle, Mazarin et Séguier. On le retrouve en 1656, d’après Sorbière, « conseiller et secretaire de Roy, gentilhomme servant la Reyne ». Sorbière a tracé son portrait, sous le nom de Damon, dans ses Relations, lettres & discours sur diverses matières curieuses (1660, pp. 289-301). À la fois bon latiniste et bon helléniste, il inclinait vers l’école stoïcienne, se nourrissant d’Épictète. Parmi les Modernes, il a lu tout particulièrement Francis Bacon, mais aussi Hobbes et Gassendi qui élargirent et approfondirent sa formation. Fortement lié à Sorbière, Martel et du Prat, il fit partie, comme eux, de l’académie de Montmor. DULCI, Francisco Stefano d’Orvieto ( ? – 23 juin 1624), nommé archevêque d’Avignon en avril 1609. DU MAURIER, Daniel Aubery (1612 – bataille de Nordlingen août 1645), troisième fils de Benjamin Aubery, un ami de Peiresc, de Grotius et des frères Dupuy. Après des études de droit à l’Université de Padoue (1625), à son retour en France, il se passionne pour toutes les parties des mathématiques. Prématurément décédé sur les champs de bataille de la guerre de Trente Ans, il lègue ses instruments astronomiques à Gassendi. DUPÉRIER, Scipion (Aix 1588 – ibid. juillet 1667) jurisconsulte et membre du Parlement d’Aix. Son père fut un proche ami de Malherbe qui lui dédie une ode sur la mort de sa fille. Le seul ouvrage de Scipion, Questions notables, fut publié après sa mort par son neveu François de Cormis. Charles Dupérier, qui écrit une ode funéraire en latin sur Gassendi, était son cousin. DU PRAT, Abraham (Orthez 1616 – 4 mars 1660), médecin et conseiller royal français. Fils de Pierre, ministre à Orthez, il est un protestant fort tiède à la différence de son frère Pierre, pasteur. Après des études au collège du Béarn, il s’installe à Paris où il devient médecin (il reçoit l’enseignement notamment de Patin), et conseiller du roi. Il est lié dès 1637 avec Sorbière, il est aussi en rapports avec le groupe libertin. Quoique plutôt cartésien en physique, il est ami de Gassendi. Préparant une traduction des Institutions anatomiques de Gaspard Bartholin, il demande à y joindre une observation publiée (dans son livre contre Fludd) par Gassendi sur la communication des
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cavités du cœur à travers le septum, malgré l’opposition de Thomas Bartholin, le fils de Gaspard qui assure la réédition (le livre paraît en 1647). Le philosophe répond pour limiter la portée de cette observation, basée à l’origine sur une dissection faite à Aix par Payen en 1621 ou 1622. Du Prat propose aussi de traduire les travaux de Gassendi sur Épicure pour mieux les diffuser ; Gassendi ne lui répond pas. Du Prat lui envoie aussi en 1655 une copie du De corpore de Hobbes. Sorbière lui dédie ses Discours sceptiques sur le passage du chyle qui résument les théories anatomiques de Gassendi. Il rentre au service du financier huguenot Barthélemy Hervart. Il fréquente l’Académie de Montmor où il prononce de très nombreux discours. Il prépare un livre sur Hippocrate qui ne sera pas publié et laisse des notes pharmacologiques. DUPUY, Jacques (1586 – Paris 17 novembre 1656) & Pierre (Agen 27 novembre 1592 – Paris 14 décembre 1651), historiens et gardes de la bibliothèque du Roi tous les deux, ils entretiennent une correspondance importante (en particulier avec Peiresc1), et tiennent chez eux (rue des Poitevins) des réunions de savants qui remplacent celles qui étaient auparavant organisées par leur cousin de Thou. DU VERDUS, François Bonneau sieur de (Bordeaux 25 avril 1621 – Paris 20 août 1675). Après des études à Bordeaux, sans doute dans le collège des jésuites, il s’installe à Paris en 1641, où il devient l’élève de Roberval. Il travaille à la conservation et à la publication posthume des recherches de son maître. Il part pour l’Italie où il rencontre Torricelli dont il diffuse les travaux en France, sans pour autant lui communiquer les découvertes de Roberval. C’est lui qui envoie à Mersenne la description de l’expérience de Torricelli (23 juillet 1644) après que Ricci lui a montré deux lettres de Torricelli qui la décrivent. À Rome où il étudie l’architecture, l’astronomie et la peinture, il fréquente aussi Doni et Ricci, et rencontre Digby. De retour à Bordeaux, il entre en contact avec les mathématiciens Fermat, d’Espagnet, Martel, Mylon, et rencontre Bourdelot. Il retourne à Paris en 1651 et fréquente assidûment ce qui reste du cercle de Mersenne. Devenu ami de Hobbes, il joue un rôle important dans la diffusion de son œuvre, à laquelle il se consacre en grande partie. Il laisse un traité manuscrit, Observations sur la composition des mouvements et sur le moyen de trouver les touchantes des lignes courbes qui com1
Voir Tamizey III, i - iii.
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pile les idées de Roberval et dont il présente des lectures à l’Académie royale des sciences (1668-9). Il traduit le De sapientia veterum de Bacon et de nombreuses œuvres de Hobbes. ÉLISABETH de Bohème, princesse palatine (26 décembre 1618 – 1680). Éprise de philosophie dès sa jeunesse, elle devint élève et disciple de Descartes qui lui dédia ses Principes. Devenue abbesse d’Hervorden en Westphalie, elle transforme son abbaye en centre philosophique ouvert à tous les savants sans distinction de sexe ou de religion. ESTRÉES, César, Cardinal d’ (Paris 5 février 1628 – ibid. 18 décembre 1714) évêque-duc de Laon (1653), diplomate et cardinal (1671), connu dès sa jeunesse pour son goût du luxe et des lettres. Membre de l’Académie française depuis 1656 dont il devint le doyen, il n’a rien publié. En 1683 c’est lui qui offre à Louis XIV les grands globes de Coronelli (les globes de Marly). Gassendi lui dédie sa Manuductio (1654). EUSTACHI ou Eustachio, Bartolommeo (San Severino 1500-1513 – Fossombrone 27 août 1574), anatomiste italien. Les détails de sa vie sont mal connus. Médecin du Duc d’Urbin, il vient à Rome avec le cardinal Giulio della Rovere et devient professeur d’anatomie au Studio della sapienza. Quoique partisan de Galien, dont il prend la défense contre Vésale, il fait progresser l’anatomie, se penchant en particulier sur l’anatomie comparée et l’anatomie pathologique. Il a donné son nom à la trompe d’Eustache et à la valvule d’Eustache (veine cave). FABRI, Honoré (Grand Abergement (Ain) 1607 – Rome 8 mai 1688) savant jésuite aristotélicien qui lutte contre les idées des Modernes ; curieusement, il cherche à la fois à réduire le savoir aux mathématiques, tout en étant un grand expérimentateur. Il rencontre Gassendi à Aix en 1638, et Gassendi examine ses arguments en faveur de l’immobilité de la Terre. Pofesseur de logique, physique et métaphysique à Lyon (1640 – 1646), il est ensuite appelé à Rome comme théologien de la Sacrée Pénitence. Cet auteur très prolifique, et toujours aristotélicien, s’oppose à Galilée, Pascal, Huygens, Descartes, Bacon, Hobbes, Harvey, Gilbert, Boyle, et donc Gassendi, si bien qu’il est appelé « l’avocat des causes perdues » ; mais il sait rendre justice à ceux dont il combat les idées.
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FABRY, Françoise ( ? – 1623), mère de Gassendi. D’après les notes généalogiques de La Poterie, elle était originaire du village de Beauvoisel (Beauvezers), près de Colmars dans la vallée du Verdon. FERMAT, Pierre de (Beaumont de Lomagne 17 août 1601 – Castres 12 janvier 1665) (anobli en 1631) conseiller au Parlement de Toulouse, féru de mathématiques pures. Même s’il ne publie rien de son vivant, il est connu des savants par ses lettres (à Mersenne, Roberval, Frénicle entre autres) et par ses controverses avec Descartes et Pascal. Pionnier de la théorie de nombres, Fermat élabore aussi des méthodes de calcul qui préfigurent le calcul différentiel de Leibniz et Newton, méthode qu’il utilise pour donner une nouvelle preuve de la loi des sinus de réfraction. C’est néanmoins par son « problème » (qu’il n’y a pas de solutions entières non nulles pour certaines équations mettant en jeu des puissances supérieures au carré) que son nom est passé à la postérité, ou du moins qu’il est redevenu célèbre, car la renommée de ce problème s’accroît surtout à la fin du XIXe siècle pour n’être finalement démontré qu’en 1994. FESAYE ou FEZAYE, Philibert ( ? – 1649), frère carme, né à Avignon. Docteur en théologie à Aix en 1603, il s’y installe en 1606 ou un peu après et devient Régent en philosophie au Collège Royal (fondé en 1603). Il reste à Aix jusqu’à son décès. Il a écrit deux volumes de poésie sacrée en latin et des ouvrages de polémique concernant l’incarnation1. La date de son décès est donnée par Gassendi neveu qui a pu être en relation avec lui. FLUDD, Robert (Milgate, Kent, 1574 – Londres 8 septembre 1637), médecin anglais, occultiste et défenseur des frères de la Rose-Croix. Son œuvre majeure Utriusque cosmi historia est une vaste encyclopédie de la connaissance humaine structurée autour de la dualité du microcosme et du macrocosme. Voir bibliographie pour sa controverse avec Mersenne et les circonstances de rédaction de l’Epistolica exercitatio que Gassendi écrit contre lui. FULCONIS Honoré, prieur de l’ordre des Frères prêcheurs ou Dominicains ( Jacobins) à Toulouse.
