Méditerranées, numéro 24, Egypte pharaonique : déconcentration, cosmopolitisme 2738493203, 9782738493200

Un pays long de plus de mille kilomètres, épousant le cours d'une voie navigable, le Nil. Une capitale administrati

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EGYPTE PHARAONIQUE : DÉCONCENTRATION, COSMOPOLITISME
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Méditerranées, numéro 24, Egypte pharaonique : déconcentration, cosmopolitisme
 2738493203, 9782738493200

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Midif{lrrani{l$ Revue du Centre d'Études Internationales sur la RODianité N° 24

-

2000

égypt{l phôrôoniqu{l d~eone{lntrôtion,

:

eosmopolitL~m{l Édité par Bernadette

L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris - FRANCE

Menu

L'Harmattan Ine 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - Canada H2Y lK9

L'illustration de couverture est extraite de l'Hypnerotomachia Poliphili (le songe de Poliphile) l, ouvrage de Francisco Colonna, écrit en 1467 et imprimé par le Vénitien Alde Manuce en 1499. @ L'Harmattan, 2000 ISBN: 2-7384-9320-3 ISSN: 1259-1874

1

Curieuse fantaisie allégorique, en un mélange de latin et d'italien (avec des passages en grec et en hébreu) ; l'ouvrage, illustré de belles gravures sur bois d'un artiste inconnu, est considéré aujourd'hui comme l'un des meilleurs livres illustrés de la Renaissance.

Membres d'honneur : Guillaume CARDASCIA (professeur émérite d'Histoire du Droit - Université Paris II - Assas) Jean GAUDEMET (professeur émérite d'Histoire du Droit - Université Paris II - Assas) Directeur de pubUcation : Jacques BOUINEAU (professeur d'Histoire du Droit - La Rochelle) Comité

de lecture Hassan Claude

ABD ELHAMID (maître de conférences d'Histoire Université Ain Chams du Caire) ANDRAULT (professeur

d'Histoire

de l'Art

-

et de Philosophie

Université

du Droit

-

de Poitiers)

Ivan BILIARSKY (attaché de recherches - Académie des Sciences de Bulgarie) Jean-Marie CARBASSE (professeur d'Histoire du Droit - Université de Paris II - Assas) Pierangelo CATALANO (professeur de Droit romain - Université "La Sapienza" de Rome) Jean CEDRAS (professeur de Droit Privé - Université de La Rochelle) Jean-Marie DEMALDENT (professeur de Sciences Politiques - Université Paris X - Nanterre) Jean DURLIAT (professeur d'Histoire médiévale - Université de Toulouse-Ie-Mirail) Jean-Louis GAZZANIGA (professeur d'Histoire du Droit - Université de Toulouse) Gérard GUYON (professeur d'Histoire du Droit - Université Montesquieu - Bordeaux IV) Andréas HELMIS (professeur d'Histoire du Droit - Université d'Athènes) Sophie LAFONT (professeur à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes) Bernadette MENU (directeur de recherche au C.N.R.S) Cemil OKTAY (professeur de Sciences Politiques - Université d'Istanbul) Marie-Luce PAVIA (professeur de Droit Public - Université de Montpellier I)

Secrétaire de rédaction: Solange SEGALA (maître de conférences d'Histoire du Droit

- Université

de La Rochelle)

ka vjsn~ d~ ~~nnidj~m Miditrzrranirzs drz vignrzs sans parrzil1rzs ! \AIO'~' '

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~A\

.....D'1,

hiératiques,

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1't~~~~~~~~.ca..II6oo~

n025744).

« Au porteur

~~;;

m ,.

du flabellum

royal à la

droite du roi, scribe royal, chef de la Ville et vizir, chef des troupes, prêtre

d'Amon-Rê

roi des dieux,

[fils royal] de Koush,

chef des Greniers

de [Pharaon],

capitaine

de toute

De la part du scribe

l'Égypte.

et des autres

membres

de l'Équipe

Hérihor Boutehamon,

de la Nécropole.

premier

chef des pays du Sud,

qui est devant

les troupes

des chefs de l'Équipe, Que prospère

le cœur

de

87

Renaud de Spens

notre maître, qu'il soit en vie, force et santé! Nous avons écrit pour dire12 à notre maître. Que prospère le cœur de notre maître, disent serviteurs

à Amon-Rê roi des dieux, à Mout et Khonsou, et à tous les dieux

de Thèbes! longévité

Que notre maître soit en bonne santé, qu'il lui soit accordé la

de Rê dans

le ciel! Qu'il administre

le pays,

Qu'il lui soit donné... une grande et belle [viellesse)...

... le

qu'il

désert13

!

))

La vice-royauté de Koush et la direction des greniers de Pharaon étaient, au moins jusqu'en l'an 17 de Ramsès XI, entre les mains de Paynehesy. d'alors,

Mais celui-ci a déclenché

Amenhotep.

combattu Quoiqu'il

Hérihor

une guerre civile contre le grand prêtre

a pu être,

avant

Payânkh,

le général

qui a

le rebelle. Il aurait donc naturellement repris ses attributions. en soit, le traumatisme de la guerre civile poussait à des réfonnes.

La cause même du conflit était clairement

la rivalité entre le vice-roi de Koush

et le grand prêtre d'Amon. C'est pourquoi la concentration de pouvoirs jadis séparés a pu apparaître comme un moyen de réduire les risques de tensions politiques. Tous les successeurs d'Hérihor sont à la fois grands prêtres et grands

chefs des troupes.

Quelle est l'étendue

des pouvoirs

attachés

à ces

fonctions? b) Compétences

jusqu'à

Le pontificat d'Amon gère un domaine foncier considérable, un quart des terres de toute l'Égypte. Il semble également

rôle de premier

plan dans la perception

si l'administration

du

domaine

peut-être jouer un

fiscale du pays entier14. Ainsi, même

d'Amon

est

concentrée

à Thèbes,

ses

attributions dépassent les limites de la Thébaïde. La nomination du grand prêtre d'Amon est théoriquement le droit exclusif du roi, même sous la XXIe dynastie. Les épithètes de cour que s'adjoignent les successeurs d'Hérihor en témoignent. Cependant, une légitimité héréditaire de fait, bien ancrée dans la philosophie égyptienne, combinée au prestige tiré d'alliances matrimoniales royales, pennet aux grands prêtres de la XXIe dynastie d'organiser très librement

leur succession.

l'hérédité

des charges

12 13 14

dans

le capitulaire

franque

impose

son droit à

de Quierzy-sur-Oise

(877), les

Lit.« le faire savoir ». Le verbe de cette phrase lacuneuse commence par br : peut-être hrp, administrer (comme dans la dernière phrase) ou éventuellement br, abattre des ennemis. Voir les références données dans R. de Spens, «Un État en transition: les structures administratives de la 21 e Dynastie égyptienne (ca. 1068-945) », MédüerrW1ées 8, 1996, p. 109.

88

Comme l'aristocratie

La xxre dynastie:

grands

prêtres

évincent

le choix du roi: désormais,

un État centralisé

seul Amon est présent

à

leur intronisation.

r~~llf 1~1fHm~~~

1\ [+/- 2

c.]

j~+ ~~wrl~~~~~ 1~~~~+,~1~~?~t

(Oracle des bannis, L 7-8, RdE 68, pl. 1). « La Majesté de ce dieu auguste, le

... apparaît

maître des dieux, Amon-Rê maître des trônes des Deux Terres

en procession, pour l'investir très grandement et l'établir à la place de son père en tant que premier prêtre d'Amon-Rê roi des dieux et grand chef des troupes de Haute et de Basse Égypte.