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Voir Turner & Gomez 39 et, pour son enseignement, son influence sur Gassendi et quelques notes d’élèves sur ses cours, Armogathe.
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GAFFAREL, Jacques (Mannes, Provence, 1601 – Sigonce 1er décembre 1681), prieur de Ganagobie, Revest, Brousse et Saint-Gilles, théologien et juriste, orientaliste provençal (hébreu, syriaque, arabe, persan, chaldéen), docteur en théologie et en droit canon (Université de Valence et de Paris), il se distingue par son goût pour l’étude du Talmud et de la Cabale, la cryptologie et l’hermétisme. Il s’initie aux sciences mystérieuses des rabbins auxquelles il consacre beaucoup d’ouvrages. Richelieu l’envoie en Italie pour rechercher des livres et des manuscrits (1626 – 1633). Il a l’espoir de devenir bibliothécaire du palais de Saint-Marc, et Peiresc, Bourdelot et les frères Dupuy utilisent ses services pour trouver des manuscrits rares. À son retour en France, il est nommé aumônier du roi et se fait remarquer par des prêches dans lesquels il cherche à ramener les protestants au catholicisme. Son plus célèbre ouvrage demeure les Curiosités inouïes, sur la sculpture talismanique des Persans, horoscope des patriarches et lecture des étoiles (Paris, 1629), qui suscite une controverse (on accuse l’auteur d’athéisme). GASSEND, André (2 mars 1614 – ?), marchand à Digne, peut-être parent avec notre philosophe qu’il l’appelle son « cousin » dans des lettres d’affaires. « Notre » Gassendi est en tout cas le parrain du fils qu’il a eu avec sa femme Laurie de Puget de Bléziers et qui est baptisé en l’église de Digne, sous le nom de Pierre, le 17 mars 16341. GASSEND, Antoine ( ? – 1611), père de Gassendi, couturier à Champtercier. Il épouse le 27 janvier 1585 Françoise Fabre (ou Fabri) sœur de Louis Fabre, docteur en medécine à Draguignan. GASSEND, Catherine (8 décembre 1599 – 1672), sœur de Gassendi ; elle épouse Jean Bodoul le 20 janvier 1613 à Champtercier ; Lucrèce Bodoul est leur fille. GASSEND, Jean (1598 – 1630), frère cadet de Gassendi. Les deux frères observent une éclipse ensemble en 1622 (Tamizey [I] 10).
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Rochot II, vii-viii, résumant quelques enquêtes menées par la famille Marey-Monge au milieu du XIXe siècle. Une généalogie de la famille Gassend dressée par Simon-Jude Honnorat (A. D. des Alpes-de-Haute-Provence 1J167) signale un André Gassend, né à Champtercier le 24 mars 1602 ; son père était François Gassend (le frère d’Anthonie Gassen, père de notre prévôt), et sa mère Catherine Maienque.
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GASSENDI, Pierre (15 ou 16 mars 1634 – 1713), neveu et filleul de Gassendi philosophe dont il épouse la nièce. Avocat à la cour présidiale de Digne et conseiller royal, il s’installe à Aix. GAU[L]TIER, Joseph (Rians 24 novembre 1564 – Aix 6 septembre 1647), Prieur de Notre Dame de la Valette, près Toulouse, et Vicaire général d’Aix. Ce passionné d’astronomie initia Gassendi à l’observation et à la théorie. Gassendi le cite constamment et lui dédie les Exercitationes. Il laisse à sa mort un manuscrit d’Observations astronomiques, recueillies depuis par MM. de Mazaugues, et qui ont passé, plus tard avec la bibliothèque de ces derniers, dans celle de Carpentras. GODEAU, Antoine (Dreux 24 septembre 1605 – Vence 21 avril 1672) prélat et homme de lettres. Il est évêque de Grasse en 1636 avant d’occuper les sièges, réunis par Richelieu, de Grasse et Vence (1639), mais Mazarin, hostile à Godeau pour des raisons personnelles, les sépare à nouveau en 1653. Godeau, que Marolles1 considère comme un homme dont « la science & la piété ont toujours été si recommandables » et dont Gassendi dit dans la Vie de Peiresc qu’il est un « homme excellent, si érudit, si célèbre », publie plusieurs volumes traitant de l’histoire de l’Église et de la vie chrétienne. Il est membre de l’Académie française dès sa fondation. GROTIUS, Hugo (Delft 10 avril 1583 – Rostock 28 août 1645) savant universel, historiographe des États de Hollande (1601) et jurisconsulte de la Compagnie de l’Inde. Avocat et député aux États généraux, il fait une brillante carrière publique, avant d’être disgracié par le stathouder Maurice de Nassau, qui le met en prison : il réussit à s’évader et part en France où il est bien accueilli. Il devient ensuite ambassadeur de Suède auprès du roi de France. Au retour d’un voyage à Stockholm où l’a convoqué la reine Christine en 1645, il fait naufrage dans la Baltique et meurt à Rostock. Sa Correspondance commence à être éditée trois ans après sa mort. Son œuvre de juriste, fondamentale dans l’histoire du droit moderne, est célèbre, mais il est aussi un brillant philologue, traducteur et commentateur d’Euripide, de Théocrite, de l’Anthologie, et un historien (Annales de Hollande, posthume, 1657). Gassendi lui écrit une fois pour lui envoyer un exemplaire de son Mercure. 1
« Dénombrement » 286.
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GUILLEMIN, Pierre, médecin, ou peut-être apothicaire, à Lyon, ami de Charles Spon et possesseur d’un important jardin de plantes rares. GUISSON, Pierre est né à Cavaillon. Grâce, peut-être, à son intérêt pour les mathématiques, la physique et tout ce qui touche à la philosophie naturelle, il fait la connaissance de Gassendi. Plus tard il assiste aux réunions de l’Académie de Montmor où il tint une conférence sur la végétation qui fut approuvée. Il part ensuite pour Rome (sa présence est attestée durant l’été 1660, mais il devait s’y trouver depuis quelque temps) d’où il échange des lettres avec Micheangelo Ricci et Paolo Boccone à Florence. Quatre lettres de Boccone à Guisson, et une de Guisson à Boccone sont incluses dans les Recherches et observations naturelles de Monsieur Boccone Gentilhomme Sicilien; touchant le Corail, la Pierre étoilée, les Pierres de figure de Coquilles, la Corne d’Ammon, l’Astroite Undulatus, les Dents de Poissons petrifiees, les Herissons alterez, l’Embrasement du Mont Etna, la Sangsue du Xiphias, l’Alcyonium stupposum, le Bezoar mineral, & les Plantes qu’on trouve dans la Sicili, avec quelques Reflexions sur la Vegetation des Plantes. Examinées a diverses fois dans l’Assemblée de Messieurs de Society Royale de Londres, & dans les Conferences de Monsieur l’Abbe Bourdelot (Paris 1674). GUYET, François (Angers 1575 – Paris 12 avril 1655), philologue. Née d’une famille de haut rang, mais pauvre, il s’établit à Paris à partir de 1599 où il fréquente les cercles de De Thou et Dupuy. Il se lie d’amitié avec Balzac et Ménage. En 1608 il se rend à Rome où il fréquente le poète Régnier et perfectionne sa connaissance de l’italien. Dans la maison du duc d’Épernon, il devient directeur d’études de l’abbé de Grandselve, futur cardinal de La Valette. Intégré au Collège de Bourgogne il publie deux collections de poèmes latins, mais rien de son travail, très important, de critique philologique, qui paraît de façon posthume, intégré aux éditions postérieures des auteurs (sur Térence, 1657, sur Hésiode 1667, sur Hésychius 1668, sur Stace 1653, sur Lucien 1687 et sur Lucain 1728). Familier de Luillier et de Naudé, ce libre penseur affiche un athéisme que, d’après Balzac, « il voudrait faire savoir à son de trompe dans les places et sur les théâtres ». HABERT, Pierre (1580 – 1636), prieur de Saint-Arnould de Crépy-en-Valois, nommé en 1627 évêque de Cahors. Il assuma les fonctions de premier aumônier de Monsieur, duc d’Orléans, à la cour de Louis XIII. Fils de Louis Habert et Marie Rubentel, il est l’oncle de « notre » Montmor, Henri Louis, c’est-
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à-dire le frère puîné de Jean, père dudit Henri Louis. Il releva le château de Mercues, près de Cahors, résidence favorite des comtes évêques de cette ville, et y créa la terrasse et les jardins. Ami des lettres et des érudits, il fonde une académie des belles-lettres dans sa ville épiscopale. HALLÉ ou Halley : en l’absence d’un prénom, il est impossible de décider lequel des trois Hallé connus, Pierre, Antoine, et Henri, est désigné par Sorbière. Pierre (1611 – 1689), jurisconsulte et poète, fut un protégé de Séguier. Professeur d’humanités au Collège d’Harcourt, il est nommé en 1646 lecteur et interprète du roi en langues grecque et latine. À partir de 1654 il est titulaire d’une chaire à la faculté de droit de Paris. Parmi ses nombreuses publications on trouve un Elogium Gabrielis Naudæi (Genève 1651). Antoine Hallé (c. 1592 –1676), fut professeur d’éloquence à l’université de Caen, poète, latiniste ; Henri (mort le 12 octobre 1688) fut professeur de droit à l’université de Caen. HARDY, Claude (1605 – 5 avril 1687) avocat au Parlement de Paris, Conseiller au Châtelet. Ce mathématicien et ami intime de Mydorges et de Descartes a publié une édition et traduction des Data Euclidis et un Commentaire de Marin1 (1625) et une réfutation de Jacques Pujos (La Nullité, futilité, ou niaiserie, et fausseté de la pretendue quadratrice, 1643-4). HARVEY, William (Folkestone (Kent) 1er avril 1578 – Londres 3 juin 1657), célèbre médecin anglais, il découvre le principe de la circulation du sang (De motu cordis, 1628) sans pour autant établir son fonctionnement exact. Sa découverte est accueillie par un scepticisme généralisé, les plaisanteries de Patin, les attaques de James Primrose, les sarcasmes des « anticirculateurs » (Riolan, Hoffmann, Johannès a Turro, Piso, Parisanus). Harvey meurt sans assister au triomphe de son œuvre. HEEREBOORD, Adriaan (1614 – Leyde 1661), philosophe et philologue hollandais, il prend la succession de Burgersdijk comme professeur de philosophie à l’Université de Leyde. Il a pour consigne, dans son enseignement, de s’en tenir à Aristote, mais les Curateurs lui laissent toute liberté de professer la philosophie cartésienne, d’accord avec son collègue d’Utrecht, Regius. En 1
Marin ou Marinus de Tyr, géographe du IIe siècle.
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1642, il est nommé pro-régent du collège théologique et remet en honneur les disputes publiques : elles restent aristotéliciennes, mais comportent des thèses et des corollaires « modernes ». Malgé le scandale créé par une dispute de 1643, Heereboord est nommé professeur ordinaire, mais avec un collègue plus âgé et très aristotélicien qui prend le pas sur lui. Malgré sa sympathie pour Gassendi, il est plus proche des idées cartésiennes. Il fait un éloge dithyrambique de Descartes, dans un discours public de 1647, qui font accuser le philosophe d’être blasphémateur et pélagien, mais le débat ne s’envenime pas. HEINSIUS, Daniel (Gand 9 juin 1580 – Leyde 26 février 1655), philologue, poète latin, bibliothécaire, professeur d’histoire, de philosophie et de politique à Leyde, né d’une famille calviniste. Après des études à Franeker il passe à Leyde où il devient un fervent disciple de Scaliger et commence à faire des leçons publiques à dix-neuf ans. Il épouse en 1611 la sœur de Jean Rutgers. Il est nommé historiographe de la Suède en 1618. Il publie de nombreuses éditions et commentaires des œuvres classiques mais aussi bibliques ou des pères de l’Église, en parallèle à son rôle actif dans les affaires diplomatiques. Poète néolatin particulièrement reconnu, il écrit sous le pseudonyme de Théocrite des Emblemata amatoria (1601), mais également des tragédies en latin. HELMONT, voir van Helmont. HENRY, François (31 août 1615 – 7 octobre 1686) est obligé en raison d’une santé faible d’abandonner sa charge au Parlement de Paris et entreprend des études scientifiques. Il travaille à une Histoire naturelle avec Arnold Boot, mais le projet est abandonné à la mort de ce dernier. C’est Henry qui travaille avec La Poterie sur la préparation des Opera Omnia de Gassendi. Plus tard il s’occupe d’éditer les œuvres de Paracelse. HOBBES, Thomas (Westport 5 avril 1588 – Hardwick Hall 4 décembre 1679) savant et philosophe anglais, auteur du Léviathan (1651), il s’exile à Paris pendant les années quarante où il rencontre Gassendi et le monde savant parisien. Sorbière traduit en français son De Cive auquel Gassendi donne une lettre préface. HORTENSIUS (voir Van den Hohe).
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JACOB, Louis connu en religion sous le nom de Louis de Saint Charles (Châlons-sur-Marne, ou Chalon-sur-Saône, 20 août 1608 – Paris 10 mars 1670) ; il entre dans l’ordre des Carmes en 1625. Porté sur l’histoire littéraire et la bibliographie, il fait un voyage à Rome en 1639 où il travaille à sa Bibliotheca pontificia (Lyon 1642). De retour à Paris, il devient bibliothécaire de Gondi, conseiller et aumônier du Roi, puis, plus tard, bibliothécaire d’Achille Harlay. Comme Gassendi, Jacob achète des doublons de la bibliothèque Mazarine. Outre la soixantaine d’ouvrages qu’il ne mène pas à leur terme et laisse à sa mort sous forme de manuscrit, il publie vingt-sept œuvres de son vivant dont la plus connue est le Traité des plus belles bibliothèques du monde… (Paris 1644). Il écrit un Éloge de Anne Marie-Schurman, contenu dans l’édition française (traduction par Colletet) de la Question célèbre s’il est nécessaire ou non que les filles soient sçavantes, agitée de part et d’autre par Mademoiselle Anne Marie de Schurman… et le Sr André Rivet (Paris 1646), prônant l’instruction des femmes. Il édite en 1644 la dernière édition de l’Advis pour dresser une bibliothèque de Naudé ; il met ensuite en œuvre son Tumulus (Gabrielis Naudaei tumulus, complectens elogia, epitaphia, carmina tum latina tum gallica variorum cl. Virorum, Paris 1659). JOUVIN, Jacques (vers 1600 – ?) ; fait une partie de ses études en companie de Naudé avec qui il reste en contact épistolaire (Il y a des lettres de lui dans l’Epistola de Naudé et dans le Tumulus édité par Jacob). En 1623 il soutient à Paris, sous la présidence de Pierre Girard, une thèse An prægnantibus duriores maniæ præslent gracilibus ? et sous celle d’Antoine Charpentier An detur sridor sanguineus ? L’année suivante il soutient, sous la présidence de Jean Cousin, la proposition Senes ne jejunium facillimé ferunt ? Il est peut-être propriétaire d’un bail de droit du dixième à Beaumont-sur-Sarthe dont le prix est réduit des deux tiers le 20 mai 1663. KIRCHER, Athanase (Geysen 2 mai 1602 – Rome 27 novembre 1680), savant polygraphe jésuite. Il enseigne la philosophie, les mathématiques et les langues orientales à Würzbourg. Chassé par la guerre de Trente ans, il enseigne les mêmes sujets à Avignon de 1631 à 1633. Il se lie avec Peiresc qui lui conseille de travailler à l’explication des hiéroglyphes égyptiens ; aussi est-il considéré comme l’un des pères de l’égyptologie. Nommé à Vienne, il reçoit l’ordre de se rendre à Rome, où il prend possession d’une chaire de mathématiques au collège romain. Il se consacre alors à la recherche érudite et forme
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un cabinet de curiosités dans le Collège des jésuites de Rome. Esprit d’une curiosité universelle, il compose de multiples ouvrages dont : Primitiæ gnomicæ catoptricæ hoc est horologiographiæ novæ specularis, in qua, etc. (Avignon, 1635) ; Ars magnesia, Würzburg, 1631 ; Prodromus coptus sive ægyptiacus, Rome, 1636 ; Magnes sive de arte magnetica, Rome, 1641 ; Pantometrum Kircherianum, Würzburg, 1660 ; Lingua ægyptiaca restituta (1643) ; Ars magna lucis et umbræ (1646) ; Musurgia universalis (1650) ; Œdipus ægyptiacus (1652) ; Primitiæ gnomonicæ catoptricæ (1655) ; Polygraphia nova et universalis (1663) ; Mundus subterraneus (1665) ; Ars magna sciendi (1669)1. LA MOTHE LE VAYER, François (Paris 1588 – Ibid. 9 mai 1672), philosophe sceptique et libertin. Avec Gassendi, Diodati et Naudé il forme la « tétrade ». Conseiller du roi il est nommé par Richelieu précepteur du duc d’Anjou (1649) et de Louis XIV (1652) dont il sera plus tard l’historiographe. Membre de l’Académie française en 1639. De ses œuvres nombreuses, on peut retenir les Dialogues faits à l’imitation des anciens (1630), Petit discours chrétien de l’immortalité de l’âme, (1637), La vertu des payens (1641), mais aussi Du peu de certitude qu’il y a en histoire (1668), qui est une étape marquante du criticisme en histoire, et son ouvrage pédagogique L’instruction de Mgr le Dauphin (1640) et les Géographie, Rhétorique, Morale, Économique, Politique, Logique et Physique du prince (1651-1658). Il laisse aussi des poèmes latins obscènes. LANTZ, Jean (Tettingen c. 1570 – 1638), mathematicien allemand et jésuite, professeur de mathématique à Ingolstadt, proche de Schickard. On a de lui Institutionum arithmeticarum libri iv, Munich 1616 et Euclidis elementorum geometricorum libri vi priores, 1617. Gassendi ne lui écrit pas directement. LAURENDIÈRE, Claude Martin (16 ? – 16 ? ), bachelier en médecine de la Faculté de Paris. Borel le cite dans ses Historiarium et Observationum Medico-physicarum Centuriæ IV (Paris 1657), p. 354 : « Médecin de Paris, notre ami très doux, imprégné de savoir ». Il assure la traduction d’un ouvage de Cardan, La métoposcopie… comprise en treize livres et huit cent figures de la face humaine à laquelle a été ajouté le Traicté des marques naturelles du corps, par Melampus (1658). L. Jacob (Traicté…) mentionne (p. 537) la « bibliothèque considérable pour les livres de médecine et mathematique ». 1
Voir sur lui les études récemment recueillées par Findlen.