»

A leur

choisissent

tour,

les grands

prêtres

leur

propre

comme le montre la nomination de Nésyamon, en l'an VII de la

personnel, «

Répétition

des Naissances ))15. Ce sont des pratiques nouvelles, car leur fondement juridique est l'oracle, c'est-à-dire l'expression de la volonté du dieu Amon. Cela montre que les grands prêtres nommer les fonctionnaires déléguée.

ne disposent

du domaine d'Amon:

d'aucun

pouvoir propre pour

ils n'exercent

qu'une

autorité

Les compétences militaires des autorités de Thèbes s'étendent également à l'ensemble de l'Égypte, selon les titulatures. Ainsi, la décentralisation des pouvoirs se fait ratione materiae, et non ratione loci. Cela veut dire que rien ne s'oppose, en théorie, à l'intelVention directe du roi tanite dans ses domaines réservés en Thébaïde, de la même manière qu'Hérihor et ses successeurs ont vocation à gérer la partie septentrionale du domaine d'Amon, ainsi que les affaires militaires de l'Égypte entière. À la concentration des pouvoirs entre les mains iconographique et fmancière. 2° / Politique monumentale Hérihor se fait représenter

des grands

prêtres

et décentralisation

s'ajoute

une

budgétaire

sur les scènes de la salle hypostyle

de Khonsou à Karnak, parallèlement Ramsès XI. Le grand prêtre avait toujours

révolution

du temple

aux figurations du roi régnant, été, de facto, le substitut royal pour

POUlVOir aux besoins journaliers du culte. Mais l'iconographie maintenait la fiction du roi exécutant lui-même tous les rituels sur les murs des temples. Sous la XXIe dynastie,

15

Document Births"

les pontifes thébains

ont obtenu

publié par Charles F. Nims, in «An Oracle

», JNES VII/3,

1948, p. 157-162

le droit de construire

dated

in the

"Repeating

of

+ pl. VIII.

89

Renaud de Spens

des

monuments

publics,

vraisemblablement

d'Amon, en leur propre nom. L'inscription nouvelle autonomie

.

fmancière

£)c::i~V~ i!~h(~=~'J

sur

le budget

d'une statue

d'Hérihor

domaine exprime

la

du domaine du roi des dieux16 : ~

~iQ~i(iV~

q}~}1i~c:>~.tli::::~,-

-!:L~~'I~-4::~+~i,.~~ 7~~~~~8j~9tt~~_ «

du

~

7 --q::£~~~~

Donné en récompense par le maître des dieux, Amon, qui fut à l'origine des

Deux Terres, pour qu'il

Fig. 3

~

représentant

'.fi

un militaire syrien

occupé à boire de la bière au moyen d'un tuyau coudé (d'après J. Vandier D'Abbadie, DIFAO II, 3, 1946, Fig. 39)

132

Famille et cosmopolüisme

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Fig.

4 : stèle de l'huissier Roumafaisant

des

offrandes

à Astarté

(Glyptothèque Ny Carlsberg 134 (A 724), pl CVIl) [dessin F. Janot]

133

C£){Z$

itrang{Zr$

dans

d'égypt{Z

L

e Nouvel

/{Z$ eampagn{Z$

au ft{ouv{Z/

Empire

marque

manifestement

empir{Z

un

tournant

dans

les

relations que l'Égypte entretenait, à l'époque pharaonique, avec les provinces voisines. En effet, les pharaons de la XVIIIe dynastie

entreprirent,

dès

la réunification

d'expansion et de conquête provinces du monde asiatique de quatorze campagnes son règne. Ses annales,

(sous

Ahmosis)

une

politique

en direction du Proche-Orient, entre l'an 22 et 39 de gravées sur les murs du temple de Karnak, indiquent

qu'à l'issue de ces faits militaires été donnés Amenhotep

du pays

en direction de la Nubie d'une part, et des de l'autre. Thoutmosis III fit ainsi un ensemble

plus de 1578 prisonniers

«

Syriens

»

avaient

comme main d'œuvre au temple d'Amonl. Sous son successeur, II, les prélèvements de population dans les pays soumis se sont

manifestement effectués à une autre échelle encore: selon les stèles que l'on a retrouvées de ce roi, il y aurait eu au moins 85 000 personnes déplacées et installées

en Égypte2.

D'autres

mouvements

de populations,

moins brutaux,

ont sans doute eu lieu à la même époque: la documentation fait état, tout au long du Nouvel Empire, d'échanges importants entre l'Égypte et les pays de la

1

2

J.H. Breasted, Ancient Records of Egypt II, Chicago, 1906, p. 222. A. Malamat, « Campaigns of Amenhotep II and Thutmose N to Canaan », Scripta Hierosolymüana 8, 1961, p. 218-221 ; E. Ede!, « Die Stelen Amenophis' II. aus Karnak und Memphis mit dem Bericht über die asiatischen Feldzüge des Kônigs », Zeüschrift des Deutschen Paliistina-Vereins 69, 1953, p. 97-176. 135

Pierre Tallet

côte phénicienne3.

Il est probable

qu'il existait dans la vallée du Nil certains

relais commerciaux étrangers. Enfm, il est certain qu'avaient lieu, plus discrètement, des mouvements plus lents de populations, Bédouins ou Libyens susceptibles de se fIXer dans les marges du Delta (phénomène qui a bien été obselVé pour la Deuxième Période Intermédiaire).

Toujours

est-il qu'à

l'époque ramesside les étrangers semblent omniprésents sur le territoire égyptien: ils sont faciles à identifier dans l'ensemble de la documentation de cette époque. On en retrouve construire

parmi les ouvriers de Deir al-Medina,

les tombes des rois à Thèbes, au sein de certains

chargés

de

corps d'année,

ou

encore panni les fonctionnaires de certaines institutions4. Sur les documents qui nous sont parvenus, leurs noms, transcrits le plus souvent de façon phonétique

par un fonctionnaire

égyptien, ont parfois été

de ne plus être facilement reconnaissables, cependant, par la présence d'un déterminatif plupart

des anthroponymes

est également

possible

«

écorchés

»

mais ils se trahissent souvent, spécifique, celui du bâton (1). La

ainsi préselVés ont une origine sémitique,

d'en trouver

au point

d'origine libyenne

ou nubienne5.

mais il L'emploi

d'une main-d'œuvre spécialisée venue de l'étranger (en particulier dans certains secteurs artisanaux comme le tissage) est bien connu en Égypte dès le Moyen Empire: ce phénomène permettait certainement un certain transfert technologique en faveur de la vallée du Nil6. L'originalité du Nouvel Empire dans ce domaine

est peut-être

le travail de ces étrangers

sources

dans les campagnes

répétée

dans les propriétés

en relation avec les cultures Plusieurs

la présence

de documents

concemant

agricoles,

tout particulièrement

massive

de cette main-d'œuvre

de jardins.

indiquent

égyptiennes,

la présence

dès la deuxième

moitié de la XVIIIe dynastie.

Les informations les plus évidentes sont, en ce domaine, transmises par les tombeaux privés de la nécropole thébaine. Deux chapelles décorées datant du règne de Thoutmosis III sont ainsi particulièrement éloquentes: dans la

tombe de puyemrê (TI' 39), une scène de vinification est assortie de la légende 3

Pour une représentation

de Syriens venus faire du commerce sur le sol égyptien, cf. N.

de G. Davies, R.O. Faulkner, «A Syrian Trading Venture to Egypt », JEA 33, 1947, p. 40-46 et pl. VIII ; sur les échanges avec l'Égypte, voir aussi E.W. Castle, « Shipping 4 5 6

136

and Trade in Ramesside Egypt », JESHO 35, 1992, p. 241-242. W.A. Ward, «Foreigners Living in the Village », in L. Lesko (éd.), Pharao's Workers, Ithaca, Londres, 1994, p. 61-85. Ibid., p. 69-85. Fr. Smyth, « Egypte-Canaan: quel commerce? », in N. Grimai, B. Menu (éd.), Le commerce en Égypte W1cienne, BdE 121, 1998, p. 5-18.

Des étrangers dans les campagnes d'Égypte au Nouvel Empire « presser

parfois

le vin par les Apirous »7, des populations été assimilées

mentionnés

aux

HébreuxB.

comme vignerons

le responsable « caractéristiques»

de

syro-palestiniennes

Les mêmes

Apirous

qui ont

sont

également

dans la tombe d'Antef (1T 155), mais cette fois

la vinification est bien représenté du Syrien tel qu'il apparaît la plupart

sous les traits du temps dans

l'iconographie égyptienne (cheveux blonds et raides, petite barbiche pointue). On le voit assis sous une sorte de kiosque, en train de déguster le vin nouveau

qui lui est présenté

de la XVIIIe dynastie

présentent

par une petite selVante [fig. 1]9. D'autres également

des vignerons

étrangers

tombes

(asiatiques

ou nubiens) au travail dans les vignes, ou au pressoir: par exemple celles de Nakht (1T 52)10, de Khaemouaset (1T 261)11 et de Neferhotep (1T 49)12. D'autres sources permettent peut-être d'aborder plus en détail la présence de ces étrangers dans les jardins égyptiens: il s'agit des étiquettes de jarres.