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LE CAZRE, Pierre (Rennes 1589 – Dijon 1664), savant français, mathématicien et philosophe, jésuite, recteur du collège jésuite de Godran, à Digne, professeur puis recteur de Metz, Dijon, Nancy, provincial de Champagne enfin assistant de France. Connu par ses ouvrages sur la pesanteur contre Galilée, il assume la critique scientifique de la mécanique du savant florentin dans sa Physica demonstrativa… adversus nuper excogitatur a Galileo… de eodem motu pseudo-scientiam (Paris, 1645). LE MIRE Aubert (Bruxelles 30 novembre 1573 – Anvers 1646), jésuite et savant littérateur flamand, disciple de Juste Lipse dont il écrit la Vita qui précède ses Œuvres complètes de 1613. Docteur en théologie en 1621, il est nommé doyen du chapitre de la cathédrale d’Anvers (1624), chancelier de la Gueldre, vicaire général de l’évêque. Aumônier et bibliothécaire de l’archiduc Albert, il se distingue surtout par ses travaux érudits sur l’histoire ecclésiastique et sur l’histoire belge en général. Il contribue aussi au développement de l’enseignement des jésuites dans les Pays-Bas. LESDIGUIÈRES, duc de, Charles de Blanchefort, comte de Créquy (1578 – 17 mars 1638), il accède à ce titre en 1626 (de par son beau-père). Il a été gouverneur du Dauphiné depuis 1606, et Maréchal de France depuis 1621. Jacques de Valois, astronome et ami de Gassendi, est précepteur de ses enfants et bientôt son intendant. C’est chez lui à Vizille que Gassendi réalise avec Valois des observations dont Éléazar Féronce est le jardinier qui s’illustre par ses démonstrations héliocentriques. LE PAILLEUR, Jacques (Meulan ? – 4 novembre 1654), érudit et mathématicien d’origine de Nemours, doué à la fois pour la musique, la poésie et la débauche. Proche de la mareschale de Temines dont il gérait les affaires, il tint chez lui pendant les dernières années de sa vie une assemblée de savants qui fait le lien entre les assemblées de Mersenne et celles de Montmor1. LUILLIER, voir CHAPELLE.
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Tallemant dans Montgrédien iv 147-50 ; Pintard I, 349-50 ; Mesnard passim.
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LUILLIER, François (Paris 1583 – Pise 1652), maître des Comptes, humaniste et bibliophile, ami intime de Gassendi1. MARCHEVILLE, Henry de Gournay, comte de, autrefois gouverneur, puis premier chambellan de Gaston de France, un des agents les plus sûrs de Richelieu qui le charge de plusieurs négociations avec des princes d’Allemagne. En 1630, il est nommé ambassadeur à Constantinople en remplacement de Philippe de Harlay, comte de Césy. Il projette d’emmener avec lui dans son ambassade en Orient tout un corps de savants, dont Gassendi ; cette initiative n’a pas de suite, et il part finalement seul, le 20 juillet 1631 : il reste ambassadeur près la Sublime Porte de 1631 à 1634. MARIDAT de Serrières, Pierre de, Conseiller au grand Conseil. MARIVAUX : nous ne savons pas l’identifier. MARTEL, Thomas (Montauban 1618/9 – 1679/85), descendant d’une importante famille de notables protestants du Languedoc, il poursuit des études de droit à l’université de Cahors, sans abjurer la religion de ses pères, avant de venir à Paris en 1641, où on le retrouve faisant des dissections avec Gassendi et Neuré. Il fait partie du cercle des savants et philosophes et entretient une correspondance érudite. Au cours d’un voyage à Amsterdam, il rend visite à Rivet et Sorbière, à qui il envoie une des rares copies du De cive de Hobbes dont il est un fervent admirateur. En 1643, il fait office d’intermédiaire entre Gassendi et Sorbière, en vue de la publication de la Disquisitio metaphysica. Il est par la suite très actif dans les relations avec les savants anglais. Il remplit aussi des fonctions politiques en qualité de délégué du Tiers État aux États Généraux de 1656. On perd ensuite sa trace. MARTIN, Claude, voir Laurendière. MARTIN, Jacques, évêque de Senez de 1601 à 1623.
1 Sur lui voir Bernard Rochot (ed), Pierre Gassendi : Lettres familières à François Luillier pendant l’hiver 1632-1633, Paris 1944, xiii ff, et la notice de Tallemant dans Montgrédien iv 130-34.
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MÉNAGE, Gilles (Angers 15 août 1613 – Paris 23 juillet 1692), érudit, écrivain et un des fondateurs de l’étude étymologique de la langue française. Après des études de droit, il devient avocat dans sa ville natale. Venu à Paris, il commence à fréquenter les cercles savants (Dupuy, de Thou) et quitte le barreau malgré l’opposition de son père. Il entreprend une carrière ecclésiastique, pour pouvoir se consacrer à ses études, et Chapelain le fait entrer dans la maison du cardinal de Retz. Il rassemble lui-même un cercle savant chez lui, au cloître Notre-Dame, le mercredi (les Mercuriales devenues des Cathémérines) et il fréquentera les samedis de Madame de Scudéry. À la mort de son père, en 1648, il hérite d’une très large fortune et de diverses possessions qui assurent son indépendance. Mis en danger par l’engagement de Retz aux côtés des Frondeurs, il sait se ménager les bonnes grâces de Mazarin et de Colbert ; il constituera notamment, avec Chapelain, la liste des hommes de lettres qui doivent recevoir une pension (avant que les deux hommes ne se fâchent). Il perd la faveur du cardinal cependant en 1660 car, au milieu de son Élégie latine en l’honneur de Mazarin, on détecte la présence d’une satire ; il se sort de ce mauvais pas grâce à l’intervention du président Lamoignon. Il a une fin de vie triste : après son échec à l’Académie française (1684), il se démet la cuisse à la suite d’une mauvaise chute et ne sort plus de son domicile parisien où il meurt d’une fluxion de poitrine. Ses connaissances étaient telles que Marolles jugeait qu’il « fait tout lui seul une Académie entière ». Il incorpore des réflexions de Gassendi dans son édition du dixième livre de Diogène Laërce auquel il ajoute une Historia mulierum philosopharum. MENTEL, Jacques (1579 – 1671). Docteur de médecine à Paris en 1632, il devient professeur de chirurgie puis d’anatomie (1647). Outre deux ouvrages sur les origines de l’imprimerie, il a publié une lettre adressée à Pecquet sur le réservoir du chyle, une traduction du grec en latin d’Hypsiclès (1657), et quelques fragments de Pétrone nouvellement découverts (1664). MERSENNE, Marin (1588-1648), Minime, physicien, animateur d’un cercle informel de savants et correspondant infatigable de la République des Lettres. Il a probablement fait la connaissance de Gassendi au moment de sa deuxième visite à Paris fin 16241.
Voir la discussion détaillée dans Correspondance Mersenne, I, 192-3.
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MESMES, Henri de ( ? – 1650), Diplomate envoyé successivement à Venise (1627-1632), au Danemark (1635), en Suède, Pologne et à Hambourg où il négocie en 1641 l’ouverture du futur congrès de Westphalie où il sera plénipotentiaire (1648). Conseiller au Parlement en 1608, lieutenant civil de Paris en 1613, président à mortier en 1627, il reçoit des savants dans son hôtel de la rue de Jouy dont les trésors bibliophiliques (8 000 volumes) sont un moment entretenus par Naudé et Holste, avant leur départ pour Rome (entre 1625 et 1627). Gassendi dit de lui dans la Vie de Peiresc, V : « Ce président si illustre qui, excédant encore la noblesse d’âme de sa famille, entretint la résolution propre aux siens de bien mériter des lettres et des lettrés ». MOLÉ, Mathieu (Paris 1584 – ibid. 3 janvier 1656), conseiller au Parlement de Paris en 1606 et Procureur en 1614. Il est nommé par Richelieu consul de la Régence lors du siège de La Rochelle en 1626. Premier Président au Parlement en 1641, il sert de médiateur pendant la Fronde, malgré ses propres conflits avec Mazarin. Il reçoit les sceaux en 1651. Il joue un rôle important jusqu’à la majorité de Louis XIV. Il laisse des Mémoires intéressants. Gassendi a accepté l’hospitalité de sa maison de campagne à Champlâtreux. MONCONYS, Balthazar de (Lyon 1611 – ibid. 1665). Après des études à Salamanque, il voyage en Europe et dans le Proche-Orient. Le Journal de ces voyages (3 volumes 1665-66) est rempli des notes de ce « curieux & diligent Observateur de toutes les singularités de la nature »1 et constitue une source importante pour l’histoire des sciences et des savants de l’époque2. À l’Académie de Montmor, où il aura dû rencontrer Gassendi, Monconys lit une étude sur les phénomènes capillaires. MONTMOR, Henri Louis Habert de (c. 1600 – 1683), issu d’une famille de la noblesse de robe, il est conseiller au Parlement de Paris (1625) et maître des Requêtes de l’hôtel du roi. Ce parent de Guillaume Budé s’occupe de philosophie, de physique et de belles lettres, et prend très au sérieux son rôle de mécène. Il compose plusieurs épigrammes connus en son temps (« vers
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« Dénombrement » 322. Voir Henry, passim.
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excellens » d’après Marolles1), projette d’écrire un De rerum natura à l’instar de Lucrèce et héberge Gassendi pendant les deux dernières années de sa vie dans son hôtel de la rue du Temple. C’est lui qui coordonne l’impression des Opera omnia. MOREAU, René (Montreuil-Bellay 6 août 1587 – 17 octobre 1656) médecin. Il quitte sa ville natale pour Paris en 1617, où il devient docteur en médecine (1621) et doyen de la faculté en 1630. Il est ensuite nommé professeur Royal au Collège de Cambrai en 1633 sur les instances d’Alphonse de Richelieu. C’est un ami intime de Naudé, qui lui dédicace son De præceptis ad filios libellus (1635), et de Patin. Grand bibliophile, il laisse à sa mort une bibliothèque importante qui est vendue pour vingt-deux mille livres. Gassendi parle de lui dans son Oratio inauguralis. Il publie en 1632 le De venæ sectione et missione sanguinis in pleuritude. MORIN, Jean-Baptiste (Villefranche-sur-Saône 1583 – Paris 6 novembre 1656) étudie avec Gaultier en Provence où il rencontre Gassendi. Nommé professeur au Collège royal en 1630 il est aussi l’astrologue de Richelieu, de Mazarin et de la princesse Louise-Marie de Gonzague. Il prétend avoir résolu le problème des longitudes. Ce partisan de l’astrologie et du géocentrisme entre en conflit avec son ancien ami et ses disciples Bernier et Neuré2. NANTEUIL, Robert (Reims c. 1623 – Paris 1698) est formé dans l’atelier de Regnesson à Reims avant de partir pour Paris où on le retrouve installé en 1647. Il crée son propre style qui conjugue la technique en pointillé de Jean Morin (1590 – c. 1650, peintre-graveur, élève de Phillippe de Champaigne) et la taille unique de Claude Mellan. Il excelle notamment dans les portraits où son souci est de capturer fidèlement le visage. Le portrait de Gassendi pour les Opera omnia est commandé à Nanteuil, dont le portrait par Lubin utilisé par Perrault est une copie inversée.
1 « Dénombrement » 292. « Son érudition est singuliere en toute chose ». Deux de ses poèmes « Cheval de bronze » et « Perce-neige », se trouvent dans Fauveau, 184, qui offre également un résumé de sa vie, 33-4 et 38-43. 2 Voir Martinet, I et II.
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NAUDÉ, Gabriel (1600-1653), médecin, homme de lettres faisait partie de la « tétrade ». Bibliothécaire d’Henri de Mesmes (1622), il remplit le même poste successivement chez Bagni à Rome et chez Mazarin à Paris1. NEURÉ, Laurent Mesme dit Michel ou Mathurin (Loudun 1594 – Paris 1676 ou 1677), fils d’un aubergiste, il change son nom pour cacher ses origines obscures. Après s’être fait religieux à la Chartreuse de Bordeaux, il quitte le froc. En 1642, Gassendi lui procure la place de précepteur chez Champigny à Aix où il reste jusqu’en 1644. Par la suite il devient secrétaire de Louis de Valois avant d’être chargé de l’éducation du fils de Madame de Longueville qui lui accorde une pension. Quand plus tard, dans un moment d’irritation, elle la diminue, il écrit une satire contre elle. Quoique lié avec Morin, il collabore aux libelles de Bernier contre lui. Il n’écrivit sans doute jamais la vie de Gassendi qu’il était censé préparer pour les Opera omnia. NUBLET, Louis, avocat au Parlement de Paris et ami de Ménage, qui lui dédie ses Amænitates juris (1664) et d’Adrien de Valois qui lui adresse un poème2. Il achète à Scarron ses propriétés de Fougerets et de la Rivière pour quinze mille livres (1656). Tallemant le décrit comme un « homme de bon sens et de vertu »3. OPPÈDE Henri de Forbin Maynier (1620 – 16 novembre 1671), marquis d’Oppède, à partir de 1655 Premier président au Parlement de Provence. PAGAN, Blaise François, Comte de (Saint-Rémy-de-Provence 1604 – Paris 1665). Sous les armes à douze ans, il perd l’œil gauche au siège de Montauban. Il se distingue cependant au Col de Suse, trace le plan du siège de Nancy en 1633 et participe à la campagne du Portugal 1642-3 en tant que maréchal de camp où il perd complètement la vue. Par la suite il se consacre aux études de mathématiques, astronomie, géographie et de l’histoire publiant plusieurs traités. Il publie en 1640 un traité intitulé Les Fortifications du Comte de Pagan qui fait date. Il voyagea aussi en Amérique du Sud et remonta une partie de l’Amazone. Il laisse un récit de voyage : Relation historique et géographique de la grande rivière des Amazones dans l’Amérique (1655) ; il 1
Voir Clarke ; Pintard. Valesiana, « poemata » 53. 3 Tallemant v 168. 2
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conseille à Mazarin, dans sa dédicace, de faire en sorte que la France contrôle et colonise la région. Perrault lui consacre une notice dans ses Hommes illustres. C’est lui qui est à l’origine de la traduction de Lucrèce par Marolles qui n’a pas déplu à Gassendi1. Il laisse aussi une œuvre astronomique (une théorie des planètes) et astrologique, publiée surtout après sa mort. Il est condamné à huit années de Bastille en 1652 pour « s’être vanté qu’il ferait mourir le roi par magie ». Il y reste finalement jusqu’à la fin de sa vie, oublié du Roi et du cardinal Mazarin. PASCAL, Blaise (Clermont 1623 – Paris 1662), le célèbre savant, mathématicien et mystique, inventeur d’une machine à calculer, est, par son père mathématicien, très jeune impliqué dans la vie savante de son temps et fait partie des différents cercles. Il répète l’expérience du vide de Torricelli sur laquelle Gassendi se penche aussitôt. Les deux savants ont dû se rencontrer dans les assemblées de Le Pailleur et, probablement, de Montmor. PATIN, Guy (1601 – 1672) professeur royal et doyen de la Faculté de Médecine à Paris 1650-16522. PECQUET, Jean (Dieppe 9 mai 1622 – Paris 26 février 1674) médecin de Montpellier, il découvre les vaisseaux lymphatique de l’intestin et complète la découverte de Harvey par ses observations des vaisseaux chylifères. Pour démontrer les causes de la circulation sanguine, il utilise largement le résultat des expériences sur le vide de Pascal. Attaché au service de Foucquet en 1655, il est emprisonné avec lui de 1661 à 1665, fait qui inspire ce commentaire anonyme mais répandu, « Pecquet a toujours rimé et rimera toujours à Foucquet ». Il part alors dans sa ville natale, avant de revenir exercer à Paris. Nommé par Colbert membre de l’Académie des Sciences en 1666, il est médecin de Mme de Sévigné (« mon petit Pecquet ») et meurt de l’administration de ce qu’il considérait comme une panacée : l’eau de vie. PEIRESC, Nicolas Claude Fabri de (1580-1637), conseiller au Parlement d’Aix et un des mécènes les plus connus de son époque. 1
« Dénombrement », 330. Voir Jestaz qui fait un long récit de sa vie dans l’introduction des Lettres de Guy Patin à Charles Spon. 2
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PÉTAU, Denis (Orléans 1583 – Paris 11 décembre 1652) savant humaniste jésuite, spécialiste de chronologie. Ses écrits en la matière deviennent très vite des classiques. Avec son Uranologion…, il jette les bases de tout le travail philologique à venir sur les astronomes anciens. Moins connues aujourd’hui sont ses éditions des Pères de l’Église et ses écrits anti-jansénistes. Dans une lettre à Scheiner (13 avril 1632), Gassendi dit qu’il a « une très grande familiarité » avec Pétau, et que « l’histoire n’a jamais reçu plus grand luminaire » que par sa Rationarum temporum (1633)1. PETIT, Pierre (Montluçon 1598 – Lagny-sur-Marne 1677), ingénieur militaire, mathématicien, géographe du Roi et intendant des fortification. Il est nommé par Richelieu commissaire provincial d’artillerie et chargé de l’inspection des ponts de France et d’Italie. Il travaille avec Pascal sur le vide et publie plusieurs ouvrages de nature scientifique. Il est l’un des premiers à signaler l’importance de la Dioptrique de Descartes, mais une polémique l’oppose au philosophe. Il reprend avec Pascal les expériences de Torricelli sur le vide (Observation touchant le vide faite pour la première fois en France, Paris, 1647) ; il invente des machines pour mesurer le diamètre des astres, utilisées par Cassini, et laisse de nombreux ouvrages (chronologie, compas, vide, comète, chaud et froid). Il rédige la notice qui accompagne le Plan de Paris de Gomboust. PETIT, Samuel (Saint-Amboix 1594 – Nîmes 12 décembre 1643), oncle maternel de Samuel Sorbière, il fait des études à l’Université de Genève, où il est particulièrement attiré par les langues orientales. Professeur à Nîmes de théologie, de grec et d’hébreu, il devient principal du collège en 1627. Sur sa réputation d’érudit, le cardinal de Bagni veut l’attirer à Rome et lui confier l’administration de sa bibliothèque, tout protestant qu’il est, mais il refuse. Il laisse plusieurs ouvrages, dont des Commentaires sur les lois d’Athènes Leges atticæ (Paris, 1635), qui lui valent l’honneur d’être invité par les Universités de Frise et d’Utrecht à faire partie de leur corps professoral ; il refuse.
1 « Rien ne saurait surpasser en lumière et en éclat ce volume [de temporum ratione] qui ne sera pourtant qu’un in-douze », écrit Gassendi le 13 avril 1632, Lettres latines i 84. Pour Pétau voir Chatellain.