Ces documents

sont une courte inscription

deux lignes que l'on apposait,

au Nouvel Empire,

en hiératique

d'une ou

sur les récipients

destinés

au stockage et au transport de produits divers (vin, huile, bière, miel, graisse animale, etc.). Ceux qui sont relatifs au vin sont peut-être les plus complets: ils font apparaître des indications sur la date de la récolte, la qualité du produit, le bénéficiaire de la jarre, le domaine producteur ainsi que le nom du responsable de la vinification. Cette dernière information est bien sûr très précieuse car très souvent, à la tête de l'équipe des vignerons, on trouve un étranger. Les noms transmis par ces inscriptions sont parfois évocateurs en soi, et indiquent l'origine ethnique du personnage: on rencontre ainsi à plusieurs

reprises

mais aussi

des Pa-Kharou

Naharinay

ou Pay-Kharou

(le Naharinéen)14,

Chasouna

(le Hourrite, (le bédouin

le Syrien)13, Chasou)15,

7

N. de G. Davies, The Tomb ofPuyemrê, New York, 1925, pl. XIII.

8

Sur les Apirous, voir tout particulièrement l'article de T. Save-Soderberg, « The prw as Vintagers in Egypt », OrientaliaSuecWla l, 1952, p. 5-14.

9 10

Id., Private Tombs at Thebes I, Four Eigtheen Dynasty Tombs, Oxford, 1957, pl. XIV c, XV. N. de G. Davies, The Tomb ofNakht at Thebes, New York, 1917, pl. XXII, XXVI. E. Mackay, « Note on a New Tomb (No 260 [sic]) at Drab Abu'l Naga, Thebes », JEA 3,

Il

1916, pl. KW. 12

N. de G. Davies,

The Tomb ofNeferhotep

at Thebes

I, New York, 1933, pl. XLVIII.

13 W.C. Hayes, « Inscriptions from the Palace of Amenhotep III », JNES 10, 1953, étiquette type 55 ; W. Spiegelberg, « Bemerkungen zu den hieratischen Amphoreninschriften des Ramesseum

»,

Inscriptions,

Londres,

zAS 58, 1923, p. 26;

H.S. SMITH, The Fortress of Buhen

14

W.C. Hayes, JNES

1976, p. 178, n° BM 65744. 10, étiquette type 54, fig. 6.

15

J.D.S.

City of Akhenaten

Pendlebury,

III, Londres,

II, The

1953, n° 152, pl. 90.

137

Pierre

Tallet

Pa-Irsa

(le Chypriote)16.

Ce mélange

ethnique

correspond

point pour point à

ce que l'on sait de la population de Canaan et de la côte phénicienne à cette époque17 ; il s'agit d'ailleurs de la région la plus touchée par les campagnes et les razzias effectuées sous l'égide des pharaons plupart des noms sont sémitiques, et ont dans signification

claire:

parmi les plus évocateurs,

de la XVIIIe dynastie. La leur langue d'origine une

on peut signaler

Semiramil8,

Malek (le roi)19, Shamay formé sur la racine smr (écouter) ou la racine sm (le nom)20, ou encore des anthroponymes qui intègrent le nom d'une divinité orientale

comme Aper-Bâal

(le serviteur

de Bâal) [fig. 2]21 et Aper-Reshep

(le

serviteur de Reshep) [fig. 3]22. Les jardiniers ont donc, très souvent, une origine proche-orientale. On compte cependant aussi dans leurs rangs des Libyens (comme QeI23), ou des Nubiens (Irouri24). Dans tous les cas, l'arrivée de ces personnages

-

ou de leurs

ascendants

-

comme

prisonniers

sur le sol

égyptien est très vraisemblable. Les étiquettes

de jarre

peuvent

également

donner

des renseignements

sur l'installation même des étrangers dans les campagnes égyptiennes: plusieurs toponymes indiquent ainsi la présence d'Asiatiques regroupés sur le sol égyptien. L'un mentionne ainsi un

«

de ces documents, verger des Syriens

datant ))

du

règne

de Ramsès

II,

:

(1. 1) An 13, vin nefer du jour 8 du verger des Syriens, du vignoble [...] (1. 2) de Ramsès-aimé-d'Amon,

v.s.f., qui est à l'ouest

de Per-Ramsès-

Miamon, v.s.f.,

16

17 18 19

20 21 22 23 24 138

W.M.F. Petrie, TeU el-Amama, Londres, 1894, pl. XXIV, n° 77 ; W. Spiegelberg, Hieratic Ostraka and Papyri found by J.E. QuibeU in the Ramessewn, Londres, 1898, n° 173, pl. 22. W.A. Ward, op. cit., p. 67. T.E. Peet, C.L. Wooley, City of Akhenaten I, Londres, 1923, doc. J, pl. 63. W. Spiegelberg, Hieratic Ostraca, étiquettes nosl88; Th. Schneider, Asiatische Personnenamen in agyptische Quellen des Neuen Re iches , OBO 114, 1992, N 279, p. 130. Y. Koenig, Catalogue des étiquettes de jarre hiératiques de Deir el-Medineh II, Le Caire, 1979, n° 6329 ; Th. Schneider, op. cU., N 417, p. 196-197. Y. Koenig, Catalogue II, n° 6475. J. cerny, Hieratic Inscriptionsfrom the Tomb ofTutankhamun, Oxford, 1965, p. 1,21, pl. l , n° 1. W.A. Ward, op. cU., p. 74. Th. Schneider, op. cit., p.36-37.

Des étrangers dans les campagnes d'Égypte au Nouvel Empire

(1. 3) chef des vignerons Sur une autre inscription,

Qadjay (?)25.

datée de l'an 50 du même roi, on peut lire :

(1. 1) An 50, vin du vignoble du temple de millions

d'années

du roi de

Haute et Basse-Égypte Ousermaâtrê-Setepenrê, v.s.f. (l. 2) dans le domaine d'Amon qui est au nord de l'établissement Syriens (P3 hbn n n3.tl3nv) sous la responsabilité Pahérypedjet26. Un dernier retrouvé mentionne

du chef des vignerons

exemple peut être trouvé dans un scellement

en Nubie,

à Bouhen

[fig. 5]:

l'impression

en effet du «vin de Youqebenat».

des

de jarre à vin

de sceau

De par sa nature,

qu'il

porte

ce type de

document ne peut appartenir qu'à une propriété gérée directement par une administration égyptienne, dans la basse vallée du Nil ou, à la rigueur, en Nubie. Dans ces deux cas, cela signifie vraisemblablement intègre manifestement le nom sémitique «Jacob»)

que ce toponyme (qui désigne une colonie

d'étrangers implantée dans la campagne égyptienne. De nombreux autres exemples de ce phénomène peuvent être tirés des documents du Nouvel Empire. Sous la xxe dynastie, le P. Wilbour, un registre d'imposition des terres en Moyenne Égypte, mentionne ainsi plusieurs localités au nom « asiatique » : Chasou, Per-Ba'alat (le domaine de Baal), Pen-Chasou, Kharou, Na-Kharou)27. Sans doute s'agit-il ici, une fois de plus, de communautés étrangères déportées par l'administration égyptienne et installées dans la vallée du Nil pour y cultiver la terre. Une stèle d'Aménophis III, retrouvée par W.M.F. Petrie dans le temple funéraire de Merenptah, nous éclaire peut-être un peu mieux sur ce phénomène de déportation

massive d'étrangers:

elle décrit l'équipement

fondation funéraire de ce roi, en indiquant qu'elle est

et la richesse

« entourée

de la

de villages de

établis dans les environs, Syriens (phr.tj m dmjw n b3nv) »28, manifestement comme main d'œuvre. Dans le même ordre d'idées, un texte d'Abou Simbel

signale que Ramsès II est:

« Celui

qui a transporté le pays des Nubiens dans le

25 26

W. Spiegelberg, zAS 58, 1923, p. 27, n° III. N. de G. Davies, Two Ramesside Tombs, New York, 1927, pl. XIX ; KRIll, 687, 10.