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PEURBACH, Georg (1423-1461) humaniste et mathématicien, se consacré tout particulièrment à l’étude de l’astronomie. Il fut le maître de Régiomontanus1. Gassendi écrit sa Vie. PUTTE, voir Van de Putte. RAPHAELIS, Melchior, chanoine et théologien de Saint-Sauveur, Professeur royal de Théologie à Aix à partir du 18 décembre 1615, légua sa bibliothèque d’environ 700 volumes et le mobilier associé, pour une valeur de 2 000 livres, au Collège royal de Bourbon à Aix. REGIOMONTANUS (Königsberg 1436 – Rome 6 juillet 1476), humaniste et mathématicien, il est le continuateur de l’œuvre de Georg Peurbach, son professeur à l’Université de Vienne. Pionnier de la trigonométrie, il édite des textes anciens, fabrique quelques instruments et prépare un programme d’observations dans l’observatoire que son mécène Bernard Walther a préparé pour lui à Nuremberg. Appelé à Rome pour travailler sur la réforme du calendrier en 1475, il meurt de la peste l’année suivant2. Gassendi écrit sa Vie. RETZ, Jean-François Paul de Gondi, Cardinal de (Montmirail 20 septembre 1613 – Paris 24 août 1679). Issu d’une famille originaire d’Italie, établie en France au XVIe siècle, dont les membres jouent un rôle important à la cour, au conseil, dans la diplomatie, dans l’armée et dans l’Église, il fait ses études au collège de Clermont, puis devient chanoine de Notre-Dame de Paris. Il fait un voyage en Italie, conspire contre Richelieu. Louis XIII le nomme coadjuteur de Paris en 1643. Déçu dans son ambition (il est convaincu qu’il est appelé à remplacer Mazarin), il contribue à soulever le peuple de Paris pendant la Fronde le 26 avril 1648. Pendant deux mois, il multiplie les sermons enflammés et organise un régiment. Il se rapproche ensuite successivement de Condé, de Mazarin et encore de Condé, jusqu’à ce que la reine lui donne un chapeau de cardinal en 1651. Comme il recommence à nouer des intrigues, il est enfermé à Vincennes pour seize mois, puis à Nantes. Il gagne alors l’Espagne et voyage en Italie. À la mort de Mazarin, il revient à la Cour, se démet de ses fonctions et reçoit l’abbaye de Saint-Denis. Ses dernières années sont 1
Pour un résumé de sa vie voir Zinner 17-30. Voir Zinner, passim.
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studieuses, consacrées surtout à la rédaction de ses Mémoires, qui paraissent seulement en 1717, une fois les passions de la Fronde apaisées RHEITA, voir Schyrle. RIANS, Claude, Baron de, neveu de Peiresc qui lui fit don de la baronnie de Rians à l’occasion de son mariage avec Marguerite des Alrics en 1631. RICHELIEU, Armand-Jean du Plessis, Cardinal duc de (5 octobre 1585 – Paris 4 décembre 1642). Il fut successivement évêque de Luçon, député du Clergé de Poitou aux États Généraux de 1614, Secrétaire d’État de la Guerre et des Affaires étrangères (1616). Après une période de retraite pendant l’exil de Marie de Médicis à Blois, il revient aux affaires après la réconciliation de la reine mère et de son fils. Nommé cardinal le 5 septembre 1622, il entre dans le Conseil du Roi le 19 avril 1624. Il faut cependant attendre la journée des Dupes (novembre 1630) pour qu’il exerce le pouvoir sans partage. Dès lors, il domine la politique intérieure et extérieure de la France. Amateur de lettres, lui-même bon écrivain (son Instruction du chrétien connut plus de trente éditions après la première de 1618), il anime aussi les lettres. Soucieux de protéger les auteurs, il crée l’Académie Française, et c’est au nom de cette compagnie que Cureau de la Chambre prononce son éloge funèbre. Il soutient le théâtre et rassemble autour de lui différents auteurs qui lui servent de plume ; la part autographe de ses écrits n’en demeure pas moins considérable, si dans tous les cas la pensée est entièrement sienne. Ses rapports avec les « libertins » restent à déchiffrer, notamment autour du concept de « raison d’État » qui ne se confond pas avec le machiavélisme qu’on lui prête à tort. Il semble que, d’un point de vue théologique d’une part, mais aussi dans le rapport avec les protestants, le soutien de l’Édit de Nantes et la question gallicane, Gassendi ait été très proche de sa vision. RICHELIEU, Louis Alphonse du Plessis de, archevêque de Lyon, cardinal et grand aumônier de France, cardinal de (Paris 1582 – Paris 1653), prélat français, il veut très vite entrer dans l’ordre des chartreux, malgré l’opposition de sa famille. Après ses études, il est envoyé à la chartreuse de Lyon, moins austère que la Grande Chartreuse. Puis il est nommé prieur de Bonpas, vers Aix, en 1620. Archevêque d’Aix le 6 décembre 1625, il est sacré par Guillaume d’Hugues, évêque d’Évreux (l’oncle de l’adversaire de Gassendi), le 21
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juin. Il est à Aix en relations constantes avec Fabri de Valavez et son frère Fabri de Peiresc, les frères Dupuy, etc. Il est également très lié à la famille de Bochart (Champigny), ses cousins maternels, qu’il a fréquentée assidûment durant son enfance. Peiresc se dépense pour aménager le palais épiscopal. Louis Alphonse est ensuite archevêque de Lyon, en 1629, puis cardinal ; il rentre en relations avec Gassendi pendant son voyage à Paris de septembre 1629, les deux hommes étant présentés par Peiresc. À la fois austère et érudit, il joue un grand rôle dans la vie intellectuelle. RIGAULT, Nicolas (Paris 1577 – Toul 23 février 1653), jurisconsulte et érudit philologue. Successivement conseiller au parlement de Metz, procureur général à Nancy et intendant de la province de Toul où il meurt. Un moment garde de la Bibliothèque du roi, il cède sa place à Dupuy en 1645 mais travaille avec lui pour achever l’histoire de de Thou. Il publie plusieurs éditions annotées des auteurs classiques (Phèdre, Martial, Juvénal, Tertullien) et un livre Rei agrariæ scriptores (Paris 1613). L’épitaphe qu’il compose pour la mort de Peiresc est retenue par Valavez pour être gravée sur le tombeau. Il laisse une vie de Pierre Dupuy, dédié à Mathieu Molé (Petri Puteani vita, 1653). Érudit dans maints domaines, de l’étude des sources chrétiennes à la satire, en passant par l’ornithologie et la fauconnerie, ou encore l’éloquence judiciaire, il suscite la polémique à plusieurs reprises : dans le domaine chrétien, autour de la question du droit qu’il reconnaît aux laïcs de conférer l’eucharistie en cas de besoin ou encore sur la question de la beauté du Christ. RIOLAN, Jean (Paris 1577 – ibid. 1657), fils d’un médecin distingué du même nom, il est nommé professeur royal d’anatomie et botanique en 1613. Premier médecin de Marie des Médicis, il l’accompagne dans son exil. Impregné des idées d’Hippocrate, il lutte toute sa vie contre la médecine chimique et contre les chirurgiens. Quoique anatomiste distingué, il n’accepte pas les découvertes de Harvey, Pecquet et Bartholin dans ce domaine. RIVET, André (Saint-Maixent en Poitou 2 juillet 1572 – Breda 7 janvier 1651) théologien protestant français, il s’installe en Hollande. Appelé à la chaire de théologie à Leyde en 1620, il est nommé précepteur du futur Guillaume II d’Orange. Il épouse en deuxième noce la sœur de Pierre Dumoulin et acquiert une influence de plus en plus remarquable comme théologien. Il entretient aussi une importante correspondance savante.
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ROBERVAL, Gilles Personne de (Roberval 10 août 1602 – Paris 27 octobre 1675) mathématicien titulaire de la chaire de Ramus au Collège royal (1634), il a des débats assez long avec Descartes concernant son De maximis et minimis. Vers la fin de sa vie Gassendi lui vend la réversion de sa propre chaire au Collège royal. Roberval est un membre fondateur de l’Académie des Sciences. ROCCA, Président d’un parlement. Il s’agit peut-être du Président Forbin La Roque qui joua un rôle actif pour défendre les anciens privilèges du Parlement d’Aix pendant la première Fronde en Provence. SAINTE-MARTHE, les frères jumeaux Scévole (Loudun 1571 – 1650) et Louis (Loudun 1571 – 1656), tous les deux historiographes de France, ont successivement aidé Jean Chenu et Claude Robert à compiler respectivement le Archiepiscorum et episcorum Galliæ chronologica historia (1621) et le Gallia christiana (1626). L’Assemblée du clergé de 1626 charge les deux frères de compléter ce travail qui, presque terminé au moment du décès de Louis en 1656, ne fut finalement présenté à son commanditaire, l’Assemblée du clergé, qu’en 1656, par les fils de Scévole, Pierre (1618-90), Abel (1620-71) et Nicolas-Charles (1623-62). SCHICKARD, Wilhelm (Herrenberg en Souabe 1592 – mort de la peste Tübingen 1635), humaniste, astronome, géographe, orientaliste et mathématicien réputé, donne une méthode pratique de l’enseignement de l’hébreu (Tübingen, 1614) ainsi qu’une étude sur les monnaies juives anciennes (Tübingen, 1622). Des études syriaques et éthiopiennes, arabes, turques et persanes complètent ses activités d’orientaliste. Il est l’auteur d’une trigonométrie sans tables et l’inventeur de la première machine à calculer connue. Il laisse aussi des ouvrages sur la peinture et la sculpture. Sa rencontre avec Kepler lui donne le goût de l’astronomie, discipline pour laquelle il devient un correspondant privilégié de Gassendi. SCHYRLE VAN LAUCHEN Anton Maria, dit RHEITA (Bohême 1597 – Ravenne 1660), mathématicien et astronome allemand, capucin. Du fait de son excellente réputation de théologien et de prédicateur, il devient le confesseur de l’archevêque de Trêves. Il fait partie du cercle des capucins de l’Europe centrale et orientale qui s’intéressent aux questions savantes. Tour-
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né vers les mathématiques et l’astronomie, il invente, contre Ptolémée, Copernic et Tycho, un système fantaisiste. Partisan des lunettes binoculaires, sur les recommandations de Kepler, il fabrique une lunette astronomique à deux verres convexes et un télescope dioptrique à trois verres, qui redresse les images (il crée les mots oculaire et objectif). Il observe cinq nouveaux satellites autour de Jupiter dont il transmet la nouvelle à Urbain VIII (en fait, ce sont cinq étoiles du Verseau). SÉGUIER, Pierre (Paris 28 mai 1588 – ibid. 22 janvier 1672), homme politique, président à mortier au Parlement de Paris (1624), Garde des Sceaux (1633), Chancelier (1635). Ce grand personnage est, en même temps, un érudit qui protège les savants et hommes de lettres, en particulier ceux de la naissante Académie française dont il fait un moment partie, avant de démissionner en 1643, à la mort de Richelieu, quand il en est nommé le Protecteur. Pendant trente ans, l’Académie tint ses séances en son hôtel. Cet érudit a aussi, par sa fonction, la haute main sur les libraires et les imprimeurs ; et s’il se voit donc dédier un nombre considérable d’ouvrages le geste est rarement désintéressé, et il jouit de la réputation ambivalente qui s’attache à un puissant. Philosophiquement, il semble avoir penché vers le stoïcisme. Sa bibliothèque rivalise avec la Bibliothèque royale1. SIRMOND, Jacques (Riom-ès-Montagne 1559 – Paris 1649), érudit jésuite. Après avoir enseigné la théologie à Paris (1586), il passe seize ans à Rome en qualité de secrétaire du Général de son ordre, Claude Aquaviva, et il y étudie médailles, manuscrits et antiquités. De retour à Paris, il entreprend une collection des conciles de France (trois volumes in-folio en 1629). Il remplace Caussin en décembre 1637 comme confesseur de Louis XIII. L’Elogium P. Iacobi Sirmondi Societatis Iesu édité à Paris par Cramoisy en 1651 contient une longue liste de ses œuvres. La même année Cramoisy édite aussi l’Oratio in Obitum Iacobi Sirmondi d’Henri Valois. Il est aussi connu pour les disputes assez vives qu’il eut avec d’autres savants, en particulier avec Saumaise.