27

S. Sauneron, J. Yoyotte, « Traces d'établissements asiatiques en Moyenne-Égypte sous

28

Ramsès II », RdE 7, 1950, p. 69. W.M.F. Petrie, Six Temples, Londres, 1897, pl. XI-XII, p. 24-26 ; W. Spiegelberg,

Bauinschrift Amenophis' III auf der Flinders Petrie-Stele particulièrement

)),

{(

Die

Rec Trav 20, 1898, p. 37-54,

I. 7-8, p. 40, p. 44 et n. XIV, p. 50. 139

Pierre

Tallet

pays du Nord et les Aamou (asiatiques) région de l'ouest, administratif information,

en Nubie; qui a mis les Chasou dans la qui a établi les 1)ehenou sur les collines ))29. Un document

retrouvé à Koumidou (sud de la plaine de la Beqaa) corrobore cette en précisant les conditions mêmes de ce déplacement. Il s'agit

d'une lettre (KL 69,277) adressée Zulaya de Damas. «

Envoie-moi

les Apirous

par un pharaon

au sujet desquels

de la XVIIIe dynastie

je t'ai écrit:

les cités de Koush pour qu'ils s'y établissent déplacés ))30. Ainsi s'explique affectant

sans

les populations

doute

en partie

étrangères:

au roi

je les établirai

dans

à la place de ceux que j'ai

cette

elle satisfait

politique

de déportation

d'importants

besoins

de

main-d'œuvre sur le sol égyptien, et notamment dans les campagnes, tout en favorisant la stabilité des régions dont ils proviennent et sont parfois un élément perturbateur31. Mais

au-delà

de

ce

besoin

quantitatif

de

main

d'œuvre,

il est

vraisemblable que l'on a recherché, dans ces jardiniers et vignerons d'origine proche-orientale, des spécialistes capables d'acclimater en Égypte des cultures nouvelles. C'est précisément au Nouvel Empire qu'apparaissent dans la documentation pharaonique la grenade, la pomme et surtout l'olive32. Toutes ces productions sont empruntées directement aux régions septentrionales conquises par l'Égypte à cette époque. Dans le domaine de la viticulture, pourtant

connue de longue date en Égypte, de nombreux

techniques nombre

sont également de mots

directement vinaigre)33,

attestés.

apparaissent

En rapport

alors

dans

perfectionnements

avec la vinification,

la langue

des

un certain

égyptienne,

qui sont

empruntés au sémitique: c'est le cas, par exemple du mot bmg (le ou du mot mrsw (moût, vin nouveau)34. À la même époque,

29 30 31

S. Sauneron, J. Yoyotte, RdE 7, p. 70. W.T. Pitard, Ancient Dwnascus, Eisenbrauns [Indiana], 1987, p. 71-72. Les Apirous sont manifestement, à la fin de la XVIIIe dynastie, un facteur d'instabilité du monde syro-palestinien: ils apparaissent très souvent dans les lettres de Tell alAmama, qui les décrivent comme des populations déracinées participant à la plupart des razzias contre les Cités-États de la région (cf. R Redford, Egypt, Canaan and Israel in Ancient Times, Princeton, 1995, p. 195).

32

D. Meeks, « Oléiculture et viticulture dans l'Égypte ancienne », BCH-suppL XXVI,1993, p. 3-38 ; R. Krauss, « Nb(b)-Ôl =Olivenôl », MDAIK 55, 1999, p. 293-298.

33 34

A.H. Gardiner, Ancient Egyptian Onomastica II, Oxford, 1947, p. 235*, n° 565. Ibid., p. 236*, n° 572.

140

Des étrangers dans les campagnes d'Égypte au Noz.wel Empire

l'Égypte copie cananéennes35.

d'ailleurs, pour stocker son Toute une littérature insiste

propre vin, les amphores alors sur l'excellence des

vignerons

étrangers,

gage, sans doute, de la qualité

vignobles

égyptiens.

La première

occurrence

du vin préparé

dans les

de ce thème se trouve dans le P.

Harris I, sous la xxe dynastie. Le roi Ramsès III, qui détaille document les dons qu'il a faits à Amon, s'adresse ainsi au dieu:

dans

ce

«J'ai créé pour toi des vignobles dans l'oasis du Sud et dans l'oasis du Nord, en nombre illimité, d'autres en grand nombre en Haute-Égypte et je les ai multipliés par des centaines de milliers de fois dans le Delta. Je les ai équipés de jardiniers qui sont des prisonniers étrangers, de bassins que j'ai creusés,

ornés de lotus, et Ge leur ai fait produire) shedeh et vin comme

l'eau s'écoule36 ». Aux époques

postérieures,

ce thème est très souvent

repris. Ainsi, sous

la xxve dynastie, le pharaon Taharqa, qui fonde un temple d'Amon à Kawa, en Nubie, n'oublie pas d'instituer un vignoble. Ses vignerons sont une fois de plus des Asiatiques: «

On presse le vin des vignes de cette ville, qui sont plus nombreuses que

celles de Djesdjes. n les a pourvues de vignerons, choisis parmi les bons vignerons du peuple des Mentiou37.

))

Sous la XXVIe dynastie,

un particulier

culte d'Osiris en Abydos. Il plante à nouveau

du nom de Petouneith

restaure

le

de la vigne, en la poulVoyant

de

ses jardiniers:

35

B.G. WOOD,« Egyptian Amphorae of the New Kingdom and Ramesside Periods

36

BiblicalArcheologist 50/2, 1987, p. 75-83. P. Harris I, 7, 10-7, Il = W. Erichsen, Papyrus Harris I, BAe 5, p. 9; P. Grandet, papyrus Harris //1, p. 231.

37

»,

Le

M.F.L. Macadam, The Temple of Kawa I, The InscriptiDns, Londres, 1949, p. 36, inscr. n° VI, col. 20-21 ; T. Eide, et al., Fontes historiae NubiDrwn I, Bergen, 1994, p. 172-173. Sur les Mentiou, mentionnés sous Ahmosis dans la stèle d'Ahmès ms d'Abana (cf. J.H. Breasted, AR II, 14), et peut-être déjà attestés dans l'Ancien Empire (J.H. Breasted, AR I, ~ 236) voir entre autres CI. Vandersleyen, L'Égypte et la vallée du Nil II, Paris, 1995, p. 225, n. 4 et p. 501. TIs'agit très vraisemblablement de populations vivant à l'est du Delta.

141

Pierre

Tallet

«J'ai fait

pour lui un verger (planté) de toutes sortes d'arbres fruitiers

pourvu de vignerons étrangers venus comme prisonniers et donnant 30 hin de vin chaque jour pour l'autel de Khenty-Iment.y38 ». Au Nouvel Empire,

le déplacement

des populations

étrangères

sous

l'égide du pouvoir pharaonique avait sans doute pour objectifs immédiats l'obtention d'une main-d'œuvre abondante: cela explique en partie que les étrangers (Asiatiques, mais aussi Libyens et Nubiens) aient pu être placés comme

cultivateurs

ou jardiniers

dans toutes

les provinces

égyptiennes.

Il

semble cependant que des transferts technologiques importants opérés par le truchement de ces prisonniers de guerre. Les cultures

se soient de jardins

semblent

dans

s'être,

à cette

époque,

profondément

modifiées,

tant

leur

nature que dans les techniques utilisées pour les mettre en œuvre39. Cela explique sans doute que, plusieurs siècles après les campagnes des premiers pharaons du Nouvel Empire, le prisonnier asiatique soit régulièrement présenté

comme le spécialiste

par excellence

viticulture,

véritable

topos

qui trouve

événements

politiques

de la XVIIIe dynastie.

des cultures

probablement

Adjoint

38

E. Jelinkova-Reymond,

«Quelques

recherches

de jardins sa source

et de la dans

les

Pierre TALLET aux Publications de l'IFAO (Le Caire)

sur les réformes d'Amasis », ASAE 54,

1957, p. 276-278 ; P. Koemoth, Osiris et les arbres, ./EgLeod 3, 1994, p. 247-249. Pour 39 142

la datation de ce monument au début du règne d'Amasis, voir M.A. Leahy, GOttMisz 70, 1984, p. 45-58. JEA 80, 1994, p. 57-80. Chr. Eyre, «The Water Regim for Orchards and Plantation )),

.

Des étrangers dans les campagnes d'Égypte au Nouvel Empire

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Fig. 3 : étiquette de jarre de la tombe de Toutânkhamon, mentionnant un chef des vignerons Aper-Reshep (J. cerny, Hieratic inscriptionsfrom the Tomb ofTutankhamWl, pl. 1f1).

Fig. 4 : scellement de jarre mentionnant du vin de Youqebenat (H.S. Smith, The Fortress ofBuhen II, pl. 47, n° 64).

144

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A

u carrefour d'événements déterminants pour l'histoire de l'Égypte ancienne, l'exemple de Pétosiris, grand prêtre de Thot, philosophe et juge, présente un intérêt tout particulier. Cet important personnage,

en effet, connut

le règne du dernier pharaon

égyptien, Nectanébo

II, puis il fut

confronté à la seconde domination perse qui dura une dizaine d'années de s'éclipser devant le conquérant macédonien. Comment périodes

ce Sage - prêtre

et haut responsable

avant

de l'État - vécut-il

ces

troublées?

Comment réagit-il à la pénétration en Égypte de diverses étrangères, notamment la perse, la grecque et l'hébraïque ?1.

cultures

Le tombeau que Pétosiris fit construire à Touna aI-Gebel (fig.I), nécropole de la ville sainte d'Hermopolis, cité du dieu savant et juriste, Thot, s'offre à nous dans sa totalité comme une réponse à cette question.

1

En ce qui concerne l'influence hébraïque, rappelons que les Perses avaient installé en Égypte, en particulier à Memphis et à Éléphantine, des garnisons de mercenaires judéens qui, accompagnés de leurs familles, formaient d'importantes communautés. Voir: P. Briant, Histoire de l'empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996; P. Grelot, Documents araméens d'Égypte, Paris, Le Cerf, 1972 ; B. Porten et A. Yardeni, Textbook of Aramaic DocumentsfromAncient Egypt, 4 vol., Jérusalem, 1986 à 1999. 145

Bernadette Menu

I. La réalisation culturel.

du tombeau

Le monument

ressemble

et la question

beaucoup

plus

du pluralisme

à un petit temple

qu'à

un

tombeau. L'édifice est constitué d'une chapelle, vers le fond de laquelle se trouve l'accès au caveau funéraire; cette chapelle est précédée d'un pronaos qui s'ouvre sur une façade à colonnes. Parois et pilastres sont recouverts de scènes et d'inscriptions. La première

impression

celle d'un très heureux l'influence grecque, comme la présence, proches-orientales2. Les

que l'on ressent

compromis

artistique

à l'examen

du monument

entre la tradition

pharaonique

avec quelques détails évoquant la culture dans telle ou telle scène, d'objets rappelant

inscriptions

sont

toutes

composées

en

est et

achéménide des formes

hiéroglyphes,

mais

l'iconographie reçoit un traitement hybride. Les scènes religieuses de la tradition égyptienne sont rendues selon les plus anciens usages pharaoniques et selon les canons de l'art égyptien, les personnages

étant vêtus comme aux hautes

époques;

une seule exception

est

constituée par un tableau réalisé à la manière grecque, parce qu'il représente un thème grec: la réunion de famille autour du tombeau, à l'occasion d'un sacrifice offert au mort héroisé3. Dans les défilés de porteurs et de porteuses d'offrandes comme dans les scènes traditionnelles,

reprenant

les thèmes

pharaoniques

de l'agriculture,

de

la viticulture, de l'élevage ou de l'artisanat, l'artiste manifeste « le souci de l'observation exacte », « le goût du réalisme »4, selon les termes employés par Gustave

Lefebvre qui découvrit

le monument

lors de ses fouilles, en 1919, et

le publia en 19245. Nous y sommes souvent très loin des stéréotypes de l'art pharaonique. Les personnages sont représentés dans des attitudes peu conventionnelles tunique parfois probablement

2

3 4 5

146

et avec le costume de l'époque: pour les paysans, une retroussée aux genoux et un curieux bonnet conique, en

paille

tressée.

Les

personnages

plus

importants,

les

Ch. Picard, «Les influences étrangères au tombeau de Pétosiris : Grèce ou Perse?», BIFAO 30 (= MéL V. Loret), vol. 1, 1931, p. 201-227, notamment p. 219-224. Voir la fig. 3, à la rm du présent article: les objets d'orfèvrerie représentés peuvent dénoter des influences mésopotamiennes, mais on les trouve également en Grèce. Ch. Picard, op. cit., p. 208-213 ; G. Lefebvre, op. cit. (infra, note 5), p. 35. G. Lefebvre, ibid., p. 34. G. Lefebvre, Le tombeau de Pétosiris, Le Caire, 1924 (I : description; II : les textes; III : vocabulaire et planches).

La traditionjuridique face au pluralisme culturel

membres

de la famille sacerdotale

sont vêtus à la grecque;

et de son entourage,

ils portent

ainsi que les scribes, le chiton, le peplos et l' himation, ainsi que

le « manteau macédonien» à bordures crénelées. Les canons de l'art égyptien sont abandonnés au profit d'innovations comme la représentation de personnages de profil (fig. 3) ; la figuration de face, plus rare, semble réalisée avec une certaine

maladresse.

Porteurs

et porteuses

d'offrandes

évoluent dans

un décor très hellénisé de fleurs, de couronnes, de guirlandes. Le sens de la vie, la recherche du pittoresque, l'intensité du mouvement, qui ont été de tout temps

la marque

de l'école

hermopolitaine,

n'ont

pu

que

s'affIrmer

et

s'accentuer sous l'influence de l'art grec, ainsi que le souligne encore Lefebvre6. Pétosiris a fait bâtir le tombeau pour toute une famille, hommes, femmes

et enfants,

mais les principaux

bénéficiaires

sont son père, Sishou,

son frère aîné, Djethotefânkh, et lui-même. À chacun des trois personnages sont attribués de longs textes biographiques, très instructifs sur le plan philosophique et juridique (infra). Si le tombeau

de Pétosiris

est une

réussite

dans

le mélange

des

procédés esthétiques traditionnels et des manières propres à l'art grec, il n'est pas le premier

ni le seul à montrer

cette volonté de synthèse

artistique.

Dès

l'époque saite, à Memphis, la capitale intellectuelle de l'Égypte comme dans le delta du Ni17, quelques tombeaux de hauts personnages égyptiens laissent déceler, à un bien moindre degré il est vrai, l'influence grecque qui se manifeste

dès cette époque dans de nombreux

domaines,

grâce à la présence

de commerçants, de militaires, d'artisans, grâce également aux prolongés qu'effectuaient en Égypte savants et philosophes grecs. L'intérêt

tout

particulier

du

tombeau

de

Pétosiris

réside

séjours

dans

l'abondance et l'originalité des inscriptions hiéroglyphiques qu'il contient. Allons-nous observer pour les textes les mêmes règles que pour l'expresion artistique, c'est-à-dire un fond formes empruntées à d'autres cultures? Un examen montre surtout 6 7

approfondi

que son propriétaire lorsqu'elles

rejoignent

des inscriptions

largement

du tombeau

n'est pas insensible ses propres

traditionnel

de Pétosiris

à la circulation

préoccupations

et des

nous

des idées,

philosophiques.

Ibid., p. 31. Ibid., p.35-36. 147

Bernadette Menu

Ainsi peut-on relever un certain nombre de parallélismes entre des passages philosophico-religieux des inscriptions, avec des écrits de la littérature biblique, particulièrement les psaumes, les proverbes et les livres sapientiaux. Donnons

pour

exemple

cette

phrase

extraite

d'un

discours

prononcé

par

Sishou, le père de Pétosiris : « Toute la nuit, l'esprit de Dieu était dans mon âme, et dès l'aube, je faisais

ce qu'Il aimait»

Unscr.

116), phrase

que l'on

peut rapprocher des paroles adressées à Yahvé par le prophète Isaïe: « Mon âme t'a désiré toute la nuit, oui au plus profond de moi, mon esprit te cherche» (Is. 26, 9). Cependant, comme je l'ai suggéré dans un article paru récemment8, cette pensée trouve également ses racines dans la vieille sagesse pharaonique. Voici à peu de chose près la conclusion à laquelle j'étais alors parvenue: « Gustave Lefebvre, en préambule à l'édition des textes du tombeau de Pétosiris, établit une comparaison fort intéressante, sous forme de tableau synoptique, entre certaines des inscriptions et quelques passages de la Bible [...]. Citons seulement Osée: « Droites sont les voies de Yahvé, les justes y marcheront, toutefois multiples

mais

les infidèles

y trébucheront))

(Os. 14, 10), en posant

la question suivante: n'y aurait-il pas là une réminiscence développements relatifs à la Voie (du roi ou du dieu)

prédominent

qu'illustrent

dans

la

littérature

particulièrement

sapientiale

de

l'Égypte

des qui

ancienne,

et

le discours « loyaliste)) sous la XIIe dynastie?