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Pour une étude détaillée de la famille Séguier, voir Richet, IIe partie ; sur les dédicaces à Séguier, voir Nexon.
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STELLA, Jean Tileman (Stigger, Hesse, – Paris 1645), géographe et ingénieur. (Hesse). Il succède à à Jean Boulenger comme professeur de mathématiques et d’histoire au Collège royal (1637), mais ce client des frères Richelieu fut rarement présent au Collège. Gassendi lui succède sur cette même chaire. Sous le pseudoyme d’Asterius il publie une dissertation historique sur les malheurs de l’Allemagne. Il est un bibliophile renommé1. SUARÉS, Joseph Marie (Avignon 5 juillet 1599 – Rome 7 décembre 1677), prélat français et savant antiquaire, d’abord prévôt de la cathédrale d’Avignon et camérier du pape Urbain VIII, il devient secrétaire du cardinal de Bagni en Flandre. Le cardinal Barberini le prend sous sa protection et en fait son bibliothécaire. Il est sacré à Rome évêque de Vaison-la-Romaine en 1633. Il se démet de sa charge en 1666 en faveur de son frère et se retire à Rome où il devient garde de la Vaticane et vaque à ses études historiques et archéologiques. Il s’intéresse à l’histoire de la ville de Préneste ou Palestrina dans la campagne de Rome et publie les résultats de ses recherches, Prænestes antiquæ libri duo, à Rome en 1655. Il convertit Sorbière. TABARET, Charles ( ? – 1672), hérite de son père Bernard de la seigneurie du Chaffaut où il fait construire un château entre 1614 et 1634. Il fut conseiller du Roi et Lieutenant général civil et criminel à Digne en 1624. Marié avec Françoise de Villeneuve (Espinouse), il vendit sa seigneurie en 1633 ou 1640 à Antoine Maurel, Contrôleur des postes de Provence. Il devient ensuite Président aux Enquêtes au Parlement de Provence et, le 20 mai 1642, reçoit la charge de Trésorier général de France2. En 1633 il offre à Peiresc une cuiller, une grande écuelle et trois cent pièces de monnaie de l’époque de Gallien3. TALLEMANT, François l’Aîné (La Rochelle 1620 – Paris 6 mai 1693), frère de Tallemant des Réaux. Après avoir abjuré le protestantisme, il devient aumônier du roi. Il connaissait cinq langues anciennes ou modernes et a laissé des traductions de Plutarque en huit volumes et de l’Histoire de Venise, en quatre volumes. Il est élu à l’Académie française en 1651. 1
Goujet, 2e partie 53-55. Isnard, M, 90 ; Isnard Y. 112-3. 3 Vie de Peiresc, 217. 2
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TAXIL, Salvaire ou Sauvaire ( ? – 1637), oncle de Nicolas Taxil, chanoine de Notre-Dame du Bourg. Il a vécu un temps près de Marguerite de Valois au château d’Usson, où la reine réside de 1586 à 1605. Gassendi écrit à Luillier (20 janvier 1633) : « Il m’a dit que la Reyne avoit voulu qu’il fut appelé non pas Taxil, mais de son propre nom : Sauveur »1. Au moment de sa mort Gassendi, étant à Aix, allait exprès à Digne pour le voir. TOURNEUR (TORNATORIS, ou Tournatoris), Noël. Élu chanoine de Notre-Dame du Bourg en 16522, il administrait les affaires de Gassendi à Digne pendant ses absences. Il sert d’intermédiaire entre Gassendi et le prince de Valois au moment où les troubles de la Fronde provençale gênent le courrier ordinaire ; c’est aussi lui qui est chargé d’expliquer au prince que Gassendi est trop malade pour le rejoindre et donc de justifier sa procrastination ; Tourneur demande aussi le soutien de Valois pour un procès dont on ne sait rien de plus. TURRICELLA, Jacques, évêque de Marseille de 1604 à 1618. VALOIS, Jacques de (17 mars 1582 – décembre 1654), savant écossais, naturalisé le 15 décembre 1612, trésorier de France en Dauphiné et précepteur des enfants de Charles de Créquy, Comte de Sault. Gassendi a fait sa connaissance avant sa première visite à Grenoble (fin novembre 1623), car il lui a envoyé quelques observations astronomiques pendant l’été de la même année3. VALOIS, Louis Emmanuel de, comte d’Alais et Duc d’Angoulême (1596 – 1653). Il fut nommé gouverneur de Provence en janvier 1638. Plus porté sur l’érudition, sans être lui-même un érudit, que sur la politique, il échoue dans son gouvernement qui se termine en 1652 sans gloire après des revers et la perte de son autorité face à la Fronde d’Aix. Protecteur de Gassendi après la mort de Peiresc, Valois reçoit de celui-ci, dans les 350 lettres latines qu’il lui adresse, un véritable cours d’épicurisme.
1
Rochot II 63. Isnard 198. 3 Turner & Gomez 62-3. 2
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VAN DEN HOHE (dit Hortensius), Martin (Delft 1605 – Leyde 17 août 1639), mathématicien et astronome hollandais, élève de Snellius à Leyde, il se fait inscrire comme étudiant en mathématiques en 1630. Puis il devient professeur à l’Athenaum illustre en 1634 et prononce un fameux discours De dignitate et utilitate Matheseos (Sur la dignité et l’utilité des sciences mathématiques ») ; à l’enseignement des mathématiques, il ajoutera bientôt l’optique. Il travaille aussi à la détermination des longitudes. Élève de Lansberg, il soutient ses théories contre celles de Tycho Brahé et il contribue à la démonstration de l’héliocentrisme qu’il enseigne bientôt pleinement. Il entretient une importante correspondance avec les savants de son temps. VAN DE PUTTE, Eeryck (Venloo 4 novembre 1574 – Louvain 17 septembre 1646) philologue et érudit flamand. Après des études à Dordrecht, Cologne (rhétorique, philosophie, droit), il part voyager en Italie. Il rencontre Peiresc et Galilée à Padoue. Il reçoit la chaire d’éloquence à l’École palatine de Milan (1600) puis, en 1606, la chaire d’histoire à Louvain. Élève et disciple de Juste Lipse (« Hic ille meus doctor et meus ductor »), il lui succède dans l’enseignement de la langue latine au collège des Trois Langues de Louvain, ville où il est aussi nommé responsable du culte de saint Charles Borromée. Comme diplomate, il fait preuve de son talent politique. En 1618, il écrit une dissertation sur la Comète. Il fonde une école privée (Palestræ bonæ mentis). Il publie sur Épicure un Epicuri sententiæ aliquot aculeatæ ex Seneca, Louvain 1609. Pendant un moment Gassendi cherche sa collaboration pour son propre projet concernant Épicure ; ils manifestent aussi la même passion pour l’astronomie. VAN HELMONT, Jean Baptiste (Bruxelles 1579 – Vilvorde 30 décembre 1644), médecin et érudit flamand. Issu d’une famille noble, il prend ses grades de docteur en médecine à l’Université de Louvain en 1599 ; il fait de grands voyages de 1600 à 1605 ; on croit qu’il est admis en Bavière dans la société des Rose-Croix ; fixé en 1609 à Vilvorde près de Bruxelles, il étudie Paracelse à qui il emprunte de nombreuses idées et dont il adopte la nomenclature. À partir de 1616, il demeure à Bruxelles, où il pratique la médecine, souvent par charité. Ennemi juré d’Aristote et de Galien, il participe à l’essor de l’école iatrochimique de la médecine. Van Helmont a souvent des intuitions remarquables : créateur du mot gaz, il pressent le rôle de l’acide carbonique (qu’il appelle gaz sylvestre) et réalise d’intéressantes expériences,
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notamment sur la croissance des plantes. Il explique tout par un système d’agents hiérarchisés. Il estime qu’à chaque opération préside un « archeus » ou un « blas » (tous deux principes spirituels), agissant sur les organes corporels au moyen d’un « esprit » matériel actif ou « ferment ». VOSSIUS Gérard-Jean (Heidelberg 1577 – Amsterdam mars 1649), philologue et homme de lettres hollandais. Après des études à Dordrecht et à Leyde, il devient professeur de grec à Leyde. Il enseigne ensuite la philosophie à Steinfurt, avant d’être nommé directeur du collège théologique de Leyde. Impliqué dans la querelle des Arminiens et des Gomaristes, il quitte les PaysBas pour s’installer en Angleterre. Il revint à Amsterdam en 1630 à l’occasion de la fondation de l’Athenaum illustre d’Amsterdam où il occupera la chaire d’histoire. Connu non seulement pour son intégrité, Vossius fut un homme des plus érudits qui publia de nombreux ouvrages sur l’histoire et les historiens de l’Antiquité, sur l’origine et l’histoire des religions. Il laisse de multiples ouvrages, dont un De arte grammatica (Amst, 1635) ; Theses theologicæ et historicæ (Hertogenbosch, 1658) et cinq fils aussi brillants et érudits que lui. WALLÆUS, John (1604-1649), médecin hollandais et professeur de médecine depuis 1633 à Leyde, auteur d’un livre Sur le mouvement du sang inspiré des découvertes de Harvey. WENDELIN, Godefroid (Herck 6 juin 1580 – Gand 1667), astronome et avocat flamand. Il se fixe en Provence au retour de son jubilé de Rome et y professe de 1601 à 1604, comme régent au collège de Digne puis précepteur de 1604 à 1612 des enfants d’André Arnaud de Chateauneuf-Miravail à Forcalquier. Après une courte apparition en Belgique, il retourne en Provence, comme secrétaire et précepteur du lieutenant de la sénéchaussée, André Arnaud, chez qui il habite à Digne ; il y monte un observatoire ; puis il en monte un autre dans la montagne de Lure, près de Forcalquier. À son retour en Belgique, il devient curé d’Herck, et l’infante Isabelle le nomme chanoine de Condé. Il est connu pour ses observations célestes quotidiennes ; il détermine la parallaxe du soleil et énonce la troisième loi des mouvements planétaires huit ans avant Kepler. Il publie en 1626 à Anvers, Loxia, seu de obliquitate solis diatriba. Il observe une pluie pourpre à Bruxelles.
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iii – Dédicace par Antoine de la Poterie pour un ouvrage de Gassendi sur la Dialectique. Sous la cote 8°Z pièce 1158, la BnF conserve les feuillets imprimés de l’épître dédicatoire d’une édition par Antoine de la Poterie d’un ouvrage de Gassendi, Isagogen vindelicet dialecticam seu manuductionem in omnes philosophiae partes (Introduction ou initiation dialectique à toutes les parties de la philosophie), ouvrage qui semble n’avoir jamais été édité. Cette dédicace nous est précieuse ; car, outre le fait qu’elle nous donne quelques éléments nouveaux concernant la vie de La Poterie, elle était censée orner une édition projetée par La Poterie des leçons données par Gassendi à Aix entre 1616/17 et 1622/231. Ce texte a été confié par Pierre Gassendi neveu à La Poterie qui proposait d’ajouter le traité paradoxal contre Aristote2. Dans le texte La Poterie fait quelques références à François Bernier. Ce dernier, de retour en France d’un séjour dans « des régions éloignées », « songe à mettre en français la philosophie gassendienne ». Nous pouvons donc dater cette épître entre 1669 (date du retour de Bernier en France) et 1674 (date de la parution de la première partie de son Abrégé…), et, vu qu’il « songe » à réaliser son projet qu’il n’a toutefois pas encore commencé, plutôt vers 1669/70. L’épître est adressée à Jacques Auguste III de Thou (1655-1746), dernier de sa lignée, qui en 1667 venait de recevoir un brevet du Roi pour la jouissance de l’abbaye de Samer dans le diocèse de Boulogne. Néanmoins il n’est abbé que par procuration jusqu’en 16733. La Poterie 1 « a… Pietro Gassendo in Academia Aquensi dictatam philosophicas ante suas lectiones per sexennium quotannis nova interpretatione, novisque excogitatis amplificatas » (que… Pierre Gassendi a composée à l’Académie d’Aix en préliminaire à ses leçons philosophiques pendant six ans, augmentées tous les ans d’une nouvelle interprétation et de nouvelles réflexions). 2 « Tractatu paradoxico adversus omnes aristotelicae philosophiae partes et capita in scholis usurpatiora ; ratus gassendiana ista Opera nequaquam iri aspernanda in Literaria Republica » (traité paradoxal contre toutes les parties de la philosophie aristotélicienne et contre les chapitres les plus utilisés dans les écoles, pensant que ces œuvres gassendiennes ne seront jamais méprisées dans la République des lettres). 3 Harrisse 186-9. Jacques Auguste III reçoit une bonne formation classique. Après que son père chasse son bibliothécaire Ismaël Boulliau de la maison familiale il lui garde son amitié et il fut son exécuteur testamentaire. Si, en 1672, il lutte contre l’abandon de la bibliothèque thuanienne et l’augmente de deux cents manuscrits après qu’il en a hérité en 1677, c’est
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s’adresse à de Thou, sans doute avec l’espoir que ce dernier devienne son mécène, parce que son père, Jacques-Auguste II, fut un grand admirateur de Gassendi et parce que La Poterie est lui-même originaire du diocèse de Boulogne. Il souhaite apprendre « que la dialectique… t’a plu, […] de telle sorte qu’une jeunesse studieuse, sous tes auspices, pourra entrevoir, à partir de cet apprentissage, les parties intérieures de cet art »1. Tout de suite après, il évoque l’évêque de Boulogne, François Perrochel (1612-1682 ; évêque 1643-1677). Cette mention, ainsi que celle de la « jeunesse studieuse » et le fait que La Poterie considère cette dialectique « nullement inférieure à toutes les autres » nous incite à penser qu’il espère la voir adopter dans le cadre d’un séminaire diocésain pour la fondation duquel Perrochel venait d’obtenir les autorisations (lettres patentes du Roi, novembre 1668 ; enregistrement au Parlement de Paris 13 avril 1669)2. Mais l’établissement du séminaire est « empesché par différentes conjonctions »3. C’est peut-être la raison pour laquelle l’édition de la Dialectique de Gassendi proposée par La Poterie ne sera jamais publiée.
néanmoins lui qui préside à sa dispersion en 1679. Les livres imprimés, proposés à la vente aux enchères, sont achetés par J. J. Charron de Ménars, les manuscrits passent aux mains de Colbert (voir Paris 189-82 et 432-34). Il sera un abbé actif puisqu’il entreprit restaurer l’église abbatiale de Saint Wulmer en 1669, l’aile sud du cloître entre 1679 et 1708, et la toiture (1721). Il fut également un bienfaiteur des pauvres de Samer. Son portrait, peint en 1734 probablement pour l’abbaye dont il porte le blason, est conservé aujourd’hui dans les collections municipales de Samer. 1 « si dialecticam … placuisse vobis agnovero, unde studiosa juventus tuis sub auspiciis interiora illius artis breviter et facile percipere queat ». 2 Moulis, note 7. 3 Ibid. note 8.
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1 Une page manuscrite de la main de Gassendi, extraite de ses travaux sur Épicure.
Bibliothèque Municipale de Tours ms 706
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2 Portrait de Gassendi par Jean Frosne entre 1653 & 1655. Signé « Frosne fecit » Burin, 204mm x 132mm.
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Bibliothèque municipale de Grenoble ms 4139.
3 Projet pour le tombeau de Gassendi, Dessin à la plume.
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4 Le tombeau de Gassendi à l’église St Nicolas des Champs, gravure des Opera omnia.
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Bibliothèque municipale de Grenoble ms 4139 n° 42.
5 « Epitaphium […] Gassendi » par Andreas Rochabrun.
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6 Le Ciel funèbre de Gassendi. Disposition du ciel au matin du 24 octobre 1655 suivant la description de Balthazar de Diaz dans son Epicedium. Carte dressé par Denis Savoie, Palais de la Découverte, Paris.
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7 Portrait de Gassendi gravé par Cornelis Visser, avec les vers de Sorbière, préparé pour la troisième édition de l’Institutio astronomica… publiée par Adriaan Vlacq à La Haye en 1656.
Turner & Gomez 177-8, D3.
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8 Le portrait officiel par Nanteuil pour les Opera signé « Nanteuil faciebat 1658 ». Taille douce, burin et pointille, 200mm x 294mm.
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Turner & Gomez p. 180, 245/ G.1
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9 Copie du portrait de Nanteuil gravée par Lubin pour Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle avec leurs portraits au naturel de Charles Perrault 2 vols, Paris 1696 - 1700).
Turner & Gomez p. 180,246/G2.
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10 Une version tardive du portrait gravé de Frosne (fin XVIIe siècle). Burin sur cuivre, 205mm x 130mm, impression de la plaque 208mm x 133mm. Signé « AParis Chez F. Iollain laisné rue S. Iacques à la Ville de Cologne »
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Photo : Roger Gaskell, Warboys (GB).
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