Par contrecoup, la démarche de Pétosiris, son évidente volonté d'acculturation, et le perfectionnement par lui de la notion de « Voie de Dieu

)),

sont

tout

à fait remarquables,

à la croisée

l'humanité, et font de lui, à très juste longtemps après sa mort. ))9

d'influences

titre, un grand

décisives

pour

Sage qui fut vénéré

En réalité, c'est bien à l'ancien fonds religieux, littéraire et hymnique que Pétosiris fait appel dans la rédaction de ses textes. Ses principales sources sont les Textes des Pyramides, le Livre des Morts, les Hymnes au dieu Rê, le Roman de Sinouhé, etc., ainsi que des textes autobiographiques appartenant

à des prédécesseurs

comme Bakenkhonsou

et, nous le verrons,

Ankhnesnéferibrê. Qu'en est-il au plan politique et juridique

8 9 148

?

B. Menu, « La 'Voie de Dieu' dans les inscrtptlons Transeuphratène 16 (= Mél. J. Briend III), 1998, p. 21-30. Ibid., p. 30.

du

tombeau

de

Pétosiris

»,

La traditionjuridique face au pluralisme culturel

II. Pétosiris

et la tradition

Des circonstances éprouvantes ont forgé la pensée de Pétosiris, à la fois témoin puis acteur dans le destin politique de la lignée familiale. Sishou, le père de Pétosiris, a vécu sous le règne du dernier pharaon indigène, Nectanébo

II ; prêtre de Thot et grand juge, il était en outre conseiller

privé du

roi. Le fils aîné de Sishou, Djethotefânkh, succéda à son père sous le même règne, mais la défaite de Nectanébo II devant le roi achéménide Artaxerxès III entraîna des catastrophiques

bouleversements politiques et sociaux sans doute dont l'ampleur est difficile à évaluer. La ruine du temple en

est présentée par Pétosiris comme la première conséquence. Plus grave que cela, Djethotefânkh a sans doute été obligé, pour sauver le régime pharaonique étranger. ancienne,

et les intérêts

du dieu Thot, de composer

Pire, il a commis des meurtres seul le pharaon

avec le conquérant

sur l'ordre du Perse. Or, en Égypte

légitime peut prononcer

et faire exécuter

la peine

capitale pour crime politique gravel0. En analysant la disposition et le contenu des inscriptions biographiques qui couvrent les parois internes de la chapelle funéraire, on comprend mieux la destination du tombeau. Reportons-nous à la figure 2. Le plan est de Lefebvre; j'y ai reporté les inscriptions en les localisant par leurs numéros tels qu'ils ont été attribués principaux bénéficiaires Pétosiris,

S. pour

par Lefebvre dans son ouvrage; j'y ai indiqué les par leurs initiales: T. pour Thotrekh, P. pour

Sishou,

D. pour

Djethotefânkh;

enfm,

répartition topographique des inscriptions en indiquant par les flèches qui aboutissent à l'inscription 63.

j'ai

opéré

la

le sens de la lecture

Pétosiris a construit le tombeau à sa propre gloire et à celle de son père mais, surtout, il a oeuvré matériellement et spirituellement à la réhabilitation posthume tribunal

de son frère Djethotefânkh, de l'au-delà.

En effet, le croquis

à la justification montre

que,

dans

de l'aîné devant la chapelle

-

le

qui a

été bâtie avant le pronaos - la succession des textes biographiques se fait selon une progression bien calculée, à partir de l'inscription de Thotrekh, un fils de Pétosiris la bouche

10

mort très jeune

(inscr. 56), jusqu'à

l'inscription

63 mise dans

de Djethotefânkh.

Ce principe est affirmé dès les origines du régime pharaonique: B. Menu, «Enseignes et porte-étendards », BIFAO 96, 1996, p. 329-342. Sur l'exécution capitale au moyen du sacrifice rituel par le feu: J. Yoyotte, « Héra d'Héliopolis et le sacrifice humain», AEPHE Ve section 89, 1980-81, p. 31-102; A. Leahy, «Death by Fire in Ancient Egypt », JESHO 27, 1984, p. 199-206. 149

Bernadette Menu

Tout se passe comme si, d'est en ouest - c'est-à-dire de la naissance à l'au-delà - en suivant l'orientation des flèches, trois personnes unissaient leurs mérites en allant à la rencontre de Djethotefânkh. Thotrekh ouvre la marche; c'est un être pur, paré de toutes les vertus de l'innocence; il conduit la procession justification)) occidentale Pétosiris,

familiale vers ce qu'on pourrait de Djethotefânkh, c'est-à-dire toute

- de la chapelle. Après le discours puis celles de Sishou,

montrent

de Thotrekh,

que le solde de leur activité terrestre

seulement

la récompense

leur est assurée

est très largement

Nectanébo

de l'au-delà

II, et Pétosiris

un

bilan

sous Alexandre

office et dans leur vie sociale,

positif. Non mais

sorte porté au compte de forcée, présente devant le

déficitaire.

En

effet,

Sishou

le Grand, ont été parfaits

irréprochables

de

d'actions

sur terre et dans l'au-delà,

l'excédent de leur bilan de vie est en quelque Djethotefânkh qui, lui, en raison de sa trahison divin

les biographies

une telle accumulation

bénéfiques

tribunal

appeler la « zone de la partie droite - ou

dans leur gestion,

sous

dans leur au bénéfice

d'un souverain légitime11. Au contraire, Djethotefânkh, en obéissant au Perse malgré lui, a contribué à l'appauvrissement de l'Égypte, à la dégradation du temple

de son dieu;

il a en outre accompli

l'Interdit,

en prononçant

et en

faisant exécuter la peine de mort. Voici l'inscription 63, vers laquelle convergent les inscriptions biographiques de la chapelle; il s'agit d'un plaidoyer devant Osiris, grand juge du tribunal

de l'au-delà:

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Fig. 1 : Plan de situation du tombeau de Pétosiris à Touna al-GebeL nécropole de l'ancienne Hennopolis (d'après Lefebvre). 157

Bernadette Menu

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P. =Pétosiris

T. =Thotrekh Fig. 1. Plan indiquant

la répartition

des inscriptions

(d'après G. Lefebvre).

S. =Sishou D. =DJethotefAnkh

Fig. 2 : Plan du tombeau de Pétosiris (d'après Lefebvre), avec la localisation, l'attribution, la répartition et l'orientation des inscriptions (par B. Menu).

158

La traditionjuridique face au pluralisme culturel

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Fig. 3 : Scènes d'un atelier d'orfèvrerie au tombeau de Pétosiris (d'après Lefebvre). 159

C'ompfrzs

rrzndus

Bernadette Menu: Recherches sur l'histoire juridique, de l'ancienne Egypte. II (BiÉtud 122), Le Caire, Institut orientale, 1998, VIII+423 p. in-4°.

économique et sociale français d'archéologie

Dans le double concerto pour une intelligence et une plume que Bernadette Menu écrit depuis de nombreuses années, la dernière mélodie a presque le souille d'une orchestration symphonique. Il s'agit en effet d'un recueil d'articles (dont un certain nombre avaient été publiés dans notre revue) groupés en trois grands thèmes: 1/ généralités, 11/ droit public, 111/ droit privé, mais agrémenté d'une introduction, d'un index et d'une préface de Nicolas Grimal, qui donnent à l'ensemble l'allure d'un traité de droit égyptien. L'a. commence par rappeler que les archaïsmes apparents de l'Égypte tiennent en fait à la plus ou moins grande utilité que ses habitants voyaient à la création d'instruments que nous qualifions de modernes; ainsi l'absence de numéraire peut s'expliquer par l'existence d'une monnaie scripturale. Par ailleurs, l'a. insiste sur les trois caractères essentiels du droit égyptien: sa précocité, sa durée et la masse documentaire accessible au chercheur (ordre royal, coutume, décision judiciaire etc.), et en propose la définition suivante: « Un ensemble de règles communautaires, coutumières et jurisprudentielles, sur lequel s'est affmnée l'autorité royale doublée du pouvoir théoriquement exclusif, maintenu et garanti par le rite, d'un roi-dieu sur la terre et sur les

habitants d'Égypte.

»

L'a. fait partir sa réflexion du plus haut niveau, celui que nous appelons les idées politiques. Le système égyptien obéit à une façon de penser qui ne déroute pas les modernes que nous sommes: le champ des activités humaines se déroule en effet entre un Bien (Maât, que l'on explique en général par la trilogie vérité-justice-équité - mais qui déborde ces notions -, sœur de pharaon puisque, comme lui, fille de Rê) et un Mal (Isefet), et le roi a pour mission de faire triompher Maât sur Isefet. Dès lors, les deux couronnes qu'il porte, la blanche et la rouge, représentent, aux origines, la première le champ d'action dynamique, la seconde le contexte statique; l'apport de l'a. est ici essentiel, puisqu'avant elle on insistait sur la seule connotation géographique (la couronne blanche symbolisant la Haute-Égypte, la rouge le Delta). De ce premier niveau, l'a. vient à la description juridique des pouvoirs de pharaon: roi absolu, à la puissance justifiée par l'origine divine de la royauté, pharaon est seul propriétaire du sol, se bornant à déléguer des prérogatives à ses agents; ainsi en ira-t-il de la justice qui n'est pas exercée par des juges professionnels, mais par les magistrats nantis de prérogatives administratives, placés sous la surveillance du vizir qui, en tant qu'officiant

163

Comptes rendus

de Maât, représente l'instance judiciaire la plus élevée avant le recours suprême devant le pharaon. Ensuite, l'a. nous évoque la société égyptienne, où les femmes, notamment, jouissent d'une place où ne flotte pas l'ombre des gynécées. Certes, la condition juridique de la femme a évolué (l'accroissement de l'indépendance juridique des femmes date du règne de Bocchoris) au cours de cette histoire égyptienne qui fut la plus longue de l'humanité, mais dans laquelle il convient de noter que la plus grande égalité des sexes correspond à la plus grande stabilité politique. On ne s'étonnera donc pas de voir certains métiers (médecine, administration, artisanat, prêtrise) exercés aussi par des femmes, sans qu'elles aient jamais été scribes, ou si peu, semble-t-il. Est-ce pour cette raison que les rapports familiaux (mariage, divorce, éducation des enfants, administration et transmission des biens) jouissent d'une grande liberté? Le mariage, par exemple, est en principe monogamique, mais certains « nobles» (imitant en cela pharaon) peuvent pratiquer la polygamie. Le mariage est, de plus, une simple formalité d'état civil (pour laquelle on peut dresser un contrat, et à la faveur de laquelle on retrouve les gratifications classiques en matière matrimoniale: don, dot etc.), et peut donc être rompu par un divorce, que l'un ou l'autre époux pourra poursuivre; et même si la communauté est traditionnellement gérée par le mari, la femme y possède un droit de regard. Dans le chapitre société toujours, l'a. nous donne en prélude les premiers accents que l'on est impatient de voir développés dans un travail à l'heure actuelle sous presse, concernant le dernier échelon social: si l'on suit la définition romaine, il ne s'agit pas d'esclavage, mais de dépendance, ou

plutôt, comme le dit l'a., de « relevance ». Enfm, vient le droit privé, truffé de procédés complexes: les créances sont en effet conçues comme des biens cessibles et transmissibles, la vente et le prêt fonctionnent comme des moules juridiques pour d'autres contrats. L'a. revient sur la passionnante question de la propriété des terres: pas de propriété quiritaire, mais une délégation de puissances donnant naissance sur une même terre à une multitude de droits superposés, et expliquant par là même le fait que les travaux des champs soient placés sous la sUIVeillance du nomarque. Ce statut n'interdit certes pas les ventes de terre ou plutôt, à chaque échelon des démembrements de propriété, les cessions de droits sur les terres; si notre documentation est très rare pour les hautes époques, elle devient abondante à partir des VIII-VIe siècles, mais sa nature juridique ne change pas pour autant: elle est consensuelle dès l'origine, ce que l'on savait déjà en égyptologie. En revanche l'a. nous livre une très intéressante évolution de la vente: en général orale sous l'Ancien Empire, la vente fait l'objet d'un contrat écrit si son objet est un immeuble ou si une modalité particulière

164

Comptes rendus

(terme, crédit) intervient; sous le Moyen Empire, le caractère d'oralité demeure; sous le Nouvel Empire, l'objet du contrat se diversifie (on cède des biens de production) et les contrats écrits se multiplient, mais toujours sous fonne de dialogues (il faut attendre la XXIIe dynastie au moins pour assister à 1er, on une déclaration unilatérale du vendeur) ; à l'époque de Psammétique rencontre des notions abstraites (réception d'un prix spécifié contre remise de la chose, par ex.). Nous avons là une présentation remarquable de la notion de vente, qui rendra les plus fiers services à ceux qui s'intéressent à l'évolution du droit contractuel. On ne manquera pas de signaler la traduction

nouvelle que l'a. propose du fameux « acte de vente de maison sous la IVe dynastie », qui rayonne d'intelligence. En guise de conclusion, on notera que, grâce à sa connaissance, non seulement de l'égyptien hiéroglyphique, mais aussi du démotique et du hiératique anormal, l'a. se livre en fm de volume à des développements précieux sur les époques saïte, perse et copte. Ce qui fait d'autant plus espérer que ce concerto que nous évoquions en introduction devienne au plus vite au moins une symphonie concertante, voire une symphonie tout court avec l'ampleur qui sied au traité de droit égypytien que le monde savant attend avec une si vive impatience. Jacques

Colloque Alexandrie: une mégapole cosmopolite. «Kérilos »N°9), Paris, 1999, 250p. in-So.

Tandis

Actes (= Cahiers de la Villa

Le concept de cosmopolitisme dans l'Antiquité est sans doute à la mode. Cosmopolitisme et que, depuis quelques années, le colloque

Antiquité» «

BOUINEAU

((

était

Méditerranées

cosmopolite

»

inscrit »1,

un

au

programme

colloque

des

intitulé:

manifestations ((Alexandrie:

de l'Association une mégapole

se tenait à la Villa Kérilos (Beaulieu-sur-Mer), les 2 et 3 octobre

1995, sous la présidence et la direction de Monsieur Jean LECLANT, Conservateur de la Villa Kérilos, Secrétaire perpétuel de l'Académie des France-Égypte, Inscriptions et Belles-Lettres, dans le cadre de l'année horizons partagés ». ((

1

Ce colloque eut lieu les 4 et 5 novembre (Komotini) .

1999 à l'Université Démocrite

de Thrace

165

Comptes rendus

Dansson allocution d'ouverture, J. LECLANTsouligne

«

l'œcuménisme

»

d'Alexandrie, cette « cité cosmopolite par excellence, où se sont conjuguées les traditions de l'ancienne Égypte pharaonique, celle des Grecs et des Juifs », dans une « culture plurielle qui s'est mûrie au sein de ce creuset ». portrait

Quinze communications se développent autour du thème, traçant un attachant, varié et coloré de la mégapole antique au cours de son

histoire. Dans une seizième contribution, « La Place des Consuls à Alexandrie » (p. 237-240), R. SOLÉ jette, sur l'Alexandrie moderne des consuls occidentaux, un regard qui témoigne avec éclat du « cosmopolitisme alexandrin » dont la ville peut être créditée sans hésitation dans l'héritage des structures ottomanes2. Alexandrie, dans l'Antiquité,

cosmopolite » ? M. CHAUVEAU souligne, sous le titre: « Alexandrie et Rhâkotis: le point de vue des Égyptiens » (p. 1-10) qu'« Alexandrie fut aussi et d'abord une était-elle une ville

«

création étrangère sur le sol de l'une des nations les plus anciennes et les plus civilisées de l'Orient méditerranéen ». Qui plus est, en s'obstinant à désigner la capitale fondée par Alexandre d'un sobriquet, évoquant les travaux

de sa construction (Rakoté,

«

Le Chantier »),les Égyptiens refusèrent d'intégrer

la « Résidence des rois grecs » dans leur géographie ancestrale. - Dans « Le monnayage d'or et d'argent frappé en Égypte sous Alexandre: le rôle monétaire d'Alexandrie» (p. 11-23), G. Le RIDER analyse avec beaucoup de fmesse et de rigueur les raisons pour lesquelles Cléomène de Naucratis attendit huit ans avant de frapper monnaie au nom et aux types d'Alexandre; il en conclut que le premier atelier de monnayage était situé dans la nouvelle cité, plutôt qu'à Memphis. - J.-Y. EMPEREUR, « Travaux récents dans la

capitale des Ptolémées

(p. 25-39), rend compte des dernières activités et des du Centre d'Études Alexandrines. - F. BURKHALTER se penche sur: « Les fermiers de l'arabarchie : notables et hommes d'affaires à remarquables

»

découvertes

Alexandrie» (p. 41-54), et consacre d'importants développements à une grande figure, celle d'Alexandre, arabarque juif frère du célèbre Philon d'Alexandrie. À la lumière de documents publiés récemment, l'a. précise la fonction des arabarques, fermiers généraux qui supeIVisaient tout ce qui touchait aux douanes sur le territoire appelé Arabia, s'étendant à l'est du Nil ; elle énumère ensuite les principaux arabarques connus, personnages très riches et influents, liés au pouvoir romain. - La pratique de la magie, dévoilée par des textes écrits sur papyrus ou sur lamelles de plomb, permet à B. MEYER de consacrer à l'œuvre de Théocrite un commentaire subtil et savant, mettant en valeur la forme épurée que le poète sut tirer de la materia 2

166

On verra particulièrement la contrtbution « Cosmopolitisme et Antiquité», à paraître.

de

J.-M.

Demaldent

au

colloque

Comptes rendus

magica connue par les papyrus magico-érotiques: « Les Magiciennes de Théocrite et les papyrus magiques)) (p. 69-78). - F. CHAMOUX attire l'attention sur l'aspect culturel du rayonnement d'Alexandrie, en évoquant

l'influence intellectuelle qu'exerça Callimaque par sa vie et son œuvre: poète Callimaque

relations entre

et le rayonnement « Alexandrie

culturel

d'Alexandrie))

« Le

(p. 79-89). - Les

et Cyrène)) font l'objet d'une copieuse mise au

point par A. LARONDE (p. 91-112) qui décrit les apports de chacune des deux cités à l'autre, et publie en outre (p. 92) la photographie d'une magnifique tête de Ptolémée III, récemment découverte à Apollonia de Cyrénaïque. - C'est deux autres grandes cités du monde antique que C. NICOLET met en parallèle: « Alexandrie

importance

argumente

et Rome: peut-on comparer?)) (p. 113-127), en évaluant leur respective. - Selon J. MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, qui son propos dans: « Espérances et illusions du judaïsme

urbaine

alexandrin)) (p. 129-144), « L'ambition du judaïsme alexandrin d'être grec tout en restant juif procède donc, dans une large mesure, d'une illusion qui résiste mal à l'épreuve de la réalité politique et sociale - « La Bible des Septante )), déjà plusieurs fois citée par J. Mélèze-Modrzejewski à l'appui de sa démonstration, fait l'objet d'un article de M. PHILONENKO (p. 145-155), qui établit une comparaison entre la Bible hébraïque et la traduction grecque des )).

Septante,

et insiste

sur

l'influence

essénienne.

-

À la lecture

de l'article

de

G. DORIVAL, « Les débuts du christianisme à Alexandrie» (p. 157-174), nous constatons avec l'a. que nous ne connaissons pas grand-chose du premier, ni même du deuxième siècle. Cette obscurité va sans doute de pair avec l'importance du milieu gnostique et une grande diversité des courants chrétiens, qui ont provoqué des tensions aux temps de Clément d'Alexandrie

et d'Origène. - A. Le BOULLUECréexamine quant à lui « La rencontre de l'hellénisme et de la 'philosophie barbare' selon Clément d'Alexandrie)) (p. 175-188). - De Plutarque à Clément, J. SIRINELLI trace les étapes d'une évolution qui tend à l'œcuménisme, à travers une concurrence dont les principaux rivaux, christianisme et néoplatonisme, fInirent par s'affronter, « car rien n'est plus violent que les confrontations d'idéologies qui prétendent toutes à l'universel)): « Cosmopolitisme et oecuménisme à Alexandrie)) (p. 189-202). - Enfm, D. ROgUES consacre un abondant article à: « Alexandrie tardive et protobyzantine (IVe_VIe s.): témoignages d'auteurs)) (p. 203-235). L'a. brosse un tableau érudit et vivant de cette Alexandrie des IVe_VIe siècles, « exubérante, bouillonnante, quoiqu'en mainte occasion violente alors

))

qui évolue dans un monde en pleine transformation.

à la fois le ventre

de l'Égypte,

une

capitale

intellectuelle

spirituel. Il évoque, p. 234, les « langues que l'on entendait d'Alexandrie: le latin, langue de l'administration et du droit;

Alexandrie

est

et un centre

dans les rues le grec, langue 167

Comptes rendus

de la culture; le copte - langue du peuple, mais aussi de la culture pour une certaine catégorie de lettrés -, dont Anastase le Sinaïte laisse entendre, dans

la première moitié du VIlesiècle, qu'il est la langue de la foule à Alexandrie

)).

-

Ainsi, il y avait donc des Égyptiens dans cette mégapole fascinante et singulière? Étrangement absents, les Égyptiens, des études que nous avons passées en revue jusqu'à présent, où l'on rencontre à l'envi - et pour notre plus grand bonheur - Grecs, Juifs et Romains, escortés de quelques figurants exotiques! Aussi ai-je gardé pour la fm (pour la faim ?) l'excellent article de

N. GRIMAL, « L'Un et les autres

))

(p. 55-68). N. Grimal recueille pour nous la

quintessence des principes philosophiques et cosmologiques qui font de l'Égypte pharaonique un modèle et un lieu de civilisation. Se référant au palais minoen édifié dans la capitale de Pi-Ramsès, l'a. en fait à juste titre une

expression du cosmopolitisme « qui offrait à des communautés l'intérieur

duquel

chaque

groupe culturel

pouvait

un cadre, à

non seulement

mais encore être compris des autres et les comprendre

))

s'exprimer,

; c'est bien, en effet,

sous les XVIIIe et XIXe dynasties que se sont le mieux manifestés les aspects d'un certain cosmopolitisme égyptien. On notera que N. Grimal a fmement soulevé le problème qui m'a

préoccupée

tout au long du présent

compte rendu:

« Universalisme

ou

)), interroge-t-il, p. 65. «Tout ce qui naît ou transite par à l'universel )), écrit plus loin en écho J. Sirinelli (p. 201). n'est pas entièrement une création artificielle, née de rien, recueilli des traditions pharaoniques profondément ancrées elle a respiré l'essence d'une pensée millénaire, partout

cosmopolitisme? Alexandrie, vise Alexandrie elle a forcément dans son sol3, distillée. Alexandrie antique était-elle cosmopolite, œcuménique, universaliste ou seulement pluriculturelle? La réponse ne peut venir que d'une analyse juridico-institutionnelle de ses structures politiques, au cours des différentes périodes de son histoire, démarche qu'il faudrait entreprendre en contrepoint.

Le colloque

« Cospopolitisme

et Antiquité

)),

qui sera

publié

prochaines livraisons de Méditerrailées, tenta des réponses des défmitions, même si Alexandrie en fut absente.

dans

Bernadette

3

Voir le précédent d'Amenhotep N qui, délimitant le teITitoire de (Akhetaton/ Amarna), constate, de manière bien peu vraisemblable, terrain que nous pourrions qualifier juridiquement de « vacant et n'appartient pas à un dieu, ni à une déesse, ni à un gouverneur, gouverneur,

ni à quelqu'un

qui y ferait quelque

chose,

les

sur la question

MENU

sa future capitale qu'il s'agit là d'un sans maître ~ : « il ni à une femme-

(on) ne sait pas

... Je

constatai

qu'il était abandonné» (W.J. Murnane et C. C. van Siclen III, The Boundary Stelae of Akhenaton, New York, 1993, p. 21). 168

Le CENTRE D'ETUDES INTERNATIONALES SUR LA ROMANITE échange revue avec les publications suivantes: AEGYPTUS (Milan

sa

- Italie)

AFRICA ROMANA (Sassari - Italie) ANALISE SOCIAL (Lisbonne

- Portugal)

JOURNAL OF MEDITERRANEAN STUDIES (Msida

- Malte)

REVUE D'ETUDES ANDALOUSES (Tunis - Tunisie)

169

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